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L’imputabilité en droit pénal

Elisabeth Gomez

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Elisabeth Gomez. L’imputabilité en droit pénal. Droit. Université de La Rochelle, 2017. Français.
�NNT : 2017LAROD008�. �tel-02009790�

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Université de La Rochelle

École doctorale Droit et Science politique Pierre-Couvrat

Doctorat en droit

Élisabeth GOMEZ

L’imputabilité en droit pénal

thèse soutenue publiquement le 17 novembre 2017


à la Faculté de droit, de science politique et de gestion de La Rochelle

Membres du jury
M. Yves MAYAUD
Professeur émérite à l’Université Panthéon-Assas (Paris II)
Mme Catherine MARIE
Professeur à l’Université de La Rochelle
Doyen honoraire de la Faculté de droit de La Rochelle
Mme Haritini MATSOPOULOU
Professeur à l’Université Paris-Sud (Paris XI)
M. François ROUSSEAU
Professeur à l’Université de Nantes

Directeur de thèse
M. André GIUDICELLI
Professeur à l’Université de Corse Pasquale Paoli
Doyen honoraire de la Faculté de droit de La Rochelle
À mes parents,
À Jean-Gérard.

1
2
Je voudrais tout d’abord remercier vivement mon directeur de thèse, André Giudicelli, pour
son accompagnement sans faille. J’ai toujours pu compter sur son appui scientifique et son
aide bienveillante. Je voudrais aussi lui témoigner ma reconnaissance sincère pour la
confiance et la liberté qu’il m’a accordées. Je suis heureuse de pouvoir aujourd’hui les
honorer.

Je voudrais remercier tous les enseignants-chercheurs de l’Université de La Rochelle et, en


particulier, Madame le Professeur Catherine Marie pour sa disponibilité et ses conseils
toujours avisés. Au-delà, je voudrais aussi remercier Madame Catherine Marie pour son
soutien chaleureux et amical de tous les instants.

Un grand merci à Jean-Gérard qui m’a accompagnée jusqu’au terme de cette recherche, à ma
famille, avec des pensées spéciales pour mes grands-parents, mes parents, ma sœur, Anne,
mon frère, Jean-Pierre, et la merveilleuse jeunesse, Éléonore, Pierre, Édouard, Armand et
Gaspard.

3
4
Sommaire

Introduction 9

Partie 1 : L’imputabilité dans la théorie classique


de la responsabilité pénale

Titre 1 L’autonomie de l’imputabilité et de la culpabilité entendue


strictement 33
Chapitre I Les conditions de l’imputabilité découlant du caractère objectivé
de la culpabilité 35
Chapitre II La reconfiguration du champ de la condition de liberté relevant
de l’imputabilité 89
Titre 2 La place de l’imputabilité dans la mise en œuvre de la
responsabilité pénale 121
Chapitre I L’autonomie de l’imputabilité par rapport à l’élément
psychologique de l’infraction 123
Chapitre II La localisation de l’imputabilité et de la culpabilité déterminante
de leurs fonctions respectives 171

Partie 2 : L’imputabilité à l’épreuve d’un droit


pénal post-moderne

Titre 1 La montée d’un droit pénal néopositiviste sonnant le glas


d’une conception unitaire de l’imputabilité 229
Chapitre I L’objectivation de l’imputabilité en lien avec l’évolution de la
responsabilité pénale des personnes morales 231
Chapitre II L’imputabilité en danger au regard de la responsabilité pénale
des personnes physiques 277
Titre 2 Pour une cohabitation dédramatisée de l’imputabilité et de
la dangerosité dans un droit pénal post-moderne 333

Chapitre I La recherche d’une cohabitation dédramatisée de l’imputabilité


et de la dangerosité dans le cadre de la césure du procès pénal 341
Chapitre II L’usage recentré de la dangerosité 379

Conclusion 429

5
6
Principales abréviations

art. article Gaz. Pal. La Gazette du Palais


BOMJ Bulletin officiel du ministère de la J.-Cl. Pénal Juris-Classeur pénal
Justice
Bull civ. Bulletin des arrêts des chambres JCP G Juris-Classeur périodique
civiles de la Cour de cassation (Semaine juridique), édition
générale
Bull. crim. Bulletin des arrêts de la chambre JDI Journal Droit international
criminelle de la Cour de cassation

C. civ. Code civil JO Journal officiel


C. pén. Code pénal L. loi
C. pr. pén. Code de procédure pénale La Doc. fr. La Documentation française
CA cour d’appel LPA Les Petites Affiches
Cass. ass. plén. assemblée plénière obs. observation
Cass. civ. Cour de cassation, OPJ officier de police judiciaire
chambre(s) civile(s) 1re et 2e

Cass. com. Cour de cassation, chambre préc. précité


commerciale
Cass. crim. Cour de cassation, chambre QPC question prioritaire de
criminelle constitutionnalité
Cass. req. Cour de cassation, chambre Rép. pr. civ. Répertoire de procédure civile
des requêtes
Cass. soc. Cour de cassation, chambre RIDP Revue internationale de droit
sociale pénal
CEDH Cour européenne des droits RDP Revue de droit pénal
de l’homme
CJUE Cour de justice de l’Union RPDP Revue pénitentiaire et de droit
européenne pénal
comm. commentaire RDSS Revue de droit sanitaire et social
Comm. révision Cour de cassation, RSC Revue de science criminelle et de
commission de révision droit comparé
Cons. const. Conseil constitutionnel RTD civ. Revue trimestrielle de droit civil
D. : Recueil Dalloz S. Recueil Sirey
Dr. fam. revue Droit de la famille somm. sommaire
Dr. pén. revue Droit pénal t. tome
Dr. soc. revue Droit social th. thèse
éd. édition trib. corr. tribunal correctionnel

7
8
Introduction

« La notion d’imputabilité est peut-être la plus controversée


et celle qui est la moins unanimement entendue. »
Éric Lepointe1

La doctrine contemporaine appréhende dans son ensemble la responsabilité pénale comme


l’obligation de rendre compte d’un acte délictueux par l’accomplissement d’une peine2. C’est
au XVIIIe siècle qu’est apparu, pour la première fois, le terme de responsabilité dans le sens
d’« obligation de répondre de ses actes » ou d’en rendre compte3. La notion est le fruit d’une
longue évolution. Dans les sociétés archaïques, la responsabilité était d’essence objective et
collective. Il n’y avait pas de place pour le concept d’imputabilité, ni même pour celui
d’imputation4. Une responsabilité est collective quand un membre du clan ou de la famille
peut être amené à répondre du délit commis par l’un d’entre eux. L’auteur du délit n’est pas
considéré comme personnellement responsable. Juridiquement, tous les membres du clan
sont responsables. Cela signifie que n’importe quel membre du clan offensé pouvait exercer
sa vengeance sur n’importe quel membre du clan de l’offenseur. Un exemple
d’individualisation balbutiante peut être trouvé, à l’époque romaine, avec la pratique de
l’abandon noxal. Pour remédier aux incessantes guerres interclaniques générées par la
vengeance privée, le pater familias 5 pouvait remettre au clan de la victime, l’auteur du
dommage6. L’action noxale mettait implicitement en œuvre un principe de responsabilité

1. É. LEPOINTE, « Le diagnostic judiciaire des faits justificatifs », RSC 1969., p. 547, no 4.


2. Cf. notamment B. BOULOC, Droit pénal général, Dalloz, 25e éd., 2017, no 399 ; F. DESPORTES et F. LE
GUNEHEC, Droit pénal général, Corpus droit privé, Economica, 16e éd., 2010, no 427.
3. A. REY (dir.), Dictionnaire historique de la langue française, Le Robert, 2004 ; J. HENRIOT, « Note sur la date et le
sens de l’apparition du mot “responsabilité” », Arch. phil. dr., 1977, t. 22, p. 59 ; M. VILLEY, « Esquisse
historique sur le mot responsable », Arch. phil. dr., 1977, t. 22, p. 45.
4. Cf. infra pour la distinction entre les deux notions.
5. À Rome, il existait deux catégories de personnes, les sui juris et les alieni juris. Seul le pater familias était sui juris.
Tous les autres membres de la famille, tant que le père était vivant, étaient des alieni juris (enfants biologiques,
enfants adoptés, cousins, esclaves, animaux…).
6. Si, en pratique, c’est uniquement l’auteur qui a commis l’acte répréhensible qui est remis à la victime et, plus
précisément, à un autre pater familias, sur le plan des principes, il n’est pas si évident que l’action noxale mette
en œuvre une responsabilité individuelle. Cela tient au fait que seul le pater familias est capable juridiquement.
Pour cette raison, l’action ne peut directement être exercée contre l’auteur. Lorsque la victime intente l’action,
elle commence par interpeller le pater familias, en tant que chef de clan, dans la phase in jure du procès. Avant
de remettre le coupable, le pater doit procéder à une cessation de sa puissance sur l’alieni juris – la derelictio.
L’acte d’interpellation est le fondement juridique de la deditio – la remise du coupable. Si le pater familias est
interpellé, c’est uniquement pour que les liens soient rompus. La derelictio est fondamentale car elle va orienter

9
individuelle dans la mesure où l’abandonné noxalement était le véritable auteur de l’acte7.
Certes, il ne s’agissait pas à proprement parler d’une responsabilité individuelle et personnelle
dans la mesure où, en doit strict, seul le pater familias était un sui juris. L’abandonné noxal, en
tant qu’alieni juris, était irresponsable en droit mais responsable en pratique. Ainsi, une place
a d’abord été ménagée à la notion d’imputation par le biais de l’individualisation de la
responsabilité, l’imputation consistant en une opération purement objective d’attribution de
l’infraction au « bon coupable »8.

Dans les sociétés archaïques, la responsabilité pénale était en outre doublement objective. En
premier lieu, son approche objective résultait du caractère matériel de l’infraction. Seul
compte, pendant des siècles, la matérialité de l’acte. À titre d’exemple, l’injuria, dans la loi des
XII Tables, correspond à l’acte contraire au droit. L’adage romain, Noxae se obligare, résume
cette conception du délit : on ne s’engage pas en raison d’un acte qu’on a commis, on se
trouve engagé car l’acte vous désigne par la cause. En d’autres termes, c’est parce qu’il y a un
fait qu’il y a un coupable. Par voie de conséquence, l’état d’esprit de l’agent au moment des
faits n’avait que peu d’importance. On ne s’intéresse pas de savoir si l’agent a fait preuve
d’hostilité ou d’une simple indifférence aux valeurs sociales. Ainsi, l’homicide non
intentionnel était réprimé comme le meurtre, tandis que l’homicide volontaire commis en
état de légitime défense était réprimé. À l’inverse, la tentative de délit n’était pas punissable.
Le droit de l’époque franque très empirique, en rappelant le très ancien droit romain, a fait
perdurer l’acception matérielle du délit. D’ailleurs, lorsque, pour remédier à la faida –
vengeance privée –, la loi est venue faire obligation au coupable ou à son clan de verser à
l’offensé ou à sa famille une composition pécuniaire, le wergeld, son montant s’est trouvé
déterminé à partir de critères objectifs9. Le caractère objectif de la responsabilité découlait
aussi du fait que la qualité de l’auteur du délit importait peu. La sanction frappait aussi bien
l’homme jouissant de toutes ses facultés intellectuelles que celui souffrant de troubles
mentaux. On comprend alors que cette dimension doublement objective était à l’origine
d’une responsabilité pénale étendue, la sanction pouvant frapper jusqu’aux animaux10.
L’influence du christianisme et sa rhétorique du péché, combinées aux philosophies
humanistes, vont entraîner l’émergence d’une responsabilité subjective, conditionnée par
l’exigence d’une volonté libre. On peut donc considérer que « l’imputation d’une infraction
a, d’abord, reposé sur un rapport essentiellement objectif ou matériel, pour, ensuite, s’enrichir

les poursuites. Dès lors qu’elle est accomplie, le pater familias ne peut plus être attaqué (cf. cours de M. Jacques
BOUINEAU, Fondements romano-canoniques de la responsabilité, master 2 recherche « Droit de la responsabilité »,
faculté de droit de La Rochelle, année 2005-2006.
7. Il est vrai que le mouvement ainsi impulsé d’individualisation et, au-delà, de personnalisation de la
responsabilité pénale, devait être freiné, par la suite, par la possibilité ensuite offerte au pater familias, pour
une raison d’humanité, de chercher à éviter cet abandon par le paiement d’une composition pécuniaire –
dénommée « Wehrgeld » dans le royaume romano-germanique ou Mannboetr dans les sociétés scandinaves
(cf. cours de M. Jacques BOUINEAU, op. cit.).
8. Cf. infra pour la distinction de la notion de celle d’imputabilité.
9. On ne tenait compte d’aucun autre élément que de la gravité du crime commis et de la qualité de la victime
– par exemple, dans la loi Salique, le Wergeld du Gallo-Romain était la moitié de celui du Franc.
10. Les tribunaux ecclésiastiques ont même condamné des animaux jusqu’au XVIIIe siècle. Le droit romain,
quant à lui, a consacré l’action de pauperie dès l’époque de la loi des XII Tables. Cette action était dirigée
directement contre le propriétaire de l’animal sur le fondement d’une sorte de responsabilité du fait des
choses. Dès lors, l’animal n’était plus susceptible d’être considéré comme l’auteur d’une infraction quand il
causait un dommage, que celui-ci soit matériel ou corporel (cf. cours de M. Jacques BOUINEAU, op. cit.).

10
d’une exigence subjective tenant au libre arbitre de la personne humaine »11. L’émergence de
la donnée imputabilité a donc succédé à celle d’imputation. Cette succession dans l’apparition
des notions contribue à exclure l’existence d’une conception exclusivement objective de
l’imputabilité.

L’exclusion d’une conception exclusivement objective de l’imputabilité

Le législateur ne définit pas la notion d’imputabilité. Tout au plus emploie-t-il le verbe imputer
dans un sens comptable12. Le mot imputabilité vient du latin imputare signifiant « porter en
compte », « mettre en ligne de compte » ou encore « attribuer »13. Transposée à la matière
pénale, l’idée, relativement simple, que l’acte délictueux doit pouvoir être porté au compte
de l’agent n’exclut pas un certain nombre de difficultés. La première difficulté, qui découle
de l’éclairage étymologique du terme « imputabilité », est relative aux conditions dans
lesquelles un acte délictueux doit pouvoir être porté au compte de l’agent. Or, précisément,
ces dernières ne sont pas unanimement entendues par la doctrine, ce qui donne lieu à des
incertitudes sur les frontières de l’imputabilité14. Une certaine unanimité se dégage cependant
pour considérer qu’à l’égard des personnes physiques, l’imputabilité ne saurait se réduire à
une simple relation de cause à effet entre l’acte pénalement répréhensible et un individu
considéré. En effet, la doctrine « a pris l’habitude de regrouper sous cette notion les
conditions qui intéressent l’aptitude de l’agent à se voir reprocher une infraction »15. Ainsi,
aux termes de la conception d’essence classique de l’imputabilité pénale16, un acte délictueux
est imputable dès lors que l’agent a agi « avec une intelligence lucide et une volonté libre »17.
Elle ne saurait donc être confondue avec la notion d’imputation qui, dans une acception
étroite, s’entend d’« une opération purement matérielle de rattachement de l’infraction à un
agent »18. L’imputation correspondrait, quant à elle, à « l’opération objective d’attribution
d’un fait illicite à une personne »19. C’est cette acception étroite de l’imputation qui sera
retenue dans le cadre de cette étude20. Si les deux termes dérivent du verbe imputer, en
renvoyant l’un comme l’autre au fait d’attribuer un fait ou une chose à une personne afin
d’en rendre compte, il sera considéré que le droit pénal retient plutôt une conception étroite
de l’imputation, donc objective, et appréhende l’imputabilité par son versant subjectif.

11. F. ROUSSEAU, L’imputation de la responsabilité pénale, Dalloz, 2009, no 5, p. 8.


12. Cf. par exemple, C. pén., art. 131-32 pour le calcul de la durée d’interdiction de séjour lorsqu’elle est
accompagnée d’une peine privative de liberté.
13. A. REY (dir.), Dictionnaire historique de la langue française, op. cit.
14. En référence à A. GIUDICELLI, « Incertitudes sur les frontières de l’intention », in Dix ans après la réforme de
1994, quels repères dans le code pénal ?, travaux de l’Institut de sciences criminelles de Poitiers, t. XXIV, Cujas,
2005.
15. F. ROUSSEAU, L’imputation de la responsabilité pénale, op. cit., no 6, p. 9.
16. Par opposition à la conception civiliste majoritaire de l’imputabilité qui la réduit à la seule exigence du
discernement, sans égard à un quelconque élément de volonté.
17. J.-M. AUSSEL, « La contrainte et la nécessité en droit pénal », in G. STÉFANI (dir.), Quelques aspects de l’autonomie
du droit pénal. Études de droit criminel, Dalloz, 1956, p. 256, no 6.
18. F. ROUSSEAU, L’imputation de la responsabilité pénale, op. cit., no 6, p. 9.
19. Ibid., no 7, p. 11.
20. Cette acception étroite de l’imputation ne condamne pas la notion à la marginalisation. En effet, dans la
seconde partie de cette étude, nous tenterons d’établir le renouveau de l’imputation à la faveur de l’évolution
de la responsabilité pénale des personnes morales vers l’autonomie. Certains auteurs, à l’instar de François
Rousseau, considèrent, à l’inverse, qu’il est permis de retenir une conception large de l’imputation, cette
dernière, en présentant une facette subjective, absorberait alors le concept d’imputabilité.

11
L’imputation se limitera à l’action d’imputer sans inclure la dimension de reproche possible.
Quant à l’imputabilité, elle s’entendra, à l’inverse d’« une opération essentiellement
subjective, qui dépend de la capacité de comprendre et de vouloir de l’agent ou, autrement
dit, de son libre arbitre, permettant de lui reprocher la commission d’une infraction »21. Si
l’enjeu de cette recherche n’est pas dans l’identification des deux composantes de
l’imputabilité, ces dernières faisant aujourd’hui l’unanimité, il importera cependant d’en
préciser le sens.

L’acception subjective de l’imputabilité confirmée par l’analyse de ses conditions


traditionnelles : la capacité de comprendre ou l’exigence de discernement et la
volonté libre

En l’absence de définition du législateur, il est possible de se tourner vers les articles 122-1
et 122-8 du Code pénal. En vertu de l’article 122-1, alinéa 1er du Code pénal : « N’est pas
pénalement responsable la personne qui était atteinte, au moment des faits, d’un trouble
psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes. »
Ainsi, la condition de discernement est appréhendée par la négative et par le biais de son
origine consistant dans l’existence, ou plutôt l’absence, de troubles psychiques ou
neuropsychiques. L’ancien Code pénal se référait à la notion de démence. Dans l’esprit des
rédacteurs du Code pénal de 1810, elle s’apparentait à l’aliénation mentale, en d’autres termes,
à la folie. La jurisprudence, au diapason, considérait que la notion de démence devait être
largement comprise en incluant les diverses formes d’aliénation mentale. L’imprécision de la
notion, peu scientifique, a cependant conduit à son abandon lors de l’adoption du Code pénal
de 1994. Toutefois, les rédacteurs du « nouveau » Code pénal ne sont pas parvenus à donner
un nom commun aux différentes formes de maladies mentales susceptibles d’abolir le
discernement. Pour cette raison, ils ont préféré parler de troubles psychiques ou
neuropsychiques en retenant pour critère les effets produits par toute forme de démence. En
d’autres termes, ce qui importe est de savoir si les facultés mentales de celui qui a agi étaient
ou non affectées au moment de l’acte et, dans l’affirmative, de déterminer le degré de cette
affectation. Peu importe la forme et la nature du trouble22. On ne peut qu’approuver un tel
choix législatif dans la mesure où la discussion sur l’imputabilité ne saurait se circonscrire à
un diagnostic ou à une exclusion de pathologie mentale avérée. Il semble plus fécond
d’étudier les caractéristiques psychiques d’un individu. En effet, rattacher la criminalité à une
structuration psychotique n’a aucune base scientifique. Il existe des structures psychotiques
qui restent stables toute leur vie, du moment qu’elle ne fait pas intervenir d’éléments trop
déstabilisants23. À titre d’exemple, les passages à l’acte criminel ne sont pas fréquents chez
les schizophrènes, y compris au moment de leurs délires. Il importe aussi de distinguer les
troubles psychiques des troubles de la personnalité ou du comportement. Ces derniers, en

21. F. ROUSSEAU, L’imputation de la responsabilité pénale, op. cit., no 6, p. 9.


22. Le trouble mental peut consister en une maladie de l’intelligence congénitale, consécutive à une maladie, à
un accident.
23. De nombreux psychanalystes dans la continuité de Mélanie Klein, John Bowlby, Donald Winnicott, Michael
Balint, Joyce Mac Dougall, Michèle Monjauze, chacun à sa manière, ont affirmé, à partir d’observations
cliniques, que nous avons tous une part psychotique dans notre fonctionnement psychique.

12
étant susceptibles d’accroître considérablement la dangerosité de l’individu24, ne doivent pas
être mis en relation avec l’existence d’une pathologie mentale avérée. D’ailleurs, dans la
mesure où ils ne se manifestent pas sous la forme de délires pouvant faire perdre toute
conscience rationnelle à l’individu, ces troubles ne peuvent en aucun cas abolir son
discernement ou sa responsabilité25. Par exemple, des troubles du comportement de nature
sexuelle sont particulièrement apparents dans le cas de certains pédophiles. Finalement, la
problématique de la distinction entre troubles psychiques ou neuropsychiques et troubles de
la personnalité ou du comportement est éludée par la prise en compte des seuls effets du
trouble sur l’existence du discernement de l’agent. La seule exception à la prise en compte
des effets du trouble consiste dans l’engagement de la responsabilité pénale de l’agent lorsque
l’abolition du discernement est consécutive à une intoxication volontaire26. Finalement, on
ne peut qu’approuver un tel choix législatif dans la mesure où la discussion sur l’imputabilité
ne saurait se circonscrire à un diagnostic ou à une exclusion de pathologie mentale avérée. Il
semble plus fécond d’étudier les caractéristiques psychiques d’un individu, celles qui peuvent
atténuer ou, au contraire, aggraver la responsabilité. L’article 122-1, alinéa 1er évoque aussi le
trouble mental privant l’individu du « contrôle de ses actes ». La nuance ainsi introduite a
pour but d’écarter de la sphère pénale des individus qui, tout en comprenant ce qui leur
arrive, ne parviennent pas à se dominer. À l’instar d’Emmanuel Dreyer, on peut « douter de
l’utilité d’une distinction aussi scrupuleuse »27. En effet, ne faut-il pas considérer que
« l’hypothèse du trouble psychique ou neuropsychique privant un individu du contrôle de ses
actes sans abolir son discernement relève plutôt de la contrainte morale »28 ? De la même
manière, il convient de distinguer entre les troubles mentaux et les troubles du comportement
et de la personnalité qui sont quant à eux susceptibles d’accroître considérablement la
dangerosité de l’individu29. Finalement, il semble permis d’avancer, sur le fondement de
l’article 122-1, que le discernement procède d’une acception scientifique et consiste, dans son
versant positif, dans la faculté d’interpréter ses actes dans la réalité.

En vertu de l’article 122-8, alinéa 1er du Code pénal : « Les mineurs capables de discernement
sont pénalement responsables des crimes, délits ou contraventions dont ils ont été reconnus
coupables, dans des conditions fixées par une loi particulière qui détermine les mesures de
protection, d’assistance, de surveillance et d’éducation dont ils peuvent faire l’objet. » Si le
législateur fait du discernement du mineur une condition à l’engagement de sa responsabilité
pénale, il ne définit pas plus la notion, que l’on considère l’article 122-8 ou la « loi

24. Cf. infra, partie 2, titre 2, chapitre II pour le lien établi entre l’existence de troubles du comportement ou de
la personnalité et la dangerosité sociale d’un individu considéré.
25. Il n’est même pas certain qu’une simple altération du dicsernement soit envisageable en pareilles hypothèses.
26. La Cour de cassation considère que l’influence de l’ivresse sur la responsabilité pénale est une question de
fait laissée à l’appréciation souveraine des juges du fond (cf. par exemple Cass. crim., 14 nov. 1924, Bull. crim.,
no 381 ; 11 mars 1958, Bull. crim., no 238 ; 5 févr. 1957, Bull. crim., no 112, RSC, 1958, p. 93, obs. A. LEGAL ;
Cass. crim. 22 sept. 1999, Bull. crim., no 197, RSC, 2000, p. 386, obs. B. BOULOC. Cf. également B. BOULOC
et H. MATSOPOULOU, Droit pénal et procédure pénale, Sirey, coll. « Intégral concours », 20e éd. 2016, nos 218
et suiv. Nous tenterons d’établir que le maintien de la répression tient, dans cette hypothèse, au
rattachement de la faute de l’agent à l’imputabilité (cf. infra).
27. E. DREYER. Droit pénal général, Droit pénal général, Litec, 2016, 4e éd., 792, p. 603, no 785, p. 571.
28. Loc. cit. Cf. également partie 1, titre 1, chapitre II : « La reconfiguration du champ de la condition de liberté
relevant de l’imputabilité».
29. Cf. infra, partie 2, titre 2, chapitre II.

13
particulière » visée par le texte et qui consiste dans l’ordonnance no 45-174 du 2 février 1945
relative à l’enfance délinquante. S’il découle de ces articles que la minorité soulève la question
de l’existence du discernement, on retient que « le critère rigide de l’âge »30 n’a été retenu par
le législateur pour déterminer l’existence du discernement. De ce point de vue, la
jurisprudence rappelle régulièrement l’insuffisance du critère de l’âge pour apprécier le
discernement. Par exemple, La première chambre civile, dans un arrêt du 18 mars 2015, a
considéré, au visa des articles 388-1 du Code civil et 388-4 du Code de procédure civile, que
devait être cassée la décision d’une cour d’appel qui refuse l’audition d’un enfant mineur en
se bornant à se référer à l’âge du mineur, sans expliquer en quoi celui-ci n’était pas capable
de discernement31. En vertu de l’article 388-1 du Code civil : « Dans toute procédure le
concernant, le mineur capable de discernement peut, sans préjudice des dispositions
prévoyant son intervention ou son consentement, être entendu par le juge ou, lorsque son
intérêt le commande, par la personne désignée par le juge à cet effet. » Par ailleurs, en
application de l’article 338-4 du Code de procédure civile : « Lorsque la demande est formée
par le mineur, le refus d’audition ne peut être fondé que sur son absence de discernement ou
sur le fait que la procédure ne le concerne pas. » On peut vérifier que la loi a fait le choix de
ne préciser aucun âge minimum et se contente d’exiger que l’enfant soit en capacité de
comprendre les échanges qui pourront être effectués, qu’il soit « capable de discernement »
selon les termes de l’article 388-1 du Code civil. Cependant, le discernement ne fait pas plus
l’objet d’une définition légale. En outre, les critères dégagés par la jurisprudence ne
permettent pas d’en avoir une vue très claire. Comme le relève Mehdi Kebir, « c’est pour
pallier cette difficulté que les juridictions du fond ont tendance à se fonder sur la seule
considération de l’âge de l’enfant pour conclure à l’absence de discernement de ce dernier »32.
Alors que l’on présente souvent l’âge de 7 ans comme l’âge de raison, la chambre criminelle
de la Cour de cassation vient implicitement d’approuver les juridictions du fond d’avoir
condamné du chef d’agressions sexuelles aggravées un mineur âgé de 10 ans33.

Finalement, il est permis de considérer que le discernement ne procède pas d’une acception
morale, comme nous y invitent certaines définitions doctrinales en application desquelles il
consisterait à discerner le bien du mal. La révolution du jus naturaliste34 a consisté à rompre,
au nom de la raison, avec le modèle scolastique – associant dogmes chrétiens et philosophie

30. Cf. résumé de la thèse de Carmen Montoir, Les principes supérieurs du droit pénal des mineurs délinquants, thèse
Paris-II, 2014.
31. Cass. civ. 1re, 18 mars 2015, no 14-11.392, Bull. I 2015, no 58 ; Dalloz act., 8 avr. 2015, obs. M. KEBIR. Dans
cette affaire, un juge aux affaires familiales avait fixé la résidence d’un enfant chez sa mère et aménagé le
droit de visite et d’hébergement du père. Au cours d’une instance d’appel, l’enfant avait demandé une
audition à la juridiction mais celle-ci rejeta la demande au motif, d’une part, que cet enfant n’était âgé que
de 9 ans et n’était donc pas capable de discernement et, d’autre part, que la demande apparaissait contraire
à son intérêt. À l’issue d’un pourvoi formé à l’encontre de cette décision, la Cour de cassation décide de
censurer les juges du fond au visa des articles 388-1 du Code civil et 338-4 du Code de procédure civile.
Rappelant qu’il résulte de ces textes que, lorsque la demande est formée par le mineur, le refus d’audition
ne peut être fondé que sur son absence de discernement ou sur le fait que la procédure ne le concerne pas,
la Cour de cassation reproche à la cour d’appel de s’être bornée à se référer à l’âge du mineur, sans expliquer
en quoi celui-ci n’était pas capable de discernement. La cour d’appel s’était donc prononcée par un motif
impropre à justifier le refus d’audition.
32. M. KEBIR, « Audition de l’enfant : insuffisance du recours à l’âge pour apprécier le discernement », Dalloz
act. 8 avr. 2015. Cf. également sur ce point, A. GOUTTENOIRE, Rép. pr. civ., vo Mineurs, nos 34 et suiv.
33. Cass. crim., 8 juin 2017, no 16-83.345, à paraître au bulletin.
34. Révolution représentée par l’École de droit naturel moderne, à l’âge classique, XVIIe et XVIIIe siècles.

14
traditionnelle – hérité du Moyen Âge35. Le Moyen Âge avait vu l’apogée du droit canon36.
Le droit canonique et la notion corrélative de pêché, en contribuant à la spiritualisation de la
responsabilité pénale, ont imprégné le droit pénal. Les fondements du droit traditionnel
étaient donc religieux37. Sous l’influence conjointe du droit naturel et des philosophes du
contrat social, il a laissé la place à un droit pénal moderne laïcisé, dont le fondement est la
raison et non plus la morale. Aussi, afin de parachever l’une des ruptures épistémologiques
du droit, entreprise par la révolution du jus naturaliste, il serait souhaitable d’expurger
l’imputabilité de toute référence explicite à la morale en abandonnant les termes de bien et de
mal dans la définition du discernement. La référence à ces termes, en plus d’être surannée, ne
paraît pas opportune dans une époque où la distinction du droit et de la morale est souvent
brouillée ou instrumentalisée. Dans la mesure où la loi peut être perçue comme l’instrument
privilégié et opérationnel d’organisation des rapports sociaux38, le bien deviendrait le légal et
le mal, l’illégal. Il semble qu’il est temps, pour l’imputabilité, de se défaire de ses oripeaux
moraux. Finalement, le discernement procède d’une définition unitaire, la diversité provenant
de son origine : soit trouble psychique, soit développement de l’intelligence encore
insuffisant. Ensuite, il importe seulement de le quantifier, les deux circonstances précitées
étant de nature à empêcher l’agent de se représenter les actes dans la réalité.

La notion de volonté est susceptible de se dédoubler en un aspect objectivé et en un aspect


subjectif. Plus particulièrement, elle se prête à une double approche à la fois « réaliste » et
« qualitative ». Nous verrons que si cette dernière approche, en renvoyant à l’exigence d’une
volonté libre, se rattache à la notion d’imputabilité, la première relève en revanche du
domaine de la culpabilité39. Cette approche dichotomique de la volonté repose sur
l’autonomie de l’imputabilité par rapport à la culpabilité, entendue comme élément
psychologique de l’infraction. Au-delà même de ce postulat, nous écarterons ce que l’on
pourrait appeler la conception dualiste de l’élément psychologique de l’infraction.

Dans le prolongement de l’acception subjective de l’imputabilité, il est permis de soutenir


qu’elle procède d’une conception étroite. Elle ne saurait voir le champ de ses conditions
étendu par le rattachement des faits justificatifs dont l’essence objective est établie.

L’exclusion d’une conception large de l’imputabilité supposant un rattachement des


faits justificatifs

La distinction, fait justificatif/cause de non-imputabilité, paraît évidente à la lecture des


traités et manuels. Pourtant un doute découle de la présentation par le Code pénal de
l’ensemble des causes d’exonération de la responsabilité pénale dans un chapitre unique
intitulé « Des causes d’irresponsabilité ou d’atténuation de la responsabilité ». Les causes
d’irresponsabilité ou d’atténuation de la responsabilité sont listées les unes à la suite des autres

35. Cf. « Prologue », in M. MASSE, J.-P. JEAN et A. GIUDICELLI (dir.), Un droit pénal postmoderne ? Mise en perspective
des évolutions et ruptures contemporaines, PUF, coll. « Droit et Justice », 2009, p. 20.
36. Les décisions de l’assemblée des évêques, le concile œcuménique, portaient le nom de « canons ».
37. Cf. « Prologue », in M. MASSE, J.-P. JEAN et A. GIUDICELLI (dir.), Un droit pénal postmoderne ? Mise en perspective
des évolutions et ruptures contemporaines, op. cit., p. 21.
38. Notamment parce que la loi est l’expression sacralisée de la volonté générale (cf. ibid).
39. Cf. infra, partie 1, titre 1 : « L’autonomie de l’imputabilité et de la culpabilité entendue strictement ».

15
par les articles 122-1 à 122-940 du Code pénal, sans qu’une classification particulière ne soit
mise en évidence. En d’autres termes, le Code pénal n’utilise pas les expressions de « fait
justificatif » ou de « cause de non-imputabilité ». Il traite « pêle-mêle »41 de tous les moyens
de défense dans les articles 122-1 et suivants du Code pénal. Une aide à la catégorisation
pouvait être trouvée dans l’ancien article 64 du Code pénal qui disposait : « Il n’y a ni crime
ni délit, lorsque le prévenu était en état de démence au temps de l’action, ou lorsqu’il a été
contraint par une force à laquelle il n’a pu résister. » Ce dernier invitait donc à réunir sous la
même bannière l’absence de discernement et la contrainte. Le fait est que la présentation
actuelle des causes d’exonération masque la spécificité des causes d’irresponsabilité. Or, on
sait qu’il est de coutume de les diviser en deux catégories, les faits justificatifs ou causes
objectives d’irresponsabilité d’une part, et les causes de non-imputabilité ou causes
subjectives d’irresponsabilité d’autre part. Comme leur dénomination doctrinale invite à le
penser, les faits justificatifs suppriment, sous certaines conditions, le caractère infractionnel
d’un comportement. Bien que leur incidence sur les éléments constitutifs de l’infraction ait
fait l’objet de nombreuses controverses doctrinales42, la majorité des auteurs rattachent les
faits justificatifs à l’élément légal de l’infraction qu’ils neutralisent43. Ils font obstacle à la
qualification pénale des faits. Traditionnellement, on dénombre au rang de ces causes
objectives d’exonération de la responsabilité pénale la légitime défense44, l’état de nécessité45,
l’ordre ou l’autorisation de la loi46 et le commandement de l’autorité légitime47. Il est permis
de signaler la création récente du « fait justificatif d’homicide ou de blessures »48. À la
différence des faits justificatifs, les causes de non-imputabilité n’ont pas pour effet de
neutraliser l’élément légal, l’acte demeure en lui-même délictueux : si l’agent échappe à toute
sanction, c’est parce que l’infraction qu’il a commise ne peut être mise sur son compte, en
raison d’une circonstance qui lui est personnelle. Il peut s’agir d’un trouble psychique ou
neuropsychique49, de sa minorité50 ou d’une contrainte51. La pertinence de cette division
bipartite des causes d’exonération de la responsabilité pénale renvoie à la question d’une

40 . Depuis que la loi no 2016-1691 du 9 décembre 2016 a ajouté un fait justificatif concernant les lanceurs
d’alerte.
41. C. MARIE, Droit pénal général, Hachette, 2005, no 145, p. 72.
42. La controverse tient notamment au fait que l’existence d’un élément légal est contestée par une partie de la
doctrine – en ce sens R. BERNARDINI, Droit pénal général : introduction au droit criminel, théorie générale de la
responsabilité pénale, Gualino, 2003, no 331 ; A. DECOCQ, Droit pénal général, A. Colin, 1971, p. 61 ;
F. DESPORTES et F. LE GUNEHEC, Droit pénal général, op. cit., no 430 ; M.-L. RASSAT, Droit pénal général, Ellipses,
4e éd., 2017, no 86, p. 91 et 92 ; J.-H. ROBERT, Droit pénal général, 6e éd., PUF, coll. « Thémis », 2005, p. 104.
43. Cf. notamment B. BOULOC, Droit pénal général, op. cit., no 406 ; P. CONTE et P. MAISTRE DU CHAMBON, Droit
pénal général, A. Colin, 7e éd., 2004, no 241 ; Y. MAYAUD, Droit pénal général, 5e éd., Paris, PUF, nos 419 et
suiv. ; R. MERLE et A. VITU, Traité de droit criminel –Droit pénal général, Cujas 7e éd., 1997, no 438. Un appui à
la théorie selon laquelle les faits justificatifs détruisent l’infraction par la neutralisation de son élément
légal peut être trouvé dans l’analyse du fait justificatif de l’ordre ou l’autorisation de la loi ou du règlement,
prévu à l’article 122-4, alinéa 1er du Code pénal. Ce dernier met en évidence que la violation de la norme
pénale peut être légitimée par le législateur.
44. C. pén., art. 122-5 et 122-6.
45. C. pén., art. 122-7.
46. C. pén., art. 122-4, alinéa 1er.
47. C. pén., art. 122-4, alinéa 2.
48. C. pén., art. 122-4-1, créé par la loi no 2016-731 du 3 juin 2016 renforçant la lutte contre le crime organisé,
le terrorisme et leur financement, et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale.
49. C. pén., art. 122-1.
50. C. pén., art. 122-8.
51. C. pén., art. 122-2.

16
acception large ou étroite de l’imputabilité. Elle mérite aujourd’hui d’être questionnée en
raison de la tendance observée, en jurisprudence à la subjectivisation des faits justificatifs.
L’ampleur de ce phénomène, s’il venait à être avéré, ne pourrait-il pas constituer un argument
en faveur du rattachement des faits justificatifs à l’imputabilité ?

S’agissant des frontières externes de l’imputabilité, une partie de la doctrine oscille en effet
entre deux conceptions, le terme pouvant être pris dans un sens étroit ou, au contraire, dans
un sens plus large. Une acception large de l’imputabilité, ou plutôt de la non-imputabilité, qui
aurait vocation à regrouper sous ce vocable des causes d’impunité extérieures à l’agent, doit,
selon nous, toujours être écartée. Il importe donc dans le cadre de cette introduction de
justifier cette présentation dichotomique des causes d’exonération de la responsabilité pénale
en établissant l’exclusion du rattachement des faits justificatifs aux causes de non-
imputabilité. Afin d’établir l’extranéité des faits justificatifs du champ de la non-imputabilité,
il importe de souligner la permanence de leur caractère objectif malgré la tendance
jurisprudentielle à leur subjectivisation et le développement, en doctrine, d’une
argumentation en faveur de leur caractère subjectif.

Malgré une approche traditionnellement objective des faits justificatifs, une partie de la
doctrine milite en faveur de leur caractère subjectif. Certains auteurs invoquent au soutien de
leur argumentation le fondement du mobile légitime. Il faudrait donc tenir compte des
mobiles sur le terrain de la justification. Ainsi, c’est précisément le caractère légitime du
mobile de l’agent qui ferait réellement disparaître l’infraction 52. Selon Éric Lepointe, l’intérêt
de cette analyse est restreint en ce sens qu’elle ne permet pas de dépasser notablement le
cadre alors fixé au domaine de la justification, « dans la mesure où la légitimité du mobile
dépend, d’après ces auteurs eux-mêmes, soit des prescriptions légales qui leur reconnaîtraient
cette qualité, soit de l’inutilité de la répression »53. François Rousseau, qui, dans sa thèse sur
L’imputation dans la théorie de la responsabilité pénale, souscrit au fondement du mobile légitime
relativement aux faits justificatifs, dépasse cette critique en proposant de sortir du cadre des
prescriptions égales. Selon l’auteur, la légitimité du mobile légitime, hors le cas du critère
formel, ne peut reposer que sur la volonté de servir l’intérêt social. Or, pour établir la réalité
de cette donnée subjective, il propose de recourir aux critères matériels de proportion et de
nécessité, qui ne sont rien d’autre que les critères légaux actuels de la justification. Par
conséquent, le dépassement des critères actuels n’est qu’apparent. Non seulement la prise en
compte de la volonté de servir l’intérêt général ne permet pas de sortir du cadre positif de la
justification, mais encore, cette condition reste d’essence purement objective54. Devant le
risque d’arbitraire, il n’est pas possible de recourir à des critères subjectifs pour établir la
réalité du mobile légitime. François Rousseau exclut même à cet effet toute possibilité d’une
appréciation personnelle de la légitimité du mobile. Il démontre qu’elle est à exclure, qu’elle
soit personnelle à l’auteur de l’infraction ou au juge, car elle serait dangereuse et source

52. Cf. par exemple J.-P. GAGNIEUR, Du motif légitime comme fait justificatif, thèse, Paris, 1941.
53. É. LEPOINTE, « Le diagnostic judiciaire des faits justificatifs », op. cit..
54. Cette considération rejoint la démonstration effectuée, dans le cadre de cette étude, selon laquelle la prise
en compte exceptionnelle du mobile dans la définition de l’intention n’est pas de nature à subjectiviser
l’élément psychologique de l’infraction en raison, précisément, de l’appréhension objective de la notion de
mobile par le législateur (cf. partie 1, titre 1, chapitre I).

17
d’arbitraire. Ainsi, non seulement le détour par la notion d’intérêt social ne permet pas
d’élargir le champ des faits justificatifs, mais surtout, il permet de confirmer la conception
objectiviste de la justification.

Un autre argument au caractère subjectif des faits justificatifs réside dans la jurisprudence
récente relative à la légitime défense. Elle repose sur la confirmation de la prise en compte
de la légitime défense vraisemblable55. L’admission par la Cour de cassation que les
conditions de la légitime défense n’aient existé que dans l’esprit de celui qui s’est cru agressé,
par la prise en compte de la psychologie de l’agent qu’elle implique, pourrait être de nature à
subjectiviser, à tout le moins, le fait justificatif de la légitime défense. Nous allons établir que
cette approche jurisprudentielle ne fait en réalité que tamiser l’acception objective des faits
justificatifs. Autrement dit, la tendance en jurisprudence à la subjectivisation des faits
justificatifs ne constitue pas un obstacle au soutien de leur caractère essentiellement objectif.

Pour confirmer la permanence de la conception objective des faits justificatifs, il suffit de


garder à l’esprit que la constitution des faits justificatifs se caractérise par la réunion de critères
matériels ou objectifs. C’est leur addition qui légitime l’admission de ces causes
d’irresponsabilité en venant précisément contrebalancer le choix, effectué en liberté par
l’agent, de commettre une infraction. Dans le cas de la légitime défense, il s’agit d’étudier la
nécessité et la proportionnalité de l’acte de riposte en le confrontant à l’existence d’un danger
actuel ou imminent, autant d’attributs objectifs venant grever l’acte considéré. Ces critères
objectifs, matérialisés par les exigences de proportion et de nécessité, transcendent
l’ensemble des faits justificatifs, vérifiant ainsi leur nature objective. Ainsi, il en résulte que
« le fondement de l’irresponsabilité pénale résultant de la justification ne peut être trouvé au
niveau de l’agent. C’est sur l’acte lui-même qu’il faut concentrer l’attention »56. En vertu d’une
sorte de parallélisme des formes, cette présentation trouve un écho dans l’analyse des effets
des faits justificatifs qui, logiquement, opèrent in rem. En venant neutraliser l’élément légal de
l’infraction, ils font perdre aux faits leur qualification juridique, empêchant alors sa

55. Cf. Cass. crim., 8 juill. 2015, no 15-81.916, inédit. La Cour de cassation a décidé qu’est en état de légitime
défense celui qui a pu légitimement penser être l’objet d’une attaque. Dans cette affaire, un salarié avait
surpris en pleine nuit deux cambrioleurs qui, armés d’un pied-de-biche, étaient venus forcer l’accès du garage
automobile de son employeur, où il occupait lui-même un garage de fonction. Un troisième larron qui
attendait ses deux acolytes au volant d’un véhicule commençait à s’enfuir en les laissant sur place, puis, se
ravisant, faisait une marche arrière à très vive allure afin de les récupérer. Il devait alors heurter violemment
le bardage du garage et, la voiture étant l’arrêt, l’un des deux cambrioleurs s’est penché pour se glisser à
l’intérieur par l’ouverture d’une vitre abaissée. Le salarié a alors fait feu et la balle a blessé le conducteur,
tandis qu’elle tuait l’individu s’efforçant de remonter dans le véhicule. Poursuivi pour violences volontaires
ayant entraîné la mort sans intention de la donner, le salarié a été déclaré pénalement irresponsable par la
juridiction d’instruction, sur le fondement de la présomption de légitime défense de l’article 122-6 (1°) du
Code pénal. Le pourvoi formé par la partie civile est rejeté par la Cour de cassation au motif que le salarié
« a tiré un coup de feu proportionnée à l’attaque dont il pouvait légitimement penser faire l’objet ». Or, le
salarié s’étant mépris sur les intentions réelles du conducteur, l’agression était simplement imaginaire. Dans
la continuité de décisions anciennes (Cass. crim., 7 août 1873, D., 1873, 1, p. 385 ; Cass. crim., 23 juin 1887,
Bull. crim., 1887, no 237), la Juridiction suprême admet toujours que les conditions de la légitime défense
peuvent n’avoir existé que dans l’esprit de celui qui s’est cru agressé. Il faut cependant établir que son erreur
aurait été semblablement commise par une personne raisonnable placée dans la même situation. Malgré
cette condition traditionnelle, une apparence d’agression peut être tenue pour réelle en considération de la
psychologie de l’agent. Certains auteurs tirent donc argument de cette jurisprudence en faveur du caractère
subjectif des faits justificatifs.
56. E. DREYER, Droit pénal général, Litec, op. cit., no 1191 p. 877.

18
caractérisation. L’infraction n’est donc plus constituée pour aucune des personnes impliquées
dans sa commission. Les faits justificatifs font ainsi obstacle a priori à la répression d’éventuels
complices, indépendamment même de l’analyse de leur psychologie, c’est dire le spectre de
l’objectivation. Le caractère objectif de la justification est même exacerbé dans le cas de la
légitime défense. En effet, son approche objective apparaît plus prégnante encore en raison
des présomptions de l’article 122-6 du Code pénal57. Finalement, il est permis de tirer
argument de la création, par la loi no 2017-258 du 28 février 2017 relative à la sécurité
publique, de l’article L. 435-1 du Code de la sécurité intérieure, dans un chapitre dédié,
nouveau lui aussi, intitulé « Règles d’usage des armes ». Derrière la consécration d’un régime
unifié d’usage des armes, commun à l’ensemble des forces de l’ordre et distinct de celui du
simple citoyen réagissant en état de simple légitime défense, se cache « le fait justificatif
d’homicide ou de blessures »58. Cet article autorise les agents à faire usage des armes dans
cinq situations dès lors que les conditions d’absolue nécessité ou de stricte proportion seront
respectées59. En dehors de la légitime défense (1°), les quatre autres situations permettent
l’usage des armes, « et donc le recours à une force possiblement meurtrière, hors légitime
défense de soi-même ou d’autrui »60. On pourrait dire, dans ces dernières hypothèses, que
l’exonération de responsabilité pénale puisera sa justification, non plus dans des
circonstances de légitime défense, mais dans « un climat de légitime défense »61. En d’autres
termes, les conditions particulières d’usage des armes retenues par le législateur, hors le cas
de la légitime défense proprement dite visée à l’article L. 435-1 (1°) du Code de la sécurité
intérieure, conduisent à admettre la légitime défense putative. Un indice était en germe dans

57. En vertu de cet article : « Est présumé avoir agi en état de légitime défense celui qui accomplit l’acte :
1° Pour repousser, de nuit, l’entrée par effraction, violence ou ruse dans un lieu habité ;
2° Pour se défendre contre les auteurs de vols ou de pillages exécutés avec violence. »
58. La dénomination de « fait justificatif d’homicide ou de blessures » est empruntée à François Fourment
(cf. F. FOURMENT, « La loi no 2017-258 du 28 février 2017 relative à la sécurité publique dans ses aspects
de droit pénal », Dr. pén., 2017, étude 12).
59. Code de la sécurité intérieure, art. L. 435-1 : « Dans l’exercice de leurs fonctions et revêtus de leur uniforme
ou des insignes extérieurs et apparents de leur qualité, les agents de la police nationale et les militaires de la
gendarmerie nationale peuvent, outre les cas mentionnés à l’article L. 211-9, faire usage de leurs armes en
cas d’absolue nécessité et de manière strictement proportionnée :
1° Lorsque des atteintes à la vie ou à l’intégrité physique sont portées contre eux ou contre autrui ou lorsque
des personnes armées menacent leur vie ou leur intégrité physique ou celles d’autrui ;
2° Lorsque, après deux sommations faites à haute voix, ils ne peuvent défendre autrement les lieux qu’ils
occupent ou les personnes qui leur sont confiées ;
3° Lorsque, immédiatement après deux sommations adressées à haute voix, ils ne peuvent contraindre à
s’arrêter, autrement que par l’usage des armes, des personnes qui cherchent à échapper à leur garde ou à
leurs investigations et qui sont susceptibles de perpétrer, dans leur fuite, des atteintes à leur vie ou à leur
intégrité physique ou à celles d’autrui ;
4° Lorsqu’ils ne peuvent immobiliser, autrement que par l’usage des armes, des véhicules, embarcations ou
autres moyens de transport, dont les conducteurs n’obtempèrent pas à l’ordre d’arrêt et dont les occupants
sont susceptibles de perpétrer, dans leur fuite, des atteintes à leur vie ou à leur intégrité physique ou à celles
d’autrui ;
5° Dans le but exclusif d’empêcher la réitération, dans un temps rapproché, d’un ou de plusieurs meurtres
ou tentatives de meurtre venant d’être commis, lorsqu’ils ont des raisons réelles et objectives d’estimer que
cette réitération est probable au regard des informations dont ils disposent au moment où ils font usage de
leurs armes. »
60. Ibid.
61. Cette expression est empruntée à François Fourment (F. F OURMENT, op. cit., no 7).

19
l’objet « curieux »62 du nouveau texte qui vise à justifier l’usage d’une arme et non pas
l’infraction commise au moyen de cette arme. Il est vrai que l’on pourrait aussi considérer
que l’article L. 435-1 du Code de la sécurité intérieure n’énonce pas des hypothèses
particulières de légitime défense, hors le cas du 1°, mais des cas où les forces de l’ordre, parce
qu’elles portent des armes, sont autorisées à les utiliser. En d’autres termes, l’article L. 435-1
précité procéderait davantage de l’article 122-4 du Code pénal, en vertu duquel le législateur
peut imposer ou autoriser un comportement qui est lui-même incriminé par un second texte.
Cependant, cela ne change pas substantiellement l’esprit du texte. Il suffirait alors de
considérer que le législateur autorise l’usage des armes, par les forces de l’ordre, dans « un
climat de défense ». On parviendrait à la même conclusion selon laquelle la condition
d’absolue nécessité et de stricte proportion commune aux cinq cas d’usage des armes visées
par l’article L. 435-1 du Code de la sécurité intérieure apparaît alors comme « de grands
mots »63 susceptibles de masquer l’admission, non plus de la seule légitime défense putative,
mais, plus largement, de la « défense putative ». Cette circonstance, en indexant possiblement
la justification sur ce qui relève du domaine de la supposition, est de nature à accroître plus
encore le caractère abstrait des faits justificatifs, au-delà même du seul cas de la légitime
défense. La formule de Roger Merle et d’André Vitu selon laquelle les faits justificatifs « sont
des circonstances objectives, indépendantes de la psychologie du délinquant, qui désarment
la réaction sociale contre l’infraction pénale »64 se trouve donc vérifiée. Cela étant, l’étanchéité
de cette frontière externe de l’imputabilité sera néanmoins questionnée, et résolue par la
négative, dans le cadre d’une confrontation entre les notions de contrainte morale et d’état
de nécessité65.

La question du rattachement de l’état de nécessité aux causes de non-imputabilité

L’un des principaux arguments plaidant contre la désolidarisation de l’état de nécessité des
autres faits justificatifs réside dans la réunion de tous les faits justificatifs sous la bannière de
leurs conditions de nécessité et de proportionnalité. Nous tenterons d’établir que cet
argument ne saurait résister à l’analyse approfondie de cette cause d’exonération de la
responsabilité pénale. En effet, l’étude de la genèse de l’état de nécessité nous amènera à
considérer qu’il ne constitue qu’une hypothèse de contrainte morale66. En d’autres termes, il
conviendrait de le rattacher aux causes de non-imputabilité existantes. Déjà Paul Cuche, en
son temps, regroupait l’étude de la contrainte et de l’état de nécessité qu’il rattachait à
l’élément psychologique de l’infraction, tandis qu’il logeait les faits justificatifs dans l’examen
de l’élément légal67. Il est intéressant de constater que l’auteur associait la contrainte et l’état
de nécessité tandis qu’il désolidarisait l’état de nécessité des autres faits justificatifs. D’ailleurs,
d’autres indices plaident, a priori, pour le rattachement de l’état de nécessité aux causes de

62. Cette expression est empruntée à Olivier Décima relativement à l’introduction de l’article 122-4-1 du Code
pénal par la loi du 3 juin 2016 (O. DECIMA, « Terreur et métamorphose – À propos de la loi no 2016-731
du 3 juin 2016 sur la lutte contre le terrorisme », D., 2016, p. 1826, spéc. p. 1829).
63. F. FOURMENT, op. cit.
64. R. MERLE et A. VITU, Traité de droit criminel – Droit pénal général Traité de droit criminel – Droit pénal général, op. cit.,
no 431.
65. Cf. partie 1, titre 1, chapitre II.
66. Ibid.
67. P. CUCHE, Précis de droit criminel, Dalloz, coll. « Précis », 1re éd., 1925.

20
non-imputabilité. L’un d’eux peut être puisé, en dehors du domaine du droit pénal, du côté
des règles relatives à la responsabilité civile. L’état de nécessité ne supprime pas la
responsabilité civile, contrairement aux autres faits justificatifs. Il partage cette singularité
avec le trouble mental, au sujet duquel la doctrine s’accorde quasi unanimement à considérer
qu’il constitue une cause de non-imputabilité. Un argument d’ordre pénal, de droit positif,
plaide aussi en faveur de la dimension subjective de l’état de nécessité. Il consiste dans le fait
qu’à la différence des « autres » faits justificatifs, il suppose, pour être admis, l’absence de
faute antérieure de l’agent. Certes, il s’agit d’une condition jurisprudentielle, et non légale, à
l’admission de l’état de nécessité. Cependant, il est incontestable qu’elle implique une prise
en compte plus approfondie de la psychologie de l’agent.

Finalement, au-delà même de la redéfinition du champ de la liberté psychologique mobilisée


dans la définition de l’imputabilité, c’est tout le champ de la liberté relevant de l’imputabilité
qui sera reconfiguré, comme en témoignera le rattachement de la liberté de mouvement à la
caractérisation de l’infraction68. De fait, l’imputabilité n’est pas susceptible de regrouper
l’ensemble des causes d’exonération de la responsabilité pénale. Elle procède bien d’une
acception étroite d’essence subjective. Une fois ce postulat établi, l’un des enjeux de cette
étude va consister à déterminer la place de l’imputabilité. Il s’agit plus précisément de
déterminer si elle entre ou non dans la constitution de l’infraction. Si cet élément est de
nature, en creux, à participer de l’édification d’une théorie générale de l’infraction69, il est
aussi susceptible de déterminer le potentiel de l’imputabilité à assumer les défis de l’entrée
dans un droit pénal post-moderne. Afin d’en prendre la mesure, il importe préalablement de
faire le point sur la donnée infractionnelle, afin d’en cerner les contours.

La potentialité d’une inclusion de l’imputabilité dans la constitution de l’infraction

Afin de pouvoir considérer cette potentialité, une nouvelle distinction s’impose concernant
les notions d’incrimination et d’infraction, dans la mesure où l’imputabilité ne saurait entrer
dans la constitution de l’incrimination.

La responsabilité pénale présuppose l’existence d’une infraction. Bien que constituant la


pierre angulaire de la responsabilité pénale, elle n’est pas plus définie par le législateur
contemporain. Elle s’entend unanimement en doctrine comme tout fait interdit par la loi
pénale sous la menace d’une peine70. La notion doit cependant être distinguée de celle
d’incrimination. Cette distinction entre les notions d’infraction et d’incrimination est établie
en particulier par Jacques-Henri Robert, qui considère que l’incrimination s’entend de la
description abstraite d’un comportement interdit par la loi pénale et sanctionné d’une peine,
tandis que l’infraction renvoie, quant à elle, au comportement concrètement réalisé par le

68. Cf. partie 1, titre 1, chapitre II.


69. Cette notion n’étant, pas plus que l’imputabilité, définie par le législateur.
70. Cf. notamment R. BERNARDINI, Droit pénal général : introduction au droit criminel, théorie générale de la responsabilité
pénale, op. cit., no 326 ; B. BOULOC, Droit pénal général, op. cit., no 98 ; P. CONTE et P. MAISTRE DU CHAMBON,
Droit pénal général, A. Colin, 7e éd., 2004, no 215 ; R. MERLE et A. VITU, Traité de droit criminel – Droit pénal
général, op. cit., no 383 ; Y. MAYAUD, Droit pénal général, op. cit., 2015, no 162.

21
délinquant et qui trouble l’ordre social71. Dans le cadre de cette appréhension duelle du fait
pénalement répréhensible, il faut alors considérer que c’est l’infraction concrètement
commise qui est soumise à la connaissance du juge. On comprend aussi aisément que
l’imputabilité, en tant que postulat métaphysique renvoyant à la notion de libre arbitre72, ne
saurait, en aucun cas, être une composante du concept d’incrimination. L’un des enjeux de
cette étude consistera à tenter d’établir qu’elle ne peut pas plus être regardée comme une
donnée de l’infraction concrètement commise. En d’autres termes, bien qu’une partie de la
doctrine considère que l’analyse des faits et celle de l’imputabilité soient indissociablement
liées, il conviendra en premier lieu d’établir qu’il est possible de caractériser l’existence d’une
infraction divisée en éléments constitutifs, avant de s’intéresser à l’imputabilité de l’agent, en
tant qu’élément extérieur à l’infraction concrètement réalisée73. Si l’argumentation de la
doctrine partisane d’une imbrication des faits délictueux et de l’imputabilité repose pour
l’essentiel sur le fait que l’appréciation de l’imputabilité de l’agent doit être circonscrite
au moment des faits 74, la démonstration du décloisonnement possible de l’imputabilité du temps
de l’action ouvrira la voie à la caractérisation de l’existence d’une infraction indépendamment
de la donnée imputabilité75. Cette question de l’intégration de l’imputabilité dans la
constitution de l’infraction est d’une importance technique considérable, car si elle
conditionne nombre d’institutions fondamentales du droit pénal, à l’instar de la question de
la complicité, elle détermine aussi la faculté du droit pénal à s’adapter aux évolutions
contemporaines de la discipline76. Dans le prolongement de ce développement, on comprend
qu’il importera de déterminer l’intégration ou non de l’imputabilité dans la constitution de
l’élément psychologique de l’infraction. Pour ce faire, il convient préalablement de préciser la
structure de l’infraction, en confirmant l’existence d’un élément psychologique.

Initialement, cette structure procédait d’un concept purement objectif, se résumant à la


commission d’un acte matériel pénalement répréhensible77. Seule comptait la matérialité du
fait. Le but était de réprimer un fait perturbant l’équilibre social. Par la suite, différentes
théories des éléments constitutifs de l’infraction ont vu le jour, à l’exemple de la théorie de
Raymond Garraud et de son analyse quadripartite de l’infraction78. Cette dernière avait
cependant peu de chance de prospérer en raison du caractère trop ambitieux du concept
d’infraction et des conséquences « absurdes » qui en découlaient. Comme le relève
Jacques-Henri Robert, « le droit pénal général se trouve contenu tout entier dans les éléments
constitutifs de l’infraction »79. Dans le premier quart du XXe siècle, une désaffection passagère
de la doctrine pour la notion même d’élément constitutif de l’infraction a pu être observée.
Ainsi, la majorité des ouvrages rédigés entre 1900 et 1925 devaient reprendre la distinction

71. Cette distinction entre les notions d’infraction et d’incrimination est établie par J.-H. Robert
(cf. J.-H. ROBERT, Droit pénal général, PUF, 6e éd., 2005, p. 103 et suiv.).
72. Cf. infra.
73. Cf. infra, partie 1 : « L’imputabilité dans la théorie classique de la responsabilité pénale ».
74. En référence aux termes employés dans l’article 122-1 du Code pénal.
75. Cf. infra, partie 1 : « L’imputabilité dans la théorie classique de la responsabilité pénale ».
76. Cf. infra, partie 2 : « L’imputabilité à l’épreuve d’un droit pénal post-moderne ».
77. Cf. supra.
78. Cf. R. GARRAUD, Précis de droit criminel, Paris, Larose, 1re éd., 1881 et R. GARRAUD, Traité théorique et pratique
de droit pénal français, 1re éd., 1888-1894.
79. J.-H. ROBERT, « L’histoire des éléments de l’infraction », RSC, 1977, p. 280.

22
opérée par Ortolan entre l’étude de l’action et celle du délinquant80. Cependant, l’exclusion
de toute « psychologie criminelle » du champ de l’infraction devait condamner à terme cette
conception. Aujourd’hui, la doctrine est unanime sur le fait qu’elle se subdivise en éléments
constitutifs. En ce qui concerne la structuration de l’infraction en éléments constitutifs, elle
est accréditée par un certain nombre de dispositions législatives comme jurisprudentielles.
Quant à la nature mixte de l’infraction, à la fois objective et subjective, elle ne peut pas plus
être contestée. On peut d’abord citer l’article 111-3 du Code pénal qui utilise le pluriel quand
il dispose que « nul ne peut être puni pour un crime ou pour un délit dont les éléments ne sont
pas définis par la loi ». L’expression « éléments constitutifs » figure également dans de
nombreux arrêts81. L’article 121-3 du Code pénal, créé par le Code pénal de 1994, invite,
quant à lui, à considérer l’existence d’un élément psychologique en définissant l’intention ou
l’imprudence exigée par le texte d’incrimination. Ainsi, pour qu’une infraction soit
juridiquement constituée, un élément psychologique est nécessaire. Le Conseil
constitutionnel a d’ailleurs affirmé que « s’agissant des crimes et délits, la culpabilité ne saurait
résulter de la seule imputabilité matérielle d’actes pénalement sanctionnés »82. À ce stade du
raisonnement, il importe de préciser le sens juridique de la culpabilité retenu dans le cadre de
cette étude. Le terme sera employé en tant que synonyme d’« élément psychologique de
l’infraction ». Une justification à la définition restrictive de la culpabilité peut être trouvée
grâce à son étymologie. Le terme « culpabilité » vient du latin culpa, signifiant « faute »83. Cette
dernière, en évoquant la faute intentionnelle et la faute non intentionnelle, invite à une
acception étroite de la culpabilité84. À ce stade, et dans le cadre de cette recherche, nous
préfèrerons parler d’« élément psychologique » plutôt que d’« élément moral » afin,
notamment, de signifier la laïcisation de la responsabilité pénale – en d’autres termes, afin
d’éviter toute interférence entre le doit et la morale. On peut donc considérer que l’infraction
comporte au moins deux éléments constitutifs, soit un élément matériel (acte pénalement
répréhensible) et un élément psychologique (culpabilité). La majorité de la doctrine ajoute à
ces éléments un élément légal afin de rappeler la nécessité d’un texte d’incrimination.
Une minorité d’auteurs préfèrent ajouter un élément injuste85. Dans le cadre de cette

80. Parmi les auteurs ayant refoulé la notion d’éléments constitutifs de l’infraction, on peut citer Georges Vidal
(G. VIDAL, Cours de droit criminel et de science pénitentiaire, A. Rousseau, 6e éd., 1921), mais surtout Degois
(C. DEGOIS, Traité élémentaire de droit criminel à l’usage des étudiants en droit de deuxième année, Dalloz, 1re éd., 1911),
Jean-André Roux (J.-A. ROUX, Cours de droit pénal et de procédure pénale, Tenin, 1re éd., 1920) et, en Belgique,
Fernand Thiry (F. THIRY, Cours de droit criminel, Liège, A. Desoer, 3e éd., 1909).
81. Cass. crim., 24 sept. 2008, no 08-80856, inédit Dr. pén. 2008, comm. 139, obs. M. VÉRON ; Cass. crim.,
17 sept. 2003, no 03-80524 Bull. crim., 2003, n° 165 ; Dr. pén. 2004, comm. 5, obs. M. VERON.
82. Cons. const., 16 juin 1999, n° 99-411 DC, D., 1999, p. 589, note Y. MAYAUD.
83. Cf. A. REY (dir.), Dictionnaire historique de la langue française, op. cit.
84. Cf. en ce sens, R. BERNARDINI, Droit pénal général, op. cit., nos 406 et 407 ; B. BOULOC, Droit pénal général,
op. cit., no 400 ; P. CONTE et P. MAISTRE DU CHAMBON, Droit pénal général, op. cit., no 375 ; Y. MAYAUD, Droit
pénal général, op. cit., no 217 ; M.-L. RASSAT, Droit pénal général, op. cit., no 312, p. 339. Certains auteurs voient
toutefois dans la référence à la faute la vraisemblance d’une acception large de la culpabilité incluant
également la participation matérielle de l’agent à l’infraction – en ce sens, P. CONTE et P. MAISTRE DU
CHAMBON, Droit pénal général, op. cit., no 375 ; R. MERLE et A. VITU, Traité de droit criminel – Droit pénal général,
op. cit., no 522.
85. Dans le sillage de l’analyse, Raymond Garraud qui retenait, quant à lui, une analyse quadripartite de
l’infraction. Il ajoutait un élément injuste qui peut s’analyser en une atteint portée à un intérêt protégé par
une norme extra-pénale dans des hypothèses où celle-ci est applicable, étant précisé que si la norme pénale
s’entend d’une norme qui se contente d’édicter une sanction pénale, la norme extra-pénale établit quant à
elle pour les citoyens une obligation ou une interdiction de façon à leur imposer le respect d’un intérêt

23
recherche, nous raisonnerons sur une division de l’infraction en trois éléments constitutifs :
un élément légal, un élément matériel et un élément psychologique. L’un des enjeux de cette
étude consistera à déterminer si l’élément psychologique de l’infraction procède d’une
conception unitaire ou dualiste. En d’autres termes, il s’agira de déterminer si la culpabilité
doit être entendue largement ou strictement. C’est autrement poser la question de
l’intégration de l’imputabilité dans la constitution de l’élément psychologique de l’infraction.

La potentialité d’un dédoublement de l’élément psychologique de l’infraction

Le caractère subjectif des composantes de l’imputabilité invite, si ce n’est à une confusion


des notions de culpabilité et d’imputabilité, à tout le moins, à envisager une conception
dualiste de l’élément psychologique de l’infraction.

La détermination des frontières internes de l’imputabilité questionne la répartition


controversée des données psychologiques de la responsabilité pénale en deux réceptacles
distincts, la culpabilité entendue comme élément psychologique de l’infraction d’une part, et
l’imputabilité, d’autre part. La lecture de la doctrine passée témoigne de l’extrême difficulté
liée au placement de la frontière séparant l’élément psychologique et la théorie de la
responsabilité pénale. L’ancien Code pénal ne traitait des données psychologiques de la
responsabilité pénale que dans l’article 64 relatif à la démence et à la contrainte, cet élément
étant de nature à constituer un argument au soutien de la réunion des données subjectives
de la responsabilité pénale sous l’égide d’une même théorie et, en l’occurrence, celle de
l’imputabilité. La théorie d’Ortolan, distinguant la théorie de l’action et la théorie du
délinquant86, semblait répondre à ces dispositions. Si la tendance persistante à rassembler les
données subjectives de la responsabilité sous l’égide d’une seule entité conceptuelle peut
trouver appui sur l’« ancien »87 droit, l’introduction, en droit positif, de l’article 121-3 relatif
à la définition de l’élément psychologique de l’infraction, à l’entrée en vigueur du Code pénal
de 1994, devait conduire à distinguer entre deux pôles subjectifs de la responsabilité : l’un
relatif à l’élément psychologique de l’infraction et l’autre déterminant la substance de
l’imputabilité morale. En effet, ne faut-il pas tirer argument de la cohabitation, au sein du
Code pénal, de l’article 121-3 avec les articles 122-1 et suivants pour scinder l’étude
de l’infraction de celle de la responsabilité ? Bien que la doctrine soit divisée sur ce point88,
nous tenterons d’établir, à l’instar de Paul Cuche en son temps89, que le droit positif concilie
une approche subjective de l’infraction, divisée en éléments constitutifs, avec une « théorie

légalement protégé (cf. J.-H. ROBERT, « L’histoire des éléments de l’infraction », op. cit.). Également dans ce
sens, M.-L. RASSAT, Droit pénal général, op. cit.
86. Cf. supra.
87. En référence à l’ancien Code pénal.
88. Certains auteurs comme Bernard Bouloc, Xavier Pin ou Yves Mayaud traitent « de la culpabilité, c’est-à-
dire l’étude de l’intention et de la faute, dans le cadre de l’élément moral de l’infraction et de l’imputabilité,
c’est-à-dire la capacité de comprendre et de vouloir, à propos de la responsibilité pénale ». D’autres auteurs
ont même « renoncé à distinguer l’étude de l’infraction de celle de la responsabilité » (cf. J.-C. SOYER, Droit
pénal et procédure pénale, LGDJ, 21e éd., 2012, nos 148 et suiv., J. PRADEL, Droit pénal général, Cujas, 21e éd.,
2016, no 508, p. 427, M.-L RASSAT, op. cit., nos 285 et suiv., p. 316 et suiv, P. CONTE et P. MAISTRE DU
CHAMBON, op. cit., nos 349 et suiv.). À noter particulièrement F. Desportes et F. Le Gunehec, « qui adoptent
un plan très original intégrant l’infraction dans un titre consacré à la responsabilité pénale en tant que fait
générateur » (cf. F. DESPORTES et F. LE GUNEHEC, op. cit., no 427).
89. P. CUCHE, Précis de droit criminel, Dalloz, coll. « Précis », 1re éd., 1925.

24
du délinquant » placée sous l’égide du concept d’imputabilité. En d’autres termes, il est
possible de scinder l’étude de l’infraction de l’étude de la responsabilité sans renoncer à
l’existence d’un élément psychologique. La difficulté consistera alors à déterminer la
consistance de cet élément psychologique. La mise en évidence du caractère objectivé de la
culpabilité ouvrira la voie à l’indépendance des deux données subjectives de la responsabilité
pénale et, au-delà, à l’extranéité de l’imputabilité à l’infraction90. Cette analyse pourra être
vérifiée, tant dans le domaine du droit pénal, par l’étude d’une institution fondamentale qu’est
la complicité91, que dans le domaine du domaine civil.

On pourrait considérer que cette analyse importe finalement assez peu dès lors que
l’ensemble des données subjectives de l’agent restent mobilisées pour déterminer l’existence
de sa responsabilité pénale. François Rousseau remarque que « ces discussions sur le contenu
exact de l’infraction peuvent apparaître purement verbales ; car, au fond, tous les auteurs
s’accordent sur les conditions nécessaires à la répression, de telle sorte que celles qui ne sont
pas incluses dans le concept d’infraction, par certains, sont intégrées à d’autres concepts qui
conditionnent, tout autant, la responsabilité pénale »92. Pour autant, la distinction des notions
de culpabilité et d’imputabilité, en particulier la démonstration de l’extériorité de
l’imputabilité à l’infraction, ne sont pas anecdotiques. Plusieurs facteurs décisifs plaident pour
une clarification des notions. En premier lieu, « le choix pour telle ou telle conception de
l’infraction va nécessairement rejaillir sur la nature et le régime juridique des différentes
institutions du droit pénal général »93, à l’instar du régime de la complicité évoqué plus en
amont. Cette analyse des composantes subjectives de la responsabilité pénale permettrait par
exemple de qualifier pénalement les actes commis par une personne non imputable sans que
l’infraction commise ne puisse lui être reprochée, alors qu’elle pourrait l’être à son éventuel
complice. Au-delà, la confusion entretenue entre les concepts de culpabilité et d’imputabilité
reviendrait à méconnaître l’importance de l’efficience du binôme culpabilité/imputabilité
dans la mise en œuvre de la justice pénale qui repose sur un juste cloisonnement des notions.
La première partie de cette étude aura pour ambition de mettre en évidence que
l’indépendance substantielle et fonctionnelle des notions de culpabilité et d’imputabilité,
s’évinçant d’un droit pénal d’essence classique, contribue au « bon » fonctionnement de la
justice pénale.

La complémentarité de cette association des deux données subjectives de la responsabilité


pénale mérite d’être plébiscitée par les tenants d’un droit pénal humaniste, garantiste, face à

90. Pour les partisans de la conception dualiste de l’élément psychologique de l’infraction, structurée par la
primauté d’un débat sur l’imputabilité, l’intégration de l’imputabilité à l’élément psychologique de
l’infraction, cette dernière est justifiée par la nécessité d’un débat prioritaire sur l’imputabilité. Cependant,
dès lors que l’on démontre le caractère objectivé de la culpabilité, l’intégration de l’imputabilité n’est plus
nécessaire.
91. Pour cette raison, le contenu de l’imputabilité n’est pas appréhendé par le biais des causes de non-
imputabilité, qu’il s’agisse de la contrainte ou de l’absence de discernement de l’agent au moment des faits.
Elle n’est pas définie au terme d’une approche traditionnelle qui conduirait à distinguer, de manière positive,
entre, d’une part, la condition tenant à la liberté de l’agent et, d’autre part, la condition tenant à la l’existence
du discernement de l’agent.
92. F. ROUSSEAU, L’imputation de la responsabilité pénale, op. cit., no 9, p. 15. À titre d’exemple, la possibilité de
caractériser l’existence d’une infraction indépendamment de l’imputabilité de l’auteur justifie la répression
du complice du dément comme l’exonération du complice de l’auteur bénéficiant d’un fait justificatif.
93. Ibid.

25
la remontée en puissance de la notion de dangerosité. Les enjeux contemporains du concept
d’imputabilité ont trait à la résurgence des théories positivistes du XIXe siècle.

Les enjeux contemporains de l’imputabilité face à la résurgence du néopositivisme


pénal

Le positivisme scientifique de la fin du XIXe siècle a mis à mal le système classique de


responsabilité pénale par la remise en cause du postulat du libre arbitre, en lui opposant
concept de dangerosité et la nécessité de mesures de défense sociale. Pour autant, « le droit
pénal moderne s’est construit progressivement, en intégrant dans le modèle initial, après les
avoir refaçonnés, certains des bouleversements provoqués par la pensée positiviste »94. De la
même manière, l’ambition de cette recherche sera de montrer qu’un droit pénal
post-moderne95 est en voie de construction. Il intègrerait dans le modèle moderne, ébranlé
par la remise en cause chronique de l’impératif d’imputabilité, certains des bouleversements
provoqués par le néopositivisme contemporain, tout en recherchant la cohabitation pacifiée
des notions d’imputabilité et de dangerosité.

Les impacts provoqués par le néopisitivisme contemporain sur le concept d’imputabilité sont
de deux ordres. Si l’on considère les personnes morales, l’imputabilité va opérer une mutation
par objectivation. Le renouveau de la dangerosité, que l’on préfère traduire ici par la notion
de risque en ce sens qu’il procède d’une plus grande abstraction, a conduit, à l’égard de l’entité
abstraite, à la reconnaissance ponctuelle d’une responsabilité directe de la personne morale.
En droit positif, l’une des innovations, souvent qualifiée de « majeure », a résulté de la
consécration de la responsabilité pénale des personnes morales par le Code pénal de 1994.
Il s’agissait d’une responsabilité du fait personnel par représentation. Autrement dit, la
consécration de cette responsabilité, dans un premier temps, n’a pas remis en cause le
caractère subjectif de l’imputabilité, dans la mesure où elle consistait en une responsabilité
indirecte. Elle nécessitait, pour être actionnée, la caractérisation d’une infraction imputée à
une personne physique, organe ou représentant de la personne morale. Cependant, le
mécanisme de la responsabilité indirecte ne permettait pas de répondre pénalement à toutes
les atteintes à la vie et à l’intégrité physique de la personne. Cette situation n’était plus
compatible avec l’avènement d’une société qui ne supporte plus la réalisation des risques et,
en particulier, celui généré par la puissance économique de l’entité abstraire. Aussi, la
nécessité de livrer un coupable a conduit à développer en jurisprudence une conception
autonomiste de la responsabilité pénale des personnes morales. On pourra observer qu’une
personne morale peut être déclarée responsable en raison de l’imputation de sa propre faute.
Certes, la jurisprudence de la Cour de cassation est encore fluctuante mais, précisément, cette
indécision présente l’avantage de satisfaire l’objectif de répression en toutes circonstances.
Lorsque la responsabilité pénale de la personne morale se fait autonome, il ne saurait plus

94. Cf. « Synthèse et conclusion », in M. MASSE, J.-P. JEAN et A. GIUDICELLI (dir.), Un droit pénal postmoderne ?
Mise en perspective des évolutions et ruptures contemporaines, op. cit.
95. Impulsé selon nous par la résurgence contemporaine de la notion de dangerosité et celle, corrélative, de
mesure de sûreté, qui pourrait être datée à la référence législative expresse du législateur à la dangerosité
dans la loi de 2005. Signalons quand même que d’aucuns considèrent que « la période post-moderne
pourrait se percevoir au début des années soixante-dix, s’affirmer avec la chute du mur de Berlin en 1989
et la fin d’un monde bipolaire, les attentats du 11 septembre 2001 » (ibid., p. 8).

26
être question d’imputabilité mais d’imputation. Cette évolution, que l’on observera aussi du
côté législateur, a sonné le glas d’une conception unitaire du concept d’imputabilité selon
l’entité juridique considérée.
La résurgence du positivisme pénal est plus problématique à l’égard des personnes physiques
dans la mesure où l’impact de la remontée de la dangerosité sur l’imputabilité est alors plus
radical. Il ne sera plus question d’une dénaturation par objectivation mais d’une éclipse pure
et simple de la notion. L’exemple du traitement pénal des personnes souffrant de troubles
psychiques ou neuropsychiques est le plus significatif. L’éviction de l’imputabilité y est en
outre sournoise, opérant par le truchement de la procédure et reposant sur
l’instrumentalisation de la distinction formelle opérée entre les peines et les mesures de sûreté
– ces dernières trouvant leur fondement dans la dangerosité du sujet. La crainte de voir
l’effacement de l’impératif d’imputabilité généralisé est exacerbé, d’une part, par le
mouvement, un temps observé, d’alignement du droit pénal des mineurs sur le droit pénal
des majeurs, et, d’autre part, par le phénomène général de convergence des peines et des
mesures de sûreté.

L’enjeu de cette étude n’est pas d’expurger le droit positif de tout recours à la notion de
dangerosité, notamment en considération de la réalité de la criminalité contemporaine. Pour
cette raison, il va s’agir d’étudier comment restaurer l’impératif d’imputabilité tout en
recherchant à organiser une cohabitation raisonnée avec le concept de dangerosité. Parmi les
pistes explorées, pour rétablir l’exigence d’imputabilité, figureront des propositions sur les
terrains substantiel et formel.

D’un point de vue substantiel, il sera envisagé de réunir les peines et les mesures de sûreté
en une catégorie unique de sanctions pénales avec l’imputabilité pour fondement et de
consacrer partiellement l’imputabilité comprise comme capacité pénale à l’égard des
personnes physiques. La consécration partielle de l’imputabilité comprise comme capacité
pénale renvoie à la question de l’acception duelle de l’imputabilité. L’un des enjeux de cette
étude réside aussi dans la détermination de l’absorption ou non du concept de capacité pénale
par l’imputabilité96. Cette dernière, en s’entendant de « l’aptitude à profiter de la sanction
pénale », renvoie à la mesure du discernement de l’agent. Il ne s’agit pas, dans le cadre de
cette recherche, de considérer que l’étude de l’imputabilité englobe celle de la personnalité
de l’agent97. La notion ne saurait être confondue avec le principe d’individualisation de la
sanction pénale. Cependant, en ce qu’elle se réfère au discernement de l’agent, elle a vocation
à englober l’ensemble des questions relatives au discernement, qu’il s’agisse de son existence
ou de sa mesure. L’appréhension d’une même notion par deux concepts distincts invite à
s’interroger sur leur autonomie respective. D’ailleurs, on peut considérer que la notion de
capacité pénale faisait déjà l’objet d’une consécration législative implicite en droit pénal des
mineurs par le prisme des principes directeurs de la justice pénale des mineurs98. Nous

96. De ce point de vue, Georges Levasseur évoque, dans son article sur l’imputabilité pénale, « l’audace » de
Christine Lazerges de considérer que les concepts d’imputabilité et de capacité n’étaient pas trop éloignés
l’un de l’autre (cf. G. LEVASSEUR, « L’imputabilité en droit pénal », RSC, 1982, p. 1).
97. Cf. l’article 122-8 du Code pénal, qui tend à distinguer entre la question du discernement du mineur au
temps de l’action (alinéa 1er), et donc de son imputabilité morale, et la question de sa personnalité pour
déterminer la sanction ou la mesure applicable (alinéa 2).
98. Cf. partie 2, titre 1, chapitre II.

27
établirons qu’elle a récemment été étendue aux délinquants majeurs au discernement altéré99.
La consécration partielle de l’imputabilité comprise comme capacité pénale permettra de
refouler la prise en compte de la dangerosité dans la détermination du quantum de la peine.

Plus en amont, il a été évoqué que le renouveau de la dangerosité avait écarté insidieusement
l’imputabilité, notamment par le biais de la procédure pénale. Dans un souci de parallélisme
des formes, la restauration de la notion va aussi être envisagée sur le plan formel. La césure
du procès pénal, en ce qu’elle est susceptible de dédier une phase du procès pénal à l’étude
de l’imputabilité, paraîtrait toute désignée. Cependant, l’analyse de la procédure de
déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental conduira à écarter cette
perspective100. Pour autant, nous tenterons de mettre en lumière la nécessité d’implications
procédurales ponctuelles de l’imputabilité, qu’il s’agisse de proposer une refonte de la
procédure applicable à la personne dont le discernement était aboli au moment des faits ou
de renforcer les garanties de la procédure pénale applicable au majeur protégé101.
L’appréhension de la dangerosité appellera à une vigilance particulière en amont de tout
dommage.

Finalement, l’imputabilité en droit pénal peut apparaître comme un sujet classique, peut-être
trop classique. Ce sentiment semble même confirmé par le constat que l’imputabilité répond
à la définition communément répandue en doctrine selon laquelle elle se présente comme la
somme des conditions relatives à l’exigence de discernement et de volonté libre de l’agent.
L’acception subjective de l’imputabilité et de ses composantes sera confirmée par la négative,
à partir de la démonstration du caractère objectivé de la culpabilité, quant à elle entendue
strictement. Cependant, nous pensons à l’analyse que la définition traditionnelle de
l’imputabilité mérite quelques ajustements. En particulier, tout le champ de la liberté relevant
de l’imputabilité sera reconfiguré. Alors que la liberté de mouvement sera rattachée à
l’infraction, le domaine de la liberté psychologique sera étendu par le rattachement de l’état
de nécessité à la contrainte psychologique, cause de non-imputabilité.

Une fois les conditions de l’imputabilité reprécisées, il importera de résoudre la question de


sa localisation par rapport à l’infraction. Il s’agira surtout de déterminer si elle peut contribuer
à l’édification d’une conception dualiste de l’élément psychologique de l’infraction. Une
réponse négative sera apportée. La place de l’imputabilité dans la responsabilité pénale est
loin d’être anecdotique. Le régime de certaines institutions fondamentales du droit pénal en
dépend, à l’instar de la répression de la complicité. De manière plus subsidiaire, l’extranéité
de l’imputabilité à l’infraction participe en creux de la structuration de la notion d’infraction.
En l’occurrence, elle va se révéler étrangère à une théorie de l’infraction divisée en éléments
constitutifs. Cet élément pourrait être utilisé à des fins pédagogiques. En outre, il importera
de souligner que l’indépendance des notions de culpabilité et d’imputabilité participe d’une
complémentarité fonctionnelle nécessaire au bon fonctionnement de la justice
pénale (partie 1).

99. Ibid.
100. Cf. partie 2, titre 2, chapitre I.
101. Cf. partie 2, titre 2, chapitre II.

28
L’imputabilité se trouve donc exclusivement rattachée à la responsabilité et, par voie de
conséquence, à son corollaire consistant dans l’infliction d’une sanction pénale. L’exigence
d’imputabilité conditionne directement l’engagement de la responsabilité pénale et,
indirectement, le prononcé d’une peine. C’est une notion essentielle du droit pénal. Pour
cette raison, il conviendra de mesurer les conséquences de la résurgence de la dangerosité,
marqueur clef du positivisme pénal, sur l’impératif d’imputabilité. Bien que doublement
impactée, de par son décloisonnement de la structure de l’infraction, l’imputabilité est
susceptible de jouer un rôle décisif dans un droit pénal post-moderne initié par le
néopositivisme contemporain. Cette recherche aura encore pour ambition de mettre en
lumière que l’imputabilité contient en germe la potentialité d’une cohabitation pacifiée avec
la dangerosité en permettant le recentrage de son usage. Il reste ainsi à exploiter l’ensemble
de ses ressources garantistes (partie 2).

29
30
PARTIE 1

L’imputabilité dans la théorie
classique de la responsabilité
pénale

31
32
TITRE 1
L’AUTONOMIE DE L’IMPUTABILITÉ ET DE
LA CULPABILITÉ ENTENDUE STRICTEMENT

Transposée à la matière pénale, l’idée, relativement simple, que l’acte délictueux doit pouvoir
être porté au compte de l’agent n’exclut pas un certain nombre de difficultés. Selon Éric
Lepointe, distinguant soigneusement chaque élément de la trilogie culpabilité, imputabilité et
responsabilité, « la notion d’imputabilité est peut-être la plus controversée et celle qui est la
moins unanimement entendue »102.

La première difficulté dans l’appréhension du concept d’imputabilité est relative aux


conditions dans lesquelles un acte délictueux doit pouvoir être porté au compte de l’agent.
Or, précisément, ces dernières ne sont pas unanimement entendues par la doctrine, ce qui
donne lieu à des incertitudes sur les frontières de l’imputabilité103.

S’agissant tout d’abord des frontières externes, la doctrine oscille entre deux conceptions de
l’imputabilité, le terme pouvant être pris dans un sens étroit ou, au contraire, dans un sens
plus large. Nous avons vu dans l’introduction104 qu’une acception large de l’imputabilité – ou
plutôt de la non-imputabilité – qui aurait vocation à regrouper sous ce vocable des causes
d’impunité (totalement) extérieures à l’agent, devait être écartée dans le cadre de cette étude.
En effet, nous avons souscrit à l’extranéité de principe des faits justificatifs du champ de la
non-imputabilité. Cela étant, l’étanchéité de cette frontière externe de l’imputabilité sera
néanmoins questionnée105 dans le cadre d’une confrontation avec les notions de contrainte
morale et d’état de nécessité106.

Nous avons donc retenu une conception étroite de l’imputabilité en lien avec des éléments
de la psychologie de l’agent. Cette option n’est pas sans évoquer la conception classique de
l’imputabilité pénale107 aux termes de laquelle un acte délictueux est imputable dès lors que
l’agent a agi « avec une intelligence lucide et une volonté libre »108. Cette référence n’exclut
pourtant pas la permanence de divergences doctrinales dans la détermination de ses
conditions. Il faut dire que la détermination des frontières internes de l’imputabilité
questionne la répartition controversée des données psychologiques de la responsabilité
pénale en deux réceptacles distincts : la culpabilité, d’une part, et l’imputabilité, d’autre part.

102. É. LEPOINTE, « Le diagnostic judiciaire des faits justificatifs », op. cit., p. 547, no 4.
103. En référence à A. GIUDICELLI, « Incertitudes sur les frontières de l’intention », op. cit.
104. Cf. supra.
105. Et résolue par la négative.
106. Cf. infra, chapitre II.
107. Par opposition à la conception civiliste majoritaire de l’imputabilité qui la réduit à la seule exigence du
discernement, sans égard à un quelconque élément de volonté.
108. J.-M. AUSSEL, « La contrainte et la nécessité en droit pénal », in Quelques aspects de l’autonomie du droit pénal.
Études de droit criminel, op. cit., no 6, p. 256.

33
De ce point de vue, les notions de discernement et de contrainte ne sont pas sans soulever
des difficultés d’étiquetage. Le rattachement du discernement à la substance de l’imputabilité
sera établi par la négative, après une étude approfondie du concept de culpabilité. Suivant la
démonstration du caractère objectivé de la composante psychologique de l’infraction, il sera
permis de déduire l’exclusion du discernement du champ de sa définition ainsi que son
absorption subséquente par l’imputabilité (chapitre I).
Quant à la contrainte, certains auteurs pénalistes ont décidé de contourner la difficulté en lui
prêtant un caractère hybride, distinguant la contrainte physique affectant la liberté de
mouvement, cause de non-culpabilité109, et la contrainte morale affectant la liberté
psychologique, cause de non-imputabilité110. Nous adopterons cette summa divisio111 pour
questionner la pertinence de la composante liberté dans la constitution de
l’imputabilité (chapitre II).

109. Peut-être devrait-on employer un terme plus générique, par exemple celui de cause de « non-caractérisation
de l’infraction », étant donné que la contrainte physique n’affecte pas seulement la volonté, du moins la
liberté du mouvement, mais s’exerce aussi sur le corps même de l’agent. Dès lors, elle est aussi encline à
influer sur le comportement de l’agent qui entre, quant à lui, dans la constitution de l’élément matériel de
l’infraction.
110. Ce fut le cas, en son temps, de H. DONNEDIEU DE VABRES, Traité de droit criminel, no 328, Paris, Sirey, 3e éd.,
1947.
111. Cette summa divisio est préférée à celle opérée par l’article 122-2 du Code pénal qui distingue maladroitement
la « force » et la « contrainte ». Le législateur entend ce faisant indiquer que la pression exercée sur la volonté
de l’agent peut lui être extérieure ou interne. Il faut donc entendre la « force » de l’article 122-2 du Code
pénal comme une pression, physique ou morale, extérieure à l’agent. Quant à la « contrainte », elle vise une
pression interne propre à l’agent. Suivant cette présentation, la « contrainte » morale ne constitue pas une
cause autonome de non-imputabilité. Tout au plus peut-elle être retenue sur le fondement de l’article 122-1,
alinéa 1er du Code pénal visant notamment le « trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli […] le
contrôle de ses actes ».

34
Chapitre I

Les conditions de l’imputabilité découlant
du caractère objectivé de la culpabilité

Le rattachement de la condition de discernement au concept d’imputabilité sera démontré


par la négative. La démarche s’explique par le fait qu’un doute peut exister quant à la donnée
de rattachement du discernement. En tant qu’élément de la personnalité, il est en effet
susceptible d’entrer dans la constitution des deux composantes subjectives de la
responsabilité pénale que sont l’imputabilité et la culpabilité. Si le doute tient d’abord à la
nature subjective des deux notions, il résulte également de la confusion entourant en doctrine
les contours de l’imputabilité et de la culpabilité. Autrement dit, le questionnement relatif à
la donnée de rattachement de la condition de discernement résulte de l’interaction
substantielle des deux composantes de la responsabilité pénale. L’objet de ce chapitre
consistera à renseigner les aspects substantiels spécifiques au concept de culpabilité, afin de
déterminer en creux l’une des composantes de l’imputabilité.
Il résultera de cette étude que si la culpabilité conserve nécessairement une part irréductible
de subjectivité liée à l’essence même de la notion, elle procède avant tout d’un caractère
objectivé. Cela ne signifie pas qu’il ne soit pas tenu compte, dans l’édification de la culpabilité
de l’agent, de son état d’esprit au moment des faits. Simplement, il sera établi que c’est son
état d’esprit juridique qui est appréhendé, conférant dans le même temps un caractère
normatif au concept juridique de culpabilité. Les éléments pris en compte ne révélant alors
rien de singulier relativement à la personnalité de l’agent, il apparaîtra logique que le
discernement n’entre pas dans la composition des éléments constitutifs du concept de
culpabilité, cette exclusion établissant ipso facto son rattachement au concept d’imputabilité.
Nous allons donc établir le caractère abstrait de la culpabilité, la faible teneur psychologique
de la culpabilité des personnes physiques112 résultant tant de la substance même de la notion
(section 1) que de son régime juridique (section 2).

112. Le caractère abstrait de la culpabilité des personnes morales résulte quant à lui de l’évolution de la
responsabilité pénale des personnes morales vers une responsabilité directe de ces dernières. Pour l’étude
de l’évolution de la responsabilité pénale de l’être moral, cf. la partie 2 de cette étude.

35
Section 1 – Le caractère objectivé de la culpabilité des personnes physiques
résultant de la substance même de la culpabilité
Comme cela a été précédemment évoqué, il existe deux formes de culpabilité : la culpabilité
non intentionnelle, autrement désignée sous la terminologie d’imprudence pénale, et la
culpabilité intentionnelle, empruntant le vocable générique d’intention. Le développement
suivant va se circonscrire à l’étude de la substance de la culpabilité intentionnelle. Cette
exclusion trouve sa justification dans le fait que, bien qu’opposées, ces deux formes de
culpabilité présentent un dénominateur psychologique commun constituant l’essence même
de la culpabilité non intentionnelle. En effet, on considère traditionnellement en doctrine
que les culpabilités intentionnelle et non intentionnelle ont en commun la volonté du
comportement répréhensible, mais qu’elles se distinguent par la volonté du résultat
infractionnel relevant quant à elle du ressort exclusif de la culpabilité intentionnelle. Comme
le relève François Rousseau, « l’imprudence comme l’intention suppose un comportement
volontaire […] [et] par-delà la diversité des fautes non intentionnelles, il est possible […] de
relever un dénominateur commun à leur élément psychologique : la non-volonté du résultat
incriminé »113. Il est donc permis de convenir que la démonstration du caractère objectivé de
l’intention entraînera celle de l’imprudence pénale.

Afin d’établir le caractère objectivé de la culpabilité, il apparaît donc nécessaire, dans un


premier temps, de démontrer que le droit positif retient une acception objectivée de la
volonté du comportement, composante commune à l’intention et à l’imprudence (§ 1).
Il importera dans un second temps d’établir que la volonté du résultat venant enrichir la
composition de l’intention n’est pas de nature à subjectiver le concept de culpabilité (§ 2).

§ 1 - L’objectivation résultant de la volonté du comportement, dénominateur


psychologique commun à la culpabilité intentionnelle et non intentionnelle

Il s’agira, dans un premier temps, de démontrer que la volonté du comportement constitue


le dénominateur psychologique commun à la culpabilité intentionnelle comme non
intentionnelle (A.) avant d’établir que la consistance de cette volonté, d’essence subjective,
n’est pas susceptible de constituer une entrave au caractère objectivé de la culpabilité, voire
même, au contraire, qu’elle participe de son abstraction (B.).

A. La « volonté » du comportement constituant le dénominateur psychologique


commun à la culpabilité intentionnelle et non intentionnelle

Bien que le Code pénal entretienne une certaine confusion des termes, contribuant à une
terminologie incertaine, distinguer intention et non-intention ne consiste pas à opposer
comportements volontaires et involontaires. Comme le souligne André Giudicelli, « tous les
comportements engageant la responsabilité pénale, fondamentalement, sont volontaires »114.

113. F. ROUSSEAU, L’imputation dans la responsabilité pénale, Dalloz, 2009, no 79, p. 93.
114. A. GIUDICELLI, « Incertitudes sur les frontières de l’intention », op. cit., p. 33.

36
Si le rattachement de la volonté au domaine de l’intention ne soulève pas de difficultés
particulières115, il importera, afin de lever toute équivoque, de démontrer le rattachement de
la volonté à la culpabilité non intentionnelle en général. Nous commencerons par souligner
le caractère volitif de la faute de mise en danger délibérée (1.) avant de constater la
généralisation de ce caractère à l’ensemble des fautes pénales (2.).

1. L’intrusion de la volonté dans le domaine de l’imprudence pénale par le


truchement de la faute de mise en danger délibé rée
Avant de démontrer le caractère volitif de la faute de mise en danger délibéré (1.2), il importera
préalablement de confirmer le caractère non intentionnel de cette faute (1.1).

1.1 La démonstration du caractère non intentionnel de la faute de mise en danger délibérée

Dans son article relatif à l’étude des frontières de l’intention, André Giudicelli souligne que
« la gravité certaine de la faute de mise en danger délibérée a suscité des hésitations et des
débats, quant à sa nature intentionnelle ou inintentionnelle »116. Fluctuations qui ont été le
fait de la jurisprudence117 ou de la doctrine. Au travers de l’analyse du délit de mise en danger
d’autrui, dont l’élément psychologique est constitué par la faute de mise en danger délibérée,
Jean Cédras s’est prononcé en faveur du caractère intentionnel de l’infraction. Alors, « certes
l’agent ne désire provoquer aucun dommage corporel mais […] sa « délibération » ne porte
[…] pas seulement sur la violation de l’obligation de prudence, elle vise aussi, et
nécessairement, cette valeur protégée que constitue le droit d’autrui à la tranquillité. Le délit
de mise en danger d’autrui […] change de nature et passe du domaine de la faute à celui de
l’intention »118. L’auteur soutient donc implicitement le caractère nécessairement intentionnel
de la faute délibérée. Mais comme le relève Yves Mayaud, « il convient d’éviter le piège d’une
synonymie trompeuse entre ce qui est intentionnel et ce qui est délibéré »119. D’ailleurs, la
position du législateur est sans aucun doute possible sur le caractère non intentionnel de la
faute de mise en danger. Plusieurs arguments décisifs peuvent être avancés en ce sens. Le
premier réside dans « la construction de l’article 121-3 du Code pénal et l’articulation des
alinéas qui le composent »120. C’est au titre d’un alinéa distinct, faisant suite à l’affirmation de
la primauté de l’intention en matière délictuelle, que la mise en danger est développée.
Toujours selon Yves Mayaud, « non seulement cette présentation témoigne de la nature
fautive de la faute de mise en danger, mais elle est encore renforcée par le terme de transition
qui assure le lien entre les deux alinéas »121. En effet, après avoir affirmé qu’il n’y a point de
délit sans intention de le commettre, c’est l’adverbe toutefois qui introduit l’alinéa relatif à la

115. Cf. par exemple Y. MAYAUD, Droit pénal général, op. cit., no 254 : « La volonté renvoie naturellement à
l’intention. Elle en est le support, pour incarner au mieux la détermination d’agir à l’opposé des valeurs
sociales protégées. »
116. Loc. cit.
117. Pour des exemples de solutions contraires en jurisprudence, cf. A. GIUDICELLI, « Incertitudes sur les
frontières de l’intention », op. cit., p. 33.
118. J. CEDRAS, « Le dol éventuel : aux limites de l’intention », D., 1995, p. 18.
119. Y. MAYAUD, « De l’article 121-3 du Code pénal à la théorie de la culpabilité en matière criminelle
et délictuelle », D., 1997, p. 37.
120. Loc. cit.
121. Loc. cit.

37
mise en danger. Cet adverbe « ne peut qu’exprimer une approche différente quant à sa nature,
différence par hypothèse empruntée à la non-intention »122.

Un deuxième argument réside dans l’article 339 de la loi d’adaptation du 16 décembre 1992.
Cet article avait pour but d’éviter qu’en application de l’article 121-3 nouveau, d’anciennes
incriminations – définies sans aucune référence à l’élément psychologique mais reconnues de
nature non intentionnelle – ne basculent dans le domaine de l’intention. En vertu de ce
dernier, « tous les délits non intentionnels réprimés par des textes antérieurs à l’entrée en
vigueur de la présente loi demeurent constitués en cas d’imprudence, de négligence ou de
mise en danger de la personne d’autrui, même lorsque la loi ne le prévoit pas expressément ».
Comme le relève Yves Mayaud, « la mise en danger est ainsi directement qualifiée, puisque
c’est seulement par référence aux délits non intentionnels qu’elle est prise en compte, au
même titre que l’imprudence ou la négligence, afin de caractériser moralement les infractions
affectées par cette adaptation »123. Finalement, il est possible d’invoquer l’article 470-1 du
Code de procédure pénale organisant la compétence civile du juge pénal. Au lendemain de
la loi du 13 mai 1996, il prévoyait que « le tribunal saisi, à l’initiative du ministère public ou
sur renvoi d’une juridiction d’instruction, de poursuites exercées pour une infraction non
intentionnelle au sens des deuxième et troisième alinéas de l’article 121-3 du Code pénal, et
qui prononce une relaxe demeure compétent, sur la demande de la partie civile ou de son
assureur formulée avant la clôture des débats, pour accorder, en application des règles du
droit civil, réparation de tous les dommages résultant des faits qui ont fondé la poursuite ».
En l’occurrence, l’article vise notamment une infraction non intentionnelle au sens du
deuxième alinéa de l’article 121-3. Or, l’alinéa 2 de l’article 121-3 du Code pénal est
exclusivement consacré à la faute de mise en danger délibérée124. Il est donc permis de
considérer que ce texte affirmait aussi, dès 1996, la nature non intentionnelle de la faute
délibérée125.Plusieurs textes législatifs établissent donc directement ou indirectement le
caractère non intentionnel de la faute délibérée. La démonstration de son caractère volitif
passera quant à elle par l’analyse du délit de très grande vitesse.

1.2 La reconnaissance du caractère volitif de la faute de mise en danger délibérée par l’analyse
du délit de grand excès de vitesse

La loi L. no 99-505 du 18 juin 1999 portant diverses mesures relatives à la sécurité routière126
a créé le délit de « très grande vitesse » à l’ancien article 4-1 du Code de la route, devenu
l’article L. 413-1 du même code. Aux termes de cet article, « tout conducteur d’un véhicule à
moteur qui, déjà condamné définitivement pour un dépassement de la vitesse maximale

122. Loc. cit.


123. Loc. cit.
124. Cf. A. GIUDICELLI, « Incertitudes sur les frontières de l’intention », op. cit.
125. De manière plus subsidiaire, il est également possible d’invoquer l’article 470-1 du Code de procédure pénale
dans sa rédaction issue de la loi du 10 juillet 2000. Plus précisément, il est possible de se prévaloir de l’ajout
de l’alinéa 4 de l’article 121-3 du Code pénal dans la liste des alinéas énumérés pour définir les infractions
non intentionnelles. L’argument peut être considéré comme moins pertinent, en ce sens que la faute
délibérée partage cet alinéa avec la faute caractérisée dont la nature non intentionnelle ne fait, quant à elle,
aucun doute.
126. L. no 99-505 du 18 juin 1999, D., 1999, Lég., p. 308.

38
autorisée égal ou supérieur à 50 km/h, commet la même infraction dans le délai d’un an à
compter de la date à laquelle cette condamnation est devenue définitive » est puni de trois
ans d’emprisonnement et de 3 750 € d’amende. Deux questions intéressant la théorie du droit
pénal ont été soulevées par la création de cette infraction. La première est relative à l’utilité
du délit de l’ancien article 4-1 du Code de la route dans le dispositif répressif existant avec,
sous-jacente, la question des principes présidant à la détermination des infractions127. La
seconde est consécutive au silence du législateur sur la teneur de l’élément psychologique du
délit avec, en creux, la question des éléments participant de la constitution des infractions.
Nous allons voir que la démonstration de l’utilité du délit de « très grande vitesse » dans le
dispositif répressif existant combinée à la consécration du caractère intentionnel de
l’infraction permettra de conclure au caractère volitif de la faute de mise en danger délibérée.

L’utilité du délit de grand excès de vitesse dans le dispositif répressif existant


La question qui se posait était celle de savoir s’il ne faisait pas double emploi avec deux
incriminations existantes : d’une part, la contravention de l’article R. 232 qui sanctionne le
dépassement d’au moins 50 km/h de la vitesse maximale autorisée et, d’autre part, le délit de
risques causés à autrui de l’article 223-1 du Code pénal. Rappelons préalablement qu’une
seule et même valeur sociale peut être protégée par plusieurs incriminations. On dit alors
qu’elles se complètent horizontalement ou verticalement par variation ou gradation. La
première hypothèse vise des comportements distincts, recherchés pour leur différence, afin
de couvrir toutes les possibilités d’atteinte à la valeur protégée. Dans la seconde, la pluralité
d’infractions est un moyen de gérer ce qui s’inscrit dans une articulation ou une progression.
Il s’agit de comprendre qu’à chaque comportement correspond une nouvelle étape dans
l’atteinte à la valeur sociale, toutes méritant d’être sanctionnées pour ce que chacune
représente d’hostilité ou d’indifférence à ladite valeur.

Nous allons mettre en évidence que le délit de grand excès de vitesse s’articule utilement
entre les deux infractions existantes. En d’autres termes, nous allons montrer la
complémentarité par gradation des infractions en cause. Tout d’abord, il convient de relever
que d’une infraction à l’autre, la valeur protégée est la même, à savoir la sécurité routière.
Ensuite, la complémentarité du délit de l’article L. 413-1 du Code de la route avec la
contravention de l’article R. 232 peut être facilement établie. Elle résulte du fait qu’il
constitue la récidive de cette contravention. En effet, la caractéristique principale de
l’article L. 413-1 du Code de la route est de réprimer plus sévèrement le dépassement de la
vitesse maximale autorisée égal ou supérieur à 50 km/h lorsqu’il est commis en état de
récidive dans l’année qui suit la première condamnation. Le nouveau délit recouvre donc des
manquements plus graves que la contravention primaire de dépassement des vitesses
autorisées puisqu’il en sanctionne128 la récidive. Il est également possible de justifier de la
complémentarité du délit de grande vitesse avec le délit de risques causés à autrui. Il est
justement acquis au regard de la jurisprudence que le délit de risques causés à autrui ne s’ajuste
pas à tous les cas d’excès de vitesse, même importants. Si un excès de vitesse est susceptible

127. En cas de réponse négative à cette interrogation, ce sont les principes de nécessité et de proportionnalité
des peines affirmés par l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen qui se trouveraient
méconnus.
128. La récidive est correctionnalisée.

39
de constituer une violation délibérée d’une obligation particulière de sécurité imposée par
la loi et le règlement justifiant le recours à l’article 223-1 du Code pénal, il faut encore, pour
la chambre criminelle de la Cour de cassation, que l’excès de vitesse, accompagné d’un
autre comportement, ait exposé directement autrui à un risque immédiat de mort ou de
blessures129.

Le délit de grande vitesse recouvre des manquements moins graves puisque, dans le cadre
de cette infraction, il n’est pas nécessaire que des tiers aient été effectivement mis en
danger. Comme le faisait valoir le gouvernement lors de ses observations130, il peut paraître
« nécessaire, et légitime, de mettre en place un dispositif dissuasif suffisamment efficace,
sans attendre que les conducteurs qui méconnaissent effectivement la règlementation aient
effectivement mis des tiers en danger ». Ensuite, concernant le délit de l’article L. 413-1, le
législateur a fixé une peine maximale inférieure aux quanta de la peine pouvant être
prononcée si le comportement délictueux répond aux conditions de l’article 223-1 du Code
pénal. Ces deux délits paraissent bien complémentaires. Le délit de très grande vitesse se
trouve donc justifié comme maillon intermédiaire nécessaire dans la protection de la
sécurité routière.

Le caractère intentionnel du délit d’excès de très grande vitesse découlant du silence


du législateur sur la consistance de l’élément psychologique de l’infraction
La lecture de l’article L. 413-1 du Code de la route ne nous renseigne pas sur la consistance
de l’élément moral du délit. La question s’est donc posée de savoir si le législateur pouvait
faire silence sur la consistance de l’élément psychologique des infractions. Le principe,
rappelé par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 16 juin 1999, est que la définition
des délits « doit inclure outre l’élément matériel de l’infraction, l’élément moral, intentionnel
ou non de celle-ci ». La juridiction constitutionnelle se fonde pour ce dire sur les articles 8131
et 9132 combinés de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Dès lors, que fait-on
en cas de silence de la loi sur le contenu de cet élément psychologique ? Le Conseil
constitutionnel considère alors, en cette absence d’élément moral identifiable, qu’il revient
au juge de faire application des dispositions de l’article 121-3 du Code pénal. Rappelons que
ce texte privilégie le caractère intentionnel du délit, sauf lorsque la loi en dispose autrement,
par renvoi explicite, soit à une mise en danger délibérée de la personne d’autrui, soit à une
imprudence, une négligence, ou un manquement à une obligation de sécurité ou de prudence
prévue par la loi ou le règlement.

129. Cf. Par exemple Cass. crim., 12 mars 1997, no 96-83.205, Bull. crim., no 102, Bull. crim., no 96-83.205 ;
JurisData, no 002241 et Cass. crim., 12 nov. 1997, no 96-85.756, Bull. crim., no 384.
130. Observations du gouvernement, JO du 19 juin 1999, p. 9024.
131. L’article 8 consacre notamment le principe de la légalité des délits et des peines. L’un des corollaires de ce
principe réside dans l’obligation pour le législateur de rédiger des textes clairs et précis. Il était donc logique
qu’en application de cet article, le Conseil constitutionnel invite le législateur à définir la consistance,
intentionnelle ou non, de l’élément moral dont il a établi la nécessité sur le fondement de l’article 9 de la
même déclaration.
132. L’article 9 consacre le droit à la présomption d’innocence. Si la reconnaissance de ce droit ne fait pas obstacle
à l’existence de présomptions de culpabilité (cf. infra), il impose à tout le moins un débat sur la culpabilité
de la personne poursuivie. Au-delà, il constitue un fondement à la reconnaissance d’un élément
psychologique au titre des éléments constitutifs de l’infraction.

40
Dans le même sens, Yves Mayaud souligne, dans son commentaire de la décision rendue
par le Conseil constitutionnel, que « le silence de la loi sur la consistance de l’élément moral
d’un délit ne peut qu’être interprété en faveur du caractère intentionnel de celui-ci,
l’intention s’imposant en quelque sorte par défaut, en application du principe qui en affirme
la primauté »133. Par le biais de sa décision du 18 juin 1999, le Conseil constitutionnel a
consacré la portée générale de l’article 121-3 du Code pénal et donné au principe qu’il
énonce une valeur constitutionnelle. Du silence de la loi sur l’élément psychologique du
délit de l’article L. 413-1 du Code de la route, on doit donc déduire le caractère intentionnel
de cette infraction. Or, cette solution paraît susceptible de soulever une difficulté inhérente
à la cohérence de la complémentarité par gradation entre ce délit et le délit de risques causés
à autrui.

La complémentarité des infractions par gradation remise en cause par le caractère


intentionnel du délit de grand excès de vitesse ?
La question se pose dans la mesure où la mise en danger délibérée est une infraction non
intentionnelle. Peut-on caractériser un lien par progression sensible de gravité entre une
infraction intentionnelle, d’une part, et une infraction non intentionnelle, d’autre part ?
La différence de nature entre les deux infractions ne fait-elle pas obstacle à tout
rapprochement ? Une réponse par la négative résulte de l’existence d’un dénominateur
commun constituant le fondement d’un lien par progression sensible de gravité. C’est en
effet ce que relève Yves Mayaud : « Les deux infractions connaissent un dénominateur
commun, qui assure de l’une à l’autre le lien permettant de les tenir comme très
complémentaires par une progression sensible de gravité »134. La volonté est ce facteur
d’unité. Il est en effet assez logique qu’un comportement d’une gravité supérieure à un
autre comportement volontaire soit lui-même volontaire. Ainsi, en démontrant que le délit
de l’article L. 413-1 du Code de la route est utile, le Conseil constitutionnel établit que la
volonté est une composante de la faute de mise en danger délibérée.

On peut en conclure que la volonté entre au moins partiellement dans la composition de


l’imprudence pénale. Est-il cependant possible de généraliser la composante volitive à
l’ensemble de l’imprudence pénale ? Yves Mayaud, par exemple, est partisan de limiter le
caractère volitif de la culpabilité non intentionnelle à la seule faute de mise en danger
délibérée135. Nous démontrerons néanmoins qu’il est possible d’associer totalement la
volonté à toutes les fautes d’imprudence sans qu’elle ne place nécessairement le
comportement dans les manifestations les plus graves de la culpabilité 136.

133. Y. MAYAUD, « Entre le dit et le non-dit, ou les leçons de droit pénal du Conseil constitutionnel », D., 1999,
p. 589.
134. Loc. cit.
135. Il considère logiquement que, jusqu’à l’adoption du Code pénal de 1994, la volonté était exclusive à
l’intention. L’intrusion partielle de la volonté dans le domaine de l’imprudence pénale serait donc le fait de
la création de la faute de mise en danger délibérée par le législateur du « nouveau Code pénal ».
136. Contra Y. MAYAUD, « La volonté à la lumière du nouveau Code pénal », in Mélanges en l’honneur du professeur
J. Larguier, Presses universitaires de Grenoble, 1993, p. 203.

41
2. La généralisation de la composante volitive à l ’ensemble de l’imprudence
pénale (faute caractérisée + imprudence ordinaire)
L’inclusion restrictive de la volonté dans le champ de l’imprudence pénale ne résiste pas à la
comparaison des fautes de mise en danger délibérée et caractérisée137. Pourquoi instituer une
différence entre ces deux imprudences pénales ? Elles sont présentées comme étant toutes
deux des fautes d’imprudence qualifiées par opposition à la faute d’imprudence ou de
négligence ordinaire. Il s’agit de comprendre qu’elles ont en commun la gravité particulière
du comportement. Dès lors, ne faudrait-il pas considérer que la volonté sert aussi de renfort 138
à la faute caractérisée ? Pour preuve, aux termes de la loi du 10 juillet 2000 destinée à atténuer
la répression des délits d’imprudence, la faute caractérisée, à l’instar de la faute délibérée, peut
justifier la mise en jeu de la responsabilité pénale de l’auteur indirect d’une infraction non
intentionnelle alors que, dans cette hypothèse de causalité, la responsabilité ne peut plus être
mise en œuvre en présence d’une simple imprudence. Il n’est donc pas logique d’écarter
l’extension de la composante volitive à la faute caractérisée. L’autre argument en faveur de la
généralisation de la composante volitive à l’ensemble de l’imprudence pénale tient à l’analyse
de l’imprudence ou de la négligence ordinaire. Peut-on réellement considérer que
l’imprudence ou la négligence ordinaire est exclusive de tout comportement volitif ?
À notre sens, une réponse par la négative s’impose et trouve sa principale justification dans
l’acception de la volonté mobilisée dans la définition de la culpabilité139. Le développement
suivant va alors satisfaire dans le même temps un double objectif : celui de parachever
l’extension du caractère volitif du comportement à l’ensemble de l’imprudence pénale et celui
de la mise en exergue d’une conception relativement « primitive » de la volonté mobilisée
dans la définition de la culpabilité contribuant, par ce fait, à la démonstration du caractère
objectivé de la culpabilité.

B. L’identification de la volonté mobilisée dans le champ de la culpabilité

L’identification de la volonté mobilisée dans la définition du concept de culpabilité s’avère


nécessaire, car une composante volitive est aussi décelable dans la substance de la notion
d’imputabilité (1.). Une fois ce dédoublement mis à jour, il pourra être établi que la
composante volitive de la culpabilité est exclusive d’une subjectivation excessive de la
notion (2.).

1. La notion de volonté mobilisée dans la définition des concepts de culpabilité


et d’imputabilité
Nous allons montrer que l’inclusion de la volonté dans la définition de la culpabilité n’est pas
un obstacle à la reconnaissance de son caractère objectivé. Autrement dit, la composante
volitive de la culpabilité est exclusive d’une subjectivisation excessive de l’élément

137. Rappelons que l’éclatement du régime unitaire de l’imprudence pénale, initiée par le Code pénal de 1992
avec la consécration de la faute de mise en danger délibérée, a été scellée avec la création, par la loi
no 2000-647 du 10 juillet 2000, de la faute caractérisée.
138. Le terme est emprunté à Yves Mayaud qui considère que la volonté participe de la composition de la faute
de mise en danger délibérée pour lui servir de renfort (cf. Y. MAYAUD, Droit pénal général, op. cit., no 254).
139. Cf. infra.

42
psychologique de l’infraction. Cette précision s’avère nécessaire car une méprise est possible
en raison de la mobilisation concurrente de la volonté dans le champ de la définition de
l’imputabilité, doublée de la croyance erronée de l’intégration de l’imputabilité dans la
constitution de l’élément psychologique de l’infraction140.
Il serait alors possible d’attribuer le caractère volontaire de tout comportement délictueux,
intentionnel comme non intentionnel, à l’intégration de l’imputabilité dans l’élément
psychologique de l’infraction. Une partie de la doctrine semble en effet considérer que
l’imputabilité entre dans le champ d’une conception large de la culpabilité141. Cependant, ce
raisonnement serait de nature à induire une confusion substantielle dans l’appréhension de
la substance de la culpabilité car il pourrait donner à penser que l’exclusion de l’imputabilité
de la constitution de l’élément psychologique prive la culpabilité de toute composante
volitive142.
Ce serait se méprendre une nouvelle fois en n’envisageant pas l’étendue du spectre de la
volonté. Il s’agit ici de mettre en évidence que la notion est susceptible de se dédoubler en
un aspect objectivé et en un aspect subjectif, qu’elle se prête à une double approche à la fois
« réaliste » et « qualitative ».

Nous verrons que si cette dernière approche se rattache à la notion d’imputabilité, la première
relève en revanche de la culpabilité143. D’ailleurs, une source de confusion possible entre les
concepts d’imputabilité et de culpabilité réside précisément dans la mobilisation de la volonté
dans le champ de la définition des deux notions. Il importe donc, avec une acuité particulière,
d’identifier la volonté constituant le socle de toute culpabilité, la volonté commune aux
infractions intentionnelles et non-intentionnelles. Pour ce faire, nous survolerons une partie
de la doctrine, passée et actuelle.

2. La volonté constituant le socle de toute culpabilité exclusive d’une


subjectivation excessive de la notion
La double acception de la volonté se retrouve dans la doctrine dite classique et dans les écrits
plus contemporains. Ortolan, dans son ouvrage Éléments de droit pénal, distingue entre la
faculté ou puissance de vouloir, relevant de l’imputabilité, et la volonté de fait, relevant quant
à elle de la culpabilité. L’auteur écrit que « les deux conditions constitutives de l’imputabilité
sont, chez l’agent, la raison morale et la liberté »144. Il explicite la seconde condition de
l’imputabilité de la manière suivante :

Dans l’activité, ce qui forme la seconde condition constitutive de l’imputabilité, c’est la


puissance que nous avons de décider que l’action sera faite ou ne sera pas faite […]

140. Cf. infra, titre 2.


141. A priori, c’est une interprétation possible de la thèse que François Rousseau a consacrée à l’étude de
l’imputation dans la responsabilité pénale quand il assimile la volonté-liberté à la volonté infractionnelle en
considérant que cette dernière est indispensable à la réalisation de toute infraction (cf. F. ROUSSEAU,
L’imputation dans la théorie de la responsabilité pénale, op. cit., no 79, p. 94).
142. L’exclusion de l’imputabilité de la constitution de l’élément psychologique de l’infraction sera démontrée
dans le titre 2 de cette première partie.
143. Pour autant, cette dichotomie n’exclut pas l’existence de nuances au sein de l’élément volonté participant de
la définition de la culpabilité.
144. ORTOLAN, Éléments de droit pénal, 2e éd., 1859, H. Plon, p. 216 et suiv., spécialement p. 217 et 218.

43
autrement dit, la liberté psychologique, qu’on appelle aussi quelquefois volonté, dans le
sens de faculté ou puissance de vouloir. Quant à la volonté de produire le mal contenu
dans le délit, volonté de fait à laquelle s’applique beaucoup plus exactement le mot
intention, elle n’est pas un élément nécessaire de l’imputabilité.145

René Garraud écrivait :

Le concept de « faute » implique le concept de « volonté » en ce sens que l’acte coupable


est toujours un acte volontaire. Mais le concept est indépendant de la liberté de la volonté,
du libre arbitre. […] L’État ne se préoccupe pas de savoir si la volonté du délinquant
est libre ou déterminée : il suffit qu’elle existe pour que l’acte volontaire soit punissable.146

Il tient compte cependant de la liberté de la volonté quand il envisage la contrainte morale


comme cause d’irresponsabilité pénale147. Ainsi, Jean Lebret opposait lui aussi clairement les
deux acceptions de la volonté de la manière suivante :

[…] ou bien la volonté n’est rien en soi qu’on puisse saisir, comprendre, isoler ; elle se
confond avec l’acte même ; elle existe chez le malade mental, chez le dément, chez
l’alcoolique, volonté morbide, mais volonté tout de même ; ou bien, seconde alternative,
elle serait un pouvoir d’agir ou de ne pas agir, de se manifester dans un sens ou dans un
autre, en toute indépendance ; mais alors il s’agit du “libre arbitre” et de la libre volonté,
en lesquels on croirait.148

Ainsi, l’auteur, synthétisant l’acception de la volonté mobilisée dans la définition de la


culpabilité, considère qu’« il ne s’agit en aucune manière d’une “volonté libre”. Il s’agit de la
volonté, libre ou non, de la volonté tout simplement »149. L’auteur conclut sur ce point qu’« une
volonté […] aussi sommaire sera toujours existante, à bien peu de réserve près »150.

Le rattachement de la volonté-liberté à l’imputabilité trouve un écho chez les auteurs


contemporains151. Yves Mayaud, par exemple, opère une distinction selon que la volonté est
un élément de da culpabilité ou qu’elle relève de l’imputabilité. Ainsi, il propose de considérer
que la volonté est un élément de la culpabilité quand elle est l’expression d’une détermination,
tandis qu’elle relève de l’imputabilité lorsque l’on considère la liberté de cette
détermination152. Valérie Cantat-Lampin Saint-Gérand a démontré, dans sa thèse relative à la
culpabilité dans la théorie de la responsabilité pénale, que « la volonté peut être tantôt

145. Loc. cit.


146. R. GARRAUD, Traité théorique et pratique du droit pénal français, t. I, Sirey, 3e éd., 1913, no 283, p. 568.
147. Il considère « que la menace d’un mal grave et imminent, devant nécessairement frapper l’agent, si celui-ci
ne commet pas un acte illicite, est de nature à affaiblir ou même à détruire par la crainte qu’elle inspire la
liberté de la volonté, qui est une condition de la responsabilité » (R. GARRAUD, Traité théorique et pratique du
droit pénal français, op. cit., no 346, p. 685).
148. J. LEBRET, « Essai sur la notion de l’intention criminelle », RSC, 1938, p. 456.
149. Ibid., p. 455.
150. Ibid., p. 456.
151. Précisons cependant que l’étude de la condition liberté de l’imputabilité fera l’objet de l’étude du prochain
chapitre.
152. Cf. Y. MAYAUD, « La volonté à la lumière du nouveau Code pénal », in Mélanges en l’honneur du professeur
J. Larguier, op. cit., p. 203 et suiv.

44
assimilée à la liberté lorsqu’elle est inscrite dans l’étude de l’imputabilité, tantôt à la volonté
proprement dite de violer la loi pénale, quand elle sert à définir la culpabilité »153. Cette
distinction trouve aussi un écho dans la thèse de Clément Margaine consacrée au concept de
« capacité pénale ». Dans un développement relatif à l’approche juridique du libre arbitre, que
l’auteur assimile à l’imputabilité, il établit une distinction entre la « volonté simple » et la
« volonté libre ». Il précise qu’« en attestant de l’absence d’influence extérieure sur la volonté,
le libre arbitre apparaît de ce fait comme une qualité supplémentaire de la volonté de son
auteur »154. L’auteur ajoute que « cette distinction entre la simple volonté et la volonté libre
[…] semble particulièrement intéressante en matière pénale, car elle permet de différencier
la question de l’existence d’une volonté, qui conditionne l’élément moral de l’infraction, de
celle de la liberté de cette volonté, qui conditionne l’imputation de cette infraction »155. Dans
la logique de cette dichotomie, l’auteur conclut que « l’absence de liberté, en ce qu’elle prive
un individu de la faculté de se déterminer librement, empêche de lui imputer une infraction
dont l’élément moral est pourtant caractérisé du fait de l’existence d’une volonté »156.
Nous verrons plus particulièrement que, dans une telle hypothèse, l’irresponsabilité pénale
est consécutive à la reconnaissance d’une contrainte morale. Cette dernière est constitutive
d’une cause de non-imputabilité venant affecter la liberté psychologique de l’agent157. Cette
situation s’analyse en effet comme « une hypothèse d’absence de libre arbitre, plutôt que
comme une hypothèse d’absence de volonté »158.

Nonobstant la diversité des formules159, le clivage de la notion de volonté repose bien sur la
dissociation volonté-culpabilité et volonté-imputabilité. En outre, il est notable que cette
appréhension duelle de la notion s’articule autour d’une même distinction substantielle. Ainsi,
la volonté-culpabilité s’entend d’une volonté réaliste alors que la volonté-imputabilité
s’entend d’une volonté qualitative. Quels que soient les écrits, il est possible de relever une
constance dans le terme utilisé pour préciser la qualité de la volonté relevant de l’imputabilité :
il s’agit d’une volonté libre.

En conclusion, peu importe la diversité des formules dès lors qu’elles convergent pour
exprimer l’idée selon laquelle la volonté est susceptible de deux acceptions, l’une
correspondant à l’idée d’une volonté « réaliste » et relevant du domaine de l’intention, et
l’autre exprimant la liberté de la volonté et relevant de la composition de l’imputabilité. Au-
delà, et il s’agit là de l’objet de ce développement, cette présentation dichotomique de la
volonté permet de mettre en évidence que l’acception de la volonté mobilisée dans la
définition de la culpabilité est étrangère à la prise en considération de la psychologie de
l’agent. Cette volonté « réaliste », en tant que dénominateur commun aux différentes formes

153. V. CANTA-LAMPIN SAINT-GÉRAND, La culpabilité dans la théorie de la responsabilité pénale, th. Lyon-III, 2000,
no 228, p. 233.
154. C. MARGAINE, La capacité pénale, th. Bordeaux-IV, 2011, no 313.
155. Ibid.
156. Ibid.
157. Cf. infra, dans le chapitre II sur les développements sur la contrainte morale.
158. C. MARGAINE, op. cit., 2011, no 319.
159. Pour la volonté-culpabilité : la volonté de fait, la volonté simple, l’expression d’une détermination, la volonté
proprement dite de violer la loi pénale. Pour la volonté-imputabilité : la faculté ou puissance de vouloir, la
liberté psychologique, la liberté d’une détermination ou la volonté libre.

45
de culpabilité, participe du caractère objectivé de la notion. Il est possible de conforter cela
par l’étude de la substance spécifique à la culpabilité intentionnelle.

§ 2 – L’objectivation résultant de la substance spécifique


à la culpabilité intentionnelle

Aux termes de l’article 121-3 du Code pénal, les comportements sont intentionnels par défaut
– c’est-à-dire en pratique – lorsque le texte d’incrimination ne fait pas mention de la nécessité
d’une faute pour caractériser l’élément psychologique de l’infraction. Comme le relève
Emmanuel Dreyer, « cette banalisation conduit nécessairement à un affaiblissement du
caractère distinctif de l’intention »160. L’absence de définition légale de l’intention dans la
partie générale du Code pénal, alors même que le terme est employé par l’article 121-3, en
est un symptôme. Et, lorsque le code fait à nouveau référence dans sa partie spéciale à
l’intention, la terminologie reste incertaine puisqu’il parle aussi bien de « fraude »161 que de
« mauvaise foi »162, d’acte accompli « volontairement »163, « sciemment »164 ou « en
connaissance de cause »165. Autrement dit, « c’est bien souvent le règne de la tautologie »166.
Il faut donc se tourner vers la doctrine et la jurisprudence afin de conclure au caractère
objectivé de l’intention. Ce dernier résulte tant de la définition positive (A.) que de la
définition négative de la notion (B.).

A. L’objectivation résultant de la définition positive de l’intention

Après avoir précisé la définition d’essence classique de l’intention, toujours de droit


positif (1.), il sera établi, au travers de l’analyse de ses composantes traditionnelles, qu’elle
procède d’une acception objectivée, que l’on considère le dol général (2.) ou le dol
spécial (3.).

1. La définition positive d’essence classique de l’intention


Au cours du XIXe siècle, on a assisté à une floraison de définitions doctrinales de l’intention
fondées sur l’origine étymologique du mot. Comme le rappelle Bernard Bouloc, « au sens
étymologique, l’intention (intendere) est la volonté tendue vers un certain but »167. Appliquée à
la matière pénale, c’est une volonté dirigée vers un but interdit par la loi pénale. Nous allons
voir que, partant de ce sens très général, la doctrine classique, toujours de droit positif, a
dégagé une définition abstraite de l’intention. Et, nonobstant ce caractère, l’intention n’est
pas uniforme en ce sens qu’« elle peut comporter des modalités différentes et des degrés

160. E. DREYER, Droit pénal général, op. cit., no 873, p. 664.


161. C. pén., art. 311-1, 323-3, 413-5, etc.
162. C. pén., art., 226-15.
163. C. pén., art. 226-1, 223-6, 432-5, etc.
164. C. pén., art. 222-33-3, 224-8, 434-7-2, etc.
165. C. pén., art. 321-1.
166. I. MOINE-DUPUIS, « L’intention en droit pénal : une notion introuvable ? », D. 2001, p. 2144 et suiv.
167. B. BOULOC, Droit pénal général, op. cit., no 275, p. 253.

46
divers »168. Pour en rendre compte, la construction doctrinale a mobilisé un vocabulaire
spécifique, toujours usité, rayonnant autour de la notion centrale de dol décliné, de manière
schizophrénique, en diverses facettes. Comme le rappelle Bernard Bouloc, « le droit pénal
classique distingue, en effet, le dol général et le dol spécial, le dol simple et le dol aggravé, le
dol déterminé et le dol indéterminé »169. La terminologie la plus fréquemment rencontrée en
doctrine au titre de la constitution des infractions repose sur les concepts de dol général et
de dol spécial.
Dans la mesure où la théorisation de l’intention n’a pas été poussée plus avant, nous
conservons, dans le cadre de cette étude, la référence au dol général et à ses diverses modalités
afin de mettre en évidence le caractère objectivé de l’intention. Logiquement, cette étude
commence par l’analyse du dol général.

2. Le caractère objectivé ou abstrait du dol général


En application de la théorie classique, l’intention serait caractérisée a minima par l’existence
d’un dol général, présenté comme le dénominateur psychologique commun aux infractions
intentionnelles. En synthétisant une doctrine élaborée au cours du XIXe siècle, Émile Garçon
en conclut que le dol général se compose de deux éléments distincts, la conscience et la
volonté infractionnelles. La conscience infractionnelle s’entend de « la conscience chez le
coupable d’enfreindre les prohibitions légales », la volonté infractionnelle de la « volonté de
commettre le délit tel qu’il est déterminé par la loi »170. Dans le même sens, selon Roger Merle
et André Vitu, il ressort de l’étude de la théorie classique qu’est considéré coupable « l’agent
qui s’est fidèlement représenté l’élément matériel et l’élément légal de l’infraction commise
et qui, connaissant ainsi tous les éléments de l’incrimination pénale, a voulu agir “quand
même”, autrement dit l’agent qui a agi dans l’état de “conscience infractionnelle” et de
“volonté infractionnelle” »171.
Ces choix de définitions de l’intention ont pour but de mettre en évidence que, malgré la
diversité des formules doctrinales, ces dernières se recoupent dans leur majorité pour donner
la même consistance à la notion de dol général. Il convient donc de retenir que, selon la
doctrine classique, il se décompose en deux éléments : la conscience et la volonté.
L’acception de la volonté infractionnelle ayant été précisée plus en amont, l’analyse de la
notion de « conscience » mobilisée au titre de l’intention s’avère maintenant nécessaire pour
confirmer le caractère abstrait de la notion.

2.1 Les éléments de conscience et de volonté (la polysémie de la notion de conscience)

Nous avons déjà vu que le terme de volonté était employé indifféremment pour décrire le
contenu de la culpabilité ou de l’imputabilité, mais qu’une approche différente de la notion
était néanmoins indispensable selon l’entité juridique considérée172. À l’instar de la notion de

168. B. BOULOC, Droit pénal général, op. cit., no 284, p. 259.


169. Loc. cit.
170. É. GARÇON, art. 1, no 77.
171. R. MERLE et A. VITU, Traité de droit criminel – Droit pénal général, op. cit., no 579.
172. Rappelons que l’un des objectifs de cette recherche est de démontrer que la question de l’intention et celle
de l’imputabilité sont de deux ordres différents, les notions étant tout à la fois dotées d’un contenu
spécifique et indépendantes l’une de l’autre.

47
volonté, et comme le relève Isabelle Moine-Dupuis, « le terme de conscience ne sera donc
pas employé dans le même sens selon qu’il est question de responsabilité173 ou
d’intention »174. L’auteur poursuit son analyse en soulignant très justement que « le terme de
conscience est d’une approche juridique difficile et semble même relever du non-droit »175.
Pour autant, le mot fait l’objet d’une double signification se prêtant à une application
distributive entre l’intention et l’imputabilité. On distingue ainsi la conscience psychologique
et la conscience morale176. Isabelle Moine-Dupuis rappelle que « pour être responsable, un
individu doit avoir un certain degré de conscience psychologique »177. Il s’agit de comprendre
que la conscience psychologique procède de l’imputabilité178. La conscience morale désigne
donc la volonté mobilisée au titre de l’intention. Cette dernière, étrangère par voie de
conséquence à toute investigation concernant la psychologie de l’agent, peut être identifiée
comme « la connaissance de la relation existant entre soi et l’acte en accomplissement, auquel
s’ajoute la connaissance du sens juridique et moral de l’acte »179. En d’autres termes, l’élément
de conscience implique bien, comme le laissaient filtrer les définitions doctrinales de
l’intention, outre la conscience de l’illicite, la conscience de la matérialité des faits180. Le dol
ne représente qu’une « opération intellectuelle »181 et volitive instantanée, une « tendance
active »182, ne nécessitant pas d’investiguer la psychologie de l’agent. Cette conclusion tient
au fait qu’il participe d’une acception normative de la culpabilité.

2.2 Le caractère normatif du dol : le dol est une « faute normative »183

Cette acception du dol est la marque d’un système normatif de culpabilité. Dans un article
consacré à la comparaison entre les conceptions juridique et criminologique de la culpabilité,
Roger Merle démontre la consécration, en droit français, d’un système normativiste de
culpabilité. Selon cette théorie, « si le coupable est blâmable, ce n’est pas tellement parce qu’il
a voulu son acte, c’est plutôt parce qu’il aurait dû et pu ne pas enfreindre la norme légale »184
car « dès l’instant où il n’y a pas de culpabilité sans réprobation de la faute185, le reproche ne
peut s’attacher qu’à la violation de la norme d’incrimination »186. Contrairement à la
culpabilité criminologique, qui est « un concept plus complexe, plus riche de contenu

173. Le terme opère ici en tant que synonyme de l’imputabilité.


174. I. MOINE-DUPUIS, « L’intention en droit pénal : une notion introuvable ? », op. cit., p. 2144.
175. Loc. cit.
176. Loc. cit.
177. Loc. cit.
178. Cette conscience psychologique trouve un écho dans la notion de discernement.
179. I. MOINE-DUPUIS, « L’intention en droit pénal : une notion introuvable ? », op. cit., p. 2144.
180. Comme en atteste l’anéantissement de l’intention par l’erreur de fait (cf. infra).
181. R. MERLE, « La culpabilité devant les sciences humaines et sociales », RSC 1975, p. 29 et 30.
182. Cf. I. MOINE-DUPUIS, « L’intention en droit pénal : une notion introuvable ? », op. cit.
183. Dans le cas particulier de la culpabilité intentionnelle, Emmanuel Dreyer qualifie expressément le dol de
« faute normative » – il considère même qu’il procède d’une plus grande intensité normative que la faute
(cf. E. DREYER, Droit pénal général, op. cit., no 884, p. 673).
184. R. MERLE, « La culpabilité devant les sciences humaines et sociales », op.cit., p. 32.
185. Il importe de préciser, au regard de notre étude, que Roger Merle retient une conception large de la
culpabilité, cette dernière s’entendant, selon lui, de la somme de l’imputabilité et de la culpabilité proprement
dites, la réunion de ces deux éléments étant structurée par la priorité d’un débat sur l’imputabilité (cf. infra).
Ainsi, « le coupable est blâmable aux yeux du juge et aux yeux de la loi parce qu’il a volontairement violé la
norme pénale, alors que par hypothèse il pouvait la respecter ».
186. R. MERLE, « La culpabilité devant les sciences humaines et sociales », op. cit., p. 32.

48
psychologique »187 renvoyant, selon l’auteur, à « la culpabilité des reins et des cœurs »188, la
culpabilité, dans son acception juridique, apparaît donc « comme un révélateur de ce que l’on
a appelé en Allemagne notamment “l’anti-juridicité” subjective de l’infraction, beaucoup plus
que comme un élément moral de la responsabilité »189. En outre, après examen d’un certain
nombre d’indicateurs de normativité, l’auteur conclut même à la grande intensité normative
du système français de culpabilité190. Et le fait que le système français soit d’une intensité
normative très élevée est générateur d’abstractions conceptuelles. Roger Merle parle même
d’« abstractions normativistes »191. Particulièrement, en ne laissant qu’une place très résiduelle
à la psychologie, la culpabilité en droit français est devenue un concept très abstrait192. Le fait
que le dol soit un concept purement normatif, exclusivement focalisé sur la transgression de
l’illicite, est à mettre en relation avec le rôle de la culpabilité193. C’est le point de vue soutenu
par Valérie Cantat-Lampin Saint-Gérand dans la thèse qu’elle a consacrée à l’étude de la
culpabilité dans la théorie de la responsabilité pénale194. Selon l’auteur, la culpabilité qui doit
s’analyser en une notion juridique autonome, distincte de la responsabilité et de l’imputabilité,
est un « concept juridique mis au service d’un enjeu de qualification, afin qu’une
responsabilité pénale puisse être engagée »195. La donnée culpabilité, « esprit de
l’infraction »196, s’entend donc d’un concept normatif et informatif sur la nature et la valeur
de la violation des lois pénales. Plus précisément, « elle donne des informations sur le degré
de violation intellectuelle des normes pénales »197 en orientant le choix vers la nature
intentionnelle ou non intentionnelle des faits de la cause.

Au terme de ce développement, il paraît légitime de conclure, dans l’hypothèse où l’intention


se réduirait à la notion de dol général, à son caractère objectivé. Cependant, selon une partie
de la doctrine, le dol général ne suffirait pas dans tous les cas à caractériser l’intention ;
il faudrait en outre que puisse être retenue l’existence d’une volonté criminelle plus précise,
que l’on appelle le dol spécial. Or, cette notion, en s’entendant communément de la recherche
d’un résultat déterminé par le délinquant, serait de nature à subjectiviser la notion d’intention.
Yves Mayaud considère par exemple que le dol spécial peut être « défini comme une donnée
psychologique particulière à certaines infractions, venant en compléter la dimension

187. Ibid., p. 30.


188. Loc. cit.
189. Ibid., p. 33.
190. Pour un examen de ces indicateurs, cf ibid., p. 32.
191. Loc. cit.
192. Dans un tel contexte juridique, « la faute contre la norme a forcément un aspect monolithique et ne
comporte pas de degré. Elle existe ou elle n’existe pas. Si elle existe elle n’est pas plus ou moins grave en
soi. Elle est constituée, et cela suffit à légitimer une déclaration de culpabilité dans la motivation de laquelle
les circonstances aggravantes ou atténuantes n’ont aucun rôle à jouer. Ces circonstances sont liées à une
évaluation de la responsabilité du sujet et sont prises en considération pour le dosage de la sanction. Mais
elles ne présentent aucun intérêt au moment où il s’agit de décider si la norme a été violée dans l’état
intellectuel qu’incrimine la loi » (ibid., p. 32 et 33). La conclusion qui s’impose alors est celle de l’indifférence
des circonstances aggravantes, donc des mobiles érigés en circonstances aggravantes sur l’élément
psychologique de l’infraction (cf. infra, le rejet de la théorie de l’infraction aggravée).
193. Cf. infra, partie 1, titre 2.
194. V. CANTA-LAMPIN SAINT-GÉRAND, La culpabilité dans la théorie de la responsabilité pénale, op. cit.
195. V. CANTA-LAMPIN SAINT-GÉRAND, op. cit., no 694, p. 782.
196. I. MOINE-DUPUIS, « L’intention en droit pénal : une notion introuvable ? », op. cit., p. 2144.
197. V. CANTA-LAMPIN SAINT-GÉRAND, op. cit., no 694, p. 782. Cette acception de la donnée culpabilité sera
mise en relation avec les fonctions de la notion (cf. infra, partie 1, titre 2).

49
morale »198. Nous allons voir cependant que le dol spécial ne saurait conférer à l’élément
moral de l’infraction une « spécificité marquée »199, faute pour la notion de pouvoir constituer
une entité juridique à part entière.

3. L’absence de subjectivisation de l’intention découlant de l’inclusion du dol


spécial dans le dol général
Pour certains auteurs, l’intention n’est constituée que si le dol général est complété d’un dol
spécial. Cette affirmation peut prêter à débat. Il nous semble permis de considérer que
l’absence d’autonomie du dol spécial découle de la définition du dol général. Ainsi nous
pouvons déduire de la définition de l’intention la confusion du dol spécial et du dol général
sous l’égide d’une même entité psychologique. Comment considérer que le dol général, se
définissant comme la volonté de commettre le délit tel qu’il est déterminé par la loi,
n’implique pas la volonté du résultat incriminé par l’infraction ? Plus précisément, comment
considérer que la volonté du résultat ne participe pas de l’intention de l’agent dès lors que
l’élément de conscience implique – outre la conscience de l’illicite – la conscience de la
matérialité des faits et que cet élément de conscience se double de la volonté d’agir malgré
tout ? À l’évidence, « ce qui est intentionnel ne peut être « autrement vécu que par une
adhésion psychologique au résultat de l’infraction »200. Yves Mayaud conclut logiquement que
« la volonté du résultat participe de l’intention, pour en constituer la substance même de
toutes les infractions dont la nature est intentionnelle. Il est donc inutile d’en rendre compte
autrement, notamment en ayant recours à la notion de dol spécial »201. Dans le même sens,
Robert Bernardini202 estime que réduit à la seule volonté du résultat, le dol spécial n’apporte
rien de plus à la définition de l’intention qui s’entend déjà d’une volonté du résultat. Tout au
plus peut-on considérer que ce que la doctrine majoritaire nomme « le dol spécial »
correspond au but implicite de l’infraction. Comme le soulignent Frédéric Desportes et
Francis Le Gunehec, « Le plus souvent, l’exigence d’un dol spécial n’apparaît pas à la lecture
de l’incrimination. C’est alors l’interprétation jurisprudentielle des textes qui permet de savoir
qu’un tel dol est nécessaire »203. Le caractère abstrait de la définition positive de l’intention
résulte aussi de la redondance du dol spécial dans la définition de l’intention, dans la mesure
où ce dernier était a priori porteur d’une prise en compte de la psychologie de l’agent.

Existe-t-il des obstacles à cette assertion ? L’un des arguments hostiles à l’inclusion du dol
spécial dans le dol général réside dans le fait que certaines infractions intentionnelles ne
requièrent pas l’existence d’un résultat. C’est le cas des infractions formelles et des infractions
obstacles204. En l’absence de résultat exigé par la loi, il semble à première vue impossible de
considérer que l’intention s’entende de la volonté du résultat infractionnel. Illustrons ce
propos avec la distinction traditionnelle entre les infractions formelles et les infractions

198. Y. MAYAUD, Droit pénal général, op. cit., no 255.


199. Loc. cit.
200. Loc. cit.
201. Ibid., note de bas de page no 1, p. 273.
202. R. BERNARDINI, Droit pénal général : introduction au droit criminel, théorie générale de la responsabilité pénale, Gualino,
2003, no 418.
203. F. DESPORTES et F. LE GUNEHEC, Droit pénal général, Economica, 16e éd., 2009, no 474, p. 438.
204. Dans le domaine non intentionnel, c’est aussi le cas des infractions de mise en danger délibérée.

50
matérielles pour démontrer que cette contradiction apparente n’est pas aussi insoluble qu’il
y paraît. Alors que les premières sont réalisées indépendamment de la survenance d’un
résultat, les secondes ne sont constituées qu’en présence d’un résultat dommageable. On
oppose fréquemment l’infraction formelle d’empoisonnement, constituée par la seule
administration de la substance mortifère indépendamment du décès de la personne, et
l’infraction matérielle de meurtre exigeant un résultat caractérisé par le décès de la victime.
Dans le cas du meurtre, non seulement le décès de la victime est exigé au titre de l’élément
matériel de l’infraction, mais encore, son élément psychologique suppose de caractériser
l’intention homicide ou animus necandi. Dans le cas de l’empoisonnement, alors que le décès
de la victime n’est pas exigé au titre de la caractérisation de l’élément matériel de l’infraction,
l’intention de tuer doit être rapportée pour établir la réalité de l’élément psychologique205.

La question se pose de savoir comment concilier, dans le cadre d’une infraction formelle206,
l’absence de nécessité d’un résultat au titre de l’élément matériel de l’infraction avec la
recherche d’un résultat au titre de l’élément psychologique. Cette contradiction apparente
peut être solutionnée par la distinction, observée par certains auteurs, entre le résultat réel et
le résultat juridique ou légal, ou redouté par le législateur207. Le résultat réel s’entend de « la
modification du monde extérieur qui résulte de l’acte matériel prohibé »208. Pour éclairer la
notion de résultat juridique, il est possible de se tourner vers Yves Mayaud. Selon l’auteur,
« chaque infraction représente en effet soit une atteinte, soit une menace à un bien juridique
collectif, et c’est précisément cette atteinte ou cette menace qui constitue le préjudice
pénal »209. Le résultat juridique s’analyse donc en une atteinte ou en une menace à un bien
juridique collectif et chaque infraction possède au moins un résultat juridique. Par exemple,
dans le cadre du meurtre, le résultat réel et le résultant juridique ou légal de l’infraction
coïncident et consistent dans le décès de la victime, dans l’atteinte à la vie d’autrui. Dans le
cadre de l’empoisonnement, peu importe la survenance d’un résultat réel consistant dans le
décès de la victime, il est toujours possible de mettre en avant l’existence d’un résultat légal
ou juridique consistant dans l’atteinte ou dans la menace à l’intégrité physique d’un être
humain210. Au terme de cette démonstration, il apparaît donc que l’absence de résultat réel

205. L’affaire de la contamination par le virus de l’immunodéficience humaine (VIH) en constitue une
illustration pertinente. La Cour de cassation a ainsi décidé que la seule connaissance du pouvoir mortel de
la substance administrée, en l’espèce le VIH transmis par rapport sexuel, ne suffit pas à caractériser
l’intention homicide (cf. Cass. crim., 2 juill. 1998, no 98-80529 ; Bull. crim., no 211, JCP G 98, II, 10132,
note M.-L. RASSAT ; D., 1998, p. 457, note J. PRADEL ; RSC, 1999, p. 98, obs. Y. MAYAUD).
206. Le même questionnement vaut pour les infractions obstacles.
207. Sur les différentes conceptions du résultat de l’acte incriminé. Il nous paraît possible de distinguer trois
types de résultats : le résultat recherché par l’auteur (cf. infra les développements relatifs aux présomptions
de culpabilité, le résultat réel et le résultat juridique ou légal ou redouté par le législateur).
208. Philippe Conte et Patrick Maistre du Chambon citant la définition de René Garraud, cf. P. CONTE
et P. MAISTRE DU CHAMBON, Droit pénal général, A. Colin, coll. U., 4e éd., 1999, p. 166, no 317.
209. Y. MAYAUD, Le mensonge en droit pénal, préface de A. DECOCQ, L’Hermès, 1979, no 382 p. 247.
210. On remarque donc que, s’agissant des infractions matérielles, les deux types de résultat, réel et juridique
ou légal, coexistent avec possibilité de coïncidence – dans le cadre du meurtre – ou non – dans le cadre
des violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner. S’agissant des infractions
formelles et des infractions obstacles, seul le résultat juridique ou légal peut être pris en compte. Pour
conclure sur ce point, il est permis de souligner que ce dédoublement de la notion de résultat se vérifie
dans le cadre des infractions non intentionnelles, caractérisées par l’existence d’un résultat dont la
survenance n’a pas été recherchée et par les infractions de mise en danger délibérée. Prenons l’exemple
des blessures involontaires, si le résultat réel consiste dans l’atteinte à l’intégrité physique de la victime, le
résultat juridique consiste quant à lui dans l’absence d’atteinte à l’intégrité physique.

51
exigé au titre de l’élément matériel peut cohabiter avec l’exigence d’un résultat juridique au
titre de l’élément psychologique. Autrement dit, la nature formelle211 de l’infraction n’est pas
un obstacle à l’exigence d’un dol spécial dans la mesure où ce dernier correspond au résultat
juridique ou légal de l’infraction. La jurisprudence en matière d’empoisonnement en fournit
d’ailleurs une illustration212.
En résumé, il est permis de conclure que le dol spécial, en tant qu’il correspond au résultat
juridique ou légal de l’infraction, relève d’une acception normative, ce qui est parfaitement
cohérent au regard de son inclusion dans la notion de dol général. Et cette prise en compte
d’un seul résultat juridique au titre de l’élément psychologique de l’infraction s’accorde
parfaitement d’une définition abstraite de l’intention.

Un autre argument communément avancé à l’autonomie du dol spécial réside dans la


prétendue nécessité du dol spécial pour faire la distinction entre certaines infractions
intentionnelles. L’exemple le plus communément avancé réside dans l’importance du dol
spécial pour marquer la différence entre l’homicide volontaire et les violences volontaires
ayant entraîné la mort sans intention de la donner. Il s’agit de comprendre qu’en l’absence
de dol spécial et à élément matériel unique, il ne serait pas possible de dégager la qualification
juridique à retenir. Il est possible de réfuter cet argument en considérant, à l’instar d’Yves
Mayaud, que « même pour appuyer cette dualité d’infractions, la référence au dol spécial est
superflue »213. En effet, « la spécificité des violences mortelles ne tient pas à leur
consommation, qui reste intentionnelle par la volonté d’attenter à l’intégrité physique de la
victime, mais à leur qualification, pour ne plus être réprimées comme un homicide »214.
En outre, et comme nous l’avons précédemment évoqué, si les deux infractions convergent
au niveau de leur résultat réel, elles divergent par leur résultat légal ou juridique. Alors que
dans le cadre de l’homicide le résultat juridique correspond à l’atteinte à la vie d’autrui, dans
le cadre des violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner, le
résultat légal de l’infraction consiste en l’atteinte à l’intégrité physique de la victime. En
d’autres termes, au-delà de la notion de dol spécial, ces deux infractions divergent par leur
élément psychologique. Cet argument n’a donc pas plus vocation à prospérer que le
précédent.

Finalement, il est possible d’invoquer un argument positif pour convaincre de l’inclusion du


dol spécial dans le dol général. Il est aussi possible de faire valoir que le dol spécial constitue
non pas un critère de distinction entre infractions intentionnelles, mais le critère de
distinction entre infractions intentionnelles et infractions non intentionnelles. Il s’agit de
comprendre que si l’inclusion du dol spécial dans le dol général s’excipe de la définition de
l’intention, elle peut également être établie par la mobilisation de la volonté dans la définition
de l’imprudence pénale215. En effet, assimiler l’élément volonté de certaines infractions
intentionnelles au seul dol général équivaut à réduire l’élément volonté de ces infractions à la

211. Le raisonnement vaut également pour les infractions obstacles.


212. Cf. par exemple Cass. crim., 18 juin 2003, no 02-85.199, Bull. crim. no 127, JCP 2003, II, 10121, note
M.-L. RASSAT ; D., 2004, p. 1620, note D. REBUT.
213. Y. MAYAUD, Droit pénal général, op. cit., no 266.
214. Ibid. Cela depuis que la loi du 28 avril 1832, en révisant l’ancien Code pénal, a érigé les violences volontaires
ayant entraîné la mort sans intention de la donner en crime spécifique.
215. Cf. supra.

52
seule volonté du comportement. Or, il n’est pas possible de réduire l’élément de volonté dans
l’intention à la seule volonté du comportement puisque la volonté d’agir constitue le
dénominateur commun à toutes les infractions216, sans considération de leur nature
intentionnelle ou non intentionnelle. La réduction du dol général à la volonté du
comportement n’est donc pas possible, au risque de brouiller le critère de distinction
jusqu’alors opérationnel entre infractions intentionnelles et non intentionnelles. Pour cette
raison, nous devons conclure que l’intention s’entend toujours de la volonté du résultat de
l’infraction. Dans sa thèse consacrée à la césure et à la recomposition du procès pénal, Claire
Saas démontre notamment comment la distinction entre infractions intentionnelles et
infractions non intentionnelles et, au-delà, comment la définition de la culpabilité en général
s’articule autour du degré de tension entre la volonté et le résultat de l’infraction217. D’ailleurs,
afin de prendre en compte l’éclatement du régime unitaire de l’imprudence pénale218, elle
propose de dépasser l’ancien clivage fondé sur la simple opposition entre, d’une part, la
tension de la volonté vers le résultat infractionnel pour caractériser les infractions
intentionnelles et, d’autre part, l’absence totale de tension entre la volonté et le résultat
infractionnel pour caractériser les infractions non intentionnelles. Il s’agit de comprendre que
la définition de la culpabilité non intentionnelle comme l’absence totale de volonté du résultat
infractionnel n’est pas suffisamment précise pour permettre de distinguer, au sein des
infractions non intentionnelles, les divers degrés de faute qui sont maintenant proposés par
le législateur. Si l’absence totale de tension entre la volonté et le résultat infractionnel reste
propre à refléter la psychologie de l’agent auteur d’une imprudence ou d’une négligence
ordinaire, cette définition est inapte à tenir compte de la création des fautes d’imprudence
qualifiées. L’auteur propose donc d’enrichir le clivage traditionnel en proposant la définition
suivante aux termes de laquelle ces dernières s’entendent de la « tension indirecte entre la
volonté et le résultat légal ou, plutôt, comme la tension entre la volonté et le risque de résultat
légal »219.

Au final, deux arguments majeurs permettent de conclure à l’inclusion du dol spécial dans le
dol général, et donc à l’absence subséquente de subjectivisation de l’intension par le dol
spécial. Le premier tient au fait qu’il correspond au résultat juridique ou légal de l’infraction
et le second au fait qu’il constitue le critère de distinction entre infractions intentionnelles et
non intentionnelles. Signalons pour finir que pour certains auteurs, c’est le dol général qui
est absorbé dans le dol spécial220. Pour cette raison, la systématisation de l’intention en
diverses modalités de dol, exigées de manière alternative ou cumulative, apparaît relativement
artificielle. D’ailleurs, il est permis de penser que le dol spécial ne présente pas d’autre intérêt
théorique que de constituer un instrument au service de la politique criminelle
jurisprudentielle. De la même manière, l’appréhension de l’intention par la négative, par
l’exclusion des mobiles du champ de sa définition, révèle aussi son caractère objectivé.

216. Cf. supra.


217. C. SAAS, L’ajournement du prononcé de la peine. Césure et recomposition du procès pénal, Dalloz, 2002, no 159 et suiv.
218. Pour les différentes fautes pénales, cf. l’article 121-3 du Code pénal.
219. C. SAAS, op. cit., no 161, p. 165.
220. Certains auteurs soutiennent à l’inverse la thèse de l’inutilité du dol général. François Rousseau, par
exemple, semble considérer que c’est plutôt le dol spécial qui implique le dol général : « [...] la volonté du
résultat implique, a fortiori, celle du comportement. » (F. ROUSSEAU, L’imputation de la responsabilité pénale,
op. cit., no 79).

53
B. L’objectivation résultant de la définition négative de l’intention : l’exclusion des
mobiles du champ de la définition de l’intention

Pour Bernard Bouloc, les mobiles s’entendent de « la cause impulsive et déterminante de


l’acte criminel »221. Pour Roger Merle et André Vitu, le mobile est constitué par « l’intérêt ou
le sentiment qui a déterminé le délinquant à agir comme il l’a fait, et qui est seul susceptible
de rendre l’infraction intelligible (cupidité, vengeance, jalousie, pauvreté, cruauté, pitié,
amour…) »222. Les mobiles sont porteurs d’une subjectivisation de l’intention étant donné
qu’ils prennent théoriquement en considération la psychologie de l’agent. Le choix de traiter
des mobiles dans ce développement, réservé à l’étude de la culpabilité intentionnelle, est
justifié non seulement par le fait que la question de l’interférence des mobiles dans la
constitution de la culpabilité n’a pas lieu d’être dans le domaine de la non-intention – où
l’absence de recherche de résultat n’est pas compatible avec les raisons profondes ayant
inspiré l’action ou l’omission du délinquant –, mais aussi parce que l’exclusion des mobiles
de la définition de l’intention est particulièrement significative de son abstraction. Cette
exclusion de principe est le fait tant de la jurisprudence (1.) que du législateur (2.) bien que
l’on assiste, depuis l’entrée en vigueur du Code pénal de 1994, à une prise en compte
législative croissante du mobile.

1. L’exclusion jurisprudentielle de principe des mobiles de la définition de


l’intention
Comme le rappelle François Rousseau, « lorsqu’elle aborde la définition de l’élément
psychologique de l’infraction, la doctrine insiste sur la distinction entre l’intention et le
mobile »223. Pour reprendre une expression commune, « les mobiles sont juridiquement
indifférents ». En écho à l’exclusion doctrinale, la jurisprudence, au travers notamment des
célèbres arrêts Lahore224 et Petit225, a adopté une conception délibérément abstraite de
l’intention en jugeant que les mobiles étaient jugés indifférents.

Une précision s’impose. Cette absence d’influence jurisprudentielle du mobile à l’égard de la


constitution de l’intention pourrait être le signe d’une indifférence jurisprudentielle de
principe à l’égard des mobiles en droit pénal. Ce serait se méprendre sur la portée
jurisprudentielle de l’exclusion. En demandant au juge de se prononcer sur la peine en fonction
des circonstances de l’infraction et de la personnalité de son auteur ainsi que de sa situation matérielle, familiale

221. B. BOULOC, Droit pénal général, op. cit., no 278, p. 255.


222. R. MERLE et A. VITU, Traité de droit criminel – Droit pénal général, op. cit., no 489, p. 742.
223. F. ROUSSEAU, L’imputation dans la responsabilité pénale, op. cit., no 150. Cf. également R. BERNARDINI, Droit
pénal général : introduction au droit criminel, théorie générale de la responsabilité pénale, op. cit., no 431 ; B. BOULOC,
Droit pénal général, op. cit., no 278, p. 255 ; P. CONTE et P. MAISTRE DU CHAMBON, Droit pénal général,
A. Colin, 7e éd., 2004, no 383 ; F. DESPORTES, F. LE GUNEHEC, Droit pénal général, Economica, 16e éd.
2009, no 477, p. 441; Y. MAYAUD, Droit pénal général, op. cit. ; no 223 ;R. MERLE et A. VITU, Traité de droit
criminel – Droit pénal général, op. cit., no 589 ; J. PRADEL, Droit pénal général, op. cit., no 555 ; J.-H. ROBERT,
Droit pénal général, PUF, 6e éd., 2005, p. 321 ; M.-L. RASSAT, Droit pénal général, Ellipses, op. cit., no 314,
p. 340.
224. Cass. crim., 8 févr. 1977, no 76-91772, Bull. crim., no 52 ; RSC 1977, p. 590, obs. G. LEVASSEUR. Aux termes
de la motivation de la décision, « le délit de vol est constitué quel que soit le mobile qui a inspiré son
auteur dès lors que la soustraction frauduleuse de la chose d’autrui est constatée ».
225. Cass. crim., 18 juill. 1973, no 73-90824, Bull. crim., no 336, Gaz. Pal. 1973. 2. 709, note J. P. D.

54
et sociale226, le législateur autorise notamment une certaine considération des mobiles de l’agent
par le juge227. L’exclusion des mobiles ne signifie donc pas que les juges ne peuvent
investiguer la psychologie de l’agent, ces derniers opérant indirectement par le truchement
du principe de personnalisation des peines.

En outre, la jurisprudence fait parfois œuvre créatrice en érigeant le mobile légitime en cause
d’irresponsabilité pénale. A priori critiquable au regard du principe de la légalité, la création
d’un fait justificatif extralégal, fondé sur un mobile légitime, a cependant pu présenter
l’avantage d’un retour à l’orthodoxie conceptuelle concernant l’élément psychologique de
l’infraction. Expliquons-nous. Cela a été le cas dans le domaine du vol de documents de
l’entreprise par le salarié pour se défendre en justice. En application de l’admission par la
jurisprudence du vol d’usage, qui permet de sanctionner l’appréhension de documents durant
le temps nécessaire à leur reproduction et restitués par la suite, la jurisprudence a pu estimer
que l’infraction de vol était caractérisée, dans l’hypothèse d’un salarié qui effectue la
photocopie de documents appartenant à son employeur et qu’il détient dans le cadre de
l’exercice de ses fonctions de manière à assurer sa défense en justice228. En effet, la chambre
criminelle décidait traditionnellement que le salarié ne pouvait alors invoquer le souci
d’organiser sa défense en prévision d’une prochaine instance prud’homale pour nier son
intention de commettre un vol. L’infraction était effectivement caractérisée dès lors que ses
éléments matériel et moral étaient réunis, le mobile n’intervenant qu’au stade de la
personnalisation des peines. Cependant, interpellés par le sort du salarié, dont la difficulté à
contester l’argumentation de l’employeur en utilisant un autre moyen était évidente, certains
juges du fond avaient pris l’habitude de prononcer la relaxe en se fondant soit sur l’erreur de
droit229, soit sur le défaut de caractérisation de l’infraction de vol.
Dans cette dernière hypothèse, deux alternatives étaient susceptibles de fonder la relaxe, que
l’on se place sur le terrain de l’élément matériel de l’infraction ou sur celui de son élément
moral. Dans le même sens, Carole Girault relève que « les juges du fond avaient […] pris
l’habitude de nier l’existence d’un élément matériel ou moral propre au délit de vol. Le salarié
ne commettrait pas de soustraction puisque les documents originaux, qui sont simplement
reproduits, demeurent la propriété de l’employeur. De même, le prévenu n’aurait pas
l’intention de nuire ou de porter préjudice, ni “la conscience particulière” de porter atteinte
à la propriété car il ne pense qu’à sa défense »230. Dans l’hypothèse du vol de document par
le salarié, il arrivait donc que les juges du fond concluent à l’absence d’infraction pénale, faute

226. C. pén., art. 132-1.


227. B. BOULOC, Droit pénal général, no 282, p. 257, P. CONTE et P. MAISTRE DU CHAMBON, Droit pénal général,
A. Colin, 7e éd., 2004, no 384 ; Y. MAYAUD, Droit pénal général, op. cit., no 223 ; R. MERLE et A. VITU, Traité
de droit criminel – Droit pénal général, op. cit., no 591, J. PRADEL, op. cit., no 557.
228. Cass. crim., 24 oct. 1990, no 02-85.199, Bull. crim. no 355. Cass. crim., 8 déc. 1998, no 97-83318, Bull. crim.,
no 336 ; D., 2000, p. 87, obs. S. FROSSARD ; D., 2000, p. 120, obs. M. SEGONDS ; RSC, 1999, p. 822, obs.
R. OTTENHOF. Cass. crim., 16 mars 1999, no 97-85054, inédit, JCP G 1999, 10166, note S. BOURETZ.
229. C’est le cas dans la première affaire du 11 mai 2004 (cf. Cass. crim., 11 mai 2004, no 03-80.254, Bull. crim.,
no 113) où la cour d’appel avait retenu l’erreur de droit au profit de la salariée poursuivie pour vol de
documents. La juridiction du fond se retranchait derrière les solutions divergentes des chambres criminelle
et sociale de la Cour de cassation pour soutenir que l’incertitude juridique entourant cette question était à
l’origine d’une erreur sur le droit qu’elle n’était pas en mesure d’éviter (cf. infra, les développements sur
l’erreur de droit).
230. C. GIRAULT, « Soustractions de documents d’entreprise par les salariés en vue de se défendre en justice »,
JCP G 2004, II, 10124.

55
d’élément moral, en prenant en considération l’exercice des droits de la défense du salarié.
Cette argumentation reposait sur la prise en compte du mobile légitime au titre de l’intention !
Une illustration peut être trouvée dans la deuxième affaire du 11 mai 2004231 où la cour
d’appel a décidé la relaxe « aux motifs que […] le vol suppose une soustraction frauduleuse ;
que l’élément moral de l’infraction implique que Liliane X ait eu conscience d’utiliser et donc
de s’approprier les documents qu’elle savait appartenir à son employeur contre le gré de
celui-ci ou à son nom ; qu’en l’espèce, l’intention de porter atteinte à la propriété n’est pas
établie dès lors que Liliane X qui avait librement et régulièrement accès aux documents dans
le cadre de l’exercice de ses fonctions, n’a pu avoir cette conscience particulière, laquelle est
manifestement incompatible avec la défense de ses droits en justice étant précisé qu’aucune
autre intention que celle de se préserver légitimement des preuves et de les faire valoir dans
le cadre de l’instance prud’homale l’opposant à son employeur n’est caractérisée, pas plus
que l’intention de nuire ou de porter préjudice ». Or, comme le souligne Marie-Paule Lucas
de Leyssac :

Le délit pouvait donc être retenu, même si les salariés avaient agi pour les besoins de
leur défense, car il ne s’agissait là que d’un mobile, impuissant à supprimer l’atteinte à la
propriété qu’ils avaient commise en appréhendant frauduleusement, pendant le temps
nécessaire à la reproduction, l’original reproduit.232

Ces solutions, inspirées par la recherche d’une issue équitable au litige, étaient de nature à
remettre en cause la règle jurisprudentielle de l’indifférence des mobiles. Le manque
d’orthodoxie de ces solutions a certainement incité la chambre criminelle à opérer un
revirement de sa jurisprudence par deux arrêts rendus le 11 mai 2004233. Depuis, la juridiction
suprême attend des juges du fond qu’ils recherchent si les documents photocopiés par un
salarié, qui en a eu connaissance dans le cadre de l’exercice de ses fonctions, sont strictement
nécessaires pour assurer ses droits de la défense dans un litige l’opposant à son employeur234.

231. Cass. crim., 11 mai 2004, no 03-85.521, Bull. crim., no 117. Pour une précédente décision en ce sens, cf. CA
Paris, 12 févr. 1996, RSC, 1996, p. 863, obs. R. OTTENHOF ; CA Grenoble, 3 juin 1998, JCP G 1999, IV,
1818.
232. M.-P. LUCAS DE LEYSSAC, « Vol », in Répertoire de droit pénal et de procédure pénale, Dalloz, no 187.
233. Cass. crim., 11 mai 2004 (deux arrêts op. cit.) : Bull. crim. nos 113 et 117, op. cit. ; D., 2004, Jurisp., p. 2326,
note H. GABA ; D., 2004, somm., p. 2759, obs. G. ROUJOU DE BOUBEE ; RSC, 2004, p. 635, obs.
E. FORTIS ; RSC, 2004, p. 866, obs. G. VERMELLE ; JCP G 2004, II, 10124, note C. GIRAULT ; Dr. pén.,
2004, comm. no 122, note M. VÉRON ; LPA 23 sept. 2004, no 191, p. 14, note F. DEBOVE ; LPA 24 nov.
2004, no 235, p. 14, note P. BOUGHANMI-PAPI.
234. Par un arrêt en date du 9 juin 2009, la Cour de cassation est venue préciser sa jurisprudence selon laquelle,
en cas de vol d’un document de l’entreprise par un salarié qui en aurait eu connaissance lors de l’exercice
de ses fonctions, il incombe aux juges du fond de rechercher si ce document était strictement nécessaire
à l’exercice de ses droits de la défense lors d’un litige l’opposant à son employeur. Selon la chambre
criminelle, le contentieux opposant l’employeur et le salarié doit relever du domaine prud’homal et non
d’une autre matière (cf. Cass. crim., 9 juin 2009, no 08-86.843, Bull. crim., no 118 ; Gaz. Pal. 21-25 août 2009
[nos 233 à 237], p. 10, note S. DETRAZ ; D., 2009, chron. p. 1714, obs. P. CHAUMONT et E. DEGORCE ;
Soc., 2009, p. 1182, note F. DESPREZ). Il importe de préciser qu’il existe des décisions plus récentes qui
ont étendu le champ d’application de ce « fait justificatif » (cf. Cass. crim., 16 juin 2011, no 10-85.079,
Bull. crim., no 134, Dr. pén., 2011, comm. 100, obs. M. VÉRON ; JCP G 2011, note 1020, p. 1701,
S. DETRAZ ; D., 2011, p. 2254, note G. BEAUSSONIE) mais qui en ont également posé les limites. Il ne
peut être valablement invoqué que dans le cas d’une instance prud’homale (cf. Cass. crim., 21 juin 2011,
no 10-87.671, Bull. crim., no 149 ; D., 2011, act. p. 1900 ; Dr. soc., 2011, p. 933, note J.-E. REY ; Dr. pén.,
2011, note 121).

56
Autrement dit, en présence de tels faits, l’infraction de vol est bien caractérisée dans tous ses
éléments constitutifs, notamment moral, mais le délit de vol pourra être justifié par la stricte
nécessité de l’exercice des droits de la défense.

Le principe reste donc que la prise en compte jurisprudentielle des mobiles ne vient pas
interférer dans la définition de l’élément psychologique de l’infraction. Ainsi, bien que
certains auteurs soulignent le caractère croissant de cette prise en considération235, cette
dernière n’est pas de nature à subjectiviser l’élément moral de l’infraction. Qu’en est-il de la
prise en compte législative du mobile ?

2. L’inclusion législative exceptionnelle des mobiles dans la définition de


l’intention
Dans leur ouvrage relatif aux grands arrêts du droit pénal général, Jean Pradel et André
Varinard rappellent qu’« on ne rencontrait que quelques rares textes prenant en compte un
mobile spécifique dans le Code pénal de 1810 »236. À leur tour, Frédéric Desportes et Francis
Le Gunehec relèvent que « l’ancien Code pénal ne comportait que très peu d’infractions pour
lesquelles les mobiles étaient véritablement pris en compte »237. La situation est tout à fait
différente dans le Code pénal actuel où l’on assiste à une véritable inflation législative dans la
prise en considération du mobile. Alors, quelle(s) modalité(s) à la prise en compte législative
du mobile ? Au regard de l’adoption, dans le Code de 1994, d’un article consacré à l’élément
psychologique de l’infraction238, on pourrait se demander si la prise en compte du mobile par
le législateur ne participe pas d’une entreprise de systématisation de la culpabilité ouvrant la
voie à la reconnaissance d’une conception subjectivée intégrant la notion de mobile. Une
réponse par la négative provient d’abord de l’absence de référence au « mobile » dans le corps
de l’article 121-3 du Code pénal consacré à l’élément psychologique de l’infraction. En réalité,
il existe deux modalités possibles à l’inclusion législative du « mobile » dans l’élément
psychologique de l’infraction, d’une part par le truchement des circonstances aggravantes
pour constituer une infraction dite aggravée et, d’autre part, par le truchement d’un mobile
particulier autrement dénommé « dol aggravé ». Nous allons établir qu’aucune d’entre elles
ne permet de conclure à la subjectivisation de l’intention.

La prise en compte législative du mobile affecte par principe sa répression. Ainsi, il n’est pas
rare de voir le législateur ériger tel ou tel mobile en circonstance aggravante. En principe,
cette prise en compte est sans incidence sur la caractérisation de l’infraction en contribuant
simplement à individualiser, à moduler la répression239. En effet, il est communément admis
que « la ratio legis des circonstances aggravantes est de permettre au législateur de graduer le

235. En ce sens notamment, M. BENILLOUCHE, « La subjectivisation de l’élément moral de l’infraction :


plaidoyer pour une nouvelle théorie de la culpabilité », RSC, 2005, p. 529 et suiv.
236. J. PRADEL et A. VARINARD, Les grands arrêts du droit pénal général, Dalloz, 10e éd., 2016, no 39, p. 613.
237. F. DESPORTES et F. LE GUNEHEC, Droit pénal général, Economica, 16e éd. 2009, no 479, p. 442.
238. C. pén., art. 121-3. C’est l’un des apports des rédacteurs du Code pénal de 1994 que d’avoir cherché à
clarifier, sur le sujet de l’élément psychologique de l’infraction, des règles que l’ancien Code pénal ne
précisait pas.
239. Pour une liste de mobiles érigés en circonstances aggravantes, cf. par exemple F. ROUSSEAU, L’imputation
dans la responsabilité pénale, op. cit., no 151, p. 172.

57
jugement de valeur porté sur une action déjà pénalement répréhensible »240. Ces différents
points de vue sont controversés.

2.1. La prise en compte du mobile au titre de l’élément psychologique de l’infraction par le


truchement de la théorie de l’infraction aggravée

Afin d’écarter la pertinence de cette théorie, il conviendra préalablement d’en présenter la


teneur.

La théorie de l’infraction aggravée ou l’inclusion du mobile érigé en circonstance


aggravante dans la constitution de l’élément psychologique de l’infraction
Certains auteurs, à l’instar de François Rousseau, s’opposent au fait de considérer les
circonstances aggravantes « comme un simple instrument de mesure de la peine » et ne sont
pas favorables à leur « réduction à un simple instrument de pénalité »241. Selon l’auteur, la
question se pose de savoir si les circonstances aggravantes ne participent pas de la
construction de l’infraction. François Rousseau finit par considérer que « la circonstance
aggravante n’est pas un simple accessoire à l’infraction simple, mais s’ajoutant à cette
dernière, elle constituerait l’élément d’une nouvelle infraction : l’infraction aggravée »242. Il précise
qu’« en effet, il est possible de concevoir la réunion d’une infraction simple et de sa
circonstance aggravante en une infraction à part entière : l’infraction aggravée »243.
S’appuyant alors sur la thèse de Camille de Jacobet de Nombel 244, il en conclut qu’il peut
être soutenu que, selon l’aggravation considérée, le mobile pourra parfois être intégré dans
l’élément psychologique de l’infraction. En résumé, aux termes de cette théorie, ériger un
mobile en circonstance aggravante pourrait revenir à en faire un élément constitutif de
l’élément psychologique de l’infraction. Plusieurs arguments permettent cependant d’écarter
cette thèse.

Le rejet de la théorie de l’infraction aggravée ou l’exclusion de l’intégration du mobile


érigé en circonstance aggravante dans la constitution de l’élément psychologique
de l’infraction
La réfutation de la thèse de François Rousseau – Il nous semble en premier lieu que la
démonstration de l’auteur peut être doublement attaquée. Tout d’abord, son raisonnement
l’amène à opérer une distinction binaire entre, d’un côté, les circonstances aggravantes réelles
et mixtes245 et, de l’autre, les circonstances aggravantes personnelles246. Si les premières
affectent l’infraction, les secondes affectent la responsabilité. Toutes les circonstances
aggravantes ne présentent donc pas une nature infractionnelle. Toutes les circonstances

240. Cf. M. DALLOZ, Rép. pén. Dalloz, Circonstances aggravantes, no 6.


241. F. ROUSSEAU, L’imputation dans la responsabilité pénale, op. cit., no 204, p. 239.
242. Ibid., p. 240.
243. Ibid., no 151, p. 172.
244. C. DE JACOBET DE NOMBEL, Théorie générale des circonstances aggravantes, Dalloz, 2006, no 24 ; sur la
démonstration de cette affirmation, cf. nos 25 et suiv., nos 36 et suiv., nos 75 et suiv.
245. Les circonstances aggravantes réelles sont celles qui résultent de la matérialité de l’infraction, par exemple,
l’escalade ou l’effraction dans le vol. Les circonstances aggravantes mixtes sont celles qui relèvent d’une
donnée personnelle tout en retentissant sur la réalisation de l’infraction, par exemple, la préméditation.
246. Celles qui sont propres à la personne comme la récidive.

58
aggravantes ne sont donc pas à même de constituer, avec une infraction simple, une
infraction aggravée. L’absence de portée générale de l’effet « surqualifiant » d’une
circonstance aggravante n’est-elle pas de nature à remettre en cause la théorie de l’intégration,
dans l’élément psychologique de l’infraction, du mobile érigé en circonstance aggravante ?
Pour faire échec à la théorie de François Rousseau, selon laquelle l’infraction aggravée serait
susceptible de constituer une infraction à part entière à l’élément psychologique enrichi, ne
peut-on ainsi faire valoir que toutes les circonstances aggravantes ne présentent pas une
nature infractionnelle ? Par ailleurs, en regardant de plus près les circonstances aggravantes
affectant l’infraction, en l’occurrence les circonstances aggravantes réelles et mixtes, il s’avère
que ces dernières viennent plus affecter la consistance antisociale de l’infraction et, plus
précisément, l’anti-socialité des faits, que la psychologie – même objectivée – de l’auteur de
l’infraction. Plus précisément, l’auteur observe qu’une circonstance aggravante réelle ou
mixte peut soit modifier la structure matérielle d’une infraction en transformant un délit
formel en infraction matérielle247, soit changer la nature, et partant le régime, de certaines
infractions248. Ainsi, il est permis de considérer que les circonstances aggravantes réelles ou
mixtes, en imprimant une autre nature aux faits, n’interfèrent pas avec l’élément
psychologique de l’infraction. En résumé, il nous semble possible de réfuter l’analyse de
François Rousseau, d’une part parce que seules les circonstances aggravantes réelles et mixtes
ont une nature infractionnelle et, d’autre part, parce que ces mêmes circonstances, de nature
infractionnelle, n’affectent que l’anti-socialité des faits. Nous allons maintenant vérifier que
cette règle se trouve confirmée par la distinction des circonstances aggravantes des éléments
constitutifs de l’infraction.

La consécration de la distinction des circonstances aggravantes des éléments constitutifs de l’infraction – Pour
écarter la théorie de l’infraction aggravée, il est possible, plus simplement, de rappeler la
distinction de principe entre les éléments constitutifs de l’infraction, notamment son élément
psychologique, et les circonstances aggravantes. Cette distinction est consacrée par le
législateur en matière criminelle. En effet, il est prévu à l’article 349 du Code de procédure
pénale que les circonstances aggravantes devront impérativement faire l’objet d’une question
séparée. Cette règle a été généralisée par la doctrine qui « en déduit traditionnellement la
nécessité de distinguer les circonstances aggravantes des éléments constitutifs »249. Pour une
illustration implicite, Jean Cédras, à propos du dol éventuel, considère qu’il peut être consacré
à double titre, de manière « autonome » lorsqu’il est un élément de l’infraction de mise en
danger d’autrui, mais qu’« il y a consécration “subordonnée” là où le dol éventuel fonctionne

247. F. ROUSSEAU prend l’exemple de l’infraction de délaissement d’un mineur de moins de 15 ans dans un
lieu quelconque, prévue à l’article 227-1 du Code pénal. Il s’agit d’un délit formel qui est constitué en
l’absence de tout dommage pour l’enfant. L’auteur ajoute cependant que « lorsque cette infraction est
aggravée par une mutilation ou infirmité permanente, consécutive au délaissement (C. pén., art. 227-2, al.
1), elle devient matérielle, puisque sa consommation dépend, alors, d’un dommage précis : la mutilation
ou l’infirmité permanente ». Le même raisonnement vaut lorsque le délaissement a généré la mort du
mineur (cf. F. ROUSSEAU, op. cit., no 204, p. 240).
248. F. ROUSSEAU prend cette fois l’exemple de la réunion ou de l’usage d’une arme, pour les circonstances
réelles, ainsi que la qualité de conjoint ou d’ascendant, pour les circonstances mixtes, qui peuvent
transformer des violences contraventionnelles (C. pén., art. R. 624-1 et R. 625-1) en violences délictuelles
(C. pén., art. 222-13) [ibid.].
249. Cf. M. DALLOZ, Rép. pén. Dalloz, Circonstances aggravantes, no 7.

59
comme circonstance aggravante des infractions fautives d’homicide et de violences »250. En
outre, on ne saurait, à notre sens, valablement exciper une solution contraire de l’absence de
critère législatif général permettant de distinguer dans chaque incrimination les éléments
constitutifs et les circonstances aggravantes – quand bien même cette distinction ne serait
pas toujours aisée à établir251.

Cette conclusion se trouve confirmée par l’analyse de la jurisprudence la plus récente rendue
en matière d’infractions sexuelles. Pour en prendre la mesure, il importe de rappeler la
législation en vigueur. Aux termes de l’article 222-22, alinéa 1er du Code pénal : « Constitue
une agression sexuelle toute atteinte sexuelle commise avec violence, contrainte, menace ou
surprise. » À l’occasion de la loi no 2010-121 du 8 février 2010 tendant à inscrire l’inceste
commis sur les mineurs dans le Code pénal ainsi qu’à améliorer la détection et la prise en
charge des victimes d’actes incestueux, le législateur a introduit un nouvel article 222-22-1
éclairant la notion de contrainte au sens de l’article 222-22 du Code pénal. L’article 222-22-1
nouveau du Code pénal prévoit que « La contrainte prévue par le premier alinéa de
l’article 222-22 peut être physique ou morale. La contrainte morale peut résulter de la
différence d’âge existant entre une victime mineure et l’auteur des faits et de l’autorité de
droit ou de fait que celui-ci exerce sur cette victime ». Or, en vertu des articles 222-29-1
et 222-30 (2°) du Code pénal, les agressions sexuelles stricto sensu252 sont punies de 10 ans
d’emprisonnement et de 150 000 euros d’amende lorsqu’elles sont commises sur une victime
mineure de 15 ans et également lorsque l’auteur de l’agression sexuelle est un ascendant ou
toute autre personne ayant sur elle une autorité de droit ou de fait. Quant à la répression du
viol, l’article 222-24 prévoit que les peines sont portées à 20 ans de réclusion criminelle
lorsque l’infraction est commise sur un mineur de 15 ans (2°) ou par un ascendant ou toute
autre personne ayant sur la victime une autorité de droit ou de fait (4°). Les circonstances
aggravantes relatives à la minorité de la victime et à l’exercice d’une autorité de droit ou de
fait sur la victime sont susceptibles, en les confrontant à l’article 222-22-1 du Code pénal,
d’entrer dans la constitution des infractions d’agressions sexuelles. Au lendemain de la loi du
8 février 2010, la question se posait donc avec une acuité particulière de savoir si un même
fait pouvait constituer à la fois un élément constitutif et une circonstance aggravante d’une
infraction. Cette question a été résolue par la négative par une jurisprudence très récente.
Nous allons voir que la jurisprudence, tant judiciaire que constitutionnelle, consacre le
principe de la distinction entre éléments constitutifs et circonstances aggravantes d’une
infraction en lui conférant un fondement constitutionnel.
Tout a commencé avec un arrêt rendu par la chambre criminelle le 13 novembre 2014253. Un
prévenu condamné pour agression sexuelle en récidive, consultation habituelle d’un site
pédophile, importation, détention et diffusion d’images à caractère pédophile en récidive,
contestait devant la Cour de cassation, par le biais d’une question prioritaire de

250. J. CEDRAS, « Le dol éventuel : aux limites de l’intention », op. cit., p. 18 et suiv.
251. Notamment parce qu’un même fait est parfois un élément constitutif dans une incrimination et une
circonstance aggravante dans une autre ; pour des exemples, cf. M. DALLOZ, op. cit., no 8, ou encore parce
que le législateur incrimine certains comportements à la fois en tant qu’infractions autonomes et en tant
que circonstances aggravantes d’autres infractions ; pour des exemples, cf. M. DALLOZ, op. cit., no 9.
252. Les agressions sexuelles autres que le viol, défini quant à lui à l’article 222-23 du Code pénal, et qui
constitue une agression sexuelle commise avec un acte de pénétration sexuelle.
253. Cass. crim., 13 nov. 2014, no 14-81.249, inédit, JurisData no 2014-027936.

60
constitutionnalité, la possibilité pour une agression sexuelle commise par un ascendant sur
un mineur d’être envisagée à la fois comme un élément constitutif de l’infraction et comme
une circonstance aggravante. La question prioritaire de constitutionnalité faisait état d’un
doublon qui porterait atteinte au principe constitutionnel de la légalité des délits et des
peines, ainsi qu’au principe de la nécessité et de la proportionnalité garantis par l’article 8
de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. À son tour, la Cour de
cassation considère qu’« en prévoyant que la contrainte morale peut, en matière d’agression
sexuelle, résulter de l’autorité de droit ou de fait exercée sur la victime par l’auteur des faits,
alors qu’elle constitue aux termes des articles 222-24 (4°) et 222-30 (2°) du Code pénal, une
circonstance aggravante des dites infractions, l’article 222-21-1 serait susceptible de porter
atteinte aux principes de légalité, de nécessité et de proportionnalité s’il était estimé qu’un
même fait ne peut être à la fois un élément constitutif et une circonstance aggravante d’une
infraction ». Dans ce contexte judiciaire, la décision du Conseil constitutionnel était
particulièrement attendue.

Nous allons voir que deux enseignements résultent de cette décision254, le premier
consistant dans la consécration implicite du principe de la distinction entre éléments
constitutifs et circonstances aggravantes et le second dans le caractère opérant de cette
distinction dans le domaine particulier des agressions sexuelles. Il est vrai qu’après avoir
examiné le contenu de la législation en la matière, cette dernière affirmation peut
surprendre. Le Conseil s’attache cependant à démontrer la véracité de son analyse en se
fondant sur l’usage du verbe pouvoir au sein de l’article 222-22-1 du Code pénal et force est
de constater qu’il emporte la conviction. En effet, et comme le relève Stéphane Detraz
dans l’analyse qu’il effectue de cette décision, « si la contrainte morale “peut” résulter de la
différence d’âge et de l’autorité que détient l’agent, c’est qu’elle “peut” aussi ne pas en
résulter »255.

Pour les besoins du raisonnement, qu’il soit permis d’énoncer l’évidence selon laquelle un
élément constitutif est par nature indispensable à la constitution de l’infraction. Par
conséquent, l’aléa résultant de l’emploi du verbe pouvoir à l’article 222-22-1 empêche de
qualifier la différence d’âge et l’autorité détenue par l’agent d’éléments constitutifs de
l’infraction. Pour cette raison, le Conseil considère que « la seconde phrase de
l’article 222-22-1 du Code pénal a pour seul objet de désigner certaines circonstances de
fait sur lesquelles la juridiction saisie peut se fonder pour apprécier si, en l’espèce, les
agissements dénoncés ont été commis avec contrainte » et « n’a en conséquence pas pour
objet de définir les éléments constitutifs de l’infraction »256. Ainsi, lorsque, dans un arrêt, la
Cour de cassation énonce que « la contrainte résulte de l’autorité de fait exercée sur les
victimes par le prévenu »257, elle tient compte en réalité des particularités de l’espèce. C’est
en déniant aux circonstances évoquées par l’article 222-22-1 du Code pénal tout rôle dans

254. Cons. const., 6 févr. 2015, no 2014-448 QPC, consid. 6 : JurisData no 2015-001881.
255. S. DETRAZ, « L’article 222-22-1, in fine, du Code pénal à la lumière de la jurisprudence », Dr. pén., 2015,
étude 24.
256. Cons. const., 6 févr. 2015, no 2014-448 QPC, consid. 6 : JurisData no 2015-001881.
257. Cf. Cass. crim., 18 févr. 2015, no 14-80.772, inédit : JurisData no 2015-002875 ; Dr. pén., 2015, comm. 63,
obs. M. VERON.

61
la définition légale des infractions que le Conseil a pu juger qu’il « s’ensuit que, dès lors
qu’il ne résulte pas de ces dispositions qu’un des éléments constitutifs du viol ou de
l’agression sexuelle est, dans le même temps, une circonstance aggravante de ces infractions,
ces dispositions ne méconnaissent pas le principe de la légalité des délits ». Comme le relève
Stéphane Detraz, « il en ressort vraisemblablement, par une interprétation a contrario, qu’il
serait effectivement contraire audit principe que le même fait consomme l’infraction et en
aggrave simultanément les peines »258. Ce faisant, c’est tout à la fois la reconnaissance et
l’assignation d’un fondement constitutionnel qui est conféré au principe de la distinction
entre élément constitutif et circonstance aggravante259.
Il est donc permis de dépasser le cadre des infractions sexuelles pour donner à la solution
une portée générale, indépendante par ailleurs de la nature criminelle ou correctionnelle de
l’infraction. À l’instar de Marc Dalloz, nous retiendrons que « l’existence d’une infraction
de base apparaît donc comme un préalable indispensable à la reconnaissance d’une
circonstance aggravante »260. Nous pouvons donc souscrire, en particulier, à l’indépendance
entre élément psychologique de l’infraction et circonstance aggravante.

Cette démonstration faite, il ne faut cependant pas occulter, comme le relève François
Rousseau, que « cette considération du mobile dans l’élément psychologique de l’infraction
se retrouve plus nettement à l’égard de certaines infractions qui, indépendamment de toute
aggravation, exigent pour leur constitution une intention ainsi que la recherche d’un but
particulier par l’auteur »261. Cette intention enrichie hérite, en doctrine, de la terminologie
de dol aggravé262. Peut-on, dans cette hypothèse, conclure de la même manière à l’indifférence
des mobiles sur l’intention et, plus spécifiquement, puisque cette fois l’intégration des
mobiles dans le texte de qualification n’est pas contestable, à l’indifférence des mobiles sur
la substance objectivée de l’intention ?

2.2 La prise en compte du mobile au titre de l’élément psychologique de l’infraction


indépendamment de toute aggravation ou la prise en compte d’un « dol aggravé » !

Les conséquences à l’égard du caractère objectivé de l’intention


Le mobile peut aussi être pris en compte pour caractériser l’existence de l’infraction par le
prisme de ce que la doctrine majoritaire nomme le dol aggravé. Ce dernier s’entendant de
la recherche d’un but particulier, il implique une action préméditée de l’agent263. L’intention

258. S. DETRAZ, « L’article 222-22-1, in fine, du Code pénal à la lumière de la jurisprudence », op. cit.
259. Une précision relativement à l’étendue du principe : s’il fait obstacle à toute déduction automatique, il ne
s’oppose pas à la déduction d’un élément constitutif à partir d’une circonstance aggravante, cette
hypothèse laissant la place, dans le cadre des infractions sexuelles, à une appréciation in concreto de la
contrainte morale par les juges du fond. Comme le relève Stéphane Detraz, « il n’est pas irrationnel de
déduire de la présence d’une circonstance aggravante (par exemple la préméditation) la preuve de
l’existence d’un élément constitutif de l’infraction (tel que l’intention) » (ibid.). Pour des applications
ultérieures de cette solution, cf. Cass. crim., 23 sept., 2015, no 13-83.881, inédit : JurisData no 2015-021030,
Dr. pén., 2015, comm. 154, obs. P. CONTE et Cass. crim., 18 nov. 2015, no 14-86.100, inédit : JurisData
no 2015-029658, Dr. pén., 2015, comm. 24, obs. P. CONTE.
260. Cf. M. DALLOZ, op. cit., no 6.
261. F. ROUSSEAu, op. cit., no 151, p. 172.
262. Qu’il convient donc de distinguer de l’hypothèse précédemment étudiée d’infraction aggravée.
263. Pour la définition de la préméditation, cf. C. pén., art. 132-72.

62
est mûrie et réfléchie. En tant que but explicite de l’infraction264, le dol aggravé vient
enrichir le dol général pour constituer l’élément psychologique de l’infraction. Pour cette
raison, cette notion soulève un questionnement légitime au regard de la subjectivisation de
l’intention. Mais, au-delà même de ces hypothèses, nous observerons qu’en définitive, les
modalités de captation du mobile importent peu. En effet, il va être démontré que la prise
en compte législative du mobile, quel qu’en soit le support, circonstance aggravante ou
élément psychologique, n’a pas d’incidence dans la mesure où cette prise en considération
s’opère de manière objective.

La prise en considération objective du mobile par le législateur


Nous allons montrer que la prise en considération du mobile intervient toujours de manière
objective, qu’il s’agisse de caractériser une circonstance aggravante de l’infraction ou son
élément psychologique.

Le caractère objectif du mobile érigé en circonstance aggravante – Parmi les principaux mobiles
contemporains érigés en circonstances aggravantes figurent les mobiles racistes et
homophobes. Nous démontrerons la prise en compte objective de ces mobiles au travers
de la genèse de la généralisation de la circonstance aggravante de racisme. À la fin de
l’année 2002, à la suite de la recrudescence d’actes antisémites, le député Pierre Lellouche
a déposé une proposition de loi, devenue la loi du 3 février 2003 265, tendant à généraliser la
circonstance aggravante de racisme pour de nombreuses infractions. Afin d’éviter les
problèmes de preuve de la motivation raciste de l’auteur d’une infraction, il fut décidé
« d’objectiviser »266 cette circonstance aggravante en créant, dans la partie générale du Code
pénal consacrée à la définition de certaines circonstances aggravantes, un article 132-76
précisant le sens des dispositions de droit pénal spécial aggravant telles ou telles infractions
en raison de leur caractère raciste. Aux termes de l’article 132-76 du Code pénal, la
circonstance aggravante de racisme « est constituée lorsque l’infraction est précédée,
accompagnée ou suivie de propos, écrits, images, objets ou actes de toute nature portant
atteinte à l’honneur ou à la considération de la victime ou d’un groupe de personnes dont
fait partie la victime à raison de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou
supposée, à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée ». Comme le
soulignent Frédéric Desportes et Francis Le Gunehec, « on ne demande donc plus au juge
de rechercher les motifs pour lesquels l’auteur des faits a agi, mais de rechercher s’il existe
des éléments matériels, objectifs de racisme »267. Le mobile raciste se distingue donc
clairement des motifs pour lesquels le délinquant a agi ! Le raisonnement peut être dupliqué
au mobile homophobe qui, depuis la loi du 18 mars 2003268, fait l’objet d’un article 132-77
prévoyant des règles similaires. Aux termes de cet article, la circonstance aggravante
d’homophobie « est constituée lorsque l’infraction est précédée, accompagnée ou suivie de
propos, écrits, utilisation d’images ou d’objets ou actes de toute nature portant atteinte à

264. Par opposition au dol spécial qui en constitue le but implicite.


265. Loi no 2003-88 du 3 février 2003 visant à aggraver les peines punissant les infractions à caractère raciste,
antisémite ou xénophobe.
266. Le terme est emprunté à Frédéric Desportes et Francis Le Gunehec (cf. F. D ESPORTES et F.
LE GUNEHEC, Droit pénal général, Economica, 16e éd., 2009, no 478, p. 444).
267. Loc. cit.
268. Loi no 2003-239 pour la sécurité intérieure.

63
l’honneur ou à la considération de la victime ou d’un groupe de personnes dont fait partie
la victime à raison de leur orientation ou identité sexuelle vraie ou supposée ». Il est permis
de noter que les éléments constitutifs de la circonstance aggravante d’homophobie,
notamment ceux permettant d’établir la matérialité des faits, reposent sur les mêmes
supports que la circonstance aggravante de racisme. Le fait que l’ossature des deux
circonstances aggravantes soit identique ajoute encore à l’objectivisation. En effet, il est
tout de même significatif que les mobiles raciste et homophobe puissent être établis par les
mêmes procédés. De manière a priori plus inattendue, nous allons démontrer que le mobile
pris en compte au titre d’un dol aggravé procède également d’une acception objective.

Le caractère objectif du mobile intégré dans la constitution de l’élément psychologique de l’infraction – Les
infractions pour lesquelles un mobile particulier est exceptionnellement exigé par la loi en
tant qu’élément constitutif sont parmi les plus graves. On peut citer les violations,
destructions ou dégradations volontaires commises sur un témoin pour l’empêcher de
dénoncer les faits ou sur une victime pour l’empêcher de porter plainte269, où à l’intention
de blesser une personne ou de dégrader ses biens s’additionne celle de l’intimider.
Concernant les actes de terrorisme270, les textes d’incrimination, pour souligner l’existence
d’un dol aggravé, en l’espèce le mobile terroriste271, précisent que les actes considérés
doivent être intentionnellement en relation avec une entreprise terroriste 272. Dans le même
registre, on peut citer le génocide273, où à l’intention homicide s’additionne la volonté
d’exterminer toute une population. Comme le relèvent Jean Pradel et André Varinard, « Il
est certain que pour toutes ces infractions un mobile spécifique est exigé pour leur
réalisation mais il s’intègre alors au texte de qualification »274 : comprenons qu’« il n’y aura
atteinte à la valeur sociale protégée par le texte de qualification que pour ceux qui auront
pour objectif le but précis envisagé par le législateur »275. Il nous semble alors possible de
faire le parallèle avec la définition du dol général d’Émile Garçon276 dans le sens où, dans
cette hypothèse aussi, l’infraction n’est caractérisée que si l’agent est animé de la volonté
de commettre les faits tels qu’ils sont décrits par le législateur.

Ce parallèle est intéressant dans la mesure où c’est précisément cette définition qui a
conduit à théoriser une conception objectivée du dol spécial. Cette analyse peut donc
également contribuer à la démonstration de l’abstraction du dol aggravé. D’ailleurs, les
notions de dol spécial et de dol aggravé sont souvent confondues en doctrine277, ce qui
contribue à démontrer l’inutilité de cette double distinction. Il s’agit dans les deux cas de

269. C. pén., art. 222-3 (5°) et suiv., art. 322-3 (4°).


270. C. pén., art. 421-1 et 421-2 réprimant pour le dernier le terrorisme écologique.
271. Ce dernier consistant dans la volonté de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur.
272. Cette mise en exergue d’un dol aggravé résulte d’une modification rédactionnelle des articles 421-1
et 421-2 du Code pénal opérée par la loi no 96-647 du 22 juillet 1996 tendant à renforcer la répression du
terrorisme et des atteintes aux personnes dépositaires de l’autorité publique ou chargées d’une mission de
service public et comportant des dispositions relatives à la police judiciaire.
273. C. pén., art. 211-1.
274. J. PRADEL et A. VARINARD, Les grands arrêts du droit pénal général, op. cit., no 39, p. 614.
275. Loc. cit.
276. Cf. supra, la définition positive de l’intention.
277. Par exemple, pour Philippe Conte et Patrick Maistre du Chambon, le dol spécial équivaut à ce que Frédéric
Desportes et Francis Le Gunehec nomment le dol aggravé. Pour Jacques-Henri Robert, le terme de dol
spécial recoupe les notions de dol spécial stricto sensu et de dol aggravé.

64
buts prévus par le législateur et il n’y a, en définitive, qu’une différence de degré entre le
dol spécial et le dol aggravé en ce sens qu’il s’agit de mobiles plus ou moins proches, mais
en aucun cas personnels278. À la différence de degré fait écho une hiérarchie dans la gravité.
Tout au plus, après examen des infractions majoritairement concernées par l’existence d’un
dol aggravé, peut-on considérer que le dol spécial s’apparente au but/mobile décrit par le
législateur dans les infractions de droit commun, tandis que le dol aggravé s’apparente au
but/mobile décrit par le législateur dans les infractions d’une particulière gravité. Le fait
que les infractions requérant un dol aggravé relèvent d’un régime juridique dérogatoire
intervient en faveur de cet argument279.

Pour souligner l’absence de référence à la psychologie de l’agent dans le dol aggravé, André
Varinard et Jean Pradel précisent que « ceux qui poursuivent ce but – « le but précis
envisagé par le législateur » – tomberont sous le coup de la loi pénale alors que les raisons
profondes, qui les ont conduits à agir, pourront être très différentes »280. Ainsi, il apparaît
qu’« il y a, à côté des mobiles proches, des raisons personnelles plus lointaines que la loi
ignora »281. Les auteurs en concluent que « l’intention même complétée par un mobile reste
donc abstraite »282. Marie-Laure Rassat partage la même analyse. Selon l’auteur, « but
particulier et mobile ne se confondent pas. Le but particulier visé par la loi est quelque
chose d’objectif commun à tous les délinquants qui se livrent à l’infraction en cause : tous
les dirigeants sociaux qui abusent des biens de leur société cherchent à se procurer un profit
personnel. Au contraire le mobile est une notion subjective propre à chacun d’eux : chaque
dirigeant commettant un abus de biens sociaux agit comme il le fait avec un mobile qui lui
est propre (permettre un développement d’une autre entreprise…) »283. Le but particulier
visé par la loi est commun à tous les délinquants. Le dol aggravé n’est donc qu’une variante
de dol spécial, étranger à la psychologie de l’agent. Le mobile pris en compte au titre de
l’élément moral de l’infraction n’est donc pas de nature à subjectiviser l’intention.

En conclusion, la prise en compte croissante du mobile par le législateur, qu’elle s’opère


par le prisme des circonstances aggravantes ou du dol aggravé, n’introduit en fait une
conception concrète de l’intention que d’une manière assez artificielle puisque cette prise
en considération du mobile intervient de manière objective. Ainsi, « l’exceptionnelle prise
en considération de ces mobiles par le législateur n’implique pas pour autant une adhésion
à une conception concrète ou criminologique de l’intention »284. Nous ne pouvons enfin
que constater l’actualité de la conclusion de Jean Lebret sur la substance de l’intention aux
termes de laquelle « la notion d’intention criminelle nous apparaît de plus en plus dépouillée
de toute base concrète, ayant rompu toutes attaches avec les choses vivantes, avec les

278. En ce sens, cf. Frédéric Desportes et Francis Le Gunehec : « La distinction entre le dol et le mobile n’est
en définitive qu’une question de degrés. » (F. DESPORTES et F. LE GUNEHEC, op. cit., no 478, p. 442.)
279. Comme le soulignent Frédéric Desportes et Francis Le Gunehec, le dol aggravé du génocide « justifie,
outre certaines règles de procédure dérogatoires du droit commun, que soient encourues les peines les
plus graves » (cf. F. DESPORTES, F. LE GUNEHEC, op. cit., no 478, p. 443).
280. J. PRADEL et A. VARINARD, Les grands arrêts du droit pénal général, op. cit., no 39, p. 614.
281. Loc. cit.
282. Loc. cit.
283. M.-L. RASSAT, op. cit., no 317, p. 344.
284. J. PRADEL et A. VARINARD, Les grands arrêts du droit pénal général, Dalloz, 6e éd., 2007, no 39, p. 606.

65
réalités. Elle est à la fois peu précise, et purement abstraire »285. Cette conclusion peut être
confirmée par l’étude du régime juridique de la culpabilité.

Section 2 – L’objectivation confirmée par l’étude du régime juridique de


la culpabilité
L’objectivation de la substance de la culpabilité trouve un écho dans son régime juridique,
qu’il s’agisse de l’établissement facilité de son existence par le recours au mécanisme des
présomptions de culpabilité (§ 1) ou de l’admission restrictive des causes de non-
culpabilité (§ 2).

§ 1 - L’établissement de la culpabilité par le recours


au mécanisme des présomptions

En raison de l’inégalité des parties au procès pénal286, c’est au ministère public qu’il incombe
en principe d’établir la culpabilité du mis en cause. Cette règle trouve une traduction juridique
dans l’existence de la présomption d’innocence. En vertu de ce principe à valeur
constitutionnelle, garanti dans le Code de procédure pénale287 et dans toutes les déclarations
de droits288, toute personne accusée d’une infraction doit être présumée innocente tant que
sa culpabilité n’a pas été reconnue par un jugement irrévocable. Il en résulte que la charge de
la preuve impartit à la partie poursuivante. On pourrait donc considérer que l’expression
« présomption de culpabilité » s’applique à des hypothèses exceptionnelles dans lesquelles il
appartiendrait à la personne mise en cause de prouver qu’elle n’a pas commis l’infraction
visée aux poursuites. Cependant, « l’expression employée […] volontairement forte »289
dépasse le cadre des conséquences probatoires traditionnelles pour concerner l’intensité de
la preuve pesant sur le ministère public. Il s’agit de comprendre que, même dans des
hypothèses normalement couvertes par la présomption d’innocence, « les difficultés de la
charge de la preuve ont amené le législateur et la jurisprudence à créer, pour défendre les
intérêts supérieurs de la société, de véritables présomptions de culpabilité »290.

L’emploi de cette terminologie, dans le cadre des développements à suivre, a donc pour
objectif de signifier que, même lorsque la preuve de la culpabilité pèse sur la partie
poursuivante, il existe des présomptions de culpabilité constituant finalement une modalité
probatoire, mise à la disposition du ministère public ou de la juridiction de jugement, pour
l’établissement de la culpabilité du mis en cause. En pratique, elles conduisent à dispenser la
partie poursuivante de réaliser des investigations concernant la psychologie de l’agent.
Le mécanisme des présomptions de culpabilité est donc de nature à conforter le caractère

285. J. LEBRET, op. cit., p. 446.


286. Le ministère public dispose des pouvoirs de la puissance étatique.
287. Article préliminaire.
288. DDH, art. 9 ; DUDH, art. 11 ; Conv. EDH, art. 6 § 2.
289. S. GUINCHARD et J. BUISSON, Procédure pénale, Lexis Nexis, 9e éd., 2013, no 512, p. 478.
290. Ibid., no 534, p. 564.

66
abstrait de la notion en dispensant l’accusation d’établir de manière autonome la réalité de
l’existence de l’intention ou de l’imprudence (A.). L’abstraction est renforcée par la légitimité
du mécanisme des présomptions de culpabilité (B.).

A. La présentation générale des présomptions de culpabilité

Il existe deux types de présomption de culpabilité : d’une part, les présomptions de droit qui
sont l’œuvre du législateur et, d’autre part, les présomptions de fait qui émanent de la
jurisprudence. Les présomptions légales sont de deux ordres, de faute ou de responsabilité,
selon qu’elles ne concernent respectivement que l’élément moral des infractions ou, tout à la
fois, l’élément moral et l’élément matériel291. Il est notable que les présomptions de droit
peuvent intervenir en matière intentionnelle comme non intentionnelle292. Les présomptions
jurisprudentielles consistent quant à elles à déduire l’intention ou l’imprudence de la
matérialité des faits. Pour cette raison, on les désigne souvent sous la dénomination de
présomptions de fait. Ces différentes présomptions de culpabilité ont en commun le fait
qu’aucune recherche d’ordre psychologique n’est réellement menée pour déterminer l’état
d’esprit de l’agent au moment des faits. Si les présomptions de culpabilité trouvent à
s’appliquer à la fois en matière intentionnelle et non intentionnelle, l’accent sera mis sur le
caractère présumé des éléments constitutifs du dol (1.). En matière non intentionnelle, nous
nous attarderons sur le domaine voisin de l’appréciation de la faute, ce dernier contribuant à
alimenter le caractère abstrait de la notion (2.).

1. La présomption des éléments constitutifs de l ’intention


Bien qu’il soit inutile de rendre compte de l’intention par le recours aux notions doctrinales
de dol général et, particulièrement, de dol spécial (voire de dol aggravé), nous faisons le choix
de conserver cette terminologie dans le cadre de ce développement afin de souligner la
multitude des présomptions relatives à l’intention. Selon la terminologie fréquemment
rencontrée en doctrine, rappelons donc que, pour un certain nombre d’infractions, l’intention
se présente comme la réunion du dol général (1.1) et du dol spécial et/ou aggravé (1.2).

291. Certains domaines spécifiques sont concernés par l’existence de présomptions légales de culpabilité et/ou
de responsabilité à l’image du droit de la presse, du droit pénal douanier ou du droit pénal de la circulation
routière. Par exemple, l’article 35 bis de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse dispose que la
diffamation « est réputée faite de mauvais foi, sauf preuve contraire par son auteur ». Autre exemple,
l’article 392. (1°) du Code des douanes qui dispose que « Le détenteur de marchandises de fraude est
réputé responsable de la fraude ». Pour une application récente de la présomption légale de culpabilité en
matière de droit pénal douanier, cf. Cass. crim., 6 mai 2015, no 13-87.428, inédit, Dr. pén., 2015, Chron. 8,
S. DETRAZ. Selon la Cour de cassation, l’article 392 (1°) du Code des douanes, réprimant la contrebande
de marchandises prohibées, établit une présomption de culpabilité à l’encontre du prévenu détenteur de
marchandises de fraude. Ce dernier ne peut donc être relaxé que s’il démontre lui-même sa bonne foi. On
rencontre également des présomptions de responsabilité dans le Code pénal. C’est le cas à l’article 225-6
réprimant le proxénétisme. En application de ce dernier, l’élément matériel du délit est caractérisé
lorsqu’une personne ne peut « justifier de ressources correspondant à son train de vie tout en vivant avec
une personne qui se livre habituellement à la prostitution ou en étant en relations habituelles avec une ou
plusieurs personnes se livrant à la prostitution ».
292. Il peut même alors exister des présomptions « attitrées » à l’instar de celles supportées par le chef
d’entreprise concernant les infractions à la règlementation relative à l’hygiène et à la sécurité des
travailleurs (cf. C. trav., art. L. 263-2).

67
1.1 La présomption de dol général

Ses deux composantes, qu’il s’agisse de la « conscience infractionnelle » ou de la « volonté


infractionnelle », sont toujours présumées ; la première en raison de l’adage nemo censetur, la
seconde en raison de l’acception de la volonté mobilisée dans la définition de la culpabilité
en général293. Concernant la présomption de connaissance de la loi, on peut considérer qu’elle
est même doublement abstraite, en ce sens qu’en plus d’être présumée, elle prend également
« l’allure d’une fiction, d’un artifice technique sans rapport avec la réalité sociale »294. En effet,
« qui peut se vanter d’être au courant de toutes les défenses et prescriptions pénales qui se
multiplient, s’“artificialisent” de plus en plus […] et débordent largement le droit pénal ? »295
Cependant, deux justifications majeures peuvent être avancées au soutien de cet excès
apparent d’abstraction296. La première réside dans le fait qu’elle est imposée « par les
nécessités de la discipline sociale »297. En effet, « si l’on pouvait déroger à la loi sous prétexte
qu’on l’ignore, le régime de l’état de droit se dissoudrait dans l’anarchie »298. La seconde puise
son fondement dans le caractère contractuel de la répression299. La règle nemo censetur constitue
alors la contrepartie la règle nullum crimen sine lege. En contrepartie du principe de la légalité, il
pèse sur chaque citoyen l’existence d’un devoir d’information juridique. Selon Emmanuel
Dreyer, « L’obligation faite à la loi pénale de prévenir avant de frapper perdrait tout son sens
si les destinataires de cette loi n’étaient pas tenus eux-mêmes de la connaître »300.
En définitive, ce qui pose difficulté n’est pas tant le principe de la présomption de
connaissance de la loi que le caractère quasi irréfragable de cette présomption301.
L’abstraction découlant de la présomption de dol général est renforcée par la présomption
relative à l’autre élément constitutif de l’intention.

1.2 La présomption de dol spécial et/ou aggravé accentuant le caractère objectivé de


l’intention

Il a précédemment été démontré le caractère objectivé du dol spécial par la prise en compte,
au titre de la qualification des faits, du résultat juridique de l’infraction. Comme le rappelle
Yves Mayaud, « à toute infraction […] correspond un dommage redouté par le législateur, ce
que le droit pénal intègre par le résultat »302. Le résultat juridique de l’infraction,

293. Cf. supra.


294. R. MERLE et A. VITU, Traité de droit criminel – Droit pénal général, op. cit., no 582, p. 734.
295. Loc. cit.
296. D’une manière générale, nous vérifierons à plusieurs reprises l’idée selon laquelle les abstractions
conceptuelles du droit pénal sont légitimes et qu’elles ne sont pas de nature à affecter l’essence subjective
de la responsabilité dans la mesure où les éléments de la personnalité de l’agent sont alors véhiculés par
les composantes subjectives – imputabilité, principe d’individualisation des peines – de la responsabilité
pénale.
297. Loc. cit.
298. Loc. cit.
299. Roger Merle et André Vitu soulignent à leur tour que « la répression prend un aspect contractuel, qui est
un héritage de la théorie du contrat social » (cf. R. MERLE et A. VITU, Traité de droit criminel – Droit pénal
général, op. cit., no 583, p. 735).
300. E. DREYER, Droit pénal général, op. cit., no 878, p. 668.
301. Nous verrons cependant qu’il contribue à alimenter le caractère objectivé de la notion de culpabilité.
Cf. infra pour illustrer la rigueur de son maniement, le développement relatif à l’erreur de droit.
302. Y. MAYAUD, Droit pénal général, op. cit., no 230, p. 272.

68
correspondant à ce résultat redouté par le législateur, coïncide par ailleurs avec le résultat
matériellement réalisé. En principe, il correspond aussi au résultat effectivement recherché
par l’auteur, mais cela peut ne pas être le cas. Cette exception trouve une traduction dans la
sanction de ce que la doctrine majoritaire nomme le dol indéterminé. Contrairement au dol
déterminé, le dol est indéterminé « lorsque l’agent n’a pas voulu l’acte délictueux d’une façon
précise, ni dans son résultat, ni dans sa gravité, même s’il a pu la prévoir »303. C’est le cas
notamment du dol exigé en matière de violences volontaires prévues aux articles 222-7 et
suivants du Code pénal. Celui qui donne à autrui des coups peut provoquer chez la victime
de simples ecchymoses, une incapacité de travail temporaire, une incapacité permanente,
voire même la mort. La question se pose alors de savoir comment doit être sanctionné
l’auteur de ces coups. Doit-il l’être d’après la gravité du résultat produit bien qu’il ne l’ait pas
voulu ?

Une autre façon de présenter le problème consiste à souligner que, dans le cadre des
infractions qui ne sont pas en elles-mêmes porteuses de leur résultat, ce dernier est
potentiellement double : d’une part le résultat redouté ou juridique, correspondant au
dommage effectivement réalisé et, d’autre part, le résultat recherché. Quel est celui qui est
retenu au titre de la qualification des faits fondant les poursuites exercées à l’encontre de
l’agent ? Comme le précise Cédric Porteron, « Pour le droit criminel français, l’agent auteur
d’un dol indéterminé doit être puni en fonction de la gravité du résultat obtenu. Il y a
assimilation du dol déterminé et du dol indéterminé »304. Cette assimilation est d’ailleurs
expressément consacrée en matière de violences volontaires305, dans le cas des destructions
et dégradations volontaires306, ainsi qu’en matière de terrorisme307. C’est donc le résultat
juridique ou redouté par le législateur qui est pris en compte. Cela signifie308 que « L’intention
n’est autre que la volonté du résultat redouté dans son principe, ce résultat dépasserait-il en
manifestation les prévisions ou la détermination de son auteur »309. Yves Mayaud ajoute
logiquement que « l’intention ne tient pas à la preuve d’une relation certaine entre le
dommage et la perception qu’en avait son auteur, elle est seulement liée à la volonté
d’atteindre la valeur protégée, sans égard pour ce qui en révèle concrètement l’effectivité »310.

Ainsi, il n’est donc pas nécessaire d’établir la preuve réelle de la conformité entre le dommage
et la perception qu’en avait son auteur, « seule est à prouver la volonté d’attenter à l’intégrité
de la personne, ce qui est un enjeu de consommation311 »312. En pratique, s’agissant des
violences volontaires, cela se traduit par le fait que le dol exigé se résume à l’intention de
porter des coups et, aux termes d’une jurisprudence constante, l’infraction de violences est

303. C. PORTERON, Rép. pén. Dalloz, Infraction, nos 102 et 103.


304. C. PORTERON, op. cit., no 103.
305. C. pén., art. 222-7, 222-9, 222-11 et R. 625-1.
306. Ibid., art. 322-9 et 322-10.
307. Ibid., art. 421-4.
308. Et par là même confirme (cf. supra, le développement relatif à l’acception du dol spécial).
309. Y. MAYAUD, Droit pénal général, op. cit., no 230, p. 274.
310. Loc. cit.
311. À l’instar des infractions formelles !
312. Y. MAYAUD, Droit pénal général, op. cit., no 230, p. 275.

69
constituée dès lors qu’il existe un acte volontaire de violence313. D’une manière générale, cette
solution, revenant à présumer que l’intention est conforme au résultat atteint, était inéluctable
au regard des difficultés de preuve dans l’établissement du lien psychologique entre l’action
et son résultat. Elle est cependant de nature à accroître l’abstraction de la culpabilité en cas
de discordance entre le résultat appréhendé par la qualification et le résultat effectivement
recherché par l’auteur. Le caractère abstrait de la culpabilité se trouve accentué par le fait que
le dol spécial qui est en pris en compte au titre de la qualification peut ne pas refléter l’état
d’esprit de l’agent.

En conclusion, on peut retenir que le caractère objectivé de la culpabilité est accentué par la
sanction du dol indéterminé puisque, dans une telle hypothèse, on retient la « présomption
de conformité de l’intention au résultat atteint » alors qu’il existe un risque de discordance
entre le résultat recherché par l’auteur et le résultat effectivement réalisé. En matière non
intentionnelle, le caractère objectivé de la culpabilité trouve un prolongement dans les
modalités d’appréciation de la faute d’imprudence.

2. Les modalités d’appréciation de la faute confirmant l e caractère objectif de la


culpabilité
Selon certains auteurs, à l’instar de Mikaël Benillouche, il serait possible d’élaborer une
théorie de la culpabilité fondée sur le constat d’une subjectivisation de l’élément moral de
l’infraction. S’agissant des infractions intentionnelles, cette systématisation résulterait, selon
l’auteur, de la prise en compte croissante des mobiles dans la définition de l’infraction.
S’agissant des infractions non intentionnelles, elle serait le fait d’une évolution dans les
modalités d’appréciation de la faute pénale. Plus précisément, Mikaël Benillouche considère
que la subjectivisation de l’élément psychologique des infractions non intentionnelles est le
fait d’une évolution dans l’appréciation de la faute par la substitution d’une appréciation
in concreto à une appréciation in abstracto.
Il nous importe dans le cadre de cette étude de vérifier la pertinence de cette allégation en
raison de ses conséquences potentielles sur la nature objectivée du concept de culpabilité. Il
sera établi non seulement que l’évolution dans l’appréciation de la faute ne remet que
partiellement en cause le caractère normatif de l’imprudence pénale, mais encore que la
permanence d’une approche abstraite de la faute se trouve justifiée par les impératifs de la
répression.

2.1 Le maintien partiel du caractère normatif de l’imprudence pénale

La doctrine classique considérait que le juge pénal devait procéder à une appréciation
in abstracto de la faute. Pour ce faire, il prenait pour point d’appui une référence humaine
idéale, standardisée314. Par conséquent, il « ne devait pas tenir compte de la psychologie ou
des aptitudes particulières de la personne poursuivie. Cette dernière ne pouvait donc pas
invoquer son inexpérience, son incompétence ou sa maladresse pour échapper à la

313. Pour une illustration en jurisprudence, cf. Cass. crim., 3 oct. 1991, no 90-84747, inédit, RSC, 1992, p. 748,
obs. G. LEVASSEUR ; Dr. pén., 1992, comm. 57, M. VERON.
314. Feu le bon père de famille.

70
répression »315. En pratique, et au-delà même d’un excès d’abstraction, cela avait pour effet
que des infractions non intentionnelles redevenaient des délits matériels. Et il en découlait
logiquement une pénalisation croissante de l’imprudence. Cette dernière étant plutôt mal
vécue du côté des prévenus décideurs publics, la loi no 96-393 du 13 mai 1996 relative à la
responsabilité pénale pour des faits d’imprudence et de négligence a été adoptée. Elle avait
pour objectif d’atténuer la répression de l’imprudence pénale en modifiant l’appréciation de
la faute pénale. L’appréciation in abstracto de la faute devait disparaître au profit d’une
appréciation in concreto. Aux termes de l’article 121-3 du Code pénal dans sa rédaction issue
de la loi du 13 mai 1996, la faute d’imprudence ordinaire ne peut désormais être retenue que
« si l’auteur des faits a accompli les diligences normales compte tenu, le cas échéant, de la
nature de ses missions ou de ses fonctions, de ses compétences ainsi que du pouvoir et des
moyens dont il disposait ». Comme le relève Claire Saas, « l’appréciation in concreto, si elle
s’oppose à une appréciation in abstracto, peut être effectuée de manière objective ou
subjective »316 et, au regard de la lettre de l’article 121-3 du Code pénal, il semble que le
législateur ait opté pour une appréciation in concreto effectuée de manière objective. En effet,
il s’excipe de la lettre de cet article que la réalité de la donnée intellectuelle n’est pas analysée
au regard de l’état d’esprit de l’agent, mais au travers des circonstances de fait entourant
l’action. En atteste l’acception du terme de compétences visé à l’article 121-3, puisqu’il s’évince
des travaux parlementaires relatifs à la loi du 13 mai 1996 qu’il doit être pris dans son sens
technique ou juridique. La loi de 1996 n’avait consacré qu’une appréciation hybride, une
approche in abstracto tempérée par des éléments in concreto, pourrait-on aussi considérer. C’est
compte tenu du caractère hybride de cette approche que Jean Pradel et André Varinard
précisent, au lendemain de la loi de 1996, qu’« il est possible de contester l’existence de la
faute en tenant compte des éléments objectifs de l’espèce »317. Qu’il soit permis alors
d’effectuer une parenthèse relativement à la possible remise en cause de l’acception
objectivée de la culpabilité par l’évolution des modalités d’appréciation de la faute. Il serait
juste de considérer que la loi de 1996 est seulement venue tempérer le caractère normatif de
la faute pénale.

Cependant, la chambre criminelle de la Cour de cassation a persisté dans son appréciation


in abstracto de la faute. Comme le relève Mikaël Benillouche, « la jurisprudence, après avoir
quelque peu modifié sa position318, est pratiquement revenue à son interprétation initiale de
l’article 121-3319 »320. L’introduction législative d’une dose d’appréciation in concreto de la faute
pénale s’est donc avérée infructueuse. Au-delà, alors que l’appréciation in concreto était en
elle-même porteuse de cet objectif, la loi de 1996 a donc échoué à atténuer la répression des
délits d’imprudence321. La pratique jurisprudentielle de l’article 121-3 a ainsi conduit le

315. M. BENILLOUCHE, op. cit., p. 532.


316. C. SAAS, L’ajournement du prononcé de la peine. Césure et recomposition du procès pénal, Dalloz, 2004, no 162, p. 165.
317. J. PRADEL et A. VARINARD, Les grands arrêts du droit pénal général, Dalloz, op. cit., no 41, p. 644 et suiv.
318. Cf. par exemple, Cass. crim., 19 nov. 1996, no 95-85.945, Bull. crim., no 413 ; Dr. pén., 1996, comm. 33, obs.
M. VÉRON.
319. Cf. par exemple, Cass. crim., 2 avr. 1997, no 95-85.564, Bull. crim., no 132 ; RSC, 1997, p. 837, obs.
Y. MAYAUD.
320. M. BENILLOUCHE, op. cit., p. 532.
321. L’objectif n’était pas de favoriser la théorisation de la culpabilité intentionnelle par le truchement de la
subjectivisation de son appréciation.

71
législateur à adopter la loi no 2000-647 du 10 juillet 2000 tendant à préciser la définition des
délits non intentionnels. De plus, ce qui est très significatif, au regard de notre démonstration,
est que le législateur, cherchant un levier d’action efficace à la satisfaction de l’objectif
d’atténuation de la répression des délits d’imprudence, a choisi de jouer sur d’autres ressorts
que l’appréciation de la faute322 – preuve, s’il en était, que cette dernière continue à relever,
au moins partiellement, d’une approche objective. L’adoption de la loi du 10 juillet 2000
témoigne donc de l’échec de la subjectivisation de l’appréciation de la faute pénale. Pour
autant, le choix en faveur d’une appréciation hybride devait s’avérer pertinent.

2.2 La pertinence d’une appréciation hybride de la faute

Jean Pradel et André Varinard formulent d’ailleurs une critique positive quant au maintien
d’une appréciation partiellement objective de la faute d’imprudence. Ils considèrent en effet
qu’il n’était pas « nécessaire d’aller au-delà, auquel cas l’appréciation concrète pourrait alors
se révéler très contestable »323 car « ainsi tenir compte des aptitudes de l’agent, ce serait
accepter de favoriser les maladroits habituels. Poussée à l’extrême, cette théorie conduirait à
décider que plus un individu est susceptible de porter atteinte aux valeurs sociales en raison
de sa maladresse ou de son étourderie, moins il risque de voir sa responsabilité engagée… »324.
Dans le même sens, Valérie Cantat-Lampin Saint-Gérand a considéré que « les juges, en
prenant comme référence des données concrètes et objectives, établissent véritablement
l’existence ou le défaut du caractère antisocial de l’attitude intellectuelle de l’agent »325.
En outre, « le choix judiciaire d’une telle appréciation [in concreto effectuée de manière
objective] est […] inspiré par le souci de révéler, à sa juste mesure, la dimension coupable de
la situation engendrée »326.
Le maintien d’une appréciation partiellement abstraite de la culpabilité, en participant de son
caractère objectivé, s’inscrit plus largement dans le cadre de la légitimité du mécanisme des
présomptions de culpabilité.

B. La légitimité du mécanisme des présomptions de culpabilité

Nonobstant l’hostilité de certains auteurs (1.), il sera établi que le mécanisme des
présomptions de culpabilité est légitime. S’il n’est pas question de s’interroger sur le bien-
fondé des présomptions légales, la question de la légitimité des présomptions de fait sera en
revanche examinée. Or, en démontrant la légitimité de ces présomptions, on confirmera dans
le même temps le caractère objectivé ou abstrait de la substance de la culpabilité (2.).

322. En l’occurrence sur la nature du lien de causalité et la notion de faute d’imprudence qualifiée.
323. J. PRADEL et A. VARINARD, Les grands arrêts du droit pénal général, Dalloz, op. cit., no 41, p. 645.
324. Loc. cit.
325. V. CANTAT-LAMPIN SAINT-GÉRAND, La culpabilité dans la théorie de la responsabilité pénale, op. cit., no 659,
p. 729.
326. Loc. cit.

72
1. L’hostilité de la doctrine au mécanisme des présomptions jurisprudentielles
de culpabilité
Dans le prolongement des modalités d’appréciation de la faute, les présomptions de
culpabilité constituent, en matière intentionnelle, une « technique de preuve inductive ou
indiciaire »327 permettant aux magistrats, « sur le fondement de faits constatés ou d’indices
objectifs, essentiellement recueillis lors des constatations »328, de conclure à l’existence de la
culpabilité de l’agent. Comme le relève à son tour Valérie Cantat-Lampin Saint-Gérand, dans
sa thèse consacrée à la théorie de la culpabilité dans la responsabilité pénale, « ce sont donc
les indices ou les circonstances de fait accompagnant l’action qui vont servir de moyens de
preuve car ce sont les seuls dont les magistrats peuvent avoir une connaissance directe, à la
différence de la donnée coupable. Ils vont alors permettre d’établir indirectement la réalité
de la donnée intellectuelle »329. Les auteurs partisans de la priorité d’un débat sur
l’imputabilité, l’intention et, au-delà, la culpabilité en général, se déduisent directement de
l’imputabilité330.

Pour autant, la technique des présomptions de culpabilité s’attire les critiques d’une partie de
la doctrine. Cette hostilité n’emporte pas l’adhésion. Certains auteurs considèrent que parce
que la culpabilité est un phénomène intellectuel, elle devrait être révélée par des
considérations subjectives. En ce sens, Valérie Cantat-Lampin Saint-Gérand considère que
« la culpabilité étant un phénomène purement intellectuel, il paraît inadmissible de la révéler
par des faits objectifs. Seul l’état d’esprit du sujet pénal devrait permettre d’analyser la réalité
de la donnée intellectuelle »331. L’une des critiques les plus virulentes provient néanmoins du
fait qu’une telle appréhension de la culpabilité aurait pour effet de conduire au retour des
délits matériels.

1.1 Le retour des délits matériels

D’autres auteurs, à l’instar de Claire Saas, dénoncent, en matière intentionnelle, une


conception par trop (pour ne pas écrire exclusivement) matérialiste de la culpabilité332. Pour
appuyer son argumentation, elle rappelle la jurisprudence constante en la matière aux termes
de laquelle « la seule constatation de la violation, en connaissance de cause, d’une prescription
légale ou règlementaire implique, de la part de son auteur, l’intention coupable exigée par
l’article 121-3, alinéa 1er, du Code pénal »333. Il faudrait donc comprendre, en tenant compte
des présomptions grevant le dol, que le simple fait de commettre des actes prohibés par la

327. Cf. S. GUINCHARD et J. BUISSON, Procédure pénale, LexisNexis, 9e éd., 2013, no 523 p. 483.
328. Loc. cit.
329. V. CANTAT-LAMPIN SAINT-GÉRAND, La culpabilité dans la théorie de la responsabilité pénale, op. cit., no 607,
p. 655 et 656.
330. Cf. infra, le titre 2 consacré à la démonstration de la postériorité d’un débat sur l’imputabilité. Parmi les
auteurs contemporains, partisans de l’antériorité d’un débat sur l’imputabilité, on peut citer Emmanuel
Dreyer. Il en déduit que les magistrats « tiennent cette intention pour acquise dès lors qu’un individu a agi
ou s’est abstenu en comprenant ce qu’il faisait et en étant libre de ne pas le faire. […] Sa capacité volitive
implique l’exercice de sa volonté » (E. DREYER, Droit pénal général, op. cit., no 882, p. 671).
331. V. CANTAT-LAMPIN SAINT-GÉRAND, op. cit., no 659, p. 729.
332. C. SAAS, L’ajournement du prononcé de la peine. Césure et recomposition du procès pénal, Dalloz, 2004, no 157 et suiv.
333. Pour des illustrations jurisprudentielles, cf. Cass. crim., 11 mai 1995, no 94-83.515, Bull. crim., no 172 ; Cass.
crim., 23 janv. 1997, no 96-84.822, Bull. crim., no 32.

73
loi entraîne l’existence d’une faute. Claire Saas poursuit en dénonçant « la reprise moderne
de la théorie de la causalité matérielle, ou plutôt d’imputation matérielle »334. Dans ce cadre
conceptuel, « l’intention, la faute, n’est que l’ombre portée des actes matériels »335.

Il peut paraître contestable que les magistrats ne cherchent pas à caractériser l’existence de
l’intention dans des circonstances extrinsèques à l’acte. En effet, s’il paraît logique que le juge
s’appuie sur des éléments de fait pour se prononcer sur la culpabilité, cette dernière
constituant une donnée immatérielle, il serait a priori critiquable336, en revanche, que les faits
retenus pour établir l’intention restent circonscrits à l’élément matériel de l’infraction. Dans
cette hypothèse, l’infraction, en se réduisant à l’addition d’un élément légal et d’un élément
matériel, signerait le retour des délits matériels. En plus de déjouer le refus des délits
matériels, le mécanisme des présomptions pourrait conduire à transformer des infractions
non intentionnelles en infractions intentionnelles.

1.2 La transformation d’infractions non intentionnelles en infractions intentionnelles

À propos du mécanisme des présomptions d’intention, Emmanuel Dreyer doute qu’« une
telle extrapolation soit bien légitime »337 dans la mesure où « cet effondrement du niveau
d’exigence permet aux magistrats de sanctionner sous couvert de dol général des négligences
grossières »338. Autrement dit, il serait contestable que l’affaiblissement de l’intention, pour
bénéficier de facilités probatoires et ainsi rendre plus aisé l’établissement d’une infraction,
conduise à transformer des infractions non intentionnelles en infractions intentionnelles. Or,
cette métamorphose serait le fait du législateur et de la jurisprudence.

L’exemple le plus emblématique du côté du législateur réside dans la consécration d’une


présomption de culpabilité en matière contraventionnelle, à l’alinéa 5 de l’article 121-3 du
Code pénal339. Le fait que la faute contraventionnelle n’ait pas à être constatée dispense de
s’interroger sur son intensité. Pour cette raison, la même amende est par exemple encourue
lorsqu’un conducteur a irrégulièrement stationné son véhicule après avoir vu le panneau
d’interdiction ou sans y avoir prêté attention. La contravention se juge donc sur la seule
matérialité du comportement, la responsabilité pénale qui en découle étant indifférente à la
culpabilité, intentionnelle ou non intentionnelle de l’agent et, au-delà, à sa psychologie. Un
tempérament résulte du fait que la présomption d’intention en matière contraventionnelle
est pour l’essentiel limitée aux contraventions situées hors Code pénal340. Dans ce contexte,

334. C. SAAS, Dalloz, 2004, no 158, p. 161. En application de cette théorie, lorsqu’il y a réalisation d’un acte
matériel pénalement réprimé et que le lien de causalité matériel entre l’acte et une personne a été établi, il
est possible de conclure à l’existence d’une infraction dans chacun de ses éléments constitutifs.
335. Loc. cit.
336. Cf. infra, le développement relatif à l’imbrication des éléments matériel et psychologique de l’infraction.
337. E. DREYER, op. cit., no 883, p. 673.
338. E. DREYER, ibid., no 884, p. 673.
339. Aux termes de l’article 121-3, alinéa 5 du Code pénal, « il n’y a point de contravention en cas de force
majeure ».
340. Comme le relève Emmanuel Dreyer : « Néanmoins, on observera qu’une telle explication concerne surtout
les innombrables contraventions prévues en dehors du Code pénal. Car la plupart de celles qui figurent
dans ce code doivent avoir été commises soit de manière intentionnelle (cf. C. pén., art. R. 624-1, R. 625-1,
R. 635-1, etc.) soit de manière non intentionnelle (cf. C. pén., art. R. 622-1, R. 625-2, R. 653-1, etc).

74
le régime des contraventions a d’ailleurs été validé par le Conseil constitutionnel dans sa
décision DC no 99-411 du 16 juin 1999, à propos de l’examen de la constitutionnalité de la
loi no 99-505 du 18 juin 1999 portant diverses mesures relatives à la sécurité routière341.

Du côté de la jurisprudence judiciaire, il est possible de prendre l’exemple du délit d’évasion.


La Cour de cassation a pu considérer que le condamné, bénéficiaire d’une permission de
sortir qui n’avait pu regagner à temps son lieu de détention parce qu’il avait « manqué le train
qu’il comptait prendre, dernier train possible à destination de Toul », s’est rendu coupable
d’évasion, sans égard pour le défaut d’intention coupable évoqué par l’auteur du pourvoi. En
d’autres termes, pour la Cour de cassation, la seule non-réintégration du lieu de détention
dans le délai imparti laisse présumer l’intention du délit d’évasion, peu importe qu’elle résulte
en réalité d’une imprudence ou d’une négligence de la part de son auteur. Il est possible de
tempérer cette jurisprudence par le fait que la juridiction suprême n’hésite pas, au regard de
certaines infractions, à condamner toute idée de présomption d’intention coupable. C’est le
cas de sa jurisprudence relative au délit d’abandon de famille342.

Quoi qu’il en soit, qu’elles fassent l’objet d’une approbation en doctrine ou pas, les
présomptions d’intention rejoignent la thèse d’une conception objectivée ou abstraite de la
culpabilité dans la mesure où elles dispensent d’investiguer sur l’état d’esprit de l’agent au
moment des faits. En outre, les tempéraments apportés tant par le législateur, qui limite par
exemple les présomptions d’intention contraventionnelle aux contraventions situées hors
Code pénal, que par la Cour de cassation, qui censure, selon les espèces, les présomptions
d’intention établies par les juges du fond, constituent un contre-argument à l’excès
d’abstraction qui découlerait des présomptions de culpabilité. Au-delà, plusieurs autres
éléments convergent en faveur de la cohérence du mécanisme des présomptions de
culpabilité.

Autrement dit, le code n’est pas fidèle au principe qu’il ose en matière de contravention : la plupart des
infractions de police qui y sont réprimées requièrent un élément moral formellement exprimé » (cf. E.
DREYER, op. cit., no 832, p. 638).
341. La Haute Juridiction a reconnu la conformité à la constitution de l’article L. 21-2 du Code de la route
venant élargir la responsabilité pécuniaire du propriétaire du véhicule à d’autres contraventions au Code
de la route. Jusqu’alors redevable, sauf à faire valoir un événement de force majeure, ou à fournir des
renseignements permettant d’identifier l’auteur véritable de l’infraction, des infractions à la règlementation
sur le stationnement, le propriétaire du véhicule impliqué devra aussi s’acquitter des amendes consécutives
à des infractions à la règlementation sur les vitesses maximales autorisées et sur les signalisations imposant
l’arrêt des véhicules.
342. L’article 227-3 prévoit l’infraction d’abandon de famille dans l’hypothèse d’un défaut de paiement d’une
pension alimentaire pendant plus de deux mois. Dans une décision du 12 juin 2013 – cf. Cass. crim.,
12 juin 2013, no 13-82.622, inédit, Dr. pén., 2013, comm. no 120, obs. M. VÉRON –, la Cour de cassation
examine le pourvoi formé contre une condamnation en appel pour abandon de famille (en récidive).
Pourvoi accompagné d’une question prioritaire de constitutionnalité formée par le requérant. Il conteste
la légalité de l’infraction au motif que l’article 227-3 du Code pénal ne serait pas conforme à l’article 9 de
la Déclaration des droits de 1789. Selon la Cour de cassation, il n’y a pas lieu de renvoyer cette question
prioritaire de constitutionnalité au Conseil constitutionnel car l’article 227-3 n’instaure aucune
présomption de culpabilité, la partie poursuivante ayant la charge de prouver que le prévenu est
volontairement demeuré plus de deux mois sans acquitter le montant de la pension alimentaire qu’il a été
condamné à payer par décision de justice. Cette décision implique que l’élément intentionnel de
l’infraction ne puisse être déduit du seul défaut de paiement. Il faut nécessairement établir que l’intéressé
a sciemment décidé de ne pas payer la pension dont il était débiteur.

75
2. La cohérence du mécanisme des présomptions de culpabilité
Deux arguments apparaissent décisifs, le premier relatif à la difficulté d’établir la réalité d’une
donnée immatérielle et le second relatif à l’imbrication des éléments matériel et moral de
l’infraction.

2.1 La validation des présomptions de culpabilité

La légitimité du mécanisme des présomptions de culpabilité découlant de la


difficile appréhension des données immatérielles
Selon André Giudicelli, « la recherche des dispositions psychologiques individuelles présente
des difficultés particulières de preuve, car celles-ci sont moins facilement “appréhendables”
que les données matérielles »343. L’auteur ajoute que « La preuve de l’intention est une
question essentielle et dont la difficulté explique, en jurisprudence, la persistance d’une
tendance à la simplification de son établissement malgré la disparition des délits matériels, et,
en législation, l’existence de présomptions, certes simples mais réelles, de culpabilité »344.
Dans le même sens, Emmanuel Dreyer concède qu’« une telle solution se défend aisément
compte tenu de la difficulté à reconstituer l’état d’esprit de l’auteur d’un acte plusieurs mois,
voire plusieurs années, après qu’il l’a accompli »345. Ainsi, « la solution finalement retenue
présente l’avantage de limiter l’appréciation des magistrats qui n’ont pas à opérer une
recherche divinatoire de l’état d’esprit de l’agent au moment des faits »346. Le mécanisme de
la présomption constitue donc une solution pragmatique confortée par l’imbrication des
éléments matériel et psychologique de l’infraction.

Les présomptions de culpabilité validées par l’imbrication des éléments matériel


et psychologique
La démonstration de l’interdépendance des éléments matériel et psychologique – Emmanuel Dreyer
considère qu’il s’agit « des deux dimensions d’un même acte »347. Si « tout comportement
incriminé comprend une dimension objective et une dimension subjective […] ces deux
dimensions s’avèrent, le plus souvent, indissociables l’une de l’autre »348, ou encore
« indivisibles », comme le considérait Adrien-Charles Dana dans sa thèse relative à la notion
d’infraction pénale349. Emmanuel Dreyer relève ainsi que « l’opposition d’un élément moral
à l’élément matériel apparaît très schématique »350 ou encore que « leur évocation sous forme
d’éléments distincts paraît excessive »351. Cette interdépendance s’explique par le fait que
« dès lors qu’il n’est pas réductible à son seul résultat, un comportement ne peut être saisi de
façon purement objective. Une dimension psychologique éclaire la dimension matérielle du
comportement incriminé »352 : comprenons qu’il existe une « unité profonde du

343. A. GIUDICELLI, « Incertitudes sur les frontières de l’intention », op. cit., p. 37.
344. Loc. cit.
345. E. DREYER, Droit pénal général, op. cit., no 883, p. 672.
346. Ibid., no 884, p. 675.
347. Ibid., no 834, p. 639.
348. Ibid., nos 221 et suiv.
349. Cf. A.-C. DANA, Essai sur la notion d’infraction pénale, LGDJ, 1982, t. XXIII, no 57, p. 59.
350. Cf. E. DREYER, op. cit., no 221, p. 179.
351. Loc. cit.
352. E. DREYER, Droit pénal général, Litec, 3e éd., 2014, no 215, p. 159.

76
comportement érigé en infraction »353. Pour appuyer son raisonnement, il rappelle également,
comme cela a déjà été démontré dans le cadre de cette étude, que l’élément moral tel qu’il est
– peu – théorisé ne va pas jusqu’à prendre en compte les mobiles, ce qui aurait dû être le cas
dans l’hypothèse d’une autonomie entre élément matériel et élément moral354.
André Decocq considère dans le même sens que « l’élément matériel n’est ainsi que la
manifestation de l’élément moral dans le monde extérieur, il n’en est pas véritablement
distinct »355. En conclusion, « on ne saurait dire qu’il y a là […] deux éléments indépendants
dont la preuve doit être distinctement rapportée »356. Ainsi, l’élément psychologique de
l’infraction « n’a pas à être recherché, en dehors de l’acte, dans la personnalité de son
auteur »357 ; la loi pénale « ne peut saisir l’élément moral de l’infraction que dans sa
manifestation au monde extérieur à travers l’élément matériel de l’infraction »358. L’élément
moral restant dans la dépendance du ou des éléments matériels requis par le texte
d’incrimination, il est logique qu’il s’établisse à partir de la matérialité des faits, que l’intention
ou la faute s’apprécient à travers l’acte accompli. Finalement, nous pouvons conclure sur ce
point que c’est au contraire l’opposition d’un élément moral à un élément matériel qui
pécherait par excès d’abstraction359. L’absence d’autonomie de l’élément psychologique et de
l’élément matériel légitime donc particulièrement l’existence de présomptions
jurisprudentielles de culpabilité qui consistent à déduire l’intention de la matérialité des faits.
L’existence de telles présomptions est d’ailleurs admise en jurisprudence.

2.2 L’admission conditionnelle des présomptions de culpabilité par la jurisprudence

Dans le cinquième considérant de sa décision DC no 99-411 du 16 juin 1999360, le Conseil


constitutionnel prévoit « qu’aux termes de l’article 9 de la Déclaration des droits de l’homme
et du citoyen : “Tout homme étant présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable…” […] il
en résulte qu’en principe le législateur ne saurait instituer de présomption de culpabilité en
matière répressive ; que, toutefois, à titre exceptionnel, de telles présomptions peuvent être
établies, notamment en matière contraventionnelle, dès lors qu’elles ne revêtent pas de
caractère irréfragable, qu’est assuré le respect des droits de la défense et que les faits induisent
raisonnablement la vraisemblance de l’imputabilité… ». En jugeant conforme le nouvel
article L. 21-2 du Code de la route élargissant la responsabilité pénale du titulaire du certificat
d’immatriculation par le mécanisme des présomptions de culpabilité361, le Conseil
constitutionnel ne valide pas seulement implicitement le régime des présomptions de
culpabilité en matière contraventionnelle. Par le recours à l’adverbe notamment, il en valide

353. Ibid., no 215, p. 161.


354. Loc. cit.
355. A. DECOCQ, Droit pénal général, op. cit., p. 152.
356. Ibid., no 215, p. 159.
357. Cf. E. DREYER, Droit pénal général, Litec, 4e éd., 2015, no 221, p. 181.
358. A. TSARPALAS, Le moment et la durée des infractions pénales, LGDJ, 1967, no 33, p. 29.
359. Même si on comprend, et préconise, pour des raisons didactiques ou encore pour le respect du principe
de la légalité, une telle dichotomie, cf. E. DREYER, Droit pénal général, op. cit., no 221, p. 181). Emmanuel
Dreyer rappelle en effet que « le respect du principe de la légalité […] commande au juge de vérifier que
sont bien réunies toutes les conditions pour déclarer coupable d’une infraction l’auteur d’un fait
déterminé » (loc. cit.).
360. Cf. supra, la transformation d’infractions non intentionnelles en infractions intentionnelles.
361. Devenu depuis l’article L. 121-3 du Code de la route.

77
implicitement le principe en matière correctionnelle et criminelle. Une conformité
conditionnelle cependant, puisque la présomption d’innocence reste le principe,
conformément à l’article 9 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, et les
présomptions de culpabilité l’exception. Dans le même sens, la Cour de cassation considère
que la Convention européenne des droits de l’homme n’interdit pas les présomptions de fait
ou de droit instituées en matière pénale dès lors que « les présomptions ne portent pas
atteinte aux droits de la défense, ni au principe de la présomption d’innocence »362.
La Cour européenne des droits de l’homme devait à son tour admettre, dans l’arrêt Salabiaku
du 7 octobre 1998, que tout système juridique connaît des présomptions de fait ou de droit
et que la Convention, si elle n’y met pas obstacle en principe, oblige cependant les États
contractants, en matière pénale, à ne pas dépasser un certain seuil, afin de « les enserrer dans
des limites raisonnables prenant en compte la gravité de l’enjeu et préservant les droits de la
défense »363. Autrement dit, elle reconnaît la légitimité de présomptions dans les droits
internes, sans distinction quant à la nature de l’infraction. La généralisation du mécanisme
des présomptions de culpabilité à l’ensemble des infractions combinée à sa validation, tant
par les juridictions de l’ordre interne que par la Cour européenne, participe du caractère
abstrait de la culpabilité. La question a pu se poser de la compatibilité des présomptions de
culpabilité avec la présomption d’innocence garantie par l’article 9 de la Déclaration des
droits de 1789. Elle a cependant été résolue par l’affirmative via l’admission conditionnelle
des présomptions de culpabilité.

D’une manière générale, les présomptions de faute ou de responsabilité ainsi que les
présomptions de fait constituent un contre-argument à la subjectivisation de la culpabilité.
Elles mettent en évidence que l’élaboration de la culpabilité d’un individu ne tient compte
d’aucune réalité d’ordre subjectif. Alors, certes, la culpabilité est une donnée psychologique,
mais elle est appréhendée de manière objective. Ce caractère objectivé de la culpabilité est
accru par l’admission très restrictive des causes de non-culpabilité.

§ 2 - L’admission restrictive des causes de non-culpabilité

La culpabilité et l’imputabilité constituent les deux données subjectives de la responsabilité


pénale. Elles génèrent logiquement deux catégories distinctes de causes subjectives
d’irresponsabilité pénale susceptibles d’affecter leur existence. Or, il n’est pas toujours aisé
de faire le départ entre les causes supprimant l’existence de la culpabilité et celles affectant
l’existence de l’imputabilité. Par exemple, la contrainte364, majoritairement décrite comme
une cause de non-imputabilité, présente en réalité un caractère hybride tenant à son acception
duelle. Si la contrainte morale vient bien annihiler la liberté psychologique indispensable à
l’imputabilité d’une infraction, la contrainte physique doit s’analyser en une cause de

362. Cass. crim., 26 oct. 1994, no 94-81.526, inédit Couet. Pour un précédent arrêt, cf. Cass. crim., 6 nov. 1991,
no 91-82.211, Bull. crim., no 397.
363. CEDH 7 oct. 1988, Salabiaku c/ France, série A no 141-A, § 28, RSC 1989, p. 167, obs. L.-E. PETTITI et
F. TEITGEN ; JDI 1989. 829, obs. P. ROLLAND et P. TAVERNIER.
364. Cf. C. pén., art. 122-2.

78
non-caractérisation de l’infraction, cause de non-matérialité lorsqu’elle affecte l’élément
matériel, ou cause de non-culpabilité lorsqu’elle affecte l’élément psychologique365.
L’erreur de droit, consacrée par le législateur à l’occasion de la réforme de 1992, à
l’article 122-3 du Code pénal, constitue une autre cause d’exonération dont il n’est pas aisé
de déterminer la nature juridique. Si la typologie des erreurs susceptibles d’affecter la
culpabilité est conséquente, il convient d’écarter d’emblée l’erreur de fait du champ de cette
étude. Cela tient au fait qu’elle « constitue une méprise sur la matérialité des faits, empêchant
d’avoir une perception exacte de leur réalité »366. Il faut dès lors convenir que l’erreur de fait
annihile la conscience infractionnelle et, par ricochet, l’existence de la culpabilité, à tout le
moins intentionnelle367. En ce qu’elle constitue en principe une cause de non-culpabilité
intentionnelle, elle ne saurait être porteuse en elle-même d’une abstraction de la notion de
culpabilité.
Les erreurs n’affectant pas ou peu l’existence de la culpabilité de l’agent sont plus
significatives de l’abstraction de la notion. C’est notamment le cas de l’erreur sur la personne
ou de l’aberratio ictus. En cas d’erreur sur la personne, on voulait par exemple tuer X et on en
a, par erreur, tué Y. D’après la jurisprudence, il y a meurtre de la personne qui a été tuée.
Comme le relève à cette occasion Jean Lebret, « la notion d’intention est donc envisagée non
pas sous son aspect complexe, vivant, réel, mais sous un aspect imprécis et essentiellement
abstrait »368. En cas d’aberratio ictus, cette fois, ce n’est plus par erreur, mais par maladresse,
ou pour toute autre raison, qu’une autre personne a été atteinte. Pour la jurisprudence, le
meurtre résultant de l’aberratio ictus doit être considéré comme intentionnel par rapport à la
personne même qui a été atteinte. Jean Lebret de considérer à nouveau que la notion
d’intention criminelle est décidément « dégagée de toutes attaches concrètes, essentiellement
imprécise et abstraite »369. Cependant, l’absence de conséquence de ces erreurs relativement
à l’intention criminelle peut paraître finalement logique. En revanche, il en va différemment
de l’erreur de droit. Son analyse fera donc l’objet du développement à suivre dans la mesure
où son rattachement aux causes de non-culpabilité (A.) corrélé à son admission restrictive en
jurisprudence (B.) en fait un indicateur pertinent de l’intensité normative de notre système
de culpabilité, donc de l’abstraction de la notion.

A. La nature juridique de l’erreur de droit

La nature juridique de l’erreur de droit ayant toujours été controversée en doctrine, il


importera préalablement de clarifier ce premier point. Le manque d’unanimité sur la question
tient à la potentialité d’un double rattachement. La doctrine est divisée sur ce point, certains

365. Cf. infra, partie 1, titre 1, chapitre II. D’ailleurs, l’admission très restrictive de la contrainte physique, cause
de non-culpabilité intentionnelle, participe de l’abstraction de la notion de culpabilité.
366. Cf. F. ROUSSEAU, L’imputation dans la responsabilité pénale, op. cit., no 18. Par exemple, l’individu qui s’empare
de la chose d’autrui croyant à tort en être le propriétaire.
367. Nombre d’auteurs considèrent que l’imprudence ou la négligence de l’auteur sont susceptibles de s’analyser
en une erreur de fait. L’erreur de fait et l’existence d’une culpabilité non intentionnelle peuvent donc
coexister.
368. Cf. J. LEBRET, op. cit., p. 445.
369. Loc. cit.

79
adhérant à la thèse de la non-imputabilité et d’autres à la thèse de la non-culpabilité370. Il
conviendra, dans un premier temps, de se demander si l’erreur de droit constitue « une cause
de non-imputabilité d’un nouveau genre »371, avant d’exclure cette éventualité (1.) et de
confirmer, dans un second temps, l’assimilation de l’erreur de droit à une cause de non-
culpabilité intentionnelle par le recours à la définition de l’intention (2.).

1. L’exclusion du rattachement de l’erreur de droit aux causes de non-


imputabilité
Certains auteurs considèrent que l’erreur de droit constituerait une cause de non-imputabilité.
Cela implique que la conscience infractionnelle participerait de la condition intellectuelle de
l’imputation à l’agent372. L’imputabilité, comme nous l’établirons, se présente comme la somme
de deux conditions, l’une relative à la liberté psychologique, l’autre au discernement de
l’agent373. Approchée par la négative, la notion implique que constituent des causes de non-
imputabilité la contrainte morale – à laquelle nous démontrerons le rattachement de l’état de
nécessité374 –, le trouble psychique ou neuropsychique aliénant et, dans certains cas, la
minorité de l’agent. Il faut donc en conclure que l’erreur de droit ne viendra pas grossir cette
catégorie, faute de pouvoir constituer une application particulière de la contrainte ou d’abolir
le discernement de l’agent.

1.1 L’exclusion de l’assimilation de l’erreur de droit à une application particulière de la


contrainte

Certains auteurs, dont Olivier Fardoux se fait l’écho, considèrent que « Si l’erreur invincible
écarte la culpabilité, elle ne le fait pas en détruisant l’une de ses composantes mais en
interdisant, d’une manière plus radicale, d’en examiner la réalisation »375. Autrement dit,
« L’erreur rend certes impossible la constatation d’une faute, mais seulement parce qu’elle
écarte l’imputabilité, qui suppose chez l’agent l’intelligence de son comportement et la liberté
d’agir comme il l’a fait »376. Plus précisément, « Dans cette acception, l’erreur invincible, qui
s’impose à l’agent en le mettant dans l’impossibilité absolue de l’éviter, affecterait sa volonté,
en l’obligeant à subir la situation qu’elle engendre. […] L’erreur est ainsi analysée comme une
des manifestations de la contrainte »377.
Plusieurs arguments permettent d’écarter cette analyse.

370. Pour les auteurs la qualifiant de cause de non-imputabilité, cf. par exemple Y. MAYAUD, Droit pénal général,
op. cit., nos 464 et suiv., p. 553 ; J. PRADEL, Droit pénal général, op. cit., nos 547 et suiv. ; J.-H. ROBERT, Droit
pénal général, PUF, 6e éd., 2005, p. 288 et suiv. Pour les auteurs voyant l’erreur de droit de cause de non-
culpabilité et, plus précisément, comme un obstacle à la caractérisation de l’intention, cf. notamment
P. CONTE et P. MAISTRE DU CHAMBON, Droit pénal général, A. Colin, 7e éd., 2004, no 397 ; R. MERLE et
A. VITU, Traité de droit criminel – Droit pénal général, op. cit., nos 582 et suiv.
371. Expression empruntée à E. DREYER, Droit pénal général, Litec, 3e éd., 2014, no 292, p. 218.
372. Selon une terminologie empruntée à François Rousseau. Autrement dit, la conscience infractionnelle
constituerait une condition de l’imputabilité.
373. Cf. infra.
374. Cf. infra, chapitre II.
375. O. FARDOUx, « L’erreur sur le droit du professionnel assisté de juristes qualifiés », JCP G 1998, II, 10095.
376. Ibid.
377. Ibid.

80
Le premier réside dans le fait que l’assimilation de l’erreur de droit à une forme particulière
de contrainte se fonde sur la priorité d’un débat sur l’imputabilité, dont nous écarterons la
pertinence dans le second titre de cette partie378. En outre, cette assimilation n’a pas été
consacrée par le législateur en 1992, lorsqu’il a introduit, en droit positif, la notion d’erreur
de droit. Tout d’abord, le Code pénal prévoit distinctement l’erreur sur le droit et la
contrainte, la première à l’article 122-3 et la seconde à l’article 122-2. Ensuite, les termes
qualifiants employés dans les articles 122-2 et 122-3 du Code pénal divergent dans leur
signification. L’article 122-2 du Code pénal évoque le caractère « irrésistible » de la contrainte.
Emmanuel Dreyer rappelle alors que « formellement, l’article 122-3 du Code pénal exige que
l’erreur sur le droit ait été “inévitable” non “invincible”, c’est-à-dire d’une intensité moindre
que la contrainte »379. Peu importe dès lors que la plupart des commentateurs de
l’article 122-3 du Code pénal tiennent l’expression d’erreur inévitable pour synonyme de celle
d’erreur invincible380. L’assimilation de l’erreur de droit à une forme de contrainte s’opère bien
contra legem. Le questionnement relatif à la potentialité d’un rattachement de l’erreur de droit
à la contrainte n’a donc plus lieu d’être.

1.2 L’exclusion de l’assimilation de l’erreur de droit à une cause d’abolition du discernement

Comme nous l’avons déjà précisé, François Rousseau prône le rattachement de l’erreur de
droit aux causes de non-imputabilité. Il considère que ce rattachement résulte de
l’assimilation de la conscience infractionnelle au discernement381. Résumons, pour mieux
l’exclure, son raisonnement. Il commence par rappeler certaines règles faisant l’unanimité en
doctrine. Tout d’abord, le fait qu’il est communément admis que l’erreur de droit affecte la
conscience infractionnelle. L’erreur de droit apparaît naturellement comme une possible
cause affectant la conscience infractionnelle, l’affirmation ne pose pas de difficultés. Ensuite,
le fait que les causes de non-imputation à l’agent, les causes de non-imputabilité, qui ne sont
en principe pas contestées résident dans le trouble mental et la minorité382. Or,
conformément à la lettre des articles 122-1 et 122-8 du Code pénal, il ne fait pas de doute
que ces causes affectent le discernement de l’agent. Il poursuit par l’édification d’un
raisonnement conduisant à rattacher l’erreur de droit aux causes de non-imputation à l’agent.
La première étape consiste alors, pour François Rousseau, à démontrer l’assimilation du
discernement à la conscience infractionnelle. Pour ce faire, il propose une définition juridico-

378. Cf. infra.


379. E. DREYER, Droit pénal général, Litec, 4e éd., 2015, no 296, p. 238.
380. Et ce, même s’il arrive à la Cour de cassation de reprendre la terminologie d’erreur invincible (cf. par
exemple, Cass. crim., 19 mars 1997, no 96-80.853, Bull. crim., no 115, JCP G 1998, II, 10095, comm. O.
FARDOUX).
381. L’auteur de titrer, dans sa thèse relative à l’imputation dans la responsabilité pénale, « La conscience
infractionnelle équivalant au discernement » (cf. le 2o p. 51).
382. En ce sens, P. CONTE et P. MAISTRE DU CHAMBON, Droit pénal général, A. Colin, 7e éd., 2004, nos 352 et
suiv. ; Y. MAYAUD, Droit pénal général, op. cit., nos 436 et suiv. ; R. MERLE et A. VITU, Traité de droit criminel –
Droit pénal général, op. cit., nos 616 et suiv. ; J. PRADEL, Droit pénal général, op. cit., nos 509 et suiv. ;
J.-H. ROBERT, Droit pénal général, PUF, 6e éd., 2005, p. 288 et suiv. ; à signaler, contra M.-L. RASSAT, Droit
pénal général, Ellipses, 2e éd., 2006, no 331, p. 356, qui qualifie le trouble mental de cause de non-culpabilité.

81
morale du discernement, inspirée de la notion de « conscience juridique » du Doyen
Carbonnier383.
La seconde étape de son raisonnement consiste à démontrer l’identité de régime juridique,
qui finalisera l’identité de nature juridique entre, d’une part, troubles mentaux et minorité et,
d’autre part, erreur de droit. Il raisonne à la fois sur le domaine d’application ainsi que sur les
règles régissant la participation en présence d’une cause de non-imputation à l’agent384. Il
redémontre que troubles mentaux et minorité, comme causes de non-imputabilité
majoritairement reconnues en doctrine en tant que telles, ont un domaine d’application
général. Il s’attache alors à démontrer la même généralité du domaine d’application de l’erreur
de droit. Il pourrait certes arguer du fait que l’article 122-3 du Code pénal vise l’erreur de
droit, sans faire aucune distinction. Ainsi, l’erreur pourrait concerner n’importe quelle règle
de droit, que l’infraction ait un caractère intentionnel ou non.
François Rousseau considère quant à lui que si une partie de la doctrine limite le domaine
d’application de l’erreur de droit aux seules infractions intentionnelles, c’est d’abord parce
que, selon l’auteur, elle retient une conception erronée de l’intention. D’après lui, « cette
réduction du champ d’application de l’erreur de droit aux seules infractions intentionnelles
est contestable »385, notamment au regard de considérations sociales. Après avoir rappelé que
l’admission de l’erreur de droit correspondait à un assouplissement de la présomption de
connaissance de la loi, il rappelle que cette présomption, en tant que nécessité d’ordre
public386, ne saurait être propre à l’intention387. Il fonde donc indirectement la généralité du
domaine d’application de l’erreur de droit sur le caractère d’intérêt général de la présomption
de connaissance de la loi. Selon lui, aucune distinction ne pourrait non plus être établie selon
la nature de l’infraction, crime, délit ou contravention. L’erreur de droit étant susceptible de
s’appliquer à l’ensemble des infractions, il en déduit que son domaine « apparaît, donc, aussi
étendu que celui des causes abolissant le discernement. Elle peut, dès lors, constituer un
obstacle à l’engagement de la responsabilité pénale, et ce quelle que soit l’infraction en cause.
Ainsi, l’erreur de droit, par la constance de son effet sur la responsabilité pénale, peut être
classée parmi les causes de non-imputation à l’agent »388.

Il confirme ensuite son raisonnement par la démonstration de l’indifférence de l’erreur de


droit sur la participation. Cela signifie que l’erreur de droit bénéficiant à l’auteur de
l’infraction principale ne ferait pas obstacle à la répression d’éventuels complices. Il est
logique de considérer que si l’erreur de droit constitue une cause de non-imputabilité, elle
n’entrave pas la caractérisation de l’infraction principale, préalable à l’examen des conditions

383. L’auteur se réfère ainsi à la notion de « conscience juridique » du Doyen Carbonnier, « c’est-à-dire un
sentiment de ce que devrait être le droit ; elle est comparable à la conscience morale. En revenant au droit pénal, elle
renvoie, en quelque sorte, à la perception de « l’élément légal » de l’infraction » (cf. F. ROUSSEAU,
L’imputation dans la responsabilité pénale, op. cit., no 30, p. 42).
384. Autrement dit, sur les modalités de la répression du complice en présence d’une erreur de droit dont aurait
été victime l’auteur des faits.
385. F. ROUSSEAU, L’imputation dans la responsabilité pénale, op. cit., no 48, p. 55.
386. Comme le précisent Roger Merle et André Vitu, si tous les citoyens pouvaient arguer de leur ignorance de
la loi pour échapper à son application, le régime de l’état de droit se dissoudrait dans l’anarchie (cf.
R. MERLE et A. VITU, Traité de droit criminel –Droit pénal général, op. cit., no 582.
387. D’ailleurs, elle touche l’ensemble des branches du droit.
388. F. ROUSSEAU, L’imputation dans la responsabilité pénale, op. cit., no 49, p. 56.

82
spécifiques à la complicité389. Bien que « la doctrine reste quasiment muette sur la possibilité
de greffer une participation sur l’infraction principale réalisée par une personne qui ignore,
légitimement, qu’elle a violé la loi », l’auteur invoque au soutien de son argumentation les
seuls auteurs qui, dans le même ouvrage, « estiment qu’il serait possible de condamner des
auteurs ou complices qui ne parviendraient pas à démontrer qu’ils ont été, légitimement,
victimes, eux aussi, d’une erreur sur le droit »390. L’erreur de droit n’empêcherait donc pas la
sanction d’un complice ayant, lui, agi en connaissance de cause391. François Rousseau
confectionne ensuite un exemple afin de parachever sa démonstration392. Il reste maintenant
à écarter les arguments avancés par François Rousseau afin de fonder l’appartenance de
l’erreur de droit aux causes de non-culpabilité.

Le premier obstacle procède de l’assimilation du discernement à la conscience infractionnelle.


Autrement dit, l’exclusion du rattachement de l’erreur de droit à la non-imputabilité résulte
de l’inadéquation du trouble mental et de la minorité à l’inconscience infractionnelle. Plus
précisément, cet obstacle résulte de l’exclusion d’une conception juridique du discernement
au profit d’une acception « scientifique » de ce dernier. Nous verrons que si cette acception
résulte d’un phénomène de laïcisation préalable de la responsabilité pénale, elle découle
explicitement de la lettre de l’article 122-1 du Code pénal qui établit un lien entre l’abolition
du discernement et l’existence de troubles psychiques ou neuropsychiques393. En outre, on
peut considérer que François Rousseau, en retenant une acception juridico-morale du
discernement394, n’a pas répercuté le mouvement de laïcisation de la responsabilité pénale sur
ses composantes. Aux termes d’une définition désormais surannée, il entend, à l’instar
d’autres auteurs395, le discernement comme l’aptitude à distinguer le bien du mal. Or, le
fondement du droit pénal ne résidant plus dans la religion mais dans la raison396, la dialectique
du bien et du mal comme paradigme à la définition des notions est désormais inadaptée. Il
convient donc d’exclure toute référence à une quelconque acception morale du
discernement.
Le second obstacle tient à la limitation du domaine d’application de l’erreur. Comme le relève
Naguib Hosni, « le problème de l’erreur de droit se délimite à la responsabilité pénale

389. Sur les conditions de la complicité, cf. infra, partie 1, titre 2.


390. F. ROUSSEAU, L’imputation dans la responsabilité pénale, op. cit., no 52, p. 58. À propos de Frédéric Desportes
et Francis Le Gunehec dans leur ouvrage de droit pénal général.
391. En ce sens F. DESPORTES et F. LE GUNEHEC, Droit pénal général, Economica, 16e éd., 2009, no 691, p. 666 ;
cf. aussi R. BERNARDINI, L’infraction et la responsabilité, Larcier, coll. « Droit criminel », 2012, no 510, p. 268.
392. Il imagine un maire qui, pour empêcher l’implantation d’une décharge publique sur une partie de sa
commune, délivrerait des permis de construire aux propriétaires des terrains avoisinant le site en violation
des règles de l’urbanisme. Il ajoute alors que dans le cas où les propriétaires bénéficieraient d’une
irresponsabilité tenant à l’erreur de droit provoquée par le maire, ce dernier, instigateur de la manœuvre,
n’en profiterait point. Il conclut donc à l’indifférence de l’erreur de droit sur la répression de la complicité.
393. Cf. intro et infra.
394. Cf. F. ROUSSEAU, L’imputation dans la responsabilité pénale, op. cit., no 41, p. 51.
395. Dans le même sens, P. BONFILS, « Le discernement en droit pénal », in Mélanges R. Gassin, PUAM, 2007,
p. 97, no 1 ; P. CONTE et P. MAISTRE DU CHAMBON, Droit pénal général, A. Colin, 7e éd., 2004, no 352 ;
Y. MAYAUD, Droit pénal général, op. cit., no 437 ; R. MERLE et A. VITU, Traité de droit criminel – Droit pénal
général, op. cit., no 616.
396. Cf. M. MASSE, « La post-modernité en droit : un courant doctrinal », in M. MASSE, J.-P. JEAN et
A. GIUDICELLI (dir.), Un droit pénal postmoderne ? Mise en perspective des évolutions et ruptures contemporaines, op.
cit.

83
intentionnelle »397. Cette dernière « n’est point incompatible avec la responsabilité pénale non
intentionnelle »398. Cela est logique dans la mesure où l’erreur de droit, qui consiste en une
ignorance ou en une mauvaise interprétation de la loi, procède le plus souvent d’une
négligence. Cette dernière réside dans un manquement au devoir juridique d’information,
corollaire du caractère contractuel de la répression pénale. D’ailleurs, ce que les détracteurs
de la théorie de l’erreur de droit, cause de non-culpabilité, reprochent à cette thèse, est qu’elle
reviendrait à considérer comme intentionnelles des infractions qui en réalité ne procèderaient
que d’imprudences ou de négligences de la part de citoyens insuffisamment renseignés ! Pour
autant, le fait que l’erreur de droit s’analyse le plus souvent en une négligence la rend
logiquement inopérante à la neutralisation d’une faute non intentionnelle.

Finalement, l’erreur de droit est insusceptible de constituer une cause générale de non-
culpabilité puisqu’elle ne peut neutraliser les infractions non intentionnelles. Or, dépourvue
de portée générale, elle perd dans le même temps la potentialité de constituer une cause
d’exonération de la responsabilité pénale. En ce qui concerne l’argument tiré de l’indifférence
de l’erreur sur la répression de la complicité, il n’est pas sûr non plus qu’il puisse prospérer,
faute de jurisprudence en ce sens. Il n’existe pas de décisions retenant la responsabilité pénale
du provocateur d’une erreur inévitable.
Imaginons l’hypothèse d’un individu qui agit illégalement sur les conseils d’une autorité
privée ou administrative. Il n’existe pas à notre connaissance de jurisprudence retenant la
responsabilité de l’instigateur dans une telle hypothèse, alors même que la responsabilité
pénale de l’auteur principal ne serait pas engagée en raison de l’erreur de droit « invincible »
dont il aurait été victime. Le fait que la responsabilité de ce conseil ne soit pas même
recherchée ne suggère-t-elle pas que l’infraction principale n’ait pu être caractérisée ?

Quoi qu’il en soit, la non-répression du complice de mauvaise foi en cas d’erreur de droit de
l’auteur principal plaide pour l’intégration de la conscience infractionnelle dans la structure
de l’infraction. Donc, non seulement l’erreur de droit est sans incidence sur la répression des
infractions non intentionnelles, mais encore, elle semble avoir une incidence sur la
participation, la répression de la complicité. En d’autres termes, l’erreur de droit dont a été
victime l’auteur bénéficie au complice. Ne procédant pas du même régime que le trouble
mental et la minorité, elle n’a donc pas la même nature juridique. L’erreur de droit n’est pas
une cause de non-imputabilité. Elle constitue en revanche une cause de non-culpabilité
intentionnelle comme en atteste la définition de l’intention

397. N. HOSNI, « L’erreur de droit et son influence sur la responsabilité pénale », RSC, 1999, p. 711.
398. Loc. cit.

84
2. La définition classique du dol comme argument en faveur de la thèse erreur
de droit, cause de non-culpabilité intentionnelle
Il suffit simplement de rappeler ici que la définition positive de l’intention correspond à
l’acception classique du dol. Or, aux termes de cette dernière, la connaissance de la loi, la
conscience de l’illicite est une composante de l’intention399. Ainsi, vouloir faire de l’erreur de
droit une cause de non-imputabilité implique l’abandon de la notion classique de dol général,
celle-là même dont il a été démontré, plus en amont, la pertinence. Au regard des
développements qui précèdent, l’erreur de droit s’analyse en une cause de non-culpabilité
intentionnelle. Il convient maintenant de mettre en exergue la place résiduelle accordée à
l’erreur de droit par la jurisprudence, afin de parachever la démonstration du caractère
objectivé de la culpabilité.

B. L’admission restrictive de l’erreur de droit

Elle souligne le caractère quasi irréfragable de la présomption de connaissance de la loi, ce


qui conduit à renforcer l’abstraction de la condition liée à la conscience infractionnelle.
Le refus jurisprudentiel d’admettre l’erreur de droit ne fait guère de doute en cas d’erreur
spontanée de l’intéressé400. Plus significative encore au regard de l’objet de notre recherche,
la rigueur dont fait preuve la Cour de cassation lorsque le prévenu a agi sur les conseils d’un
tiers, c’est-à-dire en cas d’erreur provoquée. La jurisprudence est relativement rigoureuse
dans l’appréciation des efforts déployés, en vain, pour connaître la loi. En effet, l’exclusion
jurisprudentielle de l’erreur de droit, en cas d’intervention d’un tiers compétent, est très
sévère, particulièrement lorsque ce dernier est un juriste qualifié401 et/ou une personne
relevant de l’Administration402.

399. Cf. supra.


400. Cf. par exemple, Cass. crim., 11 juin 1998, no 97-80.905, inédit, D., 1999, somm., p. 159, note M. SEGONDS.
En l’espèce, un fonctionnaire poursuivi du chef de prise illégale d’intérêts invoquait, pour sa défense,
l’erreur de droit qu’il aurait commise sur le contenu de ses obligations en sa qualité d’agent détaché de
l’Administration. Il soutenait qu’en tant qu’agent du gouvernement non soumis au statut de la fonction
publique, il ne savait pas « forcément » qu’il lui était interdit de conserver la qualité d’actionnaire d’une
société, alors que ses fonctions l’amenaient à être en relation avec celle-ci, sous peine de se rendre coupable
du délit d’ingérence.
401. Alors que les juridictions du fond ont parfois retenu l’application de l’article 122-3 du Code pénal dans le
cas d’informations erronées fournies par des avocats (CA Versailles, 27 janv. 1995, Gaz. Pal., 1996, I,
somm. 152 ; CA Douai, 26 sept. 1996, Dr. pén., 1997 no 60, obs. M. VÉRON), la Chambre criminelle de la
Cour de cassation a très vite considéré qu’une erreur sur le droit ne saurait être constituée par un simple
avis donné par un professionnel du droit. Pour une confirmation relativement récente, cf. Cass. crim.,
7 janv. 2004, no 03-82.337, Bull. crim., no 5 ; RSC, 2004, p. 635, note E. FORTIS. D’une manière générale,
la Cour de cassation opère un classement au sein des juristes » qualifiés », au sommet duquel elle place le
juge. Notons qu’elle écarte aussi l’application de l’article 122-3 du Code pénal à l’erreur provoquée par un
avoué sur la portée d’une décision judiciaire – relative à l’attribution de la résidence familiale – au motif
qu’elle pouvait être évitée par une demande d’interprétation présentée au juge ayant rendu la décision
controversée (cf. Cass. crim., 15 nov. 1995, no 94-85.414, Bull. crim., no 301 ; JCP G 1996, IV, 440 ; Dr. pén.,
1996, comm. no 56).
402. Cf. deux exemples de responsabilité pénale engagée nonobstant l’avis erronée fourni par une
administration. Pour l’administration des Douanes, cf. par exemple, Cass. crim., 9 juin 1999, no 98-80.052,
Bull. crim., no 133 ; JCP G 1999, IV, 2867 ; Dr. pén., 1999, comm. no 138. En l’espèce, un individu était
poursuivi pour recel de photographies et de films provenant du délit prévu par l’article 227-23 du Code
pénal incriminant la fixation, l’enregistrement ou la transmission d’images de mineurs à caractère
pornographique en vue de leur diffusion. Or, ces documents lui étaient parvenus dans un colis en

85
On peut remarquer que la rigueur de la jurisprudence va au-delà des préconisations du
législateur qui avait pourtant prévu que l’erreur sur le droit ne serait retenue que dans de rares
hypothèses. Au cours des débats parlementaires, deux illustrations d’erreurs inévitables
avaient été données, puis reprises dans la circulaire d’application du Code pénal du 14 mai
1993 de la direction des Affaires criminelles et des Grâces, au rang desquelles on trouvait le
défaut de publication du texte normatif ainsi que le cas d’une information erronée fournie
par l’autorité administrative préalablement à l’acte403. L’erreur de droit en cas de tolérance ou
d’information erronée fournie par l’Administration constituait donc l’un des exemples
d’erreurs envisagées par le législateur. Dès lors que l’erreur de droit n’est pas retenue alors
même que l’administration a mal renseigné la personne poursuivie ou accompli un acte qui
pouvait être interprété comme une admission ou une autorisation du comportement illicite,
quel domaine d’application reste-t-il à cette cause d’impunité ? Son exclusion
jurisprudentielle dans de telles hypothèses ne sonne-t-elle pas le glas de l’erreur de droit et,
partant, du caractère réfragable de la présomption de connaissance de la loi ? Ne scelle-t-elle
pas, dans le même temps, le caractère abstrait de l’exigence de la condition liée à l’existence
d’une conscience infractionnelle ?

Dans le prolongement de cette idée est également significative de l’abstraction de la condition


liée à l’existence d’une conscience infractionnelle, l’exclusion de l’erreur de droit consécutive
à une contrariété de jurisprudence entre deux chambres de la Cour de cassation. Il est en
effet particulièrement significatif que la chambre criminelle écarte l’application de
l’article 122-3 du Code pénal en présence d’interprétations contradictoires de la règle de droit
par deux chambres officiant au sein de la plus haute juridiction de l’ordre judiciaire. Elle
considère en effet qu’une telle incompatibilité de jurisprudence ne peut laisser croire à la
personne poursuivie qu’elle peut légitimement accomplir l’acte pénalement répréhensible.
Ne faudrait-il pas admettre, au contraire, que l’existence de solutions divergentes initiées par
les professionnels du droit les plus qualifiés est nécessairement créatrice d’insécurité juridique
et, donc, potentiellement source d’une erreur sur le droit ? Cette schizophrénie
jurisprudentielle a trouvé une illustration en matière de soustraction de documents
d’entreprise par des salariés en vue de se défendre en justice404. Nous nous plaçons
antérieurement à la résolution de ce conflit interne alors que les chambres criminelle et sociale

provenance de l’étranger, colis qui avait été acheminé jusqu’à son domicile après que l’administration des
Douanes ait estimé que « ces objets ne s’avéraient pas illicites par rapport à la législation douanière en
vigueur ». Le prévenu invoquait que cette appréciation des Douanes lui avait fait croire, par erreur, à la
licéité de la détention des objets litigieux. La Cour de cassation estima au contraire que l’attitude de
l’administration des Douanes ne pouvait constituer une erreur au sens de l’article 122-3 du Code pénal.
Pour un autre exemple d’erreur sur le droit écartée nonobstant l’avis erroné fourni par l’Administration,
cf. Cass. crim., 19 mars 1997, no 96-80.853, Bull. crim., 115, JCP G 1998, II, 10095, note O. FARDOUX. En
l’espèce, le prévenu, la société Auchan, avait réalisé des travaux d’agrandissement sans solliciter l’avis de
la commission départementale d’équipement commercial. Elle invoquait pour sa défense l’obtention d’un
permis de construire pour la réalisation de l’opération consécutivement à l’avis favorable délivré par le
ministère des Entreprises. Ce dernier ne considérait pas l’opération réalisée par la société comme une
extension de l’hypermarché Auchan. Il en résultait qu’une autorisation de la commission d’équipement
commercial n’était pas nécessaire. La société Auchan s’est donc vainement prévalue d’une erreur sur le
droit provoquée par l’avis erroné de l’Administration, en l’occurrence la plus haute autorité administrative
compétente.
403. Cf. Rapp. MARCHAND, Doc. AN, 1992, no 896, p. 140.
404. Jurisprudence déjà évoquée à l’occasion de la démonstration de l’exclusion des mobiles de la définition de
l’intention.

86
retenaient sur la question deux solutions contradictoires405. Plus particulièrement, la chambre
criminelle considérait que de tels agissements – quel qu’en soit le mobile – étaient constitutifs
de vol, alors que la chambre sociale reconnaissait le droit pour un salarié de produire en
justice, en vue d’assurer sa défense dans le procès qui l’oppose à son employeur devant le
juge prud’homal, les documents de l’entreprise dont il avait connaissance dans l’exercice de
ses fonctions406. Comme le relève Carole Girault, le salarié « se voyait donc autorisé à
organiser sa défense devant les instances prud’homales au prix d’une probable condamnation
pour vol devant les juridictions pénales »407. Dans ce contexte, si certaines juridictions du
fond, contestant la rigueur de la chambre criminelle, écartaient l’infraction de vol en
considérant que soit l’élément matériel, soit l’élément psychologique du délit n’étaient pas
caractérisés408, d’autres n’hésitaient pas à fonder la relaxe du salarié sur l’erreur de droit, cette
dernière résultant de l’opposition qui existait entre la chambre sociale et la chambre
criminelle. En ce sens, la cour d’appel de Paris, dans un arrêt en date du 9 novembre 2000,
avait justifié sa solution en considérant que la divergence d’interprétation d’une règle de droit
entre deux chambres de la Cour de cassation était de nature à créer une erreur sur le droit
que le prévenu n’était pas en mesure d’éviter409. Finalement, la chambre criminelle opère un
revirement de sa jurisprudence par deux arrêts en date du 11 mai 2004410 en considérant que
le délit de vol pouvait être justifié par la stricte nécessité de l’exercice des droits de la défense
en cas de production de documents dont le salarié a eu connaissance dans le cadre de
l’exercice de ses fonctions pour en faire usage lors d’un litige l’opposant à son employeur.
Ainsi, si elle finit par retenir l’impunité de l’auteur, cette dernière n’est prononcée ni sur le
fondement de l’absence d’infraction pénale ni sur celui de l’erreur de droit. L’exclusion du
fondement de l’article 122-3 du Code pénal ressort d’ailleurs clairement de la première
espèce, dans la mesure où la cour d’appel saisie avait eu recours à l’erreur de droit pour relaxer
le prévenu et faire jouer à son profit le paradoxe jurisprudentiel411. La Cour de cassation a

405. Il s’agit de comprendre ici que l’erreur de droit n’a pas été admise par la Cour de cassation dans une telle
hypothèse mais que l’apaisement est venu d’un alignement de la position d’une chambre sur celle de
l’autre ; en l’espèce c’est la chambre criminelle qui a opéré un revirement de sa jurisprudence.
406. Pour un aperçu des décisions divergentes des chambres criminelle et sociale dans ce type d’affaires, cf. par
exemple Cass. crim., 8 déc. 1998, no 97-83.318, Bull. crim., no 336 ; JCP G 1999, IV, 1734 ; Dr. pén., 1999,
comm. no 67 ; D., 2000, somm. p. 87, note S. FROSSARD ; RSC 1999, p. 822, obs. R. OTTENHOF ;
également Cass. crim., 16 mars 1999, JCP G 1999, II, 10166, note S. BOURETZ. Comp., Cass. soc., 2 déc.
1998, no 96-44.258, Bull. civ., V, no 535 ; D., 1999, Jurisp., p. 431, note GABA ; D., 1999, somm. p. 87, obs.
S. FROSSARD ; JCP G 1999, II, 10 166, note S. BOURETZ.
407. C. GIRAULT, « Soustractions de documents d’entreprise par les salariés en vue de se défendre en justice »,
JCP G 2004, II, 10124.
408. Cf. supra, le développement sur l’exclusion jurisprudentielle des mobiles de la définition de l’intention.
409. Cf. CA Paris, 9 nov. 2000, JCP G 2001, I, 346 ; Dr. pén., 2001, comm. no 57; D. 2001, somm., p. 2345, obs.
B. DE LAMY ; RSC, 2001, p. 829, obs. G. GIUDICELLI-DELAGE.
410. Cf. Cass. crim., 11 mai 2004, (deux arrêts), nos 03-80.254 et 03-85.521, Bull. crim., nos 113 et 117 ; D. 2004,
Jurisp., p. 2326, note H. KOBINA-GABA ; D. 2004, somm., p. 2759, obs. G. ROUJOU DE BOUBEE ; RSC,
2004, p. 635, E. FORTIS ; RSC, 2004, p. 866, obs. G. VERMELLE ; JCP G 2004, II, 10124, note
C. GIRAULT ; Dr. pén., 2004, comm. no 122, obs. M. VÉRON ; LPA, 23 sept. 2004, no 191, p. 14,
F. DEBOVE ; LPA, 24 nov. 2004, no 235, p. 14, note P. BOUGHANMI-PAPI.
411. Cf. Cass. crim., 11 mai 2004, no 03-80.254, Bull. crim., no 113 : « Pour relaxer la prévenue, l’arrêt attaqué
retient que celle-ci est fondée à invoquer l’erreur sur le droit, au motif que, si la chambre criminelle de
cette juridiction considère que de tels agissements, quel qu’en soit le mobile, sont constitutifs de vol,
Fabienne X a pu croire à la licéité de son action dès lors que la chambre sociale reconnaît le droit pour un
salarié de produire en justice, en vue d’assurer sa défense dans le procès qui l’oppose à son employeur
devant le juge prud’homal, les documents de l’entreprise dont il a eu connaissance dans l’exercice de ses
fonctions. »

87
cependant sanctionné cette approche en considérant que les juges d’appel avaient fait une
fausse application de l’article 122-3 du Code pénal et n’avaient pas donné de base légale à
leur décision, l’erreur de droit n’étant pas invincible.

Au-delà de ce cadre contentieux spécifique, il est possible d’ériger en règle générale qu’une
divergence de jurisprudence entre chambres de la Cour de cassation ne constitue pas une
erreur de droit invincible permettant la relaxe sur le fondement de l’article 122-3 du Code
pénal, et cela, nonobstant la position de la Cour européenne sur ce point412. La jurisprudence
interne la plus récente continue à faire preuve d’une stricte appréciation de la notion d’erreur
inévitable. Une décision en date du 20 mai 2015413 en témoigne dans le domaine du droit
pénal fiscal et, plus particulièrement, concernant les infractions aux contributions indirectes.
En l’espèce, deux personnes avaient créé un site de vente aux enchères sur Internet après
avoir consulté des avocats et des sites similaires. Elles avaient en outre recueilli quelques mois
plus tard l’avis favorable de la direction régionale de la Concurrence, de la Consommation et
de Répression des fraudes. Cette dernière s’était toutefois ravisée deux semaines plus tard.
Les intéressés étaient alors poursuivis pour ouverture sans déclaration d’une maison de jeux
de hasard, défaut de déclaration de recette et défaut de paiement de l’impôt sur les spectacles
de quatrième catégorie. Selon la Cour de cassation, ils ne pouvaient se prévaloir de l’erreur
de droit inévitable sur la légalité de leur activité. Elle a donc estimé qu’ils étaient redevables,
depuis l’ouverture du site, de leurs obligations fiscales en matière de contributions indirectes. Les
précautions prises ont ainsi été jugées insuffisantes, y compris pour la période couverte par l’avis
favorable de l’administration. Cela est très sévère puisque, dans la dernière hypothèse, l’avis
favorable émanait non seulement d’une autorité privée, mais aussi d’une autorité publique,
preuve que la présomption de connaissance de la loi s’apparente en matière fiscale à une
présomption irréfragable accroissant encore le caractère abstrait de la culpabilité, en
particulier eu égard à la complexité de la règlementation en la matière.

Le fait que le domaine d’intervention de l’erreur de droit soit quasiment réduit à néant, en
raison de l’interprétation jurisprudentielle particulièrement stricte de ses conditions
d’application, a conduit certains auteurs à s’interroger sur l’opportunité de son maintien.
Le rapprochement de cette cause d’irresponsabilité pénale des autres causes existantes
autoriserait même à envisager son remplacement par un nouveau fait justificatif :
l’autorisation de l’autorité légitime414.

412. La Cour européenne des droits de l’homme a sanctionné la France sur une question similaire. En effet,
dans la décision Pessino c/ France (CEDH, Pessino c/ France, req. no 40403/02, 10 oct. 2006, D. 2006,
jurispr. 124, note D. ROETS), la Cour européenne affirme que « la loi doit définir clairement les infractions
et les peines qui les répriment. Cette condition se trouve remplie lorsque le justiciable peut savoir, à partir
du libellé de la disposition pertinente et au besoin à l’aide l’interprétation qui en est donnée par les tribunaux, quels
actes et omissions engagent sa responsabilité pénale. La notion de « droit » utilisée à l’article 7 […] englobe le
droit d’origine tant législative que jurisprudentielle et implique des conditions qualitatives, entre autres celles
de l’accessibilité et de la prévisibilité »412. En application de la jurisprudence de la Cour européenne, il
semble donc que la contrariété de jurisprudence au sein de la Cour de cassation soit susceptible de relever
de l’application de l’article 122-3 du Code pénal. Mais peut-être se livre-t-elle à une conception moins
objectivée de l’intention que les juridictions de l’ordre interne ?
413. Cass. crim., 20 mai 2015, no 13-81.307, inédit, Dr. pén., 2015, Chron. 8, p. 23. Cf. également Cass. crim.,
20 janv. 2015, no 14-80.532, Dr. pén. 2015, comm. 32 ; JCP G 2015, act. 120.
414. Cf. J. HERRMANN, « Quel avenir pour l’erreur de droit ? », Dr. pén., 2016, étude 5.

88
Chapitre II

La reconfiguration du champ de la condition
de liberté relevant de l’imputabilité

L’exclusion du rattachement de la condition de discernement à la notion de culpabilité


entendue comme élément psychologique de l’infraction a permis de déduire l’inclusion du
discernement dans la composition de l’imputabilité. Il importe maintenant de s’intéresser à
la condition volitive de l’imputabilité. La doctrine a coutume d’associer à la condition tenant
à l’existence du discernement de l’agent une autre condition, tenant à l’exercice d’une volonté
libre. Le législateur n’a pas appréhendé le contenu de l’imputabilité de manière positive mais
de manière implicite et indirecte, par le biais de certaines causes d’exonération de la
responsabilité pénale. En l’occurrence, la condition tenant à la liberté de la volonté renvoie à
la notion de contrainte, prévue à l’article 122-2 du Code pénal. Au regard de la jurisprudence
rendue sur le fondement de cet article, il semble qu’il faille opérer une distinction selon que
le fait constitutif de contrainte s’exerce directement sur le corps ou la volonté de l’agent. Il
conviendra donc d’adopter la scission de la contrainte en une acception physique et
« morale ». De cette manière, nous serons amenée à questionner la pertinence de la
composante liberté, dans sa double dimension physique et intellectuelle, dans la constitution
de l’imputabilité, d’une part en solutionnant la place de la liberté de mouvement (section 1)
et, d’autre part, en confirmant le rattachement de la contrainte morale aux causes de non-
imputabilité (section 2).

Section 1 – L’existence d’une condition tenant à la liberté physique de


l’agent entrant dans la constitution de l’infraction
L’acception doctrinale de la contrainte physique se fonde sur la définition donnée en son
temps par Jean-André Roux, dont il résulte qu’elle s’entend communément de la « mainmise
sur le corps d’une personne » par une force de la nature, d’un animal ou d’un tiers, qui lui
enlève « l’exercice de son activité »415. La contrainte physique, en ce qu’elle s’analyse en une
« mainmise sur le corps de la personne », semble donc de nature à faire obstacle à la
constitution de l’élément matériel de l’infraction qui, rappelons-le, se décompose en trois

415. Cf. notamment R. MERLE et A. VITU, Traité de droit criminel – Droit pénal général, op. cit. ; no 619 ;
M.-L. RASSAT, Droit pénal général, op. cit., no 440, p. 464 ; J.-H. ROBERT, Droit pénal général, PUF, 6e éd., 2005,
p. 306.

89
éléments : un comportement, un résultat416 et un lien de causalité entre les deux. En ce sens,
une partie de la doctrine417 fonde son étude de la contrainte physique sur la définition
élaborée par Jean-André Roux. Cependant, en ce qu’elle affecte directement ou par ricochet,
la volonté, la contrainte physique, est aussi susceptible d’entraver la réalisation de l’élément
psychologique de l’infraction. Le rattachement de la contrainte physique aux causes de non-
imputabilité supposerait donc, en présence d’un fait contraignant de cette nature, de pouvoir
caractériser l’infraction dans tous ses éléments constitutifs, notamment matériel et
psychologique. Il convient donc de vérifier si un événement de contrainte physique est
compatible avec la réalisation des éléments matériel (§ I) et psychologique de l’infraction
(§ II) avant de conclure par la négative.

§ 1 - L’incompatibilité de la contrainte physique avec la matérialité de


l’infraction

Comme nous l’avons rappelé418, l’élément matériel de l’infraction peut être décomposé en
trois sous-éléments : le comportement incriminé par le législateur, son résultat et le lien de
causalité entre les deux. La contrainte physique n’est pas de nature à empêcher la
caractérisation du résultat ; au contraire, elle contribue en principe à sa production. En
revanche, elle semble pouvoir faire obstacle à la caractérisation du comportement (A.) et du
lien de causalité (B.).

A. La non-caractérisation du comportement répréhensible en présence d’une


contrainte physique

Plusieurs catégories d’infractions peuvent être atteintes dans leur matérialité par un
événement de contrainte physique419. Il s’agit tout d’abord des infractions d’omission
reposant sur un pouvoir d’agir, préalable à l’abstention (1.) et ensuite des délits d’homicide
et de blessures non intentionnels (2.).

1. En présence d’une infraction d’omission supposant un pouvoir préalable


d’agir
Dans cette hypothèse, c’est le pouvoir d’agir de l’agent qui va se trouver anéanti par un
événement de contrainte physique. La réalité de ce pouvoir, dans la mesure où il doit
préexister à l’abstention constituant la matérialité de l’infraction, est vérifiée dans le cadre de

416. S’il est théoriquement possible de toujours caractériser l’existence d’un résultat en raison de la distinction
opérée entre résultat réel et résultat juridique (cf. supra, chapitre I : « Les conditions de l’imputabilité
découlant du caractère objectivé de la culpabilité »), il est vrai que la référence au résultat d’une infraction
renvoie, pour la majorité de la doctrine, à la notion de résultat réel et donc aux seules infractions
matérielles.
417. Cf. R. BERNARDINI, Droit pénal général : introduction au droit criminel, théorie générale de la responsabilité pénale,
op. cit., no 619 ; R. MERLE et A. VITU, Traité de droit criminel – Droit pénal général, op. cit., no 619 ;
J.-H. ROBERT, Droit pénal général, PUF, 6e éd. 2005, p. 305 ; F. DESPORTES et F. LE GUNEHEC, Droit pénal
général, Economica, no 662, p. 642 ; J. PRADEL, Droit pénal général, op. cit., no 532.
418. Cf. supra.
419. Cf. F. ROUSSEAU, L’imputation dans la responsabilité pénale, op. cit., nos 70 et suiv.

90
l’étude du comportement répréhensible. Parmi les infractions les plus célèbres, on retrouve le
refus d’empêcher un crime ou un délit contre l’intégrité d’une personne et le refus de porter
assistance à une personne en péril, délits visés respectivement aux alinéas 1 et 2 de
l’article 223-6 du Code pénal. Aux termes de cet article, les deux délits impliquent bien une
possibilité préalable d’action420, corrélée à une absence de risque pour l’abstentionniste ou
pour les tiers. Aussi, certains arrêts soulignent-ils l’existence de ce pouvoir préalable d’agir
dans la décision de condamnation. Par exemple, se rend coupable du délit d’omission
d’empêcher une infraction le gendarme qui laisse exercer en sa présence des violences sur un
détenu par des gardes placés sous ses ordres421, ou encore le médecin hospitalier sachant que
plusieurs membres du personnel avaient un comportement maltraitant envers des
pensionnaires âgés et dépendants, qui s’abstient d’intervenir auprès de l’encadrement des
infirmiers afin que soient prises des dispositions, telles qu’une meilleure surveillance, et de
s’entretenir de la situation avec la direction de l’hôpital422. Deux autres exemples illustrent
cette fois des condamnations pour omission de porter secours, justifiées également par le
non-usage d’un pouvoir d’agir. Ainsi, le capitaine du cargo qui se contente de signaler le
naufrage d’un chalutier qu’il a lui-même provoqué, sans mettre en œuvre l’intervention
personnelle efficace qu’il pouvait entreprendre sans risque, se rend coupable de non-
assistance à personne en péril423. Il en va de même pour le prévenu qui, étant à l’origine d’un
accident, s’arrête, descend de son véhicule, prend le pouls de la victime et, constatant qu’il
bat encore, repart sans donner l’alerte pour revenir plus tard alors que les secours, alertés par
des tiers, étaient sur place424.

En revanche, il faut logiquement admettre que « celui qui par l’effet d’un événement
irrésistible et imprévisible425, qui ne lui est pas reprochable, ne peut empêcher la survenance
d’un crime ou d’un délit contre l’intégrité corporelle, ou encore porter assistance à une
personne en péril, ne peut se voir reprocher une quelconque abstention, et ce, sans même
s’interroger sur son état d’esprit »426. Et pour cause, cet événement irrésistible est imprévisible. Il
s’agit de comprendre qu’une contrainte physique a supprimé le pouvoir d’agir dont l’agent
disposait, enlevant ainsi à l’abstention son caractère répréhensible. Un exemple peut être
trouvé en jurisprudence avec le délit d’abandon pécuniaire de famille réprimé par
l’article 227-3 du Code pénal. Aux termes de cet article, l’infraction consiste à ne pas exécuter
une décision judiciaire imposant de verser au profit d’un enfant mineur, d’un descendant ou
du conjoint, une pension ou des prestations de toute nature, découlant d’une obligation
familiale. Bien que l’article 227-3 ne prévoie pas, au titre de ses éléments constitutifs, la
possibilité préalable d’exécuter la décision de justice, la Cour de cassation a considéré que
l’infraction n’était pas constituée si le débiteur rapportait la preuve de son insolvabilité

420. Al. 1 : « Quiconque pouvant… » ; al. 2 : « quiconque… pouvait ».


421. Cass. crim., 23 mars 1950, Bull. crim. no 109.
422. Cass. crim., 23 oct. 2013, no 12-80.793, Bull. crim., no 204; Dr. pén. 2013, comm. 166, obs. M. VERON;
Dr. pén. 2014, comm. 15, obs. A. MARON et M. HAAS.
423. Cass. crim., 13 mars 2007, no 06-86.210, inédit, Dr. pén. 2007, comm. 82, obs. M. VERON.
424. Cass. crim. 15 avr. 2008, no 07-86.336, inédit, RSC, 2008. 910, obs. Y. MAYAUD.
425. Les deux caractères, législatif pour le premier et jurisprudentiel pour le second, que doit réunir la
contrainte, qu’elle soit physique ou morale, pour exonérer l’agent de sa responsabilité pénale.
426. F. ROUSSEAU, L’imputation dans la responsabilité pénale, op. cit., no 70.

91
totale427. Précisons que le débiteur doit se trouver dans « l’impossibilité absolue de payer »428,
qu’il ne doit pas s’agir d’une simple difficulté429. On voit bien que c’est la matérialité même
du délit qui est affectée.

Dès lors, en présence d’une infraction d’omission supposant un pouvoir d’agir préalable,
dans l’hypothèse de l’anéantissement du pouvoir d’agir par la contrainte physique s’exerçant
sur l’agent, « ce n’est pas seulement le défaut d’intention ou de volonté qui explique la non-
caractérisation de l’infraction, mais plus radicalement son défaut de matérialité »430.

Les délits d’homicide et de blessures involontaires peuvent voir également leur matérialité
affectée par un événement de contrainte physique.

2. En présence d’un homicide ou de blessures involontaires


En application, d’une part de l’article 121-3 du Code pénal et, d’autre part, des articles 221-6
et 222-19 du même code, incriminant respectivement l’homicide et les blessures
involontaires, l’élément psychologique de l’infraction peut consister « en une maladresse,
imprudence, inattention, négligence ou manquement à une obligation de prudence ou de
sécurité imposée par la loi ou le règlement ». Cette faute non-intentionnelle est
traditionnellement résumée sous le vocable générique d’imprudence ou de négligence ordinaire.
On peut présenter cette imprudence comme réunissant un aspect matériel et un aspect
psychologique. Si ce dernier consiste dans la volonté du comportement431, le premier peut se
définir comme « un écart de conduite apprécié in abstracto432 ». Autrement dit, la
caractérisation du comportement de l’élément matériel de ces infractions non intentionnelles
suppose de prouver que l’agent s’est écarté de la conduite qu’aurait adoptée le « bon père de
famille »433 placé dans les mêmes circonstances.

La question se pose donc de savoir si la contrainte physique est de nature à faire obstacle à
l’existence d’une imprudence dans son acception matérielle. La survenance d’un fait
contraignant de cette nature peut-elle avoir des incidences sur le comportement d’une
personne impliquée involontairement dans la production d’un dommage quelconque ? Par
exemple, la foudre qui déporterait un véhicule au point d’entrer en collision avec un autre
peut-elle exonérer le conducteur du premier véhicule de sa responsabilité pénale en cas de
blessures occasionnées aux passagers du second véhicule ? Qu’en est-il du verglas
provoquant la sortie de route d’un véhicule ? Les exemples en jurisprudence sont nombreux.

427. En ce sens, Cass. crim., 24 avr. 1937, DH 1937. 429, considérant que ne peut être condamné pour abandon
de famille celui qui, atteint d’une affection cardiaque l’obligeant à un repos complet et dépourvu de toutes
ressources personnelles, se trouve à la charge de ses parents, une telle situation constituant un cas de force
majeure.
428. En ce sens, Cass. crim., 26 févr. 1992, no 91-83.913, Bull crim., no 88.
429. En ce sens, Cass. crim., 7 janv. 2004, no 03-82.337, Bull. crim., no 5.
430. F. ROUSSEAU, L’imputation dans la responsabilité pénale, op. cit., no 70.
431. Cf. supra, le chapitre relatif à la définition de la culpabilité.
432. Par rapport à l’attitude qu’aurait adopté un homme normalement raisonnable, pourvu des mêmes qualités
et placé dans les mêmes circonstances, cf. F. ROUSSEAU, L’imputation dans la responsabilité pénale, op. cit.,
no 71, p. 82.
433. L’expression a toutefois été supprimée du droit positif par la loi no 2014-873 du 4 août 2014 pour l’égalité
réelle entre les femmes et les hommes.

92
C’est ainsi que la Cour de cassation a considéré que la plaque de verglas provoquant la sortie
de route d’un véhicule constituait un cas de force majeure dès lors que cette plaque s’était
trouvée, en raison des conditions atmosphériques, subitement localisée sur une surface
réduite434. La même solution a été retenue pour le cycliste qui, enfermé et emporté par le
peloton, percute un agent du service d’ordre435. Dans ces hypothèses, les prévenus ne
s’étaient pas écartés du comportement qu’aurait adopté un homme raisonnable,
normalement prudent et diligent, placé dans les mêmes circonstances. Cependant, de par le
caractère absolu de la contrainte physique qu’ils avaient subie, l’impossibilité d’éviter le
dommage devait être retenue. Ainsi, dans certains cas de délits d’homicide ou de blessures
non intentionnels, la contrainte physique est de nature à faire obstacle à la caractérisation du
comportement pénalement répréhensible. Elle peut empêcher la caractérisation matérielle de
l’imprudence.

Une autre composante de l’élément matériel de l’infraction peut se trouver affectée par la
contrainte physique : il s’agit du lien de causalité entre le comportement répréhensible et son
résultat.

B. La non-réalisation du lien de causalité en présence d’une contrainte physique

Pour certains auteurs, la contrainte physique peut très bien cohabiter avec l’existence d’une
imprudence dans son acception matérielle. Plusieurs exemples peuvent en témoigner. Par
exemple, un parasol planté dans le sable d’une plage, à la suite d’un coup de vent
extrêmement violent, s’envole et vient blesser un vacancier. Il y a incontestablement une
négligence à ne pas avoir mieux fixé le parasol, comme l’aurait fait toute personne
normalement diligente. Néanmoins, il se peut que, même solidement fixé, le parasol se soit
tout de même envolé compte tenu de la force du vent. Ainsi, le coup de vent, étranger au
comportement de l’agent, pourrait être déterminant de l’envol du parasol. La force majeure
ou contrainte physique pourrait donc venir affecter la causalité. On précisera néanmoins que
cela suppose que la jurisprudence pénale ne soit pas insensible à la théorie de la causalité
adéquate, afin de pouvoir retenir le coup de vent comme la cause prépondérante du
dommage. Or, nonobstant le recours de principe à la théorie de l’équivalence des conditions
pour qualifier le lien de causalité436, le recours à la causalité adéquate en matière pénale n’est
aujourd’hui plus exceptionnel. Cela laisse donc entrevoir la reconnaissance d’une action de
la contrainte physique sur le lien de causalité. Par exemple, la Cour de cassation a relaxé du
chef d’homicide non intentionnel un automobiliste qui avait seulement blessé un piéton, ce

434. Cass. crim., 18 déc. 1978, no 78-92.468, Bull. crim., 1978, no 357.
435. Cass. crim., 5 janv. 1957, Bull. crim., 1957, no 17.
436. On sait qu’en matière de causalité, la Cour de cassation recourt, par principe, à la théorie de l’équivalence
des conditions. Avec une telle acception de la causalité, « la force majeure […] ne serait pas à même de
rompre le lien de causalité, puisqu’une telle rupture suppose de qualifier la force majeure de cause
adéquate, afin de la juger prépondérante au comportement de l’agent dans la production du résultat
infractionnel » (F. ROUSSEAU, L’imputation dans la responsabilité pénale, op. cit., no 73). Pour approfondir la
question de la causalité en droit pénal, il est permis de consulter la thèse de Pierre-André Bon
(cf. P.-A. BON, La causalité en droit pénal, fac. de droit et des sciences sociales de Poitiers, 2006).

93
dernier décédant d’une infection nosocomiale contractée lors de son séjour à l’hôpital437. Le
recours à cette théorie dépasse d’ailleurs le seul cadre des infractions non intentionnelles438.

On se peut se poser la question de savoir si cette démonstration de la possible affectation du


lien de causalité par la contrainte physique ne tire pas la plénitude de son efficience du fait
que François Rousseau raisonne directement à partir de la force majeure et non pas de la
contrainte physique. Certes, sa démonstration préalable d’une assimilation de la contrainte
physique à la force majeure du droit civil autorise cette argumentation. Cependant, ne doit-
on pas convenir qu’il aurait été plus délicat de parvenir aux mêmes conclusions en raisonnant
directement sur la contrainte physique, notamment en ce que cette dernière suppose une
action, d’origine interne ou externe, sur le corps même de l’agent ?

Finalement, la réponse à cette question n’est pas déterminante dans le cadre de notre étude,
car si nous avons démontré que la contrainte physique est de nature à faire obstacle à la
matérialité de l’infraction par le truchement du comportement, elle est aussi de nature à faire
obstacle à l’élément psychologique de l’infraction. Il n’est donc pas question de remettre en
cause l’anéantissement de l’infraction par la contrainte physique.

§ 2 - L’incompatibilité de la contrainte physique avec l’élément


psychologique de l’infraction

Il convient d’opérer une distinction selon que l’on est en présence d’une infraction
intentionnelle (A.) ou non intentionnelle (B.).

A. En présence d’une infraction intentionnelle

L’anéantissement de l’élément psychologique des infractions intentionnelles par la contrainte


physique suppose d’abord d’avoir préalablement caractérisé l’existence de l’élément matériel.
Autrement dit, cela suppose de démontrer la compatibilité de la contrainte physique avec la
réalisation matérielle d’une infraction intentionnelle. Cela est possible que l’on soit en
présence d’une infraction d’omission ou de commission.

À propos des infractions de commission, prenons l’exemple du délit d’exhibition sexuelle,


réprimé par l’article 222-32 du Code pénal. Caractérise l’élément matériel du délit
d’exhibition sexuelle imposée à la vue d’autrui dans un lieu accessible aux regards du public,
le fait pour un prévenu d’être déshabillé de force par des tiers puis laissé entièrement nu sur
la voie publique. « Sa nudité, résultant d’une contrainte physique exercée par des tiers, est
offerte aux yeux des passants et pourrait caractériser matériellement le délit d’exhibition
sexuelle. »439 La caractérisation matérielle du délit d’exhibition sexuelle par l’agent peut donc
coexister avec la contrainte physique.

437. Cass. crim., 5 oct. 2004, no 03-86.169, Bull. crim. 2004, no 230.
438. Par exemple, pour un meurtre et des violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la
donner : Cass. crim. 8 janv. 1991, no 90-80.075, D., 1992, jurispr. p. 115, note R. CROISIER-NERAC.
439. F. ROUSSEAU, L’imputation dans la responsabilité pénale, op. cit., no 76.

94
S’agissant des infractions d’abstention. Nous raisonnons maintenant sur des infractions
d’omission ne supposant aucunement un pouvoir préalable d’agir. Leur réalisation matérielle
dépend seulement du non-respect par l’agent de son devoir légal. François Rousseau prend
l’exemple d’un condamné bénéficiant du régime de la semi-liberté qui ne réintègre pas son
établissement pénitentiaire. Conformément à l’article 434-29 du Code pénal, est notamment
puni des mêmes peines que le délit d’évasion le fait, « par tout condamné, de ne pas réintégrer
l’établissement pénitentiaire à l’issue d’une mesure […] de semi-liberté ». Il suffit à la
juridiction, pour entrer en voie de condamnation, de constater que le condamné n’a pas
réintégré l’établissement pénitentiaire à la date prévue, l’évasion constituant un délit
instantané440. On peut également citer le célèbre arrêt Trémintin441 où la Cour de cassation
considéra qu’« en admettant que sa détention au poste de police ait mis un marin inculpé de
désertion dans l’impossibilité absolue de se rendre à son bord, cette détention, occasionnée
par la faute qu’il avait commise en se mettant en état d’ivresse, n’a pas constitué un
événement qu’il n’ait pu éviter442 ». Ce marin fut donc condamné pour désertion. La Cour de
cassation considéra que son absence constatée à bord du navire caractérisait matériellement
le délit de désertion.

Si l’infraction de désertion était constituée dans sa matérialité, l’était-elle dans son


intentionnalité ? Peut-on réellement considérer dans cette hypothèse que la réalisation de
l’élément psychologique de l’infraction était compatible avec la contrainte physique exercée
par les policiers sur le corps du marin ?

En l’espèce, il apparaît que la Cour de cassation entendait avant tout sanctionner la


commission d’une faute antérieure, en l’occurrence le fait pour l’intéressé de s’être enivré.
Cependant, pour entrer en voie de condamnation, il faut pouvoir considérer qu’une
infraction est caractérisée en tous ses éléments constitutifs.

Comment donc la Cour de cassation a-t-elle pu conclure juridiquement à l’existence de


l’élément psychologique de l’infraction ? Peut-être a-t-elle considéré que la volonté-désir
pouvait être caractérisée nonobstant la volonté du comportement443 ? Dans le premier
chapitre de cette étude, nous avons établi que l’élément psychologique d’une infraction
intentionnelle s’entendait d’une « volonté-intention » caractérisée par la recherche du résultat
de l’infraction444. Il faudrait donc établir que la contrainte physique peut parfaitement
« coexister avec la réalisation matérielle de l’infraction ainsi que la volonté de son résultat par
l’auteur »445. Or il se trouve que, dans le cadre de cette étude, nous entendons démontrer le
contraire, c’est-à-dire qu’en présence d’une infraction intentionnelle, la contrainte physique

440. En ce sens, à propos de la permission de sortir, Cass. crim., 4 mai 2000, bull. crim. no 178.
441. Cass. crim., 29 janv. 1921, Trémintin, S. 1922. 1. 185, note J.-A. ROUX.
442. Cf. supra.
443. Dans sa thèse précitée, François Rousseau développe un raisonnement similaire. Il faut dire que l’auteur
entend démontrer que la contrainte physique peut être sans incidence sur la constitution de l’élément
psychologique de l’infraction.
444. Cf. supra, le chapitre traitant de la définition de la culpabilité.
445. F. ROUSSEAU, L’imputation dans la responsabilité pénale, op. cit., no 78.

95
peut constituer une cause de non-culpabilité446. François Rousseau reprend l’exemple du
détenu bénéficiant du régime de la semi-liberté. Cette fois, il ne réintègre pas son
établissement pénitentiaire parce qu’il est victime d’une prise d’otage dans une banque.
Malgré ces circonstances constitutives d’une contrainte physique, le délit d’évasion est
matériellement constitué. « Mais, ce détenu pouvait très bien avoir décidé, par avance, qu’il
ne réintègrerait pas son établissement pénitentiaire ; la preuve d’un tel « désir » pouvant
résulter d’un aveu maladroit ou du témoignage d’un codétenu mis dans la confidence. »447 Il
serait donc envisageable, selon l’auteur, de caractériser aussi l’élément psychologique de
l’infraction. Pour autant, il considère que l’impunité du détenu peut être défendue car « même
s’il entendait ne pas réintégrer son établissement pénitentiaire, sa non-réintégration ne résulte
pas, au regard des circonstances, de son choix ou de sa libre volonté, mais de l’événement
contraignant présentant les caractères de la force majeure ». Selon l’auteur, l’impunité du
détenu se justifie par l’absence de volonté libre.

Cette argumentation nous paraît devoir être écartée pour deux raisons. Tout d’abord, elle
repose sur une assimilation de la volonté-liberté à la volonté du comportement incriminé,
par opposition à la volonté-intention qui correspond à la volonté du résultat. S’il est juste
que la volonté est susceptible de recouvrir plusieurs acceptions, il ne nous semble pas
cohérent d’assimiler volonté du comportement répréhensible et volonté-liberté. Selon nous,
la première, en tant qu’elle suppose la liberté de mouvement, participe de la réalisation de la
culpabilité448, alors que la seconde, qui vise la liberté psychologique, se rattache à
l’imputabilité. On ne saurait confondre l’expression d’une détermination avec la qualité de
cette détermination. En ce sens, Yves Mayaud propose de considérer que la volonté est un
élément de la culpabilité, en tant qu’elle est l’expression d’une détermination alors qu’elle se
rattache à l’imputabilité lorsque l’on considère la liberté de cette détermination449. En tout
état de cause, l’argumentation développée par François Rousseau nous apparaît assez
illogique, dans la mesure où il ne semble pas cohérent de pouvoir caractériser la volonté du
résultat sans retenir celle du comportement, qui nous paraît en être le préalable indispensable.
En effet, la volonté du comportement semble nécessaire à la réalisation de l’intention, car la
volonté du résultat implique, a fortiori, celle du comportement. François Rousseau concède
d’ailleurs que « les auteurs, qui définissent l’intention comme la volonté du résultat incriminé,
précisent qu’elle requiert également la volonté du comportement ayant provoqué ce
résultat »450. Il ne faut donc pas, selon nous, assimiler la volonté du comportement à la liberté
de la volonté – comprenons à la liberté psychologique451. Or, dans l’exemple du détenu

446. Et ce nonobstant le caractère objectivé de la culpabilité, une définition même objectivée de l’intention ne
rendant pas caractérisable l’élément psychologique de l’infraction dans une telle hypothèse (cf. supra).
447. F. ROUSSEAU, L’imputation dans la responsabilité pénale, op. cit., no 78.
448. Cf. supra, le chapitre traitant de la définition de la culpabilité.
449. Y. MAYAUD, « La volonté à la lumière du nouveau Code pénal », in Mélanges en l’honneur du Professeur
J. Larguier, op. cit., p. 203 et suiv.
450. Cf. Y. MAYAUD, Droit pénal général, op. cit., no 230 (implicitement), P. CONTE et P. MAISTRE DU CHAMBON,
Droit pénal général, A. Colin, 7e éd., 2004, no 381.
451. On peut donc distinguer les acceptions suivantes de la volonté : la volonté du comportement, constituant
le dénominateur psychologique commun à toutes les infractions, la volonté/intention ou volonté du
résultat, constituant le critère de distinction entre infractions intentionnelles et infractions non
intentionnelles, et la volonté-liberté, dont l’absence constitue une cause d’exonération commune à toutes
les infractions.

96
bénéficiant du régime de la semi-liberté, peut-on considérer que la contrainte physique
exercée par les preneurs d’otage n’ait aucune incidence sur la liberté de mouvement de
l’intéressé ? Peut-on réellement considérer dans cette hypothèse que la réalisation de
l’élément psychologique de l’infraction était compatible avec la contrainte physique exercée
par les preneurs d’otage sur le corps du détenu ? Il ne nous semble pas qu’une réponse par
l’affirmative soit possible. Il faut donc considérer que la contrainte physique a une influence
directe sur la culpabilité proprement dite – autrement dit, que la volonté ici supprimée par la
contrainte physique appartient bien au domaine de la culpabilité.

Finalement, un dernier point de désaccord avec l’argumentation développée par François


Rousseau peut être soulevé. Il réside dans le fait que son raisonnement implique d’intégrer
l’imputabilité dans la constitution de l’infraction452. Il considère en effet que la volonté-liberté
assimilée à la volonté du comportement est indispensable à la constitution de l’infraction453.
Quoi qu’il en soit, l’impunité de l’agent aurait dû être retenue et bien justifiée par le défaut
d’un élément psychologique nécessaire à la responsabilité pénale, en l’occurrence par le
défaut de culpabilité. La contrainte physique est donc bien de nature à faire obstacle à la
caractérisation de l’élément psychologique d’une infraction intentionnelle. Qu’en est-il en
présence d’une infraction non intentionnelle ?

B. En présence d’une infraction non intentionnelle

Comme nous l’avons vu, les infractions d’homicide et de blessures involontaires constituent
l’un des domaines de prédilection de la contrainte physique. Il convient de vérifier ici si cette
dernière est aussi de nature à faire obstacle à la constitution de l’élément psychologique des
infractions non intentionnelles. Si une réponse positive est envisageable (2.), la neutralisation
de l’imprudence ne saurait procéder d’une assimilation de la faute antérieure de l’agent à
l’élément psychologique de l’infraction (1.).

1. L’exclusion du rattachement de l’absence de faute antérieure de l’agent à la


non-réalisation de l’élément psychologique de l’infraction
On sait que, pour être admissible, le fait contraignant doit être irrésistible. En d’autres termes,
il ne doit pas procéder d’une faute antérieure de l’agent. Certains auteurs considèrent que la
faute d’imprudence, constituant l’élément psychologique de l’infraction, peut résider dans la
faute antérieure de l’agent. Dans la logique de leur raisonnement, on devrait conclure que
l’existence d’une contrainte physique, subordonnée à l’absence de faute antérieure de l’agent,
peut alors faire obstacle à la caractérisation de l’élément psychologique de l’infraction. Or, ce
raisonnement heurte l’un des principes fondamentaux du droit pénal, tout en procédant
d’une confusion entre les concepts de culpabilité et d’imputabilité. Prenons l’exemple du
commentaire effectué par Jean-Yves Maréchal relativement à l’arrêt rendu par la 6e chambre

452. Cf. infra, partie 1, titre 2, chapitre I : L’autonomie de l’imputabilité par rapport à l’élément psychologique
de l’infraction.
453. F. ROUSSEAU, L’imputation dans la responsabilité pénale, op. cit., no 79.

97
correctionnelle de la cour d’appel de Douai le 24 octobre 2000454. Évoquant le caractère
contesté de la prise en compte de la faute antérieure au titre des conditions d’admission de
la contrainte, il rappelle que « la plupart des auteurs admettent qu’en pareil cas, reprocher à
l’agent sa faute préalable pour exclure l’irresponsabilité au titre de la contrainte est totalement
justifié, parce que la faute d’imprudence ou de négligence peut avoir été commise avant la réalisation
matérielle de l’infraction ». En l’espèce, le prévenu était poursuivi pour blessures involontaires
causées par un accident de la circulation dont il était à l’origine. Il invoquait pour sa défense
le fait qu’il avait été victime d’un malaise et d’une perte de connaissance imprévisibles et qui
s’étaient manifestés pour la première fois lors de l’accident. La cour d’appel de Douai
accueille son argumentation et le relaxe, considérant que le prévenu « n’a pas été en mesure
de prévoir la défaillance physique dont il a été atteint le jour des faits, celle-ci s’étant
manifestée pour la première fois ce jour-là ». Suivant l’argumentation de Jean-Yves Maréchal,
on devrait considérer que le prévenu n’a donc pas commis de faute antérieure susceptible de
constituer la faute d’imprudence exigée par le texte d’incrimination455 et qu’il est donc relaxé
faute de constitution de l’élément psychologique de l’infraction. Or, nous rappellerons le
principe selon lequel c’est au moment où l’infraction est commise qu’il convient d’en
apprécier les éléments constitutifs456. Il ne faut pas confondre caractérisation de l’infraction
et appréciation de la responsabilité pénale, culpabilité et imputabilité – cette dernière pouvant
seule et
exceptionnellement procéder d’une appréciation rétrospective des agissements de l’agent.
C’est ainsi que la détermination d’une faute antérieure de l’agent doit être rattachée à l’étude
de sa responsabilité pénale457.
En outre, il n’était pas nécessaire, dans une telle hypothèse, de recourir à ce raisonnement
pour écarter la responsabilité pénale de l’intéressé dans la mesure où l’existence de la
contrainte physique n’était pas compatible avec le versant matériel de l’imprudence,
composant le comportement de l’élément matériel de l’infraction.

Dans certains cas, toutefois, quand la matérialité de l’infraction d’imprudence n’est pas
affectée par la contrainte physique, l’élément psychologique de l’infraction peut se trouver
neutralisé sans qu’il ne soit besoin de rattacher l’absence de faute antérieure de l’agent à la
non-réalisation de l’élément psychologique de l’infraction.

2. L’imprudence neutralisée par l’absence de volonté du comportement


L’exemple peut être donné d’un automobiliste poursuivi sur le fondement du délit de risque
causé à autrui, prévu par l’article 223-1 du Code pénal, alors qu’il ne pouvait ralentir son
véhicule du fait d’un dysfonctionnement du régulateur de vitesse. Le dysfonctionnement du

454. J.-Y. MARÉCHAL, « Irresponsabilité pénale pour cause de contrainte issue d’une défaillance physique »,
JCP G 2002, II, 10012.
455. Laquelle aurait pu consister en l’absence de prise de médicaments de nature à prévenir le malaise à l’origine
de l’accident.
456. Cf. J.-M. AUSSEL, « La contrainte et la nécessité en droit pénal », in Quelques aspects de l’autonomie du droit
pénal. Études de droit criminel, op. cit., 1956, spéc. no 25 ; H. BAUDRY, La force majeure en droit pénal, th., Lyon,
1938, p. 116 ; P. CONTE et P. MAISTRE DU CHAMBON, Droit pénal général, A. Colin, 7e éd., 2004, no 366 ;
R. MERLE et A. VITU, Traité de droit criminel – Droit pénal général, op. cit., no 621 ; J. PRADEL, Droit pénal général,
op. cit., no 540 ; M.-L. RASSAT, Droit pénal général, op. cit., no 441, p. 466 et 467.
457. Cf. infra et le décloisonnement de l’imputabilité du moment des faits.

98
régulateur de vitesse, fût-il constitutif d’un cas de force majeure, n’empêche pas la
caractérisation matérielle du risque causé à autrui. L’impunité de l’agent tient au fait que la
contrainte physique s’est réalisée sur sa volonté en l’empêchant d’exercer librement son
activité de conducteur automobile. Rappelons que la culpabilité s’analyse a minima en la
volonté du comportement. On peut donc établir une corrélation entre la culpabilité non
intentionnelle et la contrainte physique, pour conclure que cette dernière peut également
constituer une cause de non-culpabilité en matière non intentionnelle.

Ainsi, quand la contrainte physique agit sur le corps même de l’agent, elle fait obstacle à la
caractérisation de l’élément matériel de l’infraction. Quand elle agit sur la volonté de l’agent,
entendue comme la volonté du comportement, c’est l’élément psychologique de l’infraction
qui est entravé. D’une manière générale, ne doit-on pas considérer que la contrainte physique
constitue une cause de non-caractérisation de l’infraction ? Ne doit-on pas écarter son
rattachement aux causes de non-imputabilité ? Nous conclurons quant à nous que la
contrainte physique doit s’analyser en une cause de non-caractérisation de l’infraction, cause
de non-matérialité lorsqu’elle affecte l’élément matériel, cause de non-culpabilité lorsqu’elle
affecte l’élément psychologique. Qu’en est-il de la contrainte morale ? Appartient-elle au
domaine de l’imputabilité ou à celui de l’infraction ?

Section 2 – La liberté psychologique, condition de l’imputabilité


Si la liberté psychologique demeure une condition de l’imputabilité, l’effet exonérateur de la
contrainte morale, dans son acception classique, peut être élargi par un assouplissement de
ses modalités d’appréciation (§ 1). Mais l’extension la plus notable de son champ
d’application est le fait du rattachement consécutif de l’état de nécessité, habituellement
présenté en tant que fait justificatif autonome (§ 2).

§ 1 - La contrainte morale, cause de non-imputabilité altérant la volonté

L’absence de contestations doctrinale(s) et jurisprudentielle(s) sur la nature subjective de la


contrainte (morale), couplée à la démonstration du caractère objectivé de la culpabilité
entendue strictement458, facilitent son rattachement aux causes de non-imputabilité (A.). Plus
délicate, en revanche, est la démonstration d’une « simple » altération grave de la volonté en
cas de contrainte morale (B.).

A. La contrainte morale, cause de non-imputabilité

Il a déjà été évoqué le fait que les causes d’irresponsabilité ou d’atténuation de la


responsabilité étaient listées les unes à la suite des autres par les articles 122-1 à 122-8 du
Code pénal, sans qu’une classification particulière ne soit mise en évidence. On sait
néanmoins qu’il est de coutume de les diviser en deux catégories, les faits justificatifs ou

458. Cf. infra.

99
causes objectives d’irresponsabilité d’une part, et les causes de non-imputabilité ou causes
subjectives d’irresponsabilité d’autre part. Nous avons déjà rappelé que la seconde catégorie
trouvait son origine, totale ou partielle, dans la personne même de celui qui a commis les
actes incriminés. De ce point de vue, le rattachement de la contrainte aux causes subjectives
d’irresponsabilité ne soulève traditionnellement pas de difficultés, puisqu’elle est
unanimement entendue comme affectant la liberté d’action de l’individu, liberté de
mouvement dans le cas de la contrainte physique, et liberté psychologique dans le cas de la
contrainte morale459. Le diagnostic de la contrainte morale procède donc d’une analyse in
personam ou interne du sujet sans interférences avec des éléments d’appréciation objectifs.

En fait, à l’instar de l’erreur de droit460, le débat doctrinal se cristallise sur son rattachement
aux causes de non-culpabilité ou aux causes de non-imputabilité. Et comme le rappelle
Marie-Laure Rassat dans son ouvrage de droit pénal général461, la doctrine est loin d’être
unanime sur ce point462. La classification de la contrainte appelle, selon nous, une distinction
entre contrainte physique et contrainte morale463. S’agissant de la contrainte morale, Roger
Merle et André Vitu464, se demandant si la contrainte a une influence directe sur la culpabilité
proprement dite, ou si elle supprime seulement l’imputabilité, concèdent bien vite que « dans
une perspective très puriste, on n’oserait peut-être pas affirmer que la contrainte exclut la
culpabilité intellectuelle. Car elle n’est pas incompatible avec la conscience : l’individu soumis
à la contrainte se rend parfaitement compte de ce qu’il fait et mesure la portée des actes qu’il
est obligé d’accomplir ». Dans le prolongement de cette idée, Bernard Bouloc considère que
« dans l’hypothèse de la contrainte, l’agent a conscience, et a même voulu l’acte, mais il n’était
pas libre d’agir différemment, de sorte que sa responsabilité pénale sera écartée, bien que
l’infraction ait été pleinement constituée ». On le voit, l’étiquetage « final » de la contrainte
morale est dépendant, non seulement de la définition retenue pour la culpabilité465, mais aussi
de la place respective des composantes de la responsabilité pénale. C’est donc poser
autrement la question d’une interversion des concepts de culpabilité et d’imputabilité466.
À notre sens, en adéquation avec les travaux réalisés dans le cadre de cette étude, il convient
de rattacher la contrainte morale à la non-imputabilité. Reste maintenant à déterminer le
degré d’affection de la volonté.

B. La contrainte morale, altération grave de la liberté de la volonté

Plus délicate nous paraît la détermination du degré de privation de liberté susceptible


d’exonérer l’agent de sa responsabilité pénale. Celui-ci est à mettre en corrélation avec

459. La doctrine pénale contemporaine présente en majorité la contrainte comme une cause subjective
d’irresponsabilité, sans envisager une hybridation de son régime juridique.
460. Cf. supra.
461. M.-L. RASSAT, Droit pénal général, op. cit., no 331, p. 356.
462. Elle divise le clan doctrinal en deux avec, par exemple, pour les partisans de la contrainte cause de non-
culpabilité, Jean Pradel, Roger Bernardini, elle-même et, pour les partisans de la contrainte cause de non-
imputabilité, Gaston Stéfani, Georges Levasseur, Bernard Bouloc et André Decocq (op. cit.).
463. Cf. supra pour la contrainte physique.
464. R. MERLE et A. VITU, Traité de droit criminel – Droit pénal général, op. cit., no 618.
465. Cf. supra. Le choix en faveur d’une acception objectivée de la culpabilité ouvrant la voie au rattachement
de la contrainte à la non-imputabilité.
466. Cf. infra, le titre 2 relatif à la place de l’imputabilité.

100
l’exigence d’irrésistibilité de l’article 122-2 du Code pénal ou, plus précisément, avec son
mode d’appréciation. En effet, conformément à la lettre de cet article, le fait contraignant
doit être irrésistible. La question s’est donc naturellement posée de savoir si cette condition
d’irrésistibilité devait être appréciée in abstracto467 ou in concreto468. Si l’on sait la rigueur
excessive dont fait preuve la Cour de cassation dans l’appréciation de ce critère légal (1.), on
sait moins qu’elle est susceptible de condamner l’existence juridique de la contrainte
morale (2.). Cela étant, il semble que la pureté des principes plaide pour une appréciation in
concreto de l’exigence d’irrésistibilité, laquelle permettra de garantir la pérennité de cette cause
d’exonération en ne retenant que la « simple » impossibilité relative de se conformer à la loi
pénale (3.).

1. La rigueur de la Cour de cassation dans l ’appréciation de la condition


d’irrésistibilité
Il est possible d’illustrer cette sévérité jurisprudentielle tant par les formules utilisées par la
Cour de cassation pour définir l’irrésistibilité du fait contraignant que par les nombreuses
affaires dramatiques dans lesquelles elle a néanmoins écarté l’existence de toute contrainte
morale. Dans la célèbre affaire Trémintin469 déjà évoquée, la Cour de cassation se réfère à un
événement que « la volonté humaine n’a pu conjurer ». Dans l’affaire Rozoff470, mettant en
cause un apatride russe, elle vise « l’impossibilité absolue de se conformer à la loi pénale ».
Poursuivi pour violation d’un arrêté d’expulsion, ce Russe invoquait pour sa défense le fait
qu’il avait été refoulé par tous les pays limitrophes de la France. Pour rejeter son pourvoi, la
Cour de cassation faisait observer, quant à elle, qu’il aurait pu se rendre ou tenter de se rendre
dans d’autres pays non limitrophes de la France. Comme le remarquent Roger Merle et André
Vitu471, « ce faisant, elle se référa à une appréciation purement abstraite de l’impossibilité
invoquée, négligeant de rechercher ou de faire rechercher par les juges du fond si le
condamné avait eu effectivement la possibilité (financière notamment) de prendre l’avion ou
le bateau pour gagner un pays lointain ». Autre affaire extrême dans laquelle la Cour de
cassation écarta l’irresponsabilité, celle de ce Corse, propriétaire d’une forêt, qui avait dû
donner asile à des bandits qui le menaçaient472. Comme le fait remarquer Jean Pradel473, il
s’agissait pourtant « de bandits redoutables par leurs instincts sanguinaires, plusieurs fois
condamnés, inspirant une terreur si grande » que le précédent gérant avait dû partir. Dans la
même veine jurisprudentielle, on peut évoquer l’affaire Genty474 où l’intéressé fut condamné
pour intelligence avec l’ennemi en temps de guerre, pour avoir fourni à l’occupant des
renseignements475 sous la menace de son exécution et de celle d’otages.

467. Par rapport à la capacité de résistance d’un homme normal placé dans les mêmes circonstances.
468. Par rapport au délinquant lui-même.
469. Cass. crim., 29 janv. 1921, Trémintin ; préc. : décision relative à l’affaire du marin déserteur qui n’a pu
regagner son bord à l’heure prévue car il s’était enivré à terre et qu’il avait été arrêté pour ivresse publique.
470. Cass. crim., 28 févr. 1936, D. P., 1936.I.44, note H. DONNEDIEU DE VABRES.
471. R. MERLE et A. VITU, Traité de droit criminel, op. cit., no 620.
472. Cass. crim., 28 déc. 1900, D., 1901.I.81, note G. LE POITTEVIN.
473. J. PRADEL, Droit pénal général, Cujas, 16e éd., 2006, no 539.
474. Cass. crim., 20 avr. 1934, Genty, S., 1935.1.398.
475. En l’occurrence, il s’agissait pour lui d’aller vérifier si le village voisin était occupé par des militaires
français.

101
Ces décisions jurisprudentielles sont précieuses d’enseignements en ce sens que c’est le mode
d’appréciation de l’irrésistibilité qui détermine le degré de l’impossibilité de se conformer à
la loi pénale exigé au titre de la contrainte exonératoire. Le choix constaté de la jurisprudence
en faveur d’une appréciation in abstracto radicale implique la nécessité d’une impossibilité
absolue de se conformer à la loi pénale, écartant du champ de la contrainte la simple
impossibilité, même considérable, de se conformer à la loi pénale476. Autrement dit, la sévérité
de la jurisprudence dans l’appréciation de ce caractère conduit à n’écarter la responsabilité
pénale de l’agent qu’en cas d’absence théorique d’option comportementale. Au-delà de ce
constat, c’est l’existence même de la contrainte qui se trouve en question.

2. L’existence juridique de la contrainte morale en question


Ce questionnement repose sur deux éléments : d’une part le postulat de la permanence d’une
faculté d’option comportementale (2.1) et, d’autre part, l’existence d’arguments en faveur
d’une appréciation in abstracto de l’exigence d’irrésistibilité (2.2) – la combinaison des deux
séries d’arguments étant de nature à conduire au rattachement de la contrainte morale à l’état
de nécessité.

2.1 Le postulat de la permanence d’une faculté d’option comportementale

Une difficulté apparaît alors, dans la mesure où l’exigence d’une abolition de la liberté est
susceptible de condamner l’existence juridique de la contrainte morale à titre autonome.
Plusieurs auteurs soutiennent en effet que le concept de contrainte morale est juridiquement
inconcevable car, précisément, la personne qui est placée dans cette situation ne se trouve
jamais dans l’impossibilité absolue d’observer la loi477. L’impossibilité absolue de respecter la
loi pénale ne peut exister, car l’homme dispose toujours d’une faculté d’option entre plusieurs
comportements. Poursuivant le raisonnement d’Henri Baudry, Roger Merle et André Vitu
ajoutent478 que, soumise à l’alternative de commettre une infraction ou de subir le danger
qu’elle redoute, la personne aura toujours la faculté d’opter et ne sera pas forcée de délinquer
avec la même fatalité qu’en cas de contrainte physique479. Jean Pradel, dans son ouvrage de
droit pénal général, rappelle en effet qu’il « a parfois été soutenu que la contrainte pénale ne
devait pas entrer dans les prévisions du Code pénal, au motif qu’elle n’entraînerait jamais
l’impossibilité absolue de respecter la loi ; une certaine liberté de choix subsistant, seul l’état
de nécessité pourrait être retenu »480. Dans le même sens, François Rousseau, dans sa thèse481,
considère que la contrainte morale n’est pas totalement exclusive d’un choix pour l’agent,
aussi difficile soit-il. Mais, rappelons-le, François Rousseau poursuit l’objectif d’une
déstructuration des composantes traditionnelles de l’imputabilité482, notamment par le

476. À l’inverse, on peut donc concevoir qu’une appréciation in concreto de l’exigence d’irrésistibilité puisse
ouvrir la voie à l’exigence d’une « simple » impossibilité relative de se conformer à la loi pénale.
477. H. BAUDRY, La force majeure en droit pénal, op. cit., p. 89.
478. R. MERLE et A. VITU, Traité de droit criminel, op. cit., no 623.
479. C’est dire aussi que le régime de la contrainte morale souffre notamment de la dualité de nature de la
contrainte exonératoire de responsabilité pénale.
480. J. PRADEL, Droit pénal général, op. cit., no 535.
481. F. ROUSSEAU, L’imputation dans la théorie de la responsabilité pénale, op. cit., no 88.
482. Qu’il dénomme « les conditions de l’imputation à l’agent ».

102
rattachement de la contrainte morale aux faits justificatifs. Quoi qu’il en soit, ce postulat
doctrinal de la permanence d’une liberté de choix de l’agent en présence d’un fait
contraignant irait dans le sens d’une assimilation à l’état de nécessité de la contrainte morale.
Elle est d’ailleurs soutenue par certains auteurs qui considèrent que la contrainte morale ne
serait qu’une forme d’état de nécessité483. En outre, il existe des arguments en faveur d’une
appréciation in abstracto de l’irrésistibilité et l’on sait la corrélation qu’il y a entre le choix d’une
appréciation in abstracto et l’exigence d’une impossibilité absolue de se conformer à la loi
pénale.

2.2 L’existence d’arguments en faveur d’une appréciation in abstracto de l’exigence


d’irrésistibilité

En outre, cette difficulté est accrue par le fait qu’indépendamment du choix de la Cour de
cassation, il existe des arguments en faveur d’une appréciation in abstracto du caractère
d’irrésistibilité. Selon Philippe Conte et Patrick Maistre du Chambon, « le Code pénal
l’indique lui-même lorsqu’il considère que la menace exercée par le complice n’exclut en rien
la responsabilité de l’auteur principal »484. Au rang de ces arguments donc, la reconnaissance
de la complicité par « provocation » par l’article 121-7, alinéa 2 du Code pénal. En vertu de
cet article, « Est également complice la personne qui par don, promesse, menace, ordre, abus
d’autorité ou de pouvoir aura provoqué à une infraction ou donné des instructions pour la
commettre ».

Nous rappellerons que la contrainte morale externe peut être le fait de menaces graves, de
suggestions envoûtantes ou de provocations pressantes. Or, les provocations listées par
l’article 121-7, alinéa 2 du Code pénal au titre de la complicité par instigation ne font pas
obstacle à la caractérisation de l’infraction principale, comme le prévoit l’article précité qui
vise la provocation « à une infraction ». Ainsi, pour les partisans d’une inclusion de la liberté
de la volonté – donc de l’imputabilité – dans la constitution de l’infraction485, l’acte de
provocation susceptible de constituer une contrainte morale devrait revêtir un degré de
gravité certain, supérieur à celui habituellement retenu sur le terrain de la complicité par
instigation. La même remarque s’impose si l’on considère que l’imputabilité est extérieure à
l’infraction486. Il suffit alors de raisonner, non pas directement sur l’infraction principale, mais
sur la responsabilité de l’auteur principal, conséquence juridique de l’infraction, et qui
subsiste en cas de « menace » exercée sur sa volonté. La Cour de cassation, quant à elle, exige
au titre de la contrainte exonératoire que ces menaces aient été « assez pressantes ou assez
directes pour enlever au prévenu sa liberté d’esprit »487. La question se pose donc de savoir
s’il existe un degré de provocation intermédiaire entre les agissements visés par l’article 121-7,
alinéa 2 du Code pénal et la privation absolue de liberté. Dans le cas contraire, ne faudrait-il

483. En ce sens, F. ROUSSEAU (cf. supra) ; H. BAUDRY, La force majeure en droit pénal, op. cit., p. 102 ;
M.-E. CARTIER, « Contrainte et état de nécessité », ann. fac. Toulouse, 1982, p. 27 et suiv. ; P. JOURDAIN,
Recherche sur l’imputabilité en matière de responsabilités civile et pénale, th. Paris-II, 1982, no 551.
484. P. CONTE et P. MAISTRE DU CHAMBON, Droit pénal général, A. Colin, 7e éd. 2004, no 364.
485. Philippe Conte et Patrick Maistre du Chambon souscrivent à cette analyse.
486. C’est le cas dans le cadre de notre étude.
487. Cass. crim., 29 déc. 1949, D., 1950.I.419 ; Cass. crim., 28 déc. 1900, D. P., 1901.I.81, note
A. LE POITTEVIN.

103
pas conclure au caractère nécessairement absolu de l’impossibilité de choix exigée au titre de
la contrainte exonératoire ?

On pourrait aussi également arguer de la distinction consacrée par le Code pénal entre la
contrainte et l’état de nécessité. Ce dernier visant des situations préservant la liberté de choix
de l’agent, ne faudrait-il pas en déduire, conformément à la présentation doctrinale, que la
liberté de choix doit être annihilée dans le cas de la contrainte ? Mais l’on se méprendrait
alors sur les modalités d’appréciation de l’exigence d’irrésistibilité.

3. Une interprétation erronée de la condition d ’irrésistibilité


Cependant, de tels arguments ne sont pas irréfutables car ils reposent sur une interprétation
erronée de la condition d’irrésistibilité. Nombreux et divers sont ceux, plus déterminants, qui
plaident en faveur d’une appréciation in concreto de cette condition. Ils ont trait, par exemple,
à l’interprétation littérale de l’article 122-2 du Code pénal (3.1), à l’autonomie du droit pénal
par rapport au droit civil (3.2), ainsi qu’à la relativité de la contrainte du droit pénal
spécial (3.3).

3.1 L’interprétation littérale de l’article 122-2 du Code pénal

La doctrine est assez sévère face à la position des juges qu’elle accuse de mal interpréter la
condition d’irrésistibilité prévue par l’article 122-2 du Code pénal. Comme nous l’avons vu,
la jurisprudence se réfère à une interprétation in abstracto en évoquant les possibilités de la
volonté humaine488, tandis que le Code pénal lui-même vise « la personne qui a agi » ainsi
qu’une contrainte « à laquelle elle n’a pu résister »489. L’article 122-2 ne vise donc pas un être
abstrait systématiquement maître de lui-même et paraît imposer une appréciation in concreto
de l’irrésistibilité, en fonction des particularités de l’intéressé. Autrement dit, la jurisprudence
devrait logiquement procéder à une interprétation souple de l’irrésistibilité, tenant compte
des possibilités individuelles de chacun, révélées au besoin par un examen approfondi de
personnalité. Ainsi, il pourrait suffire, pour retenir la contrainte morale, de considérer que la
personne s’est trouvée privée de sa liberté dans une très large mesure. Partant de ce constat,
l’option comportementale ne serait pas exclusive de la contrainte morale. Au-delà de cette
démonstration, la notion de contrainte serait assez souple pour permettre à la justice, dans
les cas les plus graves comme les plus bénins, d’accomplir son œuvre humaine et équitable
sans qu’il ne soit besoin de se référer à une autre cause d’exonération. Mais il est possible
d’invoquer d’autres arguments en faveur d’une interprétation souple de l’irrésistibilité.

3.2 L’autonomie du droit pénal par rapport au droit civil

Par ailleurs, l’autonomie du droit pénal par rapport au droit civil – ou, plus précisément,
l’autonomie de la contrainte par rapport à la force majeure du droit civil – peut être invoquée en

488. Par exemple, Cass. crim., 29 janv. 1921, S. 1922.1.85, note J.-A. ROUX ; Cass. crim., 6 janv. 1970,
no 68-92.39, Bull. crim., no 11 ; Cass. crim., 8 mai 1974, no 73-91.025, Bull. crim., no 165.
489. On notera que le Code de 1992 s’inscrit parfaitement dans la lignée de celui de 1810 qui visait, non pas la
personne, mais « le prévenu […] contraint par une force à laquelle il n’a pu résister » (C. pén. anc., art. 64).

104
faveur d’une appréciation in concreto. Si le domaine d’application et les éléments constitutifs de ces
deux concepts ne sont pas rigoureusement superposables490, c’est notamment, comme l’a
souligné Jean-Marie Aussel491 parce que le droit pénal retient une conception « plus relativiste » et
« surtout plus personnaliste » de la force majeure qu’en droit civil. Dans le prolongement de cette
idée, on peut lire en doctrine que le droit pénal n’exige pas l’héroïsme. Roger Merle et André Vitu
de concéder qu’« il faut bien admettre qu’un individu faible et impressionnable peut être
complètement privé de son libre arbitre sous l’influence de la contrainte morale »492. Il n’est donc
pas inconcevable que, dans certaines hypothèses offrant une alternative à l’agent, ce dernier soit
psychologiquement déterminé par un trouble majeur de la volonté assimilable à la contrainte
morale. La faculté de choix du comportement n’est donc pas incompatible avec une suppression
du libre arbitre. Pour cette raison et afin de préserver la singularité du droit pénal, la doctrine
plaide pour des solutions jurisprudentielles plus nuancées493, favorisant une appréciation plus
concrète de la contrainte.

L’autonomie du droit pénal fournit un deuxième argument en faveur de cette modalité


d’appréciation, tiré cette fois du principe de l’individualisation de la sanction pénale494. Selon
Roger Merle et André Vitu, c’est « à juste titre que la doctrine soutient qu’en vertu du principe de
l’individualisation de la peine, propre au droit pénal, l’appréciation doit être faite in concreto495 ». Il
reste à évoquer un dernier argument.

3.3 La relativité de la contrainte du droit pénal spécial

Dans le cadre des infractions à caractère sexuel, agressions sexuelles proprement dites496 et viol497,
l’un des éléments constitutifs réside dans l’absence de consentement de la victime. Cette dernière
se déduit de la référence commune à la « violence, contrainte, menace ou surprise ». S’agissant de
la contrainte, la loi du 8 février 2010498 a ajouté un article 222-22-1 dans le Code pénal précisant
que la « contrainte prévue par le 1er alinéa de l’article 222-22 peut être physique ou morale. La
contrainte morale peut résulter de la différence d’âge existant entre une victime mineure et
l’auteur des faits et de l’autorité de droit ou de fait que celui-ci exerce sur la victime »499. Ainsi,

490. Nonobstant la validation de l’exigence d’imprévisibilité de la contrainte (cf. supra) qui a encore rapproché
les deux notions sur le terrain de leurs éléments constitutifs, des divergences persistent. Le droit pénal
reconnaît non seulement un effet exonératoire à la contrainte physique d’origine interne mais encore à la
contrainte morale, pourvu qu’elle soit d’origine externe.
491. J.-M. AUSSEL, « La contrainte et la nécessité en droit pénal », in Quelques aspects de l’autonomie du droit pénal.
Études de droit criminel, op. cit., no 13.
492. R. MERLE et A. VITU, Traité de droit criminel – Droit pénal général, op. cit., no 623.
493. En ce sens également, H. BAUDRY, La force majeure en droit pénal, op. cit., p. 38 et suiv.
494. Anc. art. 132-24 C. pén., nouvel art. 132-1 C. pén.
495. R. MERLE et A. VITU, Traité de droit criminel – Droit pénal général, op. cit., no 620.
496. C. pén., art. 222-22 et suiv.
497. C. pén., art. 222-23 et suiv.
498. L. no 2010-121 du 8 février 2010 tendant à inscrire l’inceste commis sur les mineurs dans le Code pénal et
à améliorer la détection et la prise en charge des victimes d’actes incestueux. Si l’article 222-31-1, inséré
dans le Code pénal par cette loi et permettant de qualifier d’incestueuses certaines infractions, a été déclaré
contraire à la Constitution (cf. Cons. const., décision no 2011-163 QPC, 16 sept. 2011), les dispositions de
l’article 222-22-1 demeurent.
499. Dans une décision de la chambre criminelle en date du 8 janvier 2013 (Cass. crim. 8 janv. 2013,
no 12-86715, inédit) la Cour de cassation décidait que la contrainte morale ne saurait résulter de la seule
différence d’âge (ou de l’autorité de droit ou de fait que l’auteur des faits sur la victime) mais devait être

105
comme le soulignent Stéphane Detraz et Laurent Saenko : « À l’inverse de la contrainte du droit
pénal général […], celle du droit pénal spécial n’a pas à être irrésistible : il s’agit d’une force
suffisamment puissante pour ôter au comportement consécutif son caractère volontaire mais
sans nécessairement anéantir la volonté. »500 Comprenons qu’au sens des articles 222-22 et
suivants, la contrainte peut simplement consister en une altération grave de la volonté, et non
forcément en une abolition de cette dernière. Ne serait-il pas logique d’uniformiser les régimes
de la contrainte du droit pénal général et de la contrainte du droit pénal spécial ? On pourrait
arguer de l’introduction récente de l’article 222-22-1 dans le Code pénal ainsi que de l’adage selon
lequel le spécial déroge au général (specialia generalibus derogant) pour plaider en faveur d’un alignement
sur le régime de la contrainte du droit pénal spécial.

On remarquera pour finir que l’admission d’une « simple » impossibilité relative de se conformer
à la loi pénale au titre de la contrainte exonératoire devrait logiquement conduire à reconsidérer
les solutions actuelles, dans les hypothèses où l’agent aurait obéi à l’ordre illégal d’un supérieur
hiérarchique, autorité privée.501

Le rattachement de la contrainte morale aux causes de non-imputabilité est ainsi confirmé et son
mode d’appréciation précisé. Si la démonstration d’une appréciation in concreto était de nature à
condamner l’autonomie de la notion par son rattachement à l’état de nécessité, il s’avère qu’en
réalité, il n’en est rien. Bien au contraire, puisqu’il est possible, à l’inverse, d’envisager un
élargissement du champ d’application classique de la contrainte morale par un rattachement à
celle-ci de l’état de nécessité.

prouvée en s’appuyant sur des éléments extérieurs. Une évolution de la jurisprudence a logiquement été
observée postérieurement à l’adoption de la loi précitée du 8 février 2010. L’analyse selon laquelle la
contrainte morale « peut résulter de la différence d’âge existant entre une victime mineure et l’auteur des
faits et de l’autorité de droit ou de fait que celui-ci exerce sur la victime » a d’abord été approuvée par le
Conseil constitutionnel. Selon la juridiction suprême, le fait que la peine encourue par l’auteur de ces
infractions soit aggravée lorsqu’il a, sur la victime, une autorité de droit ou de fait, n’a pas pour
conséquence que les dispositions contestées instituent une sanction pénale méconnaissant les principes de
nécessité et de proportionnalité des peines (cf. Cons. const. no 2014-448 QPC, 6 févr. 2015, JO du 8 févr.
2015 ; JurisData no 002161 sur l’arrêt de la chambre criminelle du 13 novembre 2014 ayant renvoyé la QPC
devant le Conseil constitutionnel – Cass. crim., 13 nov. 2014, no 14-81.249, inédit, Dr. pén., 2015, comm. 1,
obs. M. VERON). Dans le prolongement de cette décision, cf. Cass. crim., 18 févr. 2015, no 14-80.772, Dr.
pén., 2015, comm. 63, obs. M. VÉRON où la Cour de cassation a décidé que la contrainte était caractérisée
lorsqu’elle résultait de l’autorité de fait exercée par le prévenu sur les victimes ; également Cass. crim.,
15 avr. 2015, no 14-82.172, Bull. crim., no 93 et Cass. crim., 1er sept. 2015, no 15-83.392, inédit, où la
chambre criminelle a retenu que les dispositions de l’article 222-22-1 étaient d’application rétroactive en
raison de leur caractère interprétatif ; Cass. crim., 23 sept. 2015, no 13-83.881, inédit, Dr. pén., 2015,
comm. 154, obs. P. CONTE et Cass. crim., 18 nov. 2015, no 14-86.100, inédit, Dr. pén., 2016, comm. 24,
obs. P. CONTE où la Cour de cassation a considéré que les juges pouvaient déduire la contrainte morale
subie par la victime de sa différence d’âge avec le prévenu. Cf. supra également sur ce point le chapitre I
de cette étude.
500. S. DETRAZ et L. SAENKO, « L’article 222-22-2 du Code pénal, hypothèse d’emprunt de matérialité »,
Dr.-pén., 2014, étude 1.
501. En l’état actuel du droit positif, la simple crainte révérencielle des parents ou du supérieur hiérarchique
n’est pas exonératoire de responsabilité.

106
§ 2 - Le rattachement de l’état de nécessité à la contrainte morale

Si l’état de nécessité est aujourd’hui présenté comme une cause d’exonération autonome
envisagée à l’article 122-7 du Code pénal, cette consécration législative ne remonte qu’au
Code pénal de 1992. C’est la jurisprudence qui s’est d’abord engagée dans la voie de la
reconnaissance de l’état de nécessité en tant que fait justificatif502. Quoi qu’il en soit, il est
aujourd’hui considéré comme une cause objective d’impunité. Par conséquent, le
rattachement de l’état de nécessité à la contrainte morale supposera dans un premier temps
d’établir positivement la nature subjective de cette cause d’impunité (A.) avant de démontrer
qu’il correspond à des hypothèses d’altération grave du processus volontaire (B.).

A. La nature subjective de l’état de nécessité

Si la principale difficulté consiste à démontrer que l’état de nécessité ne procède pas d’un
diagnostic opéré in rem comme dans le cas des faits justificatifs (1.), il faudra encore préciser
qu’on ne saurait envisager, en considération de sa dimension subjective subséquente, de le
considérer comme une cause de non-culpabilité (2.).

1. La désolidarisation de l’état de nécessité des autres faits justificatifs


Si l’établissement d’une appréciation partiellement subjective des faits justificatifs503 est un
préalable à la reconnaissance d’une conception subjective de l’état de nécessité, son rattachement
aux causes de non-imputabilité implique, dans un second temps, de le désolidariser des autres
faits justificatifs qui restent des causes objectives d’impunité. Bien qu’aujourd’hui la tendance soit
à la réunion des faits justificatifs sous la bannière de leurs conditions de nécessité et de
proportionnalité, il importe en effet de démontrer que l’état de nécessité franchit un degré
supplémentaire dans la subjectivisation de son diagnostic. Pour ce faire, nous nous fonderons sur
l’exigence jurisprudentielle d’imprévisibilité au titre de ses conditions d’admission (1.1). La
difficulté résidera alors dans la démonstration de la pertinence de cette exigence d’imprévisibilité,
dont l’existence est majoritairement contestée en doctrine (1.2).

1.1 L’exigence d’imprévisibilité témoignant de la prise en compte de la psychologie de l’agent

L’exigence d’imprévisibilité, commune à la contrainte, implique que l’infraction commise


n’ait pas été rendue nécessaire par une faute antérieure de l’agent. L’examen de cette
condition supposera donc d’analyser l’attitude mentale du délinquant antérieure à la
commission de l’infraction, en déterminant s’il est possible de relever à son encontre
l’existence d’une faute. Dans l’affirmative, cette faute sera constitutive, le plus souvent, d’une

502. Pour les juridictions du fond, on peut citer les décisions créatrices du tribunal correctionnel de Colmar,
le 27 avril 1956 (trib. corr. Colmar, 27 avr. 1956, D., 1956. 500 ; Gaz. Pal., 1956.2.64 ; obs. A. LEGAL, RSC,
1957, p. 127) et de la Cour d’appel de Colmar le 6 décembre 1957 (CA Colmar, 6 déc. 1957, D., 1958. 357,
note P. BOUZAT). Pour la Cour de cassation, nous citerons l’arrêt fondateur du 25 juin 1958 (Cass. crim.,
25 juin 1958, D., 1958. 639, note M.R.M.P. ; JCP, 1959, II, 10941, note J. LARGUIER ; obs. A. LÉGAL,
RSC, 1959, p. 111).
503. Cf. introduction et la démonstration de l’impossibilité d’une totale mise à l’écart de considérations
subjectives dans la caractérisation des faits justificatifs.

107
faute d’imprudence ou de négligence. La reconnaissance de l’état de nécessité suppose donc
de se plonger dans la psychologie de l’agent en se demandant, par exemple, si son attitude ne
témoignait pas d’une certaine indifférence aux valeurs sociales protégées par la loi pénale.
Cette prise en compte de l’état d’esprit de l’agent au titre des conditions d’admission de l’état
de nécessité conduit à le désolidariser des autres faits justificatifs dont le diagnostic s’opère,
à quelques nuances près, in rem. On peut d’ailleurs faire valoir qu’il est le seul dont la
caractérisation requiert cette exigence d’imprévisibilité, c’est-à-dire le seul à impliquer un
examen de l’attitude mentale du délinquant au titre de ses conditions d’admission.

Cependant, la doctrine, dans sa grande majorité504, est hostile à la prise en compte de cette
exigence. Dans la mesure où elle sert de support à la démonstration de la subjectivisation de
l’état de nécessité, il nous incombe d’en démontrer le bien-fondé. La démonstration de la
pertinence de cette condition sera opérée en raisonnant tout à la fois sur la contrainte et sur
l’état de nécessité. Cette démarche est rendue possible par le fait que l’exigence
d’imprévisibilité est commune aux deux notions et que les raisons avancées pour la critiquer
sont purement techniques. Nous allons donc voir que si cette condition d’imprévisibilité est
contestée, elle est néanmoins justifiée.

1.2 La pertinence de l’exigence d’imprévisibilité

Outre l’adhésion d’un certain nombre d’auteurs505, la pertinence de cette exigence peut tout
d’abord se déduire de sa permanence au niveau jurisprudentiel506, puisqu’elle est affirmée
avec force et continuité depuis l’arrêt Trémintin507. D’un point de vue législatif, le Code pénal
de 1992 est venu légaliser sans réserve la pratique jurisprudentielle de l’état de nécessité –
autrement dit, sans apporter de modifications à ses conditions d’admission. On pourrait donc

504. Par exemple, R. MERLE et A. VITU, Traité de droit criminel – Droit pénal général, op. cit., no 621 ; J.-M. AUSSEL,
« La contrainte et la nécessité en droit pénal », in Quelques aspects de l’autonomie du droit pénal. Études de droit
criminel, op. cit., p. 267 ; M.-E. CARTIER, « Contrainte et état de nécessité », op. cit., p. 49.
505. J. LEAUTE, « Le rôle de la faute antérieure dans le fondement de la responsabilité pénale », D., 1981,
chron., p. 295, M.-L. RASSAT, Droit pénal général, op. cit., no 441, p. 466 et 467.
506. Cass. crim., 15 nov. 2005, no 04-87.813, Bull. crim. 2005, no 295 : reconnaissance de la contrainte physique
au bénéfice d’un automobiliste poursuivi pour homicide non intentionnel qui avait perdu le contrôle de
son véhicule à la suite d’un malaise « brutal et imprévisible », la Cour de cassation approuve en cela la cour
d’appel de Douai qui avait retenu que l’automobiliste avait été « au moment de l’accident, victime d’un
malaise et d’une perte de connaissance imprévisibles car ils se manifestaient pour la première fois » (CA
Douai, 24 oct. 2000, JCP 2002, II, 10012, note J.-Y. MARÉCHAL) ; Cass. crim., 15 nov. 2006, no 06-80087,
inédit, JCP, 2007, II, 10062, note Y. MARÉCHAL : après avoir énoncé en principe que la contrainte
physique ne peut résulter que d’un événement imprévisible et insurmontable qui place l’auteur de
l’infraction dans l’impossibilité absolue de se conformer à la loi, elle exclut du bénéfice de la contrainte
une automobiliste, prévenue d’avoir effectué un arrêt ou stationnement gênant sur un emplacement
réservé aux véhicules des grands invalides, alors qu’elle était enceinte de huit mois et qu’elle avait été prise
d’un malaise l’ayant empêché de poursuivre sa route ; Cass. crim. 28 oct. 2009, no 09-84.484, inédit,
JurisData no 2009-050392 ; Dr. pén. 2010, comm. 4, M. VÉRON ; RSC 2010, p. 143, obs. C. MASCALA : la
contrainte est écartée au bénéfice du prévenu qui invoquait son état de santé antérieur à la commission
de l’infraction –plaie importante au niveau de l’épaule gauche survenue la veille et attestée par un certificat
médical – pour échapper aux poursuites pour défaut de bouclage de la ceinture de sécurité. Sachant que
la blessure survenue la veille l’empêchait de boucler sa ceinture, il aurait dû s’abstenir de prendre le volant.
La contrainte physique ne peut résulter d’un état de santé antérieur et parfaitement connu du délinquant.
507. Préc.

108
considérer que cette consécration vaut validation implicite de la condition d’imprévisibilité
qu’il était loisible au législateur d’écarter expressément s’il l’avait jugée inopportune.

Étudions néanmoins la pertinence des arguments qui s’opposent à la consécration de cette


exigence. Non seulement le caractère d’imprévisibilité n’est pas expressément visé par le
Code pénal, mais encore, il vient questionner les principes fondamentaux de notre droit pénal
tels que, par exemple, le moment de l’appréciation des éléments constitutifs de l’infraction et
le moment de l’appréciation des « éléments constitutifs » de la responsabilité508.

Le principal obstacle qui était invoqué à la prise en compte de la faute antérieure de l’agent
se fondait donc sur l’article 64 de l’ancien Code pénal qui aurait commandé de se placer au
temps de l’action pour juger de l’irrésistibilité de la situation et de l’irresponsabilité dont
l’agent pourrait ou non bénéficier. En d’autres termes, l’article 64 était communément
interprété comme exigeant expressément que la responsabilité pénale s’apprécie « au temps
de l’action ». Or, comme le note André Vitu dans une chronique de jurisprudence de droit
pénal général509, « l’obligation de soupeser cette responsabilité du prévenu au moment où il
a commis l’infraction reprochée n’est écrite expressément dans l’article 64 que pour la
démence, pas pour la contrainte510 ». En effet, à la lecture de l’article 64, seule la démence
était grevée de la condition temporelle du « temps de l’action ». De plus, cette singularité s’est
trouvée accrue avec l’entrée en vigueur du Code pénal de 1992, puisque la contrainte et le
trouble psychique ou neuropsychique font maintenant l’objet d’articles distincts, la référence
temporelle n’opérant que dans l’article 122-1 du Code pénal relatif au trouble psychique ou
neuropsychique511. Comment expliquer la scission opérée par le législateur entre la contrainte
et le trouble mental autrement que par la volonté de signifier une différence dans leurs
conditions d’admission ? Nous allons voir que, contre toute prévision, cette scission n’est
pas porteuse d’une différence sur le fond, puisque « les deux situations sont soumises à un
même régime dans lequel l’imprévisibilité trouve sa place »512.
La contrainte peut, selon les espèces, revêtir la forme d’un « coup du sort » ou au contraire
« avoir […] quelque rapport causal avec un comportement antérieur fautif du prévenu »513,
d’où la nécessité de ne pas la circonscrire « au moment des faits ». En revanche, selon André
Vitu, « la démence est un état mental qui, dans la quasi-totalité des cas, s’empare de l’individu
et l’investit sans qu’il puisse s’y opposer ». Elle a « ce caractère d’un événement fatal »514, d’où
le principe de l’indifférence formelle au comportement de l’agent antérieurement au temps
de l’action. Aussi, quand exceptionnellement, le trouble psychique ou neuropsychique perd
son caractère d’imprévisibilité qui est d’ordinaire le sien en cas de faute antérieure de

508. Étant précisé que cette distinction ne présente d’intérêt que si l’on reconnaît l’autonomie de l’imputabilité
par rapport à la culpabilité.
509. A. VITU, « Contrainte ou état de nécessité », RSC, 1986, p. 87 et suiv.
510. C. pén. anc., art. 64 : « Il n’y a ni crime, ni délit, lorsque le prévenu était en état de démence au temps de
l’action ou lorsqu’il a été contraint par une force à laquelle il n’a pu résister. »
511. C. pén. art. 122-1, al. 1er : « N’est pas pénalement responsable la personne qui était atteinte, au moment des
faits, d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou entravé le contrôle de
ses actes. » ; C. pén. art. 122-2 : « N’est pas pénalement responsable la personne qui a agi sous l’empire
d’une force ou d’une contrainte à laquelle elle n’a pu résister. »
512. A. VITU, « Contrainte ou état de nécessité », op. cit., p. 90.
513. Loc. cit.
514. Loc. cit.

109
l’agent515, la jurisprudence écarte l’irresponsabilité pénale alors même que le discernement au
moment des faits pouvait être aboli516. L’association littérale, anciennement de la « démence »
au « temps de l’action », aujourd’hui du « trouble psychique ou neuropsychique » au
« moment des faits », s’explique par le fait que le caractère d’imprévisibilité est en principe
intrinsèque au trouble mental abolissant le discernement. On pourrait considérer qu’il y aurait
presque une redondance législative à ces associations littérales. Suivant le raisonnement
d’André Vitu, et dans l’optique de l’exclusion de l’exigence d’imprévisibilité, il aurait été plus
logique pour le législateur de fixer le cadre temporel du « moment des faits » à la contrainte,
dans la mesure où, plus fréquemment que le trouble mental, elle peut présenter un rapport
causal avec un comportement antérieur fautif de l’agent. Finalement, il est possible de
s’appuyer sur la lettre de l’article 122-2 du Code pénal517 pour argumenter en faveur de
l’exigence d’imprévisibilité. Pour terminer sur ce point, il nous est permis de conclure à
l’identité des conditions d’admission du trouble psychique exonératoire de responsabilité
pénale et de la contrainte : elles sont au nombre de deux et consistent dans les conditions
d’abolition-irrésistibilité et d’imprévisibilité. La différence de régime opère sur le terrain de
la preuve puisqu’au regard du développement qui précède, il est permis de considérer que
l’exigence d’imprévisibilité est présumée dans le cas du trouble psychique518 alors qu’elle doit
être établie positivement dans le cadre de la contrainte519.

À ce stade, une parenthèse peut être faite sur les perspectives offertes par cette démonstration
relativement au rôle de l’imputabilité520. Nous venons de voir que l’appréciation du fait
contraignant peut résulter d’un flash-back opéré sur le comportement antérieur de l’agent. En
outre, nonobstant les termes de l’article 122-1 du Code pénal, le trouble psychique ou
neuropsychique autorise également une appréciation rétrospective du comportement du
délinquant. L’appréciation des conditions de l’imputabilité, qu’il s’agisse du discernement ou
de la liberté de la volonté, peut donc résulter de l’examen du comportement de l’agent
antérieur à la réalisation de l’infraction. C’est donc dire que l’appréciation de l’imputabilité ne
s’opère pas nécessairement au moment des faits. Ainsi, et de manière symétrique, il nous
paraîtra nécessaire de questionner la pertinence d’une projection de l’ombre de l’imputabilité
au-delà du moment des faits521.

Dans la même lignée d’arguments hostiles à la prise en compte de la faute antérieure de


l’agent, la doctrine avance souvent la règle classique selon laquelle les éléments constitutifs
de l’infraction doivent être appréciés au moment de sa réalisation (en ce sens, par exemple,
Philippe Conte et Patrick Maistre du Chambon522). Cependant, il convient de préciser que

515. Le plus souvent en cas d’intoxication volontaire.


516. En ce sens par exemple, Cass. crim., 5 févr. 1957, Bull. crim., no 112 ; RSC 1958, p. 93, obs. A. LEGAL.
517. Antérieurement à l’article 64 de l’ancien Code pénal.
518. Il s’agit naturellement d’une présomption simple pouvant être renversée par la preuve d’une faute
antérieure de l’agent.
519. En revanche, l’exigence d’» irrésistibilité/abolition » devra être établie positivement dans le cas des deux
causes d’impunité.
520. Cf. infra, titre 2, chapitre II : La localisation de l’imputabilité et de la culpabilité déterminante de leurs fonctions
respectives.
521. Cf. infra, partie 2, les développements relatifs à l’accroissement du rôle garantiste de l’imputabilité dans
un droit pénal post-moderne.
522. P. CONTE et P. MAISTRE DU CHAMBON, Droit pénal général, A. Colin, 7e éd., 2004, no 366.

110
leur raisonnement se fonde sur le fait qu’ils considèrent que l’imputabilité est une
composante de l’élément moral de l’infraction. Dans la mesure où nous démontrerons
l’extranéité de l’imputabilité par rapport à l’infraction, on peut supposer que cet argument ne
sera plus susceptible d’être opposé à l’exigence d’imprévisibilité523.

Un argument majeur fréquemment opposé à la prise en compte de la faute antérieure réside


dans le fait qu’elle conduirait à transformer des infractions intentionnelles en infractions non
intentionnelles. En premier lieu, il convient de rappeler, comme le souligne François
Rousseau dans sa thèse relative à « L’imputation dans la théorie de la responsabilité pénale »,
que l’hostilité de la doctrine à l’égard de l’exigence d’imprévisibilité n’est pas justifiée en
matière non intentionnelle. En effet, en ce domaine, « le manque de prévision, fondant le
rejet de la contrainte, sera également constitutif de l’imprudence »524. Le bien-fondé de cette
condition semble a priori plus difficile à affirmer en matière intentionnelle525. En rejetant le
bénéfice de la contrainte au motif qu’elle était prévisible, la jurisprudence reproche à l’auteur
une simple imprudence ou négligence. Or, « un tel état d’esprit ne devrait pas permettre de
lui imputer une infraction intentionnelle ». C’est ainsi que Jean Pradel, dans son manuel de
droit pénal général526, pour valider partiellement l’exigence d’imprévisibilité, propose de faire
une distinction selon la nature intentionnelle ou non intentionnelle de l’infraction. Il conclut
que si la faute antérieure doit être prise en considération dans le cas des infractions non
intentionnelles, elle doit en revanche être indifférente dans le cas des infractions
intentionnelles. Transcendant cette dichotomie, François Rousseau considère que si
l’objection est sérieuse à la prise en compte de la faute antérieure en matière intentionnelle,
elle n’est pas finale. Tout dépend de la nature et du fondement attribués à la contrainte527.
Ainsi, si la contrainte s’analyse en une cause de non-imputabilité, l’exigence est fondée, car
la question de l’imprévisibilité est alors distinguée de celle de la caractérisation de l’intention
ou de l’imprudence de l’infraction. Il en est ainsi en cas de contrainte morale et dans certaines
hypothèses de contrainte physique ne faisant pas obstacle à la caractérisation de
l’infraction528. En revanche, lorsque la contrainte physique s’analyse en un obstacle à l’un des
éléments constitutifs de l’infraction, il convient, selon François Rousseau, d’opérer une
distinction selon que l’événement contraignant affecte l’élément matériel ou l’élément

523. Il sera alors possible de distinguer le moment de l’appréciation des conditions de l’imputabilité de celui de
la réalisation de l’infraction.
524. F. ROUSSEAU, L’imputation dans la théorie de la responsabilité pénale, op. cit., no 64.
525. Parmi les auteurs hostiles à cette exigence : J.- M. AUSSEL, « La contrainte et la nécessité en droit pénal »,
in Quelques aspects de l’autonomie du droit pénal. Études de droit criminel, op. cit., no 25 ; H. BAUDRY, La force majeure
en droit pénal, op. cit., p. 119 et suiv. ; F. DESPORTES et F. LE GUNEHEC, Droit pénal général, op. cit., no 667,
p. 644 ; R. MERLE et A. VITU, Traité de droit criminel – Droit pénal général, op. cit., no 621 ; ; J. PRADEL, Droit
pénal général, op. cit., no 540.
526. J. PRADEL, Droit pénal général, op. cit., no 540.
527. En ce sens également, M.-L. Rassat qui, soulignant la diversité des classifications doctrinales des causes
d’impunité, précise alors que l’exigence d’imprévisibilité de la contrainte est critiquable selon la nature et
le régime attribués à la contrainte. Poursuivant son raisonnement, elle affirme que « si l’on considère la
contrainte comme une cause de disparition de l’élément moral de l’infraction », la jurisprudence est
contestable « puisque c’est au moment de la réalisation de l’infraction qu’il faut se placer pour se demander
si ses éléments sont réunis ». En revanche, « si l’on considère […] la contrainte comme une cause
d’irresponsabilité pénale, rien ne s’oppose à ce que l’on déclare l’agent responsable si son attitude ne paraît
pas digne d’indulgence, ce dont sa faute antérieure peut être un indice » (M.-L. RASSAT, Droit pénal général,
op. cit., no 441, p. 466 et 467).
528. Cf. infra.

111
psychologique de l’infraction. Il considère que « lorsque la contrainte physique est invoquée
pour contester la caractérisation de l’élément matériel, et notamment la causalité entre le
comportement et le résultat de l’infraction, son imprévisibilité doit être, par principe,
constatée ; car, la prévisibilité de l’événement offrant à l’agent les moyens de l’éviter, son
inertie participerait tout autant que ledit événement au résultat de l’infraction ; l’événement
irrésistible ne constituerait pas, à lui seul, une rupture dans la chaîne causale »529. Il considère
en revanche qu’il est inutile de recourir à la condition d’imprévisibilité de la contrainte
physique lorsqu’elle affecte l’intention. Si l’on croise cette conclusion avec les
développements relatifs à la contrainte physique qui précèdent530, on constate que l’inutilité
de l’exigence d’imprévisibilité en matière intentionnelle ne concerne que l’hypothèse
résiduelle des infractions d’omission supposant un pouvoir préalable d’agir. Il nous apparaît
alors qu’il serait possible d’aller plus loin encore que les analyses de François Rousseau en
considérant que le pouvoir d’agir, ou plus précisément sa permanence, suppose l’absence de
faute antérieure de l’agent. Il faudrait alors d’établir que la disparition du pouvoir d’agir n’est
pas consécutive à une faute antérieure de l’agent. Dès lors, on peut affirmer que lorsqu’un
cas de contrainte physique affecte l’élément psychologique d’une infraction intentionnelle,
l’exigence d’imprévisibilité est toujours justifiée. Plus généralement, l’exigence
d’imprévisibilité est donc justifiée dans tous les cas de contrainte.

En sus de la disqualification des objections doctrinales que nous avons rappelées, il est
possible d’établir positivement la pertinence de cette condition.
L’argument réside dans le fait que « l’exigence d’imprévisibilité du fait contraignant est
indirectement postulée par la condition d’irrésistibilité »531. En effet, peut-on réellement
qualifier d’irrésistible une contrainte qui serait prévisible ? Si le délinquant avait prévu la
situation dramatique qui s’impose à lui, il aurait pris les précautions nécessaires et l’événement
ne se serait pas produit ou, du moins, n’aurait pas revêtu le caractère irrésistible qui a été le
sien532. André Vitu poursuit en ajoutant que « par sa faute antérieure […] [l’agent] a enclenché
un processus causal dont il serait mal venu, maintenant, de déplorer les conséquences pénales
qu’il entraîne pour lui. La faute antérieure et l’événement irrésistible forment un continuum
que la logique, comme la justice, interdisent de scinder »533. Le caractère d’imprévisibilité se
trouve donc intimement lié à la notion même de contrainte. Comme le soulignent Laurence
Leturmy et Patrick Kolb, « il est assez anachronique en effet de nier l’étroite association entre
les deux termes »534. D’autres arguments peuvent être avancés, comme celui du droit
comparé, puisque beaucoup de législations exigent l’absence de faute antérieure pour déclarer
le prévenu irresponsable. On peut également évoquer le fait que l’exigence d’imprévisibilité

529. F. ROUSSEAU, L’imputation dans la théorie de la responsabilité pénale, op. cit., no 64.
530. Cf. infra.
531. A. VITU, « Contrainte ou état de nécessité », op. cit., p. 90.
532. Contra, Philippe Conte et Patrick Maistre du Chambon qui considèrent qu’un événement prévisible n’est
pas forcément « résistible ». Ils prennent le seul exemple du verglas pour étayer leur raisonnement : « Le
verglas, dont la présence est prévisible par temps de froid, n’en rend pas moins l’accident irrésistible, au
moment du dérapage qu’il provoque. » (P. CONTE, P. MAISTRE DU CHAMBON, Droit pénal général, A. Colin,
7e éd., 2004, no 366.) On pourrait leur objecter que, par temps froid, la prudence devrait, selon les
circonstances, conduire à ne pas prendre son véhicule.
533. A. VITU, « Contrainte ou état de nécessité », op. cit., p. 90.
534. L. LETURMY et P. KOLB, Droit pénal général, coll. « Manuels », Gualino Éditeur, 12e éd., 2017, p. 115 et suiv.

112
favorise une bonne discipline sociale ou encore que la sévérité de la règle pourra, le cas
échéant, être compensée par le principe de l’individualisation de la sanction pénale535.

Au-delà de la légitimité de cette exigence d’imprévisibilité en matière de contrainte, on peut


même se demander si elle ne constitue pas la condition commune à l’ensemble des causes de
non-imputabilité536, puisque « la recherche d’une faute antérieure de l’agent pour lui refuser
le bénéfice de l’irresponsabilité pénale est une constante jurisprudentielle et se retrouve
notamment en matière de trouble mental et d’état de nécessité537 ». La différence entre le
trouble mental d’une part, et la contrainte et l’état de nécessité d’autre part, outre le fait que
le premier affecte le discernement et non la volonté, réside dans le fait que la simple altération
n’est pas une cause d’exonération comme le législateur a pris soin de le préciser à
l’article 122-2, alinéa 2 du Code pénal538.

Le diagnostic de l’état de nécessité s’opère donc in personam. Cependant, ce constat n’est pas
encore suffisant pour affirmer le rattachement de l’état de nécessité à la contrainte morale,
étant donné que les données subjectives de la responsabilité pénale se répartissent – comme
nous l’avons déjà vu – en deux réceptacles distincts, la culpabilité d’une part et l’imputabilité
d’autre part. Il convient donc d’exclure l’assimilation de l’état de nécessité à une cause de
non-culpabilité.

2. L’exclusion du rattachement de l’état de nécessité aux causes de non-


culpabilité
Bien qu’elle corresponde à une brève étape jurisprudentielle539, faisant office de transition
entre le rejet de l’assimilation de l’état de nécessité à un cas de contrainte morale et la
reconnaissance de l’état de nécessité en tant que fait justificatif autonome, l’assimilation de
l’état de nécessité au défaut d’intention délictueuse doit être combattue, car elle procède
d’une confusion entre intention et mobile. En effet, l’intention délictueuse peut être
présentée comme la conscience et la volonté d’accomplir les faits tels que décrits par la loi
pénale540. Or, comme le soulignent Roger Merle et André Vitu, « par hypothèse, celui qui
commet une infraction nécessaire agit avec cet état d’esprit. Seuls les mobiles, le but [que
l’agent] poursuit sont honorables »541. La Cour de cassation, quant à elle, a rejeté à de
multiples occasions l’examen de l’arrière-plan psychologique de l’intention au titre de la
culpabilité proprement dite542 – ce qui n’empêche pas, comme cela a déjà été démontré, de
prendre en considération les mobiles sur le terrain de la peine, voire des « faits justificatifs »543.

535. Pour ces arguments, voir notamment J. PRADEL, Droit pénal général, op. cit., no 540.
536. Contrainte, trouble mental et état de nécessité.
537. CA Douai, 24 oct. 2000, JCP 2002, II, 10012, note J.-Y. MARÉCHAL, p. 5.
538. Le fait qu’une telle exclusion n’ait pas été opérée dans le cas de la contrainte conforte l’admission de la
simple impossibilité relative de se conformer à la loi pénale au titre de la contrainte exonératoire.
539. Il s’agissait d’ailleurs de la solution retenue par la cour d’appel d’Amiens dans la célèbre affaire
Ménard précitée ; cf. également : Cass. crim., 27 janv. 1933, Gaz. Pal., 15 févr. 1933 ; trib. corr. Cherbourg,
6 févr. 1945, S., 1946.2.81, note P. BOUZAT ; CA Paris, 6 oct. 1945, D. 1945.115.
540. Cf. infra.
541. R. MERLE et A. VITU, Traité de droit criminel – Droit pénal général, op. cit., no 467.
542. Cf. infra.
543. Cf. introduction.

113
Un autre rapprochement doit être effectué pour conclure au rattachement de l’état de
nécessité à la contrainte. Il s’opère cette fois sur le terrain de la liberté résiduelle effectivement
laissée à l’agent dans le cadre de ces deux causes d’impunité. Si, comme nous l’avons vu,544
les cas couverts par la contrainte morale sont présentés de manière excessive comme devant
relever d’une impossibilité absolue de se conformer à la loi pénale, ceux couverts par l’état
de nécessité sont présentés de manière erronée comme n’entravant pas le processus
volontaire.

B. L’état de nécessité, altération grave de la liberté de la volonté

On se souvient de la formule employée par Adrien-Charles Dana545 selon laquelle dans l’état
de nécessité, l’agent a l’obligation de choisir, alors que, dans la contrainte, il a l’obligation de
subir. Ainsi, alors que la contrainte supprimerait le libre arbitre, l’état de nécessité laisserait
une certaine liberté de choix à l’agent. Cette opposition classique a déjà été partiellement
remise en cause par la reconnaissance d’une appréciation in concreto de la contrainte. Elle peut
être poursuivie par la démonstration, au-delà des apparences jurisprudentielles, d’une volonté
viciée dans le cadre de l’état de nécessité (1.) ainsi que par l’étude de l’origine historique de la
notion (2.).

1. Une altération grave du processus volontaire masquée par une appréciation


objective de la liberté de choix
Si l’altération du processus volontaire découle du caractère urgent inhérent à la situation de
nécessité (1.1), cette réalité psychique est masquée par l’appréciation jurisprudentielle de la
liberté de choix de l’agent (1.2).

1.1 Les hypothèses couvertes par l’état de nécessité correspondant à des situations d’urgence

Pour Adrien-Charles Dana, l’état de nécessité serait – comme tous les faits justificatifs – une
application de la contrainte, car il supprimerait la liberté de vouloir546. À y regarder de plus
près, il semblerait que son affirmation puisse être vérifiée dans le cas de l’état de nécessité,
dans tous les cas de nécessité même, des plus dramatiques aux moins extrêmes.

Évoquant l’état de nécessité, Paul Foriers a écrit :

[…] nous ne nions pas que, dans certaines hypothèses de l’état de nécessité, l’homme
agisse in angustia animi, sous l’empire d’un débat de conscience qui l’angoisse et
l’impressionne […] D’un point de vue psychologique, cette attitude mentale peut
atteindre un véritable paroxysme qui admet la scission entre le physique et le
psychique.547

544. Cf. infra.


545. A.-C. DANA, Essai sur la notion d’infraction pénale, op. cit., p. 174 et suiv.
546. A.-C. DANA, Essai sur la notion d’infraction pénale, op. cit., p. 198 et suiv.
547. P. FORIERS, De l’état de nécessité en droit pénal, Sirey, 1951, no 15, p. 11.

114
Ainsi, dans certaines situations particulièrement dramatiques, l’altération – pour ne pas dire
l’abolition – de la volonté est telle que certains auteurs, favorables à l’autonomie de l’état de
nécessité548, concèdent cependant la difficulté de faire nettement la distinction entre un cas
de nécessité et un cas de contrainte morale. Cette précision faite, ces auteurs ajoutent
néanmoins que, la plupart du temps, la différenciation des deux concepts apparaît très
clairement.

Pourtant, il n’est pas exclu que la liberté de choix soit discutable dans bien d’autres situations
moins extrêmes. Roger Merle et André Vitu, pour illustrer leur propos, prennent le cas
d’école, pertinent selon eux, du conducteur automobile qui, ne courant personnellement
aucun danger, doit néanmoins choisir entre deux dommages à infliger à des tiers. Par
exemple, un bris de clôture pour épargner la vie d’un piéton, diriger sa voiture contre un
véhicule en stationnement pour éviter un cycliste. Il s’agit alors pour nous de montrer que
ces cas de nécessité, apparemment les moins extrêmes, sont abusivement présentés comme
relevant de choix délibérés et procèdent, en réalité, d’un débat interne vicié par la pression
des événements ainsi que par le psychisme du sujet. En effet, ne peut-on y voir l’exemple
typique de l’acte imposé à la volonté par un réflexe à peu près invincible ? Ces cas
correspondent à des situations d’urgence altérant de facto le processus volontaire par
l’exclusion d’une véritable réflexion. Deux indicateurs témoignent de l’urgence de la situation.
Le premier réside dans le laps de temps « zéro » entre la conception de l’action et son
exécution. Comme le souligne Éric Lepointe, l’urgence est « susceptible d’engendrer
seulement une action idéo-motrice, différente de l’action volontaire, essentiellement parce
que « la conscience ne révèle rien entre la conception et l’exécution »549, alors que « l’analyse
de l’acte volontaire conduit à distinguer, entre ces deux phases, l’examen des motifs et des
mobiles conçus, et la décision elle-même »550. Il paraît évident que cette catégorie d’actes
« idéo-moteurs », entrant dans le champ de l’état de nécessité, est largement empreinte de la
notion de contrainte. De tels actes sont déterminés de façon irrésistible par l’instinct de
conservation ou, plus généralement, par des automatismes incontrôlables. Le second
indicateur, d’origine légale, s’inscrit dans l’exigence d’un danger actuel ou imminent551.
L’actualité ou l’imminence du danger ne sont-elles pas génératrices d’une situation
d’urgence ?

Finalement, les cas de nécessité, des plus dramatiques aux moins extrêmes, procèdent d’une
altération, voire d’une abolition du processus volontaire552. Ne devrait-on pas alors
considérer, comme le propose Éric Lepointe553, que la notion de contrainte a vocation à
s’appliquer toutes les fois où « la volonté de l’agent a été viciée dans sa phase de délibération
par une force suffisante à égarer le jugement ou que cette phase a été purement et simplement

548. En ce sens, R. MERLE et A. VITU, Traité de droit criminel – Droit pénal général, op. cit., no 467.
549. É. LEPOINTE citant D. ROUSTAN, Leçons de philosophie, Delagrave, 1951, p. 491.
550. É. LEPOINTE, « Le diagnostic judiciaire des faits justificatifs », op. cit., no 21.
551. C. pén. art. 122-7.
552. En ce sens par exemple, R. Garraud qui considéra, à propos de l’affaire Ménard, que « l’individu qui est en
danger de mourir de faim ou de périr de froid agit sous l’empire d’une force majeure irrésistible ».
(R. GARRAUD, Traité de droit pénal français, op. cit., no 274.)
553. É. LEPOINTE, « Le diagnostic judiciaire des faits justificatifs », op. cit., no 23.

115
escamotée » ? Il faut reconnaître que ce ne sont pas les modalités jurisprudentielles
d’appréciation de la liberté de choix de l’agent qui aideront à répondre à la question.

1.2 L’appréciation jurisprudentielle de la liberté de choix inappropriée

Par son mode d’appréciation de la liberté de choix, la jurisprudence masque la réalité de


l’altération des facultés de l’individu. Aux termes de la majorité des décisions, « c’est parce
que, théoriquement, deux ou plusieurs solutions se présentaient que l’agent pouvait et devait
choisir »554. Or, le choix reste parfois purement théorique. À l’instar d’Éric Lepointe, on peut
donc se demander si cette liberté de choisir, retenue comme le critère de l’état de nécessité,
n’est pas considérée de façon trop objective. La liberté de choisir que l’on suppose chez
l’agent n’est-elle pas abusivement considérée comme la liberté elle-même ? Pour illustrer ces
propos, on peut citer en exemple la célèbre affaire Ménard, où une mère affamée avait dérobé
un pain pour sauver sa vie et celle de son enfant. Le tribunal de Château-Thierry considéra
que cette mère de famille avait bien été contrainte de commettre ce vol par une force
irrésistible qui avait annihilé son pouvoir de décision car « la misère et la faim sont
susceptibles d’enlever à tout être humain une part de son libre arbitre »555, procédant ce
faisant à une appréciation in concreto de l’option offerte à l’agent. Si ce fondement a été
abandonné par la Cour d’appel d’Amiens, une partie de la doctrine approuva la solution du
tribunal de première instance, à l’instar de René Garraud qui considéra que « l’individu qui
est en danger de mourir de faim ou de périr de froid agit sous l’empire d’une force majeure
irrésistible »556. Il paraît donc plus approprié, pour ne pas dire plus équitable, de retenir une
appréciation in concreto de la liberté de choisir557. Cependant, sur le plan des principes, une
confirmation de la solution de l’affaire Ménard a pu être relevée dans une affaire ultérieure.
Le 11 avril 1997, la Cour d’appel de Poitiers a jugé que des difficultés financières étaient
insuffisantes pour caractériser un danger actuel ou imminent justifiant différents vols de
nourriture par une mère de famille dans des grandes surfaces. Un assouplissement tient au
fait que la juridiction du fond a dans le même temps dispensé la voleuse d’aliments de
peine558. Il n’y a donc pas de changement de « doctrine » de la jurisprudence relativement aux
conditions de l’état de nécessité, ce que l’on peut regretter dans le cadre de cette étude.

Finalement, si la rigueur jurisprudentielle dans l’appréciation de la liberté de choix,


considérée de façon très objective, plaide a priori en faveur d’une convergence des notions
d’état de nécessité et contrainte559, il n’en est rien. En effet, une appréciation objective de la
liberté de choix conduit au contraire à autonomiser l’état de nécessité, puisque cela revient
à considérer qu’en cas de pluralité de possibilités d’actions, l’agent disposera effectivement
du libre choix de son comportement. C’est l’appréciation in concreto de la liberté de choix qui

554. É. LEPOINTE, « Le diagnostic judiciaire des faits justificatifs », op. cit., no 33.
555. Trib. corr. Château-Thierry, 4 mars 1898, S., 1899.2.1, note A. ROUX.
556. R. GARRAUD, Traité théorique et pratique du droit pénal français, op. cit., no 274.
557. Une appréciation in abstracto radicale ne pourrait-elle pas conduire à considérer que l’on a toujours le choix
entre délinquer et ne pas délinquer ?
558. Cf. CA Poitiers, 11 avr. 1997, D., 1997, p. 512, note A. WAXIN ; JCP G 1997, II, 22933, note A. OLIVE ;
RSC, 1998, p. 110, note R. OTTENHOF ; F. DEBOVE, Dr. pén., 1998, chron. 4.
559. Eu égard à la rigueur dont fait preuve la Cour de cassation dans l’appréciation du caractère d’irrésistibilité.

116
conduit à une convergence des notions560. Une telle convergence se déduit également de
l’étude de l’histoire de l’état de nécessité.

2. L’altération du processus volontaire confirmée par la genèse de l’état de


nécessité
L’altération du processus volontaire se trouve confirmée par l’histoire de la naissance de l’état
de nécessité. Et pour cause... les juridictions du fond faisaient à l’origine de l’état de nécessité
un cas de contrainte morale. Ainsi, lorsque les tribunaux relaxaient l’auteur d’un délit
nécessaire, ils relevaient que celui-ci avait été privé de sa liberté de décision et qu’il avait été
contraint par une force irrésistible561. L’heure de vogue de cette jurisprudence remonte au
XIXe siècle. Pourquoi, alors, l’évolution ultérieure des juges du fond vers la reconnaissance de
l’état de nécessité en tant que fait justificatif autonome ? En raison d’une évolution de la
jurisprudence de la Cour de cassation. Au XIXe siècle, la Cour de cassation admettait que
l’appréciation des faits constituant l’irrésistibilité appartenait au pouvoir souverain des juges
du fond. Ainsi, ces derniers, disposant en la matière d’une grande marge de manœuvre,
pouvaient donner à la contrainte une plus vaste dimension. Cependant, « par un arrêt de
1861562 […] la Cour de cassation s’arrogea le droit de contrôler le caractère d’irrésistibilité,
attitude qui n’a point varié depuis, la Cour suprême faisant preuve en l’occurrence d’une
rigueur remarquable tout particulièrement dans le domaine de la contrainte morale »563. Au
lendemain de cette décision, deux alternatives se dessinaient alors pour les hypothèses
correspondant aujourd’hui à l’état de nécessité : soit l’assimilation persistante à la contrainte
morale avec le risque d’une déformation des nouveaux contours de la notion de contrainte,
soit la condamnation de l’auteur du délit nécessaire lorsque le caractère irrésistible de l’action
ne pouvait être affirmé sans abus de langage. À l’extrême, donc, le risque était double, soit
d’une extension abusive de la notion de contrainte – avec le risque subséquent d’encourir
l’infirmation ou la cassation sur ce fondement –, soit d’une iniquité de la solution. Cette
définition rigide des frontières de la contrainte a donc engendré la création jurisprudentielle
de l’état de nécessité564 qui est apparue comme « l’aboutissement logique d’une évolution de

560. Ce qui est finalement logique au regard de la démonstration qui précède relativement à l’appréciation du
caractère d’irrésistibilité de la contrainte.
561. Cass. crim., 15 nov. 1856, B., no 358 ; Cass. crim. 14 août 1863, D. P., 64.I.399 ; 2 mai 1878, D. P.,
78.I.336 ; Cass. Req., 8 juill. 1872, S., 72.I.399 ; Cass. crim., 8 août 1874, B., 225 ; Cass. crim., 16 mai 1934,
D. H., 1934.367 ; trib. corr. Dijon, 27 févr. 1968, J.C.P., 1968. II. 15501.
562. Cass. crim., 28 févr. 1861, D. P., 1861.1.140.
563. É. LEPOINTE, « Le diagnostic judiciaire des faits justificatifs », op. cit., no 33.
564. On notera, pour l’écarter, l’argumentation de François Rousseau qui, rappelons-le, considère que la
contrainte morale n’est qu’une forme d’état de nécessité. Il se fonde pour ce dire sur la lettre de l’article 64
de l’ancien Code pénal qui ne visait que la « force à laquelle il n’a pu résister », comprenons la contrainte
physique. Les nécessités de l’équité auraient conduit selon lui la jurisprudence à dégager la notion de
contrainte morale pour, à défaut de texte en ce sens, fonder « l’impunité de celui qui avait commis, face à
un danger, une infraction nécessaire » sur l’article 64 de l’ancien Code pénal (F. ROUSSEAU, L’imputation
dans la responsabilité pénale, op. cit., no 88). Ainsi, la contrainte morale serait née à défaut d’état de nécessité.
Cependant, et il le concède lui-même, « la reconnaissance de l’état de nécessité par la jurisprudence, puis
le législateur à l’article 122-7 du Code pénal, n’a pas entraîné l’abandon de la contrainte morale » (préc.).
On pourrait même considérer que son existence s’est trouvée confortée avec le Code pénal de 1992 qui,
en son article 122-2, vise dorénavant la force et la « contrainte à laquelle elle n’a pu résister ». Il faudrait
comprendre que l’article 122-2 du Code pénal vise désormais distinctement la contrainte physique et la
contrainte morale.

117
la jurisprudence devenue draconienne dans la définition de la contrainte morale »565 ; « que la
Cour de cassation eût consacré une plus grande souplesse en matière de contrainte, et l’état
de nécessité serait probablement demeuré une situation de référence, rattachée à l’une ou
l’autre des causes d’impunité existantes »566. Certes, il était loisible aux commentateurs de
critiquer cette création jurisprudentielle, au motif qu’en application du principe de
l’interprétation stricte de la loi pénale567, il appartenait à la jurisprudence non de compléter la
loi, mais seulement de veiller à son observation.

Ainsi, par le rattachement de l’état de nécessité à la contrainte morale, on redimensionne à


sa juste mesure cette notion qui s’était excessivement « rétrécie » au fil des siècles, en donnant
de l’homme « une image exigeante, sans concession pour des faiblesses souvent
compréhensibles au motif que l’ordre social ne les supporte pas ». D’aucuns pourraient
néanmoins considérer que le rattachement de l’état de nécessité à la contrainte morale n’est
pas favorable à l’équité en laissant béante une zone d’ombre entre causes objectives et causes
subjectives d’impunité. Ce serait déjà oublier que la définition de la contrainte morale
s’élargit, regroupant des actes jusqu’alors étrangers à son champ d’application568. Pour cette
raison, il pourrait être envisagé d’établir une gradation dans la privation de liberté de l’agent
afin de déterminer le seuil d’intervention de la contrainte exonératoire. L’état de nécessité
« ancien », correspondant aux hypothèses de privation de liberté de choix les moins graves,
déterminerait ainsi le seuil d’intervention de la contrainte exonératoire.

Finalement, c’est le champ de l’imputabilité elle-même qui, dans sa composante liberté, se


trouve redimensionné à sa juste valeur. Cette démarche n’est pas sans évoquer le phénomène
similaire opéré par la loi du 10 juillet 2000 en matière de culpabilité non intentionnelle569 et
qui a permis de nuancer la faute non intentionnelle en distinguant deux catégories
d’imprudence : l’imprudence ordinaire et l’imprudence qualifiée570.

En conclusion de ce chapitre, on peut se demander si l’imputabilité contient ou non une


condition quelconque tenant à la volonté. Faut-il sacrifier les acceptions plutôt classiques de
l’imputabilité aux termes desquelles elle supposerait la réunion des qualités de discernement
et de liberté ?

Malgré l’acception classique de l’imputabilité pénale se référant notamment à l’existence


d’une volonté libre, une réponse par l’affirmative ne s’imposait pas. Tout d’abord, en
considération de la matière civile. L’exclusion d’une condition tenant à la liberté de
mouvement ou de comportement pourrait résulter de l’assimilation de la contrainte physique

565. CA Paris, 19 nov. 1952, Gaz. Pal., 1953.1.149.


566. É. LEPOINTE, « Le diagnostic judiciaire des faits justificatifs », op. cit., nos 35 et 36.
567. C. pén., art. 111-4.
568. Outre l’acte irrésistible qui suppose l’anéantissement de la volonté et qui entre dans le champ classique de
la contrainte morale, on compte maintenant l’acte irrésistible qui suppose l’altération de la volonté ainsi
que l’acte idéo-moteur supposant une réponse immédiate à une sollicitation, voire même certains actes
délibérés.
569. Loi no 2000-647 du 10 juillet 2000 tendant à préciser la définition des délits non intentionnels.
570. À laquelle correspondrait l’état de nécessité, étant donné que l’état de nécessité constituerait une hypothèse
spéciale de contrainte.

118
à la force majeure, en rappelant que la force majeure n’est pas traditionnellement analysée
comme une cause d’exonération de la responsabilité civile. L’argument selon lequel
l’imputabilité civile serait réduite à la seule exigence du discernement est plus pertinent, au
regard de la généralité de sa portée. Elle ne correspondrait en cette matière qu’à la conscience
de la portée de ses actes par l’auteur d’une faute. Or, l’imputabilité « ne peut changer de
nature selon le domaine juridique où elle se produit et son appréciation doit se faire de la
même manière »571.

Faut-il en déduire l’exclusion de toute condition tenant à la volonté de l’imputabilité ? Une


réponse négative s’impose. Premièrement, il est des auteurs pour intégrer dans l’imputabilité
civile la capacité de vouloir ou liberté572. Par ailleurs, la liberté, sous ses diverses
manifestations, est, comme nous l’avons démontré, une composante subjective de la
responsabilité pénale. Il restait à préciser quelle(s) acception(s) de la liberté pouvai(en)t être
retenue(s) au titre de l’imputabilité. Pour ce faire, il fallait procéder à une étude de la
contrainte présentée comme venant affecter la volonté de l’agent. La contrainte se dédouble
en deux versants, physique et moral, qui n’affectent pas la volonté de la même manière. Il
n’est donc pas illogique que leurs régimes juridiques soit distincts. La contrainte physique, en
tant qu’elle affecte la liberté de mouvement, peut s’analyser en une cause de non-
caractérisation de l’infraction. En présence d’une infraction d’omission supposant un
pouvoir préalable d’agir et en cas d’homicide ou de blessures non intentionnels, elle peut
venir faire obstacle à la matérialité de l’infraction. En présence d’une infraction d’omission
ne supposant pas un pouvoir préalable d’agir ou, d’une manière générale, que l’on soit en
présence d’une infraction intentionnelle ou non intentionnelle, la contrainte physique peut
également venir faire obstacle à la caractérisation de l’élément psychologique de l’infraction.
Dans le domaine des infractions intentionnelles, l’argument avancé contre cette thèse
reposait sur la possible coexistence entre la volonté-résultat et la contrainte physique. Nous
avons vu que cet argument reposait sur une assimilation erronée de la volonté du
comportement répréhensible et de la volonté-liberté. Dans le domaine des infractions non
intentionnelles, aucun argument contre l’anéantissement de l’élément psychologique par la
contrainte physique n’était avancé. Cependant, la neutralisation de l’imprudence ne saurait
procéder d’une assimilation de la faute antérieure de l’agent à l’élément psychologique de
l’infraction. Cette dernière doit être écartée en application du principe fondamental selon
lequel les éléments constitutifs de l’infraction s’apprécient au moment des faits.
L’anéantissement de l’imprudence résulte simplement de l’absence de volonté du
comportement de l’agent. La contrainte physique, en ce qu’elle entrave la liberté de
mouvement permettant l’exercice d’une activité ou de la volonté du comportement, est donc
une cause de non-caractérisation de l’infraction. Qu’en est-il de la contrainte morale ? La
contrainte morale constitue une cause de non-imputabilité altérant la liberté psychologique.

571. J. PENNEAU, Faute et erreur en matière de responsabilité médicale, LGDJ, bibliothèque de droit privé, t. 133, 1973,
p. 178, no 266.
572. En ce sens P. JOURDAIN dans sa thèse Recherche sur l’imputabilité en matière de responsabilités civile et pénale, op. cit.
Il intègre dans la notion d’imputabilité la capacité de comprendre ou discernement, « l’imputabilité
morale » (cf. nos 257 et suiv.) ainsi que la capacité de vouloir ou liberté, « l’imputabilité physique »
(cf. nos 526 et suiv.). Sa conclusion peut néanmoins paraître logique au regard de la démarche qu’il a
entreprise, consistant à partir de l’acception pénale de l’imputabilité pour revisiter la conception civiliste
de l’imputabilité.

119
Si la contrainte morale est confirmée en tant que cause de non-imputabilité, son champ
d’application se trouve étendu. Cette extension résulte tout d’abord de l’établissement d’une
appréciation de la condition d’irrésistibilité plus conforme à la lettre de l’article 122-2 du
Code pénal, tandis que la rigueur excessive dont fait preuve la Cour de cassation dans
l’appréciation de cette condition est de nature à condamner juridiquement l’existence de la
contrainte morale. Elle résulte ensuite du rattachement de l’état de nécessité à la contrainte
morale. Ce rattachement est consécutif à la démonstration de la nature essentiellement
subjective de l’état de nécessité corrélée à l’exclusion de son rattachement aux causes de non-
culpabilité et au fait qu’il procède en réalité d’une altération grave de la liberté de la volonté.
Cette analyse s’est trouvée confirmée par l’étude de la genèse de l’état de nécessité.

Nous avons démontré l’hybridation du régime de la contrainte. Cette dernière n’est pas sans
incidence sur les conditions de l’imputabilité. On peut alors conclure à l’inclusion d’une
condition tenant à la volonté découlant de la contrainte morale dans la définition de
l’imputabilité. Autrement dit, une condition de l’imputabilité, tenant à la volonté, découle
bien de la contrainte. Il s’agit de la liberté psychologique découlant de la contrainte morale.
Par ailleurs, il est possible de conclure à l’inclusion d’une condition tenant à la volonté
découlant de la contrainte physique dans la définition de l’infraction. Il s’agit de la liberté de
mouvement qui, en tant que telle, est susceptible d’affecter l’exercice du comportement, donc
l’élément matériel de l’infraction, ou la volonté du comportement, donc l’élément
psychologique de l’infraction. Cette conclusion vient conforter la division tripartite de
l’infraction ainsi que de la définition proposée de la culpabilité dans le chapitre précédent.

120
TITRE 2
LA PLACE DE L’IMPUTABILITÉ DANS LA MISE
EN ŒUVRE DE LA RESPONSABILITÉ PÉNALE

La détermination du ou des rôles de l’imputabilité est conditionnée par sa place dans la


théorie de la responsabilité pénale. Quelle « place » pour l’imputabilité ? Quel temps judiciaire
pour débattre de l’imputabilité ? Si le fait que l’imputabilité constitue une condition de la
responsabilité pénale est une constante en doctrine, on ne peut en revanche que relever
l’absence de consensus sur la place de l’imputabilité dans la théorie de la responsabilité
pénale. Deux conceptions principales continuent de s’affronter : la conception dite
« classique », aux termes de laquelle elle constituerait un élément de l’infraction – et plus
précisément de son élément dit moral –, et une conception plus moderne, selon laquelle
l’imputabilité serait un élément extérieur à l’infraction qu’il conviendrait de rattacher de
manière exclusive au concept de responsabilité. Les questions suivantes se posent donc :
l’imputabilité se situe-t-elle aux « frontières externes » de l’infraction ?
Ou alors, constitue-t-elle une frontière interne à l’infraction, entre élément matériel et élément
moral ? Est-elle une composante de la culpabilité entendue largement ? Nonobstant
l’adhésion persistante de certains auteurs contemporains à la conception classique573, nous
démontrerons la plus grande conformité au droit positif de la conception moderne de
l’imputabilité574. En effet, la réunion des deux conditions subjectives de la responsabilité
pénale structurée par la primauté d’un débat sur l’imputabilité (qui a longtemps été présentée
comme nécessaire à la cohérence de l’élément psychologique de l’infraction), après avoir livré
un certain nombre d’inconvénients, a logiquement été délaissée au bénéfice de leur autonomie.

Dans un premier temps, il importera, au travers de l’analyse du droit positif tant législatif que
jurisprudentiel, de démontrer l’extériorité de l’imputabilité à l’infraction (chapitre I). Après
confirmation de l’interversion des composantes de la responsabilité pénale par
l’établissement du rattachement exclusif de l’imputabilité au concept de responsabilité, il

573. Cette absence d’harmonie doctrinale n’est pas singulière au droit pénal français. Pour ne citer que lui, elle
se rencontre également en droit pénal allemand où une partie des auteurs rattache les conditions de
l’imputabilité à l’élément moral de l’infraction alors qu’une autre opte pour exclure ces exigences du
concept d’infraction, limitant son élément psychologique à la seule question de l’intention et de
l’imprudence.
574. Cela se vérifie également dans nombre de droits pénaux étrangers où la majorité des législations semblent
exclure les conditions de l’imputabilité du concept d’infraction et opter pour une conception plus moderne
(cf. J. PRADEL, Droit pénal comparé, Dalloz, 4e éd., 2016, no 177). Pour les exemples les plus significatifs,
nous retiendrons l’article 19 du Code pénal suisse aux termes duquel celui qui » ne possédait pas la faculté
d’apprécier le caractère illicite de son acte », autrement dit celui qui ne possédait pas la faculté d’apprécier
« qu’il commettait une infraction », n’est pas « punissable » ainsi que l’article 38 du Code pénal tunisien
selon lequel « l’infraction n’est pas punissable » lorsque le prévenu était en état de démence au temps de
l’action.
Pour d’autres exemples, consulter le site de J.-P Doucet, http//ledroitcriminel.free.fr/index.htm, rubrique
« Utilitaires », « Sites intéressant le droit criminel à travers le monde », « Droit criminel de Pays étrangers
– Sites en français ».

121
pourra être mis en lumière que la localisation des conditions de culpabilité et d’imputabilité
est en lien avec leurs fonctions respectives, soulignant ce faisant, avec une acuité particulière,
que leur association constitue un rempart essentiel en faveur de la protection des droits
fondamentaux dans la théorie de la responsabilité pénale575 (chapitre II).

575. Particulièrement aujourd’hui avec la résurgence du concept de dangerosité (cf. infra, partie 2).

122
Chapitre I

L’extranéité de l’imputabilité à l’infraction

Dans sa thèse relative à l’ajournement du prononcé de la peine576, Claire Saas propose une
relecture de cette procédure, présentant notamment l’intérêt de dissocier, tant sur le fond
que sur la forme, les concepts de culpabilité et d’imputabilité. Elle commence néanmoins par
rappeler les arguments communément avancés en faveur de leur confusion. L’un d’eux a trait
au fait qu’elles sont toutes deux sous-tendues par l’idée de volonté. La pertinence de cet
argument a été préalablement écartée577 au motif que la volonté mobilisée dans le champ de
la définition des deux notions procédait de deux acceptions différentes578. Cependant, tout
en étant dotés d’un contenu spécifique, et donc distincts l’un de l’autre, les concepts de
culpabilité et d’imputabilité pourraient s’additionner pour constituer l’élément psychologique
de l’infraction. Cette remarque nous amènera à considérer un autre argument en faveur de la
confusion selon lequel les notions « sont souvent présentées comme les conditions
permettant la réalisation d’une infraction »579. Le bien-fondé de cette affirmation sera remis
en cause, dans le cadre de cette section, en questionnant la pertinence des arguments
communément avancés en faveur de l’intégration de l’imputabilité dans la constitution de
l’infraction. Ainsi, si une partie de la doctrine se prononce classiquement en faveur du
rattachement de l’imputabilité au concept d’infraction, nous démontrerons non seulement
que les arguments qu’elle propose sont réfutables (section 1), mais aussi qu’il est possible
d’établir positivement l’autonomie de l’imputabilité par rapport à l’infraction (section 2).

Section 1 – L’inclusion de l’imputabilité dans la constitution de l’élément


psychologique de l’infraction
Les arguments en faveur de l’inclusion de l’imputabilité dans l’élément psychologique de
l’infraction sont de deux ordres. Selon certains auteurs, ils trouveraient d’abord appui sur les
solutions du droit positif, tant législatives que jurisprudentielles. De manière symétrique, il
sera possible non seulement d’invoquer des textes législatifs susceptibles de fonder, de façon
univoque, l’extériorité de l’imputabilité par rapport à l’infraction, mais encore de livrer une
interprétation novatrice de la célèbre décision Laboube, traditionnellement invoquée pour

576. C. SAAS, L’ajournement du prononcé de la peine. Césure et recomposition du procès pénal, Dalloz, 2002. Cf. également
infra, partie 2, chapitre I.
577. Cf. supra, titre 1, chapitre I.
578. Chaque notion est ainsi dotée d’un contenu substantiel spécifique (cf. supra, titre 1).
579. C. SAAS, L’ajournement du prononcé de la peine. Césure et recomposition du procès pénal, Dalloz, 2002, no 151 p. 152.

123
argumenter en faveur de l’inclusion de l’imputabilité dans la constitution de l’infraction (§ 1).
Les partisans de l’inclusion de l’imputabilité dans la constitution de l’infraction ne se limitent
pas à des arguments exclusivement juridiques. Ils invoquent aussi le simple « bon sens
notionnel » pour justifier de la priorité d’un débat sur l’imputabilité. Aux termes de cette
approche, l’intégration de l’imputabilité dans la constitution de l’infraction donnerait
cohérence à son élément psychologique. Cependant, cette conclusion est induite par une
définition « très classique » de l’imputabilité. Ainsi, nous pourrons établir qu’il est permis de
parvenir à une conclusion opposée sans altérer la cohérence de l’élément psychologique
de l’infraction (§ 2).

§ 1 - L’apparente inclusion par le droit positif de l’imputabilité


dans la constitution de l’infraction

Certains articles, qu’ils appartiennent à l’ancien ou l’actuel Code pénal, impliqueraient


l’intégration de l’imputabilité dans la constitution de l’infraction. Nous démontrerons non
seulement que ces affirmations ne sont pas incontestables, mais également qu’il est possible,
à l’inverse, de se fonder sur d’autres articles pour exclure l’inclusion de l’imputabilité dans la
constitution de l’infraction (A.). La même confusion règne dans l’interprétation de certaines
décisions jurisprudentielles (B.).

A. Les arguments textuels

Singulier, le cas de l’article 122-1 du Code pénal qui présente le paradoxe d’être invoqué au
soutien de leur théorie, tout à la fois par les tenants de la conception classique (2.) et par les
tenants d’une conception moderne de l’imputabilité (1.). Précisons toutefois que, si lors de
l’adoption du Code pénal de 1994, le Parlement s’était rangé à la proposition de rédaction
émanant du gouvernement, la lecture de l’article 122-1 serait aujourd’hui univoque, en
consacrant clairement la conception moderne de l’imputabilité580. Moins ambiguë, en
revanche, la lettre d’autres textes législatifs fondant explicitement l’extranéité de l’imputabilité
à l’infraction (3.).

1. La comparaison rédactionnelle de l’article 64 de l’ancien Code pénal et de


l’article 122-1 du Code pénal
Aux termes de l’article 64 de l’ancien Code pénal : « Il n’y a ni crime ni délit, lorsque le
prévenu était en état de démence au temps de l’action, ou lorsqu’il a été contraint par une
force à laquelle il n’a pu résister. » Aujourd’hui, les deux causes d’irresponsabilité sont reprises
respectivement par les articles 122-1 et 122-2 du Code pénal issu de la réforme de 1992. À

580. L’expression, « N’est pas pénalement responsable la personne qui… », a été préférée par le Parlement à
celle proposée par le Gouvernement qui, dans son projet initial, employait les termes « N’est pas
punissable la personne qui… ». Cette formulation laissait entendre qu’une personne pénalement
irresponsable ne devait certes faire l’objet d’aucune peine, corollaire de la non-imputabilité, mais qu’elle
devait néanmoins être préalablement déclarée coupable. La rédaction du projet de loi initial fondait ainsi
l’extériorité de l’imputabilité à l’infraction.

124
titre d’exemple, l’article 122-1 du Code pénal, dont la rédaction s’apparente à celle de
l’article 122-2, dispose quant à lui :

N’est pas pénalement responsable la personne qui était atteinte, au moment des faits,
d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle
de ses actes. » Ainsi, selon l’interprétation classique de l’article 64 de l’ancien Code
pénal, « faute d’intelligence dans le premier cas, de volonté dans le second, il n’y avait
pas d’infraction, parce qu’il n’y a plus d’élément psychologique.581

Il fallait donc comprendre que l’imputabilité était entendue comme une composante de
l’infraction et, plus particulièrement, de son élément psychologique. Cependant, il était
possible de relever des décisions rendues sous l’empire de l’ancien Code pénal qui étaient
contraires à cette interprétation. Par exemple, la Cour de cassation avait déjà considéré que
si la démence entraînait l’irresponsabilité pénale de l’intéressé, l’infraction subsistant
nonobstant les termes de l’article 64 du Code pénal, le complice du dément restait alors
punissable582. Dès lors, que penser de la formulation des articles 122-1 et 122-2 du Code
pénal de 1994 qui, en reprenant ces deux causes d’irresponsabilité, ne font plus aucune
référence à l’existence de l’infraction mais à celle de la responsabilité pénale ?

Selon Clément Margaine :

Le changement de rédaction entre l’ancien article 64 du Code pénal et l’actuel


article 122-1 du Code pénal semble […] consacrer le rattachement du discernement et
par conséquent de l’imputabilité au concept de responsabilité. En effet, si l’article 64 qui
prévoyait expressément qu’il ne pouvait y avoir de crime ou de délit lorsque le prévenu
était en état de démence pouvait être interprété comme consacrant la conception
classique de l’imputabilité, le changement de rédaction opéré en 1994 est interprété par
la majorité de la doctrine comme condamnant cette analyse.583

Nous considèrerons donc que le législateur a opportunément profité de la réforme de 1992


pour mettre en adéquation la lettre des textes avec les solutions du droit positif.

Cela ne signifie pas pour autant que toute ambiguïté ait été levée. Une illustration peut en
être trouvée avec l’article 122-1 qui n’est pas sans recéler une contradiction apparente. En
effet, la référence faite « au moment des faits » pour apprécier l’abolition du discernement
permet à certains auteurs d’argumenter en faveur de l’inclusion de l’imputabilité dans la
constitution de l’infraction. Nous démontrerons cependant que cette référence procède
surtout d’une indication relativement au moment de l’appréciation des conditions
d’imputabilité584, question qui doit être distinguée de celle de la localisation de ses conditions.

581. J. PRADEL et A. VARINARD, Les grands arrêts du droit pénal général, Dalloz, 6e éd., 2007, no 43, p. 690.
582. Cass. crim., 16 juin 1887 : Bull. crim., no 221 ; 13 mars 1991 no 90-83913, Bulll. crim., no 125, JurisData
no 001295 ; cf. aussi infra, les développements relatifs à la complicité.
583. C. MARGAINE, op. cit., no 245.
584. Cette indication est à mettre en corrélation avec l’existence de présomptions en matière d’imputabilité qui
laissaient en suspens la question du moment de l’appréciation de ses conditions (cf. infra).

125
2. La détermination temporelle de l’appréciation des conditions d’imputabilité
découlant de l’article 122-1 du Code pénal
La lettre de l’article 122-1 du Code pénal enverrait un double message contradictoire. Tout
d’abord, comme nous l’avons vu, il s’agirait de comprendre que l’intéressé « n’est pas
pénalement responsable » de l’infraction commise en cas d’abolition du discernement. Cette
première affirmation désolidarise la composante discernement de l’imputabilité de la
constitution de l’infraction. Dans le même temps, l’article renvoie à l’absence de
responsabilité pénale de l’individu qui, « au moment des faits », était privé de discernement.
La question se pose alors de savoir si l’on doit déduire de la rédaction de l’article 122-1 du
Code pénal un obstacle à la démonstration de l’autonomie de l’imputabilité par rapport à
l’infraction. Une réponse négative peut s’évincer d’une interprétation novatrice de cet article
en lien avec la détermination du moment de l’appréciation de la condition discernement (2.1).
La question se posera ensuite de la compatibilité de cette analyse avec la prise en compte
ponctuelle, par la jurisprudence, de la faute antérieure de l’agent, pour écarter son
irresponsabilité pénale (2.2).

2.1. L’interprétation novatrice de la lettre de l’article 122-1 du Code pénal

Philippe Conte et Patrick Maistre du Chambon font remarquer que l’article 122-1 du Code
pénal impose au juge d’apprécier l’abolition du discernement « au moment des faits » et non
de l’infraction585. Faut-il comprendre que cette référence aux faits et non à l’infraction signifie
que le discernement est nécessaire à la constitution de l’infraction ? Si le terme d’infraction
avait été employé, le discernement en aurait alors été dissocié ; le discernement constituant
l’une des deux conditions de l’imputabilité586, on aurait pu en déduire son autonomie par
rapport à l’infraction.

Nous rejoindrons cependant l’interrogation de François Rousseau aux termes de laquelle il


n’est pas certain qu’il convienne d’accorder à cette précision textuelle une telle portée587. Cet
auteur commence par convenir qu’en exigeant une appréciation du discernement au moment
des faits, l’article 122-1 semble rattacher les conditions de l’imputabilité au concept
d’infraction ; « car, si elles devaient lui être extérieures, ne pourrait-on pas les apprécier à un
autre moment – celui du jugement par exemple588 » ? Mais, comme il le relève ensuite, cette
interprétation peut être renversée. Il suffit de considérer qu’en exigeant une appréciation du
discernement au moment des faits, « le législateur a peut-être voulu prévenir, justement, que
cette appréciation ne se déroule à un autre moment, compte tenu du détachement des
conditions de l’imputation à l’agent 589 par rapport à l’infraction »590. Imaginons une personne
ayant tué un tiers en raison d’un trouble mental qui s’est manifesté concomitamment aux
faits, dans une « coïncidence chronologique »591, et qui recouvre sa lucidité au moment du

585. P. CONTE, P. MAISTRE DU CHAMBON, Droit pénal général, A. Colin, 7e éd., 2004, no 351.
586. Cf. supra.
587. F. ROUSSEAU, L’imputation dans la responsabilité pénale, op. cit., no 55.
588. P. CONTE, P. MAISTRE DU CHAMBON, Droit pénal général, A. Colin, 7e éd., 2004, no 351.
589. Pour nous de l’imputabilité.
590. F. ROUSSEAU, L’imputation dans la responsabilité pénale, op. cit., no 55.
591. J.-C. SOYER, Droit pénal et Procédure pénale, LGDJ, 21e éd., 2012, no 218.

126
jugement. Si son discernement était apprécié au moment du jugement, elle pourrait être
reconnue pénalement responsable et encourrait trente ans de réclusion criminelle
conformément à l’article 221-1 du Code pénal. On le voit, une telle solution n’est pas tenable.
Il est donc impératif d’apprécier le discernement de la personne au moment de la réalisation
matérielle des faits ; plus précisément, il est impératif, au stade du jugement, de tenir compte
de l’ombre projetée de l’imputabilité afin de ne pas trahir les conséquences tirées de
l’imputabilité, ou plutôt de la non-imputabilité, au moment des faits592.

2.2 La prise en compte jurisprudentielle de la faute antérieure de l’agent comme obstacle à


l’interprétation novatrice de la lettre de l’article 122-1 du Code pénal ?

Rappelons, comme nous l’avons déjà démontré, et nonobstant l’injonction supposée du


législateur, que la jurisprudence peut exceptionnellement tenir compte de la faute
antérieure593 de l’agent pour écarter l’irresponsabilité pénale fondée sur l’article 122-1 du
Code pénal, ce qui suppose une appréciation de l’imputabilité antérieurement au moment
des faits. Sur ce point, le cas des intoxications volontaires est particulièrement significatif de
la volonté jurisprudentielle de décloisonner l’imputabilité du moment des faits. On connaît
la position de la Cour de cassation aux termes de laquelle « l’influence de l’ivresse sur la
responsabilité pénale d’un individu est une question de fait qui ne peut être résolue qu’en
fonction de chaque espèce, et partant, qui relève du pouvoir d’appréciation des juges du
fond »594, ainsi que l’interprétation commune de cette décision selon laquelle la Haute
Juridiction reconnaît implicitement la possibilité d’écarter la responsabilité pénale d’un
individu dont le discernement au moment des faits était aboli conséquemment à l’absorption
d’alcool. Cependant, il nous apparaît qu’il faut surtout considérer l’autre aspect libertaire de
la décision selon lequel elle laisse libres les juridictions du fond d’engager la responsabilité
pénale d’un individu en cas d’abolition du discernement595. D’ailleurs, la majorité de la
jurisprudence considère que l’ivresse laisse subsister la responsabilité pénale malgré
l’abolition du discernement qu’elle peut entraîner596. En outre, il y aurait une contradiction
évidente, alors que l’ivresse est de plus en plus réprimée en tant que telle par la législation
actuelle597, de la retenir comme une cause d’exonération de la responsabilité dans des
hypothèses non visées par le législateur. Ainsi, le fait que l’on puisse engager la responsabilité
pénale d’un individu privé de discernement démontre avant toute chose que le discernement
n’est pas intégré à l’infraction car, dans l’affirmative, il ne serait alors pas possible d’engager

592. Cf. infra, le rôle post-moderne de l’imputabilité.


593. Terminologie trompeuse puisqu’elle semble a priori se rattacher au concept de culpabilité, communément
désigné sous le terme de « faute ».
594. Cass. crim., 5 févr. 1957 : Bull. crim. no 112 ; RSC 1958, p. 93 obs. A. LEGAL.
595. D’ailleurs, dans la décision précitée, la Cour de cassation avait considéré que l’ivrogne qui avait été
condamné plus sévèrement parce qu’il avait causé un accident étant en état d’ivresse ne pouvait se
prévaloir de son ivresse pour faire casser le jugement.
596. En ce sens, Cass. crim., 29 janv. 1921 : S. 1922, 1, 185, note J.-A. ROUX ; Cass. crim. 3 déc. 1963, no 62-
92.138, Bull crim., no 343 ; CA Bordeaux, 26 avr. 1988 : JurisData no 045645.
597. Non seulement l’ivresse laisse subsister la responsabilité pénale, mais elle est également érigée en
circonstance aggravante de nombreuses infractions (cf. notamment C. pén., art. 221-6-1 [2°], 221-6-2 [2°],
222-12 [14°], 222-13 [14°], 222-19-1 [2°], 222-19-2 [2°], 222-20-1 [2°], 222-20-2 [2°], 222-24 [12°],
222-28 [8°], 222-30 [7°], 227-26 [5°]) voire en infraction autonome (cf. notamment l’article L. 234-1 du
Code de la route).

127
sa responsabilité pénale, dont le préalable repose sur la caractérisation d’une infraction.
Comment expliquer autrement que par l’extériorité de l’imputabilité à l’infraction le fait
qu’une personne dont le discernement était aboli au moment de la commission des faits, en
raison de l’absorption d’alcool ou de la consommation de stupéfiants, puisse voir sa
responsabilité pénale engagée ?

Ensuite, il faut reconnaître que le fait que l’on puisse engager la responsabilité pénale d’un
individu ivre au moment des faits semble signifier que l’appréciation même de la condition
de discernement, et plus largement de l’imputabilité, peut être détachée du moment des faits.
La question peut alors se poser de savoir si cette position jurisprudentielle est de nature à
faire obstacle à la conclusion selon laquelle la référence législative « au moment des faits » est
relative au moment de l’appréciation des conditions de l’imputabilité. À ce stade, il convient
de rappeler que nous avons déjà démontré que le trouble psychique ou neuropsychique est
soumis au même régime que la contrainte, dans lequel l’imprévisibilité trouve sa place. La
précision temporelle de l’article 122-1 du Code pénal ne serait donc pas déterminante, même
pour circonscrire l’appréciation du discernement au temps de l’action. Dès lors, comment
l’interpréter ? Selon nous, elle a surtout pour objectif de prémunir l’agent d’une appréciation
de l’imputabilité postérieurement au moment des faits. En effet, autant l’appréciation des
conditions de l’imputabilité postérieurement aux faits doit être écartée pour ne pas conduire
à l’adoption de solutions inéquitables, autant il peut légitimement être tenu compte du
comportement antérieur de l’agent dès lors que sa faute et l’acte commis forment « un
continuum que la logique, comme la justice, interdisent de scinder »598. En outre, on pourrait
également considérer à titre subsidiaire que la lettre de l’article 122-1 du Code pénal signifie
que le trouble psychique ou neuropsychique abolissant le discernement a en principe le
caractère d’un événement fatal, qui se manifeste pour la première fois « au moment des
faits », d’où son appréciation de principe à ce moment-là.

Finalement, il conviendra de considérer que les termes de l’article 122-1 du Code pénal
indiquent simplement que la condition d’imputabilité relative au discernement doit en
principe s’apprécier au moment des faits, nonobstant son extranéité de l’infraction, et ce,
même s’il est possible de s’émanciper de cette temporalité pour tenir compte de la faute
antérieure de l’agent. Pour cette raison, peut-être, les articles relatifs à la minorité et à la
contrainte599 ne font aucunement référence à une condition de temps dans le corps de leur
texte. Pour conclure sur ce point, nous retiendrons donc que les termes « au moment des
faits » sont en relation avec la détermination du moment de l’appréciation des conditions de
l’imputabilité et non avec leur localisation au sein de l’infraction. Il ne faut pas confondre la
place du débat relatif à l’imputabilité avec le moment de l’appréciation de ses conditions.

De manière plus radicale, il est possible d’invoquer des textes législatifs susceptibles de
fonder, de manière univoque, l’extériorité de l’imputabilité par rapport à l’infraction.

598. A. VITU, « Contrainte ou état de nécessité », op. cit., p. 90.


599. Cf. C. pén. art. 122-2 et 122-8.

128
3. Les arguments textuels fondant l’extranéité de l’imputabilité par rapport à
l’infraction
L’emploi différencié des termes de « coupable » et de « responsable », dans certains articles
du Code pénal plaide sans ambiguïté en faveur de l’autonomie des fondements de la
responsabilité pénale, le législateur dissociant en creux la culpabilité stricto sensu et
l’imputabilité.

En premier lieu, il est possible de citer l’article 122-8 du Code pénal, tel qu’il résulte de la
réforme du 9 septembre 2002, opérée par la loi no 2002-1138 du 9 septembre 2002, qui, de
ce point de vue, est le plus pertinent. Aux termes de cet article, « Les mineurs capables de
discernement sont pénalement responsables des crimes, délits et contraventions dont ils ont été
reconnus coupables, dans des conditions fixées par une loi particulière… ». En introduisant
l’exigence de discernement dans la lettre de l’article 122-8, la loi du 9 septembre 2002 met
clairement en évidence la trilogie conceptuelle de la responsabilité pénale. Cependant, au-delà
d’une présentation explicite de la responsabilité pénale comme la somme de la culpabilité et
de l’imputabilité, cet article nous renseigne utilement sur l’enchaînement des notions. En
isolant, dans le corps de son texte, la reconnaissance de culpabilité du mineur d’une
association de l’antériorité du diagnostic d’imputabilité sur la déclaration de responsabilité
pénale, il résout l’équation trinitaire comme suit : « culpabilité + imputabilité
= responsabilité ».

Nous pouvons citer également l’article 1 de l’ordonnance du 2 février 1945, relative à


l’enfance délinquante, tel que modifié par la loi no 2011-939 du 10 août 2011, qui, dans son
alinéa 1 dispose : « Les mineurs auxquels est imputée une infraction qualifiée crime ou délit ne
seront pas déférés aux juridictions pénales de droit commun […] » ; et dans son second
alinéa : « Ceux auxquels est imputée une contravention de police de cinquième classe sont déférés aux
juridictions pour enfants dans les conditions prévues à l’article 20-1. » Cet article opère
également une dissociation claire entre infraction et imputabilité. C’est bien d’imputabilité
qu’il est question, non d’imputation, dans la mesure où il ne nous paraît pas cohérent
d’interpréter les dispositions de l’ordonnance du 2 février 1945 sans les articuler avec celles
de l’article 122-8. Il est possible de se fonder sur le renvoi opéré par l’article 122-8 à cette
« loi particulière » qu’est l’ordonnance du 2 février 1945 pour expliciter les conditions
précises de la responsabilité pénale des mineurs. Toutes ces conditions, à l’instar de celles
figurant dans son article 1er, se doivent donc d’être interprétées à l’aune de la règle générale
énoncée à l’article 122-8. Or, nous venons de voir qu’aux termes de ce dernier, c’est bien
d’imputabilité qu’il est question. Finalement, nous pouvons invoquer l’article 132-60,
alinéa 1er du Code pénal aux termes duquel « La juridiction peut ajourner le prononcé de la
peine lorsqu’il apparaît que le reclassement du coupable est en voie d’être acquis, que le
dommage causé est en voie d’être réparé et que le trouble résultant de l’infraction va cesser ».
Nous verrons comment l’emploi du vocable coupable, préféré à celui de responsable, augure
d’une distinction entre la culpabilité proprement dite et l’imputabilité, les discussions relatives
à l’existence de la seconde succédant au débat sur la caractérisation de la première600.

600. Cf. infra.

129
Cette clarification législative faite en faveur de l’autonomie de l’imputabilité par rapport
l’infraction, il reste maintenant à préciser la portée de certaines décisions jurisprudentielles
susceptibles de semer le doute sur la place de l’imputabilité.

B. Les solutions jurisprudentielles

Si certaines décisions jurisprudentielles retenant l’imputabilité comme condition à la


réalisation d’une infraction paraissent devoir être marginalisées et privées de portée
générale (1.), le célèbre arrêt Laboube aux termes duquel « toute infraction, même non
intentionnelle, suppose que son auteur ait agi avec volonté et intelligence » méritera de plus
amples commentaires, afin de renverser l’interprétation communément proposée de cette
décision aux termes de laquelle l’imputabilité entrerait dans la constitution de l’infraction (2.).

1. La marginalité des décisions civiles ou pénales


Certains arrêts consacreraient la théorie classique de l’imputabilité. Un exemple peut être
donné avec l’arrêt rendu par la chambre criminelle de la Cour de cassation le 14 décembre
1982 qui approuve une Cour d’appel d’avoir considéré que l’élément moral de l’infraction
n’est pas caractérisé en raison de la démence de son auteur : « Les faits matériellement
reprochés à l’intéressé ne constituent pas, à raison de l’état de démence de leur auteur au
temps de l’action, des crimes punissables, faute d’élément moral. »601

Un arrêt plus récent, rendu cette fois par la première chambre civile602, distille à nouveau le
doute. Un homme qui avait mortellement poignardé ses deux parents entendait pourtant
venir à leur succession, au motif qu’il avait commis ces crimes sous l’empire d’un trouble
psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement – cette circonstance ayant par
ailleurs justifié une décision de non-lieu. Pour son frère, il n’avait aucun droit dans les
successions et devait être frappé d’indignité successorale sur le fondement de l’article 727,
ancien, du Code civil603. L’indignité successorale est une sanction civile qui empêche l’auteur
de fautes graves envers le de cujus de lui succéder. La question qui se posait était donc de
savoir si l’irresponsabilité fondée sur l’article 122-1 du Code pénal pouvait faire obstacle à la
caractérisation d’une faute grave engendrant l’indignité successorale de l’article 727, ancien,
du Code civil.

En application de cet article, l’indignité successorale suppose que l’intéressé ait été condamné
comme auteur ou complice à une peine criminelle ou correctionnelle, notamment pour avoir
donné la mort au défunt. En l’espèce, l’homme qui avait tué ses deux parents, ayant fait
l’objet d’une décision de non-lieu en raison de l’abolition de son discernement, n’avait donc
pas été condamné pénalement. Ainsi, la décision rendue par la cour d’appel de Nîmes le

601. Cass. crim. 14 déc. 1982 (inédit), Gaz. Pal., 1983, 1, pan., p. 178.
602. Cass. civ. 1re, 28 mars 2012, no 11-10.393, inédit, JurisData no 2012-005910 ; Dr. fam. 2012, comm. 113,
P. BONFILS.
603. Devenu depuis la réforme du 3 décembre 2001, opérée par la loi no 2001-1135 du 3 décembre 2001 relative
aux droits du conjoint survivant et des enfants adultérins, et modernisant diverses dispositions du droit
successoral, l’article 726 du Code civil, sans modification substantielle.

130
19 octobre 2010, par laquelle elle refusait l’application des articles 727, ancien, 726 et 727,
nouveaux, du Code civil est légitime au regard du droit civil.

Si le pourvoi formé contre la décision de la cour d’appel est bien rejeté, en revanche, la
motivation de l’arrêt rendu par la Cour de cassation pose question au regard du droit pénal
et, singulièrement, de la place du discernement dans la responsabilité pénale. Cette dernière
rejette le pourvoi au motif « qu’ayant exactement relevé que l’indignité successorale suppose l’intention
coupable, que la loi exige en posant comme condition à son prononcé que l’auteur du geste homicide ait été
condamné à une peine criminelle ou correctionnelle et constaté qu’un non-lieu à poursuivre M. Richard R. est
intervenu sur le fondement de l’article 122-1 du Code pénal en raison de l’abolissement total de son
discernement et du contrôle de ses actes », c’est à bon droit que la cour d’appel a refusé d’appliquer
à l’intéressé la sanction de l’indignité successorale.

Pourquoi avoir précisé que « l’indignité successorale suppose l’intention coupable » ? Si l’on considère
que le discernement, en tant que condition de l’imputabilité, est extérieur à l’infraction, il
laisse entière la culpabilité, c’est-à-dire notamment « l’intention coupable ». Nonobstant la
procédure suivie dans le cadre de cette affaire – non-lieu fondé sur l’article 122-1, alinéa 1er
du Code pénal –, la condition relative à l’intention coupable était donc susceptible d’être
caractérisée. Philippe Bonfils, dans le commentaire qu’il effectue de la décision604, rappelle
d’ailleurs que « si le discernement est bien une condition de la responsabilité pénale, on
considère généralement qu’il constitue une cause subjective d’irresponsabilité pénale, laissant
entière la culpabilité, c’est-à-dire la faute ». Il ajoute alors que « dans cette perspective, il était
donc possible de considérer que malgré l’absence de discernement, l’intention coupable
n’avait pas disparu, et que l’auteur du double meurtre aurait dû être jugé indigne de
succéder »605. Approfondissant son raisonnement, on devrait logiquement considérer que si
la déchéance n’a pas été appliquée, c’est parce que l’intention coupable ne pouvait être
retenue, précisément en raison de l’absence de discernement de l’héritier. Il faudrait donc
conclure que la Cour de cassation intègre ici le discernement dans la constitution de l’élément
psychologique de l’infraction, remettant en cause sa place dans la responsabilité pénale, et
partant, l’extériorité de l’imputabilité par rapport à l’infraction.

La question se pose néanmoins de savoir si la motivation de la Cour de cassation ne pourrait


pas se prêter à une autre interprétation. Ne peut-on pas considérer qu’elle rappelle, et de
manière surabondante pour l’une d’entre elles, deux des conditions d’application de la
sanction d’indignité successorale ? Si l’héritier potentiel se devait d’avoir été condamné à une
peine criminelle ou correctionnelle, c’était en raison de la commission des deux homicides
volontaires, autrement dit en raison de la commission d’une infraction intentionnelle
d’atteinte à l’intégrité physique du de cujus. La condition de condamnation visée par l’ancien
article 727 du Code civil supposait donc forcément d’avoir préalablement caractérisé
« l’intention coupable ». On pourrait donc objecter à Philippe Bonfils que son raisonnement
n’est pas abouti, dans la mesure où il occulte ce faisant la seule condition légale expresse à la
sanction civile, aux termes de laquelle l’indignité successorale suppose en outre que l’auteur

604. Cf. note P. BONFILS, Dr. fam. 2012, comm. 113.


605. Ibid.

131
du geste homicide ait été condamné à une peine criminelle ou correctionnelle. L’absence de
sanction civile découle simplement de l’absence de condamnation pénale. En d’autres termes,
alors que l’indignité successorale est conditionnée par l’existence d’une condamnation pénale
et que l’intéressé avait en l’espèce fait l’objet d’un non-lieu, il ne pouvait pas se voir appliquer
cette déchéance. Il était donc suffisant de viser la condition tenant à la condamnation de
l’indigne pour aboutir à cette solution.

Pour cette raison, nous pouvons considérer que la motivation de la Cour de cassation
relativement à l’exigence d’intention coupable est surabondante, en ce sens que si,
conformément à l’article 727 ancien du Code civil, la sanction d’indignité successorale
nécessite bien une condamnation pénale, elle implique nécessairement que l’infraction
d’homicide ait été préalablement caractérisée dans tous ses éléments constitutifs, notamment
dans son « intention coupable ». On pourrait même tout aussi bien convenir qu’en dissociant
ainsi les conditions de mise en œuvre de la sanction civile, la Cour de cassation a entendu
montrer que le discernement constituait le trait d’union entre l’intention coupable et la
condamnation à une peine criminelle ou correctionnelle. On pourrait donc tirer argument de
cette décision en faveur de l’extranéité de l’imputabilité par rapport à l’infraction. À titre
subsidiaire, on pourrait relever que la Cour de cassation a peut-être tenu à souligner la gravité
des infractions pouvant servir de support à la condamnation pénale justifiant l’indignité
successorale en rappelant notamment leur caractère intentionnel, écartant ainsi du champ de
son application les infractions non intentionnelles.

Ainsi, malgré quelques arrêts sporadiques, pour la plupart rendus en opportunité, on ne peut
relever de contestations jurisprudentielles majeures à l’égard de l’extériorité de l’imputabilité
par rapport à l’infraction, si ce n’est le célèbre arrêt Laboube dont l’interprétation se prête à
des controverses juridiques.

2. L’interprétation novatrice de l’arrêt Laboube


La jurisprudence Laboube est intervenue dans un contexte législatif ouvrant la voie à des
interprétations doctrinales divergentes quant à l’exigence du discernement du mineur à
l’engagement de sa responsabilité pénale (2.1). L’arrêt mentionné illustre au travers de son
cheminement procédural les différents courants de pensée et juridiques en la matière (2.2).
La doctrine est assez unanime quant à l’interprétation à donner à cet arrêt. Selon elle, il signe
le retour de l’exigence de discernement en la matière, en procédant à son inclusion dans la
constitution de l’infraction. Il reste cependant permis d’en proposer une interprétation
novatrice à la croisée des solutions rendues en appel et en cassation (2.3).

2.1 Le contexte législatif

Parce qu’il a toujours été admis que le jeune âge pouvait expliquer un développement
insuffisant des facultés intellectuelles606, l’ancien Code pénal imposait au juge de rechercher

606. Comme le rappelle C. Margaine, en se fondant sur l’ouvrage écrit par A. Gesell et F. Ilg relatif à l’enfant
de 5 ans à 10 ans, l’enfant « n’a pas, avant l’âge de 6 ans, de réelle conscience du groupe social. […]
L’échelle de valeur de l’enfant est étroitement liée au cercle familial : si l’enfant peut donc comprendre

132
si le mineur avait agi avec discernement avant d’entrer en voie de condamnation. Cependant,
comme le note François Rousseau, « au fil du temps et des idées, la question du discernement
des mineurs a peu à peu été évincée, jusqu’à disparaître avec l’ordonnance du 2 février
1945607 »608. Selon une lecture qui était faite de l’ordonnance de 1945, il était alors possible
d’imputer une infraction à un enfant, abstraction faite de toute question de discernement609.
Comme le notent Jean Pradel et André Varinard, il était « logique de déduire de cette position
législative que la simple commission d’un acte matériel correspondant à une qualification
pénale suffisait pour qu’une infraction puisse être imputée au mineur »610. Cette solution
trouvait en outre sa légitimité dans les enseignements de la Défense sociale nouvelle selon
laquelle « les mesures qui sont prises contre le mineur ne le sont pas à son encontre mais
dans son intérêt »611. Dès lors, « on pouvait accepter que l’infraction qui permet le
déclenchement de telles mesures soit d’une nature particulière »612, autrement dit « elle peut
se limiter au seul acte matériel réalisé par l’enfant et pénalement sanctionné »613. Cependant,
certains auteurs ont dénoncé le prononcé de telles mesures sur le fondement d’un
comportement ne correspondant que matériellement à une infraction car, fussent-elles
éducatives, elles ne possèdent pas moins le caractère d’une sanction. Une affaire, désormais
célèbre en jurisprudence, illustre, au travers de son cheminement procédural, les différents
courants de pensée et juridiques en la matière. Il s’agit de l’affaire Laboube, du nom du mineur
poursuivi614. L’épilogue donné par la Cour de cassation suscite encore des interprétations
divergentes615.

2.2 Le cheminement procédural de l’affaire Laboube

Un enfant de 6 ans, Jean Laboube, avait blessé assez grièvement l’un de ses camarades au
cours d’un jeu. Concernant l’aspect pénal de la décision, le tribunal pour enfant de Strasbourg
reconnut l’enfant coupable du délit de blessures involontaires et ordonna la remise du mineur
à sa famille à titre de mesure éducative. Ainsi, le tribunal de Strasbourg adoptait une
conception matérielle tout à la fois de l’infraction et de la responsabilité pénale et fondait la
mesure éducative (comprenons la mesure de sûreté) sur l’infraction. La Cour d’appel de
Colmar, dans son arrêt du 1er décembre 1953616, confirmait partiellement le jugement. Si elle
considéra que les faits étaient établis dans leur matérialité et que l’enfant devait être remis à
sa famille, elle estima qu’il ne devait pas répondre de l’infraction relevée contre lui. Ainsi,
« tout en réintroduisant la question du discernement en cette matière », la Cour d’appel

qu’il ne faut pas frapper autrui par exemple, c’est surtout parce qu’en se comportant ainsi, il sait qu’il
risque de mettre en colère ou de décevoir ses parents. Ce n’est qu’à partir de l’âge de 6 ans ou 7 ans que
l’enfant est à même de comprendre les impératifs sociaux lui permettant de saisir la portée morale de ses
actes ». (C. MARGAINE, op. cit., no 305.)
607. Ordonnance no 45-174 du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante.
608. F. ROUSSEAU, L’imputation dans la responsabilité pénale, op. cit., no 38.
609. En ce sens notamment, R. MERLE et A. VITU, Traité de droit criminel – Droit pénal général, op. cit., no 631.
610. J. PRADEL et A. VARINARD, Les grands arrêts du droit pénal général, Dalloz, op. cit., no 43, p. 677.
611. Loc. cit.
612. Loc. cit.
613. Loc. cit.
614. Cass. crim., 13 déc. 1956, Laboube, no 55-05.772, Bull. crim. no 840 ; D., 1957, jurispr. p. 349, note M. PATIN.
615. Nous ne nous intéresserons qu’à l’aspect pénal de l’affaire.
616. CA Colmar, ch. spéc. des mineurs, 1er déc. 1953, Gaz. Pal., 1954. II. 149.

133
considéra que si l’absence d’une intelligence ou d’une volonté suffisante interdisait de
reconnaître le mineur responsable, elle n’empêchait pas, les faits étant établis dans leur
matérialité, le prononcé d’une mesure d’assistance ou d’éducation. Autrement dit, « elle
séparait implicitement l’imputabilité nécessaire à l’établissement de la responsabilité pénale,
de l’infraction qu’elle laissait subsister dans sa dimension matérielle »617. De plus, « elle
appelait à distinguer les mesures de sûreté et les peines, les mesures de sûreté trouvant leur
fondement dans la commission matérielle des faits infractionnels et les peines dans
l’imputabilité de la personne »618. Ainsi, si la cour d’appel se prononce en faveur d’une
conception objectivée de l’infraction619, fondant le prononcé de la mesure éducative, la
responsabilité est désormais d’essence subjective.

La solution rendue par la Cour de cassation est encore sensiblement différente. Si l’exigence
du discernement se trouve confirmée, ce dernier, selon une interprétation de l’arrêt
communément rencontrée en doctrine, serait directement intégré à l’infraction et, plus
précisément, dans son élément psychologique. Cette position se fonde sur la motivation de
la Cour de cassation aux termes de laquelle le prononcé d’une mesure appropriée à l’égard
du mineur implique, « conformément aux principes généraux du droit, que le mineur, dont
la participation à l’acte matériel à lui reproché est établie, ait compris et voulu son acte ; que
toute infraction, même non intentionnelle, suppose en effet que son auteur ait agi avec
intelligence et volonté ». L’attendu de principe renseignerait en outre sur la place exacte de
l’imputabilité au sein de l’élément psychologique, car « dès lors que toute infraction suppose
que son auteur ait agi avec intelligence et volonté, il faut nécessairement, avant d’envisager la
question de la culpabilité, se demander si l’individu poursuivi peut répondre de ses actes ».
Ainsi, non seulement l’imputabilité serait une composante de l’élément psychologique de
l’infraction, mais encore, il faudrait procéder à la priorité d’un débat relativement à son
existence. Si l’on résume l’interprétation, communément retenue, de la solution de la Cour
de cassation : l’infraction présenterait une nature (ultra)subjective car l’élément
psychologique, marqué par la priorité d’un débat sur l’imputabilité, réunirait alors toutes les
données subjectives conditionnant la responsabilité pénale. Cette dernière serait d’essence
subjective et le prononcé de la mesure de sûreté, concernant le mineur, fondé sur
l’imputabilité de la personne.

2.3 Une interprétation novatrice de la décision à la croisée des solutions rendues en appel et
en cassation

Est-il possible de livrer une interprétation divergente ? Peut-on réellement affirmer que cette
décision intègre l’imputabilité dans la constitution de l’infraction ?

Considérons tout d’abord la lettre controversée de l’attendu de principe : selon André


Decocq, « il faut interpréter la formule de l’arrêt en ce sens que l’infraction implique
simplement un degré minimal d’intelligence et de volonté mais non une pleine capacité de

617. C. SAAS, L’ajournement du prononcé de la peine. Césure et recomposition du procès pénal, Dalloz, 2002, no 167, p. 174.
618. Loc. cit.
619. L’objectivation de l’infraction résultant de l’exclusion de l’imputabilité de ses éléments constitutifs.

134
comprendre »620. L’auteur ajoute que cette « cohérence intellectuelle suffisante » pourrait être
caractérisée chez certains mineurs. De la même manière, certains aliénés « pourraient avoir
ce minimum d’intelligence et de volonté qui permettrait d’affirmer l’existence d’une
infraction sans pour autant retenir leur responsabilité pénale ». Emmanuel Dreyer, pour
justifier l’exclusion de principe des mobiles du champ de la définition de l’intention, ne se
réfère-t-il pas au « mécanisme psychique élémentaire requis par le texte d’incrimination »621 ?
Comme nous l’avons déjà démontré, ce minimum d’intelligence et de volonté est déjà
vectorisé par le concept de culpabilité. On pourrait donc considérer que la formule
controversée de l’attendu de principe vise non pas le concept d’imputabilité, mais celui de
culpabilité et, plus précisément, le dénominateur psychologique commun à la culpabilité
intentionnelle et à la culpabilité non intentionnelle. D’une manière générale, la formule ne
ferait donc que confirmer l’existence d’un élément psychologique au titre des éléments
constitutifs de l’infraction, affirmation que l’on peut aujourd’hui fonder sur l’article 121-3 du
Code pénal.

Rangeons-nous maintenant à l’opinion commune selon laquelle c’est d’imputabilité qu’il est
question. Caroline Girault, dans sa thèse relative au droit à l’épreuve des pratiques
euthanasiques, considère qu’« en précisant que la volonté libre et consciente est généralement
requise, que l’infraction soit ou non intentionnelle, la Cour de cassation indique que
l’imputabilité ne saurait se confondre avec l’élément moral et plus particulièrement avec le
dol. A priori les notions de faute et d’imputabilité seraient donc dissociables et indépendantes
l’une de l’autre »622. Valérie Cantat-Lampin Saint-Gérand, dans sa thèse consacrée quant à
elle à la culpabilité dans la théorie de la responsabilité pénale, considère également que « les
magistrats entendent bien distinguer entre la donnée intellectuelle et l’imputabilité, lorsqu’ils
affirment que “toute infraction même non intentionnelle suppose que son auteur ait agi avec
intelligence et volonté” »623. La référence à l’infraction, et non aux faits, ne signifie-t-elle pas
que l’imputabilité est dissociée de l’infraction ?

Selon nous, il conviendra donc de considérer que la Cour de cassation opère une distinction
fondamentale entre culpabilité et imputabilité. Plus précisément, l’imputabilité transcenderait
la distinction opérée au sein de la donnée psychologique entre dol et faute, intention et non-
intention.

Considérons maintenant l’objectif poursuivi la Cour de cassation : on peut penser que celle-ci
cherchait avant tout à éviter le prononcé d’une mesure de sûreté à l’encontre du jeune

620. A. DECOCQ, cité par J. PRADEL et A. VARINARD, Les grands arrêts du droit pénal général, op. cit., no 43, p. 690.
621. E. DREYER, Droit pénal général, op. cit., no 897, p. 683.
622. C. GIRAULT, Le droit à l’épreuve des pratiques euthanasiques, th. Paris-XI, 2000, p. 489, no 1142.
623. V. CANTAT-LAMPIN SAINT-GÉRAND, La culpabilité dans la théorie de la responsabilité pénale, op. cit., no 57, p. 58
et 59. À noter toutefois que, selon l’auteur de la thèse, « c’est là faire la preuve que l’imputabilité est une
condition préalable à la reconnaissance d’une attitude coupable ». Valérie Cantat-Lampin Saint-Gérand,
tout en reconnaissant l’autonomie des deux notions, analyse l’imputabilité comme une composante de
l’infraction préalable à l’examen de la culpabilité. Il est en effet des auteurs pour considérer que la
distinction entre culpabilité et imputabilité ne fait pas obstacle à l’intégration de l’imputabilité dans
l’infraction. Au regard de l’objet de notre recherche, il ne suffira donc pas de démontrer que culpabilité et
imputabilité sont deux notions distinctes. Nous démontrerons en outre que l’imputabilité constitue une
donnée extérieure à l’infraction (cf. infra).

135
Laboube. La difficulté résidait alors dans la solution traditionnelle de la jurisprudence qui
fondait le prononcé d’une mesure de sûreté à l’encontre d’un mineur dans la caractérisation
d’une infraction. De ce point de vue, les décisions du tribunal pour enfants de Strasbourg et
de la cour d’appel de Colmar en constituent deux illustrations. Selon certains auteurs624, la
Cour de cassation aurait donc intégré l’imputabilité dans la constitution de l’infraction, de
manière opportune, afin de faire obstacle au prononcé de la remise de l’enfant à sa famille :
il fallait intégrer directement dans l’infraction une composante faisant défaut dans l’espèce
étudiée, afin de faire obstacle au prononcé d’une telle mesure. Ainsi, la motivation de la Cour
de cassation répondrait moins à la théorisation d’une nouvelle conception de l’infraction, à
la volonté de poser une règle générale relativement à la constitution de l’infraction – comme
cela a pu être soutenu par certains auteurs –, qu’à la volonté de rendre une solution opportune
en fondant le prononcé de la mesure éducative à l’encontre du mineur dans l’imputabilité de
la personne. Dans ce cas, on ne peut que regretter qu’elle n’ait pas plus explicitement
formalisé sa position. En outre, pour éviter la remise de l’enfant à ses parents, « il était
possible d’adopter une conception objective de l’infraction, en détachant la question du
discernement de la réalisation ou non de l’infraction et en en faisant une composante de la
responsabilité pénale »625 et de conditionner la mesure de sûreté éducative à la mise en œuvre
de la responsabilité pénale. « En laissant subsister l’infraction mais en retenant la non-
imputabilité de l’infraction à une personne dénuée de discernement, les juges auraient pu
écarter la responsabilité pénale de cette dernière »626, et partant, le prononcé de toute mesure
éducative627. Ainsi, la Cour de cassation aurait pu plus judicieusement choisir de fonder
explicitement le prononcé de la mesure de sûreté dans l’imputabilité de la personne628.

En ce qui concerne les apports incontestables de cette décision, on peut donc relever la
dissociation des concepts de culpabilité et d’imputabilité, et le fondement de la mesure de
sûreté à l’encontre d’un mineur dans l’imputabilité de la personne. L’infraction objectivée est
désormais une condition nécessaire mais non suffisante au prononcé d’une mesure éducative.

Ainsi, au regard de la démarche entreprise dans le cadre de notre recherche, une solution
hybride entre la position de la cour d’appel et celle de la Cour de cassation aurait été
préférable. En effet, l’une de nos propositions se rapproche des solutions retenues par la
cour d’appel relativement à la nature de l’infraction et au rattachement de l’imputabilité à la
responsabilité. Elle s’en éloigne, tout en se rapprochant alors de la solution de la Cour de
cassation, en ce qui concerne le fondement au prononcé des mesures de sûreté que nous
proposerons également de fonder dans l’imputabilité de la personne629.

624. En ce sens par exemple, C. SAAS, L’ajournement du prononcé de la peine. Césure et recomposition du procès pénal,
Dalloz, 2002, no 167, p. 175.
625. Loc. cit.
626. Loc. cit.
627. Cette exclusion aurait conduit à écarter le prononcé de toute mesure de sûreté à l’encontre d’un mineur
non imputable, les mesures éducatives s’analysant en des mesures de sûreté.
628. Cette décision est également révélatrice du glissement de l’imputabilité vers le critère d’opportunité de la
sanction pénale (cf. infra).
629. Cf. infra, partie 2, titre 1, le chapitre relatif à la mise en danger de l’imputabilité dans le cadre de la
responsabilité pénale des personnes physiques, où il sera proposé, pour remédier à l’effacement ponctuel
de l’imputabilité, d’en faire le fondement au prononcé de toute mesure pénale. En outre, cette fonction
post-moderne de l’imputabilité aura pour avantage de remédier à la discordance regrettable entre le droit

136
Les partisans de l’inclusion de l’imputabilité dans la constitution de l’infraction ne se limitent
pas à des arguments exclusivement juridiques. Ils invoquent également le simple « bon sens
notionnel » pour justifier de la priorité d’un débat sur l’imputabilité. L’intégration de
l’imputabilité dans la constitution de l’infraction donnerait cohérence à son élément
psychologique.

§ 2 - La cohérence de l’élément psychologique de l’infraction

Selon Jean Pradel et André Varinard, « l’intégration de l’imputabilité dans la constitution de


l’infraction conduit à mieux assurer la cohésion de ce que la majorité de la doctrine nomme
l’élément moral de l’infraction »630. Ainsi, l’imputabilité est souvent présentée comme faisant
partie, au côté de la culpabilité, de l’élément moral de l’infraction. Plus précisément, elle
constituerait le préalable indispensable à l’examen de la culpabilité. Pour conclure à cet ordre
des priorités, les auteurs se fondent traditionnellement sur deux séries de considérations
inhérentes à la substance ainsi qu’au rôle des concepts.

André Giudicelli, dans son article consacré à l’étude des frontières de l’intention631, considère
que « préalablement à l’identification d’une faute intentionnelle chez l’agent, peut se poser la
question du discernement et de la liberté d’agir de celui-ci car, sans imputabilité morale, il ne
peut y avoir de culpabilité en général et d’intention en particulier632 : en effet, comment
admettre une tension de la volonté vers un résultat donné lorsque l’intelligence fait défaut ou
que la liberté est contrainte ? » Dans le même sens, Emmanuel Dreyer considère, à propos
du dément et de l’infans, que « l’inconscience de l’auteur du fait principal interdit de penser
qu’il a pu rechercher le résultat redouté par le législateur lorsqu’il a commis le fait en question.
Il ne peut donc avoir agi de manière intentionnelle »633. On le comprend, pour certains
auteurs, il se dégage avec une acuité particulière de la définition de l’intention qu’elle implique
de caractériser préalablement une certaine conscience du résultat recherché par l’auteur. Yves
Mayaud souligne, de manière plus explicite, que l’exigence d’imputabilité dépasse le cadre de
la culpabilité intentionnelle en précisant que « la conscience est non seulement indispensable
à l’intention, mais aussi à la non-intention, qu’elle se manifeste sous la forme d’une mise en
danger, ou d’une imprudence plus classique »634. Il insiste donc sur le fait que l’imputabilité
serait un préalable commun à l’examen de toute culpabilité, y compris non intentionnelle.
Ainsi, « dans l’ordre rationnel des choses, l’imputabilité précède nécessairement la culpabilité,
en ce sens que le débat sur l’intention ou la non-intention est inutile s’il est acquis que l’auteur
de l’infraction n’a pas eu la liberté ou la conscience de ses actes. La responsabilité est le
résultat de leur conjugaison, avec une référence prioritaire à l’imputabilité, laquelle

pénal des mineurs et le droit pénal de majeurs sur ce point. Rappelons qu’à ce jour, si les mesures de sûreté
sont fondées dans l’imputabilité du mineur, elles peuvent l’être dans l’infraction objectivée commise par
le majeur.
630. Cf. J. PRADEL et A. VARINARD, Les grands arrêts du droit pénal général, op. cit., no 43, p. 690.
631. A. GIUDICELLI, « Incertitudes sur les frontières de l’intention », op. cit., p. 30 et 31.
632. En ce sens également, J.-H. ROBERT, Droit pénal général, PUF, coll. « Themis », 5e éd., 2001, p. 315 et
P. CONTE et P. MAISTRE DU CHAMBON, Droit pénal général, op. cit., nos 380 et 381, p. 188.
633. E. DREYER, Droit pénal général, op. cit., no 1102, p. 802.
634. Y. MAYAUD, « Les malades mentaux entre non-imputabilité et imputation », in Irresponsabilité pénale des
malades mentaux : état des lieux, AJ pén., 2004, p. 306.

137
conditionne les investigations sur la culpabilité »635. Emmanuel Dreyer, dans son ouvrage de
droit pénal général partage la même vision aux termes de laquelle « un fait ne peut accéder
au statut d’infraction que s’il a, entre autres choses, été accompli librement, c’est-à-dire avec
intelligence et volonté »636. Selon lui, la Cour de cassation en aurait fait un principe général
du droit par sa célèbre formule de l’arrêt Laboube. En résumé, pour une partie de la doctrine,
« si l’on n’est pas libre de vouloir, il est nullement nécessaire d’envisager l’expression d’une
volonté »637.

Cependant, ces affirmations se comprennent si l’on retient une certaine acception, selon nous
dépassée, tant de la substance que des rôles de l’imputabilité et de la culpabilité.

Tout d’abord, dans le cadre de cette recherche, il a été démontré le caractère objectivé de la
culpabilité qui, rappelons-le, implique simplement un degré minimal d’intelligence et de
volonté pour caractériser l’élément psychologique de l’infraction, qu’elle soit intentionnelle
ou non intentionnelle638. Dans ce contexte conceptuel, le résultat recherché dans le cadre
d’une infraction intentionnelle, comme nous l’avons démontré, peut s’entendre d’un simple
résultat juridique639, autrement dit d’un résultat « désincarné ». Il est donc possible de
dissocier le degré minimal d’intelligence et de volonté du discernement et de la liberté de la
volonté. Cette dissociation est incarnée par la dualité des concepts de culpabilité et
d’imputabilité. Dès lors que la culpabilité stricto sensu correspond au degré minimal
d’intelligence et de volonté, il n’est nullement besoin d’investiguer préalablement sur
l’imputabilité. En d’autres termes, la culpabilité ne suppose donc pas d’établir, préalablement
à sa caractérisation, que l’auteur était doté, au moment des faits, du discernement et d’une
volonté libre. Il n’est pas besoin d’une condition supplémentaire à la culpabilité proprement
dite, traduisant une aptitude pénale, pour pouvoir caractériser l’élément moral de l’infraction.
La culpabilité, en tant que concept objectivé, ne nécessite donc pas qu’on lui agrège
l’imputabilité pour assurer la cohérence de l’élément psychologique de l’infraction.

On peut alors considérer que la culpabilité véhicule « la substance éthique de l’infraction »


qu’Adrien-Charles Dana attribuait à l’imputabilité640. Cette substance est en réalité vectorisée
par le concept de culpabilité. Dès lors, et comme le note Clément Margaine, l’imputabilité
« se présente comme une condition supplémentaire, traduisant quant à elle le contenu moral
de la responsabilité pénale »641.

635. Loc. cit.


636. E. DREYER, Droit pénal général, 3e éd., 2014, no 776. Ainsi, « saisi d’un fait semblant correspondre à celui
qu’envisage un texte d’incrimination, le juge répressif devrait aussitôt vérifier que ce fait est imputable à
son auteur. À ce stade, il ne s’agit pas encore de déterminer si ce fait constitue une infraction. Avant de
savoir s’il exprime une culpabilité, c’est-à-dire s’il procède d’un mauvais usage d’une volonté éclairée, il
faut s’assurer que l’agent était bien libre de le commettre et a compris ce qu’il faisait » (E. DREYER, Droit
pénal général, Litec, 4e éd., 2015, no 782, p. 595).
637. C. SAAS, L’ajournement du prononcé de la peine. Césure et recomposition du procès pénal, Dalloz, 2002, no 172.
638. Cf. aussi infra, l’analyse de l’arrêt Laboube.
639. Cf. supra.
640. Dans sa thèse relative à la notion d’infraction pénale, A.-C. Dana analyse l’imputabilité en une aptitude
pénale qui conditionne l’existence même de l’infraction [… et] fixe le seuil de pénalité. L’imputabilité
contribuerait à « la substance éthique de l’infraction » (op. cit., no 32 et suiv.).
641. C. MARGAINE, op. cit., no 243.

138
Une autre justification, avancée par Yves Mayaud, à la priorité d’un débat sur l’imputabilité,
est relative aux rôles des concepts. Emmanuel Dreyer partage son analyse en considérant
qu’« en matière pénale, imputabilité et culpabilité sont deux notions parfaitement dissociées :
la responsabilité pénale repose sur l’imputabilité, la culpabilité sert seulement à mesurer
l’étendue de cette responsabilité. Il s’ensuit nécessairement que la question de l’imputabilité
se pose avant celle de la culpabilité, c’est-à-dire quand l’existence de l’infraction n’est pas
encore établie »642. Comme nous le démontrerons dans le chapitre suivant, il s’agit d’une
vision trop « classique », donc minimaliste, des dessins des deux composantes de la
responsabilité pénale643. Au contraire, selon nous, il serait même possible d’arguer des
fonctions respectives de la culpabilité et de l’imputabilité pour argumenter en faveur d’une
interversion des composantes de la responsabilité pénale644.

Si cette analyse ne fait pas l’unanimité, il est possible d’invoquer d’autres arguments contre
la critique de l’inversion de l’ordre logique des priorités. Claire Saas, dans sa thèse consacrée
à l’ajournement du prononcé de la peine, avance deux arguments techniques pour justifier
de la priorité d’un débat sur la culpabilité. En premier lieu, il s’agit de convenir qu’en l’absence
d’expression d’une volonté, l’intervention du système pénal n’est pas justifiée. En second
lieu, elle rappelle qu’il est possible d’exprimer une volonté, sans que celle-ci soit libre. On
pourrait ajouter que retenir l’antériorité d’un débat sur l’imputabilité reviendrait à établir
l’exercice de la volonté par son existence645.

Après avoir écarté la pertinence des arguments communément avancés en faveur de


l’inclusion de l’imputabilité dans la structure de l’infraction, il est en outre possible d’établir
positivement son exclusion de l’infraction.

Section 2 – L’autonomie de l’imputabilité par rapport à l’élément


psychologique de l’infraction
L’autonomie de l’imputabilité par rapport à l’infraction résulte d’abord de la dissociation
substantielle des composantes subjectives de la responsabilité pénale. La mise en exergue de
conditions spécifiques à l’imputabilité constituait logiquement le préalable nécessaire à la
démonstration de son extranéité par rapport à l’infraction. Il a fallu ensuite exclure un certain
nombre d’arguments, tant législatifs que jurisprudentiels, avancés au soutien de l’inclusion. Il
s’agit maintenant d’établir positivement l’autonomie de l’imputabilité au travers de l’étude de
son régime juridique (A.). Cette analyse pénale pourra être confirmée par le recours au droit
civil (B.)

642. E. DREYER, Droit pénal général, op. cit., no 814, p. 622.


643. Cette affirmation procède en quelque sorte d’une méconnaissance de la multiplicité des rôles de la
culpabilité comme elle cantonne l’imputabilité au rôle très classique de fondement de la responsabilité
pénale.
644. Cf. infra, partie 1, titre 2, chapitre II, section 2.
645. Cf. R. BERNARDINI, L’intention coupable en droit pénal, th. dactyl., Nice, 1976, t. 1, no 66, p. 116, cité par
V. CANTAT-LAMPIN SAINT-GÉRAND, La culpabilité dans la théorie de la responsabilité pénale, op. cit., no 228,
p. 233.

139
§ 1 - L’autonomie de l’imputabilité par rapport à l’infraction
confirmée par l’étude de son régime juridique

Le régime de l’imputabilité, qu’il s’agisse de l’existence de présomptions en ce domaine (A.)


ou des modalités de preuve relativement à l’existence de l’imputabilité (B.), permet de
conclure à son extériorité à l’infraction.

A. Les présomptions en matière d’imputabilité

La dissociation du moment de l’appréciation des conditions de l’imputabilité646 de celui de la


réalisation de l’infraction peut être corrélée à l’existence de présomptions en matière
d’imputabilité. Nous établirons dans un premier temps que l’existence de présomptions
relativement aux conditions de l’imputabilité repose sur plusieurs fondements avant de
conclure qu’elles permettent de dégager l’imputabilité de la constitution de l’infraction.

Les fondements à l’existence de présomptions relativement aux conditions de l’imputabilité


ne manquent pas. Comme le démontre François Rousseau, l’existence de présomptions
relativement aux conditions d’imputabilité peut se déduire du fait que « les conditions
d’imputation à l’agent s’expriment, techniquement, par des causes d’irresponsabilité pénale.
Le trouble mental647, par exemple, fait apparaître négativement l’exigence d’un discernement
de l’agent nécessaire à la responsabilité pénale ; semblablement, la contrainte648 fait apparaître
l’exigence d’une volonté libre. Cette expression négative des exigences tenant au
discernement et à la volonté libre de la personne signifie, juridiquement, qu’elles sont
présumées »649. Selon Emmanuel Dreyer, les présomptions relatives aux conditions de
l’imputabilité s’appuient sur des arguments philosophiques qui postulent un libre arbitre en
tout homme : « […] le droit pénal a foi en l’homme qu’il présume intelligent et volontaire
dès lors qu’il est majeur. [Cette règle trouve] son origine dans la conception abstraite et
impersonnelle de l’individu qu’avaient dégagée les Lumières. »650 Finalement, ces
présomptions pourraient aussi s’expliquer, comme le rappelle François Rousseau, par l’effet
régressif des conditions de l’imputabilité sur la responsabilité pénale651 : « […] ne pas
présumer les conditions d’imputation à l’agent reviendrait, d’une certaine manière, à
considérer toute personne comme étant, a priori, irresponsable. L’efficacité sociale de la
responsabilité pénale commanderait, donc, leur présomption. »652 Il est à noter que la
présomption d’imputabilité est d’ailleurs totale en droit pénal des majeurs alors qu’elle n’est

646. Cf. infra sur les modalités de preuve des conditions de l’imputabilité.
647. C. pén., art. 122-1.
648. C. pén., art. 122-2.
649. F. ROUSSEAU, L’imputation dans la responsabilité pénale, op. cit., no 14.
650. E. DREYER, Droit pénal général, op. cit., no 820, p. 625.
651. Selon l’analyse sociologique de Paul Fauconnet, les exigences tenant au discernement et à la volonté libre
de la personne ont entraîné une certaine « régression » de la responsabilité pénale, en ce sens qu’elles
viennent limiter la catégorie des sujets potentiellement responsables aux seules personnes douées de
volonté et de discernement (cf. P. FAUCONNET, La Responsabilité. Étude de sociologie, F. Alcan, 1920, p. 312
et suiv.).
652. F. ROUSSEAU, L’imputation dans la responsabilité pénale, op. cit., no 14.

140
que partielle en droit pénal des mineurs653. Seule la liberté de la volonté est présumée en ce
domaine, le discernement devant être positivement établi654.

Les détracteurs de l’autonomie de l’imputabilité par rapport à l’infraction reconnaissent


l’existence de la présomption d’imputabilité. Ils concluent cependant qu’elle conduit à créer
une illusion d’optique relativement à la place de l’imputabilité. Elle entraînerait une
confusion, déjà soulevée dans le cadre de cette recherche, entre la place de l’imputabilité et
le moment de son débat. Ce dernier, étant ouvert le plus souvent par un moyen de défense
du prévenu, laisserait à tort conclure à l’exclusion de l’imputabilité de la constitution de
l’infraction. Emmanuel Dreyer considère ainsi que « le libre arbitre étant présumé à l’égard
des adultes […], cette exigence préalable à la responsabilité pénale n’apparaît pas d’emblée :
les poursuites sont justifiées par un fait pouvant ressembler à une infraction. On ne discute,
dans un second temps, de l’intelligence (maladie mentale) ou de la volonté (contrainte) de
l’agent que de manière exceptionnelle. Toutefois, c’est une erreur de croire qu’à ce stade
l’infraction est déjà établie, de sorte que la non-imputabilité permettrait seulement de couper
le lien qui relie cette infraction à l’agent. Jusque-là, l’infraction n’existe qu’en apparence ».

Le fait que l’imputabilité soit totalement présumée à l’égard du délinquant majeur et


partiellement à l’égard du délinquant mineur révèle qu’à tout le moins, elle ne paraît pas
déterminante de la constitution de l’infraction. Pour cette raison, la présomption
d’imputabilité peut s’analyser en un préalable à son détachement de l’infraction. Si l’existence
de cette présomption n’empêche pas les détracteurs de l’extranéité de défendre l’antériorité
d’un débat sur l’imputabilité, nous confirmerons l’analyse développée dans le cadre de cette
étude au travers de l’examen des règles de preuve en matière d’imputabilité.

B. La charge de la preuve de l’imputabilité

Plus convaincant, dans l’établissement de l’extériorité de l’imputabilité à l’infraction, que


l’existence de présomptions d’imputabilité, est le fait que la charge de la preuve de l’existence
d’une cause de non-imputabilité appartienne au prévenu ou à l’accusé majeur (1.) alors que
la charge de preuve des éléments constitutifs de l’infraction incombe au parquet (2.). Cette
distorsion dans la qualité de la partie chargée de la preuve constitue un argument décisif en
faveur de l’extranéité de l’imputabilité à l’infraction.

1. La charge de la preuve de l’imputabilité ou de l’absence d’imputabilité pesant


sur le prévenu ou l’accusé
Il importe dans un premier temps d’opérer une distinction entre le droit pénal des majeurs
et le droit pénal des mineurs. Comme nous l’avons vu dans le développement précédent

653. La loi no 2002-1138 du 9 sept. 2002, dans le sillage de la jurisprudence Laboube, a clos de manière définitive
les débats doctrinaux relatifs à l’existence d’une présomption d’irresponsabilité pénale concernant les
mineurs délinquants.
654. C. pén., art. 122-8. L’évolution tendrait vers un alignement sur le droit pénal des majeurs avec des
discussions récurrentes sur la fixation d’un seuil d’âge à partir duquel les mineurs seraient présumés
discernants de manière irréfragable.

141
relatif à l’étude des présomptions en matière d’imputabilité, « dans un souci de protection, les
mineurs sont présumés incapables de discernement, dans un souci de responsabilisation, les
majeurs sont censés être intelligents et volontaires »655. La distribution des rôles en droit pénal
des majeurs se réalise donc de la manière suivante : alors qu’il appartient au ministère public
d’établir que le mineur poursuivi était doué d’intelligence et de volonté au moment des faits,
il appartient aux personnes majeures d’alléguer l’existence d’une cause de non-imputabilité, le
ministère public n’ayant pas à rapporter la preuve de l’absence de démence ou de pression au
moment des faits. Par ailleurs, la juridiction n’a pas davantage à la relever d’office656. Un arrêt
relativement récent rendu par la chambre criminelle de la Cour de cassation le 11 mai 2004657
illustre bien ces dernières considérations relativement à la preuve de la contrainte. Un homme
de 68 ans, souffrant d’une grave insuffisance cardiaque, avait perdu le contrôle du camion de
location qu’il conduisait pour se rendre de Paris à Perpignan et percuté deux véhicules
circulant en sens inverse. Trois personnes furent blessées. Poursuivi devant le tribunal
correctionnel pour blessures involontaires, il est condamné tant en première instance que par
la chambre des appels correctionnels de la cour d’appel de Nîmes, cette dernière, par un arrêt
du 11 septembre 2003, prononçant trois amendes de 500, 400 et 150 € et deux mois de
suspension du permis de conduire avec sursis pour contraventions de blessures involontaires
et conduite d’un véhicule à gauche de la chaussée. Il se pourvoit en cassation sur le fondement
de l’article 122-2 du Code pénal et fait alors valoir que sa maladie avait été la cause du malaise
lui ayant fait perdre le contrôle du véhicule. « Malheureusement pour lui, il n’avait pas songé
à invoquer cette circonstance devant les juges du fond, de sorte que le moyen était irrecevable
car nouveau », comme en témoigne la motivation de la Cour de cassation aux termes de
laquelle, dès lors « qu’il ne ressort d’aucunes conclusions régulièrement déposées que le
demandeur ait invoqué la contrainte résultant de la maladie dite de l’apnée du sommeil »
devant les juges du fond, le moyen tiré de la violation de l’article 122-2 du code pénal est
nouveau et ne saurait être accueilli. Cette solution est dans la droite ligne de la jurisprudence
de la Cour de cassation selon laquelle le juge n’est pas tenu de constater spécialement l’absence
d’un fait justificatif ou d’une cause de non-imputabilité, si des conclusions formelles des
parties ne l’invitent pas à le faire658. En revanche, comme le souligne Yves Mayaud dans le
commentaire qu’il effectue de cette décision, « à partir du moment où le prévenu allègue un
fait venant au soutien d’une “circonstance exclusive de l’incrimination”659, la juridiction pénale
a l’obligation de se prononcer, et elle ne saurait se contenter de répondre que les conditions
de l’infraction sont positivement réunies660 »661. La charge de la preuve de l’absence
d’imputabilité incombe bien au majeur poursuivi. Ce dernier point, après étude des règles

655. E. DREYER, Droit pénal général, op. cit., no 818, p. 625.


656. Il convient cependant de relativiser la charge de la preuve de la cause de non-imputabilité pesant sur la
personne poursuivie en ce sens qu’il lui suffit d’invoquer une cause de non-imputabilité pour obliger les
magistrats à vérifier en diligentant, le plus souvent, une expertise.
657. Cass. crim. 11 mai 2004, no 03-85.925, Bull. crim. no 115, AJ Pénal 2004, p. 285, obs. J. LEBLOIS-HAPPE ;
RSC 2004, p. 878, obs. Y. MAYAUD.
658. En ce sens, Cass. crim., 12 nov. 1959, no 66-93.682, Bull. crim. no 488 ; Cass. crim., 1er oct. 1962, Bull. crim.
no 271 ; Cass. crim., 7 avr. 1967, Bull. crim. no 106.
659. A. DECOCQ, Droit pénal général, op. cit., p. 293 et suiv.
660. En ce sens, Cass. crim., 9 mai 1962, Bull. crim. no 187.
661. Y. MAYAUD, « Preuve et bien-fondé de la contrainte en matière de violences involontaires », RSC 2004,
p. 878.

142
relatives à la charge de la preuve de la culpabilité, et au-delà des éléments constitutifs de
l’infraction, permettra de confirmer l’extranéité de l’imputabilité de l’infraction.

2. La charge de la preuve des éléments constitutifs de l ’infraction incombant au


ministère public
Il appartient au ministère public principalement – à la partie civile accessoirement –
d’établir tous les éléments constitutifs de l’infraction662, tandis que, comme nous venons de
le voir, il appartient au prévenu ou à l’accusé de rapporter la preuve des moyens de défense
qu’il soulève, telle une cause de non-imputabilité. Comme le remarquent Jacques Buisson
et Serge Guinchard dans leur ouvrage de procédure pénale 663, les deux principes de la
procédure civile régissant la question de la recherche des preuves sont finalement
applicables : Actori incumbit probatio (« La preuve incombe au demandeur ») et Reus in
excipiendo fit actor (« Le défendeur en excipant devient demandeur »)664. Or, comme le note
Clément Margaine, « si l’imputabilité était un élément de l’infraction, la preuve de son
existence devrait incomber, comme pour l’élément matériel et l’élément moral de
l’infraction, au ministère public »665. Nous préciserons simplement que, même si « les
difficultés de la charge de la preuve ont amené le législateur et la jurisprudence à créer,
pour défendre les intérêts supérieurs de la société, de véritables “présomptions de
culpabilité” »666 conduisant, dans certaines hypothèses, au renversement de la charge de la
preuve, ces exceptions, en tant que telles, ne sont pas de nature à remettre en cause le
raisonnement permettant de fonder l’exclusion de l’imputabilité de l’infraction sur les
régimes respectifs de la culpabilité et de l’imputabilité, pas plus qu’il ne saurait être excipé
du droit pénal des mineurs, selon lequel la charge de la preuve du discernement incombe
en ce domaine au ministère public, pour faire échec à notre démonstration, étant donné le
caractère dérogatoire de ce droit. Nous considèrerons donc, d’une manière générale, que
l’existence de présomptions relativement aux conditions de l’imputabilité corrélée à la
qualité de la partie chargée de la preuve de l’absence d’imputabilité constitue un argument
en faveur de l’extériorité de l’imputabilité à l’infraction.

Clément Margaine relève alors pertinemment que « dans le même ordre d’idées, on peut
également justifier l’autonomie de l’imputabilité par rapport à l’infraction en constatant la
différence d’appréciation de l’imputabilité et de l’élément moral de l’infraction »667. À
l’appui de son raisonnement, il rappelle que « la faute s’apprécie objectivement ou in
abstracto », ce mode d’appréciation étant par ailleurs « approuvé par la doctrine qui y voit le
moyen, parfois un peu sévère, de rejeter l’irresponsabilité d’un individu pour des motifs
qui lui seraient propres tels que son imprudence habituelle ou son étourderie, etc. »668. Il

662. Cf. supra, titre 1, chapitre I.


663. S. GUINCHARD, J. BUISSON, Procédure pénale, op. cit., nos 497 et 525.
664. Même si, comme le rappellent les auteurs, les raisons en sont différentes : « Si dans la procédure pénale
aussi, la preuve doit rapportée par le demandeur au procès, ministère public ou victime » (ibid.), c’est à
raison de la présomption d’innocence qui elle-même trouve sa justification dans l’inégalité des parties au
procès pénal ou, plus généralement, dans la protection de l’individu contre la puissance publique
665. C. MARGAINE, op. cit., no 252, p. 170 et suiv.
666. S. GUINCHARD, J. BUISSON, Procédure pénale, op. cit., no 511.
667. Loc. cit.
668. Loc. cit.

143
poursuit son raisonnement en ajoutant qu’« à l’inverse, le jugement d’imputabilité, puisqu’il
évalue les aptitudes personnelles à l’auteur permettant de lui imputer une infraction,
apparaît comme un jugement de réalité et doit donc s’apprécier in concreto »669. Par
conséquent, « cette différence d’appréciation qui traduit la nature distincte de la culpabilité
et de l’imputabilité justifie […] le rattachement de l’imputabilité à la responsabilité et non
à l’infraction »670.

§ 2 - L’autonomie de l’imputabilité par rapport à l’infraction


confirmée par le recours au droit civil

En procédant à la démarche inverse de celle adoptée par Patrice Jourdain dans sa thèse
intitulée Recherche sur l’imputabilité en matière de responsabilités civile et pénale 671, il s’agira dans un
premier temps d’exploiter la conception civile de la faute afin de conclure à l’exclusion
symétrique de l’imputabilité de la constitution de la faute pénale (A.). Dans un second
temps, la convergence des responsabilités civile et pénale, dans l’hypothèse où la
responsabilité civile poursuit une finalité répressive, permettra de finaliser le rattachement
de l’imputabilité à la responsabilité pénale (B.).

A. L’extranéité de l’imputabilité à l’infraction découlant de l’exclusion de


l’imputabilité dans la constitution de la faute civile

On a vu que l’infraction était imputable à l’homme dès lors qu’il est capable de distinguer « le
bien du mal » puis de choisir entre l’un ou l’autre en exerçant sa volonté. Bien que les
contenus de l’imputabilité soient superposables d’une discipline à l’autre, l’imputabilité civile
semble le plus souvent réduite à une simple exigence de discernement672. Nous raisonnerons
donc sur cette seule composante afin d’exclure l’imputabilité de la constitution de la faute
civile (1.), avant de conclure que cette exclusion justifie également l’extranéité de
l’imputabilité pénale à l’infraction (2.) en se fondant sur le principe de l’identité des fautes
civile et pénale. Dans le même temps, nous verrons que cette exclusion commune constitue
l’antichambre du rattachement exclusif de l’imputabilité à la responsabilité.

1. L’exclusion de l’imputabilité de la constitution de la faute civile


Il conviendra d’abord de constater l’abandon de principe de l’exigence d’imputabilité en
matière civile (1.1) avant de démontrer qu’elle n’entre pas dans la constitution de la faute.
Au-delà de cette exclusion, il sera même possible d’établir qu’elle se rattache au concept de
responsabilité (1.2).

669. Loc. cit.


670. Loc. cit.
671. Ce dernier ayant exploité la conception pénale de l’imputabilité pour renouveler son analyse civile.
672. Selon F. ROUSSEAU, « la majorité des civilistes réduisent la question de l’imputation à l’agent à celle du
discernement […] sans égard à un quelconque élément de volonté ».

144
1.1 L’abandon de l’exigence d’imputabilité en matière civile

Depuis l’introduction de l’article 489-2 dans le Code civil par la loi du 3 janvier 1968 relative
à la réforme du droit des incapables majeurs673 et quatre décisions de l’Assemblée plénière
du 5 mai 1984674, le juge civil n’a plus à vérifier que l’auteur du fait anormal dommageable a
eu conscience de la portée de ses actes675. Si le législateur a décidé d’obliger à réparation
l’auteur d’un dommage atteint par un trouble mental au moment des faits, c’est la
jurisprudence qui en a décidé pareillement à l’égard de l’infans. La position de la jurisprudence
est d’autant plus notable que les deux décisions rendues sur le fondement de l’ancien
article 1382 du Code civil676 concernaient des enfants victimes. Il s’agissait donc de leur
opposer leur faute, nonobstant leur défaut d’imputabilité, afin de réduire leur droit à
indemnisation. Carole Girault, dans sa thèse677, rappelle ainsi que « la capacité de comprendre
et de vouloir n’est plus une qualité nécessaire à l’établissement de la responsabilité civile : son
inexistence n’efface plus la faute commise ».

1.2 L’exclusion de l’imputabilité de la constitution de la faute civile fondée sur le principe de


l’identité des fautes et son rattachement subséquent à la responsabilité

À ce stade, si l’abandon de principe de l’exigence d’imputabilité est acquis en matière civile,


la question de savoir si l’imputabilité civile était rattachée au concept de faute ou de
responsabilité reste entière. Ainsi, la question de la place de l’imputabilité s’est aussi posée en
matière civile.

Envisageons d’abord l’hypothèse d’un rattachement de l’imputabilité à la notion de faute.


Nous partons du constat selon lequel l’exigence d’imputabilité a été abandonnée en matière
civile alors qu’elle reste maintenue en matière pénale. Si l’on considère que l’imputabilité est
une donnée interne à la faute pénale, rejoignant en cela la conception classique de la faute, et
que l’imputabilité n’est plus nécessaire par ailleurs à la matière civile et, particulièrement, à la
constitution de la faute civile, alors la faute civile et la faute pénale ne sont pas identiques.
Comme le relève Clément Margaine dans sa thèse relative à la capacité pénale, « la faute civile,
désormais dépourvue de l’exigence d’imputabilité, se serait alors séparée de la faute pénale678,

673. Loi no 68-5 du 3 janvier 1968, ayant introduit dans le Code civil l’article 489-2 devenu, avec la loi
no 2007-308 du 5 mars 2007, l’article 414-3 aux termes duquel : « Celui qui a causé un dommage à autrui
alors qu’il était sous l’empire d’un trouble mental n’en est pas moins obligé à réparation. »
674. Cass. ass. plén. 9 mai 1984, no 79-16.612, Bull. crim., no 4 ; no 80-93.481, Bull. crim., no 3 ; no 80-14994, Bull.
crim., no 1 ; no 80-93031, Bull. crim., no 2, D. 1984, jurispr. p. 525, concl. J. CABANNES, note F. CHABAS ;
JCP 1984, II, 20255, note P. JOURDAIN.
675. Cf. P. BRUN, La responsabilité civile extracontractuelle, Litec, 2005, nos 346 et suiv. ; M. FABRE-MAGNAN, Les
Obligations, PUF, 4e éd., 2016, no 279 ; J. FLOUR, J.-L. AUBERT et É. SAVAUX, Les Obligations – Le fait
juridique, t. 2, A. Colin, 14e éd., 2011, nos 99 et suiv. ; P. LETOURNEAU (dir.), Droit de la responsabilité et des
contrats, Dalloz, 11e éd., 2017, no 6706 ; F. TERRE, P. SIMLER et Y. LEQUETTE, Les Obligations, Dalloz,
11e éd., 2013, nos 731 et suiv. ; G. VINEY, P. JOURDAIN, Traité de droit civil – Les conditions de la responsabilité
civile, LGDJ, 4e éd., 2013, nos 444, 578 et suiv.
676. Depuis l’ordonnance no 2016-131 du 10 février 2016 et la nouvelle numération subséquente des articles
du Code civil, l’ancien article 1382, posant le principe général de la responsabilité du fait personnel, est
devenu l’article 1240 du Code civil.
677. C. GIRAULT, Le droit à l’épreuve des pratiques euthanasiques, op. cit., p. 492, no 1146.
678. C. MARGAINE, op. cit., no 246.

145
toujours conditionnée par celle-ci ». Or, il est un principe classique consacrant l’identité des
fautes civile et pénale. C’est le célèbre arrêt Brochet et Deschamps679 rendu par la deuxième
chambre civile de la Cour de cassation, et rompant avec la jurisprudence antérieure, qui est
venu poser le principe de l’identité absolue des deux types de faute. Afin de manifester
l’adhésion des juridictions répressives à cette solution, La chambre criminelle devait par la
suite confirmer expressément cette position avec l’arrêt Gouron680 aux termes duquel la faute
pénale d’imprudence se confond avec la faute quasi délictuelle civile.

Dès lors, afin de concilier le principe classique d’unité des fautes civile et pénale avec
l’abandon de l’exigence d’imputabilité en matière civile et son maintien en matière pénale, il
faut considérer qu’il ne s’agissait pas d’une dualité de fautes, mais d’une dualité de
responsabilités. Dans le prolongement de cette idée, Clément Margaine relève d’ailleurs que
« si la faute est identique en droit civil et en droit pénal, c’est donc la responsabilité qui intègre
la condition d’imputabilité selon le type de responsabilité ou plus précisément […] selon sa
fonction »681. L’imputabilité civile n’entrait pas dans la constitution de la faute mais était donc
rattachée au concept de responsabilité. Pour cette raison aussi, la culpabilité civile est
communément qualifiée d’objective682. Quelles incidences sur la place de l’imputabilité ?

2. La place de l’imputabilité pénale


Si l’extranéité de l’imputabilité pénale à l’infraction peut résulter de la règle selon laquelle une
notion ne peut changer de nature selon le domaine juridique considéré (2.1), elle reste par
ailleurs fondée sur le principe d’unité des fautes civile et pénale dont on démontrera
l’effritement seulement relatif (2.2).

2.1 L’exclusion subséquente de l’imputabilité pénale de la constitution de l’infraction

Le rattachement de l’imputabilité à la responsabilité pénale peut découler de la règle en vertu


de laquelle un concept ne peut changer de nature selon le domaine juridique considéré. En
ce sens Patrice Jourdain qui, dans sa thèse sur l’imputabilité683, écarte l’idée selon laquelle la
faute changerait de nature selon le type de responsabilité qu’elle conditionne684. Ainsi, si en
droit civil, l’imputabilité est détachée de l’existence d’une faute, l’une et l’autre étant
indépendantes, elle ne constituera pas non plus un élément de la définition de la faute en
droit pénal. Cette dernière conservera une nature objectivée. Pareillement, mais ciblant
directement l’imputabilité pénale, Claire Saas, se livrant à une interprétation circonspecte de
l’arrêt Laboube685, argumente en défaveur de l’intégration de l’imputabilité dans l’élément
moral de l’infraction en se fondant sur les principes du droit civil686. Pour ce faire, elle cite

679. Cass. civ. 2e, 18 déc. 1912, inédit, S. 1914. 1. 249, note R. MOREL ; D. 1915.1.17 ; Gaz. Pal. 1913.1.107.
680. Cass. crim., 6 juill. 1934, DH 1934. 446.
681. C. MARGAINE, op. cit., no 247.
682. Ce qui n’est pas sans faire écho au caractère objectivé de la culpabilité pénale (cf. supra, chapitre I, titre 1).
683. P. JOURDAIN, Recherche sur l’imputabilité en matière de responsabilités civile et pénale, op. cit.
684. Cette affirmation venant corroborer la démonstration du caractère objectivé de la culpabilité pénale
(cf. supra, chapitre I, titre 1).
685. Cf. supra.
686. C. SAAS, L’ajournement du prononcé de la peine. Césure et recomposition du procès pénal, Dalloz, 2002, no 168.

146
notamment Jean Penneau, qui considère que l’imputabilité « ne peut changer de nature selon
le domaine juridique où elle se produit et [que] son appréciation doit se faire de la même
manière. Par contre, la différence apparaît clairement en ce qui concerne l’appréciation et
l’existence de la responsabilité »687. Avant que son exigence ne soit abandonnée en matière
civile, l’imputabilité civile se trouvait, comme nous l’avons vu, rattachée à la responsabilité.
La même conclusion s’impose donc en matière pénale.

2.2 Le rattachement de l’imputabilité à la responsabilité remis en cause par l’effritement du


principe de l’unité des fautes civile et pénale ?

La genèse d’un effritement


Préalablement, il nous apparaît qu’il convient de préciser le sens du principe de l’identité des
fautes pénale et civile d’imprudence. En cause, une évolution dans la morphologie de
l’imprudence pénale de nature à créer une confusion dans l’interprétation du principe originel
et ses conséquences. Le célèbre arrêt Brochet et Deschamps du 18 décembre 1912 a consacré le
principe de l’unité, en relevant la proximité existant entre l’article 319 de l’ancien Code pénal
et l’ancien article 1383 du Code civil688. Comme l’explique Philippe Bonfils dans son article
relatif à la consécration de la dualité des fautes civile et pénale non intentionnelle, « cette
unité se traduisait alors par deux règles complémentaires : l’existence d’une imprudence
pénale signifiait l’existence d’une imprudence civile, et l’absence d’imprudence pénale
signifiait l’absence d’imprudence civile »689. Cette double équation se vérifie si on la replace
dans le contexte juridique contemporain à la décision. Le régime de l’imprudence pénale était
alors unitaire ; autrement dit, il n’y avait pas de gradation dans la répression de l’imprudence
pénale selon la gravité de la faute. Il a fallu attendre la création par le législateur du concept
de faute de mise en danger délibérée de la vie d’autrui, entré en vigueur en 1994 lors de la
réforme du Code pénal, pour que soit introduite en droit positif une catégorie particulière de
faute qui se caractérise par sa gravité690. Il faut donc considérer que l’imprudence pénale visée
dans le principe originel de l’unité était l’imprudence ordinaire. Si une telle équation était
posée aujourd’hui, elle se résoudrait par l’affirmation de l’identité des fautes de l’article 121-3,
alinéa 3 du Code pénal et de l’ancien article 1383 du Code civil691. À l’instar de Christine
Desnoyer, nous devons en conclure que « le domaine d’application des théories de l’unité et
de la dualité des fautes civile et pénale est nécessairement limité aux fautes d’imprudence
ordinaire »692. Si nous avons avancé comme argument le fait qu’il n’existait pas à l’époque de
la décision de faute d’imprudence qualifiée, elle postule l’inverse, à savoir que, « dans la
théorie de la dualité des fautes, on considère que, dans l’absolu, la faute pénale est
intrinsèquement grave »693. Elle poursuit en ajoutant que « néanmoins, lorsque le législateur

687. J. PENNEAU, Faute et erreur en matière de responsabilité médicale, op. cit., p. 178, no 266.
688. Depuis l’ordonnance no 2016-131 du 10 février 2016, il est devenu l’article 1241 du Code civil.
689. P. BONFILS, « Consécration de la dualité des fautes civile et pénale non intentionnelles », D. 2004, p. 721.
690. À noter que l’éclatement du régime unitaire de l’imprudence pénale a été parachevé en 2000, avec
l’avènement de la faute caractérisée, d’une gravité intermédiaire entre l’imprudence ordinaire et la faute
délibérée.
691. Aujourd’hui C. civ., art. 1241.
692. C. DESNOYER, « L’article 4-1 du Code de procédure pénale, la loi du 10 juillet 2000 et les ambitions du
législateur : l’esprit contrarié par la lettre », D. 2002, p. 979.
693. Loc. cit.

147
décide de subordonner la répression de telle infraction involontaire à l’existence d’une faute
d’imprudence grave, il admet nécessairement sur le plan conceptuel que la faute pénale n’est
pas grave en elle-même. Il y a donc une incompatibilité de principe entre la théorie de la
dualité des fautes et la technique des fautes qualifiées […]. D’ailleurs, si le domaine
d’application des théories en question s’étendait aux fautes qualifiées, le principe de l’unité
des faute civile et pénale n’existerait plus depuis l’entrée en vigueur, en 1994, de la réforme
du code pénal »694.
La formulation du principe de l’unité, sans considération de la gravité de la faute pénale
d’imprudence, était cohérente au regard du contexte juridique contemporain à la décision,
antérieur à l’éclatement du régime unitaire de l’imprudence pénale. Jusqu’à l’entrée en vigueur
du Code pénal en 1994, les domaines des imprudences pénale et civile étaient superposables.
Par conséquent, si le principe reste vrai dans son essence originelle, il devrait néanmoins être
reformulé pour tenir compte du polymorphisme « positif » de l’imprudence pénale. Il suffirait
de préciser que le droit interne consacre le principe de l’identité des fautes pénale et civile
d’imprudence ordinaire. Ainsi, et contrairement à ce qu’affirme André Giudicelli, la faute
civile n’est pas distincte de la faute pénale quelle que soit sa gravité695. Jean Pradel considère
quant à lui que « responsabilités pénale et civile diffèrent non raison de leurs fautes qui sont
de même nature696, mais en raison du lien de causalité qui peut être apprécié
différemment »697.

Cela étant précisé, et comme le relèvent Jean Pradel et André Varinard, « la solution de l’unité
des deux fautes avait été admise depuis, sans nuance, à la fois par les juridictions civiles et
pénales »698 , ce qui n’était pas sans générer des inconvénients certains. Ces derniers, qui
résultaient d’une combinaison du principe de l’unité avec celui de l’autorité sur le civil de la
chose jugée au criminel699, pouvaient être diamétralement opposés. Concrètement, la
conjugaison de ces deux principes obligeait le juge statuant au civil à rester fidèle à la décision
prise par le juge statuant au pénal. Ainsi, une condamnation pénale imposait au juge statuant
au civil la mise en œuvre de la responsabilité civile et la relaxe du juge répressif devait
inévitablement se traduire par une exclusion de la responsabilité civile. On voit bien se
dessiner les effets pervers d’un tel système. D’un côté, le juge pénal pouvait être amené à
retenir des « poussières de faute »700 en tant que faute pénale dans le seul but d’assurer
l’indemnisation de la victime, ce qui aboutissait non seulement à dénaturer le procès pénal
mais encore à étendre de manière démesurée la responsabilité pénale en matière d’infractions
non intentionnelles, notamment à l’encontre de l’action des décideurs publics. D’un autre
côté, certaines victimes perdaient purement et simplement la possibilité d’être indemnisées.

694. Loc. cit.


695. A. GIUDICELLI : « La déclaration par le juge répressif de l’absence de faute pénale non intentionnelle ne
fait pas obstacle à ce que le juge civil retienne une faute civile d’imprudence ou de négligence » (Cass.
1re civ., 30 janv. 2001), RSC 2001, p. 613.
696. Comprenons qu’il parle des fautes pénale et civile d’imprudence ou de négligence ordinaires.
697. J. PRADEL, « De la véritable portée de la loi du 10 juillet 2000, sur la définition des délits non
intentionnels », D., 2000, no 29, « Point de vue ».
698. J. PRADEL et A. VARINARD, Les grands arrêts du droit pénal général, op. cit., no 41, p. 641.
699. Consacrée par l’arrêt Quertier du 7 mars 1855, D. 1855.1.81.
700. Selon l’expression de R. HOUIN, note au JCP 1956. II. 9224.

148
Dès lors, malgré des correctifs jurisprudentiels et législatifs701, et afin d’atténuer la
pénalisation accrue des délits d’imprudence, le législateur, par la loi du 10 juillet 2000702,
introduisit un article 4-1 dans le Code de procédure pénale permettant à la victime,
nonobstant l’absence de faute pénale au sens de l’article 121-3 du Code pénal, d’agir devant
une juridiction civile sur le fondement de l’ancien article 1383 du Code civil703. Il était logique
que la restriction du domaine de la responsabilité pénale, qui plus est en pure opportunité
selon certains, ne puisse s’accompagner d’une réduction corrélative du domaine de la
responsabilité civile.

La question se pose néanmoins de savoir si le principe jurisprudentiel de l’unité des fautes


pénale et civile n’a pas été totalement remis en cause par la loi du 10 juillet 2000, plus
particulièrement par les articles 4-1 et 470-1 du Code de procédure pénale, d’autant que dans
l’affirmative, cela pourrait avoir une incidence sur le raisonnement entrepris dans le cadre de
cette étude – comprenons sur l’extériorité de l’imputabilité par rapport à l’infraction. Il
importe donc de déterminer si cette loi porte l’estocade au principe d’identité ou si elle réalise
« simplement » a minima un effritement de l’unité des fautes.

Le maintien du principe
Nous allons voir que si la règle de l’unité en sort apparemment affaiblie, le principe originel
demeure. Pour ce faire, il nous faudra tout d’abord écarter les arguments tant législatifs que
jurisprudentiels communément avancés pour fonder l’abandon de l’unité, avant de conclure
à une simple réduction de son domaine, non à une remise en cause totale.

La remise en cause des arguments fondant les allégations d’abandon de l’unité des fautes pénale et civile
d’imprudence – Positionnement du problème. Les commentateurs de la vie juridique
s’accordent pour considérer que la loi no 2000-647 du 10 juillet 2000 tendant à préciser la
définition des délits non intentionnels est venue dépénaliser partiellement l’imprudence. Ne
serait-il pas logique de considérer, par symétrie, qu’à la dépénalisation partielle de
l’imprudence faisait nécessairement écho une rupture seulement partielle du principe de
l’identité des fautes ?

701. La Cour de cassation avait admis que les tribunaux civils pouvaient retenir la responsabilité civile d’un
individu relaxé dès lors que la réparation n’était pas fondée sur la faute, comprenons sur l’article 1383 du
Code civil. En revanche, l’indemnisation pouvait relever de l’article 1384, al. 1er relatif à la responsabilité
du gardien du fait d’une chose ou encore de l’article 1385 relatif à la responsabilité du fait des animaux.
Dans le même ordre d’idées, le législateur, par la loi no 83-608 du 8 juillet 1983 renforçant la protection
des victimes d’infraction, est venu créer l’article 470-1 du Code de procédure pénale aux termes duquel le
tribunal répressif qui prononce une relaxe pour homicide ou blessures involontaires demeure compétent
sur la demande de la partie civile ou de son assureur « pour accorder en application des règles de droit
civil réparation de tous les dommages résultant des faits qui ont fondé la poursuite » (rédaction initiale de
l’article 470-1). Cependant, le juge pénal ne pouvait, une fois encore, fonder sa décision sur l’ancien
article 1383 du Code civil (art. 1241 nouveau), la Cour de cassation considérant que l’ancien article 1383
(art. 1241 nouveau) ne relevait pas « des règles de droit civil ».
702. Loi no 2000-647 du 10 juillet 2000 tendant à préciser la définition des délits non intentionnels. En créant
la faute caractérisée et en modifiant l’article 121-3 du Code pénal, elle vient édicter la règle de fond selon
laquelle une personne physique auteur indirect d’un dommage ne pourra plus voir sa responsabilité pénale
engagée qu’en cas de faute d’imprudence qualifiée.
703. Cf. C. civ., art. 1241 nouveau. Dans le prolongement de cet article, la loi du 10 juillet 2000 modifiait
également l’article 470-1.

149
Certains auteurs considèrent que la loi du 10 juillet 2000, en créant l’article 4-1 et en modifiant
l’article 470-1 du Code de procédure pénale704, a néanmoins mis un terme à l’identité des
fautes pénale et civile d’imprudence705. Dans le même sens, ils invoquent aussi la consécration
jurisprudentielle de cet abandon706. Pour en arriver à cette affirmation, ces auteurs ont
préalablement invoqué une consécration de la dualité des fautes en cas de causalité directe.
Selon eux, il résulterait tant des nouvelles dispositions législatives que de la jurisprudence
qu’il serait possible de condamner civilement un individu auteur direct d’un dommage sur le
fondement de l’ancien article 1383 du Code civil707, alors même que sa responsabilité pénale
n’aurait pu être retenue en l’absence d’une quelconque faute pénale, quelle que soit sa gravité.
Au regard de l’essence même du principe de l’unité des fautes pénale et civile d’imprudence
que nous avons rappelée plus haut, il est vrai que si cette affirmation se trouvait vérifiée, elle
serait significative d’une remise en cause patente du principe de l’identité. La démonstration
du maintien de l’unité en cas de causalité directe représente donc un enjeu majeur au regard
de la finalité de notre étude et constituera la clef de voûte du raisonnement à suivre.

La remise en cause des arguments de texte fondant les allégations d’abandon de l’unité des fautes pénale et
civile d’imprudence : retour sur l’interprétation des articles 4-1 et 470-1 du Code de procédure pénale –
Retour sur l’argument séparatiste tiré de l’article 4-1 du Code de procédure pénale. Cet article
renvoie globalement à l’article 121-3 du Code pénal et non au seul alinéa 4 de celui-ci. Il vise
en effet « l’absence de faute pénale non intentionnelle au sens de l’article 121-3 du Code
pénal ». Les détracteurs du maintien de l’unité soulignent alors que l’article 4-1 du Code de
procédure pénale en renvoyant à l’article 121-3 du Code pénal ne distingue pas entre l’alinéa 3
et l’alinéa 4708, comprenons qu’il ne fait aucune distinction entre la faute d’imprudence simple
et qualifiée, ni entre la causalité directe et indirecte. Le fait que l’absence de faute pénale non
intentionnelle qualifiée, nécessaire à l’engagement de la responsabilité pénale de l’agent en
cas de causalité indirecte, ne fasse pas obstacle à l’exercice d’une action devant les juridictions
civiles ne pose pas de difficultés dans la mesure où cette absence laisse néanmoins la place à
l’existence d’une faute simple pouvant fonder la responsabilité civile de l’intéressé en
application de l’ancien article 1383 du Code civil. C’était l’objectif de la réforme que de
dépénaliser certaines fautes d’imprudence en relation de causalité plus éloignée avec le
dommage, sans toutefois altérer le droit à réparation des victimes. Plus délicate est la question
de savoir si l’absence d’une faute pénale non intentionnelle simple, suffisante à l’engagement
de la responsabilité pénale de l’agent en cas de causalité directe, ne fait pas obstacle à
l’exercice d’une action devant les juridictions civiles. Plus précisément, est-il possible de
considérer que la relaxe fondée sur l’absence de faute pénale non intentionnelle au sens de

704. Désormais, un tribunal répressif prononçant la relaxe pour une infraction non intentionnelle au sens des
deuxième, troisième et quatrième alinéas demeure compétent en application des règles du droit civil pour
accorder réparation de tous les dommages résultant des faits qui ont fondé la poursuite. Sur la portée du
nouveau texte, cf. infra.
705. Cf. en ce sens A. GIUDICELLI, « Principe de l’autorité de la chose jugée du pénal sur le civil », RSC, 2003,
p. 125.
706. Cf. en ce sens A. GIUDICELLI : « La déclaration par le juge répressif de l’absence de faute pénale non
intentionnelle ne fait pas obstacle à ce que le juge civil retienne une faute civile d’imprudence ou de
négligence » (Cass. 1re civ., 30 janv. 2001), op. cit., p. 613.
707. Depuis l’Ordonnance no 2016-131 du 10 février 2016, il est devenu l’article 1241 du Code civil.
708. En ce sens notamment, G. VINEY, « Conclusions du colloque sur la nouvelle définition des délits non
intentionnels par la loi du 10 juillet 2000 », RSC 2001, p. 764.

150
l’article 121-3, alinéa 3 du Code pénal ne fait pas obstacle à l’exercice d’une action en
réparation devant les juridictions civiles sur le fondement de l’article 1383 du Code civil ?
L’imprécision des termes de l’article 4-1 invite a priori à l’envisager. En outre, selon André
Giudicelli, qui partage cette opinion avec Yves Mayaud709 et Geneviève Viney710, « l’intérêt
de la modification introduite par le législateur est de permettre une réparation au civil alors
même que la relaxe aurait été prononcée sur le fondement de l’absence de la faute non
intentionnelle la plus ordinaire »711. Or, n’avons-nous pas démontré qu’au regard du principe
de l’unité, les fautes d’imprudence identiques étaient les fautes de l’article 121-3, alinéa 3 du
Code pénal et de l’ancien article 1383 du Code civil712 ? Si l’absence d’imprudence pénale
ordinaire, en ne faisant pas obstacle à la réparation, valide implicitement l’existence d’une
imprudence civile, il faudrait alors logiquement conclure à l’anéantissement du principe de
l’unité des fautes pénale et civile d’imprudence. À l’instar d’autres auteurs713, nous ne
souscrivons pas à une telle conclusion. Aussi, l’article 4-1 ayant ouvert la voie à une telle
analyse, il convient d’en proposer une autre lecture.

Les arguments contre la dualité. L’article 4-1 du Code de procédure pénale ne saurait être
invoqué au soutien de la dualité de fautes dans la mesure où il est censé constituer la
traduction procédurale de l’article 121-3 du Code pénal. Or, comme nous l’avons rappelé,
l’article 121-3, alinéa 4, en consacrant tout à la fois la création d’une nouvelle faute qualifiée
et la distinction de la causalité directe et indirecte, ne fait qu’ajuster la gravité de la faute
exigée au titre de la répression à la proximité de sa relation avec le dommage. On ne peut pas
dire qu’il vienne porter atteinte au principe de l’identité dans son essence originelle. Dans le
même sens, Christine Desnoyer, dans son article consacré à la disposition de l’article 4-1,
rappelle que « sa genèse dans les travaux préparatoires montre cependant qu’elle n’a été
conçue, à l’origine, que comme l’accessoire d’un autre texte, lui aussi nouveau : la mission
officielle de l’article 4-1 est en effet de tirer les conséquences procédurales de l’article 121-3,
alinéa 4 du Code pénal »714. Dès lors, dans la mesure où l’article 4-1 se veut la version
procédurale de l’article 121-3, alinéa 4, on peut considérer que l’absence de renvoi au seul
quatrième de cet article procède d’un oubli du législateur715. En outre, alors que l’article 4-1
se présente « comme un texte techniquement indispensable à la mise en œuvre de la réforme
de 2000, dont la clef de voûte est l’article 121-3, alinéa 4 du Code pénal »716, il s’avère inutile
au regard de cet objectif. En effet, « la mise en œuvre de l’article 121-3, alinéa 4 ne nécessite,

709. Y. MAYAUD, Dalloz référence, no 91-183.


710. G. VINEY, op. cit.
711. A. GIUDECELLI, « Principe de l’autorité de la chose jugée du pénal sur le civil », op. cit., p. 125.
712. Cf. C. civ., art. 1241 nouveau.
713. Contra : J. PRADEL et A. VARINARD, Les grands arrêts du droit pénal général, op. cit., p. 650 ; J. PRADEL, « De la
véritable portée de la loi du 10 juillet 2000 sur la définition des délits inintentionnels », op. cit.
714. C. DESNOYER, « L’article 4-1 du Code de procédure pénale, la loi du 10 juillet 2000 et les ambitions du
législateur : l’esprit contrarié par la lettre », D., 2002, p. 979. L’auteur précise en outre que « l’article 4-1
était d’ailleurs absent de la proposition de loi initiale et ce n’est qu’à l’initiative de Madame Lazerges que
cette disposition fut adoptée : les députés ont estimé qu’il fallait préciser formellement la distinction des
fautes civile et pénale que l’article 121-3, alinéa 4 opérait désormais en matière de causalité directe ».
715. Pour ne pas parler, à l’instar de Christine Desnoyer, du « comble de l’inconséquence pour un texte,
l’article 4-1, censé traduire les incidences procédurales de cette fameuse disposition de l’article 121-3,
alinéa 4 ! » (Ibid.)
716. Ibid.

151
sur le plan procédural, la précision d’aucun texte »717. Comme le démontre Christine
Desnoyer, « il n’est besoin d’aucune disposition particulière pour autoriser le juge civil à
mettre en œuvre l’article 1383718 lorsque l’auteur indirect des faits litigieux a été relaxé par le
juge pénal pour non-caractérisation de la faute grave de l’article 121-3, alinéa 4. En effet, une
telle relaxe établit seulement l’absence de faute grave à la charge du prévenu, mais n’exclut
nullement l’hypothèse de la commission d’une faute simple, suffisante pour justifier
l’allocation de dommages et intérêts sur le fondement de l’article 1383 »719. Christine
Desnoyer va même jusqu’à considérer que l’article 4-1 peut être dangereux en ce sens que la
lettre du texte, en visant l’exercice d’une action en réparation devant les seules juridictions
civiles, est de nature à priver certaines victimes du droit à réparation. En effet, la réparation
du dommage causé n’étant pas toujours de la compétence de la juridiction civile, notamment
lorsque le préjudice résulte de la faute de service d’un agent public, la référence restrictive de
l’article 4-1 du Code pénal aux seules juridictions civiles est bien de nature à exclure certains
préjudices du champ de la réparation.
Si l’on récapitule les attributs de l’article 4-1, il faut considérer que ce texte, en plus d’être
incomplet et trop restrictif720, est aussi accessoire, inutile, voire dangereux. Ainsi, il faudrait
fonder dans une telle disposition la potentialité d’une remise en cause du principe de
l’identité ? Il ne reste selon nous qu’à procéder à une réécriture de la lettre du texte, d’une
part en incluant un renvoi au seul alinéa 4 de l’article 121-3 et, d’autre part, en supprimant la
référence aux seules juridictions civiles.

Retour sur l’argument séparatiste tiré de l’article 470-1 du Code de procédure pénale. Les
tenants de la thèse dualiste auraient pu a priori trouver argument dans la lettre de l’article 470-1
dès sa création par la loi no 83-608 du 8 juillet 1983 renforçant la protection des victimes
d’infraction, mais c’était sans compter son interprétation restrictive par la Cour de cassation.
Nous avons vu que l’article 470-1 prévoyait, dans sa rédaction initiale, que le tribunal
répressif qui prononce une relaxe pour homicide ou blessures involontaires demeure
compétent sur la demande de la partie civile ou de son assureur « pour accorder en
application des règles de droit civil réparation de tous les dommages résultant des faits qui
ont fondé la poursuite ». Cependant, comme le rappelle Philippe Bonfils, la juridiction
suprême devait très vite préciser que « l’expression “en application des règles du droit civil”
ne visait que les hypothèses de responsabilité sans faute, comme par exemple la responsabilité
du fait des choses721 ou la loi du 5 juillet 1985722, écartant la faute délictuelle des articles 1382
et 1383 du Code civil »723. La Cour de cassation considéra que « les règles de droit civil »
visées par l’article excluaient le fondement de l’ancien article 1383 du Code civil724. La

717. Ibid.
718. Cf. C. civ. art. 1241 nouveau.
719. C. DESNOYER, « L’article 4-1 du code de procédure pénale, la loi du 10 juillet 2000 et les ambitions du
législateur : l’esprit contrarié par la lettre », op. cit. ; cf. C. civ. art. 1241 nouveau.
720. Cf. infra et le fait que les juridictions pénales relèvent également de l’article 4-1.
721. Cass. crim., 3 nov. 1986, no 85-93644, Bull. crim . no 313; RSC 1987, p. 426, obs. G. LEVASSEUR.
722. Cass. crim., 13 oct. 1987, no 86-96062, Bull. crim. no 347.
723. P. BONFILS, « Consécration de la dualité des fautes civile et pénale non intentionnelles », op. cit., p. 721.
Cf. C. civ. art. 1240 et 1241 nouveaux.
724. Finalement, peut-être que la dérogation la plus importante au principe de l’unité, sur le fondement de cet
article, vient de l’évolution de la jurisprudence admettant la responsabilité civile pour faute contractuelle
consistant en un manquement à une obligation de moyens, malgré une relaxe pour absence de faute non

152
question qui se pose aujourd’hui est celle de savoir si l’on peut voir dans la rédaction de
l’article 470-1, telle qu’elle résulte de la loi du 10 juillet 2000, une remise en cause du principe
de l’unité des fautes pénale et civile d’imprudence. Peut-on y voir la confirmation potentielle
de l’interprétation majoritaire en doctrine de l’article 4-1 ? La modification
« complémentaire » de l’article 470-1, à la différence de l’article 4-1, ne vise plus la globalité
de l’article 121-3, pas plus que le seul alinéa 4, mais « numérotativement » chacun des alinéas
de cet article consacré à la définition de l’imprudence pénale. Il semble donc franchir un pas
supplémentaire dans la rupture de l’identité des fautes, particulièrement en ce qu’il permet
d’envisager plus explicitement la coexistence d’une relaxe sur le fondement de l’article 121-3,
alinéa 3 avec une condamnation civile sur le fondement de l’ancien article 1383725. Or, la
jurisprudence a maintenu son interprétation restrictive « des règles de droit civil »,
comprenons que cet article permet toujours au juge pénal, en cas de relaxe, de statuer sur les
intérêts civils en application des règles civiles autres que les anciens articles 1382 et 1383 du
Code civil726. En outre, il est possible de faire valoir, lors de la réforme législative, le maintien
de l’expression litigieuse « en application des règles du droit civil » en connaissance de son
interprétation jurisprudentielle. Dès lors, il nous apparaît que l’on ne saurait adopter la même
conclusion que Philippe Bonfils relative à « l’abandon de l’interprétation restrictive de
l’article 470-1 du Code de procédure pénale »727 ou à « l’orthodoxie de l’article 470-1 du code
de procédure pénale retrouvée »728. Finalement, le renvoi opéré aux alinéas 2, 3 et 4 de
l’article 121-3 n’a fait qu’obscurcir la lisibilité de l’article 470-1 en le rendant aujourd’hui
contradictoire. Dès lors, en s’inscrivant dans le sillage rédactionnel imparfait de l’article 4-1,
ce texte est insusceptible de fonder indirectement la dualité des fautes, pas plus, à notre sens
que l’arrêt Beauchêne rendu par la première chambre civile, le 30 janvier 2001729.

La remise en cause des arguments jurisprudentiels fondant les allégations d’abandon de l’unité des fautes
pénale et civile d’imprudence – Retour sur l’interprétation répandue en doctrine de l’arrêt
Beauchêne. Les auteurs partisans de la dualité des fautes en cas de causalité directe devaient
trouver un appui a priori pertinent en l’arrêt Beauchêne. À l’instar de l’arrêt Laboube730, il s’agira
donc de livrer ici une interprétation à contre-courant doctrinal de cette décision.
Retour sur les faits et le cheminement procédural de l’affaire. L’organisateur d’une
manifestation nautique avait fait appel à une société d’hélicoptères pour couvrir la course sur
un plan photographique. À l’issue du reportage, le pilote de l’hélicoptère, lors du retour vers
sa base embarqua, outre l’organisateur, deux autres passagers qui entendaient profiter de ce
transport pour rentrer plus tôt. Au cours du vol, le pilote, s’approchant beaucoup trop près
d’un voilier, heurta un hauban avec les pales, ce qui entraîna l’accident au cours duquel deux

intentionnelle. Car, comme l’explique Patrice Jourdain, « cette faute contractuelle, se distinguant bien mal
de la faute quasi délictuelle de l’article 1383, il y avait là une incontestable dérogation au principe
d’unité des fautes ». (P. JOURDAIN, « La nouvelle définition des délits non intentionnels par la loi du 10
juillet 2000. Les conséquences de la loi du 10 juillet 2000 en droit civil », RSC 2001, p. 748.)
725. Cf. C. civ. art. 1241 nouveau.
726. Cf. C. civ. art. 1240 et 1241 nouveaux.
727. P. BONFILS, « Consécration de la dualité des fautes civile et pénale non intentionnelles », op. cit.
728. Ibid.
729. Cass. civ. 1re, 30 janv. 2001, no 98-14368, Bull. civ. I, no 19 ; D., 2001, somm. 2232, obs. P. JOURDAIN ; JCP
2001. I. 338, no 4, obs. G. VINEY ; RTD civ., 2001. 376, obs. P. JOURDAIN ; RSC 2001. 613, obs.
A. GIUDICELLI.
730. Cf. supra.

153
passagers furent tués et le troisième blessé. Poursuivi, le pilote fut relaxé par la cour d’appel
de Rennes qui considéra, après examen des faits, qu’aucune faute pénale n’avait été commise.
Dès lors que la cour d’appel considéra que les faits n’étaient susceptibles de revêtir aucune
qualification pénale, le raisonnement qu’elle construisit était tout à la fois cohérent et
respectueux des principes de l’identité des fautes et de l’autorité de la chose jugée au pénal
sur le civil. En effet, pour écarter la responsabilité du pilote au sens de l’ancien article 1383
du Code civil731, la cour d’appel, constatant que la faute reprochée était identique à celle qui
sous-tendait la poursuite pénale pour laquelle le pilote avait été relaxé, estima que l’autorité
de la chose jugée au pénal – que le juge civil était tenu de respecter – interdisait toute
indemnisation. Saisie d’un pourvoi, la juridiction suprême prononça cependant la cassation
de l’arrêt en considérant, alors même que le pilote avait été relaxé en tant qu’auteur direct,
que « la déclaration par le juge répressif de l’absence de faute pénale ne fait pas obstacle à ce
que le juge civil retienne une faute d’imprudence ou de négligence ».

La remise en cause a priori du principe de l’unité des fautes pénale et civile d’imprudence –
Il nous faut nous attarder sur cette solution tant il est vrai qu’il serait significatif d’une remise
en cause du principe de l’unité que la responsabilité pénale d’un individu auteur direct d’un
dommage soit écartée en raison de l’absence de toute faute pénale alors même que sa
responsabilité civile pourrait être retenue sur le fondement de l’ancien article 1383 du Code
civil. Dans son article relatif au principe de l’autorité de la chose jugée au pénal sur le civil,
André Giudicelli s’est notamment fondé sur cet arrêt pour considérer que la dualité des fautes
était devenue le principe : « À partir du moment où l’une (la faute civile) peut exister en
l’absence de l’autre (la faute pénale), on ne peut plus parler d’identité, sauf à méconnaître le
sens de ce mot. »732 L’auteur considère par ailleurs que « le retour à la dualité des fautes
n’emporte pas renoncement au principe de l’autorité du pénal sur le civil »733. Il nous paraît
possible de contester cette analyse. Dans un premier temps, il s’agit de reconnaître que l’arrêt
Beauchêne peut effectivement s’analyser en une remise en question du principe de l’unité des
fautes pénale et civile d’imprudence734. Pour ce faire, nous pouvons en effet rappeler que,
depuis sa formulation en 1912, le principe de l’unité s’applique aux fautes pénale et civile
d’imprudence ordinaire, dont une partie de la doctrine se plaît à souligner la similitude. Par
exemple, Patrice Jourdain considère, à propos de la faute de mise en danger délibérée et de
la faute caractérisée, que « ne correspondant pas exactement à des fautes civiles
d’imprudence, au sens de l’ancien article 1383 du Code civil735, qui sont des fautes simples,
non qualifiées, ces fautes pénales qualifiées n’entrent plus dans le champ du principe d’unité
des fautes civile et pénale »736. C’est dire, a contrario, que la faute pénale d’imprudence simple

731. Cf. C. civ. art. 1241 nouveau.


732. A. GIUDICELLI, « Principe de l’autorité de la chose jugée du pénal sur le civil », op. cit., p. 125.
733. A. GIUDICELLI : « La déclaration par le juge répressif de l’absence de faute pénale non intentionnelle ne
fait pas obstacle à ce que le juge civil retienne une faute civile d’imprudence ou de négligence » (Cass. 1re
civ., 30 janv. 2001), op. cit., p. 613.
734. D’ailleurs, non seulement la jurisprudence peut défaire les règles qu’elle a elle-même édifiées, mais encore,
c’est à elle qu’il appartient de tirer les conséquences de la loi du 10 juillet 2000 et de rompre éventuellement
avec le principe de l’unité.
735. Cf. C. civ. art. 1241 nouveau.
736. P. JOURDAIN, « La nouvelle définition des délits non intentionnels par la loi du 10 juillet 2000. Les
conséquences de la loi du 10 juillet 2000 en droit civil », op. cit., p. 748.

154
correspond à la faute civile d’imprudence de l’ancien article 1383 du Code civil737. Le même
auteur, plus directement cette fois, ajoute que « le principe d’unité des fautes civile et pénale
d’imprudence […] s’expliquait essentiellement par l’identité de contenu des fautes non
intentionnelles en droit civil et en droit pénal »738. Logiquement, en cas de causalité directe,
la relaxe pénale condamne donc toute réparation civile. Par conséquent, le fait pour la Cour
de cassation de considérer qu’en cas de causalité directe l’absence de faute pénale ne fait pas
obstacle à ce que le juge civil retienne une faute d’imprudence ou de négligence signifie a priori
l’abandon du principe de l’unité. La solution de la juridiction suprême revient en effet à
distinguer la faute pénale de l’article 121-3, alinéa 3 du Code pénal de la faute civile de l’ancien
article 1383 du Code civil739. Toutefois, cette analyse vient dans un second temps achopper
sur l’atteinte corrélative et patente au principe de l’autorité de la chose jugée.

L’atteinte corrélative au principe de l’autorité de la chose jugée au criminel sur le civil – L’application des
théories de l’unité et de la dualité n’a de sens que dans un système consacrant le principe de
l’autorité au civil de la chose jugée au pénal740. À notre sens, il n’est donc pas possible de
dissocier le sort du principe de l’unité de celui de l’autorité de la chose jugée au pénal. C’est
ainsi que Philippe Bonfils va jusqu’à envisager la « disparition de l’autorité du criminel sur le
civil »741, car « en dissociant les faute civile et pénale d’imprudence, la jurisprudence réduit
bien davantage encore la portée de l’autorité du criminel sur le civil »742, ou encore « l’autorité
du criminel sur le civil est ici clairement évincée »743.
Cette éclipse est néanmoins critiquable d’un point de vue du droit. Rappelons, pour l’affaire
considérée, qu’elle était incontestable dans la mesure où la faute qui sous-tendait la poursuite
civile était identique à celle qui avait été reprochée, et écartée, dans le cadre de la poursuite
pénale. L’atteinte au principe de l’autorité de la chose jugée au pénal était donc patente. Or,
on ne peut contester que le principe de l’autorité de la chose jugée au pénal sur le civil, qui
est l’une des deux émanations du principe de primauté du pénal sur le civil744, était de droit
positif, particulièrement à l’époque de la décision745.

Les fondements du principe de l’autorité de la chose jugée au pénal sur le civil – Bien que ce principe n’ait
pas reçu de consécration législative expresse à la différence du principe selon lequel « le
criminel tient le civil en l’état », il a néanmoins été consacré par la jurisprudence et découle
implicitement de certaines dispositions législatives.

737. Cf. C. civ. art. 1241 nouveau.


738. Ibid.
739. Cf. C. civ. art. 1241 nouveau.
740. En ce sens également, cf. C. DESNOYER, « L’article 4-1 du code de procédure pénale, la loi du 10 juillet
2000 et les ambitions du législateur : l’esprit contrarié par la lettre », op. cit., p. 979.
741. P. BONFILS, « Consécration de la dualité des fautes civile et pénale non intentionnelles », op. cit., p. 721.
742. Loc. cit.
743. Loc. cit. L’auteur est plus pessimiste encore puisqu’il va jusqu’à envisager, par ricochet, la disparition du
principe selon lequel le criminel tient le civil en l’état : « Si l’autorité du criminel sur le civil disparaît, la
règle selon laquelle le criminel tient le civil en l’état […] devrait être appelée à suivre le même sort. »
(P. JOURDAIN, « La nouvelle définition des délits non intentionnels par la loi du 10 juillet 2000. Les
conséquences de la loi du 10 juillet 2000 en droit civil », op. cit.)
744. L’autre émanation consiste dans le principe selon lequel « le criminel tient le civil en l’état », consacré à
l’article 4, alinéa 2 du Code de procédure pénale.
745. Comprenons que la décision étudiée est antérieure à la loi no 2007-291 du 5 mars 2007 tendant à renforcer
l’équilibre de la procédure pénale (cf. infra).

155
Plébiscité par la doctrine, ce principe, comme le rappelle André Giudicelli, a d’abord été
posé par Merlin et affirmé « sur ses conclusions conformes par la chambre des requêtes de
la Cour de cassation dès le 17 mars 1813 »746. Finalement, il sera consacré avec force par
l’arrêt Quertier du 7 mars 1855747 et plusieurs arrêts des chambres civiles de la Cour de
cassation intervenus depuis en ont fait application748. En ce qui concerne les dispositions
législatives susceptibles de fonder implicitement le principe de l’autorité de la chose jugée, il
est possible d’invoquer tout d’abord l’article 528-1 du Code de procédure pénale. Le
législateur considère, sur le fondement du deuxième alinéa de cet article, que l’ordonnance
pénale « n’a pas l’autorité de la chose jugée à l’égard de l’action civile en réparation des
dommages causés par l’infraction »749. Ne peut-on exciper de cet alinéa que le législateur
reconnaît que, par principe, les décisions pénales ont l’autorité au civil ? Plus généralement,
nous considèrerons, à l’instar de Cédric Bouty, qu’« une consécration a contrario du principe
de l’autorité au criminel sur le civil peut être déduite des dispositions spécialement édictées
pour y faire exception »750. Un autre fondement textuel peut être invoqué au soutien de la
consécration législative implicite de l’autorité au civil de la chose jugée au pénal : l’article 4,
alinéa 2 du Code de procédure pénale consacrant, comme nous l’avons évoqué
précédemment, la règle selon laquelle le criminel tient le civil en l’état751. Selon nous, si le
criminel tient le civil en l’état, c’est précisément parce que le juge civil est tenu de prendre en
considération le résultat de l’action publique, afin d’éviter les contradictions de choses jugées.
Roger Merle et André Vitu voient en outre dans le système des preuves propres à la
procédure pénale un autre fondement possible à l’autorité du pénal au civil. Selon ces auteurs,
« le juge répressif possède des moyens d’investigation ignorés du juge civil ; l’activité du
premier, opposée à la passivité du second, permet de penser que tous les éléments auront été
découverts et utilisés, alors que le juge civil ne statue que sur les preuves rapportées par les
parties »752. Si les fondements au principe de l’autorité ne manquent pas, son champ
d’application est tout aussi pertinent au regard du maintien de l’identité des fautes pénale et
civile d’imprudence ordinaires.

Le champ d’application du principe de l’autorité de la chose jugée au pénal sur le civil – Une partie de la
doctrine considère que la potentialité du fondement au principe de l’autorité tirée de
l’article 4-1, alinéa 2 a été affaiblie par l’entrée en vigueur de la loi no 2007-291 du 5 mars
2007 tendant à renforcer l’équilibre de la procédure pénale753 qui, en créant un troisième
alinéa à l’article 4 du Code de procédure pénale, est venue dans le même temps réduire le

746. A. GIUDICELLI, « La déclaration par le juge répressif de l’absence de faute pénale non intentionnelle ne
fait pas obstacle à ce que le juge civil retienne une faute civile d’imprudence ou de négligence. » (Cass.
1re civ., 30 janv. 2001), op. cit.
747. D. 1855.1.81.
748. Par exemple, Cass. 1re civ., 29 oct. 2002, no 99-19411, inédit, rendu sur le visa de « la règle de l’autorité du
pénal sur le civil ».
749. C. pr. pén., art. 528-1, al. 2.
750. C. BOUTY, « Chose jugée », Rép. pr. civ., Dalloz, juin 2012 (act. avr. 2015), no 641.
751. C. pr. pén., art. 4, al. 2 : « Toutefois, il est sursis au jugement de cette action tant qu’il n’a pas été prononcé
définitivement sur l’action publique lorsque celle-ci a été mise en mouvement. » François Rousseau
considère également dans sa thèse que le principe de l’autorité au civil de la chose jugée au pénal résulte
de l’article 4, alinéa 2 du Code de procédure pénale (cf. F. ROUSSEAU, L’imputation de la responsabilité pénale,
op. cit., note de bas de page no 1275).
752. R. MERLE et A. VITU, Traité de droit criminel – Droit pénal général, op. cit., no 1057.
753. Cf. loi du 5 mars 2007, no 2007-291, art. 20, JO du 6 mars 2007, p. 4206.

156
champ d’application du sursis à statuer. Il résulte de la nouvelle rédaction des alinéas 1 et 2
de l’article 4 du Code de procédure pénale que le sursis à statuer concerne les seules actions
civiles « en réparation du dommage causé par l’infraction ». En ce sens, cette loi a inséré un
alinéa 3 qui dispose que « la mise en mouvement de l’action publique n’impose pas la
suspension du jugement des autres actions exercées devant la juridiction civile, de quelque
nature qu’elles soient, même si la décision à intervenir au pénal est susceptible d’exercer,
directement ou indirectement, une influence sur la solution du procès civil ». Ainsi, le sursis
à statuer n’est maintenant obligatoire que lorsque l’action vise à la réparation du dommage
causé par l’infraction, donc pour l’action civile au sens de l’article 2 du Code de procédure
pénale. Pour les autres actions, traditionnellement qualifiées d’actions à fins civiles, le sursis
devient facultatif. « Chacune de ces actions pourra dès lors avoir un cours autonome, au
risque de contrariétés de choses jugées »754. Dans sa chronique relative à la « Chose jugée »,
Cédric Bouty illustre au travers d’exemples certaines hypothèses sorties du champ
d’application traditionnel de la règle de l’autorité au civil de la chose jugée au pénal755. Il
évoque par exemple l’action du salarié devant le conseil des prud’hommes qui, destinée à
contester son licenciement justifié par le vol qu’il aurait commis au détriment de l’employeur,
ne sera plus suspendue au sort de l’action publique concernant ce vol. Il traite aussi de l’action
en divorce pour faute qui ne sera plus tenue en haleine par les poursuites pour violences
volontaires de l’un des époux contre l’autre. Il est certes incontestable que la loi du 5 mars
2007 a réduit le champ d’application du sursis à statuer. Cependant, cette modification est
sans incidence au regard de l’objet de notre démonstration, car si l’autorité de la chose jugée
au pénal ne fait pas obstacle à ce que des éléments étrangers à la caractérisation de l’infraction
soient soumis à l’appréciation « indépendante » de la juridiction civile, elle continue de
s’appliquer à l’égard des éléments constitutifs de l’infraction poursuivie. Déjà, la Cour de
cassation considérait que l’autorité de la chose jugée « ne s’attache qu’aux éléments
constitutifs de l’infraction poursuivie et ne fait pas obstacle à ce que d’autres éléments
étrangers à cette dernière soient soumis à l’appréciation de la juridiction civile »756. Et Gaston
Stéfani, Georges Levasseur et Bernard Bouloc de préciser, dans leur ouvrage de procédure
pénale, que le juge civil n’est lié que par « les constatations de nature pénale […] et à la
condition, encore, qu’elles soient certaines et nécessaires »757, c’est-à-dire qu’elles constituent
le « soutien nécessaire » de la décision pénale758. Or, tous les éléments constitutifs de
l’infraction, notamment ceux qui ont trait à la faute pénale, constituent des soutiens
indispensables de la décision pénale, qu’il s’agisse d’une décision de condamnation, de relaxe
ou d’acquittement759. Dès lors, si les juridictions pénales considèrent que l’infraction
envisagée n’est pas caractérisée en raison de l’impossibilité de retenir une faute pénale
ordinaire, l’octroi d’une indemnisation civile sur le fondement de l’ancien article 1383760 ira à

754. C. BOUTY, « Chose jugée », Rép. pr. civ., Dalloz, juin 2012 (act. avr. 2015), no 640.
755. Ibid.
756. Cf. Cass. 2e civ., 15 nov. 2001, no 99-21636, inédit, JCP 2002.II.10310, obs. D. Guihal.
757. G. STÉFANI, G. LEVASSEUR et B. BOULOC, Procédure pénale, Dalloz, 18e, 2001, no 982.
758. Op. cit., no 985.
759. En ce sens également, P. JOURDAIN, « La nouvelle définition des délits non intentionnels par la loi du 10
juillet 2000. Les conséquences de la loi du 10 juillet 2000 en droit civil », op. cit., p. 748 : « […] le principe
d’autorité absolue de la chose jugée au pénal […] impose au juge civil le respect des décisions pénales. Par
“décision”, on entend le dispositif mais aussi les motifs qui en sont le “soutien nécessaire”, notamment
les énonciations relatives à la faute pénale. »
760. Cf. C. civ. art. 1241 nouveau.

157
l’encontre du principe de l’autorité de la chose jugée au pénal761. Par conséquent, le principe
de l’autorité de la chose jugée au pénal – cette dernière s’entendant des éléments constitutifs
de l’infraction – sur le civil est toujours de droit positif. Cet état du droit condamne
l’interprétation majoritaire de l’arrêt Beauchêne.
L’arrêt Beauchêne, en permettant au juge civil d’indemniser la victime sur le fondement de
l’ancien article 1383762 malgré la relaxe de l’auteur direct du dommage, porte atteinte au
principe de l’identité des fautes pénale et civile tel qu’il découle de l’arrêt Brochet et Deschamps.
Cette décision est condamnable dans la mesure où elle conduit, par ricochet, à remettre en
question le principe de l’autorité de la chose jugée au pénal sur le civil, ce principe s’attachant
notamment à la notion de faute d’imprudence, en tant qu’elle constitue l’élément
psychologique de l’infraction considérée. Rappelons en outre qu’il a été consacré non
seulement par la jurisprudence, mais aussi implicitement par certaines dispositions
législatives. Il est donc concevable de soutenir que la décision de la première chambre civile
est contestable au regard du droit positif et qu’elle a été rendue contra legem. On ne peut donc
fonder, sur l’arrêt Beauchêne, la consécration de la dualité des fautes en cas de causalité
directe763. Cette conclusion a son importance, car il est vrai qu’il aurait été difficile de parler
d’abandon simplement relatif du principe de l’identité des fautes en l’absence de maintien
de l’unité en cas de causalité directe. Mais alors, comment expliquer la solution retenue par
la juridiction suprême ?

La recherche d’une solution équitable au litige – L’examen du visa et de la motivation de la Cour


de cassation permet d’orienter la réponse à notre questionnement vers la recherche d’une
solution équitable au litige. Tout d’abord, l’examen du visa de la décision permet de
souligner que la première chambre civile ne s’appuie pas sur la réforme opérée par la loi du
10 juillet 2000, alors même qu’en tant que loi de procédure cette dernière était
immédiatement applicable aux instances en cours, conformément à l’article 112-2 du Code
pénal. La Cour de cassation fonde explicitement sa solution sur l’ancien article 1351764,
ensemble les anciens articles 1147765 et 1383766 du Code civil. Ensuite, après examen de la
motivation de la Cour de cassation, on peut penser qu’elle a été amenée à énoncer la règle
selon laquelle « la déclaration par le juge répressif de l’absence de faute pénale ne fait pas
obstacle à ce que le juge civil retienne une faute civile d’imprudence ou de négligence », pour
pallier une absence de qualification pénale défaillante des faits de l’affaire. Selon nous, le
questionnement soulevé par la solution de la première chambre civile a été initié par le choix
de la Cour d’appel de ne pas conférer aux agissements du pilote d’hélicoptère une
quelconque qualification pénale. Ce déni de qualification pénale, en revanche, est
contestable. Non seulement il est peu conforme à la jurisprudence habituelle en ce domaine,

761. En revanche, au regard de la réforme opérée par la loi du 10 juillet 2000, la condamnation au civil ne
contredit pas nécessairement la relaxe au pénal. Il en est ainsi lorsqu’une indemnisation est allouée à la
victime sur le fondement de l’article 1383 alors qu’une relaxe a été prononcée en l’absence de faute
d’imprudence qualifiée en relation de causalité indirecte avec le dommage. Cette hypothèse n’est pas
constitutive en elle-même d’une atteinte au principe de l’autorité de la chose jugée au pénal sur le civil.
762. Cf. C. civ. art. 1241 nouveau.
763. Il faut alors considérer que la personne poursuivie en tant qu’auteur direct d’une infraction non
intentionnelle, et qui se verrait relaxée, ne pourrait voir sa responsabilité civile engagée.
764. Cet article est devenu l’article 1355 du Code civil, créé par l’ordonnance n o 2016-131 du 10 février 2016.
765. Cet article est devenu l’article 1231-1 du Code civil, créé par l’ordonnance no 2016-131 du 10 février 2016.
766. Cf. C. civ. art. 1241 nouveau.

158
mais, surtout, comment considérer que « l’approche du voilier en dehors de toute obligation
liée au reportage ne constitue […] pas une imprudence en relation de causalité avec
l’accident »767 ? Cette solution de relaxe, « pour le moins discutable »768, et rendue après une
appréciation souveraine et définitive des faits de l’affaire, explique selon nous la position de
la Cour de cassation. Comme le relève André Giudicelli, « il avait été statué définitivement
par la juridiction répressive sur la responsabilité pénale du pilote »769. La juridiction suprême
n’avait donc pas d’autre alternative que de prendre le contre-pied des solutions jusqu’alors
admises afin de remédier à l’iniquité, à tout le moins civile, de la solution. Autrement dit,
plus qu’une décision militante en faveur de la disparition de l’unité des fautes, il nous faut
considérer que la solution de la première chambre civile, reconnaissant au juge civil la
possibilité de retenir une faute civile d’imprudence ou de négligence en présence d’une
déclaration par le juge répressif de l’absence de faute pénale, bien que formulée sous la
forme d’un attendu de principe reprenant la substance de l’article 4-1 du Code de procédure
pénale, a été rendue en équité.

Avant de conclure à l’extériorité de l’imputabilité de l’infraction sur le fondement du


maintien du principe de l’identité des fautes pénale et civile d’imprudence, il nous reste à
souligner la portée limitée du domaine de la dualité des fautes.

La portée limitée du domaine de la dualité des fautes – Elle tient au fait que l’instauration de la
dualité en matière non intentionnelle n’est finalement que partielle. En premier lieu, elle ne
concerne que les personnes physiques, à l’exclusion des personnes morales qui ne sont pas
affectées par la réforme770. Nous venons de voir qu’elle n’a pas vocation à s’appliquer en cas
de causalité directe entre la faute pénale et le dommage. Autrement dit, la dualité des fautes
n’a vocation à s’appliquer qu’en cas de causalité indirecte. Par ailleurs, l’article 4-1 du Code
de procédure pénale n’envisage la dualité partielle des fautes que dans le cadre d’une action
exercée devant les juridictions civiles. Quid dans le cadre d’une action devant les juridictions
répressives ? Ainsi, la question se pose de savoir si le juge répressif peut accorder une
indemnisation sur le fondement de l’ancien article 1383 du Code civil771, alors qu’il vient de
relaxer le prévenu sur le plan pénal. En d’autres termes, « le juge pénal est-il ou non tenu
par l’autorité de chose jugée de sa propre décision de relaxe »772 ? L’examen de l’article 470-1
tel qu’il résulte de la réforme opérée par la loi du 10 juillet 2000 ne permet pas de dégager
une réponse à cette question. Il semble qu’il faille une fois de plus identifier si la relaxe est
obtenue dans le cadre d’une causalité directe ou indirecte. Comme nous l’avons déjà évoqué,
dans l’hypothèse d’une causalité indirecte, lorsque la relaxe est obtenue en raison de
l’absence d’une faute d’imprudence qualifiée au sens de l’article 121-3, alinéa 4 du Code

767. J. PRADEL et A. VARINARD, Les grands arrêts du droit pénal général, op. cit., no 41, p. 649. Nous rejoignons sur
ce point l’interrogation des auteurs.
768. Loc. cit.
769. A. GIUDICELLI : « La déclaration par le juge répressif de l’absence de faute pénale non intentionnelle ne
fait pas obstacle à ce que le juge civil retienne une faute civile d’imprudence ou de négligence. » (Cass. 1re
civ., 30 janv. 2001), op. cit.
770. Autrement dit, une personne morale continue à voir sa responsabilité pénale engagée quand son organe
ou son représentant (cf. article 121-2 du Code pénal), auteur indirect d’un dommage, aura commis une
faute d’imprudence ordinaire.
771. Cf. C. civ. art. 1241 nouveau.
772. J. PRADEL et A. VARINARD, Les grands arrêts du droit pénal général, op. cit., no 41, p. 645.

159
pénal, ce qui autorise la reconnaissance d’une faute d’imprudence ordinaire au sens de
l’article 121-3, alinéa 3 du Code pénal, « il y a incontestablement place pour une
responsabilité civile fondée sur l’article 1383 du Code civil sans qu’il y ait atteinte à l’autorité
de la chose jugée et sans que le juge ne se mette en contradiction avec lui-même »773. En
revanche, la question est plus délicate lorsque la relaxe est obtenue en faveur d’une personne
ayant directement causé le dommage. Rejoignant le raisonnement figurant dans le
développement précédent, il faut à nouveau douter, les deux fautes étant identiques, de la
faculté offerte au juge pénal niant la faute de l’article 121-3, alinéa 3 du Code pénal de retenir
la faute de l’ancien article 1383 du Code civil774 pour fonder une condamnation civile. La
dualité des fautes paraît donc en outre devoir être écartée devant les juridictions répressives
en cas de causalité directe.

Finalement, nous conclurons l’argumentation en faveur du maintien du principe de l’identité


en relevant « la méthode indirecte, de type procédural »775, employée par le législateur. Ne
plaide-t-elle pas en faveur de la volonté finaliste du législateur de préciser la définition des
infractions d’imprudence, en réduisant leur champ d’application, conformément à l’intitulé
de la loi no 2000-647 du 10 juillet 2000 ? Nous avons vu qu’il était parfaitement possible de
ne concevoir l’article 4-1 du Code de procédure pénale que comme une conséquence
procédurale de la règle de fond édictée à l’article 121-3 du Code pénal776. Et d’aucuns
d’invoquer néanmoins le fait que des modifications majeures du droit pénal ont parfois été
distillées par le truchement de la procédure pénale, afin de ne pas heurter directement
certaines dispositions de fond. À ce propos, nous verrons que l’exemple souvent cité de la
procédure de déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental – qui
remettrait insidieusement en cause la philosophie du droit de punir777 – doit selon nous être
marginalisé. Par conséquent, si l’intention première du législateur avait consisté en l’abandon
du système de l’unité des fautes, il aurait pu « énoncer clairement cette règle dans une
disposition de fond »778. Ainsi, la méthode procédurale utilisée pose légitimement question
quant à la portée de la modification du principe substantiel d’identité des fautes civile et
pénale.

773. Loc. cit.


774. Cf. C. civ. art. 1241 nouveau.
775. J. PRADEL et A. VARINARD, Les grands arrêts du droit pénal général, op. cit., no 41, p. 641.
776. Cf. supra. Pour une autre conséquence procédurale, cf. la modification de l’article 470-1 du Code de
procédure pénale.
777. Cf. infra, l’étude des conséquences de l’introduction en droit positif de la procédure de déclaration
d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental par la loi no 2008-174 du 25 février 2008. On peut
penser que la modification de la procédure pénale applicable à un aliéné, avec à son terme la possibilité
de lui infliger des mesures de sûreté s’apparentant à des peines, vient pallier « l’impossibilité » de lui infliger
directement des peines – alternative qui résulte normalement de la mise en œuvre préalable de la
responsabilité pénale. Ainsi, la modification d’un principe formel peut-elle venir pallier « l’impossibilité »,
à tout le moins la difficulté, de modifier directement un principe substantiel – en l’occurrence, dans
l’exemple étudié, le fait pour l’imputabilité de constituer le fondement de la responsabilité pénale. En ce
sens également, A. Giudicelli qui considère que, par le choix d’une réponse procédurale, le législateur a
laissé a priori intactes les dispositions de droit pénal de fond sur la responsabilité pénale, à commencer par
celles de l’article 122-1 du Code pénal. Cependant, il remarque qu’il apparaît vite que les dispositions
nouvelles aboutissent à saisir l’acte du furiosus et non plus à le sortir du champ pénal (A. GIUDICELLI,
« Procédure de déclaration d’irresponsabilité pénale : le refus problématique d’une application immédiate
[Cass. crim. 21 janv. 2009, no 08-83.492] », RSC 2009, p. 136).
778. J. PRADEL et A. VARINARD, Les grands arrêts du droit pénal général, op. cit., no 41, p. 648.

160
Nous continuerons donc à considérer que le principe de l’identité des fautes demeure dans
son principe eu égard à son champ d’application. Selon nous, il serait même plus exact de
parler de restriction de son champ d’application, consécutivement à l’éclatement du régime
unitaire de l’imprudence pénale, que de remise en question à proprement parler du principe.

En conclusion, le rattachement de l’imputabilité à l’infraction ne soulevait donc pas de


questions jusqu’à la loi du 10 juillet 2000. En effet, il se déduisait logiquement de la
conjugaison de l’abandon de l’exigence d’imputabilité en matière civile (total depuis les arrêts
d’Assemblée plénière de 1984) avec le principe de l’identité des fautes civile et pénale779, et
du maintien de l’exigence d’imputabilité en matière pénale. Ainsi, de l’année 1984 à
l’année 2000, la démonstration de l’extériorité de l’imputabilité à l’infraction ne posait pas de
difficultés, en raison notamment du caractère absolu du principe de l’unité des fautes.
L’introduction, par la loi du 10 juillet 2000, de l’article 4-1 dans le Code de procédure pénale
est venue semer le doute sur la portée actuelle du principe d’identité des fautes et, par
ricochet, sur le rattachement de l’imputabilité à la responsabilité. Doute levé, après le constat,
certes d’une restriction apportée au principe d’identité des fautes civile et pénale, mais non
d’une remise en cause. En outre, il est possible de déduire le rattachement de l’imputabilité à
la responsabilité en se fondant sur la règle selon laquelle une notion ne peut changer de nature
selon le domaine juridique considéré.

Cette affirmation d’une identité de nature des notions d’une discipline à l’autre est par ailleurs
totalement cohérente au regard du maintien exceptionnel de l’exigence d’imputabilité pour
fonder la responsabilité civile, dans l’hypothèse où celle-ci poursuit une finalité punitive.

B. L’imputabilité, fondement exceptionnel de la responsabilité civile engagée à des


fins répressives

L’imputabilité n’est plus, en principe, une condition à l’engagement de la responsabilité civile.


Cela tient au fait que l’exigence d’imputabilité varie en fonction de la conséquence juridique
de la responsabilité mise en œuvre et, plus particulièrement, de la nature de la mesure
prononcée. Finalement, c’est plus la nature de la mesure imposée à l’agent qui déterminera
le maintien ou non de l’exigence d’imputabilité. En l’occurrence, c’est la fonction
indemnitaire de la responsabilité civile qui a conduit à l’abandon de l’exigence d’imputabilité
en la matière (1.). Ce constat permet de confirmer le rattachement de l’imputabilité à la
responsabilité en mettant en évidence sa fonction finaliste (2.). En droit positif, la résurgence
du caractère punitif de la responsabilité civile a logiquement conduit au retour de l’exigence
d’imputabilité. En dehors de cas de résurgence ponctuelle de l’imputabilité, la généralisation,
en droit positif, de l’amende civile est appelée à questionner le retour de l’impératif
d’imputabilité à l’engagement de la responsabilité civile (3.). Certains auteurs préconisent déjà
une telle solution pour satisfaire l’objectif premier de réparation intégrale des dommages
subis par la victime (4.).

779. Au terme de cette conjugaison, on ne pouvait que conclure au caractère objectivé des culpabilités civile et
pénale.

161
1. L’abandon de l’exigence d’imputabilité en matière civile justifiée par la
fonction réparatrice de la responsabilité civile
Pourquoi l’imputabilité est-elle toujours une condition de la responsabilité pénale alors
qu’elle n’est plus, en principe, une condition de la responsabilité civile ? Cela s’explique par
le fait que les responsabilités civile et pénale ne poursuivent pas les mêmes finalités, avec
l’assignation d’une finalité réparatrice à la première et d’une finalité punitive à la seconde.
Cette divergence a justifié la dissociation des responsabilités civile et pénale. Parce qu’elles
ne poursuivent pas la même finalité, les conséquences juridiques des déclarations de
responsabilité civile et pénale sont distinctes. Le rattachement de l’imputabilité à la
responsabilité implique le rattachement de l’imputabilité à la conséquence naturelle de la
responsabilité en question780. Il s’ensuit logiquement que l’imputabilité « dépend très
étroitement de la finalité de la responsabilité qu’elle conditionne »781.

La genèse d’une dualité de responsabilité permet de l’illustrer. Aujourd’hui, « la communauté


d’origine du délit pénal et du délit civil »782 est communément admise. Bien que le droit civil
ne se soit dégagé qu’à grand peine du droit pénal, la dissociation des deux formes de
responsabilités a été initiée dès la fin de l’ère de la vengeance privée783, pour se poursuivre à
l’époque moderne, quand l’autorité étatique s’est affirmée davantage784. C’est la codification
napoléonienne qui a consacré la séparation de la responsabilité pénale et de la responsabilité
civile. Dès ce moment, la nécessité de réparer intégralement les dommages subis par la
victime l’emporte déjà dans l’ordre de la responsabilité civile. Deux éléments, selon nous
relativement marquants, permettent d’en attester. Tout d’abord, et contrairement au droit
pénal où la sanction, visant essentiellement le coupable, est proportionnée à sa faute, « la
sanction de la responsabilité civile néglige ordinairement le degré de gravité de la faute
commise par le responsable »785. Ensuite, et dans le prolongement de cette idée, il est possible
de relever que, dès 1804 et afin de favoriser les victimes, la faute morale et la faute civile ne
coïncident pas. Plus concrètement, un fait illicite dommageable commis volontairement786 et
un fait dommageable non intentionnel résultant d’une simple faute d’imprudence ou de
négligence, si légère soit-elle, sont sanctionnés à l’identique, par la nécessité pour le
responsable de réparer intégralement les dommages causés à la victime. Autrement dit,
« malgré la différence des deux comportements dans l’ordre de la morale, le Code civil leur
attache les mêmes conséquences »787 et « en attachant les mêmes conséquences à la faute
intentionnelle, d’une part, aux fautes d’imprudence et de négligence d’autre part, on faisait
déjà prévaloir […] la nécessité impérieuse de la réparation des dommages »788.

780. Raymond Garraud soulignait déjà qu’imputer une infraction à un auteur vise en effet à « mettre ce résultat
à son compte pour lui en faire subir les conséquences » (R. GARRAUD, Traité théorique et pratique du droit
pénal français, t. 2, Sirey, 3e éd., 1913, no 268).
781. C. MARGAINE, op. cit., no 260.
782. F. TERRE, P. SIMLER et Y. LEQUETTE, Les Obligations – Droit, op. cit., no 652.
783. Qu’il s’agisse du droit romain ou de l’ancien droit.
784. Dans le cadre de la responsabilité pénale, l’État infligeait des peines corporelles ou pécuniaires et, dans le
cadre de la responsabilité civile, la victime pouvait obtenir, en argent ou en nature, la réparation du
préjudice subi.
785. F. TERRE, P. SIMLER, Y. LEQUETTE, Les Obligations – Droit civil, op. cit., no 653.
786. Cf. C. civ. art. 1382 ancien ou 1240 nouveau.
787. F. TERRE, P. SIMLER et Y. LEQUETTE, Les Obligations – Droit civil, op. cit., no 654.
788. Ibid., no 655.

162
En droit civil, ce qui importe donc, c’est l’indemnisation intégrale de la victime, peu
important les aptitudes de l’auteur du dommage. Cet objectif est tellement primordial qu’il
conduira, avec le développement du machinisme, multipliant notamment les accidents du
travail anonymes789, pour lesquels les victimes, se trouvant dans l’impossibilité de démontrer
l’existence d’une faute à l’origine du dommage, étaient privées d’indemnité, à l’émergence de
responsabilités sans faute790, achevant de distendre les liens qui avaient précédemment uni la
réparation à la culpabilité pénale.

Or, le maintien de l’imputabilité, en impliquant la prise en compte de qualités intrinsèques à


l’auteur pour engager sa responsabilité, venait entraver cet objectif en restreignant le champ
de la responsabilité civile. L’une des techniques juridiques choisies, afin d’atteindre cet
objectif de réparation intégrale, a donc consisté à abandonner l’exigence d’imputabilité à
l’engagement de la responsabilité civile de l’auteur d’un dommage. Son abandon permettait
donc d’étendre le champ de la responsabilité civile en favorisant la désignation d’un débiteur
d’indemnisation solvable791.

En droit pénal, Éric Lepointe, reprenant à son compte la définition de la responsabilité


élaborée par Stéfani et Levasseur, considère que la responsabilité pénale consiste en
« l’obligation de répondre de ses actes délictueux et de subir la peine qui leur est attachée par
la loi »792. Nonobstant la diversité des fonctions contemporaines assignées à la peine corrélée
à l’apparition de nouveaux modèles de justice, la fonction du droit pénal reste singulièrement
répressive : « […] l’engagement de la responsabilité pénale se solde, en principe, par
l’imposition d’une sanction. »793 Or, l’infliction d’une sanction pénale peut, selon les
circonstances, s’avérer inopportune, voire illégitime, comme en atteste l’existence de causes
d’irresponsabilité pénale794. Pour cette raison, l’imputabilité continue d’être exigée en matière
pénale et son maintien vise à restreindre le champ d’application de la responsabilité pénale
aux personnes dotées des qualités de discernement et de volonté libre795, à la différence de la
matière civile où la sacralisation de l’objectif indemnitaire légitime, dans tous les cas
personnels, la condamnation à réparation. Ainsi, à l’instar de Clément Margaine, nous
pouvons donc considérer que « l’exigence d’imputabilité peut alors varier en fonction de la
conséquence juridique de la déclaration de responsabilité, ce que l’on peut qualifier de
caractère “utilitaire” ou “téléologique” de l’imputabilité »796.

789. Ceux pour lesquels la cause du dommage ne provient pas d’une erreur humaine.
790. Comme le relèvent F. TERRE, P. SIMLER et Y. LEQUETTE : « La justice et l’équité commandèrent d’assurer
aux victimes la réparation de dommages anonymes, mais qui n’étaient tels que parce qu’il était devenu
souvent irréaliste d’en imputer la survenance à des erreurs humaines. » (Ibid., no 656.) Il n’était pas possible
de leur refuser réparation en l’absence de culpabilité, prouvée ou présumée, d’un responsable. Pour cette
raison, le droit positif a évolué vers la reconnaissance de responsabilités sans faute, à l’instar de la
responsabilité du fait des choses, prévue à l’ancien article 1384, alinéa 1er du Code civil, soit l’article 1242,
alinéa 1er nouveau tel qu’il résulte de l’ordonnance no 2016-131 du 10 février 2016.
791. Il faut néanmoins préciser que l’auteur du dommage est très souvent relayé par son assureur.
792. É. LEPOINTE, « Le diagnostic judiciaire des faits justificatifs », op. cit., no 2.
793. C. MARGAINE, op. cit., no 262.
794. Art. 122-1 et suiv. du Code pénal.
795. Cf. supra ce que Paul Fauconnet nomme « l’effet régressif des conditions de l’imputabilité sur la responsabilité
pénale ». (P. FAUCONNET, op. cit., p. 312 et suiv.)
796. C. MARGAINE, op. cit., no 262.

163
2. La mise en évidence de la fonction téléologi que de l’imputabilité 797
Aux termes du développement qui précède, il semblerait que l’imputabilité soit d’abord
conditionnée par la nature de la responsabilité envisagée. Mais, en approfondissant l’analyse,
on s’aperçoit que le rattachement de l’imputabilité à la responsabilité implique le
rattachement de l’imputabilité à la conséquence juridique de cette responsabilité. Par
conséquent, c’est plus la nature de la mesure imposée à l’agent qui déterminera le maintien
ou non de son exigence. Autrement dit, s’il est tentant de cantonner l’imputabilité au cadre
de la matière pénale, pour l’exclure de la matière civile, il est plus juste d’établir un lien entre
l’exigence d’imputabilité et la nature répressive de la mesure imposée à l’agent et de pouvoir
se soustraire à son exigence dans les autres cas. La nature punitive de la mesure n’est pas
exclusive au droit pénal. Pour cette raison, la question du retour de l’exigence d’imputabilité
lors du prononcé d’une amende civile ou à l’occasion du spectre de l’introduction, en droit
positif, des dommages et intérêts punitifs, méritera d’être soulevée798. L’exigence
d’imputabilité transcende donc la distinction des deux ordres de responsabilités pénale et
civile pour dépendre de la nature punitive de la mesure susceptible d’être imposée à l’agent.

Patrice Jourdain, dans sa thèse relative à l’étude de l’imputabilité en matière de responsabilités


civile et pénale, donne une illustration pertinente de la dépendance de l’imputabilité aux
conséquences de la responsabilité, en distinguant trois situations799. Il considère que
l’imputabilité est indifférente dans les cas de responsabilités « indirectes »800 exclusives de toute
finalité répressive en raison de l’absence de lien véritable unissant le responsable et le fait
dommageable. Il poursuit en précisant qu’une imputabilité « imparfaite »801 est exigée en
matière de responsabilité civile pour faute802 et de responsabilité pénale préventive qui vise à
l’application de mesures de sûreté ou de mesures éducatives à l’encontre d’un mineur803. En
revanche, une imputabilité « parfaite », comprenons à la fois physique et morale, est exigée
quand la responsabilité pénale conduit à prononcer des peines et quand la responsabilité

797. Pour de plus amples développements, cf. infra, le chapitre relatif aux rôles des composantes de la
responsabilité pénale.
798. Cf. infra, « Le retour de l’exigence d’imputabilité en matière civile justifié par la fonction punitive de la
responsabilité civile ».
799. P. JOURDAIN, Recherche sur l’imputabilité en matière de responsabilités civile et pénale, op. cit., nos 239 et suiv.
800. Responsabilité civile du fait des choses (ancien article 1384, alinéa 1er devenu 1242, alinéa 1er nouveau du
Code civil), des animaux (ancien article 1385 devenu 1243 nouveau du Code civil), du fait d’autrui (ancien
article 1384 alinéas 4 et 5 devenu article 1242 alinéas 4 et 5 nouveau du Code civil). D’ailleurs, ces
responsabilités « indirectes » – quoique l’emploi de ce terme soit devenu maladroit depuis l’entrée en
vigueur de la loi no 2000-647 du 10 juillet 2000 –, particulièrement celles du fait d’autrui, ne se rencontrent
pas en principe en matière pénale qui a consacré le principe de la responsabilité du fait personnel
(cf. l’article 121-1 du Code pénal : « Nul n’est responsable pénalement que de son propre fait »).
801. P. Jourdain utilise ce vocable pour désigner la seule imputabilité matérielle ou physique, « représentant le
premier degré et une forme encore imparfaite de l’imputabilité » (P. JOURDAIN, Recherche sur l’imputabilité
en matière de responsabilités civile et pénale, op. cit., no 242 et no 246 et suiv.).
802. C. civ., art. 1382 et 1383.
803. Notons, toutefois, qu’il est aujourd’hui établi que l’infliction de mesures éducatives à un mineur suppose
de pouvoir caractériser une imputabilité « parfaite », puisqu’aux termes de l’article 122-8 du Code pénal, il
faudra préalablement caractériser l’existence de son discernement. Dans le cadre de cette étude, nous
proposerons d’ailleurs d’étendre cette exigence à tous les cas de responsabilité pénale préventive, et
notamment de toujours fonder le prononcé de mesures de sûreté à l’encontre d’un majeur sur la
caractérisation de son imputabilité. Plus généralement, donc, il sera proposé de réunir formellement les
peines et les mesures de sûreté en une seule catégorie de sanctions pénales en consacrant la théorie de la
voie unique.

164
civile conduit à prononcer des mesures civiles au contenu répressif. Cette illustration souligne
bien la dépendance de l’imputabilité à la nature de la mesure susceptible d’être imposée à
l’intéressé : En principe, particulièrement en présence d’un majeur, il n’est pas requis de
caractériser l’imputabilité du sujet lorsque la finalité est réparatrice ou préventive. En
revanche, cette exigence fait son retour lorsque la finalité est répressive. On retrouve l’idée
que cette exigence transcende bien la distinction établie entre responsabilité civile et
responsabilité pénale.

Dans le même sens, et concernant le domaine de la responsabilité pénale préventive, Clément


Margaine souligne qu’« en matière pénale, l’exigence d’imputabilité dépend du type de
mesures envisagées, véritables peines ou mesures de sûreté, révélant ainsi une différence de
régime fondée sur la fonction de la sanction »804. Le droit pénal des majeurs se départit donc
de l’exigence d’imputabilité dès que la responsabilité pénale poursuit une finalité
prétendument préventive805. Par symétrie inversée, pourrait-on dire, l’exigence d’imputabilité
fait son retour en matière civile dès lors que la responsabilité poursuit une finalité punitive.

3. Le retour de l’exigence d’imputabilité en matière civile justifié par la fonction


punitive de la responsabilité civile
Si l’exigence d’imputabilité a déjà fait son retour dans la jurisprudence civile (3.1), le droit
positif, avec la consécration de l’amende civile, ou un peu de droit prospectif, avec la
perspective de l’introduction des dommages et intérêts punitifs, invitent aussi à considérer
une intervention du législateur en ce sens (3.2).

3.1 Le retour de l’exigence d’imputabilité dans la jurisprudence civile

Ainsi, et pour raisonner sur la seule responsabilité civile, dès lors qu’elle poursuit l’objectif
de réparation du dommage causé à la victime, non la sanction de l’auteur du dommage,
l’abandon de l’exigence d’imputabilité est justifié. En revanche, « lorsque le droit civil ne vise
plus à réparer mais à sanctionner, on remarque que le discernement retrouve à nouveau un
rôle »806. On peut citer par exemple la décision rendue par la première chambre civile de la
Cour de cassation le 9 novembre 1983807 aux termes de laquelle elle a cassé une décision des
juges du fond ayant condamné à la faillite personnelle un dirigeant social placé sous tutelle,
sans rechercher si celui-ci avait agi avec discernement. La faillite personnelle s’analysant en
une peine privée, elle ne pouvait se concevoir à défaut d’imputabilité de l’agent. Pour une
confirmation jurisprudentielle récente, il est possible de consulter la décision rendue par la

804. C. MARGAINE, op. cit., no 266.


805. C’est le cas dans le cadre de la procédure de déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble
mental prévue aux articles 706-119 et suivants du Code de procédure pénale qui consacrent la possibilité
de prononcer des mesures de sûreté malgré l’existence d’un trouble mental ayant aboli le discernement de
l’auteur des faits ; procédure que nous proposerons de réformer notamment au regard de cette faculté
offerte depuis 2008 au juge judiciaire.
806. C. MARGAINE, op. cit., no 294.
807. Civ. 1re, 9 nov. 1983, 1re espèce, no 81-16549, Bull. crim., no 265, D. 1984, p. 139, note F. DERRIDA. Cf.
également infra, la présomption de non-imputabilité à l’égard d’un majeur placé sous un régime de
protection juridique.

165
première chambre civile de la Cour de cassation le 28 mars 2012 808, aux termes de laquelle
la sanction civile d’indignité successorale exige, pour sa mise en œuvre, que la responsabilité
pénale de l’intéressé ait été engagée, autrement dit, que l’imputabilité ait été caractérisée.
Dans le même ordre d’idée, on peut noter que l’exigence d’imputabilité doit être maintenue
en cas de faute intentionnelle809 et de faute inexcusable810, ces deux fautes présentant
chacune une dimension répressive.

L’imputabilité redevient donc une condition de la responsabilité civile lorsqu’elle poursuit


une finalité punitive – ce qui, une nouvelle fois, met en évidence le caractère téléologique
de sa fonction. Le renforcement du caractère punitif de la responsabilité civile à la faveur
de l’évolution du droit positif questionne logiquement le retour de l’impératif d’imputabilité
à l’engagement de la responsabilité civile.

3.2 Le retour de l’exigence d’imputabilité à l’engagement de la responsabilité civile


questionnée à l’aune de la généralisation de l’amende civile

Comme les développements précédents l’ont mis au jour, le droit civil est aussi depuis
plusieurs années en profonde mutation. Nous avons déjà rappelé que le droit commun de
la responsabilité civile était régi par le principe de réparation intégrale du préjudice en vertu
duquel les dommages-intérêts doivent strictement correspondre au préjudice subi, sans qu’il
ne puisse en résulter pour la victime « ni perte ni profit ». Ce principe, qui vise le retour au
statu quo ante, en prohibant tout enrichissement injustifié pour la victime, est logiquement
indifférent à la nature ou la gravité de la faute commise. L’articulation entre le principe de
la réparation intégrale du préjudice et le prononcé de dommages et intérêts punitifs paraît
donc difficile. Cette institution, en provenance des pays de Common Law, fait aussi polémique
en ce sens qu’elle serait de nature à confondre les responsabilités civile et pénale en assignant
à la responsabilité civile une dimension assumée tout à la fois préventive et punitive. Pour
autant, de nombreux auteurs militent en faveur de l’introduction en droit positif des
dommages et intérêts punitifs, afin de sanctionner les comportements déloyaux. Si
d’aventure elle venait à se produire, il nous semble qu’il faudrait reconsidérer la question de
l’exclusion de l’exigence d’imputabilité à l’engagement de la responsabilité civile. Dans le
cadre de ce développement, il importe simplement de signaler que plusieurs éléments
rendent cette perspective vraisemblable, voire même que le rubicond est en passe d’être
franchi par la généralisation d’un substitut incarné par l’amende civile.

En premier lieu, le principe de la réparation intégrale du préjudice n’est pas, en pratique,


aussi intangible qu’il y paraît. On pense d’abord au fait qu’il n’est pas d’ordre public et à
l’existence de nombreuses dérogations législatives, à l’instar de la reconnaissance de la clause

808. Cf. supra.


809. Selon P. Jacques : « Cette faute a pour but moins la réparation que la sanction. Ce rôle, essentiellement
répressif, assure la répression de certains comportements, ce qui nécessite le maintien du discernement. »
(P. JACQUES, note sous Civ. 2e, 28 févr. 1996, no 94-13084, Bull. crim., no 54, Gaz. Pal. 1997, 1, p. 86, spéc.
p. 91.
810. Toujours selon P. Jacques, « […] la fonction de la faute inexcusable est répressive ». Donc l’exigence du
discernement doit encore s’imposer puisque « si l’on synthétise les effets de cette faute, on s’aperçoit qu’ils
tendent à priver une personne, une victime le plus souvent […] d’un régime de faveur. » (Ibid.)

166
pénale ou des clauses limitatives de réparation. Ensuite, au-delà du mythe du retour au statu
quo ante, la Cour de cassation, en laissant aux juges du fond le pouvoir d’apprécier
souverainement l’étendue du dommage subi par la victime, autorise implicitement le
« gonflement » du préjudice réellement subi par la prise en compte sous-jacente de la faute
commise811. La Haute Juridiction s’est même expressément positionnée en faveur de la
consécration des dommages et intérêts punitifs. Par un arrêt remarqué rendu le 1er décembre
2010, la Cour de cassation a admis la compatibilité, de principe, d’une telle sanction à l’ordre
public – à condition toutefois qu’un principe de proportionnalité soit respecté 812. On pense
aussi à certaines disciplines, à l’instar du droit des affaires qui est fortement marqué par cette
finalité punitive alors même qu’il reste régi par le droit commun de la responsabilité civile.
Selon Aurélie Ballot-Léna, « ce qui frappe c’est la fonction punitive poursuivie par la
responsabilité civile en droit des affaires. Certains régimes spéciaux de responsabilité civile
propres au droit des affaires en sont autant d’illustrations »813. Dans le prolongement de ces
propos, on peut citer l’action en concurrence déloyale. Elle n’est pas consacrée par un texte
spécial. Ce sont les anciens articles 1382 et 1383 qui servent de fondement à l’action. Bien
qu’elle repose sur les dispositions du droit commun, il est souvent dit que la sanction
prononcée a un caractère punitif. C’est autrement considérer que cette discipline
consacrerait, sans le dire, le concept de dommages et intérêts punitifs.

Ces solutions particulières conduisent inévitablement à une déformation des notions


classiques de la responsabilité civile, à commencer par celle de préjudice. C’est donc sans
surprise que plusieurs projets ont proposé une réforme de la responsabilité civile, inspirée
pour partie du droit des affaires. Le rapport Béteille814 et le projet Catala815 ont ainsi proposé
l’instauration, en droit français, de dommages-intérêts punitifs. Si la dernière réforme du
droit de la responsabilité civile ne va pas jusque-là, le droit interne s’en rapproche à grands
pas. La généralisation de l’amende civile en est le symptôme. Cette dernière peut s’analyser
en un véritable substitut aux dommages et intérêts punitifs. Elle présente l’avantage
fallacieux de ne pas toucher au dogme de la réparation intégrale du préjudice.

811. On peut d’ailleurs se demander si l’admission de la réparation du préjudice moral ne poursuit pas un
objectif punitif. Ce dernier, qui ne saurait par hypothèse se mesurer à l’aune de la perte patrimoniale subie
par la victime, ne réfère-t-il pas en pratique à la gravité de la faute commise ?
812. Cass. civ. 1re, 1er déc. 2010, no 09-13.303, Bull. 2010, I, no 248, D., 2011, actu. 24, obs. I. GALLMEISTER ;
D., 2011, p. 423, note F.-X. LICARI ; RTD civ. 2011, p. 122, obs. B. FAGEs ; RTD civ. 2011, p. 317, obs.
P. REMY-CORLAY.
813. A. BALLOT-LENA, « Les pratiques des affaires saisies par le droit commun de la responsabilité civile
français », actes du colloque de Sarrebruck, 26 juin 2015 – Pratique des affaires et règles juridiques :
influences, limites.
814. A. ANZIANI et L. BETEILLE, « Responsabilité civile : des évolutions nécessaires » ; Rapport d’information
no 558 (2008-2009) fait au nom de la commission des lois du Sénat, déposé le 15 juillet 2009, disponible
sur le site Internet du Sénat.
815. P. CATALA (sous la dir. de), Avant-projet de réforme du droit des obligations et de la prescription, 2006, La
documentation française, rapport au ministère de la Justice. Par exemple, l’avant-projet de réforme du
droit des obligations et de la prescription, présenté par le professeur Catala, proposait un nouvel
article 1371 du Code civil, lequel disposait que : « L’auteur d’une faute manifestement délibérée, et
notamment d’une faute lucrative, peut être condamné, outre les dommages et intérêts compensatoires, à
des dommages-intérêts punitifs dont le juge a la faculté de faire bénéficier pour une part le Trésor public.
La décision du juge d’octroyer de tels dommages-intérêts doit être spécialement motivée et leur montant
distingué de celui des autres dommages-intérêts accordés à la victime. Les dommages-intérêts punitifs ne
sont pas assurables. »

167
L’enrichissement injustifié de la victime est évité puisqu’elle sera versée au Trésor public ou
à un fonds de garantie. Jusqu’à la réforme de la responsabilité civile, l’amende civile était
prévue par des dispositions spécifiques destinées à régir des situations ponctuelles816. La
réforme s’est orientée vers la généralisation du recours à l’amende civile. Dévoilant l’avant-
projet de réforme de la responsabilité civile, Jean-Jacques Urvoas a précisé que « lorsque le
responsable d’un dommage, sans pour autant chercher à le causer, aura commis
volontairement une faute pour rechercher un gain ou une économie, il pourra se voir infliger
une amende civile, dont le montant sera versé à l’État ou à un fonds d’indemnisation »817.
L’ancien garde des Sceaux a tenu à préciser que « cette amende civile est différente de la
notion de “dommages et intérêts punitifs”, versés à la victime de la faute que nombre de
juristes craignaient de voir introduite en droit français »818. Bien qu’il ait tenu à souligner que
« l’amende civile à la française sera respectueuse de notre tradition juridique »819,
l’appréhension globale des comportements fautifs par le recours à l’amende civile nous
paraît à elle seule susceptible d’affecter les principes fondamentaux de la responsabilité
civile. En effet, elle a pour conséquence évidente de renforcer plus encore la dimension
préventive et punitive de la responsabilité civile. Cette problématique dévoile la « face
cachée de notre droit de la responsabilité civile abordé dans sa fonction de peine privée »820
au point de pouvoir considérer que la responsabilité civile constitue aujourd’hui une
responsabilité « parapénale »821. L’amende civile est « du droit pénal sans le droit pénal »822.
Ainsi, l’un des effets pervers peut consister à priver l’agent de certains mécanismes
protecteurs du droit pénal. Pour cette raison, nous ne souscrivons pas à l’analyse d’une partie
de la doctrine considérant que son introduction en droit positif ne bouleverse pas les
principes fondamentaux de la responsabilité civile. Le rapprochement décisif ainsi opéré
entre responsabilité civile et responsabilité pénale invite à questionner le retour de l’exigence
d’imputabilité à l’engagement de la responsabilité civile, sans qu’il ne soit nécessaire
d’attendre l’éventuelle consécration, en droit interne, des dommages et intérêts punitifs.

De manière plus surprenante, le retour de l’exigence d’imputabilité en droit de la


responsabilité civile pourrait aussi être plébiscité pour renforcer l’objectif indemnitaire de
cette responsabilité. À l’occasion d’une réflexion menée sur l’amélioration de
l’indemnisation des victimes, certains auteurs regrettent que l’abandon de principe de
l’imputabilité en matière civile ait contribué à amoindrir, voire à exclure, la réparation de la
victime ayant contribué à la réalisation de son dommage.

816. Elle devait être prévue par un texte spécifique et prononcée par une juridiction de l’ordre judiciaire pour
des faits qui ne sont pas constitutifs d’une infraction pénale. Pour une étude de ces hypothèses spécifiques,
cf. A. BALLOT-LENA, op. cit.
817. Dalloz act., 14 mars 2017, « Jean-Jacques Urvoas dévoile l’avant-projet de réforme de la responsabilité
civile ».
818. Ibid.
819. Ibid.
820. S. CARVAL, La responsabilité civile dans sa fonction de peine privée, LGDJ, t. 250, 1995.
821. R. MESA, « La consécration d’une responsabilité civile punitive : une solution au problème des fautes
lucratives », Gaz. Pal., 21 nov. 2009, no 235, p. 15.
822. M. BEHAR-TOUCHAIS, « L’amende civile est-elle un substitut à l’absence de dommages et intérêts
punitifs ? », Petites Affiches, 20 nov. 2002, no 232, p. 36.

168
4. Le retour de l’exigence d’imputabilité afin de garantir l’intégralité de la
réparation des dommages subis par la victime
Ce questionnement vise l’hypothèse où la faute de la victime peut lui être opposée pour venir
réduire son droit à indemnisation nonobstant son défaut d’imputabilité, et alors même qu’elle
aurait concouru à la réalisation du dommage en raison précisément de son défaut de
discernement. D’ailleurs, il est notable qu’aucun des arrêts d’Assemblée plénière du 5 mai
1984, ayant définitivement condamné l’exigence d’imputabilité, ne concernait un dommage
causé à autrui par la faute d’un enfant823. Il faudra attendre un arrêt du 12 décembre 1984
pour qu’un mineur auteur d’un dommage se voie appliquer l’ancien article 1383 du Code
civil824. L’abandon de l’exigence d’imputabilité paraît contestable dans cette hypothèse. Ainsi,
nombre d’auteurs plaident-ils pour le maintien de l’imputabilité en cas de faute de la victime.

Plusieurs arguments en ce sens peuvent être invoqués. En premier lieu, on peut relever
l’absence de fondement juridique à la prise en compte de la faute de la victime. En effet,
aucun texte ne prévoit de rôle partiellement exonératoire à la faute de la victime.
Particulièrement, l’ancien article 1382 du Code civil825, en visant le dommage causé à
« autrui », non à soi-même, ne peut non plus expliquer pourquoi la victime doit supporter les
conséquences de sa propre faute. En second lieu, le caractère punitif de la limitation du droit
à réparation, constituant une véritable peine privée, devrait logiquement conduire au
rétablissement de l’exigence d’imputabilité. En outre, la prise en compte de la faute de la
victime vient entraver la volonté contemporaine, exacerbée même, d’améliorer
l’indemnisation des victimes. Il serait donc, a minima, souhaitable de maintenir l’exigence
d’imputabilité en droit de la responsabilité civile, non seulement lorsque cette dernière
poursuit une finalité punitive, mais encore lorsque la faute commise par la victime lui est
opposée pour venir restreindre son droit à indemnisation : la réduction du droit à réparation
de la victime serait conditionnée par la preuve de son discernement au moment du dommage.

Le maintien de l’exigence d’imputabilité chaque fois que la responsabilité possède une


dimension répressive, au-delà du lien entre imputabilité et responsabilité, met en évidence le
lien entre l’exigence d’imputabilité et le caractère répressif des mesures sanctionnant la
responsabilité d’un individu. Ce lien, en transcendant même la distinction entre les
responsabilités pénale et civile, comme en témoigne le brouillage sporadique des finalités de
chacune de ces responsabilités826, ne fait que conforter l’extranéité de l’imputabilité à
l’infraction.

823. Les arrêts Lemaire et Derguini concernaient en effet des enfants victimes à qui l’on opposait leur propre faute.
824. C. civ., art. 1241 nouveau.
825. C. civ., art. 1240 nouveau.
826. Cf. supra l’évocation de cas de « responsabilité pénale préventive » et de responsabilité civile conduisant à
l’application de mesures au contenu répressif.

169
170
Chapitre II

La localisation de l’imputabilité et de la culpabilité
déterminante de leurs fonctions respectives

La démonstration de l’extériorité de l’imputabilité par rapport à l’infraction est une condition


nécessaire, mais non suffisante, à la démonstration du rattachement de l’imputabilité à la
responsabilité. En effet, la non-intégration de l’imputabilité à l’élément psychologique de
l’infraction ne postule pas pour autant la postériorité de son débat sur celui relatif à la
culpabilité, comme nous l’avons vu lors de l’étude de l’existence de présomptions en matière
d’imputabilité. Or, il importe au regard de l’objectif de cette recherche, particulièrement au
regard du constat de l’évolution du rôle de l’imputabilité827, de pouvoir exclure la primauté
d’un débat sur l’imputabilité. Nous venons de voir qu’en matière civile la notion se rattache
à celle de responsabilité, comme le démontre la prise en compte exceptionnelle de
l’imputabilité pour fonder la responsabilité civile. Si le maintien exceptionnel de l’imputabilité
en tant que fondement de la responsabilité civile constitue l’antichambre du rattachement de
l’imputabilité à la responsabilité pénale, il importera d’établir positivement, par le recours à
des règles de droit pénal, le rattachement exclusif de l’imputabilité à la responsabilité
pénale828. Ce dernier peut être établi par le recours à des règles de droit pénal de fond ou de
forme. Les règles de forme, consistant en l’existence de cas spéciaux de césure du procès
pénal en droit positif, ne seront pas étudiées dans le cadre de ce chapitre829. La démonstration
se fondera sur le droit pénal de fond et, plus particulièrement, sur les règles législatives et
jurisprudentielles gouvernant le régime de la complicité. D’une manière générale, on peut
dire que le rattachement exclusif de l’imputabilité à la responsabilité résulte de l’actualité, en
droit positif, du système de l’emprunt de criminalité (section 1). Une fois le rattachement de
l’imputabilité à la responsabilité démontré, il sera permis de relever la cohérence entre la
localisation et les fonctions des deux composantes de la responsabilité pénale et, au-delà, leur
complémentarité fonctionnelle dans la protection des droits fondamentaux (section 2).

827. Cf. infra, partie 2.


828. Cette formulation ne signifie pas que la culpabilité soit extérieure à la responsabilité, elle a pour but de
souligner la différence entre la culpabilité et l’imputabilité. Alors que la première se rattache à la fois à
l’infraction et à la responsabilité, la seconde ne se rattache qu’à la responsabilité.
829. Cf. infra, partie 2. Au rang des procédures étudiées, la procédure de déclaration d’irresponsabilité pénale
pour cause de trouble mental. Il sera notamment rappelé que, concernant par exemple la phase de
l’instruction, l’agent peut d’abord faire l’objet d’une déclaration de culpabilité avant de voir son
imputabilité débattue devant la chambre de l’instruction. Comment expliquer cet ordre des priorités
autrement que par une extériorité de l’imputabilité à l’infraction et un rattachement de la notion au concept
de responsabilité pénale ?

171
Section 1 – Le rattachement exclusif de l’imputabilité à la responsabilité
découlant du système de l’emprunt de criminalité.
D’une manière générale, on présente le complice comme celui qui, sans accomplir lui-même
les éléments constitutifs de l’infraction, s’associe à la commission de l’infraction imputable à
l’auteur principal par aide, assistance ou provocation. La complicité étant une criminalité
accessoire, la question s’est posée de savoir si la responsabilité pénale du complice devait être
étroitement commandée, tant au plan de l’incrimination que de la sanction légalement
applicable, par l’acte accompli par l’auteur. Plusieurs représentations conceptuelles de la
complicité ont donc été, et sont encore, débattues en doctrine. Cependant, nous
démontrerons que, malgré la fluctuation opportuniste de quelques décisions
jurisprudentielles, le droit positif consacre la théorie de l’emprunt de criminalité (§ 1). Or, la
combinaison du système de l’emprunt de criminalité avec l’indifférence des causes de non-
imputabilité bénéficiant à l’auteur sur la répression du complice (§ 2) permettent de conclure
non seulement à l’extériorité de l’imputabilité à l’infraction, mais encore au rattachement de
l’imputabilité à la responsabilité.

§ 1 - La concordance du droit positif avec le système de l’emprunt de


criminalité

Parmi les différentes théories de la complicité, le législateur a donc fait le choix du principe
de l’emprunt de criminalité (A.). D’aucuns se fondent néanmoins sur la jurisprudence pour
arguer d’un renouvellement de la question du maintien de ce principe. Il ne perdurait que
dans une dimension relative, la perte de son caractère absolu résultant d’un glissement de
l’emprunt de criminalité vers l’emprunt de matérialité. Nous démontrerons cependant, à
travers l’analyse d’une décision largement commentée, que la tendance à l’autonomisation de
principe de la complicité n’est juridiquement pas fondée (B.).

A. Le système théorique de droit positif en matière de complicité : l’emprunt de


criminalité

Si plusieurs représentations conceptuelles de la complicité ont été élaborées en doctrine (1.),


le droit positif, particulièrement depuis l’entrée en vigueur du Code pénal de 1994, retient la
théorie de l’emprunt de criminalité (2.).

1. Les principales représentations conceptuelles de la complicité


Les théories de la complicité sont conçues à l’intérieur de deux systèmes antagonistes : le
système de l’unité d’infraction et le système de la pluralité d’infractions. Dans le cadre de ce
développement, seules deux représentations toujours en concurrence au regard de la
jurisprudence seront ici présentées.

172
1.1 La complicité, délit-accessoire à l’infraction principale

La théorie de l’emprunt de criminalité retiendra d’abord notre attention. Elle relève d’un
système unitaire d’infraction. Cela signifie que le complice n’est pas l’auteur d’une infraction
autonome. Il se rend « complice » de l’infraction commise par l’auteur principal. Autrement
dit, lorsque l’acte principal tombe sous le coup de la loi pénale, il communique à l’acte de
complicité sa qualification. Par exemple, lorsque l’auteur principal commet un meurtre, le
complice est condamné pour complicité de meurtre. Comme le résume Jean Carbonnier,
« c’est la criminalité de l’action principale qui donne ouverture à la criminalité de l’action
accessoire »830. Comme l’expriment à leur tour Roger Merle et André Vitu, l’unité d’infraction
est justifiée par le fait que « les actes accomplis par le complice “empruntent” la criminalité
de l’acte réalisé par l’auteur ou le coauteur. En effet, les opérations matérielles qui
caractérisent la complicité sont généralement dépourvues de criminalité propre. La fourniture
de l’arme qui va servir au crime, la surveillance des alentours du théâtre de l’infraction, la
conduite du véhicule qui amènera à pied d’œuvre les auteurs principaux, voire les ordres ou
les instructions donnés à un agent d’exécution, ne prennent en principe une coloration pénale
que par contagion avec l’infraction commise par l’auteur ou le coauteur. […] Le complice n’a
pas personnellement commis une infraction autonome qui serait juxtaposée à celle de
l’auteur : il a favorisé l’entreprise délictueuse de l’auteur »831. Il importe de préciser que
l’étendue de cet emprunt de criminalité est absolue, en ce sens que le complice n’emprunte
pas seulement la matérialité de l’acte répréhensible mais son intentionnalité. En d’autres
termes, l’acte principal doit consister en une infraction caractérisée en tous ses éléments
constitutifs. Il convient néanmoins de préciser qu’aux termes de cette théorie, si l’infraction
principale commise par l’auteur doit être punissable, il est de jurisprudence constante qu’il
n’est pas nécessaire qu’elle soit effectivement punie. Peu importe, donc, que l’auteur soit
impuni pour une raison de droit832 ou de fait, en fuite833, resté inconnu834 ou non encore
poursuivi835.

Cependant, la criminalité d’emprunt est décriée par une partie de la doctrine. Si elle a d’abord
été critiquée pour l’expression même « emprunt de criminalité »836, elle est surtout remise en

830. J. CARBONNIER, « Du sens de la répression applicable aux complices selon l’article 59 du Code pénal »,
JCP, 1952.I.1034.
831. R. MERLE et A. VITU, Traité de droit criminel – Droit pénal général, op. cit., no 537.
832. Par exemple, une cause de droit tenant à l’existence d’une cause de non-imputabilité (cf. infra, immunité,
prescription, amnistie).
833. Cass. crim., 1er mars 1886, Bull. crim., no 50.
834. Cass ; crim., 24 mai 1945, Bull. crim., no 57 ; 19 mai 1953 (ibid.), no 177 ; 17 mai 1970, D. 1970, p. 515 ;
18 nov. 1976, no 75-92805, Bull. crim., n o 332.
835. Cass. crim.,28 mai 1990, Bull. crim., no 214 ; D. 1990, no 89-83826, IR p. 217 ; Cass. crim., 28 nov. 2006,
no 06-81060, Bull. crim., no 294 ; Dr. pén., 2007. 31, obs. M. VERON ; RSC 2007. 79, obs. Y. MAYAUD.
836. Cf. J.-H. ROBERT, « Imputation et complicité », JCP, 1975, I, p. 2720, no 7 : l’expression est critiquable en
ce qu’» elle implique un transfert, une communication, d’un caractère qui est la criminalité, depuis l’action
de l’auteur vers celle du complice ». Or, selon l’auteur, nos 8 et 9 : « […] cette opposition entre l’innocence
intrinsèque des actes du complice et la criminalité certaine des agissements de l’auteur principal n’est pas
convaincante. […] L’acte du complice et celui de l’auteur principal, considérés en eux-mêmes, ne sont pas
plus “criminels” l’un que l’autre […]. S’il y avait vraiment une différence intrinsèque de criminalité entre
l’action des deux agents, la jurisprudence et la loi ne pourraient pas, aussi facilement qu’elles le font, mêler
complicité et coaction. » Peut-être aurait-il été alors plus judicieux d’employer l’expression préférée des
auteurs classiques d’» unité de délit » ou « assimilation de qualification » ?

173
question au regard de deux séries de conséquences qu’elle produit. On a d’abord stigmatisé
ses solutions trop sévères au regard de l’équité car elle conduit à une égalité de traitement du
complice et de l’auteur, le complice tombant sous le coup de la même qualification pénale et
des mêmes pénalités légales que l’auteur837, alors même que l’acte principal est plus grave qu’il
ne l’avait prévu838. À l’opposé, cette théorie est ensuite décriée pour ses solutions trop laxistes
lorsqu’elle conduit à l’impunité de l’instigateur faute d’infraction principale punissable bien
que cette dernière ne soit pas caractérisée parce que l’auteur principal s’est désisté ou que l’un
des éléments constitutifs de l’infraction fait défaut839. Ces hypothèses d’impunité sont
contestables avant tout car elles laissent hors du champ de la répression un nombre important
de comportements dangereux. Cette défaillance répressive a été mise en évidence à l’occasion
de deux affaires célèbres rendues par la chambre criminelle de la Cour de cassation le
25 octobre 1962. Dans la première affaire, un certain Lacour entendait faire tuer le fils d’une
amie et avait recruté à cette fin, contre rémunération, un individu. Dans la seconde, un
dénommé Schieb, souhaitant faire disparaître sa femme qui ne consentait pas à divorcer,
demandait à un individu de s’en charger et, pour ce faire, lui remettait de l’argent et lui
procurait une arme. Dans les deux cas, l’auteur matériel se désiste, entraînant avec lui
l’impunité du donneur d’ordre. Nombre de détracteurs de la criminalité d’emprunt se sont
d’abord étonnés du manque de logique de la solution conduisant à ce qu’« un événement
extérieur, sur lequel le complice n’a aucune emprise, en l’occurrence la renonciation de
l’auteur matériel à l’exécution du projet convenu, puisse […] préjuger de l’absence de
répression du comportement d’un tierce personne, le provocateur »840. Raffaele Garofalo
exprimait déjà cette critique par la formule suivante :

Comment ! L’action ou l’omission d’un autre homme peut me rendre coupable ou


innocent ! Comment ! Lorsque je n’ai plus rien à ajouter pour qu’un crime s’accomplisse,
ce que je fais peut être tout ou peut être rien, selon ce qu’un autre en aura décidé sans
le porter à ma connaissance !841

Les détracteurs de la criminalité d’emprunt se sont ensuite émus, pour ne pas dire indignés,
de l’impunité du donneur d’ordre à laquelle mène inéluctablement l’emprunt de criminalité
au regard de la moralité, mais, plus encore, de la protection de la société. En effet, comme le
note Anne Ponseille, « la culpabilité et la dangerosité du “pousse-au-crime”, du “cerveau”,
du “moteur de l’infraction”, existent indépendamment de l’intervention d’un tiers, l’acte de

837. Quoique cette dernière affirmation ait pu être tempérée avec l’entrée en vigueur du Code pénal de 1992,
qui, en son article 121-6, punit le complice « comme auteur » et non plus « de la même peine que les
auteurs » de l’infraction (cf. C. pén. anc., art. 59). Il est vrai que cette modification terminologique procède
avant tout de la nécessité de tenir compte de la responsabilité nouvelle des personnes morales – celles-ci
encourant des peines particulières, une personne morale complice d’une infraction commise par une
personne physique ne peut subir la même peine que l’auteur. D’autre part, le principe de personnalisation
des peines consacré à l’article 132-24, devenu l’article 130-1, offre au juge la possibilité de rétablir l’équité.
L’égalité de traitement n’existe donc qu’au plan législatif. On pourrait même parler de la possibilité d’un
emprunt seulement relatif de pénalité.
838. Par exemple, un vol simple qui se transforme en vol qualifié en raison de la réunion de circonstances
aggravantes réelles.
839. Particulièrement son élément intentionnel.
840. A. PONSEILLE, « L’incrimination du mandat criminel ou l’article 221-5-1 du Code pénal issu de la
loi no 2004-204 du 9 mars 2004 », Dr. pén. 2004, étude 10.
841. R. GAROFALO, La Criminologie, Félix Alcan, 1895, 4e éd., p. 354.

174
l’auteur matériel n’y change rien. Ce système ne tient pas compte de la personnalité
éminemment dangereuse du complice… »842. Évelyne Garçon considère également que « la
dangerosité et la moralité déplorable de celui qui a fourni les instructions à l’auteur des faits »
peuvent se manifester « par des actes dépourvus d’équivoque, de telle sorte que sa relaxe
pourrait paraître choquante »843. La Cour de cassation rejeta d’ailleurs les pourvois en
considérant que de tels comportements, bien que particulièrement dangereux, ne pouvaient
être réprimés ni au titre de la tentative, en l’absence de commencement d’exécution, ni au
titre de la complicité en l’absence de fait principal punissable.

Pour pallier les inconvénients allégués de la criminalité d’emprunt, la doctrine a proposé


d’abandonner purement et simplement la théorie de l’emprunt de criminalité au profit du
système de la complicité comprise comme délit-distinct. Elle a ainsi imaginé une
représentation conceptuelle de la complicité fondée sur une pluralité d’infractions844. Nous
choisissons ici de rappeler la thèse particulière du Doyen Jean Carbonnier, pour qui la
complicité constitue un délit distinct mais dépendant de l’infraction principale.

1.2 La complicité, délit distinct mais dépendant de l’infraction principale

Nous ne traiterons pas ici de la théorie, défendue un temps par une partie de la doctrine et
considérant la complicité comme une infraction juridiquement distincte de celle de l’auteur
principal, car il nous paraît peu cohérent au regard de l’essence même de la complicité de
rompre tout lien qui rattache la répression de l’acte de complicité à celle de l’acte principal845.
Le choix d’envisager la complicité en tant que délit distinct mais néanmoins dépendant de
l’infraction principale est justifié par le fait que cette théorie concurrence la criminalité
d’emprunt, tant dans la doctrine majoritaire qu’en jurisprudence, au point même de la
remettre en question dans certaines décisions contemporaines. Cette théorie, reposant sur
une pluralité d’infractions, se présente a priori comme la meilleure alternative à la criminalité
d’emprunt car, tout en conservant le caractère accessoire de la complicité, elle vient remédier,
d’une manière générale, à la conséquence « laxiste » du défaut d’infraction principale
punissable sur la répression de la complicité. Il nous appartiendra donc dans un second temps
de questionner la pertinence de cette remise en cause.

Selon Jean Carbonnier, l’illustre artisan de cette théorie, la complicité pourrait donc être
considérée comme un délit distinct mais néanmoins « conditionné » par l’infraction
principale. Ainsi, nous pouvons vérifier qu’en tant que délit distinct, l’analyse n’a pas de mal

842. Loc. cit.


843. É. GARÇON, « Complicité du délit d’exportation illicite de stupéfiants et fait principal punissable », D.
2003, p. 2661.
844. Nous verrons ultérieurement qu’il était possible de remédier à ces inconvénients simplement en apportant
des tempéraments à la criminalité d’emprunt, sans remettre en cause toute la théorie.
845. En ce sens également, J. Carbonnier qui considère que « si la théorie de la complicité délit distinct devait
signifier que le délit accessoire peut être poursuivi et puni en dehors de toute criminalité du fait principal,
elle serait à rejeter sans plus ample examen, car la notion d’une complicité entièrement détachée de l’action
de l’auteur aurait quelque chose de contradictoire en soi. On n’est pas complice de façon absolue ; on est complice
de quelqu’un ou de quelque chose. Une complicité sans relation avec un acte principal est un non-sens » (J. CARBONNIER,
op. cit.).

175
à discerner, dans la structure de la complicité, tous les éléments constitutifs d’un délit
spécial du type le plus courant846. Au rang des éléments constitutifs de la complicité, on
retrouve donc un élément légal, figurant en l’espèce aux articles 121-6, 121-7 et R. 610-2 du
Code pénal, un élément matériel caractérisé par les diverses opérations – aide, assistance ou
instigation – favorisant l’action délictueuse de l’auteur principal et un élément
psychologique se traduisant par la connaissance du caractère délictueux des agissements de
l’auteur principal et la volonté de s’y associer. En tant que délit conditionné par l’infraction
principale, ce délit autonome comporte un quatrième élément, « une sorte d’élément
juridique : le caractère délictueux de l’action d’autrui avec laquelle les agissements du prévenu
ont été en relation »847. Comme le relève judicieusement Jean Carbonnier, « le délit d’autrui
s’incorpore à la définition du délit de complicité, comme le contrat violé entre dans la formule
de l’abus de confiance »848.

L’une des conséquences majeures découlant de cette théorie est relative à cet élément
surnuméraire. Si la complicité est « dépendante du délit concret qu’elle enveloppe, parce que
l’existence de ce délit concret est nécessaire à sa propre essence »849, est-il pour autant
nécessaire que l’action délictueuse de l’auteur principal réunisse en elle-même tous les
éléments constitutifs d’un délit légalement punissable ? « Là, court la frontière qui, de la
criminalité d’emprunt, sépare le délit distinct, quoique dépendant. »850 Comme le relèvent
Roger Merle et André Vitu, s’il faut bien comprendre qu’en l’absence d’acte principal
délictueux il ne saurait y avoir de complicité, « cette condition est généralement mal
comprise »851. Contrairement à la théorie de la criminalité d’emprunt, ce qui importe, c’est
que l’acte soit qualifié crime ou délit par la loi. Les faits accomplis par l’auteur doivent
présenter « la figure d’une infraction à la loi pénale »852, avoir « matériellement et moralement,
figure déjà reconnaissable de délit »853. Il n’est pas « besoin que cette action délictueuse
externe à quoi se relie l’infraction réunisse en elle-même tous les éléments constitutifs d’un
délit légalement punissable »854. Autrement dit, « du moment que l’activité déployée par
l’auteur s’apparente intrinsèquement à l’une des infractions punies par les lois pénales, le
complice demeure isolément répréhensible »855. Ainsi, l’inconvénient majeur de l’emprunt de
criminalité se trouve écarté.

La différence entre les deux théories se cristallise autour de la nécessité de caractériser


l’existence d’une infraction principale punissable en tous ses éléments constitutifs. Si cette
exigence, propre à la criminalité d’emprunt, génère les conséquences décriées que nous avons

846. J. Carbonnier précise cependant que le délit de complicité n’est pas semblable en tout point à un délit
spécial quelconque : « Il offre indéniablement un caractère de généralité, d’abstraction, que l’on ne
rencontre pas dans la plupart des délits spéciaux. C’est, si l’on nous passe l’expression, une sorte de délit-
cadre, apte à encadrer tous les autres délits. » (Ibid.)
847. J. CARBONNIER, op. cit., JCP, 1952. I.1034.
848. Ibid.
849. Ibid.
850. Ibid.
851. R. MERLE et A. VITU, Traité de droit criminel – Droit pénal général, op. cit., no 540.
852. Ibid.
853. J. CARBONNIER, op. cit.,. I.1034.
854. Ibid.
855. R. MERLE et A. VITU, Traité de droit criminel – Droit pénal général, op. cit., no 540.

176
évoquées, nous verrons qu’elle ne constitue pas un obstacle à l’adoption de cette théorie en
droit positif. En effet, non seulement il est possible d’en atténuer les effets pervers, mais il
est également possible de se fonder sur une série d’arguments techniques permettant de
démontrer la consécration de l’emprunt de criminalité en droit interne.

2. L’adoption du principe de l’emprunt de criminalité


L’adoption de la théorie de la criminalité d’emprunt est patente depuis l’entrée en vigueur du
Code pénal de 1994. Il y a tout d’abord le changement de rédaction opéré entre les articles 60
et 121-7, puis la consécration générale de la complicité par instigation en matière
contraventionnelle et, finalement, l’accroissement de la dépendance de la répression de la
complicité à la qualification de l’infraction principale par la création des violences volontaires
ayant entraîné la mort sans intention de la donner. Une autre série d’arguments, permettant
de combler le vide répressif de la criminalité d’emprunt, et donc de remédier aux critiques
virulentes faites à l’encontre de cette théorie, résulte essentiellement de l’adoption de lois
postérieures.

2.1 Les arguments résultant de l’adoption du Code pénal de 1994

La lettre des articles 121-6 et 121-7


Contrairement à l’article 60 de l’ancien Code pénal qui était susceptible de fonder la
conception de la complicité « délit distinct mais conditionné », nous allons voir que les
articles 121-6 et 121-7 du Code pénal de 1994 consacrent bien le système de la criminalité
d’emprunt. Il convient donc, dans un premier temps, d’écarter la permanence des arguments
contre la criminalité d’emprunt dégagés par Jacques-Henri Robert et reposant tant sur
l’exégèse que sur l’interprétation rationnelle et équitable de l’article 60 de l’ancien Code pénal.

L’exclusion de l’argument fondé sur l’exégèse de l’article 60 de l’ancien Code pénal – Il importe
premièrement d’analyser ce que disait l’article 60 de l’ancien Code pénal. Jacques-Henri
Robert considère que la théorie de l’emprunt de criminalité, qu’il préfère appeler « l’unité de
qualification », est incapable de justifier toutes les règles de la complicité, notamment si on
l’applique à l’élément moral reproché à l’auteur principal. Or, dès lors que la criminalité
d’emprunt ne peut justifier toutes les solutions du droit positif, c’est qu’elle n’est pas la bonne
représentation conceptuelle de la complicité. L’auteur rappelle ainsi qu’en présence d’une
infraction intentionnelle, « l’unité de qualification implique deux solutions : c’est l’intention
de l’auteur principal qu’il faut rechercher pour qualifier l’acte qui sera reproché à lui-même
et à son complice ; et si l’auteur principal a agi sans intention délictueuse, son acte ne peut
recevoir aucune qualification, ni non plus celui de son complice »856. Or, selon lui, la loi
prévoit la punition de l’instigateur alors même que l’auteur serait relaxé pour défaut
d’infraction principale faute d’intention coupable, condamnant par là même la criminalité
d’emprunt. Il se fonde pour ce dire sur l’article 60, alinéa 1er de l’ancien Code pénal qui
disposait : « Seront punis comme complices d’une action qualifiée crime ou délit ceux qui,
par […] machinations ou artifices coupables, auront provoqué à cette action. »

856. J.-H. ROBERT, « Imputation et complicité », JCP, 1975. I. 2720.

177
Selon Jacques-Henri Robert, « le propre des machinations et artifices coupables, c’est
d’engendrer l’erreur chez l’auteur principal, et l’erreur empêche l’intention coupable de se
former dans son esprit857. En pareil cas, l’article 60 punit pourtant le complice »858.

L’article 60 de l’ancien Code pénal, en prévoyant au titre de l’élément matériel de la


complicité des agissements susceptibles d’induire une erreur chez l’auteur, alors même que
ce dernier est censé commettre un crime ou un délit, ne contient-il pas une incohérence
évidente ? Poursuivant cette idée, Jacques-Henri Robert ajoute quant à lui qu’« en soutenant
que l’action doit être “qualifiée” crime ou délit en la personne de l’auteur principal, on
introduit, dans l’article 60, une contradiction : ce texte, d’une part, punirait l’auteur des
machinations et, d’autre part, le relaxerait parce que ces mêmes machinations empêcheraient
la qualification »859. Selon l’auteur, cette objection peut être écartée sur le fondement même
de l’exégèse de l’article 60 du Code pénal. Cette dernière permettrait d’« expliquer la présence
des mots “qualifiés crime ou délit” sans pour autant consacrer l’unité de qualification »860. La
préposition « comme » employée dans la formule « Seront punis comme complices d’un acte
qualifié crime ou délit » […] autorise [simplement] une assimilation, elle permet de réunir
dans le même sort pénal (“seront punis”) ceux qui sont les complices d’un acte effectivement
qualifié crime ou délit et certains de ceux qui se sont associés à une action non qualifiée et
dont ils ne peuvent pas, par conséquent, être les complices ». La préposition « comme »
utilisée à dessein par le législateur permet donc de réprimer ces derniers comme s’ils étaient
réellement complices.

Ainsi, il aurait résulté de cet article la possibilité de réprimer le complice en cas de relaxe ou
d’acquittement de l’auteur principal faute d’intention, solution opportunément répressive,
que ne permet pas de justifier la théorie de l’emprunt de criminalité. Il pouvait donc être
excipé de l’article 60 de l’ancien Code pénal, la possibilité de réduire le fait principal
punissable à un simple fait matériel répréhensible. Autrement dit, pour résoudre la
contradiction évidente de l’article 60, il convenait d’écarter la théorie de la criminalité
d’emprunt.

Il importe maintenant de relever ce que ne dit plus l’article 121-7 du Code pénal. Ce dernier
ne vise plus au titre des éléments matériels de la complicité les « machinations ou artifices
coupables » qui auront provoqué à l’action, ceux-là mêmes qui étaient susceptibles, en
induisant une erreur, de supprimer l’intention coupable chez l’auteur principal. Or, il se réfère
néanmoins, alinéa 1er, à la complicité « d’un crime ou d’un délit » et, alinéa 2, à la provocation
à « une infraction ». On rappellera que, depuis l’entrée en vigueur du Code pénal de 1994
accompagné par la loi d’adaptation du 16 décembre 1992861, et en application du « nouvel »
article 121-3 du Code pénal, l’intention est une composante nécessaire des crimes et, en

857. Cf. supra, titre 1, chapitre I.


858. J.-H. ROBERT, « Imputation et complicité », op. cit.
859. Ibid.
860. Ibid.
861. Loi no 92-1336 relative à l’entrée en vigueur du nouveau Code pénal et à la modification de certaines
dispositions de droit pénal et de procédure pénale rendue nécessaire par cette entrée en vigueur.

178
principe, des délits862. Concernant ce dernier article, il paraît important par ailleurs de
souligner qu’il a fait l’objet de critiques positives en ce qu’il « a mis de l’ordre »863 dans le
domaine de l’élément psychologique de l’infraction, particulièrement en matière délictuelle.
Comme le relève André Giudicelli, « tout d’abord, nombre d’auteurs mesurent que le principe
posé à l’aliéna 1er du texte marque la disparition des délits matériels, la faute de l’agent ne
pouvant plus être présumée comme elle l’avait été par le passé par nos tribunaux dans certains
secteurs correctionnels. Ensuite, il est encore relevé que cette même formule doit conduire
à considérer qu’à chaque fois que le législateur incrimine un comportement nouveau et qu’il
reste silencieux quant à la nature de l’élément moral de celui-ci, l’infraction considérée est
intentionnelle »864. Cette analyse a été confirmée par le Conseil constitutionnel dans sa
décision du 16 juin 1999865. Ces précisions soulignent l’impossibilité juridique de se soustraire
à la caractérisation d’une faute intentionnelle pour caractériser l’existence d’un crime et en
principe d’un délit. Si l’intention n’est pas établie en matière intentionnelle, il n’y a point de
délit au sens large, sans quoi il n’existe pas de fait principal punissable. Plus généralement,
« une infraction sans élément moral n’est pas plus punissable qu’une infraction justifiée par
la légitime défense ou l’ordre de la loi : elle n’est pas juridiquement constituée »866. Il ressort
donc de la lettre de l’article 121-7 du Code pénal867 qu’avant d’étudier les conditions
spécifiques à la complicité, il importe de caractériser la commission d’une infraction
principale en tous ses éléments constitutifs. Il est ainsi possible de voir dans le changement
de rédaction opéré en 1992, plus précisément dans la suppression de certains agissements
constituant la matérialité de la complicité, une modification terminologique peut-être animée
par un souci de cohérence législative et, au-delà, une condamnation de l’interprétation
qu’avait livrée Jacques-Henri Robert de l’ancien article 60.

Soulignons ici qu’il ne saurait être tiré argument de la lettre de l’article 60 de l’ancien Code
pénal pour écarter la théorie de l’emprunt de criminalité. Comme le note Jacques-Henri
Robert, ce texte énumère dans la même phrase, pour les soumettre au même sort, « ceux qui,
par […] menaces, abus d’autorité ou de pouvoir » et « ceux qui […] par machinations ou
artifices coupables auront provoqué » à l’action. « Les premiers ont usé de la contrainte qui
n’empêche pas l’intention de se former dans l’esprit de l’auteur matériel et donc permet la
qualification de son acte ; les seconds, en induisant l’auteur matériel en erreur, ont empêché
l’intention de naître. »868 Ainsi, pour les premiers, l’infraction principale peut être constituée,
alors que, pour les seconds, l’acte principal n’est pas susceptible de revêtir une qualification
pénale. En d’autres termes, en application de la théorie de l’emprunt de criminalité, les
premiers pourront être réprimés tandis que les seconds pourront rester impunis. Comment

862. C. pén. art. 121-3 : « Il n’y a point de crime ou délit sans intention de le commettre. Toutefois, lorsque la
loi le prévoit, il y a délit en cas de mise en danger délibérée de la personne d’autrui. Il y a également délit,
lorsque la loi le prévoit, en cas de faute d’imprudence, de négligence ou de manquement à une obligation
de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement… ».
863. R. MERLE et A. VITU, Traité de droit criminel – Droit pénal général, op. cit., no 578.
864. A. GIUDICELLI, « Incertitudes sur les frontières de l’intention », op. cit.
865. Décision DC no 99-411 du 16 juin 1999, D. 1999, p. 589, note Y. MAYAUD.
866. W. JEANDIDIER, « De la répression du complice en cas de bonne foi de l’auteur principal », JCP, 2003. II.
10159.
867. Pareillement de l’article 121-6 du Code pénal qui prévoit que « Sera puni comme auteur, le complice de
l’infraction… »
868. J.-H. ROBERT, « Imputation et complicité », op. cit.

179
interpréter cette distinction opérée entre le sort du « complice » qui use de la contrainte
morale et celui qui induit en erreur ? Selon Jacques-Henri Robert, il faut considérer que cela
condamne l’unité de qualification, puisque « les deux situations ont, d’après la loi [L’article 60
de l’ancien Code pénal], le même effet sur le sort du complice ». En outre, « leur similitude
est […] flagrante et l’application de solutions différentes, qu’imposerait la théorie de
l’emprunt de criminalité, serait non seulement contraire à la loi mais aussi parfaitement
inopportune »869. En résumé, la dissociation qu’opèrerait la théorie de la criminalité
d’emprunt entre le sort du complice qui use de la contrainte morale et celui qui induit en
erreur serait tout à la fois contraire à la loi et inopportune.

Il convient ici de rappeler que le Code pénal de 1994 a supprimé la seconde hypothèse visant
« ceux qui […] par machinations ou artifices coupables ». Sont aujourd’hui visés ceux qui
« par aide ou assistance » ainsi que ceux qui « par don, promesse, menace, ordre, abus
d’autorité ou de pouvoir » ; en résumé, aucun agissement de nature à faire obstacle à la
formation de l’intention coupable chez l’auteur principal. Comment interpréter, dans ce
développement, la modification de la lettre de l’article 121-7 du Code pénal ? Il nous paraît,
une fois encore, que l’exclusion des « machinations » et « artifices coupables » repose sur
l’impossibilité de caractériser l’existence d’une infraction principale punissable en pareilles
hypothèses. D’une manière générale, on peut voir dans la suppression de l’expression
« machinations ou artifices coupables » la consécration de la criminalité d’emprunt.

La dépendance de la répression de la complicité à la nature de l’infraction commise


au regard de la classification tripartite des infractions
Sous l’empire de l’ancien Code pénal, la complicité de contravention ne pouvait être réprimée
que dans les cas exceptionnels où le texte édictant une contravention incriminait la
complicité870. Le Code pénal de 1992 a mis fin à l’impunité de principe de la complicité, en
ce domaine, quand elle prend la forme de l’instigation.

Il résulte de la lecture combinée des deux alinéas de l’article 121-7 et de l’article R. 610-2 du
Code pénal que la complicité de contravention n’est en principe réprimée que lorsque l’acte
matériel de complicité consiste en une provocation ou une fourniture d’instructions. La
complicité par aide ou assistance d’une contravention reste quant à elle réprimée de manière
exceptionnelle871. En effet, comme le relève Stéphanie Fournier, « alors que l’alinéa premier
de l’article 121-7 du Code pénal qui traite de la complicité par aide ou assistance vise
expressément le complice “d’un crime ou d’un délit”, à l’exclusion donc du complice d’une
contravention, l’alinéa second du même article dispose d’une manière générale qu’est
“également complice la personne qui, par don… aura provoqué à une infraction ou donné des instructions

869. Ibid.
870. On pourrait y voir un mécanisme analogue à l’ancien principe de spécialité régissant la responsabilité pénale
des personnes morales, en application duquel la responsabilité pénale de ces dernières ne pouvait être
engagée que sur prévision de la loi.
871. Par exemple, la contravention de bruits et tapages injurieux ou nocturnes (C. pén. art. R. 623-2) ; les
contraventions de quatrième et cinquième classe pour les violences (C. pén., art. R. 624-1 et R. 625-1) ; la
contravention de diffusion, sur la voie publique ou dans les lieux publics, de messages contraires à la
décence (C. pén., art. R. 624-2) et la contravention de destruction, dégradation ou détérioration d’un bien
appartenant à autrui (C. pén. R. 635-1).

180
pour la commettre”. Dès lors, en cas de complicité par provocation ou instruction, c’est la
complicité de toute “infraction” quelle qu’elle soit qui est réprimée, et non pas seulement la
complicité de crime ou délit »872. Et l’auteur d’ajouter que « cette affirmation n’est pas
démentie par l’article 121-6 du Code pénal qui, pour déterminer la peine applicable au
complice, s’abstient de traiter seulement du complice d’un crime ou d’un délit et vise, d’une
manière générale, le complice “de l’infraction” »873. Stéphanie Fournier complète cette
argumentation en invoquant l’article R. 610-2 du Code pénal « qui, en réservant une
disposition particulière à la complicité de contravention par provocation ou instruction, « et
en indiquant que celle-ci sera réprimée conformément à l’article 121-6, démontre qu’elle n’est
pas soumise au même régime que la complicité de contravention par aide ou assistance pour
laquelle c’est le texte qui, par exception, la réprimera qui déterminera la peine applicable au
complice ».

On doit donc conclure que le caractère infractionnel de l’acte commis par l’auteur principal
est essentiel pour la répression de la complicité puisqu’une distinction est opérée selon la
nature de l’infraction principale. Une attention particulière doit en effet être portée aux
agissements constituant l’élément matériel de la complicité dès lors que l’infraction principale
est constitutive d’une contravention. Comment alors considérer que le fait principal
punissable puisse ne consister qu’en un acte objectivement illicite au risque de faire entrer
dans le champ de la répression des actes qui en sont légalement exclus ? L’acte principal doit
nécessairement consister en une infraction. Le changement opéré entre l’ancien Code pénal
et le Code pénal de 1992, en dissociant au sein de la complicité contraventionnelle le sort de
l’instigateur de celui qui aide ou assiste l’auteur, ne fait que conforter cette conclusion.

La dépendance de la répression de la complicité à la qualification de l’infraction


principale au regard de la pénalité encourue ou, plus radicalement, de son existence
pure et simple
Si la psychologie coupable du complice est distincte de celle de l’auteur principal, il n’en
demeure pas moins que, dans un certain nombre de cas, la détermination de la psychologie
de l’auteur matériel est indispensable pour fixer la qualification exacte de l’infraction
principale. Et de cette qualification peut dépendre la peine encourue par le complice ou, plus
radicalement, la répression pure et simple de la complicité.

Un exemple bien connu permet d’illustrer les ramifications possibles d’un même fait matériel
illicite ainsi que les différentes hypothèses répressives qui en résultent. Lorsqu’il est constaté
qu’une personne a été tuée, la question peut se poser de savoir si elle a été victime d’un
homicide volontaire, de violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la
donner ou d’un homicide involontaire. S’il est établi, au regard des circonstances de l’espèce,
que l’auteur était animé de la volonté de porter atteinte à l’intégrité physique de la victime, la
détermination de l’existence de l’intention homicide sera essentielle au regard du quantum de
la peine encourue par le complice874. En revanche, s’il ressort des circonstances qu’il s’agit

872. S. FOURNIER, « Le nouveau Code pénal et le droit de la complicité », RSC, 1995. 475, no 31.
873. Loc. cit.
874. 30 ans pour un meurtre simple (C. pén. art. 221-1) et 15 ans pour des violences sans circonstances
aggravantes (C. pén. art. 222-7), étant précisé que cette dernière infraction est une création du Code pénal

181
d’un homicide involontaire, que l’auteur principal a commis une faute d’imprudence, la
complicité ne saurait même pas être envisagée. En effet, bien que la possibilité de la
complicité d’une infraction non intentionnelle ait été discutée en doctrine, il faut se résoudre
à considérer que l’imprudence de l’auteur principal correspond à une attitude psychologique
inconciliable avec l’intention qui anime le complice875, et plus encore, même, avec l’idée
d’entente qu’impliquerait la complicité876. Nous devons donc considérer qu’il est un principe
selon lequel il n’est pas de complicité d’une infraction non intentionnelle, et ce même si la
jurisprudence ne s’est pas toujours opposée à la répression de la complicité en ce domaine877.
Un arrêt récent en constitue d’ailleurs une autre illustration878. Bien que la répression
jurisprudentielle de la complicité d’une infraction non intentionnelle reste marginale, elle ne
paraît justifiée qu’au cas où l’élément psychologique de l’infraction principale consiste en une
faute de mise en danger délibérée879. Pour atténuer cette conclusion, il est permis de relever
que l’impossibilité de réprimer, de manière générale, la complicité d’une infraction non
intentionnelle est aujourd’hui partiellement compensée par la possible répression du
« complice » en tant qu’auteur indirect de l’infraction commise880.

En conclusion, la psychologie de l’auteur est susceptible de conditionner tant la peine


encourue par le complice que la répression proprement dite de la complicité. C’est dire que
le fait principal nécessite bien d’être caractérisé dans tous ses éléments constitutifs,
notamment psychologique. Il doit consister en une infraction.

2.2 Les alternatives au vide répressif de la criminalité d’emprunt

Afin de pallier les lacunes dans la répression générées par la criminalité d’emprunt, il est
possible, dans certaines circonstances, d’octroyer au complice le statut d’auteur. Deux

de 1994, ce qui accroît la force de l’argument selon lequel la consécration de l’emprunt de criminalité est
patente avec le Code pénal de 1992.
875. En ce sens, A. DECOCQ, Droit pénal général, op. cit., p. 241 ; J.-A. ROUX, Cours de droit criminel français, t. 1,
2e éd., 1927, p. 340 ; J.-H. ROBERT, Droit pénal général, PUF, 6e éd., 2005, p. 349.
876. En ce sens, F. DESPORTES et F. LE GUNEHEC, Droit pénal général, Economica, 2005, 12e éd., no 549 ;
R. MERLE et A. VITU, Traité de droit criminel – Droit pénal général, op. cit., no 559.
877. Pour un exemple, Cass. crim., 6 juin 2000, no 99-85937, Bull. crim., no 213 ; Dr. pén. 2000, comm. 124, obs.
M. VERON ; RSC, 2000. 829, obs. Y. MAYAUD. Il s’agissait en l’espèce de retenir la complicité du délit de
mise en danger délibérée de la vie d’autrui du passager d’un véhicule qui avait donné au chauffeur
l’injonction de franchir un feu rouge.
878. Cass. crim., 13 sept. 2016, no 15-85.046, publiée au bulletin, JurisData no 2016-018495 ; Dr. pén., 2016,
comm. 153 obs. P. CONTE ; JCP G 2016, 1039, act. 1039, obs. J.-Y. MARÉCHAL et 1067, note
F. ROUSSEAU. En l’espèce, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi formé contre un arrêt de condamnation
du chef de complicité de blessures par imprudence prononcé à l’encontre d’un médecin, responsable
médical au sein d’un établissement pratiquant l’épilation au laser. Il lui était reproché de ne pas être
intervenu pendant des séances d’épilation pratiquées par une salariée, dépourvue de compétence et de
formation, et alors que ce type d’acte ne peut être réalisé que par un médecin. Pour une réflexion générale
sur la question de la complicité des délits non intentionnels, cf. J.-Y. MARÉCHAL, « Réflexions sur la
complicité des délits non intentionnels », Dr. pén., 2016, étude 27.
879. Cela peut être discuté au regard de la nature particulière de cette faute d’imprudence. En effet, cette
dernière, dont on sait que le caractère intentionnel ou non intentionnel a été débattu en doctrine
nonobstant sa qualification implicite par le législateur – pour le rappel des arguments législatifs en faveur
du caractère non intentionnel de cette faute, cf. A. GIUDICELLI, « Incertitudes sur les frontières de
l’intention », op. cit., p. 33 et suiv. –, se situe aux frontières de l’intention.
880. Cf. infra, « Les alternatives au vide répressif de la criminalité d’emprunt » (2.2).

182
hypothèses se présentent alors : soit le complice sera considéré comme auteur d’un délit
distinct, comprenons que les actes de complicité peuvent être érigés par le législateur en
infraction autonome, soit le complice sera considéré comme auteur indirect de l’infraction
commise par l’auteur principal.

La partie spéciale du Code pénal ainsi que les lois pénales annexes contiennent un nombre
important d’incriminations d’actes de provocation ou d’aide non suivis d’effet. Comme le
note Anne Ponseille, « certaines de ces infractions constituent une incrimination spécifique
d’une participation individuelle »881. Ces dernières recouvrent particulièrement des
hypothèses de provocations circonstanciées. On peut citer la provocation au suicide882, la
provocation à l’usage illicite de produits stupéfiants883 ou encore la provocation à s’armer
contre l’autorité de l’État884. L’une de ces infractions les plus emblématiques réside dans le
mandat criminel, infraction créée par la loi no 2004-204 du 9 mars 2004 à l’article 221-5-1 du
Code pénal885 et réprimant à titre autonome l’instigateur d’un d’assassinat ou d’un
empoisonnement qui ne sera ni commis ni même tenté. Ainsi, la tentative de complicité
d’assassinat ou d’empoisonnement est désormais réprimée. Plus récemment, le législateur est
venu créer, sur le schéma de l’article 221-5-1 du Code pénal, de nouvelles infractions en
matière de lutte contre le terrorisme. Elles figurent aux article 421-2-4886 et 421-2-5887 du
Code pénal. Comme le poursuit Anne Ponseille, « d’autres infractions relèvent de
l’incrimination autonome d’une participation collective »888. Il s’agit cette fois d’incriminer
une participation collective indépendamment de la réalisation de l’infraction projetée.
Autrement dit, il ne sera pas nécessaire de recourir à la théorie de la coaction ou de la
complicité pour assurer la répression/entrer en voie de condamnation. L’exemple type est
évidemment le délit d’association de malfaiteurs réprimé à l’article 450-1 du Code pénal,
souvent utilisé comme une « incrimination de substitution »889 jusqu’à ce que soit adopté le
mandat criminel. Il est d’ailleurs significatif de noter qu’au fil des évolutions législatives, le

881. A. PONSEILLE, « L’incrimination du mandat criminel ou l’article 221-5-1 du Code pénal issu de la loi
no 2004-204 du 9 mars 2004 », op. cit.
882. C. pén., art. 223-13, 223-14.
883. CSP, art L. 3421-4
884. C. pén., art. 412-8.
885. » Le fait de faire à une personne des offres ou des promesses ou de lui proposer des dons, présents ou
avantages quelconques afin qu’elle commette un assassinat ou un empoisonnement est puni, lorsque ce
crime n’a été ni commis ni tenté, de dix ans d’emprisonnement et de 150 000 € d’amende. »
886. En vertu de l’article 421-2-4 du Code pénal, tel qu’il résulte de la loi no 2012-1432 du 21 décembre 2012 :
« Le fait d’adresser à une personne des offres ou des promesses, de lui proposer des dons, présents ou
avantages quelconques, de la menacer ou d’exercer sur elle des pressions afin qu’elle participe à un
groupement ou une entente prévus à l’article 421-2-1 ou qu’elle commette un des actes de terrorisme
mentionnés aux articles 421-1 et 421-2 est puni, même lorsqu’il n’a pas été suivi d’effet, de dix ans
d’emprisonnement et de 150 000 € d’amende. »
887. En vertu de l’article 421-2-5 du Code pénal, tel qu’il résulte de la loi no 2014-1353 du 13 novembre 2014 :
« Le fait de provoquer directement à des actes de terrorisme ou de faire publiquement l’apologie de ces
actes est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 € d’amende. Les peines sont portées à sept ans
d’emprisonnement et à 100 000 € d’amende lorsque les faits ont été commis en utilisant un service de
communication au public en ligne. Lorsque les faits sont commis par la voie de la presse écrite ou
audiovisuelle ou de la communication au public en ligne, les dispositions particulières des lois qui régissent
ces matières sont applicables en ce qui concerne la détermination des personnes responsables. »
888. A. PONSEILLE, « L’incrimination du mandat criminel ou l’article 221-5-1 du Code pénal issu de la loi
no 2004-204 du 9 mars 2004 », op. cit.
889. Selon une expression employée à A. PONSEILLE, ibid.

183
champ d’application de ce délit n’a cessé de s’élargir890. Finalement, on peut aussi relever qu’il
en existe une déclinaison spécifique en matière de terrorisme à l’article 421-2-1 du Code
pénal.

Ainsi, la répression de la participation individuelle et collective à des actes de provocation


non suivis d’effet permet de sanctionner des comportements dangereux situés en principe
dans l’angle mort de la criminalité d’emprunt. Cependant, comme le relèvent Roger Merle et
André Vitu, « il s’agit là de solutions fragmentaires et localisées, qui ne sauraient faire oublier
la grande règle générale posée par le Code pénal, qui est une application de la criminalité
d’emprunt »891. Ainsi, on peut considérer que la création de ces délits spéciaux démontre bien
que la volonté du législateur est de faire dépendre la complicité de l’infraction principale
caractérisée en tous ses éléments constitutifs.

Un autre palliatif aux lacunes répressives de l’emprunt de criminalité consiste à assimiler le


complice par instigation d’une infraction non intentionnelle à un auteur indirect. Comme le
démontre François Rousseau dans une étude consacrée à cette thématique892, la conception
large de la causalité par la jurisprudence, en matière d’homicide ou de blessures non
intentionnels, lui permet de poursuivre l’éventuel complice d’une infraction d’imprudence en
tant qu’auteur de cette même infraction. En effet, « cet auteur indirect est présenté par
l’article 121-3 comme celui qui n’a pas causé directement le dommage, mais qui a “créé ou
contribué à créer la situation qui a permis la réalisation du dommage” ou encore celui qui n’a pas “pris
les mesures permettant de l’éviter”. […] l’auteur indirect n’apparaît-il pas, également, comme le
complice d’une infraction d’imprudence commise par l’auteur direct ? En effet, celui qui
facilite ou provoque l’imprudence d’autrui contribue, à sa manière, à créer une situation
permettant la réalisation du dommage. C’est dire qu’un tel individu pourrait être réprimé à
titre de complice ou d’auteur indirect de l’infraction non intentionnelle ainsi réalisée »893. La
jurisprudence se fait l’écho de cette assimilation. Ainsi, il est possible d’invoquer deux affaires
aux faits similaires, dans lesquelles le protagoniste principal a été condamné sur le fondement
de deux qualités distinctes. Dans ces deux espèces, un débitant de boisson avait continué à

890. Avant la loi no 81-82 du 2 février 1981, la caractérisation de l’infraction de participation à une association
de malfaiteurs supposait la réunion d’un nombre important de malfaiteurs ainsi que le projet arrêté de
commettre plusieurs crimes. Pour cette raison, cette incrimination n’avait pu être utilisée dans les affaires
Schieb et Lacour. Depuis, l’association suppose la participation minimale de deux individus et l’entente peut
ne porter que sur un seul crime ou un seul délit. Le Code pénal de 1994 contribuera à élargir un peu plus
le champ d’application de cette infraction en supprimant la liste exhaustive concernant le ou les délits
projetés et en précisant seulement que la peine encourue pour ces délits devait être de 10 ans
d’emprisonnement. Condition encore assouplie par la loi no 2001-420 du 15 mai 2001 puisqu’elle abaisse
le seuil de la peine d’emprisonnement encourue à au moins 5 ans d’emprisonnement. Au final, si messieurs
Schieb et Lacour étaient jugés aujourd’hui, alors même que le mandat criminel n’aurait pas été adopté, ils
auraient pu être condamnés sur le fondement de l’article 450-1 du Code pénal. Un arrêt du 30 avril 1996
en est une illustration (Cass. crim., 30 avr. 1996, no 94-86107, Bull. crim., 1996, no 176 ; RSC, 1997, p. 113,
obs. J.-P. DELMAS SAINT-HILAIRE). Au regard du champ d’application de l’infraction tel qu’il résulte des
différentes évolutions législatives, A. Ponseille considère que « compte tenu des possibilités offertes par la
définition légale de la participation à une association de malfaiteurs, il n’était donc pas besoin de procéder
à l’incrimination spécifique de la provocation, non suivie d’effet, à un assassinat et à un empoisonnement ».
891. R. MERLE et A. VITU, Traité de droit criminel – Droit pénal général, op. cit., no 541.
892. F. ROUSSEAU, « Complice ou auteur indirect d’une infraction non intentionnelle ? », Dr. pén., 2007, étude
11.
893. F. ROUSSEAU, op. cit., Dr. pén., 2007, étude 11 ; cf. également P. CONTE et P. MAISTRE DU CHAMBON, Droit
pénal général, A. Colin, 7e éd., 2004, no 420.

184
servir de l’alcool à un client manifestement ivre tout en sachant qu’il allait reprendre la route.
Dans l’une des affaires, le débitant de boisson a été condamné en tant que complice de
l’homicide non intentionnel commis par son client 894 alors que, dans l’autre, il a été
condamné en tant qu’auteur indirect du même délit895.

Il faut donc se résoudre à considérer qu’au regard de la loi, on ne peut être complice que
d’une infraction punissable. Cependant, si, comme le relève André Giudicelli en conclusion
de son article relatif à la détermination des frontières de l’intention, le nouveau Code pénal
a écarté la séparation de principe de l’auteur et du complice, il peut arriver que la
jurisprudence autonomise opportunément la répression de la complicité en dehors de toute
prévision légale.

B. La tendance opportuniste à l’autonomisation de la complicité en dehors de toute


prévision légale

L’emploi, récurrent en doctrine comme en jurisprudence, de la formule « fait


principal punissable » est ambigu en raison de l’imprécision juridique de la notion de « fait
principal ». Comme nous l’avons vu, ce dernier est susceptible de recouvrer deux réalités
sensiblement différentes : soit il consistera en une infraction au sens juridique du terme,
c’est-à-dire qu’il supposera la réunion de l’élément matériel et de l’élément psychologique
de l’infraction, soit il sera constitué par le seul élément matériel de l’infraction, se réduisant
alors à un simple acte objectivement répréhensible. On le comprend, la formule est de
nature à dédouaner opportunément les juridictions de l’exigence législative d’une infraction
principale constituée en tous ses éléments constitutifs pour entrer en voie de condamnation
du complice. Notamment, il leur est ainsi possible de condamner le complice pour défaut
d’intention coupable de l’auteur principal. Dans cette dernière hypothèse, la jurisprudence
est d’ailleurs incertaine896. L’arrêt rendu par la chambre criminelle le 8 janvier 2003,
relativement à une affaire d’exportation de stupéfiants, en est une illustration largement
commentée. Il importera donc de s’y attarder, car de telles décisions – surtout l’écho qui
leur en est donné – sont susceptibles de remettre en cause le principe de l’emprunt de
criminalité (1.). Nonobstant l’existence d’un certain nombre d’arguments en faveur d’un
revirement de jurisprudence (2.), nous verrons cependant qu’avant de consacrer l’autonomie
relative de la complicité par un glissement de l’emprunt de criminalité vers l’emprunt de
matérialité, cette décision est d’abord rendue en pure opportunité. D’ailleurs, l’affaire du
sang contaminé devait, quelques mois plus tard, marquer le retour à une solution
juridiquement plus orthodoxe (3.). Finalement, le principe de l’emprunt de criminalité peut
être confirmé par l’étude des solutions rendues dans le domaine des infractions voisines de
recel et de blanchiment (4.).

894. Trib. corr. Dijon, 2 avr. 2003, cité par I. MOINE-DUPUIS, « Complicité et contribution à une infraction :
un choix trop libre », Rev. pénit., 2005, p. 277.
895. Trib. corr. Draguignan, 23 févr. 2006, inédit.
896. Tantôt elle exige que le « fait principal » soit caractérisé en tous ses éléments constitutifs, tantôt elle
considère que la punissabilité du complice demeure nonobstant la relaxe de l’auteur pour défaut
d’intention coupable.

185
1. La répression du complice d’un acte matériel répréhensible
À l’issue de l’arrêt rendu par la chambre criminelle le 8 janvier 2003897, il semble que la
condition préalable à la répression de la complicité puisse dorénavant consister en un simple
fait matériel délictueux. Alors, abandon du principe de l’emprunt de criminalité ou simple
décision rendue en équité ?

Dans cette affaire, M. X transporte à son insu à destination de la Grande-Bretagne de la


cocaïne dissimulée dans la roue de secours de son véhicule. Y, chargé par son cousin Z de
trouver des « pigeons », avait précédemment mis X en relation avec Z et lui avait donné des
instructions sur les modalités de la livraison. X est poursuivi du chef d’exportation, détention
et transport de stupéfiants, tandis qu’Y est poursuivi pour complicité de ce délit pour avoir
mis en rapport l’auteur présumé de l’infraction avec le fournisseur de stupéfiants et lui avoir
indiqué les modalités de la livraison. La chambre de l’instruction conclut à la relaxe de l’auteur
pour défaut d’intention coupable. En revanche, elle retient la culpabilité du complice
estimant qu’il avait une parfaite connaissance de la nature des substances transportées. Le
complice forme alors un pourvoi contre l’arrêt rendu en se fondant notamment sur le fait
« qu’il n’existe pas de complicité sans infraction principale »898. Le pourvoi est rejeté par un
arrêt de la chambre criminelle rendu le 8 janvier 2003 au motif que « dès lors que l’existence
d’un fait principal punissable, soit l’exportation illicite de stupéfiants, a été souverainement
constatée par la cour d’appel, la relaxe en faveur de X n’exclut pas la culpabilité d’un
complice ».

Cependant, nonobstant le fait que l’intéressé ait accompli tous les éléments constitutifs
exigés au titre de la complicité899, son impunité aurait dû être retenue en raison de l’absence
de tout « fait principal punissable » tel que communément entendu par la jurisprudence.
Comme nous l’avons vu, en application du système de l’emprunt de criminalité et d’une
jurisprudence relativement constante, le fait principal punissable s’entend d’abord d’une
infraction au sens juridique du terme, c’est-à-dire caractérisée en tous ses éléments
constitutifs. Or, depuis l’entrée en vigueur du Code pénal de 1992, comme nous l’avons
également rappelé, il est incontestable qu’une infraction suppose, outre la caractérisation
d’un élément matériel, l’existence d’un élément psychologique. En vertu de l’article 121-3
du Code pénal relatif à cet élément constitutif de l’infraction, les délits, sauf prévision
contraire de la loi, sont des infractions intentionnelles. Dans le silence de l’article 222-36

897. Cass. crim., 8 janv. 2003, no 01-88065, Bull. crim., no 5 ; JCP 2003, II, 10159, note W. JEANDIDIER; D., 2003,
jurispr. p. 2261, note É. GARÇON.
898. Le principal argument invoqué au soutien du pourvoi consistait en effet à faire valoir qu’» il n’existe pas
de complicité sans infraction principale. Et comme l’auteur principal avait été relaxé faute d’intention
coupable, aucune infraction principale ne pouvait être caractérisée, cette absence faisant obstacle à la
répression de toute complicité.
899. Au titre de l’élément matériel, rappelons qu’est exigé un acte positif de complicité, consommé et antérieur
à la commission de l’infraction. Cet acte pouvant consister en une aide ou une assistance (art. 121-7, al. 1er)
ou en une provocation ou une fourniture d’instructions (art. 121-7, al. 2). En l’espèce, l’intéressé a commis
des actes d’instigation par fourniture d’instructions. Au titre de l’élément moral : la complicité est
nécessairement intentionnelle – cette dernière ne pouvant, sauf exception, être envisagée en présence
d’une infraction non intentionnelle. Cette intention consiste en la connaissance des agissements de l’auteur
principal et en la volonté de s’y associer. Les conditions spécifiques à la complicité sont donc réunies dans
le cas d’espèce.

186
réprimant l’exportation illicite de stupéfiants, ce délit, pour être constitué, suppose donc la
commission d’une faute intentionnelle.

Le questionnement tient ici au fait que l’arrêt retient la culpabilité du complice malgré
l’absence d’infraction principale faute d’élément intentionnel. Faut-il en conclure qu’il ne
serait plus nécessaire en jurisprudence de caractériser l’infraction principale dans tous ses
éléments constitutifs pour que l’on puisse rechercher la responsabilité pénale du complice ?
La seule existence d’un fait matériel délictueux suffirait-elle à engager la responsabilité pénale
au titre de la complicité de celui qui s’y est associé ? La Cour de cassation fait-elle le choix
d’une rupture avec la théorie de la criminalité d’emprunt ? La difficulté d’une telle solution,
par rapport au raisonnement entrepris dans le cadre de cette recherche, est qu’en bafouant
les règles classiques relatives à la répression de la complicité, elle ne permet plus de fonder le
rattachement de l’imputabilité à la responsabilité sur le principe de la criminalité d’emprunt.
La question se posera donc de savoir pourquoi cette décision n’est pas rendue dans la
continuité des solutions du droit positif. Pour y répondre, nous nous intéresserons à sa portée
exacte.

2. L’opportunité d’un revirement de jurisprudence


Il répondrait tout d’abord au souhait d’une partie de la doctrine rejoignant en cela la théorie
élaborée par Jean Carbonnier. Rappelons qu’aux termes de cette conception de la complicité,
il suffit que les faits accomplis par l’auteur aient « la figure d’une infraction à la loi pénale »
ou que les faits évoquent, « au premier coup d’œil, des agissements interdits »900.

Selon certains commentateurs, un glissement de l’emprunt de criminalité vers l’emprunt de


matérialité serait perceptible d’une manière générale en jurisprudence, voire même, la
tendance serait avérée à l’autonomie de la culpabilité du complice. Une partie d’entre eux
s’appuient par exemple sur le fait que le caractère relatif de l’emprunt de criminalité dans la
répression de la complicité ressort aussi de la solution retenue en matière de complicité
d’infraction d’habitude. En effet, elle n’exige pas, pour être punissable, l’aide du prévenu à
au moins deux actes de l’infraction principale901.

Un autre argument réside dans le fait que la jurisprudence constante de la Cour de cassation
occulte les principes classiques de distinction de l’auteur et du complice pour entrer en voie
de condamnation. D’ailleurs, cette tendance prétorienne est même fréquente lorsqu’il s’agit
pour les juges de condamner l’auteur moral de l’infraction, l’instigateur, dans la mesure où
cette notion n’a pas été consacrée de manière générale par le législateur, lors de l’adoption
du Code pénal de 1992902. Concrètement, après avoir démontré le rôle d’instigateur de

900. É. GARÇON, « Complicité du délit d’exportation illicite de stupéfiants et fait principal punissable », op. cit.,
no 11, p. 2663.
901. Cf. par exemple la complicité de l’exercice illégal de la profession de banquier, Cass. crim., 19 mars 2008,
no 07-85054, Bull. crim., no 70, Dr. pén., 2008, comm. 79, M. VERON.
902. Cf. infra. De la même manière, faute de consécration générale de la complicité en ce domaine, il arrive à la
Cour de cassation de faire du complice de contravention par aide ou assistance un coauteur de manière à
étendre la répression à tous les protagonistes. Cf. par exemple : Cass. crim., 24 juin 1922, S. 1923. 1. 41,
note A. ROUX ; 10 juill. 1969, RSC, 1970, p. 384, note A. VITU.

187
l’agent903, la jurisprudence fait traditionnellement de l’instigateur un auteur et non pas un
complice904. On perçoit l’intérêt de la démarche permettant, à défaut d’acte principal
punissable, d’atteindre le complice qui, en cette qualité, n’aurait pu être condamné. Il était
donc possible à la Cour de cassation, dans la présente affaire, d’entrer en voie de
condamnation en ne dénaturant pas les règles relatives à la complicité, simplement en suivant
sa jurisprudence classique. Cependant, dans le cas d’espèce, comme le note Évelyne Garçon,
« cette démonstration du rôle d’instigateur de l’agent ne sert pas à fonder sa condamnation
en tant qu’auteur mais en tant que complice. […] ce qui rompt avec les tendances dans la
jurisprudence de la chambre criminelle »905. Tandis que traditionnellement elle fait de
l’instigateur un coauteur, elle en fait ici un complice, alors même qu’il n’est pas possible de
retenir l’existence d’une infraction principale punissable. Est-ce à dire que la juridiction
suprême entende revenir sur sa jurisprudence traditionnelle afin d’induire une modification
de la représentation conceptuelle de la complicité ?

Un autre argument en ce sens peut être tiré du fait que la Cour de cassation disposait d’une
autre alternative consistant en une poursuite sur le fondement de l’article L. 3421-4 du Code
de la santé publique réprimant l’auteur du délit de provocation à l’infraction d’exportation
illicite de stupéfiants906. Les juges avaient donc les moyens de réprimer les agissements de
l’auteur moral de l’infraction, le législateur ayant, dans l’hypothèse des faits de l’espèce, fait
de celui qui fait exécuter une infraction l’auteur juridique d’une infraction à part entière. Ainsi,
la Cour de cassation aurait pu censurer la décision des juges du fond en rappelant le devoir
de requalification des juges répressifs qui leur permet de restituer aux poursuites leur véritable
qualification907.

Nous allons voir cependant que les arguments évoqués ne sont pas décisifs :

En ce qui concerne les précédents jurisprudentiels, il convient de noter que, s’ils peuvent se
révéler nombreux, ils sont aussi relativement anciens908, comprenons même, pour la majorité,
rendus sous l’empire de l’ancien Code pénal. Or, comme nous l’avons vu en étudiant la
critique formulée par Jacques-Henri Robert à l’encontre du choix de la théorie de la
criminalité d’emprunt, l’emprunt de matérialité comme représentation conceptuelle de la

903. Celui dont l’intervention a été déterminante du comportement de l’auteur matériel des faits.
904. En ce sens également, Bertrand de Lamy qui, dans son article relatif au commentaire de cette décision,
relève à son tour que « la jurisprudence punit parfois comme auteur celui qui fait commettre
matériellement l’infraction par autrui » (B. DE LAMY, « La culpabilité du complice est autonome ou les
méandres de la criminalité d’emprunt », D., 2004, p. 310 ; également P. CONTE et P. MAISTRE DU
CHAMBON, Droit pénal général, A. Colin, 2002, 6e éd., no 404).
905. É. GARÇON, « Complicité du délit d’exportation illicite de stupéfiants et fait principal punissable », op. cit.,
no 11, p. 2663.
906. Ce texte punit d’une peine de 5 ans d’emprisonnement et d’une amende de 75 000 € la provocation, même
non suivie d’effet, à l’usage illicite de stupéfiants défini par l’article L. 3421-1 du Code de la santé publique,
ainsi que la provocation, même non suivie d’effet, à l’une des infractions prévues par les articles 222-34
à 222-39 du Code pénal.
907. Une telle opération de requalification aurait néanmoins supposé que le prévenu ait été mis en mesure de
présenter sa défense sur la nouvelle qualification envisagée.
908. Cass. crim., 9 mars 1876, S., 1876. I. 188 ; Cass. crim., 3 juill. 1886, DP, 1886. I. 473 ; Cass. crim., 18 sept.
1890, Bull. crim., no 194 ; Cass. crim, 3 juill. 1909, DP, 1911. I. 290 ; Cass. crim., 2 févr. 1916, Bull. crim.,
no 130 ; Cass. crim., 13 juin 1918, Bull. Crim., no 329 ; Cass. Crim., 28 juill. 1921, Bull. crim., no 312.

188
complicité était plus acceptable sous l’empire de l’ancien Code pénal. L’argument excipé de
la jurisprudence antérieure n’est donc pas déterminant.

Au-delà de cette précision, il est possible d’invoquer directement des arguments en faveur de
la portée limitée de la décision étudiée, arguments auxquels souscrivent d’ailleurs certains
auteurs désireux de voir consacrer la théorie complicité, délit distinct mais conditionné. Par
exemple, si Wilfrid Jeandidier regrette que le Code pénal de 1992 n’ait pas vraiment
abandonné la criminalité d’emprunt, il considère qu’avec de telles décisions, « la dénaturation
du droit de la complicité est patente ».

Tout d’abord, il est également possible de se fonder sur la jurisprudence antérieure pour
trouver des arrêts écartant la répression du complice en cas de bonne foi de l’auteur
principal909.
En second, on peut relever que cette décision est contraire au principe de la légalité et de son
corollaire de l’interprétation stricte de la loi pénale. Comme nous l’avons déjà évoqué, il
résulte de la combinaison des articles 121-6, 121-7 et 121-3 du Code pénal que, d’une part, il
n’y a pas de complicité sans infraction principale punissable, cette dernière devant être
caractérisée dans tous ses éléments constitutifs et, d’autre part, que l’intention est en principe
une composante nécessaire des délits. Si elle n’est pas établie, il n’y a pas de délit. Peu importe,
donc, que le complice ait réalisé des actes en vue de la commission d’une infraction. Or, dans
le cas d’espèce, la Cour de cassation occulte totalement la composante morale de l’infraction
pénale, alors que l’infraction d’exportation illicite de stupéfiants est pourtant un délit qui,
comme tous les délits sauf précision formelle de la loi, nécessite la commission d’une faute
intentionnelle.

Un autre argument permet de relativiser l’importance de la décision précitée. Il tient cette


fois à la structure même de la décision. Selon Évelyne Garçon, « il ne s’agit que d’un arrêt de
rejet auquel la chambre criminelle de la Cour de cassation n’a pas entendu donner une portée
au-delà de l’affaire qui lui était soumise, comme en témoigne la référence aux seules parties
en cause dans son motif910.

Finalement, il semble que cette décision s’explique avant tout par la satisfaction de l’objectif
poursuivi par la Cour de cassation. Les auteurs s’accordent pour considérer que la
condamnation se justifie au regard de considérations de pure opportunité et d’équité plus
que par un souci de cohérence juridique. Par exemple, Bertrand de Lamy de considérer que

909. Cass. crim., 30 oct. 1914, DP 1919.1.67 : « Lorsque le prétendu auteur principal d’un vol est acquitté pour
défaut d’intention délictueuse, il n’existe pas de fait principal délictueux. […] Par suite, il ne peut y avoir
complicité par recel. » ; Cass. crim. 20 juin 1994, Bull. crim., no 246 : « La Cour de révision juge qu’est un
fait nouveau, de nature à exclure la culpabilité du complice, la relaxe de l’auteur principal au motif que
l’intention frauduleuse n’est pas caractérisée » ; Cass. crim., 4 mars 1998, no 97-82360, Bull. crim., no 83 :
« Lorsqu’aucune question n’a été posée sur le point de savoir si les violences volontaires dont il est résulté
la mort de la victime ont été commise avec l’intention de la donner, l’infraction principale de meurtre n’est
pas établie en tous ses éléments constitutifs ; en conséquence la complicité n’a pas été caractérisée. »
910. É. GARÇON, « Complicité du délit d’exportation illicite de stupéfiants et fait principal punissable », op. cit.,
p. 2661.

189
« d’un point de vue de la politique criminelle, la solution est […] bien venue »911 ou encore,
Wilfried Jeandidier, selon lequel « il est certain […] que de puissantes considérations
d’opportunité et d’équité jouent en faveur de la thèse répressive. Il est choquant qu’un
complice manipulant un auteur principal soit protégé par l’innocence de celui-ci »912. Au-delà,
« la dangerosité et la moralité déplorable de celui qui a fourni les instructions à l’auteur des
faits se sont manifestées par des actes dépourvus d’équivoque, de telle sorte que sa relaxe
aurait pu paraître choquante »913 au regard de la protection même de la société914. Emmanuel
Dreyer considère aussi que « la défense de l’ordre public justifierait la sanction de ceux qui
prêtent ainsi leur concours à un fait susceptible en toute hypothèse d’affecter l’opinion. Il
serait excessif d’assurer l’impunité d’individus assez habiles pour manipuler un faible d’esprit,
ou tirer profit de son action, sans avoir eux-mêmes été privés d’intelligence et de volonté »915.
La solution retenue au cas d’espèce par la Cour de cassation a d’ailleurs été abandonnée
quelques mois plus tard dans l’affaire dite du sang contaminé.

3. Le retour à une solution juridiquement plus orthodoxe


Dans l’affaire dite du sang contaminé, la chambre de l’instruction, pour motiver son non-
lieu, avait retenu que « seuls les médecins qui ont prescrit l’administration de produits
sanguins auraient pu être les auteurs principaux de ce crime, mais que la preuve n’est pas
rapportée qu’ils aient eu connaissance du caractère nécessairement mortifère des lots du
CNTS (Centre national de transfusion sanguine). […] la complicité d’empoisonnement ne
peut être retenue contre quiconque »916. Saisie d’un pourvoi contre cet arrêt, la chambre
criminelle décide que « la chambre de l’instruction a justifié la décision de non-lieu des chefs
d’empoisonnement et de complicité d’empoisonnement »917. La juridiction suprême revient
de manière explicite à la position traditionnelle exigeant que l’infraction principale soit
constituée dans tous ses éléments pour que l’on puisse rechercher la responsabilité du
complice918. Cette décision est d’autant plus pertinente que le cadre juridique est absolument
identique à celui de l’arrêt du 8 janvier 2003. Si l’auteur ignorait que les substances qu’il
transportait étaient des stupéfiants, les médecins prescripteurs des lots de sang contaminé
ignoraient tout autant le caractère nécessairement mortifère des lots. Dans les deux cas,
l’élément psychologique du fait principal faisait défaut. La légalité a repris le pas sur
l’opportunité, l’équité ou la moralité919.

911. B. DE LAMY, « La culpabilité du complice est autonome ou les méandres de la criminalité d’emprunt »,
op. cit., p. 311.
912. W. JEANDIDIER, « De la répression du complice en cas de bonne foi de l’auteur principal », op. cit., no 5.
913. É. GARÇON, « Complicité du délit d’exportation illicite de stupéfiants et fait principal punissable », op. cit.,
p. 2662.
914. Notons déjà que la notion de dangerosité est de nature à remettre en cause des principes pourtant
classiques de notre droit, en l’occurrence celui de l’emprunt de criminalité dans le cas de la répression de
la complicité.
915. E. DREYER, Droit pénal général, op. cit., no 809.
916. Cass. crim., 18 juin 2003, no 02-85199, Bull. crim., no 127 ; D., 2004. 1620, note D. REBUT ; D., 2005. 195,
note A. PROTHAIS ; JCP 2003, II, 10121, note M.-L. RASSAT ; RSC 2003. 781, note Y. MAYAUD.
917. Ibid.
918. Le laps de temps – seulement quelques mois – écoulé avant le retour à une plus grande orthodoxie juridique
souligne le caractère opportuniste de la décision du mois du 8 janv. (2003).
919. Notons la décision rendue par la chambre criminelle de la Cour de cassation le 15 décembre 2004 (Dr. pén.,
2005, comm. 79, obs. J.-H. ROBERT), résumée en ces termes par J.-H. Robert : « Conformément au droit
commun, l’instigateur d’une infraction fiscale doit être condamné en dépit de la relaxe, pour défaut

190
Finalement, nous conclurons ce développement en confortant l’argumentation développée
par l’examen des solutions retenues dans le domaine d’infractions apparentées à la complicité.

4. Les solutions dans le domaine d’infractions apparentées à la complicité : le


recel et le blanchiment
Avant d’observer que les solutions retenues pour les infractions de recel et de blanchiment
sont semblables à celles retenues en matière de complicité, il importe de démontrer la parenté
du recel et du blanchiment avec la complicité. Le recel920 et le blanchiment921 sont considérés
comme des infractions apparentées à la complicité car ils peuvent s’analyser en des actes de
complicité accomplis postérieurement à la réalisation de l’infraction principale, plus souvent
dénommée « infraction d’origine » dans ces deux hypothèses.
S’agissant du recel, l’ancien Code pénal, à l’instar du droit romain et de l’ancien droit, avait
maintenu l’assimilation du receleur au complice922. Cependant, des conséquences négatives
en termes de répression découlant de cette assimilation ont conduit le législateur à
transformer le recel en infraction autonome par la loi du 22 mai 1915. Pour cette raison,
l’infraction figure aujourd’hui à l’article 321-1 du Code pénal de 1994923.
La distinction principale réside donc bien dans la temporalité du fait délictueux. Si l’acte de
complicité doit être antérieur ou concomitant à la réalisation de l’infraction principale, le recel
est un fait postérieur à l’infraction. En résumé, la complicité comme le recel supposent qu’un
tiers se soit associé à la commission d’une infraction : a priori ou a posteriori. La question qui
se pose maintenant est celle de savoir si, dans la cadre du recel comme du blanchiment,
l’infraction d’origine doit être caractérisée en tous ses éléments constitutifs.

La nécessité de caractériser l’infraction d’origine en tous ses éléments


constitutifs avant d’entrer en voie de condamnation du chef de recel ou de
blanchiment
En faveur de cette nécessité, la lettre des articles 321-1 et 321-4 du Code pénal qui visent
tous deux des infractions qualifiées crime ou délit. Or, rappelons-le, ces dernières supposent
en principe, conformément à l’article 121-3 du Code pénal, de caractériser l’existence d’une
intention. Cette interprétation stricte des articles 321-1 et 321-4 du Code pénal va à l’encontre
de l’interprétation jurisprudentielle de l’article 121-7 du Code pénal dans le cadre de la
décision du 8 janvier 2003.

d’intention, de l’auteur principal. » Peut-être aurait-il pu ajouter conformément au droit commun pénal fiscal
et arguer de son caractère « obscur et prétendument autonome » pour marginaliser à nouveau la portée
d’une telle décision.
920. C. pén., art. 321-1 : « Le recel est le fait de dissimuler, de détenir ou de transmettre une chose, ou de faire
office d’intermédiaire afin de la transmettre, en sachant que cette chose provient d’un crime ou d’un délit.
Constitue également un recel le fait, en connaissance de cause, de bénéficier, par tout moyen, du produit
d’un crime ou d’un délit. […] »
921. C. pén., art. 324-1 : « Le blanchiment est le fait de faciliter, par tout moyen, la justification mensongère de
l’origine des biens ou des revenus de l’auteur d’un crime ou d’un délit ayant procuré à celui-ci un profit
direct ou indirect. Constitue également un blanchiment le fait d’apporter un concours à une opération de
placement, de dissimulation ou de conversion du produit direct ou indirect d’un crime ou d’un délit. […] »
922. C. pén. anc., art. 62 : « Ceux qui sciemment auront recelé, en tout ou partie, des choses enlevées,
détournées ou obtenues à l’aide d’un crime ou d’un délit, seront punis comme complices de ce crime ou
de ce délit. »
923. « Le recel est le fait de dissimuler, de détenir ou de transmettre une chose […] en sachant que cette chose
provient d’un crime ou d’un délit. »

191
L’examen de la jurisprudence récente en matière de recel et de blanchiment confirme cette
exigence de devoir caractériser le crime ou délit d’origine en tous ses éléments constitutifs.
En atteste, s’agissant du recel, la décision rendue le 6 mars 2012924 : un journaliste de L’Équipe
était poursuivi pour recel de violation du secret professionnel, en l’espèce une violation du
secret médical. Il lui était reproché d’avoir publié dans le quotidien un article faisant état des
résultats « suspects » du bilan sanguin d’un athlète international. Pour être constituée, la
violation du secret professionnel suppose notamment une condition préalable consistant en
une information à caractère secret, recueillie à titre professionnel. La condamnation du
journaliste est confirmée en appel, la cour d’appel de Versailles considérant, sans le dire
expressément et clairement, que l’infraction d’origine était établie parce que la violation du
secret médical ne pouvait être imputée qu’à une personne tenue au secret médical. La
chambre criminelle casse et annule l’arrêt rendu en considérant que la cour d’appel n’avait
pas caractérisé « la révélation d’une information à caractère secret par une personne qui en
aurait été dépositaire ». Si l’information révélée était bien couverte par le secret médical, on
ne saurait considérer que sa divulgation/révélation constitue l’infraction de violation du
secret professionnel dans la mesure où cette dernière ne peut être commise que par une
personne spécifiée, autrement dit appartenant à une liste limitative légalement énoncée. Dans
le même sens, Michel Véron, dans le commentaire qu’il effectue de la décision, estime que
« la détermination de la nature et le contenu du secret révélé, donc recélé, ne saurait suffire à
créer une présomption irréfragable concernant l’auteur de la révélation. L’identification de
cette personne constitue un élément incontournable du recel de violation de secret
professionnel »925. C’est donc logiquement que la Cour suprême a cassé l’arrêt et renvoyé
l’affaire devant la cour d’appel de Paris, à charge pour le parquet d’établir que le journaliste
tenait les informations litigieuses d’un professionnel de santé soumis au secret professionnel.
En d’autres termes, le recel, qui est une infraction de conséquence, suppose, pour être
consommé, l’existence d’une infraction d’origine caractérisée en tous ses éléments
constitutifs, les juges du fond ne pouvant se contenter de relever l’origine nécessairement
frauduleuse des choses recélées.

La Cour de cassation, par un arrêt du 25 juin 2003926, adapte au blanchiment cette


jurisprudence établie depuis longtemps à propos du recel. La démarche est logique puisque
les deux infractions sont très voisines. Il s’agit de deux infractions de conséquence portant
l’une et l’autre sur le produit d’un crime ou d’un délit927. Rappelons que dans le cas du
blanchiment, il s’agit de « blanchir » des biens ou des revenus provenant d’un crime ou d’un
délit, soit par la justification mensongère de leur origine, soit par une opération de placement
ou de dissimulation. Il s’agit donc aussi, en quelque sorte, d’apporter une aide postérieure à
l’auteur d’une infraction. Dans l’affaire jugée, la cour d’appel de Lyon avait relaxé des fins de
la poursuite les auteurs poursuivis du chef de blanchiment de fonds provenant de délits de

924. Cass. crim., 6 mars 2012, no 11-80.801, Bull. crim., no 61, D. 2012. 816, obs. S. LAVRIC ; Dr. pén., 2012,
comm. 68, obs. M. VERON.
925. M. VERON, « La nécessaire identification de la “personne” auteur de la violation du secret », Dr. pén., 2012,
comm. 68.
926. Cass. crim., 25 juin 2003, no 02-86182, inédit, Dr. pén. 2003, comm. 142, obs. M. VERON ; RSC, 2004. 350,
obs. R. OTTENHOF.
927. Cette proximité, souvent mise en avant entre les infractions de recel et de blanchiment, rejaillit
nécessairement sur la relation de la complicité au blanchiment.

192
fraude fiscale, d’escroquerie et de faux, au motif principal que le ministère public n’avait pas
établi de manière précise l’existence des délits supposés avoir procuré les fonds
prétendument blanchis par les prévenus. La Cour de cassation rejette le pourvoi formé par
le procureur général en énonçant que « le délit de blanchiment nécessite que soient relevés
précisément les éléments constitutifs d’un crime ou d’un délit principal ayant procuré à son
auteur un profit direct ou indirect ».
L’arrêt du 25 juin 2003 étend donc au blanchiment, et dans les mêmes termes que la solution
retenue en cas de recel, la nécessité d’établir l’existence de l’infraction d’origine en tous ses
éléments constitutifs. Si l’on peut se féliciter de ces solutions, au regard du respect du principe
de la légalité ainsi que de son corollaire, le principe d’interprétation stricte de la loi pénale928,
nous rappellerons, en considération de l’objectif de cette recherche, qu’elles concernent aussi
des infractions très voisines de la complicité, corroborant implicitement les règles retenues
en ce domaine.
Finalement, nous pourrions alors énoncer une règle générale selon laquelle la répression d’un
acte de complicité accompli a priori – nous visons la complicité au sens strict – ou a posteriori
– nous faisons cette fois allusion au recel et au blanchiment – exige qu’une infraction
préalable soit caractérisée en tous ses éléments constitutifs, et cela qu’il s’agisse de prouver
l’existence de ses éléments préalable929 ou psychologique930. Ce faisant, nous venons
confirmer indirectement la théorie de l’emprunt de criminalité et condamner celle du seul
emprunt de matérialité retenue dans l’arrêt du 8 janvier 2003931.

Pour conclure ce développement relatif à la complicité, nous pouvons affirmer que non
seulement la criminalité d’emprunt correspond à la représentation conceptuelle de la
complicité consacrée par le législateur, mais encore que les inconvénients souvent invoqués
pour glisser vers le seul emprunt de matérialité sont largement atténués par d’autres
alternatives répressives offertes par le droit positif. En outre, les quelques solutions
jurisprudentielles dissidentes procèdent avant tout de la recherche d’un résultat opportun au
regard des circonstances des espèces considérées. Il n’est donc pas incohérent, selon nous,
de puiser dans les règles relatives à la répression de la complicité quelques arguments en
faveur de l’exclusion de l’imputabilité de la constitution de l’infraction.

Cette conclusion, initiée par la démonstration qui précède, va être parachevée par l’analyse
des solutions jurisprudentielles relatives à la répression du complice, lorsque l’auteur principal
bénéficie d’une cause subjective d’irresponsabilité pénale. Il est communément admis que les causes
subjectives d’exonération de la responsabilité pénale bénéficiant à l’auteur principal sont sans
répercussion sur la responsabilité du complice. Comprenons que l’exclusion de la
responsabilité pénale de l’auteur mineur, malade mental ou privé de la liberté de sa volonté

928. On peut également s’en féliciter au regard de la portée très large des incriminations de recel et de
blanchiment. En application des articles 321-1 et 324-1 du Code pénal, les deux infractions doivent porter
l’une et l’autre sur le produit d’un crime ou d’un délit. La Cour de cassation considérant à juste titre qu’elles
peuvent viser n’importe quel crime ou délit, elle ne permet pas aux juges du fond de se dispenser de
caractériser en tous ses éléments constitutifs l’infraction principale et de se contenter de faire référence à
l’origine frauduleuse des biens ensuite recelés ou blanchis.
929. Comme pour le cas du recel dans l’exemple jurisprudentiel étudié.
930. Comme pour les cas de la complicité et du blanchiment dans les exemples jurisprudentiels étudiés.
931. Cf. supra.

193
n’a pas d’incidence sur celle du complice. Une partie de la doctrine se plaît à écrire que
l’explication au maintien de la responsabilité du complice réside dans la nature subjective des
causes d’exonération bénéficiant à l’auteur ou encore que l’irresponsabilité de l’auteur
procède d’une circonstance qui lui est personnelle. Autant de tournures imprécises qui, selon nous,
permettent d’éluder soigneusement les problèmes soulevés par la non-imputabilité et, plus
spécifiquement, par les incidences du défaut d’imputabilité de l’auteur sur la répression du
complice. Il faut préciser que les usagers de la terminologie causes subjectives d’irresponsabilité
pénale932 se prononcent généralement en faveur de l’intégration de l’imputabilité dans la
constitution de l’infraction. Cette terminologie leur permet alors d’autonomiser habilement
la répression de la complicité en la détachant de la question de la constitution ou non de
l’infraction principale. Nous maintenons donc le choix de l’exclusion du recours à cette
terminologie, et ce d’autant que le maintien de la responsabilité du complice s’explique, selon
nous, par l’extériorité des conditions de l’imputabilité à l’infraction, les causes de non-
imputabilité bénéficiant à l’auteur n’affectant plus la responsabilité pénale du complice.

§ 2 - L’indifférence des causes de non-imputabilité


sur la répression de la complicité

Dans le cadre d’un système conceptuel d’emprunt de criminalité, comme le relève François
Rousseau, il y a bien un lien entre « indifférence à la participation et non-appartenance à
l’infraction »933. Autrement dit, si les causes abolissant le discernement ou la liberté de la
volonté de l’auteur ne semblent pas poser de difficulté particulière à l’égard de la répression
d’éventuels participants, c’est que les conditions de l’imputabilité se localisent en dehors de
l’infraction. L’objectif de ce chapitre consistant à démontrer l’extériorité des conditions de
l’imputabilité par rapport à l’infraction, il s’agit maintenant, dans ce développement, de
démontrer l’indifférence des causes de non-imputabilité sur l’infraction principale. Comme
le précise Bernard Bouloc, « lorsqu’il existe une cause subjective de non-responsabilité […]
c’est la responsabilité – et seule la responsabilité de celui chez qui la cause se rencontre – qui
est directement effacée, mais l’infraction elle-même subsiste ; ainsi les coauteurs et les
complices peuvent-ils être poursuivis et punis »934. Il conviendra donc de démontrer que la
répression du complice est indépendante de l’absence de volonté libre (A.) ou de l’absence

932. Et de son pendant, causes objectives…


933. F. ROUSSEAU, L’imputation dans la responsabilité pénale, op. cit., no 50. Précisons toutefois que, si nous
parvenons aux mêmes résultats juridiques que l’auteur, ce dernier ne part pas du même postulat. Il s’agit
en effet, pour lui, de partir de l’extériorité des « conditions de l’imputation à l’agent » par rapport à
l’infraction, et plus précisément de leur rattachement à la responsabilité de l’auteur, afin de conclure à la
répression du complice nonobstant l’absence de l’une ou l’autre de ces conditions chez l’agent. Il
commence en effet son raisonnement par rappeler que l’emprunt de criminalité « doit être circonscrit à la
seule infraction principale et ne s’étend pas aux données relatives à la responsabilité pénale de l’auteur
principal », no 198. Dans le cadre de cette recherche, il s’agit de conclure à l’extranéité des conditions de
l’imputabilité de l’infraction. Pour ce faire, nous démontrons tout d’abord que le droit positif consacre la
criminalité d’emprunt en tant que représentation conceptuelle de la complicité, laquelle implique de
caractériser l’existence d’une infraction, constituée d’un élément matériel et d’un élément psychologique
prenant la forme d’une intention ou d’une imprudence. Il nous importera ensuite de démontrer, au travers
de l’analyse des dispositions légales et jurisprudentielles ainsi que de l’étude de la doctrine, l’indifférence
du défaut d’imputabilité de l’auteur sur la répression du complice.
934. V. BOULOC, Droit pénal général, Dalloz, op cit., no 372.

194
de discernement (B.) de l’auteur principal. Finalement, il sera permis de confirmer
l’indifférence du défaut d’imputabilité de l’auteur par le recours au droit civil des contrats (C.)

A. L’indifférence (relative) de l’absence de volonté libre

Une partie de la doctrine plaide contre l’indifférence de l’absence de volonté libre sur la
constitution de l’infraction, avec les conséquences qui en résultent sur la répression de la
complicité. Selon André Decocq, cela tient au fait qu’« une conduite imposée ne peut être
tenue pour antisociale ; elle ne peut donc être infractionnelle »935. Emmanuel Dreyer en tire
la conséquence logique selon laquelle « l’individu qui s’associe à des faits que leur auteur n’a
pas voulu commettre ne peut être poursuivi comme complice »936. Cependant, il nous
apparaît qu’il est possible d’aller à l’encontre de cette conclusion en nous fondant tant sur
des dispositions législatives que sur des solutions jurisprudentielles.

Dans un premier temps, il est possible de déduire l’indifférence de l’absence de volonté libre
sur la constitution de l’infraction des dispositions législatives, pour ne pas parler de
consécration législative implicite de l’indifférence de l’absence de volonté libre sur la
caractérisation d’une infraction. Nous allons voir que l’on peut en effet considérer qu’en
envisageant la complicité par provocation à l’alinéa 2 de l’article 121-7, le législateur a d’une
certaine manière consacré l’extériorité de la liberté psychologique à l’infraction.
L’article 121-7, alinéa 2 du Code pénal, en disposant qu’« est également complice la personne
qui par don, promesse, menace, ordre, abus d’autorité ou de pouvoir aura provoqué à une
infraction… », couvre l’hypothèse dans laquelle l’auteur principal qui accomplit l’infraction
nécessaire à la répression de la complicité peut néanmoins agir sous l’empire d’une contrainte
morale. Le propre de certains agissements visés au titre de la complicité par provocation,
« menaces », « ordre », « abus d’autorité ou de pouvoir », est d’engendrer des pressions de
nature à constituer une contrainte morale chez la personne qui en est victime. Il leur suffit
pour ce faire de satisfaire aux exigences d’imprévisibilité et d’irrésistibilité937 . L’exégèse de
l’article 121-7, alinéa 2 démontre donc que le législateur n’est pas hostile à la coexistence de
deux qualités opposées, auteur d’une infraction et victime d’une contrainte, en la même
personne. Ainsi, le fait que, dans certaines conditions, des actes de complicité par
provocation soient susceptibles d’être assimilés à une contrainte exonératoire de
responsabilité pour l’auteur principal, sans pour autant faire obstacle à la répression du
complice, démontre, au regard de l’exigence de caractérisation d’une infraction principale en
tous ses éléments constitutifs, l’extériorité de de la liberté psychologique de l’infraction.
Jacques-Henri Robert, dans son article évoqué plus en amont et intitulé « Imputation et
complicité », visait déjà938 en tant que complices « ceux qui, par […] menaces, abus d’autorité
ou de pouvoir [...] ont usé de la contrainte qui n’empêche pas l’intention de se former dans
l’esprit de l’agent de l’auteur matériel et donc permet la qualification de son acte »939. En

935. A. DECOCQ, Droit pénal général, op. cit., p. 203.


936. E. DREYER, Droit pénal général, op. cit., no 1102, p. 802.
937. Cf. supra, titre 1, chapitre I.
938. Comme nous l’avons vu, cet article a été écrit sous l’empire de l’ancien Code pénal, cf. supra.
939. J.-H. ROBERT, « Imputation et complicité », op. cit., no 13.

195
dehors même de toute considération juridique, n’est-il pas logique d’admettre que l’on peut
contraindre quelqu’un à commettre une infraction ?

En résumé, on peut déduire l’extranéité de la composante liberté de l’imputabilité de


l’infraction en se fondant sur un double choix du législatif, celui de la criminalité d’emprunt
en tant que représentation conceptuelle de la complicité, d’une part, et celui de la répression
de la complicité par provocation, qui peut conduire à réprimer le complice de l’auteur
victime d’une contrainte morale, d’autre part.

Dans le prolongement de cette analyse, la doctrine majoritaire prône la même solution en


estimant que l’irresponsabilité pénale de l’auteur en raison d’un événement contraignant
n’interdit pas de condamner le complice. Cependant, elle n’opère pas de distinction au sein
de la contrainte et semble adopter la même solution, qu’il s’agisse de la contrainte physique
ou morale. Or, il convient de souligner que le raisonnement précédent ne s’applique qu’à la
liberté psychologique appréhendée dans son versant négatif, soit la contrainte morale. À
l’inverse, il n’est pas possible d’adopter les mêmes solutions à propos de la contrainte
physique. La « provocation » à l’infraction, par définition, n’est susceptible d’agir que sur le
psychisme de l’individu. L’article 121-7 du Code pénal ne réprime par ailleurs que des actes
de complicité par aide, assistance ou fourniture d’instructions, autrement dit aucun
agissement de nature à venir entraver la liberté de mouvement de l’agent. Cette restriction
à l’indifférence de l’absence de liberté de l’auteur sur la répression du complice rejoint la
conclusion du titre 1er aux termes de laquelle il convient de voir dans la contrainte physique,
non pas une cause de non-imputabilité, mais une cause hybride de non-caractérisation de
l’infraction.

L’examen de la jurisprudence révèle la confirmation de l’indifférence relative de l’absence


de liberté de l’auteur sur la répression du complice.
Comme nous l’avons vu, si la solution doit être approuvée concernant la contrainte morale,
elle doit être écartée s’agissant de la contrainte physique. Ainsi, la jurisprudence, dans le
sillage de notre argumentation, n’a jusqu’à présent autorisé la poursuite d’un complice ayant
participé à un fait principal commis sous l’empire d’une contrainte que dans les cas d’affaires
où la contrainte était d’ordre moral940. Au regard des décisions rendues, l’absence de la seule
liberté psychologique de l’auteur est indifférente à la répression du complice. Bien que la
jurisprudence sur le sujet ne soit pas abondante, cela confirme implicitement notre solution
selon laquelle la contrainte physique doit interdire toute répression au titre de la complicité
et donc l’indifférence relative de l’absence de liberté psychologique sur la complicité. Ainsi,
il convient d’envisager les conséquences de l’absence de discernement de l’auteur sur la
complicité.

940. Cass. crim., 20 oct. 1949, Bull. crim., 1949, no 291; trib. corr. Bobigny, 22 nov. 1972, Gaz. Pal., 1972, 2,
p. 890.

196
B. L’indifférence de l’absence de discernement

L’indifférence de l’absence de discernement de l’auteur principal se vérifie tant à propos de


la répression de la complicité proprement dite (1.) qu’à propos de la répression des
infractions voisines de recel et de blanchiment (2.).

1. La répression du complice d’une infraction commise sans discernement


Peut-on aider ou inciter une personne dépourvue de discernement (jeune enfant) ou dont le
discernement était aboli au moment des faits (aliéné) à commettre une infraction ? Si la
possibilité de caractériser l’existence d’une infraction nonobstant le défaut de discernement
de son auteur a été résolue par l’affirmative dans le titre 1er de cette recherche, lors de l’étude
de « la condition de discernement », il importe maintenant de vérifier cette conclusion par
l’étude du régime de la complicité en l’absence de discernement de l’auteur principal, que
cette absence de discernement procède du jeune âge ou de l’existence d’un trouble mental
aliénant chez l’auteur.

Selon Emmanuel Dreyer, l’absence de discernement de l’auteur est déterminante de


l’impunité du complice. Il invoque deux arguments au soutien de son raisonnement. Le
premier réside dans le fait que « les exemples donnés évoquent trop souvent une simple
altération du discernement, non une abolition totale »941, ce qui, on le comprend, a pour effet
de rendre plus vraisemblable la commission d’une infraction par l’auteur principal. Il est
possible d’opposer à cet argument le fait que, tout au moins dans le cadre de cette étude,
nous distinguons avec application les hypothèses d’altération et d’abolition du
discernement942. En outre, si confusion il y a, c’est le plus souvent au détriment de l’abolition,
les experts psychiatres préférant se placer sur le terrain de l’altération du discernement afin
que les juges puissent plus facilement entrer en voie de condamnation943. Le second argument
consiste à considérer que « l’irrationalité du comportement d’un dément ou d’un infans exclut
que l’on puisse établir à l’égard du prétendu complice soit la volonté de s’associer à un projet
infractionnel préexistant (comment le dément ou l’infans pourrait-il le concevoir ?), soit la
volonté de pousser cet être ingérable à commettre un acte déterminé »944. Il nous apparaît
possible de remettre en cause la pertinence de cet argument en ce qu’il met surtout en
évidence l’impossibilité de caractériser l’existence d’une « entente », élément qui procède plus
de la caractérisation de la complicité stricto sensu que de la constitution d’une infraction
principale. En outre, comme le démontre Carole Girault dans son article consacré à l’étude
du lien de concertation entre l’auteur principal et le complice, pour satisfaire les besoins de
la répression, les règles relatives à la complicité ont progressivement été assouplies, de telle
sorte que le lien de concertation exigé entre l’auteur principal et le complice en vient à être
négligé. Elle démontre ainsi que, « définie comme le fait de s’entendre pour agir ensemble ou
pour préparer une action en commun, la concertation est effectivement présumée en
l’absence d’accord direct entre les principaux protagonistes avant l’action et même ignorée

941. E. DREYER, Droit pénal général, op. cit., no 1102, p. 802.


942. Cf. notamment supra, titre 1, chapitre I, pour des développements consacrés à l’abolition du discernement
et infra, partie 2, titre 1, chapitre I, pour des développements consacrés cette fois à l’altération.
943. Cf. infra partie 2.
944. E. DREYER, Droit pénal général, op. cit., no 1102, p. 802.

197
lorsque l’auteur et le complice n’ont matériellement pas eu la possibilité ou la volonté de
s’entendre et de s’associer »945. Aussi, si l’on considère malgré tout que cette absence de
discernement est susceptible de venir entraver la répression du complice, son impunité
procèderait davantage du défaut de l’un de ses éléments spécifiques caractérisé par le lien de
concertation – l’infraction préalable restant, quant à elle, caractérisée en tous ses éléments
constitutifs.

Quoi qu’il en soit, la doctrine retient majoritairement l’indifférence de l’absence de


discernement, qu’elle procède du jeune âge de l’auteur ou de l’existence d’un trouble mental
aliénant, sur la répression de la complicité. Dans le cas de la maladie mentale, elle enseigne
spécifiquement que l’existence d’un trouble mental, exonérant l’auteur principal, ne fait pas
obstacle à la répression du complice946. Frédéric Desportes et Francis Le Gunehec précisent
clairement cette idée dans les termes suivants :

L’irresponsabilité pénale pour trouble mental ne supprime pas l’existence de l’infraction.


Demeurent ainsi punissables les éventuels complices de l’irresponsable, et notamment
les personnes qui ont pu profiter de son absence de discernement pour lui faire
commettre, à leur profit, les actes incriminés.947

S’agissant de la minorité, la doctrine fait le plus souvent le détour par « l’étude du délinquant »
ou des « circonstances personnelles à l’auteur »948. Yves Mayaud illustre clairement ce courant
dans son ouvrage de droit pénal général en considérant que « les causes dites “subjectives”
sont toutes les circonstances se soldant par une impunité personnelle à l’auteur d’une
infraction. […] Elles se caractérisent par une portée in personam, et il est normal que le
complice ne puisse en avoir les effets, sauf à y prétendre individuellement »949. Marie-Laure
Rassat, après avoir évoqué une classification des causes d’irresponsabilité pénale motivée par
des impératifs pédagogiques, et aux termes de laquelle elle rattachait notamment la minorité

945. C. GIRAULT, « Le relâchement du lien de concertation entre l’auteur principal et le complice », D., 2008,
p. 1714.
946. R. BERNARDINI, Droit pénal général : introduction au droit criminel, théorie générale de la responsabilité pénale, op. cit.,
no 485 ; B. BOULOC, Droit pénal général, op. cit., no 350, p. 311 et 312 ; P. CONTE et P. MAISTRE DU
CHAMBON, Droit pénal général, A. Colin, 7e éd., 2004, no 412 ; Y. MAYAUD, Droit pénal général, op. cit., no 385,
p. 450 ; R. MERLE et A. VITU, Traité de droit criminel – Droit pénal général, op. cit., no 546 ; J. PRADEL, Droit
pénal général, op. cit., no 507 ; M.-L. RASSAT, Droit pénal général, op. cit., no 405, p. 425 ; J.-H. ROBERT, Droit
pénal général, PUF, 6e éd., 2005, p. 356 et 357.
947. F. DESPORTES et F. LE GUNEHEC, Droit pénal général, op. cit., no 394.
948. Rappelons que, dans le cadre de cette étude, cette désignation de certaines causes d’exonération de la
responsabilité pénale n’est pas adoptée, car nous considérons qu’elle a notamment pour effet d’éluder la
question épineuse de la place de l’imputabilité au sein de la théorie de la responsabilité pénale tout en
permettant de se soustraire aux conséquences juridiques qui en découlent. Plus généralement, cette
terminologie présente un caractère inapproprié à la localisation des différents éléments de la responsabilité
pénale. Prenons l’exemple des mobiles qui constituent par excellence des « circonstances personnelles à
l’auteur ». Pour autant, nous avons démontré dans le premier titre (cf. supra, titre 1, chapitre I) qu’ils
pouvaient, dans certaines hypothèses, entrer dans la constitution de l’élément psychologique de
l’infraction et qu’ils ne se rattachaient donc pas systématiquement à « l’étude du délinquant » –
comprenons à celle de la mise en œuvre de sa responsabilité pénale.
949. Y. MAYAUD, Droit pénal général, op. cit., no 385, p. 449. Est-il besoin de rappeler que l’auteur souscrit à
l’antériorité d’un débat sur l’imputabilité, et qu’en se plaçant sur le terrain des « circonstances
personnelles », il peut ainsi se soustraire aux conséquences juridiques de son choix conceptuel sur la
répression de la personne du complice.

198
à des « personnes à l’évidence particulières », concède néanmoins que « cette présentation
[…] dans une analyse juridique plus fine, [semble] devoir être écartée »950. Dans une seconde
approche, elle considère alors que dans l’hypothèse de la minorité de l’auteur, « nous sommes
en présence d’une infraction entièrement constituée mais dont l’auteur ne répondra pas […]
parce que le législateur en a décidé ainsi »951. De la sorte, la répression du complice est
juridiquement justifiée nonobstant la minorité de l’auteur.

L’indifférence jurisprudentielle aux causes abolissant le discernement sur la complicité, qu’il


s’agisse de réprimer le complice d’un auteur majeur atteint d’un trouble mental aliénant ou
d’un mineur non encore pourvu de discernement, vient faire écho à la position de la doctrine
majoritaire. Ainsi, la jurisprudence admet la répression du complice d’une infraction commise
sans discernement. Par exemple, la chambre criminelle de la Cour de cassation a-t-elle
considéré que le non-lieu accordé à l’auteur d’un viol, en raison de son état mental,
n’interdisait pas de condamner l’instigateur de ce crime sur le fondement de la complicité952.
Semblablement, lorsque l’absence de discernement de l’auteur principal résulte de sa
minorité, des juges du fond ont estimé que les actes délictueux commis par des mineurs, quel
que soit leur âge, ne perdent pas leur caractère de crime, de délit ou de contravention953.

Plus généralement, on peut donc être complice d’une infraction commise par un dément, un
mineur dépourvu de discernement ou une personne victime d’une contrainte morale. Dans
ces diverses hypothèses, l’existence de l’infraction n’est majoritairement pas niée. Si cette
conclusion peut encourir le reproche d’une objectivation du comportement du dément ou
de l’infans, est-elle vraiment condamnable alors que la responsabilité pénale des intéressés ne
pourra être engagée ? Quoi qu’on en pense, elle est, une fois encore, confirmée par l’étude
des solutions retenues dans le domaine des infractions voisines de recel et de blanchiment.

2. La confirmation des solutions par les infractions de recel et de blanchiment


Il conviendra de poursuivre ce développement par un détour par les solutions retenues en
matière de recel et de blanchiment. Après examen de la jurisprudence, il suffit d’une manière
générale que l’infraction d’origine soit simplement punissable pour entrer en voie de
condamnation pour recel ou blanchiment. Ce postulat laisse augurer de solutions identiques
à celles retenues en matière de complicité en cas d’absence du discernement ou de contrainte
irrésistible affectant l’auteur principal. D’une manière plus particulière, la jurisprudence
considère en effet, à l’instar des solutions retenues en matière de complicité, que le fait que
l’auteur de l’infraction d’origine soit impuni pour une raison de fait ou de droit ne fait pas
obstacle à la répression du recel ou du blanchiment. Par exemple, concernant le recel, la

950. M.-L. RASSAT, Droit pénal général, op. cit., no 331, p. 356.
951. Loc. cit.
952. Cass. crim., 13 mars 1991, no 90-83913, Bull. crim., 1991, no 125. Il s’agissait plus précisément d’admettre
la complicité par instructions données d’un individu qui avait poussé un frère handicapé mental,
bénéficiant à ce titre d’un non-lieu, à violer sa sœur. La juridiction suprême considéra que nonobstant le
handicap mental de l’agent, l’infraction de viol aggravé était bien caractérisée – le viol était aggravé par
caractère particulièrement vulnérable de la victime en raison d’une déficience physique ou mentale. Dans
le même sens Cass. crim., 16 juin 1887, Bull. crim.,1887, no 221.
953. Aix-en-Provence, 11 juillet 1968, Gaz. pal., 1968, 2, p. 316. Également, Cass. crim., 27 nov. 1847, DP 1846,
4, no 94 ; 12 oct. 1882, Bull. crim., 1882, no 233.

199
chambre criminelle de la Cour de cassation considère que la punition effective de l’auteur
principal importe peu, du moment que l’existence du crime ou du délit fondamental est
constatée954. Ainsi, le recel est constitué même si l’auteur de l’infraction d’origine est
décédé, en fuite ou inconnu955. Peu importe également que l’infraction principale soit
couverte par la prescription 956 ou que l’auteur de l’infraction originaire soit couvert par
l’immunité familiale957. L’indifférence d’une répression effective de l’infraction principale
plaide, dans le prolongement de ces solutions, pour la répression du recel en l’absence
d’imputabilité de l’auteur de l’infraction d’origine. C’est ainsi qu’il est possible de faire état
de décisions retenant le recel, nonobstant le défaut d’imputabilité de l’auteur de l’infraction
d’origine, la chambre criminelle ayant déjà jugé qu’il importait peu, au regard de la
répression du recel, que le prévenu ait bénéficié d’une décision de relaxe en raison de
troubles psychologiques ou de son jeune âge 958.

Finalement, « la seule limite au pouvoir des juges tient à l’obligation qui leur est faite de
caractériser l’infraction et d’en relever les éléments constitutifs. Ils ne peuvent se contenter
de mentionner que les objets recelés ont une origine suspecte sans encourir la censure de
la Cour de cassation »959. La chambre criminelle a notamment fait application de cette
jurisprudence en matière de blanchiment à l’occasion d’un arrêt rendu le 25 juin 2003, aux
termes duquel elle considère que « le délit nécessite que soient relevés précisément les
éléments constitutifs d’un crime ou d’un délit principal ayant procuré à son auteur un profit
direct ou indirect, et que l’élément intentionnel de l’infraction, caractérisé par la
connaissance de l’origine délictueuse des fonds, soit établi 960. S’il n’existe pas, à notre
connaissance, de décisions plus spécifiques réprimant le blanchiment d’une infraction
commise par une personne non imputable, le fait est que la doctrine semble unanime à
considérer que « comme pour le recel, il importe peu que l’auteur de l’infraction originaire
soit poursuivi ou sanctionné. Il est donc indifférent qu’il soit en fuite, ou bénéficie d’une
immunité personnelle ou d’une cause de non-imputabilité »961.

L’identité des solutions, notamment jurisprudentielles, concernant les infractions de recel


et de blanchiment, deux infractions voisines de la complicité, vient conforter les solutions
rendues en matière de complicité et donc l’extériorité des conditions de l’imputabilité à
l’infraction. Prolongeant plus loin encore le raisonnement, même hors de la sphère pénale,
nous clôturerons ce développement par une brève incursion dans le droit civil des contrats.

954. Cass. crim., 9 nov. 1965, no 65-90659, Bull. crim., no 227.


955. Cass. crim., 7 mai 1942, Bull. crim., no 56.
956. Cass. crim., 16 juill. 1964, Bull. crim., no 241.
957. Cass. crim., 7 mai 1942, préc. Si cette solution est similaire à certaines rendues en matière de complicité,
nous rappellerons simplement que dans le cas particulier de l’immunité familiale, nous trouvons l’impunité
du complice ou du receleur contestable, puisque cette immunité devrait s’analyser en une immunité
procédurale.
958. Cass. crim., 26 déc. 1924, Bull. crim. 1924, no 426. Cf. également Cass. crim., 9 févr. 1956, Bull. crim. 1956,
no 148 ; JCP G 1956, II, 9574, note J. LARGUIER ; D. 1956, 501, note M.R.M.P. (cf. Cass. crim.,
4 janv. 1963, no 62-91.693, Bull. crim. 1963, no 5).
959. A. LEPAGE, P. MAISTRE DU CHAMBON et R. SALOMON, Droit pénal des affaires, 4e éd., Litec, 2015, no 377.
960. Cass. crim., 25 juin 2003, no 02-86.182, inédit, Dr. pén., 2003, comm. 142, obs. M. VERON ; RSC, 2004,
p. 350, obs. R. OTTENHOF.
961. A. LEPAGE, P. MAISTRE DU CHAMBON et R. SALOMON, Droit pénal des affaires, op. cit., no 417.

200
C. La confirmation de l’indifférence du défaut d’imputabilité de l’auteur par le recours
au droit civil des contrats

Il nous apparaît possible de justifier « l’indifférence sur la participation », autrement dit la


répression du complice malgré le fait que l’infraction principale ait été commise par une
personne dépourvue d’imputabilité, en faisant le parallèle avec le droit civil des contrats, plus
particulièrement avec les règles concernant l’effet relatif du contrat prévu par l’ancien
article 1165 du Code civil962. Le raisonnement à suivre est construit en application de cet ancien
article. Aux termes de celui-ci, « les conventions n’ont d’effet qu’entre les parties contractantes ;
elles ne nuisent point au tiers, et elles ne lui profitent que dans les cas prévus par l’article 1121 ».
Cependant, comme le précise Luc Grynbaum, il existe des interactions entre le contrat et les
tiers, de sorte que « le contrat existe bel et bien à l’égard des tiers, c’est une situation juridique
qui est opposable aux tiers comme un fait juridique. Les tiers doivent donc s’abstenir d’aider à
la violation du contrat »963, encore moins « provoquer » à cette violation pourrions-nous
ajouter. Il est possible de distinguer deux types de tiers au contrat : les tiers absolus et les tiers
relatifs. Comme le rappelle Luc Grynbaum, « le tiers absolu est le tiers qui n’est tenu par aucun
lien avec les contractants »964 et « on entend par tiers relatifs les ayants cause à titre particulier
et les créanciers chirographaires de l’une des parties au contrat »965.

Il semble possible d’adapter à la matière pénale et au cas particulier qui nous intéresse une
théorie de l’effet relatif du contrat social. Les parties mises en présence seraient l’auteur de
l’infraction et le ministère public, alors que le complice pourrait être rangé dans la catégorie
des tiers absolus. La problématique de l’effet relatif du contrat social pourrait se résumer en
ces termes : il s’agirait pour le parquet, en tant que représentant de la société, d’opposer au
complice le contrat social liant l’auteur principal à la société. Par conséquent, l’infraction
commise et provoquée, caractérisant une violation du contrat social, serait également
opposable au complice de mauvaise foi et produirait des effets répressifs à son égard.
Autrement dit, il serait possible d’opposer au complice (tiers absolu au contrat social conclu
entre l’auteur principal et la société) la violation de ce contrat, afin d’engager sa responsabilité
pénale. À l’objection éventuelle tirée de l’annulation rétroactive du contrat social pour défaut
d’imputabilité de l’une des parties, on pourrait opposer une solution inspirée de la théorie du
mariage putatif, qui permet entre époux de bonne foi ou à l’égard des enfants issus de l’union
de faire produire les effets du mariage quand bien même celui-ci aurait été annulé966, et
considérer que le contrat conclu entre l’auteur et la société constitue une sorte de contrat
social putatif967 à l’égard du complice de mauvaise foi968.

962. Depuis l’entrée en vigueur de l’ordonnance no 2016-131 du 10 février 2016, l’ancien article 1256 est devenu
l’article 1199 nouveau et l’ancien article 1121 n’existe plus. Aux termes de l’article 1199 nouveau du Code
civil : « Le contrat ne crée d’obligations qu’entre les parties. Les tiers ne peuvent ni demander l’exécution
du contrat ni se voir contraints de l’exécuter, sous réserve des dispositions de la présente section et de
celles du chapitre III du titre IV. »
963. L. GRYNBAUM, Les Obligations – Droit civil, Hachette Éducation, 2e éd., 2007, no 277.
964. Ibid., no 278.
965. Ibid., no 281.
966. C. civ., art. 201 et 202.
967. On répute en quelque sorte le contrat social valablement formé.
968. Ou encore, on pourrait imaginer opposer l’existence virtuelle de l’infraction à son auteur pour lui faire
produire des effets formels, symboliques (sorte de force obligatoire [art. 1134, al. 1er du Code civil] du

201
L’examen de la jurisprudence civile vient confirmer l’applicabilité d’une théorie de l’effet
relatif du contrat social à la justification de la sanction du complice. Par exemple, il a été
décidé très tôt, s’agissant des contrats faisant naître des droits de créance – droits de créance
que l’on peut qualifier de réciproques dans le cadre du contrat social –, « que les tiers avaient
un devoir d’abstention. Ils ne doivent pas se rendre complices de la violation du contrat.
Cette complicité est par ailleurs sanctionnée par une responsabilité délictuelle et non
contractuelle »969. Cette solution est cohérente au regard de notre argumentation et vient par
ailleurs corroborer le fait que l’acte de complicité ne saurait consister en une abstention970 à
moins que cette dernière ait été convenue à l’avance971.

En conclusion, la théorie de l’emprunt de criminalité, représentation conceptuelle de droit


positif en matière de complicité, combinée à la jurisprudence établie relativement à la
répression du complice d’un acte commis par une personne non-imputable – qu’il s’agisse
d’un aliéné, d’un mineur ou d’une personne contrainte psychologiquement – conduit à
conclure à l’extériorité des conditions de l’imputabilité à l’infraction ainsi qu’à leur
rattachement subséquent exclusif à la responsabilité.

Section 2 – La complémentarité fonctionnelle des composantes de la


responsabilité pénale
Si les rapports étroits entretenus entre la culpabilité et l’imputabilité contribuent à une bonne
administration de la justice, c’est que la complémentarité substantielle des deux composantes
de la responsabilité pénale trouve un écho tout aussi essentiel sur le plan fonctionnel.
Précisément, les fonctions des données subjectives de la responsabilité pénale sont
conditionnées par leur place respective dans la théorie de la responsabilité pénale. Cette
cohérence se trouve d’abord vérifiée au regard du rôle de l’imputabilité. Le fait que
l’imputabilité soit extérieure à la constitution de l’infraction la prive de toute fonction
directement découlant directement de cette dernière ; son rôle est exclusivement en lien avec
la responsabilité pénale (§ 1). On retrouve la même cohérence s’agissant des fonctions de la
culpabilité dont certaines sont en lien direct avec l’infraction et d’autres avec la responsabilité
pénale (§ 2).

contrat putatif conclu entre l’État et le non-imputable) et l’existence réelle de l’infraction à d’éventuels
complices pour sanctionner leur participation à l’infraction.
969. L. GRYNBAUM, op. cit., no 279 ; Cass. com., 11 oct. 1971, no 70-11892, Bull. com., no 237, D. 1972, p. 120 ;
cass. civ. 1re, 26 janv. 1999, no 96-20782, Bull. civ. I, no 32 ; RTDciv. 1999, p. 405.
970. » Les actes de complicité prévus par la loi sont tous des actes positifs, si bien que la complicité par
abstention est à titre impunissable. » (Cass. crim., 26 oct. 1912, S. 1914, I, 225, note ROUX ; 15 janv. 1948,
S. 1949, I, 81, note A. LÉGAL.
971. La jurisprudence n’hésite pas à réprimer la passivité, lorsqu’elle procède de la collusion. Par exemple :
Cass. crim., 10 nov. 1971, no 69-92.308, Bull. crim., no 307 : « Est considéré comme complice l’expert-
comptable qui tient irrégulièrement la comptabilité d’un commerçant déclarée ultérieurement en état de
cessation des paiements. » (Cass. crim., 15 janv. 1979, no 77-90.394, Bull. crim., no 21 ; Cass. crim., 19 déc.
1989, no 89-82.550, inédit, D. 1990. 198, note D. MAYER ; RSC, 1990. 775, obs. A. VITU.)

202
§ 1 - Le rôle de l’imputabilité en lien avec son rattachement exclusif
à la responsabilité pénale

En raison de l’extériorité de l’imputabilité par rapport à l’infraction, les informations


relatives à l’imputabilité ne sont pas utiles à sa caractérisation. Cependant, en agissant sur
l’imputation de l’infraction, ces dernières conditionnent la mise en œuvre de la
responsabilité pénale. L’infliction d’une sanction constitue en principe la conséquence
naturelle de l’engagement de la responsabilité pénale. En ce que le contenu de l’imputabilité
renvoie à l’existence d’un discernement et d’une liberté psychologique suffisants du sujet,
la notion peut donc s’analyser en une capacité-condition à la mise en œuvre de la sanction
pénale et, plus particulièrement, en une aptitude psychologique du délinquant à la sanction.
Il nous importera de déterminer ce que recouvre exactement cette expression. Nous allons
établir qu’elle inclut dans son champ d’application « l’aptitude à mériter la sanction »972 –
en d’autres termes, une aptitude psychologique autorisant le prononcé d’une sanction,
renvoyant à la fonction traditionnelle de fondement de la responsabilité pénale (A.). En
revanche, elle ne saurait englober « l’aptitude à profiter de la sanction pénale »973, autrement
désignée en doctrine sous l’expression de « capacité pénale » (B.).

A. La fonction traditionnelle de fondement de la responsabilité pénale

L’imputabilité s’analyse donc en une capacité-condition à la mise en œuvre de la


responsabilité pénale renvoyant plus précisément à une aptitude psychologique autorisant
le prononcé d’une sanction pénale. Pour cette raison, il est souvent écrit, en doctrine,
qu’elle confère une valeur éthique à la responsabilité pénale (1.). Dans le même temps, elle
participe de cette mécanique implacable voulant qu’un individu imputable voit aussitôt sa
responsabilité engagée avec, à la clef, la forte probabilité de se voir infliger une sanction
pénale. L’émergence de mouvements d’individualisation subjective de la sanction pénale
est venue opportunément enrichir cette fonction traditionnelle de l’imputabilité (2.).

1. L’imputabilité en tant qu’aptitude psychologique autorisant le prononcé d ’une


sanction pénale
La fonction traditionnelle de l’imputabilité, toujours d’actualité, consiste à fonder la
responsabilité pénale. Il suffit pour s’en convaincre de consulter les articles 122-1, 122-2
et 122-7 du Code pénal qui commence l’énumération des conditions propres à chaque
cause de non-imputabilité par l’expression « N’est pas pénalement responsable la personne
qui… »974. Roger Merle et André Vitu rappellent que « la doctrine professe habituellement
que l’existence d’une infraction objectivement punissable et la constatation de la culpabilité
du délinquant ne suffisent pas à entraîner la responsabilité pénale de l’agent. Il faut encore
que cet agent soit “imputable”, autrement dit qu’il possède l’aptitude à “répondre”

972. Selon l’expression empruntée à Roger Merle et André Vitu.


973. Idem.
974. Rappelons, conformément aux développements qui précèdent, que l’imputabilité n’entre pas dans la
constitution de l’infraction – son absence fait donc entrave, non pas à la caractérisation de l’infraction,
mais directement à l’existence de la responsabilité pénale.

203
pénalement des conséquences de son comportement délictueux : l’aptitude à la
sanction »975. La conséquence naturelle de la mise en œuvre de la responsabilité pénale
réside donc dans l’infliction d’une sanction. Comme nous l’avons précédemment rappelé,
en tant qu’elle suppose la réunion de deux qualités subjectives relatives à l’existence d’un
discernement et d’une liberté psychologique suffisants de l’agent, l’imputabilité peut
s’analyser en l’exigence d’une aptitude psychologique à la sanction pénale. Ce qui pose
question, c’est la consistance de ce lien. Dans son acception classique, inscrite dans le cadre
d’une conception quasi exclusivement rétributive de la responsabilité pénale, retenant
l’automaticité du lien entre responsabilité et peine, l’aptitude psychologique à la sanction
se limite à « l’aptitude à mériter la sanction »976. Elle peut donc s’analyser en une capacité-
condition à la mise en œuvre de la conséquence naturelle de l’engagement de la
responsabilité pénale.

Ainsi, en considération de la finalité essentiellement punitive du droit pénal classique, il est


compréhensible que les qualités composant l’imputabilité soient exigées pour que tout
individu puisse voir sa responsabilité pénale engagée 977 – particulièrement lorsque l’on
considère le fait que l’acception objectivée de la culpabilité ne fait techniquement pas
obstacle à la caractérisation d’une infraction à l’encontre d’un jeune mineur ou d’un majeur
aliéné. Selon Claire Saas, « l’imputabilité permettrait de reconnaître la légitimité de
l’intervention du système et de la sanction pénaux »978. Dans le même sens, Patrice Jourdain
considère que « l’imputabilité n’est autre que la traduction juridique des sentiments de
commisération et de la mansuétude qu’inspire à la collectivité la personnalité du
responsable. Reflet de la sensibilité sociale, la fonction de l’imputabilité consiste à limiter
la responsabilité en faisant obstacle, en son absence, à l’application de la sanction prévue
au responsable désigné par son action »979. En résumé, l’imputabilité constitue « le degré
liminaire au-dessous duquel le comportement délictueux ne saurait relever du droit
pénal »980. En l’absence d’imputabilité, la sanction est inconcevable. La responsabilité
pénale se voit donc conférer, par le truchement du concept d’imputabilité, une dimension
humaniste. Cependant, dans le même temps, l’imputabilité participe de cette mécanique
implacable voulant qu’un individu imputable voit aussitôt sa responsabilité pénale
reconnue avec, à la clef, la forte probabilité de se voir infliger une sanction pénale.
L’émergence de mouvements subjectifs d’individualisation de la sanction pénale a permis
de tempérer la fonction traditionnellement rétributive de la responsabilité pénale.

975. R. MERLE et A. VITU, Traité de droit criminel – Droit pénal général, op. cit., no 616, p. 772.
976. Selon l’expression de Roger Merle et André Vitu.
977. Si le droit pénal classique a notamment pour mission de sanctionner les abus de la liberté, il est juste
d’exiger que cet abus soit reprochable.
978. C. SAAS, L’ajournement du prononcé de la peine. Césure et recomposition du procès pénal, Dalloz, 2002, no 173-1,
p. 183.
979. P. JOURDAIN, « Retour sur l’imputabilité », in Les droits et le droit, mélanges dédiés à Bernard Bouloc, Dalloz,
2006, p. 517.
980. G. LEVASSEUR, « L’élément moral de la responsabilité pénale », in Travaux du Colloque de science criminelle de
Toulouse sur « La confrontation de la théorie générale de la responsabilité pénale avec des données de la criminologie »,
Dalloz, 1969, p. 994.

204
2. La fonction traditionnelle de l’imputabilité enrichie à la faveur de l’émergence
de mouvements d’individualisation subjective de la sanction pénale
La dimension éthique de l’imputabilité se comprend donc aisément dans la logique d’un
système de responsabilité orienté exclusivement vers la sanction de l’acte délictueux. Mais,
précisément, à la faveur de critiques dirigées contre « la rigueur logique d’une telle
construction de la responsabilité »981, qui veut que « l’adulte imputable est inéluctablement
justiciable d’une peine attachée par la loi à l’infraction qu’il a commise »982, des mouvements
d’individualisation subjective de la sanction pénale ont vu le jour en doctrine983. Il est permis
de mettre en exergue la tentative infructueuse des néoclassiques de la Restauration. Tout en
souscrivant au postulat de la relativité de la liberté humaine, ils devaient néanmoins maintenir
l’automaticité du lien entre responsabilité et peine. Cela les conduisit à ne développer qu’une
sorte d’« arithmétique répressive »984, « en restant aveugles à l’importance de la personnalité
du délinquant et en favorisant, à l’inverse, la prise en considération d’éléments strictement
objectifs comme les circonstances aggravantes ou atténuantes ou le passé pénal du
délinquant »985. Suivra, à la faveur de l’apparition de nouvelles sciences humaines à la fin du
XIXe siècle – à l’instar de la psychiatrie, de la psychologie et de la sociologie – une
individualisation subjective de la sanction répressive, cette fois par le prisme d’une approche
scientifique de la personne du délinquant. Cette dernière, impulsée par les positivistes986, a
notamment abouti à l’émergence du concept doctrinal de capacité pénale. Comme le précise
André Giudicelli dans l’article précité, plusieurs auteurs s’en sont emparés « sur un ton très
différent », à l’instar de Raymond Saleilles dans son ouvrage consacré à l’individualisation de
la sanction pénale. Si, comme le relève Clément Margaine, « l’expression même de « capacité
pénale » […] apparaît pour la première fois à la fin du XIXe siècle, sous la plume de
Saleilles »987, le concept a suscité un engouement très important en doctrine dans la seconde

981. R. MERLE et A. VITU, Traité de droit criminel – Droit pénal général, op. cit., no 616, p. 774.
982. Ibid., no 617, p. 776.
983. Déjà, en réaction au système des peines fixes du Code pénal de 1790, le Code de 1810 avait opté pour une
individualisation objective et judiciaire strictement encadrée par le législateur. L’individualisation
consacrée par le Code napoléonien demeurant encore très limitée – le législateur avait conservé en matière
criminelle le système des peines fixes sans prévoir une quelconque possibilité d’atténuation –, la loi du
28 avril 1832 est venue généraliser le bénéfice des circonstances atténuantes à toutes les infractions
pénales. Suivront, avec des retombées en législation, deux mouvements humanistes d’individualisation de
la sanction, le mouvement néoclassique – représenté par Louis-Philippe Guizot, Pellegrino Rossi ou
Joseph-Louis Ortolan – qui chercha à concilier la fonction rétributive classique et l’utilitarisme en matière
pénale et l’École pénitentiaire qui, dans le but de favoriser l’amendement du condamné, tendra à
développer une individualisation subjective de la sanction en cours d’exécution, et particulièrement en
matière carcérale, où elle préconisera la mise en place d’un régime pénitentiaire individualisé et progressif.
984. Selon l’expression critique empruntée à Marc Ancel.
985. Cf. A. GIUDICELLI, « Évolutions, mutations, nouveaux horizons du droit pénal : un guide de lecture », in
M. MASSE, J.-P. JEAN et A. GIUDICELLI (dir.), Un droit pénal postmoderne ? Mise en perspective des évolutions et
ruptures contemporaines, op. cit. Les néoclassiques, mettant en application la célèbre formule de Pellegrino
Rossi aux termes de laquelle il faut punir « pas plus qu’il n’est juste pas plus qu’il n’est utile », ne parvinrent
pas à corriger la mécanique par trop abstraite du droit pénal classique en développant « une sorte de
mécanique rétributive propice au juridisme et très éloignée des réalités criminologiques » (ibid).
986. L’individualisation des positivistes italiens est fondée sur le concept de dangerosité sociale, la défense de
la société étant alors placée au cœur des préoccupations du droit pénal.
987. Pour de plus amples développements sur la question de la genèse du concept théorique de capacité pénale,
cf. C. MARGAINE, 2011, no 342 et suiv. La définition de la capacité pénale par Raymond Saleilles :
l’aptitude psychologique d’un délinquant à la sanction.

205
moitié du XXe siècle, en grande partie grâce à la définition qu’en ont donné Roger Merle et
André Vitu. Selon les auteurs :

Tandis que l’imputabilité est un concept juridique qui traduit la recherche de la sanction
méritée par le délinquant au jour où il a commis l’infraction, la capacité pénale est un
concept criminologique qui résume l’aptitude d’un délinquant à profiter de la sanction
après son jugement.988

Les « néoclassiques nouveaux », en prônant ainsi un modèle réhabilitatif, resocialisant de


responsabilité pénale, impliquant la coupure du lien entre responsabilité et sanction, n’ont-ils
pas induit une mutation du concept d’imputabilité ? Un glissement vers « une perspective
très moderniste et nullement métaphysique »989 de l’imputabilité ?

B. L’imputabilité à l’épreuve de la capacité pénale

L’appréhension de la capacité pénale en tant qu’aptitude psychologique à profiter de la


sanction pénale soulève la question d’une mutation du concept d’imputabilité à la faveur des
rapports entretenus entre les deux notions. Trois cas de figure sont envisageables. La capacité
pénale vient-elle, a maxima, éclipser l’imputabilité ? Est-elle susceptible, a minima, de venir
complémenter l’imputabilité ? Ou, à l’inverse, l’imputabilité a-t-elle absorbé le concept de
capacité pénale ? Chacun de ces courants a trouvé un écho en doctrine (1.). L’exclusion d’une
substitution de la capacité pénale à l’imputabilité peut cependant se déduire de
l’incompatibilité entre le concept de capacité pénale et la permanence du caractère rétributif
de la responsabilité pénale (2.). L’exclusion d’une absorption de la capacité pénale par
l’imputabilité devra tout autant être écartée en raison de la consécration du principe de
l’individualisation de la sanction pénale, ce dernier venant concurrencer la capacité pénale en
présence d’un délinquant « sain d’esprit » (3.).

1. L’hétérogénéité doctrinale
La Défense sociale nouvelle « peut […] être considérée comme la première véritable tentative
de la doctrine française d’intégrer en droit criminel le concept de capacité pénale à la
sanction »990. La place particulière accordée au délinquant, et plus précisément à sa
personnalité, peut en effet s’analyser en une consécration implicite de la notion de capacité
pénale. Pour s’en convaincre, il suffit de consulter les écrits de Marc Ancel, dont un de ses
article paru en 1964. Aux termes de cet article, « la responsabilité n’est pas autre chose qu’une
prise de conscience par l’individu de sa personnalité » et « la personnalité de l’individu est la
mesure de ce que l’on appelle parfois aujourd’hui souvent sa capacité pénale »991. De manière
peut-être plus explicite encore, on retrouve la même idée dans son ouvrage intitulé La Défense
sociale nouvelle. Selon l’auteur, « Si la responsabilité ainsi envisagée est l’expression de la

988. R. MERLE et A. VITU, Traité de droit criminel – Droit pénal général, op. cit., no 617, p. 774.
989. R. MERLE, « Confrontation du droit pénal classique et de la défense sociale », RSC, 1964, p. 731.

990. C. MARGAINE, 2011, no 416.


991. M. ANCEL, « La responsabilité pénale : le point de vue juridique », RICPT, 1964, p. 268.

206
personnalité, elle est aussi la mesure de sa capacité pénale »992. Il résulte de ces quelques lignes
que la capacité pénale peut être envisagée comme un outil conceptuel permettant au juge de
déterminer la mesure la plus adaptée à la personnalité du délinquant ; elle participe d’une
individualisation subjective de la sanction pénale. Dans un article consacré à la place de
l’imputabilité dans les doctrines de Défense sociale, Christine Lazerges conclut cependant
que le discours implicite de la Défense sociale nouvelle implique la volonté de remplacer le
concept d’imputabilité par celui de capacité pénale993. Un argument au soutien de cette
conclusion pourrait résider dans le concept de la justice pénale, et plus particulièrement de la
responsabilité pénale, développé par les promoteurs de ce mouvement doctrinal. La justice
pénale n’étant plus justicière mais conçue avant tout comme une action sociale, il s’agit
d’« introduire dans l’action sociale de la justice criminelle une véritable “pédagogie de la
responsabilité”, entreprise dès le premier jour du procès, poursuivie tout au long de la
procédure, et qui, au terme du traitement pénitentiaire, développera chez le délinquant la
notion d’un devoir de l’homme envers ses semblables, et d’une conduite en rapport avec le
sentiment intime et collectif de sa responsabilité »994. Comme le synthétise Roger Merle, « en
somme le concept de responsabilité morale n’est ni le postulat ni le point de départ de la
construction du droit criminel, il est envisagé comme le point d’arrivée, le but terminal de l’action
sociale anticriminelle »995. À notre sens, et comme certains ont pu le prétendre, il est légitime de
considérer que « la Défense sociale nouvelle entend éliminer les notions de responsabilité, de
faute, ou de libre arbitre »996. Notamment, si la responsabilité constitue le point final de
l’action sociale de la justice criminelle, c’est que, par voie de conséquence, l’imputabilité ne
détermine plus le seuil d’intervention du droit pénal et, ce faisant, elle ne remplit plus la
fonction garantiste qui est la sienne.
Contrairement au courant doctrinal de la Défense sociale nouvelle qui était donc favorable
au remplacement pur et simple du concept d’imputabilité par celui de capacité pénale, Roger
Merle et André Vitu, après avoir vraisemblablement dans un premier temps confondu
imputabilité et capacité pénale, ont opté pour la cohabitation des notions, avant même, pour
finir, de se prononcer en faveur de l’absorption de la capacité pénale par l’imputabilité. En
témoigne l’évolution, au fil des éditions, du plan adopté dans leur traité de droit criminel et
de droit pénal général. Ainsi, alors que dans la première édition de leur traité, ils abordaient
les questions relatives à l’imputabilité dans deux chapitres distincts intitulés « La capacité
pénale des personnes physiques »997 et « La capacité pénale des personnes morales »998, ils
vont choisir par la suite de faire de l’aptitude à la sanction une notion autonome composée
de deux éléments : l’imputabilité et la capacité pénale. Ils distinguent alors cette fois
« l’aptitude à la sanction chez les personnes physiques »999 et « l’aptitude à la sanction chez

992. Cf. M. ANCEL, La Défense sociale nouvelle, Cujas, 1954, p. 250.


993. C. LAZERGES, « Le concept d’imputabilité dans les doctrines de la Défense sociale », RSC, 1983, p. 315
et suiv., spéc. p. 325.
994. R. MERLE, « Confrontation du droit pénal classique et de la défense sociale », op. cit., p. 730. Cf. également
M. ANCEL, La Défense sociale nouvelle, op. cit., p. 101 et suiv.
995. R. MERLE, « Confrontation du droit pénal classique et de la défense sociale », op. cit., p. 730.
996. Loc. cit.
997. R. MERLE et A. VITU, Traité de droit criminel – Droit pénal général, op. cit., p. 473 et suiv. Les notions
d’imputabilité et de capacité pénale étaient alors superposables.
998. Ibid., p. 489 et suiv.
999. R. MERLE et A. VITU, Traité de droit criminel – Droit pénal général, 3e éd., 1978, p. 721 et suiv.

207
les personnes morales »1000. Ce faisant, les auteurs optaient alors pour une conciliation des
concepts d’imputabilité et de capacité pénale. Cependant, à partir de la quatrième édition de
leur ouvrage, parue en 1981, les auteurs substituent purement et simplement le concept
d’imputabilité à celui de capacité pénale1001. Ils présentent alors l’imputabilité comme une
aptitude à la sanction dont ils distinguent deux acceptions : une première acception classique
qui vise « l’aptitude à mériter la sanction »1002, qui peut s’analyser en une aptitude à
l’engagement de la responsabilité pénale, et une seconde, plus novatrice, qu’ils définissent
comme « l’aptitude d’un délinquant à bénéficier de la sanction après son jugement », qui peut
cette fois s’analyser en une aptitude à la conséquence de l’engagement de la responsabilité
pénale. Nonobstant l’absence de référence dans le Code pénal à la notion de capacité pénale,
la confrontation des deux concepts était inéluctable. Il s’avère que si la substitution du
concept de capacité pénale à celui d’imputabilité ne saurait être envisagée en droit positif, un
argument pourrait être soulevé en faveur d’une conciliation, à tout le moins implicite, des
concepts.

2. L’exclusion d’une substitution de la capacité pénale à l ’imputabilité en raison


de l’incompatibilité entre le concept de capacité pénale et le caractère rétributif
de la responsabilité pénale
La capacité pénale « dépouillerait le jugement criminel de son caractère spécifiquement
répressif et rétributif »1003. La pertinence de cette affirmation se trouve vérifiée à la lecture
des idées-forces du mouvement de la Défense sociale nouvelle. Comme cela a été rappelé,
les promoteurs de la Défense sociale nouvelle concevaient la justice pénale comme une action
sociale reposant sur une véritable « pédagogie de la responsabilité »1004. Comme le résume
Roger Merle, cela signifie qu’« avec chaque délinquant le juge doit partir de zéro, découvrir
sa personnalité réelle, mettre en évidence l’étiologie de sa criminalité propre, et choisir en
fonction de ce diagnostic la mesure la plus apte à provoquer la resocialisation de ce délinquant
précis. Cette mesure de défense sociale ressemblera selon les cas à ce que les positivistes
appelaient une mesure de sûreté, ou à ce que les classiques appelaient une peine »1005. En
outre, ajoute-t-il, « si elle s’apparente à une peine, elle sera détachée de toute idée de blâme
ou de rétribution pour n’obéir qu’à des préoccupations curatives »1006. Si la Défense sociale
nouvelle prend en compte l’aptitude du délinquant à bénéficier de la réponse pénale, le refus
concomitant de blâmer sa conduite prive la condamnation pénale de tout caractère rétributif.
L’ordonnance du 2 février 1945 sur la justice pénale des mineurs se pose en parfaite
illustration de cette idée en tenant compte de la capacité du mineur à « profiter » de la mesure
ou de la sanction. Alors certes, l’infliction d’une peine a, conformément à l’article 130-1 (2°)
du Code pénal, pour fonction de favoriser l’amendement, l’insertion ou la réinsertion de
l’auteur de l’infraction. Cependant, ce serait oublier que la responsabilité pénale présente

1000. Ibid., p. 741.


1001. R. MERLE et A. VITU, Traité de droit criminel – Droit pénal général, Cujas, 4e éd., 1981, no 562 et suiv.
1002. Cf. supra le développement relatif à la fonction traditionnelle de la responsabilité pénale.
1003. R. MERLE et A. VITU, Traité de droit criminel – Droit pénal général, Cujas, 4e éd., 1981, no 617, p. 777.
1004. Cf. supra.
1005. R. MERLE, « Confrontation du droit pénal classique et de la défense sociale », op. cit., p. 729.
1006. Ibid., p. 729 et 730.

208
aussi une fonction cathartique, qui appelle une sanction de l’acte commis1007, et rétributive.
Ces caractères résultent également expressément de l’article 130-1 du Code pénal qui prévoit
que la peine a notamment pour but « de restaurer l’équilibre social » et pour fonction « de
sanctionner l’auteur de l’infraction »1008. La rétribution reste un élément indispensable de la
condamnation pénale. Le concept de capacité pénale ne saurait donc se substituer à celui
d’imputabilité, cette dernière permettant, en bout de chaîne, la mise en œuvre de la solution
rétributive. Il sera établi qu’à l’inverse, il ne saurait pas plus être question d’une absorption
de la capacité pénale dans le concept d’imputabilité.

3. L’exclusion de l’absorption de la capacité pénale dans le concept


d’imputabilité
Si l’évolution des fonctions assignées à la peine, en induisant un tempérament à la mécanique
rétributive de la responsabilité pénale, est susceptible de constituer un fondement à
l’absorption du concept de capacité pénale par celui d’’imputabilité (3.1), il se révèle vite que
les « nouvelles » fonctions resocialisantes de la peine sont véhiculées par le principe consacré
d’individualisation de la sanction pénale. En d’autres termes, la capacité pénale a plus
vraisemblablement trouvé une traduction juridique concrète dans le principe d’une
individualisation subjective de la peine fondée sur la personnalité du délinquant (3.2). Pour
cette raison, en présence d’un délinquant « sain d’esprit »1009, l’abandon de l’autonomisation
du concept de capacité pénale pourrait paraître opportun (3.3). Cette proposition se trouve
confortée par l’équité de notre système de responsabilité pénale de droit positif (3.4).

3.1 La possible absorption de la capacité pénale dans le concept d’imputabilité en raison de


l’évolution des fonctions assignées à la peine

Aux termes de la doctrine néoclassique nouvelle prônée par Roger Merle, « la responsabilité
pénale […] apparaît de plus en plus comme l’aptitude à ressentir la nécessité du châtiment, à
le supporter et à en bénéficier »1010. Bien que préconisant le maintien du caractère rétributif
de la responsabilité pénale, le modèle réhabilitatif, resocialisant des néoclassiques nouveaux,
devait néanmoins les conduire à retenir la rupture de l’automaticité du lien entre
responsabilité et peine. La question pouvait se poser de savoir si cette rupture n’était pas de

1007. Cf. Paul Fauconnet, qui a démontré dans sa thèse que la responsabilité pénale obéissait à des mécanismes
sociaux complexes (P. FAUCONNET, op. cit.) ; également Raymond Saleilles, ce dernier considérant que la
responsabilité pénale doit prendre en compte le sentiment populaire de la responsabilité, c’est-à-dire
l’opinion que le peuple se fait de la responsabilité (R. SALEILLES, L’individualisation de la peine, de Saleilles à
aujourd’hui [réédition de la troisième édition de l’ouvrage de Raymond Saleilles, et L’individualisation de la
peine, cent ans après Saleilles], Erès, 2001, p. 106 et suiv).
1008. Pour une conformation de ces éléments, il est permis de consulter l’étude d’impact qui était annexée au
projet de loi ayant conduit à l’adoption de la loi Taubira no 2014-896 du 15 août 2014. Aux termes de cette
dernière, « la peine a pour principale finalité de restaurer durablement l’équilibre social mis à mal par la commission de
l’infraction, c’est-à-dire non seulement de réparer le préjudice causé à la société, mais d’éviter que la réponse pénale ne l’aggrave.
De cette finalité de cohésion sociale découle les deux fonctions de la peine :
– la fonction rétributive de sanction, liée essentiellement à la gravité de l’infraction commise ;
– la fonction réhabilitante, qui vise à réduire le risque de récidive. »
1009. Il sera établi, dans la seconde partie de cette étude, que l’imputabilité partielle de l’agent est susceptible de
ménager une place inédite à la capacité pénale de nature à guider le choix de la sanction pénale (cf. infra,
partie 2, titre 2).
1010. R. MERLE, « Confrontation du droit pénal classique et de la défense sociale », op. cit., p. 731.

209
nature à impacter le rôle de l’imputabilité… Ce modèle de responsabilité pénale
n’impliquait-il pas de gommer le lien entretenu par l’imputabilité avec l’engagement de la
responsabilité pénale pour déplacer le centre de gravité fonctionnel de la notion vers les
conséquences de l’engagement de la responsabilité pénale ? Dans l’affirmative, quelle aurait
été la consistance du lien entre imputabilité et sanction ? L’imputabilité était-elle susceptible
d’englober l’aptitude à profiter de la sanction et partant la notion de capacité pénale ?
Existait-il un fondement juridique possible à une telle affirmation ? En l’occurrence,
l’évolution des fonctions assignées à la peine était susceptible de constituer un fondement
à l’absorption du concept de capacité pénale par l’imputabilité. En effet, lorsque la finalité
de la peine était exclusivement rétributive, il était logique, pour reprendre l’expression de
Roger Merle et d’André Vitu, de cantonner l’imputabilité à l’aptitude à mériter la sanction.
Cependant, dès lors que la peine s’est vu assigner d’autres fonctions, dont celle de
resocialisation du délinquant, n’était-il pas logique que cette évolution ait des retombées
sur le spectre fonctionnel de l’imputabilité ? Au final, il pourrait paraître cohérent qu’en
rompant l’automaticité du lien entre libre arbitre et châtiment, l’imputabilité ait été affectée
dans sa fonction, dans sa relation à la sanction pénale. Cependant, nous allons établir
qu’une réponse par l’affirmative n’est pas concevable, précisément en raison de la
consécration en droit positif du principe de personnalisation des peines à l’article 132-24
du Code pénal1011.

3.2 L’exclusion de l’absorption de la capacité pénale par l’imputabilité fondée sur la


consécration du principe de personnalisation des peines

Eu égard à la consécration du principe de personnalisation des peines par le Code pénal


de 1994, ne doit-on pas considérer que la capacité pénale n’est pas de nature à enrichir le
dispositif existant ? Lorsque Roger Merle et André Vitu affirment que « la notion de
capacité pénale ne doit pas moins jouer un certain rôle dans la mesure où, sans méconnaître
les principes fondamentaux du droit pénal classique et tout en conservant au jugement de
condamnation sa portée réprobatrice, il paraît possible et nécessaire d’autoriser le juge à
choisir et à doser la sanction en fonction des nécessités de chaque cas particulier »1012,
n’est-il pas question ici d’imputabilité en tant que fondement de la responsabilité pénale,
de culpabilité en tant que mesure de la responsabilité et d’individualisation de la sanction
pénale ? Autrement dit, la capacité pénale n’a-t-elle pas été consacrée de manière implicite
par le développement d’une individualisation subjective de la peine fondée sur la
personnalité du délinquant ? À notre sens, la capacité pénale a bien été appréhendée par le

1011. Le principe de personnalisation des peines a été consacré par le Code pénal de 1994 à l’article 132-24.
Depuis la loi no 2014-896 du 15 août 2014, le législateur, afin de tenir compte de la possible mise en œuvre
de la responsabilité pénale des personnes morales, parle aujourd’hui de principe d’individualisation des
peines. Ce dernier est désormais prévu à l’article 132-1 du Code pénal. Précisons également que le principe
d’individualisation des peines a valeur constitutionnelle. Pour le Conseil constitutionnel, il découle de
l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, aux termes duquel « la Loi ne doit établir
que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu’en vertu d’une Loi établie et promulguée
antérieurement au délit, et légalement appliquée » (décision no 2005-520 DC du 22 juillet 2005). Pour voir retracée
la longue affirmation de ce principe, il est permis de consulter l’étude d’impact concernant le projet de loi
relatif à la prévention de la récidive et à l’individualisation des peines en date du 7 octobre 2013 et
consultable sur le site de l’Assemblée nationale (cf. notamment p. 7 et suiv.).
1012. R. MERLE et A. VITU, Traité de droit criminel – Droit pénal général, Cujas, 4e éd., 1981, no 617, p. 777.

210
biais du principe de personnalisation des peines, comme en témoigne la référence opérée,
par l’alinéa 2 de l’article 132-1 du Code pénal, à la « personnalité » de l’auteur de
l’infraction. Si la responsabilité pénale, constituée par la somme de la culpabilité et de
l’imputabilité, permet le prononcé d’une peine, elle ne commande pas le choix de la peine.
Comme le relève Marie Pariguet, « la responsabilité impose le principe d’une peine, mais
ne commande pas le substrat de la peine »1013. Nous considérons donc que le concept
doctrinal de capacité pénale a trouvé une traduction juridique concrète dans le principe
d’individualisation des peines, lequel ne saurait être confondu avec celui d’imputabilité.

3.3 L’abandon opportun d’une autonomisation doctrinale du concept de capacité pénale en


présence d’un délinquant « sain d’esprit »

La capacité pénale ayant donc été consacrée comme « un concept fonctionnel fondamental
du droit pénal moderne »1014 par le truchement du principe d’individualisation des peines,
il nous paraît souhaitable de plaider en faveur de l’abandon de toute autonomisation
doctrinale de la notion dans la mesure où, par ailleurs, elle est de nature à brouiller la
distinction nécessaire entre fondement de la responsabilité pénale et individualisation de la
sanction. Raymond Saleilles invitait déjà à ne pas confondre ces deux questions en écrivant
que « c’est le crime que l’on punit, mais c’est la considération de l’individu qui détermine
le genre de mesure qui lui convient. La responsabilité, fondement de la peine, et
l’individualisation, criterium de son application : telle est la formule du droit pénal
moderne »1015. Formulant de manière plus explicite encore la distinction entre imputabilité
et capacité pénale, Gian Domenico Romagnosi considérait quant à lui qu’« à elle seule
l’imputabilité morale sert à indiquer quand on peut et doit punir, et non comment et dans
quelle mesure on peut et doit punir »1016. Ces deux questions sont aujourd’hui clairement
distinguées par le droit positif. Il importe cependant de préciser, pour conclure sur ce point,
que les solutions ainsi dégagées sont applicables en présence d’un délinquant « sain
d’esprit ». En d’autres termes, elles visent le délinquant dont l’imputabilité était « totale »
au moment des faits. Il sera établi, à l’inverse, dans la seconde partie de cette étude, que le
concept de capacité pénale retrouve une pertinence en présence d’un délinquant à
l’imputabilité partielle. Une manifestation contemporaine de la capacité pénale à la sanction
peut en effet être identifiée dans la consécration législative de l’atténuation de la peine
privative de liberté en cas d’altération du discernement du délinquant majeur au moment
des faits, la fameuse « aptitude pénitentiaire » décrite par Roger Merle et André Vitu à
propos du mineur délinquant1017. Les solutions dégagées dans le cadre de ce développement
sont confortées par le fait qu’elles s’inscrivent dans un système équitable de responsabilité.

1013. M. PARIGUET, « Les raisons de la peine – À propos de l’arrêt CEDH, 10 janvier 2013, no 60995/09, V.
c/France », op. cit.
1014. C. MARGAINE, op. cit., no 387.
1015. R. SALEILLES, L’individualisation de la peine, de Saleilles à aujourd’hui (réédition de la 3e édition de l’ouvrage de
Raymond Saleilles, et L’individualisation de la peine, cent ans après Saleilles), op. cit., p. 121.
1016. G. D. ROMAGNOSI, Genesi del diritto penale (« Genèse du droit pénal »), 1re éd., 1791, rééd. par Sanvito en 1857,
§ 1333, cité par C. MARGAINE, in La Capacité pénale, op. cit., no 430.
1017. Cf. infra, partie 2, titre 2, chapitre II : « L’usage recentré de la dangerosité ».

211
3.4 L’équité du système de responsabilité pénale de droit positif

Le système de responsabilité de droit positif nous paraît relativement juste en ce sens que la
sanction prononcée par la juridiction de jugement n’est pas immuable. Venant tempérer la
rigueur apparente du maintien du caractère rétributif de la condamnation pénale, le juge est
tenu d’individualiser la sanction pénale, non seulement lors de son prononcé, mais aussi lors
de son exécution, conformément à l’article 707 nouveau du Code de procédure pénale1018.
En d’autres termes, l’évolution possible de la sanction prononcée par la juridiction de
jugement ajoute au caractère équitable de notre système de responsabilité pénale. Le nouveau
paradigme processuel servant de cadre à l’évolution de la sanction est particulièrement
significatif de la légitimité du système de responsabilité pénale de droit positif. Il repose sur
une évolution « équitable »1019 de la sanction prononcée par la juridiction de jugement dans
le cadre d’un procès pénal élargi. Deux arguments en témoignent, inhérents tant à la
juridictionnalisation de l’application des peines qu’à l’alignement croissant des procédures en
application des peines sur les garanties conventionnelles1020. Il nous apparaît en outre que
cette acception revisitée de la structure monolithique du procès pénal est véritablement
susceptible de faire perdurer – au-delà du jugement – la conciliation entre rétribution,
humanisme – par l’individualisation de la sanction rétributive en cours d’exécution – et
protection de la société ; autrement dit, les objectifs assignés tant au prononcé qu’à
l’exécution de la sanction. Ainsi, il est permis de considérer que le droit pénal « post-
moderne »1021 va dans le sens de l’apport d’une alluvion supplémentaire à la théorie des
néoclassiques nouveaux, une alluvion d’ordre procédural consistant dans la concrétisation de
l’individualisation de la sanction pénale en cours d’exécution sous le contrôle des juridictions
de l’application des peines et en application d’une procédure respectueuse des droits et
libertés fondamentaux. Ce faisant, il transcende les vœux des néoclassiques nouveaux et de
la Défense sociale nouvelle qui se rejoignaient sur la nécessité pour le délinquant de « subir
un traitement adapté à sa personnalité et à sa criminalité propre : un traitement scientifique
et évolutif sous le contrôle et la direction du juge de l’application des peines »1022. Si la
démonstration vient d’être faite d’une cohérence entre la place et la fonction de l’imputabilité
dans la théorie de la responsabilité pénale, nous allons établir qu’il en est de même
relativement au concept de culpabilité.

1018. Ce dernier a été consacré par l’article 1er de la loi pénitentiaire no 2009-1436 du 24 novembre 2011, et
modifié depuis par la loi Taubira du 15 août 2014 (cf. infra).
1019. L’emploi de cet adjectif fait référence à l’alignement des procédures en application des peines sur le droit
commun (cf. infra, partie 2).
1020. Cf. infra, conclusion.
1021. Cf. infra, partie 2.
1022. R. MERLE, « Confrontation du droit pénal classique et de la défense sociale », op. cit., p. 733. On pourrait
aussi considérer que l’évolution de la procédure en application des peines constitue une alluvion
« néoclassique nouvelle nouvelle » à l’édification d’un droit d’essence classique.

212
§ 2 - Le rôle de la culpabilité en lien avec son double rattachement,
infraction/responsabilité

Non seulement les fonctions de la culpabilité découlent du caractère objectivé de la notion,


mais elles sont également cohérentes avec la place de la notion dans la théorie de la
responsabilité pénale. C’est ainsi que, localisée au sein de l’infraction, elle peut présenter des
fonctions en lien avec cette dernière (A.) tout en ayant des incidences lors de la mise en œuvre
de la responsabilité pénale (B.).

A. La diversité des fonctions en lien avec la construction de l’infraction

Les fonctions de la culpabilité en lien avec l’infraction stricto sensu permettent d’identifier
juridiquement le délinquant (1.) avant de pouvoir, sur le plan de la qualification pénale des
faits, tirer les conséquences de son état d’esprit au temps de l’action (2.).

1. La fonction informative ou l’identification juridique du délinquant


La culpabilité juridique, qu’une partie de la doctrine oppose à la culpabilité criminologique1023,
s’entend d’une « opération juridique d’identification du délinquant »1024. Selon Roger Merle,
« la culpabilité juridique […] apparaît comme un simple concept opérationnel du droit. C’est
un instrument de technique judiciaire qui permet au juge d’identifier l’agent en tant que
délinquant conforme au type légal »1025. En pratique, le juge vérifie que l’intéressé correspond
intellectuellement à celui que la loi décrit comme un délinquant. La culpabilité permet donc
l’identification juridique d’un délinquant.
L’auteur se pose néanmoins la question de savoir si cette opération juridique est
complètement privée de résonance éthique. Une réponse par la négative s’impose. Selon
Roger Merle, « la déclaration de culpabilité a une certaine signification au plan de la morale
sociale. […] Ce jugement est un jugement d’antisocialité ou de subsocialité : en violant la
norme pénale le délinquant s’est montré selon les cas hostile, indifférent, ou inattentif aux
valeurs socio-culturelles protégées par la loi. […] L’antisocialité est impliquée par la violation
de la norme et elle est définie comme un refus ou une incapacité, de respecter à un moment
donné une conception de la vie dictée par la loi et les mœurs de l’époque »1026. Le système
normativiste de culpabilité de droit positif est donc compatible avec une dimension éthique
de la notion1027. Au-delà, l’éthique sociale de la culpabilité est en lien avec l’opération juridique
de qualification. Plus particulièrement, nous allons établir qu’elle trouve un écho dans un
critère de distinction entre infractions intentionnelles et infractions non intentionnelles.

1023. Cette dernière, qui constitue une acception subjectivée de la culpabilité, consiste en « la culpabilité des
reins et des cœurs […] ressentie comme telle, intériorisée par le coupable, et qui contient toute une
psyché » (cf. R. MERLE, « La culpabilité devant les sciences humaines et sociales », op. cit., p. 30).
1024. Ibid., p. 34.
1025. Loc. cit.
1026. Loc. cit.
1027. Dans ce contexte, il serait cohérent de considérer que, la culpabilité constituant un indicateur de non
socialité, l’imputabilité constitue un indicateur de potentialité sociale et la non-imputabilité un indicateur
d’incapacité sociale, la potentialité sociale se trouvant alors vérifiée par la négative. On pourrait donc
présenter l’imputabilité comme la capacité de se conformer à la norme légale et la non-imputabilité comme
l’incapacité de se conformer à la norme légale.

213
2. La fonction juridique de qualification ou la détermination de l ’état d’esprit
juridique de l’agent au moment des faits
L’étude de la culpabilité a pour objet de déterminer l’état d’esprit de l’agent au temps de
l’action afin de parachever la qualification juridique des faits. L’opération de qualification
consiste en principe à identifier le caractère intentionnel ou non intentionnel des faits. Cet
étiquetage ne constitue par exception qu’une initiation de l’opération de juridique de
qualification des faits (2.1) qu’il importe alors de finaliser par une étude plus circonstanciée
de la culpabilité (2.2).

2.1 L’initiation de l’opération juridique de qualification

Selon Valérie Cantat-Lampin Saint-Gérand, « la donnée coupable est un concept juridique


mis au service d’un enjeu de qualification, afin qu’une responsabilité pénale puisse être
engagée »1028. Ainsi, « selon l’état d’esprit de la personne, la qualification juridique des faits ne
sera pas la même »1029. C’est d’une sorte d’état d’esprit juridique dont il est question.
Emmanuel Dreyer enseigne que l’état d’esprit de l’auteur d’un acte « n’est pas envisagé pour
lui-même, indépendamment du fait reproché. Il ne s’agit pas encore d’évaluer sa perversité ;
il s’agit seulement d’établir, à ce stade, une infraction. L’opération reste purement juridique.
Elle doit être menée de la façon la plus objective possible. Une recherche d’ordre
psychologique plus approfondie ne sera légitime qu’à partir du moment où l’existence de
l’infraction aura été démontrée »1030. Ce disant, l’auteur met en évidence l’interdépendance de
la fonction qualificative de la culpabilité et du caractère objectivé de la notion. Dans un esprit
de synthèse, Jean Walther affirme que « c’est un critère de construction de l’infraction et non
pas d’individualisation de la sanction. Un pur outil de la qualification »1031. Ainsi, la
détermination de la culpabilité s’intéresse seulement à l’état d’esprit de l’auteur permettant de
qualifier juridiquement un acte. À l’intérieur de ce cadre intellectuel, il s’agira de déterminer
si l’agent a fait preuve d’hostilité ou d’indifférence aux valeurs sociales protégées par la loi
pénale1032. Dans le prolongement de cette affirmation, Valérie Cantat-Lampin Saint-Gérand
présente ainsi la culpabilité comme un concept « normatif et informatif sur la nature et la
valeur de la violation des lois pénales »1033. Plus précisément, la culpabilité « donne des
informations sur le degré de violation intellectuelle des normes pénales »1034. En cela, elle

1028. V. CANTA-LAMPIN SAINT-GÉRAND, La culpabilité dans la théorie de la responsabilité pénale, op. cit., no 694,
p. 782.
1029. C. SAAS, L’ajournement du prononcé de la peine. Césure et recomposition du procès pénal, Dalloz, 2002, no 173-1,
p. 182.
1030. E. DREYER Droit pénal général, op. cit., no 834, p. 638 et 639. Et l’auteur d’ajouter que « seul ce constat
autorise le juge à pousser plus avant ses investigations en envisageant la personnalité du coupable afin de
dégager la sanction la plus adéquate » (loc. cit) ; précisons qu’à la différence d’Emmanuel Dreyer, nous
considérons que l’état d’esprit de l’auteur de l’acte, dans ses composantes liberté et discernement, ne sera
envisagé qu’après la caractérisation de l’infraction, au stade de la détermination de l’imputabilité. Les autres
composantes du spectre de l’état d’esprit seront quant à elles mobilisées au stade de l’individualisation de
la sanction. Notons finalement que la prise en compte fragmentaire de l’état d’esprit de l’agent ne nous
paraît pas contestable dès lors qu’il est étudié (opportunément) dans sa globalité sur l’ensemble du procès
pénal.
1031. J. WALTHER, L’antijuridicité en droit pénal comparé franco-allemand, th. Nancy, 2003, p. 169.
1032. Afin de déterminer la nature intentionnelle ou non intentionnelle de l’infraction.
1033. V. CANTA-LAMPIN SAINT-GÉRAND, la culpabilité dans la théorie de la responsabilité pénale, op. cit., no 694, p. 782.
1034. Loc. cit.

214
« n’est qu’un instrument de mesure de la contrariété de l’action à la norme »1035. Ainsi, l’auteur
rejoint la doctrine définissant l’intention comme une hostilité à la norme pénale et
l’imprudence ou la négligence comme une indifférence ou une inattention à la norme pénale.
De manière rationnelle, l’initiation de l’opération technique de qualification doit donc
commencer par déterminer le caractère intentionnel ou non intentionnel des faits. Il est
permis de parler d’initiation, en ce sens que cet étiquetage ne constitue parfois qu’une étape
dans l’opération de qualification des faits qu’il importe alors de finaliser.

2.2 La finalisation de l’opération technique de qualification

La culpabilité peut aussi avoir « vocation à finaliser l’opération technique de


qualification »1036. Cela peut être le cas au sein de la catégorie des infractions intentionnelles
quand il est nécessaire de passer par le relais d’une culpabilité plus circonstanciée pour
déterminer la qualification pénale des faits. Il s’agit d’hypothèses où la matérialité des faits
n’est pas en elle-même significative d’une qualification pénale. À l’instar des violences
volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner1037, il est des infractions qui ne
livrent leur identité que par l’élément psychologique. Dans une telle hypothèse, le relais de la
culpabilité est alors indispensable à l’établissement de la qualification pénale. Dépassant le
cadre de l’infraction, la notion de culpabilité présente également des fonctions lors de la mise
en œuvre de la responsabilité pénale.

B. La diversité des fonctions en lien avec la mise en œuvre de la responsabilité pénale

Si les fonctions de la culpabilité en relation avec l’infraction sont essentielles, celles relatives
à la mise en œuvre de la responsabilité pénale le sont tout autant. La culpabilité présente en
effet une diversité de fonctions relativement à la responsabilité pénale : une fonction sociale
ou pédagogique (1.), une fonction de mesure de la responsabilité pénale (2.), ainsi qu’une
fonction doublement garantiste (3.).

1. La fonction sociale ou la fonction pédagogique de la culpabilité


Selon Jacques Verhaegen, le prononcé d’une culpabilité résultant d’une évaluation positive
de la criminalité objective du fait « sauvegarde la fonction capitale revenant au juge pénal de
“dire le droit” à propos d’un fait humain »1038. La fonction pédagogique de la culpabilité
provient notamment de la distinction établie entre la peine légalement encourue et la peine
prononcée. La « peine légalement encourue » renvoie à une approche objective de sa mesure
et, en tant qu’elle correspond à la réponse de l’État de droit à la transgression par un individu

1035. Loc. cit.


1036. F. ROUSSEAU, L’imputation dans la responsabilité pénale, op. cit., no 55.
1037. Précisons que si les violences attentatoires aux personnes supposent de passer par le relai d’une culpabilité
circonstanciée, il n’en demeure pas moins que cette dernière sera établie de manière objective (cf. supra, le
développement relatif aux présomptions de culpabilité).
1038. Cf. J. VERHAEGEN, « La 2e Césure – À propos de la déclaration de culpabilité, notion complexe du
jugement pénal », in Droit et Intérêt, sous la direction de M. VAN DE KERCHOVE, p. 172 à 179.

215
d’une norme de vie en communauté, elle remplit également une fonction pédagogique 1039.
Il importe cependant de préciser que pour une partie de la doctrine comme de l’opinion
publique, cette dernière a été émoussée (pour ne pas écrire décrédibilisée) en raison de
l’importance des écarts constatés avec les peines prononcées par les juridictions de
jugement.
Une illustration contemporaine de l’importance de cette fonction sociale ou pédagogique
de la culpabilité réside dans la création de la procédure de déclaration d’irresponsabilité
pénale. Pour s’en convaincre, il est permis de consulter un article écrit par André Giudicelli
à l’occasion duquel l’auteur développe notamment les vertus alléguées d’un procès à
l’encontre des aliénés1040. L’une d’entre elles consisterait dans le procès
« responsabilisation »1041. Le procès permettrait de responsabiliser les personnes atteintes
de certaines formes de pathologie et constituerait ainsi un élément de thérapie1042. André
Giudicelli reproduit dans son article les propos d’un expert psychiatre considérant que « la
responsabilité pénale est la marque la plus signifiante de la responsabilité du sujet. Elle est
la responsabilité d’un homme qui vole ou tue un autre homme. Le dégager totalement de
cette responsabilité-là, c’est le rendre totalement irresponsable et prendre le risque de le
conforter dans sa folie »1043. Une autre vertu du procès de l’aliéné développée par André
Giudicelli consisterait dans le procès « restauration ». Il s’agirait cette fois, par le procès, de
rétablir le lien social rompu par le crime entre l’auteur de l’acte et la victime. Dans le cadre
de la procédure de déclaration d’irresponsabilité pénale précitée, même dans le cas où
l’audience d’imputabilité débouche sur le prononcé d’un arrêt de déclaration
d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental, l’aliéné n’en fait pas moins l’objet
d’une déclaration de culpabilité1044. Dans le même sens, Roger Merle considère qu’« il est
important de ne pas sous-estimer la valeur enseignante et moralisatrice de la condamnation
pénale rétributive »1045. Le caractère rétributif de la responsabilité pénale évoque quant à lui
la fonction traditionnelle de mesure de la responsabilité pénale.

2. La fonction traditionnelle rétributive ou de mesure object ive de la


responsabilité pénale
Il est possible de faire valoir plusieurs fondements législatifs au soutien du rôle de la
culpabilité dans la mesure de la responsabilité pénale (2.1). Si certains obstacles, tenant au
principe de l’identité des fautes civile ou pénale ou au régime unitaire de l’imprudence
pénale, étaient de nature à faire de la culpabilité un instrument de dérèglement de la
répression, ils ont été surmontés, accroissant plus encore la pertinence du recours à la
culpabilité dans la mesure de la responsabilité pénale (2.2).

1039. La peine prononcée, en renvoyant à une approche hybride de sa mesure, s’apparente quant à elle à la
réponse de l’État social.
1040. Cf. A. GIUDICELLI, « Le fait de la personne atteinte d’un trouble mental », in M. MASSE M., J.-P. JEAN et
A. GIUDICELLI (dir.), op. cit.
1041. Ibid.
1042. Cf. Rapport Goujon et Gautier, p. 22.
1043. M. DUBEC, « Le fou en justice, débats Code pénal », Le Monde du 2 mars 1994.
1044. Cf. infra, partie 2.
1045. R. MERLE, « Confrontation du droit pénal classique et de la défense sociale », op. cit., p. 725.

216
2.1 Les fondements au rôle de mesure de la responsabilité pénale

La culpabilité sert aussi à doser la responsabilité en fonction de l’état d’esprit juridique de


l’agent. Selon Yves Mayaud, « la culpabilité pénale est la mesure de la gravité subjective des
infractions »1046. Et l’auteur d’ajouter qu’« à la culpabilité s’attache seulement une différence
de réaction en fonction de la psychologie de l’auteur de l’infraction selon qu’il a agi
intentionnellement ou non »1047.
Il existe plusieurs fondements au rôle de mesure de la responsabilité pénale. Le premier
découle du principe de l’automaticité du lien entre la décision portant sur la culpabilité et la
décision portant sur la peine ou, plus généralement, du principe de la légalité. Dans le
prolongement, on peut faire valoir que le caractère rétributif de la responsabilité pénale
émane de l’article 130-1 nouveau du Code pénal. Ce dernier, qui fait office d’article
préliminaire du titre III, intitulé « Des peines », du livre premier du Code pénal, met en
exergue les fonctions de la peine fixée par la juridiction de jugement en reprenant l’ancien
article 132-24, alinéa 2 et en procédant à quelques modifications structurelles de ce dernier.
Jacques-Henri Robert considère que « le nouvel article 130-1 du Code pénal […] constitue
un déménagement et un aménagement grammatical de son ancien article 132-24,
alinéa 2 »1048. De fait, l’aménagement grammatical repose sur une dissociation, nouvellement
établie, entre les buts et les fonctions de la peine1049. Ainsi, aux termes d’un agencement inédit
des anciennes dispositions de l’alinéa 2 de l’article 132-24 du Code pénal, le nouvel
article 130-1 prévoit qu’« afin d’assurer la protection de la société, de prévenir la commission de nouvelles
infractions et de restaurer l’équilibre social, dans le respect des intérêts de la victime, la peine a pour fonction :
(1°) de sanctionner l’auteur de l’infraction ; (2°) de favoriser son amendement, son insertion ou sa
réinsertion »1050. La nouvelle formulation laisse apparaître d’emblée la fonction rétributive de
la responsabilité pénale visée au 1° de l’article 130-1. Elle apparaît avec plus de clarté que
sous l’empire de l’ancien article 132-24 du Code pénal. Elle est même mise en exergue, preuve
s’il en était de la permanence de son actualité. Si des obstacles de nature à entraver le rôle de
la culpabilité dans la mesure de la responsabilité pénale sont apparus, ils ont pu être
surmontés.

2.2 Les obstacles surmontés au rôle de mesure de la responsabilité pénale

Dans l’exercice de cette fonction de mesure de la responsabilité pénale, la culpabilité a subi


deux atteintes notables, au point de devenir un instrument de dérèglement de la répression,
jusqu’à leur neutralisation par le législateur. L’une d’entre elles découlait du principe de

1046. Y. MAYAUD, « De l’article 121-3 du Code pénal à théorie de la culpabilité en matière criminelle et
délictuelle », D., 1997, p. 37.
1047. Y. MAUYAUD, « Les malades mentaux entre non-imputabilité et imputation », op. cit., p. 303.
1048. J.-H. ROBERT, « Réforme pénale. Punir dehors. Commentaire de la loi no 2014-896 du 15 août 2014 »,
Dr. pén., 2014, étude 16.
1049. C’est l’occasion de clarifier deux notions qu’il n’est pas toujours aisé de distinguer. Les fonctions de la
peine concernent « l’effet du châtiment sur chaque condamné en particulier » (cf. J.-H. ROBERT,
« Réforme pénale. Punir dehors. Commentaire de la loi no 2014-896 du 15 août 2014 », op. cit., étude 16).
Les buts de la peine « sont les conséquences de la réalisation de ses fonctions et […] bénéficient au corps
social tout entier » (ibid).
1050. Par exemple, la prévention de la commission de nouvelles infractions peut être comprise comme le fruit
de l’amendement du condamné.

217
l’identité des fautes civile et pénale. Ce principe générait deux conséquences néfastes
diamétralement opposées, dont la prise en compte de la culpa levissima afin de ne pas priver
les victimes de réparation. Or, « la faute pénale est l’expression d’une culpabilité, et non point
l’instrument d’une indemnisation »1051. En abandonnant le principe de l’unité par la loi du
10 juillet 20001052, avec pour conséquence la dépénalisation des fautes les moins graves en
relation de causalité indirecte avec le dommage, le législateur est venu pallier ce dérèglement
débridé de la culpabilité. Le fait que le juge pénal n’ait plus à se préoccuper des conséquences
civiles de ses décisions contribue à préserver l’intégrité de la fonction de la culpabilité dans
sa mesure objective de la responsabilité pénale. Le principe de la dualité des fautes civile et
pénale, consacré à l’article 4-1 du Code de procédure pénale, a donc constitué un remède à
l’hyperculpabilisation jurisprudentielle destinée à préserver le droit à réparation des victimes.

La seconde atteinte à la fonction de mesure découlait du régime unitaire de l’imprudence


pénale. D’une manière générale, c’est parce qu’elle est diversifiée dans ses manifestations que
la culpabilité peut assurer son rôle de juste mesure de la responsabilité pénale. Pour cette
raison, une autre atteinte à cette fonction découlait de l’uniformité de la faute pénale. Comme
le relève Yves Mayaud, « cette conception s’est révélée inadaptée, pour être à l’origine d’excès
et d’insuffisance à la fois. D’excès par le fait que des fautes minimes subissaient le même sort
que les fautes les plus graves1053, et d’insuffisance par un défaut de différenciation regrettable
concernant ces dernières »1054. Pour s’en convaincre, il suffit de se remémorer qu’avant
l’entrée en vigueur du Code pénal de 1994, et la création par ce dernier de la faute de mise
en danger délibérée, le droit pénal ne connaissait que la faute d’imprudence ou de négligence
ordinaire. Comme le relève justement Yves Mayaud, « les maladresse, imprudence, inattention,
négligence ou inobservation des règlements, auxquelles renvoyaient les anciens articles 319 et 320 du
Code pénal, étaient autant d’expressions synonymes de la même réalité fautive, dont la portée
couvrait indifféremment, pour être soumise au même régime répressif, toutes les défaillances,
depuis les moins graves, à la mesure de la culpa levissima, jusqu’aux plus conséquentes sur le
modèles des fautes lourdes ou inexcusables, telles qu’elles étaient comprises ailleurs qu’en
droit pénal. […] La construction juridique relevait ainsi de la plus grande simplicité, étrangère
qu’elle était à la diversité des situations, pour ce qu’elles traduisaient de psychologies variées,
et donc de culpabilités sensiblement différentes »1055. Quelle que fût la gravité du
comportement fautif de l’agent, la peine encourue restait la même. Pour cette raison, et afin
de signifier la gravité de certains comportements d’imprudence, les juges n’avaient trouvé
d’autre alternative que d’assimiler la faute d’imprudence grave à l’intention1056 . Jean Cédras,

1051. Y. MAYAUD, « Retour sur la culpabilité non intentionnelle en droit pénal », D., 2000, p. 603.
1052. Cf. cependant supra, le chapitre I du titre 2 de cette partie où il a été démontré que l’abandon du principe
de l’unité n’était que relatif.
1053. Cf. supra.
1054. Y. MAYAUD, « La loi Fauchon du 10 juillet 2000 après plus de cinq ans d’application », AJ pén., 2006,
p. 146.
1055. Y. MAYAUD, « De l’article 121-3 du Code pénal à théorie de la culpabilité en matière criminelle et
délictuelle », op. cit., p. 37.
1056. Par exemple, dans le cadre de la répression des chefs d’entreprise au regard des fraudes de la loi du
1er août 1905 où « le juge assimilait en effet à l’intention exigée par le texte le dol éventuel consistant à ne
pas avoir vérifié la qualité des produits », cf. J. CEDRAS, « Le dol éventuel : aux limites de l’intention »,
op. cit., p. 18.

218
dans l’article qu’il a consacré à la notion de dol éventuel1057, approuve la création de la faute
de mise en danger délibérée pour pallier l’assimilation prétorienne exceptionnelle du dol
éventuel à l’intention1058. L’auteur relève que le droit pénal opérait jusqu’alors comme le droit
civil où culpa lata dolo aequiparetur. Le caractère contestable de cette démarche, de nature à
fausser la mesure objective de la responsabilité pénale, permettait néanmoins de pallier
l’absence de nuance dans la répression de l’imprudence pénale et, peut-être, le risque d’une
extension de son domaine lié à la faiblesse de la répression de « cette délinquance de
désinvolture, non intentionnelle sans doute mais socialement très grave »1059. En outre, la
faute de mise en danger délibérée a été doublement intégrée à notre législation. Non
seulement en tant que faute d’imprudence qualifiée, mais encore en tant que circonstance
aggravante. Cette dernière acception met en évidence que la hiérarchie dans la gravité des
fautes d’imprudence a bien des retombées quantitatives sur les solutions répressives et,
partant, qu’elle est de nature à favoriser une plus juste mesure de la responsabilité pénale.
L’éclatement du régime unitaire de l’imprudence pénale, initié par la création de la faute de
mise en danger délibérée, peut donc s’analyser en un remède à démesure de la répression en
matière d’imprudence. En effet, par la création de la faute de mise en danger délibérée, le
nouveau Code pénal est venu remédier partiellement au dérèglement constaté « en concédant
aux faits la part qui leur revient en droit : une part de nuances et de plus mesure dans
l’approche de la faute pénalement répréhensible »1060. Au lendemain de l’adoption du Code
pénal de 1994, deux catégories de fautes coexistaient. L’imprudence pénale devait, avec la loi
no 2000-647 du 10 juillet 2000, être enrichie d’une troisième faute pénale.

L’intitulé même de la loi du 10 juillet, venue parachever la gradation de l’imprudence pénale,


nous renseigne implicitement sur le lien existant entre l’éclatement du régime unitaire de
l’imprudence pénale et la recherche d’une plus juste mesure de la responsabilité pénale. Les
modifications introduites en droit positif par la loi précitée répondent à l’objectif de « préciser
la définition des délits non intentionnels » en offrant au juge la possibilité d’atténuer la
répression des délits d’imprudence par l’exigence d’une faute qualifiée en cas de causalité
indirecte avec le dommage. Ainsi, la loi du 10 juillet 2000 est venue « amplifier ce mouvement
de qualification, en intégrant une troisième catégorie de faute, située entre la faute simple et
la faute délibérée. Il s’agit de la faute caractérisée exposant autrui à un risque d’une particulière
gravité. La notion est utile, pour procéder d’une nuance qui a sa place dans la hiérarchie des fautes
constitutives de la non-intention »1061. La loi de 2000 a donc contribué à mieux maîtriser les
données relatives à la responsabilité pour faute. Si Yves Mayaud était partisan d’une « simple »
redéfinition du domaine de l’imprudence pénale, en avançant l’argument selon lequel « la
finalité de la répression […] est moins de sanctionner toute faute, surtout parmi les plus
légères, que de réprimer celles qui traduisent une réelle indifférence aux valeurs sociales

1057. Loc. cit.


1058. Ce qui n’empêche pas l’auteur de conclure néanmoins au caractère intentionnel de la faute de mise en
danger délibérée.
1059. Parmi les domaines d’élection concernés par le dol éventuel : la circulation routière, la sécurité du travail
et le sport (ibid). Implicitement, cela montre aussi que la culpabilité, dans sa fonction de mesure de la
responsabilité pénale, est susceptible de subir la concurrence du dommage.
1060. Y. MAYAUD, « De l’article 121-3 du Code pénal à théorie de la culpabilité en matière criminelle et
délictuelle », op. cit., p. 37.
1061. Y. MAYAUD, « Retour sur la culpabilité non intentionnelle en droit pénal », op. cit., p. 603.

219
protégées »1062, un mouvement doctrinal s’est dessiné pour rejeter dans son principe même
la responsabilité non intentionnelle. La question pourrait donc se poser, toujours dans un
objectif de plus juste mesure de la responsabilité pénale, de dépénaliser les fautes
d’imprudence les moins graves, voire l’imprudence dans son ensemble. Quoi qu’il en soit,
l’intégration de cette troisième catégorie de faute contribue à la justesse de la mesure de la
responsabilité non intentionnelle1063. En résumé, la hiérarchie des fautes pénales est venue
satisfaire un double objectif consistant à « dépénaliser les fautes se situant au bas de l’échelle
des comportements défaillants, et, au contraire, accentuer la responsabilité pour les
manquements les plus prononcés »1064. Or, « plus la culpabilité est le reflet de la psychologie
du délinquant, mieux elle répond à l’impératif de justice qui sert de fondement à la
répression »1065. Et en affrontant la complexité des situations, l’article 121-3 du Code pénal,
relatif à l’élément psychologique de l’infraction, confère à la culpabilité un rôle garantiste
accru.

3. La double fonction garantiste de la culpabilité


Cette fonction garantiste s’applique tant à l’égard du délinquant (3.1) qu’à l’égard de la
société (3.2).

3.1 La fonction garantiste de la culpabilité appliquée au délinquant

À l’égard du délinquant, la culpabilité est essentielle dans la détermination de la peine, car sa


conception objectivée couplée à son mode d’appréciation in concreto et objectif concourent à
révéler à sa juste mesure la dimension coupable de l’attitude intellectuelle de l’agent. Le rôle
garantiste est accru par le lien étroit tissé entre la culpabilité et la peine. La Cour européenne
des droits de l’homme, dans un arrêt relativement récent1066, a même retenu une dépendance
exclusive entre la responsabilité et le quantum de la peine. Certes, cette conception de la peine
peut paraître réductrice au regard des articles 130-1 et 132-1 du Code pénal. Cependant, le
fait que « les raisons de la peine sont à rechercher dans la responsabilité du condamné donc
dans un critère exclusivement juridique »1067 est rassurant. Comme le relève Roger Merle, « la
distribution des sanctions pénales, étroitement conditionnée par la mécanique rétributive, ne
peut guère s’égarer dans l’arbitraire »1068. Marc Ancel, à l’occasion notamment de

1062. Loc. cit.


1063. Comme le relève Emmanuel Dreyer, « paradoxalement, c’est […] la culpabilité la moins grave qui paraît
aujourd’hui la plus distinctive. […] la faute s’avère mieux définie que l’intention » (cf. E. DREYER, Droit
pénal général, op. cit., no 833, p. 638).
1064. Y. MAYAUD, « La loi Fauchon du 10 juillet 2000 après plus de cinq ans d’application », op. cit., p. 146.
1065. Y. MAYAUD, « Retour sur la culpabilité non intentionnelle en droit pénal », op. cit., p. 603.
1066. CEDH, 10 janv. 2013, no 60995/09, Voica c/ France, N. HERVIEU, « La motivation des arrêts d’assises en
France sous les fourches caudines européennes », lettre « Actualités droit-libertés du CREDOF, 11 janv.
2013 ; F. LAFAILLE, « La CEDH et la (non-)motivation des verdicts de cour d’assises, JCP G no 9, 247 ;
L. MILANO, « De la nécessité de reconsidérer la place du principe de motivation », RDLF, 2013, chron.
no 7 ; J.-F. RENUCCI, « Mise au point européenne sur la motivation des arrêts d’assises », D, 2013, p. 615 ;
M. PARIGUET, « Les raisons de la peine – à propos de l’arrêt CEDH, 10 janv. 2013, no 60995/09,
v. c/ france », op. cit.
1067. M. PARIGUET, « Les raisons de la peine – À propos de l’arrêt CEDH, 10 janvier 2013, no 60995/09, V. c/
France », op. cit.
1068. R. MERLE, « Confrontation du droit pénal classique et de la défense sociale », op. cit., p. 732.

220
l’introduction en droit positif de l’examen de personnalité obligatoire, mettait déjà en garde
contre une approche exclusivement subjective de la sanction pénale. Il est vrai que, dans une
telle hypothèse, le risque de jugement de la personne à raison de sa seule personnalité, de ce
qu’elle est, est très grand1069. En outre, comme le note Marie Pariguet, la « mise entre
parenthèses de la personnalité du condamné dans la détermination du quantum de la
peine »1070 peut constituer une garantie pour ce dernier au regard des incertitudes quant à la
connaissance de la personnalité des individus, des incertitudes liées à la notion de dangerosité,
notion qui permet aujourd’hui l’enfermement ou la surveillance perpétuelle des individus
considérés dangereux. Selon l’auteur, ces incertitudes « invitent à une conception moins
proactive de la peine dont l’ancrage dans l’infraction commise doit être rappelé »1071. Ainsi, à
juste titre, le concept de culpabilité, ce « corset juridique »1072, constitue « aux yeux de
beaucoup de juristes le meilleur garant de la liberté individuelle »1073. Il en découle
l’importance de conforter la culpabilité dans son rôle de mesure de la responsabilité pénale.

3.2 La fonction garantiste de la culpabilité à l’égard de la société

La fonction garantiste de la culpabilité consiste aussi à protéger la société en assurant la


répression effective des infractions. Si, dans sa décision DC no 05-520 du 22 juillet 2005, le
Conseil constitutionnel a conféré au principe d’individualisation le caractère d’un principe à
valeur constitutionnelle, la juridiction suprême a néanmoins précisé dans une décision
ultérieure que le législateur « doit fixer des règles assurant une répression effective des
infractions »1074. Autrement dit, et de façon moins classique, la culpabilité établie du
délinquant peut être regardée comme une notion permettant d’équilibrer la potentialité d’une
individualisation débridée de la peine en garantissant la répression effective de l’infraction.
Le Conseil constitutionnel a d’ailleurs confirmé sa position dans deux décisions du
29 septembre 2010, rendues sur QPC1075. Ces deux décisions vont dans le sens de celle
rendue le 9 août 2007 s’attachant à circonscrire le principe de l’individualisation des peines.
Il en résulte que le principe d’individualisation des peines ne saurait entraver l’effectivité de
la répression voulue par la loi et qu’il n’implique pas davantage que la peine soit exclusivement
déterminée en fonction de la personnalité de l’auteur de l’infraction ».

1069. De là à ce qu’elle soit réduite à sa seule dangerosité, il n’y a qu’un pas…


1070. M. PARIGUET, op. cit.
1071. Ibid.
1072. Selon l’expression empruntée à Marc Ancel.
1073. R. MERLE, « Confrontation du droit pénal classique et de la défense sociale », op. cit., p. 732.
1074. Décision no 2007-554, DC du 9 août 2007, JO du 11 août ; AJDA 2008, p. 594, note A. JENNEQUIN ; D.,
2008, p. 2025, obs. V. BERNAUD et L. GAY ; RSC, 2008, p. 133, obs. B. DE LAMY ; ibid. p. 136, obs. B.
DE LAMY.
1075. Cons. const., 29 sept. 2010, no 2010-40 QPC, D., 2010, p. 2732, obs. G. ROUJOU DE BOUBEE, T. GARE
et S. MIRABAIL ; AJ pén., 2010, p. 501, obs. J.-B. PERRIER et Cons. const., 29 sept. 2010, no 2010-41 QPC,
consid. 4, D., 2011, p. 54, note B. BOULOC.

221
222
PARTIE 2

L’imputabilité à l’épreuve
d’un droit pénal post-moderne

223
224
Le concept de post-modernité, apparu sur la scène intellectuelle à la fin des années 1970,
paraît adapté pour servir de grille de lecture au droit positif, en ce sens qu’il permet de
signifier qu’une mutation affecte la matière pénale1076. La question se pose alors de savoir si
les évolutions contemporaines sont de nature à induire une rupture épistémologique ou si
elles procèdent d’une « adaptation dans la continuité »1077.

Si l’« on peut considérer que le droit pénal moderne1078 s’est construit progressivement, en
intégrant dans le modèle initial, après les avoir refaçonnés, certains des bouleversements
provoqués par la pensée positiviste, qui avaient remis en cause des postulats jusque-là jugés
inébranlables »1079, on doit ajouter aussitôt que « l’influence du mouvement positiviste sur la
législation […] n’a pas entraîné une transformation radicale du droit pénal »1080. Il en a été de
même par la suite pour les différents mouvements de défense sociale qui se sont développés
et, en particulier, du courant français de la Défense sociale nouvelle animé par Marc Ancel.
Comme pour signifier cette dernière hybridation, la doctrine a pu parler de « néoclassicisme
contemporain ». Dans la mesure où ces évolutions passées n’ont pas induit de ruptures
franches avec les systèmes antérieurs, les termes de « droit pénal d’essence classique » nous
apparaissent adaptés à en constituer la synthèse. Plus récemment, ce droit pénal d’essence
classique s’est trouvé confronté à la montée d’un droit pénal néopositiviste, notamment au
travers des notions de risque, de dangerosité et de mesure de sûreté. De la même manière, la
question d’une rupture épistémologique se pose à nouveau.

Certaines des évolutions contemporaines ont d’abord pu le laisser penser, cela que l’on
considère la responsabilité pénale des personnes morales ou des personnes physiques.
S’agissant des personnes morales, l’évolution de la responsabilité pénale, en s’orientant vers
la reconnaissance d’une responsabilité directe de l’entité abstraite, a dévoilé le fondement du
risque social à cette responsabilité. Elle a dans le même temps induit une rupture de
l’homogénéité du concept d’imputabilité selon l’entité juridique considérée. S’agissant des
personnes physiques, la montée contemporaine de la dangerosité a provoqué l’effacement
ciblé de l’imputabilité selon le type de délinquance considéré (titre 1).

A priori, aucun des dispositifs existants, à l’instar du mécanisme de la césure du procès pénal
autorisé par la démonstration de l’interversion des composantes de la responsabilité pénale,
n’est susceptible de pouvoir conjurer cette résurgence positiviste. Cependant, nous établirons
dans un second temps que, si le mouvement néopositiviste contemporain a une nouvelle fois

1076. Cf. not. M. MASSE M., J.-P. JEAN et A. GIUDICELLI (dir.), Un droit pénal postmoderne ? Mise en perspective des
évolutions et ruptures contemporaines, op. cit.
1077. Ibid., in « Prologue », p. 25.
1078. Ce dernier aurait débuté au XVIIIe siècle, les historiens s’accordant pour situer la modernité avec les
Lumières, à partir du milieu du XIXe siècle.
1079. Notamment ceux du libre arbitre et de la peine auxquels ils opposaient respectivement le déterminisme
et la mesure de sûreté (cf. M. MASSE, J.-P. JEAN et A. GIUDICELLI [dir.], op. cit., p. 23).
1080. Cf. M. MASSE, J.-P. JEAN et A. GIUDICELLI [dir.], op. cit., in « Prologue », p. 23 et 24.

225
influencé la législation, ce phénomène doit être relativisé, voire approuvé pour partie. En
effet, si l’on met en perspective les dernières évolutions du droit pénal, on s’aperçoit, d’une
part, qu’elles n’impliquent pas nécessairement un décrochage des principes qui avaient fait
l’essence de ce droit pénal « classique-moderne »1081, et, d’autre part, qu’elles se confrontent
avec une part de réalisme aux difficultés affectant la société contemporaine. L’économie du
système pénal ne s’en trouve donc pas bouleversée.

Au-delà, nous établirons que le paradigme de la post-modernité appliqué au droit pénal


repose plus particulièrement sur une hybridation des systèmes1082. Il consiste à faire cohabiter
de manière raisonnée les concepts de culpabilité, d’imputabilité et de dangerosité. Cette
perspective de cohabitation doit néanmoins conduire à s’interroger sur la nécessité d’un
aménagement des concepts. Faut-il, pour l’organiser, revisiter les composantes classiques de
la responsabilité pénale afin d’en proposer une lecture post-moderne ?

À l’issue de ce questionnement, il s’avérera que s’il n’est pas nécessaire d’opérer un


rafraîchissement du concept de culpabilité, il importe en revanche de redimensionner celui
d’imputabilité. Après avoir établi, dans le titre 1 de cette seconde partie, que la montée d’un
néopositivisme contemporain a sonné le glas d’une conception unitaire de l’imputabilité, il
sera démontré l’existence d’implications procédurales du concept d’imputabilité en droit
positif lorsque le discernement de l’agent, au moment des faits, était aboli ou seulement altéré.
Les modifications de la procédure pénale ont longtemps été fluides sans impliquer de
profonds bouleversements de la discipline1083. Les mouvements qui l’ont affectée ne se sont
accélérés qu’à partir des années 1970, sous l’influence combinée du doit constitutionnel et
du droit européen des droits de l’homme, au point que « le modèle du procès équitable, en
dépassant l’opposition accusatoire/inquisitoire, constitue certainement l’aboutissement de la
procédure pénale moderne »1084. Ce modèle du procès équitable subit maintenant,
parallèlement au droit pénal de fond, les assauts d’un néopositivisme contemporain couplé à
une certaine idéologie du pragmatisme. Une réaction à ce phénomène se devait d’intervenir ;
elle est rendue possible par le truchement de l’imputabilité. Il sera alors permis de qualifier
de post-moderne la procédure pénale résultant d’une résistance à ces évolutions
contemporaines par la projection de l’imputabilité au-delà du moment des faits.

Au regard du droit pénal de fond, une lecture post-moderne de l’imputabilité pourra amener
à questionner, une nouvelle fois, la consécration de l’imputabilité comprise comme la
capacité pénale. En ce qui concerne la dangerosité, il sera établi que le droit pénal post-
moderne, en assumant la nécessité d’un usage de la notion dans la mise en œuvre de la

1081. Expression empruntée à l’ouvrage précité sur la post-modernité, dont les principes directeurs ont été
étudiés dans la première partie de cette étude.
1082. Cf. A. GIUDICELLI, « Le fait de la personne atteinte d’un trouble mental », in M. MASSE M., J.-P. JEAN et
A. GIUDICELLI (dir.), Un droit pénal postmoderne ? Mise en perspective des évolutions et ruptures contemporaines,
op. cit., p. 170.
1083. Le Code de procédure pénale de 1959 ne constitue pas une rupture par rapport au Code d’instruction
criminelle de 1808.
1084. Cf. A. GIUDICELLI, « Modernité, postmodernité et doctrines pénales : une grille de lecture », in M. MASSE,
J.-P. JEAN et A. GIUDICELLI (dir.), op. cit., p. 51 et suiv.

226
responsabilité pénale, a aussi pour mérite d’organiser un usage recentré de la dangerosité.
C’est donc d’une application raisonnée qu’il sera question, la montée de la dangerosité
n’impliquant pas nécessairement d’atteindre la théorie de la responsabilité pénale au cœur de
ses composantes essentielles : la culpabilité et l’imputabilité.

Au final, l’hypothèse d’un droit pénal post-moderne consécutive à la montée d’un droit pénal
néopositiviste constitue la synthèse d’un droit pénal d’essence classique adapté aux
évolutions contemporaines. Il ne procède pas d’une rupture avec le droit pénal « classique-
moderne » mais d’une « adaptation dans la continuité »1085 (titre 2).

1085. « Prologue », in M. Masse M., J.-P. Jean et A. Giudicelli (dir.), op. cit., p. 25.

227
228
TITRE 1

LA MONTÉE D’UN DROIT PÉNAL
NÉOPOSITIVISTE SONNANT LE GLAS D’UNE
CONCEPTION UNITAIRE DE L’IMPUTABILITÉ

La délinquance des personnes morales étant une réalité criminologique incontestable que le
législateur ne pouvait plus ignorer, la création de la responsabilité pénale des personnes
morales à l’article 121-2 du Code pénal a constitué l’une des innovations majeures du Code
pénal de 19941086. Elle était cependant de nature à bouleverser la théorie classique de la
responsabilité pénale. Comment, en effet, traduire à l’égard de cette entité juridique singulière
ce qui est l’essence même de la responsabilité pénale, et notamment la culpabilité et
l’imputabilité ? Le caractère abstrait, désincarné, immatériel – les vocables ne manquent pas
en doctrine – des personnes morales a même conduit certains auteurs à douter du caractère
pénal de cette responsabilité1087. La question se pose donc de savoir si le législateur a institué
une responsabilité pénale qui reste ou non analogue à celle des personnes physiques. Nous
allons établir, contrairement à une idée répandue en doctrine, que le mécanisme de
responsabilité indirecte imaginé par le législateur à l’occasion du « nouveau » Code pénal
devait permettre de concilier les concepts traditionnels de culpabilité et d’imputabilité avec
les particularités du nouveau sujet de droit pénal incarné par la personne morale. En
revanche, l’évolution du droit positif vers l’autonomisation de la responsabilité pénale des
personnes morales doit conduire à repenser les conditions d’engagement de cette
responsabilité, dans le sens, cette fois, d’une mutation des conditions classiques de la
responsabilité pénale. Si l’évolution de la responsabilité pénale des personnes morales a
permis de mettre en exergue, avec une acuité particulière, le fondement du risque social
combiné à l’existence d’une faute personnelle imputable à la personne morale, elle devait
dans le même temps inviter à une réflexion renouvelée sur la question de l’imputabilité.
Autant le Code pénal de 1992 était parvenu à préserver, par le système de responsabilité mis
en place, une acception au moins partiellement subjective de l’imputabilité, autant l’évolution
du droit positif induit-elle, en la matière, un glissement vers une conception objectivée de
l’imputabilité. Il sera permis d’en conclure que la mutation vers l’autonomisation de la
responsabilité pénale des personnes morales a sonné le glas d’une conception homogène de
l’imputabilité en droit pénal de la responsabilité. Il semble inévitable qu’une acception duelle
de l’imputabilité devrait être appliquée selon l’entité juridique considérée, personne physique
ou morale. Dépassant la simple dichotomie, la notion d’imputabilité serait alors vouée à

1086. Citer Roujou de Boubée.


1087. Cf. not. P. CONTE, « La responsabilité des personnes morales au regard de la philosophie du droit pénal »,
in La personne juridique dans la philosophie du droit pénal, sous la direction de J.-H. ROBERT et S. TZITZIS,
éd. Panthéon-Assas, 2003, p. 109 et suiv. L’auteur évoque « une “fausse” responsabilité pénale ».

229
disparaître dans le cas de la responsabilité pénale des personnes morales au profit de la notion
d’imputation1088.

Chez les personnes physiques, une évolution parallèle s’est fait jour dans les conditions
d’engagement de la responsabilité qui, sans dénaturer le concept d’imputabilité, devait
néanmoins conduire à son effacement ciblé selon les hypothèses de délinquance
envisagées1089. La montée d’une notion voisine du risque social et consistant dans la
dangerosité de l’individu considéré en est la cause. Si les notions de dangerosité et de risque
ont tendance à se confondre, l’une impliquant nécessairement l’autre, Christophe Adam,
psychologue clinicien belge, a insisté sur la nécessité de distinguer les deux termes à l’occasion
d’une recherche menée sur la prévention de la récidive en Charente-Maritime1090. La
dangerosité renverrait à du concret, alors que le risque renverrait à un individu abstrait1091.
Pour cette raison, le terme de risque sera préféré à l’endroit des personnes morales, tandis que
celui de dangerosité sera utilisé en présence d’une personne physique. Ainsi, dans le cadre de
certaines hypothèses ciblées de délinquance des personnes physiques, la responsabilité pénale
du délinquant (de morale qu’elle était) devient sociale. En d’autres termes, « l’homme n’est
responsable pénalement que parce qu’il vit en société »1092 ; la responsabilité pénale est
détachée de toute idée « éthico-religieuse »1093, elle est fondée sur l’état dangereux de
l’individu. Pour cette raison, les peines sont remplacées par des mesures de défense sociale
ou mesures de sûreté, celles-là mêmes par lesquelles s’est opérée la montée contemporaine
de la dangerosité et qui ont permis de livrer ce diagnostic. On retrouve incontestablement à
cet endroit les marqueurs d’un néopositivisme contemporain. Au-delà, le lien entre les
missions de la responsabilité pénale des personnes morales, (parer au risque social généré
et/ou avéré par l’activité de l’entité abstraite) et de la responsabilité pénale des personnes
physiques explique le phénomène de convergence dans l’évolution des responsabilités
pénales des deux sujets juridiques. La poussée de l’un des traits forts du positivisme tenant
aux concepts de risque, de prévention, voire de précaution, innerve pour partie les évolutions
du droit positif, tant à l’égard des personnes physiques que des personnes morales, avec des
retombées sur les conceptualisations pénales classiques.

1088. Cf. Y. MAYAUD, « Non à l’imputabilité des personnes morales », in Mélanges en l’honneur de Christine Lazerges,
Dalloz, 2014.
1089. Qu’il s’agisse par exemple de la minorité, voire de la maladie mentale.
1090. Atelier sur la dangerosité, journées sur la prévention de la récidive dans sa dimension partenariale, 6-7 juin 2013,
faculté de droit de La Rochelle. Citer ouvrage
1091. Il est vrai que d’aucuns n’établissent pas de distinction entre les deux, certains préférant par exemple
parler de « risque de récidive » plutôt que de « dangerosité », en l’occurrence criminologique, à l’endroit
des personnes physiques. En ce sens également, l’une des propositions du rapport de la commission
présidée par Bruno Cotte, Pour refonte du droit des peines, remis le 18 décembre 2015, p. 59 (cf. infra).
1092. Cf. J. PRADEL, Histoire des doctrines pénales, PUF, coll. « Que sais-je ? », 1991, p. 78.
1093. Loc. cit.

230
Chapitre I

L’objectivation de l’imputabilité en lien avec l’évolution
de la responsabilité pénale des personnes morales

Lors de la création par le législateur de la responsabilité pénale des personnes morales, on


pouvait se demander si cette responsabilité était analogue à celle des personnes physiques.
Pouvait-on considérer qu’il s’agissait d’une responsabilité pénale de droit commun obéissant
aux principes généraux de la responsabilité pénale ? En raison de son contenu axiologique,
la question se posait avec une acuité particulière relativement à l’exigence d’imputabilité.
L’acception subjective de l’imputabilité était-elle compatible avec le caractère immatériel de
l’entité morale ? Une réponse affirmative à ce questionnement a découlé de la théorie retenue
relativement à la responsabilité pénale des personnes morales. Si deux thèses étaient
théoriquement envisageables, la thèse du substratum (ou thèse de la responsabilité indirecte)
et celle de la responsabilité directe1094, nous allons établir que le choix initial de la
jurisprudence en faveur de la première1095 allait permettre de préserver l’acception
traditionnelle de l’imputabilité. Cependant, les inconvénients découlant de la pratique de la
thèse de la responsabilité indirecte, inhérents au caractère subséquent de la responsabilité de
la personne morale, devaient par la suite induire son abandon progressif. Le droit positif a
alors évolué vers l’autonomisation de la responsabilité pénale des personnes morales

1094. Cette dualité n’est pas sans évoquer les deux thèses qui ont été en présence pour justifier l’attribution de
la personnalité juridique à l’entité abstraite qu’est la personne morale. La théorie du substratum ou thèse
de la responsabilité indirecte pourrait s’apparenter à la thèse de la fiction, et la thèse de la responsabilité
directe à la thèse de la réalité. Après que les groupements de personnes physiques se sont vu accorder la
personnalité juridique, le débat s’était focalisé sur le point de savoir si la personnalité morale était une
fiction ou une réalité. Selon la thèse de la fiction, elle ne dispose de la personnalité juridique qu’en raison
d’un choix du législateur. Il faut alors comprendre qu’il ne s’agit que d’être fictifs car créés par la loi. Selon
la thèse de la réalité, les personnes morales disposent de la personnalité juridique uniquement si existent
des intérêts collectifs distincts de ceux de ses membres, ainsi qu’une organisation collective agissant afin
de défendre ses intérêts. Nonobstant l’absence de réalité physique des personnes morales, la thèse de la
réalité a été consacrée en jurisprudence, d’abord à l’égard des sociétés civiles, par un arrêt de la chambre
des Requêtes en 1891 (Req., 23 févr. 1891, D., 1891, 1, 337 ; S., 1892, 1, 73) puis à l’égard des comités
d’établissement par un arrêt de la deuxième chambre civile rendu lui en 1954 (Civ. 2e, 28 janv. 1954
no 54-07.081, Bull. II, no 32, JCP 1954, II, 7958, concl. LEMOINE ; D., 1954, p. 217, note G. LEVASSEUR).
L’étude de l’évolution contemporaine de la responsabilité pénale des personnes morales laissera apparaître
qu’il existe une convergence entre la thèse retenue au fondement de la personnalité morale et la
conception « positive » de la responsabilité pénale des personnes morales, la thèse civiliste de la réalité
trouvant un écho dans la responsabilité directe de la personne morale. Au-delà, il sera donc permis de
constater au travers de l’étude du droit positif un rapprochement des approches pénale et civile de la
problématique des personnes morales. Il ne sera alors pas étonnant de relever une objectivation des
composantes traditionnelles de la responsabilité pénale et, en particulier, du concept d’imputabilité.
1095. La théorie du substratum avait été proposée par Henri Donnedieu de Vabres
(cf. H. DONNEDIEU DE VABRES, « Les limites de la responsabilité pénale des personnes morales », RIDP,
1950, p. 339).

231
dévoilant le rôle prépondérant du risque social dans le fondement de cette responsabilité.
Concrètement, cette nouvelle approche systémique dans l’établissement de la responsabilité
pénale de la personne morale a été révélée par l’éclipse de l’exigence d’une infraction parfaite
commise par la personne physique. Cette dernière, en impliquant la reconnaissance d’une
responsabilité directe de la personne morale, ne pouvait rester sans incidence sur les
conditions traditionnelles gouvernant l’engagement de la responsabilité pénale.

L’autonomisation de la responsabilité pénale des personnes morales, si elle repose par ailleurs
sur les données classiques de la responsabilité pénale, en supposant la caractérisation d’une
faute personnelle imputable à la personne morale, est néanmoins de nature à induire une
objectivation de ces conditions. Il importera dans un premier temps d’établir la véracité d’une
évolution du droit positif vers l’abandon de la théorie de la réalité au bénéfice de la théorie
de la fiction – autrement dit, il importera d’établir le glissement en droit positif d’une
responsabilité indirecte de la personne morale vers une responsabilité directe de l’entité
abstraite (section 1) – avant de s’attacher à déterminer le contour des conditions nouvelles
d’engagement de la responsabilité pénale des personnes morales, en soulignant avec une
acuité particulière la mutation du concept d’imputabilité (section 2).

Section 1 - Le glissement vers l’abandon de la responsabilité indirecte des


personnes morales condamnant la conception subjective de l’imputabilité
Dans le troisième chapitre de sa thèse relative à une étude comparée de la responsabilité
pénale des personnes morales en Europe, Antonio Amalfitano oppose les systèmes sensibles
à une conceptualisation doctrinaire et les systèmes juridiques positivistes1096. Le système
français est présenté comme reposant sur une conception anthropomorphique de la
responsabilité pénale des personnes morales, l’imputation de l’infraction s’opérant par une
sorte d’assimilation de la personne morale à la personne physique qui en est l’auteur. Cette
approche systémique s’apparente à la conception doctrinaire dite du substratum ou de la
responsabilité pénale indirecte de la personne morale. Elle a pour mérite de concilier les
principes classiques du droit pénal avec le caractère immatériel de la personne morale.
L’équation au terme de laquelle la somme de la culpabilité et de l’imputabilité conduit à
l’existence de la responsabilité pénale se trouve ainsi vérifiée (§ 1). Cependant, le
développement de la société du risque, combiné à la volonté de laisser à la marge des
poursuites pénales les dirigeants sociaux, a contribué à la mutation de la responsabilité pénale
des personnes morales. Le droit positif s’est orienté vers la consécration de la responsabilité
directe des personnes morales. De quelle manière cette mutation s’est-elle opérée ? Le
décrochage avec le système de responsabilité indirecte a d’abord été initié par un
élargissement du champ d’application de la responsabilité pénale des personnes morales,
avant que les solutions ne s’orientent vers l’autonomisation pure et simple de la responsabilité
pénale de l’être moral (§ 2).

1096. Cf. A. AMALFITANO, La responsabilité pénale des personnes morales – Une recherche pour la construction d’un modèle
commun, L’Harmattan, 2016.

232
§ 1 - La reconnaissance initiale d’une responsabilité indirecte
de la personne morale

L’intermédiaire d’un substratum humain à l’engagement de la responsabilité pénale des


personnes morales, en impliquant la caractérisation de l’infraction à l’égard d’une personne
physique, permet de préserver les acceptions classiques des composantes de la responsabilité,
dont l’acception subjective de l’imputabilité (A.). Sans remettre en cause le principe d’une
responsabilité indirecte des personnes morales, l’extension de son domaine d’application, en
impulsant néanmoins l’autonomisation de la responsabilité pénale des personnes morales, a
été initiée dès le lendemain de la réforme de 1994 (B.).

A. Le choix jurisprudentiel de la théorie du substratum préservant l’acception subjective


de l’imputabilité

Deux systèmes sont envisageables dans l’élaboration du mécanisme de responsabilité des


personnes morales : la thèse de la responsabilité indirecte et la thèse de la responsabilité
directe. Seule la thèse de la responsabilité indirecte, autrement dénommée « mécanisme du
substratum humain », est de nature à préserver le caractère subjectif de l’imputabilité en raison
de la projection de cette composante caractérisée en la personne physique sur la personne
morale. Cette affirmation se trouve vérifiée, qu’il s’agisse d’appréhender l’imputabilité dans
son versant positif de fondement à la responsabilité pénale (1.) ou dans son versant négatif
de cause d’exonération de la responsabilité pénale (2.).

1. La préservation de l’acception subjective de l’imputabilité découlant de la


projection automatique de l’imputabilité caractérisée en la personne physique
sur la personne morale
Comment une personne morale, dépourvue de corps et d’esprit, pourrait-elle vouloir
exécuter une infraction ? Comme le souligne Jean-Yves Maréchal, « les personnes morales,
ayant une existence essentiellement juridique, sont désincarnées et ne peuvent donc
elles-mêmes accomplir des faits constitutifs d’infractions pénales »1097. Une certaine
unanimité se dégage en effet en doctrine pour considérer que les personnes morales ne
peuvent réaliser elles-mêmes les éléments constitutifs d’une infraction pénale. En ce qui
concerne l’élément matériel, une personne morale étant un être sans corps, « elle n’a donc
pas de prise directe sur les choses, et doit agir en tandem avec un être humain pour atteindre
le résultat infractionnel désiré »1098. En ce qui concerne l’élément psychologique, il n’est pas
plus concevable, pour une partie de la doctrine, que « l’intention ou le mobile, élément moral
de l’infraction, aient leur siège ailleurs que dans le cerveau d’un homme »1099. L’incapacité
tout à la fois matérielle et psychologique de la personne morale a conduit le législateur à opter
pour la nécessité d’un substratum humain. Aux termes du premier alinéa de l’article 121-2 du

1097. Cf. J.-Y. MARÉCHAL, « Un pas de plus vers la responsabilité directe des personnes morales », D. 2010,
p. 2135.
1098. C. MOULOUNGUI, « L’élément moral dans la responsabilité pénale des personnes morales », RTD com.,
1994, p. 441.
1099. H. DONNEDIEU DE VABRES, note sous Paris, 21 déc. 1949, Soc. Baschet, D. 1950, p. 438, col. 1.

233
Code pénal, il est prévu que « les personnes morales […] sont responsables pénalement […]
des infractions commises, pour leur compte, par leurs organes ou représentants ». Pour
autant, dès l’entrée en vigueur du Code pénal de 1994, la majeure partie des juridictions du
fond avaient exprimé leur préférence pour une conception « classique » de la nouvelle
responsabilité pénale, autrement dit pour une responsabilité pénale directe de la personne
morale. La condamnation de la personne morale supposait donc que l’ensemble des éléments
constitutifs de l’infraction soient réunis sur la tête de l’entité morale, sans qu’il soit besoin de
s’intéresser à la situation individuelle de l’organe ou du représentant1100. La chambre
criminelle mit un coup d’arrêt à ce courant jurisprudentiel dès qu’un pourvoi en donnant
l’occasion lui fut présenté, en retenant la thèse de la responsabilité indirecte1101. En
application de cette thèse, il est légitime de considérer, à l’instar de Daniel Ohl, que « [le
dirigeant], doté d’une conscience et d’une volonté propres, […] est aussi l’agent au service
d’une organisation, à qui il prête ses conscience et volonté. Sa personnalité n’en pas une, elle
subit une sorte de dédoublement. Lorsqu’il agit pour le compte du groupement, il n’est plus
lui-même, il devient la personne morale »1102 : le dirigeant incarne véritablement la personne
morale. Ainsi, pour pouvoir imputer une infraction à la personne morale, il est nécessaire
que les juges établissent en quoi les organes ou représentants ont commis une faute.
Concrètement, il faut apprécier l’intention ou les négligences et manquements aux
obligations de sécurité en la personne des organes ou représentants de la personne morale.
La chambre criminelle a eu l’occasion, par ailleurs, de préciser que l’établissement d’une faute
distincte de la personne morale n’était pas une condition pour engager sa responsabilité
pénale1103. À l’origine, la Cour de cassation interprétait donc l’exigence légale de la

1100. Pour un exemple, cf. tr. corr. de Paris, 3 nov. 1995, Dr. soc., 1996, p. 157, note A. COEURET. Le jugement
attribue, d’emblée, la responsabilité pénale d’un accident du travail dû à la rupture d’un échafaudage à
deux sociétés sans évoquer les personnes physiques susceptibles d’être mises en cause. Le tribunal explicite
les fautes des deux sociétés condamnées : celle de la société employeur qui « a laissé travailler son salarié
sans prendre les précautions les plus élémentaires pour vérifier la solidité de l’échafaudage, une négligence
grave susceptible d’engager sa responsabilité pénale » et celle de la société ayant sous-traité l’installation
de l’échafaudage qui n’était pas « spécialisée dans l’activité à laquelle elle s’est livrée et a donc commis des
négligences et des manquements aux obligations du droit du travail ». Il nous apparaît, à l’instar d’Alain
Coeuret, que l’on peut voir dans ce jugement une sorte de « responsabilité directe ou automatique » de la
personne morale. Cette projection de l’infraction sans intermédiaire sur la personne morale est d’autant
plus notable que, dans cette affaire, il était loisible au tribunal de relever les fautes des personnes physiques.
1101. Cass. crim., 2 déc. 1997, no 96-85.484, Bull. crim., no 408 ; Rev. sociétés 1998, p. 148, obs. B. BOULOC ; RSC,
1998, p. 536, obs. B. BOULOC ; JCP E 1998, 148, note P. SALVAGE ; D., 1999, Somm. p. 152, obs.
G. ROUJOU DE BOUBEE ; JCP 1998, II, no 10023, rapp. F. DESPORTES ; J. PRADEL et A. VARINARD,
Les grands arrêts du droit pénal général, op. cit., no 38, p. 570 et suiv.; JCP 1999, I, 112, no 1, M. VERON ; Bull.
Joly 1998, p. 512, § 166, note J.-F. BARBIERI ; Droit et Patrimoine 1998, 2011, note J.-F. RENUCCI.
1102. D. OHL, « Recherche sur un dédoublement de la personnalité en droit pénal (à propos d’une responsabilité
pénale de la personne morale qui n’exclut pas celle du dirigeant personne physique) », in Études offertes à
Barthélemy Mercadal, éd. F. Lefebvre, 2002, no 5, p. 375.
1103. Cass. crim., 26 juin 2001, no 00-83.466, Bull. crim., no 161 ; D. 2002, p. 1802, obs. G. ROUJOU DE BOUBEE ;
RSC, 2002, p. 99, obs. B. BOULOC ; JCP E 2002. 371, note D. OHL ; Dr. pén., 2002, comm. 8, note
J.-H. ROBERT. Par cette décision, la Cour de cassation énonce clairement que la faute pénale de l’organe
ou du représentant suffit à engager la responsabilité pénale de la personne morale, lorsqu’elle est commise
pour le compte de celle-ci, sans que doive être établie une faute distincte à la charge de l’être moral. Avant
que la Cour de cassation n’indique qu’il n’était pas nécessaire d’établir l’existence d’une faute distincte de
la personne morale pour la rendre responsable, les juges du fond étaient partagés. Certains, partisans de
la théorie de la faute distincte, n’hésitaient pas à considérer que l’imputation de l’infraction à la personne
morale supposait d’établir la preuve d’une faute, intentionnelle ou non, de cette dernière, la responsabilité
de l’être moral ne devant pas être la simple conséquence de celle de la personne physique organe ou
représentant (cf. par exemple en ce sens trib. corr. Versailles, 18 déc. 1995 : JurisData no 1995-049320 ;

234
commission de l’infraction par un organe ou un représentant comme signifiant que la faute,
intentionnelle ou non, nécessaire à la constitution de l’infraction, devait être relevée chez la
seule personne physique, organe ou représentant de la personne morale, à l’exclusion de la
personne morale elle-même. La responsabilité pénale de la personne morale ne pouvait être
engagée que dans la mesure où il était établi qu’une infraction avait été matériellement et
intellectuellement commise par un de ses dirigeants sociaux. La responsabilité pénale des
personnes morales est une responsabilité du fait personnel par représentation1104. La
responsabilité de l’entité abstraite est donc une responsabilité subséquente à celle de la
personne physique1105. Cela signifie par ailleurs qu’à l’instar des éléments constitutifs de
l’infraction, l’imputabilité de la personne morale doit s’apprécier au regard de l’imputabilité
de la personne physique, organe ou représentant. Dans le même sens, Roger Merle et André
Vitu considèrent que « l’imputabilité de la personne physique est […] le support
indispensable à l’imputabilité de la personne morale »1106. En écho à la projection sur la
personne morale de l’infraction commise par son organe ou son représentant, l’imputabilité
de la personne physique se projette sur la personne morale. Parce qu’elle emprunte les
conditions de l’imputabilité à un organe ou un représentant, la recherche de l’imputabilité de
la personne morale ne pose guère de problème particulier et doit être menée auprès de la
seule personne physique.

En induisant la recherche des composantes de la responsabilité pénale de la personne morale


dans la personne physique, dirigeant social, la théorie du substratum permet de concilier les
exigences classiques du droit pénal, dont l’acception subjective de l’imputabilité, avec le
caractère immatériel et désincarné de la personne morale. De manière symétrique, les causes
de non-imputabilité reconnues au bénéfice des personnes physiques doivent logiquement
pouvoir exonérer la personne morale de sa responsabilité pénale, confortant, ce faisant, le
maintien d’une acception subjective de l’imputabilité.

2. La confirmation de l’acception subjective de l’imputabilité par la projection


des causes de non-imputabilité de la personne physique sur la personne morale
La question se pose maintenant de l’impact que peut avoir sur la personne morale l’existence
d’une cause de non-imputabilité établie au bénéfice de la personne physique. Autrement dit,
la responsabilité pénale de la personne morale peut-elle être engagée par l’acte de son organe
ou représentant si celui-ci bénéficie, au moment de l’infraction, d’une cause de

Dr. pén., 1996, comm. 71, note J.-H. ROBERT ; JCP G 1996, II, 22640, note J.-H. ROBERT ; trib. corr.
Strasbourg, 9 févr. 1996, Bull. Joly, 1996, p. 297, note J.-F. BARBIÈRI ; trib. corr. Lyon, 9 oct. 1997 :
JurisData no 1997-044728 ; Dr. pén., 1997, comm. 154, note J.-H. ROBERT ; JCP G 1998, I, 105, note
J.-H. ROBERT). D’autres juridictions retenant une conception divergente considéraient à l’inverse que la
recherche d’une culpabilité propre de la personne morale était inutile, celle de l’organe ou du représentant
suffisant à lui imputer l’infraction (cf. par exemple CA Lyon, 3 juin 1998 : JurisData no 1998-041510 ;
Dr.-pén., 1998, comm. 118, note J.-H. ROBERT).
1104. Cf. C. MARIE, Droit pénal général, Hachette, 2005, no 314 ; cf. également, C. MARIE, « La responsabilité
pénale des personnes morales », in La personnalité morale, Journées nationales, t. XII, La Rochelle, Dalloz, 2010,
p. 73-92.
1105. Pour cette raison, la responsabilité pénale de la personne morale est aussi désignée sous les expressions de
« responsabilité indirecte » ou « par ricochet » (cf. F. DESPORTES et F. LE GUNEHEC, Droit pénal général,
Economica, 16e éd., 2009, nos 600 à 603) de l’être moral.
1106. R. MERLE et A. VITU, Traité de droit criminel – Droit pénal général, t. 1, Cujas, 1997, 7e éd., no 649 in fine.

235
non-imputabilité ? Deux hypothèses sont à envisager selon la théorie que l’on adopte à
propos de la notion d’infraction, c’est-à-dire selon que l’on considère que l’imputabilité entre
ou non dans la constitution de son élément psychologique.

Dans la première hypothèse, soutenue par une grande majorité de la doctrine, on ne peut pas
dire, en présence d’une cause de non-imputabilité bénéficiant à la personne physique, que
l’infraction a été, selon les termes de l’article 121-2 du Code pénal, « commise » par la
personne physique – la non-imputabilité de la personne physique faisant alors obstacle à la
caractérisation même de l’infraction. L’irresponsabilité conjointe de la personne physique et
de la personne morale découle automatiquement de l’inclusion de l’imputabilité dans
l’infraction. Jean Pradel et André Varinard considèrent dans le même sens que « dès lors que
la commission de l’infraction par une personne physique est en quelque sorte le préalable à
la responsabilité de la personne morale, toute cause de non responsabilité du substratum
humain entraîne l’irresponsabilité de l’être moral »1107.
Dans le cadre de cette étude, nous avons cependant démontré l’extériorité de l’imputabilité
par rapport à l’infraction. Il importe donc d’établir l’irresponsabilité conjointe dans cette
hypothèse, ce qui, a priori, peut paraître moins évident. En effet, dans la mesure où le trouble
mental ou la contrainte morale ne font pas disparaître l’infraction mais seulement la
responsabilité pénale de l’agent, il ne semble pas incohérent de soutenir que la responsabilité
pénale de la personne morale pourra toujours être engagée. La question se pose donc de
savoir, à partir du moment où l’imputabilité est une donnée extérieure à l’infraction, si une
infraction commise par la personne physique, organe ou représentant, bénéficiant d’une
cause de non-imputabilité, pourrait néanmoins être imputée à la personne morale.

À ce jour, il n’existe qu’une seule décision rendue en cette matière, et elle est ancienne. Il
s’agit d’un arrêt de la chambre d’accusation de la cour d’appel de Paris en date du
21 décembre 19491108. En l’espèce, des poursuites avaient été exercées contre le journal
L’Illustration, accusé de collaboration avec l’occupant. Le directeur du journal avait bénéficié
d’un non-lieu en raison de la situation de contrainte dans laquelle il se trouvait1109, puisque la
publication des articles reprochés lui avait été imposée par l’autorité occupante. En revanche,
la personne morale avait vu sa responsabilité pénale engagée par application des dispositions
de l’ordonnance du 5 mai 1945, réprimant les faits de collaboration commis par les
entreprises de presse1110. La cour de cassation semble donc se prononcer en faveur du
caractère alternatif des responsabilités pénales de la personne physique, organe ou
représentant, et de la personne morale.

Cet arrêt fut vivement critiqué par Henri Donnedieu de Vabres qui dénonça « la
contradiction fondamentale qui entacherait une condamnation frappant la personne morale,
qui ferait suite à la mise hors de cause, pour défaut d’intention coupable ou pour une cause

1107. J. PRADEL et A. VARINARD, Les grands arrêts du droit pénal général, op. cit., no 38, p. 584.
1108. Cf. D., 1950, p. 434, note H. DONNEDIEU DE VABRES.
1109. Cause de non-imputabilité prévue à l’article 64 de l’ancien Code pénal.
1110. Avant même l’innovation majeure du Code pénal de 1994, la responsabilité pénale de personnes morales
spécifiques avait été consacrée par des lois spéciales, à l’instar de l’ordonnance du 5 mai 1945 sanctionnant
les entreprises de presse ayant collaboré avec l’ennemi.

236
de non-imputabilité, de toutes les personnes qualifiées pour agir en son nom et poursuivre
les fins communes »1111. La doctrine contemporaine apporte pour sa part des réponses
divergentes sur cette question. Il est vrai que d’aucuns sont favorables à la responsabilité
pénale de la personne morale alors même que la personne physique, par l’intermédiaire de
laquelle la faute a été commise, serait irresponsable pénalement en raison d’un trouble
psychique1112. D’autres s’opposent à la responsabilité pénale de la personne morale.
Marie-Élisabeth Cartier considère en ce sens que « si la faute de la personne physique est
bien la faute de la personne morale1113, alors, en l’absence de l’élément moral requis ou dans
le cas où la personne physique bénéficie d’une cause d’irresponsabilité pénale, la personne
morale ne peut être responsable »1114. Nous souscrivons à cette analyse en considérant que la
solution de l’irresponsabilité conjointe est la conséquence logique de la théorie du substratum.
En application de cette dernière, l’organe ou le représentant de la personne morale n’est pas
un « autrui », mais la personne morale elle-même. La faute de la personne physique est la
faute de la personne morale et l’imputabilité de la personne physique est l’imputabilité de la
personne morale. Si l’on raisonne sur la seule donnée imputabilité, cette dernière supposant
la réunion de deux éléments de personnalité1115, il est alors logique de considérer que le
trouble mental ou la contrainte morale qui vient affecter la personne physique empêche
pareillement l’imputation de l’infraction à la personne morale. Nonobstant le caractère
subjectif de l’imputabilité, le mécanisme particulier de la responsabilité des personnes
morales impose que l’irresponsabilité du dirigeant social, qu’elle soit due à son absence de
discernement1116 ou de liberté, entraîne l’irresponsabilité de la personne morale.
L’irresponsabilité conjointe tient au fait que l’imputabilité de la personne morale se confond
alors avec l’imputabilité de la personne physique. Il était donc logique que l’acception
subjective de l’imputabilité soit préservée dans le cadre d’une responsabilité indirecte de la
personne morale.

1111. H. DONNEDIEU DE VABRES, « Les limites de la responsabilité pénale des personnes morales », op. cit.,
p. 342.
1112. Cf. par exemple, F. DESPORTES et F. LE GUNEHEC, Droit pénal général, op. cit., no 641 ; M.-L. RASSAT, Droit
pénal général, op. cit., no 342, p. 368 – Jacques-Henri Robert considère par exemple que l’irresponsabilité du
dirigeant social fondée sur une cause de non-imputabilité n’impose pas l’irresponsabilité de la personne
morale à qui l’on pourrait reprocher d’avoir porté à sa tête un individu incapable d’exercer sa mission
(cf. J.-H. ROBERT, Droit pénal général, PUF, 6e éd., 2005, p. 383). L’auteur reconnaît cependant que la
jurisprudence n’a pas consacré cette thèse, parfois désignée par certains sous l’expression de « faute
distincte » de la personne morale. Il aurait été permis de soumettre une autre explication à l’auteur. Cette
dernière aurait consisté dans le fait que son argumentation s’inscrivait en réalité dans le cadre de la théorie
d’une responsabilité directe de la personne morale. Jacques-Henri Robert se réfère en réalité à une faute
propre de la personne morale, que d’aucuns désignent sous les termes de « faute distincte ». La solution
de la dissociation du sort de la personne physique et de la personne morale prônée par l’auteur aurait alors
été logique, puisqu’elle ne s’inscrivait plus dans le cadre de la théorie du substratum (cf. infra, la section 2
consacrée à l’étude d’une responsabilité directe des personnes morales). Cependant, pas plus qu’elle n’a
consacré la théorie de la faute distincte de la personne morale, la jurisprudence n’a, à ce jour, opéré de
revirement consacrant explicitement la théorie de la responsabilité directe.
1113. Ce qui résulte de la théorie du substratum.
1114. M.-É. CARTIER, « Nature et fondement de la responsabilité pénale des personnes morales dans le nouveau
Code pénal français », LPA, 1996, p.18.
1115. Le discernement et la liberté psychologique de l’agent.
1116. La seule restriction envisageable résidant dans la possibilité pour la personne morale de se prévaloir de la
minorité de l’agent, dans le mesure où l’on verrait mal comment un mineur pourrait engager la
responsabilité pénale d’une personne morale.

237
Par conséquent, il est permis d’affirmer que l’irresponsabilité conjointe de la personne
physique, organe ou représentant, et de la personne morale disposait d’une assise juridique
dans la consécration jurisprudentielle initiale de la thèse de la responsabilité reflet. Cependant,
ce sont précisément les solutions de l’irresponsabilité conjointe et, à l’inverse, de la
responsabilité conjointe des personnes physique et morale qui ont conduit progressivement
à l’abandon tant législatif que jurisprudentiel du principe de la responsabilité indirecte – cet
abandon devant, quant à lui, être à l’origine d’une objectivation de la notion d’imputabilité
appliquée aux personnes morales.

B. Les inconvénients de la théorie du substratum augurant d’un abandon de la


responsabilité indirecte des personnes morales

L’essence même de la théorie du substratum, en reposant sur une infraction commise en tous
ses éléments constitutifs par une personne physique imputable, est de lier indissolublement
le sort de l’organe ou du représentant à celui de la personne morale. Faute d’infraction
imputable à la personne physique, il ne peut y avoir de responsabilité de l’être moral.
Cependant, la dépendance ainsi établie entre la responsabilité pénale des personnes physiques
et morales aboutit de manière regrettable à une solution du tout ou rien. On se retrouve soit
dans des situations de blocage de la répression, soit, à l’inverse, dans des situations de
pénalisation totale découlant du cumul des responsabilités inhérent à cette théorie.

Hormis le cas des infractions commises par la personne morale sans intervention d’une
quelconque personne physique, une situation de blocage de la répression correspond à
l’hypothèse où la reconnaissance d’une cause de non-imputabilité au bénéfice de la personne
physique paralyse toute condamnation pénale à l’encontre de la personne morale. Or, à
l’examen de l’exposé des motifs de la loi ayant présidé à la création de la responsabilité pénale
des personnes morales, cette solution contrevient au souhait de l’Assemblée nationale qui
préconisait l’extension du droit pénal aux personnes morales en raison de leur (seule)
puissance économique1117. Dans le même sens, Marie-Laure Rassat considère qu’« un
problème particulier est susceptible de se poser dans le cadre de la responsabilité pénale des
personnes morales lorsque le dirigeant ayant matériellement accompli les faits pour la
personne morale est atteint d’un trouble mental. Il est certain, dès lors qu’on a une saine
notion de ce qu’est la responsabilité pénale des personnes morales, qu’il ne saurait y avoir de
liaison absolue entre l’état mental du dirigeant et la responsabilité de la personne morale les
deux choses devant être distinctement appréciées »1118. En sens contraire, les débats
parlementaires ont aussi fait apparaître que le Sénat souhaitait, en créant cette nouvelle forme
de responsabilité, diminuer – voire supprimer – la responsabilité pénale des dirigeants
sociaux jugée excessive. Il y avait la volonté de la Chambre haute de laisser à la marge des
poursuites pénales les dirigeants parfois poursuivis simplement parce qu’ils sont les
responsables de l’entreprise, en créant une véritable responsabilité de substitution de la

1117. Cf. C. LOMBOIS, Droit pénal général, Hachette, 1994, p. 73.


1118. M.-L. RASSAT, Droit pénal général, op. cit., no 342, p. 468 in fine et nos 478 et suiv., p. 502 et suiv. Pour autant,
l’auteur ne précise pas comment il serait possible d’apprécier distinctement ces deux questions. Selon nous,
cette carence s’explique par le fait que l’irresponsabilité conjointe est l’une des conséquences inéluctables
de la théorie de la responsabilité indirecte.

238
personne morale. Ainsi, il y avait d’un côté ceux qui souhaitaient que la responsabilité de la
personne morale entraîne automatiquement l’irresponsabilité des dirigeants sociaux,
autrement dit ceux qui estimaient qu’il fallait instaurer une responsabilité alternative au sein
des entreprises sociales, et, d’un autre côté, ceux qui considéraient qu’il fallait dans tous les
cas pouvoir engager la responsabilité de l’être moral, peu important de manière subséquente
le sort de la personne physique, dirigeant social. Il est certain que la solution du substratum
humain pour fonder l’engagement de la responsabilité pénale des personnes morales
implique un cumul des responsabilités1119. Pour cette raison, elle est contraire à au moins l’un
des arguments mis en avant pour justifier la création de la responsabilité pénale de l’être
moral.

Or, il est permis de relever que le choix explicite en faveur du cumul des responsabilités
découlant la théorie du substratum n’est le fait que de la jurisprudence. À bien y regarder, la
lettre de l’article 121-2 du Code pénal est ambigüe. Elle ne permet pas de déterminer avec
certitude le choix de la solution retenue par le législateur. Si la solution du cumul des
responsabilités s’extrait a priori de l’alinéa 1er, celle du caractère alternatif peut être déduite
a contrario de son alinéa 3, cela même avant l’adoption de la loi du 10 juillet 2000 qui est venue
sceller l’autonomie de la responsabilité pénale des personnes morales1120. Si le cumul est
possible en vertu de cet alinéa, il n’est nullement obligatoire. Jean Pradel et André Varinard
parlent de « principe du cumul facultatif »1121. Ainsi, au-delà même du manque de clarté, qui
pouvait néanmoins être attendue du législateur, il existe une forme de contradiction entre ces
deux alinéas de l’article 121-2 du Code pénal. D’ailleurs, une des premières décisions de la
Cour de cassation sur le sujet avait semblé retenir la thèse du non-cumul des
responsabilités1122. Par la suite, elle devait, il est vrai, à l’occasion de son célèbre arrêt du
2 décembre 1997, se prononcer pour le caractère subséquent, et donc cumulatif, de la
responsabilité de la personne morale1123. Sa position était d’autant plus nette que l’arrêt cassé
de la cour d’appel de Limoges avait retenu la thèse de la responsabilité directe de la personne
morale. Comment interpréter la position de la Cour de cassation alors que la Haute
Juridiction avait l’opportunité, sur le fondement même de l’article 121-2 du Code pénal, d’un
choix entre les deux thèses pouvant être soutenues en matière de responsabilité pénale des
personnes morales ? Dans la mesure où il lui était possible de consacrer la thèse de la
responsabilité directe, pour quelle(s) raison(s) a-t-elle clairement opté pour l’autre thèse ? Par
souci de vraisemblance ? Simplement parce que la personne morale est une abstraction et
non un être réel ? Par crainte de trop objectiver cette responsabilité pénale en considération
des principes directeurs gouvernant l’admission de la responsabilité pénale des personnes

1119. Contrairement à la thèse de la responsabilité directe qui ouvre la voie au caractère alternatif des
responsabilités.
1120. Cf. infra. En vertu de l’alinéa 3 de l’article 121-2 du Code pénal dans sa version en vigueur du 1er mars 1994
au 11 juillet 2000 : « La responsabilité pénale des personnes morales n’exclut pas celle des personnes
physiques auteurs ou complices des mêmes faits. »
1121. J. PRADEL et A. VARINARD, Les grands arrêts du droit pénal général, op. cit., no 38, p. 584.
1122. Cf. Cass. crim., 30 oct. 1995, no 95-80.361, Bull. crim., no 336, p. 980.
1123. Cf. supra. La Cour a estimé que les juges n’avaient pas caractérisé à l’encontre d’un organe de la société
l’élément intentionnel du délit.

239
physiques1124 ? Dans le prolongement de ces questionnements, on pourrait même envisager
de dénoncer le caractère contra legem de la décision de 1997. Au soutien de cette tentation, la
remise en cause par certains auteurs, en considération de ce mécanisme d’imputation de la
responsabilité pénale des personnes morales qui maintient les dirigeants publics ou privés
dans le champ de la répression, de l’utilité réelle de cette responsabilité nouvelle. Plus
encore, il sera permis d’invoquer plusieurs tentatives parlementaires postérieures visant plus
ouvertement à dépénaliser les dirigeants sociaux en cas d’engagement de la responsabilité
pénale de l’être moral. La plus aboutie d’entre elles, et qui servira de fondement légal à
l’autonomisation de la responsabilité pénale de l’entité morale, réside dans l’adoption de la
loi du 10 juillet 2000 no 2000-647 visant à préciser la définition des délits non
intentionnels1125.

Quoi qu’il en soit, le choix de la théorie du substratum humain, en conduisant au cumul des
responsabilités des personnes physiques et morales, contenait en germe deux types
d’inconvénients diamétralement opposés de nature à précipiter l’évolution du droit positif
vers une véritable responsabilité directe de l’être moral. Nous verrons comment, après avoir
retenu la responsabilité indirecte de la personne morale, l’évolution s’est peu à peu orientée
vers la reconnaissance de la thèse de la responsabilité directe.

§ 2 - L’autonomisation de la responsabilité pénale des personnes morales

L’évolution systémique a d’abord été initiée par l’élargissement du champ de la responsabilité


pénale des personnes morales. Ainsi, sans générer une dénaturation par objectivation des
composantes classiques de la responsabilité pénale, l’évolution vers l’autonomie de la
responsabilité pénale des personnes morales a été initiée par les extensions incessantes du
domaine de la responsabilité. Ces dernières, qui correspondent à autant de levées d’obstacles
à la reconnaissance d’une responsabilité directe des personnes morales, sont le fait tant de la
jurisprudence (A.) que du législateur (B.).

A. L’autonomisation jurisprudentielle

L’autonomisation jurisprudentielle s’est opérée par le truchement de la condition relative au


substratum humain. Après avoir assoupli la qualité juridique de la personne physique pouvant
engager la responsabilité pénale de la personne morale (1.) tout en posant des conditions
strictes à ces élargissements, la jurisprudence s’est orientée vers l’abandon de la condition
relative à l’identification de la personne physique substratum humain (2.). Malgré le paradoxe
apparent de ces deux mouvements jurisprudentiels, ils ont concouru de manière convergente
à l’autonomisation de la responsabilité pénale des personnes morales.

1124. Cf. infra et les conséquences d’une évolution vers la reconnaissance d’une responsabilité directe de la
personne morale sur les composantes classiques de la responsabilité et, notamment, le concept
d’imputabilité.
1125. Cf. infra.

240
1. L’élargissement ratione personae
La pénalisation jurisprudentielle des personnes morales procède notamment d’une extension
du champ des personnes physiques susceptibles d’engager la responsabilité pénale de l’être
moral. Conformément à l’article 121-2 du Code pénal, les personnes physiques dont l’action
ou l’omission sera constitutive de l’infraction imputée à la personne morale consistent en un
« organe » ou en un « représentant » de cette dernière. Avant de montrer comment la
jurisprudence interprète largement ces termes, il convient de rappeler l’acception qui en est
communément retenue. Haritini Matsopoulou souligne que « le terme organe convient
parfaitement aux personnes morales, pour lesquelles la loi, sans être totalement
contraignante, a fixé le cadre de leur organisation »1126. C’est le cas de la commune qui est
dotée à la fois d’un organe exécutif (le maire) et d’un organe délibérant (le conseil municipal).
À l’inverse, l’auteur précise plus loin, s’agissant du terme de représentant, qu’« il convient
notamment aux personnes morales, pour lesquelles la loi n’a pas fixé d’une façon précise le
cadre de leur organisation, laissant aux fondateurs ou organisateurs le soin d’établir les règles
de fonctionnement de ces groupements »1127. Il suffira alors de se référer aux statuts pour
déterminer qui peut engager la personne morale à l’égard des tiers. La question s’est posée
en jurisprudence de savoir si un salarié délégué par le chef d’entreprise pouvait valablement
engager la responsabilité pénale de la personne morale en cas d’infraction commise dans le
domaine visé par la délégation. Autrement dit, le salarié titulaire d’une délégation de pouvoirs
peut-il être assimilé à un représentant de la personne morale (1.1) ? La question s’est
également posée de savoir si un dirigeant de fait pouvait être assimilé à un organe de la
personne morale (1.2).

1.1 L’assimilation du salarié titulaire d’une délégation de pouvoirs à un représentant de la


personne morale

Le chef d’entreprise, se trouvant dans l’impossibilité matérielle de tout contrôler ou surveiller,


est souvent dans la nécessité de déléguer à un ou plusieurs de ses subordonnés tout ou partie
de ses pouvoirs, en vue de faire respecter la règlementation dans tel ou tel secteur déterminé.
La Cour de cassation a depuis longtemps admis qu’une délégation de pouvoirs entraîne le
transfert de la responsabilité pénale du chef d’entreprise sur le salarié ou préposé, si bien que
ce dernier peut être poursuivi pour une infraction commise dans un domaine visé par ladite
délégation1128. Dans un second temps, consécutivement à la création de la responsabilité
pénale des personnes morales, la Cour de cassation a décidé que le titulaire d’une délégation

1126. H. MATSOPOULOU, « La généralisation de la responsabilité pénale des personnes morales », Rev. sociétés,
2004, p. 283.
1127. Loc. cit.
1128. En ce sens, Cass. crim., 28 juin 1902, Bull. crim., 1902, no 237 ; Cass. crim., 7 déc. 1981, no 78-91.633, Bull.
crim., 1981, no 325 ; Cass. crim., 19 janv. 1988, no 87-83.315, Bull. crim., 1988, no 29. Cf. également
H. MATSOPOULOU, « L’effectivité d’une délégation de pouvoirs et la non-caractérisation d’un délit de mise
en danger d’autrui », JCP G 2015, I, 1284. L’auteur rappelle, à propos du commentaire d’un arrêt rendu
par la chambre criminelle le 22 septembre 2015 questionnant notamment l’effectivité d’une délégation de
pouvoirs, les conditions de validité de ladite délégation déjà dégagées par les arrêts du 11 mars 1993 (Cass.
crim., 11 mars 1993, no 91-83-655 : JurisData no 1993-000886 – no 92-80-773 : JurisData no 1993-704844
– no 90-84.931 : JurisData no 1993-000778 – no 91-80-958 : JurisData no 1993-003140 – no 91-80-598 :
JurisData no 1993-704846 ; Bull. crim., 1993, no 112 ; Bull. Joly Sociétés 1993, p. 666, note M.-E. CARTIER ;
RSC, 1994, p. 101, obs. B. BOULOC).

241
de pouvoirs pouvait, dans le prolongement de la solution qui précède, valablement engager
la responsabilité pénale de la personne morale. Si la Haute Juridiction a d’abord
implicitement répondu par l’affirmative dans un arrêt du 1er décembre 19981129, elle a
ensuite expressément consacré cette solution par les arrêts du 9 novembre1130 et du
14 décembre 19991131. La délégation de pouvoirs entraîne donc un transfert de pouvoirs et
un transfert de représentation. Il s’ensuit que si la lourde responsabilité pesant sur le chef
d’entreprise peut se trouver allégée par le jeu d’une délégation de pouvoirs, l’entité qu’il
incarne est invariablement condamnée. La jurisprudence récente valide toujours
explicitement l’assimilation de la qualité de salarié délégataire à la qualité de représentant
de la personne morale au sens de l’article 121-2 du Code pénal1132. Elle considère aussi que
le dirigeant de fait peut engager la responsabilité pénale de la personne morale.

1.2 L’assimilation du dirigeant de fait à un organe de la personne morale

Un dirigeant de fait s’entend de celui qui exerce les pouvoirs d’un dirigeant sans assumer
officiellement cette qualité. Si le législateur est resté muet sur la question de l’assimilation
du dirigeant de fait à un organe de la personne morale, la jurisprudence, quant à elle, a
répondu par l’affirmative. Par exemple, le tribunal correctionnel de Strasbourg, par une
décision en date du 9 février 1996, a condamné une société pour le délit de travail
clandestin commis par l’ancien président de ladite société qui continuait, de fait, à gérer
cette dernière1133. Cette solution a été validée par un arrêt de la Cour de cassation en date
du 6 avril 20041134. Elle justifie notamment l’assimilation des dirigeants de fait à des organes
de la personne morale par le fait qu’ils tirent leurs pouvoirs d’une organisation occulte de
la personne morale1135. Comme le relève Emmanuel Dreyer, « toute solution contraire
offrirait un moyen de défense trop facile aux personnes morales qui pourraient se cacher
derrière une structure de façade afin de dénier les infractions commises pour leur compte

1129. Cass. crim., 1er déc. 1998, no 97-80.560, Bull. crim., no 325 ; RSC, 1999, p. 336, obs. G. GIUDICELLI-
DELAGE, et p. 579, obs. B. BOULOC.
1130. Cass. crim., 9 nov. 1999, no 98-81746, Bull. crim., no 252 ; RSC, 2000, p. 389, obs. Y. MAYAUD, p. 600, obs.
B. BOULOC, et p. 851, obs. G. GIUDICELLI-DELAGE ; Dr. pén., 2000, comm. no 56, 1er arrêt, obs.
M. VÉRON ; Bull. Joly, 2000, § 85, obs. J.-F. BARBIÈRI.
1131. Cass. crim., 14 déc. 1999, no 99-80104, Bull crim., no 306 ; Bull. Joly, 2000, § 145, obs. J.-F. BARBIERI ;
Dr. pén., 2000, comm. no 56, 2e arrêt, obs. M. VERON ; RSC, 2000, p. 600, obs. B. BOULOC, et p. 851, obs.
G. GIUDICELLI-DELAGE.
1132. Cf. Cass. crim., 25 mars 2014, no 13-80.376 : JurisData no 2014-005997 ; Bull. crim., 2014, no 94; Dr. pén.,
2014, chron. 10, no 1, obs. M. SEGONDS. La chambre criminelle a réaffirmé la solution quelques mois plus
tard (cf. Cass. crim., 16 déc. 2014, no 13-87.342, inédit : JurisData no 2014-031281. Aux termes de cette
décision : « Les salariés d’une société titulaires d’une délégation de pouvoirs en matière d’hygiène et de
sécurité, et comme tel investis dans ce domaine de la compétence, de l’autorité et des moyens nécessaires
à l’exercice de leur mission, sont des représentants de la personne morale au sens de l’article 121-2 du
Code pénal et engagent la responsabilité de celle-ci en cas d’atteinte involontaire à la vie ou à l’intégrité
physique trouvant sa cause dans un manquement aux règles qu’ils étaient de faire respecter en vertu de
leur délégation. » Cf. également Cass. crim., 9 juin 2015, no 14-86-469, inédit : JurisData no 2015-013827.
Pour la jurisprudence récente sur les personnes morales, cf. également Dr. pén., nov. 2015, chron. 9, no 1,
obs. M. SEGONDS.
1133. Cf. Les Annonces de la Seine, 1996, no 24, p. 10.
1134. Cass. 1re civ., 6 avr. 2004, no 01-03.494, Bull. I, no 108.
1135. En ce sens, Cass. crim., 10 avr. 2013, no 12-82282, inédit, Gaz. Pal., 21-23 juill. 2013, p. 30, obs.
E. DREYER.

242
par un dirigeant de fait »1136. La jurisprudence, en faisant entrer dans la notion
d’« organe » ou de « représentant », les titulaires d’une délégation de pouvoirs et les
dirigeants de fait, conduit à un élargir le spectre des personnes susceptibles d’engager la
responsabilité pénale de la personne morale. Au-delà, on peut se demander si
l’assouplissement de la qualité juridique requise de la personne physique pour engager la
responsabilité pénale de la personne morale n’est pas le signe d’un affaiblissement de
l’exigence d’incarnation de la personne morale par la personne physique. Il est permis de
vérifier la pertinence de ce questionnement par le fait que, concomitamment à
l’interprétation extensive des conditions de l’article 121-2 du Code pénal, la jurisprudence
a marginalisé l’exigence d’identification de la personne physique organe ou représentant.

2. La marginalisation de la jurisprudence exigeant l ’identification de la personne


physique organe ou représentant
La reconnaissance d’une responsabilité directe de la personne morale suppose en premier
lieu l’abandon de l’exigence du substratum humain symbolisé, en jurisprudence, par l’absence
de nécessité d’identifier l’organe ou le représentant de la personne morale, auteur matériel
de l’infraction. Si cette conception renouvelée en jurisprudence de la responsabilité pénale
des personnes morales (2.1) ne fait pas l’unanimité en doctrine, il est néanmoins possible
de réfuter les différentes critiques, le respect de l’article 121-2 du Code pénal n’imposant
pas la nécessité d’identifier la personne physique, organe ou représentant (2.2.).

2.1 La conception renouvelée en jurisprudence de la responsabilité pénale des personnes


morales

Comme le relève Jacques-Henri Robert, « on est stupéfié par l’indifférence massive et


comme concertée des tribunaux à l’égard de la condition contenue dans les mots
“commises par leurs organes ou représentants” »1137. L’exigence légale d’un substratum
humain a été relativisée – pour ne pas dire neutralisée – par la pratique judiciaire. L’évolution
de la jurisprudence a été progressive. La Cour de cassation a d’abord approuvé des
condamnations de personnes morales dans des affaires où les juges du fond n’avaient pas
établi que l’infraction avait été commise par un organe ou un représentant. Puis, par un
arrêt remarqué en date du 20 juin 20061138, la chambre criminelle, pour rejeter le moyen
fondé sur l’absence de constat par les juges du fond de la réalisation d’un homicide
involontaire par un organe ou un représentant, a énoncé que « l’infraction n’a pu être
commise, pour le compte de la société, que par ses organes ou représentants ». Et pour
mieux protéger cette affirmation, la Haute Juridiction a refusé, quelques années plus tard,

1136. E. DREYER, Droit pénal général, op. cit., no 1146, 835.


1137. J.-H. ROBERT, Droit pénal général, PUF, 6e éd., 2005, p. 385.
1138. Cass. crim., 20 juin 2006, no 05-85.255: JurisData no 2006-034397 ; Bull. crim., 2006, no 188; JCP G 2006, II,
10199, note E. DREYER ; D. 2007, p. 617, note J.-C. SAINT-PAU. Deux autres décisions de la chambre
criminelle peuvent être signalées qui, dans le domaine particulier du non-respect par une personne morale
d’une injonction d’un préfet, s’étaient affranchies de toute désignation de l’organe ou du représentant
auteur physique de l’infraction en visant directement la personne morale (cf. Cass. crim., 31 mai 2005,
no 04-85219, inédit, Dr. pén., 2005, comm. 193, obs. J.-H. ROBERT ; Cass. crim., 21 févr. 2006,
no 05-82.140, inédit, Dr. pén., 2006, comm. 71, obs. J.-H. ROBERT).

243
de renvoyer au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité qui la
contestait1139. Cette position de la Cour de cassation conduit à créer une présomption de
commission de l’infraction par un organe ou un représentant1140. Une telle présomption a
d’abord été utilisée s’agissant d’infractions non intentionnelles. Cela n’est pas surprenant,
dans la mesure où cet arrêt peut être considéré comme un prélude à un revirement de
jurisprudence rendu nécessaire par la loi du 10 juillet 20001141. Au final, la présomption ainsi
dégagée conduit en pratique à la mise en œuvre automatique de la responsabilité pénale des
personnes morales du fait de tout homicide ou blessures involontaires commis à l’occasion
de leurs activités1142. La question de l’extension du domaine d’application de cette
jurisprudence s’est alors posée. Devait-elle rester circonscrite aux infractions non-
intentionnelles ? La solution est-elle la même lorsque l’infraction reprochée est
intentionnelle ? La réserve éventuelle liée à la nature de l’infraction a été remise en cause
par un arrêt en date du 25 juin 20081143, où la Haute Juridiction a notamment étendu la
présomption de commission de l’infraction par un organe ou un représentant à des
infractions intentionnelles1144. Certes, la chambre criminelle de la Cour de cassation reste

1139. Cf. Cass. crim., 11 juin 2010, no 09-87.884, inédit : JurisData no 2010-008735 ; JCP G 2010, I, notes 1030
et 1031, J.-H. ROBERT et H. MATSOPOULOU ; RSC 2010, p. 177, obs. B. DE LAMY .
1140. En ce sens notamment J.-H. ROBERT, « Resserrement des conditions de la responsabilité pénale des
personnes morales », JCP G 2011, I, 240.
1141. Cf. infra, le développement consacré à l’autonomisation législative de la responsabilité pénale des
personnes morales où nous établirons que la loi du 10 juillet 2000, en autonomisant la responsabilité
pénale des personnes morales, ne rend plus nécessaire l’identification de la personne physique organe ou
représentant. Deux autres textes antérieurs auraient également pu être invoqués au soutien de cette
interprétation. Le premier réside dans la circulaire d’application du Code pénal du 14 mai 1993 qui
considère que s’agissant « d’infractions d’omission, de négligence ou matérielles, qui sont constituées en
l’absence soit d’intention délictueuse, soit d’un acte matériel de commission, la responsabilité pénale
pourra être engagée alors même que n’aura pas été établie la responsabilité pénale d’une personne
physique ». Il résulte expressément de ce texte que l’identification d’une personne physique n’est pas
toujours nécessaire. Il demeure cependant qu’il faut avoir la certitude que l’infraction a bien été commise
en tous ses éléments constitutifs par un organe ou un représentant. Le second texte qu’il est permis de
signaler au soutien de notre argumentation réside dans une recommandation du Conseil de l’Europe du
20 octobre 1998 (R-88-18) qui va dans le même sens en admettant la responsabilité même si la personne
physique, auteur des faits, n’est pas identifiée. Dans l’alinéa 3 de la Recommandation, le comité des
ministres du Conseil de l’Europe considère en effet « la difficulté que pose l’identification des personnes
physiques responsables d’une infraction, compte tenu de la structure souvent complexe des entreprises ».
Pour cette raison, il suggère aux États membres de retenir la responsabilité pénale de l’entreprise « qu’il y
ait ou non identification d’une personne physique ayant commis les faits ou omissions constitutifs de
l’infraction ».
1142. Pour des illustrations, cf. Cass. crim., 15 janv. 2008, no 07-80.800, Bull. crim., 2008, no 6 ; JCP G 2008, II,
10082, note J.-Y. MARÉCHAL ; également Cass. crim., 15 févr. 2011, no 07-83.640, Bull. crim. no 23,
Dr. pén., 2011, comm. 62, obs. M. VÉRON.
1143. Cass. crim., 25 juin 2008, no 07-80.261: JurisData no 2008-044943 ; Bull. crim., 2008, no 167 ; Dr. pén., 2008,
comm. 140, note M. VÉRON ; JCP E 2008, 2361, note C. DUCOULOUX-FAVARD ; RD. pén. crim., 2008,
p. 858, note P. BONFILS. Pour des décisions antérieures contraires, cf. par exemple Cass. crim., 1er avr.
2008, no 07-84.839, inédit, Dr. pén., 2008, comm. 140, obs. M. VÉRON et Cass. crim., 2 déc. 1997,
no 96-85.484, Bull. crim., no 408.
1144. Pour d’autres exemples de jurisprudences relatives à l’extension de la présomption d’intervention à des
infractions intentionnelles, cf. E. DREYER, Droit pénal général, op. cit., no 1155, p. 842. L’auteur évoque
notamment un arrêt en date du 1er janvier 2009 où la Cour de cassation reconnaît légitime une
condamnation prononcée en matière de tromperie « dès lors que, si l’arrêt ne précise pas son identité,
l’auteur du manquement à l’obligation de vérifier la conformité du produit mis en vente ne peut être qu’un
organe ou un représentant de la société (cf. Cass. crim., 1er déc. 2009, no 09-82.140, inédit, Dr. pén., 2010,
comm. 74, obs. M. VÉRON ; cf. également Cass. crim., 28 janv. 2009, no 08-85.426, inédit, Dr. pén., 2009,
comm. 48, obs. J.-H. ROBERT).

244
encore divisée sur cette question de la reconnaissance d’une présomption de commission
de l’infraction pesant sur les organes ou représentants, que l’infraction soit intentionnelle
ou même non intentionnelle. Il est en effet possible d’invoquer alternativement des
décisions dans les deux sens. Si certaines, présentées comme marquant un retour à
l’orthodoxie dans les conditions d’engagement de la responsabilité pénale des personnes
morales, suppriment la présomption d’intervention de l’organe ou du représentant1145,
d’autres la rétablissent aussitôt 1146. La jurisprudence contemporaine à cette étude s’inscrit
dans le cadre de cette dysharmonie 1147. Par exemple, si la Cour de cassation a récemment
rendu une décision marquant une interprétation qui serait plus « classique » et plus proche
de la lettre de l’article 121-2 du Code pénal en exigeant l’identification précise par les juges
du fond de la personne physique organe ou représentant de la personne morale1148, il est
toujours possible de relever des décisions en sens contraire, à l’instar de l’arrêt rendu par
la chambre criminelle le 12 avril 2016. Dans cette affaire, la Cour de cassation considère
que justifie sa décision, au regard des articles 121-2 du Code pénal et 80-1 du Code de
procédure pénale, la chambre de l’instruction qui refuse d’annuler la mise en examen d’une
personne morale, motif pris de ce que le juge d’instruction n’avait pas déterminé,
préalablement au prononcé de la mise en examen, par quel organe ou représentant le délit
reproché à la personne morale avait été commis pour son compte. La justification tient au
fait que l’information a notamment pour objet l’identification de la personne physique
ayant engagé la responsabilité pénale de la personne morale 1149. En d’autres termes,
l’obligation d’identification de la personne physique organe ou représentant ne s’impose
pas préalablement au prononcé de la mise en examen de la personne morale, laquelle résulte
de la seule existence d’indices graves ou concordants rendant vraisemblable sa participation
à la commission de l’infraction. Cette décision peut s’analyser comme se prononçant en
faveur du caractère direct de la responsabilité pénale des personnes morales. L’absence
d’uniformité jurisprudentielle trouve un écho en doctrine.

1145. Cf. Cass. crim., 11 oct. 2011, no 10-87.212, Bull. crim. no 202 : JurisData no 2011-021620, JCP G 2011, I,
1385, note J.-H. ROBERT ; Cass. crim., 11 avr. 2012, no 10-86.974, Bull. crim. no 94 : JurisData
no 2012-007035, JCP G 2012, I, 740, note J.-H. ROBERT ; AJ pén., 2012, p. 415, note B. BOULOC ; Gaz.
Pal., 27-28 juill. 2012, p. 19, obs. E. DREYER. Cf. également, s’agissant d’une infraction intentionnelle,
Cass. crim., 19 juin 2013, no 12-82.827, Bull. crim., 2013, no 148 ; JCP G 2013, 1049, note A. GALLOIS ;
Gaz. Pal. 21-23 juill. 2013, p. 3, obs. E. DREYER.
1146. Cf. par exemple, Cass. crim., 15 janv. 2013, no 1-80.862, inédit, Gaz. Pal. 8-11 mai 2013, p. 26, obs. E.
DREYER ; Cass. crim., 12 juin 2012, no 11-83.657, inédit, JCP G 2012, 1172, note J.-H. ROBERT ; Gaz. Pal.,
26-27 oct. 2012, p. 30, obs. E. DREYER.
1147. Des arrêts récents ont aussi retenu un infléchissement de la tendance à la non-identification. Cf. par
exemple Cass. crim., 2 sept. 2014, no 13-83.956 ; Bull. crim., 2014, no 178 ; JCP S, 2014, 1402, note
F. DUQUESNE. Cf. également Cass. crim., 27 mai 2015, no 14-82.432, inédit. Dans cette décision, la Cour
de cassation exige, dans le sillage de la précédente, que les juges du fond recherchent si l’infraction
considérée a été commise pour le compte de la personne morale, par l’un de ses organes ou représentants
au sens de l’article 121-2 du Code pénal. Ce n’est pas le cas de la dernière jurisprudence. En sens contraire,
cf. Cass. crim., 22 sept. 2015, no 14-83.202, inédit : JurisData no 2015-021027, Dr. pén., 2015, comm. 167,
note J.-H. ROBERT. En l’espèce, la Cour de cassation ne censure pas les juges du fond qui, pourtant, avait
reproché à la société prévenue la commission d’une faute, sans référence aucune au comportement de
l’un de ses organes ou représentants. Cf. également Cass. crim., 17 nov. 2015, no 14-83.647, inédit, Dr.
pén., 2016, comm. 22, obs. P. CONTE et Cass. crim., 22 mars 2016, no 15-81.484, Bull. crim., no 100.
1148. Cass. crim., 27 sept. 2016, no 15-85.248, à paraître au bulletin : JurisData no 2016-019637 ; Dr. pén., 2017,
étude 11, note P. CONTE.
1149. Cass. crim., 12 avr. 2016 no 15-86.169, Bull. crim. no 130 : JurisData no 2016-006964 ; Dall. act., 18 mai 2016,
obs. S. FUCINI.

245
2.2 Le bien-fondé de la non-identification de la personne physique

Si la non-identification de la personne physique, dirigeant social, fait l’objet de critiques en


doctrine, ces dernières peuvent en majorité être réfutées.

Les critiques doctrinales


Une partie de la doctrine est hostile à cette conception renouvelée en jurisprudence de la
responsabilité pénale des personnes morales. Plusieurs arguments peuvent a priori être
invoqués contre l’inutilité d’identifier la personne physique organe ou représentant. En
premier lieu, il peut être reproché à cette jurisprudence de ne pas respecter l’exigence textuelle
de l’article 121-2 du Code pénal, c’est-à-dire d’être contraire au principe de la légalité. Mais,
plus encore que le principe de la légalité, c’est le respect de la présomption d’innocence qui
se trouverait atteint. Emmanuel Dreyer de relever que « si on pouvait admettre sans trop de
difficultés […] que le fait avait bien été matériellement accompli par une personne physique
agissant ès qualités pour le compte de la personne morale qui en a profité […], on pouvait
trouver excessive la présomption de faute ou d’intention qui suivait. […] cette jurisprudence
finissait par dispenser les juges du fond d’avoir à établir l’un des deux éléments constitutifs
de l’infraction »1150. Une partie de la doctrine reproche aussi à cette jurisprudence de
permettre de retenir la responsabilité pénale d’une personne morale en présence d’une faute
qui pourrait avoir été commise par une personne physique n’ayant pas le pouvoir d’engager
juridiquement l’être moral pour n’être pas un organe ou un représentant.

La réfutation des critiques doctrinales


Nous allons voir que tous ces arguments peuvent être réfutés et, au-delà, qu’il y a quelque
pertinence à la remise en cause de l’exigence d’identification de la personne physique, organe
ou représentant.

L’absence d’atteinte à la présomption d’innocence – L’argument de l’atteinte à la présomption


d’innocence ne nous paraît pas pouvoir être à lui seul décisif. Cela tient notamment au fait
que la légitimité du mécanisme des présomptions, utilisé pour établir la culpabilité des
personnes physiques, a été démontrée dans la première partie de cette étude1151. Dès lors, il
est permis de considérer, à l’instar d’Emmanuel Dreyer, que, « s’agissant de la preuve du
prétendu élément moral d’une infraction, il ne s’agit pas de se montrer plus exigeant à l’égard
des personnes morales qu’à l’égard des personnes physiques »1152. On ne peut donc être
surpris de retrouver le mécanisme des présomptions de culpabilité employé également à
l’encontre des personnes morales.

L’absence de risque d’engager la responsabilité d’une personne morale pour une infraction qui n’aurait été
commise ni par un organe ni par un représentant – Plusieurs arguments permettent d’écarter
l’existence de ce risque.

1150. E. DREYER, Droit pénal général, op. cit., no 1156, p. 842 et 843.
1151. Cf. supra, partie 1, où nous avons établi que le mécanisme des présomptions de culpabilité à l’endroit des
personnes physiques puisait sa légitimité tant dans la difficile appréhension des données immatérielles que
dans l’imbrication des éléments matériel et psychologique.
1152. E. DREYER, Droit pénal général, op. cit., no 1156, p. 843.

246
 De l’absence de nécessité d’identifier nommément l’organe ou le représentant à la nécessité de son
identification abstraite
Selon Emmanuel Dreyer, l’identification de l’auteur des manquements constitutifs du délit
n’est pas un préalable nécessaire à l’imputation de l’infraction à la personne morale. Selon
l’auteur, cela vient du fait que l’article 121-2 du Code pénal n’impose pas d’identifier
nommément l’auteur des manquements, mais simplement de procéder à une identification
abstraite de cet individu. Il s’agit simplement de déterminer qu’il disposait de l’exercice d’un
pouvoir de direction. L’auteur considère en effet qu’« il importe peu de connaître l’identité
de la personne physique qui a commis l’infraction. L’article 121-2 ne formule pas une telle
exigence. Il réclame tout au plus l’identification abstraite de l’organe ou du représentant
auquel la commission de l’infraction peut être reprochée »1153. En revanche, ce qu’il faut se
demander c’est bien « si l’infraction a été commise dans l’exercice d’un pouvoir de direction.
Lorsque l’infraction suppose l’exercice d’un tel pouvoir, elle ne peut avoir été commise que
par un organe ou un représentant ; la présomption – pour ne pas écrire, en application de la
distinction établie par Yves Mayaud, l’implication1154 – paraît alors légitime »1155. En matière
non intentionnelle, le respect des règles concernant la sécurité du travail relève exclusivement
de l’exercice d’un pouvoir de direction. Il est donc logique que l’être moral voie sa
responsabilité pénale engagée en présence d’une infraction d’imprudence ayant généré la
mort ou des blessures involontaires nonobstant l’absence d’identification expresse de l’auteur
des manquements.

Cette conclusion se trouve confirmée par le recours à un raisonnement de « logique


déductive »1156 qui repose sur un subtil distinguo entre présomption et implication. C’est Yves
Mayaud qui, à l’occasion du commentaire qu’il effectue à propos d’un arrêt de la chambre
criminelle en date du 28 juin 20131157, (re)théorise, en quelque sorte, cette distinction1158.
Dans cette affaire, la prévenue était une association organisatrice d’une compétition de ski,
laquelle s’était soldée par un grave accident ayant causé la mort de la victime. Le pourvoi
développa un argument classique aux termes duquel, contrairement aux dispositions de
l’article 121-2 du Code pénal, la cour d’appel s’était contentée d’énoncer que l’association
avait commis une imprudence et une négligence, mais sans rechercher si sa faute résultait de
manquements imputables à l’un de ses organes ou représentants. La Cour de cassation rejette
le pourvoi « dès lors que l’infraction n’a pu être commise, pour le compte de l’association,
que par son président, responsable de la sécurité, en l’absence de délégation interne non
invoquée devant la cour d’appel ». Yves Mayaud approuve la solution de la Cour de cassation
en développant l’idée d’une différence probatoire entre présomption et implication. Selon
lui, lorsqu’une association organise une compétition de ski engendrant un accident mortel,
« sa responsabilité se déduit nécessairement de la réalité de l’infraction commise par son
président. Il n’est aucune présomption à cette déduction, mais de l’implication

1153. E. DREYER, op. cit., no 1158, p. 845.


1154. Cf. infra.
1155. E. DREYER, op. cit., no 1158, p. 845.
1156. Cf. P. MISTRETTA, « Responsabilité pénale des établissements de santé : exit les présomptions (Cass. crim.,
16 déc. 2014, no 13-87.330, inédit, RSC, 2015, p. 411).
1157. Cass. crim., 28 juin 2013, no 12-85.917.
1158. Cf. Y. MAYAUD, « De la commission de l’infraction par les organes ou représentants des personnes
morales : la thèse de “l’implication” confirmée… », RSC, 2013, p. 807.

247
seulement »1159. Le point de départ du raisonnement réside dans les circonstances de l’espèce
et, plus particulièrement, dans la réalité de l’infraction commise. Cette dernière consiste en
une infraction d’imprudence, laquelle procède de manquements à la sécurité1160. Or,
conformément à la législation en vigueur, et en dehors de toute délégation, c’est le président
de l’association qui est personnellement tenu des obligations sécuritaires liées aux activités
déployées. Il est donc nécessairement impliqué dans la commission de l’infraction
consécutive au non-respect des obligations liées à la sécurité. Nous voyons bien que son
intervention n’est pas présumée mais qu’elle se déduit logiquement des circonstances de
l’espèce – pour ne pas dire de la nature de l’infraction commise. Cette conclusion ouvre la
voie de manière rationnelle à la mise en œuvre de la responsabilité pénale de l’association
sans qu’il ne soit donc nécessaire, à peine de redondance, de démontrer effectivement
l’intervention du président de l’association. Yves Mayaud souligne la légitimité de ce
raisonnement en précisant qu’à la différence de la présomption qui « relève d’une démarche
abstraite, destinée à compenser ce qu’un constat direct ne saurait révéler », l’implication, « au
contraire, est rivée à la réalité, dont elle rend compte par une déduction rigoureuse : elle n’est
pas une économie de preuve, elle est une preuve à part entière, mais dont l’expression n’a
pas à être formelle, pour être déjà contenue dans la solution consacrée au fond »1161.

Le raisonnement est valable, au-delà d’une association, pour toute entreprise. Par exemple,
en droit pénal du travail, l’infraction d’imprudence procédant de l’inobservation d’un
règlement de sécurité du travail1162 ne peut, en application de l’article L. 4741-1 du Code du
travail, être imputée qu’à l’employeur ou à son préposé, comprenons son délégataire.
Comme le relève Jacques-Henri Robert, « cette solution combinée avec la règle selon
laquelle le délégué est un “représentant” au sens de l’article 121-2 du Code pénal fait que,
avec ou sans, les personnes morales sont inévitablement responsables des infractions
réprimées par l’article L. 4741-1 du Code du travail et des dommages corporels qui en sont
éventuellement la conséquence »1163. Il est donc permis d’approuver la solution de la
chambre criminelle qui considère, dans des circonstances similaires, qu’il était inutile
d’identifier l’agent humain coupable de l’infraction. Si « les juges du fond avaient voulu
identifier les agents humains qui avaient commis la faute génératrice du dommage, ils
n’auraient pas pu désigner d’autres personnes que les dirigeants ou leurs délégataires,
puisque c’est la solution imposée par l’article L. 4741-1 du Code du travail. Ils auraient
nécessairement conclu que l’inexécution des obligations établies par les articles R. 4141-13
et R. 4141-14 du même code constituait un manquement par omission dans l’organisation,

1159. Loc. cit.


1160. Plus précisément, l’article 221-6 du Code pénal réprimant l’homicide involontaire, à l’instar de
l’article 222-19 du même code réprimant quant à lui les blessures involontaires, distingue deux sortes de
fautes d’imprudence : d’une part, celles qui consistent en une « maladresse, imprudence, inattention,
négligence » d’autre part, celles qui constitue un « manquement à une obligation de sécurité ou de
prudence imposée par la loi ou le règlement ».
1161. Y. MAYAUD, « De la commission de l’infraction par les organes ou représentants des personnes morales :
la thèse de “l’implication” confirmée… », op. cit., p. 807.
1162. Cf. les art. R. 4141-13 et R. 4141-14 du Code du travail.
1163. J.-H. ROBERT, « Vers une refondation de la responsabilité pénale des personnes morales », JCP G, I, 740.

248
qui ne pouvait être imputé qu’à des personnes pourvues d’un pouvoir hiérarchique, à savoir
les dirigeants de la personne morale ou leurs délégués »1164.

 La pertinence du raisonnement de logique inductive limitée à la matière non intentionnelle


Il convient de rappeler la réticence de certains auteurs à étendre une telle solution aux
infractions intentionnelles. C’est le cas notamment de Jacques-Henri Robert qui considère
que l’imputation des infractions intentionnelles aux personnes morales doit obéir à des
conditions qui ne peuvent être identiques à celles précédemment décrites à propos des
infractions non intentionnelles1165. Est-ce à dire que la présomption de commission de
l’infraction par un organe ou un représentant ne serait légitime qu’à l’égard des infractions
non intentionnelles ? Il est possible d’invoquer au soutien de cette argumentation que la
présomption d’intervention de l’organe ou du représentant bénéficie en matière non
intentionnelle d’une assise législative.
Or, il n’existe pas d’équivalent, en matière intentionnelle, à l’article L. 4741-1 du Code du
travail. Au-delà, il ne s’agirait donc pas seulement, pour valider la non-identification de la
personne physique en matière intentionnelle, de présumer l’intention mais également
l’accomplissement matériel des faits répréhensibles. Autrement dit, cela conduirait à
présumer tous les éléments constitutifs de l’infraction. Il ne paraît donc pas possible
d’admettre la présomption d’intervention de l’organe ou du représentant en matière
intentionnelle. L’argumentation relative à la légitime non-identification de la personne
physique semble donc devoir être limitée aux infractions non intentionnelles. Par
conséquent, et bien que de nombreux arrêts aient retenu la non-identification en présence
d’une infraction intentionnelle, il convient, afin d’asseoir la légitimité de la non-identification,
de proposer une argumentation plus décisive susceptible de s’appliquer indépendamment de
la nature, intentionnelle ou non, de l’infraction poursuivie.

 L’absorption de la question de l’identification dans l’exigence légale de commission du fait incriminé pour
le compte de la personne morale
Cet argument décisif a été explicité par Jean-Yves Maréchal et repose sur l’idée que la
question de l’identification de la personne physique est absorbée dans l’exigence légale de
commission du fait incriminé pour le compte de la personne morale. Aux termes de
l’article 121-2 du Code pénal, le fait incriminé doit également être commis pour le compte
de la personne morale. A priori, « une interprétation littérale du texte conduit naturellement

1164. Ibid. La seule objection à ce raisonnement pourrait consister dans le fait que, comme nous l’avons rappelé
précédemment, les articles du Code pénal réprimant l’homicide et les blessures involontaires distinguent
deux sortes d’imprudence. Or, seule celle consistant dans un « manquement à une obligation de sécurité
ou de prudence imposée par la loi ou le règlement », punissable à la fois en vertu de l’article L. 4741-1 du
Code du travail et de l’article 221-6 du Code pénal, est exclusivement imputable à l’employeur ou à ses
délégués. Il s’agit donc de comprendre que lorsque l’infraction procède d’une « maladresse, imprudence,
inattention, négligence », elle peut théoriquement être imputée à une personne physique quelconque,
employeur, salarié ou même tiers à l’entreprise. Cependant, la Cour de cassation se garde bien d’opérer
une telle distinction en précisant par exemple que l’imprudence considérée résulte de la violation d’une
loi ou d’un règlement (cf. par exemple en ce sens, Cass. crim., 11 oct. 2011, no 10-87.212 précité). Pour
cette raison, les employeurs et leurs délégués continuent dans tous les cas d’être déclarés responsables des
homicides et blessures involontaires en vertu de l’article L. 4741-1 du Code du travail.
1165. Cf. J.-H. ROBERT, « Resserrement des conditions de la responsabilité pénale des personnes morales »,
JCP G 2011, p. 1385.

249
à considérer qu’il s’agit bien de deux conditions différentes et complémentaires »1166. L’auteur
concède d’ailleurs que « telle est la position de l’ensemble de la doctrine »1167. Mais, bien vite,
il ajoute qu’« au regard de l’évolution de la jurisprudence, l’on peut se demander si, en
définitive, ces deux conditions sont réellement dissociables et si elles n’en forment pas plutôt
une seule »1168. Elles ne constitueraient en définitive que « les deux aspects d’une condition
unique »1169. Il va même jusqu’à suggérer la disparition de la condition d’une infraction
commise par un organe ou un représentant au bénéfice de la seule exigence de commission
du fait incriminé pour le compte de la personne morale.

Deux séries d’arguments développés par l’auteur lui permettent de conclure que la seule
condition que l’infraction soit commise pour le compte de l’être moral suffit à le rendre
responsable.
Le premier tient au fait que lorsque l’infraction est réalisée pour le compte de la personne
morale, elle ne peut avoir été commise que par une personne qui dispose du pouvoir de
l’engager juridiquement1170. Jean-Yves Maréchal considère que, « s’il est concevable qu’une
infraction soit commise par un organe ou un représentant mais pas pour le compte de la
personne morale, en revanche, la commission d’une infraction pour le compte de celle-ci
implique sa réalisation matérielle par une personne physique susceptible de l’engager
juridiquement et cela suffit largement à justifier la condamnation de l’être moral »1171. En
effet, il est permis de remarquer que la qualité juridique requise par l’article 121-2 du Code
pénal ne constitue pas un gage pertinent pour établir que l’infraction a bien été commise dans
l’intérêt de la personne morale. Dans le même sens, Marie-Élisabeth Cartier considère que
« la qualité d’organe ou de représentant ne garantit pas nécessairement la traduction fidèle de
la volonté de la personne morale et des finalités qu’elle a choisies de poursuivre »1172. Comme
le relève l’auteur, « des difficultés peuvent se présenter sachant que l’organe ou le
représentant est un individu responsable »1173, « un être qui veut et qui agit qui est lui-même
une personne »1174. Ainsi, « il peut donc trahir la personne morale, agir contre ses intérêts ou
dans son intérêt personnel, dépasser les pouvoirs qui lui ont été confiés ou simplement mal
agir par incompétence ou inadvertance »1175. Autrement dit, les qualités juridiques
alternativement exigées par la lettre de l’article 121-2 du Code pénal ne permettent de
garantir, au travers des actes, la traduction fidèle de la volonté de l’entité morale. Autant
passer outre l’identification de la personne physique, dirigeant social, pour se focaliser sur

1166. J.-Y. MARÉCHAL, « Plaidoyer pour une responsabilité pénale directe des personnes morales », JCP G 2009,
p. 249.
1167. Loc. cit.
1168. Loc. cit.
1169. J.-Y. MARÉCHAL, « Un pas de plus vers la responsabilité pénale directe des personnes morales », D., 2010,
p. 2135.
1170. Cf. J.-Y. MARÉCHAL, « Plaidoyer pour une responsabilité pénale directe des personnes morales », JCP G
2009, p. 249.
1171. Loc. cit.
1172. M.-É. CARTIER, « Nature et fondement de la responsabilité pénale des personnes morales dans le nouveau
Code pénal français », op. cit., p. 18.
1173. Loc. cit.
1174. M. MICHOUD, La théorie de la personnalité morale et son application en droit français, 3e éd., par Trotabas, L.G.D.G.,
1932, p. 416.
1175. M.-É. CARTIER, « Nature et fondement de la responsabilité pénale des personnes morales dans le nouveau
Code pénal français », op. cit., p. 18.

250
l’entité pour le compte de laquelle l’infraction a réellement été commise. Cette phrase
conclusive, en appelant une précision sur l’acception de l’expression « pour le compte »,
renvoie au second argument développé par Jean-Yves Maréchal pour démontrer que la
question de l’identification de la personne physique est absorbée dans l’exigence légale de
commission du fait incriminé pour le compte de la personne morale.
Le second argument tient donc à l’interprétation large de l’expression « infraction commise
pour le compte » par la jurisprudence. Il est possible d’établir qu’il existe une corrélation
essentielle entre l’interprétation large de cette expression et le passage au premier plan de
l’exigence légale de commission du fait incriminé pour le compte de la personne morale.
Pour s’en convaincre, il convient de se pencher sur les conséquences qu’engendreraient les
différentes conceptions de l’expression « infraction commise pour le compte ». Dans le cadre
d’une signification étroite, cette expression pourrait correspondre à l’idée d’« un intérêt que
retire la personne morale de l’infraction »1176. Une telle conception ne serait alors susceptible
de s’appliquer qu’aux infractions intentionnelles pouvant être reprochées aux personnes
morales. Ce n’est pas le cas de l’acception large, dans la mesure où elle s’entend « des
infractions qui sont accomplies dans le cadre des structures juridiques de la personne morale
ou encore des infractions qui apparaissent comme la conséquence de l’organisation de la
personne morale »1177.

Ainsi, si l’adoption d’une conception étroite de l’expression aurait eu pour conséquence de


n’englober que les infractions intentionnelles en laissant hors du champ de la démonstration
les infractions non intentionnelles, l’intérêt de l’acception large adoptée par la jurisprudence
a permis, à l’inverse, d’englober la totalité des infractions, sans considération de leur nature
intentionnelle ou non-intentionnelle. Dès lors, eu égard à la généralité du domaine
d’application de l’expression « infraction commise pour le compte » et en considération du
fait que lorsque l’infraction est réalisée pour le compte de la personne morale, elle ne peut
avoir été commise que par une personne ayant la capacité de l’engager juridiquement, on
peut considérer, à l’instar de Jean-Yves Maréchal, que cette seule exigence justifie pleinement
que l’infraction, quelle qu’elle soit, est imputée à la personne morale. Dans le même sens,
Emmanuel Dreyer considère que « l’élément principal à prendre en compte est moins le fait
de l’organe ou du représentant que la signification de ce fait pour la personne morale.
Admettre, sur la base d’une présomption, l’intervention d’un organe ou représentant paraît
d’autant plus facile que la personne morale a tiré profit de l’infraction parce que celle-ci a été
commise pour son compte »1178. Il faut donc reconsidérer l’importance prêtée à l’exigence de
la commission de l’infraction par un organe ou un représentant. À la réflexion, la véritable
condition fondamentale d’imputation d’une infraction à un être moral réside dans la
commission du fait incriminé pour le compte de la personne morale.

Des arguments subsidiaires – Plusieurs arguments subsidiaires peuvent en outre être avancés au
soutien de ce raisonnement. Tout d’abord, il est permis de noter que les décisions présentées
comme marquant un retour à l’orthodoxie dans les conditions de mise en œuvre de la
responsabilité pénale des personnes morales ont été rendues au visa de l’article 593 du Code

1176. Ibid.
1177. Ibid.
1178. Cf. E. DREYER, op. cit., no 1159, p. 846.

251
de procédure pénale ouvrant la voie à cassation pour insuffisance ou contradiction de motifs.
Dans le commentaire qu’il effectue de la décision rendue par la chambre criminelle
le 11 octobre 2011 sanctionnant la non-identification de la personne physique, Jacques-Henri
Robert commence par souligner que l’arrêt « porte les marques extérieures d’une décision
importante : rendu par une formation nombreuse de la chambre criminelle (treize magistrats
dont le président de cette chambre) et destiné à la publication »1179. Il relève ensuite que l’arrêt
d’appel est cassé sur le fondement de l’article 593 du Code de procédure pénale. Aussi,
lorsque l’auteur s’interroge sur la portée réelle de la décision en se demandant s’il « faut […]
conclure que désormais il n’y aura plus jamais de condamnation de personnes morales sans
identification expresse de l’organe ou du représentant qui aura commis l’infraction pour son
compte »1180, il s’empresse de souligner que « la chambre criminelle a été prudente car, en
choisissant l’article 593 du Code de procédure pénale pour base de sa cassation, elle se réserve
toute liberté de développer à sa guise la portée future de sa nouvelle jurisprudence »1181. Une
année plus tard, dans l’arrêt rendu par la chambre criminelle le 11 avril 2012, la cassation est
une nouvelle fois prononcée « au visa passe-partout de l’article 593 du Code de procédure
pénale »1182. Nous pensons, à l’instar de l’auteur, que « si elle avait voulu modifier le droit
positif par un revirement spectaculaire, la chambre criminelle aurait visé les articles 121-1
[…] et 121-2 du Code pénal, ensemble l’article L. 4741-1 du Code du travail et elle aurait fait
raisonner la puissante cymbale d’un “Qu’en effet”. Elle préfère reprocher aux juges du fond
de n’avoir pas mieux recherché si les manquements relevés résultaient de l’abstention d’un des organes
ou représentants de la société G., et s’ils avaient été commis pour le compte de cette société »1183.

On peut ainsi interpréter le choix de l’article 593 du Code de procédure pénale au visa des
décisions rédemptrices comme un indicateur de la liberté que souhaite se laisser la Cour de
cassation. On sait qu’une telle latitude ouvre la voie à des décisions rendues en pure
opportunité. Jacques-Henri Robert observe d’ailleurs que, conjointement à un retour à
l’orthodoxie, les décisions évoquées peuvent s’analyser comme poursuivant un objectif de
politique criminelle. Il rappelle que la France est devenue le pays d’Europe le plus répressif
à l’égard des personnes morales en raison de l’assouplissement jurisprudentiel des conditions
de leur responsabilité. Cependant, « leur passé pénal peut compromettre leurs affaires
futures, en particulier aux États-Unis dont les juristes d’entreprise exigent des candidats à des
marchés qu’ils révèlent les condamnations dont ils ont été frappés. On devine aisément le
parti que leurs concurrents peuvent tirer de ces fâcheux antécédents judiciaires »1184.
En résumé, on peut penser que la Cour de cassation censure opportunément certaines
décisions n’identifiant pas expressément la personne physique pour remédier à une

1179. J.-H. ROBERT, « Resserrement des conditions de la responsabilité pénale des personnes morales », JCP G
2011, p. 1385.
1180. Loc. cit.
1181. Loc. cit.
1182. J.-H. ROBERT, « Vers une refondation de la responsabilité pénale des personnes morales », JCP G 2012,
740.
1183. Loc. cit.
1184. Loc. cit. Dans le même sens, Emmanuel Dreyer considère que « l’inscription d’une condamnation au casier
judiciaire d’une personne morale peut l’handicaper sérieusement dans l’accès à certains marchés en France
comme à l’étranger (cf. E. DREYER, Droit pénal général, op. cit.., no 1156, p. 843 et 844). L’auteur ajoute
qu’une condamnation pénale entraîne en outre « la disparition de la certification “qualité” de l’entreprise
et surenchérit en toute hypothèse le coût des assurances qui peuvent lui être proposées » (loc. cit.).

252
conception large de la responsabilité pénale des personnes morales de nature à handicaper
les entreprises françaises dans la compétition économique internationale. La jurisprudence
présentée comme marquant un retour à l’orthodoxie peut seulement avoir pour objectif de
limiter les incidences économiques d’une conception trop extensive de la responsabilité
pénale des personnes morales.

L’abandon de l’exigence d’identification – même abstraite – de la personne physique


incarnant l’entité juridique immatérielle qu’est la personne morale est donc légitime. Il
constituait l’un des préalables à la reconnaissance d’une responsabilité directe de la personne
morale. De l’abandon de la condition relative à l’identification de la personne physique
organe ou représentant à l’abandon de la condition de la commission de l’infraction par un
organe ou un représentant, il n’y avait qu’un pas. Ainsi, « d’une responsabilité indirecte,
faisant découler la culpabilité de la personne morale de celle d’une personne physique, l’on
en arrive donc désormais à une responsabilité directe »1185. Ce processus a trouvé un écho à
travers plusieurs réformes législatives.

B. L’autonomisation législative

Le législateur a commencé, à l’occasion de la réforme du 10 juillet 2000, par donner un


fondement légal à l’établissement d’une faute propre de la personne morale, remettant ce
faisant en question la règle législative selon laquelle societas delinquere non potest (1.). Il a
poursuivi le mouvement entrepris par la suppression du principe de spécialité qui faisait
obstacle à la reconnaissance d’un principe général de responsabilité pénale des personnes
morales identique à celui gouvernant la responsabilité des personnes physiques (2.).

1. La remise en cause législative de la règle societas delinquere non potest


La remise en cause législative de la règle selon laquelle les sociétés ne pouvaient pas
commettre d’infractions, societas delinquere non potest, résulte principalement de l’inégalité
instituée par la loi no 2000-647 du 10 juillet 2000 entre personne physique et personne
morale. Cette loi est venue limiter la responsabilité pénale des personnes physiques, auteurs
indirects d’infractions d’imprudence, dans la mesure où celle-ci ne peut plus être engagée
qu’en cas de faute d’imprudence qualifiée1186. Les personnes morales, quant à elles, n’ont pas
bénéficié de ces dispositions et continuent de voir leur responsabilité pénale mise en jeu
pour une faute simple en relation de causalité indirecte avec le dommage. Comme le relève
Haritini Matsopoulou, « on assiste donc à une situation étonnante, où la personne morale

1185. J.-Y. MARÉCHAL, « Un pas de plus vers la responsabilité pénale directe des personnes morales », D., 2010,
p. 2135.
1186. Aux termes de l’alinéa 4 de l’article 121-3 tel qu’il a été créé par la loi du 10 juillet 2000 : « Les personnes
physiques qui n’ont pas causé directement le dommage, mais qui ont créé ou contribué à créer la situation
qui a permis la réalisation du dommage ou qui n’ont pas pris les mesures permettant de l’éviter, sont
responsables pénalement s’il est établi qu’elles ont, soit violé de façon manifestement délibérée une
obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, soit commis une faute
caractérisée et qui exposait autrui à un risque d’une particulière gravité qu’elles ne pouvaient ignorer. »

253
va devoir répondre d’un agissement accompli par un organe ou un représentant, considéré
comme non fautif »1187.

La doctrine s’est interrogée sur les raisons techniques pouvant expliquer cette différence de
traitement. François Rousseau, pour sa part, a d’abord envisagé que les dispositions de
l’alinéa 4 de l’article 121-3 contenaient une nouvelle cause d’irresponsabilité au profit des
seuls auteurs indirects, personnes physiques, avant de rappeler que certains auteurs avaient
proposé, à défaut, d’y voir une nouvelle forme d’immunité au profit des seules personnes
physiques1188. Il finit par écarter la pertinence de la logique d’irresponsabilité ou
d’immunité1189 pour considérer qu’il convient « de raisonner sur une différenciation des
éléments constitutifs des infractions non intentionnelles dommageables »1190. Ainsi, « il
existerait en la matière deux catégories d’infractions : celles applicables aux personnes
morales, caractérisées invariablement par une faute simple, et celles applicables aux
personnes physiques, caractérisées par une faute simple ou qualifiées selon le caractère direct
ou indirect du lien de causalité »1191. L’auteur se pose alors les questions suivantes :

Comment justifier qu’en présence d’une imprudence simple causant indirectement un


dommage, une infraction pourra être reprochée à une personne morale et non à une
personne physique ? Faut-il comprendre que l’on attend davantage de prudence de la
part des personnes morales et que la moindre défaillance, fût-elle éloignée du dommage,
mérite sanction ?1192

Si cette tentative nouvelle d’explication ne paraît pas plus convaincante que la thèse d’une
immunité spécifique aux personnes physiques, organes ou représentants, c’est parce qu’elle
est restée inscrite dans le cadre d’une conception subséquente de la responsabilité des
personnes morales, sans se projeter dans celui d’une conception devenue autonomiste de la
responsabilité pénale de l’entité abstraite. En effet, si les éléments constitutifs des infractions
non-intentionnelles dommageables sont bien différenciés, il s’agit toujours d’imputer à la
personne morale une faute commise par la personne physique, fût-elle simple. Or, l’alinéa 3
de l’article 121-2 du Code pénal invite précisément à une différenciation de la culpabilité de
la personne physique et de la personne morale. Au soutien de cette argumentation, la lettre
même de l’alinéa 3 de l’article 121-2 du Code pénal qui utilise l’expression « les mêmes

1187. H. MATSOPOULOU, « La généralisation de la responsabilité pénale des personnes morales », op. cit., p. 283.
1188. Cf. F. ROUSSEAU, « Observations sur la répression inégalitaire de l’imprudence », in La réforme du Code pénal
et du Code de procédure pénale, Opinio doctorum, sous la directon de V. MALABAT, B. DE LAMY et
M. GIACOPELLI, Dalloz, coll. « Thèmes et Commentaires », 2009, p. 43 et suiv. Céline Ruet, par exemple,
a proposé de voir dans l’alinéa 4 de l’article 121-3 une immunité de procédure bénéficiant à la personne
physique en cas de faute d’imprudence simple (cf. C. RUET, « La responsabilité pénale pour faute
d’imprudence après la loi no 2000-647 du 10 juillet 2000, Dr. pén., 2001, chron. no 1).
1189. Cette explication se doit bien d’être écartée car une immunité est personnelle et doit être accordée de
manière permanente, à raison d’une qualité ou d’une fonction, ce qui n’est pas le cas de l’alinéa 4 de
l’article 121-3. En ce sens, cf. J.-C. SAINT-PAU, « La responsabilité des personnes morales : réalité et
fiction », in Le risque pénal dans l’entreprise, ouvrage collectif, Litec, coll. « Carré Droit », 2003, p. 112 et 113.
1190. F. ROUSSEAU, « Observations sur la répression inégalitaire de l’imprudence », in La réforme du Code pénal et
du Code de procédure pénale, Opinio doctorum, op. cit., p. 43 et suiv.
1191. Loc. cit.
1192. Loc. cit. Dans le même sens, Emmanuel Dreyer souligne qu’à la différence des personnes physiques, « en
matière non intentionnelle, l’appréciation de la faute ne dépend d’aucun seuil de gravité à l’égard des
personnes morales » (cf. E. DREYER, Droit pénal général, op. cit., no 1156, p. 843).

254
faits » pour préciser que la responsabilité de l’être moral n’exclut pas celle des personnes
physiques auteurs ou complices des mêmes faits. La formule utilisée peut effectivement
laisser penser qu’il existe deux infractions. Dans la mesure où la personne morale est une
entité abstraite, l’exécution matérielle de l’infraction sera nécessairement le fait des organes
sociaux représentant l’être moral. C’est donc l’élément psychologique retenu contre la
personne morale qui pourra être distinct de celui (ceux) envisagé(s) à l’encontre de la
personne physique, en relevant d’une culpabilité qui lui sera propre1193. Nous pensons donc
qu’il s’excipe tout particulièrement du mécanisme mis en place par la loi du 10 juillet 2000 la
nécessité de dissocier la responsabilité pénale des personnes morales de celle des personnes
physiques auteurs des mêmes faits. Dans le même sens, Jean-Yves Maréchal a construit le
raisonnement suivant, aux termes duquel « si l’organe ou le représentant n’a pas commis de
faute qualifiée, il ne peut être condamné parce que l’article 121-3, alinéa 4 du Code pénal
exige cet élément moral particulier […] pour constituer l’infraction. Cette dernière n’est donc
pas réalisée dans son élément moral et, par conséquent, il n’y a aucune infraction commise
par la personne physique »1194. On ne peut « alors affirmer, comme le fait la Cour de cassation,
que la personne morale doit être condamnée dans ce cas »1195. Ainsi, et à l’instar de l’auteur,
nous pensons que « la seule solution permettant de redonner une cohérence au dispositif
consiste à supprimer l’exigence que l’infraction soit commise par la personne physique et à
considérer que c’est la culpabilité propre de la personne morale qu’il faut établir,
indépendamment de celle de la personne physique »1196.

En conclusion, et en considération des arguments développés par la doctrine, il nous semble


possible d’expliquer la différence de traitement entre personne physique et personne morale
telle qu’elle résulte de la loi du 10 juillet 2000 par la reconnaissance d’une forme de culpabilité
non intentionnelle propre à la personne morale. Au-delà, l’explication de la différence de
traitement entre personne physique et morale est à rechercher dans la volonté politique de
substituer la responsabilité pénale des personnes morales à celle des personnes physiques en
matière non-intentionnelle. Au soutien de cette conclusion, on peut invoquer la circulaire du
13 février 20061197 invitant les magistrats du ministère public à poursuivre en priorité la
personne morale en matière de faute d’imprudence1198. Pour s’assurer d’avoir ainsi créé une
véritable responsabilité pénale de substitution de la personne morale en matière non
intentionnelle1199, le législateur est venu, à l’occasion de la réforme du 10 juillet 2000, modifier
l’alinéa 3 de l’article 121-2. Il en résulte que « la responsabilité pénale des personnes morales
n’exclut pas celle des personnes physiques auteurs ou complices des mêmes faits, sous
réserve des dispositions du quatrième alinéa de l’article 121-3 ». La formulation négative de

1193. Cf. infra, le développement consacré à la caractérisation d’une faute propre à la personne morale.
1194. Cf. J.-Y. MARÉCHAL, « Plaidoyer pour une responsabilité pénale directe des personnes morales », JCP G
2009, p. 249.
1195. Loc. cit.
1196. Loc. cit.
1197. Circulaire CRIM 06-3/E8 du 13 février 2006 relative à l’entrée en vigueur au 31 décembre 2005 des
dispositions de la loi no 2004-204 du 9 mars 2004 généralisant la responsabilité pénale des personnes
morales.
1198. « En cas d’infraction non intentionnelle […] les poursuites contre la seule personne morale devront être
privilégiées, et la mise en cause de la personne physique ne devra intervenir que si une faute personnelle
est suffisamment établie à son encontre pour justifier une condamnation pénale. » (Ibid.)
1199. Plus précisément dans l’hypothèse d’une faute légère.

255
l’alinéa 3 semble même affirmer l’indépendance de la responsabilité pénale de la personne
morale à l’égard de celle des personnes physiques comme le principe, et le cumul comme
l’exception. Cette modification, en renforçant la contradiction originelle des alinéas premier
et troisième de l’article 121-2 du Code pénal, vient condamner la thèse de la fiction ou de la
responsabilité indirecte de la personne morale.

À l’issue de cette démonstration, il ne fait donc aucun doute que la responsabilité pénale des
personnes morales peut être considérée comme indépendante de celle des organes ou
représentants, personnes physiques, en matière non intentionnelle. Certains préconisant de
maintenir la répression des infractions intentionnelles dans le système de représentation, il
reste, afin de pouvoir reconnaître une responsabilité pleinement autonome des personnes
morales, à trouver une assise législative à l’imputation directe d’une infraction intentionnelle
à la personne morale. Précisément, une extension de la solution retenue en matière non-
intentionnelle aux infractions intentionnelles devait résulter de la suppression du principe de
spécialité par la loi no 2004-204 du 9 mars 2004. Par cette réforme, appelée de ses vœux par
la majorité de la doctrine, le législateur s’est orienté vers la reconnaissance d’un principe
général de responsabilité pénale des personnes morales, indépendant de la nature de
l’infraction commise.

2. L’élargissement par le fait du législateur ou l ’élargissement ratione materiae


La pénalisation législative des personnes morales résulte essentiellement de l’adoption de la
loi du 9 mars 2004 sur l’adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité qui, en
supprimant le principe de spécialité, a généralisé la responsabilité pénale des personnes
morales1200. Sous l’empire du principe de spécialité, une personne morale ne pouvait être
pénalement responsable que « dans les cas prévus par la loi ou le règlement »1201. Ainsi, il
fallait qu’un texte spécifique précise explicitement, d’une part, que la personne morale était
pénalement responsable pour telle infraction déterminée, et qu’il indique, d’autre part, les
peines auxquelles elle était exposée. Il ne suffisait donc pas qu’un texte d’incrimination
décrive un fait commis par « toute personne » pour que l’infraction puisse être reprochée à
une personne morale1202. Le principe de spécialité trouvait sa raison d’être dans la nécessité
de rester dans les limites de la vraisemblance. Pourtant, on s’est acheminé progressivement
vers une responsabilité équivalente à celle des personnes physiques. Avant même la loi
de 2004, la tendance législative était déjà à la généralisation par la multiplication des textes
consacrant expressément la responsabilité pénale des personnes morales1203.
La loi no 2001-504 du 12 juin 2001 relative à la lutte contre les mouvements sectaires, en
permettant d’imputer aux personnes morales des infractions telles que le viol, les agressions
sexuelles et l’abandon de famille, « pour lesquelles on l’estimait invraisemblable à

1200. Seule exception à la généralisation de la responsabilité pénale des personnes morales, les délits de presse
et de communication audiovisuelle, matière où il existe des règles spéciales de responsabilité en cascade
des personnes physiques (cf. la loi du 9 mars 2004, art. 55 ; la loi sur la liberté de la presse de 1881,
art. 43-1 ; la loi du 29 juill. 1982, art. 93-4).
1201. C. pén., anc. art. 121-2, alinéa 1er.
1202. Cf. Cass. crim., 18 avr. 2000, Bull. crim., 2000, no 153.
1203. Pour une liste des extensions législatives successives au domaine initial de la responsabilité pénale des
personnes morales, cf. H. MATSOPOULOU, « La généralisation de la responsabilité pénale des personnes
morales », op. cit., p. 283.

256
l’origine »1204, en constitue une bonne illustration. Comme le concède Haritini Matsopoulou,
« à vrai dire, indépendamment de la nécessité ayant amené le législateur à sanctionner certains
agissements de groupes sectaires, tels que des viols commis sur les adeptes au nom de
prétendues croyances, il semble difficile d’imputer un acte de nature sexuelle à une personne
morale, asexuée par principe »1205. Si certains auteurs regrettaient que la responsabilité pénale
des personnes morales n’ait pas été admise par principe1206, d’autres s’interrogeraient sur la
pertinence d’un tel anthropomorphisme législatif1207.
La jurisprudence était elle aussi transgressive. Anticipant ou provoquant la modification
législative, elle avait déjà retenu la responsabilité pénale d’une personne morale malgré
l’absence d’un texte spécifique l’y autorisant. Dans un arrêt rendu en 2003, elle avait affirmé
contra legem que l’article 399 du Code des douanes, qui énonce que « ceux qui ont participé
d’une manière quelconque » à un délit de contrebande sont passibles des mêmes peines que
les auteurs de l’infraction, est applicable aux personnes morales1208. L’abandon du principe
de spécialité est venu parachever cette évolution commentée de manière contrastée en
doctrine. Aujourd’hui, toutes les infractions peuvent être reprochées à une personne morale.
Nonobstant les extensions législatives déjà réalisées, la réforme n’est si pas anodine qu’il y
paraît car de nombreux domaines échappaient encore à la responsabilité pénale des
personnes morales et, en particulier, des disciplines constituant un terrain infractiogène par
excellence pour les personnes morales1209.

Nous considérons, pour notre part, que la généralisation de la responsabilité pénale des
personnes morales constitue le pas décisif vers la reconnaissance d’un principe général de
responsabilité pénale des personnes morales analogue à celui gouvernant la responsabilité
pénale des personnes physiques. Il est notable que la paternité de la réforme revienne au
sénateur Pierre Fauchon, celui-là même qui était à l’origine de la loi du 10 juillet 20001210.
L’abandon du principe de spécialité traduit donc la volonté d’aligner la situation de la
personne morale sur celle de la personne physique en lui reconnaissant implicitement la

1204. E. DREYER, Droit pénal général, op. cit., no 1137, p. 829.


1205. H. MATSOPOULOU, « La généralisation de la responsabilité pénale des personnes morales », op. cit., p. 283.
1206. En ce sens, F. DESPORTES, « Article 121-2 du Code pénal », J.-Cl. pénal 2001, no 92 et suiv.
1207. En ce sens, B. BOULOC, « Le domaine de la responsabilité pénale des personnes morales », Rev. sociétés,
1993, p. 291.
1208. Cf. Cass. crim., 5 févr. 2003, no 02-82.187, Bull. crim. no 24, RSC, 2003, p. 554, obs. B. BOULOC; D., 2003,
p. 2855, note J.-C. PLANQUE. Pour un arrêt précédent dans le même sens, cf. Cass. crim., 26 sept. 2001,
Bull. crim., no 191 ; RTD Com. 2002, p. 382, obs. B. BOULOC. Cette décision de la chambre criminelle est
aussi de nature à condamner la théorie de la responsabilité pénale indirecte des personnes morales. En
posant le principe selon lequel les textes visant « celui qui… » sont applicables aux personnes morales
nonobstant le fait qu’ils ne le prévoient pas expressément, la Cour de cassation signifie que l’on
condamnera « l’être moral qui… », toute référence aux organes ou représentants devenant par là même
inutile. Dans le même sens, Jean-Claude Planque considère que « par la position adoptée dans son arrêt
du 5 février 2003, la chambre criminelle a, elle-même, posé les charges susceptibles de faire exploser la
théorie de la responsabilité par ricochet » (cf. J.-C. PLANQUE, « Élargissement jurisprudentiel du
domaine d’application de la responsabilité pénale des personnes morales », D., 2003, p. 2855.
1209. Le droit des sociétés commerciales, le droit fiscal et douanier, le droit du travail, le droit de l’urbanisme…
1210. Cf. supra, les incidences de la loi du 10 juillet 2000 sur la responsabilité pénale des personnes morales.
Jacques-Henri Robert souligne « l’impact considérable sur notre droit pénal » de ce parlementaire suivant
« un dessein très cohérent qui tend à aggraver la responsabilité des personnes morales dans l’espoir
d’alléger celle de leurs dirigeants » (J.-H ROBERT, « Le coup d’accordéon ou le volume de la responsabilité
pénale des personnes morales », in Les Droits et le Droit, mélanges dédiés à Bernard Bouloc, Dalloz, 2007, p. 976).

257
capacité de commettre tout type d’infraction1211. Dans le même sens, il est permis de faire
valoir le fait que la personne morale tend à devenir un sujet de droit à part entière au même
titre que la personne physique1212.

Au final, la mise en évidence des inconvénients liés à la théorie du substratum, combinée à


l’évolution, tant jurisprudentielle1213 que législative1214, vers l’extension du domaine de la
responsabilité pénale des personnes morales, ne pouvait rester sans répercussions sur le
devenir de la théorie relative à la responsabilité indirecte des personnes morales. Tout cela
devait conduire à envisager une réforme du système de responsabilité initialement retenu à
l’encontre des personnes morales dans le sens de son autonomisation.

Section 2 – La reconnaissance d’une responsabilité directe des personnes


morales à l’origine d’une conception objectivée de l’imputabilité
La reconnaissance d’une responsabilité directe des personnes morales suppose la possibilité
pour la personne morale d’engager seule sa responsabilité sans l’intervention d’un de ses
organes ou représentants. Le droit positif offrant une assise législative à la reconnaissance
d’une responsabilité directe de la personne morale1215, il reste à déterminer les conditions
nouvelles de la responsabilité des personnes morales. S’agit-il d’une responsabilité analogue
à celle des personnes physiques ? Une réponse par l’affirmative implique que l’on puisse
caractériser à l’encontre de la personne morale une faute particulière, distincte de celle de la
personne physique, susceptible de lui être imputée. Au final, il sera permis de considérer que
cette responsabilité nouvelle reste bien d’essence classique, avec pour particularité principale
l’objectivation de la composante imputabilité (§ 1). Cet infléchissement du caractère subjectif
de l’imputabilité se trouvera confirmé par l’analyse des peines applicables aux personnes
morales (§ 2).

§ 1 - Les conditions de la responsabilité pénale des personnes morales


repensées dans le sens de l’autonomie

Afin de vérifier l’hypothèse d’une autonomisation, il faut maintenant pouvoir caractériser des
conditions spécifiques à l’engagement d’une responsabilité pénale directe de la personne
morale. Si l’évolution de la responsabilité pénale des personnes morales constitue un

1211. Dans le même sens, Marie-Élisabeth Cartier a considéré que « la suppression du principe de spécialité met
donc à égalité les personnes morales avec les personnes physiques […] sachant que désormais elles sont
reconnues aptes à commettre toutes les infractions prévues et punies par la loi » (M.-É. CARTIER, « De la
suppression du principe de spécialité de la responsabilité pénale des personnes morales. Libres propos »,
in Les droits et le droit, mélanges dédiés à Bernard Bouloc, Dalloz, 2007, p. 97).
1212. Il est notable en effet que l’entité morale puisse par exemple demander réparation de son préjudice moral,
agir en diffamation pour protéger sa réputation ou son honneur.
1213. Nonobstant l’hétérogénéité des décisions quant à l’exigence d’identification de la personne physique
organe ou représentant.
1214. Caractère alternatif des responsabilités en matière non intentionnelle et généralisation de la responsabilité
pénale.
1215. Cf. supra, section 1.

258
marqueur du néopositivisme contemporain en révélant le fondement du risque social à cette
responsabilité1216, le schéma classique des conditions de mise en œuvre de la responsabilité
pénale est néanmoins reconduit à l’endroit de cette entité juridique. Aussi inattendu que cela
puisse paraître, il reste possible de caractériser en premier lieu l’existence d’une culpabilité
spécifique à la personne morale, puis de lui imputer l’infraction commise. Cependant, en
considération de la spécificité de l’être moral, les conditions traditionnelles d’engagement de
la responsabilité pénale sont susceptibles de subir une mutation. Il importera donc de
mesurer l’étendue de la concordance des conditions de cette responsabilité nouvelle avec les
conceptions classiques des composantes de la responsabilité pénale. Nous établirons qu’il est
possible de caractériser l’existence d’une culpabilité d’essence « classique » à l’endroit de la
personne morale (A.). En revanche, dans le cadre d’une conception renouvelée de cette
responsabilité pénale, l’exigence d’imputabilité n’est plus transposable à l’identique à cet être
immatériel, du moins dans une acception subjective. La réception du concept d’imputabilité
tel qu’on l’a présenté chez les personnes physiques n’a pas sa place, ce dernier ayant opéré
un glissement vers une acception plus objective de la notion (B.).

A. Le maintien d’une acception abstraite de la culpabilité

Un obstacle pourrait a priori être avancé contre la thèse de la réalité. Il tient à l’incapacité de
la personne morale à réaliser tous les éléments constitutifs d’une infraction. Il ne saurait
cependant prospérer, car il ne pourrait raisonnablement être exigé d’une abstraction qu’elle
réalise l’élément matériel d’une infraction. En outre, l’emprunt de la matérialité de l’acte
répréhensible accompli par la personne physique peut être fondé sur l’alinéa 3 de
l’article 121-2 du Code pénal1217. L’incapacité matérielle de la personne morale n’est donc pas
déterminante de l’exclusion de la théorie de la responsabilité directe. Tout l’enjeu de la
démonstration concerne en revanche la possibilité de caractériser une faute particulière de la
personne morale, distincte de celle de la personne physique. Après avoir étayé la nécessité
d’établir l’existence d’une faute personnelle de la personne morale (1.), nous verrons qu’il
résulte bien du droit positif la possibilité de caractériser l’existence d’une faute propre de la
personne morale (2.).

1. La nécessité d’établir l’existence d’une faute personnelle de la personne


morale
Dès lors que l’organe ou le représentant, auteur matériel de l’infraction, n’est pas déterminé,
par voie de conséquence, la faute de ce dernier ne l’est pas non plus. Comme le relève
Jean-Yves Maréchal, « l’indétermination de l’organe ou du représentant pose une sérieuse
difficulté lorsqu’il s’agit d’établir la faute qu’il a commise »1218. Il reste toutefois nécessaire de
caractériser l’existence d’une composante psychologique pour pouvoir engager la
responsabilité pénale de l’être moral. Deux principes concourent à cette conclusion.

1216. Cf. infra.


1217. Cf. supra, la démonstration de François Rousseau pour tenter d’expliquer la dissociation du sort pénal,
opérée par la loi du 10 juillet 2000, entre les personnes physiques auteurs indirects et les personnes
morales.
1218. Ibid.

259
Aux termes du premier, une infraction suppose une activité matérielle associée à une certaine
attitude psychologique1219. Si la réalité matérielle de l’infraction ne fait pas de doute, il reste à
établir sa composante intellectuelle pour qu’elle soit pleinement constituée. L’absence
d’identification de la faute commise par l’organe ou le représentant n’offre pas d’autre
alternative que l’étude de l’attitude psychologique de l’entité abstraite. Si d’aucuns
considèrent que la fiction est encore plus grande dans cette hypothèse, il est néanmoins
nécessaire que les juges précisent en quoi la faute exigée par le texte d’incrimination est
caractérisée à l’encontre de l’être moral, sous peine de ne pouvoir retenir l’existence d’aucune
infraction.
Le second principe découle de l’article 121-1 du Code pénal qui pose le principe de base de
la responsabilité personnelle. En vertu de cet article, on ne peut engager la responsabilité
pénale d’un être juridique qu’en raison de la commission d’un « fait personnel ». Cet article
n’opérant pas de distinction selon la nature physique ou morale de la personne évoquée,
l’exigence de commission d’un fait personnel s’applique également à la personne morale. Le
principe fondamental de la responsabilité du fait personnel concerne donc aussi bien les
personnes physiques que les personnes morales. Le « fait personnel » visé par l’article 121-1
du Code pénal peut consister en une faute propre de la personne morale. La chambre
criminelle a clairement rappelé cette règle en refusant qu’une société absorbante puisse se
voir imputer les infractions commises par les sociétés absorbées ou fusionnées1220.
Cependant, une fois encore, la position de la jurisprudence n’est pas uniforme. Il faut cette
fois relativiser la solution dégagée par la chambre criminelle au regard de la jurisprudence de
la Cour de justice de l’Union européenne. Cette dernière s’est récemment prononcée sur la
question épineuse de savoir si, lors d’une fusion par absorption, la transmission universelle
du patrimoine de la société absorbée à la société absorbante devait inclure la responsabilité
du paiement d’une amende infligée par décision définitive après cette fusion, pour des
infractions au droit travail commises par la société avant ladite fusion. Dans un arrêt rendu
le 5 mars 2015, la Cour de justice a répondu par l’affirmative en imputant l’amende à la
société absorbante1221. La Cour de justice de l’Union européenne se prononce ainsi en faveur
de la transmission du passif issu d’une dette de nature pénale de la société absorbée à
l’absorbante. Le passif doit comprendre les amendes nées de fautes antérieures à la fusion
mais notifiées postérieurement à celles-ci1222. Ce raisonnement empreint de sensibilité civiliste
a été censuré par la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 25 octobre 2016. La chambre
criminelle a maintenu sa jurisprudence antérieure au motif que l’article 121-1 du Code pénal
ne peut s’interpréter que comme interdisant que des poursuites pénales soient engagées
envers la société absorbante pour les faits commis par la société absorbée avant la fusion 1223.

1219. Cf. C. pén., art. 121-3.


1220. Cass. crim., 20 juin 2000, no 99-86.742, Bull. crim., no 237; D., affaires 2001, no 10, p. 893, note
H. MATSOPOULOU ; Bull. Joly, 2000, p. 201, § 12, obs. C. MASCALA. Cf. également Cass. crim., 14 oct.
2003, no 02-86.376, Bull. crim., no 189 ; Dr. pén., 2004, comm. no 20, obs., J.-H. ROBERT.
1221. CJUE, 5 mars 2015, aff. C-343/13, Modelo Continente Hipermercados SA c/Autoridade para as Condições de
Trabalho : JurisData no 2015-006137.
1222. Même si cette solution semble aller à l’encontre du principe de personnalité des peines, elle présente
l’intérêt d’éviter d’instrumentaliser l’opération de fusion pour faire échapper une société à toute
condamnation pénale.
1223. La chambre criminelle a considéré que « d’une part, la troisième directive 78/855/CEE du Conseil du
9 octobre 1978 concernant les fusions des sociétés anonymes, qui a été codifiée par la directive
2011/35/UE du Parlement européen et du Conseil du 5 avril 2011, telle qu’interprétée en son article 19

260
Ainsi, si la Cour de cassation a pu considérer qu’il n’était pas nécessaire d’établir une faute
distincte de la personne morale quand les juges du fond procédaient à l’identification de la
personne physique, organe ou représentant de la personne morale, auteur matériel de
l’infraction1224, l’établissement d’une faute personnelle de la personne morale s’avère
maintenant nécessaire, en vue tout à la fois de parachever l’opération juridique de
qualification et d’assurer le respect de l’article 121-1 du Code pénal. La reconnaissance d’une
responsabilité pénale autonome de la personne morale suppose donc que l’on recherche
l’existence d’une faute personnelle de la personne morale.

2. La caractérisation d’une faute personnelle de la personne morale


La caractérisation d’une culpabilité propre à la personne morale a fait l’objet de multiples
applications en jurisprudence. Toutefois, avant de retenir formellement l’existence d’une
faute personnelle à l’encontre de la personne morale (2.2), la jurisprudence a mis en évidence
l’existence d’une aptitude fautive, d’une forme de « capacité délictuelle » spécifique à la
personne morale et susceptible de constituer le support d’une faute intentionnelle ou non-
intentionnelle de l’entité abstraite (2.1).

2.1 La reconnaissance d’une capacité délictuelle de l’être moral

Cette capacité délictuelle résulte de la reconnaissance préalable d’une volonté propre de la


personne morale. Cette dernière prend corps dans les différentes politiques menées par la
société. Le premier arrêt suggérant que les personnes morales sont dotées d’une telle volonté
est l’arrêt précédemment évoqué et rendu par la chambre criminelle de la Cour de cassation
le 25 juin 20081225. Dans le même sens que Jean-Yves Maréchal, nous considérons que « cet
arrêt paraît décisif […] surtout, par l’allusion faite à la « politique commerciale » des sociétés,
ce qui revient à admettre sans réserve que ces dernières sont dotées d’une volonté propre
susceptible d’être le support d’une faute pénale »1226. Ce constat rejoint l’opinion émise par
d’éminents auteurs qui considéraient que « la personne morale est parfaitement capable de
volonté […] cette volonté collective est capable de commettre des fautes, tout autant que la
volonté individuelle. Le droit civil le reconnaît depuis longtemps sur le terrain de
l’article 1382 du Code civil »1227. À l’appui de cette affirmation, ils précisent que cette
« volonté collective […] est concrétisée à chaque étape importante de sa vie par la réunion,

paragraphe 1 par la Cour de justice de l’Union européenne dans l’arrêt du 5 mars 2015 précité, est
dépourvue d’effet direct à l’encontre des particuliers ; d’autre part, l’article 121-1 du Code pénal ne peut
s’interpréter que comme interdisant que des poursuites pénales soient engagées à l’encontre de la société
absorbante pour des faits commis par la société absorbée avant que cette dernière perde son existence
juridique » (cf. Cass. crim., 25 oct. 2016, no 16-80.366, à paraître au bulletin ; JCP E 2016, p. 1652 ; Dr.
sociétés 2017, comm. 34, R. SALOMON ; Dr. soc. 2017, chron. 1, E. SCHLUMBERGER). Pour la recherche de
solutions susceptibles d’assurer l’articulation et la cohérence des décisions rendues par la CJUE et la Cour
de cassation, cf. R. HERVET et A. SALON, « Fusion par absorption et transfert de la responsabilité pénale :
comment désamorcer le conflit jurisprudentiel naissant ? », Dr. pén., 2017, étude 9.
1224. Cf. supra, Cass. crim., 26 juin 2001, no 00-83.466, Bull. crim., no 161.
1225. Cf. supra, l’évocation de cet arrêt à propos de l’extension de la présomption de commission de l’infraction
par un organe ou un représentant en matière intentionnelle.
1226. J.-Y. MARÉCHAL, « Plaidoyer pour une responsabilité pénale directe des personnes morales », op. cit.,
p. 249.
1227. R. MERLE et A. VITU, Traité de droit criminel – Droit pénal général, t. 1, Cujas, 1997, 7e éd., no 638.

261
la délibération et le vote de l’assemblée générale de ses membres, ou de ses conseils
d’administration, de gérance ou de direction »1228. Il est donc permis de considérer qu’il existe
des hypothèses où l’infraction est due à la mauvaise politique commerciale ou sociale de la
personne morale, ou à son organisation et fonctionnement défectueux. Au soutien de la
reconnaissance d’une forme de capacité délictuelle de la personne morale, il est aussi permis
de rappeler le choix de la jurisprudence civile de considérer que la personnalité morale est
une « réalité »1229. La Cour de cassation, dans l’arrêt célèbre du 28 janvier 1954, a adopté la
théorie de la réalité au motif que, dans le cadre d’une entité abstraite, il existe des intérêts
collectifs distincts de ceux de ses membres ainsi qu’une organisation collective agissant dans
le but de défendre ses intérêts. Cette position a été, depuis lors, maintes fois réitérée. Dans
le même sens qu’André Decocq, nous considérons donc qu’« en ce qui concerne l’élément
psychologique, la théorie de la réalité, qui est de droit positif, interdit de soutenir que la
personne morale n’aurait pas de volonté propre »1230. La généralisation, en jurisprudence, de
l’imputation directe d’une faute aux personnes morales, indépendamment de sa nature
intentionnelle ou non intentionnelle, en est une confirmation.

2.2 La mise en œuvre de la capacité délictuelle de l’être moral

La mise en œuvre de cette capacité délictuelle suppose que l’infraction est accomplie par la
société elle-même. Cette exigence se traduit avec une acuité particulière par la caractérisation
d’une faute concrète à l’encontre de la personne morale. Il est notable que « les juges du fond
ont pris l’habitude de raisonner comme si c’était la personne morale elle-même qui
commettait l’infraction, y compris et surtout dans son élément intellectuel, ce qui n’est pas
censuré par la Cour de cassation »1231. D’ailleurs, dans les premières décisions rendues par les
juridictions du fond, la personne morale était directement mise en cause, sans allusion, même
indirecte, à l’auteur matériel de l’infraction. Plusieurs arrêts récents ont statué dans le même
sens1232. Il paraît judicieux de prendre l’exemple de la décision du 9 mars 20101233 où la Cour
de cassation rejette le pourvoi dirigé contre la condamnation d’un centre hospitalier
universitaire pour homicide involontaire en raison du décès d’une patiente admise en
urgence. La chambre criminelle approuve la cour d’appel d’avoir relevé à l’encontre de
l’hôpital l’existence d’une « défaillance manifeste du service d’accueil de l’hôpital », consistant
dans l’absence de médecin senior dans ce service1234 alors même que le règlement intérieur
de l’établissement imposait l’accueil de chaque patient par un médecin senior. La cour d’appel
en déduit que cette « faute patente » est la cause indirecte et certaine du décès et engage la
responsabilité pénale de l’hôpital. Si une faute non intentionnelle est bien relevée par les juges

1228. Loc. cit.


1229. Cf. supra, dans l’introduction, le choix de la Cour de cassation, dans le célèbre arrêt du 28 janvier 1954, de
la théorie de la réalité pour fonder la reconnaissance de la personnalité juridique en faveur des entités
abstraites.
1230. A. DECOCQ, Droit pénal général, op. cit., p. 256.
1231. J.-Y. MARÉCHAL, « Un pas de plus vers la responsabilité pénale directe des personnes morales », op. cit.,
p. 2135.
1232. Cf. par exemple Cass. crim., 1er déc. 2009, no 09-83.374, Bull. crim. no 199, D., 2010, p. 1663, obs.
C. MASCALA ; Cass. crim., 16 déc. 2009, no 07-86-584, inédit ; Cass. crim., 9 févr. 2010, no 09-81.574,
inédit.
1233. Bull. crim., no 49.
1234. Le titulaire ayant été autorisé à s’absenter par son supérieur hiérarchique, chef de service des urgences.

262
du fond, cette dernière n’est pas imputée à une personne déterminée puisqu’elle est désignée
comme « une défaillance manifeste du service d’accueil des urgences, en infraction au
règlement intérieur de l’hôpital ». La Cour de cassation adhère au raisonnement de la cour
d’appel sans prendre « la peine de compléter la motivation des juges du fond par l’idée selon
laquelle l’homicide involontaire a nécessairement été commis par un organe ou un
représentant de l’hôpital »1235. Il apparaît donc que la responsabilité de l’établissement de
santé est fondée sur sa propre faute, consistant en l’espèce en un dysfonctionnement du
service des accueils des urgences.
Ce qui très significatif de la volonté de la Cour de cassation de reconnaître l’existence d’une
faute personnelle à l’être moral est que, dans l’affaire évoquée, il était possible de caractériser
l’existence d’une faute de la personne physique, organe ou représentant de l’établissement.
En effet, il est logique de penser que la faute retenue contre l’établissement remonte
effectivement jusqu’à la direction de celui-ci. Comme le relève Jean-Yves Maréchal, « à
l’image de la jurisprudence relative à la responsabilité pénale du chef d’entreprise, il semble
que le reproche fait aux dirigeants de l’établissement, en qualité d’organes de la personne
morale, soit celui de ne pas avoir surveillé efficacement le bon respect du règlement intérieur
qui interdisait l’absence du médecin senior »1236. Cependant, cette explication n’étant pas
fournie par la Cour de cassation qui adhère in extenso au raisonnement de la cour d’appel, il
est possible d’en déduire que la caractérisation des éléments constitutifs de l’infraction à
l’encontre de la personne morale n’est pas un choix par défaut et qu’elle procède bien de la
volonté de la Haute Juridiction de mettre en exergue l’existence d’une faute propre de la
personne morale1237.

Par ailleurs, en matière intentionnelle, il existe des hypothèses où la responsabilité pénale de


la seule personne morale est envisagée. Il s’agit notamment du cas où la décision litigieuse,
émanant de la personne morale, est prise par un organe collégial, comme le conseil
d’administration d’une société anonyme. Haritini Matsopoulou rappelle que « dans une telle
situation, la jurisprudence n’hésite pas […] à retenir seule la responsabilité pénale de la
personne morale, puisqu’il n’est pas possible de découvrir le rôle de chacun des membres
composant l’organe collectif et d’imputer la responsabilité personnelle de l’infraction à un ou
plusieurs individus déterminés »1238. Par exemple, il a été jugé qu’un refus discriminatoire de
service décidé par une délibération du conseil municipal ne pouvait être retenu à l’encontre
de ceux des conseillers municipaux ayant exprimé un vote favorable1239. Ainsi, il est même
des hypothèses où la responsabilité pénale de la personne morale se substitue purement et
simplement à celle de la personne physique. Poussant plus avant la démonstration d’un
anthropomorphisme judiciaire avancé, Jacques-Henri Robert souligne que les tribunaux

1235. J.-Y. MARÉCHAL, « Un pas de plus vers la responsabilité pénale directe des personnes morales », op. cit.,
p. 2135.
1236. Loc. cit.
1237. Pour des exemples de motivations de juridictions du fond en ce sens, cf. par exemple un arrêt de la Cour
d’appel de Paris en date du 7 mars 2008 (JurisData no 2008-360860) où la cour retient la responsabilité
d’une société du chef d’homicide involontaire aux motifs qu’» en n’accomplissant pas les diligences
normales qui lui incombaient […], la société […] a violé une obligation de sécurité imposée par la loi dont
est résultée la chute mortelle de la victime ».
1238. H. MATSOPOULOU, « La généralisation de la responsabilité pénale des personnes morales », op. cit., p. 283.
1239. Cass. crim., 11 mai 1999 ; no 97-81653, no 93, Dr. pén., 1999, comm. 140, obs. M. VÉRON ; RSC, 2000,
p. 197, obs. Y. MAYAUD.

263
assimilent si bien la personne morale à un entrepreneur « qu’ils parlent d’elle avec les mots
qu’ils auraient employés à l’égard d’une personne physique : par exemple, la prévenue a
« externalisé sa production »1240 ou « elle n’a pas justifié » telle ou telle pratique
commerciale1241.
Ainsi, si dans la perspective d’une responsabilité directe des personnes morales, il est permis
de caractériser une culpabilité spécifique à la personne morale. Nous allons établir que
l’exigence d’imputabilité est quant à elle abandonnée ou, à tout le moins, objectivée.

B. L’application directe de l’exigence d’imputabilité à la personne morale impliquant


son caractère objectivé

La détermination des contours d’une acception classique de la responsabilité pénale des


personnes morales suppose maintenant de caractériser une forme d’imputabilité de
l’infraction à la personne morale. Quelle incidence la reconnaissance d’une responsabilité
directe de la personne morale peut-elle avoir sur le concept d’imputabilité ? Le caractère
objectivé de l’imputabilité est la conséquence, d’une part, du rattachement direct de
l’infraction à l’entité abstraite qu’est la personne morale (1.) et, d’autre part, du caractère
partiel des causes traditionnelles de non-imputabilité pouvant être invoquées en propre par
la personne morale (2.).

1. L’imputation directe de l’infraction à la personne morale


Les personnes morales sont des abstractions et non des êtres réels. Elles sont donc
dépourvues de psychisme propre. Cette absence empêche la transposition de l’acception
subjective de l’imputabilité aux personnes morales (elle prive l’imputabilité à l’endroit de la
personne morale de tout contenu axiologique). Dès lors, l’opération consistant à mettre une
infraction sur le compte de la personne morale procède davantage d’une simple imputation
matérielle dénuée de tout contenu subjectif. Cette distinction terminologique entre
imputabilité et imputation pour rattacher une infraction à la personne morale n’est pas
nouvelle. Elle est apparue dès la création de cette responsabilité pénale, certains auteurs
considérant d’emblée qu’il ne pouvait être question d’imputabilité à l’endroit de l’entité
abstraite1242. À l’inverse, d’autres n’hésitait pas à parler d’imputabilité à propos des personnes
morales1243. Selon nous, dans la mesure où la responsabilité pénale de la personne morale
s’est émancipée de celle de la personne physique, il ne saurait plus être question d’imputabilité
subjective mais d’imputation1244. Au-delà, l’évolution du droit positif vers une responsabilité

1240. Cass. crim., 22 nov. 2006, no 06-83.008, Bull. crim. no 293 : JurisData no 2006-036598 ; Dr. pén., 2007,
comm. 25, note J.-H. ROBERT.
1241. Cass. crim., 24 mars 2009, no 08-86.530, inédit : JurisData no 2009-047943 ; Dr. pén., 2009, comm. 84, note
J.-H. ROBERT.
1242. Cf. notamment en ce sens, P. CONTE et P. MAISTRE du CHAMBON, Droit pénal général, A. Colin, 7e éd.,
2004, nos 350 et 367 et suiv. Cf. également, pour une position similaire, R. MERLE et A. VITU, Traité de
droit criminel – Droit pénal général, t. 1, Cujas, 1997, 7e éd., no 616 : « Il est préférable de parler à ce sujet
d’imputation de la responsabilité, plutôt que d’imputabilité. »
1243. Cf. par exemple C. MARIE, Droit pénal général, Hachette, 2005, p. 150 où l’auteur n’hésite pas à parler
d’imputabilité à l’égard des personnes morales en visant expressément dans un titre : « Les infractions
imputables aux personnes morales ».
1244. Cf. Y. MAYAUD, « Non à l’imputabilité des personnes morales », op. cit., p. 719.

264
directe des personnes morales est en train de sceller la dichotomie du concept d’imputabilité,
la fin de l’homogénéité d’une conception unitaire de l’imputabilité selon l’entité juridique
considérée.

L’acception subjective de l’imputabilité ne saurait être transposée aux personnes morales. Ce


constat trouve une confirmation dans l’impossibilité pour une personne morale de se
prévaloir de l’ensemble des causes de non-imputabilité. Cependant, en raison de la réception
partielle de ces causes subjectives d’exonération de la responsabilité pénale, il est permis de
considérer que l’imputabilité n’est que partiellement objectivée.

2. L’acception objectivée de l’imputabilité confirmée par le caractère partiel des


causes de non-imputabilité pouvant être invoquées en propre par la personne
morale
L’application directe de l’imputabilité dans son versant négatif à la personne morale revient,
cette fois, à se poser la question de la possibilité d’admettre l’existence d’une cause de non-
imputabilité à l’égard de la personne morale elle-même. La personne morale peut-elle
bénéficier d’une cause d’irresponsabilité qui lui serait personnelle ? La transposition
seulement partielle des causes de non-imputabilité pouvant être invoquées par les personnes
physiques permettra de conclure au caractère objectivé de l’imputabilité des personnes
morales. Parmi ces dernières, il convient logiquement de distinguer, d’une part, les causes
affectant le discernement de l’agent et qui ne sauraient être compatibles avec le caractère
abstrait de la personne morale (2.1) et, d’autre part, les causes de non-imputabilité affectant
la volonté dont le sort ne saurait, quant à lui, être aussi tranché (2.2).

2.1 L’impossible transposition à la personne morale des causes de non-imputabilité affectant


le discernement de l’agent

La question est de savoir si une personne morale auteur d’une infraction peut s’exonérer en
invoquant la minorité ou l’existence d’un trouble mental abolissant le discernement. La
généralité des termes de l’article 122-1 du Code pénal qui vise « la personne » sans autre
précision n’exclut pas expressément de son champ d’application les personnes morales.
D’ailleurs, un auteur, en se fondant précisément sur l’article 122-1 du Code pénal, considère
– non sans humour – qu’en n’excluant pas la possibilité pour une personne morale d’être
atteinte d’un trouble psychique ou neuropsychique, le législateur admettrait a contrario que la
personne morale possèderait un psychisme propre distinct de celui de ses membres1245. Cela
étant, comme il n’est pas raisonnable de considérer que la personne morale soit dotée d’une
intelligence propre, distincte de celle de ses membres, elle ne dispose d’aucun discernement
et, par voie de conséquence, elle ne saurait être victime de troubles psychiques à même
d’abolir ou d’altérer ce dernier. Frédéric Desportes et Francis Le Gunehec considèrent dans
le même sens que bien qu’« aucune raison de principe ne s’oppose à ce que la personne
morale, responsable par elle-même, puisse bénéficier des causes d’irresponsabilité pénale

1245. P. CONTE, « La responsabilité des personnes morales au regard de la philosophie du droit pénal », op. cit.,
p. 112.

265
prévues par le Code », force est de constater qu’en fait « certaines causes d’irresponsabilité
sont inconcevables au profit des personnes morales. Le délabrement mental, par
exemple »1246. Dans le même sens, Jean-Claude Planque démontre que l’exigence de
discernement, « créée, à l’évidence, pour s’appliquer à des êtres humains »1247, n’est pas
adaptée au caractère abstrait des personnes morales qui restent dépourvues d’une véritable
personnalité ou, tout au moins, d’un psychisme propre. La même solution doit être retenue
relativement à la minorité pénale, impossible à transposer à la personne morale, à moins
d’admettre qu’elle correspondrait à la période de formation de la personne morale – ce qui
conduirait à pousser trop loin le raisonnement anthropomorphique.
Qu’en est-il des causes de non-imputabilité affectant la volonté de l’agent ?

2.2 La transposition possible à la personne morale des causes de non-imputabilité affectant


la volonté de l’agent

Au regard de la première partie de cette étude, seule la contrainte morale constitue une cause
non-imputabilité susceptible de venir affecter la volonté de l’agent. Il importe de rappeler
que cette dernière a vu son champ d’application élargi à l’état de nécessité, cette extension
ayant été rendu possible par la démonstration d’une convergence de deux notions déjà
voisines1248. Par conséquent, les solutions que nous allons exposer s’appliquent
indifféremment à la contrainte morale et à l’état de nécessité, peu important la terminologie
employée1249. Nous choisirons cependant de distinguer, selon la présentation communément
répandue en doctrine, la contrainte morale et la contrainte physique.

L’application directe de la contrainte morale à la personne morale


Comme nous l’avons rappelé dans la première partie de cette étude, la contrainte morale peut
avoir une origine externe ou interne, seule la première étant en principe source d’exonération
de la responsabilité pénale. Nous allons établir que ce constat dressé à l’égard des personnes
physiques se vérifie à l’endroit des personnes morales. Tout d’abord, il importe de préciser
que l’invocation de la contrainte morale au bénéfice direct de la personne morale est
juridiquement possible, pour la même raison, d’ailleurs, qui fait que l’on ne peut exclure
a priori l’application de l’article 122-1 à l’égard des personnes morales1250.
Ensuite, l’admission d’une contrainte morale à l’égard d’une personne morale paraît plus
vraisemblable que la reconnaissance à son profit d’une abolition d’un discernement. Cela

1246. F. DESPORTES et F. LE GUNEHEC, Droit pénal général, Economica, 16e éd., 2009, no 641.
1247. J.-C. PLANQUE, La détermination de la personne morale pénalement responsable, L’Harmattan, 2003, no 651 et suiv.
1248. À l’issue du titre 1er de cette étude, il s’avère que la contrainte morale est une cause de non-imputabilité
altérant gravement la volonté de l’agent. Cette conclusion s’excipe de la démonstration de la nécessité
d’une approche plus nuancée de la notion, par le biais notamment d’une appréciation in concreto de la
contrainte. Il a également été établi que la volonté appréhendée par le biais de l’état de nécessité n’était
pas intègre mais viciée, ce dernier correspondant également à une altération grave de la liberté de la
volonté. La convergence de ces causes d’exonération établie, il ne restait plus qu’à déterminer la donnée
de rattachement. Le rattachement de l’état de nécessité à la contrainte morale, et non l’inverse, a été rendu
possible par l’étude des origines historiques de l’état de nécessité.
1249. Le terme de « contrainte » sera le plus souvent préféré à ceux d’« état de nécessité » dans la mesure où il se
réfère à la terminologie communément employée en matière de causes de non-imputabilité.
1250. De la même manière, l’article 122-2 du Code pénal vise « la personne qui a agi sous l’empire d’une force
ou d’une contrainte… », non la seule personne physique.

266
tient au fait qu’en pratique, il est parfaitement concevable qu’une contrainte économique
puisse pousser une entreprise à commettre une infraction. Nombre d’auteurs développent
des analyses en ce sens1251. Pour autant, la majorité d’entre eux considèrent que la sévérité de
la jurisprudence en la matière doit amener à penser que la contrainte ne sera probablement
jamais retenue au bénéfice de l’entité abstraite. Nous ne pouvons souscrire à cette prévision,
notamment en considération de la démonstration d’une appréciation erronée des conditions
d’admission de la contrainte par la Cour de cassation1252. La Haute Juridiction, en faisant
preuve d’une rigueur excessive, procède à une application par trop restrictive de la cause
d’exonération prévue à l’article 122-2 du Code pénal. Ainsi, si elle constitue bien une cause
de non-imputabilité, la contrainte morale procède plus d’une simple altération grave de la
volonté que de l’abolition de cette dernière. Cette particularité est de nature à ouvrir la voie
à un assouplissement de la jurisprudence relativement à la condition d’irrésistibilité de
l’événement contraignant1253.
Une évolution de la jurisprudence est d’autant plus souhaitable qu’il est aisément possible de
concevoir des circonstances de fait susceptibles de revêtir la qualification de contrainte à
l’égard de la personne morale. Pour illustrer cette affirmation, il est possible de prendre
plusieurs exemples. En premier lieu, celui du cadre d’un groupe de sociétés avec une société
mère qui impose un acte délictueux à sa filiale. On peut parfaitement imaginer que la filiale,
personne morale, soit contrainte de commettre une infraction alors que son dirigeant, quant
à lui, aurait agi sciemment et librement dans le seul intérêt de la société mère. Dans l’affaire
précitée du journal L’Illustration1254, on aurait pu, à l’inverse de ce qui s’est produit, imaginer
la personne morale contrainte par l’occupant alors que son dirigeant, mis en place par celui-ci,
aurait choisi librement la voie de la collaboration. Une personne morale peut donc avoir été
contrainte par un tiers de commettre une infraction.

On peut à présent se demander si la contrainte morale interne a, dans ce domaine, plus de


chance de prospérer qu’à l’égard des personnes physiques1255. Cette question renvoie à celle
subséquente de la prise en compte de la pression exercée par les organes ou représentants,
sans l’intervention d’un tiers à la personne morale1256. Les agissements des seuls dirigeants
poussant la personne morale à commettre une infraction sont-ils susceptibles de venir
exonérer l’entité abstraite sur le fondement de l’article 122-2 du Code pénal ? On peut

1251. En ce sens, J.-H. ROBERT, Droit pénal général, PUF, 6e éd., 2005, p. 383 ; J.-C. SAINT-PAU, « La
responsabilité des personnes morales : réalité et fiction », op. cit., p. 107.
1252. Cf. supra, partie 1, titre 1, chap. II : La reconfiguration du champ de la condition de liberté relevant de
l’imputabilité ».
1253. Loc. cit.
1254. Cf. supra, section 1 : « Le glissement vers l’abandon de la responsabilité indirecte des personnes morales
condamnant la conception subjective de l’imputabilité ».
1255. Nous avons déjà rappelé que la contrainte morale interne n’était pas retenue par le droit pénal à l’égard
des personnes physiques (cf. supra, partie 1).
1256. Ce qui n’est pas le cas dans l’hypothèse d’une contrainte morale externe invoquée directement par la
personne morale. La « pression » exercée sur la personne résulte dans tous les cas de celle effectuée par
ses organes ou représentants en raison de son caractère immatériel. Il importe en revanche de distinguer
le cas où la pression n’est exercée que par les dirigeants sociaux de celui où ces derniers seront eux-mêmes
les instruments, pour ne pas écrire le substratum, d’une entité tierce à la personne morale. Dans le premier
cas, il peut être question de contrainte morale interne, alors que dans le second il sera question de
contrainte morale externe. On devine déjà que le premier ne peut conduire à l’exonération de la personne
morale, contrairement au second.

267
prendre l’exemple de dirigeants sociaux qui refusent de mettre aux normes ou de moderniser
les équipements de la personne morale. Si leur responsabilité pénale peut être engagée, la
personne morale peut-elle invoquer la contrainte pour échapper à une condamnation pour
une infraction due à la vétusté des équipements d’une entreprise1257 ? Une réponse par
l’affirmative conduirait à l’irresponsabilité systématique de la personne morale, anéantissant
ainsi l’intérêt de la réforme de 1994. Agissant toujours par le biais de ses organes ou
représentants, l’entité abstraite pourrait toujours invoquer la contrainte. Une réponse
négative s’impose donc assez vite. Par conséquent, la contrainte morale interne n’a pas plus
de chance de prospérer à l’égard des personnes morales que des personnes physiques.
Pour certains auteurs1258, les agissements des organes ou représentants renverraient plutôt à
un cas de contrainte physique interne, cette dernière ayant pour avantage de faire l’objet
d’applications ponctuelles à l’égard des personnes physiques. À notre sens, la personne
morale étant dépourvue d’existence physique, la pression qu’elle subirait du fait de ses
organes doit être analysée comme une contrainte morale interne. Quoi qu’il en soit, peu
importe la qualification juridique de tels agissements puisque, pour les mêmes raisons que
celles précédemment évoquées, ils ne sauraient être source d’irresponsabilité pénale. Cela
étant, cette dualité de qualification nous invite à nous interroger sur l’application directe de
la contrainte physique à l’égard de la personne morale.

L’application directe de la contrainte physique à la personne morale


Dans la première partie de cette étude, le rattachement de la contrainte physique aux causes
de non-caractérisation de l’infraction a été établi1259. La doctrine dominante considère
cependant que la contrainte physique se rattache à la donnée imputabilité. Pour cette raison,
il importe aussi d’étudier ici l’impact de son application directe au bénéfice de la personne
morale, dans la mesure où, le sort de la contrainte physique interne venant d’être résolu, il
reste à se pencher sur celui de la contrainte physique externe. En raison de l’absence
d’existence physique de la personne morale, la contrainte physique externe ne peut s’exercer
que sur les biens de celle-ci. Un exemple peut être trouvé dans l’effondrement d’un bâtiment
propriété d’une personne morale qui blesse un passant. À l’instar de Clément Margaine,
nous considérons que la personne morale propriétaire de l’immeuble devrait pouvoir
s’exonérer de sa responsabilité pénale en prouvant que cet événement trouve sa source dans
un tremblement de terre ou un incendie 1260, non dans une négligence extrême qui pourrait
lui être imputable. Pour les auteurs partisans de la thèse de la contrainte physique externe,
cause de non-imputabilité, cette dernière devrait donc pouvoir être invoquée avec succès
par une personne morale pour échapper à sa responsabilité pénale. Il importe cependant de
rappeler que, dans le cadre de cette étude, la contrainte physique externe constituant une

1257. Une application concrète de cette hypothèse pourrait intervenir dans les cas où les organes ou
représentants d’un établissement ouvert public – magasin, hôtel, salle de remise en forme… –, refuseraient
d’engager des travaux nécessaires pour rendre leurs locaux conformes aux règles d’accessibilité aux
personnes handicapées.
1258. En ce sens par exemple, J.-C. PLANQUE, La détermination de la personne morale pénalement responsable, op. cit.,
no 630.
1259. Soit qu’elle fasse obstacle à la caractérisation de l’élément matériel de l’infraction, soit de son élément
psychologique, cf. supra, partie 1, titre 1, chapitre II.
1260. Cf. C. MARGAINE, op. cit., no 329. En ce sens également, J.-C. PLANQUE, La détermination de la personne morale
pénalement responsable, op. cit., no 630, in fine.

268
cause de non-caractérisation de l’infraction, il convient plutôt de l’invoquer pour faire
obstacle à la constitution de l’infraction.

L’application directe du concept d’imputabilité à l’endroit de la personne morale afin de la


soustraire à la mise en œuvre de sa responsabilité pénale confirme une objectivation de la
notion d’imputabilité appliquée à l’entité abstraite. Elle tient à l’impossible transposition à la
personne morale des causes de non-imputabilité affectant le discernement de l’agent. Nous
avons établi que seule la personne physique pouvait bénéficier d’une irresponsabilité fondée
sur l’article 122-1 du Code pénal. En revanche, la permanence d’une acception subjective de
l’imputabilité tient à la possibilité pour la personne morale d’invoquer en propre la contrainte
visée à l’article 122-2 du Code pénal. L’invocation de cette cause de non-imputabilité aura
une chance de prospérer dans les cas de la contrainte morale externe et de la contrainte
physique externe. Quoi qu’il en soit, la composante imputabilité est plus impactée par
l’évolution de la responsabilité pénale des personnes morales que la culpabilité entendue
strictement. Cette analyse se trouve confirmée à l’étude des peines applicables aux personnes
morales.

§ 2 - La confirmation d’une acception objectivée de l’imputabilité par


l’étude des peines applicables aux personnes morales

Le caractère objectif des peines applicables aux personnes morales conduit à exclure, sans
débat possible, l’absorption du concept doctrinal de capacité pénale par celui
d’imputabilité1261. À la suite de l’impossible transposition au bénéfice de la personne morale
des causes de non-imputabilité affectant le discernement de l’agent, l’exclusion de
l’imputabilité comprise comme capacité pénale – cette notion étant de nature à préserver
partiellement le caractère subjectif de l’imputabilité – vient sceller l’objectivation de
l’imputabilité à l’égard de l’entité abstraite (A.). Par ailleurs, l’étude des peines applicables aux
personnes morales, en mettant en évidence leur similitude avec la catégorie des mesures de
sûreté, permettra de dévoiler le fondement de la responsabilité des personnes morales et,
plus particulièrement, son caractère hybride (B.).

A. L’exclusion de l’imputabilité comme capacité pénale scellant le caractère objectivé


de l’imputabilité

Dans la première partie de cette étude1262, il a été établi que le concept de capacité pénale,
défini par Roger Merle et André Vitu comme « l’aptitude d’un délinquant à bénéficier de la
sanction après son jugement »1263, avait trouvé une traduction juridique dans le principe de

1261. Contrairement aux cas des personnes physiques où, dans la première partie de cette étude, l’absorption du
concept de capacité pénale par celui d’imputabilité a été envisagée avant de conclure à l’indépendance des
notions.
1262. Cf. supra, partie 1, titre 2, chapitre II, section 2 : « La complémentarité fonctionnelle des composantes de
la responsabilité pénale ».
1263. R. MERLE et A. VITU, Traité de droit criminel – Droit pénal général, 4e éd., 1981, nos 562 et suiv.

269
personnalisation des peines1264. Cela étant, d’aucuns continuent de considérer qu’il a été
absorbé dans celui d’imputabilité, l’argumentation résidant d’une part dans le lien existant
entre imputabilité et peine1265 et, d’autre part, dans l’évolution des fonctions assignées à la
peine et, particulièrement, dans l’émergence de la fonction resocialisante. Si nous adhérons
à ce point de vue le temps d’une démonstration, c’est pour établir qu’il contribue à étayer
la thèse d’une imputabilité objectivée à l’endroit des personnes morales. Le paradigme de
l’absorption de la capacité pénale par l’imputabilité momentanément admis, il faut admettre
que la question de la caractérisation de l’imputabilité comprise comme capacité pénale à
l’égard des personnes morales ne se posait pas dans le cadre de la théorie du substratum
puisque l’imputabilité, caractérisée dans l’ensemble de ses acceptions à l’endroit de la
personne physique, se trouvait projetée automatiquement et « intégralement » sur la
personne morale. En revanche, dans l’hypothèse d’une responsabilité directe de l’entité
morale, la question peut se poser de l’existence d’une capacité pénale, dans son acception
néoclassique, au bénéfice de la personne morale. C’est cette hypothèse que nous allons
maintenant étudier pour finir par établir l’impossibilité de principe de transposer le concept
d’imputabilité comprise comme capacité pénale aux personnes morales. Si l’absence de
psychisme propre de la personne morale impulse d’emblée une réponse négative (1.), cette
dernière se trouve vérifiée à l’analyse des peines applicables aux personnes morales (2.).

1. L’impossible transposition de l’imputabilité comprise comme capacité pénale


découlant de l’absence de psychisme propre à la personne morale
En raison de son absence de psychisme propre, on peut difficilement concevoir qu’une
personne morale puisse être dotée d’une quelconque aptitude à profiter d’une peine. Dans
le même sens, Clément Margaine considère que « la capacité pénale apparaît comme un
concept ontologique qui s’accorde mal avec le caractère abstrait des personnes
morales »1266. Elle suppose « la faculté pour l’individu condamné à une peine d’en apprécier
la signification, c’est-à-dire de prendre conscience du trouble social provoqué par
l’infraction et d’accepter la ou les mesures qui auront été prises afin de sanctionner, au sens
premier du terme, sa responsabilité pénale »1267. La peine doit être porteuse de sens chez le
délinquant, exigence incompatible avec le caractère immatériel de la personne morale. Dans
le prolongement, Isabelle Drean-Rivette considère que « la personnalisation de la peine
dans sa dimension qualitative, intelligible, c’est-à-dire porteuse de sens pour l’auteur de
l’infraction, n’est pas applicable aux personnes morales. Ce type particulier de sujet de droit
par essence abstrait n’est pas en mesure de porter un regard réflexif et introspectif sur son
parcours délinquantiel »1268. Il faut donc penser que « les ambitions du droit pénal

1264. D’abord consacré à l’article 132-24 du Code pénal de 1992 devenu, notamment, l’article 132-1 du Code
pénal à la faveur de la loi Taubira no 2014-896 du 15 août 2014.
1265. Cf. supra, partie 1, titre 2, chapitre II, section 2 : « La complémentarité fonctionnelle des composantes de
la responsabilité pénale » et le lien établi entre l’imputabilité et la peine. S’il ne fait aucun doute en doctrine
que l’imputabilité constitue le fondement de la responsabilité pénale, il en résulte nécessairement un lien
entre imputabilité et peine, puisque la conséquence naturelle de la mise en œuvre de la responsabilité
pénale réside dans l’infliction d’une sanction.
1266. C. MARGAINE, op. cit., no 449.
1267. Ibid., no 450.
1268. I. DREAN-RIVETTE, La personnalisation de la peine dans le Code pénal, L’Harmattan, 2005, p. 43.

270
perfectionnel ne sauraient être réalisées que vis-à-vis des individus »1269. Assez logiquement,
les peines applicables aux personnes morales ne sont pas fondées sur l’aptitude à profiter
d’une sanction en procédant, pour la majorité, d’un caractère objectif.

2. Le caractère objectif des peines spécifiques aux personnes morales


En dehors de leur faible diversité, l’amende est la peine principale systématiquement
encourue par les personnes morales, même lorsque le législateur ne l’a pas expressément
prévue dans le texte qui incrimine l’infraction1270. L’article 131-39 énumère des peines plus
spécifiques qui doivent être prévues par le texte d’incrimination pour être applicables aux
personnes morales. Au rang de celles-ci, la dissolution, l’interdiction d’exercer directement
ou indirectement une ou plusieurs activités professionnelles ou sociales, la fermeture
d’établissement, l’exclusion des marchés publics… À la lecture de ces peines, on remarque
que la majorité d’entre elles remplissent une fonction d’élimination ou d’intimidation. Ces
fonctions classiquement reconnues à la peine sont compatibles avec l’absence de matérialité
des personnes morales. En revanche, force est de constater l’absence de peines destinées à
assurer le reclassement social de la délinquante personne morale.

En réalité, l’une d’entre elles fait figure d’exception en ce qu’elle privilégie une finalité
préventive – autrement dit, en ce qu’elle est tournée vers l’avenir et non seulement vers le
passé de l’entité abstraite. Roger Merle et André Vitu doutaient déjà en leur temps qu’il soit
« impossible de découvrir des mesures susceptibles de provoquer une sorte d’amendement
de la personne morale »1271. Il s’agit du placement sous surveillance judiciaire 1272. Cette
peine, qui a été codifiée dès la création de la responsabilité pénale des personnes morales1273,
consiste à désigner un mandataire de justice qui devra contrôler l’activité de la personne
morale afin de prévenir la commission de nouvelles infractions. À l’issue de cette mesure,
le juge de l’application des peines, à qui le mandataire doit rendre compte au moins tous
les six mois1274, saisit la juridiction ayant prononcé la surveillance judiciaire, cette dernière
pouvant soit décider de prononcer une nouvelle peine, soit décider de relever la personne
morale de la mesure de placement1275. À l’évidence, il existe des similitudes entre la

1269. R. MERLE et A. VITU, Traité de droit criminel – Droit pénal général, Cujas, 7e éd., 1997, no 638.
1270. En vertu de l’article 131-38, alinéa 1er du Code pénal, lorsqu’une amende est prévue, « le taux maximum
de l’amende applicable aux personnes morales est égal au quintuple de celui prévu pour les personnes
physiques par la loi qui réprime l’infraction ». En revanche, en vertu de l’article 131-38, alinéa 2, « lorsqu’il
s’agit d’un crime pour lequel aucune peine d’amende n’est prévue à l’encontre des personnes physiques,
l’amende encourue par les personnes morales est de 1 000 000 d’euros ».
1271. Cf. R. MERLE et A. VITU, Traité de droit criminel – Droit pénal général, Cujas, 7e éd., 1997, no 638 : « Qui sait
si l’observation de la personnalité, préconisée par les écoles contemporaines de défense sociale ne pourrait
être adaptée aux cas des groupements ? Une étude approfondie de la comptabilité, de la gestion, ou de
l’activité d’une société […] ne serait probablement pas inutile à l’occasion de certaines infractions
pénales. »
1272. Cf. C. pén., art. 131-39 (3°). La dénomination de cette peine est cependant de nature à prêter confusion
depuis la création, par la loi no 2000-1549 du 12 décembre 2005, d’une nouvelle mesure de sûreté
applicable aux personnes physiques et dénommée « surveillance judiciaire ». Les termes « placement sous
surveillance judiciaire » peuvent désigner aussi bien la mesure de sûreté applicable aux personnes
physiques (cf. C. pr. pén., art. 723-29 et suiv.) que la peine applicable aux personnes morales (cf. C. pén.,
art. 131-6).
1273. Par la loi no 92-683 du 22 juillet 1992.
1274. C. pén., art. 131-46, al. 1er.
1275. C. pén., art. 131-46, al. 2.

271
surveillance judiciaire applicable aux personnes morales et le sursis avec mise à l’épreuve
des personnes physiques. Dans les deux cas, il s’agit de contrôler l’activité d’un délinquant
afin d’éviter une éventuelle récidive tout en lui permettant, en cas de bonne conduite,
d’éviter une peine plus lourde. L’existence d’une peine visant la « resocialisation » de la
personne morale n’invite cependant pas à reconsidérer par l’affirmative la question de la
transposition de l’imputabilité comprise comme capacité pénale 1276 aux personnes morales.
Il paraît en effet plus raisonnable, au regard notamment du caractère majoritairement
rétributif des peines applicables à l’entité abstraite, de conclure au rejet de cette acception
de l’imputabilité à l’endroit des personnes morales. Dès lors, pour les partisans d’une
absorption de la capacité pénale par l’imputabilité, le caractère objectif des peines
applicables aux personnes morales pourrait être analysé comme découlant de l’amputation
de l’acception néoclassique de l’imputabilité. L’étude des peines applicables aux personnes
morales révèle donc une objectivation supplémentaire de la notion d’imputabilité appliquée
directement à l’entité abstraite par l’impossible transposition aux personnes morales
l’imputabilité comprise comme capacité pénale 1277.

Si toutes les finalités contemporaines de la peine ne peuvent être poursuivies à l’égard d’une
personne morale, c’est, comme nous venons de l’établir, en raison du caractère abstrait et
désincarné de cette entité juridique. Pour cette raison, les peines applicables présentent
pour l’essentiel un caractère répressif, objectif qui les rapproche des mesures de sûreté avec
qui elles partagent le même but, à savoir empêcher la commission de nouvelles infractions.
Dans le même temps, cette convergence est aussi révélatrice du caractère « positiviste » de
la responsabilité de l’entité immatérielle. Ce caractère va se vérifier au travers du fondement
de la responsabilité pénale des personnes morales, ce dernier reposant, comme nous l’avons
établi, non seulement sur une faute propre de la personne morale, mais également sur le
risque social généré par leur activité.

1276. Il importe à ce stade du raisonnement de rappeler que, dans le cadre de cette étude, nous ne souscrivons
pas à l’hypothèse d’une absorption du concept de capacité pénale par celui d’imputabilité.
1277. Si nous retournons maintenant à la conclusion de la première partie de notre étude selon laquelle le concept
de capacité pénale ne se fond pas dans celui d’imputabilité mais dans le principe de personnalisation de la
peine, l’exclusion de la capacité pénale à l’endroit des personnes morales se trouve également confirmée.
Bien que dotée d’une véritable personnalité juridique, la personne morale n’en reste pas moins
désincarnée, dépourvue de personnalité, au sens psychologique du terme. Autrement dit, il n’est pas
possible de personnaliser la sanction applicable à une personne morale. Il ne saurait donc être question
d’une adaptation de la peine à la personnalité de la personne morale dans l’optique de favoriser sa
resocialisation. L’imputabilité, comme le principe d’individualisation des peines, sont fondés sur des
éléments de personnalité. Ils sont donc, partiellement cependant pour le concept d’imputabilité, exclusif
d’une application à l’égard d’une entité abstraite. Pour cette raison, la loi Taubira du 15 août 2014 a modifié
la lettre de l’article 132-1 du Code pénal en substituant la notion d’individualisation à celle de
personnalisation, afin d’adapter les modalités de la répression à cette entité abstraite qu’est la personne
morale. Il ne faut donc pas se méprendre sur l’emploi du terme « individualisation » à l’endroit des
personnes morales. Il signifie « une adaptation des sanctions à la spécificité des personnes morales […]
permettant de prendre en compte, non les caractéristiques propres à chaque personne morale, mais le
simple caractère immatériel de la personne morale » (cf. C. MARGAINE, op. cit., no 459). L’adaptation de la
sanction à la personne morale procède donc d’une simple individualisation objective de la sanction. Au
contraire, la personnalisation de la peine applicable aux personnes physiques, en renvoyant aux concepts
de personne et de personnalité, vise une adaptation subjective, c’est-à-dire fondée sur les spécificités de
chaque délinquant.

272
B. L’hybridation du fondement de la responsabilité pénale des personnes morales

L’hybridation du fondement de la responsabilité pénale des personnes morales signifie que


le fondement traditionnel de la faute n’est pas éclipsé (1.) au bénéfice de la prise en compte
d’un fondement inédit et consistant dans le risque social généré par l’activité de la personne
morale (2.)

1. La permanence du fondement de la faute


En abandonnant la théorie du substratum pour celle de la responsabilité directe des personnes
morales, le droit positif va mettre au jour un fondement hybride à la responsabilité de l’entité
abstraite. Il a déjà été établi que l’abandon de la faute de la personne physique n’impliquait
pas pour autant l’abandon du fondement de la faute. Si la faute de la personne physique a pu
être la faute même de la personne morale, c’est de la faute propre de la personne morale dont
il sera maintenant question1278. La faute personnelle de la personne morale va venir remplacer
la faute de la personne physique. Cependant, au fondement de la faute propre de la personne
morale vient s’ajouter celui du risque social généré par la puissance économique de
l’entreprise. On pourrait même suggérer que c’est la volonté de prendre en compte ce risque
spécifique qui a provoqué l’évolution de la responsabilité de l’entité abstraite1279.

Si le droit français a conceptualisé la responsabilité pénale des personnes morales au moyen


de la théorie du substratum, c’est avant tout pour permettre l’engagement de la responsabilité
pénale de cet être immatériel dans le respect des principes directeurs du droit pénal.
Autrement dit, l’institution de cette responsabilité n’a pas été discutée dans ses fondements
en droit interne. Il s’agissait « d’adapter les dogmes du droit pénal des personnes physiques
à la responsabilité des personnes morales, en oubliant la particularité de la personnalité des
entités collectives »1280. Cependant, c’était méconnaître le fait que l’admission d’une
responsabilité directe de la personne morale n’était pas incompatible avec la reconnaissance
d’une responsabilité pénale analogue à celle des personnes physiques et que l’un des seuls
aménagements nécessités par cette évolution tenait, comme nous l’avons vu, à l’objectivation
de la notion d’imputabilité.

2. Le fondement inédit du risque social généré par l ’activité de la personne


morale
Nous avons aussi souligné que la mise en œuvre directe de la responsabilité pénale de l’entité
abstraite permettait de transcender les limites de la théorie du substratum. Ces dernières ont
été mises au jour avec l’avènement d’une société du risque, et même d’une société de

1278. Cf. supra, les développements consacrés à la démonstration d’une culpabilité spécifique à la personne
morale.
1279. Comme le relève Marie-Élisabeth Cartier : « La lecture attentive des longs travaux préparatoires du
nouveau Code pénal indique clairement que la punition de la personne morale n’a pas été envisagée pour
des raisons strictement juridiques comme l’égalité des personnes devant la loi pénale […] mais beaucoup
plus pour des raisons essentiellement pratiques, sinon même politiques, liées à la puissance économique
des personnes morales. » (M.-É. CARTIER, « Nature et fondement de la responsabilité pénale des
personnes morales dans le nouveau Code pénal français », op. cit., p. 18.)
1280. Cf. la quatrième de couverture de la thèse d’Antonio Amalfitano (A. AMALFITANO, La responsabilité pénale
des personnes morales – Une recherche pour la construction d’un modèle commun, L’Harmattan, 2016).

273
réalisation du risque1281, dans la mesure où la responsabilité indirecte ne permettait pas de
répondre pénalement à toutes les atteintes à la vie et à l’intégrité physique, notamment celles
imputables à l’activité lucrative d’entités collectives. Comme le relève justement Antonio
Amalfitano, le remède à cette carence d’absence de réponse pénale résidait d’abord dans
l’abandon de « la question lancinante de l’identification des organes ou représentants qui
empêche de penser une véritable responsabilité pénale des personnes morales du fait des
choses, ou des produits défectueux »1282. Dès lors, on peut se demander si ce n’est pas la
volonté de prendre en compte le risque social généré par l’activité de la personne morale qui
explique l’évolution de la responsabilité pénale des personnes morales : il faut pouvoir
engager la responsabilité pénale de la personne morale dans tous les cas de figure ; or, ce
n’est pas toujours le cas dans l’hypothèse d’une responsabilité indissolublement liée à la
commission d’une infraction imputable à la personne physique. D’ailleurs, à l’examen des
débats parlementaires relatifs à la création du Code pénal de 1994, il s’avère que l’Assemblée
nationale préconisait l’extension du droit pénal aux personnes morales en raison de leur
(seule) puissance économique1283.

Une appréhension plus positiviste de la responsabilité pénale des personnes morales vient
donc pallier cette lacune tout en proposant un fondement inédit, en matière pénale, à la
responsabilité pénale des personnes morales1284. Dans la logique de cette approche
systémique, les notions de « risque, précaution, prévention, garantie », déjà mobilisées par les
doctrines civiliste et publiciste entre la fin du XIXe et le début du XXe siècle, sous-tendent
désormais la responsabilité pénale des personnes morales. Antonio Amalfitano considère que
la responsabilité pénale des personnes morales apparaît plus particulièrement fondée « sur la
position de garantie, et sur l’intérêt ou l’avantage que trouve la personne morale dans l’activité
source d’infraction pénale »1285. Selon l’auteur, « cette répression est alors comparable […] à
celle pesant sur les professionnels ou dirigeants investis, en raison de leurs pouvoirs de

1281. Pour ce qui est du droit anglais, Comme le relève Marie-Élisabeth Cartier : « Un certain nombre
d’événements dramatiques , dont la presse internationale s’est fait l’écho (le naufrage du Zeebrugge,
l’incendie du métro à King’s Cross ou le déraillement de Clapham junction) a conduit le monde juridique
anglais à réfléchir aux conditions d’admission de la responsabilité pénale des personnes morales et en
particulier, aux liens (par trop) indissolubles de cette responsabilité avec une infraction parfaitement
commise par une personne physique. » (M.-É. CARTIER, « Nature et fondement de la responsabilité pénale
des personnes morales dans le nouveau Code pénal français », op. cit., p. 18.)
1282. Cf. la préface de J.-C. SAINT-PAU, in la thèse d’Antonio Amalfitano préc., p. 10.
1283. Cf. supra. Le constat est tout aussi implacable à l’examen de l’exposé des motifs du projet de Code pénal
déposé en février 1986 aux termes desquels on pouvait lire : » L’immunité actuelle des personnes morales
est d’autant plus choquante qu’elles sont souvent, par l’ampleur des moyens dont elles disposent, à
l’origine d’atteintes graves à la santé publique, à l’ordre économique, à l’environnement ou à la législation. »
Dans le même ordre d’idée, la Recommandation précédemment évoquée du Conseil de l’Europe du
20 octobre 1998 (R-88-18) visait, pour sa part, dans son premier alinéa « le préjudice considérable causé
aux particuliers par le nombre croissant d’infractions pénales, commises dans l’exercice des activités des
entreprises ».
1284. Le risque est aujourd’hui un fondement assumé de la responsabilité civile des personnes morales. Nombre
d’auteurs, à l’instar de Marie-Élisabeth Cartier, s’opposent farouchement à une transposition de la solution
civiliste à la matière pénale. Parmi les arguments avancés contre le risque comme fondement de la
responsabilité pénale des personnes morales, il est possible d’invoquer le fait que le risque pénal n’est pas
couvert par l’assurance – ce qui est inconcevable au regard des finalités assignées à la responsabilité pénale
– et que l’idée de risque-profit est inadaptée pour de nombreuses personnes morales qui ne poursuivent
pas un but lucratif mais qui peuvent néanmoins commettre des infractions.
1285. Cf. la préface de J.-C. SAINT-PAU in la thèse d’Antonio Amalfitano préc., p. 9.

274
direction, d’un devoir de garantie en matière de prévention des risques liés aux activités qu’ils
dirigent »1286. On retrouve ici l’idée de risque-profit, fréquemment invoquée pour justifier les
condamnations civiles des entités abstraites. Cependant, cette prise en compte de « l’état
dangereux » de l’entité abstraite ne suppose pas, au regard des développements qui
précèdent, l’abandon du terrain de la faute. Pour notre part, nous considérons en effet que,
sans constituer un fondement alternatif à la faute, le risque social généré par l’activité de
l’entreprise peut aider à la caractérisation de la faute propre de la personne morale 1287.
Contrairement à l’évolution de la responsabilité civile qui s’est caractérisée par un glissement
de la responsabilité pour faute à la responsabilité pour risque, c’est donc vers un fondement
hybride, que l’on pourrait qualifier de post-moderne1288, que s’est orientée l’évolution de la
responsabilité pénale des personnes morales. D’ailleurs, il est assez logique que la
responsabilité des personnes morales évoque, en raison de sa spécificité même, l’idée de
risque autant que celle de faute1289.

En conclusion, la responsabilité pénale des personnes morales résultant de l’évolution


contemporaine est d’abord une responsabilité personnelle d’essence classique. L’affirmation
de Roger Merle et André Vitu selon laquelle « ce n’est pas […] faire preuve d’un
anthropomorphisme puéril que de prétendre intégrer la personne morale dans la théorie générale
de la responsabilité pénale »1290 se trouve vérifiée1291. Ainsi, une personne, fût-elle morale, ne
peut être sanctionnée pénalement si elle n’a pas commis la faute exigée par le texte
d’incrimination, cette dernière devant par ailleurs lui être imputable. La question s’est posée
de savoir dans quelle mesure la théorie positive de la responsabilité pénale des personnes
morales impactait l’acception classique des composantes traditionnelles de la responsabilité
pénale, leur application directe à l’entité abstraite étant de nature à induire leur objectivation.
Le caractère abstrait de la culpabilité, démontré dans la première partie de cette étude1292,
préserve la notion d’une dénaturation par objectivation. La culpabilité de l’entité abstraite
consiste d’ailleurs le plus souvent dans une faute organisationnelle de l’entité morale en
considération, par exemple, du risque généré par son activité. L’acception subjective du
concept d’imputabilité connaît quant à elle une inflexion. Dans le cadre d’une responsabilité
indirecte de la personne morale, l’imputabilité de la personne morale se confondant avec
celle de la personne physique, l’acception subjective de la notion est nécessairement

1286. Ibid., p. 8.
1287. Contrairement à la prise en compte de la dangerosité sociale dans le cadre de la responsabilité pénale des
personnes physiques, où ce fondement semble exclusif des composantes traditionnelles de la
responsabilité pénale.
1288 Dans le cadre de cette étude, cet adjectif renvoie d’abord à une cohabitation « dédramatisée » des concepts
du droit pénal, notamment ceux de culpabilité, d’imputabilité et de dangerosité (cf. infra, titre 2 : « Pour
une cohabitation dédramatisée de l’imputabilité et de la dangerosité dans un droit pénal post-moderne »).
1289. Dans le prolongement, le fondement hybride de la « nouvelle » responsabilité des personnes morales invite
à s’interroger « sur la fonction du droit pénal qui, de manière plus moderne – post-moderne préfèrerions-
nous donc écrire dans le cadre de cette recherche –, peut participer à la régulation d’activités économiques
en raisonnant alors moins sur la faute que sur le risque » (cf. préface de J.-C. SAINT-PAU in la thèse
d’Antonio Amalfitano préc., p. 9).
1290. R. MERLE et A. VITU, Traité de droit criminel –Droit pénal général, Cujas, 7e éd., 1997, no 638.
1291. On pourrait considérer qu’en l’absence, dans le Code pénal de 1994, de solutions claires et univoques sur
les conditions de la responsabilité de la personne morale, l’évolution a été guidée par la recherche de
solutions conformes aux principes fondamentaux régissant la responsabilité pénale.
1292. Cf. supra.

275
préservée. En revanche, avec l’évolution du droit positif vers la reconnaissance d’une
responsabilité pénale directe de la personne morale, l’entité abstraite se trouve dotée d’une
imputabilité propre. Cela implique une mutation par objectivation du concept d’imputabilité.
Ce caractère s’explique par l’absence de psychisme propre de la personne morale ainsi que
de l’étude des causes de non-imputabilité pouvant être invoquées en propre par la personne
morale et, plus particulièrement, de la transposition seulement partielle à son bénéfice des
causes de non-imputabilité applicables aux personnes physiques. En l’espèce, seules les
causes de non-imputabilité affectant la volonté pourront être invoquées par l’entité abstraite.
Pour les partisans d’une absorption du concept de capacité pénale par celui d’imputabilité,
l’objectivation pourrait également être le résultat de l’amputation de l’imputabilité comprise
comme capacité pénale.
Au final, l’imputabilité des personnes morales n’est plus que l’ombre objectivée de
l’imputabilité déclinée à l’égard des personnes physiques. L’emploi du terme imputation paraît
maintenant pleinement adapté à l’opération visant à mettre directement une infraction sur le
compte de la personne morale. Pour cette raison, il est permis de conclure que l’évolution de
la responsabilité pénale des personnes morales est bien de nature à induire une rupture de
l’homogénéité du concept d’imputabilité selon l’entité juridique considérée. Il reste à la Cour
de cassation à remettre en cause sa célèbre jurisprudence de 19971293 en consacrant
expressément la thèse de la responsabilité directe de la personne morale, et la fin d’une
conception unitaire de l’imputabilité sera scellée1294.

L’évolution du droit pénal ne pouvait rester sans incidence sur les règles inhérentes à la
responsabilité pénale des personnes physiques. Il importe alors d’en mesurer l’importance au
regard de l’imputabilité. Si le caractère subjectif de l’imputabilité n’est pas altéré, le
néopositivisme contemporain est plus abouti encore qu’à l’égard des personnes morales. Sans
procéder à une dénaturation du concept d’imputabilité, il peut conduire à l’éclipse totale des
composantes traditionnelles de la responsabilité pénale à l’égard de certaines catégories de
délinquants (chapitre II).

1293. Cf. supra, section 1 : « Le glissement vers l’abandon de la responsabilité indirecte des personnes morales
condamnant la conception subjective de l’imputabilité ».
1294. La consécration de la responsabilité directe pourrait s’opérer sur le fondement de l’article 121-2 du Code
pénal, notamment sur son alinéa 3. Cependant, une refonte de l’article par le législateur serait souhaitable
afin de clarifier l’indépendance de la responsabilité pénale des personnes morales. Il ne resterait alors plus,
comme cela existe dans certains droits étrangers à l’instar du droit anglais, qu’à créer des infractions
spécifiques à la personne morale afin de conforter l’autonomie de la personne morale à l’égard des
personnes physiques qui la composent.

276
Chapitre II

L’imputabilité en danger au regard de la responsabilité
pénale des personnes physiques

On considère traditionnellement que les peines, qui sont prononcées en rétribution de


l’infraction commise, sont tournées vers le passé, tandis que les mesures de sûreté qui sont
prononcées en considération de la dangerosité présente de la personne sont tournées vers
l’avenir, car elles ont vocation à la faire disparaître1295. La distinction des peines et des mesures
de sûreté est essentiellement doctrinale, le législateur ne qualifiant jusqu’alors que rarement
les mesures pénales de peines ou de mesures de sûreté. Les éléments de définition de la
mesure de sûreté ont donc été apportés par la doctrine, le législateur s’illustrant, encore
aujourd’hui, par l’absence de définition précise de la notion. D’ailleurs, comme le relève un
auteur, « chacun sait que la catégorie des mesures de sûreté a été refusée expressément par le
législateur en 1992 »1296. Aussi, la position initiée avec la loi no 2005-1549 du
12 décembre 2005 relative au traitement de la récidive des infractions pénales qui, en créant
la surveillance judiciaire, qualifiait expressément la mesure de « mesure de sûreté » (position
poursuivie avec la loi du 25 février 2008 permettant à une juridiction pénale de prononcer
des « mesures de sûreté » à l’encontre d’un délinquant aliéné), est apparue singulière1297.

L’explication est vraisemblablement à rechercher dans les enjeux de la qualification, non dans
la volonté de théoriser la notion. Ces derniers sont doubles.
Le premier a trait au régime juridique et, plus particulièrement, aux modalités d’application
de la « mesure répressive » dans le temps. En considération de la finalité des mesures de
sûreté, elles sont d’application immédiate, alors que les peines sont soumises au principe de
la non-rétroactivité de la loi pénale, plus sévère. La tentation législative d’instrumentaliser la
qualification juridique peut donc exister, soit pour faire bénéficier la mesure étudiée des
garanties dont bénéficient les peines, soit, à l’inverse, afin d’affranchir la mesure concernée
du régime juridique plus contraignant des peines. Cela peut dépendre du contexte sociétal.
Dans un contexte sécuritaire, sous-tendu par la recherche d’une efficacité répressive, la
dénomination formelle de mesures de sûreté risque de l’emporter. A contrario, lors de
l’élaboration du Code pénal de 1992, en choisissant la qualification de peine, et plus
particulièrement celle de peine complémentaire, le législateur n’a pas rejeté l’idée que

1295. » Les mesures de sûreté sont entrées dans le droit pénal comme conséquence de l’état dangereux »
(J. DE ASUA, « La mesure de sûreté – sa nature et ses rapports avec la peine », RSC, 1954, p. 21).
1296. C. LAZERGES, « La rétention de sûreté : le malaise du Conseil constitutionnel », RSC, 2008, p. 731.
1297. Ce mouvement s’est encore prolongé avec la loi no 2010-242 du 10 mars 2010 tendant à amoindrir le risque
de récidive criminelle et portant diverses dispositions de procédures pénales qui, tout en introduisant de
nouvelles mesures de sûreté, ne contenait aucune précision quant à leur définition.

277
certaines sanctions aient pour objet d’être des mesures de sûreté, mais il a entendu, dès lors
que les mesures de sûreté sont les plus souvent ressenties comme des peines, les faire
bénéficier du régime plus protecteur pour les libertés individuelles des peines1298.

Le second enjeu de la qualification tient à la possibilité de contourner les exigences liées à


l’imputabilité. En effet, une méprise sur la qualification des mesures pourrait mettre à mal le
principe essentiel posé par l’article 122-1, alinéa 1er du Code pénal, puisque le prononcé d’une
mesure qualifiée de « mesure de sûreté », mais qui serait en réalité une peine à l’égard d’une
personne pourtant déclarée irresponsable, bafouerait ce texte. Autrement dit,
l’instrumentalisation de la catégorie formelle des mesures de sûreté peut aussi permettre de
contourner les exigences liées à l’imputabilité, ou plutôt à la non-imputabilité de la personne.
La qualification de la mesure pénale, peine ou mesure de sûreté, combinée au renouveau des
mesures de sûreté est donc susceptible de devenir problématique. Précisément, la création
de mesures de sûreté à la nature équivoque, potentiellement applicable à des personnes dont
le discernement était aboli au moment des faits, est susceptible de remettre en question le
fondement de la responsabilité pénale. La délinquance des mineurs constitue l’autre
illustration des difficultés qu’éprouve le législateur contemporain à adapter le droit pénal aux
personnes dont le discernement est inexistant ou incomplet. Ainsi, les vives critiques
formulées à l’encontre du dispositif éducatif mis en place par l’ordonnance du 2 février 1945,
dénoncé comme inadapté aux nouvelles formes de délinquance des mineurs, ont conduit à
l’adoption de nombreuses lois tendant à rapprocher le droit pénal des mineurs du droit pénal
des majeurs et remettant en cause, par touches successives, le statut autonome protecteur du
mineur délinquant. Le renforcement de la répression qui en a découlé, pour peu que l’on
adhère aussi à cette acception de l’imputabilité, est de nature à fragiliser l’imputabilité comme
capacité pénale. Il importe cependant de préciser que des dispositions récentes en matière de
justice pénale des mineurs ont tendance à en réaffirmer la spécificité1299. Au-delà, l’infliction
d’une mesure de nature pénale à une personne au discernement inexistant ou incomplet est
de nature à fragiliser l’exigence d’imputabilité, que l’on considère son acception traditionnelle
de fondement de la responsabilité pénale ou son acception discutée d’aptitude à profiter de
la sanction pénale1300 (section 1). Ces événements, combinés au phénomène contemporain
de convergence des peines et des mesures de sûreté, accentuent le risque d’un effacement
plus global de l’imputabilité (section 2).

Section 1 – L’éviction ciblée de l’imputabilité par l’infliction de mesures


répressives à des personnes au discernement inexistant ou incomplet
Le renouveau des mesures de sûreté a été opéré par la loi du 12 décembre 2005 1301.
Cependant, bien vite, cette « variance sémantique [est devenue] une technique législative de

1298. On pourrait considérer que la dualité de réponses répressives illustre la dualité d’intérêts en présence : les
intérêts individuels, d’une part, et l’intérêt général, d’autre part.
1299. En l’espèce, la loi no 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle
(cf. infra).
1300. Autrement dénommée en doctrine sous l’expression de capacité pénale.
1301. Cf. supra, introduction.

278
contournement de l’impératif d’imputabilité morale »1302. En effet, la montée contemporaine
expresse de mesures de sûreté, s’apparentant en réalité à des peines, concerne notamment
des domaines, à l’instar de celui de la maladie mentale, dans lesquels il n’était pas possible
d’entrer en voie de condamnation faute d’imputabilité de la personne (§ 1). Dans le domaine
voisin1303 de la délinquance des mineurs, il est permis d’observer un mouvement parallèle se
traduisant par un renforcement du caractère répressif des mesures de sûreté et du régime des
peines qui leur sont applicables. Au-delà, le durcissement des sanctions en cette matière est
de nature à affaiblir l’exigence d’imputabilité dans sa double acception de fondement et
d’aptitude à profiter de la sanction pénale (§ 2).

§ 1 - L’infliction de peines à des délinquants aliénés ou la concession de


l’imputabilité en tant que fondement de la responsabilité pénale

Alors que, longtemps, la non-imputabilité a permis d’exclure la répression sous toutes ses
formes1304 à l’égard des délinquants aliénés, la loi du 9 mars 2004 a insidieusement ouvert la
voie à la pénalisation des personnes déclarées pénalement irresponsables sur le fondement
de l’article 122-1, alinéa 1er en permettant l’infliction à leur encontre de mesures de sûreté1305.
Dans le prolongement de cette solution, nous allons établir que le législateur, par la loi du
25 février 2008, est venu permettre l’application d’authentiques peines à l’aliéné. Elle a
permis à des juridictions pénales qui déclarent des personnes souffrant de troubles mentaux
pénalement irresponsables de prononcer à leur encontre des mesures de sûreté qui peuvent
consister soit en une hospitalisation d’office1306 soit en des interdictions1307. Si les diverses
mesures instituées par le législateur sont expressément qualifiées par lui de « mesures de
sûreté », seule la qualification de la mesure d’hospitalisation d’office n’est pas contestable1308.

1302. P.-J. DELAGE, « Vérité et ambiguïté autour de l’imputabilité morale – à propos de Cass. crim. 21 janv.
2009 », RSC, 2009, p. 69.
1303. La proximité des domaines de la maladie mentale et de la minorité pénale tenant au fait que le discernement
est en principe incomplet ou inexistant dans ces hypothèses.
1304. Peine ou mesure de sûreté.
1305. La loi du 9 mars 2004 avait prévu la soumission des personnes déclarées pénalement irresponsables en
application de l’article 122-1, alinéa 1er du Code pénal, aux obligations – expressément qualifiées de
mesures de sûreté – de l’article 706-53-5 du Code de procédure pénale et découlant de leur inscription au
fichier judiciaire national automatisé des auteurs d’infractions sexuelles.
1306. C. pr. pén., art. 706-135.
1307. C. pr. pén., art. 706-136 et suiv.
1308. La Cour de cassation a eu l’occasion de le préciser dans une décision rendue le 14 avril 2010. Dans cette
affaire, aux termes de l’information suivie contre le mis en examen des chefs d’assassinat et de violences
volontaires, la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Dijon, dans un arrêt en date du 18 février
2009, l’avait déclaré irresponsable pénalement pour cause de trouble mental, et ordonné son placement
d’office à l’hôpital psychiatrique ainsi que des mesures de sûreté prévues par l’article 706-136 du Code de
procédure pénale. Pour faire obstacle au prononcé de l’hospitalisation d’office par la juridiction du second
degré, l’intéressé avait soulevé l’exception de nullité tirée de la non-rétroactivité de la loi du 25 février 2008
au motif que la mesure d’hospitalisation d’office ne constituait pas une mesure de sûreté, mais une peine
soumise aux dispositions de l’article 112-1 du Code pénal. La cour d’appel devait considérer à juste titre
que « contrairement à ce que soutient le mémoire et contrairement au régime de la rétention de sûreté, la
chambre de l’instruction ne prononce pas un internement judiciaire sans limitation de durée mais ordonne
l’hospitalisation d’office de la personne dans un établissement mentionné à l’article L. 3222-1 du Code de
la santé publique, le régime de cette hospitalisation étant celui prévu pour les hospitalisations d’office, le
préfet étant avisé immédiatement de cette décision ; qu’ainsi l’intéressé sera soumis au régime de
l’hospitalisation d’office ne relevant que de l’autorité médicale et administrative selon l’évolution de son

279
La nature juridique des diverses interdictions énoncées à l’article 706-136 est quant à elle
équivoque. En témoigne la division de la doctrine sur ce point1309. Cependant, les enjeux de
la qualification de ces mesures sont majeurs car, si c’est bien de peines qu’il s’agit, c’est
l’impératif d’imputabilité qui se trouve sacrifié. Pour cette raison, après avoir établi la nature
punitive de ces mesures (A.), nous ne pourrons que déplorer l’occasion manquée par la
jurisprudence de leur restituer leur exacte qualification (B.).

A. La concession par le législateur de l’impératif d’imputabilité

Les principaux arguments avancés au soutien du caractère de mesure de sûreté consistent


dans le fait que les mesures de l’article 706-136 ne peuvent être prononcées qu’après une
expertise psychiatrique destinée à établir l’existence de troubles mentaux et qu’elles sont
susceptibles d’être modifiées ou levées par le juge des libertés et de la détention au vu d’une
telle expertise. Ces arguments ne sauraient occulter le fait qu’elles présentent
incontestablement un caractère punitif1310.
Si le Conseil constitutionnel n’a pas été amené à prendre parti sur la nature des mesures
prévues aux articles 706-135 et 706-136 du Code de procédure pénale, plusieurs arguments
permettent de conclure que les mesures de sûreté prévues par la loi du 5 février 2008

état de santé ; que dès lors, cette mesure s’analyse non pas en une peine mais une mesure de sûreté »
(cf. Cass. crim., 14 avr. 2010, no 09-82.291, inédit). Pour une confirmation implicite de la solution,
cf. Cass. crim., 28 oct. 2014, no 13-82.787, inédit. Dans cette dernière affaire, la chambre de l’instruction
de la cour d’appel de Riom, après avoir déclaré la mise en examen irresponsable en raison d’un trouble
psychique ou neuro-psychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes au moment des
faits, avait ordonné son admission en soins psychiatriques, sous la forme de l’hospitalisation complète,
sans son consentement, dans un établissement mentionné à l’article L. 3222-1 du Code de la santé
publique. Pour priver l’arrêt attaqué de tout fondement juridique, le moyen unique de cassation était pris
notamment de la violation des articles 706-135 du Code de procédure pénale, 3213-1 du Code de la santé
publique. Il s’excipe de cette argumentation que « les articles 706-135 du Code de procédure pénale et
L. 3213-1 du Code de la santé publique, qui prévoient la possibilité que soit ordonnée l’hospitalisation de
la personne qui a notamment fait l’objet d’une déclaration d’irresponsabilité pénale pour trouble mental,
sont contraires au principe d’égalité devant la loi en ce qu’ils n’accordent pas à la victime, dans l’hypothèse
d’un aménagement ou d’une mainlevée de cette mesure, les mêmes garanties que celles dont elle bénéfice
dans le cadre de l’aménagement d’une peine d’emprisonnement ». La Cour de cassation devait rejeter le
pourvoi en se contentant de rappeler que, dans un arrêt en date du 14 janvier 2014, elle avait décidé « n’y
avoir lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question relative à la constitutionnalité des dispositions
de l’article 706-135 du Code de procédure pénale et de l’article L. 3213-1 du Code de la santé publique ».
Implicitement, il faut aussi comprendre que s’il est légitime que les victimes ne disposent pas des mêmes
droits en matière d’hospitalisation d’office qu’en matière d’aménagement d’une peine d’emprisonnement,
c’est précisément parce que l’hospitalisation d’office ne constitue pas une peine mais une mesure de sûreté.
1309. Si une partie de la doctrine considère que la qualification de peine serait plus adaptée (en ce sens :
H. MATSOPOULOU, « L’application des « peines », puis des “mesures de sûreté” aux personnes atteintes
de troubles mentaux : l’incohérence jurisprudentielle et ses conséquences », Dr. pén., 2011, étude 4 ;
F. ROUSSEAU, « L’application dans le temps des nouvelles dispositions du 25 février 2008 relatives à
l’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental », Dr. pén., 2009, étude 9), une autre considère
qu’elles constituent des mesures de sûreté visant « à réduire la dangerosité qui découle elle-même ou peut
découler du trouble mental qui a été reconnu » (J. PRADEL, « Une double révolution en droit pénal français
avec la loi du 25 février 2008 sur les criminels dangereux », D., 2008, p. 1000).
1310. Haritini Matsopoulou considère que « ces mesures s’apparentent plus à des peines qu’à des mesures de
sûreté. Elles présentent un caractère punitif accentué » (H. MATSOPOULOU, « Le développement des
mesures de sûreté justifiées par la “dangerosité” et l’inutile dispositif applicable aux malades mentaux –
commentaire de la loi no 2008-174 du 25 février 2008 relative à la rétention de sûreté et à la déclaration
d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental », Dr. pén., 2008, étude 5).

280
s’apparentent en réalité à des « peines déguisées »1311. Les mesures de l’article 706-136 du
Code de procédure pénale visent des interdictions telles que celle d’entrer en relation avec la
victime ou d’autres personnes – et notamment avec les mineurs – spécialement désignées,
l’interdiction de paraître dans tout lieu spécialement désigné, l’interdiction de détenir ou de
porter une arme, l’interdiction d’exercer une activité professionnelle ou bénévole
spécialement désignée. La loi y ajoute la suspension du permis de conduire ou son annulation
avec l’interdiction de solliciter la délivrance d’un nouveau permis. Ainsi, les mesures de
l’article 706-136 sont pour la plupart identiques à des mesures prévues à titre de peines
alternatives à l’emprisonnement en matière correctionnelle1312. Il suffit pour s’en assurer de
comparer l’énumération de l’article 706-36 avec celle des articles 131-6 ou 131-17 du Code
pénal, comportant des « peines » restrictives ou privatives de droit, pour s’apercevoir que le
recoupement est total. En outre, certaines de ces interdictions sont qualifiées de « peines » au
regard du sursis avec mise à l’épreuve, tandis qu’elles peuvent être retenues dans le cadre d’un
suivi socio-judiciaire, qui est quant à lui une peine complémentaire1313. Dans un souci de
cohérence nous considérons donc, à l’instar de Xavier Pin, qu’il serait « artificiel de considérer
que les mêmes sanctions sont des peines lorsqu’elles sont prononcées à la suite d’une
déclaration de culpabilité, alors qu’elles seraient des “mesures de sûreté ”, lorsqu’elles font
suite à une déclaration d’irresponsabilité pénale »1314. Il est en outre paradoxal que
l’application des mesures de l’article 706-136 conduise à traiter plus sévèrement celui à qui
l’on ne peut reprocher la commission d’une infraction que celui qui a été pénalement
condamné. En effet, lorsque les « interdictions » sont prévues par l’article 131-6 du Code
pénal, texte à visée punitive, elles ne peuvent être prononcées que pour une durée de 5 ans,
tandis que lorsqu’elles sont utilisées à titre de mesures de sûreté sur le fondement de
l’article 706-136 du Code de procédure pénale, elles peuvent être prononcées pour 10 ans en
matière correctionnelle et 20 ans en matière criminelle. Comment ne pas voir dans ces
dispositions un argument subsidiaire en soutien à la nature de peine des mesures de
l’article 706-136 du Code de procédure pénale ?

Un autre argument en faveur de la qualification de peine découle du fait, comme nous venons
de le voir, que les sanctions considérées consistent essentiellement en des interdictions. Par
conséquent, « elles s’adressent à la volonté du condamné, en l’invitant à se prendre en main,
et participent donc de la logique des peines. Les véritables mesures de sûreté postulent au
contraire le déterminisme et impliquent une prise en main de l’intéressé par la justice »1315.
De la même manière, on voit mal comment des interdictions pourraient être compatibles
avec l’état mental ayant justifié le prononcé d’une déclaration d’irresponsabilité pénale pour
cause de trouble mental. En effet, comment considérer qu’un trouble mental ayant aboli le

1311. Cf. H. MATSOPOULOU, « L’application des “peines”, puis des “mesures de sûreté” aux personnes atteintes
de troubles mentaux : l’incohérence jurisprudentielle et ses conséquences », Dr. pén., 2011, étude 4.
1312. Certaines juridictions du fond ont relevé cette similitude, à l’instar de la cour d’appel de Colmar notant,
dans un arrêt en date du 25 juin 2009, « une étroite similitude existant entre la liste que forment les mesures
énoncées à l’article 706-136 du Code de procédure pénale et la nomenclature des peines figurant à
l’article 131-6 du Code pénal » (cf. CA Colmar, 25 juin 2009, arrêt censuré par Cass. crim., 16 déc. 2009,
no 09-85.153, Bull. crim., no 216).
1313. Cf. C. pén., art. 131-36-1.
1314. X. PIN, « L’irresponsabilité pénale (réflexion sur le sens des articles 122-1, 122-2, 122-3 et 122-8 du Code
pénal) », in La réforme du Code pénal et du Code de procédure pénale, Opinio doctorum, op. cit., p. 51 et suiv.
1315. Loc. cit.

281
discernement de l’agent puisse rester circonscrit au moment des faits1316, sauf à imaginer qu’il
soit consécutif à une intoxication volontaire ? Par exemple, dans une affaire en date du
12 octobre 2011, les mesures prononcées par la chambre de l’instruction à l’encontre d’un
individu ayant fait l’objet d’une déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble
mental, consécutivement à un assassinat, à des tentatives et des violences avec armes,
trouvent notamment leur fondement dans le fait que l’intéressé « revendique toujours une
position de victime et demeure convaincu qu’un complot a été organisé contre lui, qu’il ne
parvient toujours pas à élaborer la moindre critique des actes criminels qu’il a commis,
campant toujours dans une position délirante »1317. Dans le prolongement de ce
développement il est permis de rester perplexe devant la prévision par le législateur d’une
sanction, à la qualification de peine assumée, dans l’hypothèse où l’aliéné ne respecterait pas
l’une des mesures de l’article 706-136 du Code de procédure pénale qui serait prononcées à
son encontre1318.

B. L’occasion doublement manquée par la jurisprudence de restaurer l’impératif


d’imputabilité

L’occasion a été doublement manquée par la jurisprudence de restaurer l’exigence


d’imputabilité en ce sens que ni les juridictions internes (1.), ni la Cour européenne des droits
de l’homme (2.) ne se sont venues restituer aux mesures de l’article 706-136 du Code de
procédure pénale leur exacte qualification.

1. L’occasion manquée de la jurisprudence interne


Si une première décision de la Cour de cassation a pu laisser penser que la jurisprudence
viendrait au secours de l’exigence d’imputabilité, l’évolution ultérieure a démontré qu’il n’en
serait rien. Cela étant, on peut considérer que l’incertitude initiale (l’ambivalence) de la Cour
de cassation concernant la qualification des mesures de l’article 706-136 du Code de
procédure pénale est symptomatique d’un malaise quant à la nature réelle des mesures
pouvant être infligées à la suite d’une déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de
trouble mental. Pour l’illustrer, il est permis d’étudier deux décisions contradictoires rendues
à moins d’un an d’intervalle. Le législateur étant resté silencieux sur les modalités
d’application dans le temps de la loi du 25 février 2008 et, en particulier, sur les dispositions
relatives aux personnes déclarées pénalement irresponsables, la jurisprudence a donc été
appelée à se prononcer sur ce point. Si, à l’occasion de la première décision rendue sur le
fondement de la loi précitée, elle a d’abord expressément restitué aux mesures de
l’article 706-136 du Code de procédure pénale leur exacte qualification (1.1), la Cour de
cassation devait, dans la même affaire, implicitement concéder pour l’avenir l’exigence
d’imputabilité (1.2). Une décision ultérieure devait confirmer cette analyse (1.3).

1316. Cf. infra, partie 2, titre 2, chapitre I, où il sera étudié les implications de la projection de l’ombre de
l’imputabilité, ou plutôt de la non-imputabilité et de l’imputabilité partielle, au-delà du moment des faits.
1317. Cf. Cass. crim., 12 oct. 2011, no 10-88.126, inédit.
1318. C. pr. pén., art. 706-139 : « La méconnaissance par la personne qui en a fait l’objet des interdictions prévues
à l’article 706-136 […] est punie, sous réserve des dispositions du premier alinéa de l’article 122-1 du Code
pénal, de deux ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende. »

282
1.1 La restitution initiale de leur exacte qualification aux mesures de l’article 706-136 du Code
de procédure pénale

Par un premier arrêt rendu le 21 janvier 2009, La chambre criminelle de la Cour de cassation
décide que le principe de la légalité des peines consacré par l’article 112-1, alinéa 2, fait
« obstacle à l’application immédiate d’une procédure qui a pour effet de faire encourir à une
personne des peines prévues par l’article 706-136 du Code de procédure pénale que son état
mental ne lui faisait pas encourir sous l’empire de la loi ancienne applicable à la date à laquelle
les faits ont été commis »1319. A priori, la Cour de cassation fait preuve d’une double audace :
d’abord en se plaçant sur le terrain des lois de fond, alors même que la loi du 25 février 2008,
ayant créé l’article 706-136 du Code de procédure pénale, est venue instaurer une nouvelle
procédure en cas d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental1320. À première vue,
l’argument choisi par la Cour de cassation pour écarter l’application des dispositions de la loi
du 25 février 2008 ne paraît donc pas le plus approprié. En réalité, il est cohérent au regard
de la qualification employée contra legem par la Haute Juridiction considérant que les mesures
ainsi créées s’apparentent à des peines. Pour audacieuse qu’apparaisse cette deuxième
transgression, elle trouve néanmoins une assise dans le fait que certaines interdictions
mentionnées dans l’article 706-136 du Code de procédure pénale sont qualifiées de peines
dans le Code pénal1321. Il n’est donc guère étonnant, finalement, que la Cour de cassation ait
retenu cette qualification1322. Le reste de son raisonnement a alors été construit en cohérence
avec ce diagnostic. Si l’on peut approuver cette position en ce sens qu’elle restitue aux
mesures ainsi créées leur exacte qualification, on peut néanmoins s’inquiéter, dans le même
temps, de la concession opérée implicitement pour l’avenir sur le terrain de l’imputabilité.

1.2 La concession implicite pour l’avenir de l’exigence d’imputabilité

La solution retenue par la Cour de cassation devrait normalement conduire à paralyser


l’application des mesures énoncées à l’article 706-136 du Code de procédure pénale aux
délinquants aliénés, indépendamment de la date à laquelle ceux-ci auraient commis les faits
– autrement dit, même si les faits étaient commis par l’aliéné postérieurement à l’entrée en
vigueur du nouveau dispositif. L’impératif d’imputabilité commande qu’une personne privée
de discernement ne se voit pas infliger de peines au risque de remettre en cause le fondement
même de la responsabilité pénale. Cependant, la Juridiction suprême laisse entendre dans
cette décision qu’à supposer le principe de la non-rétroactivité de la loi pénale plus sévère
respecté, des peines pourront désormais être légalement infligées à des individus incapables

1319. Cass. crim., 21 janv. 2009, no 08-83.492, Bull. crim., no 24 ; D., 2009, p. 1111, note H. MATSOPOULOU ; AJ
pén., 2009, p. 178, obs. J. LASSERRE-CAPDEVILLE ; RSC 2009, p. 69, note P.-J. DELAGE ; ibid., p. 136, obs.
A. GIUDICELLI ; Dr. pén., 2009, étude 9 ; F. ROUSSEAU ; JCP 2009, II, 10043, note S. DETRAZ.
1320. Cf. infra, les développements relatifs à cette procédure stricto sensu.
1321. Cf. supra.
1322. Certains auteurs s’en félicitent, à l’instar de Xavier Pin : « Certes, il s’agissait officiellement de mesures de
sûreté, non de peines, mais l’illusion n’a pas duré bien longtemps, puisque par un arrêt du 21 janvier 2009,
la chambre criminelle a considéré que les soi-disant “mesures de sûreté” qui peuvent être prononcées par
la chambre de l’instruction à l’encontre de la personne déclarée pénalement irresponsable sont en réalité
des peines. » (X. PIN, « L’irresponsabilité pénale [réflexion sur le sens des articles 122-1, 122-2, 122-3 et
122-8 du Code pénal] », in La réforme du Code pénal et du Code de procédure pénale, Opinio doctorum, op. cit., p. 51
et suiv.)

283
de discernement1323. En effet, il s’excipe seulement de la décision qu’on ne peut infliger au
délinquant aliéné des peines qui n’étaient pas applicables à la date où les faits ont été commis.
Il faudrait donc comprendre que l’on pourra désormais leur infliger des peines
contemporaines de la date des faits. L’absence d’imputabilité de la personne ne ferait plus
obstacle à l’application de peines à l’aliéné. On peut donc considérer que la décision concède
pour l’avenir l’exigence d’imputabilité. Dans le même sens, Pierre-Jérôme Delage dénonce
l’ambiguïté de cette décision « tant elle laisse se dessiner une incertitude sur le destin de
l’imputabilité morale »1324. L’auteur relève également que « la décision […] n’exclut nullement
l’application des peines prévues par l’article 706-136 du Code de procédure pénale aux
majeurs déclarés, faute de discernement, pénalement irresponsables, dès lors que les faits à
eux reprochés auront été commis postérieurement à l’entrée en vigueur de la loi du
25 février 2008 »1325. C’est autoriser pour l’avenir l’éclipse de l’imputabilité en tant que
fondement de la responsabilité pénale. À moins que les magistrats de la juridiction suprême
ne soient simplement fatalistes1326.

Dans un arrêt quasi contemporain de la décision de janvier, rendu le 16 décembre 20091327,


la chambre criminelle de la Cour de cassation opère un revirement de jurisprudence. Elle
casse avec renvoi l’arrêt de la chambre de l’instruction qui, pour constater que la procédure
prévue par les articles 706-119 et suivants du Code de procédure pénale n’était pas applicable
à la procédure en cours, énonce que les mesures individuelles prévues par les articles 706-135
et 706-136 du même code constituent des peines, et qu’une procédure ayant pour effet de
faire encourir de semblables mesures, non applicables à la date de la commission des faits,
ne saurait être appliquée immédiatement. La Cour de cassation revient sur sa jurisprudence
antérieure en considérant que le nouveau dispositif institué par la loi du 25 février 2008 est
immédiatement applicable. Pour rendre cette solution, la Cour de cassation opte cette fois
pour le fondement de l’article 112-2 du Code pénal relatif à l’application dans le temps des
lois pénales de forme. Nous considérons pourtant, à l’instar de Patrick Mistretta, qu’« il
semble difficile de voir dans une loi qui institue une procédure aboutissant in fine au prononcé

1323. En effet, à la lecture des motifs de la décision, seule est rejetée « l’application immédiate d’une procédure »
faisant encourir à une personne pénalement irresponsable « des peines » non existantes « sous l’empire de
la loi ancienne applicable au moment où les faits ont été commis ». La possibilité n’est donc aucunement
fermée à « l’application » à un être humain incapable de discernement de « peines que son état mental lui ferait
encourir sous l’empire de la loi applicable » au jour de la commission des faits qui lui sont reprochés.
1324. P.-J. DELAGE, « Vérité et ambiguïté autour de l’imputabilité morale – à propos de Cass. crim. 21 janvier
2009 », op. cit., p. 69.
1325. Loc. cit.
1326. Il est aussi permis de considérer, à l’instar de Pierre-Jérôme Delage (ibid), que cette décision est l’aveu d’une
« impuissance », la seule possibilité finalement offerte à la Cour de cassation, pour faire obstacle à la
transgression de l’exigence d’imputabilité, consistant à retarder l’application dans le temps de la loi.
L’article 706-136 du Code de procédure pénale est de droit positif et il trouvera tôt ou tard à s’appliquer
sans contrevenir au principe de la non-rétroactivité de la loi pénale plus sévère. Il restera alors au justiciable
à invoquer l’inconventionnalité de l’article 706-136 du Code de procédure pénale au regard de l’article 3
de la Convention européenne. Une solution en sa faveur consisterait pour la Cour européenne à voir dans
l’infliction d’une mesure pénale à l’encontre d’un délinquant aliéné un traitement inhumain et dégradant.
1327. Cf. Cass. crim., 16 déc. 2009, no 09-85153, Bull. crim., no 216. Sur cet arrêt, Cf. not. H. MATSOPOULOU,
« L’application des “peines”, puis des “mesures de sûreté”, aux personnes atteintes de troubles mentaux :
l’incohérence jurisprudentielle et ses conséquences (à propos de l’arrêt de la chambre criminelle du
16 décembre 2009) », op. cit. ; D., 2010, p. 471, note J. PRADEL ; ibid., p. 144, obs. M. LENA ; AJ pén., 2010,
p. 136, obs. C. DUPARC ; Constitutions, 2010, p. 235, obs. M. DISANT ; RSC, 2010, p. 129, obs. É. FORTIS ;
JCP G 2010. 117, note P. MISTRETTA.

284
de mesures pénales, fussent-elles de sûreté, une simple loi de procédure »1328. La loi du
25 février 2008 ne devrait donc pouvoir faire l’objet d’une application immédiate, à tout le
moins dans son intégralité. Il était possible à la Cour de cassation, afin de préserver l’acquis
substantiel dégagé dans le précédent arrêt, de faire une application distributive des
dispositions de la loi du 25 février 20081329. Cette dernière contenant des dispositions d’ordre
procédural et des dispositions de fond, il était envisageable en effet de les dissocier pour faire
une application immédiate aux procès en cours des nouvelles dispositions de procédure et
écarter l’application immédiate des dispositions de fond plus sévères relatives à la possibilité
d’infliger d’authentiques peines à des aliénés1330. Par le revirement de jurisprudence ainsi
opéré, la Cour de cassation remet implicitement en cause la qualification de « peines » pour
dénommer les mesures créées par la loi du 25 février 2008. Certains auteurs considèrent en
conséquence que cet arrêt scelle « définitivement la qualification de mesures de sûreté donnée
aux nouvelles mesures pénales instituées par la loi du 25 février 2008 »1331. Pour autant, nous
avons établi qu’il s’agissait en réalité de « peines ». Aussi, s’il reste permis d’interpréter cette
inconstance jurisprudentielle comme un reflet de l’ambiguïté entourant la qualification des
mesures nouvelles, il faut se résoudre à admettre que cette décision sonne le glas de l’exigence
d’imputabilité en tant que fondement de la responsabilité pénale. Cette éviction semble
devoir constituer la nouvelle règle en la matière, comme en témoigne la pérennisation de la
solution par la jurisprudence ultérieure.

1.3 La concession de l’impératif d’imputabilité confirmée par la jurisprudence postérieure

L’ampleur de la concession est d’autant plus importante qu’elle s’opère tant en droit interne
qu’en droit européen. Dans une affaire en date du 12 octobre 20111332, le demandeur au
pourvoi s’est vu infliger, à la suite d’une déclaration d’irresponsabilité pénale prononcée par
la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Metz, plusieurs mesures figurant à
l’article 706-136 du Code de procédure pénale. Il souhaite faire obstacle à l’application
rétroactive de deux d’entre elles : celle correspondant à l’interdiction de paraître dans tout
lieu spécialement désigné1333 et celle relative à la suspension du permis de conduire1334. Même
si le demandeur semble nourrir des doutes sur la nature juridique réelle de ces mesures,
comme en témoigne l’emploi de guillemets dans le mémoire produit par la défense pour
désigner les mesures de l’article 706-136 du Code de procédure pénale, il préfère mettre en
avant la gravité des mesures prononcées pour échec à leur application immédiate1335. Ainsi,

1328. P. MISTRETTA, « Les mesures de sûreté, tu ne dénigreras pas », JCP G 2010, p. 117.
1329. À supposer que les dispositions de la loi du 25 février 2008 soient divisibles, Pour une opinion finalement
contraire, cf. F. ROUSSEAU, « L’application dans le temps des nouvelles dispositions du 25 février 2008
relatives à l’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental. – (À propos de l’arrêt de la chambre
criminelle du 21 janvier 2009) », Dr. pén., 2009, étude 9.
1330. Un précédent jurisprudentiel : un arrêt du tribunal militaire de cassation permanent de Paris rendu le
1er février 1940 a pu décider que, lorsqu’une loi nouvelle criminalise un ancien délit par l’aggravation de
ses peines, il fallait appliquer immédiatement la nouvelle procédure criminelle tout en maintenant les
anciennes peines correctionnelles plus douces (cf. RSC, 1940, p. 285).
1331. P. MISTRETTA, « Les mesures de sûreté tu ne dénigreras pas », op. cit., p. 220.
1332. Cf. Cass. crim., 12 oct. 2011, no 10-88.126, inédit.
1333. C. pr. pén., art. 706-136 (2°).
1334. C. pr. pén., art. 706-136 (5°).
1335. Cette démarche n’est pas sans rappeler celle adoptée par le Conseil constitutionnel dans sa décision du
21 février 2008 où, pour écarter l’application immédiate de la rétention de sûreté, la Haute Juridiction

285
dans l’affaire étudiée, la défense faisait valoir, d’une part, que « l’interdiction faite à
l’irresponsable pénalement pour cause de trouble mental de paraître pendant vingt ans dans
l’entier département où sont domiciliées les victimes des faits et leurs familles, bien qu’y
réside sa propre famille, présente une gravité suffisante pour que soit refusée l’application
rétroactive de cette “mesure de sûreté” […] » et, d’autre part, que « compte tenu de sa durée,
la suspension du permis de conduire de l’irresponsable pénalement pour cause de trouble
mental pendant vingt ans fondée sur la seule incompatibilité potentielle d’un traitement
psychotrope avec la conduite, à défaut d’être subordonnée au recours effectif à un traitement
dont l’incompatibilité serait avérée et limitée à sa durée, présente une gravité suffisante pour
que soit refusée l’application rétroactive de cette “mesure de sûreté” ». La Cour de cassation
rejette le pourvoi en considérant que la nature juridique des mesures édictées à
l’article 706-136 autorise leur application immédiate. Selon la juridiction suprême, « l’arrêt
n’encourt pas le grief allégué dès lors […] que les dispositions de l’article 112-1 du Code
pénal prescrivant que seules peuvent être prononcées les peines légalement applicables à la
date de l’infraction, ne s’appliquent pas aux mesures de sûreté prévues, en cas de déclaration
d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental, par les articles 706-135 et 706-136 du
Code de procédure pénale ». La nature juridique des mesures instaurées par la loi du
25 février 2008 est expressément confirmée par la Haute Juridiction, cela dans les mêmes
termes que dans un précédent arrêt du 14 avril 20101336. L’espoir de voir restituer aux mesures
de l’article 706-136 du Code de procédure pénale leur exacte qualification s’est définitivement
évanoui avec la position adoptée récemment par la Cour européenne des droits de l’homme.

2. L’occasion manquée de la jurisprudence européenne


Par un arrêt en date du 3 septembre 2015, la Cour européenne a refusé d’appliquer l’article 7
de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés
fondamentales aux mesures de sûreté de l’article 706-136 du Code de procédure pénale1337.
Selon la juridiction européenne, les mesures susceptibles d’être prononcées à l’encontre d’une
personne ayant fait l’objet d’une déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble
mental ne sont pas des peines au sens de l’article 7 de la Convention, car elles ne sont pas
prononcées à la suite d’une condamnation pour « infraction ». La Cour européenne rappelle
que, pour la chambre de l’instruction, s’il existe contre le prévenu des charges suffisantes
d’avoir commis les faits, il doit cependant être reconnu pénalement irresponsable en raison
d’un trouble mental ayant aboli son discernement, cette déclaration ne constituant
« nullement une condamnation mais la constatation d’un état susceptible d’avoir des
conséquences juridiques ». Dans le commentaire qu’elle effectue de cette décision, Virginie
Peltier relève que « la Cour européenne adopte la conception de droit pénal classique selon
laquelle, en l’absence d’élément moral imputable au prévenu, il ne saurait être question de lui
reprocher la commission d’une infraction ; tout au plus peut-on constater qu’il a

avait notamment retenu le critère de la gravité de la mesure (cf. Cons. const., DC no 2008-562 et infra, le
développement sur la rétention de sûreté).
1336. Cf. Cass. crim., 14 avr. 2010, no 09-82.291, inédit.
1337. Cf. CEDH, 3 sept. 2015, no 42875/10, Berland c/ France : JurisData no 2015-019339 ; RSC, 2016, p. 129
note D. ROETS ; D., 2015, p. 2465, obs. G. ROUJOU DE BOUBEE, T. GARE, C. GINESTET, M.-H. GOZZI
et S. MIRABAIL ; AJ pén., 2015, p. 599, obs. C. MARGAINE ; Dr. pén., 2015, comm. 134, note V. PELTIER.

286
matériellement commis les faits objet de la procédure »1338. Autrement dit, il ne pourrait s’agir
d’une décision de condamnation, faute pour le prévenu d’avoir pu commettre une infraction
en raison de son état mental au moment des faits. Or, l’extériorité de l’imputabilité à
l’infraction a été démontrée dans la première partie de cette étude. Il est donc en réalité
possible de caractériser l’existence d’une infraction au sens pénal du terme à l’encontre d’une
personne non imputable. La question se pose donc de savoir si cette possibilité est de nature
à remettre en cause la solution adoptée par la Cour européenne. Pour y répondre, il faut
préciser la signification du terme « condamnation » dans la jurisprudence européenne.
Celui-ci se confond-il avec la notion d’infraction au sens pénal du terme ? Le terme de
condamnation est défini très précisément en droit européen. Au sens de l’article 5, § 1 de la
Convention, ce mot s’entend à la fois d’une déclaration de culpabilité à la suite de
l’établissement d’une infraction1339 et de « l’infliction d’une peine ou autre mesure privative
de liberté »1340. Il ressort de cette définition que les critères européens de la « condamnation »
semblent en contradiction avec la jurisprudence Berland c/ France du 3 septembre 2015. En
d’autres termes, en application de ces derniers, il semblait permis de conclure, relativement
aux mesures de l’article 706-136 du Code de procédure, à la nature juridique de peine. En
effet, l’hypothèse d’une confusion infraction/condamnation résulte de l’assimilation de la
déclaration d’irresponsabilité pénale à une déclaration de culpabilité1341. Cependant, il sera
établi que, nonobstant le constat d’une pénalisation de la maladie mentale, la procédure de
déclaration d’irresponsabilité pénale ne peut se solder, tout au plus, que par une déclaration
de culpabilité objective. La décision de la chambre de l’instruction1342 ne constitue pas une
décision de condamnation, faute pour le prévenu de pouvoir se voir imputer l’infraction
commise. Si le défaut d’imputabilité du sujet ne fait pas obstacle à la caractérisation d’une
infraction, il fait en revanche obstacle à toute décision de condamnation reposant quant à
elle sur la responsabilité du sujet1343. Il faut donc se résoudre à considérer qu’en application
du critère de distinction retenu par la Cour européenne entre les peines et les mesures de
sûreté, les mesures prononcées par la chambre de l’instruction ne sauraient être assimilées à
des peines.

Il était pourtant permis de nourrir quelques espoirs du côté de cette juridiction, dans la
mesure où, en droit européen, la notion de peine a un sens autonome, c’est-à-dire distinct de
celui qu’elle peut avoir dans les droits internes1344. La Cour européenne a coutume d’aller
au-delà des apparences et d’apprécier elle-même si une mesure particulière s’analyse au fond
en une « peine » au sens de l’article 7 de la Convention1345. D’ailleurs, à l’examen de certains

1338. Ibid., Dr. pén., 2015, comm. 134, note V. PELTIER.


1339. Cf. CEDH 6 nov. 1980, Guzzardi c/ Italie, § 100, Série A, no 39.
1340. Cf. CEDH 24 juin 1982, Van Droogenbroeck c/ Belgique, § 35, Série A, no 50.
1341. Cf. infra, partie 2, le développement consacré au dévoiement de la césure du procès pénal.
1342. Nous ciblons cette juridiction dans la mesure où la question de l’irresponsabilité pénale de la personne
poursuivie se pose le plus souvent à ce stade du procès pénal.
1343. Nous allons établir que la décision de la chambre de l’instruction s’apparente en réalité à une déclaration
de culpabilité objective (cf. infra, partie 2).
1344. Tout comme la « matière pénale » de l’article 6 de la Convention.
1345. Cf. CEDH 9 févr. 1995, Welch c/ Royaume-Uni, § 27, Série A, no 307-A ; RSC, 1996, p. 470, obs.
R. KOERING-JOULIN, où, à propos d’une confiscation de bénéfices retirés d’un trafic de stupéfiants, les
juges européens ont considéré cette mesure comme une peine. Cf. également CEDH 8 juin 1995, Jamil c/
France, § 30, Série A, no 317-B ; D., 1996, p. 197, obs. J.-F. RENUCCI ; RSC, 1995, p. 855, obs.
L.-E. PETTITI, 1996, p. 471, obs. R. KOERING-JOULIN et p. 662, obs. J.-P. DELMAS SAINT-HILAIRE où

287
des critères utilisés par la Cour européenne pour décider que la mesure considérée est une
« peine », il est permis de considérer que ceux-ci se trouvent réalisés dans le cas des mesures
de l’article 706-136 du Code de procédure pénale. La Cour s’attache ainsi à la nature profonde
de la sanction ainsi qu’au cadre procédural dans lequel elle s’insère. Or, si l’équivalence des
mesures de l’article 706-136 avec certaines peines du Code pénal a déjà été établie1346, le
caractère pénalisant pour la maladie mentale de la procédure de déclaration d’irresponsabilité
pénale découlera de manière univoque de son étude ultérieure1347.

De plus, si l’on contextualise cette décision dans la jurisprudence de la Cour, elle perd en
partie sa cohérence. En effet, la mise en parallèle de cette décision avec les autres décisions
de la Cour européenne suscite l’interrogation. Elle révèle d’abord que la juridiction
européenne ne s’est pas toujours illustrée par le respect intangible de la légalité formelle.
Autrement dit, il lui est déjà arrivé d’aller à l’encontre des qualifications employées dans les
législations internes. L’exemple le plus significatif est représenté par la détention de sûreté
du droit allemand1348. La Cour n’avait pas hésité à passer outre la qualification formelle de
mesure de sûreté pour conclure à l’existence d’une peine au sens de l’article 7 de la
Convention1349. Elle a d’ailleurs réitéré cette transgression à l’occasion de deux arrêts rendus
en 20111350. Eu égard aux enjeux en cause dans la décision du 3 septembre 2015, il n’aurait
donc pas été surprenant que la juridiction censée protéger les droits de l’homme à l’échelle
européenne aille à l’encontre de la qualification formelle choisie par le législateur pour les
mesures de l’article 706-136 du Code pénal. Nous considérerons donc, à l’instar de Virginie
Peltier, que, dans le cas d’espèce, la position de la Cour est « plus qu’artificiellement
formaliste »1351. Pour relativiser plus encore la dernière jurisprudence de la Cour, on peut
aussi mettre en avant l’évolution de sa position sur la nature juridique des réductions de peine.
Alors qu’elle avait toujours exclu les réductions de peine de la notion de peine, la juridiction
européenne a récemment changé de position au prix de multiples « circonvolutions »1352. Il y
a là un élément supplémentaire à la relativisation de la qualification choisie par la Cour
européenne pour les mesures de l’article 706-136 du Code de procédure pénale.

les juges ont décidé que la contrainte par corps, liée en l’espèce à une condamnation pour amende
douanière consécutive, là encore, à un trafic de stupéfiants, était une peine au sens du dudit article 7.
1346. Cf. supra.
1347. Cf. infra, partie 2.
1348. Cette mesure est l’équivalent de la rétention de sûreté dans le système judiciaire français.
1349. La détention de sûreté doit « être qualifiée de peine aux fins de l’article 7 § 1 de la Convention EDH »
(cf. CEDH, 17 déc. 2009, no 19359/04, M. c/ Allemagne, JurisData no 2009-021374, part. § 133. Selon
certains auteurs, « il conviendrait que le législateur français tire les conséquences de la jurisprudence de la
Cour européenne des droits de l’homme quant à la nature de la rétention de sûreté en considérant, dans
la logique de la décision M. c/ Allemagne […] que la rétention de sûreté est une peine et non une mesure
de sûreté tant au sens du droit français que du droit européen » (V. BIANCHI, « Quels droits de la défense
pour la personne placée sous surveillance de sûreté ou en rétention de sûreté ? », AJ pén., 2014, p. 106).
La Cour européenne a confirmé cette analyse par deux décisions du 24 novembre 2011 (CEDH, 24 nov.
2011, no 4646/08, O. H. c/ Allemagne ; CEDH 24 nov. 2011, no 48038/06, Schönbrod c/ Allemagne).
1350. Cf. CEDH, 24 nov. 2011, no 4646/08, O. H. c/ Allemagne ; CEDH 24 nov. 2011, no 48038/06, Schönbrod
c/ Allemagne.
1351. Cf. Dr. pén., 2015, comm. 134, V. PELTIER.
1352. Loc. cit. ; cf. également CEDH, gr. ch., 21 oct. 2013, no 42750/09, Del Rio Prada/c Espagne, Dr. pén., 2013,
comm. 179, note V. PELTIER ; cf. également infra.

288
En s’alignant sur la position du législateur, la jurisprudence contribue donc au sacrifice de
l’imputabilité à l’endroit des majeurs aliénés. Si l’éclipse de l’imputabilité en tant que
fondement de la responsabilité pénale semble autorisée en droit pénal des majeurs, c’est
l’imputabilité comme « aptitude à profiter de la sanction »1353 qui semble remise en question
en droit pénal des mineurs par le durcissement des sanctions applicables. Un peu de droit
prospectif en la matière amènera à la même conclusion relativement à l’acception classique
de l’imputabilité.

§ 2 - L’imputabilité ébranlée par le glissement du droit pénal des mineurs


vers le droit pénal des majeurs, ou la concession de l’imputabilité dans sa
double acception de fondement et d’aptitude à profiter de la sanction pénale

Dans le sillage de Roger Merle et d’André Vitu, d’aucuns considèrent d’actualité la pertinence
de l’imputabilité dans son acception de capacité pénale en droit pénal des mineurs1354. Cette
dernière, qui s’entend de « l’aptitude à profiter de la sanction pénale », pourrait trouver une
assise juridique dans les principes de primauté de l’action éducative et d’atténuation de la
responsabilité pénale des mineurs en fonction de leur âge qui constituent le socle du droit
pénal de fond des mineurs. Dans sa décision du 29 août 2002, rendue à propos de la loi
no 2002-1138 du 9 septembre 2002 d’orientation et de programmation pour la justice et
réformant la justice pénale des mineurs1355, le Conseil constitutionnel a profité de sa saisine
pour ériger en principes fondamentaux reconnus par les lois de la République – ayant à ce
titre valeur constitutionnelle en vertu du préambule de la Constitution de 1946 – les principes
posés par l’ordonnance de 1945 au rang desquels les principes d’atténuation de la
responsabilité pénale des mineurs, de la primauté de l’action éducative et de la spécialisation
des juridictions et de la procédure. La juridiction suprême a notamment souligné la
« nécessité de rechercher le relèvement éducatif et moral des enfants délinquants par des
mesures adaptées à leur âge et à leur personnalité »1356. La capacité pénale, en supposant une
gradation dans la responsabilité pénale du mineur en lien avec la mesure de son discernement,
trouve une traduction concrète dans la fixation de seuils d’âges de responsabilité combinée
au principe de l’option entre les différentes sanctions pénales susceptibles d’être prononcées
à l’encontre d’un mineur délinquant. Il ne paraît donc pas totalement inapproprié de
considérer que l’imputabilité comme capacité pénale découle in fine des principes directeurs
de la justice pénale des mineurs, cela d’autant plus que c’est la mise en place d’un statut
autonome protecteur du mineur délinquant qui a généré en doctrine l’éclosion du concept
de capacité pénale. Au-delà, on pourrait donc même appréhender l’imputabilité comme l’un
des vecteurs du modèle protectionniste de la justice pénale des mineurs.

1353. Nous considérons l’hypothèse où l’imputabilité s’entend également de l’aptitude à profiter de la sanction
pénale.
1354. Cf. supra, introduction.
1355. Cons. Const., no 2002-461 DC du 29 août 2002, JO 10 sept. 2002, p. 14953 ; RDP 2002, p. 1731, note
J. ROUX.
1356. Loc. cit.

289
L’adhésion à ce paradigme invite d’abord à considérer avec attention les rénovations récentes
ayant affecté le droit pénal de fond des mineurs1357. Le droit pénal des mineurs a été marqué
au cours des dernières décennies par une tendance législative à sanctionner le mineur plus
fermement et plus précocement, avec des discussions intéressant au premier chef la
recherche d’une réponse pénale adaptée à la réalité sociologique de la délinquance juvénile
actuelle. En 2014, la délinquance des mineurs traitée par les parquets a concerné
225 800 mineurs, soit 3,4 % de la population âgée de 10 à 17 ans1358. Si les dispositions les
plus récentes en matière de justice pénale des mineurs ont eu tendance à en réaffirmer la
spécificité1359, il importe néanmoins de s’attarder sur les conséquences conceptuelles d’une
pénalisation de la minorité pénale, tant cette dernière a marqué la décennie précédente et
pourrait parfaitement resurgir à l’occasion d’une nouvelle politique pénale. Le glissement
subséquent du droit pénal des mineurs vers le droit pénal des majeurs ne vient-il pas
questionner l’intégrité de l’imputabilité dans son acception de capacité pénale ? Le législateur
n’a-t-il pas reconsidéré, implicitement, la capacité pénale en abaissant le seuil de celle-ci ? Les
diverses réformes opérées de l’ordonnance de 1945 invitent donc à questionner leur impact
sur le concept d’imputabilité comme capacité pénale1360. Il en ressort que l’aptitude du mineur
à profiter de la sanction pénale semble occuper une place plus résiduelle dans les prévisions
du législateur, au bénéfice de la répression (A.). Un détour par l’exigence d’imputabilité à
l’engagement de la responsabilité pénale du mineur montrera que l’acception traditionnelle
de l’imputabilité ressort quant à elle confortée des dernières évolutions législatives. Pour
autant, si nous faisons œuvre de prospection, comme nous y invitent les réformes à ce jour
avortées de la discipline, il nous faudra alors nuancer notre propos (B.).

A. L’imputabilité comme capacité pénale ébranlée par l’aggravation des sanctions


encourues par le mineur délinquant

Les réformes qui ont amoindri la spécificité du droit pénal de fond applicable au mineur
délinquant sont venues durcir les peines applicables, qu’il s’agisse de leur nature ou de leur
quantum. Avec la création des sanctions éducatives s’apparentant pour la majorité à des
peines (1.), le cumul possible d’une mesure éducative et d’une peine (2.), la multiplication
des dérogations au principe d’atténuation légale de peine (3.) ou la création des peines

1357. Nous nous intéresserons dans le titre 2 de cette partie aux conséquences des rénovations ayant affecté le
droit pénal de forme. En effet, quand la tendance législative est à la répression, la procédure pénale est
également remise en cause.
1358 . Ces mineurs sont plutôt âgés : près de la moitié (48 %) ont 16 ou 17 ans, 42 % ont entre 13 et 15 ans, 9 %
entre 10 et 12 ans, et 1 % moins de 10 ans. Par ailleurs, les garçons représentent 83 % des mineurs traités
par les parquets (cf. ministère de la Justice, www.ministere.gouv.fr/SG/SDSE, « Système d’information
décisionnel pénal, exploitation statistique du casier judiciaire national »).
1359. Cf. la loi no 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle, dite Justice 21.
Cf. également infra, partie 2, le fait que cette loi ait renoué avec le primat de l’éducatif et supprimé les
tribunaux correctionnels pour mineurs.
1360. De la même manière, nous avions dans le chapitre précédent, le temps d’une démonstration, adhéré au
postulat selon lequel le concept de capacité pénale était absorbé par celui d’imputabilité. Il s’agissait alors
de conforter le caractère objectivé de l’imputabilité à l’endroit des personnes morales par la démonstration
de l’impossibilité de transposer cette acception de l’imputabilité dans l’hypothèse d’une responsabilité
directe de l’entité abstraire.

290
planchers (4.), l’imputabilité comme capacité pénale ne pouvait en effet en ressortir
qu’affaiblie.

1. La parenté des sanctions éducatives avec les peines fragilisant l ’imputabilité


comme capacité pénale
La loi no 2002-1138 du 9 septembre 2002 d’orientation et de programmation pour la justice,
tout en consacrant expressément à l’alinéa 1er de l’article 122-8 du Code pénal l’exigence du
discernement à l’engagement de la responsabilité pénale des mineurs1361, devait dans le même
temps créer une nouvelle catégorie de sanctions applicables aux mineurs âgés de 10 ans au
moins. Ces dernières sont énumérées à l’article 15-1 de l’ordonnance du 2 février 1945 sous
la qualification de « sanctions éducatives »1362. Si l’on peut se féliciter de la consécration de
l’exigence d’imputabilité à l’engagement de la responsabilité pénale des mineurs1363, on ne
peut qu’être « ennuyé »1364 de cette nouvelle alternative répressive ouverte par le législateur à
l’encontre de très jeunes mineurs. Le législateur lui-même a semblé être embarrassé quant à
la qualification à retenir, comme en témoigne la terminologie antinomique retenue dans la loi
du 9 septembre 2002. Dans le même sens, Carmen Montoir considère que « l’expression
même de sanctions éducatives associant des termes jugés contradictoires »1365, la doctrine dans
son ensemble s’est interrogée sur leur nature profonde. En effet, la majorité des sanctions
éducatives créées par la loi du 9 septembre 2002 s’apparentent en réalité à des peines. Par
exemple, sur les six sanctions éducatives initialement créées, cinq d’entre elles ressemblaient
à s’y méprendre à des peines : la confiscation, l’interdiction de séjour, l’interdiction de
rencontrer la victime, l’interdiction de rencontrer les coauteurs ou complices, ainsi que le
stage de formation civique, qui se révélait très proche de la peine de stage de citoyenneté
créée par la suite par la loi du 9 mars 2004. Aussi, bien qu’avec la loi no 2007-297 du
5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance, le législateur ait semblé vouloir rétablir
l’équilibre en ajoutant quatre sanctions éducatives, plus proches dans leur esprit des mesures
éducatives que des peines1366, il semble permis de considérer que les sanctions éducatives
s’apparentent plus à des peines qu’à des mesures éducatives, même renforcées. La loi du
5 mars 2007 n’est pas parvenue à lever « l’incertitude rivée »1367 à la nature des sanctions
éducatives.

Au-delà d’une énumération de mesures avec des correspondances peu ou prou équivalentes,
le régime des sanctions éducatives s’apparente à celui des peines. En premier lieu, il résulte
de l’article 2, alinéa 2 de l’ordonnance du 2 février 1945 qu’elles sont assujetties aux critères

1361. Cf. infra, « L’exigence de l’imputabilité à l’engagement de la responsabilité pénale fragilisée dans les projets
de réforme du droit pénal des mineurs ».
1362. Cf. également C. pén., art. 122-8, al. 2.
1363. Cf. infra.
1364. À propos de la loi du 9 septembre 2002, Xavier Pin relève dans le même sens que « l’ennui est que cette
loi a également créé, à destination des mineurs d’au moins 10 ans, des « sanctions éducatives » (X. PIN,
« L’irresponsabilité pénale (réflexion sur le sens des articles 122-1, 122-2, 122-3 et 122-8 du Code pénal) »,
op. cit., p. 58 et 59.
1365. C. MONTOIR, Les principes supérieurs du droit pénal des mineurs délinquants, thèse Paris-2, 2014, no 403, p. 229.
1366. En l’espèce : le placement dans un établissement d’éducation, l’exécution de travaux scolaires,
l’avertissement solennel et le placement dans un établissement doté d’un internat. Pour une étude détaillée
de l’ensemble des sanctions éducatives applicables à un mineur délinquant, cf. ibid., nos 376 à 397.
1367. Ibid., no 403, p. 229.

291
de prononcé de la peine, à savoir les circonstances et la personnalité1368. N’est-il pas
significatif que le législateur ait opéré une distinction entre les mesures éducatives, d’une part,
visées au premier alinéa de cet article et qui constituent la réponse pénale applicable par
principe aux mineurs délinquants, et, d’autre part, les sanctions éducatives et les peines,
réunies au sein du deuxième alinéa, et qui constituent la réponse pénale subsidiaire ? Par
ailleurs, si le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 29 août 20021369, a validé la création
des sanctions éducatives en reconnaissant leur caractère éducatif, il a aussi affirmé qu’elles
étaient soumises à la proportionnalité des peines1370. De là à considérer que les sanctions
éducatives participent d’une évolution dans la conception du droit pénal des mineurs en lien
avec la réalité de la délinquance juvénile et supposant dorénavant que la peine devienne un
« instrument possible d’éducation », il n’y a qu’un pas que certains auteurs ont franchi1371.
Dans le même sens, Carmen Montoir considère qu’« en indiquant que l’aménagement des
sanctions éducatives doit respecter le principe de proportionnalité des peines, le Conseil
semble assimiler, par leur caractère, les sanctions éducatives aux peines… »1372.

Ainsi, bien que dans l’esprit des prometteurs des sanctions éducatives il s’agissait de créer des
sanctions médianes, intermédiaires entre les mesures éducatives et les peines, et bien que l’on
puisse noter un infléchissement du caractère répressif des sanctions éducatives créées par la
loi du 5 mars 2007, il reste permis de considérer que ces « nouvelles » sanctions pénales
applicables aux mineurs délinquants s’apparentent plus à des peines. Cette similitude induit
d’abord une pénalisation insidieuse de la minorité puisqu’en principe, en application de
l’article 122-8, alinéa 2 du Code pénal, seuls les mineurs âgés d’au moins 13 ans peuvent se
voir infliger des peines. L’alinéa 2 de cet article dispose en effet que l’ordonnance de 1945
« détermine également les sanctions éducatives qui peuvent être prononcées à l’encontre des
mineurs de dix à dix-huit ans ainsi que les peines auxquelles peuvent être condamnés les
mineurs de treize à dix-huit ans… ». Au-delà de la contradiction intrinsèque de la loi du 9
septembre 2002, la pénalisation de la minorité n’est-elle pas de nature à induire une
transgression de l’exigence d’imputabilité comme capacité pénale ? Bien que le Conseil
constitutionnel ait érigé chacun des principes directeurs de la justice pénale des mineurs au

1368. En application de cet article, les juridictions pour mineurs « pourront cependant, lorsque les circonstances et la
personnalité du mineur l’exigent, soit prononcer une sanction éducative à l’encontre des mineurs de dix à dix-
huit ans […], soit prononcer une peine à l’encontre des mineurs de treize à dix-huit ans en tenant compte
de l’atténuation de responsabilité pénale ».
1369. Cons. Const. décision no 2002-461, DC du 29 août 2002, préc.
1370. Les députés auteurs de l’une des saisines dénonçaient le fait que certaines des sanctions éducatives étaient
contraires au principe de nécessité et de proportionnalité des peines garanti par l’article 8 de la Déclaration
des droits de l’homme et du citoyen de 1789 – par exemple, tel était le cas de l’interdiction faite à un
mineur de rencontrer ou d’entrer en contact avec la victime de son infraction lorsque l’infraction avait été
commise « dans l’enceinte de son école ou dans le cadre de son club de football ou d’échec, voire à
l’occasion d’un cours de catéchisme », en sachant qu’une telle interdiction était susceptible d’aboutir à
priver l’enfant de scolarisation ou d’une partie de sa vie sociale. Le Conseil constitutionnel a considéré
que « les principes constitutionnels propres à la justice des mineurs ne s’opposent pas à ce que leur soient
infligées des sanctions telles que celles énumérées ci-dessus, lesquelles ont toutes, au demeurant, une
finalité éducative ; qu’en particulier, en application du principe de proportionnalité des peines, ces sanctions
prendront naturellement en compte les obligations familiales et scolaires des intéressés ».
1371. Cf. Y. MAYAUD, Droit pénal général, op. cit., no 331, p. 380. Selon l’auteur, cette évolution est la marque que
le droit pénal des mineurs n’est plus fondé sur l’incompatibilité jusqu’ici dominante entre peine et
éducation, mais sur leur complémentarité.
1372. C. MONTOIR, op. cit., no 410, p. 233.

292
rang de principes fondamentaux reconnus par les lois de la République dans sa décision du
29 août 20021373, à l’occasion précisément de l’examen de la loi du 9 septembre 2002, on peut
se demander si la validation des sanctions éducatives ne vient pas, dans le même temps,
réduire partiellement, voire anéantir cette consécration constitutionnelle1374. Ce nouveau
paradoxe ne peine-t-il pas à masquer que l’accroissement de la sévérité du droit pénal de fond
applicable aux mineurs s’effectue assez logiquement au détriment du principe de primauté
de l’action éducative ? Une réponse par l’affirmative semble devoir s’esquisser, surtout si l’on
rapproche la création des sanctions éducatives de la volonté législative d’instrumentalisation
d’une qualification juridique observée depuis à l’occasion de la création des « pseudo-mesures
de sûreté » de l’article 706-136 du Code de procédure pénale, applicables quant à elles aux
délinquants aliénés. N’y a-t-il pas, dans les deux cas, contournement de l’exigence
d’imputabilité ?

2. Le cumul possible d’une mesure éducative et d’une peine fragilisant


l’imputabilité comme capacité pénale
Il a déjà été établi que l’imputabilité comme capacité pénale constituait une manifestation de
la primauté de l’action éducative. Or, l’ordonnance de 1945, pour consacrer le principe de la
primauté de l’action éducative sur l’action répressive, avait retenu un système d’option entre
la mesure éducative et la peine, avec une priorité accordée à la mesure éducative.
L’imputabilité comprise comme capacité pénale, autrement désignée sous l’expression
d’« aptitude à profiter de la sanction pénale », a logiquement pour corollaire le principe de
l’option possible entre les différentes sanctions pénales pouvant être prononcées à l’encontre
d’un mineur délinquant. Un autre renforcement de la répression, découlant de la loi du
9 septembre 2002, consiste précisément dans la mise à mort du principe de l’option entre
mesure éducative et peine. Plus concrètement, le tribunal pour enfants peut prononcer dans
une même décision une peine d’emprisonnement assortie du sursis avec mise à l’épreuve
avec une mesure de liberté surveillée ou un placement, la mesure éducative devenant alors
une obligation particulière de la mise à l’épreuve1375. Le législateur a donc mis un terme à
l’impossibilité traditionnelle de cumuler peine et mesure éducative ; cette exception au
principe de l’option, en noyant la mesure dans la peine, entraîne une perte de lisibilité de la
réponse pénale à l’infraction commise par un mineur. La lecture globalement répressive qui
en résulte, contrairement à la position adoptée par le Conseil constitutionnel, vient contrarier
le primat de l’éducatif. Au-delà, c’est l’imputabilité dans son acception de capacité pénale qui
est atteinte.

1373. Ils ont donc valeur constitutionnelle en vertu du préambule de la Constitution de 1946 (cf. Cons. Const.,
no 2002-461, DC du 29 août 2002, JO 10 sept. 2002, p. 14953.
1374. Cela d’autant que la volonté du législateur de privilégier le recours à ces sanctions plutôt qu’aux
traditionnelles mesures éducatives de l’ordonnance de 1945 se devine à l’enrichissement de leur liste par
les lois ultérieures, à l’instar de la loi no 2007-297 du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance
qui, comme nous l’avons précédemment évoqué, est venue allonger la liste initiale de quatre nouvelles
sanctions éducatives ou de la loi no 2011-267 du 14 mars 2011 d’orientation et de programmation pour la
performance de la sécurité intérieure qui est venue créer l’interdiction pour le mineur d’aller et venir sur
la voie publique entre vingt-trois heures et six heures sans être accompagné de l’un de ses parents ou du
titulaire de l’autorité parentale.
1375. Cela permet ainsi de sanctionner ultérieurement l’absence d’adhésion du mineur à la mesure éducative
prononcée (ord. 1945, art. 20-10, al. 3 ; C. pr. pén., art. D. 49-52).

293
En outre, la possibilité d’associer peine et mesure éducative est susceptible de faire naître
des doutes sur la nature juridique des mesures éducatives et, par voie de conséquence,
d’altérer ab initio l’existence d’une réelle faculté d’option. On aurait pu penser que le non-
cumul d’une peine et d’une mesure éducative tenait à l’étanchéité de la frontière entre les
deux catégories de réponses pénales, et donc à l’existence d’une réelle alternative éducative
en la matière. Le cumul possible ne pouvait que distiller le doute sur la nature juridique des
mesures éducatives1376. Ces doutes sont confirmés par la lecture du rapport Varinard 1377,
dont il est permis de penser qu’il pourrait être un jour ressuscité à la faveur d’une alternance
politique1378. Tout d’abord, l’une des propositions consistait à unifier les mesures éducatives
et les sanctions éducatives sous la dénomination de « sanctions éducatives ». Il en serait donc
résulté une distinction binaire entre les sanctions éducatives et les peines, les premières
intégrant toutes les mesures éducatives jusqu’alors appliquées ainsi que les sanctions
éducatives au sens strict. À l’instar de Christine Lazerges, nous considérons qu’il y aurait eu
là « une modification d’ordre terminologique […] porteuse de sens »1379. Si d’aucuns ont vu
dans la proposition de supprimer la catégorie des mesures éducatives un argument en faveur
de l’aggravation de la répression des mineurs1380, nous considérons, pour notre part, qu’on
peut y voir la reconnaissance de la véritable nature juridique des mesures éducatives. A
minima, on pourrait ainsi considérer, à l’instar de Philippe Bonfils, que la commission
Varinard avait décidé « d’appeler l’ensemble des actuelles sanctions éducatives et mesures
éducatives « sanctions éducatives », pour indiquer que l’on se situe dans la sphère pénale,
même s’il s’agit d’éducation, et pour les différencier des mesures éducatives relevant de
l’assistance éducative relative aux mineurs en danger »1381. Afin d’éviter toute confusion, il
s’agirait donc d’être « raisonnable »1382 en préconisant « de réserver l’expression de “mesures
éducatives” aux mesures de protection prises au titre de l’assistance éducative et au pénal de
ne distinguer les sanctions éducatives que des peines proprement dites »1383. Au-delà, la
proposition de réunion des mesures éducatives et des sanctions éducatives en une seule
catégorie de sanctions pénales souligne la coloration répressive des actuelles mesures
éducatives. En outre, n’est-il pas significatif que la dénomination de la catégorie réunissant
les mesures éducatives et les sanctions éducatives corresponde à celle de « sanctions
éducatives », celles-là mêmes dont la véritable nature répressive a été précédemment

1376. Ces dernières s’apparentant à des mesures de sûreté, il pourrait aussi être tiré argument de l’hybridation
possible entre peine et mesure éducative en faveur de la convergence des peines et mesures de sûreté.
1377. Un groupe de travail avait été chargé par la garde des Sceaux, en avril 2008, de réfléchir à un remaniement
de l’ordonnance de 1945. La lettre de mission de la ministre invitait la commission à engager une
refondation complète de la justice pénale des mineurs « pour une justice plus réactive et plus adaptée ».
La commission était présidée par le Recteur André Varinard et composée de parlementaires, de praticiens
et d’universitaires. La réflexion devait déboucher, six mois plus tard, sur soixante-dix propositions
destinées à prendre forme dans un code de la justice pénale des mineurs.
1378. Quoi qu’il en soit, le manque de lisibilité des dispositions de l’ordonnance de 1945, majoritairement
dénoncé par la doctrine, aboutira tôt ou tard à une réforme d’ampleur du droit pénal des mineurs.
Mme Taubira, alors qu’elle était garde des Sceaux, avait elle aussi projeté d’engager une réforme de la
discipline.
1379. C. LAZERGES, « Lectures du rapport “Varinard” », RSC, 2009, p. 226.
1380. Dans la mesure où la suppression pure et simple de la catégorie des mesures éducatives ne laissait subsister
dans l’arsenal répressif applicable au mineur que les sanctions éducatives et les peines.
1381. P. BONFILS, « Présentation des préconisations de la commission Varinard », AJ pén., 2009, p. 9.
1382. C. LAZERGES, « Lectures du rapport “Varinard”, op. cit., p. 226.
1383. Loc. cit.

294
établie1384 ? La commission Varinard justifiait d’ailleurs le choix de cette dernière expression,
par préférence à celle de « mesure éducative », par la volonté « d’afficher clairement que la
réponse à apporter à un acte transgressif doit être une sanction, même si elle poursuit un
objectif d’éducation »1385. La coloration punitive des mesures éducatives, en réduisant le
champ de l’alternative initialement offerte au juge entre éducation et répression, est de
nature à altérer « l’aptitude à profiter de la sanction ». L’aspiration des mesures éducatives
actuellement applicables aux mineurs par la catégorie des sanctions éducatives, en disant la
vérité sur leur nature juridique, révèlerait donc l’atteinte portée ab initio à l’imputabilité
comme capacité.

Allant encore au-delà, le rapport Varinard préconisait ensuite, dans une proposition 34, de
généraliser la faculté ouverte par la loi du 9 septembre 2002 en consacrant le principe du
cumul possible des sanctions éducatives et des peines 1386. Commentant cette proposition,
Christine Lazerges souligne que « le principe du cumul possible sanction éducative-peine
modifie le sens donné au primat de l’éducatif car il efface le caractère subsidiaire de la
peine »1387. Considérant que le principe de primauté de l’éducation sur la répression signifie
en principe l’incompatibilité entre la voie éducative et la voie répressive, et la préférence
accordée normalement à la première sur la seconde, il nous paraît légitime de considérer que
la généralisation du cumul sanction éducative-peine remettrait une nouvelle fois en question
l’imputabilité comme capacité pénale.

Au regard du développement qui précède, il est permis d’ajouter que, si la loi dite Justice 21
du 18 novembre 2016 a maintenu la catégorie autonome des mesures éducatives,
entretenant ce faisant l’artificialité d’une réelle alternative éducative en droit pénal des
mineurs, elle a dans le même temps, et dans le sillage de la loi du 9 septembre 2002, élargi
les possibilités de cumul des peines et des mesures éducatives. Le 1° de l’article 30 de la loi
complète ainsi l’article 2 de l’ordonnance du 2 février 1945 par un alinéa disposant que
« lorsqu’il prononce une condamnation pénale, le tribunal pour enfants peut, en outre, si la
personnalité du mineur le justifie, prononcer l’une des mesures éducatives mentionnées aux
articles 12-1, 16, 16 bis et 16 ter et au chapitre IV ». Il dispose également que, « dans les
mêmes conditions, la cour d’assises des mineurs peut prononcer une condamnation pénale
et des mesures éducatives selon les modalités prévues au dernier alinéa de l’article 201 ».
Selon la circulaire du 13 décembre 2016 présentant les dispositions de la loi dite Justice 21
du 18 novembre 2016 relatives à la justice pénale des mineurs 1388, cette réforme serait de
nature à garantir « la possibilité d’une action éducative quelle que soit la sanction prononcée,
sans remettre en cause la primauté des mesures éducatives ». Au-delà, elle permettrait « une
approche plus complète qui ne se limite pas à l’aspect rétributif de la sanction mais renforce
sa dimension restaurative : cette approche autorise une réelle prise de conscience, par le
mineur, du préjudice causé à la victime, ce qui favorise sa responsabilisation et la prévention

1384. Cf. supra.


1385. Cf. rapport Varinard, proposition no 3.
1386. Cf. rapport Varinard, p. 154 et suiv.
1387. C. LAZERGES, « Lectures du rapport “Varinard” », op. cit., p. 226.
1388. Circulaire 13 décembre 2016, BOMJ no 2016-12 du 30 décembre 2016 – JUSD 1636978C.

295
de la récidive »1389. Une lecture progressiste de la possibilité de cumuler peines et mesures
éducatives tiendrait donc au fait que le prononcé conjoint d’une mesure éducative et d’une
peine viendrait tempérer l’effet rétributif de la peine en ouvrant la voie à la mise en œuvre
d’une justice restaurative. Outre le caractère contestable de cette approche1390, on peut
trouver, dans la lettre même de la circulaire du 13 décembre 2016, un argument en faveur
du caractère répressif du cumul possible des peines et mesures éducatives. Il tient à la non-
rétroactivité de ce nouveau dispositif. En effet, les « nouvelles dispositions, parce qu’elles
permettent de prononcer une peine en plus d’une mesure éducative, doivent être
considérées comme plus sévères et ne peuvent donc s’appliquer que pour les infractions
commises après l’entrée en vigueur de la loi »1391. On peut aussi trouver une confirmation
de cette analyse dans la jurisprudence récente de la Cour de cassation. Dans un arrêt en date
du 10 février 2016, la Cour de cassation a décelé, dans la mesure que la cour d’appel avait
qualifiée de « mesure éducative », une mesure de sûreté privative de liberté1392. En l’espèce,
un mineur roumain avait fait l’objet dans son pays d’une mesure d’internement suite à la
commission de plusieurs délits. Elle fut ensuite aménagée en une mesure éducative non
privative de liberté que le mineur n’a pas respectée, en s’enfuyant en France. Il fut alors
décidé de mettre à exécution les jours qu’il lui restait à exécuter du fait de l’internement. Un
mandat d’arrêt européen a alors été décerné par les autorités roumaines à l’encontre du jeune
garçon. Selon l’article 695 du Code de procédure pénale, un mandat d’arrêt européen peut
être émis en vue de l’arrestation et de la remise d’une personne recherchée pour,
notamment, l’exécution d’une peine ou d’une mesure de sûreté privative de liberté. Pour le
remettre en liberté, la chambre de l’instruction précise que la sanction prononcée à son
encontre « n’est pas une peine d’emprisonnement et ne peut être qualifiée de peine ni de
mesure de sûreté privative de liberté, s’agissant d’une simple mesure éducative, seule
applicable à l’intéressé compte tenu de son âge ». La chambre criminelle casse l’arrêt de la
cour d’appel au visa de l’article 695 du Code de procédure pénale en considérant que
constitue une mesure de sûreté privative de liberté, une mesure éducative prononcée à
l’encontre d’un mineur qui s’exerce dans le cadre d’un enfermement destiné à s’assurer de
la personne de l’intéressé pour éviter qu’il ne prenne la fuite. Au-delà d’un argument
supplémentaire en faveur de l’instrumentalisation de la catégorie des mesures de sûreté 1393,
cette décision met en exergue le caractère répressif de certaines mesures éducatives. Par
ailleurs, l’imputabilité comme capacité pénale a aussi été fragilisée par la multiplication des
dérogations au principe d’atténuation légale de peine.

1389. Ibid.
1390. Cf. supra, le raisonnement élaboré.
1391. Circulaire du 13 décembre 2016, op. cit.
1392. Cass. crim., 10 févr. 2016, no 16-80.510 : JurisData no 2016-002530 ; Bull. crim., no 45. Pour un
commentaire, Cf. Dr. pén., 2017, chron. 3 « Un an de droit de la peine », comm. É. GARÇON et
V. PELTIER.
1393. Dans le commentaire qu’elle effectue de cette décision, Virginie Peltier relève qu’« il est, une fois de plus,
recouru à la notion bien pratique – à tout faire – de mesure de sûreté » (Dr. pén., op. cit., 2017, chron. 3).

296
3. La multiplication des dérogations au principe d ’atténuation légale de peine 1394
fragilisant l’imputabilité comme capacité pénale
Un mineur ne peut être déclaré pénalement responsable qu’à compter du moment où il est
doté de discernement. Concrètement, cela situe l’âge à compter duquel un mineur peut
relever du système pénal autour de 7 ou 8 ans. En droit positif, il existe une discordance entre
le seuil de la minorité pénale et l’âge auquel une peine proprement dite peut être appliquée à
un mineur1395. Plus précisément, jusqu’à 10 ans, il ne peut faire l’objet que de mesures
éducatives ; dès 10 ans, le prononcé de sanctions éducatives devient possible et, à 13 ans, une
peine privative de liberté peut être prononcée. Traditionnellement, si, de 13 à 16 ans, la
diminution de peine est de droit1396, au-delà de 16 ans, elle était par principe appliquée : le
mineur de 16 à 18 ans ne pouvait être soustrait du bénéfice de la diminution de peine qu’« à
titre exceptionnel », en considération des circonstances de l’espèce et de sa personnalité et
par décision spécialement motivée ; les peines étaient alors du même quantum que pour les
majeurs1397. D’aucuns considèrent que le mécanisme de l’atténuation légale de peine constitue
une illustration concrète de la prise en compte par le droit positif du concept de capacité
pénale1398. Les lois no 2007-297 du 5 mars 2007 – relative à la prévention de la délinquance –
et no 2007-1198 du 10 août 2007 – renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des
mineurs – sont venues restreindre le domaine et les modalités de la diminution légale
facultative de peine pour les mineurs de 16 à 18 ans1399.

La loi du 5 mars 2007 a d’abord supprimé la référence au caractère exceptionnel de la levée


de l’atténuation de peine. Elle a ensuite induit un recul de l’exigence de motivation, puisque
la diminution de peine peut être écartée uniquement en considération de l’infraction commise
et de la circonstance de récidive. Plus précisément, en cas de commission de « faits qui
constituent une atteinte volontaire à la vie ou à l’intégrité physique de la personne » et qui
« ont été commis en état de récidive légale », le tribunal pour enfants peut décider d’écarter
l’application de l’excuse de minorité, sans avoir à motiver sa décision par les circonstances
de l’espèce et la personnalité du mineur. Il est permis de relever que cette seconde hypothèse
de dérogation pouvait être comprise dans la première, à savoir les « circonstances de
l’espèce ». Ne faut-il pas considérer que « cet ajout est destiné à “contraindre” les juges à faire
un tel choix, compte tenu de la gravité de l’infraction et de la circonstance de récidive »1400 ?

1394. Il est permis de noter que, s’agissant des peines d’emprisonnement, la loi no 92-1336 du 16 décembre 1992
portant réforme du Code pénal a supprimé les termes d’« excuse atténuante de minorité » pour les
remplacer par ceux de « diminution de peine ».
1395. Cette dissociation entre l’âge de la responsabilité pénale et l’âge de l’aptitude pénitentiaire renvoie à
l’acception duelle de l’imputabilité, conception classique pour la première hypothèse et capacité pénale
pour la seconde (cf. infra).
1396. La peine d’emprisonnement ne peut être supérieure à la moitié de la peine encourue et la peine de réclusion
criminelle de 20 ans si la peine encourue est la perpétuité.
1397. La majorité pénale pouvait donc, dans certaines hypothèses, être abaissée à 16 ans.
1398. Carmen Montoir, par exemple, considère que l’un des corollaires du mécanisme de l’atténuation légale de
peine consiste dans la prise en compte du concept de capacité pénale (cf. C. MONTOIR, op. cit., no 458,
p. 259).
1399. JO 11 août 2007 – P. BONFILS, « La réforme de l’ordonnance de 1945 par la loi du 10 août 2007 », AJ pén.,
2007, p. 363.
1400. C. MONTOIR, op. cit., no 476, p. 268.

297
La prévision de cette seconde exception souligne l’atteinte très nette portée par le législateur
au principe de la diminution de peine.

Il devait poursuivre le même objectif avec la loi du 10 août 2007. Cette dernière a élargi le
champ d’application de la seconde hypothèse de dérogation au principe de l’atténuation de
peine en allongeant la liste des infractions commises en état de récidive légale. En plus des
circonstances de l’espèce et de la personnalité du mineur, du crime d’atteinte volontaire à la
vie ou à l’intégrité physique ou psychique de la personne commis en état de récidive légale,
le tribunal pour enfants ou la cour d’assises des mineurs pouvaient dorénavant déroger à la
diminution de peine dans l’hypothèse de « délit de violences volontaires », de « délit
d’agression sexuelle » ou plus largement de « délit commis avec la circonstance aggravante de
violences », lorsqu’ils étaient commis en état de récidive légale1401. Le législateur ajoutait la
précision suivante : « Lorsqu’elle est prise par le tribunal pour enfants, la décision de ne pas
faire bénéficier le mineur de l’atténuation de la peine doit être spécialement motivée, sauf
pour les infractions mentionnées au 3° commises en état de récidive légale », étant précisé
que les infractions visées au « 3° » renvoient à celles ajoutées par le législateur du mois
d’août1402.

Deux séries de remarques aux conséquences opposées peuvent être formulées relativement
à l’exigence de motivation de l’exclusion de l’atténuation de pénalité. Autrement dit, si la loi
d’août 2007 s’inscrit dans la lignée de la précédente, elle initie dans le même temps un retour
en arrière. En premier lieu, il résulte, d’une part, de l’article 20-2, alinéa 3 de l’ordonnance
de 1945 que lorsque c’est la cour d’assises qui applique cette exception, elle n’a pas, en toute
hypothèse, à motiver sa décision et, d’autre part, que pour les trois types d’infractions visées
au 3°, les magistrats du tribunal pour enfants n’ont pas plus à justifier leur décision d’exclure
la diminution de peine. Jusque-là, la loi d’août 2007 poursuit l’œuvre entreprise par celle du
mois de mars en faisant reculer l’exigence de motivation à l’exclusion de l’atténuation de
peine, ce qui est de nature à faciliter le recours à une telle option. En second lieu, et de
manière plus paradoxale, cette loi renoue avec l’exigence de motivation s’agissant de la
décision du tribunal pour enfants en cas d’atteinte volontaire à la vie ou à l’intégrité physique
ou psychique de la personne commise en état de récidive légale. Un retour en arrière est donc
opéré par rapport à la précédente loi du 5 mars 2007. Allant plus loin dans le sens de l’atteinte
portée au principe de l’atténuation de peine, le législateur avait prévu, en outre, une exclusion
pure et simple de l’application de l’atténuation légale de peine en cas de « nouvelle récidive
légale ». Elle figurait à l’alinéa 4 de l’article 20-2 de l’ordonnance du 2 février 1945 et
concernait les infractions visées aux 2° et 3° de l’alinéa 2 de l’article 20-2 de l’ordonnance de
1945. Une limite était cependant prévue, puisque les juridictions pouvaient toutefois « en
décider autrement ». Ainsi, dans ces hypothèses, l’atténuation de peine se trouvait évincée,
sauf décision contraire de la juridiction de jugement. L’on assistait pour la première fois « à
une véritable inversion entre le principe et l’exception »1403. De surcroît, comme le relève
Carmen Montoir, « c’est – et ce encore de façon inédite – la mise en œuvre de l’atténuation

1401. Ord. 2 févr. 1945, art. 20-2, alinéa 2 (3°) dans sa rédaction issue de la loi du 10 août 2007.
1402. Ord. 2 févr. 1945, art. 20-2, alinéa 3, dans sa rédaction issue de la loi du 10 août 2007.
1403. A. PONSEILLE, « De l’évolution de l’atténuation légale de la peine applicable aux mineurs », in Justice des
mineurs, arch. pol. crim., no 30, Pédone, 2008.

298
de peine qui devra là être motivée, tout au moins, par le tribunal pour enfants, si les juges
entendent en faire malgré tout bénéficier le mineur »1404. Comme le souligne Laurence
Leturmy, « de principe, la minoration devient exception. Une exception dont le recours
requiert explication »1405. Au final, il semblait permis de considérer que le législateur s’était
insidieusement engagé dans la voie de l’abaissement de la majorité pénale à 16 ans.
Cependant, à la faveur d’un changement de majorité politique, la nouvelle assemblée
parlementaire, par la loi no 2014-896 du 15 août 2014 dite « loi Taubira », est venue rétablir
le principe de l’atténuation de la pénalité pour les mineurs récidivistes âgés de 16 à 18 ans.
Depuis, comme c’était le cas avant 2007, l’article 20-2 de l’ordonnance du 2 février 1945
prévoit dans tous les cas que ce n’est qu’« à titre exceptionnel et compte tenu des
circonstances de l’espèce et de la personnalité du mineur ainsi que de sa situation » que le
tribunal pour enfants ou la cour d’assises des mineurs pourront décider qu’il n’y a pas lieu
d’appliquer au condamné mineur âgé de 16 à 18 ans la réduction de moitié de la peine
encourue. Comme le relève Guillaume Beaussonie, « les multirécidivistes, pour lesquels le
principe avait été inversement posé d’une absence de diminution de peine sauf motivation
spéciale, ne sortent plus du rang »1406. Il est permis de pondérer la portée de ce retour au
statu quo ante. Cela tient au fait que les atteintes portées au principe de l’atténuation de peine
ont été jugées conformes à la Constitution1407. Ainsi, rien n’empêchera le législateur de
demain, en cas de deuxième récidive de certaines infractions, d’exclure la réduction de moitié
de la peine encourue pour les mineurs âgés de 16 à 18 ans1408.

4. L’imputabilité comme capacité pénale un temps fragilisée par l’instauration


de peines planchers

La loi no 2007-1198 du 10 août 2007 renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des
mineurs avait rendu applicable la mécanique des peines planchers aux mineurs récidivistes
âgés d’au moins 13 ans au moment des faits1409. Ce texte avait inséré une phrase, à l’alinéa 1er
in fine de l’article 20-2 de l’ordonnance de 1945, précisant que « la diminution de moitié de la
peine encourue s’applique également aux peines minimales […] ». Ce dispositif, qui était
particulièrement attentatoire au principe du primat de l’éducatif et, au-delà, au modèle
protectionniste de la justice pénale des mineurs, avait été validé par le Conseil
constitutionnel1410. Il n’existait qu’une seule possibilité pour une juridiction pour mineurs de
contourner une peine plancher, et elle consistait à opter pour une mesure éducative ou une
sanction éducative. Cependant, comme le relevait Christine Lazerges, cette « solution […]
peut s’avérer peu adaptée pour un mineur récidiviste comme peut l’être une peine trop lourde

1404. C. MONTOIR, op. cit., no 479, p. 270.


1405. L. LETURMY, « L’effritement des principes directeurs énoncés par l’article 2 de l’ordonnance du 2 février
1945 », in Justice des mineurs, arch. pol. crim. no 30, Pédone, 2008.
1406. G. BEAUSSONIE, « Loi no 2014-896 du 15 août 2014 relative à l’individualisation des peines et renforçant
l’efficacité des sanctions pénales », RSC, 2014, p. 809.
1407. Pour un rappel des décisions du Conseil constitutionnel ayant validé les « aménagements » apportés à
l’atténuation légale de pénalité, cf. Cons. const., no 2007-553, DC du 3 mars 2007 et Cons. const.,
no 2007-554, DC du 9 août 2007.
1408. Surtout si l’on en croit certaines promesses électorales d’abaissement de la majorité pénale à 16 ans.
1409. JO 11 août 2007 – P. BONFILS, « La réforme de l’ordonnance de 1945 par la loi du 10 août 2007 », op. cit.,
p. 363.
1410. Cf. Cons. const., 9 août 2007, DC no 2007-554, JO 11 août 2007, p. 13478.

299
du fait du mécanisme des peines planchers »1411. Il est notable que la commission Varinard,
dans sa proposition 48, avait prévu le maintien des peines planchers1412. Quelques années
plus tard, le législateur a même tenté, par le biais de la loi dite LOPPSI 2, en date du
14 mars 20111413, d’étendre le champ d’application des peines planchers, résultant de la loi
no 2007-1198 du 10 août 2007, à des primo-délinquants majeurs (art. 37-I) et mineurs
(art. 37-II). La gravité particulière des délits concernés était avancée pour justifier
l’application de ces peines minimales pour réprimer des actes accomplis par des personnes
qui n’étaient pas en état de récidive légale. L’article 37-II prévoyait plus particulièrement
l’application de peines planchers aux mineurs non récidivistes auteurs de violences
aggravées1414. La LOPPSI 2 a été déférée le 15 février 2011 au Conseil constitutionnel par
plus de soixante députés et plus de soixante sénateurs qui contestaient notamment son
article 37. Dans sa décision du 10 mars 2011, le Conseil constitutionnel, sur le fondement
des principes de primauté de l’action éducative et d’atténuation de la responsabilité pénale
des mineurs en fonction de leur âge, a censuré l’article 37-II de la loi d’orientation et de
programmation pour la performance de la sécurité intérieure1415. Les Sages ont considéré
« qu’en instituant le principe de peines minimales applicables à des mineurs qui n’ont jamais
été condamnés pour crime ou délit, la disposition contestée méconnaît les exigences
constitutionnelles en matière de justice pénale des mineurs ». De ce point de vue,
l’imputabilité comme capacité pénale est opportunément confortée à l’égard des mineurs
primo-délinquants. En effet, bien que les tribunaux pour enfants n’appliquassent pas en
pratique les peines planchers, on ne peut qu’approuver la suppression de cette alternative
répressive un temps offerte par le législateur. Dans la continuité, la loi Taubira du 15 août
2014 est venue abroger les peines minimales applicables aux mineurs récidivistes. Plus
particulièrement, « l’article 7 de la loi a abrogé les articles 132-18-1 et 132-19-1 du Code pénal
relatifs aux peines minimales d’emprisonnement applicables en cas de récidive, qui résultaient
de la loi no 2007-1198 du 10 août 2007 ainsi que l’article 132-19-2 relatif aux peines
minimales d’emprisonnement applicables en cas de délits de violences volontaires aggravées,
qui résultait de la loi no 2011-267 du 14 mars 2011 »1416. L’article 20-2 de l’ordonnance du

1411 C. LAZERGES, « Lectures du rapport “Varinard” », op. cit., p. 226.


1412. Elle se fondait pour ce faire sur la décision du Conseil constitutionnel qui avait validé cette disposition et
elle relevait que cette solution correspondait à « une illustration du principe de progressivité de la réponse
pénale pour un mineur récidiviste » (cf. rapport Varinard, p. 192). Elle s’était aussi prononcée, dans la
même proposition 48, en faveur du maintien des dispositions relatives à l’atténuation de la peine pour les
mineurs récidivistes.
1413. Loi no 2011-267 du 14 mars 2011 d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité
intérieure, JO du 15 mars 2011, p. 4582.
1414. Il s’agissait de violences volontaires ayant entrainé une mutilation ou une infirmité permanente et de
violences aggravées passibles d’au moins sept années d’emprisonnement (cf. décision no 2011-625, DC
du 10 mars 2011).
1415. Il a en revanche considéré que l’article 37-I était conforme à la Constitution validant le principe de
l’application de peines planchers à des majeurs primo-délinquants. La solution n’est pas surprenante étant
donné que le dispositif ne trouve à s’appliquer que pour des infractions relativement graves et que le
principe de l’individualisation des peines reste garanti. L’article 132-19-2 intégrant ce mécanisme en droit
positif prévoit expressément que la juridiction peut prononcer « une peine inférieure à ces seuils ou une
peine autre que l’emprisonnement », en fonction des circonstances de l’infraction, de la personnalité de
son auteur ou des garanties d’insertion et de réinsertion présentées par l’intéressé.
1416. Circulaire du 26 septembre 2014 de présentation des dispositions applicables le 1er octobre 2014 de la
loi no 2014-896 du 15 août 2014 relative à l’individualisation des peines et renforçant l’efficacité des
sanctions pénales (NOR : JUSD1422849C). Les peines minimales encourues en cas de récidive sont
également supprimées en ce qui concerne les majeurs.

300
2 février 1945 relative à l’enfance délinquante a été réécrit en conséquence. Dans le sens de
la prise en considération de l’imputabilité comme capacité pénale, on pourrait imaginer que
soit un jour ressuscitée la proposition inédite du rapport Varinard en faveur de la création de
peines spécifiques aux mineurs délinquants1417.

Au final, l’atteinte portée à l’imputabilité comprise comme capacité pénale résulte de


l’aggravation des sanctions encourues par le mineur délinquant, qu’elle résulte de la création
de sanctions s’apparentant en réalité à des peines, du caractère globalement répressif de la
réponse pénale aux infractions commises par un mineur délinquant, ou du renforcement du
régime des peines. Si l’acception classique de l’imputabilité ressort quant à elle confortée du
droit positif, des infléchissements s’évincent des différents projets de réforme en la matière.

B. L’exigence de l’imputabilité à l’engagement de la responsabilité pénale fragilisée


dans les projets de réforme du droit pénal des mineurs

Le droit positif s’articule autour de la reconnaissance de la responsabilité pénale de principe


des mineurs délinquants indépendamment de la fixation d’un seuil de minorité pénale, cette
dernière correspondant à l’âge à partir duquel le droit pénal des mineurs peut s’appliquer. Ce
système de responsabilité pénale, qui est de nature à donner force au concept d’imputabilité
dans son acception classique (1.), est néanmoins susceptible d’évoluer, comme en témoigne,
dans les différents projets de réforme de la justice pénale des mineurs, la question récurrente
de la fixation d’un seuil d’âge de responsabilité pénale. Ce phénomène, qui renvoie (ni plus
ni moins) à la fixation d’un âge légal d’imputabilité, invite à en considérer les conséquences
sur la notion même d’imputabilité (2.).

1. L’absence de seuil de minorité pénale donnant force au concept d ’imputabilité


dans son acception classique
Si la loi du 9 septembre 2002 a mené une réforme d’ampleur du droit pénal des mineurs en
renforçant notamment la sévérité du droit pénal de fond applicable en la matière1418, elle a
aussi consacré le principe de la responsabilité pénale des mineurs. A priori, cette consécration
participe à l’accroissement de la sévérité du droit pénal de fond applicable au mineur
délinquant. La réalité est autre. La réforme de 2002 présente avant tout l’intérêt de mettre un
terme légal à l’analyse erronée de l’ordonnance du 2 février 1945 portée par une partie de la
doctrine et qui tirait argument du silence de l’ordonnance sur la question du discernement
pour échafauder une véritable théorie de l’irresponsabilité pénale du mineur. Cette position
reposait aussi sur le fait que, inspiré par les doctrines de défense sociale, le système mis en
place en 1945 visait essentiellement à rééduquer le mineur délinquant, non à le réprimer.
Marc Ancel, en évoquant la « pédagogie de la responsabilité », signifiait que « la responsabilité

1417. Le rapport préconise l’instauration d’une peine principale de placement sous surveillance électronique, la
création d’une peine de confiscation d’un objet sans lien avec l’infraction et appartenant au mineur, et elle
imagine aussi, sur le modèle d’autres législations européennes, une peine d’emprisonnement de fin de
semaine.
1418. Cf. supra. Elle a aussi introduit en droit positif des dispositions de nature à remettre en cause le statut
protecteur du mineur en droit pénal de forme en donnant naissance à une procédure placée sous le signe
de l’efficacité plutôt que sous celui de la protection.

301
personnelle […] est moins le fondement que le but de la sanction »1419. Autrement dit, le
procès en resocialisation a pour objet d’investir le mineur auteur d’une infraction pénale de
sa responsabilité sociale. Dans ce système de responsabilité, la sanction pénale est conçue
comme un moyen permettant de responsabiliser le mineur, étant précisé qu’elle « ne peut
être prononcée que si le mineur est “capable pénalement” »1420. Les auteurs partisans de la
théorie de l’irresponsabilité pénale trouvaient une confirmation de leur analyse à l’examen du
régime des sanctions applicables au mineur délinquant. Allant plus avant, ils considéraient
même que les mineurs de moins de 13 ans bénéficiaient d’une présomption irréfragable
d’irresponsabilité pénale dans la mesure où ils ne pouvaient faire l’objet que de mesures
éducatives, tandis que, pour les mineurs de 13 à 18 ans, la présomption était simple puisque
des peines étaient applicables à compter du seuil de 13 ans. On comprend qu’une telle
représentation de la responsabilité pénale ne laisse aucune place au concept d’imputabilité
dans son acception classique, au bénéfice exclusif de l’imputabilité comprise comme capacité
pénale. Cette analyse procédait néanmoins d’une appréhension erronée de la responsabilité
pénale des mineurs délinquants.

La théorie de l’irresponsabilité pénale se devait en effet d’être condamnée sur le fondement


même de la rédaction primitive de l’ordonnance de 1945. La confusion a été induite par la
lettre de l’ancien article 2, alinéa 2 de l’ordonnance, aux termes duquel :

[Le tribunal pour enfants] pourra cependant, lorsque les circonstances et la personnalité
du délinquant lui paraîtront l’exiger, prononcer à l’égard du mineur âgé de plus de treize
ans une condamnation pénale par application des articles 67 et 69 du Code pénal.

D’aucuns en ont déduit que parce que les mineurs de moins de 13 ans n’étaient pas visés par
le texte, ils étaient irresponsables pénalement. Cette analyse procédait d’une confusion entre
les termes de « condamnation pénale » et de « responsabilité pénale ». Il découlait en réalité
du texte une invitation à prononcer une peine plutôt qu’une mesure éducative dans certains
cas. Le texte originel de l’article 2, alinéa 2 ne se situait pas sur la logique de la responsabilité
pénale mais plutôt sur celle de la pénalité. On en trouve la confirmation dans la rédaction de
cet article telle qu’elle résulte de la réforme de 2002 qui opère une distinction entre les
sanctions éducatives et les peines applicables aux mineurs en fonction de leur âge1421.
Cependant, c’est d’abord la jurisprudence qui est venue donner une lecture de l’ordonnance
de 1945 conforme aux prévisions du législateur en estimant qu’elle n’avait pu exclure la
condition de discernement, laquelle fait toujours partie des principes généraux du droit. Ainsi,
dans l’attendu de principe du célèbre arrêt Laboube1422, la Cour de cassation a considéré que
« si les articles 1er et 2 de l’ordonnance du 2 février 1945 […] posent le principe de

1419. M. ANCEL, « Responsabilité et défense sociale », RSC, 1959, p. 183.


1420. C. LAZERGES, « Seuils d’âge et responsabilité pénale en Europe », RSC, 1991, p. 414.
1421. L’article 2, alinéa 2 tel qu’il résulte de la loi du 9 septembre 2002 dispose : « [Le tribunal pour enfants et la
cour d’assises des mineurs] pourront cependant, lorsque les circonstances et la personnalité des mineurs
l’exigent, soit prononcer une sanction éducative à l’encontre des mineurs de dix à dix-huit ans,
conformément aux dispositions de l’article 15-1, soit prononcer une peine à l’encontre des mineurs de
treize à dix-huit ans en tenant compte de l’atténuation de leur responsabilité pénale, conformément aux
dispositions des articles 20-2 à 20-9. »
1422. Cass. crim., 13 déc. 1956, D., 1957, p. 349, note PATIN. Pour une analyse de cette décision, cf. Supra,
partie 1.

302
l’irresponsabilité pénale du mineur, abstraction faite du discernement de l’intéressé […],
encore faut-il, conformément aux principes généraux du droit, que le mineur dont la
participation à l’acte matériel à lui reproché est établie, ait compris et voulu cet acte […] ».
Deux enseignements en résultent. Le premier est relatif au fait que les articles 1 et 2 de
l’ordonnance de 1945 exposent qu’un mineur, dès lors qu’il est discernant, peut être déclaré
pénalement responsable ; le second, à la portée plus générale, permet de conclure que le
discernement est une condition de la responsabilité pénale des mineurs. Au-delà, cet arrêt est
essentiel, en ce sens qu’il permet de conclure à l’unité de notre système de responsabilité
puisque le discernement est une condition à l’engagement de la responsabilité des majeurs
comme des mineurs1423. Pour autant, cette condition de discernement n’a pas été consacrée
pour les mineurs par les lois du 22 juillet 1992 portant nouveau Code pénal1424. On pourrait
même considérer qu’il a continué à entretenir le dogme de l’irresponsabilité pénale des
mineurs délinquants en rangeant la minorité au sein des causes d’irresponsabilité ou
d’atténuation de la responsabilité. Or, ce n’est pas la minorité qui est une cause
d’irresponsabilité pénale, c’est l’absence de discernement liée à la minorité. Il a donc fallu
attendre la loi du 9 septembre 2002 pour affirmer le principe de la responsabilité pénale des
mineurs délinquants conditionnée par le discernement. Cette dernière a réécrit l’article 122-8
du Code pénal qui dispose aujourd’hui : « Les mineurs capables de discernement sont
pénalement responsables des crimes, délits ou contraventions dont ils ont été reconnus
coupables ». En même temps qu’elle proclame la responsabilité pénale de principe pour les
mineurs délinquants, la loi de 2002 fait explicitement du discernement une condition de la
mise en œuvre de cette responsabilité pénale : cet événement est de nature à restaurer, tout
en la confortant, l’exigence de l’imputabilité dans son acception classique1425.

Le renforcement de l’imputabilité dans son acception classique tient au fait que le législateur
n’a pas opté pour la fixation d’un seuil de minorité pénale. En d’autres termes, la
responsabilité pénale de principe qui pèse sur les mineurs n’a pas pour corollaire une
présomption de discernement1426. Au contraire, le système actuel consacre une présomption
simple d’absence de discernement à l’égard des mineurs de 18 ans. Ainsi, dans la mesure où
aucun âge légal d’imputabilité pénale n’a été fixé, le discernement doit être établi
judiciairement. Il en résulte qu’en matière de minorité pénale, le discernement est une notion
dynamique dont il incombe au juge de vérifier l’existence quel que soit l’âge du mineur mis
en cause1427. Il est permis de noter que c’est la situation inverse qui prévaut pour les majeurs.
En cette matière, le discernement est une notion statique caractérisant a priori l’individu

1423. Cf. infra pour le parachèvement de l’unité de notre système de responsabilité pénale avec la proposition de
retenir l’imputabilité de l’agent préalablement au prononcé de toute sanction pénale, peine comme mesure
de sûreté.
1424. L’article 122-8 du Code pénal disposait alors : « Les mineurs reconnus coupables d’infractions pénales font
l’objet de mesures de protection, d’assistance, de surveillance et d’éducation dans les conditions fixées par
la loi pénale particulière. »
1425. Le contraste avec la responsabilité civile du mineur est ici saisissant dans la mesure où, depuis les arrêts de
l’Assemblée plénière de 1984, elle s’est complètement délestée de la notion d’imputabilité morale pour ne
garder que celle d’imputabilité matérielle (cf. supra, partie 1, titre 2, chapitre I, section 2, § 2) :
« L’autonomie de l’imputabilité par rapport à l’infraction confirmée par le recours au droit civil ».
1426. Au contraire même, puisque le droit positif est régi par une présomption simple de non-discernement.
1427. À l’instar de la volonté, autre composante de l’imputabilité.

303
pendant toute la durée de sa vie d’adulte1428. Le discernement procède alors plutôt d’une
capacité générale inhérente à l’acquisition de la majorité civile. Dans le prolongement de cette
idée, la fixation d’un seuil de minorité pénale équivaudrait à reconnaître, d’une part, une
incapacité générale, cette dernière consistant en une présomption irréfragable d’absence de
discernement en deçà de ce seuil, et, d’autre part, une capacité générale du mineur, consistant
cette fois à présumer son discernement au-delà du seuil ainsi retenu1429. Au final, le mineur
pourrait être écarté de toute poursuite pénale ou, à l’inverse, être déclaré pénalement
responsable indépendamment de la réalité de sa maturité psychique. Cette dernière ne
s’accommode pas nécessairement du mécanisme des présomptions qui consiste à poser des
règles générales qui seront nécessairement fausses dans certains cas. Dans le cas d’espèce,
l’âge de minorité pénale serait déterminé en fonction d’un développement moyen ou habituel
de l’individu1430. Au choix du critère abstrait de l’âge et donc d’un système de responsabilité
reposant sur une présomption de discernement, le législateur a préféré une appréciation
effectuée par le juge au cas par cas. Cette option donne force au concept d’imputabilité en
faisant du discernement une notion dynamique dont on vérifie l’existence dans chaque cas
d’espèce. Cela étant, si l’on consulte les prescriptions supranationales en la matière comme
les divers projets de réforme à ce jour avortés en droit interne, on s’aperçoit assez vite que la
probabilité d’une évolution vers la fixation d’un âge légal d’imputabilité existe, cette dernière
étant de nature à affaiblir la condition de discernement.

2. Le risque de la fixation d’un seuil de minorité pénale comme facteur


d’affaiblissement du concept d’imputabilité
La question de la fixation d’un seuil de minorité pénale – d’un âge légal d’imputabilité pénale,
pourrait-on écrire – est récurrente lorsqu’il est question de réformer l’ordonnance du

1428. Cette dernière étant censée débuter à l’âge de la majorité. L’imputabilité est donc une notion plus forte en
droit pénal des mineurs qu’en droit pénal des majeurs.
1429. Pour une interprétation concordante des conséquences de la fixation d’un âge minimal de responsabilité
pénale, cf. les préconisations du Comité des droits de l’enfant lors de sa session de février de 2007 (Comité
des droits de l’enfant, 44e session, Genève, 15 janv.-2 févr. 2007, observation générale no 10, 2007 ; « Les
droits de l’enfant dans le système de justice pour mineurs », CRC/C/GC/10, 25 avr. 2007,
http://www2.ohchr.org). Il en résulte que « les enfants qui commettent une infraction à un âge inférieur
au minimum ne peuvent être tenus pénalement responsables. Même de (très) jeunes enfants ayant
toutefois la capacité d’enfreindre la loi pénale, s’ils commettent une infraction alors qu’ils ont moins que
l’âge minimum de la responsabilité pénale il existe la présomption irréfragable selon laquelle ils ne peuvent
faire l’objet de poursuites et être tenus pénalement responsables dans le cadre d’une procédure. Des
mesures spéciales de protection peuvent au besoin être prises en faveur de ces enfants dans le souci de
leur intérêt supérieur ; les enfants qui ont l’âge minimum de la responsabilité pénale ou l’ont dépassé
quand ils commettent une infraction (ou un manquement à la loi pénale), mais ont moins de 18 ans […]
peuvent être officiellement inculpés et faire l’objet de poursuites pénales, mais ces poursuites, y compris
leur aboutissement, doivent être pleinement conformes aux principes et dispositions de la Convention
tels que précisés dans la présente observation générale » (ibid.).
1430. En ce sens, R. GARRAUD, Précis de droit criminel, Paris, Larose et Forcel, 5e éd., 1895, no 115. L’auteur
distinguait « trois périodes de la vie humaine » : « Pendant la première, il est certain que l’enfant n’est que
l’agent inconscient des actes qu’il accomplit : ces actes ne lui sont donc pas imputables. Pendant la
seconde, le discernement de l’enfant ou de l’adolescent est douteux ; le délit qu’il commet lui est-il
imputable ? C’est une question à examiner et à résoudre dans chaque espèce. Pendant la troisième, on sait
que l’homme a acquis un discernement suffisant pour se rendre compte de la portée de ses actes ; le délit
qu’il commet lui est donc imputable, à moins qu’il ne prouve l’existence, au moment où il l’accomplissait,
d’une circonstance accidentelle qui lui ôtait le discernement. Mais il est difficile, impossible même de fixer
d’une manière absolue, la limite précise qui sépare ces périodes. » (Ibid.)

304
2 février 1945. Si l’on observe que la majorité des pays européens ont déjà fixé un tel
« plancher » de responsabilité pénale, la probabilité est grande que le législateur français y
succombe aussi (2.1). L’ampleur de l’atteinte portée à l’imputabilité qui pourrait en résulter
sera fonction du seuil de minorité pénale retenu (2.2).

2.1 La probabilité de la fixation d’un seuil de minorité pénale

Les prescriptions supranationales comme les droits étrangers convergent vers la fixation d’un
âge minimal de responsabilité pénale. On pense immédiatement à deux recommandations
internationales régulièrement mises en avant qui, respectivement, de manière très claire ou
plus indirecte, supposent d’opter pour un âge de minorité pénale. En premier lieu, on peut
citer la Convention internationale des droits de l’enfant du 20 novembre 1989 entrée en
vigueur le 2 septembre 1990. Dans son article 40-3-a, elle stipule que « les États parties s’efforcent
[…] d’établir un âge minimal au-dessous duquel les enfants seront présumés n’avoir pas la capacité
d’enfreindre la loi pénale ». Viennent ensuite les règles de Beijing concernant l’administration de
la justice pour mineurs1431 adoptées le 29 novembre 1985 qui, dans leur article 4-1, indiquent
que le seuil de minorité pénale « ne doit pas être fixé trop bas eu égard aux problèmes de
maturité affective, psychologique et intellectuelle du mineur ». La plupart des pays européens
ont déjà fixé un seuil de minorité pénale. La fixation d’un âge de responsabilité pénale répond
aussi au souhait d’une partie de la doctrine en droit interne. L’un des arguments juridiques
pourrait résider dans la lettre même de l’article 122-8 du Code pénal qui, en ne faisant pas
référence à l’état psychique du mineur « au moment des faits », pourrait laissait penser que la
question du discernement du mineur procède, à l’instar des majeurs, de l’ordre d’une capacité
générale. Autrement dit, l’article 122-8 du Code pénal ouvrirait la voie à l’établissement d’une
présomption de discernement du mineur à compter de l’obtention d’un âge spécifique. En
outre, différents projets de réforme du droit pénal des mineurs s’étaient prononcés en faveur
de la fixation d’un âge légal d’imputabilité pénale1432. Dans l’hypothèse où l’un de ces projets
reviendrait d’actualité, la question majeure qui animerait les débats serait celle du choix du
seuil à retenir.

2.2 La question du choix du seuil de minorité pénale

Le choix du seuil de minorité pénale et conception unitaire ou duelle de


l’imputabilité
Plusieurs options sont possibles : une option basse que l’on pourrait situer en dessous de
l’âge de 12 ans, une option médiane autour de 12-13-14 ans et une option haute qui serait
supérieure à 14 ans. Il ne paraît pas permis de pouvoir se tourner vers les solutions des droits
étrangers pour trouver quelque éclairage pertinent, dans la mesure où l’harmonie est loin de

1431. Intitulées précisément « Ensemble de règles minima des Nations Unies concernant l’administration de la
justice pour mineurs ».
1432. La commission Varinard, cf. supra ; cf. également l’avant-projet de loi daté du 30 mars 2009 dénommé
« Code de la justice pénale des mineurs ».

305
régner1433. Les solutions déjà très disparates sont en outre « trop imprégnées de cultures
juridiques nationales pour pouvoir être importées »1434. Si le seuil de minorité pénale est très
variable1435, c’est aussi que la fixation d’un âge légal d’imputabilité renvoie à un dilemme en
raison de la marge d’incertitude relative à l’épanouissement du discernement. Comme le
relève Christine Lazerges, « on se trompe toujours en fixant un seuil d’âge »1436. Mais avant
d’aller plus avant, ne faut-il pas se demander si les distorsions entre les législations des pays
d’Europe ne renvoient pas aussi à la question de l’acception unitaire ou duelle de
l’imputabilité ? De quel discernement est-il question pour fixer un seuil de minorité pénale ?
Doit-on se référer à l’âge réel du discernement ? Celui que l’on nomme « l’âge de raison » et
qui se situerait autour de la date anniversaire des fameux 7 ans ? La psychologie enfantine
enseigne en effet qu’avant l’âge de 7 ans, l’enfant, d’une manière générale, ne réalise pas la
signification et la portée de ses actes. Doit-on se référer à l’âge de l’aptitude à profiter de la
sanction ? Il résulte aussi des enseignements de la psychologie enfantine que ce n’est guère
qu’entre 11 et 12 ans que l’enfant acquiert un système de pensée comparable à celui de
l’adulte. Au final, le discernement s’épanouit donc entre 7 et 12 ans. Cette fourchette de cinq
années laisse une place à l’émergence du concept de capacité pénale. En d’autres termes, il
est permis de penser que la grandeur de la marge d’incertitude, à l’instar des solutions
disparates des droits étrangers, renvoie in fine à la problématique de la conception unitaire ou
duelle de l’imputabilité. En ce sens, il a déjà été établi que l’existence de seuils de
responsabilité constituait une manifestation concrète de l’imputabilité comprise comme
capacité pénale.

Au vu du développement qui précède, on peut donc avancer que l’âge retenu pour fixer la
minorité pénale est de nature à conditionner l’appréhension du concept l’imputabilité. Ainsi,
alors que la fixation d’un seuil bas de minorité pénale ouvrirait la voie à une acception duelle
de l’imputabilité, il faudrait considérer que le choix d’un seuil tardif serait significatif d’une
conception unitaire, d’une confusion des notions d’imputabilité et capacité pénale en une
entité notionnelle unique. En droit positif, la responsabilité pénale d’un mineur délinquant
peut être engagée autour de l’âge réel du discernement et une peine ne peut être prononcée
qu’à compter de l’âge de 13 ans. Cette dissociation entre l’âge de l’aptitude à la responsabilité
pénale et celui de l’aptitude pénitentiaire permet de souligner l’acception duelle de
l’imputabilité en droit interne1437. La question peut se poser de savoir si, dans l’hypothèse où
le législateur fixerait un âge de minorité pénale, cette appréhension de l’imputabilité serait
maintenue. Tout dépend de la hauteur du seuil retenu, étant précisé qu’il se dégage en
doctrine un consensus autour d’un âge d’imputabilité médian.

1433. Pour une illustration de la diversité des solutions dans les droits européens : l’Italie et l’Allemagne ont fixé
la minorité pénale à 14 ans tandis que la Pologne a opté pour l’âge de 17 ans, les Pays-Bas pour l’âge de
12 ans, la Grande-Bretagne, 10 ans, le Portugal et la Lituanie, 16 ans et enfin la Grèce et la Suisse, 7 ans.
1434. X. PIN, « Les âges du mineur : réflexions sur l’imputabilité et la capacité pénale du mineur », Gaz. Pal.,
2012, no 194, p. 5.
1435. Il est notable qu’en Europe, les distorsions entre les différentes législations concernent essentiellement
l’entrée dans le droit pénal des mineurs. L’âge de la majorité pénale, ce dernier déclenchant l’application
du droit commun, est majoritairement établi à 18 ans, par un alignement sur l’âge de la majorité civile.
1436. C. LAZERGES, « Seuils d’âge et responsabilité pénale en Europe », op. cit., p. 420.
1437. Il aurait aussi été permis, afin d’illustrer cette dissociation, de prendre pour exemple l’âge de 10 ans, ce
dernier correspondant au seuil à compter duquel des sanctions éducatives peuvent être prononcées à
l’encontre d’un mineur délinquant.

306
Le seuil de minorité pénale « souhaitable » – l’absence de seuil ou le statu quo
En faveur de l’option basse, on peut avancer la réalité sociologique de la délinquance juvénile
couplée à un certain populisme1438. Le rajeunissement de la délinquance des mineurs est en
effet indéniable1439. Un argument plus juridique réside dans la possibilité, retenue par la loi
du 9 septembre 2002, de prononcer des sanctions éducatives à l’encontre d’un mineur âgé
de plus de 10 ans. Il est donc déjà permis de sanctionner pénalement un mineur à compter
de cet âge. En outre, il a été préalablement démontré que, par certains aspects, ces sanctions
pénales s’apparentaient en réalité à des peines. Le seuil des sanctions éducatives trouve aussi
un écho dans les seuils bas fixés dans certains pays européens ainsi qu’une légitimation dans
leur validation par la Cour européenne des droits de l’homme. Si la Convention européenne
de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ne contient aucune
disposition spécifique au droit pénal de l’enfance, la juridiction européenne a néanmoins
validé le seuil de 10 ans à l’occasion du célèbre arrêt T. et V. c/ Royaume-Uni1440. Cette affaire
médiatisée mettait en cause deux enfants de 10 ans pour l’enlèvement et le meurtre d’un
enfant de 2 ans. La question se posait de savoir si une procédure pénale subie par deux
enfants de cet âge pouvait constituer un traitement inhumain et dégradant au regard de
l’article 3 de la Convention. La Cour européenne répond par la négative en considérant que
« même si l’Angleterre et le pays de Galles figurent parmi les quelques ordres juridiques
européens où l’âge de la responsabilité pénale demeure bas, on ne saurait considérer que le
seuil adopté, dix ans, est bas au point d’être disproportionné par rapport à celui retenu par
d’autres états européens »1441.

Cette position combinée à l’état du droit positif n’est pas de nature à laisser augurer la fixation
d’un seuil relevé de minorité pénale1442. Comme cela a été évoqué plus haut, le choix en faveur
d’une option haute procèderait d’une confusion des deux acceptions de l’imputabilité en une
seule entité1443. Or, notre droit pénal n’ignore pas le concept de capacité pénale, comme en
atteste l’existence de seuils de responsabilité en droit interne. En outre, en considération du
contexte ambiant de stigmatisation de la délinquance juvénile, érigée par ailleurs en enjeu
récurrent des campagnes électorales, la probabilité est plus grande de voir le législateur de
demain s’orienter vers la fixation d’un âge légal d’imputabilité pénale relativement bas.

1438. Ce dernier étant particulièrement prégnant en périodes électorales. En général, il se double de la promesse
d’un abaissement de l’âge de la majorité pénale. Cette proposition à visée populiste, puisqu’il est déjà
permis en application du droit positif de punir un mineur de plus de 16 ans comme un majeur, paraît en
outre inadaptée « à la puérilité grandissante de certains jeunes » (X. PIN, « Les âges du mineur : réflexions
sur l’imputabilité et la capacité pénale du mineur », op. cit., no 194, p. 5).
1439. Xavier Pin relève « qu’on observe un bon quantitatif important au-delà de 12 ans c’est-à-dire l’âge d’entrée
au collège » (loc. cit.).
1440. CEDH, Gr. Ch., 16 déc. 1999, T. et V. c/ Royaume Uni, req. nos 24724/94 et 24888/94.
1441. Il est logique que l’entrée dans le droit pénal des mineurs corresponde à l’âge à compter duquel les mineurs
peuvent être poursuivis pénalement.
1442. Il importe cependant de relever un arrêt rendu par la chambre criminelle le 8 juin 2017, à l’occasion duquel
elle a implicitement approuvé la cour d’appel de ne pas avoir engagé la responsabilité pénale d’un mineur
âgé de 10 ans, faut pour celui-ci d’avoir été doté de discernement au moment des faits (cf. cass. crim., 8
juin 2017, no 16-83.345, à paraître au bulletin). En l’espèce, le mineur avait été relaxé du chef d’agression
sexuelle aggravée sur le fondement de l’article 122-8 du Code pénal pour des faits au moment desquels il
était âgé de 10 ans.
1443. Cf. supra.

307
Cependant, plusieurs arguments permettent de plaider en faveur d’une option médiane. L’âge
de 12 ans pourrait-il s’entendre d’une telle option ? Cette proposition ne semble pas
particulièrement répressive dans la mesure où, d’une part, elle permettrait de sortir du champ
pénal les mineurs de 12 ans1444 et, d’autre part, elle laisserait la voie ouverte au dédoublement
de l’imputabilité. Le rapport Varinard, par exemple, proposait de fixer à 12 ans l’âge de la
responsabilité pénale et à 14 ans celui de l’aptitude pénitentiaire. Cette proposition était même
susceptible de présenter un deuxième progrès par rapport au droit positif, puisque le seuil de
14 ans permettait de reculer l’incarcération des jeunes enfants en décalant d’une année le seuil
de la peine privative de liberté. En réalité, si le dispositif prévu était plus doux, il était aussi
plus sévère, le rapport prévoyant l’existence d’une exception de nature à atténuer cette
dernière avancée. En l’occurrence, si les mineurs de 13 ou 14 ans devaient échapper
totalement à l’emprisonnement en matière correctionnelle, le rapport se révélait plus sévère
en matière criminelle, en prévoyant l’incarcération à partir de 12 ans, et non plus 13, dans les
cas où elle paraîtrait indispensable. Le défaut de coïncidence entre le seuil de l’imputabilité et
celui de l’aptitude pénitentiaire peut donc n’être généreux qu’en apparence même si, en
l’espèce, il importe de préciser « que les mineurs auteurs de délits sont incomparablement plus
nombreux que les mineurs auteurs de crimes »1445. Ce constat conduit à donc relativiser la
portée de l’exception qu’il était prévu d’apporter en matière criminelle. Quid du seuil de
13 ans ? En faveur d’un tel seuil, on peut faire valoir qu’il serait logique et cohérent au regard
de certaines dispositions civiles. En effet, c’est l’âge de 13 ans qui est retenu pour l’autorisation
du mineur en droit civil, qu’il s’agisse par exemple d’opérer un changement de son prénom1446
ou de son nom1447 ou de consentir à sa propre adoption1448. Cependant, en matière pénale, en
signifiant l’absence de réponse pénale jusque-là, le seuil de 13 ans entraînerait concrètement,
par rapport au droit positif, un recul de la réponse pénale de cinq à six ans. C’est précisément
la raison pour laquelle la commission Varinard a exclu de retenir un tel seuil. Selon les termes
mêmes du rapport, elle « a fortement débattu de l’hypothèse de fixer l’âge de la responsabilité
pénale à 13 ans. Pour autant la majorité de ses membres a estimé ce choix peu opportun
puisqu’il constituerait un recul de la réponse pénale alors même qu’il est communément admis
que la délinquance des plus jeunes augmente et qu’une réponse pénale précoce et adaptée est
un gage de prévention de la réitération ». C’est que, comme le relève Carmen Montoir, « la
fixation d’un âge de minorité pénale pose un autre problème : très prosaïquement, quelle prise
en charge prévoit-on pour les mineurs qui enfreignent la loi pénale mais qui n’ont pas encore
atteint cet âge minimal ? De quelles procédures relèvent-ils ? »1449

Dans le prolongement, la commission Varinard, en préconisant de fixer l’âge de minorité


pénale à 12 ans, excluait donc « qu’aucune solution ne soit envisagée pour les hypothèses

1444. Concrètement, cela permettrait de reculer l’âge actuel de la responsabilité pénale d’environ 7 ans à l’âge de
12 ans.
1445. Cf. P. BONFILS, « Présentation des préconisations de la commission Varinard », op. cit., p. 9. Pour
information, la délinquance criminelle des mineurs « représente moins d’une dizaine de cas par an »
(loc. cit.).
1446. C. civ. art. 60, al. 2.
1447. On distingue alors deux hypothèses, selon que le changement de nom est consécutif (C. civ., art. 311-23,
al. 4 et art. 363, al. 2) ou non (C. civ., art. 61-3, al. 1er) à l’établissement ou à la modification d’un lien de
filiation.
1448. Cf. C. civ. art. 345, al. 3 en cas d’adoption plénière et C. civ., art. 360, al. 4 en cas d’adoption simple.
1449. Cf. C. MONTOIR, op. cit., no 196, p. 121.

308
dans lesquelles les faits d’une certaine gravité peuvent être attribués à ces enfants »1450.
L’entrée tardive dans la sphère pénale, en renvoyant à la question de la prise en charge des
mineurs qui enfreignent la loi pénale sans avoir atteint l’âge de la minorité pénale, questionne
logiquement l’adaptation des procédures applicables et, en l’occurrence, la pertinence de
l’assistance éducative de l’article 375 du Code civil, à ces jeunes mineurs délinquants1451.
Comme le note Carmen Montoir, « cette question est d’autant plus importante que l’âge
minimal ne devant pas être fixé trop bas, le nombre de mineurs concernés par cette prise en
charge subsidiaire ne sera pas négligeable »1452.

Cela étant, bien que l’état des connaissances psychologiques, éducatives et sociales sur les
aptitudes des enfants à comprendre le sens et la portée de leurs actes invite à retenir un âge
de minorité pénale fixé à 13 ou 14 ans, il est peu vraisemblable, au regard du contexte
ambiant, qu’un tel seuil soit retenu. En outre, il serait de nature à générer une confusion entre
les deux facettes de l’imputabilité, contrairement à la fixation d’un âge légal de minorité
pénale relativement bas. Or, l’intérêt d’un dédoublement de l’imputabilité permet d’éviter
l’écueil de l’absence de réponse pénale, « le risque de vide »1453, tout en choisissant un âge
adapté à la sanction pénale. La coïncidence de l’imputabilité dans son acception classique et
de l’imputabilité comme capacité pénale pourrait conduire à des solutions trop laxistes ou
trop répressives selon l’âge de l’imputabilité retenu. Particulièrement, l’acception duelle de
l’imputabilité préserve d’une répression disproportionnée nonobstant la fixation d’un seuil
bas de minorité pénale1454.
Finalement, la question peut se poser de savoir s’il est vraiment nécessaire et opportun de
fixer un âge de responsabilité pénale. Non seulement le droit pénal des mineurs consacre une
acception duelle de l’imputabilité, mais encore, la fixation d’un seuil emporterait « trop de
rigidité, lorsque l’enjeu est l’accession à la responsabilité pénale »1455. En attestent les
conséquences de la fixation d’un seuil de responsabilité pénale sur le concept l’imputabilité.
Il importe cependant de préciser que les conséquences ne sont pas loin d’être opposées selon
que l’on considère l’imputabilité dans son acception classique et l’imputabilité comprise
comme capacité pénale.

Les conséquences opposées de la fixation d’un seuil de responsabilité pénale sur les
acceptions duelles de l’imputabilité
Elles sont négatives si l’on considère l’imputabilité dans son acception traditionnelle,
puisqu’elle serait alors présumée au-delà de l’âge retenu pour la minorité pénale, à l’instar du

1450. Cf. rapport Varinard, proposition no 8 et suiv.


1451. La commission Varinard avait préconisé que soient mis en place des placements spécifiques et contenants
pour les mineurs de moins de 12 ans impliqués dans les faits les plus graves (loc. cit.).
1452. Cf. C. MONTOIR, op. cit., no 199, p. 122. L’auteur vise une prise en charge « au titre d’une procédure civile
ou administrative particulière, ad hoc » (loc. cit.).
1453. Ibid., p. 196, p. 121. Surtout si l’on considère l’inadaptation du droit civil, plus particulièrement du droit de
l’assistance éducative, à la réalité de la délinquance juvénile.
1454. Dans le même sens, et afin de protéger les majeurs au discernement altéré d’une répression trop sévère, la
loi Taubira du 15 août 2014 est venue consacrer le dédoublement de l’imputabilité en droit pénal des
majeurs en décidant de la réduction de la peine privative de liberté encourue en cas d’altération du
discernement au moment des faits (cf. infra).
1455. Cf. C. MONTOIR, op. cit., no 199, p. 122. L’auteur vise une prise en charge « au titre d’une procédure civile
ou administrative particulière, ad hoc » (ibid., no 201, p. 124). Avec le risque d’engager la responsabilité
pénale d’un mineur non discernant.

309
droit pénal des majeurs, alors même qu’elle doit être aujourd’hui positivement établie quel
que soit l’âge du mineur. Autrement dit, non seulement, comme le note Philippe Bonfils, « la
visibilité du discernement serait réduite »1456, mais le risque d’erreur dans l’appréhension de
la réalité du discernement du mineur serait également inhérent au mécanisme de la
présomption de discernement. Les répercussions de la fixation d’un âge légal d’imputabilité
seraient plus positives si l’on considère l’imputabilité comme capacité, dans la mesure où les
mineurs situés en-deçà de ce seuil sortent de la sphère pénale, alors qu’en droit positif, un
mineur doté de discernement, dont on situe l’acquisition autour de l’âge de 7 ans, est
responsable pénalement et peut donc se voir infliger des mesures éducatives dès cet âge
charnière, ainsi que des sanctions éducatives dès l’âge de 10 ans et des peines à partir de l’âge
de 13 ans. Les autres conséquences sur l’imputabilité comprise comme capacité pénale
dépendront des seuils de responsabilité pénale retenus en pratique.

Ainsi, que l’on considère le droit pénal des majeurs ou le droit pénal des mineurs,
l’imputabilité est en danger. En droit pénal des majeurs, les aliénés peuvent se voir infliger
des mesures de sûreté limitativement énumérées s’apparentant à des peines. Dans ces
hypothèses, c’est l’imputabilité en tant que fondement de la répression qui est sacrifiée. En
droit pénal des mineurs, si les deux acceptions de l’imputabilité sortent globalement assez
préservées du droit positif applicable à la minorité pénale, un peu de droit prospectif laisse
présager une évolution en sens contraire. Un signe annonciateur réside dans l’accentuation
du caractère répressif des mesures éducatives pouvant être imposées au mineur délinquant,
cette dernière résultant du cumul possible d’une mesure éducative et d’une peine, ou de la
proposition de réunir les mesures et sanctions éducatives sous le terme de « sanction
éducative ». Or, les mesures éducatives s’apparentent à des mesures de sûreté. Nous allons
établir que la pénalisation des mesures éducatives s’inscrit dans le cadre d’un phénomène
plus général de convergence des peines et mesures de sûreté. Il se trouve que la convergence
contemporaine des peines et des mesures de sûreté, en dépassant les seuls cadres de la
maladie mentale et de la minorité, et au-delà du seul droit interne, vient attiser la mise en
danger de l’imputabilité.

Section 2 – Le risque d’une éviction de l’imputabilité attisé par le


phénomène contemporain de convergence des peines et mesures de sûreté
On pourrait penser que le phénomène général de convergence des peines et des mesures de
sûreté, dont la réalité peut être établie, est a priori de nature à exacerber le risque d’une éviction
de l’imputabilité (§ 1). Celui-ci pourrait cependant être exploité, à l’opposé, de manière à
conforter les droits et garanties des justiciables. Il suffirait de l’analyser comme catalysant la
réunion des peines et mesures de sûreté en une catégorie unique de sanctions pénales, avec
l’imputabilité pour fondement (§ 2).

1456. P. BONFILS, « Présentation des préconisations de la commission Varinard », op. cit., p. 9.

310
§ 1 - L’artifice de la dualité de qualifications formelles

Le caractère artificiel de la dualité des qualifications formelles de « peines » et de « mesures


de sûreté » résulte de la convergence de ces réponses pénales tant en droit interne (A.) qu’en
droit européen (B.).

A. Les interactions du droit interne

En droit interne, les interactions s’opèrent d’un point de vue subjectif et objectif. La
convergence subjective signifie que les peines et les mesures de sûreté sont ressenties de la
même manière par le délinquant : psychologiquement, les délinquants ne font guère la
différence. En ce sens, il a été dit lors des travaux préparatoires du Code pénal que,
« désormais, toutes les sanctions pénales seront sans distinction des peines ; elles sont
d’ailleurs ressenties comme telles par le condamné »1457. Par exemple, les peines
complémentaires, en raison de leur finalité essentiellement préventive, s’apparentent
majoritairement à des mesures de sûreté, alors que nombre de mesures de sûreté – dont la
rétention de sûreté constitue l’exemple le plus pertinent – relèvent du domaine des peines.
Des éléments de convergence objective peuvent également être observés concernant les traits
essentiels des peines et mesures de sûreté ainsi que leur régime juridique.

1. La convergence des traits essentiels des peines et mesures de sûreté


Les interactions réciproques s’opèrent tout à la fois sur le terrain de la nature intrinsèque de
la mesure (1.1) que de leurs objectifs (1.2).

1.1 La convergence de la nature intrinsèque

Le brouillage des frontières entre peines et mesures de sûreté procède tout d’abord d’un
rapprochement dans leur nature intrinsèque. D’un côté, il est permis de relever la particulière
gravité de certaines mesures de sûreté qui, à l’instar de la rétention de sûreté, offrent la
possibilité d’un enfermement perpétuel. Pour cette raison, le Conseil constitutionnel, saisi de
la constitutionnalité de la mesure, a qualifié cette nouvelle institution de « peine-mesure »1458,

1457. JO Sénat, doc. parl. 1985-1986, no 300, p. 7. Alors même que, nonobstant le choix d’une qualification
unique, le Code pénal de 1994 connaissait à la fois des peines et des mesures de sûreté (cf. infra, le
développement consacré « L’exclusion d’une triple voie confirmant la voie d’une catégorie unique de
sanctions pénales »).
1458. Cf. Cons. const., 21 févr. 2008, no 2008-562 DC, AJDA 2008, p. 714 ; D., 2008, p. 1359, chron.
Y. MAYAUD ; ibid., p. 2025, obs. V. BERNAUD et L. GAY ; ibid., 2009, p. 123, obs.
G. ROUJOU DE BOUBEE, T. GARE et S. MIRABAIL ; Constitutions 2010, p. 235, obs. M. DISANT ; RSC
2008, p. 731, note C. LAZERGES ; ibid., 2009, p. 166, obs. B. DE LAMY. Il est permis de noter que si le
Conseil constitutionnel n’a pas formellement qualifié la rétention de sûreté de peine ce n’est pas en
considération de la gravité de la mesure, qui en l’occurrence aurait été insuffisante, mais en application
d’un critère formel. La Haute Juridiction fait valoir que « la décision de la cour [d’assises] ne consiste pas
à prononcer cette mesure, mais à la rendre possible dans le cas où, à l’issue de la peine, les autres conditions
seraient réunies ». En effet, seule la juridiction régionale de la rétention de sûreté est compétente pour
prononcer la rétention de sûreté, en se fondant non pas sur la culpabilité de la personne mais sur sa
dangerosité. La cohérence de la décision du Conseil peut cependant être éprouvée lorsque la Haute
Juridiction n’hésite pas à se fonder sur la gravité de mesure, consistant en l’espèce en « la nature privative

311
et certains auteurs de s’aligner sur cette analyse en considérant que « la rétention de sûreté
est hybride et ambiguë »1459. Si la nature juridique de la rétention de sûreté reste incertaine en
droit interne, la Cour européenne a jugé que l’institution allemande jumelle de la détention
de sûreté était une peine1460. D’un autre côté, et à l’opposé, le législateur a développé des
peines de substitution à l’emprisonnement dont la contrainte pénale pourrait, aux yeux d’une
partie de l’opinion, constituer l’égérie du laxisme contemporain en la matière1461.

1.2 La convergence des objectifs

Si l’on se réfère à la décision du Conseil constitutionnel du 20 janvier 19941462, la peine est


« conçue non seulement pour protéger la société et assurer la punition du condamné, mais
aussi pour favoriser l’amendement de celui-ci et permettre son éventuelle réinsertion ».
Quant aux mesures de sûreté, elles tendent en principe à faire cesser une situation dangereuse
indépendamment de toute idée de faute ; elles consistent en une mesure de protection sociale
destinée à prévenir la récidive ou à neutraliser un état dangereux et dépourvue de tout objectif
rétributif ou expiatoire1463. Les lignes ont quelque peu bougé. Qu’il s’agisse des peines ou des
mesures de sûreté, nous allons d’abord établir que la réflexion selon laquelle, « toutes deux
se réclament désormais de la même pensée directrice : éviter la récidive et, pour y parvenir,
donnent la prépondérance aux mêmes moyens »1464, se trouve plus que jamais vérifiée.

En opérant un subtil distinguo entre les objectifs et les fonctions de la peine, le nouvel
article 130-1 du Code pénal, tel que créé par la loi no 2014-896 du 15 août 2014, souligne
avec une acuité particulière l’importance, pour ne pas écrire la prépondérance,
contemporaine de l’assignation de cet objectif de prévention de la récidive aux peines.
L’article 130-1 du Code pénal, qui fait office d’article préliminaire du titre III, intitulé « Des
peines », du livre premier du Code pénal, dissocie les objectifs des fonctions de la peine fixée
par la juridiction de jugement en reprenant l’ancien article 132-24, alinéa 2 et en procédant à
quelques modifications structurelles de ce dernier. Comme nous l’avons vu précédemment,
Jacques-Henri Robert considère que « le nouvel article 130-1 du Code pénal […] constitue
un déménagement et un aménagement grammatical de son ancien article 132-24,

de liberté, la durée de cette privation, son caractère renouvelable sans limite », pour faire échec à son
application rétroactive. La gravité de la mesure étant établie, pourquoi occulter cette dernière au moment
de se prononcer sur la nature juridique de la rétention de sûreté ? Il semble que ce paradoxe puisse être
reproché au Conseil constitutionnel. Cette critique se confirme lorsque l’on considère la motivation de
l’arrêt M. c/ Allemagne du 17 décembre 2009 dans lequel la Cour européenne souligne que la mesure de
détention de sûreté avait été ordonnée après une condamnation et qu’elle visait davantage un but punitif
que préventif. Elle relève par ailleurs sa durée illimitée et l’absence de soins spécialisés pour réduire la
dangerosité de la personne concernée (cf. infra pour le défaut de soins dans le centre socio-médico-
judiciaire de sûreté).
1459. Cf. M. HERZOG-EVANS, « La loi no 2008-174 du 25 février 2008 ou la mise à mort des “principes
cardinaux” de notre droit », AJ pén., 2008, p. 161.
1460. Cf. supra.
1461. Elle constitue la mesure phare de la loi no 2014-896 du 14 août 2014 relative à l’individualisation des peines
et renforçant l’efficacité des sanctions pénales.
1462. Cf. Cons. const., DC no 93-334, 20 janv. 1994.
1463. Cf. rapport sur la refonte du droit des peines, 18 décembre 2015, http://www.justice.gouv.fr.
1464. R. SCHMELK, « La distinction de la peine et de la mesure de sûreté », in Mélanges Patin, Cujas, 1965, p. 181
et suiv., spéc. p. 189.

312
alinéa 2 »1465. De fait, l’aménagement grammatical repose sur une dissociation, nouvellement
établie, entre les buts et les fonctions de la peine. Qu’il nous soit donné l’occasion de clarifier
deux notions qu’il n’est pas toujours aisé de distinguer. Les fonctions de la peine concernent
« l’effet du châtiment sur chaque condamné en particulier »1466 ; les buts de la peine « sont les
conséquences de la réalisation de ses fonctions et […] bénéficient au corps social tout
entier »1467. Or, ces derniers consistent à « assurer la protection de la société, […] prévenir la
commission de nouvelles infractions et […] restaurer l’équilibre social, dans le respect des
intérêts de la victime ». En isolant les buts des fonctions de la peine, les premiers constituant
l’aboutissement des secondes, le législateur souligne la finalité des peines en termes de
prévention de la récidive.

D’un autre côté, si l’on considère les mesures de sûreté et, en particulier, le placement sous
surveillance électronique mobile, créé par la loi no 2005-1549 du 12 décembre 2005 « à titre
de mesure de sûreté », on s’aperçoit qu’il ne peut être prononcé que s’il « apparaît
indispensable pour prévenir la récidive à compter du jour où la privation de liberté prend
fin »1468. La loi du 12 décembre 2005 a également institué la surveillance judiciaire, technique
ordonnée « à titre de mesure de sûreté et aux seules fins de prévenir une récidive dont le
risque paraît avéré »1469. La mesure de sûreté est donc clairement définie comme le moyen
d’enrayer la récidive d’une personne dangereuse. Le caractère apparemment contradictoire
des impératifs assignés aux fonctions de la peine, particulièrement dans l’ancien
article 132-24 du Code pénal, pouvait s’analyser comme « la consécration de la peine et de la
mesure de sûreté tout à la fois »1470. Cela étant, et afin de satisfaire l’objectif commun de
prévention de la récidive, la « religion du soin »1471 irradie tant les peines que les mesures de
sûreté1472. Force est donc de conclure que les peines et mesures de sûreté poursuivent le
même objectif principal de prévention de la récidive. Ce dernier est sous-tendu par une
convergence des régimes juridiques.

2. La convergence des régimes juridiques


La dualité de qualification formelle a induit une différence de régime juridique entre les peines
et les mesures de sûreté qui a été entérinée par les juridictions suprêmes de l’ordre interne.
La dualité de régime juridique est légitime dès lors que les frontières entre les deux catégories
de mesures sont étanches. Il résulte de la logique pure des mesures de sûreté que leur régime
juridique doit être plus souple que celui des peines. Cette souplesse concerne tant les
conditions présidant au prononcé de la mesure (2.1) que les modalités de son application
dans le temps (2.2).

1465. J.-H. ROBERT, « Réforme pénale. Punir dehors. Commentaire de la loi n o 2014-896 du 15 août 2014 »,
op. cit.
1466. Ibid.
1467. Ibid.
1468. Cf. C. pén., art. 131-36-9 et suiv. ; C. pr. pén., art. 763-10 et suiv.
1469. Cf. C. pr. pén., art. 723-29.
1470. En ce sens également, J. PRADEL, « Nature et application dans le temps des mesures créées par la loi du
25 février 2008 à l’égard des criminels atteints d’un trouble mental », D., 2010, p. 471.
1471. M. HERZOG-EVANS, « La loi no 2008-174 du 25 février 2008 ou la mise à mort des “principes cardinaux”
de notre droit », op. cit., p. 161.
1472. La rétention a pour but de proposer « une prise en charge médicale, sociale et psychologique » (sic).

313
2.1 Les distorsions initiales dans les conditions présidant au prononcé de la mesure

Au rang des conditions présidant au prononcé de la mesure considérée, deux d’entre elles
retiendront notre attention, celles relatives au fondement de la mesure et à la place de la
volonté du délinquant.

La première particularité des mesures de sûreté était inhérente à leur fondement. On a déjà
précisé qu’elles étaient traditionnellement fondées sur le concept autonome de dangerosité.
Une évolution peut être mise en évidence par le prisme de la rétention de sûreté. En effet, si
le placement en rétention de sûreté peut être prononcé, c’est parce que des personnes ont
été antérieurement condamnées pour des infractions. Bien qu’elle soit prononcée par la
juridiction régionale de la rétention de sûreté1473, qui se fonde pour ce faire sur la dangerosité
de la personne, c’est la cour d’assises qui conditionne son prononcé ultérieur. Conformément
à l’article 706-53-13, alinéa 3 du Code de procédure pénale, il faut que la cour d’assises ait
expressément prévu dans sa décision que la personne pourra faire l’objet de la rétention de
sûreté en fin d’exécution de la peine qu’elle prononce. Même si le Conseil constitutionnel,
pour écarter formellement la qualification de peine, retient que la cour d’assises ne prononce
pas véritablement cette mesure, mais se borne « à la rendre possible dans le cas où », il n’en
demeure pas moins que si l’intéressé n’avait pas commis d’infraction, il ne pourrait faire
l’objet d’une telle mesure. Autrement dit, la rétention de sûreté puise aussi son fondement
dans la culpabilité de la personne. Au-delà, le fait que la dangerosité, qui plus est particulière,
ne constitue plus le fondement exclusif au prononcé de certaines mesures de sûreté est très
significatif du phénomène de convergence des peines et mesures de sûreté. Par l’hybridation
de leur fondement, les mesures de sûreté empruntent au régime traditionnel des peines.

De la même manière, la détermination de la peine, tant dans sa nature que dans son quantum,
peut être fondée sur la dangerosité du délinquant. En application du principe
d’individualisation des peines, prévu par l’article 132-1 du Code pénal, la juridiction
détermine la nature, le quantum et le régime des peines prononcées en fonction notamment
de la personnalité de son auteur. Or, au rang des éléments de personnalité figure
potentiellement l’existence d’une dangerosité, d’ordre psychiatrique et/ou criminologique1474,
qui est traditionnellement prise en compte par le biais du prononcé d’une mesure de sûreté.
Il est donc vraisemblable d’envisager le prononcé d’une « mesure de sûreté » dans le cadre
de la réponse judiciaire à la commission d’une infraction. De manière plus particulière, la
prise en compte de la dangerosité dans le choix de la peine, sans apparaître une fois de plus
expressément au sein des textes, peut se déduire de l’institution de la « période de
sûreté » en 19781475. Comme le relève François Rousseau, même « si la loi ne le dit pas
clairement, le choix de la période de sûreté est principalement motivé par la dangerosité du
condamné, dont on veut s’assurer qu’il sera libéré le plus tardivement possible »1476. Cette

1473. C. pr. pén., art. 706-53-13, al. 1er.


1474. Cf. infra, titre 2, chapitre II.
1475. Cette dernière consistant à empêcher pendant une certaine durée tout aménagement de peine.
1476. F. ROUSSEAU, « Dangerosité et sanctions pénales », in Peine, Dangerosité – quelles certitudes ?, Dalloz, 2010,
p. 265 et suiv.

314
hypothèse se trouve vérifiée lorsqu’il est envisagé de mettre fin à une période de sûreté dite
incompressible, car la référence à la dangerosité apparaît alors clairement1477.

Qu’il soit permis de souligner que le principe d’individualisation des peines pourrait ainsi être
invoqué pour justifier la réunion des peines et mesures de sûreté en une seule catégorie de
sanctions pénales1478. De manière générale, dans la jurisprudence constitutionnelle, il
« implique que la peine […] ne puisse être appliquée que si le juge l’a expressément
prononcée, en tenant compte des circonstances propres à chaque espèce »1479. Ces
circonstances sont aujourd’hui énumérées par l’article 132-1 du Code pénal1480. Devant
l’importance de ce principe en droit positif, on peut s’étonner que le Conseil constitutionnel
ne lui ait conféré valeur constitutionnelle que récemment, dans une décision du 22 juillet
2005, en considérant qu’il découlait du principe de nécessité des peines inscrit à l’article 8 de
la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen1481. L’explication semble à rechercher dans
la crainte éprouvée par le Conseil que « le principe de l’individualisation des peines soit un
outil trop destructeur »1482. Elle se trouve vérifiée par le fait que le Conseil constitutionnel est
venu le circonscrire. Le potentiel destructeur tient au fait que dans un contexte où l’idéologie
de la réinsertion prédomine, il pourrait, à l’extrême, conduire à ne déterminer la peine qu’en
fonction de la personnalité de l’auteur de l’infraction en occultant le caractère rétributif de la
responsabilité pénale, faisant, par ricochet, entrave à l’effectivité de la répression. Le Conseil
constitutionnel a alors précisé, d’une part, que le principe d’individualisation des peines ne
suppose pas que « la peine soit exclusivement déterminée en fonction de la personnalité de
l’auteur de l’infraction »1483 et, d’autre part, qu’« il ne saurait toutefois faire obstacle à ce que
le législateur fixe des règles assurant une répression effective des infractions »1484. Les réserves
apportées par le Conseil constitutionnel au principe de l’individualisation des peines
permettent de mesurer l’importance accordée à l’individualisation de la sanction.
Précisément, cette dernière est à l’origine d’un recours indifférencié à la peine ou à la mesure
de sûreté afin de satisfaire cet objectif. Pour cette raison, des auteurs considèrent que « la
réponse judiciaire à la commission d’une infraction est la traduction d’une individualisation
de la peine poussée à l’extrême, tant et si bien que la peine n’est plus la seule sanction

1477. Cf. C. pr. pén., art. 720-4, alinéa 4. Ce dernier prévoit expressément la réalisation d’une expertise de
dangerosité du condamné comme préalable à la levée de la période de sûreté.
1478. Cf. infra pour un développement spécifique sur cette thématique.
1479. Cf., par exemple, Cons. const., 29 sept. 2010, no 2010-40 QPC, JCP 2010, p. 1149, obs. A. LEPAGE et
H. MATSOPOULOU ; Dr. pén., 2010, comm. 122, obs. J.-H. ROBERT ; Gaz. Pal., 2010, p. 19, obs.
M.-C. SORDINO ; Cons. const., 17 mars 2011, no 2011-103 QPC, Constitutions 2011, p. 377, obs.
A. BARILARI ; LPA, 2011, p. 3, obs. N. PERROTIN ; RFDC, 2011, p. 627, obs. É. OLIVA.
1480. Ce qui suppose de tenir compte de la situation matérielle, sociale et familiale, de la personnalité de
l’intéressé ainsi que des circonstances dans lesquelles il a commis l’infraction.
1481. Cons. const., 22 juill. 2005, no 2005-520 DC, RFDC, 2006, p. 165, obs. S. NICOT; Gaz. Pal., 2005, no 215,
p. 6, obs. J.-É SCHOETTL. Pour le Conseil constitutionnel, trois grands principes s’excipent de l’article 8
de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, en vertu duquel « la Loi ne doit établir que des
peines strictement et évidemment nécessaires », le principe de nécessité des peines, le principe de
proportionnalité des peines et le principe d’individualisation des peines.
1482. B. DE LAMY, « Les peines obligatoires et le principe de l’individualisation des peines », RSC, 2011, p. 182.
1483. Cons. const., 9 août 2007, no 2007-554 DC, AJDA 2008, p. 594, note A. JENNEQUIN ; D., 2008, p. 2025,
obs. V. BERNAUD et L. GAY ; RSC, 2008, p. 133 et 136, obs. B. DE LAMY.
1484. Cf., par exemple, Cons. const., 29 sept. 2010, no 2010-40 QPC, JCP 2010, p. 1149, obs. A. LEPAGE et
H. MATSOPOULOU ; Dr. pén., 2010, comm. 122, obs. J.-H. ROBERT ; Gaz. Pal., 2010, p. 19,
obs. M.-C. SORDINO ; Cons. const., 17 mars 2011, no 2011-103 QPC, Constitutions 2011, p. 377, obs.
A. BARILARI ; LPA, 2011, p. 3, obs. N. PERROTIN ; RFDC, 2011, p. 627, obs. É. OLIVA.

315
applicable »1485, avant d’ajouter que « ce dépassement atteint son paroxysme dans la
relativisation de la distinction entre peines et mesures de sûreté »1486. Il faut donc considérer
qu’en droit positif, « la peine et la mesure de sûreté ne sont que des modalités différentes de
la réponse judiciaire à la commission d’une infraction ou aux risques de commission d’une
infraction. Les mesures de sûreté, tout comme les peines principales, accessoires,
complémentaires, ne sont qu’une manière d’individualiser la réponse judiciaire à la
commission d’une infraction »1487. Ainsi, si les mesures de sûreté peuvent emprunter le
fondement des peines, ces dernières peuvent à l’inverse emprunter le fondement des mesures
de sûreté. Il n’y a rien d’étonnant, dès lors, quant à l’hybridation de certaines peines et
mesures de sûreté entre elles. En prenant l’exemple du placement sous surveillance
électronique mobile qui peut être rattaché à une peine, telle qu’un suivi socio-judiciaire1488 ou
une libération conditionnelle1489, Martine Herzog-Evans dénonce d’ailleurs le « goût
immodéré du législateur pour de telles “hybridations” »1490. Cependant, le fait que le
législateur n’hésite pas à recourir à ces hybridations plaide en faveur de la porosité de la
frontière entre peines et mesures de sûreté.

La seconde caractéristique inhérente au prononcé des mesures de sûreté réside dans le fait
que leur application n’est pas soumise à l’accord du délinquant. Traditionnellement, la place
réservée à la volonté du délinquant dans l’octroi d’une mesure, peine ou mesure de sûreté,
n’est pas la même. Par exemple, si l’on raisonne sur les mesures pouvant être prononcées
pendant l’exécution d’une peine privative de liberté, alors que les mesures de sûreté post-
sentencielles s’imposent au condamné, les mesures d’aménagement de peine sont quant à
elles soumises à son accord. L’octroi de ces dernières, à l’instar de la libération conditionnelle,
est même le plus souvent subordonné à la demande du condamné1491. Or, le terrain des
conditions d’octroi de la mesure illustre là encore la confusion contemporaine entre les deux
catégories formelles. Par exemple, l’examen de la pratique judiciaire1492 révèle que la
surveillance judiciaire, formellement qualifiée par le législateur de mesure de sûreté1493, peut
être soumise à l’accord du détenu pour pallier l’impossibilité de prononcer une libération
conditionnelle et ainsi éviter une sortie sèche, source de récidive. Ainsi, alors que la
surveillance judiciaire en tant que mesure de sûreté devrait s’imposer au condamné, elle
recueille souvent en pratique son adhésion1494. D’ailleurs, les contraintes légales entourant le

1485. É. DERLON, F. FOURMENT, C. MENABE et J.-B. THIERRY, « De la peine à la réponse judiciaire à la


commission d’une infraction », in La réforme du Code pénal et du Code de procédure pénale, Opinio doctorum, op. cit.,
p. 286.
1486. Loc. cit.
1487. Ibid., p. 287.
1488. Cf. C. pén., art. 131-36-10.
1489. Cf. C. pr. pén., art. 731-1.
1490. Cf. M. HERZOG-EVANS, « La loi no 2008-174 du 25 février 2008 ou la mise à mort des “principes
cardinaux” de notre droit », op. cit., p. 161.
1491. Cf. C. pr. pén., art. 729 in fine. Cet article se réfère à plusieurs reprises au fait que « la libération
conditionnelle peut être accordée » (cf. not. les al. 3 et 6) alors que certains condamnés « ne peuvent
bénéficier d’une mesure de libération conditionnelle » (cf. not. les al. 3 et 5).
1492. En l’occurrence du tribunal de l’application des peines de La Rochelle.
1493. Cf. infra.
1494. Sur la pratiques des surveillances judiciaires « concertées », cf. C. É. GOMEZ et C. MARIE, « L’évaluation
pluridisciplinaire de la dangerosité », in A. GIUDICELLI (dir.), Le champ de la prévention de la récidive dans sa
dimension multi-partenariale, PUR, Rennes, 2017, p. 85.

316
prononcé d’une mesure d’aménagement de peine étant souvent devenues insurmontables, la
tendance est à l’inversion de la hiérarchie des mesures prononcées à la sortie de prison. Les
mesures de sûreté passent maintenant devant les mesures d’aménagement de peine. À l’aune
de ce constat, nous considérons, à l’instar de Pascale Bruston, que « les catégories juridiques
[…] de la peine, par opposition à la mesure de sûreté, doivent être réévaluées et revisitées au
regard des changements pouvant désormais intervenir après le stade de la condamnation »1495.
Certaines mesures de sûreté post-carcérales s’apparentent donc en réalité à des
aménagements de peine. Si l’on raisonne maintenant sur les réductions de peine et, plus
particulièrement, sur les réductions supplémentaires de peine, il est permis de relever une
décision récente de la Cour de cassation qui, à l’inverse, a décidé que leur octroi n’est pas
subordonné « à la demande du condamné ni même à son acceptation »1496, alors même que
les réductions de peine s’apparentent en substance à une peine1497. En effet, dans sa décision
du 8 juin 2016, la Cour de cassation considère que le consentement du condamné n’a pas sa
place en matière de réduction de peine : pas plus qu’il n’a à en demander l’octroi, il n’a pas le
pouvoir de refuser le bénéfice de réductions1498.

2.2 La convergence des modalités d’application dans le temps

Le principe gouvernant l’application dans le temps des mesures de sûreté


Le principe de leur application immédiate, en procédant de l’essence même de ce type de
mesure, a été logiquement préféré aux principes gouvernant l’application dans le temps des
peines nouvelles. La qualification de « mesure de sûreté » semble en effet imposer une
application rétroactive. Au plan interne, les jurisprudences de la Cour de cassation ou du
Conseil constitutionnel vont en principe en ce sens. C’est ainsi que la Cour de cassation
refusait d’appliquer aux mesures de sûreté le principe de la non-rétroactivité1499 ou de
proportionnalité1500. Le Conseil constitutionnel, pour sa part, a validé la loi du 12 décembre
2005 prévoyant l’application de la surveillance judiciaire à des personnes condamnées pour
des faits commis antérieurement à l’entrée en vigueur de la loi1501.

Si cette jurisprudence n’était pas contestable lorsque la mesure considérée procédait de la


logique intrinsèque originelle des mesures de sûreté, il peut en aller différemment aujourd’hui
en raison du rapprochement substantiel des peines et des mesures de sûreté. En écho au fait
que certaines mesures de sûreté peuvent être ressenties par celui qui les subit comme
d’authentiques peines, leur régime juridique peut aujourd’hui s’avérer plus contraignant que

1495. P. BRUSTON, « La rétention de sûreté est-elle une modalité d’application des peines ? », AJ pén., 2008,
p. 403.
1496. Cf. Cass. crim., 8 juin 2016, no 15-84.205, Bull. crim. no 176, Dr. pén., 2016, comm. 149, obs. É. BONIS-
GARÇON.
1497. Cf. infra, « L’application par la Cour européenne de l’article 7 de la Convention aux mesures affectant la
portée de la peine ».
1498. La solution peut surprendre dans la mesure où, si les réductions de peine constituent en principe un
avantage en ce sens qu’elles viennent écourter la durée de la peine à exécuter, elles peuvent néanmoins
être perçues comme un inconvénient pour les condamnés sous le coup d’une mesure d’éloignement, cette
dernière prenant effet à la fin de la peine.
1499. Cf. Cass. crim., 26 nov. 1997, no 96-83.792 ; Bull. crim., 1997, no 404 ; D., 1998, p. 495.
1500. Cf. Cass. crim., 3 sept. 2008, no 07-88.501, inédit ; Dr. pén., 2009, comm. no 11.
1501. Cf. infra et Cons. const., DC 8 déc. 2005, no 2005-527.

317
celui des peines. En témoigne le fait que la persistance d’une différence de régime juridique
entre les peines et les mesures de sûreté peut conduire à accorder moins de protection à des
individus reconnus pénalement irresponsables qu’à des individus pénalement condamnables.
Comme nous l’avons vu, il a été jugé que les mesures de l’article 706-136 du Code de
procédure pénale étaient d’application immédiate aux procédures en cours. Le bénéfice du
principe de la non-rétroactivité in pejus leur est refusé, alors même qu’elles s’apparentent en
réalité à des peines. Ainsi, on peut se demander si la reconnaissance expresse tardive de la
théorie de la double voie ne procède pas de la volonté d’instrumentaliser la catégorie formelle
des mesures de sûreté et si les délinquants aliénés ne constituent pas les victimes collatérales
de la volonté législative de contourner les principes directeurs de la responsabilité pénale à
des fins tout à la fois populistes et répressives1502. Vraisemblablement alerté par cette dérive,
le Conseil constitutionnel est venu, sans véritablement prendre parti, encadrer cette tendance
en s’opposant au caractère rétroactif de la rétention de sûreté, « eu égard à sa nature privative
de liberté, à la durée de cette privation, à son caractère renouvelable sans limite et au fait
qu’elle est prononcée après une condamnation par une juridiction »1503.

La convergence des régimes juridiques invite donc également à relativiser la distinction entre
peines et mesures de sûreté, qu’il s’agisse du stade du prononcé de la sanction ou de celui de
son exécution. En outre, ce phénomène d’interactions réciproques dépasse le seul cadre du
droit interne pour s’inscrire également dans l’évolution de la jurisprudence de la Cour
européenne sur la nature des mesures adoptées pendant l’exécution de la peine.

B. Le phénomène de convergence découlant du droit européen

Il est possible de procéder à l’assimilation des mesures de sûreté affectant la durée de la


peine privative à des peines sur le fondement de l’arrêt Del Rio Prada rendu le 21 octobre
20131504. Le raisonnement sera établi en deux temps. En premier lieu, il consistera à relever
qu’au regard de la jurisprudence de la Cour européenne, les mesures affectant la portée de
la peine relèvent désormais du domaine de l’article 7 de la Convention constituant le
fondement européen du principe de la légalité des peines (1.). Dans un second temps, il
s’agira d’établir que des mesures relevant formellement de la qualification de mesure de
sûreté, celles-là mêmes dont l’existence prête aujourd’hui à débat, affectent la portée de la

1502. Cf. infra, le développement sur l’ancrage sociologique de l’imputabilité.


1503. Décision no 2008-562 DC du 21 février 2008, considérant no 10. En vertu de l’article 706-53-13 du Code
de procédure pénale, des personnes ne peuvent faire l’objet d’une rétention de sûreté qu’« à la condition
qu’elles aient été condamnées à une peine de réclusion criminelle d’une durée égale ou supérieure à quinze
ans pour les crimes, commis sur une victime mineure, d’assassinat ou de meurtre, de torture ou actes de
barbarie, de viol, d’enlèvement ou de séquestration. Il en est de même pour les crimes, commis sur une
victime majeure, d’assassinat ou de meurtre aggravé, de torture ou actes de barbarie aggravés, de viol
aggravé, d’enlèvement ou de séquestration aggravé, prévus par les articles 221-2, 221-3, 221-4, 222-2,
222-3, 222-4, 222-5, 222-6, 222-24, 222-25, 222-26, 224-2, 224-3 et 224-5-2 du Code pénal ou, lorsqu’ils
sont commis en récidive, de meurtre, de torture ou d’actes de barbarie, de viol, d’enlèvement ou de
séquestration… ». En application de ces dispositions, les premiers placements en rétention de sûreté
n’auraient dû intervenir qu’en 2023, soit quinze années suivant la promulgation de la loi. Or, de 2011 à
2013, déjà quatre personnes avaient fait l’objet d’un tel placement. Cela tient au fait qu’il peut aussi être
consécutif à la violation des obligations imposées dans le cadre d’une surveillance de sûreté (cf. infra).
1504. Cf. CEDH, 21 oct. 2013, no 42750/09, Del Rio Prada c/ Espagne : JurisData no 2013-026185 ; D., 2013,
p. 2775, obs. J. FALXA ; RSC, 2014, p. 174, note D. ROETS.

318
peine. En tant que telles, elles seraient donc susceptibles de relever de l’article 7 de la
Convention et, au-delà, de la qualification de peine (2.).

1. L’application par la Cour européenne de l ’article 7 de la Convention aux


mesures affectant la portée de la peine
En vertu de l’arrêt Del Rio Prada, « les mesures ayant une incidence sur la portée de la
peine » relèvent du domaine de l’article 7 de la Convention. Que faut-il entendre par
« mesure affectant la portée de la peine » ? Il s’agit d’abord logiquement de mesures
postérieures au prononcé de la peine initiale. Or, traditionnellement, les mesures prises après
le prononcé de la peine, c’est-à-dire pendant son exécution, étaient analysées par la Cour
européenne comme des mesures se rattachant exclusivement à l’exécution de la peine et, en
tant que telles, elles échappaient au domaine de l’article 7 de la Convention. La Cour opérait
donc une distinction entre, d’une part, les mesures constituant en substance une peine et,
d’autre part, les mesures relatives à l’exécution ou à l’application de la peine. Ainsi, seules
les premières relevaient de l’article 7 de la Convention.

En l’espèce, la mesure litigieuse, issue de la doctrine Parot1505, instituait un nouveau mode de


calcul des remises de peines conduisant à exclure l’imputation de remises de peines
accordées à la suite du travail effectué en détention1506. La décision de l’Audiencia Nacional
d’appliquer cette doctrine à Mme Inès Del Rio Prada, militante de L’ETA, condamnée
notamment du chef de plusieurs attentats, assassinats, tentatives d’assassinats, avait pour
effet de prolonger sa détention de presque neuf années. Après l’échec d’une multitude de
recours, la requérante se tourna vers la Cour européenne en soutenant que l’application du
revirement jurisprudentiel issu de la doctrine Parot équivalait à l’application rétroactive et
non raisonnablement prévisible d’une peine supplémentaire, contraire à l’article 7 de la
Convention. De la même manière qu’elle juge encore qu’un changement dans le système de
libération conditionnelle ne constitue pas une peine, la Cour européenne considérait
traditionnellement que « lorsque la nature et le but d’une mesure concernent la remise d’une
peine […], cette mesure ne fait pas partie intégrante de la “peine” au sens de l’article 7 »1507.
Elle a cependant initié un revirement de jurisprudence à l’occasion du premier arrêt Del Rio
Prada1508. Toutefois, il était reproché à cette décision d’avoir conclu à l’application de

1505. Jurisprudence du nom d’un autre etarra du Tribunal suprême espagnol du 28 février 2006.
1506. La doctrine Parot indiquait qu’il fallait que les remises soient imputées sur chaque peine prise isolément, le
condamné commençant par exécuter, par ordre décroissant d’importance, la plus longue, remises de peine
déduites, puis il exécutait la deuxième peine de privation de liberté, calculée là aussi en tenant compte des
remises de peine qui y étaient attachées, et ainsi de suite. Il résulte de cette doctrine qu’une personne
condamnée, comme Inès Del Rio Prada, du chef de plusieurs infractions à de très longues peines, ne tirent
plus aucun bénéfice des remises obtenues.
1507. Cf. CEDH, 12 févr. 2008, Gr. Ch., no 21906/04, Kafkaris c/ Chypre : JurisData no 2008/010468. En l’espèce,
une modification législative avait privé le requérant des remises de peine auxquelles il pensait avoir droit,
faisant passer sa détention d’une durée de vingt ans à un emprisonnement à vie. La cour releva que si « le
requérant, condamné à la réclusion à perpétuité, ne peut plus prétendre à une remise de peine […] cette
question se rapporte à l’exécution de la peine non à la « peine » imposée à l’intéressé, laquelle demeure
celle de l’emprisonnement à vie ».
1508. Cf. CEDH, 3e sect., 10 juill. 2012, Del Rio Prada c/ Espagne, no 42750/09 : JurisData no 2012-033725,
AJ pén., 2012, p. 494, obs. M.-H. EVANS ; RSC, 2012, p. 698, obs. D. ROETS.

319
l’article 7 sans avoir au préalable réglé la question de son applicabilité 1509. Ce grief tombe à
la lecture du deuxième arrêt Del Rio Prada rendu le 21 octobre 2013.

Cette fois, la juridiction européenne indique les raisons pour lesquelles l’article 7 de la
Convention a vocation à s’appliquer aux mesures modifiant les modalités d’imputation des
remises de peine. Elle considère que certaines mesures prises après le prononcé de la peine
peuvent en modifier la portée et qu’à ce titre elles doivent relever de l’article 7 de la
Convention. La Cour européenne a jugé que tel était le cas des nouvelles modalités
d’imputation des remises de peine issues de la doctrine Parot puisqu’elles conduisaient à
exclure une personne condamnée du chef de plusieurs infractions à de très longues peines
du bénéfice des remises obtenues. L’application de la doctrine Parot au cas d’espèce avait
donc pour effet de rallonger la durée de la peine privative devant être effectivement subie.
Un changement dans les modalités d’imputation des remises de peine ne saurait plus passer
pour une mesure se rattachant exclusivement à l’exécution de la peine et doit en conséquence
relever de l’article 7 de la Convention. Il semble donc que la Cour opère désormais, au sein
de la catégorie juridique des mesures d’exécution, une subdivision séparant celles qui
affectent la portée de la peine et celles qui ne l’affectent pas.

Afin d’évaluer la portée de cette décision, la question se pose alors de savoir dans quelles
conditions une mesure affecte la portée de la peine. En l’absence de critères clairement
dégagés par la juridiction européenne, il reste à se tourner vers la logique. Il devrait d’abord
en aller ainsi d’une mesure affectant directement la durée de la peine prononcée par la
juridiction de jugement. Ensuite, et en application de la jurisprudence qui précède, il en va
nécessairement d’une mesure qui affecte la durée de la peine privative de liberté devant être
effectivement subie/la durée de la peine à exécuter. La réduction de peine s’entend en effet
de toute mesure qui dispense la personne condamnée à une peine privative de liberté de
l’exécution d’une partie de sa peine, soit en considération de sa bonne conduite, soit en
considération de ses efforts de réinsertion. En outre, depuis la loi no 2004-204 du 9 mars
2004, elles sont accordées par voie de crédit dès la condamnation définitive, de sorte qu’elles
s’imputent automatiquement sur la peine prononcée1510. Au regard de ces éléments, nous
allons tenter d’établir que la jurisprudence Del Rio Prada a vocation à s’appliquer à d’autres
mesures prises pendant l’exécution de la peine et, en l’occurrence, à des mesures de sûreté
ayant une influence sur la portée de la peine.

2. Les mesures relevant formellement de la qualification de mesure de sûreté et


affectant la portée de la peine
Quand on pense aux mesures parées par le législateur de la qualification formelle de mesures
de sûreté et susceptibles d’affecter la portée de la peine, il vient immédiatement à l’esprit,
d’une part la surveillance judiciaire1511, créée par la loi du 12 décembre 2005, qui symbolise le
renouveau des mesures de sûreté et, d’autre part, deux des mesures phares instaurées par la
loi du 25 février 2008 : la rétention de sûreté et la surveillance de sûreté. Formellement

1509. Cf. Dr. pén., 2013, comm. no 179, obs. V. PELTIER.


1510. Elles ne font donc plus l’objet d’une décision du juge de l’application des peines, sauf en cas de retrait.
1511. Cf. C. pr. pén., art. 723-29.

320
qualifiées par le législateur de « mesures de sûreté », elles sont, au côté de la surveillance
judiciaire, emblématiques du renouveau contemporain des mesures de sûreté. S’agissant en
premier lieu de la surveillance judiciaire1512, elle permet au juge de l’application des peines de
contrôler une personne une fois sa peine purgée pendant une durée correspondant aux
réductions de peine dont elle a bénéficié, en lui imposant un certain nombre d’obligations,
dont celles prévues pour le sursis avec mise à l’épreuve. Si la surveillance judiciaire ne peut
en tout état de cause excéder la durée des réductions de peine dont le condamné a bénéficié,
et donc dépasser la durée de la peine prononcée par la juridiction de jugement1513, elle peut
néanmoins impacter la portée de la peine sur le terrain de la durée de la peine privative de
liberté devant être exécutée en milieu fermé. En effet, en cas de non-respect de ses
obligations par le condamné, sa réincarcération peut être décidée pour la durée des réductions
de peine accordées et non déjà révoquées. Autrement dit, la surveillance judiciaire contient
en germe une atteinte à la portée de la peine, en ce sens qu’elle peut venir augmenter la durée
de la peine privative à exécuter.

S’agissant de la rétention de sûreté, elle prévoit, pour l’essentiel, la possibilité, sous certaines
conditions, de maintenir dans des centres fermés et pour une durée indéfiniment
renouvelable, au terme de l’exécution de leur peine, des personnes présentant « une
particulière dangerosité caractérisée par une probabilité très élevée de récidive parce qu’elle
souffre d’un trouble grave de la personnalité »1514. Aucune limite maximale n’ayant été prévue
aux renouvellements des placements en rétention de sûreté, elle peut donc être perpétuelle.
En ce qu’elle contient en germe la potentialité d’un enfermement perpétuel, la rétention de
sûreté constitue à l’évidence une mesure de nature à influer sur « la portée de la peine », qu’il
s’agisse de la peine privative de liberté devant être effectivement exécutée en milieu fermé
ou, au-delà, de la durée de la peine privative de liberté prononcée par la juridiction de
jugement1515. En application des critères de la jurisprudence Del Rio Prada, la rétention de
sûreté devrait donc relever de l’article 7 de la Convention. Au soutien de cette conclusion,
on peut citer le fait que la juridiction européenne en a décidé ainsi à propos d’une institution
voisine : la détention de sûreté du droit allemand1516. Elle a décidé que la mesure de la
détention de sûreté s’apparentait à une peine au sens de l’article 7 de la Convention.
Cependant, ajoutant encore à la confusion en la matière, la Cour européenne, tout en
maintenant la qualification de peine, a récemment décidé de l’application rétroactive de la
prolongation de la détention de sûreté en cas de trouble mental. La légitimité de la solution
tiendrait au caractère curatif de la mesure, donc de la peine1517. Or, sa qualification de peine

1512. Dont la qualification de mesure de sûreté a été confirmée par le Conseil constitutionnel dans sa décision
du 8 décembre 2005 rendue à propos de la loi du 12 décembre 2005 relative au traitement de la récidive
des infractions pénales (cf. Cons. const., 8 déc. 2005, DC no 2005-527).
1513. D’ailleurs, dans sa décision relative à la loi du 12 décembre 2005, le Conseil avait validé la surveillance
judiciaire des personnes dangereuses, précisément parce qu’elle ne durait pas au-delà de la peine
prononcée.
1514. Cf. C. pr. pén., art. 706-53-13.
1515. Il est notable que ce caractère la tire paradoxalement vers la qualification de mesure de sûreté.
1516. Cf. supra.
1517. Cf. CEDH, 7 janv. 2016, no 23279/14, Bergmann c/ Allemagne ; JurisData no 2016-000130 ; Dr. pén., 2016,
comm. 70, V. PELTIER ; AJ pén., 2017, p. 48, obs. C. SAAS, Dr. pén., 2017, chron. « Un an de droit de la
peine », no 33, obs. V. PELTIER. En l’espèce, le requérant avait vu sa détention prolongée au-delà des dix
ans normalement autorisés à l’époque des faits. Il saisit la Cour européenne au motif qu’on lui avait infligé
une peine plus forte. La Cour conclut à l’absence de violation de l’article 7 de la Convention tout en

321
aurait logiquement dû, en application de l’article 7 de la Convention, exclure sa prolongation
rétroactive. Quoi qu’il en soit, plusieurs arguments en faveur de la qualification de
« peine » de la rétention de sûreté peuvent être avancés. Au-delà de la position ambiguë du
Conseil constitutionnel1518, il peut être soulevé que, contrairement aux mesures de sûreté, elle
n’est pas uniquement fonction de la dangerosité de la personne mais également de sa
culpabilité1519.

Quant à la surveillance de sûreté, dont les modalités sont décrites à l’article 706-53-19 du
Code de procédure pénale, elle consiste en une mesure de surveillance en milieu ouvert
susceptible de s’appliquer à une personne présentant une dangerosité persistante avec un
risque élevé de commettre à nouveau l’une des infractions mentionnées à l’article 706-53-13
du code précité. Si l’on adopte comme postulat le fait que le terme « portée » de la peine se
réfère nécessairement à du temps passé en milieu fermé, la surveillance de sûreté n’aurait,
a priori, pas d’influence sur la portée de la peine. Cependant, on pourrait aussi considérer que
l’infliction de mesures de surveillance et de contrôle, quoiqu’exécutées en milieu ouvert, mais
dépassant le seuil temporel de la peine privative de liberté prononcée par la juridiction de
jugement, est de nature à avoir une influence sur la portée de la peine.

Si l’on retient ces deux hypothèses, la surveillance de sûreté est susceptible d’impacter la
portée de la peine de manière directe et indirecte. Ce constat tient aux circonstances présidant
à son prononcé. En premier lieu, en prévoyant qu’elle puisse être prononcée à la suite d’une
rétention de sûreté1520, d’une surveillance judiciaire1521 ou d’une mesure de suivi socio-
judiciaire1522, le législateur en fait une mesure qui influe directement sur la portée de la peine.
Nous avons déjà positivement établi l’incidence de la rétention de sûreté sur la portée de la
peine. On ne peut que souscrire à la même conclusion s’agissant d’une mesure susceptible
de prolonger une mesure de rétention de sûreté. Il peut en être de même pour une mesure
prolongeant une surveillance judiciaire si cette dernière est prononcée « pendant une durée
qui ne peut excéder celle correspondant au crédit de réduction de peine et aux réductions de
peine supplémentaires dont elle a bénéficié et qui n’ont pas fait l’objet d’une décision de
retrait »1523. Dans l’hypothèse où la surveillance judiciaire aurait été prononcée pour une durée
correspondant à la totalité des crédits de réduction de peine et des réductions de peines
supplémentaires accordés, la surveillance de sûreté, exécutée dans la continuité, viendrait
nécessairement modifier la portée de la peine prononcée par la juridiction de jugement. La
même conclusion s’impose décidément en présence d’une surveillance de sûreté prolongeant

continuant à qualifier la détention de sûreté de peine au sens de ce texte. La légitimité de la solution


tiendrait au fait qu’en l’espèce, la prolongation de la détention du requérant avait été motivée par
l’existence de troubles mentaux auxquels il était indispensable de remédier en le faisant bénéficier d’un
traitement approprié. La Cour a ainsi considéré que dans le cas où la détention de sûreté a pour but de
traiter le trouble mental de celui qui en fait l’objet, sa nature et son but changent au point de faire
disparaître son aspect punitif et même son rattachement à une condamnation pénale.
1518. Cf. supra.
1519. Puisqu’elle trouve sa justification dans l’infraction à l’origine de la peine exécutée (cf. supra, le
développement consacré à la convergence des régimes juridiques des peines et mesures de sûreté).
1520. C. pr. pén., art. 706-53-19.
1521. C. pr. pén., art. 723-37.
1522. C. pr. pén., art. 763-8.
1523. C. pr. pén., art. 723-29

322
un suivi socio-judiciaire, dans la mesure où, conformément à l’article 763-8 du Code de
procédure pénale :

Lorsqu’un suivi socio-judiciaire a été prononcé à l’encontre d’une personne condamnée


à une réclusion criminelle d’une durée égale ou supérieure à quinze ans pour l’une des
infractions visées à l’article 706-53-13, la juridiction régionale de la rétention de sûreté
peut […] décider de prolonger tout ou partie des obligations auxquelles est astreinte la
personne, au-delà de la durée prononcée par la juridiction de jugement et des limites prévues à
l’article 131-36-1 du Code pénal, en la plaçant sous surveillance de sûreté pour une durée
de deux ans.

Le placement sous surveillance de sûreté consécutivement à un suivi socio-judiciaire permet


donc de sortir d’une double limite temporelle et, notamment, de celle de la peine prononcée
par la juridiction de jugement. Dans tous les cas, la durée de la surveillance de sûreté est alors
perpétuelle. En effet, si elle est initialement prononcée pour une année, elle peut cependant
être renouvelée dans les mêmes conditions et selon la même durée sans limitation1524. La
surveillance de sûreté peut aussi affecter indirectement la portée de la peine privative de
liberté prononcée par la juridiction de jugement. Cela tient au fait qu’elle comporte des
obligations identiques à celles de la surveillance judiciaire ou du suivi socio-judiciaire et que
la violation de ces obligations peut entraîner un placement en rétention de sûreté1525. Souvent
présentée comme moins attentatoire à la liberté que la rétention de sûreté, la surveillance de
sûreté n’en est pas moins une mesure grave pour les personnes concernées1526, susceptible
d’influer de différentes façons sur la portée de la peine. Au final, il est permis d’affirmer qu’il
existe des mesures de sûreté susceptibles de relever de l’article 7 de la Convention, qui, en
tant que telles, peuvent être analysées comme des mesures constituant en substance des
peines. Au-delà de la rigueur de l’analyse juridique, un rapprochement peut également être
observé, par le truchement d’une approche subjective, en tenant compte du ressenti des
délinquants.

En conclusion, la distinction entre peines et mesures de sûreté présente aujourd’hui un intérêt


résiduel. Les deux différences jusqu’alors majeures entre les deux catégories de sanctions
pénales résidant dans l’application de la loi dans le temps et dans la détermination de l’autorité
compétente pour le prononcé de la sanction ont été mises à mal par la loi du 25 février 2008
et la décision rendue par le Conseil constitutionnel le 21 février 2008. La logique commande
que leur régime soit pleinement uniformisé. Pour ce faire, il reste à condamner
l’autonomisation du concept de dangerosité pour fonder la mesure de sûreté. Le prononcé

1524. Cf. C. pr. pén., art. 706-53-19.


1525. Dans un avis du 31 janvier 2014 (JO 25 févr.), le contrôleur général des lieux de privation de liberté relève
que trois des quatre personnes placées en rétention de sûreté depuis 2011 l’ont été à la suite d’une
méconnaissance d’une des obligations de la surveillance de sûreté.
1526. Il est tout de même éloquent de constater qu’elle peut déboucher sur le prononcé d’une rétention de sûreté
alors même qu’aucune nouvelle infraction n’aurait été commise par l’intéressé. Ce constat est d’autant
plus questionnant que l’on se penche sur les obligations qui, dans les quatre cas évoqués, avaient été
violées : méconnaissance de l’obligation de soins psychiatriques et de l’obligation d’établir sa résidence
dans un lieu déterminé, avoir fréquenté des débits de boissons et paru dans des lieux accueillant des
mineurs, les uns et les autres lui étant interdits, des manquements répétés à l’obligation de soins.

323
de toute sanction pénale serait alors préalablement subordonné à l’établissement de
l’imputabilité de l’intéressé.

§ 2 - La réunion des peines et des mesures de sûreté en une catégorie unique


de sanctions pénales avec l’imputabilité pour fondement

Le phénomène de convergence des peines et des mesures de sûreté contient en germe la


réunion de l’ensemble des réponses pénales au sein d’une catégorie unique. Il est permis
d’aller plus loin en donnant une nouvelle assise juridique à cette hypothèse à travers l’analyse
de la jurisprudence Laboube confirmée par la suite par le législateur (A.), avant d’évoquer les
conséquences générées par l’émergence d’une catégorie unitaire de sanctions pénales, tant
sur les plans substantiel que formel (B.).

A. La jurisprudence Laboube, assise juridique de la réunion des peines et des mesures


de sûreté en une seule catégorie de sanctions pénales

La jurisprudence Laboube, en retenant in fine le fondement de l’imputabilité au prononcé d’une


mesure de sûreté à l’encontre d’un mineur délinquant, avait esquissé l’alternative d’une
catégorie unique de sanctions pénales avec l’imputabilité pour fondement (1.). Cette
perspective, confortée par le phénomène de convergence des peines et des mesures de sûreté
précédemment étudié, permet d’écarter définitivement la possibilité d’octroyer aux mesures
de sûreté un statut cadre afin d’assurer leur stabilité et de garantir leur avenir1527 et, à plus
forte raison, de remettre en question le souhait d’une partie de la doctrine de voir émerger
une troisième catégorie de sanctions pénales, intermédiaire entre les mesures de sûreté
« traditionnelles » et les peines proprement dites (2.)

1. L’imputabilité, fondement du prononcé d’une mesure de sûreté en droit pénal


des mineurs
La jurisprudence Laboube est un arrêt fondamental à double titre. Tout d’abord en ce qui
concerne la détermination de la place de l’imputabilité par rapport à l’infraction1528 et, en
second lieu, en ce qui concerne le fondement au prononcé d’une mesure de sûreté à
l’encontre d’un mineur délinquant. Tout en réintroduisant la question du discernement en
cette matière, la cour d’appel de Colmar considéra que si l’absence d’une intelligence ou d’une
volonté suffisante interdisait de reconnaître le mineur responsable, elle n’empêchait pas, les
faits étant établis dans leur matérialité, le prononcé d’une mesure d’assistance ou d’éducation.
Autrement dit, non seulement « elle séparait implicitement l’imputabilité, nécessaire à
l’établissement de la responsabilité pénale, de l’infraction qu’elle laisser subsister dans sa

1527. Contra, cf. L. GRÉGOIRE, Les mesures de sûreté : essai sur l’autonomie d’une notion, coll. des Thèses, Institut
universitaire Varenne, 2015. L’auteur démontre à l’inverse la légitimité de l’existence de la catégorie
formelle des mesures de sûreté.
1528. Cf. supra, partie 1, titre 2, chapitre I et le développement relatif à l’interprétation à contre-courant doctrinal
de l’arrêt Laboube.

324
dimension matérielle »1529, mais encore, « elle appelait à distinguer les mesures de sûreté et les
peines, les mesures de sûreté trouvant leur fondement dans la commission matérielle des faits
infractionnels et les peines dans l’imputabilité à une personne »1530. Incidemment, la question
se posait donc de savoir si l’on pouvait arguer de la caractérisation d’une infraction objectivée
pour fonder le prononcé d’une mesure de sûreté à l’encontre d’un mineur ou s’il fallait, en
outre et à l’instar des peines, exiger que soit caractérisée l’imputabilité du sujet. En d’autres
termes, l’infraction est-elle une condition nécessaire et suffisante au prononcé d’une mesure
de sûreté ?
À l’inverse de la solution retenue par la Cour de cassation, le tribunal pour enfants de
Strasbourg1531 et la cour d’appel de Colmar ont considéré que l’infraction commise pouvait à
elle seule justifier le prononcé d’une mesure de sûreté. La juridiction suprême, quant à elle,
casse l’arrêt de la cour d’appel de Colmar car elle considère que la conclusion à laquelle elle
aboutit est contradictoire. Selon la Haute Juridiction, « après avoir décidé que le mineur Jean
Laboube, qui n’était âgé que de six ans au moment des faits délictueux, ne pouvait répondre
devant la juridiction répressive de l’infraction relevée contre lui, l’arrêt ne pouvait que
prononcer sa relaxe et ne pouvait sans contradiction prendre à son égard une mesure de redressement ».
La Cour de cassation semble considérer que la juridiction du second degré « ne pouvait […]
retenir l’absence de responsabilité du jeune Laboube et, dans le même temps, confirmer la
remise à la famille »1532, comme si le prononcé de la mesure éducative ne pouvait être
consécutif qu’à l’engagement de la responsabilité pénale du mineur. La juridiction suprême
semble donc conditionner le prononcé d’une mesure de sûreté à l’imputabilité du mineur.
Or, la jurisprudence fondait traditionnellement le prononcé d’une mesure de sûreté à
l’encontre d’un mineur délinquant dans la caractérisation d’une infraction. De ce point de
vue, les décisions du tribunal pour enfants de Strasbourg et de la cour d’appel de Colmar en
constituent deux illustrations. Qu’il soit permis de rappeler la formule venant clore la
motivation de la Cour de cassation aux termes de laquelle « toute infraction, même non
intentionnelle, suppose que son auteur ait agi avec volonté et intelligence ». On comprend
dès lors qu’elle soit majoritairement interprétée par la doctrine comme intégrant directement
l’imputabilité dans la constitution de l’infraction1533. Cette interprétation permet de satisfaire
l’objectif poursuivi par la Cour de cassation qui cherchait avant tout à éviter le prononcé
d’une mesure de sûreté à l’encontre du jeune Laboube1534. D’aucuns de considérer que la
Cour de cassation aurait donc intégré l’imputabilité dans la constitution de l’infraction afin
de faire obstacle au prononcé de la remise de l’enfant à sa famille : il s’agissait d’intégrer
directement dans l’infraction une composante faisant défaut dans l’espèce étudiée afin
d’écarter le prononcé d’une mesure de sûreté à l’encontre du mineur. Ainsi, la motivation de
la Cour de cassation répondrait moins à la théorisation d’une nouvelle conception de
l’infraction, comme cela a pu être soutenu par certains auteurs, qu’à la volonté de rendre une

1529. C. SAAS, L’ajournement du prononcé de la peine. Césure et recomposition du procès pénal, Dalloz, 2002, no 167, p. 174.
1530. Loc. cit.
1531. Juridiction du premier degré dans l’affaire étudiée.
1532. C. SAAS, L’ajournement du prononcé de la peine. Césure et recomposition du procès pénal, Dalloz, 2002, no 167, p. 174.
1533. C’est précisément le contraire qui a été démontré dans la première partie de cette étude (cf. le
développement relatif à l’interprétation à contre-courant doctrinal de l’arrêt Laboube).
1534. C’est également la conclusion à laquelle parvient Claire Saas dans l’analyse qu’elle effectue de la
jurisprudence Laboube (cf. C. SAAS, L’ajournement du prononcé de la peine. Césure et recomposition du procès pénal,
Dalloz, 2002, no 167, p. 175).

325
solution opportune en fondant le prononcé de la mesure éducative à l’encontre du mineur
dans l’imputabilité de la personne. Or, pour éviter la remise de l’enfant à ses parents, « il était
possible d’adopter une conception objective de l’infraction, en détachant la question du
discernement de la réalisation ou non de l’infraction et en en faisant une composante de la
responsabilité pénale et de conditionner la mesure de sûreté à la mise en œuvre de la
responsabilité. En laissant subsister l’infraction mais en retenant la non-imputabilité de
l’infraction à une personne dénuée de discernement, les juges auraient pu écarter la
responsabilité de cette dernière »1535 et, partant, le prononcé d’une mesure de sûreté.
Cependant, il a précisément été démontré, dans la première partie de cette étude, que la
motivation de la Cour de cassation pouvait être interprétée comme excluant l’imputabilité de
la constitution de l’infraction. Ainsi, si l’on recoupe les observations qui précèdent avec la
démonstration effectuée en première partie de l’extériorité de l’imputabilité par rapport à
l’infraction, on peut en déduire que le prononcé d’une mesure de sûreté à l’encontre d’un
mineur délinquant est conditionné non seulement par la caractérisation d’une infraction dans
tous ses éléments constitutifs, mais également par la mise en œuvre de la responsabilité
pénale. On peut seulement regretter que la Cour de cassation n’ait pas choisi de fonder
explicitement le prononcé de la mesure de sûreté sur l’imputabilité du mineur. Cette
interprétation de l’arrêt Laboube a été indirectement consacrée par la loi du 9 septembre 2002.
Les termes prohibitifs de l’article 122-8 du Code pénal interdisent que les mineurs incapables
de discernement se voient appliquer des mesures de sûreté. Il résulte en effet de cet article
que seuls les « mineurs capables de discernement » peuvent se voir appliquer mesures et
sanctions éducatives.

Qu’il soit permis de relever en forme de remarque conclusive que cette consécration nourrit
aujourd’hui une contradiction, qui s’est mue depuis en une « sérénité dérangeante »1536,
régissant la situation des personnes dépourvues de discernement. Alors que les majeurs
irresponsables pénaux peuvent aujourd’hui se voir appliquer des mesures de sûreté1537, les
mineurs incapables de discernement, eux, ne le peuvent pas. Or, comme le note
Pierre-Jérôme Delage, « si mineurs et majeurs jugés pénalement irresponsables peuvent se
voir appliquer des régimes différents, c’est donc que le discernement (plus vastement, le libre
arbitre) n’est plus en cet endroit référence première »1538. Afin de restaurer l’exigence
d’imputabilité, il serait souhaitable qu’à l’instar des mineurs, les majeurs ne puissent se voir
infliger des mesures de sûreté qu’à condition d’être discernants au moment des faits1539. La
position du droit pénal quant aux conditions d’engagement de la responsabilité pénale étant
uniforme s’agissant des mineurs et des majeurs, il reste à préconiser la même uniformité
s’agissant des conditions présidant au prononcé d’une sanction pénale. Au-delà, il s’agit de
considérer que l’imputabilité version post-moderne doive constituer le fondement au

1535. Loc. cit.


1536. P.-J. DELAGE, « Vérité et ambiguïté autour de l’imputabilité morale - À propos de Crim. 21 janvier 2009 »,
op. cit., p. 69.
1537. Quand il ne s’agit pas purement et simplement de « peines » ? (cf. supra, « L’infliction de peines à des
délinquants aliénés »).
1538. Ibid.
1539. Par cette proposition, il s’agit simplement d’écarter la possibilité, rendue vraisemblable par le phénomène
de convergence des peines et des mesures de sûreté, que les délinquants aliénés se voient infliger
d’authentiques sanctions pénales.

326
prononcé tant de peines stricto sensu que de mesures de sûreté, peu important la qualité de la
personne du délinquant. Dans le cas des majeurs aliénés, et comme en écho aux mesures
pouvant être infligées à des mineurs non discernants1540, il serait logique qu’ils ne puissent
faire l’objet que de mesures d’assistance sanitaire ou médico-sociales.

Quoi qu’il en soit, la consécration de l’imputabilité en tant que fondement au prononcé d’une
mesure de sûreté à l’encontre d’un mineur délinquant vient conforter la convergence établie
du régime juridique des peines et mesures de sûreté, et renforcer la préconisation d’un simple
retour au statu quo ante, un retour à la théorie de la voie unique au détriment de la consécration
d’une triple voie.

2. L’exclusion d’une « triple voie » au profit d’une catégorie unique de sanctions


pénales
La potentialité d’une triple alternative répressive est consécutive à la décision du Conseil
constitutionnel en date du 21 février 2008. Au lendemain de cette décision, certains auteurs
ont préconisé de subdiviser les mesures de sûreté en deux catégories. Cette proposition tenait
au fait que le Conseil constitutionnel, embarrassé par la rigueur extrême de la rétention de
sûreté1541, n’avait pas apporté de réponse claire relativement à la nature juridique de la
mesure1542. Si le Conseil a dit ce que la rétention de sûreté n’était pas, « ni une peine, ni une
sanction ayant le caractère de punition », il n’a pas dit ce qu’elle était. Par ailleurs, tout en ne
niant pas l’appartenance de la rétention de sûreté aux mesures de sûreté, il décide de rejeter
la rétroactivité du dispositif qu’il censure. Plusieurs auteurs ont alors considéré que puisque
la rétention n’était ni une peine, ni une sanction, il fallait la qualifier de « mesure de sûreté »
et que l’absence de rétroactivité de la mesure en faisait une mesure de sûreté soumise à un
régime d’exception, du moins quant à son application dans le temps. Il se dessinerait donc
deux catégories de mesures de sûreté avec, d’un côté, les mesures de sûreté restrictives de
liberté et, de l’autre, les mesures de sûreté s’en prenant à la liberté elle-même, en la soumettant
à une privation de principe à l’instar de la rétention de sûreté1543. Alors que la première
catégorie de mesures serait compatible avec la rétroactivité, la seconde ne pourrait
s’accommoder d’une telle solution. Cependant, comme le relevait un parlementaire lors du
vote de la loi sur la rétention de sûreté en se fondant sur la position des juges constitutionnels,
« l’application du principe de non-rétroactivité est fonction de la gravité de l’atteinte portée
à la liberté plutôt que de la qualification formelle de la mesure »1544. Cette remarque, qui

1540. On pense aux mesures d’assistance éducative prévues aux articles 375 et suiv. du Code civil.
1541. Comme le relève Yves Mayaud, avec la rétention de sûreté, « la mesure de sûreté vient de franchir un cap
qu’elle n’avait jamais atteint. Elle est désormais compatible avec une privation de liberté, ce qui en fait une
forme de relégation » (Y. MAYAUD, « La mesure de sûreté après la décision du Conseil constitutionnel
no 2008-562 DC du 21 février 2008 », D., 2008, p. 1359). Cf. également B. DE LAMY, « La rétention de
sûreté : pénal or not pénal », RSC, 2009, p. 166.
1542. La même ambiguïté entoure la nature juridique de la surveillance de sûreté.
1543. Jean Pradel, partisan d’un dédoublement de la mesure de sûreté, affine la distinction en proposant un
double critère d’identification de la mesure, reposant d’une part sur la gravité de l’atteinte portée à la liberté
individuelle et, d’autre part, sur la mise en cause de l’intérêt général. Pour une classification des différentes
sanctions pénales en application de ces critères, cf. J. PRADEL, « Mesures de sûreté privatives de liberté et
Convention européenne des droits de l’homme », D., 2010, p. 737.
1544. J.-R. LECERF, rapport sénatorial, commissions des lois, no 174, 2007-2008, p. 43.

327
suggère que « le vrai fondement de la non-rétroactivité est […] la sécurité juridique »1545, invite
logiquement à s’interroger sur la pertinence de maintenir une dualité de qualifications
formelles qui serait susceptible de conduire, en pratique, à l’existence de trois types de
sanctions pénales1546.

Pour notre part, nous pensons que c’est à dessein que le Conseil n’a pas utilisé l’expression
de « mesure de sûreté ». À l’instar de Christine Lazerges, il est permis de considérer que le
droit français ne peut « s’accommoder de mesures de sûreté privatives de liberté
potentiellement perpétuelles »1547. Ainsi, le rapprochement de la peine et de la mesure de
sûreté – observé tant en ce qui concerne leur nature ou leur caractère, que leur régime
juridique – combiné à l’incertitude entourant la qualification de certaines mesures,
commande d’intégrer les peines et des mesures de sûreté dans un système unique de sanctions
pénales. Marc Ancel préconisait déjà « une intégration de la peine et de la mesure de sûreté
dans un régime unitaire de sanctions pénales fondé sur des critères à la fois physiques, sociaux
et moraux »1548. Dans le même sens, nous considérons donc qu’il serait cohérent de
préconiser, dans un droit pénal post-moderne, la réunion des peines et mesures de sûreté en
une seule catégorie de sanctions pénales.
Il ne s’agit donc pas de prôner la disparition des mesures de sûreté au profit de la seule
catégorie des peines, « système irréaliste qui ferait revenir à la législation de l’ancien droit
français »1549, mais de militer en faveur de « l’adoption tempérée du système dualiste »1550,
celui-là même qu’avait implicitement consacré le Code pénal de 1994 en retenant l’unicité de
vocabulaire pour englober les deux catégories1551, dans un souci de réalisme1552 et
d’efficacité1553. Le régime juridique de ces mesures pénales n’aurait pas besoin d’être en tout
point identique, notamment au regard de leurs modalités d’application dans le temps. On
peut déjà observer que parmi les lois pénales relatives à la pénalité, certaines rétroagissent,
d’autres pas1554. En outre, un élément supplémentaire condamne l’autonomie de la catégorie
des mesures de sûreté. Il réside dans le fait que leur prononcé est uniquement conditionné
par le constat de la dangerosité du sujet. Or, comme le relève Virginie Bianchi, « la notion de
dangerosité qui est pourtant l’élément central du prononcé des mesures de sûreté n’est

1545. J. PRADEL, « Mesures de sûreté privatives de liberté et Convention européenne des droits de l’homme »,
op. cit., p. 737.
1546. Peines, mesures de sûreté et mesures de sûreté renforcées ou « lourdes » (loc. cit.).
1547. C. LAZERGES, « La rétention de sûreté : le malaise du Conseil constitutionnel », op. cit., p. 731.
1548. M. ANCEL, La Défense sociale nouvelle, Cujas, 1981 (3e éd.), p. 232.
1549. C. MARIE, Droit pénal général, Hachette, 2005, no 337, p. 166.
1550. Loc. cit.
1551. De ce point, il peut sembler logique qu’en considération de la dimension sanctionnatrice des mesures, la
dénomination de « peine » l’emporte – comme l’emporterait vraisemblablement, en droit pénal des
mineurs, celle de « sanction éducative » en cas de réunion des mesures éducatives et des sanctions
éducatives actuelles en une catégorie unique (cf. supra, à propos de l’une des propositions de la commission
Varinard).
1552. Afin d’acter l’effacement progressif de la frontière entre peines et mesures de sûreté.
1553. Afin de surmonter les difficultés liées au prononcé simultané d’une peine et d’une mesure de sûreté – par
exemple, lorsque la suspension du permis de conduire accompagne une condamnation à une peine
d’emprisonnement ou d’amende.
1554. Par exemple, une loi venant instaurer une nouvelle peine, par hypothèse plus sévère, ne peut rétroagir
conformément à l’article 112-1, alinéa 2 du Code pénal, alors qu’une loi venant abroger une incrimination
s’applique de manière rétroactive conformément à l’article 112-1, alinéa 1er du même Code. De la même
manière, les lois relatives à l’exécution des peines sont d’application immédiate en application de
l’article 112-2 (3°) du Code pénal.

328
toujours pas une notion univoque »1555. Au-delà, c’est le caractère flou de la notion qui est
très majoritairement dénoncé en doctrine, tandis que les experts soulignent les difficultés
qu’ils éprouvent et même l’incapacité dans laquelle ils se trouvent de définir la notion de
dangerosité1556. Au final, la convergence des peines et des mesures de sûreté, au niveau de
leur nature et de leur régime juridique, associée à la consécration de l’imputabilité en tant que
fondement au prononcé d’une mesure de sûreté à l’encontre d’un mineur délinquant ainsi
qu’à l’exclusion de l’émergence d’une troisième catégorie de sanctions pénales, conduit à
sceller la réunion des peines et mesures de sûreté en une seule catégorie de réponses pénales.
Cette conclusion invite à envisager certaines des conséquences qui en résultent.

B. Les conséquences de la réunion des peines et mesures de sûreté en une seule


catégorie de sanctions pénales

Deux types de conséquences sont envisageables selon que l’on s’intéresse au droit pénal de
fond ou au droit pénal de forme. Dans le cadre de ce développement, il ne sera question que
de conséquences formelles, dans la mesure où les conséquences relatives au fond rejoignent
« les éléments de convergence objective » entre peines et mesures de sûreté1557. Autrement
dit, les conséquences sur le fond procèdent pour l’essentiel d’un alignement du régime
juridique des peines et des mesures de sûreté. On peut simplement préciser qu’au regard des
droits et libertés fondamentaux, les mesures de sûreté ressortiraient largement bénéficiaires
de l’unification. Il suffit, pour s’en convaincre, de souligner que la réunion des peines et
mesures de sûreté en une catégorie unique de sanctions pénales conduiraient à la
généralisation de la judiciarisation du prononcé des mesures de sûreté 1558, à la non-
rétroactivité d’une mesure de sûreté « plus sévère », ainsi qu’à l’application du principe de la
nécessité et de la proportionnalité, garanti, s’agissant des peines, par l’article 8 de la
Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 17891559. De la même manière, la réunion
des peines et mesures de sûreté en une seule catégorie de sanctions pénales conduirait à
soumettre les mesures de sûreté à une procédure plus équitable, comme en attesterait la
disparition logique des juridictions de la rétention de sûreté1560.

Une conséquence organique : la disparition des juridictions de la rétention de sûreté


La suppression de la catégorie formelle des mesures de sûreté emporterait aussi des
conséquences organiques. L’un d’entre elles résiderait logiquement dans la disparition des
juridictions décidant de l’application de mesures de sûreté. En l’occurrence, il s’agit de

1555. V. BIANCHI, « Quels droits de la défense pour la personne placée sous surveillance de sûreté ou en
rétention de sûreté ? », op. cit., p. 106.
1556. Cf. infra.
1557. Cf. supra.
1558. Il est particulièrement souhaitable que les mesures de sûreté soient placées sous l’égide du juge judiciaire
(cf. Constitution, art. 66) car nombre d’entre elles s’apparentent à des mesures coercitives portant atteinte
à des libertés individuelles.
1559. C’est le Conseil constitutionnel qui a rappelé, à propos des sanctions éducatives créées par la loi du
9 septembre 2002 (cf. supra), que l’article 8 de la Déclaration de 1789, aux termes duquel « les lois ne
doivent établir que des peines strictement et évidemment nécessaires », était applicable aussi bien aux
peines qu’aux mesures de sûreté.
1560. La disparition des juridictions de la rétention de sûreté a d’ailleurs été annoncée à plusieurs reprises par le
gouvernement précédent, sans toutefois être jamais réalisée.

329
souligner que la réunion des peines et mesures de sûreté en une catégorie unique de sanctions
pénales conduirait à la suppression des juridictions régionales et nationale de la rétention de
sûreté introduites en droit positif par la loi du 7 mars 2008 à l’article 706-53-15 du Code de
procédure pénale. En réalité, seul le prononcé de la rétention de sûreté relevant de la
compétence de ces juridictions, il conviendrait de s’intéresser à la disparition des
« juridictions de l’application d’une mesure de sûreté »1561. Cette précision nous amène à
remarquer que d’autres raisons, étrangères à l’unification des peines et mesures de sûreté,
militaient déjà en faveur de la suppression de ces juridictions spécifiques. L’une d’entre elles
consistait ainsi à s’étonner du sort procédural particulier réservé à la rétention de sûreté
comparativement aux autres mesures de sûreté. Si la création des juridictions régionales et
nationale de la rétention de sûreté a pu laisser penser qu’il y avait là une traduction formelle
de la distinction de fond entre peines et mesures de sûreté, cette analyse a pu rapidement être
écartée. Bien qu’il puisse paraître légitime de considérer que la création de ces nouvelles
juridictions s’explique par la volonté de ne pas confondre l’exécution de la peine proprement
dite et l’exécution de la rétention de sûreté, laquelle n’est pas une peine mais une mesure de
sûreté, rien ne permet en revanche d’expliquer pourquoi le prononcé des autres mesures de
sûreté post-carcérales relève des juridictions de l’application des peines, soit de juridictions
compétentes pour statuer sur des peines au sens large. Comment justifier la marginalisation
procédurale de la rétention de sûreté par rapport aux autres mesures de sûreté ? Dans le
prolongement, pourquoi le régime juridique de la rétention de sûreté diffèrerait-il de celui
des autres mesures de sûreté ? Le fait que les juridictions de la rétention de sûreté ne se
prononcent que sur l’existence de la rétention de sûreté, alors même que les juridictions
d’application des peines sont appelées à statuer sur l’existence d’autres mesures de sûreté telle
la surveillance judiciaire, condamne la pertinence de cette dualité procédurale. À notre sens,
l’incohérence du partage de compétence entre juridictions d’application des peines et
juridictions de la rétention de sûreté constituait déjà un argument en faveur de la réunion des
peines et mesures en une catégorie unique de sanctions pénales.
Dans l’hypothèse avérée d’une étanchéité des catégories, un partage des compétences aurait
dû être opéré en considération de la nature de la mesure considérée : il aurait consisté à
distinguer entre juridictions d’application des peines et juridictions d’application des mesures
de sûreté1562. À cette incohérence s’ajoutait un certain nombre de défaillances plaidant pour
la disparition des juridictions de la rétention de sûreté1563. Le contentieux de la rétention de

1561. Selon l’expression empruntée à Évelyne Garçon (cf. É. GARÇON, « Les incohérences dans la
juridictionnalisation au stade de l’exécution des sanctions pénales », in La réforme du Code pénal et du Code de
procédure pénale, Opinio doctorum, op. cit., p. 318 et suiv.).
1562. Dans l’optique d’une réunion des peines et des mesures de sûreté en une seule catégorie de mesures
pénales, le prononcé post-sentenciel des anciennes mesures de sûreté relèvera logiquement de la
compétence des juridictions d’application des peines.
1563. En premier lieu, il y a le fait qu’elles partagent un certain nombre de défauts avec feu les juridictions
régionales et nationales de la libération conditionnelle créées par la loi no 2000-516 du 15 juin 2000. Or,
ce sont précisément ces derniers qui ont conduit à leur suppression à l’occasion de la loi n o 2004-204 du
9 mars 2004. Certains des reproches adressés aux juridictions de la libération conditionnelle peuvent être
repris à propos des juridictions de la rétention de sûreté. En l’espèce était critiqué le choix d’une formation
particulière de la Cour de cassation comme juridiction de recours (d’appel). Il était craint que cette
formation ne statue qu’en droit, privant de facto l’appel de son effet dévolutif. Le point apparemment
bénéfique concernant les juridictions de la rétention de sûreté réside dans le fait que les décisions émanant
de la juridiction nationale de la rétention de sûreté sont susceptibles de faire l’objet d’un pourvoi en
cassation, contrairement à ce qui avait été (n’avait pas été) prévu pour la juridiction nationale de la

330
sûreté pourrait alors, à l’instar des mesures relatives à l’exécution de la peine ou à l’après-peine
privative de liberté, relever de la compétence des juridictions de l’application des peines et,
plus particulièrement, du tribunal de l’application des peines.

libération conditionnelle. Cela étant, comme le remarque Évelyne Garçon, « il n’est pas certain que
l’ouverture d’une voie de recours extraordinaire soit très pertinente si, au stade de “l’appel”, la juridiction
a déjà raisonné comme le fera la Cour de cassation » (cf. É. GARÇON, « Les incohérences dans la
juridictionnalisation au stade de l’exécution des sanctions pénales », op. cit.). En outre, la procédure mise
en œuvre devant les juridictions régionales de la rétention de sûreté n’est pas toujours très respectueuse
des droits de la défense. Par exemple, en ce qui concerne l’assistance d’un avocat, Virginie Bianchi relève
que « la première audience d’une juridiction régionale de rétention de sûreté s’est tenue à Paris le 6 avril
2009, soit plus d’un an après l’entrée en vigueur de la loi […]. J’y ai été commise d’office par la grâce d’un
bâtonnier, se faisant l’écho du parquet général de la cour d’appel, qui n’imaginait pas qu’un justiciable
hospitalisé d’office et placé sous tutelle puisse être confronté à une procédure aussi potentiellement
attentatoire aux libertés sans qu’il soit assisté d’un défenseur […] Aujourd’hui, aucune audience ne se tient,
en première instance ou en appel, sans qu’un avocat ne soit présent » (cf. V. BIANCHI, « Quels droits de
la défense pour la personne placée sous surveillance de sûreté ou en rétention de sûreté ? », op. cit., p. 106).
Au-delà de la réunion des peines et mesures de sûreté en une catégorie unique de sanctions pénales, la
question du maintien des juridictions de la rétention de sûreté ne se poserait évidemment plus en cas de
suppression de la mesure de rétention de sûreté, cette dernière faisant office de débats récurrents.

331
332
TITRE 2
POUR UNE COHABITATION DÉDRAMATISÉE
DE L’IMPUTABILITÉ ET DE LA DANGEROSITÉ
DANS UN DROIT PÉNAL POST-MODERNE

L’effacement de l’imputabilité morale comme conséquence de la montée d’un droit


pénal néopositiviste
Le droit pénal d’essence classique se trouve confronté à la montée d’un droit pénal
néopositiviste, que l’on considère les domaines respectifs de la responsabilité pénale des
personnes morales ou des personnes physiques. Comme nous avons tenté de l’établir, les
évolutions étudiées dans ces différentes matières témoignent d’un retour au premier plan des
marqueurs clefs du positivisme pénal. C’est la volonté d’appréhender pénalement le risque
généré par l’activité de la personne morale qui est à l’origine de la mutation de la
responsabilité pénale des personnes morales, en orientant la discipline vers la reconnaissance
d’une responsabilité directe de l’entité abstraite. Les notions de « risque, précaution,
prévention, garantie » sous-tendent donc la responsabilité pénale des personnes morales1564.
S’agissant des personnes physiques, le facteur déterminant du néopositivisme contemporain
réside dans la résurgence des mesures de sûreté dont on sait qu’elles sont exclusivement
fondées sur la notion de dangerosité1565. Le risque social et la dangerosité sociale, qui ne sont
en réalité que les deux facettes d’une même notion1566, s’affrontent au concept d’imputabilité.
Plus qu’un effacement de l’imputabilité, ce qui est révélé par l’évolution de la responsabilité
pénale des personnes morales est l’impossibilité, dans un droit pénal post-moderne,
d’appliquer une conception homogène de l’imputabilité selon l’entité juridique considérée. À
l’égard des personnes morales, l’imputabilité n’est appréhendée que par le biais de son versant
objectif que d’aucuns désignent sous le vocable d’« imputation ». Si l’évolution de la
responsabilité pénale de l’entité abstraite participe du même mouvement que l’évolution de
la responsabilité pénale des personnes physiques, ce n’est pas tant dans les modalités de
captation de la notion d’imputabilité1567 que dans l’émergence de la « mission » de la
responsabilité pénale des personnes morales, cette dernière permettant de répondre
pénalement à toutes les atteintes à la vie et à l’intégrité physique, notamment celles imputables
à l’activité lucrative des entités collectives. La « néopositivisation » de la responsabilité pénale
des personnes physiques est plus problématique, puisqu’elle de nature à éclipser l’impératif
d’imputabilité. Particulièrement significatif est l’abandon de la question du discernement des

1564. Sans que, faut-il le rappeler, ce fondement ne soit exclusif d’une faute directement imputable à la personne
morale (cf. supra, partie 2, titre 1, chapitre I).
1565. Du moins dans leur appréhension traditionnelle.
1566. Le rattachement du « risque » aux personnes morales et de la « dangerosité » aux personnes physiques
s’appuie sur la distinction opérée par Christophe Adam, psychologue clinicien belge. Aux termes de cette
distinction, le risque renvoie à une personne abstraite, donc à la personne morale, alors que la dangerosité
renvoie à du concret, c’est-à-dire à la personne physique (cf. atelier sur la dangerosité, Journées sur la
prévention de la récidive dans sa dimension partenariale, 6-7 juin 2013, faculté de droit de La Rochelle).
1567. Ces dernières étant, en l’espèce, en adéquation avec la spécificité, abstraite, de l’entité juridique considérée.

333
délinquants « malades mentaux » au profit de leur dangerosité pour leur infliger des pseudo-
mesures de sûreté dont il a été établi qu’elles s’apparentaient en réalité à des peines.
À l’endroit des personnes physiques, la tendance est donc à la substitution pure et simple
de la dangerosité à l’imputabilité pour fonder la responsabilité pénale. Ce dernier élément
devait conduire à s’interroger sur les causes d’un abandon de l’exigence d’imputabilité afin
de tenter d’y apporter un remède adapté.

Les facteurs d’un effacement ciblé de l’imputabilité dans le cadre de la responsabilité


pénale des personnes physiques
Cet effacement est à rechercher dans le fondement même de la notion, conjugué à un autre
phénomène : celui de la montée en puissance du rôle des victimes dans le procès pénal.

L’ancrage sociologique de l’imputabilité à l’origine de l’effacement de la notion – Dans son rapport de


synthèse présenté au IVe Congrès de l’Association française de droit pénal, tenu à Nantes
du 21 au 23 octobre 1982, Georges Levasseur rappelle que c’est Reynald Ottenhof qui, dans
le cadre de son intervention, a donné au problème de l’imputabilité « un éclairage
sociologique qui lui avait fait défaut presque totalement jusque-là »1568, l’ancrage
sociologique de l’imputabilité étant la « conséquence elle-même de l’ancrage sociologique
du problème de la responsabilité, et spécialement de la responsabilité pénale »1569. En
s’appuyant sur les approches durkheimiennes du crime et de la fonction sociale de la peine,
Paul Fauconnet développe une analyse éclairante de la responsabilité pénale sous un angle
social1570. Pour ce faire, l’auteur distingue deux étapes successives dans l’imputation de la
responsabilité pénale. La première, qui se singularise par l’émergence d’une responsabilité
collective et flottante, « voit la conscience collective, ébranlée par un acte considéré comme
haïssable, concevoir une forme de responsabilité qui reste, pour un temps, comme
flottante »1571. Autrement dit, c’est « la contrainte sociale [qui] induit, construit, ce concept de
responsabilité, qui s’impose à l’ensemble des agents sociaux, dans un objectif de maintien,
ou, plus exactement, de retour à l’ordre »1572. Dans ce contexte, la peine remplit également
une fonction sociale consistant à restaurer l’ordre social troublé par cette infraction. Comme
le souligne Paul Fauconnet :

L’utilité de la peine n’est pas essentiellement dans l’action qu’elle exerce sur les
criminels, mais dans l’action qu’elle exerce sur la société elle-même. […]. Par la peine
rituelle ou juridique, le mal moral du crime est compensé, l’ordre moral est rétabli […].
Entendez par là que la société reprend sa confiance en elle-même et réaffirme
l’intangibilité de la règle ébranlée par le crime.1573

1568. G. LEVASSEUR, « L’imputabilité en droit pénal », op. cit., p. 1.


1569. Loc. cit.
1570. Cf. P. FAUCONNET, op. cit.
1571. P. COMBESSIE, « Paul Fauconnet et l’imputation pénale de la responsabilité : une analyse méconnue mais
aujourd’hui pertinente pour peu qu’on la situe dans le contexte adéquat », in Anamnèse, no 3, Trois figures
de l’école durkheimienne : Célestin Bouglé, Georges Davy, Paul Fauconnet, C. RAVELET (dir.), Paris, L’Harmattan,
2008, p. 221-246.
1572. Ibid., p. 226.
1573. P. FAUCONNET, op. cit., p. 227.

334
Dans la logique de son argumentation, Paul Fauconnet considère que « c’est [donc] au crime
même que s’appliquerait la peine, si elle pouvait le saisir pour l’annihiler »1574. Précisément,
afin de pouvoir réparer le mal créé par le crime, représentation qui appartient au passé, les
sociétés « sont acculées à la nécessité de détruire quelque chose. […] Pour se donner
satisfaction, il suffit que la société soit capable de susciter un symbole, c’est-à-dire un être
dont elle puisse faire, de bonne foi, le substitut du crime passé. La destruction d’un symbole
remplacera la destruction du crime qui, en lui-même, ne peut pas être détruit »1575. La seconde
étape de l’imputation de la responsabilité pénale va donc résider dans l’individualisation de
la responsabilité. Il s’agit alors d’attribuer la responsabilité à un justiciable particulier afin
d’offrir à la peine un point d’application pour exercer son action1576. Au terme de ce
raisonnement, la fonction sociale originelle de la responsabilité pénale se trouve donc
confirmée et pourrait être résumée comme suit : « Rendre possible la réalisation de la peine
en lui fournissant un point d’application et, par suite, permettre à la peine de jouer son rôle
utile. »1577 Le point d’application de la peine est logiquement fourni par le vecteur de
l’imputabilité1578. Initialement, l’individualisation de la responsabilité pénale ne répondait qu’à
l’objectif de réaliser la fonction sociale de cette responsabilité. D’ailleurs, cette fonction était
tellement prégnante qu’elle a fait émerger le concept de « bouc-émissaire »1579. Cette analyse
amène logiquement à conclure au fondement social de l’imputabilité. L’ancrage sociologique
de l’imputabilité peut être résumé par la phrase suivante empruntée à Georges Levasseur,
qui, en exposant le régime de la démence, de la vieillesse, de l’ivresse et des mineurs
délinquants lors du congrès susmentionné, considéra qu’« en cas de crimes atroces
l’imputabilité ne pouvait être mise en question »1580. L’auteur prend l’exemple de Gorguloff
qui, ayant assassiné le président Doumer, a été guillotiné en 1932 alors que les experts, qui
l’avaient estimé sain d’esprit, n’avaient pas convaincu grand monde. Pour Georges Levasseur,
il n’est pas possible de « douter de la nécessité de cet ancrage sociologique »1581. L’auteur
s’interroge : « Pouvons-nous oublier la stupeur des masses populaires lors des grandes
catastrophes où l’opinion unanime cherche le ou les coupables et ne s’apaisera guère avant
qu’on les ait désignés à sa vindicte ? »1582 Il ne faut donc pas oublier les « pesanteurs
sociologiques ; elles s’imposent à la politique criminelle »1583. Ces « pesanteurs sociologiques »
trouvent aujourd’hui un écho paroxystique dans la pénalisation d’individus dont le
discernement était aboli au moment des faits. Elle procède de l’institution, par la loi du 25

1574. Ibid., p. 233.


1575. P. FAUCONNET, op. cit., p. 233-234.
1576. Selon Paul Fauconnet, les responsables s’entendent donc des « êtres jugés aptes à servir de substituts d’un
crime et à supporter comme tels la peine de ce crime » (loc. cit., p. 233-234).
1577. Loc. cit.
1578. Pour achever de s’en convaincre, il suffit d’avoir à l’esprit l’origine latine du mot imputare signifiant « porter
au compte de ».
1579. Paul Fauconnet mobilise la notion de bouc-émissaire au soutien de son analyse en considérant que « la
peine est utile, il faut pour la peine un patient ; le jugement de responsabilité fournit ce patient, sorte de
bouc-émissaire sacrifié à l’égoïsme collectif » (P. FAUCONNET, op. cit., p. 300).
1580. G. LEVASSEUR, « L’imputabilité en droit pénal », op. cit., p. 1. Dans le même sens, Emmanuel Dreyer
considère que « l’opinion publique comprend mal que des faits dont les conséquences la choquent
puissent laisser le juge répressif sans réaction » (E. DREYER, Droit pénal général, LGDJ, 4e éd., 2016, no 782,
p. 595).
1581. G. LEVASSEUR, « L’imputabilité en droit pénal », op. cit., p. 9.
1582. Loc. cit.
1583. Loc. cit.

335
février 2008, de la procédure de déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble
mental. Selon Jean de Maillard1584, « juger les fous [implique] donc de renoncer au principe
d’une justice moderne, centrée sur l’individu et sa responsabilité personnelle, en renouant
avec la fonction purement magique des justices barbares et sauvages, qui cherchaient non
pas tant à juger un homme qu’à refonder l’unité menacée de la communauté ». Ainsi, si cette
procédure, qui a été créée en réaction à un fait divers très médiatisé, l’affaire Romain Dupuis,
est symptomatique de la mise en œuvre d’une politique pénale compassionnelle à l’égard des
victimes, elle est dans le même temps la traduction juridique de la monté en puissance du
rôle des victimes dans le procès pénal1585. C’est aborder différemment l’autre événement
majeur ayant concouru à l’éclipse de l’imputabilité.

L’intrusion de la victime de l’infraction dans le paradigme punitif de la sanction pénale comme facteur
déterminant de l’effacement de l’imputabilité – L’histoire du droit pénal depuis les temps barbares
est celle de la lente conquête du monopole du droit de punir par l’État, en même temps que
la dissociation progressive entre la réparation civile, compensant l’atteinte portée par
l’infraction aux intérêts privés, et l’application de la peine sanctionnant le tort causé par elle
à la société. On sait qu’en droit français, lorsqu’une infraction est commise, c’est le procureur
de la République, représentant de la société, qui exerce les poursuites. Ainsi, même si la
victime dispose du droit de déclencher elle-même l’action publique1586, le procès pénal
oppose l’auteur de l’infraction à la société. La peine, enjeu du procès pénal, est prononcée
pour le compte de la société et non pour le compte de la victime. Pour autant, dans le système
français, la victime a, de longue date, le droit d’être partie au procès pénal1587. Ses droits se
sont d’ailleurs accrus parallèlement à ceux de la personne poursuivie. Par exemple, si depuis
l’ancien droit la victime a la possibilité d’obtenir réparation du dommage résultant
directement de l’infraction devant les tribunaux répressifs1588, cette faculté s’est ensuite
doublée du droit à une indemnisation effective, grâce aux différents systèmes de fonds de
garantie mis en place dans les années 1980. L’acquisition de ces différents droits n’a pas écarté
les victimes des prétoires pénaux. À l’examen de la procédure pénale contemporaine, on
s’aperçoit vite que la victime a connu un regain de considération à tous les stades du
processus pénal, au point même que l’on puisse considérer qu’elle est entrée dans le
paradigme punitif de la sanction pénale. Cela révèle que, pour elles, la reconnaissance d’une
culpabilité est un élément fondamental de la justice qu’elles réclament, cela indépendamment
de la psychologie de l’agent au moment des faits. Sur ce point, le législateur a répondu aux
attentes exacerbées des victimes en cas de crime commis par un délinquant aliéné en
instituant la procédure de déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental.
Cette procédure, en conduisant d’abord au prononcé d’une déclaration de culpabilité, voire,
dans un second temps et comme nous avons tenté de l’établir, au prononcé d’authentiques
peines à l’encontre de délinquants aliénés, participe de l’entrée de la victime dans le paradigme
punitif de la sanction pénale. Si l’on peut relever dans la législation récente une influence

1584. Magistrat, vice-président au tribunal de grande instance de Paris depuis janvier 2011.
1585. Cette dernière se traduisant par l’obtention de nouveaux droits dans le cadre d’un procès pénal élargi.
1586. Par la voie de la citation directe ou de la plainte avec constitution de partie civile.
1587. Tous les systèmes ne lui reconnaissent pas ce droit.
1588. Le droit, pour les victimes, de demander réparation devant les tribunaux répressifs a ensuite été repris
dans le Code d’instruction criminelle puis dans le Code de procédure pénale (cf. C. pr. pén., art. 2).

336
décroissante de la victime sur la mise en œuvre de l’action publique, son influence croissante
sur l’issue de l’action publique, voire son intrusion dans le paradigme punitif de la sanction
pénale, doit être contestée au regard du respect de l’impératif d’imputabilité. Pour autant, il
ne doit pas s’agir de passer outre leurs intérêts comme il ne saurait être question d’occulter
la dangerosité de certains délinquants nonobstant leur non-imputabilité. C’est sur le terrain
de la procédure pénale que nous tenterons de rechercher une solution de compromis.

La recherche d’une solution de compromis sur le terrain procédural


Afin de ne pas sacrifier les principes directeurs du droit pénal et de la procédure pénale, la
recherche d’une conciliation entre l’exigence d’imputabilité et la prise en compte légitime de
la dangerosité de certains délinquants comme des attentes des victimes peut être recherchée
sur le terrain de la procédure pénale. Il s’agira notamment de s’interroger sur les implications
procédurales de l’imputabilité dans un droit pénal post-moderne. Le questionnement a peut-
être de quoi surprendre, l’imputabilité n’étant pas traditionnellement appréhendée par le biais
de la procédure pénale. Cependant, ce serait aussi oublier que procédure pénale et droit pénal
de fond sont imbriqués. En outre, deux types d’arguments peuvent être avancés au soutien
de cette proposition.

L’existence de procédures pensées en considération de l’absence d’imputabilité ou de l’imputabilité partielle du


sujet – Le premier argument incitant à rechercher une solution de compromis sur le terrain
procédural tient au fait que certaines procédures ont été pensées en considération de
l’absence d’imputabilité ou de l’imputabilité partielle du sujet. Cette affirmation revient à
admettre que la psychologie de l’agent est susceptible d’avoir des implications procédurales.
La question se pose donc de savoir si l’on peut réellement considérer que la psychologie de
l’individu peut avoir un impact sur la procédure pénale : une réponse affirmative s’induit une
nouvelle fois de l’examen de la procédure de déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause
de trouble mental, cette procédure ayant été pensée pour les personnes dont le discernement
était aboli au moment des faits. En outre, cette influence dépasse la seule hypothèse de
l’absence de discernement pour embrasser également celle du discernement partiel, comme
en atteste l’existence de procédures spécifiques applicables aux mineurs délinquants. Pour
cette raison, il importera de s’interroger aussi sur les possibles implications procédurales de
l’imputabilité en cas de discernement partiel du délinquant majeur – autrement dit, lorsque
son discernement était seulement altéré au moment des faits. Cette interrogation conduira
logiquement à examiner la procédurale pénale applicable à un majeur protégé au prisme de
l’imputabilité. Au final, l’examen de ces différentes procédures appellera un certain nombre
de propositions en vue de leur mise en conformité avec l’exigence d’imputabilité. En dehors
d’implications procédurales ponctuelles de l’imputabilité en lien avec la psychologie de
l’agent, il existe un mécanisme procédural susceptible d’offrir, par principe, une place dédiée
au concept d’imputabilité.

L’existence d’une place dédiée au concept d’imputabilité dans le cadre de la césure du procès pénal – Le
second argument visant à rechercher une solution à l’éclipse de l’imputabilité sur le terrain
de la procédure tient aussi à l’existence d’un mécanisme procédural spécifique dont nous
tenterons d’établir qu’il ménage une place inédite à l’imputabilité, indépendamment même
de la psychologie de l’agent. Il s’agit de la césure du procès pénal, dispositif consistant en la

337
scission du procès pénal en deux phases et dont Marc Ancel avait fait la promotion dans son
ouvrage La Défense sociale nouvelle1589. Dans une approche traditionnelle, l’ossature de la césure
consiste à dissocier les questions de la culpabilité et de la peine. On peut en trouver une
première traduction législative par le truchement de l’ajournement du prononcé de la peine
défini à l’article 132-60 du Code pénal1590. Dans sa thèse consacrée à l’étude de cette
institution procédurale, Claire Saas démontre comment il est permis de transcender la
scission suggérée implicitement par l’intitulé de cette procédure pour l’enrichir d’une
distinction substantielle supplémentaire entre culpabilité et imputabilité, tout en trouvant à
chacun des éléments du jugement pénal une place spécifique dans le procès pénal initié par
la primauté d’un débat sur la culpabilité. Cette transgression est cependant tributaire de
l’acception du terme de culpabilité. La lecture « maximaliste » de l’ajournement du prononcé
de la peine proposée par Claire Saas suppose de retenir une conception stricte de la notion
de culpabilité. L’auteur considère logiquement que si « le terme de culpabilité n’est employé
que comme synonyme de responsabilité pénale, l’intérêt de l’ajournement du prononcé de la
peine semble partiellement gommé »1591. En effet, « au lieu de dissocier culpabilité,
imputabilité et peine, on dissocie uniquement responsabilité et peine »1592. Au lieu de limiter
l’ajournement à constituer l’antichambre de la dispense de peine1593, une certaine lecture de
la procédure permettrait en outre de distinguer tant sur le fond que sur la forme les notions
de culpabilité et d’imputabilité. Or, il a été démontré dans la première partie de cette étude
que, loin de se confondre, les notions étaient indépendantes l’une de l’autre et que seule la
culpabilité entrait dans la constitution de l’élément psychologique de l’infraction,
l’imputabilité étant une donnée extérieure à l’infraction. Nous avions donc conclu qu’il doit
être débattu de son existence au moment des faits postérieurement à la caractérisation de
l’infraction1594. Au-delà, pourquoi ne pas envisager que l’indépendance des composantes de
la responsabilité pénale trouve une manifestation concrète dans une division du procès
pénal ? L’adoption de la césure comme modèle unique du procès pénal permettrait de
reconnaître un temps spécifique à l’imputabilité au cœur du jugement pénal intermédiaire,
entre la déclaration de culpabilité et le choix de la peine1595.

En outre, la consommation procédurale de la dichotomie conceptuelle entre culpabilité et


imputabilité pourrait se révéler pertinente afin d’encadrer le caractère néopositiviste de
certaines évolutions contemporaines. Cette affirmation trouve une pertinence particulière à
l’endroit des aliénés. Il paraît incontestable que leur place dans le système pénal a augmenté
sous l’impulsion combinée des victimes et des experts-psychiatres. Il faut comprendre
l’inconvénient que représente pour les victimes l’appréhension large de la culpabilité et le

1589. M. ANCEL, La Défense sociale nouvelle, Cujas, 1954.


1590. Créé par la loi no 75-624 du 11 juillet 1975, JO du 13 juillet 1975, p. 7219.
1591. C. SAAS, L’ajournement du prononcé de la peine. Césure et recomposition du procès pénal, Dalloz, 2004, no 151, p. 151.
1592. Loc. cit.
1593. Définie quant à elle à l’article 132-59 du Code pénal et dont on pourrait considérer qu’elle ne se différencie
de l’ajournement du prononcé de la peine que dans le degré de réalisation de ses conditions qui sont
identiques à celles requises en matière d’ajournement – en l’occurrence, ces dernières consistent dans le
reclassement du coupable, la réparation du dommage causé par l’infraction et l’apaisement du trouble à
l’ordre public. On comprendra que, dans le cadre de la dispense, elles doivent être réalisées alors qu’en
matière d’ajournement il suffit qu’elles soient en voie de réalisation.
1594. Cf. supra, partie 1.
1595. Ou de l’absence de peine.

338
traitement procédural simultané des questions de la culpabilité et de l’imputabilité. Dans le
respect de l’exigence d’imputabilité, ils conduisent à ne pas reconnaître la culpabilité d’une
personne qui a commis des faits pénalement réprimés, alors qu’une loi a bel et bien été
transgressée. Dans le même temps, une conception large de la culpabilité, au sens de
responsabilité pénale, est de nature à sortir l’intéressé du champ pénal en dépit de sa
dangerosité. Pour cette raison, les experts-psychiatres ont souvent préféré se placer sur le
terrain de l’alinéa 2 de l’article 122-1 du Code pénal, nonobstant la réalité de la psychologie
de l’agent, afin que sa responsabilité pénale puisse être engagée, une peine prononcée, et la
société, au moins un temps, protégée. La procédure de déclaration d’irresponsabilité pénale
pour cause de trouble mental1596, dont nous établirons qu’elle repose sur une division entre
la décision sur la culpabilité et la décision sur l’imputabilité, était destinée à satisfaire les
attentes des victimes et l’objectif de protection de la société dans le respect des principes
directeurs du procès pénal. Il nous appartiendra cependant de vérifier dans quelle mesure
cette procédure a répondu aux attentes qui pouvaient être placées en elle. De la même
manière, nous interrogerons la pertinence de la césure du procès pénal, telle qu’officiellement
adoptée par la loi no 2011-939 du 10 août 2011 et modifiée par la loi no 2016-1547 du 18
novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle1597, au regard de l’économie
originelle de l’ordonnance du 2 février 1945. Enfin, et de manière inattendue, il conviendra
de conclure au dévoiement de cette institution procédurale, l’application de la césure du
procès pénal à des aliénés ou à des mineurs délinquants conduisant in fine à la pénalisation de
ces deux catégories de délinquants.

De manière plus subsidiaire, les développements à venir laisseront donc apparaître que le
droit pénal post-moderne questionne incidemment l’économie du procès pénal autour de la
problématique de l’adoption du modèle de la césure ou du maintien du principe de la
structure monolithique. Peut-on concevoir que le droit pénal contemporain se soit orienté
vers la reconnaissance du principe d’une phase dédiée à l’imputabilité dans le jugement
pénal ? Si la conception monolithique du procès pénal entendu largement s’évince des
évolutions jurisprudentielle et législative, l’exclusion du principe de la césure résulte aussi de
la pénalisation des délinquants aliénés à l’issue de la procédure de déclaration
d’irresponsabilité pénale pour trouble mental. Par voie de conséquence, nous conclurons
donc, à l’issue de ce premier chapitre, à l’exclusion du principe d’une phase dédiée à
l’imputabilité dans le procès pénal (chapitre I).

Toutefois, comme cela a été évoqué plus haut, cette exclusion ne sera pas incompatible avec
la démonstration d’implications procédurales ponctuelles de l’imputabilité. L’accroissement
de la fonction garantiste qui en découle permettra de donner une vision progressiste de
l’imputabilité dans « la justice pénale du XXIe siècle »1598. Les implications procédurales
ponctuelles de l’imputabilité participeront au recentrage de l’usage de la notion de dangerosité
par une délimitation de son champ d’action. En effet, la post-modernité ne suppose pas une
exclusion pure et simple du recours au concept de dangerosité – ni, d’ailleurs, une exclusion

1596. Cf. supra.


1597. Cette loi contient en effet des dispositions relatives à la justice des mineurs.
1598. Cf. J.-B. PERRIER, « La justice pénale du XXIe siècle – À propos de la loi no 2016-1547 du 18 novembre
2016 », Dr. pén., 2017, étude 2.

339
des victimes des prétoires pénaux. À l’inverse, la recherche d’une restauration de l’impératif
d’imputabilité et, dans le prolongement, d’une certaine efficience de la justice pénale, passe
par l’aménagement d’une cohabitation rationnelle des concepts. Le traitement lucide de la
délinquance contemporaine implique en effet une approche pluriconceptuelle de la
discipline. Il importera alors d’établir les modalités positives d’un recours raisonné à la
dangerosité tout en donnant un cadre aux prérogatives des victimes au sein d’un procès pénal
élargi (chapitre II).

340
Chapitre I

La recherche d’une cohabitation dédramatisée
de l’imputabilité et de la dangerosité dans le cadre
de la césure du procès pénal

Des procédures spécifiques ont été pensées en considération de la psychologie de l’agent, ce


qui suppose l’existence d’implications procédurales de l’imputabilité. Dans le prolongement
de ce constat, un questionnement va apparaître. Il réside dans le fait de savoir s’il est
souhaitable qu’une place soit par principe dédiée à l’étude de l’imputabilité dans le procès
pénal. Cette perspective, en traduisant procéduralement la dichotomie conceptuelle des
composantes de la responsabilité pénale, reposerait, comme nous tenterons de l’établir, sur
le dispositif de la césure du procès pénal. Dans ce contexte, la place de l’imputabilité dans le
procès pénal pourrait consister dans le délai d’ajournement, phase intermédiaire entre la
décision sur la culpabilité et la décision sur la peine, ou, plus généralement, dans l’existence
d’un temps spécifique du procès pénal dédié à l’examen de l’imputabilité (section 1). La
question se posera alors de la généralisation de ce mécanisme procédural à l’ensemble du
contentieux pénal, indépendamment de l’état d’esprit de l’agent au moment des faits. C’est
autrement questionner l’actualité de la structure monolithique du procès pénal dans un droit
pénal post-moderne. Cependant, le dévoiement de certains cas de césure existant en droit
positif à des fins répressives combiné au renforcement de la structure monolithique d’un
procès pénal entendu largement conduira à exclure le principe d’une phase dédiée à
l’imputabilité dans le procès pénal (section 2).

Section 1 – La potentialité d’une place spécifique pour l’imputabilité dans


le cadre de la césure du procès pénal
L’un des enseignements précédents réside dans la démonstration de l’autonomie des
composantes de la responsabilité pénale et de la priorité d’un débat sur la culpabilité
relativement à l’imputabilité1599. La postériorité d’un débat de fond sur l’imputabilité ouvre la
voie à la césure du procès pénal avec une place dédiée à la notion, comme nous tenterons de
le confirmer à travers l’étude du mécanisme intrinsèque de ce dispositif procédural. Le fil
rouge de cette démonstration repose sur l’idée que la libération d’un temps du procès pénal
à l’examen de l’imputabilité du sujet est de nature à satisfaire les attentes des victimes et de

1599. Cf. supra, partie 1.

341
la société dans le respect des principes directeurs du droit pénal. Il importe de distinguer
deux modalités de césure. Nous étudierons dans un premier temps la césure dissociant le
prononcé de la culpabilité de celui de la peine. Ce modèle de césure attribue implicitement
une place spécifique à l’imputabilité au sein du procès pénal. Il renvoie à des hypothèses selon
lesquelles l’imputabilité de l’agent ne paraît pas poser de problème (§ 1). Il est aussi possible
de mettre en exergue l’existence d’une autre alternative de césure dont la scission s’organise,
explicitement cette fois, autour la distinction entre la décision sur la culpabilité et la décision
sur l’imputabilité. Cette dernière est destinée à couvrir des hypothèses où l’imputabilité du
sujet pose problème (§ 2).

§ 1 - La césure du procès pénal attribuant implicitement une place spécifique


à l’imputabilité au sein du jugement pénal

Le rattachement du débat sur l’imputabilité à une phase spécifique du procès pénal renvoie
à la césure du procès pénal. Pour appréhender la potentialité de la césure à encadrer le
néopositivisme contemporain, il faut préalablement rappeler la genèse de cette institution
procédurale (A.), avant de proposer une analyse de son mécanisme intrinsèque au travers de
l’ajournement du prononcé de la peine. Cette étude mettra en exergue l’existence d’une place
implicitement dédiée à l’imputabilité dans le cadre d’une appréhension traditionnelle de la
césure du procès pénal (B.).

A. La genèse de la césure du procès pénal

Ce mécanisme procédural, promu en droit interne par le mouvement de la Défense sociale


nouvelle, a pour origine la prise en compte de la personnalité du délinquant dans le cadre
du procès pénal, que l’on peut considérer comme unique mais élargi1600. En d’autres termes,
la césure s’est imposée en rapport avec la question de l’individualisation de la peine1601. Dans
la doctrine de la Défense sociale nouvelle, la prise en compte de la personnalité est sous-
tendue par l’impératif d’individualisation de la sanction aux fins de protection de la société
en amendant le délinquant par un traitement social adéquat. Pour améliorer la connaissance
de la personnalité du délinquant, et c’est même selon Marc Ancel « une de ses innovations
majeures dans le domaine de la défense sociale »1602 – voire une « innovation [qui] dérive
directement des positions du mouvement de défense sociale »1603 –, le Code de procédure
pénale de 1958 a institué, au stade de l’instruction, facultativement en matière délictuelle et

1600. On peut considérer que le procès pénal ne consiste pas seulement dans le jugement, en correctionnelle ou
aux assises, mais part de la commission ou de la découverte du délit et comprend successivement la phase
policière de l’enquête préliminaire, la phase judiciaire de l’instruction, de la condamnation puis de
l’application des peines, voire, selon la définition de Marc Ancel, « la phase postpénitentiaire où intervient
sous ses différentes formes l’assistance postpénale » (M. ANCEL, La Défense sociale, Que-sais-je, PUF, 1985,
p. 68).
1601. D’ailleurs, depuis l’entrée en vigueur du Code pénal le 1er mars 1994, les dispositions relatives à
l’ajournement du prononcé de la peine figurent à la section relative aux modes de personnalisation des
peines.
1602. M. ANCEL, La Défense sociale, op. cit., p. 69.
1603. Loc. cit.

342
obligatoirement en matière criminelle, un examen de personnalité qualifié d’« examen
médico-psychologique et social ». Le problème s’est alors posé de savoir à quel stade du
processus juridictionnel cet examen devait intervenir, étant donné que la procédure
traditionnelle a été conçue pour le jugement du seul fait délictueux. Ce qui est sujet à
questionnement est l’impartialité du jugement dès lors que l’examen de personnalité est
porté à la connaissance du juge, ou du jury, avant la décision sur la culpabilité et sur la peine.
Marc Ancel exprime d’ailleurs la « crainte que soit faussée l’appréciation (qui doit être
objective et impartiale) de la culpabilité »1604. En réaction à ces craintes, les premières
réflexions ont abouti à proposer de réserver cet examen de personnalité à la phase
post-sentencielle pour servir de fondement à « l’individualisation pénitentiaire »1605. Mais
faut-il vraiment attendre ce stade pénitentiaire pour apprécier judiciairement la personnalité
du délinquant ? Une orientation en forme de compromis suggère de tenir compte de
l’examen de personnalité pendant la phase présentielle, mais en le réservant à la seule
décision sur le choix de la sanction afin de ne pas influer sur la question de la détermination
de la culpabilité. Cependant, pour la mettre en œuvre procéduralement, il est nécessaire de
scinder le procès pénal entre deux phases, l’une relative à la détermination de la culpabilité
et l’autre relative au choix de la peine – autrement dit, d’opter pour la césure
« défensionniste » du procès pénal1606. Comme le résume Marc Ancel, « dans un premier
stade, le juge selon les formes traditionnelles se prononcerait sur la matérialité et
l’imputabilité1607 (le rattachement à son auteur) du fait incriminé ; ce premier point étant
tranché, le juge déterminerait la sanction applicable ou les suites à donner à l’affaire, après
examen (contradictoire) de la personnalité de l’individu reconnu “coupable” »1608. L’étude
des cas « positifs » de césure du procès pénal montre que ces mécanismes vont au-delà, en
singularisant les trois protagonistes conceptuels du procès pénal : la culpabilité entendue
strictement (et non en tant que terme générique désignant la responsabilité pénale1609), la
peine, mais aussi l’imputabilité. Il en est ainsi, par exemple, de l’ajournement du prononcé
de la peine.

1604. Ibid., p. 71. En ce sens, Claire Saas considère également que « le droit à un procès équitable qui est reconnu
aux termes de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, ne semble pas être
véritablement consacré dans le cadre d’une audience unique, puisqu’il s’agit du droit, pour l’accusé, à être
entendu par un tribunal indépendant et surtout impartial. Donner à une juridiction des éléments
concernant le prononcé de la peine au stade de la culpabilité revient à amoindrir ce droit à être entendu
par un tribunal indépendant et impartial. Scinder en deux parties le déroulement du procès pénal permet
donc également de garantir ce droit à l’impartialité… » (C. SAAS, L’ajournement du prononcé de la peine. Césure
et recomposition du procès pénal, Dalloz, 2004, no 15, p. 15).
1605. L’une des premières manifestations de cette individualisation pénitentiaire a consisté dans la création, par
la loi du 24 mai 1951, du Centre national d’orientation, installé à la prison de Fresnes, pour procéder à
l’examen de personnalité des condamnés à de longues peines afin de mieux les orienter vers des
établissements diversifiés. Par la suite, les missions du centre ont été redéfinies, d’abord avec la loi
no 2008-174 du 25 février 2008, puis la loi no 2010-242 du 10 mars 2010, laquelle a abouti à la mise en
œuvre d’une évaluation pluridisciplinaire de dangerosité confiée à cette institution qu’on nomme
aujourd’hui Centre national d’évaluation (CNE). Précisons qu’il existe aujourd’hui trois CNE (à la maison
d’arrêt de Fresnes, au centre pénitentiaire du Sud-Francilien à Réau et à la maison d’arrêt de Sequedin).
1606. Césure qui n’est pas sans évoquer la séparation du fait et du droit gouvernant l’économie de la procédure
criminelle.
1607. Il conviendrait, dans le cadre de cette étude et des distinctions opérées, de parler d’imputation.
1608. M. ANCEL, La Défense sociale, op. cit., p. 71.
1609. Le terme de culpabilité entendu largement, en tant que synonyme de la responsabilité pénale, englobe
alors aussi l’imputabilité.

343
B. L’ajournement du prononcé de la peine, une summa divisio du procès pénal
consommant implicitement l’autonomie des concepts de culpabilité et d’imputabilité

Comme le démontre Claire Saas, il est possible d’analyser l’ajournement du prononcé de la


peine comme une hypothèse de césure du procès pénal à part entière pouvant servir de
fondement à une recomposition du procès pénal. En poussant plus avant le décryptage de
l’ajournement, il est permis de dépasser la division suggérée explicitement par l’intitulé de
cette institution procédurale pour l’enrichir d’une distinction substantielle supplémentaire
entre culpabilité et imputabilité, tout en reconnaissant, dans le procès pénal, un temps précis
pour chaque composante de la responsabilité pénale. Dans le cadre de cette recomposition
du procès pénal, l’étude de l’imputabilité s’opère pendant le délai d’ajournement (1.). Le fait
que la phase intermédiaire de l’ajournement soit traditionnellement affectée à la réflexion sur
le choix de la peine, en se fondant notamment sur des éléments de la personnalité de l’agent,
milite en ce sens (2.). Au-delà de la simple manifestation procédurale de la dichotomie des
composantes de la responsabilité pénale, la dissociation des concepts de culpabilité et
d’imputabilité dans le cadre du jugement pénal est de nature à œuvrer pour la dépénalisation
de la maladie mentale (3.).

1. Le rattachement de l’imputabilité à la phase intermédiaire de l’ajournement


du prononcé de la peine
L’ajournement du prononcé de la peine est défini par l’article 132-60, alinéa 1er du Code
pénal, aux termes duquel : « La juridiction peut ajourner le prononcé de la peine lorsqu’il
apparaît que le reclassement du coupable est en voie d’être acquis, que le dommage causé est
en voie d’être réparé et que le trouble résultant de l’infraction va cesser ». L’ajournement
permet au juge, après avoir retenu la culpabilité du prévenu, de se prononcer ultérieurement
sur la peine, à l’issue d’une période d’épreuve1610. En instituant l’ajournement du prononcé
de la peine1611 par la loi du 11 juillet 1975, le législateur est donc venu révolutionner
l’économie du procès pénal en offrant au juge la possibilité de scinder le déroulement du
procès en deux phases1612. Claire Saas démontre alors dans sa thèse comment « l’ajournement,
en interrompant le procès pénal, en propose une relecture »1613. Elle considère ainsi que « bien
que le législateur n’ait certainement pas envisagé cette question en 1975 […] en préférant le
vocable de “coupable” à celui de “responsable” », il aurait introduit, outre la distinction entre
la décision sur la culpabilité et la décision sur la peine, « une seconde distinction entre la
phase de détermination de la culpabilité et la phase de détermination de l’imputabilité »1614.
Autrement dit, « l’ajournement permettrait une distinction formelle entre deux phases et une

1610. Si, à l’issue de cette période, le prévenu satisfait cumulativement aux conditions énumérées par
l’article 132-60, alinéa 1er, il pourra bénéficier d’une dispense de peine.
1611. Ainsi que la dispense de peine (cf. art. 132-59, C. pén.).
1612. Révolution, car cette institution procédurale est une exception au principe de la structure monolithique
du procès pénal en venant faire obstacle à deux de ses principes directeurs. Le premier, substantiel, est
relatif à l’automaticité du lien entre la décision de culpabilité et la décision sur la peine. Il trouve son
fondement dans le principe fondamental de la légalité des délits et des peines (cf. not. C. pén., art. 111-2).
Le second, formel, est relatif à l’indivisibilité de la sentence pénale et trouve son fondement, en matière
correctionnelle, dans l’article 464, alinéa 1er du Code de procédure pénale et, en matière
contraventionnelle, dans l’article 539 du même code.
1613. C. SAAS, L’ajournement du prononcé de la peine – Césure et recomposition du procès pénal, Dalloz, 2004, no 1.
1614. Ibid., no 21.

344
distinction substantielle ente trois éléments, la culpabilité, l’imputabilité et la peine »1615. Plus
encore, « la technique de l’ajournement permettrait de consommer, en quelque sorte, la
dissociation théorique qui existe entre la culpabilité et l’imputabilité, en consentant à cette
dernière une place spécifique au sein du procès pénal »1616. Ainsi, selon Jacques Verhaegen,
la distinction de l’imputabilité et de la culpabilité constitue la « deuxième césure »1617 du
procès pénal. Un argument au soutien de cette théorie pourrait résider dans le fait que, dans
le cadre de l’ajournement du prononcé de la peine, la phase intermédiaire du procès pénal est
consacrée à l’étude des éléments de la personnalité de l’agent. Si le terme de personnalité
renvoie sans aucun doute à l’histoire de la personne, à son vécu, à des considérations sociales
ou familiales la concernant, il semble suffisamment large pour intégrer le concept
d’imputabilité.

2. La personnalité de l’agent, un argument au soutien du rattachement de


l’imputabilité à la phase intermédiaire d e l’ajournement du prononcé de la peine
Les conditions de l’imputabilité constituant des éléments de la personnalité, il est logique
d’en débattre dans une phase du procès pénal consacrée à la réflexion sur le choix de la peine,
ou de l’absence de peine, étant donné que ce dernier est gouverné par le principe
d’individualisation de la sanction pénale, conformément à l’article 132-1 du Code pénal.
L’alinéa 3 de cet article vise expressément « la personnalité l’auteur » au rang des critères
d’individualisation. Pour corroborer cet argument, on peut se prévaloir de la création d’un
nouveau cas de césure par l’article 5 de la loi no 2014-896 du 15 août 20141618. Elle a répondu
à l’objectif d’une meilleure individualisation de la peine en instaurant « une nouvelle
institution procédurale dénommée “ajournement aux fins d’investigation sur la personnalité
ou la situation matérielle, familiale et sociale” »1619. En l’occurrence, l’emploi du temps
intermédiaire entre la reconnaissance de culpabilité et le choix de la peine à la réalisation
d’investigations sur la personnalité de l’intéressé ne fait que conforter le rattachement de
l’imputabilité à ce temps spécifique du jugement pénal1620. Dans le même sens, il est permis
de se prévaloir des hypothèses d’ajournement spécifiques à la minorité pénale. La
loi no 2011-239 du 10 août 2011 relative à la participation des citoyens au fonctionnement de
la justice pénale et au jugement des mineurs a prévu la césure du procès pénal des mineurs.

1615. Loc. cit.


1616. Ibid., no 206.
1617. J. VERHAEGEN, « La 2e césure – À propos de la déclaration de culpabilité, notion complexe du jugement
pénal », in Droit et intérêt, volume 3 : droit positif, droit comparé et histoire du droit, P. GERARD (dir.), F. OST,
M. VAN DE KERCHOVE, publications des facultés universitaires Saint-Louis, 1990.
1618. Pour des commentaires relatifs aux dispositions de cette loi, cf. notamment J.-H. ROBERT, « Réforme
pénale – Punir dehors. Commentaire de la loi no 2014-896 du 15 août 2014 », op. cit.
1619. C. pén., art. 132-70-1 et 132-70-2.
1620. Il serait même possible d’affirmer la durée maximale du délai imparti à la réflexion sur l’imputabilité
puisque la loi d’août 2014 est venue préciser à l’article 130-70-1 nouveau du Code pénal que « la décision
sur la peine intervient au plus tard dans un délai de quatre mois après la décision d’ajournement, sous
réserve des délais plus courts prévus par le Code de procédure pénale quand la personne est placée en
détention provisoire ». Le délai dédié à l’examen de l’imputabilité est donc, dans cette hypothèse, de quatre
mois. L’article précise en outre qu’il peut être renouvelé une fois. Par ailleurs, conformément aux
prévisions du législateur, ce temps intermédiaire pouvant aussi être exploité pour réaliser des
investigations sur la situation matérielle, familiale et sociale du « coupable », il pourrait être
concurremment mis à profit pour évaluer la dangerosité du délinquant (cf. infra, partie 2, pour les critères
d’évaluation de la dangerosité).

345
Antérieurement à l’adoption de cette loi, l’article 20-7 de l’ordonnance du 2 février 1945
relative à l’enfance délinquante prévoyait expressément que les dispositions du Code pénal
relatives à la dispense de peine et à l’ajournement du prononcé de la peine étaient applicables
aux mineurs de 13 à 18 ans. Il prévoyait en outre une hypothèse spécifique à la minorité
résultant de la loi du 1er juillet 1996. En application de cette dernière, toujours de droit positif,
« l’ajournement du prononcé de la mesure éducative ou de la peine pourra également être
ordonné lorsque le tribunal pour enfants considérera que les perspectives d’évolution de la
personnalité du mineur le justifient »1621. Cette hypothèse d’ajournement a donc été reprise
par la loi de 2011 et insérée dans le nouvel article 24-5 (1°) de l’ordonnance de 1945. Cette
même loi a ajouté une nouvelle hypothèse spécifique à la minorité à l’article 24-5 (2°) de
ladite ordonnance, qui consiste dans la nécessité de réaliser « des investigations
supplémentaires sur la personnalité mineur ». Le nouvel article 24-51622 de l’ordonnance de
1945 prévoit donc deux cas spécifiques de césure en lien avec la personnalité du mineur. Il
apparaît plus nettement encore que, dans le cadre de l’ajournement applicable en droit pénal
des majeurs1623, le délai entre l’audience sur la culpabilité du mineur et le prononcé de la
mesure appropriée s’avère être un temps précieux à l’étude de la personnalité de l’intéressé.
Ce constat a été accru avec l’adoption de la loi no 2016-1547 du 18 novembre 2016 de
modernisation de la justice du XXIe siècle. Il ressort de plusieurs dispositions de la loi
nouvelle. Par exemple, le fait que le délai d’ajournement soit mis à profit pour étudier la
personnalité du mineur ressort clairement de l’article 24-7 de l’ordonnance du 2 février 1945,
aux termes duquel :

Par dérogation au troisième alinéa de l’article 8-3 et au II de l’article 14-2, le procureur


de la République peut faire application des procédures prévues aux mêmes articles à
l’encontre d’un mineur pour lequel aucune investigation n’a été ordonnée en application de l’article
8 et alors qu’il n’existe pas dans le dossier d’éléments suffisants sur sa personnalité pour permettre au
tribunal de se prononcer, dès lors qu’il requiert dans la saisine du tribunal qu’il soit fait
application [de la césure du procès pénal].

L’article 32 de la loi du 18 novembre 2016 a aussi prévu de prolonger le délai de la césure.


Le but était de dépasser le délai contraignant de six mois afin, notamment, de permettre
d’achever l’évaluation de la personnalité avant de prononcer le jugement final1624. Aussi, le
fait que la phase intermédiaire entre l’audience de culpabilité et l’audience relative à la
détermination de la peine, sanction ou mesure éducative soit pour l’essentiel consacrée à
l’étude de la personnalité du mineur – qu’il s’agisse d’en approfondir sa connaissance ou de
pronostiquer son évolution dans l’avenir – vient corroborer l’analyse de l’ajournement
délivrée par Claire Saas, selon laquelle ce temps intermédiaire peut être dédié à
l’imputabilité1625. Pour conclure sur ce point, il est permis d’évoquer un argument d’une autre

1621. Ord. 2 févr. 1945, anc. art. 20-7.


1622. Tel qu’issu de la loi no 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle.
1623. Du moins avant la loi Taubira d’août 2014 qui a créé un nouveau cas d’ajournement aux fins de réaliser
notamment des investigations sur la personnalité du majeur (cf. supra).
1624. Cf. la circulaire du 13 décembre 2016 présentant les dispositions de la loi du 18 novembre 2016 de
modernisation de la justice du XXIe siècle, relatives à la justice pénale des mineurs (NOR :
JUSD1636964C).
1625. Dans la mesure où, comme nous l’avons vu, les conditions de l’imputabilité participent de la personnalité
de l’intéressé.

346
nature qui découle de l’appréhension purement juridique du concept de culpabilité1626. Le
caractère objectivé de la culpabilité implique que les éléments constitutifs de l’imputabilité ne
soient pas utiles à la détermination de l’existence de l’élément psychologique de l’infraction,
donc de l’infraction elle-même. Ils peuvent effectivement n’être recueillis qu’après la
reconnaissance de la culpabilité de l’intéressé, autrement dit pendant la phase intermédiaire
du procès pénal (entre la décision sur la culpabilité et la décision sur la peine) ou pendant le
délai d’ajournement1627.

Au final, il semble permis de conclure que les mécanismes de césure du procès pénal reposant
sur une dissociation formelle de la détermination de culpabilité et de la détermination de la
peine sont de nature à opérer « une double distinction de fond, entre la peine et la
responsabilité pénale, d’une part, et entre la culpabilité et l’imputabilité, d’autre part. Cette
double distinction substantielle offre à chaque question, de la culpabilité, de l’imputabilité et
de la peine, un temps précis dans le procès pénal »1628. L’affectation d’un temps spécifique du
procès pénal à chaque élément du jugement pénal est de nature à œuvrer pour la
dépénalisation de l’aliénation mentale.

3. La manifestation procédurale de la dichotomie conceptuelle entre culpabilité


et imputabilité, facteur théorique de dépénal isation de l’aliénation mentale
Quel intérêt y aurait-il d’accorder à chaque composante de la responsabilité pénale un temps
précis dans le procès pénal ? A priori, il pourrait paraître pertinent d’utiliser la césure du
procès pénal pour des personnes dont l’imputabilité pose problème : les mineurs, certes, mais
aussi les « déments ». Comme le relevait Claire Saas antérieurement à la réforme opérée par
la loi du 25 février 2008, « si l’on écarte l’absence d’imputabilité, sans considération autonome
de la question par rapport à la culpabilité, il n’y a aucun doute que le répressif prenne le pas
sur l’éducatif ou le soin »1629. Il s’agit de comprendre que « la difficulté de juger les personnes
marginales, telles les mineurs ou les déments, du fait de l’imbrication de la culpabilité et de
l’imputabilité au sein de la responsabilité pénale, pourrait trouver un apaisement dans
l’ajournement, si ce dernier permettait de distinguer la culpabilité et l’imputabilité »1630. Cela
tient au fait qu’en dissociant au sein de la responsabilité pénale la culpabilité et l’imputabilité,
il serait alors permis « de considérer un individu coupable d’une infraction, sans pour autant
sanctionner pénalement celui-ci »1631. Pour signifier cette idée, Claire Saas oppose les notions
de résultat juridique et de résultat symbolique. Dans le cadre d’une procédure pénale impliquant
un aliéné, les résultats juridiques d’une audience unique ou d’un procès divisé en deux phases

1626. Cf. supra, partie 1, pour une étude approfondie de la notion.


1627. Pour cette raison, Claire Saas propose notamment que l’expert psychiatre n’intervienne que plus
tardivement dans le déroulement du processus pénal – son étude débouchait notamment sur la
proposition d’une redéfinition du travail de l’expert (cf. C. SAAS, L’ajournement du prononcé de la peine. Césure
et recomposition du procès pénal, Dalloz, 2004). On serait tenté de l’approuver quand on pense à la
multiplication des expertises psychiatriques ordonnées dans le cadre d’un procès d’assisses et au fait que
les contradictions qui en résultent concourent inéluctablement à troubler l’appréhension de la culpabilité
de l’agent. On pourrait avancer que la multiplication des demandes d’expertises procède d’une
instrumentalisation de ce droit, le plus souvent par les avocats de la défense.
1628. C. SAAS, L’ajournement du prononcé de la peine. Césure et recomposition du procès pénal, Dalloz, 2004, no 173-2.
1629. Ibid., no 20, p. 22.
1630. Ibid., no 12, p. 12.
1631. Ibid., no 24, p. 25.

347
seraient sensiblement identiques puisque, dans les deux hypothèses, si l’acte délictueux n’était
imputable à un individu, ce dernier ne pourrait être déclaré responsable pénalement.
En revanche, les résultats symboliques seraient différents. Dans le cas de la césure du procès
pénal impliquant un aliéné, « une infraction est imputée matériellement à un individu, mais
qui ne devra pas en répondre, puisqu’il ne disposait pas de la capacité de discernement
nécessaire au moment de la commission des faits »1632. Le résultat symbolique réside dans la
signification d’une déclaration de culpabilité. L’idée est qu’une fois le débat sur la culpabilité
de l’intéressé purgé, et les attentes des victimes ainsi satisfaites, un autre peut en effet s’ouvrir,
de manière plus apaisée, relativement à l’imputabilité de la personne. À partir du moment où
l’on considère que la déclaration de culpabilité n’inclut pas la question de la responsabilité
pénale, donc de l’imputabilité, il est possible de « reconnaitre des individus déments
coupables d’avoir commis une infraction, mais sans qu’ils aient à en répondre pénalement
par l’exécution d’une sanction pénale »1633. Des réticences pourraient s’élever en doctrine sur
la possibilité de reconnaître un individu coupable mais pas responsable. Le fait est qu’elle
n’est que la traduction procédurale de la dichotomie conceptuelle au sein de la responsabilité
pénale. Ainsi, le renouvellement procédural de la question de la responsabilité pénale des
délinquants aliénés serait de nature à satisfaire les demandes des victimes dans le respect des
principes directeurs du droit pénal. Nous allons établir qu’avec la procédure de déclaration
d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental, le législateur s’était apparemment
engagé dans cette voie1634.

L’hypothèse selon laquelle l’ajournement du prononcé de la peine constituerait la


manifestation concrète d’une dichotomie entre les concepts de culpabilité et d’imputabilité
se trouve donc confirmée par l’existence de cas de procédures distinguant expressément une
phase dédiée à la décision sur la culpabilité et une autre à la décision sur l’imputabilité.

§ 2 - La césure du procès pénal consacrant expressément une phase


du procès pénal portant sur l’imputabilité

Cette phase revêt une importance plus ou moins grande selon que l’on se place dans le cadre
de la procédure suivie devant la cour d’assises ou dans le cadre de la procédure de déclaration
d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental, le temps du jugement pénal consacré
à l’imputabilité allant respectivement de la simple question posée relativement à son existence
jusqu’à la tenue d’une audience spécifique. Dans le cadre de ce développement, il conviendra
de ne s’attarder que sur la procédure criminelle, afin de mettre en lumière le fait que la césure
du procès pénal peut aussi conduire à consacrer expressément une phase du procès pénal au
débat sur l’imputabilité1635.

1632. Ibid., no 151, p. 152.


1633. Loc. cit.
1634. Nous nous interrogerons dans un développement suivant sur le point de savoir si la réforme opérée a
satisfait les attentes qui pouvaient être placées en elle.
1635. La procédure de déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental sera étudiée dans la
section suivante afin de révéler que la césure du procès ainsi structurée peut cependant être dévoyée.

348
L’hypothèse d’une césure du procès pénal consacrant expressément une phase du jugement
au débat sur l’imputabilité n’est pas nouvelle. Elle est susceptible de se rencontrer dans le
cadre de la procédure criminelle. On pense à la mini-césure de la procédure suivie devant la
cour d’assises1636. Cette dernière a été mise en place par l’article 349-1 du Code de procédure
pénale tel qu’issu de la loi du 15 juin 20001637. Depuis l’entrée en vigueur de cet article,
l’ensemble des causes générales d’irresponsabilité prévues par le Code pénal1638 procèdent
d’un régime procédural identique en cas de poursuites devant la cour d’assises1639. Plus
précisément, elles font désormais l’objet d’une question spéciale posée à la cour et au jury si
l’accusé invoque l’une d’entre elles comme moyen de défense. En pratique, la question
relative à la culpabilité de l’intéressé, pour chaque fait spécifié dans le dispositif de la décision
de mise en accusation, doit donc désormais être suivie d’une question concernant
l’imputabilité ou l’existence d’une justification, à moins que, avec l’accord des parties, une
seule question relative à l’irresponsabilité soit posée pour l’ensemble des faits reprochés à
l’accusé. Ainsi, on peut considérer qu’une mini-césure résulte implicitement de l’article 349-1
du Code de procédure pénale, la cour d’assises devant répondre à deux questions distinctes
qui se succèdent : la première sur la culpabilité de l’accusé, la seconde sur son éventuel défaut
d’imputabilité. Elle formalise la dissociation substantielle des composantes de la
responsabilité pénale par le biais des questions spécifiques relatives à la culpabilité et à
l’existence d’une cause de non-imputabilité invoquée par l’accusé.

1636. Le terme n’est pas sans évoquer la demi-césure préconisée par André Vitu (cf. A. VITU, « La division du
procès pénal en deux phases », rapport au Xe congrès de l’association internationale de droit pénal à Rome
en 1969, R.I.D. pén., 1969, p. 494). Cependant, il n’y aura pas lieu de s’y attarder dans la mesure où elle ne
renvoie pas à la même division du procès pénal. Si l’auteur faisait la promotion d’une césure consistant à
« scinder formellement en deux étapes l’audience même devant la juridiction de jugement » (ibid.), il ne
s’agissait alors que de dissocier formellement la question de la culpabilité entendue largement de la
question de la détermination de la peine.
1637. Elle se distingue de la scission originelle de la procédure criminelle mise en place avec l’adoption du Code
d’instruction criminelle en 1808. Cette dernière résultait de l’introduction du jury dans la composition de
la juridiction de jugement et reposait sur la séparation du fait et du droit, consommée et incarnée par la
dualité des compétences du jury et des magistrats professionnels. Ainsi, alors que le jury était chargé de
prendre la décision sur la culpabilité entendue largement – ils se prononçaient donc sur la culpabilité et
sur le degré de responsabilité de l’accusé –, la décision sur la peine incombait aux magistrats
professionnels. La césure originelle de la procédure criminelle était donc double, à la fois substantielle
(dissociation du prononcé de la culpabilité au sens large et de la détermination de la peine) et organique
(dualité de compétences entre le jury et les magistrats professionnels). Cependant, les modifications
ultérieures du jury ont entraîné un affaiblissement de la césure originelle du procès pénal – pour ne citer
que les réformes majeures, nous mentionnerons les lois du 10 décembre 1908, du 5 mars 1932 et du 25
novembre 1941 –, au point même de la rendre caduque puisqu’à l’issue de ces lois, Cour et jury se trouvent
associés pour la délibération sur la culpabilité et sur la peine. Elle a cependant été relayée par la mise en
place de la césure résultant du nouvel article 349-1 du Code de procédure pénale tel qu’issu de la loi du
15 juin 2000. Qu’il soit permis de préciser que, dans le cadre de cette étude, nous ne souscrivons pas à la
présentation de la scission originelle dissociant la question du fait et du droit comme consommant la
dichotomie des composantes de la responsabilité pénale. Cela tient au fait que l’établissement de la
culpabilité, qui s’entend d’une notion juridique, n’est pas compatible avec la séparation radicale du fait et
du droit. Certains auteurs ont d’ailleurs dénoncé la séparation « chimérique » du fait et du droit (le terme
est emprunté à L. HUGUENEY, « La loi du 25 novembre 1941 sur le jury », RSC, 1945, p. 15) en se fondant
notamment sur le fait qu’en droit interne, l’opération de qualification des faits est une opération mêlant
règles de droit et faits de l’espèce. Autrement dit, « la question de la culpabilité ne saurait être assimilée à
une question purement factuelle, dans la mesure où elle repose sur une qualification juridique des faits »
(C. SAAS, L’ajournement du prononcé de la peine. Césure et recomposition du procès pénal, Dalloz, 2004, no 43).
1638. Celles prévues aux articles 122-1, alinéa 1er, 122-2, 122-3, 122-4, 122-5, 122-7 du Code pénal.
1639. Cf. C. pr. pén., art. 349-1.

349
Plus récemment, le droit positif s’est doté d’une procédure plus explicite encore reposant
expressément sur une division entre une audience sur la culpabilité et une audience sur
l’imputabilité du sujet. S’inscrivant dans la droite ligne de rapports précédents, au rang
desquels le rapport rendu par la commission Santé-Justice présidée par Jean-François
Burgelin1640 – qui prévoyait notamment la création d’une audience ad hoc chargée de statuer
sur la seule imputabilité des faits–, la procédure de déclaration d’irresponsabilité pénale pour
cause de trouble mental, telle que créée par la loi du 25 février 20081641, est particulièrement
significative de la dissociation des composantes de la responsabilité pénale. De ce point de
vue, l’étude de la procédure applicable devant la chambre de l’instruction représente le cas le
plus abouti de dissociation des composantes de la responsabilité pénale. Cela tient au fait que
le débat sur l’imputabilité morale fait l’objet d’une audience spécifique, « l’audience
d’imputabilité », pour reprendre les termes de Frédéric Desportes et Francis Le Gunehec à
propos de l’audience devant la chambre de l’instruction1642. Cependant, malgré le constat de
l’évolution du droit positif vers la multiplication des cas de césure du procès pénal, cette
dernière ne saurait constituer l’économie du procès pénal de demain. L’exclusion du modèle
principal de la césure tient notamment au fait qu’elle est dévoyée de sa finalité première, en
participant de la pénalisation des délinquants au discernement partiel.

Section 2 – Le dévoiement de la césure excluant l’existence processuelle


de l’imputabilité
Malgré la diversité des cas de césure du procès pénal, on observe, dans le même temps,
l’évolution du droit positif vers la reconnaissance d’une conception élargie du procès pénal.
En d’autres termes, le paradigme du procès pénal du XXIe siècle pourrait déborder largement
le prononcé de la sanction pénale, notamment jusqu’à couvrir la phase de l’application des
peines.1643 Si l’on combine cet élément au fait que le mécanisme de la césure du procès pénal
est finalement utilisé à des fins répressives, la structure monolithique du procès pénal semble
pérenne. Le législateur a notamment prévu la césure du procès pénal à l’intention des
délinquants au discernement défaillant, qu’il s’agisse de délinquants majeurs aliénés ou
mineurs. Dans les deux hypothèses, nous allons tenter d’établir que la césure a été déroutée
de sa finalité initiale. En droit pénal des majeurs, la procédure de déclaration
d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental conduit à la pénalisation de la maladie
mentale (§ 1). En droit pénal des mineurs, quand la césure du procès pénal vient à être
appliquée, elle est sans incidence pratique sur la pénalisation des mineurs délinquants (§ 2).

1640. J.-F. BURGELIN, Santé, justice et dangerosités : pour une meilleure prévention de la récidive, 6 juillet 2005.
1641. Cette procédure fait l’objet d’un titre spécifique dans le Code de procédure pénale intitulé « De la
procédure et des décisions d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental » comportant les articles
706-119 à 706-140 du même code.
1642. F. DESPORTES et F. LE GUNEHEC, Droit pénal général, op. cit.., no 638-5, p. 612.
1643. Deux éléments de forme concourent à ce constat, le premier tenant à la juridictionnalisation de
l’application des peines et le second à l’augmentation des garanties processuelles du condamné au stade
de l’application des peines.

350
§ 1 - La pénalisation des délinquants souffrant
de troubles psychiques ou neuropsychiques

La procédure de déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental peut


s’analyser comme un véritable procès ouvrant la voie à l’infliction d’authentiques peines à
des aliénés délinquants. Il a déjà été établi que les mesures pouvant être infligées à l’aliéné
s’apparentaient majoritairement à des peines. Pour prendre l’entière mesure de la pénalisation
de la maladie mentale, il convient maintenant d’analyser le déroulement de la procédure
pénale applicable à l’aliéné, particulièrement lorsqu’elle est suivie devant la chambre de
l’instruction. Si on résume cette procédure, le délinquant souffrant de troubles psychiques
ou neuropsychiques est d’abord reconnu coupable d’avoir commis une infraction (A.), avant
de se voir infliger une sanction pénale, voire une authentique peine, nonobstant une audience
décidant de sa « non-imputabilité » au moment des faits (B.). La césure du procès pénal
organisée autour de la dissociation des composantes de la responsabilité pénale est inefficace
pour endiguer la pénalisation de la maladie mentale1644. Au contraire, même, la césure de la
procédure applicable à l’aliéné au stade de l’instruction renforce la pénalisation de la maladie
mentale.

A. La reconnaissance d’une culpabilité pénale comme préalable à l’audience sur


l’imputabilité

La doctrine s’accorde presque unanimement pour reconnaître à la déclaration


d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental un caractère hybride, à mi-chemin
entre une déclaration d’innocence et de culpabilité. Selon Laurence Leturmy et Patrick Kolb,
le législateur « tente le grand écart entre la classique ordonnance de non-lieu et la
condamnation de la personne poursuivie »1645. Quant à Jacques-Henri Robert, il annonçait,
consécutivement à l’adoption de la loi du 25 février 2008, l’entrée en scène d’un nouveau
personnage « ni relaxé ni condamné »1646. André Giudicelli considère pour sa part que « la
déclaration d’irresponsabilité pénale n’est en rien l’équivalent d’un non-lieu »1647.

L’enjeu premier de ce développement consistera à démontrer que l’aliéné fait bien l’objet
d’une déclaration de culpabilité pénale. L’établissement d’une authentique déclaration de
culpabilité à l’encontre de l’aliéné résulte de la conjonction de plusieurs éléments : d’une part
l’obligation générale de mentionner l’existence de charges suffisantes d’avoir commis les faits
reprochés (1.) et, d’autre part, l’assimilation législative de l’acte commis par un individu non
discernant à une véritable infraction (2.).

1644. Qu’il soit permis de souligner que si Claire Saas défend la césure du procès pénal du délinquant aliéné
comme facteur de dépénalisation de la marginalité, la thèse de l’auteur a été écrite avant l’adoption de la
loi du 25 février 2008. Il n’est pas certain que la procédure mise en place par le législateur à cette occasion
ait correspondu à ses attentes.
1645. L. LETURMY, P. KOLB, Droit pénal général, op. cit., p. 112 et suiv.
1646. J.-H. ROBERT, Dr. pén., 2008, repère 2.
1647. A. GIUDICELLI, « Procédure de déclaration d’irresponsabilité pénale : le refus problématique d’une
application immédiate », op. cit., p. 136.

351
1. L’obligation générale de mentionner l’existence de charges suffisantes d’avoir
commis les faits reprochés
La déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental ne peut être prononcée
que lorsqu’il est mentionné, dans la décision d’irresponsabilité, qu’il existe, à l’égard d’une
personne atteinte d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement
au moment des faits, des charges suffisantes établissant qu’elle a commis les faits
reprochés1648. L’examen des dix articles du Code de procédure pénale régissant la procédure
applicable devant le juge d’instruction et la chambre de l’instruction laisse apparaître que six
dispositions se réfèrent à l’existence de « charges suffisantes contre la personne d’avoir
commis les faits qui lui sont reprochés »1649. C’est autrement souligner, dans le cadre de cette
procédure d’instruction, l’importance de la reconnaissance de la culpabilité pénale de l’agent,
nonobstant son état psychique au moment des faits. Pour autant, la motivation d’une
décision d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental n’est pas une innovation de
la loi du 25 février 2008, mais de la loi du 9 mars 20041650. L’article 122 de ladite loi avait
inséré un deuxième alinéa à l’ancien article 177 du Code de procédure pénale relatif aux
ordonnances de non-lieu, pour préciser les conditions dans lesquelles elles devaient être
motivées lorsque le non-lieu était justifié soit par l’existence d’une cause d’irresponsabilité,
soit par le décès de la personne mise en examen. Ce dernier prévoyait que :

Lorsque l’ordonnance de non-lieu est motivée par l’existence de l’une des causes
d’irresponsabilité pénale prévues par le premier alinéa de l’article 122-1, les
articles 122-2, 122-3, 122-4, 122-5 et 122-7 du Code pénal ou par le décès de la personne
mise en examen, elle précise s’il existe des charges suffisantes établissant que l’intéressé
a commis les faits qui lui sont reprochés.

Même si l’ensemble des causes d’irresponsabilité pénale prévues par le Code pénal étaient
mentionnées, la circulaire d’application de la loi du 9 mars 2004 a mis au jour qu’« en pratique
toutefois, c’est principalement en considération des décisions de non-lieu résultant du trouble
mental de la personne qu’a été adoptée cette disposition »1651. Si l’on raisonne sur ce seul cas
de figure, et comme cela est précisé dans la circulaire de la direction des Affaires criminelles
et des Grâces, « ce n’est que parce que le juge estime que la personne a commis les faits dont
il était saisi que la constatation de son irresponsabilité mentale – qui empêche qu’elle soit
déclarée coupable par une juridiction de jugement – […] justifie un non-lieu »1652. Si cette
affirmation vient conforter l’idée de la reconnaissance préalable de la culpabilité pénale de
l’aliéné, il importe aussi de préciser que la personne ne peut être déclarée coupable par une
juridiction de jugement dans le sens où sa responsabilité pénale ne peut être retenue. Cela
revient à préciser que le terme de coupable est employé dans son acception large dans la lettre

1648. En ce qui concerne l’ordonnance rendue par le juge d’instruction, cette obligation résulte de
l’article 706-120 (2°) – du moins quand il a été investi du pouvoir de clore son information – alors que,
s’agissant de l’arrêt de déclaration d’irresponsabilité pénale rendu par la chambre de l’instruction, elle
s’excipe de l’article 706-125 (1°).
1649. Cf. C. pr. pén., art. 706-120 (1°) et (2°), 706-122 (5°), 706-123, 706-124 et 706-125 (1°).
1650. Cf. loi no 2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, déjà
évoquée.
1651. Circulaire de la DACG no 2004-16 du 21 septembre 2004 (JUSD0430184C).
1652. Ibid.

352
de la circulaire. En revanche, le fait d’estimer que la personne a commis les faits s’entend,
d’un point de vue juridique, d’une reconnaissance de sa culpabilité au sens strict. La circulaire
d’application de la loi du 9 mars 2004 soulignait aussi les « vertus » d’une reconnaissance de
culpabilité :

En cas de non-lieu pour trouble mental, ces précisions permettront ainsi à la victime, et
également, le cas échéant, à la personne poursuivie, de mieux comprendre le sens et la
portée de la décision judiciaire, en évitant qu’elle ne soit interprétée comme une forme
de déni de justice niant l’existence même du crime ou du délit qui a été commis.1653

La loi du 25 février 2008 a quant à elle prévu des dispositions particulières généralisant cette
obligation de motivation à l’ensemble des juridictions d’instruction1654 ou de jugement
s’apprêtant à rendre une décision portant « déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause
de trouble mental ». Ainsi, le tribunal correctionnel doit-il, en application de l’article 470-2
du Code de procédure pénale tel que créé par la loi de 2008, lorsqu’il estime que le premier
alinéa de l’article 122-1 du Code pénal est applicable, statuer conformément à
l’article 706-133 relatif à la déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental.
Il doit notamment « déclarer » dans son jugement « que la personne a commis les faits qui lui
étaient reprochés »1655. S’agissant de la cour d’assises, l’existence d’une réponse explicite à la
commission des faits par l’accusé existe, comme nous l’avons déjà étudié, depuis la loi du 15
juin 2000. Cette dernière avait introduit dans le Code de procédure pénale un nouvel
article 349-1 en vertu duquel lorsqu’est invoquée comme moyen de défense l’existence
notamment de la cause d’irresponsabilité pénale prévue par l’article 122-1, alinéa 1er du Code
pénal, « chaque fait spécifié dans le dispositif de la décision de mise en accusation fait l’objet
de deux questions posées ainsi qu’il suit : “1° L’accusé a-t-il commis tel fait ? ; 2° L’accusé
bénéficie-t-il pour ce fait de la cause d’irresponsabilité pénale prévue par l’article [122-1,
alinéa 1er] du Code pénal […] ?” »
La loi du 25 février 2008 est venue compléter ce dispositif spécifique en l’intégrant à la
procédure de déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental1656.

Si la démarche du législateur a d’abord eu pour objectif de remédier aux vives critiques


victimaires concernant les modalités procédurales dans lesquelles les juridictions répressives

1653. Ibid.
1654. Excepté le cas où le juge d’instruction n’a pas été investi de la compétence de clore sa procédure. Il s’agit
des cas où le procureur de la République ou une partie lui demandent de saisir la chambre de l’instruction.
En revanche, en l’absence de demande de saisine de la chambre de l’instruction ou s’il n’ordonne pas
d’office la transmission du dossier de la procédure, le juge d’instruction relève de l’obligation de
motivation et « il rend une ordonnance d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental qui précise
qu’il existe des charges suffisantes établissant que l’intéressé a commis les faits qui lui sont reprochés » (C.
pr. pén., art. 706-120, al. 2). Qu’il soit permis de préciser que l’article 177, alinéa 2 du Code de procédure
pénale précité et relatif notamment à l’obligation de motivation d’une ordonnance de non-lieu liée à
l’existence de l’une des causes d’irresponsabilité pénale prévues par le Code pénal, n’a pas été abrogé avec
l’entrée en vigueur de la loi du 25 février 2008. Seule a été logiquement supprimée la disposition relative
à l’obligation de motivation liée à l’application de l’article 122-1 du Code pénal.
1655. C. pr. pén., art. 706-133 (1°).
1656. Elle a notamment enrichi l’article 361-1 d’un deuxième alinéa en vertu duquel : « Si elle a répondu
positivement à la première question et positivement à la seconde question portant sur l’application des
dispositions du premier alinéa de l’article 122-1 du Code pénal, il est fait application des articles 706-129
et suivants relatifs à la déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental ».

353
décidaient de l’irresponsabilité, il faut aussi considérer qu’elle n’est pas dépourvue
d’incidences juridiques. En l’occurrence, il nous apparaît clairement, au regard notamment
de l’acception de la notion de culpabilité développée dans la première partie de cette étude,
que l’obligation de motivation incombant dorénavant à l’ensemble des juridictions a pour
conséquence de consacrer judiciairement mais aussi juridiquement la culpabilité des faits
reprochés à l’aliéné délinquant. Les opinions convergentes de certains auteurs appuient notre
raisonnement, à l’instar de Clément Margaine qui considère, à propos de la mention de
« charges suffisantes d’avoir commis les faits reprochés », que « cette périphrase
euphémistique ne désigne rien d’autre que des charges de culpabilité (et ce, en violation de la
présomption d’innocence) »1657. Cette analyse rencontre des détracteurs, comme André
Giudicelli qui, tout en relevant que « pour satisfaire certaines attentes des victimes, il y a eu
la volonté que soit prononcée par une juridiction répressive la participation de l’individu
poursuivi aux faits reprochés »1658, préfère voir dans la substance de la motivation
« l’affirmation d’une imputabilité matérielle, d’une forme de culpabilité objective, à défaut
d’une culpabilité subjective quant à elle impossible »1659. Cette critique rejoint notre analyse
puisque, comme nous venons de l’évoquer, nous avons déjà démontré l’existence d’une
conception objectivée de la culpabilité. Finalement, les opposants à la reconnaissance d’une
culpabilité juridique de l’aliéné ne s’opposent-ils pas avant tout à l’existence d’une conception
objectivée de cette dernière ? Il est permis de rappeler qu’il a été démontré qu’il y avait une
étroite imbrication entre l’exploitation des faits dans leur matérialité et la détermination de la
culpabilité de l’intéressé, élément moral de l’infraction. (Autrement dit, la reconnaissance de
la réalité des faits qui ont été matériellement commis par l’aliéné est indissociable de la
reconnaissance de culpabilité-élément moral, notamment au regard des mécanismes de
présomption étudiés dans la première partie de cette recherche.)
Au final, l’obligation générale pour les juridictions – d’instruction comme de jugement – de
mentionner l’existence de charges suffisantes à l’encontre de l’intéressé d’avoir commis les
faits reprochés correspondrait bien à la reconnaissance d’une culpabilité pénale. Il est
possible de confirmer cette analyse en démontrant que le législateur procède à l’assimilation
de l’acte commis par un individu non discernant à une véritable infraction.

2. L’assimilation législative de l’acte commis par un individu non discernant à


une véritable infraction
Selon Clément Margaine, la procédure de déclaration d’irresponsabilité pénale « reflète mieux
la possibilité de retenir une infraction en l’absence de discernement de l’auteur »1660 . C’est
dire que cette dernière peut être caractérisée en tous ses éléments constitutifs, notamment
psychologique, nonobstant le défaut d’imputabilité de l’aliéné. Plusieurs arguments
permettent de confirmer cette affirmation. Ils tiennent à l’abandon de l’ancienne
terminologie de non-lieu, relaxe et acquittement (2.1), dans l’emploi législatif du terme d’infraction

1657. C. MARGAINE, op. cit., p. 172. Pour une opinion similaire, cf. S. DETRAZ, « La création d’une nouvelle
décision de règlement de l’instruction : la décision d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental »,
RSC, 2008, p. 877, no 13.
1658. A. GIUDICELLI, « Procédure de déclaration d’irresponsabilité pénale : le refus problématique d’une
application immédiate », op. cit., p. 137.
1659. Loc. cit.
1660. C. MARGAINE, op. cit., no 255.

354
pour se référer à l’acte commis par l’aliéné (2.2) et dans l’assimilation jurisprudentielle de
l’acte commis par l’aliéné à une véritable infraction au regard des procédures de révision et
de réexamen d’une condamnation pénale définitive (2.3).

2.1 L’abandon de l’ancienne terminologie de non-lieu, relaxe et acquittement

Cette suppression, au-delà des considérations victimaires, est justifiée, comme le relèvent
Frédéric Desportes et Francis Le Gunehec, par le fait objectif que les anciennes terminologies
« s’appliquaient indifféremment à des personnes dont il n’était pas établi qu’elles avaient
commis une infraction, et dont l’innocence avait donc été reconnue, et à des personnes qui, bien
qu’ayant commis des faits constituant une infraction, n’en étaient pas jugées responsables
pénalement en raison d’un trouble mental aliénant »1661. Or, « il faut bien reconnaître qu’il
existe une différence de nature entre les deux hypothèses »1662. Stéphane Detraz considère lui
aussi qu’on ne saurait assimiler « le cas de la personne “entièrement” innocente (qui n’est pas
l’auteur des faits poursuivis, qui n’a pas réalisé un acte délictueux, ou dont l’état d’esprit au
moment des faits n’était pas l’intention exigée par le texte d’incrimination) à celle à l’encontre
de laquelle peuvent être relevés les éléments légal, matériel et moral (sauf l’imputabilité) de
l’infraction, mais qui est atteinte d’un trouble mental ayant aboli son libre arbitre au moment
des faits »1663. Nous ne pouvons que souscrire à cette analyse1664 et considérer que, à tout le
moins sur le plan formel, il importe « de distinguer la situation de l’individu non discernant
de celle de l’individu qui n’a pas commis d’acte délictueux »1665. La coexistence des deux
terminologies est logique puisqu’elle retraduit la réalité de deux situations opposées : une
situation « délictuelle », celle dans laquelle une infraction a été commise, et, à l’inverse, une
situation inqualifiable pénalement et dans laquelle aucune infraction n’a été commise. Pour
cette raison, nous nous prononcerons en faveur du maintien de la terminologie nouvelle
d’ordonnance, de jugement ou d’arrêt « d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental »1666. Si la
modification terminologique est révélatrice de la reconnaissance d’une culpabilité pénale, elle
est aussitôt relayée par différentes dispositions législatives assimilant explicitement l’acte
commis par un aliéné à une infraction.

2.2 L’emploi législatif du terme d’infraction pour se référer à l’acte commis par l’aliéné

Si le législateur évoque des formules neutres, telles que les « faits commis » ou les « faits
reprochés », pour désigner l’acte perpétré par l’individu non discernant1667, il emploie aussi
expressément le terme d’infraction. Dans l’hypothèse où la personne poursuivie fait l’objet
d’une déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental, la chambre de

1661. F. DESPORTES et F. LE GUNEHEC, Droit pénal général, op. cit., no 638-4.


1662. Loc. cit.
1663. S. DETRAZ, « La création d’une nouvelle décision de règlement de l’instruction : la décision
d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental », op. cit., p. 875, no 7.
1664. Surtout en l’absence d’une catégorie juridique autonome relative à un statut intermédiaire mi-innocent/mi-
coupable.
1665. C. MARGAINE, op. cit., no 255.
1666. Cf. infra, les propositions en vue de la « refonte » de la procédure de déclaration d’irresponsabilité pénale
pour cause de trouble mental.
1667. Cf. les articles 706-120, 706-122 à 706-125, 706-129 et 706-133 du Code de procédure pénale.

355
l’instruction comme les juridictions de jugement sont investies de la compétence d’ordonner
des mesures de sûreté à l’encontre de l’aliéné. L’article 706-136 du Code de procédure pénale
liste les différentes mesures de sûreté pouvant être prises et fixe leur durée maximale en
fonction de la gravité de l’acte commis. Or, pour évaluer cette gravité, le législateur fait
référence à la nature de l’infraction commise, ces mesures ne pouvant « excéder dix ans en
matière correctionnelle et vingt ans si les faits commis constituent un crime ou un délit puni
de dix ans d’emprisonnement ». Comment expliquer cette référence explicite à « un crime ou
un délit » en l’absence de discernement de l’auteur ? Selon Clément Margaine :

On peut considérer que le législateur, à travers cette formulation maladroite, fait en


réalité référence à l’infraction abstraitement réalisée par l’individu non discernant, c’est-
à-dire à l’infraction qu’aurait commise l’individu s’il avait été discernant. Ainsi compris,
l’alinéa premier [de l’article 706-136] fixerait la durée maximale des mesures qu’il prévoit
en fonction de la nature et de la gravité de l’infraction « objectivement » commise.1668

Cependant, à la lecture des mesures de sûreté pouvant être infligées à l’aliéné par la chambre
de l’instruction ou la juridiction de jugement, l’assimilation de l’acte commis par un individu
privé de discernement à une véritable infraction semble totale. Parmi ces mesures, on trouve
ainsi l’« interdiction d’entrer en relation avec la victime de l’infraction »1669 ou l’interdiction
d’exercer une activité professionnelle « dans l’exercice de laquelle ou à l’occasion de laquelle
l’infraction a été commise »1670. D’aucuns invoquent que ces références procèdent (une fois de
plus) d’un raccourci, voire d’un oubli, du législateur. Pour se convaincre de la volonté
délibérée du législateur de revêtir les actes délictueux commis par l’aliéné de la qualification
d’infraction, il est permis de se référer aux champs d’application des procédures de révision
et de réexamen d’une condamnation pénale définitive.

2.3 L’assimilation de l’acte commis par l’aliéné à une véritable infraction au regard des
procédures de révision et de réexamen d’une condamnation pénale définitive

Une décision, rendue le 8 février 2010, par la commission de révision est révélatrice de
l’assimilation de l’acte commis par un aliéné à une authentique infraction1671. En l’espèce, une
instruction judiciaire contre M. X a été ouverte le 12 mars 2002 au tribunal de grande instance
de Paris pour viol et meurtre sur la personne de M. Y. Entendu à plusieurs reprises, M. X a
varié dans ses déclarations. Les investigations ordonnées par le juge d’instruction n’ont pas
permis de préciser le déroulement de la dernière nuit de M. Y. Consécutivement, M. X, placé
en détention provisoire et hospitalisé d’office à l’unité des malades difficiles pendant sa
détention, a fait l’objet de plusieurs expertises psychologiques et psychiatriques posant pour
deux d’entre elles un diagnostic de schizophrénie. Après avoir rappelé les étapes de l’enquête
et détaillé les versions contradictoires de M. X, le juge d’instruction rend le 1er octobre 2003
une ordonnance constatant qu’il se trouvait atteint au moment des faits d’un trouble
psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement et le contrôle de ses actes au sens

1668. C. MARGAINE, op.cit., no 256.


1669. C. pr. pén., art. 706-136 (1°).
1670. C. pr. pén., art. 706-136 (4°).
1671. Cf. Comm. révision, 8 févr. 2010, no 09 rév. 039, Bull. crim., 2008, Comm. révision no 2.

356
de l’article 122-1 du Code pénal puis déclare n’y avoir lieu à suivre en l’état. L’ordonnance,
en récapitulant les charges pesant contre M. X, lui impute cependant la commission du
meurtre et du viol de M. Y. M. X saisit alors la cour de révision aux fins de révision de
l’ordonnance de non-lieu rendue le 1er octobre 2003. Comme nous allons l’établir, il s’agit de
comprendre que M. X, qui ne s’est vu infliger aucune peine au sens des articles 131-1 et
suivants du Code pénal puisque son irresponsabilité pénale a été reconnue, entend
néanmoins contester la seule reconnaissance de sa culpabilité. La question se pose donc de
l’applicabilité de la procédure de révision à une ordonnance de non-lieu fondée sur
l’article 122-1, alinéa 1er du Code pénal. La question mérite d’être posée dans la mesure où
l’issue d’une telle procédure ne débouche sur le prononcé d’aucune sanction pénale.
Qu’est-ce qui pourrait justifier la recevabilité de la demande dans une telle hypothèse ? La
commission de révision statue au visa de l’article 622 du Code de procédure pénale, aux
termes duquel « la révision d’une décision pénale définitive peut être demandée au bénéfice
de toute personne reconnue coupable d’un crime ou d’un délit ». Elle en déduit « qu’est ainsi
ouverte une voie de recours extraordinaire contre toute décision déclarative de culpabilité,
sans qu’il soit nécessaire qu’une des peines visées aux articles 131-1 et suivants du Code pénal
soit prononcée ». Or, dans la mesure où l’ordonnance récapitule les charges pesant contre le
mis en examen et impute à M. X la commission des infractions réalisées à l’encontre de M. Y,
la commission de révision considère qu’« elle doit donc être assimilée à une décision
déclarative de culpabilité, et comme telle, susceptible de révision ». Le fait que M. X ne se
voit infliger aucune peine ne constitue pas un obstacle à la révision, dans la mesure où il a
été reconnu coupable du meurtre ainsi que du viol commis sur la personne de M. Y. La
révision qui, en application de l’article 622 du Code de procédure pénale n’est possible qu’en
ce qui concerne une condamnation criminelle ou correctionnelle, peut donc inclure la
révision d’une ordonnance de non-lieu prononcée sur le fondement de l’article 122-1 du
Code pénal. A fortiori, elle peut s’appliquer à la déclaration d’irresponsabilité pour cause de
trouble mental telle qu’elle résulte de la loi du 25 février 2008. C’est autrement considérer
que cette déclaration s’apparente à une authentique déclaration de culpabilité. Afin d’appuyer
cette analyse, il est permis de relever que, dans l’affaire étudiée, la commission de révision,
après avoir relevé que l’ordonnance de non-lieu fondée sur l’article 122-1, alinéa 1er relevait
du domaine d’application de l’article 622 du Code de procédure pénale, a aussi considéré
qu’il existait des éléments nouveaux de nature à faire naître un doute sur la culpabilité de
M. X. Elle a donc décidé « qu’en l’état des éléments produits par M. X […] au soutien de sa
requête, il convient d’ordonner un complément d’information et de désigner un membre de
la Commission pour y procéder ». Si la loi no 2014-640 du 20 juin 2014 est venue réformer
les procédures de révision et de réexamen d’une condamnation pénale définitive1672, elle n’est
pas venue modifier le champ d’application de la procédure de révision de ce point de vue.
Autrement dit, la révision d’une ordonnance de non-lieu prononcée sur le fondement de
l’article 122-1 du Code pénal peut toujours être demandée dans le cadre de la nouvelle

1672. Pour un commentaire de cette loi, cf. C. RIBEYRE, « La réforme des procédures de révision et de réexamen
ou comment mieux corriger l’erreur judiciaire », Dr. pén., 2014, étude 17. Si cette loi est venue réformer
les conditions des procédures de révision et de réexamen, c’est dans l’optique d’augmenter les chances
d’obtenir une révision ou un réexamen du procès pénal. Au rang des critiques, d’aucuns regrettent que les
deux procédures n’aient pas été fusionnées pour ne plus les distinguer, d’autres que la condamnation de
la France par la Cour européenne des droits de l’homme n’ait pas été incluse dans les cas de révision.

357
procédure. Or, il aurait été loisible au législateur d’exclure la déclaration d’irresponsabilité
pénale des décisions susceptibles d’être révisées s’il avait souhaité mettre un terme à cette
jurisprudence.

Par conséquent, l’obligation générale pour les juridictions, d’instruction comme de jugement,
de mentionner l’existence de charges suffisantes à l’encontre de l’intéressé d’avoir commis
les faits reprochés, combinée à l’assimilation législative de l’acte commis par un individu non
discernant à une véritable infraction, concourt à voir dans la déclaration d’irresponsabilité
pénale une authentique déclaration de culpabilité pénale, non simplement l’affirmation d’une
« pseudo-culpabilité »1673. Il n’est pas plus contestable que la seconde phase de la procédure
de déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental suivie devant la
chambre de l’instruction soit dédiée à un débat sur l’imputabilité.

B. Le paradoxe d’une audience d’imputabilité comme préalable au prononcé


d’authentiques sanctions

En vertu de l’article 706-120 du Code de procédure pénale, le juge d’instruction, « après avoir
constaté qu’il existe contre la personne mise en examen des charges suffisantes d’avoir
commis les faits reprochés », et s’il estime « qu’il y a des raisons plausibles d’appliquer le
premier alinéa de l’article 122-1 du Code pénal », ordonne, « si le procureur de la République
ou une partie en a formulé la demande », que le dossier de la procédure soit transmis à la
chambre de l’instruction afin qu’elle débatte sur l’imputabilité du sujet. Il s’agit donc de
comprendre que si le juge d’instruction statue sur la culpabilité de l’intéressé1674, il ne se
prononce pas sur l’imputabilité morale du mis en examen. Cette dichotomie met en évidence
l’existence d’une césure substantielle entre les composantes de la responsabilité pénale. En
outre, c’est parce que le juge d’instruction n’a pas été investi dans tous les cas1675 du pouvoir
de clôturer lui-même sa procédure par une ordonnance d’irresponsabilité pénale qu’il
ordonne « la saisine de la chambre d’instruction afin que celle-ci statue sur l’application du
premier alinéa de l’article 122-1 du Code pénal […] »1676. Ce faisant, la loi de 2008 organise,
dans le sillage du rapport Burgelin, la tenue d’une audience sur l’imputabilité morale devant
la chambre de l’instruction1677, laquelle doit conduire à retenir1678 ou écarter1679 la
responsabilité pénale du mis en examen. Il résulte donc de cette dualité de compétence une
nouvelle césure de la procédure, cette fois de nature organique1680. Finalement, le délai de

1673. Cette expression est empruntée à Frédéric DESPORTES et Francis LE GUNEHEC, Droit pénal général, op. cit.,
no 638-4.
1674. Cf. supra, la démonstration relative à l’existence d’une déclaration de culpabilité à l’encontre de l’aliéné.
1675. Notamment, donc, quand les parties civiles ou le procureur de la République font la demande d’une saisine
de la chambre d’instruction.
1676. C. pr. pén., art. 706-119.
1677. La procédure suivie devant la chambre de l’instruction est celle qui s’apparente le plus à celle qui était
préconisée par le rapport Burgelin précédemment évoqué.
1678. Dans cette hypothèse, elle renvoie l’intéressé devant la juridiction de jugement compétente (cf. C. pr. pén.,
art. 706-124).
1679. Dans cette hypothèse, elle rend un arrêt de déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble
mental (cf. C. pr. pén., art. 706-125).
1680. Précisons qu’à ce stade de la procédure, la dissociation formelle des composantes de la responsabilité
pénale est soulignée par le fait qu’en l’absence « de charges suffisantes contre la personne mise en examen

358
transmission du dossier implique nécessairement une dissociation dans le temps entre la
déclaration de culpabilité et la décision sur l’imputabilité de la personne mise en examen.
L’existence d’un temps intermédiaire entre les deux décisions découle par ailleurs de
l’article 706-121, alinéa 2, aux termes duquel : « L’ordonnance de transmission de pièces […]
ne met pas fin à la détention provisoire ou au contrôle judiciaire, qui se poursuit jusqu’à
l’audience de la chambre de l’instruction […]. » Ce temps intermédiaire témoigne d’une
césure temporelle de cette procédure.

On peut donc conclure que la procédure de déclaration d’irresponsabilité pénale applicable


devant les juridictions d’instruction, tout en consacrant la primauté d’un débat sur la
culpabilité, consomme triplement la dissociation des composantes de la responsabilité
pénale, d’un point de vue substantiel, organique et temporel. La summa divisio de la procédure
d’instruction souligne avec une acuité particulière tant la dissociation des deux composantes
de la responsabilité pénale que leur chronologie dans le débat judiciaire. Pour conclure sur la
procédure mise en place par la loi du 25 février 2008, nous emprunterons à Jacques Buisson
et Serge Guinchard certains de leurs commentaires, décisifs au regard de notre étude, et aux
termes desquels « l’irresponsabilité pénale ne peut donc occulter la culpabilité du
prévenu »1681 ou encore « c’est la reprise de la distinction pénaliste entre culpabilité et
responsabilité »1682. Cela étant, si les espérances qui pouvaient être légitimement placées dans
la césure du procès pénal se trouvent déçues à l’étude de la procédure de déclaration
d’irresponsabilité pénale suivie devant la chambre de l’instruction, cette conclusion va se
trouver confirmée en droit pénal des mineurs.

§ 2 - La césure du procès pénal sans incidence pratique


sur la pénalisation des mineurs délinquants

Pour comprendre comment la césure du procès pénal peut constituer une alternative à la
pénalisation de la minorité pénale, cette dernière procédant d’un alignement du droit pénal
des mineurs sur le droit pénal des majeurs, il faut se pencher sur les évolutions de la procédure
pénale applicable aux mineurs délinquants. Il faut aussi garder à l’esprit que la césure du
procès pénal est susceptible d’offrir un temps de respiration dans le procès pénal de nature
à réfléchir avec une acuité particulière sur l’imputabilité comprise comme capacité pénale, en
approfondissant la connaissance de la personnalité du mineur. Si l’ordonnance du 2 février
1945 structure le statut autonome protecteur des mineurs délinquants sur quatre grands
principes, deux d’entre eux irriguent le droit pénal de forme. Formellement consacrés à
l’occasion de la décision du Conseil constitutionnel du 29 août 20021683, ils consistent dans
les principes de compétence de juridictions pénales spécialisées dans la protection de
l’enfance et dans la mise en œuvre de procédures appropriées à la personnalité du mineur. À

d’avoir commis les faits qui lui sont reprochés », en l’absence d’établissement notamment de la culpabilité
de l’aliéné, la chambre de l’instruction peut déclarer qu’il n’y a pas lieu à suivre. Autrement dit, elle ne
procèdera pas même à l’examen de l’imputabilité morale du mis en examen dès lors que sa culpabilité
n’aura pas été établie (cf. C. pr. pén., art. 705-123).
1681. J. BUISSON, S. GUINCHARD, Procédure pénale, op. cit., no 2484, p. 1349 et 1350.
1682. Loc. cit.
1683. Cons. const., décision no 2002-461, DC du 29 août 2002, consid. 26.

359
l’instar des deux principes gouvernant le droit pénal de fond 1684, ils ont été érigés par le
Conseil constitutionnel au rang de principes fondamentaux reconnus par les lois de la
République1685. Les évolutions législatives passées ont témoigné d’un alignement du droit
pénal des mineurs sur le droit pénal des majeurs, tant d’un point de vue substantiel1686 que
formel. Bien que le législateur ait récemment édicté des règles signifiant le retour de la
spécificité du droit pénal des mineurs1687, et bien que la jurisprudence la plus récente
s’inscrive aussi dans cette tendance 1688, il importe de s’attarder sur les réformes antérieures.
En effet, l’alignement des procédures applicables aux mineurs sur celles des majeurs est de
nature à affaiblir la spécificité du traitement procédural des mineurs délinquants, qu’il
s’agisse de l’application de procédures appropriées ou de la compétence de juridictions
spécialisées.
Pour autant, dans le cadre de ce développement nous ne traiterons que de l’amoindrissement
du caractère approprié des procédures à la personnalité du mineur délinquant (A.) dans la
mesure où, si la césure du procès pénal est susceptible de tempérer cette évolution, elle reste
sans incidence sur le mouvement initié de déspécialisation des juridictions pénales appelées
à connaître des mineurs délinquants1689. Il conviendra donc de s’interroger sur l’efficacité de

1684. Les principes de primauté de l’action éducative et d’atténuation de la responsabilité pénale des mineurs en
fonction de leur âge (cf. supra).
1685. Cf. la décision précitée du 29 août 2002.
1686. Cf. supra, partie 2, titre 1, chapitre II.
1687. Cf. supra.
1688. Cf. Cass. crim. 8 juin 2017, no 16-83.345, à paraître au bulletin. La Cour de cassation a considéré qu’en
l’absence de disposition spécifique le prévoyant, la juridiction pénale qui déclare un mineur pénalement
irresponsable au motif qu’il était privé de discernement au moment de la commission des faits n’a pas
compétence pour statuer sur sa responsabilité civile ni celle de ses ayants droit. L’examen des
conséquences civiles relève alors de la seule compétence des juridictions civiles. Aucune disposition
spécifique n’est en effet prévue dans l’ordonnance du 2 février 1945 qui organise exclusivement les règles
de procédure pénale applicables au jugement des mineurs auxquels est reprochée une infraction pénale. Il
est donc permis de considérer que, par cet arrêt du 8 juin 2017, la chambre criminelle confirme la
spécificité du régime de la procédure pénale des mineurs, rappelant que les exceptions prévues par le
législateur en droit commun doivent être également prévues par ce régime particulier, sous peine
d’inapplicabilité.
1689. Cela même alors que le recours à des magistrats non spécialisés est de nature à fausser l’appréhension de
la personnalité du mineur. En effet, le principe de la compétence de juridictions pénales spécialisées trouve
notamment sa justification dans le souci de confier le sort du mineur à des magistrats dotés de qualités
particulières de compréhension et de prise en charge des enfants. Parmi les évolutions notables dans le
sens de la déspécialisation de la justice pénale des mineurs, on pense immédiatement à la remise en cause
jurisprudentielle et législative du cumul des fonctions d’instruction et de jugement par le juge des enfants.
Ce magistrat spécialisé du tribunal de grande instance est, d’une part, la juridiction d’instruction en matière
délictuelle, et, d’autre part, la juridiction de jugement pour les délits et les contraventions de 5 e classe.
L’une des conséquences essentielles de sa spécialisation consistait dans le fait que, par dérogation au
principe de séparation de l’instruction et du jugement, il pouvait juger une affaire qu’il avait lui-même
instruite, cette possibilité étant jugée conforme à l’exigence d’un tribunal impartial posé par l’article 6 de
la Convention européenne des droits de l’homme du fait que le juge des enfants était celui qui connaissait
le mieux la personnalité du mineur (en ce sens, Cass. crim., 7 avr. 1993, no 92-84.725, Bull. crim,. no 152 ;
D., 1993. Jur. 553, note J. PRADEL ; COJ, anc. art. L. 251-3). Cette situation a d’abord été remise en cause
par la jurisprudence avant d’être définitivement condamnée par le législateur à l’occasion de la loi
no 2011-1940 du 26 décembre 2011. La remise en cause jurisprudentielle a été initiée par la Cour
européenne des droits de l’homme à l’occasion de l’arrêt Adamkiewicz c/ Pologne (CEDH, 2 mars 2010,
no 54729/00, Adamkiewicz c/ Pologne, D., 2010, p. 1324, note P. BONFILS ; ibid., p. 1904, obs.
A. GOUTTENOIRE et P. BONFILS ; ibid., 2011, p. 1107, obs. M. DOUCHY-OUDOT ; RSC, 2010, p. 687,
obs. D. ROETS). Selon la Cour européenne, le particularisme de la justice pénale des mineurs ne justifie
pas de façon générale le cumul des fonctions. Il faut s’attacher in concreto à ce que l’article 6 de la
Convention ne soit pas violé. Autrement dit, le caractère dérogatoire de la justice des mineurs relève de

360
la césure du procès pénal à enrayer l’amoindrissement du caractère approprié des procédures
applicables aux mineurs délinquants (B.).

A. L’affaiblissement du caractère approprié des procédures applicables au mineur


délinquant de nature à affecter l’imputabilité comme capacité pénale

Nous allons tenter d’établir que le mouvement contemporain d’application de procédures


rapides aux mineurs délinquants, dans la mesure où il affecte le temps d’étude de la

considérations abstraites qui n’entrent pas en ligne de compte dès lors qu’il s’agit d’apprécier l’impartialité
concrète de la juridiction – dans l’affaire considérée, le cumul concernait un juge aux affaires familiales
qui avait occupé des fonctions d’instruction et de jugement au sein d’une juridiction pour mineurs ; dans
la mesure où il avait conduit la recherche des preuves et fait usage des larges pouvoirs d’instruction qui
lui étaient confiés, la Cour a considéré qu’en l’espèce l’article 6 de la Convention avait été violé. Dans le
sillage de cette décision, le Conseil constitutionnel est venu à son tour remettre en cause la possibilité d’un
cumul de fonctions dans les mains du juge des enfants. Il s’est prononcé à deux reprises sur cette question
en 2011. Dans une QPC du 8 juillet 2011 (Cons. const., 8 juill. 2011, no 2011-147, QPC, AJ fam., 2011,
p. 435, obs. V. A.-R. ; ibid., 391, point de vue L. GEBLER ; AJ pén., 2011, p. 596, obs. J.-B. PERRIER ; RSC
2011, p. 728, chron. C. LAZERGES ; RTD civ., 2011, p. 756, obs. J. HAUSER), ce dernier était saisi d’une
question relative à la présence de juges non professionnels au sein du tribunal pour enfants. Le Conseil a
soulevé d’office le problème de la compatibilité du cumul de fonctions du juge des enfants avec le principe
d’impartialité des juridictions. Selon la Haute Juridiction, si le principe d’impartialité des juridictions ne
s’oppose pas à ce que le juge des enfants qui a instruit la procédure puisse, à l’issue de cette instruction,
prononcer des mesures d’assistance, de surveillance ou d’éducation, il ne saurait être question pour le juge
des enfants, qui a été chargé d’accomplir les diligences utiles pour parvenir à la manifestation de la vérité
et qui a renvoyé le mineur devant le tribunal pour enfants, de présider cette juridiction de jugement
habilitée à prononcer des peines. Cette position avait été renforcée à propos du tribunal correctionnel
pour mineurs dans sa décision no 2011-635 DC du 04 août 2011. Le Conseil devait alors apprécier la
constitutionnalité de la composition de cette nouvelle juridiction créée par la loi n o 2011-939 du 10 août
2011. En se référant expressément à sa décision du 8 juillet 2011, le Conseil constitutionnel a considéré
que la composition du tribunal correctionnel pour mineurs portait au principe d’impartialité une atteinte
contraire à la Constitution, cela car la loi permettait au juge des enfants qui avait instruit l’affaire de présider
ensuite le tribunal correctionnel pour mineurs. Le législateur est venu consacrer cette évolution à
l’occasion de la loi du no 2011-1940 du 26 décembre 2011. Elle a modifié la composition des juridictions
pour mineurs en prohibant deux cumuls. Le premier concerne le tribunal pour enfants. L’article L. 251-3,
alinéa 2 du Code de l’organisation judiciaire dispose désormais que « le juge des enfants qui a renvoyé
l’affaire devant le tribunal pour enfants ne peut présider cette juridiction ». Le second cumul concernait
le tribunal correctionnel pour mineurs qui a été abrogé par la loi no 2016-1547 du 18 novembre 2016 de
modernisation de la justice du XXIe siècle et dont la suppression a été effective au 1er janvier 2017. Dès
avant la prohibition du cumul des fonctions d’instruction et de jugement par le juge des enfants, une autre
atteinte au principe de la compétence de juridictions pénales spécialisées résidait dans l’introduction, par
la loi du 15 juin 2000, du juge des libertés et de la détention pour la gestion des détentions provisoires
classiques. Ce magistrat participe de la déspécialisation de la justice des mineurs puisqu’il n’a pas de
formation spécifique en la matière et que cette fonction est souvent prise en charge par de multiples
magistrats au sein du tribunal afin d’assurer une permanence. Si, conformément à l’article 137-1 du Code
de procédure pénale, le juge des enfants reste, dans la plupart des cas, maître de la saisine du juge des
libertés et de la détention pour l’éventuelle détention provisoire d’un mineur, la déspécialisation de la
détention provisoire des mineurs est renforcée par l’article 137-4, alinéa 2 du Code de procédure pénale
qui permet au procureur de la République, pour les délits punis de dix ans d’emprisonnement, de saisir
directement le juge des libertés et de la détention et de lui déférer la personne mise en examen. Concernant
les délits punis de dix ans d’emprisonnement, le procureur de la République peut donc se dispenser de
faire appel de la décision du juge des enfants refusant le placement en détention provisoire et saisir
directement le juge des libertés et de la détention, non spécialisé. La création du tribunal correctionnel
pour mineurs par la loi no 2011-939 du 10 août 2011, juridiction non spécialisée, participait de cette
déspécialisation de la justice des mineurs. Pour autant, il est notable que, dans le même temps, des
réformes aient été adoptées en sens contraire. En dehors de la suppression du tribunal correctionnel pour
mineurs (cf. supra), le législateur, par la loi du 9 mars 2004, avait préalablement attribué au juge des enfants
des fonctions de juge d’application des peines pour le milieu fermé.

361
personnalité du mineur (donc de son discernement), est de nature à fausser l’appréhension
de l’imputabilité, particulièrement dans son acception d’aptitude à profiter de la sanction
pénale. La tendance actuelle est non seulement à faciliter la mise en état des affaires pénales,
mais aussi à accélérer le jugement des mineurs1690. Toutefois, si le traitement procédural
spécifique du mineur délinquant a été infléchi tant au stade de l’enquête de police1691 qu’à
celui de l’instruction préparatoire1692, c’est la recherche par le législateur contemporain de la
célérité de la procédure du jugement qui explique, dans le cadre de cette étude, la réflexion
en faveur de la césure comme modèle unique du procès pénal des mineurs délinquants. Les
impératifs de management contemporains, que Jean-Paul Jean désigne sous les termes de
« nouvel utilitarisme pénal »1693, appliqués à la justice pénale des mineurs ont conduit à infliger
au mineur délinquant des procédés de tractation ou de négociation tels que la procédure de
composition pénale1694. Pour l’année 2014, les compositions pénales progressent (+ 9,4 % en
un an)1695. Dans l’hypothèse où des poursuites sont engagées, la recherche de rentabilité
conduit cette fois à soumettre le mineur à des procédures rapides de jugement. Ces
procédures se trouvent accélérées, notamment grâce à la suppression de la phase préalable
de l’information. Certes, le principe posé dans l’ordonnance du 2 février 1945 reste celui
d’une instruction préparatoire au procès pénal pour les affaires qui impliquent des
mineurs1696. Si le principe d’une information préalable est sous-tendu par la recherche de la

1690. En 2014, les parquets ont traité 179 100 mineurs délinquants dont l’affaire était poursuivable. Six mineurs
sur dix ont fait l’objet d’une mesure alternative (58 %) ou d’une composition pénale (2 %), 34 % ont été
poursuivis devant une juridiction de mineurs ; enfin, pour 6 %, le ministrère public a estimé qu’il n’était
opportun ni de poursuivre, ni d’engager une procédure alternative ou une composition pénale, et a classé
l’affaire pour inopportunité des poursuites (cf. ministère de la Justice, www.ministere.gouv.fr/SG/SDSE,
« Système d’information décisionnel pénal, exploitation statistique du casier judiciaire national »).
1691. Par exemple, au stade de l’enquête, la loi précitée du 9 septembre 2002 a élargi le domaine et renforcé le
régime de la retenue des mineurs de 10 à 13 ans. Le législateur a substitué aux « indices graves et
concordants » jusqu’alors requis pour que la retenue puisse être mise en œuvre, les indices « graves ou
concordants », et abaissé de 7 à 5 ans le seuil de la peine d’emprisonnement encourue pour recourir à une
telle mesure. En outre, la loi du 9 septembre 2002 a porté sa durée de 10 à 12 heures, de sorte que la
retenue des mineurs de 10 à 13 ans peut durer 24 heures, à l’instar de celle de la garde à vue des majeurs
(cf. ord. 2 févr. 1945, art. 4, I).
1692. Au stade de l’instruction préparatoire, c’est l’institution du contrôle judiciaire qui a tout particulièrement
retenu l’attention du législateur contemporain. Alors que la loi du 5 mars 2007 a étendu son domaine en
matière correctionnelle à l’égard des mineurs âgés de 13 à 16 ans, son régime a été renforcé par l’action
combinée des lois du 9 septembre 2002 et 5 mars 2007. Depuis la loi du 9 mars 2002, la loi prévoit que le
contrôle judiciaire peut être effectué dans un centre éducatif fermé, institution créée par cette même loi.
Or, en vertu de l’article 10-2 (III) de l’ordonnance du 2 février 1945, « Si le contrôle judiciaire comporte
l’obligation de respecter les conditions d’un placement conformément au 2° du II, dans un centre éducatif
fermé prévu à l’article 33, le non-respect de cette obligation pourra entraîner le placement du mineur en
détention provisoire conformément à l’article 11-2 ». Le législateur a donc établi par ce biais la détention
provisoire pour les mineurs de moins de 16 ans en matière correctionnelle. Quant à la loi du 5 mars 2007,
elle a créé de nouvelles obligations pouvant être imposées dans le cadre du contrôle judiciaire des mineurs
et dont le non-respect est sanctionné par le placement dans un centre éducatif fermé.
1693. J.-P. JEAN, « Le système de justice pénale à l’aune de ses résultats », in M. MASSE M., J.-P. JEAN et
A. GIUDICELLI (dir.), Un droit pénal postmoderne ? Mise en perspective des évolutions et ruptures contemporaines, op. cit.,
p. 247.
1694. Cette dernière, qui constitue une alternative aux poursuites à caractère punitif, a été introduite en droit
positif par la loi du 5 mars 2007.
1695. Cf. ministère de la Justice, www.ministere.gouv.fr/SG/SDSE, « Système d’information décisionnel pénal,
exploitation statistique du casier judiciaire national ».
1696. Conformément à l’article 5 de l’ordonnance du 2 février 1945, l’instruction est obligatoire en matière de
crime (alinéa 1er) et facultative en matière de délit et de contravention de 5 e classe (alinéa 2). Elle est
facultative dans ces deux hypothèses, dans la mesure où le procureur de la République pourra toujours
décider de recourir à l’un des procédures décrites aux articles 8-1, 8-3 et 14-2 de ladite ordonnance. En

362
manifestation de la vérité, il signifie aussi l’importance attachée à la connaissance de la
personnalité du mineur. « Généralement mise à profit pour recueillir des éléments
d’information sur le mineur et observer son évolution »1697, l’instruction préparatoire est une
phase décisive dans l’acquisition de connaissances approfondies relativement à la
personnalité du mineur – notamment parce qu’elle permet de mesurer le chemin parcouru
par le mineur depuis le début de la procédure. C’est donc une phase extrêmement précieuse.
Par ricochet, elle est essentielle à la recherche de solutions adaptées au relèvement éducatif
et moral du mineur, autrement dit à la satisfaction de l’imputabilité comme capacité pénale.
En dérogeant à l’obligation d’une instruction préalable, les procédures accélérées ne
sont-elles pas de nature à entraver cet objectif ? Selon Carmen Montoir, « se passer du juge
des enfants dans la phase pré-sentencielle est, en soi, une dénaturation de la justice des
mineurs et une entrave à la mise en œuvre de la priorité éducative et morale »1698. Pour autant,
le Conseil constitutionnel a considéré à plusieurs reprises que les procédures en quête d’une
plus grande célérité n’étaient pas en elles-mêmes contraires au principe fondamental reconnu
par les lois de la République dès lors que la décision de poursuivre selon ce mode de poursuite
appartenait in fine au juge des enfants ou qu’elles étaient grevées d’un certain nombre de
garanties1699. Logiquement, l’une d’entre elles est liée à la réalisation d’investigations
suffisantes relativement à la personnalité du mineur (1.). Le nombre et les conditions des
procédures de comparution rapide ont connu un élargissement frappant ces dernières
années, précisément en raison de leur prétendue contribution à l’efficacité de la procédure
pénale. Dès lors, en ce qu’elles sont susceptibles d’empêcher que le mineur soit jugé selon
une procédure appropriée à la recherche de son relèvement éducatif, il importe de vérifier la
réalité de l’exigence de connaissance du mineur à travers l’examen des principales procédures
de comparution rapide appliquées aux mineurs délinquants (2.).

1. La condition liée à la connaissance de la personnalité du mineur dans les


procédures rapides de jugement
Parmi les dispositifs visant à accélérer la procédure pénale applicable aux mineurs
délinquants, il conviendra de s’attarder sur la procédure de comparution à délai
rapproché (1.1), la convocation par OPJ aux fins de jugement (1.2) et la présentation
immédiate (1.3). La mise en œuvre de ces trois procédures suppose notamment que des
investigations suffisantes sur la personnalité du mineur aient été diligentées, sans qu’elles ne
relèvent toutes pour autant du même degré d’exigence.

application de l’article 5, alinéa 2, et selon le choix d’orientation de la procédure par le parquet,


l’information peut être effectuée par le juge d’instruction chargé des mineurs ou par le juge des enfants.
La différence majeure réside dans le fait que le juge des enfants peut, en application de l’article 8, alinéa 2
de l’ordonnance du 2 février 1945, et afin de procéder à toute investigation utile, procéder à une enquête
dite officieuse, ce qui lui permet de ne pas toujours suivre à la lettre le formalisme du Code de procédure
pénale pourvu qu’aucune atteinte ne soit portée à la liberté individuelle. Conformément à l’article 9 de
ladite ordonnance, le juge d’instruction est, quant à lui, tenu de respecter les formes du Code de procédure
pénale.
1697. J.-F. DE MONTGOLFIER., « Le Conseil Constitutionnel et la justice pénale des mineurs », Les Nouveaux
Cahiers du Conseil Constitutionnel, 2011/4, no 29.
1698. C. MONTOIR, op. cit., no 1236, p. 666.
1699. Cf. infra.

363
1.1 Dans la procédure de comparution à délai rapproché

La procédure de comparution à délai rapproché, créée par la loi du 1er juillet 1996, modifiée
par la loi du 9 septembre 2002, permet, en matière correctionnelle, une certaine accélération
de la procédure afin d’éviter l’enlisement de certains dossiers dans les cabinets des juges des
enfants1700. Il s’agit d’une procédure de comparution en cours de procédure. Ainsi, en
application de l’article 8-2 de l’ordonnance du 2 février 1945, en matière correctionnelle et à
quelque moment de la procédure, le procureur de la République peut requérir le juge des
enfants pour que le mineur, quel que soit son âge, comparaisse dans un délai de un à trois
mois, soit devant le tribunal pour enfants, soit en chambre du conseil, dès lors qu’« il
estime que des investigations suffisantes sur la personnalité du mineur ont été effectuées, le
cas échéant à l’occasion d’une précédente procédure […] »1701. Autrement dit, cela implique
que des investigations concernant la personnalité du mineur ne soient plus nécessaires. Même
dans le cas où le mineur n’aurait pas fait l’objet d’une procédure précédente, une instruction
étant en cours au moment de la requête du parquet, on peut en déduire que les
renseignements suffisants sur la personne du mineur auront été recueillis sur le fondement
de l’article 8 de l’ordonnance du 2 février 19451702. En outre, le juge d’instruction n’est pas
tenu de faire droit à la requête du parquet et peut décider de la nécessité de poursuivre son
instruction notamment en vue de la réalisation d’investigations supplémentaires concernant
la personnalité du mineur. Sur l’année 2014, la comparution à délai rapproché était en forte
progression (+ 13,1 % par rapport en 2013)1703.

1.2 Dans la procédure de comparution par officier de police judiciaire (COPJ-jugement)

Le parquet peut également saisir directement la juridiction de jugement par le biais de la


convocation par officier de police judiciaire. Cette procédure de convocation par officier de
police judiciaire aux fins de jugement (COPJ-jugement) se dédouble à nouveau en deux
procédures distinctes. Par son article 31, la loi no 2016-1547 du 18 novembre 2016 de
modernisation de la justice du XXIe siècle est venue rétablir l’article 8-1 de l’ordonnance du

1700. Comme le relève François Touret de Coucy, juge des enfants au tribunal de Chambéry, « la comparution
à délai rapproché marque une certaine défiance du législateur à l’encontre du juge des enfants, soupçonné
de faire traîner les dossiers, ce qui justifierait la surveillance du parquet en lui accordant des moyens
d’accélérer la procédure » (Rép. dr. pén. et proc. pén., « Enfance délinquante », no 163).
1701. À la différence de la convocation par officier de police judiciaire aux fins de jugement et de la présentation
immédiate, il n’est pas nécessaire que le mineur ait déjà fait l’objet d’une procédure pénale. Son champ
d’application avait été étendu à la comparution devant le tribunal correctionnel pour mineurs par la loi du
10 août 2011. Cette extension, qui témoignait d’un rapprochement croissant de la procédure applicable
aux mineurs délinquants sur celle prévue pour les majeurs, un mineur pouvant alors potentiellement être
jugé devant une juridiction non spécialisée (cf. Cons. const., 4 août 2011, no 2011-635 DC, consid. 51),
selon une procédure accélérée, n’est cependant plus d’actualité en raison de la suppression du tribunal
correctionnel pour mineurs par la loi no 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice
du XXIe siècle. La loi du 26 décembre 2011 avait même encore durci cette procédure, puisqu’un mineur
de plus de 16 ans pouvait être renvoyé devant le tribunal correctionnel pour mineurs, dans un délai
compris entre dix jours et un mois, ce dernier correspondant à celui applicable aux majeurs dans le cadre
d’une COPJ.
1702. Cf. infra.
1703. Cela même alors que les procédures accélérées permettant de juger rapidement un mineur déjà connu de
la justice reste marginal (6 % [cf. ministère de la Justice, www.ministere.gouv.fr/SG/SDSE, « Système
d’information décisionnel pénal, exploitation statistique du casier judiciaire national »]).

364
2 février 1945 en vertu duquel la convocation peut être délivrée aux fins de jugement en
audience de cabinet, par le juge des enfants1704. Cette procédure permet d’accélérer le
jugement d’affaires simples et sans gravité par la saisine directe du juge des enfants statuant
en chambre du conseil. En application de cette dernière loi, le juge des enfants peut donc à
nouveau être saisi sans information préalable. Lorsqu’il estime à l’audience que l’infraction
est établie, deux cas de figure peuvent se présenter. Si les investigations déjà effectuées sur la
personnalité du mineur sont suffisantes, le juge des enfants peut prononcer un certain
nombre de mesures énumérées à l’article 8-11705. Ainsi, si les investigations sur la personnalité
et la connaissance des moyens appropriés à la rééducation sont suffisantes, qu’il y ait ou non
une partie civile, le juge statue immédiatement sur le tout. Si les investigations sur la
personnalité du mineur ne sont pas suffisantes, le juge des enfants peut « renvoyer l’affaire à
une prochaine audience de la chambre du conseil et faire application du 2° de l’article 24-5
et de l’article 24-6 »1706. Ainsi, lorsqu’il estime que l’infraction est établie à l’encontre du
mineur mais que les informations relatives à la connaissance de sa personnalité sont
insuffisantes, le juge des enfants doit décider l’ajournement du prononcé de la mesure
éducative, de la sanction éducative ou de la peine. En d’autres termes, lorsque les
renseignements recueillis sur le mineur ne sont pas assez approfondis, la césure du procès
pénal est obligatoire.

Depuis la loi du 10 août 2011, la convocation par officier de police judiciaire peut aussi être
délivrée aux fins de jugement devant le tribunal pour enfants dans les formes de la procédure
de convocation de droit commun de l’article 390-1 du Code de procédure pénale1707. Ainsi,
la saisine directe du tribunal pour enfants, prévue par l’article 8-3 de l’ordonnance du 2 février
1945, permet au procureur de la République de poursuivre directement le mineur devant le
tribunal pour enfants, sans passer par la phase d’instruction préparatoire devant le juge des
enfants1708. Il est permis de noter que si la procédure de comparution à délai rapproché de
l’article 8-2 de l’ordonnance de 1945 a pour objectif d’accélérer l’instruction préparatoire, les
COPJ-jugement des articles 8-1 et 8-3 de la même ordonnance ont pour effet de supprimer
purement et simplement cette phase préalable. Au rang des conditions exigées pour la mise
en œuvre de la COPJ-jugement devant le tribunal pour enfants figure toujours à l’article 8-3,
alinéa 3 celle liée à la connaissance de la personnalité du mineur. Le texte vise, expressément
cette fois, des investigations sur la personnalité du mineur accomplies « au cours des douze
mois précédents sur le fondement de l’article 8 » de l’ordonnance de 1945. Une dérogation
au sein du même article est néanmoins prévue « lorsqu’en raison de l’absence du mineur au
cours des mesures d’investigation précédentes, des éléments plus approfondis n’ont pu être
recueillis sur sa personnalité à l’occasion d’une procédure antérieure en application du même

1704. C’est la loi du 10 août 2011 qui avait supprimé cette procédure qui avait été créée par la loi du 1 er juillet
1996 aux articles 5 et 8-1 de l’ordonnance du 2 février 1945.
1705. Ord. 2 févr. 1945, art. 8-1 (II, 1o).
1706. Ibid., cf. infra, le développement relatif à la césure du procès pénal en tant qu’alternative procédurale
permettant de pallier les carences relatives à la connaissance de la personnalité du mineur.
1707. Les mineurs concernés par cette procédure doivent avoir entre 13 et 16 ans. Pour les 13-16 ans, l’infraction
reprochée doit être punie d’au moins cinq ans d’emprisonnement. Pour les mineurs âgés de 16 ans, la
peine encourue doit être de trois ans.
1708. Conformément à l’alinéa 6 de l’article 8-3 de l’ordonnance du 2 février 1945, « L’audience doit se tenir
dans un délai qui ne peut être inférieur à dix jours et supérieur à deux mois ».

365
article 8, peuvent être prises en compte des investigations réalisées en application de
l’article 12 »1709. Autrement dit, lorsqu’il n’existe pas dans le dossier, en raison de l’absence
du mineur, de rapport d’investigation établi sur le fondement de l’article 8 et datant de moins
d’un an, le mineur pourra quand même faire l’objet d’une citation directe devant le tribunal
pour enfants, mais on se contentera alors du rapport établi par le service éducatif de la
Protection judiciaire de la jeunesse à la demande du parquet. Une seconde exception résulte
de l’article 24-7, alinéa 1er de l’ordonnance du 2 février 1945 qui organise, par dérogation à
l’article 8-3, la mise en œuvre de la césure du procès pénal1710.

1.3 Dans la procédure de présentation immédiate

Dans ses mécanismes généraux, la présentation immédiate se rapproche fortement de la


comparution immédiate pour les majeurs1711 ; elle se distingue notamment de la convocation
par OPJ aux fins de jugement par une plus grande célérité1712 et par le fait que sont abaissés
les seuils des peines encourues pour les mineurs de 16 à 18 ans1713. Dans le sillage de la COPJ-
jugement, la loi du 9 septembre 2002 avait d’abord créé « le jugement à délai rapproché »,
régi par l’article 14-2 de l’ordonnance du 2 février 1945 et applicable aux mineurs de 13 à
18 ans, pour des faits délictuels d’une certaine gravité. L’article 14-2 (II) disposait alors que
le jugement à délai rapproché ne pouvait être engagé « que si des investigations sur la
personnalité du mineur ont été accomplies, le cas échéant, à l’occasion d’une procédure
antérieure de moins d’un an » : l’absence du rapport d’investigation sur la personnalité du
mineur interdisait le recours à cette procédure. Il fallait nécessairement, dans cette hypothèse,
repasser par la phase de l’instruction préparatoire du dossier par le juge des enfants. Si la loi
du 5 mars 2007 est venue opérer un changement de dénomination de la procédure devenue
« présentation immédiate devant la juridiction pour mineurs » et élargir son champ
d’application, elle n’a pas modifié les « exigences quant à la teneur des investigations sur la
personnalité du mineur en cause »1714. Il a fallu attendre la loi du 10 août 2011 pour observer
une évolution sur ce point. Désormais, les exigences relatives à la connaissance de la
personnalité du mineur sont communes aux procédures des articles 8-3 et 14-2 de
l’ordonnance du 2 février 1945. Particulièrement, la loi du 10 août 2011 a prévu les mêmes
dispositions que celles applicables dans le cadre de la COPJ-jugement, pour remédier à

1709. Ord. 2 févr. 1945, art. 8-3, al. 3.


1710. Aux termes de ce dernier : « Par dérogation au troisième alinéa de l’article 8-3 et au II de l’article 14-2, le
procureur de la République peut faire application des procédures prévues aux mêmes articles à l’encontre
d’un mineur pour lequel aucune investigation n’a été ordonnée en application de l’article 8 et alors qu’il
n’existe pas dans le dossier d’éléments suffisants sur sa personnalité pour permettre au tribunal de se
prononcer, dès lors qu’il requiert dans la saisine du tribunal qu’il soit fait application [de la césure du
procès pénal]. »
1711. Cela alors même que celle-ci est officiellement proscrite par l’article 5, alinéa 7 de l’ordonnance de 1945.
1712. L’audience doit avoir lieu dans un délai qui ne peut en principe être inférieur à dix jours ni supérieur à un
mois (cf. ord. 2 févr. 1945, art. 14-2 [III], al. 2). En outre, le délai de dix jours peut être raccourci si le
mineur, ses représentants légaux et son avocat acceptent que le mineur soit jugé à la plus proche audience
du tribunal pour enfants (cf. ord. 2 févr. 1945, art. 14-2 [III], al. 3).
1713. Ainsi, la présentation immédiate est applicable aux mineurs âgés d’au moins 16 ans encourant une peine
d’emprisonnement supérieure ou égale à un an en cas de flagrance, ou supérieure ou égale à trois ans dans
les autres cas (cf. ord. 2 févr. 1945, art. 14-2 [II]). En revanche, s’agissant des mineurs âgés d’au moins
13 ans, le seuil reste de cinq ans d’emprisonnement (cf. ord. 2 févr. 1945, art. 8-3, al. 1er et art. 14-2 [VI]).
1714. C. MONTOIR, op. cit., no 1218, p. 658.

366
l’hypothèse où il n’existe pas, dans le dossier du mineur, de rapport d’investigation datant de
moins d’un an et élaboré sur le fondement de l’article 8 de l’ordonnance du 2 février 1945.
Ainsi, si la présentation immédiate ne peut en principe être mise en œuvre « que si des
investigations sur la personnalité du mineur ont été accomplies au cours des douze mois
précédents sur le fondement de l’article 8 ; toutefois, lorsqu’en raison de l’absence du mineur
au cours des mesures d’investigation précédentes, des éléments plus approfondis n’ont pu
être recueillis sur sa personnalité à l’occasion d’une procédure antérieure en application du
même article 8, peuvent être prises en compte des investigations réalisées en application de
l’article 12 ». Il conviendra d’établir que, ce faisant, c’est un amoindrissement des exigences
relatives à la connaissance de la personnalité du mineur qui est consacré. Dans la continuité
des dérogations de l’article 8-3 de l’ordonnance de 1945, le recours exceptionnel à la césure
du procès pénal pour pallier l’insuffisance des informations sur la personnalité du mineur au
jour de l’audience est prévu à l’article 24-7 de l’ordonnance du 2 février 1945. Cette évolution
pose question quant du degré des exigences relatives à la connaissance de la personnalité du
mineur. Au-delà, c’est plus largement le caractère suffisant des informations relatives à la
connaissance du mineur qui pose question dans le cadre de procédures rapides de jugement.

2. L’examen qualitatif des investigations sur la personnalité du mineur


La qualité des investigations réalisées sur la personnalité du mineur peut poser question d’un
double point de vue. Or, il est permis de rappeler que cette dernière est essentielle à la bonne
appréhension de l’imputabilité, particulièrement dans son acception de capacité pénale. Le
premier questionnement a trait à la période pendant laquelle les informations servant de
support à la mise œuvre de la procédure rapide de jugement peuvent avoir été
collectées (2.1) ; le second tient directement à leur qualité intrinsèque (2.2).

2.1 La temporalité des informations

Si, dans le cadre de la COPJ aux fins de jugement par le juge des enfants, aucune indication
n’est apportée relativement aux modalités ou à la temporalité des renseignements recueillis,
dans la procédure de comparution à délai rapproché, il est simplement précisé qu’ils peuvent
avoir été réunis « le cas échéant à l’occasion d’une précédente procédure » sans aucune
indication relativement à son antériorité. Accentuant le flou, la formule « le cas échéant »
paraît signifier qu’une procédure antérieure n’est pas même nécessaire. En revanche, dans le
cadre de la COPJ aux fins de jugement par le tribunal pour enfants comme de la présentation
immédiate, le mineur n’est assurément pas inconnu de la juridiction puisqu’elles ne peuvent
être mises en œuvre « que si le mineur fait l’objet ou a déjà fait l’objet d’une ou plusieurs
procédures »1715 en application de l’ordonnance du 2 février 1945. En outre, le mineur doit
avoir été mis en cause dans le cadre de procédures menées dans les douze derniers mois. Il
est alors permis de s’interroger sur la pertinence d’un laps de temps de douze mois, eu égard
au caractère polymorphe de la personnalité du mineur. Des investigations accomplies jusque
dans les douze mois précédents sont-elles toujours en adéquation avec la personnalité du
mineur au jour de l’audience ? Des éléments de réponse peuvent notamment ressortir de la

1715. Ord. 2 févr. 1945, art. 8-3, al. 2 et 14-2 (II).

367
législation. Conformément à l’article 24-5 de l’ordonnance du 2 février 1945, ce dernier
figurant au nombre des quatre articles de cette ordonnance régissant « la césure du procès
pénal des mineurs »1716, la période de l’ajournement du prononcé de la peine ne peut en
principe dépasser six mois1717. Ce délai, plus court par rapport à la durée spécifique d’un an
prévue par le droit pénal des majeurs, « se justifie par le fait que la personnalité du mineur
évolue rapidement, et qu’il ne semble pas opportun de différer trop longtemps le prononcé
de la mesure ou de la peine à la suite d’une déclaration de culpabilité »1718. D’ailleurs,
l’article 24-5, alinéa 2 (1°) prévoit de manière spécifique l’ajournement du prononcé de la
peine au regard des perspectives d’évolution de la personnalité du mineur1719. Le délai
d’ajournement correspondant à une période de probation, simple ou encadrée, à l’issue de
laquelle le mineur délinquant peut être dispensé de sanction, on peut en déduire que, pour le
législateur, cette période de six mois d’observation peut être suffisante pour voir la
personnalité du mineur changer. Une évolution suffisamment notable peut donc s’opérer
dans la personnalité du mineur dans un délai de six mois au point de justifier l’exclusion de
toute sanction pénale à son encontre. En outre, le législateur n’ayant pas prévu de durée
minimale au délai d’ajournement, le juge a la faculté de statuer sur la sanction, ou l’absence
de sanction, au moment qu’il estimera opportun dans l’intervalle des six mois – soit avant
même ce terme. Cette prérogative offerte au juge revient à admettre que la personnalité du
mineur est susceptible d’une évolution déterminante dans un laps de temps très court !
Nombre de professionnels et d’auteurs partagent cette opinion. Catherine Daoud et Béatrice
de Vareilles-Sommières, par exemple, considèrent que « la personnalité et le comportement
d’un mineur peuvent changer de façon significative en l’espace de quelques mois »1720. Quant
à Claire Saas, elle se réfère à « l’évolution potentiellement très rapide d’un mineur »1721. On
peut donc légitimement considérer que des informations recueillies douze mois avant la
procédure rapide de jugement peuvent ne plus être appropriées, voire être erronées1722. À
l’évidence, il faudrait renoncer à exploiter des renseignements obtenus à l’occasion de
procédures dont l’antériorité excéderait une année. La qualité intrinsèque des investigations
sur la personnalité des mineurs suscite également des interrogations.

2.2 La qualité intrinsèque des informations

Les interrogations tiennent au fait qu’elles peuvent être menées soit par le juge des enfants
en application de l’article 8 de l’ordonnance du 2 février 1945, soit par le service de la

1716. Cf. ord. 2 févr. 1945, chap. III ter, De la césure du procès pénal des mineurs, art. 24-5 à 24-8.
1717. Ord. 2 févr. 1945, art. 24-5, al. 2 (2°) : « L’affaire est alors renvoyée à une audience qui doit avoir lieu au
plus tard dans les six mois. » Il convient de mentionner que « des renvois ultérieurs sont possibles mais,
dans tous les cas, la décision sur la mesure éducative, la sanction éducative ou la peine intervient au plus
tard un an après la première décision d’ajournement » (ibid).
1718. F. LE GUNEHEC, « Aperçu rapide sur la loi no 96-585 du 1er juillet 1996 relative à l’enfance délinquante »,
JCP 1996, act. 24.
1719. La césure peut être ordonnée quand « les perspectives d’évolution de la personnalité du mineur le
justifient » (ord. 2 févr. 1945, art. 24-5, al. 2 (1°).
1720. C. DAOUD et B. DE VAREILLES-SOMMIERES, « Droit pénal des mineurs : saisine directe, nouvelle “PIM”
et césure du procès pénal », AJ pén., 2012, p. 320.
1721. C. SAAS, « La césure du procès pénal pour les mineurs : une chance à saisir », Gaz. Pal., 13 janv. 2009,
no 13.
1722. A fortiori dans une période antérieure.

368
Protection judiciaire de la jeunesse compétent en application de l’article 12 de la même
ordonnance. Si le juge des enfants peut effectuer « toutes diligences et investigations utiles
pour parvenir […] à la connaissance de la personnalité du mineur ainsi que des moyens
appropriés à sa rééducation »1723, le rapport établi par le service éducatif de la Protection
judiciaire de la jeunesse est un « document parfois manuscrit, établi souvent en urgence à
l’occasion de la comparution du mineur devant le juge des enfants pour une mise en
examen »1724. En plus d’être particulièrement succinct, certains considèrent qu’il serait « non
conforme aux exigences posées par le Conseil constitutionnel »1725. L’alternative de ce rapport
résulte néanmoins de l’article 12, alinéa 3 de l’ordonnance du 2 février 1945 en vertu duquel
le service de la Protection judiciaire de la jeunesse « doit être consulté avant toute décision
du juge des enfants au titre de l’article 8-1 ou du tribunal pour enfants au titre de l’article 8-3
et toute réquisition ou proposition du procureur de la République au titre des articles 7-2, 8-2
et 14-2 ». Comme nous l’avons évoqué, la procédure de comparution aux fins de jugement
par le juge des enfants a rétabli la saisine du juge des enfants sans information préalable, alors
même que le mineur en cause peut être inconnu de la juridiction. Dans cette hypothèse, les
renseignements relatifs à sa personnalité, requis par l’article 8-1 de l’ordonnance du 2 février
1945, vont alors résulter de l’enquête rapide de personnalité effectuée par les services de la
Protection judiciaire de la jeunesse, conformément aux dispositions de l’article 12 de
l’ordonnance du 2 février 1945. S’agissant de la procédure de comparution à délai rapproché
de l’article 8-2, il est logique, dans le silence du texte, que les renseignements sur le mineur
soient recueillis sur le fondement de l’article 8 de l’ordonnance de 19451726. Toutefois, le
recours à l’article 12 ne saurait également être exclu, particulièrement dans le cas où les
renseignements exploités auraient été recueillis à l’occasion d’une précédente procédure.
Conformément à l’article 8-2 de l’ordonnance du 2 février 1945, il suffit en effet que « des
investigations suffisantes sur la personnalité du mineur [aient] été effectuées, le cas échéant à
l’occasion d’une précédente procédure ». Dans le cadre de la COPJ-jugement par le tribunal
pour enfants ou de la présentation immédiate, les articles 8-3, alinéa 3, et 14-2 (II) de
l’ordonnance du 2 février 1945, tels qu’ils résultent de la loi du 10 août 2011, prévoient qu’en
principe, les investigations sur la personnalité du mineur accomplies au cours des douze mois
précédents doivent avoir été réalisées sur le fondement de l’article 8. Par exception,
« lorsqu’en raison de l’absence du mineur au cours des mesures d’investigation précédentes,
des éléments plus approfondis n’ont pu être recueillis sur sa personnalité à l’occasion d’une
procédure antérieure en application du même article 8, peuvent être prises en compte des
investigations réalisées en application de l’article 12 »1727. Il s’agit donc de comprendre que,
si le principe est celui du recours à des investigations approfondies menées par le juge des
enfants, le législateur prévoit, par exception et à titre de sanction, que lorsque le défaut

1723. Ord. 2 févr. 1945, art. 8, al. 1er. Au rang de celles-ci, l’article 8 de l’ordonnance du 2 février 1945 prévoit
notamment dans son alinéa 3 que le juge des enfants « recueillera, par toute mesure d’investigation, des
renseignements relatifs à la personnalité et à l’environnement social et familial du mineur. Le juge des
enfants ordonnera un examen médical et, s’il y a lieu, un examen médico-psychologique. Il décidera, le
cas échéant, le placement du mineur dans un centre d’accueil ou dans un centre d’observation ou prescrira
une mesure d’activité de jour dans les conditions définies à l’article 16 ter ».
1724. Selon les termes du rapporteur de la loi du 10 août 2011 devant le Sénat.
1725. C. DAOUD et B. DE VAREILLES-SOMMIERES, « Droit pénal des mineurs : saisine directe, nouvelle “PIM”
et césure du procès pénal », op. cit., p. 320.
1726. Puisqu’il s’agit d’accélérer le cours d’une instruction menée par le juge des enfants.
1727. Cf. ord. 2 févr. 1945, art. 8-3, al. 3 et art. 14-2 (II).

369
d’investigations approfondies est imputable au mineur, les procédures pourront être mises
en œuvre sur le fondement des informations recueillies par les services de la Protection
judiciaire de la jeunesse à la demande du parquet. Dans le même sens, Carmen Montoir relève
que « cela signifie que lorsque le juge des enfants n’a pu être en mesure de recueillir des
informations sur la personnalité du mineur lors d’une instruction antérieure, suffira le rapport
éducatif de la Protection judiciaire de la jeunesse »1728. Autrement dit, dans la mesure où le
service de la Protection judiciaire de la jeunesse est impérativement consulté dans la mise en
œuvre des procédures de comparution rapide, le rapport écrit qu’il remet, « contenant [en
théorie] tous renseignements utiles sur la situation du mineur ainsi qu’une proposition
éducative »1729, a vocation à suppléer les informations qui n’ont pu être rassemblées sur le
fondement de l’article 8 en raison d’un comportement défaillant du mineur en cause. En
revanche, il résulte in fine des articles 8-1, 8-3 et 14-2 (II) que, dans l’hypothèse où des
investigations sur la personnalité du mineur n’auraient pas été accomplies au cours des douze
mois précédents sur le fondement de l’article 8, sans que cette carence ne soit imputable au
mineur, les procédures en question ne pourraient être mises en œuvre – impliquant ce faisant
le déclenchement de la procédure de droit commun et l’ouverture d’une instruction préalable.
Il est significatif qu’antérieurement à la loi de 2011, l’absence de rapport sur la personnalité
du mineur établi sur le fondement de l’article 8 de l’ordonnance de 1945 interdisait le recours
à la présentation immédiate, sans distinction selon l’origine de cette carence. Il était alors
nécessaire de repasser par la phase de l’instruction préparatoire du dossier par le juge des
enfants1730.

Le rapport élaboré par les services de Protection judiciaire de la jeunesse peut donc être
utilisé dans chacune des procédures de comparution rapide. Certes, l’adoption de procédures
accélérées court-circuitant la phase de l’instruction préparatoire pour la procédure en cours
pouvait augurer d’une telle évolution. Cependant, l’alternative commune du recours à
l’article 12 pour fonder le recueil de renseignements sur le mineur entérine une diminution
de l’exigence du législateur quant à la teneur des informations concernant sa personnalité.
Plus concrètement, les procédures accélérées pourront être mises en œuvre sans une
connaissance approfondie de la personnalité du mineur. Ce phénomène est d’autant plus
préoccupant que le champ de ces procédures est très large. Les procédures de

1728. C. MONTOIR, op. cit., no 1212, p. 656.


1729. Cf. ord. 2 févr. 1945, art. 12, al. 1.
1730. Contrairement à la procédure de convocation par OPJ aux fins de jugement dans sa version antérieure à
la loi du 10 août 2011, issue de la loi précitée du 9 septembre 2002, cette dernière prévoyant qu’« en
matière correctionnelle, le procureur de la République pourra, à tout moment de la procédure, faire
application des dispositions de l’article 8-2, sous réserve que les conditions prévues au premier alinéa de
cet article soient remplies ». Avant l’adoption de la loi du 10 août 2011, la procédure de l’article 8-3 pouvait
être mise en œuvre sur le fondement de l’article 12 de l’ordonnance du 2 février 1945, alors même que
l’absence de renseignements sur la personnalité du mineur ne lui était pas imputable. Une différence
demeure entre les deux procédures dans la mesure où, si la loi du 10 août 2011 a formellement prévu les
mêmes dispositions dérogatoires dans le cadre de la COPJ-jugement par le tribunal pour enfants et de la
présentation immédiate, un tempérament réside dans la faculté ouverte à l’article 14-2 (V), alinéa 2 de
l’ordonnance du 2 février 1945 de « repêcher » les carences de la PIM dans la connaissance de la
personnalité du mineur. En application de ce dernier, le tribunal pour enfants « peut toutefois, d’office ou
à la demande des parties, s’il estime que l’affaire n’est pas en état d’être jugée, renvoyer à une prochaine
audience dans un délai qui ne peut être supérieur à un mois, en décidant, le cas échéant, de commettre le
juge des enfants pour procéder à un supplément d’information ou d’ordonner une des mesures prévues
aux articles 8 et 10 ».

370
COPJ-jugement par le tribunal pour enfants et de présentation immédiate concernent
potentiellement presque tous les mineurs poursuivis en justice. Pour les mineurs âgés de
13 ans, le seuil de la peine encourue est de dix ans, tandis qu’il est de trois ans pour les
mineurs âgés de 16 ans. Or, la grande majorité des mineurs poursuivis encourt au moins
trois ans – pour ne pas écrire cinq ans – d’emprisonnement, non seulement parce que la
majorité des délits commis par les mineurs sont punis d’au moins trois ans
d’emprisonnement1731, mais encore parce que les mineurs se trouvent très fréquemment dans
des situations que la loi qualifie de « circonstances aggravantes »1732, ce qui augmente
automatiquement d’au moins deux ans le quantum de la peine encourue. La condition la plus
contraignante pour qu’un mineur fasse l’objet d’une COPJ-jugement ou d’une présentation
immédiate réside donc dans l’existence d’une procédure antérieure à son encontre. Si le
champ d’application des procédures accélérées est large, deux autres éléments sont de nature
à favoriser le recours à ces procédures de jugement. Le premier tient à la montée des pouvoirs
du parquet des mineurs qui, dans le cadre des COPJ-jugement comme dans le cadre de la
présentation immédiate, a la mainmise sur l’audiencement au point de considérer que
l’affirmation d’André Giudicelli, au lendemain de l’adoption de la loi du 1er juillet 1996 selon
laquelle le juge des enfants constitue « le point de passage obligé qui dispose même quand le
procureur propose », a fait long feu1733. Le second résulte de la création par la loi du 10 août
2011 du dossier unique de personnalité qui accroît le nombre de cas où le tribunal disposera
d’un rapport datant de moins douze mois, lui permettant de juger le mineur sous une telle
procédure1734. Il est donc à craindre que le dossier unique de personnalité ne soit utilisé à bon
escient (c’est-à-dire afin de parfaire la connaissance du mineur), mais pour permettre
l’accélération des procédures pénales.

Or, comme le relèvent Catherine Daoud et Béatrice de Vareilles-Sommières, les procédures


accélérées entraînent nécessairement une décision plus sévère, puisque « le jugement sera pris
sur un acte, sans que l’on ait pu prendre le temps d’éclairer ledit acte par la personnalité et le
parcours du jeune »1735. Ainsi, « se priver de la phase préalable de l’instruction par le juge des
enfants, c’est clairement faire primer le répressif sur l’éducatif »1736 : « sévérité et célérité sont

1731. A minima, vol simple, recel de vol, détention de stupéfiants.


1732. Le fait d’être interpellé avec au moins un coauteur présumé ; la commission des faits dans un établissement
scolaire ou aux abords de celui-ci ; la commission des faits dans les transports communs ou dans un lieu
destiné à l’accès auxdits transports ; la dissimulation volontaire de tout ou partie du visage (capuche,
casque).
1733. A. GIUDICELLI, « Présentation des dispositions procédurales de la loi du 1 er juillet 1996 modifiant
l’ordonnance du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante », RSC, 1997, p. 29. Cf. également ord. 2
févr. 1945, art. 8-1, 8-3 et 14-1. Il n’y a que dans le cadre de la procédure de comparution à délai rapproché
que le juge des enfants conserve in fine la décision de poursuivre (cf. ord. 2 févr. 1945, art. 8-2).
1734. Ce dossier comprend les investigations relatives à la personnalité du mineur et à son environnement social
et familial accomplies lors des procédures d’assistance éducative dont il a pu faire l’objet. Il est ouvert
notamment dès qu’une mesure d’investigation sur la personnalité est ordonnée et est actualisé par les
investigations menées dans la procédure pénale en cours et les éléments de procédures postérieures. Versé
au dossier de chaque procédure, ce dossier est accessible aux avocats du mineur, de ses père et mère,
tuteur ou représentant légal, et de la partie civile, aux professionnels de la Protection judiciaire de la
jeunesse et aux magistrats saisis.
1735. C. DAOUD et B. DE VAREILLES-SOMMIEREs, « Droit pénal des mineurs : saisine directe, nouvelle “PIM”
et césure du procès pénal », op. cit., p. 320.
1736. Loc. cit.

371
souvent largement associées »1737. D’aucuns, à l’instar de Dominique Attias, membre du
Conseil national des barreaux et responsable en son sein du groupe de réflexion « Droit des
mineurs », considèrent que les règles applicables devraient « être beaucoup plus axées sur la
personnalité et beaucoup moins sur la rapidité ». L’accélération des procédures s’effectuant
au détriment de l’intérêt de l’enfant, il peut paraître logique de se tourner vers la césure du
procès pénal, cette institution offrant un temps de respiration dans le procès du mineur
possiblement dédié à l’étude de sa personnalité afin d’éclairer le choix en faveur d’une mesure
appropriée à son relèvement éducatif et moral. D’ailleurs, parmi les souhaits formulés alors
que le projet d’une réforme d’ampleur de la justice des mineurs était annoncé sous l’empire
du précédent quinquennat, figuraient notamment ceux de voir le principe de la généralisation
de la césure du procès pénal adopté1738 ou la procédure de présentation immédiate supprimée.
Si la réforme prévue n’a pas été entreprise, Il est permis de faire œuvre de prospection en
s’interrogeant sur le potentiel réel de la césure à restaurer la spécificité du traitement
procédural du mineur délinquant.

B. L’inefficacité de la césure du procès pénal à préserver l’imputabilité comme


capacité pénale

Loin de constituer un garde-fou à la recherche contemporaine de l’efficacité processuelle et


à la pénalisation qui en découle, cette institution procédurale légitimerait l’évolution actuelle
en permettant de combler les lacunes laissées par une instruction vacante (1.). En outre, il ne
peut être établi qu’elle constitue en toute hypothèse la modalité procédurale la plus adaptée
au relèvement éducatif du mineur (2.). Finalement, l’évolution de la jurisprudence du Conseil
constitutionnel entérine l’abandon de la césure comme modèle unique du procès pénal du
mineur délinquant (3.).

1. La césure du procès pénal des mineurs, une alternative aux procédures


accélérées potentiellement dévoyée
Comme nous avons déjà pu le souligner, la césure présente en théorie de réels avantages.
D’un côté, elle permet une réponse de principe rapide, cela que l’on considère l’acte commis
par le mineur ou la victime dont l’action civile est examinée lors de la première audience sur
la culpabilité. D’un autre côté, elle laisse aux magistrats le temps d’apporter une réponse
pénale adaptée au mineur, après avoir réalisé les investigations supplémentaires nécessaires
sur sa personnalité et examiné ses perspectives d’évolution. Forts de ce dernier rappel, on
peut se demander si la généralisation de la césure du procès pénal des mineurs n’aurait pas
vocation à relayer une instruction court-circuitée. Nous avons déjà vu que, dans les cas de la
saisine directe et de la présentation immédiate, la césure permettait au procureur de lancer la
procédure alors même que le dossier du mineur poursuivi ne contenait pas d’éléments de
personnalité récents, lesdits éléments pouvant être collectés et intégrés dans le dossier par la
suite, pendant le délai d’ajournement. En effet, en application de l’article 24-7 de
l’ordonnance du 2 février 1945, « par dérogation au troisième alinéa de l’article 8-3 et au II

1737. C. MONTOIR, op. cit., no 1234, p. 664.


1738. Cf. C. FLEURIOT, « Réforme de la justice des mineurs : le texte de la consultation », Dalloz act., 8 janv.,
2015.

372
de l’article 14-2, le procureur de la République peut requérir dans la saisine du tribunal qu’il
soit fait application de la procédure de la césure du procès pénal à l’encontre d’un mineur
pour lequel aucune investigation n’a été ordonnée en application de l’article 8 et alors qu’il
n’existe pas dans le dossier d’éléments suffisants sur sa personnalité pour permettre au
tribunal de se prononcer ». On sait par ailleurs que le dossier unique de personnalité a « du
mal à exister, faute de temps pour le greffe de pouvoir constituer le dossier de manière
matérielle »1739. Le délai d’ajournement peut donc être mis à profit pour réaliser des actes qui
sont traditionnellement du ressort de l’instruction préparatoire. Au-delà de cette substitution,
il ressort de l’article 24-7 que la césure peut être envisagée par le parquet à titre de sanction.
Il en est ainsi lorsqu’une présentation immédiate ou une convocation par officier de police
judiciaire a été décidée, et que pour des raisons imputées au mineur, des investigations
approfondies n’ont pu être faites. Le caractère répressif de la césure est renforcé par le fait
qu’elle peut être accompagnée, à titre provisoire (le temps pour la juridiction de choisir la
mesure appropriée), d’un placement, d’une liberté surveillée et d’une activité de réparation
ou de jour1740. Dans ce contexte, cette institution procédurale peut même s’avérer contraire
aux intérêts du mineur, dans la mesure où « lorsque le jeune nie avoir participé à une
infraction, il se voit par cette nouvelle procédure de la césure “enfermé” dans cette culpabilité
prononcée ab initio par le tribunal et ne pourra plus ni faire la preuve de son innocence (sauf
procédure d’appel), ni librement reconnaître sa participation à l’infraction en mûrissant sa
position »1741. En outre, il n’est pas évident que la césure constitue en toute hypothèse l’offre
procédurale la plus adaptée au mineur considéré.

2. La césure du procès pénal des mineurs, une alternative aux procédures


accélérées potentiellement inadaptée
Selon Catherine Daoud et Béatrice de Vareilles-Sommières, « plutôt que de réagir, par la voie
d’une procédure accélérée sur le même mode de l’immédiateté que le jeune, les adultes
doivent l’aider à prendre du recul, à prendre conscience de ses actes, à leur donner un sens
par rapport à son parcours personnel, à sortir de la spirale des passages à l’acte »1742. Si cette
affirmation se trouve vérifiée à l’égard de certains mineurs, il n’est pas pertinent d’en étendre
le bien-fondé à l’ensemble des délinquants mineurs. Il est vrai que pour tel mineur, il faudra
« attendre, savoir patienter et saisir le juste temps, pour le faire comparaître ou le faire
juger »1743 – a fortiori, il faudra prendre le temps de déterminer la mesure appropriée à sa
personnalité. Pour tel autre, en revanche, « il faudra faire preuve de vélocité dans la réaction
pour tenter de stopper une escalade dans le comportement délinquantiel »1744. Comme le
relève Carmen Montoir, « une procédure accélérée peut, par hypothèse, participer du
relèvement éducatif d’un mineur et même être commandée par sa singulière
personnalité »1745. Le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 29 août 2002, avait

1739. Selon Véronique Léger, secrétaire nationale de l’Union syndicale des magistrats.
1740. Cf. ord. 2 févr. 1945, art. 24-6, al. 1er.
1741. C. DAOUD et B. DE VAREILLES-SOMMIERES, « Droit pénal des mineurs : saisine directe, nouvelle “PIM”
et césure du procès pénal », op. cit., p. 320.
1742. Loc. cit.
1743. C. MONTOIR, op. cit., no 1203, p. 651.
1744. Loc. cit.
1745. Ibid., no 1201, p. 650.

373
d’ailleurs précisé que dans certaines hypothèses, les procédures accélérées appliquées à des
mineurs délinquants pouvaient apparaître nécessaires pour répondre « à la situation
particulière des mineurs en raison de l’évolution rapide de leur personnalité ». Ainsi, il n’est
pas nécessairement opportun de préconiser la généralisation de la césure du procès pénal. Si
on rappelle qu’elle apparaît en pratique comme une procédure subsidiaire pouvant se révéler
punitive, il semble bien préférable qu’elle ne constitue qu’une offre procédurale parmi
d’autres en permettant d’enrichir la palette des procédures applicables au mineur considéré.
Ainsi, « la réaction processuelle pourrait, comme la réponse substantielle, être dictée par les
faits, l’âge et la personnalité du mineur »1746. Dans le souci de favoriser le relèvement éducatif
du mineur délinquant, il est logique que le principe d’individualisation de la sanction pénale
soit initié par « l’individualisation de la procédure pénale ». Il ne s’agit donc pas d’écarter
l’option en faveur de toute procédure rapide, ces dernières pouvant constituer selon les cas
la réponse procédurale adaptée. Au final, loin d’apporter une plus-value au droit positif, la
généralisation de la césure combinée à l’accroissement des prérogatives du parquet pourrait
aussi être instrumentalisée à des fins utilitaristes pour satisfaire un objectif de rentabilité, voire
de répression. La restauration de la spécificité du traitement procédural du mineur délinquant
par le truchement de la césure pourrait donc s’avérer n’être qu’un leurre. De ce point de vue,
le recours à une autre procédure prévue au dernier alinéa de l’article 5 de l’ordonnance du
2 février 1945 mériterait d’être encouragé. Celle-ci consiste en la convocation aux fins de
mise en examen. Comme le note François Touret de Coucy, « ce texte, qui préserve les droits
des parents et ceux de la défense, a le mérite de prendre en compte l’urgence à examiner la
situation du mineur sans la confondre avec l’urgence à juger, car la phase d’instruction
préparatoire est respectée »1747.

Enfin, il est permis de condamner définitivement le choix de la césure comme modèle unique
du procès pénal des mineurs en relevant une évolution dans la jurisprudence du Conseil
constitutionnel de nature à assurer l’effectivité de l’application d’une procédure appropriée
aux mineurs délinquants.

3. L’évolution de la jurisprudence du Conseil constitutionnel entérinant


l’abandon de la césure comme modèle unique du procès pénal du mineur
délinquant
La jurisprudence du Conseil constitutionnel a d’abord fait l’objet de nombreuses critiques en
raison des décisions de conformité successives des procédures de comparution rapide à la
Constitution. D’une manière générale, c’est la constitutionnalité de ces procédures au regard
des principes fondamentaux de la justice pénale des mineurs qui pose question, à l’instar de
la recherche du relèvement éducatif et moral1748, alors même qu’elles conduisent à court-
circuiter la phase de l’instruction préparatoire et que cette dernière constitue
traditionnellement une phase décisive dans l’acquisition de connaissances relatives à la
personnalité du mineur. Comme nous l’avons déjà évoqué, pour la juridiction suprême, le
principe même des procédures de comparution rapide n’est pas en lui-même contraire à la

1746. Ibid., no 1203, p. 651.


1747. F. TOURET DE COUCY, op. cit., no 149.
1748. Cf. supra, partie 2, titre 1, chapitre II.

374
Constitution. Dans sa décision du 29 août 2002, le Conseil constitutionnel a validé le principe
de la constitutionnalité conditionnelle de ce mode de poursuites en considérant que, dès lors
qu’un certain nombre de garanties était assurées, ces procédures de comparution rapide
trouvaient leur justification dans « la situation particulière des mineurs en raison (sic) de
l’évolution rapide de leur personnalité »1749. Au rang des garanties exigées par le Conseil
figurent notamment l’âge, les antécédents judiciaires du mineur et la gravité des faits
reprochés. Toutefois, lorsque la procédure envisagée ne comporte aucune des garanties
exigées par le Conseil constitutionnel, elle peut encore être purgée de son inconstitutionnalité
dès lors que la décision de poursuivre selon ce mode appartient in fine au juge des enfants :
l’intervention du juge protecteur peut à elle seule être déterminante de la constitutionnalité
d’une procédure de comparution rapide1750. Dans ce contexte jurisprudentiel, il est permis de
s’interroger sur la réalité du contrôle exercé par le Conseil constitutionnel quant à
l’acquisition de connaissances approfondies sur la personnalité du mineur. Nous avons déjà
remis en cause le fait que la juridiction saisie puisse fonder sa décision sur des informations
obtenues jusqu’à un an avant la poursuite1751. De ce point de vue, la Haute Juridiction n’a
dans un premier temps pas fait preuve de la sévérité attendue, puisqu’elle a accepté que les
renseignements soient recueillis jusqu’à un an avant la mise en examen1752. Elle a ensuite
censuré l’article 41 du projet de loi du 8 février 2011 – devenu la loi du 14 mars 20111753 –
qui prévoyait la possibilité pour le parquet de citer directement un mineur devant le tribunal
pour enfants, si des investigations supplémentaires sur les faits n’étaient pas nécessaires et
que des investigations sur la personnalité avaient été accomplies à l’occasion d’une procédure
engagée ou ayant donné lieu à une condamnation dans les six mois précédents. Le Conseil
constitutionnel a considéré qu’en prévoyant l’application de ces dispositions au mineur quel
que soit son âge, l’état de son casier judiciaire et la gravité des infractions poursuivies, le
législateur ne pouvait garantir que le tribunal dispose d’informations récentes sur la

1749. Cons. const., DC. no 2002-461 du 29 août 2002, consid. 47 (cf. supra). Dans cette décision, la juridiction
suprême avait validé la constitutionnalité de la procédure de jugement à délai rapproché, ancêtre de
l’actuelle présentation immédiate, alors que, selon les griefs des requérants, elle dérogeait à l’obligation
d’une instruction préalable par le juge des enfants ou le juge d’instruction. Pour un autre exemple de
jurisprudence du Conseil constitutionnel validant une procédure de comparution rapide après avoir
identifié un certain nombre de garanties, cf. Cons. const., DC no 2007-553 du 3 mars 2007. En l’espèce,
il s’agissait du remplacement de la procédure de jugement à délai rapproché, après durcissement de son
régime, par celle de la présentation immédiate.
1750. En ce sens, Cons. const., QPC no 2012-272 du 21 septembre 2012, JO du 22 septembre 2012, p. 15024.
Dans cette affaire, le Conseil constitutionnel avait été saisi, par une décision de la chambre criminelle de
la Cour de cassation, en date du 20 juin 2012 (cf. Cass. crim., 20 juin 2012, no 12-90.019, inédit), de la
question de la conformité à la constitution de la procédure de comparution à délai rapproché de l’article
8-2 de l’ordonnance du 2 février 1945, telle que modifiée par la loi du 10 août 2011, au motif qu’elle
permettait la convocation d’un mineur devant la juridiction de jugement sans instruction préalable et sans
aucune des garanties exigées par le Conseil constitutionnel. Selon la juridiction suprême, dans la mesure
où la décision de saisir la juridiction de jugement appartient au juge des enfants, lequel ne fait droit à la
requête du Ministère public que s’il estime qu’il a à sa disposition des éléments d’investigation suffisants
et qu’à défaut, il peut parfaitement poursuivre l’instruction préparatoire après avoir rejeté la requête du
procureur de la République, « les dispositions contestées n’empêchent pas que les mineurs soient jugés
selon une procédure appropriée à la recherche de leur relèvement éducatif » (consid. 4).
1751. Cf. supra.
1752. À propos de la procédure de jugement à délai rapproché, cf. Cons. const., no 2002-461 DC du 29 août
2002, consid. 47 ; à propos de la présentation immédiate : Cons. const., no 2007-553 DC du 3 mars 2007 ;
à propos de la saisine directe du tribunal, Cons. const., no 2011-625 DC du 10 mars 2011, consid. 32.
1753. Loi no 2011-267 du 14 mars 2011 d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité
intérieure, JO du 15 mars 2011, p. 4582.

375
personnalité du mineur, lui permettant de rechercher son relèvement éducatif et moral. Le
Conseil constitutionnel a donc conclu que ces dispositions « méconnaissent les exigences
constitutionnelles en matière de justice pénale des mineurs [et] que l’article 41 doit être
déclaré contraire à la Constitution »1754. Le législateur a revu sa copie dans le projet de loi du
6 juillet 2011 et mis en place une procédure de convocation directe des mineurs devant le
tribunal pour enfants assortie d’un certain nombre de garanties tenant à l’âge, à la gravité de
l’infraction reprochée et aux antécédents du mineur. Si le Conseil a validé cette procédure
revisitée à l’occasion de sa décision du 4 août 20111755, il a dans le même temps écarté la
constitutionnalité du projet de saisine de feu le tribunal correctionnel pour mineurs selon les
modalités prévues aux articles 8-3 et 14-2 de l’ordonnance du 2 février 1945, au motif que
ces dernières, en permettant « de faire convoquer ou comparaître directement le mineur
devant la juridiction de jugement sans instruction préparatoire […] conduisent, en
méconnaissance des exigences du principe fondamental en matière de justice pénale des
mineurs, à ce que les mineurs ne soient jugés ni par une juridiction spécialisée ni selon des
procédures appropriées »1756. Cela revient à affirmer que « la rapidité de la comparution doit
nécessairement être compensée par la spécialité de la juridiction »1757. Ces décisions de
censure inédites ont été saluées par tous les spécialistes de la justice des mineurs. Il existe une
contradiction évidente entre le fait de prendre le temps d’observer la personnalité et le
comportement du mineur et celui de donner une réponse rapide à certains actes. Si la
première exigence participe directement du principe du relèvement éducatif et moral du
mineur délinquant, la seconde répond à celle d’empêcher l’éclosion d’un sentiment
d’impunité très préjudiciable lorsqu’il concerne un mineur. Les déclarations de conformité
successives à la Constitution des différentes procédures de comparution rapide avaient créé
un déséquilibre au bénéfice du second objectif. Les dernières décisions de censure, en
fondant l’inconstitutionnalité des procédures envisagées sur le principe fondamental du
primat de l’éducatif, contribue à restaurer son respect et, par ricochet, celui de l’imputabilité
comme capacité pénale.

Nous avons tenté d’établir que les garanties entourant les procédures accélérées, en favorisant
l’approfondissement de la connaissance du mineur, étaient nécessaires à l’objectif de
relèvement éducatif. Aussi, il semble qu’il ne faille pas, à l’instar de Christine Lazerges,
considérer que « l’ensemble des conditions restrictives et des garanties rivées à ces dispositifs
ne changent rien ». Le Conseil constitutionnel fait respecter la nécessité de rechercher le
relèvement éducatif. D’ailleurs, d’aucuns voient au contraire dans la jurisprudence récente du
Conseil constitutionnel le désir de tempérer la volonté croissante du législateur d’accélérer la
procédure pénale des mineurs1758. Ainsi, un équilibre semble être en voie d’être trouvé. Il est
souhaitable que le Conseil constitutionnel pérennise l’effectivité du contrôle du respect du
principe fondamental gouvernant la justice pénale des mineurs. En effet, le juge protecteur,
après s’être vu privé de la phase de jugement au nom du principe d’impartialité1759, se trouve

1754. Cons. const., no 2011-625 DC du 10 mars 2011, consid. 34.


1755. Cette procédure a été validée à l’occasion de la décision du Conseil constitutionnel du 4 août 2011
(cf. Cons. const., no 2011-635 DC du 4 août 2011, consid. 41).
1756. Ibid., consid. 52.
1757. C. MONTOIR, op. cit., no 1239, p. 669 et 670.
1758. Cf. P. BONFILS, « La loi LOPSSI 2 et le droit pénal des mineurs », D., 2011, p. 1162.
1759. Cf. supra.

376
aussi privé de la phase pré-sentencielle par la validation constitutionnelle des procédures
accélérées, ce qui doit appeler la juridiction suprême à maintenir, voire accroître, la réalité de
son contrôle.

Si le choix ponctuel du mécanisme de la césure peut donc s’avérer adapté, il n’est pas
souhaitable que cette dernière constitue le modèle unique dans le domaine de la délinquance
juvénile, particulièrement si elle devait être envisagée à titre de sanction. De ce point de vue,
le principe d’une instruction préalable apparaît préférable. Le caractère approprié de la
procédure pénale applicable à un mineur délinquant ne suppose pas nécessairement
l’aménagement d’un temps du procès pénal dédié à l’étude de l’imputabilité dans sa double
acception de fondement de la responsabilité pénale et d’aptitude à profiter de la sanction
pénale. De la même manière, s’agissant de la procédure pénale de droit commun applicable
en présence d’un délinquant majeur, le principe d’une phase du procès pénal consacré au
débat sur l’imputabilité semble condamné. Si cette exclusion tient d’abord au fait que le
modèle de la césure viendrait heurter le caractère rétributif de la responsabilité pénale, dont
l’actualité a été établie dans la première partie de cette étude, elle résulte aussi d’une évolution
récente vers la consécration d’une conception élargie du procès pénal.

377
378
Chapitre II

L’usage recentré de la dangerosité

En faisant un bon usage de la dangerosité, on préserve l’exigence d’imputabilité en protégeant


plus efficacement la société. Nous allons donc tenter d’établir qu’il importe de dédramatiser
leur concurrence. Un bon usage de la dangerosité témoigne d’une approche réaliste de la
délinquance et semble voué à une certaine efficience de la justice pénale. Pour autant, il
importe au préalable de remettre la notion de dangerosité dans l’axe d’une justice
respectueuse des principes directeurs du droit pénal. Un usage recentré de la dangerosité
suppose de repenser de manière négative et positive le champ d’application de la notion. Plus
précisément, un tel usage suppose non seulement que soit réduit le champ d’application de
la dangerosité, mais encore, de définir l’usage proprement dit de la dangerosité (section 2).
La régression du champ d’application de la dangerosité s’effectue au bénéfice de l’extension
du rôle garantiste de l’imputabilité (section 1).

Section 1 – L’usage de la dangerosité borné par l’extension du rôle


garantiste de l’imputabilité
Si les développements précédents ont été l’occasion d’écarter le principe d’une phase du
procès pénal dédiée à l’étude de l’imputabilité dans sa double acception de fondement et
d’aptitude à profiter de la sanction pénale, cela ne signifie pas pour autant que le concept soit
dépourvu d’implications procédurales ponctuelles. Cette alternative a été révélée par le fait
qu’un individu dont les facultés mentales n’étaient pas intègres au moment des faits peut
néanmoins faire l’objet d’une procédure pénale spécifique. Il importe logiquement que des
garanties particulières entourent alors le déroulement de ces procédures, sous peine de voir
la dangerosité révélée par la commission de l’infraction prendre le pas sur les conséquences
découlant de la non-imputabilité ou de l’imputabilité partielle de l’agent au moment des faits.
Dans le prolongement, nous tenterons d’établir qu’un encadrement efficace de la dangerosité
suppose également de nouvelles implications de l’imputabilité en droit pénal substantiel.
L’extension du rôle garantiste de l’imputabilité concerne donc tant le droit pénal de
forme (§ 1) que le droit pénal de fond (§ 2).

379
§ 1 - Les implications de l’imputabilité en droit pénal de forme

Hormis les procédures spécifiques relevant de la justice pénale des mineurs1760, deux
procédures de droit positif, applicables en droit pénal des majeurs, trouvent leur raison d’être
dans la psychologie défaillante de l’agent. On pense d’abord à la procédure de déclaration
d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental spécialement créée en regard des
personnes dont le discernement était aboli au moment des faits. Vient ensuite la procédure
pénale applicable à un majeur placé sous un régime de protection civile, étant donné qu’il est
vraisemblable qu’un tel majeur fasse l’objet, à tout le moins, d’une altération de ses facultés
mentales1761. Le choix de la procédure pénale applicable est donc lié à la psychologie de
l’agent. Ce constat invite à analyser les procédures existantes concernant les majeurs en
difficulté psychologique par le prisme de l’imputabilité. Il a déjà été établi que la procédure
de déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental avait été déroutée du
respect de cette exigence1762. Il importera donc, afin de restaurer l’impératif d’imputabilité,
de repenser la procédure applicable à un délinquant au discernement aboli au moment des
faits (A.). De la même manière, il apparaîtra logique de questionner la conformité de la
procédure pénale applicable à un majeur protégé au regard de l’exigence d’imputabilité.
Au-delà, il conviendra plus généralement de s’interroger sur les modalités de la procédure
pénale applicable à un majeur au discernement altéré, qu’il fasse ou non l’objet d’une mesure
de protection civile (B).

A. Les implications procédurales de l’imputabilité en cas d’abolition du discernement


ou le respect de l’exigence d’imputabilité impliquant une refonte de la procédure de
déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental

La procédure de déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental nous


semble devoir faire l’objet d’aménagements afin de ne pas trahir les conséquences tirées de
l’absence d’imputabilité au moment des faits. En effet, à l’inverse d’une opinion répandue en
doctrine1763, nous avons tenté d’établir que ce dispositif remettait insidieusement en cause les
concepts fondamentaux du droit pénal, au rang desquels l’exigence d’imputabilité comme
condition à l’engagement de la responsabilité pénale1764. Au-delà même, la question du
maintien de cette procédure mérite d’être posée et, partant, celle de la pertinence d’un
authentique procès de l’aliéné. Formulée ainsi, la réponse apparaît plus évidente. Pour cette
raison, et après avoir souligné l’assimilation de la procédure de déclaration d’irresponsabilité
pénale à un authentique procès de l’aliéné conduisant au prononcé d’authentiques peines1765,

1760. Cf. supra, partie 2, titre 2, chapitre I.


1761. Cf. infra.
1762. Cela dans la mesure où elle consiste finalement à faire subir à l’aliéné un authentique procès avec, à son
issue, le prononcé de peines fondées en réalité sur sa dangerosité.
1763. Cf. par exemple P. BONFILS, « Loi no 2008-174 relative à la rétention de sûreté et à déclaration
d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental », RSC, 2008, p. 392.
1764. Cf. supra, partie 2, titre 1, chapitre II, section 1, § 1 (« L’infliction de peines à des délinquants aliénés ou la
concession de l’imputabilité en tant que fondement de la responsabilité pénale ») et titre 2, chapitre I,
section 2, § 1 (« La pénalisation des délinquants souffrant de troubles psychiques ou neuropsychiques »).
1765. Cf. supra, partie 2, titre 1, chapitre II, section 1, § 1 (« L’infliction de peines à des délinquants aliénés ou la
concession de l’imputabilité en tant que fondement de la responsabilité pénale »).

380
nous serons conduite à préconiser l’abandon de l’audience d’imputabilité dans le cadre de
l’instruction préparatoire (1). Pour autant, cette exclusion ne doit pas interdire le prononcé
judiciaire de mesures à l’encontre de l’aliéné. Il ne s’agit pas d’occulter la dangerosité révélée
par la commission d’une infraction. Il s’agit simplement de lui donner un écho sanitaire et
social en adéquation avec l’état mental de l’intéressé au moment des faits (2.).

1. L’abandon de l’audience d’imputabilité


L’audience d’imputabilité entendue strictement ne présente pas de réelles avancées rapport
au dispositif en vigueur antérieurement à la loi du 25 février 2008 (1.1). Pour cette raison, il
pourra être préconisé de revenir au système antérieur d’une audience devant la chambre de
l’instruction en cas d’appel interjeté contre une ordonnance de non-lieu rendue par le juge
d’instruction sur le fondement de l’article 122-1, alinéa 1er du Code pénal (1.2).

1.1 L’inutile création du dispositif existant

Jusqu’à l’adoption de la loi no 96-125 du 8 février 1995, les conditions procédurales dans
lesquelles l’irresponsabilité pénale d’une personne poursuivie pour cause de trouble mental
était prononcée n’était pas satisfaisante, notamment au regard des attentes légitimes victimes.
En effet, « il n’était pas normal qu’un non-lieu motivé par l’application de l’article 122-1 du
Code pénal puisse être rendu en “catimini”, et dans des conditions ne permettant pas aux
victimes de contester utilement cette décision »1766. Pour cette raison, à l’intérieur d’un nouvel
article 167-1 du Code de procédure pénale, le législateur avait prévu que, lorsque les
conclusions d’une expertise étaient de nature à entraîner l’application de l’article 122-1, alinéa
1er du Code pénal, la notification ne s’effectuait plus par simple lettre, mais oralement, dans
le cabinet du magistrat, la victime étant alors convoquée avec son avocat. Cette dernière est
expressément avisée de sa possibilité de demander une contre-expertise psychiatrique. En
cas de demande de contre-expertise, celle-ci est alors de droit et devra être réalisée par deux
experts. Le législateur a également prévu, dans un nouvel article 199-1 du Code de procédure
pénale1767, que la partie civile qui conteste un non-lieu motivé par une irresponsabilité pénale
pour cause de trouble mental puisse obtenir que son appel devant la chambre d’accusation1768
fasse l’objet d’une audience publique. Il était prévu, au cours de cette audience, que la
personne mise en examen comparaisse, si son état le permettait, et que les experts psychiatres
qui l’avaient examinée soient entendus1769. Comme le relevait Francis Le Gunehec, le
nouveau dispositif était de nature à permettre à la victime « de contester utilement, et de

1766. F. LE GUNEHEC, « Commentaires des dispositions pénales de la loi du 8 février 1995 : réformettes,
réformes d’ampleur et occasions manquées. – Première partie : la procédure préparatoire », JCP G, 1995,
I, 3862.
1767. Supprimé à l’adoption de la loi du 25 février 2008 précitée.
1768. Devenue, avec la loi du 15 juin 2000… la chambre de l’instruction.
1769. Un nouvel article 167-1 a également été créé lorsque les conclusions d’une expertise sont de nature à
entraîner l’application de l’article 122-1, alinéa 1er du Code pénal. Au regard de l’importance d’une telle
expertise, le législateur est venu imposer que sa notification ne s’effectue plus par simple lettre, mais
oralement, dans le cabinet du magistrat, la victime étant alors convoquée avec son avocat. La victime sera
expressément avisée de sa possibilité de demander une contre-expertise psychiatrique. En cas de demande
de contre-expertise, celle-ci est de droit et devra être réalisée par deux experts.

381
façon contradictoire, l’irresponsabilité pénale de l’intéressé »1770. Dans la continuité, la loi du
9 mars 2004 était venue parfaire le dispositif en complétant l’article 177 du Code de
procédure pénale par un alinéa 2 prévoyant que, lorsque l’ordonnance de non-lieu rendue
par le magistrat instructeur est motivée par l’existence d’une cause d’irresponsabilité pénale
prévue par la loi – et donc notamment par l’alinéa 1er de l’article 122-1 –, elle doit préciser
« s’il existe des charges suffisantes établissant que l’intéressé a commis les faits qui lui sont
reprochés ». Une réforme orientée vers la satisfaction des besoins de justice et de
reconnaissance des souffrances des victimes avait donc déjà été entreprise, au point de
considérer qu’un effort suffisant d’explication des faits était déjà institutionnalisé. Dès lors,
on peut se demander s’il était vraiment nécessaire pour répondre davantage aux intérêts
légitimes des victimes de créer un nouveau dispositif spécifique s’inscrivant dans la continuité
de celui prévu à l’ancien article 199-1 du Code de procédure pénale. Quelle est la plus-value
réelle de la nouvelle procédure ? Incontestablement, elle tient à la judiciarisation du prononcé
des mesures pouvant être infligées au délinquant souffrant de troubles psychiques ou
neuropsychiques1771. Cependant, les inconvénients découlant de la nouvelle procédure
entendue strictement plaident pour une hybridation de la procédure existante avec celle
introduite par la loi du 8 février 1995 précitée. La première préconisation pourrait consister
dans l’abandon de l’audience d’imputabilité. L’abandon de l’audience d’imputabilité peut être
soutenu, que l’on regarde du côté des victimes ou du délinquant souffrant de troubles
psychiques.

Le risque de décevoir les attentes des victimes


Du point de vue des victimes, l’explication est à rechercher dans les motifs de la création de
cette procédure qui était destinée à satisfaire le besoin de reconnaissance des victimes ainsi
que leurs aspirations vindicatives. Il s’agit de comprendre que les attentes des victimes
pourraient s’en trouver déçues. Le rapport dit « Burgelin » du 6 juillet 20051772 précisait déjà
que « la société contemporaine, aidée en cela par la vulgarisation du discours psychiatrique,
tend à penser que l’audience pourrait constituer une étape nécessaire au travail de deuil du
plaignant en ce qu’elle permettrait à ce dernier d’obtenir une explication plus détaillée sur les
faits et d’être publiquement reconnu en sa qualité de victime »1773. La majorité des psychiatres
n’adhèrent pas à l’idée de vertus cathartiques du procès pénal. Particulièrement, la
déconvenue pourrait tenir au fait que « le trouble mental est une circonstance à la fois grave
et évolutive »1774. Il en découle deux conséquences potentielles, diamétralement opposées. La
première tient au fait que la présence de l’auteur de l’infraction à l’audience, au stade de
l’instruction, ne sera pas toujours possible. À l’opposé, dans certains cas, sa présence pourra
aggraver le sentiment d’injustice ou d’incompréhension des victimes, lorsque, pleinement
dément au moment des faits, l’auteur de l’infraction aura recouvré la raison lors de
l’instruction. Entre les deux cas de figure, on peut facilement imaginer que le délinquant, sans

1770. F. LE GUNEHEC, « Commentaires des dispositions pénales de la loi du 8 février 1995 : réformettes,
réformes d’ampleur et occasions manquées. – Première partie : la procédure préparatoire », op. cit.
1771. Cf. infra.
1772. La doc. fr., 2005.
1773. Le rapport de la commission Santé-Justice, intitulé Santé, justice et dangerosités : pour une meilleure prévention de
la récidive, La doc. fr., 2005.
1774. P. BONFILS, « Loi no 2008-174 relative à la rétention de sûreté et à déclaration d’irresponsabilité pénale
pour cause de trouble mental », RSC, 2008, p. 392.

382
être empêché de comparaître, ne soit pas en état, en raison de son trouble psychique, de
fournir les explications attendues par la victime.

L’audience d’imputabilité s’apparentant à un authentique procès de l’aliéné


Du côté du délinquant souffrant de troubles psychiques ou neuropsychiques, l’audience
d’imputabilité s’apparente à un authentique procès, comme en attestent les formalités de
publicité de l’audience d’imputabilité. Dans le cadre de l’audience d’appel prévue par la loi
du 8 février 1995, à partir du moment où la comparution personnelle était ordonnée, il
incombait alors à la victime ou à son avocat de demander que les débats se déroulent et que
l’arrêt soit rendu en séance publique. Contrairement aux prescriptions de l’ancien
article 199-1 du Code de procédure pénale, le législateur a posé le principe de publicité de
l’audience, « en paraissant vouloir assimiler une telle audience à celle d’une juridiction de
jugement »1775. Il insère en effet l’exception du huis clos prévue à l’article 306 du Code de
procédure pénale à l’article 706-122, alinéa 2 du Code de procédure pénale. Ainsi, même si
l’irresponsabilité pénale peut toujours être constatée par la juridiction d’instruction, les
nouveautés grevant la procédure décrite aux articles 706-119 et suivants du Code de
procédure pénale donnent à penser que la question de l’irresponsabilité pénale est toujours
tranchée par une véritable juridiction de jugement, générant ce faisant une pénalisation de la
maladie mentale. En outre, « faire subir à des personnes qui souffrent de graves troubles
mentaux les conséquences fâcheuses d’une lourde et longue procédure judiciaire n’apparaît
pas compatible avec la dignité de la personne humaine »1776. La Cour européenne des droits
de l’homme semble cependant valider cette procédure sous réserve que préalablement à
chaque audience, le requérant fasse l’objet d’une expertise concluant à la compatibilité de son
état de santé avec une comparution1777. On pourrait cependant s’interroger sur la
conventionnalité de la procédure au regard de l’article 3 de la Convention prohibant les
traitements inhumains ou dégradants dans la mesure où la mise en examen de l’agent pourrait
alors conduire à une aggravation de son état de santé. Elle pourrait résulter du fait qu’en cas
de saisine de la chambre de l’instruction, les mesures attentatoires à la liberté, telles que la
détention provisoire ou le contrôle judiciaire, demeurent1778. Si l’on rappelle qu’à l’issue de
cette procédure le malade mental peut se voir infliger d’authentiques peines, on préconisera
le retour au quasi statuquo ante.

1.2 Le retour à une audience devant la chambre de l’instruction en cas d’appel d’une
ordonnance rendu sur le fondement l’article 122-1, alinéa 1er du Code pénal

L’audience d’imputabilité pourrait être remplacée par une nouvelle audience suivie devant la
chambre de l’instruction dans le cadre d’un appel formé contre une ordonnance rendue sur
le fondement de l’article 122-1, alinéa 1er du Code pénal. Elle consisterait dans le déroulé de

1775. J. BUISSON, « La déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental : loi du 25 février
2008 », Proc., 2008, étude 4.
1776. H. MATSOPOULOU, « Le développement des mesures de sûreté justifié par la “dangerosité” et l’inutile
dispositif applicable aux malades mentaux », Dr. pén., 2008, étude 5.
1777. Cf. CEDH, 23 févr. 2012, no 27244/09, G c/France ; D., 2012, p. 742, obs. O. BACHELET ; AJ pén., 2012,
p. 357, obs. J.-P. CERE.
1778. Cf. C. pr. pén., art. 706-121, alinéa 2.

383
l’audience imaginée par la loi du 8 février 1995. Ainsi, le principe redeviendrait celui du huis
clos. Si le principe d’un débat public peut être intéressant, pourquoi ne pas en laisser
l’initiative à la victime ? Il pourrait aussi être prévu, conformément à l’actuel l’article 706-122,
alinéa 5 du Code de procédure pénale, d’entendre des témoins, dès lors que leur audition
serait nécessaire pour établir s’il existe des charges suffisantes contre la personne d’avoir
commis les faits qui lui sont reprochés, et de déterminer si l’article 122-1 du Code pénal est
applicable. En outre, lorsque le majeur commettant une infraction pénale est protégé, et bien
que la loi du 25 février 2008 ne le précise pas, il convient d’appliquer corrélativement la loi
du 5 mars 2007 de sorte que l’organe de protection sera dans ce cas susceptible d’être présent
à l’audience et d’être entendu1779. Cet état du droit génère donc une inégalité entre auteurs
vulnérables, ceux dont le discernement était aboli et qui sont protégés, d’un côté, et ceux
dont le discernement était aboli mais qui n’étaient pas protégés, d’un autre côté. Pour cette
raison, il pourrait aussi apparaître opportun de prévoir, lors de cette nouvelle audience
« l’accompagnement systématique du majeur atteint de troubles mentaux, soit par son organe
de protection s’il s’agit d’un majeur protégé, soit par un organe protecteur ad hoc dans le cas
contraire »1780. Si la culpabilité de l’intéressé venait à être établie nonobstant l’application de
l’alinéa 1er de l’article 122-1 du Code pénal, il pourrait néanmoins faire l’objet d’une
déclaration de culpabilité entendue strictement en raison la caractérisation, en tous ses
éléments constitutifs, d’une infraction. Sur le fondement de cette dernière, la compétence du
juge judiciaire devrait être maintenue pour prononcer des mesures d’assistance sanitaire et
sociale.

2. Le maintien de la compétence judiciaire dans le prononcé de mesures


d’assistance sanitaire et sociale
Un des apports de la réforme de 2008, méritant d’être conservé, réside dans la compétence
du juge judiciaire dans le prononcé de mesures destinées à traiter la dangerosité de l’intéressé.
Ces mesures par essence attentatoire aux droits fondamentaux de l’intéressé nécessitent
l’intervention de l’autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle. Une illustration de
la pertinence de cette intervention judiciaire peut être mise en évidence, avec une acuité
particulière, dans le cadre de la procédure d’hospitalisation sans consentement (2.1). Dans le
prolongement, une préconisation pourra être faite en vue du choix du juge des libertés et de
la détention pour prononcer toute mesure d’assistance sanitaire et sociale à l’encontre du
délinquant souffrant de troubles psychiques (2.2).

2.1 La nécessité de la compétence du juge judiciaire illustrée dans le cadre de la procédure


d’hospitalisation sans consentement

Aux termes de l’article 66 de la Constitution : « Nul ne peut être arbitrairement détenu –


L’autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, assure le respect de ce principe dans
les conditions prévues par la loi. » La pertinence de la compétence du juge judiciaire s’illustre
particulièrement dans le cadre de la mesure d’hospitalisation sans consentement. Cette

1779. Cf. infra, B. : « Les implications procédurales de l’imputabilité en cas d’altération du discernement ».
1780. A. BOURRAT-GUEGUEN, « L’aménagement de la procédure pénale à l’égard de l’auteur d’une infraction
atteint de troubles mentaux », Dr. pén., 2015, étude 4.

384
dernière a fait l’objet d’une évolution législative récente. Trois lois ont été déterminantes
dans l’édification du nouveau régime garantiste de l’hospitalisation sans consentement. En
premier lieu, la loi du 25 février 2008 est venue transférer la compétence dans le prononcé
et la mainlevée de la mesure, jusqu’alors préfectorale, à l’autorité judiciaire. Un des avantages
subséquents de la compétence judiciaire tient au fait qu’elle réduit les délais d’exécution de
la mesure liés à la difficile coordination entre autorités, judiciaire et administrative. La loi no
2011-803 du 5 juillet 2011 relatives aux droits et à la protection des personnes faisant l’objet
de soins psychiatriques et aux modalités de leur prise en charge 1781 est venue prévoir un
régime d’hospitalisation plus contraignant pour la personne ayant fait l’objet d’une
déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental. Autrement dit, elle
entraîne une dualité de régime selon que le malade mental a commis ou non une infraction
pénale. Le malade mental n’ayant pas commis d’infraction pénale continue à relever d’une
procédure administrative. Dans le cas qui nous intéresse, le juge des libertés et de la
détention est investi de la compétence de prononcer le placement et la mainlevée de
l’hospitalisation sans consentement1782. Au rang des contraintes figure la nécessité de
recueillir l’avis d’un collège, prévu par l’article L. 3211-9 du Code de la santé publique,
préalablement à la décision du juge des libertés et de la détention. Cette condition n’est pas
sans rappeler la nécessité de l’avis de la commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté
préalablement à certaines décisions des juridictions de l’application des peines. Avant toute
mainlevée de la mesure, la loi du 5 juillet 2011 exigeait l’expertise concordante de deux
psychiatres. Cette dernière contrainte a fait l’objet d’une question prioritaire de
constitutionnalité au motif que la procédure ainsi prévue ne tenait pas compte de la gravité
de l’infraction commise. Le Conseil constitutionnel a censuré cette dernière contrainte dans
sa décision du 20 avril 20121783. La loi no 2013-869 du 27 septembre 20131784 a alors mis en
conformité les textes avec la Constitution. Désormais, le juge des libertés et de la détention
intervient de deux manières. D’une part, il contrôle obligatoirement la mesure
d’hospitalisation dans les douze jours de l’admission – et non plus quinze comme
auparavant – ; d’autre part, il peut être saisi d’une demande de mainlevée de la mesure. Dans
ce cas, le recueil préalable de l’expertise de deux psychiatres n’est plus obligatoire que pour
« des faits punis d’au moins cinq ans d’emprisonnement en cas d’atteinte aux personnes ou
d’au moins dix ans d’emprisonnement en cas d’atteinte aux biens »1785. Cette
juridictionnalisation renforcée de l’hospitalisation sans consentement illustre le rôle
garantiste du juge judiciaire en matière de droits et libertés fondamentaux, et permet
d’argumenter en faveur du maintien de la compétence de l’autorité judiciaire. Cependant, le
corollaire inéluctable à la judiciarisation de la procédure, en particulier de l’hospitalisation
sans consentement, est la pénalisation des malades mentaux. Au-delà, un questionnement
pourrait voir le jour quant au juge le plus approprié au prononcé de mesures à l’endroit des
délinquants souffrant de troubles psychiques.

1781. JO, 6 juill. 2011.


1782. Anciennement dénommée « hospitalisation d’office ».
1783. Cons. const., décision no 2012-235 QPC, 20 avr. 2012, CRPA, Rec., p. 202 ; AJDA 2012, p. 855.
1784. JO, 29 sept. 2013.
1785. Cf. art. L. 3211-12 du Code de la santé publique.

385
2.2 La compétence du juge des libertés et de la détention dans le prononcé de mesures
d’assistance sanitaire et sociale

Selon Xavier Pin, l’irresponsabilité pénale « ne saurait admettre la demi-mesure »1786. Ainsi,
« celui qui a commis une infraction parce qu’il n’avait pas la faculté d’y résister, en raison
d’une contrainte ou d’une erreur invincible, ou parce qu’il n’avait pas la faculté de se
maîtriser, en raison de son jeune âge ou de son état mental, ne relève pas de la justice
pénale »1787. Il convient d’écarter la perspective ouverte par Xavier Pin d’un juge non doté
de compétences pénales dans la mesure, précisément, où une infraction pénale est bien
constituée malgré la caractérisation d’une cause de non-imputabilité au bénéfice de l’agent.
Par exemple, la piste du juge des tutelles, envisageable dans l’hypothèse d’un délinquant
placé sous un régime de protection civile, mérite d’être écartée. La compétence d’un juge
doté d’attributions pénales semble donc s’imposer. La commission d’une infraction justifie
la coloration pénale de la décision. La question qui mérite d’être posée est celle de
l’exclusivité de compétences pénales. Comme le relève Anne Bourrat-Gueguen, à propos
de l’hospitalisation sans consentement, « il convient de rester vigilant de façon à ce qu’elle
n’entraîne pas une assimilation abusive des malades mentaux et des criminels »1788. Pour
cette raison, l’auteur se félicite que le double régime de l’hospitalisation d’office ait été
maintenu. Le maintien de l’hospitalisation sans consentement sur décision administrative
permet d’éviter, à tout le moins, la pénalisation des malades mentaux en dehors de la
commission de toute infraction pénale. La compétence d’un juge non doté de compétences
exclusivement pénales pour décider du prononcé de mesures à l’encontre de l’auteur d’une
infraction souffrant de troubles psychiques apparaît alors comme une solution de
compromis satisfaisante.

On pourrait d’abord penser au juge délégué aux victimes1789 créé par le décret no 2007-1605
du 13 novembre 2007, dans la mesure où ce dernier est aussi doté de compétences civiles.
En vertu de l’article D. 47-6-1 du Code de procédure pénale, il « veille, dans le respect de
l’équilibre des droits des parties, à la prise en compte des droits reconnus par la loi aux
victimes. À cette fin, il exerce les fonctions juridictionnelles et, sans préjudice du rôle de
l’avocat constitué ou à venir de la victime, les fonctions d’administration judiciaire et les
fonctions administratives prévues par le présent titre ». En ce qui concerne ses fonctions
juridictionnelles, elles sont doubles. En vertu de l’article D. 47-6-2, alinéa 1er du Code de
procédure pénale, il préside la commission d’indemnisation des infractions. Par ailleurs, il
peut être désigné par le président du tribunal de grande instance pour présider les audiences
du tribunal correctionnel statuant après renvoi sur les seuls intérêts civils, audiences prévues
par le quatrième alinéa de l’article 646 du Code de procédure pénale. Rapidement, la
question de l’impartialité du Judevi s’est alors posée en jurisprudence. Le problème découle
directement de la compatibilité des fonctions de juge correctionnel appelé à statuer sur les
intérêts civils et de juge délégué aux victimes au regard des dispositions de l’article

1786. X. PIN, « L’irresponsabilité pénale (réflexion sur le sens des articles 122-1, 122-2, 122-3 et 122-8 du Code
pénal », in La réforme du Code pénal et du Code de procédure pénale, Opinio doctorum, op. cit., p. 51 et suiv.
1787. Loc. cit.
1788. A. BOURRAT-GUEGUEN, op. cit.
1789. Autrement dénommé Judevi.

386
préliminaire du Code de procédure pénale. Selon la Cour de cassation, tout serait affaire
d’espèce. En d’autres termes, pour se prononcer sur la compatibilité entre la fonction de
Judevi et celle de juge correctionnel, il faudra examiner au cas par cas « la nature et l’étendue
des mesures prises » par le magistrat concerné avant qu’il ne statue sur les intérêts civils1790.
Ainsi, le fait qu’un magistrat qui participe à l’examen final de la cause soit intervenu à un
stade antérieur ne saurait justifier dans tous les cas les doutes de la personne poursuivie
quant à l’impartialité de celui-ci1791. Comme le relève André Giudicelli, la Cour de cassation
retient là une « conception concrète et restrictive de l’impartialité »1792. Ce qui est susceptible
de poser problème n’est pas tant que le Judevi préside la Commission d’indemnisation des
victimes d’infractions que le fait que ce magistrat préside le tribunal correctionnel dans les
cas où celui-ci statue sur les seuls intérêts civils. Dans cette dernière hypothèse, les deux
parties à l’instance sont la personne qui se prétend victime et celle dont la responsabilité est
recherchée. Il est permis de rester dubitatif devant le fait qu’un magistrat qui s’implique aux
côtés des victimes, qui peut les accompagner aux différentes étapes de la procédure, puisse
se voir aussi confier la fonction de statuer sur la responsabilité civile. Dans le prolongement
de ce raisonnement, il ne paraît pas plus souhaitable d’étendre la compétence du Judevi au
prononcé de mesures d’assistance sanitaire et sociale à l’égard d’un délinquant souffrant de
troubles psychiques. Au-delà, cette conclusion rejoint le questionnement de certains auteurs
quant à l’utilité de ce juge chargé « de guider la victime dans les méandres de l’institution
judiciaire »1793. Pour Jacques Buisson et Serge Guinchard, le Judevi, « dans l’essentiel de ses
fonctions d’administration judiciaire, n’est qu’un intermédiaire, un passeur, un petit
télégraphiste entre les victimes et d’autres juges, essentiellement le juge de l’application des
peines. La compassion envers les victimes ne peut pas passer uniquement par la création
d’un juge dédié, comme il y a des lignes téléphoniques dédiées à certaines catégories
d’usagers »1794. Ces critiques contrastent avec l’évolution du rôle confié au juge des libertés
et de la détention.

Ainsi, et toujours dans l’optique d’éviter une pénalisation de la maladie mentale, la


compétence du juge des libertés et de la détention en matière d’hospitalisation sans
consentement invite à considérer aussi sa compétence dans le prononcé d’autres mesures à
l’encontre du délinquant souffrant de troubles psychiques. Comme en atteste sa compétence
précitée, il est doté d’attributions non exclusivement pénales. En matière pénale, il est
reconnu pour sa compétence exclusive, sur saisine du juge d’instruction, pour placer en
détention provisoire une personne mise en examen ou pour prolonger cette détention 1795.
Un autre argument en faveur du juge des libertés et de la détention résulte de son ancrage
en droit positif provenant du nouveau statut qui lui a été octroyé par la loi de modernisation
du 18 novembre 2016. Depuis le 1er septembre 2017, le juge des libertés et de la détention

1790. Cf. Cass. crim., 20 juin 2008, Avis no 0080005P ; D., 2008, p. 1902, obs. M. LENA ; Procédures 2008,
no 325, obs. R. PERROT.
1791. La jurisprudence de la Cour européenne est également en ce sens (cf. CEDH Hauschildt c/ Autriche, 24 mai
1989 ; J.-F. RENUCCI, Traité de droit européen des droits de l’homme, LGDJ, 2007, no 327, p. 418 ;
S. GUINCHARD et J. BUISSON, Procédure pénale, op. cit., no 315, p. 281 et suiv.
1792. A. GIUDICELLI, « Le Judevi ou l’oubli de la symbolique de l’impartialité », RSC, 2008, p. 633.
1793. Proclamation du garde des Sceaux lors de la création du Judevi.
1794. S. GUINCHARD et J. BUISSON, op. cit., no 320, p. 329.
1795. C. pr. pén., art. 137-1.

387
est un « vrai » juge, nommé dans cette fonction – comme le juge d’instruction, le juge des
enfants ou le juge de l’application des peines – par décret du président de la République
après avis de la formation compétente du Conseil supérieur de la magistrature parmi les
magistrats du premier grade ou hors hiérarchie1796. Comme le relève cependant Jocelyne
Leblois-Happe, « on peut néanmoins s’étonner que, dans une loi destinée à poser les jalons
de la justice du siècle, l’occasion n’ait pas été saisie de clarifier les missions du juge des
libertés et de la détention »1797. Il est alors permis de suggérer de profiter de ce silence pour
lui attribuer ultérieurement, mais de manière expresse, le pouvoir de statuer sur les
dommages et intérêts alloués à la victime de l’infraction. En effet, la compétence du juge
pénal pour indemniser les victimes d’infractions n’est pas naturelle. Pour cette raison,
l’article 3 du Code de procédure pénale prévoit à titre exceptionnel que « l’action civile peut
être exercée en même temps que l’action publique et devant la même juridiction ». C’est
également ce qui explique que des dispositions spécifiques soient prévues par le Code de
procédure pénale pour maintenir cette compétence du juge pénal dans l’hypothèse où
l’action publique ne peut être engagée en raison du constat de l’absence de discernement de
l’auteur de l’infraction. Dans le cas de la procédure de déclaration d’irresponsabilité pénale
pour cause de trouble mental, les articles 706-133, 706-131 et 706-125 du Code de
procédure pénale, respectivement applicables devant le tribunal correctionnel, la cour
d’assises et la chambre de l’instruction, permettent aujourd’hui à ces juridictions de rendre
un jugement ou un arrêt de déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble
mental en se prononçant à cette occasion « sur la responsabilité civile de la personne auteur
des faits, conformément à l’article 414-3 du Code civil » et en statuant, s’il y a lieu, sur les
demandes de dommages et intérêts formées par la partie civile. Dans la mesure où il paraît
souhaitable de maintenir cette prérogative à l’égard des victimes, les dispositions
dérogatoires précitées devraient être transposées au bénéfice du juge des libertés et de la
détention, les exceptions à la compétence civile du juge pénal devant être expressément
prévues par le législateur1798. Le fait de confier le pouvoir de statuer sur les dommages et
intérêts à un juge qui ne soit pas doté de compétences exclusivement pénales rend cette
compétence plus naturelle. Le juge des libertés et de la détention apparaît donc le plus
approprié au prononcé de mesures à l’encontre du délinquant au discernement aboli.

Le respect des conséquences tirées de la non-imputabilité au moment des faits a imposé de


proposer des réformes concernant la procédure de déclaration d’irresponsabilité pénale
pour cause de trouble mental. Dans le prolongement, il est apparu nécessaire de s’interroger
sur la prise en compte procédurale de l’altération du discernement au moment des faits ou,
plus précisément, sur l’étendue de ses conséquences.

1796. Art. 28-3, ord. no 58-1270, 22 déc. 1958 relative au statut de la magistrature.
1797. J. LEBLOIS-HAPPE, « La loi de modernisation de la justice du XXIe siècle et la mise en état des affaires
pénales – quo vadis », D., 2017, p. 873.
1798. Cf. Cass. crim., 8 juin 2017, no 16-83.345, préc. Aucune disposition dérogatoire de l’ordonnance du
2 février 1945 n’attribuant compétence aux juridictions pénales des mineurs pour statuer sur les intérêts
civils, la Cour de cassation a considéré qu’en l’absence de disposition spécifique réglant une telle situation,
la juridiction pénale qui déclare un mineur pénalement irresponsable au motif tiré de l’absence de
discernement n’a pas compétence pour statuer sur la responsabilité civile.

388
B. Les implications procédurales de l’imputabilité en cas d’altération du discernement

L’altération du discernement d’un majeur est susceptible d’avoir des conséquences en droit
civil par le truchement de la mise en place d’une mesure de protection civile1799. Depuis la loi
du 5 mars 2007, le majeur protégé fait aussi l’objet d’une procédure pénale spécifique. Si, à
l’instar de l’abolition du discernement, la psychologie d’un individu responsable partiel est
susceptible d’avoir des conséquences sur le terrain de la procédure, nous tenterons d’établir
que l’impératif d’imputabilité commande de pousser plus avant les implications spécifiques
de la notion sur le terrain procédural, que l’altération des facultés mentales de l’agent ait
donné lieu à l’ouverture d’un régime de protection civile (1.) ou non (2.). Il importera donc
dans les deux cas de figure de mettre en exergue des défaillances dans les procédures
applicables au regard de l’impératif d’imputabilité et d’effectuer des préconisations en vue de
son respect.

1. Le cas du majeur au discernement altéré bénéficiant d ’un régime civil de


protection (ou le respect de l’exigence d’imputabilité impliquant des correctifs
dans la procédure pénale applicable à un majeur protégé)
Il s’agira ici de vérifier la régularité de la procédure pénale applicable à un majeur protégé.

La genèse de la procédure pénale applicable à un majeur protégé


En vertu de l’article 425 du Code civil, « toute personne dans l’impossibilité de pourvoir seule
à ses intérêts en raison d’une altération, médicalement constatée, soit de ses facultés mentales,
soit de ses facultés corporelles de nature à empêcher l’expression de sa volonté peut
bénéficier d’une mesure de protection juridique ». Ainsi, un majeur peut bénéficier d’un
régime civil de protection en raison d’une altération, plus ou moins grave, de ses facultés
mentales. Jusqu’à la loi no 2007-308 du 5 mars 2007 portant réforme de la protection
juridique des majeurs, ce majeur protégé, s’il commettait une infraction pénale, relevait de la
procédure pénale de droit commun. Cet état du droit a été modifié grâce à la Cour
européenne des droits de l’homme. Dans l’arrêt Vaudelle, la France a été condamnée pour
non-respect du droit à un procès équitable à l’égard d’un majeur en curatelle poursuivi et
condamné pour atteinte sexuelle sur mineur de 15 ans sans être assisté d’un avocat1800. La
Cour a estimé qu’une telle personne, considérée comme incapable d’agir seule pour son
propre compte dans les actes de la vie civile, devait l’être également dans le cadre d’une
procédure pénale conduite contre elle. Le majeur protégé poursuivi doit donc également
bénéficier d’une assistance pour se défendre contre une accusation pénale dirigée contre
lui. À la suite de cette décision, la loi du 5 mars 2007 est venue créer une procédure pénale
spécifique aux majeurs protégés en introduisant un nouveau titre dans le Code de procédure
pénale, intitulé « De la poursuite, de l’instruction et du jugement des infractions commises par des majeurs
protégés »1801.

1799. Tutelle, curatelle, sauvegarde de justice et mandat de protection future.


1800. CEDH, 30 janv. 2001, no 35683/97, Vaudelle c/ France : Dr. fam. 2001, comm. 66, obs. T. FOSSIER ;
RTDciv. 2001, p. 330, obs. J. HAUSER ; D. 2002, p. 354, note A. GOUTTENOIRE et E. RUBI-CAVAGNA ;
JCP G 2001, I, 342, no 14, obs. F. SUDRE.
1801. C. pr. pén., art. 706-112 à 706-118.

389
L’existence d’une présomption de non-imputabilité, ou à tout le moins
d’imputabilité partielle, attachée à l’existence d’un régime civil de protection ?
À la lecture des articles régissant la procédure pénale applicable à un majeur protégé, le
législateur semble établir une présomption, si ce n’est de non-imputabilité, à tout le moins
d’imputabilité partielle, à l’égard du majeur protégé auteur d’une infraction pénale. Cette
déduction résulte de la combinaison des articles 706-115 et D. 47-21 du Code de procédure
pénale. En vertu de l’article 706-115, « la personne poursuivie doit être soumise avant tout
jugement au fond à une expertise médicale afin d’évaluer sa responsabilité pénale au moment
des faits ». Il résulte par ailleurs de l’article D. 47-21 que « l’expertise médicale prévue par
l’article 706-115 a pour objet de déterminer si l’intéressé était ou non atteint au moment des
faits d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli ou altéré son discernement ou
ayant aboli ou entravé le contrôle de ses actes, afin de permettre à la juridiction saisie
d’appliquer les dispositions de l’article 122-1 du Code pénal ». Il découle bien de la
combinaison de ces deux articles l’existence d’une présomption d’application de
l’article 122-1 du Code pénal en présence d’un majeur placé sous un régime de protection
civile1802. Il serait donc logique que la réalisation d’une expertise psychiatrique soit prévue en
toute hypothèse dès lors qu’une poursuite pénale est engagée à l’encontre d’un majeur
protégé, afin de vérifier la réalité de son discernement au moment des faits. Il est paradoxal
de relever que ce n’est pas le cas. Cette carence législative est de nature à remettre en cause
l’impératif d’imputabilité. La transgression potentielle de l’exigence d’imputabilité tient au
fait que la responsabilité pénale du majeur protégé peut être engagée alors même que son
discernement au moment des faits était aboli.

Le caractère facultatif de l’expertise de nature à attenter à l’impératif d’imputabilité


Il importe préalablement de circonscrire le champ de cette atteinte potentielle. Il ne concerne
que la matière correctionnelle dans la mesure où, en application de l’article 706-115 du Code
de procédure pénale, une expertise sera nécessairement réalisée en matière criminelle, un
jugement sur le fond intervenant toujours en cette matière1803. En outre, conformément à
l’article D. 47-21, alinéa 2, il s’agira alors d’une expertise psychiatrique au sens de l’article 81,
alinéa 8 du Code de procédure pénale1804. Il en va différemment dans le cadre de la procédure
correctionnelle, qu’il s’agisse de la procédure correctionnelle de droit commun ou d’une
procédure simplifiée.

1802. Un autre argument pourrait être invoqué en faveur de l’existence d’une présomption d’application de
l’article 122-1 à l’encontre d’un majeur protégé. Il réside dans la présomption d’irresponsabilité pénale
établie par le législateur en droit pénal des mineurs. En effet, après la clarification opérée par la loi du 9
septembre 2002, ne peut-on pas parler de présomption simple de non-imputabilité des mineurs, quel que
soit leur âge, dans la mesure où il incombe d’établir positivement l’existence de leur discernement ? On
pourrait aussi considérer que la situation des majeurs protégés et des mineurs est « psychiquement »
comparable dans la mesure où ils sont tous deux des incapables civils. Le droit positif connaît donc bien
des présomptions découlant du discernement insuffisant de l’agent.
1803. Le fait qu’un jugement sur le fond intervienne implique que la juridiction de jugement, en l’espèce, la cour
d’assises, se soit prononcée sur la culpabilité au sens large de l’intéressé, autrement dit, sur sa culpabilité
stricto sensu et sur son imputabilité. Cela explique qu’en l’absence d’expertise au sens de l’article 81, alinéa 8
du Code de procédure pénale, il est légitime de s’interroger sur la potentialité d’une atteinte à l’imputabilité.
1804 En vertu de l’article D. 47-21, alinéa 2 : « Lorsqu’une information est ouverte, et notamment en matière
criminelle, il s’agit de l’expertise psychiatrique ordonnée en application du huitième alinéa de l’article 81. »

390
Le caractère facultatif du recours à une expertise psychiatrique dans le cadre de la procédure correctionnelle de
droit commun – Dans le cadre de la procédure correctionnelle de droit commun, un jugement
sur le fond a bien lieu, conduisant selon les cas à une décision de relaxe ou de condamnation.
Le tribunal correctionnel se prononce donc sur la culpabilité au sens large de l’intéressé.
Conformément à l’article 706-115 du Code de procédure pénale, une expertise médicale doit
en principe être réalisée. Cependant, en application de l’article 47-23 du Code de procédure
pénale, le juge peut, sauf opposition de la personne mise en examen ou du prévenu ou de
son avocat, ne pas ordonner une telle expertise. Cela suppose que « des éléments issus de la
procédure civile ayant conduit à la mise en œuvre de la mesure de protection juridique, et
notamment des certificats médicaux ou des expertises »1805, contiennent des indications
suffisantes pour apprécier si l’intéressé était atteint, au moment des faits, d’un trouble
psychique ou neuropsychique ayant aboli ou altéré son discernement1806. Il résulte donc de la
combinaison des deux articles précités que le caractère facultatif de l’expertise de l’article 81,
alinéa 8 suppose la réalisation d’une expertise antérieure ; autrement dit, une expertise doit
figurer parmi les éléments issus de la procédure civile ayant conduit à la mesure de protection
juridique. Dans le cas contraire, l’article D. 47-23 ne serait pas légal1807.

Ainsi, dans le cadre de la procédure correctionnelle de droit commun applicable à un majeur


protégé, il est donc possible, pour apprécier la réalité du discernement de l’agent au moment
des faits, de se fonder sur une expertise civile réalisée antérieurement à la commission de
l’infraction. Cela signifie que l’on pourrait décider de l’abolition du discernement de l’agent
au temps de l’action, donc de l’irresponsabilité pénale, ou, à l’inverse, décider de l’existence,
même partielle, du discernement de l’agent et donc engager sa responsabilité pénale, sur le
fondement d’une telle expertise. La question de la pertinence du recours possible, en lieu et
place d’une expertise psychiatrique, à des éléments issus de la procédure civile ayant conduit
au placement du majeur sous un régime de protection mérite cependant d’être posée. Certes,
ce mécanisme n’est pas étranger à celui inhérent à l’annulation des actes passés par un majeur
protégé avant sa mise sous tutelle1808. Il ressort même conforté du projet de loi portant
réforme de la protection juridique des majeurs et prévoyant de rendre applicable l’action en
nullité aux curatelles1809. Il n’en demeure pas moins que l’on peut rester perplexe devant le

1805. C. pr. pén., art. D. 47-23.


1806. Il est permis de souligner le peu de probabilité d’une opposition à l’absence de recours à l’expertise de
l’article 81, alinéa 8 du Code de procédure pénale. En effet, on ne voit pas pourquoi la personne mise en
examen ou le prévenu ou son avocat s’y opposerait, dans la mesure où les éléments issus de la procédure
civile, certificats médicaux et expertises civiles ont conduit au placement du majeur sous un régime de
protection. Ainsi, ces derniers sont de nature à conduire à l’application de l’article 122-1 du Code pénal,
soit dans le sens de la décision vraisemblablement recherchée par les intéressés.
1807. Dans le même sens, Serge Guinchard et Jacques Buisson soulignent que la légalité des dispositions
règlementaires de l’article D. 47-23 devra être questionnée si le dossier de la procédure ne présente pas
d’expertise, même civile, de l’intéressé (cf. S. GUINCHARD et J. BUISSON, Procédure pénale, Litec, 9e éd.,
2013, no 1284, p. 874).
1808. L’article 503 actuel du Code civil prévoit la possibilité d’annuler les actes faits par la personne protégée
antérieurement à l’ouverture de la tutelle si la cause qui a déterminé cette ouverture existait notoirement
à l’époque des faits (cf. C. civ., art. 503 et suiv).
1809. Afin de moderniser l’action en nullité contre les actes passés avant l’ouverture de la tutelle et de la rendre
applicable aux curatelles, le futur nouvel article 464 du Code civil instaure une « période suspecte » au
cours de laquelle l’annulation ou la réduction des actes faits par le majeur pourront être facilement
prononcées. Cette période est limitée aux deux années qui précèdent l’ouverture de la curatelle ou de la
tutelle (cf. www.senat.fr).

391
caractère approprié de l’expertise civile au « procès pénal » comme devant le recours à une
expertise réalisée antérieurement au moment des faits.

En ce qui concerne la possibilité de recourir à une expertise civile pour fonder


l’irresponsabilité pénale, on peut s’en étonner dans la mesure où elle n’a pas à proprement
parler pour objet de mesurer le discernement de l’agent. Comme le relève Anne Bourrat-
Gueguen :

Ce possible recours à l’expertise civile, dans le contexte pénal, peut paraître étonnant
dans la mesure où cette dernière vise surtout à apprécier la capacité du sujet alors que
l’expertise pénale s’attache plus au discernement et comporte donc un aspect médical,
psychologique et criminologique.1810

Autrement dit, le risque pourrait être de voir engager la responsabilité pénale d’un individu
capable civilement mais dont le discernement au temps de l’infraction aurait été aboli par
l’existence d’un trouble mental. Il pourrait donc sembler légitime de préconiser, d’une part,
l’exclusion de la subsidiarité du recours à une expertise civile en matière correctionnelle en
raison de son caractère inadapté au procès pénal et, d’autre part, à l’instar de la matière
criminelle, le recours systématique à l’expertise psychiatrique de l’article 81, alinéa 8 du Code
de procédure pénale. Pour appuyer cette proposition, il serait aussi envisageable de faire
valoir que la possibilité de recourir à une expertise civile antérieure est de nature à favoriser
le majeur protégé en vue de l’obtention d’une décision d’irresponsabilité pénale1811. Cela
étant, on peut aussi penser que, par la subsidiarité du recours à une expertise civile, le
législateur invite à considérer que l’existence d’un consentement libre et éclairé constitue le
pendant civil du discernement pénal.

En ce qui concerne la possibilité de fonder l’irresponsabilité pénale sur une expertise


antérieure, fût-elle civile, elle permet de confirmer l’analyse selon laquelle il est permis de
décloisonner l’imputabilité du moment des faits. Ainsi, après un fondement jurisprudentiel
au décloisonnement de l’imputabilité du moment des faits, et consistant dans la prise en
compte jurisprudentielle de l’absence de faute antérieure de l’agent pour admettre l’existence
d’une contrainte exonératoire ou d’un état de nécessité1812, il est permis d’avancer un
fondement législatif consistant dans l’article 47-23 du Code de procédure pénale. Si le bilan
du recours possible à une expertise civile peut apparaître contrasté, le caractère facultatif pur
et simple du recours à toute expertise en cas d’ordonnance pénale et de comparution sur
reconnaissance préalable de culpabilité est invariablement condamnable en raison du risque
d’une éclipse de l’exigence d’imputabilité.

Le caractère facultatif pur et simple du recours à une expertise en cas d’ordonnance pénale et de comparution
sur reconnaissance préalable de culpabilité – Le décret no 2007-1658 du 23 novembre 2007

1810. A. BOURRAT-GUEGUEN, op. cit.


1811. Comme cela a déjà été évoqué, on peut en effet considérer que l’expertise civile ayant fondé le placement
sous un régime civil de protection contient en germe la potentialité d’une décision d’irresponsabilité pénale
pour cause de trouble mental.
1812. Cf. partie 1.

392
modifiant le Code de procédure pénale et relatif à la poursuite, à l’instruction et au jugement
des infractions commises par des majeurs protégés1813 comporte d’autres dispositions
destinées à aménager l’expertise médicale légalement prévue par l’article 706-115 du Code de
procédure pénale. Allant plus loin que l’article D. 47-23 du Code de procédure pénale,
l’article D. 47-22 du même code prévoit le caractère facultatif pur et simple de l’expertise
psychiatrique dans le cas de certaines alternatives aux poursuites et procédures de jugement
simplifiées1814. Cela signifie qu’à la différence de la procédure correctionnelle de droit
commun, il n’est même pas nécessaire de disposer ici d’un élément subsidiaire issu de la
procédure civile ayant conduit à la mise en place d’un régime de protection. Si d’aucuns
considèrent qu’« on comprend effectivement que dans le cadre de ces procédures
caractérisées pour la plupart par la célérité, l’expertise soit peu adaptée »1815, il nous semble à
l’inverse que cette carence mérite d’être condamnée au regard du risque d’une éclipse de
l’imputabilité de l’agent. Du moins faut-il distinguer les conséquences de cette dispense en
présence d’une alternative aux poursuites ou d’une procédure de jugement simplifiée. Les
procédures de jugement simplifiées visées dans cet article correspondent aux procédures de
l’ordonnance pénale et de la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité. La
dispense d’expertise est alors problématique puisque, dans ces deux hypothèses, un jugement
sur le fond intervient, consistant plus particulièrement en une décision de condamnation. Le
risque entourant l’impératif d’imputabilité consiste alors dans le fait que la responsabilité
pénale de l’agent sera engagée à l’issue des procédures simplifiées d’ordonnance pénale et de
comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité, alors même que son discernement
pourrait être aboli au moment des faits.

Un levier d’action réside cependant dans la remise en question de la légalité des dispositions
règlementaires de l’article D. 47-22 du Code de procédure pénale. En premier lieu, qu’il soit
permis de préciser qu’à défaut d’énumération textuelle, la réforme opérée par la loi du
5 mars 2007 vise non seulement toutes les phases de la procédure – y compris les alternatives
aux poursuites –, mais également tous les types de procédure, à l’instar des procédures
simplifiés. Conformément à l’article 706-115, une expertise est nécessaire dès que la
procédure appliquée implique un jugement sur le fond de l’affaire. L’expertise médicale
n’apparaît donc pas nécessaire en cas de procédure alternative de réparation, de médiation
ou de composition pénale puisque, dans ces trois hypothèses1816, un jugement sur le fond
n’intervient pas. Comme le relève Muriel Giacopelli dans son essai de théorisation des
procédures alternatives aux poursuites, l’une des caractéristiques communes à l’ensemble de
ces procédures consiste dans leur nature juridique qui s’apparente à « une sorte de convention

1813. JO, 25 nov. 2007, p. 19251.


1814. En vertu de l’article D. 47-22 du Code de procédure pénale, « Cette expertise est facultative :
1° En cas de procédure d’alternative aux poursuites consistant en la réparation du dommage ou en une
médiation ;
2° En cas de composition pénale ;
3° Lorsque la personne est entendue comme témoin assisté ;
4° Lorsqu’il est fait application de la procédure d’ordonnance pénale ;
5° En cas de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité ».
1815. A. BOURRAT, op. cit.
1816. Celles visées par l’article D. 47-22 du Code de procédure pénale.

393
passée entre le procureur de la République et la personne concernée »1817. Ce phénomène de
contractualisation de la répression pénale s’inscrit d’ailleurs dans le cadre contemporain plus
large de la justice restaurative. L’une des caractéristiques de cette procédure consiste d’ailleurs
dans le fait que « quelle que soit l’issue du processus, la mesure de justice restaurative n’a pas
d’incidence sur la décision d’engager des poursuites ou de classer, ni sur la détermination de
la culpabilité, le choix de la peine ou de ses modalités d’exécution »1818. Il ne sera donc pas
possible d’invoquer l’illégalité de l’article D. 47-22 pour dénoncer l’absence d’expertise lors
de la mise en œuvre d’une alternative aux poursuites. En revanche, à l’instar de Serge
Guinchard et de Jacques Buisson1819, il est permis de questionner la légalité de l’article 47-22
au regard de l’ordonnance pénale et de la comparution sur reconnaissance préalable de
culpabilité. En effet, dans les deux cas, il s’agit de condamnation, alors que les termes de
l’article 706-115 édictent que la personne poursuivie « doit être soumise avant tout jugement
au fond à une expertise médicale ». En outre, et contrairement à l’article D. 47-23,
l’article D. 47-22 ne prévoit pas la subsidiarité du recours à un élément issu de la procédure
civile de placement sous une mesure de protection pour pallier l’absence d’expertise au sens
de l’article 81, alinéa 8, cela même alors que l’expertise civile aurait pu paraître plus adaptée
que dans le cadre de la procédure correctionnelle de droit commun. Comme nous l’avons
déjà évoqué, les procédures de l’article D. 47-22 participent en effet du phénomène la
contractualisation de la justice pénale et il s’excipe de l’article 47-23 que le consentement libre
et éclairé du droit civil s’apparente au discernement du droit pénal. Pour sanctionner le défaut
d’expertise, même civile, au dossier de la procédure, il serait possible de se prévaloir de
l’illégalité partielle de l’article D. 47-22.

Au final, qu’il soit permis de souligner le paradoxe de la procédure correctionnelle applicable


à un majeur protégé. D’un côté, elle établit une présomption d’imputabilité défaillante1820, liée
à l’existence d’un régime civil de protection, et, de l’autre, le caractère facultatif de l’expertise
psychiatrique. En dehors d’un objectif utilitariste, il est difficile de comprendre pourquoi on
ne vérifie pas systématiquement le discernement de l’agent. En l’état actuel du droit positif,
il est possible, pour assurer indirectement le respect de l’exigence d’imputabilité, d’invoquer
l’illégalité de l’article D. 47-23 en l’absence d’expertise, même civile, figurant au dossier de la
procédure, ainsi que l’illégalité de l’article D. 47-22 du Code de procédure pénale en cas
d’ordonnance pénale ou de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité en

1817. M. GIACOPELLI, « Les procédures alternatives aux poursuites – Essai d’une théorie générale », RSC, 2012,
p. 505.
1818. Comme le rappelle la circulaire relative à la mise en œuvre de la justice restaurative, rendue publique le
17 mars 2017, « la justice restaurative, dans son acception pleine et entière, a été consacrée par la loi du
15 août 2014 relative à l’individualisation des peines et renforçant l’efficacité des sanctions pénales ». Dans
un communiqué, le garde des Sceaux, Jean-Jacques Urvoas, définit la justice restaurative comme « une
pratique complémentaire au traitement pénal de l’infraction, qui vise à restaurer le lien social endommagé
». […] Elle s’appuie sur le dialogue entre personnes se reconnaissant victimes et auteurs d’infractions, qu’il
s’agisse des parties concernées par la même affaire ou non ». Ainsi, pour qu’une mesure de justice
restaurative puisse être mise en œuvre, « l’auteur doit reconnaître les faits, c’est-à-dire à la fois son
implication et sa responsabilité », lit-on dans la circulaire. C’est une « voie offerte aux parties, facultative,
et sans conséquence sur le déroulement de la procédure judiciaire qui s’exerce en parallèle »
(cf. C. FLEURIOT, « Justice restaurative : “Il fallait informer et rassurer les magistrats”, circulaire relative à
la mise en œuvre de la justice restaurative », Dalloz act., 21 mars 2017).
1819. S. GUINCHARD et J. BUISSON, Procédure pénale, Litec, 9e éd., 2013 no 1284, p. 874.
1820. Cette dernière pouvant être abolie ou simplement altérée.

394
l’absence de toute expertise. En conséquence, il apparaît souhaitable que l’une des
implications procédurales de l’imputabilité dans un droit pénal post-moderne consiste dans
l’exigence systématique d’une expertise, de préférence médicale, en présence d’un majeur
protégé impliqué dans une procédure correctionnelle. Au-delà d’implications dans la
procédure pénale applicable à un majeur protégé, nous allons maintenant tenter d’établir
que les garanties procédurales découlant de l’exigence d’imputabilité peuvent également
concerner le majeur non protégé mais dont le discernement au moment des faits était altéré.

2. Le cas du majeur au discernement altéré ne bénéficiant pas d ’un régime civil


de protection ou l’imputabilité, rempart contre le développement débridé d ’un
néo-utilitarisme pénal
Une procédure pénale spécifique existe pour les majeurs dont le discernement était aboli au
moment des faits, une autre pour les majeurs protégés pour lesquels le législateur semble
présumer une imputabilité défaillante justifiant l’existence d’un certain nombre de garanties
procédurales. Rien n’est prévu pour les majeurs dont on établit à un moment de la procédure
que leur discernement au moment des faits était altéré1821. S’ils ne sauraient relever de la
procédure de déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental, il pourrait
paraître logique de les faire bénéficier des droits des majeurs protégés impliqués dans une
procédure pénale. On pense principalement à l’assistance obligatoire par un avocat, voire à
la désignation d’un protecteur ad hoc. La nécessité d’entourer le majeur non protégé dont le
discernement était altéré au moment des faits des mêmes garanties procédurales que le
majeur protégé auteur d’une infraction tient à la vraisemblance d’un état psychique
comparable au temps de l’action1822, sauf à considérer que la protection ne bénéficie qu’à un
statut et non à la réalité du discernement de l’agent au moment des faits. La gravité de
l’altération des facultés mentales peut être similaire. Hormis le cas des intoxications
volontaires, de la même manière qu’un régime de protection civile suppose une altération
durable des facultés mentales, il est vraisemblable que le trouble mental ayant conduit à la
commission d’une infraction perdure au-delà du temps de l’action. Comment penser en
effet, en dehors évidemment des cas d’intoxications volontaires, qu’un trouble affectant le
psychisme d’une personne reste circonscrit au temps de l’action ? La persistance du trouble
mental du délinquant justifie la nécessité d’implications procédurales de l’imputabilité. Cette
nécessité est exacerbée dans le cadre de la mise en œuvre de procédures contractualisées. La
similitude induite par le législateur entre le discernement du droit pénal et le consentement
libre et éclairé du droit civil 1823 invite aussi à plébisciter des implications procédurales de
l’imputabilité dans le cadre de procédures participant de la justice « négociée ». Cela

1821. Cela même alors que la procédure pénale concernant le majeur protégé s’applique également en cas de
contravention. Si d’aucuns ont pu trouver ce droit « quelque peu exorbitant » (cf. A. BOURRAT, op. cit., dr.
pén., 2015, étude 4), la jurisprudence a confirmé que les contraventions étaient bien dans le champ
d’application du texte (cf. CA Angers, 8 oct. 2013, no 13/00231 : JurisData no 2013-026024 ; Dr. fam., 2014,
comm. 28, obs. I. MARIA).
1822. Du moins pour les régimes de protection civile les plus forts à l’instar de la tutelle et de la curatelle. Non
seulement il y a la présomption d’imputabilité défaillante établie par le législateur à l’égard du majeur
protégé (cf. supra), mais encore, n’est-il pas significatif que les termes mêmes de l’article 425 du Code civil
se réfèrent à « une altération, médicalement constatée, […] de ses facultés mentales » ?
1823. Il est permis de rappeler qu’elle tient à la possibilité, dans le cadre de la procédure correctionnelle de droit
commun, de mettre en œuvre la procédure sur le fondement d’une expertise civile.

395
permettrait d’inclure dans le champ de la protection de l’imputabilité non seulement les
procédures simplifiées, mais aussi certaines alternatives aux poursuites. En effet, il importe
peu, en présence d’un majeur non protégé, qu’un jugement sur le fond intervienne puisqu’il
n’existe pas de pendant à l’article 706-115 du Code de procédure pénale. Le fait que les
procédures alternatives aux poursuites présentent le caractère d’une sorte de convention
passée entre le procureur de la République et la personne concernée n’a donc pas
d’incidence sur l’extension des garanties liées à l’imputabilité au majeur non protégé au
discernement altéré. Par exemple, peu importe « le caractère contractuel […] indiscutable
dans la procédure de l’article 41-2 du Code de procédure pénale, qui soumet expressément
la proposition de composition pénale faite par le ministère public à l’accord de
l’intéressé »1824. Cependant, il nous semble que l’extension des garanties de la procédure
applicable au majeur protégé au majeur non protégé dont le discernement était altéré au
moment des faits ne peut s’opérer par le truchement de l’imputabilité qu’en cas
d’établissement préalable de la culpabilité de l’agent1825. L’imputabilité de l’agent étant
débattue postérieurement à sa culpabilité, il est logique que le champ de la protection ne
puisse concerner que les procédures questionnant l’imputabilité d’une infraction1826. Ainsi,
l’imputabilité ne saurait par exemple générer de conséquences dans le cadre de la médiation
assimilable à une transaction au sens du droit civil 1827, pas plus que dans celui de la
transaction pénale car elle ne repose pas sur la reconnaissance de culpabilité de l’agent.
Comme le relève Jocelyne Leblois-Happe, « l’acceptation de la transaction ne vaut pas aveu
de culpabilité. Si le transigeant revient sur son accord ou s’il n’exécute pas la prestation
convenue, le tribunal saisi des poursuites par le parquet devra établir sa participation aux
faits »1828. Cela signifie que l’imputabilité ne peut avoir d’implications procédurales qu’en cas
de reconnaissance de sa culpabilité par l’agent. Ce qui importe, c’est que l’agent procède à
une reconnaissance de culpabilité entendue largement, laquelle, à supposer que le trouble
persiste, pourrait être viciée en l’absence de représentant ad hoc ou d’avocat. Or, la tendance
actuelle, procédant d’un nouvel utilitarisme pénal, est à la multiplication de ce type de
procédure mobilisant le consentement libre et éclairé du délinquant. On remarque la volonté
législative de systématiser et de diversifier la réponse pénale à la commission d’une infraction
en remédiant au choix traditionnellement binaire du procureur de la République entre
poursuivre et classer sans suite.

Ce développement a permis de mettre au jour le caractère inapproprié de l’application de


certains modes alternatifs de poursuite et de procédures simplifiées de jugement au
délinquant au discernement partiel, ainsi que la nécessité d’accroître le rôle garantiste de
l’imputabilité pour encadrer ce néo-utilitarisme pénal. Cette tendance est confirmée par la

1824. M. GIACOPELLI, « Les procédures alternatives aux poursuites – Essai de théorie générale », op. cit., p. 505.
1825. Qu’il soit permis de rappeler que le débat relatif à l’existence de l’imputabilité de l’agent est consécutif à
la caractérisation de sa culpabilité (cf. supra, partie 1).
1826. On peut ici remarquer que l’on aboutit à la même conclusion si l’on est partisan de l’inclusion de
l’imputabilité dans la constitution de l’élément psychologique de l’infraction. Que l’on dissocie ou pas
l’étude des deux composantes de la responsabilité pénale, l’étude de la culpabilité appelle aussi celle de
l’imputabilité, concomitamment ou corrélativement.
1827. Cf. Cass. civ. 1er, 10 avr. 2013, no 12-13.672, Bull. 1013, I, no 80.
1828. J. LEBLOIS-HAPPE, « De la transaction pénale à la composition. – Loi no 99-515 du 23 juin 1999 », JCP G
2000, I 198.

396
loi no 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle qui
comprend un titre II relatif aux modes alternatifs de règlement des différends. En cas
d’altération du discernement de l’agent au moment des faits, les implications procédurales
de l’imputabilité devraient se traduire par la vérification du discernement de l’agent au
moment de la mise en œuvre de la procédure contractualisée. La vérification de l’intégrité
du discernement de l’agent à la reconnaissance de sa culpabilité et/ou à la formalisation de
son accord à la proposition du parquet pourrait se faire le cas échéant par le biais d’une
expertise civile. Dans l’affirmative de la persistance du trouble mental, la désignation d’un
représentant ad hoc et/ou l’assistance obligatoire d’un avocat devraient être envisagées. En
droit positif, l’altération du discernement relève pour l’instant des seules implications de
l’imputabilité en droit pénal de fond.

§ 2 - Les implications de l’imputabilité en droit pénal de fond

Jusqu’à la loi no 2014-896 du 15 août 2014, l’imputabilité comprise comme capacité pénale
n’était implicitement consacrée qu’en droit pénal des mineurs1829. Depuis, le champ
d’application de cette acception duelle de l’imputabilité a été étendue aux délinquants au
discernement altéré au moment des faits. À l’image de l’acception de la notion en droit pénal
des mineurs, le discernement partiel constitue maintenant, sur le fondement de
l’article 122-1, alinéa 2 du Code pénal, une cause légale de diminution de peine (B.). La
consécration de l’aptitude pénitentiaire réduite du délinquant au discernement altéré est
consécutive à la sévérité de la jurisprudence rendue sur le fondement de l’article 122-1,
alinéa 2. L’extension du champ de l’imputabilité comme capacité pénale peut s’analyser en
une implication garantiste de l’imputabilité dans un droit pénal post-moderne. Elle permet
de refouler la prise en compte de la dangerosité des délinquants au discernement altéré dans
la détermination du quantum de la peine. L’une des illustrations de la sévérité antérieure de
la jurisprudence résidait dans l’application des peines planchers à l’encontre des délinquants
au discernement altéré (A.).

A. L’application des peines planchers aux délinquants au discernement altéré

Dans son ancienne version, l’article 122-1, alinéa 2 du Code pénal prévoyait que la
juridiction tienne compte de la circonstance d’altération du discernement de l’auteur au
moment des faits lorsqu’elle déterminait la peine et en fixait le régime. Le législateur se
contentait donc de demander au juge de « tenir compte » d’une telle situation. L’ancien
article 132-19-1 prévoyait, quant à lui, à l’égard de certains multirécidivistes une peine
d’emprisonnement ne pouvant être inférieure à un seuil variant en fonction de la peine
encourue. À la lettre du texte, le juge ne pouvait y déroger que s’il motivait spécialement sa
décision au regard « des garanties exceptionnelles d’insertion ou de réinsertion » présentées
par le prévenu.

1829. Cf. supra, partie 2, titre 1, chapitre II : « L’imputabilité en danger au regard de la responsabilité pénale des
personnes physiques ».

397
Dans un arrêt rendu le 6 novembre 20121830, la Cour de cassation a tranché pour la première
fois le problème de la combinaison des articles 122-1, alinéa 2 et 132-19-1 ancien du Code
pénal. Dans cette affaire, la juridiction de premier degré avait infligé au prévenu la peine
minimale légale de deux ans d’emprisonnement. La cour d’appel en réduisit la durée à quatre
mois au seul motif qu’il résultait de l’altération importante de son discernement une
responsabilité très atténuée au sens de l’article 122-1, alinéa 2 du Code pénal. Le parquet
devait former un pourvoi sur le fondement de l’article 132-19-1 du Code pénal. Il est rejeté
par la Cour de cassation au motif que « les dispositions de l’alinéa 2 de l’article 122-1 du Code
pénal permettent au juge de prononcer, s’il l’estime nécessaire, une peine autre que
l’emprisonnement ou une peine inférieure à la peine minimale même lorsque les faits ont été
commis une nouvelle fois en état de récidive légale ». En statuant de la sorte, la Cour de
cassation a suivi une réserve d’interprétation du Conseil constitutionnel1831. Elle a aussi
rappelé in fine aux magistrats leur pouvoir d’individualisation de la sanction. En d’autres
termes, il est donc possible, sur le fondement de l’article 132-19-1 du Code pénal, de voir les
délinquants multirécidivistes échapper au prononcé d’une peine plancher. En outre, en cas
d’altération du discernement, les tribunaux correctionnels peuvent échapper à l’application
d’une peine plancher d’emprisonnement en choisissant une autre peine sans même être tenus
de motiver spécialement leur décision. Il sera établi, plus en aval de cette étude1832, que la
dangerosité d’un individu, pour avoir une quelconque valeur pénale, devrait être objectivable.
Or, l’un des critères objectifs d’évaluation de la dangerosité peut consister dans le passé pénal
de l’individu. En l’espèce, la solution de l’arrêt est notable en ce sens qu’elle fait prévaloir le
caractère partiel du discernement de l’agent sur sa dangerosité. Elle a aussi pour mérite « de
rappeler qu’en dépit de certaines lois récentes, la sanction pénale reste fondée sur la faute
commise et non sur la dangerosité »1833. La Cour de cassation devait cependant opérer un
revirement dans un arrêt rendu le 29 janvier 20141834. Dans cette affaire, la cour d’appel a
affirmé, pour déterminer la peine applicable, avoir pris en compte non seulement la
particulière gravité des faits et les antécédents judiciaires du prévenu, mais aussi l’existence
d’un trouble psychopathologique sévère et non traité de nature à altérer son discernement
ou le contrôle de ses actes. Ce n’était pas l’avis du condamné qui, au soutien de son pourvoi,
a argué de l’absence de prise en compte réelle du trouble psychopathologique dans le
prononcé de la peine d’emprisonnement ferme. Le pourvoi est rejeté par la Cour de cassation
qui a considéré qu’aux termes de l’article 132-19, alinéa 2, les juges n’ étaient pas tenus, en
matière correctionnelle, de motiver spécialement le choix d’une peine d’emprisonnement
sans sursis, si la personne en cause était en état de récidive légale et, d’autre part, que ceux-ci
disposaient du pouvoir d’apprécier souverainement les conséquences devant être tirées,
quant à la durée et au régime de la peine, de l’existence de troubles psychiques ou

1830. Cass. crim., 6 nov. 2012, no 12-82.190, Bull. crim., no 240 ; Gaz. Pal., 19-20 déc. 2012, jur., p. 10, note
R. MESA ; Gaz. Pal., 8-9 févr. 2013, p. 32, note E. DREYER et S. DETRAZ ; Dr. pén., 2013, comm. 33, obs.
É. BONIS-GARÇON.
1831. Cons. const. 9 août 207, no 2007-554 DC ; à propos de la loi no 2007-1198 du 10 août 2007 renforçant la
lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs, § 18.
1832. Cf. infra, section 2, § 2 : « La nécessité d’une évolution vers l’optimisation de l’évaluation de la
dangerosité ».
1833. A. CERF-HOLLENDER, « Atténuation de la responsabilité pénale pour cause de trouble mental et peine
“plancher” », L’Essentiel droit de la famille et des personnes, 15 févr. 2013, no 2, p. 7.
1834. Cass. crim., 29 janv. 2014, no 12-85.603, Bull. crim., no 34 ; D., 2014, p. 372 ; M. BOMBLED, Dalloz. act., 14
févr. 2014 ; Dr. pén., 2014, comm. 50, obs. É. BONIS-GARÇON.

398
neuropsychiques ayant, sans l’abolir, altéré le discernement de l’auteur de l’infraction ou
entravé le contrôle de ses actes. Ce faisant, cette décision s’inscrit dans la droite ligne de la
jurisprudence traditionnelle qui venait avant tout sanctionner la dangerosité de l’intéressé.
Fort opportunément, la loi dite Taubira no 2014-896 du 15 août 2014 est venue abroger le
dispositif des peines planchers. En outre, l’emprisonnement étant une peine, cette disposition
de la loi du 15 août 2014 devait obéir au principe de la rétroactivité in mitius conformément
à l’article 112-1 du Code pénal1835. Allant encore au-delà de la seule suppression des peines
planchers, la loi Taubira du 15 août 2014 est venue consacrer l’aptitude pénitentiaire réduite
des délinquants au discernement altéré au moment des faits.

B. La consécration de l’imputabilité comprise comme capacité pénale à l’égard du


délinquant majeur au discernement altéré

Aux termes de la circulaire Chaumier du 12 décembre 1905 – aujourd’hui abrogée –, « à côté


des aliénés proprement dits, on rencontre des dégénérés, des individus sujets à des
impulsions morbides momentanées, ou atteints d’anomalies mentales assez marquées pour
justifier à l’égard une certaine modération dans l’application des peines édictées par la loi ».
Elle invitait en conséquence à demander aux experts « si l’examen psychiatrique et biologique
ne révèle pas chez [l’accusé] des anomalies mentales ou psychiques de nature à atténuer dans
une certaine mesure sa responsabilité ». En d’autres termes, il s’agissait pour les juges de
demander aux psychiatres d’affecter la responsabilité qui subsiste d’un pourcentage servant
ensuite au calcul de la peine1836. L’ambition de la circulaire était de sortir du système binaire
de l’ancien article 64 du Code pénal1837. L’ancien article 122-1, alinéa 2, héritier de la circulaire
de 1905, en demandant simplement aux juges de « tenir compte » de la circonstance
d’altération du discernement, n’instaurait pas une cause légale de diminution de peine1838. Au
lendemain de l’entrée en vigueur du Code pénal de 1994, il a pu être observé que la mise en
œuvre de la responsabilité pénale d’un individu au discernement altéré conduisait même, au
contraire, à une aggravation de la peine, du moins pour les faits les plus graves. Cela tenait
au fait que, pour les jurys d’assises en particulier, la maladie mentale joue comme un indice
de dangerosité supplémentaire1839. Une aggravation de la peine par rapport aux délinquants
ordinaires était donc fréquente en raison de la dangerosité d’un individu perturbé qui
paraissait constituer une menace1840. Selon Emmanuel Dreyer1841, il fallait y voir la
conséquence de la critique positiviste selon laquelle « les plus défectueux étant au sens

1835. Cf. Cass. crim., 14 oct. 2014, no 13-85.779, Bull. crim., no 205 ; JurisData no 2014-024158 ; Dr. pén., 2014,
comm. 153, obs. É. BONIS-GARÇON.
1836. Cf. J.-H. ROBERT, Droit pénal général, PUF, 6e éd., 2005, p. 295.
1837. L’ancien Code pénal n’avait prévu que l’hypothèse de la démence supprimant tout discernement et restait
silencieux pour les atteintes simplement partielles à la capacité de comprendre et de vouloir. Les juges
avaient cependant la possibilité de modérer la peine par le jeu des circonstances atténuantes.
1838. La jurisprudence de la Cour de cassation allait également dans ce sens (cf. notamment Cass. crim., n o
03-82.789, Bull. crim., no 46).
1839. Cf. notamment www.senat.fr, « Proposition de loi relative à l’atténuation de responsabilité pénale
applicable aux personnes atteintes d’un trouble mental ayant altéré leur discernement au moment des faits
– Exposé général ».
1840. Cf. V. CATOIRE, « À propos de l’altération des facultés mentales », in Réflexions sur le nouveau Code pénal,
Pedone, 1995, p. 62.
1841. E. DREYER, Droit pénal général, op. cit., no 796, p. 606 et 607.

399
classique les moins coupables, la défense sociale est d’autant plus négligée que les principes
relatifs à la responsabilité du coupable sont mieux respectés »1842. Deux inconvénients
majeurs découlaient cependant d’une telle solution jurisprudentielle. Le premier tenait au lien
ainsi établi entre maladie mentale et dangerosité, et le second au fait que les établissements
pénitentiaires regorgeaient d’individus présentant des troubles psychiatriques1843. Or, la
présence d’une forte proportion de personnes souffrant de troubles mentaux en prison est
contraire aux valeurs humanistes, à l’exigence d’éthique médicale ou à la sécurité. L’ensemble
de ces raisons ont conduit à la réforme du 15 août 2014.

Depuis, l’article 122-1, alinéa 2 nouveau du Code pénal dispose :

Toutefois, la juridiction tient compte de cette circonstance lorsqu’elle détermine la peine


et en fixe le régime. Si est encourue une peine privative de liberté, celle-ci est réduite du
tiers ou, en cas de crime puni de la réclusion criminelle ou de la détention criminelle à
perpétuité, est ramenée à trente ans. La juridiction peut toutefois, par une décision
spécialement motivée en matière correctionnelle, décider de ne pas appliquer cette
diminution de peine.

Cette fois, un lien est établi a priori1844 par le législateur entre la mesure du discernement de
l’agent et le quantum de la peine privative de liberté. Cette liaison signe la consécration du
concept d’imputabilité comprise comme capacité pénale. La diminution de la peine privative
de liberté en cas d’altération du discernement a aussi pour mérite de traduire la rupture du
lien entre maladie mentale et dangerosité. Si l’on peut déplorer le retour de la mathématique
déplorable dans le calcul de la sanction pénale, le législateur a cependant pris soin de préciser
que « lorsque, après avis médical, la juridiction considère que la nature du trouble le justifie,
elle s’assure que la peine prononcée permette que le condamné fasse l’objet de soins adaptés
à son état »1845. Certes, il est permis de rester dubitatif devant l’effectivité du soin en prison.
En outre, l’apparente clémence manifestée par le nouveau texte est aussitôt contredite par
l’instauration d’une nouvelle mesure de sûreté susceptible d’être appliquée après l’exécution
de la peine prononcée et prévue à l’article 706-136-1 du Code de procédure pénale. Il découle
en effet de cet article que :

Lorsqu’une personne condamnée dans les circonstances mentionnées au second alinéa


de l’article 122-1 du Code pénal n’a pas été condamnée à un suivi socio-judiciaire, le
juge de l’application des peines peut ordonner, à la libération de cette personne, si son
état le justifie et après avis médical, une obligation de soins pendant une durée qu’il fixe
et qui ne peut excéder cinq ans en matière correctionnelle ou dix ans si les faits commis
constituent un crime ou un délit puni de dix ans d’emprisonnement.

1842. A. PRINS, La défense sociale et les transformations du droit pénal, Misch et Thron, Bruxelles, 1910, p. 71.
1843. 10 % des détenus souffriraient de troubles psychiques très graves (cf. www.senat.fr, ibid.).
1844. Cela permet d’exclure le fait que la prise en compte de l’altération du discernement intervienne a posteriori,
par le prisme du principe d’individualisation de la sanction pénale.
1845. C. pén., art. 122-1, alin. 2, dernière phrase.

400
Selon Emmanuel Dreyer, « il est donc préférable d’analyser ces dispositions comme autant
de témoignages d’une philosophie pénale humaniste pour laquelle le délinquant malade mental
mérite un traitement autant qu’une peine : il n’y a alors d’inflexion que dans une logique
rétributive d’inspiration néoclassique »1846. Ce faisant, il y aussi reconnaissance du concept de
capacité pénale.

Au-delà, l’extension du champ de l’imputabilité comprise comme capacité pénale participe


de l’organisation de la cohabitation raisonnée avec la notion de dangerosité. La consécration
de l’aptitude pénitentiaire réduite des délinquants majeurs au discernement altéré constitue
une manifestation post-moderne du rôle garantiste de l’imputabilité sur le terrain substantiel,
en venant éclipser la prise en compte sentencielle de la dangerosité. Il ne faut pas en déduire
toute exclusion de la dangerosité d’un droit pénal post-moderne. Il importe alors de préciser
les modalités de son application directe.

Section 2 – Les modalités d’une appréhension directe de la dangerosité


dans un droit pénal post-moderne
Si dans un droit pénal post-moderne il est concevable que la fonction du droit pénal puisse
participer à la régulation d’activités économiques en raisonnant alors moins sur la faute que
sur le risque, comme en témoigne l’évolution de la responsabilité pénale des personnes
morales1847, il n’en demeure pas moins qu’une vigilance doit être de mise face à la
multiplication d’infractions ou de mesures pénales liées au risque et à la prévention. Des
limites doivent pouvoir être fixées face au risque d’essor d’un droit pénal préventif
attentatoire aux libertés individuelles. En d’autres termes, il importe de donner un cadre à
l’appréhension pénale de la dangerosité en dehors de la réalisation de tout dommage (§ 1).
Une fois ces limites établies, il importera de faire des propositions en vue d’une optimisation
de son évaluation (§ 2).

§ 1 - L’appréhension de la dangerosité praeterdelictum

Dans le cadre de ce développement, seules seront étudiées les hypothèses dans lesquelles la
prise en compte de la dangerosité est susceptible de s’effectuer au détriment de l’exigence
d’imputabilité. Pour cette raison, la prise en compte de la dangerosité de l’agent lors de
l’individualisation de sa sanction pénale, qu’il s’agisse de son prononcé ou, a fortiori, de son
exécution, ne sera pas ici évoquée. Dans ce cas, une infraction, qui a été caractérisée dans
tous ses éléments constitutifs, a été déjà imputée à l’agent. La question de l’imputabilité de
l’agent a donc déjà été résolue par l’affirmative et sa responsabilité engagée. La prise en
compte de la dangerosité du délinquant à ce stade du processus pénal est implicitement

1846. E. DREYER, Droit pénal général, op. cit., no 796, p. 607.


1847. Cf. supra, partie 2, titre 1, chapitre I : « L’objectivation de l’imputabilité dans le cadre de la responsabilité
des personnes morales ».

401
admise par le législateur1848. Elle entre donc dans les cas d’une bonne complémentarité de la
dangerosité avec la responsabilité pénale. Seules doivent être détaillées les hypothèses
susceptibles de poser problème au regard de l’exigence d’imputabilité, celles-là même où la
dangerosité serait susceptible de se substituer purement et simplement à la responsabilité
pénale. On comprendra alors aisément que l’étude s’oriente dans deux directions
diamétralement opposées et relatives, d’une part, à l’appréhension de la dangerosité en amont
de la réalisation de tout dommage (A.) et, d’autre part, au bien-fondé d’une prise en compte
de la dangerosité après l’exécution de la sanction prononcée en rétribution de l’infraction
commise (B.).

A. L’appréhension de la dangerosité en amont de la réalisation de tout dommage

Les infractions liées au risque et à la prévention sont caractéristiques de notre époque. Les
infractions constituant le support d’un droit pénal d’anticipation consistent le plus souvent
en des infractions obstacles. Leur multiplication, combinée à leur potentiel attentatoire aux
principes directeurs du droit pénal, justifient que leur légitimité soit questionnée (1.). La
question de la pénalisation contemporaine du risque invitera, au-delà, à questionner la
possible réception du principe de précaution en droit de la responsabilité pénale. Le fait qu’il
repose sur la pénalisation du risque seulement hypothétique conduira à exclure qu’il puisse
être appelé à constituer un fondement post-moderne d’essence positiviste à la responsabilité
pénale (2).

1. L’appréhension transgressive de la dangerosité par le truchement des


infractions obstacles
La logique intrinsèque des infractions obstacles explique le retour en force de cette catégorie
d’infractions dans un contexte sécuritaire (1.1). Leur diffusion, inspirée par la résurgence de
la notion de dangerosité, est symptomatique de la nouvelle législation antiterroriste. Dans ce
domaine spécifique, la réalité de la dangerosité pénalement appréhendée pose cependant
question à l’égard de certaines infractions (1.2).

1.1 Le retour en force des infractions obstacles dans un contexte sécuritaire

Comme le relève Catherine Marie, « la sécurité des personnes est mieux assurée »1849 par les
infractions obstacles. Elles constituent un mode traditionnel et légitime d’appréhension de la
dangerosité dans la mesure où elles reposent en principe sur des actes univoques de
« dangerosité ». Afin de percevoir le potentiel hyperpréventif des infractions obstacles, il est
pertinent de les définir en les opposant aux infractions formelles. En dehors de la tentative
d’infraction, il existe donc deux réceptacles infractionnels préventifs constitués par les
infractions formelles et les infractions obstacles. La distinction entre ces deux catégories
d’infractions à risque tient notamment au lien et à la proximité entre le comportement

1848. Le fait que la dangerosité constitue un élément possible de la personnalité justifie sa prise en compte sur
le fondement du principe de l’individualisation de la sanction pénale (cf. C. pén., art. 132-1 et C. pr. pén.,
art 707).
1849. C. MARIE, Droit pénal général, op. cit., p. 91.

402
incriminé et le résultat redouté par l’incrimination. Comme le relève Alexandre Gallois, « ce
lien est beaucoup plus proche, car plus précis et qualifié, dans l’infraction formelle que dans
l’infraction obstacle. Il y aurait aussi une causalité directe et/ou immédiate dans l’infraction
formelle alors que ce rapport de causalité ferait défaut dans l’infraction obstacle »1850. Une
autre présentation de cette dualité d’infractions à risque, soulignant cette proximité
différenciée entre le comportement répréhensible et le résultat redouté, consiste à dire que
les infractions formelles reviennent à ériger en infractions autonomes des actes qui seraient
normalement constitutifs d’un commencement d’exécution alors que les infractions
obstacles permettent d’incriminer à titre autonome des agissements qui ne constituent que
des actes préparatoires1851. L’intérêt des infractions obstacles est donc de placer le curseur de
la répression plus en amont dans l’iter criminis. Selon Yves Mayaud, les infractions obstacles,
comme les infractions formelles, « poussent le droit pénal dans ses derniers retranchements,
prenant ainsi le risque d’ériger en conduite répréhensible ce qui ne s’affirme pas comme tel
ou d’évidence »1852. L’auteur considère par ailleurs que le principe même des infractions
obstacles est dangereux, « celui-ci pouvant s’extraire d’une juste conception du droit par une
distance trop prononcée entre les actions ou les omissions qui en relèvent et le résultat
redouté à l’origine de leur incrimination »1853. D’ailleurs, traditionnellement, les actes
préparatoires n’étaient pas réprimés en droit commun en raison même du risque d’atteinte
aux fondements de la responsabilité pénale, une intervention de la répression à un stade trop
avancé ne permettant pas d’établir la réalité des éléments constitutifs d’une infraction. Pour
illustrer le propos, il est permis d’évoquer la distinction opérée au sein des infractions
obstacles par Emmanuel Dreyer entre infractions obstacles « indéterminées » et infractions
obstacles « déterminées »1854.
Cette opposition repose sur le caractère plus ou moins1855 précis du risque qu’il s’agit de
prévenir. Autrement dit, il existerait une catégorie d’infractions obstacles pour laquelle la
probabilité du risque serait plus grande, ce qui les rendrait plus légitimes au regard des
principes fondamentaux du droit pénal. Plus précisément, dans le cadre des infractions
obstacles dite « déterminées », le risque est – comme leur nom l’indique – déterminé, ce qui
signifie qu’elles ont pour but de prévenir la commission d’une infraction précise. Il est permis
de prendre l’exemple de l’infraction collective de l’association de malfaiteurs prévue à
l’article 450-1 du Code pénal. Au regard de la lettre du texte, il s’agit de prévenir la
commission « d’un ou plusieurs crimes ou plusieurs délits punis d’au moins cinq ans
d’emprisonnement ». Dans le même sens, conformément à l’article 223-1 du Code pénal,
l’infraction individuelle du délit de risques causés à autrui a pour objet de prévenir un

1850. A. GALLOIS, « Quelle place pour le principe de précaution dans le droit de la responsabilité pénale ? »,
RDSS, 2013, p. 801. Dans les développements à suivre (cf. infra, la sous-partie consacrée au principe de
précaution), les propos de l’auteur seront nuancés dans la mesure où il sera établi que, quoique moins
direct et/ou immédiat, le lien de causalité dans le cadre des infractions-obstacles n’en est pas moins certain.
1851. Ainsi, l’ensemble des actes matériels d’exécution ayant été réalisés dans le cadre d’une infraction formelle,
il sera même possible de présumer l’obtention du résultat redouté par le législateur. En revanche, dans le
cadre d’une infraction-obstacle, l’insuffisante matérialité de l’acte rend la production du dommage
beaucoup plus aléatoire. Pour cette raison, aucune présomption relative au résultat redouté n’est possible
dans cette hypothèse.
1852. Y. MAYAUD, Droit pénal général, op. cit., ., no 198, p. 247.
1853. Ibid.
1854. E. DREYER, Droit pénal général, LexisNexis, 2014, nos 726 et suiv, p. 562 et suiv.
1855. Moins ou « moins moins », pourrait-on écrire.

403
homicide ou des blessures involontaires. On le comprend, la précision du risque tient à la
nature de l’infraction prévenue que l’on peut identifier. Il en va différemment dans le cadre
des infractions obstacle dites « indéterminées ». Les comportements appréhendés par le biais
de ces infractions « sont considérés comme intrinsèquement dangereux parce qu’ils peuvent
conduire à la commission d’autres infractions »1856 sans pour autant que ces dernières ne
soient identifiées. On peut prendre l’exemple de l’article L. 234-1 du Code de la route
réprimant la conduite en état d’ivresse qui ne vise la prévention d’aucune infraction
particulière. Au-delà de cet exemple, Emmanuel Dreyer relève, relativement à cette catégorie
d’infractions, qu’« à ce stade, l’indétermination est telle que l’on peut même imaginer que le
risque auquel expose un tel comportement ne relève pas d’une qualification pénale »1857.
Cependant, « le seul fait qu’un risque existe rend le comportement qui l’a généré inacceptable
pour la société »1858. C’est l’existence de ce risque dans la survenance de faits pouvant
éventuellement constituer une ou plusieurs infractions qui légitime la répression. C’est dire
le potentiel transgressif des infractions obstacles indéterminées. La catégorie des infractions
obstacles « indéterminées » se situe alors à la frontière du droit pénal, en ce sens qu’elle
contient en germe la potentialité d’une transgression des principes directeurs de la
responsabilité pénale. Précisément, la question sera posée de savoir si le Rubicon n’a pas été
franchi dans la législation antiterroriste contemporaine.

1.2 La législation antiterroriste

Comme le relève Julie Alix, « largement dépassée en droit pénal commun, la traditionnelle
absence de répression des actes préparatoires est complètement obsolète en droit pénal
antiterroriste, où elle est au contraire complètement assumée, comme l’outil de l’efficacité de
la prévention pénale du terrorisme »1859. L’appréhension assumée des actes préparatoires par
la politique antiterroriste contemporaine constitue une illustration pertinente des dérives
possibles de notre droit positif. Le cadre juridique des infractions obstacles ne peut pas être
extensible à tous les ressorts de la psychologie criminelle. Autrement dit, cette catégorie
d’infractions n’est pas toujours appropriée, au regard des principes directeurs de la
responsabilité pénale, à la réception d’un droit pénal préventif ou d’anticipation. La
jurisprudence récente du Conseil constitutionnel relativement aux délits d’entreprise
terroriste individuelle et de consultation habituelle de sites djihadistes témoigne du malaise
en la matière1860. On pense en premier lieu à la censure par le Conseil constitutionnel du délit
de consultation habituelle de sites djihadistes créé par la loi du 3 juin 2016 à l’article 421-2-5-2
du Code pénal1861. La Juridiction suprême a considéré que le délit n’était ni nécessaire, ni

1856. E. DREYER, Droit pénal général, op. cit., no 727, p. 562.


1857. Ibid. no 727, p. 562 et 563.
1858. Ibid., no 727, p. 563.
1859. J. ALIX, « Réprimer la participation au terrorisme », RSC, 2014, p. 849.
1860. Pour une critique des infractions terroristes, et notamment du délit d’entreprise terroriste individuelle,
cf. C. LAZERGES et H. HENRION-STOFFEL, « Le déclin du droit pénal : l’émergence d’une politique
criminelle de l’ennemi », RSC, 2016, p. 649.
1861. Cons. const., 10 févr. 2017, no 2016-611 QPC. L’avocat d’une personne condamnée à deux ans de prison
ferme notamment sur le fondement de ce délit avait déposé une question prioritaire de constitutionnalité
à ce sujet. Il estimait notamment que l’infraction introduisait une présomption de mauvaise foi déduite de
la seule consultation (cf. F. FOURMENT, « La loi no 2017-258 du 28 février 2017 relative à la sécurité
publique dans ses aspects de droit pénal », Dr. pén., 2017, étude 12).

404
adapté, ni proportionné à son objet : « prévenir l’endoctrinement d’individus susceptibles de
commettre [des] actes [terroristes] ». On pense aussi à la décision rendue le 7 avril 2017 à
propos de l’infraction d’entreprise individuelle terroriste et excluant que l’intention de
l’auteur ne puisse résulter que des seuls faits matériels retenus comme actes préparatoires1862.
Le législateur ayant promptement rétabli le délit de consultation habituelle de sites djihadistes
par la loi no 2017-258 du 28 février 2017 relative à la sécurité publique, il est permis
d’envisager une autre solution pour se soustraire à l’application de la nouvelle législation. Elle
réside dans l’invocation d’une cause de non-imputabilité ou d’atténuation de l’imputabilité
liée à l’existence de troubles psychiques.

Le garde-fou de l’invocation d’une cause de non-imputabilité


L’un des garde-fous en la matière consiste en la possibilité de faire valoir l’existence d’une
cause de non-imputabilité : la question de l’assimilation de la « radicalisation » à une forme
d’abolition, ou à tout le moins, d’altération du discernement.
Est-il possible de « taxer de démence les auteurs des massacres insensés d’aujourd’hui » ?
Selon Éric Fassin, on peut certes y voir des troubles psychiques préexistants, mais le trouble
identitaire révélé par l’acte est aussi l’effet du « conflit des civilisations ». Pour cette raison,
« il est difficile de taxer de démence les auteurs de ces massacres insensés. Leur logique folle est
celle de notre époque »1863. Daniel Zagury, dans Libération (22 juillet 2016), considère que :

Ce qui se passe dans le monde n’est pas réductible à un regard psychiatrique. […] Ce
que l’on sait à peu près, c’est que dans le paysage des terroristes islamistes aujourd’hui,
il y a très peu de malades mentaux avérés, de délirants qui ont commis des actes en
rapport déterminant avec leur maladie. Pour autant, à l’autre bout de la chaine, il y a très
peu de sujets bien équilibrés, solidement structurés, […] des déséquilibrés psychopathes,
des toxicos, des alcooliques, des impulsifs, mais aussi des instables en rupture, ayant
commis des actes de délinquance ou qui sont dans une errance existentielle, […] une
sorte de marais de sujets qui ont effectué, dans la première partie de leur existence, des
actes transgressifs et mené une vie délinquante pas particulièrement marquée du sceau
de la religion. C’est là qu’interviennent les processus transformatifs […] [en d’autres
termes,] des processus de radicalisation renvoyant à un circuit long ou à un circuit court.

La radicalisation ne pouvant se limiter à une explication psychopathologique ou


psychiatrique, il semble d’ores et déjà permis d’exclure que les troubles psychiques invoqués
par les terroristes djihadistes constituent par principe une cause d’atténuation ou
d’exonération de la responsabilité pénale1864.

1862. Cons. const., 7 avr. 2017, no 2017-625 QPC ; F. FOURMENT, op. cit.
1863. Cf. É. FASSIN, « Terrorisme : la zone grise de la sexualité », Mediapart, 26 juillet 2016.
1864. Pour des analyses complémentaires, il est permis de consulter l’article intitulé « Regard d’un psychiatre sur
le processus psychique de radicalisation » (www.ch-le-vinatier.fr). Les informations suivantes ont pu être
relevées : « La radicalisation ne peut pas se limiter à une explication psychopathologique ou psychiatrique.
C’est un phénomène qui interroge notre société sur ses choix politiques, idéologiques… ». Ainsi, « les
facteurs à l’origine de ce processus reposent sur les fragilités du fonctionnement psychique humain, qui
existent depuis toujours mais qui s’expriment sous cette forme en raison des supports culturels,
sociologiques, religieux disponibles aujourd’hui ». À propos des « jeunes » et, plus particulièrement des
dispositions psychiques dans lesquelles ils se trouvent quand ils se tournent soudainement vers le
fanatisme religieux, il apparaît que « les adolescents ou jeunes adultes, qui n’ont pas réussi à construire
une bonne image d’eux-mêmes face aux idéaux proposés par la société dans laquelle ils vivent (idéaux de

405
Si l’appréhension de la dangerosité par le biais des infractions obstacles est susceptible
d’entrer en contradiction avec les principes fondamentaux du droit pénal, il n’y a pas à douter
de l’incompatibilité du principe de précaution avec la théorie d’essence classique de la
responsabilité pénale.

2. L’exclusion d’une prise en compte de la dangerosité par le truchement du


principe de précaution
Pour pouvoir justifier l’exclusion de la réception du principe de précaution, il faut
préalablement en connaître la substance. Ce principe peut recevoir, en doctrine et dans les
textes, plusieurs définitions1865. D’une manière générale, il tend à l’adoption de certaines
mesures afin de prévenir la survenue d’un risque incertain de dommage grave et/ou
irréversible. Les valeurs que le principe de précaution a vocation à défendre concernent
l’environnement et la santé1866. Il se dégage cependant deux constantes dans ses composantes.
La composante essentielle réside dans l’existence d’un risque scientifiquement incertain de
dommage. La seconde composante, plus discutée, est relative à la nécessité d’agir malgré la
situation d’incertitude scientifique1867. En l’état actuel du droit positif, aucun texte pénal ne
sanctionne le non-respect du principe de précaution. Ainsi, il n’y a pas faute à s’abstenir d’un
comportement précautionneux en l’absence de certitude quant au risque auquel les personnes
ou les biens peuvent se trouver exposés.

La question se pose cependant de savoir si le droit pénal pourrait être mobilisé, à l’avenir,
pour garantir le respect du principe de précaution. En effet, le principe de précaution tend à
éviter la réalisation d’un dommage. Or, le droit pénal positif connait déjà cette orientation
vers la pénalisation du risque d’un dommage1868. Comme le relève Alexandre Gallois, « à s’en
tenir au risque d’un dommage, la logique préventive du principe de précaution apparaît
soluble dans le droit pénal »1869. Il ne serait donc pas logique d’écarter a priori la réception du
principe de précaution en droit de la responsabilité pénale. En outre, le droit positif dispose

performance, de consommation dans le société occidentale), peuvent parfois soulager leur souffrance par
l’investissement d’autres idéaux pour lesquels il leur semble possible de s’en rapprocher, ce qui leur permet
de restaurer l’image d’eux-mêmes qui était, jusque-là, défaillante. Ces jeunes sont le terreau propice de
tous les phénomènes de fanatisme ». Ainsi, « la radicalisation interroge les choix de société : y a-t-il d’autres
idéaux possibles que l’idéal de consommation et de performance ? »
1865. Pour les définitions textuelles, cf. notamment l’article 7 du règlement no 178/2002 du Parlement européen
et du Conseil du 28 janvier 2002 établissant les principes généraux et les prescriptions générales de la
législation alimentaire, instituant l’Autorité européenne de sécurité des aliments et fixant des procédures
relatives à la sécurité des denrées alimentaires, l’article L. 110-1 du Code de l’environnement et l’article 5
de la Charte de l’environnement. Ces trois textes serviront de référence dans le cadre de cette étude dans
la mesure où, en plus d’apporter une définition du principe de précaution, ils ont aussi une valeur juridique.
À titre d’exemple, l’article L. 110 du Code de l’environnement dispose : « Le principe de précaution est le
principe selon lequel l’absence de certitudes, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques
du moment, ne doit pas retarder l’adoption de mesures effectives et proportionnées visant à prévenir un
risque de dommages graves et irréversibles à l’environnement à un coût économiquement acceptable. »
1866. Il a donc été originellement pensé pour éviter des dommages à l’environnement et/ou à la santé des
personnes.
1867. Par exemple, le Code et la Charte de l’environnement, en employant le présent de l’indicatif, érigent
l’adoption de mesures en une nécessité, alors que le Règlement européen, qui utilise le conditionnel, n’en
fait qu’une possibilité.
1868. La tendance contemporaine étant d’ailleurs à un accroissement de cette orientation.
1869. A. GALLOIS, « Quelle place pour le principe de précaution dans le droit de la responsabilité pénale ? »,
RDSS, 2013, p. 801.

406
de réceptacles appropriés au défaut de précaution, à l’instar des infractions dites à risque ou
sans résultat. Au regard des développements qui précèdent1870, celui des infractions obstacles
retient particulièrement l’attention. En ce sens, Alexandre Gallois considère que ces dernières
visent « un résultat juridique tellement lointain, si peu qualifié, qu’aucun rapport de causalité
n’est requis entre l’acte incriminé et le résultat visé […]. [Par conséquent] Ce type
d’infractions apparait alors comme le cadre juridique “adapté” pour l’épanouissement du
principe de précaution »1871. Suivant cette logique, il semblerait alors judicieux de cibler, au
sein de cette catégorie, les infractions obstacles indéterminées mises en exergue par
Emmanuel Dreyer1872. Nonobstant ces considérations, le principe de précaution ou, plus
exactement, le défaut de précaution, ne saurait constituer une condition nouvelle à
l’engagement de la responsabilité pénale, pas plus qu’il ne saurait être appréhendé par le
prisme des causes d’exonération de la responsabilité pénale. Cette exclusion tient à
l’incompatibilité entre la réception du principe de précaution et le respect des principes
fondamentaux du droit pénal. Selon Emmanuel Dreyer, « si le droit pénal devait être utilisé
pour garantir directement le principe de précaution, il subirait des changements tels qu’il ne
serait plus fidèle à lui-même »1873. Tout d’abord, le caractère scientifiquement incertain du
risque ciblé par le principe de précaution génère l’incertitude du lien de causalité empêchant
la caractérisation de toute infraction. Dans le cadre de ce développement, il conviendra
cependant d’établir en priorité que l’incertitude du risque n’est pas plus compatible avec
l’imputabilité du sujet et, particulièrement, avec sa composante liberté (2.1). Au-delà, il
importera de vérifier l’absence corrélative de justification de la « précaution » par l’état de
nécessité (2.2).

2.1 L’incompatibilité entre l’incertitude du risque ciblée par le principe de précaution et la


liberté de choix de l’agent, composante de l’imputabilité

En raison de la postériorité d’un débat sur l’imputabilité1874, l’incompatibilité du principe de


précaution avec l’exigence d’imputabilité est d’abord subséquente à l’impossibilité de
caractériser l’existence d’une infraction. Cela étant, dans l’hypothèse même où le défaut de
précaution pourrait être sanctionné sur le fondement d’une ou plusieurs infractions
spécifiques, sa réception en droit commun de la responsabilité pénale ne saurait pas plus
prospérer en raison d’une incompatibilité de principe entre imputabilité et défaut de

1870. Cf. supra, 1. : « L’appréhension transgressive de la dangerosité par le truchement des infractions
obstacles ».
1871. A. GALLOIS, op. cit., p. 801. Il sera cependant démontré plus en aval que cette affirmation est erronée dans
la mesure où elle se fonde sur une méprise consistant à considérer que les infractions-obstacles ne
supposent pas dans leur constitution l’existence d’un lien de causalité entre le comportement incriminé et
le résultat redouté.
1872. Cf. supra 1. « L’appréhension transgressive de la dangerosité par le truchement des infractions obstacles ».
1873. E. DREYER, « Droit pénal et principe de précaution », D., 2015, p. 1912. Pour une opinion contraire,
cf. D. ROETS, « Réflexions sur les possibles implications du principe de précaution en droit pénal de
l’imprudence », RSC, 2007, p. 251. L’auteur est perplexe devant « la péremptoire mise hors-jeu du droit
pénal par la doctrine précautionniste ». Il représente d’ailleurs un courant minoritaire en doctrine militant en
faveur de la prise en considération du défaut de précaution par le droit pénal. Dans cette optique, la
solubilité du principe de précaution dans le droit positif pourrait s’opérer par le prisme des infractions
d’homicide et de blessures involontaires en cas de dommage ou par celui du délit de risques causés à autrui
dans le cas contraire.
1874. Cf. partie 1, titre 2 et la démonstration de l’interversion des composantes de la responsabilité pénale.

407
précaution. Celle-ci tient au caractère inconciliable de l’incertitude du risque avec la liberté
de choix de l’agent, composante de l’imputabilité1875.

Dans tous les cas, l’imputabilité serait impossible à caractériser, faute pour l’agent de disposer
d’une liberté de choix, en cas d’incertitude du risque. Comme le relève Emmanuel Dreyer,
« lorsque l’existence d’un risque est certaine, en cas de persistance de l’action dangereuse,
l’agent a le choix entre s’abstenir de toute action, agir en faisant attention et agir sans faire
attention »1876. Pour cette raison, en cas de survenance d’un dommage, on ne lui reproche pas
de ne pas s’être abstenu, mais d’avoir agi de manière inconséquente. Un tel raisonnement, en
préservant la liberté de choix de l’agent tout en rappelant que le mauvais usage de cette liberté
implique une responsabilité, est compatible avec l’exigence d’imputabilité. En revanche, «
lorsque l’existence même du risque est incertaine, en cas de persistance de l’action
prétendument dangereuse, l’agent n’a le choix que d’agir en causant potentiellement un
dommage ou de ne pas agir »1877. Dans ces conditions, « il ne peut agir en prenant les
précautions qui élimineraient tout risque puisque le principe même de ce risque n’est pas
établi ». On voit mal comment on pourrait sanctionner la liberté dans ces conditions, au
motif qu’elle pourrait ou aurait pu dégénérer en abus sans que ce dernier ne soit démontré,
sauf à considérer que la liberté de choix n’est plus une condition de la responsabilité pénale,
autrement dit, sauf à nier l’exigence d’imputabilité1878. Ce serait ainsi ouvrir grand la voie à la
réception d’un néopositivisme par trop transgressif des droits fondamentaux.

Le principe de précaution ne saurait donc être appréhendé par le prisme des composantes
traditionnelles de la responsabilité pénale. Si les conditions traditionnelles d’engagement de
la responsabilité font obstacle à la sanction du défaut de précaution, il importe de vérifier, en
vertu d’une sorte de parallélisme des formes, que le principe de précaution ne saurait pas plus
être appréhendé par le biais des causes d’exonération de la responsabilité pénale. Deux causes
d’exonération de la responsabilité paraitraient a priori susceptibles de réceptionner le principe
de précaution. Il s’agit, d’une part, de l’état de nécessité et, d’autre part, de l’ordre ou de
l’autorisation de la loi ou du règlement. Dans le cadre de cette étude, en considération des
composantes de l’imputabilité, il conviendra seulement de vérifier que l’état de nécessité ne
pourrait légitimer la précaution prise par l’agent.

2.2 L’absence de justification de la « précaution » par l’état de nécessité en écho à


l’incompatibilité entre défaut de précaution et imputabilité du sujet

La question de la justification de la précaution par l’état de nécessité est majeure au regard


de la thématique de notre recherche. Si l’exception de nécessité définie à l’article 122-7 du
Code pénal était susceptible de légitimer certains actes de destruction volontaire du bien
d’autrui, voire certaines atteintes à la vie ou à l’intégrité de la personne résultant de la
« précaution » prise par le ou les agents, cela reviendrait à considérer que la notion de

1875. Or, l’imputabilité repose notamment sur la liberté de choix de l’agent (cf. supra, partie 1, titre 1, chapitre II :
« La reconfiguration du champ de la condition de liberté relevant de l’imputabilité ».
1876. E. DREYER, « Droit pénal et principe de précaution », D., 2015, p. 1912.
1877. Loc. cit.
1878. À tout le moins sa composante liberté.

408
précaution pourrait constituer une cause de non-imputabilité1879. Or, il vient d’être établi
l’impossible réception du défaut de précaution par le truchement de l’imputabilité du sujet.

Le principe de précaution a déjà été invoqué en vain devant la Cour de cassation, par des
faucheurs de plants OGM1880, pour justifier l’existence d’un état de nécessité1881. En l’espèce,
un champ, planté pour neuf dixièmes de maïs classique et pour un dixième de maïs
génétiquement modifié, avait été totalement détruit par plusieurs centaines de faucheurs
volontaires. La cour d’appel de Toulouse avait condamné les huit prévenus pour délit de
destruction ou dégradation volontaire du bien d’autrui commis en réunion à des peines
d’emprisonnement avec sursis, sauf pour l’un d’entre eux qui agissait en état de récidive.
L’état de nécessité, dont souhaitaient bénéficier les prévenus, avait donc été écarté. Il est vrai
qu’une réponse par la négative s’impose assez vite à la lecture de l’article 122-7 du Code
pénal. D’ailleurs, dans la dernière affaire de « faucheurs d’OGM », la cour d’appel de
Toulouse a considéré qu’aucune des conditions de cet article n’était remplie1882. Au rang de
ces conditions, figure l’existence d’« un danger actuel ou imminent ». Pour contourner la
difficulté liée à cette exigence, les prévenus invoquaient notamment le fait que même si le
« péril » était « uniquement possible ou futur », le principe de précaution consacré en droit
européen et en droit interne, respectivement par la Convention européenne de sauvegarde
des droits de l’homme et par la Charte de l’environnement, « n’en commandait pas moins la
destruction de cette culture risquant de causer des atteintes graves à l’environnement et à la
santé publique ». Autrement dit, le principe de précaution serait susceptible de venir au
secours de l’état de nécessité en en assouplissant les conditions légales et jurisprudentielles.
Cependant, après que la cour d’appel a estimé qu’un danger actuel ou imminent ne saurait
être constitué par la crainte que soulèvent des plantations de maïs génétiquement modifié, la
Cour de cassation, faisant sienne la motivation des juges du fond, considère qu’ils « ont
justifié leur décision dès lors qu’au surplus la Charte de l’environnement, ne saurait être
invoquée en l’espèce pour fonder l’état de nécessité ». La « précaution » ne saurait donc
constituer une variante d’état de nécessité. La perspective d’une évolution de la jurisprudence
est par ailleurs peu probable compte tenu du fait qu’elle devrait alors retenir une conception
particulièrement lâche de l’exigence d’actualité ou d’imminence du danger, susceptible, quant
à elle, de porter atteinte au principe de l’interprétation stricte de la loi pénale1883. Au surplus,
il est permis de conclure que l’état de nécessité constituant aux termes de la première partie
de cette étude une cause de non-imputabilité1884, il est cohérent que la justification de la
précaution par le biais de l’état de nécessité soit écartée. Si la précaution était une variante

1879. Dans la première partie de cette étude, il a été démontré, contrairement aux classifications doctrinales de
droit positif – le Code pénal ne dit rien puisqu’il traite pêle-mêle, dans un même chapitre, des différentes
causes d’irresponsabilité ou d’atténuation de la responsabilité –, que l’état de nécessité ne constituait pas
un fait justificatif mais une cause de non-imputabilité (cf. supra, partie 1, titre 1, chapitre II : « La
reconfiguration du champ de la condition de liberté relevant de l’imputabilité »).
1880. Organismes génétiquement modifiés.
1881. Cf. Cass. crim., 19 nov. 2002, no 02-80.788, inédit, D., 2003, p. 1315, note D. MAYER ; Cass. crim., 7 févr.
2007, no 06-80.108, inédit, D., 2007, p. 1310, note J.-P. FELDMAN ; ibid., p. 573, obs. A. DARSONVILLE ;
AJ pén., 2007, p. 133, obs. C. SAAS ; JCP G 2007, II, 10059, note F.-G. TREBULLE.
1882. Pour une étude de la motivation fortement détaillée de la cour d’appel, cf. les notes de J.-P. FELDMAN et
C. SAAS précitées.
1883. C. pén., art. 111-4.
1884. Cf. supra, partie 1, titre 1, chapitre II : « La reconfiguration du champ de la condition de liberté relevant de
l’imputabilité ».

409
d’état de nécessité, il aurait été logique de valider la réception du principe de précaution en
droit pénal par le truchement du concept d’imputabilité.

En conclusion, force est de constater l’absence d’appréhension du principe de précaution


dans ses versants positif – précaution – et négatif – défaut de précaution – par le droit pénal
général. Le couple dangerosité/principe de précaution n’est pas appelé à constituer un
marqueur du droit pénal post-moderne. On ne peut qu’approuver cette solution. Bien que
d’aucuns pensent que le droit pénal pourrait se révéler être un précieux instrument de
prévention des risques, la solubilité de la précaution en droit pénal entraînerait l’abandon des
bastions d’essence classique. La prise en compte de la dangerosité potentielle reviendrait à la
transformation sécuritaire de la société tout entière. À l’extrême, le principe de précaution
pourrait alors devenir un instrument d’oppression multidimensionnel, autorisant des
discriminations par « groupes à risque » de sinistre mémoire. En effet, dans le cadre d’un
système pénal fondé sur un modèle de précaution, « l’identité criminelle n’est plus vue du
côté des individus mais dans la catégorie des risques qu’ils incarnent. […] Il n’y a plus
d’infractions mais des menaces, plus de délinquant mais des groupes cibles et des territoires
à risques »1885. Or, le droit doit se prémunir de la fabrication multiséculaire des « boucs
émissaires », à la suite des pharmacons1886 de la Grèce antique. Si le droit pénal français ne
sanctionne pas directement les violations du principe de précaution, cela tient notamment au
fait que l’exigence d’imputabilité a constitué un rempart efficace à son intégration. Au regard
du développement de mesures post-carcérales, l’impératif d’imputabilité semble appelé à
étendre son rôle garantiste après l’exécution de la sanction prononcée en rétribution de
l’infraction commise, afin d’encadrer la prise en compte de la dangerosité de l’agent à ce stade
du parcours pénal de l’agent.

B. L’appréhension de la dangerosité après l’exécution de la sanction prononcée en


rétribution de l’infraction commise

La question se pose de la légitimité de la prise en compte de la dangerosité une fois la peine


prononcée en rétribution de l’infraction commise exécutée en totalité. Il n’est donc pas
question du cas d’un individu libéré avant le terme de sa peine de réclusion à temps et qui
ferait l’objet d’une mesure de sûreté en milieu ouvert. Dans le présent cas de figure, la
difficulté tient à la prise en compte de la dangerosité une fois la durée totale de la peine
prononcée par la juridiction de jugement écoulée. Le dispositif de la rétention de sûreté,
permettant la retenue post-carcérale du condamné en milieu fermé, illustre, avec une acuité
particulière, cette hypothèse. Ce développement nous conduit donc à analyser l’institution
de la rétention de sûreté, toujours de droit positif nonobstant les « promesses » répétées de
sa suppression1887, sous l’angle de sa conformité aux droits interne (1.) et conventionnel (2.).

1885. D. SALAS, La Volonté de punir. Essai sur le populisme pénal, Hachette littérature, 2005, p. 196-197.
1886. Le pharmacon s’entend de celui qu’on immole en expiation de la faute d’un autre, victime expiatoire d’un
rite de purification.
1887. Le Rapport sur la refonte du droit de peines élaboré par la commission présidée par Bruno Cotte et remis le 18
décembre 2015 au garde des Sceaux en constitue une dernière illustration (cf. www.justice.gouv.fr,
rubriques « Publications », « Rapports thématiques », « Remise du rapport sur la refonte du droit des
peines »).

410
1. La conformité de la rétention de sûreté au droit interne
La rétention de sûreté peut être prononcée dans deux cas. Le premier, prévu à
l’article 706-53-13 du Code de procédure pénale, concerne les personnes condamnées à une
peine supérieure ou égale à 15 ans de réclusion criminelle pour des crimes graves et dont il
est établi, à la suite du réexamen de leur situation à la fin de l’exécution de leur peine, qu’elles
présentent une particulière dangerosité du fait d’un trouble grave de la personnalité
conduisant à un risque de récidive. Pour être mise en œuvre, cette mesure doit avoir été
expressément prévue par la cour d’assises dans la décision de condamnation. La situation est
alors examinée par la commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté un an avant la date
de libération et la décision de placement en centre socio-médico-judicaire de sûreté (CSMJS)
est prise par la juridiction régionale de la rétention de sûreté. La durée initiale du placement
est d’une année, renouvelable. Ce premier cas de figure sera qualifié de placement ab initio,
en ce sens qu’il peut intervenir directement après la fin de l’exécution de la peine privative
de liberté. Le second cas de placement en rétention de sûreté, prévu par l’article 706-53-19
du Code de procédure pénale, concerne les personnes condamnées à une peine égale ou
supérieure à quinze années de réclusion criminelle pour l’une des infractions visées à
l’article 706-53-13 du Code de procédure pénale, qui ont été soumises successivement aux
régimes de la surveillance judiciaire des personnes dangereuses puis de la surveillance de
sûreté. La rétention de sûreté peut alors s’appliquer si ces personnes n’ont pas respecté les
obligations légales imposées dans le cadre de la surveillance de sûreté et si le renforcement
de ces obligations s’avère insuffisant pour prévenir la commission des infractions
mentionnées à l’article 706-53-13 du Code de procédure pénale. Comment une privation de
liberté totale et potentiellement illimitée, s’appliquant après la durée de la peine privative de
liberté prononcée par la juridiction de jugement, n’irait-elle pas à l’encontre des principes
fondamentaux du droit pénal ? Le principe même du placement des personnes en rétention
de sûreté pose question, en droit interne, tant au regard de son fondement (1.1) et de son
caractère potentiellement perpétuel (1.2) que des modalités de prise en charge au sein du
centre socio-médico-judiciaire de sûreté (1.3).

1.1 La conformité du fondement de la mesure

Il convient de distinguer selon que la mesure est prononcée ab initio ou comme sanction du
non-respect des obligations imposées dans le cadre de la surveillance de sûreté. Lorsque la
rétention de sûreté est prononcée ab initio, le choix du fondement autonome et exclusif de la
dangerosité au prononcé de la mesure entre en contradiction avec plusieurs principes
fondamentaux du droit pénal français, à l’instar du principe de la présomption d’innocence,
l’atteinte découlant alors de l’absence de nouvelle infraction pénale pour fonder le placement
en rétention1888. Le fait que le placement ne soit pas consécutif à la commission d’une
infraction pénale porte aussi atteinte au principe de la personnalité de la responsabilité

1888. Dans un entretien accordé au journal Le Monde du 26 février 2008, Rober Badinter s’interroge : « Que
devient la présomption d’innocence, quand on est le présumé coupable potentiel d’un crime virtuel ? »

411
pénale1889. Le principe de la légalité des délits et des peines ne saurait pas plus être respecté
en raison de l’imprécision de la notion de dangerosité1890. Pour sa part, le contrôleur général
des lieux de privation de liberté considère, dans son avis du 5 octobre 2015 relatif à la
rétention de sûreté1891, que « le concept de dangerosité potentielle doit être considéré comme
contraire aux principes fondamentaux du droit pénal français, en particulier ceux de légalité
des délits et des peines et de proportionnalité de la réponse pénale ». En outre, la
« particulière dangerosité » exigée par l’article 706-53-13 semble présumée à partir du seul
prononcé d’une peine, supérieure ou égale à 15 ans, pour un crime répertorié dans une liste
d’infractions énumérées à l’article 706-53-13 du Code de procédure pénale.

Le placement en rétention de sûreté serait tout aussi critiquable lorsqu’il est prononcé à la
suite d’une surveillance de sûreté1892. Il résulte de l’article 706-53-19 du Code de procédure
pénale que le fait de ne pas avoir respecté les obligations de la surveillance judiciaire puis de
la surveillance de sûreté peut justifier le placement en rétention de sûreté, si cette
méconnaissance fait apparaître une particulière dangerosité caractérisée par une probabilité
très élevée de récidive. En principe, et conformément à la circulaire de la direction des
Affaires criminelles et des Grâces du ministère de la Justice du 17 décembre 2008 :

La violation par la personne de ses obligations ne peut constituer à elle seule un motif
de placement en rétention de sûreté, si cette violation ne fait pas apparaître une
particulière dangerosité. D’une manière générale, la rétention de sûreté doit constituer
l’ultime recours, et ce n’est que si un renforcement des obligations de la surveillance de
sûreté est insuffisant pour prévenir la récidive qu’elle pourra être ordonnée.1893

En pratique, l’examen de la situation individuelle des personnes ayant fait l’objet d’un
placement en rétention de sûreté invite à conclure qu’il a été utilisé comme sanction du non-
respect des obligations imposées au condamné dans le cadre de sa surveillance de sûreté.
Comme le relève le contrôleur général des lieux de privation de liberté, « dans ces situations,
le seul non-respect des obligations imposées à une personne a suffi pour caractériser sa
dangerosité »1894. Il ressort donc de la pratique que l’appréciation de la dangerosité présumée
des personnes retenues s’effectue à partir de la seule inobservation des obligations imposées
dans le cadre d’une surveillance de sûreté1895. D’aucuns de considérer qu’on ne saurait y
trouver un critère pertinent à l’établissement de la supposée dangerosité de l’agent.

1889. V. Bianchi de s’étonner que la rétention de sûreté « puisse s’appliquer à quelqu’un n’ayant pas commis
d’infraction, à un “récidiviste virtuel” » (cf. V. BIANCHI, « Quels droits de la défense pour la personne
placée sous surveillance de sûreté ou en rétention de sûreté ? », AJ pén., 2014, p. 106).
1890. Cf. infra pour une tentative de définition de la notion.
1891. Cf. www.cglpl.fr/2015/avis-relatif-a-la-retention-de-surete.
1892. Le Conseil constitutionnel s’étant opposé, dans sa décision du 21 février 2008, à tout caractère rétroactif
de la rétention de sûreté prononcée ab initio, les personnes placées l’ont été, pour l’heure, à la suite d’une
surveillance de sûreté. Lorsque le contrôleur général des lieux de privation de liberté effectua une
deuxième visite au centre socio-médico-judiciaire de Fresnes, à l’origine de l’avis précité du 5 octobre
2015, cinq personnes avaient alors fait l’objet d’un placement, soit seulement une de plus que lors de sa
précédente visite.
1893. Circulaire de la DACG no CRIM 08-17/E8 du 17 décembre 2008 sur la présentation générale des
dispositions relatives à la surveillance de sûreté et à la rétention de sûreté, NOR : JUSD0830031C.
1894. Cf. www.cglpl.fr/2015/avis-relatif-a-la-retention-de-surete.
1895. Ce phénomène est identique à celui observé dans le cadre de la recherche menée sur la prévention de la
récidive en Charente-Maritime dans la mesure où il avait été observé que le non-respect des obligations

412
Le fondement de la rétention de sûreté serait donc contestable parce qu’il consiste en une
présomption de dangerosité découlant soit du seul prononcé d’une peine pour un crime
figurant dans une liste énumérative d’infractions visées à l’article 706-53-13 du Code pénal,
soit du seul non-respect des obligations imposées à l’intéressé dans la cadre d’une surveillance
de sûreté. On pourrait aussi se demander si ces différents éléments – la particulière gravité
d’une ou des infractions commises ou le non-respect d’obligations imposées après
l’exécution d’une condamnation –, en tant qu’ils permettent d’objectiver la dangerosité du
délinquant par le recours à des critères empiriques d’évaluation, ne constituent pas en réalité
des facteurs légitimes d’appréhension de sa dangerosité1896. Ainsi, non seulement les
modalités d’appréhension de la dangerosité préalablement au prononcé d’une rétention de
sûreté sont susceptibles d’apparaître légitimes, mais le concept de dangerosité ne constitue
pas, en réalité, le seul fondement à la mesure, qu’il est permis de rattacher à la commission
d’une infraction. Ce dernier élément est de nature à surmonter une autre critique formulée à
l’encontre de la mesure de la rétention de sûreté tenant cette fois au caractère potentiellement
perpétuel de la rétention de sûreté.

1.2 La conformité du caractère potentiellement perpétuel de la mesure

Le caractère potentiellement perpétuel de la rétention de sûreté porterait également atteinte


à différents principes fondamentaux du droit pénal, au rang desquels on retrouve les
principes de la légalité des délits et des peines, ainsi que le principe de proportionnalité de la
réponse pénale. Virginie Bianchi relève par exemple que « le caractère indéterminé de cette
rétention de sûreté viole le principe de légalité des délits et des peines, le principe de
personnalité de la responsabilité pénale mais aussi la présomption d’innocence »1897. Selon
Yves Mayaud, « autant la privation de liberté justifie que la rétroactivité ne joue pas, autant
elle eût pu justifier que la proportionnalité ne fût pas reconnue […] »1898. À l’instar de l’auteur,
il paraissait légitime de s’interroger sur la conformité de la rétention de sûreté au principe de
proportionnalité. Le Conseil constitutionnel a écarté la pertinence de cette approche. Les
prémices de cette solution étaient en germe dans sa décision du 8 décembre 2005 relative au
traitement de la récidive des infractions pénales1899. La Juridiction suprême avait validé la
surveillance judiciaire des personnes dangereuses parce qu’elle ne durait pas au-delà de la
peine prononcée par la juridiction de jugement. A priori, cette décision ne saurait constituer
un précédent pouvant valablement être invoqué. S’appliquant dans la limite de la peine

imposées dans le cadre d’un aménagement de peine, telle une libération conditionnelle, justifiait la
réincarcération du condamné en considération de la dangerosité révélée par cette violation. Il en allait de
même en cas de non-respect des obligations imposées dans le cadre d’une surveillance judiciaire. On
retrouve ici l’idée que le non-respect des obligations imposées dans le cadre d’une mesure de sûreté est
susceptible d’être sanctionné par la privation de liberté. Au-delà, apparaît l’idée d’une objectivation de la
dangerosité par le choix d’un critère empirique d’évaluation (cf. A. G IUDICELLI (dir.), Le champ de la
prévention de la récidive dans sa dimension multi-partenariale, op. cit., p. 85).
1896. Cf. infra, § 2 : « La nécessité d’une évolution vers une optimisation de la dangerosité ».
1897. V. BIANCHI, « Quels droits de la défense pour la personne placée sous surveillance de sûreté ou en
rétention de sûreté ? », op. cit., p. 106.
1898. Y. MAYAUD, « La mesure de sûreté après la décision du Conseil constitutionnel no 2008-562 du 21 février
2008 », op. cit., p. 1359.
1899. Cf. Cons. const., 8 déc. 2005, no 2005-527 DC ; D., 2006, Pan. p. 000 [telle qu’apparaît la reference], obs.
V. OGIER-BERNAUD et C. SEVERINO.

413
principale prononcée en rétribution de l’infraction commise, la surveillance judiciaire n’est
pas contraire aux principes directeurs de la responsabilité pénale. Le principe même de cette
institution, en principe imposée au condamné et consistant en un suivi post-carcéral, est aussi
légitimé par l’objectif d’assurer sa réinsertion, particulièrement lorsque son parcours
d’exécution de peine aura été chaotique. Elle ne permet rien de plus que d’imposer un certain
nombre d’obligations pendant la durée des réductions de peine obtenues qui, est-il besoin de
le rappeler, opèrent de manière quasi automatique à raison de trois mois de réduction par
année d’emprisonnement pour un délinquant primaire1900. On pourrait donc également
considérer que la surveillance judiciaire n’est rien d’autre qu’une mesure de personnalisation
de la peine en cours d’exécution conformément à l’article 707 du Code de procédure pénale
qui, est-il permis de le rappeler, commande de prendre en compte la personnalité de
l’intéressé, dont la dangerosité peut constituer l’un des traits. Par ailleurs, la violation des
obligations imposées dans le cadre d’une surveillance judiciaire justifiant la réincarcération
du délinquant, le Conseil constitutionnel reconnaît ce faisant la validité des mécanismes
consistant en un enfermement post-carcéral. À l’aune de cette réflexion, la transposition de
la solution de 2005 à la rétention de sûreté pourrait être envisagée. Elle se heurte cependant
à une difficulté qui réside dans le fait que la durée de l’enfermement dépasse le cadre temporel
de la peine prononcée par la juridiction de jugement. Martine Herzog-Evans relève en ce
sens :

Alors que le Conseil constitutionnel avait, en 2005, validé la surveillance judicaire des
personnes dangereuses précisément parce que sa durée était limitée à celle des
réductions de peine obtenues, en sorte que la durée maximale de l’enfermement ne
dépassait pas celle de la peine, il n’a cette fois pas été choqué par des incarcérations à
vie post-sentencielles.1901

Le législateur aurait ainsi réussi, par la loi du 25 février 2008 et l’instauration de la rétention
de sûreté et de la surveillance de sûreté, à arracher ce qu’il n’avait pu obtenir en 2005 :
l’enfermement à vie des sortants de prison. Un argument fondamental au soutien de la
solution du Conseil constitutionnel réside dans le fait que la rétention de sûreté doit avoir été
prévue par la cour d’assises dans la décision de condamnation. Cette condition au prononcé
d’une rétention de sûreté ab initio établit un lien avec la commission d’une infraction
imputable. En outre, les infractions susceptibles de donner lieu au prononcé d’une rétention
de sûreté sont passibles de la réclusion criminelle à perpétuité. Ainsi, en considération de
l’objectif, assigné aux peines, de protection de la société, il ne paraîtrait pas nécessairement
incohérent d’envisager une prolongation de la peine prononcée par la juridiction de jugement
pendant la durée de la peine légalement encourue dès lors que la particulière dangerosité du
condamné persisterait. Cette faculté offerte au juge reviendrait à admettre la potentialité d’un
enferment perpétuel1902 dans le respect des principes directeurs du droit pénal. Les

1900. Au surplus, la pratique a déjà montré que, pour pallier les difficultés inhérentes au prononcé d’une
libération conditionnelle, les juridictions de l’application des peines pouvaient, avec l’accord du condamné,
prononcer à la place une surveillance judiciaire.
1901. M. HERZOG-EVANS, « La loi no 2008-174 du 25 février 2008 ou la mise à mort des “principes cardinaux”
de notre droit », AP pén., 2008, p. 161.
1902. Le caractère perpétuel de l’enfermement devant alors s’apprécier à l’aune de la jurisprudence européenne
(cf. infra, 2.2 : « La rétention de sûreté à l’épreuve de l’article 3 de la Convention européenne »).

414
détracteurs de la rétention de sûreté pourraient toutefois vraisemblablement empêcher son
prononcé, en dehors de la violation des conditions à l’engagement de la responsabilité pénale,
sur le fondement de la réserve d’interprétation formulée par le Conseil constitutionnel.

1.3 La réserve tenant à l’effectivité de la prise en charge médicale

La Haute Juridiction n’a pas estimé que les garanties prévues par le législateur fussent
suffisantes à s’assurer de la nécessité de la rétention de sûreté. Pour cette raison, le Conseil a
émis une réserve d’interprétation dans laquelle il est venu compléter l’encadrement législatif
de la rétention de sûreté, rendant son prononcé plus difficile. Dans le prolongement des
garanties législatives, il considère que le placement en rétention de sûreté ne peut être
reconnu nécessaire qu’à la condition que le condamné ait, pendant sa détention, bénéficié de
soins et d’une prise en charge adéquats en vue d’atténuer sa dangerosité. Ainsi, le Conseil
relève « qu’il appartiendra, dès lors, à la juridiction régionale de la rétention de sûreté de
vérifier que la personne condamnée a effectivement été mise en mesure de bénéficier,
pendant l’exécution de sa peine, de la prise en charge et des soins adaptés au trouble de la
personnalité dont elle souffre ; que, sous cette réserve, la rétention de sûreté […] est
nécessaire au but poursuivi »1903 ; « qu’il en est ainsi lorsque ce condamné a pu, pendant
l’exécution de sa peine, bénéficier de soins ou d’une prise en charge destinés à atténuer sa
dangerosité mais que ceux-ci n’ont pu produire des résultats suffisants, en raison soit de l’état
de l’intéressé, soit de son refus de se soigner »1904. Cette garantie supplémentaire est de nature
à constituer un obstacle sérieux au prononcé d’une rétention de sûreté. Christine Lazerges
relève dans le même sens que, « quand on sait la misère de la psychiatrie en prison et les
difficultés auxquelles se heurte l’administration pénitentiaire pour faire dispenser les soins
qu’elle souhaiterait pouvoir faire dispenser, on mesure la portée du frein au prononcé de la
rétention de sûreté qu’imposent les sages de la rue Montpensier »1905.
La réserve d’interprétation offre donc au condamné justiciable, en se fondant sur l’article 9
de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen1906, la possibilité d’invoquer que la
rétention de sûreté est d’une rigueur non nécessaire par l’importance des restrictions
apportées à la liberté individuelle et ainsi faire obstacle à son prononcé, voire, le cas échéant,
obtenir la levée de son placement1907. En outre, le problème de l’effectivité du soin en prison
est relayé par la défaillance de la prise en charge médicale en rétention de sûreté. Le régime
applicable en pratique au sein du centre socio-médico-judicaire de sûreté ne répond pas aux

1903. Cf. décision précitée du Cons. const., 21 févr. 2008 – décision no 2008-562 DC, cons. 21.
1904. Ibid., cons. 19.
1905. C. LAZERGES, « La rétention de sûreté : le malaise du Conseil constitutionnel », op. cit., p. 731.
1906. DDHC, art. 9 : « Tout homme étant présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable, s’il est jugé
indispensable de l’arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s’assurer de sa personne doit être sévèrement
réprimée par la loi. »
1907. Une fois étudiée la réserve d’interprétation formulée par le Conseil constitutionnel, on ne peut que rester
perplexe devant le fait qu’il ait dans le même temps validé l’application immédiate de la surveillance de
sûreté, quand on sait par ailleurs que la rétention de sûreté peut sanctionner une surveillance de sûreté
dont les obligations n’ont pas été respectées. Parallèlement aux garanties renforcées entourant le prononcé
d’une rétention de sûreté ab initio, le placement en rétention peut tout aussi bien résulter de la sanction
d’une surveillance de sûreté dont l’application immédiate n’a pas été censurée. Comme le relève Christine
Lazerges, « ce n’est pas le moindre des paradoxes de la décision du Conseil constitutionnel […], sa
cohérence interne en pâtit » (C. LAZERGES, « La rétention de sûreté : le malaise du Conseil
constitutionnel », op. cit., p. 731).

415
objectifs assignés par la loi. Cette double carence dans la prise en charge médicale vient
renforcer les obstacles à la rétention de sûreté, qu’il s’agisse de son prononcé ou de son
exécution1908. Dans l’attente de cette hypothétique prise de conscience par les juridictions
régionales de la rétention de sûreté, il est permis de se tourner vers la Cour européenne des
droits de l’homme. Plus généralement, c’est la conventionnalité de la rétention de sûreté qui
sera questionnée1909.

2. La conventionnalité de la rétention de sûreté


La rétention de sûreté est susceptible de poser problème au regard de deux garanties de la
Convention européenne, le droit à la sûreté prévu par l’article 5, §1 de la Convention (2.1) et
la prohibition des traitements inhumains et dégradants découlant de son article 3 (2.2)1910.

2.1 La rétention de sûreté à l’épreuve de l’article 5, §1 de la Convention européenne

La privation de liberté d’une personne considérée comme dangereuse alors qu’elle a purgé sa
peine peut rentrer dans l’un des cas prévus à l’article 5, §1. Il s’agit du e), prévoyant la
détention de personnes présentant des risques pour elle-même et pour autrui,
notamment celle des aliénés. Certes, la Cour européenne a déjà jugé que la détention de sûreté
allemande ne pouvait être fondée sur l’article 5-1 e)1911. Cependant, récemment, elle a décidé
que lorsque la prolongation de la détention du requérant avait été motivée par l’existence de
troubles mentaux auxquels il était indispensable de remédier en le faisant bénéficier d’un
traitement approprié, elle pouvait, nonobstant la qualification de peine, rétroagir1912. Cette
solution trouverait sa justification dans le caractère curatif de la détention de sûreté. Sans
vouloir établir un pont entre troubles mentaux et dangerosité, il semble cependant que cet
assouplissement dans la jurisprudence de la Cour soit de nature à légitimer la rétention de
sûreté sur le fondement de l’article 5-1 e), cette dernière ayant pour vocation de traiter la

1908. La rétention de sûreté prend la forme d’un placement dans un centre socio-médico-judiciaire – à ce jour,
on n’en compte qu’un seul, situé au sein de l’établissement pénitentiaire de Fresnes. Cependant, les
modalités de prise en charge au sein du CSMJS ne satisfont pas les missions assignées par la loi,
notamment celles ayant trait à la prise en charge pluridisciplinaire des personnes retenues. Conformément
aux articles 706-53-13 et R. 53-8-55 du Code de procédure pénale, l’objectif assigné par la loi au CSMJS
est de proposer aux personnes retenues, « de façon permanente, une prise en charge médicale,
psychologique et sociale destinée à réduire leur dangerosité et à permettre la fin de la mesure de rétention ».
Les carences constatées par le contrôleur général des lieux de privation de liberté à l’occasion de la
première visite du centre de Fresnes, et relatées dans l’avis du 6 février 2014, devaient se trouver
confirmées lors d’une deuxième visite réalisée à une année d’intervalle, en octobre 2014, et donnant lieu
à l’avis du 5 octobre 2015. Le contrôleur rappelle que, dans sa conception, « loin d’être une fin en soi et,
par conséquent une privation de liberté perpétuelle », la rétention de sûreté devrait être « un instrument
d’évolution destiné à mettre fin au caractère “dangereux” de la personne ». Le centre socio-médico-
judiciaire ne doit pas être « un mouroir, mais un outil de guérison, donc de réinsertion ». Il en découle
assez logiquement un alignement du régime des personnes retenues sur celui des personnes détenues.
D’ailleurs, si l’on s’intéresse à la durée des placements opérés entre 2011 et 2013, quatre au total sur cette
période, force est de souligner leur brièveté – 41 jours deux fois, 86 jours et 88 jours.
1909. Cf. infra, 2. : « La conventionnalité de la rétention de sûreté ».
1910. Cf. J. PRADEL, « Mesures de sûreté privatives de liberté et Convention européenne des droits de
l’homme », op. cit., p. 737.
1911. Cf. CEDH Haidn c./ Allemagne, 13 janv. 2011, rep. no 6587/04.
1912. Cf. CEDH, 7 janv. 2016, no 23279/14, Bergmann c/ Allemagne, JurisData no 2016-000130 ; Dr. pén., 2016,
comm. 70, V. PELTIER, JCP G 2016, 94.

416
particulière dangerosité du condamné. En outre, la particulière dangerosité est corrélée à
l’existence de troubles graves de la personnalité dont la distinction avec les troubles
psychiques ou neuropsychiques, exigés au titre de l’article 122-1 du Code pénal, n’est pas
toujours aisée à établir1913. La rétention de sûreté ne semble pas plus attaquable au regard de
l’article 3 de la Convention.

2.2 La rétention de sûreté à l’épreuve de l’article 3 de la Convention européenne

La potentialité d’une privation de liberté perpétuelle découlant de la rétention de sûreté


est-elle compatible avec l’article 3 de la Convention prohibant les traitements inhumains et
dégradants ? La « peine » de rétention de sûreté n’est-elle pas susceptible de constituer un
traitement inhumain et dégradant ? Il est aujourd’hui acquis qu’une peine perpétuelle n’est
pas incompatible avec l’article 3 de la Convention, à condition que le condamné puisse, dès
le jour du prononcé de sa peine, avoir une possibilité de réexamen de sa condamnation –
peine compressible de jure – et une perspective d’élargissement – peine compressible
de facto1914. Dans une affaire récente1915, les juges européens ont considéré qu’une période
d’attente de quarante ans pour que les personnes condamnées à la réclusion criminelle à
perpétuité sans possibilité de libération conditionnelle puissent espérer un réexamen de leur
peine était une période nettement plus longue que le cadre maximal recommandé de
vingt-cinq années, établi à partir de considérations tirées du droit comparé et du droit
international. La Cour rappelle que s’il appartient aux États de définir le délai de réexamen,
ils ne sauraient disposer d’une marge d’appréciation illimitée. Le délai de vingt-cinq ans
mentionné par la Cour dans l’arrêt Vinter correspond à celui généralement retenu dans les
droits nationaux et internationaux. En vertu de la jurisprudence européenne, si ce délai n’est
pas impératif, les États ne sauraient retenir des durées excessivement plus longues. En tout
état de cause, ils ne peuvent échapper à cette durée maximale sans démontrer que le réexamen
intervient in concreto plus précocement1916. Une telle hypothèse se trouve vérifiée lorsque la
peine peut faire l’objet de réexamens périodiques afin de s’assurer que le détenu n’a pas
évolué sur le chemin de l’amendement de telle sorte que plus aucun motif légitime « d’ordre
pénologique »1917 ne justifie son maintien en détention. Il convient, à la lumière de ces
éléments, de (re)considérer la conventionnalité de la rétention de sûreté au regard de
l’article 3 de la Convention. En effet, aux termes des dispositions législatives régissant cette
mesure1918, il résulte que la situation de l’individu placé en rétention de sûreté est examinée
d’office à l’issue d’un délai d’un an puisque « la décision de rétention de sûreté est valable

1913. Cf. infra, § 2 : « La nécessité d’une évolution vers l’optimisation de l’évaluation de la dangerosité ».
1914. Cf. CEDH, 12 févr. 2008, no 21906/04 Kafkaris c/ Chypre : JurisData no 2008-010468 ; CEDH, Gr. Ch.,
9 juill. 2013, nos 66069/09, 00130/10 et 03896/10, Vinter et A. c/ Royaume-Uni : JurisData no 2013-022188 ;
CEDH, 26 avr. 2016, no 10511/10 Murray c/ Pays-Bas : JurisData no 2016-007793.
1915. CEDH, 4 oct. 2016, nos 37871/14 et 73986/14, T.P. et A.T. c/ Hongrie, Dr. pén., 2016, comm. 182, obs.
É. BONIS-GARÇON.
1916. Ainsi, le délai de 30 ans prévu par le droit français a été jugé conforme par la Cour européenne à la norme
européenne/l’article 3 de la Convention, dans la mesure où était comptabilisé dans cette durée, le temps
d’exécution de la peine mais aussi la durée de la détention provisoire subie durant la procédure (cf. CEDH,
13 nov. 2014, no 40014/10, Bodein c/ France, § 61 : JurisData no 2014-026649 ; Dr. pén., 2015, comm. 15,
É. BONIS-GARÇON).
1917. Cf. CEDH, 4 oct. 2016, préc., Dr. pén., 2016, comm. 182, obs. É. BONIS-GARÇON.
1918. C. pr. pén., 706-53-13 et suiv. du Code de procédure pénale.

417
pour une durée d’un an »1919. À cette occasion, il est prévu que « la rétention de sûreté peut
être renouvelée, après avis favorable de la commission pluridisciplinaire des mesures de
sûreté, selon les modalités prévues par l’article 706-53-15 et pour la même durée, dès lors
que les conditions prévues par l’article 706-53-14 sont toujours remplies »1920.
L’article 706-53-15 du Code de procédure pénale prévoit notamment que, pour décider du
renouvellement de la rétention de sûreté, la juridiction régionale de la rétention de sûreté
« statue après un débat contradictoire et, si le condamné le demande, public, au cours duquel
le condamné est assisté par un avocat choisi ou commis d’office ». En outre, « la contre-
expertise sollicitée par le condamné est de droit ». Aux termes de ces dispositions, le
bien-fondé de la « peine » exécutée par le détenu fait l’objet d’un réexamen selon la périodicité
d’une année. De plus, et cela constitue le second critère utilisé par la Cour européenne pour
se prononcer sur la conventionnalité de la mesure au regard de l’article 3 de la Convention,
la procédure de réexamen est entourée de garanties procédurales. Il est permis d’ajouter que
le condamné peut aussi, conformément aux dispositions de l’article 706-53-17 du Code de
procédure pénale, demander sa mise en liberté en cours d’exécution, en saisissant à cette fin
la juridiction régionale de la rétention de sûreté. Le législateur impose seulement « un délai
de trois mois à compter de la décision définitive de rétention de sûreté ». Il est même « mis
fin d’office à la rétention si cette juridiction n’a pas statué dans un délai de trois mois à
compter de la réception de la demande »1921. La législation ajoute qu’« en cas de rejet de la
demande, aucune autre demande ne peut être déposée avant l’expiration d’un délai de trois
mois ». C’est autrement dire qu’une nouvelle demande de mise en liberté peut être formulée
trois mois seulement après le rejet de la précédente. Finalement, il importe de relever que la
juridiction régionale de la rétention de sûreté devrait par ailleurs mettre fin d’office à la
rétention de sûreté si les conditions n’étaient plus réunies1922. La situation de la personne
placée en rétention de sûreté est donc potentiellement évolutive à très court terme à
l’initiative du détenu ou à court terme de la juridiction régionale de la rétention de sûreté.
Ainsi, non seulement le réexamen de la rétention de sûreté est donc possible in jure et de facto,
mais encore, cette procédure est entourée de garanties processuelles. Si l’on combine la
possibilité de réexamens périodiques de la peine afin de s’assurer que la personne placée en
rétention de sûreté n’a pas évolué sur le chemin de la guérison aux garanties procédurales
entourant le réexamen, il y a donc peu de chances, si la Cour européenne était saisie de la
conventionnalité de la rétention de sûreté sur le fondement de l’article 3 de la Convention,
qu’elle conclue à la violation de ce dernier.

L’étude de la conformité de la rétention de sûreté aux droits interne et européen avait pour
ambition de montrer que la prise en compte de la particulière dangerosité d’un individu qui
a purgé sa peine n’entre en contradiction ni avec les principes directeurs de la responsable
pénale, ni avec les objectifs assignés à la répression. Sa légitimité se trouverait cependant
encore accrue par une meilleure évaluation de la dangerosité des délinquants.

1919. C. pr. pén., art. 706-53-16, al. 1er.


1920. C. pr. pén., art. 706-53-16, al. 2.
1921. C. pr. pén., 706-53-17.
1922. C. pr. pén., art. 706-53-18.

418
§ 2 - La nécessité d’une évolution vers l’optimisation
de l’appréhension de la dangerosité

Signe de l’enjeu de la question, l’évaluation de la dangerosité est devenue une notion centrale
dans le cadre de la prévention de la récidive, conduisant même à la généralisation des
évaluations des délinquants lors de leur parcours pénal. Des préconisations pourront être
faites en vue de son amélioration (A.). Cependant, les conséquences découlant d’un
diagnostic positif de dangerosité combinées à l’impossibilité d’établir avec certitude
l’existence de ce trait de personnalité pourraient conduire à préconiser l’abandon de toute
référence formelle à la dangerosité. Autrement dit, la perspective d’un droit pénal épuré de
la notion expresse de dangerosité pourrait voir le jour (B.).

A. Pour une meilleure évaluation de la dangerosité

Des progrès dans l’évaluation de la dangerosité supposent au préalable de cerner précisément


l’objet de l’évaluation. Il s’agira donc dans un premier temps d’apporter une définition de la
dangerosité (1.). L’objet de l’évaluation identifié, il sera permis de mettre en exergue des
failles dans les méthodes communément utilisées (2.) avant de promouvoir la
pluridisciplinarité de l’analyse (4.) fondée sur des critères empiriques (3.).

1. Le préalable d’une définition de la notion


Jusqu’à une loi relativement récente, la dangerosité ne faisait l’objet d’aucune tentative de
définition. Depuis, la loi no 2012-409 du 27 mars 2012 de programmation relative à
l’exécution des peines, la notion de dangerosité y recouvre deux acceptions : l’une
psychiatrique, se définissant comme un risque de passage à l’acte principalement lié à un
trouble mental, l’autre criminologique, ayant trait à la forte probabilité que présente un
individu de commettre une nouvelle infraction empreinte d’une certaine gravité. La recherche
menée en Charente-Maritime sur la prévention de la récidive1923 a eu notamment pour mérite
d’apporter un éclairage sur l’acception « judiciaire » du concept de dangerosité. Il semble que
l’on puisse d’emblée écarter la notion de « dangerosité psychiatrique ». Il a en effet été
observé que la dangerosité telle qu’elle est évaluée par les différentes instances appelées à
statuer au long du parcours pénal d’un individu (qu’il s’agisse, par exemple, pour la phase
post-sentencielle, des juridictions de l’application des peines ou des instances particulières
d’évaluation à dimension pluridisciplinaire1924) est détachée de l’existence d’une pathologie
mentale structurée ou évolutive. On ne peut qu’approuver l’exclusion de la dangerosité
psychiatrique dans l’appréhension de la dangerosité, dans la mesure où cette acception n’était
pas exempte de critiques. Au-delà du « mélange des genres entre les troubles psychiatriques
et le crime »1925, « la distinction entre le normal et le pathologique est très artificielle et, pour

1923. Cf. A. GIUDICELLI (dir.), Le champ de la prévention de la récidive dans sa dimension multi-partenariale, op. cit.
1924. Centre national d’évaluation, Commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté, des juridictions de
l’application des peines…
1925. V. BIANCHI, « Quels droits de la défense pour la personne placée sous surveillance de sûreté ou en
rétention de sûreté ? », op. cit., p. 106.

419
avoir une quelconque valeur pénale, devrait être objectivable et reposer sur des faits »1926. De
nombreux auteurs, après Jean Bergeret1927, en France, ont démontré que la distinction entre
le normal et le pathologique était excessivement arbitraire. En outre, « il ne faut pas
confondre la pathologie mentale et les troubles de la personnalité »1928 qui se rapprocheraient
davantage des causes économiques et sociales. De plus, ce sont plutôt les troubles de la
personnalité qui génèrent la commission d’infractions. Or, il est notoire que les profils de
personnalité ont profondément évolué en raison des changements opérés dans nos sociétés.
La plupart des cliniciens s’accordent pour constater une évolution des psychismes rencontrés
depuis quelques décennies. Les structurations dites névrotiques, données comme plus stables
et plus compatibles avec la vie en société, sont en forte régression numérique au profit de
formations psychiques intermédiaires à plus forte impulsivité, à moindre contrôle
émotionnel. Dans la population, la composante psychotique est beaucoup plus perceptible.
En outre, les addictions prennent plus aisément de la force sur de telles structures. Au final,
les organisations limites de la personnalité – borderline –1929, les pathologies du narcissisme1930,
les perversions, à l’instar du « pervers quelconque » d’Eugène Enriquez1931, la banalité
extrême des conduites addictives, avec et sans produits, et leurs retentissements cognitifs
s’ajoutent à d’autres facteurs psychosociaux1932 pour accroître considérablement le nombre
d’individus souffrant de troubles de la personnalité dans la société et susceptibles de passer
à l’acte. L’exclusion de la dangerosité psychiatrique a aussi pour mérite de clore la discussion
sur la probabilité du retour du fait biologique dans l’explication de la délinquance1933. La
théorie du criminel-né défendue en son temps par Cesare Lombroso a fait long feu, même
si l’on ne peut contester que le matériel génétique joue un rôle. Il existe par exemple des
familles où l’on retrouve un ou plusieurs cas de psychoses maniaco-dépressives, sous une
forme typique ou atténuée, mais sans qu’il ne soit possible d’individualiser des gènes ou un
ensemble de gènes1934. Finalement, la seule explication que l’on pourrait avancer à
l’appréhension pénale de la dangerosité psychiatrique tient au fait que la seule évaluation qui
sera faite d’une éventuelle dangerosité, quelle que soit sa nature, sera faite par des experts
psychiatres. On devrait donc conclure que c’est plutôt la notion de dangerosité
criminologique qui anime le système pénal. Ainsi, « l’individu va apparaître ou non
dangereux pour la société eu égard au risque de commission d’une nouvelle infraction »1935.

1926. Cf. A. GIUDICELLI (dir.), Le champ de la prévention de la récidive dans sa dimension multi-partenariale, op. cit., p.
127.
1927. J. BERGERET, « La personnalité normale et pathologique », Dunod, 1974.
1928. Ibid.
1929. J. BERGERET, plusieurs ouvrages, dont La Dépression et les États-limites, Dunod, 1975, et J. BERGERET,
W. REID et al. : Narcissismes et États-limites, Dunod, 1985.
1930. O. KERNBERG, La Personnalité narcissique, Éditions Privat, 1991.
1931. E. ENRIQUEZ, « L’idéal type de l’individu hypermoderne : l’individu pervers ? », in N. AUBERT (dir.) et al.,
L’individu hypermoderne, Érès, 2017, p. 51.
1932. Famille, métier, territorialisation, croyances diverses.
1933. Comme cela a été établi dans le cadre de la recherche menée sur la prévention de la récidive en Charente-
Maritime, la possibilité d’une cause médicale à la délinquance reste envisagée en présence d’infractions à
caractère sexuel (cf. Le champ de la prévention de la récidive dans sa dimension multi-partenariale, op. cit., p. 127).
1934. Qu’importe, d’ailleurs, car s’il est une réalité sur laquelle personne ne peut avoir de prise, c’est bien celle
du capital génétique d’un individu. Nous ne sommes pas des roses de jardin botanique (HERGE, Les Bijoux
de la Castafiore, éditions Casterman), même si certains personnages de fiction se sont essayés à produire un
homme nouveau (Mary SHELLEY, Frankenstein, 1816).
1935. É. GOMEZ et C. MARIE, « L’évaluation pluridisciplinaire de la dangerosité », in Le champ de la prévention de
la récidive dans sa dimension multi-partenariale, op. cit., p. 127.

420
Cela étant, la notion de dangerosité criminologique ne trouve pas plus les faveurs de la
doctrine. Mireille Delmas-Marty, à l’occasion d’un colloque organisé par la Fédération
protestante de France le 22 juin 2011, considérait qu’« une dangerosité dite criminologique
[…] est un terme encore plus vague que la dangerosité psychiatrique qui est liée à la maladie
mentale ».

Il nous apparaît plus judicieux, dans le cadre de cette étude, de dénommer la dangerosité
innervant le système pénal par l’expression de « dangerosité sociale » pour signifier qu’elle
prend en compte les risques générés pour la société. C’est d’ailleurs la conclusion à laquelle
est parvenue la recherche menée sur la prévention de la récidive : Si l’approche de la notion
de dangerosité rejoint celle de dangerosité criminologique, selon la dichotomie opérée par
le législateur entre dangerosité psychiatrique et dangerosité criminologique, il est apparu
que ce clivage artificiellement polysémique de la notion invitait en pratique à considérer la
dangerosité dans une dimension sociale. La préoccupation de la société ressort avec une
acuité particulière de l’importance de la projection de la dangerosité des détenus à
l’extérieur dans la décision d’octroi d’un aménagement de peine. Quant à l’origine de cette
dangerosité sociale, elle serait donc plus vraisemblablement à rechercher dans l’existence,
chez les personnes, de troubles de la personnalité. Ces considérations trouvent un écho
dans le caractère multifactoriel des critères d’évaluation de la dangerosité consistant alors
en l’analyse de contingences matérielles, sociales et familiales structurantes 1936. C’est
d’ailleurs sur la base d’un inventaire de critères empiriques qu’il sera proposé de se fonder
afin d’améliorer l’évaluation de la dangerosité.

2. La critique des outils traditionnels d’évaluation


Il importe de préciser que les propositions en vue d’une meilleure évaluation de la
dangerosité vont concerner un individu ayant déjà fait l’objet d’une condamnation pénale.
Une double justification à ce postulat de départ peut être avancée. La première tient à
l’acception retenue de la dangerosité qui s’apparente à celle de dangerosité criminologique
– risque de commission d’une nouvelle infraction. La seconde tient au fait que la
dangerosité suppose une approche pragmatique : elle doit être objectivable pour éviter
l’écueil de l’arbitraire. En d’autres termes, elle repose notamment sur la prise en compte de
la gravité et/ou de la multiplication des infractions antérieurement commises. De ce point
de vue, les outils traditionnels d’évaluation de la dangerosité, qu’il s’agisse de la méthode
clinique (2.1) ou actuarielle (2.2), peuvent faire l’objet de critiques.

2.1 La critique de la méthode clinique

En réalité, plus que la méthode clinique elle-même, c’est l’exclusivité du recours à la méthode
clinique qui poserait problème. La méthode clinique « repose pour l’essentiel sur les
entretiens avec la personne, la réalisation d’expertises psychiatriques et/ou psychologiques,

1936. Loc. cit.

421
l’observation de l’intéressé placé dans le Centre national d’évaluation ou le passage devant la
commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté »1937.
Figure de proue de la méthode clinique, l’expertise psychiatrique soulève plusieurs difficultés.
La première tient au fait que l’on a assisté au dévoiement de la fonction première des experts
psychiatres. En effet, « l’expertise psychiatrique a été déroutée de sa fonction initiale. La
focalisation législative sur la dangerosité criminologique a détourné les experts de leurs
missions premières d’évaluation de la dangerosité psychiatrique en leur conférant une
omnipotence prédictive de récidive, attente totalement fantasmagorique »1938. L’examen
psychiatrique à visée diagnostique et thérapeutique « s’est mué en une expertise de
dangerosité criminologique imposant à l’homme de l’art, au-delà de ses compétences et de
son savoir, de faire œuvre de prédiction. L’expert n’énonce plus seulement la responsabilité
du condamné, pas plus qu’il n’est sollicité pour ses fonctions premières de soignant, pour
lesquelles il est compétent. Il doit définir son degré de dangerosité et, partant, son risque de
récidive »1939. On fait donc appel à lui « afin de sonder l’impossible, de cerner le divinatoire
qu’est la dangerosité du délinquant »1940. Or, aucune expertise psychiatrique ne peut garantir,
sauf à la marge, l’absence de dangerosité d’un prévenu qui a commis une infraction d’une
particulière gravité, pas plus qu’il n’est possible d’affirmer qu’un alcoolique averti ne boira
plus jamais1941. En soi, l’acte est le signe manifeste d’un dérèglement du rapport à la réalité,
un effacement des considérations éthiques et du respect d’autrui1942. La question est donc de
s’interroger sur la portée réelle de l’acte. Le contexte est aussi à prendre en compte. Or, le
propre d’un contexte étant de pouvoir se renouveler, aucune expertise ne peut garantir que
celui qui a manqué de discernement à un moment donné, au point de commettre un acte
pénalement punissable, ne sera pas amené à le renouveler, quand l’histoire se répètera. Dans
le même sens, Arnaud Coche, dénonçant le manque de fiabilité présent et à venir des
expertises de dangerosité criminologique, considère qu’« elles créent donc l’illusion, sans
cesse déçue, d’une appréciation qui serait scientifique de la dangerosité »1943. En outre, le
spectre de la sanction pénale pesant désormais sur les psychiatres est de nature à fausser leur
diagnostic de dangerosité sociale, en les incitant à répondre le plus souvent par la négative1944.

D’autres paramètres que l’expertise sont de nature à fausser l’évaluation de la dangerosité.


L’un d’entre eux, majeur, concerne l’évaluation de la dangerosité en prison. Il tient à la
corrélation établie entre le suivi de soins par le détenu et l’obtention de certains avantages,
notamment en termes d’aménagement de peine. Le risque d’une évaluation biaisée de la
dangerosité des détenus est accru par le refus de certains psychiatres intervenant en prison
de communiquer à l’autorité judiciaire un minimum d’informations concernant l’évolution
de leur patient. Devant la difficulté à mettre en place un secret partagé – l’étude réalisée

1937. É. GOMEZ et C. MARIE, op. cit., p. 89.


1938. Ibid., p. 128.
1939. P. Mistretta, « Le schizophrène, le psychiatre et les démences du droit pénal (à propos de CA Aix-en-
Provence, 31 mars 2014, no 150-2014) », Dr. pén., 2014, étude 14.
1940. Ibid.
1941. Cf. H. GOMEZ, « La violence dans la problématique alcoolique », in Violences aux personnes,
R. COUTANCEAU (dir.) et J. SMITH, Dunod, 2014, p. 92.
1942. Loc. cit.
1943. A. COCHE, « Faut-il supprimer les expertises de dangerosité ? », RSC, 2011, p. 21.
1944. Cf. infra, B. : « Le questionnement sur la suppression pure et simple de toute référence à la notion de
dangerosité ».

422
en Charente-Maritime a témoigné de certains heurts dans le fonctionnement du
partenariat médical/justice 1945 –, une réflexion devrait être menée pour créer les conditions
légales d’une meilleure complémentarité 1946.

Pour autant, il ne s’agit pas de condamner tout recours à la méthode clinique. S’il peut
paraître souhaitable d’écarter le recours à l’expertise de dangerosité 1947, en revanche, le
recours aux expertises médicales ne doit pas être totalement écarté dans la mesure où on
peut considérer « tout coupable » comme « plus ou moins perturbé, plus ou moins
responsable ». Nous parviendrons à la même conclusion d’un usage parcimonieux de la
méthode actuarielle.

2.2 La critique de la méthode actuarielle

A priori, cette approche statistique de la dangerosité, d’essence nord-américaine/anglo-


saxonne, ne saurait être privilégiée en droit interne. Pour le comprendre, il est permis de
rappeler en quoi elle consiste. Elle repose sur « la construction statistique de “groupes à
risque” identifiés comme ayant une plus forte probabilité de récidiver, l’appartenance à un
de ces groupes permettant alors d’affecter à chaque individu des scores de probabilité »1948.
Le droit interne ne peut s’accommoder de l’affectation à un individu de score de
probabilité de récidive. En outre, lorsque l’on consulte les premières échelles d’évaluation,
on peut observer qu’elles ne contenaient que des facteurs statiques ou immuables
insusceptibles de tenir compte de l’évolution des détenus tout au long de leur parcours
judiciaire 1949. Des progrès ont cependant accompagné les nouvelles générations
d’instruments statistiques, à l’instar de l’adjonction, au côté des facteurs statiques ou
immuables, d’items cliniques ou dynamiques. Pourraient-ils aider à reconsidérer la
question de l’intégration, en droit positif, de la méthode actuarielle ? S’ils sont de nature à
influer sur leur prise en compte dans l’évaluation des risques de récidive, leur manque de
performance plaide en faveur d’une mixité de la méthode d’évaluation1950. La recherche,
précédemment évoquée, menée en Charente-Maritime a surtout permis de mettre en
exergue la pertinence d’outils empiriques.

3. La pertinence d’outils empiriques


La recherche a mis en évidence la priorisation d’une pluralité de critères fondés sur « une
connaissance approfondie et continue des détenus »1951 et, au-delà, le fait que la mutualisation

1945. Cf. A. GIUDICELLI (dir.), Le champ de la prévention de la récidive dans sa dimension multi-partenariale, op. cit.
1946. Cf. infra, 4. : « La pluridisciplinarité supposant le multipartenariat, à l’origine d’une évaluation plus de la
dangerosité ».
1947. Cf. infra, B. : « Le questionnement sur la suppression pure et simple de toute référence à la notion de
dangerosité ».
1948. É. GOMEZ et C. MARIE, op. cit., p. 89.
1949. Dans le cadre des instruments de première ou deuxième génération, la prédiction reposait sur une
combinaison de critères préétablis au moyen de calculs statistiques liés à l’âge et au passé criminel.
1950. Ils ont d’ailleurs aujourd’hui laissé place aux outils actuariels des cinquième ou sixième génération. Ce qui
paraît envisageable est l’utilisation des outils de dernière génération reposant sur des facteurs statiques et
dynamiques, sous réserve que ces derniers soient adaptés aux spécificités de la population française.
1951. É. GOMEZ et C. MARIE, op. cit., p. 124.

423
des « savoirs acquis sur les personnes détenues » conditionne une évaluation qualitative de la
dangerosité du sujet1952. Bien que relativement empiriques, « ces derniers ont vu leur légitimité
résulter de leur utilisation répétée par les différentes instances appelées à statuer au long du
parcours pénal de l’intéressé, qu’il s’agisse notamment des juridictions de l’application des
peines ou des instances particulières d’évaluation à dimension pluridisciplinaire »1953. Il a été
possible de scinder ces critères empiriques en deux catégories en distinguant, d’une part, les
facteurs internes d’évaluation de la dangerosité1954 et, d’autre part, les facteurs externes
d’évaluation de la dangerosité. À leur tour, ces derniers ont été subdivisés en deux catégories
antagonistes : les facteurs externes négatifs de dangerosité1955 et les facteurs externes positifs
de dangerosité1956. L’analyse de l’ensemble de ces critères a révélé l’importance des facteurs
matériels et structurants dans l’évaluation de la dangerosité. Elle a aussi permis de livrer
l’enseignement selon lequel la dangerosité présentait un caractère multifactoriel et que son
évaluation supposait, de manière corrélative, une approche pluridisciplinaire mêlant pénal,
sanitaire et social. En écho, le droit positif s’est orienté vers la mise en place d’organes
pluridisciplinaires.

4. La pluridisciplinarité supposant le multipartenariat, à l’origine d’une


évaluation plus qualitative de la dangerosité
Une évaluation plus qualitative de la dangerosité réside donc dans la pluridisciplinarité. On
compte un certain nombre d’instances à dimension pluridisciplinaire dont certaines sont
locales, c’est-à-dire constituées dans des établissements pénitentiaires, à l’instar de la
Commission pluridisciplinaire unique du centre de détention de Bedenac, alors que d’autres
existent au niveau national ou régional, tels les centres nationaux d’évaluation1957 et les

1952. Le meilleur exemple consiste dans le rôle joué par les CPIP qui constituent des acteurs majeurs dans la
prévention de la récidive (loc. cit.).
1953. Cf. É. GOMEZ et C. MARIE, op. cit. À l’inverse, pour une proposition de critères juridiques de dangerosité,
il est permis de consulter la thèse d’Arnaud Coche (A. COCHE, La détermination de la dangerosité des délinquants
en droit pénal, PU Aix-Marseille, 2005). Selon Gilda Roussel, « l’intérêt de cette thèse réside dans l’analyse
par son auteur des critères de dangerosité. Il estime pertinents ceux qui tiennent à la nature de l’acte, au
mobile, au mode opératoire, à la qualité de la victime, à l’existence d’autres infractions, au passé pénal du
délinquant. À l’inverse, il rejette les critères liés à la préméditation, à la circonstance de nuit, à la gravité
du dommage, au caractère odieux de l’infraction car ils ne permettent pas de considérer la probabilité
d’une nouvelle infraction » (G. ROUSSEL, RSC, 2006, p. 216).
1954. Au rang desquels on trouve par exemple la capacité d’introspection et de remise en cause, la propension
à l’impulsivité ou à la violence, la capacité d’adaptation à la vie carcérale, l’âge (cf. É. GOMEZ et C. MARIE,
op. cit., p. 89 et suiv.).
1955. Au rang desquels on trouve l’exemplarité du parcours d’exécution de peine ou l’existence d’un projet
professionnel cadrant et structurant (ibid., p. 100 et suiv.).
1956. Comme l’absence de stratégie d’évitement du contexte infractionnel (ibid., p. 101 et suiv.).
1957. Créé le 15 août 1950, le Centre de triage de Fresnes, devenu dès 1951 le Centre national d’orientation
(CNO), avait vocation à observer la personnalité de la personne détenue afin que soit proposée
l’orientation en établissement pour peines la plus adaptée. Cette fonction première n’a cessé de croître.
Dans le prolongement de sa mission première, le décret du 6 août 1985 a assigné au centre, devenu Centre
national d’observation, la tâche de proposer des modalités de prise en charge des personnes détenues,
préalablement à leur affectation en établissement pour peines mais également au cours de l’exécution de
leur peine. L’entrée en vigueur de la loi du 25 février 2008 relative à la rétention de sûreté et à la déclaration
d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental a été décisive de l’extension de son champ d’action
en introduisant une nouvelle mission d’évaluation de la dangerosité des condamnés. Cette nouvelle
fonction a imposé un changement d’appellation en Centre national d’évaluation (CNE) acté par le décret
du 31 mars 2010. Cette dernière mission a été étendue par la loi du 10 mars 2010 tendant à amoindrir le
risque de récidive criminelle et portant diverses dispositions de procédure pénale et par la loi du 10 août

424
commissions pluridisciplinaires des mesures de sûreté1958. Bien que leur composition comme
leur organisation ou leur fonctionnement appellent un certain nombre d’améliorations1959, la
pluridisciplinarité dans l’évaluation de la dangerosité présente l’avantage de supposer le
multipartenariat. La recherche menée sur la prévention de la récidive a permis de constater
la plus-value apportée par le multipartenariat dans l’évaluation du condamné1960. Cette
conclusion n’exclut pas que le fonctionnement partenarial soit susceptible de générer des
difficultés, dans la mesure où les professionnels amenés à évaluer obéissent à des valeurs, des
normes et des analyses différentes selon leur appartenance institutionnelle et/ou
professionnelle1961. Dans le cas de la Charente-Maritime, le partenariat Service pénitentiaire
d’insertion et de probation/autorité judiciaire s’est révélé harmonieux, contrairement au
partenariat médical/justice pâtissant de heurts stériles. Précisément, une réflexion devrait être
menée pour créer les conditions légales d’une meilleure complémentarité. En effet, le
principe du secret médical peut enlever toute portée évaluative à la prescription d’une
obligation de soins. L’obligation de soins suppose que le dit soin soit adapté et efficace. Une
attestation formelle ne peut aider un juge à se faire une opinion concernant l’évolution
souhaitable d’un délinquant. De ce point de vue, une attestation explicite pourrait être validée
en son principe. Il pourrait aussi être pertinent, afin de rechercher la réalité d’un
investissement dans les soins de privilégier le partenariat médical/patient-détenu. Autrement
dit, il s’agirait, pour l’avenir, de tenir les experts psychiatres et psychologues à l’écart des
enjeux institutionnels en relativisant la portée du partenariat médical-justice en termes
d’évaluation de la dangerosité1962. Il apparaît aussi important de préciser que la
pluridisciplinarité comme le multipartenariat ne supposent pas la multiplication des avis de
dangerosité. La technique du mille-feuilles ne présente pas des garanties supplémentaires
d’une meilleure évaluation, notamment, car les différentes institutions appelées à statuer
risqueraient alors de ne constituer que des chambres d’enregistrement. Malgré les progrès
susceptibles de résulter d’une approche pluridisciplinaire de la dangerosité organisée autour

2011 sur la participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale et le jugement des mineurs,
dans le but de limiter le risque de récidive des délinquants considérés comme dangereux. À ce jour, le
CNE offre trois sites d’évaluation, répartis sur le territoire et intégrés au sein d’établissements
pénitentiaires : le site du centre pénitentiaire de Fresnes (94), le site du centre pénitentiaire Sud-Francilien
(77) et le site du centre pénitentiaire de Lille-Loos-Sequedin (59).
1958. Elles ont été instaurées par la loi no 2005-1549 du 12 décembre 2005 relative au traitement de la récidive
des infractions pénales, afin de donner un avis sur la dangerosité et le risque de récidive des personnes
condamnées avant la mise en place de certaines mesures de sûreté ou le prononcé d’une libération
conditionnelle. Les CPMS sont au nombre de huit et sont situées à Bordeaux, Lille, Lyon, Marseille,
Nancy, Paris, Rennes et Fort-de-France (articles R. 61-7 et A. 37-34 du Code de procédure pénale).
1959. Plusieurs critiques en témoignent. Par exemple, s’il l’on se penche sur la composition de la commission
pluridisciplinaire des mesures de sûreté, il apparaît que « la composition peut interroger quant au sérieux
des avis émis » (V. BIANCHI, « Quels droits de la défense pour la personne placée sous surveillance de
sûreté ou en rétention de sûreté ? », op. cit., p. 106). En outre, « un avocat doit y être nommé qui représente
le barreau au sein de chaque commission, dont l’unique qualité exigée est d’être un membre du Conseil
de l’Ordre, qualité éminente s’il en est, mais aucune nécessité de pratiquer le droit pénal et celui, si
spécifique, touchant aux aménagements de peine et à la détention. Quant à la pluridisciplinarité, pour ce
que j’en sais par les confidences de quelques présidents de CPMS, on se rend compte que le poids du
psychiatre qui intervient est bien lourd » (loc. cit.).
1960. Cf. A. GIUDICELLI (dir.), Le champ de la prévention de la récidive dans sa dimension multi-partenariale, op. cit.
1961. Cf. supra, 2.1 : « La critique de la méthode clinique ».
1962. Le contexte terroriste ne semble cependant pas propice à une telle évolution, comme en attestent les
déclarations du Premier ministre d’impliquer les psychiatres dans la lutte contre le terrorisme en
participant à la détection des individus dangereux (cf. notamment, lefigaro.fr, 18 août 2017).

425
du multipartenariat, les défaillances récurrentes dans l’évaluation de la dangerosité combinée
à la volonté de préserver la qualité des expertises médicales, conduisent aussi à s’interroger
sur la pertinence d’une suppression pure et simple de toute référence expresse à la notion de
dangerosité.

B. Le questionnement sur la suppression de toute référence expresse à la notion de


dangerosité

Il ne s’agit pas de préconiser la suppression pure et simple de toute prise en compte de la


dangerosité mais d’écarter la référence expresse à la notion pour guider le choix de la sanction
dans son quantum ou ses modalités, ou décider d’une mesure post-sentencielle. La notion de
prévention de la récidive pourrait alors lui être substituée (1.). Au soutien de cette
argumentation, il est possible de se prévaloir de l’existence en droit positif d’une mesure post-
sentencielle excluant le fondement de la dangerosité formelle du condamné (2.)

1. La substitution de la notion de prévention de la récidive


Cette proposition trouve un écho dans le Rapport sur le projet de refonte du droit des peines remis
au ministre de la Justice le 18 décembre 20151963. Aux termes du rapport, « la commission
entend prendre ses distances avec le concept de « dangerosité » qui ne ressortit d’aucune
notion juridique et qui, pour le plus grand nombre des personnes consultées et, en particulier,
pour les experts psychiatres, ne peut être défini avec précision. Les incertitudes qui entourent
une notion qui, en application de certains textes, est pourtant susceptible d’affecter
notablement les possibilités d’aménagement de peines, ne peuvent se prolonger et doivent
donc être levées »1964. Pour cette raison, l’une des propositions formulées a consisté à
substituer l’exigence de prévention de la récidive à la notion de dangerosité.

Un autre argument en faveur de cet abandon tient au fait qu’il entraînerait dans son sillage la
suppression de l’expertise de dangerosité1965. Par voie de conséquence, il permettrait aussi de
remédier au phénomène contemporain de pénalisation des médecins psychiatres. Comme le
relève Patrick Mistretta, la transformation du psychiatre en un « prédicteur de
dangerosité »1966 s’est accompagnée d’une volonté nouvelle en jurisprudence de vouloir
engager sa responsabilité pénale en cas de défaillance. L’exemple d’un médecin psychiatre au
sein d’un centre hospitalier est éloquent. Il suivait en 2014 Joël G., admis sous le régime de
l’hospitalisation d’office. Alors qu’il venait d’annoncer qu’il allait mettre fin à ses sorties à
l’essai, l’intéressé s’est enfui et a assassiné le compagnon de sa grand-mère. Le tribunal
correctionnel de Marseille, le 18 décembre 2012, a condamné le médecin à une peine d’un an
d’emprisonnement avec sursis sur le fondement de l’article 221-6 du Code pénal réprimant

1963. Cf. Rapport sur la refonte du droit des peines, op. cit.
1964. Ibid., p. 59.
1965. En faveur de cet abandon également, A. COCHE, « Faut-il supprimer les expertises de dangerosité ? », op.
cit.
1966. P. MISTRETTA, « Le schizophrène, le psychiatre et les démences du droit pénal (à propos de CA Aix-en-
Provence, 31 mars 2014, no 150-2014) », op. cit.

426
les atteintes involontaires à la vie1967. La cour d’appel d’Aix-en-Provence, quant à elle, a relaxé
le psychiatre le 31 mars 2014, en se fondant sur la prescription de l’action publique. La justice
pénale, qui a éloigné le psychiatre de ses fonctions naturelles, s’est donc abstenue de se
prononcer sur le fond du droit, en laissant en suspens la question de l’opportunité d’une
responsabilité en la matière. Cette question rejaillit avec une acuité particulière à l’aune des
déclarations du Premier ministre envisageant, afin de renforcer la lutte contre le terrorisme,
d’impliquer les psychiatres dans la détection des individus dangereux1968.

En considération de ces éléments, il peut donc apparaître judicieux de préconiser la


suppression de toute référence expresse à la dangerosité. Ce n’est pas dire que la notion serait
ignorée du droit positif. Elle retrouverait en fait la place qui était la sienne avant la remontée
en puissance des mesures de sûreté au travers de l’examen de la « personnalité », dont la
dangerosité peut constituer un trait, et « derrière nombre d’expressions telles que
“réinsertion”, “reclassement”, “réadaptation”, “amendement”, “période de sûreté”, ou, plus
largement, pour “prévenir le renouvellement de l’infraction” »1969. De ce point de vue, une
institution récemment créée par le législateur pourrait servir de précédent. Elle consiste en la
mini-surveillance judiciaire créée par la loi déjà évoquée du 15 août 2014.

2. L’exemple de la mini-surveillance judiciaire


En application du nouvel article 721-2 du Code de procédure pénale :

Une personne condamnée n’ayant pu bénéficier d’une libération sous contrainte ou


d’une libération conditionnelle peut être soumise par le juge d’application des peines,
dans le cadre des crédits de réduction de peine et des réductions supplémentaires de la
peine et aux seules fins de favoriser son insertion ou sa réinsertion et de prévenir la
commission de nouvelles infractions, au respect de certaines mesures de surveillance
prévues par l’article 132-44 du Code pénal, de certaines obligations et interdictions
prévues à l’article 132-45 de ce même code, celles des 2° et 7° à 14° de ce texte, et
bénéficier des mesures d’aide prévues à l’article 132-46.

En complétant l’article 721-2 du Code de procédure pénale relatif aux réductions de peines
conditionnelles, la loi du 15 août 2014 a transcendé une pratique judiciaire qui consistait à
soumettre un condamné, ne pouvant bénéficier d’une libération conditionnelle ou ne
remplissant pas les conditions au prononcé d’une surveillance judiciaire, à un certain nombre
d’obligations pendant la durée des réductions de peine obtenues. L’objectif était de lui éviter
une « sortie sèche ». Cette technique d’origine prétorienne, conformément à la lettre de
l’ancien article 721-2 du Code de procédure pénale, présentait cependant l’inconvénient de
ne pouvoir soumettre le condamné qu’à des obligations en lien exclusif avec les victimes.
L’apport principal de la réforme tient donc à la mise en place, sur le fondement des

1967. Cf. M. COUTURIER, « La responsabilité pénale du psychiatre dans la prise en charge du malade
dangereux », RDSS, 2013, p. 283 ; A. PONSEILLE, « Autopsie de la responsabilité pénale d’un psychiatre
pour homicide involontaire à la suite de l’homicide volontaire commis par l’un de ses patients », Droit et
santé, 2013, no 53, p. 327.
1968. Cf. notamment, lefigaro.fr, 18 août 2017.
1969. Cf. A. COCHE, La détermination de la dangerosité des délinquants en droit pénal. Étude de droit français, PU Aix-
Marseille, 2005, no 10, p. 27 et suiv.

427
réductions de peines conditionnelles, d’un véritable suivi judiciaire. Le spectre des obligations
pouvant être imposées au condamné est élargi avec la possibilité de le soumettre à des
mesures de surveillance de l’article 132-44 du Code pénal, à certaines obligations et
interdictions de l’article 132-45 ainsi qu’aux mesures d’aide de l’article 132-46 du même
code1970. Ainsi, la loi du 15 août 2014 institutionnalise « une sorte de session de rattrapage si
une libération sous contrainte ou une libération conditionnelle (CPP, art. 730-3) n’a pas été
accordée, en fait, une surveillance judiciaire qui ne dit pas son nom »1971. Cependant, à la
différence de la surveillance judiciaire, il est particulièrement notable que « cette mini-
surveillance judiciaire peut être prononcée sans que soit exigés un risque avéré de récidive ni
une dangerosité du condamné »1972. En revanche, l’objectif d’insertion/réinsertion assigné
aux peines est réaffirmé par le nouveau texte au côté de celui de prévention de la commission
de nouvelles infractions. Il a ainsi été consacré « l’idée qu’une personne condamnée à une
peine d’emprisonnement peut être suivie par l’autorité judiciaire pendant tout cette période,
aux fins de favoriser son insertion ou sa réinsertion et de prévenir la commission de nouvelles
infractions »1973. Finalement, si le droit pénal du XXIe siècle en venait à « bannir toute
recherche d’état dangereux comme une utopie néfaste »1974 au bénéficie de l’objectif de
resocialisation des condamnés, sans occulter la protection de la société, on ne pourrait que
souscrire à l’entrée du droit pénal dans l’ère post-moderne.

1970. En application du nouvel article 721-2 du Code de procédure pénale, « une personne condamnée n’ayant
pu bénéficier d’une libération sous contrainte ou d’une libération conditionnelle peut être soumise par le
JAP, dans le cadre des crédits de réduction de peine et des réductions supplémentaires de la peine et aux
seules fins de favoriser son insertion ou sa réinsertion et de prévenir la commission de nouvelles
infractions, au respect de certaines mesures de surveillance prévues par l’article 132-44 du Code pénal, de
certaines obligations et interdictions prévues à l’article 132-45 de ce même code, celles des 2o et 7o à 14o de
ce texte, et bénéficier des mesures d’aide prévues à l’article 132-46 ».
1971. Cf. L. GRIFFON-YARZA, « Nouveau régime des réductions de peine : une grâce législative accordée aux
seuls récidivistes », Dr. pén. 2015, étude 6.
1972. Ibid.
1973. Ibid.
1974. R. GASSIN, « La criminologie clinique de Jean Pinatel et la criminologie actuelle », ann. intern. crim., 1999,
p. 27.

428
Conclusion

L’imputabilité n’est définie ni par le législateur ni par la jurisprudence. Il a été rappelé qu’elle
était, tout au plus, appréhendée par la négative, par le biais de trois causes d’exonération ou
d’atténuation de la responsabilité pénale, que la doctrine a identifiées en tant que causes de
non-imputabilité. Cette carence rejoint le silence assourdissant du législateur concernant
d’autres notions clefs du droit pénal, à l’instar de l’infraction. La culpabilité, entendue
strictement, en tant qu’élément psychologique de l’infraction, est sensiblement mieux lotie.
Bien qu’elle ne soit pas formellement définie par le législateur, particulièrement en ce qui
concerne la culpabilité intentionnelle, elle fait l’objet d’un article dédié. La jurisprudence
apporte aussi ponctuellement une pierre à l’édifice d’une construction d’une théorie de la
culpabilité. Il apparaît que cette absence de définition des concepts mobilisés dans la mise
en œuvre de la responsabilité pénale s’explique pour partie par les interactions réciproques
entre chacune des données précitées.

Ainsi, cette étude du concept d’imputabilité dans la théorie de la responsabilité pénale a


notamment eu pour objet de tenter de dénouer les rapports entretenus entre les
composantes subjectives de la responsabilité pénale. Elle ne pouvait s’effectuer en isolant la
notion d’imputabilité, en raison des imbrications possibles avec les autres conditions à
l’engagement de la responsabilité pénale. Il est apparu que deux périodes pouvaient être
distinguées. Tout d’abord, celle d’essence classique, qui englobe les périodes dites classique
et moderne du droit pénal. Il est permis de considérer qu’elle débute avec l’adoption du
Code pénal de 1810. Elle est marquée par une conceptualisation balbutiante des notions de
culpabilité entendue strictement et d’imputabilité. Malgré la confusion en la matière, il
ressort de l’étude menée qu’il était possible d’attribuer un contenu spécifique à chacune
d’elles soulignant leur complémentarité fonctionnelle dans la mise en œuvre de la
responsabilité pénale. Cependant, l’échec du droit pénal moderne à juguler une
criminalité toujours plus violente et en augmentation croissante a favorisé le retour en force
d’un néopositivisme pénal au début du XXIe siècle. L’intrusion expresse en droit positif de
la dangerosité, marqueur clef de ce courant doctrinal, était de nature à bouleverser l’équilibre
établi. Il a importé de déterminer la mesure des conséquences de la remontée de la
dangerosité sur la théorie de la responsabilité pénale, en particulier sur l’imputabilité. La
démonstration de risques avérés pour la notion a pu être effectuée et, avec elle, la mise au
jour de conséquences sur la philosophie du droit de punir. Il ressort cependant de cette
étude, particulièrement si l’on fait œuvre de prospection, qu’il ne convient pas d’exclure le
recours à la dangerosité mais simplement d’en recentrer l’usage. La promotion d’un droit
pénal syncrétique, issu d’une hybridation des systèmes d’essence classique et néopositiviste,
pourrait recevoir la qualification de post-moderne, l’épithète signifiant la cohabitation

429
pacifiée de la trilogie culpabilité, imputabilité et dangerosité. En d’autres termes, un droit
pénal au service des enjeux de la société contemporaine, dans le respect des principes
directeurs de la responsabilité pénale.

Le bilan d’une double confrontation

Le bilan de la confrontation culpabilité/imputabilité


La confrontation des deux conditions subjectives de la responsabilité pénale a permis de
résoudre les questions de leurs composantes respectives et de leur localisation au sein de la
responsabilité pénale, en apportant un éclairage sur leurs fonctions respectives.

Les conditions de l’imputabilité. L’extension du champ de la contrainte morale par le rattachement de l’état
de nécessité – Il est communément admis qu’il est possible de déterminer la consistance de
l’imputabilité par la négative à partir des articles 122-1,122-2 et 122-8 du Code pénal,
présentés, par la doctrine majoritaire, comme définissant les causes de non-imputabilité. La
difficulté dans la détermination des composantes de l’imputabilité est inhérente à
l’imbrication supposée de toutes les données psychologiques de la responsabilité pénale. La
question se posait de savoir si elles étaient réunies sous l’égide d’une entité entendue
largement, à l’instar de la culpabilité, ou si elles étaient susceptibles d’être distribuées en deux
réceptacles distincts, à l’instar de la culpabilité comprise comme élément psychologique de
l’infraction et de l’imputabilité. Il a été démontré qu’il était possible de dissocier la culpabilité
stricto sensu de l’imputabilité, en dégageant un contenu spécifique à chacune des notions. La
culpabilité circonscrite à l’élément psychologique de l’infraction s’apparente à un concept
objectivé, correspondant à un degré minimal d’intelligence et de volonté. Par voie de
conséquence, l’imputabilité est un concept subjectivé qui se trouve confirmé dans ses
conditions traditionnelles relatives à l’existence du discernement de l’agent et d’une volonté
libre. La condition relative à l’existence d’une liberté psychologique de l’agent a été déduite
de la contrainte prévue par l’article 122-2 du Code pénal. Il a été mis en lumière la rigueur
excessive de l’appréciation de la condition d’irrésistibilité par la Cour de cassation.
Or, l’assouplissement dans l’appréciation de cette condition devrait logiquement conduire à
l’extension du champ d’application de la contrainte morale, au point de pouvoir conclure au
rattachement de l’état de nécessité à la contrainte morale. D’un autre côté, l’exclusion de la
liberté de mouvement de la composition de l’imputabilité a conféré à la notion de contrainte
physique la nature de cause de non-caractérisation de l’infraction. Ainsi, cette étude, de
manière opposée, a eu pour ambition, d’une part, d’enrichir la catégorie des causes de non-
imputabilité en lui annexant l’état de nécessité traditionnellement présenté comme un fait
justificatif et, d’autre part, de réduire cette même catégorie en érigeant la contrainte physique
en cause de non-caractérisation de l’infraction.

L’autonomie de l’imputabilité par rapport à l’infraction. La fonction téléologique de l’imputabilité – La


question s’est alors posée de l’autonomie de l’imputabilité par rapport à l’infraction,
l’autonomie établie de l’imputabilité par rapport à la culpabilité entendue strictement
n’impliquant pas son autonomie par rapport à l’infraction. Les solutions du droit positif, tant

430
pénales que civiles, ont permis d’établir qu’elle n’était pas une donnée déterminante de la
constitution de l’infraction. Dans le domaine du droit pénal, il a été possible de l’établir en
étudiant le régime juridique de l’imputabilité, en se prévalant particulièrement du fait que la
charge de la preuve de l’existence d’une cause de non-imputabilité appartient au prévenu ou
accusé majeur, alors que la charge de la preuve des éléments constitutifs de l’infraction
incombe au parquet. Dans le domaine du droit civil, l’exclusion de l’imputabilité de la
constitution de la faute civile, particulièrement dans sa composante discernement, a conduit,
sur le fondement du principe de l’identité des fautes civile et pénale, à retenir la même
solution au regard de la faute pénale. De ce point de vue, la difficulté a consisté à vérifier que
l’éclatement du régime unitaire de l’imprudence pénale n’avait pas remis en cause le principe
de l’unité des fautes civile et pénale. Afin de conforter la démonstration de l’extranéité de
l’imputabilité à l’infraction, il a alors importé de démontrer le rattachement exclusif de
l’imputabilité à la responsabilité pénale. La théorie de l’emprunt de criminalité, représentation
conceptuelle de droit positif en matière de complicité, combinée à la jurisprudence établie
relativement à la répression du complice d’un acte commis par une personne non imputable
– qu’il s’agisse d’un aliéné, d’un mineur ou d’une personne contrainte psychologiquement –
a permis de conclure à l’extériorité des conditions de l’imputabilité à l’infraction ainsi qu’à
leur rattachement subséquent exclusif à la responsabilité. Dans le prolongement, il a alors été
possible de mettre en exergue la fonction téléologique de l’imputabilité. L’exigence
d’imputabilité dépend en réalité de la conséquence juridique de la responsabilité mise en
œuvre. Ainsi, il a été vérifié qu’elle transcendait la distinction des deux ordres de
responsabilités pénale et civile pour dépendre de la nature punitive de la mesure susceptible
d’être imposée à l’agent. Pour cette raison, il est apparu que la question d’un renouveau de
l’exigence d’imputabilité en matière civile mériterait d’être considérée en raison de la
consécration récente, en droit positif, de la notion d’amende civile et peut-être, demain, de
celle de dommages et intérêts punitifs.

L’infraction, une notion autonome objectivée – En creux, la première partie de cette étude a permis
de préciser le concept d’infraction. La pierre angulaire du droit pénal n’absorbe pas toutes
les données subjectives conditionnant la responsabilité pénale en procédant d’une essence
finalement assez objectivée. Il en résulte qu’il est possible de scinder l’étude de l’infraction et
l’étude de la responsabilité. Cette perspective, en ouvrant la voie d’une qualification pénale à
des faits indépendamment de l’engagement de la responsabilité pénale de l’auteur, est de
nature à satisfaire les attentes des victimes dans le respect des principes fondamentaux du
droit pénal.

Le principe d’une appréciation des conditions de l’imputabilité au moment des faits. La possibilité d’un
décloisonnement de l’imputabilité du moment des faits – Un autre enseignement précieux concernant
l’imputabilité est ressorti de la confrontation de la notion à celle de culpabilité. Il est inhérent
au moment de l’appréciation des composantes de l’imputabilité. Le principe d’une
appréciation des conditions de l’imputabilité au temps de l’action découle de la référence
législative « au moment des faits » au sein de l’article 122-1 du Code pénal. Cependant,
contrairement à l’appréciation des conditions de l’infraction, on peut déroger à ce principe,
comme en atteste la démonstration du rattachement de la faute antérieure de l’agent à la
caractérisation de l’imputabilité. En d’autres termes, l’existence d’une faute antérieure de

431
l’agent ne peut être utilisée pour caractériser l’élément psychologique de l’infraction.
L’exigence d’une absence de faute antérieure de l’agent préside en effet, au regard de la
jurisprudence, à l’admission de chacune des causes de non-imputabilité, qu’il s’agisse de
l’abolition du discernement, de la contrainte ou de l’état de nécessité. Finalement, on peut en
déduire que la précision temporelle de l’article 122-1 du Code pénal a pour objet principal de
prémunir l’agent d’une appréciation de l’imputabilité postérieurement au moment des faits
dans l’hypothèse, par exemple, où la perte de lucidité de l’agent serait restée circonscrite au
temps de l’action – autrement dit, si l’agent venait à retrouver une « entière » lucidité
postérieurement aux faits.

Le lien entre la place des composantes subjectives de la responsabilité pénale et leurs fonctions respectives.
L’imputabilité entendue strictement en présence d’un délinquant « sain d’esprit » – Un lien a pu être établi
entre la localisation de l’imputabilité et de la culpabilité et leurs fonctions respectives. Les
informations relatives à l’imputabilité sont logiquement apparues utiles à la mise en œuvre
de la responsabilité pénale, en questionnant l’aptitude psychologique du délinquant à la
sanction. En renvoyant d’abord à une aptitude psychologique autorisant le prononcé d’une
sanction, l’imputabilité, dans son acception traditionnelle de fondement de la responsabilité
pénale, a été confirmée. Dans un système de responsabilité fondé sur une conception
rétributive de la responsabilité pénale, l’imputabilité véhicule une valeur éthique. L’évolution
vers un système réhabilitatif, resocialisant de responsabilité pénale, nous a amenée à
confronter l’imputabilité à la notion doctrinale de capacité pénale, cette dernière s’entendant
majoritairement d’une aptitude psychologique à profiter de la sanction pénale. Il a été permis
de conclure à l’exclusion d’une substitution de la capacité pénale à l’imputabilité en raison de
l’incompatibilité entre le concept de capacité pénale et le caractère rétributif de la
responsabilité pénale récemment réaffirmé par le législateur. Il n’a pas plus été question de
retenir l’absorption de la capacité pénale dans le concept d’imputabilité en raison de la
consécration du principe d’individualisation de la sanction pénale. Il est en effet apparu qu’en
présence d’un délinquant « sain d’esprit », la capacité pénale avait vraisemblablement trouvé
une traduction juridique concrète dans le principe d’une individualisation subjective de la
peine fondée sur la personnalité du délinquant. Pour cette raison, et dans l’hypothèse d’une
imputabilité « totale » de l’agent, l’abandon du questionnement relatif à l’autonomisation de
la capacité pénale apparaît opportun.

La première partie de cette étude a permis de mettre au jour que le droit pénal classique était
finalement marqué par une complémentarité à la fois substantielle et fonctionnelle des
notions de culpabilité, comprise comme élément psychologique de l’infraction, et
d’imputabilité, permettant la mise en œuvre de la responsabilité pénale dans le respect des
droits et libertés fondamentaux du délinquant.

Le bilan de la confrontation imputabilité/dangerosité


Un premier bilan victorieux pour la dangerosité
De l’objectivation de l’imputabilité dans le cadre de la responsabilité pénale des personnes morales à la
substitution de la dangerosité dans le cadre de la responsabilité pénale des personnes physiques – La
résurgence de la dangerosité et, dans sa version dépersonnalisée, du risque social, marqueurs

432
du néopositivisme contemporain, est à l’origine de deux conséquences marquantes
concernant l’imputabilité. La première a consisté dans la rupture de l’homogénéité du
concept selon l’entité juridique considérée, personne physique ou personne morale.
L’homogénéité de la notion d’imputabilité tenait notamment à la reconnaissance initiale
d’une responsabilité indirecte de la personne morale. Cependant, cette théorie dite du
substratum, en liant indissolublement le sort de l’organe ou du représentant à celui de la
personne morale, aboutissait à une solution du tout ou rien. Particulièrement, la
responsabilité indirecte ne permettait pas de répondre pénalement à toutes les atteintes à la
vie et à l’intégrité physique. Cette lacune était peu compatible avec l’avènement d’une société
qui ne supporte plus la réalisation des risques, notamment le risque social généré par la
puissance économique de la personne morale. Pour cette raison, on assiste à une évolution,
tant législative que jurisprudentielle, vers l’autonomisation de la responsabilité pénale des
personnes morales. Certes, cette évolution n’est pas encore pleinement aboutie, comme en
attestent les circonvolutions de la jurisprudence autour de l’exigence d’identification de
l’organe ou du représentant de la personne morale. Le phénomène est néanmoins présent. Il
nous a conduit à nous interroger sur ses répercussions relativement à la nature de la
responsabilité pénale des personnes morales. Cette dernière demeure une responsabilité
personnelle d’essence classique. Cependant, l’application directe des composantes
traditionnelles de la responsabilité pénale à l’entité abstraite est de nature à induire leur
objectivation. Pour éviter l’écueil d’un anthropomorphisme excessif, il incombe en effet de
repenser les conditions de la responsabilité pénale. La culpabilité, dont le caractère abstrait a
été établi, est préservée d’une dénaturation par objectivation. En revanche, la reconnaissance
d’une imputabilité propre à la personne morale ne pouvait qu’induire une mutation par
objectivation du concept d’imputabilité. La perte de l’acception subjective de l’imputabilité
résulte de l’absence de psychisme propre de la personne morale et, de manière symétrique,
du champ restreint des causes de non-imputabilité pouvant être invoquées en propre par la
personne morale. Seules les causes de non-imputabilité affectant la volonté peuvent être
invoquées par l’entité abstraite. Pour les partisans d’une absorption du concept de capacité
pénale par celui d’imputabilité, l’objectivation pourrait également être le résultat de
l’amputation de l’imputabilité comprise comme capacité pénale. En d’autres termes, le
concept de capacité pénale ne saurait trouver à s’appliquer directement à l’endroit de l’entité
abstraite. Au final, l’imputabilité des personnes morales est apparue comme l’ombre
objectivée de l’imputabilité déclinée à l’égard des personnes physiques. L’emploi du terme
imputation paraîtrait d’ailleurs plus adapté à l’opération visant à mettre directement une
infraction sur le compte de la personne morale. Pour cette raison, il a été permis de considérer
que l’évolution de la responsabilité pénale des personnes morales avait induit une rupture de
l’homogénéité du concept d’imputabilité selon l’entité juridique considérée.

Cette dichotomie s’est accompagnée d’un recul de l’exigence d’imputabilité dans le cadre de
la responsabilité pénale des personnes physiques, au point même de considérer que la notion
pouvait être en danger. La mise en danger de l’imputabilité résulte dans un premier temps de
l’éviction ciblée de l’imputabilité par l’infliction de mesures répressives à des personnes au
discernement inexistant ou incomplet. Il s’agit d’une éviction sournoise reposant sur
l’instrumentalisation de la distinction formelle opérée entre deux catégories de sanctions
pénales : les peines et les mesures de sûreté, ces dernières trouvant leur fondement dans la

433
dangerosité du sujet. L’abandon de la question du discernement des délinquants « malades
mentaux » au profit de leur dangerosité pour leur infliger des pseudo-mesures de sûreté, dont
il a été établi qu’elles s’apparentaient en réalité à des peines, en est l’un des stigmates. On
assiste là à une substitution pure et simple de la dangerosité à l’imputabilité pour fonder la
responsabilité pénale. Si cette concession de l’impératif d’imputabilité est le fait du législateur,
par le biais de la loi du 25 février 2008, la jurisprudence, tant interne qu’européenne, ne saisit
pas les occasions qui s’offrent à elle de restaurer cette exigence. Afin de rétablir la condition
d’imputabilité, tout en prenant en compte les intérêts des victimes sans occulter la
dangerosité de certains délinquants nonobstant leur non-imputabilité, une solution de
compromis a été recherchée sur le terrain de la procédure pénale. L’approche a pu
surprendre, l’imputabilité n’étant traditionnellement pas appréhendée par le biais de la
procédurale pénale. C’était autrement questionner la possibilité d’une place spécifique à
l’imputabilité dans le procès pénal post-moderne. L’institution procédurale de nature à
concilier ces exigences apparemment contradictoires, en ménageant une place spécifique à
l’imputabilité, est la césure du procès pénal. La procédure de déclaration d’irresponsabilité
pénale pour cause de trouble mental en constitue un exemple en reposant, au stade de
l’instruction, sur une division formelle et temporelle entre la décision sur la culpabilité et la
décision sur la peine. Théoriquement, cette procédure présentait l’avantage de pouvoir
donner une réponse positive sur la culpabilité sans fausser la question de l’imputabilité de
l’agent. L’idée était qu’une fois le débat sur la culpabilité de l’intéressé purgé, et les attentes
des victimes ainsi satisfaites, un autre pouvait s’ouvrir, de manière plus apaisée, relativement
à l’imputabilité de la personne. La dangerosité révélée par la commission de l’infraction
pouvait alors justifier le prononcé d’authentiques mesures de sûreté afin de protéger la
société. Cependant, en pratique, cette césure du procès pénal déçoit les attentes placées dans
cette institution. Elle ne représente donc pas la solution au problème de la pénalisation de la
maladie mentale qui pourra être résolu par l’abandon de l’infliction de peines à des aliénés et
par l’application d’une procédure moins pénalisante. Quoi qu’il en soit, la tendance à
l’évolution vers une conception élargie du procès pénal condamne la perspective d’une place
par principe dédiée à l’imputabilité dans le procès pénal post-moderne. D’une manière
générale, le risque contemporain d’une éviction de l’imputabilité est aussi attisé par le
phénomène contemporain de convergence des peines et des mesures de sûreté. Ce
phénomène de convergence établi, il a été proposé, pour préserver l’impératif d’imputabilité,
de réunir les peines et les mesures de sûreté en une catégorie unique de sanctions pénales
avec l’imputabilité pour fondement, à l’image finalement de ce qui existait sous l’empire de
l’ancien Code pénal, quand le législateur ne distinguait pas expressément les peines et les
mesures de sûreté.

La préservation de l’acception duelle de l’imputabilité en droit pénal des mineurs – L’imputabilité a aussi
été ébranlée en droit pénal des mineurs par un glissement de ce droit dérogatoire vers le droit
pénal des majeurs. Celui-ci est de nature à attenter à l’imputabilité dans sa double acception
de fondement et d’aptitude à profiter de la sanction pénale. L’imputabilité comprise comme
capacité pénale est en effet implicitement consacrée en droit pénal des mineurs par le prisme
des principes directeurs de la justice pénale des mineurs. Jusqu’à une évolution récente, cette
conception de l’imputabilité était remise en question par l’aggravation des sanctions
encourues par le mineur délinquant, qu’il s’agisse de regretter la parenté des sanctions

434
éducatives avec les peines, le cumul possible d’une mesure éducative et d’une peine, la
multiplication des dérogations au principe d’atténuation légale de peine ou l’instauration de
peines planchers. À la faveur de dispositions récentes issues de la loi du 18 novembre 2016
réaffirmant la spécificité de la justice pénale des mineurs, on assiste au rétablissement de
l’imputabilité comme capacité pénale. Afin de préserver l’acception traditionnelle de
l’imputabilité à l’engagement de la responsabilité pénale, il paraît opportun que le législateur
ne fixe pas de seuil de minorité pénale, ce dernier étant de nature à induire une présomption
de discernement du mineur à compter de l’obtention d’un âge spécifique. En outre, la fixation
d’un âge de responsabilité pourrait compromettre l’acception duelle de l’imputabilité. Or,
celle-ci permet d’éviter l’écueil de l’absence de réponse pénale, « le risque de vide », tout en
choisissant un âge adapté à la sanction pénale.

Un second bilan en faveur de l’imputabilité


L’extension du champ de l’imputabilité comprise comme capacité pénale – Dans un second temps, il a
été établi que l’imputabilité pouvait ressortir confortée de sa confrontation avec la
dangerosité, de son entrée dans l’ère de la post-modernité. On a vu l’avènement de
l’imputabilité comprise comme capacité pénale à l’endroit des délinquants majeurs au
discernement altéré, afin de refouler la prise en compte de la dangerosité dans le quantum de
la peine. Cette consécration signe l’actualité du concept d’imputabilité dans sa double
acception de fondement et d’aptitude à profiter de la sanction pénale. L’étude menée a donc
permis d’avancer sur la question de l’absorption par l’imputabilité de la notion de capacité
pénale. Au final, la réponse doit être nuancée. L’imputabilité comprise comme capacité
pénale trouve bien à s’appliquer, mais uniquement au bénéfice d’un délinquant personne
physique au discernement partiel, qu’il s’agisse d’un mineur au discernement en formation
ou d’un majeur au discernement altéré. En présence d’un délinquant personne physique au
discernement « intègre », l’imputabilité est entendue strictement, dans sa seule acception de
fondement de la responsabilité pénale. Elle est ensuite directement relayée par le principe
d’individualisation des peines. En présence d’un délinquant personne morale, l’imputabilité
étant un concept objectivé, la capacité pénale ne peut trouver à s’exprimer. Au final, la
question de savoir si l’imputabilité doit être entendue strictement ou largement dépend donc
du délinquant considéré. Si le concept d’imputabilité comme capacité pénale a gagné du
terrain, il est permis de rester dubitatif devant les conséquences qui en découlent. La
pertinence de la reconnaissance de cette capacité pénale réduite, en renouant avec l’écueil de
la « mathématique déplorable » dans le calcul de la peine privative de liberté, mérite en effet
d’être questionnée.

Les perspectives liées à l’accroissement de la fonction garantiste de l’imputabilité. L’extension des garanties
substantielles – La fonction garantiste de l’imputabilité version post-moderne gagnerait à être
redimensionnée afin d’encadrer plus efficacement la prise en compte de la dangerosité
praeter delictum. Cela permettrait d’exclure la prise en compte d’une dangerosité seulement
potentielle ou hypothétique en amont de la réalisation de tout dommage. De ce point de vue,
la légitimité de certaines des infractions obstacles de la nouvelle législation antiterroriste
pourrait être remise en question. Dans le prolongement, l’imputabilité pourrait constituer un
rempart efficace à la réception du principe de précaution en droit de la responsabilité pénale,
notamment en raison de l’incompatibilité entre l’incertitude du risque ciblée par le principe

435
de précaution et la liberté de choix de l’agent, composante de l’imputabilité. Le caractère
inconciliable entre le défaut de précaution et l’imputabilité du sujet trouve d’ailleurs un écho
dans l’absence de légitimation de la « précaution » par l’état de nécessité, confirmant dans le
même temps le rattachement de l’état de nécessité aux causes de non-imputabilité. En
revanche, le respect de l’exigence d’imputabilité n’est pas nécessairement inconciliable avec
la prise en compte de la dangerosité après l’exécution de la sanction prononcée en rétribution
de l’infraction commise. Cette conclusion s’est imposée à la suite de l’examen de l’institution
de la rétention de sûreté, sous l’angle de sa conformité aux droits interne et conventionnel.
Il importe que la mesure post-carcérale d’enfermement ait été expressément prévue par la
cour d’assises, dans la décision de condamnation, afin de présenter un lien avec la
commission d’une infraction. Au-delà même de l’exigence d’imputabilité, si l’on considère
les fonctions assignées à la peine, notamment celle de prévention de la récidive, il est légitime
de prendre en compte la dangerosité de l’agent révélée – voire confirmée – par la commission
d’une ou plusieurs infractions. Il reste alors à œuvrer pour améliorer l’évaluation de la
dangerosité. Une autre alternative réside dans la possibilité d’écarter toute référence expresse
à la notion de dangerosité.

L’extension des garanties processuelles – L’absence de visibilité processuelle de l’imputabilité ne


nous paraît pas incompatible avec un certain nombre d’implications procédurales
ponctuelles. Il importerait de tirer toutes les conséquences procédurales de l’absence
d’imputabilité ou de l’imputabilité partielle de l’agent au moment des faits en l’entourant des
garanties procédurales adaptées. Le potentiel garantiste de la notion d’imputabilité n’est pas
encore épuisé. Il impliquerait dans un premier temps de repenser la procédure de déclaration
d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental. Un des apports de la réforme de 2008,
méritant d’être conservé, concerne la compétence du juge judiciaire dans le prononcé de
mesures destinées à traiter la dangerosité de l’intéressé. Une préconisation peut cependant
être faite, en vue de tempérer le caractère pénal de la procédure, en faveur du choix d’un
nouveau juge, doté de compétences non exclusivement pénales. Le juge des libertés et de la
détention paraît le plus approprié. Afin de s’assurer du respect de l’exigence d’imputabilité
dans le cadre de la procédure applicable à un majeur protégé – dont il a été établi qu’il
souffrait, à tout le moins, d’une altération de ses facultés mentales au moment des faits – il
apparaît nécessaire de préconiser le recours systématique à l’expertise, au moins civile, pour
vérifier son état mental au moment des faits. Au-delà de la situation du majeur protégé, il
paraît nécessaire d’entourer le majeur non protégé, mais dont le discernement au moment
des faits était altéré, des mêmes garanties procédurales que le premier. Ces dernières
pourraient consister dans l’assistance obligatoire d’un avocat et/ou la désignation d’un
représentant ad hoc.

Finalement, cette étude sur la notion d’imputabilité a cherché à mettre en lumière le caractère
essentiel de la notion dans la mise en œuvre d’une répression juste et adaptée. Elle a aussi
révélé, d’une part, que l’imputabilité peut se trouver menacée d’un effacement pur et simple
par la montée en puissance de notions concurrentes et, d’autre part, que son potentiel
garantiste pour les droits et libertés fondamentaux est encore loin d’être tari, tant sur les plans
substantiel que formel. Ainsi, la conjugaison du rôle de l’imputabilité, appréhendé à la fois

436
dans son actualité et dans sa potentialité, avec les atteintes subies par la notion, serait
susceptible de justifier une consécration de la notion par le législateur.
En tentant d’apporter la démonstration de l’extériorité de l’imputabilité à l’infraction, cette
recherche a aussi permis de mettre en évidence le lien entre l’imputabilité et la sanction
infligée en rétribution de l’infraction commise. Ainsi, la notion peut-elle être entendue plus
largement que dans son acception d’essence classique. En particulier, il apparaît que
l’imputabilité est susceptible d’implications procédurales. Finalement, cette caractéristique
processuelle est assez logique puisqu’elle vient s’inscrire dans le cadre de la conception
contemporaine du procès pénal.

En effet, il est permis de souscrire à l’économie d’un procès pénal élargi avec, pour objectif,
l’évolution périodique de la sanction prononcée par la juridiction de jugement sous l’égide
du juge de l’application des peines. Il est légitime que des conditions posées à la mutation de
la peine soient inhérentes au condamné en s’analysant en autant de garanties de sa
(ré)insertion sociale et/ou de prévention de sa récidive. La juridictionnalisation du droit de
l’application des peines a constitué incontestablement un grand progrès en ce qu’elle a permis
de faire du condamné un sujet de droit et un acteur de sa peine. Des évolutions sont encore
souhaitables en faveur d’un plus grand respect des droits et libertés fondamentaux du
condamné. Non seulement il importe que la mise en conventionnalité des droits processuels
du justiciable-condamné au procès en application des peines soit parachevée, mais encore,
que les droits substantiels du citoyen-condamné, particulièrement s’il fait l’objet d’une peine
privative de liberté, soient accrus. En attendant une probable condamnation de la France par
la Cour européenne des droits de l’homme, qui pourrait intervenir sur le fondement de
l’article 6 de la Convention, on peut se féliciter que la conception élargie de l’imputabilité soit
de nature à accroître les garanties procédurales des justiciables.

437
438
Bibliographie

I. Dictionnaires et lexiques
II. Ouvrages anthropologiques, philosophiques, sociologiques, économiques et essais
III. Ouvrages généraux du droit
A. Ouvrages anciens (antérieurs au Code de procédure pénale)
B. Ouvrages récents (postérieurs au Code de procédure pénale)
IV. Monographies, thèses
V. Articles
VI. Rapports, commissions et travaux parlementaires
VII. Articles de presse, entretiens, colloques, conférences, interviews et déclarations
VIII. Juris-Classeur et encyclopédie Dalloz
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– « De la commission de l’infraction par les organes ou représentants des personnes morales :
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déposé le 15 juillet 2009, disponible sur le site Internet du Sénat

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Rapport Varinard, « Adapter la justice pénale des mineurs : entre modifications raisonnables
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française

VII. Articles de presse, entretiens, colloques, conférences,


interviews et déclarations

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« Que devient la présomption d’innocence, quand on est le présumé coupable potentiel d’un
crime virtuel ? », Le Monde du 26 février 2008

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« Le fou en justice, débats Code pénal », Le Monde du 2 mars 1994

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VIII. Juris-Classeur et encyclopédie Dalloz

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« Vol », in Répertoire de droit pénal et de procédure pénale, Dalloz

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www.cglpl.fr/2015/avis-relatif-a-la-retention-de-surete

457
Pour une déclaration du Premier ministre d’impliquer les psychiatres dans la lutte contre le
terrorisme en participant à la détection des individus dangereux, lefigaro.fr, 18 août 2017

« Proposition de loi relative à l’atténuation de responsabilité pénale applicable aux


personnes atteintes d’un trouble mental ayant altéré leur discernement au moment des
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« Regard d’un psychiatre sur le processus psychique de radicalisation », www.ch-le-


vinatier.fr

458
Plan de jurisprudence

Introduction

Conseil constitutionnel
Cons. const., 16 juin 1999, no 03-80524, D., 1999, p. 589, note Y. MAYAUD.

Cour de cassation-chambre criminelle


Cass. crim., 14 nov. 1924, Bull. crim., no 381.
Cass. crim., 11 mars 1958, Bull. crim., no 238.
Cass. crim., 5 févr. 1957, Bull. crim., no 112, RSC, 1958, p. 93, obs. A. LEGAL.
Cass. crim. 22 sept. 1999, Bull. crim., no 197, RSC, 2000, p. 386, obs. B. BOULOC.
Cass. crim., 8 juin 2017, no 16-83.345, à paraître au bulletin.
Cass. crim., 8 juill. 2015, no 15-81.916, inédit.
Cass. crim., 7 août 1873, D., 1873, 1, p. 385.
Cass. crim., 23 juin 1887, Bull. crim., 1887, no 237.
Cass. crim., 24 sept. 2008, no 08-80856, inédit, Dr. pén. 2008, comm. 139, obs. M. VÉRON.
Cass. crim., 17 sept. 2003, no 03-80524, Bull. crim., 2003, n° 165 ; Dr. pén. 2004, comm. 5, obs.
M. VERON.

Cour de cassation-chambres civiles


Cass. civ. 1re, 18 mars 2015, no 14-11.392, Bull. I 2015, no 58 ; Dalloz act., 8 avr. 2015, obs.
M. KEBIR.

Partie 1. L’imputabilité dans la théorie classique de la responsabilité pénale


Titre 1. L’autonomie de l’imputabilité et de la culpabilité entendue strictement
Chapitre I. Les conditions de l’imputabilité découlant du caractère objectivé de la culpabilité
Section 1. L’objectivation de la culpabilité s’excipant de la substance même de la culpabilité
§ 1. L’objectivation résultant de la volonté du comportement, dénominateur psychologique
commun à la culpabilité intentionnelle et non intentionnelle

Cour de cassation-chambre criminelle


Cass. crim., 12 mars 1997, no 96-83.205, Bull. crim., no 102 ; JurisData, no 002241
Cass. crim., 12 nov. 1997, no 96-85.756, Bull. crim., no 384.

§ 2. L’objectivation résultant de la substance spécifique à la culpabilité intentionnelle

Conseil constitutionnel
Cons. const., 6 févr. 2015, no 2014-448 QPC, consid. 6 : JurisData no 2015-001881.

459
Cour de cassation-Chambre criminelle
Cass. crim., 2 juill. 1998, no 98-80529, Bull. crim., no 211 ; JCP G 98, II, 10132, note
M.-L. RASSAT ; D., 1998, p. 457, note J. PRADEL ; RSC, 1999, p. 98, obs. Y. MAYAUD.
Cass. crim., 18 juin 2003, no 02-85.199, Bull. crim., no 127, JCP 2003, II, 10121, note
M.-L. RASSAT ; D., 2004, p. 1620, note D. REBUT.
Cass. crim., 18 juill. 1973, Gaz. Pal. 1973. 2. 709, note J. P. D.
Cass. crim., 8 févr. 1977, Bull. crim., n° 52 ; RSC 1977, p. 590, obs. G. LEVASSEUR. Aux termes
de la motivation de la décision, « le délit de vol est constitué quel que soit le mobile qui a
inspiré son auteur dès lors que la soustraction frauduleuse de la chose d’autrui est constatée ».
Cass. crim., 24 oct. 1990, no 89-84.485, Bull. crim. n° 355.
Cass. crim., 8 déc. 1998, no 97-83318, Bull. crim. n° 336; D., 2000, p. 87, obs. S. FROSSARD ;
D., 2000, p. 120, obs. M. SEGONDS ; RSC, 1999, p. 822, obs. R. OTTENHOF.
Cass. crim., 16 mars 1999, no 97-85054, Inédit, JCP G 1999, 10166, note S. BOURETZ.
Cass. crim., 11 mai 2004, n° 03-80.254, Bull. crim. n°s 113 et 117.
Cass. crim., 9 juin 2009, no 08-86.843, Bull. crim., no 118 ; Gaz. Pal. 21-25 août 2009 (nos 233
à 237), p. 10, note S. DETRAZ ; D., 2009, chron., p. 1714, obs. P. CHAUMONT et
E. DEGORCE ; Soc., 2009, p. 1182, note F. DESPREZ.
Cass. crim., 16 juin 2011, no 10-85.079, Bull. crim., no 134, Dr. pén., 2011, comm. 100, obs. M.
VÉRON ; JCP G, 2011, note 1020, p. 1701, S. DETRAZ ; D., 2011, p. 2254, note
G. BEAUSSONIE.
Cass. crim., 21 juin 2011, no 10-87.671, Bull. crim., no 149 ; D., 2011, act. p. 1900 ; Dr. soc.,
2011, p. 933, note J.-E. REY ; Dr. pén., 2011, note 121.
Cass. crim., 13 nov. 2014, n° 14-81.249, JurisData n° 2014-027936.
Cass. crim., 18 févr. 2015, n° 14-80.772: JurisData n° 2015-002875 ; Dr. pén., 2015, comm. 63,
obs. M. VÉRON.
Cass. crim., 23 sept. 2015, no 13-83.881, inédit, JurisData no 2015-021030, Dr. pén., 2015,
comm. 154, obs. P. CONTE.
Cass. crim., 18 nov. 2015, no 14-86.100, inédit, JurisData no 2015-029658, Dr. pén., 2015,
comm. 24, obs. P. CONTE.

Juridictions du fond
CA Paris, 12 févr. 1996, RSC, 1996, p. 863, obs. R. OTTENHOF.
CA Grenoble, 3 juin 1998, JCP G 1999, IV, 1818.

Section 2. Le caractère objectivé de la culpabilité des personnes physiques confirmé par l’étude
du régime juridique de la culpabilité
§ 1. L’établissement de la culpabilité par le recours au mécanisme des présomptions

Cour européenne des droits de l’homme


CEDH 7 oct. 1988, Salabiaku c/ France, Série A no 141-A, § 28, RSC 1989, p. 167, obs.
L.-E. PETTITI et F. TEITGEN ; JDI 1989. 829, obs. P. ROLLAND et P. TAVERNIER.

Cour de cassation-chambre criminelle


Cass. crim., 6 mai 2015, no 13-87.428, inédit, Dr. pén., 2015, Chron. 8, S. DETRAZ.
Cass. crim., 3 oct. 1991, no 90-84747, inédit, RSC, 1992, p. 748, obs. G. LEVASSEUR ; Dr. pén.,
1992, comm. 57, M. VÉRON.
Cass. crim., 19 nov. 1996, no 95-85.945, Bull. crim., no 413 ; Dr. pén., 1996, comm. 33, obs. M. VÉRON.
Cass. crim., 2 avr. 1997, no 95-85.564, Bull. crim., no 132 ; RSC, 1997, p. 837, obs. Y. MAYAUD.
Cass. crim., 11 mai 1995, no 94-83.515, Bull. crim., no 172.
Cass. crim., 23 janv. 1997, no 96-84.822, Bull. crim., no 32.

460
Cass. crim., 12 juin 2013, no 13-82.622, inédit, Dr. pén., 2013, comm. no 120, obs. M. VÉRON.
Cass. crim., 26 oct. 1994, no 94-81.526, inédit, Couet.
Cass. crim., 6 nov. 1991, no 91-82.211, Bull. crim., no 397.

§ 2. L’admission restrictive des causes de non-culpabilité

Cour européenne des droits de l’homme


CEDH, 10 oct. 2006, Pessino c/ France, req. no 40403/02, D. 2006, Jur. 124, note D. ROETS.

Cour de cassation-chambre criminelle


Cass. crim., 19 mars 1997, no 96-80.853, Bull. crim., no 115, JCP G 1998, II, 10095, comm.
O. FARDOUX.
Cass. crim., 11 mai 2004, (deux arrêts), nos 03-80.254 et 03-85.521, Bull. crim., nos 113 et 117 ;
D. 2004, jurispr., p. 2326, note H. KOBINA-GABA ; D. 2004, somm., p. 2759, obs.
G. ROUJOU DE BOUBEE ; RSC, 2004, p. 635, E. FORTIS ; RSC, 2004, p. 866, obs.
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obs. M. VÉRON ; LPA, 23 sept. 2004, no 191, p. 14, F. DEBOVE ; LPA, 24 nov. 2004,
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Cass. crim., 11 juin 1998, no 97-80.905, inédit, D., 1999, somm., p. 159, note M. SEGONDS.
Cass. crim., 7 janv. 2004, no 03-82.337, Bull. crim., no 5 ; RSC, 2004, p. 635, note E. FORTIS.
Cass. crim., 15 nov. 1995, no 94-85.414, Bull. crim., no 301 ; JCP G 1996, IV, 440 ; Dr. pén.,
1996, comm. no 56.
Cass. crim., 9 juin 1999, no 98-80.052, Bull. crim., no 133 ; JCP G 1999, IV, 2867 ; Dr. pén.,
1999, comm. no 138.
Cass. crim., 8 déc. 1998, no 97-83.318, Bull. crim., no 336 ; JCP G 1999, IV, 1734 ; Dr. pén.,
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R. OTTENHOF.
Cass. crim., 16 mars 1999, no 97-85.054, Inédit, JCP G 1999, II, 10166, note S. BOURETZ.
Cass. crim., 20 mai 2015, no 13-81.307, Inédit, Dr. pén., 2015, Chron. 8, p. 23.
Cass. crim., 20 janv. 2015, no 14-80.532, Bull. crim., no 19, Dr. pén., 2015, comm. 32 ; JCP G
2015, act. 120.

Cour de cassation-chambre sociale


Cass. soc., 2 déc. 1998, no 96-44.258, Bull. civ., V, no 535 ; D., 1999, Jurisp., p. 431, note GABA ;
D., 1999, somm. p. 87, obs. S. FROSSARD ; JCP G 1999, II, 10 166, note S. BOURETZ.

Juridictions du fond
CA Versailles, 27 janv. 1995, Gaz. Pal., 1996, I, somm. 152.
CA Douai, 26 sept. 1996, Dr. pén., 1997 no 60, obs. M. VÉRON.
CA Paris, 9 nov. 2000, JCP G 2001, I, 346 ; Dr. pén., 2001, comm. no 57; D. 2001, somm.,
p. 2345, obs. B. DE LAMY ; RSC, 2001, p. 829, obs. G. GIUDICELLI-DELAGE.

Chapitre II : La reconfiguration du champ de la condition de liberté relevant de l’imputabilité


Section 1. La liberté de mouvement de l’agent, condition de l’infraction
§ 1. L’incompatibilité de la contrainte physique avec la matérialité de l’infraction

Cour de cassation-chambre criminelle


Cass. crim., 23 mars 1950, Bull. crim., no 109.

461
Cass. crim., 23 oct. 2013, no 12-80.793, Bull. crim., no 204; Dr. pén. 2013, comm. 166, obs.
M. VERON; Dr. pén. 2014, comm. 15, obs. A. MARON et M. HAAS.
Cass. crim., 13 mars 2007, no 06-86.210, Inédit, Dr. pén. 2007, comm. 82, obs. M. VERON.
Cass. crim. 15 avr. 2008, no 07-86.336, Inédit, RSC, 2008, p. 910, obs. Y. MAYAUD.
Cass. crim., 24 avr. 1937, DH 1937.429.
Cass. crim., 26 févr. 1992, no 91-83.913, Bull crim., 1992, no 88.
Cass. crim., 7 janv. 2004, no 03-82.337, Bull. crim., 2004, no 5.
Cass. crim., 18 déc. 1978, no 78-92.468, Bull. crim., no 357.
Cass. crim., 5 janv. 1957, Bull. crim., 1957, no 17.
Cass. crim., 5 oct. 2004, no 03-86.169, Bull. crim. 2004, no 230.
Cass. crim. 8 janv. 1991, no 90-80.075, Bull. crim., no 14, D., 1992, jurispr. p. 115, note
R. CROISIER-NÉRAC.

§ 2. L’incompatibilité de la contrainte physique avec l’élément psychologique de l’infraction

Cour de cassation-chambre criminelle


Cass. crim., 4 mai 2000, bull. crim. no 178.
Cass. crim., 29 janv. 1921, Trémintin, S. 1922. 1. 185, note J.-A. ROUX.

Section 2. La liberté psychologique de l’agent, condition de l’imputabilité


§ 1. La contrainte morale, cause de non imputabilité altérant la volonté

Conseil constitutionnel
Cons. const., déc. no 2011-163 QPC, 16 sept. 2011.
Cons. const. no 2014-448 QPC, 6 févr. 2015, JO du 8 févr. 2015 ; JurisData no 002161.

Cour de cassation-chambre criminelle


Cass. crim., 29 janv. 1921, Trémintin.
Cass. crim., 28 févr. 1936, D. P., 1936.I.44, note H. DONNEDIEU DE VABRES.
Cass. crim., 28 déc. 1900, D., 1901.I.81, note G. LE POITTEVIN.
Cass. crim., 20 avr. 1934, Genty, S., 1935.1.398.
Cass. crim., 29 déc. 1949, D., 1950.I.419.
Cass. crim., 28 déc. 1900, D. P., 1901.I.81, note A. LE POITTEVIN.
Cass. crim., 29 janv. 1921, S. 1922.1.85, note J.-A. ROUX.
Cass. crim., 6 janv. 1970, no 68-92.39, Bull. crim., no 11.
Cass. crim., 8 mai 1974, no 73-91.025, Bull. crim., no 165.
Cass. crim., 8 janv. 2013, no 12-86715, inédit.
Cass. crim., 13 nov. 2014, no 14-81.249, inédit, Dr. pén., 2015, comm. 1, obs. M. VÉRON.
Cass. crim., 18 févr. 2015, no 14-80.772, inédit, Dr. pén., 2015, comm. 63, obs. M. VÉRON.
Cass. crim., 15 avr. 2015, no 14-82.172, Bull. crim., no 93.
Cass. crim., 1er sept. 2015, no 15-83.392, inédit.
Cass. crim., 23 sept. 2015, no 13-83.881, inédit, Dr. pén., 2015, comm. 154, obs. P. CONTE.
Cass. crim., 18 nov. 2015, no 14-86.100, inédit, Dr. pén., 2016, comm. 24, obs. P. CONTE.

§ 2. Le rattachement de l’état de nécessité à la contrainte morale

Cour de cassation-chambre des requêtes


Cass. Req., 8 juill. 1872, S., 72.I.399.

462
Cour de cassation-chambre criminelle
Cass. crim., 25 juin 1958, D., 1958. 639, note M.R.M.P. ; JCP, 1959.
Cass. crim., 15 nov. 2005, no 04-87.813, Bull. crim., no 295.
Cass. crim., 15 nov. 2006, no 06-80087, Inédit, JCP, 2007, II, 10062, note Y. MARÉCHAL.
Cass. crim., 28 oct. 2009, no 09-84.484, inédit, no 2009-050392 ; Dr. pén. 2010, comm. 4,
M. VÉRON ; RSC 2010, p. 143, obs. C. MASCALA.
Cass. crim., 5 févr. 1957, Bull. crim., no 112 ; RSC 1958, p. 93, obs. A. LÉGAL.
Cass. crim., 27 janv. 1933, Gaz. Pal., 15 févr. 1933 ;
Cass. crim., 15 nov. 1856, B., no 358.
Cass. crim., 14 août 1863, D. P., 64.I.399.
Cass. crim., 2 mai 1878, D. P., 78.I.336.
Cass. crim., 8 août 1874, B., 225.
Cass. crim., 16 mai 1934, D. H., 1934.367.
Cass. crim., 28 févr. 1861, D. P., 1861.1.140.

Juridictions du fond
Trib. corr. Colmar, 27 avr. 1956, D., 1956. 500 ; Gaz. Pal., 1956.2.64 ; obs. A. LÉGAL, RSC,
1957.
CA Colmar, 6 déc. 1957, D., 1958. 357, note P. BOUZAT.
CA Douai, 24 oct. 2000, JCP 2002, II, 10012, note J.-Y. MARÉCHAL.
Trib. corr. Cherbourg, 6 févr. 1945, S., 1946.2.81, note P. BOUZAT.
CA Paris, 6 oct. 1945, D. 1945.115.
Trib. corr. Château-Thierry, 4 mars 1898, S., 1899.2.1, note A. ROUX.
CA Poitiers, 11 avr. 1997, D., 1997, p. 512, note A. WAXIN ; JCP G 1997, II, 22933, note
A. OLIVE ; RSC, 1998, p. 110, note R. OTTENHOF ; F. DEBOVE, Dr. pén., 1998, chron. 4.
Trib. corr. Dijon, 27 févr. 1968, J.C.P., 1968. II. 15501.
CA Paris, 19 nov. 1952, Gaz. Pal., 1953.1.149.

Titre 2. La place de l’imputabilité dans la mise en œuvre de la responsabilité pénale


Chapitre I. L’extranéité de l’imputabilité à l’infraction
Section 1. L’inclusion de l’imputabilité dans la constitution de l’élément psychologique
de l’infraction
§ 1. L’apparente inclusion par le droit positif de l’imputabilité dans la constitution
de l’infraction

Cour de cassation-chambre criminelle


Cass. crim., 16 juin 1887, Bull. crim., no 221.
Cass crim., 13 mars 1991, no 90-83913, Bull. crim., no 125.
Cass. crim., 5 févr. 1957, Bull. crim. no 112 ; RSC 1958, p. 93 obs. A. LEGAL.
Cass. crim., 29 janv. 1921, S. 1922, 1, 185, note J.-A. ROUX.
Cass. crim. 3 déc. 1963, no 62-92.138, Bull crim., no 343.
Cass. crim. 14 déc. 1982, inédit, Gaz. Pal., 1983, 1, pan., p. 178.
Cass. crim., 13 déc. 1956, Laboube, no 55-05.772, Bull. crim. no 840 ; D., 1957, jurispr. p. 349,
note M. PATIN.

Cour de cassation-chambres civiles


Cass. civ. 1re, 28 mars 2012, no 11-10.393, inédit, JurisData no 2012-005910 ; Dr. fam. 2012,
comm. 113, P. BONFILS.

463
Juridictions du fond
CA Bordeaux, 26 avr. 1988 : JurisData no 045645.
CA Colmar, ch. spéc. des mineurs, 1er déc. 1953, Gaz. Pal., 1954. II. 149.

§ 2. L’inclusion de l’imputabilité dans la constitution de l’infraction induisant la cohérence


de son élément psychologique

Section 2 : L’autonomie de l’imputabilité par rapport à l’élément psychologique de l’infraction


§ 1. L’autonomie de l’imputabilité par rapport à l’élément psychologique de l’infraction
confirmé par l’étude du régime juridique de l’imputabilité

Cour de cassation-chambre criminelle


Cass. crim. 11 mai 2004, no 03-85.925, Bull. crim. no 115, AJ Pénal 2004, p. 285, obs.
J. LEBLOIS-HAPPE ; RSC 2004, p. 878, obs. Y. MAYAUD.
Cass. crim., 12 nov. 1959, no 66-93.682, Bull. crim. no 488.
Cass. crim., 1er oct. 1962, Bull. crim. no 271.
Cass. crim., 7 avr. 1967, Bull. crim. no 106.
Cass. crim., 9 mai 1962, Bull. crim. no 187.

§ 2. L’autonomie de l’imputabilité par rapport à l’élément psychologique de l’infraction


confirmé par le recours au droit civil

Cour de cassation-Assemblée plénière


Cass. ass. plén. 9 mai 1984, no 79-16.612, Bull. crim., no 4 ; no 80-93.481, Bull. crim., no 3 ;
no 80-14994, Bull. crim., no 1 ; no 80-93031, Bull. crim., no 2, D. 1984, jurispr. p. 525, concl.
J. CABANNES, note F. CHABAS ; JCP 1984, II, 20255, note P. JOURDAIN.

Cour de cassation-chambre criminelle


Cass. crim., 6 juill. 1934, DH 1934. 446.
Cass. crim., 3 nov. 1986, no 85-93644, Bull. crim. no 313; RSC 1987, p. 426, obs.
G. LEVASSEUR.
Cass. crim., 13 oct. 1987, no 86-96062, Bull. crim. no 347.

Cour de cassation-chambres civiles


Cass. civ. 2e, 18 déc. 1912, inédit, S. 1914. 1. 249, note R. MOREL ; D. 1915.1.17 ; Gaz. Pal.
1913.1.107.
Cass. civ., arrêt Quertier, 7 mars 1855, D., 1855.1.81 ; note R. HOUIN, JCP 1956.II.9224.
Cass. civ. 1re, 30 janv. 2001, no 98-14368, Bull. civ. I, no 19 ; D., 2001, somm. 2232, obs.
P. JOURDAIN ; JCP 2001. I. 338, no 4, obs. G. VINEY ; RTD civ., 2001. 376, obs.
P. JOURDAIN ; RSC 2001. 613, A. GIUDICELLI.
Cass. civ. 1re, 29 oct. 2002, no 99-19411, inédit titré, rendu sur le visa de « la règle de l’autorité
du pénal sur le civil ».
Cass. civ. 2e, 15 nov. 2001, no 99-21636, inédit, JCP 2002.II.10310, obs. D. GUIHAL.
Cass. civ. 1re, 9 nov. 1983, 1re espèce, no 81-16549, Bull. crim., no 265, D. 1984, p. 139, note
F. DERRIDA.
Cass. civ. 2e, 28 févr. 1996, no 94-13084, Bull. crim., no 54, Gaz. Pal. 1997, 1, p. 86. Note
P. Jacques.

464
Cass. civ. 1re, 1er déc. 2010, no 09-13.303, Bull. 2010, I, n° 248, D., 2011, actu. 24, obs.
I. GALLMEISTER ; D., 2011, p. 423, note F.-X. LICARI ; RTD civ. 2011, p. 122, obs.
B. FAGEs ; RTD civ. 2011, p. 317, obs. P. REMY-CORLAY.

Chapitre II. La localisation de l’imputabilité et de la culpabilité déterminante


de leurs fonctions respectives
Section1. Le rattachement exclusif de l’imputabilité à la responsabilité découlant
du système de l’emprunt de criminalité
§ 1. La concordance du droit positif avec le système de l’emprunt de criminalité

Cour de cassation-chambre criminelle


Cass. crim., 1er mars 1886, Bull. crim., no 50.
Cass. crim., 24 mai 1945, Bull. crim., no 57.
Cass. crim., 19 mai 1953, no 177.
Cass. crim., 17 mai 1970, D. 1970, p. 515.
Cass. crim., 18 nov. 1976, no 75-92805, Bull. crim., n o 332.
Cass. crim., 28 mai 1990, Bull. crim., no 214 ; D. 1990, no 89-83826, IR p. 217.
Cass. crim., 28 nov. 2006, no 06-81060, Bull. crim., no 294 ; Dr. pén., 2007. 31, obs. M. VÉRON ;
RSC 2007. 79, obs. Y. MAYAUD.
Cass. crim., 6 juin 2000, no 99-85937, Bull. crim., no 213 ; Dr. pén. 2000, comm. 124, obs.
M. VÉRON ; RSC, 2000. 829, obs. Y. MAYAUD.
Cass. crim., 13 sept. 2016, no 15-85.046, publiée au bulletin, JurisData no 2016-018495;
Dr. pén., 2016, comm. 153 obs. P. CONTE ; JCP G 2016, 1039, act. 1039, obs.
J.-Y. MARÉCHAL et 1067, note F. ROUSSEAU.
Cass. crim., 30 avr. 1996, no 94-86107, Bull. crim., 1996, no 176 ; RSC, 1997, p. 113, obs.
J.-P. DELMAS SAINT-HILAIRE.
Cass. crim., 8 janv. 2003, no 01-88065, Bull. crim., no 5 ; JCP 2003, II, 10159, note
W. JEANDIDIER; D., 2003, jurispr. p. 2261, note É. GARÇON.
Cass. crim., 19 mars 2008, no 07-85054, Bull. crim., no 70, Dr. pén., 2008, comm. 79,
M. VERON.
Cass. crim., 24 juin 1922, S. 1923. 1. 41, note A. ROUX ; 10 juill. 1969, RSC, 1970, p. 384,
note A. VITU.
Cass. crim., 9 mars 1876, S., 1876. I. 188.
Cass. crim., 3 juill. 1886, DP, 1886. I. 473.
Cass. crim., 18 sept. 1890, Bull. crim., no 194.
Cass. crim, 3 juill. 1909, DP, 1911. I. 290.
Cass. crim., 2 févr. 1916, Bull. crim., no 130.
Cass. crim., 13 juin 1918, Bull. Crim., no 329.
Cass. Crim., 28 juill. 1921, Bull. crim., no 312.
Cass. crim., 30 oct. 1914, DP 1919.1.67.
Cass. crim. 20 juin 1994, Bull. crim., no 246.
Cass. crim., 4 mars 1998, no 97-82360, Bull. crim., no 83.
Cass. crim., 18 juin 2003, no 02-85199, Bull. crim., no 127 ; D., 2004. 1620, note D. REBUT ;
D., 2005 ; 195, note A. PROTHAIS ; JCP 2003, II, 10121, note M.-L. RASSAT ; RSC 2003.
781, note Y. MAYAUD.
Cass. Crim., 15 déc. 2004, Dr. pén., 2005, comm. 79, obs. J.-H. ROBERT.
Cass. crim., 6 mars 2012, no 11-80.801, Bull. crim., no 61, D. 2012.816, obs. S. LAVRIC ;
Dr. pén., 2012, comm. 68, obs. M. VÉRON.
Cass. crim., 25 juin 2003, no 02-86182, inédit, Dr. pén. 2003, comm. 142, obs. M. VÉRON ;
RSC, 2004. 350, obs. R. OTTENHOF.

465
Juridictions du fond
Trib. corr. Dijon, 2 avr. 2003.
Trib. corr. Draguignan, 23 févr. 2006, inédit.

§ 2. L’indifférence des causes de non-imputabilité sur la répression de la complicité

Cour de cassation-chambre criminelle


Cass. crim., 20 oct. 1949, Bull. crim., 1949, no 291.
Cass. crim., 13 mars 1991, no 90-83913, Bull. crim., 1991, no 125.
Cass. crim., 16 juin 1887, Bull. crim.,1887, no 221.
Cass. crim., 27 nov. 1847, DP 1846, 4, no 94.
Cass. crim., 12 oct. 1882, Bull. crim., 1882, no 233.
Cass. crim., 9 nov. 1965, no 65-90659, Bull. crim., no 227.
Cass. crim., 16 juill. 1964, Bull. crim., no 241.
Cass. crim., 7 mai 1942.
Cass. crim., 26 déc. 1924, Bull. crim. 1924, no 426.
Cass. crim., 9 févr. 1956, Bull. crim. 1956, no 148 ; JCP G 1956, II, 9574, note J. LARGUIER ;
D. 1956, 501, note M.R.M.P.
Cass. crim., 4 janv. 1963, no 62-91.693, Bull. crim. 1963, no 5.
Cass. crim., 25 juin 2003, no 02-86.182, inédit, Dr. pén., 2003, comm. 142, obs. M. VÉRON ;
RSC, 2004, p. 350, obs. R. OTTENHOF.
Cass. crim., 26 oct. 1912, S. 1914, I, 225, note ROUX ; 15 janv. 1948, S. 1949, I, 81, note
A. LÉGAL.
Cass. crim., 10 nov. 1971, no 69-92.308, Bull. crim., no 307.
Cass. crim., 15 janv. 1979, no 77-90.394, Bull. crim., no 21.
Cass. crim., 19 déc. 1989, no 89-82.550, inédit, D. 1990. 198, note D. MAYER ; RSC,
1990. 775, obs. A. VITU.

Cour de cassation-chambres civiles


Cass. civ. 1re, 26 janv. 1999, no 96-20782, Bull. civ. I, no 32 ; RTD civ. 1999, p. 405.

Cour de cassation-chambre commerciale


Cass. com., 11 oct. 1971, no 70-11892, Bull. com., no 237, D. 1972, p. 120.

Juridictions du fond
Trib. corr. Bobigny, 22 nov. 1972, Gaz. Pal., 1972, 2, p. 890.
CA. Aix-en-Provence, 11 juillet 1968, Gaz. pal., 1968, 2, p. 316.

Section 2. La complémentarité fonctionnelle des composantes de la responsabilité pénale.


§ 1. Le rôle de l’imputabilité en lien avec son rattachement exclusif à la responsabilité pénale

§ 2. Le rôle de la culpabilité en lien avec son double rattachement,


infraction/responsabilité pénale

Cour européenne des droits de l’homme


CEDH, 10 janv. 2013, no 60995/09, Voica c/ France, N. Hervieu, « La motivation des arrêts
d’assises en France sous les fourches caudines européennes », lettre « Actualités droit-
libertés du CREDOF, 11 janv. 2013 ; F. LAFAILLE, « La CEDH et la (non-)motivation

466
des verdicts de cour d’assises, JCP G n° 9, 247 ; L. Milano, « De la nécessité de
reconsidérer la place du principe de motivation », RDLF, 2013, chron. n° 7 ;
J.-F. RENUCCI, « Mise au point européenne sur la motivation des arrêts d’assises », D,
2013, p. 615 ; M. PARIGUET, « Les raisons de la peine – à propos de l’arrêt CEDH, 10
janv. 2013, no 60995/09, v. c/ france », Dr. pén., 2013, étude 6.

Conseil constitutionnel
Cons. const., 9 août 2007, no 2007-554, DC, JO du 11 août ; AJDA 2008, p. 594, note
A. JENNEQUIN ; D., 2008, p. 2025, obs. V. BERNAUD et L. GAY ; RSC, 2008, p. 133, obs.
B. DE LAMY ; ibid., p. 136, obs. B. DE LAMY.
Cons. const., 29 sept. 2010, no 2010-40 QPC, D., 2010, p. 2732, obs. G. ROUJOU DE BOUBEE,
T. GARE et S. MIRABAIL ; AJ pén., 2010, p. 501, obs. J.-B. PERRIER ; D., 2011, p. 54, note
B. BOULOC.

Partie 2. L’imputabilité à l’épreuve d’un droit pénal post-moderne


Titre 1. La montée d’un droit pénal néopositiviste sonnant le glas d’une conception unitaire
de l’imputabilité
Chapitre I. L’objectivation de l’imputabilité en lien avec l’évolution de la personnalité pénale
des personnes morales

Cour de cassation-chambre des requêtes


Cass. Req., 23 févr. 1891, D., 1891, 1, 337 ; S., 1892, 1, 73.

Cour de cassation-chambre civile


Civ. 2e, 28 janv. 1954 no 54-07.081, Bull. II, no 32, JCP 1954, II, 7958, concl. LEMOINE ;
D., 1954, p. 217, note G. LEVASSEUR.

Section 1. Le glissement vers l’abandon de la responsabilité indirecte des personnes morales


condamnant la conception subjective de l’imputabilité
§ 1. La reconnaissance initiale d’une responsabilité indirecte de la personne morale

Cour de cassation-chambre criminelle


Cass. crim., 2 déc. 1997, no 96-85.484, Bull. crim., no 408 ; Rev. sociétés 1998, p. 148, obs. B.
Bouloc ; RSC, 1998, p. 536, obs. B. BOULOC ; JCP E 1998, 148, note P. SALVAGE ; D.,
1999, Somm. p. 152, obs. G. ROUJOU DE BOUBEE ; JCP 1998, II, no 10023, rapp. F.
DESPORTES ; J. PRADEL et A. VARINARD, Les grands arrêts du droit pénal général, 3e éd., 2001,
p. 457 ; JCP 1999, I, 112, no 1, M. VERON ; Bull. Joly 1998, p. 512, § 166, note
J.-F. BARBIERI ; Droit et patrimoine 1998, 2011, note J.-F. RENUCCI.
Cass. crim., 26 juin 2001, no 00-83.466, Bull. crim., no 161 ; D. 2002, p. 1802, obs. G. ROUJOU
DE BOUBEE ; RSC, 2002, p. 99, obs. B. BOULOC ; JCP E 2002. 371, note D. OHL ;
Dr. pén., 2002, comm. 8, note J.-H. ROBERT.
Cass. crim., 30 oct. 1995, no 95-80.361, Bull. crim., no 336.

Juridictions du fond
CA Paris, 21 déc. 1949, Soc. Baschet, D. 1950, p. 438, col. 1, note H. DONNEDIEU DE VABRES.
Tr. corr. de Paris, 3 nov. 1995, Dr. soc., 1996, p. 157, note A. COEURET.
Tr. corr. Versailles, 18 déc. 1995 : JurisData no 1995-049320 ; Dr. pén., 1996, comm. 71, note
J.-H. ROBERT ; JCP G 1996, II, 22640, note J.-H. ROBERT.
Tr. corr. Strasbourg, 9 févr. 1996, Bull. Joly, 1996, p. 297, note J.-F. BARBIÈRI.

467
Tr. corr. Lyon, 9 oct. 1997 : JurisData no 1997-044728 ; Dr. pén., 1997, comm. 154, note
J.-H. ROBERT ; JCP G 1998, I, 105, note J.-H. ROBERT.
CA Lyon, 3 juin 1998 : JurisData no 1998-041510 ; Dr. pén., 1998, comm. 118, note
J.-H. ROBERT.
CA Paris, 21 déc. 1949, D., 1950, p. 434, note H. DONNEDIEU DE VABRES.

§ 2. L’autonomisation de la responsabilité pénale des personnes morales

Cour de cassation-chambre criminelle


Cass. crim., 28 juin 1902, Bull. crim., 1902, no 237.
Cass. crim., 7 déc. 1981, no 78-91.633, Bull. crim., 1981, no 325.
Cass. crim., 19 janv. 1988, no 87-83.315, Bull. crim., 1988, no 29.
Cass. crim., 11 mars 1993, no 91-83.655 : JurisData no 1993-000886 – no 92-80.773 : JurisData
no 1993-704844 – no 90-84.931 : JurisData no 1993-000778 – no 91-80.958 : JurisData
no 1993-003140 – no 91-80.598 : JurisData no 1993-704846 ; Bull. crim., 1993, no 112 ;
Bull. Joly Sociétés 1993, p. 666, note M.-E. CARTIER ; RSC, 1994, p. 101, obs. B. BOULOC.
Cass. crim., 1er déc. 1998, no 97-80.560, Bull. crim. no 325 ; RSC, 1999, p. 336, obs.
G. GIUDICELLI-DELAGE, et p. 579, obs. B. BOULOC.
Cass. crim., 9 nov. 1999, no 98-81746, Bull. crim., no 252 ; RSC, 2000, p. 389, obs.
Y. MAYAUD, p. 600, obs. B. BOULOC, et p. 851, obs. G. GIUDICELLI-DELAGE ; Dr. pén.,
2000, comm. no 56, 1er arrêt, obs. M. VÉRON ; Bull. Joly, 2000, § 85, obs. J.-F. BARBIÈRI.
Cass. crim., 14 déc. 1999, no 99-80104, Bull crim., no 306 ; Bull. Joly, 2000, § 145, obs.
J.-F. BARBIERI ; Dr. pén., 2000, comm. no 56, 2e arrêt, obs. M. VERON ; RSC, 2000, p. 600,
obs. B. BOULOC, et p. 851, obs. G. GIUDICELLI-DELAGE.
Cass. crim., 25 mars 2014, no 13-80.376 : JurisData no 2014-005997 ; Bull. crim., 2014, no 94;
Dr. pén., 2014, chron. 10, no 1, obs. M. SEGONDS.
Cass. crim., 16 déc. 2014, no 13-87.342, inédit : JurisData no 2014-031281.
Cass. crim., 9 juin 2015, no 14-86-469, inédit : JurisData no 2015-013827.
Cass. crim., 10 avr. 2013, no 12-82282, inédit, Gaz. Pal., 21-23 juill. 2013, p. 30, obs.
E. DREYER.
Cass. crim., 20 juin 2006, no 05-85.255: JurisData no 2006-034397 ; Bull. crim., 2006, no 188;
JCP G 2006, II, 10199, note E. DREYER ; D. 2007, p. 617, note J.-C. SAINT-PAU.
Cass. crim., 31 mai 2005, Dr. pén., 2005, comm. 193, obs. J.-H. ROBERT
Cass. crim., 21 févr. 2006, no 05-82140, inédit, Dr. pén., 2006, comm. 71, obs. J.-H. ROBERT.
Cass. crim., 11 juin 2010, no 09-87.884, inédit : JurisData no 2010-008735 ; JCP G 2010, I,
notes 1030 et 1031, J.-H. ROBERT et H. MATSOPOULOU ; RSC 2010, p. 177, obs.
B. DE LAMY.
Cass. crim., 15 janv. 2008, no 07-80.800, Bull. crim., 2008, no 6 ; JCP G 2008, II, 10082, note
J.-Y. MARÉCHAL.
Cass. crim., 15 févr. 2011, no 07-83.640, Bull. crim. no 23, Dr. pén., 2011, comm. 62, obs.
M. VÉRON.
Cass. crim., 25 juin 2008, no 07-80.261: JurisData no 2008-044943 ; Bull. crim., 2008, no 167 ;
Dr. pén., 2008, comm. 140, note M. VERON ; JCP E 2008, 2361, note C. DUCOULOUX-
FAVARD ; RD. pén. crim., 2008, p. 858, note P. BONFILS.
Cass. crim., 1er avr. 2008, no 07-84.839, inédit, Dr. pén., 2008, comm. 140, obs. M. VÉRON.
Cass. crim., 2 déc. 1997, no 96-85.484, Bull. crim. no 408.
Cass. crim., 1er déc. 2009, no 09-82.140, inédit, Dr. pén., 2010, comm. 74, obs. M. VÉRON.
Cass. crim., 28 janv. 2009, no 08-85.426, inédit, Dr. pén., 2009, comm. 48, obs. J.-H. ROBERT.
Cass. crim., 11 oct. 2011, no 10-87.212, Bull. crim. no 202 : JurisData no 2011-021620, JCP G
2011, I, 1385, note J.-H. ROBERT.

468
Cass. crim., 11 avr. 2012, no 10-86.974, Bull. crim. no 94 : JurisData no 2012-007035, JCP G
2012, I, 740, note J.-H. ROBERT ; AJ pén., 2012, p. 415, note B. Bouloc ; Gaz. Pal., 27-
28 juill. 2012, p. 19, obs. E. DREYER Cass. crim., 19 juin 2013, no 12-82.827, Bull. crim.,
2013, no 148 ; JCP G 2013, 1049, note A. GALLOIS ; Gaz. Pal. 21-23 juill. 2013, p. 3, obs.
E. DREYER.
Cass. crim., 15 janv. 2013, no 1-80.862, inédit, Gaz. Pal. 8-11 mai 2013, p. 26, obs. E. DREYER.
Cass. crim., 12 juin 2012, no 11-83.657, inédit, JCP G 2012, 1172, note J.-H. ROBERT ; Gaz.
Pal., 26-27 oct. 2012, p. 30, obs. E. DREYER.
Cass. crim., 2 sept. 2014, no 13-83.956 ; Bull. crim., 2014, no 178; JCP S, 2014, 1402, note
F. DUQUESNE.
Cass. crim., 27 mai 2015, no 14-82.432, inédit.
Cass. crim., 22 sept. 2015, no 14-83.202, inédit : JurisData no 2015-021027, Dr. pén., 2015,
comm. 167, note J.-H. ROBERT.
Cass. crim., 17 nov. 2015, no 14-83.647, inédit, Dr. pén., 2016, comm. 22, obs. P. CONTE.
Cass. crim., 22 mars 2016, no 15-81.484, Bull. crim., no 100.
Cass. crim., 27 sept. 2016, no 15-85.248, à paraître au bulletin : JurisData no 2016-019637 ;
Dr. pén., 2017, étude 11, note P. CONTE.
Cass. crim., 12 avr. 2016 no 15-86.169, Bull. crim. no 130 : JurisData no 2016-006964 ; Dall. act.,
18 mai 2016, obs. S. FUCINI.
Cass. crim., 28 juin 2013, no 12-85.917.
Cass. crim., 18 avr. 2000, Bull. crim., 2000, no 153.
Cass. crim., 5 févr. 2003, no 02-82.187, Bull. crim. no 24, RSC, 2003, p. 554, obs. B. BOULOC;
D., 2003, p. 2855, note J.-C. PLANQUE.
Cass. crim., 26 sept. 2001, Bull. crim., no 191 ; RTD Com. 2002, p. 382, obs. B. BOULOC.

Cour de cassation-chambres civiles


Cass. 1re civ., 6 avr. 2004, no 01-03.494, Bull. I, no 108.

Section 2. La reconnaissance d’une responsabilité directe des personnes morales à l’origine


d’une conception objectivée de l’imputabilité
§ 1. Les conditions de la responsabilité pénale des personnes morales repensées
dans le sens de l’autonomie

Cour de justice de l’Union européenne


CJUE, 5 mars 2015, aff. C-343/13, Modelo Continente Hipermercados SA c/Autoridade para as
Condições de Trabalho : JurisData no 2015-006137.

Cour de cassation-chambre criminelle


Cass. crim., 20 juin 2000, no 99-86.742, Bull. crim., no 237; D., affaires 2001, no 10, p. 893, note
H. MATSOPOULOU ; Bull. Joly, 2000, p. 201, § 12, obs. C. MASCALA.
Cass. crim., 14 oct. 2003, no 02-86.376, Bull. crim., no 189 ; Dr. pén., 2004, comm. no 20, obs.,
J.-H. ROBERT.
Cass. crim., 25 oct. 2016, no 16-80.366, à paraître au bulletin ; JCP E 2016, p. 1652 ; Dr. soc.
2017, comm. 34, R. SALOMON ; Dr. soc. 2017, chron. 1, E. SCHLUMBERGER.
Cass. crim., 26 juin 2001, no 00-83.466, Bull. crim., no 161.
Cass. crim., 1er déc. 2009, no 09-83.374, Bull. crim. no 199, D., 2010, p. 1663, obs.
C. MASCALA.
Cass. crim., 16 déc. 2009, no 07-86-584, inédit.
Cass. crim., 9 févr. 2010, no 09-81.574, inédit.
Cass. crim., 9 mars 2010, Bull. crim., no 49.

469
Cass. crim., 11 mai 1999 ; Dr. pén., 1999, comm. 140, obs. M. VÉRON ; RSC, 2000, p. 197,
obs. Y. MAYAUD.
Cass. crim., 22 nov. 2006, no 06-83.008, Bull. crim. no 293 : JurisData no 2006-036598 ; Dr. pén.,
2007, comm. 25, note J.-H. ROBERT.
Cass. crim., 24 mars 2009, no 08-86.530, inédit : JurisData no 2009-047943 ; Dr. pén., 2009,
comm. 84, note J.-H. ROBERT.

Juridictions du fond
CA Paris, 7 mars 2008, JurisData no 2008-360860.

§ 2. La confirmation d’une acception objectivée de l’imputabilité par l’étude des peines


applicables aux personnes morales

Chapitre II. L’imputabilité en danger au regard de la responsabilité pénale


des personnes physiques
Section 1. L’éviction ciblée de l’imputabilité par l’infliction de mesures répressives
à des personnes au discernement inexistant ou incomplet
§ 1. L’infliction de peines à des délinquants aliénés ou la concession de l’imputabilité
en tant que fondement de la responsabilité pénale

Cour européenne des droits de l’homme


CEDH, 3 sept. 2015, no 42875/10, Berland c/ France : JurisData no 2015-019339 ; RSC, 2016,
p. 129 note D. ROETS ; D., 2015, p. 2465, obs. G. ROUJOU DE BOUBEE, T. GARE,
C. GINESTET, M.-H. GOZZI et S. MIRABAIL ; AJ pén., 2015, p. 599, obs. C. MARGAINE ;
Dr. pén., 2015, comm. 134, note V. PELTIER.
CEDH, 6 nov. 1980, Guzzardi c/ Italie, § 100, Série A, no 39.
CEDH 24 juin 1982, Van Droogenbroeck c/ Belgique, § 35, Série A, no 50.
CEDH 9 févr. 1995, Welch c/ Royaume-Uni, § 27, Série A, no 307-A ; RSC, 1996, p. 470, obs.
R. KOERING-JOULIN.
CEDH 8 juin 1995, Jamil c/ France, § 30, Série A, no 317-B ; D., 1996, p. 197, obs.
J.-F. RENUCCI ; RSC, 1995, p. 855, obs. L.-E. PETTITI, 1996, p. 471, obs. R. KOERING-
JOULIN et p. 662, obs. J.-P. DELMAS SAINT-HILAIRE.
CEDH, 17 déc. 2009, no 19359/04, M. c/ Allemagne, JurisData no 2009-021374, part. § 133.
CEDH, 24 nov. 2011, no 4646/08, O. H. c/ Allemagne.
CEDH 24 nov. 2011, no 48038/06, Schönbrod c/ Allemagne.
CEDH, gr. ch., 21 oct. 2013, no 42750/09, Del Rio Prada/c Espagne, Dr. pén., 2013, comm. 179,
note V. PELTIER.

Conseil constitutionnel
Cons. const., DC 21 févr. 2008, no 2008-562

Cour de cassation-chambre criminelle


Cass. crim., 14 avr. 2010, no 09-82.291, inédit.
Cass. crim., 28 oct. 2014, no 13-82.787, inédit.
Cass. crim., 28 oct. 2014, no 13-82.787, inédit.
Cass. crim., 16 déc. 2009, no 09-85.153, Bull. crim., no 216 ; Dr. pén., 2011, étude 4 H.
MATSOPOULOU ; D., 2010, p. 471, note J. PRADEL ; ibid., p. 144, obs. M. Léna ; AJ pén.,

470
2010, p. 136, obs. C. DUPARC ; Constitutions, 2010, p. 235, obs. M. DISANT ; RSC, 2010,
p. 129, obs. É. FORTIS ; JCP G 2010. 117, note P. MISTRETTA.
Cass. crim., 12 oct. 2011, no 10-88.126, inédit.
Cass. crim., 21 janv. 2009, no 08-83.492, Bull. crim., no 24 ; D., 2009, p. 1111, note
H. MATSOPOULOU ; AJ pén., 2009, p. 178, obs. J. LASSERRE-CAPDEVILLE ; RSC 2009,
p. 69, note P.-J. DELAGE ; p. 136, obs. A. GIUDICELLI ; Dr. pén., 2009, étude 9,
F. ROUSSEAU ; JCP 2009, II, 10043, note S. DETRAZ.

§ 2. L’imputabilité ébranlée par le glissement du droit pénal des mineurs vers le droit pénal
des majeurs, ou la concession de l’imputabilité dans sa double acception de fondement
et d’aptitude à profiter de la sanction pénale

Cour européenne des droits de l’homme


CEDH, Gr. Ch., 16 déc. 1999, T. et V. c/ Royaume Uni, req. nos 24724/94 et 24888/94.

Conseil constitutionnel
Cons. Const., no 2002-461 DC du 29 août 2002, JO 10 sept. 2002, p. 14953 ; RDP 2002,
p. 1731, note J. Roux.
Cons. const., no 2007-553, DC du 3 mars 2007.
Cons. const., no 2007-554, DC du 9 août 2007.
Cons const., no 2011-625, DC du 10 mars 2011.

Cour de cassation-chambre criminelle


Cass. crim., 10 févr. 2016, no 16-80.510 : JurisData no 2016-002530 ; Bull. crim., no 45 ; Dr. pén.,
2017, chron. 3 « Un an de droit de la peine », comm. É. GARÇON et V. PELTIER (affiner
la référence).
Cass. crim., 13 déc. 1956, D., 1957, p. 349, note PATIN.
Cass. crim., 8 juin 2017, no 16-83.345, à paraître au bulletin.

Section 2. Le risque d’une éviction de l’imputabilité attisée par le phénomène contemporain


de convergence des peines et mesures de sûreté
§ 1. L’artifice de la dualité de qualifications formelles

Cour européenne des droits de l’homme


CEDH, 21 oct. 2013, no 42750/09, Del Rio Prada c/ Espagne : JurisData no 2013-026185 ; D.,
2013, p. 2775, obs. J. FALXA ; RSC, 2014, p. 174, note D. ROETS.
CEDH, 12 févr. 2008, Gr. Ch., no 21906/04, Kafkaris c/ Chypre : JurisData no 2008/010468.
CEDH, 3e sect., 10 juill. 2012, Del Rio Prada c/ Espagne, no 42750/09 : JurisData
no 2012-033725, AJ pén., 2012, p. 494, obs. M.-H. EVANS ; RSC, 2012, p. 698, obs.
D. ROETS.
CEDH, 7 janv. 2016, no 23279/14, Bergmann c/ Allemagne ; JurisData no 2016-000130 ; Dr.
pén., 2016, comm. 70, V. PELTIER ; AJ pén., 2017, p. 48, obs. C. SAAS, Dr. pén., 2017, chron.
« Un an de droit de la peine », no 33, obs. V. PELTIER.

Conseil constitutionnel
Cons. const., 21 févr. 2008, no 2008-562 DC, AJDA 2008, p. 714 ; D., 2008, p. 1359, chron.
Y. MAYAUD ; ibid., p. 2025, obs. V. BERNAUD et L. GAY ; ibid., 2009, p. 123, obs.

471
G. ROUJOU DE BOUBEE, T. GARE et S. MIRABAIL ; Constitutions 2010, p. 235, obs.
M. DISANT ; RSC 2008, p. 731, note C. LAZERGES ; ibid., 2009, p. 166, obs. B. DE LAMY.
Cons const., DC NO 93-334, 20 JANV. 1994.
Cons. const., 29 sept. 2010, no 2010-40 QPC, JCP 2010, p. 1149, obs. A. LEPAGE et
H. MATSOPOULOU ; Dr. pén., 2010, comm. 122, obs. J.-H. ROBERT ; Gaz. Pal., 2010, p. 19,
obs. M.-C. SORDINO.
Cons. const., 17 mars 2011, no 2011-103 QPC, Constitutions 2011, p. 377, obs. A. BARILARI ;
LPA, 2011, p. 3, obs. N. PERROTIN ; RFDC, 2011, p. 627, obs. É. OLIVA.
Cons. const., 22 juill. 2005, no 2005-520 DC, RFDC, 2006, p. 165, obs. S. NICOT; Gaz. Pal.,
2005, no 215, p. 6, obs. J.-É SCHOETTL.
Cons. const., 9 août 2007, no 2007-554 DC, AJDA 2008, p. 594, note A. JENNEQUIN ; D.,
2008, p. 2025, obs. V. BERNAUD et L. GAY ; RSC, 2008, p. 133 et 136, obs. B. DE LAMY.
Cons. const., DC 8 déc. 2005, no 2005-527.
Cons. const., 21 févr. 2008, no 2008-562 DC.

Cour de cassation-chambre criminelle


Cass. crim., 8 juin 2016, no 15-84.205, Bull. crim. no 176, Dr. pén., 2016, comm. 149, obs.
É. BONIS-GARÇON.
Cass. crim., 26 nov. 1997, no 96-83.792 ; Bull. crim., 1997, no 404 ; D., 1998, p. 495.
Cass. crim., 3 sept. 2008, no 07-88.501, inédit ; Dr. pén., 2009, comm. no 11.

§ 2. La réunion des peines et des mesures de sûreté en une catégorie unique de sanctions
pénale avec l’imputabilité pour fondement

Titre 2. Pour une cohabitation dédramatisée de l’imputabilité et de la dangerosité dans un


droit pénal post-moderne
Chapitre I. La recherche d’une cohabitation dédramatisée de l’imputabilité et de la
dangerosité dans le cadre de la césure du procès pénal
Section 1. La potentialité d’une place spécifique à l’imputabilité dans le cadre
de la césure du procès pénal
§ 1. La césure du procès pénal induisant implicitement une place spécifique
à l’imputabilité au sein du jugement pénal

§ 2. La césure du procès pénal consacrant expressément une phase du procès pénal


portant sur l’imputabilité

Section 2. Le dévoiement de la césure excluant l’existence processuelle de l’imputabilité


§ 1. La pénalisation des délinquants aliénés

Cour de cassation-commission de révision


Comm. révision, 8 févr. 2010, no 09 rév. 039, Bull. crim., 2008, Comm. révision no 2.

§ 2. La césure du procès pénal sans incidence pratique sur la pénalisation des mineurs délinquants

Cour européenne des droits de l’homme

472
CEDH, 2 mars 2010, no 54729/00, Adamkiewicz c/ Pologne, D., 2010, p. 1324, note
P. BONFILS ; ibid., p. 1904, obs. A. GOUTTENOIRE et P. BONFILS ; ibid., 2011, p. 1107,
obs. M. DOUCHY-OUDOT ; RSC, 2010, p. 687, obs. D. ROETS.
Conseil constitutionnel
Cons. const., 29 août 2002, no 2002-461, DC.
Cons. const., 8 juill. 2011, no 2011-147, QPC, AJ fam., 2011, p. 435, obs. V. A.-R. ; 391, point
de vue L. Gebler ; AJ pén., 2011, p. 596, obs. J.-B. Perrier ; RSC 2011, p. 728, chron.
C. LAZERGES ; RTD civ., 2011, p. 756, obs. J. HAUSER.
Cons. const., 4 août 2011, no 2011-635 DC.
Cons. const., 3 mars 2007, no 2007-553, DC.
Cons. const., QPC no 2012-272 du 21 septembre 2012, JO du 22 septembre 2012, p. 15024.
Cons. const., no 2011-625 DC du 10 mars 2011.

Cour de cassation-chambre criminelle


Cass. crim. 8 juin 2017, no 16-83.345, à paraître au bulletin.
Cass. crim., 7 avr. 1993, no 92-84.725, Bull. crim,. no 152 ; D., 1993. Jur. 553, note J. PRADEL.
Cass. crim., 20 juin 2012, no 12-90.019, inédit.

Chapitre II. L’usage recentré de la dangerosité


Section 1. L’usage de la dangerosité bornée par le l’extension
du rôle garantiste de l’imputabilité
§ 1. Les implications de l’imputabilité en droit pénal de forme

Cour européenne des droits de l’homme


CEDH, 23 févr. 2012, no 27244/09, G c/France ; D., 2012, p. 742, obs. O. BACHELET ;
AJ pén., 2012, p. 357, obs. J.-P. CERE.
CEDH Hauschildt c/ Autriche, 24 mai 1989.
CEDH, 30 janv. 2001, no 35683/97, Vaudelle c/ France : Dr. fam. 2001, comm. 66, obs.
T. Fossier ; RTDciv. 2001, p. 330, obs. J. Hauser ; D. 2002, p. 354, note A. Gouttenoire et
E. Rubi-Cavagna ; JCP G 2001, I, 342, no 14, obs. F. Sudre.

Conseil constitutionnel
Cons. const., décision no 2012-235 QPC, 20 avr. 2012, CRPA, Rec., p. 202 ; AJDA 2012, p. 855.
Cons. const. 9 août 2007, no 2007-554 DC.

Cour de cassation-chambre criminelle


Cass. crim., 20 juin 2008, Avis no 0080005P ; D., 2008, p. 1902, obs. M. LÉNA ; Procédures
2008, no 325, obs. R. PERROT.
Cass. crim., 8 juin 2017, no 16-83.345, inédit.
Cass. crim., 6 nov. 2012, no 12-82.190, Bull. crim., no 240 ; Gaz. Pal., 19-20 déc. 2012, jur.,
p. 10, note R. MESA ; Gaz. Pal., 8-9 févr. 2013, p. 32, note E. DREYER ET S. DETRAZ ; Dr.
pén., 2013, comm. 33, obs. É. BONIS-GARÇON.
Cass. crim., 29 janv. 2014, no 12-85.603, Bull. crim., no 34 ; D., 2014, p. 372 ; M. BOMBLED,
Dalloz. act., 14 févr. 2014 ; Dr. pén., 2014, comm. 50, obs. É. BONIS-GARÇON.
Cass. crim., 14 oct. 2014, no 13-85.779, Bull. crim., no 205 ; JurisData no 2014-024158 ; Dr. pén.,
2014, comm. 153, obs. É. BONIS-GARÇON.

Cour de cassation-chambres civiles


Cass. civ. 1er, 10 avr. 2013, no 12-13.672, Bull. 1013, I, no 80.

473
Juridictions du fond
CA Angers, 8 oct. 2013, no 13/00231 : JurisData no 2013-026024 ; Dr. fam., 2014, comm. 28,
obs. I. MARIA.
§ 2. Les implications de l’imputabilité en droit pénal de fond

Section 2. Les modalités d’une appréhension directe de la dangerosité dans


un droit pénal post-moderne
§ 1. L’appréhension de la dangerosité praeterdelictum

Cour européenne des droits de l’homme


CEDH Haidn c./ Allemagne, 13 janv. 2011, rep. no 6587/04.
CEDH, 7 janv. 2016, no 23279/14, Bergmann c/ Allemagne, JurisData no 2016-000130 ;
Dr. pén., 2016, comm. 70, V. PELTIER, JCP G 2016, 94.
CEDH, 12 févr. 2008, no 21906/04 Kafkaris c/ Chypre : JurisData no 2008-010468.
CEDH, Gr. Ch., 9 juill. 2013, nos 66069/09, 00130/10 et 03896/10, Vinter et A. c/ Royaume-
Uni : JurisData no 2013-022188.
CEDH, 26 avr. 2016, no 10511/10 Murray c/ Pays-Bas : JurisData no 2016-007793.
CEDH, 4 oct. 2016, nos 37871/14 et 73986/14, T.P. et A.T. c/ Hongrie, Dr. pén., 2016, comm.
182, obs. É. BONIS-GARÇON.
CEDH, 13 nov. 2014, no 40014/10, Bodein c/ France, § 61 : JurisData no 2014-026649 ;
Dr. pén., 2015, comm. 15, É. BONIS-GARÇON.

Conseil constitutionnel
Cons. const., 10 févr. 2017, no 2016-611 QPC.
Cons. const., 7 avr. 2017, no 2017-625 QPC.
Cons. const., 8 déc. 2005, no 2005-527 DC ; D., 2006, Pan. p. 000 [telle qu’apparaît la
reference], obs. V. OGIER-BERNAUD et C. SEVERINO.
Cons. const., 21 févr. 2008 – décision no 2008-562 DC.

Cour de cassation-chambre criminelle


Cass. crim., 19 nov. 2002, no 02-80.788, inédit, D., 2003, p. 1315, note D. MAYER.
Cass. crim., 7 févr. 2007, no 06-80.108, inédit, D., 2007, p. 1310, note J.-P. FELDMAN ; p. 573,
obs. A. Darsonville ; AJ pén., 2007, p. 133, obs. C. Saas ; JCP G 2007, II, 10059, note
F.-G. TREBULLE.

§ 2. La nécessité d’une évolution vers l’optimisation de l’évaluation de la dangerosité

474
Index

A et défaut d'imputabilité de l'auteur : 194


et suiv.
Actuarielle :
Conscience :
méthode actuarielle : 421 et suiv. infractionnelle : 47, 68, 79 et suiv.
morale : 48
Agression sexuelle : 60, 61, 298, 307
polysémie de la notion de – : 47
Amende civile : 161 et suiv., 431, 446
psychologique : 48
Appréciation hybride : 71, 72
Contrainte :
Appréciation in abstracto : 70 et 71, 102, 103,
altération grave du processus volontaire : 114
116
et état de nécessité : 20, 104 et suiv.
Appréciation in concreto : 62, 70 et suiv., 101
et personnes morales : 265
et suiv., 114, 116, 144, 220, 266, 360, 417, 445
imprévisibilité : 107 et suiv.
Aptitude et sanction pénale :
irrésistibilité : 101 et suiv.
aptitude à mériter la sanction : 203, 204, 208,
morale : 99 et suiv.
210
physique : 90 et suiv.
aptitude à profiter de la sanction pénale : 27,
Contravention :
203, 210, 270, 271, 278, 279, 289, 293, 362,
complicité : 180 et suiv.
377, 379, 434, 435, 471
présomption de culpabilité : 67 et suiv.
Culpabilité :
B
caractère objectivé : 35 et suiv., 70 et suiv.
Blanchiment : 191 et suiv. élément psychologique : 15, 23 et 24
fonctions : 212 et suiv.
C intentionnelle : 36 et suiv., 46 et suiv.
Capacité pénale : non intentionnelle : 36 et suiv.
imputabilité comprise comme – : 27, 28, 228, non- culpabilité intentionnelle : 85
269, 270, 272, 276, 289, 290 et suiv., 359 et présomption : 67 et suiv., 74 et suiv.
suiv., 397 et suiv., 433 et suiv.
D
Causes d’irresponsabilité pénale : 44, 55, 88,
111, 140, 163, 198, 265, 352 Dangerosité :
Causes de non-imputabilité : 16, 21, 28, 45, 80, criminologique : 421 et suiv.
107 évaluation : 419 et suiv., 436
faits justificatifs (distinction) : 21, 28, 107 hypothétique : 402 et suiv.
Césure du procès pénal : psychiatrique : 419 et suiv.
l'existence processuelle de l'imputabilité : 350 sociale : 333 et suiv., 421 et suiv.
Circulaire Chaumié : 399 Déclaration d'irresponsabilité pénale pour
Complicité : cause de trouble mental :
l'emprunt de criminalité (principe) : 172 pénalisation de la maladie mentale : 351 et
autonomisation : 185 suiv.

475
Défense sociale : – de mise en danger délibérée : 37, 147, 154,
– nouvelle : 133, 206 et suiv., 212, 225, 342 219
Délit d'excès de très grande vitesse : 38 et – intentionnelle : 23, 137, 166, 179, 261
suiv. – normative : 48
Délégation de pouvoirs : 241 – qualifiée : 151, 219, 255
Délit d’excès de très grande vitesse : 40
Démence : Voir Trouble psychique ou I
neuropsychique
Imprudence :
Derguini (arrêt) : 169 – ordinaire : 42, 71, 147 et suiv.
Discernement :
– qualifiée : 42, 53, 118, 147, 159, 219, 253
abolition du – : 81, 125, 197, 211, 380, 391
Imputabilité :
altération du – : 197, 389, 397
acception subjective : 12, 15, 28, 231, 233, 235,
définition du – : 12
237, 264, 265, 269, 433
Dol aggravé : 47, 57, 62 et suiv.
ancrage sociologique : 318, 334, 335
Dol général : 46 et suiv., 74, 85
audience d'– : 216, 350, 358, 381 et suiv.
Dol spécial : 46 et suiv.
concession de l'exigence d'– : 144, 162
Dommages et intérêts punitifs : 164 et suiv.,
et imputation : 264
431, 446
et responsabilité civile : 161
extériorité à l'infraction : 140
E
fonction téléologique : 164, 430
École néoclassique : fondement de la responsabilité pénale : 203,
– de la Restauration : 205 279
– nouvelle : 209, 212 reconfiguration du champ de la condition de
Élément : liberté de l'– : 89
– injuste : 23 restauration (proposition en vue de la) : 165
– légal : 16 et suiv., 47, 74, 176 rupture conception unitaire de l'– : 229
– matériel : 23 et suiv., 40, 47, 67, 74, 90, 111, Imputation :
120, 176, 233 et imputabilité : 9
– moral : 40, 55, 65, 76, 111, 130, 137, 177, personnes morales : 258
233, 354 Incrimination : 21, 22, 23, 46, 47, 48, 50, 60, 64,
Empoisonnement : 51, 183, 184, 190 77, 98, 135, 138, 142, 172, 174, 183, 184, 256,
État de nécessité : 260, 271, 275, 328, 355, 403, 454
altération grave du processus volontaire : 114 Individualisation de la sanction :
genèse de l'– : 117 et capacité pénale : 209
Expertise : principe d'– : 27, 105, 113, 345, 374
– civile : 391 Infans :
– de dangerosité : 422 absence de discernement : 197
– psychiatrique : 280, 390, 422 Infraction :
aggravée : 58
F d'omission : 90
éléments constitutifs : 16, 22, 23, 40, 59, 61,
Faits justificatifs :
109 et suiv., 135, 141 et suiv., 172, 174, 234
putatif : 15, 16
et suiv., 431
subjectivisation jurisprudentielle : 15
formelle : 51, 403
conception objective : 16
obstacle : 50, 51, 52, 402, 403, 404, 406, 407,
conception subjective : 15
435
effet in rem : 18
structure de l'– : 22
et mobile légitime : 17, 55
Instigation : 103, 176 et suiv.
extranéité des causes de non-imputabilité : 13
Faute
L
– antérieure : 21, 107, 127, 392, 431
– caractérisée : 42, 154, 219 Laboube (arrêt) : 123 et suiv., 302, 324 et suiv.,
– civile : 144, 431 463
Légitime défense : 10 et suiv., 179

476
Lemaire (arrêt) : 169 organe ou représentant de la – : 26, 235, 245,
Liberté physique :Voir Contrainte physique 261, 433
Liberté psychologique :Voir Contrainte théorie du substratum : 238
morale Pluridisciplinarité :
Libre arbitre : 11, 12, 22, 26, 44, 45, 105, 114, évaluation de la dangerosité : 424 et suiv.
116, 140, 141, 207, 210, 225, 326, 355 Positivisme pénal : 27, 29, 333
Lien de causalité : 93 Post-modernité : 83, 225, 226, 339, 435, 452
Précaution :
M et état de nécessité : 408
et imputabilité : 406, 407
Mesures applicables aux mineurs :
principe de – : 406
aggravation : 290
Présomption de culpabilité :
mesures éducatives : 164, 291
dol général : 68
sanctions éducatives : 291
dol spécial : 69
Mesures de sûreté :
jurisprudentielle : 73
et peines (interactions) : 310
légitimité de la – : 73
Mesûres de sûreté :
Procédures pénales applicables aux mineurs :
et déclaration d'irresponsabilité pénale pour
affaiblissement du caractère approprié des – :
cause de trouble mental : 278
361
Mobile :
comparution à délai rapproché :364
caractère objectif : 63
COPJ-jugement : 364
et circonstances aggravantes : 58
présentation immédiate : 366
indifférence du – : 54
procédures accélérées : 363 et suiv.
légitime : 17

R
N
Recel : 191
Négligence : Voir Imprudence
responsabilité civile : 161
Néopositivisme pénal : 26, 429
Responsabilité pénale :
O caractère rétributif de la – : 208
notion de – : 9
Organe ou représentant de la personne Rétention de sûreté :
morale : conformité au droit interne de la – : 411
– identification de l'– : 433 conventionnalité de la – : 416
légitimité de l'identification abstraite de l'– : Risque social : 225
247
S
P
Seuil de minorité pénale :
Peine : âge de raison : 14, 305 et suiv.
peines planchers : 299, 397 fixation : 85, 141, 289, 301 et suiv., 435
Peines et mesures de sûreté : structure de l’infraction : 29, 84, 139
– et mesures de sûreté : 294, 310 et suiv., 471 Surveillance de sûreté : 288, 318 et suiv., 411 et
Personnalité du délinquant : suiv., 446
césure du procès pénal : 341 Surveillance judiciaire : 271, 277, 313 et suiv.,
examen de la – :345 411 et suiv., 427, 428
Personne morale :
anthropomorphisme : 257 T
autonomie de la responsabilité pénale de la – :
Terrorisme :
239
et cause de non-imputabilité : 402
capacité délictuelle de la – : 261
Trouble de la personnalité :
causes de non-imputabilité : 265
dangerosité : 419
cumul des responsabilités de la personne
Trouble mental ou psychique ou
physique et de la – : 238
neuropsychique : Voir Discernement
Troubles de la personnalité : 12, 420, 421

477
U Violences volontaires : 18, 51, 52, 69, 70, 94,
157, 177, 181, 189, 215, 279, 298, 300
Unité des fautes civile et pénale :
Volonté :
effritement du principe d'– : 147
– du comportement : 36, 98
maintien du principe d'– : 149
altération de la liberté de la – : 100, 114
Utilitarisme : 205, 362, 395, 396
liberté de la – : 44, 45, 89, 96, 103, 110, 120,
138, 141, 194, 266
V
notion de – : 15, 42, 45, 48
Victimes : 148 et suiv., 217, 336 et suiv., 354,
381 et suiv., 386 et suiv., 428, 431, 434

478
Table des matières

Sommaire .................................................................................................................................................................... 5

Principales abréviations ............................................................................................................................................ 7

Introduction................................................................................................................................................................ 9

PARTIE 1 – L’IMPUTABILITÉ DANS LA THÉORIE CLASSIQUE DE LA RESPONSABILITÉ


PÉNALE ............................................................................................................................................. 31
TITRE 1 : L’AUTONOMIE DE L’IMPUTABILITÉ ET DE LA CULPABILITÉ ENTENDUE STRICTEMENT .. 33
Chapitre I – Les conditions de l’imputabilité découlant du caractère objectivé de la culpabilité ....................................... 35
Section 1 – Le caractère objectivé de la culpabilité des personnes physiques résultant de la substance même
de la culpabilité ......................................................................................................................................................................... 36
§ 1 - L’objectivation résultant de la volonté du comportement, dénominateur psychologique commun à
la culpabilité intentionnelle et non intentionnelle ....................................................................................................... 36
A. La « volonté » du comportement constituant le dénominateur psychologique commun à la
culpabilité intentionnelle et non intentionnelle ..................................................................................................... 36
1. L’intrusion de la volonté dans le domaine de l’imprudence pénale par le truchement de la faute
de mise en danger délibérée ................................................................................................................................ 37
2. La généralisation de la composante volitive à l’ensemble de l’imprudence pénale (faute
caractérisée + imprudence ordinaire) ................................................................................................................ 42
B. L’identification de la volonté mobilisée dans le champ de la culpabilité .................................................... 42
1. La notion de volonté mobilisée dans la définition des concepts de culpabilité et d’imputabilité ..... 42
2. La volonté constituant le socle de toute culpabilité exclusive d’une subjectivation excessive
de la notion ............................................................................................................................................................. 43
§ 2 - L’objectivation résultant de la substance spécifique à la culpabilité intentionnelle ..................................... 46
A. L’objectivation résultant de la définition positive de l’intention .................................................................. 46
1. La définition positive d’essence classique de l’intention ........................................................................... 46
2. Le caractère objectivé ou abstrait du dol général ....................................................................................... 47
3. L’absence de subjectivisation de l’intention découlant de l’inclusion du dol spécial dans
le dol général .......................................................................................................................................................... 50
B. L’objectivation résultant de la définition négative de l’intention : l’exclusion des mobiles du champ
de la définition de l’intention .................................................................................................................................... 54
1. L’exclusion jurisprudentielle de principe des mobiles de la définition de l’intention ......................... 54
2. L’inclusion législative exceptionnelle des mobiles dans la définition de l’intention ............................ 57
Section 2 – L’objectivation confirmée par l’étude du régime juridique de la culpabilité ........................................... 66
§ 1 - L’établissement de la culpabilité par le recours au mécanisme des présomptions ...................................... 66
A. La présentation générale des présomptions de culpabilité ............................................................................ 67
1. La présomption des éléments constitutifs de l’intention .......................................................................... 67
2. Les modalités d’appréciation de la faute confirmant le caractère objectif de la culpabilité ............... 70
B. La légitimité du mécanisme des présomptions de culpabilité ....................................................................... 72
1. L’hostilité de la doctrine au mécanisme des présomptions jurisprudentielles de culpabilité ............. 73
2. La cohérence du mécanisme des présomptions de culpabilité ................................................................ 76
§ 2 - L’admission restrictive des causes de non-culpabilité ....................................................................................... 78
A. La nature juridique de l’erreur de droit .............................................................................................................. 79
1. L’exclusion du rattachement de l’erreur de droit aux causes de non-imputabilité .............................. 80
2. La définition classique du dol comme argument en faveur de la thèse erreur de droit, cause
de non-culpabilité intentionnelle ........................................................................................................................ 85
B. L’admission restrictive de l’erreur de droit ........................................................................................................ 85

479
Chapitre II – La reconfiguration du champ de la condition de liberté relevant de l’imputabilité ......................................89
Section 1 – L’existence d’une condition tenant à la liberté physique de l’agent entrant dans la constitution
de l’infraction ............................................................................................................................................................................ 89
§ 1 - L’incompatibilité de la contrainte physique avec la matérialité de l’infraction ............................................ 90
A. La non-caractérisation du comportement répréhensible en présence d’une contrainte physique......... 90
1. En présence d’une infraction d’omission supposant un pouvoir préalable d’agir ............................... 90
2. En présence d’un homicide ou de blessures involontaires ...................................................................... 92
B. La non-réalisation du lien de causalité en présence d’une contrainte physique ......................................... 93
§ 2 - L’incompatibilité de la contrainte physique avec l’élément psychologique de l’infraction ........................ 94
A. En présence d’une infraction intentionnelle .................................................................................................... 94
B. En présence d’une infraction non intentionnelle ............................................................................................ 97
1. L’exclusion du rattachement de l’absence de faute antérieure de l’agent à la non-réalisation
de l’élément psychologique de l’infraction ....................................................................................................... 97
2. L’imprudence neutralisée par l’absence de volonté du comportement ................................................. 98
Section 2 – La liberté psychologique, condition de l’imputabilité ................................................................................. 99
§ 1 - La contrainte morale, cause de non-imputabilité altérant la volonté ............................................................. 99
A. La contrainte morale, cause de non-imputabilité ............................................................................................ 99
B. La contrainte morale, altération grave de la liberté de la volonté ............................................................... 100
1. La rigueur de la Cour de cassation dans l’appréciation de la condition d’irrésistibilité .................... 101
2. L’existence juridique de la contrainte morale en question ..................................................................... 102
3. Une interprétation erronée de la condition d’irrésistibilité .................................................................... 104
§ 2 - Le rattachement de l’état de nécessité à la contrainte morale ....................................................................... 107
A. La nature subjective de l’état de nécessité ....................................................................................................... 107
1. La désolidarisation de l’état de nécessité des autres faits justificatifs ................................................... 107
2. L’exclusion du rattachement de l’état de nécessité aux causes de non-culpabilité ............................ 113
B. L’état de nécessité, altération grave de la liberté de la volonté ................................................................... 114
1. Une altération grave du processus volontaire masquée par une appréciation objective
de la liberté de choix........................................................................................................................................... 114
2. L’altération du processus volontaire confirmée par la genèse de l’état de nécessité ......................... 117

TITRE 2 : LA PLACE DE L’IMPUTABILITÉ DANS LA MISE EN ŒUVRE DE LA RESPONSABILITÉ PÉNALE ... 121
Chapitre I – L’extranéité de l’imputabilité à l’infraction............................................................................................ 123
Section 1 – L’inclusion de l’imputabilité dans la constitution de l’élément psychologique de l’infraction .......... 123
§ 1 - L’apparente inclusion par le droit positif de l’imputabilité dans la constitution de l’infraction ............. 124
A. Les arguments textuels........................................................................................................................................ 124
1. La comparaison rédactionnelle de l’article 64 de l’ancien Code pénal et de l’article 122-1
du Code pénal ...................................................................................................................................................... 124
2. La détermination temporelle de l’appréciation des conditions d’imputabilité découlant de
l’article 122-1 du Code pénal ............................................................................................................................ 126
3. Les arguments textuels fondant l’extranéité de l’imputabilité par rapport à l’infraction .................. 129
B. Les solutions jurisprudentielles ......................................................................................................................... 130
1. La marginalité des décisions civiles ou pénales ........................................................................................ 130
2. L’interprétation novatrice de l’arrêt Laboube ........................................................................................... 132
§ 2 - La cohérence de l’élément psychologique de l’infraction ............................................................................... 137
Section 2 – L’autonomie de l’imputabilité par rapport à l’élément psychologique de l’infraction ........................ 139
§ 1 - L’autonomie de l’imputabilité par rapport à l’infraction confirmée par l’étude de son régime juridique .. 140
A. Les présomptions en matière d’imputabilité .................................................................................................. 140
B. La charge de la preuve de l’imputabilité .......................................................................................................... 141
1. La charge de la preuve de l’imputabilité ou de l’absence d’imputabilité pesant sur le prévenu
ou l’accusé ............................................................................................................................................................ 141
2. La charge de la preuve des éléments constitutifs de l’infraction incombant au ministère public ... 143
§ 2 - L’autonomie de l’imputabilité par rapport à l’infraction confirmée par le recours au droit civil ........... 144
A. L’extranéité de l’imputabilité à l’infraction découlant de l’exclusion de l’imputabilité dans la constitution
de la faute civile ......................................................................................................................................................... 144
1. L’exclusion de l’imputabilité de la constitution de la faute civile .......................................................... 144
2. La place de l’imputabilité pénale.................................................................................................................. 146
B. L’imputabilité, fondement exceptionnel de la responsabilité civile engagée à des fins répressives ..... 161
1. L’abandon de l’exigence d’imputabilité en matière civile justifiée par la fonction réparatrice
de la responsabilité civile ................................................................................................................................... 162

480
2. La mise en évidence de la fonction téléologique de l’imputabilité ........................................................ 164
3. Le retour de l’exigence d’imputabilité en matière civile justifié par la fonction punitive
de la responsabilité civile ................................................................................................................................... 165
4. Le retour de l’exigence d’imputabilité afin de garantir l’intégralité de la réparation des dommages
subis par la victime .............................................................................................................................................. 169
Chapitre II – La localisation de l’imputabilité et de la culpabilité déterminante de leurs fonctions respectives ...............171
Section 1 – Le rattachement exclusif de l’imputabilité à la responsabilité découlant du système de l’emprunt
de criminalité........................................................................................................................................................................... 172
§ 1 - La concordance du droit positif avec le système de l’emprunt de criminalité ........................................... 172
A. Le système théorique de droit positif en matière de complicité : l’emprunt de criminalité .................. 172
1. Les principales représentations conceptuelles de la complicité ............................................................. 172
2. L’adoption du principe de l’emprunt de criminalité ................................................................................ 177
B. La tendance opportuniste à l’autonomisation de la complicité en dehors de toute prévision légale ... 185
1. La répression du complice d’un acte matériel répréhensible ................................................................. 186
2. L’opportunité d’un revirement de jurisprudence ..................................................................................... 187
3. Le retour à une solution juridiquement plus orthodoxe ......................................................................... 190
4. Les solutions dans le domaine d’infractions apparentées à la complicité : le recel et le blanchiment ... 191
§ 2 - L’indifférence des causes de non-imputabilité sur la répression de la complicité ..................................... 194
A. L’indifférence (relative) de l’absence de volonté libre .................................................................................. 195
B. L’indifférence de l’absence de discernement .................................................................................................. 197
1. La répression du complice d’une infraction commise sans discernement .......................................... 197
2. La confirmation des solutions par les infractions de recel et de blanchiment.................................... 199
C. La confirmation de l’indifférence du défaut d’imputabilité de l’auteur par le recours au droit civil
des contrats ................................................................................................................................................................. 201
Section 2 – La complémentarité fonctionnelle des composantes de la responsabilité pénale................................ 202
§ 1 - Le rôle de l’imputabilité en lien avec son rattachement exclusif à la responsabilité pénale ..................... 203
A. La fonction traditionnelle de fondement de la responsabilité pénale ........................................................ 203
1. L’imputabilité en tant qu’aptitude psychologique autorisant le prononcé d’une sanction pénale .... 203
2. La fonction traditionnelle de l’imputabilité enrichie à la faveur de l’émergence de mouvements
d’individualisation subjective de la sanction pénale ..................................................................................... 205
B. L’imputabilité à l’épreuve de la capacité pénale ............................................................................................. 206
1. L’hétérogénéité doctrinale ............................................................................................................................. 206
2. L’exclusion d’une substitution de la capacité pénale à l’imputabilité en raison de l’incompatibilité
entre le concept de capacité pénale et le caractère rétributif de la responsabilité pénale ..................... 208
3. L’exclusion de l’absorption de la capacité pénale dans le concept d’imputabilité ............................. 209
§ 2 - Le rôle de la culpabilité en lien avec son double rattachement, infraction/responsabilité ...................... 213
A. La diversité des fonctions en lien avec la construction de l’infraction ...................................................... 213
1. La fonction informative ou l’identification juridique du délinquant .................................................... 213
2. La fonction juridique de qualification ou la détermination de l’état d’esprit juridique de l’agent
au moment des faits ............................................................................................................................................ 214
B. La diversité des fonctions en lien avec la mise en œuvre de la responsabilité pénale ............................ 215
1. La fonction sociale ou la fonction pédagogique de la culpabilité.......................................................... 215
2. La fonction traditionnelle rétributive ou de mesure objective de la responsabilité pénale .............. 216
3. La double fonction garantiste de la culpabilité ......................................................................................... 220

PARTIE 2 – L’IMPUTABILITÉ À L’ÉPREUVE D’UN DROIT PENAL POST-MODERNE ..... 223


TITRE 1 – LA MONTÉE D’UN DROIT PÉNAL NÉOPOSITIVISTE SONNANT LE GLAS D’UNE CONCEPTION
UNITAIRE DE L’IMPUTABILITÉ ....................................................................................................... 229
Chapitre I – L’objectivation de l’imputabilité en lien avec l’évolution de la responsabilité pénale des personnes morales...231
Section 1 - Le glissement vers l’abandon de la responsabilité indirecte des personnes morales condamnant
la conception subjective de l’imputabilité ......................................................................................................................... 232
§ 1 - La reconnaissance initiale d’une responsabilité indirecte de la personne morale ...................................... 233
A. Le choix jurisprudentiel de la théorie du substratum préservant l’acception subjectivede l’imputabilité ..... 233
1. La préservation de l’acception subjective de l’imputabilité découlant de la projection automatique
de l’imputabilité caractérisée en la personne physique sur la personne morale ...................................... 233
2. La confirmation de l’acception subjective de l’imputabilité par la projection des causes de
non-imputabilité de la personne physique sur la personne morale ........................................................... 235
B. Les inconvénients de la théorie du substratum augurant d’un abandon de la responsabilité indirecte
des personnes morales .............................................................................................................................................. 238

481
§ 2 - L’autonomisation de la responsabilité pénale des personnes morales ......................................................... 240
A. L’autonomisation jurisprudentielle ................................................................................................................... 240
1. L’élargissement ratione personae ................................................................................................................ 241
2. La marginalisation de la jurisprudence exigeant l’identification de la personne physique organe
ou représentant .................................................................................................................................................... 243
B. L’autonomisation législative ............................................................................................................................... 253
1. La remise en cause législative de la règle societas delinquere non potest............................................ 253
2. L’élargissement par le fait du législateur ou l’élargissement ratione materiae..................................... 256
Section 2 – La reconnaissance d’une responsabilité directe des personnes morales à l’origine d’une conception
objectivée de l’imputabilité .................................................................................................................................................. 258
§ 1 - Les conditions de la responsabilité pénale des personnes morales repensées dans le sens de l’autonomie 258
A. Le maintien d’une acception abstraite de la culpabilité ................................................................................ 259
1. La nécessité d’établir l’existence d’une faute personnelle de la personne morale .............................. 259
2. La caractérisation d’une faute personnelle de la personne morale ....................................................... 261
B. L’application directe de l’exigence d’imputabilité à la personne morale impliquant son caractère
objectivé ...................................................................................................................................................................... 264
1. L’imputation directe de l’infraction à la personne morale...................................................................... 264
2. L’acception objectivée de l’imputabilité confirmée par le caractère partiel des causes de non-
imputabilité pouvant être invoquées en propre par la personne morale ................................................. 265
§ 2 - La confirmation d’une acception objectivée de l’imputabilité par l’étude des peines applicables aux
personnes morales ........................................................................................................................................................... 269
A. L’exclusion de l’imputabilité comme capacité pénale scellant le caractère objectivé de l’imputabilité....... 269
1. L’impossible transposition de l’imputabilité comprise comme capacité pénale découlant de l’absence
de psychisme propre à la personne morale .................................................................................................... 270
2. Le caractère objectif des peines spécifiques aux personnes morales ................................................... 271
B. L’hybridation du fondement de la responsabilité pénale des personnes morales ................................... 273
1. La permanence du fondement de la faute ................................................................................................. 273
2. Le fondement inédit du risque social généré par l’activité de la personne morale ............................ 273
Chapitre II – L’imputabilité en danger au regard de la responsabilité pénale des personnes physiques ......................... 277
Section 1 – L’éviction ciblée de l’imputabilité par l’infliction de mesures répressives à des personnes au
discernement inexistant ou incomplet ............................................................................................................................... 278
§ 1 - L’infliction de peines à des délinquants aliénés ou la concession de l’imputabilité en tant que
fondement de la responsabilité pénale ........................................................................................................................ 279
A. La concession par le législateur de l’impératif d’imputabilité...................................................................... 280
B. L’occasion doublement manquée par la jurisprudence de restaurer l’impératif d’imputabilité ............ 282
1. L’occasion manquée de la jurisprudence interne ..................................................................................... 282
2. L’occasion manquée de la jurisprudence européenne ............................................................................. 286
§ 2 - L’imputabilité ébranlée par le glissement du droit pénal des mineurs vers le droit pénal des majeurs,
ou la concession de l’imputabilité dans sa double acception de fondement et d’aptitude à profiter de la sanction
pénale ................................................................................................................................................................................. 289
A. L’imputabilité comme capacité pénale ébranlée par l’aggravation des sanctions encourues par le
mineur délinquant ..................................................................................................................................................... 290
1. La parenté des sanctions éducatives avec les peines fragilisant l’imputabilité comme capacité pénale 291
2. Le cumul possible d’une mesure éducative et d’une peine fragilisant l’imputabilité comme
capacité pénale ..................................................................................................................................................... 293
3. La multiplication des dérogations au principe d’atténuation légale de peine fragilisant l’imputabilité
comme capacité pénale ...................................................................................................................................... 297
4. L’imputabilité comme capacité pénale un temps fragilisée par l’instauration de peines planchers 299
B. L’exigence de l’imputabilité à l’engagement de la responsabilité pénale fragilisée dans les projets de
réforme du droit pénal des mineurs ...................................................................................................................... 301
1. L’absence de seuil de minorité pénale donnant force au concept d’imputabilité dans son acception
classique ................................................................................................................................................................ 301
2. Le risque de la fixation d’un seuil de minorité pénale comme facteur d’affaiblissement
du concept d’imputabilité .................................................................................................................................. 304
Section 2 – Le risque d’une éviction de l’imputabilité attisé par le phénomène contemporain de convergence
des peines et mesures de sûreté .......................................................................................................................................... 310
§ 1 - L’artifice de la dualité de qualifications formelles ............................................................................................ 311
A. Les interactions du droit interne ....................................................................................................................... 311
1. La convergence des traits essentiels des peines et mesures de sûreté .................................................. 311
2. La convergence des régimes juridiques ...................................................................................................... 313

482
B. Le phénomène de convergence découlant du droit européen .................................................................... 318
1. L’application par la Cour européenne de l’article 7 de la Convention aux mesures affectant la
portée de la peine ................................................................................................................................................ 319
2. Les mesures relevant formellement de la qualification de mesure de sûreté et affectant la portée
de la peine ............................................................................................................................................................. 320
§ 2 - La réunion des peines et des mesures de sûreté en une catégorie unique de sanctions pénales avec
l’imputabilité pour fondement ...................................................................................................................................... 324
A. La jurisprudence Laboube, assise juridique de la réunion des peines et des mesures de sûreté en
une seule catégorie de sanctions pénales .............................................................................................................. 324
1. L’imputabilité, fondement du prononcé d’une mesure de sûreté en droit pénal des mineurs ........ 324
2. L’exclusion d’une « triple voie » au profit d’une catégorie unique de sanctions pénales .................. 327
B. Les conséquences de la réunion des peines et mesures de sûreté en une seule catégorie de sanctions
pénales ......................................................................................................................................................................... 329

TITRE 2 : POUR UNE COHABITATION DÉDRAMATISÉE DE L’IMPUTABILITÉ ET DE LA DANGEROSITÉ


DANS UN DROIT PÉNAL POST-MODERNE ........................................................................................ 333
Chapitre I – La recherche d’une cohabitation dédramatisée de l’imputabilité et de la dangerosité dans le cadre de
la césure du procès pénal ............................................................................................................................................341
Section 1 – La potentialité d’une place spécifique pour l’imputabilité dans le cadre de la césure du procès pénal. 341
§ 1 - La césure du procès pénal attribuant implicitement une place spécifique à l’imputabilité au sein du
jugement pénal ................................................................................................................................................................. 342
A. La genèse de la césure du procès pénal ........................................................................................................... 342
B. L’ajournement du prononcé de la peine, une summa divisio du procès pénal consommant
implicitement l’autonomie des concepts de culpabilité et d’imputabilité ....................................................... 344
1. Le rattachement de l’imputabilité à la phase intermédiaire de l’ajournement du prononcé
de la peine ............................................................................................................................................................. 344
2. La personnalité de l’agent, un argument au soutien du rattachement de l’imputabilité à la phase
intermédiaire de l’ajournement du prononcé de la peine ............................................................................ 345
3. La manifestation procédurale de la dichotomie conceptuelle entre culpabilité et imputabilité,
facteur théorique de dépénalisation de l’aliénation mentale ....................................................................... 347
§ 2 - La césure du procès pénal consacrant expressément une phase du procès pénal portant sur
l’imputabilité .................................................................................................................................................................... 348
Section 2 – Le dévoiement de la césure excluant l’existence processuelle de l’imputabilité ................................... 350
§ 1 - La pénalisation des délinquants souffrant de troubles psychiques ou neuropsychiques .......................... 351
A. La reconnaissance d’une culpabilité pénale comme préalable à l’audience sur l’imputabilité ............... 351
1. L’obligation générale de mentionner l’existence de charges suffisantes d’avoir commis les faits
reprochés .............................................................................................................................................................. 352
2. L’assimilation législative de l’acte commis par un individu non discernant à une véritable infraction . 354
B. Le paradoxe d’une audience d’imputabilité comme préalable au prononcé d’authentiques sanctions .......358
§ 2 - La césure du procès pénal sans incidence pratique sur la pénalisation des mineurs délinquants ........... 359
A. L’affaiblissement du caractère approprié des procédures applicables au mineur délinquant de nature
à affecter l’imputabilité comme capacité pénale .................................................................................................. 361
1. La condition liée à la connaissance de la personnalité du mineur dans les procédures rapides de
jugement................................................................................................................................................................ 363
2. L’examen qualitatif des investigations sur la personnalité du mineur .................................................. 367
B. L’inefficacité de la césure du procès pénal à préserver l’imputabilité comme capacité pénale ............. 372
1. La césure du procès pénal des mineurs, une alternative aux procédures accélérées potentiellement
dévoyée.................................................................................................................................................................. 372
2. La césure du procès pénal des mineurs, une alternative aux procédures accélérées potentiellement
inadaptée ............................................................................................................................................................... 373
3. L’évolution de la jurisprudence du Conseil constitutionnel entérinant l’abandon de la césure
comme modèle unique du procès pénal du mineur délinquant ................................................................. 374
Chapitre II – L’usage recentré de la dangerosité ..........................................................................................................379
Section 1 – L’usage de la dangerosité borné par l’extension du rôle garantiste de l’imputabilité .......................... 379
§ 1 - Les implications de l’imputabilité en droit pénal de forme ............................................................................ 380
A. Les implications procédurales de l’imputabilité en cas d’abolition du discernement ou le respect
de l’exigence d’imputabilité impliquant une refonte de la procédure de déclaration d’irresponsabilité
pénale pour cause de trouble mental ..................................................................................................................... 380
1. L’abandon de l’audience d’imputabilité ...................................................................................................... 381

483
2. Le maintien de la compétence judiciaire dans le prononcé de mesures d’assistance sanitaire
et sociale ............................................................................................................................................................... 384
B. Les implications procédurales de l’imputabilité en cas d’altération du discernement ............................ 389
1. Le cas du majeur au discernement altéré bénéficiant d’un régime civil de protection (ou le respect
de l’exigence d’imputabilité impliquant des correctifs dans la procédure pénale applicable à un majeur
protégé) ................................................................................................................................................................. 389
2. Le cas du majeur au discernement altéré ne bénéficiant pas d’un régime civil de protection ou
l’imputabilité, rempart contre le développement débridé d’un néo-utilitarisme pénal ......................... 395
§ 2 - Les implications de l’imputabilité en droit pénal de fond .............................................................................. 397
A. L’application des peines planchers aux délinquants au discernement altéré ............................................ 397
B. La consécration de l’imputabilité comprise comme capacité pénale à l’égard du délinquant majeur
au discernement altéré .............................................................................................................................................. 399
Section 2 – Les modalités d’une appréhension directe de la dangerosité dans un droit pénal post-moderne .... 401
§ 1 - L’appréhension de la dangerosité praeterdelictum .......................................................................................... 401
A. L’appréhension de la dangerosité en amont de la réalisation de tout dommage..................................... 402
1. L’appréhension transgressive de la dangerosité par le truchement des infractions obstacles ......... 402
2. L’exclusion d’une prise en compte de la dangerosité par le truchement du principe de précaution..... 406
B. L’appréhension de la dangerosité après l’exécution de la sanction prononcée en rétribution de
l’infraction commise ................................................................................................................................................. 410
1. La conformité de la rétention de sûreté au droit interne ........................................................................ 411
2. La conventionnalité de la rétention de sûreté ........................................................................................... 416
§ 2 - La nécessité d’une évolution vers l’optimisation de l’appréhension de la dangerosité ............................. 419
A. Pour une meilleure évaluation de la dangerosité ........................................................................................... 419
1. Le préalable d’une définition de la notion ................................................................................................. 419
2. La critique des outils traditionnels d’évaluation ....................................................................................... 421
3. La pertinence d’outils empiriques ............................................................................................................... 423
4. La pluridisciplinarité supposant le multipartenariat, à l’origine d’une évaluation plus qualitative
de la dangerosité .................................................................................................................................................. 424
B. Le questionnement sur la suppression de toute référence expresse à la notion de dangerosité .......... 426
1. La substitution de la notion de prévention de la récidive ...................................................................... 426
2. L’exemple de la mini-surveillance judiciaire .............................................................................................. 427

Conclusion ............................................................................................................................................................. 429

Bibliographie .......................................................................................................................................................... 439

Plan de jurisprudence ........................................................................................................................................... 459

Index ....................................................................................................................................................................... 475

484
Résumé

Après une intrusion chaotique dans la théorie de la responsabilité pénale, l’imputabilité peut
aujourd’hui apparaître comme une donnée d’essence classique. Elle répond à une définition
subjective faisant consensus en doctrine et supposant l’addition du discernement et d’une
volonté libre de l’agent. Dans le prolongement, elle est unanimement entendue comme
constituant le fondement de la responsabilité pénale. Cependant, la cohabitation entre les
différentes conditions de la responsabilité pénale, en particulier entre les concepts de
culpabilité et d’imputabilité, n’est peut-être pas aussi pacifiée qu’il n’y paraît. En réalité, la
question de l’indépendance des notions n’a jamais été clairement résolue, car leurs
composantes respectives participent des conditions subjectives à l’engagement de la
responsabilité pénale. Pourtant, la question est loin d’être anecdotique, en particulier si l’on
considère certaines institutions fondamentales du droit pénal, au rang desquelles figurent les
notions d’infraction et de complicité. Il apparaît ainsi, à l’analyse, que la définition
traditionnelle de l’imputabilité mérite quelques ajustements, conduisant à une reconfiguration
du champ de la condition de liberté relevant de l’imputabilité. Cette recherche vise aussi à
établir que l’imputabilité est une donnée étrangère à l’infraction concrètement commise.
Cette place spécifique au sein de la responsabilité pénale, mettant en évidence le lien entre
l’imputabilité et la sanction infligée en rétribution de l’infraction commise, permet d’adopter
une vision plus large du concept, susceptible d’affronter le bouleversement consécutif à
l’entrée du droit pénal dans l’ère de la post-modernité. Cette dernière, que l’on pourrait
associer au néopositivisme pénal du début du siècle, s’est accompagnée d’une résurgence des
concepts de risque et de dangerosité. L’impact de cette évolution sur l’imputabilité peut
apparaître radical : rupture du caractère unitaire de la notion, émergence du concept
d’imputation à l’égard des personnes morales, voire même effacement pur et simple de
l’imputabilité à l’égard des personnes physiques. Pourtant, des modalités de restauration de
l’exigence d’imputabilité seront envisagées sur les terrains substantiel, par le truchement de
l’imputabilité comprise comme capacité pénale, et processuel – par des propositions
concernant les procédures pensées en considération de la psychologie de l’agent. Au bout du
compte, il apparaît que l’imputabilité est de nature à jouer un rôle décisif dans l’organisation
d’une cohabitation raisonnée avec le concept de dangerosité, en condamnant la prise en
compte de la dangerosité seulement hypothétique sans exclure la possibilité d’une rétention
après la peine.

IMPUTABILITÉ – CULPABILITÉ – LIBERTÉ PSYCHOLOGIQUE – DISCERNEMENT –


EXTÉRIORITÉ À L’INFRACTION – POST-MODERNITÉ – NÉOPOSITIVISME PÉNAL – RISQUE –
DANGEROSITÉ – RUPTURE DU CARACTÈRE UNITAIRE DE L’IMPUTABILITÉ – PERSONNES
MORALES – EFFACEMENT DE L’IMPUTABILITÉ – PERSONNES PHYSIQUES – IMPUTABILITÉ
COMME CAPACITÉ PÉNALE – COHABITATION RAISONNÉE IMPUTABILITÉ/DANGEROSITÉ

485
486
Summary

After a chaotic intrusion in the theory of penal liability, imputability can today appear as a
classical notion. The general doctrinal consensus is that it depends on a subjective definition,
implying the offender’s discernment and free will. Moreover, the notion of imputability is
unanimously considered as the basis of penal liability. However, cohabitation between the
various conditions of penal liability, particularly between the concepts of guilt and
imputability, may not be as steady as it seems.
Indeed, the independence of these notions has actually never been clearly demonstrated, for
their respective components represent the subjective conditions creating penal liability.
Nevertheless, this topic is far from being anecdotal, specifically among several fundamental
institutions of criminal Law, in which the notions of infraction and complicity are involved.
Thus, the definition of imputability may deserve some adjustments, and imply, consequently,
a reworking of the release condition coming under imputability. This study also aims at
proving that imputability is an irrelevant element to the concretely committed offence. This
specific part in penal liability, highlighting the link between imputability and the penalty
imposed in response to the committed offence, enables a wider vision of the concept that
could help facing the upheaval resulting from the entry of criminal Law in the post-modernity
era. The latter, that one could associate with the beginning of the century’s penal
neopositivism, also implied the resurgence of the concepts of risk and dangerousness. The
impact of this evolution about imputability may seem radical: end of the unitary aspect of
the notion, emergence of the concept of imputation towards legal entities, and even total
erasure of imputability towards natural persons. And yet, some solutions to the reconstitution
of the exigence of imputability will be developed, not only in a substantial approach, where
imputability will be understood as penal capacity, but also in a procedural approach – thanks
to suggestions of procedures taking the offender’s psyche into account. In the end,
imputability seems to play a major part in the organization of a balanced cohabitation with
the concept of dangerousness, by condemning a strictly hypothetical consideration of
dangerousness, without excluding a potential reservation after the penalty.

IMPUTABILITY – GUILT – PSYCHOLOGICAL FREEDOM – DISCERNMENT – EXTERIOTY TO


THE OFFENCE – POST-MODERNITY – PENAL NÉOPOSITIVISM – RISK – DANGEROUSNESS –
END OF THE UNITARY ASPECT OF IMPUTABILITY – MORAL ENTITIES – ERASURE OF
IMPUTABILITY – NATURAL PERSONS – IMPUTABILITY AS PENAL CAPACITY – BALANCED
COHABITATION IMPUTABILITY/DANGEROUSNESS

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