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THÈSE PRÉSENTÉE

POUR OBTENIR LE GRADE DE

DOCTEUR DE
L’UNIVERSITÉ DE BORDEAUX

ÉCOLE DOCTORALE DE DROIT

SPÉCIALITÉ DROIT PRIVÉ ET SCIENCES CRIMINELLES

Par Manon de Saint-Léger

L’articulation des procédures pénale et fiscale


Sous la direction de : Madame le Professeur Évelyne BONIS

Soutenue le 13 décembre 2022

Membres du jury :
Mme Evelyne BONIS, Professeur agrégé, Université de Bordeaux (BORDEAUX),
Directrice de thèse,
M. Marc SEGONDS, Professeur agrégé, Université Toulouse 1 Capitole
(TOULOUSE), Rapporteur
M. Stéphane DETRAZ, Maître de conférences, Université Paris-Saclay (GIF-SUR-
YVETTE), Rapporteur
Mme Virginie PELTIER, Professeur agrégé, Université de Bordeaux (BORDEAUX),
Examinatrice
Mme Clarisse SAND, Maître, HIRO AVOCATS PARIS (PARIS), Examinatrice
L’Université de Bordeaux n’entend donner ni approbation ni
improbation aux opinions émises dans cette thèse.
Les opinions émises doivent être considérées comme propres à leur
auteur.

1
2
REMERCIEMENTS

J’adresse ma plus sincère reconnaissance à Madame le Professeur Evelyne BONIS. Merci pour
vos conseils avisés, votre pédagogie, mais aussi pour votre bienveillance et votre sérénité. Merci
également pour l’autonomie et la confiance que vous m’avez accordées durant ces trois années.
Je n’aurais pu espérer meilleure direction que la vôtre pour accomplir ce travail.

Je remercie également le cabinet de Maître Pierre BLAZY, sans lequel la réalisation de cette
thèse n’aurait pas été possible. Pierre BLAZY, Christian BLAZY, Régine LOYCE-CONTY,
ces années passées à travailler avec vous ont été formatrices et enrichissantes. Merci à toutes
les collaboratrices, passées et actuelles, et à Coralie, pour cette ambiance de travail affectueuse
et prospère. Un immense merci à Pauline FRANCILLOUT pour ses précieuses relectures.

Je remercie sincèrement ceux qui m’ont soutenue, depuis le début. Merci à ma famille, à ma
maman, à mon papa, à mon frère, à ma belle-famille, et à mes amis, pour leur indéfectible
soutien.

Merci enfin à Mathieu, pour l’amour que tu me portes, et qui me porte. Merci pour ces années
passées, et celles à venir.

3
4
LISTE DES PRINCIPALES ABRÉVIATIONS

AJDA Actualité juridique de droit administratif


AJ pénal Actualité juridique pénal
Al. Alinéa
Art. Article
Ass. Plén. Assemblée plénière de la Cour de cassation
BDCF Bulletin des conclusions fiscales
BF Bulletin fiscal
BGFE Bulletin de gestion fiscale des entreprises
Francis Lefebvre
BOI Bulletin officiel des impôts
Bull. Bulletin
Bull. crim. Bulletin des arrêts de la chambre criminelle de
la Cour de cassation
Bull. Civ. Bulletin des arrêts des chambres civiles de la
Cour de cassation
CA Cour d’appel
CAA Cour administrative d’appel
CAAS Convention d’application de l’Accord de
Schengen
Cah. Cons. const. Cahiers du Conseil constitutionnel
Cass. civ. Chambre civile de la Cour de cassation
Cass. com. Chambre commerciale de la Cour de cassation
Cass. crim. Chambre criminelle de la Cour de cassation
C. civ. Code civil
C. com. Code de commerce
CE Conseil d’État
CGI Code général des impôts
Ch. Chambre
Chron. Chronique
CJCE Cour de justice des Communautés européennes
CJUE Cour de justice de l’Union Européenne
CMF Code monétaire et financier
Comp. Comparez
Cons. const. Conseil constitutionnel
Contra Contraire
Conv. EDH Convention européenne des droits de l’homme
CP Code pénal
CPC Code de procédure civile
CPP Code de procédure pénale
Cass. crim. Chambre criminelle de la Cour de cassation
Cour EDH Cour européenne des droits de l’homme
D. Recueil Dalloz
D. actu Dalloz actualité
Dr. adm. Droit administratif
DDHC Déclaration des droits de l’homme et du citoyen
Dr. fisc. Droit fiscal
Dr. pén. Droit pénal
Dr. soc. Droit des sociétés

5
Gaz. Pal. Gazette du Palais
Gde ch. Grande chambre
Ibid Ibidem
Infra Ci-dessous
J.-Cl Jurisclasseur
JCP A La semaine juridique : administration et
collectivités
JCP E La semaine juridique : entreprises et affaires
JCP G La semaine juridique : édition générale
JCP N La semaine juridique : notariale et immobilière
JO Journal officiel
LGDJ Librairie générale de droit et de jurisprudence
LPA Les petites affiches
LPF Livre des procédures fiscales
NBT Nouvelles bibliothèques de thèses
NCCC Les nouveaux Cahiers du Conseil
constitutionnel
Not. Notamment
Obs. Observation
Op. cit. Opus citatum
Préc. Précité
PUF Presses universitaires de France
QPC Question prioritaire de constitutionnalité
RDP Revue de droit public
RFFP Revue française de finances publiques
Rec. Cons. const. Recueil des décisions du Conseil
constitutionnel
Rec. Lebon Recueil Lebon des arrêts du Conseil d’État
Rep. pén. Répertoire de droit pénal
Rev. adm. Revue de droit administratif
Rev. pénit. Revue pénitentiaire et de droit pénal
Rev. sociétés Revue des sociétés
Rev. UE Revu du droit de l’Union européenne
RFDA Revue française de droit administratif
RJF Revue de jurisprudence fiscale
RID comp. Revue internationale de droit comparé
RSC Revue de science criminelles
RTD civ. Revue trimestrielle de droit civil
RTD comm. Revue trimestrielle de droit commercial et de
droit électronique
RTD eur. Revue trimestrielle de droit européen
Somm. Sommaire
Ss-sect. Sous-sections
Spéc. Spécialement
Supra Ci-dessus
s. Suivant
T. corr. Tribunal correctionnel
TGI Tribunal de grande instance
TJ Tribunal judiciaire
TVA Taxe sur la valeur ajoutée

6
7
SOMMAIRE

Première partie. L’articulation conceptuelle des procédures ............................................ 31


Titre premier. La légitimité du cumul ................................................................................... 32
Chapitre I. les objectifs assignés aux procédures pénale et fiscale ................................... 33
Section I. Le cloisonnement apparent des objectifs ....................................................... 34
Section II. La fusion réelle des objectifs ....................................................................... 73
Chapitre II. Les rapports entre les procédures pénale et fiscale ...................................... 105
Section I. Le nécessaire dépassement du principe d’indépendance ............................ 106
Section II. L’interdépendance réciproque des procédures pénale et fiscale ............... 125
Titre second : La légalité du cumul ..................................................................................... 166
Chapitre I. La légalité interne du cumul des procédures pénale et fiscale ...................... 167
Section I. L’intervention tardive des juridictions nationales ...................................... 167
Section II. L’application périlleuse du critère de gravité ........................................... 189
Chapitre II. La légalité externe du cumul des procédures pénale et fiscale ..................... 207
Section I. L’encadrement de la Cour européenne des droits de l’homme ................... 208
Section II. L’encadrement de la Cour de justice de l’union européenne .................... 234

Seconde partie. L’articulation processuelle des procédures ............................................ 255


Titre premier. L’incidence du litige fiscal sur le litige pénal .............................................. 256
Chapitre I. L’incidence de la procédure fiscale ................................................................ 257
Section I. L’absence d’incidence personnelle ............................................................. 257
Section II. La présence d’incidences procédurales .................................................... 269
Chapitre II. L’incidence de la décision fiscale ................................................................. 300
Section I. L’autorité de chose jugée de la décision fiscale .......................................... 300
Section II. La révision de la décision pénale ............................................................... 323
Titre second. L’incidence pénale sur le litige fiscal ........................................................... 338
Chapitre I. L’incidence de la procédure pénale ............................................................... 339
Section I. L’absence d’incidence temporelle ............................................................... 339
Section II. L’incidence du régime probatoire ............................................................. 346
Chapitre II. L’incidence de la décision pénale ................................................................. 380
Section I. L’autorité de chose jugée de la décision pénale .......................................... 380
Section II. Le recours en révision de la décision administrative ................................ 406

8
9
« La fraude fiscale est
condamnable. Le contrôle destiné à la
combattre est légitime. Mais dans un État
de droit, pour atteindre un but légitime, fût-
il d'intérêt général, tous les moyens ne sont
pas bons » (B. HATOUX, La preuve
illicite est irrecevable ou Le vol est un
péché capital : RJF 4/2012, p. 304).

10
INTRODUCTION

1. Les procédures pénale et fiscale en concurrence. – Pour combattre la fraude fiscale,


l’ordre juridique interne a fait le choix de permettre aux autorités publiques de rechercher à la
fois la responsabilité pénale et fiscale de leur auteur. Les procédures pénale et fiscale sont ainsi
concurremment mobilisées pour punir les contribuables qui tenteraient de se soustraire au
paiement de l’impôt. La fraude fiscale permet ainsi la réunion de deux procédures qui, au sein
de notre système juridique, sont radicalement éloignées.

2. Le Droit : un système organisé en branches. – Il est classique de représenter le Droit1


sous forme d’arborescence2. Notre ordre juridique s’organise en effet comme « un système »3
divisé en plusieurs branches, parmi lesquelles figurent notamment le droit constitutionnel, le
droit civil, le droit international, le droit pénal, ou encore le droit administratif. La multiplicité
des disciplines juridiques « est la conséquence de la richesse des activités humaines encadrées
par des règles de droit adaptées »4. Au sein de chacune de ces matières, une autre division se
dessine entre le droit substantiel et le droit processuel. Tandis que le premier de ces droits définit
« la juste répartition des droits et des devoirs entre les individus »5, le second organise « les
règles procédurales permettant la mise en œuvre juridictionnelle »6 des droits substantiels.

3. Procédure pénale. – À ce titre, la procédure pénale désigne la branche processuelle du


droit pénal. Elle en assure sa « mise en œuvre »7. Du latin procedere qui signifie « s’avancer »,
la notion de procédure est intimement liée à celle de procès, et désigne une succession d’actes
accomplis pour parvenir à une décision8. D’un point de vue temporel, « la vraie »9 procédure
pénale, comme certains préfèrent encore l’appeler, débute par l’acte déclenchant les poursuites,

1
Avec une majuscule, l’expression renvoie au Droit objectif, par opposition aux droits subjectifs. Le Droit objectif
« vise le système juridique dans son ensemble, tandis qu’un droit subjectif est une prérogative individuelle
accordée aux personnes par le Droit (par exemple le droit de propriété ou encore le droit au respect de la vie
privée) » : M. FABRE-MAGNAN, Introduction au droit, PUF, coll. « Que sais-je ? », 5ème éd., 2021, p. 3.
2
F. TERRÉ, N. MOLFESSIS, Introduction générale au droit, Dalloz, coll. « Précis », 14ème éd., 2022, p. 237.
3
Ibid, p. 1.
4
S. DRUFFIN-BRICCA, L.-C. HENRY, Introduction générale au droit, Lextenso, coll. « Mémentos », 2022, n°1.
5
M. FABRE-MAGNAN, Introduction au droit, op. cit., p. 5.
6
Ibid.
7
C. RENAULT-BRAHINSKY, Procédure pénale, Lextenso, coll. « Mémentos », 23ème éd., 2022, n°1.
8
G. CORNU, Vocabulaire juridique, Association Henri Capitant, PUF, 14ème éd., 2022, p. 815.
9
J. PRADEL, La procédure pénale française à l’aube du troisième millénaire, D. 2000, chron. p. 1 et s.

11
qu’il soit le fait du ministère public10 ou de la partie civile11, pour se terminer par le prononcé
d’une ordonnance ou d’un jugement12. La procédure pénale peut ainsi être définie comme
« l'ensemble des règles relatives à la constatation des infractions, au rassemblement des
preuves, à la recherche et au jugement de leurs auteurs »13. Sa vocation est de faire apparaître
la culpabilité ou l’innocence d’une personne soupçonnée d’avoir commis une infraction pénale.
D’un point de vue organique, les actes de procédure pénale sont confiés à différents acteurs qui
peuvent être scindés en deux catégories : les organes de police et les organes de justice14. Tandis
que les premiers, regroupés au sein de la police judiciaire et agissant dans le cadre d’une enquête
ou d’une commission rogatoire, ont en charge de « découvrir et constater les infractions, en
relever les traces, en rechercher les auteurs pour les livrer à la justice »15, les seconds,
appartenant au corps de la justice, ont en charge « la fonction d’instruire, comme d’ailleurs
celles de poursuivre et de juger »16. Ainsi, l’équilibre de la procédure pénale se situe entre la
protection de la société et la garantie des droits de l’individu poursuivi. Elle oscille entre « deux
intérêts également puissants, également sacrés, qui veulent à la fois être protégés, l'intérêt
général de la société qui veut la juste et prompte répression des délits, l'intérêt des accusés qui
est lui aussi un intérêt social et qui exige une complète garantie des droits de la collectivité et
de la défense »17.

4. Procédure fiscale. – Contrairement à la notion de procédure pénale, celle de


« procédures fiscales » est communément employée au pluriel18, ce à juste titre. Tout comme
la procédure pénale, les procédures fiscales stricto sensu19 regroupent un ensemble de phases

10
Art. 31 CPP.
11
Par le biais de la constitution de partie civile : art. 2 et 85 CPP.
12
Cette vision classique, qui enferme le procès pénal dans des strictes limites temporelles, « paraît aujourd’hui
quelque peu réductrice, tant il apparaît que le procès pénal tend à s’étendre en aval, comme en amont » : D.
THOMAS, Le concept de procès pénal, in La sanction du droit, Mélanges offerts à P. COUVRAT, PUF, 2001, p.
403.
13
C. RENAULT-BRAHINSKY, Procédure pénale, Lextenso, coll. « Mémentos », 23ème éd., 2022, n°1.
14
Distinction proposée par B. BOULOC, Procédure pénale, Dalloz, coll. « Précis », 28ème éd., 2021, p. 39.
15
Ibid, p. 39.
16
Ibid, p. 40.
17
F. HÉLIE, Traité de l’instruction criminelle ou théorie du Code d’instruction criminelle, T. 1 ; Paris, Plon, 2ème
éd., 1866, p. 4.
18
J. GROSCLAUDE, P. MARCHESSOU, Procédures fiscales, Dalloz, 9ème éd., 2018.
19
La législation fiscale comprend la législation contenue dans les codes fiscaux, c’est-à-dire le code général des
impôts, le livre des procédures fiscales mais aussi le code des douanes. Aussi, la procédure fiscale regroupe les
dispositions fiscales stricto sensu mais aussi les dispositions douanières. Dans cette étude, seule la procédure
fiscale sera envisagée stricto sensu, excluant ainsi la mission confiée à l’administration des douanes et des droits

12
hétérogènes, remplissant des objectifs distincts et faisant intervenir de nombreux acteurs. La
première phase du processus fiscal est confiée à l’administration fiscale, ou plutôt aux
« administrations fiscales », expression souvent préférée par les auteurs20. Cette orthographe
est rendue nécessaire, pas tant en raison de l’organe lui-même, désormais regroupé au sein
d’une entité unique, la Direction générale des finances publiques21, mais par la pluralité des
missions qui lui sont confiées. L’administration fiscale est tout d’abord le service chargé de
l’assiette, de la liquidation et du recouvrement des impôts. Pour pouvoir établir l’impôt, il faut
en premier lieu déterminer son assiette, c’est-à-dire la base de calcul de l’imposition. Vient en
deuxième lieu la phase de liquidation, qui consiste à appliquer à la base d'imposition ou à
l’assiette le taux ou le tarif de l'impôt afin d’en déterminer le montant. Une fois l’impôt assis
puis liquidé, « il reste à faire payer le contribuable »22 lors de la phase de mise en
recouvrement. Lors de ces différentes étapes, l’administration fiscale est susceptible d’exercer
des missions de contrôle, destinées à rechercher des éventuelles omissions, insuffisances ou
dissimulations des contribuables et plus généralement, à lutter contre la fraude fiscale. Le
législateur a mis à sa disposition un arsenal de moyens techniques, que la doctrine a classé selon
des distinctions plus ou moins analogues23. Dans le cas où le contrôle de l’administration permet
la découverte d’irrégularités commises par le contribuable, s’enclenche alors d’autres
procédures qui permettent au fisc24 de rectifier l’imposition, soit dans le cadre d’une procédure
de rectification contradictoire, soit dans le cadre d’une procédure d’imposition d’office. C’est
à ce stade que l’administration fiscale peut assortir sa rectification de sanctions fiscales, que

indirects, qui est « extérieure » au droit pénal fiscal (V. en ce sens, S. DETRAZ, R. SALOMON, Précis de droit
pénal fiscal, Lexisnexis, coll. « Précis Fiscal », 2021, p. 5 et 6).
20
J. GROSCLAUDE, P. MARCHESSOU, B. TRESCHER, Droit fiscal général, Dalloz, 12ème éd., 2019, n°111,
p. 61 ; C. WRAZEN, Fiscalité et réciprocité : vers une mutation des relations entre l’Administration fiscale et le
contribuable : Thèse, 2011, p. 26.
21
Une réforme d’ampleur en 2008 a consisté à fusionner deux entités historiques, la Direction générale des impôts
et la Direction générale de la comptabilité publique au sein d’une entité unique : la Direction générale des finances
publiques (décret n°2008-310 du 3 avril 2008 relatif à la direction générale des finances publiques).
22
J. GROSCLAUDE, P. MARCHESSOU, Procédures fiscales, op. cit., p. 111.
23
Messieurs J. GROSCLAUDE et P. MARCHESSOU dissocient dans leur ouvrage précité les droits
d’investigation et de vérification de l’Administration, le second étant un contrôle plus « poussé » en ce qu’il
implique « une recherche critique de conformité ou de cohérence des documents vérifiés » (J. GROSCLAUDE,
P. MARCHESSOU, Procédures fiscales, op. cit., p. 209). Monsieur C. LOPEZ distingue quant à lui les pouvoirs
de contrôle des pouvoirs d’investigations de l’Administration fiscale. Les premiers comprennent le droit de
communication, la demande d’éclaircissement et de justification ainsi que le droit de vérification tandis que les
seconds englobent le droit d’enquête, le droit de visite et de saisie ainsi que des mesures conservatoires telles que
la flagrance fiscale : C. LOPEZ, Droit pénal fiscal, LGDJ, Lextenso éditions, 1ère éd., 2012.
24
Dans cette étude, les termes « administration fiscale », « fisc » et « Trésor public » s’emploieront
indifféremment.

13
sont principalement les majorations de droits et les amendes fiscales. Que la perception de
l’impôt se solde par la mise en recouvrement en dehors de tout contrôle fiscal ou que des
sanctions soient prononcées par le fisc, le processus fiscal peut à ce moment-là basculer vers
une phase contentieuse. Cette nouvelle étape, pleinement intégrée à la procédure fiscale, débute
par une phase administrative préalable, obligeant « le contribuable à exposer devant le fisc la
requête qu’il souhaite déposer devant le juge et les moyens qu’il entend déployer au soutien de
celle-ci »25. En cas d’échec de cette phase préliminaire, le processus contentieux peut
véritablement s’ouvrir. À cet égard, le contentieux fiscal a cette particularité d’être divisé entre
les juges judiciaire et administratif26. Cette singularité, « reflet de la dualité de juridictions et
partant de l’histoire »27, implique une répartition des contentieux en fonction de l’impôt
contesté. Alors que les litiges en matière d’impôts directs et de taxes sur le chiffre d’affaires ou
taxes assimilées relèvent de la juridiction administrative, il incombe à la juridiction judiciaire
de traiter le contentieux des « droits d'enregistrement, de taxe de publicité foncière, de droits
de timbre, de contributions indirectes et de taxes assimilées à ces droits, taxes ou
contributions »28. Au sein de notre étude, la procédure fiscale devra être comprise comme
recouvrant l’ensemble des phases du processus fiscal, de l’action préalable de l’administration
fiscale jusqu’au déroulement du contentieux fiscal.

5. Opposition de principe. – De prime abord, l’idée d’une articulation entre les


contentieux pénal et fiscal n’apparait pas évidente. Les procédures pénale et fiscale remplissent
a priori des objectifs totalement étrangers : tandis que la première a pour objet de sanctionner
le délinquant dont le comportement a engendré un trouble à l’ordre public, la seconde régit les
relations qu’entretiennent le contribuable et l’administration fiscale. L’éloignement entre les
procédures pénale et fiscale se confirme par leur appartenance respective à deux ordres
juridictionnels distincts. Si le contentieux fiscal peut épisodiquement se diriger vers les
tribunaux judiciaires, son ordre juridictionnel de prédilection est la juridiction administrative.
À l’inverse, la procédure pénale relève exclusivement de la compétence des tribunaux
judiciaires. Conséquence du principe du dualisme juridictionnel, et plus généralement de la

25
J. GROSCLAUDE, P. MARCHESSOU, Procédures fiscales, op. cit., p. 316.
26
Dans cette étude, les termes de « juge fiscal », « juge de l’impôt » ou « juge des impôts » seront employés
indifféremment comme désignant le juge compétent pour juger du litige soumis.
27
J. GROSCLAUDE, P. MARCHESSOU, Procédures fiscales, op. cit., p. 317.
28
Art. L. 199 LPF.

14
séparation des pouvoirs judiciaire et exécutif29 ce constat entraîne la soumission des procédures
pénale et fiscale à des règles processuelles distinctes et autonomes.

6. Rapprochement. – Par-delà cette opposition de principe, les matières pénale et fiscale


se rapprochent paradoxalement à l’aune de leur objet. Il s’agit en effet de deux matières de droit
public30 servant un objectif d’intérêt général. Parce qu’elles sont toutes deux des matières
presque régaliennes, en ce qu’elle répare et évite les troubles à l’ordre public pour l’une, ou
qu’elle fournit « au corps social les moyens matériels de sa subsistance »31 pour l’autre, elles
ont souvent revendiqué leur autonomie. Le droit pénal et le droit fiscal seraient alors, chacun à
leur manière, emprunts de particularismes faisant d’eux des matières autonomes32. Le criminel
serait ainsi maître chez soi33, tandis que le droit fiscal serait maître chez lui34.

29
Loi des 16-24 août 1790 sur l’organisation judiciaire, art. 13.
30
L’appartenance du droit pénal à la branche régissant le droit public fait l’objet de nombreux débats. Dans
l’histoire, le droit pénal a naturellement été considéré comme une matière de droit public, le droit de punir étant
en effet exercé par l’État (V. en ce sens, J.-E. ORTOLAN, Éléments de droit pénal, 3ème éd., Paris, 1863, p. 9 ; R.
GARRAUD, Précis de droit criminel, 5ème éd., Paris, 1895, p. 2). De nos jours, certaines caractéristiques du droit
pénal se rattachent à des éléments de droit privé (intérêts privés lésés, compétence des juridictions de l’ordre
judiciaire), si bien que les auteurs contemporains concluent à une « matière mixte » (X. PIN, Droit pénal général,
Dalloz, coll. « Cours », 14ème éd., 2022, p. 2 ; B. BEIGNIER, A.-L. THOMAT-RAYNAUD, Introduction au droit,
Lextenso, LGDJ, 8ème éd., 2022, n°222 ; S. JACOPIN, Droit pénal général, 2ème éd., Bréal, 2014, p. 15 ; É.
VERNY, O. DÉCIMA, S. DETRAZ, Droit pénal général, Lextenso, LGDJ, coll. « Cours », 2ème éd., 2016, n°3).
31
F. MARTINET et A. ANGOTTI, Conseil d’Etat et Cour de cassation, juges de l’impôt : étude comparative
(troisième volet) – La fiscalité civile et pénale, ou la fable du chêne et le roseau : Dr. fisc. n°40, 3 octobre 2013,
454.
32
L’autonomie du droit pénal désigne classiquement l’« aptitude du juge pénal à élaborer ses propres concepts »
(T. GARE, C. GINESTET, Droit pénal. Procédure pénale, Dalloz, coll. « Hypercours », 12ème éd., 2021, n°113 et
s.) et à élaborer des définitions et principes « qui lui sont propres » (X. PIN, Droit pénal général, op. cit., p. 41,
n°33). De la même façon, la matière fiscale serait autonome parce qu’« au regard des autres branches du droit
public comme au regard du droit privé, la loi fiscale possède une indépendance qui lui permet d'établir ses propres
règles » (L. TROTABAS, Essai sur le droit fiscal, Revue de science et législation financière 1928, p. 225). En
réalité, les efforts de justifications de ces revendications autonomistes peinent à convaincre. L’autonomie du droit
pénal s’imposerait en raison de sa finalité répressive : les « exigences du corps social » (J.-L. GOUTAL,
L'autonomie du droit pénal, Reflux et métamorphose, RSC 1980, p. 911) et sa mission spéciale de protection des
intérêts essentiels de la société lui commanderaient de s’affranchir des principes établis pour déterminer, à lui seul,
« les conséquences dans lesquelles ces sanctions sont prononcées et appliquées » (B. BOULOC, Droit pénal
général, Dalloz, coll. « Précis », 27ème éd., 2021, p. 31, n°36). Nombre d’auteurs s’élèvent contre cette pratique,
essentiellement jurisprudentielle, qui n’a d’autre justification que celle tirée de l’efficacité répressive (J.-L.
GOUTAL, L'autonomie du droit pénal, Reflux et métamorphose, op. cit.). Des critiques semblables sont émises à
propos de l’autonomie du droit fiscal, dont certains auteurs dénient même l’existence (V. notamment M. COZIAN,
Propos désobligeants sur une « tarte à la crème », L’autonomie et le réalisme du droit fiscal, Dr. fisc. n°41, 6
octobre 1980, 100056.
33
J.-L. GOUTAL, L'autonomie du droit pénal, Reflux et métamorphose, op. cit.
34
L. TROTABAS, Essai sur le droit fiscal, Revue de science et législation financière 1928, p. 225.

15
7. Point de convergence : la fraude fiscale. – Mais alors que sont « simplement
prononcés deux mots, fraude fiscale »35, et ces deux branches autonomes du Droit sont
contraintes de se réunir. Notre système fiscal a en effet fait le choix de combattre la fraude
fiscale par l’emploi cumulé des procédures pénale et fiscale. Infraction délictuelle incriminée à
l’article 1741 du code général des impôts, la fraude fiscale désigne restrictivement36 « le fait de
se soustraire frauduleusement à l’établissement ou au paiement de l’impôt »37. Cette infraction
a la particularité d’être doublement réprimée et sanctionnée en droit français. Cette possibilité
est expressément prévue par l’article précité lorsqu’il énonce que les sanctions pénales peuvent
être prononcées « indépendamment des sanctions fiscales applicables »38. Le contribuable
auteur d’une fraude fiscale est susceptible de se voir infliger tant des sanctions pécuniaires
prononcées par l’administration fiscale que des peines par la juridiction correctionnelle. En
somme, le traitement de la fraude fiscale est bicéphale. L’addition des répressions pénale et
fiscale en présence d’une fraude a fait émerger un « droit pénal fiscal », matière39

35
O. DEBAT, Souveraineté, citoyenneté, liberté le droit pénal fiscal en quête d'équilibre, Livre du bicentenaire du
code pénal et du code d'instruction criminelle, Dalloz 2010, p. 779.
36
Il s’agit là du délit général de fraude fiscale incriminé à l’article 1741 du code général des impôts. Dans un sens
plus large, la fraude fiscale englobe les incriminations sanctionnées dans le code général des impôts, à travers ses
articles 1741 à 1753 bis B. Dans cette étude, la notion de fraude fiscale sera principalement entendue dans son
sens restrictif.
37
S. DETRAZ, R. SALOMON, Précis de droit pénal fiscal, Lexisnexis, coll. « Précis Fiscal », 2021, p. 10.
38
Art. 1741 CGI, al. 1er.
39
Le « droit pénal fiscal » peut être considéré à ce titre comme une nouvelle branche du droit, en témoigne la
publication de manuels qui lui sont exclusivement consacrés (G. TIXIER et P. DEROUIN, Droit pénal de la
fiscalité, Dalloz, coll. « Droit usuel », 1989 ; P. DI MALTA, Droit fiscal pénal, PUF, coll. « Fiscalité », 1992 ; J.
BRURON, Droit pénal fiscal, LGDJ, coll. « Systèmes », 1993 ; C. LOPEZ, Droit pénal fiscal, LGDJ, coll.
« Systèmes. Fiscalité », 2012 ; C. CUTAJAR, J. LASSERRE CAPDEVILLE, P. MARCHESSOU et B.
TRESCHER, Fraude et évasion fiscales : état des lieux et moyens de lutte, éd. Joly, coll. « Pratique des affaires »,
2015 ; E. CECI, P. MAUFORT, S. SCARNA, Droit pénal fiscal en (r)évolution, Larcier, coll. « Manuels de droit
pénal de l’entreprise », 2021 ; S. DETRAZ, R. SALOMON, Précis de droit pénal fiscal, Lexisnexis, coll. « Précis
Fiscal », 2021). Messieurs S. DETRAZ et R. SALOMON définissent le droit pénal fiscal comme « la branche du
droit criminel qui prévoit la répression des diverses formes de soustraction à l'impôt, en ses versants substantiel
(incriminations, responsabilité pénale, sanctions) et procédural (phase administrative, enquête, poursuites,
instruction, jugement) ». Des thèses ont également étudié les évolutions de la matière (V. notamment, G. KLEIN,
La répression de la fraude fiscale, Étude sur le particularisme du droit pénal des impôts : Thèse, dactyl. Nancy,
1975 ; J. CHIARI, La répression des infractions fiscales : sanctions administratives et sanctions pénales : Thèse,
Toulouse I, 1999). Des chroniques de droit pénal fiscal sont également publiées chez Lexbase ou Lexisnexis. La
matière commence également à être enseignée en tant que telle à l’université. Ainsi, la faculté de Strasbourg
enseigne au sein du Master « Droit des affaires – Parcours Juriste conformité – Compliance Officer » 30 heures
de droit pénal fiscal. Par ailleurs, a récemment été créé un Institut du droit pénal fiscal et financier, dont l’objectif
est de « réunir les différents acteurs de cette matière hybride pour la construire et la faire évoluer en raisonnant
à partir du droit français, mais également à partir du droit européen et international. C’est un véritable travail
d’édification du droit qui doit être effectué ensemble. Cette nouvelle matière ne peut se suffire à une mauvaise
imbrication de deux droits » (Me Clarisse SAND, Présidente de l’Institut du droit pénal fiscal et financier).

16
symptomatique du développement de branches transversales ayant entraîné des intersections
entre différents droits. Le droit pénal fiscal est « le fruit d’un étrange mariage »40 dont il faudra
retracer d’une part la genèse, d’autre part les fondements.

A) La genèse du droit pénal fiscal

8. De l’Ancien Régime au 20ème siècle : un droit pénal fiscal morcelé. – La fraude fiscale
« n’est pas un phénomène nouveau : elle est aussi ancienne que les impôts eux-mêmes »41. Sa
répression « n’a donc pas d’âge »42. De la même façon, le traitement pénal de la fraude n’est
pas un mouvement récent. Historiquement, le droit pénal fiscal a existé de manière morcelée
entre les différentes catégories d’impôts. Le droit répressif des impositions indirectes43 puise
son origine dans des dispositions de l’Ancien Régime. Par un arrêt du Conseil du Roi du 20
juin 1680, Colbert a créé la Ferme générale44, une régie permettant le recouvrement de tous les
impôts et produits compris auparavant dans les baux des différentes fermes. L’institution a pris
sa forme définitive en 1726, sous la forme de plusieurs dizaines de fermes établis à Paris. Elle
collectait principalement la gabelle, ou l’impôt sur le sel. Après une éclipse des impositions
indirectes pendant la période révolutionnaire45, quelques dispositions particulières issues de lois
du début du 19ème siècle ont instauré des sanctions de nature pénale. Par exemple, la fraude sur
les tabacs était sanctionnée par la loi sur les finances ou sur le budget du 28 avril 1816 d’une
amende allant de 1000 à 3000 francs, outre la confiscation des produits litigieux 46, prononcée

40
O. DEBAT, Souveraineté, citoyenneté, liberté le droit pénal fiscal en quête d'équilibre, op. cit.
41
G. KLEIN, La répression de la fraude fiscale, Étude sur le particularisme du droit pénal des impôts, op. cit., p.
3.
42
S. DETRAZ, R. SALOMON, Précis de droit pénal fiscal, op. cit., p. 21.
43
Elles peuvent être définies comme celles perçues « par la collectivité publique auprès de collecteurs qui
assument un rôle d’intermédiaires entre l’État et le contribuable effectif » (J. GROSCLAUDE, P.
MARCHESSOU, B. TRESCHER, Droit fiscal général, Dalloz, 12ème éd., 2019, p. 10). La TVA est par exemple
un impôt indirect.
44
V. pour plus de développements à ce sujet : F. MONNIER, Histoire institutionnelle, économique et financière :
questions de méthode (XVII-XVIIIè siècles), Journée d'études tenue à Ségur le 7 février 2002, Vincennes : Institut
de la gestion publique et du développement économique, 2004.
45
La gabelle a été supprimée par la loi des 21 et 30 mars 1790 votée sous la Constituante puis rétablie par la loi
du 24 avril 1806. V. pour plus de développements sur les contributions indirectes au 19 ème siècle : D. GIRARD,
Manuels des contributions indirectes et des octrois, Paris, J. SMITH, 1ère éd., 1821 ; D. GIRARD et J.-B.
FROMAGE, Manuels des contributions indirectes et des octrois, Paris, Librairie administrative P. DUPONT,
1860 ; L. HOURCADE, Manuel encyclopédique des contributions indirectes et des octrois, Poitiers, Librairie
administrative P. OUDIN, 7ème éd., 1929.
46
L’article 221 de ladite loi énonce que « seront considérés et punis comme fabricants frauduleux, les particuliers
chez lesquels il sera trouvé des substances, machines ou mécaniques propres à la fabrication ou à la pulvérisation,
et en même temps des tabacs en feuilles ou en préparation, quelle qu’en soit la quantité, ou plus de deux

17
par les tribunaux de police correctionnelle47. De véritables peines d’emprisonnement étaient
même encourues pour les auteurs d’une fraude sur les cartes à jouer48. Déjà, l’initiative des
poursuites répressives relevait de la seule régie des Contributions indirectes49. Pour les autres
catégories d’impôts, les sanctions pénales ont été d’apparition relativement récente. C’est au
début du 20ème siècle qu’ont été instaurées, en même temps que la création des grands impôts
synthétiques50, des dispositions générales pour lutter contre la fraude fiscale.

9. Le début du 20ème siècle : la création du délit de fraude fiscale. – Une première loi
du 1er juillet 1916, imposant une contribution extraordinaire sur les bénéfices exceptionnels ou
suppléments réalisés pendant la guerre, menaçait d’une amende et d’une peine
d’emprisonnement le contribuable ayant procédé à des manœuvres frauduleuses51. C’est au
cours de cette période que la « nécessité de faire face à l’endettement public croissant de la
France »52 a conduit le législateur a adopté, avec la loi du 25 juin 1920 portant création de
nouvelles ressources fiscales, un texte de portée générale incriminant le délit de fraude fiscale.
L’article 112 de cette loi sanctionnait « quiconque se sera frauduleusement soustrait ou aura
tenté de se soustraire frauduleusement au payement total ou partiel des impôts établis par les
lois au profit du Trésor public ». Les peines encourues illustraient toutefois la faible
préoccupation des pouvoirs publics à réprimer sévèrement la fraude. Le premier alinéa
prévoyait des peines exclusivement pécuniaires, allant « d’une amende de 1.000 francs au
moins et de 5.000 francs au plus ». Ce n’est qu’en cas de récidive que le contribuable encourait

kilogrammes de tabac fabriqué, non revêtu des marques de la règle. Les tabacs et ustensiles, machines et
mécaniques, seront saisis et confisqués, et les contrevenants condamnés, en outre, à une amende de mille à trois
mille francs ».
47
Art. 90, loi du 5 ventôse an XII : « Les contraventions qui, en vertu des dispositions de la présente loi entraîne
la confiscation ou l’amende, sont poursuivies devant les tribunaux de police correctionnelle, qui prononceront les
condamnations ».
48
Art. 166 et 168 de la loi du 28 avril 1816 sur les finances ou sur le budget.
49
F. TRISTRAM, La sanction fiscale pénale aux 19ème et 20ème siècles, in Les sanctions pénales fiscales, T.
LAMBERT (dir.), L’Harmattan, 2007, p. 16.
50
Un impôt « synthétique » est un impôt qui sur un ensemble d’opérations, de revenus, ou sur un patrimoine pris
dans son ensemble (IR, IFI). Il se distingue en ce sens de l’impôt analytique qui porte sur une opération ou un
élément particulier du revenu ou du patrimoine. Ainsi, l’impôt général sur le revenu a été instauré par les articles
5 à 25 de la loi du 15 juillet 1914. Son article 5 énonce : « Il est établi un impôt général sur le revenu ». Aux termes
de son article 6, « L’impôt général sur le revenu est dû, au 1er janvier de chaque année, par toutes les personnes
ayant en France une résidence habituelle ». De même, la taxe sur le chiffre d’affaires sera adoptée par la loi du 25
juin 1920.
51
A. BAUDU, Étude juridique de l’imposition des profits liés à la guerre en France (1915-1955), in Revue Gestion
et Finances publiques, 2012, n°4, avril 2012, p. 69 et s.
52
A. BAUDU, Contribution à un éclairage historique et juridique sur le « verrou de Bercy », Gestion et Finances
publiques 2018/3, n°3, p. 97.

18
une peine d’emprisonnement53. La doctrine de l’époque justifiait cette exclusion en affirmant
qu’il serait très difficile pour l’administration de prouver une intention frauduleuse en matière
de fraude fiscale54. Au sortir de la première guerre mondiale, certains députés ont tenté
d’introduire, en vain, une véritable peine d’emprisonnement en présence d’une fraude fiscale55.
Ce n’est qu’en 1948 que l’emprisonnement sera érigé en peine principale pour sanctionner les
auteurs du délit de fraude fiscale.

10. Tolérance traditionnelle à l’égard des fraudeurs fiscaux. – À cette époque, la


sanction pénale représentait « un moyen supplémentaire pour inciter les contribuables
défaillants à payer et non une arme punitive »56 supplémentaire. La fraude fiscale échappait
dans son principe à la répression pénale. La nécessité de punir pénalement la fraude fiscale s’est
heurtée pendant de nombreuses années à une opposition de principe de l’opinion publique57.
Celui qui fraudait le fisc – et donc plus globalement, les pouvoirs publics – bénéficiait d’une
sorte d’indulgence, voire de complaisance de la part de la société 58. Cette indulgence reposait
sur l’idée que la fraude représentait « une sorte de légitime défense contre un système fiscal »59
considéré comme amoral ou excessif60. Loin de reposer sur le consentement libre et éclairé des
contribuables, l’impôt a longtemps constitué un instrument d’oppression des populations par
un État tout puissant. En 1933, Monsieur G. JÈZE écrivait que « la fraude n’a plus rien à faire
avec la morale lorsque les gouvernants abusent de leur force passagère, se servant de l’impôt
pour opprimer une classe sociale au profit d’une autre classe, ou lorsque l’esprit de fiscalité
de l’administration aboutit à des tracasseries incessantes pour les individus. Dans ce cas, il y
a un conflit de forces ; c’est une forme de la guerre sociale. Les individus menacés de spoliation

53
L’alinéa 2 de l’article 112 de la loi précitée prévoyait que le fraudeur fiscal serait puni « d’un emprisonnement
d’un an au moins et de cinq ans au plus, et pourra être privé en tout ou partie, pendant cinq ans au moins et dix
ans au plus, des droits civiques énumérés par l’article 42 du code pénal ».
54
V. en ce sens, G. JÈZE, La fraude fiscale : Revue de sciences législatives et financières, 1933, p. 193 et 194.
55
Le projet fut rapidement avorté, le gouvernement devant faire face aux craintes des parlementaires d’une fuite
des capitaux. V. en ce sens, F. TRISTRAM, L’administration fiscale et l’impôt sur le revenu dans l’entre-deux-
guerres, CHEFF, Études et documents, n°9, Vincennes, 1997, p. 211 et s.
56
A. SPIRE, K. WEIDENFELD, L’impunité fiscale, Paris, La Découverte, coll. « L'horizon des possibles », 2015,
p. 30.
57
V. pour un historique plus ancien : A. SPIRE, K. WEIDENFELD, op. cit. pp. 19 à 42.
58
L’histoire de la France a été parsemée de « mouvements collectifs antifiscaux (Grande Jacquerie, fraude à la
gabelle, révolte des Croquants, etc., sans compter la Révolution française » : S. DETRAZ, R. SALOMON, Précis
de droit pénal fiscal, op. cit., p. 14.
59
Ibid, p. 31.
60
V. aussi sur cette notion d’oppression fiscale, J.-C. MARTINEZ, La fraude fiscale, PUF, coll. « Que sais-je ? »,
1984.

19
cherchent à se soustraire à la confiscation déguisée sous le nom d’impôt ; ils ne méconnaissent
aucun devoir moral. Ils violent, à leurs risques et périls, une loi sociale injuste. C’est une forme
de l’insurrection »61. L’affaire dite du scandale de la banque de Bâle62, qui éclate en France en
1932, constitue une illustration significative de cette inquisition fiscale. À la faveur d’une
perquisition dans un appartement parisien loué par l'une des plus grandes banques suisses de
l'époque63, la Banque commerciale de Bâle, les autorités ont fait la découverte d’une liste
détaillant les noms et adresses des clients possédant des titres déposés à la banque. Les montants
fraudés étaient colossaux : « la somme de la fortune qui échappe au fisc se situe entre 1 et 2
milliards de francs français de l'époque »64. Les accusés étaient des personnalités appartenant
à une classe sociale élevée. Figuraient notamment dans la liste des sénateurs, un député, des
généraux, des magistrats, des industriels renommés ou encore un propriétaire de différents
journaux de l’époque. Étonnamment, la presse a défendu avec ardeur les fraudeurs contre le
« pillage »65 élaboré par le fisc français. Finalement, les faits seront rapidement étouffés, et la
procédure pénale annulée pour un motif procédural66.

11. Du 20ème siècle aux années 2010 : un droit administratif répressif. – Pendant la
période de l’après-seconde guerre mondiale, une inflexion laisse la place à « une action pénale
plus vigoureuse »67 pour sanctionner la fraude fiscale. Les années de reconstruction voient
apparaître « une sensibilité nouvelle (…) contre la fraude fiscale »68. L’administration fiscale

61
G. JÈZE, La fraude fiscale, op. cit., p. 187.
62
L’affaire est aussi appelée parfois plus simplement « l’affaire des fraudes fiscales » ou encore le scandale « de
la Banque commerciale de Bâle ».
63
V. pour un exposé complet de l’affaire, S. GUEX, 1932 : l'affaire des fraudes fiscales et le gouvernement
Herriot, L'Économie politique, 2007/1, n°33, pp. 89 à 104.
64
Ibid, p. 90.
65
Le 9 décembre 1932, un journaliste du Figaro, Monsieur François COTY, publie sous le titre « Termites » un
article précisant que le fisc « écrase la nation française » par « ses appétits déchaînés », son « pillage » et sa «
curée démagogique ». D’autres articles aussi virulents parurent dans le Figaro. Ainsi un article du 11 novembre
1932 dénonçait « le fisc, ses excès et ses inquisitions (...) détestables » qui poussent à « se demander si (...) l'impôt
abusif ne crée pas nécessairement le délit, si blâmable soit-il ». Le 27 novembre 1932, un article clame que « le
vrai scandale est (...) d'abord la spoliation fiscale d'inspiration socialiste et démagogique qui ruine la France et
fait naître la fraude ».
66
Selon les propos de A. SPIRE et K. WEIDENFELD, la cour d’appel de Paris a annulé les poursuites, faute pour
le fisc d’avoir préalablement mis en demeure les contribuables (A. SPIRE et K. WEIDENFELD, L’impunité
fiscale, op. cit., p. 32).
67
F. TRISTRAM, La sanction fiscale pénale aux 19ème et 20ème siècles, op. cit., p. 23.
68
Ibid.

20
se dote d’instruments de contrôle efficaces69. Dans le même temps, la matière reste dominée
par une « sous-répression »70 pénale. En 1981, il est estimé que « la proportion du contentieux
fiscal donnant lieu à poursuites pénales se situe entre 0,1 et 1,5% »71. Pendant tout le 20ème
siècle, la répression de la fraude fiscale se cristallisera essentiellement autour d’une répression
administrative, la dynamique pénale de la fraude fiscale apparaissant comme secondaire aux
yeux des pouvoirs publics. Traditionnellement, la fraude fiscale est en effet présentée comme
étant d’abord l’affaire de l’administration fiscale, s’appuyant avant tout sur le prononcé de
sanctions administratives. Cette situation, justifiée par la complexité de la matière fiscale, a été
à l’origine de la création d’un « système administratif pénal »72 confiant à des autorités
administratives des pouvoirs de sanctions73 présentant un caractère répressif74. À ses prémices,
le développement du droit administratif répressif était fondé sur une application limitée à
certaines catégories de population présentant un lien particulier avec l’administration75. En
matière fiscale, les justifications apportées à la prééminence du pouvoir répressif du fisc « ont
été fondées sur le fonctionnement général du système d'imposition français »76, basé sur un
mécanisme essentiellement déclaratif exigeant un pouvoir de contrôle et de sanction au profit
du Trésor public77. Face à cette répression administrative, « l’instrument de la répression
pénale restait ainsi utilisé dans des proportions très limitées »78. La sanction pénale de la fraude
fiscale demeurait subalterne à la répression administrative. Dans une telle configuration, la
dualité procédurale applicable à la répression de la fraude semblait parfaitement maîtrisée.

69
V. pour plus de développements à ce sujet : F. TRISTRAM, Une fiscalité pour la croissance, La direction
générale des impôts et la politique fiscale en France de 1948 à la fin des années 1960, Paris, CHEFF, 2005, p. 368
et s.
70
P. LASCOUMES et D. VERNEUIL, Les poursuites en matière de fraude fiscale, Service d’études pénales,
Ministère de la justice, 1981, p. 5.
71
Ibid.
72
M. DELMAS-MARTY, C. TEITGEN-COLLY, Punir sans juger, de la répression administrative au droit
administratif pénal, Economica, 1992, p. 192.
73
Lire à ce sujet, le rapport public du Conseil d'État pour 2001 consacré aux autorités administratives
indépendantes, consultable en ligne sur le site www.conseil-etat.fr, p.312 et s.
74
V. infra, n°190.
75
En matière disciplinaire notamment, la répression administrative se justifie par le « lien préalable et volontaire
qui unit l'agent réprimandé́ à son administration » : C. FROGER, La sanction fiscale dans les jurisprudences
constitutionnelle et européenne, RDP, 2013, n°4, p. 929.
76
Ibid.
77
V. infra, n°25.
78
A. SPIRE et K. WEIDENFELD, L’impunité fiscale, op. cit., p. 40.

21
12. Début du 21ème siècle : pénalisation de la fraude fiscale. – Au tournant des années
2010, le paradigme s’est peu à peu inversé, à la faveur d’affaires médiatisées impliquant des
personnalités publiques ou portant sur des fraudes aux montants démesurés. En 2008, l’affaire
du Liechtenstein79 « impose au président Sarkozy de déclarer la guerre à la fraude fiscale en
mobilisant la justice pénale »80. Les affaires HSBC81 ou Cahuzac82, les Panama Papers83 ou
plus récemment celle des Pandora Papers84, confirmeront la nécessité d’avoir recours au droit
pénal pour condamner rigoureusement ces comportements. D’un « tout administratif », la
répression a progressivement basculé vers un mouvement général de « pénalisation de la fraude
fiscale »85, manifestant à son endroit une intensification de la répression de nature pénale. Ces
dernières années ont donc été marquées par l’adoption d’une succession de lois renforçant la
lutte contre la fraude fiscale, encouragée par une pression tant internationale qu’européenne en
la matière86. La France s’est ainsi dotée en quelques années d’un arsenal répressif important
pour lutter efficacement contre la fraude fiscale. Les premiers pas de ce mouvement se sont
d’abord orientés vers un renforcement significatif de la collecte de renseignements en matière

79
En 2008, deux CD-Rom sont transmis par les autorités britanniques aux autorités fiscales de différents pays,
dont la France. Ils contiennent une liste de 200 noms de personnes qui ont transféré des capitaux dans des
Fondations de droit liechtensteinois. Les montants concernés s’élevaient à environ 1 milliard d’euros. V. pour un
historique de cette affaire, l’annexe n°1 du rapport du 4 avril 2008 sur la lutte contre la fraude et l’évasion fiscale
par le biais de paradis fiscaux, à la demande de Monsieur D. MIGAUD, Président et de Monsieur G. CARREZ,
rapporteur général.
80
A. SPIRE et K. WEIDENFELD, L’impunité fiscale, op. cit., p. 41.
81
L’affaire HSBC éclate en 2008 lorsque l’informaticien H. FALCIANI, ex-employé de la banque, livre au fisc
une liste de comptes bancaires non déclarés.
82
L’affaire Cahuzac a impliqué en 2013 le ministre délégué au Budget. L’affaire débute en 2012 par la révélation
par le site d’information Mediapart d’éléments sur l’existence d’un compte suisse non déclaré du ministre. Jérôme
Cahuzac et son épouse seront poursuivis pour fraude fiscale, blanchiment de fraude fiscale et minoration de la
déclaration de leur patrimoine. Cette affaire deviendra symptomatique de la nécessaire réforme du verrou de Bercy.
83
Les Panama Papers révèlent, par un travail journalistique du Consortium international des journalistes
d’investigation, des noms de personnalités publiques du monde entier soupçonnées d’avoir eu recours à des
sociétés off-shore pour frauder l’impôt.
84
A l’instar des Panama Papers, les Pandora Papers résultent d’une enquête du Consortium international des
journalistes d’investigation. L’affaire éclate en 2021.
85
L. SAENKO, Loi n°2018-898 du 23 octobre 2018 relative à la lutte contre la fraude : une petite révolution ? :
RTD comm. 2018 p.1057 ; E. VERGES, L'outil procédural au service de l'efficacité (à propos de la lutte contre la
fraude) (Loi n° 2018-898 du 23 oct. 2018 relative à la lutte contre la fraude) : RSC 2019 p. 155 ; P. LEVALLOIS,
L'équilibre menacé de la procédure fiscale : RFDA 2020 p. 525 ; J. MUCCHIELLI, Fraude fiscale : premier bilan
et objectifs, Circulaire relative à la lutte contre la fraude fiscale, 22 mai 2014 : D. actu, 23 mai 2014 ; M. MAËS,
la pénalisation de la fraude fiscale : la fin justifie-t-elle les moyens ? : Dr pén. 2018, dossier 9 ; F. DEBOISSY et
S. DETRAZ, Droit pénal et droit fiscal : in Droit pénal et autres branches du droit. Regards croisés (ss. Dir. J.-
C. SAINT-PAU), Cujas, coll. « Actes & études », 2012, p. 221.
86
V. pour plus de développements sur ce sujet, C. ACARD, N. GENESTIER, G. EXERJEAN, La ligne de
démarcation entre risque fiscal et risque pénal (2e volet) - Les enjeux de la pénalisation en matière fiscale, Dr. fisc.
n°7-8, 18 février 2016, 172.

22
fiscale. Nombre de professionnels se sont vus imposés des obligations de déclaration de
soupçons d’infractions via l’organisme TRACFIN, parmi lesquelles figure explicitement,
depuis l’entrée en vigueur de l’ordonnance du 30 janvier 200987, le délit de fraude fiscale. Dans
le même temps, par un arrêté du 25 novembre 200988, a été créé un fichier dénommé EVAFISC,
dont la finalité est de « permettre de recenser des informations laissant présumer de la
détention de comptes bancaires hors de France par des personnes physiques ou morales »89
pour ensuite « mener des actions de prévention, de recherche, de constatation ou de poursuite
d'infractions pénales »90. La pénalisation de la fraude fiscale a ensuite consisté à se doter
d’organes spécialisés dans la recherche et la poursuite des infractions de fraude fiscale.
Initialement, il ne s’agissait pas d’une véritable spécialisation puisque c’est l’Administration
fiscale elle-même qui s’est vu octroyer des procédures spécifiques dans la recherche des
infractions fiscales. À ce titre, on peut noter l’instauration de la procédure de flagrance fiscale
par l'article 15 de la loi n°2007-1824 du 25 décembre 200791 ou encore la procédure judiciaire
d'enquête fiscale, instaurée par la loi n°2009-1674 du 30 décembre 200992. Le législateur
français est allé ensuite plus loin dans le projet de création d’une « police fiscale » en instituant,
au sein du Ministère de l’intérieur, une Brigade nationale de répression de la délinquance fiscale
(BNRDF). Cette brigade, en vigueur depuis un décret du 4 novembre 201093 et compétente pour
rechercher et constater les infractions définies à l'article 28-2 du code de procédure pénale, a la
particularité d’être composée d’agents de services fiscaux mais aussi, et pour la première fois,
d'officiers de police judiciaire. Le mouvement de pénalisation de la lutte contre la fraude fiscale
s’est accentué avec les lois du 6 décembre 201394, dont les intitulés décrivent explicitement
l’objectif de « lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et
financière ». Ces lois ont notamment aggravé les peines en cas de fraude, renforcé de manière

87
Ordonnance n° 2009-104 du 30 janvier 2009 relative à la prévention de l'utilisation du système financier aux
fins de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme.
88
Arrêté n°BCFL0928184A du 25 novembre 2009 portant création par la direction générale des finances publiques
d'un fichier de comptes bancaires détenus hors de France par des personnes physiques ou morales dénommé
EVAFISC.
89
Ibid, art. 2.
90
Ibid.
91
Loi n°2007-1824 du 25 décembre 2007 de finances rectificative pour 2007.
92
Loi n°2009-1674 du 30 décembre 2009 de finances rectificative pour 2009.
93
Décret n°2010-1318 du 4 novembre 2010 portant création d'une brigade nationale de répression de la
délinquance fiscale.
94
Loi n°2013-1117 du 6 décembre 2013, relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance
économique et financière ; Loi organique n°2013-1115 du 6 décembre 2013 relative au procureur de la République
financier.

23
significative les pouvoirs de l’administration fiscale et celles des enquêteurs, lesquels peuvent
désormais recourir aux techniques d’enquête spéciales telles que la surveillance et
l’infiltration95, l’interception de correspondances émises par voies de télécommunication96, ou
encore la sonorisation et la fixation d’images dans certains lieux ou véhicules97. Elles ont
marqué « un tournant dans l’arsenal juridique français en matière de lutte contre la fraude
fiscale, en associant de façon explicite la réponse administrative et la réponse pénale »98. La
loi n°2018-898 du 23 octobre 201899 est venue parachever ce mouvement en supprimant le
monopole accordé au Ministre du Budget dans la poursuite des infractions de fraude fiscale100.
En soutenant l’autorité du parquet pour la poursuite des infractions fiscales et en renforçant les
moyens alloués aux autorités pour lutter contre les fraudeurs101, cette loi affiche clairement la
volonté de faire converger les réponses pénale et administrative en matière de lutte contre la
fraude fiscale. Les lois successives récentes ont ainsi renforcé l’office du juge pénal dans la
répression de la fraude fiscale. Ce dernier dispose désormais d’un rôle prééminent aux côtés de
l’Administration fiscale. Si historiquement, « les sanctions fiscales pécuniaires ont précédé les
sanctions pénales »102, désormais « les deux coexistent pour réprimer la fraude »103. L’auteur
d’une fraude fiscale peut ainsi être poursuivi tant devant les juridictions fiscales que répressives.

B) Les fondements du droit pénal fiscal

13. Approche criminologique. – En ce qu’elle peut être doublement réprimée sur un plan
fiscal et pénal, la fraude fiscale est une infraction qui se distingue de celles contenues dans le
code pénal. Le choix de traiter la fraude fiscale selon une approche bicéphale doit donc être mis

95
Art. 706-80 et s. CPP.
96
Art. 706-95 CPP.
97
Art. 706-96 et s. CPP.
98
Rapp., Assemblée nationale, n°4457, 8 février 2017, Rapport d’information sur l’évaluation de la loi n°2013-
1117 du 6 décembre 2013, relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et
financière et de la loi organique n° 2013-1115 du 6 décembre 2013 relative au procureur de la République
financier, S. MAZETIER, J.-L., WARSMANN, p. 11.
99
Loi n°2018-898 du 23 octobre 2018 relative à la lutte contre la fraude.
100
V. infra, n°57.
101
V. pour plus de développements à ce sujet : J. GALLOIS, Les apports de la loi n°2018-898 du 23 octobre 2018
relative à la lutte contre la fraude : AJ pénal 2018 p. 560 ; G. PELLEGRIN, B. PRAT, Y. RUTSCHMANN,
Poursuite et sanction de la fraude fiscale : l'évolution du risque pénal à l'aune de la loi de lutte contre la fraude du
23 octobre 2018 : Dr. fisc. n°11, 14 mars 2019, 197.
102
G. KLEIN, La répression de la fraude fiscale, Étude sur le particularisme du droit pénal des impôts, op. cit.,
p. 15.
103
Ibid.

24
en relation avec la nature duale de l’offense qu’elle engendre. La fraude fiscale atteint l’ordre
public mais aussi l’ordre économique. Aussi, l’utilité du droit pénal fiscal doit être recherchée
selon une approche criminologique, laquelle étudie « les facteurs et les processus du crime puis
détermine, à partir de cette connaissance, les moyens de lutte contre ce fléau social »104. À ce
titre, le choix de réprimer doublement la fraude fiscale doit apparaître comme la meilleure
réponse à ce phénomène délictueux. Il convient de vérifier ce postulat, selon une approche de
la fraude fiscale en tant que phénomène collectif puis individuel105.

14. La fraude en tant que phénomène collectif. – En tant que phénomène collectif d’une
part, la fraude fiscale engendre une criminalité aux « effets néfastes »106. Le premier de ceux-ci
réside dans la perte de ressources publiques qu’elle entraîne. À ce titre, la nécessité de lutter
contre la fraude fiscale repose bien souvent sur son ampleur matérielle. Dans un rapport publié
en mars 2007 par le Conseil des prélèvements obligatoires107, la fraude fiscale y est présentée
comme « le délit qui, en termes financiers, fait le plus de victimes »108. Quantitativement, le
rapport estime que le montant global de la fraude doit être estimé entre 20,5 et 25,6 milliards
d’euros chaque année109. Plus récemment, le chiffre de 80 milliards de pertes fiscales annuelles
est invoqué pour démontrer la légitimité de l’action des pouvoirs publics110. Les divergences
quantitatives ne sont que le reflet de l’impossibilité de déterminer avec précision le montant de
la fraude fiscale. En septembre 2018, le gouvernement a annoncé la création d’un observatoire
ayant pour mission de dresser un état des lieux de la fraude fiscale. Cette institution, composée

104
P. MORVAN, Criminologie, Lexisnexis, 4ème éd., 2022, p. 8, n°7.
105
Cette distinction est classiquement enseignée en criminologie. Dans sa première acception, le crime est
synonyme de criminalité. L’approche est dite macro-criminologique. Le crime peut également être apprécié selon
une approche micro-criminologique et être étudié en tant que phénomène individuel. C’est alors le délinquant et
non plus la criminalité dans sa globalité qui est appréhendé. V. sur cette distinction : R. GASSIN, P. BONFILS,
S. CIMAMONTI, Criminologie, Dalloz, coll. « Précis », 7ème éd., 2011, p. 93 ; P. MORVAN, Criminologie,
Lexisnexis, 4ème éd., 2022, op. cit., pp. 203 à 357.
106
S. DETRAZ, R. SALOMON, Précis de droit pénal fiscal, op. cit., p. 12.
107
Cet organisme est chargé par la loi d’apprécier l’évolution et l’impact économique, social et budgétaire de
l’ensemble des prélèvements obligatoires (Art. L. 351-1 du code des juridictions financières, crée par la loi n°2005-
358 du 20 avril 2005 tendant à créer un Conseil des prélèvements obligatoires).
108
Rapp., La fraude aux prélèvements obligatoires et son contrôle, Conseil des prélèvements obligatoires, mars
2007, disponible en ligne : https://www.vie-publique.fr/sites/default/files/rapport/pdf/074000186.pdf, p. 1.
109
Ibid, p. 71.
110
Rapp., Assemblée nationale, n°982, 23 mai 2018, Rapport d’information déposé en application de l’article 145
du Règlement par la mission d’information commune sur les procédures de poursuite des infractions fiscales, E.
DIARD (prés.)., p. 45. V. aussi, le rapport Évasions et fraudes fiscales, Contrôle fiscal, publié en janvier 2013 par
le Syndicat solidaires finances publiques, affirmant que ce montant peut être évalué entre 60 et 80 milliards
d’euros.

25
d’économistes, de fonctionnaires, de politiques et de représentants d’organisations non
gouvernementales, n’est à ce jour « pas encore opérationnelle »111, si bien qu’aucune étude
officielle n’a encore déterminé précisément l’ampleur de la fraude. Du reste, la mesure de la
fraude relève d’une tâche chimérique, tant l’infraction résulte d’un travail de dissimulation de
la part de ses auteurs112. En réalité, « l’ampleur du préjudice qui résulte de la soustraction
frauduleuse à l’impôt est cependant difficile à évaluer, car toutes les fraudes ne sont pas
détectées ni correctement mesurées »113. À ce titre, l’intérêt porté au « chiffre noir » de la
délinquance doit, en matière fiscale, être significatif.

Plus que l’étendue de la fraude, ce serait la nature de l’infraction qui justifierait l’emploi
d’une double répression à l’encontre des fraudeurs. Au-delà de léser directement les finances
étatiques, la fraude fiscale porte atteinte au principe fondamental d’égalité devant les charges
publiques114, « non seulement parce que les fraudeurs échappent de facto à leurs obligations
de contribuables, mais encore parce que les citoyens honnêtes voient peser sur eux le risque
que le manque à gagner pour le Trésor ne soit compensé par une hausse des impositions »115.
Frauder l’impôt, « c’est voler la nation »116 toute entière. La fraude fiscale constitue ainsi
« autant de coups de canif dans le contrat social au risque, en cas d'expansion, de le mettre
sérieusement en danger »117. Les citoyens comme les pouvoirs publics aspirent à ce que la
justice sanctionne sévèrement ces comportements. En somme, c’est à travers la nature de la
fraude fiscale que se dessine le besoin de lutter contre la fraude fiscale par l’intervention
concomitante des procédures pénale et fiscale. L’infraction de fraude fiscale « ne peut

111
F. PERROTIN, Le délicat chiffrage de la fraude fiscale, LPA 24 janvier 2020, n°18, p. 5.
112
Il en est de même pour la fraude sociale. Dans une lettre de mission du Premier Ministre, datée du 28 mai 2019,
relative à la lutte contre les fraudes aux prestations sociales, le gouvernement a chargé le Sénat et l’Assemblée
nationale d’évaluer la fraude sociale. Dans un rapport rendu public en octobre 2019, les mandataires ont révélé
que « le chiffrage de la fraude aux prestations sociales est difficile à estimer », tant elle est « largement sous-
estimée du fait de son caractère dissimulé, du manque d’interconnexion des données, de l’évolution constante des
typologies de fraudes, d’une culture de lutte contre la fraude en construction et d’objectifs dont les critères
méritent d’être affinés, renforcés, afin d’améliorer nos performances en la matière » (Rapp., Lutter contre les
fraudes aux prestations sociales, un levier de justice sociale pour une juste prestation, Rapport de mission confiée
par le Premier Ministre Édouard PHILIPPE, la Ministre de la Santé Agnès BUZYN et le Ministre de l’Action et
des Comptes Publics, Gérald DARMANIN, C. GRANDJEAN et N. GOULET, octobre 2019).
113
S. DETRAZ, R. SALOMON, Précis de droit pénal fiscal, op. cit., p. 12.
114
Art. 13 de la Constitution du 4 octobre 1958.
115
S. DETRAZ, R. SALOMON, Précis de droit pénal fiscal, op. cit., p. 14.
116
E. HOULETTE, Le parquet national financier. Bilan, actions, perspectives : Archives de politique criminelle,
n°39, 2017/1, p. 69.
117
Rapp., La fraude aux prélèvements obligatoires et son contrôle, Conseil des prélèvements obligatoires, op. cit.
p. 1.

26
fonctionner sur la scène pénale comme un délit de droit commun défini par le code pénal »118.
Parce que la fraude fiscale atteint d’abord les finances publiques et le principe d’égalité entre
les contribuables, la répression administrative précède nécessairement la répression pénale. La
dimension répressive « apparaît périphérique par rapport à la dimension régulatrice initiale
qui constitue le noyau de qualification »119. Ainsi, le cumul des procédures pénale et fiscale
permet de répondre à la spécificité de la nature intrinsèque de la fraude.

15. La fraude en tant que phénomène individuel. – En tant que phénomène individuel
d’autre part, si la fraude fiscale est toujours « fondée sur l'intérêt de l'évitement de l'impôt,
partiel ou total »120, les causes du passage à l’acte sont multiples. Elles peuvent être extérieures
au délinquant et résulter par exemple du contexte économique ou social, de la complexité du
système fiscal, de la pression fiscale, de l’anti-étatisme, de la loi du plus fort, mais peuvent
également lui être intérieures et procéder de l’appât du gain, de la volonté de puissance, du goût
du risque, du statut social121 ou encore de la profession exercée par l’auteur de la fraude122.
Indépendamment de ces facteurs déclenchants, la fraude fiscale s’inscrit pour son auteur dans
une perspective utilitariste. L’infraction est utilisée de manière rationnelle 123 par le délinquant

118
P. LASCOUMES et D. VERNEUIL, Les poursuites en matière de fraude fiscale, Service d’études pénales,
Ministère de la justice, 1981, p. 7.
119
Ibid.
120
C. WRAZEN, Fraude fiscale, légitimité, illégitimité, phénomène d'élite ou phénomène de masse ? : Dr. fisc.
n°3, janvier 2007, 49.
121
Il est communément affirmé que la fraude fiscale relève d’une « délinquance en col blanc ». Cette notion, qui
est une traduction de « white-collar crime », est apparue sous la plume de Edwin SUTHERLAND à la fin de la
première moitié du 20ème siècle (E. SUTHERLAND, White Collar Crime, New York : The Dryden Press, 1949 ;
V. pour plus de développements sur ce sujet : L. FINES, Les crimes en col blanc. Théories, stratégies de défense
et mouvement du pouvoir, éd. L’Harmattan, 2012 ; P. MORVAN, Criminologie, Lexisnexis, 4ème éd., 2022, pp.
231 à 239). Les auteurs d’une fraude fiscale apparaissent souvent comme des individus intelligents et réfléchis et
présentés comme protégés par le corps social, du fait de leur rang social élevé. En réalité, ainsi que le relève S.
DETRAZ et R. SALOMON, la fraude fiscale n’est « pas un délit de classe ». Elle peut être le fait tant du
« milliardaire qui dissimule avec élégance une partie de son patrimoine grâce à l’ingénierie fiscale » que « du
salarié qui omet frustement de déclarer les revenus tirés de ses heures non déclarées » : S. DETRAZ, R.
SALOMON, Précis de droit pénal fiscal, op. cit., p. 1.
122
C. WRAZEN, Fraude fiscale, légitimité, illégitimité, phénomène d'élite ou phénomène de masse ? : op. cit.,
reprenant les travaux de P. BELTRAME (P. BELTRAME, La fiscalité en France, Hachette supérieur, coll. « Les
Fondamentaux », 2001, p. 186 et 187), de M. BOUVIER (M. BOUVIER, Anthropologie et finances publiques :
réflexions sur la notion de sacrifice fiscal : RFFP 1987, n°17, p. 188 à 203), ou de M. LEROY (M. LEROY, La
sociologie de l'impôt : PUF, coll. « Que sais-je », 2002, p. 80).
123
V. sur les agissements « rationnels » des délinquants en col blanc : P. MORVAN, Criminologie, op. cit., p. 237,
n°189.

27
qui élabore une stratégie et en fait un moyen au service d’une fin124. Si le bénéfice de l’infraction
est immédiat, tandis que le risque de poursuites est lointain, voire incertain, la probabilité de la
commission d’une fraude est élevée. En ce sens, le risque de poursuites doit être suffisamment
avéré pour constituer un outil de politique fiscale efficace. Sous l’angle du passage à l’acte,
l’enjeu du droit pénal fiscal est d’organiser et d’harmoniser les deux pans de la répression.

16. Nécessité d’une articulation des procédures pénale et fiscale. – À ce titre,


l’articulation des procédures pénale et fiscale, entendue comme un élément de liaison, de
jonction ou d’assemblage, est une nécessité. Mais alors que l’article 1741 du code général des
impôts octroie aux répressions pénale et fiscale une place semblable dans la lutte contre la
fraude fiscale, un constat s’impose : il n’existe aucune règle légale permettant d’articuler les
deux procédures, qui peuvent se mener simultanément ou successivement à l’encontre du même
contribuable. La répression de la fraude fiscale est « située au confluent de deux branches du
droit »125 qui n’ont jamais été pensées pour se déployer ensemble. Le droit pénal fiscal est né
en dehors de toute systématisation logique.

La dualité de répressions applicable à la fraude fiscale126 est en quête d’un équilibre


entre des principes antagonistes. D’un côté, le droit pénal fiscal doit assurer et garantir le
recouvrement de l’impôt, en menaçant les contribuables qui chercheraient à s’y soustraire de
sanctions dissuasives et certaines. Pour le législateur, cette volonté de réprimer sévèrement la
soustraction frauduleuse à l’impôt s’est construite autour de l’idée que la lutte contre la fraude

124
Il s’agit là de la « théorie des opportunités », aménagée autour de l’idée que le délinquant trouve son profit dans
l’infraction commise. Elle a notamment été élaborée par Maurice CUSSON : « Placé devant la décision de
s'engager dans le crime, de continuer ou d'y renoncer, un individu choisira l'option qui, compte tenu de ses
opportunités, comportera le plus d'avantages aux moindres coûts. C'est ainsi qu'on décidera de s'engager dans la
délinquance quand les avantages de cette activité, moins ses coûts, seront plus élevés que les avantages d'une
activité légitime alternative, moins les coûts de cette dernière » (M. CUSSON, Le contrôle social du crime, 1983,
coll. « Les sciences sociales contemporaines, Les classiques des sciences sociales », p. 262). V. pour plus de
développements sur cette théorie : M. CUSSON, La criminologie, 7ème éd., 2017, Hachette ; M. CUSSON, De la
pensée stratégique en criminologie, in Sciences pénales et sciences criminologiques, Mélanges R. GASSIN,
Université Paul Cézanne Aix Marseille III, 2007, pp. 373 à 385 ; M. CUSSON, Délinquants, Pourquoi :
Criminologue, École de criminologie, Université de Montréal, 1995 ; P. MORVAN, Criminologie, op. cit., p. 161,
n°133.
125
C. LOPEZ, Droit pénal fiscal, Lextenso, LGDJ, 1ère éd., 2012, p. 157.
126
La fraude fiscale doit ici être entendue dans son sens restrictif. Seule l’infraction de l’article 1741 du code
général des impôts est susceptible de donner lieu à une double répression. En conséquence, la question de
l’articulation ne se pose qu’à l’égard du délit général de fraude fiscale.

28
fiscale représente un objectif de valeur constitutionnelle127. À ce titre, l’objectif de lutte contre
la fraude fiscale se rattache explicitement à l’article 13 de la Déclaration des Droits de l’Homme
et du Citoyen établissant le principe de nécessité de l’impôt. Par-delà le droit interne, la
communauté internationale contraint les États à se doter d’une législation efficace pour lutter
contre les pratiques d’évitement de l’impôt. À cet égard, le droit européen impose désormais
une véritable « obligation à la charge des États de lutter contre les comportements frauduleux
ou abusifs en matière fiscale »128. La France est ainsi incitée à légiférer vers la construction
d’un droit pénal fiscal effectif. De l’autre côté, le fait que les mêmes agissements puissent être
doublement poursuivis et réprimés est susceptible d’atteindre des principes juridiques
fondamentaux. L’addition des répressions pénale et fiscale fait peser sur le contribuable une
charge procédurale considérable. Partant, selon le droit interne129, le cumul des sanctions pénale
et fiscale doit être contenu dans les limites des principes constitutionnels de proportionnalité,
de nécessité des délits et des peines et de clarté et prévisibilité de la loi pénale. D’un point de
vue externe130, la faculté d’additionner les répressions a été examinée sous l’angle du principe
ne bis in idem131, garanti par l’article 4 du protocole n°7 additionnel à la Convention européenne
des droits de l’homme et par l’article 50 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union
européenne.

17. Articulation à deux niveaux. – À l’aune de ces différentes tensions qui jalonnent
l’addition des procédures pénale et fiscale, deux impératifs s’imposent. L’étude de la fraude
fiscale, dans son approche collective, a démontré la spécificité de ses effets, affaiblissant à la
fois les ressources publiques étatiques et l’égalité mutuelle entre les contribuables. La nature de
l’infraction impose de définir précisément la place attribuée à chacune des répressions pénale
et fiscale dans la lutte contre la fraude. Pour le droit pénal fiscal, l’enjeu véritable est de
permettre un traitement de la fraude certain et prévisible, ainsi qu’une répression qui n’excède
pas le préjudice causé. L’articulation entre les procédures doit donc, en premier lieu, être de

127
Juridiquement, la lutte contre la fraude fiscale constitue un objectif de valeur constitutionnelle depuis la décision
n°99-424 du 29 décembre 1999 du Conseil constitutionnel : Cons. const., DC, 29 déc. 1999, n°99-424, considérant
n°52, Rec. Cons. const., p. 156 ; AJDA 2000. 37, note J.-E. SCHOETTL. V. infra, n°203.
128
S. FONTAINE (de), Le droit de l’Union européenne et la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales : états des
lieux : Gestion & Finances publiques, 2020, n°4, p. 115 et s.
129
V. infra, n°184 et s.
130
V. infra, n°233 et s.
131
Bien l’expression « non bis in idem » soit couramment utilisée, nous emploierons au sein de la thèse la
formulation « ne bis in idem », grammaticalement correcte : V. en ce sens, J. LELIEUR-FISCHER, La règle ne
bis in idem, Étude à la lumière des droits français, allemand et européen : Thèse, Paris I, 2005, p. 15.

29
nature conceptuelle. C’est l’étude des fondements du cumul des procédures. Une fois les
hypothèses de la double répression déterminées, il reste à prévoir des règles de résolution du
cumul. Qui du juge des impôts ou du juge répressif doit-il se prononcer le premier sur la
matérialité de la fraude ? Existe-t-il des mécanismes de sursis à statuer entre les contentieux ?
Le contribuable peut-il, devant le premier juge, invoquer la nullité d’une pièce provenant de la
seconde procédure ? De quelle sorte d’autorité la première décision rendue est-elle revêtue ?
Doit-elle s’imposer à son homologue ? Comment procéder lorsque les juges pénal et fiscal
rendent des décisions contradictoires ? La double répression applicable à la fraude fiscale pose
en effet de nombreuses questions procédurales qui ne trouvent aucune réponse au sein des textes
de nature fiscale ou pénale. L’enjeu consiste ici, pour les procédures pénale et fiscale, à
s'imbriquer et non pas simplement à se juxtaposer. L’articulation des procédures doit, en second
lieu, être de nature processuelle. Il faudra dès lors envisager distinctement l’articulation
conceptuelle des procédures pénale et fiscale (Partie I) et leur articulation processuelle (Partie
II).

30
PREMIÈRE PARTIE. L’ARTICULATION CONCEPTUELLE
DES PROCÉDURES

18. Fondements du double régime répressif applicable en matière fiscale. – Lorsqu’un


contribuable commet un manquement fiscal, il peut faire face à un redressement fiscal infligé
par l’administration fiscale, à une condamnation pour fraude fiscale devant le juge pénal ou
encore à l’addition de ces deux formes de répression. La possibilité pour le contribuable de
subir l’affront d’un cumul de procédures ressort clairement de l’article 1741 du code général
des impôts, qui énonce que des poursuites pénales sont envisageables « indépendamment des
sanctions fiscales applicables ». Cette incise législative est la seule à articuler conceptuellement
les procédures pénale et fiscale. Faute de précision supplémentaire de la part du législateur,
l’objet de cette première partie est de définir les hypothèses dans lesquelles le contribuable peut
se voir infliger, en plus des sanctions fiscales, des sanctions pénales. Le curseur se place au
moment où les autorités font le choix d’adjoindre à la répression fiscale des poursuites pénales.
Il s’agit de comprendre les arguments qui ont déterminé les pouvoirs publics à organiser ce
double régime répressif pour combattre la fraude fiscale. Pour ce faire, il faudra étudier les
fondements du cumul des procédures pénale et fiscale, en analysant en premier lieu les raisons
qui légitiment d’additionner à l’encontre d’un même contribuable et pour les mêmes faits, ces
deux formes de répression (Titre I). De ces éléments de légitimité du cumul, découlent des
conditions de légalité qui déterminent sa validité juridique (Titre II).

31
TITRE PREMIER. LA LÉGITIMITÉ DU CUMUL

19. La légitimité de l’existence et de la mise en œuvre du cumul. – Est légitime ce qui


est conforme au bon droit ou encore, ce qui est fondé en droit. Dans sa première acception, la
légitimité est synonyme d’équité. En ce sens, s’interroger sur la légitimité du cumul, c’est
déterminer quelles sont les raisons morales, sociales et collectives qui permettent d’admettre
comme possible l’addition des répressions en présence d’une fraude. C’est à partir de ce premier
point de vue qu’il incombe au gouvernement de déterminer la politique criminelle adaptée à la
délinquance fiscale. Dans cette première optique, le choix de réprimer la fraude fiscale par
l’intervention successive ou simultanée des autorités fiscale et répressive doit se justifier par
l’accomplissement par chacune d’elles d’un objectif qui lui est propre. Le cumul des procédures
pénale et fiscale ne peut être légitime que si des objectifs complémentaires leur sont assignés
(Chapitre I). Dans une seconde acception, la légitimité impose de se conformer au droit. La
légitimité doit exister non pas seulement d’un point de vue éthique ou social, mais aussi sur un
plan juridique, normatif. Aussi, la seconde approche de la légitimité du cumul intéresse les
juges pénal et fiscal lorsqu’ils mettent en œuvre le double régime répressif applicable en matière
fiscale. Les deux juridictions doivent impérativement inscrire leur action dans un schéma
punitif global. Saisies des mêmes faits à l’encontre de la même personne, les procédures pénale
et fiscale doivent entretenir des rapports harmonieux pour que le cumul des poursuites soit
admissible (Chapitre II).

32
CHAPITRE I. LES OBJECTIFS ASSIGNÉS AUX PROCÉDURES
PÉNALE ET FISCALE

20. Complémentarité des procédures pénale et fiscale. – Les plus hautes instances
nationales132 et européennes133 autorisent, pour les mêmes faits et à l’encontre de la même
personne, le cumul des procédures pénale et fiscale parce que celles-ci sont complémentaires.
D’une part, en garantissant la perception des impôts légalement dus, les sanctions fiscales
assureraient le bon fonctionnement du système fiscal. D’autre part, par sa publicité et son
exemplarité, la procédure pénale apporterait une dimension dissuasive supplémentaire à la
répression de la fraude.

21. Objectifs distincts. – Pour être complémentaires et que leur cumul soit acceptable, les
contentieux pénal et fiscal doivent poursuivre des intentions différentes. À la procédure fiscale

132
Cons. const., QPC, 24 juin 2016, n°2016-545, M. Alec W. et a. et Cons. const., QPC, 24 juin 2016, n°2016-546,
M. Jérôme C : Dr. fisc. 2016, n°27, comm. 405, note S. DETRAZ ; N. JACQUOT et P. MISPELON, QPC sur le
cumul des sanctions pénales et fiscales : une décision sans gravité ? : Dr. fisc. 2016, n°26, act. 409 ; M. COLLET
et P. COLLIN, Le cumul des sanctions pénale et fiscale face aux exigences constitutionnelles et européennes : JCP
G 2016, 847 ; JCP E 2016, doctr. 1190, J.-H. ROBERT, C. CLAVERIE-ROUSSET, S. DETRAZ et J.-B.
PERRIER ; Rev. pénit. 2016, p. 967, obs. E. BONIS-GARÇON et V. PELTIER ; Dr. fisc. 2016, étude 437, obs.
R. SALOMON ; RFDA 2016, p. 1044, chron. L. AYRAULT et M. COLLET ; Rec. Cons. Const., p. 179, n°53,
chron. H. SURREL. Dans ces décisions, le Conseil constitutionnel distingue les objectifs de chacune des
dispositions des articles 1729 (lequel prévoit que l’administration fiscale peut infliger, en fonction de la gravité du
comportement du contribuable, des sanctions pécuniaires en cas de manquement délibéré, abus de droit ou
manœuvres frauduleuses : considérant n°18) et 1741 du code général des impôts (lequel fonde l’infraction
principale de fraude fiscale, délit poursuivi devant le tribunal correctionnel : considérant n°19). Il conclut que ces
deux dispositions « permettent d'assurer ensemble la protection des intérêts financiers de l'État ainsi que l'égalité
devant l'impôt, en poursuivant des finalités communes, à la fois dissuasive et répressive » (considérant n°20). V.
aussi pour la position de la Cour de cassation : Cass. crim., 11 septembre 2019, n°18-81.980 : Dr. fisc. 2019, act.
402 ; Cass. crim., 11 septembre 2019, n°18-81.067 : Dr. fisc. 2019, n°38, act. 401 ; Cass. crim., 11 septembre
2019, n°18-82.430 : Dr. fisc. 2019, n°38, act. 400 ; Cass. crim., 11 septembre 2019, n°18-81.040 : Dr. fisc. 2019,
n°40, comm. 390 ; Cass. crim., 11 septembre 2019, n°18-84.144 : Dr. fisc. 2019, n°38, act. 401 ; Cass. crim., 11
septembre 2019, n°18-83.484 : Dr. fisc. 2019, n°38, act. 398 ; J.-H. ROBERT, La conventionalité et la
constitutionnalité du cumul des poursuites et des sanctions fiscales et pénales : Revue des sociétés 2020, p. 251 ;
AJ pén. 2019. 562, obs. J. LASSERRE CAPDEVILLE ; Ibid. 564, obs. M. LASSALLE ; RSC 2020. 123, obs. R.
PARIZOT ; D. 2019. 2320, obs. G. ROUJOU DE BOUBEE, T. GARE, C. GINESTET, M.-H. GOZZI,
S. MIRABAIL et E. TRICOIRE ; D. actu. 1er octobre 2019, obs. S. FUCINI ; JCP G 2019. 1086, note DETRAZ
et DEZEUZE ; Dr. fisc. 2019, comm. 420, obs. M. STOCLET ; Dr. fisc. 2019, chron. 437, obs. R. SALOMON ;
D. 2020, p. 567, note M. FOUQUET ; RTD comm. 2020, p. 506, obs. L. SAENKO ; Gaz. Pal., 4 février 2020,
n°5, p. 64, obs. F. FOURMENT ; Gaz. Pal., 22 octobre 2019, n°36, p.14, note E. DEZEUZE ; N. JACQUOT, N.
GUILLAND, Vers une balkanisation du contentieux fiscal ? Réflexions sur les nouveaux contours de l'office du
juge pénal en matière de fraude fiscale : Dr. fisc. n°43, 24 octobre 2019, 412.
133
V. infra, n°233 et s.

33
répondrait ainsi l’objectif de rétablir l’imposition due dans les caisses de l’État ; à la procédure
pénale celui d’ajouter ce supplément répressif que confère la tenue d’un procès pénal, dans un
but clairement dissuasif. Ensemble, elles formeraient un tout cohérent, destiné à répondre
efficacement aux agissements des fraudeurs. Le cloisonnement de ces objectifs légitime, à
l’encontre du fraudeur, l’addition des deux répressions (Section I). La difficulté surgit lorsque
les attributions conférées à chacun des juges servent un autre intérêt que celui qui justifiait
initialement son intervention. Les objectifs des procédures fiscale et pénale viennent se
confondre et c’est alors toute la légitimité de leur cumul qui est remise en question (Section II).

SECTION I. LE CLOISONNEMENT APPARENT DES OBJECTIFS

22. Le cumul des procédures fiscale et pénale : un ensemble répressif unique. –


Lorsqu’il commet une fraude à l’impôt, le contribuable peut se voir infliger une double
répression administrative et pénale. L’addition de ces poursuites est permise par la
complémentarité des procédures pénale et fiscale. Chacune d’elles entend agir à l’encontre de
l’un des aspects délictueux de la fraude fiscale. Parce que la fraude lèse d’abord les intérêts
financiers de l’État, le prononcé de sanctions fiscales vise à compenser ce préjudice pécuniaire.
Mais la fraude affecte également la société dans son ensemble. La tenue d’un procès pénal est
destinée à réparer l’atteinte à l’intérêt général provoquée par ce fait infractionnel. Le cumul de
sanctions pénale et fiscale s’analyse alors comme un ensemble répressif unique, cherchant à
traiter de manière complémentaire les atteintes pécuniaires, mais aussi sociales engendrées par
la fraude. Parce que chacune des procédures répond à un objectif propre (§1), elles disposent
toutes deux d’une place appropriée (§2) dans la lutte contre la fraude.

§1. Le constat du cloisonnement des objectifs

23. Objectifs budgétaire et répressif. – Le cumul entre les procédures pénale et fiscale est
autorisé en raison de la poursuite par chacune d’elles d’objectifs différents. Lorsque celle-ci
répond à un objectif avant tout budgétaire (A), celle-là poursuit un objectif répressif (B).

34
A) L’objectif budgétaire de la procédure fiscale

24. La préservation des intérêts du Trésor par l’administration fiscale. Selon une
formulation jurisprudentielle constante, l’administration fiscale134 intervient « dans l’intérêt du
fisc »135 ou encore selon la doctrine fiscale, dans le but de « préserver les intérêts du Trésor »136.
Sa mission, définie à l’article 2 du décret du 3 avril 2008 relatif à la direction générale des
finances publiques137, est de veiller « à l'établissement de l'assiette et à la mise en œuvre du
contrôle des impôts, droits, cotisations et taxes de toute nature, ainsi qu'à leur recouvrement et
à celui des autres recettes publiques »138. L’administration fiscale incarne le bras armé de l’État
français en matière d’imposition. Elle doit assurer l’autorité du pouvoir étatique dans
l’élaboration et le recouvrement des impôts. C’est ici que se trouve le véritable fondement de
la mission budgétaire qui lui est confiée (1). Placée sous l’autorité conjointe des ministres de
l’économie et des finances et de l’action et des comptes publics139, elle a la charge de rétablir
dans les caisses de l’État l’imposition due par les contribuables. Pour assurer cet objectif, elle
dispose entre ses mains d’importants moyens (2).

1) Le fondement de l’objectif budgétaire de l’administration fiscale

25. Fondement du droit de contrôle de l’administration. – Tandis que sous l’Ancien


Régime, le système fiscal dépendait d’un « régime de répartition »140, lequel nécessitait « en
conséquence peu de capacités de contrôle »141, le dispositif actuel a choisi de faire reposer

134
Il faudrait plutôt évoquer les « administrations fiscales » au pluriel (V. en ce sens, J. GROSCLAUDE, P.
MARCHESSOU, B. TRESCHER, Droit fiscal général, op. cit., p. 61). L’administration fiscale est en réalité la
Direction générale des finances publiques, regroupant depuis le décret n°2008-310 du 3 avril 2008 relatif à la
direction générale des finances publiques les anciennes Direction générale des impôts (DGI) et Direction générale
de la comptabilité publique : V. supra, n°4, note n°21.
135
V. par ex., Cass. crim., 6 février 1969, n°66-91.594 ou Cass. crim., 16 avril 1970, n°68-92.344.
136
BOFIP, « Contrôle fiscal », 6 juillet 2016, BOI-CF-20160706.
137
Décret n°2008-310 du 3 avril 2008 relatif à la direction générale des finances publiques.
138
Art. 2, 3°, décret n° 2008-310 du 3 avril 2008 relatif à la direction générale des finances publiques.
139
Art. 2, décret n°2017-1078 du 24 mai 2017 relatif aux attributions du ministre de l'économie et des finances.
140
CE, Les pouvoirs d’enquête de l’administration, Étude adoptée par l’assemblée générale du Conseil d’Etat du
15 avril 2021, p. 30. Dans le système de répartition, le montant global de l’imposition était déterminé chaque année
par les pouvoirs publics, puis réparti entre les contribuables selon un taux aléatoire. La taille faisait partie de ces
impôts dit de répartition. Nos systèmes d’imposition modernes ont substitué à cet impôt de répartition un impôt
dit de quotité pour lequel le taux d’imposition est connu à l’avance des contribuables.
141
Ibid.

35
l’obligation fiscale sur un régime essentiellement déclaratif142. Afin de vérifier la sincérité des
déclarations des contribuables, l’administration met en œuvre ses procédures de contrôle, qui
vont de la simple collecte de renseignements telle que le droit de communication143, les
demandes d’éclaircissements et de justifications144 ou les saisies et visites145, à un examen plus
poussé de la cohérence des informations ainsi collectées par le biais notamment de la
vérification de comptabilité146 ou de l’examen contradictoire de la situation fiscale
personnelle147. Le législateur a également doté l’administration de nouveaux pouvoirs de
contrôle qui lui permettent d’agir en amont, pour s’assurer de la sauvegarde des preuves d’une
fraude présumée148 ou encore pour recouvrer une créance fiscale menacée par le comportement
du contribuable149. L’action de contrôle de l’administration apparaît techniquement comme « la
contrepartie indispensable à la présomption de sincérité s’attachant aux déclarations des
contribuables »150. Plus encore selon certains151, ces prérogatives découleraient du principe
constitutionnel de consentement à l’impôt énoncé à l’article 14 de la Déclaration des Droits de
l’Homme et du Citoyen. En veillant à ce que tous les citoyens participent à la contribution
commune, l’administration fiscale apparaît comme le gage de la bonne exécution du pacte
social les liant à l’État.

142
Il existe trois méthodes pour calculer l’assiette imposable. Historiquement, la méthode indiciaire est la première
à avoir vu le jour. En vigueur au 19ème siècle, elle consistait à évaluer la masse imposable à partir d’éléments
extérieurs et objectifs. Disparu en 1926, l’impôt sur les portes et les fenêtres était calculé à partir de cette méthode
indiciaire. La base imposable peut également être calculée à partir d’une évaluation forfaitaire, consistant pour
l’administration fiscale à proposer au contribuable le montant de l’imposition à partir d’éléments empiriques. Par
exemple, l’administration a longtemps utilisé cette méthode pour évaluer l’imposition des bénéfices non
commerciaux ou celle des bénéfices industriels et commerciaux. L’assiette était alors déterminée non pas en
fonction du chiffre d’affaires mais en tenant compte d’éléments objectifs tels que la nature de l’activité, le nombre
de salariés ou encore la valeur des stocks. Contestée par sa complexité et son approximation, cette technique sera
peu à peu abandonnée. S’agissant des bénéfices industriels et commerciaux et des bénéfices non commerciaux,
cette méthode a été supprimée par la loi n°98-1266 du 30 décembre 1998 de finances pour 1999 et remplacée par
le régime des micro-entreprises. Depuis le 20ème siècle, notre dispositif repose donc essentiellement sur un régime
déclaratif, dans lequel le contribuable établit une déclaration sous le contrôle de l’administration. Cette technique,
aussi appelée « déclaration contrôlée », s’applique en matière d’imposition sur le revenu, de taxes sur le chiffre
d’affaires et de droits d’enregistrement.
143
V. infra, n°161 et s.
144
Art. L. 16 LPF.
145
Art. L. 16B LPF.
146
Art. L. 13 LPF.
147
Art. L. 12 LPF.
148
Tel est l’objet de la procédure judiciaire d’enquête fiscale codifiée à l’article 28-2 du CPP.
149
Tel est l’objet de la procédure de flagrance fiscale prévue à l’article L 16-0 BA du livre des procédures fiscales.
150
CE, Les pouvoirs d’enquête de l’administration, op. cit., p. 30.
151
E. de CROUY‐CHANEL, Le Conseil constitutionnel mobilise‐t‐il d'autres principes constitutionnels que
l'égalité en matière fiscale ? : NCCC, n°33, octobre 2011, p. 20.

36
26. Fondement du droit de punir. – A l’issue de ces contrôles, l’administration détient un
pouvoir de sanctions, essentiellement de nature pécuniaire, qu’elle inflige à ceux qui tentent de
se soustraire à leurs obligations fiscales. Les mesures que l’administration est susceptible de
prononcer en la matière sont principalement de trois ordres : les indemnités de retard, les
majorations de droit et les amendes fiscales. Les premières, prévues à l’article 1727 du code
général des impôts, ont pour unique objectif de compenser le préjudice causé au Trésor152, en
témoigne le calcul proportionnel de leur taux en fonction de la durée de retard. Le prononcé
d’une telle mesure se comprend aisément dans la mesure où « les impôts légalement dus n’ont
pas été, du fait du contribuable, payés au Trésor en temps voulu »153. Les deux autres sanctions
que sont les majorations et les amendes présentent également un caractère pécuniaire. Les
majorations fiscales peuvent être prononcées par le fisc à l’encontre du fraudeur pour
sanctionner différents types de comportements154 tels qu’un défaut ou un retard de souscription
de déclaration155 ou encore une insuffisance de déclaration156. Le montant de la majoration est
généralement proportionnel à la gravité du comportement du fraudeur157. L’administration a
également la possibilité d’infliger des amendes, dont le montant peut être invariable158 ou
proportionnel à l’imposition non déclarée159.

La capacité de l’administration à infliger ces sanctions est « inhérente au pouvoir


fiscal »160 et se présente comme « un attribut de cette prérogative de puissance publique par

152
CE, Avis, 5 avril 1996, n°176611, Houdmond.
153
G. KLEIN, La répression de la fraude fiscale, Étude sur le particularisme du droit pénal des impôts, op. cit.,
p. 46, n°53.
154
Voir sur la diversité des pénalités fiscales : S. AUSTRY, Les sanctions administratives en matière fiscale, AJDA
2001, p. 51 qui indique « on compte ainsi près de 200 pénalités fiscales ».
155
Art. 1728 CGI.
156
Art. 1728 CGI.
157
Concernant le défaut ou le retard de production dans les délais prescrits de la déclaration : majoration de 10%
en l'absence de mise en demeure ou en cas de dépôt de la déclaration ou de l'acte dans les trente jours suivant la
réception d'une mise en demeure, puis 40% lorsque la déclaration ou l'acte n'a pas été déposé dans les trente jours
suivant la réception d'une mise en demeure et enfin 80% en cas de découverte d'une activité occulte (art. 1728
CGI). Concernant l’insuffisance de déclaration : majoration 40% en cas de manquement délibéré puis 80% en cas
de manœuvres frauduleuses ou d'abus de droit (art. 1729 CGI).
158
V. par ex., l’art. 1760 bis du CGI qui sanctionne d’une amende de 10 000€ le défaut de souscription par une
société de la déclaration spéciale appréciant les conséquences des opérations de fusion, de scission ou d'apport
partiel d'actif.
159
V. par ex., l’art. 1788 A, 4° qui prévoit une amende fiscale dont le montant est fixé à 5% du montant de la taxe
non déclarée.
160
M. DELMAS-MARTY et C. TEITGEN-COLLY, Punir sans juger, de la répression administrative au droit
administratif pénal, Economica, 1992, p. 14.

37
excellence qu’est la prérogative fiscale »161. Ainsi, le pouvoir sanctionnateur de
l’administration est explicitement rattaché à celui d’établir l’obligation fiscale originelle. Dans
un arrêt du 5 mai 1922162, le Conseil d’État devait se prononcer sur la légalité d’un arrêté par
lequel l’administrateur-maire d’une commune avait établi une taxe sur les possesseurs de
véhicules en assortissant son non-respect de sanctions administratives. La Haute juridiction a
eu l’occasion d’affirmer que ces sanctions « qui consistent dans l’application d’un droit double
ou triple au cas de déclaration tardive ou de fausse déclaration, n’ont que le caractère
d’amendes fiscales que l’autorité compétente, pour créer la taxe, avait le droit d’établir en vue
d’en assurer le recouvrement ». Parce qu’il détermine lui-même les obligations fiscales
indispensables à son fonctionnement, l’État est légitime à en réclamer la perception par le biais
de son administration. Le fisc étant le véritable « détenteur du pouvoir fiscal »163, il a la charge
de s’assurer de la bonne perception des recettes publiques. Le fondement du droit de punir de
l’administration fiscale doit donc être recherché dans la définition même de l’impôt, lequel peut
être défini comme « un prélèvement à caractère obligatoire et sans contrepartie directe, qui
est perçu au profit d’une collectivité publique »164. L’impôt est un véritable attribut de la
souveraineté ; il est « indispensable à la continuité de l’État et des services publics »165. Que sa
justification soit recherchée selon une approche classique dans la couverture des charges
publiques166 ou de manière plus contemporaine à travers des buts sociaux, voire
économiques167, l’impôt présente dans un État de droit un caractère impératif qui légitime
l’objectif ainsi assigné à l’action de l’administration fiscale. La loi fiscale est d’ordre public,
« c’est-à-dire que nul ne peut y déroger et qu’elle doit recevoir pleine et entière application »
168
. La faculté dont dispose l’administration fiscale de punir les fraudeurs est « consubstantielle
à la justice du système fiscal lui-même »169. La traduction de cette impérativité réside dans le

161
Ibid.
162
CE, 5 mai 1922, Fontan : Rec. Lebon 386.
163
P. LUPPI, La substitution de base légale en matière fiscale, Mélanges en l’honneur de Pierre Beltrame, Presse
universitaire d’Aix Marseille, 2010, p. 324.
164
J. GROSCLAUDE, P. MARCHESSOU, B. TRESCHER, Droit fiscal général, op. cit., p. 2.
165
E. de CROUY‐CHANEL, Le Conseil constitutionnel mobilise‐t‐il d'autres principes constitutionnels que
l'égalité en matière fiscale ? : op. cit. p. 25.
166
Art. 13 DDHC.
167
V. à ce sujet, J. GROSCLAUDE, P. MARCHESSOU, B. TRESCHER, Droit fiscal général, op. cit., ou G.
ORSONI, L’interventionnisme fiscal, PUF, 1995, p. 11 et s.
168
P. BELTRAME, L. MEHL, Techniques, politiques et institutions fiscales comparées, Paris, PUF Thémis, Droit
public 1997, p. 601.
169
O. DEBAT, Souveraineté, citoyenneté, liberté le droit pénal fiscal en quête d'équilibre, Livre du bicentenaire
du code pénal et du code d'instruction criminelle, Dalloz 2010, p. 779.

38
principe de nécessité de l’impôt établi à l’article 13 de la Déclaration des Droits de l’Homme
et du Citoyen, lequel énonce que « pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses
d'administration, une contribution commune est indispensable ». C’est dans ce principe
constitutionnel qu’il faut donc trouver le fondement de l’action punitive de l’administration
fiscale. Pour assurer cette lourde tâche, l’action de l’administration fiscale est facilitée par des
règles processuelles applicables devant le juge de l’impôt.

2) Les moyens d’assurer l’objectif budgétaire

27. Nature du contentieux : contentieux de pleine juridiction. – Une fois la fraude


détectée et sanctionnée par l’action de l’administration, c’est éventuellement au juge fiscal
d’intervenir. Lorsque le contribuable conteste le bien-fondé des impositions mises à sa charge
ou la régularité de la procédure suivie devant l’administration, et après l’échec d’une phase
administrative préalable, les sanctions fiscales peuvent faire l’objet d’un recours contentieux
devant le juge fiscal, administratif ou judiciaire selon la nature de l’imposition due170. Les
réclamations ainsi formées relèvent « par nature »171 du contentieux de pleine juridiction172,
conférant au juge des pouvoirs étendus qui s’expliquent par l’exclusivité conférée à la
procédure fiscale dans le recouvrement des créances fiscales. Si l’exercice de recouvrir l’argent
de la fraude est ouvert devant le juge fiscal (a), cette voie est totalement fermée devant le juge
pénal (b).

a) Un moyen ouvert devant le juge fiscal

28. Substitution de base légale : définition du mécanisme en contentieux général. –


Lorsque le juge fiscal est saisi d’une contestation par un contribuable, il ne se contente pas
d’accueillir ou de rejeter le recours formé devant lui. Partant du principe que l’État « ne peut
renoncer au bénéfice de la loi fiscale »173, il autorise l’administration fiscale à procéder à tout
moment de la procédure à une substitution de base légale afin de justifier le bien-fondé des
redressements opérés. Pratiquée également en contentieux général, la substitution de base légale

170
V. supra, n°4.
171
CE, sect., 29 juin 1962, n°53090, Société des Aciéries de Pompey : Rec. Lebon 1962, p. 418 ; Dr. fisc. 1962,
n°31, comm. 861 ; JCP G 1963. II. 13026, concl. M. POUSSIERE.
172
Par opposition au contentieux du recours pour excès de pouvoir.
173
CE, 7 décembre 1981, n°16576 : RJF 2/82, n°123.

39
peut être définie comme une « technique contentieuse qui permet au juge administratif de
régulariser une décision dépourvue de base légale, prise en dehors du champ d’application de
la loi, sur le fondement d’un texte qui n’est plus applicable, ne l’est pas encore, ou sur une base
légale erronée »174. La substitution de base légale suppose une erreur de l’administration. Selon
les termes du commissaire du gouvernement Monsieur J.-H. STAHL, elle « revient à substituer
au fondement légal sur lequel a cru pouvoir s’appuyer l’autorité administrative une autre base
légale qui permettrait à cette autorité de prendre légalement la même décision »175. Cette
technique, expressément rattachée à l’office du juge176, lui évite de « prononcer des annulations
destinées à n’avoir qu’une portée doctrinale »177. Lorsque l’administration était compétente
pour prendre la décision litigieuse, une simple inexactitude de fondement ne peut être de nature
à annuler purement et simplement la décision attaquée.

29. Sauvegarde des intérêts du Trésor. – Lorsqu’elle est accueillie, la nouvelle base légale
se substitue à l’ancienne, sans que l’administration ait besoin de procéder à une nouvelle
notification de redressement178. En matière fiscale, la substitution de base légale permet ainsi à
l’administration de maintenir l’imposition établie sur la base d’un fondement juridique erroné
ou inadapté. En d’autres termes, le recours à cette technique permet d’éviter une diminution,
voire une décharge complète de l’imposition réclamée. Le pouvoir conféré à l’administration
fiscale de sauver l’imposition réclamée existe « à raison de sa quasi-compétence liée d’établir
l’impôt légalement dû »179. Ce faisant, la substitution de base légale participe de la mission
conférée à l’administration fiscale de « préserver les intérêts du Trésor »180. Le devoir de ne

174
A. VAN LANG, G. GANDOUIN, V. INSERGUET-BRISSET, Dictionnaire de droit administratif, Paris, 5ème
ed., Dalloz, 2008, p. 388.
175
Concl. J.-H. STAHL sur CE, sect. 3 décembre 2003, Préfet de Seine-Maritime c/ El Bahi : RFDA juillet-août
2004, p. 735.
176
V. en ce sens, P. LUPPI, La substitution de base légale en matière fiscale, in Mélanges en l’honneur de Pierre
Beltrame, Presse universitaire d’Aix Marseille, 2010, p. 304.
177
R. ODENT, Contentieux administratif, Dalloz 2007, p. 507.
178
CE, 16 avril 1984, n°26674 : RJF 6/84 n°786 ; CE, 6 décembre 1996, n°156003, Joseph : RJF 1/97, n°35. Cela
correspond à l’hypothèse dans laquelle la procédure d’imposition correspondant à la nouvelle base légale invoquée
avait été respectée dans le cadre de l’imposition primitive. Lorsque toutefois le nouveau fondement textuel exige
le respect d’une procédure non suivie dans le cadre du redressement initial, l’administration fiscale doit suivre la
procédure imposée par ce nouveau fondement légal. V. à propos de cette condition, P. LUPPI, La substitution de
base légale en matière fiscale, op. cit., p. 314.
179
Concl. N. CHAHID-NOURAÏ sur CE, 8ème et 9ème ss.-sect., 8 août 1990, n°64916, M. Tartaglia : Dr. fisc. 1990,
n°42, comm. 1928.
180
P. LUPPI assimile clairement cette technique à la « nécessité de préserver les intérêts du Trésor public » : P.
LUPPI, La substitution de base légale en matière fiscale, op. cit., p. 307.

40
jamais renoncer à la loi fiscale est si important qu’il justifie que le Trésor puisse « modifier, en
cours de route, l’orientation donnée initialement au litige fiscal »181.

30. Distinction avec d’autres notions. – La substitution de base légale doit être distinguée
d’autres mécanismes entre les mains du juge administratif. Selon les propos de Monsieur R.
CHAPUS182, il existe trois techniques « de rejet » du juge administratif, « qui sont de nature à
provoquer, en un certain sens, une réfection plus ou moins marquée, des décisions attaquées ».
La première183, la neutralisation de motifs, suppose l’existence d’une décision de
l’administration prise sur le fondement de plusieurs motifs. Le juge administratif décide de
« neutraliser » un des motifs illégaux lorsque la décision aurait pu être prise sur le seul
fondement du ou des motifs restants. La deuxième technique, la substitution de motifs, implique
que l’administration, qui se trouve le plus souvent en situation de compétence liée 184, prenne
une décision sur des motifs erronés. Dans pareille hypothèse, le juge administratif va
« remplacer un motif de fait ou de droit erroné par un autre motif qu’il estime meilleur à celui
avancé par l’administration »185. Selon les propos de Monsieur A. CLAEYS, « de toutes les
techniques juridictionnelles de validation d’actes illégaux, la substitution de motifs est celle qui
impose au juge l’effort de reconstitution du processus décisionnel le plus poussé… Elle
implique de la part du juge une véritable ingérence dans le pouvoir d’appréciation de l’autorité
administrative »186. Alors que traditionnellement la substitution de motifs n’était concevable
qu’en cas de compétence liée, elle s’est peu à peu élargie aux situations dans lesquelles

181
Ibid.
182
R. CHAPUS, Droit du contentieux administratif, Domat, n°1123, p. 1005.
183
Cette technique a été admise par la décision dite « Dame Perrot » : CE, Ass., 13 janvier 1968, n°70951, Dame
Perrot : Rec. Lebon, p. 39, AJDA 1968, p. 79, concl. J. KAHN ; V. en ce sens, R. CHAPUS, Droit du contentieux
administratif, Domat, n°1126, p. 1009.
184
La compétence liée s’oppose traditionnellement au pouvoir discrétionnaire de l’administration. Celle-ci est dans
une situation de compétence liée lorsqu’elle se trouve dans l’obligation d’agir dans un sens déterminé en raison de
la seule constatation des faits sur lesquels elle ne peut porter une appréciation (CE, Sect., 3 février 1999,
Montaignac : Rec. Lebon 6, AJDA 1999, n°567, chron. RAYNAUD et FOMBEUR). Elle « n’a alors ni le choix
entre l’action et l’abstention (car elle est, selon les cas, dans l’obligation d’agir ou dans l’obligation de s’abstenir
d’agir), ni la liberté de choisir entre plusieurs mesures (car l’obligation d’agir s’accompagne alors de l’obligation
de prendre une mesure déterminée) » (G. LEBRETON, Droit administratif général, Dalloz Coll. « Cours », 2021,
p. 83). Selon la marge d’appréciation dont dispose l’administration, le contrôle du juge sera différent. Du pouvoir
discrétionnaire de l’administration résulte un contrôle minimum du juge administratif et de la compétence liée, un
contrôle plus poussé (parfois appelé contrôle normal ou contrôle maximum).
185
P. LUPPI, La substitution de base légale en matière fiscale, op. cit., p. 324.
186
A. CLAEYS, L’évolution de la protection juridictionnelle de l’administré au moyen du recours pour excès de
pouvoir : Thèse, Poitiers, 2005, p. 926.

41
l’autorité administrative bénéficie d’un pouvoir discrétionnaire187, si bien que ses frontières
avec la troisième technique de rejet, à savoir la substitution de base légale, « semblent (…)
s’estomper »188. Saisi d’une demande en décharge par un contribuable, le juge fiscal peut
décider tant de substituer les motifs choisis par l’administration que le fondement légal sur
lequel elle s’était initialement basée189. La troisième technique de rejet, la substitution de base
légale, est applicable au contentieux fiscal. Dans le but de sauver les majorations litigieuses, le
fisc est susceptible de substituer à la base juridique initialement choisie pour établir l’imposition
un nouveau fondement légal. Aussi, l’administration fiscale est susceptible de modifier la
catégorie d’imposition initialement appliquée au contribuable. La substitution de base légale
est également possible au sein d’une même catégorie d’imposition. Par exemple, il peut être
décidé en cours de procédure que les bénéfices d’un contribuable ne doivent plus être qualifiés
de bénéfices industriels et commerciaux mais de bénéfices non commerciaux190.

31. Conditions de mise en œuvre en matière fiscale. – La mise en œuvre de la substitution


de base légale par le juge fiscal obéit à trois principales conditions. Tout d’abord, « l’initiative
de la substitution de base légale est réservée à l’administration fiscale »191. Il s’agit d’une
faculté entre les mains de l’administration dont le juge fiscal ne saurait se saisir d’office192. En

187
CE, sect., 6 février 2004, n°240560, Mme Hallal : Rec. Lebon p. 48, concl. I. de SILVA, chron. F. DONNAT
et D. CASAS, AJDA 2004, p. 436, chron. C. GUETTIER, RDP 2005, p. 530 ou J.-C. BONICHOT, P. CASSIA,
B. POUJADE, Les grands arrêts du contentieux administratif, Paris, Dalloz 2007, n°67, p. 1049 et s.
188
P. LUPPI, La substitution de base légale en matière fiscale, op cit., p. 328.
189
En pratique désormais, la substitution de base légale se confond avec la substitution de motifs. Dans ses
conclusions sous CE, 20 juin 2007, n°290554, 9 ème et 10ème ss-sect., Min. c/ SA Ferette : RJF 10/07 n°1131,
Monsieur S. VERCLYTTE indiquait explicitement : « il nous semble que la thèse du ministre, selon laquelle la
substitution de base légale se borne à l’hypothèse d’une modification du texte invoqué, n’est pas fondée ». En effet
« la substitution de base légale, telle qu’entendue par la jurisprudence, vise toute modification du motif de droit
sous-tendant l’imposition et pas uniquement les changements de texte fiscal ». Selon lui, la substitution de base
légale s’entend comme toute modification du motif de droit invoqué par l’administration, « qu’il s’agisse
d’invoquer un texte fiscal différent » ou « au sein d’un même texte, une condition différente ». Pour les
développements à venir, nous emploierons donc indifféremment les termes de substitution de base légale et
substitution de motifs.
190
Dans ce cas, l’administration fiscale substitue l’application de l’article 34 du CGI (bénéfices industriels et
commerciaux) à l’article 92 (bénéfices non commerciaux).
191
P. LUPPI, La substitution de base légale en matière fiscale, op. cit., p. 304 et 305.
192
CE, 21 mars 1975, n°85496 : RJF 5/75 n°226 ; CE, 4 février 1977, n°83219 : RJF 4/77 n°212 ; CE, 22 décembre
2017, n°406791 : RJF 5/18 n°460, concl. R. VICTOR. Faute de conclusions de l’administration en ce sens, le juge
fiscal ne peut substituer de lui-même au fondement erroné un autre fondement textuel. En procédant à une
substitution de motifs sans y avoir été invitée par l'administration, la décision des juges du fond est entachée
d’irrégularité : CE, 7 novembre 2012, n°328670, Sté France Immobilier Group : RJF 2/13 n°189. Il existe toutefois
une exception en matière de pénalités. Le juge de l’impôt a le pouvoir de substituer à une pénalité qu’il estime
illégale une autre pénalité, ce même en l’absence de demande formelle de l’administration en ce sens : CE, 7ème,

42
matière fiscale, l’administration fiscale est le véritable « maître d’œuvre de la substitution de
base légale »193. Le juge fiscal se contente de vérifier l’existence d’une demande formelle du
Trésor, laquelle doit être claire et non équivoque. Ensuite, la substitution n’est possible qu’à la
condition qu’elle ne prive pas le contribuable des garanties prévues par la loi en matière de
procédure d’imposition194. Enfin, le principe du contradictoire doit être respecté. Dès lors que
« les contribuables concernés par une demande de substitution de base légale disposent de la
possibilité de débattre contradictoirement, devant le juge de l'impôt, de la régularité et du bien-
fondé de l'imposition mise à leur charge dans des conditions qui leur assurent des garanties
équivalentes à celles que prévoient les dispositions de l'article L. 57 du livre des procédures
fiscales195 », cette possibilité offerte au Trésor respecte les exigences constitutionnelles196.

32. Moment de l’invocation. – Le pouvoir laissé à l’administration est considérable dans


la mesure où la substitution de motifs est susceptible d’intervenir à tout moment de la procédure
devant le juge fiscal, même pour la première fois en cause d’appel197. Par ailleurs, la substitution
est également susceptible de jouer en amont de toute procédure contentieuse. L’administration
fiscale peut modifier le changement juridique de son action au stade de la réclamation gracieuse
du contribuable198.

33. Effets de la substitution de base légale. – Une fois les conditions vérifiées, le
changement de base légale intervient au profit de l’administration, le juge fiscal devenant ainsi

8ème et 9ème ss.-sect., 26 juillet 1978, n°7296, SARL Amoric-Robert Houdin : Dr. fisc. 1979, n°19, comm. 963,
concl. RIVIERE et RJF, 11/78, n°482 ; CE, 2 mars 1979, n°6646 : Dr. fisc. 1979, n°20, comm. 997 et RJF 4/79,
n°237 ; CE, 24 février 1988, n°59762 : RJF 4/88, n°380.
193
P. LUPPI, La substitution de base légale en matière fiscale, op. cit., p. 304.
194
CE, 1er décembre 2004, n°250344, Société France Télécom Transpac : RJF 2/05, n°167 ; CE, 1er décembre
2004, n°259104, Ministre c/ Société Vecteur : Dr. fisc. 2005, n°6, comm. 188 et RJF 4/05, n°380 ; CE, 18 janvier
2006, n°265790 et n°265791, Serfaty : RJF 4/06, n°378 ; V. plus récemment, CE, 26 janvier 2021, n°439976.
195
Cet article impose à l’administration fiscale une obligation de motivation dans la rédaction de sa proposition de
rectification, afin de lui « permettre de formuler ses observations ou de faire connaître son acceptation ».
196
CE, 28 décembre 2017, n°415281, Sté Lupa Immobilière France : RJF 4/18 n°424, concl. B. BOHNERT.
197
CE, 6 octobre 1972, n°81674 et 81758 ; CE, 8 juin 2011, n°311580, Morel : RJF 8-9/11 n°974, concl. N.
ESCAUT, BDCF 8-9/11 n°102. En revanche, la substitution de base légale n’étant pas un moyen d’ordre public,
est irrecevable à être invoquée pour la première fois devant le juge de cassation (CE, 31 mars 1995, n°117483 et
128205, M. Gilles Pujos : RJF 5/95 n°567, Dr. fisc. 1995, n°22, comm. 1224, concl. J. ARRIGHI DE CASANOVA
; CE, 23 mars 2005, n°237810, Morin : RJF 6/05 n°554). Cette interdiction est levée lorsque le Conseil d’État
règle l’affaire au fond en vertu des dispositions de l’article L. 821-2 du CJA (CE, 18 janvier 2006, n°265790 et
265791, Serfat : RJF 4/06 n°378, concl. C. VEROT, BDCF 4/06 n°48).
198
CE, 26 novembre 1982, n°24360 : Dr. fisc. 1983, n°22, comm. 1127, concl. P. BISSARA, RJF, 1/83, n°16 ;
CE, 6 novembre 1989, n°54527, M. Hermès : Dr. fisc. 1990, n°19, comm. 907.

43
le véritable « complice »199 du fisc. Ainsi que l’indique Monsieur M.-C. BERGERÈS, la
renonciation au bénéfice de la loi fiscale se justifie aisément lorsqu’il s’agit de percevoir « des
recettes légalement établies et non contestées »200. Or avec la substitution légale, « il s’agit plus
fondamentalement de donner un fondement légal à un redressement incertain et contesté par le
contribuable »201. Permettre à l’administration fiscale de modifier à tout moment le fondement
juridique de sa demande signifie que la balance penchera toujours en faveur du fisc,
indépendamment de la clarté et de l’intelligibilité de la loi fiscale. Lorsque le contribuable
contestera efficacement le redressement dont il a fait l’objet, il suffira à l’administration pour
neutraliser son argumentation, d’invoquer son « joker procédural »202. Au nom de la protection
des intérêts du trésor, l’administration fiscale dispose entre ses mains de pouvoirs exorbitants,
exercés parfois au détriment du contribuable.

34. Continuité des actions de l’administration et du juge fiscal. – En vérifiant ou en


secourant les redressements du fisc, l’office du juge fiscal s’inscrit donc dans la continuité de
l’action de l’administration fiscale, qui est celle de rétablir les impôts dans les caisses étatiques.
En détectant, calculant et sanctionnant la fraude fiscale, l’administration fiscale puis le juge
fiscal participent tous deux à l’objectif de sauvegarde des intérêts du Trésor. Leur action est
concurrente mais aussi exclusive de toute autre procédure. En d’autres termes, cet objectif
budgétaire est exclusivement assuré par la procédure fiscale et ne peut jamais être atteint par la
procédure pénale.

b) Un moyen fermé devant le juge pénal

35. Action exclusive de la procédure fiscale. – Le monopole consenti à l’administration


fiscale dans la sauvegarde des intérêts du Trésor se traduit par l’interdiction formelle qui lui est
faite d’utiliser la procédure pénale dans le but d’obtenir réparation du préjudice pécuniaire tiré

199
M-C. BERGERÈS, La substitution de base légale : un joker contentieux de l'administration fiscale, Procédures,
juin 2002, n°6, chron. 8
200
Ibid.
201
Ibid.
202
Ibid.

44
de la fraude. Ainsi selon une jurisprudence ancienne203 et constante204, lorsque l’administration
fiscale se constitue partie civile devant le juge répressif saisi d’une poursuite pour fraude fiscale,
celle-ci ne peut jamais solliciter l’octroi de dommages et intérêts. La juridiction pénale doit se
déclarer incompétente pour réparer le préjudice causé par la fraude, lequel est entièrement et
exclusivement réparé par le prononcé des sanctions fiscales. La Cour de cassation se montre
particulièrement inflexible à l’égard de cette règle et n’hésite pas à infirmer le raisonnement
des juges du fond octroyant à l’administration, ne serait-ce qu’un franc symbolique205, en
réparation de son préjudice. Cette solution démontre que le préjudice pécuniaire mais aussi
moral engendré par la fraude fiscale ne peut être réparé que par la procédure fiscale, à
l’exclusion de la tenue du procès pénal.

36. Dissociation de l’action civile. – L’action civile en réparation de la fraude est alors
pleinement dissociée de la constitution de partie civile de l’administration fiscale206, laquelle

203
CA Paris, 10 octobre 1923 ; T. corr. Seine 9 décembre 1959 : jurisprudences citées par G. KLEIN, La répression
de la fraude fiscale, Étude sur le particularisme du droit pénal des impôts, op. cit., p. 528, note de bas de page
n°186.
204
V. pour des ex. plus récents : Cass. crim., 22 septembre 2004, n°03-82.766 ; Cass. crim., 30 janvier 2019, n°17-
84.716 ; Cass. crim., 29 janvier 2020, n°17-83.577.
205
Cass. crim., 17 avril 1989, n°88-81.189 (quatrième moyen de cassation) : « Attendu que, par application de
l'article L. 232 du Livre des procédure fiscales, la constitution de partie civile devant la juridiction correctionnelle
sur des poursuites exercées pour les infractions visées au Code général des impôts, permet à l'administration
fiscale de suivre la procédure et d'y intervenir dans l'intérêt du fisc mais ne lui ouvre pas le droit de demander,
pour le préjudice causé au Trésor public par la fraude, une réparation distincte de celle qui est assurée par les
majorations et amendes fiscales ;Attendu que l'arrêt attaqué, statuant sur la constitution de partie civile du Trésor
public, après l'avoir déclarée recevable, a condamné les prévenus à payer à ce dernier la somme de 1 franc à titre
de dommages-intérêts et celle de 3 000 francs sur le fondement de l'article 475-1 du Code de procédure pénale ;
Mais attendu qu'en prononçant ainsi la cour d'appel a méconnu le sens et la portée du texte susvisé ; que la
cassation est encourue de ce chef par voie de retranchement et sans renvoi ».
206
La question de la nature juridique de l’action civile a donné lieu à une célèbre controverse doctrinale opposant
le Doyen BOULAN et le professeur VOUIN. Exposant sa thèse dans un article paru en 1973 (V.-F. BOULAN, Le
double visage de l'action civile exercée devant la juridiction répressive, JCP G 1973. I. 2563), le premier de ces
auteurs considère que l’action civile présente un « double visage » à la fois pénal et civil. L’une serait
« essentiellement tournée vers la réparation du dommage découlant de l’infraction », tandis que l’autre serait
« essentiellement tournée vers la répression de l’auteur de l’infraction ». En réponse, le professeur VOUIN, se
basant sur une lecture littérale de l’article 2 du code de procédure pénale, arguait de la nature exclusivement civile
et donc « unique », de l’action civile (R. VOUIN, L’unique action civile : D. 1973, chron. p. 265). Reprenant les
fondements et les lacunes de chacune de ces deux conceptions, le professeur BONFILS proposa une nouvelle
distinction entre l’action civile et la participation de la victime au procès pénal (P. BONFILS, L’action civile, Essai
sur la nature juridique d’une institution : Thèse, PUAM, 2000, pp. 259 à 306). Les aspirations exclusivement
vindicatives de la victime répondent à la faculté autonome de la victime de participer au procès pénal,
indépendamment de l’action civile à proprement parler, dont l’objet demeure unitairement tourné vers l’objectif
de réparation.

45
intervient dans le procès pénal dans le seul but de soutenir l’accusation207. En matière fiscale,
il ne peut jamais exister de corrélation entre l’action civile et la constitution de partie civile de
l’administration fiscale. La constitution de partie civile du fisc est nécessairement détachée de
l’action civile, laquelle s’exerce exclusivement et impérativement devant les juridictions
fiscales. Le monopole de la compétence octroyée à l’administration pour réparer le préjudice
subi par la fraude doit être salué, en ce qu’il participe au cloisonnement des objectifs entre les
procédures pénale et fiscale. La tenue du procès pénal ne peut contribuer à réparer le préjudice
né de la fraude, mais poursuit un objectif répressif.

B) L’objectif répressif de la procédure pénale

37. Ajout d’un supplément répressif. – En matière de fraude fiscale, les sanctions fiscales
ne sont jamais exclusives de sanctions pénales. Le cumul des procédures pénale et fiscale est
expressément permis par l’alinéa 1er de l’article 1741 du code général des impôts lorsqu’il
énonce que les sanctions pénales peuvent être prononcées « indépendamment des sanctions
fiscales applicables »208. Depuis longtemps, la procédure pénale est perçue comme une arme
supplémentaire au service de la lutte contre la fraude fiscale. Elle ajoute ce « supplément d’âme
répressif »209 qui « manque fatalement »210 à la répression administrative. Ici encore, les
fondements de l’objectif répressif (1) puis les moyens offerts à la procédure pénale pour y
parvenir (2) seront successivement étudiés.

1) Les fondements de l’objectif répressif

38. Protection d’une valeur jugée essentielle. – L’intervention du droit pénal se justifie
par l’atteinte à l’intérêt général que provoque la fraude fiscale. L’objet du droit pénal est en
effet « d’assurer la sanction des atteintes coupables les plus graves aux valeurs sociales jugées
essentielles »211. En ce sens, le droit pénal dispose d’une valeur expressive212. Il manifeste les

207
V. infra, n°155 et s.
208
Art. 1741 CGI, al. 1er.
209
C. MANDON, La guerre contre la fraude fiscale aura bien lieu : Constitutions 2016, p. 436.
210
Ibid.
211
E. CLEMENT, Les caractères de l’influence de la victime en droit pénal : Thèse, Rennes, 2013, p. 23.
212
Le droit pénal a une fonction expressive « parce que toute incrimination, à l’exception notable des
contraventions, repose sur un choix de valeurs ou d’intérêts dont le respect est jugé indispensable au maintien de
l’ordre social et dont la lésion est interdite. Tel est l’aspect axiologique du droit pénal qui justifie qu’il soit conçu
comme un droit sanctionnateur » (X. PIN, Droit pénal général, op. cit., p. 3, n°3). V. aussi sur la valeur expressive

46
comportements que la société entend collectivement réprimer. En accordant une place de choix
à la répression pénale dans la lutte contre la fraude fiscale, le législateur a entendu placer
l’intérêt protégé par cette infraction au rang des valeurs considérées comme fondamentales dans
notre société. Si « en réprimant le vol, la loi pénale sanctionne l’atteinte à la propriété régie
par le droit civil »213, elle vient en réprimant la fraude fiscale protéger l’essence même de
l’impôt. Lorsqu’un individu commet une fraude fiscale, plusieurs intérêts sont offensés. C’est
tout d’abord le rendement même de l’impôt qui est affecté par ce comportement délictueux.
L’objectif premier de l’impôt réside dans la couverture des charges publiques étatiques. Or, le
résultat de la fraude fiscale est précisément celui d’échapper à l’imposition, ou à tout le moins
d’en diminuer son montant. La fraude fiscale intervient nécessairement en violation du principe
de nécessité de l’impôt établi à l’article 13 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du
Citoyen. En diminuant les ressources publiques, la fraude altère l’efficacité budgétaire de l’État
et « compromet la politique économique et financière du pays »214. Au-delà de cette atteinte
strictement pécuniaire, la fraude fiscale a ceci d’intolérable qu’elle ébranle un deuxième
principe fondamental, celui de l’égalité devant l’impôt. Ce principe que le Conseil
constitutionnel fait découler de l’article 13 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du
Citoyen, « soulève en effet une question de répartition et de charges en ce sens que la charge
publique doit être également répartie »215. La fraude entraîne une rupture d’égalité réelle entre
les contribuables et avantage indignement leurs auteurs. En matière économique, la fraude est
« un facteur de concurrence déloyale »216 entre les entreprises217. Monsieur G. JÈZE estimait à
juste titre que « payer sa part des charges publiques » représente un véritable « devoir moral ».
Et d’ajouter, « celui qui se soustrait à ce devoir en rejette le fardeau sur ces concitoyens et les
dépouille indirectement, mais sûrement »218. Enfin, étant souvent l’apanage de personnes
relevant d’une classe économique aisée, la fraude altère plus généralement la confiance
mutuelle entre les citoyens et envers les institutions étatiques. Aussi et partant du principe

du droit pénal : B. BOULOC, Droit pénal général, op. cit., pp. 5 à 7 ; E. DREYER, Droit pénal général,
LexisNexis, 6ème éd., 2021, p. 69 et s.
213
X. PIN, Droit pénal général, op. cit., p. 4.
214
P. BELTRAME, L. MEHL, Techniques, politiques et institutions fiscales comparées, op. cit., p. 590.
215
P. GAIA, R. GHEVONTIAN, F. MELIN-SOUCRAMANIEN, A. ROUX, Les grandes décisions du Conseil
constitutionnel, Dalloz, 19ème éd., 2018, p. 681.
216
P. BELTRAME, L. MEHL, Techniques, politiques et institutions fiscales comparées, op. cit., p. 590.
217
Étude d'impact, Projet de loi relatif à la lutte contre la fraude, 27 mars 2018, p. 2 : « la fraude porte atteinte au
principe fondamental d'égalité devant les charges publiques, grève les recettes publiques nécessaires à la
solidarité nationale et au financement des services publics, et fausse la concurrence loyale entre les acteurs
économiques ».
218
G. JÈZE, La fraude fiscale : Revue de sciences législatives et financières, 1933, p. 187.

47
que « l’impôt est la contrepartie des droits garantis par la société », la fraude est « l’affaire de
tous les citoyens »219. La fraude fiscale contrevient à l’intérêt général, elle atteint les fondements
de l’État. Assurément, « le fraudeur fiscal est un délinquant »220. L’intervention du droit pénal
se justifie à raison de l’atteinte à une valeur jugée essentielle dans notre société.

39. Moyens mis à disposition de la justice pénale. – La gravité de l’atteinte provoquée par
des faits de fraude fiscale justifie l’intervention du droit pénal au service de la législation fiscale.
La répression pénale dispose de moyens efficaces afin de décourager les potentiels fraudeurs.

2) Les moyens d’assurer l’objectif répressif

40. Moyens substantiels et processuels. – Pour assurer une répression efficace de la fraude
fiscale, sont mobilisés tant des moyens de droit pénal de fond (a) que de procédure pénale (b).

a) Les moyens substantiels

41. La définition vague de l’incrimination générale de fraude fiscale. – Le droit pénal


fiscal substantiel contribue à l’objectif répressif confié aux tribunaux judiciaires dans la lutte
contre la fraude. En premier lieu, c’est l’incrimination étendue de l’infraction de fraude fiscale
qui en assure la fonction dissuasive. Au titre de son élément matériel, le délit général de fraude
fiscale peut revêtir plusieurs formes qu’énumère l’article 1741 du code général des impôts. Ce
délit peut tout d’abord être consommé par le contribuable qui omet de faire sa déclaration dans
les délais prescrits. À ce titre, l’absence de dépôt de la déclaration dans les délais requis221, de
même que le dépôt tardif222 ou encore le dépôt d’une déclaration inapplicable223 suffit à
caractériser l’élément matériel de l’infraction, ce qui facilite grandement le travail de
qualification des autorités de poursuite. La fraude fiscale est ensuite constituée par la
dissimulation des sommes sujettes à l’impôt, laquelle peut revêtir des procédés multiples et

219
O. DEBAT, Souveraineté, citoyenneté, liberté le droit pénal fiscal en quête d'équilibre, op. cit., p. 779.
220
W. JEANDIDIER, Droit pénal des affaires, 6ème éd., Dalloz, coll. « Précis », 2005, p. 211, n°163 ; V. aussi A.
LEPAGE, P. MAISTRE DU CHAMBON, R. SALOMON, Droit pénal des affaires, LexisNexis, Manuel, 6ème éd.,
2020, n°1395, p. 791 et s.
221
V. par ex. Cass. crim., 23 mars 2016, n°15-80.285 ; Cass. crim., 21 novembre 2012, n°11-88.785 ; Cass. crim.,
8 avril 2009, n°08-83.215.
222
V. par ex. Cass. crim., 28 novembre 2007, n°06-84.668 ou Cass. crim., 10 juillet 1997, n°96-83.208.
223
V. par ex. Cass. crim., 8 février 2012, n°11-81.320.

48
variés, dont la seule limitation réside dans l’imagination des fraudeurs. La doctrine224 distingue
parfois les dissimulations directes et indirectes, les secondes nécessitant la déclaration, « aux
côtés des sommes sujettes à l’impôt, des sommes corrélatives ayant pour effet de diminuer
l’assise de l’impôt »225. Consistant à organiser son insolvabilité, la troisième modalité de
l’infraction de fraude fiscale intervient au stade final de la procédure fiscale, le législateur se
plaçant volontairement à l’étape du recouvrement de l’impôt226. Enfin, le contribuable qui agit
« de toute autre manière frauduleuse » entre aussi dans les prévisions de l’article 1741 du code
général des impôts. Cette dernière formule n’est pas sans rappeler celle utilisée pour
l’escroquerie, infraction pour laquelle le législateur sanctionne une liste de comportements
définis227 mais non exhaustive car appréhendant aussi « l’emploi de manœuvres frauduleuses ».
Mais la tournure de l’article 1741 du code général des impôts est encore plus large que celle de
l’article 313-1 du code pénal228. En effet, « une « manière » n’est pas une « manœuvre » : il
peut s’agir d’un procédé dépourvu de toute complexité »229. Aussi, par le recours à cette «
manière frauduleuse », il est possible pour le droit pénal d’appréhender une simple
abstention230. Finalement, cette formulation « balai »231 rend les typologies de fraude fiscale
non exhaustives, si bien qu’il faut considérer que le « fait matériel [de la fraude] n’est pas

224
S. DETRAZ « Contentieux pénal. – Délit général de fraude fiscale et autres délits communs à tous les impôts »,
Fasc. n°705, Jurisclasseur, 2018, n°47.
225
Ibid, p. 20.
226
Pour pouvoir établir l’impôt, trois grandes étapes sont nécessaires. Il faut en premier lieu déterminer son assiette,
c’est-à-dire la base de calcul de l’impôt. Vient en deuxième lieu la phase de liquidation, qui consiste à appliquer à
la base d'imposition ou à l’assiette le taux ou le tarif de l'impôt afin d’en déterminer le montant. Une fois l’impôt
assis puis liquidé, il reste à faire payer le contribuable. C’est cette dernière phase que l’on appelle la phase de
recouvrement.
227
L’article 313-1 du code pénal sanctionne au titre de l’élément matériel de l’escroquerie, l'usage d'un faux nom
ou d'une fausse qualité, l'abus d'une qualité vraie, mais aussi l'emploi de manœuvres frauduleuses.
228
V. en ce sens, R. SALOMON, Droit pénal fiscal, Dr. fisc. n°40, 5 octobre 2017, 485.
229
H. MATSOPOULOU, C. MASCALA, « Le Lamy droit pénal des affaires », Wolters Kluwers, 2020, Partie 8,
n°3585.
230
Ainsi en est-il d’une société qui décale des recettes d’un exercice comptable à l’autre dans le but de conserver
le bénéfice d’un régime d’imposition forfaitaire : Cass, crim., 21 juin 1982, n°81-93.759 : Bull. crim., n°164 ; Dr.
fisc. 1983, n°18, comm. 946. De même, entre dans les prévisions de l’article 1741 du CGI le fait pour une société
ou un contribuable de se placer sous un régime fiscal indu (Cass, crim., 28 octobre 1991, n°90-84.643 : Bull. crim.
n°382 ; Dr. fisc. 1992, n°10, comm. 499, obs. G. TIXIER et T. LAMULLE ; JCP G 1992, IV, 499 ; Cass. crim, 17
janvier 2007, n°06-83.330 ; Cass. crim., 12 juin 2014, n°13-81.362 : R. SALOMON, Droit pénal fiscal : Dr. fisc.
2014, n°30, étude 460 ; Cass. crim., 14 octobre 2015, n°14-84.526 : R. SALOMON, Droit pénal fiscal : Dr. fisc.
2015, n°46, étude 671 ; Cass. crim., 5 janvier 2017, n°15-86.104 : R. SALOMON, Droit pénal fiscal : Dr. fisc.
2017, n°5-6, étude 149 ; Cass. crim., 20 avril 2017, n°15-86.742 : R. SALOMON, Droit pénal fiscal : Dr. fisc.
2017, n°40, étude 485).
231
C. ACARD, N. GENESTIER, G. EXERJEAN, Droit pénal fiscal, La ligne de démarcation entre risque fiscal
et risque pénal, 2e volet, Un abus de droit peut-il être constitutif d’une fraude fiscale ? : Dr. fisc. n°10, 10 mars
2016, n°207.

49
identifié »232. Partant, il est permis de nous interroger sur la conformité de la rédaction de
l’article 1741 du code général des impôts à l’obligation prescrite au législateur « de définir les
infractions en termes suffisamment clairs et précis pour exclure l'arbitraire »233. Plusieurs
contribuables ont tenté de transmettre une QPC au Conseil constitutionnel portant sur la
conformité de l’article 1741 au principe constitutionnel de légalité des délits et des peines234,
en vain puisque la chambre criminelle a considéré que la question n’était ni nouvelle, ni
sérieuse235. Elle retient que l’article est suffisamment précis « en ce qu'il incrimine toute autre
manière frauduleuse, visant ainsi tout procédé tendant à se soustraire intentionnellement à
l'établissement et au paiement de l'impôt ». C’est donc par le recours au résultat de l’infraction,
à savoir celui de se soustraire volontairement à l’imposition régulièrement due, que la chambre
criminelle parvient à écarter de manière lapidaire le grief invoqué par le requérant. Selon
certains auteurs, cette solution est parfaitement conforme à la répartition des tâches entre le
législateur, chargé de déterminer le champ d’application de la loi pénale, et le juge du fond, à
qui il revient de délimiter le champ des incriminations en analysant le comportement délictueux
au regard des circonstances de l’espèce. En matière fiscale, « il est bien évident que le
législateur est totalement impuissant à énoncer les diverses modalités possibles d'une
fraude »236, eu égard à l’imagination sans limite de ses auteurs. Il y a sans doute lieu de ménager
un juste équilibre entre l’impossibilité avérée d’établir une liste exhaustive des typologies des
fraudes et la nécessité de prévoir une incrimination claire et précise afin d’éviter toute risque
d’arbitraire. Il est en effet éminemment regrettable que la formulation générique de l’article
1741 du code général des impôts confère au juge la possibilité d’incriminer la fraude fiscale par
la réalisation d’une simple abstention. Dans pareille hypothèse, le fraudeur est bien souvent
sanctionné pour ne pas avoir régularisé une situation fiscale antérieurement établie, ce qui
révèle pour la jurisprudence la volonté de se soustraire intentionnellement au paiement de

232
O. DEBAT, Souveraineté, citoyenneté, liberté le droit pénal fiscal en quête d'équilibre, op. cit., p. 790.
233
Cette obligation découle du principe de légalité des délits et des peines énoncé à l’article 8 de la Déclaration
des Droits de l’Homme et du Citoyen. Le Conseil constitutionnel a explicitement posé cette exigence de précision
de la norme pénale dans sa décision n°80-127 du 20 janvier 1981 (Cons. Const, DC, 20 janvier 1981, n°80-127,
considérant n°7).
234
Cass. crim., 22 septembre 2010, n°10-82.148 : Dans cette espèce, le prévenu insistait dans sa question sur la
formulation « toute autre manière frauduleuse ».
235
Cass. crim., 22 septembre 2010, n°10-82.148 : R. SALOMON, Droit pénal fiscal : Dr. fisc. 2011, n°15, 296 ;
Cass. crim., 26 janvier 2011, n°10-90.120, S. DETRAZ, Un an de droit pénal fiscal et douanier (septembre 2010-
août 2011), Dr. pén. 2011, chron. 8, n°1.
236
R. SALOMON, Droit pénal fiscal, Dr. fisc. 2011, n°15, 296.

50
l’impôt237. La caractérisation du délit relève alors d’un véritable procès d’intention, contraire
aux exigences du principe de légalité criminelle. Face à ce constat, « la question de la
constitutionnalité de la définition de l’article 1741 du CGI mériterait d’être posée au Conseil
constitutionnel »238.

42. L’incrimination de comportements spécifiques. – Nonobstant la généralité de cette


qualification, le législateur a spécifiquement incriminé certains comportements fiscaux, tels que
l’omission de passer ou de faire passer des écritures inexactes ou fictives239, l’entremise pour
le dépôt de valeurs ou de l’encaissement de coupons à l'étranger240 ou encore la fourniture de
renseignements inexacts241. En outre, sont incriminés plusieurs délits spécifiques à une
catégorie d’impôts en particulier242. « Dans la mesure où leurs éléments constitutifs sont bien
souvent englobés par le délit de fraude fiscale ou peuvent être réprimés au titre de la complicité
de ce dernier »243, la nécessité de conserver ces textes d’incrimination au sein du code général
des impôts n’est pas établie. Ces qualifications confluentes qui sanctionnent distinctement un
même fait matériel semblent contrevenir au principe d’égalité devant la loi pénale, découlant
de l’article 6 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen. Le Conseil constitutionnel
prohibe en effet l’existence d’incriminations aux éléments constitutifs semblables mais
réprimées par plusieurs textes instituant des peines différentes244. À titre d’exemple, l’article
1789 du code général des impôts sanctionne le contribuable qui commet intentionnellement une
nouvelle fraude alors qu’il s’est déjà vu infliger depuis moins de trois mois une amende ou

237
V. par exemple, Cass. crim., 5 janvier 2017, n°15-86.104 sanctionnant pour fraude fiscale un prévenu qui
maintenait le régime de la TVA sur une base minorée pour ne pas relever du régime des acquisitions intra-
communautaires. Face à une telle abstention, il est difficile de percevoir la véritable intention délictueuse du
prévenu.
238
N. JACQUOT, P. MISPELON, La constitutionnalité du délit de fraude fiscale bientôt mise à nue ? : Dr. fisc.
n°3, 21 janvier 2016, n°41.
239
Art. 1743 CGI, 1° : parfois appelé « délit-comptable ».
240
Art. 1743 CGI, 2°.
241
Art. 1743 CGI, 3°.
242
V. en ce sens : BOFIP, « Contrôle fiscal, Infractions et sanctions pénales - Poursuites correctionnelles -
Infractions assimilées au délit de fraude fiscale et délits spéciaux de fraude fiscale » 27 juin 2019, BOI-CF-INF-
40-10-20.
243
A. LEPAGE, P. MAISTRE DU CHAMBON, R. SALOMON, Droit pénal des affaires, LexisNexis, Manuel,
6ème éd., 2020, n°1400, p. 799.
244
Cons. const., QPC, 28 juin 2013, n°2013-328, Assoc. Emmaüs Forbach : dans cette affaire, le Conseil
constitutionnel a invalidé l’ancienne version de l’article L. 135-1 du Code de l'action sociale et des familles qui
incriminait « le fait de percevoir frauduleusement ou de tenter de percevoir frauduleusement des prestations au
titre de l'aide sociale ». Selon le Conseil, la loi pénale « ne saurait, pour une même infraction, instituer des peines
de nature différente, sauf à ce que cette différence soit justifiée par une différence de situation en rapport direct
avec l'objet de la loi » (considérant n°3).

51
majoration fiscale. Compte tenu des conditions difficiles de sa mise en œuvre, les magistrats
renoncent souvent à cette récidive spéciale au profit de la disposition générique de l’article 1741
du code général des impôts245. Le cas échéant, le quantum de l’emprisonnement encouru s’élève
à cinq ans246 alors que celui-ci n’excédait pas six mois dans le cadre de l’article 1789. Selon le
choix arbitraire des autorités de poursuite, les auteurs d’un tel comportement sont susceptibles
de se voir infliger des peines très différentes. Tout comme l’article 1741 du code général des
impôts, les textes incriminant les délits fiscaux connexes mériteraient d’être examinés sous
l’angle de leur constitutionnalité. En définitive, sur le terrain de l’incrimination, « les textes sont
rédigés de façon tellement vague que théoriquement tout manquement fiscal pourrait être
prétexte à une répression pénale »247.

43. Les modes de participation criminelle. – La fonction dissuasive est également assurée
par les modalités de répression de la fraude. Le législateur a expressément entendu réprimer la
tentative en ajoutant que la fraude est constituée dès lors que le contribuable « s'est
frauduleusement soustrait ou a tenté de se soustraire frauduleusement »248 au paiement des
impôts. Appliqué à la fraude fiscale, l’intérêt pratique de cette modalité de consommation de
l’infraction est très limité249. Ce constat s’explique probablement « par les caractères
instantané et formel du délit, qui, notamment, est constitué par le seul dépôt tardif de la
déclaration, même si l'omission est rapidement réparée, ou par la seule dissimulation de
sommes sujettes à l'impôt, même si elle est immédiatement mise au jour par les agents – outre
que l'infraction peut se commettre à propos de toute déclaration »250. La rédaction de
l’infraction de fraude fiscale implique que la commission de l’infraction se confond bien
souvent avec un éventuel commencement d’exécution. Ainsi faudrait-il « imaginer
d'improbables et invérifiables agissements pour que se manifeste une hypothèse de tentative
(contribuable s'apprêtant à envoyer ou valider une déclaration inexacte et y renonçant au

245
V. en ce sens, A. LEPAGE, P. MAISTRE DU CHAMBON, R. SALOMON, Droit pénal des affaires, op. cit.,
n°1483, p. 852 ; N. JACQUOT, P. MISPELON, La constitutionnalité du délit de fraude fiscale bientôt mise à
nue ? : Dr. fisc. n°3, 21 janvier 2016, n°41.
246
Qui peut être porté à sept ans en cas de circonstances aggravantes.
247
A. LEPAGE, P. MAISTRE DU CHAMBON, R. SALOMON, Droit pénal des affaires, op. cit., p. 789.
248
Al. 1er art. 1741 CGI.
249
Les décisions réprimant la tentative de fraude fiscale sont rares : V. pour des exemples de complicité de tentative
de fraude fiscale : Cass. crim., 11 octobre 1972, n°70-92.568 : Bull. crim. 1972, n°281 ; Cass. crim., 6 février
1969, n°66-91.594 : Bull. crim. 1969, n°65.
250
S. DETRAZ « Contentieux pénal. – Délit général de fraude fiscale et autres délits communs à tous les impôts »,
Fasc. n°705, Jurisclasseur, 2018, n°27.

52
dernier moment, etc.) »251. Le législateur a toutefois fait le choix de l’incriminer
expressément252, ce qui participe de la fonction dissuasive déléguée aux tribunaux répressifs.
En outre, le droit pénal de fond sanctionne tout aussi sévèrement la complicité dans les
conditions de droit commun253, voire en incriminant de façon autonome « des comportements
qui relèvent de la complicité »254. Tel est notamment le cas de l’infraction de l’article 1772 du
code général des impôts réprimant l’organisation d’une fausse comptabilité par un
professionnel qui n’est pas le redevable légal de l’impôt fraudé.

44. Peines principales. – En second lieu, ce sont à travers les peines susceptibles d’être
prononcées en matière de fraude fiscale que la fonction dissuasive du droit pénal fiscal est
pleinement exprimée. Selon la lettre de l’article 1741 du code général des impôts, le fraudeur
fiscal est passible « d'un emprisonnement de cinq ans et d'une amende de 500 000 € ». Il est
ainsi réservé au fraudeur la sanction la plus grave que connaît notre ordre juridique, à savoir la
peine privative de liberté. Celui qui se soustrait ou qui tente de se soustraire à ses obligations
fiscales peut être tenu à l’écart de la société à raison de ces agissements. Aucune autre mesure
ne peut être plus intimidante que l’inquiétude de se voir privé de sa liberté. La crainte de se voir
emprisonner confère à l’infraction de fraude fiscale une exemplarité qui fait défaut aux
sanctions pécuniaires pouvant être prononcées par l’administration fiscale. Le prononcé d’une
telle peine est en effet l’apanage du juge pénal, ni l’administration fiscale ni le juge fiscal ne
disposant de cette compétence. Le montant de l’amende, qui ne cesse de croître au fil des
évolutions législatives255, participe aussi de la fonction dissuasive de la répression pénale.
Depuis la loi n°2018-898 du 23 octobre 2018 relative à la lutte contre la fraude, son quantum
peut atteindre le « double du produit tiré de l'infraction »256, sans que le législateur ait précisé

251
H. MATSOPOULOU, C. MASCALA, Le Lamy droit pénal des affaires, op. cit., n°3529.
252
En matière délictuelle, la tentative n’est punissable qu’à la condition qu’un texte le prévoit (art. 121-4, 2° du
code pénal).
253
Art. 1742 qui opère un renvoi aux articles 121-6 et 121-7 du CP. Toutefois, contrairement au droit commun qui
exige une participation positive du complice, la complicité fiscale est bien souvent retenue en présence d’une
simple abstention à l’encontre de personnes qui sont tenues d’agir ou d’informer leur client à raison de leur
profession. De nombreuses condamnations sont prononcées à ce titre : V. pour plus de développements, A.
LEPAGE, P. MAISTRE DU CHAMBON, R. SALOMON, Droit pénal des affaires, op. cit., n°1419, p. 817.
254
O. DEBAT, Souveraineté, citoyenneté, liberté le droit pénal fiscal en quête d'équilibre, op. cit., p. 808.
255
A titre d’exemple, avec la loi n°2012-354 du 14 mars 2012 de finances rectificative pour 2012 (article 23), le
montant de l’amende est passé de 37 500 euros à 500 000 euros.
256
Al. 1er art. 1741 CGI.

53
ce que recouvrait cette notion257. Lorsque sont établies des circonstances aggravantes, une
amende de trois millions d’euros258 peut atteindre le portefeuille du fraudeur. S’agissant des
personnes morales, l’article 131-38 du code pénal leur étant applicable, l’amende prononcée
peut atteindre des montants exorbitants259.

45. Peines complémentaires et accessoires. – La sévérité des peines encourues en matière


de fraude fiscale se vérifie également à l’aune des peines complémentaires et accessoires qu’est
susceptible de prononcer le juge pénal en présence d’une condamnation sur le fondement de
l’article 1741 du code général des impôts.

46. Peine complémentaire de publicité. – D’une part, l’infraction de fraude fiscale connaît
différentes peines complémentaires qui s’ajoutent à la peine principale lorsque le juge les
prononce expressément. Celles-ci sont très diverses puisque la juridiction répressive est
autorisée, sur le fondement de l’article 1750 du code général des impôts, à prononcer une
interdiction d’exercer une profession libérale, commerciale ou industrielle260 ou encore la
suspension du permis de conduire261. Elle peut également y adjoindre, selon les termes de
l’article 1741 du code précité, la privation de tout ou partie des droits civiques, civils et de
famille262 mais aussi la diffusion et l’affichage des décisions de condamnation263. Il convient
de s’arrêter quelques instants sur cette dernière peine complémentaire de publicité des décisions
de condamnation. Héritière directe des « peines humiliantes » de la période médiévale264, cette
peine complémentaire que l’on assimile volontiers à un véritable « pilori fiscal »265, est encore
prononcée à l’encontre du fraudeur fiscal. Cette mesure participe à atteindre l’honneur, la

257
V. pour plus de précisions à ce sujet, S. DETRAZ, Armement et réarmement du droit pénal et du droit fiscal à
l’encontre de la soustraction à l’impôt, JCP G, n°52, 24 décembre 2018, doctr. 1393.
258
Al. 2ème art. 1741 CGI.
259
L’alinéa 1er de l’article 131-38 du code pénal prévoit que « Le taux maximum de l'amende applicable aux
personnes morales est égal au quintuple de celui prévu pour les personnes physiques par la loi qui réprime
l'infraction ».
260
Art. 1750 CGI, al. 2.
261
Art. 1750 CGI, al. 3.
262
Art. 1741 CGI, al. 9.
263
Art. 1741 CGI, al. 11.
264
G. KLEIN, La répression de la fraude fiscale, Étude sur le particularisme du droit pénal des impôts, op. cit.,
p. 206.
265
L. TROTABAS, Finances publiques, Précis Dalloz, éd. 1969, p. 537, cité par G. KLEIN, La répression de la
fraude fiscale, Étude sur le particularisme du droit pénal des impôts, op. cit., p. 216, n°240 ou M. SEGONDS,
L’égalité devant les charges publiques (Loi n°2018-898 du 23 oct. 2018 relative à la lutte contre la fraude : une
nouvelle illustration du rapprochement punitif des matières pénale, fiscale et sociale), RSC 2018, p. 957.

54
notoriété et la réputation de la personne condamnée. L’efficacité de cette sanction tient à son
adaptation à la délinquance concernée. La doctrine loue la parfaite adéquation de cette mesure
au profil des fraudeurs, appartenant souvent à cette délinquance en col blanc, « soucieuse de
considération et de respectabilité »266. Le déroulement d’une carrière professionnelle peut
directement être affecté par une telle sanction. En cherchant à atteindre tant la carrière
professionnelle que l’honneur personnel du condamné, la peine complémentaire de publication
remplit parfaitement son rôle d’intimidation.

Au-delà de son caractère avilissant, la sévérité de cette sanction réside dans son
caractère automatique. Historiquement, les condamnations pénales sur le fondement des articles
1741 à 1743 du code général des impôts ont toujours entraîné l’application obligatoire de cette
peine complémentaire de publicité, sans que l’administration fiscale ait besoin d’en réclamer le
prononcé267. En présence d’une condamnation, le juge pénal n’avait pas d’autres choix que de
la prononcer268, sans pouvoir en modifier la durée légalement fixée269. Bien que la
conventionalité d’un tel mécanisme n’ait jamais été remise en cause par la chambre criminelle
de la Cour de cassation270, c’est au niveau de la rue de Montpensier que la censure est
intervenue, le Conseil constitutionnel jugeant en 2010271 que l’alinéa 4 de l’article 1741 du code
général des impôts était contraire à la Constitution. Celui-ci a expressément relevé que cette
peine complémentaire de publicité contribue à « renforcer la répression »272 du délit de fraude
fiscale. Toutefois, face à l’impossibilité pour le juge d’en « faire varier la durée » et d’en
« modifier les modalités »273, le Conseil a constaté une méconnaissance du principe

266
G. KLEIN, La répression de la fraude fiscale, Étude sur le particularisme du droit pénal des impôts, op. cit.,
p. 216, n°240.
267
Ibid, p. 211, n°235.
268
Cass. crim., 28 février 2007, n°06-83.014 : « Qu'en effet, selon l'article 1741 du code général des impôts, toute
décision de condamnation pour fraude fiscale commise en raison d'impositions dues par un contribuable, au titre
de l'exercice d'une activité professionnelle, doit être affichée, intégralement ou par extraits, sur la porte extérieure
de l'immeuble du ou des établissements professionnels du contribuable ».
269
Cass. crim., 17 novembre 1976, n°75-90.564.
270
V. par ex., Cass. crim., 26 mars 1990, n°89-82.637 ou Cass. crim., 7 mars 2001, n°00-82.538.
271
Cons. const., QPC, 10 décembre 2010, n°2010-72/75/82, M. Alain D. et autres : D. 2011. 929, note B. BOULOC
; Ibid. 1713, obs. V. BERNAUD et L. GAY ; AJ pén. 2011. 76, obs. J.-B. PERRIER ; Rev. sociétés 2011. 377,
note H. MATSOPOULOU ; Ibid 2011. 193, chron. C. LAZERGES ; Procédures 2011, comm. 81, note
O. NEGRIN ; Dr. pén. 2011, comm. 23, note J.-H. ROBERT ; Dr. fisc. 2011, n°15, étude 296. – É. GARÇON et
V. PELTIER, Un an de droit de la peine. Janvier – décembre 2010 ; Dr. pén. 2011, chron. 2, spéc. n°3,
obs. V. PELTIER.
272
Ibid, considérant n°4.
273
Ibid, considérant n°5.

55
d’individualisation des peines. La peine complémentaire de publicité était ainsi devenue une
simple faculté au profit du juge pénal, désormais libre tant dans son prononcé que dans la
détermination de ses modalités274.

À peine retrouvée, cette entière liberté a été de nouveau ôtée au juge pénal. Dans une
logique de plus grande sévérité à l’encontre des fraudeurs, la loi n°2018-898 du 23 octobre 2018
relative à la lutte contre la fraude275 a rétabli le caractère obligatoire du prononcé de la peine
complémentaire de publication et d’affichage, en ajoutant toutefois la faculté pour le juge pénal
de ne pas l’ordonner « par une décision spécialement motivée »276. Cette mesure s’inscrit dans
la pratique anglo-saxonne du « name and shame », visant littéralement à « nommer pour faire
honte ». Le but clairement affiché par le législateur est de porter « à la connaissance de la
société le comportement délictueux de toute personne condamnée pour fraude fiscale »277. Pour
ce faire, la publication est ordonnée, selon les termes de l’alinéa 11 de l’article 1741 du code
général des impôts renvoyant à des dispositions du code pénal 278, « dans les lieux et pour la
durée indiqués par la juridiction »279. Si l’article 1741 du code général des impôts n’indique
plus expressément les lieux d’affichage, l’article 1776 dudit code continue de prévoir, s’agissant
des condamnations sur le fondement des articles 1771 à 1775280, une publication obligatoire
dans les journaux officiels mais aussi sur « la porte extérieure de l'immeuble de ce domicile et
du ou des établissements professionnels du condamné »281.

274
V. ancien alinéa 4 de l’art. 1741 CGI qui opérait un renvoi aux art. 131-35 du 131-39 du CP (version issue de
la loi n°2010-1658, 29 décembre 2010, art. 63).
275
Loi n°2018-898 du 23 octobre 2018 relative à la lutte contre la fraude, art. 16.
276
Ibid ; certains y voient un « relèvement immédiat spécial », (…) « distinct du mécanisme général de relèvement
porté à l’article 132-21, alinéa 1er, du code pénal » : S. DETRAZ, Armement et réarmement du droit pénal et du
droit fiscal à l’encontre de la soustraction à l’impôt, JCP G 2018, n°52, doctr. 1393.
277
Rapp., Sénat, n°602, 27 juin 2018, Rapport fait au nom de la commission des finances sur le projet de loi relatif
à la lutte contre la fraude, A. de MONTGOLFIER, p. 15.
278
Art. 131-35 et 131-39 du CP.
279
Dans sa version en vigueur jusqu’au 11 décembre 2010, l’article 1741 du code général des impôts indiquait les
lieux de publication de la décision de condamnation : « Le tribunal ordonnera dans tous les cas la publication
intégrale ou par extraits des jugements dans le Journal officiel de la République française ainsi que dans les
journaux désignés par lui et leur affichage intégral ou par extraits pendant trois mois sur les panneaux réservés
à l'affichage des publications officielles de la commune où les contribuables ont leur domicile ainsi que sur la
porte extérieure de l'immeuble du ou des établissements professionnels de ces contribuables ».
280
Infractions en matière d'impôts directs et de taxes assimilées.
281
Art. 1776, al. 1er CGI. Nous n’avons cependant trouvé aucune trace d’un arrêt ayant prévu une publication de
la décision de condamnation dans ces lieux.

56
47. Peine accessoire d’exclusion des marchés publics. – Une décision de culpabilité pour
fraude fiscale entraîne, d’autre part, le prononcé d’une peine accessoire qui prolonge la peine
principale, cette fois-ci sans que le juge n’ait besoin de le mentionner explicitement. C’est en
dehors du code général des impôts que se trouve cette peine presque clandestine, encourue de
plein droit par le fraudeur reconnu comme tel devant la juridiction pénale. L’article L. 2141-1
du code de la commande publique énonce que « sont exclues de la procédure de passation des
marchés les personnes qui ont fait l'objet d'une condamnation définitive » pour fraude fiscale
mais aussi pour les délits connexes282. Il s’agit bien-là d’une peine accessoire et non
complémentaire, qui s’applique mécaniquement en cas de condamnation pour les infractions
visées, sans que le juge puisse de lui-même décider de la prononcer et le cas échéant, choisir
librement son quantum283. L’automaticité de telles peines est toutefois largement remise en
question dans la jurisprudence récente du Conseil constitutionnel284, si bien que la chambre
criminelle a décidé de lui transmettre une QPC portant sur les articles L. 2141-1 et L. 3123-1
du code de la commande publique285. Les requérants faisaient valoir que ces dispositions
instituaient une véritable peine contraire aux principes constitutionnels de nécessité et
d'individualisation des peines et d'accès au juge. Selon la Cour de cassation, le caractère sérieux
de la question découlait « du caractère automatique de la sanction prévue par les dispositions
critiquées ». L’automaticité résulte d’une part, de l’absence de toute intervention du juge « pour
apprécier l’opportunité de son prononcé ou pour la moduler dans sa durée » et, d’autre part,
« sinon de l'absence, du moins du risque d'inadéquation des procédures existantes permettant
à la personne concernée d'apporter la preuve qu'elle a pris des mesures correctrices
susceptibles de démontrer qu'elle a mis en œuvre des mesures destinées à rétablir sa
fiabilité »286. Dans une décision du 28 janvier 2022, le Conseil constitutionnel a toutefois rendu

282
L’exclusion des marchés publics est applicable pour les personnes définitivement condamnées sur le fondement
des articles 1741 à 1743, 1746 ou 1747 du CGI.
283
Cass. crim., 6 janvier 2021, n°19-85.952.
284
Le Conseil constitutionnel a récemment censuré certaines dispositions de la loi n°2017-1339 du 15 septembre
2017 pour la confiance dans la vie politique, notamment son article 1 er qui instaurait une peine complémentaire
obligatoire d'inéligibilité à l'encontre de toute personne coupable de crime ou de l'un des délits énumérés par le
même article. Selon le Conseil constitutionnel, en entraînant de plein droit l'interdiction ou l'incapacité d'exercer
une fonction publique, ce texte méconnaîtrait le principe de proportionnalité des peines (Cons. const., DC, 8
septembre 2017, n°2017-752 : JCP G 2017, act. 1216, note M. VERPEAUX : Dr. pén. 2017, n°11, 173, comm.
V. PELTIER).
285
Cass., crim., 17 novembre 2021, n°21-83.121 : M. UBAUD-BERGERON, Exclusions de pein droit de la
commande publique : la Cour de cassation transmet une QPC au Conseil constitutionnel : Contrats et marchés
publics n°2, février 2022, comm. 40.
286
La chambre criminelle fait ici référence à l’absence de faculté laissée à l’opérateur de pouvoir démontrer sa
fiabilité par l’adoption de mesures correctives qu’imposent les directives européennes à l’égard des mesures

57
un non-lieu à statuer, s’estimant incompétent, conformément à l’article 88-1 de la Constitution,
pour contrôler la conformité de dispositions visant à assurer la transposition de directives
européennes287. La peine d'exclusion automatique des marchés publics bénéficie ainsi « de
l'immunité de la loi de transposition »288289 et ne doit pas être considérée comme une sanction
ayant le caractère d’une punition290. Son prononcé demeure possible en présence d’une
condamnation sur le fondement de l’article 1741 du code général des impôts. En matière fiscale,
l’intérêt répressif d’une telle mesure est évident. La force de l’exclusion est réelle puisqu’elle
emporte interdiction d’accéder directement ou indirectement à la commande publique. En cela,
cette peine s’avère parfaitement adaptée à la délinquance visée : le délit de fraude fiscale est
couramment commis par de grandes sociétés qui perdront beaucoup à risquer de se voir infliger
cette mesure. Par ailleurs, elle s’insère parfaitement dans la protection de la valeur protégée par
l’infraction de fraude fiscale. Il paraît cohérent « que l’individu qui escroque les deniers publics
en privant le Trésor de ressources sur lesquelles il devait normalement pouvoir compter, ne
puisse d’un autre côté tirer profit de l’argent public en devenant bénéficiaire d’un marché »291.
Pour sanctionner la fraude fiscale, les tribunaux répressifs ont à leur disposition un important
panel de peines sévères et adaptées à la délinquance économique et financière. Au-delà du
concours de notions de droit pénal substantiel, de nombreux moyens processuels sont à la
disposition de la procédure pénale pour assurer son objectif répressif.

d’exclusion des marchés publics (CJUE, 11 juin 2020, Vert Marine SAS, aff. C-472/19 : Contrats-marchés publics,
2020, comm. 261, note. G. ECKERT ; CE, 12 octobre 2020, n°419146, Vert Marine SAS : Contrats-marchés
publics, 2020, com. 332, note. G. ECKERT.
287
Cons. const., QPC, 28 janvier 2022, n°2021-966 : J.-M. BRIGAND, La douche froide du Conseil
constitutionnel à propos de l'exclusion automatique des marchés publics : JCP G n°5, 7 février 2022, 177 ; A.-L.
YOUHNOVSKI SAGON, Non-lieu à statuer sur une QPC portant sur la conformité de l'exclusion de la procédure
de passation des marchés des personnes qui ont fait l'objet d'une condamnation définitive, JCP A 2022, n°5, act.
110 ; E. MAUPIN, Exclusion de plein droit des marchés publics : non-lieu à statuer du Conseil constitutionnel :
D . actu, 2 février 2022 ; S. CORIOLAND, Inconstitutionnalité des interdictions automatiques de soumissionner :
une occasion manquée : AJ pén. 2022, p. 147.
288
J.-M. BRIGAND, La douche froide du Conseil constitutionnel à propos de l'exclusion automatique des marchés
publics, op. cit.
289
Il s’agit d’une jurisprudence constante du Conseil constitutionnel : Cons. const., DC, 27 juillet 2006, n°2006-
540 : D. 2006. 2157, chron. C. CASTETS-RENARD ; Ibid. 2878, chron. X. MAGNON ; Ibid. 2007. 1166, obs.
V. BERNAUD, L. GAY et C. SEVERINO ; RTD civ. 2006. 791, obs. T. REVET ; Ibid. 2007. 80, obs. R.
ENCINAS DE ; Cons. const., QPC, 15 octobre 2021, n°021-940, Société Air France : AJDA 2022. 172, note J.
PETIT ; Ibid. 2021, 2060 ; D. 2022. 50, note J. ROUX. La règle connaît toutefois une exception lorsque la
transposition d’une directive va à l’encontre d’une règle ou d’un principe inhérent à l’identité constitutionnelle de
la France, ce qui n’était pas le cas en l’espèce : Cons. const., QPC, 28 janvier 2022, n°2021-966, préc. considérant
n°10 et 11.
290
Cons. const., QPC, 28 janvier 2022, n°2021-966, préc. considérant n°10.
291
G. KLEIN, La répression de la fraude fiscale, Étude sur le particularisme du droit pénal des impôts, op. cit.,
p. 203, n°227.

58
b) Les moyens processuels

48. Publicité du procès pénal. – C’est aussi dans les grands principes de la procédure
pénale que s’exprime la fonction répressive. Selon le Conseil constitutionnel, la tenue du procès
pénal en matière de fraude fiscale se justifie par sa publicité : « Les poursuites engagées sur le
fondement de l'article 1741 ont un caractère public qui leur confère une exemplarité et une
portée dissuasive supplémentaire pour l'ensemble des personnes susceptibles de manquer
frauduleusement à leurs obligations fiscales »292. Le procès pénal est par essence public. Le
code de procédure pénale prévoit différentes dispositions selon la juridiction compétente293 qui
garantissent ce principe fondamental294, lequel ne peut qu’exceptionnellement295 souffrir
d’exceptions.

La publicité de l’audience n’est cependant pas l’apanage du procès pénal. Elle est
également la règle de principe devant les tribunaux civils296 et administratifs297 devant lesquels
elle jouit de la même valeur constitutionnelle298. L’intérêt de la publicité du procès pénal ne
doit pas être recherché dans le contraste avec le prétoire civil ou administratif mais plutôt avec
celui qui l’oppose au secret des sanctions fiscales, prononcées devant la seule administration
fiscale. Ces sanctions sont édictées dans le secret des bureaux du fisc, au terme d’un processus
qui n’implique que l’administration fiscale et le contribuable. La répression administrative se
déroule sans que le fraudeur ne soit désigné comme tel aux yeux de la société. En ce sens, elle
« n’entraîne pas le même opprobre que la répression pénale »299.

292
Cons. const. QPC, 24 juin 2016, n°2016-546, considérant n°19.
293
Art. 306 CPP pour la cour d’assises, art. 400 CPP pour le tribunal correctionnel.
294
La valeur constitutionnelle de la publicité des débats en matière pénale, initialement liée à la possibilité pour le
juge pénal de prononcer une peine privative de liberté (V. en ce sens, Cons. Const, DC, 2 mars 2004, n°2004-492,
considérant n°117) est désormais reconnue indépendamment de la nature de la peine encourue (V. en ce sens,
Cons. const, QPC, 21 juillet 2017, n°2017-645, considérant n°4).
295
Art. 306 CPP al. 2 et 3, art. 400 CPP al. 2. Monsieur B. BOULOC affirme à ce titre qu’il fallait « de très
sérieuses raisons pour que le public soit écarté des salles d’audience » (B. BOULOC, Procédure pénale, Dalloz
coll. « Précis », 28ème éd., 2021, n°1097, p. 1017).
296
Art. 433 CPC.
297
Art. L. 6 CJA.
298
Cons. const, DC, 21 mars 2019, n°2019-778, considérant n°102.
299
M. DELMAS-MARTY et C. TEITGEN-COLLY, Punir sans juger, de la répression administrative au droit
administratif pénal, op. cit., p. 83.

59
49. Fonction individuelle d’intimidation. – Devant le tribunal correctionnel, le principe
de publicité implique « la possibilité, pour le public, d’être témoin du procès par le libre accès
à la salle d’audience » 300. Le prévenu qui comparaît du chef de fraude fiscale est exposé au
regard d’autrui, notamment à celui des journalistes301 qui ne manqueront pas de rendre compte
des débats dans la presse. La publicité de l’audience pénale est ainsi largement redoutée par les
auteurs de fraude fiscale. C’est leur réputation, tant personnelle que professionnelle, qui se joue
au sein du prétoire pénal. La fonction d’intimidation individuelle est ainsi parfaitement assurée
par le caractère public de l’audience pénale.

50. Fonction collective d’intimidation. – En outre, la publicité de l’audience pénale


participe à l’objectif collectif de dissuasion de la peine. Monsieur P. ROSSI énonçait à juste
titre que « le coupable peut être intimidé par une punition, même secrète. Mais, pour effrayer
tous ceux qui pourraient être disposés à commettre des crimes, la publicité est nécessaire »302.
En proposant de punir publiquement la fraude fiscale, la procédure pénale dévoile à tous les
citoyens la sanction encourue à l’encontre de celui qui a fraudé ou qui a tenté de frauder le fisc.
En ce sens, l’audience pénale sert aussi bien pour le condamné que pour ceux qui s’en feront
témoins.

51. Solennité de l’audience pénale. – C’est par ailleurs la solennité d’une audience pénale
qui participe de sa fonction répressive. La solennité est tout d’abord à rechercher dans le lieu
choisi pour punir publiquement les fraudeurs. Ceux-ci sont attraits devant le tribunal
correctionnel, une chambre spécialisée du tribunal judiciaire compétente pour juger les délits303.
Son architecture souvent impressionnante et ses symboles éloquents304 contrastent avec la
sobriété technocratique des bureaux de l’administration fiscale. La composition du tribunal est

300
M.-L. RASSAT, Procédure pénale, Coll. « Ellipses », 3ème éd., 2017, n°631, p. 654.
301
La présence de journalistes à l’audience pénale contraste avec les prétoires administratifs. V. à ce propos
R. ROUQUETTE, Petit traité du procès administratif, Praxis Dalloz, 2020, 9ème éd., n°21 : « Même si la presse se
fait parfois l’écho de litiges administratifs, il faut bien reconnaître que ces juridictions administratives sont moins
connues et que rares sont les tribunaux administratifs où la presse est présente ».
302
ROSSI Pellegrino, Traité de droit pénal, vol. 2, 2e éd., Paris, Guillaumin, 1855, p. 280.
303
Art. 381 CPP.
304
Selon certains, la multiplication des différents modes de traitements des dossiers correctionnels (procédures
accélérées, recours au juge unique) a fait voler en éclat « l’unité du rituel judiciaire » : V. en ce sens, J. DANET,
Quel rituel judiciaire ?, Les Cahiers de la Justice, vol. 4, n°4, 2013, pp. 67 à 74. V. pour plus de développements
à ce sujet, F. DESPREZ, Rituel judiciaire et procès pénal : Thèse, Université Montpellier 1, 2008, pp. 267 à 377
qui évoque une « désaffection du rituel judiciaire », se traduisant par une « désolennisation » de l’audience pénale
et une « déritualisation » du procès pénal.

60
également un des attributs de la solennité. Selon les termes de l’article 398 du code de procédure
pénale, « le tribunal correctionnel est composé d’un président et de deux juges ». Là encore, la
nuance avec la procédure fiscale est saisissante. Recruté notamment par la voie de l’École
Nationale de l’administration305, les magistrats306 des juridictions administratives ne portent pas
la robe et ne prêtent pas serment307. La solennité de l’audience pénale est enfin à rechercher
dans les principes qui gouvernent la tenue des débats. Le déroulement de l’audience pénale suit
un processus formalisé décrit aux articles 406 et suivants du code de procédure pénale. Le
prévenu, qui doit personnellement comparaître308 devant la juridiction correctionnelle, est
interrogé309 par le président ou l’un des assesseurs, d’abord sur son identité, ensuite sur les faits
qui lui sont reprochés. Vient ensuite le temps de l’audition des éventuels témoins310 et experts,
puis celle de la partie civile311. En matière de fraude fiscale, la partie civile, qui ne peut être que
le Trésor public312, s’est vu confier la tâche de participer, aux côtés du ministère public, à
l’accusation313. C’est à la suite de cette première démonstration de la culpabilité du fraudeur
qu’intervient le ministère public314. Celui-ci requiert publiquement et fermement l’application
de la loi pénale à l’encontre de celui qui, par sa fraude, a troublé l’ordre public. Les citoyens
mais aussi les journalistes peuvent se faire observateurs et commentateurs de ce moment tant
redouté. Le prévenu ou son avocat a toujours la parole en dernier315.

305
Art. L. 233-2 CJA.
306
Jusqu’à la loi n°2012-347 du 12 mars 2012 relative à l'accès à l'emploi titulaire et à l'amélioration des conditions
d'emploi des agents contractuels dans la fonction publique, à la lutte contre les discriminations et portant diverses
dispositions relatives à la fonction publique, la qualité de « magistrats » ne leur était pas officiellement reconnue.
Désormais l’article L. 231-1 du CJA, modifié par l’article 86 de ladite loi, énonce que : « Les membres des
tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel sont des magistrats dont le statut est régi par le
présent livre et, pour autant qu'elles n'y sont pas contraires, par les dispositions statutaires de la fonction publique
de l'État ».
307
V. à ce sujet, un article de O. DI CANDIA qui estime qu’ils sont favorables au port de la robe et désireux de
prêter serment, à l’instar de leurs homologues de l’ordre judiciaire : O. DI CANDIA, Les magistrats administratifs
sont favorables au port de la robe : AJDA 2020, p. 324.
308
Art. 410 et s. CPP.
309
Art. 406 CPP. Lors de cet interrogatoire, le prévenu peut faire des déclarations spontanées, répondre aux
questions posées ou se taire.
310
Art. 435 et s. CPP.
311
Art. 418 et s. CPP.
312
V. infra, n°155 et s.
313
V. infra, n°156.
314
Art. 458 CPP.
315
Art. 460 CPP.

61
52. Efficacité de la double répression. – En poursuivant un objectif budgétaire ou
répressif, les procédures fiscale et pénale participent ensemble à combattre la fraude fiscale. La
répression administrative est essentielle pour lever l’impôt. L’affront que constitue pour un
fraudeur le déroulement de la procédure pénale ajoute à cette répression administrative un
caractère éminemment répressif. Ainsi cloisonnés, ces deux objectifs trouvent une traduction
dans les places respectives accordées à chacun des deux juges dans la lutte contre la fraude
fiscale.

§2. Les traductions du cloisonnement des objectifs

53. Hiérarchie entre les procédures fiscale et pénale. – Parce qu’elles poursuivent toutes
deux un objectif distinct, les procédures fiscale et pénale ne jouent pas le même rôle dans la
lutte contre la fraude. Tandis que la première occupe une place prioritaire, la place de la seconde
ne doit être que secondaire, voire exceptionnelle. La priorité est donc implicitement accordée à
la procédure fiscale (A), priorité qui repose sur des fondements solides (B).

A) La priorité accordée à la procédure fiscale

54. Suffisance du litige fiscal. – En matière de lutte contre la fraude fiscale, notre système
juridique confère la priorité à la répression administrative. Lorsqu’il constate une infraction
fiscale, le fisc peut se contenter de punir le contribuable en lui infligeant des sanctions fiscales.
La plupart des affaires de fraude fiscale se dénouent ainsi, sans que le juge pénal ne soit saisi
de poursuites à l’encontre du fraudeur. Dans bien des hypothèses, la fraude fiscale est punie
exclusivement par le prononcé de sanctions fiscales. Cette priorité ne résulte pourtant d’aucun
texte de loi. Le législateur n’a jamais préféré la tenue d’une procédure plutôt qu’une autre, ni
déterminé l’ordre temporel dans lequel devait s’articuler le déroulement des deux procédures.
La préséance de l’administration fiscale se déduit implicitement des nombreux pouvoirs qu’elle
tient en la matière.

55. Le choix d’adjoindre la répression pénale : la mainmise du verrou de Bercy. – La


priorité conférée à l’administration se traduit à l’endroit de son choix presque discrétionnaire,
de recourir ou non à la procédure pénale. Celle-ci bénéficie d’un rôle déterminant dans le choix
d’adjoindre à sa répression la tenue d’un procès pénal, par le biais du mécanisme du verrou de

62
Bercy, dont la création est consubstantielle à celle du délit général de fraude fiscale 316, bien que
ses origines remontent à la période révolutionnaire317. Le monopole dont dispose en principe le
ministère public dans l’exercice de l’action publique318 s’est trouvé pendant longtemps entravé
par le choix de l’administration fiscale qui décidait de déclencher ou non les poursuites. Codifié
à l’article L. 228 du livre des procédures fiscales, le verrou de Bercy subordonnait la mise en
mouvement de l’action publique en matière de fraude fiscale au dépôt d’une plainte préalable
de l’administration fiscale.

La raison d’être de ce mécanisme tenait avant tout à la technicité319 de la matière fiscale.


En posant cette règle procédurale, « le législateur a pensé, non sans raisons, que
l’administration fiscale était la plus apte à apprécier, en fonction de divers facteurs,
l’opportunité des poursuites et c’est elle qui, par les dépôts de plainte, procède au choix des
affaires à déférer au tribunal correctionnel »320. La mainmise ainsi octroyée à l’administration
résultait en réalité de plusieurs filtres : celle-ci pouvait décider, « en amont des sanctions
pénales et en aval des sanctions administratives appliquées à l’issue du contrôle »321, de saisir
la Commission des infractions fiscales, organisme administratif indépendant et non
juridictionnel, créé pour lutter contre les plaintes abusives de l’administration fiscale322. Cette
entité – qui ne peut s’autosaisir – exprime, aux termes d’une procédure en apparence
contradictoire323, un avis324 destiné au ministre du budget sur l’opportunité des poursuites.

316
V. art. 112, al. 6 de la loi du 25 juin 1920 portant création de nouvelles ressources fiscales : « Les poursuites
seront engagées à la requête de l’administration compétente et portées devant le tribunal correctionnel dans le
ressort duquel l’impôt aurait dû être acquitté ».
317
V. sur ce point le commentaire du Conseil constitutionnel sur sa décision QPC du 27 septembre 2019, n°2019-
804, Association française des entreprises privées : les origines du verrou de Bercy sont à rechercher dans le
privilège anciennement reconnu à la régie des contributions indirectes dans l’engagement des poursuites pénales
pour ces infractions.
318
Art. 1er CPP.
319
V. infra, n°63 et s.
320
G. KLEIN, La répression de la fraude fiscale, Étude sur le particularisme du droit pénal des impôts, op. cit.,
p. 483, n°495
321
Rapp., Assemblée nationale, n°982, 23 mai 2018, Rapport d’information déposé en application de l’article 145
du Règlement par la mission d’information commune sur les procédures de poursuite des infractions fiscales, M.
E. DIARD, p. 20.
322
Art. 1er de la loi n°77-1453 du 29 décembre 1977 accordant des garanties de procédure aux contribuables en
matière fiscale et douanière.
323
Le contribuable est informé de la saisine de la CIF et est invité à fournir ses observations dans un délai de 30
jours. Cependant, il n’a pas connaissance de tous les éléments produits par l’administration et ses observations ne
seront pas systématiquement transmises à son contradicteur.
324
L’avis lie le ministre mais pas le ministère public, qui retrouve à ce stade son pouvoir d’opportunité des
poursuites.

63
Malgré le double écran de la Commission et du ministre, l’administration fiscale conservait un
entier pouvoir d’opportunité des poursuites en matière de fraude fiscale puisque c’est elle qui,
au premier maillon de la chaîne, décidait arbitrairement d’envoyer ou non tel dossier à la
Commission.

56. Critiques verrou de Bercy. – Dans la poursuite des dossiers de fraude fiscale,
l’intervention du parquet se trouvait ainsi fortement empêchée : en présence d’une plainte de
l’administration fiscale puis d’un avis conforme de la Commission des infractions fiscales,
l’exercice du pouvoir de poursuivre n’était que retardé, mais en l’absence de saisine préalable
de l’administration fiscale, son action était totalement paralysée. Les faiblesses du
mécanisme325, largement mises en exergue lors d’affaires médiatiques326, ont conduit le
législateur à reconsidérer la place du ministère public dans la poursuite des infractions de fraude
fiscale. Après plusieurs tentatives manquées327, cette réforme a été rendue possible par la loi du
23 octobre 2018328 relative à la lutte contre la fraude. Le système de poursuites est désormais
dit alternatif. Pour les dossiers les plus graves, réunissant cumulativement un critère relatif au
montant des droits éludés329 et à la nature des agissements du contribuable330, le mécanisme est

325
V. notamment S. DETRAZ, Les temps modernes de la poursuite de la fraude fiscale : le ministère public et les
engrenages du « verrou de Bercy » : Dr. pén. n°10, octobre 2018, dossier 10 ; C. CUTAJAR, L'impérative nécessité
d'abolir le « Verrou de Bercy » : Libre propos, JCP G 2018, n°5, 98.
326
Particulièrement lors de l’affaire dite Cahuzac, où le fraudeur n’était autre que le ministre du budget. V. sur ce
sujet, C. CUTAJAR, Partiellement déverrouillé, le verrou de Bercy résiste ! : Recueil Dalloz 2018 p. 2029 : selon
elle, il fallait « stopper l’onde de choc provoquée par l’affaire Cahuzac ».
327
L’idée de réformer le verrou de Bercy avait déjà été évoquée en 2016 lors de l’élaboration de la loi n°2016-
1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie
économique, dite « Sapin II » avant d’être supprimée à l’initiative du gouvernement ; puis une seconde tentative a
eu lieu lors des débats au cours de l’adoption des lois pour la confiance de la vie publique en 2017 avec un
amendement déposé par Madame Eliane ASSASSI, mais encore une fois l’article a été abandonné à l’initiative du
gouvernement. Une mission d’information a ensuite été lancée sous la présidence du député Éric DIARD. C’est
finalement l’ancien article 13 devenu article 36 de la loi n°2018-898 du 23 octobre 2018 relative à la lutte contre
la fraude qui a profondément remanié le mécanisme du verrou de Bercy.
328
Loi n°2018-898 du 23 octobre 2018 relative à la lutte contre la fraude.
329
V. al. 1er de l’article L. 228 du LPF : les droits éludés doivent dépassent le seuil de 100 000 € (ou 50 000 € si le
contribuable est soumis à une obligation de déclaration auprès de la Haute autorité pour la transparence de la vie
publique : al. 5 dudit art.).
330
Le contrôle de l’administration doit avoir abouti à l’application de certaines pénalités administratives : 100%
(opposition à contrôle fiscal) ; 80% (ce qui regroupe différents comportements tels que la découverte d’une activité
occulte après omission déclarative, abus de droit ou manœuvres frauduleuses, rectification à raison du défaut de
déclaration d’avoirs financiers à l’étranger, ou encore taxation forfaitaire à partir des éléments du train de vie en
lien avec des trafics illicites ; 40% sous réserve qu’au cours des six années civiles précédents l’application d’une
pénalité, le contribuable ait déjà fait l'objet lors d'un précédent contrôle de l'application des majorations précitées
ou d'une plainte de l'administration).

64
celui d’une dénonciation obligatoire de l’administration fiscale au parquet, qui retrouve alors
sa liberté de mettre ou non en mouvement l’action publique. Les autres dossiers ne répondant
pas aux critères de la dénonciation automatique331 demeurent soumis à l’ancien système de la
plainte préalable obligatoire de l’administration fiscale avec avis conforme de la Commission
des infractions fiscales.

57. Réforme du verrou de Bercy : la mainmise sur les pénalités. – Ainsi réformé, le
verrou de Bercy n’a donc pas disparu de notre paysage juridique : il a simplement été
« desserré »332 ou « entrouvert »333, l’ancien mécanisme demeurant effectif pour les dossiers
les moins graves. Surtout, la réforme n’a pas contribué à faire disparaître la priorité accordée à
l’administration fiscale à qui il revient toujours, pour les dossiers les plus graves, de décider de
l’engagement des poursuites pénales. Il lui suffit pour ce faire d’utiliser le jeu des pénalités
fiscales, lesquelles subordonnent désormais la dénonciation obligatoire au ministère public. Si
elle ne souhaite pas faire basculer le dossier dans les entrailles de la justice pénale, il lui suffira
de ne pas prononcer les pénalités mentionnées au premièrement de l’article L. 228 du livre des
procédures fiscales, en choisissant par exemple la majoration de 10% prévue à l’alinéa 2 de
l’article 1728 du code général des impôts, prévue en cas de dépôt de la déclaration dans les
trente jours suivant la réception d’une mise en demeure. Ainsi, l’administration dispose entre
ses mains d’un véritable pouvoir de transaction sur l’action publique : en déterminant le seuil
des pénalités fiscales, elle décide corrélativement du risque pénal pour le contribuable.
L’administration ne dispose plus d’un verrou de Bercy mais d’un « verrou des pénalités »334.
Ce nouveau contexte législatif « déséquilibre le rapport de force en faveur de l'administration
fiscale en cas de contrôle : (…) la perspective d'une dénonciation automatique et d'une
procédure pénale peut pousser le contribuable à faire des concessions au stade précontentieux
qu'il n'aurait pas fait sous l'empire de la pleine effectivité du verrou de Bercy »335.

331
Al. 9 art. L. 228 LPF.
332
Commentaire du Cons. const. sur sa décision QPC du 27 septembre 2019, n°2019-804, Association française
des entreprises privées, p. 6.
333
C. CUTAJAR, Partiellement déverrouillé, le verrou de Bercy résiste ! : op. cit.
334
F. PEZET, Le verrou de Bercy entrouvert ? Remarques sur la décision AFEP du 27 septembre 2019 : Dr. fisc.
n°46, 15 novembre 2019, 436.
335
R. BONNAUD, J.-P. COIFFARD, L'articulation des procédures pénale et fiscale : Cahiers de droit de
l'entreprise n°1, janvier 2020, dossier 4.

65
58. La mainmise sur la transaction fiscale. – C’est aussi la transaction sur les sanctions
fiscales qui se trouve favorisée par une telle mutation du verrou de Bercy. Codifiée à l’article
L. 247 du code général des impôts, la transaction en matière fiscale procède de deux formes.
En premier lieu, le contribuable peut solliciter la remise336, totale ou partielle337, des amendes
fiscales ou des majorations d'impôts infligées à son encontre338. L’éventuelle faveur accordée
par l’administration relève alors d’une décision unilatérale de sa part. En second lieu, sur le
fondement du troisièmement de l’article L. 247 du code général des impôts, l’administration
fiscale peut conclure avec le contribuable339 une véritable transaction340 dont le régime obéit
aux dispositions du code civil341. S’agissant des conditions dans lesquelles ces deux formes de
transactions peuvent intervenir, le texte se contente de faire référence au caractère définitif342
ou non343 des sanctions. Le législateur est cependant resté muet quant aux conditions de fond
justifiant l’octroi de telles faveurs, laissant au Trésor public une totale liberté dans la conclusion
de ces transactions. Le pouvoir de l’administration sur l’action publique favorise ainsi la
conclusion de transactions sur les sanctions fiscales344. Ainsi que le relève le rapport du 16
octobre 2020 sur l’application de la loi fraude, « avec la transmission automatique, et dans le
doute de la décision qui sera prise par le parquet, les conseils des entreprises font tout pour se
mettre en conformité avec l’administration et aboutir à un règlement du dossier »345.

59. Articulation avec les poursuites pénales. – La conclusion d’une transaction ne garantit
pas pour autant au contribuable d’échapper à l’engagement de poursuites pénales. Avant la loi

336
La remise ne peut porter que sur les amendes fiscales ou les majorations d'impôts et non les intérêts de retard.
337
Dans cette hypothèse, on parle de « modération ».
338
Art. L. 247 CGI, 2°.
339
Il s’agit alors d’une véritable convention synallagmatique avec des concessions réciproques.
340
Contrairement à la remise, la transaction peut porter sur les amendes fiscales et les majorations mais aussi sur
les intérêts de retard.
341
Art. 2044 C. civ.
342
Concernant la remise, le texte exige que les sanctions et impositions soient définitives : elles doivent donc ne
pas faire l’objet d’une contestation devant le juge compétent dans les délais ou être définitivement acquises par
une décision juridictionnelle.
343
Pour la transaction, les sanctions et impositions ne doivent pas présenter un caractère définitif.
344
En 2021, le nombre de transactions fiscales a augmenté de 79% par rapport à l’année précédente. En moyenne,
environ 3000 transactions sont conclues chaque année (3 841 et 2019, 3 062 en 2020), contre 5 470 en 2021 :
Rapp. n°CCPE2214590X, Rapport au Parlement, Remises et transactions à titre gracieux et règlements
d’ensemble en matière fiscale pour l’année 2021, p. 13.
345
Rapp., Assemblée nationale, n°3341, 16 septembre 2020, Rapport d’information déposé en application de
l’article 145-7 du Règlement par la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire,
sur l’application de la loi n°2018-898 du 23 octobre 2018 relative à la lutte contre la fraude, E. CARIOU et E.
DIARD, députés, p. 47.

66
n°2018-898 du 23 octobre 2018 relative à la lutte contre la fraude, l’article L. 247 interdisait à
l’administration fiscale de transiger lorsqu’elle envisageait de « mettre en mouvement l’action
publique pour les infractions mentionnées au code général des impôts »346. Il était en effet
considéré que « l’administration ne pouvait à la fois se montrer bienveillante en accordant une
atténuation des pénalités fiscales par voie de transaction et, dans le même temps, faire preuve
de sévérité en sollicitant l’application de sanctions pénales »347. Pour ne pas empêcher
l’administration fiscale d’obtenir un règlement amiable du dossier lorsque l’action pénale était
parallèlement engagée, cette prohibition a été levée par la loi précitée du 23 octobre 2018. Selon
les termes de la circulaire du 4 octobre 2021 relative à la lutte contre la fraude fiscale 348, « la
conclusion d’une transaction fiscale n’éteint cependant pas l’action publique et ne doit pas, à
l’instar d’un paiement spontané des droits éludés, conduire le ministère public à écarter de
façon systématique des poursuites pénales ». En concluant avec le fisc une transaction, le
contribuable s’engage à régler les pénalités fiscales et demeure susceptible d’être attrait devant
la juridiction pénale. En somme, pour sanctionner la fraude fiscale, l’administration fiscale
dispose d’un « fusil à deux coups » : « au premier coup, les sanctions fiscales ! Au deuxième,
les sanctions pénales ! »349. Le monopole de l’administration fiscale dans la lutte contre la
fraude fiscale s’explique par différentes raisons.

B) Les fondements de la priorité accordée à la procédure fiscale

60. Trois fondements. – La préséance attribuée à l’administration fiscale en matière de


fraude s’explique par trois principales raisons. Les deux premières tiennent à des fondements
pratiques, tirés de l’efficacité de la répression administrative (1) et de la technicité de la matière
fiscale (2). La troisième est théorique et est à rechercher dans le principe de subsidiarité du droit
pénal (3).

346
Art. L. 247 CGI, al. 10 dans sa version antérieure à la loi n°2018-898 du 23 octobre 2018 relative à la lutte
contre la fraude.
347
E. DAOUD, V. RIGAMONTI, M. SNITSAR, L. COUDON-MORINI, Circulaire du 4 octobre 2021 : Épisode
8 – L’articulation entre transaction avec l’administration fiscale et poursuites pénales : D. actu, 1er mars 2022.
348
Circulaire n° JUSD2129778C du 4 octobre 2021 de la Direction des affaires criminelles et des grâces relative
à la lutte contre la fraude fiscale, p. 12.
349
O. DEBAT, Souveraineté, citoyenneté, liberté le droit pénal fiscal en quête d'équilibre, op. cit., p. 779.

67
1) L’efficacité de la répression administrative

61. Procédure peu formaliste. – Si les sanctions fiscales bénéficient de la préséance sur
les sanctions pénales, c’est en premier lieu en raison de leur efficacité. Devant l’administration
fiscale, les sanctions fiscales sont prononcées aux termes d’une procédure peu formaliste,
simple et rapide, laquelle peut se passer de l’intervention d’un juge dans le cas où le
contribuable accepte les redressements proposés. En privilégiant leur prononcé, la lutte contre
la fraude fiscale se propose d’éviter les « divers inconvénients de la voie judiciaire »350.

62. Importance quantitative des dossiers. – L’importance quantitative des dossiers de


fraudes est aussi un argument en faveur de la suffisance fréquemment accordée à la répression
de nature administrative. La fraude fiscale relève d’un contentieux de masse que la procédure
pénale pourrait difficilement supporter351. Elle serait bien incapable, « par manque de moyens,
d’absorber l’intégralité du contentieux fiscal répressif »352. Seule l’administration fiscale est à
même de réagir promptement353 et efficacement pour corriger chaque année les millions354 de
fraudeurs. Selon le rapport d’information déposé à l’Assemblée nationale le 23 mai 2018355, les
sanctions fiscales ont rapporté « plus de 21 milliards d’euros en 2015 ». Autrement dit, leur
« rendement budgétaire est très substantiel »356. La procédure fiscale poursuit parfaitement son

350
M. DELMAS-MARTY et C. TEITGEN-COLLY, Punir sans juger, de la répression administrative au droit
administratif pénal, op. cit., p. 111.
351
V. aussi à ce propos : P. FOMBEUR, La combinaison de l’interdiction du territoire prononcée par le juge pénal
et de la reconduite à la frontière ordonnée par le préfet : RFDA 2001, p. 1021.
352
G. KLEIN, La répression de la fraude fiscale, Étude sur le particularisme du droit pénal des impôts, op. cit.,
p. 68, n°80.
353
La durée moyenne d’une affaire pénale est d’environ neuf mois, délai entre l’arrivée au parquet et la fin de
l’affaire (classement ou saisine de la juridiction) : F. FAVRE, Les durées de traitement des affaires pénales en
2018 : Infostat justice, septembre 2019, n°172, Bulletin d’information statistique.
354
Chaque année, ce sont des millions d’affaires qui sont traitées par l’administration fiscale. Celle-ci a reçu en
2018, 3 730 613 affaires, 3 719 897 en 2019 et 3 083 869 en 2020 (ces chiffres comprennent les demandes de
réclamations au fond ainsi que les demandes gracieuses). Elle en a traité 5 105 136 en 2018, 4 997 107 en 2019 et
4 264 331 en 2020 (ces chiffres comprennent les réclamations au fond, les demandes gracieuses, les demandes de
dégrèvements et les réponses écrites de renseignements). Quant à lui, le tribunal administratif a reçu en 2018
15 973 requêtes, 15 187 en 2019 et 11 887 en 2020 (ces chiffres ne concernent que le tribunal administratif, à
l’exception des recours devant la CAA et devant l’ordre judiciaire de manière générale). Comparativement, le
nombre d’affaires soumises à l’autorité judiciaire a été de 856 en 2018, 1 826 en 2019 et 1 489 en 2020. Ces
chiffres sont issus du rapport d’activité 2020 de la Direction générale des finances publiques, p. 53 à 55, accessible
en ligne : https://www.economie.gouv.fr/dgfip/rapports-dactivite-dgfip.
355
Rapp., Assemblée nationale, n°982, 23 mai 2018, Rapport d’information déposé en application de l’article 145
du Règlement par la mission d’information commune sur les procédures de poursuite des infractions fiscales, op.
cit., p. 13.
356
D. GUTMANN, Sanctions fiscales et Constitution : NCCC, n°33, octobre 2011, pp. 41 à 53.

68
objectif de recouvrer dans les caisses de l’État les pertes tirées des agissements de la fraude
fiscale.

2) La technicité de la matière fiscale

63. Matière éminemment complexe. – En deuxième lieu, c’est la technicité de la matière


fiscale qui a originellement été mise en avant pour justifier le rôle prépondérant joué par les
sanctions fiscales dans la lutte contre la fraude. La matière fiscale est une matière éminemment
technique, voire « difficile »357. C’est un contentieux « changeant, complexe »358, qui fait
intervenir différentes branches du droit ainsi que des normes internationales359 et
européennes360 difficilement intelligibles. En raison de la circulation des personnes et des
capitaux et de la multiplication des paradis fiscaux, la fraude s’insère bien souvent dans un
processus international. Les procédés utilisés par les fraudeurs sont d’une grande complexité361.
En 1975, Monsieur G. KLEIN affirmait que le juge pénal se trouvait manifestement « mal à
l’aise »362 pour juger ce type d’infractions qui, « du fait de leur technicité, lui donnent

357
J. COURTIAL, Le juge administratif de l’impôt : Dr. fisc. n°38, 22 septembre 2016, 491.
358
Ibid.
359
Nombreux sont les traités internationaux qui traitent de la matière fiscale. Les pays ont signé de nombreux
traités bilatéraux ou multilatéraux, dont la principale vocation est d’éviter une double imposition sur le modèle de
l’Organisation pour la coopération et le développement économique : V. par exemple la Convention entre le
gouvernement de la République française et le gouvernement de la République de Chypre en vue d’éviter les
double impositions et de prévenir l’évasion fiscale en matière d’impôt sur le revenu et sur la fortune signée à
Nicosie le 18 décembre 1981 ; la Convention entre le gouvernement de la République française et le gouvernement
de la République du Zimbabwe en vue d’éviter les doubles impositions en matière d’impôts sur le revenu, sur les
gains en capital et sur la fortune, signée à Paris le 15 décembre 1993 ; la Convention franco-américaine du 31 août
1994, la Convention entre le gouvernement de la République française et le gouvernement des États-Unis
d’Amérique en vue d’éviter les doubles impositions et de prévenir l’évasion et la fraude fiscales en matière
d’impôts sur le revenu et sur la fortune. V. pour plus de développements à ce sujet : R. WALTER, Vers un espace
de TVA unique : Les nouvelles fiscales, n°1243, 1er mai 2019.
360
La TVA est désormais régie par des règles européennes qui en déterminent les contours. À ce titre, la TVA
constitue une des recettes du budget de l’Union européenne. V. notamment la directive n°2006/112/CE du Conseil
du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, modifiée notamment par la
directive n°2018/2057 du Conseil du 20 décembre 2018 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée
en ce qui concerne l'application temporaire d'un mécanisme d'auto liquidation généralisé pour les livraisons de
biens et prestations de services dépassant un certain seuil.
361
Par exemple, la « fraude carrousel » à la TVA est un montage complexe faisant intervenir plusieurs sociétés de
l’Union européenne. Des sociétés éphémères, dites sociétés taxis, ont pour seule fonction d’émettre des factures à
une autre société qui récupère la TVA ainsi facturée. V. sur ce montage, M. BETCH, « Contentieux pénal », Fasc.
n°720, Jurisclasseur Procédures fiscales, 5 juillet 2019, mis à jour 15 décembre 2019, n°32 ou A. LEPAGE, P.
MAISTRE DU CHAMBON, R. SALOMON, Droit pénal des affaires, op. cit., p. 853.
362
G. KLEIN, La répression de la fraude fiscale, Étude sur le particularisme du droit pénal des impôts, op. cit.,
p. 69, n°82.

69
infiniment plus de travail qu’une affaire classique de vol ou d’abus de confiance »363. Il était
donc naturellement soustrait au traitement des délits fiscaux, relevant d’un « droit de
spécialistes »364.

64. Justification en déclin : spécialisation de la justice pénale en matière fiscale. –


Aujourd’hui, l’incompétence de la juridiction pénale à traiter les affaires fiscales doit être
largement relativisée. Les réformes successives ont en effet contribué à renforcer les moyens
de l’institution judiciaire en matière de lutte contre la fraude fiscale. Pour traiter les affaires
d’une grande complexité365, la compétence territoriale d’un tribunal judiciaire peut désormais
être étendue au ressort de plusieurs cours d’appel pour l’enquête, la poursuite, l’instruction et
le jugement des infractions réprimées par les articles 1741 à 1753 bis A du code général des
impôts366. Ces juridictions interrégionales spécialisées367, dont la compétence demeure
concurrente avec celle de droit commun368, peuvent bénéficier de la présence d’assistants
spécialisés369 en matière fiscale et de leur maîtrise des dispositifs d’entraide internationale.
Choisis parmi les fonctionnaires de catégorie A ou B ou les personnes titulaires d’un diplôme
national sanctionnant une formation d'une durée au moins égale à quatre années d'études
supérieures après le baccalauréat et justifiant d’une expérience professionnelle minimum de
quatre années370, les assistants spécialisés « accomplissent toutes les tâches qui leur sont
confiées par les magistrats »371, et notamment en assistant les juges d’instruction dans les actes
d’information ou les magistrats du parquet dans l’exercice de l’action publique. Ils peuvent
également mettre en œuvre le droit de communication reconnu aux magistrats en application
de l’article 132-11 du code pénal et accéder, lorsqu’ils sont détachés de l’administration fiscale,
à des applications leur permettant de prendre connaissance d’informations utiles à l’enquête,
telles que des données relatives aux mutations à titre onéreux de biens immobiliers
comparables, ou à l’ouverture et à la clôture des comptes bancaires, de la location de coffres

363
Ibid.
364
Ibid.
365
Selon l’article 704 du CPP, cette complexité peut résulter notamment du grand nombre d'auteurs, de complices
ou de victimes ou du ressort géographique sur lequel elles s'étendent.
366
Art. 704 CPP, al. 7 : T. RICARD, L’originalité de la procédure en matière fiscale : Dr. fisc. 2007, 57, n°12.
367
Leur création remonte à la loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la
criminalité.
368
À savoir celle des articles 43, 52, 382 et 706-42 CPP.
369
Art. 706 CPP.
370
Art. 706, al. 1er CPP.
371
Art. 706, al. 4 CPP.

70
forts, des références des comptes ouverts, détenus, utilisés ou clos à l’étranger372. Dans le sillage
de cette spécialisation, la loi n°2013-1117 du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre la
grande délinquance économique et financière a instauré le Parquet national financier373,
compétent pour connaître des affaires complexes374 de fraude fiscale et du blanchiment de ce
délit. Assurément, ce parquet dispose d’une expertise affinée sur la fiscalité375, à laquelle il faut
ajouter la spécialisation des différents services de police mobilisés à ses côtés376. Au-delà de
cette spécialisation en présence d’une fraude relevant d’une « grande complexité », la loi
n°2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice377 a
élargi les compétences du tribunal judiciaire de Paris en établissant une juridiction nationale
chargée de la lutte contre la criminalité organisée378, disposant d’une compétence concurrente
pour les affaires d’une « très grande complexité »379. En dépit de toute complexité, la tâche de
l’institution pénale est facilitée par la création de « référents fraude fiscale » instaurés par la
circulaire commune du 7 mars 2019380. Au sein de chaque parquet doit ainsi être désigné un
référent fraude fiscale, dont la mission est exclusivement de traiter les affaires de fraude en
collaboration étroite avec le fisc.

65. Justification inopérante. – De la détection de la fraude jusqu’à son jugement, la chaîne


pénale est désormais composée de professionnels maîtrisant parfaitement les techniques de la

372
Art. L. 135 ZJ LPF.
373
M. SEGONDS, Commentaire de la loi n°2013-1117 du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre la grande
délinquance économique et financière : Dr. pén. 2014, étude 3 ; E. VERGÈS, Le procureur de la République
financier : entre projet politique et recherche de l'efficacité : RSC 2014, p. 143.
374
En application du 5° de l’article 705 du CPP, le Parquet national financier connaît des délits prévus aux articles
1741 et 1743 du code général des impôts, lorsqu'ils sont commis en bande organisée ou lorsqu'il existe des
présomptions caractérisées que les infractions prévues à ces mêmes articles résultent d'un des comportements
mentionnés aux 1° à 5° du II de l'article L. 228 du livre des procédures fiscales.
375
Elle résulte du recrutement diversifié des magistrats du Parquet national financier, dont certains sont issus
directement de la Direction générale des finances publiques.
376
Les affaires de fraude fiscale peuvent être traitées par des services de police spécialisés tels que la Brigade
nationale de lutte contre la corruption et la criminalité financière (BNLCCF), dépendant de l'Office central de lutte
contre les infractions financières et fiscales (OCLCIFF) compétente en matière de fraude complexe. En outre, la
loi n°2018-898 du 23 octobre 2018 relative à la lutte contre la fraude a permis la création du service d’enquêtes
judiciaires des finances : V. décret n°2019-460 du 16 mai 2019 portant création d’un service à compétence
nationale dénommé service d’enquêtes judiciaires des finances.
377
Art. 68 de ladite loi.
378
V. pour plus de développements à ce sujet : E. DAOUD, V. RIGAMONTI, M. SNITSAR, L. COUDON-
MORINI, Circulaire du 4 octobre 2021 : Épisode 3 - La saisine des juridictions spécialisées : D. actu, 10 novembre
2021.
379
Art. 706-75, al. 4 CPP.
380
Circulaire du 7 mars 2019 relative à la réforme de la procédure de poursuite pénale de la fraude fiscale et au
renforcement de la coopération entre l'administration fiscale et la Justice en matière de lutte contre la fraude fiscale.

71
fiscalité. La complexité de la matière n’explique pas à elle seule la mainmise de l’administration
fiscale sur la fraude. Celle-ci résulte de la nécessité de circonscrire l’office du juge répressif
dans des limites ménageant le principe de subsidiarité du droit pénal.

3) Le principe de subsidiarité du droit pénal

66. Définition du principe. – À ces deux fondements techniques, s’ajoute en dernier lieu
un fondement plus théorique qui réside dans le principe de subsidiarité du droit pénal. Ce
principe signifie que « le droit pénal ne peut légitimement intervenir qu’en dernier ressort, afin
de punir les troubles (ou risques de trouble) à l’ordre public les plus graves, ceux que les autres
mécanismes de régulation sociale n’ont pas réussi à prévenir et qu’ils sont incapables
d’effacer »381. Le droit pénal est un droit d’exception382, un droit « sélectif »383. Son intervention
ne saurait être légitime lorsqu’il s’agit de faits « que le pouvoir social peut prévenir par des
moyens de gouvernement moins sévères et moins dangereux que la justice pénale »384.

67. Application en matière de droit pénal fiscal. – En matière de fraude fiscale, la


compétence du droit pénal doit être réservée aux hypothèses dans lesquelles la procédure fiscale
n’est pas suffisamment efficace pour corriger le comportement frauduleux. Le recours à
l’intervention du droit pénal traduit un basculement d’une atteinte à un intérêt simplement
public – la perception des impôts – à un intérêt général – l’atteinte au principe d’égalité devant
la loi fiscale –. Dans pareille hypothèse, la sanction fiscale ne constitue plus une réponse
suffisante et l’intervention du droit pénal intervient en appui de celle-ci. En matière fiscale, la
répression pénale occupe une place secondaire mais nécessaire, n’intervenant que lorsque les
sanctions fiscales ne sont pas suffisantes à enrayer le comportement délictuel du fraudeur. Le
droit pénal apparaît alors comme le « nouvel »385 mais surtout le dernier « étage de la fusée
répressive »386 en matière fiscale. Le principe demeure l’efficacité de la sanction fiscale, à

381
E. DREYER, Droit pénal général, LexisNexis, 6ème éd., 2021, p. 69, n°86.
382
À l’inverse, lorsqu’une société offre au droit pénal une portée générale, elle devient totalitaire : H.
DONNEDIEU DE VABRES, Traité élémentaire de droit criminel et de législation pénale comparé, Sirey, 3ème
éd., 1947, n°90, p. 64.
383
Ibid, n°88, p. 65.
384
P. ROSSI, Traité de droit pénal, Guillaumin et Cie, 4ème éd., 1872, T.I, p. 251.
385
M. COLLET, Le cumul des sanctions pénale et fiscale : RDP 2018 n°1, p. 49.
386
Ibid.

72
laquelle s’adjoint exceptionnellement l’intervention du droit pénal lorsque la sanction primitive
s’avère insuffisante.

68. Priorité justifiée de la procédure fiscale. – Par sa rapidité, son efficacité et son
opportunité, la sanction fiscale apparaît comme l’instrument privilégié dans la répression de la
fraude fiscale. La préséance des sanctions fiscales sur les sanctions pénales repose sur des
justifications incontestables, tirées de l’incapacité, sinon technique, du moins humaine de la
justice pénale à faire face à ce type de contentieux. La hiérarchie qui existe implicitement entre
les répressions pénale et fiscale, conférant à la première une place prépondérante, découle de la
spécificité de leurs objectifs respectifs. Le schéma selon lequel la procédure fiscale recouvre
les impositions dues dans les caisses de l’État, à laquelle s’adjoint exceptionnellement un procès
pénal pour accentuer la dissuasion, est celui qui est préconisé. Cette présentation communément
admise de la lutte contre la fraude fiscale ne reçoit aucune critique sur le terrain de sa légitimité.
Le cumul des deux procédures se comprend parfaitement et est conforme au principe de
subsidiarité du procès pénal. L’addition des poursuites pénale et fiscale n’est acceptable que si
chacune des répressions se cantonne au rôle qui lui a été assigné. En conséquence, si les
objectifs des procédures venaient à se confondre, c’est toute la légitimité de leur cumul qui est
remise en question.

SECTION II. LA FUSION RÉELLE DES OBJECTIFS

69. Répartition manichéenne. – L’addition des procédures pénale et fiscale repose sur une
répartition de leurs objectifs, la première cherchant à réprimer sévèrement les fraudeurs lorsque
la seconde vise à protéger les intérêts du Trésor public. Chacune des procédures doit se voir
attribuer une fonction visant à accomplir son objectif propre. Or, dans la lutte contre la fraude
fiscale, il a été accordé à la procédure fiscale des moyens de nature répressive et aux tribunaux
répressifs des outils visant à recouvrir les fonds communs dans les caisses étatiques. La
légitimité du cumul des répressions n’est plus vérifiée lorsque la procédure fiscale présente un
but répressif (§1), en même temps que la procédure pénale tend vers une finalité largement
budgétaire (§2).

73
§1. La finalité répressive de la procédure fiscale

70. Dualité de l’objectif de la procédure fiscale. – La procédure fiscale ne se contente pas


de chiffrer et de recouvrer l’argent tiré de la fraude. Elle adopte des traits éminemment
répressifs dans le but de dissuader les contribuables de frauder les lois fiscales. C’est à travers
la nature des sanctions fiscales prononcées (A) mais aussi dans l’office du juge fiscal que
l’empreinte répressive de la procédure fiscale se dessine (B).

A) La nature répressive des sanctions fiscales

71. L’appartenance des sanctions fiscales à la matière pénale. – Pendant longtemps, le


juge a dénié tout caractère répressif aux sanctions fiscales, estimant selon une position
traditionnelle qu’elles constituaient le prolongement, voire l’« accessoire »387 de l’impôt. Selon
les propos du commissaire du gouvernement Monsieur J. ARRIGHI DE CASANOVA388, cette
négation se justifiait par deux éléments textuels. D’une part, les règles régissant les sanctions
fiscales étaient insérées dans le code général des impôts « parmi des dispositions qui définissent
en même temps le régime des intérêts de retard dus au Trésor ». D’autre part, l’ancienne version
de l’article 1736389 dudit code prévoyait indifféremment que les « amendes, majorations et
intérêts de retard » étaient « constatés » par le Trésor et contestés « selon les règles applicables
à la catégorie d'impôts qu'ils concernent ». Cette position permettait au juge interne de ne pas
les faire bénéficier du régime protecteur applicable aux sanctions répressives, tel que le principe
d’application rétroactive de la loi pénale plus douce390 ou encore l’application d’une procédure
contradictoire dans le prononcé des pénalités391.

72. Critères Engel. – C’est sous l’influence de la Cour européenne des droits de l’Homme
que l’appartenance des sanctions fiscales à la sphère pénale a pu être consacrée. Afin d’échapper
aux qualifications retenues par les États parties, la Cour européenne a toujours préféré une
approche autonome et extensive de la notion « d’accusation en matière pénale » au sens de

387
CE, 10 mai 1952, Société X : JCP G 1952.II.7151 ou Cass. com., 23 mai 1960 : Bull. n°189.
388
Concl. J. ARRIGHI DE CASANOVA sur CE, Avis, 3 décembre 2003, 31 mars 1995, n°164911-165321, SA
sté d'expertise comptable du Languedoc - SARL Cara Cara : RJF 1995.
389
Version en vigueur jusqu’au 1 er janvier 2006.
390
CE, 5 octobre 1973, n°82836.
391
CE, Ass., 27 avril 1979, n°7309, Yacht Motors Corporation : RJF 6/79 n°366, concl. B. MARTIN LAPRADE
p. 192.

74
l’article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Définis dans son célèbre arrêt Engel392 rendu le 8 juin 1976, les critères d’appartenance à la
matière pénale regroupent alternativement la qualification de l’infraction en droit interne393, la
nature de l’infraction394 ainsi que la nature et le degré de la sévérité de la sanction395.

73. Critères Bendenoun. – La matière fiscale a cependant failli faire figure d’exception à
cette grille de lecture. La Cour a préféré un raisonnement autonome, s’affranchissant totalement
des critères qu’elle avait elle-même dégagés quelques années plus tôt. En 1994, dans son arrêt
Bendenoun396, elle a préféré quatre critères, cette fois-ci cumulatifs, permettant d’assimiler une
pénalité fiscale à une sanction au sens de l’article 6 de la Convention. Ces critères sont le champ
d’application de la norme quant aux personnes, le but préventif, répressif ou réparateur de la
mesure, le but de la norme d’incrimination ainsi que la sévérité de la sanction fiscale. Le premier
de ces critères exige de vérifier que la pénalité litigieuse vise seulement « un groupe déterminé
doté d’un statut particulier »397. Dans le cas contraire, la sanction présente un caractère général
et il s’agit d’un premier indice de son appartenance à la sphère pénale. S’agissant des sanctions
fiscales, la Cour européenne relève qu’elles s’adressent à « tous les citoyens en leur qualité de
contribuable »398. Pour l’examen du deuxième critère, elle constate le but essentiellement

392
Cour EDH, 8 juin 1976, Engel et a. c/ Pays Bas, req. n°5100/71, 5101/71, 5102/71, 5354/72 et 5370/72.
393
Selon les propos de Madame J. BURGUBURU (J. BURGUBURU, Modulation des pénalités fiscales : le
Conseil d'État persiste et signe : RJF 2/2008, p. 83 et s.), ce premier critère « ne joue que dans un seul sens ». Si
en droit interne la sanction relève du droit pénal, elle relèvera directement de l’article 6 de la Conv. EDH. En
revanche si le droit interne retient une qualification extra pénale, les autres critères doivent être analysés. Ce
premier critère n’est alors que le point de départ de l’analyse de la Cour EDH.
394
S’agissant de ce deuxième critère, la Cour EDH examine notamment le but poursuivi par la norme, (Cour EDH,
gde ch. 21 février 1984, Öztürk c/ Allemagne, req. n°8544/79, §53), son champ d’application quant aux
personnes (Cour EDH, gde ch. 21 février 1984, Öztürk c/ Allemagne, req. n°8544/79, §53), la fonction répressive
ou dissuasive de la règle juridique (Cour EDH, 21 février 1984, Öztürk c/ Allemagne, req. n° 8544/79, §53) ou
encore la qualité publique ou non de l’autorité poursuivante (Cour EDH, gde ch., 10 juin 1996, Benham c/
Royaume-Uni, req. n°19380/92, §56).
395
Pour l’application de ce troisième critère, les conséquences financières (Cour EDH, 26 septembre 2000, Guisset
c/ France, req. n°33933/96, §59) ou patrimoniales (Cour EDH, 11 juin 2009, Dubus SA c/ France, req. n°5242/04,
§37 : Dr. adm., 2009, comm. 111, note G. HOUILLON, AJDA 2009. 1936, chron. J.-F. FLAUSS ; D. 2009. 2247,
note A. COURET ; AJ pén. 2009. 354, étude J. LASSERRE CAPDEVILLE) peuvent être déterminantes. Par
ailleurs, ce dernier critère se détermine par référence à la peine maximale prévue par la loi et non en fonction de
la peine effectivement prononcée (Cour EDH, 28 juin 1984, Campbell et Fell c/ Royaume-Uni, req. n°7819/77).
396
Cour EDH, 24 février 1994, Bendenoun c/ France, req. n°12547/86 ; RJF 4/94 n°503, chron. G. GOULARD,
RJF 6/94 p. 383 ; Dr. fisc. 94 p. 878 étude J.-P LE GALL et L. GERARD ; AJDA 1994 p. 512 chron. J.-F. FLAUSS
; JCP G 1995. II. 22372, note S.-N. FROMMEL.
397
Cour EDH, 24 février 1994, Bendenoun c/ France, préc., §47.
398
Ibid.

75
répressif des sanctions fiscales, leur visée restitutive n’étant à ses yeux que secondaire 399. En
troisième lieu, c’est le but de la norme d’incrimination qui est observé. À ce titre, les magistrats
de la juridiction européenne soulignent que les majorations d’impôt « se fondent sur une norme
de caractère général dont le but est à la fois préventif et répressif »400. Enfin, le dernier critère
réside dans la sévérité de la sanction. Dans l’affaire Bendenoun, ce dernier critère était constaté,
à la fois au regard du montant effectivement infligé401 et des sanctions encourues402.

74. Un raisonnement propre à la matière fiscale ? – Le contenu de ces indices se


rapproche substantiellement des critères Engel précédemment définis. En droit interne, les
sanctions fiscales ne sont jamais catégorisées comme appartenant à la matière pénale, raison
pour laquelle la Cour a rapidement écarté le premier critère élaboré, à savoir celui de la
qualification en droit interne. Les indices de la décision Bendenoun tirés du champ d’application
de la norme quant aux personnes ainsi que le but de la mesure étaient déjà examinés sous l’angle
du deuxième critère Engel, à savoir la nature de l’infraction. En outre, la grille de lecture fixée
en 1976 connaissait déjà le critère de la sévérité de la sanction, à la différence près qu’en matière
fiscale, celle-ci est analysée à l’aune des pénalités effectivement infligées et non pas seulement
en fonction des pénalités légalement encourues. En revanche, la méthode utilisée par la Cour
dans sa décision Bendenoun contraste avec celle précédemment employée. Alors que jusqu’à
présent la Cour avait indiqué avec constance403 que ses critères de ralliement à la matière pénale
étaient alternatifs, elle opte dans sa décision Bendenoun pour une approche cumulative,

399
Ibid : « Deuxièmement, les majorations d’impôt ne tendent pas à la réparation pécuniaire d’un préjudice, mais
visent pour l’essentiel à punir pour empêcher la réitération d’agissements semblables ».
400
Ibid.
401
422 534 francs pour l’intéressé et 570 398 francs pour sa société.
402
Et notamment la possibilité d’infliger au contribuable la contrainte par corps. L’ancienne version de l’article
754 du code de procédure pénale prévoyait que la contrainte par corps pouvait être exercée dès le cinquième jour
après la signification d’un commandement de payer fait au condamné à la requête de la partie poursuivante. Ces
dispositions ont été jugées contraires à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des
libertés fondamentales, la Cour européenne ayant considéré que la contrainte par corps était une peine au sens de
l’article 7 de la Convention et qu'elle ne pouvait donc être ordonnée que par un juge (Cour EDH, 8 juin 1995,
Jamil, req. n°15917/89 : JCP G 1996. II. 22677). Prenant acte de cette décision, la loi n°2004-204 du 9 mars 2004
portant sur l'adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, dite loi Perben II, a octroyé au juge de
l’application des peines le pouvoir d’ordonner une contrainte judiciaire en cas d’inexécution volontaire d’une ou
plusieurs condamnations à une peine d’amende prononcée en matière criminelle ou en matière correctionnelle
pour un délit puni d'une peine d'emprisonnement (article 749 et s. CPP). V. pour plus de développements à ce
sujet : S. DETRAZ, La contrainte par corps : Thèse, Bordeaux, 2002.
403
Cour EDH, 2 septembre 1998, Kadubec c/ Slovaquie, req. n°27061/95, §51 ; Cour EDH, 2 septembre 1998,
Lauko c/ Slovaquie, req. n°26138/95, §51.

76
spécifique à la matière fiscale. Dans une décision Janosevic404 de 2002, les magistrats de la
Cour européenne ont précisé leur raisonnement. Si le principe demeure celui d’une approche
alternative des critères posés, le recours à une méthode cumulative est possible « si l'analyse
séparée de chaque critère ne permet pas d'aboutir à une conclusion claire quant à l'existence
d'une « accusation en matière pénale » »405. En d’autres termes, lorsque la sanction n’est pas
catégorisée en droit interne comme appartenant au champ pénal, la Cour examine la nature de
l’infraction, puis éventuellement la nature et le degré de sévérité de la sanction. Pour que la
sanction relève de l’article 6 de la Convention, il suffit que la nature pénale de l’infraction soit
éminemment répressive ou que la nature et le degré de gravité de la sanction témoignent de
caractères pénaux manifestes. Cette approche n’empêche pas l’adoption d’une conception
cumulative lorsque l’analyse isolée de ces deux critères ne permet pas de rallier la sanction
administrative à la sphère pénale. Dans l’affaire Janosevic, le « constat du caractère général
des dispositions légales relatives aux majorations d'impôt » ainsi que « le but des pénalités,
tout à la fois dissuasif et répressif »406 ont suffi aux magistrats de la Cour pour déterminer
l’appartenance de la sanction fiscale au champ de l’article 6.

75. Incertitudes. – Pour certains407, les décisions Bendenoun et Janosevic faisaient de la


matière fiscale une matière dérogatoire dans l’approche de l’accusation pénale de l’article 6 de
la Convention. Surtout, ces décisions ont contribué à rendre la méthode proposée par la
juridiction européenne difficilement intelligible. La confusion s’est accentuée avec la décision
Morel c/ France rendue le 3 juin 2003408, dans laquelle la Cour a estimé que le faible montant
d’une majoration fiscale de 10% lui ôtait la sévérité nécessaire pour appartenir à la matière
pénale. En se focalisant sur le critère de la sévérité de la sanction, elle semblait revenir à une
approche alternative des critères définis. Dès lors, la « formule de la potion magique »409 pour
déterminer l’appartenance à la matière pénale devenait « indéchiffrable »410.

404
Cour EDH, 23 juillet 2002, Janosevic c/ Suède, préc., §67.
405
Ibid.
406
Ibid, §68.
407
V. en ce sens, J. VAN BRUSTEM, L'article 6, § 1er de la CESDH et le contentieux fiscal : une exclusion fondée
sur une spécificité (de plus en plus) discutable : Dr. fisc. n°46, 15 novembre 2007, 956.
408
Cour EDH, 3 juin 2003, Jean Morel c/ France, req. n°54559/00. V le commentaire de J.-M. PRIOL, Majoration
pour défaut de souscription de déclaration ou de présentation d'acte : de la motivation, entre certitudes et
incertitudes : La lettre juridique, mai 2004.
409
J. BURGUBURU, Modulation des pénalités fiscales : le Conseil d'État persiste et signe : RJF 2/2008, p. 83 et
s.
410
Ibid.

77
76. Rétablissement de la matière fiscale dans le droit commun de l’identification de la
matière pénale : décision Jussila. – Par sa décision Jussila rendue en grande chambre411, la
Cour européenne a clarifié la situation et a définitivement rallié l’identification de la sanction
fiscale à sa méthode classique élaborée dans sa jurisprudence Engel. Les magistrats européens
se sont livrés à un « exercice d’équilibrisme »412 dans le but de démontrer la filiation de leurs
décisions Bendenoun et Janosevic à la méthode Engel413. La Cour confirme n’avoir jamais
« entendu s’écarter de sa jurisprudence antérieure ou poser des principes distincts en matière
fiscale »414. Tandis que les premier et troisième415 critères ne sont pas déterminants, c’est
désormais la nature de la sanction qui prédomine dans l’identification de la sanction. Selon les
termes explicites de la décision, ce deuxième critère « est le plus important »416. À ce titre, la
Cour constate que les majorations d’impôt sont fondées sur des dispositions juridiques
générales applicables à l’ensemble des contribuables417, et que l’objectif prédominant des
sanctions fiscales était celui de punir pour empêcher la réitération des agissements incriminés.
Puisque « les majorations infligées étaient fondées sur une norme poursuivant un but à la fois
préventif et répressif »418, les sanctions fiscales présentent un caractère pénal.

77. Ralliement des juridictions françaises. – Les juridictions françaises se sont par la suite
ralliées à cette position et assimilent désormais les sanctions fiscales aux sanctions pénales.

411
Cour EDH, gr. ch., 23 novembre 2006, Jussila c/ Finlande, req. n°73053/01 : AJDA 2007. 902, chron. J.-F.
FLAUSS ; Rev. UE 2015. 353, étude M. MEZAGUER, points 29 à 39 ; J. VAN BRUSTEM, L’article 6, § 1er de
la CESDH et le contentieux fiscal : une exclusion fondée sur une spécificité de plus en plus discutable, Dr. fisc.
2007, p. 956 ; I. COSTEA, L’arrêt Jussila de la Cour européenne : vers une pénalisation au rabais du régime des
sanctions fiscales ? : RTDH 2008, p. 239.
412
J. VAN BRUSTEM, L'article 6, § 1er de la CESDH et le contentieux fiscal : une exclusion fondée sur une
spécificité (de plus en plus) discutable, op. cit.
413
Selon la Cour EDH, les quatre indices de la décision Bendenoun doivent être considérés comme faisant partie
des deuxième et troisième critères Engel.
414
Cour EDH, gr. ch., 23 novembre 2006, Jussila c/ Finlande, préc., §32.
415
Dans cette décision, le degré de sévérité n’est pas un élément déterminant, contrairement à sa décision Morel.
La Cour relève expressément que « la légèreté́ de la sanction litigieuse (…) n’a pas pour effet de l’exclure du
champ d’application de l’article 6 », §38. C’est là un point fondamental de la décision puisque dans une opinion
partiellement dissidente, plusieurs juges de la Cour EDH ont salué la décision Bendenoun en ce qu’elle avait
justement ajouté un dernier critère tiré de la sévérité de la sanction afin de déterminer l’appartenance à la matière
pénale. Selon eux, si la sanction ne présente pas un degré suffisant de sévérité, l’article 6 ne saurait être applicable.
416
Cour EDH, gr. ch., 23 novembre 2006, Jussila c/ Finlande, préc., §38.
417
Selon la Cour, c’est ici moins le champ d’application qui compte que le caractère général de l’obligation. V. en
ce sens, V. FRANSSEN, La notion « pénale » : mot magique ou critère trompeur ? Réflexions sur les distinctions
entre le droit pénal et le droit quasi pénal : in Existe-t-il encore un seul non bis in idem aujourd’hui ?, dir. D.
BRACH-THIEL, L’Harmattan, 2017, p. 66.
418
Ibid.

78
Dans sa décision du 30 décembre 1982419, le Conseil constitutionnel a affirmé que le caractère
punitif d’une sanction doit la faire entrer dans la sphère pénale, quand bien même celle-ci serait
prononcée par une autorité non juridictionnelle. La Cour de cassation a rejoint ce raisonnement
par une décision du 29 avril 1997420. Elle a été suivie par le Conseil d’État qui, abandonnant
son ancien critère purement organique421, a pris acte de l’assimilation des sanctions fiscales à
la matière pénale au sens de l’article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme
et des libertés fondamentales422.

78. Aspect punitif des sanctions fiscales. – C’est toujours en référence au but de la mesure
que le juge détermine sa qualification : si celle-ci présente un but punitif, elle doit entrer dans
la sphère répressive. Or, la sanction fiscale va bien au-delà d’un objectif exclusivement restitutif
au profit du Trésor. À cet égard, Monsieur G. JÈZE423 relevait à juste titre que « le préjudice
causé au fisc est réparé par le paiement de l’impôt, tel qu’il est dû d’après les tarifs simples.
Tout au plus, devrait-on y ajouter des intérêts moratoires, comme cela a lieu lorsque des délais
sont accordés pour le paiement de l’impôt, ou des dommages et intérêts spéciaux pour le cas
où la mauvaise foi du débiteur a causé un préjudice spécial. Dès que le montant des dommages-
intérêts n’est pas déterminé par le préjudice réel ou probable, on est en présence d’une peine.
Tel est le cas. Dans l’amende fiscale, le Trésor ne peut pas faire la preuve d’un préjudice
spécial ». Finalement, « peu importent la terminologue employée par le législateur, l’autorité
publique chargée d’infliger le châtiment, la procédure ou le mode de calcul prescrits par la loi.
Ce sont là des éléments secondaires ou insignifiants, qui ne se trouvent pas dans toutes les
amendes fiscales et qui ne peuvent pas changer la nature juridique de l’amende fiscale »424. La
sanction fiscale vient frapper le contribuable dont le comportement révèle une faute personnelle
au sens de la loi fiscale. La finalité répressive est ainsi le critère déterminant d’identification de

419
Cons. const., DC, 30 décembre 1982, n°82-155.
420
Cass. com., 29 avril 1997, n°95-20.001, M Ferreira c/ Directeur général des impôts : JCP G 1997. II. 22935,
note F. SUDRE, RTDH 1998, p.169, note J.-J. LOUIS.
421
CE, Avis, 31 mars 1995, Ministre du Budget c/ SARL Auto Industrie Méric : RJF 1995, p. 236, concl.
J. ARRIGHI DE CASANOVA ; AJDA 1995, p. 739, note M. DREIFUSS ; Revue universelle des droits de
l’Homme, 1995, p. 120, G. COHEN-JONATHAN, confirmé par CE, Avis, 5 avril 1996, n°176611, Houdmond :
RFDA 1997, p. 35, note J. PETIT ; RFDA 1997, p. 843.
422
CE, 24 mars 2006, n°257330, SA Martell et Co : JCP G 2007. II. 10206, note B. BELDA ; CE, 27 février 2006,
n°257964, Krempff : Dr. fisc. 2006, comm. 513, concl. L. OLLEON ; CE, 26 mai 2008, n°288583, Société
Norelec : Dr. fisc. 2008, comm. 411, concl. F. SENERS ; V. plus récemment, CE, 27 novembre 2020, n°421409,
Société le Dôme : Dr. fisc. 2020, n°49, act. 440, RJF 2/2021, n°202.
423
G. JÈZE, La fraude fiscale, op. cit., p. 200.
424
Ibid.

79
la sanction fiscale425. En ce sens, « la répression administrative est bien une forme dérivée de
répression pénale »426.

79. L’appartenance des sanctions fiscales au noyau dur du droit pénal ? – En dépit de
ce caractère éminemment répressif, le seul constat du prononcé de deux sanctions appartenant
à la « matière pénale » au sens de l’article 6 de la Convention n’entraîne pas de facto une
violation du principe ne bis in idem. Selon la Cour européenne, les accusations en matière
pénale « n’ont pas toutes le même poids »427 et il faut distinguer en leur sein les mesures
appartenant au noyau dur du droit pénal de celles qui en sont exclues428. Si les sanctions fiscales
appartiennent à la matière pénale, elles n’ont cependant pas leur place dans ce fameux noyau
dur. Il est intéressant d’analyser le critère permettant d’établir l’appartenance de la sanction à
ce noyau dur. Les juges européens se proposent d’examiner le caractère infamant429 ou non de
la procédure administrative suivie pour le prononcé de ces sanctions. Leur raisonnement est
clair : « plus la procédure administrative présente de caractéristiques infamantes la
rapprochant dans une large mesure d’une procédure pénale ordinaire, plus les finalités
sociales poursuivies par la punition du comportement fautif dans des procédures différentes
risquent de se répéter (bis) au lieu de se compléter »430. Force est de constater que la procédure
administrative fiscale présente à bien des égards un caractère infamant, pouvant la faire basculer
dans le champ du noyau dur du droit pénal et faisant alors douter de la légitimité de son cumul
avec la procédure pénale. Au moins deux éléments peuvent le démontrer.

80. Montant des sanctions fiscales. – En premier lieu, c’est à travers le montant des
sanctions fiscales que se manifeste leur caractère infamant. La loi fiscale proportionne les
sanctions en fonction de la gravité du comportement du contribuable431 et détermine le montant

425
V. pour une étude plus approfondie des critères de la sanction administrative, M. DELMAS-MARTY et C.
TEITGEN-COLLY, Punir sans juger, de la répression administrative au droit administratif pénal, Economica,
1992, p. 44 et s. ou Les pouvoirs de l’administration dans le domaine des sanctions, Étude adoptée par l’Assemblée
générale du Conseil d’État le 8 décembre 1994, La documentation française, Paris, 1995, p. 35 et s.
426
O. DEBAT, Souveraineté, citoyenneté, liberté le droit pénal fiscal en quête d'équilibre, op. cit.
427
Cour EDH, gr. ch., 23 novembre 2006, Jussila c/ Finlande, préc., §43.
428
Cette scission a fait l’objet de vives critiques doctrinales. V. notamment V. FRANSSEN qui affirme notamment
que cette distinction, instituée que pour des « impératifs d’efficacité et d’économie », n’a pas contribué à rendre
plus clairs les notions de la matière pénale : V. FRANSSEN, La notion « pénale » : mot magique ou critère
trompeur ? Réflexions sur les distinctions entre le droit pénal et le droit quasi pénal, op. cit, p. 78.
429
Cour EDH, gr. ch., 15 novembre 2016, A et B c/ Norvège, req. n°24130/11 et n°29758/11, §133.
430
Ibid.
431
Voir supra, n°26.

80
des pénalités que peut infliger l’administration fiscale en fonction du montant des droits
éludés432. Les sanctions fiscales ne sont donc pas délimitées par un plafond déterminé fixement
par la loi, mais par un taux proportionnel à celui de la fraude. Une telle indexation du montant
de la sanction fiscale permet au fisc de prononcer des pénalités aux montants gigantesques.
Dans une espèce ayant donné lieu à un arrêt du Conseil d’État du 1 er juillet 2020433, c’est une
amende de 5 107 210 euros qui a été prononcée à l’encontre d’une société pour défaut de
déclaration de l’avantage résultant de l’écart entre la valeur réelle des titres apportés et celle des
titres reçus en contrepartie434. À cela s’ajoute l’impossibilité pour le juge fiscal de moduler lui-
même le taux des pénalités. En vertu d’une jurisprudence constante du Conseil d’État, « le juge
de l'impôt, après avoir exercé son plein contrôle sur la qualification retenue par
l'administration, doit appliquer le taux de majoration prévu en ce cas par la loi sans pouvoir
le moduler pour tenir compte de la gravité de la faute commise par le contribuable »435. Cette
position est contraire à celle de la Cour de cassation, selon laquelle le droit au procès équitable
impose que le juge saisi ait le pouvoir de moduler le quantum de la sanction fiscale436. La
juridiction doit bénéficier du pouvoir d’apprécier la proportionnalité de la sanction infligée au
comportement du contribuable. La position du Conseil d’État a toutefois été confortée par la
Cour européenne des droits de l’Homme, qui a admis la compatibilité du caractère non
modulable des sanctions fiscales avec l’article 6§1 de la Convention européenne437.

81. Publicité des sanctions fiscales. – En second lieu, c’est surtout avec la possibilité de
rendre publiques les sanctions fiscales que la procédure administrative devient infamante. Nous

432
V. par exemple, les pénalités de 40 ou 80% de l’article 1729 CGI.
433
CE, 1e juillet 2020, n°418378.
434
Art. 1763 CGI.
435
CE, Avis, 5 avril 1996, n°176611, Houdmond : RFDA 1996, comm. 624 ; RJF 5/96, n°607, chron. S. AUSTRY ;
Dr. fisc., 1996, n°25, comm. 765 ; CE, Avis, 8 juillet 1998, n°195664, Fattell : Dr. fisc. 1998, n°40, comm. 842 ;
RJF 8-9/1998, n°970, concl. J. ARRIGHI DE CASANOVA ; CE, 9ème et 10ème ss-sect., 8 mars 2002, n°224304 et
CE, 9ème et 10ème ss-sect., 6 juin 2007, n°270955, Ministre c/ Lemarinier : Dr. fisc. 2007, n°38, comm. 846 ; RJF
10/2007, n°1042 ; CE, 8ème et 3ème ss-sect., 30 novembre 2007, n°292705, Société Sideme : Dr. fisc. 2008, n°7,
comm. 178, concl. L. OLLÉON ; RJF 2/2008, n°172 ; J. BURGUBURU, Modulation des pénalités fiscales : le
Conseil d’État persiste et signe : RJF 2/2008, p. 83 ; CE, 27 avril 2009, n°285192, Lapeyre : RJF 7/2009, n°640 ;
CE, 17 février 2010, n°311953, Ministre c/ EURL Bosc développement Loire : RJF 5/2010, n°463.
436
Cass. com., 29 avril 1997, n°95-20.001 : Dr. fisc. 1997, n°20-21, comm. 594 ; JCP E 1997. II. 990, note
Y. BRARD ; LPA 1er décembre 1997, p. 6, note G. TIXIER et A. HAMONIC-GAUX ; JCP G 1997. II. 22. 935,
note F. SUDRE ; RJF 6/1997, n°41 ; Cass. com., 15 juin 1999, n°98-10.931 : DGI c/ Lise : RJF 8-9/1999, n°119 ;
Cass. com., 1er juillet 2003, n°00-13.966 ; Cass. com., 23 septembre 2008, n°07-11.989, Société Kourou Bardage :
Dr. fisc. 2008, n°47, comm. 589, note J.-P. MAUBLANC.
437
Cour EDH, 29 juin 1998, , Taddei c/ France, req. n°36118/97: RJF 3/1999, n°366 ; Cour EDH, 7 juin 2012, ,
Segame c/ France, req. n°4837/06.

81
croyions que la publicité était l’archétype des sanctions pénales 438, participant de cette dose
répressive qui faisait défaut aux sanctions fiscales. Jusqu’à une période très récente, il n’existait
en effet pas de mesure de publicité au profit des sanctions administratives439 qui demeuraient
prononcées dans le secret des bureaux de l’administration fiscale. Mais empruntant à d’autres
législations telles que l’Espagne ou le Royaume-Uni440, et dans le but affiché d’une « plus
grande exemplarité de la sanction fiscale »441, notre système juridique a fini par se doter, avec
la loi relative à la lutte contre la fraude du 23 octobre 2018 442, d’un mécanisme similaire de
publicité au profit des sanctions fiscales. L’article 18 de ladite loi a créé un nouvel article 1729
A bis au sein du code général des impôts qui prévoit en son alinéa 1 er que les amendes ou
majorations fiscales peuvent faire l’objet d’une publication sur le site internet de
l’administration fiscale.

82. Domaine de la publication. – Certes, le champ d’application de cette nouvelle forme


de publicité est restreint. S’agissant de son domaine matériel, la publicité ne concerne que les
fraudes les plus graves443, dont le montant des droits fraudés excède 50 000 euros et en présence
« d’une manœuvre frauduleuse, au sens des b et c de l’article 1729 » du code général des

438
V. supra, n°46.
439
Il existait cependant un ancien régime de publicité accordée aux sanctions fiscales qui avait disparu : V. sur ce
sujet, G. KLEIN, La répression de la fraude fiscale, Étude sur le particularisme du droit pénal des impôts, op.
cit., p. 207 et s.
440
En Espagne et au Royaume-Uni, il est prévu une publicité des sanctions fiscales lorsque celles-ci dépassent un
certain montant, fixé à 1 million d’euros en Espagne et à 25 000 livres au Royaume-Uni. Ainsi depuis 2009,
l’administration fiscale britannique publie régulièrement une liste des contribuables sanctionnés. La publication,
qui concerne aussi bien les personnes morales que physiques, est soumise à trois conditions que sont l’infliction
d’une amende, la perte pour le fisc d’une valeur supérieure à 25 000 livres et l’absence de procédure de
régularisation volontaire de la part du contribuable. La liste britannique est disponible en ligne et comporte les
nom, adresse, la nature de l’activité du contribuable ainsi que le montant des pénalités prononcées
(https://www.gov.uk/government/publications/publishing-details-of-deliberate-tax-defaulters-pddd/current-list-
of-deliberate-tax-defaulters#details-first-published-18-november-2021) ; V. en ce sens, Rapp., n°1142 ;
Assemblée nationale, n°1212, 25 juillet 2018, Rapport fait au nom de la commission des finances, de l’économie
générale et du contrôle budgétaire sur le projet de loi, adopté par le Sénat après engagement de la procédure
accélérée, relatif à la lutte contre la fraude, E. CARIOU, p. 186 et 187.
441
Rapp., Sénat, n°602, 27 juin 2018, Rapport fait au nom de la commission des finances sur le projet de loi relatif
à la lutte contre la fraude, M. A. de MONTGOLFIER, préc. p. 14.
442
Loi n°2018-898 du 23 octobre 2018 relative à la lutte contre la fraude.
443
Ce critère contraste avec le principe énoncé dans le même article selon lequel la publicité est écartée lorsque
les manquements « ont fait l’objet d’un dépôt de plainte pour fraude fiscale par l’administration ». La publicité
exige un manquement grave, mais ce même manquement risque, en raison justement de sa gravité, d’être l’objet
d’une dénonciation automatique au parquet… excluant dès lors sa publicité. L’alinéa 1 er de l’article 1729 A bis
manque donc clairement de clarté en assimilant la gravité à la fois comme un critère déterminant et excluant la
publicité.

82
impôts. Mais l’infamie pour la personne morale n’a pas pour autant disparu : la publication, sur
le site de l’administration fiscale, « porte sur la nature et le montant des droits fraudés et des
amendes et majorations appliquées, la dénomination du contribuable ainsi que, le cas échéant,
l’activité professionnelle et le lieu d’exercice de cette activité »444. Par la précision de ces
données, la réputation de la personne morale est ici substantiellement atteinte. Dans son étendue
personnelle, la publication ne peut être prononcée qu’à l’encontre des personnes morales, à
l’exclusion des personnes physiques. Initialement, le projet de loi avait envisagé une publication
à l’encontre des personnes morales et des personnes physiques agissant à titre professionnel.
L’ambition du gouvernement était de réprimer plus sévèrement ces personnes, dès lors que leurs
agissements faussaient le jeu de la concurrence. Dans un avis du 22 mars 2018 sur le projet de
loi445, le Conseil d’État s’est fermement opposé à cette précision. Selon un argument juridique,
il a affirmé, d’une part, qu’une telle limitation méconnaîtrait le principe d’égalité des
contribuables devant la loi. D’autre part, la limitation ne pouvait être pertinente « dès lors qu’il
n’est pas établi que les agissements commis par des professionnels ont toujours pour effet de
porter atteinte à la libre concurrence entre les acteurs économiques »446. Sur le fondement de
cet avis, la publication des sanctions fiscales infligées aux personnes physiques a été écartée,
pour ne concerner que les personnes morales.

83. Élargissement vraisemblable. – Cependant, il y a tout lieu de penser qu’à l’avenir, le


dispositif pourrait voir son champ d’application élargi. La Cour européenne des droits de
l’Homme447 vient en effet de valider le système hongrois, lequel autorise la publication en ligne
d’une liste de contribuables défaillants comprenant « les nom, domicile, locaux commerciaux,
lieu d’activité et numéro d’identification fiscale »448 lorsque la fraude dépasse dix millions de
forints hongrois449 pour les particuliers ou cent millions de forints hongrois 450 pour les autres
contribuables. Dans sa décision, la Cour européenne souligne tout d’abord que cette mesure

444
Art. 1729 A bis, al. 2.
445
CE, Avis, 22 mars 2018, n°394440, Avis sur un projet de loi relatif à la lutte contre la fraude.
446
Ibid, p. 7.
447
Cour EDH, 4ème sect., 12 janvier 2021, L. B. c/ Hongrie, req. n°36345/16.
448
Art. 55 de la loi n°XCII relative à l’administration fiscale.
449
Environ 30 000 euros.
450
Environ 300 000 euros.

83
protège l’intérêt économique, à la fois général451 et particulier452. Les magistrats constatent
ensuite la pertinence du système qui consiste à ne prévoir la publication que pour les grands
fraudeurs453, ainsi que son caractère limité dans le temps454. S’agissant enfin du contenu des
données publiées, la Cour valide la publication des nom, prénom mais aussi de l’adresse du
contribuable. L’effet stigmatisant y est largement plébiscité puisque la Cour relève que la
mesure se serait révélée « inutile »455 dans le cas où elle n’aurait pas permis d’identifier
personnellement et géographiquement le fraudeur. La Cour européenne valide ainsi sans réserve
le régime hongrois de publication des sanctions fiscales, alors même que ce dernier dispose
d’un champ d’application, tant matériel que personnel, beaucoup plus élargi que le système
français. Il est donc à craindre que le législateur se saisisse de cette occasion pour élargir la
« liste noire »456 de l’article 1729 A bis du code général des impôts aux personnes physiques,
ainsi qu’il l’avait précédemment envisagé. Le cas échéant, la nature infamante des sanctions
fiscales ne ferait plus aucun doute.

84. Rapprochement des répressions pénale et fiscale. – Ce nouveau système de publicité


des sanctions fiscales participe au rapprochement entre les répressions pénale et fiscale, qui se
proposent toutes deux d’être exemplaires et dissuasives à l’encontre des fraudeurs. Les
différences entre les sanctions, qui permettaient pourtant de légitimer leur cumul à l’encontre
de la même personne, se voient peu à peu gommées. Le même rapprochement se vérifie
également lorsque le juge fiscal doit se prononcer sur la requête du contribuable. Son office
tend en effet de plus en plus vers un objectif répressif.

451
Après avoir rappelé les buts assignés à l’impôt, la Cour relève que la publication des sanctions fiscales permet
un contrôle des citoyens visant à dissuader les contribuables de manquer à leurs obligations fiscales (§53).
452
La Cour indique en son paragraphe 53 que « toute personne a un intérêt spécifique à obtenir des informations
relatives au respect de leurs obligations fiscales par ceux avec lesquels elle entend établir des relations
économiques afin de déterminer, en fin de compte, s’il est opportun de s’y engager ».
453
Elle note dans son paragraphe 56 la condition liée au montant des droits fraudés ainsi qu’à la durée de la fraude,
qui doit durer au moins 180 jours.
454
Les données à caractère personnel d’une personne redevable d’un montant d’impôts important sont retirées du
site de l’autorité fiscale dès que la personne concernée s’est acquittée de ses impôts impayés (§57).
455
Dans son paragraphe 59, elle constate que la seule communication du nom et du prénom du contribuable n’aurait
pas permis de distinguer celui-ci d’autres personnes et qu’en conséquence, le but poursuivi par la mesure, qui
consistait à faciliter un contrôle du public sur la fraude fiscale, n’aurait pas été atteint.
456
A. LEPAGE, P. MAISTRE DU CHAMBON, R. SALOMON, Droit pénal des affaires, op. cit., n°1431, p. 832.

84
B) L’office répressif de la procédure fiscale

85. Contentieux répressif du juge fiscal. – Il a précédemment été démontré que le rôle du
juge fiscal consistait à vérifier l’assujettissement du contribuable à l’imposition mise à sa charge
par l’administration et le cas échéant, à en calculer l’assiette exacte. Mais les chiffres ne sont
cependant pas sa seule préoccupation et « son rôle ne se borne pas à être un technicien de
l’impôt »457. Dans bien des hypothèses, il est amené à « flirter avec des catégories juridiques
qui peuvent emprunter sa coloration aux instruments qu’utilise le juge pénal »458. Le juge fiscal
se trouve ainsi bien souvent « saisi d’un contentieux répressif »459.

86. Abus de droit. – Ce basculement vers un contentieux de nature répressive se vérifie à


l’aune de la caractérisation de l’abus de droit. Défini à l’article L. 64 du livre des procédures
fiscales, l’abus de droit « est une fraude consistant dans un ou plusieurs actes juridiques
artificiels, en ce qu’ils utilisent, dans le but d’éluder ou d’atténuer l’impôt, une ou des règles
de droit conçues pour générer d’autres effets »460. Il s’agit d’un « péché non contre la lettre du
texte, mais contre l’esprit de la loi »461. Le texte applicable distingue en son premier alinéa deux
formes d’abus, lequel peut être caractérisé soit par des actes fictifs, soit par une fraude à la loi.
Pour caractériser cette seconde forme d’abus, le législateur exige que les actes en question aient
été réalisés en « recherchant le bénéfice d'une application littérale des textes ou de décisions à
l'encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs » et « inspirés par aucun autre motif que
celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que l'intéressé »462. En d’autres termes, la
fraude à la loi suppose de rechercher la finalité de la norme mais aussi et surtout d’établir
l’intention frauduleuse de son auteur. À l’instar de son homologue pénal, le juge fiscal doit
donc déceler la présence d’un élément moral, consistant dans l’intention de tromper le fisc.

87. Manquement délibéré et manœuvre frauduleuse. – Un autre exemple de ce


rapprochement tient dans l’application des pénalités pour manquement délibéré ou pour

457
G. KLEIN, La répression de la fraude fiscale, Étude sur le particularisme du droit pénal des impôts, op. cit.,
p. 111, n°128.
458
J. MICHEL, Le juge administratif français et la fraude fiscale : RFFP, août 2014, n°127, p. 163.
459
G. KLEIN, La répression de la fraude fiscale, Étude sur le particularisme du droit pénal des impôts, op. cit.,
p. 60, n°69.
460
C. DE LA MARDIERE, « Abus de droit : textes, historique et notion », Fasc. n°375, JCI Notarial formule, 1er
octobre 2015, mis à jour le 29 décembre 2021.
461
M. COZIAN, Les grands principes de la fiscalité des entreprises, Litec, 4ème éd., 1999, p. 22.
462
Al. 1er, art. L64 LPF.

85
manœuvre frauduleuse. Cette dernière formulation est déjà symptomatique de l’étroite relation
que le juge fiscal entretient avec la matière pénale, saisie de cette même notion dans le cadre de
poursuites pour escroquerie463. De la même façon que pour l’abus de droit, dont elle se distingue
par le caractère non juridique de l’artifice, la manœuvre frauduleuse tient dans l’intention
frauduleuse de son auteur. Dans le cadre de la procédure fiscale, l’administration fiscale puis le
juge fiscal doivent non seulement caractériser la volonté de tromper du contribuable mais aussi,
le cas échéant, en mesurer l’intensité. Ils analysent le comportement du fraudeur, établissent la
conscience qu’il pouvait avoir de la fraude ainsi élaborée, décident de sa bonne ou de sa
mauvaise foi. Ainsi, le contentieux de la procédure fiscale se rapproche dangereusement de
l’office du juge pénal. L’œuvre des acteurs de la procédure pénale est en effet bien délicate
puisqu’elle nécessite « non seulement une parfaite connaissance des faits, mais (…) implique
en outre de scruter la psychologie du contrevenant »464. Cette psychologie ne peut être
examinée qu’en présence d’éléments renseignant sur la personnalité du contribuable, son
parcours individuel ainsi que ses habitudes et modes de vie. Si le tribunal répressif dispose
généralement de ces renseignements à la lecture du dossier pénal465, il n’en est rien du juge
fiscal dont l’intime conviction se forgera en dehors de ces considérations.

88. Dérives de la procédure fiscale. – A l’aune de ce premier paragraphe, nous assistons à


un véritable basculement de la procédure fiscale vers un objectif répressif. La sanction fiscale
présente un caractère contraignant et infamant à l’instar d’une véritable peine, de même que

463
Art. 313-1 CP.
464
G. KLEIN, La répression de la fraude fiscale, Étude sur le particularisme du droit pénal des impôts, op. cit.,
p. 35, n°38.
465
Plusieurs dispositions permettent au juge pénal d’avoir accès à différentes informations concernant la situation
personnelle du prévenu. Dans le cadre d’une éventuelle instruction préparatoire, l’article 81 du code de procédure
pénale permet au juge d’instruction de procéder à une enquête sur la personnalité, à une enquête rapide et à un
examen médical ou psychologique, auxquels il convient d'ajouter « toutes mesures utiles ». Il faut toutefois
relativiser la portée de ces mesures en matière fiscale. En matière délictuelle d’une part, l’enquête de personnalité
est simplement une faculté pour le magistrat instructeur et, d’autre part, seule une petite minorité de dossiers
nécessitent en la matière l’ouverture d’une information judiciaire. À défaut d’instruction, l’article 41 du code de
procédure pénale permet au parquet de se renseigner sur la situation matérielle, familiale et sociale de l'agent, et
sur les mesures propres à favoriser sa réinsertion. La loi n°2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-
2022 et de réforme pour la justice a complété les informations mises à la disposition de la juridiction pénale en
ajoutant que l’enquête rapide devra également permettre de « vérifier la faisabilité matérielle de certaines peines
ou aménagements de peine pouvant être prononcés ». En outre, le juge pénal peut se faire communiquer, en
application de l’article 132-22 du code pénal, les renseignements utiles de nature financière ou fiscale sans que
puisse être opposée par l’administration l’obligation au secret.

86
l’office du juge fiscal entre largement dans des attributions initialement réservées au juge pénal.
Le même renversement se vérifie également à l’endroit du juge pénal.

§2. La finalité budgétaire de la procédure pénale

89. Détournement de l’objectif initial de la procédure pénale. – En supplément de la


procédure fiscale, le rôle du juge pénal est en principe celui d’intensifier la répression à
l’encontre des fraudeurs. L’analyse des attributions conférées au juge pénal démontre toutefois
que sa présence s’explique en grande partie par le pouvoir financier qu’il détient dans la lutte
contre la fraude fiscale. Ce rôle essentiellement budgétaire a été permis, en premier lieu, par la
récente extension à la matière fiscale de deux mécanismes de négociation dans le procès pénal
(A) qui sont pour l’un une simple procédure accélérée de jugement et pour l’autre une véritable
alternative aux poursuites. Une fois la condamnation pour fraude fiscale acquise, le juge pénal
peut, en second lieu, faciliter le recouvrement de la créance fiscale en prononçant la mesure de
solidarité fiscale (B).

A) La négociation dans le procès pénal, levier dans le recouvrement de la créance fiscale

90. Suites à donner aux poursuites en matière fiscale. – Lorsqu’il a connaissance d’une
infraction, le procureur de la République dispose, en application de l’article 40-1 du code de
procédure pénale, de l’opportunité des poursuites. À ce titre, il peut tout d’abord faire le choix
d’engager des poursuites en saisissant par les voies classiques le tribunal correctionnel466 ou en
ayant recours au dispositif plus allégé de la comparution sur reconnaissance préalable de
culpabilité (CRPC). Le procureur peut aussi décider de classer sans suite, ou enfin préférer une
voie dite alternative aux poursuites. Parmi ces mécanismes alternatifs, la convention judiciaire
d’intérêt public (CJIP) permet au mis en cause de conclure avec le parquet un accord qui a pour
effet d’éteindre l’action publique467. Ces deux mécanismes, qui sont d’une part, une procédure
simplifiée de jugement (1) et, d’autre part, une alternative aux poursuites (2), sont, depuis
l’entrée en vigueur de la loi du 23 octobre 2018 relative à la lutte contre la fraude, applicables
en matière fiscale.

466
Art. 388 CPP.
467
Art. 41-1-2 CPP, IV.

87
1) La CRPC, une procédure simplifiée de jugement pénal cristallisant le litige
fiscal

91. Présentation du mécanisme. – Codifiée aux articles 495-7 et suivants du code de


procédure pénale, la CRPC est une modalité particulière et simplifiée du jugement de certains
délits dont peuvent bénéficier tant les personnes physiques que les personnes morales. Créée
par la loi dite Perben II du 9 mars 2004468, la CRPC est un mode exceptionnel de poursuite
devant le tribunal correctionnel qui emporte à l’égard du mis en cause, en cas d’homologation
par le président du tribunal correctionnel, déclaration de culpabilité. Elle repose sur une
procédure simplifiée devant la juridiction correctionnelle, faisant intervenir d’une part, une
proposition de peine par le parquet à l’auteur des faits reconnaissant sa culpabilité et, d’autre
part, une phase d’homologation de la peine acceptée devant le président du tribunal469.

92. Exclusion initiale de la matière fiscale. – Parce que la procédure de CRPC échappe à
la solennité d’une audience pénale classique, elle était inapplicable à l’infraction de fraude
fiscale. Bien que son champ d’application, originellement réservé aux « délits punis à titre
principal d’une peine d’amende ou d’une peine d’emprisonnement d’une durée inférieure ou
égale à cinq ans »470, avait fini par s’élargir en 2011 à « tous les délits »471, sa mise en œuvre
demeurait impossible en matière fiscale. L’article 495-16 du code de procédure pénale
indiquant les infractions exceptées du champ de la CRPC, continuait de préciser que la
procédure était inapplicable aux « délits dont la procédure de poursuite est prévue par une loi

468
Loi n°2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité.
469
V. pour plus de développements sur la présentation du mécanisme : B. BOULOC et L. MARIANI, La CRPC,
une procédure à revoir ? : Gaz. Pal., 6-8 novembre 2005, p. 7 ; D. CHARVET, Réflexions autour du plaider
coupable : D. 2004, p. 2517 ; F. DEBOVE, La justice pénale instantanée, entre miracles et mirages : Dr. pén. 2006,
étude 19 ; A. VALOTEAU, Le jugement sur reconnaissance préalable de culpabilité : une autre procédure de
jugement ou une autre manière de juger ? : Dr. pén. 2006, étude 8 ; C. GUÉRY, Le renvoi aux fins de comparution
sur reconnaissance préalable de culpabilité : AJ pén. 2013, p. 86 ; Y. JOSEPH-RATINEAU et F. BOULAN,
Comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité : à nos actes manqués... : D. 2010, p. 875 ; C. SAAS, De
la composition pénale au plaider coupable : le pouvoir de sanction du procureur : RSC 2004, p. 827 ; X. PRADEL,
M. SEURIN, D. CASANOVA et D. MISSISTRANO : Le plaider coupable : Rev. pénit. 2005, p. 377 ; J.-P. CÉRÉ
et P. REMILLIEUX, De la composition pénale à la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité : le
"plaider coupable" à la française : AJ pén. 2003, p. 45.
470
Art. 495-7 CPP dans sa version initiale issue de la loi Perben II : version en vigueur du 1 er octobre 2004 au 15
décembre 2011.
471
Art. 27 de la L. n° 2011-1862 du 13 décembre 2011 relative à la répartition des contentieux et à l'allègement de
certaines procédures juridictionnelles.

88
spéciale »472. L’impossibilité de conclure une CRPC à la faveur d’une infraction de fraude
fiscale était pleinement justifiée, eu égard à l’objectif assigné à la procédure pénale en matière
de lutte contre la fraude. Empreinte d’une grande solennité et riche de symboles, c’est
l’audience pénale qui confère à la procédure pénale sa dimension exemplaire. La tenue d’une
audience publique et exemplaire est essentielle à dissuader les potentiels fraudeurs. Ces raisons
ont justifié d’exclure l’application de ce dispositif du champ de l’article 1741 du code général
des impôts et expliquent que les tentatives législatives d’élargissement ont pendant longtemps
échoué. Lors des débats parlementaires pour l’adoption de la loi du 6 décembre 2013 473, des
sénateurs avaient suggéré d’élargir la procédure de CRPC à l’infraction de fraude fiscale ; mais
la proposition fut rapidement écartée, le garde des Sceaux préférant n’accepter « le recours au
plaider coupable, dont la principale vertu est la discrétion, que pour les délits les plus
faibles »474.

93. Élargissement à la matière fiscale. – Faisait fi de ces inquiétudes, la loi relative à la


lutte contre la fraude du 23 octobre 2018 a élargi la possibilité de recourir à la CRPC475 en
matière fiscale. L’objectif affiché du législateur était double. Il s’agissait, d’une part, de gagner
en célérité afin de « réduire le temps de traitement des procédures de fraude fiscale »476,
objectif particulièrement atteint par le recours à ce dispositif accéléré477. D’autre part, l’objectif
était celui de faciliter le traitement pénal des dossiers478, cherchant à éviter avec l’élargissement
du verrou de Bercy479, un engorgement des tribunaux pénaux. Ces objectifs semblent à ce jour
atteints, en témoigne la ferveur accordée à ces mécanismes de transaction dans la lutte contre

472
Art. 495-16 dans sa version issue de la loi Perben II : version en vigueur du 1er octobre 2004 au 25 octobre
2018. Ces interdictions étaient précisées par les circulaires des 2 septembre 2004 et 20 mars 2012 (Circulaire
n°JUSD0430176C du 2 septembre 2004 ; Circulaie n°JUSD1208381C du 20 mars 2012).
473
Loi n°2013-1117 du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance
économique et financière.
474
Compte rendu analytique du Sénat, séance du 18 juillet 2013, p. 30, disponible sur leur site Internet :
https://www.senat.fr/cra/seances.html.
475
Loi n°2018-898 du 23 octobre 2018 relative à la lutte contre la fraude, art. 24.
476
Étude d’impact, Projet de loi relatif à la lutte contre la fraude, 27 mars 2018, p.53.
477
V. sur ce sujet, C. SAND, Extension de la procédure pénale de comparution sur reconnaissance préalable de
culpabilité (CRPC) à la fraude fiscale : Dr. fisc. n°46, 15 novembre 2018, comm. 641 ; J. GALLOIS, Les apports
de la loi n°2018-898 du 23 octobre 2018 relative à la lutte contre la fraude : AJ pén. 2018 p. 560.
478
V. à ce propos Rapp., Assemblée nationale, n°1212, 25 juillet 2018, Rapport fait au nom de la commission des
finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire sur le projet de loi, op. cit., p. 239 et 249.
479
V. supra, n°56 et s.

89
la fraude. La procédure de CRPC a été mise en œuvre dans plus d’une dizaine de dossiers de
fraude fiscale480.

94. Interrogations sur l’adaptation de la CRPC aux objectifs de la procédure pénale.


– Il est cependant permis de nous interroger sur la cohérence de ce dispositif avec les objectifs
qui ont été assignés à la procédure pénale dans le combat contre la fraude fiscale. Recourir à la
CRPC en la matière revient à supprimer tous les attributs du procès pénal qui lui donnaient
pourtant sa force. La tenue d’une véritable audience pénale a tout simplement été abandonnée
à la faveur de procédures simplifiées, rapides et difficilement adaptables à la complexité des
dossiers en jeu. Il est à craindre que le recours à la CRPC, en principe réservé aux dossiers les
plus simples et en état d’être jugés, « laissera nécessairement dans l’ombre des pans entiers du
dossier, là où c’est une grandeur pour la justice de mener à leur terme, et en explorant toutes
les pistes et donc toutes les ramifications de telles affaires »481. En dépit de ces inquiétudes, la
procédure de CRPC s’est avérée particulièrement attrayante en matière de fraude fiscale. Les
premiers chiffres communiqués par le Parquet national financier révèlent un « intérêt croissant
pour ce mode de poursuite accéléré, particulièrement adapté aux faits de fraude fiscale »482.
Sur les 21 CRPC mises en œuvre depuis la création du Parquet national financier, deux tiers
concernent des faits de fraude fiscale et de blanchiment de fraude fiscale483.

95. Conséquences fiscales de l’aveu. – Au-delà de l’inadaptation de la CRPC à la matière


fiscale, le recours à ce mécanisme peut se révéler dommageable pour le contribuable. La CRPC
est une procédure de « plaider-coupable » à la française, dont l’initiative appartient au mis en
cause484 ou au parquet, lequel propose une peine largement attractive485. Si le prévenu la refuse,

480
V. notamment sur le bilan de la CRPC : F. PERROTIN, Lutte contre la fraude fiscale : bilan positif pour Bercy :
LPA 4 juin 2020, n°112, p. 3.
481
A. LÉVY, J. MONIN DE FLAUGERGUES, Les récents mais perfectibles développements de la comparution
sur reconnaissance préalable de culpabilité́ en matière économique et financière – Entretien avec J-M. Hayat,
président du tribunal de grande instance de Paris : Dr. pén., octobre 2016, étude 21.
482
Publication du Parquet national financier sur le site internet du tribunal judiciaire de Paris, disponible en ligne :
https://www.tribunal-de-paris.justice.fr/sites/default/files/2021-10/CRCP%20VERSION%20FINALE.pdf : G.
PELLEGRIN : Dr. fisc. n°7, 17 février 2022, 115.
483
Ibid.
484
Le mis en cause peut solliciter la mise en œuvre de la procédure mais le parquet n’est jamais tenu de répondre
à sa requête : art. 495-15 CPP.
485
Les peines proposées sont inférieures à celles légalement encourues. S’agissant de la peine d’emprisonnement,
sa durée ne peut être supérieure à trois ans ni excéder la moitié de la peine d’emprisonnement encourue. S’agissant
des peines d’amendes, leur montant ne peut être supérieur à celui légalement encouru et le parquet peut proposer
qu’elles soient assorties en tout ou partie du sursis. V. pour les modalités, art. 495-8 CPP.

90
le procureur doit mettre en œuvre une autre procédure de poursuite. Dans le cas contraire, un
délai de rétractation de dix jours s’ouvre et à son terme, si le prévenu n’a pas souhaité se
rétracter, intervient la phase d’homologation486. Le recours à la CRPC n’est donc possible qu’à
la condition que le prévenu reconnaisse les faits qui lui sont reprochés 487, reconnaissance qui
doit impérativement se faire en présence d’un avocat488. La reconnaissance des faits par le
prévenu à ce stade peut s’avérer périlleuse pour la suite du litige fiscal. Le contribuable qui
contestait devant le juge de l’impôt les faits de fraude fiscale devra faire preuve d’une grande
prudence en acceptant le recours à la CRPC, eu égard aux conséquences qu’elle entraîne sur le
litige fiscal. En effet, la matérialité des faits objet de la CRPC « s’imposent au juge de
l’impôt »489. L’autorité de l’aveu pénal découle directement de la fonction d’homologation du
président du tribunal. Le rôle qui lui était initialement attribué était celui d’un simple contrôle
de légalité, par lequel il se prononçait uniquement sur la régularité de la procédure qui lui était
soumise. S’appuyant sur les textes en vigueur490, la doctrine démontrait déjà que son rôle en la
matière était bien plus étendu, allant jusqu’à un véritable contrôle de son « opportunité »491. La
loi n°2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice a
définitivement octroyé au président du tribunal un véritable contrôle d’opportunité, lequel peut
désormais « refuser l’homologation s'il estime que la nature des faits, la personnalité de
l'intéressé, la situation de la victime ou les intérêts de la société justifient une audience
correctionnelle ordinaire ou lorsque les déclarations de la victime entendue en application de
l'article 495-13 apportent un éclairage nouveau sur les conditions dans lesquelles l'infraction
a été commise ou sur la personnalité de son auteur »492. Alors que certains avaient déjà annoncé
que ce texte « permet tout au président »493, la chambre criminelle a récemment ajouté que
celui-ci pouvait se fonder sur d’autres motifs que ceux légalement prévus pour refuser

486
Art. 495-9 CPP, al. 2.
487
Art. 495-7 CPP in fine de l’article : « lorsque cette personne reconnaît les faits qui lui sont reprochés ».
488
Art. 495-9 CPP, al. 1er.
489
P. DUFOURQ, Justice négociée et lutte contre la fraude fiscale : quels enseignements tirer de la dernière CJIP
Google ? : D. actu, 17 octobre 2019.
490
Aux termes de l’article 495-11 du code de procédure pénale, le magistrat doit notamment vérifier que les peines
proposées sont « justifiées au regard des circonstances de l'infraction et de la personnalité de son auteur ».
491
Y. CAPDEPON, Juge du siège, Le juge du siège et l'évolution de la procédure pénale : juger ou contrôler ? :
Dr. pén. 2007, étude 15 ; V. aussi en ce sens, Cons. const, DC, 2 mars 2004, n°2004-492, considérant n°107.
492
Nouvel article 495-11-1 du CPP créé par l’article 59 de la loi n°2019-222 du 23 mars 2019 de programmation
2018-2022 et de réforme pour la justice, dont la constitutionnalité a été confirmée par une décision du Conseil
constitutionnel : Cons. const., QPC, 18 juin 2021, n°2021-918 : Procédures 2021, comm. 237, note J. BUISSON ;
Dr. pén. 2021, n°9, comm. 64, note W. ROUMIER.
493
J. PRADEL, Réforme de la justice - Notre procédure pénale à la recherche d'une efficacité à toute vapeur. Loi
n°2019-222 du 23 mars 2019, JCP G 2019, n°15, doctr. 406.

91
d’homologuer une CRPC494. Assurément, l’audience d’homologation laisse s’installer un
véritable débat sur le fond entre les parties495. La décision d’homologation qui contient l’aveu
du prévenu, est ainsi revêtue de l’autorité de chose jugée pour le juge fiscal496 et s’impose à lui.

96. Absence de mécanisme de protection. – Par ailleurs, aucun mécanisme de protection


qui empêcherait l’utilisation postérieure de l’aveu dans le cadre du litige fiscal, n’a été instauré
pour articuler la négociation sur l’action publique avec le litige fiscal en cours. Cette absence
contraste avec les dispositions de l’alinéa 2 de l’article 495-14 du code de procédure pénale qui
interdit aux parties et au parquet de faire état devant la juridiction d’instruction ou de jugement
des déclarations et documents transmis au cours de la CRPC en cas d’échec ou de refus
d’homologation de la CRPC. Si cet article interdit au juge pénal d’asseoir une condamnation
sur la base des documents issus de l’échec d’une CRPC497, il n’implique pas pour autant que
les pièces soient écartées du dossier pénal et partant, transmises au Trésor par le biais de
l’exercice de son droit de communication498. La reconnaissance des faits par le prévenu entraîne

494
Cass. crim., 30 mars 2021, n°20.86-358 : en l’espèce, une instruction était ouverte du chef de financement
illicite de parti politique à l’encontre de trois personnes. Le juge d’instruction avait, conformément à la circulaire
du 20 mars 2012 présentant les dispositions de la loi du 13 décembre 2011 relative à la répartition des contentieux
et à l’allègement de certaines procédures juridictionnelles étendant les procédures d’ordonnance pénale et de
comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité, décidé de disjoindre l’affaire car un seul des trois mis en
examen acceptait la CRPC. Le président du tribunal a refusé l’homologation au motif que la CRPC n’était pas
adaptée : les deux protagonistes de l’affaire n’ayant pas accepté la CRPC, seul le tribunal au fond aurait pu faire
la lumière sur le rôle de chacun d’eux. Saisie d’un pourvoi du procureur de la République, la chambre criminelle
devait dire si le président du tribunal avait ou non commis un excès de pouvoir (aucun recours n’est possible contre
une ordonnance de refus d’homologation, sauf si son examen fait apparaître un risque d’excès de pouvoir relevant
du contrôle de la Cour de cassation). Reprenant la décision du Conseil constitutionnel du 2 mars 2004 (Cons.
Const, DC, 2 mars 2004, n°2004-492, considérant n°107), la chambre criminelle affirme explicitement que les
motifs légaux de refus de la CRPC ne sauraient limiter le pouvoir d’appréciation du président du tribunal. V. les
commentaires de C. INGRAIN, P. MALLET, Homologation d’une CRPC : la fin de l’ère du « juge-tampon » : AJ
pén., 2021, p. 317 et F. FOURMENT, Politique d'action publique appliquée au plaider coupable sous contrôle du
président du tribunal judiciaire, Gaz. Pal., 31 août 2021, n°29, p. 65.
495
Cass. crim., 22 février 2012, n°11-82.786 : « Mais attendu qu'en prononçant ainsi, alors que s'instaure un débat
au fond devant le président du tribunal correctionnel, lequel, après avoir vérifié la réalité des faits et leur
qualification juridique, s'il décide d'homologuer la proposition du procureur de la République, constate
notamment que la personne, en présence de son avocat, reconnaît les faits reprochés et accepte la ou les peines
proposées, la cour d'appel a méconnu le principe ci-dessus rappelé ».
496
À notre connaissance, aucun arrêt de principe vient consacrer cette solution. Un arrêt de la CAA vient cependant
appuyer ce raisonnement : CAA de LYON, 6èmechambre, 25 août 2020, n°18LY04254 : « L'autorité absolue de la
chose jugée par les juridictions répressives ne s'attache qu'aux constatations de fait qui sont le soutien nécessaire
des jugements définitifs et statuent sur le fond de l'action publique. En vertu de l'article 495-11 du code de
procédure pénale, il en va ainsi des constatations de fait d'une ordonnance d'homologation rendue au terme de la
procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité et devenue définitive ».
497
V. en ce sens, Cass. crim., 30 novembre 2020, n°10-80.460.
498
V. infra, n°161 et s.

92
des conséquences importantes à ne pas négliger sur le plan fiscal puisque « le contribuable qui
a recours à une mesure de CRPC ne pourra se dédire devant le juge de l’impôt »499. L’aveu
tiré d’une CRPC conclue dans le cadre de la procédure pénale cristallise le litige fiscal,
l’administration s’assurant ainsi de voir ses pénalités fiscales recouvertes. C’est alors que
l’intention budgétaire de la CRPC transparaît. L’administration fiscale a également tout intérêt
à voir une société conclure une CJIP dans le cadre du litige pénal.

2) La CJIP, une alternative aux poursuites permettant de recouvrir les créances


fiscales

97. Exclusion initiale de la CJIP. – Inspirée des accords de justice négociée américains500,
la CJIP est un dispositif transactionnel entré en vigueur en 2016 avec la loi Sapin II501 au seul
profit des personnes morales. Codifiée à l’article 41-1-2 du code de procédure pénale, elle
« constitue un accord par lequel une personne morale accepte de se soumettre à certaines
obligations fixées par le procureur de la République en échange de l’extinction de l’action
publique »502. À l’instar de la CRPC, la CJIP s’est difficilement imposée en matière fiscale. La
version initiale503 de l’article 41-1-2 du code de procédure pénale limitait la conclusion d’une
CJIP à certaines infractions, à savoir la corruption, le trafic d’influence mais aussi le
blanchiment de fraude fiscale et leurs infractions connexes. Le texte excluait explicitement les
infractions « prévues aux mêmes articles 1741 et 1743 » du code général des impôts. Le Conseil
d’État s’est fermement opposé504 au projet d’introduire une procédure de « convention de
compensation d'intérêt public » lors de la présentation du projet de loi relatif à la lutte contre la
corruption et la transparence de la vie économique. Il relevait qu’« en l’absence de
contradiction et de débat public, l’intervention de la justice perd sa valeur d’exemplarité » et
qu’en conséquence, « le dispositif envisagé ne permettrait pas à la justice pénale d’assurer
pleinement sa mission »505.

499
P. DUFOURQ, Justice négociée et lutte contre la fraude fiscale : quels enseignements tirer de la dernière CJIP
Google ? : op. cit.
500
V. à ce sujet, A. ARTIGAS et P. BARBIER, Les conventions judiciaires d’intérêt public, Cahiers de droit de
l’entreprise n°1, janvier 2020, dossier 3.
501
Loi n°2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la
modernisation de la vie économique.
502
G. POISSONNIER, Fraude fiscale : le parquet de Nice signe sa première CJIP : AJ pén. 2020, p. 360.
503
Version en vigueur du 11 décembre 2016 au 25 octobre 2018.
504
CE, Avis, 24 mars 2016, n°391262.
505
Ibid, considérant n°13.

93
98. Inadaptation à la matière fiscale. – Malgré ces réticences, l’élargissement de la CJIP
à la matière fiscale a fini par s’imposer à la faveur de l’entrée en vigueur de la loi du 23 octobre
2018 relative à la lutte contre la fraude506. Tout comme la CRPC, la procédure suivie par la
CJIP semble poursuivre des objectifs contraires à ceux attribués au juge répressif dans la lutte
contre la fraude. La personne morale signataire échappe en effet à toute condamnation pénale
et par là même, à l’application des peines tant redoutées telles que la peine complémentaire
d’exclusion des marchés publics507. La doctrine ne manque pas de souligner ce paradoxe508 :
« on permet à la justice de se saisir des affaires de fraude fiscale pour finalement les traiter
comme l’administration et proposer une transaction. Assouplir le verrou de Bercy pour, dans
le même temps, étendre une procédure qui permet aux fraudeurs d’éviter toute déclaration de
culpabilité et toute trace de leur passage dans la sphère judiciaire »509. Pourtant, les
conclusions de CJIP affluent et jouissent d’une grande publicité, favorisée par l’alinéa 13 de
l’article 41-1-2 du code de procédure pénale qui énonce que « l'ordonnance de validation, le
montant de l'amende d'intérêt public et la convention sont publiés sur les sites internet des
ministères de la justice et du budget »510.

99. Logique budgétaire de la CJIP : amende d’intérêt public. – Dans la lutte contre la
fraude, c’est la logique budgétaire de la CJIP qui est en réalité plébiscitée par les pouvoirs
publics. La conclusion d’une telle convention permet en effet à la personne morale de se
soustraire à la mise en œuvre de l’action publique en contrepartie de l’exécution intégrale des
obligations prévues. Celles-ci peuvent être de deux types ainsi que l’indique l’article 41-1-2 du
code de procédure pénale. La personne morale peut être contrainte de « verser une amende
d'intérêt public au Trésor public » ou de « se soumettre, pour une durée maximale de trois ans

506
Loi n°2018-898 du 23 octobre 2018 relative à la lutte contre la fraude, art. 25.
507
V. supra, n°47.
508
Cette remarque doit être relativisée au regard de la grande publicité attachée au CJIP. Celles-ci font l’objet
d’une publication en ligne (http://www.justice.gouv.fr/publications-10047/cjip-13002). Auparavant publiées sur
le site de l’Agence française anticorruption (https://www.agence-francaise-anticorruption.gouv.fr/fr/convention-
judiciaire-dinteret-public), les CJIP font désormais l’objet d’une publication sur les sites internet du ministère de
la justice, du ministère chargé de l'environnement et de la commune (art. 41-1-3 du CPP, créé par art. 15 loi
n°2020-1672 du 24 décembre 2020 relative au Parquet européen, à la justice environnementale et à la justice pénale
spécialisée).
509
S.-M. CABON, Fraude fiscale - Entre pragmatisme et idéalisme, quelle place pour la négociation en droit pénal
fiscal ? : Dr. fisc. n°11, 14 mars 2019, 199.
510
Dans sa version initiale, l’article prévoyait que la publication avait lieu sur le site internet de l'Agence française
anticorruption.

94
et sous le contrôle de l'Agence française anticorruption, à un programme de mise en
conformité ». Selon la lettre du texte511, le montant de l’amende d’intérêt public est « fixé de
manière proportionnée aux avantages tirés des manquements constatés, dans la limite de 30 %
du chiffre d'affaires moyen annuel calculé sur les trois derniers chiffres d'affaires annuels
connus à la date du constat de ces manquements ». En faisant varier le montant de l’amende en
fonction de « l’économie d’impôt réalisée »512, celle-ci présente indéniablement un « aspect
restitutif »513. Le recours à la CJIP contribue alors à faire rentrer dans les caisses de l’État le
montant tiré de la fraude. Les conventions récemment conclues montrent que cet objectif est
largement atteint, tant leurs montants sont démesurés : 30 millions d’euros pour la Société
anonyme Carmignac Gestion514 ou encore 500 millions pour les filiales française et irlandaise
de la société Google515.

100. Réparation du préjudice causé au Trésor. – Plus encore, c’est l’alinéa 5 de l’article
41-1-2 du code de procédure pénale qui offre à la CJIP une intention explicitement restitutive.
Il y est énoncé que « lorsque la victime est identifiée, et sauf si la personne morale mise en
cause justifie de la réparation de son préjudice, la convention prévoit également le montant et
les modalités de la réparation des dommages causés par l'infraction dans un délai qui ne peut
être supérieur à un an ». Contrairement au principe selon lequel la procédure pénale ne peut
avoir pour objet de réparer le préjudice causé par la fraude516, cette disposition permet
explicitement à l’administration fiscale de se voir octroyer le versement de dommages et
intérêts. Il s’agit là d’une possibilité théorique qui, à notre connaissance, n’a pas encore reçu
application en matière de fraude fiscale517. Il n’en demeure pas moins que cette éventualité
existe, en témoigne la rédaction des conventions conclues, contenant souvent un paragraphe
intitulé « réparation du préjudice de la victime »518. L’on y apprend que conformément à
l’alinéa 6 de l’article 41-1-2 du code de procédure pénale, la victime, qui ne peut être en l’espèce

511
Art. 41-1-2 CPP, al. 2.
512
E. MEIER, A. CALLOUD, M. VALETEAU, Retour sur deux ans d'application de la CJIP à la fraude fiscale :
Feuillet Rapide Fiscal Social 3/21, 8 janvier 2021, p. 22.
513
Ibid.
514
CJIP du 20 juin 2019 et homologuée 8 jours plus tard, disponible en ligne sur le site de l’AFA.
515
CJIP du 3 septembre 2019 homologuée le 12 septembre 2019, disponible en ligne sur le site de l’AFA.
516
V. supra, n°35 et s. et 149 et s.
517
V. cependant pour un exemple en matière de blanchiment de fraude fiscale, l’exemple de la CJIP conclue avec
la SA HSBC Private Bank (Suisse) les 18 et 30 octobre 2018.
518
V. par exemple la CJIP Google, p. 5 ou la CJIP JP Morgan Chase Bank, p. 6, disponibles en ligne
respectivement sur les sites de l’AFA et des ministères de la justice et du budget.

95
que le fisc, reçoit un avis l’invitant à transmettre « tout élément permettant d'établir la réalité
et l'étendue de son préjudice ». Cette possibilité contribue à brouiller les pistes dans le
cloisonnement des objectifs des procédures fiscale et pénale, celles-ci poursuivant toutes deux
un objectif restitutif.

101. Réparation du préjudice exclusivement par la voie pénale. – Les exemples de CJIP
ainsi conclues aboutissent à des situations encore plus ubuesques. Ce dispositif offre à
l’administration un véritable levier dans le recouvrement de la créance fiscale, dans des
hypothèses où la procédure fiscale avait pourtant contribué à annuler les redressements mis à
la charge du contribuable. Tel est le cas de la CJIP Google, qui posait la question de savoir si
la société irlandaise possédait ou non un établissement stable en France en la personne de sa
filiale, avec laquelle un contrat de prestation d’assistance avait été conclu. Alors que
l’administration fiscale avait opéré des redressements fiscaux sur la base de ce postulat, le juge
fiscal a considéré au contraire que la société irlandaise ne disposait pas d’un établissement
stable en France, annulant alors définitivement519 les suppléments d’impôts mis à sa charge.
Sur la plainte déposée par l’administration fiscale, une enquête pénale était parallèlement
ouverte des chefs de fraude fiscale et blanchiment de ce délit. Aux termes des investigations, le
Parquet national financier soutenait que la rémunération de la filiale française « était
insuffisante au regard de l’étendue des fonctions exercées et des risques associés supportés »520
par celle-ci et qu’en conséquence, les qualifications pénales pouvaient s’appliquer à leur
encontre. L’existence de ce risque pénal a suffi à la société Google pour accepter le
redressement fiscal précédemment annulé par la juridiction administrative. Un accord
transactionnel entre le fisc et la société mise en cause a ainsi été conclu le 19 juillet 2019521,
soit après que les redressements aient été annulés par le juge fiscal mais avant que la CJIP ne
soit signée. En outre, la conclusion de la convention a permis de lui infliger une amende d’un
montant de 500 millions d’euros, partagé entre la filiale française et la société irlandaise522.

102. Objectif budgétaire au profit de l’administration fiscale. – Cet exemple démontre


parfaitement l’intérêt que peuvent représenter ces mécanismes de transaction dans la lutte

519
TA Paris, 1ère sect., 1ère ch., 12 juillet 2017, n°1505178, Sté Google Ireland Ltd : JurisData n°2017-013862
confirmé par CAA Paris, 9ème ch., 25 avril 2019, n°17PA03065 : JurisData n°2019-006911.
520
CJIP du 3 septembre 2019 homologuée le 12 septembre 2019, disponible en ligne sur le site de l’AFA, p. 3.
521
Ibid, p. 4.
522
46 728 709 euros pour la SARL Google France et 453 271 291 euros pour Google Ireland Limited.

96
contre la fraude. La CJIP a ici servi de levier à l’administration fiscale pour recouvrer une
créance fiscale pourtant annulée par le juge fiscal. Devenir le secours de l’administration fiscale
« pour rattraper les errements de ses propres procédures »523 n’était pourtant pas l’objectif
initialement poursuivi par la procédure pénale. L’administration fiscale trouve donc dans les
mécanismes de négociation sur l’action publique un moyen de percevoir l’argent éludé par la
fraude. Le Parquet national financier ne s’en cache pas lorsqu’il écrit sur le site internet du
tribunal judiciaire de Paris que le recours à la procédure de CRPC « favorise donc le
recouvrement de ces sommes par le Trésor public »524. Un autre instrument de la procédure
pénale, situé cette fois-ci en aval d’un jugement de condamnation, lui garantit le recouvrement
de l’imposition fraudée et des pénalités prononcées.

B) La solidarité fiscale, garantie du recouvrement de la créance fiscale

103. Présentation du mécanisme. – Pour recouvrer l’impôt dû, auquel s’adjoignent


éventuellement des pénalités en cas de fraude, plusieurs dispositifs sont mis à la disposition de
l’administration fiscale. Dans le cas où le contribuable ne s’acquitte pas volontairement de sa
dette, le Trésor peut procéder à son recouvrement forcé dans les conditions de droit commun, à
ceci près qu’il bénéficie d’un privilège qui place sa créance à un rang prioritaire 525. À cela
s’ajoute la faculté pour l’administration fiscale d’élargir le champ des débiteurs de la dette
fiscale par le concours de la solidarité. Ce mécanisme consiste dans « la possibilité qu’à
l’administration de s’adresser à des tiers solidairement responsables du paiement de
l’impôt »526. Il en existe plusieurs sortes, et notamment la solidarité entre époux527, la solidarité
des dirigeants de société528 ou encore celle des comptables529. De la même façon, la tenue du
procès pénal peut être l’occasion pour l’administration fiscale de se constituer une nouvelle
garantie pour s’assurer du recouvrement de sa créance. L’article 1745 du code général des
impôts permet en effet de rendre solidaires « tous ceux qui ont fait l'objet d'une condamnation

523
B. PICARD et C. CHERRUAULT, La convention judiciaire d'intérêt public Google, ou comment la procédure
pénale a sauvé une rectification fiscale : Revue Internationale de la Compliance et de l'Éthique des Affaires n°6,
décembre 2019, comm. 200.
524
Publication du Parquet national financier sur le site internet du tribunal judiciaire de Paris, disponible en ligne :
https://www.tribunal-de-paris.justice.fr/sites/default/files/2021-10/CRCP%20VERSION%20FINALE.pdf.
525
V. pour le privilège du Trésor, les art. 1920 et s. du CGI.
526
J. GROSCLAUDE, P. MARCHESSOU, Procédures fiscales, op. préc., p. 134.
527
Art. 1691 bis CGI.
528
Art. L. 267 LPF.
529
Art 60 I de la loi n°63-156 du 23 février 1963 de finances pour 1963.

97
définitive » prononcée des chefs de fraude fiscale, complicité de fraude fiscale ou du délit
comptable, « avec le redevable légal de l'impôt fraudé, au paiement de cet impôt ainsi qu'à
celui des pénalités fiscales y afférentes ». En application de cette disposition, le complice de la
fraude fiscale pourra être tenu du paiement de l’impôt fraudé avec le redevable légal, tout
comme le dirigeant social personne physique condamné pénalement pour un impôt dû par la
société qu’il représente.

104. Historique de la solidarité. – Introduit dans le code général des impôts en 1959530, ce
dispositif avait initialement pour but de pallier l’insuffisance de la solidarité pénale de l’article
55 de l’ancien code pénal531 qui ne concernait que les co-auteurs et les complices. Celle-ci ne
s’adressait alors qu’aux seules personnes physiques condamnées définitivement pour fraude
fiscale, à l’exception des personnes morales échappant dans le passé, à toute responsabilité
pénale. C’était là toute la faiblesse du mécanisme comme le relevait Monsieur G. KLEIN :
« très souvent en matière fiscale, le redevable légal de l’impôt fraudé est une société »532. La
solidarité pénale de l’article 1745 est venue « remédier »533 à cette carence en permettant au
juge pénal de prononcer à l’encontre du condamné, une solidarité fiscale avec le redevable légal
de l’impôt fraudé. La solidarité intéresse donc le fisc lorsque le redevable légal de l’impôt et le
condamné ne sont pas la même personne, en faisant peser sur ce dernier une « dette extérieure
à son patrimoine »534. Bien que la responsabilité pénale des personnes morales soit désormais
parfaitement acquise en matière pénale535, ce mécanisme conserve toujours son intérêt puisque
les poursuites pénales continuent de viser principalement les dirigeants de droit ou de fait de la
société536.

105. Inconstance de la nature de la solidarité. – Destinée à faciliter la réparation du


préjudice pécuniaire engendré par la fraude, la solidarité de l’article 1745 a toujours présenté

530
Art. 77 de la loi n°59-1472 du 28 décembre 1959 : V. à ce propos G. KLEIN, La répression de la fraude fiscale,
Étude sur le particularisme du droit pénal des impôts, op. cit., p. 247.
531
Cet ancien article énonçait : « Les personnes condamnées pour un même crime ou pour un même délit sont
tenues solidairement des restitutions et des dommages-intérêts ». Il est devenu l’article 480-1 du CPP.
532
G. KLEIN, La répression de la fraude fiscale, Étude sur le particularisme du droit pénal des impôts, op. cit.,
p. 249, n°272.
533
Ibid.
534
S. DETRAZ, Solidarité́ fiscale : compétence de l'administration fiscale en appel : RSC 2013. 579.
535
Responsabilité introduite par la loi n°92-683 du 22 juillet 1992 portant réforme des dispositions générales du
code pénal.
536
V. infra, n°292 et s.

98
un caractère original. L’histoire de la nature de ce dispositif est celle de son « inconstance »537.
Les premiers arrêts se prononçant sur la question démontrent l’embarras de la chambre
criminelle dans la qualification de cette mesure. Un arrêt de 1982 a semblé tout d’abord
rattacher la solidarité à une mesure de « réparation civile »538. En l’espèce, la cour d’appel de
Nancy avait ordonné la solidarité à l’encontre d’une prévenue poursuivie des chefs de fraude
fiscale et d’omission de passation d’écritures, alors que le Trésor avait explicitement demandé
à la juridiction de ne pas la prononcer. La chambre criminelle a cassé l’arrêt, rappelant dans un
motif de principe que « les juges du fond ne peuvent statuer sur les réparations civiles que dans
la limite des conclusions dont ils sont saisis ». Lorsqu’ils statuent sur l’action civile, les juges
ne peuvent accorder plus qu’il n’a été demandé par la partie civile. Par cette décision, la
solidarité était formellement rattachée à une mesure civile de réparation dans les mains de
l’administration fiscale.

Malgré ce caractère civil, la solidarité fait supporter au condamné une charge


supplémentaire substantielle qui vient s’ajouter à la peine prononcée. Aussi la chambre
criminelle a-t-elle rapidement admis qu’elle constituait une véritable « sanction
complémentaire »539. Puis la solidarité a été qualifiée de « sanction de nature pénale »540 pour
ensuite être rangée à compter de 1996, dans la catégorie sui generis des « mesures à caractère
pénal »541. Cette classification ne découle d’aucun texte : elle est une œuvre jurisprudentielle
qui permet à la chambre criminelle « de lui faire produire les effets qu’elle désire »542. Selon
les auteurs543, l’appartenance de la solidarité aux mesures à caractère pénal s’explique par le
fait que son prononcé soit subordonné à l’existence d’une condamnation pénale. Le juge
répressif ne peut en effet la prononcer que s’il condamne le prévenu du chef de l’une des
infractions visées à l’article 1745 du code général des impôts.

106. Régime de la solidarité. – Le ralliement aux mesures à caractère pénal se heurtait


cependant à la règle selon laquelle l’administration fiscale dispose d’une compétence exclusive

537
S. DETRAZ, Solidarité fiscale : compétence de l'administration fiscale en appel, op. cit.
538
Cass. crim., 18 octobre 1982, n°81-93.500.
539
Cass. crim., 10 juin 1987, n°86-94.488.
540
Cass. crim., 12 novembre 1984, n°83-92.805.
541
Quatre arrêts du même jour : Cass. crim., 29 février 1996, n°93-84.785, n°92-84.481, n°93-84.692 et n°93-
84.616.
542
S. DETRAZ, Solidarité fiscale : compétence de l'administration fiscale en appel, op. cit.
543
V. en ce sens, S. DETRAZ, La nature de la solidarité de l'article 1745 du CGI : Dr. fisc., n°50, 13 décembre
2012, 551 ou J.-C. ROGNON, La solidarité fiscale est-elle une mesure pénale ? : Bull. fisc., 4/13, p. 197.

99
pour solliciter le prononcé d’une telle mesure. La solution est ancienne et a été confirmée par
plusieurs arrêts du début des années 2000544. Le régime applicable à la mesure de solidarité était
donc celui d’une réparation civile classique. Cette position classique a été battue en brèche par
plusieurs arrêts de 2010545 qui ont brutalement détaché le prononcé de la mesure des mains du
Trésor public. Un arrêt du 4 novembre 2010 énonce clairement que « la solidarité (…) est une
mesure pénale ; qu'il s'ensuit que les juges du second degré, saisis du seul appel de
l'administration fiscale, ne peuvent prononcer une telle mesure qui avait été écartée par le
tribunal après déclaration de culpabilité du prévenu, du chef de fraude fiscale »546. La
contrariété entre ces arrêts, rendus par des magistrats appartenant à la même chambre, révèle
toute la complexité pour qualifier cette mesure singulière. À partir d’une décision du 16 janvier
2013547, la chambre criminelle a définitivement redonné à la solidarité son régime civil.
Prononçant une condamnation pour fraude fiscale, les premiers juges avaient rejeté la requête
de l’administration sollicitant le prononcé de la solidarité. Saisie du seul appel du Trésor et
appliquant la dernière jurisprudence en vigueur, la cour d’appel a logiquement refusé de la
prononcer. Le raisonnement a pourtant été censuré par la chambre criminelle qui a énoncé dans
un motif de principe que « lorsque les juges prononcent une condamnation pour fraude fiscale
en application des articles 1741, 1742 et 1743 du code général des impôts, l’administration
fiscale, partie civile, est recevable devant la juridiction du second degré, y compris sur son seul
appel, à demander que soit prononcée la solidarité du condamné avec le redevable légal des
impôts fraudés ». Depuis, la solution a été confirmée par plusieurs arrêts548 et le rattachement
de la solidarité aux dispositions civiles du jugement semble aujourd’hui pérenne. Ce

544
Cass. crim., 18 septembre 2002 n°01-87.824 : « Mais attendu qu'en cet état, alors que l'administration des
Impôts n'a pas interjeté appel et que la solidarité, prévue à l'article 1745 du Code général des impôts, ne peut être
prononcée par les juridictions répressives qu'à sa requête, la cour d'appel a méconnu le sens et la portée des textes
susvisés » ou Cass. crim., 15 juin 2005, n°04-86.254 : « Mais attendu qu'en cet état, alors que l'administration des
Impôts n'a pas interjeté appel et que la solidarité, prévue à l'article 1745 du Code général des impôts, ne peut être
prononcée par les juridictions répressives qu'à sa requête, la cour d'appel a méconnu le sens et la portée des textes
susvisés ».
545
V. notamment Cass. crim., 19 mai 2010, n°09-83.970 : « Attendu qu'en prononçant ainsi, et dès lors que la
solidarité prévue par l'article 1745 du code général des impôts, mesure à caractère pénal, peut être prononcée
même en l'absence d'appel de l'administration fiscale, la cour d'appel a justifié sa décision » : Bull. crim.
n°89 ; Dr. pén. 2010, comm. 96 ; Dr. fisc. 2010, n°28, 412.
546
Cass. crim., 4 novembre 2010, n°10-81.825, S. DETRAZ, Un an de droit pénal fiscal et douanier (septembre
2010-août 2011), Dr. pén. 2011, comm. 8 ; Dr. fisc. 2011, n°3, comm. 111, R. SALOMON.
547
Cass. crim., 16 janv. 2013, n°12-82.546 : Bull. crim n°14, Dr. pénal 2013, comm. 92, obs. J.-H. ROBERT, RSC
2013, p. 579, obs. S. DETRAZ.
548
Cass. crim., 11 décembre 2013, n°13-80.048 : Dr. fisc. 2014, n°4, comm. 86, R. SALOMON ; Cass. crim., 22
janvier 2014, n°13-80.881 et 13-80.998 : Dr. fisc. 2014, n°19, comm. 297, R. SALOMON ; Cass. crim., 28
septembre 2016, n°15-83.085 : Dr. fiscal 2016, n°45, comm. 576.

100
rattachement signifie clairement que l’administration fiscale a un rôle à jouer devant le juge
pénal au titre de l’action civile, et donc dans l’aspect restitutif de la fraude fiscale.
Conformément à cette solution, la décision pénale prononçant la solidarité de l’article 1745
constitue « par sa nature même »549 un titre exécutoire permettant à l’administration fiscale de
poursuivre à l’encontre du codébiteur solidaire le recouvrement de la créance fiscale selon les
dispositions du droit commun. La solidarité de l’article 1745 représente pour l’administration
fiscale une garantie substantielle du recouvrement de l'impôt fraudé et des pénalités y afférentes.
Avec ce dispositif, la procédure pénale participe explicitement550 à la mission de percevoir dans
les caisses de l’État l’argent engendré par la fraude.

107. Dérives dans la répartition des objectifs des procédures. – En définitive, les
attributions qui ont été conférées au juge pénal ne concourent pas à offrir à la procédure suivie
l’exemplarité recherchée. La procédure pénale semble animée d’une efficacité budgétaire au
service de l’administration fiscale. L’intervention du juge répressif dans la lutte contre la fraude
fiscale facilite l’action de l’administration dans le recouvrement des créances fiscales, voire
dans certains cas il se substitue à elle dans cette tâche. La procédure pénale « ne cherche pas à
restaurer l’ordre social mais à remplir les caisses de l’État »551. Le détournement de l’objectif
répressif de la procédure pénale est largement contestable. Finalement, les procédures pénale
et fiscale participent toutes deux aux mêmes fins, celles de réprimer sévèrement la fraude et de
collecter à tout prix le produit de la contribution commune fraudée. Les réformes législatives
récentes ont contribué à brouiller les pistes dans la répartition des rôles des juges pénal et fiscal
dans la lutte contre la fraude.

549
CAA Nantes, 8 octobre 2015, n°14NT03355.
550
Explicitant le rôle de la procédure pénale dans la lutte contre la fraude fiscale, le Conseil constitutionnel a
affirmé : « Les dispositions contestées de l'article 1741 du code général des impôts répriment la dissimulation
frauduleuse d'éléments nécessaires à l'établissement de l'impôt principalement par des amendes et des peines
d'emprisonnement. Elles visent ainsi à garantir l'accomplissement volontaire par les contribuables de leurs
obligations fiscales. Les poursuites engagées sur le fondement de l'article 1741 ont un caractère public qui leur
confère une exemplarité et une portée dissuasive supplémentaire pour l'ensemble des personnes susceptibles de
manquer frauduleusement à leurs obligations fiscales. L'article 1741 du code général des impôts permet également
de recouvrer la contribution commune dès lors que toute personne ayant fait l'objet d'une condamnation sur son
fondement est, par application de l'article 1745 du même code, solidairement tenue avec le redevable légal au
paiement de l'impôt fraudé et des majorations afférentes » : Cons. const. QPC, 24 juin 2016, n°2016-546 et 2016-
545, préc., considérant n°19.
551
O. DEBAT, Souveraineté, citoyenneté, liberté le droit pénal fiscal en quête d'équilibre, op. cit., p. 804.

101
CONCLUSION DU CHAPITRE PREMIER

108. Légitimité acquise du cumul des procédures pénale et fiscale en présence


d’objectifs distincts. – La notion de valeur protégée nous a initialement permis de déterminer
les intentions de chacune des procédures. Lorsque la tenue de la procédure fiscale protégeait
les principes constitutionnels de nécessité et de consentement à l’impôt, la procédure pénale
soutenait quant à elle le principe d’égalité devant les charges publiques. En réalité, la notion de
valeur protégée est impuissante à dissocier les intentions poursuivies par chacune des
procédures. En effet, toute fraude fiscale lèse non pas les seuls intérêts du Trésor mais ceux de
la société toute entière. Ce sont les fondements mêmes de l’État qui sont atteints et partant,
l’affliction des pénalités fiscales est une réalité au service de l’intérêt général. En sanctionnant
la fraude fiscale, les pouvoirs publics cherchent à assurer le respect de normes qui concernent
la société dans son entièreté. Par ailleurs, l’égalité devant les charges publiques ne peut être
protégée par la seule tenue du procès pénal. La fraude fiscale écorche simultanément les
principes de nécessité et de consentement à l’impôt ainsi que le principe d’égalité devant les
charges publiques.

Parce que les enjeux sont considérables, notre système juridique a choisi de combattre
la fraude fiscale par le concours des répressions pénale et fiscale. La complémentarité renvoie
à l’idée de s’unir à quelque chose pour être supérieur. Monsieur O. DEBAT résume
parfaitement la vigueur qui résulte de l’addition de ces deux formes de répression : « ces deux
droits cherchent à préserver la société globale contre sa possible ruine, en instituant l’ordre et
en lui assurant ses ressources, desquelles dépendent la permanence de ses institutions et son
fonctionnement. L’un comme l’autre sont l’expression de sa souveraineté, notion qui implique
un pouvoir de contrainte publique, lequel peut se traduire notamment par des mesures de
coercition tant sur le patrimoine que sur la personne des individus. Comme le droit fiscal, le
droit pénal est un droit venu du sommet. Chacun d’eux est le symbole de l’État en puissance,
un droit « jupitérien ». L’affirmation est alors d’autant plus vraie lorsqu’ils sont réunis »552.
Dans la répression de la fraude, c’est l’union des traits singuliers des procédures pénale et
fiscale qui offre à la lutte une réprobation infaillible. En ce sens, la coexistence d’une addition
des répressions nous paraît constituer une nécessité.

552
O. DEBAT, Souveraineté, citoyenneté, liberté le droit pénal fiscal en quête d'équilibre, op. cit., p. 775.

102
109. Illégitimité du cumul des procédures pénale et fiscale en présence d’objectifs
similaires. – Si la légitimité du cumul est acquise, elle ne l’est jamais définitivement. Elle
tombe lorsque les procédures pénale et fiscale ne répondent plus à des objectifs
complémentaires, mais similaires553. Si les pouvoirs publics ont choisi d’additionner les forces
des deux répressions pour combattre efficacement la fraude fiscale, chacune des procédures
doit se cantonner à ses traits caractéristiques motivant sa présence dans le champ du droit pénal
fiscal. Pourtant, force est de constater que « le droit pénal fiscal comporte de nombreuses
dérives qui font de ce droit un instrument au service de l’efficacité de la répression, protégeant
davantage les intérêts financiers de l’État gestionnaire que la société proprement dite »554. La
confusion des rôles trouve sa cause l’absence d’articulation substantielle instaurée par le
législateur. D’un côté, le législateur a souhaité gommer la priorité accordée à la procédure
fiscale et redonner au juge pénal son entière liberté dans l’opportunité des poursuites mais de
l’autre, l’appréciation du juge fiscal est toujours préférée, aux motifs qu’il est toujours le mieux
qualifié pour juger des faits de fraude fiscale. D’une part, l’exemplarité du procès pénal est
soulignée mais d’autre part, la tenue d’un procès simplifié est encouragée, ou plus encore, il est
permis que ce procès n’ait tout simplement pas lieu, alors même que la fraude porte sur un
montant exceptionnel de droits fraudés. Aux yeux des pouvoirs publics, ces choix sont
profitables à la lutte contre la fraude fiscale, tant ils permettent de rétablir dans les caisses
étatiques des montants élevés. Au lendemain de l’entrée en vigueur de la loi relative à la lutte
contre la fraude, les recettes recouvrées par l’État ont augmenté de 40% par rapport à l’année
2018555. Mais c’est alors toute la légitimité du cumul entre les procédures pénale et fiscale,
reposant sur le postulat de leur complémentarité, qui vacille au service de cette efficacité
budgétaire. Dans le combat contre la fraude fiscale, le juge pénal doit recentrer son action sur
la réparation du trouble social engendré par la fraude. Sa sanction pénale doit avoir pour unique
but d’« inciter l’individu déviant à revenir dans le droit chemin »556. Il ne saurait en revanche

553
Voir en ce sens, Cass. crim., 30 mars 2016, n°16-90.001 : « qu'il en résulte que les répressions fiscale et pénale
pourraient être admises comme protégeant les mêmes intérêts sociaux ».
554
O. DEBAT, Souveraineté, citoyenneté, liberté le droit pénal fiscal en quête d'équilibre, op. cit., p. 777.
555
V. en ce sens, F. PERROTIN, Bercy communique sur les résultats de la lutte contre la fraude fiscale : LPA 20
janvier 2020, n°014, p. 4. Selon le rapport d’activité 2020 de la Direction générale des finances publiques
(disponible en ligne :
https://www.economie.gouv.fr/files/files/directions_services/dgfip/Rapport/2020/ra2020.pdf?v=1638528598), le
rendement budgétaire du contrôle fiscal ne cesse d’augmenter : 7,8 milliards d’euros en 2018, 11 milliards en
2019.
556
Ibid, p. 780.

103
devenir un « percepteur »557 de l’impôt. La procédure pénale doit venir « « en plus » et non «
à la place de » »558 la procédure fiscale. L’élément déterminant qui légitime le cumul des
procédures pénale et fiscale réside dans la différence des buts poursuivis par chacune d’elles.
Dès que la procédure fiscale stigmatisme les fraudeurs, ou que la procédure pénale a également
pour objet de recouvrir les créances fiscales, la différence conceptuelle entre les objectifs
disparaît et l’addition de deux procédures pour les mêmes faits ne se justifie plus. Il serait donc
préférable de revenir à une orthodoxie de principe, cantonnant le juge pénal à son rôle répressif,
et laissant à la procédure fiscale le soin de restituer au fisc le montant de la fraude. Seule cette
répartition pourra légitimer à l’encontre d’un même contribuable, un cumul des procédures
pénale et fiscale.

110. Complémentarité va de pair avec l’harmonie. – Si les procédures pénale et fiscale


agissent en complémentarité, leurs interventions simultanées ou successives doivent être en
parfaite harmonie. L’addition des procédure pénale et fiscale constitue un ensemble qui ne peut
être séparé sans risque d’incohérences. Il apparaît inconcevable que l’un des deux juges saisis
ignore la procédure parallèlement ouverte à l’encontre d’un même contribuable et pour les
mêmes faits. Pour assurer la complémentarité des procédures pénale et fiscale, il est
indispensable qu’une coopération s’installe entre elles. La légitimité de leur cumul tient donc
tout autant à l’existence de rapports qui se nouent entre les juges pénal et fiscal.

557
Ibid.
558
E. DREYER, Droit pénal général, op. cit., p. 70, n°86.

104
CHAPITRE II. LES RAPPORTS ENTRE LES PROCÉDURES
PÉNALE ET FISCALE

111. Silence du législateur : genèse du principe d’indépendance des procédures. – Pour


réprimer sévèrement la fraude, les procédures pénale et fiscale se déroulent, successivement ou
simultanément, à l’encontre de la même personne. En dépit de cette analogie, le législateur n’a
pas entendu régler la question des relations qui se nouent entre elles. Dans le silence de la loi,
la jurisprudence est venue proclamer un principe d’indépendance des procédures pénale et
fiscale, fondé sur une prétendue différence de leur objet et de leur nature. Ce principe, qui
gouverne les rapports entre les deux contentieux depuis plusieurs décennies, implique que
chacun d’entre eux se déploie sans que l’autre ne puisse s’immiscer dans son déroulement. Le
principe d’indépendance postule que les procédures pénale et fiscale prennent l’aspect de deux
lignes parallèles. Aucune relation ne doit se nouer entre les contentieux. Celles-ci peuvent
parfaitement s’ignorer ; elles sont hermétiques et étanches. Cette règle induit un véritable
« compartimentage contentieux »559. Toute idée de croisement, de passerelle, de dialogue, et
donc d’articulation entre les procédures, est ainsi bannie.

112. Légitimité incertaine en l’absence de relations entre les procédures pénale et


fiscale. – Or, comment la répression de la fraude fiscale peut-elle être efficiente si les
procédures chargées de la réprimer se conduisent séparément ? Comment admettre que les deux
juges saisis des mêmes faits s’ignorent mutuellement ? Comment faire comprendre à un
contribuable qu’un juge peut, à l’examen des mêmes pièces du dossier, prendre le parfait
contrepied de son homologue ? Assurément, la légitimité du cumul des procédures pénale et
fiscale commande la création de liens entre elles et donc la nécessité de dépasser le principe
d’indépendance (Section I). Débarrassée de ce principe, l’analyse des relations entre les
procédures pénale et fiscale révèle l’existence d’une véritable interdépendance (Section II).

559
S. RAIMBAULT de FONTAINE, Du principe d’indépendance des contentieux pénal et fiscal à l’unité des
procédures fiscale et répressive, op. cit.

105
SECTION I. LE NÉCESSAIRE DÉPASSEMENT DU PRINCIPE
D’INDÉPENDANCE

113. Principe jurisprudentiel aux fondements fragiles. – Depuis plusieurs décennies, les
relations entre les procédures pénale et fiscale sont dictées par un principe d’indépendance. La
recherche des origines de ce principe s’impose car celui-ci ne découle d’aucun texte. Il est le
fruit d’une œuvre prétorienne, principalement celle de la chambre criminelle de la Cour de
cassation. Depuis plusieurs décennies, celle-ci affirme constamment, voire inlassablement560
que « les poursuites pénales instaurées sur les bases de l'article 1835 du code général des
impôts et la procédure administrative tendant à la fixation ou au recouvrement de l'impôt sont
par leur nature et leur objet, différentes et indépendantes l'une de l'autre »561. De son côté, le
juge fiscal se montre plus réservé dans la formulation d’un tel principe562, bien qu’il n’hésite
pas à lui faire déployer ses effets pour refuser l’immixtion du juge pénal dans son espace
juridictionnel563. La Cour de Strasbourg a également fait sienne la position des juges internes,
admettant que « la procédure administrative et la procédure pénale sont indépendantes et ont
des objets et finalités différents »564. Bien que solidement ancré dans notre ordre juridique, il
est apparu particulièrement délicat d’en saisir les contours et d’identifier sa nature juridique.
Pour tenter d’appréhender ce principe, la doctrine utilise de multiples vocables. Reprenant les

560
Cass. crim., 16 mai 1968, n°68-90.871 ; Cass. crim., 9 avril 1970, n°68-92.282 ; Cass. crim., 4 juin 1970, n°69-
93.414 ; Cass. crim., 12 mai 1976, n°75-91.792, Lecomte ; Cass. crim., 5 juillet 1976, n°75-93.347 ; Cass. crim.,
4 septembre 2002, n°01-85.598 ; Cass. crim., 11 janvier 2006, n°05-82.674 ; Cass. crim., 13 juin 2012, n°11-
84.092 ; Cass. crim., 13 juin 2012, n°11-86.163.
561
Cass. crim., 12 février 1958 : Bull. crim., n°147 ; Cass. crim., 24 mai 1967, n°63-92.376.
562
À notre connaissance, le Conseil d’État a formulé le principe d’indépendance des procédures pénale et fiscale
dans un seul arrêt : CE, 5 mai 2011, n°311770. V. également CE, 30 juillet 2010, n°316757 et 316758 : dans ces
arrêts, les contribuables estimaient que l’administration avait exclusivement fondé ses redressements sur des
éléments recueillis auprès du juge pénal. Bien que le moyen au pourvoi était directement « tiré de ce que
l'administration aurait méconnu le principe d'indépendance des procédures fiscale et pénale », le Conseil d’État
a écarté lapidairement le motif sans reprendre ni viser le principe d’indépendance des procédures.
563
V. notamment pour empêcher que les vices de la procédure pénale ne contaminent sa procédure : CE, Section,
6 décembre 1995, n°90914, Navon ; CE, Section, Avis, 1er mars 1996, n°174245 et 174246, SARL France
Finibeton et n°174 244, M. Égot, conclusions F. LOLOUM : Dr. fisc. n°39, 25 septembre 1996, comm. 1153.
564
Cour EDH, 11 mai 2010, Versini c/ France, req. n°11898/05, §71 ; V. précédemment : Cour EDH, 11 janvier
2000, req. n°41544/98, Le Meignen c/ France : « Il résulte de la jurisprudence de la chambre criminelle de la
Cour de cassation que les éléments constitutifs du délit de fraude fiscale tel qu’envisagé par l’article 1741 du code
général des impôts, à savoir dans le cas d’espèce, la minoration « volontaire » de certains revenus du requérant
dans sa déclaration, diffèrent de ceux de l’infraction fiscale des articles 1728 et 1729 du code général des impôts
consistant en le seul défaut de déclaration desdites sommes dans les délais légaux. En conséquence, le juge pénal
et le juge administratif statuant sur deux infractions différentes, aucune question ne se pose sous l’angle de
l’article 6§2 de la Convention (voir mutatis mutandis n° 36855/97 et 41731/98, F. Ponsetti et C. Chesnel c/
France, troisième section, déc. 14.9.99) ».

106
termes de la jurisprudence, la majorité des auteurs évoque le « principe d’indépendance des
procédures pénale et fiscale »565, voire de manière plus générique, le « principe
d’indépendance des procédures pénale et administrative »566. D’autres évoquent
l’indépendance des « contentieux » pénal et fiscal, souvent indifféremment avec la première
formulation567, quelques fois dans le but de limiter leur étude à l’autonomie des seules
procédures contentieuses568. En somme, la formulation de ce principe « revêt une grande
imprécision sémantique qui n’est que le reflet de la multiplicité des vocables employés tant par
la jurisprudence que par la doctrine »569. Au-delà de « l’imprécision sémantique »570 entourant
l’objet de ce principe, il a toujours été question d’une indépendance, c’est-à-dire littéralement
d’une absence de dépendance, voire de « subordination »571.

114. Hermétisme total des procédures pénale et fiscale. – Se distinguant ainsi de


l’autonomie qui se rapporte à soi-même572, l’indépendance s’inscrit dans une dimension
relationnelle et renvoie inéluctablement à quelqu’un d’autre que soi. Le principe
d’indépendance implique bien plus qu’une simple autonomie. Tandis que celle-ci se réduit pour
une juridiction à la résolution d’un conflit de normes sur son propre terrain, celui-là implique
de résoudre un conflit d’autorités entre deux procédures. Lorsque les droits pénal et fiscal sont

565
V. notamment M. SIERACZEK, L'indépendance des procédures pénale et fiscale : un principe prétorien
contestable : Dr. fisc. n°50, 13 décembre 2007, 1039 ; R. BOUSTA, De la créativité du juge fiscal : l'exemple de
l'indépendance des procédures fiscale et pénale : Dr. fisc. n°16, 21 avril 2011, 310 ; F. DEBOISSY, Retour sur un
principe controversé : l'indépendance des procédures pénale et fiscale : Dr. fisc. n°51-52, 18 décembre 2014, 692 ;
E. MEIER et R. TORLET, L'indépendance des procédures fiscale et pénale, ou quand un train peut en cacher un
autre : Dr. fisc. n°42, 18 octobre 2012, comm. 488 ; D. GUTMANN, La véritable signification de l'indépendance
des procédures fiscale et pénale : F. LEFEBVRE 6/2011, p. 29 et 30 ; P. PHILIP, Le principe d'indépendance des
procédures en matière fiscale : Dr. fisc. n°21, 20 mai 2004, comm. 23 ; G. GOULARD, L'indépendance des
procédures : retour à un principe traditionnel : RJF 1996, p. 2.
566
G. TIXIER et T. LAMULLE, Irrégularité́ des opérations de contrôle : absence de débat oral et contradictoire -
Vice de procédure affectant la régularité́ des poursuites pénales (oui). Revirement de jurisprudence : Dr. fisc. n°20,
19 mai 1993, comm. 1059 ; G. SIMON et C. SOURZAT, Les contradictions de l'indépendance des procédures
administrative et pénale : remise en ordre en cassation : RFDA 2018, p. 1091.
567
S. RAIMBAULT de FONTAINE, Du principe d’indépendance des contentieux pénal et fiscal à l’unité des
procédures fiscale et répressive, RFFP 1995, n°51, pp. 113 à 132.
568
L. AYRAULT, L'indépendance des contentieux pénal et fiscal : Dr. fisc. n°38, 22 septembre 2016, 503.
569
S. RAIMBAULT de FONTAINE, Du principe d’indépendance des contentieux pénal et fiscal à l’unité des
procédures fiscale et répressive, op. cit.
570
Ibid.
571
R. BOUSTA, De la créativité du juge fiscal : l'exemple de l'indépendance des procédures fiscale et pénale : Dr.
fisc. n°16, 21 avril 2011, 310.
572
L’étymologie du mot « autonomie » provient de la racine grecque autonomia, qui signifie littéralement le droit
de se régir par ses propres lois. L’autonomie désigne le pouvoir de se déterminer soi-même, tandis que
l’indépendance implique l’absence de contrainte, de pression ou d’instruction provenant d’un tiers.

107
considérés comme autonomes573, cette autonomie implique seulement en leur propre sein une
normativité autosuffisante des concepts juridiques. Il s’agit de leur capacité à s’affranchir de
toute influence normative extérieure. Plus encore, l’indépendance des procédures pénale et
fiscale implique qu’aucune d’entre elles ne se soumette à l’autorité de l’autre. Lorsque les
procédures se déroulent simultanément, aucune interaction ne doit intervenir entre elles puisque
l’existence de l’une ne repose jamais sur l’existence de l’autre. Ce principe doit impérativement
être dépassé, en ce qu’il assure une totale étanchéité entre les procédures pénale et fiscale
contraire à leur complémentarité. Ce dépassement est permis par le défaut d’assises (§1) et
d’actualité (§2) de ce principe.

§1. Le défaut d’assises du principe d’indépendance

115. Justification impossible. – Dans le but de protéger leur office respectif, les juges ont
décidé que le déroulement de la procédure parallèle ouverte pour les mêmes faits ne pouvait
interférer dans leur prise de décision. Le principe d’indépendance n’est assis sur aucune base
textuelle. Cette absence de fondement légal a fait douter certains auteurs574 de son appartenance
à la catégorie des « principes ». Nous concluons également au rejet de cette qualification mais
pour une tout autre raison. Certes, dans une première acception, le terme « principe » désigne
une « règle juridique établie par un texte en termes assez généraux destinée à inspirer diverses
applications et s’imposant avec une autorité supérieure »575. Dans cette catégorie, sont rangés
les principes fondamentaux qui régissent notre État de droit ou notre ordonnancement juridique,
parmi lesquels les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République, les principes
généraux du droit ou encore les principes directeurs d’une procédure. Assurément, le principe
d’indépendance des procédures ne découlant d’aucun texte et ne présentant pas un caractère
général et absolu, ne saurait appartenir à cette première catégorie. Mais la notion de principe
est polysémique576 et peut dans une seconde acception recouvrer une « maxime générale
juridiquement obligatoire bien que non écrite dans un texte législatif »577. En dépit de l’absence
de base textuelle, le principe d’indépendance des procédures pénale et fiscale pourrait

573
V. supra, n°6.
574
V. notamment, R. BOUSTA, De la créativité du juge fiscal : l'exemple de l'indépendance des procédures fiscale
et pénale : Dr. fisc. n°16, 21 avril 2011, 310.
575
G. CORNU, Vocabulaire juridique, Association Henri Capitant, op. cit., p. 809.
576
V. notamment sur cette question : A. JEAMMAUD, De la polysémie du terme "principe" dans les langages du
droit et des juristes, coll. « Les principes en droit », Economica, 2008, p. 49 et s.
577
G. CORNU, Vocabulaire juridique, Association Henri Capitant, op. cit., p. 809.

108
parfaitement selon cette seconde définition, appartenir à la famille des principes. Cependant,
l’essence du principe « maxime générale juridiquement obligatoire », paraît faire défaut à
l’indépendance des procédures pénale et fiscale. « Dotées d’une valeur axiologique », les
principes n’ont pas vocation à dicter une solution précise à l'issue d'un raisonnement juridique.
Ils se contentent d'orienter. Or, l’indépendance des procédures ne constitue pas une simple
orientation pour les magistrats pénal et fiscal ; il va au-delà en imposant des solutions
rigoureuses et invariables578 qui ne reposent sur aucun autre fondement, sinon sur sa seule
existence. Les différents arguments avancés pour justifier ce principe ont en effet toujours
échoué à lui offrir un véritable fondement. Pour autoriser une étanchéité totale entre les juges
pénal et fiscal saisis de faits de fraude, jurisprudence et doctrine se sont essayées à diverses
justifications qui s’avèrent toutefois toujours inopérantes (A) ou illusoires (B).

A) Les justifications doctrinales inopérantes

116. Essais doctrinaux. – La doctrine s’est péniblement essayée à rattacher l’indépendance


des procédures pénale et fiscale à quelques-uns de nos principes fondamentaux. Selon certains
auteurs, « une telle indépendance puise évidemment ses racines dans le dualisme
juridictionnel »579, tandis que pour d’autres, l’existence de ce principe ne résulterait que « d’une
stricte application de la séparation des pouvoirs »580.

117. Dualisme juridictionnel. – Le premier principe évoqué, le dualisme juridictionnel,


n’est autre que la séparation des autorités administrative et judiciaire. Ce « monument
historique »581 puise sa source dans des textes issus de la période révolutionnaire, puisque

578
Que nous étudierons plus amplement dans la seconde partie de cette étude.
579
G. SIMON et C. SOURZAT, Les contradictions de l'indépendance des procédures administrative et pénale :
remise en ordre en cassation, op. cit. ; Dans le même sens : M. SIERACZEK, L'indépendances des procédures
pénale et fiscale : un principe prétorien contestable, op. cit.
580
S. RAIMBAULT de FONTAINE, Du principe d’indépendance des contentieux pénal et fiscal à l’unité des
procédures fiscale et répressive, op. cit.
581
A. VAN LANG, Le dualisme juridictionnel en France : une question toujours d'actualité : AJDA 2005 p. 1760.

109
résultant de la loi des 16 et 24 août 1790582 ainsi que du décret du 16 fructidor an III583, lesquels
demeurent en vigueur aujourd’hui. En réalité, ce principe est une « création de l’Ancien
Régime » et « nullement un produit de la Révolution française »584. Édicté par l’édit royal de
Saint-Germain-en-Laye en 1641, il n’avait à l’époque qu’un seul but, celui de soustraire à la
compétence des parlements le pouvoir de juger l’action de l’administration. Il tendait à éviter
les ingérences de la juridiction judiciaire dans les affaires du gouvernement. Son histoire est
donc celle d’un constant affrontement, d’abord entre « la monarchie absolue et les
parlements »585 sous l’Ancien Régime, puis au cours des siècles suivants « entre la justice
administrative et les tribunaux ordinaires, animé par l’ambition de la Cour de cassation de
s’imposer comme juridiction unique, naturelle »586. Bien que les impératifs ayant justifié son
adoption aient « aujourd’hui disparus »587, notre ordre juridique a maintenu le principe de
séparation des autorités administrative et judiciaire, jusqu’à l’élever au cours du 20ème siècle en
véritable principe fondamental reconnu par les lois de la République588. Deux raisons
s’opposent selon nous à admettre que le principe d’indépendance des procédures pénale et
fiscale découle de la séparation des autorités judiciaire et administrative.

118. Argument théorique. – Il peut d’une part être avancé, selon un argument théorique,
que la séparation des autorités impose déjà une répartition des compétences entre les
juridictions judiciaire et administrative. Celles-ci disposent chacune d’un domaine qui lui est
propre, le dualisme juridictionnel interdisant à l’une d’empiéter sur le domaine de l’autre. Dans
ces conditions, quel serait l’intérêt d’ériger un principe d’indépendance, sinon à paraître
surabondant au dualisme juridictionnel ? Dans un strict respect du principe de séparation des

582
Loi des 16 et 24 août 1790, art. 13 : « Les fonctions judiciaires sont distinctes et demeureront toujours séparées
des fonctions administratives. Les juges ne pourront, à peine de forfaiture, troubler, de quelque manière que ce
soit, les opérations des corps administratifs, ni citer devant eux les administrateurs pour raison de leurs
fonctions ».
583
Décret du 2 septembre 1795 (16 fructidor an III) qui défend aux tribunaux de connaître des actes
d’administration, et annule toutes procédures et jugements intervenus à cet égard : « Défenses itératives sont faites
aux tribunaux de connaître des actes d’administration, de quelque espèce qu’ils soient, aux peines de droit ».
584
D. COHEN, La Cour de cassation et la séparation des autorités administrative et judiciaire, Economica, 1987,
p. 15.
585
Ibid, p. 19.
586
A.VAN LANG, Le dualisme juridictionnel en France : une question toujours d'actualité, op. cit., reprenant les
travaux de G. BIGOT, L'autorité judiciaire et le contentieux de l'administration, Vicissitudes d'une ambition,
1800-1872 : Thèse, LGDJ 1999.
587
D. COHEN, La Cour de cassation et la séparation des autorités administrative et judiciaire, op. cit., p. 16.
588
Cons. const., DC, 23 janvier 1987, n°86-224, Loi transférant à la juridiction judiciaire le contentieux des
décisions du Conseil de la concurrence, considérant n°15 ; Rec. Cons. const., p. 8.

110
autorités administrative et judiciaire, le principe d’indépendance des procédures pénale et
fiscale n’aurait pas sa place, sauf à admettre l’existence d’un point de rencontre entre les
procédures en présence. Dans cette optique, le principe d’indépendance devient le symptôme
du croisement des compétences entre les procédures pénale et fiscale et donc, de la violation du
principe de séparation des juridictions.

119. Argument pratique. – C’est d’autre part une raison pratique qui interdit la filiation du
principe d’indépendance des procédures avec celui du dualisme juridictionnel. Le recours à
cette justification s’accorde mal avec le dualisme juridictionnel, non pas tel que nous l’abordons
jusqu’à présent, mais celui qui caractérise la matière fiscale. Les litiges fiscaux relèvent en
fonction de la nature de l’impôt en cause, tantôt des juridictions judiciaires, tantôt des
juridictions administratives. En d’autres termes, la procédure fiscale appartient tout à la fois
aux deux ordres de juridictions et il est des situations dans lesquelles les procédures fiscale et
pénale relèveront toutes deux de l’ordre judiciaire. À titre d’exemple, dans l’affaire Cahuzac,
du nom du ministre délégué au budget poursuivi pour fraude fiscale et blanchiment de ce
délit589, l’infraction portait sur l’impôt de solidarité sur la fortune590, relevant, tant sur le plan
fiscal que répressif, de la compétence du tribunal judiciaire. Dans pareille hypothèse, il est
impossible d’avoir recours au principe de séparation des autorités judiciaire et administrative
pour justifier une quelconque indépendance des procédures. Il nous semble donc incongru et
incomplet de dire que l’indépendance des procédures pénale et fiscale découlerait du principe
de séparation des autorités administrative et judiciaire.

120. Séparation des pouvoirs. – S’agissant du second principe invoqué par la doctrine591,
celui de la séparation des pouvoirs, il nous est apparu malaisé d’y voir là une attache avec
l’indépendance que la jurisprudence cherche à assigner aux procédures pénale et fiscale. De
prime abord, la filiation avec l’indépendance des procédures pénale et fiscale est aisée. Les
auteurs voient en effet dans l’indépendance des procédures pénale et fiscale une stricte
application de la séparation des pouvoirs. Or, la séparation des autorités administrative et

589
V. supra, n°12, note n°82.
590
La loi n°2017-1837 du 30 décembre 2017 de finances pour 2018 a supprimé l’impôt de solidarité sur la fortune,
anciennement codifié à l’article 885 A et suivants du code général des impôts. Cet impôt a été remplacé par l’impôt
sur la fortune immobilière prévu aux articles 964 et suivants du code général des impôts.
591
V. notamment S. RAIMBAULT de FONTAINE, Du principe d’indépendance des contentieux pénal et fiscal à
l’unité des procédures fiscale et répressive, op. cit.

111
judiciaire est l’exact opposé du principe de séparation des pouvoirs. Alors que celui-ci « interdit
aux pouvoirs exécutif et législatif de juger, et au pouvoir judiciaire de légiférer ou d’exercer le
pouvoir exécutif »592, celui-là « interdit au juge de juger, autrement dit d’exercer tout le pouvoir
judiciaire »593. Dans la lutte contre la fraude fiscale, les juges pénal et fiscal exercent tous deux
des prérogatives juridictionnelles. Il n’est en aucun cas question de leur octroyer un quelconque
pouvoir exécutif et pour cela, la parenté avec le principe de séparation des fonctions nous paraît
inopérante.

121. Justifications inopérantes. – Aucune de ces justifications doctrinales ne parvient à


offrir à l’indépendance des procédures pénale et fiscale un fondement solide. Aussi le salut
pourrait-il venir des justifications énoncées par la jurisprudence.

B) Les justifications prétoriennes illusoires

122. Fondement jurisprudentiel. – C’est à la lecture de la formulation constante de la


chambre criminelle de la Cour de cassation qu’apparaît le fondement jurisprudentiel de
l’indépendance des procédures : « les poursuites pénales instaurées sur les bases de l'article
1835 du code général des impôts et la procédure administrative tendant à la fixation ou au
recouvrement de l'impôt sont par leur nature et leur objet, différentes et indépendantes l'une de
l'autre »594. Les procédures pénale et fiscale seraient indépendantes l’une de l’autre à raison de
leur différence de nature (1) et d’objet (2). Il convient de vérifier ce postulat.

1) Une différence de nature

123. Traits caractéristiques des procédures. – Faute de recevoir une définition juridique
précise, la nature d’une procédure est une notion bien délicate à identifier. La nature juridique
recouvre en effet « une série de critères qui donne la définition d’un concept juridique »595. Son

592
D. COHEN, La Cour de cassation et la séparation des autorités administrative et judiciaire, op. cit., p. 1.
593
Ibid.
594
V. supra, n°113 et s.
595
F. ROUVIÈRE, Le revers du principe « différence de nature (égale) différence de régime, in Le droit entre
autonomie et ouverture, Mélanges en l’honneur de Jean-Louis Bergel, Bruylant, 2013, pp. 415 à 448. V. pour plus
de développements à ce sujet : J.-L. BERGEL, Différence de nature (égale) différence de régime : RTD Civ. 1984,
p. 255 et s. : « dans le rapport entre la nature juridique et le régime juridique d’une notion ou d’une catégorie,
c’est la nature qui est l’élément premier et le régime juridique, l’élément déduit. Ce n’est pas le régime d’un
concept qui en détermine la nature ».

112
rôle essentiel est de « conduire à identifier le régime juridique applicable »596. Il est donc
nécessaire d’analyser les caractères distinctifs d’une procédure pour en déterminer sa nature.
Ceux-ci peuvent être recherchés dans les règles qui en régissent le déroulement et partant, dans
les pouvoirs et les devoirs de chacune des parties au procès. Plus particulièrement, ce sont les
pouvoirs du juge qui déterminent la nature d’une procédure.

124. Délimitation délicate des procédures. – Le contentieux fiscal suit les règles
processuelles propres à chaque ordre juridictionnel duquel il dépend en fonction de la nature de
l’imposition en cause. Les règles de la procédure fiscale peuvent donc tantôt être régies par le
droit administratif, tantôt par le droit judiciaire. S’agissant des litiges en matière d’impôts
directs et de taxes sur le chiffre d’affaires ou taxes assimilées, « les dispositions du code de
justice administrative sont applicables »597, y compris ses principes directeurs définis en son
Titre premier. La procédure suivie est donc essentiellement inquisitoire598, le juge administratif
disposant de l’entière maîtrise du déroulement du procès. Devant les tribunaux administratifs,
la représentation par avocat est facultative, tandis qu’elle devient en principe obligatoire devant
les juridictions du second degré599. Lorsque le contentieux de l’imposition relève de la
juridiction judiciaire, le procès fiscal emprunte aux caractéristiques du contentieux civil. Le
procès fiscal est alors déclenché par une assignation et « les parties sont tenues de constituer
avocat »600. Bien que traditionnellement limités601, les pouvoirs du juge se sont largement
étendus, au point d’affaiblir le caractère accusatoire de la procédure civile602. Quant à la
procédure pénale, elle revêt classiquement une forme accusatoire, se distinguant par son oralité
et son manque de formalisme. La marque inquisitoriale demeure toutefois, en témoigne
notamment l’initiative partagée des poursuites entre le ministère public et la victime ainsi que
le secret attaché à la phase préparatoire du procès603.

596
F. ROUVIÈRE, Le revers du principe « différence de nature (égale) différence de régime », op. cit.
597
Art. R. 200-1 LPF.
598
V. notamment sur ce sujet, A. BEAL, « Procédure en contentieux administratif », Jurisclasseur administratif,
15 avril 2021 ; C. BROYELLE, Contentieux administratif, Lextenso, LGDJ, 10ème éd., 2022-2023, n°254.
599
Art. R. 811-7 CJA.
600
Art. R. 202-2 LPF.
601
V. en ce sens, les art. 1 à 3 du CPC.
602
V. notamment sur ce point, L. CADIET, Le développement de la procédure participative : Procédures n°3, mars
2020, étude 5.
603
Art. 11 CPP.

113
125. Conclusion : défaut de différence de nature. – Il est donc bien difficile de cerner une
véritable différence des procédures pénale et fiscale à l’aune de leur nature, tant cette notion
nous apparaît fuyante et ses indices perméables. Ajoutons à cela un rapprochement des
principes directeurs des procédures sous l’influence des juridictions supérieures, imposant
uniformément de véritables standards juridictionnels604, ainsi que l’appartenance commune des
sanctions pénale et fiscale à la matière pénale au sens de la Cour de Strasbourg605, et la
différence de nature s’estompe encore un peu plus. Si la différence de nature ne peut contribuer
à justifier solidement l’indépendance des procédures, il en est de même pour la prétendue
distinction d’objet.

2) Une différence d’objet

126. Dualité d’objet. – La différence d’objet entre les procédures pénale et fiscale constitue
le second postulat autorisant leur indépendance. Là encore, nous nous heurtons à l’absence de
définition de l’objet d’une procédure. Celui-ci peut recouvrir ce sur quoi elle porte. Il est donc
tout à la fois constitué des faits dont est saisi le juge – objet factuel – et des demandes juridiques
formulées par les parties – objet juridique –.

127. Équivalence de base factuelle. – L’objet factuel d’une procédure renvoie


formellement au contenu du dossier. Devant le juge fiscal d’une part, le dossier constitue peu
ou prou celui préalablement élaboré par l’administration fiscale. Le contribuable ne peut en
effet saisir le juge des impôts qu’aux termes d’une réclamation préalable devant
l’administration fiscale606. Cette formalité l’oblige à exposer devant le fisc les moyens qu’il
entend formuler à l’appui de sa requête607. Que ce soit devant le juge administratif ou civil, les
parties en cause sont toujours identiques, le contribuable demandeur au procès se trouvant face
à l’administration fiscale. S’agissant d’autre part du dossier pénal, celui-ci contient
nécessairement les pièces de l’administration fiscale. Disposant de la maîtrise du
déclenchement du procès pénal608, c’est elle qui sélectionne les faits qu’elle entend déférer à la

604
Nous pensons à ce titre au principe du contradictoire, mais aussi au principe de la publicité des débats : V.
supra, n°48.
605
Voir supra, n°71 et s.
606
Art. R. 196-1 et s. LPF.
607
Art. R. 197-3 LPF.
608
Voir supra, n°141 et s.

114
juridiction pénale. La plainte de l’administration fiscale rendue après avis conforme de la
Commission des infractions fiscales saisit le parquet in rem609, c’est-à-dire exclusivement des
faits dénoncés par le fisc. Par ailleurs, l’effort d’investigation du ministère public apporte
rarement une plus-value supplémentaire au dossier pénal, tant celui-ci est déjà parfaitement
ficelé par l’action préalable de l’administration fiscale610. Tout comme le dossier dont est saisi
le juge des impôts, la procédure pénale est donc pour une large part constituée des pièces issues
du travail du fisc. Il faut ajouter à cela que le dossier fiscal est abondamment alimenté par les
pièces du dossier pénal, dont l’accès est autorisé par l’exercice du droit de communication611.
Ce faisant, les juges pénal et fiscal travaillent donc sur la même base factuelle. Les procédures
pénale et fiscale sont saisies du même objet factuel, cette analogie ne paraissant pas aberrante
au regard de la légitimité de leur cumul. Les procédures pénale et fiscale ont uni leurs forces
pour combattre efficacement un comportement frauduleux, il apparaît cohérent voire rassurant
qu’elles soient saisies de faits identiques.

128. Équivalence de base juridique. – L’objet juridique renvoie quant à lui à une notion
familière en procédure civile, à savoir l’objet du litige. Aux termes de l’article 4 du code de
procédure civile, « l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties ».
Dans le cadre d’un procès, l’objet du litige réside dans « l’avantage auquel prétend une partie
et que conteste l’autre ; ce qu’une partie demande et à quoi s’oppose son adversaire »612. Pour
déterminer l’objet des procédures pénale et fiscale, il convient d’analyser les demandes
juridiques formulées par les parties au procès. Dans le cadre du procès fiscal, le contribuable
demandeur au procès, sollicite la décharge complète ou partielle des impositions
supplémentaires mises à sa charge par l’administration fiscale. Pour ce faire, il est susceptible
d’invoquer à l’appui de sa demande trois causes juridiques613, relatives à la procédure
d’imposition, à son bien-fondé ou aux pénalités. De son côté, l’administration cherche à

609
Cass. crim., 2 mai 1984, n°83-92.934 : « la plainte de l'administration saisit nécessairement le parquet de
l'ensemble des faits constates et il appartient au ministère public d'apprécier la suite à leur donner » ; ou plus
récemment : Cass. crim., 28 juin 2017, n°16-81.697 : « Qu'en effet, si la plainte de l'administration fiscale saisit
nécessairement le procureur de la République de tous les faits qu'elle dénonce et si ce magistrat ne peut exercer
de poursuites devant le tribunal correctionnel que de ces seuls faits, il peut poursuivre toutes personnes, même
non visées dans la plainte, contre lesquelles il estime qu'il existe des charges suffisantes d'avoir commis les délits
dénoncés ».
610
V. supra, n°142 et s.
611
V. supra, n°161 et s.
612
G. CORNU, Vocabulaire juridique, Association Henri Capitant, op. cit., p. 703.
613
Dans le contentieux fiscal, les moyens des parties sont regroupés en trois grandes « causes juridiques » : V.
infra, n°359, note n°1519.

115
démontrer la légitimité de son action. Au regard des thèses en présence, le juge fiscal doit « fixer
l’assiette et déterminer le montant de l’impôt effectivement dû »614. L’objectif essentiellement
budgétaire de la procédure fiscale615 est en effet celui de préciser « le montant de la dette
fiscale »616. Dans le cadre du procès pénal, le paradigme est quelque peu différent puisque le
contribuable ne détient pas la qualité procédurale de demandeur au procès. Le juge pénal est
saisi de poursuites sur la base du délit général de fraude fiscale 617 ou d’une qualification
spécifique618. Il incombe ensuite au ministère public, aidé dans cette tâche par l’administration
fiscale, d’apporter la preuve de la réunion des éléments constitutifs de l’infraction. Quant à lui,
le prévenu tente de mettre à mal la thèse de l’accusation et plaide bien souvent sa relaxe, parfois
en excipant des mêmes moyens que devant le juge fiscal. Si certains auteurs 619 adhèrent au
postulat jurisprudentiel tiré de la différence d’objet des deux procédures, nous ne pouvons que
condamner cette répartition manichéenne. Il existe indéniablement un lien technique entre la
procédure qui se déroule devant le juge de l’impôt et celle qui intervient devant son homologue
pénal du chef de fraude fiscale. L’infraction de l’article 1741 du code général des impôts
n’existe pas de manière autonome, elle « ne peut être totalement détachée de l'analyse du droit
fiscal applicable à la situation litigieuse »620. Au titre de son élément matériel, la fraude fiscale
implique que le juge pénal se prononce sur l’existence ou non d’un impôt. L’assujettissement
du contribuable à un impôt régulièrement dû « apparaît, sinon comme un élément constitutif,
du moins comme une condition préalable du délit de fraude fiscale »621. En d’autres termes,
« le contrôle de la matérialité du délit appartient nécessairement au juge de l'impôt »622.
L’élément moral de la fraude est également tributaire de notions purement fiscales, dans la
mesure où « la volonté de frauder suppose que l'état du droit fiscal soit suffisamment clair pour

614
B. RICOU, Vade-mecum de la Chambre criminelle de la Cour de cassation pour la mise en œuvre des réserves
d’interprétation formulées par le Conseil constitutionnel à propos du cumul des procédures et des sanctions pénales
et fiscales : Hebdo édition fiscale, 7 novembre 2019, n°801.
615
V. supra, n°24 et s.
616
D. GUTMANN, La véritable signification de l'indépendance des procédures fiscale et pénale, FR 6/11.
617
Art. 1741 CGI.
618
Art. 1743 et s. CGI.
619
V. notamment D. GAILLARDOT, Les conséquences de l'indépendance des contentieux pénal et fiscal pour
l'autorité judiciaire : Dr. fisc. n°38, 22 septembre 2016, 504 ; M. ANDRE, Le point d'orgue d'une valse hésitation
ou à la recherche d'une intersection entre droit pénal et droit fiscal : JCP E 1985, n°42, 14556 ; R. MERLE et A.
VITU, Traité de Droit pénal spécial et de science criminelle, éd. Cujas. 5ème éd., 2000, p. 653.
620
D. GUTMANN, La véritable signification de l'indépendance des procédures fiscale et pénale, op. cit.
621
G. KLEIN, La répression de la fraude fiscale, Étude sur le particularisme du droit pénal des impôts, op. cit.,
p.113, n°130.
622
C. SAND, Une proposition de rectification peut-elle être considérée comme une accusation à caractère pénal ? :
Dr. pén. n°4, avril 2020, étude n°12.

116
que le contribuable ait sciemment souhaité s'y soustraire »623. Lorsque le contribuable conteste
devant le juge des impôts le bien-fondé des impositions supplémentaires mises à sa charge par
le fisc, « c’est en réalité le même problème qui est soumis au juge répressif et au juge fiscal :
rechercher si en l’espèce, en fonction des lois fiscales en vigueur, l’impôt litigieux est bien dû
par tel contribuable. La question intéresse le juge fiscal parce qu’elle entre dans la nature de
ses fonctions, elle concerne le juge pénal parce qu’elle conditionne l’existence même du délit
»624. Il est particulièrement malaisé de voir une différence d’objet là où les deux juges doivent
apprécier et qualifier les mêmes faits au regard de normes similaires. « Les mots changent, les
raisonnements varient »625, les fondements juridiques sont différents626, les juridictions pénale
et administrative sont séparées ; oui, mais au fond, la question posée aux deux juges reste la
même : y-a-t-il eu fraude à l’impôt ? Pour y répondre, ils disposent des mêmes bases textuelles
qu’ils doivent interpréter, à savoir les lois fiscales. Dans chacune des procédures, le
raisonnement des magistrats est alors identique. Ils doivent tous deux déterminer si la loi fiscale
s’applique ou pas aux faits dont ils sont saisis. L’argumentaire du contribuable627 soulevé
devant le juge fiscal pour échapper aux impositions supplémentaires mises à sa charge est
transposable à la matière pénale et vice-versa. À l’inverse, dès lors que les juges n’ont pas à
fonder leur raisonnement sur une base juridique identique, l’indépendance des contentieux peut
parfaitement se justifier. Une telle solution trouve un terrain privilégié en droit de l’urbanisme
qui connaît un principe « d’indépendance des législations »628. En vertu de cette règle, les
autorisations délivrées en vertu d’une législation « A » ne sont pas valables au titre d’une
législation « B ». Fondée sur l’altérité des normes législatives, l’indépendance découle de la

623
D. GUTMANN, La véritable signification de l'indépendance des procédures fiscale et pénale, op. cit.
624
G. KLEIN, La répression de la fraude fiscale, Étude sur le particularisme du droit pénal des impôts, op. cit.,
p. 113, n°130.
625
J. MICHEL, Le juge administratif français et la fraude fiscale : RFFP août 2014, n°127, p. 163.
626
Quoi que la filiation du délit de fraude fiscale au code général des impôts et non au code pénal est déjà un indice
du rapprochement des objets des procédures pénale et fiscale.
627
Souvent assisté par le même conseil pour les procédures pénale et fiscale d’ailleurs.
628
Le droit de l’urbanisme interfère en effet avec de nombreuses autres législations, notamment avec le droit de
l’environnement. V. notamment CE, 1er juillet 1959, n°38893, Sieur Piard : Rec. Lebon, p. 113 qui pose la solution
de principe à l'occasion de la délivrance d'une autorisation d'ouverture d'une installation classée. V. pour plus de
développements à ce sujet, J. MARTIN, Indépendance des législations contre carence du législateur : le juge au
secours des alignements d'arbre : Dr. administration. n°10, octobre 2021, comm. 42 ; H.-M. CRUCIS, Les
combinaisons de normes dans la jurisprudence administrative française, LGDJ, 1991 ; J.-P. LEBRETON,
L'urbanisme et les législations réputées indépendantes : AJDA 1993, n°spécial de mai, p. 20 ; P. SABLIERE,
Indépendance, complémentarité, connexité, fusion ou équivalence des procédures concernant une même
opération : Cahiers juridiques de l’électricité et du gaz, 1989, p. 145 ; J. STILLMUNKES, Recherches sur
l'application du principe d'indépendance des législations dans le contentieux de l'urbanisme : Thèse, Orléans,
1996.

117
soumission de chacun des juges à un corpus juridique autonome. Cette autonomie dans la
législation applicable ne se retrouve aucunement en droit pénal fiscal dès lors que les magistrats
travaillent sur une base juridique identique629.

129. Justifications illusoires. – Aussi les liens factuels et juridiques qui se nouent
nécessairement entre les juges pénal et fiscal sont-ils antinomiques d’une indépendance des
procédures. Le postulat de la chambre criminelle invoquant une identité de nature et d’objet des
procédures paraît donc largement illusoire. Au-delà de la justification classique tirée de la
différence d’objet et de nature des procédures pénale et fiscale, le principe d’indépendance
repose sur une conception juridique aujourd’hui dépassée des procédures pénale et fiscale.

§2. Le défaut d’actualité du principe d’indépendance

130. Critique de la conception juridique de la procédure fiscale. – En dressant entre les


répressions pénale et fiscale un principe d’indépendance, la jurisprudence conçoit les
procédures selon une conception strictement juridique. S’agissant de la procédure fiscale, cette
approche aboutit à concevoir la procédure d’imposition comme ne comprenant que les « actes
nécessaires au déroulement régulier de la procédure »630. Elle s’oppose à une conception
matérielle631, plus extensive, laissant entrer dans le champ de la procédure fiscale les actes
utilisés par l’administration fiscale pour redresser le contribuable, même si ceux-ci n’ont pas
initialement été mis en œuvre pour les besoins du contrôle fiscal. Pour définir les procédures
concernées par l’indépendance, la jurisprudence se fonde sur « des critères purement formels,
voire « statiques », tels que le destinataire ou l'instigateur de la procédure »632. L’application

629
C’est selon nous en raison de ce dernier élément que l’indépendance des procédures pénale et fiscale doit être
distinguée de l’indépendance des législations que connaît notamment le droit de l’urbanisme. L’indépendance
résulte de l’indépendance des « législations » et non seulement des « procédures », le droit de l’urbanisme devant
articuler des normes provenant de législations distinctes : V. en ce sens A. BOURREL, Contribution à l’étude du
principe d’indépendance des législations en droit administratif français : Revue juridique de l'entreprise publique
n°626, décembre 2005, chron. 100077. En ce qui nous concerne, c’est la loi fiscale qui conditionne nos deux
procédures.
630
Conclusions O. FOUQUET sous l’arrêt CE, 10 mai 1991, n°66488, Ministre de l’économie, des Finances et du
Budget c/ M. Lespy Labaylette : LPA 1991, n°82, pp. 4 à 6.
631
V. aussi sur cette distinction, L. AYRAULT, Le contrôle juridictionnel de la régularité de la procédure
d'imposition : Thèse, L'Harmattan, 2004, n°512 et s. ; S. RAIMBAULT DE FONTAINE, L’opération fiscale :
contribution à l’étude de l’acte en procédure fiscale : Thèse, Toulouse, 1995.
632
R. BOUSTA, De la créativité du juge fiscal : l'exemple de l'indépendance des procédures fiscale et pénale,
op.cit.

118
du principe d’indépendance conduit à limiter la notion de procédure fiscale aux seuls éléments
constatés par l’administration fiscale, faisant complètement fi des pièces étrangères au dossier
fiscal, non « nécessaires au déroulement régulier de la procédure d’imposition »633. Or, un
redressement fiscal n’est pas souvent le fait exclusif de l’administration fiscale. Par l’exercice
de son large droit de communication, celle-ci puise des éléments issus d’autres procédures pour
détecter et réprimer la fraude. Le principe d’indépendance méprise cette réalité pour enfermer
la procédure fiscale dans un espace totalement hermétique.

131. Conception matérielle de la procédure d’imposition. – Les relations entre les


procédures pénale et fiscale doivent impérativement être discutées à l’aune d’une conception
matérielle de la procédure d’imposition, laquelle « se fonde sur le lien de continuité entre
différents actes »634. Les éléments nécessaires au redressement fiscal sont ainsi analysés selon
une optique finaliste, téléologique. Seront considérés comme de nature fiscale tous les actes qui
serviront in fine le raisonnement du fisc pour justifier le bien-fondé de son redressement. La
procédure fiscale laisserait donc la place à tous les actes qui, sans être le fait de l’administration
fiscale, viennent s’incorporer à celle-ci en raison de leur finalité nécessairement fiscale. Cet
élargissement du champ de la procédure fiscale a été théorisé sous la plume de certains auteurs
qui ont élaboré la théorie « d’unité opérationnelle »635 ou plus largement, celle « d’opération
administrative »636. De ce point de vue, la procédure fiscale serait nécessairement une
« opération complexe »637, regroupant « l’ensemble des moyens combinés afin de procéder à
l'imposition »638. La procédure pénale constitue assurément un des moyens nécessaires à la
détection et à la répression de la fraude fiscale.

132. Critique de la conception juridique de la procédure pénale. – L’approche matérielle


et opérationnelle doit également se transposer à l’endroit de la procédure pénale. Selon une

633
Ibid.
634
Ibid.
635
Ibid.
636
M. HAURIOU, Précis de droit administratif et de droit public général à l'usage des étudiants en licence et en
doctorat ès-sciences politiques : Recueil général des lois et des arrêts, 4 ème éd., 1901, p. 238 et 239.
637
V. sur cette notion, L. AYRAULT, Le contrôle juridictionnel de la régularité de la procédure d'imposition :
Thèse, op.cit., p. 30. L’auteur reprend la théorisation de Monsieur CHAPUS : il y a une opération complexe
« lorsqu’une décision finale ne peut être prise qu’après intervention d’une ou de plusieurs décisions successives
spécialement prévues pour permettre la réalisation de l’opération dont la décision finale sera l’aboutissement »
(R. CHAPUS, Droit du contentieux administratif, 10ème éd., §781).
638
R. BOUSTA, De la créativité du juge fiscal : l'exemple de l'indépendance des procédures fiscale et pénale,
op.cit.

119
conception strictement juridique, ne relèveraient de la procédure pénale que les actes réalisés
par les autorités compétentes dans la récolte des preuves et en vue de la sanction du fait
infractionnel. Dépassant cette approche purement formelle, la Cour européenne des droits de
l’Homme, suivie en cela par les juridictions nationales639, a fait entrer dans le champ de la
matière pénale des opérations extra pénales, à raison de leur finalité répressive 640. Si cette
contamination pénale a d’abord touché les sanctions fiscales, il nous semble qu’elle peut
également être constatée à l’égard de certains actes qui se situent bien en amont du prononcé
des majorations fiscales.

133. Vers une assimilation des procédures pénale et fiscale ? – En matière de fraude
fiscale, la procédure pénale ne jouit pas d’une existence propre. Sans l’intervention de
l’administration fiscale, le déclenchement de l’action publique est impossible et le déroulement
du procès, malaisé. Aussi la procédure fiscale « constitue[-t-elle] la cause de l'engagement de
la procédure pénale subséquente »641 ; elle est « en fait le support de [l’]action publique »642.
Les frontières entre les procédures pénale et fiscale ne peuvent être immuablement fixées. La
jurisprudence européenne a déjà eu l’occasion d’exposer son raisonnement en 2012, à propos
d’un contribuable suisse ayant fait l’objet d’une procédure fiscale puis d’une procédure pénale
pour des faits de soustraction au paiement de l’impôt643. N’ayant pas eu accès aux documents
apportés par l’administration fiscale helvétique dans le cadre de la procédure fiscale, le
contribuable invoquait devant le tribunal fédéral644 une violation de son droit à ne pas s’auto-
accuser et des principes de présomption d’innocence et d’égalité des armes. Considérant que la
procédure fiscale « ne revêtait pas un caractère pénal », car « elle avait uniquement pour objet
de déterminer les obligations fiscales »645 du requérant, la juridiction suprême écarta
l’application desdits principes et confirma les redressements fiscaux. Devant la juridiction
strasbourgeoise, le requérant réitéra les griefs qu’il avait présentés devant les juridictions
internes. Conforté par la décision du tribunal fédéral, le gouvernement soutenait, quant à lui, la

639
V. supra, n°77.
640
V. supra, n°71 et s.
641
C. SAND, Une proposition de rectification peut-elle être considérée comme une accusation à caractère pénal :
réflexions européennes devenues indispensables, op. cit.
642
S. RAIMBAULT de FONTAINE, Du principe d’indépendance des contentieux pénal et fiscal à l’unité des
procédures fiscale et répressive, op. cit.
643
Cour EDH, 5 avril 2012, Chambaz c/ Suisse, req. n°11663/04.
644
Il s’agit de la juridiction suprême.
645
Cour EDH, 5 avril 2012, Chambaz c/ Suisse, préc., §28.

120
thèse de l’indépendance des procédures pénale et fiscale646 et concluait à la non-applicabilité
de l’article 6 de la Convention. Sans opter ni pour la méthode Engel ni pour celle du faisceau
d’indices647 dans la détermination du champ d’application de la matière pénale, les juges de
Strasbourg ont toutefois conclu à l’applicabilité de l’article 6 à l’endroit de l’entière procédure
fiscale. Optant pour une conception purement matérielle de la procédure pénale, la Cour a
considéré que « l’enquête pour soustraction d’impôts dirigée contre le requérant s’inscrivait
dans le prolongement de la procédure qui s’est déroulée devant le tribunal administratif »648.
Son raisonnement conduit à une véritable absorption de la procédure fiscale par la procédure
pénale. Selon la Cour, les procédures étaient « étroitement liées de sorte que le caractère
manifestement pénal de l’enquête s’est étendu à la procédure ayant donné lieu à la présente
requête »649. Pour parvenir à une telle assimilation, trois caractères tirés des relations entre les
procédures pénale et fiscale ont été observés par la Cour. Tout d’abord, les juges européens ont
relevé l’existence d’un échange mutuel d’informations entre les deux autorités, impliquant
expressément que « les deux procédures n’étaient donc pas conçues en droit interne pour être
menées de manière indépendante »650. La Cour s’est ensuite tournée vers les liens qu’ont
entretenus les deux procédures : elle relève à ce titre que l’objet factuel des enquêtes était
similaire651, que l’administration des impôts s’était servie des résultats de l’enquête pénale pour
« des demandes nouvelles devant le tribunal administratif » et souligne la participation d’un
enquêteur à l’audience devant la juridiction fiscale. Enfin, la Cour se place d’un point de vue
strictement factuel, apercevant une similitude entre les faits ayant justifié les redressements et
ceux dénoncés dans le cadre de l’enquête pénale652. La Cour a pu voir dans ces éléments des

646
Ibid, §36.
647
V. supra, n°72 et s.
648
Cour EDH, 5 avril 2012, Chambaz c/ Suisse, préc., §48.
649
Ibid.
650
Ibid, §45 : « 45. La Cour observe, tout d’abord, que l’article 111 de la loi fédérale sur l’impôt fédéral direct
fait obligations aux différentes autorités de se fournir mutuellement des renseignements et qu’en vertu de l’article
195 § 1 de cette même loi pareille obligation existe également en ce qui concerne la procédure d’enquête pour
soustraction d’impôt. Les deux procédures n’étaient donc pas conçues en droit interne pour être menées de
manière indépendante ».
651
Elle fait pour cela référence à la période temporelle analysée, §46 : « Par ailleurs, pour ce qui est, ensuite, de
l’organisation de l’enquête en matière fiscale, la Cour relève que le mandat de perquisition visant le requérant
invitait les fonctionnaires chargés de l’enquête contre lui à saisir des documents concernant la période fiscale
1989-1990 (voir paragraphe 15 ci-dessus) et que l’administration fédérale des impôts a elle- même reconnu que
l’enquête pour soustraction d’impôt avait porté sur des années pour lesquelles le requérant n’avait pas
formellement été accusé de soustraction d’impôt (voir paragraphe 33 ci-dessus) ».
652
Ibid, §47 : « 47. Concernant, finalement, les faits eux-mêmes faisant l’objet de l’enquête, la Cour note que les
comptes bancaires détenus par le requérant auprès de la Banque S., et gérés par la société́ P. SA, ont été́
mentionnés tant dans la procédure ayant donné lieu à la présente requête (voir paragraphes 8 et 24 ci-dessus) que

121
liens suffisants entre la procédure fiscale et pénale pour que la première emprunte les caractères
de la seconde. L’article 6 s’applique alors indifféremment aux deux contentieux, ceux-ci ayant
« formé (…) un seul et même ensemble procédural qui a dès lors été placé sous le régime
juridique le plus protecteur »653. La procédure fiscale apparaît dès lors non détachable de la
procédure répressive subséquente. La question se pose désormais de savoir à quel moment se
situe le point de bascule de la procédure fiscale vers la sphère pénale.

134. Moment de l’assimilation : automatisme des poursuites. – Madame C. SAND


estime que les réformes législatives ont fait « muter » la procédure dans la sphère pénale654.
Analysant les dispositions de la loi du 23 octobre 2018 relative à la lutte contre la fraude655, elle
souligne que ce caractère pénal a indéniablement été renforcé par l’automatisme du
déclenchement des poursuites instauré par l’ouverture du verrou de Bercy. Ainsi, « le
contribuable, se voyant notifier un niveau de rehaussements et de pénalités conformes aux
critères du nouvel article L. 228 du LPF, sait que son dossier sera transmis automatiquement
au ministère public »656. Le basculement dans le giron de la matière pénale se ferait alors « au
moment de la réception de la proposition de rectification », puisque c’est à ce moment-là que
« la prévisibilité de la procédure pénale » devient « certaine »657. Aussi, ce serait la possibilité
du déclenchement de la procédure pénale qui conférerait à la procédure fiscale son empreinte
répressive. Dans pareille hypothèse, il est évident que la proposition de rectification scelle le
sort de la personne suspectée : une fois les pénalités décidées par l’administration fiscale, elle
est tenue de dénoncer le dossier au parquet et la procédure pénale subséquente est alors
probable. En ce sens, la proposition de rectification comporte « notification officielle, émanant
de l’autorité compétente, du reproche d’avoir accompli une infraction pénale »658,
symptomatique d’une « accusation » en matière pénale au sens de la jurisprudence européenne.

dans l’enquête pour soustraction d’impôts (voir paragraphes 21 et 31 ci-dessus). De surcroît, les relations entre
le requérant et les sociétés de droit panaméen T.F et F.H. sont à l’origine des demandes nouvelles devant le
tribunal administratif (voir paragraphe 23 ci-dessus), alors que le requérant a été interrogé à leur sujet au cours
de l’enquête pour soustraction d’impôts (voir paragraphe 20 ci-dessus) ».
653
L. AYRAULT, Droit fiscal européen des droits de l'homme : chronique de l'année 2012 : Dr. fisc. 2013, n°9,
étude 177.
654
C. SAND, Une proposition de rectification peut-elle être considérée comme une accusation à caractère pénal :
réflexions européennes devenues indispensables, op. cit.
655
Loi n°2018-898 du 23 octobre 2018 relative à la lutte contre la fraude.
656
C. SAND, Une proposition de rectification peut-elle être considérée comme une accusation à caractère pénal :
réflexions européennes devenues indispensables, op. cit.
657
Ibid.
658
Cour EDH, 27 février 1980, Deweer, req. n°6903/75, §46.

122
Lorsque toutefois les faits ne satisfont pas les critères d’une dénonciation automatique, ou
lorsqu’aucune procédure pénale n’intervient postérieurement, la procédure fiscale conserve-t-
elle toujours sa nature première ?

135. Moment de l’assimilation : incertitude des poursuites. – Si les faits dont est saisi le
juge fiscal tombent sous le coup du deuxièmement de l’article L. 228 du livre des procédures
fiscales659, l’administration fiscale recouvre une totale appréciation dans le choix de saisir ou
non la juridiction pénale. La conduite d’un procès pénal n’est alors plus du tout certaine. Dans
le cas où l’administration fiscale fait le choix de déposer une plainte pénale, les liens qui existent
entre les procédures parallèles font basculer la procédure fiscale dans le champ de la matière
pénale. Les circonstances observées par la Cour européenne dans sa décision Chambaz c/ Suisse
se rencontrent dans les liens singuliers tissés entre les deux procédures. Un large droit de
communication existe réciproquement entre les autorités660 pénale et fiscale, saisis de faits et
d’objets similaires661. En outre, la participation active de l’administration fiscale dans le procès
pénal662 démontre que les procédures sont indissociables. La marque pénale de la procédure
fiscale résulterait alors moins de l’automatisme des poursuites que des liens nécessairement
établis entre les procédures.

136. Moment de l’assimilation : inexistence des poursuites. – Plus encore, il nous semble
que l’empreinte pénale peut résulter de la seule utilisation des éléments d’une procédure pénale,
indépendamment d’un déclenchement postérieur de l’action publique. Prenons pour exemple
un redressement fiscal opéré à la suite de déclarations d’une personne gardée à vue pour des
faits de droit commun. Pendant l’enquête pénale, le mis en cause concède ne pas avoir déclaré
l’ensemble de ses revenus au fisc, portant sur une activité illicite objet de l’enquête pénale. Par
suite et indépendamment du résultat de l’enquête pénale, l’administration prend connaissance
de ces déclarations par l’exercice de son droit de communication et redresse le contribuable sur
la base de ces seuls éléments. Dans pareille hypothèse, l’origine pénale des éléments utilisés
par l’administration fiscale devrait avoir pour effet de transférer leur caractère répressif sur la
procédure fiscale dans son intégralité. En effet, le prononcé de sanctions fiscales n’a été possible
que par la communication des éléments issus de l’enquête pénale. Ainsi que le relève Madame

659
C’est-à-dire ceux qui ne respectent pas les critères de la dénonciation automatique du I de l’art. L. 228 LPF.
660
V. supra, n°161 et s.
661
V. supra, n°126 et s.
662
V. supra, n°140 et s.

123
S. RAIMBAULT de FONTAINE, « il est concevable que tous les éléments sans lesquels cette
tâche n’aurait pu être effectivement menée à bien soient rattachés à cette même opération : les
deux procédures juridiquement distinctes étant en réalité fusionnées par leur utilisation
complémentaire »663. Le critère du basculement ne résulterait donc pas de l’existence d’une
procédure pénale ultérieure mais de l’existence d’éléments probatoires d’origine pénale
déterminants pour le contrôle fiscal.

137. Conception formaliste des procédures indépendantes. – En conclusion, il est bien


des hypothèses dans lesquelles la procédure fiscale tombe sous l’empire du champ pénal. Cette
coloration pénale sera obligatoire lorsqu’une procédure pénale est parallèlement ou
successivement ouverte, l’identité de faits et d’objet des procédures impliquant que le caractère
pénal s’étende à la procédure fiscale. En l’absence de procédure pénale subséquente,
l’assimilation pénale sera fonction du caractère déterminant ou non des éléments probatoires
issus de la procédure pénale. Finalement, la justification du principe d’indépendance des
procédures pénale et fiscale ne tenait qu’à une conception formaliste – et donc réductrice – des
procédures concernées. Lorsque celles-ci sont envisagées dans leur acception matérielle et
opérationnelle, le principe d’indépendance des procédures ne se conçoit guère, il est même son
exact contraire. Afin de « traduire en droit des unités procédurales de fait »664, le principe
d’indépendance des procédures ne pourra que succomber.

138. Lien de continuité entre les procédures pénale et fiscale. – Les procédures pénale et
fiscale entretiennent des liens personnels et matériels étroits. Saisis des mêmes faits, les
magistrats doivent les qualifier et les juger en interprétant des normes de référence identiques.
Ce lien de continuité impose nécessairement que chacun des juges ait une « vision synthétique
des opérations sur lesquelles s’exercent leur censure »665. Cette continuité se manifeste par la
présence de nombreuses interférences entre les deux pans de la répression fiscale, si bien que
le principe d’indépendance cède au profit d’une interdépendance réciproque entre les
procédures pénale et fiscale.

663
S. RAIMBAULT de FONTAINE, Du principe d’indépendance des contentieux pénal et fiscal à l’unité des
procédures fiscale et répressive, op. cit.
664
R. BOUSTA, De la créativité du juge fiscal : l'exemple de l'indépendance des procédures fiscale et pénale, op.
cit.
665
S. RAIMBAULT de FONTAINE, Du principe d’indépendance des contentieux pénal et fiscal à l’unité des
procédures fiscale et répressive, op. cit.

124
SECTION II. L’INTERDÉPENDANCE RÉCIPROQUE DES PROCÉDURES
PÉNALE ET FISCALE

139. Utilisation réciproque. – En dépit du principe jurisprudentiel d’indépendance dressé


entre les procédures pénale et fiscale, celles-ci entretiennent une relation singulière révélant une
utilisation réciproque des éléments tirés de chacune d’entre elles. De nombreuses interférences
sont constatées entre les deux contentieux, qui sont autant de manifestations du dépassement
du principe d’indépendance. D’un côté, la procédure pénale est totalement subordonnée à
l’action de l’administration fiscale et de l’autre, la procédure fiscale puise dans le dossier pénal
des éléments indispensables à son action. Aussi est-il possible de constater une utilisation
intellectuelle de la procédure fiscale à des fins pénales (§1) et une utilisation processuelle de la
procédure pénale à des fins fiscales (§2).

§1. L’utilisation intellectuelle de la procédure fiscale à des fins pénales

140. Secours de l’administration fiscale. – Le juge pénal n’est pas le juge naturel de la
fraude fiscale666. Lorsqu’il se trouve saisi de faits relevant de l’article 1741 du code général des
impôts, il bénéficie souvent de l’existence de la procédure fiscale préalable qui lui sera d’un
grand secours dans le déroulement de son instance. C’est moins la procédure fiscale qui est ici
en cause que l’administration fiscale elle-même, compte tenu de ses compétences techniques et
de ses attributions. Dans le litige pénal, l’administration fiscale occupe une place très présente
mais aussi très singulière. Elle intervient tant dans le déclenchement de l’action publique en
qualité de partie poursuivante (A) qu’au stade de son exercice en incarnant une partie
intervenante (B).

A) L’administration fiscale, partie poursuivante

141. Intervention en amont du déclenchement du procès pénal. – L’intervention de


l’administration fiscale dans le procès pénal débute avant même que l’action publique ne soit
mise en mouvement. En effet, par le biais du verrou de Bercy667, l’administration fiscale

666
Ce point doit être relativisé au regard de la spécialisation récente du juge pénal en matière économique et
financière : V. supra, n°64.
667
V. supra, n°55 et s.

125
bénéficie d’une liberté discrétionnaire dans le choix de renforcer la répression administrative
en déclenchant l’action publique. Bien que ce mécanisme ait largement été desserré en faveur
d’une dénonciation obligatoire de l’administration pour les dossiers les plus graves, le nouveau
dispositif continue d’octroyer au Trésor la maîtrise du déclenchement de l’action publique par
le jeu des pénalités fiscales668.

142. Qualité du dossier préparé par l’administration fiscale. – Ainsi, les dossiers qui
parviennent entre les mains du parquet seront bien souvent passés d’abord entre celles de
l’administration fiscale. Il s’agit là d’une aubaine pour le ministère public, le dossier arrivant
dans son service prêt à recevoir les qualifications pénales adéquates. La qualité de la plainte669
de l’administration fiscale allège en effet considérablement le travail des parquetiers. Celle-ci
se présente sous la forme d’un courrier, signé par le directeur régional ou départemental des
finances publiques et adressé au parquet territorialement compétent. La plainte contient un
exposé détaillé des faits, un rappel des obligations légales applicables et un exposé des éléments
matériel et moral de la fraude. Elle précise également dans une conclusion l’identité de la
personne poursuivie. À cette plainte sont annexées une fiche complémentaire d’information
comprenant notamment le montant exact des droits fraudés ainsi que les principales pièces du
dossier fiscal et notamment l’avis détaillé de la Commission des infractions fiscales, la
proposition de rectification et la réponse aux observations du contribuable, ainsi que les mises
en demeure670.

143. Passivité du parquet. – La qualité des dossiers ainsi transmis contribue à restreindre
considérablement le rôle du parquet, souvent qualifié d’acteur « passif »671 en la matière. Alors
qu’habituellement la plainte n’est que le préalable nécessaire pour que le parquet procède à
différentes investigations afin de rechercher les coupables et recueillir les preuves, ici l’affaire
est livrée clé en main, sans que son action apporte une quelconque « plus-value »672 au dossier.

668
V. supra, n°57.
669
V. sur ce sujet, G. PELLEGRIN, B. PRAT, Y. RUTSCHMANN, Poursuite et sanction de la fraude fiscale :
l'évolution du risque pénal à l'aune de la loi de lutte contre la fraude du 23 octobre 2018 : Dr. fisc. n°11, 14 mars
2019, 197.
670
V. annexe n°1.
671
F. PERROTIN, Le bilan de la réforme du verrou de Bercy : LPA 23 avril 2021, n°157d4, p. 7 ou Rapp.,
Assemblée nationale, n°982, 23 mai 2018, Rapport d’information déposé en application de l’article 145 du
Règlement par la mission d’information commune sur les procédures de poursuite des infractions fiscales, op.
préc., p. 55.
672
F. PERROTIN, Le bilan de la réforme du verrou de Bercy, op. cit.

126
Nul besoin pour lui d’effectuer « une réelle contre-expertise des arguments de
l’administration »673, étant observé que le taux de réponse pénale atteint en matière fiscale un
niveau largement supérieur674 aux autres infractions. Son rôle se borne souvent à auditionner la
personne mise en cause et le dossier parvient directement devant le tribunal correctionnel, bien
souvent sans qu’il ne soit nécessaire d’ouvrir une information judiciaire. Ainsi, c’est le travail
de l’ensemble des acteurs de la chaîne pénale qui se trouve facilité par l’examen préalable de
l’administration fiscale.

144. Qualité amoindrie par le desserrement du verrou de Bercy ? – Certains redoutaient


que l’ouverture du verrou de Bercy affaiblisse la qualité des dossiers transmis par le Trésor à la
juridiction pénale. Il est vrai que l’allégement du dispositif a mécaniquement contribué à
augmenter le nombre d’affaires portées à la connaissance des parquetiers. Les statistiques
prévoyaient que l’ouverture du verrou multiplierait par deux le volume des plaintes transmises.
La parution des premiers chiffres confirme l’accélération de cet afflux, le nombre de dossiers
soumis à l’examen du ministère public passant de 958 en 2018 à 1 826 en 2019675. Il était donc
légitime de craindre que « l’administration fiscale [n’ait] pas nécessairement le temps, ni les
moyens d’accomplir pour ces dénonciations le travail détaillé́ »676 qu’elle accomplissait
auparavant et que la transmission ne se limite à « une fiche de transmission (…) accompagnée
d’un nombre limité de pièces du dossier fiscal »677.

673
Rapp., Assemblée nationale, n°982, 23 mai 2018, Rapport d’information déposé en application de l’article 145
du Règlement par la mission d’information commune sur les procédures de poursuite des infractions fiscales, op.
préc., p. 55.
674
Le taux de réponse pénale indique la proportion des dossiers ayant donné lieu au déclenchement de l’action
publique. Pour les chiffres en matière de fraude fiscale, V. Rapp., Assemblée nationale, n°982, 23 mai 2018,
Rapport d’information déposé en application de l’article 145 du Règlement par la mission d’information commune
sur les procédures de poursuite des infractions fiscales, op. préc., p. 35 : « En 2016, selon les renseignements
recueillis par la mission d’information au cours de l’audition du directeur des affaires criminelles et des grâces,
le taux de réponse pénale s’élevait à 93,4 % (au lieu de 83 % en moyenne pour les autres infractions), ce qui
signifie que les classements sans suite sont peu nombreux en matière de fraude fiscale ».
675
Rapp., Assemblée nationale, n°3341, 16 septembre 2020, Rapport d’information déposé en application de
l’article 145-7 du Règlement par la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire,
sur l’application de la loi n°2018-898 du 23 octobre 2018 relative à la lutte contre la fraude, E. CARIOU et E.
DIARD, députés, p. 47. De même durant l’année 2020 et malgré la pandémie de la Covid-19, 1 272 dossiers ont
été transmis à la juridiction pénale, comprenant les dénonciations obligatoires, les plaintes après avis conformes
de la CIF et les plaintes sur présomptions caractérisées de fraude fiscale (Circulaire de la Direction des affaires
criminelles et des grâces du 4 octobre 2021 relative à la lutte contre la fraude fiscale).
676 .
PELLEGRIN, B. PRAT, Y. RUTSCHMANN, Poursuite et sanction de la fraude fiscale : l'évolution du risque
pénal à l'aune de la loi de lutte contre la fraude du 23 octobre 2018, op. cit.
677
Ibid.

127
145. Circulaire du 7 mars 2019. – Les doutes émis par les commentateurs de la loi du 23
octobre 2018 relative à la lutte contre la fraude ont été levés par la lecture de la circulaire
commune à la direction générale des finances publiques du ministère de l’action et des comptes
publics et à la direction des affaires criminelles et des grâces du ministère de la justice du 7
mars 2019678. Celle-ci précise les modalités de transmission des dénonciations obligatoires,
lesquelles devront obligatoirement comporter, au-delà des documents essentiels de la procédure
administrative fiscale679, un « courrier d'accompagnement, daté et signé par le directeur (ou
son adjoint) de la direction ayant effectué le contrôle, lequel précisera la nature de l'infraction
(défaut de déclaration ou minoration de déclaration), l'impôt concerné, le montant des droits
éludés, la base légale de la majoration fiscale ainsi que son taux et son montant, les antécédents
fiscaux en cas d'application d'une majoration au taux de 40 %, le cas échéant, la qualité de
contribuable soumis à une obligation de déclaration auprès de la HATVP, le cas échéant, la
conclusion d'une transaction »680. Ainsi, le travail préalable de l’administration fiscale continue
de constituer une grande aide pour les acteurs de la procédure pénale.

146. Circulaire du 4 octobre 2021. – La circulaire du 4 octobre 2021 relative à la lutte


contre la fraude fiscale681 est allée encore plus loin dans la collaboration entre les autorités
fiscale et pénale en invitant les parties à des « rencontres opérationnelles régulières »682 qui
seront notamment l’occasion d’échanger sur les éventuels contentieux administratifs en cours,
les transactions conclues ou envisagées par le fisc, le règlement éventuel des pénalités fiscales
par le contribuable, les éventuelles mesures conservatoires prises par l’administration fiscale,

678
Circulaire n°CPAE1832503C du 7 mars 2019 relative à la réforme de la procédure de poursuite pénale de la
fraude fiscale et au renforcement de la coopération entre l'administration fiscale et la Justice en matière de lutte
contre la fraude fiscale.
679
À savoir selon les termes de la circulaire : « la proposition de rectification définitive notifiée au contribuable,
qui décrit les faits, précise les motifs de droit ayant conduit l'administration à procéder à des rehaussements
d'impôts, et les motivations pour l'application de pénalités, ainsi que leurs conséquences financières ; » et « la
réponse de l'administration fiscale aux observations du contribuable ».
680
Ibid, p. 5.
681
Circulaire de la Direction des affaires criminelles et des grâces du 4 octobre 2021 relative à la lutte contre la
fraude fiscale, disponible en ligne : http://www.justice.gouv.fr/bo/2021/20211029/JUSD2129778C.pdf : E.
DAOUD, V. RIGAMONTI, M. PERRAULT, M. SNITSAR, L. COUDON-MORINI, Circulaire du 4 octobre 2021
de lutte contre la fraude fiscale : D. actu, 22 novembre 2021 ; A. ROUSSEAU, Nouvelle circulaire relative à la
lutte contre la fraude fiscale : Dr. fisc. n°44, 4 novembre 2021, act. 546.
682
Circulaire de la Direction des affaires criminelles et des grâces du 4 octobre 2021 relative à la lutte contre la
fraude fiscale, p. 7.

128
la sensibilité particulière de certains dossiers683 ou encore l’intention ou non pour
l’administration de se constituer partie civile. Plus encore, cette circulaire a ajouté, parmi les
documents obligatoirement transmis par le fisc au parquet, la proposition de rectification. Y est
en outre annexée684 une « trame commentée d’un exemple de proposition de rectification »,
conçue comme un guide pratique à l’attention des procureurs pour identifier au sein du
document fiscal les informations utiles à la caractérisation des éléments constitutifs du délit de
fraude fiscale. Dans la même logique, l’annexe 3 fournit au ministère public des modèles de
soit-transmis définissant le cadre des investigations des enquêteurs ainsi qu’une fiche
explicative précisant explicitement qu’« il ne s'agit pas ici de reconstruire le schéma ou le
montant de la fraude, l'enquête ayant déjà été faite sur ce point par les vérificateurs de
l'administration fiscale ». Selon la circulaire, l’objet de l'enquête pénale se résume à « prouver
le caractère intentionnel de la fraude ».

147. Nécessité d’enquêter à charge et à décharge. – La matérialité de l’infraction de fraude


étant déjà établie par l’administration fiscale, le parquet se voit priver de son rôle habituel de
qualification des faits qui lui sont soumis. En tenant « pour acquis le travail effectué par
l'administration fiscale »685, la circulaire attribue au travail de l’administration fiscale une
suffisance dans la constitution du dossier pénal. En application de ces instructions686,
l’opportunité des poursuites du parquet est substantiellement entachée. Une telle situation peut
susciter des inquiétudes quant à la nécessité pour le parquet de veiller au respect du principe
d’impartialité687 et de l’obligation qui lui est faite d’enquêter à charge et à décharge, ainsi qu’il

683
Selon les termes de la circulaire, la sensibilité du dossier peut résulter de la présence d’un procédé de fraude
inhabituel, de l’ampleur du préjudice, du caractère sériel de la fraude ou encore de la nécessité d’une certaine
exemplarité.
684
V. annexe 1.2. de la circulaire du 4 octobre 2021 relative à la lutte contre la fraude fiscale.
685
E. DAOUD, V. RIGAMONTI, M. PERRAULT, M. SNITSAR, L. COUDON-MORINI, Circulaire du 4 octobre
2021 de lutte contre la fraude fiscale : D. actu, 22 novembre 2021.
686
En théorie, le parquet dispose toujours de la faculté de ne pas poursuivre ou de requalifier l’infraction.
687
L’article 31 du code de procédure pénale énonce depuis la loi n°2013-669 du 25 juillet 2013 relative aux
attributions du garde des sceaux et des magistrats du ministère public en matière de politique pénale et de mise en
œuvre de l'action publique que le ministère public exerce l'action publique et requiert l'application de la loi « dans
le respect du principe d'impartialité auquel il est tenu ». Cependant, la Cour de cassation observe que « le ministère
public ne décidant pas du bien-fondé d'une accusation en matière pénale, le moyen pris de la partialité supposée
de ce magistrat est inopérant » : Cass. crim., 9 mars 2016, n°14-86.795. V. pour plus de développements sur
l’impartialité du ministère public, G. MASSON, L’indépendance des magistrats vis-à-vis du pouvoir politique de
1870 à nos jours : Thèse, Paris, 1975 ; M.-L. RASSAT, Le ministère public entre son passé et son avenir : Thèse,
LGDJ, 1967 ; L. ASCENSI, Le ministère public est-il une autorité judiciaire ? : AJ pén. 2011, n°4, p. 198 et s. ;
J.-F. RENUCCI, Le procureur de la République est-il un magistrat au sens européen du terme ? In Libertés, justice,
tolérance, Mélange en hommage au Doyen Gérard Cohen-Jonathan, Bruylant, Volume II, 2004, p. 1344 et s. ; P.

129
résulte des termes de l’alinéa 2 de l’article 39-3 du code de procédure pénale688. Il apparait en
effet particulièrement malaisé pour le ministère public de se forger une opinion objective face
à un dossier présentant le contribuable comme déjà coupable. Le travail préalable de
l’administration fiscale ne représente plus un simple appui technique à l’attention des parquets
mais une véritable injonction de poursuivre s’exerçant au détriment des principes assurant la
tenue d’un procès équitable. Si au stade de l’opportunité des poursuites, l’administration fiscale
joue le rôle d’une partie poursuivante, elle devient partie intervenante une fois l’action publique
mise en mouvement.

B) L’administration fiscale, partie intervenante

148. Omniprésence de l’administration fiscale dans le procès pénal. – Une fois l’action
publique mise en mouvement, le procès pénal peut avoir lieu devant les juridictions
correctionnelles. Il eut été possible d’imaginer que le travail de l’administration fiscale s’achève
une fois que son dossier, suffisamment étayé, est transmis au parquet. Or il n’en est rien, son
rôle se poursuit au-delà du déclenchement de l’action publique, irriguant ainsi l’ensemble de la
procédure pénale. La place de l’administration dans le procès pénal est empreinte d’un grand
particularisme, qui se retrouve tant dans les conditions de recevabilité de son action (1) que
dans ses attributions dans le procès pénal (2).

HENNION-JACQUET, L’arrêt Medvedyev : un turbulent silence sur les qualités du parquet français : D. 2010,
n°22, p. 1390 ; A. MARON et J.-B. THIERRY, L’arrêt Medvedyev c/France du 29 mars 2010 : juge d’instruction
: 1-Parquet : 0 : Dr. pén., juin 2010, n°2, étude 12 ; J.-P., JEAN, Le ministère public français au regard des justices
pénales d’Europe : AJ pén., 2011, n°3, p. 106 et s. ; H. MATSOPOULOU, Plaidoyer pour l’indépendance
fonctionnelle des magistrats du parquet : Gaz. Pal., 27 avril 2010, n°117, p. 15 et s. ; S. LAVRIC, Affaire Moulin
contre France : le parquet n’est pas un magistrat au sens de la Convention EDH : D. 2011, n°5, p. 338 et s. ; R.
BADINTER, Conclusions et perspectives d’avenir, in Quel avenir pour le ministère public, Sous l’égide de la
Cour de cassation, Thèmes et commentaires, Dalloz, 2008, p. 172 et s. ; J.-P. MARGUENAUD, Tempête sur le
Parquet : RSC 2009, n°1, p. 176 et s. ; J.-P. MARGUENAUD, Tempête sur le Parquet : bis sed non repetita : RSC
2010, n°3, p. 685 et s. ; O. BACHELET, La France, le parquet et les droits de l’Homme : l’importune opiniâtreté
de la Cour européenne : Gaz. Pal., 9 décembre 2010, n°343, p. 6 et s. ; J. PRADEL, L’enquête pénale aujourd’hui.
Vers une stabilisation dans l’équilibre ? : D. 2014, n°29, p. 1647 et s. ; E. BONIS-GARCON et O. DECIMA, Le
parquet et les sirènes de l’indépendance : JCP G, n°17, 22 avril 2013, p. 460 et s. ; S. DETRAZ, Refonder le
ministère public : JCP G, n°51, 16 décembre 2013, p. 1326 et s. ; S. JOUNIOT, Impartialité du ministère public :
le serpent de mer de la procédure pénale refait surface : AJ pén. 2021. 344.
688
Cet article a été créé par l’article 54 de la loi n°2016-731 du 3 juin 2016 renforçant la lutte contre le crime
organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l'efficacité et les garanties de la procédure pénale.

130
1) La singularité des conditions de recevabilité de l’action de l’administration
fiscale

149. Fondement textuel extérieur au code de procédure pénale. – L’action civile est celle
qui est « ouverte à la victime d’une infraction pénale, en réparation du dommage que celle-ci
lui a causé »689. Selon les termes de l’article 2 du code de procédure pénale, celui qui entend
l’exercer doit justifier de l’existence d’un préjudice direct et personnel. Lorsqu’un procès pénal
est ouvert du chef de fraude fiscale, l’administration a la possibilité de se constituer partie civile.
Cette faculté lui est ouverte non en vertu de l’article précité mais en vertu d’une disposition
spécifique insérée dans le livre des procédures fiscales. L’article L. 232 énonce en effet que
« lorsqu'une information est ouverte par l'autorité judiciaire sur la plainte de l'administration
fiscale en matière de droits, taxes, redevances et impositions de toute nature mentionnés au
code général des impôts, cette administration peut se constituer partie civile ».

150. L’administration fiscale titulaire d’une action civile attitrée. – Il s’agit là d’une
première singularité, dont il faut immédiatement relativiser la portée puisque de nombreuses
autres personnes morales sont autorisées, sur le fondement d’un article extérieur au code de
procédure pénale, à se constituer partie civile dans le cadre d’une procédure pénale. Au-delà de
la stricte qualité de victime pénale au sens de l’article 2 du code de procédure pénale, la
jurisprudence a progressivement élargi la notion de qualité pour agir afin de reconnaître à des
groupements à but non lucratif le pouvoir de défendre un intérêt non personnel. Il en est
notamment ainsi des associations environnementales690, des syndicats professionnels691 ou
encore de certaines collectivités publiques692. Toutefois, la formulation de l’article L. 232 du
livre des procédures fiscales semble réserver à l’administration fiscale une place dans le procès
pénal distincte des autres personnes morales habilitées à intervenir. Parce qu’elles ne peuvent
arguer d’un préjudice personnel et direct, celles-ci ne sont pas de véritables victimes pénales au
sens de l’article 2 du code de procédure pénale. Aussi les textes habituels en la matière leur
accordent-ils le simple pouvoir d’exercer les droits « reconnus » ou « réservés » à la partie
civile, tandis que l’article L. 232 offre génériquement au Trésor la possibilité de « se constituer
partie civile » dans le procès pénal ouvert du chef de fraude fiscale. Parce qu’elle est

689
G. CORNU, Vocabulaire juridique, Association Henri Capitant, op. cit., p. 24.
690
Art. L. 142-2 du code de l’environnement.
691
Art. L. 2132-3 du code du travail.
692
Voir par ex., en matière d’urbanisme, art. L. 480-1 du code de l’urbanisme.

131
personnellement et directement lésée par la commission d’une fraude693, l’administration
fiscale a intérêt et qualité pour agir. Plus encore, le procès pénal ouvert du chef de fraude fiscale
n’admet qu’une seule constitution de partie civile, celle de l’administration fiscale. L’action
ainsi exercée par le Trésor public est une action attitrée, qui ne saurait être exercée par un tiers.
Ne pouvant justifier d’un préjudice tiré de la fraude694, les particuliers ne sont jamais admis à
se constituer partie civile 695. Ces solutions font de l’infraction de fraude fiscale une « infraction
d’intérêt général »696.

151. Article 418 du CPP. – La faculté dont dispose l’administration fiscale de se constituer
partie civile dans le procès pénal a été entendue très largement par la jurisprudence. Alors que
lecture de l’article L. 232 du livre des procédures fiscales semble subordonner la recevabilité
de son action à l’ouverture d’une « information » judiciaire, la chambre criminelle a toujours
refusé d’y voir une limitation du champ de son intervention. Elle estime en effet que l’indication
par cette disposition de la seule phase d’instruction « a pour seul objet de préciser que
l'administration peut également se constituer partie civile au cours de l'instruction
préparatoire » et ne saurait « avoir pour effet de limiter le droit de l'administration de se
constituer partie civile au cas où le ministère public choisit de poursuivre par la voie de

693
V. notamment sur ce sujet, G. KLEIN, La répression de la fraude fiscale, Étude sur le particularisme du droit
pénal des impôts, op. cit., p. 524, n°528 : « par le retard qu’elles entraînent dans la perception des droits, par les
soucis et les frais qu’elles occasionnent, ces infractions causent à l’administration un dommage distinct du simple
montant des droits fraudés. En somme, l’administration se trouve dans une situation comparable à celle de la
victime d’une escroquerie qui souffre d’un préjudice en général supérieur au seul montant des valeurs
escroquées ».
694
Cass. crim., 11 mars 1959 : Bull. crim., n°164 ; Cass. crim., 14 octobre 1959, Bull. crim., n°429 : « par leur
nature, les infractions fiscales ne peuvent occasionner en principe de préjudice qu’à l’État ».
695
Cass. crim., 13 décembre 1993, n°93-81.819 : en l’espèce, la chambre d’accusation avait déclaré irrecevable la
constitution de partie civile d’un particulier aux motifs que la plainte visant uniquement un délit de fraude fiscale,
seule l’administration fiscale est « habilitée à déposer plainte » et que cette « règle de procédure, exclusive de
celle prévue à l’article 2 du Code de procédure pénale, conditionne la mise en mouvement de l’action publique à
l’égard des auteurs principaux comme des complices ». La chambre criminelle approuva sans réserve ce
raisonnement.
696
V. en ce sens, S. DETRAZ, « Lois pénales spéciales », Fasc. n°50, Jurisclasseur, 14 octobre 2011, mis à jour le
28 janvier 2021, n°177 ; P. BONFILS, L’action civile, Essai sur la nature juridique d’une institution : Thèse,
PUAM, 2000, p. 52 et 53. À l’inverse, lorsque les poursuites visent une qualification différente de celle de l’article
1741 du code général des impôts, la voie de l’action civile s’ouvre à d’autres personnes que la seule administration
fiscale. V. par ex., en matière d’escroquerie à la TVA : Cass. crim., 19 décembre 1973, n°73-90.224 ; Cass. crim.,
15 novembre 1989, n°88-82.343 ; Cass. crim., 19 juin 1978, n°73-92.900 ou Cass. crim., 16 mai 2018, n°17-
81.973 ; en matière de blanchiment de fraude fiscale, la jurisprudence accepte expressément que l’État français se
constitue partie civile et obtienne réparation, à la condition que ce dernier démontre l’existence d’un dommage
spécifique résultant de l’infraction de blanchiment : Cass. crim., 29 janvier 2020, n°17-83.577.

132
l'information judiciaire »697. Pour ce faire, les juges voient dans l’article 418 du code de
procédure pénale, qui permet à celui qui se prétend lésé par un délit de se constituer directement
devant la juridiction correctionnelle, un fondement régulier de la constitution de partie civile de
l’administration fiscale698. L’application de cette disposition au profit du fisc confirme que la
fraude atteint directement et personnellement les intérêts du Trésor.

152. Souplesse des conditions de fond. – Dans le but de faciliter et encourager son
intervention dans le procès répressif, la chambre criminelle a largement tempéré les conditions
de recevabilité de l’action par rapport à celles exigées en droit commun. Cette souplesse se
vérifie en premier lieu à l’endroit des conditions de fond de l’action, contraignant en principe
la demanderesse à faire la preuve d’un préjudice personnel et direct causé par l’infraction. Alors
qu’il est communément admis que la fraude fiscale lèse personnellement et directement le
Trésor public699, la jurisprudence refuse de voir un lien entre la constitution de partie civile de
l’administration fiscale et la réparation d’un quelconque préjudice. Sa présence dans le procès
pénal, qui n’a pour but que de sauvegarder les intérêts du Trésor, ne peut dépendre de
l’existence d’un préjudice personnel et direct au sens de l’article 2 du Code de procédure pénale.
Ainsi, la recevabilité de l’action civile de l’administration n’est soumise à aucune condition de
fond. Cette solution jurisprudentielle est ancienne700 et implique que le paiement par le
contribuable des droits fraudés et des pénalités y afférentes, s’il fait disparaître le préjudice
pécuniaire actuel du Trésor, ne peut déchoir l’administration de son droit de se constituer partie
civile701. De la même façon, les juges du fond n’ont pas à motiver son bien-fondé702. L’action
civile de l’administration est accordée « de plano »703, indépendamment des conditions de droit
commun posées à l’article 2 du Code de procédure pénale.

697
Cass. crim., 20 mai 1985, n°84-92.585.
698
Ibid. Un arrêt récent a soulevé en vain le problème dans le cadre de l’examen d’une QPC : Cass. crim., 20
décembre 2017, n°17-82.469 : « 3. Attendu qu'à l'exception de l'article L. 232 du livre des procédures fiscales, qui
permet à l'administration fiscale de se constituer partie civile dans une information judiciaire ouverte sur sa
plainte, ce qui n'a pas été le cas en l'espèce, la juridiction correctionnelle ayant été saisie par une citation directe
délivrée par le procureur de la République, les dispositions législatives contestées sont applicables à la procédure
». Pour l’heure, aucun arrêt statuant sur le fond n’est revenu sur la solution antérieure.
699
V. notamment sur ce sujet, G. KLEIN, La répression de la fraude fiscale, Étude sur le particularisme du droit
pénal des impôts, op. cit., p. 524, n°528.
700
Cass. crim., 28 janvier 1971, n°69-92.362.
701
Cass. crim., 10 juillet 1997, n°96-83.208.
702
Cass. crim., 22 janvier 2003, n°02-83.051.
703
S. DETRAZ, L'Administration fiscale peut se constituer partie civile pour la première fois en appel : RSC 2018
p. 693.

133
153. Respect du cloisonnement des objectifs des procédures pénale et fiscale. – Ces
solutions qui offrent au Trésor la possibilité de participer au procès pénal sans avoir à justifier
de la légitimité de son intervention font de sa constitution de partie civile une action objective,
détachée de toute référence à la notion de dommage au sens de l’article 2 du code de procédure
pénale. Elles sont fondées sur une présomption selon laquelle la fraude fiscale lèse sinon les
intérêts du Trésor, du moins ceux de la société toute entière704. Loin de constituer une faveur
au profit de l’administration fiscale, cette idée participe au respect du cloisonnement des
objectifs assignés à chacun des contentieux pénal et fiscal. Parce que la procédure pénale ne
peut jamais avoir pour objet de réparer le préjudice né de la fraude, il apparait logique que la
constitution de partie civile de l’administration fiscale soit débarrassée de toute référence à la
notion de dommage.

154. Souplesse des conditions de forme. – En second lieu, ce sont les conditions de forme
de l’action civile de l’administration qui dérogent substantiellement au droit commun. La
spécificité de l’action de l’administration fiscale s’est affirmée au regard de la possibilité
d’intervenir en cause d’appel, ainsi qu’en témoignent deux arrêts récents de la chambre
criminelle de la Cour de cassation. Dans la première espèce 705, le ministère public puis le
prévenu avaient interjeté appel des dispositions pénales du jugement, sans que l’administration
ne fasse de même à l’encontre des dispositions civiles. Devant la chambre des appels
correctionnels, l’administration fiscale a pourtant décidé de communiquer des conclusions de
partie civile, alors rejetées par la juridiction d’appel aux motifs que l’appel ne portant que sur
les dispositions relatives à l’action publique, la partie civile ne pouvait intervenir en cette qualité
en appel. Respectant à la lettre l’effet dévolutif de l’appel en matière pénale selon lequel
l’affaire en cause d’appel est dévolue dans la limite de l’acte d’appel et de la qualité de
l’appelant706, le raisonnement des magistrats de la cour d’appel a pourtant été annulé par la
Haute juridiction, qui a énoncé dans un motif de principe707 que « l'administration fiscale, non
appelante d'un jugement statuant sur des faits de fraude fiscale qui a reçu sa constitution de

704
V. supra, n°108.
705
Cass. crim., 29 juin 2016, n°15-85.759 : D. 2016. 1571 ; AJ pén. 2016. 493, obs. P. de COMBLES DE
NAYVES ; Bull. crim. n°207 ; Dr. pén. 2016, chron. 9, n°7, obs. S. DETRAZ ; Dr. pén. 2016, comm. 144, note
J.-H. ROBERT ; R. SALOMON, Droit pénal fiscal : Dr. fisc. 2016, n° 30-35, étude 439, spéc. n°19.
706
Art. 509 CPP.
707
Rendu aux visas des art. L. 227, L. 232 LPF et de l’art. 1741 CGI.

134
partie civile, peut intervenir à l'instance d'appel aux seules fins de corroborer l'action publique
en cas de recours formé par le ministère public ». Cet arrêt confirme que la constitution de
partie civile de l’administration n’a rien d’une action civile de droit commun, son objectif étant
de venir corroborer l’accusation dans un but non pas indemnitaire mais exclusivement répressif.

Dans la seconde espèce ayant donné lieu à un arrêt du 8 novembre 2017708, un prévenu
avait été poursuivi et condamné notamment du chef de fraude fiscale aux termes d’une première
instance correctionnelle, à laquelle l’administration fiscale n’avait pas participé. Le prévenu et
le parquet ont interjeté appel et le Trésor s’est constitué, pour la première fois donc, en cause
d’appel. Aux termes d’une riche motivation soulignant les spécificités de l’action de
l’administration fiscale709, la cour d’appel de Paris puis la chambre criminelle710 ont accepté
son intervention tardive. Cette solution s’écarte nettement du principe applicable en droit
commun selon lequel une constitution de partie civile, présentée pour la première fois en cause
d'appel, doit être déclarée irrecevable711. L’application du principe para-constitutionnel712 du

708
Cass. crim., 8 novembre 2017, n°17-82.968 : Dr. fisc. 2017. 699, note SALOMON ; D. 2018. 1611, obs. J.
PRADEL ; Dr. pén. 2018, comm. 15, obs. J.-H. ROBERT ; RSC 2018. 693, obs. S. DETRAZ.
709
La cour d’appel de Paris (arrêt du 29 mars 2017) avait d’abord rappelé qu’en vertu du principe du double degré
de juridiction, une partie non intervenue en première instance ne saurait être autorisée à se constituer partie civile
pour la première fois en cause d’appel, quand bien même la plaignante n’aurait pas été avisée par le parquet de la
date d'audience. Elle avait ensuite énoncé les spécificités de l’action de l’administration fiscale dans le procès
pénal, celle-ci ne pouvant être assimilée à une victime au regard de l’objectif de valeur constitutionnelle dégagé
dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Elle avait ajouté que « l'action de l'administration fiscale, qui
n'est ni une action civile ni une action publique, trouve son fondement, non pas dans les articles 2 et 3 du code de
procédure pénale mais dans l'article L. 232 du livre des procédures fiscales », puis que l’action qui lui est ouverte
n’a pas pour objet de demander une réparation distincte de celle qui est assurée par les majorations et amendes
fiscales mais elle a pour but « de lui permettre de suivre la procédure et d'intervenir dans les débats, étant rappelé
qu'il incombe à l'administration fiscale, aux côtés du ministère public, d'apporter la preuve de l'élément
intentionnel du délit de fraude fiscale, délit pour lequel elle est seule à pouvoir, par sa plainte, déclencher la mise
en œuvre de l'action publique ». Et d’en conclure « que pour l'ensemble de ces raisons, et alors que
l'administration fiscale ne peut agir devant les juridictions civiles et que le principe du droit à un procès équitable
lui est applicable, la constitution de partie civile de la direction générale des finances publiques sera déclarée
recevable ».
710
Dans son arrêt du 8 novembre 2017 précité, la chambre criminelle approuvera ce raisonnement, confirmant que
l’administration fiscale ne saurait être assimilée à une victime au sens de l’article 2 du code de procédure pénale
et que son rôle n’est pas de solliciter une réparation distincte de celle assurée par la procédure fiscale. Selon les
termes de la Cour de cassation, son action a « pour but de lui permettre de suivre la procédure et d'intervenir dans
les débats », et notamment pour apporter la preuve de l’élément moral de la fraude.
711
Cass. crim., 13 décembre 1990, n°89-87.032 : Bull. crim. n°431 ; Cass. crim., 10 mai 2005, n°04-84.481 ; Cass.
crim., 26 janver 2005, n°04-82.334 : Bull. crim. n°30, D. 2005. 665 ; Cass. crim., 9 septembre 2015, n°14-84.883.
712
Le juge constitutionnel n’a jamais proclamé la valeur constitutionnelle du principe de double degré de
juridiction. En revanche, il bénéficie d’une protection constitutionnelle indirecte par le secours du principe
constitutionnel d’égalité. V. en ce sens, F. LUCHAIRE, La protection constitutionnelle des droits et libertés,
Economica, 1987 ; A. CAPPELLO, La constitutionnalisation du droit pénal, Pour une étude du droit pénal

135
double degré de juridiction au profit du prévenu ne saurait en effet dépendre de la seule attitude
procédurale de la victime713. Pour éviter toute discrimination entre les justiciables, la chambre
criminelle se montre intransigeante avec cette solution puisqu’elle considère que cette
interdiction vaut « quelle que soit la raison pour laquelle elle n’a pas été partie au jugement de
première instance »714, y compris lorsque le greffe a adressé un avis à victime mentionnant un
horaire erroné715. Bien au contraire, dans le procès pénal ouvert du chef de fraude fiscale, la
chambre criminelle ne voit aucun inconvénient à ce que l’administration fiscale se constitue
pour la première fois en cause d’appel. Le Trésor public ayant l’initiative des poursuites pénales
en matière de fraude716, il est pourtant systématiquement averti du déroulement de la procédure
pénale éventuellement engagée à l’encontre du contribuable. Il est donc contestable que son
inertie – injustifiée – en première instance puisse être corrigée dans le seul but de sauvegarder
les intérêts du Trésor. C’est donc à juste titre que la doctrine regrette les « acrobaties »717
auxquelles se livre la Cour de cassation pour étendre le domaine d’intervention de
l’administration fiscale dans le procès pénal, au détriment du respect des principes
fondamentaux de la procédure pénale. Assurément, les conditions de recevabilité de la
constitution de partie civile de l’administration fiscale sont « exorbitantes de droit
commun »718. L’objet de son action est également empreint d’un grand particularisme.

constitutionnel : Thèse, LGDJ, 2014 ; F. LUCHAIRE, Un Janus constitutionnel : l'égalité : RDP 1986. 1253 ; V.
ZENCKER, Les usages de l'évocation par la Chambre des appels correctionnels : RSC 2014. 745.
713
Le Conseil constitutionnel a déjà eu l’occasion de censurer la faculté pour la victime demandant réparation, de
se constituer partie civile pour la première fois devant la cour d'appel au motif que, selon son attitude, le prévenu
pourra ou non bénéficier du double degré de juridiction : Cons. const., DC, 19 et 20 janvier 1981, n°80-
127, Sécurité et liberté : Rec. Lebon 15, considérant n°71. Pour une confirmation de ce principe, Cons. const., DC,
12 février 2004, n°2004-491 : D. 2005. 1133, Ibid. 1125, obs. V. OGIER-BERNAUD et C. SEVERINO.
714
Cass. crim., 20 avril 2017, n°16-83.199 : Procédures 2017, comm. 166, A.-S. CHAVENT-LECLÈRE, AJ pén.
2017. 298, obs. G. ROYE.
715
Lorsque toutefois la victime s’était constituée en première instance mais que les juges du tribunal correctionnel
ont omis de statuer sur la recevabilité de son action, celle-ci doit interjeter appel et demander à la cour d’appel
d’user de son pouvoir d’évocation : V. en ce sens : Cass. crim., 10 novembre 2020, n°19-80.962 : F. ENGEL,
Évocation et recevabilité de l'appel de la partie civile oubliée, AJ pén. 2021. 99 ; D. actu. 15 déc. 2020, obs. S.
GOUDJIL.
716
V. supra, n°141 et s.
717
J.-H. ROBERT, Après le verrou de Bercy, son fusil à deux coups : Dr. pén. n°10, octobre 2016, comm. 144
718
C. SAND et E. DAOUD, Fraude fiscale : réflexions autour de la présomption d'innocence : Dr. pén. n°10,
octobre 2018, dossier 11.

136
2) La singularité de l’objet de l’action de l’administration fiscale dans le procès
pénal

155. Prohibition d’une action civile ayant un objet civil. – Dans le procès pénal, l’objet
de la demande de la partie civile, c’est-à-dire le contenu de sa demande, peut être de deux
ordres. Son action peut tout d’abord être exclusivement de nature civile 719, tournée vers la
réparation des préjudices engendrés par la commission de l’infraction. Cet objectif restitutif ne
représente pour elle qu’une faculté qu’elle n’est jamais contrainte d’exercer. Aussi l’alinéa 3 de
l’article 418 du code de procédure pénale prévoit-il pour la matière délictuelle720 que la « partie
civile peut, à l'appui de sa constitution, demander des dommages-intérêts correspondant au
préjudice qui lui a été causé ». La partie civile que représente l’administration fiscale fait encore
une fois figure d’exception puisque son action ne peut jamais renfermer un objet restitutif. Son
préjudice pécuniaire est entièrement et exclusivement réparé par la procédure fiscale 721. Parce
qu’elle ne tend pas vers la défense d’un intérêt restitutif – et donc privé –, l’action de
l’administration fiscale ne s’apparente donc pas à une action civile classique. Devant la
juridiction pénale, la voie restitutive formulée à l’appui de son action civile lui est tout
simplement fermée.

156. Une action civile extra-pénale participative à l’action publique. – Indépendamment


du droit de demander réparation, la victime d’une infraction peut également souhaiter participer
à l’audience pénale, dans le seul but de « corroborer l’action publique et d’obtenir que soit
établie la culpabilité du prévenu »722. L’objet de l’action civile est alors exclusivement pénal,
tourné vers la condamnation du prévenu. Dans pareille hypothèse, on assiste à une dissociation
« entre les finalités vindicative et réparatrice de l'action civile »723. Une telle scission de
l’action civile a atteint son « paroxysme »724 en matière de terrorisme puisque le législateur a

719
V. pour cette distinction : F. BOULAN, Le double visage de l'action civile exercée devant la juridiction
répressive, préc. ; P. BONFILS, L’action civile, Essai sur la nature juridique d’une institution : Thèse, PUAM,
2000, pp. 259 à 306.
720
V. pour la matière criminelle, les art. 371 et s. CPP.
721
V. supra, n°35.
722
Jurisprudence ancienne et constante de la chambre criminelle de la Cour de cassation : V. par ex. : Cass. crim.,
8 juin 1971, n°69-92.311 ; Cass. crim., 12 décembre 1994, n°94-80.680 ; Cass. crim., 18 octobre 1988, n°87-
91.554.
723
R. PARIZOT, Les spécificités de l'action civile en matière terroriste : RSC 2020, p.699.
724
M. LACAZE, Recevabilité de l’action des associations d’assistance aux victimes de terrorisme : condition
suffisante de l’objet statutaire : AJ pén., 2020, p. 369.

137
récemment introduit un article 706-16-1 dans le code de procédure pénale qui énonce en son
premier alinéa que « lorsqu'elle est exercée devant les juridictions répressives, l'action civile
portant sur une infraction qui constitue un acte de terrorisme ne peut avoir pour objet que de
mettre en mouvement l'action publique ou de soutenir cette action »725. L’action civile exercée
devant les juridictions répressives ne fait que corroborer l’action publique726 et « ne peut tendre
à la réparation du dommage causé par cette infraction ». L’indemnisation des victimes se
réalise indépendamment de l’action menée devant la juridiction pénale dans le cadre d’une
action ouverte devant la juridiction d'indemnisation des victimes d'attentats terroristes,
constituée au tribunal judiciaire de Paris727. Comme en matière fiscale, l’action civile est
détachée de toute portée indemnitaire. Il s’agit d’une « action civile purement répressive »728.

L’action exercée par l’administration fiscale dans le cadre de poursuites pénales pour
fraude fiscale implique toutefois plus qu’une « participation au procès pénal »729. Le fisc s’est
en effet vu confier la lourde tâche, aux côtés du ministère public, d’apporter la preuve d’un des
deux éléments constitutifs de l’infraction de fraude fiscale, à savoir son élément intentionnel.
L’article L. 227 du livre des procédures fiscales énonce qu’« au cas de poursuites pénales
tendant à l'application des articles 1741 et 1743 du code général des impôts, le ministère public
et l'administration doivent apporter la preuve du caractère intentionnel soit de la soustraction,
soit de la tentative de se soustraire à l'établissement et au paiement des impôts mentionnés par
ces articles ». Ainsi, le rôle de l’administration fiscale dans le procès répressif est public et
institutionnalisé. L’administration fiscale doit participer activement à l’accusation, au même
titre que le ministère public. L’objet de l’action de l’administration fiscale est extra-pénal. Le
fisc n’est pas seulement là pour corroborer l’accusation, c’est-à-dire pour « [l’]appuyer, [la]
fortifier, [la] confirmer »730, mais pour véritablement la démontrer, la soutenir dans une
dimension similaire au rôle tenu par les magistrats du parquet. En ce sens, il est permis de
distinguer la « participation au procès » des victimes d’attentats terroristes, de la « participation

725
Loi n°2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, art. 64.
726
V. en ce sens, Y. MAYAUD, « Répertoire de droit pénal et de procédure pénale - Terrorisme – Poursuites
et indemnisation », avril 2022, n°385.
727
Art. L. 217-6 COJ, créé par l’article 64 de la loi n°2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et
de réforme pour la justice.
728
P. BEAUVAIS, L'avocat (pénaliste) de la victime : Dr. pén. n°5, mai 2021, dossier 7. V. dans le même sens, R.
PARIZOT, Victimes par implication - La conception élargie de la notion de partie civile en matière terroriste par
la Cour de cassation : JCP G 2022, n°17, 560.
729
K. MARIAT, La recevabilité de l’action pénale privée : Lexbase Pénal, 20 mai 2021, n°38.
730
Dictionnaire de l’Académie française, 9ème éd., disponible en ligne, sous « Corroborer ».

138
à l’action publique » du Trésor public dans le cadre de poursuites engagées sur le fondement de
l’article 1741 du code général des impôts. Finalement, l’action civile exercée par le fisc est une
action civile de nature extra-pénale et participative à l’action publique.

157. Justification de l’intervention de l’administration fiscale. – Historiquement, le


législateur a toujours entendu confier cette mission singulière à l’administration fiscale.
Reprenant les travaux préparatoires de la loi de 1922731, un ancien arrêt de la cour d’appel de
Paris de 1923732 affirmait déjà que « l’intervention de l’administration a été conçue pour
permettre à l’administration de rester en contact avec les juges statuant sur l’action publique
et de fournir tous documents et renseignements de nature à les éclairer »733. La principale
raison de la présence de l’administration fiscale au procès pénal tient à sa parfaite connaissance
de la matière fiscale. Pour qualifier l’infraction, le juge répressif va immanquablement devoir
manier des questions de droit fiscal734. Dans cette délicate tâche, le juge pénal pourra bénéficier
des précieuses « lumières fournies par l’administration »735. L’impérativité de son intervention
dans l’instance pénale réside dans « la contribution efficace [qu’elle] est en mesure d’apporter
à la manifestation de la vérité »736. En tant que partie civile, elle aura accès au dossier, mais
aussi aux moyens soulevés par la défense et pourra épauler le ministère public dans la
caractérisation des éléments matériel et – surtout737 – moral de la fraude738. La fraude fiscale
étant un délit intentionnel739, les juges doivent impérativement caractériser l’intention
délictuelle pour entrer en voie de condamnation. Aux termes d’une jurisprudence constante,

731
Loi du 10 août 1922 relative à à l'organisation du contrôle des dépenses engagées.
732
Arrêt cité par Monsieur KLEIN dans sa thèse : G. KLEIN, La répression de la fraude fiscale, Étude sur le
particularisme du droit pénal des impôts, op. cit., p. 529, n°534 : CA Paris, 10 octobre 1923, Proced. Repr. Droit
com. n°1 p.131.
733
G. KLEIN, La répression de la fraude fiscale, Étude sur le particularisme du droit pénal des impôts, op. cit.,
p. 529, n°534.
734
V. supra, n°128.
735
G. KLEIN, La répression de la fraude fiscale, Étude sur le particularisme du droit pénal des impôts, op. cit.,
p. 530, n°535.
736
Ibid.
737
L’article L. 227 LPF indique que l’administration fiscale doit aux côtés du ministère public, démontrer la preuve
du caractère intentionnel de la fraude.
738
C’est ainsi que la doctrine fiscaliste résume le rôle attribué à l’administration fiscale : « Devant la juridiction
pénale, la charge de la preuve incombe dans tous les cas à l'accusation, c'est-à-dire au ministère public auquel se
joint, le cas échéant, l'administration partie civile. C'est à eux qu'il appartient d'établir la matérialité du délit ainsi
que la responsabilité personnelle de l'inculpé, qui bénéficie toujours de la présomption d'innocence ». V. en ce
sens, BOFIP, « Contrôle fiscal, Infractions et sanctions pénales - Poursuites correctionnelles - Délit général de
fraude fiscale - Mise en œuvre des poursuites par dépôt de plainte », 27 juin 2019, BOI-CF-INF-40-10-10-20.
739
Les termes utilisés par l’article 1741 du code général des impôts tels que « frauduleusement » ou
« volontairement » font de la fraude fiscale un délit intentionnel au sens de l’article 121-3 du code pénal.

139
« l’élément intentionnel résulte de la conscience de l’inexactitude des déclarations faites à
l’administration »740. La preuve de cette conscience est délicate mais repose bien souvent sur
des éléments nés de la relation préalable entre le fisc et le contribuable, tels que la présence
d’antécédents fiscaux741, le fait de s’être opposé à un contrôle fiscal742, ou d’être resté passif à
l’envoi de mises en demeure de l’administration743. La présence de l’administration fiscale au
procès pénal constitue pour le ministère public une aide précieuse dans la caractérisation de la
mauvaise foi du contribuable.

158. Qualification délicate de son statut. – Pour la doctrine administrative744 ainsi qu’une
partie des auteurs745, le rôle de l’administration fiscale s’apparente à celui d’une « partie
jointe » au ministère public. Cette expression fait référence au rôle qu’est susceptible de tenir
le ministère public dans l’instance civile746. Aux termes de l’article 421 du code de procédure
civile, la participation du ministère public aux débats peut être de deux ordres. D’une part, il
peut – ou doit selon les cas747 – agir en tant que partie principale au procès civil en prenant la
qualité de demandeur ou de défendeur au procès. Il peut, d’autre part, n’être qu’une partie
jointe748, dans un procès qu’il n’a pas lui-même engagé et « dans lequel il intervient par voie
de réquisition pour donner à la juridiction saisie un simple avis sur la solution de l’affaire »749.

740
Cass. crim., 16 janvier 2013, n°12-81.496 : Dr. pén. 2013, Un an de droit pénal fiscal et douanier, chron. 9.,
obs. S. DETRAZ ; Cass. crim., 14 novembre 2013, n°12-87.614 : Dr. pén. 2014, chron. 9, n°3, obs. S. DETRAZ.
741
Cass. crim., 23 novembre 2016, n°15-84.627 ; Cass. crim., 28 octobre 2015, n°14-81.496 ; Cass. crim., 2
décembre 2009, n°09-80.568.
742
Cass. crim., 12 novembre 2015, n°14-82.241 ; Cass. crim., 5 décembre 2012, n°11-88.807 : Dr. pén. 2013,
chron. 9, n°5.
743
Cass. crim., 24 septembre 2008, n°07-88.667 ; Cass. crim., 22 septembre 2004, n°03-84.985 ; Cass. crim., 15
novembre 2000, n°00-81.166 ; Cass. crim., 1er février 1977, n°75-93.432.
744
BOFIP, « Contrôle fiscal, Infractions et sanctions pénales - Poursuites correctionnelles - Délit général de fraude
fiscale - Mise en œuvre des poursuites par dépôt de plainte », 27 juin 2019, BOI-CF-INF-40-10-10-20, n°250.
745
R. SALOMON, Droit pénal fiscal, Dr. fisc. n°30-35, 28 juillet 2016, 439 ; J.-H. ROBERT, Après le verrou de
Bercy, son fusil à deux coups : Dr. pén. n°10, octobre 2016, comm. 144 ; A. LEPAGE, P. MAISTRE DU
CHAMBON, R. SALOMON, Droit pénal des affaires, op. cit., n°1584, p. 940.
746
L. CADIET et E. JEULAND, Droit judiciaire privé, Litec, 11 ème éd., 2020 ; P. FLORES, « Ministère public »,
Répertoire de procédure civile, mars 2014, mis à jour avril 2022.
747
Aux termes de l'article 422 du code de procédure civile, « le ministère public agit d'office dans les cas spécifiés
par la loi ». Tel est notamment le cas en matière de nationalité (art. 1040 CPC), de mariage (art. 190 du C. civ.),
ou de donation (art. 900 et s. du C. civ.). À l’exception de ces hypothèses, le ministère public apprécie l’opportunité
d’intervenir ou non à l’instance civile. V. pour plus de développements à ce sujet : V. MIKALEF-TOUDIC,
Le ministère public, partie principale dans le procès civil : Thèse, PUAM, 2006 ; L. RANGER, Des cas dans
lesquels le ministère public peut agir d'office en matière civile : Thèse, Paris, 1941 ; V.-F. ARBELLOT, L’action
d’office du ministère public prévue à l’article 423 du code de procédure civile : JCP G 2014. 698.
748
Art. 424 et s. CPC.
749
G. CORNU, Vocabulaire juridique, Association Henri Capitant, op. cit., p. 745.

140
Tout comme l’administration fiscale dans le procès pénal, le parquet se doit d’éclairer la
juridiction civile sur la manière dont la loi devrait être appliquée. Toutefois, lorsque le ministère
public intervient en cette qualité devant la juridiction civile, l’avis qu’il livre au tribunal sur
l’application de la loi est toujours impartial750. Son rôle se veut d’une grande neutralité ; en tant
que partie jointe, il n’est jamais l’adversaire du demandeur ou du défendeur. Il n’est pas possible
d’en dire autant de l’intervention de l’administration fiscale dans le cadre du procès pénal,
défendant, en vertu des textes et de la jurisprudence, la thèse de l’accusation. En outre, les droits
processuels conférés à l’administration dans l’instance pénale ne s’apparentent pas à ceux d’une
simple partie jointe, laquelle est en principe irrecevable à exercer une voie de recours à
l’encontre de la décision rendue751. La place de l’administration fiscale dans le procès pénal
ainsi que les pouvoirs qui lui sont confiés s’opposent à la qualifier de partie jointe au ministère
public. Partant, d’autres auteurs se sont donc tournés vers la qualification de « parquet
spécialisé »752. Comme le ministère public, l’action de l’administration concourt à soutenir
l’accusation, et plus généralement à préserver l’ordre public troublé par le comportement du
fraudeur. Cependant, les textes ne confèrent à l’administration que le droit de « se constituer
partie civile ». L’exercice de l’action publique reste ainsi le monopole du seul ministère public.
Aussi lui préfère-t-on la qualification « d’auxiliaire du parquet »753, celui-ci disposant seul du
pouvoir d’exercer l’action publique, guidé pour sa bonne marche par la présence de
l’administration fiscale.

159. Action sui generis. – Dans le litige pénal, l’administration fiscale occupe une place
capitale. En amont du déclenchement du procès pénal, la transmission par le Trésor des
éléments fiscaux permet d’encourager – voire d’inciter – la mise en mouvement de l’action
publique. Une fois la juridiction saisie, son intervention se poursuit par l’exercice d’une action
aux traits singuliers, faisant d’elle une action sui generis, « qui n’est ni une action civile ni une

750
V. notamment sur ce sujet, N. FRICERO, Le ministère public, partie principale et partie jointe : Cahiers de
droit de l'entreprise n°5, septembre 2015, dossier 37.
751
Cass., 1ère civ., 6 décembre 2017, n°16-50.058 ; Cass. 2ème civ., 20 février 1991, n°89 14.910 ou Cass. com., 25
janvier 2005, n°03-20.842.
752
V. notamment, S. DETRAZ, L'Administration et le juge pénal - Quelle articulation possible entre
l'administration et le juge pénal ? Le domaine fiscal peut-il servir de modèle ? : RSC 2019 p. 47 ; C. SAND, Une
proposition de rectification peut-elle être considérée comme une accusation à caractère pénal : réflexions
européennes devenues indispensables : Dr. pén. n°4, avril 2020, étude n°12.
753
R. SALOMON, Droit pénal fiscal, Dr. fisc. n° 49, 7 décembre 2017, 566 ; G. KLEIN, La répression de la
fraude fiscale, Étude sur le particularisme du droit pénal des impôts, op. cit., p. 532, n°536.

141
action publique »754. Alors que l’administration fiscale subit un préjudice du fait de la fraude,
son action n’est pas assimilable à une action civile au sens de l’article 2 du code de procédure
pénale car celle-ci ne peut jamais tendre vers un objet restitutif. En outre, si l’administration
soutient fermement la thèse de l’accusation, elle ne saurait détenir entre ses mains la véritable
action publique, dont l’exercice demeure réservé au ministère public. En définitive, la présence
de l’administration fiscale facilite grandement les autorités de poursuite et de jugement.
L’utilité de l’administration fiscale dans le procès pénal est réciproque, la procédure fiscale se
servant à bien des égards du dossier ouvert devant les juridictions répressives.

§2. L’utilisation processuelle de la procédure pénale à des fins fiscales

160. Utilisation du dossier pénal par l’administration fiscale. – La procédure fiscale


trouve dans l’existence de la procédure pénale une utilité conséquente. Encore une fois, c’est
moins le juge fiscal que l’administration fiscale dont il est ici question. Le dossier pénal
représente une précieuse source d’information pour le fisc. Celui-ci y a intégralement accès via
l’exercice de son droit de communication (A). Les éléments ainsi recueillis peuvent ensuite être
largement exploités dans la procédure fiscale grâce à des mécanismes procéduraux (B).

A) L’accès au dossier pénal assuré par le droit de communication

161. Richesse du dossier pénal. – Le juge pénal dispose de pouvoirs d’investigation


supérieurs à ses homologues civil et administratif. Qu’ils agissent dans le cadre d’une enquête
ou d’une information judiciaire, les enquêteurs ont à leur disposition des moyens importants

754
R. SALOMON, Droit pénal fiscal, Dr. fisc. n°30-35, 28 juillet 2016, 439 ; Cass. crim., 8 novembre 2017, n°17-
82.968 dans lequel la chambre criminelle approuve le raisonnement de la cour d’appel en ces termes : « Attendu
que pour déclarer recevable cette constitution de partie civile, l'arrêt énonce notamment que l'administration
fiscale ne saurait être assimilée à une victime se constituant partie civile pour obtenir la réparation d'un préjudice
personnel et direct occasionné par une infraction et que la nature spécifique de son action, qui n'est ni une action
civile ni une action publique, trouve son fondement, non pas dans les articles 2 et 3 du code de procédure pénale
mais dans l'article L. 232 du livre des procédures fiscales, cette action ne lui ouvrant pas, comme en droit commun,
le droit de demander une réparation distincte de celle assurée par les majorations et amendes fiscales mais ayant
pour but de lui permettre de suivre la procédure et d'intervenir dans les débats, étant rappelé qu'il incombe à
l'administration fiscale, aux côtés du ministère public, d'apporter la preuve de l'élément intentionnel du délit de
fraude fiscale, délit pour lequel elle est seule à pouvoir, par sa plainte, déclencher la mise en œuvre de l'action
publique ».

142
pour parvenir à la manifestation de la vérité755. Au-delà de ces moyens de droit commun, les
réformes législatives récentes756 ont renforcé substantiellement les pouvoirs d’investigation des
enquêteurs en matière économique et financière. Lorsque les infractions fiscales 757 sont
commises en bande organisée ou qu’il existe des présomptions caractérisées que ces infractions
résultent d’un des comportements mentionnés aux 1° à 5° du deuxièmement de l’article L. 228
du livre des procédures fiscales, les enquêteurs peuvent procéder à des surveillances et
infiltrations758, des interceptions de correspondances émises par voies de télécommunication759,
des sonorisations et des fixations d'images dans certains lieux ou véhicules760, des captations
de données informatiques761 ou encore prendre de mesures conservatoires762. Il est donc naturel
que « l’administration fiscale porte un regard intéressé, fort intéressé »763 sur le déroulement
d’une procédure pénale. Il s’agit pour elle d’une véritable aubaine pour recueillir une multitude
d’éléments probatoires à l’encontre des potentiels fraudeurs. Prenant acte de la richesse que
pouvait représenter pour l’administration fiscale de tels renseignements, le livre des procédures
fiscales permet aux agents du Trésor d’avoir largement accès au dossier pénal, tant sur un plan
matériel (1) que temporel (2).

1) Un accès étendu au plan matériel

162. Efficacité du droit de communication. – La faculté pour l’administration fiscale


d’avoir accès au dossier pénal est prévue par l’existence d’un droit de communication, codifié
aux articles L. 81 et suivants du livre des procédures fiscales. Celui-ci « consiste dans le pouvoir
conféré à l’administration fiscale d’exiger d’un certain nombre de personnes la communication
de documents et de renseignements concernant la situation fiscale d’un contribuable

755
Et notamment des auditions, avec (art. 62-2 CPP) ou sans contrainte (art. 62 CPP), ou encore des perquisitions
et des saisies.
756
Notamment la loi n°2013-1117 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique
et financière du 6 décembre 2013.
757
Art. 1741 et 1743 CGI.
758
Art. 706-80 à 706-87 CPP.
759
Art. 706-95 CPP.
760
Art. 706-96 à 706-102 CPP.
761
Art. 706-102-1 à 706-102-9 CPP.
762
Art. 706-113 CPP.
763
V. DAUMAS, Délai spécial de reprise en cas d'omissions ou insuffisances d'imposition révélées par une
instance : la difficile exégèse de la révélation : RJF 7/2009, p. 547.

143
quelconque »764. L’administration fiscale n’agit pas auprès du contribuable mais directement
auprès des tiers concernés. Ceux-ci sont nombreux765 puisque l’administration est susceptible
d’exercer son droit de communication à l’encontre de personnes privées et notamment auprès
des entreprises commerciales, mais aussi à l’encontre de personnes publiques telles que les
organismes publics ou les juridictions. Les documents dont la communication peut être
demandée par l'administration fiscale comprennent non seulement les documents comptables
et financiers, mais aussi les documents de toute nature pouvant justifier le montant des recettes
et dépenses766. La demande ainsi formée par l’administration n’est soumise à aucune forme
particulière767 et le contribuable ne sera informé de son exercice qu’au moment de lire la
proposition de rectification envoyée par le fisc. Aux termes de l’article L. 76 B du livre des
procédures fiscales, l’administration fiscale est en effet tenue d’informer le contribuable de la
« teneur et de l'origine des renseignements et documents obtenus de tiers sur lesquels elle s'est
fondée pour établir l'imposition faisant l'objet de la proposition ». A contrario, s’agissant des
renseignements que l’administration n’a pas utilisés – ou à tout le moins, pas explicitement –
pour procéder aux redressements, l’administration n’est soumise à aucune obligation
d’information du contribuable768. Le droit de communication apparaît ainsi comme un outil
précieux et particulièrement efficace dans les mains de l’administration.

2) Un accès étendu au plan temporel

163. Dualité de l’accès au dossier pénal. – Deux dispositions permettent à l’administration


fiscale de bénéficier d’un accès au dossier pénal. La première, tirée de l’article L. 82 C du livre
des procédures fiscales, envisage une communication facultative à l’initiative du seul ministère
public, lequel peut, à l'occasion de toute procédure judiciaire, communiquer les dossiers à
l'administration des finances769. La seconde, prévue à l’article L. 101 dudit code, concerne cette

764
G. KLEIN, La répression de la fraude fiscale, Étude sur le particularisme du droit pénal des impôts, op. cit.,
p. 420, n°433.
765
V. art. L. 82 A à L. 96 K LPF mais aussi L. 95 à L. 99 LPF. V. pour plus de développements à ce sujet, A.
BARBET, « Droit de communication – Étendue », Fasc. n°317, Jurisclasseur notarial formule, 1 er janvier 2019.
766
CE, 11 avril 2014, n°354314, Senaux.
767
CE, 27 avril 2009, n°308445.
768
CE, 30 septembre 1996, n°139846, Min. c/ M. Leboeuf : RJF 1996, n°1325 ; BDCF 6/1996, p. 38, concl.
G. BACHELIER ; CE, 15 février 2002, n°217394, M. Schmitt : Dr. fisc. 2002, n°29, comm. 623, concl. M.-H.
MITJAVILE ; RJF 2002, n°363.
769
Art. L82 C LPF, al. 1er.

144
fois-ci plus largement l’autorité judiciaire770, à qui il incombe de « communiquer à
l’administration des finances toute indication qu’elle recueille, à l’occasion de toute procédure
judiciaire, de nature à faire présumer une fraude commise en matière fiscale ou une manœuvre
quelconque ayant eu pour objet ou pour résultat de frauder ou de compromettre un impôt »771.
Le degré de contrainte dans la communication diffère de celle prévue pour le parquet par
l’article L. 82 C ; la lettre de l’article L. 101 créant à la charge de l’autorité judiciaire 772 une
véritable obligation de communication773. Appartenant à l’autorité judiciaire, les magistrats du
parquet se trouvent ainsi à la fois libres de communiquer au fisc une information de quelle que
nature que ce soit tirée d’un dossier pénal, et contraints de lui transmettre les éléments de nature
à présumer l’existence d’une fraude fiscale.

164. Étendue du droit de communication. – L’accès au dossier pénal est d’autant plus
étendu que les informations transmises à l’administration fiscale peuvent provenir d’une
instance pénale qui concernait un autre contribuable que celui à l’encontre duquel les
redressements sont par la suite opérés. Cette solution procède d’une affaire EURL Recyclage
Pièces Pots Métaux, du nom d’une société exerçant une activité de recyclage de pots
catalytiques et ayant fait l’objet d’une vérification de comptabilité, à l’issue de laquelle
l’administration fiscale a procédé à des redressements supplémentaires d’impôt sur les sociétés
assortis de la pénalité de 40% prévue à l’article 1729 du code général des impôts. Quant à lui,
le gérant et associé unique de l’EURL a fait l’objet d’un examen de sa situation fiscale
personnelle ayant abouti à des cotisations supplémentaires d’impôts sur le revenu. Tant la
société que son gérant ont saisi la juridiction fiscale d’une demande en décharge. En parallèle,
le procureur de la République a procédé, le 19 octobre 2012, au signalement, sur le fondement

770
Art. L101 LPF, al. 1er.
771
Ibid.
772
Faisant partie de l’autorité judiciaire, le ministère public se trouve aussi subordonné à l’obligation de
communication de l’article L. 101 du LPF ; V. en ce sens : CE, 10 décembre 1999, n°181977.
773
Malgré la lettre de l’article L. 101, le Conseil d’État considère selon une jurisprudence constante qu'il appartient
au magistrat de l'ordre judiciaire « d'apprécier souverainement si les renseignements ou pièces qu'il détenait
étaient de nature à faire présumer une fraude commise en matière fiscale ou de compromettre un impôt » : CE, 10
juin 1998, n°168322, SARL Le Sansa’s : Dr. fisc. 1998, n°37, comm. 780 ; RJF 8-9/1998, n°983 ; BDCF 4/1998,
n°91, concl. G. BACHELIER ; CE, 27 avril 2009, n°308445, Imbert : Dr. fisc. 2009, n°27, comm. 399, concl.
N. ESCAUT, note M. GUICHARD et R. GRAU ; RJF 7/2009, n°614. Ainsi, l’article 1734 du code général des
impôts qui sanctionne d’une amende fiscale d’une montant de 10 000 euros « le refus de communication des
documents et renseignements demandés par l'administration dans l'exercice de son droit de communication ou
tout comportement faisant obstacle à la communication » ne s’applique pas en cas de défaut de communication de
l’autorité judiciaire.

145
des dispositions de l’article L. 101 du livre des procédures fiscales, de faits concernant l’EURL.
Le 17 janvier 2013, l’administration fiscale a demandé communication, sur le fondement de
l’article L. 82 C du livre des procédures fiscales, des pièces de procédures éventuellement
engagées à l’encontre de l’EURL. C’est ainsi que l’administration fiscale a ainsi pu obtenir
communication de plusieurs procès-verbaux d’audition. En réalité, ces pièces concernaient non
pas directement la société mais uniquement son dirigeant et son épouse, à l’encontre desquels
une procédure pénale était effectivement engagée à la date de la demande par le fisc de
l’exercice de son droit de communication. Alors qu’aucune instance ou information concernant
la requérante n’était engagée, la cour administrative d’appel a refusé d’écarter l’application des
articles L. 82 C et L. 101 du livre des procédures fiscales, ceux-ci « ne limitant pas la nature
des instances ou des informations criminelles ou correctionnelles qu’elles mentionnent aux
seules procédures concernant directement les contribuables qui en font l’objet »774. Saisi par la
société et son dirigeant, le Conseil d’État a refusé l’admission de deux pourvois, suivant en cela
les arguments de son rapporteur public, qui avait indiqué que la solution retenue par la cour
paraissait, eu égard à la généralité des termes des dispositions litigieuses, « solide »775. Cette
solution pose éminemment une question en termes d’égalité des armes. Alors que le tiers à la
procédure pénale ne dispose pas d’un accès au dossier, l’administration fiscale est en mesure
d’y piocher des éléments à charge révélant une dissimulation fiscale.

165. Éléments tirés d’une enquête pénale. – Par ailleurs, la communication des pièces du
dossier pénal peut intervenir à tout moment de la procédure, sans qu’il soit nécessaire d’attendre
son achèvement par le prononcé d’un jugement. Aussi et de longue date, il est possible pour
l’administration fiscale de se voir communiquer des éléments issus d’une information judiciaire
encore en cours776. À cet égard, la loi du 29 décembre 2015777 est venue harmoniser la rédaction
des articles L. 82 C et L. 101 du livre des procédures fiscales, dont le champ d’application se
limitait auparavant et respectivement à « toute instance devant les juridictions civiles ou
criminelles »778 et à l’« instance civile ou commerciale ou [à l’]information criminelle ou

774
CAA Lyon, 31 mai 2018 n°15LY02475 : RJF 12/18, n°1256, concl. I. BOURION.
775
CE, 27 décembre 2019, n°422841 et 422845 (non admission des pourvois) : RJF 4/20, n°362, concl. K.
CIAVALDINI. Le Conseil d’État a ainsi transposé à cet article sa jurisprudence relative à l’article L. 170 (devenu
L. 188 C) du LPF : CE 5 mai 2008, n°280496, SA ETABLISSEMENTS GERARD LE CLAINCHE (V. infra, n°172
et s.).
776
CE, 22 novembre 1978, n°06557.
777
Loi n°2015-1786 du 29 décembre 2015 de finances rectificative pour 2015, art. 92.
778
Art. L82 C LPF, version en vigueur du 8 décembre 2013 au 1 er janvier 2016.

146
correctionnelle même terminée par un non-lieu »779. Jusqu’à une période très récente et
conformément à une appréciation littérale de ces dispositions, les juridictions administrative et
judiciaire refusaient d’admettre que l’administration fiscale puisse se servir d’éléments tirés
d’une enquête pénale. Parce qu’elle n’entraîne pas encore et a fortiori pas obligatoirement une
mise en mouvement de l’action publique, l’enquête pénale ne peut être assimilée ni à
l’ouverture d’une information judiciaire, ni à une instance au sens juridictionnel du terme. En
ne visant qu’une instance ou une information criminelle ou correctionnelle, la rédaction des
articles L. 82 C780 et L. 101781 du livre des procédures fiscales excluait l’utilisation par
l’administration de pièces issues de l’enquête. La chambre commerciale de la Cour de cassation
a récemment – et brutalement – mis un coup d’arrêt à cette interdiction en admettant par trois
arrêts du même jour782 que le droit de communication puisse valablement porter sur des
éléments recueillis lors d’une enquête pénale. Se fondant non plus sur la lettre mais sur l’esprit
du texte, la Haute juridiction a affirmé qu’« il ne résulte pas de l'énumération des situations
dans lesquelles l'autorité judiciaire est susceptible de transmettre de telles informations que le
législateur ait entendu exclure du champ d'application de ce texte les éléments recueillis et
transmis par un procureur de la République dans le cadre d'une enquête pénale »783. Ce
raisonnement – inédit784 – s’appuie explicitement sur les « travaux parlementaires de la loi du
4 avril 1926 portant création de nouvelles ressources fiscales »785, desquels il ressortait que
l’administration fiscale ne pouvait manquer aucune occasion de mettre la main sur des éléments
présumant l’existence d’une fraude. L’origine du droit de communication est en effet
consubstantielle de la création du délit général de fraude fiscale786. Dès les années 1920, le but

779
Art. L101 LPF, version en vigueur du 8 décembre 2013 au 1er janvier 2016.
780
Cass. com., 28 novembre 2018, n°16-26.446, Ministre c/ Société Pharmacie Balteau et CE, 19 juin 2020,
n°432982, Ministre c/ Loukili.
781
CE, 22 janvier 2020, n°421012, Société SC AVIATION.
782
Cass. com., 14 avril 2021, n°18-24.058, 19-18.616, 19-23.230 ; Dr. fisc. 2021, n°17, étude 252 ; J. C. LEON-
AGUIRRE, Affaire HSBC : le mot de la fin ? ; Dr. fisc. 2021, n°21, étude 259.
783
La motivation est la même pour les trois arrêts.
784
J.C LEON AGUIRRE : J.C LEON AGUIRRE, Contrôle fiscal et sécurité juridique - Affaire HSBC : le mot de
la fin ? : Dr. fisc. n°21, 27 mai 2021, 259.
785
Cass. com., 14 avril 2021, n°18-24.058, 19-18.616, 19-23.230 : « En effet, il ressort des travaux parlementaires
de la loi du 4 avril 1926 portant création de nouvelles ressources fiscales, dont les dispositions de l'article L. 101
du livre des procédures fiscales sont issues, que l'objectif du législateur était de permettre à l'administration fiscale
d'être informée, autant que possible, de présomptions de dissimulations ou d'évasions fiscales, quelle que fût la
procédure en cause. À la lumière de l'évolution des règles de procédure pénale existant à la date des transmissions
en cause, une interprétation contraire méconnaîtrait cet objectif ».
786
Loi du 31 juillet 1920 portant fixation du budget général de l'exercice 1920, art. 31 : « En aucun cas, les
administrations de l’État, des départements et des communes, ainsi que les entreprises concédées ou contrôlées
par l’État, les départements et les communes, ne pourront opposer le secret professionnel aux agents de

147
affiché par le législateur était d’offrir à l’administration fiscale tous les moyens de démasquer
les potentiels fraudeurs. Il s’agissait explicitement de « profiter de toutes les occasions qui lui
sont fournies pour découvrir les dissimulations qui ont été commises dans des déclarations
d'impôt sur le revenu »787. De surcroît, les agents de l’administration ne peuvent jamais se voir
opposer le principe d’un secret, qu’il soit professionnel788 ou résultant de l’instruction en
cours789. Cette lecture non plus littérale mais téléologique des textes a contraint – ou séduit790
? – le Conseil d’État, lequel est également revenu sur sa position791 en admettant, sur la base
des travaux préparatoires de la loi instaurant le droit de communication, la transmission à
l’administration fiscale d’éléments provenant d’une enquête pénale. Dans un arrêt du 16 juillet
2021792, il a affirmé qu’il résultait « des dispositions des articles L. 82 C et L. 101 du livre des
procédures fiscales, dans leur rédaction applicable au présent litige, eu égard à leur objet et
lues à la lumière des travaux parlementaires de la loi du 4 avril 1926 dont elles sont issues,
que l'autorité judiciaire peut régulièrement transmettre à l'administration fiscale,
spontanément ou sur demande adressée au ministère public, tous éléments révélés par une
instance civile ou pénale ou recueillis par elle dans le cadre d'une procédure judiciaire et que

l’administration des finances ayant au moins le grade de contrôleur ou d’inspecteur adjoint qui, pour établir les
impôts institués par les lois existantes, leur demanderont communication des documents de service qu’elles
détiennent. Dans le cas d’information ouverte par l’autorité judiciaire, celle-ci devra donner connaissance à
l’administration des finances de toute indication qu’elle pourrait recueillir au cours de la procédure et de nature
à faire présumer une fraude commise en matière fiscale, ou une manœuvre quelconque ayant eu pour objet ou
ayant eu pour résultat de frauder ou de compromettre un impôt ».
787
Propos tenus par le député Albert SEROL à l'occasion des débats parlementaires relatifs à la loi du 4 avril 1926
portant création de nouvelles ressources fiscales : Ch. des députés, 11 février 1926, 2ème séance : JO Débats, 12
février 1926, p. 693.
788
Art. L. 83, L. 83D, L. 84B, L. 84E, L. 96F LPF.
789
Il s’agit là d’une dérogation légale au secret de l’instruction, telle que prévue à l’art. 11 CPP : « Sauf dans le
cas où la loi en dispose autrement et sans préjudice des droits de la défense, la procédure au cours de l'enquête
et de l'instruction est secrète ». Dès lors, les juges d'instruction, qui sont au nombre des autorités judiciaires visées
par l'article L. 101, « doivent communiquer à l'Administration fiscale, elle aussi tenue au secret et à la
confidentialité des informations dont elle dispose, toute indication qu'ils peuvent recueillir de nature à faire
présumer une fraude commise en matière fiscale ou une manœuvre quelconque ayant eu pour objet ou ayant eu
pour résultat de frauder ou compromettre un impôt » (Rép. min. budget n°987 à M. HERMENT : JO, Déb. Sénat,
25 août 1988, p. 937 : Dr. fisc. 1988, n°46-47, comm. 2141).
790
À en croire les conclusions du rapporteur public, les arguments de la chambre commerciale de la Cour de
cassation dans ses arrêts du 14 avril 2021 sont « convaincants » : RJF 2021, C1043 : conclusions de la rapporteure
publique K. CIAVALDINI, n°12.
791
V. par exemple : CE, 9ème et 10ème ch., 22 janvier 2020, n°421012, Société CS Aviation : Dr. fisc. 2020, n°44,
comm. 422, jugeant que l’autorité judiciaire ne peut, en application de l’article L. 101 du livre des procédures
fiscales, communiquer à l’administration fiscale des renseignements obtenus dans le cadre d'une enquête
préliminaire ayant fait l'objet d'un classement sans suite par le procureur de la République.
792
CE, 16 juillet 2021, n°448500, Vinci : Dr. fisc. 2021, n°29, comm. 323, concl. K. CIAVALDINI, note J. C.
LEON AGUIRRE ; RJF 2021, n°1043, concl. C. 1043, chron. G. DE LA TAILLE, p. 1495.

148
si le législateur n'a mentionné, parmi ces procédures, que les informations criminelles ou
correctionnelles, il ne saurait être regardé, compte tenu de l'évolution des règles de procédure
pénale depuis l'adoption de ces dispositions, comme ayant entendu permettre l'exclusion du
champ du droit de communication de l'administration fiscale les éléments recueillis dans le
cadre d'une enquête préliminaire ». La formulation utilisée par le Conseil d’État est peu
convaincante, voire « énigmatique »793. Lorsque la lettre du texte est suffisamment claire en
mentionnant précisément le champ d’application d’un droit, la référence aux travaux
préparatoires se conçoit difficilement. Surtout, il est aisé de voir dans l’esprit du législateur une
solution diamétralement opposée. Si celui-ci avait à l’époque entendu réserver l’exercice de ce
droit à l’existence d’une instance civile ou pénale, c’est que dans le même temps il désirait
soustraire l’enquête pénale au champ de ces dispositions. Il est donc particulièrement délicat
d’interpréter le silence du législateur dans le sens d’un élargissement du droit de communication
du fisc aux éléments issus d’une enquête pénale. En ce sens, la conception téléologique adoptée
par la jurisprudence récente contrevient sérieusement au principe de prévisibilité du droit.

166. Indifférence du classement sans suite. – Du reste, la nouvelle solution adoptée par la
chambre commerciale de la Cour de cassation et le Conseil d’État autorise explicitement
l’administration fiscale à se fonder sur des éléments issus d’une enquête pénale, « alors même
qu’elle aurait fait l’objet d’un classement sans suite »794. En d’autres termes, la circonstance
que l’enquête pénale se solde par un classement sans suite est indifférente quant au sort des
pièces utilisées par l’administration fiscale. Cette solution est doublement contestable en ce
qu’elle autorise d’une part, que soit établi un redressement fiscal sur la base d’éléments
probatoires qui n’auront pas été soumis à un véritable débat contradictoire devant la juridiction
pénale795 et, d’autre part, en ce qu’elle favorise l’initiation par le fisc de poursuites pénales dans
le seul but d’obtenir des éléments de preuve de la fraude, et partant, les détournements de
procédure. La jurisprudence récente de la Cour de cassation et du Conseil d’État a sans doute
été permise par l’élargissement législatif dont les articles instituant le droit de communication
ont récemment fait l’objet. Depuis le 1er janvier 2016, les articles L. 82 C et L. 101 du livre des
procédures fiscales prévoient en effet que les informations peuvent être transmises à

793
J. C. LEON AGUIRRE, Modalités d'exercice du contrôle - La lutte contre la fraude fiscale : quoi qu'il en coûte
! : Dr. fisc. n°29, 22 juillet 2021, comm. 323.
794
CE, 16 juillet 2021, n°448500, Vinci, préc.
795
Ce point doit être rapproché de la limitation de l’office du juge fiscal dans le cadre des nullités, au regard de la
loi pénale, des éléments issus de la procédure pénale : V. infra : n°390 et s.

149
l’administration fiscale à l’occasion de « toute procédure judiciaire », formulation générique
qui confortera probablement la tendance jurisprudentielle actuelle. Formellement, il n’est pas
établi que la phase d’enquête soit comprise dans la notion de « procédure judiciaire », ce
dernier adjectif impliquant la saisine d’une juridiction, ce que ne comprend pas l’ouverture
d’une simple enquête pénale. Il n’en demeure pas moins que la notion de procédure judiciaire
est « distincte et a priori plus large que celle d’instance »796. À en croire la Cour de justice de
l’Union européenne, la notion de procédure judiciaire doit être entendue comme recouvrant
« toute phase, même préliminaire, susceptible de déboucher sur une procédure devant une
instance juridictionnelle »797. La doctrine administrative est déjà en ce sens puisqu’elle énonce
que l’article L. 101 « vise toute indication recueillie au cours d’une instance civile ou
commerciale » ou « d’une information criminelle ou correctionnelle (qu'il s'agisse d'une
enquête préliminaire ou de flagrance ou d'une procédure d'information proprement dite) même
terminée par un non-lieu »798. En application de l’article L. 82 C et L. 101 du livre des
procédures fiscales, dans leur version antérieure ou postérieure à l’entrée en vigueur de la loi
n°2015-1786 du 29 décembre 2015 de finances rectificative pour 2015, l’administration fiscale
est en mesure de prendre connaissance de la totalité des éléments du dossier pénal,
indépendamment du prononcé ultérieur d’un classement sans suite par le magistrat du parquet.
Si le droit de communication permet au trésor d’être informé, autant que possible, d’éventuelles
fraudes à l’impôt, son élargissement à la phase d’enquête pénale est contestable tant
l’établissement de la fraude est susceptible de reposer sur des éléments probatoires privés de
toute discussion contradictoire. Pourtant, les textes facilitent largement l’exploitation par le
Trésor de ces éléments à des fins fiscales.

B) L’exploitation des données pénales par la prorogation du délai de reprise

167. Droit de reprise de l’administration fiscale. – Lorsque l’administration fiscale prend


connaissance d’éléments tirés du dossier pénal laissant présumer l’existence d’une fraude, elle
est susceptible de s’en servir en utilisant son droit de reprise, en vertu duquel elle est compétente

796
J.C. LEON AGUIRRE, Modalités d'exercice du contrôle - La lutte contre la fraude fiscale : quoi qu'il en coûte
! : op. cit.
797
CJUE, 3ème ch., 14 mai 2020, Orde van Vlaamse Balies et Ordre des barreaux francophone et germanophone,
aff. C–667/18, §31 : Europe 2020, comm. 220, note M. ABENHAÏM. Cette décision a toutefois été rendue dans
un cadre étranger à la matière fiscale.
798
BOFIP, « Droit de communication et procédures de recherche et de lutte contre la fraude - Droit de
communication auprès des tribunaux », 12 septembre 2012, BOI-CF-COM-10-50, n°40.

150
pour « réparer les omissions, insuffisances ou erreurs commises dans l’établissement de
l’impôt »799. L’action de l’administration fiscale est toutefois enfermée dans un délai,
communément appelé « délai de reprise » ou « de répétition », qui organise à son endroit une
véritable prescription. A l’expiration du délai fixé par la loi, l’administration ne peut plus
réclamer le paiement de l’imposition due. Pour le contribuable, l’expiration du délai de reprise
entraîne l’extinction de sa dette fiscale. L’article L. 186 du livre des procédures fiscales édicte
un délai général800 de reprise fixé à six ans801, lequel ne s’applique cependant que « lorsqu'il
n'est pas expressément prévu de délai de prescription plus court ou plus long »802. Nombre de
dispositions réduisent en effet ce délai ; il en est ainsi pour l’impôt sur le revenu et l’impôt sur
les sociétés803, la TVA et les contributions indirectes804, les impôts directs locaux805, ou encore
pour les droits d’enregistrement et l’impôt sur la fortune immobilière806.

168. Prorogation du délai de reprise. – Le livre des procédures fiscales a prévu que certains
événements étaient de nature à allonger ces délais de reprise. L’existence d’une procédure
pénale en fait partie et est susceptible de proroger le délai dans deux hypothèses. La première,
énoncée à l’article L. 187, concerne l’éventualité d’une découverte par l’administration fiscale
d’agissements frauduleux du contribuable (1). La seconde prorogation est permise lorsque, aux
termes de l’article L. 188 C du livre des procédures fiscales, les omissions ou insuffisances
d'imposition du contribuable sont révélées par une procédure judiciaire (2).

799
J. GROSCLAUDE, P. MARCHESSOU, Procédures fiscales., op. cit. p. 141, n°220.
800
L’article est rangé dans la section VII intitulée : « Dispositions applicables à l’ensemble des impôts ».
801
Art. L. 186 LPF : « Lorsqu'il n'est pas expressément prévu de délai de prescription plus court ou plus long, le
droit de reprise de l'administration s'exerce jusqu'à l'expiration de la sixième année suivant celle du fait générateur
de l'impôt ».
802
Ibid.
803
Art. L. 169 LPF, al. 1er : pour l’IR et l’SI, le droit de reprise peut s’exercer jusqu'à la fin de la troisième année
qui suit celle au titre de laquelle l'imposition est due.
804
Art. L. 176 LPF, al. 1er : en matière de TVA, le droit de reprise de l'administration s'exerce jusqu'à la fin de la
troisième année suivant celle au cours de laquelle la taxe est devenue exigible.
805
Art. L. 173 LPF, al. 1er : le droit de reprise de l'administration des impôts s'exerce jusqu'à la fin de l'année
suivant celle au titre de laquelle l'imposition est due.
806
Art. L. 180 LPF, al. 1er : le droit de reprise de l'administration s'exerce jusqu'à l'expiration de la troisième année
suivant celle de l'enregistrement d'un acte ou d'une déclaration ou de l'accomplissement de la formalité.

151
1) La découverte par l’administration d’agissements frauduleux du contribuable

169. Domaine étendu. – Lorsque l’administration découvre par elle-même que le


contribuable se livre à des agissements frauduleux, elle a la possibilité de déposer une plainte
auprès du parquet compétent. Aux termes de l’article L. 187 du livre des procédures fiscales,
l’accomplissement de cette seule formalité permet une extension de sa faculté de procéder à des
contrôles et donc à des rehaussements d’impôts, pendant un délai de deux années
supplémentaires. Le bénéfice de la prorogation de délai permet à l’administration de rehausser
l’imposition des personnes visées par la plainte mais aussi celle de leurs complices ou des
personnes ayant bénéficié de la fraude commise807.

170. Caducité du recouvrement en cas de relaxe et de non-lieu. – S’appuyant encore une


fois sur les travaux préparatoires de la loi808 dont l’article L. 187 est issu, la jurisprudence
n’exige pas la présence d’un lien entre les agissements frauduleux et les rehaussements
d’impositions opérés par l’administration fiscale809. L’automaticité de la prorogation de son
délai de reprise en cas de dépôt de plainte pourrait donc conduire l’administration fiscale à user
de cette faculté dans le seul but de bénéficier de l’allongement de sa prescription. Cette
hypothèse conduirait à un véritable détournement de procédure, la procédure pénale n’étant
diligentée que pour servir les finalités répressives de l’administration. Fort heureusement,
l’alinéa 2 de l’article L. 187 du livre des procédures fiscales a imaginé un garde-fou,
l’empêchant de procéder au recouvrement des impositions supplémentaires « jusqu’à la
décision de la juridiction pénale », et dans le cas où le contribuable a constitué des garanties810.
Surtout, le livre des procédures fiscales contraint l’administration fiscale à prendre acte de
l’issue de la procédure pénale puisque les impositions supplémentaires mises à la charge du
contribuable seront frappées de caducité en cas de non-lieu ou de relaxe811. Plus largement, la

807
CE, 7 décembre 1981, n°17826 : « qu'il résulte de ces dispositions, éclairées par les travaux préparatoires a
la loi n° 70-1199 du 21 décembre 1970 dont elles sont issues, qu'en cas de dépôt d'une plainte pour fraude fiscale,
l'administration a la faculté de procéder, à l'égard de toute personne qui a été à l'origine, a été complice ou a
bénéficié de la fraude commise, a des contrôles et a des rehaussements portant sur les impositions de toute nature
au titre des deux années excédant le délai ordinaire de prescription » ; V. aussi CE, 6 janvier 1984, n°33844.
808
Ancien art. 1974 bis du CGI issu de la loi n°70-1199 du 21 décembre 1970 de finances pour 1971.
809
CE, 7 décembre 1981, n°17826 : « la faculté ainsi donnée à l'administration n'est subordonnée ni à l'existence
d'un lien entre la nature des agissements frauduleux dont la découverte a motivé le dépôt de la plainte et les
rehaussements d'impositions ».
810
A contrario, si le contribuable n’a pas constitué de garanties, aucun sursis n’est accordé à la décision de
l’administration fiscale de recouvrir l’imposition due.
811
Art. L. 187 LPF, al. 2.

152
caducité sera de mise « dans tous les autres cas où le juge pénal, statuant définitivement sur les
poursuites ne retient pas, pour des agissements reprochés au redevable des impositions, une
qualification qui justifie l'application d'une des sanctions pénales prévues par la loi fiscale »812.

171. Quid de l’incidence d’un classement sans suite ? – La lecture de ce motif permet
d’exclure la sanction de caducité des impositions supplémentaires lorsqu’intervient un
classement sans suite, par lequel le ministère public ne statue pas définitivement sur les
poursuites. Cette solution nous semble largement contestable, l’administration fiscale pouvant
déposer une plainte avec un certaine légèreté sans que la décision du parquet de la classer sans
suite ait une quelconque influence sur la validité des impositions supplémentaires mises à la
charge du contribuable dans un délai excédant le délai général de reprise. Ce faisant, le dépôt
de plainte de l’administration fiscale peut n’avoir pour seul but que le bénéfice de l’article L.
187 du livre des procédures fiscales. Dans pareille hypothèse, la procédure pénale se trouve
ainsi instrumentalisée à des fins fiscales. Un autre moyen pour l’administration de tirer avantage
de la procédure pénale résulte de l’article L. 188 C du livre des procédures fiscales.

2) La révélation par une instance d’une omission ou insuffisance de déclaration

172. Présentation du mécanisme. – Aux termes de l’article L. 188 C813 du livre des
procédures fiscales, « même si les délais de reprise sont écoulés, les omissions ou insuffisances
d'imposition révélées par une procédure judiciaire, par une procédure devant les juridictions
administratives ou par une réclamation contentieuse peuvent être réparées par l'administration
des impôts jusqu'à la fin de l'année suivant celle de la décision qui a clos la procédure et, au
plus tard, jusqu'à la fin de la dixième année qui suit celle au titre de laquelle l'imposition est
due ». Cette disposition permet à l’administration de voir son délai de reprise allongé en cas de
révélation des agissements frauduleux d’un contribuable par une procédure judiciaire. Introduit
par la loi du 13 janvier 1941 portant simplification, coordination et renforcement des

812
CE, 5 février 1982, n°22674 : tel était le cas en l’espèce puisque le prévenu était décédé en cours d’instance :
« Cons. que, par un arrêt du 27 novembre 1979 la cour d'appel de Bordeaux, saisie d'un appel contre un jugement
du tribunal correctionnel condamnant pour fraude fiscale M. X..., a jugé que l'action pénale était éteinte à
l'encontre de l'intéressé, décédé au cours de l'instance d'appel ; que, par suite, l'imposition supplémentaire à la
taxe sur la valeur ajoutée à laquelle M. X... a été assujetti au titre de la période correspondant aux années 1969
et 1970, qui sont en l'espèce les deux années excédant le délai ordinaire de prescription, est devenue caduque ».
813
Ces dispositions étaient auparavant contenues à l’article L. 170 du LPF, ce jusqu’à la loi n°2012-1510 du 29
décembre 2012 de finances rectificatives pour 2012. L’article 10 de cette loi a remplacé l’article L. 170 par un
nouvel article L. 188C.

153
dispositions du code général des impôts814, cette disposition n’a connu depuis que très peu de
modifications substantielles. La loi du 29 décembre 1989815 a simplement consacré une pratique
jurisprudentielle816 limitant la possibilité de reprise de l’administration à la fin de la dixième
année suivant celle au titre de laquelle l’imposition est due817. Ce mécanisme repose sur l’idée
que le dossier pénal est susceptible de contenir des informations précieuses à l’administration
fiscale dont elle ne saurait se priver en raison de l’acquisition du délai de prescription de son
action. Selon les propos d’un rapporteur public, cette disposition a pour but de « taxer des
opérations qui ont été si soigneusement dissimulées par le contribuable que permettent seuls
de les mettre au jour les instruments d’investigation dont disposent les juridictions, et
singulièrement les instruments coercitifs du juge pénal »818. L’article L. 188 C constitue une
richesse pour l’administration fiscale, puisqu’elle lui permet de bénéficier des fruits du travail
de la juridiction pénale. Cette faculté a cependant toujours suscité « de délicates questions
d’interprétation »819, en premier lieu à l’endroit de l’ancienne820 notion « d’instance devant les
tribunaux »821 que la jurisprudence a toujours entendue très largement (a), et, en second lieu, à
l’égard du concept de « révélation » par une procédure judiciaire (b).

a) L’extension de la notion « d’instance devant les tribunaux »

173. Appréciation personnelle et temporelle de la notion d’instance. – Il a en effet


rapidement été jugé que « les omissions ou insuffisances d'imposition révélées à
l'administration par une instance devant les tribunaux peuvent concerner d'autres
contribuables que ceux faisant l'objet de la décision ayant clos l'instance »822. En d’autres

814
Loi portant simplification, coordination et renforcement des dispositions du Code général des impôts directs,
JORF du 3 février 1941, p. 537.
815
Loi n°89-936 du 29 décembre 1989 de finances pour 1990, art. 104.
816
CE, 29 avril 1987 n° 39998, Ferrari.
817
Au départ, l’ancienne version de l’article L. 170 LPF limitait l’allongement aux seuls « délais de reprise prévus
à l'article L. 169 », à savoir ceux pour l’impôt sur le revenu et l’impôt sur les sociétés. Puis l’article 10 de la loi
n°2012-1510 du 29 décembre 2012 de finances rectificatives pour 2012 a étendu la règle à l’ensemble des impôts :
Dr. fisc. 2013, n°5, comm. 129, Procédures 2013, comm. 61, note O. NEGRIN.
818
CE, 23 décembre 2013, n°350967, M. Patenotre, concl. E. CRÉPEY.
819
V. DAUMAS, Délai spécial de reprise en cas d'omissions ou insuffisances d'imposition révélées par une
instance : la difficile exégèse de la révélation : RJF 7/2009, p. 547.
820
Cette notion a été substituée par celle de « procédure judiciaire » avec l’entrée en vigueur de la loi du 29
décembre 2012 précitée.
821
Version en vigueur du 1er janvier 2013 au 1er janvier 2016.
822
CE, 5 mai 2008, n°280496, SA ETABLISSEMENTS GERARD LE CLAINCHE : en l’espèce, il s’agissait de
redresser une société d’après les révélations d’une procédure pénale concernant son représentant légal : « qu'ainsi,

154
termes, l’administration peut puiser des éléments probatoires à l’intérieur de chaque procédure
pénale aux fins de redresser un contribuable, quand bien même celui-ci n’était pas partie à la
procédure pénale, ce qui atteint encore une fois le principe d’égalité des armes au détriment du
contribuable redressé823. La question s’est en outre posée du point de départ de la notion
d’instance, particulièrement délicate en matière pénale. La jurisprudence administrative a
aisément admis que la notion d’instance incluait la phase d’information devant le magistrat
instructeur824, ce qui permet à l’administration fiscale de ne pas attendre la saisine d’un tribunal
pour exercer le pouvoir qu’elle tient de l’article L. 188 C du livre des procédures fiscales.
L’instruction préparatoire est sans nul doute une instance au sens juridictionnel du terme 825. Il
s’agit de la phase préalable au procès pénal qui fait suite au déclenchement de l’action publique
par la victime826 ou par le parquet827 et qui se solde par une décision juridictionnelle828.

174. Élargissement à l’enquête pénale ? – À l’inverse, l’enquête pénale ne répond à aucun


des critères de définition de l’instance. L’enquête pénale ne saurait représenter le laps de temps
entre l’exercice d’une action en justice et son extinction par une décision juridictionnelle
puisque, d’une part, son déclenchement n’entraîne pas la mise en mouvement de l’action
publique et que, d’autre part, son extinction par le fait d’un classement sans suite ne relève pas
d’une décision juridictionnelle. Cependant, plusieurs tribunaux et cours administratives
d’appel829 ont choisi d’assimiler expressément la notion d’enquête pénale à celle d’instance au
sens des dispositions de l’article L. 170 du livre des procédures fiscales. Saisi d’un pourvoi

la circonstance que le jugement du 17 octobre 1994 du tribunal de grande instance de Nantes avait concerné M.
et Mme A ne faisait pas obstacle à ce que les omissions ou insuffisances d'imposition qu'il a révélées fussent
utilisées par l'administration fiscale pour un redressement concernant la SA ETABLISSEMENTS GERARD LE
CLAINCHE ».
823
V. supra, n°164.
824
CE, 27 avril 2009 n°295346, Bouget : Dr. fisc. 2009, n°27, comm. 399, concl. N. ESCAUT, note M.
GUICHARD et R. GRAU.
825
L’instance peut se définir comme une « succession d’actes de procédure, depuis la demande en justice jusqu’à
l’aboutissement du procès » : S. GUINCHARD, F. FERRAND, C. CHAINAIS, L. MAYER, Procédure civile,
Dalloz HyperCours, 7ème éd., 2021, p. 289.
826
Par une plainte avec constitution de partie civile : art. 85 CPP.
827
Par un réquisitoire introductif : art. 80 CPP.
828
Par une ordonnance de non-lieu (art. 177 CPP), de renvoi devant le tribunal correctionnel rendue par le juge
d’instruction (art. 179 CPP) ou encore d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental (art. 706-120 CPP).
829
V. notamment pour les CAA : CAA Bordeaux, 18 juillet 2006, n°03-2124 : RJF 1/07 n° 57 ; CAA Paris, 16
octobre 2006, n°04-2834 : RJF 4/07 n° 4758. Pour les TA : TA Dijon, 19 septembre 2002, n° 01-2786 et 01-2787 :
RJF 3/03 n°340 ; TA Lille, 16 décembre 2004, n°02-1445, 02-1448, 02-1449, 02-1446 et 02-1450, RJF 4/05
n°357 ; TA Montpellier, 9 mars 2006, n°00- 5847 : RJF 1/07 n°56.

155
dirigé contre l’un de ces arrêts, le Conseil d’État a mis un coup d’arrêt à cette solution 830,
estimant que « seul l'engagement de poursuites doit être regardé comme ouvrant l'instance »,
à l’exception donc de l’ouverture d’une enquête préliminaire et de l’examen des poursuites par
le ministère public. La Haute juridiction administrative a suivi en ce sens les conclusions de
son rapporteur public, lesquelles, au-delà de préférer une lecture stricte et littérale de la notion
d’instance831, soulignent remarquablement les écueils de la position des juges du fond. En
étendant la révélation aux éléments découverts pendant le temps de l’enquête pénale, il est offert
à l’administration le pouvoir d’auto-déclencher le bénéfice de l’article L. 188 C du livre des
procédures fiscales. L’administration pouvant être « tentée de provoquer une instance
uniquement pour déclencher la levée de la prescription », le risque de détournement de
procédure était trop important. Si la solution tirée de l’arrêt du Conseil d’État du 30 décembre
2014 est prudente et parfaitement rigoureuse sur un plan juridique, son effectivité est
aujourd’hui loin d’être évidente. Depuis l’entrée en vigueur de la loi de finances rectificatives
pour 2015832, le champ d’application de l’article L. 188 C du livre des procédures fiscales, tout
comme celui des articles L. 82 C et L. 101, a été unifié pour s’appliquer génériquement à toute
« procédure judiciaire ». En outre, il y a fort à parier que l’extension dont a fait l’objet le droit
de communication de l’administration fiscale au temps de l’enquête pénale 833 se répète à
l’endroit de l’article L. 188 C du livre des procédures fiscales. Il ne fait guère de doute que la
lecture des travaux parlementaires instaurant un droit de communication augure une telle
analogie, l’exercice de ce droit se trouvant fortement renforcé si l’administration fiscale pouvait
en exploiter les conséquences au-delà de toute limite raisonnable. La doctrine administrative
quant à elle se veut avant-gardiste, admettant déjà que le champ d’application de l’article L.
188 C s’est élargi au champ de l’enquête pénale834. La même extension des termes de la
disposition se vérifie au regard de la notion de « révélation ».

830
CE, 30 décembre 2014, n°371652, Rigail : Dr. fisc. 2015, n°18, comm. 298, note O. DEBAT ; Procédures 2015,
comm. 64, note O. NEGRIN ; RJF 2015, n°234 ; BDCF 2015, n°35, concl. A. BRETONNEAU.
831
CE, 30 décembre 2014, n°371652, Rigail, ccl. A. BRETONNEAU. Selon elle, la notion « d’instance » pourrait
être définie comme le « développement procédural découlant de la saisine du juge par la personne qui en a pris
l'initiative. Pour qu'il y ait instance, il faut donc des parties et un juge : il n'y a ni l'un ni l'autre au stade de
l'enquête préliminaire ».
832
Loi n°2015-1786 du 29 décembre 2015 de finances rectificative pour 2015, art. 92.
833
V. supra, n°165 et s.
834
BOFIP, « Contrôle fiscal, Prescription du droit de reprise de l'administration - Délais de reprise en cas
d'omission ou d'insuffisance d'imposition révélée par une procédure judiciaire, par une procédure devant les
juridictions administratives ou par une réclamation contentieuse », 19 mai 2021, BOI-CF-PGR-10-75, n°20 :
« Désormais, compte tenu de la rédaction de l'article issue de l’article 92 de la loi n°2015-1786 du 29 décembre
2015 de finances rectificatives pour 2015, les omissions ou insuffisances d'imposition peuvent être révélées par

156
b) L’extension de la notion de révélation

175. Impossibilité pour l’administration de recourir à cette faculté en cas de suffisance


de ses propres moyens d’investigation. – La notion de « révélation » de l’article L. 188 C du
livre des procédures fiscales a également soulevé dans la jurisprudence de nombreux débats.
Par le passé, le Conseil d’État s’est montré particulièrement attentif à l’idée d’empêcher les
détournements de procédures de l’administration fiscale, en réduisant sensiblement la portée de
la notion de « révélation ». Depuis longtemps, les magistrats du Palais Royal jugent que si
l’administration disposait des éléments probatoires suffisants à caractériser une fraude, la voie
de l’article L.188 C lui était tout simplement fermée835. Récemment, la jurisprudence
administrative a interprété encore plus étroitement la notion de révélation dans un arrêt Aubry
du 29 avril 2009836, imposant aux juges du fond de « rechercher si l'administration disposait
d'éléments suffisants lui permettant, par la mise en œuvre des procédures d'investigation dont
elle dispose, d'établir, dans le délai normal de reprise, les insuffisances ou omissions
d'imposition ». Par cet arrêt, le Conseil d’État refuse que la procédure pénale ne vienne pallier
l’inertie de l’administration dans la mise en œuvre de ses propres moyens d’investigation.
Lorsque l’administration est en mesure de déceler la fraude en employant les moyens que les
textes fiscaux lui mettent à sa disposition, elle ne peut se réfugier derrière la révélation des
éléments probatoires par une instance postérieure pour bénéficier de l’allongement de son délai
de prescription. Cette solution avait pour ambition d’empêcher des « attitudes attentistes »837
de l’administration fiscale, « consistant, lorsqu'elle dispose d'éléments suffisants pour
présumer l'existence d'omissions ou insuffisances d'imposition sans pour autant être en mesure
de notifier les redressements correspondants, à porter plainte (…) puis à attendre les résultats
de l'instance en termes de renseignements fiscalement exploitables avant de procéder à ces
redressements en bénéficiant d'un délai de reprise artificiellement allongé »838. Lorsque

une instance devant un tribunal mais également lors du dépôt de plainte, de l'enquête préliminaire ou de l'examen
des poursuites par le ministère public ».
835
CE, 13 juillet 1966, n°61296 : Dr. fisc. 1966, n°38, comm. 886 ; CE, 28 novembre 1986, n°47147 : Dr. fisc.
1988, n°6, comm. 233.
836
CE, 29 avril 2009 n°299949, Aubry : Dr. fisc. 2009, n°27, comm. 398, concl. E. GLASER, note J.-L. PIERRE ;
RJF 7/2009, n°669 ; V. DAUMAS, Délai spécial de reprise en cas d'omissions ou insuffisances d'imposition
révélées par une instance : la difficile exégèse de la révélation : RJF 7/2009, chron. p. 547.
837
V. DAUMAS, Délai spécial de reprise en cas d'omissions ou insuffisances d'imposition révélées par une
instance : la difficile exégèse de la révélation, op. cit.
838
Ibid.

157
l’administration dispose d’un commencement de preuve de l’existence d’une fraude, elle doit
« avant tout inscrire son action dans le cadre de ses propres pouvoirs de contrôle et du délai
général de reprise »839. Il en est ainsi même lorsque la prescription de l’action de
l’administration est acquise. Dans une plus récente affaire Patenotre840, la particularité de
l’espèce tenait à ce qu’à la date à laquelle l'administration disposait des éléments suffisants pour
mettre en œuvre ses procédures de contrôle, son délai de reprise était échu. Dans cette
hypothèse, la révélation postérieure de ces éléments par une procédure judiciaire ne saurait lui
offrir le bénéfice de l’article L. 170 du livre des procédures fiscales. Selon les propos de son
rapporteur public, cette décision sonne comme « un pas supplémentaire, après la décision
Aubry, dans la restriction de l’usage de l’article L 170 »841.

176. Subjectivité de l’appréciation. – Bien que parfaitement équilibrée, cette solution peut
susciter d’importantes difficultés d’interprétation. Pour apprécier la suffisance de l’action de
l’administration, l’analyse des juges du fond ne pourra qu’être postérieure à l’exercice du droit
de communication. Ils devront analyser prospectivement si les attributions de l’administration
lui auraient permis de recueillir les mêmes informations que celles révélées par la procédure
judiciaire et utilisées pour rehausser le contribuable. Dans une espèce récemment jugée par le
Conseil d’État, le juge fiscal devait se prononcer sur la question de savoir si l’administration
fiscale aurait pu déceler la fraude indépendamment de sa révélation postérieure par l’autorité
judiciaire. En 2007, le maire de la commune de Bruges a tout d’abord fait l’objet d’une
vérification de ses déclarations à l’impôt de solidarité sur la fortune et c’est à cette occasion que
l’administration fiscale a découvert l’existence de comptes bancaires utilisés dans le cadre
d’une société de chasse espagnole. L’ouverture, quatre ans plus tard, d’une procédure pénale a
révélé l’utilisation frauduleuse par le contribuable de ces comptes bancaires. L’administration
fiscale a usé de la faculté qu’elle tient de l’article L. 170 du livre des procédures fiscales pour
bénéficier d’un délai spécial de reprise et ainsi rehausser largement l’imposition du
contribuable. Reprenant la motivation de l’arrêt Patenotre, la cour administrative d’appel a
écarté l’application de l’article L. 170, considérant que l’administration fiscale avait « dès 2007,
connaissance de ce que M. S. était titulaire de ce compte et (…) [l’ayant] interrogé sur son
utilisation, disposait dès cette époque d’éléments qui lui auraient permis, en mettant en œuvre

839
Ibid.
840
CE, plén., 23 décembre 2013, n°350967, Patenotre : Dr. fisc. 2014, n°3, comm. 42 ; RJF 3/2014, n° 262 ; concl.
E. CREPEY, BDCF 3/2014, n°35.
841
Ibid.

158
ses pouvoirs de contrôle et d’investigation, de connaître l’origine et l’utilisation des fonds
portés au crédit de ce compte, en provenance de diverses entreprises, et de déterminer, le cas
échéant, le caractère imposable de ces sommes au regard de l’impôt sur le revenu »842. Pour
conclure à la cassation de cet arrêt, le rapporteur public s’est livré à une analyse minutieuse des
attributions de l’administration fiscale à l’endroit du fichier national des comptes bancaires et
assimilés. Le Conseil d’État s’est engagé dans cette voie, estimant que le fisc ne pouvait avoir
connaissance que de l’existence du compte bancaire, à l’exception de son utilisation effective
par le contribuable843. L’administration fiscale pouvait donc bénéficier de l’allongement de son
délai de reprise par la révélation postérieure des éléments de la procédure pénale. Cette solution
démontre que la notion de révélation est « intrinsèquement subjective »844 .

177. Articulation entre les articles L. 187 et L. 188 C du livre des procédures fiscales. –
La faculté que l’administration tient de l’article L. 188 C du livre des procédures fiscales relève
ainsi d’un « pouvoir exorbitant »845. Pour voir allonger son délai de reprise en cas de révélation
par une procédure judiciaire en vertu de l’article L. 188 C, la jurisprudence est indifférente au
fait que l’administration fiscale ait elle-même introduit l’instance révélatrice par le biais de
l’article L. 187846. En d’autres termes, même si l’initiative de la plainte est le fait de
l’administration, celle-ci peut tout de même bénéficier de l’allongement du délai de reprise de
l’article L. 188 C lorsque l’instance ouverte a permis de révéler des insuffisances ou omissions.
Dans cette optique, le risque d’élargissement de l’article L. 188 C à la phase d’enquête, et
partant celui du détournement de procédure, est encore plus à craindre.

178. Exploitation des données pénales par l’administration fiscale. – L’administration


fiscale trouve dans le déroulement d’une procédure pénale un intérêt substantiel. Les éléments
tirés du dossier pénal constituent pour elles des éléments probatoires supplémentaires à la
répression de la fraude, mais ceux-ci lui permettent également de bénéficier de mécanismes
procéduraux qui élargissent ses propres pouvoirs d’investigation. Lorsque les éléments utilisés
par le fisc sont issus d’une véritable procédure judiciaire, le bénéfice qui en résulte paraît

842
CAA Bordeaux, 27 septembre 2018, n°16BX01622.
843
CE, 14 octobre 2020, n°425337 : Dr. fisc. 2021, n°13, comm. 199, concl. L. DOMINGO ; RJF 2021, n°86.
844
V. DAUMAS, Délai spécial de reprise en cas d'omissions ou insuffisances d'imposition révélées par une
instance : la difficile exégèse de la révélation, op. cit.
845
CE, 29 avril 2009, n°299949, ccl. E. GLASER : RJF 7/09, n°669.
846
CE, 20 février 2008, n°281130, Chenevière (1ère espèce) et n°281178, SA L'Hexagone (2ème espèce).

159
parfaitement légitime. Il est en effet concevable d’admettre que l’administration fiscale puisse
bénéficier des éléments probatoires offerts par la procédure pénale lorsque ceux-ci ont pu être
soumis à un véritable débat contradictoire. En revanche, l’extension du droit de communication
aux éléments tirés d’une enquête pénale est plus contestable, dans la mesure où la preuve de la
fraude n’a pas été insérée dans un véritable cadre juridictionnel permettant aux parties d’en
contester la régularité et le bien-fondé.

160
CONCLUSION DU CHAPITRE DEUX

179. Abandon jurisprudentiel du principe d’indépendance des procédures pénale et


fiscale. – Les rapports entre les procédures pénale et fiscale sont particulièrement complexes.
Faute de solution dictée par le législateur, ils ont longtemps été analysés à l’aune du principe
jurisprudentiel d’indépendance, lequel ne bénéficie pourtant d’aucune justification
convaincante. Consciente des limites et des écueils attachés au principe d’indépendance des
procédures pénale et fiscale, la jurisprudence récente semble y avoir renoncé. La formulation
constante et hasardeuse selon laquelle « les poursuites pénales (…) et la procédure
administrative (…) sont par leur nature et leur objet, différentes et indépendantes l'une de
l'autre »847 n’a pas été reconduite sous la plume de la chambre criminelle depuis l’année
2016848. La lecture des arrêts de septembre 2019849, au sein desquels le principe d’indépendance
des procédures pénale et fiscale est expressément qualifié de « précédent jurisprudentiel »850,
conforte cette position. Un tel dénouement ne peut qu’être approuvé. Pour que le cumul des
répressions pénale et fiscale soit acceptable, le principe d’indépendance doit s’incliner au profit
d’un principe de cohérence851 procédurale. Les juges pénal et fiscal ne peuvent s’ignorer

847
V. supra, n°113.
848
C’est à l’occasion de la transmission de la QPC dans l’affaire EADS (V. infra, n°195 et s.) que la chambre
criminelle a, pour la dernière fois, mentionné ce principe en ces termes : Cass. crim., 30 mars 2016, n°16-90.001
et n°16-90.005, Cass. crim., 19 mai 2016, n°15-84.526.
849
Par six arrêts rendus le 11 septembre 2019 (Cass. crim., 11 septembre 2019, n°18-81.980, n°18-81.067, n°18-
82.430, n°18-81.040, n°18-84.144, n°18-83.484), la chambre criminelle a formulé des précisions importantes sur
le cumul des répressions pénale et fiscale en matière de fraude fiscale : V. infra, n°210.
850
V. notamment, Cass. crim., 11 septembre 2019, n°18-81.980 : on peut lire dans la rubrique « précédents
jurisprudentiels » à la fin de l’arrêt : « concernant les poursuites pénales exercées sur le fondement de l'article
1741 du code général des impôts et la procédure administrative tendant à fixer l'assiette et l'étendue de l'impôt
étant, par leur nature et leur objet, différentes et indépendantes l'une de l'autre, le juge répressif n'a pas à surseoir
à statuer jusqu'à la décision définitive de la juridiction administrative, laquelle ne peut avoir autorité de chose
jugée à son égard, à rapprocher : Crim., 11 janvier 2006, pourvoi n° 05-82.674, Bull. crim. 2006, n°16 (cassation),
et l'arrêt cité ».
851
La cohérence à laquelle nous aspirons ici doit ici se distinguer du principe de cohérence qui existe en droit
international privé, sous la dénomination du principe dit de l’« estoppel », prohibant le changement de position
dans l’argumentation d’une partie réalisé au détriment d’une autre (V. pour plus de développements à ce sujet,
E. GAILLARD, L'interdiction de se contredire au détriment d'autrui comme principe général du droit du commerce
international : Revue de l’arbitrage, 1985, p. 241 ; P. PINSOLLE, Distinction entre le principe de l'estoppel et le
principe de bonne foi dans le droit du commerce international : Journal du droit international, 1998, p. 905). Le
concept a ensuite été introduit en droit français, notamment en droit des obligations où le principe de cohérence
est désormais présent à tous les stades de processus contractuel, participant de « l’idée en vertu de laquelle un
contractant dont les actes ou les paroles sont contradictoires, et qui trompe ainsi la confiance qu'il avait
légitimement créée dans l'esprit de son cocontractant, lequel avait agi sur la foi de ses déclarations ou
comportements initiaux, doit assumer les conséquences de ses contradictions contractuelles illégitimes » (D.
MAZEAUD, Principe de cohérence, Revue des contrats 2009, n°3, p. 999). V. pour plus de développements à ce

161
mutuellement. Parce qu’elle aboutit à des décisions juridictionnelles contraires, voire
inconciliables, leur ignorance réciproque délégitime le cumul entre les deux procédures. L’ère
de l’indépendance doit céder sa place au « temps des rapprochements »852.

180. Interdépendance des procédures pénale et fiscale. – En présence d’une fraude


fiscale, le rapprochement des procédures pénale et fiscale est inévitable, tant celles-ci sont en
réalité interdépendantes. D’un côté, la tenue d’un procès pénal est grandement soulagée par le
travail préalable de l’administration fiscale et de l’autre, le fisc puise dans la procédure
répressive des éléments probatoires indispensables à l’établissement de la fraude. Si au regard
de la complémentarité des procédures, cette utilisation réciproque est nécessaire, force est de
constater qu’elle s’exerce trop souvent au détriment des droits du contribuable. Au sein du
procès pénal, l’omniprésence de l’administration fiscale sert un intérêt exclusivement répressif
dans la caractérisation des éléments constitutifs de la fraude, si bien que le prévenu ne joue pas
à armes égales devant les deux accusateurs publics que sont d’une part, le ministère public, et,
d’autre part, l’administration fiscale. Au stade du redressement fiscal, l’égalité des armes est
une nouvelle fois rompue en faveur du Trésor. Pour redresser le contribuable, l’administration
fiscale est susceptible de prendre connaissance et d’exploiter tous les éléments de preuve
résultant des investigations des autorités judiciaires ou policières. Cette possibilité est permise
par une extension problématique de la notion de procédure pénale par le juge fiscal, à laquelle
celui-ci intègre volontairement la phase préliminaire d’enquête. L’interprétation du juge des
impôts exprime une conception juridictionnalisée853 de l’enquête pénale qui, bien qu’annoncée

sujet : H. MUIR WATT, Pour l'accueil de l'estoppel en droit privé français, in Mélanges Y. LOUSSOUARN :
Dalloz, 1994, p. 303 ; B. FAGES, Le comportement du contractant : PUAM, Aix-en-Provence, 1997, n°630 et s. ;
A. SERIAUX, Droit des obligations : PUF, 1998, n°55 ; C. MARECHAL, L'estoppel à la française consacré par
la Cour de cassation comme principe général du droit : D. 2012, p. 167 et s. ; D. HOUTCIEFF, Le principe de
cohérence : vingt ans après, in Mélanges J. MESTRE : LGDJ 2019, p. 533 et s. ; M. BEHAR-TOUCHAIS (sous
la dir. de), L'interdiction de se contredire au détriment d'autrui, Économica, 2001 ; D. HOUTCIEFF, L’importance
d’être constant : vers une consécration du principe de cohérence : JCP G, n°45, 2014, comm. 1141).
852
C. HERMON, Retour sur le cumul des poursuites et des sanctions pénales et fiscales, une partition inachevée :
RDP 2016, p. 1395.
853
La « juridictionnalisation » est envisagée comme un « procédé consistant à attribuer à des actes qui ne la
comporteraient normalement pas la qualification d'acte juridictionnel, afin de leur étendre, le régime de ce
dernier » (G. CORNU, Vocabulaire juridique, Association Henri Capitant, op. cit., p. 592).

162
par certains auteurs dès 2015854, n’est pas à ce jour parachevée855. Aussi, l’utilisation par
l’administration fiscale d’éléments tirés d’une enquête pénale, éventuellement classée sans
suite, est discutable. Au stade de l’enquête pénale, le mis en cause ne peut bénéficier d’un
véritable débat contradictoire avec le parquet. Ayant conduit l’enquête et décidant des suites à
donner à la procédure, ce dernier ne peut en effet se poser en contradicteur impartial et
indépendant. Les éléments probatoires utilisés par le fisc ne pouvant être contestés, en raison
de leur nature pénale, devant le juge des impôts856, le contradictoire n’est pas pleinement assuré
pour le contribuable. En conséquence, l’étendue du droit de communication de l’administration
fiscale doit être repensée et circonscrite aux éléments mis au jour une fois l’action publique
engagée à l’encontre du prévenu.

854
O. DECIMA, La juridictionnalisation de l’enquête pénale, 2015, Cujas, Actes & études ; P. LE MONNIER
DE GOUVILLE, La juridictionnalisation de l’enquête pénale : Cah. just. 2015, p. 131 ; A. BOTTON, Droit à un
recours juridictionnel effectif dans le cadre de l’enquête pénale : Constitutions 2014. 471 ; B. DE LAMY,
La juridictionnalisation de l’enquête pénale : l'aventureuse constitutionnalisation du « doit à » : RSC 2016. 393 ;
A. GOGORZA, L’autorisation judiciaire pendant la phase policière : RSC 2017. 247 ; N. JEANNE,
Juridictionnalisation de la répression pénale et institution du Ministère public : Thèse, Univ. Paris I Panthéon-
Sorbonne, 2015.
855
Des évolutions récentes ont toutefois permis de tendre vers une certaine juridictionnalisation, telles que la
création d’un statut de l’audition livre (E. VERGES, Le statut juridique du suspect : un premier défi pour la
transposition du droit de l'Union européenne en procédure pénale : Dr. pén. 2014, étude 15), ou encore l’accès au
dossier au bénéfice de la personne mise en cause, accompagné de la possibilité de formuler des observations et de
formuler des demandes d’actes (art. 77-2 CPP, modifié par la loi n°2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la
confiance dans l'institution judiciaire). Le débat sur la juridictionnalisation de l’enquête pénale est aujourd’hui
relancé à travers la volonté d’unification des différents régimes d’enquête. À cet égard, le Comité des États
généraux de la justice a rendu un rapport le 8 juillet 2022 aux termes duquel il a été souligné que la coexistence de
trois cadres procéduraux, que sont l’enquête de flagrance, l’enquête préliminaire et l’information judiciaire,
« contribue à la complexité actuelle de la conduite des investigations ». Aussi, il a été proposé d’unifier ces
régimes dans un seul et même cadre procédural. Pour l’heure, le comité a préconisé de mener « une vaste d’étude
d’impact, explorant l’ensemble des scénarios de réforme du modèle actuel de procédure pénale, en évaluant
notamment les modalités d’une unification des cadres d’investigation, leur incidence sur les prérogatives de
chacun des acteurs, sur l’égalité des droits accordés aux parties et sur les actes d’enquête » (Rapport du comité
des États généraux de la justice (Octobre 2021 – avril 2022), Rendre justice aux citoyens, p.200). V. pour plus de
développements sur ce sujet : H. MATSOPOULOU, Une réecriture du Code de procédure pénale ? Principales
propositions du rapport du Comité des États généraux de la justice : Libre propos, JCP G n°37, 19 septembre 2022,
1012.
856
V. infra, n°390 et s.

163
CONCLUSION DU TITRE PREMIER

181. Réunion de deux conditions cumulatives. – En prévoyant de cumuler les poursuites


pénales et fiscales, le législateur fait peser sur le contribuable une charge procédurale
conséquente. Le cumul des procédures pénale et fiscale n’est légitime qu’à la condition que
deux préalables soient respectés. D’une part, chacune des procédures ne doit être engagée que
dans le but de servir l’objectif qui lui a été assigné dans la répression de la fraude. Tandis que
la procédure fiscale a vocation à réparer le préjudice de la fraude, la procédure pénale s’ajoute
exceptionnellement à celle-ci afin de lui conférer un caractère plus répressif. Mais lorsque la
procédure pénale tend vers un objectif budgétaire ou lorsque le contentieux fiscal revêt les
caractéristiques d’un contentieux essentiellement répressif, l’addition de deux procédures, dont
les objectifs ne sont plus complémentaires mais similaires, devient excessif et donc illégitime.
D’autre part, la légitimité du cumul des procédures postule la création de liens entre les juges
pénal et fiscal. La relation qui s’installe entre les contentieux pénal et fiscal ne peut en revanche,
ni consister en une stricte indépendance, dont il résulterait un hermétisme incompatible avec la
complémentarité des procédures, ni en une interdépendance absolue, au risque d’aboutir à une
répression effrénée et incontrôlée des faits de fraude fiscale. Lorsque les objectifs des
procédures pénale et fiscale ne coïncident plus avec les visées répressives et budgétaires ou
lorsque les contentieux se conduisent de manière strictement indépendante ou selon une
interdépendance absolue, l’addition des répressions n’est plus légitime.

182. Impossibilité de confrontation à une norme juridique. – Les réflexions sur la


légitimité du cumul des procédures constituent des orientations à tenir au stade de leur
articulation conceptuelle. Les attributions conférées aux juges pénal et fiscal, tout comme les
rapports entre les deux contentieux, doivent être organisés conformément aux conditions
subordonnant la légitimité de leur addition. Pour le contribuable, ces questions présentent
toutefois un intérêt pratique limité puisque celui-ci ne peut, dans le prétoire pénal ou fiscal,
invoquer directement la violation des conditions de légitimité du cumul des procédures. La
notion de complémentarité ne prenant appui sur aucun concept juridique, il est aisé de dénoncer
sa souplesse et l’incertitude de son contenu857. La situation personnelle du contribuable devant

857
V. à ce titre, V. PELTIER, NCCC, 2016, n°53, p. 132 qui s’interroge à juste titre : « comment déterminer si des
procédures sont complémentaires ou non ? ».

164
affronter la simultanéité des poursuites pénale et fiscale, pourra cependant être confrontée à de
véritables normes juridiques subordonnant la légalité du cumul des procédures.

165
TITRE SECOND : LA LÉGALITÉ DU CUMUL

183. Confrontation du cumul à une règle de droit. – Au nom de la complémentarité des


procédures pénale et fiscale, la légitimité de leur cumul est acquise. De ce postulat initial ont
découlé de véritables conditions subordonnant la légalité de l’addition des répressions. Étudier
la légalité du cumul des procédures pénale et fiscale, c’est le confronter directement à une règle
de droit, dont la source peut être interne ou externe, ayant pour effet de circonscrire son champ
d’application. À ce titre, le double régime répressif applicable en matière de fraude fiscale est
susceptible d’interférer avec le principe ne bis in idem, lequel interdit aux autorités de
poursuivre ou de punir un individu ayant déjà fait l’objet d’une condamnation à raison des
mêmes faits. Ce principe, qui protège individuellement chaque citoyen contre un exercice
excessif de la justice, tout en aspirant dans le même temps à assurer une certaine sécurité
juridique par le respect de l’autorité de chose jugée858, entre directement en conflit avec le
cumul des procédures pénale et fiscale. En additionnant les répressions à l’égard d’un même
contribuable à raison de faits identiques, notre système actuel fait peser sur l’intéressé une
charge procédurale importante, sans toutefois préciser les hypothèses dans lesquelles le cumul
des procédures est possible. Dans le silence de la loi, l’instauration de limites substantielles au
cumul a été permise par l’intervention des juridictions nationales et européennes. Il faudra donc
successivement analyser la légalité interne (Chapitre I) puis externe du cumul des procédures
pénale et fiscale (Chapitre II).

858
En cas de poursuites successives, la règle ne bis in idem doit composer avec la règle de l’autorité de la chose
jugée et protège donc un intérêt public. En cas de poursuites simultanées, l’intérêt en jeu est un intérêt privé, visant
à protéger la personne poursuivie contre une charge procédurale excessive.

166
CHAPITRE I. LA LÉGALITE INTERNE DU CUMUL DES
PROCÉDURES PÉNALE ET FISCALE

184. Encadrement constitutionnel du cumul des procédures pénale et fiscale. – Au sein


de notre système juridique interne, ni le code pénal ni le code général des impôts n’énonce des
critères organisant les conditions d’engagement du double régime répressif à l’encontre d’un
contribuable. Aucune règle de principe ne vient interdire qu’un même manquement fiscal fasse
cumulativement l’objet de deux procédures distinctes. Pour établir des limites au cumul des
procédures pénale et fiscale, il a fallu se placer sous l’angle d’un principe constitutionnel tiré
de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, celui du principe de nécessité des délits
et des peines. Dans la jurisprudence constitutionnelle, la confrontation à ce principe a été tardive
(Section I), tant notre tradition interne est attachée aux cumuls de sanctions pénale et
administrative. Du reste, la traduction juridique de ces limites réside dans le critère de gravité,
seule règle organisant conceptuellement la double répression applicable à la fraude fiscale.
Désormais, les poursuites pénales ne peuvent s’adjoindre aux poursuites fiscales qu’en présence
d’une fraude répondant à un certain degré de gravité. Si ce critère est un élément pertinent pour
assurer la complémentarité des réponses pénale et fiscale, il n’est pas aisé à mettre en œuvre et
se révélera souvent périlleux (Section II).

SECTION I. L’INTERVENTION TARDIVE DES JURIDICTIONS NATIONALES

185. Absence de consécration interne du principe ne bis in idem. – Bien que le principe
ne bis in idem soit consacré par plusieurs conventions internationales ratifiées par la France859,
il n’est pas codifié en tant que tel au sein des textes nationaux en vigueur. Sa valeur, aussi
fondamentale soit-elle860, n’est pas constitutionnellement garantie861. Le principe découle
toutefois du principe de nécessité des délits et des peines, garanti par l’article 8 de la Déclaration
des Droits de l’Homme et du Citoyen. En sa qualité de garant de la Constitution, c’est le Conseil
constitutionnel qui est intervenu pour encadrer substantiellement la dualité de régimes

859
La Conv. EDH (art. 4§1 de son protocole additionnel n°7), la Charte des droits fondamentaux de l’Union
européenne (art. 50), la Convention d'application de l'Accord de Schengen (art. 54), le Pacte international relatif
aux droits civils et politiques (art. 14§7).
860
« La maxime Non bis in idem appartient au droit universel des Nations » (F. HÉLIE, Traité de l’instruction
criminelle, Théorie du code d’instruction criminelle, Bruxelles, Méline, Cans et Compagnie, 1845, n°890).
861
V. infra, n°192.

167
répressifs applicable à la fraude fiscale. Le Conseil a tout de même admis la constitutionnalité
de l’addition des procédures (§2), selon un raisonnement différent de celui établi en matière de
cumul des sanctions pénale et administrative (§1).

§1. La jurisprudence constitutionnelle à l’égard des cumuls de sanctions

186. Faveur accordée aux cumuls de sanctions en droit interne. – Les juridictions
internes se sont pendant longtemps montrées favorables à la possibilité de cumuler des
sanctions pénales et extra pénales862. Cette position traditionnelle (A) a ensuite évolué, au point
de faire douter de la constitutionnalité du cumul des procédures pénale et fiscale (B).

A) La position constitutionnelle originelle en matière de cumul de sanctions

187. Existence d’une répression administrative. – En droit interne, le juge pénal ne


dispose pas du monopole de la sanction. Nombreux sont les secteurs concernés par une
répression dite administrative, confiée à des autorités indépendantes non juridictionnelles et
dotées de larges pouvoirs de sanctions863. Au-delà du champ fiscal, la répression administrative
« couvre aujourd’hui des secteurs aussi étendus que divers »864, tels que le secteur de
l’économie, le domaine de la santé et de l’environnement, la circulation et les transports,
l’information et la communication.

188. Position traditionnelle énoncée en matière boursière. – Pendant des décennies, le


Conseil constitutionnel a admis, presque inconditionnellement, le cumul des sanctions
administrative et pénale. Sa position de principe a été énoncée à l’occasion de l’examen de la
loi du 1er juillet 1989 relative à la sécurité et à la transparence du marché financier865. En matière
boursière, il existe en effet un système de cumul comparable à celui consacré en matière de

862
Cass. crim., 20 juin 1996, n°94-85.796 : D. 1997, p. 249, note G. TIXIER et T. LAMULLE ; RSC 1997, p. 372,
obs. B. BOULOC ; Cass. crim., 6 novembre 1997, n°96-86.127 : RSC 1998, p. 538, obs. B. BOULOC ; Cass.
crim., 4 juin 1998, n°97-80.620 : RTD comm. 1999, p. 522, obs. B. BOULOC ; Cass. crim., 16 janvier 2002, n°01-
83.742 ; Cass. crim., 13 janvier 2010, n°09-84.977 : Dr. pén. 2010, chron. n°8, n°6, obs. S. DETRAZ.
863
V. sur ce sujet : Les pouvoirs de l’administration dans le domaine des sanctions, Étude adoptée par l’Assemblée
générale du Conseil d’État le 8 décembre 1994, La documentation française, Paris, 1995, p. 43 et s.
864
M. DELMAS-MARTY et C. TEITGEN-COLLY, Punir sans juger, de la répression administrative au droit
administratif pénal, op. cit., p.18.
865
Cons. const., DC, 28 juillet 1989, n°89-260, Loi relative à la sécurité et à la transparence du marché financier :
RFDA 1989. 671, obs. B. GENEVOIS.

168
fraude fiscale, les infractions boursières pouvant être réprimées tout à la fois
administrativement866 et pénalement867. Avant la promulgation de ladite loi, un groupe de
soixante sénateurs868 avait saisi le Conseil constitutionnel, soutenant notamment que le cumul
des sanctions en matière boursière méconnaissait « le principe selon lequel une même personne
ne peut pas être punie deux fois pour le même fait »869. Sans se prononcer sur la valeur de ce
principe, le Conseil constitutionnel a explicitement écarté son application au cas de cumul entre
sanctions pénale et administrative870.

189. Position analogue pour les sanctions fiscales. – Cette position de principe en faveur
des hypothèses de cumul a été transposée à la matière fiscale dans une décision du 30 décembre
1997871. Était soumise à l’examen du Conseil la loi de finances pour 1998 872, spécifiquement
son article 85 instituant des sanctions autonomes pour les manquements aux règles de
facturation873. Les requérants invoquaient une méconnaissance de l’article 8 de la Déclaration
des Droits de l’Homme et du Citoyen, estimant que le législateur « aurait dû préciser que les
sanctions administratives prévues par cet article sont exclusives de sanctions pénales »874.
S’inscrivant explicitement dans la continuité de sa position de principe énoncée en 1989 875, le
Conseil a validé la constitutionnalité du cumul des sanctions pénale et fiscale876.

866
Art. L. 621-15 CMF : sanctions prononcées par l’autorité des marchés financiers (AMF), anciennement la
Commission des infractions de bourse (COB).
867
Art. L. 465-1 et s. : sanctions prononcées par le juge pénal.
868
Conformément à l’alinéa 2 de l’article 61 de la Constitution du 4 octobre 1958, « les lois peuvent être déférées
au Conseil constitutionnel, avant leur promulgation, par le Président de la République, le Premier ministre, le
Président de l'Assemblée nationale, le Président du Sénat ou soixante députés ou soixante sénateurs ».
869
Cons. const., DC, 28 juillet 1989, n°89-260, considérant n°15.
870
Cons. const., DC, 28 juillet 1989, n°89-260, considérant n°16 : « Considérant que, sans qu'il soit besoin de
rechercher si le principe dont la violation est invoquée a valeur constitutionnelle, il convient de relever qu'il ne
reçoit pas application au cas de cumul entre sanctions pénales et sanctions administratives ».
871
Cons. const., DC, 30 décembre 1997, n°97-395.
872
Loi n°97-1269 du 30 décembre 1997 de finances pour 1998.
873
Cons. const., DC, 30 décembre 1997, n°97-395, considérant n°33.
874
Ibid, considérant n°34.
875
Commentaire de la décision n°97-395 DC du 30 décembre 1997 Loi de finances pour 1998, Les Cahiers du
Conseil constitutionnel, n°4, p. 6.
876
Ibid, considérant n°41 : « Considérant que, toutefois, lorsqu'une sanction administrative est susceptible de se
cumuler avec une sanction pénale, le principe de proportionnalité implique qu'en tout état de cause, le montant
global des sanctions éventuellement prononcées ne dépasse pas le montant le plus élevé de l'une des sanctions
encourues ; qu'il appartiendra donc aux autorités administratives et judiciaires compétentes de veiller au respect
de cette exigence ; que, sous cette réserve, le V de l'article 85 n'est pas contraire à la Constitution ».

169
190. Postulat du Conseil constitutionnel : présence de sanctions de natures différentes.
– Pour écarter dans ces hypothèses la règle ne bis in idem, le Conseil constitutionnel postule
que les sanctions administrative et pénale ne présentent pas la même nature. En droit français,
le principe de non-cumul ne vaut que pour des sanctions de nature similaire, qu’il s’agisse de
sanctions pénales877 ou administratives878. Il est cependant très malaisé879 de ranger
définitivement les pénalités fiscales dans la catégorie des sanctions administratives. Dès lors
que le but de la sanction fiscale n’est pas exclusivement tourné vers la réparation d’un préjudice
pécuniaire, mais présente également une visée punitive à l’endroit du fraudeur, celle-ci présente
bien les caractères d’une punition, à l’instar d’une sanction pénale. S’appuyant sur cette finalité
répressive, le Conseil a lui-même fait entrer les pénalités fiscales dans la classification des
« sanctions ayant le caractère d'une punition »880, soumises aux principes découlant de l’article
8 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen.

191. Non application de la règle ne bis in idem. – Selon les propos d’un rapporteur
public881, les pénalités fiscales présenteraient ainsi une « nature quasi-pénale », à mi-chemin
entre les sanctions pénales et les sanctions administratives. Et d’en conclure : « si ce régime
n'est que « quasi pénal », il n'y a pas lieu de lui appliquer la totalité du régime pénal »882.
Aussi, plusieurs grands principes de la matière pénale s’appliquent de plein droit aux pénalités
fiscales, parmi lesquels le principe de non-rétroactivité883, le droit à un procès équitable884
impliquant que le procès soit conduit dans un délai raisonnable et que l’affaire soit jugée par un
tribunal indépendant et impartial, mais aussi celui de la présomption d’innocence et de
personnalité des peines885. À l’inverse et sans plus d’explications, la règle ne bis in idem se

877
Selon une jurisprudence ancienne a été consacré « le principe selon lequel un même fait frauduleux ne saurait
faire l'objet d'une double déclaration de culpabilité » : V. notamment Cass. crim., 25 février 1921 : Sirey 1923, 1,
p.89 ; Cass. crim., 6 janvier 1970, n°68-92.397.
878
CE, 23 avril 1958, Commune de Petit-Quevilly : AJDA n°1958.383 ; V. aussi Cons. const., DC, 17 janvier
1989, n°88-248, considérant n°30 : « un même manquement ne peut donner lieu qu'à une seule sanction
administrative, qu'elle soit légale ou contractuelle ».
879
V. supra, n°79 et s.
880
Cons. const., DC, 30 décembre 1982, n°82-155 ou Cons. const., QPC, 4 mai 2012, n°2012‐239, Altmann.
881
Concl. J. ARRIGHI DE CASANOVA, BDCF 16/95 p. 81, sous CE, Avis, 31 mars 1995, Ministre c/ SARL
Auto-industrie Méric, RJF 5/95 n°623.
882
Ibid.
883
Cons. const., DC, 30 décembre 1982, n°82-155, considérant n°33.
884
Cour EDH, 24 février 1994, Bendenoun c/ France, req. n°12547/86.
885
CE, 29 novembre 2020, n°428313.

170
trouverait « sans application »886 à l’endroit des sanctions fiscales. En faisant le choix d’exclure
explicitement l’application du principe ne bis in idem aux pénalités fiscales, la conception
traditionnelle des juridictions internes résulte donc tantôt d’un postulat erroné – celui d’une
différence de nature entre les sanctions fiscales et pénales –, tantôt d’un choix arbitraire – tiré
du régime quasi-pénal des sanctions fiscales –.

192. Position traditionnelle confortée par l’absence de fondement. – La position


classique du Conseil constitutionnel en matière de cumul a nécessairement été confortée par
l’absence de fondement textuel à la règle ne bis in idem. Alors que les sénateurs invoquaient
directement au soutien de leur saisine une violation de ce principe887, les magistrats du Palais
Royal n’ont jamais souhaité se prononcer sur sa valeur888, ni a fortiori lui octroyer valeur
constitutionnelle. La règle de non-cumul n’ayant qu’une valeur législative, il est toujours
possible d’y déroger par une loi889890. Au-delà des fragilités de son assise textuelle, le fondement
moral de la règle est « incertain »891. En cas de poursuites concomitantes, la règle « aurait pour
objet d'éviter de faire preuve d'une rigueur excessive en exposant l'auteur d'un même fait à une
double déclaration de culpabilité »892.

193. Seule condition exigée : mise en place d’un maximum légal. – Pendant des
décennies, c’est à travers le seul prisme du principe de proportionnalité que le cumul des
sanctions pénale et administrative a été examiné. En effet, depuis sa décision précitée du 28
juillet 1989 rendue à propos des pouvoirs de la Commission des opérations de bourse, le Conseil
constitutionnel interdit que le montant global des sanctions prononcées dépasse le montant le
plus élevé de l’une des sanctions encourues893. À en croire la mention aux tables quinquennales

886
Concl. J. ARRIGHI DE CASANOVA, BDCF 16/95 p. 81, op. cit. : « Si les sanctions fiscales relèvent de la
matière pénale, au sens de la convention, c'est en raison de la nature quasi pénale des sanctions
administratives, au regard notamment de la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Et si ce régime n'est que «
quasi pénal », il n'y a pas lieu de lui appliquer la totalité du régime pénal que définit la convention. Se trouve ainsi
sans application la règle « non bis in idem » ».
887
Cons. const., DC, 28 juillet 1989, n° 89-260, considérant n°15.
888
Cons. const., DC, 28 juillet 1989, n°89-260, considérant n°16.
889
Cons. const., DC, 30 juillet 1982, n°82-143, considérant n°13.
890
À ce jour, la règle n’est toujours pas formellement élevée au rang constitutionnel. Le Conseil souhaite
sauvegarder les innombrables situations de cumul entre des sanctions pénales et extra pénales présentes en droit
français.
891
M. FOUQUET, P. LABROUSSE, Ne bis in idem : au cœur de l’évolution jurisprudentielle : Dr. pén. n°3, mars
2022, dossier 1.
892
Ibid.
893
Cons. const., DC, 28 juillet 1989, n°89-260, considérant n°22.

171
établies par le Conseil, ce point apparaît comme le plus remarquable de sa décision894. Le
Conseil avait ainsi posé une première réserve au cumul, qu’il a ensuite appliquée à la matière
fiscale dans des termes similaires895. Il appartiendra donc à la dernière autorité saisie de
poursuites à l’encontre du fraudeur de prendre en compte la sanction prononcée par son
homologue, afin de ne pas dépasser le plafond le plus élevé de l’une des sanctions encourues896.
Tant que cette règle arithmétique est observée, l’hypothèse d’un cumul entre les sanctions
pénale et fiscale respecte les garanties constitutionnelles de l’article 8 de la Déclaration de 1789.
Il a fallu attendre le début des années 2010 pour voir apparaître un véritable encadrement des
hypothèses de cumul dans la jurisprudence constitutionnelle, et avec lui de véritables espoirs
d’une interdiction de principe de l’addition des procédures pénale et fiscale.

B) Les espoirs d’une interdiction du cumul de sanctions

194. Circonstances favorables à l’apparition d’un encadrement du cumul. – À partir des


années 2010, un contrôle approfondi des hypothèses de cumul entre les sanctions pénale et extra
pénale a émergé dans la jurisprudence constitutionnelle. L’apparition de cet encadrement s’est
imposée tout d’abord en raison de l’accroissement des hypothèses de cumul entre les procédures
pénale et extra pénale. Si jusqu’au début du 21ème siècle la tendance était celle d’ôter au juge
pénal une partie du contentieux des affaires pour offrir à des autorités administratives
compétentes dans leur domaine le pouvoir de punir les comportements frauduleux897, les années
2010 ont marqué le retour d’une volonté affichée d’exemplarité à l’égard de certains
comportements considérés comme antisociaux898. Aussi les hypothèses d’addition des
répressions pénale et administrative sont-elles devenues de plus en plus fréquentes en droit

894
V. notamment sur ce point, S. AUSTRY, Cumul des sanctions fiscales et des sanctions pénales : requiem en
trois temps pour la règle non bis in idem : RJF 1997.
895
Cons. const., DC, 30 décembre 1997, n°97-395, considérant n°41 : « Considérant que, toutefois, lorsqu'une
sanction administrative est susceptible de se cumuler avec une sanction pénale, le principe de proportionnalité
implique qu'en tout état de cause, le montant global des sanctions éventuellement prononcées ne dépasse pas le
montant le plus élevé de l'une des sanctions encourues ; qu'il appartiendra donc aux autorités administratives et
judiciaires compétentes de veiller au respect de cette exigence ; que, sous cette réserve, le V de l'article 85 n'est
pas contraire à la Constitution ».
896
V. infra, n°247 et 282.
897
Rapp. au garde des Sceaux, La dépénalisation de la vie des affaires, J.-M. COULON, collection des rapports
officiels, janvier 2008 ; F. TEITGEN et B. THOUZELLIER, Non pas dépénaliser, mais mieux pénaliser : Dr. pén.
2008, dossier spécial, n°2 ; K. HAERI, Réflexions sur le rapport du groupe de travail sur la dépénalisation de la
vie des affaires : et le pénal n’appartient plus jamais au justiciable : Dr. pén. 2008, dossier n°4.
898
V. notamment A. LEPAGE, P. MAISTRE DU CHAMBON, R. SALOMON, Droit pénal des affaires, op. cit.
n°617 et s., p. 293 et s. qui constatent la sévérité du droit pénal des affaires.

172
interne. La Cour européenne des droits de l’Homme a été la première à encadrer l’hypothèse
du cumul de sanctions. Dans une affaire Grande Stevens rendue en matière boursière en mars
2014899, des requérants italiens se plaignaient d’avoir fait l’objet d’une condamnation par
l’autorité des marchés puis par la juridiction pénale du chef de diffusion de fausses
informations. Écartant l’application de la réserve italienne émise pour l’application de l’article
4 du protocole n°7900, la juridiction européenne a explicitement condamné le cumul des
poursuites pénale et administrative, remettant ainsi en cause la position interne originelle.

195. Réception de cet encadrement par le Conseil constitutionnel901. – C’est dans ce


contexte que la chambre criminelle de la Cour de cassation a transmis au Conseil constitutionnel
trois questions prioritaires de constitutionnalité posées par des prévenus poursuivis à raison de
délits d’initiés902. Ceux-ci se plaçaient sur le terrain de certaines dispositions du code monétaire
et financier autorisant le cumul903 ainsi que sur l’article 6 du code de procédure pénale,

899
Cour EDH, 4 mars 2014, Grande Stevens c/ Italie, req. n°18640/10, 18647/10, 18663/10, 18668/10 et
18698/10 : Dr. sociétés 2014, comm. 87, note S. TORCK ; RJDA 5/2015, n°356 ; R. VANDERMEEREN, Délit
d’initié et manquement d’initié, les sanctions ne peuvent pas se cumuler : RJDA 5/2015, chron. p. 339 ; Rev.
Sociétés 2014. 675, note H. MATSOPOULOU ; RSC 2014, 110. obs. F. STASIAK ; Ibid. 2015, 169, obs. J.-P.
MARGUENAUD ; RTD eur. 2015. obs. L. d’AMBROSIO et D. VOZZA ; V. PELTIER, Une limitation
constitutionnelle du cumul des peines : Dr. pén., 2015, chron. 5, n°45 et 46 ; V. PELTIER, Validité de la réserve
au Protocole n°7 additionnel à la Conv. EDH : Dr. pén., 2019, chron. 11, n°193 ; V. PELTIER, Cumul de sanctions
pénales et boursières : Dr. pén., 2019, chron. n°19, comm. 177 ; V. PELTIER, Confirmation du cumul de sanctions
en matière fiscale : Dr. pén. 2018, n°7-8, comm. 138 ; V. PELTIER, Le cumul de sanction survit (aussi) en matière
fiscale : Dr. pén., n°1, janvier 2017, comm. 14 ; V. PELTIER, L’avenir du principe non bis in idem et ses
répercussions sur le cumuls de sanctions : Dr. pén., 2015, n°2, comm. 29 ; V. PELTIER, Cumul de sanctions
administratives et pénale : Dr. pén. n°9, septembre 2014, comm. 122 ; V. PELTIER, Confirmation du cumul de
sanctions en matière disciplinaire : Dr. pén., n°11, novembre 2018, comm. 205 ; V. PELTIER, Cumul de
poursuites et de sanctions – Revirement de la CJUE en matière fiscale mais maintien de la prohibition du cumul
en matière boursière : Dr. pén. n°5, mai 2018, comm. 95 ; V. PELTIER, Échappatoire constitutionnelle ! : Dr. pén.
n°9, septembre 2016, comm. 135 ; V PELTIER, Questions préjudicielles et cumul de sanctions : Dr. pén. n°12,
décembre 2020, comm. 220 ; V. PELTIER, Le cumul de sanctions survit en matière d’infractions routières : Dr.
pén., n°12, décembre 2016, comm. 181 ; V. PELTIER, Cumul des mesures de faillite et d’interdiction : règles de
calcul : Dr. pén., n°11, novembre 2016, comm. 165 ; V. PELTIER, Principe de nécessité des peines et option
procédurale pour un même fait : Dr. pén., n°11, novembre 2015, comm. 151 ; V. PELTIER, Le possible cumul
des sanctions pénales et disciplinaires : Dr. pén., n°6, juin 2015, comm. 92 ; V. PELTIER, À la recherche de la
peine perdue dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme : Dr. pén. n°9, septembre 2015,
dossier 5 ; V. PELTIER, Infléchissement de la validation constitutionnelle des cumuls de sanctions pénale et
administrative : Dr. pén., n°1, janvier 2015, comm. 14.
900
Cour EDH, 4 mars 2014, Grande Stevens c/ Italie, préc. §210 et 211.
901
L’accès au juge constitutionnel était en outre largement élargi par l’instauration en 2008 de la QPC (art. 61-1
de la Constitution).
902
Cass. crim., 17 décembre 2014, n°14-90.042, n°14-90.043, n°14-90.049.
903
Cass. crim., 17 décembre 2014, n°14-90.043 : étaient en cause les articles L. 465-1, L. 466-1, L. 621-15-1, L.
621-16, L. 621-16-1 et L. 621-20-1 du code monétaire et financier.

173
aboutissant selon une jurisprudence constante à dénier toute autorité de chose jugée à une
décision définitive de la Commission des sanctions. Bien que les dispositions en cause aient
déjà été déclarées conformes à la Constitution904, la Cour de cassation voit dans la décision
Grande Stevens de la Cour européenne un « changement de circonstances »905 de nature à
admettre le caractère nouveau de la question posée. S’agissant de la condition du sérieux de la
question posée, la chambre criminelle estime que la coexistence de poursuites pénale et
administrative est de nature à porter une atteinte injustifiée à la règle ne bis in idem. Ces
arguments ont convaincu le juge constitutionnel qui, dans une décision EADS du 18 mars
2015906, s’est écarté de sa position traditionnelle907 en examinant la constitutionnalité du cumul
sous l’angle du principe ne bis in idem908. Il s’est livré à une analyse des seules dispositions du
code monétaire et financier909, qu’il a déclarées contraires à la Constitution au regard de
l’atteinte au principe de nécessité des délits et des peines.

904
La chambre criminelle fait expressément référence à la décision n°89-260 du Conseil constitutionnel du 28
juillet 1989.
905
V. notamment pourvois n°14-90.043 ou n°14-90.049 : « Attendu qu'à supposer que ces dispositions ont été
déclarées intégralement conformes à la Constitution par la décision du Conseil constitutionnel n° 89-260 DC du
28 juillet 1989, la décision de la Cour européenne des droits de l'homme du 4 mars 2014 (Grande Stevens et autres
c/ Italie) est de nature à constituer un changement de circonstances ».
906
Cons. const., QPC, 18 mars 2015, n°2014-453/454 : AJDA 2015. 1191, étude P. IDOUX, S. NICINSKI et E.
GLASER ; D. 2015. 894, note A.-V. LE FUR et D. SCHMIDT ; Ibid. 874, point de vue O. DÉCIMA ; Ibid. 1506,
obs. C. MASCALA ; Rev. sociétés 2015. 380, note H. MATSOPOULOU ; RSC 2015. 374, obs. F. STASIAK ;
RTD com. 2015. 317, obs. N. RONTCHEVSKY ; JCP G 2015, n°369, note J.-H. ROBERT ; Dr. pén. 2015. 79,
V. PELTIER ; JCP G 2015. 368, note F. SUDRE ; Dr. sociétés 2015, comm. 99, obs. R. SALOMON ; RJDA
5/2015, n°356 ; R. SALOMON, Le principe ne bis in idem et les infractions boursières : JCP G 2015, n°15 : J.
BOSSAN, Le cumul des poursuites appréhendé par le Conseil constitutionnel : AJ pén. 2015, p. 179 ; J.
LASSERRE-CAPDEVILLE, La décision du Conseil constitutionnel du 18 mars 2015 : impacts et adaptations
envisageables : AJ pén. 2015, p. 182.
907
Les prémices d’un contrôle constitutionnel des cumuls de sanctions sont présentes dans une décision antérieure
rendue en matière disciplinaire : Cons. const., QPC, 24 octobre 2014, n°2014-423, M. Stephane R., considérant
35 : « Considérant, en troisième lieu, que le principe de la nécessité des peines ne fait pas obstacle à ce que les
mêmes faits commis par une même personne puissent faire l'objet de poursuites différentes aux fins de sanctions
de nature disciplinaire ou pénale en application de corps de règles distincts devant leurs propres ordres de
juridictions » : AJDA 2014. 2097, Constitutions 2014. 492. Chron. O LE BOT.
908
Le conseil n’évoque pas explicitement la règle ne bis in idem mais il la fait découler du principe de nécessité
des délits et des peines de l’article 8 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen.
909
Le Conseil constitutionnel a rapidement prononcé la constitutionnalité de l’article 6 du code de procédure
pénale, également invoquée par les requérants au soutien de leur QPC. Selon lui, les termes de cet article visant la
« chose jugée » en tant que cause d’extinction de l’action publique ne concerne qu’une décision définitive rendue
par une juridiction répressive statuant sur l’action publique, ce qui exclut une décision rendue par une autorité
administrative : considérants n°30 à 33 de la décision précitée.

174
196. Critères cumulatifs prohibant le cumul. – Pour ce faire, le Conseil constitutionnel a
défini quatre conditions qui doivent être cumulativement réunies pour que l’hypothèse du cumul
soit proscrite. Selon le premier de ces critères910, le cumul est prohibé lorsqu’une identité de
faits peut être constatée entre les répressions pénale et administrative. Dans le sillage de
l’approche de son homologue européen911, le juge constitutionnel s’est en l’espèce livré à une
analyse matérielle du fait reproché. En détaillant les éléments matériel et moral912 des délits et
manquements d’initié, il est parvenu à la conclusion que les deux textes incriminent le même
comportement. Le deuxième critère913 doit être recherché dans la similitude des intérêts
protégés par les qualifications en cause. Le Conseil a examiné ici la place du délit d’initié au
sein du code monétaire et financier, rangé dans un chapitre consacré aux « infractions relatives
à la protection des investisseurs » et a remarqué un rapprochement avec les objectifs assignés
à l’Autorité des marchés financiers914. Et d’en conclure que la répression des manquements et
délits d’initié « poursuivent une seule et même finalité de protection du bon fonctionnement et
de l'intégrité des marchés financiers ». Aux termes du troisième critère, l’addition des
procédures pénale et administrative sera prohibée si les sanctions qui en résultent sont de même
nature915. Le juge pénal disposant d’une compétence exclusive pour prononcer une peine
d’emprisonnement en présence d’un délit d’initié, le défaut d’identité de nature de sanctions
était aisément vérifiable. Ce n’est pourtant pas la voie adoptée par le Conseil qui a
curieusement916 préféré examiner la nature des sanctions en fonction de leur sévérité. Aussi a-

910
Cons. const., QPC, 18 mars 2015, n°2014-453/454, préc., considérant n°22.
911
La Cour européenne explique « que l'article 4 du Protocole n° 7 doit être compris comme interdisant de
poursuivre ou de juger une personne pour une seconde infraction ; pour autant que celle-ci a pour origine des
faits qui sont en substance les mêmes » : Cour EDH, 4 mars 2014, Grande Stevens et autre c/ Italie, préc., §219.
912
Le commentaire de la décision insiste sur l’identité des éléments matériels des dispositions des articles L. 465-
1 et L. 621-15 du code monétaire et financier. Ce rapprochement fait suite à une évolution législative et
jurisprudentielle : V. en ce sens, F.-L. SIMON, Réflexion sur le délit et le manquement d’initié : in Mélanges
dédiés à Bernard Bouloc, Dalloz, 2007, p. 1072.
913
Cons. const., QPC, 18 mars 2015, n°2014-453/454, préc., considérant n°25.
914
Aux termes de l’article L. 621-1 du code monétaire et financier, celle-ci se propose de protéger « l’épargne
investie dans les instruments financiers ».
915
Cons. const., QPC, 18 mars 2015, n°2014-453/454, préc., considérant n°26.
916
Cette position a fait l’objet de vives critiques par la doctrine : V. en ce sens, O. DECIMA, Tombeau de ne bis
in idem : Recueil Dalloz 2016 p. 931, qui indique que la méthode employée est « imprécise » voire « curieuse ».
En effet, elle « consiste à mesurer la sévérité relative de sanctions dont les objets sont tout à fait différents :
l'amende, l'emprisonnement, la dissolution » ; B. DE LAMY, Le non-cumul des sanctions par la non-
constitutionnalisation du principe ne bis in idem : RSC 2015, p. 705 : la solution retenue est pour lui déconcertante,
le Conseil omettant de s’interroger sur la différence de fonction entre la peine d’emprisonnement et une sanction
pécuniaire ; V. PELTIER, E. BONIS-GARÇON, NCCC 2017, n°54, p. 101 où il est affirmé que le raisonnement
du Conseil, faisant fi de « la nature intrinsèque des peines », est « juridiquement erroné ». La façon de raisonner
est « hasardeuse », « méconnaît l’objectif de prévisibilité de la loi », subjective et arbitraire.

175
t-il considéré que les sanctions pécuniaires infligées par l’Autorité des marchés financiers
pouvaient être d’une grande sévérité et atteindre à l’encontre d’une personne morale, jusqu’à
six fois celles encourues devant le juge pénal. Enfin, au titre de son dernier critère, le juge
constitutionnel a entendu exclure l’hypothèse d’un cumul lorsque les sanctions encourues par
les deux répressions « relèvent toutes deux des juridictions de l’ordre judiciaire »917. En
présence de cette quadruple identité, le cumul est prohibé, à l’instar du cumul de poursuites en
matière boursière.

197. Élargissement possible à la matière fiscale. – Bien que certains auteurs918 aient
reproché la prudence du Conseil constitutionnel dans la reconnaissance de la valeur
constitutionnelle du principe ne bis in idem919, cette décision marque toutefois l’apparition d’un
véritable encadrement des hypothèses de cumul entre des procédures pénale et administrative.
L’utilisation de termes généraux dans sa décision du 18 mars 2015 a jeté un doute920 sur la
constitutionnalité d’autres contentieux instaurant une double répression. L’application des
critères EADS à la matière fiscale permettait d’y voir une potentielle violation du principe de
nécessité des délits et des peines. En premier lieu, les comportements de fraude fiscale et de
manquement délibéré incriminent les mêmes faits. Assurément, au titre de l’élément matériel,
la rédaction étendue de l’article 1741 du code général des impôts921 englobe le manquement
délibéré de l’article 1729. En outre, le manquement fiscal attache une importance particulière à
l’intention du fraudeur, à l’instar de l’infraction pénale. En deuxième lieu, les intérêts protégés
par les procédures pénale et fiscale sont identiques. La fraude fiscale atteint simultanément les
principes de nécessité et de consentement à l’impôt ainsi que le principe d’égalité devant les
charges publiques. Les juges pénal et fiscal participent ensemble à la sauvegarde de « l’ordre

917
Cons. const., QPC, 18 mars 2015, n°2014-453/454, préc., considérant n°27.
918
V. notamment, F. SUDRE, Principe non bis in idem et Convention EDH : la décision en trompe l'œil du Conseil
constitutionnel : JCP G 2015, n°13, 368 ou J. BOSSAN, Le cumul des poursuites appréhendé par le Conseil
constitutionnel : AJ pén. 2015 p. 179.
919
Alors que les requérants invitaient le Conseil constitutionnel à se positionner sur une potentielle atteinte au
principe ne bis in idem, la décision rendue ne fait aucunement mention de ce principe, si ce n’est lorsqu’il énonce
les moyens des parties (considérants n°16 et 18). Il faut sans doute y voir là une raison d’opportunité. Alors que le
principe ne bis in idem est une règle procédurale et objective, le principe de proportionnalité et des délits et des
peines est beaucoup plus subjectif et permet donc au Conseil de déterminer plus souplement des critères de ses
applications.
920
V. en ce sens, O. DECIMA, Tombeau de ne bis in idem, préc. ; M. BABONNEAU, Procès Cahuzac : l’ombre
planante du non bis in idem fiscal : D. actu, 11 février 2016 ; M. BABONNEAU, Le non bis in idem fiscale aux
portes du Conseil constitutionnel : D. actu, 31 mars 2016.
921
V. supra, n°41 et s.

176
public fiscal »922. En troisième lieu, le critère de l’identité de nature de sanction, examiné selon
la méthode du Conseil, peut aisément être transposé à la matière fiscale. Bien que l’autorité
judiciaire dispose de la compétence exclusive pour infliger une peine d’emprisonnement, les
sanctions prononcées par l’administration fiscale sont susceptibles d’atteindre une sévérité
substantielle. Le montant des pénalités, variant en fonction du manquement constaté et ne
supportant aucun plafond théorique, peut atteindre des sommes considérables. Reste à examiner
en dernier lieu le critère d’identité des ordres de juridiction. Ce quatrième critère n’a pas été
imposé au Conseil constitutionnel par les juges européens. Ce nouveau critère semble avoir été
introduit pour des raisons purement utilitaristes : en posant comme principe que le cumul de
sanctions est interdit uniquement lorsque celles-ci sont prononcées par le même ordre de
juridiction, le Conseil entendait par-là mettre à l’abri le contentieux fiscal923. En effet, le cumul
de sanctions administrative et pénale en matière fiscale, prononcées respectivement par le juge
administratif puis par le juge correctionnel, pouvait espérer un avenir pérenne. La précaution
établie par le juge constitutionnel n’a toutefois pas résisté à la singularité du contentieux fiscal,
lequel relève tout à la fois du juge administratif et du juge judiciaire en fonction de la nature de
l’imposition en cause924.

198. Refus de transmission des QPC devant la chambre criminelle. – Alors que la
« brèche »925 semblait ouverte, la chambre criminelle de la Cour de cassation a pendant de longs
mois, refusé de transmettre au Conseil les questions soulevant une interrogation à propos de la
constitutionnalité du cumul des procédures pénale et fiscale926. Aux termes de ces décisions de
non-lieu à renvoi, la chambre criminelle rejetait le caractère sérieux de la question, dès lors que
« d'une part, la procédure administrative et la procédure pénale sont indépendantes l'une de

922
M. BABONNEAU, Procès Cahuzac : l’ombre planante du non bis in idem fiscal, préc.
923
V. notamment en ce sens, B. DE LAMY, Le non-cumul des sanctions par la non constitutionnalisation du
principe ne bis in idem, préc., ; F. SUDRE, Principe non bis in idem et Convention EDH : la décision en trompe
l'œil du Conseil constitutionnel, préc. ; V. PELTIER, Fraude fiscale. Non-cumul de sanctions, NCCC, n°54, p.
101 ; D. GUTMANN, Le contrôle du Conseil constitutionnel sur les sanctions fiscales : Dr. fisc. 2015 n°13, comm.
233 ; L. BOISSEAU, Délits d’initiés : les sages signent la fin de la double sanction : Les Échos, 19 mars 2015.
924
Alors que les litiges en matière d’impôts directs et de taxes sur le chiffre d’affaires ou taxes assimilées relèvent
de la juridiction administrative, il incombe à la juridiction judiciaire de traiter le contentieux des droits
d'enregistrement, de taxe de publicité foncière, de droits de timbre, de contributions indirectes et de taxes
assimilées à ces droits, taxes ou contributions : V. art L. 199 LPF.
925
M. BABONNEAU, Procès Cahuzac : l’ombre planante du non bis in idem fiscal, préc.
926
Cass. crim., 3 décembre 2014, n°14-90.040 : J-H. ROBERT, Selon que vous frauderez le fisc ou les marchés
financiers, votre QPC sera noire ou blanche : Dr. pén. n°2, février 2015, comm. 20 ; R. SALOMON, Dr. fisc.,
2015, n°5, 29 janvier 2015, 113 ; Cass. crim., 25 juin 2014, n°13-87.692.

177
l'autre et ont des objets et finalités différents, d'autre part, en cas de cumul entre une sanction
administrative et une sanction pénale, le juge judiciaire est tenu de respecter le principe, posé
par le Conseil constitutionnel, selon lequel le montant global des sanctions éventuellement
prononcées ne doit pas dépasser le montant le plus élevé de l'une de celles encourues »927. La
lecture de cette motivation contraste avec deux autres questions posées en matière boursière et
rédigées en des termes similaires qui seront, à peine quelques jours plus tard, renvoyées au
Conseil constitutionnel928. S’agissant de la matière fiscale, il faudra attendre l’année 2016 pour
que soit examinée en matière fiscale la constitutionnalité du cumul des procédures.

§2. La constitutionnalité admise du cumul des procédures en matière fiscale

199. Cumul soumis à l’examen du Conseil constitutionnel. – Saisie dans les affaires
emblématiques Cahuzac et Wildenstein929, la chambre criminelle a accepté dans deux arrêts du
30 mars 2016930, de renvoyer au Conseil constitutionnel deux questions prioritaires de
constitutionnalité portant sur le cumul des procédures pénale et fiscale. Dans deux décisions du
24 juin 2016931 rédigées en des termes similaires, le juge constitutionnel a validé le système de
double répression pénale et administrative applicable à la matière fiscale, par le recours à un
argumentaire spécifiquement aménagé à la matière fiscale. Pour valider la constitutionnalité du
cumul, le Conseil constitutionnel prône la complémentarité des poursuites pénale et fiscale (A).
Il admet cependant trois conditions de légalité prenant la forme de réserves d’interprétation (B)
et venant encadrer l’addition des procédures.

927
Cass. crim., 3 décembre 2014, n°14-90.040, préc.
928
Cass. crim., 17 décembre 2014, n°14-90.042 ; Cass. crim., 17 décembre 2014, n°14-90.043 : Principes non bis
in idem : décisions récentes ; Dr. fisc. n°4, 22 janvier 2015, act. 54.
929
Monsieur Guy Wildenstein est marchand d’arts. Il est poursuivi, avec des membres de sa famille et ses conseils
juridiques et financiers, pour fraude fiscale et blanchiment de fraude fiscale dans le cadre de la transmission du
patrimoine de sa famille. Pour une description de l’affaire Cahuzac, V. supra, n°12, note n°82.
930
Cass. crim., 30 mars 2016, n°16-90.001 : D. 2016. 788, obs. CATELAN et n°16-90.005 : Dr. fisc. 2016, n°14,
comm. 268, note R. SALOMON.
931
Cons. const., QPC, 24 juin 2016, n°2016-545, M. Alec W. et a. et Cons. const., QPC, 24 juin 2016, n°2016-546,
M. Jérôme C : Dr. fisc. 2016, n°27, comm. 405, note S. DETRAZ ; N. JACQUOT et P. MISPELON, QPC sur le
cumul des sanctions pénales et fiscales : une décision sans gravité ? : Dr. fisc. 2016, n°26, act. 409 ; M. COLLET
et P. COLLIN, Le cumul des sanctions pénale et fiscale face aux exigences constitutionnelles et européennes : JCP
G 2016, 847 ; JCP E 2016, doctr. 1190, J.-H. ROBERT, C. CLAVERIE-ROUSSET, S. DETRAZ et J.-B.
PERRIER ; Rev. pénit. 2016, p. 967, obs. V. PELTIER ; Dr. fisc. 2016, étude 437, obs. R. SALOMON ; RFDA
2016, p. 1044, chron. L. AYRAULT et M. COLLET ; Rec. Cons. Const., p. 179, n°53, chron. H. SURREL.

178
A) L’affirmation du principe de complémentarité des procédures pénale et fiscale

200. Thèse en présence. – Dans deux décisions du 24 juin 2016, le Conseil constitutionnel
s’est prononcé en faveur du cumul des répressions pénale et fiscale respectivement instaurées
par les dispositions des articles 1741 et 1729 du code général des impôts. Aux termes de la
violation alléguée des principes constitutionnels ne bis in idem et de nécessité et de
proportionnalité des peines, les requérants reprenaient logiquement la quadruple identité
instaurée par la jurisprudence EADS. Selon eux, les procédures en cause « s'appliquent aux
mêmes faits commis par une même personne, protègent les mêmes intérêts sociaux, sont d'une
nature et d'une sévérité équivalentes et, enfin, relèvent du même ordre de juridiction »932.

201. Affranchissement du conseil des critères EADS. – Pour écarter cet argumentaire, le
raisonnement du Conseil s’est opéré en deux temps. Il a commencé par examiner la conformité
des dispositions litigieuses prises séparément pour ensuite vérifier la constitutionnalité de leur
application combinée. Prises isolément d’une part, les sanctions prévues par les dispositions
des articles 1729 et 1741 du code général des impôts ne sont, selon lui, pas disproportionnées933.
En revanche, le Conseil constitutionnel introduit une réserve d’interprétation à l’endroit de
l’article incriminant la fraude fiscale, selon laquelle un contribuable qui a été définitivement
déchargé de l’impôt pour un motif de fond ne saurait être condamné de ce chef 934. Le Conseil
examine, d’autre part, la conformité de leur application combinée au regard de l’article 8 de la
Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen. Selon les requérants et l’arrêt de transmission
de la Cour de cassation, les critères mis au jour dans la décision EADS semblaient en l’espèce
réunis. Mais contre toute attente, la constitutionnalité de l’addition des poursuites pénale et
fiscale n’a pas été examinée par le juge constitutionnel sous l’angle des critères déclinés
quelques mois auparavant en matière boursière. Concédant que son précédent constituait un
changement de circonstances de droit935, le Conseil constitutionnel s’est affranchi du vade-
mecum qu’il avait alors instauré, au bénéfice d’un principe – inédit jusqu’alors – de

932
Cons. const., QPC, 24 juin 2016, n°2016-545 et n°2016-546, considérant n°4.
933
Selon le Conseil, la nature des sanctions instituées à l’article 1729 du code général des impôts « est directement
liée à celle des infractions réprimées » et « les taux de majoration fixés par le législateur ne sont pas manifestement
disproportionnés ». S’agissant des peines instituées à l’article 1741, celles-ci « ne sont pas manifestement
disproportionnées » au regard « de l'incrimination prévue par les dispositions contestées », à savoir le
comportement des « contribuables qui, d'une façon frauduleuse, dissimulent volontairement des sommes soumises
à l'impôt » : Ibid, considérants n°10 à 12.
934
Cette première réserve d’interprétation sera largement abordée par la suite : V. infra, n°350 et s.
935
Cons. const., QPC, 24 juin 2016, n°2016-545 et n°2016-546, considérant n°7.

179
complémentarité des procédures pénale et fiscale. Après avoir rappelé les objectifs de chacune
des dispositions des articles 1729936 et 1741937 du code général des impôts, le Conseil énonce
qu’elles « permettent d’assurer ensemble la protection des intérêts financiers de l'État ainsi
que l'égalité devant l'impôt, en poursuivant des finalités communes, à la fois dissuasive et
répressive »938. Les sanctions fiscale et pénale sont constitutives d’un seul et même ensemble
répressif, ce qui permet de « court-circuiter »939 l’application du principe de nécessité des délits
et des peines.

202. Éclatement des critères de constitutionnalité des hypothèses de cumul. –


L’affranchissement par le Conseil des critères qu’il avait lui-même institués le 18 mars 2015 a
fait l’objet de vives critiques doctrinales. En « déjouant »940 la plupart des prévisions, le choix
du Conseil s’est inscrit « à l’encontre de l’objectif de prévisibilité du Droit »941. Il est vrai que
par cette décision, le Conseil a procédé à un éclatement des critères de constitutionnalité
applicables aux hypothèses de cumul de sanctions pénale et administrative. Le Conseil n’a
toutefois pas renoncé à la grille de lecture déclinée dans sa jurisprudence EADS, laquelle
demeure applicable au cas de cumul de poursuites de nature similaire. Au huitième considérant
de ses décisions du 24 juin 2016, il a en effet réaffirmé son attachement aux critères définis en
2015, abandonnant toutefois celui de l’identité d’ordre de juridiction 942. Dans une décision
rendue quelques jours après les décisions Cahuzac et Wildenstein943, dans laquelle le juge
constitutionnel devait se prononcer sur la conformité du cumul des poursuites devant la Cour
de discipline budgétaire et financière et devant le juge pénal, celui-ci a définitivement confirmé
l’abandon du critère d’identité d’ordre de juridiction, au-delà du champ de la matière fiscale.
Depuis, la formulation constitutionnelle interdisant le cumul de poursuites analogues se

936
Selon le Conseil, les sanctions fiscales visent à garantir la perception de l’impôt et donc à préserver les intérêts
financiers de l’État : Cons. const., QPC, 24 juin 2016, n°2016-545 et n°2016-546, considérant n°18.
937
Les sanctions pénales confèrent une portée dissuasive complémentaire notamment par le caractère public et
exemplaire de la procédure pénale : Cons. const., QPC, 24 juin 2016, n°2016-545 et n°2016-546, considérant n°19.
938
Ibid, considérant n°20.
939
C. MANDON, La guerre contre la fraude fiscale aura bien lieu, commentaire des décisions QPC n° 2016-545
et 546 : Constitutions 2016, p. 436.
940
M. PELLETIER, De quelques conséquences (inattendues) des décisions Alec W. et Jérôme C. : Dr. fisc. n°30-
35, 28 juillet 2016, act. 466.
941
V. PELTIER, E. BONIS-GARÇON, NCCC 2016, n°53, p. 132.
942
La formulation est similaire à celle employée dans sa décision du 18 mars 2015, à la différence près qu’a disparu
la fin de la formulation : « Le principe de nécessité des délits et des peines ne fait pas obstacle à ce que les mêmes
faits commis par une même personne puissent faire l'objet de poursuites différentes aux fins de sanctions de nature
administrative ou pénale en application de corps de règles distincts ».
943
Cons. const., QPC, 1er juillet 2016, n° 2016-550, M. Stéphane R. et a : D. 2016. 1434 ; AJDA 2016. 1373.

180
matérialise toujours en ces termes : « Le principe de nécessité des délits et des peines ne fait
pas obstacle à ce que les mêmes faits commis par une même personne puissent faire l'objet de
poursuites différentes aux fins de sanctions de nature différente en application de corps de
règles distincts »944. Si ces trois exigences s’appliquent aux procédures de nature similaire, elles
doivent être écartées à l’endroit des procédures dites « complémentaires » pour lesquelles le
Conseil constitutionnel a développé, selon ses propres termes, « une jurisprudence propre »945.
Lorsque les procédures ne sont pas différentes mais complémentaires, à l’instar des procédures
pénale et fiscale, il n’y a pas lieu de les confronter aux critères dégagés dans la jurisprudence
EADS. Cette jurisprudence singulière et autonome n’a trouvé dans la jurisprudence
constitutionnelle, aucune autre application que la matière fiscale.

203. Justification : objectif de valeur constitutionnelle de lutte contre la fraude fiscale.


– Aux yeux du Conseil constitutionnel, la mise à l’écart de la matière fiscale se justifie au regard
de l’objectif de valeur constitutionnelle de lutte contre la fraude fiscale. Ses décisions du 24
juin 2016 mentionnent explicitement946 ce principe à l’appui de la complémentarité des
procédures. Pour assurer le recouvrement de la nécessaire contribution publique et dans le
prolongement de l’objectif de lutte contre la fraude, le législateur a fait le choix d’appréhender
les fraudeurs par une double répression pénale et administrative. Juridiquement, la lutte contre
la fraude fiscale constitue un objectif de valeur constitutionnelle depuis la décision n°99-424
du 29 décembre 1999947. Apparus sous la plume du Conseil constitutionnel en 1982948, les
objectifs de valeur constitutionnelle « ne constituent pas en eux-mêmes des normes

944
V. notamment : Cons. const., QPC, 30 novembre 2018, n°2018-749, Société interdits et autres, considérant n°4
ou Cons. const., QPC, 17 mai 2019, n°2019-783, M. Nicolas S., considérant n°9.
945
V. commentaire décision Cons. const., QPC, 17 mai 2019, n°2019-783, M. Nicolas S., n°2019-783, p. 11.
946
Cons. const., QPC, 24 juin 2016, n°2016-545 et n°2016-546, considérants n°17 et 20.
947
Cons. const., DC, 29 décembre 1999, n°99-424, considérant n°52 ; « Considérant qu'il appartient au législateur
d'assurer la conciliation de l'objectif de valeur constitutionnelle de lutte contre la fraude fiscale, qui découle
nécessairement de l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, avec le principe énoncé par
son article 8, aux termes duquel : « La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires et
nul ne peut être puni qu'en vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement
appliquée » » : Rec. Cons. const., p. 156 ; AJDA 2000. 37, note J.-E. SCHOETTL.
948
Cons. const., DC, n° 82-141, 27 juillet 1982, Communication audiovisuelle, considérant n°5. Selon les termes
de Monsieur P. de MONTALIVET, cette décision constitue « la décision « fondatrice » des objectifs de valeur
constitutionnelle », « étant la première à les évoquer explicitement ». Il souligne cependant une consécration
progressive de ces objectifs avec des « signes avant-coureurs » dans des décisions antérieures du Conseil
constitutionnel et notamment dans les décisions n°79-105 DC du 25 juillet 1979 (Droit de grève à la radio et à la
télévision, Rec. p. 33), n°79-111 DC du 30 décembre 1979 (Vote du budget II, Rec. p. 39) et surtout n°80-127 DC
des 19-20 janvier 1981 (Sécurité et liberté, Rec. p. 15). V. P. de MONTALIVET, Les objectifs de valeur
constitutionnelle : Cah. Cons. const., 2006, n°20.

181
constitutionnelles, mais bien plutôt des orientations assignées à des normes »949. Leur valeur
constitutionnelle s’explique « parce qu’ils mettent en œuvre des principes constitutionnels ou
parce qu’ils sont directement reliés à une norme constitutionnelle »950. À ce titre, l’objectif de
lutte contre la fraude fiscale se rattache explicitement à l’article 13 de la Déclaration des Droits
de l’Homme et du Citoyen établissant le principe de nécessité de l’impôt. Dans le même temps,
les objectifs de valeur constitutionnelle apparaissent comme des « instruments de limitation des
droits fondamentaux »951. La lutte contre la fraude fiscale s’inscrit à ce titre dans une
confrontation constante entre deux normes constitutionnelles de rang égal, que sont les
principes de nécessité de l’impôt de l’article 13 de la Déclaration de 1789 et celui de nécessité
des délits et des peines, énoncé en son article 8. Au nom de la réalisation de l’objectif de lutte
contre la fraude fiscale, une limitation substantielle au principe de nécessité des délits et des
peines est permise par le juge constitutionnel. La sauvegarde des intérêts financiers du Trésor
justifie de contenir le principe de nécessité des délits et des peines dans des limites bien moins
rigoureuses que celles applicables aux autres hypothèses de cumul. Si cette justification est
convaincante, le recours à la notion de complémentarité des procédures pénale et fiscale, qui a
permis au Conseil constitutionnel, pour des raisons de pure opportunité, « d'éluder l'application
du principe de nécessité des délits et des peines »952, n’a pas reçu l’approbation unanime de la
doctrine953. La complémentarité des procédures, s’affranchissant de toute référence à un
concept juridique954, a dû se traduire par l’instauration de véritables conditions déterminant la
légalité du cumul des procédures pénale et fiscale.

949
L. FAVOREU, P. GAÏA, R. GHEVONTIAN, J.-L. MESTRE, O. PFERSMANN, A. ROUX, G. SCOFFONI,
Droit constitutionnel, Dalloz coll. « Précis », 2022, 24ème éd., 2022, n°177, p. 164.
950
Ibid.
951
V. par ex. P. de MONTALIVET, Les objectifs de valeur constitutionnelle, op. cit. ou J.-B. AUBY, Le recours
aux objectifs des textes dans leur application en droit public : RD publ., 1991, p. 331 et 332 ; V.
CONSTANTINESCO, S. PIERRE-CAPS, Droit constitutionnel, Paris, PUF, coll. « Thémis », 2004, p. 515 ; C.
GREWE, H. RUIZ FABRI, Droits constitutionnels européens, Paris, PUF, coll. « Droit fondamental », 1995, p.
155, § 121 ; L. FAVOREU, L. PHILIP, Les grandes décisions du Conseil constitutionnel, Paris, Dalloz, 13ème éd.,
2005, n°34, p. 577 ; F. LUCHAIRE, Brèves remarques sur une création du Conseil constitutionnel : l'objectif de
valeur constitutionnelle : RFD const., n°64, 2005, p. 678 ; J. ROBERT, Les activités du Conseil constitutionnel,
entretien, L'Astrée, n°5, septembre 1998, p. 6 et 7 ; H. ROUSSILLON, Le Conseil constitutionnel, Paris, Dalloz,
coll. « Connaissance du droit », 5ème éd., 2004, p. 82 et 83 ; D. TURPIN, Contentieux constitutionnel, Paris, PUF,
coll. « Droit fondamental », 2ème éd., 1994, p. 141 et s., § 87 et s.
952
C. MANDON, La guerre contre la fraude fiscale aura bien lieu, op. cit.
953
V. notamment, M. PELLETIER, De quelques conséquences (inattendues) des décisions Alec W. et Jérôme C.,
op. cit. ; V. PELTIER, NCCC 2016, op. cit. ; N. JACQUOT et P. MISPELON, QPC sur le cumul des sanctions
pénales et fiscales : une décision sans gravité ?, op. cit. ; C. MANDON, La guerre contre la fraude fiscale aura
bien lieu, op. cit.
954
V. supra, n°182.

182
B) Les traductions du principe de complémentarité des procédures pénale et fiscale

204. Définition des réserves. – Dans ses décisions du 24 juin 2016, le Conseil
constitutionnel a affirmé que « les dispositions de l'article 1729 comme les dispositions
contestées de l'article 1741 permettent d'assurer ensemble la protection des intérêts financiers
de l'État ainsi que l'égalité devant l'impôt, en poursuivant des finalités communes, à la fois
dissuasive et répressive »955. L’énoncé de la complémentarité des procédures a ainsi permis au
Conseil constitutionnel de sauvegarder l’hypothèse du cumul des dispositions des articles 1729
et 1741 du code général des impôts. Ne supportant aucune traduction juridique, cet argument
ne suffisait pas à lui seul à déterminer les contours de la constitutionnalité de l’addition des
procédures pénale et fiscale. Aussi le Conseil constitutionnel a-t-il dû instaurer de véritables
conditions à leur cumul. La technique utilisée a consisté à subordonner la constitutionnalité des
dispositions de l’article 1741 du code général des impôts à des réserves constitutionnelles.
Depuis que le juge constitutionnel examine la conformité d’une loi à la Constitution, il s’est
octroyé le pouvoir956 d’émettre des réserves, lesquelles « consistent à déclarer la loi conforme
à la Constitution sans lui délivrer pour autant un satisfecit inconditionné »957. L’adjonction
d’une réserve ne constitue ni une censure du texte, ni une déclaration de conformité : elle est
« une troisième voie décisionnelle par laquelle le juge constitutionnel préserve l’existence du
texte en déclarant la loi conforme à la Constitution, tout en agissant sur sa substance normative
par une énonciation des conditions conformes à la Constitution qui devront être observées lors
de son interprétation ultérieure »958. Les réserves constitutionnelles sont exprimées dans les
motifs de la décision et repris dans son dispositif.

205. Instauration de trois réserves constitutionnelles. – Les décisions du 24 juin 2016


font apparaître trois réserves de ce type aux paragraphes 13, 21 et 24. En premier lieu, le juge
constitutionnel énonce qu’un contribuable qui a été définitivement déchargé pour un motif de
fond devant le juge fiscal ne saurait être condamné par son homologue pénal du chef de fraude

955
Cons. const., QPC, 24 juin 2016, n°2016-545 et n°2016-546, préc., considérant n°20.
956
La technique des réserves est une œuvre prétorienne qui n’est régie par aucun texte. Elle est apparue en même
temps que les premières décisions du conseil. V. notamment Cons. const., DC n°59-2 24 juin 1959 ; V. pour plus
de développements sur la genèse de la technique : A. VIALA, Les réserves d’interprétation dans la jurisprudence
du Conseil constitutionnel : Thèse, LGDJ 1999, pp. 17 à 32.
957
A. VIALA, Les réserves d’interprétation : aspects généraux : Semaine Sociale Lamy, 23 mai 2016, n°1724.
958
Ibid.

183
fiscale. En deuxième lieu, il a limité l’application de l’article 1741 aux cas de fraudes « les plus
graves »959. En troisième lieu, le principe de proportionnalité implique que le montant total des
sanctions infligées ne dépasse pas le montant le plus élevé de l’une des sanctions encourues.
L’établissement de ces réserves lui a permis d’échapper à la brutalité d’une décision
d’inconstitutionnalité et de sauver le cumul des procédures pénale et fiscale, tout en l’encadrant
par des limites juridiques contraignantes. L’article 1741 du code général des impôts n’est donc
pas inconstitutionnel per se. En revanche, le Conseil constitutionnel concède que l’application
qui peut en être faite par les autorités chargées de l’interpréter peut le devenir lorsque les
réserves ainsi posées ne sont pas observées. Selon les termes du Secrétariat général du Conseil
constitutionnel lui-même, l’instauration de réserves à l’encontre d’un texte de loi signifie que
celui-ci « n’allait pas de soi, que sa contestation n’était pas oiseuse et qu’elle n’a pas été
vaine »960. La nécessité de prévoir trois réserves constitutionnelles à l’endroit de l’article 1741
signifie que l’application qui en était faite par les juridictions était de nature à atteindre certains
de nos principes constitutionnellement garantis. La fonction de « relai »961 d’une réserve entre
la norme abstraite édictée par le législateur et la norme produite et interprétée par les autorités
judiciaire ou administrative prend ici tout son sens. La réserve est cette orientation par laquelle
le Conseil constitutionnel anticipe ou constate – selon qu’il se prononce a priori ou a posteriori
– une interprétation erronée du texte, tandis que le Conseil d’État et la Cour de cassation sont
« priés d’effectuer, dans l’exercice de la liberté que leur confère leur qualité d’interprètes
authentiques, un choix conforme à la Constitution »962.

206. Nature des réserves. – La doctrine963 a classé les réserves constitutionnelles en trois
catégories : les premières, qui consistent à ajouter à la loi des règles afin de la rendre conforme
à la Constitution, sont constructives ; les réserves neutralisantes sont leur exact contraire
puisqu’elles enlèvent au texte de loi des éléments susceptibles de la rendre

959
Cons. const., QPC, 24 juin 2016, n°2016-545 et n°2016-546, préc., considérant n°21.
960
Les réserves d’interprétation du Conseil constitutionnel, Secrétariat général du Conseil constitutionnel, 14
décembre 2002.
961
A. VIALA, Les réserves d’interprétation : aspects généraux, op. cit.
962
Ibid.
963
V. en ce sens, L. FAVOREU, La décision de constitutionnalité : Revue internationale de droit comparé, 1986,
p. 611 ; M. VERPEAUX, Contentieux constitutionnel, Paris, LGDJ, coll. « Mémentos », 2020, 2ème éd., p. 163 et
s. ; A. VIALA, Les réserves d’interprétation dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel : Thèse, op. cit, p.
74 et s.

184
inconstitutionnelle964 ; enfin les réserves sont dites directives lorsque le juge constitutionnel
« enjoint aux autorités d’application de la loi la voie à suivre pour maintenir le texte dans les
limites de la constitutionnalité »965. C’est à cette dernière catégorie que semblent966 appartenir
les réserves posées par le Conseil constitutionnel dans ses décisions Cahuzac et Wildenstein.
Le Conseil livre aux juges pénal et fiscal l’application qui doit être faite des articles 1729 et
1741 du code général des impôts. Au-delà de la condition classique tirée de la proportionnalité
des sanctions qui s’applique tant devant le juge pénal que devant le juge fiscal, les réserves
posées aux paragraphes 13 et 21 constituent des recommandations directement adressées à la
juridiction pénale. La première de ces réserves interdit au juge correctionnel de condamner un
contribuable qui a fait l’objet d’une décharge définitive pour un motif de fond967. La seconde
réserve ne trouve à s’appliquer qu’à l’endroit de l’article 1741 du code général des impôts
incriminant l’infraction pénale de fraude fiscale968. Seul le juge pénal devra apprécier la gravité
des faits reprochés avant de pouvoir légitimer son intervention supplémentaire. Ainsi, les
réserves ainsi affirmées par le juge constitutionnel participent de l’idée que la répression
administrative doit demeurer prioritaire969 par rapport à la répression pénale.

207. Réception des réserves par les juges du fond : champ d’application. – C’est donc
tout naturellement que les juges du fond se sont saisis de ces réserves et ces derniers ont retenu
une lecture largement restrictive de leur champ d’application. La chambre criminelle a
considéré que la réserve du paragraphe 21 tirée de la gravité des faits reprochés 970 ainsi que
celle empêchant le juge pénal de condamner un contribuable définitivement déchargé pour un

964
La doctrine nomme aussi cette technique « retrait du venin » : V. en ce sens, A. VIALA,
Les réserves d’interprétation : aspects généraux, op. cit.
965
A. VIALA, Les réserves d’interprétation : aspects généraux, op. cit.
966
Toutefois, la réserve constitutionnelle limitant l’application de l’article 1741 du code général des impôts aux
cas de fraudes « les plus graves » pourrait également être qualifiée de réserve constructive dans la mesure où le
Conseil a complété la disposition par une condition de gravité, sans laquelle elle serait inconstitutionnelle. Il serait
également possible de la qualifier de réserve neutralisante puisque le Conseil constitutionnel restreint le champ
d’application de la norme aux seules fraudes les plus graves. Cela démontre les incertitudes de la typologie
classique des réserves, relevée notamment par A. VIALA dans sa thèse : A. VIALA, Les réserves d’interprétation
dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel : Thèse, op. cit. pp. 74 à 92.
967
Les implications de cette réserve seront abondamment étudiées dans la seconde partie de cette thèse : V. infra,
n°350 et s.
968
Les paragraphes 21 des décisions du 24 juin 2016 subordonnent la constitutionnalité du seul article 1741 du
CGI au respect de la condition de gravité des faits reprochés.
969
V. supra, n°54 et s.
970
Cass. crim., 22 février 2017, n°16-82.047 : RJF 6/17, n°625.

185
motif de fond du paragraphe 13971 ne s’appliquent « qu'à une poursuite pénale exercée pour
des faits de dissimulation volontaire d'une partie des sommes sujettes à l'impôt, et non
d'omission volontaire de faire une déclaration dans les délais prescrits ». Quant à lui, le Conseil
d’État a, dans une décision du 12 juillet 2017972, refusé de transmettre une QPC formulée par
un contribuable qui soutenait que les dispositions de l’article 1741 du code général des impôts
méconnaissaient le principe de nécessité des délits et des peines, dès lors que « la loi ne définit
pas les critères permettant d'identifier [les] cas les plus graves » susceptibles d’engager à
l’encontre du contribuable des poursuites correctionnelles.

208. Étendue de l’autorité des réserves. – L’approche restrictive adoptée par les juges
pénal et fiscal a été permise par l’autorité particulière attachée aux réserves induites par le juge
constitutionnel. À ce titre, l’article 62 in fine973 de la Constitution prévoit que les décisions du
Conseil constitutionnel « s'imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités
administratives et juridictionnelles ». Selon une jurisprudence constante, les réserves
d’interprétation « sont revêtues de l’autorité absolue de la chose jugée »974. L’ensemble des
juridictions administrative et judiciaire doivent ainsi se conformer à l’interprétation dictée par
le juge constitutionnel. L’autorité concerne évidemment le dispositif de la décision, mais aussi
les motifs qui en sont le soutien nécessaire975. Or, dans les décisions Cahuzac et Wildenstein du
24 juin 2016, le Conseil avait eu à se prononcer sur la seule constitutionnalité des termes « soit
qu’il ait volontairement dissimulé une part des sommes sujettes à l’impôt »976 de l’article 1741
du code général des impôts. Littéralement, les réserves d’interprétation posées ne s’appliquaient
donc qu’au cas de dissimulation volontaire et non aux autres modes opératoires de commission
du délit de fraude fiscale977 édictées au sein du texte d’incrimination. Cette restriction figure

971
Cass. crim. 31 mai 2017, n°15-82.159 : Bull. crim. n°146
972
CE, 12 juillet 2017, n°410740 : RJF 11/17 n°1097, concl. R. VICTOR.
973
Art. 62 al. 3 Constitution.
974
V. notamment CE, 15 mai 2013, n°340554, Commune de Gurmençon : JCP A 2013, act. 461. V aussi, O.
DUTHEILLET DE LAMOTHE, L’autorité de l’interprétation constitutionnelle, sous la direction de F. MELIN-
SOUCRAMANIEN, L’interprétation constitutionnelle, Dalloz, Thèmes et commentaires, 2005, p. 193 ; M.
DISANT, L’autorité de la chose interprétée par le Conseil constitutionnel, LGDJ, 2010.
975
Cons. const., 16 janv. 1962, n°62-18 L, Loi d'orientation agricole, considérant n°1 : Rec. Cons. const. 1962,
p. 31.
976
Cons. const., QPC, 24 juin 2016, n°2016-545 et n°2016-546, préc., considérant n°5.
977
V. supra, n°41 et s.

186
tant dans les dispositifs978 des décisions du Conseil que dans ses motifs énoncés aux
paragraphes 13, 21 et 24979.

209. Élargissement du champ d’application. – Dans un arrêt du 12 septembre 2018980, la


chambre criminelle a toutefois accepté de transmettre au Conseil constitutionnel une question
mettant en doute la constitutionnalité du cumul des sanctions pénale et fiscale en cas d’omission
de déclaration dans les délais prescrits. Poursuivis pour ne pas avoir souscrit de déclarations de
revenus, les époux T. faisaient notamment valoir que contrairement à une dissimulation
volontaire, une simple omission de déclaration ne présentait pas le degré de gravité suffisant et
que cette circonstance devait nécessairement conduire à l’inconstitutionnalité des dispositions
attaquées. Dans sa décision du 23 novembre 2018981, le Conseil a rejeté l’argumentaire des
requérants en élargissant le champ des trois réserves posées deux ans plus tôt au cas d’omission
du dépôt par le contribuable de sa déclaration fiscale dans le délai prescrit.

210. Réception des réserves par les juges du fond : modalités d’application. – Les
réserves du juge constitutionnel s’imposent alors aux juridictions du fond qui doivent désormais
vérifier l’existence de ces conditions pour valider l’hypothèse du cumul des procédures pénale
et fiscale, quel que soit le modus operandi de la fraude. Si les réserves constitutionnelles sont
ainsi revêtues de l’autorité de chose jugée, il n’en demeure pas moins que cette autorité souffre
de l’absence de moyen de contrainte à disposition du Conseil constitutionnel pour en assurer le
respect982. Aussi, selon les propos de Monsieur A. VIALA, « l’autorité des réserves
d’interprétation n’est qu’une autorité de fait » 983. L’application des réserves dépend de la

978
Le Conseil décide explicitement dans son article 1er que sont conformes à la Constitution « les mots « soit qu’il
ait volontairement dissimulé une part des sommes sujettes à l’impôt » figurant dans la première phrase du premier
alinéa de l’article 1741 ».
979
Les réserves posées ne concernent explicitement que les « dispositions contestées de l’article 1741 » du code
général des impôts et non l’article en entier. Pour la réserve tirée de la gravité, la réserve est limitée aux « cas les
plus graves de dissimulation frauduleuse de sommes soumises à l’impôt ».
980
Cass. crim., 12 septembre 2018, n°18-81.067.
981
Cons. const. QPC, 23 novembre 2018, n°2018-745 : Dr. pén. 2019, comm. 11, J-H. ROBERT.
982
Dans d’autres systèmes législatifs, il existe un recours direct entre les mains des justiciables pour saisir l’autorité
constitutionnelle d’une violation alléguée d’un principe constitutionnellement garanti. En Espagne, il s’agit du
recours d’amparo : V. pour plus de développements sur ce sujet, C. RUIZ MIGUEL, L’amparo constitutionnel en
Espagne : droit et politique : Cah. Cons. const., 2001, n°10.
983
A. VIALA, Les réserves d’interprétation : aspects généraux, op. cit. ; A. VIALA, Les réserves d’interprétation
dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel : Thèse, op. cit., p. 250 et s.

187
bonne volonté des juridictions suprêmes984, lesquelles restent les seules détentrices « d’une
souveraineté herméneutique »985 leur permettant d’interpréter librement les dispositions des
articles 1729 et 1741 du code général des impôts. Les juridictions du fond, qui ont dû préciser
les modalités d’application986 des trois réserves posées à l’addition des sanctions pénale et
fiscale, semblent toujours en préférer une approche largement étroite987. Il n’en demeure pas
moins que les tribunaux ne peuvent écarter l’application de ces réserves qui s’incorporent
normativement aux dispositions du code général des impôts. Dès lors que les réserves
d’interprétation posées par le Conseil constitutionnel sont plus protectrices des droits
fondamentaux constitutionnellement garantis, elles constituent autant de limites au cumul des
procédures pénale et fiscale.

211. Constitutionnalisation du cumul des procédures pénale et fiscale. – L’hypothèse de


cumul entre les procédures fiscale et pénale est donc encadrée par trois réserves
constitutionnelles. L’addition des deux procédures n’est possible que pour les cas de fraudes
les plus graves, à la condition que les sanctions prononcées ne dépassent pas le maximum légal
encouru pour l’une des deux infractions et sous réserve que le juge pénal se plie à une décision

984
L’absence de recours direct doit cependant être nuancé. Monsieur L. FAVOREU constate que « l’absence de
mécanisme assurant le respect des décisions du Conseil constitutionnel ne fait pas obstacle à la diffusion des
normes constitutionnelles, et plus précisément à la réception de la jurisprudence constitutionnelle par les
juridictions ordinaires ». Il souligne également que le véritable obstacle à la diffusion des normes
constitutionnelles résulte du manque de réflexe des praticiens du droit à invoquer une norme constitutionnelle dans
le cadre d’un procès ordinaire : L. FAVOREU, La constitutionnalisation du droit, in L’unité du droit, Mélanges
en hommage à R. DRAGO, Economica, 1996, pp. 32 à 35.
985
Ibid.
986
V. notamment Cass. crim., 11 septembre 2019, n°18-81.980 : Dr. fisc. 2019, act. 402 ; Cass. crim., 11 septembre
2019, n°18-81.067 : Dr. fisc. 2019, n°38, act. 401 ; Cass. crim., 11 septembre 2019, n°18-82.430 : Dr. fisc. 2019,
n°38, act. 400 ; Cass. crim., 11 septembre 2019, n°18-81.040 : Dr. fisc. 2019, n°40, comm. 390 ; Cass. crim., 11
septembre 2019, n°18-84.144 : Dr. fisc. 2019, n°38, act. 401 ; Cass. crim., 11 septembre 2019, n°18-83.484 : Dr.
fisc. 2019, n°38, act. 398 ; J.-H. ROBERT, La conventionalité et la constitutionnalité du cumul des poursuites et
des sanctions fiscales et pénales, Revue des sociétés 2020, p. 251 ; AJ pén. 2019. 562, obs. J. LASSERRE
CAPDEVILLE ; Ibid. 564, obs. M. LASSALLE ; RSC 2020. 123, obs. R. PARIZOT ; D. 2019. 2320, obs.
G. ROUJOU DE BOUBEE, T. GARE, C. GINESTET, M.-H. GOZZI, S. MIRABAIL et E. TRICOIRE ; D. actu.
1er octobre 2019, obs. S. FUCINI ; JCP G 2019. 1086, note DETRAZ et DEZEUZE ; Dr. fisc. 2019, comm. 420,
obs. M. STOCLET ; Dr. fisc. 2019, chron. 437, obs. R. SALOMON ; D. 2020, p. 567, note M. FOUQUET ; RTD
com. 2020, p. 506, obs. L. SAENKO ; Gaz. Pal., 4 février 2020, n°5, p. 64, obs. F. FOURMENT ; Gaz. Pal.,
22 octobre 2019, n°36, p. 14, note E. DEZEUZE ; N. JACQUOT, N. GUILLAND, Vers une balkanisation du
contentieux fiscal ? Réflexions sur les nouveaux contours de l'office du juge pénal en matière de fraude fiscale :
Dr. fisc. n°43, 24 octobre 2019, 412.
987
V. infra, n°319.

188
de décharge définitive prononcée par le juge fiscal pour un motif de fond. Certains988 y ont vu
là une constitutionnalisation989 du droit pénal fiscal, mouvement qui a rendu possible
l’instauration de limites substantielles au cumul, à défaut d’une intervention législative. Parmi
les trois réserves constitutionnelles, seule la première est de nature à restreindre
substantiellement les hypothèses de cumul990. Il est désormais impossible d’adjoindre aux
sanctions fiscales des poursuites pénales lorsque la fraude ne répond pas à une gravité
suffisamment établie. L’application de ce critère de gravité s’avère toutefois quelque peu
périlleuse.

SECTION II. L’APPLICATION PÉRILLEUSE DU CRITÈRE DE GRAVITÉ

212. Critère de gravité, clé d’articulation des procédures pénale et fiscale. – Dans ses
décisions du 24 juin 2016991, le Conseil restreint la possibilité de cumuler les répressions pénale
et fiscale aux seuls cas de fraudes les plus graves. Pour la première fois, le Conseil
constitutionnel fait dépendre la légalité du cumul de la gravité du manquement fiscal commis
par le contribuable. Lorsque les faits poursuivis à l’encontre du contribuable ne sont pas
suffisamment graves, la répression pénale doit s’effacer au bénéfice des seules sanctions
fiscales. Ainsi, le concept de gravité permet de circonscrire le recours à la répression pénale
dans des limites raisonnables. En ce sens, la gravité est la véritable clé d’articulation
substantielle entre les deux contentieux. Or, sa nature juridique n’a pas été clairement identifiée
au sein du prétoire pénal, si bien qu’il est permis de lui opposer une nature « sui generis » (§1).
Dans le même temps, en l’absence de critères légaux en définissant son contenu, l’appréciation
de ce critère apparaît délicate (§2).

988
V. notamment, R. SALOMON et S. DETRAZ, Droit pénal fiscal : chronique de l’année 2020, Dr. fisc. n°10,
11 mars 2021, 163.
989
La constitutionnalisation d’un contentieux peut être définie comme « l’alimentation de plus en plus abondante
de celui-ci par des normes constitutionnelles » : P. de MONTALIVET, Question prioritaire de constitutionnalité
et droit administratif : Dr. adm. n°6, juin 2011, chron. 2. Selon les propos de L. FAVOREU, la
constitutionnalisation doit être distinguée de la simple existence de base constitutionnelle. La
constitutionnalisation du droit se dessine d’une part, par l’accumulation des normes constitutionnelles par le
développement d’une jurisprudence constitutionnelle et, d’autre part, par le mécanisme de diffusion de ces normes
dans l’ordre juridique : L. FAVOREU, La constitutionnalisation du droit, in L’unité du droit, Mélanges en
hommage à R. DRAGO, Economica, 1996, pp. 25 à 28.
990
Les deux autres réserves proposent des solutions procédurales d’articulation entre les procédures et seront donc
étudiées dans la seconde partie de cette étude.
991
Cons. const., QPC, 24 juin 2016, n°2016-545 et n°2016-546, préc.

189
§1. La nature sui generis du critère de gravité

213. Appréciation de la gravité par le juge répressif. – La gravité de la fraude organise


depuis toujours la répartition entre les contentieux pénal et fiscal. En posant cette réserve, le
juge constitutionnel n’a donc fait qu’entériner une pratique antérieure de l’administration
fiscale (A), à la différence près que la gravité s’apprécie désormais directement devant le juge
correctionnel (B).

A) La légalisation par le Conseil constitutionnel d’une pratique antérieure

214. Le critère de gravité, clé implicite de répartition des contentieux pénal et fiscal. –
Historiquement, le critère de gravité a toujours été déterminant dans la décision de
l’administration fiscale d’adjoindre aux sanctions fiscales la tenue d’un procès pénal 992. Dans
une note administrative en date du 3 octobre 1972993, l’ancien Directeur général des impôts994
indiquait aux directeurs régionaux et aux directeurs des services fiscaux les critères devant
guider le fisc dans le choix des affaires à déférer aux juridictions répressives. Aux termes de
cette note, seules devaient être poursuivies « les fraudes caractérisées », c’est-à-dire « celles
qui, soit par leur ampleur, soit par leur répétition, soit encore par la nature des moyens mis en
œuvre, ont causé un préjudice important au Trésor ou sont susceptibles de faire école »995.
Dans cette même optique, une circulaire « Justice-Budget » émanant de la Direction générale
des impôts du 30 octobre 1981996, dite également « Badinter-Fabius », établit formellement des
« critères d’engagement des poursuites correctionnelles ». Il y est clairement énoncé que « le
choix des affaires susceptibles de donner lieu à l'engagement de poursuites correctionnelles

992
M. ANDRÉ, Le point d'orgue d'une valse-hésitation ou à la recherche d'une intersection entre droit pénal et
droit fiscal : JCP E 1985, n°42, 14556 ; G. KLEIN, La répression de la fraude fiscale, Étude sur le particularisme
du droit pénal des impôts, op. cit., p. 98 et s. Dans un colloque de la société de droit fiscal, M. RAFFRAY, sous-
directeur à la Direction générale des impôts a exposé les critères d’engagement des poursuites pénales comme
suit : « 1. La gravité de la faute qui s'apprécie au plan qualitatif et quantitatif. 2. La qualité du contrôle fiscal tant
du point de vue juridique (respect de toutes les obligations voulues par le législateur) que technique (établissant
la réalité de la fraude à l'aide de faits précis » : M. RAFFRAY, sous-directeur à la Direction générale des impôts,
3ème Colloque de la société de droit fiscal, 4-5 décembre 1980, éd. P.U.F., Aix-en-Provence, p. 132.
993
BODGI (Bulletin officiel de la Direction générale des impôts), 3 octobre 1972, n°13-6-72.
994
Depuis le décret n°2008-310 du 3 avril 2008 la Direction générale des impôts a été remplacée par la Direction
générale des finances publiques : V. supra, n°4.
995
BODGI (Bulletin officiel de la Direction générale des impôts), 3 octobre 1972, n°13-6-72.
996
Circulaire n°13 N-3-81 « Justice-Budget » du 30 octobre 1981 de la Direction générale des Impôts relative aux
infractions et sanctions pénales, BODGI : Dr. fisc. n°1, 4 janvier 1982, comm. 7147.

190
s'effectue essentiellement en considération de la nature, de l'importance et de la gravité de la
fraude, sans qu'il soit fait exception de la qualité sociale ou professionnelle de ses auteurs ».
L’utilisation du droit pénal à l’encontre du fraudeur devait répondre à une « utilisation
sélective », « réservée aux cas de fraude les plus répréhensibles »997. Depuis toujours, seules
les fraudes les plus signifiantes sont poursuivies devant la juridiction pénale. L’existence du
critère de gravité démontre qu’en présence d’une fraude fiscale, le droit pénal doit demeurer
l’ultima ratio. Les causes de ce phénomène sont à rechercher dans l’efficacité de la répression
administrative ainsi que dans l’impossibilité pour la justice pénale de faire face à un contentieux
fiscal de masse998.

215. Le critère de gravité, clé constitutionnelle de répartition des contentieux pénal et


fiscal. – Si l’addition des procédures pénale et fiscale a toujours été admise à raison de la gravité
de la fraude, un pas a été franchi avec les décisions Cahuzac et Wildenstein rendues par le
Conseil constitutionnel le 24 juin 2016999. Le critère de gravité n’est plus seulement un élément
implicite sous-tendant l’articulation des procédures pénale et fiscale ; il est pour la première
fois une véritable condition de légalité du cumul des contentieux, examinée sous l’angle du
principe constitutionnel de nécessité des délits et des peines. Le Conseil constitutionnel
subordonne explicitement la constitutionnalité de l’article 1741 du code général des impôts à la
répression des seuls cas de fraudes « les plus graves »1000. La réunion des éléments constitutifs
de la fraude énoncés au sein du texte d’incrimination ne suffit plus pour entrer en voie de
condamnation à l’encontre du contribuable. Le juge pénal doit en outre constater la gravité des
faits qui lui sont reprochés.

216. Le Conseil constitutionnel : législateur fiscal ? – Par ces décisions, le juge


constitutionnel a donc ajouté une condition à l’application de l’article 1741 du code général des
impôts. La fraude fiscale est répréhensible lorsque sont réunis les éléments constitutifs énoncés
par cet article, auxquels il faut désormais ajouter la gravité du comportement du contribuable.
La méthode employée par le Conseil constitutionnel bouleverse les équilibres de la procédure
pénale. Aux termes de l’article 34 de la Constitution, seule la loi, expression de la volonté
générale, détermine les « crimes et délits ainsi que les peines qui leur sont applicables ». Selon

997
Ibid.
998
V. supra, n°60 et s.
999
Cons. const., QPC, 24 juin 2016, n°2016-545 et n°2016-546, préc.
1000
Cons. const., QPC, 24 juin 2016, n°2016-545 et n°2016-546, préc., considérant n°21.

191
les termes du juge constitutionnel, il n’est pas permis de « reporter sur des autorités
administratives ou juridictionnelles le soin de fixer des règles dont la détermination n’a été
confiée par la Constitution qu’à la loi »1001. Il incombe donc exclusivement au législateur de
choisir quels comportements doivent être pénalement répréhensibles et de déterminer le
périmètre des infractions. Dès lors, tout comportement érigé en infraction délictuelle par la loi
revêt déjà un caractère suffisant de gravité pour être réprimé par la juridiction pénale. S’agissant
de la fraude fiscale, le législateur a en outre fixé un seuil au dixième de la somme imposable ou
le chiffre de 153 euros1002, en deçà duquel il n’est pas possible de sanctionner pénalement la
fraude. L’article 1741 du code général des impôts contient donc déjà en son sein un critère de
gravité limitant l’application du délit de fraude fiscale. En énonçant au-delà du seuil légalement
fixé que seules les fraudes les plus graves peuvent être punies pénalement, le Conseil
constitutionnel s’est dangereusement érigé en législateur fiscal1003, usant du pouvoir général
normatif par principe réservé au Parlement1004. De prime abord, ce pouvoir de « pseudo-
législation » ou « d’auto-législation »1005 apparaît critiquable, tant les neuf membres du Conseil
constitutionnel, nommés par des autorités politiques1006, ne peuvent représenter la volonté du
peuple.

217. Admission du caractère normatif des décisions constitutionnelles. – En réalité,


l’intervention du Conseil constitutionnel à l’endroit de l’article 1741 du code général des impôts
est parfaitement conforme au rôle de gardien de la Constitution1007 qui lui a été attribué. Le

1001
Cons. const., DC, 29 juillet 2004, n°2004-500, Loi organique relative à l’autonomie financière des collectivités
territoriales, considérant n°13 ; Cons. const., DC, 10 mars 2011, n°2011-625, Loi pour la performance de la
sécurité intérieure, considérant n°76.
1002
Art. 1741 CGI, al. 8.
1003
V. notamment en ce sens : S. DETRAZ, Constitutionnalité relative du cumul des sanctions fiscales et pénales :
JCP G 2016, n°40, 1042 ; N. JACQUOT et P. MISPELON, QPC sur le cumul des sanctions pénales et fiscales :
une décision sans gravité ? : Dr. fisc. n°26, 30 juin 2016, act. 409 ; C. MANDON, La guerre contre la fraude fiscale
aura bien lieu, commentaire des décisions QPC n°2016-545 et 546 : Constitutions 2016 p. 436.
1004
L. FAVOREU, La constitutionnalisation du droit pénal et de la procédure pénale, Mél. Vitu. Cujas, 1989,
p.198 et s.
1005
A.-C. BEZZINA, Le Conseil constitutionnel, quasi-législateur fiscal : RFFP février 2015, n°129, p. 185.
1006
Aux termes de l’article 56 de la Constitution, « trois des membres sont nommés par le Président de la
République, trois par le président de l'Assemblée nationale, trois par le président du Sénat ». V. pour plus de
développements à ce sujet : M. VERPEAUX, « Conseil constitutionnel – Statut de l’institution et de ses
membres », Fasc. n°1411, Jurisclasseur Administratif, 1er mai 2022.
1007
V. pour plus de développements à ce sujet, L. FAVOREU, Le Conseil constitutionnel, régulateur de l'activité
normative des pouvoirs publics : RDP 1967 ; L. HAMON, Les juges de la loi, naissance et rôle d'un contre-pouvoir,
le Conseil constitutionnel : Fayard, 1987 ; H. KELSEN, La garantie juridictionnelle de la Constitution : RDP
1928 ; D. ROUSSEAU, P.-Y. GADHOUN et J. BONNET, Droit du contentieux constitutionnel : Domat-
Montchrestien, 11ème éd., 2016.

192
Conseil constitutionnel doit en effet contrôler la conformité des lois à la Constitution. En
confrontant l’article 1741 du code général des impôts au principe constitutionnel de nécessité
des délits et des peines1008, il a préféré ajouter une condition à la loi pour sauver la
constitutionnalité de la disposition attaquée. Face à la définition de la fraude fiscale telle qu’elle
résultait de l’article précité, le Conseil doutait de sa constitutionnalité à raison de l’absence
d’articulation conceptuelle entre les poursuites pénale et fiscale. Pour contenir le cumul des
procédures pénale et fiscale dans des limites raisonnables, il a légalement consacré la pratique
antérieure qui consistait à ne réserver l’engagement de l’action publique qu’aux seuls cas de
fraudes les plus graves. Partant, la réserve tenant au critère de gravité « ne conduit pas à
bouleverser de manière caricaturale »1009 la teneur de l’infraction de fraude fiscale. Dans cette
perceptive, le caractère normatif des réserves1010 constitutionnelles est parfaitement admissible.
L’injonction est adressée non pas au législateur mais aux autorités chargées de réprimer
concrètement la fraude fiscale. Ainsi que l’indique le commentaire des décisions, il ne s’agit
pas pour le Conseil constitutionnel « d’imposer au législateur de réserver, en toute hypothèse,
la qualification d’infraction pénale en matière de fraude fiscale aux seuls cas les plus
graves »1011, mais simplement d’imposer aux autorités chargées d’interpréter l’article 1741 du
code général des impôts une application raisonnée de l’infraction de fraude fiscale. En d’autres
termes, le Conseil constitutionnel a ici opéré un rôle de législation négative 1012. Sans
bouleverser les éléments constitutifs de l’infraction, il a défini une limitation de son champ
d’application eu égard à la possibilité de la cumuler avec des poursuites fiscales. Saisies
directement par les plaideurs de ce nouveau critère de gravité, les juridictions correctionnelles
se sont confrontées à sa délicate qualification en droit pénal général.

1008
Art. 8 de la DDHC.
1009
A. VIALA, Les réserves d’interprétation dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel, op. cit., p. 68 : dans
sa thèse, Monsieur A. VIALA démontre que les réserves constitutionnelles s’insèrent toujours dans un sens
respectueux de la volonté du législateur.
1010
G. DRAGO, L’exécution des décisions du Conseil constitutionnel, Economica, 1991, p. 159.
1011
Commentaire du Conseil constitutionnel des décisions n°2016-545 et n°2016-546 du 24 juin 2016, disponible
en ligne, p. 24.
1012
Cette notion se distingue de « « l’incompétence négative », entachant une disposition législative « lorsque le
législateur est resté « en-deçà » de sa propre compétence. Dès lors, il méconnait le principe de légalité découlant
de l’article 34 de la Constitution en laissant au pouvoir réglementaire le soin de réglementer des dispositions qui
relèvent de la loi » : P. GAÏA, R. GHEVONTIAN, F. MÉLIN-SOUCRAMANIEN, A. ROUX, E. OLIVA, Les
grandes décisions du Conseil constitutionnel, Dalloz, Grand arrêts, 18 ème éd., 2016. L’incompétence négative ne
peut être soulevée à l’appui d’une QPC que si elle porte atteinte à un droit ou une liberté constitutionnellement
garantie : Cons. const., QPC, 18 juin 2010, n°2010-5.

193
B) La réception par le juge correctionnel du critère de gravité

218. La gravité n’est pas un élément constitutif de l’infraction de fraude fiscale. – Dans
ses décisions du 24 juin 2016, le Conseil constitutionnel a limité la possibilité de cumuler les
procédures pénale et fiscale aux hypothèses de fraudes les plus graves. Le critère de gravité est
ainsi devenu une véritable condition de légalité du cumul, possiblement invoqué par les
prévenus pour faire échec aux poursuites pénales engagées à leur encontre. En posant cette
limitation substantielle, le Conseil constitutionnel n’a toutefois pas précisé les conséquences
procédurales du défaut de gravité des faits reprochés. Saisie de moyens tirés de l’absence de
gravité des faits reprochés, la juridiction pénale a présenté quelques difficultés pour qualifier la
nature juridique de l’argumentaire ainsi soulevé. De prime abord, il était aisé d’assimiler la
gravité à un élément constitutif de l’infraction de fraude fiscale. Le Conseil constitutionnel a en
effet conditionné l’application de l’article 1741 du code général des impôts à la gravité de la
fraude poursuivie. Certains auteurs1013 se sont naturellement engagés dans cette voie, avant que
plusieurs arrêts de la chambre criminelle du 11 septembre 20191014 ne viennent préciser que le
juge pénal était tenu, avant même d’apprécier la gravité de la fraude, de caractériser l’existence
ou non des éléments constitutifs de la fraude fiscale.

219. Perte de l’élément injuste de l’infraction. – Ainsi, le défaut de gravité n’influe


aucunement sur la caractérisation des éléments constitutifs de la fraude, lesquels « demeurent
inchangés »1015. Le raisonnement des juges du fond doit donc s’opérer en deux temps. Ils

1013
M. PELLETIER, Nouveau requiem pour le principe non bis in idem ?, À propos de CEDH, gde ch.,
15 novembre 2016, n°24130/11 et n°9758/11, A et B c/ Norvège : Dr. fisc. n°47, 24 novembre 2016, comm. 603.
1014
V. notamment Cass. crim., 11 septembre 2019, n°18-81.980 : Dr. fisc. 2019, act. 402 ; Cass. crim., 11
septembre 2019, n°18-81.067 : Dr. fisc. 2019, n°38, act. 401 ; Cass. crim., 11 septembre 2019, n°18-82.430 : Dr.
fisc. 2019, n°38, act. 400 ; Cass. crim., 11 septembre 2019, n°18-81.040 : Dr. fisc. 2019, n°40, comm. 390 ; Cass.
crim., 11 septembre 2019, n°18-84.144 : Dr. fisc. 2019, n°38, act. 401 ; Cass. crim., 11 septembre 2019, n°18-
83.484 : Dr. fisc. 2019, n°38, act. 398 ; J.-H. ROBERT, La conventionalité et la constitutionnalité du cumul des
poursuites et des sanctions fiscales et pénales, Revue des sociétés 2020, p. 251 ; AJ pén. 2019. 562, obs. J.
LASSERRE CAPDEVILLE ; Ibid. 564, obs. M. LASSALLE ; RSC 2020. 123, obs. R. PARIZOT ; D. 2019. 2320,
obs. G. ROUJOU DE BOUBEE, T. GARE, C. GINESTET, M.-H. GOZZI, S. MIRABAIL et E. TRICOIRE ; D.
actu. 1er octobre 2019, obs. S. FUCINI ; JCP G 2019. 1086, note DETRAZ et DEZEUZE ; Dr. fisc. 2019, comm.
420, obs. M. STOCLET ; Dr. fisc. 2019, chron. 437, obs. R. SALOMON ; D. 2020, p. 567, note M. FOUQUET ;
RTD com. 2020, p. 506, obs. L. SAENKO ; Gaz. Pal., 4 février 2020, n°5, p. 64, obs. F. FOURMENT ; Gaz. Pal.,
22 octobre 2019, n°36, p. 14, note E. DEZEUZE ; N. JACQUOT, N. GUILLAND, Vers une balkanisation du
contentieux fiscal ? Réflexions sur les nouveaux contours de l'office du juge pénal en matière de fraude fiscale :
Dr. fisc. n°43, 24 octobre 2019, 412.
1015
Cass. crim., 11 septembre 2019, n°18-81.040, préc.

194
doivent, dans un premier temps, s’assurer de la réunion des éléments matériel et intentionnel de
la fraude au regard de l’article 1741 du code général des impôts. Dans un second temps et
uniquement lorsque le prévenu justifie avoir personnellement fait l’objet de sanctions fiscales,
ils doivent « vérifier que les faits retenus présentent le degré de gravité de nature à justifier la
répression pénale complémentaire »1016. En d’autres termes, l’infraction de fraude fiscale ne
disparaît pas à raison de son défaut de gravité. Ses éléments matériel et moral sont toujours
réunis à l’encontre du prévenu. Mais le trouble à l’ordre public généré par cette fraude de faible
importance est amplement réparé par le prononcé de sanctions fiscales. La suffisance des
sanctions fiscales empêche le contribuable d’être attrait devant la juridiction pénale, celui-ci ne
méritant pas l’application du double régime répressif. À raison de l’insuffisance de l’atteinte à
l’intérêt juridique protégé par cette fraude de faible ampleur, l’infraction perd son caractère
« injuste »1017 ou son « anti-juridicité »1018, alors même que celle-ci était présumée1019 par le
simple fait de revêtir une qualification légalement incriminée par le législateur. Dans cette
hypothèse, l’intervention supplémentaire du droit pénal n’est alors plus nécessaire. Bien que
l’infraction demeure caractérisée, l’article 1741 du code général des impôts n’est tout
simplement « plus applicable »1020.

220. Le défaut de gravité n’entraîne pas l’extinction de l’action publique. – Si la gravité


n’est pas un élément constitutif de l’infraction, son absence ne saurait constituer une cause
d’extinction de l’action publique. La chambre criminelle l’a clairement établi dans un de ses
arrêts du 11 septembre 20191021. En l’espèce, des prévenus poursuivis pour fraude fiscale devant
la juridiction répressive ont soulevé in limine litis une exception d’extinction de l’action
publique, arguant que de simples omissions déclaratives ne constituaient pas une fraude grave

1016
Cass. crim., 23 février 2022, n°21-81.366 : D. actu. 11 mars 2022, obs. J. GALLOIS.
1017
Certains auteurs affirment que l’infraction requiert un caractère injuste, impliquant une atteinte à un intérêt
juridiquement protégé. V. pour plus de développements à ce sujet : V.-J. LARGUIER, P. CONTE, P. MAISTRE
DU CHAMBON, Droit pénal général, 21ème éd., Dalloz, Memento, 2007, p. 48 ; X. PIN, L’infraction injuste,
Mélanges Robert, LexisNexis, 2012, p. 589.
1018
V. pour plus de développements à ce sujet : J. WALTHER, L’antijuridicité en droit pénal comparé franco-
allemand : Thèse, Nancy, 2003 ; M. LACAZE, Réflexions sur le concept de bien juridique protégé par le droit
pénal : Thèse, Montpellier, 2011.
1019
Selon certains auteurs, la référence à l’élément injuste est inutile. En effet, l’existence d’une incrimination
édictée par le législateur présume l’illicéité pénale. La preuve de l’élément injuste de l’infraction découle
nécessairement de l’incrimination légale du comportement. V. en ce sens, W. JEANDIDIER, Droit pénal général,
Montchrestien, coll. « Domat », 1988, p. 200, n°210.
1020
Cass. crim., 11 septembre 2019, n°18-84.144 ; 18-81.067, préc.
1021
Cass. crim., 11 septembre 2019, n°18-81.067.

195
susceptible de faire l’objet, en sus des sanctions fiscales, d’une procédure pénale. En réponse,
la cour d’appel, dont le raisonnement sera conforté par la Cour de cassation, énonce que la
gravité des faits de fraude fiscale ne constitue pas une condition de recevabilité de l’action
publique. Partant, l’application de sanctions fiscales à l’encontre du prévenu ne saurait être
assimilée à un cas de chose jugée éteignant l’action publique au sens de l’article 6 du code de
procédure pénale1022.

221. Moment de l’invocation du défaut de gravité des faits. – Ainsi, une fraude dont la
gravité ne serait que relative, demeure une infraction pénale susceptible de faire l’objet de
poursuites correctionnelles. Ce n’est donc que devant la juridiction de jugement que peut
s’ouvrir un véritable débat contradictoire sur la gravité de la fraude. La jurisprudence a en effet
précisé que si la gravité des faits est prise en considération par l'administration fiscale lorsqu'elle
dépose plainte après avis conforme de la Commission des infractions fiscales, puis par le
ministère public lorsqu'il décide d'engager les poursuites, il incombe à la juridiction de
jugement de s'assurer de cette gravité1023. Dès lors que le prévenu justifie avoir fait l’objet de
pénalités fiscales, il s’agit pour le juge d’une véritable obligation. Dans un arrêt récent du 23
février 20221024, la chambre criminelle de la Cour de cassation a censuré une cour d’appel pour
avoir condamné un prévenu du chef de fraude fiscale sans s’être préalablement prononcé sur la
gravité du comportement du contribuable. À cet égard, le moyen tiré de la méconnaissance de
la réserve constitutionnelle peut être soulevé pour la première fois en cassation 1025. Ainsi, la
gravité de la fraude ne saurait être présumée par la mise en mouvement de l’action publique à
l’encontre du prévenu. Juger le contraire aurait vidé de toute effectivité la condition de gravité
posée par le juge constitutionnel. Cependant, si la suffisance de la gravité doit être débattue
devant le juge du fond, cela suppose pour le contribuable de subir l’affront d’une procédure
pénale avant même de savoir si celle-ci était nécessaire au regard de la gravité de son
comportement. À cet égard, il faut ici rappeler que le principe ne bis in idem, tel qu’il est conçu
en droit européen1026, vise à éviter non seulement les doubles condamnations mais également
les doubles poursuites. Le contrôle de la gravité des faits poursuivis devrait pouvoir intervenir

1022
L’article 6 du code de procédure pénale énonce en son premier alinéa que l’action publique pour l'application
de la peine s'éteint par la mort du prévenu, la prescription, l'amnistie, l'abrogation de la loi pénale et la chose jugée.
1023
Cass. crim., 11 septembre 2019, n°18-81.040 (point 13), n°18-81.067 (point 32) et n°18-84.144 (point 20).
1024
Cass. crim., 23 février 2022, n°21-81.366.
1025
Cass. crim., 11 septembre 2019, n°18-84.144, préc.
1026
V. infra, n°233 et s.

196
en amont du jugement sur le fond, et notamment dans le cadre d’une éventuelle instruction
ouverte sur le fondement de l’article 1741 du code général des impôts, afin de ne pas faire subir
au contribuable une procédure dont l’engagement n’est possiblement pas nécessaire.

222. Conséquences du défaut de gravité pour le prévenu : la relaxe. – Il est donc


regrettable que l’insuffisance de gravité des faits reprochés ne puisse produire ses effets que
devant le juge du fond. Lorsque celui-ci a estimé, après avoir constaté la réunion éléments
constitutifs de la fraude, qu’elle ne présentait pas un caractère suffisamment grave pour
entraîner une condamnation pénale, il ne peut que prononcer la relaxe du prévenu 1027. Cette
solution doit être distinguée de la possibilité pour le juge de dispenser le prévenu du prononcé
d’une peine correctionnelle1028. L’appréciation de la gravité de la fraude fiscale au stade du
jugement ne doit également pas être confondue avec la possibilité de moduler le choix de la
peine en fonction de la gravité des faits que tient le juge pénal de l’article 132-19 du code
pénal1029. Ces deux hypothèses que sont, d’une part, la dispense de peine et, d’autre part, la
modulation de la sanction, supposent une déclaration de culpabilité du juge correctionnel. À
l’inverse, le défaut de gravité du comportement du contribuable doit produire ses effets avant
le prononcé – et a fortiori le choix – d’une peine1030 parce qu’il traduit la disparition du
fondement légal1031 réprimant la fraude fiscale. En principe, selon les termes de l’article 470 du
code de procédure pénale, la relaxe ne peut être prononcée que lorsque « le fait poursuivi ne
constitue aucune infraction à la loi pénale ou que le fait n'est pas établi, ou qu'il n'est pas
imputable au prévenu ». La Cour de cassation veille à ce que le prononcé d’une relaxe entre
dans un des motifs légalement prévus par ledit article1032. En matière de fraude fiscale, la relaxe

1027
Cass. crim., 11 septembre 2019, n°18-81.040 (point 17), n°18-81.067 (point 36) et n°18-84.144 (point 24).
1028
Aux termes de l’article 132-59 du code pénal, la dispense de peine peut être accordée lorsqu'il apparaît que le
reclassement du coupable est acquis, que le dommage causé est réparé et que le trouble résultant de l'infraction a
cessé.
1029
Cet article fait de la peine d’emprisonnement l’ultima ratio, dont le prononcé n’est possible que si la gravité
de l’infraction et la personnalité de son auteur la rendent indispensable et que toute autre sanction serait
manifestement inadéquate.
1030
La vérification du critère de gravité de la fraude doit intervenir « préalablement au prononcé de sanctions
pénales » : Cass. crim., 11 septembre 2019, n°18-81.040 (point 17), n°18-81.067 (point 36) et n°18-84.144 (point
24).
1031
La chambre criminelle de la Cour de cassation considère qu’à défaut de gravité de la fraude, les dispositions
la réprimant ne sont pas applicables : Cass. crim., 11 septembre 2019, n°18-84.144, (point 21) ; Cass. crim., 11
septembre 2019, n°18-81.067 (point 33).
1032
Cass. crim., 5 septembre 2018, n°17-84.402 : en l’espèce, la cour d’appel avait relaxé un prévenu au motif que
l’altération des facultés physiques et psychiques le mettait dans l’impossibilité de se défendre personnellement

197
peut être prononcée alors même que le fait, imputable au prévenu, constitue une infraction au
sens de la loi pénale. La relaxe pour défaut de gravité constitue donc un motif inédit permettant
au juge de ne pas entrer en voie de condamnation.

223. Le critère de gravité, un critère sui generis. – En cela, les effets d’une insuffisance
de gravité des faits reprochés se rapprochent de ceux applicables en présence d’une cause
justificative. Alors même que les éléments constitutifs d’une infraction sont réunis, le droit
pénal permet au prévenu d’invoquer une cause justificative1033 lorsque son fait est « motivé par
un intérêt légitime (…) supérieur à celui que protège l’incrimination »1034. Dans pareille
hypothèse, l’infraction, bien que caractérisée en tous ses éléments, est écartée dans sa dimension
pénale1035, à l’instar de la fraude lorsque le comportement du contribuable ne présente pas le
degré de gravité suffisant. La réserve posée par le Conseil constitutionnel dans ses décisions du
24 juin 2016 intervient donc après la qualification de l’infraction. En ce sens, elle n’est ni une
condition de recevabilité de l’action publique, ni un élément constitutif supplémentaire de
l’infraction de fraude fiscale. Selon les termes mêmes de la Cour de cassation, elle présente un
« caractère sui generis » faisant « perdre à la procédure pénale, sa nécessité »1036. Le Conseil
constitutionnel a ainsi créé un cas inédit de déchéance de la loi pénale qui ne peut être rangé
dans aucune des causes entraînant classiquement la relaxe du prévenu. Sur le plan des principes,
l’originalité de la nature de la condition de gravité n’appelle pas d’objection, dès lors que cette
nouvelle configuration entre parfaitement dans les termes de l’article 470 du code de procédure
pénale, autorisant le tribunal à prononcer la relaxe du prévenu lorsqu’il « estime que le fait
poursuivi ne constitue aucune infraction à la loi pénale ». En revanche, parce qu’il détermine
l’étendue du risque pénal encouru par le contribuable, le critère de gravité doit être
suffisamment déterminé dans son contenu.

contre l’accusation. Le raisonnement a aussitôt été censuré par la chambre criminelle énonçant que la cour d’appel
« ne pouvait pas relaxer le prévenu pour un motif non prévu par la loi ».
1033
Le code pénal prévoit cinq causes justificatives générales que sont l’ordre ou l’autorisation de la loi ou du
règlement (art. 122-4), le commandement de l’autorité légitime (art. 122-4), la légitime défense (art. 122-5 et 122-
6), l’état de nécessité (art. 122-7) et le signalement ou la révélation légitime par un lanceur d’alerte (art. 122-9).
La jurisprudence a en outre créé de nouvelles causes de justification tel que le respect des droits de la défense.
1034
X. PIN, Droit pénal général, op. cit., p. 266.
1035
E. DREYER, Droit pénal général, op. cit., p. 969, n°1249.
1036
Cour de cassation, note explicative relative aux arrêts n°1174, 1175, 1176, 1177, 1178 et 1179 du 11 septembre
2019 (chambre criminelle), p. 7.

198
§2. L’incertitude du contenu de la gravité de la fraude

224. Appréciation souveraine des juges du fond. – En posant comme principe que l’article
1741 du code général des impôts n’est applicable qu’aux cas de fraudes présentant un degré de
gravité suffisant, le Conseil constitutionnel a réservé à la procédure pénale une application
subsidiaire par rapport à la procédure fiscale. Le Conseil constitutionnel n’a toutefois pas livré
une définition générale de la gravité de la fraude. Dans ses décisions Cahuzac et Wildenstein1037,
il a simplement énoncé que la « gravité des faits » de nature à justifier le cumul des procédures
peut « résulter du montant des droits fraudés, de la nature des agissements de la personne
poursuivie ou des circonstances de leur intervention »1038. De nombreux auteurs ont
naturellement souligné l’imprécision des indices ainsi fournis1039. Il est vrai que les indications
du Conseil constitutionnel ne permettent pas de déterminer avec précision les cas dans lesquels
il est possible de cumuler des poursuites pénale et fiscale pour les mêmes faits. En réalité, cette
imprécision résulte de la nature même des réserves constitutionnelles, lesquelles ne sont que de
simples orientations à destination du juge répressif, à qui il incombe de vérifier que le
comportement qui lui est soumis nécessite l’intervention du droit pénal. Par ces réserves, le
Conseil constitutionnel a enjoint les autorités chargées de réprimer concrètement la fraude de
vérifier qu’elle présente un degré suffisant de gravité pour être réprimée sur un plan pénal. Le
juge constitutionnel ne pouvait aller plus loin dans la définition de la gravité, sans empiéter sur
le rôle de définition des incriminations, exclusivement dévolu au législateur1040. Faute pour le
législateur d’être intervenu pour préciser les cas dans lesquels la fraude est susceptible de faire
l’objet d’une double répression, l’appréciation de la gravité de la fraude relève donc
nécessairement d’une appréciation souveraine des juges du fond.

1037
Cons. const., QPC, 24 juin 2016, n°2016-545 et n°2016-546, préc.
1038
Ibid, considérant n°21.
1039
Monsieur S. DETRAZ a notamment souligné « inconsistance de ces indications », faisant de la condition de
gravité une « condition obscure » : S. DETRAZ, Constitutionnalité relative du cumul des sanctions fiscales et
pénales : JCP G 2016, n°40, 1042 ; V. aussi J.-H., ROBERT, La conventionalité et la constitutionnalité du cumul
des poursuites et des sanctions fiscales et pénales : Rev. sociétés 2020 p. 251 ; A. ROUSSEAU, Cumul des
sanctions pénales et fiscales : quel est le poids du critère de gravité ? : Hebdo édition fiscale n°841 du 29 octobre
2020 ; R. SALOMON, Dr. fisc. n° 46, 15 novembre 2019, 437 ; O. DECIMA, C'est grave ? : D. 2016. p. 2442 ; J.
CHACORNAC, L'articulation des répressions. Comment résoudre le problème de non bis in idem ? : RSC 2019,
p. 33.
1040
M. COLLET et P. COLLIN, Le cumul des sanctions pénale et fiscale face aux exigences constitutionnelles et
européennes : JCP G 2016, 847 ; V. supra, n°216.

199
225. Exigences d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi pénale. – Toutefois, les
exigences de clarté et de prévisibilité de la loi pénale, découlant du principe de légalité
criminelle, imposent de prévoir des règles claires et précises permettant aux citoyens
« d’évaluer les conséquences pouvant résulter d’un acte déterminé »1041. Le contribuable doit
pouvoir déterminer si son manquement fiscal est susceptible de faire l’objet de poursuites
pénales1042. La définition de la gravité de la fraude doit être suffisamment claire et précise pour
respecter les principes d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi1043. Telles qu’elles sont
conçues dans la jurisprudence constitutionnelle, ces exigences servent deux objectifs que sont
d’une part, celui de prémunir les sujets de droit contre le risque d’arbitraire1044 et, d’autre part,
d’assurer l’effectivité du principe d’égalité devant la loi1045. Lorsque les textes ne permettent
pas une application évidente du texte pénal, les autorités chargées de l’interpréter disposeront
d’un pouvoir discrétionnaire contraire aux exigences constitutionnelles. En l’espèce, la marge
d’appréciation du juge pénal est-elle suffisamment encadrée pour permettre une application
égalitaire du délit de fraude fiscale ? Afin de guider les autorités judiciaires, le Conseil
constitutionnel a énoncé trois illustrations permettant de s’assurer de la gravité de la fraude, que
sont le montant des droits fraudés, la nature des agissements du contribuable et les circonstances
de leur intervention. Ces éléments ne sont toutefois que des indices pour le juge pénal1046, qui
pourra donc parfaitement déceler la gravité de la fraude à partir d’autres circonstances du
dossier pénal. Le prévenu est susceptible de se voir invoquer au soutien de la gravité de son
comportement des éléments divers et variés, intrinsèques ou extrinsèques à la fraude.

226. Montant des droits fraudés. – Parmi les éléments intrinsèques à la fraude, il est tout
d’abord possible de se référer au montant des droits fraudés. Contrairement à d’autres

1041
Cour EDH, 15 novembre 1996, Cantoni c/ France, req. n°17862/91, §29 et 35 ; Cour EDH, 20 octobre 2015,
Vasiliauskas c/ Lituanie, req. n°35343/05, §155.
1042
La Cour de justice de l’Union européenne impose que le contribuable sache « à partir du libellé de la
disposition pertinente et au besoin à l’aide de l’interprétation qui en est donnée par les tribunaux, quels actes et
omissions engagent sa responsabilité pénale » : CJUE, 22 octobre 2015, P AC-Treuhand/Commission, aff. C-
194/14.
1043
Cons. const., DC, 16 décembre 1999, n°99-421, Loi habilitant le gouvernement à procéder par voie
d’ordonnances à l’adoption de certains codes, considérant n°13. Pour plus de développement à ce sujet, P. RRAPI,
L’accessibilité et l’intelligibilité de la loi en droit constitutionnel : Thèse, Dalloz, Nouvelle Bibliothèque de
Thèses, 2014.
1044
Cons. const., DC, 12 janvier 2002, n°2001-455, Loi de modernisation sociale, considérant n°9.
1045
Cons. const., DC, 16 décembre 1999, n°99-421, Loi portant habilitation du Gouvernement à procéder, par
ordonnances, à l'adoption de la partie législative de certains codes, considérant n°13.
1046
En témoigne la formule utilisée par le Conseil constitutionnel (la gravité de la fraude « peut résulter ») : Cons.
const., QPC, 24 juin 2016, n°2016-545 et n°2016-546, préc., considérant n°21 (c’est nous qui soulignons).

200
législations européennes1047, le cumul des procédures pénale et fiscale n’est pas soumis à un
seuil déterminé à l’avance. L’absence de fixation d’un plancher pour l’application de l’article
1741 du code général des impôts laisse au juge pénal la possibilité de caractériser la gravité de
la fraude en ayant recours à des justifications éparses, indépendamment de toute référence au
montant des droits fraudés1048. Ainsi, dans l’un des arrêts du 11 septembre 20191049, la chambre
criminelle a approuvé le raisonnement des juges du fond ayant défini la gravité de la fraude au
regard de la réitération des faits sur une longue période en dépit de plusieurs mises en demeure
et de la qualité d’élu de la République d’un des prévenus.

L’appréciation de la gravité de la fraude devant le juge pénal ne coïncide donc pas avec
les critères légaux définissant les cas de fraudes graves au sens de l’article L. 228 du livre des
procédures fiscales. Depuis la loi du 23 octobre 2018 relative à la lutte contre la fraude1050,
certains dossiers fiscaux échappent en raison de leur gravité aux contraintes du verrou de
Bercy1051 et font l’objet d’une transmission automatique au parquet. Définie par la loi, la gravité
de ces dossiers procède d’un redressement fiscal portant sur des droits dont le montant est
supérieur à 100 000 euros et ayant fait l’objet de certaines pénalités fiscales1052. Ainsi, la gravité
légalement définie à l’article L. 228 du livre des procédures fiscales diffère de celle dont doit
s’assurer le juge pénal après avoir caractérisé les éléments constitutifs de l’article 1741 du code
général des impôts. Il existe donc plusieurs définitions de la gravité de la fraude fiscale, rendant
l’application de l’article 1741 du code général des impôts peu prévisible pour le contribuable.

227. Nature des agissements du contribuable. – Selon les termes du Conseil


constitutionnel, le juge répressif peut ensuite déterminer la gravité du comportement délictueux
par la « nature des agissements du contribuable ». À ce titre, la chambre criminelle a établi la
gravité de la fraude à l’aune de « l'existence de manœuvres de dissimulation des sommes sujettes

1047
Par exemple, en droit italien, le décret législatif établissant l’infraction fiscale en matière de TVA fixe un seuil
de 150 000 euros en deçà duquel les poursuites pénales sont impossibles : art. 10 bis du décret législatif du 10 mars
2000, n°74 (Texte disponible en ligne sur normattiva.fr, le Journal officiel de la République italienne). Avant le
25 décembre 2019, le seuil en vigueur était fixé à 50 000 euros.
1048
Bien souvent, lorsque le montant des droits fraudés est invoqué par le prévenu au soutien de la gravité de la
fraude, celui-ci dépasse le seuil des 100 000 euros. À titre d’exemple : 136 000 euros (Cass. crim., 17 janvier 2018,
n°16-86.451), 141 277 euros (Cass. crim., 3 mai 2018, n°17-81.594), 235 580 euros (Cass. crim., 11 septembre
2019, n°18-81.040), 276 562 euros (Cass. crim., 11 septembre 2019 n°18-84.144).
1049
Cass. crim., 11 septembre 2019, n°18-81.067, préc.
1050
Loi n°2018-898 du 23 octobre 2018 relative à la lutte contre la fraude.
1051
V. supra, n°57 et s.
1052
Al. 2 à 4 de l’article L. 228 LPF.

201
à l'impôt ayant consisté à transférer les fonds avec rapidité, avant toute approbation des
associés de la SCI »1053. Or, la dissimulation des sommes imposables constitue déjà une des
modalités de l’élément matériel de la fraude1054. Définir la gravité de l’infraction à partir d’un
de ses éléments constitutifs contribue à rendre inopérante la réserve constitutionnelle. En outre,
parmi les agissements du contribuable, la jurisprudence interdit au juge répressif de prendre en
compte des éléments postérieurs à la fraude1055. La nature de la condition de gravité ne lui
imposait pas cette solution, le défaut de gravité n’agissant pas sur les éléments constitutifs de
la fraude qui demeure caractérisée.

228. Circonstances de l’intervention du comportement. – Enfin, le Conseil


constitutionnel a admis la caractérisation de la gravité à partir des circonstances de
l’intervention des agissements du contribuable. Il s’agit là d’un critère extrinsèque à la fraude.
La chambre criminelle a rapidement précisé que ces circonstances pouvaient viser les
circonstances aggravantes de l’article 1741 du code général des impôts1056. Ainsi, la fraude peut
revêtir une gravité suffisante lorsqu’elle est commise en bande organisée, lorsque le
contribuable a utilisé des comptes ouverts ou des contrats souscrits auprès d'organismes établis
à l'étranger, a interposé des personnes physiques ou morales ou de tout organisme, fiducie ou
institution comparable établis à l'étranger, a fait usage d’une fausse identité ou de faux
documents ou de toute autre falsification, lorsqu’il a établi une domiciliation fiscale fictive ou
artificielle à l'étranger, ou encore lorsqu’il a interposé une entité fictive ou artificielle. Il est
donc tout à fait permis pour les juges de considérer que le « recours à des intermédiaires établis
à l'étranger »1057 participe de la gravité de la fraude, celle-ci se confondant alors explicitement
aux circonstances aggravantes. Dès lors, un même élément factuel peut-il à la fois être retenu
pour caractériser la gravité de la fraude – et donc permettre l’engagement des poursuites pénales
– et en tant que circonstance aggravante – et donc permettre d’aggraver le quantum de la peine
encourue – ? Il semblerait que la réponse soit positive, le juge répressif n’ayant pas hésité à
prononcer les peines encourues en présence d’une fraude fiscale aggravée, tout en admettant

1053
Cass. crim., 11 septembre 2019, n°18-84.144, préc.
1054
V. supra, n°41 et s.
1055
Cass. crim., 11 septembre 2019, n°18-81.040, préc. : « Si la cour d'appel a retenu à tort, au titre des critères
de gravité de la fraude fiscale, l'absence de justification de l'origine des fonds placés et le comportement du
prévenu postérieurement à la fraude, l'arrêt n'encourt cependant pas la censure ».
1056
Cass. crim., 11 septembre 2019, n°18-81.040 et n°18-84.144, préc. ; Cass. crim., 23 février 2022, n°21-81.366,
préc.
1057
Cass. crim., 11 septembre 2019, n°18-81.040, préc.

202
que le recours à des intermédiaires étrangers caractérisait la gravité de la fraude1058. De manière
contestable, cette solution conduit à utiliser un élément factuel à double titre pour aggraver le
sort du prévenu.

229. Défaillance des critères encadrant l’action des autorités chargées d’appliquer
l’article 1741 CGI. – La gravité de la fraude permettant d’admettre comme possible une double
répression pénale et fiscale à l’encontre du contribuable est une notion particulièrement délicate
à apprécier. Elle ne correspond pas à la gravité légale de l’article L. 228 du livre des procédures
fiscales mais peut parfaitement se confondre avec les éléments constitutifs de l’infraction ou
avec ses circonstances aggravantes. Les indications données par le Conseil constitutionnel et
les précisions ultérieures de la chambre criminelle ne permettent pas de dégager des critères
objectifs permettant de déterminer à l’avance si le comportement délictueux mérite
l’intervention du juge pénal. L’absence d’une définition substantielle stricte de la gravité de la
fraude ne permet pas d’assurer une application uniforme et égalitaire de l’article 1741 du code
général des impôts. Le juge pénal n’est pas suffisamment lié par la notion de gravité de la
fraude, dont la caractérisation répond à des éléments sinon subjectifs, du moins épars faute de
définition exhaustive.

230. Plaider l’erreur de droit. – Assurément, le contribuable ne peut avoir la certitude que
son comportement est susceptible d’être pénalement poursuivi. Face à un tel constat, il est
envisageable qu’il invoque devant la juridiction correctionnelle l’erreur sur le droit. Envisagée
à l’article 122-3 du code pénal, cette erreur qui se distingue de l’erreur sur les faits 1059, consiste
soit dans l’ignorance de la loi pénale, soit dans une interprétation inexacte de ses
dispositions1060. En raison de l’imprévisibilité du critère de gravité, le contribuable ignore dans
quels cas il est susceptible d’être attrait devant les juridictions correctionnelles à raison de sa
fraude. Il ne peut avoir la certitude que des poursuites répressives ne seront pas engagées à son
encontre. La gravité de la fraude se précisant tardivement dans le cadre des débats devant le
juge correctionnel, ses éventuels efforts de recherche et d’information en amont seront vains.

1058
Dans l’espèce précitée (Cass. crim., 11 septembre 2019, n°18-81.040, préc.), le juge pénal a condamné le
prévenu à 30 mois d’emprisonnement et 1 000 000 euros d’amende.
1059
Celle-ci fait disparaître l’intention coupable et donc l’élément moral de l’infraction. V. en ce sens, A.
FRANÇON, L’erreur en droit pénal, in Quelques aspects de l’autonomie du droit pénal, Dalloz, 1956.
1060
E. DASKALAKIS, Réflexions sur le problème de la responsabilité pénale, Partie II, « L’erreur de droit en
droit pénal », PUF, 1973, p. 55 ; B. BOULOC, Droit pénal général, Précis Dalloz, 27ème éd., 2021, p. 421.

203
L’indétermination de la gravité est susceptible de provoquer chez le contribuable une
interprétation inexacte de la portée de l’article 1741 du code général des impôts. Même en
bénéficiant de conseils juridiques avisés, le contribuable ne peut être assuré que son acte
correspond à un comportement pénalement incriminé. Conformément aux termes de l’article
122-3 du code pénal, l’erreur apparaît invincible1061 ou insurmontable1062 dès lors que les
praticiens du droit ne peuvent fournir au contribuable « une grille d'analyse précise des critères
permettant de déterminer si un manquement fiscal doit, ou non, être qualifié de grave »1063.
Malheureusement, ce moyen a toutefois peu de chance de prospérer devant le juge pénal, tant
la jurisprudence promeut une application restrictive des conditions de l’erreur de droit1064. Elle
considère en effet que l’erreur résultant d’un renseignement erroné d’un professionnel du droit
n’est pas en soi insurmontable1065. D’autres plaideurs ont tenté de soulever une question
prioritaire de constitutionnalité devant le Conseil d’État1066, invoquant que les dispositions de
l'article 1741 du code général des impôts, telles qu'interprétées par le Conseil constitutionnel
dans ses décisions du 24 juin 2016, méconnaissent les principes de légalité des délits et des
peines, de clarté et de précision de la loi, de prévisibilité juridique et de sécurité juridique,
protégés par l'article 8 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789.
Considérant qu’aucun changement de circonstance n’était intervenu depuis la décision de
constitutionnalité du Conseil constitutionnel, le Conseil d’État a refusé de renvoyer la question
ainsi soulevée1067.

1061
L. LEROY, Droit pénal général, Lextenso, LGDJ, 9ème éd., 2022, n°561.
1062
X. PIN, Droit pénal général, op. cit., p. 361, n°332.
1063
A. ROUSSEAU, Dr. fisc., n°21, 27 mai 2022, comm. 232.
1064
J. AMAR, Erreur sur le droit et parties au procès pénal : Dr. pén. 1999, chron. 15 ; G. BARBIER, « Erreur sur
le droit », Fasc. n°20, Jurisclasseur pénal, 2014, mis à jour novembre 2021.
1065
Cass. crim., 11 octobre 1995, n°94-83.735 : Dr. pén. 1996, 56, obs. M. VÉRON.
1066
Le requérant sollicitait l'annulation pour excès de pouvoir d’une l'instruction publiée le 18 juin 2015 sous la
référence BOI-CF-INF-40-10-10-10, par laquelle l'administration fiscale a fait connaître son interprétation des
dispositions de l'article 1741 du code général des impôts en ce qui concerne les éléments constitutifs du délit
général de fraude fiscale.
1067
CE, 10ème chambre, 10 mai 2017, n°408917, n°408921 et n°408367 : RJF 11/2017, n°1091, concl. R. VICTOR,
C 1091.

204
CONCLUSION DU CHAPITRE PREMIER

231. Écueils du critère de gravité. – L’introduction du critère de gravité par le Conseil


constitutionnel constitue une avancée considérable dans l’articulation conceptuelle des
procédures pénale et fiscale. Pour la première fois, il est explicitement réservé à la procédure
pénale le soin de ne réprimer que les manquements fiscaux les plus graves. L’exigence de
gravité participe donc au respect par chacune des procédures pénale et fiscale du cloisonnement
de leurs objectifs. En ce sens, l’instauration de ce critère de répartition des contentieux doit être
saluée. La pertinence du moyen utilisé pour introduire ce critère en droit positif, résultant d’une
simple réserve d’interprétation du Conseil constitutionnel, est cependant à interroger. En posant
comme principe que les poursuites pénales pour fraude fiscale ne pouvaient être engagées qu’en
présence d’une fraude suffisamment grave, le Conseil constitutionnel est resté dans les limites
de sa compétence négative, lesquelles s’arrêtent là où débute la compétence positive du
législateur. Il aurait été dès lors approprié que le pouvoir législatif profite de cette occasion pour
déterminer dans le code général des impôts les hypothèses dans lesquelles l’infraction de fraude
fiscale est susceptible d’être poursuivie devant les juridictions correctionnelles. À cet égard, les
précisions du Conseil constitutionnel, invitant le juge pénal à analyser le montant des droits
fraudés, la nature des agissements du contribuable et les circonstances de l’intervention du
comportement, ne suffisent pas à contenir l’infraction de fraude fiscale dans des limites claires
et prévisibles. Ces données souffrent en effet de deux écueils que sont d’une part, le défaut de
caractère limitatif des critères ainsi énoncés par le Conseil constitutionnel et, d’autre part,
l’imprécision de ces notions au regard des principes de prévisibilité et de clarté de la loi pénale.
L’indétermination du critère de gravité rend difficile, voire impossible, de connaître l’étendue
exacte du délit de fraude fiscale. Le juge répressif est contraint de porter un jugement de valeur
sur le comportement du contribuable pour en apprécier sa gravité.

232. Perspectives. – Il résulte de ce constat un impératif. Le critère de gravité, qui détermine


le champ d’application de l’article 1741 du code général des impôts, doit être inscrit au sein
même du texte d’incrimination. Une telle mention aura le mérite d’unifier la notion de gravité
de la fraude, laquelle correspond actuellement à trois réalités différentes. La gravité équivaut,
d’abord, aux termes de l’article 1741 du code général des impôts1068, à une somme égale au
dixième de la somme imposable ou la somme de 153 euros. Une deuxième définition de la

1068
Al. 8, art. 1741 CGI.

205
gravité de la fraude résulte, ensuite, des critères d’ouverture du verrou de Bercy1069. La gravité
procède, enfin, de la réserve d’interprétation posée par le Conseil constitutionnel dans ses
décisions du 24 juin 2016. L’éclatement de la notion de gravité nuit à l’articulation conceptuelle
des contentieux en droit pénal fiscal. Il apparaît dès lors indispensable de définir la gravité de
l’infraction de fraude fiscale à partir de critères objectifs, en s’inspirant des indications de
l’article L. 228 du livre des procédures fiscales qui permettent d’écarter l’application du verrou
de Bercy. À cet égard, il est proposé la fixation d’un seuil de 100 000 euros de droit fraudés,
au-deçà duquel il ne serait pas possible de poursuivre pénalement le contribuable. En revanche,
il est nécessaire d’affranchir l’application de l’article 1741 du code général des impôts de toute
référence aux montants des pénalités infligées par le fisc, afin de ne pas abandonner la mise en
mouvement de l’action publique aux mains de l’administration fiscale. Aussi, le seuil de
100 000 euros ne serait pas exclusif de toute autre appréciation et pourrait, s’il est combiné avec
au moins deux autres critères, être diminué dans les limites d’un plancher établi à 50 000 euros.
Les autres indices pouvant à ce titre être pris en compte ne doivent cependant pas se recouper
avec les éléments constitutifs de l’infraction ou ses circonstances aggravantes, au risque de
vider de son sens la notion de gravité de la fraude. En somme, le critère de gravité doit être
remodelé pour constituer au sein de l’ordre juridique interne une limite efficiente au cumul des
procédures pénale et fiscale. Dans cette attente, l’ordre juridique externe s’est également
intéressé à l’addition des contentieux en instaurant, sur la base du principe ne bis in idem, des
conditions déterminant sa légalité.

1069
V. supra, n°57.

206
CHAPITRE II. LA LÉGALITE EXTERNE DU CUMUL DES
PROCÉDURES PÉNALE ET FISCALE

233. Pluralité de ne bis in idem. – Au sein des sources internationales, la règle ne bis in
idem est consacrée par de nombreux textes qui lui confèrent une portée différente. Le principe
figure notamment au sein du Pacte international relatif aux droits civils et politiques en son
article 14 paragraphe 7. Ne prohibant que les cumuls en matière pénale stricto sensu, cette
disposition est inopérante dans le cadre du cumul entre les procédures pénale et fiscale1070. Les
instruments européens offrent quant à eux au principe ne bis in idem une portée bien plus
étendue. Proclamé dans le cadre du Conseil de l’Europe au sein de l’article 4 du protocole n°7
additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales
ainsi qu’à l’article 50 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, la règle ne
bis in idem est élevée en droit européen au rang des droits fondamentaux. Dans le but d’offrir
aux contribuables une protection maximale, les juridictions européennes ont rapidement adopté
une lecture extensive du champ d’application de ce principe. Dans cette optique, l’addition des
répressions en matière fiscale a pu être examinée sous l’angle du principe interdisant les doubles
poursuites. Chacune des juridictions européennes que sont d’une part, la Cour européenne des
droits de l’homme (Section I) et, d’autre part, la Cour de justice de l’Union européenne (Section
II) a encadré substantiellement l’hypothèse du cumul des procédures pénale et fiscale. Par
l’effet du dialogue constant entre ces deux juridictions1071, leurs jurisprudences à propos de
l’encadrement du cumul des procédures pénale et fiscale se sont réciproquement influencées.

1070
L’article 14§7 du PIDCP énonce que « Nul ne peut être poursuivi ou puni en raison d'une infraction pour
laquelle il a déjà été acquitté ou condamné par un jugement définitif conformément à la loi et à la procédure
pénale de chaque pays ». Son domaine est expressément limité à la matière pénale stricto sensu. Aussi la Cour de
cassation écarte-t-elle l’application de ce principe au cas de cumul entre les poursuites pénale et fiscale. Elle juge
de manière constante que « cette règle ne trouve à s'appliquer que dans le cas où une même infraction pénale,
ayant déjà donné lieu à un jugement définitif de condamnation ou d'acquittement, ferait l'objet d'une nouvelle
poursuite et, le cas échéant, d'une condamnation devant ou par une juridiction répressive » (Cass. crim., 6
novembre 1997, n°96-86.127, Cass. crim., 10 novembre 1999, n°98-84.076). Le juge fiscal adopte la même attitude
en affirmant que « la règle "non bis in idem" (…) ne trouve à s'appliquer que dans le cas où une même infraction
pénale ayant déjà donné lieu à un jugement définitif de condamnation ou d'acquittement ferait l'objet d'une
nouvelle poursuite et, le cas échéant, d'une condamnation devant ou par une juridiction répressive » (CE, Avis, 4
avril 1997, n°183658).
1071
Les cours européennes adoptent par exemple une approche similaire dans les conditions d’application du
principe ne bis in idem en exigeant une triple identité entre les personnes, les procédures et les faits poursuivis. À
ce titre, la CJUE a expressément adopté la même lecture que la CEDH en s’appropriant les critères dégagés dans
l’arrêt Engel c/ Pays-Bas du 8 juin 1976 : V. infra, n°271.

207
SECTION I. L’ENCADREMENT DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS
DE L’HOMME

234. La portée limitée de l’article 4 du protocole n°7 en droit interne. – Sur le fondement
de l’article 4 du protocole n°7 additionnel à la Convention, la Cour européenne a développé une
jurisprudence remarquable pour contraindre les États membres à encadrer les hypothèses de
cumul entre les procédures pénale et fiscale (§1). Cependant, ces limitations sont inapplicables
en droit interne par l’effet d’une réserve formulée par le gouvernement français (§2).

§1. L’existence d’un encadrement du cumul

235. Consécration tardive et extérieure à la Convention. – Dans le texte initial de la


Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales signé à Rome
le 4 novembre 19501072, aucune disposition ne prévoyait le droit à ne pas être jugé ou puni deux
fois. Il a fallu attendre le 22 novembre 19841073 pour que soit adopté le protocole n°7 additionnel
à la Convention, qui énonce en son article 4§1 la maxime ne bis in idem en ces termes : « Nul
ne peut être poursuivi ou puni pénalement par les juridictions du même État en raison d’une
infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné par un jugement définitif
conformément à la loi et à la procédure pénale de cet État »1074. Lorsque l’hypothèse du cumul
des procédures fiscale et pénale a été confrontée à cette disposition devant la Cour européenne
des droits de l’homme, celle-ci a considéré que leur complémentarité permettait d’écarter
l’application dudit principe (A). La Cour européenne exige toutefois que cette complémentarité
se traduise par l’existence d’un lien temporel et matériel étroit entre les procédures (B).

1072
La Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales a été ouverte à la signature
le 4 novembre 1950 et entrée en vigueur le 3 septembre 1953.
1073
Son entrée en vigueur était prévue à compter de la septième ratification d’un État membre qui interviendra
quatre ans après par la ratification du Danemark le 1er novembre 1988.
1074
Art. 4§1 du Protocole n°7 additionnel à la Conv. EDH, al. 1er. Le deuxième alinéa du texte prévoit des
dérogations (possibilité de réouverture d’un procès en cas de faits nouveaux ou de la présence d’un vice
fondamental dans la procédure), que l’alinéa 3 proscrit au titre de l’article 15 de la Convention (dérogation en cas
d’état d’urgence).

208
A) L’affirmation du principe de complémentarité des procédures pénale et fiscale

236. Lecture extensive des termes de ne bis in idem. – Dans le but d’offrir aux
contribuables une protection maximale du droit de ne pas être jugé deux fois pour la même
chose, la Cour européenne a toujours adopté une lecture extensive du principe ne bis in idem.
La règle, qui n’est envisagée dans le seul cadre national et non lorsque des procédures sont
engagées dans différents États1075, interdit le cumul de procédures répressives à l’encontre de
la même personne et pour les mêmes faits. La maxime postule une triple identité entre les
procédures, les personnes et les faits poursuivis. Tout d’abord, l’article 4§1 du protocole n°7 ne
s’applique qu’à l’occasion d’une poursuite ou d’une condamnation de nature pénale. Les deux
procédures subies par le justiciable doivent être de nature pénale, étant observé que la Cour
européenne a défini des critères étendus pour déterminer l’appartenance à la matière pénale1076.
Ensuite, la règle interdit le cumul des procédures à l’encontre d’une même personne. Dès lors
que les procédures visent des personnes ou des entités juridiques distinctes1077, le cumul n’est
plus prohibé. Enfin, la règle ne bis in idem ne s’applique qu’à raison des mêmes faits. Par le
passé, la conception du terme « idem » a fait l’objet de différentes approches par la Cour de
Strasbourg. Celle-ci a longtemps hésité entre une conception factuelle1078, privilégiant l’idem
factum indépendamment de la qualification juridique donnée en droit interne, et une conception
juridique1079, tournée autour de l’idem crimen et admettant l’idée qu’un même comportement
factuel puisse faire l’objet de plusieurs qualifications infractionnelles. Cette dernière lecture

1075
Il s’agit d’une jurisprudence constante des organes du Conseil de l’Europe : Comm. EDH, 20 mai 1994, E. G.
M c/ Luxembourg, req. n°24015/94 ; Cour EDH, 16 janvier 1995, Gestra c/ Italie, req. n°21072/92 ; Cour EDH, 4
septembre 2014, Trabelsi c/ Belgique, req. n°140/10 : AJDA 2014. 1688, obs. J.-M. PASTOR, Dr. pén. 2014,
comm. 144, obs. V. PELTIER.
1076
V. supra, n°71 et s.
1077
V. notamment pour l’autorisation du cumul de deux procédures visant une personne physique puis une
personne morale : Cour EDH, 20 mai 2014, Pirttimäki c/ Finlande, req. n°35232/11, §51 : V. infra, n°294 et s.
1078
Cette première approche trouve une illustration dans sa décision Gradinger c/ Autriche : Cour EDH, 23 octobre
1995, Gradinger c/ Autriche, req. n°15963/90, §55: AJDA 1996. 376, chron. FLAUSS ; RFDA 1997. 1, étude
Moderne ; RSC 1996. 487, obs. KOERING-JOULIN ; JCP G 1996. I. 39120, chron. SUDRE. Dans cette affaire,
la requérante avait été condamnée au pénal pour homicide par imprudence puis s’était vue infliger une amende
aux termes d’une procédure administrative ouverte pour conduite sous l’emprise de l’alcool.
1079
Cette seconde approche a été adoptée par la Cour EDH dans sa décision Oliveira : Cour EDH, 30 juillet 1998,
Oliveira c/ Suisse, req. n°25711/94, §26 : AJDA 1998. 984, chron. FLAUSS ; RSC 1999. 384, obs. KOERING-
JOULIN. En l’espèce, la requérante avait été condamnée pour défaut de maîtrise de son véhicule ainsi que pour
blessures par imprudence. La Cour EDH y voit là une hypothèse de concours idéal d’infractions dans laquelle un
même fait peut s’analyser en deux infractions distinctes. V. aussi pour cette approche juridique : Cour EDH 2
juillet 2002, Goktan c/ France, req. n°33402/96, §50 ou Cour EDH 24 juin 2003, Gauthier c/ France, req. n°
61178/00.

209
présentait l’inconvénient de permettre aux États d’échapper à l’application de la règle ne bis in
idem en qualifiant distinctement un même comportement factuel. Conscients de ces lacunes, les
magistrats de la Cour européenne ont préféré examiner attentivement les éléments essentiels
des infractions en cause1080, indépendamment de leur dénomination juridique en droit interne.
Dès lors que les éléments constitutifs des infractions se recoupent, le cumul est prohibé. Par la
suite, la Cour européenne a harmonisé sa position dans un arrêt Zolotoukhine c/ Russie1081 par
lequel elle a, à l’occasion d’une affaire ayant donné lieu à un cumul de poursuites pour des faits
d’atteintes à l’ordre public, manifesté définitivement son assentiment pour la conception
factuelle de l’idem. Désormais, l’article 4§1 du protocole n°7 interdit l’addition de poursuites
ou de condamnations de « faits identiques ou des faits qui sont en substance les mêmes »1082,
constituant « un ensemble de circonstances factuelles concrètes impliquant le même
contrevenant et indissociablement liées entre elles dans le temps et l’espace »1083.

237. Application des critères ne bis in idem à la matière boursière. – Cette interprétation
extensive et protectrice de la maxime ne bis in idem a été confortée par l’arrêt Grande Stevens
c/ Italie1084 rendu le 4 mars 2014, dans lequel la Cour européenne s’est prononcée sur la
conventionalité du cumul entre les poursuites pénale et administrative applicable en matière
boursière. Appliquant sa conception factuelle de l’idem définie dans sa décision Zolotoukhine,
elle a affirmé que le seul constat d’une nouvelle poursuite pour une seconde infraction ayant
pour origine des faits identiques à la première suffisait à conclure à la violation de la règle
inscrite à l’article 4§1 du protocole additionnel n°71085.

238. Application des critères ne bis in idem à la matière fiscale. – La rigueur du


raisonnement de la juridiction européenne s’agissant de l’interdiction des doubles poursuites
laissait craindre que l’addition des procédures en matière fiscale ne résiste pas à l’examen de la

1080
La Cour européenne a opté pour cette approche dans une décision Franz Fischer c/ Autriche : Cour EDH, 29
mai 2001, Franz Fischer c/ Autriche, req. n°3402/96, §31. V. aussi Cour EDH, 30 mai 2002, W. F. c/ Autriche,
req. n°38275/97, §27 ; Cour EDH, 6 juin 2002, Sailer c/ Autriche, req. n°38237/97, §27.
1081
Cour EDH, gr. ch., 10 février 2009, Sergueï Zolotoukhine c/ Russie, req. n°14939/03 : D. 2009. 2014, note
PRADEL ; RSC 2009. 675, obs. ROETS ; RD publ. 2010. 873, note SURREL ; JCP G 2009. I. 143, chron.
SUDRE ; H.-P. MOCK, Ne bis in idem : Strasbourg tranche en faveur de l'identité des faits : RTDH 2009, p. 867 et
s.
1082
Ibid, §82.
1083
Ibid, §84.
1084
Cour EDH, 4 mars 2014, Grande Stevens c/ Italie, req. n°18640/10, 18647/10, 18663/10, 18668/10 et
18698/10 : préc.
1085
Cour EDH, 4 mars 2014, préc. §227 et 228.

210
conventionalité du système. En raison de l’appartenance des sanctions fiscales à la sphère
pénale1086, il ne fait nul doute que le contribuable qui s’est vu infliger des pénalités fiscales a
déjà fait l’objet d’une condamnation au sens de l’article 4§1 du protocole n°7. En outre, la
procédure pénale menée à son encontre a pour origine les mêmes faits ayant donné lieu à
l’application de sanctions fiscales1087. L’application stricte des précédents jurisprudentiels
aurait pu conduire à prohiber l’hypothèse du cumul des procédures pénale et fiscale applicable
en droit interne au regard du principe ne bis in idem.

239. Énoncé d’un principe de complémentarité des procédures pénale et fiscale : la


décision A et B c/ Norvège. – La Cour européenne a été saisie de cette question lors de l’examen
d’une requête1088 présentée par deux ressortissants norvégiens qui avaient tiré profit de diverses
transactions de reventes d’actions en société, sans toutefois en déclarer l’existence aux autorités
fiscales. Ceux-ci ont fait l’objet d’un redressement fiscal entraînant une majoration d’impôt
puis ont été attraits devant la juridiction pénale du chef de fraude fiscale aggravée. Devant la
juridiction européenne, ils estimaient avoir été poursuivis et condamnés deux fois pour la même
chose, en violation de l’article 4 du protocole n°7 à la Convention. Réunis en grand chambre,
les magistrats de la Cour ont conclu à la majorité de seize voix contre1089, à l’absence de
violation de la maxime ne bis in idem dans une décision A et B c/ Norvège du 15 novembre
20161090. Selon la Cour, la conventionalité du système de double poursuite repose sur l’idée que
les procédures ne constituent pas deux « bis » distincts, mais un seul et même ensemble
répressif qui, formant « un tout cohérent », permet de « traiter sous ses différents aspects le
problème social en question »1091. Il est désormais nécessaire de distinguer, au sein même de
l’article 4§1 du protocole additionnel n°7, les procédures similaires dont le cumul est prohibé,
des procédures mixtes pour lesquelles le cumul est autorisé. Le raisonnement de la Cour
européenne s’inscrit donc directement dans la filiation des décisions Cahuzac et Wildenstein

1086
V. supra, n°71 et s.
1087
Cons. const., QPC, 24 juin 2016, n°2016-545 et n°2016-546, préc. : V. supra, n°126 et s.
1088
En réalité, la Cour EDH avait déjà été saisie de cette question dans des affaires antérieures : V. notamment
Cour EDH, 20 août 2014, Nykänen c/ Finlande, req. n°11828/11 ; Cour EDH, 27 novembre 2014, Lucky Dev c/
Suède, req. n°7356/10, §58.
1089
L’opinion du juge dissident Monsieur Pinto de Albuquerque, a été retranscrite dans un long exposé joint à la
décision : Cour EDH, gr. ch., 15 novembre 2016, A et B c/ Norvège, req. n°24130/11 et n°29758/11, p. 58 et s.
1090
Cour EDH, gr. ch., 15 novembre 2016, A et B c/ Norvège, req. n°24130/11 et n° 29758/11 : D. actu.
21 novembre 2016, obs. J.-M. PASTOR ; AJDA 2016. 2190 ; D. 2017. 128. Obs. J.-F. RENUCCI et
A. RENUCCI ; AJ pénal 2017. 45, obs. M. ROBERT ; RSC 2017. 134, obs. D. ROETS ; Dr. pén. 2017. comm.
14, obs. V. PELTIER ; JCP G 2017. 183, note O. DECIMA.
1091
Cour EDH, gr. ch., 15 novembre 2016, A et B c/ Norvège, préc., §121.

211
rendues quelques mois plus tôt par le Conseil constitutionnel1092. Tout comme le principe de
nécessité des délits et des peines énoncé dans le corpus constitutionnel, la règle européenne ne
bis in idem est mise en échec par le recours à la notion de complémentarité des procédures
pénale et fiscale. La nature intrinsèque de chacune des procédures pénale et fiscale est niée au
nom d’un principe d’unité. Les procédures ne se répètent plus1093, elles sont complémentaires
et leur cumul, qui ne devient qu’apparent, est parfaitement acceptable.

240. Fondement de la conventionalité du cumul des procédures pénale et fiscale :


gravité de la fraude fiscale. – Dans la jurisprudence européenne, l’argument tiré de la
complémentarité des procédures n’est pas contemporain de la décision A et B c/ Norvège. La
Cour européenne a précédemment admis qu’un même comportement puisse recevoir plusieurs
sanctions lorsque celles-ci s’analysent en un ensemble unique. Ce raisonnement s’est d’abord
développé en matière de circulation routière1094 où sont souvent cumulativement engagées des
poursuites pénale et administrative. Si techniquement le raisonnement est similaire en matière
fiscale, les magistrats de la Cour européenne se sont attachés dans leur décision A et B c/
Norvège à justifier, de façon plus approfondie, le fondement de la complémentarité des
procédures. Selon les termes de la décision, la répétition de procédures n’est tolérable que s’il
s’agit de combattre des « comportements socialement inacceptables », tels que « le non-
paiement des impôts ou l’évasion fiscale »1095. Ce critère fait directement écho à la réserve
constitutionnelle tirée de la gravité de la fraude, à la différence près que selon les magistrats de
la Cour européenne, la gravité de la fraude est présumée, indépendamment de son montant et
du comportement du contribuable. Pour la Cour, la fraude fiscale est par nature suffisamment
grave pour permettre aux juridictions nationales d’opter pour une réponse répressive plurielle
infligée par deux autorités différentes. Au nom de la gravité du comportement en cause, la Cour
européenne préserve ici la faculté pour les États membres de choisir la manière dont ils
entendent réprimer ces comportements jugés inacceptables. Aussi le véritable fondement du
contrôle de conventionalité du cumul des procédures pénale et fiscale réside-t-il dans le principe

1092
V. supra, n°199 et s.
1093
Le caractère mixte des procédures supplante désormais le critère tiré de l’existence d’une décision définitive.
1094
Cour EDH, 30 mai 2000, R.T. c/ Suisse, req. n° 31982/96 : dans cette affaire, le requérant s’était vu retirer son
permis de conduire puis avait été condamné par la juridiction pénale suisse à une peine d’emprisonnement avec
sursis ainsi qu’à une amende de 1 100 francs. Saisie d’une violation du principe ne bis in idem, la Cour rejeta
l’argument aux motifs qu’il ne pouvait y avoir là une répétition de poursuites pénales au sens de l’article 4§1 du
protocole additionnel n°7 à la Convention ; V. aussi Cour EDH, 13 décembre 2005, Nilsson c/ Suède, req.
n°73661/01.
1095
Cour EDH, gr. ch., 15 novembre 2016, A et B c/ Norvège, préc., §121.

212
de subsidiarité, lequel accorde une priorité aux règles nationales lorsque celles-ci respectent les
standards posés par la Convention1096. Certains auteurs1097 ont vu là un fondement de pure
opportunité au nom duquel la Cour européenne aurait, à tort, diminué sa protection
conventionnelle des droits fondamentaux. Alors que dans sa décision Grande Stevens elle avait
offert à la règle ne bis in idem une application maximale, l’arrêt A et B c/ Norvège est perçu
comme un véritable rétropédalage, la Cour européenne cherchant en matière fiscale à préserver
les intérêts étatiques au détriment de ceux des justiciables. Il est vrai que l’importante
mobilisation des États membres dans le cadre de cette affaire1098 a révélé l’attachement des
membres du Conseil de l’Europe à leur souveraineté, particulièrement en matière fiscale. C’est
justement au nom de cette souveraineté et des spécificités de la matière fiscale que la Cour a
laissé aux États la possibilité de choisir la réponse la mieux adaptée. Si le raisonnement paraît
parfaitement rigoureux eu égard à la fonction d’uniformisation de la juridiction strasbourgeoise,
son postulat initial est largement fallacieux. Tous les manquements fiscaux ne peuvent être
punis par l’addition des deux répressions pénale et fiscale, au risque de dévoyer leur nécessaire
complémentarité. S’il paraît légitime de permettre aux États d’incriminer la fraude fiscale,
l’application de la sanction pénale doit être réservée aux cas de fraudes légalement identifiés
comme étant les plus graves. La gravité d’une fraude fiscale ne saurait être présumée à raison
de sa nature. Fort heureusement, le raisonnement de la Cour implique que la complémentarité
des procédures se traduise concrètement par l’existence d’un lien temporel et matériel suffisant.

1096
Au nom du principe de subsidiarité, la Cour EDH attache une importance particulière à ce que chaque État
tienne compte de sa propre réalité juridique, sociale et économique pour réceptionner dans son ordre juridique les
standards imposés par les normes conventionnelles. Elle n’entend pas obtenir une uniformatisation complète des
droits étatiques mais une simple harmonisation dans le respect des principes garantis par la Convention et ses
protocoles. Une des manifestations de ce principe réside dans la marge d’appréciation laissée aux États membres :
V. sur ce sujet, M. DELMAS-MARTY et M.-L. IZORCHE, Marge nationale d'appréciation et internationalisation
du droit, Réflexions sur la validité d'un droit commun formaliste : RID comp. 2000. 753. ; F. TULKENS et L.
DONNAY, L'usage de la marge d'appréciation par la Cour EDH : paravent juridique superflu ou mécanisme
indispensable par nature ? : RSC 2006. 3.
1097
V. notamment, G. BEAUSSONIE et V. LEPAUL, Cumuls répressifs : Ne bis in idem évincé par la
proportionnalité : Les Nouvelles Fiscales, n°1223, 1er juin 2018 ; A.-V LE FUR et D. SCHMIDT, Le traitement
du cumul des sanctions administratives et pénales en droit interne : entre incohérences et insécurité juridique : D.
2016, 2126 ; D. LACHAL, Chronique de jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme (année 2016),
Journal du droit international n°3, juillet 2017, chron. 9 ; O. DECIMA, Unum in idem : cumul des sanctions pénales
et fiscales : JCP G 2017, n°7-8, 183.
1098
Six États sont intervenus en qualité de tiers dans la procédure écrite et ont produit des observations écrites
conformément aux articles 36§2 de la Convention et 44§3 du règlement (les gouvernements de la Bulgarie, de la
Grèce, de la France, de la République de Moldova, de la République tchèque et de la Suisse).

213
B) Les traductions du principe de complémentarité des procédures pénale et fiscale

241. Introduction du critère du lien matériel et suffisant. – Si la Cour européenne n’a pas
proscrit per se le cumul des procédure pénale et fiscale, sa décision ne constitue pas pour autant
un blanc-seing au profit des autorités nationales. La juridiction exige en effet que la
complémentarité se traduise par l’existence d’un lien temporel et matériel suffisant entre les
procédures ainsi additionnées. À défaut de caractériser ce lien, le postulat tiré de la
complémentarité des procédures fait défaut et le cumul entre elles ne respecte pas les exigences
de l’article 4§1 du protocole n°7 additionnel à la Convention. C’est à l’occasion de l’affaire
Nilsson1099 que la Cour européenne a pour la première fois introduit le critère du lien temporel
et matériel suffisant. En l’espèce, un individu avait été contrôlé sur la route en état d’ébriété.
Ce comportement avait donné lieu à l’affliction par le juge pénal d’une peine de cinquante
heures de travail d’intérêt général, puis d’un retrait de permis d’une durée de dix-huit mois par
le juge administratif. Le grief du requérant tiré du principe ne bis in idem avait rapidement été
balayé par les magistrats de la Cour européenne, lesquels avaient considéré que l’existence d’un
lien matériel et temporel suffisamment étroit entre les procédures suffisait à considérer la
mesure de retrait du permis de conduire comme l’une des mesures prévues par le droit interne
pour réprimer les délits de conduite en état d’ébriété. Dès lors, il n’y avait pas lieu de considérer
que le requérant avait fait l’objet d’une double poursuite contraire à la règle édictée à l’article
4§1 du protocole n°7.

242. Contenu du critère. – Pour convaincre la Cour de l’absence de « bis », les États
membres doivent pouvoir démontrer que les procédures sont unies par un lien temporel et
matériel suffisant. C’est à cette seule condition que le cumul des procédures peut être
acceptable. Ce critère est longtemps demeuré dans un état embryonnaire. Dans la décision
Nilsson précitée, aucun élément pertinent n’a été dicté par la Cour européenne pour appréhender
son contenu. La jurisprudence européenne s’est affinée au fil des années et plusieurs éléments
permettent désormais de caractériser la suffisance du lien matériel et temporel.

243. Lien matériel suffisant. – S’agissant d’une part du lien matériel, la Cour a défini
plusieurs indices à prendre en compte pour s’assurer de son existence. Dans sa décision A et B

1099
Cour EDH, 13 décembre 2005, Nilsson c/ Suède, préc.

214
c/ Norvège, la Cour énonce quatre critères1100, qui seront repris dans ses décisions
postérieures1101, que sont la complémentarité des buts des procédures, la prévisibilité du cumul,
l’interaction entre les autorités compétentes et la proportionnalité des sanctions.

244. Complémentarité des buts des procédures. – Le premier de ces indices exige que les
procédures visent des buts complémentaires, étant observé que la complémentarité doit
s’apprécier tant in abstracto que in concreto. Selon les termes de la Cour européenne des droits
de l’Homme, les procédures en cause doivent traiter « des aspects différents de l’acte
préjudiciable à la société en cause »1102. Dans l’affaire A et B c/ Norvège, les magistrats
européens ont tout d’abord constaté la finalité essentiellement dissuasive de la sanction
administrative, laquelle a pour but « d’inciter le contribuable à respecter son obligation de
fournir des informations complètes et exactes et de renforcer les fondations du système fiscal
national, condition indispensable au bon fonctionnement de l’État et, partant, de la
société »1103. Quant à elle, la sanction pénale disposerait de vertus à la fois dissuasives et
répressives. Au regard de sa jurisprudence globale, le raisonnement de la Cour européenne est
ici dépourvu de cohérence. En effet, celle-ci a développé une abondante jurisprudence
assimilant les sanctions fiscales aux sanctions pénales, à raison justement de leur dimension
éminemment répressive. Ainsi, elle considère que les sanctions fiscales relèvent du volet pénal
de l’article 6 de la Convention, parfois en dépit du caractère particulièrement faible du montant
de la majoration d'impôt1104. Dans sa décision A et B c/ Norvège, la Cour a brutalement écarté
les critères de définition de la matière pénale précédemment définis pour entériner la
complémentarité des buts des procédures pénale et fiscale. Elle tente de s’en expliquer sur le
fondement du défaut d’appartenance des sanctions fiscales au « noyau dur du droit pénal »1105,
lui-même basé sur l’absence de caractère infamant de la procédure fiscale1106. Cette scission,
qui ne prend appui sur aucun argument juridique ou textuel, n’est aucunement acceptable.
S’agissant du droit français, les réformes législatives successives ont fait basculer la procédure

1100
Cour EDH, gr. ch., 15 novembre 2016, A et B c/ Norvège, préc. §132.
1101
V. notamment, Cour EDH, 5ème sect., 6 juin 2019, Nodet c/ France, req. n°47342/14, §42.
1102
Cour EDH, gr. ch., 15 novembre 2016, A et B c/ Norvège, préc. §132.
1103
Ibid, §144.
1104
Dans la décision Jussila, la Cour EDH a conclu à l’applicabilité de l’article 6 de la Convention pour une
majoration d’impôt de 10% : Cour EDH, gr. ch., 23 novembre 2006, Jussila c/ Finlande, req. n°73053/01, préc.
1105
Cour EDH, gr. ch., 15 novembre 2016, A et B c/ Norvège, préc. §133.
1106
Nous avons vu précédemment que la procédure fiscale présentait à bien des égards un caractère infamant
permettant de conclure à l’appartenance au noyau dur du droit pénal : V. supra, n°79 et s.

215
fiscale vers une approche largement infamante1107, la faisant nécessairement basculer dans ce
noyau dur. Si la frilosité de la Cour européenne est encore une fois motivée par la marge de
manœuvre qu’elle entend laisser aux États dans le choix de réprimer la fraude fiscale 1108, elle
exclut un contrôle approfondi à l’endroit des buts assignés aux procédures pénale et fiscale,
postulat qui légitime pourtant leur complémentarité et partant, la conventionalité de leur cumul.

245. La prévisibilité du cumul. – Le deuxième des indices élaborés par la Cour européenne
pour déterminer la suffisance du lien matériel est tiré du caractère prévisible du cumul des
poursuites. Selon la Cour, la mixité des procédures doit être pour le justiciable une conséquence
prévisible, tant en théorie qu’en pratique1109. Dans la décision A et B c/ Norvège, les magistrats
européens ont estimé que, « compte tenu du dossier », les requérants ne pouvaient « ignorer
que des poursuites pénales s’ajoutant à une majoration d’impôt étaient de l’ordre du possible,
voire du probable »1110. Ce critère impose donc de déterminer précisément dans quelle
hypothèse la sanction pénale est susceptible de s’ajouter à la sanction fiscale. Il ne suffit pas de
caractériser une simple possibilité d’adjonction de la procédure pénale mais une véritable
probabilité. Pour le justiciable, l’hypothèse du cumul doit être objectivement prévisible. En
droit interne, l’indétermination et la subjectivité1111 du critère de gravité tel qu’énoncé par le
Conseil constitutionnel dans ses décisions Cahuzac et Wildenstein1112 ne garantit pas le respect
de cette exigence.

246. Interaction entre les autorités compétentes. – Le troisième indice pour déterminer la
présence d’un lien matériel réside dans l’absence de répétition dans la collecte et dans
l’appréciation des preuves. Selon la Cour, il peut à ce titre être caractérisé « une interaction
adéquate entre les diverses autorités compétentes, faisant apparaître que l’établissement des
faits effectué dans l’une des procédures a été repris dans l’autre »1113. Il est nécessaire de

1107
La publicité des sanctions fiscales est un élément permettant de conclure au caractère infamant de la procédure
fiscale : V. supra, n°81.
1108
Pour l’examen de ce premier indice dans l’affaire A et B c/ Norvège, la Cour EDH s’en remet explicitement à
la latitude des États membres dans le choix de choisir une procédure mixte pour condamner la fraude fiscale : Cour
EDH, gr. ch., 15 novembre 2016, A et B c/ Norvège, préc. §146.
1109
Cour EDH, gr. ch., 15 novembre 2016, A et B c/ Norvège, préc. §12 ; Cour EDH, 27 février 2015, Lucky Dev
c/ Suède, req. n°7356/10, §62.
1110
Cour EDH, gr. ch., 15 novembre 2016, A et B c/ Norvège, préc. §146.
1111
V. supra, n°224 et s.
1112
V. supra, n°199 et s.
1113
Cour EDH, gr. ch., 15 novembre 2016, A et B c/ Norvège, préc. §132.

216
déceler une complémentarité des autorités tant au stade de l’établissement des faits qu’au
moment de leur appréciation. Il est regrettable que ce critère apparaisse secondaire aux yeux
des magistrats européens1114. La complémentarité de l’appréciation des faits est en effet un
élément essentiel pour garantir la thèse de l’unicité des procédures. Le comportement fautif du
contribuable doit pouvoir être apprécié de manière cohérente par les deux juges ayant à
connaître du dossier1115. Le contrôle de la Cour européenne mériterait à cet endroit un
approfondissement plus poussé. Pour vérifier en droit norvégien la présence de cet indice, les
juges européens ont sommairement énoncé que les procédures étaient imbriquées, car les faits
établis dans l’une des procédures ont été repris dans l’autre. Ils n’ont pas distingué si la
deuxième autorité a simplement traité des mêmes faits que la première ou si elle a repris pour
son compte l’appréciation de son homologue. Fort heureusement, la Cour européenne s’est
montrée plus exigeante à l’égard de ce critère dans une affaire Bjarni Ármannsson jugée le 16
avril 20191116. En l’espèce, la Cour a relevé que le comportement du requérant et la
responsabilité de celui-ci ont été examinés par différentes autorités lors de procédures en grande
partie indépendantes l’une de l’autre. Cet élément a été déterminant dans la caractérisation
d’une violation de l’article 4§1 du protocole n°7 additionnel. Cette dernière solution met à mal
le traditionnel principe d’indépendance formulé à l’endroit des procédures pénale et fiscale dans
la jurisprudence interne1117. Il n’est pas certain que la réserve constitutionnelle imposant au juge
pénal de prendre en compte l’existence d’une décharge définitive pour un motif de fond sur le
plan fiscal1118, qui n’assure aucunement une complémentarité au stade de l’appréciation des
faits1119, permette au cumul des procédures de respecter les exigences de la juridiction
strasbourgeoise.

247. Proportionnalité des sanctions. – Le quatrième et dernier indice de la présence d’un


lien matériel résulte de la proportionnalité des sanctions encourues. Afin de ne pas faire porter
au justiciable un « fardeau excessif »1120, la Cour européenne impose à la seconde autorité de

1114
En témoigne la formulation utilisée par la Cour : « le point de savoir si les procédures en question ont été
conduites d’une manière qui évite autant que possible toute répétition dans le recueil et dans l’appréciation des
éléments de preuve » (c’est nous qui soulignons).
1115
V. en ce sens, L. AYRAULT, Droit fiscal européen des droits de l'homme : chronique de l'année 2016 : Dr.
fisc. n°9, 2 mars 2017, 191.
1116
Cour EDH, 16 avril 2019, Bjarni Ármannsson c/ Islande, req. n°72098/14.
1117
V. supra, n°113 et s.
1118
V. supra, n°201.
1119
V. infra, n°350 et s.
1120
Cour EDH, gr. ch., 15 novembre 2016, A et B c/ Norvège, préc. §132.

217
prendre en compte la sanction infligée par la première. Elle promeut l’existence d’un
« mécanisme compensatoire conçu pour assurer que le montant global de toutes les peines
prononcées est proportionné »1121. Bien que la proportionnalité au stade du prononcé des
sanctions apparaît comme l’élément déterminant pour la juridiction européenne1122, celle-ci a
validé le système norvégien dans une formule lapidaire. Elle a simplement constaté que « la
sanction pénale a tenu compte de la majoration d’impôt »1123. Ce faisant, le contrôle de la Cour
européenne est largement en-deçà des attentes habituelles en la matière. Le principe ne bis in
idem ne prohibe pas simplement le cumul de sanctions mais vise aussi à empêcher toute
nouvelle poursuite. Or, le critère de proportionnalité agit uniquement au stade de la sanction et
n’interdit pas que deux procédures soient menées à l’encontre du contribuable. Ainsi, lorsque
la première procédure n’aboutit pas au prononcé d’une véritable sanction, le mécanisme
compensatoire posé par la Cour européenne ne s’applique pas, alors même que le contribuable
subit l’affront de deux procédures cumulées. Le juge dissident relève de manière salutaire que
ce quatrième critère constitue « un chèque en blanc » pour les États, « leur permettant d’agir à
leur guise »1124. En droit français, le mécanisme de proportionnalité a toujours été le curseur
subordonnant la constitutionnalité des hypothèses de cumul de sanctions1125. Cependant, son
efficacité est largement restreinte par son étroite application réservée aux sanctions de même
nature1126.

248. Lien temporel suffisant. – Pour que les procédures soient considérées comme
complémentaires, un lien temporel doit, d’autre part, être caractérisé entre elles. Le contenu de
ce critère temporel est plus aisé à déterminer. Pour que les procédures soient véritablement
complémentaires, la Cour européenne exige qu’elles se chevauchent dans le temps, sans
imposer pour autant qu’elles « soient menées simultanément du début jusqu’à la fin »1127.
Lorsque les procédures pénale et fiscale n’ont évolué concomitamment que sur une brève

1121
Ibid.
1122
En témoigne la formulation utilisée : « et, surtout, le point de savoir si la sanction imposée à l’issue de la
procédure arrivée à son terme en premier a été prise en compte dans la procédure qui a pris fin en dernier » (c’est
nous qui soulignons).
1123
Cour EDH, gr. ch., 15 novembre 2016, A et B c/ Norvège, préc. §146.
1124
Opinion du juge dissident Monsieur Pinto de Albuquerque, préc., p. 92.
1125
V. supra, n°193.
1126
V. infra, n°282.
1127
Cour EDH, gr. ch., 15 novembre 2016, A et B c/ Norvège, préc. §134.

218
période1128, la Cour européenne y voit un élément permettant d’exclure l’existence d’un lien
temporel suffisant et partant, la complémentarité des poursuites.

249. La détermination de la période temporelle. – Intervenu en qualité de tiers dans


l’affaire A et B c/ Norvège, le gouvernement français entendait pour l’examen de ce critère que
seules soient prises en compte les phases de contrôle fiscal et d’enquête pénale, le contribuable
pouvant choisir de ralentir les procédures judiciaire ou administrative à des seules fins
dilatoires1129. Les juges européens n’ont cependant pas entendu circonscrire le critère temporel
à la seule phase non juridictionnelle. Dans son opinion dissidente, le juge P. PINTO DE
ALBUQUERQUE regrettait l’absence de précision de la Cour s’agissant de la période à prendre
en compte pour l’examen de ce critère. Selon une première approche, il était possible de prendre
en compte la période comprise entre le moment où les deux décisions acquièrent un caractère
définitif. Il était également possible, selon une seconde approche, d’envisager le laps de temps
entre les deux décisions prononcées, indépendamment de leur caractère définitif. La première
solution semble être préférée par la Cour européenne qui établit régulièrement l’insuffisance du
lien temporel en tenant compte des dates auxquelles les décisions pénale et administrative sont
devenues définitives1130. Là encore, la solution de la juridiction européenne conduit en effet
encore une fois à se prononcer sur la complémentarité des procédures une fois que le
contribuable a subi l’affront des deux procédures. La doctrine ne manque pas de condamner
cette approche, « guère compatible avec la logique et la représentation d'un système « intégré
» qui conduisent à se placer, de préférence, au moment de l'engagement des poursuites »1131.
La conformité de la temporalité des répressions pénale et fiscale avec les exigences européennes
ne peut jamais être déterminée à l’avance. En somme, la légalité du cumul des procédures est
incertaine jusqu’à la clôture de chacune d’elles.

1128
Dans l’affaire Bjarni Ármannsson par exemple, la Cour a observé que la durée globale des deux procédures a
été d’environ cinq ans et dix mois mais que durant cette période, les procédures n’ont été concomitantes que
pendant 6 mois. Par ailleurs, le requérant avait été poursuivi devant la juridiction pénale sept mois après que la
décision du juge des impôts acquiert force de chose jugée. Le constat du défaut de chevauchement dans le temps
a été un des éléments déterminants pour dénier aux procédures leur caractère complémentaire.
1129
Le gouvernement français expliquait notamment que le contribuable pouvait multiplier les demandes, produire
de nombreuses écritures soumises au contradictoire, ou encore exercer dilatoirement les voies de recours
légalement ouvertes afin de ralentir délibérément la durée de la procédure devant l’une des juridictions (§96).
1130
V. notamment, Cour EDH, 20 mai 2014, Glantz c/ Finlande, req. n°37394/11 ; Cour EDH, 20 août 2014,
Nykänen c/ Finlande, préc. ; Cour EDH, 27 novembre 2014, Lucky Dev c/ Suède, préc ; Cour EDH, 16 avril 2019,
Bjarni Ármannsson, préc.
1131
M. PELLETIER, Nouveau requiem pour le principe non bis in idem ? : Dr. fisc. n°47, 24 novembre 2016,
comm. 603.

219
250. Faiblesse de l’encadrement de la Cour européenne. – Par sa décision A et B, la Cour
européenne n’a donc pas condamné le cumul des procédures pénale et fiscale. Lorsqu’est
constaté la présence d’un lien temporel et matériel suffisamment étroit, la complémentarité des
procédures est vérifiée et leur cumul est acceptable. La complémentarité agit comme un
catalyseur permettant de rendre le cumul acceptable. Ce critère doit être apprécié comme deux
conditions cumulatives : lorsque l’une fait défaut, la complémentarité des procédures n’est pas
vérifiée et leur cumul ne saurait satisfaire aux exigences de l’article 4§1 du protocole n°7
additionnel à la Convention. Si la jurisprudence européenne a le mérite d’imposer une
synchronisation à la fois matérielle et temporelle entre les procédures, force est de constater
que les indices fournis pour déceler cette connexion ne font pas obstacle à l’engagement de
deux procédures à l’encontre du contribuable. Ce n’est que lorsque la seconde procédure sera
close que la suffisance du lien temporel entre les deux répressions pourra être évaluée. En outre,
le critère de proportionnalité ne se vérifie qu’au stade du prononcé des sanctions, c’est-à-dire
après que les deux procédures aient été menées à l’encontre du contribuable. L’approche
strasbourgeoise invite donc à se prononcer ex post, alors que l’article 4 du protocole n°7 prohibe
non seulement le prononcé de deux sanctions mais aussi l’hypothèse d’une double
incrimination. Le principe ne bis in idem ne saurait dépendre de circonstances issues de la
seconde procédure, par nature incertaines et imprévisibles. L’application de la règle devrait
pouvoir se référer à des critères définis ex ante afin de déterminer à l’avance les conditions
conceptuelles du cumul des procédures pénale et fiscale. En ce sens, l’application d’un critère
de gravité, tel que dégagée dans la jurisprudence constitutionnelle, est préférable à l’approche
de la Cour européenne. Ce critère impose aux autorités de poursuites de vérifier en amont la
suffisance de la gravité de la fraude. Contrairement à l’approche européenne, les
comportements susceptibles de donner lieu au cumul des répressions pénale et fiscale sont
déterminés à l’avance, offrant ainsi à l’application du double régime répressif une meilleure
prévisibilité. Outre les faiblesses inhérentes à la jurisprudence de la Cour européenne, les
conditions posées à la légalité du cumul souffrent d’une effectivité limitée en droit interne.

§2. L’effectivité de l’encadrement du cumul

251. La neutralisation des limites européennes par l’existence de la réserve au


protocole n°7. – Tout en permettant aux États parties d’additionner les procédures pénale et
fiscale, la position de la Cour européenne des droits de l’homme a établi des règles encadrant

220
leur cumul. En droit interne, de nombreux plaideurs ont tenté de confronter la perspective d’une
double poursuite en matière fiscale au regard des standards ainsi posés. Ils se sont cependant
heurtés à l’existence d’une réserve émise par le Gouvernement français à l’endroit de l’article
4§1 du protocole n°7 additionnel à la Convention (A). Les prescriptions formulées par la Cour
de Strasbourg sont neutralisées par cette réserve dont la validité ne peut être discutée devant les
juridictions françaises (B).

A) La formulation de la réserve française

252. La réserve, une notion de droit international. – Empruntées au droit international


public, les réserves sont des instruments utilisés dans le cadre des relations internationales.
Selon les termes de la Convention de Vienne sur le droit des traités du 23 mai 1969, la réserve
désigne une « déclaration unilatérale, quel que soit son libellé ou sa désignation, faite par un
État quand il signe, ratifie, accepte ou approuve un traité ou y adhère, par laquelle il vise à
exclure ou à modifier l’effet juridique de certaines dispositions du traité dans leur application
à cet État »1132. Devant un traité multilatéral1133 dont les dispositions n’ont pas toutes emporté
sa conviction, un État peut choisir d’émettre une réserve. Cette technique lui permet d’accepter
l’engagement, tout en écartant ou en modifiant la portée d’une ou plusieurs de ses clauses. Par
la formulation d’une réserve, l’État pose une condition1134 à son engagement. Il s’agit pour lui
de « moduler ses obligations, de choisir à la carte et non au menu »1135. Les réserves doivent
être distinguées des simples déclarations interprétatives, par lesquelles son auteur « vise à
préciser ou à clarifier le sens ou la portée d’un traité ou de certaines de ses dispositions »1136.
Contrairement aux réserves, ces déclarations n’affectent pas l’effectivité juridique des clauses
du traité.

1132
Convention de Vienne sur le droit des traités, 23 mai 1969, art. 2§1, point d. Il faut à ce stade noter que la
France n’est pas partie à cette convention. Cependant, ses dispositions s’imposent tout de même comme codifiant
la coutume internationale.
1133
La formulation par un État d’une réserve ne se conçoit que dans le cadre d’un traité multilatéral. Dans un traité
bilatéral, lorsque certaines de ses dispositions n’emportent pas l’adhésion de l’une des parties, les négociations ont
échoué. Elles constituent alors des invitations à renégocier. V. en ce sens, J. FERNANDEZ, Relations
internationales, Dalloz, coll. « Précis », 3ème éd., août 2021, p. 315 ou D. RUZIÉ, G. TEBOUL, Droit international
public, Dalloz, coll. « Mémentos », 26ème éd., 2021, p. 52.
1134
V. en ce sens, P. REUTER, Introduction au droit des traités, PUF, 1985, p. 62.
1135
J. FERNANDEZ, Relations internationales, Dalloz, coll. « Précis », 3ème éd., août 2021, p. 316.
1136
Guide de la pratique sur les réserves aux traités, Commission du droit international, 2011, art. 1.2.

221
253. Codification des réserves en droit international. – Historiquement, la réserve peut
être considérée en droit international comme un « objet rare »1137. Jusqu’au début du 20ème
siècle, l’acceptation d’une réserve émise par un État était soumise à l’unanimité des parties
contractantes1138. Les conflits mondiaux successifs ont par la suite fait évoluer la société
internationale. La logique d’intégrité fondée sur le consentement de tous est rapidement
« devenue inaccessible en pratique »1139, laissant place à une forme d’universalisme. Dans cette
optique, les réserves favorisent l’adhésion du plus grand nombre1140. Dans un célèbre avis
consultatif de 19511141, la Cour internationale de justice a posé les premiers jalons définissant
la validité des réserves, dont les enseignements seront ensuite repris par la Convention de
Vienne de 19691142 puis par le Guide de la pratique sur les réserves au traité de 20111143. D’une
manière générale, lorsque le traité ne prohibe pas cette possibilité, les États sont libres1144
d’émettre des réserves lorsque celles-ci sont compatibles avec l’objet et le but de la
convention1145.

1137
C. NICOLAS, Y. FAURE, Le juge sur la réserve : AJDA 2018, chron. p. 2390.
1138
V. pour plus de développements à ce sujet, P. REUTER, Introduction au droit des traités, PUF, 1985, p.63 et
s.
1139
C. NICOLAS, Y. FAURE, Le juge sur la réserve, préc.
1140
Dans le même temps, les réserves sont émises au détriment de l’intégrité du traité.
1141
CIJ, Avis consultatif du 28 mai 1951 relatif aux réserves à la Convention pour la prévention et la répression
du crime de génocide, Rec. CIJ, p. 496. Certains États avaient en effet émis des réserves à la Convention pour la
prévention et la répression du crime de génocide, lesquelles ont provoqué des objections de la part de quelques
États. L’Assemblée générale des Nations Unies a donc adopté le 16 novembre 1950 une résolution visant à saisir
la Cour internationale de justice d’un avis consultatif afin de savoir si l’État ayant émis une réserve pouvait ou non
être considéré comme partie à la convention, et le cas échéant de connaître l’effet juridique de cette réserve et des
éventuelles objections des autres parties à la convention. Lors de l’examen de l’avis, deux thèses se sont affrontées.
La première soutenait la position traditionnelle de la société internationale, subordonnant la validité de la réserve
aux consentements de tous les États parties. La seconde admettait la possibilité des réserves indépendamment du
recueil de l’unanimité, à la condition qu’elles ne mettent pas en péril l’objet et le but du traité. C’est cette seconde
voie qu’a préférée la Cour internationale de justice.
1142
Convention de Vienne sur le droit des traités, 23 mai 1969, préc.
1143
En 1993, la Commission du droit international a décidé de travailler sur « Le droit et la pratique concernant
les réserves aux traités ». Plus de 20 ans plus tard, le Guide de la pratique sur les réserves au traité a vu le jour. Ce
Guide est composé de cinq parties, consacrées respectivement aux définitions, à la procédure, à la validité
substantielle des réserves et des déclarations interprétatives, aux effets juridiques des réserves et des déclarations
interprétatives, et aux réserves, acceptations des réserves, objections aux réserves et déclarations interprétatives en
cas de succession d’États.
1144
V. en ce sens, G. COHEN-JONATHAN, Les réserves à la Convention européenne des droits de l’homme (à
propos de l’arrêt Belilos du 29 avril 1988) : RGDIP, 1989, p. 277 qui évoque un système « très libéral » conduisant
à « décomposer le traité en un faisceau de relations bilatérales dominé par le principe de réciprocité ».
1145
CIJ, Avis consultatif du 28 mai 1951 relatif aux réserves à la Convention pour la prévention et la répression
du crime de génocide, préc., p. 18 ; Convention de Vienne sur le droit des traités, 23 mai 1969, préc., art. 19 à 22.

222
254. Possibilité d’émettre des réserves dans la Convention. – Depuis sa version initiale,
la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales contient en
son sein une disposition autorisant expressément les États parties à formuler des réserves. Son
article 571146 permet aux parties de « formuler une réserve au sujet d’une disposition
particulière de la Convention, dans la mesure où une loi alors en vigueur sur son territoire
n’est pas conforme à cette disposition ». Les États parties peuvent faire le choix de limiter la
portée des obligations découlant des dispositions européennes. La limitation peut porter sur une
disposition particulière de la Convention mais également sur la plupart1147 des protocoles
additionnels. Ce faisant, tous les droits contenus dans la Convention et ses protocoles ne sont
pas applicables uniformément auprès de tous les États signataires.

255. Réserve française. – La France n’a pas manqué d’user de cette faculté à l’endroit du
protocole n°7 additionnel à la Convention en formulant la réserve suivante : « le Gouvernement
de la République française déclare que seules les infractions relevant en droit français de la
compétence des tribunaux statuant en matière pénale doivent être regardées comme des
infractions au sens des articles 2 à 4 du présent Protocole »1148. En émettant une telle
déclaration, la France entendait mettre à l’abri les sanctions administratives du champ
d’application du principe européen ne bis in idem. Il s’agissait de mettre en échec la conception
extensive de la matière pénale au sens des critères dégagés dans la décision Engel1149. En
d’autres termes, « la réserve française protège de l'inconventionnalité la législation quasi
centenaire sur le cumul des sanctions administratives et pénales en matière fiscale »1150.
Spécifiquement en matière fiscale, la réserve du Gouvernement permet de ne pas confronter le
cumul des procédures à l’article 4 du protocole n°7. Parce qu’elles ne sont pas prononcées par
un tribunal statuant en matière pénale, les sanctions fiscales peuvent parfaitement se cumuler
avec les sanctions pénales. Par l’effet de la réserve, les limitations apportées par la Cour de
Strasbourg au cumul des procédures sont sans effet en droit interne. Toutefois, pour que cette

1146
Initialement, c’était l’article 64 de la Convention qui prévoyait ces réserves.
1147
Certains protocoles additionnels prohibent expressément la formulation de réserves par les États parties. Il en
est ainsi du protocole n°6 concernant l’abolition de la peine de mort (art. 4) et du protocole n°13 relatif à l’abolition
de la peine de mort en toutes circonstances (art. 3).
1148
La réserve est contenue dans l'instrument de ratification, déposé le 17 février 1986.
1149
V. en ce sens, E. BELLIARD, Le juge administratif et le contrôle des réserves aux traités : Recueil Dalloz
2019, p. 678 ; L. MILANO, Le Gouvernement refuse de lever l'incertitude sur la conventionnalité de la réserve au
principe non bis in idem : JCP G n°36, 2 septembre 2019, 876.
1150
J. LEPOUTRE, Invalidité des réserves françaises au principe non bis in idem (Convention EDH, art. 4, prot.
7) : et si les juges nationaux n'attendaient pas la Cour de Strasbourg ? : Dr. fisc. n°41, 13 octobre 2016, 537.

223
entrave produise effet, encore faut-il que la réserve française respecte les conditions de validité
imposées par la Convention européenne.

B) La validité incertaine de la réserve française

256. Doutes sur la validité de la réserve française. – Au regard de la réglementation


européenne, la validité de la réserve française n’est pas certaine (1). Pourtant, elle demeure
applicable en droit interne à raison de l’impossibilité pour les juridictions françaises d’en écarter
l’application (2).

1) Les conditions de validité des réserves au sens de la Convention

257. Conditions de validité imposées par la Convention. – La Convention de sauvegarde


des droits de l'homme et des libertés fondamentales soumet la validité des réserves à plusieurs
conditions. La réglementation de la technique des réserves en droit européen est ainsi conçue
dans un sens plus restrictif qu’en droit international, dans lequel seules sont défendues les
réserves contraires à l’objet et au but du traité1151. L’article 57 de la Convention impose tout
d’abord un critère temporel. L’État qui entend formuler une réserve doit le faire au plus tard au
moment de la signature de la Convention ou de sa ratification. Une fois l’instrument ratifié,
l’État ne peut plus ajouter des conditions sur des dispositions qu’il a précédemment acceptées.
Ensuite, l’État est autorisé à « formuler une réserve au sujet d'une disposition particulière de
la Convention, dans la mesure où une loi alors en vigueur sur son territoire n'est pas conforme
à cette disposition ». La dernière phrase du premièrement de l’article 57 prohibe en outre les
réserves à caractère général. Selon la Cour, une réserve de caractère général consiste en « une
réserve rédigée en des termes trop vagues ou amples pour que l’on puisse en apprécier le sens
et le champ d’application exacts »1152. Il ne suffit pas pour l’État de pouvoir appuyer sa réserve
sur une loi nationale. Encore faut-il, enfin, qu’il accompagne l’expression de sa déclaration
d’un « bref exposé de la loi en cause ». Selon les termes de la Cour européenne, cette dernière

1151
Art. 3.1 du Guide de la pratique sur les réserves aux traités, Commission du droit international, 2011.
1152
Cour EDH, 29 avril 1988, Marlène Belilos c/ Suisse, req. n°10328/83, §55 : RGDIP 1989. 273, note
G. COHEN-JONATHAN ; Cour EDH, 25 août 1993, Chorherr c/ Autriche, req. n°13308/87, §18 ; Cour EDH, 18
juillet 2013, Schädler-Eberle c/ Liechtenstein, req. n° 56422/09, §62.

224
condition n’impose pas une « simple exigence de forme » mais édicte une véritable « condition
de fond » constituant « à la fois un élément de preuve et un facteur de sécurité juridique » 1153.

258. Invalidité de la réserve autrichienne. – La Cour européenne apporte donc une


importance capitale à cette exigence, en témoigne sa décision Gradinger c/ Autriche1154 du 23
octobre 1995 rendue à l’occasion d’un accident de la circulation ayant provoqué la mort d’un
cycliste. Sous l’empire d’un état alcoolique au moment des faits, le conducteur avait fait l’objet
de deux condamnations par les autorités nationales, l’une devant le tribunal régional pour
homicide par imprudence, l’autre devant l’administration du district pour conduite en état
d’ébriété. Devant la Cour, le requérant se prévalait du principe ne bis in idem tel qu’il figure à
l’article 4 du protocole n°7 additionnel à la Convention. En réponse, le gouvernement autrichien
se prévalait d’une déclaration émise à l’endroit de cette disposition ayant circonscrit son
application aux seules « procédures pénales dans le sens du Code pénal autrichien »1155. Les
magistrats de la Cour européenne ont rapidement considéré que cette « déclaration » devait être
analysée en une « réserve » au sens de la Convention. Du reste, ils se sont prononcés sur sa
validité et ont d’emblée relevé « l’absence d’un bref exposé de la loi »1156. La seule référence
au Code pénal national ne suffit pas à circonscrire clairement l’étendue de la réserve ainsi
formulée. L’absence d’une liste exhaustive des procédures exemptées pour l’application du
principe ne bis in idem participe de l’indétermination de la réserve. La formulation concise de
la réserve autrichienne ne permet pas à la Cour de s’assurer que « la réserve ne va pas au-delà
des dispositions explicitement écartées par l’État concerné »1157. Sans que la juridiction n’ait
besoin d’analyser les autres critères de l’article 57 de la Convention, cette conclusion suffit à
invalider la réserve autrichienne.

259. Invalidité de la réserve italienne. – L’attention de la Cour européenne accordée à


l’existence d’un « bref exposé de la loi en cause » s’est confirmée à la lecture de l’arrêt Grande

1153
Cour EDH, 29 avril 1988, Marlène Belilos c/Suisse, préc., §55 et 59 ; Cour EDH, 22 mai 1990, req.
n°11034/84, §38 ; Cour EDH, 3 octobre 2000, Eisenstecken c/ Autriche, req. n°29477/95, §24.
1154
Cour EDH, 23 octobre 1995, Gradinger c/ Autriche, req. n°15963/90 : RSC 1996, p. 487, obs. R. KOERING-
JOULI ; AJDA 1996, p. 376, chron. J.-F. FLAUSS ; RFDA 1997 ; p. 1, étude F. MODERNE ; JCP G 1996, I,
3910, n°43, obs. F. SUDRE.
1155
La réserve a été déposée par l’Autriche le 14 mai 1986 : Cour EDH, 23 octobre 1995, Gradinger c/ Autriche,
préc., §29.
1156
Cour EDH, 23 octobre 1995, Gradinger c/ Autriche, préc., §51.
1157
Cour EDH, 29 avril 1988, Marlène Belilos c/Suisse, préc., §59.

225
Stevens et a. c/ Italie du 4 mars 20141158 rendue en matière boursière. Alors que les requérants
se plaignaient d’avoir fait l’objet d’une double poursuite contraire au principe ne bis in idem,
le Gouvernement arguait de l’inapplicabilité de la règle à raison de la réserve formulée à
l’endroit du protocole additionnel n°7. L’Italie avait en effet formulé une réserve, rédigée dans
des termes semblables à celle du Gouvernement français, aux termes de laquelle « les articles
2 à 4 du Protocole ne s'appliquent qu'aux infractions, aux procédures et aux décisions
qualifiées pénales par la loi italienne ». Selon une méthode identique à la décision Gradinger,
la Cour de Strasbourg a aussitôt relevé l’absence dans la réserve du « bref exposé » de la loi
litigieuse. Faute pour le gouvernement italien d’avoir répertorié chacune de ces procédures, la
réserve émise ne respecte pas les exigences de l’article 57 de la Convention1159.

260. Doutes sur la validité de la réserve française. – L’annulation des réserves


autrichienne et italienne a jeté un doute sur la validité de la réserve émise par le Gouvernement
français. Relevant qu’elle ne comportait pas le « bref exposé de la loi » exigé par la Cour
européenne, la majorité des auteurs ont souligné sa fragilité1160. À l’inverse, une infime partie
de la doctrine1161 voit dans la rédaction de la réserve française des précisions supplémentaires
permettant d’admettre sa validité au sens du droit européen. Contrairement à la réserve italienne
excluant l’application du principe ne bis in idem aux seules procédures qualifiées de pénales
par la loi nationale, la réserve française introduit un critère organique délimitant l’étendue de
sa limitation. La formule choisie par le Gouvernement français circonscrit l’application de la

1158
Cour EDH, 4 mars 2014, Grande Stevens et a. c/ Italie, préc.
1159
Pour la Cour, cet élément suffit là-encore à prononcer l’invalidité de la réserve, sans qu’il ne soit nécessaire
pour elle de vérifier les autres conditions imposées par l’article 57 : Cour EDH, 4 mars 2014, Grande Stevens et
a. c/ Italie : préc., §211.
1160
S. DETRAZ et E. DEZEUZE, Cumul des répressions pénale et fiscale : la Cour de cassation précise la portée
des jurisprudences constitutionnelle et européenne en la matière : JCP G, n°43, 21 octobre 2019, 1086 ; G.
COHEN-JONATHAN, Les réserves dans les traités institutionnels relatifs aux droits de l’Homme. Nouveaux
aspects européens et internationaux : RGDIP 1996, p. 915 ; S. GUINCHARD, Le droit a-t-il encore un avenir à la
Cour de cassation (qui cassera les arrêts de la Cour de cassation ?), in L’avenir du droit. Mélanges en hommage à
François TERRÉ, 1999, Dalloz, p. 761, et spéc. p. 771 ; C. DUCOULOUX-FAVARD et N. RONTCHEVSKY,
Infractions boursières : délits boursiers, manquements administratifs : Bulletin Joly 1997, n°174 ; R. KOERIG-
JOULIN, obs. sous CEDH, 25 octobre 1995, RSC 1996, p. 487 ; F. STASIAK, Les cumuls de sanctions en droit
boursier : Bulletin Joly Bourse, janvier 1997, n°20, p. 181 ; J. LELIEUR-FISCHER, La règle ne bis in idem. Du
principe de l’autorité de chose jugée au principe d’unicité de l’action répressive : Thèse, 2005, Paris I ; M. NORD-
WAGNER, La double sanction des infractions boursières à l’épreuve du principe non bis in idem : AJ pén. 2011,
p.67 ; E. DEZEUZE, Vade retro, ne bis in idem : Bulletin joly Bourse, janvier 2018, n°117f5, p. 10.
1161
V. en ce sens, E. BELLIARD, Le juge administratif et le contrôle des réserves aux traités : Recueil Dalloz
2019, p. 678 ; V. aussi les conclusions du rapporteur public C. TOUBOUL sous CE, Ass., 12 octobre 2018,
n°408567, SARL Super Coiffeur : Dr. fisc. 2019, n°11, comm. 201, note DETRAZ ; Dr. adm. 2019, comm. 7, note
G. EVEILLARD ; JCP A 2019, 2141, note L. CHAN-TUNG.

226
règle aux seules infractions « relevant en droit français de la compétence des tribunaux statuant
en matière pénale ». Cette précision fait directement écho à la jurisprudence Engel de la Cour
européenne rendue à propos du champ d’application de l’article 6 de la Convention 1162. Or,
certaines autorités peuvent être considérées comme décidant du bien-fondé d’accusations en
matière pénale au sens de l’article 6 de la Convention européenne, sans toutefois être qualifiées
en droit interne d’une juridiction statuant en matière pénale1163. En ce sens, en dépit de
l’introduction d’un critère organique, la terminologie employée par les auteurs de la réserve
française ne permet pas d’en déterminer sa véritable étendue. Faute de disposer d’un bref
exposé de la loi en cause et de prévoir une ligne de partage suffisamment claire entre les
sanctions qui relèvent de la règle ne bis in idem et celles qui en sont exclues, la limitation
française risquerait bien subir le même sort que les réserves autrichienne et italienne.

261. Une position ambiguë de la Cour européenne. – Alors qu’un sérieux doute entourait
la validité de la réserve émise par la France, la Cour européenne a introduit de manière
inattendue un paragraphe à son propos au sein de la décision A et B c/ Norvège1164. Dans cette
affaire, la juridiction strasbourgeoise était saisie d’une prétendue violation de l’article 4 du
protocole n°7 à la Convention par deux ressortissants norvégiens ayant été poursuivis pour
fraude fiscale à la fois devant les autorités fiscales et pénales. La Norvège n’ayant émis aucune
réserve limitant l’application de la règle ne bis in idem, la question de la validité des réserves
au regard de l’article 57 de la Convention ne se posait pas directement en l’espèce. Pourtant,
dans un obiter dictum1165, la Cour européenne a distingué la réserve française des réserves
autrichienne et italienne précédemment invalidées. Selon les termes de sa décision, « les
réserves formulées par l’Autriche et l’Italie ont été jugées non valables parce qu’elles n’étaient
pas accompagnées d’un bref exposé de la loi en cause comme le veut l’article 57 § 2 (…),
contrairement à la réserve émise par la France »1166. À l’appui de son argumentaire, la Cour
cite son précédent jurisprudentiel Göktan c/ France1167, dans lequel les juges de Strasbourg

1162
V. supra, n°71 et s.
1163
Il en est notamment ainsi du conseil des marchés financiers (CE, Ass., 3 décembre 1999, n°207434) devenu
l’autorité des marchés financiers (CE, 15 mai 2013, n°356054), mais aussi de la formation restreinte de la
Commission nationale de l'informatique et des libertés (CE, 12 mars 2014, n°353193) ou encore du conseil de
discipline de la gestion financière (CE, 31 mars 2004, n°243579).
1164
Cour EDH, gr. ch., 15 novembre 2016, A et B c/ Norvège, préc.
1165
La qualification d’obiter dictum ressort ici clairement du choix de la juridiction européenne d’entourer sa
précision de parenthèses.
1166
Cour EDH, gr. ch., 15 novembre 2016, A et B c/ Norvège, préc., §117.
1167
CEDH, 2 juillet 2002, Goktan c/ France, req. n°334032/96.

227
n’avaient fait que constater l’appartenance des amendes douanières au champ de la réserve1168.
Aussi la validité de la réserve française, dont le Gouvernement n’entendait pas en l’espèce se
prévaloir, n’a-t-elle tout simplement pas été examinée par la Cour européenne. En somme, la
formulation des juges européens dans l’affaire A et B ne manque pas de surprendre1169, compte
tenu, d’une part, du moment choisi par la Cour pour formuler cette précision, à l’occasion d’une
affaire qui ne concernait pas la France et dans laquelle la problématique de la validité des
réserves n’était pas en jeu et, d’autre part, en prenant appui sur l’arrêt Göktan c/ France qui
n’avait aucunement établi la validité de la réserve posée par le Gouvernement français. Depuis
cette décision, aucune précision n’a été apportée par les magistrats européens s’agissant de la
validité de la réserve française. À ce jour donc, « un épais brouillard enveloppe la validité de
la réserve »1170. Cette première incertitude en soulève une seconde, celle de savoir quelle
juridiction est compétente pour se prononcer sur la validité de la réserve française.

2) L’incompétence des juridictions françaises pour se prononcer sur la validité de


la réserve française

262. Compétence de la Cour européenne pour apprécier la validité des réserves. – La


Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ne confère pas
expressément aux organes européens compétence pour apprécier la validité des réserves. Elle
ne précise pas non plus les conséquences d’une méconnaissance des conditions formulées à
l’article 57. Dans le silence du texte, la Commission européenne des droits de l’homme a admis
dès 1982 sa compétence pour examiner la validité des réserves formulées par les États parties
dans le cadre de l’affaire Temeltasch c/ Suisse1171. À l’origine de l’affaire, un requérant se

1168
Dans cette affaire, un requérant reprochait à l’État français d’avoir violé l’article 4 du protocole n°7 à la
Convention car, en exécution du paiement d’amendes douanières, infligées en plus de peines d’emprisonnement,
il s’était vu infliger la contrainte par corps. Dans cette décision, la Cour a simplement précisé que l’amende
douanière présentant un caractère mixte, pourrait entrer dans le champ d’application de ladite réserve.
1169
L. AYRAULT, Droit fiscal européen des droits de l'homme : chronique de l'année 2016 : Dr. fisc. n°9, 2 mars
2017, 191 ; M. PELLETIER, Nouveau requiem pour le principe non bis in idem ? À propos de CEDH, gde ch.,
15 novembre 2016, n°24130/11 et n°29758/11, A et B c/ Norvège : Dr. fisc. n°47, 24 novembre 2016, comm. 603.
1170
J.-H. ROBERT, A. B. c/ Norvège : un fjord brumeux, Dr. pén. n°11, novembre 2019, comm. 187.
1171
Cour EDH, 12 octobre 1981, Temeltasch c/ Suisse, req. n°9116/80, décision sur la recevabilité de la requête.
Après la décision de recevabilité, un rapport a été transmis au Comité des Ministres le 19 juillet 1982. L’affaire
n’a pas été déférée à la Cour européenne des droits de l’homme mais un rapport de la Commission européenne des
droits de l’homme a été adopté le 5 mars 1982, admettant la compétence de la Cour pour apprécier la validité des
réserves. Sur le fond, c’est au Comité des Ministres qu’est revenu le soin de se prononcer sur la question de savoir
s’il y avait ou non violation de la Convention (résolution du 24 mars 1983).

228
plaignait d’avoir été condamné par les juridictions suisses à payer une partie des frais
d’interprète, en violation de l’article 6 de la Convention. Le Gouvernement helvétique avait
cependant formulé une déclaration interprétative selon laquelle la gratuité de l’assistance d’un
conseil et d’un interprète protégée par cette disposition ne saurait être interprétée comme
libérant définitivement le bénéficiaire du paiement des frais en résultant. À cette occasion, la
Commission européenne a explicitement reconnu sa compétence pour se prononcer sur la
conformité avec la Convention d’une réserve ou d’une déclaration interprétative dans un rapport
du 5 mars 1982 1172. Pour ce faire, elle a souligné la nature objective des obligations créées par
la Convention, qui « déborde le cadre de la simple réciprocité entre États contractants »1173.
En ce qu’elle met à la charge des parties des obligations absolues et objectives, la Convention
de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales se distingue des conventions
synallagmatiques présentes en droit international. En conséquence, la Cour doit disposer de la
compétence d’examiner la validité des réserves ou des déclarations formulées par les États
parties1174.

263. Monopole de la Cour européenne ? – Si la Cour s’est reconnue une compétence


naturelle pour s’assurer de la conformité des réserves formulées par les États, la question s’est
rapidement posée de savoir si le juge européen disposait d’un monopole en la matière. De prime
abord, aucune disposition dans la Convention n’interdit au juge national d’effectuer ce contrôle.
Bien au contraire, il pourrait avoir un rôle à jouer en sa qualité de juge « naturel »1175 de la
Convention. Ce n’est cependant pas la voie choisie par le juge interne qui, confronté à la réserve
formulée par le Gouvernement français, se comporte plus comme un simple « usager de la
réserve que comme son contrôleur »1176.

1172
Commission européenne des droits de l’homme, rapport du 5 mars 1982 sur la requête n°9116/80, p. 15 et s,
spéc. §59 et s.
1173
Ibid, §64. Cela signifie que la réserve formulée par un État membre ne doit entraîner aucune conséquence sur
la portée des obligations des autres parties.
1174
Cour EDH, 29 avril 1988, Marlène Belilos c/Suisse, préc., §50. En ce sens, cet arrêt est considéré comme
« l’un des arrêts les plus importants de la Cour européenne des Droits de l’Homme » : G. COHEN-JONATHAN,
Les réserves à la Convention européenne des droits de l’homme (à propos de l’arrêt Belilos du 29 avril 1988) :
RGDIP, 1989, p. 273 et s.
1175
V. en ce sens, V. LAMANDA, Le juge judicaire, juge naturel de la Convention de sauvegarde des droits de
l’homme et des libertés fondamentales : in La conscience des droits, Mélanges en l’honneur de Jean-Paul COSTA,
Dalloz, 2011, p. 363.
1176
Conclusions C. TOUBOUL sous CE, Ass., 12 octobre 2018, n°408567, SARL Super Coiffeur.

229
264. Position du juge administratif. – Depuis toujours, le juge administratif fait ici preuve
d’une grande prudence. Ainsi, une cour administrative d’appel ne commet pas d’erreur de droit
en écartant le moyen tiré de ce que l’administration fiscale aurait méconnu le principe ne bis in
idem tel qu’il figure au sein du premier alinéa de l'article 4 du protocole n°7 de la Convention,
en infligeant au contribuable une pénalité fiscale alors même que celui-ci avait déjà été
condamné pour ces mêmes faits devant le juge pénal1177. En d’autres termes, lorsque la réserve
française est invoquée dans le cadre d’un litige administratif, la juridiction administrative
l’applique, sans se préoccuper de sa validité1178. Cette position jurisprudentielle classique s’est
par la suite affermie à l’occasion d’une affaire SARL Super coiffeur1179, posant directement la
question de la compétence du juge administratif pour apprécier la validité de la réserve formulée
par la France. Dans cette espèce, un contrôle effectué par des agents de la police nationale dans
un salon de coiffure avait abouti à la découverte de deux travailleurs étrangers démunis de titre
de séjour et d’autorisation de travail. Pour ces faits, le gérant de la SARL avait été condamné à
payer une contribution spéciale prévue par le droit du travail, ainsi qu’une contribution
forfaitaire sur le fondement du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile.
Devant le Conseil d’État, la société requérante reprochait à la juridiction du fond d’avoir écarté
la réserve française au motif qu’il n’appartenait pas au juge national de se prononcer sur la
validité de cette réserve, non dissociable de la décision de la France de ratifier ce protocole.
Réunis spécialement en assemblée du contentieux, les magistrats du Conseil d’État ont conforté
la décision des juges d’appel en décidant que les réserves définissaient « la portée de
l'engagement que l'État a entendu souscrire » et qu’elles n’étaient « pas détachables de la
conduite des relations internationales »1180. En conséquence, le juge administratif est
incompétent pour en apprécier la validité. Sans l’énoncer explicitement, le Conseil d’État a
estimé que la réserve française devait être rangée dans la catégorie singulière des actes de
gouvernement, lesquels « échappent à l’emprise du principe de légalité, dans la mesure où ils

1177
CE, 26 décembre 2008, n°282995, Gonzales-Castrillo.
1178
CE, 25 février 2015, n°361995 et 362679. La rapporteure public G. DUMORTIER affirmait dans ses
conclusions que la réserve « s’imposait » au juge administratif.
1179
CE, Ass., 12 octobre 2018, n°408567, SARL Super Coiffeur : Dr. fisc. 2019, n°11, comm. 201, note S.
DETRAZ ; Dr. adm. 2019, comm. 7, note G. EVEILLARD ; JCP A 2019, 2141, note L. CHAN-TUNG ; D. actu,
17 octobre 2018, obs. J-M. PASTOR ; AJDA 2018. 2390., chron. C. NICOLAS et Y. FAURE ; D. 2018. 2023.
obs. J-M. PASTOR, D. 2019, 347. obs. O. BOSKOVIC, S. CORNELOUP, F. JAULT-SESEKE, N. JOUBERT et
K. PARROT ; D. 2019. 678. obs. J-M. PASTOR, note. E. BELLIARD et M. GRANGE ; Constitutions 2018. 554.,
chron. L. DOMINGO, RTD eur. 2019. 537, obs. D. RITLENG ; AJDA 2019. 1803. chron. L. BURGORGUE-
LARSEN ; Dr. adm. 2019, comm. 7, note G. ÉVEILLARD ; Dr. fisc. 2018. act. 490, note. J. LEPOUTRE ; JCP
G 2019, note 382, chron. G. ÉVEILLARD, n°1 ; Dr. adm., 2019, comm. 8, obs. B. BLAQUIERE.
1180
Ibid, considérant n°4.

230
jouissent d’une immunité juridictionnelle totale »1181 pour des raisons essentiellement
d'opportunité politique ou diplomatique. Selon le Conseil d’État, l’affirmation du
Gouvernement français est un acte non détachable de la conduite des relations
internationales1182. Ainsi, la limitation du Gouvernement français n’est pas dissociable de la
décision de la France de ratifier ce protocole. Partant, la réserve française constitue un acte de
gouvernement insusceptible de faire l’objet d’un contrôle par le juge administratif.

265. Position du juge judiciaire. – Dans le sillage de son homologue, le juge judiciaire fait
produire à la réserve française son plein effet sans se préoccuper de sa validité. Depuis un arrêt
Ponsetti du 20 juin 19961183, à chaque fois qu’un plaideur invoque une violation du principe ne
bis in idem, la chambre criminelle considère invariablement1184 que la réserve formulée par la
France limite son application aux infractions relevant en droit français de la compétence des
tribunaux statuant en matière pénale. En d’autres termes, le principe ne bis in idem ne trouve
pas à s’appliquer en présence d’un cumul de sanctions pénale et fiscale. Postérieurement à
l’invalidité de la réserve italienne1185, la chambre criminelle a laconiquement affirmé dans un
arrêt du 22 février 20171186 que la validité de la réserve émise par la France n’était pas remise

1181
G. LEBRETON, Droit administratif général, Dalloz, coll. « Cours », 11ème éd., 2021, p. 101.
1182
La théorie des actes de gouvernement a émergé dans la jurisprudence administrative dès le début du 19ème
siècle (V. pour plus de développements à ce sujet : P. SERRAND, L’acte de gouvernement : contribution à la
théorie des fonctions juridiques de l’État : Thèse, Paris 2 Assas, 1996 ; G. LEBRETON, Droit administratif
général, op. cit.). À l’époque, tout acte administratif inspiré par un mobile politique était considéré comme un acte
de gouvernement, échappant alors à tout contrôle juridictionnel. La notion s’est par la suite affinée avec le célèbre
arrêt Prince Napoléon rendu le 19 février 1975 (CE, 19 février 1875, Prince Napoléon, n°46707. L’espèce débute
en 1873 lorsque le ministre de la Guerre refuse de rétablir le nom du Prince Napoléon sur la liste des généraux.
Devant le juge administratif, le gouvernement arguait de la théorie de l’acte du gouvernement pour demander au
Conseil d’État de se déclarer incompétent). Par cette décision, le Conseil d’État a abandonné une définition
exclusivement tournée vers un but politique, sans pour autant faire disparaître la catégorie des actes de
gouvernement. Par la suite, ni le législateur ni les jurisprudences postérieures n’ont précisé les critères permettant
de définir les contours de la notion. La doctrine actuelle distingue en son sein deux catégories que sont d’une part,
les actes organisant les relations entre les pouvoirs publics et, d’autre part, les actes qui régissent les relations de
la France avec l’étranger (V. en ce sens, G. LEBRETON, Droit administratif général, Dalloz, coll. « Cours »,
11ème éd., août 2021, n°86 et s., p.103 ; Y. GAUDENET, Droit administratif, Lextenso, 23ème éd., septembre 2020,
n°280 et s.). Au sein de ce second groupe, la jurisprudence oppose les actes intervenant dans le cadre de la conduite
des relations diplomatiques et les actes détachables de ces relations, seuls les premiers échappant au contrôle de
légalité du juge administratif.
1183
Cass. crim., 20 juin 1996, n°94-85796 : D. 1997. 249, note G. TIXIER et T. LAMULLE ; RSC 1997. 372, obs.
B. BOULOC.
1184
V. pour des jurisprudences postérieures : Cass. crim., 27 mars 1997, n°96-82669 ; Cass. crim., 6 novembre
1997, n°96-86127 ; Cass. crim., 4 juin 1998, n°97-80620 ; Cass. crim., 1er mars 2000, n°99-86.299 ; Cass. crim.,
21 juin 2000, n°99-85.092 ; Cass. crim., 7 septembre 2004, n°04-80.010.
1185
V. supra, n°259.
1186
Cass. crim., 22 février 2017, n°14-82.526.

231
en cause par la juridiction européenne1187, prenant pour ce faire appui sur l’obiter dictum qu’elle
avait précédemment introduit dans l’affaire A et B c/ Norvège1188. Puis, dans plusieurs arrêts du
11 septembre 20191189, l’incompétence du juge judiciaire pour se prononcer sur la validité de
la réserve française a clairement été affirmée. Pour la première fois, par le biais d’une
motivation enrichie, la Cour de cassation a rappelé que la réserve s’incorporait à la convention
et que l’office du juge judiciaire se réduisait à « interpréter et à appliquer un traité international
invoqué dans la cause soumise à son examen »1190. La chambre criminelle a également exposé
les raisons pour lesquelles cette position n’est pas contraire au principe selon lequel les
juridictions internes sont tenues de respecter les décisions de la Cour européenne des droits de
l’homme sans attendre d’être attaquées devant elle1191. Selon les termes de sa décision, cette
exigence ne s’applique pas dès lors que la question concerne « l’appréciation préalable de
l’étendue des engagements de l’État »1192.

266. Nature politique de la réserve française. – A l’instar de la juridiction fiscale, le juge


pénal se retranche derrière la nature politique de la réserve française pour refuser d’apprécier
sa validité. Il est vrai que la réserve française formulée à l’endroit du principe ne bis in idem
manifeste l’expression d’une volonté gouvernementale que le pouvoir judiciaire ne saurait
contrôler. À la signature du traité, la formulation de la réserve française a été déterminante du
consentement de l’État français. Pour preuve, le Gouvernement français a formellement assuré
que, dans le cas où la Cour européenne invaliderait la réserve, « la France ne serait plus

1187
Dans sa jurisprudence postérieure, la chambre criminelle affina son raisonnement en soulignant que la Cour
européenne ne s’est pas prononcée sur la validité de la réserve. Cette précision est désormais intégrée à sa
formulation invariable en ces termes : « Qu'en effet, d'une part, l'interdiction d'une double condamnation en raison
de mêmes faits, prévue par l'article 4 du protocole n° 7 ne trouve à s'appliquer, selon la réserve émise par la
France en marge de ce protocole, sur la validité de laquelle la Cour européenne des droits de l'homme ne s'est
pas prononcée, que pour les infractions relevant en droit français de la compétence des tribunaux statuant en
matière pénale et n'interdit pas le prononcé de sanctions fiscales parallèlement aux peines infligées par le juge
répressif » (c’est nous qui soulignons) : Cass. crim., 1er avril 2020, n°18-85.958 : V. PELTIER, Cumul de
sanctions : Dr. pén., n°6, juin 2020, comm. 126.
1188
V. supra, n°261.
1189
Cass. crim., 11 septembre 2019, n°18-82.430 et 18-81.067, préc.
1190
Cass. crim., 11 septembre 2019, n°18-82.430 (§14) et 18-81.067 (§19), préc.
1191
V. pour une formulation de ce principe : Cass., Ass. plén., 15 avril 2011, n°10-17.049 : D. 2011, p. 1128,
entretien G. ROUJOU DE BOUBEE ; D. 2011, p. 1713, obs. V. BERNAUD et L. GAY ; D. 2012, p. 390, obs. O.
BOSKOVIC, S. CORNELOUP, F. JAULT-SESEKE, N. JOUBERT et K. PARROT ; AJ pén. 2011, p. 311, obs.
C. MAURO ; Constitutions 2011, p. 326, obs. A. LEVADE ; RSC 2011, p. 410, obs. A. GIUDICELLI ; RTD civ.
2011, p. 725, obs. J.-P. MARGUENAUD.
1192
Cass. crim., 11 septembre 2019, n°18-82.430 (§17) et 18-81.067 (§22), préc.

232
liée »1193 par les articles 2 à 4 du protocole n°7. La réserve conditionne la décision de la France
d’être partie à la Convention européenne. Partant, une remise en cause de la réserve par le juge
interne reviendrait d’une part, à contrevenir à l’équilibre institutionnel interne basé sur une
stricte séparation des pouvoirs et, d’autre part, à fragiliser sur le plan international la position
de la France à l’égard des autres États parties à la Convention.

267. Refus regrettable de transmission d’un avis à la Cour européenne. – Si le refus du


juge interne de se prononcer sur la validité de la réserve se conçoit aisément, il est regrettable
que celui-ci refuse systématiquement1194 de transmettre un avis consultatif à la juridiction
européenne sur le fondement du protocole n°16 additionnel1195. En vertu de son article 1er, les
juridictions suprêmes d’un État membre peuvent en effet « adresser à la Cour des demandes
d’avis consultatifs sur des questions de principe relatives à l’interprétation ou à l’application
des droits et libertés définis par la Convention ou ses protocoles »1196. Cette fenêtre de dialogue
entre la Cour et les autorités nationales aurait pu être l’occasion de trancher définitivement le
débat sur la validité de la réserve formulée par la France. En écartant passivement1197 les
demandes d’avis formulées par les contribuables, la position du juge interne aboutit à une

1193
Cour EDH, 14 septembre 1999, Ponsetti et Chesnel c/ France, req. n°36855/97 et 41731/98, §3. En l’espèce,
deux ressortissants français avaient fait l’objet de pénalités fiscales prévues à l’article 1728 du CGI pour ne pas
avoir déposé leurs déclarations fiscales. Ils avaient ensuite été poursuivis et condamnés devant la juridiction
répressive du chef de fraude fiscale. Devant la Cour européenne, ils se prévalaient d’une violation de l’article 4 du
protocole n°7 additionnel à la Convention. À cette occasion, le Gouvernement français a précisé que dans le cas
où la Cour invaliderait la réserve française, la France ne serait plus liée par les articles 2 à 4 du protocole additionnel
n°7. La Cour a considéré les requêtes irrecevables au motif que les articles 1741 et 1728 du CGI n’ont pas trait à
la même infraction, de sorte qu’aucune problème ne se posait sous l’angle du principe ne bis in idem. La position
de la France est en contradiction avec celle de la juridiction strasbourgeoise qui considère qu'en cas d'invalidité
d'une réserve ou d'une déclaration interprétative, l'État reste lié par la Convention : Cour EDH, 29 avril 1988,
Marlène Belilos c/Suisse, préc., §60
1194
Cons. const. QPC, 23 novembre 2018, n°2018-745 : Dr. pén. 2019, comm. 11, J-H. ROBERT ; CE, Ass., 12
octobre 2018, n°408567, SARL Super Coiffeur, préc.
1195
Ce protocole a été signé à Strasbourg le 2 octobre 2013. Il est entré en vigueur le 1 er août 2018 après la 10ème
ratification, celle de la France : V. Loi n°2018-237 du 3 avril 2018 autorisant la ratification du protocole n°16 à la
convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : A. DORANGE, La saisine pour
avis de la CEDH : c’est pour bientôt ! : Revue Lamy droit civil, 2018/159, n°6436.
1196
V. pour plus de développements à ce sujet : J. ANDRIANTSIMBAZOVINA, La demande d'avis consultatif
du Protocole n°16, un instrument de renforcement de la fonction constitutionnelle de la Cour européenne des droits
de l'homme. Quelques réflexions à partir des premiers avis consultatifs du Protocole n°16, in C. TZUTZUIANO,
T. DISPERATI (dir.), La saisine pour avis de la Cour européenne des droits de l'homme : le Protocole n°16 à la
CEDH : PUAM, 2021 ; M. AFROUKH, Du bon usage de la demande d'avis consultatif adressée à la CEDH : D.
actu, 23 mars 2021.
1197
Dans son arrêt SARL Super Coiffeur, le Conseil d’État était explicitement saisi d’une demande de transmission
à la Cour d’une question portant sur le caractère opposable de la réserve d’interprétation formulée par le
gouvernement, à laquelle il n’a pas répondu dans sa décision.

233
impasse difficilement soutenable. Alors que la validité de la réserve française est loin d’être
acquise au regard de l’article 57 de la Convention européenne, le juge national refuse pour des
motifs éminemment politiques, de se prononcer sur sa conformité au droit européen. Quant à
elle, la Cour européenne adopte une opposition équivoque, laissant admettre une différence
entre les réserves française et italienne mais sans en tirer les conséquences qui s’imposent. Pour
l’heure, la réserve française joue comme un filtre efficace dans la mise en échec du principe ne
bis in idem tel qu’il est conçu dans la jurisprudence de la Cour européenne. Les limitations
posées par la juridiction strasbourgeoise imposant de caractériser un lien temporel et matériel
entre les procédures mixtes ne s’appliquent pas en matière fiscale. La confrontation du cumul
des procédures aux exigences de légalité externe se réalisera possiblement au regard des
conditions de légalité prescrites par la Cour de justice de l’Union européenne sur le fondement
de l’article 50 de la Charte, lequel ne supporte, à la différence de l’article 4 du protocole n°7
additionnel à la Convention, aucune réserve du Gouvernement français.

SECTION II. L’ENCADREMENT DE LA COUR DE JUSTICE DE L’UNION


EUROPÉENNE

268. Encadrement par la Cour de justice de l’Union européenne. – En droit de l’Union


européenne, l’article 50 de la Charte des droits fondamentaux protège le droit de ne pas être
poursuivi ou puni deux fois pour la même chose. Sur le fondement de cette disposition, la Cour
de justice de l’Union européenne a établi des règles encadrant le cumul des procédures pénale
et fiscale (§1). Contrairement aux exigences posées par la Cour européenne des droits de
l’homme, le droit national a pu être directement confronté aux limitations apportées par la Cour
de justice (§2).

§1. L’existence d’un encadrement du cumul

269. Recours au principe de complémentarité. – La Cour de justice de l’Union


européenne a considéré que le cumul des procédures pénale et fiscale ne violait pas le principe
ne bis in idem dès lors que celles-ci étaient complémentaires (A), s’inscrivant alors directement
dans la filiation des jurisprudences constitutionnelle et européenne. La juridiction
luxembourgeoise a toutefois fixé des conditions pour que l’exception établie à la règle de
l’article 50 de la Charte respecte les exigences européennes (B).

234
A) L’affirmation du principe de complémentarité des procédures pénale et fiscale

270. Le principe ne bis in idem en droit de l’Union européenne : d’un principe général
du droit à un véritable droit fondamental. – Au sein de l’Union européenne, la Convention
d’application de l’accord de Schengen a historiquement été la première source à énoncer le
principe ne bis in idem. Signée le 19 juin 1990, cette convention avait pour ambition de créer
un espace dépourvu de frontières1198 entre les membres de la Communauté économique
européenne1199. Son chapitre trois, intitulé « application du principe ne bis in idem », s’ouvre
sur un article 54 disposant qu’« une personne qui a été définitivement jugée par une Partie
Contractante ne peut, pour les mêmes faits, être poursuivie par une autre Partie Contractante,
à condition que, en cas de condamnation, la sanction ait été subie ou soit actuellement en cours
d'exécution ou ne puisse plus être exécutée selon les lois de la Partie Contractante de
condamnation ». Cette disposition se distingue des autres instruments internationaux1200 en ce
qu’elle confère à la maxime ne bis in idem une portée transfrontière1201. Le principe exige du
juge national qu’il prenne en compte l’application du droit pénal par son homologue, en
reconnaissant et en acceptant le contenu de la condamnation prononcée.

Bien que ce texte demeure en vigueur, le changement de paradigme de l’Union


européenne, basculant d’un simple marché commun vers un véritable espace de sécurité, de
liberté et de justice a rendu son application largement résiduelle1202. La confiance mutuelle entre
les États membres permet désormais une exécution volontaire des décisions prononcées par les
différentes juridictions nationales. Proclamée en marge du Conseil européen de Nice le 7
décembre 2000, la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne traduit la volonté de
l’Union européenne de rendre visible et effectif les droits fondamentaux des citoyens
européens. Intitulé « droit à ne pas être jugé ou puni pénalement deux fois pour une même

1198
V. pour plus de développements à ce sujet : B. NÉEL, L’Europe sans frontières intérieures : l’Accord de
Schengen : AJDA 1991. 659 ; M. MASSÉ, L’espace Schengen, Développements de l'entraide répressive
internationale : RSC 1992. 800.
1199
À l’époque, la Communauté économique européenne comptait en son sein la France, la République fédérale
d’Allemagne, la Belgique, le Luxembourg et les Pays-Bas.
1200
Et notamment de l’article 4§1 du protocole n°7 additionnel à la Convention.
1201
V. pour plus de développement à ce sujet : A. WEYEMBERGH, Le principe ne bis in idem : pierre
d’achoppement de l’espace pénal européen ? : Cahiers de droit européen, 2004, p. 343 et s. ; R. ROTH, Non bis in
idem transnational : vers de nouveaux paradigmes ? : in Le contrôle juridictionnel dans l’espace pénal européen,
Bruxelles, éd. ULB, 2009, p. 121 et s.
1202
V. à ce propos, le Livre vert sur les conflits de compétences et le principe ne bis in idem dans le cadre des
procédures pénales, Commission des Communautés européennes, Bruxelles, 12 décembre 2005.

235
infraction », son article 50 énonce que « nul ne peut être poursuivi ou puni pénalement en
raison d'une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné dans l'Union par un
jugement pénal définitif conformément à la loi ». Le principe ne bis in idem interdisant aux
États membres de punir un individu déjà condamné pour la même infraction, est ainsi passé
d’un principe général du droit de l’Union1203 à un véritable droit fondamental de la personne
inscrit dans le droit primaire de l’Union1204. Son effectivité a de surcroît été renforcée avec
l’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne qui a conféré à la Charte une valeur juridique
contraignante1205.

271. Domaine d’application du principe ne bis in idem. – Ainsi, les États membres doivent
assurer le respect de l’article 50 de la Charte dans les matières relevant du droit de l’Union
européenne1206. En dehors de cette limitation liée à la nature même de l’Union européenne, le
domaine d’application de la maxime est semblable à l’approche adoptée par la Cour européenne
des droits de l’Homme à l’endroit de l’article 4 du protocole n°7 additionnel à la Convention.
L’application par la Cour de justice de l’Union de la triple identité de procédures, de personnes
et de faits s’inscrit dans le prolongement de la jurisprudence développée par la juridiction
strasbourgeoise. Afin de déterminer, tout d’abord, la nature des sanctions en cause, la Cour de
justice a expressément choisi d’utiliser les critères précédemment développés par la Cour
européenne en 1976. Dans une affaire Bonda1207, les juges de la Cour de justice devaient se
prononcer sur le caractère pénal ou non d’une sanction infligée à un agriculteur à raison d’une

1203
V. en ce sens, CJUE, 4ème ch., 5 avril 2017, Massimo Orsi, aff. n°C-217/15 et Luciano Baldetti, aff. n°C-
350/15, §19.
1204
La Charte et la Convention d'application de l'Accord de Schengen relèvent toutes deux du droit de l’Union
mais la première appartient au droit primaire, tandis que la seconde relève du droit dérivé. En conséquence, l’article
54 de la Convention d'application de l'Accord de Schengen doit être interprété à la lumière de l’article 50 de la
Charte : V. en ce sens, CJUE, 5 juin 2014, Procédure pénale c/ M, aff. C-398/12, §35.
1205
Art. 6§1 du Traité sur l’Union européenne : « L'Union reconnaît les droits, les libertés et les principes énoncés
dans la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne du 7 décembre 2000, telle qu'adaptée le 12
décembre 2007 à Strasbourg, laquelle a la même valeur juridique que les traités ».
1206
Il s’agit là d’une condition fondamentale de l’applicabilité des dispositions prévoyant le principe ne bis in idem
dans les sources européennes. Il résulte en effet d’une jurisprudence constante de la CJUE que les droits
fondamentaux garantis ont vocation à être appliqués dans les situations régies par le droit de l’Union, mais pas en
dehors de ces situations. Aussi lorsqu’une situation ne relève pas du champ d’application du droit de l’UE, la CJUE
n’est pas compétente pour en connaître : V. en ce sens, Ordonnance du 14 décembre 2011, Boncea e.a., aff. C-
483/11 et C-484/11, §29 ; CJUE, 26 février 2013, Åkerberg Fransson, aff. C-617/10, §19. S’agissant de la Charte
des droits fondamentaux, cette condition est énoncée à l’article 51§1 qui énonce que « les dispositions de la
présente Charte s’adressent aux institutions et organes de l’Union dans le respect du principe de subsidiarité ainsi
qu’aux États membres uniquement lorsqu’ils mettent en œuvre le droit de l’Union ».
1207
CJUE, 5 juin 212, Bonda, aff. C-489/10 : Journal des tribunaux - Droit européen 2012, n°193, note P.
OLIVIER et T. BOMBOIS ; Revue Lamy de droit civil 2012, n°33, p. 57 et 58, note B. CHEYNEL.

236
fausse déclaration concernant l’étendue de ses terres agricoles. Se basant expressément sur les
critères développés dans la décision Engel de la Cour européenne1208, la Cour de justice conclut
en l’espèce à la nature administrative de la sanction, eu égard à la qualification juridique de
l’infraction en droit interne, à la nature même de l’infraction et au degré de sévérité de la
sanction encourue. Ensuite, la Cour de justice se prononce en faveur d’une identité de personne
pour l’application du principe ne bis in idem dans les mêmes termes que la Cour européenne1209.
Enfin, la Cour de justice de l’Union a établi les critères de détermination de l’idem sur la base
de l’approche factuelle établie par la Cour européenne dans l’affaire Zolotoukhine c/ Russie1210.
Pour l’application de l’article 54 de la Convention d’application de l’accord de Schengen,
ensuite étendue à l’article 50 de la Charte, il a été rapidement précisé que l’identité de faits
matériels devait être comprise « comme l'existence d'un ensemble de circonstances concrètes
indissociablement liées entre elles »1211.

272. Limitation substantielle du cumul en matière fiscale. – L’application du principe ne


bis in idem bénéficie ainsi d’une interprétation étendue, favorisant une protection efficace de
ce droit fondamental. Cette approche extensive s’est vérifiée à l’occasion de l’affaire Åkerberg
Fransson1212, dans laquelle la Cour de justice de l’Union était saisie d’une question préjudicielle
portant sur l’interprétation du principe ne bis in idem en matière fiscale. En l’espèce, après
s’être vu infliger par l’administration fiscale suédoise1213 des sanctions fiscales à différents

1208
CJUE, 5 juin 2012, Bonda, préc., §37.
1209
V. notamment CJUE, 28 septembre 2006, Procédures pénales c/ Giuseppe Francesco Gasparini et a., aff. C-
467/04.
1210
V. supra, n°237.
1211
CJCE, 9 mars 2006, Procédure pénale c/ Léopold Henri Van Esbroeck, aff. C-436/04, §36 : AJ pén. 2006.
265, obs. C. SAAS ; RSC 2006. 684, chron. L. IDOT ; pour une application au mandat d’arrêt européen, V. CJUE,
gde. ch., 16 novembre 2010, Procédure pénale c/ Gaetano Mantello, aff. C-261/09 : AJDA 2011. 264, chron. M.
AUBERT, E. BROUSSY et F. DONNAT ; AJ pén. 2011. 197, obs. L. ASCENS.
1212
CJUE, gde ch., 26 février 2013, Aklagaren c/ Hans Akerberg Fransson, aff. C-617/10 : Europe 2013, comm.
154, note D. SIMON ; D. 2013, p. 1977, note C. ROTH, F. BURGAUD ; AJ pén. 2013, p. 270, note C. COPAIN
; RTD civ. 2014, p. 312, obs. L. USUNIER ; Dr. fisc. 2013, n°36, 396, note L. BERNARDEAU et O. PEIFFERT ;
Dr. fisc. 2013, n°40, comm. 460 ; note C. BROKELIND ; RJF 6/2013, n°681 ; JCP G 2013, 312, obs. F. PICOD ;
RJF 6/2013, n°681 ; L. BERNARDEAU et O. PEIFFERT, Jurisprudence de la CJCE : fiscalité directe : Dr. fisc.
2013, n°36, 396, comm. n°3 à 6 ; Dr. pén. 2013, chron. 9, n°11, obs. S. DETRAZ ; J. LASSERRE CAPDEVILLE,
C. MASCALA et S. NEUVILLE, Propositions doctrinales pour lutter contre l'atteinte au principe non bis in idem
en matière financière, D. 2012. 693 ; S. STEIN, Le principe ne bis in idem dans l'Union européenne : AJ pén.
2011. 443 ; M. NORD-WAGNER, La double sanction des infractions boursières à l'épreuve du principe non bis
in idem : AJ pén. 2011. 67 ; D. ROETS, L'article 4 du Protocole n° 7 (non bis in idem) dopé par la Grande chambre,
RSC 2009 675 ; F. STASIAK, Principes de non-cumul des peines et de non-cumul des poursuites ne bis in idem,
RSC 2011. 118.
1213
En Suède, l’agence suédoise des impôts est la skatteverket.

237
titres1214, un contribuable a été poursuivi devant la juridiction pénale1215 pour fraude fiscale
aggravée. À cette occasion, le juge a quo a saisi la Cour de justice de l’Union de questions
préjudicielles1216 portant sur la conformité du cumul des procédures pénale et fiscale ainsi que
de ses modalités pratiques au regard de l’article 50 de la Charte. Après avoir rappelé que le
redressement fiscal du requérant portait notamment sur ses obligations déclaratives en matière
de TVA pour s’assurer de sa compétence1217, la Cour de justice relève que l’article 50 est
compatible avec l’existence d’un système de double poursuite pénale et administrative
réprimant les fraudes résultant du défaut de paiement de la TVA. Cette possibilité découle de
l’obligation pour les États membres de lutter contre les activités illicites portant atteinte aux
intérêts financiers de l’Union par l’organisation de mesures dissuasives et effectives. Chaque
État doit avoir le choix d’opter pour des sanctions administratives, des sanctions pénales ou
bien une combinaison des deux. Toutefois, le principe ne bis in idem interdit le prononcé de
sanctions pénale et fiscale lorsque cette dernière revêt en réalité une nature pénale1218.
L’appréciation du caractère pénal de la sanction fiscale incombe aux juridictions nationales,
lesquelles doivent pour ce faire utiliser la grille de lecture définie dans sa jurisprudence
Bonda1219. Si, à la lumière de ces critères, la juridiction nationale conclut à la nature pénale des
sanctions fiscales, le cumul entre les sanctions apparaît contraire à l’article 50 de la Charte. En
interdisant aux États de prononcer deux sanctions recouvrant les caractères de la matière pénale,
l’arrêt Fransson a introduit une véritable limitation au cumul des procédures pénale et fiscale.

1214
Notamment au titre des revenus de son activité économique, mais aussi en matière de TVA et de cotisations
patronales.
1215
En l’espèce, par le Haparanda tingsrätt, c’est-à-dire le Tribunal de district de Haparanda.
1216
En réalité, le tribunal pénal a saisi la CJUE de cinq questions préjudicielles distinctes. La première est relative
à l’effet direct et à la primauté du droit de l’UE. La deuxième interroge la Cour sur la nature des sanctions fiscales
infligées au requérant. La juridiction suédoise se demande si l’engagement de poursuites pénales postérieurement
à l’infliction de sanctions fiscales tombent sous le coup de l’article 50 de la Charte. La troisième question porte
sur l’existence d’une coordination entre les juridictions pénale et fiscale. En effet, il existe un mécanisme
permettant au juge pénal de prendre en compte la sanction préalablement prononcée afin de réduire la peine pénale.
Le tribunal suédois se demande si cette coordination est de nature à influer sur la réponse à la deuxième question.
Au titre de sa quatrième question et partant de l’affirmation selon lequel il existe des matières dans lesquelles
l’hypothèse d’une double sanction est possible, le tribunal suédois se demande si un tel cumul est acceptable dans
le cas où le second juge adopte une appréciation indépendante des faits par rapport à son homologue. Enfin par sa
cinquième question, le juge a quo demande à la CJUE si le transfert de compétence exercée par l’administration
fiscale suédoise et le juge administratif vers le juge de droit commun est de nature à respecter les exigences de
l’article 50 de la Charte.
1217
CJUE, gde ch., 26 février 2013, Aklagaren c/ Hans Akerberg Fransson, préc. §16 à 31.
1218
CJUE, gde ch., 26 février 2013, Aklagaren c/ Hans Akerberg Fransson, préc. §34.
1219
Les critères sont donc ceux déterminés par la Cour EDH dans son arrêt Engel. La juridiction de renvoi doit à
ce titre prendre en compte trois éléments que sont la qualification juridique de l’infraction en droit interne, la nature
même de l’infraction ainsi que le degré de sévérité de la sanction que risque de subir l’intéressé.

238
La nécessité de prévoir des sanctions « effectives, proportionnées et dissuasives »1220 pour
réprimer les atteintes au droit de l’Union encadre substantiellement les hypothèses de cumul.

273. Revirement dans la jurisprudence de la Cour de justice : l’arrêt Menci. – Cette


approche protectrice de la Cour de justice a été bousculée par la décision A et B c/ Norvège1221
rendu le 15 novembre 2016 par la juridiction strasbourgeoise. À la suite de cette décision, la
Cour de justice a fait évoluer sa jurisprudence à l’occasion de l’affaire Menci1222, soumise à son
examen après une décision de renvoi préjudiciel du tribunal italien de Bergame en date du 16
septembre 2015. Après avoir définitivement fait l’objet de sanctions fiscales prononcées par
l’administration fiscale italienne à raison d’omission de versements de TVA, un contribuable a
été cité devant le tribunal pénal pour ces mêmes faits. Cette dernière juridiction a saisi la Cour
de justice d’une question préjudicielle ainsi libellée : « l’article 50 de la [Charte], interprété
au regard de l’article 4 du protocole n°7 à la [CEDH] et de la jurisprudence y afférente de la
Cour européenne des droits de l’homme, s’oppose-t-il a des poursuites pénales ayant pour objet
un fait (le non-versement de la TVA) pour lequel le prévenu s’est déjà̀ vu infliger une sanction
administrative définitive ? »1223.

Le véritable enjeu qui se jouait devant la Cour était celui de savoir si celle-ci allait
maintenir sa jurisprudence Fransson ou si au contraire, elle allait se plier à une conception plus
restreinte de la règle ne bis in idem dictée par la Cour de Strasbourg1224. Alors que son Avocat

1220
CJUE, gde ch., 26 février 2013, Aklagaren c/ Hans Akerberg Fransson, préc. §36.
1221
Cour EDH, gr. ch., 15 novembre 2016, A et B c/ Norvège, préc.
1222
CJUE, gde ch., 20 mars 2018, Luca Menci, aff. C-524/15 : RTDH 2019, p. 161, note L. MILANO ; Europe
2018, comm. 169, D. SIMON ; Dr. fisc. 2018, act. 139, obs. M. PELLETIER ; Dr. sociétés 2018, p. 731, obs. H.
MATSOPOULOU ; AJDA 2018. 602 ; Ibid. 1026, chron. P. BONNEVILLE, E. BROUSSY, H.
CASSAGNABERE et C. GÄNSER ; D. 2018. 616; Ibid. 2259, obs. G. ROUJOU de BOUBEE, T. GARE, C.
GINESTET, S. MIRABAIL et E. TRICOIRE ; P. PAILLER, Ne bis in idem : les conditions d'un cumul légitime
pour la Cour de justice : Revue de Droit bancaire et financier n°3, mai 2018, comm. 82 ; N. GUILLAND, Cumul
de sanctions de la fraude fiscale et principe non bis in idem : l'avocat général de la CJUE ne s'incline pas devant
la CEDH : Dr. fisc. n°42, 19 octobre 2017, act. 559 ; N. GUILLAND, Cumul de sanctions de la fraude fiscale :
pas de requiem pour non bis in idem : Dr. fisc. 2018, n°21, comm. 285 ; M. PELLETIER, La CJUE et le principe
non bis in idem : un pas en arrière, deux pas en avant : Dr. fisc. 2018, n°14, act. 139 ; G. BEAUSSONIE et V.
LEPAUL, Cumuls répressifs : Ne bis in idem évincé par la proportionnalité : Les Nouvelles Fiscales, n°1223, 1er
juin 2018.
1223
CJUE, gde ch., 20 mars 2018, Luca Menci, préc., §16.
1224
Dans ses conclusions, l’Avocat général souligne explicitement que l’arrêt A et B c/ Norvège constitue un « défi
important pour la Cour ». Il relève en outre que « le respect institutionnel entre les deux juridictions s’oppose à
la formulation de tout commentaire critique, mais cela n’empêche pas d’observer que, avec cette nouvelle
approche, la Cour européenne des droits de l’homme a modifié de manière significative la portée qui avait été
attribuée jusqu’alors au principe non bis in idem ». Selon ces propos, deux voies s’offrent à la Cour de justice : la

239
général s’opposait fermement à cette seconde voie1225, la Cour de justice a finalement fait sienne
la position de la Cour européenne des droits de l’Homme, en circonscrivant l’application dudit
principe dans des limites plus étroites en présence de procédures complémentaires. De surcroît,
la Cour de justice a utilisé l’article 52 de la Charte, qui permet aux États membres de limiter
l’exercice des droits fondamentaux, à la triple condition que ces limitations soient prévues la
loi, qu’elles répondent à un des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union, et qu’elles
respectent les principes de proportionnalité et de nécessité. Ainsi selon la Cour, « un cumul de
poursuites et de sanctions de nature pénale peut se justifier lorsque ces poursuites et ces
sanctions visent (…) des buts complémentaires ayant pour objet, le cas échéant, des aspects
différents du même comportement infractionnel concerné, ce qu’il appartient à la juridiction
de renvoi de vérifier »1226. Cette formulation fait directement écho à celle proposée par la Cour
européenne dans sa décision A et B c/ Norvège. La Cour de justice refuse de conférer une portée
absolue à la règle ne bis in idem prévue à l’article 50 de la Charte. Désormais, et parce que les
procédures cumulées sont complémentaires, une entorse au principe ne bis in idem est permise,
à la condition de garantir le respect de certaines règles encadrant les hypothèses de cumul.

B) Les traductions du principe de complémentarité des procédures pénale et fiscale

274. Transposition des limitations apportées au principe ne bis in idem à la matière


fiscale. – Selon les termes de la juridiction luxembourgeoise, le cumul des procédures pénale
et fiscale n’entre pas directement en conflit avec les dispositions contenues de la Charte des

première consiste à « accepter telle quelle la limitation au principe non bis in idem établie par l’arrêt A et B c.
Norvège ». La seconde implique de « rejeter cette limitation et maintenir le niveau de protection fixé dans l’arrêt
Åkerberg Fransson par renvoi à la jurisprudence (antérieure) générale de la Cour européenne des droits de
l’homme » (Conclusions de l'Avocat général, M. MANUEL CAMPOS SANCHEZ-BORDONA sous CJUE, gde
ch., 20 mars 2018, aff. C-524/15, Luca Menci, préc.). V. aussi sur les rapprochements entre les conceptions du
principe ne bis in idem par les deux cours européennes : O. MICHIELS, Le cumul de sanctions : le principe non
bis in idem à l’aune de la jurisprudence de la Cour de justice et de la Cour européenne des droits de l’homme : in
L’Europe au présent ! Liber amicorum Melchior Wathelet, Bruylant, 2018, p. 555 et s.
1225
Conclusions de l'Avocat général, M. MANUEL CAMPOS SANCHEZ-BORDONA sous CJUE, gde ch., 20
mars 2018, Luca Menci, préc, §72 : « Néanmoins, comme précédemment indiqué, je ne pense pas que la Cour
doive suivre la Cour européenne des droits de l’homme sur cette voie. L’interprétation de l’article 50 de la Charte
ne saurait dépendre de la prédisposition plus ou moins importante des États à respecter son contenu juridiquement
contraignant. Si la Cour a consolidé une jurisprudence en vertu de laquelle deux procédures, parallèles ou
successives, aboutissant à deux sanctions matériellement pénales, pour les mêmes faits, continuent de constituer
deux procédures différentes (bis) et non pas une seule, j’estime qu’il n’y a pas de motifs sérieux pour
l’abandonner ».
1226
CJUE, gde ch., 20 mars 2018, Luca Menci, préc., §44.

240
droits fondamentaux de l’Union européenne. Si dans son principe le cumul n’est pas prohibé,
il est encadré par des limites strictes que la Cour énonce dans sa décision Menci. Pour appuyer
son raisonnement, la Cour se fonde sur son précédent Zoran Spasic1227, dans lequel elle avait
déjà concédé des limitations au principe ne bis in idem, à la condition que celles-ci soient
prévues par la loi, qu’elles répondent à un objectif d’intérêt général et dans le respect des
principes de nécessité et de proportionnalité. Les mêmes exigences sont transposées à la matière
fiscale, dont la Cour de justice prend le soin d’énoncer les traductions concrètes qui tiennent en
trois éléments1228.

275. Réponse à un objectif d’intérêt général. – En premier lieu, pour que la limitation au
principe ne bis in idem réponde à un objectif d’intérêt général, la Cour de justice vérifie la
légitimité des objectifs poursuivis par la réglementation nationale. Assurément, la perception
de l’intégralité de la TVA due est un objectif suffisamment important pour que cette première
condition soit observée. De la même façon, dans deux décisions rendues le même jour1229, la
Cour de justice a estimé que les atteintes à l’intégrité des marchés financiers et à la confiance

1227
CJUE 27 mai 2014, Zoran Spasic, aff. C-129/14 : Europe juillet 2014. comm. 296, obs. F. GAZIN ; AJ pén.
2014. 425, obs. J. LELIEUR ; JCP G 2014, act. 692, obs. D. BERLIN : en l’espèce, Monsieur Spasic, ressortissant
belge, est poursuivi par le tribunal pénal allemand pour avoir commis une escroquerie en bande organisée en Italie.
Il a été arrêté en Autriche. Pour ces faits, Monsieur Spasic a été condamné par contumace devant les juridictions
italiennes à une peine privative de liberté d’un an et au paiement d’une amende de 800 euros. L’Allemagne ayant
émis un mandat d’arrêt européen concernant ces mêmes faits, l’Autriche a remis l’intéressé aux autorités
allemandes. Ce dernier soutenait devant les juridictions allemandes qu’il ne pouvait être poursuivi en Allemagne
pour des faits ayant déjà fait l’objet d’une condamnation définitive par les juridictions italiennes. Le tribunal
régional de Nuremberg a décidé de surseoir à statuer et de saisir la CJUE d’une question préjudicielle sur
l’interprétation de l’article 54 de la CAAS. Dans son arrêt du 27 mai 2014, la CJUE a admis des limitations à la
mise en œuvre du principe ne bis in idem de l’article 50 de la Charte lorsque celles-ci sont prévues par la loi,
répondent à des objectifs d’intérêt général et dans le respect des principes de proportionnalité et de nécessité (§56).
C’est le même raisonnement que la CJUE va transposer ici à la matière fiscale.
1228
La première condition exigeant que le cumul soit prévu par la loi ne supporte aucune traduction spécifique à
la matière fiscale. Dans sa décision, la CJUE passe ce critère très brièvement, se contentant d’indiquer que la
possibilité de cumuler les sanctions fiscales et pénales est prévue par la loi (CJUE, gde ch., 20 mars 2018, Luca
Menci, préc., §42). Ce critère est parfaitement rempli en droit français puisque le cumul est expressément permis
par l’article 1741 du CGI qui prévoit que les sanctions pénales sont encourues « indépendamment des sanctions
fiscales applicables ».
1229
CJUE, gde ch., 20 mars 2018, Garlsson Real Estate SA, aff. C-537/16 : Dr. pén. 2018, comm. 95, obs.
V. PELTIER ; AJDA 2018. 602 ; Ibid. 1026, chron. P. BONNEVILLE, E. BROUSSY, H. CASSAGNABERE et
C. GÄNSER ; D. 2018. 617 ; Ibid. 2259, obs. G. ROUJOU DE BOUBEE, T. GARE, C. GINESTET, S.
MIRABAIL et E. TRICOIRE ; Rev. sociétés 2018. 731, note H. MATSOPOULOU ; RSC 2018. 524, obs. F.
STASIAK ; CJUE, gde ch., 20 mars 2018, Enzo Di Puma et Zecca, aff. C-596/16 et C-596/17 : AJDA 2018. 602
; Ibid. 1026, chron. P. BONNEVILLE, E. BROUSSY, H. CASSAGNABERE et C. GÄNSER ; D. 2018. 616 ;
Rev. sociétés 2018. 731, note H. MATSOPOULOU ; RSC 2018. 524, obs. F. STASIAK.

241
du public dans les instruments financiers1230 étaient susceptibles de justifier une limitation au
principe ne bis in idem. La Cour de justice ne se contente toutefois pas de souligner
l’appartenance à une matière financière pour justifier que la réglementation nationale répond à
un objectif d’intérêt général. Elle exige des juridictions nationales qu’elles vérifient que les buts
de chacune des procédures additionnées soient complémentaires, en répondant à des aspects
différents du même comportement infractionnel1231. La Cour de justice donne à cet égard aux
États membres une grille de lecture dans la répartition des affaires entre les deux juridictions
pour déceler la complémentarité des procédures fiscale et pénale. Alors que la répression fiscale
peut venir réprimer « tout manquement, qu’il soit intentionnel ou non, aux règles de déclaration
et de perception de la TVA », la répression pénale doit être réservée à la dissuasion et à la
répression des seuls « manquements graves à ces règles »1232. Le contrôle de la Cour de justice
apparaît dès lors plus poussé que celui de la juridiction strasbourgeoise, laquelle a préféré
présumer la gravité des manquements fiscaux afin de légitimer le cumul des procédures1233. La
position de la Cour de justice vient ici faire écho à celle du Conseil constitutionnel qui, dans
ses décisions Cahuzac et Wildenstein du 24 juin 20161234, a subordonné la légalité du cumul
des procédures pénale et fiscale à un critère de gravité1235.

276. Existence de règles assurant une coordination des procédures. – En deuxième lieu,
afin de respecter les exigences de la Cour de justice, la réglementation nationale doit contenir
des règles assurant une coordination des procédures, afin de limiter au strict nécessaire la charge
supplémentaire qui résulte du cumul1236. Dans l’affaire Di Puma1237 rendue le même jour, les
juges européens ont considéré que ne respectait pas les exigences de l’article 50 de la Charte
l’absence de prise en compte par le juge administratif d’une relaxe constatant l’absence
d’éléments constitutifs de l’infraction prononcée par le juge pénal. Sur ce point, le droit français
entre directement en conflit avec les exigences de la Cour de justice, le juge fiscal pouvant

1230
CJUE, gde ch., 20 mars 2018, Garlsson Real Estate SA, préc., §46 ; CJUE, gde ch., 20 mars 2018, Enzo Di
Puma et Zecca, préc., §42.
1231
CJUE, gde ch., 20 mars 2018, Luca Menci, préc., §44.
1232
Ibid, §45.
1233
V. supra, n°240.
1234
V. supra, n°199 et s.
1235
V. supra, n°212 et s.
1236
CJUE, gde ch., 20 mars 2018, Luca Menci, préc., §49 et 63.
1237
CJUE, gde ch., 20 mars 2018, Enzo Di Puma et Zecca, préc. §44.

242
parfaitement ignorer une décision de relaxe prononcée par le juge correctionnel « au bénéfice
du doute »1238.

277. Exigence de proportionnalité. – En troisième et dernier lieu, la Cour de justice


subordonne la légalité du cumul des procédures à la proportionnalité des sanctions encourues.
Selon les termes de sa décision Menci1239, la réglementation nationale doit prévoir des règles
permettant d’assurer que la sévérité de l’ensemble des sanctions prononcées soit limitée au strict
nécessaire par rapport à la gravité de l’infraction concernée. Cette exigence découle
expressément de l’article 52, paragraphe 1 de la Charte mais aussi de son article 49, paragraphe
3 qui énonce le principe de proportionnalité des peines. Pour considérer cette condition remplie
en droit italien, la Cour de justice relève deux éléments. Le premier résulte du sort de
l’exécution des sanctions fiscales pendant le temps de la procédure pénale parallèlement
engagée1240. Le droit italien prévoit en effet une suspension de l’exécution forcée des sanctions
administratives de nature pénale pendant la procédure pénale, puis une interdiction d’exécution
de ces mêmes sanctions en cas de condamnation pénale du fraudeur. Le second est tiré de ce
que le paiement volontaire de la dette fiscale constitue une circonstance atténuante spéciale à
prendre en compte par le juge répressif. Ces deux éléments concourent au respect de l’exigence
de proportionnalité énoncée par la juridiction européenne. En tout état de cause, la Cour de
justice promeut un plafonnement du cumul, indépendamment de la nature des sanctions
additionnées1241. À cet égard, la position du droit français, qui limite l’application du principe
de proportionnalité aux sanctions de même nature1242, est directement en contradiction avec les
exigences de la Cour de justice.

278. Convergence des standards européens. – Reprenant à son compte les principes
dégagés par la Cour européenne, la Cour de justice ne prohibe pas inconditionnellement
l’addition des procédures pénale et fiscale. Le cumul des procédures est toutefois encadré dans
des limites strictes imposant qu’il soit prévu par la loi, qu’il réponde à un objectif d’intérêt
général et que les principes de nécessité et de proportionnalité soient observés. Dès lors que la
lutte contre la fraude entre dans le cadre des objectifs légitimement poursuivis par la

1238
V. infra, n°432 et s.
1239
CJUE, gde ch., 20 mars 2018, Enzo Di Puma et Zecca, §63.
1240
CJUE, gde ch., 20 mars 2018, Luca Menci, préc., §56.
1241
CJUE, gde ch., 20 mars 2018, Garlsson Real Estate SA, §60.
1242
Cass. Crim., 11 septembre 2019, n°18-81.067 et n°18-82.430 ; Cass. Crim., 21 octobre 2020, n°19-81.929.

243
réglementation nationale, les autorités internes peuvent décider de prévoir un régime
additionnant les répressions pénale et fiscale. Pour que ce cumul respecte les exigences de
nécessité et de proportionnalité de l’article 52 de la Charte, encore faut-il d’une part, que soient
mises en place des règles assurant la coordination des deux procédures et, d’autre part, que les
sanctions prononcées soient contenues dans des limites proportionnées à la gravité du
comportement litigieux. Ces conditions étant directement applicables en droit interne, le régime
dualiste français organisé à l’article 1741 du code général des impôts a récemment pu être
confronté à ces exigences.

§2. La confrontation du droit français aux limitations posées par la Cour de justice
de l’Union européenne

279. Les faits à l’origine du renvoi préjudiciel. – Par le mécanisme du renvoi préjudiciel
prévu à l’article 267 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne1243, la juridiction
nationale est en mesure de saisir le juge de l’Union d’une question contenant une problématique
communautaire dont la solution est déterminante pour le règlement du litige. À ce titre, la
chambre criminelle de la Cour de cassation a récemment été saisie d’un pourvoi à l’encontre
d’un arrêt de la cour d’appel de Chambéry, condamnant un expert-comptable pour des faits de
fraude fiscale et d’omission d’écritures dans un document comptable. Devant les juges du fond,
le prévenu sollicitait sa relaxe sur le fondement de l’article 50 de la Charte, exposant avoir déjà
fait l’objet, à titre personnel et pour les mêmes faits, d’une procédure de redressement fiscal
ayant abouti à l’infliction de pénalités définitives de 40% des droits éludés. Estimant que le
cumul des procédures était conforme aux dispositions de la Charte, la cour d’appel a écarté
l’application du principe ne bis in idem. Son raisonnement prend appui sur les décisions
constitutionnelles du 24 juin 2016 qui ont limité le cumul aux cas de fraudes les plus graves et
exigé que le montant global des sanctions encourues ne dépasse pas le montant le plus élevé de
l’une des sanctions encourues. Au soutien de son pourvoi, le requérant faisait valoir d’une part,
que les règles dégagées par le Conseil constitutionnel pour l’application de l’article 1741 du
code général des impôts n’étaient ni claires, ni précises, ce en violation de l’article 50 de la
Charte des droits fondamentaux et, d’autre part, il reprochait aux juges du fond de ne pas avoir

1243
V. pour plus de développements à ce sujet, A. BARAV, Études sur le renvoi préjudiciel dans le droit de
l'Union européenne : Bruxelles, Bruylant, 2011 ; N. FENGER et M. BROBERG, Le renvoi préjudiciel à la Cour
de justice : Larcier, 2013 ; E. NEFRAMI, Renvoi préjudiciel et marge d'appréciation du juge national : Bruxelles,
Larcier, 2015 ; C. BOUTAYEB, Droit institutionnel de l’Union européenne, Lextenso, LGDJ, 6ème éd., 2020.

244
vérifié que la charge résultant de l’ensemble des sanctions prononcées à son encontre n’était
pas excessive au regard de la gravité de l’infraction reprochée. Examinant attentivement ces
deux questions à l’aune des règles prévues par le droit national, la Cour de cassation a émis un
doute1244 quant à leur conformité aux critères dégagés dans l’affaire Menci. Par un arrêt du 21
octobre 20201245, elle a donc décidé de surseoir à statuer et de renvoyer à titre préjudiciel deux
questions à la Cour de justice de l’Union européenne. Par sa première question, elle s’interroge
sur la conformité des règles nationales à l’exigence de clarté et de prévisibilité des circonstances
dans lesquelles les dissimulations déclaratives en matière de TVA peuvent faire l'objet d'un
cumul de poursuites et de sanctions de nature pénale. Aux termes de la seconde question, elle
soumet à l’examen de la juridiction luxembourgeoise la conformité des règles nationales aux
exigences européennes de nécessité et de proportionnalité1246.

280. Confrontation de la notion de gravité aux exigences européennes. – À la première


interrogation de la chambre criminelle, l’Avocat général de la Cour a répondu dans un avis
communiqué le 9 décembre 20211247 que le droit national fournit suffisamment d’éléments pour
établir de façon prévisible les cas dans lesquels un contribuable peut faire cumulativement
l’objet de poursuites pénale et fiscale1248. Selon son analyse, la réserve du juge constitutionnel
limitant l’addition des procédures aux seules fraudes les plus graves, qui s’intègre pleinement

1244
S’agissant de la première question et après avoir rappelé la réserve constitutionnelle imposant un critère de
gravité, la chambre criminelle souligne que l’appréciation de cette condition ne résulte pas uniquement du montant
des droits fraudés (comme c’était le cas dans la législation italienne ayant reçu les faveurs de la CJUE dans l’arrêt
Menci), mais peut également être analysée au regard de circonstances tenant à la nature et au contexte des
agissements de l’intéressé. Pour la juridiction, cet élément est de nature à faire peser un doute raisonnable sur la
conformité avec le droit de l’Union. S’agissant de la seconde question, la chambre criminelle rappelle la réserve
constitutionnelle imposant au deuxième juge de prendre en compte la première sanction prononcée afin de ne pas
dépasser le montant le plus élevé de l’une des sanctions encourues. Mais constatant que cette règle ne vaut que
pour des sanctions de même nature, elle s’interroge sur sa conformité avec les règles dégagées par la CJUE.
1245
Cass. crim., 21 octobre 2020, n°19-81.929 : Dr. fisc. 2020, 435, obs. R. SALOMON ; Dr. fisc. 2020, comm.
445, note C. CASSAN et P. MISPELON ; Gaz. Pal., 8 décembre 2020, p. 33, obs. S. DETRAZ ; D. actu.,
4 novembre 2020, obs. DIAZ ; D. 2020. 2068 ; RTD com. 2021. 217, obs. B. BOULOC ; M-C. SGARRA, Cumul
des sanctions pénales et fiscales : renvoi à la CJUE de deux questions préjudicielles : Lexbase Fiscal, n°841.
1246
La chambre criminelle de la Cour de cassation n’interroge pas la CJUE ni sur la nature pénale des sanctions
fiscales, ni sur l’existence d’un objectif d’intérêt général légitimant le cumul des procédures pénale et fiscale.
1247
CJUE, 9 décembre 2021, aff. C-570/20, conclusions de M. MANUEL CAMPOS SANCHEZ-BORDONA.
1248
Dans son avis, l’Avocat général rappelle que la réserve constitutionnelle tirée de la gravité s’intègre aux
dispositions des articles 1729 et 1741 du code général des impôts. Il estime que les précisions données par la
chambre criminelle rendent plus compréhensible le système de cumul des répressions. Bien qu’il suggère une
meilleure systématisation des critères retenus, il estime que la réglementation nationale fournit suffisamment
d’éléments pour établir, de façon claire et prévisible, les cas dans lesquels un contribuable pourra se voir infliger
un cumul de sanctions pénale et fiscale : CJUE, 9 décembre 2021, aff. C-570/20, conclusions de M. MANUEL
CAMPOS SANCHEZ-BORDONA, §38 à 83.

245
aux dispositions des articles 1729 et 1741 du code général des impôts, détermine « de manière
raisonnablement prévisible les cas dans lesquels la double répression est possible »1249. Les
indices fournis par le Conseil et précisés par la chambre criminelle rendent plus compréhensible
le système de cumul des répressions. Bien qu’il suggère une meilleure systématisation des
critères retenus, il estime que la réglementation nationale va au-delà du minimum requis pour
se conformer aux exigences de l’article 52 de la Charte. Sur ce premier point, la Cour de justice
a approuvé sans réserve l’analyse de son Avocat général dans son arrêt rendu le 5 mai
dernier1250. Elle a commencé par rappeler qu’en vertu du principe de clarté et de prévisibilité,
le justiciable doit savoir quels comportements sont susceptibles de donner lieu à un cumul des
procédures pénale et fiscale1251. La décision précise ensuite que « s’il incombe à la juridiction
de renvoi de vérifier si la réglementation nationale en cause au principal respecte les exigences
de clarté et de précision rappelées au point 36 du présent arrêt, il appartient à la Cour de
fournir des indications utiles à cet égard pour permettre à celle-ci de trancher le litige dont elle
est saisie »1252. La juridiction luxembourgeoise est restée ainsi dans les strictes limites de son
pouvoir d’interprétation du droit de l’Union. Il incombe au juge national d’apprécier
concrètement les conditions de respect de l’article 50 de la Charte dans le cadre des litiges qui
lui sont soumis. L’objet du renvoi préjudiciel est en effet de « s’assurer, par l’intermédiaire du
juge national, la bonne application du droit de l’Union »1253. Les conditions d’application du
principe ne bis in idem s’adressent donc directement aux juges du fond en tant qu’autorité de
l’État membre de l’Union européenne1254. La décision du 5 mai 2022 est l’occasion pour la
Cour de justice de souligner qu’elle n’a pas vocation à imposer des règles uniformes et
contraignantes au sein de l’Union européenne.

1249
Ibid, §79.
1250
CJUE, 5 mai 2022, BV c/ DDFIP de la Haute-Savoie, aff. C-570/20 : Dr. fisc. 2022, n°19, act. 173 ; Dr. fisc.
n°20, 19 mai 2022, act. 176, obs. M. PELLETIER ; J. GALLOIS, Ne bis in idem en matière fiscale : l’extension,
par la CJUE, du principe de proportionnalité au cumul des sanctions de natures différentes : D. actu, 18 mai 2022.
1251
Ibid, §39.
1252
Ibid, §44.
1253
L’alinéa 2 du premier paragraphe de l’article 19 du TUE prévoit que « les États membres établissent les voies
de recours nécessaires pour assurer une protection juridictionnelle effective dans les domaines couverts par le
droit de l'Union ». V. pour plus de développements à ce sujet : E. NEFRAMI, Renvoi préjudiciel et marge
d'appréciation du juge national : Bruxelles, Larcier, 2015, p. 22.
1254
Selon la CJUE, le juge national « remplit en collaboration avec la Cour, une fonction qui leur est attribuée en
commun, en vue d’assurer le respect du droit dans l’interprétation et l’application des traités » : V. en ce sens :
CJUE, Avis, 8 mars 2011, n°1/09, Projet d’accord sur la création d’un système unifié de règlement des litiges en
matière de brevets, §69. La CJUE se réfère à sa jurisprudence antérieure (V. CJUE, 16 décembre 1981, Foglia,
aff. C- 244/80, Rec. p. 3045, §16 ; CJUE, 15 juin 1995, Zabala Erasun e.a., aff. C-422/93 à C-424/93, Rec. p. I-
1567, §15).

246
281. Insuffisance du contrôle de la Cour de justice de l’Union. – S’agissant du critère de
gravité, la Cour de justice n’a livré dans sa décision que de simples « indications utiles » à la
juridiction de renvoi, à qui il revient de contrôler la prévisibilité de l’engagement de poursuites
pénales. Parmi ces éléments, la juridiction de l’Union européenne est, en premier lieu, attentive
à ce qu’un texte prévoit la possibilité de cumuler les procédures pénale et fiscale. À ce titre, elle
se contente de relever dans sa décision que la formulation de l’article 1741 du code général des
impôts permet l’engagement de poursuites pénales, « indépendamment des sanctions fiscales
applicables ». En deuxième lieu, la Cour de justice souligne l’existence de la réserve posée par
le Conseil constitutionnel limitant l’intervention du droit pénal aux seules fraudes les plus
graves. Elle évoque également les précisions formulées par le juge constitutionnel selon
lesquelles cette gravité peut résulter du montant des droits fraudés, de la nature des agissements
de la personne poursuivie ou des circonstances de leur intervention 1255. Ce faisant, la Cour de
justice accepte que les modalités du cumul entre les procédures pénale et fiscale résultent d’une
réserve constitutionnelle. En troisième lieu, elle rappelle que la portée du critère de gravité a
été, « à plusieurs reprises »1256, précisé par la chambre criminelle de la Cour de cassation. La
juridiction termine son analyse en estimant que le fait que le contribuable doive recourir à
l’assistance d’un conseil juridique pour déterminer les conséquences pénales de son
comportement n’est pas de nature à remettre en cause le caractère clair et précis de la
réglementation nationale. Aux yeux de la Cour, ces différents éléments suffisent à déterminer
les cas dans lesquels un contribuable peut se voir infliger des poursuites pénale et fiscale. Elle
énonce laconiquement que la réserve du Conseil constitutionnel « n’apparaît pas, en soi,
imprévisible ». En définitive, le contrôle de la Cour de justice à l’endroit du critère de gravité
s’avère peu exigeant. L’« obscure-clarté »1257 de ce critère est, aux yeux de la Cour, suffisant.
À la lumière de ces précisions, la Cour de justice a invité la juridiction de renvoi à apprécier si
le requérant pouvait en l’espèce raisonnablement prévoir que son comportement pouvait donner
lieu à un cumul de poursuites. Autrement dit, « la Cour de justice renvoie la Cour de cassation
à ses propres responsabilités »1258. Il lui appartient de vérifier que les éléments déterminant la

1255
V. supra, n°224 et s.
1256
CJUE, 5 mai 2022, BV c/ DDFIP de la Haute-Savoie, préc., §47.
1257
M. CHASTAGNARET, Science fiscale nationale sans conscience européenne n'est que ruine de l'âme : Les
Nouvelles Fiscales, n°1315, 1er septembre 2022.
1258
M. PELLETIER, Non bis in idem et cumul des sanctions fiscales et pénales : épilogue provisoire ? : Dr. fisc.
n°20, 19 mai 2022.

247
gravité de la fraude sont « raisonnablement prévisibles »1259 pour le justiciable. Plus
précisément, la chambre criminelle devra apprécier cette prévisibilité « au moment où
l’infraction »1260 a été commise, en l’espèce entre les années 2009 à 20111261. La Haute
juridiction devra donc se prononcer sur la conformité du système qui préexistait à la réserve
formulée par le Conseil constitutionnel.

282. Confrontation de la notion de proportionnalité aux exigences européennes. – La


seconde question posée à la Cour de justice était relative à la proportionnalité des sanctions
infligées par le cumul des procédures pénale et fiscale. La Cour impose à cet égard qu’une telle
addition « ne dépasse pas les limites de ce qui est approprié et nécessaire à la réalisation des
objectifs légitimes poursuivis »1262 par un régime dualiste. Cette exigence doit s’appliquer à
l’ensemble des sanctions susceptibles d’être prononcées par les autorités poursuivantes,
indépendamment de leur nature1263. Or, si la Cour de cassation a déjà jugé « que le montant
total d’une sanction imposée en cas de cumul de sanctions ne doit pas dépasser le montant le
plus élevé de l’une des sanctions encourues, cette même juridiction a précisé que ladite
limitation ne s’applique qu’à des sanctions de même nature, à savoir à des sanctions
pécuniaires »1264. Suivant l’avis de l’Avocat général1265, la Cour de justice a fermement
condamné la limitation du principe de proportionnalité aux sanctions de même nature applicable
en droit interne. La Cour de justice impose à la réglementation nationale de vérifier la
proportionnalité des sanctions infligées, non seulement si celles-ci sont de natures identiques,
mais aussi lorsqu’il s’agit de sanctions de natures différentes, telles qu’une sanction pécuniaire
cumulée à une peine privative de liberté. Partant, « les États membres ne peuvent pas s'exonérer
de ce contrôle en utilisant comme argument la nature différente des sanctions encourues »1266.
La solution incite donc le droit français à faire évoluer sa jurisprudence sur la portée de la
réserve constitutionnelle imposant que la deuxième sanction infligée ne dépasse pas le

1259
CJUE, 5 mai 2022, BV c/ DDFIP de la Haute-Savoie, préc., §55.
1260
Ibid.
1261
Cass. crim., 21 octobre 2020, n°19-81.929, préc.
1262
CJUE, 5 mai 2022, BV c/ DDFIP de la Haute-Savoie, préc., §34.
1263
La Cour de justice avait déjà posé ce principe sans son arrêt Garlsson Real Estate e.a., dans lequel était en
cause le système italien qui prévoyait un mécanisme plafonnant le cumul mais ne s’appliquant qu’aux sanctions
de même nature : CJUE, gde ch., 20 mars 2018, Garlsson Real Estate SA, préc., §60.
1264
Ibid, §52.
1265
CJUE, 9 décembre 2021, aff. C-570/20, conclusions de M. MANUEL CAMPOS SANCHEZ-BORDONA,
§105.
1266
M. CHASTAGNARET, Science fiscale nationale sans conscience européenne n'est que ruine de l'âme, préc.

248
maximum légal encouru1267. Pour que l’addition des procédures pénale et fiscale se conforme
aux exigences communautaires, il est nécessaire de prévoir des mécanismes permettant de
garantir que le cumul des sanctions n’excède pas la gravité de l’infraction constatée. La
difficulté de la tâche résidera dans la délicate détermination de la valeur d’une peine
d’emprisonnement au regard du montant d’une amende préalablement infligée. Ces sanctions
n’entraînent pas le même type de restrictions à l’égard du contribuable. Pour l’une, il s’agit de
restreindre sa liberté d’aller et venir, tandis que pour l’autre, il s’agit d’atteindre directement
son patrimoine. En réalité, ces deux affronts coïncident avec la complémentarité des buts
assignés à chacune des procédures pénale et fiscale. Si le contentieux pénal a pour objectif
d’ajouter à l’incrimination de la fraude un supplément répressif qui ne pouvait être
exclusivement atteint par la procédure fiscale, il serait envisageable de supprimer la possibilité
pour le juge pénal de prononcer une peine d’amende en présence de sanctions fiscales
préalablement infligées par l’administration fiscale. Lorsque à l’inverse le procès pénal précède
le contentieux fiscal, il est nécessaire d’octroyer au juge des impôts le pouvoir de moduler le
taux des pénalités appliquées1268, afin d’appréhender plus concrètement la situation du
contribuable. Partant, la logique arithmétique promue par la réglementation nationale doit céder
au profit d’une conception axiologique de la proportionnalité. La notion doit s’insérer dans le
cadre d’un « contrôle d’équilibre global »1269 des valeurs atteintes par les peines prononcées
pour que les sanctions pénale et fiscale infligées dans le cadre du cumul des procédures
répondent réellement à la gravité du comportement du contribuable.

283. Effectivité des limitations de la Cour de justice de l’Union européenne. – En


définitive, la décision du 5 mai 2022 révèle la force contraignante en demi-teinte des limitations
posées par la Cour de justice dans sa jurisprudence Menci. Les dispositions de la Charte et
l’interprétation qu’en a fait la Cour de justice permettent de définir ponctuellement des
mécanismes d’articulation conceptuelle du cumul des procédures pénale et fiscale. Cependant,

1267
Au-delà du champ fiscal, cet arrêt est de nature à condamner l’approche du droit français à l’égard du principe
de proportionnalité. Dans de nombreux domaines, il est en effet encore permis d’écarter le principe de
proportionnalité en présence de sanctions de nature différente. V. pour une application en droit du travail : Cons.
const. QPC, 30 mars 2017, n°2016-621, Sté Clos Teddi ; Cons. const., QPC, 7 octobre 2021, n°2021-937, Sté
Deliveroo ; ou en matière environnementale : Cons. const., QPC, 3 décembre 2021, n°2021-953 : D. actu.
8 décembre 2021, obs. J.-M. PASTOR.
1268
V. supra, n°80.
1269
V. en ce sens, G. CHETARD, La proportionnalité de la répression, Étude sur les enjeux du contrôle de
proportionnalité en droit pénal français : Thèse, Strasbourg, 2019, n°762 et s.

249
la marge d’appréciation laissée aux États membres apparaît comme une limite importante à
l’autorité des limitations instaurées par la Cour de justice.

250
CONCLUSION DU CHAPITRE DEUX

284. Faiblesse des standards européens. – Si les juridictions européennes ont œuvré de
concert pour mettre en place des limitations convergentes au cumul des procédures pénale et
fiscale, celles-ci sont pour l’heure insuffisantes à encadrer substantiellement le double régime
répressif applicable en matière fiscale. La faiblesse de ces limites est, en premier lieu, contenue
au sein même des principes dégagés par les juridictions européennes. Les conditions de légalité
du cumul des procédures pénale et fiscale présentent cet inconvénient de ne pouvoir être
appréciées qu’ex post, c’est-à-dire une fois que la fraude a été soumise à l’examen des deux
autorités. Ce n’est que lorsque la seconde procédure sera close que les conditions de légalité du
cumul pourront être appréciées. Cette situation s’avère contraire à la finalité du principe ne bis
in idem, lequel a vocation, au-delà de prohiber une double condamnation à raison des mêmes
faits, de prévenir l’ouverture d’une seconde procédure à l’encontre du contribuable. En second
lieu, les insuffisances des conditions exigées par les juridictions européennes sont inhérentes à
la nature des instruments européens. S’agissant d’une part de l’article 4 du protocole n°7 à la
Convention, l’existence de la réserve française empêche à la jurisprudence de la juridiction
strasbourgeoise de se déployer efficacement en droit interne. Pour l’heure et malgré les doutes
entourant la validité de la réserve, celle-ci demeure applicable devant les juridictions internes
qui l’appliquent sans sourciller. S’agissant d’autre part des limites apportées par la Cour de
justice de l’Union européenne, celles-ci souffrent de la réalité de ses rapports avec les États
membres, dictés par la reconnaissance d’une importante marge d’appréciation. La Cour de
justice n’intervient pas directement pour imposer le respect des principes dégagés, car selon
elle il incombe au juge national de l’assurer. Les limites dictées par la Cour de justice reposent
sur une confiance quasi-présumée du juge national dans leur application.

251
CONCLUSION DU TITRE SECOND

285. Insuffisance des règles de légalité du cumul. – Dans le silence de la loi, le cumul des
procédures pénale et fiscale est encadré par le principe constitutionnel de nécessité des délits et
des peines et par la règle conventionnelle ne bis in idem. En réalité, le cumul applicable en
présence de l’infraction incriminée à l’article 1741 du code général des impôts s’est écarté des
règles classiques définies par les juridictions en matière de cumul de sanctions. Tant pour le
Conseil constitutionnel que pour les cours européennes, le cumul des répressions applicable à
la fraude fiscale n’entre pas directement en conflit avec le principe de nécessité pénale ou avec
la règle ne bis in idem en raison de la complémentarité des procédures. D’un point de vue
interne, la complémentarité des procédures se vérifie à l’aune de trois réserves
constitutionnelles, que sont tout d’abord l’interdiction pour le juge pénal de condamner un
prévenu préalablement déchargé pour un motif de fond devant le juge fiscal, ensuite
l’application d’une règle de proportionnalité au profit du second juge ayant à connaître des faits,
et, enfin, la limitation des poursuites pénales aux seuls cas de fraudes les plus graves. Seule
cette dernière réserve est de nature à restreindre les hypothèses de cumul entre les répressions
pénale et fiscale. Or, du fait de l’indétermination du critère de gravité, cette réserve n’est pas
suffisante à contenir le droit pénal fiscal dans des limites claires et prévisibles. À cet égard, il
est impératif que la gravité de la fraude réponde à une définition unique et objective. D’un point
de vue externe, la complémentarité des procédures doit reposer, soit sur l’existence d’un lien
temporel et matériel suffisant, soit sur le respect des principes de nécessité et de
proportionnalité. Cependant, ces limitations au principe ne bis in idem sont ineffectives ou
inefficaces pour réserver au droit pénal fiscal une application raisonnée et prévisible. En
définitive, cet état des lieux révèle la principale carence des limites conceptuelles posées au
cumul des procédures pénale et fiscale, à savoir l’absence d’une intervention législative. Le
cumul entre les deux contentieux est organisé par l’effet d’un dialogue à trois voix entre le
Conseil constitutionnel, la Cour européenne des droits de l’Homme et la Cour de justice de
l’Union européenne, tandis que les juridictions suprêmes de l’ordre administratif et judiciaire
réceptionnent tant bien que mal les règles autorisant un tel cumul.

252
CONCLUSION DE LA PREMIÈRE PARTIE

286. La complémentarité, clé de voute de l’articulation conceptuelle des procédures. –


Actuellement, le cumul des procédures fiscale et pénale est substantiellement autorisé à raison
de la complémentarité de leurs buts. Lorsque la première a pour objectif de réparer le préjudice
causé par la fraude, la seconde vient s’adjoindre à la poursuite principale afin de lui conférer
une dimension dissuasive supplémentaire. En tant que postulat légitimant la coexistence des
deux ensembles répressifs, la complémentarité doit définir précisément le rôle à donner à
chacun des juges pénal et fiscal.

287. Proposition à écarter. – Dans cette optique, les poursuites pénale et fiscale ne doivent
pas être mises en concurrence. La coexistence des voies pénale et fiscale est nécessaire à lutter
efficacement contre la fraude. L’enjeu du principe ne bis in idem n’impose pas de choisir entre
une voie exclusivement fiscale ou exclusivement répressive pour punir les manquements
fiscaux. En conséquence, les mécanismes d’aiguillage proposés par certains auteurs1270 pour
articuler les réponses pénale et fiscale ne paraissent pas être adaptés pour articuler ce double
régime répressif. Prévu désormais à l’article L. 465-3-6 du code monétaire et financier1271, ce
système mis en place pour pallier l’interdiction conventionnelle1272 et constitutionnelle1273 du
cumul en matière boursière, instaure une concertation préalable obligatoire entre l’Autorité des
marchés financiers et le Parquet national financier, chacun se voyant privé du pouvoir de
poursuivre le manquement boursier dès lors que l'autre aurait préalablement engagé une
procédure. En ce qu’il suppose de faire le choix d’une voie plutôt que d’une autre, le système

1270
V. par exemple, C. HERMON, Retour sur le cumul des poursuites et des sanctions pénales et fiscales, une
partition inachevée : RDP 2016, p. 1395.
1271
Créé par l’article 2 de la loi n°2016-819 du 21 juin 2016 réformant le système de répression des abus de
marché.
1272
Cour EDH, 4 mars 2014, Grande Stevens c/ Italie, préc.
1273
Cons. const., QPC, 18 mars 2015, n°2014-453/454, AJDA 2015. 1191, étude P. IDOUX, S. NICINSKI et E.
GLASER ; D 2015. 894, note A.-V. LE FUR et D. SCHMIDT ; Ibid. 874, point de vue O. DÉCIMA ; Ibid. 1506,
obs. C. MASCALA ; Rev. sociétés 2015. 380, note H. MATSOPOULOU ; RSC 2015. 374, obs. F. STASIAK ;
RTD com. 2015. 317, obs. N. RONTCHEVSKY ; JCP G 2015, n°369, note J.-H. ROBERT ; Dr. pén. 2015. 79,
V. PELTIER ; JCP G 2015. 368, note F. SUDRE ; Dr. sociétés 2015, comm. 99, obs. R. SALOMON ; RJDA
5/2015, n°356 ; R. SALOMON, Le principe ne bis in idem et les infractions boursières : JCP G 2015, n°15 : J.
BOSSAN, Le cumul des poursuites appréhendé par le Conseil constitutionnel : AJ pén. 2015, p. 179 ; J.
LASSERRE-CAPDEVILLE, La décision du Conseil constitutionnel du 18 mars 2015 : impacts et adaptations
envisageables : AJ pén. 2015, p. 182.

253
applicable en matière boursière ne saurait être transposé à la matière fiscale, dans laquelle les
deux répressions sont nécessaires.

288. Proposition à soutenir. – Actuellement, le seul correctif applicable en droit interne qui
conditionne l’addition des deux ensembles répressifs réside dans le critère de gravité posé par
le Conseil constitutionnel dans ses décisions Cahuzac et Wildenstein. L’analyse des différentes
jurisprudences de la chambre criminelle démontre que ce critère ne permet pas au contribuable
de déterminer à l’avance si son comportement est susceptible de faire l’objet de poursuites
pénales, ce malgré l’assistance d’un professionnel du droit. Dès lors, l’enjeu est de déterminer
avec précision les cas dans lesquels un contribuable pourra se voir infliger ce double régime
répressif. Pour ce faire, le critère de gravité devrait tout d’abord être inscrit au sein même de
l’article 1741 du code général des impôts, remplaçant ainsi le seuil obsolète de 153 euros en-
deçà duquel il n’est pas possible de poursuivre pénalement le manquement fiscal. Seule une
réelle délimitation du champ d’application de l’article 1741 du code général des impôts
permettra une articulation raisonnée des procédures pénale et fiscale. Ensuite, des critères
légaux et objectifs devraient pouvoir être définis pour indiquer les conditions dans lesquelles
un simple manquement fiscal revêt la gravité d’une véritable fraude fiscale. En ce sens, il serait
envisageable, à l’instar d’autres droits européens1274, de fixer un seuil chiffré définissant la
gravité de la fraude. En l’absence de respect de ce plafond, le juge devrait pouvoir déceler la
gravité de la fraude à partir d’autres éléments extrinsèques à la fraude, se distinguant cependant
des circonstances aggravantes de l’infraction. Enfin et surtout, la gravité de la fraude devrait
pouvoir être appréciée dès l’engagement de poursuites pénales à l’encontre du contribuable, et
non simplement au stade du jugement. Dès lors, la vérification de la gravité de la fraude
incomberait au ministère public, voire au juge d’instruction lorsque la phase préparatoire au
procès pénal prend la forme d’une information judiciaire. En présence d’une faute
insuffisamment grave, la procédure pénale s’achèverait par le prononcé d’un classement sans
suite ou d’une ordonnance de non-lieu. À l’inverse, si la faute fiscale satisfait aux critères de
gravité, des poursuites pénales peuvent s’adjoindre à la répression fiscale. Une fois la dualité
de répression autorisée, encore faut-il prévoir des règles assurant une articulation processuelle
entre les contentieux pénal et fiscal.

1274
V. supra, n°266, note n°1050.

254
SECONDE PARTIE. L’ARTICULATION PROCESSUELLE
DES PROCEDURES

289. Coordination technique des contentieux pénal et fiscal. – En présence d’une fraude
fiscale, la menace des poursuites pénales est désormais de plus en plus importante pour le
contribuable. Corrélativement, le risque de contrariété de décisions entre le juge répressif et le
juge fiscal est également accru, le premier pouvant être amené à condamner un contribuable
pour avoir fraudé un impôt dont le juge fiscal ne le déclarera pas tenu. De telles configurations
conduisent à se demander si le droit français a adopté des mesures suffisantes pour assurer entre
les deux contentieux une coordination efficace. L’intérêt d’organiser techniquement les deux
pans de la répression apparaît comme un enjeu fondamental, tant pour protéger le contribuable
contre le prononcé de décisions incompatibles que pour la sécurité juridique à laquelle aspire
la collectivité. Dans cette seconde partie, le curseur se place une fois que les autorités ont fait
le choix de cumuler les procédures pénale et fiscale à l’encontre du même contribuable. Il s’agit
dès lors de constater et d’analyser les mécanismes juridiques que le législateur ou la
jurisprudence ont mis en place pour assurer la synchronisation des deux instances. Les
conséquences de l’un et de l’autre des contentieux sur le litige parallèle seront successivement
examinées. L’analyse débutera par l’incidence du litige fiscal sur le litige pénal (Titre I) et se
poursuivra par l’incidence du litige pénal sur le litige fiscal (Titre II).

255
TITRE PREMIER. L’INCIDENCE DU LITIGE FISCAL
SUR LE LITIGE PÉNAL

290. Différents prismes du litige fiscal. – Le contribuable qui entend contester le


redressement décidé par l’administration fiscale peut saisir le juge judiciaire ou administratif
selon la nature de l’imposition en cause1275. Qu’elle soit introduite antérieurement,
postérieurement ou simultanément aux poursuites engagées sur le fondement de l’article 1741
du code général des impôts, la procédure fiscale a un impact sur la procédure répressive. Le
premier chapitre de ce titre sera l’occasion d’analyser les incidences de la procédure fiscale
entendue largement comme l’ensemble des procédures nécessaires à l’établissement de
l’imposition (Chapitre I). Il faudra dans une seconde conception plus restrictive de la procédure
fiscale, analyser les incidences de la seule décision fiscale, à savoir celle prise par le juge des
impôts sur la réclamation initiale du contribuable (Chapitre II).

1275
V. supra, n°4.

256
CHAPITRE I. L’INCIDENCE DE LA PROCÉDURE FISCALE

291. Nature des incidences de la procédure fiscale. – Obligatoirement initié après une
réclamation infructueuse engagée auprès du fisc, le contentieux fiscal traduit un désaccord
persistant entre l’administration et le contribuable. Contestant l’imposition mise à sa charge par
l’administration fiscale, l’intéressé saisit le juge des impôts d’une demande visant à obtenir une
décharge complète ou partielle. L’instance fiscale ainsi engagée va avoir des répercussions sur
les poursuites pénales ouvertes à l’encontre du même contribuable et à raison des mêmes faits.
Mais la procédure préalable, engagée par l’administration dans le cadre de son contrôle fiscal,
peut elle aussi affecter le cours de la procédure pénale. En réalité, si la procédure fiscale a des
incidences procédurales sur le litige pénal, elle n’en engendre aucune du point de vue des
personnes poursuivies. Il faudra dans un premier temps analyser l’absence d’incidence
personnelle de la procédure fiscale (Section I) avant d’étudier dans un second temps la présence
d’incidences procédurales (Section II).

SECTION I. L’ABSENCE D’INCIDENCE PERSONNELLE

292. Assimilation de principe des qualités de débiteur de l’impôt fraudé et d’auteur de


la fraude. – En principe, l’auteur du délit de fraude fiscale de l’article 1741 du code général
des impôts est le contribuable redevable de l’imposition fraudée. Lorsque le redressement fiscal
concerne une personne physique, les qualités de débiteur de l’impôt et d’auteur de la fraude se
confondent. Le cumul des répressions pénale et fiscale est alors admis au nom de leur
complémentarité1276. La situation se complique cependant lorsque le redevable de l’impôt est
une personne morale. Dans pareille hypothèse, la jurisprudence admet de cumuler la
responsabilité fiscale de la personne morale et la responsabilité pénale de la personne physique
qui la représente. En d’autres termes, l’existence d’une procédure fiscale ouverte à l’encontre
d’une personne morale n’a aucune incidence pour le dirigeant personne physique, qui peut voir
sa responsabilité personnelle engagée devant la juridiction correctionnelle. Il faudra analyser
les fondements (§1) et les implications (§2) du cumul des procédures pénale et fiscale entre une
personne physique et une personne morale.

1276
V. supra, n°108.

257
§1. Les justifications de l’admission du cumul des procédures entre une personne
physique et une personne morale

293. Fragilité des fondements du cumul des responsabilités. – Les jurisprudences tant
européenne que nationale refusent de voir dans l’existence d’une procédure fiscale ouverte à
l’encontre d’une personne morale une cause rendant impossible l’engagement de poursuites
pénales contre le dirigeant personne physique. La position des juridictions européenne et interne
est contestable tant elle repose sur des justifications tantôt partielles (A), tantôt artificielles (B).

A) L’insuffisance des justifications européennes

294. Raisonnement de la Cour européenne. – La Cour européenne des droits de l’homme


a été la première à se prononcer sur la possibilité de cumuler les procédures fiscale et pénale,
respectivement à l’encontre d’une personne morale et de son dirigeant personne physique.
Saisie dans le cadre de l’interprétation de l’article 4 du protocole n°7 additionnel à la
Convention, elle a rapidement indiqué que le principe ne bis in idem ne trouvait pas à
s’appliquer « lorsque les sanctions concernent deux entités juridiques distinctes »1277. Ainsi,
l’existence d’une procédure fiscale à l’encontre d’une société n’empêche pas l’engagement de
poursuites pénales à l’encontre de son dirigeant. Le seul constat d’une différence de
personnalité juridique entre la personne morale et la personne physique suffit à admettre le
cumul des procédures fiscale et pénale.

Le raisonnement de la Cour européenne des droits de l’homme s’est ensuite affiné à


l’occasion d’une affaire Pirttimäki c/ Finlande1278. Dans cette espèce, le requérant était
propriétaire de titres dans une société qu’il avait dissimulés par l’intermédiaire de différentes
entités juridiques. Sa société avait d’abord fait l’objet d’un redressement fiscal, aux termes
duquel des majorations d’impôts lui avaient été infligées. Puis, le requérant avait lui aussi subi
un contrôle fiscal à titre personnel pour avoir perçu des dividendes déguisés de la part de la
société. Enfin, celui-ci a été poursuivi devant la juridiction pénale à titre personnel pour y
répondre de l’infraction de fraude fiscale. Devant le juge répressif puis devant la Cour

1277
Cour EDH, 2 octobre 2003, Isaksen c/ Norvège, req. n°13596/02 ; Cour EDH, gr. ch., 10 février 2009, Sergueï
Zolotoukhine c/ Russie, préc., §60.
1278
Cour EDH, 20 mai 2014, Pirttimäki c/ Finlande, req. n°35232/11, §51.

258
européenne des droits de l’homme, il invoquait en vain que le principe ne bis in idem prohibait
dans son cas l’engagement de poursuites pénales subséquentes. Pour écarter l’application de
l’article 4 du protocole n°7, les magistrats de la Cour de Strasbourg se sont non seulement basés
sur le fait que les répressions pénale et fiscale avaient concernées deux entités juridiquement
distinctes, mais aussi sur la différence de circonstances factuelles ayant donné lieu à
l’engagement de deux procédures différentes1279. En d’autres termes, la Cour européenne écarte
la condition d’identité de personnes à l’aune de la différence des idem poursuivis dans chacune
des procédures. La différence de faits permet à la Cour de confirmer le défaut d’identité de
personnes poursuivies.

295. Raisonnement de la Cour de justice de l’Union européenne. – Le raisonnement de


la Cour de justice de l’Union européenne n’est pas aussi poussé que celui adopté par la Cour
européenne dans son affaire Pirttimäki c/ Finlande. Les juges de la Cour de justice de l’Union
européenne se sont prononcés sur la question du cumul des procédures entre une personne
physique et une personne morale à l’occasion d’une affaire Ordi et Baldetti1280, disjointe de
l’affaire Menci1281 à raison du prononcé par la Cour européenne de l’arrêt A et B c/ Norvège1282.
Dans cette affaire, deux sociétés italiennes se sont vues infliger des sanctions fiscales pour des
faits d’omission de déclaration de TVA. Une fois les sanctions administratives devenues
définitives à la faveur d’une transaction fiscale portant sur leur mise en recouvrement, les deux
dirigeants des sociétés ont été poursuivis devant le tribunal pénal italien pour les mêmes faits,

1279
Ibid, §51 et 52 : « The Court considers that these two sets of facts are different. First of all, the legal entities
involved in these proceedings were not the same: in the first set of proceedings it was the applicant and in the
second set of proceedings the company (see Isaksen v. Norway (dec.), no. 13596/02, 2 October 2003; and, mutatis
mutandis, Pokis v. Latvia (dec.), no. 528/02, ECHR 2006-XV; and Agrotexim and Others v. Greece, 24 October
1995, §§ 66-68, Series A no. 330-A). Even assuming that it had in fact been the applicant who was making the tax
declaration in both cases, the circumstances were still not the same: making a tax declaration in personal taxation
differs from making a tax declaration for a company as these declarations are made in different forms, they may
have been made at a different point of time and, in the case of the company, may also have involved other persons.
The Court therefore considers that the two impugned sets of proceedings did not constitute a single set of concrete
factual circumstances arising from identical facts or facts which were substantially the same. Accordingly, there
has been no violation of Article 4 of Protocol No. 7 to the Convention ». La Cour européenne attache ici une
importance à la différence de faits : la déclaration fiscale effectuée pour une personne physique à titre personnel
diffère de celle effectuée pour le compte de la personne morale.
1280
CJUE, 5 avril 2017, Orsi et Baldetti, aff. C-217/15 et C-350/15 : AJDA 2017. 850 ; Dr. fisc. 2017, comm. 307,
obs. N. GUILLAND ; Europe 2017, comm. 218, obs. E. DANIEL ; RSC 2018. 203, chron. J. TRICOT ; Dr. pén.
2018, chron. 3, obs. E. BONIS et V. PELTIER ; JCP E 2018, 1386, obs. R. SALOMON ; RTD Eur. 2018. 499,
chron. A. MAITROT DE LA MOTTE.
1281
CJUE, gde ch., 20 mars 2018, Luca Menci, préc.
1282
Concl. M. CAMPOS SANCHEZ-BORDONA, 12 janvier 2017, §24, ss CJUE, 4ème ch., 5 avril 2017, Massimo
Orsi, aff. C-217/15, et Luciano Baldetti, aff. C-350/15, §24.

259
en qualité de représentants légaux de la personne morale. C’est dans ces conditions que la
juridiction pénale a saisi la Cour de justice de l’Union européenne d’une question préjudicielle
portant sur la conformité aux articles 4 du protocole n°7 additionnel à la Convention européenne
de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et à l’article 50 de la Charte
de l’Union européenne, de la possibilité de procéder à l’examen de la responsabilité pénale
d’une personne qui, pour le même fait, a déjà fait l’objet d’une sanction fiscale devenue
définitive. Dans sa décision du 5 avril 2017, la Cour de justice de l’Union européenne répond
par la positive, affirmant qu’il était parfaitement possible de « diligenter des poursuites pénales
pour omission de verser la TVA, après l’infliction d’une sanction fiscale définitive pour les
mêmes faits, lorsque cette sanction a été infligée à une société ayant la personnalité morale
tandis que lesdites poursuites pénales sont engagées contre une personne physique »1283. Les
magistrats de la juridiction du Luxembourg ont abondé dans le même sens que l’avis de
l’Avocat général, lequel avait qualifié la condition de l’identité de personnes poursuivies par
les voies administrative et pénale « d’impérative »1284. Parce que les poursuites fiscales ont visé
les personnes morales et que les poursuites pénales ont été dirigées à l’encontre des seules
personnes physiques, l’application du principe ne bis in idem exigeant une stricte identité des
personnes poursuivies, ne pouvait être admise. Le dirigeant personne physique, « bien que
représentant la personne morale, ne se confond pas avec elle »1285. Le seul constat d’une
pluralité de personnalités juridiques suffit à admettre le cumul des procédures pénale et fiscale
entre une personne physique et une personne morale.

296. Application illusoire aux cas des sociétés fiscalement transparentes. – En définitive,
la Cour européenne comme la Cour de justice de l’Union européenne, refusent de voir dans le
prononcé d’une sanction fiscale à l’encontre d’une société une cause empêchant l’engagement
d’une procédure pénale à l’encontre du dirigeant personne physique. Cette possibilité est
permise par le simple fait que ces deux entités jouissent d’une personnalité juridique distincte.
Bien que le raisonnement des magistrats européens brille par son « orthodoxie juridique »1286
en ce qu’il défend l’autonomie des personnes morales, il ne permet pas de prendre en

1283
CJUE, 5 avril 2017, Orsi et Baldetti, aff. C-217/15 et C-350/15, préc. §27.
1284
Concl. M. CAMPOS SANCHEZ-BORDONA, 12 janvier 2017, §24, ss CJUE, 4ème ch., 5 avril 2017, Massimo
Orsi, aff. C-217/15, et Luciano Baldetti, aff. C-350/15, §37.
1285
C. BALLOT, Non bis in idem et cumul de responsabilités entre personne physique et personne morale : Gaz.
Pal., 16 janvier 2018, n°3110, p. 20.
1286
D. BERLIN, Non bis in idem et personnalité́ juridique : JCP G 2017, n°18, 506.

260
considération les différentes réalités juridiques d’une société en fonction de son statut. Il est en
effet courant1287 de distinguer les sociétés fiscalement transparentes de celles soumises à l’impôt
sur les sociétés. Une société est fiscalement transparente lorsque les revenus qu’elles dégagent
sont directement imposées entre les mains de ses associés via l’impôt sur le revenu. La société
n’est redevable d’aucune imposition en son nom propre. Sont ainsi fiscalement transparentes
les sociétés dont la responsabilité des associés est illimitée1288. Or, parmi ces sociétés
fiscalement transparentes, certaines sont dotées de la personnalité morale1289. Dans pareille
hypothèse, il est illusoire d’admettre, sur le fondement d’une différence d’entité juridique, le
cumul des procédures fiscale et pénale à l’encontre de la société et de son dirigeant. Sur un plan
strictement fiscal, la personnalité morale d’une société fiscalement transparente est totalement
artificielle. Pour définir le régime fiscal de ces sociétés, le fisc fait volontairement abstraction
de la personnalité morale de la société. Dès lors, le raisonnement des cours européennes
consistant à permettre le cumul au nom d’une différence de personnalité juridique entre la
personne physique et la personne morale, ne peut valablement s’appliquer aux sociétés
fiscalement transparentes dotées de la personnalité morale. Les faiblesses de ce raisonnement
n’ont pas empêché les juridictions nationales de s’en emparer pour admettre elles aussi le cumul
des responsabilités fiscale et pénale de la personne morale et de son dirigeant.

B) Le caractère artificiel des justifications nationales

297. Admission du cumul des responsabilités entre les personnes physique et morale. –
En désignant très largement « quiconque »1290 se soustrait à ses obligations fiscales, l’article
1741 du code général des impôts ne distingue pas selon que l’auteur de l’infraction de fraude
fiscale est une personne morale ou une personne physique1291. En droit interne et dans le sillage

1287
V. en ce sens, J. GROSCLAUDE, P. MARCHESSOU, B. TRESCHER, Droit fiscal général, op. cit., p. 302.
1288
Sont par exemple des sociétés fiscalement transparentes les sociétés civiles, les sociétés en nom collectif, les
sociétés en commandite simple, les sociétés en participation, les sociétés créées de fait.
1289
C’est le cas par exemple de la société en nom collectif : A. DEPONDT, Variations pratiques et d'actualité sur
la personnalité morale des sociétés de personnes : JCP N 1999, p.1133 ; J. VALLANSAN, H. AZARIAN,
« Société en nom collectif », Fasc. n°1139, Jurisclasseur commercial, septembre 2018, mis à jour le 5 janvier 2021,
n°5 et n°30. En revanche, les sociétés en participation et les sociétés crées de fait n’ont pas la personnalité morale.
1290
Art. 1741 CGI, al. 1er.
1291
Lorsque la responsabilité pénale des personnes morales a été introduite en droit interne par l’article 121-1 du
code pénal entré en vigueur le 1er mars 2004, le délit de fraude fiscale ne leur était pas imputable, en l’absence de
texte le prévoyant explicitement. Cette possibilité est désormais ouverte depuis que le principe de généralité s’est
substitué à l’ancien principe de spécialité par la loi n°2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux
évolutions de la criminalité entrée en vigueur le 31 décembre 2005.

261
des jurisprudences des cours européennes1292, l’infliction de sanctions fiscales à l’encontre
d’une personne morale n’empêche pas l’engagement d’une procédure pénale à l’encontre de
son dirigeant personne physique. La chambre criminelle de la Cour de cassation admet en effet
depuis un arrêt du 6 décembre 20171293 que « des poursuites pénales soient engagées pour
fraude fiscale à l’encontre de la personne physique, représentant de la personne morale qui a
fait l’objet de sanctions fiscales pour les mêmes faits ». Devant le juge correctionnel, le
demandeur au pourvoi avait en vain soulevé une exception tirée du principe ne bis in idem,
estimant que les sanctions fiscales préalablement infligées à la société qu’il gérait faisaient
obstacle à ce qu’il soit poursuivi personnellement devant le juge répressif pour les mêmes faits.
Pour écarter cet argumentaire, les magistrats de la chambre criminelle ont directement fait
référence à l’arrêt Ordi et Baldetti1294 rendu quelques mois plus tôt par la Cour de justice de
l’Union européenne1295. Depuis, sa jurisprudence est constante1296. À défaut « d’identité de
personnes dans les deux procédures »1297 pénale et fiscale, le cumul des responsabilités de la
personne physique et morale est permis.

298. Participation personnelle du dirigeant personne physique. – Pour que l’infraction


de l’article 1741 du code général des impôts puisse être valablement imputée au dirigeant,
encore faut-il que celui-ci ait personnellement et volontairement participé à la fraude. En effet,
le principe de responsabilité personnelle énoncé à l’article 121-1 du code pénal implique que la
responsabilité pénale d’une personne ne soit engagée qu’à raison de la commission d’un fait
personnel. Les arrêts exigeant la participation personnelle du dirigeant personne physique sont

1292
Le Conseil constitutionnel circonscrit le principe ne bis in idem aux faits « commis par une même personne » :
Cons. const., QPC, 18 mars 2015, n°2014-453/454, EADS, préc., considérant n°19.
1293
Cass. crim., 6 décembre 2017, n°16-81.857 : D. actu, 20 décembre 2017, obs. W. AZOULAY ; Dr. fisc. 2018,
n°5, comm. 165, obs. N. GUILLAND ; Gaz. Pal., 16 janvier 2018, p. 20, n°2, note C. BALLOT.
1294
CJUE, 5 avril 2017, Orsi et Baldetti, aff. C-217/15 et C-350/15, préc.
1295
Cass. crim., 6 décembre 2017, n°16-81.857 : « l'article 50 de la Charte des droits fondamentaux ne s'oppose
pas à ce que des poursuites pénales soient engagées pour fraude fiscale à l'encontre de la personne physique,
représentant de la personne morale qui a fait l'objet de sanctions fiscales pour les mêmes faits (cf. l'arrêt CJUE
du 5 avril 2017, C-217/15 et C-350/15) ».
1296
Cass. crim., 19 décembre 2018, n°17-85.732 : Dr. fisc. 2019, n° 7, étude 149, R. SALOMON ; Cass. crim., 23
octobre 2019, n°18-85.088 : Dr. fisc. 2019, n°46, chron. 437, R. SALOMON ; D. actu, 12 novembre 2019, obs.
D. GOETZ ; D. 2019. 2097 ; AJ pénal 2020. 25, étude C. LITAUDON ; RTD com. 2019. 1022, obs. B. BOULOC ;
RJF 2020. 642.
1297
Cass. crim., 19 décembre 2018, n°17-85.732.

262
anciens1298 et la jurisprudence récente se montre particulièrement accommodante avec cette
condition, qu’elle caractérise par le simple constat des charges pesant sur les épaules du
dirigeant. Aussi la chambre criminelle estime-t-elle que cette condition est observée dès lors
qu’il incombe personnellement au dirigeant de satisfaire aux obligations fiscales et comptables
de l’entreprise1299. En d’autres termes, la participation personnelle du dirigeant est présumée en
l’absence de délégations de pouvoirs1300. La participation personnelle du dirigeant à la fraude
est vidée de son sens.

299. Détournement des règles de droit pénal général. – Lorsque l’argumentaire tiré du
défaut de participation personnelle du dirigeant est soulevé à l’appui d’un pourvoi, la chambre
criminelle refuse d’y voir là un moyen sérieux de nature à entraîner la cassation. Ainsi, dans un
arrêt du 19 décembre 20181301, le gérant d’une société poursuivi pour fraude fiscale devant le
juge répressif après que sa société ait fait l’objet de sanctions fiscales pour déclarations
mensuelles de TVA minorées, soutenait au visa de l’article 4 du protocole n°7 une violation du
principe ne bis in idem. Selon lui, il n’était poursuivi devant la juridiction pénale qu’en raison
des agissements accomplis en tant que gérant de la société et dans l’intérêt exclusif de cette
dernière. La cour d’appel aurait dû déduire de cette circonstance que les faits reprochés au
prévenu étaient en substance les mêmes que ceux sanctionnés par les pénalités fiscales. En
réponse, la chambre criminelle conforte la motivation de la cour d’appel, selon laquelle « le
prévenu, personne physique, était seul concerné par la procédure pénale de fraude fiscale
tandis que la société (…) avait été la seule concernée par les procédure et sanctions fiscales et
qu'ainsi, il n'y avait pas identité de personnes dans les deux procédures ». Dans cette espèce et

1298
V. pour des jurisprudences anciennes : Cass. crim., 13 mars 1997, n°96-81.081 ; Cass. crim., 16 décembre
2009, n°09-80.125 ; Cass. crim., 4 novembre 2010, n°10-81.433 ; Cass. crim., 4 mai 2011, n°10-85.268 ; Cass.
crim., 8 février 2012, n°11-81.320.
1299
Cass. crim., 27 septembre 2006, n°05-83.922 ; Cass. crim., 14 février 2007, n°06-81.760 ; Cass. crim., 8 février
2012, n°11-81.320 : Dr. fisc. 2012, chron. 372, R. SALOMON ; S. DETRAZ, Un an de droit pénal fiscal et
douanier : Dr. pén. 2012, étude 8, n°3 ; Cass. crim., 13 janvier 2016, n°14-84.036 : Dr. fisc. 2016, chron. 321, R.
SALOMON ; Cass. crim., 5 janvier 2017, n°15-82.435 : Dr. fisc. 2017, chron. 149, R. SALOMON ; Rev. sociétés
2018, p. 725, note B. BOULOC ; Cass. crim., 31 janvier 2018, n°16-85.707.
1300
Cass. crim., 2 avril 2014, n°13-82.269 ; Cass. crim., 19 juin 2013, n°12-83.684. La délégation de pouvoir est
toutefois très peu admise en la matière. La délégation de pouvoirs doit être consentie expressément en matière
fiscale (Cass. crim., 27 juin 2018, n°17-81.918) et à une personne pourvue de la compétence, de l’autorité et des
moyens nécessaires pour mener à bien sa mission (Cass. crim., 12 juin 2014, n°13-83.391). Le dirigeant ayant
signé une délégation de pouvoirs mais en se réservant la signature des chèques n’est pas exonéré de sa
responsabilité pénale (Cass. crim., 28 janvier 2004, n°63-80.595).
1301
Cass. crim., 19 décembre 2018, n° 17-85.732 : Dr. fisc., 14 février 2019, n° 7, étude 149, obs. R. SALOMON ;
Dr. pén. 2019, chron. 8, obs. S. DETRAZ.

263
dès lors que le dirigeant agit ès-qualités de représentant légal de la personne morale, une
imputation personnelle de l’infraction à son encontre est largement discutable. Si le dirigeant
se soustrait aux obligations fiscales dont la société est seule redevable1302, son manquement
devrait engager la responsabilité pénale de la personne morale seule et non la sienne. La faute
fiscale du dirigeant, agissant pour le compte de la société, est une faute de la personne morale
et ne devrait pas pouvoir lui être personnellement reprochée. Seule une faute pénale distincte
commise par lui devrait être de nature à engager sa responsabilité personnelle devant le juge
correctionnel1303. Dans ces conditions, la précision de la Cour de justice l’Union européenne1304
selon laquelle est indifférente la circonstance que les dirigeants aient été poursuivis pénalement
en tant que représentants légaux des sociétés ayant fait l’objet de sanctions fiscales pécuniaires,
est éminemment contestable.

300. Choix entre la responsabilité de la personne physique et celle de la personne


morale. – Certes, la personne morale étant dépourvue de corps et d’esprit, elle ne peut
commettre d’infraction indépendamment de l’action d’une personne physique. C’est la raison
pour laquelle le premier alinéa de l’article 121-2 du code pénal prévoit que « les personnes
morales (…) sont responsables pénalement (…) des infractions commises, pour leur compte,
par leurs organes ou représentants ». La responsabilité des personnes morales est une
responsabilité « indirecte »1305 ou « par représentation »1306, reposant sur une infraction
commise par un organe ou un représentant pour le compte de l’entité. Dès lors que ces
conditions sont remplies, la responsabilité pénale de la personne morale peut être engagée, sans
qu’il ne soit nécessaire d’établir de sa part un fait de participation propre s’ajoutant à celui
réalisé par la personne physique1307. Dès lors que le dirigeant agit pour le compte de la société,

1302
C’est particulièrement le cas lorsque la société n’est pas fiscalement transparente c’est-à-dire soumise à l’impôt
sur les sociétés.
1303
Tel était notamment le cas dans l’affaire Pirttimäki c/ Finlande jugée par la Cour européenne des droits de
l’homme. En l’espèce, la société avait fait l’objet d’un redressement fiscal pour ne pas avoir déclaré l’impôt sur
les sociétés. Le dirigeant personne physique avait lui aussi commis un manquement fiscal pour avoir perçu à titre
personnel des dividendes qu’il avait dissimulés à l’administration fiscale.
1304
CJUE, 5 avril 2017, Orsi et Baldetti, préc. §23.
1305
P. BONFILS, E. GALLARDO, Droit pénal des affaires, Lextenso, LGDJ, 3ème éd., août 2021.
1306
E. VERNY, O. DECIMA, S. DETRAZ, Droit pénal général, Lextenso, LGDJ, 4ème éd., octobre 2020.
1307
L’établissement d’une faute distincte de la personne morale n’est pas une condition pour engager sa
responsabilité pénale : Cass. crim., 26 juin 2001, n°00-83.466 : D. 2002, p. 1802, obs. G. ROUJOU DE BOUBEE
; RSC 2002, p. 99, obs. B. BOULOC ; JCP E 2002. 371, note D. OHL ; Dr. pén., 2002, comm. 8, note J.-H.
ROBERT. Cette décision a mis fin à une controverse jurisprudentielle opposant les partisans de la théorie de la
faute distincte, considérant que l’imputation d’une infraction à la personne morale supposait d’établir la preuve
d’une faute de cette dernière (V. en ce sens, T. corr., Versailles, 18 décembre 1995 : JurisData n°1995-049320 :

264
il incarne véritablement la personne morale. Ainsi que le relevait Monsieur D. OHL, « lorsqu’il
agit pour le compte du groupement, il n’est plus lui-même, il devient la personne morale »1308.
Partant, si la faute du dirigeant personne physique a été perpétrée en sa qualité de représentant
légal, il s’agit d’une faute de la personne morale qui doit lui être personnellement imputée. Dans
pareille hypothèse, « parce que la personne physique représente la personne morale et parce
qu’elle agit pour son compte, la responsabilité de cette dernière absorbe sa propre
responsabilité qui devrait du même coup disparaître »1309. En d’autres termes, la jurisprudence
ne devrait pas pouvoir opter pour la responsabilité pénale du dirigeant. Soit la fraude a été
commise dans l’intérêt exclusif de la personne morale et seule sa responsabilité pénale devrait
pouvoir être engagée ; soit le dirigeant commet les faits dans son propre intérêt et seule sa
responsabilité doit être recherchée. La jurisprudence récente1310 semble avoir trouvé un artifice
pour pallier cette dichotomie, en considérant que la circonstance que le dirigeant ait agi dans
son propre intérêt n’est pas de nature à exclure qu’il ait également agi pour le compte de la
personne morale1311. La solution adoptée par la jurisprudence revient à appréhender la qualité
de représentant légal « deux fois à deux fins différentes »1312 et enfreint les règles gouvernant le

Dr. pén., 1996, comm. 71, note J.-H. ROBERT ; JCP G 1996. II. 22640, note J.-H. ROBERT ; T. corr. Strasbourg,
9 février 1996 : Bull. Joly, 1996, p. 297, note J.-F. BARBIÈRI ; T. corr. Lyon, 9 octobre 1997 : JurisData n°1997-
044728 ; Dr. pén., 1997, comm. 154, note J.-H. ROBERT ; JCP G 1998. I. 105, note J.-H. ROBERT). D’autres
décisions retenaient au contraire la responsabilité de la personne morale sans rechercher une faute personnelle de
la personne morale (V. en ce sens, CA Lyon, 3 juin 1998 : JurisData n°1998-041510 ; Dr. pén., 1998, comm. 118,
note J.-H. ROBERT). La solution a par la suite été réitérée par un arrêt du 23 février 2010 : Cass. crim., 23 février
2010, n°09-81.819 : Dr. pén. 2010, comm. 73, note J.-H. ROBERT.
1308
D. OHL, Recherche sur un dédoublement de la personnalité en droit pénal (à propos d’une responsabilité
pénale de la personne morale qui n’exclut pas celle du dirigeant personne physique), in Études offertes à
Barthélémy Mercadal, éd. F. LEFEBVRE, 2002, n°5, p. 375.
1309
C. BALLOT, Non bis in idem et cumul de responsabilités entre personne physique et personne morale, op. cit.
1310
Cass. crim., 29 janvier 2020, n°17-83.577 : Dr. fisc. 2020, n°13, comm. 213, note S.-M. CABON ; Dr. fisc.
2020, n°18, chron. 230, R. SALOMON.
1311
Dans l’arrêt du 29 janvier 2020, l’argumentaire était inversé puisque le dirigeant personne physique contestait
non pas l’imputation de l’infraction pour son propre compte, mais pour celui de la personne morale. En l’espèce,
un montage financier avait été élaboré en vue d’une opération immobilière. Une SCI avait été constituée pour
acquérir des biens immobiliers, dont les produits avaient ensuite été reversés à la personne physique via un compte
ouvert en Suisse. La SCI n’était alors qu’une coquille vide, ne percevant aucun loyer et ne disposant d’aucune
ressource. Devant le juge répressif, tant la personne morale que son dirigeant ont été condamnés. Aux termes de
son quatrième moyen devant la Cour de cassation, le demandeur au pourvoi reprochait à la cour d’appel d’avoir
condamné la personne morale sans avoir caractérisé que sa représentante légale avait agi pour le compte de la
société. La chambre criminelle confirme cependant l’arrêt en ces termes : « En l'état de ces énonciations, dont il
résulte que Mme O..., en sa qualité de représentante légale, a agi pour le compte des SCI qui sont devenues
propriétaires chacune d'un bien immobilier, le fait que Mme O... ait agi dans son propre intérêt n'étant pas de
nature à exclure qu'elle l'ait fait également pour le compte des personnes morales, la cour d'appel a justifié sa
décision ».
1312
Ibid.

265
principe de responsabilité personnelle de l’article 121-1 du code pénal. La multiplication
artificielle des procédures contre le dirigeant et la société qu’il représente contient un véritable
détournement du principe de la responsabilité pénale des personnes morales à des seules fins
répressives. Les raisons qui poussent la jurisprudence à admettre un tel cumul finissent de nous
convaincre de l’incongruité d’une telle situation.

§2. Les implications du cumul des procédures entre une personne physique et une
personne morale

301. L’application de la solidarité fiscale à l’encontre du dirigeant personne physique.


– L’ouverture d’une procédure fiscale à l’encontre d’une personne morale n’a aucune incidence
sur la responsabilité pénale du dirigeant, qui peut toujours être recherchée à raison des mêmes
faits. L’engagement des poursuites sur le fondement de l’article 1741 du code général des
impôts implique pour lui le risque de se voir solidairement condamné au paiement de l’impôt
fraudé par la personne morale qu’il représente. L’addition artificielle des procédures à
l’encontre du dirigeant et de la société permet d’élargir le champ des débiteurs de l’impôt via
le mécanisme de la solidarité de l’article 1745 du code général des impôts1313. Cette possibilité
ressort clairement des termes d’une décision rendue le 30 janvier 2019 par la chambre
criminelle de la Cour de cassation1314. En l’espèce, la cour d’appel avait refusé de faire droit à
la demande de l’administration fiscale visant à voir prononcer la solidarité à l’encontre du
prévenu, aux motifs que celui-ci ayant été poursuivi pénalement à titre personnel, il ne pouvait
en cette seule qualité répondre de la fraude commise par sa société. Le raisonnement a été
réformé par la Haute juridiction qui a affirmé, au visa de l’article 1745 du code général des
impôts, que cette disposition permettait de rendre solidaire au paiement de l’impôt fraudé et
aux pénalités y afférentes, tous ceux qui ont été condamnés définitivement sur le fondement des
articles 1741 à 1743 du même code avec le redevable légal de l'impôt fraudé. En conséquence,
le juge répressif pouvait parfaitement « prononcer la mesure de solidarité fiscale à l'encontre
du dirigeant de la société, redevable légal de l'impôt fraudé, condamné, en qualité d'auteur,
pour fraude fiscale ». La recherche de la responsabilité du dirigeant personne physique permet
de lui transférer le poids des sanctions fiscales infligées à la personne morale. L’intérêt de
cumuler les responsabilités fiscale et pénale des personnes morales et de ses dirigeants est donc

1313
V. supra, n°103 et s.
1314
Cass. crim., 30 janvier 2019, n°18-82.394 : Dr. fisc., 16 mai 2019, n° 20, chron. 262, R. SALOMON.

266
essentiellement budgétaire. Auditionnée dans le cadre de la mission d’information commune
sur les procédures de poursuite des infractions fiscales ouverte à l’occasion des travaux
préparatoires à la loi n°2018-898 du 23 octobre 2018, la vice-présidente des chambres
correctionnelles du tribunal judiciaire de Paris compétentes en matière économique et
financière a concédé que « la part importante de dossiers visant des gérants de droit ou de fait
d’une société devenue insolvable »1315 s’expliquait par un objectif de recouvrement des
créances fiscales.

302. Parallèle avec la solidarité fiscale civile. – Un parallèle doit ici être fait avec la
solidarité civile fiscale de l’article L. 267 du livre des procédures fiscales1316. À l’instar de la
solidarité de l’article 1745 du code général des impôts, ce mécanisme a pour finalité de faire
désigner une personne autre que le redevable des impôts afin qu’il réponde du paiement de la
créance fiscale. Elle s’analyse comme une action patrimoniale à caractère civil devant être
engagée par le comptable public devant le président du tribunal judiciaire du lieu du siège social
de la société. Pour bénéficier au Trésor, l’application de l’article L. 267 du livre des procédures
fiscales est subordonnée à la preuve de l’existence de manœuvres frauduleuses de la part du
dirigeant ou de l'inobservation grave et répétée de ses obligations fiscales ayant rendues
impossible le recouvrement des impositions par l’administration fiscale. Un arrêt récent de la
chambre commerciale de la Cour de cassation vient de préciser que « la condamnation solidaire
des dirigeants sociaux prévue par ce texte suppose que soit constatée l'impossibilité définitive
de recouvrer les impositions et pénalités dues par la société »1317. En d’autres termes, s’agissant
de la solidarité fiscale civile, le dirigeant personne physique ne doit répondre des impositions
de sa société que si la créance fiscale ne peut pas être entièrement ou partiellement recouvrée
par les fonds propres de la société. Aucune condition similaire n’existe au profit du dirigeant
personne physique condamné du chef de fraude fiscale devant le juge répressif, si bien que
l’administration fiscale peut choisir de recouvrer sa créance auprès du patrimoine de ce dernier
indépendamment de l’état des finances de la société.

1315
Rapp., Assemblée nationale, n°982, 23 mai 2018, Rapport d’information déposé en application de l’article
145 du Règlement par la mission d’information commune sur les procédures de poursuite des infractions fiscales,
M. E. DIARD, p. 51.
1316
La solidarité fiscale de nature civile est apparue en droit français avec l’ordonnance n°58-1372 du 29 décembre
1958 relative à diverses dispositions d'ordre fiscal et douanier. Initialement codifiée à l’article 1724 ter du code
général des impôts, son régime est aujourd’hui prévu à l’article L. 267 du livre des procédures fiscales.
1317
Cass. com., 19 janvier 2022, n°19-18.560 : Dr. fisc. n°27, 7 juillet 2022, comm. 275, note T. FAVARIO.

267
303. Mise en échec des réserves constitutionnelles. – Ajoutons à cette situation que,
lorsque les poursuites pénales visent le dirigeant personne physique d’une société s’étant
préalablement vu infliger des sanctions fiscales pour les mêmes faits, la jurisprudence refuse
d’appliquer le principe de proportionnalité du cumul des sanctions pénales et fiscales 1318. La
chambre criminelle de la Cour de cassation avait déjà précisé, non sans contradiction avec les
exigences de la Cour de justice de l’Union européenne1319, que cette réserve d’interprétation ne
pouvait concerner que des « sanctions de même nature »1320. Pour la Cour de cassation, « seule
l'amende est considérée comme étant de même nature que les majorations fiscales, ce qui exclut
d'autres peines telles que les mesures de confiscation »1321. Le principe de proportionnalité ne
s’applique pas non plus à l’égard du prévenu poursuivi à titre personnel lorsque sa société a fait
l’objet de pénalités fiscales1322. Du reste, la réserve posée par le Conseil constitutionnel limitant
le cumul des procédures pénale et fiscale aux cas de fraudes les plus graves1323 ne s’applique
pas si le prévenu ne justifie pas avoir fait personnellement l’objet d’une sanction fiscale1324.

304. Rupture de la complémentarité des procédures. – En définitive, le prévenu qui ne


s’est pas vu infliger des sanctions fiscales à titre personnel ne peut utilement invoquer devant
la juridiction répressive, ni le critère de gravité pour tenter d’échapper aux poursuites pénales,
ni le principe de proportionnalité pour espérer une limitation du quantum de sa peine. Ces
solutions ne sont aucunement en harmonie avec le principe de complémentarité des procédures
pénale et fiscale qui légitime pourtant leur addition1325. L’artifice d’une différence de
personnalité juridique permet de cumuler les responsabilités pénale et fiscale de la personne

1318
V. supra, n°282. Cons. const., QPC, 24 juin 2016, n°2016-545 et 2016-546, considérant n°24 et Cons. const.,
QPC, 23 novembre 2018, n°2018-745, considérant n°22.
1319
CJUE, 5 mai 2022, BV c/ DDFIP de la Haute-Savoie : Dr. fisc. 2022, n°19, act. 173 ; Dr. fisc. n°20, 19 mai
2022, act. 176, obs. M. PELLETIER ; J. GALLOIS, Ne bis in idem en matière fiscale : l’extension, par la CJUE,
du principe de proportionnalité au cumul des sanctions de natures différentes, D. actu, 18 mai 2022.
1320
Crim., 11 septembre 2019, n°18-81.067, préc., §45 et 46.
1321
Cour de cassation, Note explicative relative aux arrêts n°1174, 1175, 1176, 1177, 1178 et 1179 du 11 septembre
2019 (chambre criminelle), p. 9.
1322
Cass. crim., 23 octobre 2019, n°18-85.088 : Dr. fisc. 15 novembre 2019, n°46, étude 437, obs. R. SALOMON ;
D. 2019. 2097 ; AJ pén. 2020. 25, étude C. LITAUDON ; Rev. sociétés 2020. 308, note B. BOULOC ; RTD com.
2019. 1022, obs. B. BOULOC ; RJF 2020. 642 ; Cass. crim., 24 juin 2020, n°19-81.134 : D. 2020. 1359 ; RSC
2020 p. 663, obs. S. DETRAZ, Dr. fisc. 2020, n°27, comm. 229 ; Dr. pén. 2020, comm. 165.
1323
Cons. const., QPC, 24 juin 2016, n°2016-545 et n°2016-546, préc., considérant n°21.
1324
Cass. crim., 11 septembre 2019, n°18-81.067, préc., §36 ; Cass. crim., 1er avril 2020, n°18-85.958 : Dr. fisc.
2020, n°18, chron. 230, note R. SALOMON ; Dr. pén. 2020, comm. 126, note V. PELTIER ; Cass. crim., 24 juin
2020, n°19-81.134 : D. 2020. 1359 ; Dr. fisc. 2020, n°27, comm. 229 ; Dr. pén. 2020, comm. 165, obs. V.
PELTIER.
1325
V. supra, n°108.

268
morale et de son dirigeant pour les mêmes faits, sans que les réserves posées à l’articulation
conceptuelle du cumul bénéficient au dirigeant personne physique. Face au juge répressif, celui-
ci se trouve démuni. Il doit subir l’affront d’une procédure pénale censée être complémentaire
avec une procédure fiscale dont les conséquences sont pourtant neutralisées comme touchant la
seule personne morale. Ce faisant, la jurisprudence n’appréhende pas le cumul des procédures
pénale et fiscale dans son ensemble. En multipliant les responsabilités de différentes entités
juridiques sans tirer les conséquences procédurales de cette addition, la jurisprudence fait
complétement fi de la complémentarité des procédures. Comment admettre la complémentarité
des répressions lorsque celles-ci ne sont pas appliquées à une même personne ? En refusant
toute incidence de l’instance fiscale sur les personnes poursuivies, la jurisprudence fait
disparaître toute idée de complémentarité entre les procédures pénale et fiscale. À défaut
d’engendrer des incidences personnelles, le litige fiscal influe sur la procédure pénale par le
biais d’incidences procédurales.

SECTION II. LA PRÉSENCE D’INCIDENCES PROCÉDURALES

305. Incidence de deux natures. – L’instance fiscale a parfois des répercussions directes
sur la procédure pénale ouverte à l’encontre des mêmes faits sur le fondement de l’article 1741
du code général des impôts. Ces incidences peuvent être d’ordre temporel (§1) ou probatoire
(§2).

§1. Les incidences temporelles

306. Évolution du droit positif. – Le législateur n’a pas pris de mesures impératives en
coordonnant, au niveau de l’ordre dans lequel ils doivent être engagés, les contentieux fiscal et
répressif. Dans le silence des textes, c’est la jurisprudence qui a dû organiser la temporalité
entre les deux procédures. L’état positif du droit a sensiblement évolué au cours des dernières
années sur ce sujet. Alors qu’antérieurement aux décisions du 11 septembre 2019 1326, la
jurisprudence criminelle refusait de voir dans l’instance fiscale un motif de sursis à statuer pour

1326
Cass. crim., 11 septembre 2019, n°18-81.980 ; Dr. fisc. 2019, act. 402 ; Cass. crim., 11 septembre 2019, n°18-
81.067 ; Dr. fisc. 2019, n° 38, act. 401 ; Cass. crim., 11 septembre 2019, n° 18-82.430 ; Dr. fisc. 2019, n° 38, act.
400 ; Cass. crim., 11 septembre 2019, n°18-81.040 ; Dr. fisc. 2019, n°40, comm. 390 ; Cass. crim., 11 septembre
2019, n°18-84.144 ; Dr. fisc. 2019, n°38, act. 401 ; Cass. crim., 11 septembre 2019, n°18-83.484 ; Dr. fisc. 2019,
n°38, act. 398, préc.

269
le juge pénal (A), désormais celui-ci est libre de remettre à une date ultérieure l’examen et le
jugement sur la culpabilité du prévenu (B). L’instance fiscale constitue ainsi une cause de
suspension de la procédure pénale, sans pour autant que le prononcé de cette mesure préventive
ne dessaisisse le juge répressif des poursuites qui demeurent engagées à l’encontre du prévenu.

A) L’interdiction de surseoir à statuer avant les arrêts du 11 septembre 2019

307. Sursis à statuer : conséquence d’une exception préjudicielle. – Le mécanisme du


sursis à statuer n’est pas prévu en tant que tel dans le code de procédure pénale 1327, si ce n’est
pour imposer au juge civil d’attendre la décision définitive du juge répressif sur l’action
publique pour se prononcer sur l’action civile exercée devant lui1328. Le prononcé d’un sursis à
statuer est en réalité la conséquence de la reconnaissance d’une exception préjudicielle
envisagée à l’article 386 du code de procédure pénale. Lorsque la question posée devant le
tribunal répressif n’entre pas dans son office, il est contraint de surseoir à statuer dans l’attente
de la décision de la juridiction compétente. Le principe de plénitude de juridiction du juge
pénal1329, selon lequel la compétence de celui-ci s’étend à toutes les questions se rapportant au
litige dont il est saisi, même si elles ne relèvent normalement pas de sa compétence1330, restreint

1327
Le sursis à statuer est envisagé comme une conséquence d’autres mécanismes procéduraux tels que les QPC
(art. 23-3 de l’ordonnance n°58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel) ou
les demandes d’avis à la Cour de cassation (art 706-65, al. 2 CPP).
1328
L’article 4, alinéa 2 du CPP dispose : « il est sursis au jugement de cette action [civile] tant qu’il n’a pas été
prononcé définitivement sur l’action publique lorsque celle-ci a été mise en mouvement ». Afin d’éviter les
constitutions de partie civile ayant pour seul objet d’obliger le juge civil à surseoir à statuer, l’alinéa 3 dudit article
limite son prononcé à l’action civile stricto sensu et non aux actions à fins civiles. L’obligation pour le juge civil
de surseoir à statuer ne s’impose que dans l’hypothèse où il est saisi d’une action en réparation du dommage
résultant d’une infraction pénale.
1329
Ce principe de plénitude de juridiction trouve un écho dans la maxime selon laquelle « le juge de l’action est
également juge de l’exception ». L’article 384 du code de procédure pénale énonce à ce titre que « le tribunal saisi
de l'action publique est compétent pour statuer sur toutes exceptions proposées par le prévenu pour sa défense, à
moins que la loi n'en dispose autrement, ou que le prévenu n'excipe d'un droit réel immobilier ». En vertu du
principe de plénitude de juridiction, le tribunal répressif connaît de toutes les contestations incidemment soulevées
devant lui.
1330
Aux termes de l’article 111-5 du code de procédure pénale, le juge répressif est notamment compétent pour
l’interprétation des actes administratifs. Cette disposition a été adoptée à la suite d’une importante querelle ayant
opposée la chambre criminelle et le tribunal des conflits. Depuis une célèbre décision du 3 août 1810 dite du « coup
d’État de la Rochelle », la chambre criminelle s’est reconnue compétente pour interpréter et apprécier la légalité
des actes administratifs. Était en l’espèce en cause des jugements du Tribunal de police ayant infligé à des habitants
des peines pénales pour avoir vaqué publiquement à leurs travaux ou avoir ouverts leur boutique les jours de
dimanche pendant le service divin. Cette pratique a ensuite été codifiée lors de la révision du code pénal de 1832,
son article 471 octroyant compétence au juge pénal pour punir les contraventions « aux règlements légalement
faits ». Mais la jurisprudence pénale est rapidement allée plus loin en s’octroyant le pouvoir d’interpréter les actes

270
considérablement le champ de la recevabilité des questions préjudicielles. Aux termes de
l’article 386 du code de procédure pénale, l’exception n’est recevable devant le juge répressif
« que si elle est de nature à retirer au fait qui sert de base à la poursuite le caractère d'une
infraction »1331. Le sursis à statuer suppose que la question posée au juge répressif ne relève pas
de sa compétence mais de celle du juge fiscal. Surtout, il ne s’impose que si la décision du juge
des impôts est susceptible de faire perdre aux faits leur caractère délictueux.

308. Intérêt du sursis à statuer pour le juge pénal. – Lorsqu’un contribuable saisit le juge
des impôts, il estime infondé ou irrégulière la prétention de l’administration fiscale à un
supplément d’impôt, éventuellement accompagné de sanctions fiscales. Poursuivi pour les
mêmes faits devant la juridiction répressive, le contribuable peut logiquement solliciter un
sursis à statuer dans l’attente de la décision du juge fiscal. Il apparaîtrait inconcevable que le
tribunal correctionnel prononce une condamnation à son encontre pour avoir fraudé un impôt
dont il n’était finalement pas redevable. En dépit du « bon sens » et de la « logique
irréfutable »1332 de ces arguments, la chambre criminelle de la Cour de cassation s’est
longtemps opposée à l’idée d’un sursis à statuer dans l’attente de la décision fiscale. Depuis les
années 1950, la position de la jurisprudence répressive était constante1333. Saisi sur le fondement

administratifs individuels (Cass. crim., 7 décembre 1883 : S. 1885, I. 89). Le Tribunal des conflits a mis un coup
d’arrêt à cette jurisprudence en refusant la compétence du juge pénal dans l’appréciation de la légalité des actes
administratifs (Tribunal des conflits, 5 novembre 1880, Marquigny, S. 1881, III. 81 ; Tribunal des conflits, 22 avril
1910, Préfet de la Côte d’Or c/ Abbé Piment, S. 1910. III. 129). En raison de la résistance de la chambre criminelle,
le Tribunal des conflits a rendu son célèbre arrêt Avranches et Desmarets le 5 juillet 1951 (Tribunal des conflits,
5 juillet 1951 : S. 1952, 3, p. 1, note AUBY ; JCP G 1951, II, 6623, note HOMONT). Par cette décision, s’il
concède au juge pénal « plénitude de juridiction sur tous les points d'où dépend l'application ou la non application
des peines », il réserve au juge administratif compétence pour « l’appréciation de la légalité des actes
administratifs non réglementaires ». Ce compromis n’a cependant pas tenu, le juge pénal s’arrogeant quelques
années après le pouvoir d’apprécier les actes administratifs tant réglementaires qu’individuels (Cass. crim., 21
décembre 1961, Dame Leroux : Bull. crim. 1961, n°551 ; JCP G 1962. II. 12680, note LAMARQUE ; D. 1962, p.
102, rapp. COSTA ; W. JEANDIDIER et J. BELOT, Les grandes décisions de la jurisprudence : procédure
pénale, n°6 ; (Cass. crim., 1er juin 1967, Canivet et dame Moret : Bull. crim. 1967, n°172 ; JCP G 1968, II, 15505,
note J. LAMARQUE). La controverse s’est soldée avec le nouveau Code pénal par l’adoption d’un article 111-5
selon lequel « les juridictions pénales sont compétentes pour interpréter les actes administratifs, réglementaires
ou individuels et pour en apprécier la légalité lorsque, de cet examen, dépend la solution du procès pénal qui leur
est soumis ». Pour plus de développements à ce sujet : C. VAUTROT-SCHWARZ, La plénitude de juridiction du
juge pénal sur l’interprétation et l’appréciation de la légalité des actes administratifs, in F. STASIAK ; Histoire et
méthodes d’interprétation en droit criminel, Thèmes et commentaires, 1ère éd., 18 novembre 2015, p. 61 et s.
1331
Art. 386, al. 2 CPP.
1332
G. KLEIN, La répression de la fraude fiscale, Étude sur le particularisme du droit pénal des impôts, op. cit.,
p. 109, n°126.
1333
Cass. crim., 14 décembre 1954 : Bull. crim., n°389, p. 672 ; Cass. crim., 12 février 1958 : Bull. crim., n°147,
p. 246 ; Cass. crim., 19 mai 1960 : Bull. crim., n°274, p. 563 ; Cass. crim., 16 mai 1968, n°68-90.871 ; Cass. crim.,

271
de l’article 1741 du code général des impôts, le juge pénal n’avait pas à surseoir à statuer jusqu’à
ce que la juridiction administrative se soit prononcée sur l’assiette et l’étendue des impositions
contestées. Plus qu’une simple indication, il s’agissait d’une véritable interdiction pour la
juridiction pénale.

309. Obligation pour le juge pénal de surseoir à statuer en cas de contestation devant
le juge fiscal : l’ancienne procédure de mise en demeure préalable. – L’interdiction
d’ajourner le prononcé de la décision pénale dans l’attente de la décision du juge fiscal n’a
cependant pas toujours été la règle pour le juge répressif. Antérieurement à ces décisions, un
mécanisme procédural le contraignait au contraire à surseoir à statuer dans l’attente de la
décision de son homologue. La loi de finances du 22 mars 19241334 avait institué un préalable
obligatoire aux poursuites pénales, obligeant l’administration fiscale à mettre en demeure le
contribuable de régulariser sa situation fiscale avant de pouvoir déclencher le procès pénal1335.
En cas d’accord, le contribuable n’était passible que de sanctions fiscales1336. Le délit de fraude
fiscale n’était pas consommé et les poursuites devenaient sans objet1337. Mais lorsque le
contribuable, au lieu de s’incliner devant la rectification du fisc, en contestait le bien-fondé
devant le juge des impôts, les poursuites correctionnelles ne pouvaient être engagées qu’après
le prononcé de la décision fiscale. La juridiction correctionnelle avait pris acte de cette
articulation, garantissant qu’en cas de contestation devant le juge fiscal, « ce ne sera qu’après
la décision de cette juridiction que la poursuite pénale pourra être engagée s’il y a lieu »1338.
Plus qu’un sursis à statuer, ce mécanisme constituait une « exception préjudicielle à l’action
pénale en cas de contestation fiscale »1339. La procédure d’avertissement préalable agissait en
amont afin d’éviter que deux tribunaux saisis concomitamment des mêmes faits prennent des

5 juillet 1976, n°75-93.347 ; Cass. crim., 25 février 1991, n°90-80.672 ; Cass. crim., 2 octobre 2002, n°01-87.996 ;
Cass. crim., 11 janvier 2006, n°05-82.674.
1334
Loi de finances du 22 mars 1924.
1335
F. LOMBARD, La Nouvelle Loi fiscale, Double décime, texte complet de la loi de finances du 22 mars 1924,
suivi de nombreux commentaires pratiques à l’usage des Contribuables, publications Godard, p. 11. L’article 52
de ladite loi incrimine le délit de fraude fiscale. L’alinéa 4 dudit article prévoyait que « préalablement à toutes
poursuites, le contribuable sera mis en demeure, par lettre recommandée, de faire ou de compléter sa déclaration
dans un délai qui ne pourra être moindre de quinze jours ni excéder un mois ».
1336
Art. 52, al. 5 de la loi de finances du 22 mars 1924.
1337
G. KLEIN, La répression de la fraude fiscale, Étude sur le particularisme du droit pénal des impôts, op. cit.,
p. 123, n°144.
1338
Cass. crim., 2 février 1934 : Bull. n°19, p. 45.
1339
G. KLEIN, La répression de la fraude fiscale, Étude sur le particularisme du droit pénal des impôts, op. cit.,
p. 124, n°144.

272
décisions incompatibles. Mais en dépit de ses bienfaits, ce mécanisme était extrêmement
favorable au contribuable, à qui il suffisait de se conformer à la mise en demeure de
l’administration fiscale pour échapper à l’ouverture d’un procès pénal. En ce sens, il instituait
un véritable « droit de repentir »1340 à son égard. Progressivement1341, cette procédure a disparu
de notre paysage juridique, en même temps que l’obligation pour le juge répressif d’attendre la
décision définitive du juge de l’impôt pour engager les poursuites pour fraude fiscale.

310. À partir des années 1950 : interdiction pour le juge pénal de surseoir à statuer. –
Prenant le contre-pied de ce dispositif, la jurisprudence de la chambre criminelle a ensuite
proscrit au juge pénal de surseoir à statuer en présence d’une contestation devant le juge des
impôts. Lorsque les juges du fond soutiennent avoir la possibilité de prononcer un sursis « afin
d’être en mesure de puiser dans les procédures administratives engagées des indices propres
à fonder leur intime conviction »1342, tout en rappelant à juste titre que la juridiction pénale n’est
pas légalement tenue d’attendre que le juge fiscal se prononce sur la contestation soulevée
devant lui, la chambre criminelle de la Cour de cassation censure leur raisonnement. Elle se
fonde pour ce faire sur le principe d’indépendance des procédures pénale et fiscale1343 selon
lequel celles-ci « sont, par leur nature et par leur objet, différentes et indépendantes l'une de
l'autre »1344. En ordonnant un sursis à statuer, la cour d’appel a en réalité « admis à tort une
exception préjudicielle qui, n'étant pas de nature à retirer aux faits servant de base à la
poursuite pénale le caractère d'une infraction »1345. Pour la chambre criminelle, la décision du
juge fiscal ne saurait avoir une influence sur la procédure pénale, laquelle peut aboutir à une
condamnation sur le fondement de l’article 1741 du code général des impôts indépendamment
du résultat de la contestation fiscale.

1340
Ibid.
1341
La procédure de mise en demeure préalable a d’abord été écartée en matière de droits d’enregistrement par le
décret-loi du 27 décembre 1934 portant codification des textes sur la taxe sur le chiffre d’affaires et les taxes
uniques, puis pour les valeurs mobilières par le décret du 21 décembre 1934 dit fiscal des valeurs mobilières et
enfin pour les contributions indirectes par le décret-loi du 27 décembre 1934 portant codification des textes sur les
impôts directs et taxes assimilées. Pour tous les autres impôts, l’exigence de la mise en demeure préalable a disparu
avec l’entrée en vigueur du code général des impôts le 6 avril 1950.
1342
Cour d’appel de Bordeaux, chambre des appels correctionnels, 18 décembre 1975, n°1975-12-18 cassé par
Cass. crim., 5 juillet 1976, n°75-93.347 : JCP G 1976. IV. 294 ; Gaz. Pal., Rec. 1976, p. 788 ; Bull. crim. n°246.
1343
V. supra, n°113 et s.
1344
V. notamment, Cass. crim., 16 mai 1968, n°68-90.871 ; Cass. crim., 5 juillet 1976, n°75-93.347 ; Cass. crim.,
25 février 1991, n°90-80.672 ; Cass. crim., 11 janv. 2006, n°05-82.674 : D. 2006. 532 ; AJ pén. 2006. 171, obs. C.
SAAS ; RTD com. 2006. 686, obs. B. BOULOC.
1345
Cass. crim., 5 juillet 1976, n°75-93.347, préc.

273
311. Fragilité du fondement invoqué par la chambre criminelle. – Pour rejeter la
possibilité de surseoir à statuer, la chambre criminelle défend la thèse de l’indépendance des
procédures en affirmant que la contestation fiscale n’est pas de nature à influer sur la
caractérisation du délit de l’article 1741 du code général des impôts. Aussi considère-t-elle que
l’examen par le juge fiscal de la réalité des dissimulations fiscales ne constitue pas une
exception préjudicielle pour le juge pénal1346. Cette position est difficilement soutenable. Il a
précédemment été démontré que la notion de fraude fiscale ne pouvait être détachée de
l’existence d’un impôt dû par le contribuable1347. Le contrôle par le juge fiscal de l’existence
d’un impôt dont le contribuable est redevable conditionne la matérialité du délit de l’article
1741 du code général des impôts. Dans cette optique, la juridiction correctionnelle ne peut
s’affranchir de la position adoptée par le juge fiscal.

312. Position de la Cour européenne des droits de l’homme. – Malgré la fragilité de son
fondement, la position de la chambre criminelle a été confortée par une décision Versini c/
France de la Cour européenne des droits de l’homme rendue le 11 mai 20101348. Les faits à
l’origine de cette requête sont classiques. Une société a fait l’objet d’une vérification de
comptabilité portant sur l’impôt sur les sociétés et la TVA. L’administration fiscale considérant
sa comptabilité non probante, elle a procédé à des redressements en lui infligeant des pénalités
fiscales assorties d’intérêts de retard. En parallèle et après avis conforme de la Commission des
infractions fiscales, le gérant a été poursuivi en cette qualité devant les juridictions répressives
du chef de fraude fiscale. Saisie d’une contestation par le contribuable, la juridiction
administrative a décidé de nommer un expert ayant pour mission de s’assurer de la régularité
des écritures comptables de la société, ainsi que de la qualité et de la valeur probante des pièces
justificatives fournies. Le rapport, rendu quelques années plus tard, concède qu’il ne peut
conclure « à de graves irrégularités dans la tenue de cette comptabilité »1349. Sur le fondement
de l’expertise, le tribunal administratif a prononcé la décharge des impositions supplémentaires
imposées à la société. Entre temps et avant que l’expert ne rende ses travaux, le tribunal

1346
Cass. crim., 2 octobre 2002, n°01-87.996 : en l’espèce, le prévenu soutenait devant la Cour de cassation que si
le juge fiscal décidait que les sommes prétendument dissimulées ne constituaient pas des revenus imposables, sa
décision aurait pour effet de faire disparaître l'élément matériel de l'infraction de fraude fiscale.
1347
V. supra, n°128.
1348
Cour EDH, 11 mai 2010, Versini c/ France, req. n°11898/05 : RJF 2010, n °870 ; Dr. fisc. 2010, n°26, comm.
391, note L. AYRAULT.
1349
Ibid, §18.

274
correctionnel comme la chambre des appels correctionnels avaient déclaré le prévenu coupable
des faits reprochés. Devant la Cour de cassation, le demandeur au pourvoi invoquait une
violation de l’article 6§1 de la Convention, soutenant que le juge pénal aurait dû attendre le
rapport d’expertise « qui, seul, pouvait contredire les affirmations de l'administration fiscale et
était susceptible d'établir le caractère probant de la comptabilité »1350. Par une décision du 6
octobre 2004, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi, rappelant le principe d’indépendance des
procédures pénale et fiscale. Saisie par le condamné, la Cour européenne n’y a vu aucune
violation d’un principe conventionnellement garanti. Dans son arrêt du 11 mai 2010, elle a
pleinement ratifié le fondement utilisé par la Cour de cassation en affirmant que « la procédure
administrative et la procédure pénale sont indépendantes et ont des objets et finalités
différents »1351. Raisonnant in concreto, elle a ensuite démontré que le contenu du rapport fiscal
n’était pas de nature à influer sur la question posée au juge pénal. Pour ce faire, elle a indiqué
que l’expertise fiscale avait été ordonnée par la juridiction administrative pour établir si les
bases retenues par l’administration dans le cadre de la reconstitution de la comptabilité de la
société étaient correctes. Dès lors, les résultats de l’expertise étaient indifférents pour le juge
pénal, qui devait simplement déclarer si le requérant avait tenté frauduleusement d’échapper à
l’impôt1352.

313. Approbation incertaine de la juridiction européenne. – Ainsi que le relève un auteur,


la « démarche des juges européens incite à la prudence quant à l'éventuelle affirmation de
l'absence d'obligation pour le juge pénal de surseoir à statuer »1353. D’une part, la Cour
européenne n’était pas dans cette affaire directement saisie de la question du sursis à statuer1354,
tout simplement parce que le prévenu ne l’avait pas sollicité devant les juridictions internes,
revendiquant simplement un renvoi de l’affaire dans l’attente du dépôt du rapport d’expertise.
D’autre part, l’analyse in concreto de la juridiction strasbourgeoise laisse augurer que la
solution aurait pu être différente si la mission de l’expert était tournée, non pas vers la
reconstitution du chiffre d’affaires de la société, mais sur la réalité des dissimulations du
contribuable. Cette réserve est d’autant plus nécessaire que la Cour européenne a, quelques

1350
Ibid, §32.
1351
Ibid, §71 et 72.
1352
Ibid, §73.
1353
L. AYRAULT, Compatibilité de la procédure pénale fiscale française avec l'article 6, § 1 de la Convention
EDH : Dr. fisc. n°26, 1er juillet 2010, comm. 391.
1354
Cour EDH, 11 mai 2010, Versini c/ France, préc., §60.

275
années après, adopté une position plus radicale à l’endroit du juge répressif s’agissant du sursis
à statuer. Dans une affaire Kapetanios et autres c/ Grèce1355, la Cour européenne des droits de
l’homme était saisie par trois personnes s’étant vues infliger des sanctions administratives
douanières pour contrebande1356 après avoir été relaxées devant la juridiction pénale pour les
mêmes faits. Selon l’appréciation de la Cour, les sanctions administratives avaient en effet
« pour origine des faits qui étaient en substance les mêmes que ceux ayant fait l’objet de
l’acquittement définitif »1357. Les requérants reprochaient aux autorités administratives
grecques de les avoir condamnés malgré leur acquittement préalable devant les juridictions
pénales se rapportant à des faits et des qualifications identiques1358. Saisis d’une violation de
l’article 4 du protocole n°7 additionnel à la Convention, les magistrats européens ont énoncé
que « le respect de ce principe aurait été assuré si le juge pénal avait suspendu le procès après
le déclenchement de la procédure administrative et, ensuite, cesser la poursuite pénale après
la confirmation définitive de l’amende en cause par le Conseil d’État »1359. Bien que cette
décision n’ait pas été rendue en matière fiscale, elle démontre tout de même que le sursis à
statuer constitue une « mesure nécessaire au respect du principe ne bis in idem »1360.

314. Écueils de la position de la Cour de cassation. – La position de la chambre criminelle


consistant à interdire au juge pénal de surseoir à statuer n’est guère satisfaisante. Sur un plan
strictement pratique, la juridiction correctionnelle peut condamner un contribuable pour avoir
fraudé un impôt dont le juge fiscal décidera peut-être qu’il n’était pas redevable. L’interdiction
formulée à l’endroit du juge pénal de surseoir à statuer risque donc d’aboutir à des contrariétés
de décisions difficilement acceptables. Sur un plan théorique, cette solution renverse
complétement la hiérarchie existante entre les sanctions fiscales et les sanctions pénales, les

1355
Cour EDH, 30 avril 2015, Kapetanios et autres c/ Grèce, req. n°3453/12, 42941/12 et 9028/13 : Journal
d’actualité des droits européens, 15 juin 2015, comm. J. LAGOUTTE ; JCP G 2015, act. 596, note F. SUDRE ;
AJ pén. 2015, 267, note C. MAURO ; L. AYRAULT, Droit fiscal européen des droits de l'homme : chronique de
l'année 2015 : Dr. fisc. 2016, n°9, 206.
1356
En ce qui concerne la requête n°3453/12, il était reproché au requérant d’avoir importé plusieurs appareils
électroniques, un fusil de chasse, un treuil et un appareil vidéo sans paiement des droits de douane prévus. Dans
la requête n°42941/12, l’objet des deux procédures était la vente de litres d’essence et de gazole sans certificats
d’achat. S’agissant de la requête n°9028/13, le requérant était poursuivi pour avoir importé deux voitures de luxe
sans paiement des taxes et droits de douane, ainsi que pour les avoir mises en circulation sans obtention préalable
de l’autorisation des autorités douanières.
1357
Ibid, §68.
1358
Ibid, §61.
1359
Ibid, §72.
1360
E. MEIER, M. VALETEAU, M. FREDY, Juge fiscal et juge pénal : qui a la priorité ? : FR 30/21 24/06/2021.

276
premières étant susceptibles de sanctionner tout manquement fiscal, tandis que les secondes
viennent s’ajouter à la répression fiscale seulement en présence d’une fraude grave. Faute pour
le juge pénal de pouvoir surseoir à statuer, un contribuable déchargé de toute sanction fiscale
peut parfaitement subir, pour les mêmes faits, l’affront d’une procédure pénale. L’excès de la
position de la chambre criminelle devait laisser place à un assouplissement, intervenu
récemment avec les arrêts rendus par la chambre criminelle le 11 septembre 2019.

B) La possibilité de surseoir à statuer depuis les arrêts du 11 septembre 2019

315. Infléchissement nécessaire. – Dans ses décisions Cahuzac et Wildenstein du 24 juin


20161361, le Conseil constitutionnel a encadré les hypothèses de cumul des procédures pénale
et fiscale en définissant plusieurs réserves d’interprétation à l’article 1741 du code général des
impôts1362. L’une d’elles interdit au juge pénal de condamner un contribuable qui a
définitivement été déchargé de son imposition devant le juge fiscal pour un motif de fond.
Poursuivis du chef de fraude fiscale devant la juridiction correctionnelle, certains prévenus ont
estimé que cette prescription imposait au juge répressif de surseoir à statuer dans l’attente de la
décision du juge des impôts. Selon eux, cette réserve constitutionnelle a instauré un cas inédit
d’autorité de chose jugée du fiscal sur le pénal1363 que seul un sursis à statuer permettrait de
faire respecter. C’est ainsi qu’un gérant de société, poursuivi devant la juridiction
correctionnelle pour minorations de TVA, soutenait que pour se conformer à la décision du
Conseil constitutionnel du 24 juin 2016, le juge pénal devait impérativement surseoir à statuer
dans l’attente de la décision de son homologue. Dans un des arrêts rendus le 11 septembre
20191364, la chambre criminelle de la Cour de cassation a indiqué que sa jurisprudence
traditionnelle prohibant au juge pénal de surseoir à statuer dans l’attente d’une décision
définitive de la juridiction fiscale devait être « infléchie » pour « limiter le risque de contrariété
de décisions au regard de l’exigence »1365 posée par la réserve constitutionnelle.

1361
Cons. const., QPC, 24 juin 2016, n°2016-545 et n°2016-546, préc.
1362
V. supra, n°204 et s.
1363
V. infra, n°350 et s.
1364
Cass. crim., 11 septembre 2019, n°18.81-980, préc.
1365
Ibid, §11.

277
316. Difficulté de la tâche de la chambre criminelle. – La tâche de la chambre criminelle
n’était pas des plus évidentes. Elle a dû se livrer à un véritable « jeu d’équilibriste »1366 pour
assurer l’effectivité de la réserve constitutionnelle tout en ménageant plusieurs principes
fondamentaux de la procédure pénale. Le prononcé d’un sursis à statuer se heurte en effet à
deux principes fondamentaux que sont d’une part, le principe de plénitude de juridiction et,
d’autre part, l’exigence de célérité de la procédure pénale. Dans son arrêt, la chambre criminelle
rappelle que le premier de ces principes autorise le juge pénal à « statuer lui-même sur toute
question dont dépend l’application de la loi pénale »1367. Lorsque l’impôt contesté relève de la
compétence du juge judiciaire1368, l’extension de la compétence du juge pénal est parfaitement
admissible. En revanche, lorsque la contestation de l’imposition doit être soumise au juge
administratif de l’impôt, un problème se pose relativement au principe de séparation des
autorités administrative et judiciaire. Ce principe, qui interdit aux unes d’empiéter sur le
domaine des autres, défend au juge pénal de trancher les litiges relevant des juridictions
administratives. Saisi de poursuites sur le fondement de l’article 1741 du code général des
impôts, le juge pénal est ici pris en étau. D’un côté, le principe de séparation des autorités
implique que les questions de droit administratif soulevées incidemment au cours d’un procès
pénal constituent des exceptions préjudicielles relevant de la compétence exclusive des
juridictions administratives. De l’autre, la qualification pénale de la fraude dépendant de la
question de droit fiscal, il devrait pouvoir y répondre en application du principe de plénitude de
juridiction. À cette équation déjà difficile, s’ajoute une deuxième contrainte relative à
l’exigence de célérité de la procédure pénale. Ce principe, institué aux articles 6 de la
Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et préliminaire
du code de procédure pénale13691370, oblige le juge pénal à statuer dans un délai raisonnable1371.

1366
R. PARIZOT, Au soutien de l’articulation des procédures pénale et fiscale, le sursis à statuer mal pensé de la
procédure pénale : RSC 2020, p. 123.
1367
Cass. crim., 11 septembre 2019, n°18.81-980, préc., §14.
1368
V. supra, n°4.
1369
Art. préliminaire CPP, al. 9.
1370
Dans son arrêt, la chambre criminelle de la Cour de cassation ne mentionne pas l’article 47 de la Charte des
droits fondamentaux de l’Union européenne qui énonce également que « toute personne a droit à ce que sa cause
soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable par un tribunal indépendant et
impartial ». V. pour plus de développement à ce sujet, N. NICAUD, Délai raisonnable et droit européen : AJ pén.
2017, p. 163.
1371
La Cour européenne des droits de l’homme a développé une importante jurisprudence à partir de l’article 6§1
de la Convention sur le fondement duquel elle exige que les accusés ne demeurent pas pendant un temps trop long
sous le coup d’une accusation. Elle a dégagé plusieurs critères pour déterminer le caractère raisonnable de la
procédure que sont la complexité de l’affaire, le comportement du requérant et le comportement des autorités
nationales (V. par exemple, Cour EDH, 28 juin 1978, König c/ Allemagne, req. n°6232/73, §99 ; Cour EDH, 13

278
À cette fin, doivent être déjouées les manœuvres dilatoires de certains prévenus sollicitant un
sursis à statuer dans le seul but de retarder le cours de la justice pénale1372.

317. Refus d’un sursis systématique. – Confrontée à ces exigences contradictoires, la


solution de la chambre criminelle est des plus prudentes. Par principe, le sursis à statuer ne
saurait être systématique en cas de contestation de l’imposition devant le juge fiscal. Selon la
Haute juridiction, « même lorsque le prévenu de fraude fiscale justifie de l'existence d'une
procédure pendante devant le juge de l'impôt tendant à une décharge de l'imposition pour un
motif de fond, le juge pénal n'est pas tenu de surseoir à statuer jusqu'à ce qu'une décision
définitive du juge de l'impôt soit intervenue »1373. La chambre criminelle de la Cour de cassation
se range ici en faveur du principe de célérité et de plénitude de juridiction du juge pénal. La
réserve posée par le Conseil constitutionnel n’impose pas au juge pénal de surseoir à statuer
dans l’attente de la décision fiscale. En revanche et « par exception » au principe ainsi dégagé,
il peut décider de prononcer le sursis « en cas de risque sérieux de contrariété de décisions »1374.
Le sursis à statuer n’est pas une obligation pour le juge répressif mais une simple faculté que
celui-ci est libre d’exercer en vertu de son pouvoir souverain. Qu’il accepte ou refuse la
demande présentée devant lui, il est tenu de motiver sa décision. Pour refuser l’octroi d’un
sursis à statuer dans l’espèce qui lui été soumise, la chambre criminelle a confirmé la motivation
enrichie de la cour d’appel, laquelle s’était fondée sur deux éléments pour rejeter la demande
du prévenu. D’une part, elle avait relevé que le tribunal administratif avait considéré que la
société et le prévenu étaient redevables de l’impôt supplémentaire mis à leur charge. D’autre
part, elle a indiqué que ni la commission départementale, ni la Commission des infractions
fiscales n’avaient contesté les modalités de contrôle effectuées par l’administration fiscale sur
la comptabilité de la société. Selon la Cour de cassation, ces éléments suffisent à écarter tout
risque de contrariété de décisions.

318. Détermination des conditions d’octroi du sursis. – En infléchissant sa jurisprudence


antérieure, la chambre criminelle a complété la réserve constitutionnelle, « tout en épousant son

juillet 1983, Zimmermann et Steiner, req. n°8737/79, §24). V. pour plus de développements à ce sujet, C.
VIENNOT, Le procès pénal accéléré : Étude des transformations du jugement pénal : Thèse, Dalloz, coll.
« Nouvelle bibilothèque de Thèses », avril 2012.
1372
S. DETRAZ, Une brèche dans l'indépendance des procédures fiscales et pénale : RSC 2016. 524.
1373
Cass. crim., 11 septembre 2019 n°18.81-980, préc., §17.
1374
Ibid.

279
esprit et ses limites »1375. Révélant un savant compromis entre plusieurs des principes
fondamentaux de la procédure pénale et l’application de la réserve constitutionnelle, la solution
est approuvée par la majeure partie de la doctrine1376. La possibilité pour la juridiction
répressive de surseoir à statuer permet – exclusivement1377 – d’anticiper le risque de contrariétés
de décisions des juges pénal et fiscal. Cependant, une difficulté surgit cependant s’agissant de
la détermination des conditions d’octroi d’un tel sursis à statuer. Dans sa décision, la chambre
criminelle précise que le juge répressif « peut prononcer, dans l'exercice de son pouvoir
souverain, le sursis à statuer en cas de risque sérieux de contrariété de décisions, notamment
en présence d'une décision non définitive déchargeant le prévenu de l'impôt pour un motif de
fond »1378. L’emploi de l’adverbe « notamment » laissait espérer que la jurisprudence verrait
dans plusieurs autres situations un risque de contrariété de décisions « objectivement élevé »1379.

319. Application du critère énoncé par l’arrêt du 11 septembre 2019. – Les arrêts
postérieurs à 2019 démontrent toutefois que la jurisprudence a fait de cette hypothèse le critère
exclusif autorisant le juge pénal à surseoir à statuer. Cette condition est restrictivement
interprétée par la juridiction pénale, qui l’utilise systématiquement de façon négative. Face aux
demandes de sursis présentées devant elle, la juridiction répressive objecte que le prévenu ne
justifie pas avoir fait l’objet d’une décharge par les juges du fond. Le rejet par les juges du fond

1375
B. RICOU, Vade-mecum de la Chambre criminelle de la Cour de cassation pour la mise en œuvre des réserves
d’interprétation formulées par le Conseil constitutionnel à propos du cumul des procédures et des sanctions pénales
et fiscales : Hebdo édition fiscale n°801, 7 novembre 2019.
1376
V. notamment en ce sens, S. FUCINI, Poursuites fiscales et pénales : conditions du sursis à statuer du juge
pénal : D. actu, 1er octobre 2019 ; J. LASSERRE CAPDEVILLE, Poursuites pénales et fiscales : précisions sur le
sursis à statuer du juge pénal : AJ pén. 2019 p. 562 ; B. RICOU, Vade-mecum de la Chambre criminelle de la Cour
de cassation pour la mise en œuvre des réserves d’interprétation formulées par le Conseil constitutionnel à propos
du cumul des procédures et des sanctions pénales et fiscales, préc.
1377
Le sursis à statuer ne peut avoir pour objet que la prévention des contrariétés de décisions. La chambre
criminelle de la Cour de cassation a posé ce principe quelques mois après son infléchissement dans un arrêt du 29
janvier 2020. À l’appui de son pourvoi, un requérant ayant contesté son imposition devant le juge fiscal reprochait
au juge répressif de ne pas avoir répondu à sa demande de sursis à statuer. Il estimait que le refus du juge pénal de
surseoir à statuer dans l’attente de la décision du juge fiscal avait empêché le premier de fixer une peine
proportionnée, faute de pouvoir tenir compte des pénalités fiscales éventuellement prononcées par le second. La
Cour de cassation n’est pas sensible à cet argument et rejette le pourvoi en affirmant que « la mise en œuvre du
principe constitutionnel de proportionnalité (…) s'applique devant le juge qui se prononce en dernier, qu'il soit le
juge pénal ou le juge de l'impôt. Il s'en déduit qu'elle n'implique aucune mesure de sursis à statuer devant le juge
répressif » : Cass. crim., 29 janvier 2020, n°17-83.577 : JCP G 2020, 633, note S. DETRAZ ; Dr. fisc. 2020, comm.
213, note S.-M. CABON ; Dr. fisc. 2020, chron. 230, n°9, obs. R. SALOMON ; Dr. pén. 2020, n°4, comm. 90,
obs. V. PELTIER.
1378
Cass. crim., 11 septembre 2019 n°18.81-980, préc., §17.
1379
J. LASSERRE CAPDEVILLE, Poursuites pénales et fiscales : précisions sur le sursis à statuer du juge pénal,
préc.

280
de la contestation présentée par le contribuable, même résultant d’une décision non définitive,
est ainsi devenu l’argument imparable pour rejeter les demandes de sursis présentées devant la
juridiction correctionnelle1380. Ces situations conduisent le juge pénal à juger de la culpabilité
de l’auteur de fraude fiscale sans attendre l’issue de la procédure fiscale. Or, le rejet d’une
demande de décharge par les tribunaux ou cours administratives d’appel ne préjuge pas de la
décision du Conseil d’État, lequel a toujours la possibilité de régler l’affaire au fond si l’intérêt
d’une bonne administration de la justice le justifie1381.

320. Exemple de contrariété de décision : l’article 155 A du CGI. – Ainsi, dans un arrêt
du 8 avril 20211382, des époux poursuivis devant la juridiction pénale pour fraude fiscale ont
demandé en vain au juge pénal de surseoir à statuer dans l’attente de la décision du juge
fiscal1383. Les faits à l’origine de cette affaire sont les suivants. Au lendemain de la vente des
marques et brevets d’une gamme de produits pharmaceutiques à une société de droit
britannique, cette dernière a signé un contrat de licence exclusive avec une société de droit
belge dont les créateurs de la gamme détenaient la partie majoritaire du capital. En application
de ce contrat, la société belge a versé à la société britannique des redevances trimestrielles. À
la suite d’un examen contradictoire de leur situation fiscale personnelle, l’administration fiscale
a infligé aux époux fondateurs une imposition supplémentaire au titre de l’article 155 A du code
général des impôts, considérant que les redevances versées à la société rémunéraient en réalité
les prestations réalisées par cette dernière. Était donc au cœur de l’affaire le dispositif de
l’article 155 A dudit code, lequel prévoit que les sommes perçues par une personne domiciliée
ou établie hors de France en rémunération de services rendus par une ou plusieurs personnes
domiciliées ou établies à l’étranger sont imposables au nom de ces dernières, lorsque celles-ci

1380
V. notamment : Cass. crim., 8 avril 2021, n°19-87.905 : RFP 2021, comm. 83 ; Dr. fisc. 2021, n°15-16, act.
233 ; Dr. fisc. 2021, n°21, chron. 260, obs. R. SALOMON ; RJF 7/21, n°754 ; Francis Lefebvre 30/21, inf. 5, p.
10, obs. E. MEIER, M. VALETEAU et M. FREDY ; Option finance 2021, n°1631, p. 49, obs. A. COLONNA
D'ISTRIA ; Cass. crim., 1er décembre 2021, n°20-83.235 : RJF 4/22 n° 403 ; Dr. fisc. n° 12, 25 mars 2022, comm.
154, obs. S. DETRAZ ; Gaz. Pal., 5 avril 2022, n°11, p. 50, obs. N. CATELAN ; M. BARDET, Fraude fiscale :
confirmation de la résistance des principes pénaux aux considérations fiscales, Lexbase pénal mars 2022, n°47.
1381
Art. L821-2, al. 1er CJA.
1382
Cass. crim., 8 avril 2021, n°19-87.905, préc.
1383
Les demandeurs au pourvoi sollicitaient aussi un sursis à statuer à raison du renvoi à la Cour de justice de
l’Union européenne d’une question préjudicielle portant sur la compatibilité avec le droit de l’Union du cumul des
procédures pénale et fiscale (V. supra, n°279 et s.). La Cour de cassation a refusé d’y voir là une cause justifiant
un sursis à statuer dès lors que les prévenus étaient en l’espèce poursuivis au titre de l’impôt sur le revenu, lequel
« n’entre pas dans le champ d’application du droit de l’Union ». Cette position est difficilement soutenable, tant
les règles applicables en matière de cumul de procédures ne sauraient, sans atteindre le principe d’égalité devant
la loi, varier selon l’objet de l’imposition en cause.

281
contrôlent directement ou indirectement la personne qui perçoit la rémunération des services,
ou lorsqu'elles n'établissent pas que cette personne exerce, de manière prépondérante, une
activité industrielle ou commerciale, autre que la prestation de services. Ce dispositif tend à
éviter que les contribuables assujettis à l’impôt sur le revenu échappent à cette imposition en
faisant percevoir par une entité établie à l’étranger la rémunération des services rendus par ces
mêmes contribuables. Dans pareille hypothèse, l’administration fiscale fait abstraction de la
société étrangère pour imposer en France les revenus du contribuable. Dans l’espèce soumise à
l’examen, le raisonnement de l’administration fiscale a été conforté devant les premiers juges.
Les requérants ayant contesté cette imposition supplémentaire se sont vus déboutés de leur
demande de décharge, tant devant le tribunal administratif1384 que devant la cour administrative
d’appel1385.

321. Pour le juge pénal : application de l’article 155 A du CGI. – La chambre criminelle
s’est fondée sur cet élément pour réfuter l’existence d’un risque sérieux de contrariétés entre
les décisions des juridictions administrative et pénale1386, faisant totalement fi du pourvoi formé
par les requérants et dont la recevabilité avait été admise par le Conseil d’État. Refusant
d’attendre la décision de la juridiction administrative, la chambre criminelle a dû répondre à
une question de pur droit fiscal pour caractériser l’élément matériel de la fraude. Le moyen, pris
en ses deuxième et troisième branches, reprochait à la cour d’appel d’avoir retenu la fondatrice
dans les liens de la prévention alors que celle-ci invoquait d’une part, l’absence de réalisation
de la prestation en France et, d’autre part, le défaut d’appréhension effective des fonds litigieux.
Forte de la position classique du juge fiscal1387 s’agissant de la première interrogation, la
chambre criminelle répond que l’imposition de cet article « n’est pas subordonnée, dans
l’hypothèse où la personne qui rend les services est domiciliée en France, à la condition que
ces services aient été rendus en France »1388. À la seconde question, elle affirme que
l’application de l'article 155 A du code général des impôts « n'implique pas qu'il soit démontré
que le prévenu a effectivement appréhendé les sommes en cause ». Sur ce terrain, elle confirme

1384
TA Paris, 2 mai 2018, n°1609979.
1385
CAA Paris, 2ème ch., 20 avril 2021, n°20PA01169.
1386
Cass. crim., 8 avril 2021, n°19-87.905, préc, §8 : la Cour de cassation a relevé que « tant le tribunal
administratif initialement saisi que la juridiction d’appel les ont déboutés de leurs demandes » de décharge.
1387
CE, 9 mai 2019, n°417514 : RJF 8-9/19 n°738, concl. K. CIAVALDINI ; CE, 10 décembre 2020, n°428059 :
RJF 3/21 n°238, concl. É. BOKDAM-TOGNETTI.
1388
Cass. crim., 8 avril 2021, n°19-87.905, préc, §19.

282
également une jurisprudence des cours administratives d’appel1389, quoi que jamais entérinée
par le Conseil d’État.

Si la chambre criminelle s’est calquée sur la jurisprudence fiscale pour répondre aux
moyens soulevés par le demandeur au pourvoi, elle ne s’est cependant pas interrogée sur le
champ d’application du dispositif anti-évasion de l’article 155 A du code général des impôts.
C’est pourtant sur ce point que le dispositif concerné pose d’importantes difficultés
d’interprétation. Pour que l’article trouve à s’appliquer, encore faut-il caractériser l’existence
d’un service rendu en contrepartie de la rémunération versée. Quelques mois avant la décision
rendue par la chambre criminelle, le Conseil d’État était saisi de cette question, relativement à
la cession par un ancien sportif du droit d’exploiter son nom patronymique à une société établie
dans les îles Vierges, laquelle avait par la suite établi un contrat de licence avec une société
néerlandaise pour l’exploitation des marques litigieuses. Dans un arrêt du 8 juin 2020,
largement relayé par la doctrine car rendu sous les conclusions contraires de son rapporteur
public1390, le Conseil d’État a énoncé que la juridiction d’appel avait commis une erreur de droit
en qualifiant les redevances ainsi perçues « comme les rémunérations d’une prestation liée au
service rendu ». Selon le juge fiscal, ces redevances ne pouvaient représenter la contrepartie
d’un service rendu au sens de l’article 155 A du code précité, de sorte que ce dernier était
inapplicable au cas d’espèce. La généralité des termes employés par le juge fiscal dans son arrêt
du 8 juin 2020 laissait craindre que le dispositif de l’article 155 A ne soit plus applicable aux
concessions de licences d’exploitation de marques, logos et brevets.

322. Pour le juge fiscal : non application de l’article 155 A du CGI. – Le schéma était
alors sensiblement le même que celui présenté à la Cour de cassation dans sa décision du 8 avril
2021 et pour lequel celle-ci avait conclu à l’applicabilité de l’article 155 A du code général des
impôts. À peine sept mois après que la chambre criminelle ait refusé de surseoir à statuer et
confirmé la décision de culpabilité pour fraude fiscale des prévenus, le Conseil d’État a rendu

1389
CAA Paris, 1er décembre 2011, n° 09PA02693 : RJF 4/12 n° 337, concl. Y. EGLOFF ; BDCF 4/12 n° 40 ;
CAA Lyon, 25 juin 2015 n°13LY01351.
1390
CE, 10ème et 9ème ch., 8 juin 2020, n°418962 et 418963, Vuarnet : Dr. fisc. 2020, n°41, comm. 401, concl. A.
ILJIC, note C. DE LA MARDIÈRE ; Dr. fisc. 2021, n°10, chron. 167, E. DINH ; JCP E 2020, 1406, P.
MASQUART ; RJF 2020, n° 757 ; Fiscalité internationale 3-2020, p. 133, comm. A. ILJIC ; Dalloz IP 2020, n°4,
comm. S. AUREFIL.

283
sa décision le 5 novembre 20211391. Saisi des mêmes faits à l’encontre des mêmes personnes,
le juge fiscal a pris le contre-pied de son homologue pénal. Dans le sillage de son précédent du
8 juin 2020, il a confirmé sa tendance jurisprudentielle actuelle, selon laquelle les redevances
de marques et brevets ne peuvent « être regardées comme la contrepartie d’un service rendu
au sens et pour l’application de l’article 155 A du code général des impôts »1392. En dissociant
les actes accomplis pour la gestion et l’entretien des marques avec la concession du droit de les
exploiter, la cour administrative avait commis une erreur de droit. Statuant au fond, le Conseil
d’État a censuré la position des premiers juges en prononçant la décharge – pour un motif de
fond – des impositions supplémentaires mises à la charge des prévenus, méconnaissant ainsi de
plein fouet la réserve constitutionnelle posée par le Conseil constitutionnel dans ses décisions
du 24 juin 20161393.

323. Fragilités de la position de la chambre criminelle. – Cette configuration révèle les


fragilités de la position de la chambre criminelle à l’égard du sursis à statuer. Dans cette affaire,
la Cour de cassation avait en sa possession plusieurs éléments pour conclure à l’existence d’un
risque sérieux de contrariétés de décisions. En premier lieu, l’arrêt rendu le 8 juin 2020 par le
Conseil d’État1394, dont la chambre criminelle ne pouvait ignorer l’existence puisqu’ayant été
rendu presque un an avant sa propre décision, rendait incertaine l’application de l’article 155 A
du code général des impôts. En second lieu, l’existence d’un pourvoi devant le Conseil d’État,
dont l’admissibilité avait nécessairement été déclarée à la date à laquelle la chambre criminelle
devait se prononcer, l’obligeait à la plus grande prudence. Ainsi que le relève Monsieur O.
FOUQUET, président de section au Conseil d’État, l’admission rarissime1395 d’un pourvoi
devant la juridiction suprême assure une « chance raisonnable que l'arrêt de la cour
administrative d'appel ou le jugement du tribunal statuant en première et dernière instance soit

1391
CE, 9ème et 10ème ch., 5 novembre 2021, n°433367 : Dr. fisc. 2021, n°49, comm. 449, concl. É. BOKDAM-
TOGNETTI, note O. FOUQUET ; Dr. fisc. 20211, n°6, act. 53, J.-L. PIERRE.
1392
CE, 9ème et 10ème ch., 5 novembre 2021, n°433367, préc., §4.
1393
Selon les conclusions de son rapporteur public, cette situation ne méconnaissait pas l’autorité de chose jugée
s’attachant aux constatations matérielles du juge pénal, dès lors que d’une part, celui-ci « ne s’est pas expressément
prononcé sur l’objet des rémunérations versées en exécution du contrat » et que, d’autre part, les qualifications
retenues par le juge répressif ne lient pas le juge fiscal.
1394
CE, 10ème et 9ème ch., 8 juin 2020, n°418962 et 418963, Vuarnet, préc.
1395
En moyenne, seul un tiers des pourvois sont admis devant la Haute juridiction comme présentant un moyen
sérieux : 28,3% en 2016, 29,9% en 2017, 27,4% en 2018, 32% en 2019, 28,4% en 2020 (chiffres disponibles sur :
Conseil d’État, Rapport public sur l’activité juridictionnelle et consultative des juridictions administratives en
2020, La documentation française, 25 mars 2021, p. 65).

284
annulé »1396. Surtout, l’existence d’un pourvoi pendant devant le Conseil d’État signifiait pour
la chambre criminelle que le litige fiscal était sur le point d’être soldé, de sorte qu’aucun
problème ne se posait sur le terrain de la célérité du procès pénal. Du reste, à l’heure où le
gouvernement promeut une coopération constante entre les juges pénal et fiscal1397, l’absence
de dialogue entre les magistrats des deux juridictions suprêmes est ici criante. Une discussion
entre les juridictions sur le sort des demandes de sursis à statuer aurait sans doute permis
d’éviter une telle impasse, laquelle n’offre au prévenu que la voie du recours en révision 1398
pour faire cesser l’incohérence juridictionnelle en résultant.

324. Critique du cantonnement des hypothèses de sursis à statuer. – En définitive, la


volonté de la chambre criminelle de restreindre les sursis à statuer au cas de risque sérieux de
contrariétés des décisions n’est guère satisfaisante. La possibilité pour le juge pénal d’attendre
la décision du juge fiscal nécessite d’être repensée autour de la notion plus générale d’exception
préjudicielle. Le sursis à statuer du juge pénal ne doit pas être exclusivement conçu autour du
risque de contrariété de décisions, mais doit au contraire s’imposer toutes les fois où
l’application de l’article 1741 du code général des impôts dépend d’une question de pur droit
fiscal. Une condamnation pénale du chef de fraude fiscale ne peut intervenir qu’en présence
d’un impôt régulièrement dû par le contribuable. Tout comme les incidences d’ordre temporel,
les incidences probatoires de l’instance fiscale sur le litige pénal sont rares.

§2. Les incidences probatoires

325. Notion d’irrégularités dans la procédure fiscale. – Lorsque les poursuites pour
fraude fiscale sont déclenchées, le dossier pénal est pour une large part constitué des pièces

1396
Dr. fisc. 2021, n°49, comm. 449, concl. É. BOKDAM-TOGNETTI, note O. FOUQUET.
1397
V. notamment la circulaire n°CPAE1832503C de la Direction générale des finances publiques et de la
Direction des affaires criminelles et des grâces du 7 mars 2019 relative à la réforme de la procédure de poursuite
pénale de la fraude fiscale et au renforcement de la coopération entre l'administration fiscale et la Justice en matière
de lutte contre la fraude fiscale, mais aussi la circulaire n°JUSD2129778C de la Direction des affaires criminelles
et des grâces du 4 octobre 2021 relative à la lutte contre la fraude fiscale. Le dialogue entre les deux juridictions
suprêmes de l’ordre administratif et judiciaire est par ailleurs vivement encouragé par le nouveau premier président
de la Cour de cassation, Monsieur C. SOULARD. Lors de l’audience solennelle d'installation dans ses fonctions
le 18 juillet 2022, celui-ci a prononcé une allocution encourageant le Conseil d’État et la Cour de cassation à
« entretenir des liens étroits et réguliers ». Sur de nombreux sujets en effet, « la réflexion doit être partagée entre
les cours suprêmes des deux ordres de juridictions » : C. SOULARD, allocution d’installation dans ses fonctions
de premier président, disponible en ligne : https://www.courdecassation.fr/print/pdf/node/11136.
1398
V. infra, n°368 et s.

285
issues du travail de l’administration fiscale1399. Celles-ci peuvent contenir des irrégularités,
devant être comprises comme la méconnaissance par l’administration fiscale d’une obligation
lui incombant au cours de la procédure administrative, entendue au sens large comme couvrant
à la fois les opérations de contrôle et les procédures de rectification et d'imposition d'office.
Dans pareille hypothèse, le prévenu est-il recevable à invoquer l’irrégularité d’un acte de la
procédure fiscale devant le juge pénal ? Le cas échéant, cette exception de nullité est-elle
susceptible d’entraîner l’annulation des poursuites engagées à son encontre ? La réponse à ces
interrogations est mitigée. Si le juge répressif a la possibilité de prononcer la nullité des actes
affectant la procédure fiscale (A), son office en la matière est largement circonscrit au nom de
l’indépendance des contentieux (B).

A) La possibilité reconnue au juge pénal de prononcer la nullité des actes affectant la


procédure fiscale

326. Hypothèse de contamination directe. – L’action de l’administration fiscale est


encadrée par différentes règles édictées par le code général des impôts et par le livre des
procédures fiscales. Le contribuable peut ainsi déceler dans les opérations de l’administration
fiscale une potentielle violation d’une règle viciant la procédure fiscale. À côté des exceptions
de nullité classiques de la procédure pénale, s’ajoutent d’autres exceptions tirées cette fois-ci
des actes effectués par l’administration fiscale dans le cadre de ses opérations. Si le juge pénal
consent à examiner la légalité des actes de la procédure fiscale, ceux-ci peuvent être frappés
d’annulation alors même que cette irrégularité n’a pas été reconnue en tant que telle par le juge
fiscal1400. Cette hypothèse recouvre ce que Monsieur L. AYRAULT a appelé la « contamination
directe »1401 de la procédure d’imposition. Par opposition aux contaminations indirectes
entraînant la nullité du fait de l’autorité de la chose jugée d’une décision d’annulation du juge
fiscal, les contaminations directes impliquent pour le juge répressif de l’impôt la possibilité de
se saisir d’une irrégularité de la procédure d’imposition sans que le juge fiscal ne se soit
prononcé sur son sort.

1399
V. supra, n°142.
1400
En présence d’une décision du juge fiscal, on ne se situe plus au stade des incidences de la procédure fiscale
mais au stade des incidences de la décision fiscale. C’est la question de l’autorité de chose jugée des décisions du
juge fiscal pour le juge pénal : V. infra, n°342 et s.
1401
L. AYRAULT, Le contrôle juridictionnel de la régularité de la procédure d'imposition : Thèse, L'Harmattan,
2004, p. 246 et s.

286
327. Indépendance des procédures. – Pendant de nombreuses années, à l’heure « du dogme
de la stricte indépendance1402 des procédures pénale et fiscale »1403, le juge pénal a refusé que
des irrégularités fiscales aient une quelconque influence sur la régularité de la procédure pénale.
Une des finalités du principe d’indépendance est en effet de cloisonner les procédures, ce
cloisonnement passant nécessairement par une neutralisation des irrégularités entre les deux
contentieux.

328. Brèche dans l’indépendance des procédures. – Un arrêt de la chambre criminelle du


6 novembre 19661404 avait toutefois ouvert une brèche dans cette conception traditionnelle du
principe d’indépendance des procédures. En l’espèce, à la suite d’un contrôle de
l’administration fiscale dans un établissement de bar-restaurant et de cabaret-dancing parisien,
des minorations de recettes ont été découvertes par le fisc. À la suite des opérations du Trésor,
les gérants ont été poursuivis devant la juridiction pénale du chef de fraude fiscale. Devant la
cour d’appel, les prévenus ont soulevé une exception de nullité à l’encontre du procès-verbal
établi par l’administration fiscale, au motif que les vérifications de ses agents avaient été
opérées en violation des dispositions de l’article 1649 septies F du code général des impôts.
Dans sa version de l’époque, cette disposition circonscrivait la durée de la vérification sur place
de la comptabilité à une période de trois mois pour les entreprises dont l’activité principale était
celle de vendre des marchandises ou denrées à consommer sur place. Constatant que
l’établissement visé par le redressement entrait dans ladite catégorie, et que la vérification
s’était étalée pendant près de sept mois, la chambre des appels correctionnels avait fait droit à
l’exception de nullité soulevée par les prévenus. Pour prononcer la nullité du procès-verbal
litigieux, elle avait relevé que l’article 1649 septies F, modifié par la loi du 27 décembre
19631405, indiquait que la règle qu’il énonçait était prévue « à peine de nullité de l’imposition ».
L’argumentation des juges du fond a été confortée par la Haute juridiction qui a rejeté le pourvoi
formé par le directeur général des impôts. Le raisonnement de la Cour de cassation s’est
exclusivement articulé autour de l’application dans le temps de la loi du 27 décembre 1963

1402
V. supra, n°113 et s.
1403
G. TIXIER et T. LAMULLE, Irrégularité des opérations de contrôle : absence de débat oral et contradictoire :
Dr. fisc. n°20, 19 mai 1993, comm. 1059.
1404
Cass. crim., 9 novembre 1966, n°65-93.832.
1405
Loi n°63-1316 du 27 décembre 1963 portant unification ou harmonisation des procédures, délais et pénalités
en matière fiscale.

287
modifiant la rédaction de l’article litigieux, sur laquelle le pourvoi du directeur général des
impôts était d’ailleurs fondé1406. La chambre criminelle a affirmé que les juges d’appel avaient
« fait une exacte application de la loi » en décidant que « les dispositions ajoutées par la loi du
27 décembre 1963 (art 32) à l'article 1649 septies f, lesquelles relatives à la durée du contrôle
sur place, précisent à peine de nullité de l'imposition, devaient trouver application en
l'espèce ». La décision du 6 novembre 1966 n’a donc pas posé une règle de principe autorisant
le juge pénal à se saisir des irrégularités commises par l’administration fiscale.

329. Retour à une orthodoxie. – Aussi la chambre criminelle a-t-elle mis un coup d’arrêt à
cette initiative dans une décision du 6 juin 19771407 pour revenir à une conception rigoureuse
du principe d’indépendance des procédures. Au cas d’espèce, un prévenu poursuivi pour fraude
fiscale soulevait devant la juridiction répressive que les poursuites exercées contre lui étaient
nulles, du fait que les vérifications sur place opérées par le fisc s’étaient étendues sur une durée
supérieure à trois mois, en violation des dispositions de l’article 1649 septies F du code général
des impôts. Les juges du fond avaient admis la recevabilité de cette exception de procédure
qu’ils avaient toutefois rejeté sur le fond. Saisie d’un pourvoi formé par le prévenu, le
raisonnement de la cour d’appel a sévèrement été censuré par la chambre criminelle. Celle-ci a
constaté que l’article précité limitait les conséquences de l’irrégularité à la seule « nullité de
l’imposition » et non au regard des poursuites pénales instaurées sur le fondement des articles
1741 à 1743 du code général des impôts. En conséquence, la nullité ne pouvait être soulevée
qu’au cours de la procédure fiscale tendant à la détermination de l’assiette des impositions.

La règle énoncée était cette fois-ci explicite. Les irrégularités affectant la procédure
fiscale ne peuvent être invoquées devant la juridiction pénale. Le juge pénal ne peut tirer les
conséquences d’une potentielle irrégularité commise par l’administration fiscale dans le cadre
de ses opérations de contrôle et d’imposition. Par cette décision, les procédures pénale et fiscale
« donnent l'image de deux cercles de compétence qui voisinent sans que jamais il se présente
une zone commune à l'un et à l'autre, sans même qu'ils viennent à se toucher »1408.

1406
L’administration fiscale soutenait au soutien de son pourvoi qu’aucune violation de l’ancienne version de
l’article 1649 septies F du code général des impôts ne pouvait en l’espèce être constatée et que le législateur n’avait
entendu conférer à la loi n°63-1316 du 27 décembre 1963 précitée un quelconque effet rétroactif.
1407
Cass. crim., 6 juin 1977, n°76-92.108.
1408
Cass. crim., 9 avril 1970 : Bull. crim. n°114, p. 262 ; Dr. fisc. 1970, n°28, comm. 833, note J. COSSON ; D.
1970, p. 755, note G. VALTER.

288
L’indépendance des procédures est ici poussée à son maximum. Les écueils d’une étanchéité
absolue des contentieux ont précédemment été dénoncés1409. Au nom du principe
d’indépendance, le juge répressif entend limiter les potentielles contaminations de la procédure
fiscale de nature à faire tomber les poursuites pénales subséquentes.

330. Revirement de 1978 : l’arrêt Venutolo. – Il faudra attendre l’année 1978 pour voir se
dégager des décisions octroyant au juge pénal une marge de manœuvre dans l’appréciation des
irrégularités de la procédure fiscale. Dans un arrêt remarquable1410 du 4 décembre 19781411, la
chambre criminelle de la Cour de cassation a posé les jalons de la compétence du juge pénal
pour apprécier la régularité des actes de la procédure fiscale. Dans cette affaire, il était question
de l’application de l’article 1649 septies du code général des impôts, qui prévoit la faculté pour
le contribuable de se faire assister par le conseil de son choix. Selon la lettre du texte,
l’administration fiscale avait l’obligation de l’avertir de ce droit « à peine de nullité de la
procédure ». Devant les juges du fond, le prévenu poursuivi pour fraude fiscale soutenait ne
pas avoir reçu la notification de ce droit pendant les vérifications portant sur les taxes et sur le
chiffre d’affaires de son entreprise. Alors que l’administration fiscale soulevait l’irrecevabilité
de l’exception de nullité ainsi présentée, la cour d’appel a accepté d’en connaître, mais l’a rejeté
sur le fond, en constatant que les avis de vérifications envoyés au prévenu contenaient
l’avertissement exigé par la loi. Le raisonnement des premiers juges a été approuvé par la
chambre criminelle selon une lecture littérale de l’article 1649 septies du code général des
impôts. Contrairement à l’article 1649 septies F du même code qui limite la sanction de
l’inobservation de la règle qu’il édicte à « la nullité de l’imposition », l’article litigieux énonce
que l’avertissement du contribuable de la faculté de se faire représenter par un conseil est prévu
« à peine de nullité de la procédure ». Au-delà de cet argument purement textuel, la chambre
criminelle est allée plus loin dans son raisonnement en déterminant la compétence du juge pénal
à raison de l’existence d’une violation des droits de la défense du contribuable. Selon la Cour
de cassation, « l'observation des prescriptions de l'article 1649 septies précité apparait ainsi
comme une garantie essentielle des droits de la défense dont il appartient à la juridiction
répressive d'assurer le respect ».

1409
V. supra, n°113 et s.
1410
G. TIXIER et T. LAMULLE évoquent un « coup de tonnerre » : TIXIER et T. LAMULLE, Irrégularité́ des
opérations de contrôle : absence de débat oral et contradictoire, préc.
1411
Cass. crim., 4 décembre 1978, n°77-93.423, Venutolo : Dr. fisc. 1979, n°25, comm. 1297 ; JCP G 1979. II.
19124, note S.-M. ROBERT et G. TIXIER ; D. 1979, p. 90, note J. COSSON.

289
331. Lien avec les droits de la défense. – La portée de la décision Venutolo de la chambre
criminelle était donc incertaine1412. D’un côté, la Cour s’est fondée sur une particularité de
rédaction de l’article 1649 septies pour admettre la compétence du juge répressif. Parmi toutes
les dispositions octroyant des garanties procédurales au contribuable, cette disposition était la
seule à l’instaurer sous peine de « nullité de la procédure » et non pas seulement de « nullité de
l’imposition ». La compétence du juge répressif pouvait donc se limiter au seul défaut pour
l’administration fiscale d’avoir fait connaître au contribuable la faculté qu’il avait de se faire
représenter par un conseil au cours des opérations de vérification. Mais de l’autre côté, la Cour
de cassation offre génériquement au juge pénal un rôle de garant de l’observation des droits de
la défense. Cette compétence dépasse le seul champ de la procédure pénale pour atteindre
l’ensemble des irrégularités commises dans le cadre de la procédure administrative lorsque
celles-ci sont de nature à atteindre les droits de la défense. L’indépendance des procédures est
atténuée pour faire respecter les droits de la défense au-delà du strict champ du procès pénal.
La solution vise à « combler les lacunes que créait une conception trop étroite de
l'indépendance des procédures »1413. Une violation des droits de la défense1414 doit être de
nature à entraîner l’annulation des poursuites répressives, même lorsque l’irrégularité est
extérieure au procès pénal.

332. Pièce déterminante de la mise en mouvement de l’action publique. – Cette solution


se justifie par les liens ténus unissant les procédures pénale et fiscale. Le redressement opéré
par l’administration fiscale constitue le support des poursuites pénales pour fraude fiscale1415.
Il est donc parfaitement logique que l’irrégularité affectant les pièces de la procédure fiscale ait

1412
V. en ce sens : Dr. fisc. n°25, 18 juin 1979, comm. 1297.
1413
B. de MASSIAC, Procédure pénale et droits de la défense, Nécessité d'un débat oral et contradictoire en cas
de vérification de comptabilité : RJF 2/93, pp. 107 à 110.
1414
Bien qu’ayant valeur constitutionnelle (Cons. const., DC, 2 décembre 1976, n°76-70, considérant n°2 ; Cons.
const., DC, 11 août 1993, n°93-326), les droits de la défense ne font l’objet d’aucune définition ni de liste
exhaustive déterminant l’ensemble des principes que recouvrent la notion. Les textes fondamentaux n’évoquent
pas formellement l’expression et se contentent de viser certains droits procéduraux de manière non limitative (V.
par exemple l’article préliminaire du code de procédure pénale ou l’article 6 de la Convention de sauvegarde des
droits de l’homme et des libertés fondamentales). Les droits de la défense constituent donc une « notion juridique
particulièrement difficile à cerner » (E. DREYER, O. MOUYSSET, Procédure pénale, Lextenso, LGDJ, février
2019, 2ème éd.). La doctrine les définit génériquement comme « des droits procéduraux que possède toute personne
pour se protéger de la menace que constitue pour elle un procès » (C. GINESTET, Les droits de la défense en
procédure pénale, in R. CABRILLAC (dir.), Libertés et droits fondamentaux, 24ème éd., Dalloz, 2018, p. 664).
1415
V. supra, n°123 et s.

290
une influence sur la régularité de la procédure pénale. En conséquence, la compétence du juge
pénal en la matière doit se limiter aux irrégularités affectant les pièces ayant pour origine les
poursuites répressives. Lorsque l’irrégularité potentielle ne concerne pas une pièce fiscale
déterminante dans la mise en mouvement de l’action publique, la juridiction répressive est
irrecevable pour en connaître. Ainsi, l’irrégularité entachant une vérification approfondie de
situation fiscale d’ensemble reste sans conséquence dès lors que les poursuites pénales sont
fondées sur des rappels issus d’une vérification de comptabilité1416. De la même façon,
l’irrégularité affectant des vérifications de comptabilités est sans influence sur la régularité de
la procédure pénale lorsque « l'engagement de la procédure n'a pas pour origine les
vérifications de comptabilité effectuées au sein de la copropriété ou des sociétés dont les
prévenus étaient membres ou dirigeants, mais un contrôle sur pièces du bureau »1417. Du reste,
lorsque l’exception de nullité vise une des hypothèses relevant de la compétence du juge pénal,
le prévenu doit encore respecter les exigences de l’article 385 du code de procédure pénale.
Selon le dernier alinéa de cet article, les exceptions de nullité doivent être soulevées in limine
litis, c’est-à-dire avant toute défense au fond. L’application de cette règle interdit d’une part, la
présentation des exceptions de nullité pour la première fois devant les juges d’appel 1418 ou
devant la Cour de cassation1419 et, d’autre part, implique qu’elles ne peuvent être relevées
d’office par le juge pénal1420.

333. Appréciation autonome de la garantie de l’article L. 47 du LPF. – Fort de cette


compétence, le juge répressif s’est livré à une appréciation autonome des dispositions de
l’article 1649 septies du code général des impôts, transféré à l’article L. 47 du livre des
procédures fiscales lors de sa création1421, tout en respectant toutefois les standards imposés par
son homologue fiscal. Ainsi, sa jurisprudence définissant le caractère raisonnable du délai entre
la remise de l’avis de vérification et le début des opérations de contrôle de l’administration se
calque avec la position de la jurisprudence administrative. Un délai de cinq1422 ou de sept
jours1423 est considéré comme suffisant pour le juge répressif, conformément à la jurisprudence

1416
Cass. crim., 11 janvier 1993, n°92-81.446.
1417
Cass. crim., 4 juin 1998, n°97-80.620, Époux Robert : Dr. fisc. 1999, n°10, comm. 210.
1418
Cass. crim., 22 novembre 2011, n°11-80.013 : D. 2012, p. 289 ; Cass. crim., 14 mars 2012, n°11-85.827.
1419
Cass. crim., 23 mars 1999, n°98-82.216.
1420
Cass. crim., 21 mars 1989, n°88-82.789 : D. 1989, somm. p. 394, obs. J. PRADEL.
1421
Art. 2 du décret n°81-859 du 15 septembre 1981 portant codification des textes législatifs concernant les
procédures fiscales (première partie : Législative).
1422
Cass. crim., 4 décembre 1978, n°77-93.423, Venutolo, préc.
1423
Cass. crim., 21 mars 1996, n°95-80.429, Benhaim.

291
fiscale fixant le délai minimum dont le contribuable doit disposer entre le jour de réception de
l'avis et celui du début de la vérification à deux jours1424. Mais la jurisprudence de la chambre
criminelle s’est parfois affranchie de la jurisprudence administrative pour retenir une
conception plus large de la garantie octroyée au contribuable. Il en a été ainsi s’agissant du
destinataire de l’avis de vérification. La chambre criminelle a pendant longtemps considéré
qu’au cours d’une liquidation judiciaire, les garanties procédurales de l’article L. 47 du livre
des procédures fiscales devaient bénéficier tant au liquidateur qu’au dirigeant de la société
pénalement responsable du délit de fraude fiscale. Elle a ainsi jugé que le défaut d’information
de ce dirigeant entraînait la nullité de la procédure de vérification 1425, à contre-courant de la
position du juge fiscal n’exigeant pas de l’administration fiscale une telle formalité 1426. Mais
face aux difficultés rencontrées par le juge dans la détermination de la date à laquelle le fisc a
connu ou a pu connaître la qualité de dirigeant de fait1427, la chambre criminelle a modifié sa
position pour se conformer à celle de son homologue. À compter d’une décision du 1er juin
20051428, elle a estimé qu’un dirigeant d’une société mise en liquidation judiciaire ne saurait
invoquer utilement la circonstance qu'il n'a pas reçu notification de l'avis de vérification de
comptabilité, ni bénéficié d'un débat oral et contradictoire, dès lors que l'article L. 47 n'implique
pas l'envoi ou la remise de l'avis de vérification à une personne autre que le redevable de l'impôt
ou son représentant légal.

334. Compétence limitée à la violation de l’article L. 47 du LPF. – L’évolution permise


par la décision Venutolo est restée pendant longtemps circonscrite à la seule garantie de l’article

1424
En matière fiscale, aucun texte ne précise le délai qui doit s'écouler entre l'avis de vérification et le début des
opérations de vérification (CE, 14 avril 1982, n°24698 : RJF 1982. 302.). La jurisprudence administrative a eu
l’occasion de préciser que les prescriptions de l'instruction du 25 juin 1984 suivant lesquelles un délai de quinze
jours doit séparer la réception de l'avis de vérification et le début de celle-ci constituent de simples
recommandations dont le contribuable ne peut se prévaloir (CAA Nantes, 9 juin 1993, n°91815 : Dr. fisc. 1994,
comm. 369.). Selon le juge fiscal, l'administration doit avertir en temps utile le contribuable, pour que celui-ci soit
en mesure de faire appel, s'il le souhaite, au conseil de son choix (CE, plén., 29 avril 1977, n°92446 : RJF 1977.
236, chron. HAGELSTEEN ; Dr. fisc. 1977, comm. 941 ; CE, 7 mai 1982, n°18920 : Dr. fisc. 1982, comm. 2335,
concl. VERNY ; RJF 1982. 319, chron. RACINE). Depuis un arrêt du 14 mars 1990, le délai minimum dont le
contribuable doit disposer est de deux jours ouvrables entre le jour de réception de l'avis et celui du début de la
vérification (CE, 14 mars 1990, n°65110, Kaufmann : LPA 13 juin 1990, n°71, concl. FOUQUET ; RJF 1990. 364
; Dr. fisc. 1990, comm. 1344 ; BOI 13 L-5-90 ; Dr. fisc. 1990. II. 10163).
1425
Cass. crim., 1er mars 2000, n°99-82.532 : JCP G 2000. IV. p. 2045 ; RJF 4/2001, n°555 ; Cass. crim., 24 mai
2000, n°99-82.910.
1426
V. notamment TA Dijon, 20 mai 1997, n°936815 : Dr. fisc. 1997, comm. 1384.
1427
Cass. crim., 2 avril 2003, n°02-83.727 ; Cass. crim., 3 décembre 2003, n°02-88.359 ; Cass. crim., 17 décembre
2003, n°03-80.011 ; Cass. crim., 15 décembre 2004, n°03-87.827.
1428
Cass. crim., 1er juin 2005, n°04-85.031 : RJF 2006, n°940.

292
L. 47 du livre des procédures fiscales. Dans un arrêt du 9 mai 19831429, la chambre criminelle
a rappelé que l’appréciation de la régularité de la procédure fiscale n’était pas de la compétence
du juge répressif. Partant, « la conséquence tirée par les tribunaux judiciaires de l'inobservation
des dispositions de l'article L. 47 (…), en ce qu'elle déroge au principe général de la séparation
des autorités administratives et judiciaires est d'interprétation stricte et ne saurait dès lors être
étendue au-delà des cas où la loi a entendu expressément la limiter ». La chambre criminelle a
ainsi refusé que le juge pénal s’assure du respect des autres garanties procédurales octroyées au
contribuable qui participent pourtant, autant que le droit à l’assistance d’un conseil pendant les
vérifications, à assurer le respect des droits de la défense. Un arrêt du 10 mars 19961430 est à cet
égard significatif. En l’espèce, deux prévenus respectivement poursuivis pour fraude fiscale et
complicité de fraude fiscale ont soulevé en vain devant le juge répressif la nullité des
vérifications opérées par le fisc, au motif que le premier d’entre eux n’avait pu bénéficier sur
place d’un débat oral et contradictoire avec le vérificateur. Dans sa décision, la chambre
criminelle énonce que, sous réserve de la faculté pour le juge pénal de relever l’inobservation
par l’administration fiscale de son obligation d’informer le contribuable sur son droit de se faire
assister par un conseil de son choix pendant les vérifications, « les autres obligations ou
formalités prescrites par les articles L. 47 à L. 52 du Livre des procédures fiscales, qui ne
concernent que la procédure administrative de vérification de la situation fiscale ou comptable
d'un contribuable, ne ressortissent pas au juge répressif et relèvent du contrôle du seul juge de
l'impôt ». En d’autres termes, le principe demeure l’indépendance des procédures. La
compétence du juge pénal pour connaître des irrégularités de l’article L. 47 du livre des
procédures fiscales est exceptionnelle et doit être d’interprétation stricte.

335. Élargissement au débat oral et contradictoire : l’arrêt Sztergbaum. – Cette lecture


restrictive a duré jusqu’en 1992, année au cours de laquelle la chambre criminelle a accepté de
faire évoluer sa jurisprudence, en concédant de sanctionner au sein de son prétoire la violation
par l’administration fiscale du débat oral et contradictoire. Le principe a été posé par l’arrêt
Sztergbaum du 23 novembre 19921431, du nom du brocanteur ayant fait l’objet de poursuites
pour fraude fiscale après une vérification de comptabilité effectuée par les agents du Trésor.

1429
Cass. crim., 9 mai 1983, n°82-91.577, Di Tullio : D. 1983. 621, note TIXIER et ROBERT ; Dr. fisc. 1984,
comm. 228.
1430
Cass. crim., 10 mars 1986, n°84-95.510 : RJF 1986. 463 ; Dr. fisc. 1986, comm. 1986.
1431
Cass. crim., 23 novembre 1992, n°90-86.657 : Dr. fisc. 1933, comm. 1059, note G. TIXIER et T. LAMULLE ;
RJF 1993, n°290, rapport BRIEUC DE MASSIAC ; Gaz. Pal., 1993. 2. 555, note J.-P. MARCHI.

293
Devant le juge répressif, il invoquait la nullité de ces opérations, qui s’étaient déroulées hors sa
présence dans les locaux de l’administration fiscale. La cour d’appel a fait droit à l’exception
soulevée devant elle, soutenant que la violation des droits de la défense avait vicié la procédure
fiscale, laquelle ne pouvait dès lors être regardée comme constituant le soutien de l'action
publique. En conséquence, « les poursuites pénales subséquentes s'en [trouvaient] également
affectées et ne [pouvaient] qu'être annulées »1432. Réformant sa jurisprudence établie
jusqu’alors, cette décision a été confirmée par la chambre criminelle qui, dans un motif de
principe1433, a étendu le champ des atteintes aux droits de la défense à l’hypothèse du défaut de
débat oral et contradictoire. Le juge pénal est désormais compétent, tant pour sanctionner
l’absence d’information de la possibilité d’être assisté du conseil de son choix que la violation
par le fisc d’un débat oral et contradictoire. Ces deux irrégularités sont susceptibles d’être
soulevées devant la juridiction pénale et d’entraîner l’annulation des poursuites pénales. Ainsi
que l’indiquait Monsieur L. AYRAULT, l’affaire Sztergbaum « est particulièrement
importante puisque la garantie ainsi sanctionnée par la chambre criminelle n’apparaît pas
expressément dans la loi mais résulte d’une création du juge administratif1434 »1435. Les espoirs
d’offrir au juge pénal une compétence générale en présence d’une violation d’une garantie
assurant les droits de la défense du contribuable étaient encore une fois permis. Les arrêts
postérieurs ont toutefois démontré que la chambre criminelle a entendu circonscrire la
compétence du juge pénal à ces deux hypothèses.

1432
CA Paris, 18 novembre 1990, n°3826/88.
1433
La chambre criminelle énonce « qu'en prononçant ainsi, la cour d'appel a justifié sa décision sans encourir
les griefs des moyens ; qu'en effet, l'observation d'un débat oral et contradictoire lors de l'examen des pièces de
comptabilité constitue une garantie essentielle des droits de la défense dont il appartient à la juridiction pénale
d'assurer le respect ».
1434
La garantie d’un débat oral et contradictoire pendant les opérations de vérification de comptabilité n’est pas
mentionnée en tant que tel dans la loi fiscale. Elle résulte d’une construction prétorienne remontant à l’arrêt
fondateur du Conseil d’État du 21 mai 1976 (CE, sect., 21 mai 1976, n°94052 : Dr. fisc. 1976, comm. 878, concl.
LATOURNERIE ; RJF 1976. 224, chron. MARTIN-LAPRADE ; Les grands arrêts de la jurisprudence fiscale,
4ème éd. 2003, Thème 56, p. 860). À l’époque, cette garantie était cantonnée au seul problème du lieu des opérations
de vérification et à la possibilité d'emporter des documents comptables en dehors des locaux de l'entreprise pour
les vérifier. Puis cette garantie s’est élargie pour concerner l’ensemble des opérations de vérification. V. pour plus
de développements à ce sujet : J.-P. DARRIEUTORT, Le renforcement du principe du contradictoire : Dr. fisc
2005, étude 11, p. 598 ; G. AMEDEE-MANESME, Le débat oral et contradictoire au cœur du contrôle fiscal : Dr.
fisc. 2004, n°50, p. 1759 ; G. NOËL, « Garanties pendant le déroulement de la vérification de comptabilité », Fasc.
n°338, Jurisclasseur, 1er décembre 2009, mis à jour le 1er mars 2014.
1435
L. AYRAULT, Le contrôle juridictionnel de la régularité de la procédure d'imposition : Thèse, L'Harmattan,
2004, p. 248.

294
B) La possibilité restreinte du juge pénal de prononcer la nullité des actes affectant la
procédure fiscale

336. Formulation constante de la chambre criminelle. – Si les décisions Venutolo et


Sztergbaum ont permis d’atténuer la rigueur de l’indépendance des procédures pénale et fiscale,
la compétence du juge pénal à l’égard des irrégularités de la procédure fiscale s’est cantonnée
au défaut d’information au contribuable de la faculté de se faire assister par le conseil de son
choix et à l’absence de débat oral et contradictoire au cours des opérations de vérification 1436.
La chambre criminelle affirme dans une formulation invariable que « la méconnaissance de
l’article L. 47 du livre des procédures fiscales, qui impose que le contribuable soit informé de
son droit d'être assisté d'un conseil, et l'absence de débat oral et contradictoire au cours de la
vérification fiscale, ayant porté atteinte aux droits de la défense, sont les seules irrégularités,
affectant les opérations administratives préalables à l'engagement de poursuites pénales pour
fraude fiscale, susceptibles de conduire à l'annulation de la procédure par le juge judiciaire
»1437.

337. Restriction des exceptions de nullités recevables devant le juge pénal. – La


compétence du juge pénal n’est pas admise lorsque l’irrégularité dont se prévaut le prévenu

1436
En réalité, une troisième hypothèse octroie au juge pénal compétence pour apprécier la régularité de la
procédure fiscale. Il ne s’agit pas en tant que tel d’une irrégularité affectant le déroulement des opérations de
l’administration fiscale mais affectant le déroulement de la procédure applicable devant la Commission des
infractions fiscales (V. supra, n°55). Conformément à une position traditionnelle, le prévenu poursuivi pour fraude
fiscale était irrecevable à soulever une exception de procédure tirée de la procédure applicable devant ladite
Commission (Cass. crim., 2 décembre 1985, n°84.95-589). Une décision du 19 décembre 1988 du tribunal des
conflits a dû faire évoluer sa jurisprudence. Dans cette affaire, le tribunal des conflits a logiquement estimé que
l’avis de la Commission des infractions fiscales était un acte nécessaire à la mise en mouvement de l’action
publique, non détachable de celle-ci. En conséquence, les tribunaux judiciaires doivent se déclarer compétents
pour en apprécier la validité. À partir de cette décision, le juge répressif s’est estimé compétent pour apprécier la
régularité de la procédure suivie devant la Commission des infractions fiscales (V. pour des arrêts postérieurs à la
décision du tribunal des conflits : Cass. crim., 26 février 1990, n°89-81.312 ; Cass. crim., 28 janvier 1991, n°89-
86.597 et n°90-81.526 ; Cass. crim., 22 octobre 2008, n°08-80.586). Encore une fois, l’office du juge pénal est ici
largement limité (V. en ce sens, F. LESPINASSE et J. BRANDEAU, L’exception de nullité dans les poursuites
pour fraude fiscale : LPA 11 janvier 2000, n°7, p. 4).
1437
Cass. crim., 16 juin 1999, n°98-83.758 ; Cass. crim., 4 juin 1998, n°97-80.620, Époux Robert : Dr. fisc. 1999,
n°10, comm. 210 ; Cass. crim., 6 janvier 2000, n°98-88.179 ; Cass. crim., 7 mars 2001, n°00-81.079 ; Cass. crim.,
9 mars 2005, n°04-82.641 ; Dr. fisc. 2005, comm. 491 ; Cass. crim., 30 juin 2010, n°09-81.674 ; V. pour une
formulation récente : Cass. crim., 11 juillet 2017, n°15-86.825 : « la méconnaissance de l'article L. 47 du livre des
procédures fiscales et l'absence de débat oral et contradictoire au cours de la vérification fiscale, ayant porté
atteinte aux droits de la défense, sont les seules irrégularités susceptibles de conduire à l'annulation de la
procédure par le juge judiciaire ».

295
concerne d’autres opérations de contrôle de l’administration fiscale, telles que les demandes de
renseignements, d’éclaircissements ou de justifications. Un prévenu poursuivi pour s'être
frauduleusement soustrait à l'établissement et au paiement de l'impôt sur le revenu est
irrecevable, par exemple, à invoquer devant le juge répressif la nullité des poursuites en raison
de l'absence de débat contradictoire avec le vérificateur préalablement à l'envoi des demandes
d'éclaircissements et de justifications, dès lors que ce contrôle n’est pas soumis aux dispositions
de l’article L. 47 du livre des procédures fiscales1438. La chambre criminelle adopte la même
attitude restrictive à l’égard des irrégularités affectant l'exercice d'un droit de
communication1439. Dans une affaire ayant donné lieu à une décision de la chambre criminelle
du 22 février 20061440, une société a fait l’objet d’une vérification de comptabilité au cours de
laquelle l’administration a exercé son droit de communication auprès d’un tiers afin d’obtenir
certains livres et comptes obligatoires manquants. Poursuivie devant la juridiction
correctionnelle pour fraude fiscale, la société excipait d’une exception de nullité tenant au
défaut de communication, dans le cadre du contrôle fiscal, des documents obtenus par le fisc et
de l’absence de tout débat oral et contradictoire. Conformément à une jurisprudence classique
du juge fiscal imposant à l’administration fiscale d’informer le contribuable de l’origine et de
la teneur des renseignements obtenus dans le cadre de son droit de communication1441, la cour
d’appel avait fait droit à l’exception ainsi soulevée et annulé les poursuites pénales engagées
sur la base de la procédure administrative viciée. L’argumentation a été pourtant censurée par
la Cour de cassation qui a soutenu, au visa des articles L. 81 et L. 47 du livre des procédures
fiscales, « que les documents obtenus par l'administration fiscale dans l'exercice de son droit
de communication auprès des tiers, prévu par le premier de ces textes au titre du contrôle de
l'impôt, ne sont pas soumis à la procédure de vérification prescrite par le second ». Selon la
chambre criminelle, l'irrégularité éventuelle de la procédure fiscale résultant de l'absence
d'information du contribuable et de débat sur les pièces obtenues auprès de tiers dans le cadre
de l'exercice du droit de communication n'est pas au nombre des irrégularités que le juge
répressif est autorisé à contrôler et à réprimer.

1438
Cass. crim., 1er décembre 2004, n°04-80.406 ; Cass. crim., 10 mai 2007, n°06-85.864 : Dr. fisc. 2007, n°37,
étude 824.
1439
Cass. crim., 11 mai 2000, n°99-83.378.
1440
Cass. crim., 22 février 2006, n°05-85.092, Procureur général de cour d'appel de Rennes et administration des
impôts c/ K : Dr. fisc. 2007, n°12, comm. 316 ; RJF 7/2006, n°941.
1441
CE, 3 décembre 1990, n°103101, SA Antipolia : RJF 2/91, n°200, concl. J. ARRIGHI DE CASANOVA ; Dr.
fisc. 7/91 comm. 259 ; CE, 6 juillet 1994, n°120118, Gozlan : RJF 1994, n°1113 ; CE, 6 décembre 1995, n°126826,
SA Samep : Dr. fisc. 1996, n°7, comm. 203, concl. G. BACHELIER.

296
338. Cantonnement regrettable. – Cette position est éminemment contestable. Le
contribuable devrait pouvoir se prévaloir d’irrégularités commises dans le cadre d’une
procédère étrangère à la sienne dès lors que le redressement dont il fait l’objet a pu être établi
sur le fondement d’opérations issues de cette procédure. En limitant aussi restrictivement les
hypothèses susceptibles d’emporter la nullité des poursuites pénales, le juge pénal est conduit
à écarter des moyens qui sont pourtant de nature à affecter les droits de la défense du
contribuable. Par exemple, la chambre criminelle juge que l'irrégularité liée à un défaut de
motivation de la notification de redressement ne peut entraîner l'annulation de la procédure
pénale. Il en est ainsi alors même que la notification de redressement adressée à la prévenue
visait un article inexistant du livre des procédures fiscales, de sorte que la notification présentait
une motivation nécessairement erronée et insuffisante1442. Cette solution conduit à écarter la
recevabilité des moyens tendant à la motivation des décisions de l’administration fiscale. Or,
cette motivation est le préalable nécessaire du respect du principe du contradictoire. Si la
motivation des notifications de redressement est exigée tant par la loi1443 que par la
jurisprudence fiscale1444, c’est parce qu’elle permet au contribuable d'engager valablement une
discussion contradictoire avec l'administration1445. La solution de la chambre criminelle revient
ainsi à limiter certaines garanties substantielles exigées par la loi fiscale au profit des
contribuables.

339. Élargissement souhaitable. – Au nom du principe d’indépendance des procédures


pénale et fiscale, dont les fragilités ont précédemment été développées1446, la Haute juridiction
dénie au juge pénal la faculté de connaître de ces irrégularités. Au-delà de relever d’un choix
purement arbitraire, la limitation du contrôle du juge pénal à ces deux seules irrégularités
interdit une appréciation globale de la régularité de la procédure fiscale. Surtout, la position de
la chambre criminelle opère ab initio à travers l’irrecevabilité des exceptions de nullité autres
que celles visant le droit de se faire assister du conseil de son choix ou de la violation du débat
oral et contradictoire. Les exceptions de nullité sont ainsi rejetées sans que le juge répressif

1442
Cass. crim., 3 décembre 2003, n°03-81.023.
1443
Art. L. 57 et R. 57-1 LPF.
1444
V. notamment, CE, 8 février 1991, n°69712, Lemonnier : RJF 3/91, n°359, concl. O. FOUQUET ; C. DAVID,
O. FOUQUET, B. PLAGNET et P.-F. RACINE, Les grands arrêts de la jurisprudence fiscale : Dalloz, 4ème éd.,
2003, Thème 48, La motivation dans la procédure de redressement contradictoire.
1445
CE, 21 mai 1976, n°94052 sect. : RJF 7-8/76, n°344.
1446
V. supra, n°113 et s.

297
n’ait pu apprécier leur bien-fondé. De surcroît, la conformité de cette situation au droit européen
n’est pas assurée1447. Pour que le cumul soit conforme aux exigences de l’article 4 du protocole
n°7 additionnel à la Convention, la Cour européenne des droits de l’homme exige en effet une
interaction entre les autorités pénale et fiscale dans la collecte et dans l’appréciation des
preuves1448. Or, la restriction du contrôle du juge pénal ne permet pas aux juridictions
administrative et répressive d’interpréter semblablement les éléments de preuve qui leur sont
soumis. Ainsi que l’appelle de ses vœux la majeure partie de la doctrine 1449, la solution de la
chambre criminelle mériterait d’être élargie à d’autres irrégularités susceptibles d’emporter une
violation des droits de la défense du contribuable. Sa formulation jurisprudentielle habituelle1450
pourrait dès lors être remplacée par la suivante : « la méconnaissance d’une formalité
substantielle1451 prévue dans le livre des procédures fiscales affectant les opérations
administratives préalables à l'engagement de poursuites pénales pour fraude fiscale, est
susceptible de conduire à l'annulation de la procédure par le juge judiciaire, dès lors que cette
méconnaissance a porté atteinte aux droits de la défense du contribuable ».

1447
V. en ce sens, F. DEBOISSY, Retour sur un principe controversé : l'indépendance des procédures pénale et
fiscale, préc. ; N. VERGNET, Articulation des procédures fiscale et pénale : une symphonie inachevée, préc.
1448
V. supra, n°246.
1449
L. AYRAULT, Le contrôle juridictionnel de la régularité de la procédure d'imposition : Thèse, L'Harmattan,
2004, p. 250 ; F. DEBOISSY, Retour sur un principe controversé : l'indépendance des procédures pénale et fiscale :
Dr. fisc. n°51-52, 18 décembre 2014, 692 ; M. SIERACZEK, L'indépendances des procédures pénale et fiscale :
un principe prétorien contestable : Dr. fisc. n°50, 13 décembre 2007, 1039 ; N. VERGNET, Articulation des
procédures fiscale et pénale : une symphonie inachevée : Dr. fisc. n°11, 14 mars 2019, 200 ; M. BETCH,
« Contentieux pénal », Fasc. n°721, Jurisclasseur Procédures fiscales, mis à jour le 15 décembre 2019.
1450
V. supra, n°336.
1451
Le juge répressif pourrait alors parfaitement faire sienne la position du juge fiscal à propos des irrégularités
procédurales, dont les conséquences procédurales demeurent subordonnées au constat de la privation du
contribuable d’une garantie ayant eu une influence sur la décision de redressement : V. infra, n°359 et s.

298
CONCLUSION DU CHAPITRE PREMIER

340. Insuffisance des incidences de la procédure fiscale sur le litige pénal. – En somme,
les incidences de la procédure fiscale sur le litige pénal sont largement contestables. Du point
de vue des personnes poursuivies, la jurisprudence admet au nom d’une distinction des
personnalités juridiques, de cumuler les poursuites fiscale et pénale à l’encontre d’une société
et de son dirigeant personne physique. Cette situation va à l’encontre, sinon des principes
élémentaires gouvernant le droit pénal général, du moins de la nécessaire complémentarité
gouvernant le cumul des procédures pénale et fiscale. Lorsque le dirigeant personne physique
n’a pas agi dans un intérêt strictement personnel, sa responsabilité pénale ne devrait pas pouvoir
être engagée aux côtés de la responsabilité fiscale de la personne morale. D’un point de vue
procédural, les irrégularités de la procédure fiscale ne sont pas suffisamment exploitées par le
juge répressif. La compétence de celui-ci est cantonnée à des hypothèses ponctuelles de
violation par l’administration fiscale des droits de la défense que sont d’une part, le défaut
d’information du contribuable de la nécessité d’être assisté par le conseil de son choix dans le
cadre de l’article L. 47 du livre des procédures fiscales et, d’autre part, l’absence de débat oral
et contradictoire lors de la vérification de comptabilité. Il serait préférable que son office
s’étende à toutes les violations des droits de la défense du contribuable dès lors que la pièce
viciée sert de fondement aux poursuites pénales. En définitive, la procédure fiscale n’a à ce
stade qu’une incidence limitée sur le litige pénal. Il faut espérer que la décision définitive du
juge des impôts aura plus d’importance aux yeux du juge répressif.

299
CHAPITRE II. L’INCIDENCE DE LA DÉCISION FISCALE

341. Définition de la décision fiscale. – La décision fiscale est celle qui se prononce sur la
requête du contribuable auquel l’administration fiscale reproche un manquement à ses
obligations contributives. Les règles propres à la matière fiscale peuvent conduire le juge des
impôts à prononcer une décharge de l’imposition prétendument due. L’incidence de la décision
fiscale varie selon qu’elle intervienne avant ou après que le juge répressif se prononce sur la
culpabilité du prévenu. Lorsque la décision fiscale intervient en amont, la question qui se pose
est celle de son autorité de chose jugée pour le juge répressif (Section I). Lorsqu’elle est rendue
en aval, c’est la possibilité de réviser le procès pénal qui doit être interrogée (Section II).

SECTION I. L’AUTORITÉ DE CHOSE JUGÉE DE LA DÉCISION FISCALE

342. Sensible évolution du droit positif. – Dans cette première configuration, le


contribuable ayant contesté le redressement fiscal dont il a fait l’objet obtient satisfaction devant
le juge des impôts avant que celui-ci ne réponde de l’incrimination de fraude fiscale devant la
juridiction répressive. La décision fiscale a-t-elle autorité de chose jugée pour le juge
correctionnel ? La réponse à cette interrogation varie sensiblement selon que la décision fiscale
a été rendue avant ou après l’évolution du droit positif provoquée le 24 juin 2016 par le Conseil
constitutionnel. Depuis les décisions Cahuzac et Wildenstein1452, une réserve d’interprétation
impose au juge pénal de prendre acte d’une décision de décharge définitive prononcée par son
homologue. Cette réserve a créé un cas inédit d’autorité de chose jugée de la décision fiscale
sur le pénal (§2), bouleversant ainsi la position traditionnelle de la juridiction répressive selon
laquelle aucune autorité de chose jugée ne pouvait lui être attachée (§1).

§1. Le traditionnel défaut d’autorité de chose jugée de la décision fiscale sur le


pénal

343. Juge pénal souverain dans la caractérisation de la fraude. – Selon une position
traditionnelle conduite depuis des décennies, la chambre criminelle refuse de conférer aux
décisions du juge fiscal une quelconque autorité de chose jugée. Deux arrêts rendus le 9 avril
1970 exposent les fondements de cette solution. Dans la première espèce soumise à la Cour de

1452
Cons. const., QPC, 24 juin 2016, n°2016-545 et n°2016-546, préc.

300
cassation1453, un prévenu poursuivi pour fraude fiscale invoquait devant le juge répressif
l’autorité tirée d’une décision du juge fiscal diminuant significativement le montant des
redressements opérés par l’administration fiscale1454. Confortant la position de la cour d’appel,
la chambre criminelle a dénié toute autorité à la décision fiscale, dont les constatations de fait
« ne pouvaient s’imposer aux juges répressifs ». Pour caractériser la fraude fiscale, le juge
répressif est pleinement souverain. Il n’est pas lié par les conclusions du juge fiscal qui ne
sauraient s’imposer à lui. Dans la seconde affaire1455, plusieurs contribuables1456 poursuivis
pour fraude fiscale devant le juge pénal invoquaient également différentes décisions de la
juridiction fiscale. À la différence du précédent arrêt rendu le même jour, le juge de l’imposition
ne s’était pas contenté de diminuer le montant de l’imposition due, mais avait annulé les titres
de perception émis par l’administration fiscale. En dépit de cette annulation, l’exception de
chose jugée avait été rejetée par les premiers juges, au motif que les juridictions administratives
et fiscales recherchaient une assiette d’imposition par des moyens indépendants de ceux utilisés
devant les juridictions répressives. La Haute juridiction a approuvé ce raisonnement selon une
motivation enrichie. Au-delà de son traditionnel fondement tiré de l’indépendance des
procédures1457, la chambre criminelle s’est employée à démontrer la différence de régime
probatoire entre les juges fiscal et pénal. Tandis que le premier ne se prononce « que selon les
règles de preuve qui lui sont propres », le second peut établir la dissimulation frauduleuse « par
tous les moyens de preuve concourant à former la conviction des juges ».

344. Différence de régime probatoire. – L’hermétisme de la Cour de cassation à l’égard


de son homologue s’expliquerait donc par la différenciation des règles de preuves applicables
aux contentieux pénal et fiscal. Devant le juge fiscal, l’administration de la preuve est soumise
à un régime largement restrictif. Il est traditionnellement admis que le contentieux fiscal,
obéissant à une procédure écrite, ne peut se satisfaire d’un mode de preuve autre que littérale.
De l’introduction à l’instruction de la requête devant les juridictions administratives, l’écrit
imprègne toute la procédure fiscale. En conséquence, certains modes de preuve ne peuvent

1453
Cass. crim., 9 avril 1970, n°68-93.615, Sieur Petit.
1454
En l’espèce, le gérant d’une SARL avait procédé à des minorations de déclarations sur la taxe sur le chiffre
d’affaires de l’ordre de 2 900 000 francs. Après contestation devant le juge fiscal, un arrêt du Conseil d’État a fixé
à 4 465,16 francs les droits éludés.
1455
Cass. crim., 9 avril 1970, n°68-92.282, Sieurs Fournié, Calmes, Andrieu, Armengaud : Bull. crim. 1970,
n°114 : Dr. fisc. 1970, n°28, comm. 833, note J. COSSON.
1456
Le moyen tiré du défaut d’exception de chose jugée de la décision fiscale étant invoqué par plusieurs prévenus,
la chambre criminelle a joint les différents pourvois.
1457
V. supra, n°113 et s.

301
produire d’effets juridiques lorsqu’ils sont administrés oralement. Il en est ainsi de l’aveu et du
témoignage, par principe incompatibles avec les règles de la procédure écrite1458. Aux antipodes
de ce régime restrictif, la procédure pénale serait toute entière dictée par la liberté de la
preuve1459. Pour démontrer l’existence d’une infraction, tous les moyens de preuves sont
admissibles. Dans une procédure où l’oralité est le principe, les aveux et témoignages servent
fréquemment la thèse de l’accusation. Le juge pénal apprécie librement les éléments probatoires
présentés devant lui en vertu de son intime conviction1460. Dès lors, il est concevable que le
juge pénal se prononce sur la culpabilité du contribuable en ayant recours à des éléments de
preuve dont le juge fiscal ne pouvait avoir connaissance. C’est d’ailleurs ce qui s’est produit
dans l’affaire commentée1461, le juge pénal ayant assis sa condamnation pour fraude fiscale sur
des déclarations d’un témoin et des mentions sur des carnets de compatibilités occultes
inconnues du juge fiscal.

345. Nécessité de dépasser cette présentation. – Cette configuration dualiste doit toutefois
être relativisée, ce pour au moins deux raisons. La première est que les efforts de collaboration
entre les juges pénal et fiscal, récemment encouragés par le législateur1462, rendent peu probable
l’hypothèse dans laquelle le juge répressif dispose davantage d’éléments probatoires.
L’exercice élargi du droit de communication permet à l’administration fiscale de prendre
connaissance des révélations du contribuable recueillies au cours de la procédure pénale et de
bénéficier, le cas échéant, d’un allongement de son droit de reprise1463. Le second argument

1458
Art. R. 195-1 LPF. Ceux-ci ne sont admis que lorsqu’ils procèdent d’un écrit : Pour les aveux : CE, 10
décembre 1980, n°14878 : Dr. fisc. 1981, n°10, comm. 476 ; RJF 1981, n°137 ; CE, 22 mars 1985, n°37652 : RJF
6/85, n°953 ; CE, 24 novembre 1986, n°47531 : RJF 1/87, n°97 ; CE, 12 décembre 1990, n°112316-61643 : RJF
2/91, n°217 ; Dr. fisc. 1991, n°27, comm. 1388. Pour les témoignages : Cass. com., 14 mars 2006, n°04-11.647,
Gracia : Dr. fisc., 2006, n°38, 594. V. également en ce sens, C. DE LA MARDIÈRE, La preuve en droit fiscal,
LexisNexis, coll. « Litec », Paris, 2009, pp. 14 à 20.
1459
Le principe de liberté de la preuve s’oppose à celui des preuves légales, auxquelles sont attachées une valeur
probante hiérarchisée. Ce système prédominait dans l’Ancien droit français dans lequel les preuves pouvaient être
pleines, semi-pleines ou imparfaites. Il a été abandonné en France à partir du 15ème siècle : V. pour plus de
développements à ce sujet : J.-M. CARBASSE, Histoire du droit pénal et de la justice criminelle, 2ème éd., Paris,
PUF, 2006, p. 400 et s. Ce système de légalité des preuves perdure en procédure civile puisque la loi hiérarchise
les preuves : preuve littérale, témoignages, présomptions, aveu, serment. V. pour plus de développement à ce
sujet : M. DELMAS-MARTY, La preuve pénale : Droits, Revue française de théorie, de philosophie et de culture
juridique, n°23, 1996, p. 55.
1460
Aux termes de l’article 427 du code de procédure pénale, « les infractions peuvent être établies par tout mode
de preuve et le juge décide d'après son intime conviction ».
1461
Cas. crim., 9 avril 1970, n°68-92.282, préc.
1462
V. supra, n°146.
1463
V. supra, n°167 et s.

302
tient à ce que la présentation manichéenne de la chambre criminelle nie le pouvoir reconnu au
juge fiscal dans l’appréciation des moyens de preuve présentés devant lui. En l’absence de
disposition contraire, la preuve en matière fiscale peut être rapportée « par tous moyens »1464,
dès lors que les éléments probatoires respectent les exigences de la procédure écrite1465. Ainsi,
il n’existe pas en matière fiscale de système légal de preuves imposant au magistrat de limiter
ou de hiérarchiser les preuves invoquées par les parties au soutien de leur prétention. Ce système
de liberté de preuve permet au contribuable d’user des moyens de défense les plus étendus pour
combattre la thèse défendue par le fisc. Tout comme dans le prétoire pénal, « la règle est celle
de la preuve morale »1466. Tout comme le juge répressif, le juge des impôts forge librement son
point de vue en se basant sur les éléments qui lui sont soumis. Lorsque ceux-ci sont insuffisants,
il lui est loisible d’ordonner des mesures d’instructions1467 telles qu’une expertise, une enquête,
une visite des lieux ou encore une vérification d’écritures. Autant que le juge pénal, le juge
fiscal doit trancher le litige en vertu de son intime conviction1468.

346. Pragmatisme du juge répressif. – La faiblesse des arguments de la chambre criminelle


ne l’a pas empêché de refuser, pendant des décennies1469, toute autorité de chose jugée aux
décisions fiscales, sur le fondement d’une prétendue différence de régime probatoire. Cette
position s’est imposée tant pour le juge administratif que le juge judiciaire des impôts1470. Face
à une telle prohibition, le juge pénal retient parfois des arguments de bon sens pour prendre en
considération les décisions fiscales. Si l’indépendance des procédures pénale et fiscale lui
interdit de se fonder exclusivement sur les constatations du juge fiscal pour caractériser la
fraude, il a en revanche le droit de puiser les éléments de sa conviction dans les constatations
de fait relevées par le fisc1471. Le juge répressif est « donc autorisé à s'inspirer des arrêts rendus

1464
CE, 10 octobre 2003, n°244445, Lascaze : Dr. fisc. 2004, n°8, 257, concl. E. GLASER.
1465
Le juge fiscal a par exemple accepté de donner valeur probante à des « notes blanches » des renseignements
généraux (CE, Ass., 11 octobre 1991, Diouri : Rec. CE 1991, tables, p. 939 ; RFD adm. 1991, concl. M. de SAINT-
PULGENT, p. 978).
1466
C. DE LA MARDIÈRE, La preuve en droit fiscal, op. cit., p. 13, n°23.
1467
L’article R. 200-1 du livre des procédures fiscales rend en effet applicable, sauf texte contraire, l’ensemble des
dispositions du code de justice administrative.
1468
CE, 4 février 1981, n° 25702, M. Konaté.
1469
V. notamment : Cass. crim., 13 mars 1995, n°94-82.247 ; Cass. crim., 30 juin 1999, n°98-84.396 ; Cass. crim.,
2 octobre 2002, n°01-87.996 ; Cass. crim., 5 février 2003, n°01-88.561 ; Cass. crim., 5 novembre 2003, n°03-
80.398 ; Cass. crim., 6 octobre 2004, n°03-86.378 ; Cass. crim., 11 janvier 2006, n°05-82.674 ; Cass. crim., 17
juin 2009, n°08-86.111 ; Cass. crim., 30 juin 2010, n°09-86.249 ; Cass. crim., 21 septembre 2011, n°09-86.657.
1470
Cass. crim., 29 mai 1973, n°73-92.010 et n°72-92.009.
1471
Cass. crim., 25 septembre 1987, n°86-90.760.

303
par les juridictions administratives »1472 pour caractériser les éléments constitutifs de la fraude.
La condamnation pénale peut ainsi valablement procéder des constatations de la procédure
fiscale1473.

Cette faculté joue également en faveur des décisions de décharge du juge fiscal. Une
décision du 4 novembre 20101474 illustre parfaitement cette hypothèse. Poursuivi devant les
juridictions correctionnelles pour fraude fiscale, un dirigeant d’un groupe de sociétés a été
relaxé par les juges du fond1475, sur la base d’une décision du juge fiscal ayant prononcé la
décharge des impositions. Le procureur général s’est pourvu en cassation, soutenant à l’appui
des principes de plénitude de la juridiction répressive et d’indépendance des procédures, que le
juge pénal ne pouvait se référer aux décisions du juge fiscal sans se livrer lui-même à une
analyse des faits de l’espèce. La chambre criminelle a écarté l’argumentaire en affirmant que
« la cour d'appel, qui a fondé sa conviction sur l'ensemble des éléments de preuve soumis à son
examen après en avoir vérifié l'exactitude, a justifié sa décision sans méconnaître les principes
de la plénitude de juridiction du juge répressif ». Il faut dire qu’en l’espèce, la cour d’appel1476
avait adopté un raisonnement particulièrement rigoureux en constatant, dans un premier temps,
que les opérations d’achat et de revente de titres n’avaient pas été dissimulées par le dirigeant,
ni réalisées en méconnaissance des dispositions légales. Les magistrats avaient ainsi pu écarter
la qualification d’opérations fictives. Ce n’est que dans un second temps qu’ils ont pris appui
sur la décharge prononcée par le juge fiscal pour corroborer leur appréciation1477. Selon leur
intime conviction, les juges du fond ont librement pu tenir compte de la décision de décharge
prononcée dans le cadre de la procédure fiscale. Ni l’indépendance des procédures, ni la
différence de régime probatoire entre les contentieux ne saurait faire obstacle à la prise en

1472
F. DEBOISSY, Retour sur un principe controversé : l'indépendance des procédures pénale et fiscale : Dr. fisc.
n°51-52, 18 décembre 2014, 692.
1473
Cass. crim., 12 novembre 2015, n°14-84.880 ; Cass. crim., 16 décembre 2015, n°14-87.118.
1474
Cass. crim., 4 novembre 2010, n°10-81.233, DSF de Paris Est et autres c/ Laurent : RJF 2011, n°594 ; Dr.
fisc. 2011, n°3, étude. 111, obs. R. SALOMON ; D. GUTMANN, La véritable signification de l'indépendance des
procédures fiscale et pénale : FR 6/2011, n°23, p. 29.
1475
Tant le tribunal correctionnel que la chambre des appels correctionnels ont relaxé le prévenu des fins de la
poursuite.
1476
CA Paris, 27 janvier 2010.
1477
Cass. crim., 4 novembre 2010, n°10-81.233 : « Attendu que, pour confirmer le jugement et dire ces délits non
constitués, l'arrêt relève qu'il n'est pas établi que les opérations d'achat et de revente de titres, qui n'ont pas été
dissimulées et n'ont pas été réalisées en méconnaissance des dispositions légales, aient été fictives ou contraires
aux objectifs poursuivis par le législateur ; que les juges ajoutent que plusieurs décisions rendues par les
juridictions administratives ont déchargé certaines des sociétés en cause des impositions auxquelles elles avaient
été assujetties ; » (c’est nous qui soulignons).

304
compte par le juge répressif d’une décharge ordonnée par le juge fiscal, « dès lors qu'il analyse
la décision de justice administrative et s'en approprie les motifs »1478.

347. Autorité laissée à l’appréciation discrétionnaire du juge pénal. – Pour certains


auteurs, cette décision dévoile la « véritable signification de l’indépendance des procédures
fiscale et pénale »1479. En octroyant au juge répressif la liberté de se référer à la décision fiscale,
cette solution ménage un juste équilibre entre une stricte indépendance des procédures,
conduisant à réfuter toute autorité des décisions fiscales, et une dépendance absolue, de laquelle
découlerait un lien mécanique entre la décharge fiscale et la relaxe pénale. La motivation
adoptée par la chambre criminelle dans sa décision du 4 novembre 2010, faisant
exceptionnellement fi de l’indépendance des procédures, doit donc être saluée. Le juge pénal
doit pouvoir se référer aux éléments constatés par le juge fiscal, tant la qualification de la fraude
dépend de l’analyse du droit fiscal. Or, il ne s’agit « pour le juge pénal [que] d'une faculté et
non d'une obligation »1480. L’arrêt du 4 novembre 2010 n’impose aucune autorité de principe
de la décision fiscale au sein du procès pénal. La prise en compte des éléments fiscaux est ainsi
laissée à l’appréciation souveraine des juridictions correctionnelles, qui peuvent toujours
décider d’en faire abstraction. Cette solution laisse subsister la possibilité pour le juge répressif
de prononcer une condamnation sur le fondement de l’article 1741 du code général des impôts
indépendamment d’une décision de décharge ou d’annulation de la procédure d’imposition1481.
Ainsi, « une condamnation pénale peut être prononcée sur la base d'un élément matériel dont
le juge de l'impôt considère qu'il est inexistant »1482.

348. Risque de contrariétés de décision. – Le risque de contrariétés de décisions entre les


contentieux fiscal et pénal, le premier concluant à l’absence de l’obligation fiscale, le second à
l’existence d’une fraude, demeure entier. Un arrêt de la chambre criminelle du 13 juin 20121483
démontre parfaitement les dissonances pouvant intervenir entre les juges fiscal et pénal. En

1478
Dr. fisc. 2011, n°3, étude. 111, obs. R. SALOMON.
1479
D. GUTMANN, La véritable signification de l'indépendance des procédures fiscale et pénale : FR 6/2011,
n°23, p. 29.
1480
F. DEBOISSY, Retour sur un principe controversé : l'indépendance des procédures pénale et fiscale, op. cit.
1481
Cass. crim., 9 avril 1970, n°68-92.282, préc. : « une décision de la juridiction administrative par laquelle sont
définitivement annulés les titres de perception établis, sur rehaussements, par l'administration des impôts, cette
décision ne fait pas obstacle à une condamnation par le juge répressif sur la base de l'article 1741 susvisé ; ».
1482
F. DEBOISSY, Retour sur un principe controversé : l'indépendance des procédures pénale et fiscale, op. cit.
1483
Cass. crim., 13 juin 2012, n°11-84.092, Smart City : Dr. fisc. 2012, n°42, comm. 488, note E. MEIER et
R. TORLET ; Dr. fisc. 2012, n°43-44, étude 493, obs. R. SALOMON.

305
l’espèce, une société Smart City établie en Suisse a fait l’objet d’une procédure de visite
domiciliaire puis d’une vérification de comptabilité, aux termes desquelles l’administration
fiscale a considéré que celle-ci exerçait une activité commerciale en France au moyen d’un
établissement stable. Les redressements ainsi opérés ont été contestés par la société devant les
juridictions administratives. La procédure fiscale s’est soldée par un jugement favorable au
profit de la société, qui s’est vue déchargée des impositions supplémentaires mises à sa charge
et dont le fisc n’a pas entendu relever appel. Parallèlement, le représentant légal de la société a
été attrait devant les juridictions correctionnelles pour répondre des chefs de fraude fiscale et
d’omission d’écritures en compatibilité. Alors que le prévenu se prévalait du jugement de
décharge devenu définitif, la cour d’appel a apprécié de manière autonome les faits qui lui
étaient soumis, s’affranchissant au nom du principe d’indépendance des procédures d’une
quelconque autorité de chose jugée de la décision fiscale. Les magistrats de la cour d’appel ont
retenu le prévenu dans les liens de la prévention, en relevant notamment que la société, « qui a
disposé d'un compte ouvert auprès du crédit agricole de Lorraine sur lequel ont été encaissés
les paiements de la clientèle française, a bien été exploitée en France au sens de l'article 209-
1 du code général des impôts ». Reprenant inlassablement le principe d’indépendance des
procédures, la chambre criminelle de la Cour de cassation a confirmé la motivation des juges
d’appel, les corrigeant simplement sur le caractère définitif du jugement du tribunal
administratif1484. Dès lors que les procédures pénale et fiscale sont, « par leur nature et leur
objet, différentes et indépendantes l’une de l’autre, la décision de la juridiction administrative
ne saurait avoir, au pénal, l'autorité de la chose jugée ». Bien loin du compromis résultant de
la décision du 4 novembre 2010, la Haute juridiction réaffirme ici qu’en vertu du principe
d’indépendance des procédures pénale et fiscale, chacune doit librement suivre son cours sans
interférer sur l’autre. Dans le motif de la décision du 13 juin 2012, la justification tirée de la
différence de régime probatoire entre les deux contentieux semble avoir été abandonnée par la
chambre criminelle. Et pour cause, les deux juges devaient en l’espèce se prononcer sur la
question de l’existence d’un établissement stable en France et d’une activité commerciale y
afférente selon des dossiers similaires. Sur la base des mêmes éléments factuels, les deux ordres
juridictionnels sont parvenus à des solutions diamétralement opposées. Selon le juge fiscal, bien
que la société Smart City ait disposé d’un établissement stable à l’étranger, ce dernier ne pouvait

1484
Les juges d’appel avaient en effet indiqué que le jugement du tribunal administratif de Nice en date du 7
décembre 2010, selon lequel la société Smart City ne serait redevable d'aucun impôt pendant la période considérée,
n'est pas définitif. Relevant que l’administration fiscale avait renoncé à exercer un recours, les magistrats de la
Haute juridiction ont corrigé la cour d’appel en constatant le caractère définitif du jugement de décharge.

306
être considéré comme effectuant un cycle commercial complet en France. Pour ce faire, il a
remarqué que la triple circonstance que la société disposait d’une boîte postale française, d’un
numéro de téléphone indigo et qu’elle utilisait un compte bancaire en France, n’était pas
suffisante à établir une exploitation commerciale française, eu égard notamment à l’absence de
local dans ce pays et à l’existence d’approvisionnements, de commandes et de facturation
opérés à l’étranger1485. En outre, le juge fiscal relève qu’en dépit de la signature dont disposait
le gérant sur le compte bancaire français, il n’est pas établi que celui-ci était habilité à négocier
et à conclure des contrats au nom de son employeur, d’autant qu’il n’avait à l’époque des faits,
que des fonctions administratives. S’agissant de la possession de documents relatifs à l’activité
de la société et du numéro de téléphone, la juridiction administrative indique que ces éléments
sont insuffisants à démontrer l’existence d’une représentation en France. Prenant le contre-pied
de son homologue dont la décision était devenue définitive, le juge pénal a conclu à l’existence
d’un établissement stable en France, après avoir également constaté que la société disposait
d’une boîte postale en France, d’un numéro de téléphone et d’un compte bancaire en France.

349. Situations inconcevables. – Des éléments probatoires similaires peuvent donc être
appréciés différemment selon qu’ils sont soumis à l’examen du juge des impôts ou du juge
répressif. À faits constants, les deux magistrats peuvent parvenir à des interprétations
divergentes. Bien que déchargé de toute imposition devant le juge fiscal, le dirigeant de la
société Smart City s’est vu infliger par les juridictions pénales une peine sévère de deux ans
d’emprisonnement avec mandat de dépôt, outre la peine complémentaire d’affichage de la
décision1486. Ces situations, considérées comme paradoxales1487, ubuesques1488, iniques1489,
choquantes1490, ou dignes « du Père Ubu »1491, ont, à juste titre, été dénoncées par la doctrine.
Elles représentent un « scandale de société où la main droite de l’État ignore ce que fait sa

1485
E. MEIER et R. TORLET, L'indépendance des procédures fiscale et pénale, ou quand un train peut en cacher
un autre, Dr. fisc. n°42, 18 octobre 2012, comm. 488.
1486
Cette affaire donnera ensuite lieu à plusieurs procédures en révision étudiées dans la section suivante : V. infra
n°374.
1487
T. RICARD, L'originalité de la procédure pénale en matière fiscale : Dr. fisc. n°3, 18 janvier 2007, 57.
1488
E. MEIER et R. TORLET, L'indépendance des procédures fiscale et pénale, ou quand un train peut en cacher
un autre, préc.
1489
N. JACQUOT et P. MISPELON, QPC sur le cumul des sanctions pénales et fiscales : une décision sans gravité
? : Dr. fisc. n°26, 30 juin 2016, act. 409.
1490
M. PELLETIER, De quelques conséquences (inattendues) des décisions Alec W. et Jérôme C. : Dr. fisc. n°30-
35, 28 juillet 2016, act. 466.
1491
J. ROBERT, Procédure pénale : RSC 1971, p. 704.

307
main gauche »1492. Fort heureusement, ces configurations n’ont pas résisté à l’analyse de leur
conformité au principe constitutionnel de nécessité des délits et des peines, puisque dans ses
décisions du 24 juin 20161493, le Conseil constitutionnel a choisi d’imposer un cas inédit
d’autorité de la décision fiscale sur le pénal.

§2. La création d’un cas inédit d’autorité de chose jugée de la décision fiscale sur
le pénal

350. Autorité des décisions de décharge pour un motif de fond. – Faute de distinguer
dans la décision du juge fiscal un cas d’autorité de chose jugée pour le juge pénal, il est des
situations dans lesquelles un contribuable est condamné pour fraude fiscale alors même que le
juge fiscal l’avait préalablement déchargé de toute imposition. Dans le but de prévenir ces
contrariétés de décisions, le Conseil constitutionnel a instauré un nouveau cas d’autorité de
chose jugée de la décision fiscale sur la procédure pénale. Depuis les décisions du 24 juin
20161494, il est interdit au juge pénal de condamner un contribuable ayant fait l’objet d’une
décharge définitive devant le juge fiscal pour un motif de fond (A). L’autorité ne s’impose qu’à
l’égard des décisions de décharge pour un motif de fond, à l’exclusion de celles prononcées
pour un motif de forme (B).

A) L’autorité nouvelle d’une décision de décharge pour motif de fond

351. Rupture avec l’indépendance des procédures. – Saisis de deux questions prioritaires
de constitutionnalité dans les affaires Cahuzac et Wildenstein1495, le Conseil constitutionnel a
subordonné la conformité à la Constitution du cumul des procédures pénale et fiscale à trois
réserves d’interprétation. Parmi elles, celle posée au treizième considérant des décisions
précitées interdit au juge pénal de condamner un prévenu ayant été déchargé de son imposition
devant le juge fiscal pour un motif de fond. Cette décision représente donc une avancée
significative dans l’articulation procédurale des contentieux pénal et fiscal. Cette autorité
nouvellement créée « revêt les habits de l’évidence » : « il n'est sans doute ni utile, ni cohérent

1492
O. FOUQUET et B. HATOUX, Décharge de l'impôt par le juge et condamnation pour fraude fiscale : que
reste-t-il de la réserve d'interprétation du Conseil constitutionnel ? : Dr. fisc. 2017, n°45, act. 587.
1493
Cons. const., QPC, 24 juin 2016, n°2016-545 et n°2016-546, préc.
1494
Cons. const., QPC, 24 juin 2016, n°2016-545 et n°2016-546, préc.
1495
Ibid.

308
que l'on puisse être condamné « au pénal » pour s'être soustrait à un impôt dont, « au fiscal »,
l'on n'a pas à s'acquitter »1496. Par cette réserve d’interprétation, le Conseil constitutionnel
rompt franchement et heureusement avec le principe d’indépendance des procédures. Les juges
pénal et fiscal ne peuvent être totalement autonomes dans leur appréciation réciproque de la
fraude.

352. Autorité de chose jugée imposée par la Cour européenne. – En créant cette nouvelle
autorité juridictionnelle, le juge constitutionnel a entendu se conformer à la jurisprudence des
magistrats de Strasbourg. À partir des années 2010, la Cour européenne des droits de l’homme
a en effet manifesté son hostilité à l’encontre des hypothèses dans lesquelles une condamnation
pénale intervient en dépit d’une décision favorable du juge des impôts. Dans une décision
Lungu c/ Roumanie du 21 octobre 20141497, une société avait été condamnée devant la
juridiction pénale roumaine après qu’une décision du juge fiscal ait considéré que les opérations
litigieuses étaient conformes à la loi fiscale et l’ait en conséquence déchargé de ses obligations.
La Cour européenne a décidé qu’en revenant sur les conclusions du juge fiscal et en considérant
les opérations illégales, le juge pénal avait porté atteinte au « principe de la sécurité des
rapports juridiques »1498 et méconnu le droit à un procès équitable au sens de l’article 6§1 de
la Convention.

353. Autorité imposée dans un seul sens. – La juridiction européenne condamne


similairement la situation inverse dans laquelle le juge de l’impôt ne tient pas compte d’une
décision définitive du juge pénal1499. Selon elle, le cumul des procédures pénale et fiscale n’est
conforme aux exigences européennes que si une interaction peut être constatée entre les deux
ordres de juridiction. Cette interaction implique notamment que la décision du juge a quo soit
prise en considération par la seconde juridiction ayant à juger des faits de fraude fiscale. En ce
sens, la réserve établie par le juge constitutionnel se place en-deçà des exigences de la Cour
européenne. Selon les propres mots du Conseil constitutionnel, cette réserve est « destinée à

1496
S. DETRAZ, La pérennisation jurisprudentielle du cumul des répressions fiscale et pénale : Dr. fisc. n°11, 14
mars 2019, 201.
1497
CEDH, 3ème sect., 21 octobre 2014, Lungu et a. c/ Roumanie, req. n°25129/06 : RJF 1/2015.
1498
Ibid, §46.
1499
Cette situation est également de nature à violer l’article 6 de la Convention : CEDH, 1ère sect., 30 avril 2015,
Kapetanios et a. c/ Grèce, req. n°3453/12, n°42941/12 et n° 9028/13 : JCP G 2015, 596, zoom F. SUDRE ; AJ
pén. 2015, 367, note C. MAURO ; CEDH, 5ème sect., 27 novembre 2014, Lucky Dev c/ Suède, préc.

309
neutraliser l’un des effets d’une jurisprudence de la Cour de cassation »1500. Sa réserve
n’entend pas prévenir les contrariétés mutuelles entre les procédures pénale et fiscale mais n’est
imposée qu’à l’endroit du juge répressif, lequel ne saurait désormais caractériser la fraude
indépendamment de la décision du juge fiscal. En posant comme principe qu’une condamnation
sur le fondement de l’article 1741 du code général des impôts ne peut succéder à une décharge
pour un motif de fond, le Conseil constitutionnel a implicitement donné priorité au juge fiscal
dans la caractérisation de la fraude. La logique de cette réserve commande que le juge des
impôts, tacitement désigné comme le mieux placé dans la caractérisation de la fraude, soit
temporellement le premier à juger du comportement du contribuable.

354. Portée limitée par la formulation de la réserve : une décharge « devenue


définitive ». – Par l’instauration de cette autorité nouvellement créée, l’ancienne jurisprudence
de la chambre criminelle semblait paralysée. Le juge constitutionnel a toutefois pris soin de
circonscrire largement les effets de sa réserve, formulée pour contenir l’autorité au profit du
seul « contribuable qui a été déchargé de l’impôt par une décision juridictionnelle devenue
définitive pour un motif de fond »1501. Ainsi, la nouvelle dichotomie chronologique offrant la
priorité au juge fiscal, ne s’avère aucunement contraignante. Parce que l’autorité ne joue qu’en
cas de décharge « devenue définitive », il n’est jamais imposé au juge répressif de se prononcer
le premier, ni même de surseoir à statuer dans l’attente de la décision de son homologue. Une
décision de décharge non définitive n’interdit pas une condamnation sur le fondement de
l’article 1741 du code général des impôts, ni même l’engagement des poursuites pénales à
l’encontre du contribuable1502. Prenant acte de cette délimitation, la chambre criminelle a
indiqué que « la réserve d'interprétation n'empêche pas l'engagement des deux procédures,
pénale et fiscale, l'autorité absolue de chose jugée ne s'attachant qu'à une décision

1500
Commentaire du Conseil constitutionnel des décisions n°2016-545 et n°2016-546 du 24 juin 2016, disponible
en ligne, p. 21.
1501
Cons. const., QPC, 24 juin 2016, n°2016-545 et n°2016-546, considérant n°13.
1502
Le commentaire du Conseil constitutionnel précisait déjà que « si une condamnation pour fraude fiscale est
exclue lorsqu’une juridiction aura définitivement déchargé le contribuable de l’impôt dû pour un motif de bien-
fondé, cela n’empêche pas l’engagement des deux procédures » : commentaire du Conseil constitutionnel des
décisions n°2016-545 et n°2016-546 du 24 juin 2016, disponible en ligne, p. 22.

310
juridictionnelle présentant un caractère définitif »1503. Par ailleurs, la réserve ne vaut que pour
les décharges d’imposition et non les éventuelles pénalités y afférentes1504.

355. Portée limitée par l’interprétation de la chambre criminelle : une décharge de


« toute imposition ». – Au-delà de la restriction opérée par la rédaction du treizième considérant
des décisions Cahuzac et Wildenstein, la chambre criminelle a adopté une lecture largement
restrictive de la réserve constitutionnelle. Selon elle, l’autorité des décisions du juge fiscal ne
s’applique que si la décharge a été prononcée à l’égard de toutes les impositions envisageables.
Cet ajout résulte d’un arrêt rendu le 28 juin 2017 par la chambre criminelle de la Cour de
cassation1505. Dans cette espèce, le fisc a reproché à une contribuable de ne pas avoir déclaré
les sommes correspondant au gain important réalisé à la suite de la cession des actions de sa
société ayant pour activité la promotion spectacles. L’administration fiscale ayant considéré
que ce gain représentait la rémunération du travail de l’intéressée, elle l’a redressée au titre de
l’imposition sur le revenu. La contribuable a contesté cette qualification devant les juridictions
administratives, devant lesquelles un débat s’est ouvert quant à la nature de la somme
dissimulée, devant être taxée soit en tant que traitement de salaire, soit en tant que plus-value
de cession. Par arrêt du 21 mai 2015, la cour administrative d’appel a estimé que c’est à tort
que l’administration fiscale avait retenu que le prix de cession des parts constituait des salaires.
En conséquence, l’imposition sur le revenu ne pouvait être appliquée à la situation de
l’intéressée, qui s’est vu déchargée des cotisations supplémentaires et des pénalités mises à ce
titre à sa charge. Forte de cette décision de décharge, la prévenue se prévalait devant les
juridictions correctionnelles de la réserve constitutionnelle prohibant dans ce cas une
condamnation sur le fondement de l’article 1741 du code général des impôts. Tout comme la
chambre des appels correctionnels, la chambre criminelle lui a refusé le bénéfice de cette
autorité au motif que « la décision de la cour administrative d'appel du 21 mai 2015 n'a pas
déchargé la prévenue de toute imposition sur les sommes en cause ». L’infraction de fraude
fiscale était toujours constituée puisque le juge des impôts, s’il avait déclaré la prévenue non
redevable d’un impôt sur le revenu, n’avait pas remis en cause le manquement à l'obligation

1503
Cass. crim., 11 septembre 2019, n°18-81.980.
1504
Commentaire du Conseil constitutionnel des décisions n°2016-545 et n°2016-546 du 24 juin 2016, disponible
en ligne, p. 22 : « Il convient de préciser que cette réserve aura des effets limités. La seule décharge de la
majoration prévue par l’article 1729 du CGI sera sans effet sur les poursuites pénales ».
1505
Cass. crim., 28 juin 2017, n°16-81.149 : RJF 11/2017, n°1121 ; D. actu, 24 juillet 2017, note J. GALLOIS ; O.
FOUQUET et B. HATOUX, Décharge de l'impôt par le juge et condamnation pour fraude fiscale : que reste-t-il
de la réserve d'interprétation du Conseil constitutionnel ? : Dr. fisc. 2017, n°45, act. 587.

311
déclarative au titre des revenus imposables de ce prix de cession en tant que plus-value de
cession à titre onéreux.

356. Relativité de la décharge fiscale. – La chambre criminelle s’est ainsi référée à la


relativité attachée à une décision de décharge prononcée par le juge des impôts. À la différence
du juge répressif qui ne peut prononcer une décision de relaxe qu'autant qu'il a vérifié que les
faits dont il est saisi ne sont constitutifs d'aucune infraction 1506, le juge fiscal ne se prononce
qu’en vertu du titre d’imposition choisi par le fisc1507. Lorsque le contribuable est déchargé par
la juridiction compétente, il ne l’est qu’au regard de l’imposition choisie par l’administration
lors de son redressement. Contrairement à une relaxe, la décision de décharge ne signifie pas
qu’aucun autre impôt ne pourrait être appliqué à la situation du contribuable redressé1508. Dans
pareille hypothèse, il se peut que l’administration fiscale soit encore dans les temps 1509 pour
notifier au contribuable en cours de procédure un nouveau redressement sur la base d’un
fondement légal différent. Tel était le cas dans l’espèce ayant donné lieu à l’arrêt du 28 juin
2017 puisqu’au lendemain de la décision de décharge, le fisc avait pu rectifier l’intéressée sur
la base d’un texte différent. Mais pour le juge répressif, peu importe la nature des sommes
litigieuses – salaire ou plus-value –, l’omission déclarative était bel et bien caractérisée et devait
entraîner une condamnation sur la base de l’article 1741. La décharge, prononcée relativement
à une seule des catégories possiblement applicables à la situation, ne pouvait revêtir une
quelconque autorité de chose jugée à son égard.

357. Critique de la solution. – En ce sens, la solution adoptée par la chambre criminelle


restreint considérablement la portée de la réserve constitutionnelle. Elle impose au juge

1506
Il s’agit d’une jurisprudence constante : V. par exemple, Cass. crim., 13 octobre 1993, n°93.82.527 ; Cass.
crim., 28 mars 2000, n°98-86.886 ; Cass. crim., 1er juin 2016, n°14-87.173. Le juge pénal, qui n’est pas lié par la
qualification donnée à la prévention, est soumis à un devoir de requalification. La chambre criminelle de la Cour
de cassation censure les arrêts confirmant une relaxe sans envisager l’application de qualifications alternatives :
Cass. crim., 8 février 2017 : Dr. pén. 2017, comm. 72, obs. P. CONTE ; Gaz. Pal., 25 avril 2017, n°16, p. 46, obs.
E. DREYER ; RSC 2017, p. 744, obs. Y. MAYAUD ; Cass. crim., 7 septembre 2016 : Dr. pén. 2016, comm. 167,
obs. P. CONTE ; AJ pénal 2016, p. 529, note V. MALABAT ; RSC 2016, p. 764, obs. Y. MAYAUD.
1507
C’est déjà l’argument que soulevait la chambre criminelle de la Cour de cassation pour réfuter toute autorité
aux décisions du juge fiscal : Cass. crim., 9 avril 1970, n°68-92.282, Sieurs Fournié, Calmes, Andrieu, Armengaud,
préc.
1508
Toutefois, par le recours à une substitution de base légale, l’administration fiscale peut être autorisée à modifier
en cours de procédure le fondement de son redressement. Cette technique ne joue qu’en cas de demande expresse
de l’administration en ce sens : V. supra, n°28 et s.
1509
Cette hypothèse demeure toutefois rarissime puisqu’elle suppose que le délai de reprise de l’administration
fiscale ne soit pas expiré.

312
répressif de vérifier, dans chaque espèce, « si le contribuable n’aurait pas pu être imposé au
fond sur un terrain autre que celui sur lequel se situe la prévention » 1510. Plus encore, elle lui
abandonne cette appréciation, qui devrait pourtant relever de la compétence exclusive du juge
fiscal. Dans cette espèce, les juges répressifs ont présupposé que le contribuable devait être
redressé au titre de la plus-value alors que la juridiction fiscale ne s’était pas prononcée sur
l’existence d’une imposition due à ce titre. Or, il n’est pas assuré que la fraude aurait été
caractérisée à l’égard de ce nouveau fondement fiscal. Saisi d’une contestation à l’encontre du
second titre de perception, le juge des impôts aurait parfaitement pu décharger une nouvelle
fois le contribuable pour un motif de fond. Une telle solution prive ainsi le contribuable de la
discussion contradictoire qui aurait dû s’engager avec le fisc devant le juge des impôts. Pire
encore, la décision du 28 juin 2017 conduit à éluder tous les mécanismes servant à articuler les
procédures pénale et fiscale. En l’espèce, le nouveau fondement utilisé par le fisc, à savoir le
régime de la plus-value, était de nature à entraîner une nette diminution du montant du
redressement initialement opéré par l’administration sur la base de l’imposition sur le
revenu1511. Dès lors, la vérification de la gravité de la fraude aurait dû s’imposer devant le juge
répressif. En outre, celui-ci a sanctionné une fraude sur la base d’une imposition différente de
celle initialement choisie par l’administration fiscale, laquelle n’avait donc pu être soumise au
filtre de l’article L. 228 du livre des procédures fiscales. La décision de la chambre criminelle
conduit ainsi à « retenir une infraction pénale qui n’a été poursuivie par aucune autorité
administrative ou juridictionnelle »1512. La réserve d’interprétation du Conseil constitutionnel
est ainsi vidée de tout son sens. Bien loin de conférer une autorité de principe à la décision de
décharge du juge des impôts, elle exclut par ailleurs du champ de l’autorité de chose jugée les
décharges prononcées pour un motif procédural.

B) Le défaut d’autorité d’une décision de décharge pour motif de forme

358. La décharge pour motif procédural ne vaut acquittement fiscal. – La réserve


constitutionnelle limite l’autorité des décisions du juge fiscal aux seules décharges pour un
motif de fond. Lorsque le prévenu s’est vu déchargé de son imposition pour un motif

1510
O. FOUQUET et B. HATOUX, Décharge de l'impôt par le juge et condamnation pour fraude fiscale : que
reste-t-il de la réserve d'interprétation du Conseil constitutionnel ? : Dr. fisc. 2017, n°45, act. 587.
1511
L’impôt étant moins élevé sur une plus-value que sur un salaire.
1512
O. FOUQUET et B. HATOUX, Décharge de l'impôt par le juge et condamnation pour fraude fiscale : que
reste-t-il de la réserve d'interprétation du Conseil constitutionnel ? : Dr. fisc. 2017, n°45, act. 587.

313
procédural, il ne peut invoquer le bénéfice de la réserve. D’après le commentaire de la décision,
« lorsque l’imposition est déchargée pour un motif de procédure, le fait que l’absence d’impôt
dû ne fasse pas obstacle à une condamnation pour fraude fiscale ne pose pas de difficulté »1513.
La formulation de la réserve tend à éviter qu’un contribuable ayant eu l’intention de frauder
profite d’une erreur procédurale de l’administration pour échapper aux poursuites pénales. La
définition restrictive de la décharge procédurale pour motif de forme (1) ainsi que la pratique
de l’économie de moyens (2) interrogent la légitimité de ce cantonnement.

1) La définition restrictive de la décharge pour motif de forme

359. Fondement de la distinction motif de fond/motif de forme. – La distinction entre une


décharge pour un motif de fond ou pour un motif de forme1514 doit être expliquée à l’aune de la
notion de cause juridique. En contentieux fiscal, les moyens des parties sont classiquement
regroupés en trois grandes catégories1515 appelées causes juridiques. Lorsqu’il conteste son
imposition devant le juge fiscal, le contribuable peut invoquer à l’appui de sa demande un
moyen relatif à la procédure d’imposition, à son bien-fondé ou aux pénalités. Le contribuable
qui choisit de se placer sur le terrain de la procédure d’imposition soutient à l’appui de son

1513
Commentaire du Conseil constitutionnel des décisions n°2016-545 et n°2016-546 du 24 juin 2016, disponible
en ligne, p. 21.
1514
Encore faut-il pouvoir distinguer ces deux hypothèses. La ligne de partage entre motif de fond et motif de
forme est largement poreuse. Prenons pour exemple l’annulation par le juge fiscal d’un élément de preuve mal
recueilli par l’administration fiscale. Ce vice tient-il d’un élément de fond ou de forme ?
1515
Le Conseil d’État distinguait traditionnellement cinq causes juridiques en contentieux fiscal. Le contribuable
pouvait invoquer des moyens relatifs à la procédure d’imposition, des moyens portant sur le principe même de
l’exigibilité de l’impôt, des questions concernant le calcul de l’impôt, des questions relatives aux pénalités et des
moyens relatifs au recouvrement de l’impôt (V. en ce sens, B. PLAGNET, Évolution récente de la jurisprudence :
Dr. fisc. n°12, 22 mars 1976). L’existence de cette multitude de causes imposait au contribuable une discipline
contraignante. Celui-ci devait présenter ses moyens avant l’expiration des délais de recours contentieux et n’était
pas recevable à ajouter une autre cause juridique après expiration dudit délai. De même, il ne pouvait pour la
première fois en cause d’appel, invoquer une nouvelle cause juridique, ni même un nouveau moyen se rattachant
à cette même cause juridique. Cette situation plaçait le contribuable dans une situation d’inégalité avec
l’administration fiscale, laquelle était en mesure de présenter à tout moment de la procédure un moyen relatif au
bien-fondé de l’imposition. Le Conseil d’État a assoupli sa jurisprudence par un arrêt du 14 juin 1974 (CE, sect.,
14 juin 1974, n°89865 et 89866, Sté immobilière et mobilière de Basse-Bretagne : Dr. fisc. 1975, n°7, comm. 246)
dans lequel il accepte qu’une société invoque un nouveau moyen jusqu’à la clôture de l’instruction. Désormais,
l’article L. 199 C du livre des procédures fiscales permet à l’administration fiscale comme au contribuable de faire
valoir, dans la limite du dégrèvement ou de la restitution sollicités, tout moyen nouveau jusqu'à la clôture de
l'instruction, tant devant les tribunaux administratifs ou judiciaires, et en première instance comme en appel. Le
Conseil d'État admet désormais, dans le contentieux des impositions de toute nature, la recevabilité
des moyens reposant sur une cause juridique nouvelle (CE, 9 mars 1988, n°81067, Min. Budget c/ Heckel : Rec.
Lebon, p. 724).

314
recours une irrégularité procédurale de la part du Trésor. Le vice de procédure peut alors être
défini comme « la méconnaissance par le service d'une obligation lui incombant au cours de
la procédure1516 »1517.

360. Autonomie des notions d’irrégularité et de décharge : la théorie de l’erreur


substantielle. – La présence d’une telle irrégularité n’entraîne pas de facto la décharge de
l’imposition litigieuse. Conforté par l’entrée en vigueur de l’article L. 80 CA du livre des
procédures fiscales, le juge fiscal a élaboré une abondante jurisprudence sur la notion de vice
de procédure, dans le but de circonscrire au maximum les hypothèses de décharge de
l’imposition. Cette disposition, créée par l’article 102 de la loi n°89-935 du 29 décembre 1989
de finances pour 1990 pour mettre fin à une jurisprudence qui assimilait traditionnellement
l’irrégularité procédurale à la décharge des impositions1518, détache désormais explicitement
les deux notions. Depuis deux décisions du 8 février 19911519, seule l'erreur substantielle de
procédure est de nature à entraîner la décharge des impositions litigieuses, et cette erreur
n'existe que lorsque le fisc a atteint l’une des garanties reconnues aux contribuables par la loi,
la doctrine ou la jurisprudence fiscale. Lorsque la procédure fiscale est entachée d’une erreur
présentant un caractère substantiel, le juge des impôts a l’obligation de prononcer la décharge
de l’ensemble des droits en cause. Le recours à la notion d’erreur substantielle1520 permet
d’éviter que le constat d’une irrégularité procédurale entraîne mécaniquement la décharge des

1516
La procédure fiscale est ici entendue au sens large comme couvrant à la fois les opérations de contrôle et les
procédures de rectification et d'imposition d'office.
1517
O. LEMAIRE, « Sanctions des vices de procédures », Fasc. n°486, Jurisclasseur Procédures fiscales, 5 juillet
2016, n°2.
1518
V. par exemple, CE, 7ème et 8ème ss-sect., 1er juillet 1987, n°54222, Marcantetti : Dr. fisc. 1987, n°45, comm.
2025 ; RJF 1987, n°1020, concl. O. FOUQUET, p. 505 ; LPA 27 mai 1998, n°64, p. 10, note J.-P. MAUBLANC.
Dans cette espèce, dans le cadre d’une vérification de comptabilité, l’administration fiscale avait envoyé à tort à
un nombre important de clients un questionnaire relatif au droit de communication alors que ces derniers n’étaient
pas soumis à ces dispositions. Le Conseil d’État, après avoir constaté l’erreur du vérificateur, indique que
« l'irrégularité de l'enquête entraîne, en l'espèce, celle de la procédure d'imposition et la décharge des impositions
contestées ».
1519
CE, sect., 8 février 1991, n°61025, Assoc. Capitale nationale de l'âge de l'illumination et n°61093, Cie William
Gillet, Guillet, Rennepont : Dr. fisc. 1991, n°10 comm. 490, concl. J. ARRIGHI DE CASANOVA ; RJF 1991,
n° 360, concl. O. FOUQUET.
1520
La théorie des erreurs substantielles a été appliquée à d’autres branches du droit administratif. D’une manière
générale, l’acte administratif doit être considéré comme le résultat d’un processus de confrontation de volontés
individuelles (A.-L. GIRARD, La formation historique de la théorie de l’acte administratif unilatéral : Thèse,
Paris II, 2012, p. 166 et s). Les formalités constituant les étapes de formation de cet acte en déterminent le contenu.
En ce sens, celles-ci peuvent être considérées comme substantielles, « expression qui rend compte de
l’impossibilité de distinguer la formalité du fond de l’acte » : C. BROYELLE, L’impact du vice de procédure sur
la légalité de l’acte administratif : JCP A, n°13, 2 avril 2012, comm. 2089.

315
impositions. Cette théorie a été légalisée par l’article L. 80 CA du livre précité. Lorsque l’erreur
de l’administration n’est pas substantielle, le juge fiscal peut prononcer sur ce seul motif la
décharge des impositions. Aux termes de l’alinéa second de cet article, dès lors que l’erreur
apparaît comme substantielle, la faculté que la juridiction saisie tenait de l’alinéa précédent
devient pour elle une obligation. À ce titre, ont rapidement été considérées comme
substantielles, l’obligation pour l’administration d’adresser une réponse motivée aux
observations du contribuable sur la notification de redressement et de ne pas mettre en
recouvrement l’imposition, ni soumettre le différend à la commission départementale des
impôts tant que le contribuable n’a pas reçu cette réponse motivée1521, tout comme la possibilité
de soumettre le différend à l’interlocuteur départemental, prévue par la charte des droits et
obligations du contribuable vérifié1522. De même, constitue une erreur substantielle
l’insuffisance de motivation d’une notification de redressement 1523. Le raisonnement
intellectuel du juge des impôts en présence d’un vice de procédure est parfaitement résumé par
un rapporteur public : « il faut rechercher, une fois constatée l’irrégularité, si elle a eu une
incidence sur les droits de la défense ou si elle a privé le contribuable d’une garantie à laquelle
il avait droit. Si tel n’est pas le cas, (…) la procédure n’est pas entachée d’une irrégularité de
nature à entrainer la décharge de l’imposition. Il peut donc exister des irrégularités dans la
procédure de redressement, mais qui n’entrainent pas la décharge de l’imposition
supplémentaire parce que ces irrégularités n’ont pas privé le contribuable d’une garantie à
laquelle il avait légalement droit »1524. L’obligation fiscale résultant d’une obligation
constitutionnelle1525, la théorie de l’erreur substantielle vise à éviter que « la moindre erreur de
l’administration entraine décharge d’imposition lorsque celle-ci n’est pas infondée »1526. Cette
théorie laisse au juge fiscal une entière latitude pour opérer un tri entre ce qui relève ou non
d’une erreur substantielle1527.

1521
Ibid.
1522
CE, 8ème et 9ème ss-sect., 24 novembre 1997, n°168995, concl G. BACHELIER.
1523
CE, 20 février 1991, n°82494.
1524
Concl. D. HEDARY sous CE, sec. 16 avril 2012, n°320912, Meyer.
1525
Art. 13 de la DDHC.
1526
Concl. D. HEDARY sous CE, sec. 16 avril 2012, n°320912, Meyer.
1527
Cette théorie de « la formalité substantielle en vertu de la jurisprudence » s’oppose à une école légaliste qui
tient pour substantielles toutes les formalités que le législateur a entendu imposer à l’administration (M.
HAURIOU, Précis de droit administratif, 6ème éd., 1907, p. 451).

316
361. Jurisprudence Danthony : la fin de la théorie de l’erreur substantielle ? – Une
décision Danthony du 23 décembre 20111528, rendue en matière de contentieux général par le
Conseil d’État réuni en assemblée, a cependant fait douter de la pérennité de la théorie de
l’erreur substantielle en matière fiscale. Dans cette affaire, la Haute juridiction administrative
était saisie d’un recours à l’encontre du décret portant création de l’École normale supérieure
de Lyon, le requérant invoquant le non-respect par l’administration des règles de consultation
de certains organismes. À cette occasion, les magistrats du Conseil d’État ont livré une nouvelle
méthode de sanction du vice de procédure. Sont désormais des vices opérants celui qui « a privé
les intéressés d’une garantie », mais également celui qui « a été susceptible d’exercer, en
l’espèce, une influence sur le sens de la décision prise ». La décision Danthony a ainsi
considérablement étendu la définition des vices de nature à entraîner l’annulation de l’acte
administratif. Aux côtés des irrégularités substantielles privant les intéressés d’une garantie et
entachant la décision d’illégalité, les autres vices peuvent désormais produire le même effet
s’ils ont été susceptibles d’exercer une influence sur le sens de la décision prise, ce que le juge
administratif se doit de vérifier dans chaque espèce. Prise par la plus haute formation de la
juridiction suprême, cette nouvelle définition était de nature à s’appliquer aux irrégularités de
la procédure d’imposition.

362. Jurisprudence Meyer : fusion des critères Danthony. – C’est à la lecture de la


décision Meyer rendue le 16 avril 20121529 que les incidences de la jurisprudence Danthony sur
le contentieux fiscal ont pu être appréciées. Dans cette affaire, un pilote de ligne salarié, assujetti
avec son épouse à l’imposition sur le revenu, opte pour le régime des frais réels. À la suite d’un

1528
CE, Ass., 23 décembre 2011, n°335033, Danthony et a. : RJDA 10/2012, n°924 ; AJDA 2012, p. 195, chron.
X. DOMINO et A. BRETONNEAU, p. 195 ; Ibid., 1484, étude C. MIALOT ; Ibid., 1609, tribune B. SEILLER ;
JCP G 2012, comm. 558, note D. CONNIL ; Dr. adm. 2012, comm. 22, note F. MELLERAY ; JCP A 2012, comm.
2089, note C. BROYELLE ; RFDA 2012, p. 284, concl. G. DUMORTIER, note P. CASSIA ; Ibid. 423, étude R.
HOSTIOU ; JCP A 2012, comm. 2089, C. BROYELLE ; D. 2013. 324 ; AJDA 2014. 16, étude S. GILBERT
; Ibid. 2015. 25 ; Ibid. 2016. 27 ; Ibid. 2017. 26 ; Actualités juridiques des collectivités territoriales 2015. 388,
étude R. BONNEFONT ; P.-Y. SAGNIER, Restriction objective et restriction subjective des moyens invocables :
AJDA 2016. 1378 ; C. ROUX, Danthony, cinq ans après : Dr. adm. 2016. Comm. 138 ; J. LEPLANOIS, Quel
avenir pour la jurisprudence Danthony ? : JCP A 2017. actu. 825 ; C. GIRAUD, Bilan des garanties au sens de la
jurisprudence Danthony : JCP A 2018, n°2026 ; J. ROBBE, De l’intérêt (relatif) de la distinction entre légalité
externe et légalité interne : RFDA 2018. 85 ; S. DOUTEAUD, Jurisprudence Danthony : théorie des moyens
inopérants, des formalités substantielles ou des vices non substantiels ? : RFDA 2018. 109 ; T. MULIER, Le déclin
partiel du contrôle de légalité externe des actes administratifs unilatéraux : RD publ. 2019. 579 ; A. FRANCK, Les
irrégularités neutralisées, in « Le justiciable face à la justice administrative », Actes de colloque : RFDA 2019.
785 ; B. SEILLIER, « Les décisions régularisées », Actes de colloque, : RFDA 2019. 791.
1529
CE, Sect. 16 avril 2012, n°320912, Meyer, préc.

317
contrôle sur pièces, l’administration fiscale adresse une demande de justificatifs aux époux,
utilisant pour ce faire l’imprimé n°2172 intitulé « demande d’éclaircissements ou de
justifications concernant vos revenus ». Le courrier indiquait, à tort1530, qu’en cas d’absence de
réponse dans le délai légalement fixé, les impositions seront établies d’office. Les réponses
apportées par les contribuables n’ont pas pleinement satisfait l’administration, qui a alors remis
en cause certaines déductions et imposé des contributions supplémentaires. Devant le juge
fiscal, la cour administrative d’appel a partiellement fait droit aux demandes de décharge des
époux. Ceux-ci se sont régulièrement pourvus devant le Conseil d’État pour les redressements
non annulés par la juridiction d’appel. Devant les magistrats du Conseil réunis en section du
contentieux, l’enjeu était de savoir si le juge fiscal allait conserver sa traditionnelle position
basée sur les erreurs substantielles, ou se mettre en conformité avec la jurisprudence Danthony
autorisant l’annulation de l’acte administratif dans deux hypothèses alternatives que recouvrent
les vices privant les intéressés d’une garantie et ceux susceptibles d’exercer une influence sur
le sens de la décision prise. Par un considérant habilement rédigé, le Conseil d’État a opté pour
une solution intermédiaire1531, en affirmant que l’irrégularité « demeure sans conséquence sur
le bien-fondé de l'imposition, s'il est établi que, n'ayant privé le contribuable d'aucune garantie,
elle n'a pas pu avoir d'influence sur la décision de redressement ».

363. La privation d’une garantie du contribuable ayant eu une influence sur le sens de
la décision de l’administration. – Les deux critères de l’arrêt Danthony, jusqu’alors alternatifs,
sont entremêlés pour devenir en matière fiscale un seul et même critère. Le caractère substantiel
du vice et l’influence sur le sens de la décision qu’il est susceptible d’exercer deviennent
« imbriqués »1532, « fondus »1533, « liés »1534 ou « combinés »1535 en matière fiscale. Lorsque le
vice a privé le contribuable d’une garantie, il a nécessairement eu une influence sur la prise de
décision de l’administration et inversement. Contrairement à la jurisprudence Danthony, le juge

1530
En matière de justification des frais réels, la procédure d’imposition d’office n’est pas applicable.
1531
En ce sens, le Conseil d’État s’éloigne de la position de son rapporteur public qui conseillait un alignement sur
les critères alternatifs de la jurisprudence Danthony.
1532
C. RAQUIN, L'office du juge confronté à des irrégularités de procédure : le maintien de la spécificité du
contentieux fiscal : RJF 6/2012, pp. 491 à 496.
1533
O. FOUQUET, Les erreurs dans la procédure d’imposition : changement ou stabilité de la jurisprudence ? :
Dr. fisc., n°27, 5 juillet 2012, comm. 366.
1534
M. COLLET, Quelles conséquences attacher aux erreurs procédurales de l'administration fiscale ? : JCP G
2012, 687.
1535
R. GRAU, X. ZHANG, Précisions sur la possibilité pour l'Administration d'utiliser des données chiffrées
provenant d'autres entreprises : Dr. fisc. n°14, 4 avril 2013, comm. 230.

318
fiscal a « refusé d’autonomiser la question de l’influence de l’erreur »1536. La définition du vice
de forme en matière fiscale demeure donc tournée vers la privation d’une garantie du
contribuable, à laquelle s’ajoute désormais mécaniquement l’influence sur le sens de la
décision. Cette définition enrichie des irrégularités procédurales a immédiatement été utilisée
aux faits de l’espèce pour connaître la sanction applicable. Les magistrats de la Haute juridiction
énoncent que la juridiction d’appel a commis une erreur de droit en jugeant que la procédure
d’imposition était régulière aux seuls motifs que la demande de justification mentionnait la
disposition applicable à la situation des contribuables et que la procédure contradictoire avait
dans les faits été suivie par l’administration. En application de l’article L. 821-2 du code de
justice administrative, le Conseil règle l’affaire au fond et énonce que « l'irrégularité de la
procédure, qui n'a privé le contribuable d'aucune garantie, n'a pu avoir d'influence sur la
décision de redressement ». En conséquence, l’erreur de l’administration ne saurait entraîner la
décharge des impositions litigieuses.

364. Arrêt Paulin : décharge automatique en présence d’une violation d’une garantie
inconditionnelle. – En matière fiscale, le principe demeure que les irrégularités de forme ne
sont de nature à entraîner la décharge des impositions auxquelles le contribuable est assujetti
que si elles l’ont privé d’une garantie qui lui était octroyée par la loi ou par la jurisprudence.
Dans ce cas, la violation de la garantie par le fisc a nécessairement eu une influence sur le sens
de la décision prise. Cette feuille de route est toujours celle que le juge fiscal doit appliquer,
même si le Conseil d’État admet ponctuellement que certaines irrégularités sont suffisamment
graves pour entraîner automatiquement la décharge des impositions. Dans un arrêt Paulin du 4
février 20131537, la juridiction administrative devait se prononcer sur les conséquences du défaut
par l’administration d’avoir mentionné de façon nominative les entreprises utilisées pour
reconstituer les recettes d’une société par le recours à la méthode comparative. Alors qu’en
l’espèce, cette irrégularité n’avait pas eu pour conséquence de priver le contribuable d’une des
garanties légalement instituées1538, le Conseil d’État décide de sanctionner mécaniquement
l’irrégularité commise par le fisc par la décharge des rappels d’impositions mis à la charge du

1536
M. COLLET, Quelles conséquences attacher aux erreurs procédurales de l'administration fiscale ?, préc.
1537
CE, 4 février 2013, n°336592, Paulin : RJF 2013, n°421; BDCF 2013, n°46, concl. Mme HÉDARY; RJF 2013.
222, chron. E. BOKDAM-TOGNETTI ; Dr. fisc. 2013, n°14, comm. 230, concl. Mme HÉDARY, note X. ZHANG
et R. GRAU.
1538
En l’espèce, le contribuable avait eu la possibilité matérielle de contester les évaluations retenues par le
vérificateur en lui opposant ses propres données. Par ailleurs, l'utilisation par l’administration fiscale de données
externes avait été la conséquence directe de l'attitude du contribuable au cours des opérations de contrôle.

319
contribuable. Si cet arrêt a pu être interprété comme une rupture dans la théorie des erreurs
substantielles1539, les décisions postérieures ont confirmé la permanence de ce critère limitant
la décharge des impositions aux irrégularités ayant privé le contribuable d’une garantie auquel
il avait le droit. Il peut être affirmé qu’à ce jour, les vices procéduraux en matière fiscale sont
principalement régis par la jurisprudence Meyer, à laquelle s’ajoute ponctuellement le
raisonnement mécanique résultant de la décision Paulin lorsque la garantie viciée par
l’administration est considérée comme inconditionnelle1540. Dans ces deux hypothèses, il s’agit
d’une irrégularité qui vicie à tel point la procédure d’imposition que l’on peut légitimement se
demander si l’impôt est encore dû. À cette définition très restrictive de la décharge pour motif
procédural, s’ajoute la pratique de l’économie de moyens, qui vient encore en bouleverser les
contours.

2) La pratique de l’économie de moyens par le juge administratif

365. L’application de l’économie de moyens par le juge fiscal. – En contentieux


administratif, si le juge décide de ne pas faire droit à la demande du requérant, il est tenu de
viser et d’écarter chacun des moyens qui lui ont été soumis1541. À l’inverse, lorsqu’il fait droit
aux conclusions présentées devant lui, il peut procéder à une économie de moyens, « lui
permettant dans cette hypothèse de ne traiter dans les motifs de sa décision que le seul moyen
qu'il retient pour accueillir les conclusions »1542. Cette pratique, tolérée par une jurisprudence
ancienne du juge administratif1543, correspond en réalité « à une économie de motivation de la
part du juge »1544. Si elle facilite considérablement le travail des juridictions administratives1545,
cette technique présente dans le même temps de sérieux désavantages. Le plus ennuyeux d’entre

1539
R. GRAU et X. ZHANG, Précisions sur la possibilité pour l’Administration d’utiliser des données chiffrées
provenant d’autres entreprises : Dr. fisc., n°14, 4 avril 2013, comm. 230.
1540
À titre d’exemples, ont été considérées comme suffisamment graves pour entraîner de facto une décharge des
impositions l’hypothèse de l’incompétence territoriale de l’agent (CE, 9ème et 10ème ss-sect., 12 mars 2014,
n°354812, Sté Medipar : Dr. fisc. 2014, n°19, comm. 314 ; Procédures 2014, comm. 162, note O. NÉGRIN ; RJF
2014, n°591) ou encore l’obligation d’information envers la société mère du montant et des modalités de
détermination des pénalités appliquées à ses filiales en cas d’abus de droit (CE, 3 ème et 8ème ch., 25 juin 2020,
n°421095, Min. c/ Sté BNP Paribas, concl. M.-G. MERLOZ).
1541
V. pour un exemple récent, CE, 27 juin 2016, n°386957, Choquier.
1542
O. LEMAIRE, « Sanctions des vices de procédures », Fasc. n°486, Jurisclasseur Procédures fiscales, préc.
1543
CE, 29 mai 1963, Ministère de la santé publique et de la population c/ M. : Rec. Lebon, p. 334.
1544
C. BROYELLE, Contentieux administratif, Lextenso, LGDJ, 10ème éd., 2022-2023, n°366.
1545
Notons que le juge administratif n’est pas le seul à pratiquer cette règle. La CJUE a fréquemment recours à la
cette pratique : V. par exemple, CJCE, 24 avril 2008, Michaeler, Subito GmbH et Volgger, aff. C-55/07 et 56/07,
§30.

320
eux est sans doute la perte de la vertu pédagogique de la décision juridictionnelle1546. Certains
moyens étant passés sous silence, les parties tout comme l’administration ne connaissent que
partiellement les vices susceptibles d’entraîner l’annulation de la décision. « L’administration
risque alors, à l’issue du procès, de prendre une nouvelle décision qui certes corrige l’illégalité
sanctionnée mais répète celles passées sous silence, ce qui est susceptible de générer de
nouveaux contentieux »1547. Malgré les tentatives législatives ambitionnant de mettre un terme
à cette règle1548, elle est encore fréquemment appliquée par le juge administratif. Faute de
disposition expresse contraire1549, la pratique de l’économie de moyen est applicable en matière
fiscale1550. Lorsque le juge des impôts décharge le contribuable pour un motif procédural, il se
peut qu’il ait, dans le même temps, choisi de taire un moyen opérant relatif au bien-fondé de
l’imposition litigieuse. Ainsi, « le prononcé d'une décharge pour un motif de procédure ne
signifie pas pour autant que l'imposition était due »1551.

366. Élargissement souhaitable de l’autorité des décisions du juge fiscal. – En définitive,


la réserve d’interprétation s’imposait pour combattre la jurisprudence traditionnelle de la
chambre criminelle refusant toute autorité aux décisions du juge fiscal. Or, en limitant ses effets
aux seules décisions de décharge pour un motif de fond, le Conseil constitutionnel tolère que le
contribuable puisse être condamné pénalement après qu’il ait été déchargé de l’imposition
litigeuse pour un motif procédural, alors même que cette décharge implique que celui-ci ait été
privé, sinon d’une garantie inconditionnelle de la procédure fiscale, au moins d’une garantie
auquel il avait le droit et ayant eu une influence sur le sens de la décision. Par l’effet de la
pratique de l’économie de moyens, si cette erreur procédurale n’avait pas été commise, le juge

1546
V. en ce sens, F. DIEU, La règle de l’économie de moyens doit-elle paralyser le pouvoir d’injonction du juge
administratif ? : AJDA 2009, p. 1082.
1547
C. BROYELLE, Contentieux administratif, op. cit., n°367.
1548
F. DIEU, La règle de l’économie de moyens doit-elle paralyser le pouvoir d’injonction du juge administratif ?,
préc., où l’auteur évoque la tentative avortée de suppression de cette pratique par le projet de loi relatif à la réforme
du contentieux administratif de 1987.
1549
Le législateur a expressément prohibé cette pratique dans certains contentieux. Il en est ainsi du contentieux
de l’urbanisme pour lequel la loi n°2000-1208 du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement
urbains a introduit dans le code de l'urbanisme un article L. 600-4-1 aux termes duquel, lorsqu'elle annule « un
acte intervenu en matière d'urbanisme », la juridiction administrative doit se prononcer « sur l'ensemble des
moyens de la requête qu'elle estime susceptibles de fonder l'annulation ou la suspension, en l'état du dossier ».
1550
Voir par exemple, CE, sect., 8 février. 1991, n°61025, Assoc. Capitale nationale de l'âge de l'illumination (1ère
espèce) et n°61093, Cie William Gillet, Guillet, Rennepont (2ème espèce), préc. où la mise en œuvre de la règle
résulte de l’emploi de la formule « sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de la requête ».
1551
M. PELLETIER, De quelques conséquences (inattendues) des décisions Alec W. et Jérôme C. : Dr. fisc. n°30-
35, 28 juillet 2016, act. 466.

321
fiscal aurait parfaitement pu décharger le contribuable pour un motif de bien-fondé. En présence
d’une violation par l’administration d’une formalité substantielle de la procédure fiscale,
l’impôt ne peut plus être considéré comme légalement établi. Le qualificatif d’erreur
substantielle prend ici tout son sens. Il « rend compte de l’impossibilité de distinguer la
formalité du fond de l’acte »1552. Dans pareille hypothèse, l’administration fiscale ne pouvait
avoir une bonne compréhension des faits qui lui étaient soumis. Les garanties procédurales
accordées au contribuable sont indispensables pour une bonne application de l’impôt. La
décision prise par le fisc aurait pu être différente si le contribuable avait bénéficié des garanties
auxquelles il avait droit. En circonscrivant l’autorité des décisions fiscales aux décharges pour
un motif de fond, le Conseil constitutionnel a, à tort, considéré que le juge répressif pouvait
encore condamner le prévenu sur la base d’une imposition due.

367. Propositions de réécriture de la réserve. – Partant, la réserve d’interprétation du


Conseil constitutionnel pourrait être réécrite, simplement en supprimant la mention « pour un
motif de fond » puisque le prononcé, en raison d’une irrégularité formelle, d’une décharge par
le juge fiscal implique que celui-ci ait entendu faire produire un plein effet à la méconnaissance
par l’administration d’une garantie substantielle du contribuable. Le remaniement de la réserve
pourrait également l’être en ces termes : « Les dispositions de l'article 1741 du code général
des impôts ne sauraient, sans méconnaître le principe de nécessité des délits, permettre qu'un
contribuable qui a été déchargé de l'impôt par une décision juridictionnelle devenue définitive
pour un motif de fond ou à raison d’une irrégularité substantielle ayant privé le contribuable
d’une garantie auquel il avait le droit et qui a nécessairement influé sur la décision de
redressement, puisse être condamné pour fraude fiscale ». En instituant une autorité des
décisions de décharges, indépendamment de leur motivation substantielle ou formelle, tout
risque de condamnation sur la base d’une imposition dont n’était pas redevable le contribuable
serait écarté. Cette nouvelle rédaction participe d’une meilleure cohérence décisionnelle entre
les voies pénale et fiscale. L’harmonie doit également être recherchée dans l’hypothèse où la
décision fiscale intervient après que le juge répressif se soit prononcé sur la culpabilité du
prévenu, impliquant pour le contribuable d’obtenir une révision de la décision pénale.

C. BROYELLE, L’impact du vice de procédure sur la légalité de l’acte administratif : JCP A, n°13, 2 avril
1552

2012, comm. 2089.

322
SECTION II. LA RÉVISION DE LA DÉCISION PÉNALE

368. Exception à l’autorité de chose jugée. – Dans cette seconde configuration, le


contribuable se voit déchargé des impositions supplémentaires mises à sa charge, après que le
juge pénal l’ait condamné pour les mêmes faits sur le fondement de l’article 1741 du code
général des impôts. La décision fiscale postérieure est-elle de nature à remettre en cause la
condamnation prononcée ? De prime abord, le principe de l’autorité de chose jugée attachée à
une condamnation pénale définitive se dresse à l’encontre de cette possibilité. En faisant
« triompher la valeur de la sécurité sur la valeur de la justice »1553, ce principe « oblige au
respect du jugement en le recouvrant du voile de la vérité »1554. Par exception à cette règle, le
code de procédure pénale permet au condamné de former une demande en révision d’une
décision pénale déclarative de culpabilité entachée d’une erreur de fait. Ce recours exceptionnel
est désormais ouvert au prévenu bénéficiant postérieurement au jugement répressif d’une
décision de décharge de la juridiction fiscale (§1). Dans l’articulation des procédures pénale et
fiscale, ce mécanisme s’avère largement imparfait (§2).

§1. L’admission d’un pourvoi en révision en présence d’une décharge fiscale

369. Changement de paradigme avec la réserve constitutionnelle. – Au temps de la


stricte indépendance des procédures, la chambre criminelle a fermé la voie du pourvoi en
révision en présence d’une décharge du juge fiscal succédant à une condamnation prononcée
par le juge pénal (A). La réserve d’interprétation instaurée par le Conseil constitutionnel
prohibant au juge pénal de condamner définitivement le contribuable déchargé pour un motif
de fond a permis de voir dans la décision fiscale un cas d’ouverture du pourvoi en révision (B).

A) Le refus traditionnel de l’admission du pourvoi en révision

370. Présentation du mécanisme. – La révision est une voie de recours extraordinaire


permettant de revenir sur une décision revêtue de l’autorité de chose jugée, lorsqu’après une
condamnation, vient à se produire un fait nouveau ou à se révéler un élément inconnu de la

1553
H. MOTULSKY, Pour une délimitation plus précise de l’autorité de la chose jugée en matière civile : Dalloz,
Chroniques, 1968, p.14.
1554
F. RINALDI, Des demandes en révision et en réexamen d'une décision pénale définitive : LPA, 12 juillet 2011,
n°138, p. 4.

323
juridiction au jour du procès de nature à établir l’innocence du condamné ou à faire naître un
doute sur sa culpabilité. En ce sens, le pourvoi en révision apparaît comme une « soupape de
sécurité »1555 en faveur du condamné. Le code de procédure pénale a institué ce pourvoi en
révision de droit commun1556 aux articles 622 et suivants, dont le régime se calque avec celui
de la demande en réexamen1557 depuis une loi du 20 juin 20141558. Face à deux impératifs
contradictoires que sont d’une part, la nécessité de réparer une erreur judiciaire intervenue
postérieurement à une condamnation et, d’autre part, la difficile remise en question d’une
décision juridictionnelle revêtue de la force jugée, le législateur a enfermé le pourvoi en révision
dans des conditions très strictes1559. Son histoire1560 est celle d’une extension de son domaine
au gré d’erreurs judiciaires célèbres1561.

371. Un élargissement tardif des cas d’ouverture en révision. – L’idée d’une révision du
procès s’est institutionnalisée à l’époque des Temps modernes, principalement sous l’égide de
l’ordonnance criminelle du 26 août 1670, prévoyant en son sein que le condamné pourra obtenir
des lettres de révision du procès après avoir exposé le fait avec les circonstances par la voie

1555
H. ANGEVIN, M. LAFOURCADE, « Demandes en révision », Fasc. n°20, JurisClasseur Procédure pénale,
11 février 2015, mis à jour le 8 novembre 2018, n°3.
1556
Il existe un pourvoi spécial des gens de lettres, institué par une loi de l’après-guerre (loi n°46-2064 du 25
septembre 1946 ouvrant un recours en révision contre les condamnations prononcées pour outrages aux bonnes
mœurs commis par la voie du livre) visant à faire disparaître les condamnations prononcées contre les écrivains
pour outrages aux bonnes mœurs commis par la voie du livre. Depuis la suppression de l’infraction d’outrage aux
bonnes mœurs, ce pourvoi spécial est devenu sans objet. Il a cependant permis la réhabilitation de certains grands
écrivains, à l’instar de Charles Baudelaire qui avait été condamné pour la publication de son recueil Les fleurs du
mal (Cass. crim., 31 mai 1949 : JCP G 1949, II, 4940, note L. GRUFFY ; D. 1949, p. 348 ; Gaz. Pal., 1949, II, p.
121 ; J. HAMELIN, La réhabilitation de Baudelaire, D. 1949, chron. p. 187).
1557
Aux termes de l’article 622-1 du code de procédure pénale, une demande de réexamen d’une décision pénale
définitive peut être demandée au bénéfice de toute personne reconnue coupable d’une infraction lorsqu’il résulte
d’un arrêt rendu par la Cour européenne des droits de l’homme que cette condamnation a été prononcée en violation
des dispositions de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’hommes et des libertés fondamentales
ou de ses protocoles additionnels.
1558
Loi n°2014-640 du 20 juin 2014 relative à la réforme des procédures de révision et de réexamen d'une
condamnation pénale définitive.
1559
V. pour les conditions de sa mise en œuvre : E. DREYER, O. MOUYSSET, Procédure pénale, 2ème éd., février
2019, Lextenso, LGDJ, n°781 et s.
1560
V. pour un historique complet : Rapp., Assemblée nationale, n°1807, 19 février 2014, Rapport fait au nom de
la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, sur
la proposition de loi (n° 1700) relative à la réforme des procédures de révision et de réexamen d’une
condamnation pénale définitive, par M. A. TOURRET.
1561
V. en ce sens : J. LEROY, Procédure pénale, 7ème éd. sept. 2021, Lextenso, coll LGDJ, n°1039 et s.

324
d’une requête1562. Après avoir disparu pendant la Révolution française au nom de l’infaillibilité
du jury populaire1563, le pourvoi en révision est réapparu dans le code d’instruction criminelle
de 1808 à la suite de la célèbre affaire Fischer jugée par la chambre criminelle de la Cour de
cassation1564. Selon les termes de ses articles 443, 444 et 445, seules trois hypothèses étaient de
nature à autoriser une révision de la décision pénale. Le recours n’était ouvert que lorsque deux
accusés avaient été condamnés pour le même crime, lorsqu’après une condamnation pour
homicide, étaient découverts des indices sur l’existence de la victime dont la mort aurait donné
lieu à la condamnation, ou encore en présence d’une condamnation basée sur de faux
témoignage. La révision présentait donc un caractère exceptionnel. Rapidement, plusieurs
affaires judiciaires sensibles1565 ont révélé l’insuffisance de ces trois cas de figure, auxquels le
législateur a donc ajouté l’existence d’un « fait nouveau de nature à établir l’innocence du
condamné »1566. La dernière réforme d’envergure concernant la procédure du pourvoi en
révision est celle entamée par la loi du 23 juin 19891567 relative à la révision des condamnations
pénales1568 qui a assoupli le dernier cas d’ouverture de la révision en substituant à la certitude
de l’innocence du condamné, la notion de « doute sur la culpabilité du condamné ». La loi
n°2014-640 du 20 juin 2014 relative à la réforme des procédures de révision et de réexamen
d'une condamnation pénale définitive a ensuite fusionné les quatre cas d’ouverture en révision,
pour permettre plus largement la révision en présence d’un fait nouveau ou de la révélation d’un
élément inconnu de la juridiction au jour du procès de nature à faire douter de l’innocence du
condamné. Malgré l’extension de son domaine, la procédure de révision en matière pénale

1562
Ordonnance criminelle de Saint-Germain-en-Laye du 26 août 1670, art. 8 du titre XVI intitulé « des lettres
d'abolition, rémission, pardon, pour ester à droit, rappel de ban ou de galères, commutation de peine,
réhabilitation et révision de procès ».
1563
Décret des 3 octobre et 3 novembre 1789 portant réforme provisoire de la jurisprudence criminelle.
1564
Tribunal de Cassation, section criminelle, 9 Vendémiaire an IX, Fischer c/ Ministère public. Dans cette affaire,
le juge répressif avait successivement prononcé deux condamnations pour une seule et même infraction. V. pour
plus de développements à ce sujet, E. DE VALICOURT, L’erreur judiciaire, éd. L’Harmattan, Collection
Logiques juridiques, mars 2006, p. 143.
1565
Notamment l’affaire dite du courrier de Lyon, ou les affaires Borras, Durand, Ellenberg, Vaux, Dreyfus, etc.
V. pour ces affaires, A. FOUQUIER, Histoire du procès Lesurques, Hachette, 2013 ; L. DEVANCE, Entre les
mains de l’injustice, l’affaire Vaux et Petit (1851-1897), Éditions universitaires de Dijon, 2000 ; J. HURET, Le
dossier de l’affaire Borras-Pradies, Les grand procès, Elibron Classics, 2001. V. pour plus de développements à
ce sujet : M.-L. RASSAT, Traité de procédure pénale, coll. « Droit fondamental », éd. PUF, mai 2001, p. 819,
n°265.
1566
Loi du 8 juin 1895 sur la révision des procès criminels et correctionnels et sur les indemnités aux victimes
d'erreurs judiciaires.
1567
Cette réforme fait également suite à une affaire célèbre, l’affaire Seznec.
1568
Loi n°89-431 du 23 juin 1989 relative à la révision des condamnations pénales.

325
demeure exceptionnelle1569. Ainsi que l’indique la doctrine, « il faut une puissante raison pour
que le législateur accorde le droit de revenir sur ce qui a été définitivement jugé »1570.

372. La décharge du juge fiscal : une cause d’ouverture du pourvoi en révision ? – Dans
ce cadre juridique déjà considérablement étriqué, certains contribuables ont cru percevoir dans
la décision de décharge du juge fiscal un cas d’ouverture du pourvoi en révision. À une époque
où la rédaction de l’article 622 du code de procédure pénale énumérait limitativement les quatre
cas d’ouverture du recours1571, il était évident que l’hypothèse de l’incompatibilité entre deux
décisions de condamnation1572 ne pouvait s’appliquer à la décharge du juge fiscal qui résulte,
selon l’impôt concerné, non pas d’une décision du juge répressif mais d’une juridiction
administrative ou civile. Restait à savoir si la décision fiscale pouvait, sur le fondement du
dernier alinéa de la disposition précitée, constituer un « fait de nature à établir l’innocence du
condamné ». La question a été posée dans ces termes à la chambre criminelle de la Cour de
cassation, qui y a répondu par la négative dans un arrêt du 4 juin 19701573. Dans cette affaire,
un contribuable avait été définitivement condamné pour fraude fiscale portant, en matière de
contributions indirectes, sur les taxes à la production et sur le chiffre d'affaires, et en matière de
contributions directes, sur l'impôt sur les revenus des personnes physiques, la taxe
proportionnelle et la surtaxe progressive. Pour retenir le prévenu dans les liens de la prévention,
le juge répressif avait estimé que le contribuable devait être considéré comme le seul
gestionnaire d’une société d’exploitation de carrière au lendemain du décès du gérant de droit,
au regard des pouvoirs exorbitants qui lui permettaient de céder et de vendre les biens de la

1569
En 2014, il était relevé que depuis 1989, seules 9 condamnations criminelles et 43 condamnations
correctionnelles ont été annulées : Rapp., Assemblée nationale, n°1807, 19 février 2014, préc.
1570
F. RINALDI, Des demandes en révision et en réexamen d'une décision pénale définitive, op. cit.
1571
L’ancienne version de l’article 622 du code de procédure pénale (version en vigueur du 2 mars 1959 au 1 er
octobre 1989) énonçait : « La révision peut être demandée, quelle que soit la juridiction qui ait statué, au bénéfice
de toute personne reconnue auteur d'un crime ou d'un délit :
1° Lorsque, après une condamnation pour homicide, des pièces sont représentées propres à faire naître de
suffisants indices sur l'existence de la prétendue victime de l'homicide ;
2° Lorsque, après une condamnation pour crime ou délit, un nouvel arrêt ou jugement a condamné pour le même
fait un autre accusé ou prévenu et que, les deux condamnations ne pouvant se concilier, leur contradiction est la
preuve de l'innocence de l'un ou de l'autre condamné ;
3° Lorsqu'un des témoins entendus a été, postérieurement à la condamnation, poursuivi et condamné pour faux
témoignage contre l'accusé ou le prévenu ; le témoin ainsi condamné ne peut pas être entendu dans les nouveaux
débats ;
4° Lorsque, après une condamnation, un fait vient à se produire ou à se révéler, ou lorsque des pièces inconnues
lors des débats sont représentées, de nature à établir l'innocence du condamné ».
1572
Ibid, al. 3.
1573
Cass. crim., 4 juin 1970, n°69-93.414, Delfaux : D. 1971. comm. 31 ; RSC 1971, p. 702, obs. J. ROBERT.

326
société en d’en disposer sans qu’il ait eu à rendre compte de sa gestion. À ce titre, il aurait dû
s’acquitter du paiement de la taxe sur le chiffre d’affaires et des bénéfices industriels et
commerciaux. Quant à lui, le juge fiscal a eu une tout autre appréciation des faits qui lui étaient
soumis. Par deux arrêts successifs, le Conseil d’État a déchargé le contribuable des impositions
mises à sa charge au titre des contributions indirectes et directes. S’agissant des premières, il a
constaté que les pouvoirs délégués par le gérant à l’intéressé pouvaient être révoqués à tout
moment et qu’ils ne lui permettaient pas de disposer de l’entreprise. En conséquence, il ne
pouvait être regardé comme étant redevable des taxes sur le chiffre d’affaires dues par la société.
S’agissant des secondes, le juge des impôts a déchargé le prévenu de l’impôt sur les revenus
des personnes physiques auquel il avait été assujetti, au motif qu’il n’avait jamais été l’associé
du gérant de la société. La contrariété de décisions qui en résultait a encouragé le ministre de la
justice à saisir la commission instituée par l’ancienne version de l’article 623 du code de
procédure pénale1574, puis à transmettre le dossier au procureur général près la Cour de
cassation. Ce dernier a saisi la chambre criminelle d’une demande en révision, soutenant qu’il
résultait des deux décisions du juge fiscal que le prévenu ne devait pas les diverses impositions
au paiement desquelles il lui avait été reproché de s’être frauduleusement soustrait devant le
juge répressif. Dès lors, ces arrêts pouvaient constituer soit le fait nouveau, soit les pièces
inconnues lors des débats devant le juge du fond de nature à établir l’innocence du
condamné1575.

373. Primauté à l’indépendance des procédures. – En reproduisant purement et


simplement sa motivation habituelle concernant l’indépendance des procédures 1576 et de la
plénitude de juridiction du juge répressif1577, la chambre criminelle de la Cour de cassation a
refusé de voir dans les décisions du juge fiscal un cas d’ouverture en révision. Selon elle,
« l'interprétation nouvelle donnée par la juridiction administrative à des circonstances

1574
Version en vigueur du 2 mars 1959 au 1er octobre 1989. Le texte prévoyait qu’en application du quatrièmement
de l’article 622, c’est-à-dire lorsque, après une condamnation, un fait vient à se produire ou à se révéler, ou lorsque
des pièces inconnues lors des débats sont représentées, de nature à établir l’innocence du condamné, le droit de
demander la révision appartenait au seul ministre de la justice, qui statue après avis d’une commission composée
de trois magistrats de la Cour de cassation annuellement désignés par elle et choisis en dehors de la chambre
criminelle, et de trois directeurs au ministère de la justice. Si la demande en révision lui paraît devoir être admise,
le ministre transmet le dossier de la procédure au procureur général près la Cour de cassation qui saisit la chambre
criminelle.
1575
Art. 622 du code de procédure pénale sa version en vigueur du 2 mars 1959 au 1 er octobre 1989.
1576
V. supra, n°113 et s.
1577
V. supra, n°307.

327
purement matérielles ne constitue pas un fait rentrant dans les prévisions de l'article 622 du
code de procédure pénale ». Du temps de la stricte indépendance des procédures, l’intervention
d’une décharge postérieure du juge fiscal – même pour un motif de fond – ne saurait faire échec
à une condamnation pénale pour fraude fiscale. Pour la doctrine de l’époque, cet arrêt de la
chambre criminelle « ne doit pas surprendre parce qu’il est la conséquence logique de sa
jurisprudence en matière de sursis à statuer et d’autorité de la chose jugée »1578. Dans la
mesure où elle ne voit aucun inconvénient à ce que le juge pénal prononce une condamnation
pour un impôt dont le juge fiscal considère qu’il n’était pas dû, il est logique de ne pas déceler
dans une décision du juge fiscal ne s’imposant pas au tribunal correctionnel, un cas d’ouverture
du recours en révision.

Le dogme de l’ignorance des contentieux pénal et fiscal a perduré pendant des


décennies. Encore très récemment, la chambre criminelle refusait d’ouvrir la voie de la révision
au prévenu qui bénéficiait postérieurement d’une décision de décharge du juge des impôts. Une
telle paralysie ressort notamment des termes d’une décision du 14 mai 2012 rendue par la
Commission de révision des condamnations pénales1579. En l’espèce, une société organisatrice
de voyage avait fait l’objet d’une vérification de comptabilité, qui a entraîné un redressement
de plusieurs millions d’euros au titre de l’imposition sur le revenu, la TVA et sur l’imposition
de transferts de bénéfices à l’étranger. Les impositions ont été contestées devant le juge fiscal
et le tribunal administratif a choisi de décharger la société des redressements notifiés en matière
de TVA et d'impôt sur les sociétés pour un motif de fond. L’administration fiscale a interjeté
appel, limitant son recours à l’imposition de la TVA. Parallèlement, le représentant légal de la
société a été attrait devant les juridictions répressives et condamné pour s’être frauduleusement
soustrait au paiement de la TVA. Au lendemain du rejet du pourvoi devant la chambre
criminelle de la Cour de cassation, la Direction générale des finances publiques a adressé une
lettre à la société, confirmant que l’essentiel de son activité échappait à l’imposition sur la TVA,
seules les opérations d’intermédiaire représentant moins de 10% de son chiffre d’affaires devant
y être soumise. La situation était des plus ubuesques : « on se retrouvait donc, pour un impôt
non dû pour des raisons de fond (pour le tribunal administratif), en présence d'un fraudeur

1578
G. KLEIN, La répression de la fraude fiscale, Étude sur le particularisme du droit pénal des impôts, op. cit.,
p. 151, n°176.
1579
Commission de révision des condamnations pénales, 14 mai 2012, n°11REV103, M.R : Dr. fisc. 2012, n°25,
comm. 344, note C. LOUIT ; Dr. fisc. 2012, n°28, étude 372, obs. R. SALOMON.

328
(pour la Cour de cassation) de bonne foi (pour les services fiscaux) »1580. Le prévenu a formé
un recours en révision, invoquant au soutien de sa requête tant la décision du juge fiscal l’ayant
déchargé des impositions mises à la charge de sa société – mais antérieure à la décision de rejet
de la chambre criminelle rendant sa décision de culpabilité définitive – que la lettre du fisc –
postérieure cette fois-ci à la décision définitive du juge répressif –. Sans même faire référence
à l’existence de ce courrier, pourtant « de nature à faire douter de l'existence d'une intention
frauduleuse chez le gérant de la société »1581, la Commission de révision des condamnations
pénales a rejeté le recours formé devant elle, reprenant classiquement sa formulation relative à
l’indépendance des procédures pénale et fiscale. Il faudra attendre la modification des critères
du cumul des procédures pénale et fiscale par les décisions constitutionnelles du 24 juin 2016
pour que la décision de décharge puisse être considérée comme une cause d’ouverture du
recours en révision.

B) L’assimilation progressive de la décharge fiscale à un cas d’ouverture en


révision

374. Revirement implicite. – La voie du recours en révision s’est progressivement ouverte


sous l’influence des décisions Cahuzac et Wildenstein1582 du Conseil constitutionnel, pour
annuler une décision du juge pénal rendue après une décision de décharge de l’impôt au fond.
Cette évolution a d’abord bénéficié au gérant de la société Smart City, s’étant vu infliger une
condamnation pénale en dépit des constatations antérieures du juge fiscal l’ayant déchargé de
toute imposition. Prenant acte des décisions du juge des impôts, l’administration fiscale avait
accordé un dégrèvement à la société par deux avis en date du 10 février 2011. Soutenant que
ces deux avis n’avaient été portés à la connaissance de la chambre des appels correctionnels1583
et que celle-ci s’était fourvoyée en considérant que les décisions du tribunal administratif
n’étaient pas définitives, le gérant de la société a formé une requête en révision basée sur
l’autorité nouvellement créée par le Conseil constitutionnel dans ses décisions du 24 juin

1580
C. LOUIT, L’échec d’un recours en révision : un transporteur dans la tempête, Dr. fisc. n°25, 21 juin 2012,
comm. 344.
1581
Ibid.
1582
Cons. const., QPC, 24 juin 2016, n°2016-545 et n°2016-546, préc.
1583
CA, Aix-en-Provence, 4 mai 2011.

329
20161584. Par une décision du 20 septembre 2018, la commission d’instruction1585 a déclaré la
requête recevable et a saisi la Cour de révision, en ce qu’à la lumière de la réserve
d’interprétation du Conseil constitutionnel, « l'avis de dégrèvement du 10 février 2011 adressé
à la société suisse Smart city pour l'exercice 2003 constitue un fait nouveau ou un élément
inconnu de la juridiction au sens de l'article 624-2 du code de procédure pénale »1586. Sur le
fondement de l’article 625 du code de procédure pénale, la chambre criminelle a décidé de
suspendre la décision de condamnation, considérant comme suffisamment probable l’admission
de la demande en révision1587. Quelques mois plus tard, la Cour de révision et de réexamen a
en effet fait droit à la requête du représentant légal de la société Smart City, en annulant la
décision du juge répressif1588. Mais à la différence de la commission d’instruction et de la
chambre criminelle qui ont explicitement fait référence à la réserve d’interprétation du juge
constitutionnel et à l’avis de dégrèvement du fisc, la Cour de révision a choisi une voie
différente en indiquant « qu’il ne ressort pas du dossier qu’il ait été porté, de manière certaine,
à la connaissance des juges d’appel, lorsqu’ils ont statué, que les jugements du tribunal
administratif ne pouvaient plus faire l’objet d’un recours dans le délai imparti à cet effet ».
C’est cet élément, inconnu au jour du procès, et non l’avis de dégrèvement accordé par
l’administration fiscale, qui était de nature à faire naître un doute sur la culpabilité du prévenu
au sens de l’article 622 du code de procédure pénale.

Pour la Cour de révision, ce n’est donc pas explicitement dans le but de faire respecter
l’autorité nouvelle des décisions de décharge du juge fiscal qu’elle a choisi d’annuler la
condamnation pénale. Et pour cause, elle ne s’est pas contentée d’annuler la décision du juge
répressif mais a renvoyé les parties, pour qu’il soit procédé à de nouveaux débats
contradictoires, devant la cour d’appel de Paris. La décharge du juge fiscal prononcée au
bénéfice de la société n’emporte pas mécaniquement avec elle innocence de son dirigeant.

1584
Cons. const., QPC, 24 juin 2016, n°2016-545 et n°2016-546, préc.
1585
Depuis la loi n°2014-640 du 20 juin 2014 précitée, la commission d’instruction de la Cour de révision et de
réexamen est chargée de se prononcer sur la recevabilité de la demande formulée par le requérant. Lorsque la
requête présente une irrecevabilité manifeste, la commission d’instruction la rejette par une ordonnance motivée
non susceptible de recours. Selon le rapport annuel de la Cour de cassation en 2020, sur les 123 décisions rendues
par la commission d’instruction, 4 ont concernées des affaires de fraude fiscale (Rapport annuel de la Cour de
cassation, 2020, p. 279).
1586
Commission d’instruction de la Cour de révision et de réexamen, 20 septembre 2018.
1587
Cass. crim., 8 janvier 2019, n°18-85.561.
1588
Cour de révision et de réexamen, 11 avril 2019, n°17REV111 : Bull. crim. avril 2019, n°4 : Dr. fisc. 2019,
n°22, act. 260.

330
L’analyse des faits doit une nouvelle fois être opérée par une nouvelle juridiction autrement
composée. La motivation de la Cour de révision et de réexamen peine à convaincre. L’argument
selon lequel la chambre des appels correctionnels ne pouvait avoir la certitude de l’écoulement
des délais de recours ouverts à l’encontre de la décision de première instance du juge fiscal est
peu pertinent tant les magistrats peuvent, de leur propre initiative ou en sollicitant les parties,
accéder à ce type de données. L’alternative choisie par la Cour de révision révèle « la volonté
du juge de rechercher le moindre fait nouveau ou élément inconnu afin d'ouvrir le recours en
révision en cas de décharge par le juge de l'impôt des rehaussements »1589, tout en prenant soin
de ne pas mentionner explicitement qu’elle le fait dans le but de se conformer à l’autorité de
chose jugée attachée aux décisions fiscales. Cette motivation manifeste une conception
singulière du recours en révision, lequel ne devrait servir à l’annulation de décisions lorsque les
magistrats n’ont pas effectué les diligences élémentaires qui s’imposaient à eux.

375. Revirement explicite. – Fort heureusement, la Cour de révision s’est ensuite


positionnée plus explicitement en faveur de l’annulation d’une condamnation pénale à laquelle
succède une décision de décharge du juge fiscal. Une décision du 22 octobre 20201590 est la
première à tirer les conséquences de la réserve d’interprétation imposée par le Conseil
constitutionnel. Dans cette affaire, une société ayant pour objet la construction et l’exploitation
de terrains fait l’objet d’une vérification de compatibilité, aux termes de laquelle
l’administration fiscale décèle une minoration des déclarations mensuelles de TVA. Après avis
conforme de la Commission des infractions fiscales, son représentant légal est poursuivi devant
la juridiction correctionnelle pour s’être soustrait à la déclaration nécessaire à l’établissement
de ladite TVA. Le juge pénal a définitivement condamné le prévenu1591 de ce chef et l'a
condamné à six mois d'emprisonnement avec sursis, outre le prononcé de la mesure de solidarité
fiscale de l’article 1745 du code général des impôts. Quelques années plus tard, la cour
administrative d’appel, se prononçant sur renvoi après une première annulation de la Haute
juridiction1592, a déchargé la société représentée par son liquidateur des rappels de TVA mis à
sa charge pour la période couvrant la prévention pénale. En application de l’article 622 du code
de procédure pénale, le requérant invoquait au soutien de son pourvoi en révision que la

1589
C. CASSAN et P. MISPELON, Fraude fiscale : mieux vaut guérir que prévenir ? : Dr. fisc. n°22, 31 mai 2019,
act. 260.
1590
Cour de révision et de réexamen, 22 octobre 2020, n°16REV060 : RJF 2/21, n° 213.
1591
Cass. crim., 21 novembre 2012, n°11-88.785.
1592
CE, 25 mai 2018, n°40936.

331
décision du juge fiscal privait de base légale la condamnation pénale pour fraude fiscale. La
Cour de révision et de réexamen a fait droit à l’annulation de la condamnation pénale, prenant
directement appui sur la réserve constitutionnelle imposant de considérer une décision
définitive de décharge comme un obstacle à toute condamnation pénale pour fraude fiscale.
L’argumentaire du juge fiscal, selon lequel l’opération litigieuse devait être soumise non pas à
l’imposition sur la marge mais au régime de la TVA immobilière, constituait un élément
nouveau inconnu du juge pénal de nature à établir l’innocence du gérant de la société. S’agissant
des conséquences et de la portée de la révision, la Cour constate que la décision fiscale établit
l’innocence du requérant, « faute d’élément matériel du délit de fraude fiscale reproché »1593.
Elle annule donc la décision de condamnation pénale sans avoir besoin de renvoyer l’affaire à
une nouvelle juridiction. L’arrêt de la Cour de révision doit être salué pour l’avancée
significative qu’il comporte dans l’articulation des procédures pénale et fiscale.

376. Domaine d’application limité. – Son domaine d’application demeure toutefois


largement limité. Dans une autre affaire jugée par la chambre criminelle la veille de la décision
de la Cour de révision et de réexamen, il a été jugé que l’avis de dégrèvement de
l’administration fiscale ne constituait pas un élément nouveau au sens de l’article 622 du code
de procédure pénale1594. Au cas d’espèce, la Cour de cassation était saisie d’une demande en
suspension présentée par un prévenu définitivement condamné pour fraude fiscale à six mois
d’emprisonnement avec sursis et 20 000 euros d’amende1595. Arguant d’un dégrèvement de
l’administration fiscale postérieur à cette condamnation, l’intéressé a saisi la Commission
d’instruction de révision et de réexamen qui a déclaré la requête recevable et a saisi, en
conséquence, la Cour de révision et de réexamen ainsi que, d'office, la chambre criminelle de
la Cour de cassation d'une demande en suspension de l'exécution de la décision pénale. Après
avoir rappelé que « l'appréciation des mérites d'une demande de suspension de la
condamnation ne saurait être dissociée de celle des chances de succès de la requête en
révision »1596 la Haute juridiction affirme qu’un dégrèvement du fisc ne saurait constituer

1593
Cour de révision et de réexamen, 22 octobre 2020, préc., n°20. En présence d’une décharge du juge fiscal pour
un motif de fond, ce sont plutôt l’ensemble des éléments constitutifs de la fraude fiscale qui disparaissent. Faute
pour le contribuable d’être assujetti à un impôt régulièrement dû, l’élément intentionnel comme l’élément matériel
ne peuvent être caractérisés.
1594
Cass. crim., 21 octobre 2020, n°20-85.339 : M.-C. SGARRA, Précisions sur une demande de suspense de
l’exécution d’une condamnation pénale pour fraude fiscale : Hebdo édition fiscale, novembre 2020, n°845.
1595
Cass. crim., 16 mai 2012, n°11-84.091.
1596
Cass. crim., 21 octobre 2020, n°20-85.339, préc., n°4.

332
l'équivalent d'une décision de décharge de l'impôt définitivement prononcée par une juridiction
administrative. Cette solution est contestable puisqu’elle permet à l’administration fiscale de
dégrever le contribuable sans attendre la décision juridictionnelle de décharge, pour ne pas que
la décision du juge des impôts ne lie, à son détriment, celle du juge répressif. Il est impératif
que la voie du pourvoi en révision s’ouvre au contribuable pouvant indifféremment se prévaloir
d’une décision de décharge du juge des impôts ou d’un dégrèvement de l’administration.
Indépendamment du motif invoqué par l’intéressé, le pourvoi en révision ne permet pas de faire
cesser les condamnations pénales prononcées en dépit de l’absence d’impôt dû par le
contribuable. Dans l’articulation des procédures pénale et fiscale, l’exercice de cette voie de
recours est largement imparfait.

§2. L’imperfection du pourvoi en révision en présence d’une décharge fiscale

377. Réparation matérielle et morale. – Lorsque le contribuable non fautif1597 obtient la


révision de la condamnation pénale, l’alinéa 1er de l’article 626-1 du code de procédure pénale
lui donne droit à « réparation du préjudice matériel et moral que lui a causé la condamnation ».
Le principe d’une réparation pécuniaire existait dans le code d’instruction criminelle dans des
termes semblables à ceux utilisés par le code en vigueur. La loi du 8 juin 1895 sur la réparation
des erreurs judiciaires permettait déjà d’accorder des dommages et intérêts au condamné dont
l’innocence a été rétablie. Toutefois, elle n’imposait pas au juge l’obligation de les accorder1598.
La liberté ainsi laissée à la juridiction a perduré jusqu’à la loi du 23 juin 1989 relative à la
révision des condamnations pénales1599, qui a substantiellement modifié le régime indemnitaire
en présence d’une décision de révision. La faculté reconnue au juge d’allouer des dommages et
intérêts s’est transformée en un droit pour le bénéficiaire de la révision de les obtenir.
Désormais, lorsque l’intéressé formule une demande en ce sens auprès de la Cour de révision

1597
Le code de procédure pénale exclut la réparation du préjudice de l’intéressé lorsque celui-ci a été condamné
pour des faits dont il s’est librement et volontairement accusé ou laissé accuser à tort en vue de faire échapper
l’auteur des faits aux poursuites (art. 626-1 CPP, al. 1er).
1598
Cette situation était fondée sur une conception particulière de l’État dont les décisions relevaient d’acte de
souveraineté faits au nom de tous les citoyens. Lorsque ceux-ci lèsent des intérêts particuliers, la responsabilité de
l’État n’était pas obligatoire « en raison du sacrifice que chaque citoyen fait de son intérêt personnel, quand il est
en contradiction avec celui de l’État » (A. BERLET, Étude de la loi du 8 juin 1895 sur la révision des procès
criminels et correctionnels et sur les indemnités aux victimes d'erreurs judiciaires, Paris, 1896, p. 89). Ainsi, la
responsabilité civile de l’État ne pouvait être recherchée (inapplicabilité de l’ancien article 1382 du code civil) et
celui-ci était irresponsable à raison de ses actes législatifs, des actes de gouvernement ou des faits de guerre.
1599
Loi n°89-431 du 23 juin 1989 relative à la révision des condamnations pénales.

333
et de réexamen, celle-ci doit lui accorder. Sinon, la personne dont la condamnation a été révisée
a toujours la possibilité de saisir le premier président de la cour d’appel 1600 de son ressort
territorial dans le délai de six mois suivant la décision ayant reconnu son innocence 1601. Outre
la réparation du préjudice pécuniaire, le code de procédure pénale permet également
l’indemnisation du préjudice moral qui en a résulté. L’avant-dernier alinéa de l’article 626-1
instaure une publication aussi large que possible de l’innocence du condamné. Dès lors qu’il en
fait la demande, la décision de révision1602 peut faire l’objet d’un affichage dans divers lieux1603,
d’une insertion au Journal officiel ou d’une publication par extraits dans cinq journaux choisis
par la juridiction. Les frais de publication sont, aux termes du dernier alinéa de l’article 626-1
du code de procédure pénale, à la charge du Trésor.

378. Imperfection de la voie de la révision. – En application de ces dispositions, un


contribuable condamné devant le juge pénal en dépit d’une décision de décharge fiscale
bénéficie d’une réparation des préjudices résultant de cette situation. Dans pareille situation, la
réserve constitutionnelle interdisant de condamner pénalement une personne ayant vu son
imposition déchargée pour un motif de fond devant le juge fiscal n’a pas été respectée. Ce n’est
qu’a posteriori que la voie de la révision permet de réparer une telle atteinte. Cette solution est
loin d’être satisfaisante puisqu’il « s’agirait donc de guérir plutôt que de prévenir »1604. Du
point de vue du justiciable, la voie de la révision agit simplement comme un « pansement »1605.
La blessure apparaît dès lors que l’intéressé a subi, à tort, l’affront des deux procédures pénale
et fiscale1606. Après avoir fait l’objet de deux instances parallèles pour un impôt qu’il ne devait
pas, le contribuable doit en outre livrer un effort procédural supplémentaire en activant cette
voie de recours extraordinaire. La procédure de révision est une voie de recours complexe qui

1600
Art. 626-1 CPP, al. 4.
1601
Art. 149-2 CPP.
1602
Selon que la juridiction ait prononcé sa décision avec ou sans renvoi, l’affichage concerne soit le jugement ou
l’arrêt qui a prononcé l’acquittement ou la relaxe du demandeur, soit directement la décision de la Cour de révision
et de réexamen (Cass. crim., 6 novembre 2002, n°02-83.705 ; Cass. crim., 16 septembre 2003, n°02-86.661).
1603
Aux termes de l’alinéa 6 de l’article 626-1 du code de procédure pénale, la décision de révision peut être
affichée dans la ville où a été prononcée la condamnation, dans la commune du lieu du crime ou du délit, dans
celle du domicile du demandeur, dans celles du lieu de naissance et du dernier domicile du condamné s’il est
décédé ou déclaré absent.
1604
C. CASSAN et P. MISPELON, Fraude fiscale : mieux vaut guérir que prévenir ? : préc.
1605
B. RICOU, Vade-mecum de la Chambre criminelle de la Cour de cassation pour la mise en œuvre des réserves
d’interprétation formulées par le Conseil constitutionnel : Hebdo édition fiscale n°801, 7 novembre 2019.
1606
Rappelons que la Cour européenne des droits de l’homme ne prohibe pas seulement le cumul des
condamnations pénale et fiscale mais aussi le cumul des simples poursuites : V. supra, n°233 et s.

334
oblige le condamné à saisir tout d’abord la commission d’instruction des demandes en révision
et en réexamen. Dans le cas où celle-ci admet la recevabilité de la requête, elle la transmet
ensuite à la Cour de révision et de réexamen, qui examine le bien-fondé de la demande. Si cette
dernière accède aux arguments du requérant, elle annulera enfin la condamnation prononcée. À
ce stade, le combat n’est peut-être pas encore terminé pour le contribuable qui peut se voir
renvoyer devant une juridiction autrement composée pour statuer, à l’issue de nouveaux débats
contradictoires et à l’aune du nouvel élément inconnu de la précédente juridiction répressive,
sur sa culpabilité. Quel que soit le montant de l’indemnisation et l’étendue de la publication de
la décision, la voie de la révision ne permet pas de réparer tous les stigmates engendrés par la
succession de ces procédures. Pour l’État, outre l’engagement de frais supplémentaires mis à
sa charge, la voie du recours en révision n’est guère satisfaisante. Pour garantir la sécurité
juridique à laquelle aspire la collectivité, le recours à cette procédure doit demeurer subsidiaire
et être limité à des hypothèses où la juridiction répressive ne pouvait disposer des éléments
nécessaires pour accéder à la vérité judiciaire. En somme, la voie de la révision n’a « pas
vocation à être banalisée »1607 pour « constituer un mode habituel de régulation de la
coordination des décisions pénale et fiscale »1608.

1607
C. CASSAN et P. MISPELON, Fraude fiscale : mieux vaut guérir que prévenir ? : préc.
1608
E. PICHON, L'autonomie du droit pénal fiscal : Cahiers de droit de l'entreprise n°4, juillet 2021, dossier 31.

335
CONCLUSION DU CHAPITRE DEUX

379. Insuffisance des incidences de la décision fiscale sur le litige pénal. – Ces
développements révèlent l’insuffisance du poids de la décision du juge des impôts sur le cours
du procès pénal. Lorsque celle-ci précède la décision du juge pénal, son autorité se limite aux
décisions de décharge pour un motif de fond. L’exclusion de l’autorité des décisions de
décharge pour un motif procédural est éminemment contestable tant la définition de
l’irrégularité est parfaitement encadrée par la jurisprudence fiscale. Partant, la réserve
d’interprétation du Conseil constitutionnel pourrait être réécrite, simplement en supprimant la
mention « pour un motif de fond » puisque le prononcé, en raison d’une irrégularité formelle,
d’une décharge par le juge fiscal implique que celui-ci ait entendu faire produire un plein effet
à la méconnaissance par l’administration d’une garantie substantielle du contribuable. Le
remaniement de la réserve pourrait également l’être en ces termes : « Les dispositions de
l'article 1741 du code général des impôts ne sauraient, sans méconnaître le principe de
nécessité des délits, permettre qu'un contribuable qui a été déchargé de l'impôt par une décision
juridictionnelle devenue définitive pour un motif de fond ou à raison d’une irrégularité
substantielle ayant privé le contribuable d’une garantie auquel il avait le droit et qui a
nécessairement influé sur la décision de redressement, puisse être condamné pour fraude
fiscale ». En instituant une autorité des décisions de décharges, indépendamment de leur
motivation substantielle ou formelle, tout risque de condamnation sur la base d’une imposition
dont n’était pas redevable le contribuable, serait écarté. Cette nouvelle rédaction participe d’une
meilleure cohérence décisionnelle entre les voies pénale et fiscale.

Lorsque la décision fiscale succède à la décision pénale, la voie du pourvoi en révision


s’est fort heureusement ouverte au profit du contribuable injustement condamné pour un impôt
dont il n’était pas redevable. Mais cette voie ne saurait constituer une réponse adaptée à
l’articulation technique entre les procédures.

336
CONCLUSION DU TITRE PREMIER

380. Insuffisance des incidences du litige fiscal sur le litige pénal. – Pour conclure, il peut
être affirmé qu’il n’existe aucune règle légalement établie dictant à la juridiction pénale la
position qu’elle doit adopter en présence d’un contentieux parallèlement ouvert devant les
juridictions fiscales. Cette configuration est régie par une simple réserve d’interprétation posée
par le Conseil constitutionnel dans ses décisions du 24 juin 2016, interdisant au juge pénal de
condamner un prévenu préalablement déchargé devant le juge des impôts pour un motif de
fond. Cette autorité nouvellement créée est insuffisante à harmoniser les réponses pénale et
fiscale, raison pour laquelle un élargissement à l’ensemble des décisions de décharges
prononcées par le juge fiscal, indépendamment de leur motif, est préconisé. Du reste, le seul
fait d’imposer au juge correctionnel de prendre en compte les décisions de décharges du juge
fiscal ne suffit pas à éviter les contrariétés de décisions entre les deux contentieux. En effet, le
Conseil constitutionnel n’a assorti sa réserve d’aucune articulation temporelle entre les
procédures, si bien que le procès pénal est susceptible de se terminer avant que la juridiction
fiscale ne se soit prononcée sur la requête présentée par le contribuable. En ce sens, seule
l’instauration d’un sursis à statuer dans l’attente de la décision fiscale permettrait d’assurer le
respect de l’autorité attachée aux décisions de décharge du juge fiscal1609. Pour l’heure, à défaut
d’obligation pour le juge correctionnel de surseoir à statuer, la procédure pénale menée à
l’encontre des mêmes faits influe sur le cours du litige fiscal.

1609
V. infra, n°470.

337
TITRE SECOND. L’INCIDENCE PÉNALE SUR LE
LITIGE FISCAL

381. Différents prismes du litige pénal. – Parallèlement au redressement fiscal dont il fait
l’objet, un contribuable peut être attrait devant la juridiction répressive pour y répondre de
l’infraction de fraude fiscale. Le risque pénal étant devenu ces dernières années
quantitativement plus important, il est fréquent que les procédures pénale et fiscale se
chevauchent dans le temps. Dans pareille circonstance, la procédure pénale ouverte à l’encontre
du contribuable va avoir un impact sur le cours de la procédure fiscale, entendue au sens large
comme recouvrant à la fois la procédure de contrôle et de redressement devant l’administration
fiscale que la procédure contentieuse éventuellement menée devant le juge des impôts. Du côté
des poursuites engagées sur le fondement de l’article 1741 du code général des impôts, celles-
ci recouvrent l’ensemble des actes participant à la récolte des preuves du fait infractionnel,
jusqu’à la phase du jugement correctionnel. Dans cette perspective, il faudra dans un premier
chapitre étudier les incidences de la procédure pénale entendue dans ce sens large (Chapitre I)
avant d’analyser dans un second chapitre les incidences de la seule décision pénale, à savoir
celle prise par la juridiction correctionnelle sur la culpabilité du prévenu (Chapitre II).

338
CHAPITRE I. L’INCIDENCE DE LA PROCÉDURE PÉNALE

382. Nature des incidences de la procédure pénale. – Lorsque des poursuites répressives
sont diligentées à l’encontre d’un contribuable ayant également fait l’objet de sanctions fiscales,
la procédure pénale ainsi engagée est susceptible d’impacter de différentes manières le cours
de la procédure fiscale. Les incidences de la procédure pénale peuvent en effet être d’ordre
temporel, en déterminant une chronologie entre les deux contentieux parallèlement engagés. De
ce premier point de vue, l’existence d’une procédure pénale n’astreint pas le litige fiscal
(Section I). La procédure pénale peut également occasionner des incidences matérielles sur le
litige fiscal. De ce second point de vue, l’incidence du régime probatoire de la procédure pénale
est significative (Section II).

SECTION I. L’ABSENCE D’INCIDENCE TEMPORELLE

383. Liberté du juge fiscal. – Lorsque les juges fiscal et pénal sont saisis concomitamment
des mêmes faits à l’encontre de la même personne, il a précédemment été démontré que le
second n’avait pas l’obligation de surseoir à statuer dans l’attente de la décision du premier.
Cette même liberté est accordée au juge fiscal1610 (§1) qui demeure libre d’apprécier dans
pareille configuration l’opportunité de surseoir à statuer. Cette solution repose sur de solides
justifications (§2).

§1. La liberté du juge fiscal de surseoir à statuer

384. Application du régime existant en contentieux général. – Le livre des procédures


fiscales ne contient aucune disposition spécifique définissant le sursis à statuer en matière
fiscale. Le Bulletin officiel des finances publiques1611 est le seul à définir le mécanisme1612

1610
Dans cette section, le juge fiscal est exclusivement représenté par le juge administratif de l’impôt. Il n’existe
en effet aucune jurisprudence significative s’agissant de la possibilité pour le juge judiciaire de l’impôt de surseoir
à statuer dans l’attente de la décision du juge répressif. Dans cette configuration, la question se pose avec moins
d’acuité dans la mesure où les deux juges appartiennent tous deux à l’ordre judiciaire.
1611
BOFIP, « Contentieux de l'assiette de l'impôt - Dispositions communes – Sursis », 12 septembre 2012, BOI-
CTX-DG-20-70-20.
1612
Le sursis à statuer se distingue des autres hypothèses de sursis applicables en contentieux général. En matière
fiscale, le sursis peut recouvrir trois hypothèses distinctes parmi lesquelles deux relèvent du contentieux
administratif général. Il s’agit pour la première du sursis à exécution des décisions administratives (art. R. 811-16
et R. 811-17 CJA) et pour la seconde du sursis à statuer. Propre à la matière fiscale, le sursis de paiement est la

339
comme « la décision par laquelle un Tribunal remet à une date ultérieure l'examen et le
jugement d'une affaire ». Dans le silence des textes, c’est le droit commun qui trouve à
s’appliquer. Au sein du code de justice administrative, quelques textes permettent
ponctuellement au juge administratif de surseoir à statuer dans l’attente d’une décision d’un
juge compétent1613 pour traiter la question posée ou celle d’un organe supérieur 1614. Faute de
précision supplémentaire, il faut se référer1615 aux règles du code de procédure civile pour
connaître des modalités du sursis à statuer en matière fiscale. Ainsi, sans opérer dessaisissement
du juge principal1616, la décision de sursis à statuer suspend le cours de l'instance pour le temps
ou jusqu'à la survenance de l'événement qu'elle détermine1617.

385. Liberté totale accordée au juge fiscal. – Dans ce cadre juridique permissif, le juge
fiscal bénéfice d’une grande latitude lorsqu’un contribuable ayant introduit un recours sollicite
un sursis à statuer dans l’attente de la décision du juge pénal saisi de faits analogues. Ainsi, le
Conseil d’État a clairement énoncé dans une décision du 10 novembre 1971 que « le juge
administratif, saisi d'une opposition à un titre de perception1618 n'est pas tenu de surseoir à
statuer jusqu'à ce que le juge pénal se soit prononcé dans une instance correctionnelle engagée
sur la plainte de l'administration contre le contribuable pour fraude fiscale » 1619. Si le juge
fiscal n’est pas tenu de surseoir à statuer dans l’attente de la décision de son homologue, il ne
sera pas censuré s’il décide au contraire de prononcer une telle mesure. Dans un arrêt du 22
novembre 19721620, un contribuable a soulevé devant la Haute juridiction que le jugement par

demande par laquelle le contribuable, en introduisant une réclamation contentieuse devant le juge fiscal, sollicite
d’être dispensé du paiement de l’imposition contestée durant l’instruction de sa demande.
1613
C’est le cas notamment dans l’hypothèse très spécifique de la formulation par une partie d’une demande en
inscription de faux à l’encontre d’une pièce produite aux débats. Dans pareille situation, l’alinéa 2 de l’article R.
633-1 du CJA permet à la juridiction de surseoir à statuer jusqu’à ce que le tribunal compétent se soit prononcé
sur le faux.
1614
Il en est ainsi en cas de demande d’avis sur une question de droit nouvelle (art. L. 113-1 CJA) ou en cas de
transmission d’une QPC (art. 23-3 de l’ordonnance n°58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le
Conseil constitutionnel).
1615
Le BOFIP se réfère explicitement aux articles 378 et suivants du CPC.
1616
Art. 379 CPC.
1617
Art. 378 CPC.
1618
La notion « d’opposition au titre de perception » recouvre désormais celle de « réclamation de l’avis de mis
en recouvrement ». C’est la loi n°63-1316 du 27 décembre 1963 portant unification ou harmonisation des
procédures, délais et pénalités en matière fiscale qui a opéré ce changement terminologique.
1619
CE, 8ème et 7ème ss-sect., 10 novembre 1971, n 76985, Sté Samtex : Rec. Lebon, p. 667 ; Dr. fisc. 1973, n° 4,
comm. 128, concl. J. DELMAS-MARSALET.
1620
CE, 9ème et 7ème ss-sect., 22 novembre 1972, n°77490, Sté Transacier : Rec. Lebon, p. 744 ; Dr. fisc. 1973,
n°28, comm. 1053.

340
lequel un tribunal administratif avait fait droit à une demande de sursis à statuer dans l’attente
que la juridiction correctionnelle se soit prononcée sur les poursuites pour fraude fiscale
engagées contre les dirigeants de la société requérante, était entaché d’une erreur de droit. Le
Conseil d’État a balayé l’argument en confirmant que la faculté laissée au juge fiscal lui
permettait d’apprécier librement s’il y avait lieu de surseoir à statuer dans l’attente de la solution
du juge répressif. En définitive, le « Conseil d’État laisse les tribunaux administratifs libres de
surseoir à statuer en présence d’un contentieux répressif, mais ne les contraint en aucun cas à
le faire »1621. La position du juge fiscal à propos du sursis à statuer en raison d’un contentieux
répressif concomitant est constante1622 depuis les années 1970.

386. Critères déterminant le choix du juge fiscal. – Si cette position est perçue pour la
doctrine comme une « solution de compromis »1623 à laquelle il est aisée d’adhérer1624, elle ne
définit toutefois pas les critères conduisant le juge fiscal à faire le choix de surseoir à statuer
dans l’attente de la décision de la juridiction correctionnelle. Il peut être concevable que le juge
fiscal suspende sa décision lorsque la contestation du contribuable ne porte que sur les pénalités
fiscales prononcées par le fisc1625 ou lorsqu’il est saisi d’un abus de droit sur le fondement de
l’article L. 64 du livre des procédures fiscales. Ces qualifications font en effet la part belle à
l’intention frauduleuse du contribuable et requièrent du juge fiscal qu’il se prononce sur la
volonté de l’intéressé de tromper le fisc. Dans pareille hypothèse, la tâche du juge fiscal se
confondant avec celle du juge pénal1626, il est à craindre que le premier d’entre eux décide de
la pertinence des pénalités prononcées par le fisc au regard de la mauvaise foi du contribuable,
alors que le second prononce la relaxe du prévenu à défaut d’intention frauduleuse. Il est dans
ce cas recommandé au juge fiscal de surseoir à statuer dans le but de prévenir ces contrariétés

1621
G. KLEIN, La répression de la fraude fiscale, Étude sur le particularisme du droit pénal des impôts, op. cit.,
p. 132, n°155.
1622
CE, 7ème et 9ème ss-sect., 27 juin 1980, n°12388, Sté générale agricole, industrielle et commerciale : Dr.
fisc. n°48, 24 novembre 1980, comm. 2518 ; CE, 9ème et 8ème ss-sect., 6 mars 1985, n°29138, Gendre : RJF 5/1985,
n°790 ; CE, 21 décembre 1990, n°69013 ; CE, 30 juillet 2010, n°316757 et n°316758, Société Turbo’s Hoet Truck
Center et M. Hoet : Dr. fisc. 2010, n°50, comm. 597 ; RJF 11/2010, n°1010, concl. P. COLLIN au BDCF 11/2010,
n°114.
1623
C. DAVID, O. FOUQUET, B. PLAGNET ET P.-F. RACINE, Les grands arrêts de la jurisprudence fiscale :
Dalloz, 5ème éd., 2009, p. 980.
1624
G. KLEIN, La répression de la fraude fiscale, Étude sur le particularisme du droit pénal des impôts, op. cit.,
p. 130, n°152.
1625
Lorsqu’il saisit le juge fiscal, le contribuable peut classiquement invoquer à l’appui de sa demande un moyen
relatif à la régularité de la procédure d’imposition (légalité externe), un moyen relatif à son bien-fondé (légalité
interne) ou un moyen relatif aux pénalités prononcées par l’administration fiscale. V. supra, n°359.
1626
V. supra, n°85 et s.

341
de décisions. Plus fréquent est le prononcé – contestable – d’un sursis à statuer du juge des
impôts lorsque le dossier présenté par l’administration fiscale révèle des carences susceptibles
d’être comblées par les constatations du juge répressif. Dans l’arrêt précité du 22 novembre
1972, la société Transacier avait saisi le juge fiscal d’une opposition au titre de perception après
la découverte d’opérations fictives lui ayant permis de facturer à tort une TVA conséquente. Le
juge fiscal a décidé de surseoir à statuer dans l’attente de la décision du juge répressif, sur
laquelle il a ensuite pu s’appuyer pour « établir la réalité des faits relevés par l'administration
fiscale contre la société Transacier »1627. Finalement, le Conseil d’État n’énonce aucun critère
guidant le choix du juge fiscal dans sa décision de surseoir ou non à statuer dans l’attente de la
décision pénale. Cette solution révèle une utilisation pragmatique et raisonnée du sursis à statuer
et s’explique par de solides fondements.

§2. Les fondements de la liberté octroyée au juge fiscal

387. La décision de sursis à statuer : conséquence d’une question préjudicielle. – Le


mécanisme du sursis à statuer est intimement liée à la notion d’exception préjudicielle1628 dont
il est une conséquence. En effet, le prononcé d’un sursis à statuer suppose que le moyen soulevé
devant le juge relève d’une question préjudicielle échappant à sa compétence. Chaque tribunal
est investi d’un pouvoir juridictionnel propre, représentant le pouvoir « qui a été conféré au
juge – en général, et non à un juge particulier – de trancher les litiges en appliquant la règle
de droit »1629. Dans ce cadre, le juge administratif de l’impôt est compétent pour trancher
l’ensemble des contestations relatives à l’imposition1630, à l’exception toutefois des
contestations relatives aux contributions indirectes et assimilées relevant de la compétence du
juge judiciaire1631. La compétence du juge administratif est également gouvernée par deux
principes institués à l’article R. 312-3 du code de justice administrative. Le premier résulte de
la règle « le juge du principal est le juge de l’incident » selon laquelle le juge compétent pour
connaître de la demande principale l’est également pour les demandes accessoires, incidentes

1627
CE, 9ème et 7ème ss-sect., 22 novembre 1972, n°77490, Sté Transacier, préc.
1628
V. supra, n°307.
1629
P. THÉRY, Compétence, in D. ALLAND et S. RIALS (dir.), Dictionnaire de la culture juridique, Paris, PUF,
2003, p. 247 et spéc. p. 248.
1630
Le contentieux de l’imposition est divers et varié et regroupe différentes actions portant sur les opérations
d’assiette ou de liquidation. Le juge administratif est également compétent pour connaître des recours en
annulation formés contre des dispositions à caractère fiscal ou encore pour connaître des actions mettant en jeu la
responsabilité de l’État à raison du fonctionnement des services de l’administration fiscale.
1631
V. supra, n°4.

342
ou reconventionnelles. Le second procède de la maxime antique1632 « le juge de l’action est le
juge de l’exception », qui postule une plénitude de juridiction du juge administratif au sein de
l’ordre juridictionnel administratif1633.

388. Incompétence juridictionnelle. – Le versant « négatif » de la compétence


juridictionnelle correspond à « l’incompétence juridictionnelle »1634. Le juge est bien
compétent pour trancher le litige dont il est saisi au principal mais pour ce faire, il doit répondre
à une question qui ne relève pas de sa compétence naturelle1635. Dès lors, la question
préjudicielle1636 peut être définie comme celle « qui, nécessaire à l’examen au fond du litige,
doit être tranchée, non par la juridiction saisie, mais par le tribunal ayant compétence exclusive
pour en connaître »1637. Il est donc des questions qui, relevant de la compétence exclusive des
tribunaux judiciaires, justifient à ce titre un sursis à statuer du juge administratif. Loin de
reposer sur le principe général de la séparation des autorités administrative et judiciaire1638, les
renvois préjudiciels effectués par le juge administratif prennent habituellement appui sur un
texte spécifique attributif de compétence à l’autorité judiciaire. Ainsi en est-il des questions
relatives à la nationalité, relevant, aux termes de l’alinéa 2 de l’article 29 du code civil, de la

1632
Le Livre II, titre I du Digeste de Justinien posait déjà les bases de maxime en ces termes : « celui à qui on a
accordé la juridiction, a aussi tout ce qui est nécessaire pour l’exercer ». V. H. HULOT et J.-F. BERTHELOT,
Les cinquante livres du Digeste ou des Pandectes de l’Empereur Justinien, T. I, Metz, Chez Behmer et Lamort,
1803, p. 108. V. pour un historique plus complet à ce sujet : G. LEBRUN, Office du juge administratif et questions
préjudicielles : Thèse, Bordeaux, 2014, p. 107, n°118.
1633
La plénitude de juridiction du juge administratif se limite aux questions entrant dans la compétence de la
juridiction administrative, contrairement à celle reconnue au juge pénal : V. supra, n°307, note n°1332.
1634
V. pour plus de développements à ce sujet : G. LEBRUN, Office du juge administratif et questions
préjudicielles : Thèse, Bordeaux, 2014, p. 100 et s, n°113 et s.
1635
F. KERNALEGUEN, Ariane chez Thémis : Propos sur l’incompétence du juge : in Mélanges dédiés à la
mémoire du Doyen Jacques Héron, Paris, Lextenso, LGDJ, 2009, p. 281 et spéc. p. 283.
1636
Les questions préjudicielles se distinguent des questions préalables qui, comme les premières (le terme de
« préjudiciel » évoque la circonstance que la question doit précéder le jugement) préjugent la solution d’un litige,
mais s’en distinguent comme pouvant être résolues directement par le juge saisi du litige, soit dans la décision
tranchant le fond du litige, soit dans une décision antérieure : V. pour plus de développements sur cette distinction :
E. LAFERRIÈRE, Traité de la juridiction administrative et des recours contentieux, t. I, 2ème éd., Paris, Berger-
Levrault et Cie, 1896, p. 492.
1637
F. LEBORGNE, Question préjudicielle : in L. CADIET (dir.), Dictionnaire de la justice, Paris, PUF, 2004, p.
1117.
1638
Après avoir retracé les racines historiques de ce principe, Monsieur G. LEBRUN démontre que cette
répartition, qui interdit seulement au juge judiciaire de connaître des affaires de l’administration, ne saurait être le
fondement de l’existence des questions préjudicielles posées par le juge administratif aux tribunaux judiciaires (V.
pour une position contraire, D. GRANJON, Les questions préjudicielles : AJDA 1968, p. 75 et spéc. p. 78).

343
compétence exclusive des tribunaux civils1639. Dans d’autres hypothèses, le juge administratif
décèle une question préjudicielle en l’absence de toute disposition octroyant une compétence
spécifique à la juridiction judiciaire. Il s’agit de questions devant par nature être résolues par
les tribunaux judiciaires1640.

389. Exception de l’article L. 16 B du livre des procédures fiscales. – Pour se prononcer


sur la requête présentée par le contribuable, la tâche du juge des impôts nécessite-t-elle de
répondre à une question relevant de la compétence exclusive du juge répressif ? Bien souvent,
une réponse négative peut être apportée à cette interrogation. Ainsi que l’indique certaines
décisions, aucune disposition législative ou réglementaire ne fait obligation au juge
administratif de surseoir à statuer sur le litige dont il est saisi jusqu’à l’aboutissement de
poursuites pénales engagées par le ministère public1641. Pour se prononcer sur la requête du
contribuable, nul besoin pour le juge des impôts de se référer aux lois pénales. La juridiction
fiscale est naturellement1642 compétente pour se prononcer sur l’interprétation de la loi
fiscale1643. En d’autres termes, la liberté accordée au juge de l’impôt dans le prononcé d’un
sursis à statuer en présence d’un contentieux répressif concomitant résulte de l’absence de
règles attribuant une compétence exclusive à la juridiction judiciaire pour se prononcer sur la
matérialité de la fraude. Si la décision du juge fiscal ne nécessite pas d’attendre l’issue des
poursuites répressives diligentées à l’encontre du contribuable, il en est autrement lorsque le
redressement qui lui est infligé est basé sur des pièces de nature pénale dont la régularité est
contestée. La régularité de la procédure d’imposition nécessite alors de répondre à des questions
revêtant un caractère préjudiciel. Cette hypothèse est illustrée par un arrêt rendu le 27 juin

1639
V. pour d’autres exemples, G. LEBRUN, Office du juge administratif et questions préjudicielles, op. cit., p.
389 et 390, n°538.
1640
À titre d’exemple, le juge administratif voit dans les questions relatives à la propriété une matière judiciaire
par nature. V. en ce sens, J.-F. FLAUSS, Les questions préjudicielles et le principe de la séparation des autorités
administrative et judiciaire : Thèse dact., Strasbourg, 1976, p. 20. ; C. LAVIALLE, Le juge administratif et
l’exception de propriété : RFDA, 2004, p. 497 et spéc. p. 504. V. également : Cass. civ., 3ème, 20 juin 2007,
Consorts X., n°06-12569 : « le juge judiciaire, juge naturel de la propriété́ privée, est seul compétent pour
connaître des litiges relatifs aux demandes de rétrocessions » ; Cass. civ., 3ème, 10 juillet 2013, n°12-13362 ; CAA
Marseille, 6ème ch., 26 mars 2012, Société Immobilière du Ceinturon, n°09MA02992.
1641
V. par exemple, CE, 9ème et 8ème ss-sect., 6 mars 1985, n°29138, Gendre, préc.
1642
Monsieur P. WEIL dans sa thèse indiquait que « chaque question de droit a, en France, un juge naturel » : P.
WEIL, Les conséquences de l’annulation d’un acte administratif pour excès de pouvoir : Thèse, Paris, Jouve,
1952, p. 82. V. pour plus de développements sur la question du juge naturel : G. LEBRUN, Office du juge
administratif et questions préjudicielles, op. cit., p. 401 et s., n°554 et s.
1643
V. supra, n°60 et s.

344
19801644 par le Conseil d’État. À l’origine de l’affaire, l’administration fiscale a reproché à la
société anonyme Général agricole, industrielle et commerciale d’avoir tenu une comptabilité
occulte, retraçant des achats et des ventes sans factures qui ont été soustraits à la TVA. La
société a sollicité du juge fiscal la décharge de la pénalité qui lui avait été infligée, arguant de
sa bonne foi et de l’absence de manœuvres frauduleuses. Au soutien de son pourvoi devant la
Haute juridiction, la société a soutenu que le tribunal administratif aurait dû surseoir à statuer
jusqu’à ce que la juridiction répressive, saisie de poursuites pour fraude fiscale, se soit
prononcée sur la régularité d’actes de la procédure pénale à l’origine du redressement fiscal
dont elle avait fait l’objet. Pour conforter le refus du juge du fond de surseoir à statuer, le
Conseil d’État s’est attaché à démontrer que le redressement du fisc n’était pas fondé sur les
pièces pénales dont la société contestait la régularité, mais sur la procédure de vérification et de
contrôle fiscal diligentée par l’administration fiscale. Dès lors que les actes de la procédure
pénale étaient « dépourvus de tout lien de droit avec la procédure » fiscale « d’où procède le
redressement litigieux », le juge des impôts n’était pas tenu de surseoir à statuer dans l’attente
de la décision de la juridiction correctionnelle. Une lecture a contrario de cette décision laisse
à penser qu’il en serait autrement dans le cas où le redressement de l’administration fiscale est
directement fondé sur des pièces issues de la procédure pénale et dont la régularité est contestée
par le contribuable. Cette configuration a trouvé un écho à l’article L. 16 B du livre des
procédures fiscales, définissant les conditions dans lesquelles l’administration fiscale peut
procéder à des visites domiciliaires chez les contribuables. Le quatrième alinéa du
cinquièmement de la disposition donne compétence exclusive au juge judiciaire pour connaître
des recours contre le déroulement des opérations d’investigation1645. La contestation de la
régularité d’une visite domiciliaire effectuée sur le fondement de ce texte par le fisc échappant
à la compétence du juge des impôts, celui-ci est tenu de surseoir à statuer dans l’attente de la
décision du juge judiciaire1646. L’existence d’une telle exception préjudicielle demeure
subordonnée à la circonstance que le redressement fiscal ait été effectué sur le fondement des

1644
CE, 7ème et 9ème ss-sect., 27 juin 1980, n°12388, Sté générale agricole, industrielle et commerciale : Dr.
fisc. n°48, 24 novembre 1980, comm. 2518.
1645
Art. L. 16 B LPF, V, 4ème al. : « Le premier président de la cour d'appel dans le ressort de laquelle le juge a
autorisé la mesure connaît des recours contre le déroulement des opérations de visite ou de saisie. Les parties ne
sont pas tenues de constituer avocat ».
1646
V. en ce sens, S. DETRAZ, Les conséquences fiscales de l'irrégularité des saisies opérées en application de
l'article L. 16 B du LPF : Dr. fisc. n°14, 2 avril 2015, comm. 236.

345
pièces dont la régularité est contestée par le contribuable1647. C’est déjà ici aborder les
incidences du régime probatoire sur le litige fiscal.

SECTION II. L’INCIDENCE DU RÉGIME PROBATOIRE

390. Incidences des irrégularités de la procédure pénale. – Pour redresser le contribuable,


l’administration fiscale est susceptible de se fonder sur des éléments résultant des moyens
d’investigation mis à la disposition des enquêteurs1648. Le contribuable peut déceler une
irrégularité dans un acte réalisé dans le cadre de la procédure pénale. À l’appui d’un recours
contentieux devant le juge des impôts, le requérant est-il recevable à invoquer la nullité d’un
acte de la procédure pénale ? Le cas échéant, cette exception de nullité est-elle susceptible
d’entraîner l’annulation du redressement dont il a fait l’objet ? La réponse à ces interrogations
varie selon que le juge répressif a ou non préalablement statué sur la nullité invoquée par le
contribuable. Dans la première hypothèse, le contribuable invoque la nullité d’une pièce issue
de la procédure pénale en l’absence de toute décision de la juridiction répressive 1649 (Sous-
section II). Dans la seconde, l’administration fiscale utilise des pièces ultérieurement frappées
de nullité par le juge correctionnel (Sous-section I).

SOUS-SECTION I. EN L’ABSENCE D’UNE DÉCISION D’ANNULATION DU


JUGE RÉPRESSIF

391. Évolution du cadre juridique des perquisitions de l’administration fiscale. – Dans


cette première configuration, l’irrégularité d’un acte de procédure pénale est soulevée sans que
le juge pénal n’ait été saisi de la question dans le cadre des poursuites parallèlement engagées.
En l’absence de toute décision de la juridiction répressive, le juge fiscal peut-il se saisir d’une
nullité concernant un acte de nature pénale ? Un abondant contentieux s’est développé à propos
des saisies domiciliaires réalisées par les services fiscaux. Avant que la loi de finances de
19851650 instaure au profit de l’administration fiscale un droit de perquisition afin de rechercher

1647
CE, 7ème et 9ème ss-sect., 27 juin 1980, n°12388, Sté générale agricole, industrielle et commerciale, préc.
1648
V. supra, n°161 et s.
1649
La décision dont il est question ici se distingue de celle évoquée dans la section II. Il s’agit ici non pas de la
décision sur le fond statuant sur la culpabilité du contribuable mais seulement d’une décision évoquant la régularité
d’un acte de nature pénale.
1650
Loi n°84-1208 du 29 décembre 1984 de finances pour 1985.

346
les preuves d’infractions en matière d’impôts directs et de TVA, les agents du fisc avaient pris
l’habitude de se fonder sur l’ordonnance du 30 juin 1945 relative à la constatation, à la poursuite
et à la répression des infractions à la législation économique1651 pour effectuer des visites chez
les contribuables. Depuis la loi n°84-1208 du 29 décembre 1984 de finances pour 19851652,
l’article L. 16 B du livre des procédures fiscales confère à l’administration fiscale un droit de
visite et de saisie en tous lieux, même privés, lorsque l’autorité judiciaire confirme l’existence
d’une présomption de fraude1653. L’attitude du juge fiscal à l’encontre des irrégularités pénales
a évolué au gré de cette modification législative, si bien qu’il est nécessaire de scinder la
situation antérieure (§1) et postérieure (§2) à l’entrée en vigueur de cette disposition.

§1. La situation antérieure à l’entrée en vigueur de l’article L. 16 B du LPF

392. Étanchéité totale des procédures. – Selon une position classique du juge fiscal, les
irrégularités pouvant affecter la procédure pénale n’emportaient aucune conséquence sur la
procédure fiscale (A). Seule l’hypothèse d’un détournement de procédure de l’administration
fiscale était de nature à justifier sa compétence (B).

1651
Ordonnance n°45-1484 du 30 juin 1945 relative à la constatation, la poursuite et la répression des infractions
à la législation économique.
1652
Art. 94 de la loi n°84-1208 du 29 décembre 1984 de finances pour 1985, respectant les exigences
constitutionnelles (Cons. const., DC, 29 décembre 1984, n°84‐184). Antérieurement, le législateur avait tenté
d’instaurer cette prérogative lors de la loi de finances pour 1984 (loi n°83-1179 du 29 décembre 1983 de finances
pour 1984) en ajoutant à l’article 1er de l’ordonnance n°45-1484 du 30 juin 1945 une compétence aux agents pour
constater les infractions fiscales. Mais la disposition n’a pas résisté à l’examen du Conseil constitutionnel dans le
cadre de son contrôle de constitutionnalité a priori. Dans une décision du 29 décembre 1984 (Cons. const., DC,
29 décembre 1983, n°83-164 : JCP G 1984. II. 20160, note R. DRAGO et A. DECOCQ ; AJDA 1984, p. 97, note
L. PHILIP), le Conseil a invalidé la disposition au motif que le texte ne précisait pas clairement le domaine ouvert
aux investigations, qu’il n’assignait pas de façon explicite au juge ayant le pouvoir d'autoriser les investigations
des agents de l'administration la mission de vérifier de façon concrète le bien-fondé de la demande qui lui est
soumise, qu’il passait sous silence les possibilités d'intervention et de contrôle de l'autorité judiciaire dans le
déroulement des opérations autorisées et, qu'enfin, il n'interdisait pas une interprétation selon laquelle seules les
visites effectuées dans des locaux servant exclusivement à l'habitation devraient être spécialement autorisées par
le juge, de telle sorte que, a contrario, les visites opérées dans d'autres locaux pourraient donner lieu à des
autorisations générales (considérant n°29).
1653
C. LOPEZ, Le droit de visite et de saisie, une procédure d'investigation de l'administration fiscale : Dr. fisc.
2014, n°51-52, comm. 698.

347
A) L’impossibilité pour le juge fiscal d’apprécier la régularité de la procédure pénale

393. Refus d’apprécier la régularité de la procédure pénale. – Lorsqu’un contribuable


invoque, à l’appui de sa requête en décharge des impositions, un moyen relatif à l’irrégularité
de la procédure pénale, la juridiction fiscale se refuse à en connaître. Elle « considère qu’il ne
lui appartient pas d’apprécier la régularité de la procédure accomplie »1654. Cette position
ressort d’anciens arrêts1655 du Conseil d’État, notamment un en date du 6 avril 19871656. En
l’espèce, l’administration fiscale avait reconstitué le chiffre d’affaires d’un contribuable à l’aide
de documents saisis au cours d’une perquisition dont elle avait pu avoir connaissance par
l’exercice de son droit de communication. Sur cette base, le contribuable a été assujetti à des
cotisations supplémentaires au titre de l’imposition sur le revenu. À l’appui d’un recours devant
les juridictions administratives, il a invoqué un moyen relatif à l’irrégularité de la perquisition,
dont le juge fiscal a catégoriquement refusé de se saisir. Selon les termes de l’arrêt, la
perquisition ne constituant pas « un élément de la procédure d'imposition », le contribuable « ne
peut utilement se prévaloir des irrégularités dont elle aurait, selon lui, été entachée pour
demander la décharge des compléments d'impôt ». Cette justification n’est guère satisfaisante
dans la mesure où il résulte des termes mêmes de l’arrêt que « l’administration fiscale s’est
fondée sur des documents qui avaient été saisis au cours d’une perquisition effectuée chez le
contribuable ». L’opération pénale avait donc servi de support aux redressements de
l’administration fiscale. En conséquence, l’acte d’investigation devait s’incorporer à la
procédure fiscale, indépendamment de sa nature initialement pénale. Aux yeux du juge fiscal,
il en va ainsi seulement lorsque la perquisition a été effectuée dans un but exclusivement fiscal,
la situation relevant alors du détournement de procédure.

B) L’exception résultant d’un détournement de procédure

394. Notion de détournement de procédure. – Avant l’entrée en vigueur de l’article L. 16


B du livre des procédures fiscales, l’administration fiscale ne disposait d’aucun cadre juridique
lui permettant de visiter les locaux des contribuables. Aussi les services fiscaux avaient-ils pris

1654
L. AYRAULT, Le contrôle juridictionnel de la régularité de la procédure d'imposition, op. cit., p. 251.
1655
V. également, CE, 6 mars 1968, n°71446, Sieur Philip : Dr. fisc. 1968, n°18, comm. 683 ; CE, 9ème et 7ème ss-
sect., 26 juillet 1991, n°79871, Renou.
1656
CE, 7ème et 8ème sous-sect., 6 avril 1987, n°59653 : Dr. fisc. 1987, n°28, comm. 1327 ; RJF 1987, n°650.

348
l’habitude de se fonder sur l’ordonnance du 30 juin 19451657 pour procéder à des visites à
l’intérieur des habitations sur simple habilitation du directeur général du commerce intérieur et
des prix. Une telle pratique caractérise un détournement de procédure1658, en ce que
l’administration fiscale intervient sous couvert d’une procédure non fiscale à des fins
exclusivement fiscales. Le juge administratif a reconnu ces détournements en matière de
contentieux général, d’abord dans le cadre du contentieux de la légalité1659 puis dans celui de
pleine juridiction1660. En matière fiscale, l’hypothèse a depuis longtemps été envisagée par le
juge administratif, sans toutefois que celui-ci ne considère comme établi le détournement opéré
par les agents du fisc1661. Il faudra attendre trois arrêts de principe du 11 février 1987 1662 pour
que le juge fiscal caractérise pour la première fois l’existence d’un détournement de
procédure1663.

395. Compétence de principe du juge fiscal en présence d’un détournement de


procédure de l’administration fiscale. – Dans la première espèce, une perquisition effectuée

1657
Art. 16, al. 5 de l’ordonnance n°45-1484 du 30 juin 1945 relative à la constatation, la poursuite et la répression
des infractions à la législation économique.
1658
V. en ce sens, L. AYRAULT, Le contrôle juridictionnel de la régularité de la procédure d'imposition : Thèse,
op. cit., p. 236 et s ; CE, Section, Avis, 1er mars 1996, n°174 245 et 174 246, SARL France Finibeton et n°174
244, M. Égot : Conclusions de M. le commissaire du Gouvernement F. LOLOUM : Dr. fisc. n°39, 25 septembre
1996, comm. 1153 ; J. BRANDEAU, Poursuites pour fraude fiscale et détournement de procédure : LPA, 7 juillet
2000, p. 4 ; S. RAIMBAULT DE FONTAINE, Du principe d’indépendance des contentieux pénal et fiscal à l’unité
des procédures fiscales répressives, op. cit., p. 119.
1659
CE, Ass., 24 juin 1960, n°42289, Société Frampar et Société France-Éditions : Rec. CE 1960, p. 412, concl.
HEUMANN ; D. 1960, p. 744, note ROBERT ; S. 1960, p. 348, note DEBBASCH ; JCP G 1960. II. 11743, note
GOUR ; AJDA 1960, 1, p. 154, chron. M. COMBARNOUS et J.-M. GALABERT.
1660
CE, Section, 10 février 1984, n°27031, Ministre de l’agriculture c/ Société les fils de Henri Ramel : Rec. CE
1984, p. 54, concl. R. DENOIX DE SAINT-MARC. Dans le contentieux de pleine juridiction (ou recours de plein
contentieux), le juge administratif peut non seulement annuler la décision de l’administration mais également
substituer son appréciation à celle de l'autorité décisionnaire. Ce contentieux vise à obtenir du juge rétablissement
d’une situation juridique. Dans le contentieux de la légalité, le juge peut seulement annuler l’acte déféré par le
requérant en présence d’un excès de pouvoir. Le contentieux fiscal appartient au « plein contentieux objectif ».
Comme le recours pour excès de pouvoir, il s’apparente à un contentieux de légalité mais s’en démarque par les
pouvoirs conférés au juge fiscal qui ne se limitent pas à l’annulation de l’acte (V. pour plus de développements à
ce sujet : C. BROYELLE, Contentieux administratif, préc., n°65 et s., ; E. LAFERRIERE, Traité de la juridiction
administrative et des recours contentieux, Berger-Levrault et Cie, 1ère éd., 1887, T. 1, p. 15 et s.
1661
CE, 13 novembre 1968, n°60843, Rec. Lebon p. 568 ; CE, 5 novembre 1984, n°36598 et 6599 : RJF 1/85,
comm. 119, p. 74 et 75 ; CE, 7ème et 8ème ss-sect., 16 juin 1982, n°25804 ; CE, 7ème et 8ème ss-sect., 4 novembre
1983, n°28071.
1662
CE, plén., 11 février 1987, n°55363, Sté de fait Goujon-Vessat ; CE, plén., 11 février 1987, n°40.565, M. Bon :
CE, plén., 11 février 1987, n°59652, M. Passicoussel : Rec. CE 1987, p. 40 ; Dr. fisc. 1987, n°44, comm. 1985,
concl. M. de GUILLENSCHMIDT ; RJF 4/1987, n°414.
1663
En réalité, le juge fiscal a reconnu l’existence d’un détournement de procédure dans les deux premiers arrêts
(M. Bon et Société de fait Goujon-Vessat) et a réfuté cette qualification dans la troisième espèce (M. Passicoussel).

349
par des agents de la brigade de la direction nationale d’enquêtes fiscales agissant à la requête
du directeur général de la concurrence et des prix a permis la découverte d’une comptabilité
occulte d’une société de fait. Durant la perquisition, les fonctionnaires de l’administration
s’étaient comportés, non comme des agents de la police économique mais comme de véritables
agents vérificateurs. Tandis que le procès-verbal de la perquisition mentionnait que la mesure
tendait à rechercher les preuves de l’introduction irrégulière de boissons et de denrées
alimentaires dans l’hôtel restaurant exploité par la société, ce même procès-verbal, établi plus
de sept mois après la visite du fisc, mentionnait qu’aucun produit frauduleux n’avait été
découvert et qu’avaient seuls été relevés des manquements à l’obligation de délivrer des
factures. Relevant que l’administration avait en réalité utilisé la procédure de perquisition de
l’ordonnance du 30 juin 1945 « à la seule fin de rechercher les preuves d’infractions à la
législation relative à la taxe sur la valeur ajoutée », le juge fiscal a estimé qu’elle avait détourné
la procédure, entachant d’irrégularité le redressement fiscal subséquent. Dans la deuxième
espèce, les agents du Trésor, agissant sur le fondement de l’ordonnance précitée, ont saisi lors
d’une perquisition effectuée au domicile d’un hôtelier-restaurateur des feuillets retraçant le
chiffre d’affaires « officiel » et le chiffre d’affaires « sans facture » de son entreprise. Le
contribuable demandait au juge fiscal la décharge des impositions mises à sa charge sur la base
de ces documents, invoquant un détournement de procédure de l’administration fiscale.
Constatant que le fisc ne pouvait donner au juge des impôts « aucune indication sur la nature
et le sérieux des soupçons de fraude en matière de contributions indirectes ou d’infractions à
la législation économique », pourtant « nécessaires pour légitimer une intervention
administrative forcée au domicile du contribuable »1664, le juge des impôts a admis l’existence
d’un détournement de procédure de nature à décharger le contribuable des compléments de taxe
sur la valeur ajoutée et des pénalités afférentes prononcés à son encontre. Ces deux décisions
admettent une compétence de principe du juge fiscal pour apprécier la régularité d’une
procédure de nature pénale en présence d’un détournement de procédure de l’administration
fiscale. Les agissements de l’administration sont si condamnables que la censure de cette
hypothèse apparaît comme « un élément indispensable de moralité administrative et de vérité
juridique »1665. Cette position révèle un assouplissement certain de l’indépendance des
procédures en permettant la reconnaissance de « liens de fait ayant pu exister entre » 1666 elles.

1664
CE, plén., 11 février 1987, n°40.565, M. Bon, préc.
1665
CE, 24 juin 1960, SARL « Le Monde » et Société Frampar, concl. M. HEUMANN : Rec. Lebon p. 412.
1666
S. RAIMBAULT DE FONTAINE, Du principe d’indépendance des contentieux pénal et fiscal à l’unité des
procédures fiscales répressives, op. cit., p. 119.

350
396. Retour au droit commun à défaut de détournement de procédure. – Toutefois, en
dehors de cette hypothèse, la position classique du juge fiscal selon laquelle celui-ci ne saurait
apprécier la régularité de l’opération pénale demeure applicable, en témoigne la troisième
espèce soumise à l’examen du Conseil d’État le 11 février 1987. Dans cette affaire,
l’administration fiscale avait reconstitué le chiffre d’affaires d’un antiquaire sur la base de
documents saisis au cours d’une perquisition effectuée chez le contribuable sur le fondement
de l'ordonnance du 30 juin 1945. La juridiction administrative a rejeté la qualification de
détournement de procédure en relevant que les circonstances de l’espèce ne démontraient pas
que la mesure avait été effectuée « à seule fin de permettre des redressements fiscaux »1667. Du
reste, elle a classiquement considéré que le contribuable ne pouvait utilement se prévaloir des
irrégularités de la perquisition, dès lors que celle-ci « ne constitue pas un élément de la
procédure d'imposition ». Les pouvoirs du juge fiscal ont par la suite évolué avec la création au
profit de l’administration d’un droit de visite et de saisie.

§2. La situation postérieure à l’entrée en vigueur de l’article L. 16 B du LPF

397. Une compétence du juge fiscal initialement admise. – Créé par la loi n°84-1208 du
29 décembre 1984 de finances pour 1985, l’article L. 16 B du livre des procédures fiscales
confère aux agents de l’administration des impôts un véritable droit de perquisition, sur le
fondement duquel ceux-ci peuvent visiter des lieux1668 et y saisir des pièces ou documents
démontrant l’existence d’une fraude. Dans le silence de la version initiale de la disposition
précitée, le juge des impôts s’est estimé compétent pour apprécier la régularité de la visite
diligentée par l’administration fiscale. La jurisprudence a en effet rapidement considéré que la
procédure instituée étant, sinon « de nature fiscale »1669, du moins une « étape de la procédure

1667
Le rapporteur public nous apprend qu’une transaction était intervenue en matière économique, « ce qui
justifiait a posteriori la perquisition » : Dr. fisc. 1987, n°44, comm. 1985, concl. M. de GUILLENSCHMIDT.
1668
Aux termes de l’article L. 16 B du livre des procédures fiscales, les opérations peuvent se dérouler « en tous
lieux, même privés, où les pièces et documents s'y rapportant sont susceptibles d'être détenus ou d'être accessibles
ou disponibles et procéder à leur saisie, quel qu'en soit le support ». Ainsi, dès lors que l’autorité judiciaire
confirme l’existence de présomptions de fraude, tout lieu peut être visité, y compris le domicile du contribuable.
La visite peut également concerner un tiers chez lequel le fisc peut trouver des documents utiles à la preuve des
agissements présumés (Cass. com., 27 septembre 2017, n°16‐20.690).
1669
CE, Section, Avis, 1er mars 1996, n°174245 et 174246, SARL Finibéton, préc.

351
d’imposition concourant à la décision d’imposition de l’intéressé »1670, « les dispositions du
code de procédure pénale relatives aux perquisitions »1671 ne lui étaient pas applicables. En
conséquence, la compétence du juge des impôts pouvait être admise selon une distinction
capitale1672 entre le contentieux de l’autorisation de la mesure et celui de son exécution. En ce
qui concerne d’une part, l’autorisation de la perquisition, l’article L. 16 B du livre des
procédures fiscales prévoyait dès son entrée en vigueur que l’ordonnance par laquelle le
président du tribunal de grande instance autorisait la visite n’était « susceptible que d’un
pourvoi en cassation selon les règles prévues par le code de procédure pénale »1673. Sur la base
de cette disposition, la jurisprudence a naturellement écarté la compétence du juge des impôts
pour se prononcer sur la contestation de l’ordonnance ayant autorisé la perquisition1674.
S’agissant d’autre part du contentieux de l’exécution de la mesure, la jurisprudence a
confusément reconnu au juge des impôts compétence pour connaître des contestations émises
par les contribuables. Alors qu’initialement la Cour de cassation avait décidé de conférer à la
juridiction ayant délivré l’autorisation le pouvoir – exorbitant1675 – de juger de la régularité du
déroulement des opérations1676, elle a ensuite jugé que « sa mission s’achève à la fin des
opérations (…) et qu'il ne peut être saisi a posteriori d'une éventuelle irrégularité entachant »
les opérations1677. Tout en retirant la compétence du président du tribunal, la chambre

1670
CE, 10ème et 9ème ss-sect, 23 juin 2014, n°360708, Min. c/ Sté Groupement Charbonnier Montdiderien : Dr.
fisc. 2014, n°43-44, comm. 598, concl. F. ALADJIDI, note O. FOUQUET ; RJF 10/2014, n°925 ; E. BOKDAM-
TOGNETTI, Régime des sociétés mères et abus de droit : de l’arrêt Société Pléiade à l’arrêt Groupement
charbonnier Montdiderien, retour sur dix ans de jurisprudence du Conseil d’État : Dr. fisc. 2014, n°41, comm.
566 ; CE, 10ème et 9ème ss-sect., 22 octobre 2012, n°326806, SARL Phuong Hoang : Dr. fisc. 2013, n°7, comm. 160,
concl. É. CRÉPEY, note R. TORLET et A. TAILFER ; RJF 1/2013, n° 65, BDCF 1/2013, n°8 ; CE, 16 mars 2016,
n°374909.
1671
Cass. com., 20 février 1996, n°94-16.246, M. Duret : Dr. fisc. 1996, n°20, comm. 640.
1672
V. en ce sens, S. DETRAZ, Les conséquences fiscales de l'irrégularité des saisies opérées en application de
l'article L. 16 B du LPF : op. cit. ; V. aussi BOFIP, « Droit de communication et procédures de recherche -
Procédures de recherche et lutte contre la fraude - Droit de visite et de saisie », 12 septembre 2012, BOI-CF-COM-
20-20.
1673
Version en vigueur du 1er janvier 1985 jusqu’au 6 août 2008 (modification par la loi n°2008-776 du 4 août
2008 de modernisation de l'économie).
1674
CE, 9ème et 10ème ss-sect., 6 août 2008, n° 274621, Min. c/ M. Amsellem : Dr. fisc. 2008, n° 40, comm. 525,
concl. L. VALLÉE.
1675
S. DETRAZ, Les conséquences fiscales de l'irrégularité des saisies opérées en application de l'article L. 16 B
du LPF, op. cit.
1676
Cass. com., 13 octobre 1992, n°91-14.968.
1677
Cass. com., 18 avril 2000, n°98-30.039, M. Jacobson et n°98-30.146, M. Asquini : RJF 2000, n° 951. Le même
revirement avait eu lieu un an auparavant s’agissant des visites effectuées en droit de la concurrence sur le
fondement de l’article L. 450-4 du code de commerce : Cass. com., 30 novembre 1999, n°98-30.002, Sté Sogea et
n°98- 30.005, Sté Bec Frères : Bull. civ. IV 1999, n°214 ; RJF 3/2000, n°373 ; JCP E 2000, p. 1091, note B.

352
commerciale a également précisé que les contestations s’élevant contre le déroulement de la
mesure devaient être portées devant les autorités « appelées à statuer sur les poursuites
éventuellement engagées sur le fondement des documents ainsi appréhendés »1678. Tant le juge
de l’impôt, qualifié pour statuer sur les redressements fondés sur les documents saisis par le
fisc, que le juge répressif, susceptible d’être saisi de poursuites correctionnelles à l’encontre du
prévenu, étaient donc compétents pour se prononcer sur la régularité des opérations de
visites1679.

398. Une compétence du juge fiscal désormais écartée. – Cependant, en l’absence de


redressement subséquent, le contribuable ayant fait l’objet d’une visite sur le fondement de
l’article L. 16 B du livre des procédures fiscales se voyait privé de toute possibilité d’en
contester le déroulement. La privation de voie de recours qui en résultait a été jugée contraire
aux articles 6 et 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des
libertés fondamentales par une décision Ravon de la Cour européenne du 21 février 20081680.
En réponse, la loi de modernisation de l’économie du 4 août 20081681 a modifié les termes de
l’article précité, en donnant compétence au premier président de la cour d’appel pour connaître,
tant de l’appel contre l’ordonnance autorisant la mesure1682, que des recours contre le
déroulement des opérations de visite ou de saisie1683. Désormais, la régularité des opérations de

BOULOC ; LPA 20 juillet 2000, p. 24, obs. M. PETITIER ; B. HATOUX, À propos d'arrêts de la Cour de cassation
en matière de visites domiciliaires. Un revirement inutile ? : RJF 3/2000, p. 209.
1678
Ibid.
1679
CE, 9ème et 10ème ss-sect., 10 mai 2007, n°298590, Winkler : Dr. fisc. 2007, n°52, comm. 1094, note J.-L.
PIERRE ; RJF 8-9/2007, n°976 ; BDCF 8-9/2007, n°103, concl. L. VALLÉE.
1680
Cour EDH, 3ème sect., 21 février 2008, Ravon et a. c/ France, req. n°18497/03 : Dr. fisc. 2008, n°12, comm.
227, note D. RAVON et C. LOUIT ; RSC 2008, p. 598, note H. MATSOPOULOU ; RJF 5/2008, n°571, chron.
B. HATOUX, p. 454 et s. et p. 552 et s. ; V. L. AYRAULT, Droit fiscal européen des droits de l'homme : chronique
de l'année 2008 : Dr. fisc. 2009, n°9, 22. Dans cette espèce, l'administration fiscale avait effectué des visites et
saisies dans les locaux de sociétés soupçonnées de fraude fiscale, ainsi qu'au domicile de Monsieur Ravon. Le
requérant s'est plaint d’une violation des articles 6 et 8 de la Convention en invoquant le défaut d’accès à un recours
effectif pour contester la régularité des visites et saisies domiciliaires dont il avait fait l'objet. Selon la Cour
européenne, le requérant n’avait pas bénéficié d’un « contrôle juridictionnel effectif » (Cour EDH, 3ème sect., 21
février 2008, Ravon et a. c/ France, préc. §28). Elle a notamment remarqué que le revirement de la jurisprudence
de la Cour de cassation supposait que « des poursuites soient subséquemment engagées contre les intéressés »
pour invoquer une irrégularité entachant les opérations de perquisitions et de saisies (§31 et 32). V. également,
Cour EDH, 5ème sect., 24 juillet 2008, André et a., req. n°18603/03 : Dr. fisc. 2008, n° 43, comm. 552, note C.
LOUIT ; Cour EDH, 18 septembre 2008, Kandler e. a c/ France, req. n° 18659/05 ; Cour EDH, 16 octobre 2008,
Maschino c/ Franc, req. n°10447/03 : Dr. fisc. 2008, n°44, act. 319.
1681
Loi n°2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l'économie.
1682
Art. L. 16 B LPF, II, al. 18 (Version en vigueur du 6 août 2008 au 1 er janvier 2009).
1683
Art. L. 16 B LPF, V, al. 4 (Version en vigueur du 6 août 2008 au 1 er janvier 2009).

353
visite et de saisie ne peut être soulevée devant le juge des impôts1684. En conclusion, outre
l’hypothèse dans laquelle les investigations de l’administration fiscale procèdent du
détournement de procédure1685, le juge fiscal est « démuni de toute possibilité de s’intéresser à
la violation des prescriptions de l’article L. 16 B du livre des procédures fiscales »1686.

399. Étendue de l’incompétence. – Ainsi, le moyen tiré de l’irrégularité des opérations de


visite autorisées par l’autorité judiciaire est inopérant devant le juge des impôts. Cette
attribution de compétence s’applique non seulement aux contestations invoquées par la
personne dont les locaux sont visités1687 mais aussi par les tiers, c’est-à-dire les personnes à
l’encontre desquelles il n’existe pas de présomptions de fraude et pour lesquelles la mesure n’a
pas été autorisée par le juge judiciaire. Cette solution résulte d’un arrêt Smalto rendu le 27 juillet
2015 par le Conseil d’État1688. Dans cette espèce, des perquisitions avaient été autorisées dans
certains sièges sociaux de la société du nom éponyme, suspectée de s’être soustrait au paiement
de l’impôt sur les sociétés. Au cours de l’une d’entre elles, ont été saisis des documents
démontrant l’existence de prestations de services non déclarées de la part du fondateur, sur le
fondement desquelles l’administration lui a infligé des cotisations supplémentaires d’impôt sur
le revenu, assorties d’intérêts de retard et d’une pénalité de 80%. Le contribuable les a contestés
avec succès devant le juge administratif. Le raisonnement des premiers juges a cependant été
censuré par la cour administrative d’appel, qui a confirmé les suppléments d’impôts mis à la
charge du dirigeant. Celui-ci s’est régulièrement pourvu devant le Conseil d’État en invoquant
l’irrégularité de la saisie pratiquée, au motif que les documents saisis concernaient
exclusivement un tiers par rapport aux sociétés faisant l’objet des présomptions de fraude et

1684
CE, 10ème et 9ème ss-sect., 21 novembre 2012, n°332000, M. et Mme Chougrani, n°332001, SARL TMC Inter,
n°332002, SARL TMC Inter SL et n°331994, Chougrani : RJF 2/2013, n°178, BDCF 2/2013, n°22, concl. É.
CRÉPEY ; CE, 3ème et 8ème ss-sect., 16 juillet 2014, n°362114, Sté LTHT : Dr. fisc. 2014, n°41, comm. 584, note
S. DETRAZ ; RJF 11/2014, n° 1020 ; CE, 10ème et 9ème ss-sect, 27 juillet 2015, n°370443 ; CE, 9ème ch., 30 mars
2018, n°361828 : « il résulte des termes mêmes de l'article 164 de la loi du 4 août 2008 de modernisation de
l'économie que la régularité des opérations de visite et de saisie effectuées sur le fondement de l'article L. 16 B du
livre des procédures fiscales peut être contestée non devant le juge de l'impôt mais devant le premier président de
la cour d'appel ».
1685
V. pour un exemple postérieur à la modification de l’article L. 16 B du livre des procédures fiscales : CE, 10ème
et 9ème ss-sect, 23 juin 2014, n°360708, Min. c/ Sté Groupement Charbonnier Montdiderien, préc.
1686
S. DETRAZ, Les conséquences fiscales de l'irrégularité des saisies opérées en application de l'article L. 16 B
du LPF : op. cit.
1687
CE, 10ème et 9ème ss-sect., 27 juillet 2015, n°367151, Société Francesco Smalto : Dr. fisc. n°43-44, 22 octobre
2015, comm. 654, obs. C. DE LA MARDIÈRE.
1688
CE, 10ème et 9ème ss-sec., 27 juillet 2015, n°370443, Smalto : Dr. fisc. 2015, n°43-44, comm. 655, concl. E.
CRÉPEY, note S. DETRAZ, RJF 11/2015, n°926.

354
ayant justifié l’autorisation du juge judiciaire. Sur le terrain du fond, l’argument était pertinent
dès lors qu’au cours de la mesure de l’article L. 16 B du livre des procédure fiscale, seuls
peuvent être saisis les documents concernant la fraude présumée et pour laquelle l’autorisation
a été délivrée1689. Mais pour la Haute juridiction, le véritable problème posé par cette
argumentation était de « déterminer si le contribuable pouvait utilement l’invoquer, autrement
dit si le moyen soulevé devant les juges d’appel était opérant »1690. En réponse à cette
interrogation, le Conseil d’État énonce clairement que cette contestation relevait, « y compris
pour les tiers par rapport à l'objet de la visite », de la compétence exclusive du juge
judiciaire1691.

400. Appréciation de l’incompétence du juge fiscal. – Si cette exclusion de compétence


s’explique par la préséance du juge judiciaire dans la protection des libertés individuelles1692,
l’exclusion corrélative du juge fiscal est discutable. Alors que le juge répressif est le seul à
pouvoir vérifier la bonne application de l’article L. 16 B du livre des procédures fiscales, son
contrôle est, en la matière, « plus que perfectible »1693. Bien souvent, l’ordonnance autorisant
la perquisition ne fait que reprendre l’argumentaire de l’administration fiscale à l’issue d’un
contrôle largement restreint. Par exemple, la circonstance que le fisc ait pré-rédigé l’ordonnance
n’a aucune influence sur sa régularité, dès lors qu’aucun autre élément est de nature à suspecter
l’impartialité du magistrat signataire1694. Dans une autre espèce, l’autorisation avait été délivrée
le même jour que celui de la demande présentée par le fisc, laquelle comportait en annexe plus
de 130 pièces représentant 374 feuillets. Il était évident que le juge s’était borné à apposer sa

1689
La Cour de cassation a en effet jugé que les tiers étaient recevables à contester le déroulement des opérations
de saisies dès lors que des impositions ont été établies ou des rectifications effectuées à leur encontre à partir des
éléments obtenus par l’administration dans le cadre de la perquisition (Cass. com., 7 décembre 2010 n°09-70.996,
Société BellMicroproductsEurope Export Limited : RJF 5/11, n°603 ; Dr. fisc. 2010, n°37, étude 46, obs. R.
SALOMON ; Cass. com., 14 février 2012 n°10-28.862, Guilbert et Société Euro-Car : RJF, 5/12, n°487 ; Dr. fisc.
2012, n°16, étude 262, obs. R. SALOMON.
1690
Concl. E. CRÉPEY sous CE, 10ème et 9ème ss-sec., 27 juillet 2015, n°370443, Smalto : RJF 11/2015, n°926.
1691
Dans cette hypothèse, il appartient au juge fiscal, qui ne saurait porter lui-même une appréciation sur la
régularité du déroulement des opérations de visites, de rechercher si l’administration a informé les tiers concernés
par ces opérations des voies et délai de recours qui leur sont ouvertes par les dispositions de l’article 164 de la loi
n°2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l’économie. Le recours contre ces opérations peut en effet
s’exercer sans condition de délai en cas d’absence d’information de la part de l’administration fiscale (CE, 21
novembre 2012, n°331994, Chougrani : RJF 2013, n°178 ; BDCF 2/2013, n°22, concl. E. CRÉPEY).
1692
Art. 66 de la Constitution du 4 octobre 1958.
1693
C. DE LA MARDIÈRE, Le juge de l’impôt n’est pas celui de la perquisition fiscale : Dr. fisc. n°43-44, 22
octobre 2015, comm. 654.
1694
Cass. com., 25 septembre 2012, n°11-24.526 : Dr. pén. 2012, comm. 164, note J.-H. ROBERT ; RJF 1/2013,
n°67 ; Dr. fisc. 2012, n°43, étude 493.

355
signature sur la requête préparée, sans avoir matériellement le temps de procéder à la
vérification des documents produits par l’administration fiscale. En dépit de ces arguments, la
régularité de l’autorisation a pourtant été pleinement reconnue par le juge répressif 1695. Dans
ces conditions, il aurait été opportun d’instaurer un véritable contrôle du juge des impôts de la
régularité des mesures de l’article L. 16 B du livre des procédures fiscales. Lorsqu’un
contribuable soulève un tel moyen, le juge fiscal peut seulement tirer les conséquences des
irrégularités constatées par l’autorité judiciaire. C’est alors déjà aborder l’hypothèse dans
laquelle le juge pénal a pris une décision d’annulation à l’encontre d’un des éléments de la
procédure pénale.

SOUS-SECTION II. EN PRÉSENCE D’UNE DÉCISION D’ANNULATION DU


JUGE RÉPRESSIF

401. Conséquences à tirer pour le juge fiscal d’une décision de nullité du juge pénal. –
Dans cette seconde configuration, la juridiction répressive a prononcé la nullité d’une pièce
pénale ensuite utilisée par l’administration fiscale pour fonder son redressement. Quelle
conséquence la juridiction fiscale doit-elle tirer de cette décision d’annulation ? La décision
constatant l’irrégularité d’une pièce de la procédure pénale, bien que non revêtue de l’autorité
de chose jugée1696, peut-elle avoir une incidence sur la régularité de la procédure d’imposition ?
Selon une position classique, le juge des impôts refuse que l’irrégularité pénale affecte la
procédure fiscale. Sous l’influence d’une décision du juge constitutionnel en date du 4
décembre 20131697, il a cependant dû faire évoluer son raisonnement pour admettre qu’une
décision d’annulation du juge correctionnel ait une influence sur la régularité de la procédure
fiscale. Pour comprendre les évolutions de l’attitude du juge fiscal face aux irrégularités pénales
(§2), il est nécessaire de revenir sur sa position traditionnelle (§1).

1695
Cass. crim., 22 mars 2001, n°99-30.197.
1696
L’autorité de chose jugée des décisions pénales ne s’imposent qu’à raison des constatations de faits qui sont le
support nécessaire de la condamnation du prévenu (V. infra, n°428 et s.). Il n’est donc pas question ici de l’autorité
de chose jugée puisque la décision concerne seulement la régularité d’une pièce de la procédure pénale et non la
culpabilité du prévenu.
1697
Cons., const., 4 décembre 2013, n°2013-679 DC, Loi relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande
délinquance économique et financière : BF Lefebvre 1/2014, p. 5 ; Dr. fisc. 2013, n°51-52, comm. 563, note C.
DE LA MARDIÈRE ; JCP E 2014, 1018, note C. DE LA MARDIÈRE ; Dr. pén. 2014, comm. 29, note J.-H.
ROBERT ; Dr. pén. 2014, comm. 33, note E. BONIS-GARÇON ; Cah. Cons. const. 2013, n°43, p.197, chron.
S. AUSTRY ; Option finances 2014, p. 33, n°1251, note S. VILLER ; RJF 2/2014, n°173.

356
§1. La position du juge fiscal antérieure à la décision du Conseil constitutionnel du 4
décembre 2013

402. Différence d’attitude du juge fiscal. – Lorsque le juge répressif constate l’irrégularité
d’une pièce pénale, la position classique du juge fiscal consiste à ignorer l’existence de la
décision constatant la nullité. Une jurisprudence traditionnelle du Conseil d’État refuse que les
effets de la nullité des pièces issues d’une procédure pénale s’étendent à la procédure fiscale.
Ainsi, les pièces communiquées à l’administration fiscale par l’exercice de son droit de
communication ne sont pas impactées par une nullité prononcée dans le cadre de la procédure
répressive (B). L’attitude du juge fiscal est toutefois plus nuancée à propos des nullités affectant
les pièces que le fisc saisit lui-même dans le cadre des opérations de visite effectuées sur le
fondement de l’article L. 16 B du livre des procédures fiscales (A).

A) L’irrégularité des pièces saisies par l’administration fiscale

403. Avis SARL Finibéton et Monsieur Egot. – Depuis l’entrée en vigueur de la loi du 15
juin 2000 renforçant la protection de la présomption d’innocence et les droits des victimes1698,
la mesure de perquisition fiscale instituée à l’article L. 16 B du livre des procédures fiscales
doit être autorisée par une ordonnance du juge des libertés et de la détention, laquelle peut être
déférée, d’abord devant le premier président de la cour d’appel, puis devant la Cour de
cassation. L’exercice de ces voies de recours peut aboutir à l’annulation par l’autorité judiciaire
de l’ordonnance autorisant la perquisition. Le Conseil d’État a pris position sur la question des
conséquences d’une telle décision pour le juge fiscal dans deux avis de Section en date du 1er
mars 19961699. Les faits à l’origine de la demande d’avis du tribunal administratif de Nice sont
les suivants. Tandis que l’administration fiscale soupçonnait l’existence d’un vaste réseau de
fausses factures à l’encontre de la société SARL Finibéton et de son dirigeant, celle-ci a obtenu
de la part du président du tribunal de grande instance de Draguignan l’autorisation de procéder
à une visite dans les locaux de l’entreprise, ainsi que le droit de visiter le coffre de son dirigeant,

1698
Loi n°2000-516 du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des
victimes, dite Loi Guigou. V. pour plus de développements sur ce sujet, C. GUÉRY, Le juge des libertés et de la
détention : un juge qui cherche à mériter son nom… : D. 2004. chron. 583 ; B. DE LAMY, Le juge des libertés et
de la détention : un trompe-l'œil : Dr. pén. 2007, étude n°13 ; B. LAVIELLE et F. LEBUR, Le juge des libertés et
de la détention : béni-oui-oui ou terminator ? : Gaz. Pal., 27-28 juillet 2001 ; M. LEMONDE, Le juge des libertés
et de la détention : une réelle avancée ? : RSC 2001, 51.
1699
CE, Section, Avis, 1er mars 1996, n°174245, Egot et n°174246, SARL Finibéton, préc.

357
Monsieur Egot. Ces investigations ont permis la saisie de documents comptables, sur la base
desquels le fisc a procédé à des suppléments d’impôts sur les sociétés à l’encontre de la SARL
Finibéton et des compléments d’impôts sur le revenu s’agissant de son dirigeant. Les deux
contribuables ont saisi la juridiction administrative d’une demande de décharge des impositions
mises à leur charge, invoquant à l’appui de leur défense, l’annulation de l’ordonnance du juge
judiciaire autorisant la visite. En effet, la Cour de cassation avait précédemment annulé
l’ordonnance du juge des libertés et de la détention pour insuffisance de motivation. Cette
configuration a contraint le tribunal administratif à formuler une demande d’avis au Conseil
d’État afin de connaître les conséquences d’une telle annulation sur le sort des impositions
mises à la charge de chacun des deux requérants1700.

404. Nature fiscale de la procédure de l’article L. 16 B du livre des procédures fiscales.


– Ainsi que l’indiquait le rapporteur public, la réponse à cette interrogation dépendait de la
nature de la mesure instituée à l’article L. 16 B du livre des procédures fiscales. S’il s’agissait
d’un moyen d’investigation relevant d’une opération de police judiciaire, il faudrait admettre,
au nom du principe – aujourd’hui désuet1701 – d’indépendance des procédures, « que les
irrégularités qui entachent tant l'autorisation initiale que les interventions menées sur son
fondement seraient sans influence sur la procédure d'imposition »1702. Si, au contraire, la
perquisition devait être regardée comme constituant un élément de la procédure d’imposition,
alors les irrégularités affectant la première doivent contaminer la seconde. Bien que la
procédure de visite domiciliaire présente certains aspects d’une procédure de police

1700
Le tribunal a en réalité formulé quatre questions ainsi rédigées :
« 1° L'annulation, quel qu'en soit le motif, de l'ordonnance autorisant la visite et la saisie entache-t-elle
d'irrégularité l'ensemble de la vérification de comptabilité de la société, dès lors que parmi les pièces saisies
figuraient des documents de cette comptabilité́ ?
2° En cas de réponse négative à la première question, l'annulation de l'ordonnance est-elle de nature à affecter la
valeur probante des documents comptables saisis et à exclure leur utilisation pour justifier les redressements
opérés ?
3° Mêmes questions dans le cas où la société est en situation de taxation d'office pour défaut de souscription en
temps utile de sa déclaration de résultats ?
4° L'annulation de l'ordonnance autorisant la visite des locaux de la société a-t-elle des conséquences sur les
redressements des revenus du dirigeant, y compris lorsque ces redressements sont établis selon une procédure
d'office ? » : Dr. fisc. n°39, 25 septembre 1996, comm. 1153, concl. F. LOLOUM.
1701
V. supra, n°113 et s.
1702
Dr. fisc. n°39, 25 septembre 1996, comm. 1153, concl. F. LOLOUM.

358
judiciaire1703, le Conseil d’État affirme que celle-ci doit être considérée comme étant de nature
fiscale1704, faisant partie intégrante de la procédure d’imposition. La présence de l’autorité
judiciaire pour autoriser les opérations n’a été rendue nécessaire que pour sauvegarder la liberté
individuelle à l’occasion des intrusions au domicile du contribuable. Il n’en demeure pas moins
que l’objectif affiché par le législateur était exclusivement tourné vers la création d’un droit
d’investigation au profit de l’administration fiscale au domicile des contribuables. D’ailleurs,
les investigations sont menées sous la direction des agents de l’administration fiscale et les
documents saisis sont conservés par ses services. En conséquence, l'annulation par le juge
judiciaire de l'ordonnance autorisant la visite, « qui a pour effet d'interdire à l'administration
des impôts d'opposer au contribuable les informations recueillies à cette occasion, affecte donc
la régularité de la décision d'imposition de l'intéressé dans la mesure où celle-ci procède de
l'exploitation des informations ainsi recueillies »1705.

405. Lien de causalité entre les documents saisis et l’établissement du redressement


fiscal. – Les nullités affectant la procédure de l’article L. 16 B du livre des procédures fiscales
prononcées par le juge répressif ont pour effet de vicier intégralement la procédure d’imposition
ultérieure et de décharger le contribuable des impositions mises à sa charge1706. La solution ne
s’impose toutefois que si la décision d’imposition « procède de l’exploitation des informations
ainsi recueillies »1707. En d’autres termes, un lien de causalité doit être caractérisé entre les

1703
Le rapporteur public relève notamment la place conférée au président du tribunal de grande instance pour
autoriser la mesure, le contrôle qu’il exerce sur le déroulement des opérations, la présence de la police judiciaire
pendant celles-ci ainsi que le recours en cassation ouvert à l’encontre des ordonnances.
1704
CE, Section, Avis, 1er mars 1996, n°174245, Egot et n°174246, SARL Finibéton, préc : « L’article 94 de la loi
du 29 décembre 1984 dont les dispositions ont été codifiées à l’article L. 16 B du livre des procédures fiscales
institue une procédure de nature fiscale qui habilite les agents de l’administration des impôts, recherchant la
preuve d’agissements par lesquels les contribuables cherchent à se soustraire à l’établissement ou au paiement
de certains impôts, à effectuer, s’ils sont dûment autorisés à cette fin par l’autorité judiciaire, des visites en tous
lieux, même privés, et à saisir les pièces et documents qui se rapportent à ces agissements » (c’est nous qui
soulignons).
1705
Ibid. Il en va de même si le contribuable se trouve en situation de taxation ou d’évaluation d’office. Cette
solution contraste avec celle habituellement adoptée par le juge fiscal qui dénie au contribuable ne déposant pas
de déclaration, la possibilité de soulever les irrégularités affectant la procédure d'imposition d'office menée à son
égard (CE, 7ème et 9ème ss-sect., 10 juin 1992, n°88714, SCI La Lyciane : RJF 8-9/1992, n°1223). S’agissant des
irrégularités de la procédure menée sur le fondement de l’article L. 16 B du livre des procédures fiscales, le juge
des impôts a opté pour une solution différente eu égard à la généralité des termes du paragraphe VI dudit article.
1706
CE, Avis, 10 juin 1998, n°194330, M. de Thoury : Dr. fisc. 1998, n°37, comm. 777, concl. G. BACHELIER ;
RJF 8-9/1998, n°966 ; CE, 9ème et 10ème ss-sect., 21 mars 2001, n°202490, M. Egot : Dr. fisc. 2001, n°24, comm.
549, concl. G. GOULARD ; CE, 8ème et 3ème ss-sect., 12 mars 2014, n°360299, Sté Binsarco International
Establishment : Dr. fisc. 2014, n°22, comm. 359.
1707
CE, Section, Avis, 1er mars 1996, n°174245, Egot et n°174246, SARL Finibéton, préc.

359
documents saisis dans le cadre de l’opération annulée par le juge judiciaire et l’établissement
du redressement par le fisc. Le contribuable doit donc démontrer que « les renseignements
découverts lors des opérations ont effectivement servi à l'Administration à établir l'impôt »1708,
peu important à cet égard que celle-ci ait pu valablement accéder à ces informations en exerçant
son droit de communication ou son pouvoir de vérification1709. Lorsque le redressement n’est
pas fondé sur les documents appréhendés par l’administration fiscale durant les opérations de
perquisition, l’annulation par la chambre criminelle n’aura aucune incidence dans le cadre de
la procédure fiscale1710. En définitive, la nullité prononcée par le juge judiciaire n’entraîne pas
mécaniquement celle de la procédure d’imposition. Il devrait en être ainsi même si le
redressement procède d’une pluralité d’éléments, résultant seulement pour certains de la saisie
annulée. La formule consacrée par le Conseil d’État semble en effet empêcher toute sorte
d’exploitation par le fisc des éléments annulés, que ceux-ci aient contribué exclusivement ou
partiellement à l’établissement du redressement.

406. Étendue ratione personae de la contamination. – En revanche, la contamination des


irrégularités pénale ne joue pas à l’égard des contribuables étrangers à la procédure de l’article
L. 16 B du livre des procédures fiscales. Cette exclusion a été posée par le juge fiscal dans son
avis du 1er mars 1996 dans l’affaire opposant l’administration fiscale au dirigeant de la SARL
Finibéton, Monsieur Egot1711. Alors qu’en l’espèce, la visite avait été autorisée sur la base de
présomptions de fraude d’une société, des documents démontrant une fraude personnelle de son
dirigeant avaient été, dans le même temps, emportés par le fisc. Se fondant sur l’indépendance
des procédures menées à l’encontre de contribuables distincts1712, le Conseil d’État a estimé

1708
S. DETRAZ, Les conséquences fiscales de l'irrégularité des saisies opérées en application de l'article L. 16 B
du LPF, op. cit.
1709
CE, Section, Avis, 1er mars 1996, n°174246, SARL Finibéton : « La circonstance que l'administration aurait
pu, si elle s'était bornée à exercer son droit de communication ou son pouvoir de vérification, accéder
régulièrement à certains des documents détenus par le contribuable, tels les documents comptables, demeure sans
incidence sur les effets de l'annulation d'une opération de visite et de saisie dès lors que l'administration a pris
connaissance de ces documents à cette occasion et avant tout autre contrôle ou investigation ».
1710
Cette théorie se rapproche de celle utilisée par le juge fiscal pour circonscrire la décharge des impositions au
profit des seules irrégularités qui ont été susceptibles d’exercer une influence sur le sens de la décision prise par
l’administration fiscale : CE, Assemblée, 23 décembre 2011, n°335033, Danthony et a. ; V. supra, n°361 et s.
1711
CE, Section, Avis, 1er mars 1996, n°174244, Egot, préc
1712
V. sur ce sujet, O. FOUQUET, Indépendance des procédures et déontologie du juge : Rev. adm. 1995, p. 590
; G. GOULARD, L’indépendance des procédures. Retour à un principe traditionnel : RJF 1996, p. 2 ; C. LOPEZ,
Le principe d’indépendance des procédures appliqué au contrôle fiscal : Dr. fisc. 2003, n°37, comm. 32 ; P.
PHILIP, Le principe d'indépendance des procédures en matière fiscale : Dr. fisc. 2004, n°21, chron. 23, n°19 ; CE,
7ème et 9ème ss-sect., 29 juillet 1983, n°29568 : Dr. fisc. 1984, n°4, comm. 86 ; RJF 11/1983, n°1327 ; CE, plén. 27

360
que « l'annulation d'une opération de visite et de saisie menée à l'encontre d'une personne
morale (…) ne fait pas obstacle à ce que l'administration, dans une procédure d'imposition
distincte concernant un autre contribuable, se fonde sur les faits révélés par l'opération annulée
pour établir l'imposition de ce dernier ». Ainsi, la nullité prononcée par le juge répressif ne se
propage pas à l’égard des tiers aux opérations de visite. L’administration peut valablement
utiliser des pièces issues d’une opération de visite irrégulière pour fonder un redressement d’une
personne étrangère à l’opération autorisée. Depuis un arrêt SARL Sarim1713, cette réserve est
restreinte aux cas dans lesquels l’opération irrégulière avait révélé de manière accessoire des
informations concernant un tiers, excluant ainsi les hypothèses où la saisie permet d’emporter
des documents exclusivement relatifs à ce tiers1714. L’étendue de la contamination de la nullité
de la visite était donc fonction du caractère accessoire de la révélation permise par les
investigations. Si cette limitation était la bienvenue, elle ne prohibait toujours pas de façon
générique la possibilité pour l’administration fiscale de se servir de pièces annulées lorsqu’elles
procèdent d’une opération visant un tiers. La solution, « en ce qu'elle revient à faire produire
des effets valables à un acte nul »1715, est éminemment contestable. Est encore plus
problématique la position du juge fiscal à l’encontre des nullités prononcées par le juge pénal,
affectant non pas les opérations menées par le fisc mais directement par l’autorité pénale.
L’irrégularité ne concerne plus une pièce saisie par l’administration fiscale mais qui lui a été
communiquée par l’exercice de son droit de communication.

juillet 1988, n°43939, M. Macchetto : Dr. fisc. 1989, n°16-17, comm. 835, concl. Ph. MARTIN ; RJF 10/1988,
n°1100 : CE, 3ème et 8ème ss-sect., 26 octobre 2001, n°212456, Augey : RJF 1/2002, n°86.
1713
CE, 16 novembre 2005, SARL Sarim : RJF 2/2006, n°169 ; concl. L. VALLEE, BDCF 2/2006, n°20 ; obs.
R. BEAUVAIS ; Dr. fisc. 2006, n°27, comm. 490, note A. LEFEUVRE.
1714
« Si l'irrégularité d'une opération de visite et saisie entreprise en application des dispositions de l'article L.
16 B du livre des procédures fiscales entraîne celle de la procédure d'imposition ultérieurement poursuivie à
l'encontre du contribuable visé par cette opération, dans la mesure où les droits établis procèdent de l'exploitation
des informations recueillies à son occasion, elle n'affecte pas, en revanche, la validité d'une procédure
d'imposition distincte engagée à l'égard d'un autre contribuable, et dans laquelle l'administration se serait fondée
sur des faits révélés par les documents saisis ; que, toutefois, il n'en est ainsi que lorsque des documents saisis
dans le but d'établir que le contribuable visé par l'ordonnance ayant autorisé l'opération a éludé l'impôt révèlent,
accessoirement, à l'administration des faits de nature à affecter la situation fiscale d'un tiers, à la procédure
d'imposition duquel la saisie sera restée étrangère ; qu'au contraire, lorsqu'en saisissant, au cours d'une opération
dirigée contre un contribuable, des documents concernant exclusivement un tiers, les agents de l'administration
procèdent, alors qu'ils n'y sont pas autorisés, au recueil d'éléments permettant d'établir que ce tiers a éludé l'impôt,
ils effectuent par là-même à l'encontre de celui-ci, une opération de visite et saisie constitutive d'une première
étape, irrégulière, de sa procédure d'imposition » (CE, 16 novembre 2005, SARL Sarim).
1715
S. DETRAZ, Les conséquences fiscales de l'irrégularité des saisies opérées en application de l'article L. 16 B
du LPF, op. cit.

361
B) L’irrégularités des pièces communiquées à l’administration fiscale

407. Ignorance de la décision d’annulation du juge répressif. – Dans cette seconde


configuration, l’administration fiscale ne réalise pas elle-même les investigations en vue de la
recherche des preuves d’une fraude mais prend connaissance, par l’exercice de son droit de
communication, d’une information issue de la procédure pénale révélant les insuffisances
fiscales d’un contribuable. Le juge fiscal a pendant longtemps adopté une attitude consistant à
ignorer la décision par laquelle la juridiction correctionnelle annule un tel document. Cette
position a été explicitée par deux arrêts de principe du Conseil d’État rendus le 6 décembre
19951716.

408. Arrêt Navon. – Dans la première espèce, des perquisitions ayant lieu au siège social
d’une entreprise anonyme avaient permis la découverte d’une comptabilité occulte, sur laquelle
le fisc, par l’exercice régulier de son droit de communication, avait pu se fonder pour établir
des rehaussements d’imposition. Le contribuable a contesté les redressements devant le tribunal
administratif, lequel ne lui a donné que « très partiellement satisfaction en réduisant certaines
pénalités »1717 par un jugement du 27 mai 1987. Postérieurement à cette décision, le tribunal de
grande instance de Paris a déclaré nulles les perquisitions opérées ainsi que tous les actes

1716
CE, section, 6 décembre 1995, n°90914, Navon et n°126826, SA Samep : Dr. fisc. 1996, n°7, comm. 203,
concl. G. BACHELIER ; RJF 1/1996, n°61 ; RJF 2/1996, n°62, chron. G. GOULARD, p. 2 ; BDCF 1/1996, n°1,
concl. G. BACHELIER. Antérieurement à ces décisions, le juge fiscal avait semblé émettre la possibilité que des
irrégularités commises pendant les investigations aient une influence, non sur la régularité de la procédure
d’imposition, mais sur leur valeur probante dans le cadre de la procédure fiscale, en témoigne un arrêt rendu le 21
juin 1989 (CE, 21 juin 1989, n°52385, Marie : RJF 8-9/89, comm. 994, concl. M. DE SAINT PULGENT ; Dr.
fisc. 1989, n°50, comm. 2372). À la suite d’une enquête menée par l’administration fiscale auprès de clients de
contribuable dont la plupart n’étaient pas soumis au droit de communication, le Conseil d’État a estimé que
« l'irrégularité éventuelle des conditions dans lesquelles ces indications ont été recueillies, laquelle n'a pas vicié
la procédure d'imposition (…), est dans l'espèce, sans effet sur leur valeur probante ». De même, commentant une
affaire de l’époque, un rapporteur public a indiqué que la circonstance par laquelle le juge judiciaire a annulé la
procédure de saisie avait nécessairement affecté la régularité de la procédure d’imposition (CAA Nancy, 1er avril
1993, n°92-156, Société d’exploitation de l’hôtel-restaurant « au Cheval Blanc », Dr. fisc. 1993, n°52, comm.
2542 ; RJF n°6/40, pp. 74 à 78). En l’espèce, la cour administrative d’appel avait estimé que les saisies étaient
entachées d’irrégularité, en se basant non pas sur l’annulation du juge répressif mais sur le défaut pour
l’administration d’avoir respecté un débat oral et contradictoire. Selon le rapporteur public, les motifs retenus par
le juge pénal « sont de nature à mettre en cause la régularité et la force probante d'une comptabilité » et doivent
en conséquence être pris en compte par le juge des impôts. Madame RAIMBAULT DE FONTAINE affirmait que
la jurisprudence administrative impose au juge fiscal de « se préoccuper de la manière dont l’administration
communicante s’est procurée les documents communiqués » (S. RAIMBAULT DE FONTAINE, Du principe
d’indépendance des contentieux pénal et fiscal à l’unité des procédures fiscales répressives, op. cit., p. 121).
1717
Dr. fisc. n°7, 14 février 1996, comm. 203, concl. G. BACHELIER.

362
subséquents, en conséquence de quoi la procédure pénale engagée à l’encontre du dirigeant
personne physique s’était soldée par un non-lieu1718. Devant le Conseil d’État, le contribuable
a invoqué la décision du juge pénal à l’appui de deux moyens relatifs, d’une part à la régularité
de la procédure d’imposition, d’autre part à son bien-fondé, estimant respectivement que
l’irrégularité de la perquisition devait entraîner l’irrégularité de la procédure d’imposition et
que les pièces issues de l’acte annulé ne pouvaient disposer d’une valeur probante devant le
juge des impôts. En réponse au premier moyen, le ministre du budget répondait que la nullité
prononcée par le juge pénal ne bénéficiait pas d’un effet rétroactif, si bien qu’elle devait rester
sans incidence sur la régularité du droit de communication. Se rapportant aux conséquences que
fait classiquement produire la chambre criminelle de la Cour de cassation aux nullités de la
procédure pénale1719, le rapporteur public indiquait ne pouvoir adhérer à la thèse du
gouvernement. En présence d’une nullité pénale, l’acte litigieux tout comme les actes
subséquents sont censés n’avoir jamais existé1720. Dès lors, il était inconcevable que
l’administration fiscale puisse s’en servir pour redresser le contribuable, que l’annulation soit
postérieure ou non à l’exercice de son droit de communication. S’agissant ensuite du second
moyen relatif à la valeur probante de la pièce, le rapporteur public rejetait une conception stricte
de l’indépendance des procédures qui reviendrait, en refusant toute autorité à la décision de
nullité prise par le juge pénal, à « légitimer par avance tous les procédés utilisés par le service
pour calculer l’imposition »1721. La règle prônée par ses conclusions était la suivante : « une
pièce issue d’une procédure annulée par le juge pénal ne constitue pas un mode de preuve
valable et est inopposable pour fonder à elle seule une imposition ou plus généralement une

1718
Le juge d’instruction rend une ordonnance de non-lieu le 25 avril 1989.
1719
Cass. crim., 4 juin 1969 : Bull. crim., n°186, p. 453 : Cass. crim., 15 avril 1991, Dupuy : Bull. crim., n°179, p.
459 ; Cass. crim., 30 septembre 1991, n°90-83 579, Gicquel : RJF 1992, n°88.
1720
V. pour plus de développements à ce sujet : R. MERLE et A. VITU, Traité de droit criminel, Tome II,
Procédure pénale : Cujas, 5ème éd. n°577 et s. ; F. DESPORTES et L. LAZERGES-COUSQUER, Traité de
procédure pénale : Economica, Coll. « Corpus droit privé », 2ème éd. 2012, n°1990 et s. ; G. DI MARINO, Les
nullités de l'instruction préparatoire : Thèse, Aix-en-Provence, 1977 ; M. GUERRIN, Les irrégularités de
procédure sanctionnées par la nullité dans la phase préalable au jugement pénal : Thèse, Strasbourg, 1999 ; J.
DANET, Brèves remarques sur la typologie et la mise en œuvre des nullités : AJ pén. 2005, p. 133 ; F. SAINT-
PIERRE, Le véritable enjeu des contrôles juridictionnels de la légalité des procédures pénales : la « sûreté » des
justiciables : AJ pén. 2005, p. 177 ; P. HENNION-JACQUET, Les nullités de l'enquête et de l'instruction, un
exemple du déclin de la légalité procédurale : RPDP mars 2003, n°1, p. 7 ; La double dénaturation des nullités en
matière pénale : D. 2004, p. 1265 ; C. LARONDE-CLÉRAC, La pratique jurisprudentielle des nullités en
procédure pénale : Dr. pén. n°4, avril 2013, étude n°9 ; H. CONCHON, L'évolution des nullités de l'instruction
préparatoire, 2002, L'Harmattan ; Y. ROUSSEL, Le régime des nullités de la procédure pénale après les lois du 4
janvier 1993 et du 24 août 1993 : Gaz. Pal., 19-20 janvier 1996, p. 7 s. ; J.-P. BROUILLAUD, Les nullités de
procédures. Des procédures pénales et civiles comparées : D. 1996. chron. 98.
1721
Dr. fisc. n°7, 14 février 1996, comm. 203, concl. G. BACHELIER.

363
décision administrative »1722. Il s’agissait pour lui, sinon d’une « question de crédit du service
public de la justice vis-à-vis des citoyens », du moins « d’une question de respect des droits de
la défense »1723. Le Conseil d’État n’a cependant pas été sensible à ces arguments de bon sens
et a rejeté l’argumentaire du contribuable, tant sur le terrain de la régularité de la procédure
d’imposition que sur son bien-fondé. Selon les termes de sa décision, la régularité de l’exercice
du droit de communication suffit à l’administration pour pouvoir valablement invoquer une
pièce pénale, indépendamment de son annulation postérieure par le juge répressif.

409. Arrêt Samep. – Cette solution s’applique également lorsque le contribuable ne fait pas
l’objet des poursuites pénales à titre personnel. Cette hypothèse est illustrée par la seconde
décision rendue le même jour par le Conseil d’État. À l’origine de cette affaire, des factures
fictives ont été découvertes lors d’une perquisition effectuée au siège d’une société Samep dont
l’administration fiscale a pris connaissance en exerçant son droit de communication en
application de l’article L. 101 du livre des procédures fiscales1724. Après avoir fait l’objet d’une
vérification de sa comptabilité, la société s’est vue infliger des redressements de TVA, suivant
une procédure de rectification d’office en raison du caractère non probant de sa comptabilité.
Parallèlement, une procédure pénale a été ouverte à l’encontre du dirigeant personne physique
du chef d’abus de biens sociaux. C’est dans ce cadre que le prévenu a obtenu de la chambre
d’accusation de la cour d’appel de Paris que soient annulées certaines des pièces de la
perquisition. Devant le juge des impôts, la cour administrative d’appel a refusé de considérer
comme opérant le moyen du contribuable enjoignant à la juridiction de prendre en compte la
décision d’annulation de son homologue. Dans sa décision du 6 décembre 1995, le Conseil
d’État a conforté la position du juge du fond en refusant de prendre acte de la circonstance que
les pièces pénales avaient ultérieurement été annulées par le juge répressif.

410. Théorie du droit de communication-écran. – Ces décisions révèlent une stricte


application de l’indépendance des procédures, sans toutefois que le principe ne soit évoqué par
le juge de l’impôt à l’appui de son argumentaire1725. À la différence de la précédente hypothèse
dans laquelle l’administration fiscale effectue elle-même les opérations de perquisition et de

1722
Ibid.
1723
Ibid.
1724
V. supra, n°161 et s.
1725
V. en ce sens, A. ILJIC, L’administration fiscale peut-elle encore utiliser des preuves illicites ? : RJF 1/2017,
n°44, p. 7.

364
saisie, la pièce annulée résulte dans ces hypothèses d’une procédure de nature pénale.
Autrement dit, le recours à l’indépendance des procédures pénale et fiscale aurait donc suffi à
prohiber la contamination des nullités entre les contentieux. Curieusement, les décisions Navon
et Samep ne manifestent aucune référence à ce principe. Le refus de prendre en compte la
décision du juge pénal est exclusivement fondé sur la régularité du droit de communication de
l’administration. Le juge fiscal confère à l’exercice de ce droit une fonction « écran »1726,
empêchant à la nullité pénale de produire son plein effet dans le cadre de la procédure fiscale1727.
L’exercice régulier par l’administration fiscale de son droit de communication « a donc pour
effet d’absorber les irrégularités de la procédure judiciaire »1728. Certes, le certificat de validité
délivré par le Conseil d’État concerne les hypothèses dans lesquelles la nullité de la pièce n’a
pas été établie par l’autorité judiciaire au moment de l’exercice par le fisc de son droit de
communication. En d’autres termes, l’administration fiscale ne pouvait en avoir connaissance
au moment de l’utilisation effective de la pièce. Mais la régularité de l’exercice du droit de
communication ne saurait être figée dans le temps et l’annulation postérieure de la pièce devrait
pouvoir rétroagir en affectant la régularité de la communication à l’administration fiscale. Il ne
saurait être admis qu’un redressement fiscal procède d’investigations menées en violation des
règles de la procédure pénale. La théorie du droit de communication-écran, dépourvue de tout
fondement juridique, n’était donc guère convaincante. La position du Conseil d’État a évolué,
à la faveur d’une décision du Conseil constitutionnel rendue le 4 décembre 2013.

§2. La position du juge fiscal postérieure à la décision du Conseil constitutionnel


du 4 décembre 2013

411. Le contexte de la décision : opposition des juges administratif et judiciaire. – Par


le recours à la théorie du droit de communication-écran, le juge administratif de l’impôt refuse
de faire produire à une décision d’annulation prononcée par le juge pénal un quelconque effet.
Cette position contraste avec celle adoptée par le juge judiciaire, qui considère que la régularité

1726
V. en ce sens, S. RAIMBAULT DE FONTAINE, Du principe d’indépendance des contentieux pénal et fiscal
à l’unité des procédures fiscales répressives, op. cit., p. 120 ; P. PHILIP, Le droit de communication et l'utilisation
d'éléments obtenus par l'administration fiscale dans le cadre de procédures distinctes, face aux garanties du
contribuable : Dr. fisc. n°29, 21 juillet 1999, comm. 100245.
1727
Notons que le Conseil d’État use de cette théorie pour refuser de tirer les conséquences des décisions de
condamnation prononcées par la Cour européenne des droits de l’Homme : V. CE, 8ème et 9ème sous-sect., 24
novembre 1997, Sté Amibu Inc : Dr. fisc. 1998, n°8, comm. 128, concl. G. BACHELIER ; JCP E 1993, p. 108 ;
RJF 1/1998, n°65 ; RFDA 1998, n°5, p. 979, note J. ANDRIANTSIMBAZONIVA.
1728
M. TURRIN, La légitime répression de la fraude fiscale : Thèse, Aix-Marseille, 2011, p. 234, n°600.

365
du droit de communication de l’administration fiscale ne peut empêcher la propagation de la
nullité prononcée par la juridiction pénale. Ainsi, sur le fondement de l’article 173 du code de
procédure pénale, la chambre criminelle décide que la nullité doit s’étendre à l’ensemble des
procédures diligentées sur le fondement de la pièce irrégulière. Cette position ressort d’un arrêt
du 2 mars 19921729 dans lequel l’administration s’était servie de renseignements résultant d’une
procédure judiciaire ouverte à l’encontre d’une société, pour déposer une plainte contre ses
dirigeants des chefs de fraude fiscale et tenue irrégulière de comptabilité. Ceux-ci ont été
renvoyés devant la juridiction correctionnelle alors que l’essentiel de la procédure pénale avait
fait l’objet d’une annulation par la chambre de l’accusation. Les juges du fond, confortés dans
leur raisonnement par la chambre criminelle, ont fait droit à l’exception de nullité fondée sur
l’annulation de la procédure à l’origine des poursuites, constatant que « la procédure de fraude
fiscale ne pouvait être considérée comme une procédure distincte de celle ayant fait l’objet
d’une annulation ». Pour la Cour de cassation, l’exercice régulier du droit de communication
n’empêche pas la propagation de la nullité de la procédure répressive. Au contraire, l’annulation
du juge judiciaire « venait retirer tout caractère régulier à cette communication »1730. En
somme, la possibilité d’utiliser des pièces frappées de nullité dans le cadre de la procédure
fiscale a donné lieu à une controverse entre les juridictions administratives et judiciaires, les
premières estimant que l’exercice régulier du droit de communication empêche la
contamination du vice, les secondes considérant que l’origine illicite du document « vicie
l'exercice, en lui-même régulier, du droit de communication »1731. Ces divergences ont
déterminé le législateur à intervenir pour régler les conséquences à tirer d’une décision
d’annulation pour le juge des impôts.

1729
Cass. crim., 2 mars 1992, n°90-87.848.
1730
V. pour un autre exemple en matière douanière : Cass. crim., 16 mai 2012, n°11-83.602. Le juge judiciaire
raisonne similairement s’agissant des autorisations de visites et de saisies : Cass. com., 27 novembre 1991 n°90-
10.608 ; n°90-10.607 ; n°90-11.980 ; n°90-11.985 : Dr. fisc. 1992, n°15, comm. 789 ; JCP E 1992. II. 248,
concl. M. JEOL ; D. 1992, concl. M. JEOL, note TEXIDOR ; LPA 1992, n°76, note F. VIALA ; Cass. com., 4
février 1997, n°95-30.008, EURL Jacky Chris ; Cass. com., 31 janvier 2012, n°11-13.097 et n°11-13.098 : Dr.
fisc. 2012, n°12, comm. 207, note S. DETRAZ ; B. HATOUX, La preuve illicite est irrecevable ou Le vol est un
pêché capital : RJF 4/12, n°381, p. 304 ; BGFE 3/12, p.18, obs. J.-L. PIERRE ; Cass. com., 23 novembre 2010,
n°09-68.398 ; Cass. crim., 16 mai 2012, n°11-83.602.
1731
S. DETRAZ, Possibilité pour l'administration fiscale d'utiliser des documents quelle qu'en soit l'origine : Dr.
fisc. n°51-52, 19 décembre 2013, comm. 574.

366
412. Intervention législative. – La loi du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude
fiscale et la grande délinquance économique et financière1732 a entériné la position défendue
par le Conseil d’État, selon laquelle la régularité du droit de communication neutralise la nullité
prononcée par le juge répressif (A). L’intervention du Conseil constitutionnel opérant son
contrôle de constitutionnalité a priori1733 a finalement permis la prise en compte des
irrégularités pénales par le juge des impôts (B).

A) La consécration par le législateur de la possibilité pour le fisc d’utiliser des pièces


annulées

413. L’entrée en vigueur de l’article L. 10-0 AA du LPF. – La loi n°2013-1117 du 6


décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique
et financière a créé dans le livre des procédures fiscales plusieurs dispositions nouvelles
répondant aux deux hypothèses précédemment envisagées. La première d’entre elles concerne
le cas dans lequel l’administration fiscale use régulièrement de son droit de communication
pour prendre connaissance d’une pièce de nature pénale, qui sera par la suite annulée par
l’autorité judiciaire1734. Confortant la thèse du juge fiscal, l’article 37 de la loi précitée a inséré
dans le livre des procédures fiscales un article L. 10-0 AA en vertu duquel les documents, pièces
ou informations que l’administration fiscale utilise et qui sont portés à sa connaissance ne
peuvent être écartés « au seul motif de leur origine »1735, cette mention visant expressément les
actes issus d’une procédure pénale annulés par le juge compétent. L’état d’esprit du législateur
était des plus explicites : il s’agissait de contrer la jurisprudence du juge judiciaire selon laquelle
l’origine illicite du document impacte la régularité du droit de communication exercé par le
fisc. L’exposé des motifs de la loi affiche clairement l’ambition du gouvernement, qui était celle

1732
Loi n°2013-1117 du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance
économique et financière.
1733
Le Conseil constitutionnel a été saisi sur le fondement de l’alinéa 2 de l’article 61 de la Constitution du 4
octobre 1958 par un groupe de soixante sénateurs.
1734
Il s’agit de notre B du premier paragraphe.
1735
L’article était ainsi rédigé : « Dans le cadre des procédures prévues au présent titre, à l'exception de celles
mentionnées aux articles L. 16 B et L. 38, ne peuvent être écartés au seul motif de leur origine les documents,
pièces ou informations que l'administration utilise et qui sont régulièrement portés à sa connaissance soit dans
les conditions prévues au chapitre II du présent titre ou aux articles L. 114 et L. 114 A, soit en application des
droits de communication qui lui sont dévolus par d'autres textes, soit en application des dispositions relatives à
l'assistance administrative par les autorités compétentes des États étrangers ». L’article 39 de la loi précitée étend
ce même dispositif à la matière douanière en insérant dans le titre II du code des douanes un chapitre VI intitulé «
Sécurisation des contrôles et enquêtes ».

367
de « prévoir la possibilité pour l’administration fiscale de recourir à tout mode de preuve, y
compris illicite1736, sous réserve que, dans ce dernier cas, les preuves aient été régulièrement
portées à la connaissance des services fiscaux par une autorité judiciaire »1737. La généralité
des termes de la nouvelle disposition reconnaissait à l’administration fiscale la possibilité de
fonder son redressement sur des pièces annulées par le juge répressif. Conformément à la
théorie du droit de communication-écran, l’utilisation de ce « canal officiel »1738 permettrait au
Trésor public de « purger »1739 l’illicéité des pièces utilisées dans le cadre des procédures de
contrôle fiscal et d’enquête fiscale1740, à l’exception des visites domiciliaires pour lesquelles la
loi précitée avait envisagé une seconde règle. L’article 38 de la loi du 6 décembre 2013 évoque
en effet l’hypothèse dans laquelle l’administration fiscale1741 sollicite de l’autorité judiciaire
une autorisation de procéder à des visites et des saisies sur le fondement de l’article L. 16 B du
livre des procédures fiscales1742. Dans ce cadre, elle utilise à l’appui de sa demande des
documents obtenus de manière illicite. Un nouveau paragraphe inséré à ce dispositif permettait
au juge judiciaire, « à titre exceptionnel »1743, « de prendre en compte les documents, pièces ou
informations mentionnés à l’article L. 10-0 AA, lesquels ne peuvent être écartés au seul motif
de leur origine, lorsqu’il apparaît que leur utilisation par l’administration est proportionnée à

1736
L’Assemblée nationale avait clairement pour ambition d’autoriser l’utilisation de fichiers volés : V. B.
HATOUX, La loi et les preuves illicites ou le glaive et la cuirasse, À propos de la loi 2013-1117 du 6 décembre
2013 de lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière, après Cons. const. 4
décembre 2013, n°2013-679, DC : BF 1/14. Le gouvernement fait ici référence au vol de fichiers d’un salarié de
la banque HSBC Private Bank ayant permis d’établir des impositions de nombreux contribuables. Le fichier avait
été remis au parquet de Nice qui l’avait lui-même transmis à l’administration fiscale : V. pour plus de
développements à ce sujet : J. LASSERRE-CAPDEVILLE, Vers la reconnaissance légale par l’administration
fiscale de fichiers volés : Gaz. Pal., 6 juin 2013, n°157, p. 4.
1737
Projet de loi relatif à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière, présenté
au nom de M. J.-M. AYRAULT, Premier Ministre, C. TAUBIRA, Garde des Sceaux et par P. MOSCOVICI,
ministre de l’économie et des finances (disponible en ligne : https://www.assemblee-
nationale.fr/14/projets/pl1011.asp).
1738
S. DETRAZ, Possibilité pour l’administration fiscale d’utiliser des documents quelle qu’en soit l’origine : Dr.
fisc. n°51-52, 19 décembre 2013, comm. 574.
1739
A. ILJIC, L’administration fiscale peut-elle encore utiliser des preuves illicites ? : RJF 1/2017, n°44, p. 7.
1740
C’est-à-dire les procédures visées aux articles L. 10 à L. 189 du LPF, insérés dans le titre II de la première
partie législative du code intitulée « Le contrôle de l’impôt ».
1741
La même disposition devait en outre être insérée au profit de l’administration des douanes (art. 40 de la loi
n°2013-1117 du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique
et financière modifiant les dispositions de l’article 64 du code des douanes).
1742
Il s’agit de notre A du premier paragraphe.
1743
En principe, le juge judiciaire est contraint de s’assurer de la licéité des documents produits par le fisc à l’appui
d’une demande de visite et de saisie : Cass. com., 23 novembre 2010, n°09-68.398, M. Dewitte et Société de droit
luxembourgeois internegoce ; Cass. com., 7 juin 2011, n°10-18.108, M. Dobson et a. : RSC 2011, p. 630, obs. S.
DETRAZ.

368
l’objectif de recherche et de répression des infractions prévues par le code général des impôts
»1744.

414. Contrôle de constitutionnalité du Conseil constitutionnel. – Les dispositions que


contenaient la loi du 6 décembre 2013 ont été déférées à l’examen du Conseil constitutionnel,
saisi sur le fondement de l’alinéa 2 de l’article 61 de la Constitution par un groupe de soixante
sénateurs. Les requérants soutenaient que les articles 37 et 38 de la loi portaient atteinte au droit
au respect de la vie privée et aux droits de la défense, respectivement garantis par les articles 2
et 16 de la Déclaration des Droits de l’Homme de 1789. La décision rendue par le Conseil le 4
décembre 20131745 envisage successivement les deux dispositifs élaborés par le législateur.

415. Constitutionnalité assortie d’une réserve d’interprétation de l’article 37 de la loi.


– S’agissant en premier lieu de la constitutionnalité de l’article 37, le Conseil constitutionnel a
validé l’insertion de l’article L. 10-0 AA du livre des procédures fiscales, en subordonnant
toutefois sa constitutionnalité à une réserve d’interprétation empêchant « les services fiscaux et
douaniers de se prévaloir de pièces ou documents obtenus par une autorité administrative ou
judiciaire dans des conditions déclarées ultérieurement illégales par le juge »1746. La volonté
du Conseil constitutionnel est clairement exposée dans le commentaire de la décision.
S’inspirant ouvertement des conclusions du président G. BACHELIER1747 sous la décision
Navon du Conseil d’État du 6 décembre 19951748, la réserve d’interprétation ainsi posée avait
pour ambition de prendre parti contre la jurisprudence traditionnelle du juge administratif
autorisant l’administration à utiliser des pièces ensuite frappées de nullité par le juge judiciaire.
Alors que les requérants se plaçaient sous le double fondement du respect de la vie privée et
des droits de la défense, le Conseil choisit de faire exclusivement référence à l’article 16 de la
Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen pour justifier l’interdiction ainsi posée. De

1744
Art. 38 de la loi n°2013-1117 du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande
délinquance économique et financière.
1745
Cons. const., DC, 4 décembre 2013, n°2013-679, Loi relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande
délinquance économique et financière : BF Lefebvre 1/2014, p. 5 ; Dr. fisc. 2013, n°51-52, comm. 563, note C.
DE LA MARDIÈRE ; JCP E 2014, 1018, note C. DE LA MARDIÈRE ; Dr. pén. 2014, comm. 29, note J.-H.
ROBERT ; Dr. pén. 2014, comm. 33, note E. BONIS-GARÇON ; Cah. Cons. const. 2013, n°43, p. 197, chron.
S. AUSTRY ; Option finances 2014, p. 33, n°1251, note S. VILLER ; RJF 2/2014, n°173.
1746
Ibid, considérant n°33.
1747
Le commentaire reprend textuellement en page 14 les conclusions du rapporteur public : Commentaire de la
décision n°2013-679 DC du 4 décembre 2013, Loi relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande
délinquance économique et financière, NCCC, p. 13.
1748
CE, section, 6 décembre 1995, n°90914, Navon, préc.

369
cet article découle en effet le droit à une procédure juste et équitable 1749, lequel ne pourrait se
satisfaire de l’utilisation par le fisc de documents ensuite annulés par le juge judiciaire. Les
droits de l’administration fiscale apparaitraient en effet manifestement disproportionnés, au
détriment de ceux reconnus aux contribuables. L’objectif constitutionnel de lutte contre la
fraude fiscale doit plier face aux exigences des droits de la défense. La règle que pose le Conseil
constitutionnel aboutit à priver l’administration fiscale du droit de se prévaloir des documents
litigieux, consacrant pleinement la position du juge judiciaire1750. L’annulation des documents
dans le cadre de la procédure pénale les rend inopposables dans le prétoire fiscal.

416. Portée de la réserve constitutionnelle. – En réalité, certains auteurs1751 relèvent à juste


titre le caractère « équivoque » de la réserve posée par le juge constitutionnel. Si la généralité
des termes pouvait suggérer qu’elle faisait obstacle à l’exploitation de toute pièce obtenue dans
des conditions ultérieurement déclarées illégales par le juge, la lecture du commentaire de la
décision restreint considérablement sa portée. On peut en effet y lire que l’hypothèse dans
laquelle l’administration prend connaissance d’une pièce illégale « ne pose pas de difficulté
constitutionnelle », dès lors qu’elle n’est « nullement responsable de cette irrégularité et a
accédé à ces documents par des voies légales »1752. Ainsi, la théorie du droit de communication-
écran semblait préservée. En dépit de ces incertitudes, le juge fiscal a préféré donner à la réserve
du juge constitutionnel toute sa vigueur1753, si bien que cette dernière a privé les dispositions de
l’article 10-0 AA du livre des procédures fiscales de « toute portée utile »1754.

417. Inconstitutionnalité de l’article 38 de la loi. – S’agissant en second lieu de l’examen


de l’article 38 de la loi déférée devant lui, le Conseil constitutionnel a jugé contraires à la
Constitution les modifications apportées aux articles L. 16 B et L. 38 du livre des procédures
fiscales. Sa décision d’inconstitutionnalité prend ici appui, non pas sur l’atteinte aux droits de

1749
Selon le Conseil constitutionnel, ces exigences emportent notamment pour l’administration fiscale le devoir
de loyauté dans l’administration de la preuve : Cons. const., 18 novembre 2011, n°2011-191/194/195/196/197,
Mme Élise A. et autres (Garde à vue II) : V. infra, n°420.
1750
V. supra, n°411.
1751
J.C. LEON-AGUIRRE, Affaire HSBC : le mot de la fin ? : Dr. fisc., n°21, 27 mai 2021, comm. 259 ; S.
DETRAZ, Possibilité pour l'administration fiscale d'utiliser des documents quelle qu'en soit l'origine : Dr. fisc.
n°51-52, 19 décembre 2013, comm. 574.
1752
Commentaire de la décision n°2013-679 DC du 4 décembre 2013, Loi relative à la lutte contre la fraude fiscale
et la grande délinquance économique et financière : NCCC, p. 14.
1753
V. infra, n°418 et s.
1754
A. ILJIC, L’administration fiscale peut-elle encore utiliser des preuves illicites ?, préc.

370
la défense également invoquée par les requérants, mais sur le seul droit au respect de la vie
privé et, en particulier, l’inviolabilité du domicile. Selon lui, en permettant à l’administration
fiscale de procéder à des visites domiciliaires sur le fondement de documents irréguliers, le
législateur a « privé de garanties légales les exigences »1755 découlant de ces principes. Cette
orientation est surprenante puisque l’utilisation de documents irréguliers n’affecte pas
directement le principe d’inviolabilité du domicile mais plutôt « les valeurs sacrifiées par la
fabrication ou la révélation de ces éléments de preuve »1756. En définitive, seul l’article L. 10-
0 AA du livre des procédures fiscales est entré en vigueur, accompagné de la réserve
d’interprétation que le juge fiscal a dû intégrer en revirant sa jurisprudence traditionnelle.

B) La reconnaissance par le juge fiscal des irrégularités pénales

418. Décision Société Car Diffusion : abandon des décisions Navon et Samep. – Le
commentaire de la décision rendue le 4 décembre 2013 par le Conseil constitutionnel,
paraphrasant les conclusions contraires du rapporteur public sous les décisions Navon et Samep,
invitait directement le Conseil d’État a reconsidéré sa position. Ne souhaitant pas « entrer en
résistance »1757 à l’encontre d’une réserve constitutionnelle s’imposant à lui1758, le juge
administratif a procédé à un revirement de jurisprudence à l’occasion d’une affaire Société Car
Diffusion rendue le 15 avril 20151759. Au cas d’espèce, des cotisations supplémentaires d’impôts
sur les sociétés ont été mises à la charge d’une société exerçant une activité d’achat-revente de
voitures. Pour établir ce redressement, l’administration fiscale s’était basée sur des pièces,

1755
Cons. const., 4 décembre 2013, n°2013-679 DC, Loi relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande
délinquance économique et financière, préc., considérant n°39.
1756
S. DETRAZ, Possibilité pour l'administration fiscale d'utiliser des documents quelle qu'en soit l'origine : préc,
n°19.
1757
CE, 9ème et 10ème ss-sect., 15 avril 2015, n°373269, Sté Car Diffusion 78 : RJF 7/15 n°613, Conclusions du
rapporteur public F. ALADJIDI, : Dr. fisc. 2015, n°25, comm. 419, concl. F. ALADJIDI, note R. TORLET et A.
TAILFER ; Dr. fisc. 2015, n°19-20, act. 286, obs. C. CASSAN ; JCP E 2015, 1325 ; Procédures 2015, comm. 248,
note O. NEGRIN ; RJF 2015, n°613.
1758
V. sur l’autorité des décisions du Conseil constitutionnel : CE, 15 mai 2013, n°340554, Cne Gurmencon : «
Les réserves d'interprétation, dont une décision du Conseil constitutionnel assortit la déclaration de conformité à
la Constitution d'une disposition législative, sont revêtues de l'autorité absolue de la chose jugée et lient le juge
administratif pour l'application et l'interprétation de cette disposition. Il lui appartient d'en faire application, le
cas échéant, d'office ». V aussi, L. FAVOREU et S. RENOUX, Le contentieux constitutionnel des actes
administratifs, Sirey, 1992 ; Y. GAUDEMET, Le Conseil constitutionnel et le Conseil d'État dans le processus
législatif, in Conseil constitutionnel et Conseil d'État, colloque des 21 et 22 janvier 1988 : LGDJ-Montchrestien,
1988, p. 87 ; V. BACQUET-BREHANT, L’article 62, alinéa 2, de la Constitution du 4 octobre 1958, Contribution
à l'étude de l'autorité des décisions du Conseil constitutionnel : Thèse, LGDJ, 2005.
1759
CE, 9ème et 10ème ss-sect., 15 avril 2015, n°373269, Société Car Diffusion 78, préc.

371
obtenues par l’exercice de son droit de communication, provenant d’une procédure pénale
franco-italienne en cours d’instruction. La société redressée a saisi en vain le juge des impôts
d’une demande de décharge des suppléments d’impôts mis à sa charge, estimant que le fisc ne
pouvait se fonder sur des « pièces provenant d’une saisie réalisée dans le cadre d’une
instruction judiciaire en Italie dont ni la date ni les conditions de réalisation n’étaient
justifiées ». Alors même que la nullité des pièces n’était en l’espèce pas établie1760, et que le
litige concernait une situation antérieure à l’entrée en vigueur de l’article L. 10-0 AA du livre
des procédures fiscales1761, le Conseil d’État s’est saisi de l’occasion pour tirer les conséquences
de la réserve posée quelques mois auparavant par le juge constitutionnel. Abandonnant sa
position définie dans les arrêts Navon et Samep, le Conseil d’État a affirmé, au visa de la
décision constitutionnelle n°2013-679 du 4 décembre 2013 que, « eu égard aux exigences
découlant de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, ces
dispositions ne permettent pas à l'administration de se prévaloir, pour établir l'imposition, de
pièces ou documents obtenus par une autorité administrative ou judiciaire dans des conditions
déclarées ultérieurement illégales par le juge ». La filiation de cette solution avec la décision
du Conseil constitutionnel est évidente1762. Il s’agit pour le juge fiscal d’un « complet
revirement de la jurisprudence antérieure »1763. Désormais, « le moyen tiré de l'irrégularité de
la procédure pénale constatée par le juge compétent peut utilement être invoqué par un
contribuable pour demander la décharge des impositions mises à sa charge »1764.
L’administration fiscale ne peut plus se prévaloir, pour établir son imposition, de documents
ultérieurement frappés de nullité. Dans le sillage de la position du juge constitutionnel – bientôt
rejoint par la Cour de justice de l’Union européenne1765 – la décision pose une règle de

1760
C’est la raison pour laquelle le contribuable ne bénéficiera pas en l’espèce du revirement de jurisprudence
opéré, le Conseil d’État confirmant l’arrêt attaqué.
1761
L’article L. 10-0 AA LPF est entré en vigueur le 8 décembre 2013.
1762
V. en ce sens, A. ILJIC, L’administration fiscale peut-elle encore utiliser des preuves illicites ?, op. cit.
1763
O. NEGRIN, Incidence de l'intervention d'une décision juridictionnelle déclarant illégales les conditions
d'obtention de documents antérieurement communiqués par une autorité administrative ou judiciaire à
l'administration fiscale : Procédures n°7, juillet 2015, comm. 248
1764
CE, 10ème et 9ème ss-sect., 30 mars 2016, n°375116, Charasse : Dr. fisc. 2016, n°22, comm. 355 ; RJF 2016,
n°642.
1765
Quelques mois après la décision Société Car Diffusion, la Cour de justice de l’Union européenne a été amenée
à se prononcer sur la question de l’utilisation par le fisc de pièces obtenues et utilisées en violation des droits
garantis par l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Dans une décision du 17
décembre 2015, elle a affirmé que « l’effectivité du contrôle juridictionnel garanti par cet article [article 47 de la
Charte] exige que la juridiction procédant au contrôle de la légalité d’une décision constituant une mise en œuvre
du droit de l’Union puisse vérifier si les preuves sur lesquelles cette décision est fondée n’ont pas été obtenues et
utilisées en violation des droits garantis par ledit droit et, spécialement, par la Charte. (…) Si cette exigence n'est

372
procédure et non de fond : l’annulation d’une pièce pénale par le juge répressif empêche le fisc
de s’en prévaloir au soutien de son redressement1766. La prohibition imposée à l’administration
fiscale apparaît générale, le Conseil d’État n’ayant pas limité la portée de sa décision aux seules
décisions du juge répressif. La règle devrait donc être applicable à toutes les pièces frappées de
nullité « par le juge », c’est-à-dire aussi bien par le juge pénal que le juge fiscal 1767, voire par
un magistrat étranger comme c’était le cas dans l’espèce soumise1768.

419. Décision Chassignon : abandon de la jurisprudence Société Egot. – Les décisions


postérieures1769 ont confirmé la généralité des termes de la solution posée par le Conseil d’État.
Dans un arrêt rendu le 23 novembre 20161770, le juge fiscal a précisé que l’interdiction prescrite
à l’administration concernait tant les nullités affectant une visite domiciliaire conduite à

pas satisfaite et, partant, le droit à un recours juridictionnel n'est pas effectif, ou en cas de violation d'un autre
droit garanti par le droit de l'Union, les preuves obtenues dans le cadre de la procédure pénale et utilisées dans
la procédure administrative fiscale doivent être écartées et la décision attaquée qui repose sur ces preuves doit
être annulée si, de ce fait, celle-ci se trouve sans fondement » (CJUE, 3ème chambre, 17 décembre 2015,
WebMindLicenses Kft c/ Nemzeti Adó és Vámhivatal Kiemelt, aff. C-419/14, §87 à 89).
1766
Dans le cas d’espèce, la nullité n’avait pas été établie par la juridiction pénale. Aussi, le Conseil d’État
considère que la cour administrative d’appel n’a pas commis d’erreur de droit en écartant le moyen du contribuable
qui s’était « borné à faire valoir que l’administration fiscale ne pouvait se fonder sur des pièces provenant d’une
saisie réalisée dans le cadre d’une instruction en Italie dont ni la date ni les conditions de réalisation n’étaient
justifiées ».
1767
Toutefois, le fichage de la décision au recueil Lebon dans la partie « chose jugée par le juge pénal » laisse à
penser que seules sont concernées les décisions d’annulation du juge répressif.
1768
Dans l’affaire Société Car Diffusion, l’instruction étant menée pour partie en Italie, la solution aurait pu
conduire à prendre en considération l’éventuelle annulation d’une pièce selon des critères éloignés de nos standards
juridiques.
1769
V. toutefois, CE, 8ème et 3ème ss-sect., 12 mars 2014, n°360299, Société Binsarco International Establishment :
Dr. fisc. 2014, n°22, comm. 359 ; RJF 6/2014, n°599 ; BDCF 6/2014, n°58, concl. B. BOHNERT qui reprend
postérieurement à la décision du Conseil constitutionnel du 4 décembre 2013 la position traditionnelle du juge
fiscal : « si l'irrégularité d'une opération de visite et de saisie entreprise en application des dispositions de l'article
L. 16 B du livre des procédures fiscales entraîne celle de la procédure d'imposition ultérieurement poursuivie à
l'encontre du contribuable visé par cette opération, dans la mesure où les droits établis procèdent de l'exploitation
des informations recueillies à son occasion, elle n'affecte pas, en revanche, la validité d'une procédure
d'imposition distincte engagée à l'égard d'un autre contribuable, et dans laquelle l'administration se serait fondée
sur des faits révélés par les documents saisis ; que, toutefois, il n'en est ainsi que lorsque des documents saisis
dans le but d'établir que le contribuable visé par l'ordonnance ayant autorisé l'opération a éludé l'impôt révèlent,
accessoirement, à l'administration des faits de nature à affecter la situation fiscale d'un tiers, à la procédure
d'imposition duquel la saisie sera restée étrangère ; qu'au contraire, lorsqu'en saisissant, au cours d'une opération
dirigée contre un contribuable, des documents concernant exclusivement un tiers, les agents de l'administration
procèdent, alors qu'ils n'y sont pas autorisés, au recueil d'éléments permettant d'établir que ce tiers a éludé l'impôt,
ils effectuent par là-même, à l'encontre de celui-ci, une opération de visite et saisie constitutive d'une première
étape, irrégulière, de sa procédure d'imposition ; ».
1770
CE, 8ème et 3ème ch. réunies, 23 novembre 2016, n°387485 : JCP G 2018, chron. 298, obs. M. VERPEAUX et
A. MACAYA ; Dr. fisc. 2017, n°5-6, comm. 153, note C. CASSAN ; RJF 2/2017, n°141, concl. B. BOHNERT,
p. 255.

373
l’encontre du contribuable lui-même qu’une opération visant un tiers. En l’espèce, le dirigeant
d’une société anonyme a fait l’objet d’un examen de sa situation fiscale personnelle au cours
de laquelle un débat s’est ouvert quant à son lieu de résidence fiscale. Selon l’intéressé, sa
résidence fiscale devait être fixée au Luxembourg, raison pour laquelle il n’avait pas déclaré de
revenus imposables en France. Mais à la faveur d’une procédure de visite domiciliaire engagée
sur le fondement de l’article L. 16 B du livre des procédures fiscales dans les locaux dont
disposait la société du dirigeant en France, les services fiscaux ont pu établir que le contribuable
disposait d’une résidence permanente en France au sens des articles 4 A et 4 B du code général
des impôts. Contestant les impositions supplémentaires mises à sa charge au titre de l’impôt sur
le revenu, le dirigeant a obtenu gain de cause devant le tribunal administratif, qui a prononcé la
décharge des impositions par un jugement du 25 mai 2012. Devant la cour administrative
d’appel, le litige se présentait en des termes différents car le premier président de la cour d’appel
d’Aix-en-Provence avait, par ordonnance du 3 avril 2014, annulé la saisie des pièces
découvertes par le fisc dans les locaux de l’entreprise. Les juges d’appel ont toutefois été
indifférents à cette circonstance, estimant que cette annulation était « sans incidence sur
l’imposition établie à l’encontre » du dirigeant, dès lors qu’il n’avait été porté aucune atteinte
au secret des correspondances de ce dernier avec son avocat. L’arrêt prononcé a annulé le
jugement et rétabli les suppléments d’impôts mis à la charge de l’intéressé, qui a formé un
pourvoi devant le Conseil d’État. Selon le rapporteur public saisi du dossier, la position des
juges du fond était doublement contestable. D’une part, en cherchant à déterminer si la saisie
litigieuse avait emporté violation du secret des correspondances entre le dirigeant et son avocat,
les juges d’appel ont statué sur une question qui relevait de la compétence exclusive du juge
judiciaire, à savoir celle relative à la régularité de la visite domiciliaire1771. D’autre part, la
décision de la cour administrative d’appel méconnaît la portée réelle de la réserve
d’interprétation formulée par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 4 décembre 2013,
laquelle « traduit une exigence de portée large, dont le juge de l’impôt doit nécessairement
tenir compte »1772. Souscrivant à ces arguments, le Conseil d’État a cassé l’arrêt des juges
d’appel en affirmant que « l'administration fiscale ne saurait se fonder, pour établir une
imposition, sur des éléments qu'elle a recueillis au cours d'une opération de visite et de saisie
conduite par ses soins en application des dispositions précitées de l'article L. 16 B du livre des
procédures fiscales dans des conditions ultérieurement déclarées illégales, que cette opération

1771
V. supra, n°389.
1772
CE, 8ème et 3ème ch. réunies, 23 novembre 2016, n°387485 : RJF 2/2017, n°141, concl. B. BOHNERT, p. 255.

374
ait été conduite à l'égard du contribuable lui-même ou d'un tiers ». Était ainsi directement
remise en cause la solution résultant de l’avis Société Egot du 1er mars 19961773. Ainsi que l’y
invitait son rapporteur public, le Conseil d’État a ici « franchi une étape supplémentaire par
rapport à la jurisprudence Sté Car Diffusion 78 de 2014 »1774.

420. Loyauté de la preuve fiscale ? – Par cette décision, le juge fiscal fait produire un plein
effet à la réserve constitutionnelle, au-delà de sa portée initiale excluant les visites domiciliaires
de l’article L. 16 B du livre des procédures fiscales1775. Désormais, l’administration fiscale ne
peut jamais1776 utiliser une pièce frappée de nullité, que cette nullité concerne une pièce
illégalement saisie par une autorité judiciaire ou par l’administration fiscale elle-même, dans le
cadre d’une opération visant le contribuable lui-même ou un tiers. La solution nouvellement
adoptée participe d’une certaine loyauté à laquelle serait tenue l’administration fiscale dans
l’administration de la preuve de la fraude. D’une manière générale, aucune disposition contenue
dans le code général des impôts ou dans le livre des procédures fiscales n’impose au fisc une
obligation de loyauté dans ses opérations de contrôle et de redressement. La notion apparaît

1773
CE, Section, Avis, 1er mars 1996, n°174245, Egot et n°174246, SARL Finibéton, préc.
1774
CE, 8ème et 3ème ch. réunies, 23 novembre 2016, n°387485, préc. : RJF 2/2017, n°141, concl. B. BOHNERT,
p. 255.
1775
V. supra, n°413.
1776
La solution ne vaut toutefois pas pour les pièces illégales utilisées par le fisc qui ne proviennent pas de ses
propres investigations ou de celles de l’autorité pénale, mais qui lui ont spontanément été transmises par un tiers.
Cette solution a été élaborée par les juges fiscal et pénal à l’occasion de l’affaire HSBC (V. supra, n°12, note
n°81). Par une décision Gilbert B, la chambre criminelle de la Cour de cassation a affirmé qu’en dépit de leur
origine illicite, les documents volés de la banque HSBC constituent des « moyens de preuve soumis à discussion
contradictoire » dès lors que « l'autorité publique n'était pas intervenue dans la confection ou l'obtention des
pièces litigieuses, qui proviennent d'une perquisition régulièrement effectuée » (Cass. crim., 27 novembre 2013,
n°13-85.042, Gilbert B. : Dr. fisc. 2014, n°4, chron. 86, R. SALOMON ; Dr. pén. 2014, comm. 29, obs. J.-H.
ROBERT ; Procédures 2014, comm. 25, note A.-S. CHAVENT-LECLÈRE). De la même façon, dans un arrêt du
20 octobre 2016, le juge administratif de l’impôt a affirmé que « la seule circonstance que, avant de mettre en
oeuvre à l'égard du contribuable les pouvoirs qu'elle tient du titre II du livre des procédures fiscales aux fins de
procéder au contrôle de sa situation fiscale et de recueillir les éléments nécessaires pour, le cas échéant, établir
des impositions supplémentaires, l'administration aurait disposé d'informations relatives à ce contribuable issues
de documents obtenus de manière frauduleuse par un tiers est, par-elle-même, sans incidence sur la régularité de
la procédure d'imposition » (CE, 8ème et 3ème ss-sect., 20 octobre 2016, n°390639, M. Issan, : Dr. fisc. n°18-19, 4
mai 2017, comm. 295, concl. R. VICTOR, obs. A. TAILFER et E. MEIER). Le juge judiciaire des impôts a rejoint
cette position par un arrêt du 16 décembre 2020 de la chambre commerciale de la Cour de cassation. Elle y a
affirmé qu’« en matière de procédures de contrôle de l'impôt, à l'exception de celles relatives aux visites en tous
lieux, même privés, les pièces issues de la commission d'un délit ne peuvent être écartées au seul motif de leur
origine dès lors qu'elles ont été régulièrement portées à la connaissance de l'administration fiscale par application
de l'article L. 101 du livre des procédures fiscales et que les conditions dans lesquelles elles lui ont été
communiquées n'ont pas été ultérieurement déclarées illégales par un juge » (Cass. com., 16 décembre 2020,
n°18-16.801 : Dr. fisc., n°21, 27 mai 2021, comm. 259, obs. J.C LEON AGUIRRE).

375
toutefois dans la charte du contribuable, présentée le 17 octobre 2005 par le ministre délégué
au Budget et à la Réforme de l’État, comme ordonnant à l’administration fiscale d’appliquer
« les textes fiscaux avec discernement », d’apprécier « les situations avec impartialité, réalisme
et cohérence » et à ne pas chercher à « prendre » le contribuable « en faute »1777. Mais cette
charte1778 s’avère inopposable à l’administration fiscale devant le juge des impôts1779. En
l’absence de tout fondement légal, le juge administratif, à la différence du juge judiciaire1780,
s’est montré frileux à consacrer un principe général de loyauté de la preuve fiscale 1781. En
prohibant l’utilisation par l’administration fiscale de preuves ultérieurement annulées par le
juge répressif, présentant donc un « caractère moralement douteux »1782, la position actuelle du
juge fiscal peut aisément se justifier par le recours à la notion de loyauté 1783, qui recèle
inévitablement une « coloration morale »1784. En réalité, le juge fiscal refuse de voir dans cet
impératif le véritable fondement de la règle posée. L’interdiction pour le fisc d’utiliser des
éléments de preuve annulés par le juge répressif relève exclusivement de la cause juridique
relative à la régularité de la procédure d’imposition. Ainsi, une irrégularité constatée dans le
champ de la procédure pénale n’affecte pas la valeur probante de la pièce mais entraîne

1777
Charte du contribuable, septembre 2005, mise à jour juin 2007, p. 25.
1778
Laquelle ne doit pas être confondue avec la Charte des droits et obligations du contribuable vérifié, annexée
au livre des procédures fiscales et opposable à l’administration fiscale (art. L. 10 LPF, al. 4) : V. pour plus de
développements à ce sujet : J. MAÏA, La charte des droits et obligations du contribuable vérifié, son utilité et son
opposabilité : RJF 4/2001, chron. p. 295 s. ; L. TALLINEAU, La Charte du contribuable vérifié, in Mélanges en
hommage au Doyen Y. MADIOT : Éd. Bruyland 2000, p. 449 s ; L. AYRAULT, Considérations juridiques sur la
Charte des droits et obligations du contribuable vérifié : Les Nouvelles Fiscales, 2003, n°883 pp. 21 à 26.
1779
CE, 3ème et 8ème ch., 1er octobre 2018, n°403186 : Dr. fisc. 2018, n°41, act. 454 ; Procédures 2018, comm. 388,
note. O. NÉGRIN ; RJF 2018, n°1253 ; RFFP 2019, n°146, p. 262, note. A. BAUDU ; CAA, Paris, 29 mai 2012,
n°10PA05558, Boiry : Dr. fisc. 2012, n°48, chron. 532, n°11 ; RJF 10/12, n°937 ; TA Versailles, 13 décembre
2010, n°07-8854 et 07-8855 : RJF 7/2011, n°846 ; V. également, G. NOËL, La charte du contribuable ou
l’administration fiscale de service : véritable « révolution » ou simple « miroir aux alouettes » ? : Dr. fisc. 2005,
n°47, 41 ; C. CTORZA, J. MEURANT, Une Charte du contribuable : pour quoi faire ? : Les nouvelles fiscales, 1er
janvier 2006, n°949.
1780
Le juge judiciaire a rapidement consacré un devoir général de loyauté dans l’établissement et le recouvrement
de l’impôt. Dans un arrêt du 18 juin 1996, la chambre commerciale de la Cour de cassation a affirmé que
l’administration fiscale « est tenue, dans ses investigations, au devoir de loyauté » (Cass. com., 18 juin 1996, n°94-
17.312 : RJF 11/96, n°1363 ; V. aussi, Cass. com., 18 novembre 2008, n°07-19.762 : RJF 2/09, n°174 ; Cass. com.,
12 juin 2012, n°11-30.396, MM. Tchenio : Dr. fisc. 2012, n°45, comm. 510, note J.-F. DESBUQUOIS et P. NEAU-
LEDUC ; Cass. com., 26 février 2013, n°12-13.877, M. Douaud : Dr. fisc. 2013, n°26, comm. 356, note J.-P.
MAUBLANC.
1781
Le Conseil d’État ne s’est référé qu’une seule fois au « devoir de loyauté » de l’administration fiscale dans un
arrêt Beckman du 26 mai 2010 (CE, 26 mai 2010, n°296808, Beckman : RJF 8-9/2010, n°767, concl. J.
BOUCHER ; BDCF 8-9/2010, n°83 ; Dr. fisc. 2010 n°37 comm. 483).
1782
M. COLLET, La loyauté : un principe qui nous manque ? : Dr. fisc., n°42-43, 20 octobre 2016, comm. 554.
1783
V. en ce sens, A. ILJIC, L’administration fiscale peut-elle encore utiliser des preuves illicites ?, op. cit.
1784
Ibid.

376
l’irrégularité de la procédure d’imposition. Ce parallélisme des irrégularités entre la procédure
pénale et fiscale est approprié, eu égard au principe selon lequel l’annulation d’un acte par le
juge répressif produit un effet rétroactif entraînant la nullité de l’ensemble de la procédure1785.
Dans l’articulation des contentieux pénal et fiscal, ce constat peut toutefois être largement
discuté. L’annulation d’une pièce pénale produisant des effets, dans le cadre du litige fiscal, sur
l’unique terrain de la régularité de la procédure d’imposition, la décharge en résultant sera
prononcée pour un motif de forme et non pour un motif de fond. Aussi, conformément à la
réserve posée par le Conseil constitutionnel dans ses décisions du 24 juin 20161786, limitant
l’autorité des décisions fiscales aux seules décharges pour un motif de fond, l’annulation
éventuelle de la procédure d’imposition n’empêchera pas le juge répressif de condamner le
contribuable sur le fondement de l’article 1741 du code général des impôts. De surcroît, la
réception par le juge fiscal d’une irrégularité pénale devrait pouvoir s’envisager sur le terrain
du bien-fondé des impositions.

421. Incidences des irrégularités pénales. – Aux termes de ce long épisode jurisprudentiel,
il est désormais admis que le juge fiscal tire les conséquences des irrégularités constatées par le
juge répressif. Les arrêts récents du Conseil d’État confirment cette évolution, en l’assortissant
de l’obligation pour le juge fiscal de vérifier que les éléments sur lesquels se fonde
l’administration fiscale pour redresser le contribuable « ne découlent pas eux-mêmes de
l'exploitation des pièces ou documents obtenus de façon irrégulière »1787. Ce nouveau modèle
reflète un sérieux déclin du principe d’indépendance des procédures pénale et fiscale 1788, qui
mérite d’être salué. Cette position conduit à un ajustement des positions des juges administratif
et judiciaire1789 et permet une meilleure protection des droits de la défense des contribuables.
Ceux-ci doivent être protégés indépendamment du contentieux, pénal ou fiscal, dans lequel
l’irrégularité a été prononcée. Lorsque le juge fiscal est confronté à une irrégularité pénale en

1785
V. supra, n°408.
1786
V. supra, n°199 et s.
1787
CE, 9ème et 10ème ch. réunies, 21 juin 2022, n°446421 : Dr. fisc. n°26, 30 juin 2022, act. 258.
1788
V. en ce sens, E. DE CROUY-CHANEL, Procédures fiscales : chronique de l’année 2015 : Dr. fisc. n°9, 3
mars 2016, 205 ; Indépendance des procédures à l’égard de contribuables distincts : exception en cas d’utilisation,
pour la taxation du bénéficiaire de revenus distribués, de pièces irrégulièrement emportées lors de la vérification
de comptabilité de la société distributrice : Dr. fisc. n°12, 22 mars 2018, comm. 234 ; A. ILJIC, L’administration
fiscale peut-elle encore utiliser des preuves illicites ? : op. cit. Cette position reflète dans le même temps le déclin
du principe d’indépendance des procédures menées à l’encontre de deux contribuables distincts : V. supra, n°113
et s.
1789
V. supra, n°411.

377
l’absence de toute décision de son homologue, des corrections doivent toutefois être apportées
à la position selon laquelle la juridiction fiscale est incompétente pour apprécier la régularité de
la pièce litigieuse. Lorsque la pièce issue de la procédure répressive fonde le redressement, le
juge des impôts devrait pouvoir se saisir de toutes les questions relatives à une violation des
règles de procédure pénale, dès lors qu’elles échappent à la compétence exclusive de l’autorité
judiciaire. L’appréciation des preuves de la fraude doit en effet pouvoir répondre aux mêmes
exigences pour le contribuable, que les faits soient soumis à l’examen du juge répressif ou du
juge pénal.

378
CONCLUSION DU CHAPITRE PREMIER

422. Assimilation des régimes probatoires. – En définitive, il est aisé de constater une
imbrication entre les incidences temporelles et probatoires de la procédure pénale sur le litige
fiscal. Ce n’est en effet qu’en présence d’une irrégularité affectant le déroulement des
opérations de visites domiciliaires de l’article L. 16 B du livre des procédures fiscales qu’un
sursis à statuer pourra être imposé au juge fiscal, en raison d’une compétence exclusive de
l’autorité judiciaire. Au-delà de cette hypothèse, les pouvoirs du juge des impôts à l’égard des
irrégularités de la procédure pénale se cantonnent à la reconnaissance des décisions de nullités
prononcées par la juridiction répressive. À ce stade, il est impératif de les mettre en perspective
avec les pouvoirs du juge répressif à l’égard des irrégularités de nature fiscale. Dans le prétoire
pénal, seules peuvent être soulevées les irrégularités tenant au défaut d’information du
contribuable de la nécessité d’être assisté par le conseil de son choix dans le cadre de l’article
L. 47 du livre des procédures fiscales et à l’absence de débat oral et contradictoire lors de la
vérification de comptabilité1790. Dans le prétoire fiscal, la jurisprudence n’octroie aucune
autonomie au juge des impôts pour se saisir des irrégularités de nature pénale en l’absence d’une
décision de la juridiction compétente, estimant que le contentieux fiscal ne soulève, à
l’exception des contestations s’élevant à l’encontre des opérations de visites et de saisies
menées par le fisc, aucune question de nature préjudicielle devant être posée au juge pénal. Dès
lors que la pièce litigieuse fonde soit les poursuites répressives, soit le redressement opéré par
le fisc, sa régularité devrait pouvoir être appréciée uniformément par le juge pénal ou fiscal
indépendamment de l’existence d’une décision de son homologue sur ce point. Selon une
conception matérielle ou opérationnelle des procédures fiscale et pénale1791, la pièce litigieuse
s’intègre à la procédure dans laquelle elle est utilisée. L’origine initialement pénale ou fiscale
de la pièce utilisée disparaît pour intégrer le contentieux servant de base aux poursuites ou à
l’imposition. L’interdépendance des éléments probatoires implique que les deux juges aient la
capacité de vérifier la régularité des éléments utilisés au soutien de l’accusation pour démontrer
la preuve de la fraude. Seule une assimilation du régime probatoire entre les procédures pénale
et fiscale pourra être de nature à assurer leur synchronisation procédurale.

1790
V. supra, n°337 et s.
1791
V. supra, n°130 et s.

379
CHAPITRE II. L’INCIDENCE DE LA DÉCISION PÉNALE

423. Définition de la décision pénale. – La décision pénale est celle par laquelle la
juridiction correctionnelle, saisie sur le fondement de l’article 1741 du code général des impôts,
se prononce sur la culpabilité du prévenu. Lorsque les éléments constitutifs de l’infraction sont
réunis, le juge répressif entre en voie de condamnation et assortit ordinairement1792 sa décision
d’une peine. Il se peut également que l’un de ces éléments fasse défaut ou qu’un doute subsiste
sur la réalité des faits reprochés au prévenu, et qu’en conséquence, la juridiction décide de
renvoyer le prévenu des fins de la poursuite. En condamnant ou en relaxant le contribuable du
chef de fraude fiscale, la décision du juge pénal influe sur la procédure fiscale ouverte à l’égard
des mêmes faits, différemment selon qu’elle intervienne avant ou après la décision du juge des
impôts. Lorsque la décision pénale intervient en amont, la question qui se pose est celle de son
autorité de chose jugée pour le juge des impôts (Section I). Lorsqu’elle est rendue en aval, c’est
la possibilité de réviser la décision fiscale qui doit être interrogée (Section II).

SECTION I. L’AUTORITÉ DE CHOSE JUGÉE DE LA DÉCISION PÉNALE

424. Reconnaissance et fondements de l’autorité des décisions du juge pénal. –


L’autorité des décisions du juge répressif à l’égard du juge des impôts1793 est communément
admise. Bien que dépourvue de tout fondement textuel, la règle est reconnue en contentieux
administratif général depuis le début du 20ème siècle1794 et implique que la juridiction
administrative considère comme acquis certains points préalablement tranchés par le juge pénal.
Conçue pour assurer une certaine sécurité juridique1795, l’autorité des décisions répressives est

1792
Il se peut toutefois que le juge répressif décide, sur le fondement de l’article 132-59 du code pénal, de dispenser
le coupable d’une peine, lorsqu’il apparaît que son reclassement est acquis, que le dommage causé par son
comportement est réparé et que le trouble résultant de l’infraction a cessé.
1793
Dans cette section, le juge des impôts sera principalement représenté par le juge administratif. La position du
juge judiciaire des impôts, reconnaissant classiquement et de manière absolue une autorité aux décisions du juge
répressif, appartenant au même ordre de juridiction que ce dernier, sera évoquée seulement dans le but de faire un
parallèle avec la position plus restrictive du juge administratif.
1794
Depuis un arrêt Vesin du 12 juillet 1929, le Conseil d’État reconnaît qu’un jugement du conseil de guerre
déclarant un individu coupable « de fraudes sur la nature et sur la qualité des choses fournies » s’imposait au juge
administratif « à raison de l’autorité de la chose jugée » : CE, sect., 12 juillet 1929, n°81701, Vesin : Rec. Lebon,
p. 716, concl. R. LATOURNERIE ; RDP 1931, p. 326, chron. G. JEZE ; D. 1930, III, p. 2, note M. WALINE.
1795
F. HÉLIE, Traité de l’instruction criminelle, 1866, 2ème éd., T. 2 « De l’action publique et de l’action civile »,
p. 566-567 : « L'exception de chose jugée repose sur un double fondement ; elle constitue, en premier lieu, une
règle du droit public. L'autorité des jugements en effet, cette sauvegarde de tous les droits et de tous les intérêts
de la société civile, n'existe que parce qu'ils sont inattaquables ; toute leur souveraineté réside dans leur fixité.

380
d’ordre public1796. Alors que l’autorité de chose jugée des décisions du juge correctionnel
semble générale et absolue, le juge administratif des impôts a tenté d’en circonscrire les effets,
en imposant des conditions matérielles (§1) et temporelles (§2) strictes à son application.

§1. Les conditions matérielles de l’autorité de chose jugée

425. Limitation dans le contenant et dans le contenu. – Toutes les décisions du juge
répressif ne bénéficient pas d’une autorité absolue devant le juge fiscal. La règle ne s’impose
qu’au profit de certaines décisions du juge répressif (A) et qu’à l’égard de certains de ses motifs
(B).

A) La nature des décisions ayant autorité

426. Une décision définitive d’une juridiction de jugement statuant sur le fond. – Selon
une jurisprudence constante du Conseil d’État1797, l’autorité de la chose jugée en matière pénale
« ne s'attache qu'aux décisions des juridictions de jugement qui sont définitives et statuent au
fond ». Pour qu’une décision du juge répressif bénéficie d’une autorité devant les juridictions
administratives, la chose jugée au pénal doit, en premier lieu, résulter d’une décision statuant

Quel serait le sort des citoyens si leurs intérêts perpétuellement agités, ne trouvaient dans les jugements aucune
garantie durable ? Quelle serait leur sécurité, s'ils n'y rencontraient pas un refuge assuré contre les poursuites
dont ils pourraient être l'objet ? Et la justice elle-même, quelle serait sa force, si des décisions n'étaient revêtues
que d'une autorité contestable ? (…) L'exception constitue en second lieu, une règle de la défense. Est-ce que la
position de l'accusé peut demeurer perpétuellement incertaine ? ». En matière fiscale, ces justifications sont
également opérantes. Un commissaire du gouvernement énonçait à cet effet que « devant le juge pénal peuvent se
trouver mis en cause le patrimoine, l'honneur, la liberté, voire la vie même du citoyen. Pour des raisons d'ordre
public et bien qu'aucun texte ne l'impose, il a paru impossible d'admettre que, dans l'exercice de cette mission
répressive, indispensable au maintien de tout ordre social, l'autorité du juge pénal puisse se trouver ébranlée par
des décisions de justice desquelles il résulterait que doit être réputé innocent celui qui a été condamné ou coupable
celui qui a été acquitté » (J. THÉRY, ccl. sous CE., Ass., 8 janvier 1971, n°77800, Min. Intérieur c/ Dame
Desamis).
1796
CE, 1ère et 4ème ss-sect., 15 octobre 1999, n°187512, Sté bourguignonne de surveillance c/ Office des migrations
internationales : Rec. Lebon, pp. 964 à 971 ; JCP E 2000, 1773 ; CE, 4ème et 6ème ss-sect., 30 juin 2000, n°196432,
Grossetête : Rec. Lebon, p. 1195 ; Gaz. Pal., 2001, note P. GRAVELEAU, p. 24.
1797
CE, Ass., 5 mai 1976, n°98276, Lerquemain : Rec. Lebon, p. 229, concl. G. GUILLAUME ; AJDA 1976, p.
414, chron. M. NAWVELAERS et L. FABIUS (rendu en matière d’infractions routières) ; CE, 4ème et 1ère ss-sect.,
26 janvier 1977, n°98426 ; CE, 7ème et 9ème ss-sect, 27 avril 1984, n°37657, SARL SOCAM : Dr. fisc. 1984, n°45-
46, comm. 2019 ; RJF 6/1984, n°759 ; CE, 7ème et 9ème ss-sect, 11 mars 1992, n°76530, Bouaziz : RJF 5/1992
n°596 ; CE, 5ème et 3ème ss-sect, 25 octobre 1993, n°114955, Voisin ; CE, 5ème et 3ème ss-sect., 25 octobre 1993,
n°114954 ; CE, 26 mai 1997, n°164353 ; CE, Ass., 12 avril 2002, n°238689, Papon : Rec. CE 2002, p. 139, concl.
S. BOISSARD ; RFDA 2002, p. 582, chron. M. GUYOMAR ; AJDA 2002, p. 423, P. COLLIN ; CE, 24 octobre
2012, n°349505, Penichon c/ Sanspoux ; CE, 9ème et 10ème ss-sect., 12 décembre 2012, n°340581.

381
sur le fond, excluant ainsi de son champ les ordonnances rendues par le juge d’instruction.
Parmi celles-ci1798, les ordonnances de renvoi devant le tribunal correctionnel, par lesquelles le
juge d’instruction se borne, selon les termes de l’article 179 du code de procédure pénale, à
« estimer »1799 que les faits constituent un délit, ne sont pas revêtues de l’autorité de chose
jugée. Selon les propos d’un rapporteur public, « cette prise de position ne vaut évidemment
pas jugement sur le fond de l'action publique, notion par laquelle il faut entendre (…) une
décision qui, statuant sur les poursuites, prononce une condamnation, une relaxe ou un
acquittement »1800. En conséquence, quelles que soient les constatations de fait sur lesquelles
ces ordonnances sont fondées, elles ne s’imposent pas au juge administratif1801. L’autorité de
chose jugée est également déniée aux ordonnances de non-lieu1802 rendues par le juge
d’instruction qui, constatant que les faits ne constituent pas une infraction, que l’auteur est resté
inconnu ou qu’il n’existe pas de charges suffisantes contre la personne mise en examen, décide
qu’il n’y a pas lieu à poursuivre la procédure1803. Le juge fiscal ne différencie pas selon que le
non-lieu procède de raisons de droit ou de fait, distinction pourtant essentielle1804 en procédure
pénale pour connaître la véritable portée de la décision du juge d’instruction. Lorsque le
magistrat motive sa décision en fait1805, l’autorité qui lui est attachée ne peut être que provisoire,

1798
Le juge d’instruction peut également rendre une ordonnance d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble
mental lorsqu’il estime qu’il y a des « raisons plausibles d’appliquer le premier alinéa de l’article 122-1 du code
pénal » (art. 706-120 CPP). À notre connaissance, aucun arrêt n’a été rendu à propos de l’autorité d’une telle
ordonnance devant le juge fiscal, bien que celle-ci, rendue tant pour des raisons de droit que de fait, pourrait
s’imposer dans le cadre de la procédure fiscale.
1799
Al. 1er, art. 179 CPP : « Si le juge estime que les faits constituent un délit, il prononce, par ordonnance, le
renvoi de l'affaire devant le tribunal correctionnel. Cette ordonnance précise, s'il y a lieu, que le prévenu bénéficie
des dispositions de l’article 132-78 du code pénal » (c’est nous qui soulignons).
1800
CE, 10ème et 9ème ss-sect, 24 avril 2013, n°339932, M. Tollis : Dr. fisc. 2013, n°20, comm. 285, concl. É.
CRÉPEY ; RJF 8-9/2013, n°857.
1801
Ibid.
1802
CE, Ass., 5 mai 1976, n°98276, Lerquemain : Rec. Lebon 1976, p. 229, concl. G. GUILLAUME ; AJDA 1976,
p. 414, chron. M. NAUWELAERS et L. FABIUS ; CE, 7ème et 9ème ss-sect., 13 décembre 1982, n°26738 et n°26739
: Dr. fisc. 1983, n°46-47, comm. 2179, concl. P. BISSARA ; RJF 2/1983, n°201 ; CE, 7ème et 9ème ss-sect, 27 avril
1984, n°37657, SARL Socam : Dr. fisc. 1984, n°45-46, comm. 2019 ; RJF 6/1984, n°759 ; CE, 7ème et 8ème ss-sect,
25 mars 1987, n°31935 et 31936, SARL France Sauvagine : Dr. fisc. 1987, n°26, comm. 1225 ; RJF 6/1987, n°663 ;
CE, 11 mars 1992, n°76530, Bouaziz : RJF 3/1992, n°596 ; CE, 8ème ch., 6 janvier 2017, n°388321, Société
Métallurgique du Rhin : RJF 7/17, n°679, concl. B. BONHERT, C679.
1803
Al. 1er, art. 177 CPP.
1804
V. en ce sens, E. VERNY, La remise en cause de l’ordonnance de non-lieu, in Mélanges en l’honneur du
professeur J.-F. SEUVIC, dir. B. PY et F. STASIAK, Presses Universitaires de Nancy, 2018, p. 687 ; E. DREYER,
O. MOUYSSET, Procédure pénale, Lextenso, LGDJ, 2ème éd., 2019, n°485 et s. ; J. LEROY, Procédure pénale,
Lextenso, LGDJ, 7ème éd., 2021, n°781 et s.
1805
Sont par exemples des motifs de fait, l’absence d’identification du responsable, le défaut d’établissement des
circonstances de l’infraction, ou plus généralement l’absence de charges suffisantes.

382
l’information judiciaire pouvant être rouverte à tout moment lorsqu’apparaissent des charges
nouvelles1806 résultant d’investigations postérieures1807. Lorsqu’à l’inverse le non-lieu est
justifié par des raisons de droit1808, une autorité absolue1809 de la chose jugée y est attachée,
faisant obstacle à ce que la personne qui en bénéficie soit ultérieurement poursuivie pour les
mêmes faits et sous une autre qualification. La juridiction fiscale est donc conduite à ignorer
les décisions par lesquelles le magistrat instructeur décide que les faits ne sont pas punissables,
alors que l’existence d’un fait justificatif ou d’une contrainte peut valablement influer sur
l’intentionnalité du comportement du contribuable, à laquelle le juge des impôts doit pourtant
s’intéresser pour caractériser la fraude1810.

Le champ de l’autorité de chose jugée ne s’étend, en second lieu, qu’aux décisions


« définitives » du juge répressif. L’expression utilisée par le Conseil d’État ne reflète cependant
pas la réelle portée de l’autorité des décisions de la juridiction pénale. Selon une définition
classique, une décision devient en effet définitive lorsque sont expirés les délais d'opposition,
d'appel ou de pourvoi en cassation1811. Or, la juridiction administrative concède une autorité de
chose jugée aux décisions rendues en dernier ressort pouvant encore faire l’objet d’un pourvoi
en cassation1812. En définitive, l’autorité de chose jugée concerne les décisions du juge répressif
passées en force de chose jugée et statuant sur le fond de l’action publique.

1806
Les charges sont dites nouvelles lorsqu’elles n’ont pu être envisagées initialement par le juge d’instruction :
Cass. crim., 9 novembre 1965, n°65-90.418 : « qu'en effet aux termes de l'article 189 du code de procédure pénale,
sont considérées comme charges nouvelles les pièces qui n'ayant pu être soumises à l'examen du juge d'instruction
sont cependant de nature soit à fortifier les charges qui auraient été trouvées trop faibles, soit à donner aux faits
de nouveaux développements utiles à la manifestation de la vérité ;que, loin d'être limitative, cette disposition doit
être entendue dans le sens le plus large ».
1807
C’est la raison pour laquelle le juge fiscal ignore également les décisions de classement sans suite, qui ne
s’opposent pas à une reprise ultérieure des poursuites (CE, 5 mai 1986, n°51149, Zemouli ; CE, 3 novembre 1989,
n°88408. V. supra, n°166 et s.
1808
Le non-lieu est motivé en droit lorsqu’il existe un obstacle juridique à la poursuite, tel que l’existence d’un fait
justificatif, le défaut de constitution de l’infraction ou encore le fait que les faits soient prescrits ou bénéficient
d’une amnistie.
1809
V. en ce sens, E. DREYER, O. MOUYSSET, Procédure pénale, Lextenso, op. cit., n°485.
1810
V. supra, n°85 et s.
1811
Cass. crim., 9 septembre 2014, n°13-87.056 et n°13-87.054. Une décision définitive est une décision passée
en force de chose jugée irrévocable : V. en ce sens : E. DREYER, O. MOUYSSET, Procédure pénale, op. cit.,
n°798.
1812
CE, 9ème et 10ème ss-sect., 12 décembre 2014, n°356872, Sté Euro-Car SPRL et n°356888, Min. c/ Sté Euro
Car SPRL (1ère espèce) et n°356871, Sté Euro-Car SPRL (2ème espèce) : Dr. fisc. 2015, n°14, comm. 247, concl.
M.-A. NICOLAZO DE BARMON ; RJF 2015, n°259.

383
427. Indifférence de la cause juridique. – Au sein de ces décisions, la jurisprudence fiscale
ne limite pas le champ de l’autorité selon que le juge répressif se soit prononcé sur le bien-
fondé ou sur la régularité de la procédure d’imposition. Sur le terrain du bien-fondé de
l’imposition, le juge fiscal accorde aisément une autorité à la détermination par le juge répressif
du montant du chiffre d’affaires d’un contribuable1813, à l’existence d’une compatibilité
occulte1814, à l’établissement du caractère fictif d’un contrat de location-gérance1815 ou de
factures1816, de même qu’aux aveux réitérés du prévenu devant le juge d’instruction 1817. Sur le
terrain de la régularité de la procédure fiscale, les décisions répressives susceptibles de
s’imposer au juge fiscal sont plus rares, la compétence de la juridiction correctionnelle se
limitant à cet égard à la violation de l’article L. 47 du livre des procédures fiscales et au défaut
de débat oral et contradictoire1818. L’autorité de ces décisions a explicitement1819 été admise par
un arrêt du Conseil d’État du 14 octobre 20151820, dans lequel il a été affirmé que « l'autorité
de la chose jugée qui appartient aux décisions des juges répressifs devenues définitives (…)
s'impose au juge de l'impôt, dans ces conditions, que soient en cause le bien-fondé de l'impôt
ou la procédure d'imposition ». Ce motif de principe n’a toutefois pas bénéficié au contribuable
dans l’affaire soumise, alors même que la juridiction répressive avait accueilli l’exception de
nullité visant la procédure de vérification de compatibilité diligentée par l’administration
fiscale. Le Conseil d’État a en effet refusé qu’en l’espèce, l’appréciation du juge correctionnel
ne s’impose à lui. Pour ce faire, il a considéré que les faits relevés par le juge correctionnel pour
conclure à la nullité de la procédure fiscale ne pouvaient être regardés « comme le support
nécessaire du dispositif de la décision pénale ». Cette formulation restreint considérablement
l’étendue de l’autorité de chose jugée.

1813
CE, 24 avril 1981, n°10814 : Dr. fisc. 1981, n°48-49, comm. 2186 ; RJF 1981, n°616. V. cependant contra :
CE, 7ème et 9ème ss.-sect., 18 octobre 1978, n°96122 : Dr. fisc. 1978, n°51, comm. 2030 ; CE, 10ème et 9ème ss-sect.,
17 juillet 2013, n°340266, M. et Mme Lemaire : Dr. fisc. 2013, n°41, comm. 479 ; RJF 2013, n°1079.
1814
CE, 18 novembre 1983, n°32098 : Dr. fisc. 1984, n°8, comm. 347 ; RJF 1984, n°5.
1815
CE, 7ème et 9ème ss-sect., 2 novembre 1987, n°79363, Magnier : RJF 1/1988, n°97 ; RJF 2/1989, n°168.
1816
CE, 24 juin 1991, n°76556.
1817
CE, 10 janvier 2001, n°211967 et 212114, Loubet, Murais : Dr. fisc. 2011, n°30, comm. 735, concl. S.
AUSTRY ; RJF 4/2001, n°436, concl. S. AUSTRY, BDCF 4/2001, n°47.
1818
V. supra, n°336 et s.
1819
V. pour une référence implicite à cette question : CE, 13 novembre 1970, n°70742, Société des spectacles des
Champs-Élysées.
1820
CE, 9ème et 10ème ss-sect., 14 octobre 2015, n°360426, Mme Amos et succession Amos : Dr. fisc. 2015, n°51-
52, comm. 744, concl. É. BOKDAM-TOGNETTI ; Rec. Lebon, p. 628 ; RJF 1/2016, n°80 ; Dr. fisc. 2016, n°5,
comm. 142, obs. R. SALOMON.

384
B) L’étendue de l’autorité de chose jugée

428. Formulation classique du juge fiscal. – Une formulation classique du juge


administratif cantonne l’autorité des décisions pénales aux seules constatations pouvant être
regardées comme le « support nécessaire du dispositif » (1) et seulement « au regard de la loi
pénale » (2), excluant dès lors de son champ les décisions de relaxes prononcées au bénéfice
du doute (3).

1) Une autorité limitée aux constatations constituant le support nécessaire du


dispositif

429. Le « support nécessaire » de la décision du juge pénal. – En présence d’une décision


définitive de la juridiction répressive statuant sur le fond de l’action publique, l’autorité de
chose jugée ne s’attache qu’aux constatations qui en sont le « support nécessaire ». Pour
comprendre cette restriction, il est nécessaire de déterminer ce dont ces constatations doivent
être le support. Plusieurs formulations sont utilisées par le juge administratif, évoquant parfois
le support nécessaire de la « décision »1821 du juge répressif, souvent celui de son « dispositif
»1822, ou plus rarement celui de la « condamnation prononcée »1823. Au-delà de ces différentes
approches sémantiques, la détermination de l’étendue de l’autorité de chose jugée peut répondre
à deux approches distinctes. La première est une conception formaliste, qui consiste à étendre

1821
V. par exemple, CE, Ass., 8 janvier 1971, n°77800, Min. c/ Mme Desamis : AJDA 1971, p. 297, concl. J-F.
THERY ; CE, 5ème et 4ème ss-sect., 30 décembre 2013, n°356775, M. Devulder : Revue de jurisprudence sociale
2014, n° 591 ; AJDA 2014, p. 892.
1822
CE, 9ème et 7ème ss-sect., 14 décembre 1984, n°37199 et n°37200, M. Monnin : Dr. fisc. 1985, n°25, comm.
1185, concl. P. BISSARA : RJF 1985, n°23 ; CE, 4ème et 6ème ss- sect., 30 juin 2000, n°196432, Grossetête : Gaz.
Pal., 2001, note P. GRAVELEAU, p. 24 ; CE, 8ème et 3ème ss-sect., 24 septembre 2003, n°196931, Sté Avraud
Métaux : Dr. fisc. 2004, n°13, comm. 376, concl. G. BACHELIER ; RJF 2003, n°1441 ; BDCF 2003, n°160, concl.
G. BACHELIER ; CE, 8ème et 3ème ss-sect. 27 avril 2011, n°319472 ; CE, 6ème et 1ère ss-sect, 17 octobre 2014,
n°365325 ; CE, Ass., 12 octobre 2018, n°408567 ; CE, Ass., 12 octobre 2018, n°408567, SARL Super Coiffeur :
Dr. fisc. 2019, n°11, comm. 201, note S. DETRAZ ; Dr. adm. 2019, comm. 7, note G. EVEILLARD ; JCP A 2019,
2141, note L. CHAN-TUNG ; D. actu, 17 octobre 2018, obs. J-M. PASTOR ; AJDA 2018. 2390., chron. C.
NICOLAS et Y. FAURE ; D. 2018. 2023. obs. J-M. PASTOR, D. 2019, 347. obs. O. BOSKOVIC, S.
CORNELOUP, F. JAULT-SESEKE, N. JOUBERT et K. PARROT ; D. 2019. 678. obs. J-M. PASTOR, note. E.
BELLIARD et M. GRANGE ; Constitutions 2018. 554., chron. L. DOMINGO, RTD eur. 2019. 537, obs. D.
RITLENG ; AJDA 2019. 1803. chron. L. BURGORGUE-LARSEN ; Dr. adm. 2019, comm. 7, note G.
ÉVEILLARD ; Dr. fisc. 2018. act. 490, note. J. LEPOUTRE ; JCP G 2019, note 382, chron. G. ÉVEILLARD,
n°1 ; Dr. adm., 2019, comm. 8, obs. B. BLAQUIERE ; CE, 5ème et 6ème ss-sect., 27 mai 2021, n°436815, Min.
intérieur c/ Boutin ; CE, 14 juin 2021, 436813 ; CE, 3ème et 8ème ss-sect., 12 mai 2022, n°442880.
1823
CE, 8ème et 7ème ss-sect., 15 mai 1992, n°71726, M. Fontana : RJF 8-9/1992, n°1240 ; CE, 10ème et 9ème ss-sect.,
17 juillet 2013, n°340266, M. et Mme Lemaire, préc.

385
l’autorité à l’ensemble des motifs du jugement pénal, indépendamment de leur caractère
déterminant dans la décision prise par le juge pénal. Si la simplicité de cette méthode est
satisfaisante, elle risque cependant d’élargir l’autorité de la décision répressive à des éléments
qui n’ont eu aucune incidence sur son dispositif. C’est la raison pour laquelle le juge
administratif a fait le choix d’une approche plus restrictive, circonscrivant l’autorité de chose
jugée aux seules constatations de faits ayant déterminé le juge répressif dans sa décision. Cette
conception téléologique permet au juge fiscal de ne pas être lié par les éléments constatés par
le juge pénal qui n’ont pas déterminé le sens de sa décision1824.

2) Une autorité contenue à la qualification des faits au regard de la loi pénale

430. Exclusion de la qualification juridique des faits donnée par le juge répressif. – En
second lieu, l’autorité de la chose jugée attachée au jugement pénal ne s’étend pas à la
qualification juridique donnée aux faits par le juge pénal. La jurisprudence administrative
énonce invariablement que « l'autorité de la chose jugée qui appartient aux décisions des juges
répressifs devenues définitives s'attache à la constatation matérielle des faits mentionnés dans
le jugement, support nécessaire du dispositif, et à leur qualification sur le plan pénal ; qu'en
revanche elle ne s'attache pas à l'appréciation de ces mêmes faits au regard de la loi fiscale,
notamment en ce qui concerne l'évaluation des bases d'imposition »1825. Selon cette position, il
appartient au seul juge fiscal d’évaluer le comportement du contribuable au regard de la loi
fiscale, limitant substantiellement l’étendue de l’autorité des décisions rendues par la juridiction
correctionnelle. Les arrêts sont à cet égard très clairs. C’est en sa qualité de « juge de l’impôt »
que la juridiction administrative est seule compétente pour qualifier les faits au regard de la loi
fiscale1826. En conséquence, toutes les fois où le juge répressif est conduit à interpréter la loi

1824
Tel était notamment le cas dans l’affaire Mme Amos et succession Amos (CE, 9ème et 10ème ss-sect., 14 octobre
2015, n°360426, préc.) où le juge fiscal a considéré que l’annulation par le juge répressif de la procédure de
vérification de comptabilité, ne pouvant être regardé « comme le support nécessaire du dispositif de la décision
pénale », ne s’imposait pas à lui.
1825
CE, 7ème et 9ème ss-sect., 4 juillet 1980, n°14912, SNC Gueritot : Dr. fisc. 1981, n°1, comm. 42 : RJF 10/1980,
n°817 ; CE, 8ème et 9ème ss-sect., 14 juin 1982, n°34085 : Dr. fisc. 1982, n°42, comm. 1942 ; RJF 8-9/1982, n°868 ;
CE, 7ème et 9ème ss-sect, 16 juin 1982, n°26302 : Dr. fisc. 1982, n°45, comm. 2141 ; RJF 8-9/1982, n°869 ; CE,
9ème et 10ème ss-sect., 1er juillet 2009, n°295689, SARL Alain Palanchon : Dr. fisc. 2009, n°40, comm. 490, concl.
P. COLLIN ; RJF 8-9/2009, n°822 ; BDCF 10/2009, n°112, concl. P. COLLIN ; CE, 3ème et 8ème ss-sect., 27 avril
2011, n°319472, Ferrand : Dr. fisc. 2011, n°26, comm. 403 ; RJF 7/2001, n°806 ; BDCF 7/2011, n°84, concl.
L. OLLÉON ; CE, 9ème et 10ème ss-sect., 14 octobre 2015, n°360426, préc ; CE, 3ème et 8ème ss-sect., 24 février
2017, n°390467, Mélison : Dr. fisc. 2017, n°38, comm. 447 ; RJF 2017, n°409, concl. B. BOHNERT.
1826
CE, 3ème et 8ème ss-sect., 27 avril 2011, n°319472, Ferrand, préc.

386
fiscale, ses constatations ne s’imposeront pas au juge des impôts. Or, l’incrimination de l’article
1741 du code général des impôts implique nécessairement que les tribunaux correctionnels se
prononcent sur l’interprétation des textes contenus dans ledit code ainsi que dans le livre des
procédures fiscales. Ainsi, lorsque le juge pénal renvoie des fins de la poursuite un prévenu
attrait devant la juridiction du chef de fraude fiscale, au motif que les sommes en litige perçues
par l’intéressé ne relèvent pas de la catégorie des bénéfices non commerciaux mais répondent
aux caractéristiques d’un revenu exceptionnel, cette constatation ne s’impose pas au juge des
impôts, qui n’est dès lors pas tenu de prononcer la décharge des impositions supplémentaires
mises à la charge du contribuable dans la catégorie contestée1827. En définitive, les appréciations
du juge pénal et fiscal, découlant pourtant d’une même base textuelle, sont parfaitement
autonomes et peuvent aboutir à de sérieuses contradictions. La position du Conseil d’État
« permet ainsi à l'administration d'ignorer certaines décisions pénales et de conserver la plus
grande liberté d'appréciation des faits dans des affaires où elle estime que le juge judiciaire
n'est pas légitime à intervenir »1828.

431. Appréciation de la limitation de l’autorité de chose jugée. – La doctrine classique


salue une telle limitation de l’autorité de chose jugée, qualifiant de « sage »1829 l’attitude du
juge fiscal face à une décision du juge répressif statuant sur la fraude fiscale d’un prévenu. Au
nom d’une certaine « autonomie du juge fiscal », il serait légitime de le laisser « définir une
opération juridique au regard de la loi fiscale sans tenir compte des qualifications du droit
privé »1830. L’étendue de l’autorité des décisions pénales serait ainsi cantonnée au « strict
nécessaire », pour maintenir « dans des proportions qui semblent justes le principe
d'indépendance des deux procédures »1831. S’il est vrai que l’interprétation des lois fiscales
relève naturellement de la compétence du juge fiscal1832, la solution aboutissant à ce que celui-
ci ignore totalement la décision de son homologue n’est pas satisfaisante. En présence d’une
décision de relaxe prononcée par le juge répressif, c’est pourtant une liberté totale qui est
octroyée au juge des impôts.

1827
CE, 3ème et 8ème ss-sect., 24 février 2017, n°390467, Mélison, préc.
1828
A. CORBEL et V. BERGER, Les juges administratif et judiciaire face à une décision définitive de relaxe « au
bénéfice du doute » : Dr. fisc. 2022, n°9, comm. 121.
1829
G. KLEIN, La répression de la fraude fiscale, Étude sur le particularisme du droit pénal des impôts, op. cit.,
p. 147, n°170.
1830
Ibid.
1831
F. DEBOISSY, Retour sur un principe controversé : l'indépendance des procédures pénale et fiscale, op. cit.
1832
V. supra, n°60 et s.

387
3) L’exclusion de l’autorité d’une relaxe prononcée au bénéfice du doute

432. Positions contraires des juges administratif et judiciaire de l’impôt. – Si l’autorité


de chose jugée des décisions pénales est cantonnée aux constatations de faits support de la
condamnation, les décisions dépourvues de ces constatations ne s’imposent pas au juge fiscal.
Tel est le cas des décisions de relaxe au bénéfice du doute, à l’égard desquelles le juge
administratif fiscal ne s’estime pas lié (a). Sa position contraste avec celle du juge judiciaire
des impôts, qui accepte de voir dans l’existence d’une relaxe une décision revêtue de l’autorité
de chose jugée (b).

a) La position du juge administratif

433. Tâtonnements du juge administratif fiscal en présence d’une décision de relaxe. –


Aux termes de l’article 470 du code de procédure pénale, le juge correctionnel peut prononcer
la relaxe du prévenu lorsque « le fait n'est pas établi ». Les éléments présents dans le dossier
ont été insuffisants à emporter la conviction des juges sur la réalité de l’infraction ou sur son
imputabilité au prévenu. Face à de telles décisions, l’attitude du juge administratif a varié pour
déterminer le degré d’autorité devant y être attaché. Le vingtième siècle a en effet marqué un
certain tâtonnement du Conseil d’État, lequel a d’abord refusé toute autorité aux décisions par
lesquelles le juge correctionnel renvoyait le prévenu des fins de la poursuite1833. Fort de sa
position classique selon laquelle l’autorité de chose jugée s’attache aux constatations
matérielles support de la décision pénale, il considérait que la relaxe, en ce qu’elle procède non
pas de constatations positives s’imposant à lui mais de constatations négatives n’entrant pas
dans le champ de la règle, ne pouvait avoir une quelconque autorité à son égard. Sa position a
ensuite évolué à la faveur d’un arrêt Louradour du 14 mai 19481834 par lequel le juge

1833
V. en ce sens, A. CORBEL et V. BERGER, Les juges administratif et judiciaire face à une décision définitive
de relaxe « au bénéfice du doute », op. cit.
1834
CE, 14 mai 1948, n°80869, Louradour, Rec. Lebon, p. 211. Dans cette espèce, Monsieur Louradour, contrôleur
des impôts, a été suspendu de ses fonctions pour avoir, en assistant à une messe célébrée dans la cathédrale de
Rabat pour le repos de l’âme de Philippe Henriot, « manifesté publiquement une opinion hostile au gouvernement
dont il relève et s’est ainsi rendu coupable d’un acte grave d’insubordination, susceptible de troubler l’ordre
public ». Celui-ci a ensuite été poursuivi devant les juridictions correctionnelles pour les mêmes faits que ceux
justifiant la sanction disciplinaire. Dans ce cadre, il a été renvoyé des fins de la poursuite par la cour d’appel de
Rabat, au motif qu’il « n’était pas établi que le requérant, lorsqu’il s’est rendu à la cathédrale, ait su que le service
était célébré pour le repos de l’âme de Philippe Henriot ». Le juge administratif s’estime lié par cette décision de
relaxe : « considérant que le fait ainsi constaté par la cour d’appel de Rabat, auquel s’attache l’autorité de la

388
administratif a accepté de reconnaître une autorité à une décision de relaxe prononcée par le
juge répressif. Ce revirement n’a toutefois été que très bref, puisque dans un arrêt Chomat du
11 mai 19561835, le Conseil d’État est revenu à une position traditionnelle en permettant à
l’administration de prononcer une sanction disciplinaire en raison de faits ayant pourtant fait
l’objet d’une relaxe prononcée par le juge répressif. À cette occasion, il a clairement affirmé
que l’autorité conférée aux décisions répressives « ne saurait s'attacher aux motifs d'un
jugement de relaxe tirés de ce que les faits reprochés ne sont pas établis ou de ce qu'un doute
subsiste sur leur réalité ». En présence d’une telle décision, il appartient à l’administration «
d'apprécier si les mêmes faits sont suffisamment établis (…) en l'état des éléments qui lui sont
soumis et qui peuvent, d'ailleurs, être différents de ceux qu'avait connus le juge pénal, tant sur
l'exactitude matérielle des faits retenus que sur leur qualification juridique ». Le juge
administratif suit le sens des conclusions du commissaire du gouvernement, précisant que
« d’un point de vue théorique, on peut légitimement contester que la constatation d’un doute
par le juge pénal ait les mêmes effets (…) que la constatation de l’inexistence matérielle d’un
fait »1836.

434. Exclusion de l’autorité d’une relaxe prononcée « au bénéfice du doute ». – Cette


jurisprudence a par la suite été transposée en matière fiscale1837, où il est désormais admis

chose jugée, bien que cet arrêt ait été l’objet d’un pourvoi en cassation, ne saurait être remis en question devant
le juge de l’excès de pouvoir ; que, dès lors, le fait que le sieur Louradour n’aurait pas ignoré le véritable caractère
de la cérémonie incriminée doit être regardé comme n’étant pas établi et que par suite, la décision attaquée doit
être annulée comme dépourvue de base légale » : Recueil des arrêts du Conseil d’État statuant au contentieux et
des décisions du tribunal des conflits, Coll. « Lebon, Panhard et Chalvon-Demersay », Recueil Sirey, 1948,
janvier-février-mars, p. 211.
1835
CE, sect. 11 mai 1956, n°23524, Chomat : Rec. Lebon, p. 200 : dans cette affaire, Monsieur Chomat, inspecteur
de police, avait fait l’objet d’une révocation à la suite de sa participation à un trafic de faux chèques. Parallèlement,
il était poursuivi devant le juge répressif qui l’a relaxé « au bénéfice du doute éprouvé par les juges sur sa
participation aux faits délictueux ». Pour le juge administratif, la motivation de la relaxe ne pouvait faire obstacle
à ce que l’autorité disciplinaire lui inflige une sanction à raison des mêmes faits.
1836
Concl. P. LAURENT ss CE, sect., 11 mai 1956, n°23524, Chomat, préc.
1837
V. notamment, CE, 8ème et 9ème ss-sect., 23 février 1979, n°07307, SARL Rena et n°07308 : Dr. fisc. 1979,
n°49, comm. 2433 ; RJF 4/1979, n°235 ; CE, 7ème et 8ème ss-sect., 6 février 1981, n°14646 : Dr. fisc. 1981, n°30,
comm. 1519, concl. P. RIVIÈRE ; RJF 4/1981, n°382 ; CE, 8ème et 9ème ss-sect., 27 juillet 1984, n°36355 et 36355
bis, Margoel : Dr. fisc. 1984, n°47, comm. 2035 ; RJF 11/1984, n°1373 ; CE, sect., 28 juillet 1999, n°188973, GIE
Mumm-Perrier-Jouët : JCP E 1999, 1373 ; LPA 8 décembre 1999, p. 9, concl. J.-C. BONICHOT ; AJDA 1999, p.
783, chron. P. FOMBEUR et M. GUYOMAR ; CE, 9ème et 10ème ss-sect., 1er juillet 2009, n°295689, SARL Alain
Palanchon : Dr. fisc. 2009, n°40, comm. 490, concl. P. COLLIN ; RJF 8-9/2009, n°822 ; CE, 9ème et 10ème ss-sect.,
15 avril 2011, n°310304 et n°310272, M. et Mme Abihssira : Dr. fisc. 2011, n°23, comm. 382 ; RJF 2011, n°776,
concl. P. COLLIN ; BDCF 7/11, n°79 ; CE, Sect., 16 février 2018, n°395371, Thomas : Dr. fic. 2018, n°15, comm.
257, concl. É. CREPEY, note R. ADADY et R. TORLET ; N. JACQUOT et N. GUILLAND, Autorité de la chose

389
qu’une relaxe pour fraude fiscale, prononcée au bénéfice du doute, ne s’impose pas au juge des
impôts dès lors que le juge correctionnel ne s’est livré à aucune constatation à laquelle
s’attacherait l’autorité de la chose jugée. En présence d’une décision de relaxe, le juge fiscal
doit en examiner les motifs afin de connaître l’étendue de son autorité. Cette démarche est
parfaitement illustrée par un arrêt rendu le 1er juillet 20091838. À l’origine de cette affaire, la
SARL Palanchon a fait l’objet de deux vérifications de comptabilité successives à l’issue
desquelles l’administration fiscale lui a notifié des rappels d’impositions sur les sociétés et de
TVA et infligé une pénalité fiscale. Il était en l’espèce reproché à la société des livraisons
irrégulières de bovins à destination d’une société espagnole, sur lesquelles la SARL entendait
bénéficier de l’exonération de la TVA intracommunautaire. Après l’échec des réclamations
formulées devant l’administration, cette dernière a saisi la juridiction administrative qui a rejeté,
tant en première instance qu’en appel, sa demande de décharge. En parallèle, le gérant de la
société a été poursuivi devant la juridiction répressive du chef de soustraction frauduleuse au
paiement de la TVA. Bien que reconnaissant une négligence dans la tenue de la comptabilité
de la société, la chambre des appels correctionnels l’a renvoyé des fins de la poursuite, au motif
qu’était parfaitement établie la réalité de la société espagnole ainsi que celle des exportations
des animaux. Devant le Conseil d’État, le contribuable reprochait à la cour administrative
d’appel d’avoir considéré que ce jugement de relaxe n’était pas revêtu de l’autorité absolue de
chose jugée. Il ressortait en effet des termes de sa décision que la cour administrative d’appel
avait, « sans nuance »1839, dénié une autorité de chose jugée à la décision de relaxe prononcée
par le juge pénal.

435. Nécessité de distinguer entre les constatations de fait et les qualifications


juridiques. – Suivant les conclusions de son rapporteur public, le Conseil d’État censure ce
raisonnement et invite le juge des impôts « avant de porter lui-même une appréciation sur la
matérialité et la qualification des faits au regard de la loi fiscale, de rechercher si cette relaxe
était ou non fondée sur des constatations de fait qui s'imposent à lui ». L’autorité absolue de
chose jugée peut être déniée au seul profit des relaxes prononcées « au bénéfice du doute »1840,

jugée au pénal : entre altérité et automaticité : Dr. fisc. n°15, 12 avril 2018, comm. 257 ; RJF 5/2018, n°536, concl.
E. CRÉPEY, C 536.
1838
CE, 9ème et 10ème ss-sect., 1er juillet 2009, n°295689, SARL Alain Palanchon, préc.
1839
Concl. P. COLLIN ss. CE, 9ème et 10ème ss-sect., 1er juillet 2009, n°295689, SARL Alain Palanchon, préc.
1840
Si le juge fiscal fait aisément référence à la notion, elle est pourtant absente des termes de l’article 470 du code
de procédure pénale, qui évoque trois hypothèses de relaxe que sont d’abord, le défaut pour le fait poursuivi de
constituer une infraction à la loi pénale, ensuite, l’absence de l’établissement du fait poursuivi et, enfin,

390
c’est-à-dire celles qui ne renferment aucune énonciation factuelle susceptible de lier le juge des
impôts. En revanche, s’agissant des relaxes ne faisant pas référence à cette formulation, le juge
fiscal doit analyser les motivations ayant conduit la juridiction correctionnelle à renvoyer le
prévenu des fins de la poursuite1841. Si la relaxe est fondée sur des constatations de faits, elle
s’impose à lui mais dans le cas contraire, l’autorité de chose jugée est exclue. Dans l’espèce qui
lui était soumise, et après avoir fait application de l’article L. 821-2 du code de justice
administrative1842, le Conseil d’État a relevé que la relaxe du juge répressif était fondée sur le
fait que la réalité des opérations d’exportations « était établie par les plans de camions dont les
conducteurs étaient porteurs, ainsi que par les factures, d’une part, émises par les
transporteurs et d’autre part, adressées aux acquéreurs ». Mais paradoxalement, ces
« constatations de fait »1843 ne s’imposent pas au juge fiscal qui, s’il se trouve lié par leur
qualification sur le plan pénal, ne l’est pas s’agissant de qualifier « ces mêmes faits au regard
de la loi fiscale », de sorte que le juge des impôts doit retrouver son entière liberté à l’endroit
du droit pour le contribuable de se prévaloir d’une exonération fiscale. Selon une appréciation
autonome de la loi fiscale, le Conseil d’État a estimé que les livraisons espagnoles ne
satisfaisaient pas aux conditions d’octroi de l’exonération fiscale, refusant alors de prononcer
la décharge des impositions mises à la charge de la société.

436. Fragilités de la distinction entre les constatations de fait et les qualifications


juridiques. – L’autorité de chose jugée des décisions du juge répressif est alors enfermée dans
un étau. D’une part, l’autorité est exclue pour les décisions dépourvues de constatations

l’impossibilité de l’imputer au prévenu. La chambre criminelle ne l’utilise d’ailleurs très rarement dans ses
décisions et qu’en faisant référence aux décisions des juges du fond ayant prononcé la relaxe sur ce fondement (V.
par exemple : Cass. crim., 24 avril 1997, n°96-83.134 ; Cass. crim., 21 janvier 2004, n°03-82.225 ; Cass. crim., 5
octobre 2005, n°05-80.758 ; Cass. crim., 11 mai 2011, n°10-84.251). Dans le respect de la présomption
d’innocence de la personne bénéficiant de la relaxe, la doctrine conseille d’ailleurs de ne pas laisser apparaître la
formulation dans le jugement, « la juridiction devant se borner à constater l'absence de preuve (entendue comme
la réunion de la totalité des éléments nécessaires à l'acquisition de la certitude) de la responsabilité pénale » (S.
DETRAZ, Prétendue présomption d’innocence : Dr. pén. 2004, n°3, comm. 3 ; V. aussi, P. CONTE et P.
MAISTRE DU CHAMBON, Procédure pénale, éd. Armand Colin, éd. 2002, n°41).
1841
En ce sens, le Conseil d’État juge que la cour administrative d’appel a commis une erreur de droit en ayant
omis « d’examiner les motifs qui constituent le support nécessaire de la relaxe prononcée par la juridiction
répressive, sans rechercher si cette dernière a procédé à des constatations de fait, revêtues de l’autorité de la
chose jugée, de nature à lier le juge de l’impôt ».
1842
Cette disposition permet au Conseil d’État de régler l’affaire au fond.
1843
La formule figure classiquement au début du motif du Conseil d’État : « Considérant, en premier lieu, qu’il
résulte des constatations de fait de l’arrêt (…) par lequel la cour d’appel de Dijon a relaxé M. Alain A du chef de
fraude fiscale » (c’est nous qui soulignons).

391
factuelles, telles que peuvent l’être les décisions de relaxes prises au bénéfice du doute. D’autre
part, même en présence de ces mêmes énonciations factuelles, celles-ci, lorsqu’elles sont le
support du dispositif de la décision, ne s’imposent au juge fiscal que dans les limites de la loi
pénale, lui laissant ainsi l’entière liberté de les qualifier différemment au sens des textes fiscaux.
Un tel resserrement du champ de l’autorité de chose jugée est difficilement acceptable, tant la
frontière est perméable entre ce qui relève des constats de fait, auxquels le juge fiscal est lié, et
l’appréciation des faits au regard de la loi fiscale, qui ne s’impose pas à lui1844. Un arrêt rendu
le 15 avril 2011 par le Conseil d’État1845 en est l’embarrassant témoignage. À l’origine de
l’affaire, deux époux ont fait l’objet d’un examen contradictoire de leur situation fiscale
personnelle puis d’une vérification de comptabilité, à l’issue desquelles l’administration fiscale
leur a notifié des redressements d’impôts à raison des gains de cessions de valeurs mobilières
et de droits sociaux réalisés à l’occasion d’une vente d’un pourcentage de participation dans
une société anonyme. Dans le cadre de la procédure fiscale ouverte devant le juge administratif,
les époux ont vainement contesté les impositions supplémentaires mises à leur charge devant le
tribunal administratif et la cour administrative d’appel. Poursuivis pour les mêmes faits devant
la juridiction correctionnelle, ils ont bénéficié d’un arrêt de relaxe devenu définitif. En effet, la
cour d’appel de Versailles a contesté la qualification de prime d’émission conférée aux sommes
litigieuses par le fisc, préférant regarder l’opération comme le versement d’un prix en
contrepartie de la cession d’un droit préférentiel, exclusive de toute notion de fraude fiscale.
Pour répondre à la question de savoir si la cour administrative d’appel avait méconnu l’autorité
de chose jugée au pénal en estimant qu’elle n’était pas liée par l’arrêt rendu par le juge répressif,
le Conseil d’État devait déterminer si celui-ci s’était livré à un constat de fait s’imposant à lui,
ou à une simple qualification juridique dont il pouvait se détacher. Les conclusions du
rapporteur public démontrent toute la difficulté de cette opération de qualification. Ce dernier
énonce que de prime abord, la motivation du juge répressif, « en arbitrant entre la thèse de la
cession des droits préférentiels et celle de la prime d’émission »1846, est allé bien au-delà d’une
énonciation de pur fait. Pour apprécier la nature de l’opération litigieuse, le juge répressif s’est
référé aux lois fiscales en vigueur, postulant dès lors une entière autonomie du juge fiscal saisi

1844
V. en ce sens, G. SIMON et C. SOURZAT, Les contradictions de l'indépendance des procédures administrative
et pénale : remise en ordre en cassation : RFDA, 2018 p. 1091 ; A. CORBEL et V. BERGER, Les juges
administratif et judiciaire face à une décision définitive de relaxe « au bénéfice du doute », préc.
1845
CE, 9ème et 10ème ss-sect., 15 avril 2011, n°310304 et n°310272, M. et Mme Abihssira : Dr. fisc. 2011, n°23,
comm. 382 ; RJF 2011, n°776, concl. P. COLLIN ; BDCF 7/11, n°79.
1846
Concl. P. COLLIN sous CE, 9ème et 10ème ss-sect., 15 avril 2011, n°310304 et n°310272, M. et Mme Abihssira :
RJF 7/11, n°776.

392
des mêmes faits. Pourtant, le rapporteur public décide d’aller plus loin dans le raisonnement du
juge répressif, au sein duquel il décèle une appréciation sur la commune intention des parties.
La chambre des appels correctionnels a en effet « jugé qu’il existait un contrat de cession de
droits préférentiels de souscription »1847 conclu entre les parties, cet élément devant être regardé
comme un élément factuel s’imposant au juge de l’impôt. Malgré cette approche rigoureuse, le
Conseil d’État a décidé cependant, dans sa décision du 15 avril 2011, de ne pas suivre l’avis de
son rapporteur. Il a estimé que « la cour d'appel de Versailles s'est bornée à qualifier au regard
du droit des sociétés les sommes versées par la société Auchan le 24 juillet 1991, en sus de la
valeur nominale des actions, en contrepartie de la cession par les actionnaires de leurs droits
préférentiels de souscription d'actions, écartant la qualification de prime d'émission conférée
à ces mêmes sommes par l'administration pour justifier les poursuites pénales engagées à
l'encontre de M. David A ». En conséquence, cette qualification ne s'imposait pas au juge de
l'impôt, qui pouvait dès lors librement s’en écarter.

437. Rupture d’égalité entre les contribuables. – Au-delà de la fragilité de la distinction


entre les énonciations factuelles et les qualifications juridiques, s’ajoute le risque d’une rupture
d’égalité entre les contribuables bénéficiant d’une décision de relaxe. La position actuelle du
juge administratif fiscal, conférant une autorité de principe aux seules relaxes établissant sans
l’ombre d’un doute l’innocence du condamné, « conduit à discriminer les contribuables faisant
face à un cumul de procédures, selon que la motivation de la décision rendue au pénal est
suffisamment étoffée pour lier le juge de l'impôt »1848. Il est dès lors bienheureux que le juge
judiciaire de l’impôt s’écarte totalement de la position de son homologue administratif.

b) La position du juge judiciaire

438. Divergences entre les attitudes des juges administratif et judiciaire de l’impôt. – À
la différence des juridictions administratives, le juge judiciaire a depuis longtemps 1849 conféré

1847
Ibid.
1848
N. JACQUOT et N. GUILLAND, Autorité de la chose jugée au pénal : entre altérité et automaticité : RJF
5/2018, n°536, concl. E. CRÉPEY, C 536.
1849
La règle était déjà présente dans une décision de la chambre des requêtes du 17 mars 1813 (V. en ce sens, X.
PRÉTOT, J. BARTHÉLEMY, P. GALANAPOULOS, La Cour de cassation et l’évolution de la responsabilité
civile, Dalloz, coll. « Thèmes et commentaires », novembre 2019, 1ère éd., p. 49). Les jalons de l’autorité de chose
jugée du pénal sur le civil ont ensuite été édictés dans le célèbre arrêt Quertier du 7 mars 1855 en ces termes :
« Lorsque la justice répressive a prononcé, il ne saurait être permis au juge civil de méconnaître l’autorité de ses
souveraines déclarations ou de n’en faire aucun compte ; l’ordre social aurait à souffrir d’un antagonisme qui,

393
au principe de l’autorité de chose jugée au pénal une portée générale et absolue. Ainsi, une
relaxe prononcée par les juridictions correctionnelles, « fût-ce au bénéfice du doute », doit
s’imposer à la juridiction civile1850. Pour la Cour de cassation, aucune distinction ne doit être
faite entre les relaxes prononcées au bénéfice du doute et celles constatant l’absence des
éléments constitutifs de l’infraction. Parce qu’elle signifie, sinon « de manière certaine », du
moins « de façon non douteuse »1851, que l’intéressé n’a pas commis les faits reprochés, elle
doit lier le juge civil qui ne peut apprécier différemment les faits soumis. Contrairement à
l’ordre administratif, « l’ordre judiciaire n’admet pas l’hypothèse que la chose ait été mal jugée
et la coexistence de plusieurs vérités judiciaires »1852.

439. Cohérence des décisions imposées par les instances supérieures. – Cette position est
conforme à celle de la Cour européenne des droits de l’homme qui considère que le
raisonnement du juge administratif consistant à ignorer une relaxe, même prononcée au
bénéfice du doute1853, atteint le principe de la présomption d’innocence protégé à l’article 6§2

en vue seulement d’un intérêt privé, aurait pour résultat d’ébranler la foi due aux arrêts de justice criminelle, et
de remettre en question l’innocence du condamné qu’elle aurait reconnue coupable, ou la responsabilité du
prévenu qu’elle aurait déclaré ne pas être l’auteur du fait imputé » (Cass. civ., 7 mars 1855 : Bull. civ. I, n°31).
La doctrine a justifié cette solution sur la différence de régime probatoire entre les juridictions civiles et
répressives, les secondes possédant des moyens d’investigation ignorés des premières (V. notamment, R. MERLE
et A. VITU, Traité de droit criminel, Paris, éd. Cujas, 1967, n°460 et s.). V. pour plus de développements à ce
sujet : A. BOTTON, Contribution à l'étude de l'autorité de la chose jugée au pénal sur le civil : Thèse, Toulouse
2008, ss dir. B. DE LAMY ; N. VALTICOS, L'autorité de la chose jugée au criminel sur le civil : Thèse, Paris,
1948 ; P. HEBRAUD, L'autorité de la chose jugée du criminel sur le civil : Thèse, Toulouse, 1929 ;
V. TELLIER, En finir avec la primauté du criminel sur le civil, RSC 2009, p. 797 ; J.-H. ROBERT, L'autorité de
la chose jugée au pénal sur le civil : Procédures 2007, étude 19.
1850
V. par exemple, Cass. civ., 2ème, 6 décembre 1995, n°93-19.305 ; Cass. civ., 1ère, 9 juin 1993, n°91-17.387 :
Contrats, concurrence, consommation, 1993, comm. 205, obs. L. LEVENEUR ; Cass. civ., 1ère, 28 mars 2018,
n°17-15.628.
1851
A. CORBEL et V. BERGER, Les juges administratif et judiciaire face à une décision définitive de relaxe « au
bénéfice du doute », op. cit.
1852
Ibid.
1853
La Cour européenne des droits de l’Homme estime que cette expression viole en elle-même le principe de la
présomption d’innocence : « A ce titre, la Cour rappelle qu'elle a déjà eu l'occasion de souligner que l'expression
de soupçons sur l'innocence d'un accusé n'est plus acceptable après un acquittement devenu définitif (voir, dans
ce sens, Sekanina c. Autriche, arrêt du 25 août 1993, série A n°266 A, p. 15-16, §30). Selon la jurisprudence, une
fois l'acquittement devenu définitif – même s'il s'agit d'un acquittement au bénéfice du doute conformément à
l'article 6§2 – l'expression des doutes de culpabilité, y compris ceux tirés des motifs de l'acquittement, ne sont pas
compatibles avec la présomption d'innocence (Rushiti c. Autriche, précité, §31) » : Cour EDH, 27 septembre 2007,
Cassilios Stavropoulos c/ Grèce, req. n°35522/04, §38.

394
de la Convention1854. La Cour de justice de l’Union européenne est dans le même sens et estime
que la réglementation nationale doit contenir des règles assurant une coordination des
procédures, afin de limiter au strict nécessaire la charge supplémentaire qui résulte du
cumul1855. Dans une affaire Di Puma, les juges de la Cour de justice ont considéré que
l’existence d’un « jugement pénal définitif de relaxe constatant l’absence d’éléments
constitutifs de l’infraction » rendait impossible la poursuite successive d’une procédure
administrative pécuniaire1856. Quant au Conseil constitutionnel, s’il n’a pas officiellement
entendu « soumettre la procédure pénale à la procédure administrative »1857 par ses décisions
du 24 juin 20161858, sa jurisprudence condamne néanmoins l’hypothèse des contrariétés de
décisions entre les juridictions saisies des mêmes faits. Au nom de l’objectif à valeur
constitutionnelle de bonne administration de la justice1859, le Conseil constitutionnel cherche à
« supprimer ou éviter les divergences de jurisprudences qui pourraient apparaître »1860 entre
les différentes juridictions appelées à connaître des mêmes faits.

440. Abandon de la liberté du juge fiscal s’agissant de l’appréciation des faits au regard
de la loi fiscale. – La jurisprudence récente du Conseil d’État paraît sensible à cet impératif de
cohérence, certaines décisions semblant restreindre la liberté octroyée au juge des impôts de
qualifier les faits qui lui sont soumis au regard de la loi fiscale, indépendamment de
l’appréciation préalable du juge correctionnel. Un arrêt rendu le 5 décembre 2014 est à cet égard
significatif1861. En l’espèce, un avocat fait l’objet d’une vérification de sa comptabilité, à l’issue

1854
Cour EDH, 27 septembre 2007, Cassilios Stavropoulos c/ Grèce, req. n°35522/04, §37 et s. ; Cour EDH, 30
avril 2015, Kapetanios et a. c. Grèce, req. n°3453/12, 42941/12 et 9028/13, §85. V. pour une application en matière
fiscale : Cour EDH, 23 octobre 2014, Melo Tadeu c/ Portugal, req. n°27785/10, §58 et s.
1855
V. supra, n°268 et s.
1856
CJUE, gde ch., 20 mars 2018, Enzo Di Puma et Zecca, aff. C-596/16 et C-596/17, préc. §44.
1857
A. CORBEL et V. BERGER, Les juges administratif et judiciaire face à une décision définitive de relaxe « au
bénéfice du doute », op. cit.
1858
Cons. const., QPC, 24 juin 2016, n°2016-545 et n°2016-546, préc. Dans ces décisions, le Conseil
constitutionnel a en effet posé un cas inédit d’autorité de la chose jugée du fiscal sur le pénal en interdisant au juge
répressif de condamner un prévenu du chef de fraude fiscale qui a précédemment bénéficié d’une décharge
définitive pour un motif de fond : V. supra, n°350 et s.
1859
Cons. const. DC, 3 décembre 2009, n°2009-595, considérant n°4 : AJDA 2010. 801, étude A. ROBLOT-
TROIZIER et M. VERPEAUX ; RFDA 2010. 1, note B. GENEVOIS ; RD publ. 2010. 233, article C. ROUX.
1860
Cons. const. DC, 23 janvier 1987, n°86-224, considérant n°17 : AJDA 1987. 345, note J. CHEVALLIER ;
RFDA 1987. 287, note B. GENEVOIS et 301, note L. FAVOREU ; RD publ. 1987. 1341, note Y. GAUDEMET
; GAJA, 20ème éd., 2015, n°85 ; D. 1988, p.117, note F. LUCHAIRE.
1861
CE, sect., 5 décembre 2014, n°340943, Lassus : Dr. fisc. 2015, n°6, comm. 137, concl. É. CRÉPEY ; RJF
2015, n°152 ; AJDA 2014. 2390, obs. J.-M. PASTOR ; AJDA 2015. 211, chron. J. LESSI et L. DUTHEILLET
DE LAMOTHE ; RFDA 2015. 78, concl. É. CRÉPEY ; Dr. adm. 2015, n°25, note A. CLAEYS ; JCP A 2015,

395
de laquelle l’administration a décidé de réintégrer dans sa base d’imposition au titre de ses
bénéfices non commerciaux une somme de 900 000 dollars américains perçue d’une société
suisse. Le contribuable s’est vu infliger des redressements au titre de l’impôt sur le revenu ainsi
que sur la TVA, assortis tous deux de majorations exclusives de bonne foi. Contestant ces
suppléments d’impôts devant la juridiction compétente, le contribuable a été débouté tant
devant le tribunal administratif que devant la cour administrative d’appel. Poursuivi en parallèle
devant la juridiction correctionnelle, il a bénéficié d’un arrêt de relaxe aux motifs, notamment,
qu’il n’était pas établi que la somme litigieuse devait être rangée dans la catégorie d’un revenu
professionnel, ni qu’il aurait délibérément manqué à ses obligations fiscales. Le juge fiscal avait
eu une tout autre appréciation des faits, voyant dans la somme perçue par l’avocat une
rémunération déguisée devant à ce titre intégrer sa base d’imposition sur le revenu. Alors
qu’habituellement la juridiction administrative considère que la qualification des sommes
litigieuses relève d’une question de pur droit fiscal sur laquelle le juge des impôts doit conserver
une entière liberté d’appréciation1862, le Conseil d’État dans cette affaire censure le
raisonnement des juges du fond et choisit de conférer une autorité aux constatations de fait
opérées par le juge pénal et, a fortiori, appréciées au regard des lois fiscales. Le juge
administratif précise que « cet arrêt n'était pas revêtu à l'égard du juge de l'impôt de l'autorité
absolue de chose jugée ». Il devait en l’espèce être « regardé comme établi, devant le juge de
l'impôt, que le versement litigieux revêtait le caractère d'une libéralité, et non d'un complément
de rémunération devant être réintégré dans les bases d'imposition » du contribuable. Par cette
prudente formulation, le Conseil d’État refuse de conférer aux décisions du juge répressif une
autorité absolue, tout en concédant que le juge des impôts ne peut totalement ignorer la
qualification donnée aux faits par la juridiction pénale, même lorsque celle-ci résulte d’une
interprétation des lois fiscales. Cette solution apparaît comme une des manifestations de la
« réévaluation audacieuse de l'autorité de la chose jugée au pénal au nom du principe de
cohérence »1863. Les jurisprudences rendues ces derniers mois par le Conseil d’État confirment
ce desserrement de l’autorité de chose jugée au pénal et paraissent avoir abandonné la

n°2103/2A1, Chronique de jurisprudence de contentieux administratif, O. LE BOT ; JCP A 2015, n°2108, note
D. CONNIL.
1862
CE, 9ème et 10ème ss-sect., 15 avril 2011, n°310304 et n°310272, M. et Mme Abihssira : Dr. fisc. 2011, n°23,
comm. 382 ; RJF 2011, n°776, concl. P. COLLIN ; BDCF 7/11, n°79. V. supra, n°430 et s.
1863
G. SIMON et C. SOURZAT, Les contradictions de l'indépendance des procédures administrative et pénale :
remise en ordre en cassation, op. cit.

396
formulation classique des considérants selon laquelle l’autorité « ne s'attache pas à
l'appréciation de ces mêmes faits au regard de la loi fiscale »1864.

441. Nécessité de repenser la portée des décisions de relaxe. – Du côté de l’autorité des
décisions de relaxe, l’évolution de la jurisprudence administrative est cependant moins
perceptible et continue de contraster avec la position du juge judiciaire. Ces divergences
d’attitudes entre les juges judiciaire et administratif de l’impôt en présence d’une relaxe
prononcée au bénéfice du doute se sont cristallisées à propos du litige né de l’affaire HSBC. Un
des contribuables dont le nom figurait sur la liste communiquée à l’administration fiscale a été
redressé pour des avoirs détenus à l’étranger. Le contentieux fiscal a été scindé entre les
juridictions de l’ordre judiciaire et administratif, le premier ayant eu à connaître des
contestations s’élevant sur les droits de donation, le second des redressements d’impôt sur le
revenu. Au pénal, le contribuable sera finalement renvoyé des fins de la poursuite ouverte du
chef de fraude fiscale, le tribunal correctionnel considérant que « la titularité des comptes
bancaires suisses litigieux ne pouvait [lui] être imputée avec certitude »1865. Prononcée au
bénéfice du doute, cette relaxe va différemment être appréhendée par les juridictions
administrative et judiciaire. Devant les premières, et faisant application de sa jurisprudence
classique selon laquelle le juge des impôts doit « rechercher si cette relaxe était ou non fondée
sur des constatations de fait qui s'imposent à lui », l’autorité de la relaxe prononcée par le juge
répressif a été écartée, tout comme la requête présentée par le contribuable1866. Devant les
secondes, le tribunal judiciaire de Paris1867 a prononcé la décharge des impositions mises à la
charge du contribuable, s’estimant lié par les constatations du juge répressif selon lesquelles le
contribuable ne pouvait être considéré comme le titulaire des comptes litigieux. Cette

1864
La formulation classique des motifs du Conseil d’État était auparavant construite en deux temps : « l'autorité
de la chose jugée qui appartient aux décisions des juges répressifs devenues définitives s'attache à la constatation
des faits mentionnés dans les jugements et arrêts, support nécessaire du dispositif, et à leur qualification au regard
de la loi pénale ; qu'en revanche, elle ne s'attache pas à l'appréciation de ces mêmes faits au regard de la loi
fiscale » (V. supra, n°430, note n°1829). Le dernier arrêt à reprendre cette dichotomie est à notre connaissance
l’arrêt précité du 24 février 2017 (CE, 3 ème et 8ème ss-sect., 24 février 2017, n°390467, Mélison). Dans les
jurisprudences récentes du Conseil d’État, la seconde partie de son raisonnement est supprimée : V. notamment :
CE, 10 juillet 2020, n°431890, qui reprend le même considérant habituel mais sans évoquer la liberté du juge fiscal
dans l’interprétation des faits au regard de la loi fiscale ; CE, 5ème et 6ème ch. réunies, 27 mai 2021, n°436815 ; CE,
5ème ch., 14 juin 2021, n°436813.
1865
T. corr. de Paris, 9 mai 2017, cité par CAA Paris, 2 ème ch., 3 février 2021, n°20PA00384.
1866
CAA Paris, 2ème ch., 3 février 2021, n°20PA00384 ; puis refus d’admission du pourvoi par le Conseil d’État
(CE, 8ème ch., 22 octobre 2021, n°451472).
1867
TJ Paris, 29 octobre 2021, n°18/03785.

397
configuration révèle toutes les faiblesses de la position du juge administratif des impôts. Si
celui-ci ne saurait être contraint de décharger automatiquement le contribuable redressé en
présence d’une relaxe du juge pénal, il doit impérativement intégrer cette décision dans le cadre
de son office. Cette assimilation se réalisera peut-être par l’assouplissement des règles relatives
au moment où le contribuable est autorisé à invoquer l’autorité de chose jugée des décisions du
juge pénal.

§2. Les conditions temporelles de l’autorité de chose jugée

442. Stade d’avancée du litige fiscal. – Bien souvent, les procédures pénale et fiscale se
chevauchent dans le temps. Cette simultanéité temporelle pose la question de savoir à quel
moment le contribuable doit invoquer l’autorité de chose jugée tirée d’une décision rendue par
le juge correctionnel dans le cadre de la procédure fiscale. L’avancée du litige fiscal peut-elle
avoir une influence sur la recevabilité du moyen du contribuable ? Cette question se pose avec
davantage d’acuité dans le cadre du contentieux fiscal, lequel, obéissant aux règles de la
procédure écrite, organise un calendrier procédural particulièrement strict. La possibilité pour
le contribuable de soulever l’autorité de chose jugée varie selon que la décision du juge
correctionnel intervient en cours d’instruction (A) ou après que soit rendue une décision du juge
fiscal sur le fond (B).

A) L’autorité de chose jugée invoquée en cours d’instruction

443. Conception traditionnelle de la clôture de l’instruction. – En contentieux


administratif, une fois la requête enregistrée au greffe de la juridiction, s’ouvre la phase
d’instruction au cours de laquelle les parties apportent leurs éléments de preuve, débattent et
construisent le litige soumis à la juridiction. L’instruction constitue en ce sens « la première
phase de préparation du jugement »1868. Elle est enfermée dans un délai fixé soit à l’avance par
le président de chambre1869, soit notifié par ordonnance aux parties au moins quinze jours avant
la date à laquelle la clôture prend effet1870. En l’absence d’une telle ordonnance, l’instruction
est close trois jours francs avant la date de l’audience au fond1871. Selon une conception

1868
C. BROYELLE, Contentieux administratif, op. cit., n°252.
1869
Art. R. 611-11 CJA.
1870
Art. R. 613-1 CJA.
1871
Art. R. 613-2 CJA.

398
ancienne de l’instruction administrative, la clôture de l’instruction devait tomber « comme une
herse »1872. Cette règle prenait appui sur l’ancienne version de l’article R. 613-3 du code de
justice administrative1873 qui énonçait en son premier alinéa que « les mémoires produits après
la clôture de l'instruction ne donnent pas lieu à communication et ne sont pas examinés par la
juridiction ». Aux termes d’une jurisprudence constante, le Conseil d’État censurait les juges
du fond lorsqu’ils faisaient référence à un mémoire produit après la clôture de l’instruction1874.
Cette conception « procédait de la préoccupation d'éviter toute manœuvre dilatoire de la part
de l'une ou l'autre des parties à l'instance et, plus largement, de la nécessité́ de cristalliser le
débat contentieux de telle sorte qu'il se présente à la formation de jugement dans des termes
suffisamment stabilisés pour qu'elle puisse utilement en délibérer »1875.

444. Arrêt Lassus : admission de l’influence d’une décision de relaxe sur la décision à
prendre par le juge fiscal. – L’état du droit a sensiblement évolué avec l’arrêt Lassus, rendu
par le Conseil d’État le 5 décembre 20141876. Les faits à l’origine de cette affaire, précédemment
évoqués1877, concernaient un avocat ayant perçu une importante somme d’argent d’une société
suisse appartenant à un de ses clients. Alors que l’intéressé y voyait-là une libéralité non
déclarable à l’imposition sur le revenu, l’administration fiscale a considéré qu’il s’agissait d’un
supplément de recette professionnelle devant réintégrer les bases de ses bénéfices non
commerciaux. Après l’échec de ses demandes de décharge devant les juridictions
administratives, le contribuable s’est régulièrement pourvu devant le Conseil d’État. À l’appui
de son pourvoi, il a reproché à la cour administrative d’appel de ne pas avoir pris en compte
son mémoire, déposé après la clôture de l’instruction, faisant état d’un arrêt rendu par la
juridiction correctionnelle saisie des mêmes faits sous la qualification de fraude fiscale et
l’ayant renvoyé des fins de la poursuite. À cette occasion, le Conseil d’État a rompu1878 avec sa

1872
F. DONNAT et D. CASAS, Le juge ne peut totalement ignorer les productions postérieures à la clôture de
l’instruction : AJDA 2004, p. 651.
1873
Version en vigueur du 1er janvier 2001 au 1er janvier 2017.
1874
V. par exemple, CE, 28 avril 1937, n°51157, Sieur Chauveau : Rec. Lebon 1937, p. 444 ; CE, 3 avril 1957,
n°36136, Humbert : Rec. Lebon, 1957, p. 237 ; CE, 9 juin 1967, n°64834, Sté des eaux de Marseille : Rec. Lebon,
1967, p. 241 ; AJDA 1968, p. 184, note P. LAPORTE ; CE, 10 janvier 2000, n°197886, Frémiot.
1875
CE, sect., 5 décembre 2014, n°340943, Lassus : RFDA 2015. 78, concl. É. CRÉPEY.
1876
CE, sect., 5 décembre 2014, n°340943, Lassus : RFDA 2015. 78, concl. É. CRÉPEY ; AJDA 2015. 211, chron.
J. LESSI et L. DUTHEILLET DE LAMOTHE.
1877
V. supra, n°440.
1878
En réalité, un premier tempérament à la conception rigoureuse de la clôture de l’instruction avait
précédemment eu lieu avec l’arrêt Préfet des Pyrénées-Orientales c/ Abounkhila du 27 février 2004 par lequel le
Conseil d’État a énoncé que « si dans le cadre de la procédure orale qui succède à l'instruction contradictoire

399
conception traditionnelle de la clôture de l’instruction en indiquant que le juge, « dans l’intérêt
d’une bonne justice », « a toujours la faculté de rouvrir l'instruction, qu'il dirige, lorsqu'il est
saisi d'une production postérieure à la clôture de celle-ci ». En permettant au juge de statuer
« en aussi bonne connaissance de cause que possible »1879, cette décision s’inscrit dans la
préoccupation de « garantir au juge les moyens de bien exercer son office »1880. À peine
d’irrecevabilité de sa décision, le juge est tenu de prendre en compte une pièce « dont la partie
qui l'invoque n'était pas en mesure de faire état avant la clôture de l'instruction et qui est
susceptible d'exercer une influence sur le jugement de l'affaire »1881. La première condition
autorisant à rouvrir l’instruction uniquement lorsque la partie n’était pas en mesure d’en faire
état avant, manifeste une conception raisonnée de la clôture de l’instruction devant les
juridictions administratives, en imposant une « forme de loyauté »1882 au contribuable qui
tenterait de dévoyer la règle en usant de manœuvres dilatoires. La seconde exigence tient à
l’influence qu’est susceptible d’exercer la pièce, jusqu’alors inconnue des parties, sur la
décision à prendre par le juge fiscal. À cet égard, le Conseil d’État concède explicitement
qu’une relaxe prononcée par le juge pénal est de nature à modifier les termes du litige devant
le juge fiscal1883. Lorsqu’une telle décision intervient postérieurement à la clôture de
l’instruction, le juge administratif est contraint de rouvrir la phase préparatoire au jugement

écrite les parties peuvent produire des documents nouveaux à l'appui de leurs observations orales, l'instruction
écrite est normalement close, en application de l'article R. 776-12, au moment où l'affaire est appelée ; que
toutefois, lorsque, postérieurement à cette clôture, le juge est saisi d'un mémoire émanant d'une partie qui n'en a
pas exposé les éléments dans le cadre de la procédure orale, il lui appartient de faire application dans ce cas
particulier des règles générales relatives à toutes les productions postérieures à la clôture de l'instruction ; qu'à
ce titre, et conformément au principe selon lequel, devant les juridictions administratives, le juge dirige
l'instruction, il lui appartient, dans tous les cas, de prendre connaissance de ce mémoire avant de rendre sa
décision, ainsi, au demeurant, que de le viser sans l'analyser ; que s'il a toujours la faculté, dans l'intérêt d'une
bonne justice, d'en tenir compte - après l'avoir visé et, cette fois, analysé - il n'est tenu de le faire, à peine
d'irrégularité de sa décision, que si ce mémoire contient soit l'exposé d'une circonstance de fait dont la partie qui
l'invoque n'était pas en mesure de faire état avant la clôture de l'instruction écrite et que le juge ne pourrait ignorer
sans fonder sa décision sur des faits matériellement inexacts, soit d'une circonstance de droit nouvelle ou que le
juge devrait relever d'office » (CE, sect., 27 février 2004, n°252988, Préfet des Pyrénées-Orientales c/ Abounkhila
: Rec. Lebon, 2004, p. 93 ; JCP G 2004, n°18, 1898 ; AJDA 2004 p. 651, chron. F. DONNAT et D. CASAS).
1879
R. CHAPUS, Droit du contentieux administratif : Montchrestien, 2006, 12ème éd., p. 811.
1880
Concl. É. CRÉPEY sous CE, sect., 5 décembre 2014, n°340943, Lassus. Pour mettre le code de justice
administrative en conformité avec cette nouvelle configuration, l’article 22 du décret n°2016-1480 du 2 novembre
2016 portant modification du code de justice administrative (partie réglementaire) a modifié son article R. 613-3
qui prévoit désormais que « les mémoires produits après la clôture de l'instruction ne donnent pas lieu à
communication, sauf réouverture de l'instruction ».
1881
CE, sect., 5 décembre 2014, n°340943, Lassus, considérant n°1.
1882
Concl. É. CRÉPEY sous CE, sect., 5 décembre 2014, n°340943, Lassus.
1883
V. pour un autre exemple : CE, 27 janvier 2017, n°393185, SAS Central Garage : Dr. fisc. 2017, n°22, comm.
330, concl. V. DAUMAS ; RJF 4/17 n°319.

400
pour en tenir compte dans sa prise de décision. Les termes du problème se présentent
différemment lorsque le jugement correctionnel intervient après que les juges administratifs du
fond aient rendu leur décision.

B) L’autorité de chose jugée invoquée postérieurement à une décision rendue sur le


fond

445. La position initiale du Conseil d’État : l’arrêt Sté Turbo's Hoet Truck Center. –
Dans cette configuration, les juges pénal et fiscal sont saisis concomitamment de faits analogues
mais le jugement pénal intervient postérieurement à la lecture de l’arrêt de la cour
administrative d’appel. Il est à cet égard délicat de reprocher aux juges du fond de ne pas avoir
pris en compte une décision inexistante au jour où ils ont statué. Aussi le Conseil d’État a-t-il
initialement refusé qu’un contribuable invoque pour la première fois dans le cadre d’un pourvoi
un moyen tiré de l’autorité de chose jugée au pénal, ce même dans l’hypothèse où la décision
correctionnelle est rendue après celle du juge fiscal. Cette position résulte d’un arrêt du 30
juillet 20101884 rendu à propos d’une société Turbo's Hoet Truck Center et M. Hoet. Celle-ci
s’était vue remettre en cause des droits à déduction de TVA à raison de l’acquisition de plusieurs
poids lourds auprès de différentes sociétés. Des rappels de TVA lui ont été infligés, assortis de
majorations pour manœuvres frauduleuses au taux de 80%, ainsi que d’une amende et des
intérêts de retard. Le bien-fondé de ces suppléments d’impôts a été confirmé par un arrêt de la
cour administrative d’appel de Douai en date du 8 avril 2008. À peine quelques jours après, le
17 avril 2008, la cour d’appel de Paris a prononcé la relaxe des dirigeants de la société,
poursuivis devant le juge correctionnel à raison des mêmes faits que ceux ayant motivé les
rappels de droits litigieux1885. Devant le Conseil d’État, régulièrement saisi d’un pourvoi à
l’encontre de l’arrêt de la cour administrative d’appel, les requérants faisaient grief aux juges

1884
CE, 30 juillet 2010, n°316757 et n°316758, Société Turbo’s Hoet Truck Center et M. Hoet : Dr. fisc. 2010,
n°50, comm. 597 ; RJF 11/2010, n°1010, concl. P. COLLIN au BDCF 11/2010, n°114.
1885
La société et son dirigeant étaient poursuivis devant le juge pénal non pas sous la qualification de fraude fiscale
mais d’escroquerie en bande organisée commise « au préjudice de l'administration fiscale en ayant procédé à des
facturations fictives d'achats et reventes de véhicules et à la réalisation de fausses livraisons
intracommunautaires ». Le juge répressif a estimé que les opérations, conformes à l’objet social de la société,
« ont revêtu un caractère de normalité ne permettant pas de déduire que le prévenu avait connaissance de
l'existence de la fraude à la TVA ». En réalité, était en cause un plus large circuit de type fraude carrousel à la
TVA, duquel le juge correctionnel a estimé devoir exclure la société Truck Center, à défaut d’établissement de son
implication frauduleuse dans la fraude commise par leurs fournisseurs : Cass. crim., 7 octobre 2009, n°08-84.348 :
Dr. pén. 2020, comm. 22, note. M. VÉRON : D. 2020, comm. 1663, obs. C. MASCALA ; RSC 2010, chron. 631,
obs. H. MATSOPOULOU.

401
du fond d’avoir méconnu l’autorité de la chose jugée de l’arrêt rendu par la chambre des appels
correctionnels, par la suite confirmé par un arrêt de la chambre criminelle du 7 octobre 20091886.
La situation était inextricable pour le Conseil d’État qui devait d’un côté, observer le caractère
d’ordre public du moyen tiré de l’autorité de chose jugée au pénal 1887 et, de l’autre, prendre en
considération la circonstance que l’arrêt du juge pénal avait été rendu postérieurement à celui
de la cour administrative d’appel. Dans sa décision du 30 juillet 2010, il s’est positionné, ainsi
que l’y invitait son rapporteur public1888, en faveur de cette seconde voie en affirmant que « les
requérants ne sauraient, en tout état de cause, faire grief à l'arrêt attaqué d'avoir méconnu
l'autorité de la chose jugée par l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 17 avril 2008, confirmé
par la Cour de cassation le 7 octobre 2009, les relaxant des poursuites pénales engagées contre
eux »1889.

446. Cloisonnement des procédures pénale et fiscale. – Cette solution est conforme à
nature du contentieux devant le Conseil d’État, dont le rôle n’est pas celui de juger l’ensemble
du litige qui lui est soumis1890. Contrairement à l’instance d’appel gouvernée par le principe de
l’effet dévolutif1891, le rôle du juge de cassation se borne à se prononcer sur la conformité à la

1886
Cass., crim, 7 octobre 2009, n°08-84.348, préc.
1887
V. supra, n°424.
1888
Concl. P. COLLIN sous CE, 30 juillet 2010, n°316757 et n°316758, Société Turbo’s Hoet Truck Center et M.
Hoet : RJ 11/10, n°1010.
1889
Le Conseil d’État adopte la même attitude à l’égard des lois d’amnistie intervenant postérieurement aux
décisions des juridictions administratives. En conséquence, l’intervention d’une telle loi reste sans incidence sur
le bien-fondé de la décision prise par les juges du fond (CE, 29 octobre 1948, n°92766, Sieur Clabaut ; CE, 1ère et
2ème ss- sect., 22 octobre 2003, n°244722, Caisse primaire d'assurance-maladie du Val-de-Marne).
1890
« Le juge de cassation n'est pas un troisième degré de juridiction. Pour reprendre une vieille formule, il n'est
pas juge du litige qui a été soumis aux premiers juges, il est juge du jugement rendu par les juges du fond. Sa
mission ne consiste pas à réexaminer une nouvelle fois un litige, qui a déjà été jugé le plus souvent à deux reprises,
mais à s'assurer que les juges du fond ont correctement rempli la tâche qui était la leur, c'est-à-dire qu'ils ont jugé
selon les règles de forme et de procédure qu'ils doivent respecter, et que le fond de leur décision est conforme à
la règle de droit » : J.-H. STAHL, « Recours en cassation », Répertoire de contentieux administratif, mai 2019,
n°54.
1891
Conformément à l’article L. 199 C du livre des procédures fiscales, « l'administration, ainsi que le contribuable
dans la limite du dégrèvement ou de la restitution sollicités, peuvent faire valoir tout moyen nouveau, tant devant
le tribunal administratif que devant la cour administrative d'appel, jusqu'à la clôture de l'instruction ». Les
contribuables, tout comme l’administration fiscale, peuvent faire valoir tout moyen nouveau devant les juges
d’appels, dans les limites de la demande initiale (CE, 7ème et 9ème ss-sect., 10 mai 1991, n°56841 et n°56842, SARL
Régie Cuisine du Cabaret le Lido : Dr. fisc. 1992, n°10, comm. 497, concl. O. FOUQUET ; RJF 7/1991, n°967).
Les parties peuvent donc valablement produire de nouvelles pièces dans le cadre de la procédure d’appel (CE, 3 ème
ss-sect., 15 mai 2013, n°346710, Sté régie nationale de publicité et d’organisation).

402
loi de la décision juridictionnelle rendue par les juges du fond1892. En conséquence, seule une
erreur commise par les juges du fond peut être contestée dans le cadre d’un pourvoi, excluant
ainsi les moyens résultant d’un fait postérieur à la décision attaquée1893. En dépit de cette
rectitude juridique, la décision rendue le 30 juillet 2010 par le Conseil d’État revient à
cloisonner dangereusement les procédures pénale et fiscale. La société Turbo’s Hoet Truck
Center a subi les conséquences de « cet hermétisme »1894 puisque, n’ayant pu faire valoir dans
le cadre de la procédure fiscale la relaxe dont elle avait bénéficié devant le juge correctionnel,
elle a vu sa demande de remise gracieuse des pénalités également rejetée1895. En interdisant au
contribuable d’invoquer devant le juge de cassation l’autorité de chose jugée d’une relaxe
prononcée par le juge répressif, le Conseil d’État dénie toute interférence entre les contentieux
pénal et répressif.

447. Le revirement du Conseil d’État : l’arrêt Thomas. – Sa jurisprudence a perduré


jusqu’en 2018, année au cours de laquelle le Conseil d’État a une nouvelle fois été saisi de la
question. À l’origine de l’affaire Thomas, prononcée le 16 février 20181896, une société
britannique exerçant le rôle d’intermédiaire pour la location saisonnière de villas a fait l’objet
d’une vérification de sa comptabilité, tandis que sa gérante majoritaire, Madame Thomas, était
soumis à un examen contradiction de sa situation fiscale personnelle. À la suite de ces
vérifications, l’administration fiscale a considéré que la société, qui ne déclarait de revenus
qu’au Royaume-Uni, disposait en fait d’un établissement stable en France soumis à l’imposition
sur les sociétés. La gérante s’est ainsi vue imposée au titre des revenus distribués les bénéfices
reconstitués de l’établissement stable de la société, sur le fondement de l’article 109 du code
général des impôts. L’intéressée a vainement contesté ces suppléments d’impôts devant les

1892
V. pour plus de développements sur ce sujet : A. BOURREL, Le Conseil d'État face au pouvoir d'appréciation
des juges du fond : Thèse, Pau, 1999 ; S. BOUSSARD, L'étendue du contrôle de cassation devant le Conseil
d'État : Thèse, Paris, Dalloz, Nouvelle Bibliothèque de Thèses, 2002 ; J. ARRIGHI DE CASANOVA, Le
contentieux de la légalité à l'épreuve du contrôle de cassation : l'exemple du contentieux fiscal : RFDA 1994. 916 ;
J. BOUCHER et É. CRÉPEY, Le Conseil d'État juge de cassation et la qualification juridique des faits, Dalloz,
Mélanges Labetoulle, 2007, p. 97 ; G. GOULARD, L'étendue du contrôle de cassation du Conseil d'État : RJF
1993. 623 ; E. PICARD, La cassation administrative, JCP G 1994. I. 3751.
1893
C. BROYELLE, Contentieux administratif, op. cit., n°594.
1894
N. JACQUOT et N. GUILLAND, Autorité de la chose jugée au pénal : entre altérité et automaticité, À propos
de CE, sect., 16 février 2018, n°395371 : Dr. fisc. n°15, 12 avril 2018, comm. 146.
1895
CE, 9ème et 10ème ch., 20 septembre 2017, n°394564, Sté Turbo's Hoët Parts France : Dr. fisc. 2017, n°45,
comm. 538, concl. É. BOKDAM-TOGNETTI, note M. COLLET : V. infra, n°461.
1896
CE, sect., 16 février 2018, n°395371, Thomas : Dr. fic. 2018, n°15, comm. 257, concl. É. CREPEY, note
R. ADADY et R. TORLET ; N. JACQUOT et N. GUILLAND, Autorité de la chose jugée au pénal : entre altérité
et automaticité ; RJF 5/2018, n°536, concl. E. CRÉPEY, C 536.

403
juridictions administratives. Or, quelques mois après la lecture de l’arrêt de la cour
administrative d’appel ayant rejeté sa demande de décharge, un arrêt de la chambre des appels
correctionnels a relaxé la gérante, poursuivie des chefs de soustraction frauduleuse à
l’établissement et au paiement de TVA et d’impôts sur les sociétés. Contrairement au juge
fiscal, le juge répressif avait considéré que les éléments du dossier étaient insuffisants à
caractériser, de la part de la gérante, une véritable exploitation en France d’une activité pour le
compte de la société britannique. Pour parvenir à cette conclusion, les juridictions
correctionnelles ont relevé d’une part, que les actes décisionnels de ladite société étaient pris
dans leur pays d’origine et que ses principaux moyens de communication étaient localisés au
Royaume-Uni, et, d’autre part, que l’activité de Madame Thomas se réduisait à exercer une
activité exclusivement préparatoire ou auxiliaire au profit de la société étrangère, sans disposer
du pouvoir de l’engager contractuellement en son seul nom. Alors que la motivation des juges
correctionnels renfermait potentiellement des constatations de fait s’imposant au juge fiscal1897,
la jurisprudence classique du Conseil d’État commandait à ce dernier d’en faire totalement fi.
Mais l’affaire, initialement confiée aux dixième et neuvième chambres réunies1898, a fait l’objet
d’un renvoi devant la formation de section du Conseil d’État.

448. Nécessité d’abandonner sa position traditionnelle. – Dans ses conclusions, le


rapporteur public a clairement condamné la solution traditionnelle consistant à refuser au
contribuable la possibilité de soulever un moyen tiré de l’autorité de chose jugée d’une décision
intervenue postérieurement à l’arrêt attaqué en cassation. Selon ses propos, cette conception,
ne paraissant « pas ou plus en phase avec les exigences contemporaines de la dualité de
juridiction », devait, « quitte à [s’] écarter des canons traditionnels du contrôle de cassation »,
être « abandonnée »1899. La nécessité de rompre avec cette jurisprudence résidait dans
l’évolution du contexte constitutionnel et européen, allant « dans le sens d’une attention plus
grande portée à la cohérence des interventions du juge de l’impôt et du juge pénal »1900. Les
droits nationaux doivent en effet prévoir des règles assurant une coordination des contentieux,
afin de limiter au strict nécessaire la charge supplémentaire qui résulte du cumul des
procédures1901. Le Conseil d’État a été sensible à ces arguments et a reviré, par son arrêt du 16

1897
V. supra, n°426 et s.
1898
Concl. É. CRÉPEY ss. CE, sect., 16 février 2018, n°395371, Thomas.
1899
Ibid.
1900
Ibid.
1901
CJUE, gde ch., 20 mars 2018, Luca Menci, préc., §49 et 63.

404
février 2018, sa jurisprudence traditionnelle en affirmant que le moyen tiré de la
méconnaissance de l’autorité de la chose jugée appartenant aux décisions des juges répressifs
« est d'ordre public et peut être invoqué pour la première fois devant le Conseil d'État, juge de
cassation ». Il en est ainsi « même si le jugement pénal est intervenu postérieurement à la
décision de la juridiction administrative frappée de pourvoi devant le Conseil d'État ».
L’autorité de chose jugée des décisions pénales peut désormais « rétroagir »1902 sur la décision
prise par le juge des impôts. Réglant l’affaire au fond, le juge fiscal s’est estimé lié par les
constatations de fait du juge répressif mais seulement pour les années concernant le champ de
la prévention pénale, c’est-à-dire les années 2006 et 2007. La société britannique ne pouvant
être considérée durant cette période comme ayant un établissement stable en France, la gérante
devait être déchargée des impositions mises à sa charge à raison des bénéfices reconstitués.

449. L’autorité de chose jugée, un élément déterminant dans l’articulation des


procédures pénale et fiscale. – Saluée par les auteurs1903, la solution, réitérée depuis lors1904,
révèle que l’autorité de chose jugée constitue un élément essentiel de l’interaction entre les
procédures pénale et fiscale1905. En cherchant à assurer une meilleure cohérence décisionnelle
entre les contentieux pénal et fiscal, la décision du Conseil d’État s’insère parfaitement dans la
« fonction régulatrice »1906 de son office de juge de cassation. Par là même, c’est « l’unité de
notre ordre juridique »1907 qui est garantie par le dialogue qui s’engage entre les procédures
pénale et fiscale. La considération du juge fiscal pour une décision de son homologue, fut-elle
postérieure au prononcé de l’arrêt rendu sur le fond par la cour administrative d’appel, doit donc
être largement saluée. Mais qu’en est-il lorsque l’arrêt de la cour administrative d’appel devient
définitif, faute pour le contribuable d’avoir formé un pourvoi devant le Conseil d’État, ou

1902
A. BOTTON, Une autorité rétroactive de la chose jugée au pénal sur l'administratif : JCP E n°18, 30 avril
2018, 519.
1903
V. notamment, R. ADADY et R. TORLET ; N. JACQUOT et N. GUILLAND, Autorité de la chose jugée au
pénal : entre altérité et automaticité, préc. ; L. AYRAULT, Autorité de la chose jugée au pénal, Procédures n°5,
mai 2018, comm. 172 ; G. SIMON et C. SOURZAT, Les contradictions de l'indépendance des procédures
administrative et pénale : remise en ordre en cassation : RFDA 2018 p. 1091 ; A. BOTTON, Une autorité
rétroactive de la chose jugée au pénal sur l'administratif, préc.
1904
CE, 3ème ch., 10 juillet 2020, n°431890.
1905
V. en ce sens, N. JACQUOT et N. GUILLAND, Autorité de la chose jugée au pénal : entre altérité et
automaticité, préc.
1906
G. SIMON et C. SOURZAT, Les contradictions de l'indépendance des procédures administrative et pénale :
remise en ordre en cassation : préc.
1907
Ibid.

405
lorsque le juge de cassation se prononce avant que ne soit rendue la décision du juge répressif ?
L’unique voie pour le contribuable est celle d’espérer la révision de la décision fiscale.

SECTION II. LE RECOURS EN RÉVISION DE LA DÉCISION


ADMINISTRATIVE

450. Relaxe prononcée après la clôture de la procédure fiscale. – Dans cette dernière
configuration, une relaxe est prononcée par le juge répressif postérieurement à l’arrêt rendu par
le Conseil d’État, autrement dit une fois la procédure fiscale définitivement close. Le
contribuable a-t-il à sa disposition une voie juridique lui permettant de faire réviser le procès
fiscal à l’aune de ce nouvel élément ? La réponse est théoriquement positive puisqu’il existe
bien, au sein du code de justice administrative, une procédure de recours en révision. Mais cette
procédure est en réalité inapplicable à la situation présentée (§1), si bien que le contribuable ne
peut utilement invoquer une relaxe rendue après que les impositions mises à sa charge par
l’administration fiscale aient été confirmées par le juge des impôts, même en usant d’autres
voies juridiques permises par les lois fiscales (§2).

§1. L’inapplicabilité du recours en révision

451. Encadrement du recours en révision. – Au sein du Livre VIII du code de justice


administrative intitulé « les voies de recours », le troisième Titre relatif aux « autres voies de
recours » contient un Chapitre quatre consacré au « recours en révision ». Si la voie de la
révision est ouverte au contribuable, ses conditions d’application sont tellement encadrées (A)
qu’elle ne lui permet pas d’invoquer au soutien de sa requête une relaxe prononcée par le juge
répressif (B).

A) Un recours strictement encadré

452. Conditions de fond : cas limitatifs d’ouverture en révision. – La procédure


administrative connaît du recours en révision depuis le décret du 22 juillet 1806 portant
règlement des affaires contentieuses portées devant le Conseil d'État1908. À l’époque, une

1908
M. DREYFUS-SCHMIDT, Rapport fait au nom de la commission des Lois constitutionnelles, de législation,
du suffrage universel, du Règlement d’administration générale sur la proposition de loi de MM. Roland

406
« requête en recours contre une décision contradictoire » était susceptible d’être déposée par le
justiciable pouvant faire état d’une fausse pièce ou d’une rétention de pièce décisive pour
l’examen de l’affaire1909. Puis, la loi du 24 mai 1872 portant réorganisation du Conseil d’État a
ajouté un troisième cas d’ouverture du recours en révision, en présence d’une irrégularité
procédurale dans les procès-verbaux des séances de la section et de l’assemblée du juge de
cassation statuant au contentieux1910. Ces trois cas d’ouverture du recours en révision sont
toujours1911 les seuls qui permettent au requérant d’espérer la révision de la décision définitive
du juge administratif. L’article R. 834-1 du code de justice administrative énonce
limitativement qu’une décision contradictoire rendue par le Conseil d’État ne peut être révisée
que « si elle a été rendue sur pièces fausses », « si la partie a été condamnée faute d'avoir
produit une pièce décisive qui était retenue par son adversaire » ou encore « si la décision est
intervenue sans qu'aient été observées les dispositions du présent code relatives à la
composition de la formation de jugement, à la tenue des audiences ainsi qu'à la forme et au
prononcé de la décision ».

453. Interprétation stricte de la jurisprudence. – Parce qu’il permet « de faire revenir le


juge sur une décision rendue »1912, le recours en révision est dans son principe strictement
encadré. La révision du procès administratif n’est possible qu’en présence d’une « décision
rendue dans des conditions gravement viciées »1913. La jurisprudence a toujours interprété
limitativement1914 et strictement ces cas d’ouverture. S’agissant d’abord de la première de ces
hypothèses, la jurisprudence exige que la pièce constitue un faux au sens de la loi pénale et que
son contenu ait exercé une influence déterminante sur le sens de la solution retenue par le

COURTEAU, Claude ESTIER, André VÉZINHET, Raymond COURRIERE et des membres du groupe socialiste
et apparentés tendant à supprimer les sanctions contre les avocats prévues à l’article 75 de l’ordonnance n°45-1708
du 31 juillet 1945 sur le Conseil d’État, Sénat, n°339, seconde session ordinaire de 1990-1991, annexe au procès-
verbal de la séance du 23 mai 1991, p. 4.
1909
Le régime de la procédure a ensuite été précisé par le décret du 2 novembre 1864 relatif à la procédure devant
le Conseil d'État en matière contentieuse.
1910
Loi du 24 mai 1872 portant réorganisation du Conseil d’État, art. 23.
1911
L’ordonnance n°45-1708 du 31 juillet 1945 est simplement venue réorganiser l’ensemble des voies de
rétractation contre les décisions rendues en matière administrative, en les divisant en deux groupes selon qu’elles
concernent des décisions contradictoires ou rendues par défaut, sans toutefois modifier les cas d’ouverture du
recours en révision.
1912
B. PACTEAU, La suppression des sanctions envers les avocats pour avoir présenté d'injustifiés recours en
révision devant le Conseil d'État : RFDA 1992 p. 485.
1913
Ibid.
1914
CE, 7 septembre 2009, n°330040, Dassault : RFDA 2010. 288, concl. B. BOURGEOIS-MACHUREAU.

407
juge1915. Lorsqu’ensuite, le requérant entend se prévaloir de la rétention par l’adversaire d’une
pièce décisive, la jurisprudence refuse de faire droit à sa requête lorsque le demandeur en
révision connaissait l'existence de la pièce litigieuse, mais s'était abstenu ou avait négligé d'en
demander la communication1916. Par ailleurs, et conformément à une lecture littérale de l’article
R. 834-1 du code de justice administrative, seule la pièce décisive, entendue comme la pièce
qui aurait été effectivement de nature à modifier le sens du dispositif de l'arrêt contesté, est
susceptible de permettre l’admission de ce deuxième cas d’ouverture1917. Enfin, lorsqu’un vice
de procédure est invoqué à l’appui d’un recours en révision, seule la méconnaissance de certains
vices substantiels peut entraîner la recevabilité d’un tel recours1918.

454. Conditions de forme : une recevabilité strictement encadrée. L’encadrement du


recours en révision passe également par l’existence de conditions formelles étroites. En premier
lieu, le recours en révision ne peut être intenté qu’à l’encontre d’une « décision contradictoire
du Conseil d'État »1919, excluant les décisions des tribunaux administratifs et cours
administratives d’appel1920. La décision à réviser doit en outre être contradictoire, ce dont il
résulte que seules les parties à l’instance ont qualité pour présenter un tel recours 1921. En
deuxième lieu, le délai pour intenter un recours en révision est de deux mois1922 à compter de
l’événement du motif invoqué1923. En troisième lieu, l’article R. 834-3 du code de justice

1915
CE, 17 juin 1921, Maurot : Rec. Lebon, p. 607 ; CE, sect., 23 juillet 1937, Roque, n°52055 : Rec. Lebon, p.
777 ; CE, 22 mars 1974, n°86204, Grandvuillemin : Rec. Lebon p. 1126 ; CE, 23 décembre 2011, n°321405, Sté
Norsucom ; CE, 25 juin 2010, n°334875, Jean-Claude A. c/ Cne Saint-Just-Malmont ; CE, 8 février 2010,
n°320086, Sté Radio-France International ; CE, 17 décembre 2014, n°369035.
1916
CE, 4 mai 1835, Gilbert Lefort : Rec. Lebon, p. 327 ; CE, 27 juillet 1894, Connard : DP 1895, 3, p. 70 ; CE,
27 février 1957, Marche : Lebon, p. 130 ; CE, 23 février 1979, n°02990, Pech : RDP 1979, p. 1524.
1917
V. par exemple, pour une admission du recours en révision : CE, sect., 5 avril 1996, n°093234, Treiber.
1918
V. par exemple, l'impossibilité pour l'avocat de présenter à l'audience ses observations orales (CE, 31 octobre
1990, n°107129, Ville Touquet : Rec. Lebon, p. 307 ; RDP 1991, p. 870 ; RFDA 1990, p. 1496), l'absence de
convocation à l'audience des avocats aux Conseils (CE, 8 janv. 1986, n° 50397, Sté technique de plastique : Gaz.
Pal., 1986, 2, somm. p. 482) ou encore le prononcé d’une décision par ordonnance alors qu’elle aurait dû l’être par
jugement d’une formation collégiale (CE, 7 janv. 2000, n°187042, Sté Lady Jane ; CE, 30 avril 2014, n°364484,
Sté immobilière de location pour le commerce et l'industrie).
1919
Al. 1er, art. R. 834-1 CJA.
1920
CE, 16 mai 2012, n°331346, Serval : RFDA 2012. 730, concl. C. ROGER-LACAN ; AJDA 2012. 1397, chron.
X. DOMINO et A. BRETONNEAU.
1921
CE, 5 janvier 2005, n°256306, Soubiran.
1922
Al. 1er, art. R. 834-2 CJA, renvoyant au délai pour former opposition à une décision rendue par défaut (Al. 1 er,
art. R. 831-2 CJA).
1923
Dans le cas où le requérant soutient que la décision repose sur une pièce fausse ou retenue par la partie adverse,
« le délai ne court qu'à compter du jour où la partie a eu connaissance de la cause de révision qu'elle invoque »
(art. R. 834-2 CJA). Dans le cas d’une méconnaissance des règles formelles d’une décision du juge de cassation,
le délai de deux mois court à compter du jour de sa notification.

408
administrative impose le ministère d’un avocat au Conseil d’État. Cette exigence, imposée pour
« décourager les recours intempestifs »1924, se doublait dans le passé d’un risque pénal pour les
avocats qui présentaient un recours en dehors des cas prévus par les textes1925.

455. Caractère exceptionnel du recours en révision. – Lorsque la requête se fonde sur l’un
des trois motifs d’ouverture à révision et qu’elle remplit ces conditions de recevabilité, le
Conseil d’État fait droit à la demande du requérant et déclare nulle et non avenue la décision
frappée du recours. La décision disparaît et la juridiction de cassation juge à nouveau le litige
qui lui est soumis. Dans le cas contraire, l’irrecevabilité ou l’absence de bien-fondé d’un recours
en révision empêche le justiciable de présenter une seconde requête1926. Ainsi encadrée, la
procédure de recours en révision revêt un caractère exceptionnel. Elle est en conséquence « peu
pratiqué[e], et moins encore souvent couronné[e] de succès »1927. L’étroitesse du domaine du
recours en révision la rend inapplicable à la situation dans laquelle une relaxe est prononcée par
le juge répressif après que la procédure fiscale soit définitivement close.

1924
C. BROYELLE, Contentieux administratif, op. cit., n°664.
1925
Dans une logique d’intimidation, le législateur de l’époque avait même instauré des dispositions répressives à
l’encontre des avocats présentant un recours en révision irrecevable. Le décret précité du 22 juillet 1806 interdisait
aux avocats au Conseil d'État, sous peine d'amende et même, en cas de récidive, sous peine de suspension ou de
destitution, de présenter des recours en révision en dehors des cas limitativement prévus par la loi. L’ordonnance
n°45-1708 du 31 juillet 1945 sur le Conseil d’État reprenait ces peines en son article 75 en ces termes : « Défenses
sont faites, le cas échéant, sous peine d'amende et même en cas de récidive sous peine de suspension ou de
destitution, aux avocats au Conseil d'État de présenter requête contre une décision contradictoire, si ce n'est en
trois cas : si elle a été rendue sur pièces fausses, si la partie a été condamnée faute de représenter une pièce
décisive qui était retenue par son adversaire ou si la décision est intervenue sans qu'aient été observées les
dispositions des articles 35, 36, 38, 39, 66 (§ 1er), 67 et 68 de la présente ordonnance ». Cette amende, pouvant
aller jusqu’à 20 000 francs, présentait un caractère « blessant » à l’égard des avocats au Conseil d’État, mais
surtout elle constituait « un très gros obstacle à la mise en œuvre d’un recours en révision » (M. DREYFUS-
SCHMIDT, Rapport fait au nom de la commission des Lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel,
du Règlement d’administration générale, préc, p. 7-8). Dans les faits, des amendes ont véritablement frappées
certains conseils des requérants pour des requêtes excessives ou répétées (CE, 23 décembre 1815, Lizet : Rép. gén.
Dalloz, 1846, Avocats, n°543 ; CE, 2 février 1821, Meynard c/ d'Albizzi : Rec. Lebon, 1821-1, p. 132 ; CE, 13
mars 1822, Rec. Lebon, 1822-2, p. 269). À la suite d’une malheureuse affaire dans laquelle un requérant n’avait,
en raison de la crainte inspirée par ces dispositions pénales, pas trouvé d’avocats pour exercer un recours en
révision, une proposition de loi a été déposée et ces dispositions répressives ont définitivement été supprimées par
loi n°91-637 du 10 juillet 1991 tendant à supprimer les sanctions contre les avocats prévues aux articles 75 et 77
de l'ordonnance n°45-1708 du 31 juillet 1945 sur le Conseil d’État.
1926
Art. R. 834-4 CJA.
1927
B. PACTEAU, La suppression des sanctions envers les avocats pour avoir présenté d'injustifiés recours en
révision devant le Conseil d'État, op. cit.

409
B) L’impossibilité de réviser le procès fiscal en présence d’une relaxe ultérieure

456. L’impossibilité de voir dans la relaxe pénale un cas d’ouverture du recours en


révision. – Les poursuites pénales engagées devant juge répressif du chef de fraude fiscale
peuvent se poursuivre malgré l’achèvement de la procédure fiscale. Dans le cas où le litige
pénal se solde par une relaxe des juridictions répressives, il se peut que certaines de ses
constatations factuelles s’imposent aux juridictions administratives1928. Le cas échéant, si le
juge de l’impôt avait été saisi de l’affaire après la lecture de la décision de relaxe, sa décision
devait respecter l’autorité de chose jugée attachée à la décision de son homologue. Dans le cas
où le litige fiscal est définitivement clos, le contribuable ne peut qu’espérer une révision de la
décision par laquelle le juge des impôts a confirmé le bien-fondé des impositions mises à sa
charge par le fisc. Or, cette configuration ne semble répondre à aucun des motifs limitativement
énumérés à l’article R. 834-1 du code de justice administrative. L’intervention d’une relaxe du
juge pénal prononcée sur le fondement de l’article 1741 du code général des impôts n’implique
pas que la décision du juge administratif ait été rendu sur une pièce considérée comme fausse,
ni que l’administration fiscale ait abusivement retenue une pièce décisive pour le jugement du
procès, encore moins que la décision ait été rendue en violation des règles substantielles
relatives au prononcé de la décision par le juge de cassation. De surcroît, aucune décision du
juge de cassation n’a permis de rouvrir sur ce fondement le litige fiscal à raison du prononcé
ultérieur d’une relaxe du juge répressif. Dès lors que la décision de la juridiction pénale
intervient après que soit rendu l’arrêt du Conseil d’État en matière fiscale1929, il n’existe aucun
moyen de faire rétroactivement respecter l’autorité éventuelle de chose jugée du jugement
répressif1930, en tout cas sur le terrain de la révision du procès administratif. D’autres voies
juridiques sont possiblement ouvertes au contribuable bénéficiant d’une relaxe sur le plan pénal.

§2. L’inadaptation des autres voies juridiques

457. L’espoir vers d’autres mécanismes juridiques. – Si la voie du recours en révision est
définitivement fermée au contribuable qui bénéficie, une fois la procédure fiscale terminée,

1928
V. supra, n°433 et s.
1929
V. lorsque la relaxe intervient après que soit intervenu une décision sur le fond des juridictions fiscales mais
avant que le Conseil d’État ne se prononce : V. supra, n°447.
1930
Un auteur dénonce ainsi « l’imperfection du système » : A. BOTTON, Une autorité rétroactive de la chose
jugée au pénal sur l'administratif, op. cit.

410
d’une relaxe du juge pénal, d’autres instruments présents dans le livre des procédures fiscales
sont susceptibles d’être invoqués pour espérer une disparition des impositions mises à sa charge.
À ce titre, le contribuable est en mesure de formuler une demande de dégrèvement d’office (A)
ou de remise gracieuse (B) afin que l’administration fiscale ajuste ses obligations fiscales en
fonction de la décision prononcée par le juge répressif. Le rétablissement de la cohérence
décisionnelle entre les contentieux pénal et fiscal n’incombe alors plus au juge fiscal mais
directement à l’administration fiscale.

A) Le dégrèvement d’office

458. Adaptation théorique du dégrèvement d’office. – L’article R. 211-1 du livre des


procédures fiscales s’ouvre sur un alinéa premier énonçant que « la direction générale des
finances publiques ou la direction générale des douanes et droits indirects selon le cas, peut
prononcer d'office le dégrèvement ou la restitution d'impositions qui n'étaient pas dues,
jusqu'au 31 décembre de la quatrième année suivant celle au cours de laquelle le délai de
réclamation a pris fin, ou, en cas d'instance devant les tribunaux, celle au cours de laquelle la
décision intervenue a été notifiée ». Le dégrèvement d’office suppose une erreur de
l’administration fiscale au détriment du contribuable puisque l’imposition réclamée ou mise en
recouvrement n’était en réalité pas due. Dans pareille hypothèse, l’administration fiscale peut
prononcer un dégrèvement des impositions indument réclamées, soit de sa propre initiative, soit
à la suite d’une demande en ce sens de la part du contribuable1931. Le texte susvisé permet
d’ouvrir cette faculté au contribuable bénéficiant d’une relaxe dans les quatre années qui suivent
celle au cours de laquelle la décision mettant fin au litige fiscal a été prononcée. De prime abord
donc, la procédure de dégrèvement d’office pourrait servir à rétablir la situation fiscale du
contribuable renvoyé des fins de la poursuite du chef de fraude fiscale. En théorie, il est en effet
possible qu’une relaxe prononcée par le juge répressif rende infondées les impositions
préalablement mises à la charge du contribuable. Dans le passé, la faculté de l’article R. 211-1
du livre des procédures fiscales a déjà été exercée par l’administration fiscale, au profit d’un
contribuable ayant fait l’objet d’une relaxe sur le plan pénal, mais durant le temps de
l’instruction du litige fiscal1932. Certains arrêts de cours administratives d’appel font toutefois

1931
Faute de précision dans les textes, la demande présentée par le contribuable n’a pas à revêtir une quelconque
forme particulière. Elle peut à ce titre être orale ou écrite.
1932
CE, 8ème et 9ème ss.-sect., 4 octobre 1978, n°04020 et 04022, Concl. M. LOBRY : Dr. fisc., n° 21, 1979, comm.
1057 : « Après le rejet de sa réclamation, la société a saisi le Tribunal administratif et, en cours d'instance, le

411
état d’un avis de dégrèvement accordé par le fisc postérieurement à la relaxe prononcée par le
juge pénal1933.

459. Caractère discrétionnaire de l’administration fiscale. – Si le dégrèvement d’office


peut ponctuellement permettre de rectifier la situation fiscale du contribuable en fonction d’une
relaxe prononcée par le juge répressif, cette voie est insuffisante à assurer durablement une
cohérence entre les réponses pénale et fiscale. L’administration fiscale n’est en effet jamais
tenue de faire usage du pouvoir qu’elle tient des articles R. 211-1 et suivants du livre des
procédures fiscales1934. Même en présence d’une imposition indue, le bénéfice du dégrèvement
« dépend entièrement du bon vouloir de l’administration »1935. S’agissant d’un pouvoir
purement gracieux, la décision par laquelle elle refuse d’accorder le dégrèvement est donc
insusceptible de recours en plein contentieux, cette irrecevabilité présentant un caractère
d’ordre public1936. Assurément, l’articulation des procédures pénale et fiscale ne peut dépendre
d’une procédure entre les mains de l’administration fiscale et exclusive de tout contrôle du juge
administratif. Il en est de même des remises gracieuses que l’administration fiscale peut
librement accorder au contribuable sur le fondement de l’article L. 247 du livre des procédures
fiscales.

Directeur a prononcé d'office le dégrèvement des impositions établies au titre des exercices 1965/66 et 1966/67,
par application du 2e alinéa de l'article 1974 bis, à la suite de l'arrêt rendu par la Cour d'Appel de N... qui a
relaxé la demoiselle Y... du délit de fraude fiscale qui lui était reproché ».
1933
V. notamment, CAA Nancy, 2ème ch., 1er février 2018, n°16NC01459, concl. N. PETON ; CAA Paris, 7ème ch.,
10 mars 2020, n°18PA04053, concl. A. SLOLTZ-VALETTE.
1934
CE, 9ème et 8ème ss-sect., 10 septembre 1997, n°146864 : RJF, 1997, n°1054.
1935
Concl. E. BOKDAM-TOGNETTI sous CE, 9ème et 10ème ch., 20 septembre 2017, n°394564, Sté Turbo’s Hoët
Parts France, préc.
1936
CE, 8ème et 3ème ss-sect., 3 février 2011, n°322857, Société Groupe Président Electronics : Dr. fisc. 2011, n°26,
comm. 408, concl. L. OLLÉON, note C. MÉNARD ; RJF 4/2011, n°499 ; CE, 19 juin 2017, n°403096, Société
GBL Energy : Dr. fisc., 2017, n°36, comm. 432, note M. COLLET ; RJF 10/2017, n°984 : « La décision de
l'administration de faire usage du pouvoir que lui confèrent les dispositions de l'article R. 211-1 du livre des
procédures fiscales revêt un caractère purement gracieux. Il en résulte que le refus d'accorder un dégrèvement
sur le fondement de ces dispositions est insusceptible de recours. Par conséquent, le recours pour excès de pouvoir
formé par la société requérante contre la décision implicite par laquelle l'administration fiscale a refusé de mettre
en œuvre la faculté que lui confèrent les dispositions de l'article R. 211-1 du livre des procédures fiscales est
irrecevable ».

412
B) Les remises gracieuses

460. Présentation du mécanisme. – Le deuxièmement de l’article L. 247 du livre des


procédures fiscales permet au contribuable de solliciter de l’administration fiscale une remise,
totale ou partielle1937, des amendes fiscales ou des majorations d'impôts1938 qui lui ont été
infligées par l’administration fiscale. L’éventuelle faveur accordée par le fisc relève alors d’une
décision unilatérale de sa part, ce qui distingue la remise de la conclusion, entre le contribuable
et l’administration, d’une transaction fiscale, par essence synallagmatique1939. En application
du premièrement de l’article précité, la remise peut être accordée au contribuable se trouvant
« dans l'impossibilité de payer par suite de gêne ou d'indigence ». Par-delà cette disposition, le
législateur n’a pas indiqué les critères d’octroi des remises autorisées par le deuxièmement du
même texte. La liberté laissée à l’administration est donc entière, celle-ci pouvant à sa guise
décider d’abandonner la créance fiscale due par le contribuable. L’objet de la remise constitue
toutefois en lui-même une limite au pouvoir discrétionnaire de l’administration fiscale. La mise
en œuvre de l’article L. 247 du livre des procédures fiscales mettant « en cause la perception
de deniers publics »1940, le Trésor ne peut librement « faire des « cadeaux » aux
contribuables »1941.

461. Inadaptation du mécanisme de remise gracieuse. – Théoriquement, le contribuable


pourrait être tenté de solliciter de l’administration fiscale une remise des impositions

1937
Dans cette seconde hypothèse, on parle de « modération ».
1938
La remise ne peut porter que sur les amendes fiscales ou les majorations d'impôts et non les intérêts de retard.
1939
Contrairement à la remise, la transaction prévue à l’alinéa 5 de l’article L. 247 du livre des procédures fiscales,
procède d’une véritable convention synallagmatique entre le fisc et le contribuable, lesquels font tous deux des
concessions réciproques. Son régime obéit aux dispositions du code civil et notamment à son article 2044.
Contrairement à la remise, la transaction peut porter sur les amendes fiscales et les majorations mais aussi sur les
intérêts de retard. Elle ne nous concerne pas dans notre hypothèse de départ puisque la transaction ne peut porter
que sur des impositions qui ne sont pas définitives.
1940
Concl. É. BOKDAM-TOGNETTI sous CE, 9ème et 10ème ch., 20 septembre 2017, n°394564, Société Turbo’s
Hoet Paris France, préc.
1941
Ibid. Il faut ici rappeler que l’article 432-10 du code pénal réprime le « fait, par une personne dépositaire de
l'autorité publique ou chargée d'une mission de service public, de recevoir, exiger ou ordonner de percevoir à
titre de droits ou contributions, impôts ou taxes publics, une somme qu'elle sait ne pas être due, ou excéder ce qui
est dû, est puni de cinq ans d'emprisonnement et d'une amende de 500 000 €, dont le montant peut être porté au
double du produit tiré de l'infraction.
Est puni des mêmes peines le fait, par les mêmes personnes, d'accorder sous une forme quelconque et pour quelque
motif que ce soit une exonération ou franchise des droits, contributions, impôts ou taxes publics en violation des
textes légaux ou réglementaires.
La tentative des délits prévus au présent article est punie des mêmes peines ».

413
supplémentaires mises à sa charge, à propos desquelles le juge répressif a ultérieurement
entendu le renvoyer des fins de la poursuite. L’idée, déjà en germe dans la doctrine du 20ème
siècle1942, a été expérimentée par la Société Turbo’s Hoët Parts France qui, ayant bénéficié
d’une relaxe du juge répressif, n’avait pu valablement s’en prévaloir devant le Conseil
d’État1943. Postérieurement à la clôture de la procédure fiscale, la société a sollicité la remise
gracieuse des pénalités mises en recouvrement sur le fondement de l’article L. 247 du livre des
procédures fiscales. Le refus de l’administration, pouvant, à la différence des demandes
relatives au dégrèvement d’office, être contesté devant le juge de l’impôt dans le cadre d’un
recours en plein contentieux, a été déféré à la juridiction administrative. En l’espèce, par
jugement du 9 avril 2015, les juges du tribunal ont rejeté sa demande d’annulation pour excès
de pouvoir de la décision de refus du fisc. La société s’est régulièrement pourvue contre ce
jugement devant le Conseil d’État, qui devait dès lors se prononcer sur la question de savoir si
« l’intervention d’un jugement pénal devenu définitif qui relaxe des poursuites pour fraude
fiscale et escroquerie à l’impôt un contribuable [devait] conduire l’administration fiscale à
faire droit à une demande de remise gracieuse des pénalités qui avaient été infligées à ce
contribuable »1944. Le rapporteur public apporte à cette interrogation une réponse mitigée. Aux
termes de ses conclusions, il rappelle qu’une demande gracieuse « ne saurait tendre à contester
en droit la régularité ou le bien-fondé des impositions et pénalités mises à la charge du
contribuable »1945. Cet élément est déterminant à distinguer la demande gracieuse de la voie
contentieuse. En empruntant la première option, le contribuable sollicite la décharge des
impositions mises à sa charge sans formuler de moyens de droit à l’appui de sa demande. Mais
dès lors que sa réclamation présente des moyens juridiques, elle revêt par ce fait un caractère
contentieux relevant non pas du recours pour excès de pouvoir mais du plein contentieux fiscal.
La nature de la demande adressée au service des impôts dépend ainsi du caractère – gracieux
ou contentieux –, de la voie empruntée par le contribuable1946. Du reste, la demande gracieuse

1942
G. KLEIN, La répression de la fraude fiscale, Étude sur le particularisme du droit pénal des impôts, op. cit.,
p. 149, n°173.
1943
V. supra, n°446.
1944
Concl. É. BOKDAM-TOGNETTI sous CE, 9ème et 10ème ch., 20 septembre 2017, n°394564, Société Turbo’s
Hoet Paris France, préc.
1945
Ibid.
1946
Une jurisprudence constante estime que la nature de la réclamation présentée par le contribuable dépend des
termes de la réclamation présentée à l'administration et non de la forme choisie par cette dernière pour y répondre.
En conséquence, lorsque, saisi d'une réclamation contentieuse, le service des impôts la regarde néanmoins comme
une demande gracieuse, la décision de rejet prononcée relève, non du contentieux de l'excès de pouvoir, mais du
plein contentieux (V. en ce sens, CE, 8ème et 7ème ss-sect, 11 juillet 1984, n°36866 : RJF 10/84, n°1249 ; CE, 8ème
et 7ème ss-sect., 2 avril 1990, n°86084 : RJF 5/90, n°609, concl. N. CHAHID-NOURAÏ).

414
du contribuable, formulée sur le fondement de l’article L. 247 du livre des procédures fiscales,
doit se rattacher à des « considérations d’équité »1947 telles que sa situation financière ou
personnelle. Or, dès lors que le contribuable entend se prévaloir de l’autorité de chose jugée
attachée à une décision de relaxe rendue par la juridiction correctionnelle, il se livre à un
argumentaire purement juridique ne pouvant utilement être invoqué au soutien d’une
réclamation gracieuse. Le juge de l’excès de pouvoir « saisi d’une demande d’annulation de la
décision refusant d’accorder la remise gracieuse des pénalités » n’est pas « tenu par une
quelconque autorité de la chose jugée au pénal qui lui imposerait d’annuler la décision »1948,
cette considération relevant de l’examen exclusif du juge de l’impôt, saisi d’une demande en
décharge dans le cadre d’un recours en plein contentieux1949.

462. Autorité de chose jugée inappliquée. – Conformément à la solution préconisée par


son rapporteur public, le Conseil d’État, par un arrêt du 20 septembre 20171950, a rejeté le
pourvoi de la Société Turbo’s Hoët Parts France. Pour ce faire, il n’a pas formellement adhéré
aux arguments de son rapporteur public mais a estimé, selon une motivation surprenante, qu’il
ne ressortait pas des pièces du dossier que la société requérante avait invoqué devant le tribunal
administratif l’erreur de droit qu’aurait commise l’administration en refusant de prendre en
considération la relaxe prononcée par le juge correctionnel. Par suite, le tribunal, « qui n'était
pas tenu de soulever d'office ce moyen dès lors qu'il n'est pas d'ordre public », pouvait
parfaitement ne pas tenir compte de cette circonstance. Le Conseil d’État préfère se placer sur
le terrain d’une faute stratégique de la société et déplacer ainsi le problème pour ne pas dévoyer
l’essence même de la voie gracieuse. Il n’appartient pas au juge de l’excès de « bricoler »1951
une solution censée pallier l’absence de dialogue des juges pénal et fiscal. Il n’en demeure pas
moins que lorsqu’un arrêt de relaxe est rendu postérieurement à la clôture de la procédure

1947
Concl. É. BOKDAM-TOGNETTI sous CE, 9ème et 10ème ch., 20 septembre 2017, n°394564, Société Turbo’s
Hoet Paris France, préc.
1948
Ibid.
1949
Malgré tout, le rapporteur public soulève le « sentiment d’injustice que peut ressentir un contribuable qui,
relaxé au pénal, voit comme en l'espèce sa demande de remise gracieuse rejetée par l'administration fiscale ».
Mais selon ses propos, l’inanité de la situation de la société requérante provient de la solution retenue par le Conseil
d’État dans sa décision du 30 juillet 2010, dans laquelle une relaxe prononcée par le juge pénal n’a pu être prise
en considération par le Haute juridiction. Heureusement, il a fait évoluer sa jurisprudence par sa décision Thomas
du 16 février 2018 : V. supra, n°447.
1950
CE, 9ème et 10ème ch., 20 septembre 2017, n°394564, Sté Turbo's Hoët Parts France : Dr. fisc. 2017, n° 45,
comm. 538, concl. É. BOKDAM-TOGNETTI, note M. COLLET.
1951
M. COLLET, Demande de remise gracieuse (LPF, art. L. 247) : quelle est l’incidence d’une relaxe des
poursuites pour fraude fiscale prononcée par le juge pénal ? : Dr. fisc. n°45, 9 novembre 2017, comm. 538.

415
fiscale, l’autorité de chose jugée qui lui est potentiellement attachée est susceptible de rester
lettre morte. Cette configuration entraîne avec elle une rupture d’égalité entre les contribuables
selon la temporalité entre les procédures pénale et fiscale.

416
CONCLUSION DU CHAPITRE DEUX

463. Poursuites pénale et fiscale concomitantes. – L’incidence de la décision pénale sur le


litige fiscal est gouvernée par la notion d’autorité de chose jugée, naturellement confiée au sein
de l’ordre administratif aux décisions du juge répressif. Lorsque les poursuites pénale et fiscale
sont concomitamment engagées à l’encontre d’un contribuable, l’autorité de chose jugée d’une
décision pénale peut être invoquée à tous les stades de la procédure fiscale, y compris pour la
première fois devant le juge de cassation. La considération du juge fiscal envers la décision
rendue par les tribunaux répressifs participe à l’harmonisation des procédures. La décision par
laquelle le juge correctionnel se prononce sur la culpabilité du prévenu du chef de fraude fiscale
est en effet susceptible de modifier le sens de la décision du juge fiscal. En cas de condamnation
sur le fondement de l’article 1741 du code général des impôts, le juge fiscal n’hésite pas à
s’appuyer sur les constatations de faits qui sont le support de la décision du juge répressif pour
asseoir la réalité de la dissimulation du contribuable. Mais en présence d’une décision de relaxe,
le juge des impôts continue de distinguer selon que la décision est ou non intervenue au bénéfice
du doute. Toutes les fois où le juge correctionnel ne s’estime pas suffisamment éclairé sur la
réalité de l’infraction, le juge fiscal considère que sa décision ne renferme aucune constatation
factuelle s’imposant à lui au titre de l’autorité de chose jugée. Dès lors, l’appréciation du juge
fiscal quant au comportement du contribuable peut entièrement s’affranchir de la chose jugée
par le juge répressif. En d’autres termes, « le criminel ne tient ainsi pas le fiscal en l'état »1952.

Si la méconnaissance du juge fiscal à l’égard des décisions de relaxe prononcées au


bénéfice du doute manque cruellement d’à-propos, tant la notion de relaxe est indivisible au
sens du droit pénal, la volonté de ne pas servilement imposer au juge des impôts de décharger
un contribuable parallèlement relaxé devant le juge correctionnel apparaît parfaitement
compréhensible. En effet, imposer au juge fiscal une autorité des décisions de relaxe du juge
pénal apparaîtrait contraire à la configuration des procédures pénale et fiscale dans la lutte
contre la fraude fiscale. Le prononcé d’une relaxe ne saurait mécaniquement entraîner la
décharge des impositions mises à la charge du contribuable, cette décision du juge répressif
pouvant simplement signifier que les faits ne sont pas suffisamment graves pour entraîner une
double répression. Si le résultat auquel parvient le juge fiscal est légitime, l’argumentation selon

1952
R. BONNAUD, J.-P. COIFFARD, L'articulation des procédures pénale et fiscale : Cahiers de droit de
l'entreprise n°1, janvier 2020, dossier 4.

417
laquelle il convient de distinguer entre les relaxes contenant ou non des constatations de faits
s’imposant à lui, s’avère contestable. L’autorité accordée à une relaxe ne peut être fonction du
degré de motivation de la décision du juge pénal.

464. Poursuites pénale et fiscale séparées. – Lorsqu’en revanche les procédures pénale et
fiscale ne sont plus simultanées et que la procédure fiscale se clôt avant la fin des poursuites
pénales, il se peut que l’autorité de chose jugée attachée aux décisions répressives reste lettre
morte. Devant le juge fiscal, la voie de la révision est fermée au contribuable souhaitant se
prévaloir d’une relaxe intervenue postérieurement à la procédure fiscale. Face à l’administration
fiscale, les espoirs de décharge des impositions en présence d’une décision de relaxe, laissés à
sa discrétionnaire appréciation, sont minces. Tout comme l’option du recours en révision, la
voie des remises gracieuses et dégrèvements d’office est largement insatisfaisante. Dans
pareille hypothèse, l’éventuelle contrariété décisionnelle entre les décisions pénale et fiscale ne
peut tout simplement être résolue.

418
CONCLUSION DU TITRE DEUX

465. Incidence limitée de l’existence d’un procès pénal. – La poursuite d’un contribuable
devant le juge pénal sur le fondement de l’article 1741 du code général des impôts n’a qu’une
incidence limitée sur le litige fiscal ouvert à la suite d’une contestation des impositions devant
le juge des impôts. D’un point de vue temporel, l’existence d’une procédure pénale n’impose
pas au juge fiscal de surseoir à statuer car celui-ci peut, en dehors du cas spécifique de l’article
L. 16 B du livre des procédures fiscales, exercer pleinement son office sans avoir à poser une
question préjudicielle relevant de la compétence exclusive du juge répressif. D’un point de vue
matériel, l’influence de la décision pénale sur le cours du litige fiscal varie selon sa nature. S’il
s’agit d’une décision prononçant la nullité d’une pièce pénale, elle s’impose au juge fiscal, mais
aussi et surtout à l’administration fiscale qui ne peut invoquer la pièce litigieuse au soutien d’un
redressement fiscal. En revanche, la décision par laquelle le juge correctionnel se prononce sur
la culpabilité ou non du prévenu ne lie le juge fiscal que dans les limites – circonscrites – de
l’autorité de chose jugée du pénal sur l’administratif. Partant, il est bien des hypothèses dans
lesquelles le juge des impôts se prononce sur la requête du contribuable en faisant totalement fi
du déroulement concomitant d’un procès pénal. Du reste, si la décision du juge répressif
intervient après que soit définitivement close la procédure fiscale, il est impossible pour le
contribuable de se prévaloir de cette décision pour espérer une décharge des impositions mises
à sa charge.

466. Défaut d’uniformisation des incidences. – Les imbrications entre les procédures
pénale et fiscale dépendent ainsi d’éléments extérieurs au contribuable, tels que le stade
d’avancée du litige fiscal ou encore le degré de motivation d’une relaxe prononcée par le juge
répressif. Il en résulte une uniformisation aléatoire et incertaine des réponses pénale et fiscale
entre les contribuables.

419
CONCLUSION DE LA SECONDE PARTIE

467. Confusion générale. – De l’étude des incidences respectives des procédures fiscale puis
pénale sur le litige simultanément ouvert, ressort une confusion importante. Aucun des juges
fiscal et pénal n’est contraint de surseoir à statuer dans l’attente de la décision de son
homologue. En outre, la première décision rendue sur le fond par les tribunaux administratifs
ou répressifs ne s’impose jamais de manière absolue à l’endroit du second juge ayant à se
prononcer sur les mêmes faits. Du reste, s’il est impossible d’espérer une révision du procès
fiscal après que soit rendu une décision de relaxe, il est permis de former un pourvoi en révision
à la suite d’une décision de décharge pour un motif de fond. Il en résulte un risque important
de contrariété de jugements entre la justice fiscale et la justice répressive.

468. Unité des fautes fiscale et pénale. – Pour solutionner l’articulation processuelle des
contentieux, il est nécessaire de définir au préalable la structure des fautes pénale et fiscale. À
cet égard, un parallèle peut être fait avec l’évolution qui a concerné les liens entre les fautes
civile et pénale. La chambre civile de la Cour de cassation a rapidement consacré un principe
d’unité des fautes civile et pénale1953, impliquant « que la première présente une structure
strictement identique à la seconde »1954. Ainsi, l’existence d’une faute pénale emportait
nécessairement celle d’une faute civile, et le prononcé d’une relaxe l’impossibilité d’engager la
responsabilité civile. Cette conception unitaire s’est maintenue jusqu’à l’adoption de la loi
n°2000-647 du 10 juillet 20001955, laquelle a explicitement1956 affiché la volonté d’autonomiser
ces deux fautes1957. Postérieurement à son entrée en vigueur, la première chambre civile de la

1953
Cette conception résulte d’un célèbre arrêt Brochet et Deschamps du 18 décembre 1912 : Civ., 18 décembre
1912, S. 1914, 1, p. 249, note R. MOREL. V. pour plus de développements à ce sujet : A. BOTTON, Contribution
à l'étude de l'autorité de la chose jugée au pénal sur le civil : Thèse, Toulouse 1, 2008 ; A. D'HAUTEVILLE, Les
transformations de la faute pénale, in Le nouveau code pénal dix ans après, éd. Pedone, 2005 ; P. JOURDAIN,
Autorité de la chose jugée au pénal et principe d’unité des fautes. La rupture est consommée entre la faute civile
et pénale, mais l'est-elle vraiment ? : D. 2001. 2232.
1954
N. RIAS, Aspects actuels des liens entre les responsabilités civile et pénale : Thèse, 2006, p. 126.
1955
Loi n°2000-647 du 10 juillet 2000 tendant à préciser la définition des délits non intentionnels.
1956
J. MASSOT (groupe d’étude présidé par), La responsabilité pénale des décideurs publics, Coll. « Rapports
officiels, La documentation française », 2000.
1957
La nouvelle rédaction de l’article 121-3 du code pénal opère une distinction selon que la causalité soit directe
ou indirecte, et redéfinit ainsi les contours de la responsabilité pénale en matière d’infractions non-intentionnelles.
Aux termes de cette disposition, la faute simple suffit à engager la responsabilité pénale lorsqu’elle est la cause
directe du dommage. En revanche, lorsque le lien entre l’acte délictueux et le dommage est seulement indirect,
l’engagement de la responsabilité pénale requiert l’existence d’une faute qualifiée, qu’elle soit délibérée ou
caractérisée. Surtout, l’article 4-1 du code de procédure pénale énonce désormais que l’absence de faute pénale

420
Cour de cassation a rendu le 30 janvier 2001 un arrêt abandonnant définitivement le principe
d’unité des fautes civile et pénale1958. Désormais, leur autonomie résulte d’une appréhension
différenciée de leurs éléments constitutifs. Pour engager la responsabilité pénale, l’intéressé
doit avoir atteint l’intérêt général par un comportement que la loi définit comme présentant un
caractère illégal. Quant à elle, la responsabilité civile implique un dommage à des intérêts
particuliers, pouvant résulter d'une faute légère.

En matière fiscale, tout manquement au code général des impôts, quel que soit sa
gravité, est susceptible de s’assimiler à une faute administrative, réprimée par l’infliction de
sanctions de nature fiscale. Ce n’est que lorsque ce même manquement à la loi fiscale revêt un
degré de gravité suffisant qu’il peut, en plus des sanctions fiscales, engager la responsabilité
pénale de son auteur. Les procédures pénale et fiscale sont ainsi complémentaires. La dualité
de répression applicable à l’article 1741 du code général des impôts ne se conçoit que si les
poursuites pénales sont le prolongement des poursuites fiscales. En conséquence, il nous semble
impossible d’admettre que la même situation factuelle soit appréciée différemment par les deux
juges amenés à connaître du comportement du contribuable. La complémentarité des
procédures pénale et fiscale postule nécessairement une unité entre les fautes fiscale et pénale.

469. Dialogue des juges. – Cependant, l’unité absolue des fautes fiscale et pénale n’est
possible que s’il est imposé, à l’un des deux juges, de se soumettre à l’autre, en lui imposant de
surseoir à statuer dans l’attente de la décision de son homologue, laquelle sera ensuite revêtue
d’une stricte autorité de la chose jugée. Cette configuration ne semble pas pouvoir être
réalisable car elle imposerait de trancher, entre les magistrats fiscal et pénal, lequel d’entre eux
doit bénéficier d’une compétence exclusive pour caractériser la matérialité et l’intentionnalité
de la fraude fiscale. Une solution intermédiaire réside dans l’instauration d’un dialogue
obligatoire entre les deux juridictions. Lorsque les procédures pénale et fiscale sont déployées
concomitamment à l’égard des mêmes faits, une relation directe et institutionnalisée doit
pouvoir s’imposer entre elles. La dualité de répressions applicable à la fraude fiscale « n'est
acceptable que si chacun, dans l'exercice de la responsabilité qui lui est propre, tient compte

non-intentionnelle au sens de l’article 121-3 du code pénal « ne fait pas obstacle à l'exercice d'une action devant
les juridictions civiles afin d'obtenir la réparation d'un dommage sur le fondement de l’article 1241 du code civil ».
1958
Civ. 1ère, 30 janvier 2001, n°98-14.368 : Dr. et patrimoine 2001, n°98, p. 96, note F. CHABAS ; D. 2002, p.
1320, obs. P. DELEBECQUE ; RSC 2001, p. 613, obs. A. GIUDICELLI ; D. 2001, p. 2232, obs. P. JOURDAIN
; RTD. Civ. 2001, p. 376, obs. P. JOURDAIN, JCP 2001, I, 338, n°4, obs. G. VINEY.

421
de ce que fait l'autre ; pour le dire autrement, le dialogue des juges est l'accessoire
indispensable de leur pluralité »1959. Dès lors, « la complémentarité des procédures fiscales et
pénales se révèlerait alors dans la qualité du dialogue, qu’elles s’avèrent ou non capables
d’établir »1960. Aussi, avant de se prononcer sur la régularité ou le bien-fondé des impositions
mises à la charge du contribuable, le juge fiscal doit pouvoir consulter le juge répressif saisi de
faits analogues.

470. Sursis à statuer obligatoire. – Du côté du juge pénal, le dialogue devant s’organiser
avec la juridiction fiscale doit cependant être plus contraignant. Pour être caractérisée,
l’infraction de fraude fiscale suppose en effet l’existence d’un impôt fraudé. Dès lors, avant de
se prononcer sur l’existence ou non du délit de l’article 1741 du code général des impôts, le
tribunal correctionnel doit s’assurer de l’applicabilité de l’imposition litigieuse. Pour l’heure,
les juges pénal et fiscal se partagent la compétence pour constater l’existence de cette condition
préalable du délit. C’est à l’aune de cette compétence concurrente que se manifestent les risques
de contrariétés de jugements entre les juridictions répressives et fiscales. Ces complications ne
pourront être résolues que si la question de l’applicabilité de l’impôt est détachée de la
matérialité de la fraude fiscale. En d’autres termes, la contestation fiscale doit relever de la
compétence exclusive d’une seule juridiction. Dans cette nouvelle perspective, il semble naturel
de confier au juge fiscal le soin de vérifier l’applicabilité de l’impôt, non seulement parce qu’il
dispose des compétences techniques pour le faire, mais encore parce que celui-ci dispose d’une
place prioritaire dans la lutte contre la fraude fiscale. Dans son régime, la fraude fiscale pourrait
ainsi se rapprocher de l’infraction de détournement de deniers publics, incriminée à l’article
432-15 du code pénal. Alors que celle-ci implique que des fonds publics ont été détournés,
celle-là suppose qu’un impôt régulièrement a été fraudé. Or, dans l’infraction de détournement
de fonds publics, le montant du déficit financier échappe à la juridiction pénale pour relever de
la compétence exclusive de l’autorité administrative1961. Cette vérification constitue pour le
juge pénal une exception préjudicielle au jugement de l’action publique, dénommée « exception
préjudicielle de débet »1962. Un régime procédural similaire pourrait être appliqué à l’infraction

1959
Concl. E. CRÉPEY ss. CE, sect. 5 décembre 2014, n°340943, Lassus, préc.
1960
C. SOURZAT, Essai d'une analyse des rapports entre procédures fiscale et pénale : RSC 2016 p. 199.
1961
La cour des comptes ou la chambre régionale des comptes.
1962
V. pour plus de développements à ce sujet : M. REDON, Détournement de pièces dans les dépôts publics :
Répertoire de droit pénal et procédure pénale, D. 2014 ; A. VITU, W. JEANDIDIER, « Destruction et
détournement de biens par des personnes exerçant une fonction publique », Fasc n°20, Jurisclasseur Pénal code,
août 2014.

422
de fraude fiscale. Le juge répressif demeurerait compétent pour apprécier les éléments
constitutifs de l’infraction, tandis que la détermination du champ d’application objectif des lois
fiscales relèverait exclusivement du juge des impôts. Ainsi, « sans renoncer à sa compétence
propre, chacun des deux juges resterait dans la stricte limite de ses attributions, ce qui
permettrait d'assurer une meilleure cohérence et prévisibilité à l'action des pouvoirs publics en
matière de lutte pénale contre la fraude fiscale »1963. En imposant un sursis à statuer au juge
répressif, « la justice y perdrait sans doute en rapidité, mais elle y gagnerait en crédibilité aux
yeux du public »1964.

1963
F. DEBOISSY, Retour sur un principe controversé : l'indépendance des procédures pénale et fiscale, op. cit.
1964
G. KLEIN, La répression de la fraude fiscale, Étude sur le particularisme du droit pénal des impôts, op. cit.,
p. 142, §165.

423
CONCLUSION GÉNÉRALE

471. Dimensions de l’articulation. – La fraude fiscale est une infraction singulière


susceptible de donner lieu à deux formes de répression, de nature administrative et répressive,
confiées à deux juges distincts appartenant pour l’un, à l’ordre administratif et pour l’autre, à
l’ordre judiciaire. Plusieurs principes fondamentaux se dressent contre cette configuration
duale, intéressant le contribuable lui-même, atteint dans son droit de ne pas subir excessivement
deux poursuites distinctes, mais également l’institution étatique, qui impose de tenir compte de
tous les impératifs d’une bonne administration de la justice. En ce sens, une articulation des
procédures, perçue comme le moyen d’associer et de concilier les réponses pénale et fiscale,
apparaît indispensable. L’articulation des procédures doit s’exprimer à travers deux
dimensions. La première est de nature conceptuelle. Dans l’addition des procédures pénale et
fiscale, il est en effet un préalable obligatoire que de définir les fondements du cumul. Une fois
constitué, le cumul peut ensuite être résolu. Dès lors, la seconde dimension de l’articulation des
procédures est processuelle. C’est l’étude des moyens techniques mis en place pour assurer une
coordination des deux contentieux.

472. L’articulation conceptuelle. – En premier lieu, une articulation conceptuelle des


procédures doit être recherchée. Le droit pénal fiscal doit être en mesure de déterminer
formellement les hypothèses dans lesquelles l’addition des répressions pénale et fiscale est
possible à l’égard de faits analogues.

Pour ce faire, il a été nécessaire d’étudier, d’une part, les raisons qui légitiment le cumul
des répressions pénale et fiscale. À ce stade, deux conditions sont nécessaires à l’exercice
associé des poursuites pénale et fiscale.

La première condition réside dans la complémentarité de leurs objectifs. L’approche


bicéphale de la fraude fiscale n’est légitime que lorsque les procédures ont chacune un sens et
une utilité définis. Tandis que la procédure fiscale a pour objet de réparer le préjudice causé au
Trésor public, les poursuites pénales s’associent à la répression fiscale dans un but dissuasif.
Ainsi, « en prévoyant, à côté des sanctions purement administratives, l’intervention du juge
répressif, le législateur veut signifier que la fraude n’a pas seulement des conséquences

424
financières mais constitue plus profondément un trouble à l’ordre de la société »1965. Or, force
est de constater que la répression actuelle de la fraude laisse place à des dérives, en concédant
à la procédure pénale un objectif clairement budgétaire et en permettant à la procédure fiscale
de revêtir les caractéristiques d’un contentieux essentiellement répressif. Il est impératif de
recentrer les procédures fiscale et pénale vers leur objectif initial, au risque de dévoyer les
fondements du droit pénal fiscal.

La seconde condition de légitimité du cumul tient aux rapports qu’entretiennent les


juridictions pénale et fiscale. Si les relations entre les procédures pénale et fiscale ont longtemps
été régies par une stricte indépendance, les fondements de ce principe tombent à la lumière des
liens personnels et matériels qui unissent les deux contentieux. Puisque les juridictions amenées
à se prononcer sur le comportement du contribuable doivent qualifier et juger les mêmes faits,
en fonction de normes de référence identiques, il est impératif qu’elles inscrivent leur action
dans un cadre juridique global et homogène. Cette uniformité ne doit cependant pas consister
en une interdépendance absolue. Le rôle attribué à l’administration fiscale dans le déroulement
du procès pénal est à cet égard largement contestable, tant il se confond avec celui qui revient
en principe au ministère public. Parallèlement, le Trésor public est susceptible de trouver dans
le dossier pénal les éléments probatoires établissant l’existence d’une fraude fiscale. Cette
prérogative résulte de l’exercice de son droit de communication, dont l’étendue ne coïncide pas
avec les limites temporelles de la procédure pénale1966, si bien que l’administration fiscale est
en mesure d’utiliser au soutien de son redressement fiscal des éléments tirés d’une enquête
pénale classée sans suite. Ainsi, de l’étude des rapports entre les procédures pénale et fiscale
ressort un déséquilibre manifeste, qui s’exerce au détriment du contribuable. Face à
l’administration fiscale, celui-ci ne joue pas à armes égales. Dans le prétoire pénal, il doit faire
face à deux accusateurs publics ayant la charge d’apporter la preuve des éléments matériel et
moral de l’infraction de fraude fiscale. Dans le cadre de de la procédure fiscale, le redressement
fiscal qui lui est infligé est souvent basé sur des éléments issus d’une procédure pénale qui ne
peuvent être soumis à un véritable débat contradictoire. En définitive, la légitimité du cumul
des procédures n’est jamais définitivement acquise.

1965
F. TRISTRAM, La sanction fiscale pénale aux 19ème et 20ème siècles, op. cit., p. 11.
1966
V. supra, n°3.

425
À travers ces éléments de légitimité, sont apparues, d’autre part, des conditions de
légalité autorisant la dualité de répression applicable à la fraude fiscale. Ces conditions sont
nées de la confrontation du cumul à des principes présents tant dans l’ordre juridique interne
qu’externe. Le cumul des poursuites pénale et fiscale doit satisfaire à la fois le principe de
nécessité des délits et des peines de l’article 8 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du
Citoyen de 1789 et le principe ne bis in idem garanti par l’article 4 du protocole n°7 additionnel
à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et à l’article
50 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. En réalité, les jurisprudences
des cours européennes comme du Conseil constitutionnel se sont accordées pour placer la
matière fiscale à l’abri des règles classiques entourant la validité des cumuls de sanctions. Parce
que les réponses apportées par les poursuites pénale et fiscale sont complémentaires, le cumul
applicable à la fraude fiscale n’atteint pas directement les principes de nécessité pénale et ne
bis in idem. S’il est aisé d’adhérer à ce postulat, il est impératif d’établir cette complémentarité
en amont de l’engagement simultané des poursuites pénale et fiscale à l’encontre du
contribuable. À ce titre, la Cour européenne propose d’imposer un lien matériel et temporel
suffisant entre les procédures pénale et fiscale. Or, ces critères sont, sinon inefficaces à contenir
le cumul des procédures pénale et fiscale dans des limites raisonnables, du moins inapplicables
en droit interne à raison de l’existence d’une réserve émise par le Gouvernement français à
propos de l’article 4 du protocole n°7 additionnel à la Convention européenne. Du reste, le
contrôle opéré par la Cour de justice de l’Union européenne est assez permissif à l’endroit des
États membres.

En conséquence, la seule clé d’articulation conceptuelle des contentieux pénal et fiscal


réside en droit interne dans le critère de gravité, introduit par une réserve d’interprétation du
Conseil constitutionnel en marge de ses décisions du 24 juin 2016. Il en résulte que les
poursuites pénales du chef de l’article 1741 du code général des impôts ne peuvent être
engagées qu’à raison d’une fraude suffisamment grave. Si la gravité est un élément pertinent
pour assurer une répartition entre les poursuites pénale et fiscale, l’indétermination de son
contenu rend impossible de déterminer à l’avance le risque pénal encouru en matière de fraude
fiscale. En ce sens, il est indispensable que la gravité de la fraude soit définie à partir d’éléments
objectifs et légalement établis.

En somme, le risque pénal attaché à la fraude fiscale n’est pas clairement délimité, si
bien que la politique criminelle en découlant est pour l’heure totalement incertaine et aléatoire.

426
La définition autonome et élargie de la fraude fiscale nuit à l’articulation conceptuelle des
procédures pénale et fiscale.

473. L’articulation processuelle. – Une fois le cumul des poursuites entériné, l’articulation
des procédures pénale et fiscale doit, en deuxième lieu, être de nature processuelle. La seconde
partie de la thèse tend à étudier les mécanismes procéduraux mis en place pour assurer la
synchronisation procédurale des deux instances parallèles. Dans cette optique, il a fallu
considérer les conséquences de l’une et de l’autre des procédures sur le litige parallèlement
mené. Pour chaque analyse, les procédures ont d’abord été entendues largement, puis
restrictivement comme ne recouvrant que la décision prise au fond par la juridiction fiscale ou
pénale.

Dans une première acception, les procédures pénale et fiscale, entendues dans un sens
large comme recouvrant les phases de recherche et de jugement des infractions fiscales,
interférent nécessairement entre elles. Les incidences d’une procédure sur l’autre peuvent être
de nature personnelle, temporelle ou probatoire.

S’agissant tout d’abord des incidences personnelles entre les contentieux, il est constant
que l’existence d’un redressement fiscal à l’encontre d’une personne morale n’empêche pas de
rechercher la responsabilité pénale personnelle du dirigeant. En d’autres termes, il est permis
de cumuler la responsabilité fiscale d’une personne morale avec la responsabilité pénale de son
dirigeant personne physique. Une telle configuration est édifiante, tant elle atteint les principes
élémentaires du droit pénal général, de même que les fondements du droit pénal fiscal.

D’un point de vue temporel ensuite, il n’existe aucune règle permettant de coordonner
dans le temps les contentieux fiscal et répressif. Aussi, les juridictions sont libres de surseoir à
statuer en présence d’un litige parallèlement ouvert à l’égard de faits similaires. Si du côté du
juge fiscal, cette liberté est entière, le juge pénal est quant à lui invité à surseoir à statuer en
présence d’un risque sérieux de contrariétés des décisions. Cette limitation n’est guère
satisfaisante et a vocation à s’élargir pour permettre à la juridiction correctionnelle de surseoir
à statuer dans le but de s’assurer de l’applicabilité de l’impôt dû par le contribuable.

Enfin, du côté du régime probatoire, les juges fiscal et pénal s’abstiennent tous deux de
constater l’irrégularité d’une pièce issue de la procédure adverse. Face à une irrégularité de

427
nature fiscale, le juge répressif cantonne sa compétence à des hypothèses ponctuelles de
violation par l’administration fiscale des droits de la défense que sont d’une part, le défaut
d’information du contribuable de la nécessité d’être assisté par le conseil de son choix dans le
cadre de l’article L. 47 du livre des procédures fiscales et, d’autre part, l’absence de débat oral
et contradictoire lors de la vérification de comptabilité. Quant à lui, le juge des impôts ne se
saisit d’une irrégularité de nature pénale que lorsque celle-ci a été préalablement constatée par
la juridiction répressive. Cette restriction de la compétence des juges nuit à la synchronisation
des procédures pénale et fiscale. Dans la mesure où les éléments déterminant l’existence d’une
fraude sont indifféremment utilisés au soutien de la procédure pénale ou fiscale, il est nécessaire
que les deux juridictions soient compétentes pour en vérifier la régularité.

Dans une seconde acception, les incidences des procédures ont été interrogées à l’aune
de la seule décision rendue au fond par la juridiction répressive ou par la juridiction fiscale.
Deux configurations ont pu être distinguées.

Lorsque, d’une part, une décision pénale ou fiscale intervient avant celle de son
homologue, c’est la question de l’autorité de chose jugée qui se pose pour le second juge. À cet
égard, il a été relevé que l’autorité de chose jugée constituait un élément essentiel de
l’interaction entre les procédures pénale et fiscale. Devant le juge pénal, l’autorité des décisions
du juge fiscal a récemment fait l’objet d’une notable évolution. Le Conseil constitutionnel a en
effet imposé une autorité aux décisions par lesquelles le juge des impôts décharge le
contribuable pour un motif de fond. En pareille circonstance, la juridiction répressive ne peut
plus entrer en voie de condamnation sur le fondement de l’article 1741 du code général des
impôts. Toutefois, cette autorité nouvellement créée est insuffisante à éviter tout risque de
condamnation pénale sur la base d’un impôt non dû par le contribuable, raison pour laquelle il
a été proposé d’instituer une autorité des décisions de décharges, indépendamment de leur
motivation substantielle ou formelle. Devant le juge fiscal, l’autorité des décisions rendues par
le juge pénal est classiquement limitée aux seules constatations factuelles pouvant être
regardées comme le support nécessaire du dispositif, excluant dès lors de son champ les
décisions de relaxes prononcées au bénéfice du doute. S’il apparaît opportun de ne pas imposer
au juge fiscal une décision de relaxe prononcée par le juge pénal, l’argumentation qui consiste
à différencier l’autorité de la décision pénale en fonction de la nature de la relaxe est, quant à
elle, éminemment contestable.

428
Lorsque, d’autre part, une décision est rendue après que la procédure parallèlement
engagée soit terminée, c’est la possibilité de réviser la première décision qui a dû être interrogée.
Si la décision fiscale succède à la décision pénale, la voie du pourvoi en révision s’est
timidement ouverte au profit du contribuable injustement condamné pour un impôt dont il
n’était pas redevable. Si en revanche la décision pénale succède à la décision fiscale, le
contribuable bénéficiant d’une relaxe intervenue postérieurement à la procédure fiscale ne peut
s’en prévaloir en exerçant un recours en révision.

En définitive, l’étude du versant processuel de l’articulation des procédures démontre


d’importantes insuffisances, dont il résulte un risque important de contrariétés de jugements
entre les juridictions fiscale et pénale. Ces difficultés ne pourront être résolues que par une
unification des fautes pénale et fiscale. En amont, la dimension conceptuelle de l’articulation
des procédures doit permettre d’aligner les définitions fiscale et pénale de la fraude. Une
réécriture de l’article 1741 du code général des impôts est à cet égard préconisée : « Sans
préjudice des dispositions particulières relatées dans la présente codification, quiconque s'est
frauduleusement soustrait ou a tenté de se soustraire frauduleusement à l'établissement ou au
paiement total ou partiel d’un impôt régulièrement dû au sens de la loi fiscale visé dans la
présente codification, soit qu'il ait volontairement omis de faire sa déclaration dans les délais
prescrits, soit qu'il ait volontairement dissimulé une part des sommes sujettes à l'impôt, soit
qu'il ait organisé son insolvabilité ou mis obstacle par d'autres manœuvres au recouvrement
de l'impôt, soit en agissant de toute autre manière frauduleuse, est passible, indépendamment
des sanctions fiscales applicables, d'un emprisonnement de cinq ans et d'une amende de 500
000 €, dont le montant peut être porté au double du produit tiré de l'infraction ». Finalement,
l’articulation processuelle des réponses pénale et fiscale doit être pensée une fois sa dimension
conceptuelle parfaitement observée.

429
ANNEXE

430
431
432
433
434
435
436
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ARBELLOT V.-F., L’action d’office du ministère public prévue à l’article 423 du code de
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- Droit fiscal européen des droits de l'homme : chronique de l'année 2012 : Dr. fisc. 2013,
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- L'indépendance des contentieux pénal et fiscal : Dr. fisc. n°38, 22 septembre 2016, 503
- Droit fiscal européen des droits de l'homme : chronique de l'année 2016 : Dr. fisc. n°9,
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- La CJUE et le principe non bis in idem : un pas en arrière, deux pas en avant : Dr. fisc.
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- Non bis in idem et cumul des sanctions fiscales et pénales : épilogue provisoire ? : Dr.
fisc. n°20, 19 mai 2022

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- Cumul de sanctions administratives et pénale : Dr. pén. n°9, septembre 2014, comm.
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- Infléchissement de la validation constitutionnelle des cumuls de sanctions pénale et
administrative : Dr. pén., n°1, janvier 2015, comm. 14
- L’avenir du principe non bis in idem et ses répercussions sur le cumuls de sanctions :
Dr. pén., 2015, n°2, comm. 29
- Le possible cumul des sanctions pénales et disciplinaires : Dr. pén., n°6, juin 2015,
comm. 92
- À la recherche de la peine perdue dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits
de l’homme : Dr. pén. n°9, septembre 2015, dossier 5

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- Une limitation constitutionnelle du cumul des peines : Dr. pén., 2015, chron. 5, n°45 et
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- Principe de nécessité des peines et option procédurale pour un même fait : Dr. pén.,
n°11, novembre 2015, comm. 151
- Échappatoire constitutionnelle ! : Dr. pén. n°9, septembre 2016, comm. 135
- Cumul des mesures de faillite et d’interdiction : règles de calcul : Dr. pén., n°11,
novembre 2016, comm. 165
- Le cumul de sanctions survit en matière d’infractions routières : Dr. pén., n°12,
décembre 2016, comm. 181
- Le cumul de sanction survit (aussi) en matière fiscale, Dr. pén., n°1, janvier 2017,
comm. 14
- Confirmation du cumul de sanctions en matière fiscale, Dr. pén. 2018, n°7-8, comm.
138
- Cumul de poursuites et de sanctions – Revirement de la CJUE en matière fiscale mais
maintien de la prohibition du cumul en matière boursière : Dr. pén. n°5, mai 2018,
comm. 95
- Confirmation du cumul de sanctions en matière disciplinaire : Dr. pén., n°11, novembre
2018, comm. 205
- Validité de la réserve au Protocole n°7 additionnel à la Conv. EDH, Dr. pén., 2019,
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- Cumul de sanctions pénales et boursières : Dr. pén., 2019, chron. n°19, comm. 177
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VII- PROJETS DE RÉFORME, PROPOSITIONS DE LOIS, RAPPORTS


OFFICIELS, ÉTUDES

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du suffrage universel, du Règlement d’administration générale sur la proposition de loi de MM.
Roland COURTEAU, Claude ESTIER, André VÉZINHET, Raymond COURRIERE et des
membres du groupe socialiste et apparentés tendant à supprimer les sanctions contre les avocats
prévues à l’article 75 de l’ordonnance n°45-1708 du 31 juillet 1945 sur le Conseil d’État, M.
DREYFUS-SCHMIDT, seconde session ordinaire de 1990-1991, annexe au procès-verbal de
la séance du 23 mai 1991

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obligatoires, mars 2007, disponible en ligne : https://www.vie-
publique.fr/sites/default/files/rapport/pdf/074000186.pdf

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mais mieux pénaliser : Dr. pén. 2008, dossier spécial, n°2 ; K. HAERI, Réflexions sur le rapport
du groupe de travail sur la dépénalisation de la vie des affaires : et le pénal n’appartient plus
jamais au justiciable : Dr. pén. 2008, dossier n°4

Rapp., Assemblée nationale, n°4457, 8 février 2017, Rapport d’information sur l’évaluation de
la loi n°2013-1117 du 6 décembre 2013, relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande
délinquance économique et financière et de la loi organique n° 2013-1115 du 6 décembre 2013
relative au procureur de la République financier, S. MAZETIER, J.-L., WARSMANN

Étude d'impact, Projet de loi relatif à la lutte contre la fraude, 27 mars 2018

Rapp., Assemblée nationale, n°982, 23 mai 2018, Rapport d’information déposé en application
de l’article 145 du Règlement par la mission d’information commune sur les procédures de
poursuite des infractions fiscales, M. E. DIARD

Rapp., Sénat, n°602, 27 juin 2018, Rapport fait au nom de la commission des finances sur le
projet de loi relatif à la lutte contre la fraude, A. de MONTGOLFIER

Rapp., Assemblée nationale, n°1212, 25 juillet 2018, Rapport fait au nom de la commission des
finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire sur le projet de loi, adopté par le
Sénat après engagement de la procédure accélérée, relatif à la lutte contre la fraude (n° 1142),
E. CARIOU

Rapp., Lutter contre les fraudes aux prestations sociales, un levier de justice sociale pour une
juste prestation, Rapport de mission confiée par le Premier Ministre Édouard PHILIPPE, la
Ministre de la Santé Agnès BUZYN et le Ministre de l’Action et des Comptes Publics, Gérald
DARMANIN, C. GRANDJEAN et N. GOULET, octobre 2019

Rapp., AN, n°3341, 16 septembre 2020, Rapport d’information déposé en application de


l’article 145-7 du Règlement par la commission des finances, de l’économie générale et du
contrôle budgétaire, sur l’application de la loi n°2018-898 du 23 octobre 2018 relative à la
lutte contre la fraude, E. CARIOU et E. DIARD, députés

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Cour EDH, 27 février 1980, Deweer, req. n°6903/75

Cour EDH, 12 octobre 1981, Temeltasch c/ Suisse, req. n°9116/80

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Cour EDH, gde ch. 21 février 1984, Öztürk c/ Allemagne, req. n°8544/79

Cour EDH, 28 juin 1984, Campbell et Fell c/ Royaume-Uni, req. n° 7819/77

Cour EDH, 29 avril 1988, Marlène Belilos c/Suisse, req. n°10328/83 : RGDIP 1989. 273, note
G. COHEN-JONATHAN

Cour EDH, 22 mai 1990, req. n°11034/84

Cour EDH, 25 août 1993, Chorherr c/ Autriche, req. n°13308/87

Cour EDH, 24 février 1994, Bendenoun c/ France, req. n°12547/86 : RJF 4/94 n°503, chron.
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Cour EDH, 15 novembre 1996, Cantoni c/ France, req. n°17862/91

Cour EDH, 30 juillet 1998, Oliveira c/ Suisse, req. n°25711/94 : AJDA 1998. 984, chron.
FLAUSS ; RSC 1999. 384, obs. KOERING-JOULIN

Cour EDH, 2 septembre 1998, Kadubec c/ Slovaquie, req. n°27061/95

Cour EDH, 2 septembre 1998, Lauko c/ Slovaquie, req. n°26138/95

Cour EDH, 14 septembre 1999, Ponsetti et Chesnel c/ France, req. n°36855/97 et 41731/98

Cour EDH, 11 janvier 2000, Le Meignen c/ France, req. n°41544/98

Cour EDH, 30 mai 2000, R.T. c/ Suisse, req. n° 31982/96

Cour EDH, 26 septembre 2000, Guisset c/ France, req. n°33933/96

Cour EDH, 3 octobre 2000, Eisenstecken c/ Autriche, req. n°29477/95

Cour EDH 29 mai 2001, Franz Fischer c/ Autriche, req. n°3402/96

Cour EDH, 30 mai 2002, W. F. c/ Autriche, req. n°38275/97

Cour EDH, 6 juin 2002, Sailer c/ Autriche, req. n°38237/97

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Cour EDH, 23 juillet 2002, Janosevic c/ Suède, req. n°34619/97

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Cour EDH, 27 septembre 2007, Cassilios Stavropoulos c/ Grèce, req. n°35522/04

Cour EDH, 3ème sect., 21 février 2008, Ravon et a. c/ France, req. n°18497/03 : Dr. fisc. 2008,
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Cour EDH, 16 octobre 2008, Maschino c/ France, req. n°10447/03 : Dr. fisc. 2008, n°44, act.
319

Cour EDH, gr. ch., 10 février 2009, Sergueï Zolotoukhine c/ Russie, req. n°14939/03 : D. 2009.
2014, note PRADEL ; RSC 2009. 675, obs. ROETS ; RD publ. 2010. 873, note SURREL ; JCP
G 2009. I. 143, chron. SUDRE

Cour EDH, 11 juin 2009, Dubus SA c/ France, req. n°5242/04 : Dr. adm., 2009, comm. 111,
note G. HOUILLON, AJDA 2009. 1936, chron. J.-F. FLAUSS ; D. 2009. 2247, note A.
COURET; AJ pén. 2009. 354, étude J. Lasserre CAPDEVILLE

Cour EDH, 11 mai 2010, Versini c/ France, req. n°11898/05,

465
Cour EDH, 5 avril 2012, Chambaz c/ Suisse, req. n°11663/04

Cour EDH, 7 juin 2012, Segame c/ France, req. n°4837/06

Cour EDH, 18 juillet 2013, Schädler-Eberle c/ Liechtenstein, req. n°56422/09

Cour EDH, 4 mars 2014, Grande Stevens c/ Italie, req. n°18640/10, 18647/10, 18663/10,
18668/10 et 18698/10, : Dr. sociétés 2014, comm. 87, note S. TORCK ; RJDA 5/2015, n°356 ;
R. VANDERMEEREN, Délit d’initié et manquement d’initié, les sanctions ne peuvent pas se
cumuler : RJDA 5/2015, chron. p. 339 ; Rev. Sociétés 2014. 675, note H. MATSOPOULOU ;
RSC 2014, 110. obs. F. STASIAK ; Ibid. 2015, 169, obs. J.-P. MARGUENAUD ; RTD eur.
2015. obs. L. d’AMBROSIO et D. VOZZA

Cour EDH, 20 mai 2014, Pirttimäki c. Finlande, req. n°35232/11

Cour EDH, 20 mai 2014, Glantz c/ Finlande, req. n°37394/11,

Cour EDH, 20 août 2014, Nykänen c/ Finlande, req. n°11828/11

Cour EDH 4 septembre 2014, Trabelsi c/ Belgique, req. n°140/10 : AJDA 2014. 1688, obs. J.-
M. PASTOR, Dr. pén. 2014, comm. 144, obs. V. PELTIER

Cour EDH, 23 octobre 2014, Melo Tadeu c/ Portugal, req. n°27785/10

Cour EDH, 27 novembre 2014, Lucky Dev c/ Suède, req. n°7356/10

Cour EDH, 20 octobre 2015, Vasiliauskas c/ Lituanie, req. n°35343/05

Cour EDH, gr. ch., 15 novembre 2016, A et B c/ Norvège, req. n°24130/11 et n° 29758/11 :
D. actu. 21 novembre 2016, obs. J.-M. PASTOR ; AJDA 2016. 2190 ; D. 2017. 128. Obs. J.-
F. RENUCCI et A. RENUCCI ; AJ pén. 2017. 45, obs. M. ROBERT ; RSC 2017. 134, obs.
D. ROETS ; Dr. pén. 2017. comm. 14, obs. V. PELTIER ; JCP G 2017. 183, note O. DECIMA

Cour EDH, 16 avril 2019, Bjarni Ármannsson, req. n°72098/14

Cour EDH, 4ème sect., 12 janv. 2021, L. B. c/ Hongrie, req. n°36345/16

II- JURISPRUDENCES DE LA COUR DE JUSTICE DE L’UNION


EUROPÉENNE

CJCE, 16 décembre 1981, Foglia, aff. 244/80 : Rec. p. 3045

CJCE, 15 juin 1995, Zabala Erasun e.a., aff. C-422/93 à C-424/93

CJCE, 9 mars 2006, Procédure pénale c/ Léopold Henri Van Esbroeck, aff. C-436/04 : AJ pén.
2006. 265, obs. C. SAAS ; RSC 2006. 684, chron. L. IDOT

CJUE, 28 septembre 2006, Procédures pénales c/ Giuseppe Francesco Gasparini et a, aff. C-


467/04

466
CJUE, gde. ch., 16 novembre 2010, Procédure pénale c/ Gaetano Mantello, aff. C-261/09 :
AJDA 2011. 264, chron. M. AUBERT, E. BROUSSY et F. DONNAT ; AJ pén. 2011. 197, obs.
L. ASCENS

CJUE, Avis, 8 mars 2011, Projet d’accord sur la création d’un système unifié de règlement des
litiges en matière de brevets, n°1/09

CJUE, 5 juin 2012, Bonda, aff. C-489/10 : Journal des tribunaux - Droit européen 2012, n°193,
note P. OLIVIER et T. BOMBOIS ; Revue Lamy de droit civil 2012, n° 33, p. 57-58, note B.
CHEYNEL

CJUE, gde ch., 26 février 2013, Aklagaren c/ Hans Akerberg Fransson, aff. C-617/10 : Europe
2013, comm. 154, note D. SIMON ; D. 2013, p. 1977, note C. ROTH, F. BURGAUD ; AJ pén.
2013, p. 270, note C. COPAIN ; RTD civ. 2014, p. 312, obs. L. USUNIER ; Dr. fisc. 2013,
n°36, 396, note L. BERNARDEAU et O. PEIFFERT ; Dr. fisc. 2013, n°40, comm. 460 ; note
C. BROKELIND ; RJF 6/2013, n°681 ; JCP G 2013, 312, obs. F. PICOD ; RJF 6/2013, n°681 ;
L. BERNARDEAU et O. PEIFFERT, Jurisprudence de la CJCE : fiscalité directe : Dr. fisc.
2013, n°36, 396, comm. n°3 à 6 ; Dr. pén. 2013, chron. 9, n°11, obs. S. DETRAZ ; J.
LASSERRE CAPDEVILLE, C. MASCALA et S. NEUVILLE, Propositions doctrinales pour
lutter contre l'atteinte au principe non bis in idem en matière financière, D. 2012. 693 ; S.
STEIN, Le principe ne bis in idem dans l'Union européenne, AJ pén. 2011. 443 ; M. NORD-
WAGNER, La double sanction des infractions boursières à l'épreuve du principe non bis in
idem, AJ pénal 2011. 67 ; D. ROETS, L'article 4 du Protocole n°7 (non bis in idem) dopé par
la Grande chambre, RSC 2009 675 ; F. STASIAK, Principes de non-cumul des peines et de
non-cumul des poursuites ne bis in idem, RSC 2011. 118

CJUE 27 mai 2014, Zoran Spasic, aff. C-129/14 : Europe juillet 2014. comm. 296, obs.
F. GAZIN ; AJ pén. 2014. 425, obs. J. LELIEUR ; JCP G 2014, act. 692, obs. D. BERLIN

CJUE, 5 juin 2014, Procédure pénale c/ M, aff. C-398/12

CJUE, 22 octobre 2015, PAC-Treuhand/Commission, aff. C-194/14

CJUE, 3ème chambre, 17 décembre 2015, WebMindLicenses Kft c/ Nemzeti Adó és Vámhivatal
Kiemelt, aff. C-419/14

CJUE, 4ème ch., 5 avril 2017, Massimo Orsi, aff. C-217/15 et Luciano Baldetti, aff. n°C-350/15

CJUE, gde ch., 20 mars 2018, Luca Menci, aff. C-524/15 : concl M. CAMPOS SANCHEZ-
BORDONA : RTDH 2019, p. 161, note L. MILANO ; Europe 2018, comm. 169, D. SIMON ;
Dr. fisc. 2018, act. 139, obs. M. PELLETIER ; Dr. sociétés 2018, p. 731, obs. H.
MATSOPOULOU ; AJDA 2018. 602 ; Ibid. 1026, chron. P. BONNEVILLE, E. BROUSSY,
H. CASSAGNABERE et C. GÄNSER ; D. 2018. 616 ; Ibid. 2259, obs. G. ROUJOU de
BOUBEE, T. GARE, C. GINESTET, S. MIRABAIL et E. TRICOIRE ; P. PAILLER, Ne bis
in idem : les conditions d'un cumul légitime pour la Cour de justice, Revue de Droit bancaire et
financier n°3, mai 2018, comm. 82 ; N. GUILLAND, Cumul de sanctions de la fraude fiscale
et principe non bis in idem : l'avocat général de la CJUE ne s'incline pas devant la CEDH, Dr.
fisc. n°42, 19 octobre 2017, act. 559 ; N. GUILLAND, Cumul de sanctions de la fraude fiscale :
pas de requiem pour non bis in idem : Dr. fisc. 2018, n°21, comm. 285 ; M. PELLETIER, La
CJUE et le principe non bis in idem : un pas en arrière, deux pas en avant : Dr. fisc. 2018, n°14,

467
act. 139 ; G. BEAUSSONIE et V. LEPAUL, Cumuls répressifs : Ne bis in idem évincé́ par la
proportionnalité́ , Les Nouvelles Fiscales, n°1223, 1er juin 2018

CJUE, gde ch., 20 mars 2018, Garlsson Real Estate SA, aff. C-537/16

CJUE, gde ch., 20 mars 2018, Enzo Di Puma et Zecca, aff. C-596/16 et C-596/17

CJUE, 9 décembre 2021, aff. C-570/20, conclusions de M. MANUEL CAMPOS SANCHEZ-


BORDONA

CJUE, 5 mai 2022, BV c/ DDFIP de la Haute-Savoie, aff. C-570/20 : Dr. fisc. 2022, n°19, act.
173 ; Dr. fisc. n°20, 19 mai 2022, act. 176, obs. M. PELLETIER ; J. GALLOIS, Ne bis in idem
en matière fiscale : l’extension, par la CJUE, du principe de proportionnalité au cumul des
sanctions de natures différentes, D. actu, 18 mai 2022

III- DÉCISIONS DU CONSEIL CONSTITUTIONNEL

Cons. const., DC, n°59-2, 24 juin 1959

Cons. const., 16 janvier 1962, n°62-18 L, Loi d'orientation agricole : Rec. Cons. const. 1962,
p. 31

Cons. const., DC, 25 juillet 1979, n°79-105

Cons. const., DC, 30 décembre 1979, n°79-111

Cons. const., DC, 20 janvier 1981, n°80-127

Cons. const., DC, 19 et 20 janvier 1981, n°80-127, Sécurité et liberté

Cons. const., DC, 27 juillet 1982, n°82-141, Communication audiovisuelle, Rec. p. 48

Cons. const., DC, 30 décembre 1982, n°82-155

Cons. const., DC, 29 décembre 1983, n°83-164 : JCP G 1984. II. 20160, note R. DRAGO et A.
DECOCQ ; AJDA. 1984, p. 97, note L. PHILIP

Cons. const., DC, 23 janvier 1987, n°86-224, Loi transférant à la juridiction judiciaire le
contentieux des décisions du Conseil de la concurrence : AJDA 1987. 345, note J.
CHEVALLIER ; RFDA 1987. 287, note B. GENEVOIS et 301, note L. FAVOREU ; RD publ.
1987. 1341, note Y. GAUDEMET ; GAJA, 20ème éd., 2015, n°85 ; D. 1988, p. 117, note F.
LUCHAIRE

Cons. const., DC, 17 janvier 1989, n°88-248

Cons. const., DC, 28 juillet 1989, n°89-260, Loi relative à la sécurité et à la transparence du
marché financier : RFDA 1989. 671, obs. B. GENEVOIS

Cons. const., DC, 30 décembre 1997, n°97-395

468
Cons. const., DC, 16 décembre 1999, n°99-421, Loi portant habilitation du Gouvernement à
procéder, par ordonnances, à l'adoption de la partie législative de certains codes

Cons. const., DC, 29 décembre 1999, n°99-424 : Rec. Cons. const., p. 156 ; AJDA 2000. 37,
note J.-E. SCHOETTL

Cons. const., DC, 12 janvier 2002, n°2001-455, Loi de modernisation sociale

Cons. const., DC, 12 février 2004, n°2004-491 : D. 2005. 1133, Ibid. 1125, obs. V. OGIER-
BERNAUD et C. SEVERINO

Cons. const., DC, 2 mars 2004, n°2004-492

Cons. const., DC, 29 juillet 2004, n°2004-500, Loi organique relative à l’autonomie financière
des collectivités territoriales

Cons. const., DC, 3 décembre 2009, n°2009-595 : AJDA 2010. 801, étude A. ROBLOT-
TROIZIER et M. VERPEAUX ; RFDA 2010. 1, note B. GENEVOIS ; RD publ. 2010. 233,
article C. ROUX

Cons. const., QPC, 10 décembre 2010, n°2010-72/75/82, M. Alain D. et autres : D. 2011. 929,
note B. BOULOC ; Ibid. 1713, obs. V. BERNAUD et L. GAY ; AJ pén. 2011. 76, obs. J.-B.
PERRIER ; Rev. sociétés 2011. 377, note H. MATSOPOULOU ; Ibid 2011. 193, chron. C.
LAZERGES ; Procédures 2011, comm. 81, note O. NEGRIN ; Dr. pén. 2011, comm. 23, note
J.-H. ROBERT ; Dr. fisc. 2011, n°15, étude 296 ; É. GARÇON et V. PELTIER, Un an de droit
de la peine. Janvier – décembre 2010 ; Dr. pén. 2011, chron. 2, spéc. n°3, obs. V. PELTIER

Cons. const., DC, 10 mars 2011, n°2011-625, Loi pour la performance de la sécurité intérieure

Cons. const., 18 novembre 2011, n°2011-191/194/195/196/197, Mme Élise A. et autres (Garde


à vue II)

Cons. const., QPC, 4 mai 2012, n°2012‐239, Altmann

Cons. const., QPC, 28 juin 2013, n°2013-328, Assoc. Emmaüs Forbach

Cons. const., DC, 4 décembre 2013, n°2013-679, Loi relative à la lutte contre la fraude fiscale
et la grande délinquance économique et financière : BF Lefebvre 1/2014, p. 5 ; Dr. fisc. 2013,
n°51-52, comm. 563, note C. DE LA MARDIÈRE ; JCP E 2014, 1018, note C. DE LA
MARDIÈRE ; Dr. pén. 2014, comm. 29, note J.-H. ROBERT ; Dr. pén. 2014, comm. 33, note
E. BONIS-GARÇON ; Cah. Cons. const. 2013, n°43, p.197, chron. S. AUSTRY ; Option
finances 2014, p. 33, n°1251, note S. VILLER ; RJF 2/2014, n°173

Cons. const., QPC, 24 octobre 2014, n°2014-423, M. Stephane R

Cons. const., QPC, 18 mars 2015, n°2014-453/454 : AJDA 2015. 1191, étude P. IDOUX, S.
NICINSKI et E. GLASER ; D. 2015. 894, note A.-V. LE FUR et D. SCHMIDT ; Ibid. 874,
point de vue O. DÉCIMA ; Ibid. 1506, obs. C. MASCALA ; Rev. sociétés 2015. 380, note H.
MATSOPOULOU ; RSC 2015. 374, obs. F. STASIAK ; RTD com. 2015. 317, obs. N.
RONTCHEVSKY ; JCP G 2015, n°369, note J.-H. ROBERT ; Dr. pén. 2015. 79, V. PELTIER

469
; JCP G 2015. 368, note F. SUDRE ; Dr. sociétés 2015, comm. 99, obs. R. SALOMON ; RJDA
5/2015, n°356 ; R. SALOMON, Le principe ne bis in idem et les infractions boursières, JCP G
2015, n°15 : J. BOSSAN, Le cumul des poursuites appréhendé par le Conseil constitutionnel :
AJ pén. 2015, p. 179 ; J. LASSERRE-CAPDEVILLE, La décision du Conseil constitutionnel
du 18 mars 2015 : impacts et adaptations envisageables : AJ pén. 2015, p. 182

Cons. const., QPC, 24 juin 2016, n°2016-545, M. Alec W. et a. et Cons. const., QPC, 24 juin
2016, n°2016-546, M. Jérôme C : Dr. fisc. 2016, n°27, comm. 405, note S. DETRAZ ; N.
JACQUOT et P. MISPELON, QPC sur le cumul des sanctions pénales et fiscales : une décision
sans gravité ? : Dr. fisc. 2016, n° 26, act. 409 ; M. COLLET et P. COLLIN, Le cumul des
sanctions pénale et fiscale face aux exigences constitutionnelles et européennes : JCP G 2016,
847 ; JCP E 2016, doctr. 1190, J.-H. ROBERT, C. CLAVERIE-ROUSSET, S. DETRAZ et J.-
B. PERRIER ; Rev. pénit. 2016, p. 967, obs. E. BONIS-GARÇON et V. PELTIER ; Dr. fisc.
2016, étude 437, obs. R. SALOMON ; RFDA 2016, p. 1044, chron. L. AYRAULT et M.
COLLET ; Rec. Cons. Const., p. 179, n° 53, chron. H. SURREL

Cons. const., QPC, 1er juillet 2016, n° 2016-550, M. Stéphane R. et a : D. 2016. 1434, AJDA
2016. 1373

Cons. const. QPC, 23 novembre 2018, n°2018-745 : Dr. pén. 2019, comm. 11, J-H. ROBERT

Cons. const., QPC, 30 novembre 2018, n°2018-749, Société interdits et autres

Cons. const, DC, 21 mars 2019, n°2019-778

Cons. const., QPC, 17 mai 2019, n°2019-783, M. Nicolas S

Cons. const, QPC, 27 septembre 2019, n°2019-804, Association française des entreprises
privées

IV- JURISPRUDENCES DE LA COUR DE CASSATION

Assemblée plénière

Cass., ass. plén., 15 avril 2011, n°10-17.049 : D. 2011, p. 1128, entretien G. ROUJOU DE
BOUBEE ; D. 2011, p. 1713, obs. V. BERNAUD et L. GAY ; D. 2012, p. 390, obs.
O. BOSKOVIC, S. CORNELOUP, F. JAULT-SESEKE, N. JOUBERT et K. PARROT ; AJ
pén. 2011, p. 311, obs. C. MAURO ; Constitutions 2011, p. 326, obs. A. LEVADE ; RSC 2011,
p. 410, obs. A. GIUDICELLI ; RTD civ. 2011, p. 725, obs. J.-P. MARGUENAUD

Chambre commerciale

Cass. com., 23 mai 1960 : Bull. n°189

Cass. com., 27 novembre 1991, n°90-10.608, n°90-10.607, n°90-11.980, n°90-11.985 : Dr. fisc.
1992, n°15, comm. 789 ; JCP E 1992, II, 248, concl. M. JEOL ; D. 1992, concl. M. JEOL, note
TEXIDOR ; LPA 1992, n°76, note F. VIALA

Cass. com., 13 octobre 1992, n°91-14.968

470
Cass. com., 20 février 1996, n°94-16.246, M. Duret : Dr. fisc. 1996, n°20, comm. 640

Cass. com., 18 juin 1996, n°94-17.312 : RJF 11/96, n°1363

Cass. com., 4 février 1997, n°95-30.008, EURL Jacky Chris

Cass. com., 29 avril 1997, n°95-20.001, M Ferreira c/ Directeur général des impôts : JCP G
1997, II, 22935, note F. SUDRE, RTDH 1998, p.169, note J.-J. LOUIS

Cass. com., 30 novembre 1999, n°98-30.002, Sté Sogea et n°98- 30.005, Sté Bec Frères : Bull.
civ. IV 1999, n°214 ; RJF 3/2000, n°373 ; JCP E 2000, p. 1091, note B. BOULOC ; LPA
20 juillet 2000, p. 24, obs. M. PETITIER ; B. HATOUX, À propos d'arrêts de la Cour de
cassation en matière de visites domiciliaires. Un revirement inutile ? : RJF 3/2000, p. 209

Cass. com., 18 avril 2000, n°98-30.039, M. Jacobson et n°98-30.146, M. Asquini : RJF 2000,
n° 951

Cass. com., 25 janvier 2005, n°03-20.842

Cass. com., 18 novembre 2008, n°07-19.762 : RJF 2/09, n°174

Cass. com., 23 novembre 2010, n°09-68.398, M. Dewitte et Société de droit luxembourgeois


internegoce

Cass. com., 7 décembre 2010, n°09-70.996, Société BellMicroproductsEurope Export


Limited : RJF 5/11, n°603 ; Dr. fisc. 2010, n°37, étude 46, obs. R. SALOMON

Cass. com., 7 juin 2011, n°10-18.108, M. Dobson et a. : RSC 2011, p. 630, obs. S. DETRAZ

Cass. com., 31 janvier 2012, n°11-13.097 et n°11-13.098 : Dr. fisc. 2012, n°12, comm. 207,
note S. DETRAZ ; B. HATOUX, La preuve illicite est irrecevable ou Le vol est un pêché
capital : RJF 4/12, n°381, p. 304 ; BGFE 3/12, p.18, obs. J.-L. PIERRE

Cass. com., 14 février 2012, n°10-28.862, Guilbert et Société Euro-Car : RJF, 5/12, n°487 ; Dr.
fisc. 2012, n°16, étude 262, obs. R. SALOMON

Cass. com., 12 juin 2012, n°11-30.396, MM. Tchenio : Dr. fisc. 2012, n° 45, comm. 510, note
J.-F. DESBUQUOIS et P. NEAU-LEDUC

Cass. com., 25 septembre 2012, n°11-24.526 : Dr. pén. 2012, comm. 164, note J.-H. ROBERT
; RJF 1/2013, n°67 ; Dr. fisc. 2012, n°43, étude 493

Cass. com., 26 février 2013, n°12-13.877, M. Douaud : Dr. fisc. 2013, n° 26, comm. 356, note
J.-P. MAUBLANC

Cass. com., 27 septembre 2017, n°16‐20.690

Cass. com., 28 novembre 2018, n°16-26.446, Ministre c/ Société Pharmacie Balteau

471
Cass. com., 16 décembre 2020, n°18-16.801 : Dr. fisc., n°21, 27 mai 2021, comm. 259, obs.
J.C LEON AGUIRRE

Cass. com., 14 avril 2021, n°18-24.058, 19-18.616, 19-23.230 ; Dr. fisc. 2021, n°17, étude 252 ;
J. C. LEON-AGUIRRE, Affaire HSBC : le mot de la fin ? ; Dr. fisc. 2021, n°21, étude 259

Chambre criminelle

Cass. crim., 25 février 1921 : Sirey 1923, 1, p. 89

Cass. crim., 12 février 1958 : Bull. crim., n°147

Cass. crim., 11 mars 1959 : Bull. crim., n°164

Cass. crim., 14 octobre 1959 : Bull. crim., n°429

Cass. crim., 9 novembre 1965, n°65-90.418

Cass. crim., 24 mai 1967, n°63-92.376

Cass. crim., 16 mai 1968, n°68-90.871

Cass. crim., 6 février 1969, n°66-91.594 : Bull. crim. 1969, n°65

Cass. crim., 4 juin 1969 : Bull. crim., n°186, p. 453

Cass. crim., 6 janvier 1970, n°68-92.397

Cass. crim., 9 avril 1970, n°68-92.282

Cass. crim., 16 avril 1970, n°68-92.344

Cass. crim., 4 juin 1970, n°69-93.414

Cass. crim., 28 janvier 1971, n°69-92.362

Cass. crim., 8 juin 1971, n°69-92.311

Cass. crim., 11 octobre 1972, n°70-92.568 : Bull. crim. 1972, n°281

Cass. crim., 19 décembre 1973, n°73-90.224

Cass. crim., 12 mai 1976, n°75-91.792, Lecomte

Cass. crim., 5 juillet 1976, n°75-93.347

Cass. crim., 17 novembre 1976, n°75-90.564

Cass. crim., 1er février 1977, n°75-93.432

472
Cass. crim., 19 juin 1978, n°73-92.900

Cass. crim., 21 juin 1982, n°81-93.759 : Bull. crim., n°164 ; Dr. fisc. 1983, n°18, comm. 946

Cass. crim., 18 octobre 1982, n°81-93.500

Cass. crim., 2 mai 1984, n°83-92.934

Cass. crim., 12 novembre 1984, n°83-92.805

Cass. crim., 20 mai 1985, n°84-92.585

Cass. crim., 10 juin 1987, n°86-94.488

Cass. crim., 18 octobre 1988, n°87-91.554

Cass. crim., 17 avril 1989, n°88-81.189

Cass. crim., 15 novembre 1989, n°88-82.343

Cass. crim., 26 mars 1990, n°89-82.637

Cass. crim., 13 décembre 1990, n°89-87.032 : Bull. crim. n°431

Cass. crim., 15 avril 1991, Dupuy : Bull. crim., n° 179, p. 459

Cass. crim., 30 septembre 1991, n° 90-83 579, Gicquel : RJF 1992, n°88

Cass, crim., 28 octobre 1991, n°90-84.643 : Bull. crim. n°382 ; Dr. fisc. 1992, n°10, comm.
499, obs. G. TIXIER et T. LAMULLE ; JCP G 1992, IV, 499

Cass. crim., 2 mars 1992, n°90-87.848

Cass. crim., 13 décembre 1993, n°93-81.819

Cass. crim., 12 décembre 1994, n°94-80.680

Cass. crim., 29 février 1996, n°93-84.785, n°92-84.481, n°93-84.692 et n°93-84.616

Cass. crim., 20 juin 1996, n°94-85.796 : D. 1997, p. 249, note G. TIXIER et T. LAMULLE ;
RSC 1997, p. 372, obs. B. BOULOC

Cass. crim., 27 mars 1997, n°96-82669

Cass. crim., 24 avril 1997, n°96-83.134

Cass. crim., 10 juillet 1997, n°96-83.208

Cass. crim., 6 novembre 1997, n°96-86.127 : RSC 1998. p. 538, obs. B. BOULOC

473
Cass. crim., 4 juin 1998, n°97-80.620 : RTD comm. 1999, p. 522, obs. B. BOULOC

Cass. crim., 10 novembre 1999, n°98-84.076

Cass. crim., 1er mars 2000, n°99-86.299

Cass. crim., 21 juin 2000, n°99-85.092

Cass. crim., 15 novembre 2000, n°00-81.166

Cass. crim., 7 mars 2001, n°00-82.538

Cass. crim., 22 mars 2001, n°99-30.197

Cass. crim., 16 janvier 2002, n°01-83.742

Cass. crim., 4 septembre 2002, n°01-85.598

Cass. crim., 18 septembre 2002 n°01-87.824

Cass. crim., 22 janvier 2003, n°02-83.051

Cass. crim., 21 janvier 2004, n°03-82.225

Cass. crim., 7 septembre 2004, n°04-80.010

Cass. crim., 22 septembre 2004, n°03-82.766

Cass. crim., 22 septembre 2004, n°03-84.985

Cass. crim., 26 janvier 2005, n°04-82.334, Bull. crim. n°30, D. 2005. 665

Cass. crim., 10 mai 2005, n°04-84.481

Cass. crim., 5 octobre 2005, n°05-80.758

Cass. crim., 11 janvier 2006, n°05-82.674

Cass. crim., 17 janvier 2007, n°06-83.330

Cass. crim., 28 février 2007, n°06-83.014

Cass. crim., 14 mars 2007 : AJ pén. 2007. 233, obs. M.-E. C

Cass. crim., 28 novembre 2007, n° 06-84.668

Cass. crim., 24 septembre 2008, n°07-88.667

Cass. crim., 8 avril 2009, n°08-83.215

474
Cass. crim., 7 octobre 2009, n°08-84.348 : Dr. pén. 2020, comm. 22, note. M. VÉRON ; D.
2020, comm. 1663, obs. C. MASCALA ; RSC 2010, chron. 631, obs. H. MATSOPOULOU

Cass. crim., 2 décembre 2009, n°09-80.568

Cass. crim., 13 janvier 2010, n°09-84.977 : Dr. pén. 2010, chron. n°8, n°6, obs. S. DETRAZ

Cass. crim., 19 mai 2010, n°09-83.970

Cass. crim., 22 septembre 2010, n°10-82.148

Cass. crim., 4 novembre 2010, n°10-81.825 : S. DETRAZ, Un an de droit pénal fiscal et


douanier (septembre 2010-août 2011), Dr. pén. 2011, comm. 8 ; Dr. fisc. 2011, n°3, comm.
111, R. SALOMON

Cass. crim., 26 janvier 2011, n°10-90.120

Cass. crim., 11 mai 2011, n°10-84.251

Cass. crim., 8 février 2012, n°11-81.320

Cass. crim., 22 février 2012, n°11-82.786

Cass. crim., 16 mai 2012, n°11-83.602

Cass. crim., 13 juin 2012, n°11-84.092

Cass. crim., 13 juin 2012, n°11-86.163

Cass. crim., 21 novembre 2012, n°11-88.785

Cass. crim., 5 décembre 2012, n°11-88.807 : Dr. pén. 2013, chron. 9, n°5

Cass. crim., 16 janvier 2013, n°12-82.546 : Bull. crim n°14, Dr. pénal 2013, comm. 92, obs. J.-
H. ROBERT, RSC 2013, p. 579, obs. S. DETRAZ

Cass. crim., 14 novembre 2013, n°12-87.614 : Dr pén. 2014, chron. 9, n°3, obs. S. DETRAZ

Cass. crim., 27 novembre 2013, n°13-85.042, Gilbert B. : Dr. fisc. 2014, n°4, chron. 86, R.
SALOMON ; Dr. pén. 2014, comm. 29, obs. J.-H. ROBERT ; Procédures 2014, comm. 25, note
A.-S. CHAVENT-LECLÈRE

Cass. crim., 11 décembre 2013, n°13-80.048 : Dr. fisc. 2014, n°4, comm. 86, R. SALOMON

Cass. crim., 22 janvier 2014, n°13-80.881 et 13-80.998 : Dr. fisc. 2014, n°19, comm. 297,
R. SALOMON

Cass. crim., 12 juin 2014, n°13-81.362 : Dr. fisc. 2014, n°30, étude 460, obs. R. SALOMON

Cass. crim., 25 juin 2014, n°13-87.692

475
Cass. crim., 9 septembre 2014, n°13-87.056 et n°13-87.054

Cass. crim., 3 décembre 2014, n°14-90.040 : J-H. ROBERT, Selon que vous frauderez le fisc
ou les marchés financiers, votre QPC sera noire ou blanche : Dr. pén. n° 2, février 2015, comm.
20 ; R. SALOMON, Dr. fiscal, 2015, n°5, 29 janvier 2015, 113

Cass. crim., 17 décembre 2014, n°14-90.042, n°14-90.043, n°14-90.049

Cass. crim., 9 septembre 2015, n°14-84.883

Cass. crim., 14 octobre 2015, n°14-84.526 : R. SALOMON, Droit pénal fiscal : Dr. fisc. 2015,
n°46, étude 671

Cass. crim., 28 octobre 2015, n°14-81.496

Cass. crim., 12 novembre 2015, n°14-82.241

Cass. crim., 9 mars 2016, n°14-86.795

Cass. crim., 23 mars 2016, n°15-80.285

Cass. crim., 30 mars 2016, n°16-90.001 : D. 2016. 788, obs. CATELAN et n°16-90.005 : Dr.
fisc. 2016, n°14, comm. 268, note R. SALOMON

Cass. crim., 19 mai 2016, n°15-84.526

Cass. crim., 29 juin 2016, n°15-85.759 : D. 2016. 1571 ; AJ pén. 2016. 493, obs. P. de
COMBLES DE NAYVES ; Bull. crim. n°207 ; Dr. pénal 2016, chron. 9, n°7, obs. S. DETRAZ ;
Dr. pén. 2016, comm. 144, note J.-H. ROBERT ; R. SALOMON, Droit pénal fiscal : Dr. fisc.
2016, n°30-35, étude 439, spéc. n°19

Cass. crim., 28 septembre 2016, n°15-83.085 : Dr. fisc. 2016, n°45, comm. 576

Cass. crim., 23 novembre 2016, n°15-84.627

Cass. crim., 5 janvier 2017, n°15-86.104 : R. SALOMON, Droit pénal fiscal : Dr. fisc. 2017,
n°5-6, étude 149

Cass. crim., 22 février 2017, n°16-82.047 : RJF 6/17, n°625

Cass. crim., 22 février 2017, n°14-82.526

Cass. crim., 20 avril 2017, n°15-86.742 : R. SALOMON, Droit pénal fiscal : Dr. fisc. 2017,
n°40, étude 485

Cass. crim., 20 avril 2017, n°16-83.199 : Procédures 2017, comm. 166, A.-S. CHAVENT-
LECLÈRE, AJ pén. 2017. 298, obs. G. ROYE

Cass. crim., 28 juin 2017, n°16-81.697

476
Cass. crim., 31 mai 2017, n°15-82.159 : Bull. crim. n°146

Cass. crim., 8 novembre 2017, n°17-82.968 : Dr. fisc. 2017. 699, note SALOMON ; D. 2018.
1611, obs. J. PRADEL ; Dr. pén. 2018, comm. 15, obs. J.-H. ROBERT ; RSC 2018. 693, obs.
S. DETRAZ

Cass. crim., 20 décembre 2017, n°17-82.469

Cass. crim., 17 janvier 2018, n°16-86.451

Cass. crim., 3 mai 2018, n°17-81.594

Cass. crim., 16 mai 2018, n°17-81.973

Cass. crim., 5 septembre 2018, n°17-84.402

Cass. crim., 12 septembre 2018, n°18-81.067

Cass. crim., 30 janvier 2019, n°17-84.716

Cass. crim., 11 septembre 2019, n°18-81.980 : Dr. fisc. 2019, act. 402 ; Cass. crim., 11
septembre 2019, n°18-81.067 : Dr. fisc. 2019, n°38, act. 401 ; Cass. crim., 11 septembre 2019,
n°18-82.430 : Dr. fisc. 2019, n°38, act. 400 ; Cass. crim., 11 septembre 2019, n°18-81.040 : Dr.
fisc. 2019, n°40, comm. 390 ; Cass. crim., 11 septembre 2019, n°18-84.144 : Dr. fisc. 2019,
n°38, act. 401 ; Cass. crim., 11 septembre 2019, n°18-83.484 : Dr. fisc. 2019, n°38, act. 398 ;
J.-H. ROBERT, La conventionalité et la constitutionnalité du cumul des poursuites et des
sanctions fiscales et pénales, Revue des sociétés 2020, p. 251 ; AJ pén. 2019. 562, obs. J.
LASSERRE CAPDEVILLE ; Ibid. 564, obs. M. LASSALLE ; RSC 2020. 123, obs. R.
PARIZOT ; D. 2019. 2320, obs. G. ROUJOU DE BOUBEE, T. GARE, C. GINESTET, M.-
H. GOZZI, S. MIRABAIL et E. TRICOIRE ; D. actu. 1er octobre 2019, obs. S. FUCINI ; JCP
G 2019. 1086, note DETRAZ et DEZEUZE ; Dr. fisc. 2019, comm. 420, obs. M. STOCLET ;
Dr. fisc. 2019, chron. 437, obs. R. SALOMON ; D. 2020, p. 567, note M. FOUQUET ; RTD
com. 2020, p. 506, obs. L. SAENKO ; Gaz. Pal., 4 février 2020, n°5, p. 64, obs. F.
FOURMENT ; Gaz. Pal., 22 octobre 2019, n°36, p. 14, note E. DEZEUZE ; N. JACQUOT, N.
GUILLAND, Vers une balkanisation du contentieux fiscal ? Réflexions sur les nouveaux
contours de l'office du juge pénal en matière de fraude fiscale, Dr. fisc. n°43, 24 octobre 2019,
412

Cass. crim., 29 janvier 2020, n°17-83.577

Cass. crim., 1er avril 2020, n°18-85.958 : V. PELTIER, Cumul de sanctions, Dr. pén., n°6, juin
2020, comm. 126

Cass. crim., 21 octobre 2020, n°19-81.929 : Dr. fisc. 2020, 435, obs. R. SALOMON ; Dr. fisc.
2020, comm. 445, note C. CASSAN et P. MISPELON ; Gaz. Pal., 8 décembre 2020, p. 33, obs.
S. DETRAZ ; D. actu, 4 novembre 2020, obs. DIAZ ; D. 2020. 2068 ; RTD com. 2021. 217,
obs. B. BOULOC ; M-C. SGARRA, Cumul des sanctions pénales et fiscales : renvoi à la CJUE
de deux questions préjudicielles, Lexbase Fiscal, n°841

477
Cass. crim., 10 novembre 2020, n°19-80.962

Cass. crim., 30 novembre 2020, n°10-80.460

Cass. crim., 6 janvier 2021, n°19-85.952

Cass. crim., 30 mars 2021, n°20.86-358

Cass. crim., 23 février 2022, n°21-81.366 : D. actu. 11 mars 2022, obs. J. GALLOIS

Chambres civiles

Cass. civ., 7 mars 1855 : Bull. civ. I, n°31

Cass. civ., 2ème, 20 février 1991, n°89 14.910

Cass. civ., 1ère, 9 juin 1993, n°91-17.387 : Contrats, concurrence, consommation, 1993, comm.
205, obs. L. LEVENEUR

Cass. civ., 2ème, 6 décembre 1995, n°93-19.305

Cass. civ., 3ème, 20 juin 2007, n°06-12569, Consorts X

Cass. civ., 3ème, 10 juillet 2013, n°12-13362

Cass. civ., 1ère, 6 décembre 2017, n°16-50.058

Cass. civ., 1ère, 28 mars 2018, n°17-15.628

Cour de révision et de réexamen

Commission de révision des condamnations pénales, 14 mai 2012, n°11REV103, M.R : Dr.
fisc. 2012, n°25, comm. 344, note C. LOUIT ; Dr. fisc. 2012, n°28, étude 372, obs. R.
SALOMON

Cour de révision et de réexamen, 11 avril 2019, n°17REV111 : Bull. crim. avril 2019, n°4 :
Dr. fisc. 2019, n°22, act. 260.

Cour de révision et de réexamen, 22 octobre 2020, n°16REV060 : RJF 2/21, n° 213

V- JURIDICTIONS DU FOND DE L’ORDRE JUDICIAIRE

TJ Paris, 29 octobre 2021, n°18/03785

VI- JURISPRUDENCES DU CONSEIL D’ÉTAT

CE, 23 décembre 1815, Lizet : Rép. gén. Dalloz, 1846, Avocats, n°543

CE, 2 février 1821, Meynard c/ d'Albizzi : Rec. Lebon, 1821-1, p. 132

478
CE, 13 mars 1822 : Rec. Lebon, 1822-2, p. 269

CE, 4 mai 1835, Gilbert Lefort : Rec. Lebon, p. 327

CE, 19 février 1875, n°46707, Prince Napoléon

CE, 27 juillet 1894, Connard : DP 1895, 3, p. 70

CE, 17 juin 1921, Maurot : Rec. Lebon, p. 607

CE 5 mai 1922, Fontan : Rec. Lebon 386

CE, sect., 12 juillet 1929, n°81701, Vesin : Lebon, p. 716, concl. R. LATOURNERIE ; RDP
1931, p. 326, chron. G. JEZE ; D. 1930, III, p., 2, note M. WALINE

CE, 28 avril 1937, n°51157, Sieur Chauveau : Rec. Lebon 1937, p. 444

CE, sect., 23 juillet 1937, n°52055, Roque : Rec. Lebon, p. 777

CE, 14 mai 1948, n°80869, Louradour : Rec. Lebon, p. 211

CE, 29 octobre 1948, n°92766, Sieur Clabaut

CE, 10 mai 1952, Société X : JCP G 1952. II. 7151

CE, sect. 11 mai 1956, n°23524, Chomat : Rec. Lebon, p. 200

CE, 27 février 1957, Marche : Rec. Lebon, p. 130

CE, 3 avril 1957, n°36136, Humbert : Rec. Lebon 1957, p. 237

CE, 23 avril 1958, Commune de Petit-Quevilly : AJDA n°1958.383

CE, 1er juillet 1959, n°38893, Sieur Piard : Lebon, p. 113

CE, Ass., 24 juin 1960, n°42289, Société Frampar et Société France-Éditions : Rec. Lebon
1960, p. 412, concl. HEUMANN ; D. 1960, p. 744, note ROBERT ; S. 1960, p. 348, note
DEBBASCH ; JCP G 1960. II. 11743, note GOUR ; AJDA 1960, 1, p. 154, chron.
M. COMBARNOUS et J.-M. GALABERT

CE, sect., 29 juin 1962, n°53090, Société des Aciéries de Pompey : Rec. Lebon 1962, p. 418 ;
Dr. fisc. 1962, n°31, comm. 861 ; JCP G 1963. II. 13026, concl. M. POUSSIERE

CE, 13 juillet 1966, n°61296 : Dr. fisc. 1966, n°38, comm. 886
CE, 9 juin 1967, n°64834, Sté des eaux de Marseille : Rec. Lebon 1967, p. 241 ; AJDA 1968,
p. 184, note P. LAPORTE

CE, Ass., 13 janvier 1968, n°70951, Dame Perrot : Rec. Lebon, p. 39, AJDA 1968, p. 79, concl.
J. KAHN

479
CE, 6 mars 1968, n°71446, Sieur Philip : Dr. fisc. 1968, n°18, comm. 683

CE, 13 novembre 1968, n°60843 : Rec. Lebon 1968, p. 568

CE, 13 novembre 1970, n°70742, Société des spectacles des Champs-Élysées

CE, Ass., 8 janvier 1971, n°77800, Min. c/ Mme Desamis : AJDA 1971, p. 297, concl. J-F.
THERY

CE, 8ème et 7ème ss-sect., 10 novembre 1971, n 76985, Sté Samtex : Rec. Lebon, p. 667 ; Dr. fisc.
1973, n° 4, comm. 128, concl. J. DELMAS-MARSALET

CE, 6 octobre 1972, n°81674 et 81758

CE, 9ème et 7ème ss-sect., 22 novembre 1972, n°77490, Sté Transacier : Rec. Lebon, p. 744 ; Dr.
fisc. 1973, n° 28, comm. 1053

CE, 5 octobre 1973, n°82836

CE, 22 mars 1974, n°86204, Grandvuillemin : Rec. Lebon, p. 1126

CE, 21 mars 1975 n°85496 : RJF 5/75 n°226

CE, Ass., 5 mai 1976, n°98276, Lerquemain : Rec. Lebon, p. 229, concl. G. GUILLAUME ;
AJDA 1976, p. 414, chron. M. NAWVELAERS et L. FABIUS

CE, 4ème et 1ère ss-sect., 26 janvier 1977, n°98426

CE, 4 février 1977 n°83219 : RJF 4/77 n°212

CE, 7ème, 8ème et 9ème ss.-sect., 26 juillet 1978, n°7296, SARL Amoric-Robert Houdin : Dr. fisc.
1979, n°19, comm. 963, concl. RIVIERE et RJF, 11/78, n°482

CE, 8ème et 9ème ss.-sect., 4 octobre 1978, n°04020 et 04022, concl. M. LOBRY : Dr. fisc., n°21,
1979, comm. 1057

CE, 7ème et 9ème ss.-sect., 18 octobre 1978, n°96122 : Dr. fisc. 1978, n°51, comm. 2030

CE, 22 novembre 1978, n°06557

CE, 8ème et 9ème ss-sect., 23 février 1979, n°07307, SARL Rena et 07308 : Dr. fisc. 1979, n°49,
comm. 2433 ; RJF 4/1979, n°235

CE, 23 février 1979, n°02990, Pech : RDP 1979, p. 1524

CE, 2 mars 1979, n°6646 : Dr. fisc. 1979, n°20, comm. 997 et RJF 4/79, n°237

CE, Ass., 27 avril 1979, n°7309, Yacht Motors Corporation : RJF 6/79 n°366, concl. B.
MARTIN LAPRADE p. 192

480
CE, 7ème et 9ème ss-sect., 27 juin 1980, n°12388, Sté générale agricole, industrielle et
commerciale : Dr. fisc. n°48, 24 novembre 1980, comm. 2518

CE, 7ème et 9ème ss-sect., 4 juillet 1980, n°14912, SNC Gueritot : Dr. fisc. 1981, n°1, comm. 42 :
RJF 10/1980, n°817

CE, 7ème et 8ème ss-sect., 6 février 1981, n°14646 : Dr. fisc. 1981, n°30, comm. 1519, concl. P.
RIVIÈRE ; RJF 4/1981, n°382

CE, 24 avril 1981, n°10814 : Dr. fisc. 1981, n°48-49, comm. 2186 ; RJF 1981, n°616

CE, 7 décembre 1981, n°16576, RJF 2/82, n°123

CE, 7 décembre 1981, n°17826

CE, 5 février 1982, n°22674

CE, 8ème et 9ème ss-sect., 14 juin 1982, n°34085 : Dr. fisc. 1982, n°42, comm. 1942 ; RJF 8-
9/1982, n°868

CE, 7ème et 9ème ss-sect, 16 juin 1982, n°26302 : Dr. fisc. 1982, n°45, comm. 2141 ; RJF 8-
9/1982, n°869

CE, 7ème et 8ème ss-sect, 16 juin 1982, n°25804

CE, 26 novembre 1982, n°24360 : Dr. fisc. 1983, n°22, comm. 1127, concl. P. BISSARA, RJF,
1/83, n°16

CE, 7ème et 9ème ss-sect., 13 décembre 1982, n°26738 et n°26739 : Dr. fisc. 1983, n°46-47,
comm. 2179, concl. P. BISSARA ; RJF 2/1983, n°201

CE, 7ème et 9ème ss-sect., 29 juillet 1983, n°29568 : Dr. fisc. 1984, n°4, comm. 86 ; RJF 11/1983,
n°1327

CE, 7ème et 8ème ss-sect, 4 novembre 1983, n°28071

CE, 18 novembre 1983, n°32098 : Dr. fisc. 1984, n°8, comm. 347 ; RJF 1984, n°5

CE, 6 janvier 1984, n°33844

CE, Section, 10 février 1984, n°27031, Ministre de l’agriculture c/ Société les fils de Henri
Ramel : Rec. Lebon 1984, p. 54, concl. R. DENOIX DE SAINT-MARC

CE, 16 avril 1984, n°26674 : RJF 6/84 n°786

CE, 7ème et 9ème ss-sect, 27 avril 1984, n°37657, SARL SOCAM : Dr. fisc. 1984, n°45-46, comm.
2019 ; RJF 6/1984, n°759

CE, 8ème et 7ème ss-sect, 11 juillet 1984, n°36866 : RJF 10/84, n°1249

481
CE, 8ème et 9èm ss-sect., 27 juillet 1984, n°36355 et 36355 bis, Margoel : Dr. fisc. 1984, n°47,
comm. 2035 ; RJF 11/1984, n°1373

CE, 5 novembre 1984, n°36598 et 6599

CE, 9ème et 7ème ss-sect., 14 décembre 1984, n°37199 et n°37200, M. Monnin : Dr. fisc. 1985,
n°25, comm. 1185, concl. P. BISSARA : RJF 1985, n°23

CE, 9ème et 8ème ss-sect., 6 mars 1985, n°29138, Gendre : RJF 5/1985, n°790

CE, 8 janvier 1986, n°50397, Sté technique de plastique : Gaz. Pal., 1986, 2, somm. p. 482

CE, 5 mai 1986, n°51149, Zemouli

CE, 28 novembre 1986, n°47147 : Dr. fisc. 1988, n°6, comm. 233

CE, plén., 11 février 1987, n°55363, Sté de fait Goujon-Vessat

CE, plén., 11 février 1987, n°40.565, M. Bon

CE, plén., 11 février 1987, n°59652, M. Passicoussel : Rec. Lebon 1987, p. 40 ; Dr. fisc. 1987,
n°44, comm. 1985, concl. M. de GUILLENSCHMIDT ; RJF 4/1987, n°414

CE, 7ème et 8ème ss-sect, 25 mars 1987, n°31935 et 31936, SARL France Sauvagine : Dr. fisc.
1987, n°26, comm. 1225 ; RJF 6/1987, n°663

CE, 7ème et 8ème ss-sect., 6 avril 1987, n°59653 : Dr. fisc. 1987, n°28, comm. 1327 ; RJF 1987,
n°650

CE, 29 avril 1987, n°39998, Ferrari

CE, 7ème et 9ème ss-sect., 2 novembre 1987, n°79363, Magnier : RJF 1/1988, n°97 ; RJF 2/1989,
n°168

CE, 24 février 1988, n°59762 : RJF 4/88, n°380

CE, plén. 27 juillet 1988, n°43939, M. Macchetto : Dr. fisc. 1989, n°16-17, comm. 835, concl.
P. MARTIN ; RJF 10/1988, n°1100

CE, 21 juin 1989, n°52385, Marie : RJF 8-9/89, comm. 994, concl. M. DE SAINT PULGENT ;
Dr. fisc. 1989, n°50, comm. 2372

CE, 3 novembre 1989, n°88408

CE, 6 novembre 1989, n°54527, M. Hermès : Dr. fisc. 1990, n°19, comm. 907

CE, 8ème et 7ème ss-sect., 2 avril 1990, n°86084 : RJF 5/90, n°609, concl. N. CHAHID-NOURAÏ

CE, 8ème et 9ème ss.-sect., 8 août 1990, n°64916, M. Tartaglia : Dr. fisc. 1990, n°42, comm. 1928

482
CE, 31 octobre 1990, n°107129, Ville Touquet : Rec. Lebon, p. 307 ; RDP 1991, p. 870 ; RFDA
1990, p. 1496

CE, 21 décembre 1990, n°69013

CE, 10 mai 1991, n°66488, Ministre de l’économie, des Finances et du Budget c/ M. Lespy
Labaylette : LPA 1991, n°82, p. 4 et 6

CE, 7ème et 9ème ss-sect., 10 mai 1991, n°56841 et n°56842, SARL Régie Cuisine du Cabaret le
Lido : Dr. fisc. 1992, n°10, comm. 497, concl. O. FOUQUET ; RJF 7/1991, n°967

CE, 24 juin 1991, n°76556

CE, 9èmeet 7ème ss-sect., 26 juillet 1991, n°79871, Renou

CE, 7ème et 9ème ss-sect., 11 mars 1992, n°76530, Bouaziz : RJF 5/1992 n°596

CE, 8ème et 7ème ss-sect., 15 mai 1992, n°71726, M. Fontana : RJF 8-9/1992, n°1240

CE, 7ème et 9ème ss-sect., 10 juin 1992, n°88714, SCI La Lyciane : RJF 8-9/1992, n°1223

CE, 5ème et 3ème ss-sect, 25 octobre 1993, n°114955, Voisin

CE, 5ème et 3ème ss-sect., 25 octobre 1993, n°114954

CE, 31 mars 1995, n°117483 et 128205, M. Gilles Pujos : RJF 5/95 n° 567 ; Dr. fisc. 1995,
n°22, comm. 1224, concl. J. ARRIGHI DE CASANOVA

CE, sect., 6 décembre 1995, n°90914, Navon et n°126826, SA Samep : Dr. fisc. 1996, n°7,
comm. 203, concl. G. BACHELIER ; RJF 1/1996, n°61 ; RJF 2/1996, n°62, chron.
G. GOULARD, p. 2 ; BDCF 1/1996, n°1, concl. G. BACHELIER

CE, sect., 5 avril 1996, n° 093234, Treiber

CE, 30 septembre 1996, n°139846, Min. c/ M. Leboeuf : RJF 1996, n°1325 ; BDCF 6/1996,
p. 38, concl. G. BACHELIER

CE, 6 décembre 1996, n°156003, Joseph : RJF 1/97 n°35

CE, 26 mai 1997, n°164353

CE, 9ème et 8ème ss-sect., 10 septembre 1997, n°146864 : RJF, 1997, n°1054

CE, 8ème et 9ème sous-sect., 24 novembre 1997, Sté Amibu Inc : Dr. fisc. 1998, n°8, comm. 128,
concl. G. BACHELIER ; JCP E 1993, p. 108 ; RJF 1/1998, n°65 ; RFDA 1998, n°5, p. 979,
note J. ANDRIANTSIMBAZONIVA

CE, 10 juin 1998, n°168322, SARL LE Sansa’s : Dr. fisc. 1998, n°37, comm. 780 ; RJF 8-
9/1998, n°983 ; BDCF 4/1998, n°91, concl. G. BACHELIER

483
CE, sect., 3 février 1999, Montaignac : Rec. Lebon n°6, AJDA 1999, n°567, chron. RAYNAUD
et FOMBEUR

CE, sect., 28 juillet 1999, n°188973, GIE Mumm-Perrier-Jouët : JCP E 1999, 1373 ; LPA 8
décembre 1999, p. 9, concl. J.-C. BONICHOT ; AJDA 1999, p. 783, chron. P. FOMBEUR et
M. GUYOMAR

CE, 1ère et 4ème ss-sect., 15 octobre 1999, n°187512, Sté bourguignonne de surveillance c/ Office
des migrations internationales : Rec. Lebon., p. 964 à 971 ; JCP E 2000, 1773

CE, Ass., 3 décembre 1999, n°207434

CE, 10 décembre 1999, n°181977

CE, 7 janvier 2000, n°187042, Sté Lady Jane

CE, 10 janvier 2000, n°197886, Frémiot

CE, 4ème et 6ème ss-sect., 30 juin 2000, n°196432, Grossetête : Rec. Lebon., p. 1195 ; Gaz. Pal.,
2001, note P. GRAVELEAU, p. 24

CE, 10 janvier 2001, n°211967 et 212114, Loubet, Murais : Dr. fisc. 2011, n°30, comm. 735,
concl. S. AUSTRY ; RJF 4/2001, n°436, concl. AUSTRY, BDCF 4/2001, n°47

CE, 9ème et 10ème ss-sect., 21 mars 2001, n°202490, M. Egot : Dr. fisc. 2001, n°24, comm. 549,
concl. G. GOULARD

CE, 3ème et 8ème ss-sect., 26 octobre 2001, n°212456, Augey : RJF 1/2002, n°86

CE, 15 février 2002, n°217394, M. Schmitt : Dr. fisc. 2002, n°29, comm. 623, concl. M.-H.
MITJAVILE, RJF 2002, n°363

CE, Ass., 12 avril 2002, n°238689, Papon : Rec. CE 2002, p. 139, concl. S. BOISSARD ;
RFDA 2002, p. 582, chron. M. GUYOMAR ; AJDA 2002, p. 423, P. COLLIN

CE, 8ème et 3ème ss-sect., 24 septembre 2003, n°196931, Sté Avraud Métaux : Dr. fisc. 2004,
n°13, comm. 376, concl. G. BACHELIER ; RJF 2003, n°1441 ; BDCF 2003, n°160, concl. G.
BACHELIER

CE, 1ère et 2ème ss- sect., 22 octobre 2003, n°244722, Caisse primaire d'assurance-maladie du
Val-de-Marne

CE, sect. 3 décembre 2003, Préfet de Seine-Maritime c/ El Bahi : RFDA juillet-août 2004

CE, sect., 6 février 2004, n°240560, Mme Hallal : Rec. Lebon p. 48, concl. I. de SILVA, chron.
F. DONNAT et D. CASAS, AJDA 2004, p. 436, chron. C. GUETTIER, RDP 2005

CE, sect., 27 février 2004, n°252988, Préfet des Pyrénées-Orientales c/ Abounkhila : Rec.
Lebon 2004, p. 93 ; JCP G 2004, n°18, 1898 ; AJDA 2004 p. 651, chron. F. DONNAT et D.
CASAS

484
CE, 31 mars 2004, n°243579

CE, 1er décembre 2004, n°250344, Société France Télécom Transpac : RJF 2/05, n°167

CE, 1er décembre 2004, n°259104, Ministre c/ Société Vecteur : Dr. fisc. 2005, n°6, comm. 188
et RJF 4/05, n°380

CE, 5 janvier 2005, n°256306, Soubiran

CE, 23 mars 2005, n°237810, Morin : RJF 6/05 n°554

CE, 16 novembre 2005, SARL Sarim : RJF 2/2006, n°169 ; concl. L. VALLEE, BDCF 2/2006,
n°20 ; obs. R. BEAUVAIS ; Dr. fisc. 2006, n°27, comm. 490, note A. LEFEUVRE

CE, 27 février 2006, n°257964, Krempff : Dr. fisc. 2006, comm. 513, concl. L. OLLEON

CE, 24 mars 2006, n°257330, SA Martell et Co : JCP G 2007. II. 10206, note B. BELDA

CE, 18 janvier 2006, n°265790 et n°265791, Serfaty : RJF 4/06, n°378

CE, 9ème et 10ème ss-sect., 10 mai 2007, n° 298590, Winkler : Dr. fisc. 2007, n°52, comm. 1094,
note J.-L. PIERRE ; RJF 8-9/2007, n°976 ; BDCF 8-9/2007, n°103, concl. L. VALLÉE

CE, 20 juin 2007 n° 290554, 9ème et 10ème ss-sect., Min. c/ SA Ferette : RJF 10/07 n°1131

CE, 20 février 2008, n°281130, Chenevière (1ère espèce) et n°281178, SA L'Hexagone (2ème
espèce)

CE 5 mai 2008, n°280496, SA ETABLISSEMENTS GERARD LE CLAINCHE

CE, 26 mai 2008, Société Norelec : Dr. fisc. 2008, comm. 411, concl. F. SENERS

CE, 9ème et 10ème ss-sect., 6 août 2008, n° 274621, Min. c/ M. Amsellem : Dr. fisc. 2008, n°40,
comm. 525, concl. L. VALLÉE

CE, 26 décembre 2008, n°282995, Gonzales-Castrillo

CE, 27 avril 2009, n°308445, Imbert, Dr. fisc. 2009, n°27, comm. 399, concl. N. ESCAUT,
note M. GUICHARD et R. GRAU ; RJF 7/2009, n°614

CE, 29 avril 2009 n°299949, Aubry : Dr. fisc. 2009, n°27, comm. 398, concl. E. GLASER, note
J.-L. PIERRE ; RJF 7/2009, n°669

CE, 9ème et 10ème ss-sect., 1er juillet 2009, n°295689, SARL Alain Palanchon : Dr. fisc. 2009,
n°40, comm. 490, concl. P. COLLIN ; RJF 8-9/2009, n°822 ; BDCF 10/2009, n°112, concl.
P. COLLIN

CE, 7 septembre 2009, n°330040, Dassault : RFDA 2010. 288, concl. B. BOURGEOIS-
MACHUREAU

485
CE, 8 février 2010, n°320086, Sté Radio-France International

CE, 26 mai 2010, n°296808, Beckman : RJF 8-9/2010, n° 767, concl. J. BOUCHER ; BDCF 8-
9/2010, n°83 ; Dr. fisc. 2010 n°37 comm. 483

CE, 25 juin 2010, n°334875, Jean-Claude A. c/ Cne Saint-Just-Malmont

CE, 30 juillet 2010, n°316757 et n°316758, Société Turbo’s Hoet Truck Center et M. Hoet : Dr.
fisc. 2010, n°50, comm. 597 ; RJF 11/2010, n°1010, concl. P. COLLIN au BDCF 11/2010,
n°114

CE, 8ème et 3ème ss-sect., 3 février 2011, n°322857, Société Groupe Président Electronics : Dr.
fisc. 2011, n°26, comm. 408, concl. L. OLLÉON, note C. MÉNARD ; RJF 4/2011, n°499

CE, 9ème et 10ème ss-sect., 15 avril 2011, n°310304 et n°310272, M. et Mme Abihssira : Dr. fisc.
2011, n°23, comm. 382 ; RJF 2011, n°776, concl. P. COLLIN ; BDCF 7/11, n°79

CE, 3ème et 8ème ss-sect., 27 avril 2011, n°319472, Ferrand : Dr. fisc. 2011, n°26, comm. 403 ;
RJF 7/2001, n°806 ; BDCF 7/2011, n°84, concl. L. OLLÉON

CE, 5 mai 2011, n°311770

CE, 8 juin 2011, n°311580, Morel : RJF 8-9/11 n°974, concl. Mme N. ESCAUT, BDCF 8-9/11
n°102

CE, 23 décembre 2011, n°321405, Sté Norsucom

CE, 16 mai 2012, n°331346, Serval : RFDA 2012. 730, concl. C. ROGER-LACAN ; AJDA
2012. 1397, chron. X. DOMINO et A. BRETONNEAU

CE, 10ème et 9ème ss-sect., 22 octobre 2012, n°326806, SARL Phuong Hoang : Dr. fisc. 2013,
n°7, comm. 160, concl. É. CRÉPEY, note R. TORLET et A. TAILFER ; RJF 1/2013, n°65,
BDCF 1/2013, n°8

CE, 24 octobre 2012, n°349505, Penichon c/ Sanspoux

CE, 7 novembre 2012, n°328670, Sté France Immobilier Group : RJF 2/13 n°189

CE, 10ème et 9ème ss-sect., 21 novembre 2012, n°332000, M. et Mme Chougrani, n°332001,
SARL TMC Inter, n°332002, SARL TMC Inter SL et n°331994, Chougrani : RJF 2/2013, n°178,
BDCF 2/2013, n°22, concl. É. CRÉPEY

CE, 9ème et 10ème ss-sect., 12 décembre 2012, n°340581

CE, 10ème et 9ème ss-sect., 24 avril 2013, n°339932, M. Tollis, concl. É. CRÉPEY

CE, 15 mai 2013, n°340554, Commune de Gurmençon : JCP A 2013, act. 461

CE, 3ème ss-sect., 15 mai 2013, n°346710, Sté régie nationale de publicité et d’organisation

486
CE, 15 mai 2013, n°356054

CE, 10ème et 9ème ss-sect., 17 juillet 2013, n°340266, M. et Mme Lemaire : Dr. fisc. 2013, n°41,
comm. 479 ; RJF 2013, n°1079

CE, plén., 23 décembre 2013, n°350967, Patenotre : Dr. fisc. 2014, n°3, comm. 42 ; RJF
3/2014, n°262 ; concl. E. CREPEY, BDCF 3/2014, n°35

CE, 5ème et 4ème ss-sect., 30 décembre 2013, n°356775, M. Devulder : RJS 2014, n° 591 ; AJDA
2014, p. 892

CE, 11 avril 2014, n°354314, Senaux

CE, 17 décembre 2014, n°369035

CE, 12 mars 2014, n°353193

CE, 8ème et 3ème ss-sect., 12 mars 2014, n°360299, Société Binsarco International
Establishment : Dr. fisc. 2014, n°22, comm. 359 ; RJF 6/2014, n°599 ; BDCF 6/2014, n°58,
concl. B. BOHNERT

CE, 30 avril 2014, n°364484, Sté immobilière de location pour le commerce et l'industrie

CE, 10ème et 9ème ss-sect, 23 juin 2014, n°360708, Min. c/ Sté Groupement Charbonnier
Montdiderien : Dr. fisc. 2014, n°43-44, comm. 598, concl. F. ALADJIDI, note O. FOUQUET ;
RJF 10/2014, n°925

CE, 3ème et 8ème ss-sect., 16 juillet 2014, n°362114, Sté LTHT : Dr. fisc. 2014, n° 41, comm.
584, note S. DETRAZ ; RJF 11/2014, n°1020

CE, 6ème et 1ère ss-sect, 17 octobre 2014, n°365325

CE, sect., 5 décembre 2014, n°340943, Lassus : Dr. fisc. 2015, n°6, comm. 137, concl. É.
CRÉPEY ; RJF 2015, n°152 ; AJDA 2014. 2390, obs. J.-M. PASTOR ; AJDA 2015. 211, chron.
J. LESSI et L. DUTHEILLET DE LAMOTHE ; RFDA 2015. 78, concl. É. CRÉPEY ; Dr.
adm. 2015, n°25, note A. CLAEYS ; JCP A 2015, n°2103/2A1, Chronique de jurisprudence de
contentieux administratif, O. LE BOT ; JCP A 2015, n°2108, note D. CONNIL

CE, 9ème et 10ème ss-sect., 12 décembre 2014, n°356872, Sté Euro-Car SPRL et n°356888, Min.
c/ Sté Euro Car SPRL (1ère espèce) et n°356871, Sté Euro-Car SPRL (2ème espèce.) : Dr. fisc.
2015, n°14, comm. 247, concl. M.-A. NICOLAZO DE BARMON ; RJF 2015, n°259

CE, 30 décembre 2014, n°371652, Rigail : Dr. fisc. 2015, n°18, comm. 298, note O. DEBAT ;
Procédures 2015, comm. 64, note O. NEGRIN ; RJF 2015, n° 234 ; BDCF 2015, n°35, concl.
A. BRETONNEAU

CE, 25 février 2015, n°361995 et 362679

487
CE, 9ème et 10ème ss-sect., 15 avril 2015, n°373269, Sté Car Diffusion 78 : RJF 7/15 n°613,
concl. F. ALADJIDI

CE, 10ème et 9ème ss-sect., 27 juillet 2015, n°367151, Société Francesco Smalto : Dr. fisc. n°43-
44, 22 octobre 2015, comm. 654, obs. C. DE LA MARDIÈRE

CE, 10ème et 9ème ss-sec., 27 juillet 2015, n°370443, Smalto : Dr. fisc. 2015, n°43-44, comm.
655, concl. E. CRÉPEY, note S. DETRAZ, RJF 11/2015, n°926

CE, 9ème et 10ème ss-sect., 14 octobre 2015, n°360426, Mme Amos et succession Amos : Dr. fisc.
2015, n°51-52, comm. 744, concl.É. BOKDAM-TOGNETTI ; Rec. Lebon., p. 628 ; RJF
1/2016, n°80 ; Dr. fisc. 2016, n°5, comm. 142, obs. R. SALOMON

CE, 16 mars 2016, n°374909

CE, 10ème et 9ème ss-sect., 30 mars 2016, n°375116, Charasse : Dr. fisc. 2016, n°22, comm.
355 ; RJF 2016, n°642

CE, 8ème et 3ème ss-sect., 20 octobre 2016, n°390639, M. Issan, : Dr. fisc. n°18-19, 4 mai 2017,
comm. 295, concl. R. VICTOR, obs. A. TAILFER et E. MEIER

CE, 8ème et 3ème ss-sect., 23 novembre 2016, n°387485 : JCP G 2018, chron. 298 , obs. M.
VERPEAUX et A. MACAYA ; Dr. fisc. 2017, n°5-6, comm. 153, note C. CASSAN ; RJF
2/2017, n°141, concl. B. BOHNERT, p. 255

CE, 8ème ch., 6 janvier 2017, n°388321, Société Métallurgique du Rhin : RJF 7/17, n°679, concl.
B. BONHERT, C679

CE, 27 janvier 2017, n°393185, SAS Central Garage : Dr. fisc. 2017, n°22, comm. 330, concl.
V. DAUMAS ; RJF 4/17 n°319

CE, 3ème et 8ème ss-sect., 24 février 2017, n°390467, Mélison : Dr. fisc. 2017, n°38, comm. 447 ;
RJF 2017, n° 409, concl. B. BOHNERT

CE, 10ème chambre, 10 mai 2017, n°408917, n°408921 et n°408367 : RJF 11/2017, n°1091,
concl. R. VICTOR, C 1091

CE, 19 juin 2017, n°403096, Société GBL Energy : Dr. fisc., 2017, n°36, comm. 432, note M.
COLLET ; RJF 10/2017, n°984

CE, 12 juillet 2017, n°410740 : RJF 11/17 n°1097, concl. R. VICTOR

CE, 22 décembre 2017, n°406791, RJF 5/18 n°460, concl. R. VICTOR

CE, 28 décembre 2017, n°415281, Sté Lupa Immobilière France : RJF 4/18 n° 424, concl. B.
BOHNERT

CE, sect., 16 février 2018, n°395371, Thomas : Dr. fic. 2018, n°15, comm. 257, concl. É.
CREPEY, note R. ADADY et R. TORLET ; N. JACQUOT et N. GUILLAND, Autorité de la

488
chose jugée au pénal : entre altérité et automaticité : Dr. fisc. n°15, 12 avril 2018, comm. 257 ;
RJF 5/2018, n°536, concl. E. CRÉPEY, C 536

CE, 9ème ch., 30 mars 2018, n°361828

CE, 3ème et 8ème ss-sect., 1er octobre 2018, n°403186 : Dr. fisc. 2018, n°41, act. 454 ; Procédures
2018, comm. 388, note. O. NÉGRIN ; RJF 2018, n°1253 ; RFFP 2019, n°146, p.262, note. A.
BAUDU

CE, Ass., 12 octobre 2018, n°408567, SARL Super Coiffeur : Dr. fisc. 2019, n°11, comm. 201,
note S. DETRAZ ; Dr. adm. 2019, comm. 7, note G. EVEILLARD ; JCP A 2019, 2141, note
L. CHAN-TUNG ; D. actu, 17 octobre 2018, obs. J-M. PASTOR ; AJDA 2018. 2390., chron.
C. NICOLAS et Y. FAURE ; D. 2018. 2023. obs. J-M. PASTOR, D. 2019, 347. obs. O.
BOSKOVIC, S. CORNELOUP, F. JAULT-SESEKE, N. JOUBERT et K. PARROT ; D. 2019.
678. obs. J-M. PASTOR, note. E. BELLIARD et M. GRANGE ; Constitutions 2018. 554,
chron. L. DOMINGO, RTD eur. 2019. 537, obs. D. RITLENG ; AJDA 2019. 1803. chron. L.
BURGORGUE-LARSEN ; Dr. adm. 2019, comm. 7, note G. ÉVEILLARD ; Dr. fisc. 2018.
act. 490, note. J. LEPOUTRE ; JCP G 2019, note 382, chron. G. ÉVEILLARD, n°1 ; Dr. adm.,
2019, comm. 8, obs. B. BLAQUIERECE ; RJF 4/20, n°362, concl. K. CIAVALDINI

CE, 22 janvier 2020, n°421012, Société SC AVIATION

CE, 19 juin 2020, n°432982, Ministre c/ Loukili

CE, 1er juillet 2020, n°418378

CE, 10 juillet 2020, n°431890

CE, 14 octobre 2020, n°425337 : Dr. fisc. 2021, n°13, comm. 199, concl. L. DOMINGO ; RJF
2021, n°86

CE, 27 novembre 2020, n°421409, Société le Dôme : Dr. fisc. 2020, n°49, act. 440, RJF 2/2021,
n°202

CE, 29 novembre 2020, n°428313

CE, 16 juillet 2021, n°448500 : Dr. fisc. 2021, n°29, comm. 323, concl. K. CIAVALDINI, note
J. C. LEON AGUIRRE ; RJF 2021, n°1043, concl. C. 1043, chron. G. DE LA TAILLE, p. 1495

CE, 26 janvier 2021, n°439976

CE, 5ème et 6ème ss-sect., 27 mai 2021, n°436815, Min. intérieur c/ Boutin

CE, 14 juin 2021, 436813

CE, 16 juillet 2021, n°448500, Vinci : Dr. fisc. 2021, n°29, comm. 323, concl. K.
CIAVALDINI, note J. C. LEON AGUIRRE ; RJF 2021, n°1043, concl. C. 1043, chron. G. DE
LA TAILLE, p. 1495

CE, 8ème ch., 22 octobre 2021, n°451472

489
CE, 3ème et 8ème ss-sect., 12 mai 2022, n°442880

CE, 9ème et 10ème ss-sect., 21 juin 2022, n°446421 : Dr. fisc. n°26, 30 juin 2022, act. 258

Avis du Conseil d’État

CE, Avis, 31 mars 1995, Ministre du Budget c/ SARL Auto Industrie Méric : RJF 1995, p. 236,
concl. J. ARRIGHI DE CASANOVA ; AJDA 1995, p. 739, note M. DREIFUSS ; Revue
universelle des droits de l’homme, 1995, p. 120, G. COHEN-JONATHAN

CE, Section, Avis, 1er mars 1996, n°174245 et 174246, SARL France Finibeton et n°174244,
M. Égot : Conclusions de M. le commissaire du Gouvernement F. LOLOUM : Dr. fisc. n°39,
25 septembre 1996, comm. 1153

CE, Avis, 5 avril 1996, n°176611, Houdmond : RFDA 1997, p. 35, note J. PETIT ; RFDA 1997,
p. 843

CE, Avis, 4 avril 1997, n°183658

CE, Avis, 10 juin 1998, n°194330, M. de Thoury : Dr. fisc. 1998, n°37, comm. 777, concl. G.
BACHELIER ; RJF 8-9/1998, n° 966

CE, Avis, 24 mars 2016, n°391262

CE, Avis, 22 mars 2018, n°394440, Avis sur un projet de loi relatif à la lutte contre la fraude

VII- JURIDICTIONS DU FOND DE L’ORDRE ADMINISTRATIF

CAA Nancy, 1er avril 1993, n°92-156, Société d’exploitation de l’hôtel-restaurant « au Cheval
Blanc » : Dr. fisc. 1993, n°52, comm. 2542 ; RJF n°6/40, pp. 74 à 78

TA Dijon, 19 septembre 2002, n°01-2786 et 01-2787, RJF 3/03 n°340

TA Lille, 16 décembre 2004, n°02-1445, 02-1448, 02-1449, 02-1446 et 02-1450, RJF 4/05
n°357

TA Montpellier, 9 mars 2006, n°00-5847 : RJF 1/07 n°56

CAA Bordeaux, 18 juillet 2006, n°03-2124, RJF 1/07 n°57

CAA Paris, 16 octobre 2006, n° 04-2834, RJF 4/07 n°4758

TA Versailles, 13 décembre 2010, n°07-8854 et 07-8855 : RJF 7/2011, n°846

CAA Marseille, 6ème ch., 26 mars 2012, Société Immobilière du Ceinturon, n°09MA02992

CAA Paris, 29 mai 2012, n°10PA05558, Boiry : Dr. fisc. 2012, n°48, chron. 532, n°11 ; RJF
10/12, n°937

490
CAA Nantes, 8 octobre 2015, n°14NT03355

TA Paris, 1ère sect., 1ère ch., 12 juillet 2017, n°1505178, Sté Google Ireland Ltd : JurisData
n°2017-013862

CAA Nancy, 2ème ch., 1er février 2018, n°16NC01459, concl. N. PETON

CAA Lyon, 31 mai 2018, n°15LY02475 et 15LY03278, EURL RPPM

CAA Bordeaux, 27 septembre 2018, n°16BX01622

CAA Paris, 9ème ch., 25 avril 2019, n°17PA03065 : JurisData n°2019-006911

CAA Paris, 7ème ch., 10 mars 2020, n°18PA04053, concl. A. SLOLTZ-VALETTE

CAA Lyon, 6ème chambre, 25 août 2020, n°18LY04254

CAA Paris, 2ème ch., 3 février 2021, n°20PA00384

VIII- DOCTRINE FISCALE

BODGI, 3 octobre 1972, n°13-6-72

BOFIP, « Droit de communication et procédures de recherche et de lutte contre la fraude - Droit


de communication auprès des tribunaux », 12 septembre 2012, BOI-CF-COM-10-50,

BOFIP, « Droit de communication et procédures de recherche - Procédures de recherche et lutte


contre la fraude - Droit de visite et de saisie », 12 septembre 2012, BOI-CF-COM-20-20,

BOFIP, « Contentieux de l'assiette de l'impôt - Dispositions communes – Sursis », 12 septembre


2012, BOI-CTX-DG-20-70-20

BOFIP, « Contrôle fiscal », 6 juillet 2016, BOI-CF-20160706

BOFIP, « Contrôle fiscal, Infractions et sanctions pénales - Poursuites correctionnelles -


Infractions assimilées au délit de fraude fiscale et délits spéciaux de fraude fiscale », 27 juin
2019, BOI-CF-INF-40-10-20

BOFIP, « Contrôle fiscal, Prescription du droit de reprise de l'administration - Délais de reprise


en cas d'omission ou d'insuffisance d'imposition révélée par une procédure judiciaire, par une
procédure devant les juridictions administratives ou par une réclamation contentieuse », 19 mai
2021, n°20, BOI-CF-PGR-10-75

IX- DIVERS

CIJ, Avis consultatif du 28 mai 1951 relatif aux réserves à la Convention pour la prévention et
la répression du crime de génocide, Rec. CIJ, p. 496

491
Les pouvoirs de l’administration dans le domaine des sanctions, Étude adoptée par l’Assemblée
générale du Conseil d’État le 8 décembre 1994, La documentation française, Paris, 1995

Livre vert sur les conflits de compétences et le principe ne bis in idem dans le cadre des
procédures pénales, Commission des Communautés européennes, Bruxelles, 12 décembre 2005

Guide de la pratique sur les réserves aux traités, Commission du droit international, 2011

492
INDEX ALPHABETIQUE
Les chiffres renvoient aux numéros des paragraphes.

A Bonne administration de la justice :


439, 471
Abstention : 41
C
Abus de droit : 86, 87, 386
Cause juridique : 128, 359, 420, 427
Accusatoire : 124
Célérité : 316
Acte de gouvernement : 264
Chose jugée (V. Autorité de chose
Action civile : 35, 36, 149 et s. jugée)

Action publique : 55, 133, 136, 141, Circonstances aggravantes : 228,


156, 165, 220 229, 232

Accusation en matière pénale : 72, Clarté : 41, 225, 230, 231, 279
74, 75
Classement sans suite : 166, 171,
Agissements frauduleux : 168, 169 180

Amende d'intérêt public : 99 Clôture : 443 et s.

Amende fiscale : 26 Cohérence : 440

Amende pénale : 44 Commission des infractions


fiscales : 55, 56, 127, 221
Assistant spécialisé : 64
Comparution sur reconnaissance
Autonomie : 6, 114, 431 préalable de culpabilité : 90 et s.

Autorité de la chose jugée : 95, 208, Complémentarité : 20, 22, 201, 203,
210, 368, 463 236 et s., 270 et s., 274 et s., 304, 468
- Du pénal sur le fiscal : 424 et s. et s., 472
- Du fiscal sur le pénal : 315, 341
et s. Complexité : 63

Autorité des marchés financiers : Complicité : 43


196, 287
Conception matérielle : 131 et s.,
Aveu : 95 422

Avis consultatif : 267 Conception juridique : 130, 132

B Consentement à l'impôt : 25, 108,


197

493
Dirigeant : 298 et s.
Constitution de partie civile (V.
Action civile) Dissimulation : 41, 208, 227

Constitutionnalisation : 211 Dissuasion : 41, 43, 44, 52, 472

Contentieux de pleine juridiction : Dommages et intérêts : 35, 78, 100,


27, 461 377 et s.

Contrariété de décisions : 289, 314, Dossier pénal : 160, 163, 164


317, 348, 350, 372, 380, 464, 467,
470 Droit de communication : 25, 96,
130, 136, 160 et s., 337, 345, 408 et
Constatations de fait : 429, 435 et s. s.

Convention judiciaire d'intérêt Droit de reprise : 167


public : 90, 97 et s.
Droit d’être assisté du conseil de son
Critère de gravité (V. gravité) choix : 333 et s., 422

Criminalité : 14 Droits de la défense : 331, 334, 421

D Droit pénal fiscal : 7

Débat oral et contradictoire : 334 et Dualisme juridictionnel (V.


s., 422 Séparation des autorités
administrative et judiciaire)
Décharge : 314, 319, 346, 356, 360,
372 et s. E
- Pour un motif de fond : 205,
211, 246, 315, 322, 350 et s., Économie de moyens : 365 et s.
379, 380, 420
- Pour un motif de forme : 348 et Égalité (V. Principe d’égalité)
s., 379, 380
Égalité des armes : 164, 180
Dégrèvement : 374, 376, 457 et s.
Élément matériel : 41, 128, 157,
Délai de reprise : 167, 168 197, 311

Délai raisonnable : 316 Élément moral : 128, 146, 157, 197,


386
Demande d’éclaircissements ou de
justifications : 25, 337 Élément injuste : 219

Détournement de procédure : 166, Emprisonnement : 8, 9, 44, 196


170, 171, 174, 175, 177, 394 et s.
Enquête à charge et à décharge
Détournement de deniers publics :
470 Enquête pénale : 165, 166, 174, 178

494
Erreur de droit : 230
Infamant : 79, 80
Erreur substantielle : 360 et s.
Infractions boursières : 188, 194,
Établissement stable : 101, 348, 447 195, 196, 237, 259, 287
et s.
Inquisitoire : 124
Examen contradictoire de la
situation fiscale personnelle : 25, Insolvabilité : 41
164, 320
Instruction : 143, 151, 165, 173
Exception préjudicielle : 307 et s.,
387 et s. Intérêt protégé : 196, 197
- De débet : 470
Intérêts du trésor : 24, 29, 34, 69,
Exclusion des marchés publics : 47 100, 108, 151, 152, 203

F Intérêt général : 6, 38, 67, 108, 150,


257
Fait justificatif : 223
Intimidation : 49, 50
Fraude fiscale :
- Délits spéciaux : 42 Investigation : 161, 175
- Généralités : 7
- Historique : 8, 9, 10, 11, 12 Irrégularités
- Éléments constitutifs : 41, 128, - Pénales : 390 et s.
146, 156, 218, 219 - Fiscales : 325 et s.

G J

Gravité : 205, 212 et s., 281, 303 Juge des libertés et de la détention :
403 et s.
H
L
Homologation : 91, 95
Légalité criminelle : 41, 225, 230
I
Légitimité : 108, 109
Impartialité : 147
Lien temporel et matériel : 235 et s.,
Incompétence juridictionnelle : 388 267

Indemnités de retard : 26 Loyauté : 420, 444

Indépendance des procédures M


- Entre contribuables distincts :
406 Majorations de droit : 26
- Pénale et fiscale : 111 et s., 179,
246, 310, 327 et s., 343 et s., Manœuvres frauduleuses : 41, 87
369 et s., 397

495
Manquement délibéré : 87
Omission déclarative : 41, 209
Matière boursière
(V. Infractions boursières) Opportunité des poursuites : 55, 56,
90, 147
Matière pénale : 71 et s., 125, 132,
133, 135, 236, 238, 244, 260, 271 Ordonnance de clôture (V. Clôture)

Ministère public : 156 Ordonnance de non-lieu (V. Non-


lieu)
Mise en demeure préalable : 4, 27,
127, 309 Ordonnance de renvoi devant le
tribunal correctionnel : 426
Modulation des sanctions fiscales :
80 Ordre public : 26, 448, 459

Montant des droits fraudés : 225, P


226, 231, 281
Parquet national financier : 64, 94,
N 287

Name and shame : 46 Participation personnelle : 298 et s.

Nature des agissements du Partie civile


contribuable : 225, 227, 231, 281
Partie jointe : 158
Ne bis in idem : 183 et s., 221, 233
et s., 268 et s., 284, 294, 299 Peine accessoire : 47

Nécessité de l'impôt : 26, 38, 108, Peine complémentaire : 45, 46


197, 203
Peine principale : 44
Nécessité des délits et des peines :
184, 185, 195, 200, 201, 203, 207, Personnalité juridique : 295 et s.
217
Personne morale : 150, 292 et s.
Neutralisation de motifs : 30
Perquisition : 391 et s.
Non-lieu : 170, 426
Plénitude de juridiction : 307, 316,
Noyau dur du droit pénal : 79, 244 346, 373

Nullité (V. Irrégularité) Préjudice : 37, 100, 101, 149, 152,


153, 155
O
Premier président de la cour
Objectif de valeur d’appel : 398, 403
constitutionnelle : 16, 203
Prérogative de puissance publique :
Objet du litige : 128 26

496
Prescription : 167 Révision : 323
- Pourvoi en révision : 368 et s.
Présomption d’innocence : 439 - Recours en révision : 450 et s.

Preuve : 344 et s. S

Prévisibilité : 165, 202, 225, 226, Saisie : 25, 391 et s.


230, 231, 245, 279 et s.
Sanctions ayant le caractère d’une
Principe d’égalité : 14, 38, 42, 67, punition : 47, 190
108, 197, 225, 437, 462
Sanctions fiscales : 4, 26, 37, 54, 57,
Proportionnalité : 193, 200, 205, 71, 80
247, 277, 279, 282, 303
Sanctions pénales : 37, 44
Proposition de rectification : 134,
162 Secret : 165

Prorogation Sécurité juridique : 289, 424


(V. Droit de reprise)
Séparation des autorités
Publicité : administrative et judiciaire : 4, 6,
- Peine de publicité : 45, 46 117, 118, 119, 316, 388
- Procès pénal : 48
- Sanctions fiscales : 81, 82, 83 Séparation des pouvoirs : 120

R Sévérité : 46

Redevable de l’impôt : 292 et s., 301 Société fiscalement transparente :


et s. 296

Relaxe : 170, 222, 276, 347, 450, Solennité : 51, 92


463
- Au bénéfice du doute : 432 et s. Solidarité
- Pénale : 103 et s., 301 et s.
Remise : 57, 446, 460 et s. - Civile : 302

Réputation : 49, 82 Spécialisation : 64

Renvoi préjudiciel : 279 Sphère pénale (V. Matière pénale)

Réserve (au protocole n°7 de la Subsidiarité : 60, 66, 68, 224, 240
Convention) : 251 et s.
Substitution de base légale : 28, 29,
Réserve d’interprétation : 204 et s., 30, 31, 32
315, 351, 415
Substitution de motifs : 30
Révélation d’omissions ou
d’insuffisances : 168, 172 et s. Support nécessaire : 428 et s., 463

497
Sursis à statuer : 306 et s., 354, 383 U
et s., 422, 465, 469 et s.
Unité des fautes : 468
T
V
Taxe sur la valeur ajoutée : 167, 275
Valeur protégée : 38, 108, 219
Technicité : 60, 63
Vérification de comptabilité : 164,
Tentative : 43 328 et s.

Transaction Verrou de Bercy : 55, 56, 57, 141


- Fiscale : 58, 59, 460
- Sur l’action publique : 57 Victime : 150

Visite domiciliaire : 25, 348, 389,


391 et s., 422

498
TABLE DES MATIÈRES

Remerciements ........................................................................................................................... 3
Liste des principales observations ............................................................................................. 5
Sommaire .................................................................................................................................. 8
Introduction ............................................................................................................................. 11
A) La genèse du droit pénal fiscal ...................................................... 17
B) Les fondements du droit pénal fiscal ............................................. 24

PREMIÈRE PARTIE. L’ARTICULATION CONCEPTUELLE DES


PROCÉDURES........................................................................................................... 31

TITRE PREMIER. LA LÉGITIMITÉ DU CUMUL ......................................... 32


CHAPITRE I. LES OBJECTIFS ASSIGNÉS AUX PROCÉDURES PÉNALE
ET FISCALE ........................................................................................................ 33
SECTION I. LE CLOISONNEMENT APPARENT DES OBJECTIFS ......... 34
§1. Le constat du cloisonnement des objectifs ......................................... 34
A) L’objectif budgétaire de la procédure fiscale ................................ 35
1) Le fondement de l’objectif budgétaire de l’administration fiscale
................................................................................................... 35
2) Les moyens d’assurer l’objectif budgétaire ............................... 39
a) Un moyen ouvert devant le juge fiscal .................................. 39
b) Un moyen fermé devant le juge pénal ................................... 44
B) L’objectif répressif de la procédure pénale ................................... 46
1) Les fondements de l’objectif répressif ....................................... 46
2) Les moyens d’assurer l’objectif répressif .................................. 48
a) Les moyens substantiels ......................................................... 48
b) Les moyens processuels ......................................................... 59
§2. Les traductions du cloisonnement des objectifs ................................. 62
A) La priorité accordée à la procédure fiscale .................................... 62
B) Les fondements de la priorité accordée à la procédure fiscale ...... 67
1) L’efficacité de la répression administrative ............................... 68
2) La technicité de la matière fiscale.............................................. 69
3) Le principe de subsidiarité du droit pénal .................................. 72
SECTION II. LA FUSION RÉELLE DES OBJECTIFS ................................. 73

499
§1. La finalité répressive de la procédure fiscale ..................................... 74
A) La nature répressive des sanctions fiscales.................................... 74
B) L’office répressif de la procédure fiscale ...................................... 85
§2. La finalité budgétaire de la procédure pénale ..................................... 87
A) La négociation dans le procès pénal, levier dans le recouvrement de
la créance fiscale ................................................................................... 87
1) La CRPC, une procédure simplifiée de jugement pénal
cristallisant le litige fiscal ................................................................. 88
2) La CJIP, une alternative aux poursuites permettant de recouvrir
les créances fiscales .......................................................................... 93
B) La solidarité fiscale, garantie du recouvrement de la créance fiscale
97
CHAPITRE II. LES RAPPORTS ENTRE LES PROCÉDURES PÉNALE ET
FISCALE ............................................................................................................ 105
SECTION I. LE NÉCESSAIRE DÉPASSEMENT DU PRINCIPE
D’INDÉPENDANCE ..................................................................................... 106
§1. Le défaut d’assises du principe d’indépendance .............................. 108
A) Les justifications doctrinales inopérantes .................................... 109
B) Les justifications prétoriennes illusoires ..................................... 112
1) Une différence de nature .......................................................... 112
2) Une différence d’objet ............................................................. 114
§2. Le défaut d’actualité du principe d’indépendance ............................ 118
SECTION II. L’INTERDÉPENDANCE RÉCIPROQUE DES PROCÉDURES
PÉNALE ET FISCALE .................................................................................. 125
§1. L’utilisation intellectuelle de la procédure fiscale à des fins pénales
............................................................................................................................ 125
A) L’administration fiscale, partie poursuivante .............................. 125
B) L’administration fiscale, partie intervenante ............................... 130
1) La singularité des conditions de recevabilité de l’action de
l’administration fiscale ................................................................... 131
2) La singularité de l’objet de l’action de l’administration fiscale
dans le procès pénal ........................................................................ 136
§2. L’utilisation processuelle de la procédure pénale à des fins fiscales 142
A) L’accès au dossier pénal assuré par le droit de communication .. 142

500
1) Un accès étendu au plan matériel ............................................ 143
2) Un accès étendu au plan temporel ........................................... 144
B) L’exploitation des données pénales par la prorogation du délai de
reprise.................................................................................................. 150
1) La découverte par l’administration d’agissements frauduleux du
contribuable .................................................................................... 152
2) La révélation par une instance d’une omission ou insuffisance de
déclaration ...................................................................................... 153
a) L’extension de la notion « d’instance devant les tribunaux 154
b) L’extension de la notion de révélation................................. 157

TITRE SECOND : LA LÉGALITÉ DU CUMUL ............................................ 166


CHAPITRE I. LA LÉGALITE INTERNE DU CUMUL DES PROCÉDURES
PÉNALE ET FISCALE ...................................................................................... 167
SECTION I. L’INTERVENTION TARDIVE DES JURIDICTIONS
NATIONALES ............................................................................................... 167
§1. La jurisprudence constitutionnelle à l’égard des cumuls de sanctions
............................................................................................................................ 168
A) La position constitutionnelle originelle en matière de cumul de
sanctions.............................................................................................. 168
B) Les espoirs d’une interdiction du cumul de sanctions ................. 172
§2. La constitutionnalité admise du cumul des procédures en matière
fiscale ...................................................................................................... 178
A) L’affirmation du principe de complémentarité des procédures
pénale et fiscale .........................................................................................
..................................................................................................... 179
B) Les traductions du principe de complémentarité des procédures
pénale et fiscale ................................................................................... 183
SECTION II. L’APPLICATION PÉRILLEUSE DU CRITÈRE DE
GRAVITÉ .............................................................................................. 189
§1. La nature sui generis du critère de gravité ....................................... 190
A) La légalisation par le Conseil constitutionnel d’une pratique
antérieure ............................................................................................ 190
B) La réception par le juge correctionnel du critère de gravité ........ 194

501
§2. L’incertitude du contenu de la gravité de la fraude .......................... 199
CHAPITRE II. LA LÉGALITE EXTERNE DU CUMUL DES PROCÉDURES
PÉNALE ET FISCALE ...................................................................................... 207
SECTION I. L’ENCADREMENT DE LA COUR EUROPÉENNE DES
DROITS DE L’HOMME ............................................................................... 208
§1. L’existence d’un encadrement du cumul .......................................... 208
A) L’affirmation du principe de complémentarité des procédures
pénale et fiscale ................................................................................... 209
B) Les traductions du principe de complémentarité des procédures
pénale et fiscale ................................................................................... 214
§2. L’effectivité de l’encadrement du cumul ......................................... 220
A) La formulation de la réserve française ........................................ 221
B) La validité incertaine de la réserve française ............................... 224
1) Les conditions de validité des réserves au sens de la Convention .
................................................................................................. 224
2) L’incompétence des juridictions françaises pour se prononcer sur
la validité de la réserve française .................................................... 228
SECTION II. L’ENCADREMENT DE LA COUR DE JUSTICE DE
L’UNION EUROPÉENNE ............................................................................ 234
§1. L’existence d’un encadrement du cumul .......................................... 234
A) L’affirmation du principe de complémentarité des procédures
pénale et fiscale ................................................................................... 235
B) Les traductions du principe de complémentarité des procédures
pénale et fiscale ................................................................................... 240
§2. La confrontation du droit français aux limitations posées par la Cour
de justice de l’Union européenne ........................................................... 244

SECONDE PARTIE. L’ARTICULATION PROCESSUELLE DES


PROCÉDURES......................................................................................................... 255

TITRE PREMIER. L’INCIDENCE DU LITIGE FISCAL SUR LE LITIGE PÉNAL


............................................................................................................................................ 256
CHAPITRE I. L’INCIDENCE DE LA PROCÉDURE FISCALE .................... 257
SECTION I. L’ABSENCE D’INCIDENCE PERSONNELLE ..................... 257

502
§1. Les justifications de l’admission du cumul des procédures entre une
personne physique et une personne morale ............................................ 258
A) L’insuffisance des justifications européennes ............................. 258
B) Le caractère artificiel des justifications nationales ...................... 261
§2. Les implications du cumul des procédures entre une personne
physique et une personne morale ........................................................... 266
SECTION II. LA PRÉSENCE D’INCIDENCES PROCÉDURALES .......... 269
§1. Les incidences temporelles ............................................................... 269
A) L’interdiction de surseoir à statuer avant les arrêts du 11 septembre
2019 .................................................................................................... 270
B) La possibilité de surseoir à statuer depuis les arrêts du 11
septembre 2019 ................................................................................... 277
§2. Les incidences probatoires ............................................................... 285
A) La possibilité reconnue au juge pénal de prononcer la nullité des
actes affectant la procédure fiscale ..................................................... 286
B) La possibilité restreinte du juge pénal de prononcer la nullité des
actes affectant la procédure fiscale ..................................................... 295
CHAPITRE II. L’INCIDENCE DE LA DÉCISION FISCALE ........................ 300
SECTION I. L’AUTORITÉ DE CHOSE JUGÉE DE LA DÉCISION
FISCALE ........................................................................................................ 300
§1. Le traditionnel défaut d’autorité de chose jugée de la décision fiscale
sur le pénal .............................................................................................. 300
§2. La création d’un cas inédit d’autorité de chose jugée de la décision
fiscale sur le pénal .................................................................................. 308
A) L’autorité nouvelle d’une décision de décharge pour motif de fond .
..................................................................................................... 308
B) Le défaut d’autorité d’une décision de décharge pour motif de
forme ................................................................................................... 313
1) La définition restrictive de la décharge pour motif de forme .. 314
2) La pratique de l’économie de moyens par le juge administratif ....
................................................................................................. 320
SECTION II. LA RÉVISION DE LA DÉCISION PÉNALE ........................ 323
§1. L’admission d’un pourvoi en révision en présence d’une décharge
fiscale ...................................................................................................... 323

503
A) Le refus traditionnel de l’admission du pourvoi en révision ....... 323
B) L’assimilation progressive de la décharge fiscale à un cas
d’ouverture en révision ....................................................................... 329
§2. L’imperfection du pourvoi en révision en présence d’une décharge
fiscale ...................................................................................................... 333

TITRE SECOND. L’INCIDENCE PÉNALE SUR LE LITIGE FISCAL ...... 338


CHAPITRE I. L’INCIDENCE DE LA PROCÉDURE PÉNALE ..................... 339
SECTION I. L’ABSENCE D’INCIDENCE TEMPORELLE ....................... 339
§1. La liberté du juge fiscal de surseoir à statuer ................................... 339
§2. Les fondements de la liberté octroyée au juge fiscal ........................ 342
SECTION II. L’INCIDENCE DU RÉGIME PROBATOIRE ....................... 346
SOUS-SECTION I. EN L’ABSENCE D’UNE DÉCISION
D’ANNULATION DU JUGE RÉPRESSIF .............................................. 356
§1. La situation antérieure à l’entrée en vigueur de l’article L. 16 B du
LPF ......................................................................................................... 347
A) L’impossibilité pour le juge fiscal d’apprécier la régularité de la
procédure pénale ................................................................................. 348
B) L’exception résultant d’un détournement de procédure .............. 348
§2. La situation postérieure à l’entrée en vigueur de l’article L. 16 B du
LPF ......................................................................................................... 351
SOUS-SECTION II. EN PRÉSENCE D’UNE DÉCISION
D’ANNULATION DU JUGE RÉPRESSIF .............................................. 356
§1. La position du juge fiscal antérieure à la décision du Conseil
constitutionnel du 4 décembre 2013 ....................................................... 357
A) L’irrégularité des pièces saisies par l’administration fiscale ....... 357
B) L’irrégularités des pièces communiquées à l’administration fiscale .
..................................................................................................... 362
§2. La position du juge fiscal postérieure à la décision du Conseil
constitutionnel du 4 décembre 2013 ....................................................... 365
A) La consécration par le législateur de la possibilité pour le fisc
d’utiliser des pièces annulées .............................................................. 367
B) La reconnaissance par le juge fiscal des irrégularités pénales ..... 371
CHAPITRE II. L’INCIDENCE DE LA DÉCISION PÉNALE ......................... 380

504
SECTION I. L’AUTORITÉ DE CHOSE JUGÉE DE LA DÉCISION PÉNALE
.................................................................................................................................... 380
§1. Les conditions matérielles de l’autorité de chose jugée ................... 381
A) La nature des décisions ayant autorité ......................................... 381
B) L’étendue de l’autorité de chose jugée ........................................ 385
1) Une autorité limitée aux constatations constituant le support
nécessaire du dispositif ................................................................... 385
2) Une autorité contenue à la qualification des faits au regard de la
loi pénale ........................................................................................ 386
3) L’exclusion de l’autorité d’une relaxe prononcée au bénéfice du
doute ............................................................................................... 388
a) La position du juge administratif ......................................... 388
b) La position du juge judiciaire .............................................. 393
§2. Les conditions temporelles de l’autorité de chose jugée .................. 398
A) L’autorité de chose jugée invoquée en cours d’instruction ......... 398
B) L’autorité de chose jugée invoquée postérieurement à une décision
rendue sur le fond ........................................................................ 401
SECTION II. LE RECOURS EN RÉVISION DE LA DÉCISION
ADMINISTRATIVE ...................................................................................... 406
§1. L’inapplicabilité du recours en révision ........................................... 406
A) Un recours strictement encadré ................................................... 406
B) L’impossibilité de réviser le procès fiscal en présence d’une relaxe
ultérieure ............................................................................................. 410
§2. L’inadaptation des autres voies juridiques ....................................... 410
A) Le dégrèvement d’office .............................................................. 411
B) Les remises gracieuses ................................................................. 413

Conclusion générale .............................................................................................................. 424


Annexe .................................................................................................................................. 430
Bibliographie .......................................................................................................................... 437
Index alphabétique ................................................................................................................. 493
Table des matières ................................................................................................................. 499

505
Titre : L’articulation des procédures pénale et fiscale
Résumé : Infraction délictuelle incriminée à l’article 1741 du code général des impôts, la fraude fiscale
peut être doublement réprimée et sanctionnée en droit français. Le contribuable auteur d’une fraude
fiscale est susceptible de se voir infliger tant des sanctions pécuniaires prononcées par l’administration
fiscale, que des peines par la juridiction correctionnelle. L’addition des répressions pénale et fiscale en
présence d’une fraude a fait émerger un « droit pénal fiscal », matière symptomatique du développement
de branches transversales ayant entraîné des intersections entre différents droits. Alors que le code
général des impôts octroie aux procédures pénale et fiscale une place semblable dans la lutte contre la
fraude fiscale, un constat s’impose : il n’existe aucune règle légale permettant d’articuler les deux
procédures, qui peuvent se mener simultanément ou successivement à l’égard des mêmes faits. Ainsi, la
répression de la fraude fiscale se situe au confluent de deux branches autonomes du droit qui n’ont
jamais été pensées pour se déployer ensemble. La dualité de répressions applicable à la fraude fiscale
est en quête d’un équilibre entre des principes antagonistes. D’un côté, le droit pénal fiscal doit assurer
et garantir le recouvrement de l’impôt, en menaçant les contribuables qui chercheraient à s’y soustraire
de sanctions dissuasives et certaines. De l’autre, le fait que les mêmes agissements puissent être
doublement poursuivis et réprimés est susceptible d’atteindre des principes juridiques fondamentaux.
Selon le droit interne, le cumul des sanctions pénale et fiscale doit être contenu dans les limites des
principes constitutionnels de proportionnalité, de nécessité des délits et des peines et de clarté et
prévisibilité de la loi pénale. D’un point de vue externe, la faculté d’additionner les répressions a été
examinée sous l’angle du principe ne bis in idem, garanti par l’article 4 du protocole n°7 additionnel à
la Convention européenne des droits de l’homme et par l’article 50 de la Charte des droits fondamentaux
de l’Union européenne. À l’aune de ces différentes tensions, l’articulation des procédures pénale et
fiscale devient une nécessité. L’articulation doit, en premier lieu, être d’ordre conceptuel et déterminer
les hypothèses susceptibles d’entraîner une répression bicéphale. L’articulation doit, en second lieu, être
de nature processuelle afin que les procédures pénale et fiscale s’imbriquent et se synchronisent.

Mots clés : Fraude fiscale ; Articulation ; Procédure pénale ; Procédure fiscale ; Droit pénal fiscal.

Title : The articulation between tax and criminal procedures


Abstract : As an offence Tax fraud may be punished twice under the French Tax Law. Indeed, the
taxpayer who has committed tax fraud may be subject to both financial penalties - pronounced by the
administrative courts - and penalties - pronounced by the criminal courts. Thus “Tax criminal law” has
emerged into French law as a new legal matter because of the intersection of several transversal legal
areas. Under French Tax Law, criminal and financial proceedings are put on the same level. There is no
rule coordinating them and each of these proceedings may be brought simultaneously or successively
pertaining to the same tax fraud. Therefore, the repression of tax fraud is located at the confluence of
these two self-governing legal matters which were never meant to be deployed together. The duality of
law enforcement about fraud tax is on a quest to find a balance between antagonist principles. On the
one hand, it must ensure and secure tax collection by threatening taxpayers of stiffer penalties, and on
the other hand this duality is likely to infringe fundamental legal principles. Under current domestic
law, the principles of proportionality, necessity and predictability of criminal offences and penalties
must be respected. Under current international law, the double penalty system has been considered in
the light of the “ne bis in idem” principle protected by the ECHR, Protocole n.7, art. 4, and by the Charter
of Fundamental Rights of the EU, art.50. These observations being made, it seems necessary to link
these proceedings together. First, a conceptual link between tax and criminal proceedings is required to
determine cases in which double penalty may be inflicted. Second, a proceeding-based approach must
be considered so as to financial and criminal proceedings being interlinked and synchronized.

Keywords : Tax procedures ; Criminal procedures.

Unité de recherche
Institut de Sciences Criminelles et de la Justice, Bordeaux, EA 4633

506

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