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J

Précis de la Faculté de droit


de l'Université catholique de Louvain

DROIT
INTERNATIONAL ~

PRIVE
Troisième édition

François Rigaux
Professeur émérite de l'Université catholique de Louvain
Membre de l'Institut de droit international

Marc Fallon
Professeur ordinaire à la Faculté de droit de l'Université
catholique de Louvain

l
LARCIER
Pour toute information sur notre fond et les nouveautés dans votre
domaine de spécialisation, consultez notre site web : www.larcier.com

© De Boeck & Larcier s.a., 2005


Éditions Larcier
Rue des Minimes, 39 • B-1000 Bruxelles

Tous droits réservés pour tous pays.


Il est interdit, sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, de reproduire (notamment par photocopie) partiel-
lement ou totalement le présent ouvrage, de le stocker dans une banque de données ou de le communiquer
au public, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit.

Imprimé en Belgique

Dépôt légal 2005/0031/161 ISBN 2-8044-1988-6


SOMMAIRE

Index des abréviations ........................................................................................................ 7


Avant-propos ..................................................................................................................... 15

TITRE 1
Définition du droit international privé
CHAPITRE 1 L'objet du droit international privé ........................................................ 19

CHAPITRE 2 Écoles et sources du droit international privé ....................................... 47

2 TITRE
Méthodes de solution des conflits
de lois - Analyse descriptive
CHAPITRE 3 La règle de rattachement ......................................................................... 77
CHAPITRE 4 La règle d'applicabilité ........................................................................... 125

3 TITRE
Méthodes de solution des conflits
de lois - Analyse fonctionnelle
CHAPITRE 5 L'application de la règle de conflit de lois ............................................ 171
CHAPITRE 6 La détermination et la condition du droit étranger ............................ 219
CHAPITRE 7 L'application du droit étranger ............................................................. 281

TITRE 4
Droit judiciaire international
CHAPITRE 8 Sources relatives aux conflits d'autorités et de juridictions ............... 329
CHAPITRE 9 Règles générales de compétence internationale .................................. 365
CHAPITRE 10 Règles générales sur l'efficacité des décisions judiciaires
et des actes publics étrangers .. .. .. .. ...... .. ...... ...... ......... ... ... ..... ... .... .. .. ... 419
CHAPITRE 11 La procédure dans le contentieux transfrontière ................................ 467
6 ÜROIT INTERNATIONAL PRIVÉ

TITRE 5
Règles spéciales
CHAPITRE 12 La personne et les rapports de famille ··························••oo••················· 489
CHAPITRE 13 Les biens .................................................................................................. 665
CHAPITRE 14 Les contrats· ............................................................................................ 763
CHAPITRE 1S Les obligations non contractuelles ....................................................... 917
CHAPITRE 16 Les personnes morales ........................................................................... 965

Tableau synthétique du Code belge de droit international privé ................................ 999

Table alphabétique ........................................................................................................ 1007

Table des articles du Code belge de droit international privé .................................. 1019

Table des matières 1021


INDEX DES ABRÉVIATIONS

ABA Antitrust L.J. American Bar Association Antitrust Law Journal.


AC. Appeal Cases - English Law Reports.
Act. dr. Actualités du droit.
AGO R. AGo, « Règles générales des conflits de lois», Recueil
des cours (1936), vol. 58, pp. 243-469.
Alg. Jur. Tijdschr. AlgemeenJuridisch Tijdschrift.
All.E.R. All England Law Reports.
Am.]. Camp. Law AmericanJournal of Comparative Law.
Am.]. Int. L. AmericanJournal oflnternational Law.
Ann. dir. intern. Annuario di diritto internazionale.
Ann. dr. de l'homme Annuaire des droits de l'homme.
Ann. droit Annales de droit.
Ann. europ. Annuaire européen.
Ann. fr. dr. int. Annuaire français de droit international.
Ann. Liège Annales de la Faculté de droit de Liège.
Ann. not. enreg. Annales du notariat et de l'enregistrement.
Ann. suisse dr. int. Annuaire suisse de droit international.
Annuaire Annuaire de l'Institut de droit international.
AR. Arrêté royal.
BARTIN E. BARTIN, Principes de droit international privé selon la loi
et la jurisprudence française, 3 volumes, Paris, Domat-
Montchrestien, 1930-1932-1935.
BATIFFOL et LAGARDE H. BATIFFOL et P. LAGARDE, Droit international privé,
Paris, L.G.D.J., t. rer, 1993, t. II, 1983.
BEALE J. BEALE, A Treatise on the Conflict of Laws, 3 volumes,
New York, Baker, Voorhis & Co, 1935.
Belg.Jud. Belgique Judiciaire.
BGB Bürgerliches Gesetzbuch.
BGH Bundesgerichtshof.
BGHZ Entscheidungen des Bundesgerichtshof in Zivilsachen.
8 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ

B.I.R.D. Banque internationale pour la reconstruction et le


développement.
BUCHER et BONOMI A. BUCHER et A. BoNOMI, Droit international privé, Bâle,
Helbing & Lichtenhahn, 2004.
Bull. ass. Bulletin des assurances.
Bull. Cass. Bulletin des arrêts de la Cour de cassation.
Bull. C.E. Bulletin des Communautés européennes.
Bull. civ. Bulletin des arrêts de la Cour de cassation de France -
Chambres civiles.
Bull. cr. Bulletin des arrêts de la Cour de cassation de France -
Chambres criminelles.
Bull. Q. et R Bulletin des questions et réponses.
Bull. soc. Bulletin des arrêts de la Cour de cassation de France -
Chambre sociale.
BVerfG Bundesverfassungsgericht.
BVerfGE Entscheidungen des Bundesverfassungsgerichts.
B.Y.I.L. British Yearbook oflnternational Law.
C.A. Cour d'arbitrage.
Cah. dr. eur. Cahiers de droit européen.
Cass. civ. Cour de cassation de France, arrêt de la chambre civile.
Cass. req. Cour de cassation de France, arrêt de la chambre des
requêtes.
C.E. Conseil d'Etat.
Ch. Chancery Division - English Law Reports.
CHESHIRE and NORTH G. CHESHIRE et P. NORTH, Private international law, Lon-
don, Butterworths, 11 e édition, 1987.
Chr. dr. soc. Chroniques de droit social.
C.I.J. Recueil Recueil de la Cour internationale de Justice.
C.J.C.E. Cour de justice des Communautés européennes.
C.jud. Code judiciaire (loi belge du 10 octobre 1967).
Clunet Journal du droit international (fondé par Clunet).
C.M.L.R. Common Market Law Review.
Codip Code de droit international privé (belge).
Communicazioni e studi Communicazioni e Studi dell' Istituto di diritto inter-
nazionale e straniero (Milano).
Cours I.H.E.I. Cours de l'Institut de Hautes Etudes Internationales
(Université de Paris).
C.P.J.I. Recueil Recueil de la Cour permanente de Justice internatio-
nale.
INDEX DES ABRÉVIATIONS 9

C. trav. Cour du travail.


D. Recueil Dalloz, périodique et cnt1que de jurispru-
dence, de législation et de doctrine.
D.A.O.R. Droits des affaires - Ondernemingsrecht.
D.C.C.R. Droit de la consommation - Consumentenrecht.
D.E.T Droit européen des transports.
Dir. internazionale Diritto internazionale, rivista trimestriale di dottrina e
documentazione.
Div. Act. Divorce, actualité juridique, sociale et fiscale.
D.L.R. Dominion Law Reports.
D.P. Recueil périodique et critique Dalloz.
D.P.C.I. Droit et pratique du commerce international.
O.S. Recueil Dalloz-Sirey.
Eches. J ourn. Echtscheidingsjournaal.
EGBGB Einführungsgesetz zum Bürgerlichen Gesetzbuch.
E.R. English Reports.
ERAUW J. ERAUW, Beginselen van internationaal privaatrecht, Gand,
Story-Scientia, 1985.
F. Federal Reporter.
F. Supp. Federal Supplement.
Gaz. Pal. Gazette du Palais.
German Yb. German Yearbook oflnternational Law.
Giur. Cast. Giurisprudenza Costituzionale.
Giur. it. Giurisprudenza italiana.
GRAULICH P. GRAULICH, Principes de droit international privé - Conflit
de lois, conflit de juridictions, Paris, Dalloz, 1961.
I.C.L.Q. International and Comparative Law Quarterly.
I.L.M. International Legal Materials.
Inc. Law. Rep. International Law Reports.
IPRax Praxis des Internationalen Privat- und Verfahrens-
rechts.
IPRspr Die deutsche Rechtsprechung auf dem Gebiete des
internationalen Privatrechts.
Iran-U.S.C.T.R. Iran-United States Claims Tribunal Reports (Cam-
bridge, Grotius Publ.).
IRDI Intellectuele rechten - Droits intellectuels.
].C.B. Jurisprudence commerciale de Belgique.
J.Cl., fasc. Jurisclasseur de droit international, fascicule n ° ...
10 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ

J.C.P. Jurisclasseur périodique - La Semaine juridique.


Jherings J ahrbücher Jherings Jahrbücher für die Dogmatik des heutigen
romischen und deutschen Privatrechts.
J.L.M.B. Revue de jurisprudence de Mons, Liège et Bruxelles.
J.O. Journal officiel.
J.O.C.E. Journal officiel des Communautés européennes.
Journ. proc. Journal des procès.
J.T. Journal des tribunaux.
J.T.D.E. Journal des tribunaux. Droit européen.
J.T.T. Journal des tribunaux du travail.
Jur.Anv. Jurisprudence du Port d'Anvers.
Jur. comm. Belg. Jurisprudence commerciale de Belgique.
Jur. comm. Brux. Jurisprudence commerciale de Bruxelles.
Jur. dr. soc. Jurisprudence de droit social.
Jur. Liège. Jurisprudence de Liège.
Jur. trav. Brux. Jurisprudence des juridictions du travail de Bruxelles.
J.W. Juristische Wochenschrift.
K.B. Kings Bench English Law Reports.
K.B.D. Kings Bench Division English Law Reports.
KOSTERS-DUBBINK J. KosTERS et C. DuBBINK, Algemeen deel van het Nederland-
se Internationaal Privaatrecht, Haarlem, Bohn, 1962.
L. and Contemp. Probl. Law and contemporary Problems.
LAURENT F. LAURENT, Le droit civil international, Bruxelles, Bruy-
lant et Paris, Marescq, t. 1 à 5, 1880, t. 6 à 8, 1881.
Le contrat international Le contrat économique international - Stabilité et
évolution, Bruxelles, Bruylant, 1975.
L. Ed. Lawyers Edition, United States Supreme Court
Reports.
LEREBOURS-P!GEONNIÈRE P. LEREBOURS-PIGEONNIÈRE et Y. LOUSSOUARN, Précis de
et LOUSSOUARN droit international privé, Paris, Dalloz, 1970, repris par
LOUSSOUARN et BOUREL.
LEWALD H. LEWALD, « Règles générales des conflits de lois -
contributions à la technique du droit international
privé», Recueil des cours (1939), vol. 69, pp. 1-147.
Limb. Rechtsl. Limburgs Rechtsleven.
L.J. Law Journal.
Lloyd's Rep. Lloyd's Reports.
LOUSSOUARN, BOUREL Y. LOUSSOUARN, P. BOUREL et P. DE VAREILLES-SOMMIÈRES,
et DE VAREILLES-SOMMIÈRES Droit international privé, Paris, Dalloz, 2004.
INDEX DES ABRÉVIATIONS 11

L.R. Law Review.


L.Q.R. Law Quarterly Review.
MAURY J. MAURY, « Règles générales des conflits de lois»,
Recueil des cours (1936), vol. 57, pp. 325-570.
MAYER et HEUZÉ P. MAYER et V. HEUZÉ, Droit international privé, Paris,
Montchrestien, 2004.
MELCHIOR G. MELCHIOR, Die Grundlagen des deutschen internationa-
len Privatrechts, Berlin & Leipzig, W. Gruyter, 1932.
Monit. Moniteur belge.
N.E. North Eastern Reporter, National Reporter System.
Nederl.Jur. N ederlandse J urisprudentie.
Nederl. Jurbl. N ederlands J uris tenb lad.
NeueJur. Woch. Neue juristische Wochenschrift.
NEUHAUS P. H. NEUHAUS, Die Grundbegriffe des internationalen Pri-
vatrechts (Beitrdge zum ausldndischen und internationalen
Privatrecht, 30), Berlin, W. De Gruyter, 1962 (2e éd.
1976).
NIBOYET J. P. NIBOYET, Traité de droit international privé français,
Paris, Sirey, 2e éd. 1947-1951, 1960: Tables par
P. FRANCESCAKIS.
N.I.L.R. Netherlands International Law Review.
N.J.W. Nieuw Juridisch Weekblad.
Nouv. Rev. dr. int. Nouvelle revue de droit international.
N.S.W.R. New South Wales Reports.
OAG Oberappellationsgericht.
OGH Oberster Gerichtshof.
O.R. Ontario Reports.
0 s terr. J uris tenzei tung 0 s terreichische J uris tenzei tun g.
P. Probate Division, English Law Reports.
Pas. Pasicrisie belge.
Pasin. Pasinomie.
Penant Recueil Penant - Revue de droit des pays d'Afrique.
POULLET P. POULLET, Manuel de droit international privé belge,
Bruxelles, Lib. Pée, 1947.
Pub. L. Public Law.
Q.B. Queens Bench, English Law Reports
R.A.A.C.E. Recueil des arrêts et avis du Conseil d'Etat de Belgique.
RabelsZ. Zeitschrift für auslandisches und internationales Pri-
vatrecht.
12 ÜROIT INTERNATIONAL PRIVÉ

R.A.B.G. Rechtspraak Antwerpen Brussel Gent.


Rec. Recueil de la jurisprudence de la Cour de justice des
Communautés européennes.
Rec. gén. enr. not. Recueil général de l'enregistrement et du notariat.
Rechtsk. Tijds. Rechtskundig Tijdschrift voor België.
Rechtspr. Week Rechtspraak van de Week.
Rec. Soc. J. Bodin Recueil de la Société Jean Bodin.
Recueil des cours Recueil des cours de l'Académie de droit international
de La Haye.
Recueil des Traités Recueil des Traités et accords internationaux enregis-
trés ou classés et inscrits au répertoire du Secrétariat
de l'O.N.U.
Rép. Dalloz Encyclopédie juridique Dalloz - Répertoire de droit
international.
Rép. de Lapradelle et Niboyet Répertoire de droit international par A DE LAPRADELLE
et]. P. NrnoYET.
Report Report of the Conference of the International Law
Association.
Rép. prat. droit belge Répertoire pratique de droit belge.
Rev. arbitrage Revue de l'arbitrage.
Rev. belge dr. intern. Revue belge de droit international.
Rev. crit. jur. belge Revue critique de jurisprudence belge.
Rev. dr. aff. int. Revue du droit des affaires internationales.
Rev. dr. comm. belge Revue de droit commercial belge.
Rev. dr. étr. Revue du droit des étrangers.
Rev. dr. fam. Revue de droit familial.
Rev. dr. int. et législ. comp. Revue de droit international et de législation compa-
rée.
Rev. dr. intern. Revue de droit international fondée en 1927 par A DE
LAPRADELLE et N. POLITIS.
Rev. dr. int. privé Revue de droit international privé.
Rev. dr. soc. Revue de droit social.
Rev. dr. ULB Revue de droit de l'Université libre de Bruxelles.
Rev. espan. der. int. Revista espafiola de derecho internacional.
Rev. eur. dr. pr. Revue européenne de droit privé.
Rev. fr. dr. aérien Revue française de droit aérien.
Rev. gén. Revue générale de droit international public.
Rev. gén. ass. resp. Revue générale des assurances et des responsabilités.
Rev. gén. dr. civ. Revue générale de droit civil.
INDEX DES ABRÉVIATIONS 13

Rev. Inst. Sociol. Revue de l'Institut de Sociologie.


Rev. int. dr. comp. Revue internationale de droit comparé.
Rev. Marché Commun Revue du Marché Commun.
Rev. not. belge Revue du notariat belge.
Rev. prat. not. Revue pratique du notariat belge.
Rev. prat. soc. Revue pratique des sociétés civiles et commerciales.
Rev. trim. dr. civ. Revue trimestrielle de droit civil.
Rev. trim. dr. comm. Revue trimestrielle de droit commercial.
Rev. trim. dr. eur. Revue trimestrielle de droit européen.
Rev. trim. dr. fam. Revue trimestrielle de droit familial.
Rev. trim. dr. h. Revue trimestrielle des droits de l'homme.
Revue Revue critique de droit international privé et Revue
critique de droit international.
RG Reichsgericht.
RGZ Entscheidungen des Reichsgerichts in Zivilsachen.
RrGAUX, Droit public F. RrGAUX, Droit public et droit privé dans les relations
et droit privé internationales, Paris, Pédone, 1977.
Riv. dir. civ. Rivista di diritto civile.
Riv. dir. intern. Rivista di dirito internazionale.
Riv. dir. int. priv. proc. Rivista di diritto internazionale privato e processuale.
Riv. dir. privato Rivista di diritto privato.
Riv. dir. pubblico Rivista di diritto pubblico.
R.J.D.A. Recueil de jurisprudence du droit administratif et du
Conseil d Etat.
R.O. Recueil officiel des décisions du Tribunal fédéral
SUlSSe.

RouN A. ROLIN, Principes de droit international privé et applica-


tions aux diverses matières du Code civil, Paris, Maresq,
1897, 3 vol.
R.W. Rechtskundig Weekblad.
S. Sirey, Recueil de jurisprudence et de législation.
SAVIGNY F. C. VON SAVIGNY, System des heutigen romischen Rechts, t.
VIII, Berlin, Veit und Camp, 1849.
S.C.C. Supreme Court of Canada.
S. Ct. Supreme Court Reporter - National Reporter System.
SCR Supreme Court Reports (Canada).
Soc. Eco. Wetg. Sociaal en economisch wetgeving.
Supr. Court ou Sup. Ct Arrêt de la Supreme Court (U.S.A.).
14 ÜROIT INTERNATIONAL PRIVÉ

Tijds. Not. Tijdschrift voor Notarissen.


T.L.R. Times Law Reports.
T.P.I.C.E. Tribunal de première instance des Communautés
européennes.
T.P.R Tijdschrift voor Privaatrecht.
Traité CE Traité instituant la Communauté économique euro-
péenne et actes annexes, signés à Rome le 25 mars
1957 (loi du 2 décembre 1957), avec les révisions suc-
cessives.
Trav. Comité fr. d.i.p. Travaux du comité français de droit international
pnvé.
Trib. féd. Tribunal fédéral (Suisse).
Trib. trav. Tribunal du travail.
T.R.V. Tijdschrift voor rechtpersoon en vennootschap.
U.S. United States Reports.
VANDERELST R. VANDER ELST, Droit international privé belge et droit con-
ventionnel international, t. 1er, Bruxelles, Bruylant, 1983.
VAN HECKE et LENAERTS G. VAN HECKE et K. LENAERTS, Internationaal privaatrecht,
Bruxelles, Story-Scientia, 1986.
VITTA E. VrTTA, Diritto internazionale privato, 3 tomes, Torino,
Unione Tipogr., 1972, 1973, 1975.
WENGLER W. WENGLER, « The general Principles of Private Inter-
national Law», Recueil des cours (1961), vol. 104,
pp. 273-465.
WESER et]ENARD M. WESER et P. JENARD, Droit international privé belge et
droit conventionnel international, t. II, Bruxelles, Bruylant,
1985.
W.W.R. Western Weekly Reports.
Yearbook PIL Yearbook of Private International Law.
Yearb. World Aff. Yearbook ofWorld Affairs.
AVANT-PROPOS

Il n'est pas inutile de rappeler brièvement la généalogie du présent ouvrage. En 1968 est
publié sous un format compact un Précis du droit international privé (650 p.). Une nou-
velle édition refondue et notablement plus ample était divisée en deux tomes, le premier
(1977) présentait la théorie générale (402 p.), le second (1979) intitulé Droit positif belge
était gros de 678 pages, l'édition suivante (1987 pour le tome I, 1993 pour le tome II)
augmentait encore le nombre de pages. À peu près vingt ans après, une mise jour deve-
nait indispensable. La matière du droit positif est, par nature, changeante mais avant de
considérer les raisons particulières qu'il y avait de publier la présente édition, il y a lieu
d'indiquer ce qui la distingue des précédentes. Une première différence est notable : la
condition des étrangers fera l'objet d'un volume séparé dont Jean-Yves Carlier a bien
voulu assumer la préparation. Cette matière a dès lors été séparée des conflits de juridic-
tions et des conflits de lois. En second lieu, la fusion de la théorie générale et du droit
positif a permis de faire l'économie de répétitions et de doubles emplois.
La récente entrée en vigueur du Code de droit international privé est la première jus-
tification d'une nouvelle présentation de cette matière. Mais ce n'est pas la seule. Les
sources du droit communautaire et la jurisprudence de la Cour de justice des Commu-
nautés européennes ont largement empiété sur le pré carré du droit étatique. Il ne s'agit
pas exactement d'un retour à l'universalisme du XIXe et du début du xxe siècle mais plu-
tôt d'une forme nouvelle du super-étatisme. Des principes nouveaux, érosion du critère
de la nationalité, primat des libertés communautaires fondamentales, se sont attaqués
au nationalisme des solutions traditionnelles de droit international privé. Il n'est pas cer-
tain que la citoyenneté européenne favorisera la constitution d'une Europe fédérale, de
ces Etats-Unis d'Europe que la pensée visionnaire de Victor Hugo apercevait à l'horizon.
Si le projet avait abouti, la Constitution européenne aurait sans doute été un pas dans
cette direction. Mais il faut avouer que les textes européens intéressant les spécialistes du
droit international privé rebutent par leur complexité et, trop souvent, leurs approxima-
tions, et qu'ils contribuent à donner une image très technocratique de l'Europe en forma-
tion.
Pour exposer et commenter de manière objective et critique les sources européennes
Marc Fallon était un guide indispensable, sans le savoir et la patience duquel le présent
ouvrage n'aurait pas été ce qu'il est. Non moins précieuse la contribution du professeur
Fallon à la présentation du Code de droit international privé à l'élaboration duquel il a
participé avec les membres d'autres Universités du pays et auquel il na pas cessé de croire
jusqu'à son complet achèvement. Pour la partie relative aux relations familiales il a béné-
ficié du concours de Jean-Yves Carlier. Les tables sans lesquelles un tel ouvrage serait inu-
16 ÜROIT INTERNATIONAL PRIVÉ

tilisable sont dues à Madame Bernadette Martin-Bosly, Chargée d'études documentaires


au Centre Charles De Visscher pour le droit international. Qu'elle en soit vivement
remerciée. Madame Rita Vandenplas-Cardon a aussi droit à la reconnaissance des auteurs
pour le travail de numérotage et de mise en page.

Louvain la Neuve, le 30 juin 2005


François RrGAUX
l

TITRE 1

,
DEFINITION DU DROIT,
INTERNATIONAL PRIVE
CHAPITRE 1

L'OBJET DU DROIT
INTERNATIONAL PRIVÉ
1.1 - Bibliographie générale
Seuls sont indiqués ci-dessous les traités et manuels usuels. D'autres ouvrages généraux, ainsi que
les Mélanges, figurent dans la liste annexée en fin d'ouvrage.

a) Belgique
I. D'HAEYER, Overzicht van Belgisch internationaal privaatrecht (Gand, Mys & Breesch, 1998) ; J. ERAUW,
Beginselen van internationaal privaatrecht (Gand, Story, 1985); P. GRAULICH, Principes de droit internatio-
nal privé (Paris, Dalloz, 1961); ID., Introduction à l'étude du droit international privé (Liège, Fac. droit,
1978); A. HEYVAERT, Belgisch internationaal privaatrecht, een inleiding (Gand, Mys & Breesch, 2001);
J. MEEUSEN, Nationalisme en internationalisme in het internationaal privaatrecht (Anvers, Intersentia,
1997); G. VAN HECKE et K. LENAERTS, Internationaal Privaatrecht (Gand, Story, 1989); R. VANDER ELST,
Droit international privé - Règles générales des conflits de lois (Rép .. notarial, Bruxelles, Larcier, 1990).

b) Autres pays
Outre les cours généraux de droit international privé enseignés à l'Académie de droit international
et publiés dans le Recueil des cours, voy. : B. ANCEL et Y. LEQUETTE, Grands arrêts de la jurisprudence fran-
çaise de droit international privé (Paris, Dalloz, 2001); A. ANTON et P. BEAUMONT, Private international
law: a Treatise from the standpoint of Scots law (Edimburgh, Green, 1990); B. AUDIT, Droit international
privé (Paris, Economica, 1999); T. BALLARINO, Diritto internazionale privato (Padova, Cedam, 1999);
H. BATIFFOL et P. LAGARDE, Droit international privé (Paris, LGDJ, t. I, 1993, t. II, 1983); W. BINCHI,
Irish conflicts oflaw (Abington, Professional Books, 1986) ; M. BOGUSLAVSKY, Private International Law:
the Soviet Approach (Dordrecht, Nijhoff, 1988); A. BRIGGS, Conflictoflaws (Oxford Univ. Press, 2002);
L. BRILMAYER, Conflict of laws (Boston, Little, Brown & Cy., 1995, 2e éd.); A. BUCHER et A. BoNOMI,
Droit international privé (Bâle, Helbing & Lichtenhahn, 2004); A.-L. CALVO CARAVACA et J. CARRAS-
COSA GONZALEZ, Derecho internacional privado (Grande, Comares, 2003), 2 vol.; D. CARREAU,
P. LAGARDE et H. SYNVET, Répertoire de droit international (Paris, Dalloz, 1998) ; J. CASTEL, Canadian
Conflicts of Laws (Toronto, Butterworths, 1994); J. COLLIER, Conflict of laws (Cambridge Univ. Press,
2001); L. COLLINS, Dicey and Morris on the Conflict of Laws (London, Sweet & Maxwell, 2000);
P. COURBE, Droit international privé (Paris, Dalloz, 2005) ; L. DE LIMA PINHEIRO, Direito internacional
privado (Coimbra, Almedina, 2002, 2003), 3 vol.; J. DoLLINGER, Direito internacional privado (Rio de
Janeiro, Renova, 1994); B. DUTOIT, Droit international privé suisse - Commentaire de la loi fédérale du
19 décembre 1987 (Bâle, Erweiterte Aufl., 2004) ; C. EMMANUELLI, Droit international privé québécois
(Montréal, Wilson & Lafleur, 2001); J. FERNANDEZ RozAS et S. SANCHEZ LORENZO, Curso de derecho
internacional privado (Madrid, Civitas, 1999); C. FoRSYTH, Private international law (Cape Town,Juta,
1990); GoLDSTEIN et GROFFIER, Droit international privé (Cowansville, Blais, 1998, 2003), 2 vol.;
J. GONZALEZ CAMPOS e.a., Derecho internacional privado (Madrid, Beramar, Eurolex, 1995), 2 vol.;
D. GUTMAN, Droit international privé (Paris, Dalloz, 2000) ; W. HAAK, Internationaal privaatrecht
20 L'OBJET DU DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ

(Deventer, Kluwer, 1994); H. HEIN! e.a., IPRG Kommentar (Zürich, Schulthess, 1993); A. JAFFEY,
Introduction to the conflict oflaws (London, Butterworths, 1997) ; F. JuENGER, Choice oflaw and multistate
justice (Dordrecht, Nijhoff, 1993); G. KEGEL et K. SCHURIG, Internationales Privatrecht (München,
Beck, 2003) ; F. KNOEPFLER et Ph. ScHWEIZER, Précis de droit international privé suisse (Berne, Stampfli,
1995) ;]. KROPHOLLER, Internationales Privatrecht (Tübingen, Mohr, 2004); Y. LoussouARN, P. BouREL
et P. DE VAREILLES-SOMMIÈRES, Droit international privé (Paris, Dalloz, 2004) ; McCLEAN, The conflicts of
laws (London, Sweet & Maxwell, 2000) ; P. MAYER et V. HEUZÉ, Droit international privé (Paris, Mont-
chrestien, 2005); F. MELIN, Droit international privé (Paris, Gualino, 2002); P. MEYER, Droit internatio-
nal privé burkinabé et comparé (Namur, éd. Boland, 1993) ; A. MEZGHANI, Droit international privé
(Tunis, Ceres, 1991); F. MoNÉGER, Droit international privé (Paris, Litec, 2001); R. MouRA RAMos,
Direito internacional privado e constituiçao (Coimbra, Limitada, 1991) ; P. NORTH et J. FAWCETT, Private
international law (London, Butterworths, 1999) ; P. NYGH, Conflict of laws in Australia (Sydney, Butte-
rworths, 1995) ; J. PEREZ DE ARRILUCEA, The conflicts of laws in the development of the Basque civil law (Bil-
bao, Graficas, 1999); P. P!CONE, La riforma italiana del diritto internazionale privato (Padova, Cedam,
1998); F. PocAR, Il nuovo diritto internazionale privato italiano (Milano, Giuffrè, 1997);]. PONTIER,
Conflictenrecht: grondslagen, methoden, beginselen en belangen (Nijmegen, Ars Aequi Libri, 1997); M.
SCHMIDT, Die Reform des japanischen Internationalen Privatrechts (Koln, Heymann, 1992) ; A. ScHNYDER
et M. L!ATOWITSCH, Internationales Privat- und Zivilverfahrensrecht (Zürich, Schulthess, 2000) ; F. ScHO-
KWEILER et J.-C. WIWINIUS, Les conflits de lois et les conflits de juridictions en droit international privé luxem-
bourgeois (Luxembourg, Bauler, 1997); F. ScHWIND, Internationales Privatrecht - Lehr- und Handbuch
(Wien, Manz Ver!., 1990); K. SIEHR, Internationales Privatrecht (Heidelberg, Müller, 2001); ID., Das
internationale Privarecht der Schweiz (Zürich, Schulthess, 2002) ; E. ScOLES, P. HAY, P. BoRCHERS et S.
SYMEONIDES, Conflict oflaws (St. Paul, West Pub!., 2004) ; H.-J. SONNENBERGER, Münchener Kommentar,
Band 7, Internationales Privatrecht (München, Beck, 1998); P. STONE, The conflicts oflaw (New York,
Longman, 1995) ; L. STRIKWERDA, Inleiding tot het Nederlandse internationaal privaatrecht (Deventer,
Kluwer, 2002) ; E. SYKES et M. PRYLES, Australian private international law (Sydney, Law Book Cy.,
1991); H. THUE, Internasjonal privatrecht (Oslo, Gyldendal, 2002); M. TILBURY, G. DAVIS et B. OPES-
KIN, Conflict oflaws in Australia (Oxford Univ. Press, 2002); R. VAN RoOIJ et M. PoLAK, Private interna-
tional law in the Netherlands (Deventer, Kluwer, 1987, suppl., 1995) ; T. VIGNAL, Droit international pn·vé
(Paris, Dalloz, 2005) ; C. VON BAR et P. MANKOWSKI, Internationales Privatrecht (München, Beck,
2003) ; B. VON HOFFMANN et K. THORN, Internationales Privatrecht (München, Beck, 2005) ; R. WEIN-
TRAUB, Commentary on the conflict of law (Mineola, Foundation Press, 2001); Xu GuoJJAN et H. VON
SENGER, Internationales Privat- und Zivilverfahrensrecht der Volksrepublik China (Zurich, Schulthess,
1994).

c) Mélanges
Les mélanges offerts aux auteurs suivants contiennent des études de droit international privé :
R. Ago (Milano, Giuffrè, 1987), M. Ance! (Paris, Pédone, 1975),J. Andrassy (La Haye, Nijhoff, 1968),
A. Audinet (Paris, PUF, 1968), L. Baudouin (Montréal, Presses Univ., 1974), J. Baugniet (Bruxelles,
ULB, 1976), J. Basdevant (Paris, Pédone, 1960), D. Bastian (Paris, Lib. Techn., 1974), G. Beitzke
(Berlin, de Gruyter, 1979), A. Bilmanis (Leyden, Sijthoff, 1968), W. Bosch (Bielefeld, Gieseking,
1976), F. Bouckaert (Leuven, Univ. Pers, 2000), M. Bride! (Lausanne, Impr. réunies, 1968), H. Capi-
tant (Paris, Dalloz, 1939), R. Cassin (Paris, Pédone, 1969-1973), J. Dabin (Bruxelles, Bruylant,
1963), R. Dalcq (Bruxelles, Larcier, 1994), A. De Luna (Madrid, CSIC, 1968), de Magalhaes Collaço
(Coimbra, Almedina, 2002), R. De Valkeneer (Bruxelles, Bruylant, 2000), M. Domke (La Haye,
Nijhoff, 1967), U. Drobnig (Tübingen, Mohr, 1998), G. Droz (La Haye, Nijhoff, 1996), B. Dutoit
(Genève, Droz, 2002), H. Ficker (Frankfort, Metzner, 1967), A. Fettweis (Bruxelles, Story, 1989), K.
Firsching (München, Beck, 1985), G. Flatter (Lausanne, Payot, 1985), Ch. Fragistas (Univ. Thessalo-
nique, 1967-1971),J.-P. François (Leyden, Sijthoff, 1959), L. Frédéricq (Gand, Fac. droit, 1965), W.
Ganshofvan der Meersch (Bruxelles, Bruylant, 1972), M. Giuliano (Padova, Cedam, 1989),J. Gold
(Heidelberg, Recht & Wirtschaft, 1990), V. Gothot (Liège, Fac. droit, 1962), L. Graulich (Liège, Fac.
droit, 1957), P. Graulich (Ann. Liège, 1988), M. Gutzwiller (Bâle, Helbing & Lichtenhahn, 1959),
P. Guggenheim (Genève, Fac. droit, 1968), P. Hébraud (Toulouse, Univ. Sciences sociales, 1981),
J. Heenen (Bruxelles, Bruylant, 1994), D. Holleaux (Paris, Litec, 1990), E. Jayme (München, Sellier,
2004), R.Jeanprêtre (Neuchâtel, Ides & Calendes, 1982), I.Joppe (Deventer, Kluwer, 2002), L.Julliot
L'OBJIT DU DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 21

de la Morandière (Paris, Dalloz, 1964), F. Juenger (Ardley, Transnational Pub!., 2001), Ph. Kahn
(Paris, Litec, 2000), Kayser (Aix, 1979), H. Kraus (Würzburg, Holzner, 1964), G. Kegel (Frankfort,
Metzner, 1978), Idem (Stuttgart, Kohlhammer, 1987), Idem (München, Beck, 2002), V. Knapp (Pra-
gue, Acad. tchécosl. des sciences, 1984), D. Kokkini-Iatridou (Dordrecht, Nijhoff, 1994), R. Kol-
lewijn et]. Offerhaus (Leyden, Sijthoff, 1962), E. Krings (Bruxelles, Story, 1991), M. Lachs (La Haye,
Nijhoff, 1984), P. Lagarde (Paris, Dalloz, 2005), P. Lalive (Bâle, Helbing & Lichtenhahn, 1993),
H. Lewald (Bâle, Helbing & Lichtenhahn, 1953), K. Lipstein (Heidelberg, Müller Ver!., 1980),
Y. Loussouarn (Paris, Dalloz, 1994), G. Lyon-Caen (Paris, Dalloz, 1989), E. Mahaim (Paris, Sirey,
1935), A. Makarov (Zeitschr. ausl. offentl. Recht und Volkerrecht, 1958), F. Mann (München, Beck,
1977), P. Marchal (Bruxelles, Larcier, 2003), G. Maridakis (Athènes, 1963-1964), J. Maury (Paris,
Dalloz, 1960), Merryman (Berlin, Duncker, 1990), G. Morelli (Communicazioni e studi, vol. XIV,
1975), Müller-Freienfels (Baden-Baden, Nomos, 1986), K. Neumayer (Baden-Baden, Nomos, 1985),
P. North (Oxford Univ. Press, 2002), T. Perassi (Milano, Giuffrè, 1957), A. Pillet (Paris, Sirey, 1929),
L. Raucent (Bruxelles, Bruylant, 1992), M. Rheinstein (Tübingen, Mohr, 1969), O. Riese (Karlsruhe,
Müller, 1964), F. Rigaux (Bruxelles, Bruylant, 1993), G. Ripert (Paris, LGDJ, 1950), H. Rolin (Paris,
Pédone, 1964), P. Roubier (Paris, 1961), Ch. Rousseau (Paris, Pédone, 1974), J. Rubbelin-Devichi
(Paris, Litec, 2002), J. Sanchez-Cosiva (Caracas, 1975), R. Savatier (Paris, Dalloz, 1965), G. Scelle
(Paris, LGDJ, 1950), C. Schmitthoff (Frankfort, Athenaum, 1973), A. Schnitzer (Genève, Georg,
1979), W. Schonenberger (Fribourg, Ed. univers, 1968), F. Schwind (Wien, Manzsche Ver!., 1993),
R. Secretan (Montreux, Corbaz, 1964), Seferiades (Athènes, Panteios An. Sch. Polit. Epist., 1961),
K. Siehr (La Haye, Asser Inst., 2000), E. Steindorff (Dordrecht, Nijhoff, 1990), G. Streit (Athènes,
Pyrsos, 1939), F. Sturm (Univ. Liège, 1999), M. Udina (Milano, Giuffrè, 1976), N. Valticos (Genève,
BIT, 2004), R. Vander Elst (Bruxelles, Nemesis, 1986),J. Verzijl (La Haye, Nijhoff, 1958), M. Verwil-
ghen (Ann. droit, 2003, n° 3), F. Vischer (Zürich, Schulthess, 1983), E. Vitta (Milano, Giuffrè,
1994), A. von Mehren (Ardsley, Transnational Pub!., 2002), A. von Overbeck (Fribourg, Ed. univ.,
1990), C. Voskuil (La Haye, 1992), H. Wehberg (Frankfort, Clostermann, 1956), P. Weill (Paris, Dal-
loz, 1983), W. Wengler (Berlin, Interrecht, 1973), M. Wolff (Tübingen, Mohr, 1952), J. de Yanguas
Messia (Rev. esp. der. int., 1972), H. Yntema (Leyden, Sijthoff, 1961), I. Zajtay (Tübingen, Mohr,
1982), P. Zepos (Achène, Katsikalis, 1973), E. Zitelmann (München, Duncker, 1913), K. Zweigert
(Tübingen, Mohr, 1981).

d) Périodiques

Outre les cours publiés dans le Recueil des cours de l'Académie de droit international, les périodiques sui-
vants publient régulièrement des documents intéressant le droit international privé : International
and Comparative Law Quarter/y (Royaume-Uni),]ournal du droit international - Clunet (France),]ournal
of Private International Law (Royaume-Uni), Praxis des internationalen Privat- und Verfahrensrechts -
IPRax (Allemagne), Revue critique de droit international privé (France), Revista espanola de derecho interna-
cional (Espagne), Rivista di diritto internazionale privato e processuale (Italie), Yearbook ofprivate internatio-
nal law (Inst. suisse dr. comp.), Zeitschrift für ausldndisches und offentliches Privatrecht - Rabels Zeitschrift
(Allemagne).

1.2 - Présentation - L'objet du droit international privé se détermine selon deux élé-
ments. D'abord, quant au champ social étudié, celui-ci couvre toute situation de carac-
tère international de nature à soulever une question de droit privé. Ensuite, l'objet se
démarque en fonction du type de traitement appliqué à cette question, lequel est centré
sur la gestion d'une pluralité de systèmes juridiques.
22 L'OBJET DU DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ

Section 1

La situation privée configurée


dans l'espace international
1.3 - L'espace et le temps - Les relations que nouent les acteurs sociaux ne sont pas des
instantanés figés dans le temps et dans l'espace. La dimension temporelle est trop pré-
sente pour passer inaperçue. Des personnes se marient pour mener une vie commune qui
se projette dans la durée, et la détermination du régime du patrimoine des époux est une
question qui se prolonge tant que dure la relation matrimoniale. Ou encore, une relation
contractuelle ne s'épuise pas au jour de sa conclusion, mais se poursuit tout au long de
l'exécution des prestations auxquelles les parties se sont engagées.
De même, un rapport de droit occupe nécessairement une portion de l'espace. Des
personnes ont dû se déplacer pour se rencontrer. Elles font circuler des biens, facteur de
richesse économique. Comme l'être humain construit sa propre histoire faite d'événe-
ments successifs, la relation est constituée d'éléments d'ordre spatial qui lui donnent
corps : une relation matrimoniale se noue en un lieu déterminé, les époux vivent en un
autre lieu, la dissolution intervient en un troisième lieu. Ou encore, un contrat a été con-
clu en un lieu distinct de celui où les prestations seront exécutées, par des parties ne rési-
dant pas dans le même pays.

1.4 - Une pluralité de systèmes juridiques - De la nature spatio-temporelle d'une rela-


tion découlent deux espèces de conflits entre normes juridiques.
Dans le temps d'abord: la règle évolue, de sorte que, par exemple, le droit en vigueur
au jour de la conclusion d'un mariage ou d'un contrat peut s'être modifié au moment de
la dissolution ou de la résiliation. Ce facteur prend aujourd'hui une ampleur telle que
nul ne saurait prétendre à une pétrification de la règle applicable à une relation détermi-
née. Aussi la prise en compte de la dimension temporelle du droit s'impose-t-elle à toute
relation construite pour durer.
Dans l'espace, ensuite: la prise en considération de la dimension spatiale d'une rela-
tion est moins évidente. Après tout, la plupart des époux vivent et meurent dans le pays
où ils se sont mariés, ce pays même où ils sont nés. D'innombrables contrats sont exécu-
tés dans le pays où ils ont été conclus. Tant que l'espace dans lequel la relation se localise
est juridiquement unifié, il ne paraît pas nécessaire d'assigner une localisation précise à
chacun de ses éléments constitutifs.
Il en va autrement si la relation se compose d'éléments configurés dans des pays dis-
tincts. La raison tient à la pluralité des ordres juridiques.

1.5 - Un cas type - Un Italien qui exploite des maisons de prostitution à Londres recrute
à Bruxelles une jeune Belge à laquelle il feint de promettre le mariage. Dès qu'ils sont arri-
vés au Royaume-Uni, il lui fait conclure un mariage avec un autre homme ayant la natio-
nalité britannique et qu'elle ne reverra jamais. Ainsi protégée contre l'expulsion dont elle
aurait été menacée en raison de ses activités, elle acquiert la confiance du patron des mai-
sons de débauche. Quand celui-ci est exposé à des poursuites en Angleterre, il fuit avec
elle en Italie où ils se marient. L'époux meurt durant la nuit de noces.
LA SITUATION PRIVÉE CONFIGURÉE DANS L'ESPACE INTERNATIONAL 23

Le défunt laissait une considérable fortune immobilière en Angleterre, mais les pré-
tentions de la veuve sont combattues par les frères du défunt qui allèguent la nullité de
leur union pour vice de bigamie.
Le tribunal anglais auquel la veuve s'adresse pour faire constater la nullité du pre-
mier mariage rejette la demande. La même action est ensuite intentée en Belgique et
aboutit à l'annulation de cette union en raison de son caractère fictif
■ Sur ce cas, voy.: Gand, 26 avril 1973, R W. (1973-1974), col. 1886.

1.6 - Une perméabilité des systèmes - Ce cas illustre la dimension spatiale d'une situa-
tion de vie inspirant le mobile de la conclusion d'un mariage tenu pour valable dans un
pays, déclaré nul dans un autre pays.
C'est parce qu'une personne risque, en sa qualité d'étrangère, d'être expulsée du ter-
ritoire d'un État, qu'elle contracte mariage avec une personne ayant la nationalité de cet
État. Et c'est en raison de l'existence de cette première union qu'elle se déplace ensuite
dans un autre pays pour y contracter, enfin, une union véritable. C'est aussi après que lui
a été refusée l'annulation du premier mariage dans le pays de la célébration, qu'elle sou-
met une nouvelle demande dans son pays d'origine.
Assurément, de telles tribulations lui auraient été épargnées si elle avait pratiqué la
profession de son choix dans son pays d'origine ...
Le mobile trouve son explication dans la pluralité des systèmes juridiques. Cette plu-
ralité induit en premier lieu un phénomène de dépeçage de la situation de vie. C'est très
explicitement que la personne a cru pouvoir introduire une action dans son pays d'ori-
gine pour le motif que l'effet obligatoire du jugement britannique serait circonscrit dans
les limites du système juridique britannique. En raisonnant ainsi, le sujet de droit a par-
faitement perçu la réalité du relativisme juridique : qu'un mariage soit déclaré valable
dans un État n'empêche pas qu'il puisse être annulé dans un autre. C'est tirer parti d'un
cloisonnement entre les systèmes juridiques étatiques.
Dans l'exemple proposé, c'est toutefois le principe d'effectivité qui l'emportera: le
jugement porté sur la situation internationale dans l'ordre juridique anglais comman-
dera les conditions de dévolution successorale d'immeubles situés à Londres.
À y regarder de plus près cependant, pareille pluralité n'exclut pas toute relation
fonctionnelle entre les systèmes. Devant le tribunal belge, le demandeur n'hésite pas à
faire établir, à la fois, la validité du mariage conclu en Italie et la nullité du mariage con-
clu au Royaume-Uni. Dans l'un et l'autre cas, il est demandé à une autorité étatique de se
prononcer sur un acte public passé dans un autre État. N'y a-t-il pas quelque paradoxe à
compter sur les limites territoriales de l'effet d'une décision étrangère tout en admettant
qu'effet puisse être donné à un acte étranger?
Le paradoxe n'est qu'apparent. En effet, le« droit international privé» permet aussi
bien de reconnaître que de rejeter la force obligatoire d'une décision étrangère, comme de
se prononcer sur la validité d'un acte ou d'un fait passé à l'étranger.
1.7 - Une situation internationale - Le caractère « international » de la situation choisie
comme exemple est aisé à comprendre : entendue comme un complexe de faits formé de
deux mariages conclus dans des pays distincts, différents du pays d'origine de la protago-
niste, la situation comprend maints éléments d'extranéité, qui constituent autant de
liens rattachant celle-ci à l'un ou l'autre État. Et c'est précisément l'existence de ces élé-
24 L'OBJET DU DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ

ments d'extranéité qui fait surgir une difficulté spécifique que ne connaît pas le règle-
ment d'une situation interne, à savoir la détermination de la portée qu'il convient
d'attribuer à un acte, un fait ou une décision intervenus à l'étranger.
En ce sens, il y a place pour un corps de règles qui se prononcent sur de telles ques-
tions. Aussi, cette branche du droit mérite le qualificatif« international», sous l'angle au
moins de son objet, à savoir une situation présentant des points de rattachement avec
plus d'un système étatique.

1.8 - Une situation privée -Alors que la situation décrite attire surtout l'attention par
une dimension internationale fortement marquée, elle paraît plus banale, en revanche,
sous l'angle des intérêts en cause. Ceux-ci opposent des particuliers, à propos d'un litige
ayant pour centre de gravité une dévolution successorale. Il est banal qu'une personne allè-
gue la qualité de conjoint survivant pour faire valoir un droit sur la succession du défunt.
Les relations« privées» qui constituent l'objet propre d'une branche du droit, appelée
elle-même « droit international privé», ne se laissent pas identifier par la subdivision du
droit étatique qui les régit. Non seulement la distinction dogmatique entre droit public et
droit privé est élusive, mais si on qualifie le premier par la fonction dévolue à des organes de
l'autorité publique, ceux-ci ne sont pas absents de la sphère des relations privées.
Ill La célébration des mariages, les formalités de publicité immobilière, l'enregistrement des mar-
ques et des brevets, le contrôle des sociétés commerciales et la surveillance des activités financières,
le droit de la concurrence, la lutte contre les délits d'initiés et le blanchiment d'argent, la protection
des consommateurs, l'inspection des lieux de travail, autant de secteurs des relations sociales dans
lesquels toute distinction franche entre le droit public et le droit privé apparaît de moins en moins
praticable.

Aux secteurs traditionnels d'administration publique des relations privées (droit


familial, propriété immobilière, droits intellectuels) se sont ajoutées de larges parties du
droit des contrats et de l'exercice des professions «indépendantes» soumis à des régle-
mentations administratives.
C'est sous le bénéfice de ces précisions que l'objet du droit international privé peut
être défini par la nature « privée » des relations appréhendées par cette branche du droit.

1.9 - « En matière civile ou commerciale» - Le qualificatif« privé» a une portée plus


étendue que l'adjectif« civil». Le droit civil a souvent une acception plus restrictive, par
opposition au droit commercial. Les notions de « droit privé » et de « relation privée »
couvrent indifféremment la matière civile et la matière commerciale. Les traités interna-
tionaux tendent à désigner leur objet par l'expression « matière civile et commerciale»
plutôt que par celle de« droit privé».
Un exemple significatif peut être trouvé dans le règlement 44/2001 du Conseil du
22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions « en
matière civile et commerciale » (voy. infra, n ° 8.6). Le texte ne définit pas autrement
l'expression que par une exclusion, non limitative, des« matières fiscales, douanières ou
administratives». Selon l'interprétation qui en est donnée (C.J.C.E., aff. 29/76,
14 octobre 1976, Eurocontrol, Rec., 1976, 1541, Revue, 1977, 772, note G. DRoz), il y a lieu
de se référer aux « éléments qui caractérisent la nature des rapports juridiques entre les
parties au litige ou l'objet de celui-ci». Ceci ne conduit pas à exclure nécessairement
toute relation entre une autorité publique et une personne privée, mais bien toute rela-
tion où une partie« agit dans l'exercice de la puissance publique».
LE DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ, ÉPICENTRE D'UN CONFLIT DE SYSTÈMES JURIDIQUES 25

Indépendamment de la difficulté de circonscrire exactement le critère de l'exercice


de la puissance publique, la définition accorde plus d'importance à l'intérêt en jeu qu'à la
qualité des parties en cause. En d'autres termes, ne relèverait pas de la matière civile une
relation entre particuliers, dès que l'un d'eux agit dans l'exercice de la puissance publi-
que, comme ce pourrait être le cas d'un litige opposant le propriétaire d'un véhicule à un
garagiste étranger à propos de la manière dont celui-ci s'est acquitté d'une prestation de
contrôle technique.
1111Sur l'activité de contrôle technique, mais pour les seuls besoins de l'application du traité CE,
dont l'article 45 exclut du domaine des libertés d'établissement et de prestation de services « les
activités participant [... ], même à titre occasionnel, à l'exercice de l'autorité publique», voy. :
C.].C.E., aff. C-55/93, 5 octobre 1994, Van Schaik, Rec., 1994, 1-4837.
1111La nécessité d'une définition de la« matière civile et commerciale» apparaît aussi à propos de
certaines Conventions de La Haye, notamment la Convention du 15 novembre 1965 relative à la
signification et la notification à l'étranger des actes judiciaires et extrajudiciaires en matière civile
ou commerciale (voy. infra, n ° 8.40). Pour un cas intéressant la récupération d'une dette de sécurité
sociale par l'organisme institué par la loi, voy.: Cass., 30 septembre 1985, Pycke, Pas. (1986), 1, 89,
concluant à l'inclusion, malgré l'interprétation qui se laisse déduire des travaux préparatoires.
Ceux-ci, qui évoquent l'exclusion d'actes « en matière pénale, administrative ou fiscale» (Actes et
documents de la dixième session, t. III, 79), se réfèrent au sens donné à l'expression dans la Convention
internationale relative à la procédure civile, du 17 juillet 1905, dont les travaux préparatoires évo-
quent l'affectation des« intérêts privés», ou une demande relevant« normalement» des tribunaux
civils (Actes et documents, 1904, p. 84). Autre chose est d'estimer que le système conventionnel puisse
être étendu à d'autres matières que celles qui appartiennent à son objet, par exemple pour le motif
que la signification d'un acte judiciaire à l'étranger à une personne privée ne soulève pas d'autre
difficulté qu'à propos d'un litige proprement civil.
Il En Belgique, le Code de droit international privé désigne son objet par référence à la« matière
civile et commerciale» (art. 2), sans définir la notion. L'exposé des motifs de la proposition de loi
(Doc. pari., Sénat, 2003-2004, n ° 3-27/1) évoque l'utilisation de termes analogues dans la loi suisse
sur le droit international privé.

Section 2
Le droit international privé,
épicentre d'un conflit de systèmes juridiques
§ 1 LA PLURALITÉ DES ORDRES JURIDIQUES
1.10 - Le droit international privé, subdivision du droit étatique - La dispersion géo-
graphique des éléments constitutifs d'un rapport juridique, les frontières qui les séparent
les uns des autres et le monopole de l'exercice de la contrainte organisée que les États se
sont réservé sur l'étendue de leur territoire confèrent aux autorités et aux juridictions
étatiques un rôle majeur dans le règlement des relations privées « internationales » ou
« transfrontières ». Avant de vérifier dans quelle mesure le droit international privé est
une branche du droit étatique (voy. infra, n ° 1.20) et quelles sont ses méthodes propres
(voy. infra, section 4), il y a lieu de considérer le rôle de systèmes juridiques autres que les
multiples ordonnancements étatiques.
Certains États ont conclu des traités par lesquels ils limitaient leur compétence ou
en transféraient l'exercice à des autorités conventionnellement instituées par eux. Il s'agit
d'une politique particulièrement active dans l'espace géographique européen, d'abord
26 L'OBJET DU DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ

par l'institution du Conseil de l'Europe (Traité de Londres du 5 mai 1949), ensuite par le
Traité de Paris du 18 avril 1951, instituant la Communauté européenne du charbon et de
l'acier (CECA), puis par le Traité de Rome du 25 mars 1957, instituant la Communauté
économique européenne (CEE), suivi d'autres actes internationaux approfondissant
l'intégration européenne. Ces deux séries d'instruments se caractérisent par l'institution
d'un ordonnancement nouveau ayant une vie propre, normative et juridictionnelle, dont
l'autonomie concurrence celle des ordonnancements étatiques qui, en cas de conflit, doi-
vent céder devant la force obligatoire des ordres juridiques européens.
■ Ainsi, la Communauté européenne est vue, par la Cour de justice des Communautés européen-
nes, comme« un nouvel ordre juridique de droit international, au profit duquel les États ont limité
[... ] leurs droits souverains» (C.J.C.E., aff. 26/62, 5 février 1963, Van Gend & Loos, Rec., 1963, p. 1).
De plus, cet « ordre juridique propre», « intégré au système juridique des États membres»,
s'impose à leurs juridictions : le droit communautaire se voit reconnaître une « prééminence»;
« issu d'une source autonome, [il ne pourrait,] en raison de sa nature spécifique originale», se voir
opposer une règle nationale (C.J.C.E., aff. 6/64, 15 juillet 1964, Costa c. ENEL, Rec/, 1964, p. 585).
Non moins notables mais d'une nature toute différente apparaissent les ordonnan-
cements institués en marge des États et qu'on peut qualifier de transnationaux parce que
leurs protagonistes s'efforcent de soustraire à l'exclusivisme étatique des activités qui
transcendent les frontières nationales.
Ces divers systèmes juridiques ne seront considérés que dans la mesure où ils ont
une incidence sur le droit international privé proprement dit.
1.11 - Étiolement des concepts de nationalité et de territorialité - La nationalité et la
territorialité sont deux concepts communs au droit international et au droit internatio-
nal privé. Traditionnellement, ils occupent une place centrale dans le règlement des con-
tentieux transfrontières de droit privé (voy. infra, section 4). Cependant, les nouvelles
formes de coopération internationale ont eu pour effet de combattre les discriminations
liées à la nationalité des personnes (tant morales que physiques) et, par conséquent,
d'affaiblir la fonction du concept de nationalité. Unifiant un espace économique, le Mar-
ché commun a dû vaincre les résistances nationales, garantir la libre circulation des per-
sonnes et des biens et, en ce qui concerne les premières, poser en principe l'assimilation à
un national de chaque État membre des ressortissants des autres États membres. Ainsi la
nationalité a perdu une partie de sa pertinence, tout en demeurant significative au titre
de condition d'application du principe d'assimilation.
À la différence de la plupart des traités de réciprocité qui subordonnent à la qualité
de ressortissant d'un État contractant la jouissance des droits conventionnellement
garantis, la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamenta-
les impose aux États contractants de reconnaître« à toute personne relevant de leur juri-
diction les droits et libertés» qui y sont définis (art. 1er). Sans doute l'idée de réciprocité
n'est-elle pas totalement absente puisque les États se sont engagés les uns vis-à-vis des
autres à respecter les droits et libertés énumérés dans la Convention. Mais « toute per-
sonne relevant de leur juridiction » désigne tous les êtres humains, quelles que soient
leur nationalité ou leur résidence et c'est en ce sens que la nationalité ne retrouve de per-
tinence que pour asseoir la volonté du maintien de mesures exceptionnelles à l'égard des
étrangers (notamment dans l'article 5, paragraphe 1er,f, ou dans l'article 16).
Les instruments d'intégration européenne ne sont pas non plus sans incidence sur
l'assiette territoriale du pouvoir: ils tendent à la formation d'un territoire élargi, sans que
LE DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ, ÉPICENTRE D'UN CONFLIT DE SYSTÈMES JURIDIQUES 27

l'origine nationale d'un bien ou d'un produit ait perdu toute pertinence. En revanche, les
formes variées d'ordonnancements transnationaux s'efforcent de s'affranchir de la con-
currence des pouvoirs étatiques pour établir, indépendamment de ceux-ci - et des terri-
toires qu'ils régissent - des procédés autonomes de régulation juridique.

A. Le droit international
1.12 - La tradition du droit des gens - Régissant une société particulière, celle que les
États forment entre eux, le droit international ne saurait se désintéresser des relations
entretenues par leurs sujets respectifs. Ce n'est certes pas à dire que l'ordre juridique
international procure directement des règles partageant les compétences législatives,
juridictionnelles et administratives entre les différents États. Les normes qu'on peut y
trouver sont plutôt de nature prohibitive : elles disent assez clairement ce que l'État ne
peut pas faire sans porter atteinte à la compétence propre des autres États. Par exemple,
faire procéder par ses forces de police à une arrestation sur le territoire d'un autre État,
s'y emparer d'un bien ou d'un instrument de preuve qui y est localisé, ou encore exercer
un acte de poursuite contre une personne bénéficiant d'une immunité pénale en raison
de sa fonction (Cour internationale de justice, 14 février 2002, Affaire relative au mandat
d'arrêt du 11 avril 2000-République démocratique du Congo c. Belgique,]. T, 2002, 282).

À ses origines branche du droit naturel, le droit des gens (ius gentium) ne traçait pas
une séparation rigoureuse entre la sphère publique et la sphère privée, et jusqu'au milieu
du XIXe siècle la doctrine anglo-américaine incluait dans le law of nations la réglementa-
tion des rapports entre individus relevant d'États différents.
■ Pour les références, voy. notamment: F. RIGAUX, « lus communicationis et droit international
privé», in La Escuala de Salamanca y el derecho internacional en America. Del pasado al futuro (Universitad
de Salamanca, 1993), 67-76; ID.,« D'un nouvel ordre international à l'autre», in Souveraineté et mar-
chés internationaux à la fin du 2(Y siècle (Dijon, Travaux du Credimi, vol. 20, 2000), 695-697.

On trouve un écho de cette ancienne doctrine dans un arrêt de la Cour de cassation


du 6 août 1852 (de Terwangne, Pas. 1853, I, 155), considérant en matière de statut person-
nel, que,« suivant un usage introduit pour l'avantage mutuel des habitants d'États diffé-
rents afin de leur éviter les difficultés du conflit de leurs lois nationales, il est admis
généralement, surtout entre nations voisines et amies, que la personne et ses biens mobi-
liers sont régis par la loi de son domicile », et y voyant explicitement un « principe du
droit des gens». Cette conception s'exprime à un moment où l'interprétation multilaté-
rale de l'article 3 du Code civil n'est pas encore clairement acquise (voy. infra, n ° 3.44). La
référence au droit des gens paraît abandonnée, avec l'adoption de cette interprétation,
dès l'arrêt Bigwood de la Cour de cassation du 9 mars 1882 (Pas., 1882, I, 62).

1.13 - La conclusion de traités internationaux dans les matières de droit privé - Parfois
soutenu par les groupes de pression appropriés, l'intérêt des États pour une réglementa-
tion commune des relations privées transfrontières s'est manifesté par la conclusion de
nombreux traités touchant aux matières du droit privé et, de manière plus spécifique, du
droit international privé. On en trouvera un examen succinct dans la section consacrée
aux sources de la matière (chap. 2, sect. 2), et de multiples traités internationaux sont
cités lors de l'examen de questions particulières.
28 L'OBJET DU DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ

1.14 - Le devoir des États d'avoir un système de droit international privé - Même si le
droit international positif ne contient, en dehors de ses sources conventionnelles, guère
de règles autres que prohibitives, il peut être affirmé qu'il impose aux États l'obligation
d'avoir un système au moins embryonnaire de droit international privé. L'État qui s'y
refuserait se placerait en dehors de la communauté internationale. Encore intensifiée par
la mondialisation de l'économie, la circulation des personnes et des biens serait totale-
ment paralysée si, à chaque passage de frontière, l'État sur le territoire duquel pénètre
une personne ou un bien devait reconstruire selon ses seules règles de droit matériel
interne l'identité ou le statut de la personne, les modes d'appropriation et de transmis-
sion du bien.
Il existe une forme de« droit acquis» (notion qui fait l'objet de développements par-
ticuliers, infra, n ° 6.38) à la permanence du statut personnel et de la maîtrise des droits
patrimoniaux.

B. La protection internationale des droits de l'homme


1.15 - Incidence des droits fondamentaux sur le droit international privé - La Conven-
tion européenne s'appliquant à toute personne relevant de la juridiction d'un État con-
tractant a été, à de nombreuses reprises, invoquée par des personnes physiques n'ayant
pas la nationalité de l'État accusé d'avoir porté atteinte à un droit fondamental. La vic-
time d'une telle atteinte dispose d'un accès direct à la Cour européenne des droits de
l'homme et, sauf en ce qui concerne l'exception du non-épuisement des voies de recours
internes, cette action se distingue radicalement de la traditionnelle protection
diplomatique: c'est l'individu lui-même qui porte son action devant la juridiction inter-
nationale, il importe peu qu'il ait ou non la nationalité de l'État défendeur et la violation
du droit international dont cet État est accusé résulte de la transgression d'un des arti-
cles de la Convention dont le contenu matériel est souvent très proche des libertés garan-
ties par les constitutions nationales.
Le droit au procès équitable (Conv. art. 6), le « droit au respect de la vie privée et
familiale» (art. 8), le« droit de se marier et de fonder une famille selon les lois nationales
régissant l'exercice de ce droit» (art. 12) se réfèrent explicitement à des institutions de
droit interne, l'article 12 contenant même une référence implicite (par un simple procédé
de « signalisation ») au droit national régissant le mariage. Une condition minimale de
respect de la Convention interdit que l'étranger soit victime d'un déni de justice (art. 6) et
que les liens personnels constitués selon le droit du pays d'origine soient méconnus.
L'article 8 a donné lieu à une assez abondante jurisprudence à l'occasion de mesures
d'éloignement du territoire prises contre un étranger accusé de séjour illégal.
■ Pour les références voy. F. RIGAUX, « L'immigration : droit international et droits fondamen-
taux», in Les droits de l'homme au seuil du troisième millénaire, Mélanges en hommage à Pierre Lambert
(Bruxelles, Bruylanr, 2000), 693-722, spéc. 708-718.

La garantie du droit de propriété en vertu de l'article ier du Premier Protocole addi-


tionnel suppose, elle aussi, que les droits exercés sur un bien acquis hors du territoire
d'un État contractant et transporté sur ce territoire soient dûment reconnus.
L'insertion de concepts de droit civil interne (vie privée, vie familiale, mariage, pro-
priété) dans un traité international dont la terminologie s'est inspirée des constitutions
LE DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ, ÉPICENTRE D'UN CONFLIT DE SYSTÈMES JURIDIQUES 29

libérales du XVIIIe et du xrxe siècle confirme l'interpénétration du droit public et du


droit privé, incompatible avec une séparation tranchée de ces deux matières.

C. Le droit de l'Union européenne


1.16 - Impact des libertés garanties par les traités européens - Les libertés fondamen-
tales garanties par le traité CE - circulation des personnes et des biens, liberté des échan-
ges, liberté d'établissement et de prestation de services - seraient anéanties si leurs
titulaires devaient à chaque franchissement d'une frontière faire valoir selon chacune des
lois territoriales l'état de leur personne et la consistance de leurs biens. La garantie de ces
libertés renforce et précise dans le domaine économique couvert par le droit communau-
taire le principe déjà déduit de la Convention européenne des droits de l'homme.
Inhérente à l'instauration d'un espace partiellement affranchi des barrières fronta-
lières, la libre circulation des personnes et des biens s'est laissé transformer en thème ins-
pirateur des méthodes propres au droit international privé.
■ Sur les sources du droit communautaire, voy. infra, n° 2.27.

D. Les ordres juridiques transnationaux


1.17 - Notion d'ordre juridique transnational - Il existe des ordres juridiques non étati-
ques, qu'on peut qualifier de transnationaux parce qu'ils enjambent les frontières nationa-
les et comportent l'exercice régulier de compétences autonomes limitées. Les divers droits
religieux et notamment le droit canonique sont les plus traditionnels de ces ordres juridi-
ques. Le Comité international olympique et de nombreuses autres fédérations sportives
qui se qualifient elles-mêmes d' « internationales » se « localisent » dans cet espace trans-
national, espace idéal qui n'implique aucune implantation territoriale propre, même si les
actes particuliers accomplis par les organes de ces ordres juridiques requièrent la présence
de personnes physiques sur le territoire de l'un ou l'autre État, et sans qu'on néglige la
nécessaire localisation du siège de l'organisation sur le territoire d'un État déterminé.
Ce n'est qu'en les comparant au droit étatique, modèle exclusif de l'ordre juridique
selon les théories du droit les plus répandues, qu'on peut à la fois décrire les principaux
traits spécifiques de ces ordres juridiques transnationaux, par lesquels ils se distinguent
du droit étatique, et justifier la qualité d'ordre juridique qui doit leur être reconnue.
■ Sur les exemples, voy. : F. RIGAUX et R VANDER ELST, « Relations juridiques transnationales ou
Dialogue sur un autre droit»,]. T. (1982), 230-234; F. RIGAUX, « Les situations juridiques indivi-
duelles dans un système de relativité générale », Recueil des cours, vol. 213 (1989-1), 61-69.

1.18 - Effectivité du droit transnational - À première vue, l'ordre juridique transnatio-


nal ne dispose pas d'un pouvoir de contrainte physique. Dès lors, si on définit un système
juridique par l'exercice régulier d'un tel pouvoir sur un territoire exclusif(définition res-
trictive à laquelle demeurent attachés de nombreux théoriciens du droit), on se con-
damne à refuser toute qualité juridique aux systèmes privés de cet attribut. Mais il faut
s'apercevoir qu'on est alors conduit à refuser la même qualité à l'ordre juridique interna-
tional, lui aussi privé de territoire propre, lui aussi dénué de tout exercice immédiat de la
contrainte physique.
À la vérité, il n'est pas douteux que l'exercice régulier d'une forme de contrainte est
inséparable de la définition du droit, notamment si on veut distinguer ce type d'ordonnan-
30 L'OBJET DU DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ

cernent d'autres systèmes de règles de conduite, par exemple la morale, les mœurs, les usa-
ges mondains, le savoir-vivre. Toutefois, il existe des formes de contrainte autres que celles
qui sont exercées sur les biens (selon les voies d'exécution du droit procédural étatique, par
exemple les saisies) ou à l'égard des personnes (privation de liberté, peine de mort).
Bien loin d'être une anomalie ou une nouveauté, la forme de contrainte propre aux
ordres juridiques non étatiques est l'une des plus traditionnelles qui soient. Elle apparaît
en effet chez les populations nomades, et sa variété la plus brutale est l'exclusion du corps
social. L'homme ou la femme qui, dans une société primitive, est exclu du groupe et con-
damné à une vie solitaire, sans aucune protection sociale, est frappé d'une peine pire que
la prison et sans doute même que la mort. Dans les ordres juridiques transnationaux con-
temporains, la contrainte a un effet plus limité : celui qui contrevient aux règles sociétaires
est exclu du cercle de relations ou d'activités sur lequel le pouvoir transnational exerce un
contrôle exclusif. L'excommunication du fidèle, le boycott, la pratique du shunning dans
certaines confessions religieuses américaine, l'interdiction de participer à une compétition
sportive sont les exemples les plus connus d'une telle forme de contrainte.
1.19 - Emprise du droit transnational - La force de chaque ordre transnational résulte
de ce que ses frontières correspondent exactement aux limites du domaine matériel qui
lui est propre. À la différence du droit international, il a pour raison d'être l'élaboration
de normes adaptées à une catégorie particulière de situations privées internationales. Par
sa nature aussi, il se place en dehors du champ des ordres juridiques étatiques. Sans
doute l'État territorial pourrait-il interdire les activités ainsi réglées par des ordres juridi-
ques particuliers. Toutefois il a accepté de respecter certains droits et libertés fondamen-
taux - par exemple la liberté religieuse, le droit d'association, le droit de propriété, la
force obligatoire des contrats. De plus, eu égard au caractère transnational des ordres
juridiques particuliers, ceux-ci bénéficient d'une sorte de compétition entre les États.
Pour les extirper, il ne suffit pas de l'action unilatérale d'un seul État, il faudrait une
action convergente de tous les États, à laquelle la concurrence d'intérêts politiques et éco-
nomiques opposés a jusqu'ici fait obstacle.
Non seulement la plupart des États tolèrent l'action des pouvoirs transnationaux,
mais ils coopèrent avec ceux-ci: le C.I.O. négocie avec les États ou les autorités sportives
nationales l'organisation des jeux olympiques, les États concluent des concordats avec
l'Église ou accordent des subventions aux cultes reconnus, etc. Il arrive même que, de
manière indirecte, les ordres juridiques particuliers obtiennent le concours de la force
publique étatique pour la mise à exécution de leurs décisions : tel est notamment le cas
quand les organes d'un tel ordre juridique recourent à une institution du droit étatique,
le contrat, la propriété ou l'arbitrage.
111 Lors de la réunion du C.I.O. à Singapour en 2005, un chef d'État et le premier ministre d'un
autre État ont comparu devant les organes du C.I.O. pour soutenir la candidature d'une ville de
leurs pays respectifs à l'organisation des jeux de 2012.

§2 PLACE DU DROIT ÉTATIQUE PARMI LES AUTRES


ORDONNANCEMENTS JURIDIQUES
1.20 - La complétude de chaque système étatique - À la différence des ordonnance-
_ments transnationaux, multiples et sectoriels - il n'existe pas un droit religieux ni un
droit sportif, mais une galaxie d'ordonnancements particuliers-, chaque droit étatique
LE DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ, ÉPICENTRE D'UN CONFLIT DE SYSTÈMES JURIDIQUES 31

forme un système complet. Seul sujet primaire du droit international, l'État est aussi le
seul à disposer d'un ordonnancement juridique apte à soumettre tout comportement à
une règle assortie d'une sanction.
Cela suppose d'abord la présence, dans le système étatique, d'un ensemble de règles
qui embrassent la généralité des situations humaines, alors que le droit transnational,
sectoriel par son objet, n'apporte aucune réponse à des questions situées en dehors de ses
préoccupations. Le droit international public, aussi, présente ce caractère de généralité en
ce qui concerne les relations entre les États. Ce caractère implique que le silence lui-même
peut être constitutif de règle: en l'absence d'une norme de comportement spéciale, le
droit étatique comme le droit international sont aptes à renvoyer à une norme générale
de leur propre système, fût-ce une norme purement permissive.
Pour être opérationnel, le système juridique a également besoin d'un ensemble insti-
tutionnel. Les institutions de l'État moderne sont aptes aussi bien, en amont de la règle, à
créer le droit que, en aval, à en assurer l'application effective.
Le droit étatique bénéficie ainsi d'une double supériorité sur le droit international
public.
Sous l'angle normatif, il donne non seulement réponse à l'ensemble des questions
qu'une situation humaine est de nature à soulever, mais encore peut-il prétendre à énon-
cer une règle déterminant les relations du système étatique avec d'autres systèmes étati-
ques. De son côté, le droit international public, en son état actuel, n'est pas en mesure de
fournir réponse à toute question concernant une situation humaine, car tel n'est pas son
objet. En ce sens, comme le droit transnational, le droit international public présente un
caractère sectoriel.
Sous l'angle institutionnel aussi, le système étatique dispose non seulement de
l'ensemble des organes nécessaires à l'élaboration de la règle de droit, mais encore est-il
muni des moyens de contrainte qui en forcent l'application. Un tel moyen n'est certes pas
fermé en soi au droit international public, mais son développement, en dehors de l'éta-
blissement d'une force d'intervention, reste embryonnaire. Bien plus, c'est de l'État que le
droit international public a besoin, non seulement pour participer à l'élaboration de la
règle, mais encore pour contribuer à son application.
1.21 - Autonomie des ordres juridiques - L'État est, indépendamment de l'ordre juridi-
que international auquel il appartient, un système autonome de pouvoir. L'action de
l'État dans son ordre interne n'est que très partiellement et très sporadiquement contrô-
lée par l'ordre juridique international. Les compétences exercées par chaque État dans
son ordre interne ne dérivent pas d'un ordre juridique hiérarchiquement supérieur, le
droit international. Les compétences de l'État sont originelles, il ne s'agit pas tant d'affir-
mer, comme on l'écrit parfois, que l'organisation de l'État a précédé l'institution d'un
ordre juridique international, que de constater l'émergence simultanée d'ordres juridi-
ques distincts, le droit international et les différents droits étatiques. Les rapports de sys-
tème entre le droit international et les ordres juridiques étatiques ne présentent qu'une
analogie lointaine avec la structure d'un État fédéral. L'intégration des entités fédérées à
l'État fédéral est beaucoup plus profonde que ce qu'on appelle parfois la subordination
du droit interne au droit international.
L'autonomie implique que l'État définisse lui-même les critères d'appartenance à la
société qu'il régit. La nationalité qu'il attribue à ses ressortissants est, pour un État, le
32 L'OBJET DU DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ

principal de ces critères. Le droit étatique appréhende aussi les personnes, les biens, les
situations qui se localisent sur son territoire et il institue les organes de son propre fonc-
tionnement. Aucun ordre juridique ne saurait s'immiscer dans l'organisation d'un autre
système de droit, également autonome. La notion d'effectivité est celle qui donne son
expression la plus adéquate à cette limite inhérente à tout ordre juridique. Un État ne
saurait décider quels sont les fonctionnaires d'un autre État ni se prononcer sur la vali-
dité des actes administratits dans l'ordre interne même de cet État.
Ainsi énoncé, le principe doit être entendu correctement : il est loisible à tout ordre
juridique de déterminer quel est, pour son propre fonctionnement, le droit en vigueur
dans un autre ordre juridique, ou quels sont les effets d'un acte administratif ou d'un
jugement qui y a été accompli, mais c'est pour les besoins limités de son propre fonction-
nement et sans qu'il puisse porter atteinte - sinon par la violence - à la manière dont les
autres sociétés s'organisent elles-mêmes.

1.22 - Vision pluraliste du droit - La problématique du droit international pnve


appelle une vision pluraliste du droit. Visant essentiellement une situation transfron-
tière, c'est-à-dire se rattachant à plusieurs États, sa dynamique conduit à la reconnais-
sance des rapports entre des ordres juridiques particuliers soumis, chacun en ce qui le
concerne, à une cohérence propre sous un angle fonctionnel. Chaque société humaine se
construit de manière autonome, adoptant des règles et créant des institutions dont la
validité et la juridicité ne sauraient être évaluées de l'extérieur, par un autre ordre juridi-
que, sous la condition de ne pas enfreindre une règle prohibitive du droit international et
de se conformer aux obligations conventionnelles de l'État. Aussi l'appréhension d'un
système juridique par un autre système, étatique ou non, est-elle forcément relative.
Cette relativité se manifeste aussi à propos des relations que le droit étatique entre-
tient avec les ordres juridiques transnationaux.
Les acteurs sociaux qui instituent entre eux un système juridique obligatoire, par
exemple dans le secteur sportif ou commercial, le font en vertu de la liberté de s'associer,
de contracter, de disposer de leurs biens, que garantit le système étatique, et ils sont
nécessairement attentifs aux lois impératives ou d'ordre public étatiques exerçant un
contrôle effectif de leurs comportements. Ce respect du droit étatique s'impose, du point
de vue d'une société ainsi organisée, comme un fait irrésistible, non comme une recon-
naissance empreinte de juridicité. Une telle société entend bien jouir d'une pleine autono-
mie dans son organisation interne. Pourtant, le caractère très partiel de cette autonomie
place ces systèmes juridiques, dépourvus de territoire, dans l'ombre des droits étatiques.
De son côté, le système étatique peut prendre en considération comme un pur fait
un élément empreint de juridicité selon un système non étatique. Ainsi, une sentence
ecclésiastique de nullité de mariage ou de séparation de corps peut être invoquée au
cours d'une procédure en divorce, ou la célébration d'un mariage religieux nul selon la loi
civile peut donner lieu à la théorie du mariage putatif.
Il peut aussi aller plus loin, et recevoir des droits et obligations institués par un sys-
tème juridique non territorial. Ainsi appartient-il à l'État de fixer les conditions auxquel-
les une sentence arbitrale transnationale est susceptible de reconnaissance et d'exécution
dans son territoire, ou de décider dans quelle mesure les usages du commerce internatio-
nal peuvent déterminer les droits et obligations des parties à un contrat.
LE DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ, ÉPICENTRE D'UN CONFLIT DE SYSTÈMES JURIDIQUES 33

1.23 - Règlement national des conflits de systèmes - Deux des facteurs précités condui-
sent à affirmer que le droit international privé procède à la solution des conflits de systè-
mes au moyen de règles de caractère national. Ces facteurs sont l'inaptitude du droit
international à régler la globalité des situations humaines et l'autonomie institutionnelle
des systèmes étatiques.
La proposition comporte deux éléments, à savoir que le droit international privé
procède par désignation du système compétent, et qu'il a un caractère national.
L'objet essentiel porte sur la désignation d'une règle apte à emporter une décision
sur le fond de la question en cause. En cela, la problématique ne diffère pas de celle qui
caractérise la réponse à toute question juridique soulevée par une situation privée pure-
ment interne. Elle revêt pourtant une dimension particulière, puisque la multiplicité des
systèmes juridiques subordonne à une opération intermédiaire le choix de la règle maté-
rielle pertinente, alors qu'une telle désignation ne suscite pas d'autre difficulté, à propos
d'une situation purement interne, que celle qui serait issue d'une formulation imprécise
des diverses catégories juridiques du système national en cause.
En d'autres termes, la recherche d'une règle matérielle adaptée à une situation privée
internationale doit normalement conduire à la désignation de règles établies par un
ordre juridique étatique. Bien plus, la mise en œuvre d'une protection juridictionnelle
suppose le recours à une autorité étatique, tant que le système étatique dispose du privi-
lège de la complétude.
Ill!Pour reprendre l'exemple décrit ci-dessus (n ° 1.5), la validité du premier comme du second
mariage ne peut s'apprécier que par référence à un droit national, à savoir, si l'on se laisse guider
par le bon sens, l'un de ceux avec lesquels la situation présente l'un ou l'autre point d'attache, le
Royaume-Uni par le lieu de célébration du premier mariage et la nationalité d'un partenaire, l'Italie
par le lieu de célébration de la seconde union et la nationalité d'un partenaire, la Belgique par la
nationalité du partenaire aux deux célébrations. On voit aussi que c'est à des juridictions nationa-
les que la personne s'est adressée, tantôt anglaise, tantôt belge. Et l'une des questions centrales
revient à se demander si la saisine d'une juridiction nationale emporte aussi la désignation des
règles matérielles susceptibles de commander le fond de la cause.
Si l'on comprend le rôle privilégié des autorités étatiques, le concept d'autonomie
du système étatique emporte aussi que l'autorité saisie ne puisse que se référer à une
norme émanant du système auquel cette autorité appartient, appelé système « du for».
Ceci explique que la règle visant une situation privée internationale quant au fond ne
peut qu'avoir un caractère national. En d'autres termes, il y a un droit international privé
belge comme il y a un droit international privé français, allemand, etc.
Le droit international privé étant «national», on perçoit l'ambiguïté de l'épithète
«international». Les Allemands ou les Néerlandais l'ont compris, qui parlent plutôt de
Internationales Privatrecht ou de Internationaal Privaatrecht, expressions pouvant se traduire
par « droit privé international». Il faut remonter aux travaux de F. Laurent (1880) pour
trouver l'expression« droit civil international». Une telle inversion des épithètes suggère
que le droit international privé est international par son objet davantage que par sa
nature, ce qui n'exclut pas nécessairement qu'il puisse, quant à sa source, trouver encore
inspiration dans le droit international public.
1.24 - Le concept de« droit interne» - L'expression est trop familière aux internationa-
listes pour ne pas être définie avec précision. Or elle véhicule des acceptions différentes
qui ont suscité pas mal d'ambiguïtés et de confusions.
34 L'OBJET DU DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ

Selon un premier sens, le plus usuel dans la doctrine du droit international public,
« droit interne» s'oppose à « droit international» et désigne le droit étatique. L'ordre
juridique interne comprend de la manière la plus extensive l'ensemble formé par les nor-
mes et les institutions d'un État déterminé. Le droit international s'intéresse au fonction-
nement effectif d'un tel système, seul en mesure d'engager la responsabilité de l'État avec
lequel les juristes identifient l'ordre juridique interne.
C'est en droit international privé qu'apparaît une seconde acception du concept de
droit interne: celui-ci désigne parfois une partie seulement du droit national, celle qui
contient les règles directement applicables aux relations qui n'ont aucun caractère trans-
frontière ou dont les éléments étrangers ne sont pas pertinents pour la solution du litige.
La seconde acception a pour origine une constatation correcte : la majorité des rap-
ports juridiques réglés par un État n'ont pas d'attache avec aucun autre État. De tels rap-
ports ne suscitent aucune question de droit international privé et ils constituent la
prévision la plus usuelle de la quasi-totalité des lois et règlements de l'ordre étatique. Il
est correct d'appeler« droit matériel interne» ou« droit substantiel interne» l'ensemble
des règles conçues pour la vie juridique interne d'un État.

1.25 - Le concept d' « étranger» - En droit international pnve, la même expression


« droit interne » peut désigner encore le droit de l'État par référence auquel le juriste rai-
sonne. Le concept s'oppose alors à celui de « droit étranger», notion qui n'a pas de sens
en droit international public, tous les droits étatiques étant au même titre des systèmes
de droit interne. L'opposition « droit interne - droit étranger» est liée à la relativité du
droit international privé, dont la mise en œuvre s'inscrit nécessairement dans l'ordre juri-
dique propre à un État déterminé.
L'expression « droit interne» désigne ici l'intégralité d'un ordonnancement juridi-
que étatique, ce qui inclut ses règles de droit international privé. Cette acception met en
reliefle système juridique d'un seul État, qu'on appelle en droit international privé« !ex
fori ».
Ill L'expression « loi interne», qui, dans la plupart des conventions de La Haye postérieures à la
Seconde Guerre mondiale, désigne, dans le droit étranger désigné par la règle de conflit de lois du
for, le droit« matériel» interne à l'exclusion des règles de conflit de lois (voy. infra, n° 6.21), est
incorrecte puisqu'elle établit une confusion avec les deux premières acceptions de la même expres-
s10n.

L'épithète « étranger» ne qualifie pas seulement le «droit». Dès lors que le droit
international privé affecte les biens et les personnes, de même qu'il s'adresse à des autori-
tés étatiques, le clivage s'établit aussi entre le national et l'étranger, ou entre les autorités
ou juridictions nationales et celles qui relèvent d'autres États.

Section 3
Les divisions du droit international privé
1.26 - Le conflit de lois - L'expression « conflit de lois» se réfère de manière imagée à la
situation de l'acteur social participant à une relation transfrontière et qui, face à la plura-
lité des droits étatiques contenant des règles de droit matériel aux solutions discordan-
tes, s'interroge sur la manière de se conduire pour agir conformément au droit.
LES DIVISIONS DU DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 35

En un premier sens, l'expression désigne le caractère conflictuel des solutions res-


pectivement apportées à la même question de droit par différents ordres juridiques étati-
ques.
Une deuxième signification des mêmes termes évoque plutôt le modèle de solution
apporté au conflit lui-même : pour dépasser les différences entre les systèmes de droit
matériel interne, il faut poser des règles permettant de choisir entre ceux-ci - ce qui
explique l'expression choice oflaw en droit de common law. On appelle alors« règle de con-
flit de lois » une norme déclarant applicable à la situation transfrontière l'un des droits
nationaux auxquels se rattache la situation.
Cette subdivision du droit international privé en constitue le noyau, puisqu'elle
revient à formuler la réponse qu'il convient de donner sur le fond de la situation en
cause.
Elle montre aussi la spécificité de la matière car, par sa nature, elle suggère que la
relation transfrontière est apte à être régie par un droit« étranger», droit émanant d'un
système juridique autre que celui auquel appartient l'autorité saisie. Une telle éventualité
reste très hypothétique en dehors des relations qualifiées de privées. Que ce soit en droit
pénal, en droit fiscal, en droit social, en droit administratif, la détermination du droit
applicable à une relation transfrontière se réduit essentiellement à la fixation du
domaine d'application de la loi de l'autorité saisie. L'attribution d'un effet au « droit
public étranger » reste exceptionnelle. Ce constat est moins fonction de l'impossibilité
théorique d'envisager une telle application que du faible degré d'intégration de la com-
munauté internationale.
IllSur l'application du droit public étranger, voy. notamment: A. HUET, « Pour une application
limitée de la loi pénale étrangère», Clunet (1982), 625-659; P. MAYER,« Le rôle du droit public en
droit international privé», 38 Rev. int. dr. camp. (1986), 467-486; H. MurR WATT,« Globalisation des
marchés et économie politique du droit international privé», Arch. phi!. dr. (2003), 243-262.
1111Lors de sa session de Wiesbaden en 1975, l'Institut de droit international a fermement repoussé
l'idée que le droit public étranger n'est, comme tel, jamais appliqué: Annuaire, vol. 56, p. 550, et le
rapport du professeur LALIVE, ibid., 219-263.
1111L'intégration européenne ouvre de nouvelles perspectives à l'application du droit public étran-
ger, en raison du principe de reconnaissance mutuelle (voy. infra, n° 5 4.16 et 7.45).

1.27 - Les conflits d'autorités et de juridictions - Les conflits d'autorités et de juridic-


tions ont pour objet le fonctionnement des autorités et des juridictions de chacun des
États à propos de situations transfrontières, ainsi que l'efficacité des actes et des déci-
sions étatiques dans un ordre juridique autre que celui dont ils émanent.
Cette matière est, sous un angle fonctionnel, le complément de la précédente. Dans
l'ordonnancement juridique national appelé à résoudre le conflit de lois, on ne saurait
manquer de passer par le fonctionnement d'autorités et de juridictions.
Ill La présentation des règles générales des conflits d'autorités et de juridictions a lieu dans un titre
particulier, sous l'intitulé Droit judiciaire international (chap. 8 à 11).
La matière des oonflits d'autorités et de juridictions se subdivise elle-même autour
de trois questions: (a) la détermination de la compétence internationale et le fonctionne-
ment des autorités et des juridictions; (b) la coopération des autorités et des juridictions
appartenant à des États différents; (c) la reconnaissance et la mise à exécution des actes
publics et des décisions judiciaires étrangers.
36 L'OBJET DU DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ

a) Alors qu'en droit judiciaire interne on distingue compétence d'attribution et com-


pétence territoriale, la saisine d'une juridiction à propos d'une situation trans-
frontière soulève une question de compétence internationale, irréductible à la
compétence territoriale et à la compétence d'attribution car elle se pose en des ter-
mes différents: elle vise le pouvoir juridictionnel de l'État, c'est-à-dire de ses juridic-
tions considérées dans leur ensemble, au regard des limites que connaît ce pouvoir
en ce qui concerne son domaine matériel et son champ spatial.
IllÀ l'égard de certaines matières, les autorités et les juridictions d'un État sont privées de toute
compétence. Ainsi, les règles sur les privilèges et les immunités soustraient aux juridictions de
l'État auquel ceux-ci s'imposent la connaissance de litiges dont les principaux éléments appartien-
nent cependant au domaine spatial de compétence des mêmes juridictions.
1111Il existe aussi des compétences appartenant de manière exclusive à un seul État, tels le conten-
tieux de la nationalité là où il s'agit d'une action principale déclarative de la nationalité (voy. infra,
n ° 5.47) et le contentieux relatif à la validité de certains droits intellectuels (voy. infra, n ° 13.35).
Ill Le domaine spatial de compétence des autorités et des juridictions d'un État n'est pas illimité.
On retrouve ici les deux titres de compétence traditionnels en droit international, la personnalité et
la territorialité, auxquels s'ajoute la volonté des parties (voy. infra, sect. IV). Pour que l'organe d'un
État soit internationalement compétent, il faut que la situation transfrontière présente quelque
lien avec cet État.

b) Les autorités administratives et judiciaires, les juridictions elles-mêmes coopèrent


par-dessus les frontières. L'exemple le plus traditionnel est l'envoi de commissions
rogatoires par le juge d'un État au tribunal d'un autre État. Il serait contraire au
principe de l'égalité souveraine des États qu'une autorité étatique pût adresser une
forme d'injonction à l'autorité d'un autre État, sans l'accord préalable des deux
États.
c) Les actes publics (extraits de registres de l'état civil, actes notanes, extraits de
matrice cadastrale, diplômes et certificats divers) et les décisions judiciaires circulent
selon les besoins du commerce transfrontière. La troisième subdivision de la matière
des conflits d'autorités et de juridictions a pour objet l'efficacité des actes publics et
des décisions judiciaires étrangers.
1.28 - Le conflit de nationalités et la condition de l'étranger - Le traitement de situa-
tions privées internationales présuppose souvent - mais pas nécessairement - la solution
d'un conflit de nationalités ou la détermination de la condition d'un étranger. De même,
pareil conflit peut résulter de la mise en œuvre d'une règle sur la condition de l'étranger.
Ill Dans l'exemple précité (n ° 1.5), il est significatif que les parties ont cherché à conclure un
mariage en Angleterre pour permettre à la ressortissante belge de bénéficier du droit au regroupe-
ment familial reconnu par le droit anglais sur la condition de l'étranger. Sur le lien plus général
entre la problématique de la simulation du mariage et la fraude à la réglementation sur l'accès au
territoire, voy. infra, n ° 12.42.

On entend par« conflit de nationalités » le problème suscité par la détermination de


la nationalité d'une personne dans un ordre juridique étatique dont cette personne n'a
pas ou n'a pas seulement la nationalité.
La« condition de l'étranger» contient les règles auxquelles la personne n'ayant pas
la nationalité d'un État est assujettie par cet État en raison de sa qualité de non-national.
Ces deux matières occupent une place particulière par rapport au conflit d'autorités
et de juridictions et au conflit de lois. Elles ne sont pas considérées comme relevant du
LA MÉTHODE DU DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 37

droit international privé dans tous les pays : par leur objet, elles ne tendent pas à se pro-
noncer sur la détermination d'un intérêt propre à des relations entre particuliers. L'une
et l'autre portent sur une relation de la personne à l'État, pour déterminer tantôt le lien
d'allégeance, tantôt la faculté pour la personne de s'établir sur le territoire de l'État et d'y
jouir de l'ensemble des droits appartenant aux nationaux. Mais comme les conflits de
lois et les conflits d'autorités ou de juridictions, elles portent sur des situations trans-
frontières, relèvent de règles étatiques et leur mise en œuvre est de nature à engager lares-
ponsabilité de l'État à l'égard d'autres États. Bien plus, la détermination de la nationalité
et la condition de l'étranger exercent une influence sur les conflits de lois et les conflits
d'autorités ou de juridictions, la première chaque fois que cet élément est pertinent pour
désigner le droit ou le juge compétent, la seconde dès le moment où la loi d'un État éta-
blit une discrimination entre le national et l'étranger pour la jouissance ou l'exercice d'un
droit civil.
L'ampleur croissante de la matière de la condition de l'étranger justifie qu'un exposé distinct lui
Ill!
soit consacré dans un volume séparé. En revanche, le conflit de nationalités est inclus, dans cet
ouvrage, parmi les développements concernant la concrétisation des facteurs de localisation
(chap. 5, sect. 3).

1.29 - Partie générale et partie spéciale - La plupart des ouvrages de droit international
privé opèrent une distinction entre la partie générale et la partie spéciale. Il y va davan-
tage d'une commodité pédagogique que d'une division conceptuelle.
La partie générale, parfois qualifiée de théorie générale, analyse les règles positives
applicables à l'ensemble de la matière civile et commerciale. Ceci inclut une part explica-
tive centrée sur la compréhension des mécanismes qui gouvernent la solution d'un con-
flit de lois.
La partie spéciale couvre, matière par matière, les règles particulières de conflit de
lois et de conflit d'autorités ou de juridictions, en distinguant, selon les classifications
traditionnelles du droit privé, le droit de la personne et de la famille, le droit des biens, le
droit patrimonial de la famille, le droit des obligations. Le droit commercial ne donne
pas lieu, en droit international privé, à d'autre classification propre que le droit des socié-
tés. C'est que, selon le droit positif actuel, la plupart des questions de droit commercial se
laissent inclure aisément dans les catégories préconstituées du droit des biens (propriété
intellectuelle, sûretés, faillite) et du droit des obligations (contrats commerciaux). Ainsi,
le droit international privé moderne n'a encore guère assimilé la spécificité du droit com-
mercial, puisqu'il soumet celui-ci aux mêmes principes de solution que ceux qui régissent
le droit civil international.

Section 4
La méthode du droit international privé
1.30 - Originalité de la méthode - Le droit international privé se distingue du droit
international autant que du droit interne sous l'angle de ses méthodes. Le droit interna-
tional a pour vocation d'établir un ordonnancement unique des relations interétatiques.
Le droit interne assure l'application du droit national à des situations de caractère homo-
gène. L'un et l'autre conduisent à un règlement unique.
38 L'OBJET DU DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ

Il en va différemment du droit international privé. Droit interne par nature, il ne


traite pas les situations transfrontières de manière fondamentalement distincte d'une
situation relevant de la compétence d'un seul État, si ce n'est que la même situation
transfrontière risque de mettre en jeu les compétences concurrentes de plusieurs États,
hypothèse dont l'enjeu peut intéresser le droit international.

§1 FORCE OBLIGATOIRE ET APPLICABILITÉ DE LA RÈGLE DE DROIT


1.31 - Exercice de la compétence étatique - L'État possède le monopole de la puissance
publique dans les limites du territoire relevant de sa compétence ou, selon le terme
anglais, de sa jurisdiction.
Ill La doctrine de la jurisdiction, liée au concept de pouvoir et mettant en évidence le principe de
souveraineté, appartient au droit international plutôt qu'au droit international privé (F.A. MANN,
« The doctrine of jurisdiction in international law », Recueil des cours, vol. 111, 1964-I, 1 et s.). Elle
s'efforce de délimiter le domaine de l'exercice des compétences étatiques.
Sur ce concept en doctrine, voy. la présentation récente de A NUYTS, L'exception de forum non conve-
niens (Bruxelles, Bruylant, 2003), n° 5 10 et s.
Il!Dans l'article 1e, de la Convention européenne des droits de l'homme, au mot anglais jurisdiction
correspond le mot français «juridiction», au sens pourtant plus étroit que le terme
«compétence». Dans l'article 2 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, au mot
anglais jurisdiction fait pendant le terme français« compétence».
La division traditionnelle des trois branches du pouvoir révèle trois modes d'exercice
de la puissance publique: la compétence de poser des règles d'application générale (juris-
diction to prescribe), le pouvoir de trancher par droit et sentence des litiges particuliers
(compétence juridictionnelle ou jurisdiction to adjudicate) et l'action des organes du pou-
voir exécutif, ce qui inclut notamment l'accomplissement d'actes de contrainte sur les
biens ou contre les personnes (jurisdiction to enforce). L'exécution forcée des décisions judi-
ciaires relève de cette troisième branche de la compétence étatique.
1.32 - Limites inhérentes à la compétence étatique - La plupart des normes étatiques
sont énoncées sans référence à leur domaine spatial propre. Les dispositions fixant l'âge
de la majorité civile, qualifiant une infraction et prévoyant la peine qui y est applicable,
déterminant le taux de l'impôt, sont rédigées en des termes assez généraux pour qu'ils
puissent appréhender n'importe quelle situation humaine en laquelle se vérifie l'hypo-
thèse de la loi. Il serait excessif d'en déduire que de telles dispositions ont un champ
d'application illimité, une vocation universelle. Pour éviter pareille conséquence, il faut
réduire la valeur impérative de la norme étatique au domaine spatial qui lui appartient :
cela implique qu'il soit fait une distinction entre le sens linguistique des mots utilisés
(qui s'étend conceptuellement à toutes les situations humaines visées) et la signification
normative de la même phrase, émanation d'un pouvoir institué et, par conséquent, enfer-
mée dans les mêmes limites spatiales que celui-ci.
Ill L'organisation de l'État requiert aussi la formulation de règles qui se réfèrent immédiatement à
certaines parties du territoire national : telles les dispositions de droit judiciaire qui désignent le
siège des diverses juridictions et en délimitent le ressort. Pareilles règles se combinent avec celles
qui déterminent la compétence territoriale des tribunaux: par exemple, même si la disposition
selon laquelle une action est portée devant le tribunal du domicile du défendeur peut être lue
comme déterminant la compétence territoriale de tous les tribunaux de l'univers, sa signification
normative doit être restreinte aux seules juridictions dont une autre disposition du même ordre
juridique a délimité le ressort territorial.
LA MÉTHODE DU DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 39

Sous réserve de leur variété et des modalités qu'elles peuvent comporter (voy. infra
n° 5 3.51 et s.), les règles de droit international privé ont pour effet, au moins induit, de
déterminer le domaine spatial des règles de droit substantiel interne. Cela conduit à se
poser une question fondamentale : comment délimiter le domaine spatial des règles de
droit international privé elles-mêmes ? Cette question appelle des précisions sur la
notion de destinataire de la règle de droit, et sur la portée des concepts de territorialité et
de personnalité.

1.33 - Notion de destinataire de la règle de droit - Toute norme a deux catégories de


destinataires, en premier lieu les agents juridiques auxquels elle prescrit un modèle de
comportement, en second lieu les organes de l'ordre juridique dont la norme émane, les-
quels sont chargés de veiller au respect de la règle par les premiers.
Ill Ainsi, le Code de la route d'un État contient les règles de circulation routière que doivent respec-
ter les usagers de la voie publique, tandis que le même État a chargé ses forces de police, ses tribu-
naux et, le cas échéant, l'administration pénitentiaire ou les agents de recouvrement des amendes,
de tenir la main à ce que les règles de la circulation routière soient effectivement observées par la
première catégorie de destinataires.

Pareille séparation des destinataires de la norme conduit dès lors à distinguer deux
aspects dans le concept de domaine spatial d'une règle. L'un, d'ordre formel, désigne la
« force obligatoire» de la règle de droit et l'autre, d'ordre matériel, «l'applicabilité» de
celle-ci. Le premier rend compte du commandement que le législateur adresse à ses auto-
rités pour qu'elles veillent au respect de la loi. Le second tend à déterminer quelles situa-
tions sont de nature à entrer dans les conditions d'application de la loi.

1.34 -Territorialité de la force obligatoire - À l'égard du réseau d'autorités et de juri-


dictions de l'État dont la règle émane, seule celle-ci a« force obligatoire ». Réserve faite de
l'application directe de sources de droit international introduites dans le droit interne
d'un État, les autorités et les juridictions étatiques ne doivent obéissance qu'aux sources
de droit national.
Qu'on parle, en ce premier sens, de« territorialité» de la loi, provient de ce que les
organes d'un État exercent en principe leurs fonctions sur son territoire propre. Dans les
cas exceptionnels où ils agissent hors du territoire national, les organes de l'État, quali-
fiés d'extraterritoriaux, obéissent à la loi qui les a institués et non, le cas échéant, au droit
du pays où ils se trouvent.
Ill Pour une utilisation en ce sens du concept de territorialité, voy. l'arrêt n ° 9 de la Cour perma-
nente de justice internationale : « La limitation primordiale qu'impose le droit international à
l'État est celle d'exclure - sauf l'existence d'une règle permissive contraire - rout exercice de sa
puissance sur le territoire d'un autre État. Dans ce sens, la juridiction est certainement
territoriale» (arrêt du 7 septembre 1927, affaire du Lotus, Série A, n ° 9, p. 18).

1.35 - Territorialité et applicabilité de la règle - Bien que les faits et les situations sur
lesquels s'exerce la compétence juridictionnelle soient, le plus souvent, localisés sur le ter-
ritoire de l'État ayant institué l'autorité qui en est saisie, il arrive que pareil exercice
s'étende à des faits localisés ailleurs, soit dans un espace commun (comme ce fut le cas
dans l'affaire du Lotus, relative à un abordage en haute mer), soit même sur le territoire
d'un autre État.
Que les organes d'un État exercent leur compétence (jurisdiction) à l'égard de faits
localisés hors du territoire de cet État, conduit à la deuxième acception du concept de ter-
40 L'OBJET DU DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ

ritorialité. Ici, il faut plutôt considérer la première catégorie de destinataires de la règle de


droit, ceux qui doivent obéir à cette règle. La question qui se pose à ces destinataires n'est
pas celle de la force obligatoire de la norme (qui n'a pas de sens pour eux), mais celle de
son« applicabilité».
1111L'arrêt Lotus précité utilise le concept de territorialité en ce sens lorsqu'il poursuit que: « Mais il
ne s'ensuit pas que le droit international défend à un État d'exercer, dans son propre territoire, sa
juridiction dans toute affaire où il s'agit de faits qui se sont passés à l'étranger».

La territorialité au sens matériel signifie qu'une règle de droit s'applique aux faits
localisés sur le territoire de l'État à l'ordre juridique duquel la règle appartient.
Quand l'autorité ou la juridiction d'un État exerce légitimement sa compétence à
l'égard de faits localisés sur le territoire d'un autre État, elle peut soit y appliquer sa pro-
pre loi, soit y appliquer la loi du second État (voire d'un État tiers), le plus souvent par la
médiation d'une règle de conflit de lois ayant force obligatoire dans l'État du juge.
1111Reconnaissant en principe à un État le pouvoir d'exercer sa compétence juridictionnelle à
l'égard de faits localisés hors de son territoire, l'arrêt Lotus ne se prononce pas (et il n'avait pas à le
faire) sur le choix entre les deux solutions qui viennent d'être distinguées. Si la première est rete-
nue, l'autorité ou le juge paraît conférer à sa propre règle de droit matériel interne une portée
« extraterritoriale » (au sens matériel), puisqu'il l'applique à des faits localisés hors du territoire de
l'État du for.

1.36 - Nationalité et applicabilité de la règle - Le lien d'allégeance qu'exprime la natio-


nalité constitue aussi un fondement de la compétence étatique. À qui veut considérer la
nature même de la règle de droit, le lien personnel entre l'État national et ses membres
paraît la légitimation primordiale de toute compétence étatique.
1111 Il est très significatif que les premiers théoriciens de l'école du droit naturel ont reconnu à la

juridiction s'exerçant sur les personnes un caractère originel et principal. Ainsi, d'après Grotius:
« La juridiction (imperium) s'exerce ordinairement sur deux sujets, l'un principal, savoir les
personnes; et cela suffit quelquefois, comme dans une Armée d'Hommes, de Femmes, d'Enfants,
qui vont chercher à s'établir quelque part; l'autre accessoire, je veux dire, le lieu, qu'on appelle
Territoire» (De ;ure belli ac pacis, II, III, 4, traduction française par Jean BARBEYRAC).

Toutefois, comme l'immense majorité des nationaux résident en fait sur le territoire
national, où ils ont toujours le droit de pénétrer, la territorialité de la loi suffit à légitimer
dans la plupart des cas la compétence exercée par un État à l'égard de ses propres natio-
naux. Il n'est utile d'invoquer la nationalité du destinataire de la règle ou de l'injonction
faite en vertu de celle-ci, que si le sujet se trouve en fait hors du territoire national.
Il Deux arrêts de la Cour suprême des États-Unis offrent les exemples les plus caractéristiques de
l'exercice d'une compétence exclusivement fondée sur la personnalité de la loi.
Dans l'affaire Cook v. Ga/en, la Cour suprême a affirmé la constitutionnalité de la loi fiscale soumet-
tant à l'impôt un sujet américain domicilié au Mexique et dont tous les biens et les ressources
étaient localisés dans cet État.
L'arrêt Blackmer a été prononcé en matière pénale : le citoyen américain résidant à Paris et auquel le
consul des États-Unis a remis une invitation à comparaître comme témoin devant une juridiction
américaine peut être condamné à une amende du chef de contempt ofCourt s'il refuse de déférer à cet
ordre. Tout citoyen, où qu'il se trouve, a le devoir d'obéir aux injonctions du pouvoir judiciaire du
pays dont il a la nationalité et, le cas échéant, de regagner ce pays au premier appel.
Voy. : George W Cook v. Ga/en L. Tait, U.S. Collector of Interna/ Revenue for the District of Maryland, 264
U.S. 895 ( 1924) ; Harry M. Blackmer v. U.S. ofAmerica, 284 U.S. 421 (1932). Pour une discussion plus
détaillée de ces deux cas, et des références de doctrine américaine, voy. : F. RrGAUX, Droit public et droit
privé, §§ 152-154.
LA MÉTHODE DU DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 41

L'appareil de contrainte assurant le respect de la norme dont le destinataire se


trouve hors du territoire de l'État qui l'édicte est très atténué. En effet, cet État ne dispose
guère d'organes qui, hors de son territoire, veillent à l'application de ses normes et,
quand il en existe, ils ne peuvent user de contrainte.
llllAinsi, un État peut soumettre à des obligations militaires ses ressortissants qui résident à
l'étranger, mais si ceux-ci ne défèrent pas à l'ordre qui leur est donné, les autorités militaires ne sau-
raient se saisir de leur personne par la force. La contrainte que les autorités de l'État de la nationa-
lité pourront exercer sur leur territoire n'aura qu'un effet indirect. Le citoyen n'ayant pas
obtempéré à l'ordre d'incorporation pourra, le cas échéant, être condamné du chef de désertion,
mais la peine ne sera exécutée que si le condamné pénètre sur le territoire national.

1.37 - Nationalité et force obligatoire de la règle - La personnalité des lois n'a de sens
qu'à l'égard de la première catégorie de destinataires de la règle de droit, à savoir les res-
sortissants de l'État en leur qualité de citoyens. Pour ce qui concerne les organes ou
agents de l'État, la nationalité de l'agent est, comme telle, privée de pertinence, même si
elle appartient aux conditions de recrutement des agents de l'État.
llllLa condition de nationalité pour l'accès à certains emplois publics de niveaux inférieurs tend
aujourd'hui à s'éroder. Ainsi, l'article 39, § 4, du traité CE soustrait aux dispositions sur la libre cir-
culation des travailleurs les « emplois dans l'administration publique». Une abondante jurispru-
dence de la Cour de justice a réduit la portée du maintien de cette discrimination en limitant celle-
ci aux emplois « comportant une participation, directe ou indirecte, à l'exercice de la puissance
publique et aux fonctions qui ont pour objet la sauvegarde des intérêts généraux de l'État ou des
autres collectivités publiques» (voy. notamment: C.J.C.E., aff. C-473/93, 2 juillet 1996, Luxem-
bourg, Rec., 1996, I-3207). La Cour suprême des États-Unis a adopté une distinction similaire:
Sugarman v. Dougal!, 413 US 634,647 (1973).

Ce n'est pas en sa qualité de ressortissant de l'État mais en raison de la fonction


publique occupée que l'agent d'un service public est tenu au respect des normes posées
par cet État. Comme il est, en outre, exceptionnel qu'un organe de l'État remplisse ses
fonctions en dehors du territoire de cet État, la notion de personnalité des lois ne con-
cerne que les ressortissants d'un État en tant qu'agents juridiques privés.
llllL'exercice, par des agents diplomatiques ou consulaires, de compétences« extraterritoriales» en
matière d'état civil, par exemple la compétence de célébrer un mariage, nécessite, pour l'apprécia-
tion de la validité de l'acte - question d'applicabilité -, la formulation d'une règle particulière
explicitant les limites de cette compétence. La règle Auctor reyj,t actum (voy. infra, n° 3.34) signifie
qu'eu égard à la juridiction du for, la validité formelle de l'acte est soumise à la condition que
l'autorité était compétente au regard du droit de l'État dont elle émane. Vue sous l'angle de la com-
pétence, cette condition se réfère à une règle qui a pour destinataires des agents qui, quelle que soit
leur nationalité, ne perdent pas leur appartenance à l'ordre juridique national du fait de leur extra-
territorialité.

§2 MISE EN ŒUVRE PROCESSUELLE DE LA RÈGLE DE DROIT

A. Conflits suscités par l'exercice de compétences concurrentes


1.38 - Incompatibilité de commandements - Les personnes privées sont nécessaire-
ment soumises aux compétences concurrentes d'une pluralité d'États, en raison de la dis-
persion des éléments juridiques ou matériels par lesquels une situation se rattache à un
droit étatique, de la flexibilité du concept de territorialité, de la combinaison entre ce
concept et celui de la personnalité et enfin de la pluripatridie. L'exemple le plus significa-
tif est celui du bipatride devant allégeance à deux États qui se font la guerre.
42 L'OBJET DU DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ

Une théorie générale du droit international privé doit prendre en compte le fonc-
tionnement parallèle - et souvent conflictuel - de systèmes de droit autonomes. Encore
faut-il bien l'entendre: face à une situation particulière un ordre juridique procède à
l'évaluation qu'il juge appropriée; sans doute peut-il accueillir à cette fin des éléments
empruntés à un autre système juridique (par exemple par l'application d'une règle de
droit étranger), mais aux conditions qu'il fixe lui-même. Il en résulte que la même situa-
tion de vie risque de recevoir des qualifications différentes et, par conséquent, d'entraîner
des conséquences juridiques incompatibles selon l'ordre juridique dans lequel elle est
évaluée.
Supposons par exemple que deux étrangers se marient en Belgique. D'après leur loi nationale ils
Ill!
sont tenus de procéder à une cérémonie coutumière qui peut être célébrée devant un agent diplo-
matique ou consulaire. La loi belge impose que le mariage soit conclu devant l'officier de l'état civil
compétent. S'il n'est procédé qu'à une seule de ces deux célébrations, le mariage sera valable dans
un ordre juridique, nul dans l'autre. Pour éviter ce qu'on appelle en droit international privé un
mariage boiteux (matrimonium claudicans), il faut cumuler les deux célébrations, ce que les deux
États rolèrent.
Dans une autre hypothèse, le conflit est irrémédiable: le droit islamique interdit le mariage
Ill!
entre une femme musulmane et un homme qui n'appartient pas à l'islam. L'empêchement de
mariage du droit islamique entend s'appliquer à la femme dont le statut personnel est régi par ce
droit même si elle épouse un Belge en Belgique. Après la célébration civile dans ce pays (l'empêche-
ment de mariage prévu par la loi nationale de l'épouse étant écarté en vertu de l'exception d'ordre
public), le mariage est valable selon le droit belge (et dans les pays, tels la France ou l'Allemagne,
partageant sur ce point la conception belge de l'exception d'ordre public), mais non dans d'autres
pays faisant prévaloir les exigences du droit islamique.
Ill Pour un constat de commandements incompatibles, voy.: C.J.C.E., aff. C-148/02, 2 octobre
2003, Garcia Avelia, Revue (2004), 184, note P. LAGARDE, qui, à propos d'une demande de change-
ment de nom d'un Belgo-espagnol, stigmatise la situation dans laquelle se trouve le particulier
dont le nom a été enregistré à l'ambassade d'Espagne en vertu du droit espagnol, ainsi que dans les
registres belges de l'état civil en vertu du droit belge.

1.39 - Prééminence de la perspective nationale - Le conflit auquel le particulier est con-


fronté trouve son origine dans le caractère foncièrement national des méthodes de solu-
tion. Quatre facteurs au moins expliquent ce caractère.
a) Dans chacun des systèmes juridiques, la solution donnée au conflit de lois est fonc-
tion des orientations de droit matériel propres au système. La compétence étendue
reconnue à la loi nationale par le droit international privé d'un pays islamique
s'explique par la source religieuse du droit matériel applicable, l'appartenance per-
sonnelle à l'islam suivant le musulman en quelque lieu qu'il se trouve et devant pré-
valoir sur les exigences contradictoires de la loi territoriale. Inversement, les
solutions du droit international privé belge se caractérisent dans les deux cas par
leur territorialisme, la sécularisation du mariage étant imposée à tous ceux qui se
marient en Belgique, tandis que l'application de la loi nationale aux conditions de
fond du mariage (voy. infra, n ° 12.45) est écartée en vertu de l'exception d'ordre
public.
b) Aucun des deux États ne saurait reprocher à l'autre l'exercice d'une compétence
enfreignant une obligation internationale. Le principe de territorialité permet à la
Belgique de régler les conditions auxquelles des étrangers se marient sur son terri-
toire. En vertu du principe de personnalité, l'État étranger peut déterminer les règles
auxquelles ses ressortissants contractent un mariage valable à l'étranger.
lA MÉTHODE DU DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 43

c) Le concept de validité se révèle relatif: chacun des deux pays fixe les conditions aux-
quelles un homme et une femme sont tenus pour valablement mariés dans l'ordre
juridique dont ils relèvent respectivement. La notion d'ordre juridique revêt ici une
signification très précise sans qu'elle puisse être localisée dans un espace physique:
partout où un organe de l'un des deux États sera invité à apprécier la validité du
mariage (ce qui inclut les agents diplomatiques et consulaires du pays considéré), il
se conformera aux règles ayant force obligatoire dans son ordre juridique (territoria-
lité au sens formel, voy. supra, n ° 1.34). La force obligatoire initiale appartient à la
règle de droit international privé appliquée par l'organe compétent.
d) Pour qu'un organe de l'État puisse apprécier la validité d'un acte juridique, il doit
être compétent à cette fin. Il s'agit ici de compétence administrative et, plus souvent,
juridictionnelle. La mise en œuvre des règles de conflit de lois d'un pays déterminé
est ainsi subordonnée à une détermination préalable de la compétence d'une auto-
rité de ce pays.
1.40 - Relativité de l'évaluation d'un rapport juridique transfrontière - Une situation
privée internationale ne saurait être appréciée d'une manière pouvant se prétendre
universaliste; elle doit nécessairement être soumise au crible de chacun des systèmes juri-
diques auxquels elle peut être rattachée.
Le praticien consulté par une étrangère musulmane ayant épousé un non-musul-
man ne saurait donner à la question de savoir si elle est célibataire ou mariée une réponse
ayant une valeur absolue. Le même comportement factuel - l'échange de paroles de con-
sentement devant l'officier de l'état civil - est un acte juridique selon un système de
droit, une apostasie d'après l'autre. Comme la situation des parties est inséparable des
qualifications juridiques qui s'y attachent, il faut nier toute relation d'identité entre les
deux évaluations. Les parties occupent dans chacun des deux ordres juridiques la place
que leur comportement y mérite.
De plus, selon les affinités que présentent les systèmes juridiques de pays tiers avec la
solution admise dans chacun des États seuls intéressés au moment pertinent pour une
éventuelle acquisition d'un droit, l'une ou l'autre de ces solutions prévaudra dans ces
pays-là. Face à une question qui comporte une réponse simple, affirmative ou négative
(un mariage est valable ou nul), tous les systèmes juridiques connus se répartissent en
deux groupes.
1.41 - Notion de for de référence - La prééminence de la perspective nationale autant
que la relativité de l'évaluation d'un rapport juridique transfrontière impliquent que nulle
question de droit international privé ne saurait être tranchée sans se référer aux autorités,
administratives ou juridictionnelles, d'un État déterminé, celles qui sont à même d'être
saisies d'une demande relative à l'un ou l'autre aspect de ce rapport juridique.
Dans la terminologie du droit international privé, cet État est qualifié d'État du for,
le« for» désignant l'autorité ou la juridiction appelée à statuer dans le cas individuel.

B. Technique de la simulation
1.42 - Liberté de circulation et soumission à la compétence étatique - Dans la mesure
où ils jouissent de libertés élémentaires, peuvent se déplacer, contracter, acquérir des
biens, nouer des relations juridiques avec des personnes relevant de la compétence
44 L'OBJIT DU DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ

d'États différents, les acteurs sociaux autres que les organes étatiques doivent affronter le
pluralisme institutionnel et législatif des États. Les êtres humains résident ou se trouvent
nécessairement en un lieu soumis à la compétence territoriale d'un État (le cas échéant, à
bord d'un navire en haute mer, d'un aéronef en vol ou d'un engin spatial) et leurs biens, si
immatériels qu'ils soient à certains égards, obéissent à une exigence similaire de localisa-
tion. Ainsi, les acteurs sociaux sont, quant à leur personne et quant à leurs biens, non
moins nécessairement soumis à la compétence (jurisdiction) de l'un ou l'autre État.
La multiplicité d'espaces étatiques indépendants permet à certains acteurs sociaux
de choisir leur domicile ou leur résidence, parfois même leur nationalité, la localisation
de leurs biens, leurs partenaires à un contrat, l'environnement de leurs conditions de vie,
etc. Rendu possible par la jouissance de libertés formelles et par l'accès aux ressources
culturelles et matérielles adéquates, l'exercice de cette liberté de choix ne saurait être con-
fondu avec la loi d'autonomie en matière contractuelle. Certains acteurs sociaux parvien-
nent à placer effectivement leur personne et leurs biens sous la compétence d'un État ou
de plusieurs États déterminés. Mais que signifie exactement, pour une personne privée,
« être soumise à la compétence d'un État » ?

1.43 - Indétermination des droits subjectifs - Hormis le cas dans lequel une personne a
réussi à reconstituer autour d'elle un espace purement interne, par exemple, quand, après
avoir émigré, elle a acquis la nationalité du pays d'accueil, s'y est mariée avec une per-
sonne de même nationalité, ne possède pas de biens en d'autres pays, le passage d'un
espace territorial à un autre a pour effet d'engendrer une situation transfrontière.
Celui qui se trouve dans une telle situation se pose différentes questions relatives à
la consistance de ses droits subjectifs. L'acteur social placé dans une situation purement
interne, dont tous les éléments de localisation convergent vers le même État, peut se fier à
la plénitude formelle et à la cohérence de l'ordre juridique étatique. La difficulté propre à
l'acteur social placé dans une situation transfrontière est la double indétermination que
porte une telle situation : quel est le droit applicable, et en quel pays un juge tranchera-il
un éventuel litige ?
1.44 - La quête du juge ou forum shopping - Les deux questions fondamentales du droit
international privé ne se laissent pas séparer l'une de l'autre. Selon cette branche du droit
comme en droit interne, les parties à une relation non contentieuse évaluent leurs droits
respectifs par référence à la solution qu'atteindrait le juge en cas de litige.
1111La différence résulte toutefois de ce que les États déterminent la compétence internationale de
leurs juridictions selon des règles qui sont propres à chacun d'eux, ce qui entraîne le plus souvent
des conflits positifs. Ceux-ci sont d'autant plus fréquents que, à l'instar des règles de compétence
territoriale interne, la plupart des règles de compétence internationale ont un caractère alternatif
Dans le même État, des critères distincts sont utilisés : le domicile ou la résidence du défendeur, le
lieu de situation d'un bien, le lieu de formation et le lieu d'exécution d'une obligation, etc. Comme
il suffit qu'un de ces critères de compétence soit vérifié à l'égard de chacun des pays, dès que plu-
sieurs des éléments se localisent sur les territoires de pays distincts, les tribunaux de chacun de
ceux-ci pourront se déclarer compétents.
Le choix entre ces tribunaux est l'œuvre du demandeur, ce qui entraîne plusieurs
causes d'indétermination quant à l'issue d'un éventuel litige. Aussi longtemps qu'aucun
litige n'est né, il est malaisé de prévoir qui sera demandeur. Le lieu du domicile du défen-
deur est, par voie de conséquence, lui aussi insuffisamment prévisible. Quant au choix du
tribunal par le demandeur il sera fonction de deux éléments au moins: l'intérêt d'obtenir
lA MÉTHODE DU DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 45

une décision territorialement efficace, ce qui dépend encore de l'enjeu du litige, difficile-
ment prévisible avant que celui-ci ne soit né; l'espoir d'obtenir une décision favorable,
considération liée pour partie à la solution de conflit de lois qui sera retenue par le juge
sa1s1.

1.45 - Identification des fors potentiels - La dernière observation conduit à l'articula-


tion entre le conflit de lois et le conflit de juridictions et elle met en reliefle rôle des juri-
dictions étatiques dans le choix de la solution apportée à une situation transfrontière.
Comme le système de conflit de lois appartient à une branche du droit interne, il faut
s'efforcer de prévoir avant la naissance du litige dans quel ordre juridique la question de
conflit de lois devra être tranchée. Des explications qui précèdent il résulte que cet ordre
juridique ne saurait être que celui de l'État dont une juridiction aura été, dans les limites
de sa compétence, saisie du litige, auquel elle appliquera son propre système de conflit de
lois.
Une double conclusion se dégage. D'abord, que la détermination des droits respec-
tifs des parties à une relation transfrontière est particulièrement malaisée tant que la
contestation n'a pas été portée devant un tribunal qui s'est déclaré compétent. Ensuite,
que les prévisions qu'il est permis de faire avant la naissance du litige passent par un
mécanisme de «simulation»: il consiste à identifier, à la lumière notamment du prin-
cipe d'effectivité, le pays dans lequel le demandeur espère obtenir une décision qui puisse
être exécurée par la contrainte, et, si plusieurs possibilités existent à cet égard, à simuler
un procès devant les tribunaux de chacun des pays qui pourraient se déclarer compé-
tents, en vue de prévoir la solution de conflit de lois qui y serait mise en œuvre.
Tel est le motif qui permet de parler de la subordination du conflit de lois au conflit
de juridictions et d'affirmer le caractère processuel du droit international privé. Réel ou
simulé, le procès est le fil à partir duquel se déroule la mise en œuvre des règles de conflit
de lois.

1.46 - Subordination du conflit de lois au conflit de juridictions - Aucune question de


droit international privé ne saurait être résolue ni même posée en dehors d'un système
particulier de droit étatique. Non seulement la question soulevée sans qu'il soit fait réfé-
rence à un tel ordre juridique ne saurait comporter de réponse, mais elle est privée de
signification. C'est l'exercice effectif (ou simulé) d'une compétence juridictionnelle ou
administrative par les organes d'un État déterminé qui justifie la mise en œuvre des
autres règles de droit international privé du même État. À défaut de compétence juridic-
tionnelle, les règles de conflit de lois d'un État sont privées de toute pertinence.
IllSi une collision a eu lieu dans le port de Hong Kong encre une jonque chinoise et un caboteur
immatriculé aux Philippines, toutes les personnes intéressées ayant la nationalité d'un État riverain
de la mer de Chine et résidant dans l'un de ces États, cela n'a aucun sens de s'interroger sur le droit
applicable à cette situation d'après le droit international privé en vigueur en Belgique, en France ou
en Italie, à moins d'une prorogation volontaire de juridiction en faveur des tribunaux de l'un de ces
États ...

La force normative des règles de conflit de lois d'un pays est inséparable des disposi-
tions qui déterminent la compétence des autorités et des juridictions du même pays: les
premières ne sont applicables que dans les limites posées par les secondes. Il en résulte
que le domaine spatial des règles de conflit de lois est lui-même délimité par les règles du
conflit de juridictions. Cela explique pourquoi la répartition des compétences tradition-
46 L'OBJET DU DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ

nellement attribuée au droit international n'a pas pour objet les méthodes selon lesquel-
les le juge ou l'autorité compétent choisit la loi applicable: dans les limites de sa
compétence administrative et juridictionnelle, l'État peut choisir les solutions de conflit
de lois qu'il estime appropriées.
Il en résulte aussi que les termes « relever de la compétence d'un État » signifient :
être soumis à la compétence juridictionnelle ou administrative d'un organe de cet État.
CHAPITRE 2

ÉCOLES ET SOURCES
DU DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ
2.1 - Bibliographie
a) Histoire du droit international privé
G. BARILE, « La fonction historique du droit international privé», Recueil des cours (1965), vol. 115,
302 et s.; R. DELAUME, Les conflits de lois à la veille du Code civil (Paris, 1947); R. DE NOVA,« Historical
and Comparative Introduction to Conflicc of Laws », Recueil des cours (1966), vol. 118, 436 et s.;
M. FALLON, « L'application de l'article 3, alinéa 3, du Code civil par la jurisprudence belge au XIXe
siècle», Mélanges F. Laurent (Bruxelles, Story, 1989), 765-782; F. GAMILLSCHEG, Der Einfluss Dumoulins
auf die Entwicklung des Kollisionsrechts (1955); M. GUTZWILLER, « Le développement historique du
droit international privé», Recueil des cours (1929), vol 29, 287-400; ID., Geschichte des Internationalpri-
vatrechts, Von den Anfangen bis zu den grossen Privatrechtskodifikationen (Bâle, Helbing & Lichtenhahn,
1977) ; J .-L. HALPERIN, Entre nationalisme juridique et communauté de droit (Paris, PUF, 1999) ; A. LAINÉ,
Introduction au droit international privé (Paris, 1888-1889), t. I; F. LAURENT, Droit civil international
(Bruxelles, Bruylant, Paris, Marescq, 1880), t. I; E. MEJJERS, « L'histoire des principes fondamentaux
du droit international privé à partir du moyen âge, spécialement dans l'Europe occidentale »,
Recueil des cours (1934), vol. 49, 597 et s.; ID., Etudes d'histoire du droit international privé (Paris, éd.
C.N.R.S., 1968); W. NIEDERER, « Caeterum quaero de legum imperii romani conflictu », Revue
(1960), 137 et s.; G. SPERDUTI, « Théorie du droit international privé», Recueil des cours (1967), vol.
122, 170-322; P. G. STEIN,« Bartolus, The Conflict of Law and the Roman Law», Festschrift Lipstein
(Heidelberg, Muller, 1980), 251-258; F. STURM,« Comment ['Antiquité réglait-elle ses conflits de
lois», Clunet (1979), 259-273; E. VOLTERRA,« Quelques problèmes concernant le conflit de lois dans
l'antiquité » (Bruxelles, U.L.B., Travaux et conférences, t. III, 1955), 78-93 ; Ch. VON BAR et H. DoPF-
FEL, Deutsches Internationales Privatrecht im 16. und 17.Jahrhundert. Materialien, Übersetzungen und Anmer-
kungen (Tübingen, Mohr, 2001); R. ZIMMERMANN, « Savigny's legacy - The legal history,
comparative law and the emergence of a European legal science», L.Q.R. (1996), 576-605.

b) Droit international et droit international privé


M. AGUILAR-NAVARRO, « Droit international privé et droit international public», Mélanges Maury,
vol. I, 3 et s.; H. BATIFFOL, « Points de contact entre le droit international public et le droit interna-
tional privé», Rev. esp. de derecho internacional (1972), 77 et s.; BLECKMANN, Die viilkerrechtlichen Grun-
dlagen des Internationalen Kollisionsrecht (Koln, Heymanns Ver!., 1992), 160 p. ; J. BUSBY, « Jurisdiction
to limit chird-country interaction wich sanctioned States : The Iran and Libya sanctions and
Helms-Burton Aces», Columbia]. Transn. L. (1998), 621-658; R. DAVID, Le droit du commerce interna-
tional. Réflexions d'un comparatiste sur le droit international privé (Paris, Economica, 1987), 152 p. ; P. DE
VAREILLES-SOMMIÈRES, La compétence internationale de l'État en matière de droit privé (Paris, L.G.D.].,
1997), 313 p.; Ph. KAHN, « Les principes généraux du droit devant les arbitres du commerce
international», Clunet (1989), 305-327; F. MANN, « The doctrine of jurisdiction in international
law », Recueil des cours, (1964-I), 3-162; ID., « The doctrine of jurisdiction revisited afcer cwenty
48 ÉCOLES IT SOURCES DU DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ

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international public sous l'angle de la notion de compétence», Revue (1979), 1 et s., 349 et s., 537
et s. ; E. PATAUT, Principe de souveraineté et conflits de juridictions (Paris, LGDJ, 1999) ; F. R.IGAUX, « Le
droit international privé face au droit international», Revue (1976), 261 et s. ; ID., Droit public et droit
privé dans les relations internationales, Paris, Pédone, 1977; ID., « Droit économique et conflits de
souverainetés», RabelsZ. (1988), 104-156; ID.,« Les situations juridiques individuelles dans un sys-
tème de relativité générale - Cours général de droit international privé», Recueil des cours, vol. 213
(1989-I), 9-407; E. RoucouNAS, « Facteurs privés et droit international public», Recueil des cours,
vol. 299 (2002), 9-420; J. VERHOEVEN, « Droit international privé et droit international public : où
est la différence», Arch. Phil. Dr. (1987), 23-34; ID.,« Droit international public, droit international
privé et droit national», L'extranéité ou le dépassement de l'ordre juridique étatique (Paris, Pédone, 1999),
17-36; C. WEERAMANTRY, « Private international law and public international law », Riv. dir. int. priv.
proc. (1998, pp. 313-324; L. WEERTS et D. CHAÏBI, « Le titre III de la législation Helms-Burton et le
droit international», Rev. belge dr. int. (1997), 99-132; B. WoRTLEY, « The interaction of public and
private international law today », Recueil des cours, (1954-I), 240 et s.

c) Codification du droit international privé

Sur la codification, voy. notamment, outre le tome IV des Mélanges Aga, Problèmes de la codification en
droit international privé: B. AUDIT, « Le droit international privé en quête d'universalité - Cours
général», Recueil des cours, vol. 305 (2003), 9-487; H. BATIFFOL, Codificacion y unificacion en derecho
internacional privado (Granada, 1972); M. BoGOUSLAVSKI, « Le droit international privé en Russie et
dans les autres États membres de la CEi au seuil du XXI< siècle», Clunet (1999), 413-434 ;]. ERAUW,
« De nood aan codificatie van het Belgisch internationaal privaatrecht », Mélanges F. Laurent
(Bruxelles, Story, 1989), 745-764; D. FERNANDEZ-ARROYO, La codificacion del derecho internacional pri-
vado en America latina (Madrid, Eurolex, 1994), 445 p. ; L. GANNAGÉ, « Le droit international privé à
l'épreuve de la hiérarchie des normes», Revue (2001), 1-42; H. GAUDEMET-TALLON, « Droit interna-
tional privé et Code civil», 1804-2004 - Le Code civil (Paris, Dalloz, 2004); R. GRAVESON, « Private
international law: A century of unification », Mélanges F. Laurent (Bruxelles, Story, 1989), 795-804;
H. GuTTERIDGE, Codification of private international Law (Glasgow, 1951); A. FERRER-CORREIA, « Les
problèmes de codification en droit international privé», Recueil des cours, vol. 145 (1975), 59-203;
E. ]AYME, « Considérations historiques et actuelles sur la codification du droit international privé»,
Recueil des cours, vol. 177 (I982-IV), 9-101 ; ID., « Identité culturelle et intégration: le droit interna-
tional privé postmoderne. Cours général de droit international privé», Recueil des cours, vol. 251
(1995-I), 9-268; R. MACLEAN (dir.), Conflict of laws statutes (Bailey, 1996), 520 p.; K. MOLLNAU, « The
contributions of Savigny to the theoryoflegislation »,Am.]. Camp. L. (1989), 81-94; H. Mum WATT,
« Les principes généraux en droit international privé français», Clunet (1997), 403-415; ID., « La
codification en droit international privé», Droits (1998), 149-160; B. NOLDE,« Les étapes histori-
ques de la codification législative du droit international privé», Revue (1927), 361-374; ID., « La
codification du droit international privé», Recueil des cours, vol. 55 (1936), 299; B. ÜPPETIT, « Le
droit international privé, droit savant», Recueil des cours, vol. 234 (1992-III), 331-434; L. PEREZ-
NIETO-CASTRO, « Sorne aspects concerning the movement for development of private international
law in the Americas through multilateral conventions», N.I.L.R. (1992), 243-266; M. PoLAK,
« Towards codified Dutch private international law », N.I.L.R. (1991), 312-345; F. R.IGAUX, « La
méthode des conflits de lois dans les codifications et projets de codification de la dernière
décennie », Revue ( 1985), 1-46 ; K. SIEHR, « The Impact of International Conventions on National
Codifications of Private International Law», Mélanges Droz (La Haye, Nijhoff, 1996), 405-414;
M. SIMON-DEPITRE, « Codification et règles écrites dans le droit français des conflits de lois »,Mélan-
ges F. Laurent (Bruxelles, Story, 1989), 1039-1052; G. STUER et C. TUBEUF, « La codification en droit
international privé», Rev. dr. ULB (2003/2), 143-164; M. TRAYNOR, « Conflict oflaws, comparative
law, and the American law institute »,Am.]. Camp. L. (2001), 391-406; N. VALTicos, « Aperçu de
l'action de l'Institut de droit international en matière de droit international privé», Mélanges
P. Lalive (Bâle, Helbing & Lichtenhahn, 1993), 199-210; E. VASSILAKAKIS, Orientations méthodologiques
dans lescodifications récentes du droit international privé en Europe (Paris, L.G.D.]., 1988), 531 p. ; A. VON
OVERBECK, « Les questions générales du droit international privé à la lumière des codifications et
ÉCOLES ET SOURCES DU DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 49

projets récents», Recueil des cours, vol. 176 (1982-III), 9-258; S. VRELLIS, « La justice matérielle dans
une codification du droit international privé», Mélanges Droz (La Haye, Nijhoff, 1996), 541-562.
Pour les études portant sur la récente codification belge, voy. infra, n ° 2.33.
d) Ouvrages anciens en Belgique
L. DE Vos, Le problème des conflits de lois (Bruxelles, Bruylant, 1947), 2 vol.; E. HAus, Du droit privé qui
régit les étrangers en Belgique et du droit des gens considéré dans ses principes fondamentaux et dans ses rapports
avec les lois civiles des Belges (Gand, Hoste, 1874); F. LAURENT, Le droit civil international (Bruxelles,
Bruylant, 1881), 8 vol.; P. PoULLET, Manuel de droit international privé belge (Bruxelles, Polydore Pée,
1947, suppl. 1954); A. RouN, Principes du droit international privé (Paris, Marescq, 1897).

e) Ouvrages à l'étranger
R. AGo, Lezioni di diritto internazionale privato: parte generale (Milano, Giuffrè, 1re éd., 1939; 6e éd.,
1957); ID.,« Règles générales des conflits de lois», Recueil des cours (1936-IV), vol. 58, 247-468; ID.,
Teoria dei diritto internazionale privato: parte generale (Padova, Cedam, 1934); M. AGUILAR NAVARRO,
Derecho internacional privado (Univ. Madrid, Fac. Derecho, vol. 1, t. I, 1970 et t. II, 1974 et 1975, vol. 2,
1975); ID., Lecciones de derecho civil internacional espanol (Madrid, Univ. Complutense, 1983); D. ANz1-
LOTTI, Corso di lezioni di diritto internazionale (diritto privato) (Roma, polycopié, 1918); ID., Corso di
diritto internazionale privato, publié in Diritto internazionale, vol. 19 (1964, 1), 363-368 et vol. 20 (1965,
I), 77-91; ID., Opere di Dionisio Anzilotti, t. III, Scritti di diritto internazionale privato (Padova, Cedam,
1960); P. ARMINJON, Précis de droit international privé (Paris, Dalloz, l'e éd., 1927-1929-1931, 2e éd.,
1931-1934-1952, 3e éd., t. I et II, 1947-1958, avec le concours de A. SCHLOEPFER pour la 2e éd. dut.
III et la 3e éd. du t. II) ; T. AsSER, Schets van het internationaal privaatrecht (Haarlem, Bohn, 1880), tra-
duit en français par A. RIVIER, Eléments de droit international privé (Paris, Rousseau, 1884), et traduit
en allemand par M. CORN, Das internationale Privatrecht: ein Leitfaden (Berlin, 1880); G. BALLADORE-
PALLIERI, Diritto internazionale privato (Milano, Giuffrè, l'e éd., 1946, 2e éd., 1950); ID., Diritto interna-
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1889, réimpr. à Aalen, 1966, trad. en italien, Torino, UTET, 1915, et en anglais par GILLESPIE, 2e éd.,
1892); G. BARILE, Diritto internazionale privato (Enciclopedia del Diritro, c. XII, 1964); ID., Lezioni di
diritto internazionale privato (Padova, Cedam, 1975); E. BARTIN, Principes de droit international privé
selon la loi et la jurisprudence françaises (Paris, Domat-Montchrestien, 1930-1932-1935); H. BATIFFOL,
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lisme des méthodes en droit international privé», Recueil des cours (1973-II), vol. 139, 75-147;
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personnelles et réelles et du droit international privé (Paris, 1845) ; R. DE NOVA,« Introduction historique
et comparative aux conflits de lois», Recueil des cours (1966-II), vol. 118, 491-610; ID., Scritti di diritto
internazionale privato (Padova, Cedam, 1977) ; A. DE VAREILLES-SOMMIERES, La synthèse du droit interna-
tional privé (Paris, Cujas, 1897, réimp. en 1972) ; H. DOLLE, Internationales Privatrecht: eine Einführung
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Minn., West Publish. Co., 2e éd., 1968, avec D. LOUISELL) ; ID., Conflict in a Nutshell (St. Paul, Minn.,
West Publish. Co., 3e éd., 1974); ID., Private International Law (Leiden, Sijthoff, 1973-1977, avec
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internazionale, t. IV (Padova, Cedam, 2e éd., 1939); A. FERRER CORREIA, Direito internacional privado
(Coïmbra, Bibl. jur. Atlantida, 1970); P. FroRE, Diritto internazionale privato o principii per resolvere i
conflitti fra le leggi civili, commerciali, giudiziare, penale di stati diversi, (Torino, Unione tipogr., 1875, 4e
éd., 1904-1915, trad. française par ANTOINE, Paris, 1903-1907); FoEux, Traité du droit international
50 ÉCOLES ET SOURCES DU DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ

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Sweet & Maxwell, 1re éd., 1948, 7e éd., 1974); M. GUTZWILLER, Internationalprivatrecht, Enzyklopadie
der Rechtswissenschaft (Berlin, W. Rotshild, 1930); L. H!JMANS VAN DEN BERGH, Algemene problemen
van internationaal privaatrecht (Zwolle, Tjeenk Willink, 1937); J. JrTTA, Internationaal privaatrecht,
(Haarlem, Tjeenk Willink; 1916); F. JUENGER, « General Course of Private International Law
(1983) », Recueil des cours (1985-IV), 119-388; F. KAHN, Abhandlungen aus dem internationalen Priva-
trecht (Münich et Leipzig, ire éd., 1898, 2e éd., 1928, 2 vol., par O. LENEL et H. LEWALD); O. KAHN-
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Topica van internationaal privaatrecht (Groningen, Wolters-Noordhoff, 1969); J. KOSTERS et C. DuB-
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par DuBBINK de l'ouvrage de KosTERS, paru en 1917); A. LAINÉ, Introduction au droit international
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Code civil (Paris, F. Pichon, 1er vol., 1888, 2e vol., 1892, réimpr. Glashütten im Taunus, Detlev Auver-
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(Veroffentlichungen des Frankfurter Seminars für internationales Privatrecht) (Leipzig, Tauchnitz, c. 1,
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international privé d'après la législation et la doctrine russes (Paris, LGDJ, 1933); ID., Internationales Priva-
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(Frankfort-am-Main, Metzner, 1970); ID., Princip/es ofConjlict of Laws, National and International (La
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LES ÉCOLES 51

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diritto internazionale privato e processuale (Torino, UTET, 1983); ID.,« Cours général de droit interna-
tional privé», Recueil des cours (1979-1), vol. 162, 9-243; F. VON SAVIGNY, System des heutigen Rdmischen
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çais par Ch. GUENOUX, Paris, 1851, réédité en 2002, Paris, Ed. Panthéon-Assas, et en anglais par
W. GUTHRIE, Edinburg, Clark, 1869, traduit en italien (8 vol.) par SCIALOJA, Torino, UTET, 1886-
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1892-1905, 2e éd., 1907-1913); W. WENGLER, « The General Principles of Private International
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anglaise (traduit de l'anglais, Paris, Sirey, 1914); M. WOLFF, Private International Law (traduit et
adapté de l'allemand, Oxford, Univ. Press, ire éd., 1945, 3e éd., 1954, 2e éd. rééd., Aalen, Scientia
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(Milano, Giuffrè, 1956); ZITELMANN, Internationales Privatrecht (Leipzig, Duncker & Humblot, t. 1,
1897, t. 2, 1912).

Section 1

Les écoles
§ 1 L'ÉCOLE DU DROIT NATUREL
2.2 - Le droit des gens selon Grotius - Bien qu'elle ne soit pas la première en date et
qu'elle n'ait abordé les questions spécifiques de droit international privé que de manière
accidentelle et incomplète, il convient d'évoquer d'abord l'École du droit naturel dont le
fondateur est un juriste hollandais du début du XVIIe siècle, Grotius.
L'apport essentiel de cette école appartient au droit international, appelé à cette épo-
que« droit des gens» (ius gentium). L'expression était ambiguë parce qu'en droit romain
et encore au début du Moyen Âge elle désignait un ensemble de règles de droit substan-
52 ÉCOLES ET SOURCES DU DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ

tiel applicables à ceux qui n'étaient pas soumis au droit civil (ius civile), réservé aux seuls
citoyens (cives).
Le glissement terminologique a été facilité par la confusion établie dès !'Antiquité et
maintenue durant le Moyen Âge entre ce ius gentium et le ius naturale (droit naturel): les
institutions qui, tels le mariage, le contrat, la propriété, étaient partagées par tous les
peuples et dont jouissaient les non-citoyens, avaient, sous l'influence de la philosophie
stoïcienne, été attribuées à un droit commun à tous les hommes. Ainsi identifié avec le
droit naturel, le ius gentium (droit des peuples plutôt que droit des gens) s'adaptait assez
bien à la situation de souverains qui, en l'état de nature de la société internationale,
n'étaient soumis à aucun autre droit que celui qui se laissait déduire de la raison natu-
relle.

2.3 - Prédominance du principe territorial - Ni Grotius ni ses successeurs, Pufendorf,


Christian Wolff, Vattel, n'ont été très préoccupés des problèmes de droit international
privé.
Chez Grotius, les relations privées internationales relèvent d'une conception assez
rudimentaire de la territorialité (l'étranger qui se trouve dans un pays ou y contracte se
soumet, par sa seule présence, à la loi locale) ou, quand celle-ci est inopérante, au droit
naturel. Au même titre que le contrat conclu en haute mer ou sur une île déserte, le con-
trat entre absents est soustrait à tout législateur civil et régi par le droit naturel, qui gou-
verne aussi les traités entre chefs d'États.
L'essentiel de la problématique du droit international privé, à savoir qu'un juge
puisse appliquer un droit étranger, semble avoir échappé à Grotius et à Pufendorf. Au siè-
cle suivant, Christian Wolff et son disciple Vattel tempèrent l'application de la loi territo-
riale en distinguant plus soigneusement que ne l'ont fait leurs prédécesseurs, les
éléments du droit territorial qui s'appliquent à l'étranger de passage, lequel demeure, à
d'autres égards, soumis à la loi de son domicile, distinction qui implique une idée au
moins sommaire du conflit de lois.
1111Voy. les références dans : F. R.!GAUX, « Les concepts de souveraineté et de propriété dans la doc-
trine du XVII< et du XVIIIe siècle», Mélanges Wengler (Berlin, Incerrecht, 1973), t. I, 364-366.

§2 L'ÉCOLE DES STATUTS


2.4 - Une approche pragmatique -À lire les théoriciens de l'école du droit naturel il
semble qu'ils aient ignoré les textes consacrés aux conflits de statuts par des juristes pré-
occupés des nécessités du commerce juridique quotidien.
On appelle« École des statuts» une doctrine qui s'étend du XIVe au XVIIIe siècle et
dont les principales branches sont italienne (XIVe-xve siècle), française (XVIe-xvnre siè-
cle) et hollandaise (XVIIe siècle). Le nom de cette école provient d'une traduction littérale
du pluriel latin statuta, qui désignait au Moyen Âge les règles de droit ou lois édictées par
les communes ou les principautés italiennes, règles dérogeant sur des points particuliers
au droit commun, le droit romain. Comme ces règles différaient d'une ville ou d'une
région à l'autre, les relations nouées entre les citoyens de communes ou les sujets de prin-
ces différents, suscitèrent des conflits de statuts qu'on appela en France conflits de cou-
tumes et aux Pays-Bas conflits de lois.
LES ÉCOLES 53

Les deux traits les plus notables qui séparent l'École des statuts de l'École du droit
naturel sont les suivants :
a) À la différence de la seconde, la première a, dès l'origine et très nettement, admis
l'application par le juge d'une ville ou d'une principauté d'une disposition législa-
tive émanant d'un autre pouvoir territorial. Le choix du droit applicable fait l'objet
même du conflit de statuts, de coutumes ou de lois.
b) Plus fondamentalement, la doctrine des statuts épouse la perspective d'une souve-
raineté déterminée, elle systématise les solutions dégagées par la pratique judiciaire,
qui ne saurait être que celle des juridictions établies par les divers pouvoirs territo-
riaux - il serait anachronique de dire par les divers États. Alors que l'École du droit
naturel recherche a priori des solutions proprement internationales, c'est-à-dire
communes aux divers souverains de l'époque, l'École des statuts a des ambitions
plus limitées : aider les organes d'une souveraineté déterminée à résoudre, du seul
point de vue de celle-ci, les conflits de statuts que révèle la pratique des échanges
entre les sujets de divers souverains.

2.5 - Statuts réels et statuts personnels - La méthode smv1e par l'École des statuts
depuis ses origines jusqu'à la fin du XVIIIe siècle consiste à «qualifier» les statuts (les
règles de droit) en réels et en personnels.
Les statuts réels sont territoriaux, ce qui signifie tantôt qu'ils s'identifient avec la lex
fori, tantôt qu'ils sont déterminés par la localisation matérielle de l'élément pertinent du
rapport juridique : situation d'un bien, lieu de conclusion d'un acte, lieu d'un délit (lex rei
sitae, lex loci actus, lex loci delicti).
1111Les statuts personnels ne sauraient être confondus avec la notion internationale de personna-
lité des lois: en effet, jusqu'à la Révolution française, la nationalité ne joue aucun rôle, mais lesta-
tut personnel est lié au domicile, qui, au regard de la nationalité, ne constitue qu'une variété de
critère territorial.

En tant que statut personnel, la lex domicilii s'oppose au statut réel, soit que celui-ci
se confonde avec la lex fori, soit que la résidence ou la présence d'une personne sur le terri-
toire d'une souveraineté différente de celle de son domicile ou la circonstance qu'elle y
possède des biens ou y ait accompli un acte juridique la soumettent au droit de ce terri-
toire plutôt qu'à celui de son domicile.
Au xvre siècle, un magistrat breton, d'Argentré, s'efforce de conférer à la distinction
des statuts réels et des statuts personnels un tour plus systématique en affirmant que les
premiers sont la règle, les seconds l'exception. Ce faisant, il paraît bien identifier statut
réel et lex fori : le juge applique toujours son propre droit sauf s'il est démontré qu'un sta-
tut personnel évince le statut territorial. En cas de doute, la territorialité l'emporte sur la
personnalité. D'où l'adage, qui prévaudra en France jusqu'à la fin du XVIIIe siècle: En
principe, toutes coutumes sont réelles.

2.6 - Vers une théorie des conflits de lois - L'apport essentiel de la doctrine hollandaise
à la théorie du droit international privé fut l'œuvre d'Ulric Huber. Pas plus en France
qu'en Italie le conflit de statuts ou de coutumes n'avait une dimension proprement inter-
nationale. Quand le Parlement de Paris appliquait la coutume de Bretagne, il ne se réfé-
rait pas à un droit étranger au souverain au nom duquel la justice était rendue.
54 ÉCOLES ET SOURCES DU DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ

L'intitulé même de la dissertation publiée en 1689 par Ulric Huber - De conflictu


legum diversarum in diversis imperiis - est très révélateur d'un changement de perspective.
Non seulement l'expression « conflit de lois» est, pour la première fois, employée de
manière systématique, mais l'objet propre de la dissertation est la justification de l'appli-
cation d'un droit étranger, c'est-à-dire du droit mis en vigueur par un souverain distinct
de celui dont relève le juge saisi du litige.
1111 La dissertation de Huber a été publiée en anglais par D. J. LLEWELYN ÜAVIES, « The Influence of
Huber's de Confliccu Legum on English Private international Law», B.Y.I.L. (1937), 49-78.

Huber, qui a certainement subi l'influence de Grotius, trouve pareille justification


dans une notion qui prend appui sur l'ordre international, la comitas gentium, ce que Savi-
gny appellera plus tard « la communauté de droit des gens que forment les États
indépendants». Reçue par la doctrine anglo-américaine sous le nom de comity et malen-
contreusement traduite par l'expression « courtoisie internationale», la comitas gentium
se fonde essentiellement sur l'idée de réciprocité. Eu égard à la société que forment les
États, il convient que pour régler les rapports mutuels que nouent leurs sujets respectifs
chaque État déclare applicable le droit mis en vigueur par tous les autres, selon des règles
dont l'élaboration précise est laissée à la discrétion de chaque souverain territorial.
Il!Sur la comity, voy. notamment: H. lRMER, « Comity" Nederlandse Invloed op het Recht der Verenigde
Staten (Nijmegen, 1948) ; H. E. YNTEMA, « The Comity Doctrine», Mélanges Dalle, t. II, 80.

Ainsi, c'est chez Ulric Huber que la notion de territorialité reçoit une signification
nouvelle, à savoir que les critères selon lesquels s'opère le choix du droit applicable sont
déterminés par la !ex fori.

§3 UNIVERSALISME ET POSITIVISME
2.7 - À la recherche d'un droit commun - Les traits distinctifs d'une école juridique ne
se laissent clairement dessiner qu'à la faveur de la distance prise par ses successeurs.
Ainsi, en droit international privé on n'a parlé d'« universalisme» qu'à la fin du XIXe siè-
cle, quand la jeune doctrine, qualifiée de « positiviste » - Kahn en Allemagne, Bartin en
France - a édifié des théories nouvelles condamnant toutes celles qui l'avaient précédée.
Ayant elle-même répudié la théorie des statuts, la doctrine qu'on appelle aujour-
d'hui «universaliste» et qui a couvert tout le XIXe siècle présente des tendances assez
diverses selon les périodes, selon les pays, mais aussi selon la personnalité ou le génie pro-
pre de ses principaux représentants. La doctrine universaliste professe qu'il existe une
méthode commune aux nations civilisées de l'époque pour résoudre les conflits de lois.
La diversité des droits substantiels internes serait corrigée par l'élaboration d'un système
uniforme de conflit de lois. À la vérité, avec ce que cette idée fondamentale a de trop systé-
matique, elle n'a été un facteur dominant que dans les pays d'Europe continentale et
d'Amérique latine, avec pour principaux représentants Savigny et von Bar en Allemagne,
Mancini en Italie, François Laurent et Albéric Rolin en Belgique, Weiss et Pillet en France,
ce dernier débordant largement sur le xxe siècle. Le plus grand conflictualiste de langue
anglaise au XIXe siècle, Story, juge à la Cour suprême des États-Unis, et, à la charnière du
xrxe et du xxe siècle, Dicey en Angleterre, se sont mieux gardés des illusions de la doc-
trine universaliste, plus attentifs aussi aux solutions de la jurisprudence des pays de com-
mon law.
LES ÉCOLES 55

1!11Sur la prétention de Laurent à édifier une véritable« science» du droit international privé à par-
tir du principe des nationalités et, d'une manière plus générale, sur l'apport de la doctrine belge à
l'universalisme du XIXe siècle, voy. F. RIGAUX, « Cent cinquante ans de droit international privé
belge», dans: Les grands arrêts de la jurisprudence belge (Bruxelles, Larcier, 1981), 22-30.

2.8 - Internationalistes et civilistes - Au XIXe siècle, le droit international privé n'a pas
encore acquis le statut d'une discipline autonome, ni à l'université ni parfois même dans
la littérature juridique. L'exemple le plus prestigieux est celui de Savigny: les observa-
tions très pénétrantes et très en avance sur leur temps qu'il consacre aux conflits de lois
ne forment qu'une partie du dernier volume d'un ouvrage qui en compte huit et fait la
synthèse du droit romain alors en vigueur en Allemagne. Divisé en deux parties, ce tome
VIII traite des conflits de lois dans le temps et des conflits de lois dans l'espace.
Avant le début du xxe siècle il n'y a guère d'auteur dont l'activité scientifique soit
principalement sinon exclusivement orientée vers le droit international privé. La plupart
se recrutent parmi les internationalistes, ce qui se comprend d'autant mieux que, dans les
universités, il n'y a pas, à cette époque, de chaire de droit international privé distincte de
la chaire de droit des gens. Dans certaines doctrines étrangères, notamment en Italie, en
Espagne et en Amérique latine, la double appartenance des internationalistes s'est pour-
suivie jusqu'à nos jours.
Tant qu'elle n'a pas acquis le statut d'une discipline autonome, la science des con-
flits de lois a été traversée par deux tendances dont on peut attribuer les origines respecti-
ves à la dualité des familles doctrinales dont les différents auteurs étaient issus,
internationalistes d'une part, civilistes de l'autre.
Au XIXe siècle, cette différence de formation et peut-être de tempérament a parfois
été plus notable que l'appartenance commune au courant universaliste. On peut ainsi
opposer des internationalistes comme sir Robert Phillimore ou Lorimer à des civilistes
tels Savigny ou Laurent.
111 Selon Phillimore, l'international jurisprudence couvre à la fois les rapports entre États et les rela-
tions entre individus (Commentaries upon International Law, t. I, 10-13). De même, Lorimer divise ses
Institutes ofthe Law ofNations en trois parties: il appelle droit public celui qui règle les rapports inter-
étatiques, droit public et privé, la matière qui traite des rapports entre l'État et les étrangers, droit
privé, celle qui a pour objet les conflits de lois (t. I, 4-5).

2.9 - Le positivisme de Kahn et de Bartin - La réaction positiviste dont Kahn et Bartin


donnèrent le signal dans les dernières années du XIXe siècle fut l'œuvre de civilistes. Leur
méthode est analytique : à partir d'un cas de jurisprudence, ils décomposent les éléments
de la règle de conflit de lois et cernent très adroitement le problème que les juges ont ren-
contré et résolu sans en avoir été conscients.
1!11Les problèmes du renvoi et de la qualification, l'exception d'ordre public ont été inventés par
Kahn et par Bartin. Ces problèmes constituent pour eux les abcès de fixation de la psychose univer-
saliste dont ils prétendent guérir le droit international privé, et l'œuvre de Kahn, notamment, a un
ton très polémique à l'égard de von Bar.
Au-delà des coups mortels que Kahn et Bartin ont portés à la doctrine universaliste,
leur mérite essentiel est d'avoir fondé le droit international privé comme science auto-
nome. Ce ne fut pas sans dommage, le principal étant une rupture avec la tradition inter-
nationaliste. En centrant la problématique du droit international privé sur l'application
judiciaire des règles de conflit de lois, ils ont retrouvé une conception traditionnelle de la
doctrine anglo-américaine et qui, par l'intermédiaire de Story, remonte à l'école hollan-
56 ÉCOLES IT SOURCES DU DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ

daise des statuts : le droit international privé est une branche du droit interne, il contient
les règles à l'aide desquelles les tribunaux d'un État déterminé résolvent les conflits de
lois qui leur sont déférés.
La division des internationalistes en publicistes et en privatistes a fait plus de tort
aux seconds qu'aux premiers. Le droit international général constitue, en effet, pour le
droit international privé un cadre de référence indispensable. Jointe à un parallélisme ter-
minologique critiquable (voy. infra, n ° 2.14 ), cette division a entretenu l'illusion que le
droit international public et le droit international privé sont deux branches du droit
parallèles, également autonomes, ayant des objets matériels distincts et dont les métho-
des ne doivent rien l'une à l'autre.
2.10 - L'école du droit comparé - Depuis le début du xxe siècle, la doctrine du droit
international privé s'est développée sur les fondements positivistes, profondément
empreints de la problématique judiciaire que lui avaient imprimée Kahn et Bartin.
Entre les deux guerres mondiales s'est constituée une école que, pour la distinguer
des doctrines universaliste et positiviste, Zweigert a appelée la « troisième école du droit
international privé». Son développement a coïncidé avec le renouveau de l'étude du droit
comparé : sans avoir renoncé au positivisme du début du siècle, les auteurs qui y appar-
tiennent sont, en général, moins ouvertement nationalistes que Bartin. Ils découvrent
que les problèmes clés, le renvoi, la qualification, l'ordre public, d'autres qui s'y ajoutent,
telle la question préalable (Vorfrage), élaborée en 1934 par Wengler, se posent aux juges
des différents pays en des termes assez semblables. L'autonomie conférée au droit inter-
national privé par Kahn et par Bartin permet à la génération qui leur succède d'ajouter au
positivisme le prestige de la méthode comparative.
1111 Voy. K. ZWEIGERT, « Die dritte Schule im internationalen Privatrecht », Mélanges Raape (1948).
Sur la méthode comparative en droit international privé, voy. aussi : E. BENDERMACHER-GEROUSSIS,
« La méthode comparative et le droit international privé», Revue hellénique (1979), 54-61; B. FAU-
VARQUE-CossoN, « Droit comparé et droit international privé : la confrontation de deux logiques à
travers l'exemple des droits fondamentaux», Rev. int. dr. camp. (2000), 797-818; lo., « Comparative
law and conflict oflaws: Allies or ennemies? New perspectives on an old couple», Am.]. Camp. L.
(2001), 407-428; H. KOCH,« Rechtsvergleichung im lnternationalen Privatrecht, Wider die Reduk-
tion des !PR auf sich selbst », RabelsZ (1997), 623-646; Y. LoussouARN, « Le rôle de la méthode
comparative en droit international privé français», Revue (1979), 307-339; M. TRAYNOR, « Conflict
oflaws, comparative law, and the American law institute », Am.]. Camp. Law (2001), 391-406.

2.11 - Vers une théorie générale -À la même époque, s'est structurée une théorie géné-
rale des conflits de lois qui, tout en devant beaucoup à Kahn et à Bartin, remet en ques-
tion certaines de leurs solutions. Quelques cours généraux professés à l'Académie de droit
international, ceux d'Ago et de Maury en 1936, celui de Lewald en 1939, donnent le ton.
Exception faite des deux premiers auteurs cités, le principal apport à la théorie générale
du droit international privé est, à cette époque, l'œuvre des doctrines allemande (Mel-
chior, Raape, Rabel, Wengler, Wolff) ou américaine (Beale, Cook, Lorenzen). Niboyet qui
domine la doctrine française jusqu'à l'immédiate après-guerre reste attaché à la doctrine
positiviste.
1111 Parmi les travaux portant sur la doctrine des 150 dernières années, voy. : P. FRANCESCAKIS, « Une
lecture demeurée fondamentale: les 'règles générales des conflits de lois' de Jacques Maury», Revue
(1982), 3-24; A. PONSARD,« L'œuvre de droit international privé du doyen Pierre Louis-Lucas», Clu-
net (1984), 211-240; F. RrGAUX, « Cent cinquante ans de droit international privé belge», Trav.
comité fr. d.i.p. (1980-1981), 17-41; A. VON OVERBECK,« L'influence de Meijers sur le droit internatio-
LES ÉCOLES 57

na! privé », WP.N.R ( 1980), n ° 5504, 78-89. Sur l'œuvre de Laurent et son contexte, voy. : J. ERAuw
e.a. (dir.), Liber Memorialis François Laurent (Bruxelles, Scory-Scientia, 1989).

2.12 - L'école postmoderne - Le droit international privé contemporain est confronté à


la nécessité de fournir une réponse efficace aux besoins d'une circulation internationale
croissante des personnes et des biens. Le développement des moyens de communication
et l'avènement de la société de l'information, banalisent le phénomène transfrontière.
Parallèlement, cette discipline, une fois acquise son autonomie et débarrassée d'une
quête d'identité, se plie, comme d'autres branches du droit, à la nécessité d'une ouverture
au respect des droits fondamentaux.
Le droit international privé dit« postmoderne» s'attache à l'identification des inté-
rêts qui sous-tendent l'application de la règle de droit dans la sphère internationale. Ces
intérêts ne sont pas nécessairement ceux de l'État. L'émergence des droits fondamentaux
de la personne conduit à considérer également la protection d'intérêts privés. Ainsi, les
mérites du facteur de la nationalité comparés à ceux de la résidence habituelle en matière
familiale ne s'analysent pas nécessairement en fonction de la nature des choses, ou de la
qualification d'une institution juridique, tantôt au regard du droit du for, tantôt selon
l'enseignement du droit comparé, mais encore en prenant en considération les exigences
de la circulation internationale, l'identité culturelle, la protection sociale, etc.
Ill Pour une présentation de l'école postmoderne, voy. notamment: E. ]AYME, « Identité culturelle
et intégration: le droit international privé postmoderne», Recueil, t. 251 (1995), 9-267, et, aux
États-Unis, les travaux de L. BRILMAYER, notamment« Post-modernism in American choice oflaw »,
Mélanges F. Laurent (Bruxelles, Scory-Scientia, 1989), 695-705.
Pour une approche théorique typique du postmodernisme, voy. : E. O'HARA et L. RlBSTEIN, « From
politics co efficiency in choice oflaw », Univ. Chicago L.R. (2000), 1151-1232.

IllL'incidence du droit communautaire sur le droit international privé pourrait être une illustra-
tion de cette école, dans la mesure où le régime de la circulation des marchandises, des services ou
des personnes est de nature à faire pression sur les règles de conflit de lois nationales en vue de
favoriser les intérêts des opérateurs privés.

§4 TERMINOLOGIE
2.13 - lus Gentium et droit international - Plusieurs auteurs du Moyen Âge, notamment
Isidore de Séville et Gratien, nous ont transmis une expression empruntée au droit
romain, ius gentium, qui acquerra au XV!C siècle, sous la plume de Vitoria et de Suarez,
l'acception précise qui est, aujourd'hui, celle du droit international. Elle fut traduite par
droit des gens, Law ofNations, Volkerrecht.
C'est à Jeremie Bentham, semble-t-il, qu'il faut attribuer l'expression International
Law, introduite dans un ouvrage publié en 1789 (An Introduction to the Principles of Moral
and Legislation, chap. XVII, § 25). Dès 1802, un auteur genevois, Étienne Dumont, adopte
l'expression « droit international» dans un ouvrage écrit en français (Traités de législation
civile et pénale).

2.14 - Conflit de lois et droit international privé - L'expression conflictus legum (conflit
de lois, conflict of laws) provient, semble-t-il, de la doctrine hollandaise. En 1689, pour la
première fois, elle apparaît en tête de la dissertation d'Ulric Huber : De conflictu legum
diversarum in diversis imperiis (voy. supra, n ° 2.6).
58 ÉCOLES ET SOURCES DU DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ

C'est à un auteur américain, Story, que l'on attribue généralement le mérite d'avoir,
en l'introduisant dans la première édition de l'ouvrage intitulé Commentaries on the Con-
flict of Laws (Boston, 1834), forgé l'expression Private international Law, par imitation du
néologisme adopté quelque quarante années auparavant par Bentham. C'est un auteur
allemand, Schaffner, qui, le premier, en usa dans son intitulé : Entwicklung des internationa-
len Privatrechts (Francfort, 1841 ), bientôt suivi de Foelix : Traité du droit international privé ou
du conflit des lois de différentes nations en matière privée (Paris, 1843).

Par souci de symétrie, et pour éviter toute confusion, on accola à l'ancien droit inter-
national l'épithète public, innovation qui, d'après Nys (Le droit international, Bruxelles,
1912, t. 1er, 65), qui la critique à juste titre, apparaît vers le milieu du XIXe siècle. Selon le
langage courant et même en certains écrits, l'expression« droit international» (internatio-
nal law) désigne encore le droit des gens à l'exclusion du droit international privé.

Sans être tout à fait adéquate, l'expression« droit international privé» est à ce point
entrée dans l'usage qu'il serait oiseux d'y substituer celle, aujourd'hui plus correcte, de
« droit privé international».

Section 2

Les sources

§1 LE DROIT INTERNATIONAL

2.15 - La primauté des sources - Une différenciation du droit international privé du


droit international en raison de leur objet respectif n'exclut pas une incidence possible de
celui-ci sur celui-là sous l'angle des sources. Le droit international contient, sous une
forme codifiée ou non, certaines règles qui, tout en ayant les États pour destinataires
directs exclusifs, concernent par leur substance des relations entre particuliers.

Pareilles règles s'imposent à l'État, et leur violation par celui-ci engagerait sa respon-
sabilité à l'égard d'autres États. Quant à l'applicabilité de telles règles à des litiges entre
particuliers, son effectivité dépend de la conjonction de deux dispositions, empruntées
respectivement au droit international et au droit interne. Au premier il appartient de
déterminer quelles règles peuvent, par leur nature mais aussi par leur contenu, avoir un
tel effet. Au second il revient d'adapter son ordonnancement institutionnel en vue
d'assurer le respect de l'obligation qui pèse sur l'État dans l'ordre juridique international.
Ill La théorie del'« effet direct" a connu ses applications les plus poussées en droit communau-
taire. Simple « procédé technique qui permet à des droits créés dans un système d'être 'directe-
ment' applicables dans un autre" 0- VERHOEVEN, « L'application ou la prise en considération des
directives en droit belge», Rev. crit. jur. belge, 1998, 195-221, 217), l'effet direct, tel qu'il a été appli-
qué aux directives, a d'abord procuré au droit communautaire un moyen de sanction contre l'État
en situation de manquement à ses engagements internationaux. Voy. aussi, plus généralement: J.
VERHOEVEN, « La notion d'applicabilité directe du droit international», Revue belge (1980), 243-264.
Appliqué au droit primaire, l'effet direct a permis de conférer aux règles sur les différentes libertés
de circulation une force opératoire dans les litiges entre particulier, sans en exclure les litiges de
droit privé.
LES SOURCES 59

A. Le droit international général


2.16 - Le principe des compétences étatiques concurrentes -À l'égard de situations
présentant des attaches ou des liens avec plus d'un État, se pose la question si l'État ris-
que, par ses règles de droit international privé, d'empiéter sur le domaine spatial que le
droit international garantit à un autre État. Ayant nécessairement pour objet des rela-
tions qui intéressent plus d'un État, les règles de droit international délimitant les
domaines spatiaux respectifs des États permettent de vérifier si la pratique suivie par un
État en ce domaine ne porte pas atteinte à la compétence exclusive d'un autre État. Cha-
cun des termes de cette définition appelle un bref commentaire.
Par« pratique suivie par un État», il faut entendre l'application effective d'une dis-
position du droit de cet État. Cela impliquera normalement l'action d'un organe étati-
que, le plus souvent d'une juridiction, et l'on a vu (voy. supra, n ° 1.46) combien le conflit
de lois est subordonné au conflit de juridictions. En d'autres termes, la seule existence
d'une norme - de droit international privé et, à plus forte raison, de droit substantiel
interne - ne saurait, comme telle, être jugée contraire au droit international. Est seule
exposée à un constat d'incompatibilité, l'application qui est faite d'une norme à une
situation relevant de la compétence exclusive d'un autre État.
Le caractère négatif ou prohibitif des règles de droit international délimitant les
compétences étatiques se laisse bien percevoir : les compétences de l'État lui appartien-
nent en propre en sa qualité d'ordre juridique primaire, elles ne lui sont pas dévolues par
un ordre juridique supérieur, en l'occurrence le droit international, lequel fait seulement
défense à chaque État d'empiéter sur les compétences exclusives d'autres États. Or, en
droit international privé, et plus spécialement dans la matière des conflits de lois, la plu-
part des compétences étatiques sont « concurrentes », elles sont justifiées par des critères
alternatifs. Il suffit que l'exercice d'une compétence se fonde sur un intérêt de l'État pour
que pareil exercice soit licite, sauf s'il est porté atteinte à la compétence exclusive d'un
autre État.
Ill!Sur l'inexistence de règles répartitrices de nature positive, mais sur l'existence de principes limi-
tatifs, voy. notamment: J. VERHOEVEN, « Droit international public, droit international privé et
droit national», in E. WYLER et A. PAPAUX (dir.), L'extranéité ou le dépassement de l'ordre juridique étati-
que (Paris, Pédone, 1999), 17-36.
Voy. aussi sur ce thème : P. DE VAREILLES-SOMMIÈRES, La compétence internationale de l'État en matière de
droit privé (Paris, LGDJ, 1997).

2.17 - Compétences exclusives en matière de nationalité - Le droit international énonce,


à propos de la détermination de la nationalité, une règle négative de répartition des com-
pétences législatives. Celle-ci interdit aux États de s'immiscer dans la détermination de la
qualité de ressortissant d'un autre État. En revanche le droit international ne soumet pas
à des limites explicites le choix des critères selon lesquels les États confèrent ou retirent
leur nationalité.
Ill Sans doute pourrait-on imaginer qu'un État adopte un critère arbitraire ou qui empiète grave-
ment sur l'exercice par un autre État de ses compétences concurrentes. En pratique routefois, le cri-
tère arbitraire, qui pourrait être jugé contraire au droit international, n'a aucun espoir d'effectivité
et ne saurait dès lors porter atteinte au droit de quiconque. Voy. à titre d'exemple: F. RIGAUX, « La
conformité au droit international de l'article 116, § 1e,, de la loi fondamentale de Bonn », Mélanges
Abendroth, 576-589.
60 ÉCOLES ET SOURCES DU DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ

IllLe droit communautaire n'altère nullement ce constat. Non seulement la « citoyenneté de


l'Union» se détermine en fonction de« la nationalité d'un État membre» (art. 17 du traité CE),
mais encore est-il admis que la détermination de la nationalité relève de la compétence de l'État, en
vertu d'un principe coutumier de droit international (C.J.C.E., aff. C-192/99, 20 février 2001, Kaur,
Recueil, 2001, 1-1237).
Ill Sur le conflit de nationalités en droit positif, voy. infra, n ° 5.52.

Cette règle laisse pratiquement au droit public interne de chaque État la détermina-
tion de sa nationalité, autant pour les besoins du droit international privé que pour ceux
du droit international. Celui-ci s'abstient de répartir lui-même les êtres humains entre les
différents États et il ne procure même pas de critère de répartition qui serait commun
aux États ou s'imposerait à eux.
Ill L'ordre juridique international connaît dès lors des conflits de nationalités qui lui sont propres
et qui ont pour objet la détermination de la nationalité d'une personne qui satisfait aux critères de
plus d'un État (pluripatridie) ou qu'aucun État ne reconnaît pour son national (apatridie). En cas
d'exercice de la protection diplomatique ou d'une action judiciaire internationale, la détermina-
tion de la nationalité d'une personne est nécessairement préalable à la solution du conflit interéta-
tique.
Cette répartition de compétences exclusives entérine en quelque sorte une vérité
proprement scientifique : il appartient à chaque ordre juridique de déterminer ses sujets
et ses destinataires ; or, la qualité de ressortissant d'un État définit une catégorie de per-
sonnes soumises à l'ordre juridique étatique en vertu d'un critère de nature personnelle,
qui n'est pas dépourvu d'analogie avec l'affiliation aux systèmes juridiques non territo-
riaux, par exemple à un droit religieux (voy. supra, n ° 1.17).
L'acte par lequel un État s'immiscerait dans la détermination de la nationalité d'un autre État
11111

est quasi totalement privé d'effectivité. Ce faisant, il ne saurait porter atteinte à la substance même
des effets de la nationalité, ceux que l'État qui l'a octroyée est seul à même de reconnaître dans son
propre ordre juridique. C'est bien dans l'ordre interne de l'État ayant conféré sa nationalité que
celle-ci produit ses principaux effets. Les droits subjectifs qui résultent de la qualité de ressortissant
d'un État s'exercent, pour l'essentiel, à l'égard de cet État et dans son ordre juridique. Voy. notam-
ment en ce sens: Cour internationale de justice, arrêt du 8 avril 1955, Nottebohm, CI.]. Recueil, 1955,
20.

2.18 - Compétences exclusives en matière de condition de l'étranger - Le droit interna-


tional fixe d'abord les limites dans lesquelles chaque État arrête la condition des étran-
gers. Selon une exigence de nature formelle, qui satisfait aussi au principe d'effectivité,
les règles nationales de condition des étrangers déterminent par rapport à l'ordre juridi-
que de l'État dont elles émanent les droits et les devoirs de ceux qui n'ont pas la nationa-
lité de cet État. En revanche, excéderaient la compétence de l'État, les règles par lesquelles
il prétendrait déterminer la condition de ses ressortissants à l'étranger, objet qui se
trouve d'ailleurs placé hors de son atteinte.
Le droit international peut aussi limiter par des normes matérielles les pouvoirs
exercés par l'État à l'égard des étrangers. Ces normes sont de nature diverse.
a) Le droit international coutumier contient quelques normes généralement acceptées
imposant aux États d'assurer aux étrangers un traitement meilleur que la condition
de leurs propres ressortissants.
Abstraction faite des conventions de protection des droits de l'homme, le droit
international coutumier interdit de soumettre les étrangers à des traitements inhu-
mains ou dégradants, de les priver arbitrairement de leur vie ou de leur liberté, etc.
LES SOURCES 61

Sans doute pourrait-on dire que la protection de la personne des étrangers est
incluse dans l'obligation générale de l'État de respecter les droits fondamentaux de
tout être humain. Une différence subsiste cependant, favorable à l'étranger, à savoir
que la coutume internationale reconnaît à l'État dont une personne a la nationalité
le droit d'exercer auprès de l'État qui a porté atteinte à un droit de cette personne
une action diplomatique alors que la personne ayant la nationalité de l'État qui
aurait violé ses droits fondamentaux ne saurait bénéficier d'une protection analo-
gue.
1111 Sur ce thème, voy. par exemple : J. FROWEIN (dir.), Le régime juridique des étrangers en droit national et
international (Berlin, Springer, 1987).
b) La nationalisation de biens appartenant à un étranger a aussi donné lieu à la formu-
lation de règles protectrices. Quelle qu'en soit l'exacte portée, la règle coutumière
offre aux biens des étrangers une protection dont ne sauraient se prévaloir les natio-
naux. Nul n'a jamais songé à prétendre que l'État qui exproprie sans indemnité les
biens de ses nationaux commet un fait illicite international.
1111 Sur les effets internationaux des nationalisations, voy. infra, n ° 13.23.

Dans les limites ainsi fixées par les sources de droit international, chaque État res-
treint comme il l'entend les droits auxquels un étranger peut prétendre dans son ordre
juridique. Le droit interne de la condition des étrangers est, pour l'essentiel, un catalogue
de droits dont la jouissance est soit refusée aux étrangers, soit subordonnée à des condi-
tions qui ne sont pas exigées des nationaux.

2.19 - Compétences exclusives en matière de conflits d'autorités et de juridictions - Le


droit international procure plusieurs règles de compétence de nature formelle. Hormis le
respect dû aux privilèges et immunités (voy. infra, n ° 9.18) et l'hypothèse du déni de jus-
tice, qui relève aussi de la condition de l'étranger, le conflit d'autorités et de juridictions
n'a pas fait l'objet de règles matérielles de droit international. S'il respecte les trois règles
formelles énoncées ci-dessous, l'État arrête comme il l'entend ses règles de conflits
d'autorités et de juridictions.
En vertu de la première règle, chaque État règle la compétence et le fonctionnement
de ses seuls organes, et il arrête les conditions auxquelles les actes publics et les décisions
judiciaires étrangers sont reconnus et mis à exécution dans son ordre juridique. En
revanche, il s'abstient de s'immiscer dans la procédure et le fonctionnement des autorités
et des juridictions étrangères, de même qu'il est sans pouvoir pour imprimer une effica-
cité internationale aux actes et aux décisions de ses propres organes.
Selon la deuxième règle formelle, la coopération des autorités ou des juridictions
d'États différents suppose un accord au moins implicite des États dont les organes
respectifs sont appelés à coopérer. Pareil accord est un acte du droit international et il
implique la participation de l'organe compétent pour engager l'État dans les relations
internationales.
Une troisième règle formelle consiste à interdire aux autorités étatiques d'exercer
des actes de leurs fonctions sur le territoire d'un autre État sans l'agrément au moins
implicite de l'État territorial. Elle a pour corollaire l'incompétence des autorités ou des
juridictions d'un État pour accomplir un acte de contrainte institutionnelle à l'égard de
l'organe d'un autre État ou sur le territoire d'un autre État. Quant à l'exercice de fonc-
62 ÉCOLES ET SOURCES DU DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ

tions étatiques dans les espaces communs - en haute mer, à bord d'un aéronef en vol -
elles sont de plein droit licites puisqu'elles ne portent pas atteinte à la compétence coerci-
tive exclusive d'aucun État territorial.
Ill Le cas le plus flagrant de transgression de pareille compétence exclusive est l'arrestation d'une
personne sur le territoire d'un État par les autorités d'un autre État qui conduisent l'intéressé par
la force sur le territoire du second État, pour le soumettre, le cas échéant, à une procédure judi-
oaire.
Il Cette règle trouve une explication, à la fois dans le concept de « territorialité au sens formel "
qui commande les limites de la force obligatoire de la règle de droit (voy. supra, n° 1.34) et dans le
concept d'autonomie institutionnelle du système juridique qui emporte l'exclusivité de la compé-
tence des autorités étatiques sur le territoire (voy. supra, n° 1.21).
111Un accord international peut évidemment habiliter les autorités d'un État à user de contrainte
sur le territoire d'un autre État. On trouve un exemple classique de pareil accord dans les conven-
tions relatives au stationnement des troupes d'une puissance sur le territoire d'une autre. La disci-
pline et la justice militaires y sont exercées par les autorités compétentes et conformément à la loi
de l'État dont relève la troupe autorisée à stationner sur le territoire de la puissance alliée ou vain-
cue. C'est ainsi que la Cour suprême des États-Unis a décidé que la compétence exercée par les juri-
dictions militaires américaines en dehors du territoire des États-Unis devait respecter les garanties
prévues par la Constitution. Voy. en ce sens: Reid v. Covert, 354 U.S. 1 (1957), 14, 56.
Il Les pouvoirs exercés par les agents diplomatiques et consulaires en vertu du droit international
commun sont exclusifs de tout acte de coercition. Certaines conventions consulaires permettent
exceptionnellement l'accomplissement d'actes de contrainte.

À la vérité, les limites ainsi apportées à la détermination de la compétence interna-


tionale des autorités et des juridictions résultent essentiellement du principe d'effecti-
vité. Rien ne saurait empêcher un État de reconnaître à la compétence de ses juridictions
un domaine spatial quasi illimité. Pour autant que les actes juridictionnels qui y sont
afférents s'exercent sur le territoire de cet État et à condition que ses autorités s'abstien-
nent de tout acte de coercition sur le territoire d'un autre État, il n'est pas illicite que le
lien entre le litige et l'État dont une juridiction se déclare compétente soit ténu, voire
inexistant. L'efficacité d'une telle décision risque d'avoir le même caractère et il n'est
guère vraisemblable que beaucoup de plaideurs alimentent un contentieux quasi inopé-
rant.
Ill Voy., dans le chapitre concernant la compétence internationale, le concept de« for exorbitant",
lié à une règle de compétence basée sur la seule présence d'un bien ou d'une personne sur le terri-
toire sans rapport avec le litige (voy. infra, n ° 9.25).

2.20 - Compétences étatiques en matière de conflits de lois - Le droit international géné-


ral ne contient ni règles formelles ni règles matérielles de conflit de lois analogues à celles
qui ont été rencontrées dans le secteur des conflits d'autorités et de juridictions.
Une compétence exclusive de l'État paraît certes devoir être reconnue à l'égard de
situations purement internes, ou homogènes. Il est vrai que cette question ne se pose pas
au regard de l'État auquel cette situation se rattache et il serait artificiel de subordonner
l'application du droit de cet État à la mise en œuvre d'une règle de conflit de lois : le droit
international privé présuppose en effet la vérification d'un élément transfrontière. La
question se pose plutôt dans un ordre juridique autre que celui de cet État. La reconnais-
sance d'une compétence exclusive de cet État résulte cependant moins d'une règle de
droit international que d'une vérité d'évidence. Une situation homogène ne pourrait sus-
citer un réel problème de droit international privé qu'à la faveur du temps et du déplace-
LES SOURCES 63

ment de l'un de ses éléments significatifs : telle est par exemple la situation de personnes
quittant pour la première fois le pays d'origine où elles se sont mariées et ont eu des
enfants et se présentant à la frontière d'un autre État. Les qualités d'époux, de père et
mère, le nom, les droits d'autorité parentale exercés sur les enfants se sont constitués
dans un milieu «homogène», celui du pays d'origine. C'est donc en ce sens dérivé ou
analogique qu'il est permis de parler de situations homogènes qui relèvent cependant du
droit international privé : au moment où ont été « acquis » certains droits subjectifs, tels
la qualité d'époux ou un état de filiation, tous les éléments de la situation convergeaient
vers un seul État.
IllL'objection parfois faite à la théorie des droits acquis, à savoir que cette théorie préjuge la solu-
tion (quelle est la loi compétente pour décider qu'un droit est acquis?), ne paraît pas pertinente
quand un état a été tenu pour acquis selon le seul système juridique applicable au moment de cette
acquisition.
IllSur la distinction entre situations homogène et hétérogène, et la reconnaissance d'une compé-
tence exclusive de l'État en vertu du droit international, voy. les travaux de W. WENGLER, présentés
par F. R.IGAUX, « Une imposante synthèse allemande en droit international privé. Le traité du pro-
fesseur Wilhelm Wengler ", Revue (1982), 252-253.

B. La codification internationale
2.21 - L'élaboration de traités de droit international privé - Rien n'empêche les États
de conclure entre eux des traités tendant à uniformiser les règles de conflit de lois ou les
règles de conflit de juridictions. Ces traités peuvent être bilatéraux ou multilatéraux, et
peuvent avoir été conclus ou non à l'intérieur d'une organisation internationale.
La mise en œuvre d'un tel traité dans un cas particulier suscite une triple vérification
du domaine de l'instrument, concernant respectivement la délimitation de la matière, le
domaine spatial et le droit transitoire. La détermination du domaine spatial appelle,
dans une étude de droit international privé, un développement particulier. Le concept de
l'applicabilité« entre États contractants» est insuffisant à rendre compte de cette problé-
matique, puisque l'enjeu est l'application du droit conventionnel à une situation privée
qui, par définition, ne s'identifie pas à l'État : il convient alors de déterminer par des
règles spéciales à quelles situations internationales le traité est applicable (voy. infra,
n° 4.48).
Ill La détermination du champ d'application dans le temps du traité nécessite une distinction
entre force obligatoire et applicabilité. L'applicabilité d'un traité dans le temps suscite un problème
de droit transitoire distinct de sa date d'entrée en vigueur.
La fixation de la date d'entrée en vigueur suppose plusieurs opérations, dans l'ordre international
et dans l'ordre interne. Dans l'ordre international, le traité entre en vigueur la première fois par le
dépôt du dernier instrument de ratification requis à cette fin, mais il n'a de force obligatoire à
l'égard d'un État qu'à la suite de l'accomplissement de cette formalité par cet État. Dans l'ordre
interne, l'entrée en vigueur du traité suppose qu'il ait été satisfait aux exigences du droit constitu-
tionnel, par exemple l'assentiment des Chambres législatives.

La multiplication des traités internationaux dans le domaine du droit privé suscite


l'existence de conflits entre traités. Le praticien doit être attentif à ce type de difficulté
(voy. infra, n ° 5.14).

2.22 - La Conférence de La Haye de droit international privé - Réunie pour la première


fois en 1893, à l'initiative du gouvernement des Pays-Bas et sous l'impulsion d'un juriste
64 ÉCOLES ET SOURCES DU DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ

néerlandais, Tobias Asser, la Conférence de La Haye de droit international privé a eu deux


périodes d'activités fructueuses.
Plusieurs Conventions ont été conclues avant 1914. Elles concernaient la tutelle des
mineurs (12 juin 1902), le divorce et la séparation de corps (12 juin 1902), la conclusion
du mariage et ses effets (17 juillet 1905), mais ont été dénoncées par la plupart des États
signataires. La Convention du 17 juillet 1905 sur la procédure civile a été remplacée par
la Convention du 1er mars 1954 ayant le même objet.
La Conférence est désormais régie par de nouveaux statuts entrés en vigueur le
15 juillet 1955. Durant les sessions tenues en principe tous les quatre ans, elle a élaboré
un grand nombre de conventions relatives aux conflits de lois ainsi qu'aux conflits
d'autorités et de juridictions.
Ill Le fonctionnement de la Conférence repose sur le Bureau permanent. Celui-ci dispose d'une
adresse internet : www.hcch.net
Ill Les travaux de la Conférence sont publiés dans la collection des Actes et documents, publiée par le
Bureau permanent. On trouve un répertoire excellent de la jurisprudence d'application des Con-
ventions de La Haye dans les ouvrages de M. SUMAMPOUW, Les nouvelles conventions de La Haye: leur
application par les ;uges nationaux (Dordrecht, Nijhoff).
Ill!Pour un relevé détaillé des travaux de la Conférence, voy. : T.M.C. AssER INSTITUUT, The influence
ofThe Hague Conference on private international law, (Dordrecht, Nijhoff, 1993), 142 p.; A. BoGGIANO,
« The contribution of the Hague Conference to the development of private international law in
Latin America», Recueil des cours, vol. 233 (1992), 99-266; COLLECTIF, « The Hague Conference on
private international law: 1893-1993 », N.I.L.R., 1993, 1-142; G. DROZ, M. PÉLICHET, A. DYER, « La
Conférence de La Haye de droit international privé vingt-cinq ans après la création de son bureau
permanent», Recueil des cours, vol. 168 (1980-!II), 213-268; A. DYER, « Hague Conventions on Civil
Procedure » et « Hague Conventions on Private International Law», Encycl. of Public International
Law, vol. 9 (1986), 147-158 ;J.-M.JACQUET, « Aperçu de l'œuvre de la Conférence de La Haye de droit
international privé dans le domaine économique», Clunet, 1994, 5-58; K. LrPSTEIN, « One hundred
years of Hague conferences on private international law », I.C.L.Q. (1993), 553-653 ;J,D. McCLEAN,
« The contribution of the Hague Conference to the development of private international law in
common law countries », Recueil des cours, vol. 233 (1992), 267-304; G. PARRA-ARANGUREN, La Confe-
rencia de La Haya sobre Derecho internacional privado (Caracas, 1988); H. VAN LooN, « Quelques
réflexions sur l'unification progressive du droit international privé dans le cadre de la Conférence
de La Haye», Mélanges F. Laurent (Bruxelles, Story, 1989), 1133-1150 ; A. VON OVERBECK,« La contri-
bution de la Conférence de La Haye au développement du droit international privé», Recueil des
cours, vol. 233 (1992), 9-98.
Ill Pour une analyse de l'attitude de la Belgique à l'égard des travaux de la Conférence, voy.:
M. TRAEST, « België en de Haagse IPR-Verdragen », TP.R (2004), 685 et s.

2.23 - Amérique du Sud - Les codifications internationales les plus ambitieuses ont été
réalisées en Amérique latine. Portant le nom de son auteur, un juriste cubain, le Code
Bustamante (20 février 1928) est le plus complet de tous et le plus détaillé. Ont égale-
ment été élaborés à l'époque deux traités codifiant les règles de conflit de lois et signés à
Montevideo, l'un le 12 février 1889, l'autre le 19 mars 1940.
Les travaux ont été repris après la Seconde Guerre mondiale sous l'impulsion de
l'Organisation des États américains (O.E.A. - O.A.S.), instituée en 1948 et qui regroupe
les États des deux hémisphères. Un pas décisif a été franchi en 1975 par la convocation à
Panama de la 1re Conférence interaméricaine spécialisée sur le droit international privé
(CIDIP). La deuxième Conférence, qui s'est réunie à Montevideo en 1979, a adopté plu-
sieurs instruments dont le plus notable est la Convention sur les règles générales du droit
LES SOURCES 65

international privé, signée le 8 mai 1979. D'autres conventions ont été adoptées depuis
lors sur des matières particulières.
L'acte final des Conférences a été publié dans: /.L.M. (1979), 1211 et s.; (1990), 63 et s.; (1994),
1111

721 et s. Voy. aussi le site www.oas.org


1111 Voy. T. DE MAEKELT, « General Rules of Private International Law in the Americas. New
Approach », Recueil des cours, vol. 177 (1982-IV), 193-379; D. FERNANDEZ ARROYO, La codi.ficacion del
derecho internacional privado en America latina, Madrid, Eurolex, 1994, 445 p. ; G. PARRA-ARANGUREN,
« Recent Developments of Conflict of Laws Conventions in Latin-America», Recueil des cours, vol.
164 (1979-III), 57-170; L. PEREZNIETO CASTRO,« La tradition terricorialiste en droit international
privé dans les pays d'Amérique latine», Recueil des cours, vol. 190 (1985-I), 271 400; ID., « Sorne
aspects concerning the movement for development of private international law in the Americas
through mulcilateral conventions», N.I.L.R. (1992), 243-266; J. SAMTLEBEN, « Neue interamerika-
nische Konventionen zum lnternationalen Privatrecht », RabelsZ. (1992), 1-115; H. VALLADAO,
« Actualisation et spécialisation des normes du droit international privé des États Américains »,
German Yearbook (1978), 335-362.

2.24 - Organisation des Nations unies - Il existe à l'O.N.U. une commission spéciale, la
Commission du droit international, ayant pour mission la codification du droit internatio-
nal. L'objet des travaux de la Commission intéresse parfois le droit international privé.
Quelques conventions internationales relatives à des matières de droit international
privé ont été préparées à l'O.N.U. On peut citer notamment les deux Conventions relati-
ves respectivement au statut des réfugiés (28 juillet 1951) et à celui des apatrides
(28 septembre 1954), la Convention de New York du 20 juin 1956 sur le recouvrement
des aliments à l'étranger, la Convention du 29 janvier 1957 sur la nationalité de la femme
mariée, la Convention de Vienne du 11 avril 1980 sur les contrats de vente internationale
de marchandises (CVIM).

2.25 - Conseil de l'Europe - Les États membres du Conseil de l'Europe ont conclu plu-
sieurs conventions intéressant le droit international privé, par exemple la Convention
européenne du 6 mai 1963 relative aux conflits de nationalités, la Convention euro-
péenne du 7 juin 1968 relative à l'information sur le droit étranger, la Convention euro-
péenne du 20 mai 1980 sur la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière de
garde des enfants et le rétablissement de la garde des enfants.
1111 Pour une présentation des travaux du Conseil de l'Europe, voy. le site: www.coe.int

2.26 - Commission internationale de l'état civil - La CIEC est une organisation inter-
nationale spécialisée dans les matières d'état civil. Elle a éloboré une série de conventions
internationales et de recommandations, à l'intention des États membres.
1111 Pour une présentation des travaux de la CIEC, voy. le site: www.ciecl.org

§2 LE DROIT DE L'UNION EUROPÉENNE


2.27 - La coopération intergouvernementale au sein de l'Union européenne - La ques-
tion de l'interaction du droit communautaire et du droit international privé n'est appa-
rue au grand jour qu'avec l'entrée en vigueur du traité de Maastricht du 7 février 1992 sur
l'Union européenne (].O.C.E., 1992, C 191). Celui-ci a établi un cadre spécifique pour
l'établissement de conventions internationales - dont le Conseil recommandera l'adop-
tion par les États membres - (art. K.3, par. 2, c) et dans le domaine de« la coopération
judiciaire en matière civile» (art. K.1, 6°). Quoique le terme« coopération» fût mala-
66 ÉCOLES IT SOURCES DU DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ

droit puisque, au sens strict, il ne vise que des mécanismes d'entraide, ces dispositions
permettaient la conclusion de traités dans le domaine des conflits de juridictions, une
extension à celui des conflits de lois étant plus problématique.
L'adoption de conventions de droit international privé entre États membres n'a
cependant pas attendu le traité de Maastricht. Le traité de Rome du 27 mars 1957 pré-
voyait déjà, dans le cadre de la Communauté, la négociation de conventions entre États
membres, « en tant que de besoin», en vue d'assurer, en faveur de leurs ressortissants,
notamment « la simplification des formalités auxquelles sont subordonnées la recon-
naissance et l'exécution réciproques des décisions judiciaires ainsi que des décisions
arbitrales » (art. 220, devenu art. 293 CE).
Œ Sur ce que l'article 293 CE n'a pas pour effet d'ôter la matière visée du champ des compétences
communautaires, voy.: C.J.C.E., aff. C-208/00, 5 novembre 2002, Uberseering, Rec. (2002), 1-9919,
indiquant que la mise en œuvre de l'article n'est pas indispensable à la reconnaissance, dans la
matière considérée, des droits fondamentaux dont le traité CE assure la protection au moyen
d'autres dispositions.
ΠL'article ne saurait avoir d'effet direct: C.].C.E., aff. C-336/96, 12 mai 1998, Gilly, Rec. (1998), 1-
2793.

Ces dispositions ont servi de base juridique à d'importants instruments internatio-


naux, désormais transformés en actes communautaires (voy. infra, n ° 2.29). Dans la
matière des conflits de juridictions, il faut citer la Convention de Bruxelles du
27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en
matière civile et commerciale (voy. infra, chap. 8), ainsi que la Convention de Bruxelles du
28 mai 1998 concernant la compétence, la reconnaissance et l'exécution des décisions en
matière matrimoniale (voy. infra, n ° 12.79). La première est basée sur l'article 220 du
traité CE et la seconde (non en vigueur), sur l'article K.3 du traité UE.
La Convention de Bruxelles a été suivie d'autres instruments. Les uns ne résultent
que d'une extension de la version de base aux États qui adhèrent à l'Union. La Conven-
tion de Lugano du 16 septembre 1988 (J.O.C.E., 1988, L 319) a permis d'étendre la subs-
tance de la Convention de Bruxelles aux États de l'Association européenne de libre
échange. Dans le domaine des conflits de lois, la Convention de Rome du 19 juin 1980
sur la loi applicable aux obligations contractuelles (J.O.C.E., 1998, C 27), dont le traité CE
n'avait aucunement envisagé l'élaboration, se présente comme le complément de la Con-
vention de Bruxelles pour la matière des contrats.

2.28 - Les implications du régime des entraves aux échanges - Le traité CE établit, res-
pectivement pour les marchandises, les personnes, les services et les capitaux, un régime
de liberté de circulation dans l'espace intérieur de la Communauté. Les dispositions
organiques de ces libertés (art. 28, 39, 43, 49 et 56 CE) ne visaient certes pas à l'origine
d'éventuelles entraves résultant de l'application de règles de droit privé ou de droit inter-
national privé. Pourtant, de ces textes très synthétiques, la Cour de justice des Commu-
nautés européennes a donné une interprétation résolument extensive, après leur avoir
reconnu un effet direct.
Désormais, il n'est pas exclu qu'une règle nationale de droit privé, voire de droit inter-
national privé, puisse faire l'objet d'un contrôle de compatibilité avec le droit communau-
taire. Les termes exacts de l'implication du régime de liberté de circulation restent toutefois
encore incertains, du moins en ce qui concerne la matière des conflits de lois. La jurispru-
LES SOURCES 67

dence de la Cour de justice paraît suggérer l'existence, au moins, d'une règle de nature néga-
tive, interdisant à l'État d'opposer l'application de son propre droit dans un but de
protection de l'intérêt général - par exemple la protection du consommateur - lorsque le
droit du pays d'origine du produit ou du service suffit à assurer une telle protection.
!Ill Un contrôle d'une règle nationale de droit civil a été effectué, à propos des articles 1641 et sui-
vants du Code civil français, dans l'arrêt Alsthom Atlantique du 24 janvier 1991 (aff C-339/89, Rec/,
1991, 1-407). D'autres arrêts de la Cour concernent la caution judicatum solvi (voy. infra, n ° 11.23), la
force probante d'un acte de l'état civil (voy. infra, n ° 12.21) ou la translittération d'un nom (voy.
infra, n ° 12.28).
Une évaluation de la portée du régime de la liberté de circulation des travailleurs sur le contenu
d'une règle de conflit de lois a été effectuée par la Cour de justice, dans l'arrêt Boukhalfa (aff. C-214/
94, 30 avril 1996, Rec., 1996, I-2253).

1111De même, la détermination de l'applicabilité dans l'espace d'une loi de police au sens du droit
international privé se doit de respecter les exigences du principe de liberté de circulation (C.J.C.E.,
aff. C-369/96 e.a., 23 novembre 1999, Arblade, Rec., 1999, 1-8453).
La Cour de justice a eu l'occasion de stigmatiser l'absence, dans la matière considérée, d'un ins-
1111

trument comparable à la Convention de Bruxelles apte à favoriser la liberté de circulation: c'est


dire le lien fonctionnel entre le processus d'intégration du droit international privé et le régime
communautaire des entraves aux échanges. Voy. par exemple, pour le droit pénal: C.J.C.E., aff C-
29/95, 23 janvier 1997, Eckehard Pastoors, Rec. (1997), 1-285.
lliiSur l'interaction du droit communautaire et du droit international privé, voy. notamment: J.
BASEDOW,« Der kollisionsrechtliche Gehalt der Produktfreiheiten im europaischen Binnenmarkt:
favor offerentis », RabelsZ. (1995), 1-54 ;J.-S. BERGÉ, « L'avenir communautaire du droit internatio-
nal privé des conflits de lois», La réception du droit communautaire en droit privé des États membres
(Bruxelles, Bruylant, 2003), 206-233 ; ID., « Le droit d'une 'communauté de lois': le front
européen », Mélanges Lagarde (Paris, Dalloz, 2005), 113-136 ; A. BERN EL, Le principe d'équivalence ou de
'reconnaissnce mutuelle' en droit communautaire (Zürich, Schulthess, 1996) ; W. DRASCH, Das Herkunfts-
landprinzip im Internationalen Privatrecht (Baden-Baden, Nomos, 1997); G. DE BAERE, « Houdt het
communautair herkomstlandbeginsel een verborgen conflictregel in?», Rev. belge dr. int. (2003),
131-204; H. DurNTJER TEBBENS, « Les conflits de lois en matière de publicité déloyale à l'épreuve du
droit communautaire», Revue (1994), 451-482; M. FALLON,« Les conflits de lois et de juridictions
dans un espace économique intégré. L'expérience des Communautés européennes », Recueil des
cours, vol. 253 (1995), 9-281; M. FALLON et S. FRANCQ, « Vers un droit proprement communautaire
des conflits de lois et de juridictions», in O. de Schutter et P. Nihoul, Une Constitution pour l'Europe
(Bruxelles, Larcier, 2004), 239-304; M. FALLON et J. MEEUSEN, « Private international law in the
European Union and the exception of mutual recognition», Yearb. PIL (2002), 37-66; A. FUCHS,
H. Mum WATr et E. PATAUT (dir.) Les conflits de lois et le système juridique communautaire (Paris, Dalloz,
2004), 295 p. ; L. GANNAGÉ, « Le droit international privé à l'épreuve de la hiérarchie des normes »,
Revue (2001), 1-42; V. HEUZÉ, « De la compétence de la loi du pays d'origine en matière contrac-
tuelle ou l'anti-droit européen», Mélanges Lagarde (Paris, Dalloz, 2005), 393-415; M.-N. JoBARD-
BACHELLTER, « L'acquis communautaire du droit international privé des conflits de lois», La récep-
tion du droit communautaire en droit privé des États membres (Bruxelles, Bruylant, 2003), 185-206 ; E.-M.
KrENTNGER, Wettbewerb der Privatrechtsordnungen im Europdischen Binnenmarkt (Tübingen, Mohr,
2002) ; C. KOHLER, « La Cour de justice des Communautés européennes et le droit international
privé», Trav. Comité fr. 1993-1994 (Paris, Pédone, 1996), 71-87; ID.,« Interrogations sur les sources
du droit international privé européen après le traité d'Amsterdam», Revue (1999), 1-30; ID.,« Der
europaische Justizraum für Zivilsachen und das Gemeinschaftskollisionsrecht », IPRax (2003),
401-411; H. Mum WATT,« Choice of law in integrated and interconnected markets: a matter of
political economy », Columbia]. Eur. L. (2003), 383-410; P. LAGARDE et B. VON HOFFMANN (dir.),
L'européanisation du droit international privé (Trèves, ERA, 1996) ; Ph.-E. PARTSCH, Le droit international
privé européen: de Rome à Nice (Bruxelles, Larcier, 2003), 492 p. ; M.-P. PUIJAK, Le droit international
privé à l'épreuve du principe communautaire de non-discrimination en raison de la nationalité (Aix-Marseille,
PUAM, 2003), 451 p. ; L. RADTCATI DI BROZOLO, « L'influence sur les conflits de lois des principes de
68 ÉCOLES ET SOURCES DU DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ

droit communautaire en matière de liberté de circulation», Revue (1993), 401-424; O. REMIEN,


« European private international law, the European Community and its emerging area of freedom,
security and justice», C.M.L.R. (2001), 53-86 ; F. RIGAUX, L'influence des Communautés européennes sur
le droit international privé des États membres (Bruxelles, Larcier, 1981), 266 p.; ID.,« Droit internatio-
nal privé et droit communautaire», Mélanges Loussouarn (1994), 341-354; ID., « La méthode des
conflits de lois en droit européen», Mélanges Dutoit (Genève, Droz, 2002), 243-256; W.-H. ROTH,
« Der Einfluss des Europaischen Gemeinschaftsrecht auf das Internationale Privatrecht », RabelsZ
(1991), 623-673; F. ScHOCKWEILER, « La codification du droit international privé dans la Commu-
nauté européenne», Mélanges Droz (La Haye, Nijhoff, 1996), 391-404; G. SPINDLER, « Herkunfts-
landprinzip und Kollisionsrecht - Binnenmarktintegration ohne Harmonisierung? », RabelsZ
(2002), 633-709; A. STRUYCKEN, « Les conséquences de l'intégration européenne sur le développe-
ment du droit international privé», Recueil des cours, vol. 232 (1992-I), 261-383; A. THÜNKEN, Das
kollisionsrechtliche Herkunftslandprinzip (Frankfort, Lang, 2003) ; M. WILDERSPIN et X. LEWIS, « Les
relations entre le droit communautaire et les règles de conflits de lois des États membres », Revue
(2002), 1-38, 289-314.

2.29 - Le droit communautaire dérivé - De nombreux actes du Conseil de l'Union euro-


péenne affectent la matière civile et, indirectement, le droit international privé. Plusieurs
règlements ou directives comportent des règles de conflit de juridictions (voy. infra,
chap. 8, sect. 1). D'autres directives assortissent les règles uniformes de droit civil d'une
règle d'applicabilité (voy. infra, n ° 4.45).
lillPour une liste de ces actes, voy. par exemple le site internet: www.drt.ucl.ac.be/gedip.
Comme recueil, voy. aussi : R. BARENTS, Europees internationaal privaatrecht (Deventer, Kluwer, 2003) ;
J. BASEDOW, Droit privé européen, Sources (Zurich, Schulthess, 2002), 3 vol.
L'entrée en vigueur du traité d'Amsterdam du 2 octobre 1997 (J.O.C.E., 1997, C 340)
le 1er mai 1999 a marqué une étape décisive dans le développement d'un droit internatio-
nal privé communautaire. En effet, la« coopération judiciaire en matière civile » est deve-
nue une compétence de la Communauté. Selon l'article 65 nouveau du traité CE, les
mesures communautaires visent entre autres à « favoriser la compatibilité des règles
applicables dans les États membres en matière de conflits de lois et de compétences».
Malgré le manque de clarté de certains de ces termes, la nouvelle attribution explicite
pour la première fois la compétence de la Communauté dans la matière des conflits de
lois.
Ill!Il reste incertain si cette compétence se limite à la matière du droit des personnes, puisque le
traité situe ces dispositions sous un intitulé visant des « politiques liées à la circulation des
personnes ». La Communauté puiserait cependant encore dans d'autres dispositions du traité CE
relatives au marché intérieur, comme les articles 94 et 95, les attributions nécessaires à l'élabora-
tion de règles de droit international privé, dès lors que les règles nationales en la matière sont de
nature à créer des entraves aux échanges suffisamment sensibles.
Les premières initiatives consécutives à l'entrée en vigueur des nouvelles compétences commu-
lill
nautaires ont porté sur le « formatage» des conventions européennes en actes communautaires.
Ainsi, les Conventions de Bruxelles du 27 septembre 1968 et du 28 mai 1998 ont été transformées
en règlements, respectivement le règlement 44/2001 du 22 décembre 2000 (j.O.C.E., 2001, L 12) dit
« Bruxelles I » (voy. infra, n ° 8.6), et le règlement 1347/2000 du 29 mai 2000 (j.O.C.E., 2000, L 160)
dit« Bruxelles II» (voy. infra, n ° 12.79).

§3 LE DROIT NATIONAL
2.30 - Le Code Napoléon - Des grandes codifications du XIXe et du xxe siècle, le Code
civil français de 1804 est celle qui contient le moins de règles de conflit de lois. Aux trois
dispositions générales placées sous l'article 3 s'ajoutent quelques règles particulières
LES SOURCES 69

dont certaines concernent plutôt la condition des étrangers ou les conflits d'autorités:
les articles 11, 13, 47, 170, 726, 912, 999 et 2128, la plupart de ces dispositions étant
aujourd'hui modifiées ou abrogées.
Les codifications de première génération ont lieu à la fin du XIXe siècle, le plus sou-
vent en même temps que l'adoption d'un Code civil, où les dispositions relatives au droit
international privé figurent dans un titre préliminaire. C'est déjà le cas de l'ancien Code
civil italien de 1866, aujourd'hui abrogé. Cette technique est également adoptée par le
Code civil allemand entré en vigueur le 1er janvier 1900 et précédé d'une Einführungsgesetz
(EG) - dont les articles 7 à 30 consacrés aux conflits de lois ont été remplacés en 1986 et
complétés en 1999 -, et fut reprise par le Code civil italien du 16 mars 1942 - dont les
dispositions ont été remplacées en 1995. En Suisse, le législateur fédéral a mis en vigueur
une loi spéciale, la loi fédérale du 25 juin 1891 sur les rapports de droit civil des citoyens
établis ou en séjour - remplacée en 1987.
D'autres pays, tels la Belgique, la France, le Luxembourg ou les Pays-Bas, n'ont pas
suivi ce premier mouvement de codification. L'existence de règles embryonnaires et épar-
ses de droit international privé a déplacé du législateur vers le juge la responsabilité de
créer des solutions de conflit de lois : la fonction ainsi attribuée à la jurisprudence est,
dans ces pays, tout à fait inhabituelle, puisque les relations privées dans l'ordre interne y
sont soumises à des sources d'origine législative qui s'imposent au juge.
1!11Les pays membres du Benelux ont conclu successivement deux traités portant loi uniforme rela-
tive au droit international privé, l'un du 11 mai 1951, l'autre du 3 juillet 1969, qui ne sont cepen-
dant jamais entrés en vigueur (voy. : N.I.L.R., 1976, 248). Sur les deux versions successives du projet
de loi uniforme Benelux, voy. : F. RrGAUX, « Le nouveau projet de loi uniforme Benelux relative au
droit international privé », 96 Clunet ( 1969), 334-360.
IllSur le thème du rôle du juge, voy. : F. RrGAUX, « Le juge, arbitre des conflits de lois », Mélanges
F Laurent (Bruxelles, Story-Scientia, 1989), 999-1006.

2.31 - Codifications contemporaines - Depuis une vingtaine d'années, les travaux de


codification du droit international privé se sont multipliés, notamment en Europe.
1!11 Les codifications les plus significatives sont:
- Algérie: ordonnance n° 75-58 du 26 septembre 1975, portant Code civil, art. 9 à 24 (Revue,
1977, 380);
- Australie: Choice oflaw Bill 1992 (RabeslsZ., 1994, 741);
- Autriche: loi sur le droit international privé du 15 juin 1978 (BGBL 304/78, Revue, 1979, 174);
- Azerbaidjan : Loi sur le droit international privé, du 6 juin 2000 (IPRax, 2003, 386) ;
- Bulgarie: Code de la famille, du 28 mai 1985 (Revue, 1989, 822);
- Corée du Sud: loi du 15 janvier 1962 sur le droit international privé (Revue, 1972, 349);
- Émirats arabes unis: Code des transactions civiles (Revue, 1986, 390);
- Espagne: nouveau Titre préliminaire du Code civil, inséré par le décret-loi du 31 mai 1974
(Revue, 1976, 397);
- Estonie: law on the general principles of the Civil Code (JPRax, 1996, 439);
- Hongrie: décret-loi 11° 13/1979 du Présidium de la République populaire hongroise sur le droit
international privé, 31 mai 1979 (Revue, 1981, 158);
- Italie: loi portant réforme du système italien de droit international privé, du 31 mai 1995
(Revue, 1996, 174);
- Kasakstan: diverses lois relatives au droit international privé (trad. allemande, IPRax, 1994,
322), suivie du Code civil et du Code de procédure civile (IPRax, 2002, 55) ;
- Kirgistan: Code civil, art. 1167 et s. (loi du 5 janvier 1998, IPRax, 2004, 270);
70 ÉCOLES IT SOURCES DU DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ

- Louisiane: Acte n° 923 de 1991 (Revue, 1992, 394);


- Liechtenstein : Gesetz über das Internationale Privatrecht, du 19 septembre 1996 (Revue, 1997, 858) ;
- Mongolie: Code civil du 10 janvier 2002, Code de la famille du 11 juin 1999, Code de procédure
civile du 10 janvier 2002 (IPRax, 2003, 381);
- Pérou: loi du 24 juillet 1984 portant modification des art. 2046 à 2111 du Code civil (I.L.M.,
1985,997);
- Pologne: loi du 12 novembre 1965, texte dans: M. SosNIAK, Précis de droit international privé polo-
nais (Cracovie, 1976) ; Revue (1966), 323; troisième partie du Code de procédure civile, du
17 novembre 1964 (Revue, 1970, 340);
- Portugal: chapitre III du Code civil du 25 novembre 1966, modifié par la loi du 25 novembre
1977 (Revue, 1978, 369);
- Québec: loi codifiant le droit international privé en un livre dixième du nouveau Code civil du
Québec, du 18 décembre 1991 (Revue, 1992, 574);
- Ex-République démocratique allemande : loi sur l'application du droit (Rechtsanwendungsgesetz)
aux rapports internationaux de droit civil, familial et de travail ainsi qu'aux contrats économi-
ques internationaux (RAG) du 5 décembre 1975 (Gesetzblatt der DDR, 8 décembre 1975, !, 748,
Revue, 1977, 19 !) ; loi sur la procédure devant les tribunaux dans les affaires de droit civil, fami-
lial et du travail (Zivilproszessordnung, ZPO, Gesetzblatt der DDR, 11 juillet 1975, !, 533, Revue,
1977, 195);
- République fédérale d'Allemagne : Gesetz zur Neuregelung des Internationalen Privatrechts, du
25 juillet l986(BGBI., 1986, I, 1142, Revue, 1987, 170) ; l'article 1" de cette loi apporte des modi-
fications radicales au contenu des articles 7 à 31 EGBGB; ces dispositions ont été complétées
par le Gesetz zum Internationalen Privatrecht für ausservertragliche Schuldverhdltnisse und für Sachen, du
21 mai 1999 (IPRax, 1999, 285, Revue, 1999, 870);
- Roumanie: loi sur le règlement des rapports de droit international privé (Revue, 1994, 172);
- Russie : loi fédérale mettant en vigueur la troisième partie du Code civil de la Fédération de Rus-
sie, du 26 novembre 2001 (Revue, 2002, 182);
- Sénégal: dispositions finales du Code de la famille, porté par la loin° 72-61 du 12juin 1972
(Revue, 1973, 382) ;
- Slovénie: Loi sur le droit international privé et la procédure, du 30 juin 1999 (Riv. dir. int. priv.
proc., 2000, 829) ;
- Soudan: Code des transactions civiles, du 16 février 1984 (Revue, 1992, 165);
- Suisse: loi fédérale sur le droit international privé, du 18 décembre 1987 (RS 291, Revue, 1988,
409);
- Togo: ordonnance n ° 80-16 du 31 janvier 1980 portant Code de la famille (Revue, 1982, 602);
- Tunisie: loin° 98-97 du 27 novembre 1998 portant promulgation du Code de droit internatio-
nal privé (Revue, 1999, 382);
- Turquie: loi sur le droit international privé et la procédure internationale, n° 2675, du 20 mai
1982 (Revue, 1983, 140);
- Vietnam : Code civil, du 28 octobre 1995 (Revue, 2000, 298) ;
- Ex-Yougoslavie: loi du 15 juillet 1982 sur les solutions des conflits de lois avec les dispositions
des autres États dans le domaine de certains rapports (Revue, 1983, 353) ;
- Venezuela: loi de droit international privé, du 9 juillet 1998 (Revue, 1999, 392);
- Yemen: loi portant dispositions relatives au droit international privé, du 29 mars 1992 (Revue,
1993, 363).
I!!Pour un recueil de textes, voy.: W. RrERING, IPR-Gesetze in Europa (München, Beck, 1997) ;J. KRo-
PHOLLER, H. KRÜGER et W. RrERING, Aussereuropdische IPR-Gesetze (Hamburg, Max Planck Inst., 1999).
Sur les législations de l'ex-Union soviétique, voy.: M. BoGOUSLAVSKI, « Le droit international
!!Il
privé en Russie et dans les autres États membres de la CEi au seuil du XXIe siècle», Clunet (1999),
413-434.
LES SOURCES 71

2.32 - Codifications partielles - Une technique peu satisfaisante consiste à accompa-


gner une réforme législative partielle de règles de conflit de lois particulières, dérogeant
aux règles de droit international privé commun d'une manière qu'il est souvent difficile
de préciser.
Ill À titre d'exemples à ne pas suivre, on peut citer en Belgique les articles 344 à 344quater (loi du
27 avril 1987 modifiant diverses dispositions légales relatives à l'adoption) et 1389 (loi du 14 juillet
1976 sur les régimes matrimoniaux) du Code civil, la loi du 27 juin 1960 sur l'admissibilité du
divorce lorsqu'un des conjoints au moins est étranger; en France, voy. les articles 310 (loi n ° 75-
617, du 11 juillet 1975, portant réforme du divorce) et 311-14 à 311-18 (loi n ° 72-3 du 3 janvier
1972 sur la filiation) du Code civil français.
Une autre forme de codification partielle consiste à codifier progressivement la
matière, chapitre par chapitre. Cette méthode ne se distingue de la méthode globale que
par la démarche chronologique adoptée. Sur le fond, elle rejoint celle de la codification
globale.
Cette méthode est suivie aux Pays-Bas. Après l'échec des projets Benelux, la codification y est
1111

effectuée par l'adoption systématique de lois particulières, par exemple en matière de nom (Ned.
Staatsblad, 1989, n° 288), de mariage (Ned. Staatsblad, 1993, n° 514), de succession (IPRax, 2000, 59),
de filiation (Revue, 2002, 389). Ce travail est complété par la ratification de nombreuses conven-
tions internationales, notamment celles élaborées par la Conférence de La Haye de droit internatio-
nal privé.
Pour un recueil des textes, voy le site : www.overheid.nl

2.33 - Code belge de droit international privé - L'état des sources du droit internatio-
nal privé en Belgique, marqué par l'existence d'une disposition très synthétique,
l'article 3 du Code civil - antérieur à l'émergence du droit international privé en tant que
discipline autonome - et par l'apparition de dispositions très fragmentaires, a suscité
l'ouverture de travaux en vue d'une codification globale.
Entrepris en 1996 par un groupe d'universitaires à la demande du ministre de la Jus-
tice, ces travaux ont conduit au dépôt d'une proposition de loi le 1er juillet 2002 (Doc.
par!., Sénat, 2001-2002, n° 2-1225/1), devenue caduque par la dissolution des chambres
en 2003. Une nouvelle proposition a été déposée le 7 juillet 2003 (Doc. par!., Sénat, 2003-
2004, n ° 3-27/1). Elle a abouti à la promulgation de la loi du 16 juillet 2004 portant le
Code de droit international privé (Monit., 27 juillet 2004), entrée en vigueur le ier octobre
2004.
1111 Le texte peut être obtenu sur les sites suivants: www.moniteur.be; www.dipr.be.
Ill Le texte et les principaux travaux préparatoires ont été publiés par: J. ERAuw et M. FALLON, La
nouvelle loi sur le droit international privé (Bruxelles, Kluwer, 2004).
Un exposé des motifs de la loi peut être trouvé pour l'essentiel dans les développements de la
1111

proposition de loi, Doc. pari., Sénat, 2003-2004, n ° 3-27/1.


1111D'autres documents peuvent être consultés sur le site du Sénat : www.senate.be. Il en est ainsi de
l'avis du Conseil d'État (Doc. pari., Sénat, 2001-2002, n° 2-1225/1, 203-294) ou du rapport de la
commission de la Justice du Sénat (Doc. pari., Sénat, 2003-2004, n ° 3-27/7), qui reprend l'intégra-
lité des débats.
La structure d'ensemble du Code belge suit celle d'autres codifications récentes, sin-
gulièrement les lois suisse de 1987 et italienne de 1995. Les conflits de lois sont couverts
ainsi que les conflits de juridictions, et une partie générale précède l'énoncé des règles
propres à des matières particulières. L'orientation choisie tend pour partie à consolider le
droit existant, pour partie à introduire des adaptations dans les cas appropriés. Ces inno-
72 ÉCOLES IT SOURCES DU DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ

varions sont largement inspirées des travaux de la Conférence de La Haye et des codifica-
tions nationales récentes, manifestant ainsi un souci d'ouverture au droit comparé et de
coordination des systèmes nationaux de droit international privé.
111 Comme premiers commentaires généraux, voy. : L. BARNICH, « Présentation du nouveau Code
belge de droit international privé», Rev. not. belge (2005), 6-67; H. BOULARBAH (dir.), « Le nouveau
droit international privé belge »,].T (2005), 173-203 ;J.-Y. CARLIER, « Le Code belge de droit inter-
national privé», Revue (2005), 11-46 ; J. ERAUW, « Het vernieuwde internationaal privaatrecht van
België wordt van kracht », R.W. (2004-2005), 121-132; M. FALLON,« Le droit international privé
belge dans les traces de la loi italienne dix ans après », Riv. dir. int. priv. proc. (2005) ; A. F10RINI, « The
codification of private international law: The Belgian experience », I.C.L.Q. (2005), 499-520; S.
FRANCQ, « Das belgische IPR-Gesetzbuch », RabelsZ. (2005).

Ill Pour une présentation du projet de Code, voy. déjà: J. ERAUW, « De codificatie van het Belgisch
internationaal privaacrecht met het ontwerp van wecboek I.P.R. », R.W (2001-2002), 1557-1565;
M. VERWILGHEN, « Vers un Code belge de droit international privé, présentation de l'avant-projet de
loi portant Code de droit international privé », Trav. Comité fr. d.i.p., année 1998-1999 (Paris, Pédone,
2001), 123-170.

2.34 - États-Unis - Aux États-Unis, où il n'existe pas de codification officielle des règles
de conflit de lois à l'exception de la Louisiane (Act n ° 923, 1991, Revue, 1992, 394), une
organisation non gouvernementale, l'American Law Institute a codifié sous forme de Resta-
tement les principales solutions de conflit de lois dégagées de la jurisprudence. Ces solu-
tions ne concernent qu'exceptionnellement un véritable problème de droit international
privé, s'appliquant le plus souvent aux conflits internes entre les lois des divers États
fédérés.
Le premier Restatement a été publié en 1934, sa rédaction ayant subi l'influence pré-
dominante de Joseph Beale. Son caractère systématique a suscité l'élaboration du Restate-
ment (2d) ofthe Law ofConflict ofLaws, publié en 1971, dont le rapporteur fut Willis Reese.
Ces Restatements ne sont pas des « lois » au sens formel, mais une œuvre de consolidation
purement doctrinale. Ils jouissent toutefois d'un grand crédit auprès des tribunaux et
des praticiens.
Ill Sur l'évolution du droit américain des conflits de lois, voy., outre les études de deux colloques
publiés respectivement dans !'Arn.]. Camp. L. (1982, 1-146) et dans la Mercer Law Review (1984, 419-
646), ainsi que plusieurs cours professés à l'Académie de droit international après la Seconde
Guerre mondiale : B. AUDIT, « A Continental Lawyer Looks ac Contemporary American Choice of
Law Principles », Arn.]. Camp. L. (1979), 589-604, and Cornrnents by F. K. JUENGER, 609-613; E.
BoDENHEIMER, « The Need for a Reorientacion in American Conflicts Law», Festschrift Mann (Mun-
chen, Beck, 1977), 123-142; L. BRILMAYER, « lnteresc Analysis and the Myth ofLegislacive Intent »,
Michigan L.R. (1980), 392 et s.; J. A. CARILLO SALCEDO, « Le renouveau du particularisme en droit
international privé», Recueil des cours, vol. 160 (1978-III), 181-264; M. GREEN,« Legal realism, !ex
fori, and the choice-of-law revolucion », Yale L.}. (1995), 967-994; B. HANOTIAU, Le droit international
privé américain (Paris, L.G.DJ., 1979) ; P. HAY,« The Interrelation ofJurisdiccion and Choice-of-Law
in United States Conlicts Law »,I.C.L.Q. (1979), 161-183 ; ID., « Flexibility versus prediccability and
uniformity in choice of law: Reflections on current European and United States conflicts law »,
Recueil des cours, vol. 226 (1991-I), 281-412; H. MAIER et T. McCoY, « A unifying theory for judicial
jurisdiction and choice oflaw », Arn.]. Camp. L. (1991), 249-292; A. HILL,« TheJudicial Function of
Choice of Law», Columbia L.R. (1985), 1585-1647; H. KAY, « A defense of Currie's governmental
interest analysis », Recueil des cours, vol. 215 ( 1989-II!), 9-204; G. SHREVE (dir.), A conflict-oflaws antho-
lo:;;y (Cincinnati, Anderson, 1997), 439 p. ; S. SYMEONIDES, « The American choice-of-law revolution
in the courts : Today and tomorrow », Recueil des cours, vol. 298 (2002), 9-448 ; M. TRAYNOR,
« Conflict of laws, comparative law, and the American law institute »,Arn.]. Camp. L (2001), 391-
406.
LES SOURCES 73

Pour un plaidoyer en faveur d'une codification, voy. : S. SYMEONTDES, « American choice of law at
the dawn of the 21st century », Willamette L.R., 37 (2001), 1-87.
Pour un manuel de droit international privé américain, voy. : L. BRILMAYER, Conjlict oflaws (Boston,
Little, Brown, 1995), 350 p.; E. ScoLES, P. HAY, S. SYMEONIDES, P. BoRCHERS, Conjlictoflaws (St. Paul,
West Pub!., 2004), 1565 p. ; R. WEINTRAUB, Commentary on the conjlict of laws (Mineola, Foundtion
Press, 2001), 810 p.

§4 LE DROIT NON ÉTATIQUE


2.35 - Les relations commerciales internationales - Dans les relations internationales
comme en droit interne, la matière économique est celle qui résiste le plus à l'emprise du
droit étatique.
L'espace international offre aux agents économiques privés, aux entreprises et aux
personnes physiques relevant de la compétence des divers États intéressés, le cadre dans
lequel ils nouent des relations économiques traversées par le phénomène de la frontière.
Ces relations n'échappent certes pas au droit international privé étatique. Branche du
droit interne, celui-ci implique un contrôle étatique des relations internationales entrete-
nues par les agents juridiques privés.
Or ces agents ont tendance aujourd'hui à délocaliser leurs activités et par là à les
soustraire au contrôle effectif des États. Les connexions entre le droit international privé
et les règles de droit nouvelles auxquelles les agents économiques privés se sont eux-
mêmes assujettis - !ex mercatoria, droit mercatique, droit transnational - demeurent
étroites.
1111 Sur le droit mercatique, voy. en général: M. BoNELL, « The UNIDROIT principles of internatio-
nal commercial contracts », Rev. dr. ajf int. (1997), 145-163 ;J. DALHUISEN, International commercial,
financial and trade law (Oxford, Hart Pub!., 2000) ; R. DAVID, Le droit du commerce international.
Réflexions d'un comparatiste sur le droit international privé (Paris, Economica, 1987) ; F. DE LY, Internatio-
nal business law and /ex mercatoria (Amsterdam, North-Holland, 1992); D. FERRIER, Les Incoterms.
Etude d'une norme du commerce international (Paris, Litec, 2004); Ch. LEBEN (dir.), Souveraineté étatique
et marchés internationaux à la fin du XX' siècle - Mélanges Ph. Kahn (Paris, Litec, 2000) ; F. MARRELLA, La
nuova !ex mercatoria, principi UNIDROIT ed usi dei contrati del commercio internazionale (Padoue, Cedam,
2003); P. MERCIAT, Les entreprises multinationales en droit international (Bruxelles, Bruylant, 1993); F.
OSMAN, Les principes généraux de la !ex mercatoria. Contribution à l'étude d'un ordre juridique anational
(Paris, LGDJ, 1992) ; C. ScHMTTrHOFF, The law & practice of international trade (London, Stevens,
1990) ; H. VAN HoUTTE, The law of international trade (London, Sweet & Maxwell, 2002).

De leur côté, les relations économiques internationales obéissent à des règles pro-
pres fixées par le droit international spécial. Le commerce entre États, l'aide au dévelop-
pement, la monnaie, la réglementation des paiements internationaux font l'objet de
traités internationaux et ont suscité l'institution d'organisations internationales spéciali-
sées. Il s'agit d'une branche nouvelle du droit international, qu'on peut appeler droit
international économique (ou droit international de l'économie) et à l'intérieur de
laquelle d'autres subdivisions ont déjà été proposées: droit international financier,
monétaire, du développement. On peut aussi distinguer les organisations universelles
(O.M.C., F.M.I., B.I.R.D.) de celles qui ont un caractère régional (Communauté euro-
péenne) ou un objet sectoriel (l'énergie par exemple).
TITRE 2

,
METHODES DE SOLUTION
DES CONFLITS DE LOIS
ANALYSE DESCRIPTIVE
CHAPITRE 3

LA RÈGLE DE RATTACHEMENT
3.1 - Bibliographie
On trouve les analyses principales de la structure de la règle de conflit de lois dans quelques cours
généraux faits avant 1940 à l'Académie de droit international, par Ago (1936), Lewald (1939),
Maury (1936) et Raape (1934) et dans les ouvrages de théorie générale de Melchior (1932), Neuhaus
(1976), Niederer (1954 et 1962), Keller et Siehr (1986).

a) Monographies
H. BATIFFOL, Aspects philosophiques du droit international privé (Paris, Dalloz, 1956, 2002, rééd.);
J.-M. BlsCHOFF, La compétence du droit français dans le règlement des conflits de lois (Paris, LGDJ., 1959);
A. BUCHER, Grundfragen, der Anknüpfungsgerechtigkeit im internationalen Privatrecht (Bâle, Helbing &
Lichtenhahn, 1975); W. DRASCH, Das Herkunftslandprinzip im Internationalen Privatrecht (Baden-
Baden, Nomos, 1997); L. DE WINTER, Naar een sociaal I.P.R., Een keus uit het werk van - (Deventer,
Kluwer, 1979); C. DuBLER, Les clauses d'exception en droit international privé (Genève, Georg, 1983);
B. FAUVARQUE-COSSON, Libre disponibilité des droits et conflits de lois (Paris, LGDJ, 1996); A. FLESSNER,
Interessenjurisprudenz im internationalen Privatrecht (Tübingen, Mohr, 1990); A. FUCHS e.a. (dir.), Les
conflits de lois et le système juridique communautaire (Paris, Dalloz, 2004) ; L. GANNAGÉ, La hiérarchie des
normes et les méthodes du droit international privé. Etude de droit international privé de la famille (Paris,
LG DJ, 2001) ; W Go LOSCHMIDT, Sistema y filosofia del derecho internacional privado con especial considera-
cion del derecho internacional privado espanol (2 vol. Barcelona, 1948) ; J.-L. HALPERIN, Entre nationalisme
juridique et communauté de droit (Paris, PUF, 1999);]. ]ITTA, La méthode en droit international privé (La
Haye, Belinfante, et Paris, Marchal, 1890) ; C. JoERGES, Zum Funktionswandel des Kollisionsrechts (Ber-
lin, de Gruyter et Tübingen, Mohr, 1971); K. HELLER, Realitdt und Interesse im amerik. internat. Priva-
trecht (Wien, Osterr. Akad. Wiss., 1983); F. JUENGER, Choice of law and multistate ;ustice (Dordrecht,
Nijhoff, 1993); M. KELLER et K. SIEHR, Einführung in die Eigenart des Internationalen Privatrechts
(Zürich, Schulthess, 1979); F. KNOEPFLER, Les nouvelles conventions de La Haye de droit international
privé: études de leurs clauses d'adhésion et de leur rôle de lois-modèles (Neuchâtel, Imprim. Centrale, 1968) ;
D. KoERNER, Fakultatives Kollisionsrecht in Frankreich und Deutschland (Tübingen, Mohr, 1995); D.
KoKKINI-lATRIDOU (dir.), Exception clauses in conflicts oflaws and conflicts ofjurisdictions - or the principle of
proximity (Dordrecht, Nijhoff, 1994); P. MANCINI, Della nazionalità comme fondamento del diritto delle
genti (Turin, Giappichelli, 1994, rééd.); P. MAYER, La distinction entre règles et décisions et le droit interna-
tional privé (Paris, Dalloz, 1973); R. NEUNER, Der Sinn der internationalprivatrechtlichen Norm (Prag,
Brünn, Wien, Robert, 1932); A. PAPACHRISTOS, La réception des droits privés étrangers comme phénomène
de sociologie juridique (Paris, LGDJ, 1975); P. PATOCCHI, Règles de rattachement localisatrices et règles
de rattachement à caractère substantiel (Genève, Georg, 1985); E. PEREZ VERA, Intereses del trafico
juridico externo y derecho internacional (Univ. Granada, coll. monogr., 22, 1973); R. PLAISANT, Les règles
de conflit de lois dans les traités (Alençon, Libr. alençonnaise, 1946); W. REESE, W. WENGLER, e.a., New
Trends in the Conflict ofLaws, Law and Contemporay Problems, vol. 28, t. 4 (Durham, Duke Univ. School
of Law, 1963) ; G. REICHELT, Gesamstatut und Einzelstatut im IPR Ein Beitrage zu die allgemeine Lehren des
78 LA RÈGLE DE RATTACHEMENT

Kollisionsrechts (Wien, Manz, 1985); A. ScHAPIRA, The Interest Approach to Choice of Law (The Hague,
Nijhoff, 1970) ; K. SCHURJG, Kollisionsnorm und Sachrecht- Zur Struktur, Standart und Methode des inter-
nationalen Privatrechts (Berlin, Duncker and Humblot, 1981); H. STEIN, Plaats en tijd in het IPR
(Deventer, Kluwer, 1984); S. SYMEONIDES, Private international law at the end of the 20th century: Pro-
gress or regress? (La Haye, Kluwer, 1999) ; E. STEINDORFF, Sachnormen im internationalen Privatrecht
(Frankfort, Klostermann, 1958) ; A. THÜNKEN, Das k.ollisionsrechtliche Herkunftslandprinzip (Frankfort,
Lang, 2003); F. VON SAVIGNY, Traité de droit romain (Paris, Ed. Panthéon-Assas, 2002, rééd.); W. WEN-
GLER, Internationales Privatrecht (Berlin, de Gmyter, 1981); M. WHINCOP et M. KEYES, Policy and prag-
matism in the conflict oflaws (Aldershot, Asgate Pub!., 2001); T. YEo, Choice oflaw for equitable doctrines
(Oxford Univ. Press, 2004).

b) Études générales
Parmi les travaux récents sur les fonctions de la règle de conflit de lois, voy.:
B. AUDIT,« Le caractère fonctionnel de la règle de conflit de lois», Rec. cours, vol. 186 (1984), 219-
398 ; H. BATIFFOL, « Les intérêts de droit international privé », Mélanges Kegel; ID., « Actualité des
intérêts du droit international privé», Mélanges Zweigert; D. BLIESENER, « Fairness and choice of
law : A critique of the political rights-based approach to the conflict of laws », Am. ]. Camp. L.
(1994), 687-710; L. BRU.MAYER,« Rights, fairness and choice oflaw », Yale L.]. (1989), 1277 et s.; ID.,
« The role of substantive and choice of law policies in the formation and application of choice of
law mies», Recueil des cours, vol. 252 (1995), 9-112; A. BUCHER,« Sur les règles de rattachement à
caractère substantiel», Mélanges Schnitzer, 37-55; ID., « Über die raumlichen Grenzen der
Kollisionsnormen », Festschrift Vischer, 93-105; ID., « Vers l'adoption de la méthode des intérêts?
Réflexions à la lumière des codifications récentes», Trav. Comité fr. dr. int. pr. 1994-1995 (Paris,
Pédone, 1996), 209-228; J. CARRILLO SALCEDO, « Le renouveau du particularisme en droit interna-
tional privé», Recueil des cours (1978-II), vol. 160, 181-264; T. DE BOER,« Facultative choice oflaw:
The procedural status of choice-of-law mies and foreign law », Recueil des cours, vol. 257 ( 1996), 223-
428; R. DE NovA,« Rilevanza del contenuto delle norme in conflitto nella determinazione tradizio-
nale della lege applicabile », Riv. dir. int. priv. proc. (1978), 241-250; J.-L. faHOUEISS, « L'élément
d'extranéité préalable en droit international privé», Clunet (2003), 39-85; D. EVRJGENIS, « Les ten-
dances doctrinales actuelles en droit international privé», Recueil des cours, vol. 118 (1966-II), 309-
428; H. GAUDEMET-TALLON, « L'utilisation des règles de conflit à caractère substantiel dans les con-
ventions internationales», Mélanges Loussouarn, 181-192; A. GIARDINA,« The Italian constitutional
Court and the conflict oflaws », Mélanges von Overbeck; J. GONZALEZ CAMPOS,« Diversification, spé-
cialisation, flexibilisation et matérialisation des règles de droit international privé», Recueil des
cours, vol. 287 (2002), 9-426 ; P. GOTHOT, « Simples réflexions à propos de la saga du conflit des
lois», Mélanges Lagarde, 343-354; P. GRAULICH, « La signification actuelle de la règle de conflit»,
Mélanges P. Weill, 295-302, Ann. Liège (1988), 9-15; R. GRAVESON,« The Special Character of English
Private International Law», N.I.L.R. (1972), 31-41; ID., « The Origins of the Conflict of Laws »,
Mélanges Zweigert, 93-107; ID.,« The Contribution of Private International Law and Comparative
Law to International Harmony and Understanding », Mélanges Lachs, 109-119; P. Herzog,
« Constitutional limits on choice of law », Recueil des cours, vol. 234 (1992-III), 239-330; T. HoYA,
« Marxism and International Private Law», Columbia]. Transn. L. (1985), 265-280; E. ]AYME,
« Identité culturelle et intégration, Le droit international privé postmoderne »,Recueil des cours, vol.
251 (1995), 9-267; F. JUENGER, «Jurisdiction, choice of law and the elusive goal of decisional
harmony », Mélanges Voskuil, 137-148; ID.,« The problem with private international law », Mélanges
Siehr, 289-310; F. KNoEPFLER, « Utilité et dangers d'une clause d'exception en droit international
privé», Mélanges en hommage à R. Jeanprêtre (Neuchâtel, Ides et Calendes, 1982), 113-128;
P. LAGARDE, « Développements futurs du droit international privé dans une Europe en voie
d'unification : quelques conjectures », RabelsZ (2004), 225-243 ; R. LEFLAR, « The Nature of Con-
flicts Law», Columbia L.R. (1981), 1080-1096; Y. LoussouARN, « La règle de conflit est-elle une règle
neutre?», Trav. Comité fr. d.i.p. (1980-1981), 43-68; P. MAYER, « Droit international privé et droit
international public sous l'angle de la notion de compétence », Revue ( 1979), 1-31 ; J. MEEUSEN, « De
invloed van 'selectief nationalisme' in het Belgische conflictenrecht: analyse en evaluatie », TP.R.
(1997), 1399-1466; W. MüLLER-FREIENFELS, « Conflicts of Law and Constitutional Law», Univ. Chi-
lA MÉTHODE DE SOLUTION DES CONFLITS DE LOIS 79

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flits de lois?)», Arch. phi!. droit (1997), 207-214; Io., « Les principes généraux en droit international
privé français», Clunet (1997), 403-415; Io., « Globalisation des marchés et économie politique du
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Savigny?», RabelsZ. (1981), 4 et s.; E. O'HARA et L. RIBSTEIN, « From politics to efficiency in choice
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savant», Recueil des cours, vol. 234 (1992-III), 331-434; P. PlCONE, « Les méthodes de coordination
entre ordres juridiques en droit international privé», Recueil des cours, vol. 276 (1999), 9-296 ;]. PON-
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PLANNE, « New Trends in the Doctrine of Private International Law and their Impact on Court
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Interessenjurisprudenz im IPR, Anmerkung zu Flessners Thesen », RabeslZ (1995), 229-244; F.
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SIEHR, « Okonomische Analyse des Internationalen Privatrechts »,Mélange K. Firsching, 269-294; M.
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(1983), 165-178; G. UBERTAZZI, « Règles de non-discrimination et droit international privé »,Recueil
des cours (1977-IV), vol. 157, 333-414; L. STRIKWERDA, « Interest analysis: No more chan a 'protest
sang'?», Mélanges Voskuil, 301-314; S. SYMEONIDES, « The American choice-of-law revolution in the
courts: Today and tomorrow », Recueil des cours, vol. 298 (2002), 9-448; P. VALI.INDAS, « La structure
de la règle de conflit», Recueil des cours (1960), vol. 101, 327-380; V. VAN DEN EECKHOUT, « De
wisselwerking tussen materieel recht en internationaal privaatrecht: eenrichtings- of twee-
richtingsverkeer? », R.W. (1999-2000), 1249-1264; S. VRELLIS, « La justice matérielle dans une codi-
fication du droit international privé», Mélanges Droz, 541-562; W. WENGLER, « Les principes géné-
raux du droit international privé et leurs conflits», Revue (1952), 595-622; Idem, « The general
principles of private international law », Recueil des cours, vol. 104 (1962-III), 273-465; Io., « Les con-
flits de lois et le principe d'égalité», Revue (1963), 203-231, 503-527.

3.2 - Présentation - Parmi les techniques de solution du conflit de lois, la règle de ratta-
chement occupe une place privilégiée. Son analyse constitue le noyau de la compréhen-
sion du droit international privé. Elle suppose un examen général de la règle en tant que
méthode de solution d'un problème particulier. Elle exige aussi une connaissance précise
de ses éléments constitutifs. Enfin, il paraît approprié d'énoncer, dès l'abord, le contenu
des principales règles de rattachement, dispositions générales dont l'application à des
matières particulières fait l'objet du titre V de cet ouvrage.

Section 1

La méthode de solution des conflits de lois


3.3 - Présentation - La règle de rattachement ne constitue qu'une méthode, parmi
d'autres, de solution d'un conflit de lois. Il convient, lors d'une analyse liminaire, de dis-
socier correctement cette règle d'autres règles de droit international privé. Il y a égale-
ment lieu d'être attentif aux objectifs que poursuit la règle de rattachement, d'autant
80 LA RÈGLE DE RATTACHEMENT

plus que celle-ci donne aisément une apparence de neutralité à l'égard d'une politique de
droit matériel.

§ 1 LA RÈGLE DE RATTACHEMENT
COMME RÈGLE DE CONFLIT DE LOIS
3.4 - Pluralité de méthodes - La branche des conflits de lois a pour objet le choix du
droit applicable aux situations présentant un élément transfrontière au moment où elle
sont soumises à l'évaluation d'un organe étatique (voy. supra, n ° 1.38). L'exercice (au
moins hypothétique) d'une compétence administrative ou juridictionnelle est insépara-
ble de la méthode des conflits de lois : toute règle de conflit appartient nécessairement à
un système étatique de droit international privé et la portée normative de pareille règle
est non moins nécessairement limitée aux situations relevant de la compétence adminis-
trative ou juridictionnelle de l'État au droit duquel elle est empruntée (voy. supra,
n ° 1.20).
Plusieurs méthodes s'offrent à l'État pour désigner le droit applicable à une telle
situation, pluralité que confirme la pratique.
La méthode sans doute la plus séduisante d'un point de vue conceptuel consiste à
éliminer le conflit de lois par l'élaboration de règles matérielles communes aux différents
États dont les droits sont en concours. Il suffirait alors d'appliquer directement ces dis-
positions, sans devoir choisir, parmi les systèmes étatiques en présence, celui qui doit être
appliqué.
Pour séduisante qu'elle soit, cette méthode n'est pas généralisée. Plutôt récente, elle
repose sur la possibilité d'obtenir un accord entre États, de préférence entre un nombre
significatif d'États. Malgré son intérêt, la méthode d'uniformisation du droit matériel n'a
pas encore cessé d'être marginale.
1111 Dans le contexte de l'Union européenne, des voix, souvent issues des milieux universitaires, se
font entendre en faveur de l'élaboration d'un « Code civil européen », sinon pour l'ensemble de la
matière civile, du moins pour des disciplines entières, comme le droit des contrats, le droit de la
responsabilité civile, voire le droit de la famille. À la différence d'autres uniformisations du droit,
celle-ci revêt un caractère régional et, dût-elle aboutir, n'a pas vocation à être étendue à l'ensemble
des États.
Sur le thème du ius commune, voy. notamment: M. ANTOKOLSKAIA, « The harmonization of family
law: Old and new dilemnas », Rev. eur. dr. pr. (2003), 28-49; A. CHAMBOREDON, « La "texture
ouverte" d'un Code européen du droit des contrats», Clunet (2001), 5-46; A. HARTKAMP, M. HESSE-
LINK, E. HONDIUS, Towards a European civil Code (Dordrecht, Nijhoff, 2004, 3' éd.), 900 p. ; O. LANDO,
Princip/es of European contract law (La Haye, Kluwer, 2003), 3 vol.; P. LEGRAND, « Sens et non-sens
d'un Code civil européen», Rev. int. dr. camp. (1996), 779-812; Y. LEQUETTE, « Quelques remarques à
propos du projet de Code civil européen de M. von Bar», D.S. (2002), 2202-2214; Ph. MALAURIE,
« Le Code civil européen des obligations et des contrats - Une question toujours ouverte »,].C.P.
(2002), I, 110 ; J.-B. RACINE,« Pourquoi unifier le droit des contrats en Europe ? Plaidoyer en faveur
de l'unification», Rev. dr. Union eur. (2003), 369-408 ; C. ScHMID, « Pattern oflegislative and adjudi-
cative integration of private law », Col.]. eur. L. (2002), 415-486 ;]. SMITS, The makingofEuropean pri-
vate law. Towards a ius commune Europaeum as a mixed legal system (Anvers, Intersentia, 2002), 306 p. ;
G. STAUDENMAYER, « Le plan d'action de la Commission européenne concernant le droit européen
des contrats », D.S. (2003), I, 127 ; W. VAN GERVEN, « Harmonization of private law: Do we need
it? », Comm. Mark. L.R. (2004), 505-532 ; T. WILHELMSSON, « Private law in the EU: Harmonised or
fragmented Europeanisation? », Rev. eur. dr. pr. (2002), 77-94.
LA MÉTHODE DE SOLUTION DES CONFLITS DE LOIS 81

IllLe processus d'uniformisation du droit au sein de l'Union européenne est complexe. La Com-
munauté européenne est dotée de compétences normatives étendues, qui expliquent le nombre
d'acres déjà adoptés à ce jour en matière civile et commerciale, mais ces compétences ne cessent pas
d'être seulement d'attribution : l'exercice d'une compétence doit reposer sur l'une des bases juridi-
ques énoncées strictement par le traité CE et, dans le cadre général du marché intérieur, la compé-
tence porte sur le « rapprochement» des législations nationales, dans la mesure « nécessaire » au
bon «fonctionnement» de ce marché (C.J.C.E., aff. C-376/98, 5 octobre 2000, Allemagne c. Parle-
ment européen et Conseil,« Directive sur la publicité pour le tabac», Rec., 2000, 1-8419).
Cerre caractéristique explique largement le caractère fragmentaire des réalisations de la Commu-
nauté, celle-ci ayant à établir au cas par cas que la disparité des législations nationales crée une
« entrave sensible» aux échanges (arrêt précité, reprochant en l'espèce l'absence de toute ventila-
tion dans la matière visée).

La méthode la plus naturelle - parce que traditionnelle et la seule praticable en


l'absence d'un accord interétatique - consiste à déterminer l'applicabilité dans l'espace
de règles matérielles étatiques. Sans supprimer le conflit de lois, pareille méthode y
apporte un règlement, certes relatif, puisqu'il est propre à l'État qui l'édicte. Elle ne
résout pas moins le conflit du point de vue de l'autorité étatique à laquelle celui-ci est
soumis.
Cette seconde méthode prend la forme de « règles de conflit de lois » ou « règles
d'applicabilité». Pareilles règles revêtent deux formes distinctes. L'une, sans doute histo-
riquement première, consiste à fixer directement le domaine d'application dans l'espace
d'une règle matérielle particulière: elle peut être appelée « règle directe d'applicabilité».
L'autre, plus récente mais aujourd'hui dominante, appréhende la situation particulière
pour la rattacher au droit de l'État qu'elle désigne: cette méthode-ci correspond à ce qu'il
est convenu d'appeler une« règle de rattachement».

3.5 - Méthode du rattachement de la situation - La notion de rattachement est liée à


une méthode qui détermine le droit applicable à une situation particulière, abstraction
faite du contenu matériel des règles de droit ainsi déclarées applicables. La règle de ratta-
chement désigne ce droit de manière objective, sans référence à un État nommé. Une telle
règle est alors qualifiée de« multilatérale» (voy. infra, n ° 3.44).
La règle de rattachement se distingue d'une règle matérielle par le contenu du dispo-
sitif.
Selon le modèle des règles de droit matériel interne, la norme substantielle énonce
de manière immédiate la solution applicable à la situation définie dans l'hypothèse : elle
détermine par exemple l'âge de la majorité civile, la responsabilité du vendeur en raison
des vices cachés de la chose vendue, etc.
Le dispositif de la règle de rattachement, norme proprement« indirecte», se borne à
désigner le droit applicable à la situation: telles, par exemple, la norme attribuant à cha-
que État compétence pour déterminer ses propres nationaux ou celle qui rattache la
capacité d'une personne au droit de l'État dont celle-ci a la nationalité.

3.6 - Méthode de l'applicabilité d'une règle de droit - La technique du rattachement se


distingue de la méthode fixant de manière immédiate le domaine d'applicabilité d'une
règle matérielle. Quoique la règle de rattachement se prononce également sur une telle
applicabilité, il y a lieu, pour éviter les confusions, de réserver l'expression « règle
d'applicabilité» aux dispositions, assez diverses d'ailleurs, qui délimitent formellement
82 LA RÈGLE DE RATTACHEMENT

le domaine d'application dans l'espace d'une norme particulière ou d'un ensemble légis-
latif déterminé.
1111 La règle de rattachement se prononce sur l'applicabilité d'une règle matérielle particulière, mais
elle le fait d'une manière indirecte et synthétique. Ainsi, la règle qui désigne le droit national de
l'adoptant peut également se lire, à propos d'un adoptant belge, comme disposant que chacune des
règles matérielles particulières énoncées dans le Code civil belge s'applique lorsque l'adoptant est
belge.
Ill Sur cette caractéristique, voy. infra, n ° 3.43.
Ce que l'on peut appeler, par opposition à une règle de rattachement, une « règle
directe d'applicabilité » (voy. infra, n ° 4.4), recouvre un champ en réalité plus vaste que la
détermination de l'applicabilité d'une règle matérielle étatique. De telles règles peuvent
aussi fixer le domaine d'application dans l'espace d'un instrument international, qui
peut contenir des règles de nature variée: règles matérielles (voy. infra, n ° 4.37), règles de
conflit de juridictions (voy. infra, n ° 8.19), voire règles de rattachement (voy. infra,
n ° 4.49).
Ill Comme exemple d'une règle d'applicabilité au sens strict du terme, on peut citer l'article 2 de la
loi du 16 février 1994 régissant le contrat d'organisation de voyage (Monit., F' avril 1994), aux ter-
mes duquel: « La présente loi est applicable aux contrats [... ] vendus ou offerts en vente en
Belgique».

3.7 - Norme primaire de droit international privé - La notion de norme primaire de


droit international privé désigne toute règle qui appréhende directement une relation
privée internationale pour la soumettre à la solution appropriée.
Pareille solution a différentes natures selon la subdivision du droit international
privé à laquelle elle appartient.
Les règles de condition des étrangers déterminent les droits dont la jouissance est refusée aux
1111

étrangers ou subordonnée aux conditions qu'elles indiquent. Les règles de conflit de Juridictions
désignent les catégories de situations dont le lien avec l'État du for justifie l'exercice de la compé-
tence juridictionnelle ou elles arrêtent les conditions auxquelles décisions et actes publics étrangers
portent leurs effets dans l'État requis. Toutes ces règles sont, par leur contenu, des normes pri-
maires de droit international privé de caractère matériel puisqu'elles appréhendent une catégorie
déterminée de situations particulières se rattachant à plus d'un État et qu'elles désignent immédia-
tement les effets de droit mis en œuvre par l'ordre juridique étatique.
Dans la matière des conflits de lois, les normes primaires de droit international privé
sont, tantôt des règles de droit matériel, tantôt, précisément, des règles de rattachement.
Ill Les règles de droit matériel se subdivisent elles-mêmes en sous-catégories, les règles de droit uni-
forme applicables à certaines situations privées internationales, les règles de droit matériel interne
dont le domaine d'application dans l'espace est déterminé par une règle directe d'applicabilité et
les règles matérielles de droit international privé. Les deux premiers procédés évincent la mise en
œuvre des règles de rattachement (voy. infra, n° 5 4.35 et s.), à la différence du troisième (voy. le
n ° suivant).
IliLes situations internationales qui n'entrent pas dans le domaine - prioritaire (voy. infra,
n° 5.19)- des règles de droit matériel dont le champ d'application dans l'espace fait l'objet d'une
règle d'applicabilité particulière, relèvent de la méthode du rattachement. Les règles de rattache-
ment appréhendent elles aussi une situation privée internationale, sans contenir aucun dispositif
de droit matériel, puisqu'elles se bornent à désigner le droit - national ou étranger - applicable.

3.8 - La règle matérielle de droit international privé : définition - Déclarant applicables


des dispositions de droit privé matériel, celles mêmes qui ont été élaborées pour les situa-
tions purement internes de l'ordre juridique auquel ces dispositions appartiennent, la
LA MÉTHODE DE SOLUTION DES CONFLITS DE LOIS 83

règle de rattachement conduit normalement à désigner des dispositions dont le contenu


ne rencontre pas nécessairement de manière adéquate l'originalité de certaines situations
que caractérise précisément la dispersion des éléments de localisation.
La « règle matérielle de droit international privé » complète sur ce point le système
de conflit de lois. Elle saisit dans la situation un phénomène typique de dispersion des
éléments de rattachement, mais au lieu de déduire de la localisation de ceux-ci l'applica-
tion de telle ou telle règle de droit privé matériel, elle détermine directement l'effet juridi-
que qui s'y attache. Ainsi, à la différence de la règle de conflit de lois, la règle matérielle de
droit international privé n'est pas une norme indirecte mais une règle de droit substan-
tiel.
On en trouve un assez bon exemple dans l'article 22 de la Convention de La Haye du 2 octobre
Ill!
1973 sur l'administration internationale des successions, rédigé dans les termes suivants : « Toute
personne qui paie ou remet des biens au titulaire d'un certificat dressé, et s'il y a lieu reconnu, con-
formément à la présente Convention, sera libérée, sauf s'il est établi qu'elle était de mauvaise foi».
La disposition suppose que l'autorité compétente dans l'État de la résidence habituelle du défunt a
dressé un certificat désignant la personne habilitée à administrer une succession mobilière et que
cette personne s'est fait remettre des biens situés dans un autre pays, par exemple par un débiteur
de la succession. À cette situation internationale spécifique, l'article 22 de la Convention apporte
une solution de droit privé matériel, la libération du débiteur, sauf s'il a payé de mauvaise foi.
Ill!Les législateurs nationaux ont aussi élaboré d'assez nombreuses dispositions matérielles de
droit international privé. On peut citer à titre d'exemple, en Belgique, l'article 4, alinéa 2, de la loi
du 12 avril 1965 concernant la protection de la rémunération du travailleur: « Lorsque cette acti-
vité est exercée à l'étranger, la rémunération en espèces doit être payée, selon la demande du tra-
vailleur, en totalité ou en partie soit en monnaie ayant cours légal en Belgique, soit en monnaie
ayant cours légal dans le pays où le travailleur exerce son activité ».
Ill Le droit communautaire, aussi, donne des exemples de règles matérielles de droit international
privé. Voy.: directive 91/533 du 14 octobre 1991 relative à l'obligation de l'employeur d'informer le
travailleur des conditions applicables au contrat ou à la relation de travail (J.O.C.E., 1991, L 288),
établissant une obligation particulière d'informer en cas de déplacement du travailleur à l'étranger.
Ill!Dans la doctrine, voy. notamment: H. BAUER, « Les traités et les règles de droit international
privé matériel», Revue (1968), 537-575; A. BUCHER, « Sur les règles de rattachement à caractère
substantiel», Mélanges A. F. Schnitzer (Genève, Georg, 1975), 37-55 ; A. FERRER-CORREIA, « Les pro-
blèmes de codification en droit inter-national privé» Recueil des cours, vol. 145 (1975), 97-107; G.
KEGEL, « The Crisis of Conffict of Laws », Recueil des cours, vol. 112 (1964), 238-263; A.MIAJA DE LA
Mu ELA,« Las normas materiales de derecho internacional privado », Rev. espan. de derecho internacio-
nal (1963), 425-457; M. SrMON-DEPITRE, « Les règles matérielles dans le conflit de lois», Revue
(1974), 591-606; E. STEIND0RFF, Sachnormen im internationalen Privatrecht (Frankfort, 1958); A. VON
OVERBECK, « Les règles de droit international privé matériel», Mélanges Kollewijn-Offerhaus (Leiden,
Sijthoff, 1962), 362-379; A. VON MEHREN, « Special substantive rules for multistate problems: their
role and significance in contemporary choice oflaw methodology », Harvard L.R. (1974), 347.

La règle matérielle de droit international privé se distingue de toute autre règle


matérielle par son contenu : celui-ci est spécialement adapté au caractère international de
la situation et ne saurait, pour ce motif, être transposé à une situation interne.
Le concept de règle matérielle de droit international privé se distingue de celui de
règle de droit privé uniforme, même si la confusion est possible puisque l'une et l'autre
ont pour objet des situations internationales et que l'une et l'autre contiennent une solu-
tion de droit matériel spécialement élaborée pour le milieu international. En effet, la pre-
mière peut appartenir au droit national. De plus, à la différence de l'hypothèse d'une
règle matérielle de droit international privé qui décrit une situation traversée par le phé-
84 LA RÈGLE DE RATTACHEMENT

nomène de la frontière, la disposition de droit privé uniforme ne contient aucune réfé-


rence semblable et ce n'est que par le jeu de la règle d'applicabilité que son domaine
spatial est limité à certaines situations du commerce international. C'est pourquoi il n'y a
aucun obstacle à ce que l'application de ces règles soit étendue aux situations purement
internes, même si le traité dont elles émanent contient une règle d'applicabilité qui en
limite le domaine aux relations internationales qu'elle définit (voy. infra, n ° 4.37).
Ill Pour distinguer une règle matérielle de droit international privé d'une disposition de droit
matériel uniforme insérée dans un traité qui en limite l'applicabilité aux rapports internationaux,
le guide le plus sûr consiste à vérifier si l'hypothèse de la règle est apte à appréhender une situation
purement interne. Si la réponse est négative, il s'agit d'une règle matérielle de droit international
privé.
Ill La difficulté de classer une règle isolée est d'autant plus grande qu'un traité d'unification du
droit contient parfois une règle de conflit de lois ou une règle matérielle de droit international
privé, tandis qu'on trouve en certaines conventions sur la loi applicable des règles de droit matériel
uniforme ou des règles matérielles de droit international privé.
Ainsi, l'article 6, alinéa 1er, de la Convention de La Haye du 15 novembre 1965 concernant la com-
pétence des aurorités, la loi applicable et la reconnaissance des décisions en matière d'adoption,
contient plusieurs règles de droit matériel uniforme, notamment en sa première phrase : « Les
autorités visées à l'article 3, alinéa premier, ne prononcent l'adoption que si elle est conforme à
l'intérêt de l'enfant"·
Contient, de même, une règle de droit matériel uniforme, la deuxième phrase de l'article 12 de la
Convention de La Haye du 14 mars 1978 sur la loi applicable aux régimes matrimoniaux: le con-
trat de mariage« doit toujours faire l'objet d'un écrit daté et signé des deux époux».

3.9 - Applicabilité de la règle matérielle de droit international privé - La règle maté-


rielle de droit international privé ne contient, par elle-même, aucune indication sur son
applicabilité dans l'espace. Force est alors de recourir à une règle distincte, soit règle
directe d'applicabilité, soit règle de rattachement.
Ainsi, le domaine spatial de la règle matérielle de droit international privé insérée
dans une convention internationale est déterminé selon les règles d'applicabilité que con-
tient celle-ci.
IllPar exemple, l'article 22 de la Convention sur l'administration internationale des successions
s'applique aux situations visées par l'article 1er, c'est-à-dire chaque fois que le titulaire d'un certifi-
cat dressé conformément à la Convention dans un État contractant, obtient dans un autre État
contractant un paiement ou la remise de biens.

La règle matérielle nationale de droit international privé, au même titre que toute
disposition du droit matériel, a besoin d'une règle nationale de rattachement ou d'appli-
cabilité qui en fixe le domaine spatial.
IllPar exemple, avant d'appliquer l'article 4 de la loi belge du 12 avril 1965 à un contrat de travail
international, il y a lieu de s'assurer de la soumission de cette question contractuelle au droit belge,
soit en vertu de la règle de rattachement qui régit les contrats de travail, soit, le cas échéant, en
vertu d'une règle d'applicabilité qui tend à assurer la protection du travailleur dès lors que la règle
matérielle en cause constitue une loi de police (voy. infra, n° 5 14.174 et s.).
Ill En droit communauraire, la quatrième directive sur l'assurance obligatoire de la responsabilité
des véhicules automoteurs (dir. 2000/26 du 16 mai 2000,].O.C.E., 2000, L 181) établit une action
directe au profit de la victime contre un organe d'indemnisation représentant l'assureur du respon-
sable, lorsque l'accident s'est produit dans un État autre que celui de la résidence de la victime, et
elle exige, par une règle d'applicabilité, que se localisent dans un État membre l'accident, la rési-
dence de la victime, l'établissement de l'assureur et l'immatriculation du véhicule assuré, tout en
précisant ne pas affecter le droit international privé.
LA MÉTHODE DE SOLUTION DES CONFLITS DE LOIS 85

Il arrive que la règle d'applicabilité ne soit qu'implicite.


1!11Un des exemples les plus typiques de règle matérielle nationale de droit international privé est
d'origine jurisprudentielle. À l'époque où la loi française prohibait l'insertion dans les contrats
d'une clause-or ou d'une clause de référence à une devise étrangère, la Cour de cassation a soustrait
à cette restriction les paiements internationaux : les parties sont libres de choisir la monnaie de
compte quand l'exécution du contrat donne lieu à un règlement international, c'est-à-dire au
transfert d'une somme d'argent d'un pays à un autre. Il s'agit d'une règle matérielle de droit inter-
national privé parce qu'elle arrête directement les effets juridiques d'une situation internationale
spécifique: quand le paiement exige un transfert de sommes d'un pays à l'autre, les parties peuvent
choisir la monnaie de compte.
Si l'on se demande à quelle catégorie de règlements internationaux, du point de vue de leur locali-
sation, s'applique la règle matérielle de droit international privé, l'analyse de la jurisprudence fran-
çaise conduit à la conclusion que cette règle a été rattachée directement au droit du for. Le
problème de conflit de lois aurait pu recevoir une solution différente, par exemple le rattachement
de la règle matérielle de droit international privé à la loi du contrat, ce qui en eût limité l'applica-
tion aux contrats internationaux régis par le droit français.
Sur cette jurisprudence, voy. notamment: BATIFFOL et LAGARDE, t. II, n ° 613.
1!11 D'après la Cour permanente de Justice internationale, alors même que le contrat principal est
soumis à une loi autre que la loi française, il est justifié d'appliquer celle-ci à une obligation inter-
nationale dont la monnaie de compte est le franc français. Ainsi, les dispositions matérielles de
droit international privé sur les paiements internationaux ont été rattachées à la loi régissant la
monnaie de compte et de paiement (arrêts n° 14 et n° 15 du 12 juillet 1929, C.P.].L, Série A, n° 20-
21, 41-42). Voy. en outre, infra, n° 4.10.
1111Parmi les dispositions matérielles législatives de droit international privé que leur objet rappro-
che de l'exemple qui vient d'être analysé, on peut citer les lois sur le contrôle des changes, des
importations et des exportations ainsi que les dispositions subordonnant à une autorisation admi-
nistrative le transfert international de valeurs ou de biens.
1!11Le droit suédois présente un exemple de règle matérielle de droit international privé accompa-
gnée d'une règle d'applicabilité implicite ayant pour objet de déroger à la règle de rattachement
multilatérale. Ce caractère dérogatoire, de même que l'objectif de la règle, qui est de favoriser des
intérêts localisés dans l'État du for, accentue le caractère unilatéral de la règle (sur ce caractère, voy.
infra, n ° 3.45). Alors que la règle de rattachement suédoise en matière de successions désigne la loi
nationale du défunt, permettant normalement à un État étranger de succéder aux biens délaissés
en Suède par ses propres ressortissants, l'article 11 de la loi suédoise du 5 mars 1937 sur les succes-
sions en droit international privé dispose que si une loi successorale étrangère attribue des biens
situés en Suède à l'État dont le défunt avait la nationalité, cette succession est dévolue à l'État sué-
dois.

§2 ÜBJECTIFS DE LA RÈGLE DE RATTACHEMENT


3.10 - Spécificité des objectifs généraux - Dès le moment où le système de règles de
droit matériel propre à chaque État se double de l'adoption d'un corps, non moins natio-
nal, de règles de droit international privé, il est permis de s'interroger sur les objectifs
d'une méthode qui tend à dédoubler le droit en vigueur dans un État, en superposant
aux règles de droit substantiel des règles de rattachement. Il convient non seulement
d'asseoir l'utilité de telles règles, mais encore de comprendre la spécificité de la situation
de l'acteur social se trouvant dans une situation transfrontière.
La détermination des objectifs poursuivis par la règle de rattachement est chose
malaisée et sans doute inachevée. Elle est également fonction de la conception que se fait
le juriste de la nature de la règle, voire, plus fondamentalement, de la nature d'un ordre
juridique.
86 LA RÈGLE DE RATTACHEMENT

Deux concepts généraux émergent de la tradition, à savoir la justice du cas particu-


lier et l'harmonie des solutions. D'autres concepts servent également à énoncer des objec-
tifs, comme les principes de souveraineté et de proximité, la théorie de l'analyse des
intérêts en présence, ou la satisfaction des besoins de la circulation internationale des
biens et des personnes.
3.11 - Le respect de droits acquis à l'étranger - Une ancienne doctrine du droit interna-
tional privé, qui mérite d'être réhabilitée, la doctrine des droits acquis, met l'accent sur la
permanence des droits subjectifs qu'une personne a acquis à l'intérieur d'un ordre juridi-
que déterminé.
La « permanence du statut personnel » est un principe qu'il faut juger fondamental
et en l'absence duquel la circulation des personnes deviendrait impossible. Pour que la
situation particulière reçoive une solution «juste», c'est-à-dire qui soit conforme à la
légitime attente des personnes intéressées, il est impératif de reconnaître certains droits
acquis dans un ordre juridique « étranger». Seule la technique de la règle de rattache-
ment permet d'atteindre ce résultat, par exemple, en déclarant applicable au statut per-
sonnel la loi nationale, la loi du domicile, la loi du pays dans lequel une personne est née,
s'est mariée, etc.
1111Par exemple, la filiation, le nom, la qualité d'époux sont attribués par application d'un système
étatique, et il serait inacceptable que le statut de la personne devînt lettre morte dès le moment où
celle-ci passerait une frontière.
En d'autres termes, c'est parce qu'elle s'ajoute à la règle de droit matériel que la règle
de rattachement remplit une de ses fonctions, soumettre la situation transfrontière à la
loi qui paraît la plus adéquate eu égard à la localisation de cette situation. Dans les cas où
la règle de rattachement du for soumet la situation à un droit étranger, c'est parce que
l'application de celui-ci est jugée plus adéquate que l'application systématique du droit
matériel interne du for.
La « théorie » des droits acquis pousse le plus loin ce souci de permanence, quand
une situation constituée dans un État est ensuite soumise à l'évaluation des organes d'un
autre État. En ce cas, elle suggère de retenir, aux fins de la désignation du droit applicable
au fond, non pas la règle de rattachement de l'État du for, mais celle du premier État
dans lequel la situation s'est constituée.
1111 Sur la doctrine des droits acquis, voy. infra, n ° 6.38.
L'un des aspects les plus intéressants de la doctrine des droits acquis consiste à met-
tre l'accent sur l'incidence du temps en droit international privé. C'est ici également que
la distinction entre l'exercice de la compétence administrative ou juridictionnelle et la
détermination de la compétence législative paraît particulièrement adéquate : le critère
spatial applicable à la première se réfère à une phase plus récente de l'évolution tempo-
relle de la situation que ne le fait le critère auquel il appartient de fixer le rattachement de
la situation au droit applicable au fond.
Le recours à une clause d'exception peut servir à préserver des droits acquis. Le con-
cept de proximité qu'exprime la clause peut se comprendre, notamment, eu égard à
l'écoulement du temps: la clause permet de corriger l'intrusion tardive d'un élément
d'ordre spatial lorsque la plupart des facteurs de localisation convergeaient, lors de la
configuration de la situation, vers d'autres ordres juridiques que celui désigné par la règle
de rattachement du for.
LA MÉTHODE DE SOLUTION DES CONFLITS DE LOIS 87

1111Le Code belge de droit international privé soumet la clause d'exception à certains indices
d'appréciation, notamment le prise en compte de l'acquisition de droits à l'étranger (art. 19, infra,
n ° 6.41).

3.12 - Harmonie internationale des solutions et impératif de sécurité juridique - La


recherche de l'harmonie internationale des solutions est un autre objectif traditionnel du
droit international privé. Pareille harmonie suppose que la détermination du droit appli-
cable au rapport juridique transfrontière soit indifférente au passage de frontière. Le
concept est emprunté à la notion, plus générale, de sécurité juridique, et il se traduit, en
termes de conflit de lois, par l'impératif de prévisibilité du droit applicable.
La réalisation d'une telle harmonie suppose l'établissement de règles universelles de
rattachement, arrêtées par la communauté des États, procédé le mieux à même d'assurer
la circulation transfrontière des biens et des personnes. Vu sous cet angle, l'objectif est
cependant chimérique dans la mesure où l'uniformisation totale - sous l'angle des
matières et des États - du droit international privé est un idéal hors de portée.
L'objectif d'harmonie internationale a inspiré plusieurs mécanismes correcteurs affectant la
1111

mise en œuvre de la règle de rattachement, comme la technique du renvoi (voy. infra, n ° 6.12) ou la
théorie de la question préalable (voy. infra, n ° 6.29).

Cet objectif peut également apparaître comme étant à la base du principe de l'autonomie des
1111

volontés dans le droit des conflits de lois, en matière de contrats (voy. infra, n'" 3.21 et 14.36 et s.)
mais aussi en d'autres matières (voy. infra, n° 12.70).

Le concept même de règle de rattachement tend à la réalisation d'une certaine har-


monie internationale, davantage en tout cas que ne le ferait l'application systématique
des règles matérielles du for.
Comp. la manière dont, en 1852, la Cour de cassation de Belgique (Cass., 6 août 1852, de
1111

Terwangne, Pas., 1853, I, 155) justifie l'application de la loi du domicile, comme« un usage intro-
duit pour l'avantage mutuel des habitants d'États différents afin de leur éviter les difficultés du
conflit de leurs lois nationales »,usage« admis généralement» et« principe du droit des gens ».

Le concept d'harmonie des solutions implique en effet que plusieurs États soient en
mesure d'exercer leur compétence juridictionnelle à l'égard d'une situation transfron-
tière. Si les solutions internes dans ces différents États divergent, les personnes intéres-
sées à la situation jouiront de droits subjectifs ou d'un statut différents selon l'État dans
lequel il sera prononcé sur cette situation. Les solutions seront harmonisées si des effets
juridiques identiques ou sensiblement équivalents sont attachés à une situation détermi-
née, quel que soit l'État dans lequel la question de droit est soulevée. Il faut dès lors se
demander comment l'application de règles de rattachement propres à chaque État favo-
rise une harmonie à laquelle ne saurait atteindre l'application immédiate du droit maté-
riel interne.
Entre les règles de droit international privé il existe une forme d'harmonie préétablie
à laquelle ne sauraient prétendre les règles de droit matériel. En effet, sans être illimitées,
les possibilités de choix offertes au législateur sont, en ce qui concerne les solutions
matérielles, très étendues. Elles sont beaucoup plus restreintes en droit international
privé. Il serait donc simpliste d'affirmer, sans plus, que le droit international privé ne
contribue pas, en raison de sa nature nationale, à résoudre les difficultés suscitées par les
situations transfrontières, et d'appeler à sa disparition.
Ill La raison de la convergence des règles nationales de rattachement est triple.
88 LA RÈGLE DE RATTACHEMENT

11111 En premier lieu, les critères objectifs de localisation (nationalité, domicile, résidence, lieu de
conclusion ou d'exécution d'un contrat, etc.) sont si peu nombreux que les solutions retenues de
manière autonome dans les différents États convergent souvent en fait.
Par exemple, en matière de statut personnel la plupart des États se divisent en deux groupes princi-
paux, les uns qui appliquent la loi nationale, les autres la loi du domicile, ce dernier facteur étant
au demeurant entendu, comme la nationalité, par référence à un lieu qui caractérise l'origine de la
personne plutôt que son milieu de vie actuel.
Ill Le deuxième motif pour lequel les règles nationales de droit international privé contribuent à
l'harmonie des solutions tient aux caractères qui distinguent cette partie du droit interne, des
réglementations nationales de droit substantiel (le droit civil, plus particulièrement encore le droit
des biens ou des relations familiales). Parmi ces caractères, il faut noter la technicité du droit inter-
national privé, droit sur le droit, la circonstance qu'il s'est développé au XIXe siècle dans un milieu
transfrontière, ouvert par vocation à la communication des méthodes et à l'échange des expérien-
ces, l'adoption dans les différents pays d'une politique jurisprudentielle délibérée, surtout notable
au cours des dernières décennies, tendant à favoriser l'harmonie des solutions. Même quand les
sources formelles du droit international privé sont nationales, cette branche du droit est, par la
force des choses, « cosmopolite", étant privée des traditions particularistes beaucoup plus mar-
quées quand il s'agit d'organiser les relations familiales ou de régler la propriété immobilière. Le
recours à la méthode comparative y est inhérent: cessant d'être un rameau purement descriptif ou
spéculatif de la science du droit, cette méthode s'introduit dans la pratique judiciaire, elle contri-
bue à l'élaboration des solutions. Enfin, les questions de théorie générale du droit international
privé sont communes à cous les systèmes juridiques.
Il!!Un troisième facteur a contraint les systèmes étatiques de droit international privé à se dégager
de préoccupations purement nationalistes : il s'agit de l'influence du droit international sur les
solutions apportées par les États aux situations juridiques transfrontières. Sans doute cette action
est-elle discrète dans la matière des conflits de lois ; elle n'incite pas moins le législateur étatique à
admettre le principe de l'application du droit étranger à une situation individuelle.

Une forme d'harmonie peut également être obtenue en agissant sur les décisions.
Une chose est de chercher à obtenir des solutions uniformes de conflit de lois, autre
chose est d'assurer le respect d'une décision obtenue à l'étranger. Le droit international
privé permet de recevoir la solution retenue par le juge étranger, au moyen de règles pro-
pres à la reconnaissance et à la déclaration de la force exécutoire des décisions étrangères
(voy. infra, chap. 10).

3.13 - Principes de souveraineté et de proximité - La distinction entre les principes de


souveraineté et de proximité, que l'on trouve dans la littérature contemporaine, permet
d'énoncer une tension traditionnelle en droit international privé.
Le principe de souveraineté remonte sans doute aux temps les plus anciens, ceux
d'une communauté internationale embryonnaire dont les membres, pour asseoir leur
identité, se doivent de maintenir la maîtrise des éléments essentiels de la société natio-
nale. En ce sens, la règle qui désigne le droit applicable sert d'abord à affirmer l'emprise
du droit du for sur les nationaux et sur les biens localisés dans le territoire.
1111Il est significatif que les seules dispositions que le Code Napoléon consacre au droit des conflits
de lois, dont la doctrine et la jurisprudence ultérieures déduiront de véritables règles de rattache-
ment de nature multilatérale (voy: infra, n° 3.44), s'attachent à fixer le statut personnel des Français
et le statut réel des immeubles situés en France, au bénéfice du droit français, tout en précisant que
ce droit est applicable même à l'égard de Français émigrés.

Le principe de proximité rajeunit la formulation du concept - que Savigny a eu le


mérite d'énoncer dans la recherche du siège du rapport de droit - selon lequel un rap-
port juridique est régi par le droit de l'État avec lequel il présente les liens les plus étroits.
lA MÉTHODE DE SOLUTION DES CONFLITS DE LOIS 89

Concept ouvert, puisqu'il peut servir autant à exprimer un principe de répartition des
compétences étatiques - chaque État n'ayant à régler que les situations présentant avec
son territoire un lien significatif - qu'un principe d'harmonie internationale des solu-
tions, ou encore de respect des droits acquis. Sous son acception primitive, celle de la
recherche du siège du rapport de droit, le concept repose davantage sur une recherche
assez conceptuelle de l'essence ou de la nature des choses.
1111Voy. une présentation du principe par P. LAGARDE,« Le principe de proximité dans le droit inter-
national privé contemporain", Recueil des cours, vol. 196 (1986-I), 9-238.
1111 La notion américaine de proper law (of a contract ou of a tort) est une autre formulation du prin-
cipe de proximité. Utilisée dans l'article 4 de la Convention de Rome sur la loi applicable aux obli-
gations contractuelles, la désignation de principe de « la loi du pays avec lequel [le contrat]
présente les liens les plus étroits " relève de la même problématique.
Le principe de proximité est à même de produire des règles, tantôt générales, tantôt
particulières. D'un côté, il permet d'expliquer une tendance à substituer le facteur de la
résidence habituelle au facteur de la nationalité dans diverses branches du droit de la
famille, spécialement les questions concernant les effets d'une relation d'état (voy. infra,
n ° 12.61, à propos des effets du mariage). D'un autre côté, il peut trouver à s'exprimer au
moyen d'une clause générale d'exception (voy. infra, n ° 3.17).
3.14 - Objectifs particuliers de politique législative: l'analyse des intérêts - L'analyse du
conflit d'intérêts inhérent à toute mise en œuvre d'une règle de droit a parfois servi de
guide grâce à la localisation d'un des intérêts en présence, jugé prépondérant. Encore
convient-il de distinguer soigneusement le conflit d'intérêts privés, dont il est ici ques-
tion, des conflits d'intérêts gouvernementaux. Il s'agit de deux conceptions antinomi-
ques, l'une individualiste et l'autre, étatiste.
Dans un premier sens, la recherche du siège du rapport de droit a un objet complexe,
une relation privée dans laquelle sont impliquées plusieurs personnes ayant des intérêts
différents, souvent conflictuels. Il conviendrait alors d'isoler l'intérêt prépondérant, par
exemple, du créancier d'aliments, de la victime d'un accident, de l'enfant face à l'autorité
parentale ou pour l'établissement de sa filiation, du travailleur face à l'employeur, du
consommateur achetant à un vendeur professionnel. La sélection de l'intérêt prépondé-
rant type permettrait de rattacher l'ensemble de la situation à la loi du pays où se localise
cet intérêt.
1111La jurisprudence belge illustre un tel objectif en matière de recherche de paternité. Selon la
Cour de cassation (20 mars 1941, Lakaye, Pas., 1941, I, 91), l'application de la loi nationale de
l'enfant en vertu de l'article 3 du Code civil reposait sur la recherche de la personne « sur qui se
concentr[e] l'intérêt que le législateur belge a voulu principalement sauvegarder", cet intérêt étant
davantage celui de l'enfant à obtenir un état que « l'intérêt du père et de la famille "· L'application
de cette loi s'imposerait« non parce que, in casu, cette loi est plus ou moins favorable à l'intérêt de
l'enfant naturel, mais parce que, du point de vue du droit international privé, cette loi est normale-
ment la seule compétente pour déterminer ce que peut commander l'intérêt de l'enfant" (Cass.,
24 mars 1960, Eijèling, Pas., 1960, !, 860).
Sur ce thème, voy. : C. CHABERT, L'intérêt de l'enfant et les conflits de lois (Aix-Marseille, Presses univ.,
2001), 632 p. .

Dans un autre sens, le juge cherche à promouvoir l'intérêt de l'État le plus touché
par le résultat déduit de l'application du droit désigné. Par exemple, le créancier d'ali-
ments ou la victime d'un accident est préféré au débiteur de l'aliment ou de l'indemnité,
moins pour la satisfaction d'un intérêt propre que parce que la demande est de nature à
90 LA RÈGLE DE RATTACHEMENT

procurer des moyens de subsistance à un créancier qui, à défaut, tomberait à charge de la


collectivité. Inversement, l'auteur de l'accident est retenu comme élément de référence en
raison de l'intérêt de l'État à organiser une politique de prévention en matière de respon-
sabilité civile.
liliC'est aux États-Unis que the governmental interests analysis a connu, par les travaux de Currie et de
Cavers, son point d'aboutissement, essentiellement à propos de la responsabilité civile (voy. infra,
n° 15.10).
En Europe, le concept était déjà présent dans les travaux de A. PILLET, Traité pratique de droit interna-
tional privé (Paris, Sirey, 1923) ou de J. JITTA, La substance des obligations dans le droit international privé
(La Haye, Belinfante, 1906), mettant en exergue le concept du « but social des lois».
111 Pour une tentative de conciliation du concept d'intérêt avec celui d'harmonie internationale,
voy. L. DE WINTER, « De sociale functies der rechtsnormen als grondslag voor de oplossing van
internationaal privaatrechtelijke wetsconflicten », Rechtsgeleerd Magazijn Themis (1947), 101-166,
partisan d'une méthode dite fonctionnelle qui, dans un but de sécurité juridique, cherche l'élabora-
tion de solutions acceptables pour les États intéressés, ce qui implique de fonder ces solutions sur
les fonctions sociales attachées aux règles matérielles en cause, fonctions pouvant être dégagées par
une recherche comparative.

Sans nier la pertinence de la prise en considération de tels intérêts dans des matières
particulières, on peut douter de l'effectivité d'une telle réduction de tout conflit de lois à
un conflit d'intérêts. C'est d'abord aux règles de droit matériel qu'il appartient de tenir en
équilibre les intérêts en conflit et non de favoriser l'intérêt jugé prépondérant. Entre ce
conflit d'intérêts et le conflit de lois l'analogie est trompeuse. Elle se méprend sur la por-
tée d'une règle de rattachement: il n'est rien moins que certain que le contenu du droit
désigné grâce à la localisation de l'intérêt prépondérant soit plus favorable à l'acteur
social dont la règle de rattachement prétend protéger les intérêts. La seule solution logi-
que consisterait à laisser à cette personne la faculté de choisir entre les lois en présence,
méthode dont on rencontrera ci-dessous (voy. infra, n ° 3.59) une application particulière
mais à laquelle il n'a jamais été reconnu la valeur d'un principe systématique de solution.
Lorsque le législateur de droit matériel entend préserver spécialement un intérêt prépon-
dérant, il est de bonne politique législative d'assortir la règle matérielle de protection
d'une règle spéciale d'applicabilité, méthode qui, tout en relevant des méthodes de solu-
tion du conflit de lois, se distingue, par son caractère marginal, de celle de la règle de rat-
tachement (voy. infra, n ° 4.5).
3.1 S - Circulation internationale des personnes et des biens - Le droit des conflits de
lois cherche-t-il à favoriser la circulation internationale des personnes et des biens ? Le
principe de souveraineté semble le nier. En revanche, la théorie des droits acquis comme
la recherche de l'harmonie internationale des solutions favorisent une telle circulation.
IllVoy. déjà, exprimant un tel argument, P.-S. MANCINI, « De l'utilité de rendre obligatoires pour
tous les États, sous la forme d'un ou de plusieurs traités internationaux, un certain nombre de
règles générales du droit international privé pour assurer la décision uniforme des conflits entre
différentes législations civiles et criminelles», Clunet (1874), 294.
Cet objectif peut également trouver trois modes d'expression spécifiques.
Le premier, traditionnel, est l'autonomie de la volonté privée. Selon ce concept, qui
domine la matière des contrats internationaux (voy. infra, n ° 14.36), les parties à un rap-
port juridique peuvent choisir le droit applicable à ce rapport. Pour expliquer cette solu-
tion, il est insuffisant de se référer à l'autonomie des volontés que connaît le droit
interne, spécialement en matière de contrats. En effet, l'autonomie en matière de conflits
LA MÉTHODE DE SOLUTION DES CONFLITS DE LOIS 91

de lois a une portée radicalement différente de l'autonomie du droit interne, puisqu'elle


permet aux parties de se soustraire aux dispositions impératives ou d'ordre public en
décidant de soumettre le rapport juridique, dans son ensemble, à un système juridique
déterminé. L'explication théorique de cette règle est d'ailleurs malaisée, car on comprend
mal que l'État permette une échappatoire aussi large au droit interne dans les situations
internationales. L'explication peut se trouver dans le souci d'offrir aux acteurs sociaux
impliqués dans des rapports internationaux la sécurité juridique qui leur est refusée par
les règles de rattachement, en raison de la nature nationale de celles-ci.
Il!!Voy. en ce sens: BATIFFOL et LAGARDE, c. I, n ° 269, y voyant un « facteur de perturbation» du
principe de proximité.
Une deuxième expression de l'objectif de circulation internationale pourrait être
inhérente au concept de marché intérieur institué par le traité CE (voy. supra, n ° 1.16). En
assurant aux opérateurs économiques la liberté de circulation, les auteurs du traité limi-
tent la faculté pour l'État d'opposer par l'application du droit du for une entrave aux
échanges chaque fois que l'objectif de politique législative poursuivi par cet État peut être
satisfait par le droit d'un autre État en conformité duquel un rapport juridique s'est éta-
bli, cet État étant normalement l'État d'origine du produit ou du service en cause.
Dl Sur l'émergence possible d'un concept d'origine en droit communautaire, voy. notamment,
outre les travaux cités dans la bibliographie générale :J. BASEDOW,« Der kollisionsrechtliche Gehalt
der Produktfreiheiten im europaischen Binnenmarkt: favor offerencis », RabelsZ (1995), 1-54; M.
FALLON, « Variations sur le principe d'origine, entre droit communautaire et droit international
privé», Mélanges F. Rigaux (Bruxelles, Bruylant, 1993), 187-222; M. GARDENES SANTIAGO, La aplica-
cion de la reg/a de reconocimiento mutuo y su incidencia en el comercio de mercancias y servicios en el ambito
comunitario e internacional (Madrid, Eurolex, 1999), 432 p. ; L. RAoICATI DI BROZOLO, « L'influence sur
les conflits de lois des principes de droit communautaire en matière de liberté de circulation »,
Revue (1993), 401-424.
Pareille émergence semble cependant plus nette dans le droit dérivé que dans l'interprétation du
droit primaire. Voy. à cet égard: M. WILDERSPIN et X. LEWIS, « Les relations encre le droit commu-
nautaire et les règles de conflit de lois des États membres", Revue (2002), 1-38, 289-314; M. FALLON
et]. MEEUSEN, « Le commerce électronique, la directive 2000/31/CE et le droit international privé»,
Revue (2002), 435-490.
Pour une critique radicale du concept d'origine, voy. : V. HEUZÉ, « De la compétene de la loi du pays
d'origine en matière contractuelle ou l'anci-droit européen », Mélanges Lagarde (Paris, Dalloz, 2005),
393-415.
Il!L'école dite « postmoderne ", soucieuse de la prise en compte de « valeurs " inhérentes à la pro-
tection des intérêts de la personne en circulation internationale (voy. supra, n ° 2.12), élargit ce prin-
cipe au-delà de sa dimension européenne. Voy. notamment E. ]AYME (précité n ° 2.12), mettant en
exergue les valeurs d'égalité et d'identité culturelle, portées par les concepts de règle de rattache-
ment multilatérale et de désignation de la loi d'origine.

Une troisième implication de l'objectif résiderait dans le principe d'égalité, aux con-
tours il est vrai encore indéterminés. Une discrimination en raison de la nationalité de la
personne ou de l'origine d'un bien est de nature à entraver la circulation internationale,
dans la mesure où elle peut dissuader la personne de se rendre à l'étranger, ou l'opérateur
économique de fournir ou de se fournir à l'étranger. La portée concrète de ce principe
reste délicate à déterminer: exclut-elle toute référence au facteur de la nationalité ou de
l'origine, ou prévient-elle seulement la formulation de règles exclusivement unilatérales,
encourageant alors le recours à des règles multilatérales (voy. infra, n ° 3.44) ?
Il!Voy., à propos du principe d'égalité, outre les travaux consacrés au droit communautaire:
W. WENGLER, « Les conflits de lois et le principe d'égalité», Revue (1963), 203-231, 503-527. Selon
92 LA RÈGLE DE RATTACHEMENT

cet auteur, les principales manifestations du principe d'égalité sont la formulation de règles multi-
latérales - qui créent une égalité entre ordres juridiques, du for et étranger, et entre parties, natio-
nales et étrangères - et la soumission de la situation internationale, comme de la situation interne,
à un droit étatique sans adaptation du contenu de celui-ci, le facteur de rattachement étant alors le
seul mode d'expression de la différenciation entre une situation interne et une situation interna-
tionale.
En relation avec le droit communautaire, voy. notamment: M.-P. PULJAK, Le droit international privé à
l'épreuve du principe communautaire de non-discrimination en raison de la nationalité (Aix-Marseille,
PUAM, 2003), 451 p.
1111La seule disparité de traitement découlant simplement d'une disparité de législations ne s'ana-
lyse pas en un traitement discriminatoire en droit communautaire, dès lors que les personnes con-
cernées sont visées selon des critères objectifs. Voy. notamment: C.J.C.E., aff. 308/86, 14 juillet
1988, Lambert, Rec. (1988), 4369.

Section 2
Règles générales de rattachement
§1 CLAUSE GÉNÉRALE DE RATTACHEMENT
3.16 - Échec de tout critère unique de rattachement - L'histoire du droit international
privé montre l'échec de toute tentative d'énoncer un critère général de rattachement.
Le critère le plus ancien est le principe de la territorialité des lois, qui n'a jamais pu
surmonter une ambiguïté fondamentale : le principe exprime-t-il la prépondérance du
droit matériel du for ou signifie-t-il qu'il faut, en chaque situation, identifier les éléments
qui la rattachent à un territoire déterminé? Toutefois, selon cette dernière interpréta-
tion, le principe de territorialité n'ajoute à la méthode même du rattachement aucune
précision pertinente.
Au milieu du XIXe siècle, Mancini a lancé un critère tout différent, appelé « la per-
sonnalité des lois », parce qu'il consistait à désigner de préférence la loi nationale des per-
sonnes intéressées à une situation juridique. Cette théorie est entièrement abandonnée
aujourd'hui : outre qu'elle ne propose aucune solution applicable aux rapports juridi-
ques qui concernent plusieurs personnes de nationalité différente, elle a dû être tempérée
par un si grand nombre d'exceptions (détermination des hypothèses de rattachement ter-
ritorial) que la prépondérance d'un critère sur l'autre paraît une vue de l'esprit.
1111Sur l'œuvre de Mancini, voy. notamment la notice de R. DE NovA, Institut de droit international,
Livre du centenaire (1873-1973 ), 3-10 ; E. JAYME, Pasquale Stanislao Mancini (Gremer, Ebelsbach, 1980).
Voy. aussi la réédition de : P. MANCINI, Della nazionalità came fondamento del diritto delle genti (Turin,
Giappichelli, 1994).
La doctrine de Mancini exerça à son époque une influence très profonde sur la doctrine des pays
latins. Dans la doctrine de langue française, ses principaux disciples furent Laurent, Weiss et Albé-
rie Rolin (voy. supra, n ° 2.7).
L'échec de ces tentatives résulte de l'impossibilité d'enfermer l'ensemble des matiè-
res couvertes par le droit international privé en un principe de solution unique. Sans
doute concevables dans un état primitif de la discipline, de telles tentatives n'ont pas
résisté à la complexité et à la diversification croissante des situations. L'évolution du
droit international privé au cours de la seconde moitié du xxe siècle montre une ten-
dance à l'éclatement des catégories générales, dans le but d'énoncer des règles adaptées à
la diversité du réel.
RÈGLES GÉNÉRALES DE RATTACHEMENT 93

IllCe constat s'impose à la lecture des codifications nationales récentes, mais aussi des conven-
tions de la Conférence de La Haye de droit international privé. Celle-ci a préféré à une approche
globale une démarche progressive, élaborant des règles propres à diverses catégories, par exemple,
de contrats ou d'obligations non contractuelles.

3.17 - Clause de proximité - Certaines codifications récentes contiennent une disposi-


tion de portée générale qui exprime l'objectif central poursuivi par le législateur, lorsque
cet objectif tend à réaliser le principe de proximité (voy. supra, n ° 3.13).
Sous une forme positive, cette clause peut se présenter comme l'explicitation d'un
principe général, ayant l'apparence d'une disposition purement narrative ou déclaratoire,
sans doute apte à remplir une fonction d'interprétation téléologique, voire à jouer le rôle
d'une disposition résiduelle. Dans sa formulation moderne, une telle clause exprime le
principe de proximité.
Ill!Comme cas d'expression du principe de proximité, voy. en Autriche le paragraphe F' LDIP,
selon lequel« les situations qui présentent des liens avec l'étranger sont régies, en matière de droit
privé, par l'ordre juridique avec lequel existe le rapport le plus fort (die stdrkste Beziehung) » (§ 1er, 1),
les règles qui suivent n'étant rien d'autre que l'expression de ce principe(§ F', 2).
Comme expression du principe des intérêts, voy. l'article 3515, alinéa ier, du Code civil de la
Ill!
Louisiane, selon lequel : « Exceptas otherwise provided in this Book, an issue in a case having con-
tacts with other states is governed by the law of the state whose policies would be more seriously
impaired if its law were not applied to that issue ». Le commentaire évoque le caractère« résiduel»
de cette disposition.
Sous une forme négative, la clause se présente comme une exception aux règles de
rattachement particulières posées pour chacune des matières visées par la loi. Dans cette
perspective, la règle particulière ne constitue qu'une présomption que la situation pré-
sente avec le droit désigné la proximité énoncée par la clause dite d'exception.
iill En Suisse, aux termes de l'article 15, paragraphe 1er, LDIP, « le droit désigné par la présente loi
n'est exceptionnellement pas applicable si, au regard de l'ensemble des circonstances, il est mani-
feste que la cause n'a qu'un lien très lâche avec ce droit et qu'elle se trouve dans une relation beau-
coup plus étroite avec un autre droit».
Comp., comme cas d'une clause spéciale d'exception, dans la matière des contrats, l'art. 4, § 5, de la
Convention de Rome du 19 juin 1980 (voy. infra, n° 14.54).
Sur la clause d'exception, voy. notamment: D. KoKKINI-IATRIDOU (dir.), Les clauses d'exception en
matière de conflits de lois ou de juridictions - ou le principe de proximité (Dordrecht, Nijhoff, 1994), 352
p.; F. MoscoNr, « Exceptions to the operation of choice of law rules », Recueil des cours, vol. 217
(1989-V), 9-214; Ch. PAMBOUKTS, « Les clauses d'exception en matière de conflit des lois et de con-
flits de jurisdictions », Rev. hell. dr. int. (1994), 475-486; P. RÉMY-CORLAY,« Mise en œuvre et régime
procédural de la clause d'exception dans les conflits de lois », Revue (2003 ), 37-76.
En Belgique, le Code de droit international privé consacre la technique de la clause
d'exception (art. 19). La formulation s'inspire du modèle suisse. Elle permet d'écarter la
désignation opérée par la règle de rattachement du for en une matière particulière, en
ayant égard aux éléments particuliers de l'espèce. La disposition n'introduit donc pas de
dérogation à la règle de rattachement pertinente, elle incite à affiner le rattachement en
fonction des éléments de l'espèce. Elle agirait moins comme une exception que comme
un correctif. La dimension « exceptionnelle » de la clause tient essentiellement à sa for-
mulation, qui indique que la mise en œuvre de celle-ci devrait rester marginale.
IllSelon l'article 19, § 1er,« le droit désigné par la présente loi n'est exceptionnellement pas appli-
cable lorsqu'il apparaît manifestement qu'en raison de l'ensemble des circonstances, la situation
n'a qu'un lien très faible avec l'État dont le droit est désigné, alors qu'elle présente des liens très
étroits avec un autre État. Dans ce cas, il est fait application du droit de cet autre État. »
94 LA RÈGLE DE RATTACHEMENT

Selon l'alinéa 2, « lors de l'application de l'alinéa l ", il est tenu compte, notamment:
- du besoin de prévisibilité du droit applicable, et
- de la circonstance que la relation en cause a été établie régulièrement selon les règles de droit
international privé des États avec lesquels cette relation présentait des liens au moment de son
établissement. »
Selon le § 2, «le§ l" n'est pas applicable en cas de choix du droit applicable par les parties confor-
mément aux dispositions de la présente loi, ou lorsque la désignation du droit applicable repose
sur le contenu de celui-ci. »
Les objectifs du droit des conflits de lois conduisent, dans la formulation adoptée
par le législateur belge, à deux types de tempéraments, concernant respectivement la mise
en œuvre de la clause et son domaine.
Lors de l'utilisation de la clause, le juge doit tenir compte, spécialement, d'un objec-
tif de sécurité juridique. Cette exigence est affirmée par l'évocation, non seulement du
« besoin de prévisibilité du droit applicable», mais encore des termes de la théorie des
droits acquis (voy. supra, n',s 3.11 et infra, n° 6.38).
Le domaine de la clause ne s'étend ni aux cas où le droit désigné l'a été par un choix
des parties ni à ceux où « la désignation du droit applicable repose sur le contenu de
celui-ci». Dans ce dernier cas, la règle de rattachement repose moins sur un objectif de
proximité que sur un objectif d'intérêt. Là règle visée est de celles qui utilisent une forme
de rattachement de caractère substantiel (voy. infra, n°' 3.58 et s.).
1111L'exclusion du jeu de la clause lorsque la règle de rattachement est de caractère substantiel mon-
tre que le concept ne vise pas à satisfaire un intérêt étatique.

§2 MATIÈRES DU STATUT PERSONNEL


3.18 - Référence à la nationalité - Dans les systèmes juridiques qui ont subi l'influence
du Code Napoléon, la personne et les rapports de famille sont régis par le droit de l'État
dont la personne a la nationalité.
Le Code civil a explicité un tel principe en une formulation archaïque, que corrigera
une interprétation ultérieure (voy. infra, n ° 3.44), à savoir que « les lois concernant l'état
et la capacité des personnes régissent les Belges, même résidant en pays étranger» (C. civ.,
art. 3, al. 3). Ce principe a été confirmé en des matières particulières, à savoir pour les
conditions de validité du mariage (art. l 70ter) et de l'acte d'adoption (art. 344).
Les codifications modernes présentent des exemples plus explicites, comme, en Italie,
!1111

l'article 20 LDIP, aux termes duquel « la capacité juridique des personnes physiques est régie par
leur loi nationale». Ou encore en Allemagne, selon l'article 7, paragraphe l '\ EGBGB, « la capacité
de jouissance et la capacité d'exercice d'une personne sont régies par la loi de l'État dont elle est
ressortissante ».
Ill De même, selon le Code belge de droit international privé, « hormis les matières où la présente
loi en dispose autrement, l'état et la capacité d'une personne sont régis par le droit de l'État dont
celle-ci a la nationalité» (art. 34, § 1'').
La désignation du droit de l'État dont la personne a la nationalité ne suffit pourtant
pas à régler toute question du droit de la personne ou de la famille. Outre les questions
appelant une référence à un élément territorial, comme la résidence habituelle, la solu-
tion soulève des difficultés lorsque les parties au rapport juridique en cause ont des
nationalités différentes. Il y a alors lieu d'affiner la portée de la règle, apte à se prêter à
diverses modalités (voy. infra, n ° 12.4).
RÈGLES GÉNÉRALES DE RATTACHEMENT 95

Ill Sur le rôle de la nationalité comme facteur de rattachement, voy. notamment, outre les travaux
cités dans la bibliographie générale : L. CASTANGIA, Il criterio della cittadinanz.a ne/ diritto internazionale
privato (Naples,Jovene, 1983) ;J. ERAUW, « Een terugblik naar hec Belgisch ipr bij de uitgang van de
20ste eeuw », T.P.R. (2001), 55-68; ID.,« De nationaliteit en de toepassing van de nationale wec van
de persoon », Devenir Belge (Bruxelles, Bruylanc, 2002), 411-440; H. HELLWIG, Die Staatsangehorigkeit
ais Anknüpfung im deutschen IPR (Frankfort, Lang, 2001); E. ]AYME et H. MANSEL (dir.) Nation und
Staat im Internationalen Privatrecht (Heidelberg, Müller, 1990); K. LENAERTS, « Der Scaatsangehorig-
keicsgrundsatz im belgischen lnternationalen Privatrecht », Nation und Staat, Heidelberg, Müller,
1990), 165-192; P. LAGARDE,« Nationalité et droit international privé», Ann. droit (2003), 205-221 ;
H. MANSE!., Persona/statut, Staatsangehorigkeit und Effektivitdt (Münchern, Beck, 1988); M.-P. PULJAK,
Le droit international privé à l'épreuve du principe communautaire de non-discrimination en raison de la natio-
nalité (Aix, PUAM, 2003); F. MoscoNr, « Qualche interrogativo in cerna di uniformità incernazio-
nale delle soluzioni e di criterio della cittadinanza », Riv. dir. int. priv. proc. (1999), 421-436 ;
R. VANDER ELsT, « La loi nationale dans les Conventions de La Haye », Rev. belge dr. int. ( 1991), 398-
412.

3.19 - Référence au domicile ou à la résidence habituelle - Le droit comparé montre de


nombreux cas de référence au droit de l'État avec lequel la personne en cause présente un
lien effectif durable, ce lien se traduisant par le milieu de vie de cette personne. Le con-
cept de résidence habituelle (voy. infra, n ° 12.5) traduit le mieux aujourd'hui cette préoc-
cupation.
Au vrai, la solution est fermement ancrée dans la tradition, comme en attestent
encore, au milieu du XIXe siècle, les travaux de Savigny ou, même, la jurisprudence.
Ill Ainsi, en 1852 encore (Cass., 6 août 1852, de Terwangne, Pas., 1853, !, 155), la Cour de cassation
de Belgique affirme que« la personne et ses biens mobiliers sont régis, même en pays étranger, par
le statut de son domicile», règle que la Cour qualifie de« principe du droit des gens ».

Ce principe est dominant dans les pays de common law.


1111 Ainsi, au Royaume-Uni, selon P. NORTH et J. FAWCETT, Private international law (London, Butte-
rworths, 1992), 587, « the craditional and still prevalenc view is chat capacicy ro marry is governed
by what may conveniencly be called the dual domicil doctrine. This prescribes chat a marriage is
invalid unless, according co the law of the do mi cil of bath contracting parties ac the cime of the
marriage, they each have capacity to contract chat parcicular marriage. »

La loi suisse privilégie également ce principe, mais dans un système complexe, de


nature asymétrique, laissant une place subsidiaire à la nationalité.
Ill Par exemple, « l'établissement, la constatation et la contestation de la filiation sont régis par le
droit de l'État de la résidence habituelle de l'enfant» (art. 68, § 1er LDIP).
La solution s'accompagne d'une approche asymétrique, consistant à privilégier le droit du for lors
de l'accomplissement de certains actes en Suisse. Il en est ainsi pour la célébration du mariage
(art. 44, § 1cr LDIP) ou pour le divorce (art. 61, § 1er LDIP).
Le refus de la compétence de principe du critère de la nationalité n'exclut pas pour autant toute
référence à cette solution. Ainsi, pour le mariage célébré en Suisse, le droit national de l'un des fian-
cés peut conduire à valider le mariage (arc. 44, § 2 LDIP). Ou encore, en matière de divorce, la natio-
nalité étrangère commune des époux est retenue si un seul des époux est domicilié en Suisse
(art. 61, § 2 LDIP). En matière de filiation, le droit de la résidence habituelle de l'enfant est écarté si
les parents ne sont pas domiciliés dans le même État, cas dans lequel est appliqué le droit de l'État
donc parents et enfant partagent la nationalité (art. 68, § 2 LDIP). Dans une celle perspective, la
nationalité sert de règle subsidiaire, tantôt pour permettre l'établissement d'un acte, tantôt pour
traduire une proximité particulière de la situation avec un ordre juridique.

Une référence à la résidence habituelle peut encore se rencontrer dans les pays fidèles
au principe de l'application de la loi nationale, pour déterminer le droit applicable aux
effets d'une relation d'état lorsque les parties ne partagent pas une nationalité commune.
96 LA RÈGLE DE RATTACHEMENT

Une telle structure de rattachements en cascade est communément appelée « échelle de


Kegel ».
Ainsi en Allemagne, aux termes de l'article 14, paragraphe l", 2°, EGBGB, lorsque les époux
1111

n'ont pas la même nationalité, « les effets généraux du mariage sont régis [... ] par la loi de l'État
dans lequel les deux époux ont leur résidence habituelle ou avaient leur dernière résidence habi-
tuelle, pourvu que l'un d'eux ait conservé cette résidence». En Italie, selon l'article 29,
paragraphe 2, LDIP, « les rapports personnels entre époux ayant des nationalités différentes ou
plusieurs nationalités communes sont régis par la loi de l'État dans lequel la vie conjugale se loca-
lise de manière prépondérante ».
Sur l'échelle de Kegel, voy. H.-S. SoNNENBERGER, « Introduction générale à la réforme du droit inter-
national privé dans la République fédérale d'Allemagne selon la loi du 25 juillet 1986 », Revue
(1987), 13.

En Belgique, le Code introduit à cet égard une innovation notable, puisque le critère de la rési-
1111

dence habituelle occupe désormais une place de premier rang en matière d'effets du mariage, de
régime matrimonial, de divorce, de responsabilité parentale.
Ce procédé recourt à ce qui peut apparaître comme une« échelle inverse de Kegel ».

Les travaux de la Conférence de La Haye manifestent une préférence pour la dési-


gnation du droit de la résidence habituelle, dans les matières relevant de la protection des
incapables (voy. infra, n ° 12.150) ou des obligations alimentaires (voy. infra, n ° 12.190),
selon une nette tendance du droit comparé, ou encore en matière de régimes matrimo-
niaux (Conv. 14 mars 1978).

§3 MATIÈRES PATRIMONIALES
3.20 - Référence à la localisation d'un bien, d'un acte ou d'un fait - La matière des droits
réels et celle des obligations, contractuelles et non contractuelles, donne lieu tradition-
nellement à une règle fondée sur une référence de principe à la localisation, respective-
ment, du bien, de l'acte ou du fait en cause.
Le Code Napoléon a consacré le principe de territorialité à propos de deux pro-
blématiques, celle des « lois de police et de sûreté» (C. civ., art. 3, al. 1er) et celle des
«immeubles» (al. 2). Pour la première, il prévoit l'application de ces lois à« tous ceux qui
habitent le territoire». Quant aux immeubles, ils « sont régis par la loi belge». En Belgi-
que, la jurisprudence a déduit de ces dispositions, d'une part, pour la matière des obliga-
tions non contractuelles, un rattachement au droit du lieu du fait générateur du
dommage (voy. infra, n ° 15.8) et, pour la matière des droits réels, un rattachement centré
sur la localisation du bien (voy. infra, n ° 13.3).
1111 En droit comparé, la référence à la localisation d'un bien est constante. Par exemple en Italie,
selon l'article 51 LDIP, « la possession, la propriété et les autres droits réels sur les biens mobiliers
et immobiliers sont régis par la loi de l'État dans lequel les biens se trouvent».
Pour plus de détails, voy. le chapitre 13.
1111La référence traditionnelle au lieu de survenance d'un fait engendrant une obligation non con-
tractuelle tend à s'estomper, au profit d'un critère commun aux parties, telle la résidence habituelle
dans le même pays, le lieu de survenance jouant alors un rôle subsidiaire, comme, en droit suisse,
lorsque les parties ne résident pas habituellement dans le même État (art. 133, § 2, LDIP, désignant
« le droit de l'État dans lequel l'acte illicite a été commis »), ou en droit italien, lorsque les parties
ne résident pas habituellement dans l'État dont elles partagent la nationalité (arc. 62, § l", LDIP,
désignant« la loi de l'État dans lequel[ ... ] survient la conséquence [du fait illicite] »).Voy.de même,
en Allemagne, l'article 40 EGBGB introduit par la loi du 21 mai 1999 (Revue, 1999, 870), tout en
RÈGLES GÉNÉRALES DE RATTACHEMENT 97

laissant dans ce cas une faculté d'option à la victime, entre le droit de l'État dans lequel la personne
responsable a agi et celui de l'État dans lequel le dommage s'est produit.
Pour plus de détails, voy. le chapitre 15.
En ce qui concerne le obligations contractuelles, la règle traditionnelle contenait
une référence au lieu de conclusion du contrat. Sans se départir pour autant d'un critère
de localisation de type territorial, la solution s'est assouplie afin de s'adapter tant à l'évo-
lution des pratiques contractuelles, de plus en plus complexes, qu'à la fonction économi-
que du contrat (voy. infra, n° 14.33).
Dans l'ensemble de ces matières, la référence à un principe territorial fait l'objet de
multiples correctifs, non seulement pour adapter, par des règles spéciales, les solutions à
la diversité des situations, mais encore pour pallier certaines insuffisances du principe,
chaque fois que la localisation du bien, de l'acte ou du fait, est aléatoire ou fortuite.

§4 RÉFÉRENCE À LA VOLONTÉ DES PARTIES


3.21 - Consécration du principe d'autonomie en matière de contrats - C'est dans la
matière des obligations contractuelles que la faculté pour les parties de choisir le droit
applicable au rapport juridique a connu la consécration la plus nette (voy. infra,
n ° 14.36).
IllCette consécration est également constatée par certaines juridictions internationales. Voy. les
arrêts du 12 juillet 1929 (infra, n ° 14.38) de la Cour permanente de Justice internationale (CP.JI.,
Série A, n ° 20-21, p. 41). Dans la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européen-
nes, saisie sur la base d'une clause compromissoire, voy. notamment: C.J.C.E., aff C-69/97, 27 avril
1999, SNUA, Rec., 1999, 1-2361. La Cour de justice a également constaté l'existence de cette règle
générale à l'occasion de l'examen de la portée du traité CE sur le régime de la garantie des vices
cachés due par le vendeur professionnel, dans l'arrêt Alsthom Atlantique (aff C-339/89, 24 janvier
1991, Rec., 1991, 1-107).
On est tenté d'y voir un effet d'osmose du droit matériel. De fait, tant qu'a fait
défaut, en Belgique, une règle de rattachement légale en la matière, la jurisprudence a
fondé la détermination du droit applicable sur l'article 1134 du Code civil (Cass.,
24 février 1938, Antwerpia, Pas., 1938, I, 66; 24 septembre 1987, Brunner, Pas., 1988, I,
112). En réalité, l'autonomie de la volonté en matière de conflits de lois a une portée plus
étendue, puisqu'elle dépasse le domaine des dispositions purement supplétives: par le
choix du droit applicable, les parties intègrent (localisent) leur rapport juridique dans un
ordre juridique considéré dans son ensemble, avec ses dispositions supplétives, impérati-
ves ou d'ordre public, courant même le risque que le droit choisi puisse conduire à annu-
ler le contrat (voy. infra, n ° 14.47).
La consécration du principe d'autonomie en droit international privé ne va donc pas
de soi. Elle est d'ailleurs récente en certains pays, tels les États-Unis (voy. infra, n° 14.38).
Sa justification ne peut être cherchée que dans les objectifs propres au droit international
privé. Ceux-ci comprennent l'impératif de sécurité juridique quant au droit applicable au
rapport de droit, voire, dans une mesure encore incertaine, les exigences de la circulation
internationale des personnes et des biens (voy. supra, n ° 3.12).
Ill Dans le cadre du marché intérieur européen, la reconnaissance de la faculté pour les parties de
choisir le droit applicable au contrat peut constituer un facteur favorable à la liberté de circulation,
puisque les parties fixent à l'avance les normes contraignantes qui leur seront opposables. Une allu-
sion aux bienfaits du principe d'autonomie selon cette perspective se trouve dans l'arrêt Alsthom
Atlantique de la Cour de justice (précité n° 2.28) constatant que« les parties à un contrat de vente
98 LA RÈGLE DE RATTACHEMENT

international sont généralement libres de déterminer le droit applicable à leurs relations


contractuelles » et en déduisant qu'elles peuvent ainsi éviter d'être soumises à un droit étatique de
nature à entraver les échanges. Voy. notamment: M.-N. JoBARD-BACHELLIER, « La portée du test de
compatibilité communautaire en droit international privé contractuel», Mélanges Lagarde (Paris,
Dalloz, 2005), 475-491.
Sur ce thème en général, voy.: H. Mum WATT,« Choice of law in integrated and interconnected
markets: a marrer of political economy », Columbia]. Eur. L. (2003), 383-410; ID.,« Globalisation
des marchés et économie politique du droit international privé », Arch. Phil. Dr. (2003), 243-262 ; A.
T ASSIKAS, Dispositives recht und Rechtswahlfreiheit ais Ausnahmebereiche der EG-Grundfreiheiten (Tübin-
gen, Mohr, 2004), 451 p.
Ill Pour une critique du principe d'autonomie, voy., postérieurement à la« thèse de la localisation
du contrat» de H. BATIFFOL qui, centrée sur la« localisation objective» du contrat, confine le choix
des parties à un simple indice de localisation(« Subjectivisme et objectivisme dans le droit interna-
tional privé des contrats», Mélanges]. Maury, Paris, Dalloz, 1960, 39 et s.), la position de V. HEUZÉ,
La réglementation française des contrats internationaux (Paris, Joly, 1990) - ainsi que « La volonté en
droit international privé», Droits (1999), 113-128 -, et la réaction de J.-M. JACQUET,« Retour sur la
règle de conflit de lois en matière de contrats», Clunet (1991), 675-690, également auteur de: Prin-
cipe d'autonomie et contrats internationaux (Paris, Economica, 1983), fondant l'autonomie sur la con-
venance des parties. De même: D. BUREAU,« L'influence de la volonté individuelle sur les conflits de
lois », Mélanges Terré (Paris, Dalloz, 1999), 285 et s. Voy. encore sur ce thème, en France, J.-C. POM-
MIER, Principe d'autonomie et loi du contrat en droit international privé conventionnel (Paris, Economica,
1992).
Voy. encore: Y. NrsHITANI, « Mancini e l'autonomia della volontà ne! diritto internazionale
privato », Riv. dir. int. priv. proc. (2001), 23-44; R. VANDER ELST,« Liberté, respect et protection de la
volonté en droit international privé», Mélanges Rigaux (Bruxelles, Bruylant, 1993), 507-516; N.
WATIÉ, « L'autonomie de la volonté dans les Conventions de La Haye», Rev. belge dr. int. (1991),
413-437.

Cette consécration n'est d'ailleurs pas absolue. De même qu'en droit interne les
règles impératives ou d'ordre public conservent leur opposabilité, le choix du droit appli-
cable se heurte à l'emprise croissante des lois dites de police (voy. infra, n° 4.11), dont
l'ampleur contribue à minimiser la portée du concept d'autonomie.

3.22 - Ouverture de l'option de droit en matière familiale -Tant que le principe de


souveraineté sert à fonder la règle de rattachement en matière familiale, il paraît peu con-
cevable d'autoriser les parties à une telle relation à choisir le droit qui y est applicable. Il
n'est donc pas étonnant que le principe d'autonomie ne se soit guère étendu, comme tel,
en la matière.
Le droit international privé contemporain n'en montre pas moins des signes d'une
intrusion d'une telle faculté, dont l'étendue connaît toutefois une double limite:
lorsqu'elle est admise, une telle faculté ne vaut que pour des questions ponctuelles et elle
est réduite à une alternative entre des lois prédéfinies.
Ill Sur ce thème, voy., outre J.-Y. CARLIER, Autonomie de la volonté et statut personnel (Bruxelles, Bruy-
lant, 1992), favorable à l'option de droit en la matière: B. Brx, « Choice of law and marriage: A
proposai», Family L.Q. (2002), 255-272; A. BONOMI, « Autonomie des parties en droit patrimonial
de la famille et intérêt des entrepreneurs : aspects de droit matériel et de droit international privé »,
Rev. suisse dr. int. dr. eur. (2004), 459-482; A. CALVO CARAVACA (dir.), Estatuto persona/ y multiculturali-
dad de la familia (Madrid, Colex, 2000) ; J. CARRASCOSA GONZALEZ, Matrimonio y eleccion de ley (Gre-
nade, Camares, 2000); A. DAvr, « L'autonomie de la volonté en droit international privé des
successions dans la perspective d'une future réglementation européenne», Riv. dir. int. priv. proc.
(2004), 473-498; P. DE CESARI, Autonomia della volontà e legge regulatrice delle successioni (Padoue,
CEDAM, 2001); M.-C. FoBLETS, « Migrant women caught between islamic family law and women's
rights - The search for the appropriate connecting factor in international family law »,Maastricht].
RÈGLES GÉNÉRALES DE RATTACHEMENT 99

eur. Comp. L., (2000), 11-34; P. GANNAGÉ, « La pénétration de l'autonomie de la volonté dans le droit
international privé de la famille», Revue (1992), 425-454; E. ]AYME,« Diritto di famiglia: società
multiculcurale e nuovi sviluppi del diritto internazionale privato », Riv. dir. int. priv. proc. (1993),
295-304; E. VASSILAKAKIS, « La professio juris dans les successions internationales», Mélanges
Lagarde (Paris, Dalloz, 2005), 781-801 ; 1. VrARENGO, Autonomia della volontà e rapporti patrimoniali tra
coniugi nel diritto internazionale privato (Padoue, CEDAM, 1996).
Ce que l'on appelle « l'option de droit» en matière familiale consiste à permettre
aux parties d'émettre une préférence en faveur de la loi nationale ou de la loi de la rési-
dence habituelle. Une telle préférence s'aperçoit lorsque le législateur déclare applicable
la lex fori, ou encore lorsque, dans un système centré sur la nationalité, il introduit des
exceptions en faveur de la loi de la résidence habituelle : dans ce dernier cas, cette excep-
tion peut être renversée par un retour à la loi nationale.
11 Une préférence pour la loi nationale est possible, en Suisse, en matière de nom (art. 37 LDIP), de
succession (art. 90 LDIP); aux Pays-Bas, en matière de divorce (loi du 5 mars 1981, Revue, 1981,
809); en Allemagne, en matière d'effets du mariage (art. 14 EGBGB), de succession immobilière
(arc. 25 EGBGB) et, en matière de nom (art. 10 EGBGB), le principe de la loi nationale est modalisé
par un jeu complexe d'options en faveur, notamment, de la loi de résidence.
En Espagne, l'option est admise, pour les effets du mariage, en l'absence de nationalité commune,
en faveur de la nationalité ou de la résidence de l'un des époux (C. civ., art. 9, § 2).
Pour l'admission d'une option de législation dans une convention internationale, voy. la Conven-
tion de La Haye du 1er août 1989 sur la loi applicable aux successions à cause de mort (art. 5).
1111 La matière des régimes matrimoniaux présente une particularité puisque ses liens avec le droit
familial n'ont pas empêché une référence traditionnelle au principe d'autonomie qui gouverne les
contrats (voy. infra, n° 12.67). Pourtant, les règles de rattachement contemporaines en la matière
reviennent plutôt à la technique de l'option de droit (Convention de La Haye du 14 mars 1978; en
Suisse, arc. 51 LDIP; en Allemagne, art. 15 EGBGB; en Italie, art. 30 LDIP).
L'admission de l'option de droit peut encore résulter, tantôt de la difficulté pour le législateur
1111

international d'établir une préférence entre nationalité et domicile (voy. la résolution de l'Institut
de droit international, infra, n ° 6.24), tantôt du souci de permettre à l'acteur social de préserver son
identité culturelle (voy. la thèse précitée de J.-Y. CARLIER).
En Belgique, le Code suit la tendance du droit comparé, en prévoyant l'option de droit en
1111

matière de divorce, de conventions alimentaires, de régimes matrimoniaux, de successions.


Une forme latente d'autonomie transparaît encore de règles de rattachement de type
alternatif, qui ouvrent à une partie la faculté d'invoquer, de plusieurs lois, celle qui favo-
rise ses intérêts (voy. infra, n ° 3.59).
De même, en choisissant de faire usage de la faculté qui leur est laissée de circuler
d'un pays à un autre, les particuliers peuvent, en agissant sur le facteur de localisation
pertinent, agir en même temps sur la désignation du droit applicable, dans les limites de
ce que permet la théorie de la fraude à la loi.
Sur la relation entre nomadisme et autonomie, voy. : P. GOTHOT, « Simples réflexions à propos
!Ill
de la saga du conflit des lois », Mélanges Lagarde (Paris, Dalloz, 2005), 343-354.

§5 FORME EXTRINSÈQUE DES ACTES


3.23 - Bibliographie
T. BALLARINO, Forma degli atti e diritto internazionale privato (Padova, 1970); L. BARNICH, « La Conven-
tion de Rome et la loi applicable à la forme des actes juridiques», Rev. dr. ULB (1994-2), 109-128;
Io., Les actes juridiques en droit international privé (Bruxelles, Bruylant, 2001); S. CoRNELOUP, La publi-
cité des situations juridiques, une approche franco-allemande du droit interne et du droit international privé
100 LA RÈGLE DE RATTACHEMENT

(Paris, LGDJ, 2003); V. DELAPORTE, Recherches sur la forme des actes juridiques en droit international privé
(thèse dactyl., Paris I, 1974); G. DRoz, v « Actes de l'état civil», Rép. Dalloz; R. GENIN-MERIC, La
0

maxime «Locus regj.t actum», nature et fondement (Paris, Dalloz, 1976); M. GoRÉ, « L'acte authentique
en droit international privé», Trav. Comité fr. dr. int. pr. 1998-1999 (Paris, Pédone, 2001), 23-38; P.
Loms-LucAs, « La distinction du fond et de la forme dans le règlement des conflits de lois »,Mélan-
ges Maury (Paris, Dalloz, 1960), t. rer, 175-205; M. REVILLARD, Droit international privé et pratique nota-
riale (Rép. not. defr., Paris, 1998) ; F. RIGAUX, « La loi applicable à la forme des actes juridiques»,
Mélanges A. Schnitzer (Georg, Genève, 1979), 381-393; R. STÜRNER, « L'acte notarié dans le commerce
juridique européen», Rev. int. dr. comp. (1996), 515-532; R. VANDER ELST,« La loi qui régit le cau-
tionnement au fond et la règle locus regit actum », Ann. Liège (1988), 28-32; H. VAN HourrE, « La
forme du contrat en droit international privé »,fur. Comm. Belg. (1979), 517-523; M. VAUTHIER, Sens
et applications de la règle« locus regit actum » (Bruxelles, Larcier, 1926).

A. Présentation
3.24 - Exigence d'une formalité - Tout acte juridique, en tant que déclaration ou
expression de volonté, revêt nécessairement une forme, celle-ci étant le moyen de com-
muniquer à autrui le contenu de la déclaration. Il est, dès lors, peu correct de parler d'acte
valable« en l'absence de toute forme» ou d'acte« sans forme»: ce qu'on désigne par là
est un acte qui ne doit pas être fait selon une forme prédéterminée, la loi ayant laissé à la
discrétion des parties le choix des moyens les plus aptes à exprimer le contenu de leur
volonté.
Ill Entre la forme et la preuve il existe un lien étroit: moyen de communication sociale, la forme
est aussi un mode de preuve, c'est-à-dire un procédé permettant de réactualiser l'échange des con-
sentements ou la déclaration de volonté unilatérale, événement fugace du passé. On réserve sou-
vent la qualification de « forme préconstituée » à la rédaction d'un écrit, contemporain de
l'accomplissement de l'acte juridique, l'instrument dressé incorporant de manière permanente la
preuve de ce qui s'est passé. De la nature propre de l'écrit - instrument sous seing privé ou acte
authentique - dépend l'étendue de sa force probante.

3.25 -Actes privés et actes publics - Quand l'acte juridique tient la forme qui le caracté-
rise de l'intervention d'une autorité ou d'un officier public, du point de vue de la métho-
dologie du droit international privé il relève de deux subdivisions de cette matière : la
validité et la force obligatoire de l'acte juridique privé sont des problèmes de conflit de
lois, la rédaction de l'instrument authentique et certains de ses effets spécifiques appar-
tiennent à la branche des conflits d'autorités. De plus, la règle qui gouverne la forme
extrinsèque de l'instrument, œuvre propre de l'officier public, offre beaucoup d'analogies
avec l'application du droit du for à la procédure, tandis que l'un des effets les plus nota-
bles de certains actes authentiques, la force exécutoire, est, pour les actes étrangers,
subordonnée à la formalité de l'exequatur (voy. infra, n ° 10.7).

3.26 - Rattachement des formes de publicité et des formes habilitantes - Les formali-
tés qui visent à assurer à certaines déclarations de volonté intéressant les tiers la publicité
convenable, précèdent (tels les bans de mariage) ou suivent (telle l'inscription hypothé-
caire) l'accomplissement de l'acte juridique proprement dit. On étudiera les règles de
conflit de lois qui les régissent à propos de matières spéciales où la publicité instrumen-
taire est usuelle.
Quant aux formes habilitantes, elles portent sur la substance du consentement plu-
tôt que sur sa forme puisqu'elles consistent à renforcer, grâce au concours d'autres
volontés, ou à l'habilitation d'une autorité publique, la déclaration de volonté de l'auteur
RÈGLES GÉNÉRALES DE RATTACHEMENT 101

de l'acte, par hypothèse impuissante à atteindre seule l'effet juridique poursuivi. En droit
international privé, cette matière ne saurait être séparée de l'étude de la capacité (voy.
infra, chap. 12, sect. 8).
3.27 - Rattachement des formes solennelle et probante - Le droit interne distingue
parfois d'après leurs effets respectifs diverses catégories de formes. Est appelée
«solennelle», la forme dont le respect est une condition de validité de l'acte juridique. La
forme« probante» se qualifie par la fonction qu'elle remplit pour l'administration de la
preuve de l'acte juridique. Cette distinction se réfère à deux catégories d'effets qui décou-
lent de la forme en laquelle l'acte est dressé, effets qui seront déterminés selon le droit
applicable sans qu'il soit adéquat de prévoir a priori des solutions de conflit de lois diffé-
rentes pour la détermination de chacun de ces effets.
3.28 - Formalisme du droit contemporain - Contrairement à l'idée communément
reçue que le droit contemporain est foncièrement consensualiste et que les exigences de
forme se sont réfugiées dans le droit des relations familiales, il y a lieu de constater un
grand développement du formalisme dans certaines branches du droit économique et
social, principalement en ce qui concerne les instruments négociables, le droit du travail
et le droit de la consommation.
La forme peut ainsi agir sur le droit applicable au fond.
Certains traités internationaux stipulent parmi leurs propres conditions d'application qu'il ait
11111

été satisfait à une exigence de forme.


Ainsi, pour qu'une sentence arbitrale étrangère puisse être reconnue et mise à exécution conformé-
ment à la Convention de New York du 10 juin 1958 (voy. infra, n° 14.21), il faut que la convention
d'arbitrage ait été constatée par écrit (art. 2).
De même, la Convention du 25 août 1924 pour l'unification de certaines règles en matière de con-
naissement régit seulement le contrat de transport « constaté par un connaissement ou par tout
document similaire formant titre de transport des marchandises par mer» (art. l ''", voy. aussi
l'art. 10 remplacé par l'art. 5 du Protocole du 23 février 1968).
En matière de mariage, le droit concordataire italien (applicable en Belgique à des Italiens qui se
11111

sont mariés dans leur pays d'origine) n'est applicable qu'aux époux ayant conclu un mariage reli-
gieux ensuite transcrit sur les registres de l'état civil. Le mariage religieux précédé, en Italie, d'une
célébration civile n'est pas concordataire, et les époux sont soumis aux règles du droit civil. Voy. sur
ce point en Italie, l'arrêt de la Cour constitutionnelle du 11 décembre 1973, sentence n° 175, Giuris-
prudenza costituzionale (1973), 2238.
Quand le formalisme a pour but de protéger la partie la plus faible, tel le travailleur
ou le consommateur, il n'est pas exclu qu'il puisse être dérogé à la règle de rattachement
multilatérale qui commande la forme de l'acte, au moyen d'une loi de police (voy. infra,
n ° 4.11) exigeant son applicabilité immédiate au moyen d'un critère qu'elle détermine.

B. Forme des actes privés


3.29 - Le principe: la règle Locus regit actum - Le principe qui domine la forme extrinsè-
que des actes privés consiste à soumettre celle-ci au droit de l'État sur le territoire duquel
l'acte a été établi.
Ainsi que l'atteste la formulation latine sous laquelle elle est couramment citée, la
règle Locus regit actum remonte aux origines du droit international privé. Au cours des
âges, cependant, le contenu de la disposition s'est à ce point transformé que l'expression
traditionnelle a cessé d'en rendre compte de manière adéquate.
102 LA RÈGLE DE RATTACHEMENT

Cette évolution a suivi deux directions.


Le domaine matériel de la règle qui, à l'origine, s'étendait à l'ensemble des condi-
tions de validité de l'acte juridique (actus) est aujourd'hui limité aux seules formes extrinsè-
ques.
De plus, l'interprétation de la règle s'est insérée dans le mouvement d'émancipation
des volontés privées que le droit international privé poursuit depuis le XIXe siècle : le lieu
où l'acte est accompli (locus) n'en régit pas toujours la forme de manière impérative, place
étant faite à l'applicabilité de lois autres que la loi territoriale. Et l'intensité du rattache-
ment territorial varie selon l'objet de l'acte juridique.
Force est, dès lors, de constater que la signification de la maxime Locus regi,t actum
n'est pas univoque.

3.30 - Portée de la règle Locus - On peut distinguer au moins trois interprétations de la


règle, qui se partagent les diverses catégories d'actes.
Une première interprétation, la plus proche du libellé de la règle, consiste à donner à
celle-ci une portée impérative : telle est, par exemple, l'interprétation généralement
admise à propos du mariage.
Diamétralement opposée à la précédente, la deuxième interprétation s'efforce de
favoriser la validité de l'acte quant à sa forme et, pour y parvenir, elle confère à la règle un
caractère alternatif.
Un troisième groupe d'interprétations - car il comprend des variantes - consiste à
rattacher la forme de l'acte à la loi qui en régit le fond. Ce rattachement est lui-même tan-
tôt impératif, et il conduit alors à la négation même de la règle Locus, tantôt facultatif,
mais dans ce dernier cas, c'est aux parties qu'il appartient de choisir la loi applicable à la
forme tandis que l'interprétation purement facultative (supra, b) permet au juge même de
désigner parmi toutes les lois en concours celle qui déclarera l'acte juridique valable
quant à sa forme.
Ill!En matière contractuelle, le rattachement de la forme à la loi régissant le fond est lié à la mise en
œuvre du principe d'autonomie de la volonté: en déterminant la loi applicable au contrat, les par-
ties peuvent aussi prévoir à quelle loi, distincte de la loi régissant le fond, sera soumise la forme.

3.31 - L'interprétation impérative de la règle Locus - Selon l'interprétation impérative,


pour être valable l'acte juridique doit satisfaire aux conditions de forme du pays où il est
accompli.
Contrairement à ce que pourrait faire croire la lecture des études doctrinales consa-
crées à la règle Locus regit actum, l'interprétation facultative de cette règle est loin d'avoir
exclu toute autre solution. La forme de nombreux actes juridiques est soumise à une
règle de rattachement impérative.
1111 En Belgique, cette règle s'observe à propos du mariage (voy. infra, n° 12.47), de l'adoption (voy.
infra, n° 12.123), de la lettre de change et du billet à ordre ainsi que pour le chèque (voy. infra,
n° 14.145), pour la modification du régime matrimonial pendant le mariage (voy. infra, n ° 12.68).
Ill!Il est vrai qu'à l'étranger, ces mêmes questions peuvent donner lieu à la règle Locus dans son sens
alternatif. C'est le cas, par exemple, en Italie (art. 28 LDIP) en ce qui concerne la forme du mariage.
1111En matière de mariage, pour justifier que des étrangers ne peuvent, en Belgique, obtenir les
effets civils d'une célébration religieuse à laquelle ils procéderaient selon leur loi nationale com-
mune, il ne suffit pas de prétendre que la célébration civile est pour nous une « règle de forme »
RÈGLES GÉNÉRALES DE RATTACHEMENT 103

alors que le rite religieux est une condition de fond. Si cette interprétation doctrinale était correcte,
il faudrait autoriser les étrangers à se marier selon les formes de leur loi nationale, conformément à
l'interprétation alternative de la règle Locus, jugée prépondérante par la doctrine. Le prétendu con-
flit de qualifications (voy. infra, n ° 12.50) est impuissant à justifier l'éviction de la loi personnelle
des futurs époux : il dissimule maladroitement une interprétation impérative de la règle Locus, qui
n'a pas pour seul domaine la matière du mariage.

3.32 - L'interprétation facultative de la règle Locus - Selon l'interprétation facultative,


pour être valable quant à la forme, il suffit que l'acte juridique obéisse aux conditions
prévues par l'un des droits dont la liste est fixée. Cette interprétation a pour objectif de
favoriser la validité de l'acte quant à la forme.
1111Dès ses origines, l'interprétation facultative de la règle Locus regit actum a, comme la règle elle-
même, été associée à la forme des testaments. L'un des premiers cas de conflit de statuts abordé par
l'école italienne est celui du marchand dont le testament doit satisfaire aux lois de son domicile. Si
ce marchand désire tester au cours d'un voyage hors du territoire régi par la coutume de son domi-
cile, il risque d'ignorer les exigences de forme de sa propre loi et de ne pas trouver sur place un pra-
ticien qui puisse l'éclairer à cet égard. Il parut dès lors commode de permettre à celui qui faisait un
testament hors du lieu de son domicile, de suivre les formes prévues par la loi du pays où il se trou-
vait, le testateur pouvant ainsi choisir entre cette loi et la loi de son domicile.
Outre les ouvrages sur l'histoire du droit international privé cités sous le n° 2.1 et les monogra-
phies consacrées à la règle Locus regit actum (supra, n° 3.23), voy. : A. LAINÉ, « De la forme du testa-
ment privé en droit international privé», Revue (1907), 833-896; les conclusions du procureur
général BAUDOUIN devant: Cass. civ., 20 Juillet 1909, Revue (1909), 901-913.

1111L'article lei de la Convention de La Haye sur les conflits de lois en matière de forme des disposi-
tions testamentaires (voy. infra, n ° 3.59) est sans doute le paradigme de cette technique. Le testa-
teur a le choix entre plusieurs lois respectivement désignées par un grand nombre de facteurs de
rattachement. La règle de conflit de lois alternative a même été étendue à la détermination de la
nationalité (infra, n° 5.53) ainsi qu'au conflit mobile (infra, n° 5.70).
Telle qu'elle est mise en œuvre par cette disposition, l'application alternative des diverses lois appli-
cables à la forme des dispositions testamentaires paraît purement mécanique: de toutes les lois à
prendre en considération, le juge ne peut et ne doit retenir que celle qui déclare le testament valable
quant à la forme. Sans devoir se référer à aucun choix fait par le testateur lui-même, il suffit de lui
imputer la volonté foncière de faire un testament valable: c'est par là que l'application de la règle
Locus à la forme des testaments se rattache à la loi d'autonomie. Toutefois, il est inutile de présu-
mer que le testateur a été conscient du problème de conflit de lois et a choisi en conséquence une
de ces lois, la volonté qui lui est prêtée a pour objet immédiat un effet de droit matériel, la validité
de ses dispositions de dernières volontés.

Ill L'interprétation alternative a été étendue à d'autres actes juridiques, le contrat de mariage, la
donation entre vifs, la reconnaissance d'un enfant naturel. Pour être valable quant à la forme, il
suffit que l'acte satisfasse aux exigences de la loi qui le régit au fond, de la loi nationale des parties
ou de la !ex loci actus.
Pour le contrat de mariage, voy.: Cass., 28 mai 1925, Ainley c. Cels, Pas. (1925), I, 264, déclarant vala-
bles en la forme les conventions matrimoniales faites par instrument privé au Canada où cette
forme est reçue, l'un des époux étant belge (voy. infra, n° 12.74).
Pour la forme des donations entre vifs, l'interprétation alternative doit être préférée, malgré une
force mais ancienne tradition doctrinale rattachant les formes de la donation à l'application impé-
rative de la loi personnelle de l'auteur de l'acte. Pour l'application de la loi personnelle, voy. LAU-
RENT, t. VI, n° 402; RouN, t. II, n° 814 (mais cet auteur s'incline devant la solution contraire
dégagée par la jurisprudence française); POULLET, n° 474. Pour l'application alternative de la règle
Locus: P. GRAULICH, n° 73; R. VANDER ELST,« Droit international privé», Rép. not., n° 66bis. Cette
solution est confirmée par l'insertion du contrat de donation dans le domaine de la Convention de
Rome (voy. infra, n ° 14.191).
Pour la reconnaissance d'enfant narurel, voy. infra, n° 12.116.
104 lA RÈGLE DE RATTACHEMENT

3.33 - Exception : rattachement impératif à la loi régissant le fond - La forme de cer-


tains actes juridiques est soustraite à l'application de la règle Locus pour être impérative-
ment rattachée à la loi qui régit l'acte au fond. Il serait artificiel d'expliquer ces solutions
par une prétendue qualification de la disposition de droit interne - disposition de fond
plutôt que règle de forme - et il paraît plus simple de considérer que le rattachement
autonome de la forme de l'acte est exclu dans ces hypothèses.
Ill La solution se rencontre pour le contrat de société (infra, n° 16.14).
Ill À la vérité, l'éviction de la !ex loci actus n'est pas totale. La loi régissant l'acte au fond est compé-
tente pour le soumettre à certaines exigences de forme, telle la forme authentiqu_e de la constitu-
tion d'une société anonyme. D'après cette solution, les parties ne sauraient se prévaloir de la !ex loci
actus pour faire l'acte en la forme privée, et même la définition de l'authenticité relève de la loi
applicable au fond. Toutefois, quand les parties font l'acte en dehors du pays dont la loi en régit la
substance, elles peuvent recourir à l'autorité publique territoriale qui suivra les formalités de la loi
locale (voy. infra, n" 3.36 et n° 16.14).

C. Forme des actes publics


3.34 - Règle Auctor regit actum - Toute autorité publique agit selon les formes du droit
de l'État qui l'a instituée. La règle qu'exprime le brocard Auctor re:ef,t actum, qui semble
avoir été forgé par Niboyet, est une solution aussi traditionnelle que l'application de la
lex fori à la procédure et, d'ailleurs, analogue à cette application: le mot auctor désigne
l'autorité dont le concours fortifie (auget) l'acte à accomplir. Tels le notaire, l'officier de
l'état civil, le conservateur des hypothèques.
L'analogie avec les règles de procédure s'étend aussi aux questions de compétence
qu'une telle autorité doit parfois trancher. Le conservateur des hypothèques et l'officier
de l'état civil ont reçu de la loi des compétences rigides dont ils ne sauraient s'écarter ni
pour recevoir un acte autre que ceux qu'ils ont mission d'accomplir ni même pour intro-
duire dans leurs registres des mentions que ceux-ci ne sont pas destinés à constater.
La compétence du notaire, déjà plus flexible en droit interne, lui permet de recevoir
n'importe quel acte juridique privé à condition que la loi belge n'attribue pas sur ce point
une compétence exclusive à une autre autorité et que l'acte n'apparaisse pas contraire à
l'ordre public.
Ill Le notaire belge ne pourrait s'immiscer dans le fonctionnement d'une autre autorité publique,
par exemple en célébrant un mariage, même si la loi personnelle des futurs époux n'a pas réglé la
forme de cet acte ou prévoit le ministère d'un notaire. En revanche, la validité au fond d'un acte
juridique privé (la reconnaissance d'un enfant, un acte constitutif de société) doit être vérifiée selon
le droit applicable d'après les règles belges de rattachement.
La flexibilité de la compétence notariale permet à cet officier public de recevoir un
acte que sa propre loi ne connaît pas, mais qui peut être valable selon le droit applicable
au fond.
Ill C'est ainsi qu'à l'époque où le droit belge connaissait encore l'immutabilité des conventions
matrimoniales, un notaire belge a pu dresser un contrat de séparation de biens conformément au
paragraphe 1432 du BGB. Sur la validité de cet acte, voy.: Bruxelles, 24 mai 1954, Rev. crit. jur. belge
(1955), 107, note G. VAN HECKE, Revue (1955), 701, note H. BATIFFOL.
À y bien réfléchir, la solution était hardie puisque le droit belge organisait à cette époque une sépa-
ration de biens judiciaire, ce dont on aurait pu déduire une règle de compétence exclusive au profit
des tribunaux. Toutefois, la séparation de biens conventionnelle a pour objet une hypothèse diffé-
rente de celle de la séparation de biens judiciaire. On ne saurait, en vertu d'une analogie superfi-
RÈGLES GÉNÉRALES DE RATTACHEMENT 105

cielle, déduire de l'arrêt du 24 mai 1954 le pouvoir pour un notaire belge de donner acte à des
époux de leur volonté commune de se séparer par consentement mutuel, la loi belge organisant
une procédure judiciaire de séparation ouverte à des époux étrangers et à laquelle ils doivent recou-
rir s'ils veulent être tenus pour séparés en Belgique.
Rien n'empêche cependant des époux de faire constater par un notaire leur accord sur le paiement
d'une pension alimentaire. L'acte fait alors état de leur séparation de fait en des termes qui, selon la
loi qui régit leur statut personnel, peuvent avoir des effets qu'ignore la loi belge.

3.35 - Formalités de rédaction de l'acte public - Le droit de l'État dont l'officier public
tient sa compétence détermine aussi les formalités qu'il doit observer, comme la langue
dans laquelle- l'instrument est dressé, le nombre et le rôle des témoins instrumentaires,
l'intervention d'un interprète, les mentions monétaires.
IllPour un examen détaillé de ces diverses questions, voy. : F. BoucKAERT, « Het gebruik van
vreemde munten in notariële akten », Tijds. Not. (1992), 352-359; FÉDÉRATION DES NOTAIRES DE BEL-
GIQUE, Internationale contractuele relaties: de roi van de notaris (Anvers, Maklu, 1995), 765 p. ; M.
REVILLARD, Droit international privé et pratique notariale (Rép. not. Defrenois, Paris, 1998); F. R.!GAUX,
« Le rôle social du notaire vis-à-vis de l'étranger», Congrès des notaires de Belgique (Éd. Duculot, Gem-
bloux, 1957), 127-137; E. VAN HovE, « La compétence internationale du notaire belge», Mélanges
Bouttiau et Demblon (Bruxelles, Bruylant, 1987), 361 et s.

La même règle s'applique aux autorités extraterritoriales tenues d'observer les for-
malités prévues par le droit du pays qui les a instituées, non celui du pays où elles exer-
cent leurs fonctions.
1111Il est fait application de ce principe aux agents diplomatiques et consulaires belges à l'étranger
par l'article 9 de la loi du 31 décembre 1851, l'article 1er de la loi du 10 juillet 1931 etl'article ier de
la loi du 12 juillet 1931 (voy. infra, n ° 8.47).
1111Sur la compétence de ces autorités, voy. notamment: L. WILLEMARCK, « La compétence des
agents diplomatiques et consulaires en matière notariale - Théorie et analyse de la pratique», Rev.
not. belge (2002), 340-354.

3.36 - Formalités imposées par le fonctionnement d'un service public - Pour que cer-
tains instruments écrits puissent être produits devant une autorité publique, ils doivent
satisfaire à des exigences de forme fixées par la loi.
1111Ainsi, d'après l'article 2 de la loi du 16 décembre 1851 sur la révision du régime hypothécaire,
seul un acte authentique ou un acte qui y est assimilé par la disposition précitée peut être« admis à
la transcription».
Il faut distinguer la question de validité de l'acte, laquelle relève, le cas échéant, du
droit étranger applicable en vertu de la règle Locus regj.t actum, du problème que suscite la
production de cet instrument devant un service public belge : à cette dernière fin, l'ins-
trument doit satisfaire aux critères requis pour le bon fonctionnement du service.
Sur le plan des conflits de lois, on peut déduire deux conséquences du principe qui
vient d'être énoncé.
a) Dans les cas où le service public remplit une fonction à laquelle les personnes inté-
ressées sont, pour des raisons d'efficacité, tenues de recourir, les exigences de forme
auxquelles est subordonnée cette intervention se communiquent à l'accomplisse-
ment de l'acte juridique produit devant ledit service. Les règles auxquelles obéit la
tenue des registres de publicité foncière ont pour conséquence d'imposer aux parties
de passer un acte authentique.
Les parties recourent naturellement aux formes prévues par la lex rei sitae pour les
actes déclaratifs ou translatifs de droits réels immobiliers, afin de satisfaire aux exi-
106 LA RÈGLE DE RATTACHEMENT

gences de publicité. Au demeurant, en droit belge la forme de la plupart de ces actes


est libre, et déjà dans l'ordre interne c'est la formalité de publicité qui a communi-
qué ces exigences à la rédaction de l'acte juridique proprement dit.
b) Quand une disposition législative organisant le fonctionnement d'un service public
requiert la production d'un acte «authentique», il y a lieu, pour déterminer
l'authenticité de l'acte, de procéder en deux temps.
D'abord, la définition de l'acte authentique doit être empruntée à l'article 1317 du
Code civil aux termes duquel il s'agit d'un acte reçu par un officier public. Ce critère
doit être appliqué aux actes dressés à l'étranger ou en vertu d'un droit étranger.
Ensuite, il appartient à ce droit de décider si la personne qui a reçu l'acte a qualité
d'officier public.
1111Selon une interprétation qui paraît dominante dans la jurisprudence de plusieurs pays, cette
qualité peut être reconnue à un notary public américain. Voy. les références dans : F. RIGAUX,
v0 «Acte», Rép. Dalloz (1968), n°' 140-145, où l'on trouvera aussi des indications relatives au flotte-
ment de la jurisprudence française sur la question considérée.

Section 3
Nature de la règle de rattachement
§1 ELÉMENTS CONSTITUTIFS DE LA RÈGLE DE RATTACHEMENT
3.37 - Définition de la règle de rattachement- La règle de rattachement résout un con-
flit de lois en soumettant à un ordre juridique national (c), par l'intermédiaire d'un
indice de localisation ou « facteur de rattachement» (6), un rapport juridique identifié
au moyen d'un concept appelé« catégorie de rattachement» (a).
IllAinsi, en matière de capacité, la règle rattache une catégorie - les conditions auxquelles une
personne est reconnue comme capable, tel l'âge de la majorité -, au moyen d'un facteur de ratta-
chement - la loi nationale de la personne - au droit de l'État correspondant au facteur utilisé.
1111Parmi les conventions internationales en vigueur en Belgique, on peut donner pour exemple
l'article 1er, alinéa 1er, de la Convention de La Haye du 24 octobre 1956, aux termes duquel« la loi
de la résidence habituelle de l'enfant détermine si, dans quelle mesure et à qui l'enfant peut récla-
mer des aliments ». Cette règle comporte comme facteur de rattachement la résidence habituelle de
l'enfant, désigne comme loi compétente celle du pays où l'enfant a sa résidence habituelle, et prend
pour catégorie de rattachement l'obligation alimentaire, exprimée par les mots: « Si, dans quelle .
mesure et à qui l'enfant peut réclamer des aliments ». Ces mots couvrent la catégorie de situations
particulières qui forme l'objet ou la matière de la règle.

A. La catégorie de rattachement
3.38 - Un concept générique - Le concept appelé « catégorie de rattachement » corres-
pond, dans la règle de rattachement, aux notions désignant l'hypothèse d'une règle de
droit matériel. Toutefois, alors que cette hypothèse est visée à l'aide de concepts définis,
aux contours arrêtés, les catégories de rattachement sont souvent des concepts géné-
riques, dont les limites sont vagues et imprécises: la forme des actes, les régimes matri-
moniaux, les successions, l'état des personnes, la responsabilité civile sont quelques
exemples de catégories de rattachement traditionnelles. Certaines notions désignent une
branche entière du droit civil ou elles découpent dans la situation un aspect particulier,
de pure technique juridique (la forme ou la procédure, par exemple).
NATURE DE LA RÈGLE DE RATTACHEMENT 107

1111 Il suffit de comparer au concept « état et capacité des personnes » du Code Napoléon, les con-
cepts beaucoup plus différenciés des dispositions législatives dont l'hypothèse relève de la catégorie
de rattachement précitée, tels le concept «époux» de l'article 213 du Code civil, ou le concept
« individu qui n'a point encore l'âge de dix-huit ans accomplis» (art. 388).

Le recours à des catégories aussi génériques s'explique d'abord par les conditions qui
ont présidé à l'élaboration de la théorie du rattachement au XIXe siècle. Une construc-
tion scientifique basée sur la nature des choses et cherchant à construire un ensemble
cohérent de règles aptes à résoudre les conflits de lois sous un angle universel, commun
aux États, ne pouvait qu'organiser l'agencement de ces règles autour de concepts abs-
traits, détachés de la contingence de systèmes étatiques particuliers, véritables catégories
de l'entendement.
Sous un angle pratique, l'utilisation de concepts aussi génériques crée à première
vue une ambiguïté - qu'a soulevée l'école positiviste - que pourrait seule lever la réfé-
rence à leur sens usuel dans le droit matériel interne du for.
À la vérité, l'indétermination de tels concepts comporte plus d'avantages que
d'inconvénients. À condition, précisément, qu'on ne s'efforce pas de la réduire à la signi-
fication que chacun de ces concepts pourrait revêtir selon le droit matériel interne du for,
pareille indétermination permet de saisir des situations à la description desquelles appar-
tiennent des concepts de droit étranger, différents des notions similaires du droit du for,
parfois même inconnus de celui-ci, comme la répudiation, le trust ou, dans les pays qui
ignorent une telle institution, l'adoption.
1111 On trouve en matière de divorce un exemple par l'absurde de l'avantage de catégories généri-
ques. Si le législateur du for aligne la catégorie sur les subdivisions du droit matériel, l'utilisation
du système de rattachement peut conduire à des impasses chaque fois que ces subdivisions sont
propres au droit du for. Ainsi, en Belgique, le législateur avait reproduit la distinction entre divorce
pour cause déterminée et divorce par consentement mutuel (voy. infra, n° 12.97), alors que le droit
étranger désigné peut parfaitement nier une telle distinction pour y préférer celle de divorce lié à la
faillite irrémédiable du mariage. Le Code abandonne une telle différenciation.

Il n'est donc pas étonnant que même les codifications nationales récentes n'aient
pas répudié la méthode des catégories génériques. Cette méthode ne serait donc pas liée à
un stade primitif du droit des conflits de lois.
Toutefois, lorsque les États s'efforcent d'unifier leurs règles de rattachement, ils ten-
dent à couvrir des matières juridiques plus précisément circonscrites. Ce faisant, ils veu-
lent surtout éviter une indétermination qui ferait obstacle à l'harmonie des solutions,
notamment en l'absence d'un système commun d'interprétation uniforme des règles de
rattachement conventionnelles. Cette politique est suivie par la Conférence de La Haye
de droit international privé. Elle trouve pourtant encore une autre explication dans les
contraintes de la négociation internationale. Il est en effet plus facile de s'entendre sur un
champ de matières étroitement délimité.
1111Voy. par exemple, en matière de contrats, la Convention de La Haye du 15 juin 1955 sur la loi
applicable aux « ventes internationales d'objets mobiliers corporels ». Une telle délimitation con-
traste avec l'objet plus vaste d'un instrument arrêté au sein d'un club restreint d'États, à savoir la
Convention de Rome du 19 juin 1980 sur la loi applicable aux« obligations contractuelles», acces-
sible aux seuls États membres de l'Union européenne.
IllOn trouve un exemple significatif du recours à des notions concrètes plutôt qu'à des concepts
abstraits dans les conventions de La Haye qui, intéressant les mineurs, préfèrent parler d'un
«enfant», « âgé de moins de 21 ans accomplis» (Conv. La Haye du 24 octobre 1956, infra,
108 LA RÈGLE DE RATTACHEMENT

n ° 12.190, art. 1cr), ou« jusqu'à ce qu'il ait atteint l'âge de 18 ans» (Conv. La Haye du 19 octobre
1996 concernant la protection des enfants, art. 2). L'utilisation de termes aussi concrets analogues
à ceux que peuc comporter une règle matérielle permet non seulement à chaque négociateur de
savoir à quoi il s'engage, mais encore d'éviter une interprétation jurisprudentielle du terme
«mineur» qui puisse diverger d'un État contractant à l'autre.

3.39 - Un concept à fragmentation - La catégorie de rattachement ne désigne pas tout


le complexe de faits constitutif d'une situation particulière, mais un aspect de cette situa-
tion.
Ill Déjà, elle ne couvre pas tous les éléments de l'objet de la règle, qui est une situation privée ou
individuelle offrant cette particularité d'appartenir au commerce international. Pour être com-
plète, la description de la situation singulière inclut la mention des circonstances de temps et de
lieu, le cas échéant de la nationalité des personnes, mention grâce à laquelle il est possible d'identi-
fier les éléments de localisation appréhendés par le facteur de rattachement.

Elle opère souvent un dépeçage du rapport juridique. Ainsi, la« forme extrinsèque »
des actes fait, traditionnellement, l'objet d'une règle de rattachement propre (voy. supra,
n ° 3.29). Ou encore, la notion de « capacité des personnes physiques » se réfère aux pro-
blèmes d'aptitude personnelle à accomplir un acte juridique. Par suite de la scission des
éléments constitutifs de la situation singulière, les divers fragments appréhendés par les
règles de rattachement respectives risquent d'être distribués entre des droits étatiques
différents.
Supposons qu'un Anglais domicilié à Londres ait, par un testament fait à Paris, légué un
!Ili
immeuble situé en Belgique et qu'après sa mort, des héritiers qui se prétendent réservataires con-
testent la validité du legs. Le tribunal belge compétent doit appliquer plusieurs lois : la capacité de
disposer dépend de la loi personnelle du testateur, l'étendue de la réserve, de la loi belge, loi succes-
sorale, la forme du testament est appréciée conformément à la règle Locus regit actum, etc.

Jointe à la dispersion géographique des éléments matériels de localisation, la techni-


que du rattachement a donc pour conséquence que la situation privée internationale est
régie par une mosaïque de dispositions hétérogènes. L'application d'un seul droit étati-
que, comme si la situation était purement interne, n'est souvent possible que si tous les
éléments matériels pertinents se localisent sur le territoire d'un seul État.
IllComp. la critique adressée à cette méthode par WENGLER (précité n ° 3.1), qui la qualifie précisé-
ment de Mosaikmethode. Selon cet auteur, il y a lieu de préférer une méthode qui saisisse la situation
dans son ensemble (par exemple, un contrat, la dévolution testamentaire d'une succession) et de
soumettre au système de droit international privé de l'État auquel la situation a été dûment ratta-
chée le traitement des questions partielles (Teilfragen) et des questions préalables (Vorfragen). Sont
des exemples de questions partielles, la capacité et la forme des actes. Sur les questions préalables,
voy. infra, n')S 6.29 et s.

3.40 - Le domaine du droit applicable - L'indétermination qui caractérise la formula-


tion d'une catégorie générique peut être réduite efficacement par l'énonciation d'une
liste de points de droit susceptibles d'être classés sous le concept générique. Cette liste
détermine ce que l'on appelle communément le« domaine» du droit applicable.
!IliLe souci de la Conférence de La Haye de préciser la portée des catégories conventionnelles expli-
que la présence, dans de nombreuses conventions, d'une disposition sur le domaine du droit appli-
cable. On en trouve un exemple caractéristique dans la Convention de La Haye du 4 mai 1971 sur la
loi applicable en matière d'accidents de la circulation routière, dont l'article 8 énonce une liste de 8
points de droit inclus dans la catégorie de rattachement conventionnelle. Voy. de même, en matière
de contrats, l'article 10 de la Convention de Rome du 19 juin 1980.
NATURE DE LA RÈGLE DE RATTACHEMENT 109

La Convention précitée (supra, n ° 3.38) du 24 octobre 1956 inclut la détermination du domaine


11!1
dans la définition même de la catégorie, en des termes à la fois concis et concrets. Comp. la Conven-
tion de La Haye du 2 octobre 1973 sur la loi applicable aux obligations alimentaires, qui dissocie
formellement la formulation de la règle de rattachement (art. 4 à 9) et la détermination du
domaine du droit applicable (art. 10).
!Il!La Convention de La Haye du 15 juin 1955 sur la vente ne définit pas autrement le domaine du
droit applicable qu'en formulant une liste négative, excluant de son domaine la capacité, la forme,
le transfert de propriété et les effets à l'égard des tiers (art. 5). La Convention du 22 décembre 1986
sur la loi applicable aux contrats de vente internationale de marchandises présente une évolution
significative, puisque deux sections distinguent respectivement « Détermination de la loi
applicable» et« Domaine de la loi applicable ».
Le recours à une disposition définissant le domaine du droit applicable dans une
codification nationale est moins fréquent. Cela s'explique, puisque le juge national, seul
appelé à appliquer les règles de rattachement en cause, comprend naturellement le sens
des termes utilisés par le législateur du for. Il n'est pas moins utile de définir, ici aussi, le
domaine du droit applicable, non seulement pour démarquer le domaine de certaines
catégories par rapport à d'autres, mais encore parce que, on l'a vu, la catégorie ne corres-
pond pas nécessairement aux subdivisions propres au droit matériel du for.
La loi suisse sur le droit international privé comporte de rares dispositions sur le domaine du
11!1
droit applicable, par exemple en matière de succession (art. 92 LDIP) ou d'obligations non contrac-
tuelles (art. 142 LDIP).
Il Le Code belge accompagne systématiquement une règle de rattachement particulière d'une dis-
position sur le domaine d'application de celle-ci.

B. Le facteur de rattachement
3.41 - Élément de localisation - C'est grâce au« facteur de rattachement» que l'objet de
la règle est localisé.
Le facteur de rattachement remplit dans la règle de rattachement une fonction analogue à celle
!Il!
qui appartient au concept qui dans les « règles d'applicabilité» permet de déterminer le domaine
spatial de règles matérielles nationales (voy. infra, n ° 4.8), voire de la règle de rattachement elle-
même (voy. infra, n ° 4.49) ou de règles de droit privé uniforme (infra, n ° 4.37).
Dans la plupart des cas, le facteur de rattachement saisit le rapport juridique par
l'élément de localisation le plus approprié au regard de l'objectif poursuivi par la règle.
Vu sous cet angle, le facteur est soit personnel, soit territorial.
La nationalité établit un lien juridique et politique immédiat entre la personne et l'État. Elle a
11!1
longtemps dominé le droit de la personne et de la famille en Europe continentale (voy. supra,
n° 3.18), essentiellement dans un but de préservation de la permanence de l'état de la personne
(voy. supra, n ° 3.11).
Ill Les facteurs territoriaux désignent un: point du domaine territorial de l'État. Ce sont notam-
ment le domicile ou la résidence d'une personne, la situation d'un bien corporel, le lieu où un acte
juridique est accompli, où un fait dommageable est commis, etc. (voy. supra, n° 3.19).
Un deuxième type de facteur consiste dans le choix par les agents juridiques privés
de la loi applicable à une situation déterminée. La « loi d'autonomie» est un ratta-
chement spécifique, distinct des deux précédents, appelé par Lewald « rattachement
individuel», puisque ce sont les volontés privées qui désignent la loi compétente.
Un troisième type de facteur retient un concept générique, qui exprime directement
l'objectif de la règle et dont la détermination dans le cas individuel est laissée à la dis-
110 LA RÈGLE DE RATTACHEMENT

crenon du juge. On peut situer dans cette perspective la « méthode de localisation


objective», qui a reçu une formulation générale par la« clause d'exception» (voy. supra,
n ° 3.17) et« l'analyse des intérêts gouvernementaux» (voy. supra, n ° 3.14). L'appréciation
du juge peut alors être guidée par des « indices » de localisation (voy. infra, n ° 14.20).
La méthode de localisation objective est utilisée principalement dans les matières des contrats
11!1
(voy. infra, n° 14.51) et de la responsabilité civile (voy. infra, n° 15.9).
1111Comme tentative de formulation de l'analyse des intérêts gouvernementaux en une règle, voy.
l'article 3515 du Code civil de la Louisiane. Après avoir énoncé une référence de principe au con-
cept d'intérêt gouvernemental (« policy of the sc'ate »),le texte précise comment déterminer l'État le
plus intéressé : « Thar state is determined by evaluating the strenght and pertinence of the relevant
policies of ail involved states in the light of: (1) the relationship of each state to the parties and the
dispute; and (2) the policies and needs of the interstate and international systems, including the
policies of upholding the justified expectations of parties and of minimizing the adverse conse-
quences chat might follow from subjecting a party to the law of more chan one state. »
1111Il est possible d'obvier au risque d'imprévisibilité du droit applicable lié à cette méthode par
deux procédés. L'un consiste à adresser au juge des directives, sous la forme de présomptions de
liens étroits: la Convention de Rome du 19 juin 1980 a innové en introduisant cette technique
(voy. infra, n ° 14.54). L'autre, qu'utilisent certaines conventions de La Haye, recourt à des rattache-
ments complexes permettant de diversifier les solutions sans abandonner au juge le choix du droit
applicable selon une pure casuistique (voy. infra, n"s 3.54 et s.).
Le Code belge recourt à la technique de la présomption dans certaines matières, par exemple pour
localiser l'acte de l'intermédiaire (art. 108).
Le droit communautaire présente une forme de conciliation qui accompagne le concept de liens
1111

étroits par l'énoncé d'indices. Voy. en ce sens: C.J.C.E., aff. C-70/03, 9 septembre 2004, Espagne.

3.42 - Concrétisation de l'élément de localisation - Par sa fonction localisatrice, le fac-


teur retenu par la règle doit être apte à désigner un système juridique étatique.
La concrétisation peut soulever deux types de difficultés de localisation.
La première difficulté est d'ordre spatial. Le facteur n'est opérationnel que s'il iden-
tifie un élément qui permette de concrétiser un seul lieu. Par exemple, le domicile est un
concept ambigu tolérant des concrétisations diverses. Ou encore, le concept « fait
dommageable » requiert une précision en raison de sa dissociation possible entre le « fait
générateur» de responsabilité et la« survenance du dommage».
La seconde difficulté est d'ordre temporel: à propos d'un facteur mobile, il y a lieu
de saisir le moment pertinent pour sa concrétisation spatiale.
Ces difficultés se doublent d'une autre interrogation: à quel système étatique con-
vient-il d'emprunter la détermination du facteur de rattachement?
L'ampleur de ces questions justifie un développement particulier, à l'occasion de
l'analyse de la mise en œuvre de la règle de rattachement (voy. infra, chap. 5).

C. L'ordre juridique désigné


3.43 - Un ensemble indéterminé - À la différence de la norme de droit substantiel, dont
le dispositif énonce immédiatement l'effet juridique qui s'attache à une situation parti-
culière, la règle de rattachement désigne l'ordre juridique national auquel une telle
norme doit être empruntée. Se bornant à déclarer un droit applicable, la règle de ratta-
chement est appelée une norme indirecte (voy. supra, n ° 3.5).
NATURE DE LA RÈGLE DE RATTACHEMENT 111

Par exemple, la règle disposant que l'obligation alimentaire à l'égard d'un enfant est régie par le
1111

droit de l'État sur le territoire duquel l'enfant réside habituellement ne fournit aucun élément per-
mettant de savoir si l'enfant aura droit ou non à des aliments.
La désignation a pour objet un ensemble de règles, non une disposition législative
particulière. Cela constitue une caractéristique essentielle de la norme indirecte. Si celle-
ci désignait une loi déterminée, il serait possible, parfois à la seule lecture de l'intitulé de
la loi, de prévoir la solution matérielle. Comme la désignation porte sur l'ensemble des
normes en vigueur dans un système étatique - en quelque sorte, sur un nombre infini de
normes -, il appartient à ce système de préciser laquelle de ces normes est pertinente
pour trancher le cas d'espèce.
Ili On aperçoit sans peine que le terme « loi" dans l'expression « règle de conflit de lois" ou
l'expression « loi applicable " constituent des archaïsmes. Ces termes remontent à l'époque où la
problématique de l'école des statuts (voy. supra, n ° 2.4), se concentrait sur l'applicabilité de
« statuts " posés par une ville ou une commune.

Ill!Le terme « loi " est particulièrement inapproprié lorsque la règle de rattachement désigne le
droit d'un pays de common law, où la norme pertinente peut découler d'un précédent jurispruden-
tiel. Sur l'incidence de cette caractéristique sur la condition procédurale du droit étranger, voy.
infra, n° 6.57.

L'ensemble ainsi désigné ne comprend pas pour autant des normes intéressant
n'importe quelle matière. Le caractère fragmentaire de la plupart des catégories de ratta-
chement implique que l'objet désigné dans le droit applicable corresponde uniquement à
la matière couverte par la catégorie.
Ili Par exemple, si le droit français est déclaré applicable aux formalités du mariage célébré en
France entre deux Marocains, en vertu de la règle Locus regit actum (voy. supra, n ° 3.24 et infra,
n ° 12.47), ce droit n'est appliqué que dans ses dispositions concernant la célébration même, non
dans d'autres dispositions concernant, par exemple, la nubilité.
La désignation du droit applicable soulève une série de questions quant à sa portée :
l'ensemble des normes ainsi désigné inclut-il des règles de rattachement? Comment con-
vient-il d'interpréter le droit désigné? Comment gérer l'application distributive de divers
droits étatiques à une situation déterminée ? Ces questions sont traitées sous le titre con-
sacré au fonctionnement de la règle de rattachement.
3.44 - Une désignation« multilatérale» - L'essence de la règle de rattachement est
d'être à même de désigner un droit étranger, c'est-à-dire un système étatique autre que
celui dont émane la règle.
Le procédé consiste à formuler une disposition qui puisse désigner un système étati-
que sans l'identifier par son nom.
IliPar exemple, la règle édictant que l'obligation alimentaire envers un enfant est régie par le droit
de l'État sur le territoire duquel l'enfant réside habituellement ne désigne pas le droit français ou le
droit allemand, mais le droit de tout État où peut être localisée la résidence habituelle dans le cas
individuel.
Cette caractéristique de la règle de rattachement est communément désignée par la
nature « multilatérale » de la règle.
Il arrive toutefois qu'une règle nationale de rattachement ne soit pas énoncée sous
une forme multilatérale mais se présente plutôt comme une règle unilatérale. C'est le cas
de l'article 3 du Code Napoléon qui reproduit, à cet égard, la tradition. Les alinéas 2 et 3
se sont contentés de désigner le droit belge.
112 LA RÈGLE DE RATTACHEMENT

L'alinéa 1er présentait une formulation particulière, apparemment générale, puisqu'il disposait
1111
que« les lois de police et de sûreté obligent tous ceux qui habitent le territoire», donnant à enten-
dre que ce territoire peut être celui de tout État où habitent les personnes en cause. En réalité, la
disposition se comprenait comme ne visant que les lois du for, sauf en matière quasi délictuelle
(voy. infra, n° 4.11).

Si elle n'est pas complétée d'une autre disposition plus générale, la règle unilatérale
présente une lacune, puisqu'elle ne prévoit pas le cas où la situation présente l'élément de
localisation pertinent dans un État autre que l'État du for. C'est pourquoi la jurispru-
dence a procédé à une interprétation multilatérale de la règle unilatérale, par le recours à
l'argument d'analogie.
1111En Belgique, l'interprétation analogique est adoptée en 1882, par les arrêts de Baujfremont (Cass.
19 janvier 1882, Pas., 1882, !, 38, constatant que le rattachement du statut personnel à la loi natio-
nale est« implicitement consacré» par le texte de la loi) et Bigwood (Cass., 9 mars 1882, Pas., 1882, I,
62, recevant un pourvoi fondé sur la violation de l'article 3 du Code civil contre un arrêt qui avait
appliqué le droit anglais et estimant que cet arrêt en a fait application « en tenant compte, dans
l'affaire, des lois anglaises régissant le statut personnel»).

1111Comp. déjà: Cass., 3 août 1848, Flescher, Pas., 1848, !, 376, estimant que l'existence de« la juri-
diction des tribunaux belges sur les étrangers [... ] présuppose nécessairement le pouvoir dans ces
tribunaux d'appliquer les lois étrangères de l'espèce de celles mentionnées au § 3 de l'art. 3 du
C. civ. » et précisant que, pour apprécier l'incapacité de l'étranger, « il est évident [que] les tribu-
naux belges devront nécessairement appliquer les lois régissant la capacité ou le statut personnel
de cet étranger » ; cet arrêt ne précise cependant ni la base légale de la solution ni la concrétisation
exacte du facteur de rattachement pertinent.
L'interprétation multilatérale n'a pas suivi l'entrée en vigueur du Code Napoléon. Il semble qu'elle
soit le fruit de l'école de l'exégèse, représentée en Belgique par F. Laurent (voy. supra, n ° 2.7) et
qu'elle ait été rendue possible suite aux travaux de Savigny (voy. supra, n° 2.7). Ainsi, l'arrêt de
Terwangne rendu par la Cour de cassation le 6 août 1852 (Pas., 1853, I, 155, supra, n ° 1.12) se réfère
encore au facteur du domicile en matière de statut personnel comme un principe du droit des gens
distinct de la règle énoncée par l'article 3 du Code civil. Voy. pour plus de détails, notamment sur la
jurisprudence française: M. FALLON,« L'application de l'article 3, alinéa 3, du Code civil par la juris-
prudence belge au XIXe siècle», Mélanges F Laurent (Bruxelles, Story, 1989), 765-782.

111 Sur la jurisprudence française, voy. BATIFFOL et LAGARDE, t. II, n ° 379. La même solution a pré-
valu en Allemagne pour l'interprétation des dispositions unilatérales de l'EGBGB de 1896, bien
que la rédaction unilatérale eût été inspirée par la volonté de réserver l'applicabilité des lois étran-
gères (voy. KELLER et SIEHR, Allgemeine Lehren des internationalen Privatrechts, Zurich, Schulthess, 1986,
73).

111 L'« unilatéralisme » s'est opposé au processus d'interprétation précité (voy. infra, n° 4.18).

3.45 - Règles exclusivement unilatérales - Certaines règles de rattachement ayant reçu


une expression unilatérale résistent à l'interprétation multilatérale qui se recommande
chaque fois qu'elle est possible.
On appelle « exclusivement unilatérale » la règle dont la formulation unilatérale ne
saurait recevoir une interprétation multilatérale, soit parce que cette règle apporte une
dérogation limitative à une règle de rattachement multilatérale, soit parce que le législa-
teur a cumulé deux facteurs de rattachement s'appliquant l'un à défaut de l'autre.
a) On trouve les meilleurs exemples du premier type de règle exclusivement unilatérale
dans les règles adoptées par les États faisant usage de la réserve insérée en certaines
conventions internationales de conflit de lois et permettant de déroger à une règle
multilatérale que contient cette convention.
NATURE DE LA RÈGLE DE RATTACHEMENT 113

Ill Ainsi, l'article 2, alinéa 3, de la Convention de Genève du 19 mars 1931 destinée à régler certains
conflits de lois en matière de chèques, permet à chaque État contractant« de ne pas reconnaître la
validité de l'engagement pris en matière de chèques par l'un de ses ressortissants», si, sans être
capable de s'engager par chèque d'après sa loi nationale, celui-ci est seulement tenu par application
de la loi du pays où le chèque a été signé.
La Belgique a fait usage de cette faculté dans l'article 63 de la loi du icr mars 1961, aux termes
duquel« la validité des engagements souscrits par chèque par un Belge à l'étranger n'est reconnue
en Belgique que si, d'après la loi belge, il possédait la capacité requise pour les prendre ».
Le chèque signé en Belgique ou à l'étranger par un étranger incapable d'après sa loi nationale, mais
que la loi belge (ou la loi étrangère du lieu de signature) tient pour capable, est valable conformé-
ment à la règle de conflit conventionnelle. En revanche, le Belge ne peut s'engager à l'étranger que
conformément aux dispositions de sa loi nationale, l'article 63 de la loi du 1er mars 1961 imposant,
pour ce seul cas, une exception au régime conventionnel. Pareille discrimination constitue une
solution exclusivement unilatérale : l'article 63 ne saurait être multilatéralisé puisqu'il apporte une
exception d'interprétation limitative à la règle multilatérale inscrite dans la Convention.
b) Lorsque la règle de rattachement définit le domaine d'application du droit du for en
énonçant plusieurs facteurs de localisation qui jouent alternativement, l'un à défaut
de l'autre, l'interprétation multilatérale est techniquement impossible car pareille
règle est impuissante à désigner un ordre juridique étranger déterminé. Elle excéde-
rait d'ailleurs l'objectif du législateur, uniquement préoccupé d'assurer une applica-
tion extensive de son propre droit.
1111Ainsi, selon l'article 310 du Code civil français, le divorce et la séparation de corps sont régis par
la loi française, notamment, lorsque l'un et l'autre époux sont de nationalité française, ou lorsque
les époux ont, l'un et l'autre, leur domicile sur le territoire français. En conjuguant ces deux critè-
res, le législateur soumet à la loi française aussi bien les Français domiciliés hors de France que les
étrangers domiciliés en France. La disposition ne saurait désigner le droit applicable lorsque le
divorce intéresse des Belges résidant au Royaume-Uni.
Un autre exemple figurait dans l'article 2 de la loi belge du 27 juin 1960 sur le divorce pour
1111

cause déterminée lorsqu'un des époux est étranger, selon lequel le divorce est régi par le droit belge
lorsqu'un des époux est belge. Le caractère exclusivement unilatéral de la disposition se déduit
moins du texte de cette disposition particulière que de l'ensemble de la structure des règles de rat-
tachement en la matière (voy. infra, n ° 12.97).
La règle exclusivement unilatérale qui, en assurant l'application du droit du for aux
seuls nationaux, traduit une politique de protection du national, soulève nécessairement
la question de sa compatibilité avec une norme de protection des droits fondamentaux
prohibant les discriminations exercées en raison de la nationalité, tel l'article 12 du traité
CE (voy. supra, n ° 1.11). Un tel reproche ne semble pas devoir être fait à la règle multilaté-
rale, dès lors qu'elle soumet les uns et les autres à un rattachement identique, celui de
l'application de la loi nationale de chacun. En revanche, la règle exclusivement unilaté-
rale tend à n'affecter que les nationaux de l'État qui produit la règle, tout en soumettant
les nationaux d'autres États à une règle de rattachement distincte.
L'article 63 précité de la loi du 1er mars 1961 paraît un bon exemple d'une règle de nature à con-
1111

trevenir aux dispositions de l'article 12 du traité CE.


Sur la relation entre règle exclusivement unilatérale et discrimination, voy. notamment: M. FAL-
LON,« Les conflits de lois et de juridictions dans un espace économique intégré - L'expérience de la
Communauté européenne», Recueil des cours, vol. 253 (1995), 9-281.

3.46 - Qualité de l'ordre juridique désigné - La règle de rattachement désigne, dans son
acception classique, un ordre étatique. Ce postulat a susité deux interrogations, relatives
à la possibilité de désigner un droit non étatique, tels les usages du commerce, et à la con-
figuration de l'ordre étatique désigné.
114 LA RÈGLE DE RATTACHEMENT

1111 Sur la référence aux usages du commerce, voy. infra, n° 14.46.

L'exigence de la nature étatique du droit désigné suscite une question préalable de


droit international, relative à la qualité étatique de l'ordre juridique désigné.
Par ordre juridique national en vigueur, il faut entendre la loi d'un État reconnu
comme tel suivant les critères du droit international, au moment pertinent pour la solu-
tion du conflit mobile. La désignation ne saurait avoir pour objet la loi d'un État ayant
disparu ou qui n'a jamais existé.
1111Voy. par ex., à propos du Katanga, Comm. Bruxelles, 15 février 1962,]ur. comm. Brux. (1962), 103
et sur appel : Bruxelles, 10 mars 1964, ibid. ( 1965), 107.
111 Autre chose est la disparition de l'État, ou son démembrement, postérieurs à la conclusion du
contrat. Voy. par ex.: Cour suprême d'Israël, 19 mai 1954, Clunet (1964), 157, à propos du choix de
la loi liruanienne.
1111 Ainsi, en matière de contrats, le choix du droit romain par les parties ne serait-il ni efficace ni
significatif de la volonté des parties de se soumettre au droit italien. Il en irait de même du choix
d'une législation étrangère abrogée au jour de la conclusion du contrat.
Sur cette dernière hypothèse, voy. Bruxelles, 5 mai 1982,].TT (1984), 274, note M. FALLON, à pro-
pos de la référence d'un contrat de travail conclu après l'indépendance du Congo au statut duper-
sonnel européen travaillant au Congo belge. La Cour donne pourtant une certaine portée à la
clause, comme indice de la volonté des parties de rattacher le contrat au droit belge.

À l'égard des États divisés, la jurisprudence belge de droit international privé a fait
preuve de réalisme en ne refusant pas d'appliquer le droit en vigueur sur le territoire
administré par celui des deux États que le gouvernement belge ne reconnaissait pas au
moment du litige.
Ainsi, il a été fait application du droit de la République populaire de Chine et du droit de la
1111
République démocratique allemande, bien qu'à la même époque le gouvernement belge limitât ses
relations diplomatiques au gouvernement de Taïwan et à la République fédérale d'Allemagne.
Voy.: Civ. Bruxelles, 24 novembre 1958, J. T (1959), 189, note J. ÜNDEL; Comm. Bruxelles,
11 décembre 1967,].C.B. (1970), 132.

La non-reconnaissance de gouvernement constitue une hypothèse distincte, et plus


fréquente. Pour appliquer la loi effectivement en vigueur dans un pays étranger, il ne
paraît pas nécessaire de vérifier si son gouvernement est légitime ni s'il a été reconnu par
le gouvernement de l'État du for.
1111 Sur la distinction, voy. F. RIGAUX, Droit public et droit privé, § 42.
1111Sur cette question, voy. généralement : J. VERHOEVEN, « Relations internationales de droit privé
en l'absence de reconnaissance d'un État, d'un gouvernement ou d'une situation », Recueil des cours,
vol. 192 (1985-III), 9-232.

§2 FONCTION DE LA RÈGLE DE RATTACHEMENT

A. Règle universelle ou règle limitée


3.47 - Règle nationale de rattachement- La règle de rattachement occupe une place
particulière dans l'ordonnancement juridique. Se prononçant sur l'applicabilité dans
l'espace de règles matérielles à une situation déterminée, elle s'adresse nécessairement
aux autorités de l'État dont elle émane. Sa portée s'analyse essentiellement en termes de
force obligatoire alors que celle de la règle matérielle s'apprécie en termes d'applicabilité
(voy. supra, n° 5 1.31 et s.).
NATURE DE LA RÈGLE DE RATTACHEMENT 115

Même si la règle de rattachement est apte à désigner un ordre juridique étranger, son
propre domaine spatial n'est pas sans limite. L'État dont elle émane ne saurait prétendre
y soumettre toute situation transfrontière quelconque. Etant adressée aux autorités et
aux juridictions de l'État à l'ordre juridique duquel elle appartient, la règle nationale de
rattachement ne vaut que pour les situations relevant de la compétence de ces autorités
ou de ces juridictions.
C'est ainsi que l'applicabilité de la règle de rattachement est elle-même circonscrite
dans l'espace par les règles de compétence internationale que doivent respecter les autori-
tés et les juridictions du même État.

3.48 - Règle uniforme de rattachement - La plupart des traités internationaux compor-


tant des règles de rattachement contiennent une disposition consacrant le « caractère
universel » de l'instrument. Cela signifie que le droit désigné en vertu du traité peut être
celui d'un État non contractant. L'hypothèse contraire est exceptionnelle (voy. infra,
n° 4.49).
11!1Voy. par exemple l'article 2 de la Convention de Rome du 19 juin 1980 qui, sous l'intitulé
« Caractère universel », dispose que: « La loi désignée par la présence convention s'applique même
si cette loi est celle d'un État non contractant».

1111La plupart des conventions de la Conférence de La Haye one aujourd'hui ce caractère. Il en est
même ainsi de la Convention de La Haye du 19 octobre 1996 concernant la protection des mineurs
(art. 20), alors que cet instrument porte aussi sur la détermination de la compétence internationale
et sur la coopération internationale.

Par de telles dispositions, le législateur international entend substituer les règles


conventionnelles au droit commun, sans laisser subsister ces dernières dans les relations
avec des États tiers. En d'autres termes, ces règles conventionnelles ont vocation à devenir
le droit commun des conflits de lois des États contractants dans la matière considérée.
IliLa même idée est formulée de manière différente dans l'article 6 de la Convention du 5 octobre
1961 sur les conflits de lois en matière de forme des dispositions testamentaires: « L'application
des règles de conflits établies par la présence Convention est indépendance de toute condition de
réciprocité».
Bien qu'elle figure dans des conventions plus récentes (Conv. du 4 mai 1971 sur la loi applicable en
matière d'accidents de la circulation routière, art. 11; Conv. du 2 octobre 1973 sur la loi applicable
à la responsabilité du fait des produits, art. 11 ; Conv. du 2 octobre 1973 sur la loi applicable aux
obligations alimentaires, art. 3), cette formulation de la clause n'est pas très satisfaisante. L'exclu-
sion de réciprocité paraît impropre à caractériser les relations d'États qui s'engagent les uns vis-à-
vis des autres à appliquer des règles de conflit de lois communes aptes à désigner le droit d'un État
non contractant. La formulation a été modifiée dans des instruments plus récents, tel l'article 2 de
la Convention du 14 mars 1978 sur la loi applicable aux régimes matrimoniaux: « La Convention
s'applique même si la nationalité ou la résidence habituelle des époux ou la loi applicable en vertu
des articles ci-dessous ne sont pas celles d'un État contractant».

Il ne faut donc pas se méprendre sur la portée de l'expression« caractère universel».


Le domaine spatial des règles de rattachement de cette nature se laisse déterminer selon
le même critère de nature juridictionnelle que celui des règles étatiques : leur domaine
d'applicabilité dépend de l'étendue de la compétence administrative et juridictionnelle
exercée par les organes des États dans lesquels le traité est en vigueur.
Ainsi, seul le nombre de ratifications atteint permet de mesurer le degré d'universali-
sation obtenu.
116 LA RÈGLE DE RATTACHEMENT

111 Hormis certains traités (par exemple en matière de forme des testaments), les Conventions de
La Haye d'uniformisation des règles de rattachement n'ont obtenu qu'une moyenne d'environ dix
ratifications. Le résultat est beaucoup plus élevé pour les instruments concernant le conflit d'auto-
rités ou de juridictions, ce qui donne à penser que l'uniformisation au sens strict est ressentie
comme étant plus utile dans la seconde matière que dans la première.

B. Règle de répartition des compétences ou règle de localisation


3.49 - Règle nationale de rattachement - Aucun État ne peut se poser en arbitre des
compétences législatives respectives des autres États. La règle nationale de rattachement
ne saurait dès lors avoir pareil caractère, à la fois en raison de ses destinataires et de son
objet.
Quand elle appartient à l'ordonnancement juridique d'un État, la règle de rattache-
ment a pour destinataires les organes de cet État, à savoir ses autorités administratives et
ses juridictions.
IllPareille conception de la règle de rattachement est d'ailleurs conforme au système de séparation
des pouvoirs de l'État de droit: chargées de donner exécution à la loi, les autorités administratives
sont tenues de respecter la loi et, selon leur place respective dans l'ordonnancement étatique, les
sources de droit dérivées (actes réglementaires conformes à la loi, force de précédent des décisions
judiciaires) ; les cours et tribunaux et les juridictions administratives sont tenus de dire le droit à
propos des litiges dont ils sont saisis, ce qui inclur le devoir d'appliquer les règles de droit interna-
tional privé aux contestations portant sur une situation transfrontière.

La règle de rattachement a pour objet une situation transfrontière à laquelle elle


déclare applicable l'ordre juridique approprié. Par situation transfrontière il faut enten-
dre celle qui présente des liens avec plus d'un État. Pareille situation se distingue de celles
- de loin les plus nombreuses - dont tous les éléments qui en déterminent la localisa-
tion désignent un seul État. Dès le moment où la situation sur laquelle les autorités ou
les juridictions d'un État exercent leur compétence présente quelque lien avec un autre
État, l'applicabilité à cette situation du droit matériel du for est, au même titre que
l'applicabilité d'un droit étranger, subordonnée à la mise en œuvre d'une règle de ratta-
chement.

3.50 - Règle uniforme de rattachement - Les règles de rattachement contenues dans un


traité ne présentent pas une nature différente des règles nationales.
L'affirmation est aisée à propos des règles universelles puisque, étant de nature à
déclarer applicable le droit d'États non contractants, elles ne sauraient se prononcer sur
l'étendue spatiale de la compétence législative de ces États.
Même quand la règle de rattachement conventionnelle se borne à déclarer applica-
ble le droit d'un des États contractants, il ne paraît pas justifié de considérer que ces États
ont, par la conclusion du traité, décidé de soumettre à une norme commune l'exercice de
leur compétence législative de droit matériel. Pareilles règles ont la même fonction que
les règles de caractère universel, à savoir désigner aux organes des États dans lesquels elles
sont en vigueur la solution applicable à une situation transfrontière. L'exercice de la com-
pétence législative est comme tel étranger aux traités d'unification des règles de conflit.
Pour s'en convaincre il suffit de rappeler que la plupart de ces traités prévoient la réserve
de l'exception d'ordre public, ce qui indique bien que l'objectif est d'harmoniser les solu-
tions apportées à une hypothèse typique et non de discipliner l'action législative.
NATURE DE LA RÈGLE DE RATTACHEMENT 117

La perspective pourrait être différente dans le cas de la politique de rapprochement


des législations nationales au sein de l'Union européenne. En effet, l'acte de rapproche-
ment a pour raison d'être de corriger l'effet perturbateur d'une disparité de législations
nationales pour le fonctionnement du marché intérieur. Non seulement l'adoption d'un
acte contenant des règles de rattachement communes limite la compétence législative des
États membres en la matière, mais plus fondamentalement, les règles mêmes du traité
CE sur les libertés de circulation peuvent suffire à discipliner l'action législative des États
membres.

§3 MODALITÉS DE LA RÈGLE DE RATTACHEMENT


3.51 - Présentation - La règle de rattachement peut être soumise à des modalités diver-
ses. À côté de la règle dotée d'une structure simple - telle la règle soumettant la capacité
de la personne à sa loi nationale-, d'autres sont plus complexes, en opérant certaines
différenciations dans le rapport de droit en cause, soit en faisant appel à une condition
de rattachement ou à une condition matérielle, soit en tenant compte d'éléments propres
aux différentes parties au rapport de droit.

Le choix de la modalité appropriée peut découler simplement du contenu même du


facteur de rattachement, telle la règle soumettant à la loi nationale une relation d'état
alors que les parties à cette relation sont de nationalités différentes. Il peut aussi être
fonction de l'objectif poursuivi par la règle de rattachement.

A. Le rattachement disjonctif
3.52 - Dépeçage de la catégorie de rattachement- Est« disjonctive», toute règle dont la
catégorie de rattachement établit une alternative entre deux classes de situations visant
l'objet du rattachement. La règle de rattachement disjonctive se divise en deux branches
exclusives l'une de l'autre puisque l'objet du rattachement ne saurait appartenir simulta-
nément aux deux classes considérées.
1111L'exemple type de règle disjonctive est la solution appliquée à la dévolution successorale en Bel-
gique, en France et dans la plupart des pays de common law. Alors que les meubles sont soumis à la
loi du dernier domicile du défunt, les immeubles sont régis par la loi du pays où ils sont situés.
Un autre exemple peut être trouvé dans la distinction qu'entraîne la règle Locus regit actum entre les
conditions de validité d'un acte quant au fond et quant à la forme

L'objectif d'une règle disjonctive semble lié au souci de rendre compte de la


«nature» de chaque question juridique en cause. Il n'est pas indifférent de constater que
les règles citées à titre d'exemple reproduisent des classifications majeures du droit maté-
riel (forme-fond, meuble-immeuble).

La mise en œuvre des règles disjonctives suscite un problème préalable de classifica-


tion (ou de qualification) des éléments de la situation particulière, consistant à choisir
celle des deux branches de la règle de rattachement par laquelle ces éléments sont visés.
Sur ce problème, voy. notamment : F.
11111 RIGAUX, La théorie des qualifications en droit international privé
(Bruxelles, Larcier, 1956), n° 5 180-190.
118 LA RÈGLE DE RATTACHEMENT

B. Le rattachement subsidiaire
3.53 - Un rattachement fonction d'une règle principale - Est appelée subsidiaire, la
règle de rattachement énoncée pour le cas où les faits de l'espèce ne fournissent pas la
concrétisation du facteur de rattachement retenu à titre principal.
1111Dans les pays qui soumettent le statut personnel à la loi nationale, l'application de la loi du
domicile aux apatrides et, plus subsidiairement encore, celle de la loi de la résidence aux apatrides
dont le domicile ne peur être déterminé, ont un caractère subsidiaire par rapport à la règle de ratta-
chement principale.
D'après l'article 3, paragraphe l 'r, de la Convention de Rome du 19 juin 1980, « le contrat est régi
par la loi choisie par les parties » (règle de rattachement principale), mais« dans la mesure où la loi
applicable au contrat n'a pas été choisie [... ], le contrat est régi par la loi du pays [... ] » (art. 4, § F 1 )
(règle de rattachement subsidiaire).
Voy. encore la première phrase de l'article 6 de la Convention de La Haye du 4 mai 1971 sur la loi
applicable en matière d'accidents de la circulation routière et l'article 4 de la Convention de La
Haye du 14 mars 1978 sur la loi applicable aux régimes matrimoniaux.
Une règle subsidiaire répond à une nécessité pratique dans divers types de cas :
- le facteur retenu à titre principal fait défaut dans la situation concrète.
Par exemple, les parties n'ont pas choisi le droit applicable, ou la personne en cause ne possède
1111

aucune nationalité, ou l'élément de conditionnalité (voy. ci-dessous) est absent.


- le facteur retenu à titre principal n'est pas localisable.
Ce peut être le cas lorsque le lieu du fait dommageable est retenu comme facteur de rattache-
1111

ment, en matière d'obligations non contractuelles, dans l'hypothèse d'un délit à distance (voy. infra,
n° 15.13).
1111Singulièrement, la Convention de Rome du 19 juin 1980 retient la méthode de localisation
objective dans un double sens. En premier lieu, le concept sert à fonder la règle de rattachement
(voy. supra, n° 3.41) et la notion de« lien étroit» figure alors comme facteur de rattachement prin-
cipal. En second lieu, il joue de manière subsidiaire, « lorsque la prestation caractéristique ne peut
être déterminée » (art. 4, § 5). Or, cette prestation est un élément de la présomption qui sert à préci-
ser la portée du facteur principal.
le facteur retenu à titre principal est inapproprié.
1111 C'est la portée que l'on peut attribuer à la clause générale d'exception (voy. supra, n ° 3.17).
l'application du droit étranger doit être évincée pour contrariété à l'ordre public
(voy. infra, n ° 7.55).
La règle subsidiaire peut consister en :
- l'élaboration d'une règle spéciale.
Par exemple, lorsque les époux n'ont pas la même nationalité, la loi de la résidence conjugale
1111

régit les effets du mariage (voy. supra, n° 3.19).


- un retour au principe fondateur.
C'est le cas de l'utilisation de la clause générale d'exception, ou de la Convention de Rome du
Ill!
19 juin 1980.
- l'application du droit du for.

C. Les rattachements complexes


3.54 - Rattachement conditionnel- Le rattachement conditionnel s'efforce de concilier
plusieurs facteurs de rattachement, en donnant la préférence à l'un ou à l'autre selon
NATURE DE LA RÈGLE DE RATTACHEMENT 119

qu'il s'accompagne d'une circonstance supplémentaire qui caractérise l'hypothèse visée


par la règle. Ce type de rattachement tend à concrétiser le principe de proximité, le cas
échéant en substituant une règle rigide à la méthode de localisation objective.
1111 Un rattachement conditionnel classique en matière familiale est celui de l'application du droit
de l'État dont les époux partagent la nationalité, en matière d'effets du mariage ou de divorce (voy.
infra, n° 12.61).
1111 Le « rattachement à un statut antérieur» peut constituer une variété de rattachement condi-
tionnel, par exemple en cas de référence au droit de la première résidence conjugale, en matière de
régime matrimonial (voy. infra, n° 12.71).

L'agencement des conditions peut varier en fonction d'objectifs spécifiques.


1111 Dans la Convention de La Haye du 4 mai 1971 sur la loi applicable en matière d'accidents de la
circulation routière, cette méthode a permis d'écarter une application trop rigide de la loi du lieu
du délit, sans abandonner au juge le soin de choisir la loi la plus adaptée aux circonstances de la
cause : quand plusieurs facteurs significatifs convergent vers le droit d'un autre pays, celui-ci est
préféré à la !ex loci delicti. Si, par exemple, plusieurs véhicules immatriculés dans le même pays sont
impliqués dans un accident survenu dans un autre pays, la loi du lieu de l'accident (art. 3) cède
devant la loi de l'immatriculation (art. 4).
1111 Les rattachements conditionnels contenus dans la Convention de La Haye du 2 octobre 1973
sur la loi applicable à la responsabilité du fait des produits ont été largement inspirés par la volonté
de tenir en équilibre les intérêts respectifs du producteur et de la victime. La solution qui évince les
autres, si l'une des conditions prévues est vérifiée, est l'application de la loi du pays de la résidence
habituelle de la personne lésée (art. 5), le second rattachement conditionnel désignant la loi du
pays où le fait dommageable s'est produit. La règle principale (arc. 6) a un caractère alternatif(voy.
infra, n° 3.59).
Techniquement, la règle conditionnelle appelle nécessairement une règle subsi-
diaire, de caractère résiduel. L'objectif général poursuivi par la méthode explique que le
facteur résiduel se réfère souvent au concept de « lien étroit» qui caractérise la méthode
de localisation objective.
1111 La structure la plus connue en droit comparé est celle dite de« l'échelle de Kegel », pratiquée en
matière familiale (voy. supra, n ° 3.19).

Dans cette structure de rattachement complexe, les règles successivement énoncées


doivent se lire à rebours, de sorte que la règle résiduelle est celle dont l'application ne
requiert aucune condition.
1111 Dans la Convention de La Haye du 4 mai 1971, la première règle contient une solution de prin-
cipe (la loi de l'État sur le territoire duquel l'accident est survenu), qui n'a qu'un caractère résiduel,
l'interprète devant d'abord vérifier si les circonstances prévues dans les règles conditionnelles qui
suivent sont réunies.
Dans la Convention de La Haye du 2 octobre 1973, la seule règle résiduelle, qui n'est soumise à
aucune condition, est celle qui désigne le droit de l'État dans lequel le fabricant réside habituelle-
ment.

3.55 - Règle affectée d'une condition matérielle - La condition à laquelle fait appel la
règle de rattachement peut être de nature matérielle. Elle est motivée par une politique
du législateur exprimant une méfiance à l'égard d'un facteur de rattachement.
Dans un premier type de cas, la condition est un fait matériel, telle la prévisibilité
d'une situation.
1111 Dans la Convention de La Haye du 2 octobre 1973 sur la loi applicable à la responsabilité du fait
des produits, la loi de l'État du principal établissement de la personne dont la responsabilité est
invoquée est préférée à la loi de la résidence habituelle de la personne lésée ou à la loi du lieu du fait
120 l.A RÈGLE DE RATTACHEMENT

dommageable quand la première de ces personnes« établit qu'elle ne pouvait pas raisonnablement
prévoir que le produit ou ses propres produits de même type seraient mis dans le commerce dans
l'État considéré» (art. 7). Ainsi, le choix du droit applicable est subordonné à un fait matériel qui,
étant un fait de volonté ou de prévisibilité, n'est pas sans analogie avec les diverses techniques
d'autonomie de la volonté.
1111 Dans le Code belge, voy. l'art. 99, § 1er, 1 °.
Dans un second type de cas, la condition est un fait juridique, à savoir la circons-
tance que le facteur retenu l'est également par un législateur étranger déterminé. C'est
une telle convergence des politiques législatives qui asseoir alors la légitimité de la règle.
1111 Cette technique se rencontre dans l'article 7, paragraphe 1er, a, de la directive 88/357 du 22 juin
1988, concernant les contrats d'assurance autres que sur la vie (voy. infra, n° 14.95), aux termes
duquel, lorsque la loi de l'État sur le territoire duquel le preneur d'assurance a sa résidence habi-
tuelle« le permet, les parties peuvent choisir la loi d'un autre pays». Le législateur communautaire,
confronté à la difficulté de prendre position sur le principe d'autonomie, a préféré ne le retenir que
s'il est admis par le droit de l'État de la résidence du preneur. Pour le législateur du for, cela revient
à retenir la loi d'autonomie si celle-ci est admise par la loi normalement applicable, qui est celle de
la résidence du preneur.
Dans le Code belge, voy. les art. 78, § 2, al. 2, et 110, al. 2.
Ce procédé original s'apparente à la technique du renvoi, dont il constitue une variété (voy. infra,
1111

n° 6.16).

3.56 - Les rattachements spéciaux - Alors que le rattachement conditionnel modalise le


facteur de rattachement en soumettant le même type de situation à des solutions diffé-
rentes au gré de la convergence de plusieurs de ces facteurs, le rattachement multiple fait
éclater la catégorie de rattachement en diverses sous-hypothèses typiques.
Ill La Convention de Rome du 19 juin 1980 utilise cette méthode en soumettant certains contrats
à une solution jugée plus appropriée que la mise en œuvre pure et simple des règles de principe
posées dans les articles 3 et 4. Tels sont les contrats conclus par les consommateurs (art. 5) et le
contrat individuel de travail (art. 6), mais aussi les contrats portant sur des immeubles (arc. 4, § 3)
ou sur le transport de marchandises (arc. 4, § 4).
Le droit suisse utilise également cette méthode: outre les contrats conclus par les consommateurs
(arc. 120 LDIP) et le contrat de travail (art. 121 LDIP), il contient des règles sur les contrats relatifs
aux immeubles (art. 119 LDIP) et les contrats portant sur la propriété intellectuelle (art. 122 LDIP).
Elle présente encore la particularité de désigner, à propos de cinq espèces de contrat, la prestation
caractéristique (arc. 117, § 3, LDIP).
1111 Le Code belge instaure cette méthode en matière quasi délictuelle (voy. infra, n° 15.9).
Ill Le caractère fragmentaire du domaine d'une convention internationale permet aussi d'y voir
l'illustration de rattachements spéciaux. Ainsi, en matière quasi délictuelle, la Convention de La
Haye du 4 mai 1971 pour les accidents de la circulation routière, ou celle du 2 octobre 1973 pour la
responsabilité du fait des produits, apportent des solutions particulières pour des délits spéciaux,
en laissant intactes les règles régissant les obligations quasi délictuelles en général.
L'objectif est double dans les exemples observés, tantôt préciser la portée de la règle
générale - telle la compétence attribuée à la loi du pays avec lequel le contrat « présente
les liens les plus étroits»-, tantôt affiner la règle générale ou y déroger.

D. Le rattachement distributif
3.57 - Scission du facteur de rattachement - En matière de relations familiales, l'appli-
cation « distributive » des diverses lois personnelles aboutit à scinder la règle de rattache-
ment.
NATURE DE LA RÈGLE DE RATTACHEMENT 121

1111Ainsi, pour déterminer les conditions de validité du mariage, on vérifie les conditions requises
dans le chef de chaque personne selon sa loi personnelle. Par exemple, l'âge requis pour se marier
est fixé selon la loi nationale de chaque époux (art. 46, al. 1er, Codip).
Voy. aussi l'article 4, alinéa 2, et l'article 5, alinéa 1er, de la Convention de La Haye du 15 novembre
1965 concernant la compétence des autorités, la loi applicable et la reconnaissance des décisions en
matière d'adoption.

E. Les rattachements de caractère substantiel


3.58 - Poursuite d'un objectif spécifique de droit matériel - Certaines règles de ratta-
chement retiennent simultanément plusieurs facteurs de rattachement, désignant des
droits étatiques différents entre lesquels le choix est opéré selon le contenu des effets juri-
diques qu'ils attachent respectivement à la situation particulière.
L'objectif poursuivi est une politique de droit matériel: le législateur de droit inter-
national privé entend favoriser certaines conséquences juridiques précises. Tantôt, le
souci est de favoriser la validité d'un acte privé. Tantôt, il s'agit d'assurer la protection des
intérêts d'une partie à la relation juridique. Tantôt encore, le législateur entend garantir
une application efficace du contenu matériel du droit du for.
C'est pour assurer l'objectif spécifique poursuivi que le législateur, dans un souci
d'efficacité, recourt à une technique de rattachement déterminée.
1111La modalité ici envisagée ne doit pas être confondue avec la recherche d'un élément de politique
matérielle générale inhérent à la règle de rattachement. Une telle recherche procède des objectifs
généraux du rattachement. Par exemple, lorsque la Cour de cassation de Belgique a fondé l'applica-
tion de la loi nationale de l'enfant sur l'intérêt prépondérant de celui-ci en matière de filiation (voy.
infra, n ° 12.113), elle n'a fait rien d'autre que centrer la problématique de la filiation sur le concept
d'intérêt de l'enfant, sans chercher nécessairement à réaliser une politique de droit matériel spécifi-
que.
Une politique spécifique de droit matériel peut encore être réalisée par d'autres moyens que
1111

ceux ici exposés. Voy. la méthode de la règle d'applicabilité du droit matériel national, infra, chap. 4,
sect. 1.

3.59 - Formulation alternative ou cumulative - La poursuite d'un objectif spécifique de


droit matériel prend tantôt la forme d'une règle de rattachement alternative, tantôt celle
d'une règle de rattachement cumulative.
a) La forme « alternative » est la plus fréquente, parce que la plus explicite.
Pour que soit favorisée la validité d'un acte privé, il suffit que celui-ci satisfasse aux
conditions que pose l'un des droits énoncés dans une liste prédéfinie. De plusieurs
lois en présence, c'est la moins restrictive qui est alors appliquée.
IllTel l'article premier de la Convention de La Haye du 5 octobre 1961 sur les conflits de lois en
matière de forme des dispositions testamentaires. Cinq rattachements distincts sont prévus (lieu
où le testateur a disposé, loi de sa nationalité ou de son domicile, etc.), et il suffit que le testament
soit dressé dans une forme autorisée par l'une de ces lois pour qu'il soit valable.
Autre exemple: l'article 2, alinéas 1er et 2, de la Convention de Genève du 19 mars 1931 destinée à
régler certains conflits de lois en matière de chèques. La capacité pour s'engager par chèque est sou-
mise à la compétence alternative de la loi nationale de celui qui s'engage et de la loi du lieu où la
signature a été donnée.
Pour que soit favorisée la protection des intérêts d'une partie, la politique de droit
matériel peut aussi conduire à laisser à cette partie la faculté de choisir l'application
d'une loi différente de celle qui est en principe déclarée applicable. Cette méthode
122 LA RÈGLE DE RATTACHEMENT

montre une variété du principe d'autonomie, dont l'exercice est réservé unilatérale-
ment à l'une des parties à la relation.
1111Telle est la portée de l'article 6 de la Convention de La Haye du 2 octobre 1973 sur la loi applica-
ble à la responsabilité du fait des produits, selon lequel « Quand aucune des lois désignées aux
articles 4 et 5 ne s'applique, la loi applicable est la loi interne de l'État du principal établissement de
la personne dont la responsabilité est invoquée, à moins que le demandeur ne se fonde sur la loi
interne de l'État sur le territoire duquel le fait dommageable s'est produit». Voy., en matière de dif-
famation, l'article 99, § 2, 1 °, du Code belge.
Un autre exemple est procuré par l'article 5 de la Convention de Rome du 19 juin 1980 sur la loi
applicable aux obligations contractuelles, selon lequel le choix du droit applicable par les parties ne
peut priver le consommateur de la protection que lui assure le droit du pays dans lequel il réside
habituellement. La disposition n'est guère explicite, mais elle se comprend aisément comme
offrant au consommateur la faculté d'invoquer le droit choisi dans le contrat si celui-ci lui est plus
favorable que le droit de sa résidence habituelle.
Ill La politique peut s'exprimer en combinant le jeu de deux méthodes distinctes de solution du
conflit de lois, une règle de rattachement et une règle d'applicabilité liée à une loi de police (voy.
infra, n ° 4.13). Ainsi, dans la Convention de Rome du 19 juin 1980, la désignation de la loi qui régit
le contrat en vertu de l'article 3 (loi d'autonomie) ou de l'article 4 (rattachement subsidiaire)
n'exclut pas que la partie qui y a intérêt invoque le bénéfice d'une disposition impérative au sens de
l'article 7 (lois de police) au cas où celle-ci lui serait plus favorable qu'une disposition correspon-
dante de la première loi. Cette alternative est plus explicite dans le cas précité de l'article 5.

L'alternative peut se traduire par une formulation « en cascade». La règle présente


alors l'apparence d'une structure complexe, utilisant règle principale et règle subsi-
diaire. Sa forme est celle d'une règle faisant appel à une condition matérielle, concer-
nant le contenu de la loi en cause.
111On en trouve un exemple caractéristique dans l'article 9 de la Convention de La Haye du 4 mai
1971 sur la loi applicable en matière d'accidents de la circulation routière, à propos de l'action
directe de la personne lésée contre l'assureur du responsable (voy. infra, n ° 15.25).
111 Le Code belge fournit plusieurs illustrations. Voy. les articles 67, 74 et 106.

La formulation d'une clause spéciale d'ordre public positif peut également avoir
recours à une énonciation alternative, permettant d'exprimer la souplesse inhérente
au critère de l'intensité du rattachement qui préside à la mise en œuvre de l'excep-
tion d'ordre public (voy. infra, n ° 7.53).
b) La forme « cumulative » est plus rare. Pour obtenir un effet juridique, il faut satis-
faire aux conditions que posent l'ensemble des droits énoncés dans une liste prédéfi-
nie. Il est alors fait application de la loi la plus stricte.
1111La solution que, par interprétation de l'article 3, alinéa 3, du Code civil, la Cour de cassation de
Belgique a donnée au divorce d'époux de nationalités différentes, présentait ce caractère: le divorce
n'était admis que si les deux lois nationales en reconnaissaient le principe. On a souvent reproché à
cette théorie, dite du « cumul limitatif», d'appliquer non les deux lois, mais seulement la plus
stricte des deux, exprimant une défaveur au divorce.
Voy.: Cass., 16 mai 1952, Rossi, Pas. (1952), I, 589; ch. réun., 16 février 1955, Rossi, Pas. (1955), I, 647.
Cette jurisprudence est devenue caduque à la suite de l'entrée en vigueur de la loi du 27 juin 1960
sur l'admissibilité du divorce lorsqu'un des conjoints au moins est étranger. Elle a néanmoins été
confirmée ultérieurement pour certaines formes de divorce, par: Cass., 14 décembre 1978 (voy.
infra, n° 12.97). Voy. les critiques unanimes de la doctrine belge, reprises par F. R.rGAUX, « Loi et
jurisprudence dans la matière des conflits de lois», Rev. crit. ;ur. belge (1979), 121-130.

3.60 - Identité de nature des formulations - Il n'y a aucune différence de nature entre la
règle appelée alternative et la solution du cumul limitatif.
NATURE DE LA RÈGLE DE RATTACHEMENT 123

IliVoy. la démonstration en ce sens de : K1scH, « La loi la plus favorable», Mélanges Gutzwiller (Bâle,
Helbing & Lichtenhahn, 1959), 373.
IllDans les exemples qui viennent d'être donnés, la règle poursuit un objectif de droit matériel,
respectivement: la faveur du testament, celle du chèque, le maintien de l'indissolubilité du lien
conjugal, etc.
Entre le rattachement appelé alternatif et celui qui est dit cumulatif, il n'y a qu'une
différence d'expression et de perspective. Dans les deux cas, préférence est donnée à l'inté-
rêt d'une partie occupant une position caractéristique dans le litige éventuel. Suivant
qu'on considère la faveur exprimée par le législateur de droit international privé pour la
partie qui se prévaut d'un acte juridique ou sa défaveur à l'égard de celle qui s'efforce d'en
poursuivre la nullité ou la dissolution, la règle paraîtra respectivement alternative ou
cumulative. Ces deux qualifications s'intervertissent si de la position d'une partie on
passe à celle de son adversaire.
1111 Du point de vue de celle des parties qui se prévaut de la validité du testament ou du chèque, du
consommateur ou de celui des conjoints qui se défend contre l'action en divorce intentée par
l'autre conjoint, les règles ont un caractère alternatif: pour que cette partie ait gain de cause, il suf-
fit qu'une des lois en concours déclare le testament ou le chèque valable, assure la protection
demandée, ou il suffit que la loi d'un seul des époux affirme l'indissolubilité du mariage.
Un renversement de perspective confère aux mêmes règles un caractère cumulatif: la partie qui se
prévaut de la nullité du testament ou du chèque doit démontrer qu'aucune des lois en présence ne
le tient pour formellement valable ; au fabricant ou à l'époux demandeur en divorce, il incombe de
s'appuyer sur la convergence des deux lois nationales.

3.61 - Règle extensive de compétence législative - Il arrive que la règle de rattachement


agence plusieurs critères alternatifs dans le but de favoriser l'application des règles maté-
rielles du for. Celles-ci sont appliquées si la situation présente avec le for l'un des élé-
ments de localisation énoncés dans une liste prédéfinie.
La règle entend alors déroger à un principe de rattachement qui régit la matière.
Comme elle vise une délimitation - extensive - de l'applicabilité du droit du for, toute
interprétation multilatérale de la règle est hors de propos. Elle est d'ailleurs technique-
ment impossible (voy. supra, n ° 3.45).
Cette modalité-ci se distingue radicalement des autres. Par sa nature même, elle ne
saurait figurer dans un traité international.
Ili Cette règle-ci ne doit pas être confondue avec la règle de rattachement alternative, précitée.
Ill La matière du divorce donne des exemples significatifs de cette méthode, en Belgique comme en
France. En vertu de la loi belge du 27 juin 1960, le droit belge est applicable lorsque l'un des époux
est belge. La règle présente deux facteurs qui, alternativement justifient l'application du droit du
for de préférence à celle d'un droit étranger, à savoir la nationalité belge d'un époux - par exemple
le demandeur - ou celle de l'autre - par exemple défendeur. Selon l'article 310 du Code civil fran-
çais, le droit français est applicable si les époux sont français ou s'il résident en France. On le voit,
ces règles ne tendent à favoriser, non le divorce - ce que ferait un rattachement alternatif - mais
uniquement l'application du droit du for.
CHAPITRE 4

LA RÈGLE D'APPLICABILITÉ
4.1 - Bibliographie
a) Applicabilité du droit national
La plupart des ouvrages généraux portant sur la méthode des conflits de lois, cités sous le
chapitre 3, analysent aussi la notion de règle d'applicabilité, le plus souvent sous les concepts de loi
de police, de loi d'application immédiate ou d'unilatéralisme.
1 ° Monographies
B. BECK, Die extraterritoriale Anwendung nationalen Wettbewerbsrechts (Baden-Baden, Nomos, 1986);
A. BoNOMI, Le norme imperativi ne/ diritto internazionale privato (Zürich, Schulthess, 1998); A. BUCHER,
Grundfragen der Anknüpfungsgerechtigkeit im internationalen Privatrecht (Bâle, Helbing & Lichtenhahn,
1975); D. CHILSTEIN, Droit pénal international et lois de police (Essai sur l'application dans l'espace du droit
pénal accessoire) (Paris, Dalloz, 2003); S. CORNELOUP, La publicité des situations juridiques, une approche
franco-allemande du droit interne et du droit international privé (Paris, LGDJ, 2003); J. FETSCH, Eingrijfs-
normen und EG-Vertrag- Die Pflicht zur Anwendung der Eingriffsnormen anderer EG-Staaten (Tübingen,
Mohr, 2002); G. GOLDSTEIN, De l'exception d'ordre public aux règles d'application nécessaire (Montréal,
Thémis, 1996) ; J. P. KARAQUILLO, Etude de quelques manifestations des lois d'application immédiate dans la
jurisprudence française de droit international privé (Paris, P.U.F. 1977) ; D. LANGE et G. BORN, The extrater-
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NYGH, Autonomy in international contracts (Oxford, Clarendon Press, 1999); P. PATOCCHI, Règles de rat-
tachement localisatrices et règles de rattachement à caractère substantiel (Genève, Georg, 1985) ; R. QuADRI,
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lA RÈGLE D'APPLICABILITÉ 127

b) Applicabilité du droit matériel uniforme


Ont seules été retenues les références relatives aux relations entre l'unification du droit et le droit
international privé.
1 ° Études générales
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Le VIII" Congrès international de droit comparé (Pescara, 29 août-5 septembre 1970) a porté sur le
droit matériel uniforme. Les principaux rapports nationaux publiés sont les suivants : W. R. HAAK
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l'Institur de droit comparé de Paris, (Paris, 1970), 149-158; F. RIGAUX et M. VERWILGHEN, « Le
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vaatrecht (Deventer, Kluwer, 1996); P. DE VAREILLES-SOMMIÈRES (dir.), Le droit privé européen (Paris,
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128 LA RÈGLE D'APPLICABILITÉ

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S. FRANCQ, L'applicabilité du droit communautaire dérivé au regard des méthodes du droit international privé
(Bruxelles, Bruylant, 2005) ; A. FURRER, Zivilrecht im gemeinschaftsrechtlichen Kontext (Berne, Staempfli,
2001); C. JOERGES, « The impact ofEuropean integration on private law: reductionist perceptions,
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in der EU (Frankfort, Lang, 2003) ; U. MATIE!, The European codification process (La Haye, Kluwer,
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4.2 - Présentation - L'importance de la règle de rattachement pour la solution du con-


flit de lois ne doit pas occulter l'existence d'un autre type de règle remplissant la même
fonction. Le phénomène a été perçu par la doctrine qui s'est attachée à le formaliser après
la Seconde Guerre mondiale, mais sous des terminologies diverses et non sans certaines
confusions qui n'ont guère aidé à éclaircir l'interaction des méthodes.

Le phénomène ne touche pas seulement le droit national, pour lequel il a été le mieux
étudié ; il affecte aussi le droit conventionnel, singulièrement les actes internationaux qui
uniformisent le droit matériel. La méthode observée dans l'un et l'autre cas est similaire
et se laisse identifier aisément sous l'appellation de règle directe d'applicabilité ou, plus
couramment, de règle d'applicabilité.

Section 1

L'applicabilité du droit national


4.3 - Présentation - La détermination du domaine d'application dans l'espace d'une
règle matérielle nationale peut avoir lieu, soit au moyen d'une règle de rattachement, soit
au moyen d'une règle d'applicabilité. Alors que la première méthode est dominante, la
seconde la précède historiquement et offre, aujourd'hui, une alternative sérieuse à la
solution du conflit de lois dans certaines matières.

Il convient donc d'analyser avec soin l'interaction des méthodes, après avoir dégagé
la nature même de la règle d'applicabilité en tant que règle de conflit de lois.
L'APPLICABILITÉ DU DROIT NATIONAL 129

§1 NOTION DE RÈGLE DIRECTE D'APPLICABILITÉ

A. Dé.finition
4.4 - Une norme ayant pour objet une règle matérielle - La règle d'applicabilité peut se
définir comme une disposition - législative ou déduite de la loi par voie d'interprétation
- qui fixe le domaine d'application dans l'espace des règles matérielles auxquelles elle est
attachée. Ces règles matérielles constituent un ensemble fini de dispositions, insérées
dans une législation particulière, laquelle désigne les situations internationales soumises
à ces règles.
IllLe mérite revient à Ph. Francescakis et à R. De Nova (précités n ° 4.1) d'avoir formalisé l'observa-
tion, pour l'un de « règles d'application immédiate », pour l'autre de « normes délimitant elles-
mêmes leur champ d'application ».
Ill La méthode n'est pas nouvelle mais peut s'analyser comme un mode primitif de solution du
conflit de lois avant l'émergence de la méthode savignienne (voy. infra, n°5 4.18 et s., à propos de
l'unilatéralisme, et supra, chap. 2, sect. 1, à propos de la présentation des écoles).
IllL'expression« règle spéciale d'applicabilité» est utilisée par le Code de droit international privé,
sous l'intitulé de l'article 20.

La comparaison de la règle directe d'applicabilité avec la règle de rattachement doit


être faite soigneusement. On peut dire qu'il y a identité dans la fonction mais différence
dans la méthode. Quant à la fonction, l'une et l'autre tendent à résoudre un conflit de
lois, en déterminant la règle matérielle applicable à une situation internationale qui, par
sa nature, peut être régie par le droit d'États différents. Quant à la méthode, la règle de
rattachement prend pour hypothèse la situation particulière - ou rapport de droit-,
alors que la règle directe d'applicabilité prend pour hypothèse les règles matérielles dont
l'applicabilité est visée. Cette différence a un effet sur l'objet de chacune de ces règles (voy.
infra, n ° 4.7, à propos de la configuration de la règle) : alors que l'objet de la règle de ratta-
chement s'étend à un ordre juridique considéré dans son ensemble, l'objet de la règle
directe d'applicabilité se réduit à un jeu déterminé de règles matérielles. De plus, dans la
seconde, il y a identité entre l'hypothèse de la règle et son objet, l'un et l'autre étant cons-
titués des règles matérielles mêmes dont l'applicabilité est en question.

4.5 - Objectif de la règle directe d'applicabilité - La règle directe d'applicabilité fait l'objet
d'une pratique législative croissante. Une délimitation précise du champ d'intervention de
cette méthode reste délicate. Il est cependant possible d'énoncer certaines hypothèses
quant aux objectifs poursuivis par le législateur.
Deux types de considérations semblent prévaloir. L'une et l'autre expriment le souci
d'assurer la pleine effectivité des règles matérielles visées.
D'une part, le législateur éprouve la nécessité de poser une règle particulière parce
qu'il estime la règle générale inadéquate pour atteindre le but visé. En d'autres termes, la
règle serait le plus souvent une dérogation à un principe de solution. Par hypothèse, le
principe est posé dans une règle de rattachement déterminant le droit applicable de
façon globale. La règle directe d'applicabilité se présenterait donc comme une exception à
la règle de rattachement dans une matière particulière. Le motif de cette exception serait
que la règle de rattachement, qui poursuit un objectif propre (voy. supra, n ° 3.10), ne tient
pas compte d'un impératif de justice posé par le législateur de droit matériel.
130 LA RÈGLE D'APPLICABILITÉ

Il!!Il est remarquable que la plupart des règles directes d'applicabilité se laissent observer dans le
domaine des contrats, dominé par le principe d'autonomie de la volonté. Le recours croissant à la
méthode pourrait donc exprimer un malaise à propos de cette règle. Comp. infra, n ° 4.9, au sujet de
la relation entre formulation unilatérale et formulation multilatérale de la règle d'applicabilité.
Un paradigme de la règle directe d'applicabilité peut être trouvé dans la loi belge du 27 juillet 1961
relative à la résiliation unilatérale des concessions de vente exclusive à durée indéterminée. Pour
assurer une rigoureuse application des dispositions impératives qu'il édicte - à savoir l'octroi de
dommages et intérêts consécutifs à la résiliation unilatérale du contrat par le concédant -, le légis-
lateur les complète de deux règles de droit international privé : l'une, sur la compétence juridiction-
nelle, d'après laquelle le concessionnaire lésé peut toujours assigner le concédant en Belgique« lors
d'une résiliation d'une concession de vente produisant ses effets dans tout ou partie du territoire
belge» (art. 4, al. l "), l'autre rédigée comme suit: « Pour les cas où le litige est porté devant un tri-
bunal belge, celui-ci appliquera exclusivement la loi belge » (art. 4, al. 2).
Un autre exemple est fourni par l'article 17, alinéa 2, de la loi belge du 5 juin 1928 portant régle-
mentation du contrat d'engagement maritime, selon lequel les dispositions de cette loi
« s'étendent au contrat d'engagement maritime conclu même à l'étranger pour le service d'un
navire belge». En revanche, l'alinéa premier de la même disposition exclut l'application de la loi
« au contrat d'engagement maritime conclu même en Belgique par un marin belge pour le service
d'un navire étranger».

Sur la fonction dérogatoire de la méthode en matière de responsabilité civile, voy. par exemple,
Il!!
en France, à propos d'une« loi d'application nécessaire » : Cass. civ., 3 juin 2004, Revue (2004), 750,
note D. BUREAU.

En matière de statut personnel, voy. comme exemple la loi suédoise du 31 mai 2000 sur les rela-
Il!!
tions de partenariat homosexuel (Revue, 2001, 774), qui utilise pour facteurs d'applicabilité, alter-
nativement, la localisation du domicile d'une partie depuis deux ans en Suède ou la nationalité
suédoise (ou norvégienne ou danoise) d'une partie mais combinée avec un domicile en Suède.

D'autre part, le législateur soucieux de retenir une solution appropriée du conflit de


lois peut préférer l'utilisation d'une règle spéciale d'applicabilité à celle d'une règle de rat-
tachement en raison du particularisme du contenu des règles matérielles posées. N'osant
alors se prononcer sur l'applicabilité de règles matérielles étrangères dont l'existence est
hypothétique, il préfère s'en tenir à la fixation du champ d'application de ses propres lois.
Ili!On peut expliquer de cette manière la méthode utilisée par les législateurs norvégien (loi du
30 avril 1993, Univ. Louisville]. Fam. L., 1996-1997, 471) et suédois (loin° 1994/1117, IPRax, 1995,
56) à propos de la relation homosexuelle de partenariat: les règles matérielles qui permettent la
conclusion d'une telle union selon des dispositions analogues à celles du mariage, ne valent que
lorsque l'un des partenaires est un national et réside dans le pays. La règle d'applicabilité est résolu-
ment limitative et entend éviter un afflux de demandes émanant d'étrangers. Elle se concilie avec
l'absence, en droit comparé, de consécration générale de cette forme de relation de vie commune.

4.6 -Terminologie - Ce que l'on propose d'appeler « règle directe d'applicabilité»


recouvre un concept visé sous d'autres appellations. L'expression la plus courante en lan-
gue française est celle de « loi d'application immédiate» ou de « loi d'application
nécessaire». Le qualificatif« nécessaire» traduit le degré d'impérativité de la règle. Le
qualificatif« immédiate» fait apparaître que la règle évite le détour d'une règle de ratta-
chement. Dans les deux cas, ces appellations ont le mérite de montrer le caractère déroga-
toire de la règle par rapport à la règle de rattachement. Elles comportent cependant une
approximation d'ordre technique. En effet, ce qui constitue la disposition de droit inter-
national privé n'est pas la« loi» elle-même, mais plus précisément une disposition - ou
«règle» - inscrite dans cette loi pour en fixer le domaine d'application. La« règle directe
d'applicabilité» a vocation à figurer dans une« loi d'application immédiate»: c'est parce
L'APPLICABILITÉ DU DROIT NATIONAL 131

qu'une loi contient une règle directe d'applicabilité qu'elle peut être qualifiée de loi
d'application immédiate.
!IlComme exemple d'utilisation du concept de « loi d'application nécessaire », voy. en France:
Cass. civ., 3 juin 2004, Revue (2004), 750, note D. BUREAU.

L'expression « règle directe d'applicabilité» appelle encore quelque précision au


regard des expressions « règle spéciale d'applicabilité» et « règle particulière d'applica-
bilité», également utilisées précédemment par les auteurs de ce Précis. L'attribut
«direct» signifie que la règle agit immédiatement sur les règles matérielles qu'elle affecte.
Il indique que la différence avec la règle de rattachement gît dans la méthode et non dans
la fonction. En quelque sorte, la règle de rattachement est aussi une règle d'applicabilité,
mais« indirecte» (voy. supra, n ° 3.5). L'attribut« spécial »ou« particulier» a pour mérite
de montrer que, par nature, la règle est toujours spéciale puisqu'elle n'affecte qu'un
ensemble fini de règles matérielles, celles que pose la loi en cause, alors que la règle de rat-
tachement est« générale» ou« globale» en ce sens qu'elle affecte une catégorie normale-
ment étendue de situations rattachées à un ensemble normatiflui-même constitué d'un
nombre illimité de règles. Cependant, il existe aussi des règles de rattachement spéciales,
dès lors qu'en une matière déterminée le législateur a posé des règles particulières (voy.
supra, n ° 3.56).
1111 Sur le caractère« analytique» de la règle directe d'applicabilité, voy. infra, n° 4.7.

1111L'expression règle« spéciale» d'applicabilité figure sous l'article 20 du Code belge. De cette spé-
cialité de la règle d'applicabilité découle que, dans le système du Code, la raison d'être de cette dis-
position n'apparaisse pas à première vue, dès lors que la loi réserve la primauré des « lois
particulières» (art. 2). Cette constatation est vraie pour les règles d'applicabilité belges, elle est
insuffisante à propos de règles étrangères de cette nature, dont la mise en œuvre par le juge saisi
présuppose une disposition spécifique.

Une autre précision terminologique s'impose à propos des« lois de police» et, par le
fait même, des « règles impératives » et des « règles d'ordre public». L'importance du
concept de loi de police justifie cependant un développement particulier (point C, ci-des-
sous).

B. Configuration de la règle directe d'applicabilité


4.7 - L'hypothèse et l'objet de la règle - Comme toute règle de droit, la règle directe
d'applicabilité comprend une hypothèse et un dispositif.
L'hypothèse couvre un nombre fini de règles matérielles. Ces règles constituent
l'ensemble des règles contenues dans une loi spéciale, ou une partie seulement de ces
règles. Par contraste, la règle de rattachement a nécessairement pour « catégorie » un rap-
port juridique entendu dans son abstraction.
Ainsi, alors que la règle de rattachement consacrant l'autonomie de la volonté a pour catégorie
1111

le« contrat», la règle d'applicabilité contenue dans la loi du 27 juillet 1961 a pour hypothèse les
règles qui, dans cette loi, organisent l'indemnité de préavis en cas de résiliation unilatérale d'une
concession de vente exclusive à durée indéterminée.

1111 Le cas dans lequel l'hypothèse de la règle ne couvre que pour partie les normes matérielles de la
loi en cause est sans doute exceptionnel. On en trouve une illustration à propos de la règle impli-
cite d'applicabilité déduite par la jurisprudence de la qualification comme lois de police de certai-
nes dispositions de la législation sur le contrat de travail (voy. infra, n ° 14.175).
132 LA RÈGLE D'APPLICABILITÉ

La règle a pour objet la désignation des règles matérielles qui en constituent l'hypo-
thèse. La règle directe d'applicabilité présente donc un phénomène d'auto-désignation
(voy. ci-dessous). La désignation ne va même pas à d'autres dispositions matérielles que
contiendrait le droit du for en dehors de la loi particulière en cause.
1111Ainsi, lorsque l'article 4, alinéa 2, de la loi du 27 juillet 1961 dispose que le juge « appliquera
exclusivement la loi belge», la désignation n'a de sens qu'à propos des règles matérielles de la loi du
27 juillet 1961, non d'autres règles matérielles contenues, par exemple, dans le Code civil. La même
imprécision figure dans les dispositions plus récentes de l'article 27 de la loi belge du 13 avril 1995
relative au contrat d'agence commerciale.
On trouve une expression plus transparente de l'aura-désignation dans la loi belge du 12 juin 1991
relative au crédit à la consommation, dont l'article 2 porte que: « La présente loi s'applique aux
contrats de crédit conclus par un consommateur ayant sa résidence habituelle en Belgique[ ... ]».

4.8 - Le facteur d'applicabilité - Comme la règle de rattachement, dont elle partage la


fonction, la règle d'applicabilité comporte nécessairement un critère de localisation, que
l'on peut appeler « facteur d'applicabilité», par analogie avec le « facteur de rattache-
ment». Ce facteur est le plus souvent de nature territoriale, mais rien n'exclut qu'il soit
de nature personnelle. Il arrive qu'il s'exprime par l'intermédiaire d'un critère de compé-
tence internationale: c'est le cas lorsque le juge saisi est appelé à appliquer nécessaire-
ment les dispositions pertinentes de la lex fori.
Dans la loi précitée du 12 juin 1991, le facteur d'applicabilité est la résidence habituelle du con-
111
sommateur.
Ill La loi du 27 juillet 1961 montre un exemple d'alignement de la compétence législative sur la
compétence juridictionnelle. L'alinéa 2 de l'article 4 ne se lit correctement que si l'on y décèle le cri-
tère de compétence internationale que contient l'alinéa 1•r, à savoir l'exécution de roue ou partie
des prestations du concessionnaire sur le terriroire belge. La loi du 13 avril 1995 en donne un autre
exemple.
Ill Comme exemple de facteur d'applicabilité faisant appel à la nationalité, on peut citer
l'article 146-1 du Code civil français, selon lequel« le mariage d'un Français même célébré à l'étran-
ger requiert sa présence ». On peut y voir, d'une part une règle matérielle particulière excluant le
mariage par procuration et, d'autre part, une règle précisant que cette exclusion ne s'applique
qu'au Français. Cette précision peut être vue comme une règle d'applicabilité.

Comme le facteur de rattachement, le facteur d'applicabilité peut présenter une


structure plus ou moins complexe, qui tend à traduire une politique de caractère subs-
tantiel, tantôt d'extension du domaine de la loi, tantôt de restriction de ce domaine.
Ainsi, il est le plus souvent de nature alternative, rarement de nature conditionnelle.
Dans le premier cas, il présente une analogie avec la règle de rattachement extensive de
compétence législative (voy. supra, n ° 3.61).
Ill Comme exemple de facteurs alternatifs, voy.: l'article 91 du Livre II du Code de commerce, con-
cernant la responsabilité du propriétaire du navire pour avarie des marchandises, qui étend les
règles de responsabilité au transport« effectué par roue navire, de quelque nationalité qu'il soit, au
départ ou en destination d'un port du Royaume [... ] ». L'alternative est également présente dans
l'article 4 de la loi du 27 juillet 1961, puisque ses dispositions s'appliquent si une partie seulement
de la concession s'exécute en Belgique. La loi suédoise sur le partenariat enregistré (voy. supra,
n ° 4.5) comporte aussi des facteurs alternatifs.
La loi d'application immédiate peut aussi fixer son applicabilité internationale en combinant
1111

facteurs alternatifs et facteurs conditionnels. La loi belge du 12 juin 1991 relative au crédit à la con-
sommation en fournit un exemple. Elle s'applique dans deux hypothèses alternatives, chaque
hypothèse faisant appel à des facteurs conditionnels. La première hypothèse est celle où prêteur et
emprunteur résident en Belgique. La seconde est celle où l'emprunteur réside en Belgique, à candi-
L'APPLICABILITÉ DU DROIT NATIONAL 133

tion que« le contrat ait été précédé en Belgique d'une proposition particulière ou d'une publicité »
et« que le prêteur[ ... ] aie reçu en Belgique la demande de crédit[... ] ».
La loi suédoise précitée montre aussi pareille combinaison, puisque la nationalité d'une partie ne
suffit pas à emporter l'application de la loi.
1111Comme cas de facteur de type exclusif, ne retenant qu'un élément de localisation à l'exclusion
de cout autre, voy. la loi belge du 13 avril 1995 relative au contrat d'agence commerciale, qui retient
l'établissement principal de l'agent. Voy. aussi la loi du 5 juin 1928 (supra, n ° 4.5), retenant le cri-
tère du pavillon.

4.9 - Formulation et interprétation de la règle d'applicabilité - La formulation d'une


règle directe d'applicabilité appelle deux types d'observations, concernant respective-
ment la source formelle de la règle et son caractère unilatéral.
Dans la plupart des cas, la règle est énoncée de manière expresse, dans la loi même
dont l'applicabilité est visée. Il est plus exceptionnel qu'elle soit le résultat d'un processus
d'interprétation, déduit d'une analyse, par le juge, de la nature des règles matérielles en
présence. Le phénomène est lié à celui des« lois de police» (voy. infra, n° 4.11). Il s'agit
d'une hypothèse où la règle d'applicabilité, au lieu de figurer dans une disposition spé-
ciale de la loi en cause, a été puisée à une règle de portée générale.
Ill L'explication de l'interprétation de la loi d'application immédiate au moyen du concept de loi
de police n'a d'utilité que dans les pays connaissant une disposition analogue à celle de l'article 3,
paragraphe premier, du Code Napoléon. Il arrive encore qu'un processus d'interprétation tendant
à dégager une règle implicite d'applicabilité ait lieu dans un autre contexte. Ainsi peut-il en aller de
l'interprétation d'un acte communautaire lié au fonctionnement du marché intérieur (voy. infra,
n ° 4.45).
111 Dans le Code belge, l'article 20 étend l'hypothèse de la disposition au cas où la volonté d'appli-
cation de la loi résulte de son « but manifeste». Ces termes permettent d'étendre la méthode en
l'absence de règle d'applicabilité explicite, tout en incitant à une interprétation mesurée, la règle
devant être déduite d'une lecture « manifeste» du contenu matériel de la loi. Ce procédé tire la
leçon de l'interprétation donnée par la jurisprudence à certaines règles impératives contenues dans
la loi sur le contrat de travail, en l'absence de règle particulière explicite (voy. infra, n ° 7.42, l'arrêt
Taylor de la Cour de cassation).
Lors des travaux parlementaires, un amendement tendant à exclure une telle extension n'a pas été
adopté (Doc. pari., Sénat, 2003-2004, n ° 3-27/7, p. 272, amendement n ° 28 de C. Nyssens).
La formulation de la règle est normalement unilatérale. Cette caractéristique pro-
cède de la nature de la règle, puisqu'elle relève d'un processus d'auto-désignation (voy.
supra, n ° 4.5). En soi, on peut se demander s'il convient d'en donner une interprétation
multilatérale, à l'instar de ce que permet normalement une règle de rattachement. Une
telle interprétation semble exclue, non seulement lorsque la structure alternative de la
règle résiste à toute extension de ce type (voy. supra, n ° 4.8), mais aussi en raison de
l'objectif de la règle d'applicabilité, qui est d'assurer l'effectivité de la seule politique
menée par le législateur du for. La règle directe d'applicabilité a un caractère foncière-
ment analytique, alors que la règle de rattachement a une vocation synthétique. Le carac-
tère dérogatoire de la règle contribue aussi à en empêcher une extension par analogie.
111 Quand, par exemple, la loi sur le contrat d'engagement maritime est déclarée applicable à cout
navire battant pavillon de l'État qui a porté cette loi, pareil contrat est soustrait à la loi d'autono-
mie. À l'égard du contrat d'engagement sur un navire étranger, trois solutions sont possibles : soit
laisser jouer la loi d'autonomie, quoi que puisse contenir sur ce point la loi du pavillon, soit généra-
liser l'exception en décidant que tout contrat d'engagement maritime est soumis à la loi du
pavillon, soit n'appliquer la loi étrangère du pavillon que si celle-ci contient une règle d'applicabi-
lité dérogeant à la loi d'autonomie.
134 LA RÈGLE D'APPLICABILITÉ

Sur cet exemple, voy. notamment: F. RrGAUX, « Les règles de droit délimitant leur propre domaine
d'application», Ann. droit (1983), 302, 305-306; K. SIEHR, « Normen mit eigener Bestimmung ihres
raumlich-personlichen Anwendungsbereichs im Recht der Bundesrepublik Deutschland », 46
RabelsZ. (1982), 365.
Il arrive exceptionnellement que la règle d'applicabilité conduise à une formulation
de caractère multilatéral. Ceci suppose qu'une analyse du droit comparé révèle une con-
vergence de règles d'applicabilité dans une matière déterminée. Ce phénomène s'observe
en matière de contrats de travail et de contrats de consommation.
L'article 6 de la Convention de Rome du 19 juin 1980 sur la loi applicable aux obligations con-
Ill!
tractuelles permet au travailleur de bénéficier des règles impératives de l'État où le travailleur
accomplit habituellement son travail, à moins que le contrat présente des liens plus étroits avec un
autre État. Cette formulation est multilatérale puisqu'elle désigne le droit d'un État sans nommer
celui-ci. On y trouve aussi le critère des« liens étroits » qui caractérise la méthode du rattachement
(voy. supra, n ° 3.41). Il est d'ailleurs remarquable que le même facteur serve à désigner le droit
applicable au contrat (§ 2) à la manière d'une règle de rattachement et à assurer l'applicabilité de
règles de protection à la manière d'une règle d'applicabilité.
La protection du consommateur en montre un autre exemple dans l'article 5 de la Convention de
Rome (voy. infra, n° 14.109), dont les termes multilatéraux seront repris ultérieurement par la loi
belge du 12 juin 1991.
Dans l'un et l'autre cas, les facteurs retenus trouvaient à s'appuyer sur une pratique nationale de
règles d'applicabilité unilatérales. Voy. à cet égard, M. FALLON, « Le droit des rapports internatio-
naux de consommation», Clunet (1984), 765-847. Pour le contrat de travail, le contenu de l'article 6
avait été anticipé, notamment, par l'arrêt Taylor de la Cour de cassation (voy. infra, n ° 14.169).
De même que la règle d'applicabilité traduit un objectif d'auto-désignation, elle pro-
cède d'une volonté d'autolimitation. Cela signifie que la loi en cause exprime sa volonté
d'être appliquée aux hypothèses visées, et à ces hypothèses seulement. L'intention n'est
normalement pas d'étendre ces règles matérielles à d'autres situations pourtant régies
par le droit de l'État ayant posé cette loi. Une telle interprétation se concilie aisément
avec le caractère dérogatoire de la règle d'applicabilité.
Ill Il est exceptionnel que la loi exprime une volonté d'autolimitation. On en trouve un exemple
dans la loi du 5 juin 1928 (voy. supra, n ° 4.5) puisque, avant même d'énoncer l'applicabilité de cette
loi aux marins mis au service d'un navire battant pavillon belge, l'article 17 l'exclur dans le cas d'un
pavillon étranger.
Ill!Pour un cas de refus d'étendre la loi du 27 juillet 1961 à un contrat de concession exécuté à
l'étranger alors que les parties avaient fait choix du droit belge, voy.: Bruxelles, 4 janvier 1989, R.W.
(1989-1990), 20. Comp. en France: Cass. corn., 9 octobre 1990, De Dietrich, Revue (1991), 545, note
P. LAGARDE, admettant l'applicabilité de la réglementation française sur l'agence commerciale en
cas de référence expresse à celle-ci.
Voy. de même, à propos de l'article 91 du livre II du Code de commerce (voy. supra, n° 4.8): Anvers,
24 septembre 2002, Dr. eur. transp. (2002), 772, refusant d'étendre le domaine de la règle matérielle
au-delà de son texte, lorsque le transport est au départ et à destination d'un port étranger.
Que la réglementation en cause constitue seulement une règle de protection« minimale» d'un
Ill!
intérêt privé, par exemple celle du consommateur, peut inciter à une extension de son application
dès que le droit de l'État qui l'a édictée est désigné en vertu de la règle de rattachement du for, mal-
gré les termes de la règle d'applicabilité. Voy. en ce sens: P. MAYER et V. HEUZÉ, n ° 126. Cette inter-
prétation est donnée par la Commission des Communautés européennes à propos de la loi belge
du 12 juin 1991 sur le crédit à la consommation (voy. supra, n ° 4.8) : réponse à une question écrire,
n° 1562/97,].O.C.E. (1997), C 391.

4.10 - Application de règles étrangères d'applicabilité - Quand une loi étrangère limite
spécifiquement son propre champ d'application, plusieurs motifs incitent à respecter la
volonté du législateur sur ce point.
L'APPLICABILITÉ DU DROIT NATIONAL 135

Parmi ces motifs on peut retenir d'abord qu'il n'y a pas lieu de déroger à une règle
générale de rattachement du for pour étendre au-delà de son domaine propre l'applica-
tion d'une règle de droit matériel étranger.
Ensuite, conjuguée avec la loi d'autonomie, règle fondamentale du droit du for,
l'autolimitation de la loi de police étrangère exclut que, par une prétendue interprétation
multilatérale de la loi de police correspondante du for (qui s'appliquerait si la situation
présentait à l'égard de l'État du for le lien qu'elle a avec le pays étranger), on restreigne
contre la volonté d'autolimitation du législateur étranger, l'application de la loi choisie
par les parties.
Ill Si, par exemple, aucune loi de police contractuelle du for n'est applicable à un contrat déter-
miné, il ne paraît pas judicieux de soustraire celui-ci à la loi choisie par les parties au profit d'une
loi de police étrangère dont une disposition particulière exclut en l'occurrence l'application.
Un autre motif de respecter l'autolimitation prévue par le droit étranger réside dans
le lien entre le conflit de lois et le conflit d'autorités: il est vain de décréter l'application
d'une loi étrangère dont la mise en œuvre requiert l'action d'autorités administratives
qui, par hypothèse, auraient refusé de mettre en œuvre leur propre loi dans une situation
excédant le domaine d'application de celle-ci.
À l'appui du respect des règles étrangères restreignant leur propre domaine d'appli-
cation, on peut citer les deux arrêts prononcés le 12 juillet 1929 par la Cour permanente
de Justice internationale (arrêts n ° 14 et n ° 15 du 12 juillet 1929, C.P.].I., Série A, n ° 20-
21, 41-42).
Ill La particularité de ces affaires était qu'il s'agissait d'une règle d'applicabilité d'origine
jurisprudentielle : en décidant que la prohibition de la clause-or portée par le législateur français
était inapplicable aux « règlements internationaux», la Cour de cassation avait restreint aux seuls
paiements faits dans l'ordre interne le domaine spatial des dispositions législatives. Pour décider
que l'État étranger emprunteur n'était pas déchargé de l'obligation contractuelle d'assurer le ser-
vice de la dette en francs-or, la Cour permanente s'est fondée sur une interprétation jurispruden-
tielle de la loi française régissant le paiement, qui excluait du domaine spatial de cette loi les
paiements internationaux.
Si l'on compare pareille interprétation de la jurisprudence française sur le caractère licite de la
clause-or dans les paiements internationaux à celle qui en a été donnée ci-dessus (n ° 3.9), il y a lieu
de faire observer que cette solution jurisprudentielle se laisse interpréter de deux manières différen-
tes mais qui ne sont pas contradictoires : soit d'y voir une règle matérielle de droit international
privé accompagnée d'une règle d'applicabilité qui en circonscrit le domaine spatial, soit de limiter
la prohibition de la clause-or portée par le législateur français, à l'aide d'une règle d'applicabilité
qui en restreint l'application aux seuls paiements internes, la jurisprudence ayant soustrait à cette
prohibition les paiements internationaux.
En matière contractuelle, la référence à une règle d'applicabilité étrangère est impli-
cite dans l'article 7, paragraphe premier, de la Convention de Rome du 19 juin 1980,
puisque la faculté pour le juge de donner effet, quel que soit le droit applicable en vertu
de la règle de rattachement, aux règles impératives du droit d'un autre État est limitée au
cas « où, selon le droit de ce dernier pays, ces dispositions impératives sont applicables
quelle que soit la loi régissant le contrat».
Plus généralement, le Code belge contient une disposition générale de ce type, qui
s'inspire des termes de l'article 7 précité (art. 20).
1111Le droit suisse comporte aussi une règle générale sur l'applicabilité de« dispositions impérati-
ves du droit étranger» (art. 19 LDIP) qui ne contient aucune référence à la prise en considération
de la volonté ou du refus d'application du droit étranger, à la différence de ce que prévoyait le texte
à l'état de proiec.
136 LA RÈGLE D'APPLICABILITÉ

C. Règles d'applicabilité et lois de police


4.11 - Formulation générale du Code Napoléon - Le concept de loi de police a donné
lieu, en droit international privé, à la formulation de dispositions de portée générale
dont la relation avec les méthodes de solution des conflits de lois est complexe.
La portée du concept est obscurcie par la formulation archaïque qu'en a donnée
l'article 3, alinéa 1er, du Code civil: « Les lois de police et de sûreté obligent tous ceux qui
habitent le territoire». Deux notions distinctes, les lois de police et les lois de sûreté, sont
réunies sous une solution qui paraît univoque, à savoir la territorialité de ces deux caté-
gories de lois. À la vérité, le législateur a joué, sans doute inconsciemment, sur l'ambi-
guïté du concept de territorialité.
m Comme exemple parmi d'autres d'un recours à l'article 3, § 1e,, C. civ., voy. à propos de la loi sur
le travail intérimaire (loi du 24 juillet 1987): Anvers, 7 février 2002,Jur. Anvers (2002), 9, retenant
pour critère d'application la localisation en Belgique de l'exécution habituelle et excluant le cas
d'une mise à disposition de main-d'œuvre à destination d'un client établi à l'étranger.

Par « lois de sûreté», on entend généralement les lois pénales, les règles de droit
public et de droit administratif, tandis que les « lois de police » désignent certaines dis-
positions de droit privé auxquelles le législateur entend assurer un effet territorial.
m Comp. en ce sens les conclusions de l'avocat général HAYOJT DE TERMICOURT précédant Cass.,
17 mai 1957, Pas. (1957), I, 1113.

Grâce à l'ambiguïté du concept de territorialité, ces deux catégories de règles de


droit sont, à l'aide d'un seul mot, soumises à deux solutions radicalement distinctes. Tel-
les qu'elles viennent d'être définies, les lois de sûreté sont territoriales au sens «formel»
(voy. supra, n ° 1.33) : les juridictions et les autorités belges n'appliquent d'autres lois de
sûreté que celles que contient la !ex fori. Il est cependant possible qu'une loi de sûreté
étrangère intervienne comme condition d'application de la loi de sûreté belge (voy. infra,
n° 6.50). En revanche, les lois de police sont territoriales en un sens« matériel» : le desti-
nataire du précepte ou de l'injonction qu'elles contiennent doit les respecter quand sa
situation particulière présente à l'égard du territoire auquel les lois de police sont appli-
cables l'élément de rattachement pertinent.
L'applicabilité spatiale des lois de police donne lieu à une imprécision dans la dispo-
sition précitée, que la jurisprudence a été contrainte de corriger. Il n'est pas nécessaire
que les destinataires de la loi de police « habitent » le territoire ni même qu'ils se trouvent
sur ce territoire, il y a plutôt lieu de localiser la situation qui y est soumise. Dès lors,
toutefois, le précepte de l'article 3, alinéa 1er, du Code civil devient une pure pétition de
principe: si la règle ne fournit d'autre solution que la désignation du pays où se localise
la situation, il faut appeler lois de police les lois devant recevoir une application territo-
riale. Il n'est, dès lors, pas étonnant que le législateur ait parfois énoncé une règle dite
d'application nécessaire ou d'application immédiate (voy. supra, n° 4.6), afin de préciser
tant le caractère territorial des dispositions ainsi qualifiées que le critère selon lequel elles
se rattachent au territoire.
1111La jurisprudence belge montre deux interprétations remarquables du critère terrirorial de
l'article 3, alinéa 1er, en matière de responsabilité civile où il s'est traduit par le critère du fait géné-
rateur du dommage (voy. infra, n° 15.11) et en matière de contrat de travail, où a dominé le critère
de la localisation des prestations du travailleur (voy. infra, n ° 14.175).
L'APPLICABILITÉ DU DROIT NATIONAL 137

4.12 - Formulation générale en matière de contrats - La Convention de Rome du 19 juin


1980 contient une disposition, l'article 7, insérant la question de l'applicabilité de
« dispositions impératives» sous l'intitulé de« Lois de police» (voy. infra, n ° 14.74). Elle
distingue à cet égard lois de police du for (§ 2) et lois de police étrangères (§ 1er), pour
soumettre les unes et les autres à des conditions d'applicabilité distinctes.
À la différence du Code Napoléon, la Convention de Rome n'énonce pas de principe
territorial.
Pour les dispositions impératives du for, le texte se contente de prévoir leur applica-
tion par le juge, qui peut ainsi déroger à la loi du contrat, selon les exigences de la lex fori.
Pour les dispositions impératives étrangères, le texte reflète les hésitations de la
jurisprudence en la matière. Elle prévoit trois types de conditions, l'une relative à la
volonté d'application de la loi (voy. supra, n ° 4.9). Les autres conditions combinent deux
concepts rencontrés à propos de la méthode du rattachement (voy. supra, n° 5 3.10 et s.), à
savoir la localisation objective de la situation et les intérêts étatiques. D'un côté, le juge
doit vérifier que « la situation présente un lien étroit » avec le pays en cause. D'un autre
côté, ces dispositions impératives ne reçoivent effet qu'après qu'il a été tenu compte« de
leur nature et de leur objet ainsi que des conséquences qui découleraient de leur applica-
tion ou de leur non-application». De plus, la prise en considération de la loi étrangère
n'est pas obligatoire, mais facultative (« il pourra être donné effet »).
Ill Selon les termes mêmes du rapport explicatif, la disposition trouve son inspiration dans l'arrêt
Alnati du Hoge Raad des Pays-Bas (13 mai 1966, Revue, 1967, 522, note A. STRUYCKEN). Relatif à une
action en réparation des dommages causés par l'avarie de marchandises transportées, la Cour
suprême confirme certes la désignation du droit néerlandais choisi par les parties au contrat, mais
en précisant qu'« il peut arriver que, pour un État étranger, l'observation de certaines [règles impé-
ratives], même en dehors de son territoire, revête une importance telle que le juge néerlandais doive
en tenir compte et, dès lors, les appliquer [... ] », tout en constatant qu'en l'espèce, les règles belges
sur la garantie des vices n'avaient pas ce caractère: par conséquent, celles-ci ne devaient pas recevoir
la priorité« eu égard aux intérêts belges [en cause] ».

1111 Tout en déclarant appliquer la Convention, avant même qu'elle ne fût en vigueur, une ordon-
nance de référé du tribunal d'arrondissement de La Haye a refusé de prendre en considération une
décision d'embargo du gouvernement américain interdisant certaines exportations à destination
de !'U.R.S.S. (17 septembre 1983, Revue, 1983, 473; LL.M., 1983, 66; RabelsZ. 1983, 141).
Voy. aussi un arrêt du Hoge Raad, assez restrictif à l'égard d'une loi étrangère sur le contrôle des
changes (12 janvier 1979, Revue, 1980, 68, note R. VAN Roou).

Ill Pour un cas d'application de la Convention en Belgique, voy. : Comm. Mons, 2 novembre 2000,
].T. (2001), 523, note M. FALLON, Rev. dr. comm. belge (2001), 617, note C. ROMMELAERE, estimant que
les conditions d'applicabilité de la loi tunisienne sur les concessions exclusives de vente n'étaient
pas remplies en l'espèce.

Pour plus de détails sur la problématique des lois de police en matière de contrats, notamment
1111

au sujet de l'applicabilité de lois de police étrangères, voy. infra, n ° 14.75.

4.13 - Loi de police et règle de rattachement- Même si la règle d'applicabilité a norma-


lement une portée dérogatoire à celle d'une règle de rattachement (voy. supra, n ° 4.5), le
concept de loi de police a permis d'asseoir une règle de rattachement. Appliquant
l'article 3, alinéa 1er, du Code civil à la matière de la responsabilité civile, la Cour de cassa-
tion y a perçu une règle utilisant pour facteur le fait générateur du dommage (Cass.,
23 novembre 1962, voy. infra, n° 15.11). Le procédé suppose que l'on puisse déceler dans
138 LA RÈGLE D'APPLICABILITÉ

la disposition légale, à la fois une référence à une « catégorie » de rattachement consti-


tuée d'un rapport juridique, et une règle apte à désigner un droit étranger.
11 Pour une critique du procédé, voy. surtout: J. ERAUW, De onrechtmatige daad in het internationaal
privaatrecht (Ced.Samsom, Bruxelles, 1982); ID.,« Hoofdlijnen van de argumentatie voor een betere
verwijzingsregel inzake de internationale gevallen van aansprakelijkheid », R. W ( 1981-1982), 2519-
2526.

Par sa nature, qui est de désigner un ensemble indéterminé de règles matérielles


appartenant à l'ordre juridique choisi, la règle de rattachement couvre aussi des disposi-
tions pouvant recevoir la qualification de lois de police.
Bien plus, il arrive que la règle de rattachement contribue à la réalisation de l'objectif
poursuivi par la loi de police. En effet, l'applicabilité d'une loi de police peut être fonc-
tion du jeu alternatif d'une règle directe d'applicabilité et d'une règle de rattachement.
C'est le cas chaque fois que le législateur ne prévoit l'application d'une loi de police, en
vertu d'une règle d'applicabilité particulière, que si le droit désigné par la règle de ratta-
chement ne comporte pas de règle matérielle équivalente.
IllCe procédé se rencontre dans la jurisprudence à propos des contrats de travail: les lois belges de
protection du travailleur ne sont appliquées en cas d'exécution des prestations en Belgique que si le
droit que les parties ont choisi pour régir le contrat ne contient pas de disposition assurant une
protection équivalente au travailleur (voy. infra, n° 14.174).
Ce procédé est implicite dans les articles 5 (contrat de consommation) et 6 (contrat de travail) de la
Convention de Rome du 19 juin 1980.

4.14 - Loi de police, règle d'applicabilité, règle impérative, règle d'ordre public et règle
de droit public - La seule portée que puisse revêtir aujourd'hui le concept de loi de police
pour le droit international privé est de fonder une méthode dérogeant à celle de la règle
de rattachement et qui conduit le juge à appliquer une règle matérielle déterminée en
fonction d'une règle directe d'applicabilité. L'utilité du concept disparaît pour un sys-
tème juridique doté d'une disposition générale relative à de telles règles, tel l'article 19 de
la loi suisse ou l'article 20 du Code belge.
Loi de police et règle d'applicabilité entretiennent une relation étroite tout en se
situant à des niveaux conceptuels distincts. La règle directe d'applicabilité est à la loi de
police ce qu'est la règle de rattachement au droit matériel. Elle sert à déterminer l'appli-
cabilité spéciale d'une telle loi.
11 La loi de police peut contenir une règle d'applicabilité particulière et, dans la négative, celle-ci
peut être déduite d'une disposition générale, tel l'article 3, alinéa 1er, du Code civil. Outre des exem-
ples cités à propos de la notion de règle d'applicabilité (voy. supra, n° 5 4.4 et s.), voy. notamment en
Belgique la loi du 5 août 1991 sur la protection de la concurrence économique (Monit., 11 octobre
1991), ou la loi du 11 avril 1999 relative à l'intermédiation en assurances et à la distribution d'assu-
rances (Monit., 30 avril 1999).

Le concept de loi de police sert à énoncer une catégorie de règles matérielles dont la
mise en œuvre affecte un intérêt général, non pas seulement un intérêt privé. Pour assu-
rer l'effectivité internationale de cette mise en œuvre, la loi de police a besoin d'une règle
directe d'applicabilité, chaque fois que la désignation opérée par la règle de rattachement
est inopérante sous l'angle de la protection recherchée. À cet égard, il y a synonymie entre
« loi de police» et« loi d'application immédiate».

En revanche, le concept ne s'aligne pas exactement sur celui de « règle impérative»


ou de « règle d'ordre public». On peut dire que toute loi de police est une règle impéra-
L'APPLICABILITÉ DU DROIT NATIONAL 139

tive ou d'ordre public, mais non l'inverse. La première constituerait un noyau dur des
secondes, dont le contenu ne se laisse toutefois déterminer autrement qu'en fonction du
résultat de la mise en œuvre de la règle de rattachement pertinente (voy. le numéro précé-
dent).
11!1La référence aux« dispositions impératives» que contient l'article 7 de la Convention de Rome
ne doit donc pas s'entendre au sens précis que reçoit ce terme en droit interne, par opposition à
une règle d'ordre public, qui se reconnaît à ce que son application doit être soulevée d'office par
l'autorité publique.
Le Code belge vise des« règles impératives ou d'ordre public» (art. 20).

11!1Dans la littérature de langue anglaise, qui ne connaît pas l'expression « loi de police» - signe
que le concept ne doit sa raison d'être qu'à la terminologie utilisée par le Code Napoléon-, une
distinction est faite entre « mandatory mies» et « internationally mandatory mies ». Cette der-
nière expression tend à couvrir les lois de police. Voy. notamment: T. HARTLEY, « Mandatory rules
in international contracts: The common law approach », Recueil des cours, vol. 266 (1997), 337-426.
Dans la langue française, l'on pourrait introduire l'expression de« règle hyperimpérative ».
11!1La Convention de Rome semble suggérer une distinction entre « dispositions impératives» et
« lois de police» en dissociant formellement les règles multilatérales propres aux contrats de con-
sommation et de travail (art. 5 et 6) de la règle générale de l'article 7. La nature« impérative» de la
disposition étrangère, à laquelle se réfèrent les premières, appartient au droit matériel interne, tan-
dis que la seconde prend en considération la volonté exprimée par le législateur étranger de renfor-
cer cette nature grâce à une règle spéciale d'applicabilité. Il n'est pas certain qu'entre les deux
conceptions il y ait, sur le terrain de l'application qui peut en être faite, plus que l'épaisseur d'un
cheveu, ce qui soulève la question de l'interaction de ces dispositions (voy. infra, n° 14.175).

Dans l'acception moderne de la loi de police, celle-ci ne s'oppose pas nécessairement


au concept de loi de droit public. Une loi de police peut être une règle de droit privé ou
une règle de droit public. Ces dernières ne couvrent pas seulement des « lois de sûreté »
selon la terminologie du Code Napoléon, mais encore de nombreuses réglementations,
principalement dans le domaine du droit économique, dont l'objet premier est moins de
déterminer le régime d'un acte privé que d'assurer un comportement déterminé pour la
sauvegarde de l'intérêt général. De telles normes se reconnaissent à la nature de la sanc-
tion, administrative ou répressive, dont elles sont assorties.
11!1 Une définition des lois de police apparaît dans l'arrêt Arblade de la Cour de justice des Commu-
nautés européennes (aff. C-369/96 e.a., 23 novembre 1999, Rec., 1999, 1-8453), selon lequel« il con-
vient d'entendre cette expression comme visant des dispositions nationales dont l'observation a été
jugée cruciale pour la sauvegarde de l'organisation politique, sociale ou économique de l'État [... ],
au point d'en imposer le respect à toute personne se trouvant sur le territoire national de cet État
[... ] ou à tout rapport juridique localisé dans celui-ci ». Cette définition reprend les critères posés
par Ph. FRANCESCAKIS (notamment: « Quelques réflexions sur les lois d'application immédiate et
leurs rapports avec les règles de conflit de lois», Revue, 1966, 1-18), qui admettait déjà l'imprécision
« congénitale» du concept. Cette définition est jugée trop étroite par P. MAYER et V. HEUZÉ, n ° 123,
en ce qu'elle recourt à un critère formel d'organisation de l'État qui ne suffirait pas à rendre compte
d'un ordre public de protection, par exemple en matière de droit de la consommation.
L'approche retenue dans le présent ouvrage consiste à renoncer à toute tentative d'une définition
positive des lois de police, au profit d'une approche fonctionnelle.
11!1Comme exemple de loi de police de droit privé, on peut citer une règle déterminant l'indemnité
minimale de préavis due au travailleur en cas de résiliation unilatérale par l'employeur (voy. infra,
n ° 14.175). Aurait le même caractère, le régime impératif de protection du droit d'auteur (Cass.
civ., 28 mai 1991, Huston, Revue, 1991, 752, note GAUTIER).
Voy. encore, pour le crédit à la consommation: Cass. civ., 19 octobre 1999, Moquin, Clunet (2000),
328, noteJ.-B. RACINE.
140 LA RÈGLE D'APPLICABILITÉ

En matière familiale, l'article 146-1 du Code civil français revêt les traits d'une loi de police dotée
d'une règle directe d'applicabilité. En faveur de cette qualification, voy. L. GANNAGÉ, note sous Cass.
civ., 15 juillet 1999, Revue (2000), 208.
Ill Une disposition sur la réglementation des changes, ou comportant un embargo à l'importation
ou à l'exportation, ou une réglementation sur la protection de la concurrence - telle la loi belge du
5 août 1991 (Monit., 11 octobre 1991) - sont des lois de police de droit public. Pour une qualifica-
tion de loi de police donnée à la réglementation sur les pratiques du commerce à propos de l'usur-
pation d'un nom de domaine sur Internet, voy.: Bruxelles, 1" avril 1998,].L.M.E. (1998), 1588, note
WERY; Bruxelles, 22 décembre 1999, Rev. dr. comm. belge (2001), 244, note M. PERTEGAS-SENDER, à
propos d'une action en cessation d'une publicité déloyale.
La distinction revêt un intérêt dans la mesure où l'applicabilité d'une règle étrangère de droit
public peut être problématique (voy. supra, n ° 1.26). En droit international privé, la difficulté d'en
faire application n'exclut routefois pas de la prendre en considération comme une condition
d'application d'une norme de droit privé (voy. infra, n ° 6.50). De plus, elle permet d'assigner à
l'article 7 de la Convention de Rome une portée plus large que celle des articles 5 et 6 puisqu'à la
différence de ceux-ci, celui-là peut aussi couvrir de telles dispositions, chaque fois qu'en y
« donnant effet» le juge s'y réfère pour résoudre une question de droit privé.

111 Sur la difficulté de définir une loi de police, voy. la divergence des jurisprudences belge et fran-
çaise à propos du régime matrimonial primaire, infra, n ° 12.63, et les critères énoncés à cette occa-
sion par: Mons, 7 juin 1996, ].T. (1996), 818, évoquant la protection d'intérêts d'organisation
sociale, politique et économique qui impliquerait un critère territorial, ce qui ne serait pas le cas de
la protection des intérêts de la famille.
Voy. aussi les divergences d'appréciation concernant la réglementation protectrice de l'activité
d'agent commercial découlant de la directive 86/653 du 18 décembre 1986, à laquelle la chambre
commerciale de Cour de cassation de France (28 novembre 2000, Allium, Clunet, 2001, 511, note J.-
M. JACQUET) dénie la qualité de loi de police alors que la Cour de justice des Communautés euro-
péennes entend y voir des dispositions « impératives » dont l'applicabilité doit être assurée à roue
agent exécutant ses prestations dans la Communauté malgré la soumission du contrat au droit
d'un État tiers (aff. C-381/98, 9 novembre 2000, Ingmar, Rec., 2000, I-9305, Revue, 2001, 107, note L.
!DOT; voy. infra, n° 14.137).
Pour un recours contestable à la notion de loi de police au sens de l'article 7 de la Convention de
Rome, voy. : Cass. civ., 8 janvier 2002, Comast, Revue (2002), 328, note D. BUREAU, à propos de
l'opposabilité à la faillite ouverte en France d'une clause de réserve de propriété conclue en vertu du
droit italien.
Ill La réglementation peut aussi émaner d'une organisation internationale. Le droit communau-
taire en montre plusieurs exemples.
Les uns concernent de nombreuses mesures d'embargo liées à des considérations de nature politi-
que. Voy. par exemple le règlement 926/98 du 27 avril 1998 concernant la réduction de certaines
relations économiques avec la République fédérative de Yougoslavie,].O.C.E. (1998), L 130, interdi-
sant la fourniture de certains produits par des ressortissants d'États membres de l'Union euro-
péenne.
D'autres exemples sont plus proches de la problématique typique du droit international privé.
Ainsi, on trouve une tentative intéressante de définition des lois de police par l'énonciation d'une
liste de dispositions propres à une matière déterminée, dans la directive 96/71 du 16 décembre
1996 concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d'une prestation de services,
].O.C.E. (1997), L 18.
De plus, il y a tout lieu de croire que certains actes communautaires puissent eux-mêmes, en raison
de leur impérativité particulière, constituer ce qu'en droit national on qualifie de lois de police (voy.
infra, n ° 4.45).

Enfin, il ne faut pas confondre le concept de loi de police - ou de loi d'application


immédiate - avec le concept de l'exception d'ordre public, qui permet d'écarter l'applica-
tion du droit étranger désigné par la règle de rattachement du for (voy. infra, n ° 7.42).
L'APPLICABILITÉ DU DROIT NATIONAL 141

Ill Pour un cas d'application immédiate d'un principe d'ordre public d'égalité en matière de con-
triburion aux charges du mariage, voy.: Civ. Liège, 30 mars 1988, Rev. gén. dr. civ. (1989), 417.

4.1 S - Applicabilité de lois de police étrangères - La réticence de la jurisprudence à


donner effet à une loi de police étrangère est traditionnelle.
Voy. par exemple en Belgique: Comm. Anvers, 17 juin 1986, ]ur. Anv. (1987), 48; Bruxelles,
1111

25 mai 1989,]. T. (1990), 46, motivation incertaine; Mons, 20 novembre 1991,].L.M.B. (1992), 772,
note M. LIÉNARD-LIGNY, Rev. gén. dr. civ. (1993), note I. CoUWENBERG, à propos d'une loi fiscale.

L'analyse qui précède montre pourtant que cette réticence est excessive. Au demeu-
rant, celle-ci n'est exprimée qu'à propos de l'applicabilité d'une loi de police d'un État
autre que celle qui a été désignée par la règle de rattachement du for. En d'autres termes,
il n'y a pas d'opposition de principe à l'applicabilité d'une loi de police étrangère en rai-
son de la nature du concept.
1111Pour une application d'une loi de police étrangère en tant que telle, contenue dans le droit dési-
gné par la règle de rattachement, voy. déjà: Cass, 24 février 1938, Antwerpia, Pas. (1938, I), 66. Pour
une application - certes critiquable - comme un élément essentiel d'une règle de rattachement
multilatérale, voy. infra, n ° 15.11, en matière quasi délictuelle.
!Ill La circonstance que certaines lois de police soient des règles de droit public conduirait à res-
treindre l'effet pouvant leur être attribué. La question intéresse plus généralement celle de l'appli-
cabilité du droit public étranger (voy. supra, n ° 1.26). Une telle règle n'est sans doute pas applicable
dans son dispositif mais cela n'empêche pas qu'elle puisse être« prise en considération » (voy. infra,
n° 6.50).

La question revient donc à formuler une règle d'applicabilité des lois de police
étrangères. La réponse est désormais certaine dans la matière des contrats (voy. infra,
n ° 14.75). Elle l'est aussi pour les pays disposant d'une clause générale (voy. supra,
n ° 4.14, en Suisse ou en Belgique). Elle peut encore découler de l'obligation de respecter
un traité international. Dans les autres cas, à défaut d'une clause générale plus explicite,
force est d'emprunter la solution au dispositif très générique de l'article 3, alinéa Fr, du
Code Napoléon, tout en se gardant de déterminer l'applicabilité au moyen d'une inter-
prétation multilatérale de la disposition précitée. La seule méthode cohérente consiste à
prendre en considération la règle directe d'applicabilité que se donne la règle étrangère
elle-même. De plus, l'exception générale d'ordre public (voy. infra, n ° 7.42) permet d'évin-
cer la loi étrangère lorsque la politique du législateur étranger ne peut recevoir le soutien
du législateur du for.
Ill Comme cas de prise en considération d'une loi de police étrangère liée au respect d'un traité
international, voy.: Bruxelles, 24 mars 1987, Ann. Liège (1988), 64, note F. RIGAUX, et 23 juin 1988,
].T. (1989), 381, note F. RIGAUX, à propos de la réglementation de change d'un État partie aux
accords de Bretton Woods. La solution est aussi d'évidence en matière de réparation de dommages
causés par un accident de la circulation routière : l'appréciation de la faute se doit de prendre en
considération les normes de sécurité en vigueur dans le pays de l'accident (Convention de La Haye
du 7 mai 1971, art. 7).
Pour un cas de prise en considération d'une interdiction étrangère d'exportation
comme constitutive de force majeure, voy.: Comm. Anvers, 28 avril 1989, Rev. dr. comm.
belge (1990), 413, note H. VAN HOUTIE.
Pour une acceptation nuancée de l'effet donné à des lois de police étrangères, voy. MAYER et
1111

HEUZE, n ° 127.

La qualification in concreto d'une règle étrangère comme loi de police dépend du


droit étranger. Cela résulte du processus de prise en considération de la règle d'applicabi-
142 LA RÈGLE D'APPLICABILITÉ

lité étrangère même. La présence d'une règle d'applicabilité - explicite ou implicite - est
liée à cette qualification.
1111 Pour une qualification selon le droit étranger en cause, voy., dans le contexte de l'application de
l'article 7, § l ''", de la Convention de Rome: Anvers, 8 juin 2004, Limb. Rechtsl. (2005), 24, note A.
CLABOTS.

4.16 - Applicabilité des lois de police et droit communautaire - La circonstance qu'une


réglementation nationale soit constitutive de loi de police ne change guère à l'apprécia-
tion de sa compatibilité avec le droit du marché intérieur de l'Union européenne
(C.J.C.E., arrêt Arblade précité).
De fait, ce droit concerne des entraves aux échanges qui, pour les matières du droit
privé, peuvent, le plus souvent, être qualifiées de lois de police dans la mesure où elles
tendent à poursuivre un objectif d'intérêt général. En effet, le droit primaire ne tolère une
entrave aux échanges que si celle-ci est justifiée par une raison d'intérêt général, comme la
protection du consommateur ou la protection du travailleur, pourvu que soit vérifiée
une juste proportionnalité entre le contenu de la règle nationale et la raison invoquée
(voy. supra, n ° 2.28).
Là où la loi de police nationale peut se justifier par une raison d'intérêt général, il
reste à apprécier si son application respecte le principe de proportionnalité. Plus généra-
lement, cette vérification suppose divers tests, qui portent à évaluer l'aptitude de la règle
à atteindre son but, le degré d'interchangeabilité avec une autre règle moins restrictive
des échanges ou encore le degré de nécessité de la règle relativement à une règle équiva-
lente à laquelle le particulier s'est conformé. Ce dernier test revient à une obligation de
« reconnaissance mutuelle» chaque fois que cette équivalence est vérifiée en l'espèce.

L'applicabilité d'une loi de police se prête singulièrement au test de reconnaissance


mutuelle. Autrement dit, l'applicabilité d'une règle impérative du for, ou étrangère, ne
saurait être inconditionnelle, mais devrait tenir compte de l'applicabilité d'une réglemen-
tation édictée par un autre État, lorsque celle-ci, au contenu équivalent en termes de pro-
tection de l'intérêt en cause, est applicable à l'espèce, en vertu de la règle de rattachement
du for ou d'une règle spéciale d'applicabilité, et que le respect en est assuré par l'opéra-
teur auquel la règle impérative est opposée.
Ill Pour la mise en évidence du test de reconnaissance mutuelle, accompagné d'une évaluation de
l'équivalence des lois en conflit, voy. en particulier, à propos d'une relation de travail: C.J.C.E., aff
C-165/98, 15 mars 2001, Mazzoleni, Rec. (2001), I-2189, Revue (2001), 495, note E. PATAUT.
Ill Pour une application exemplaire de ce concept, voy. : Colmar, 18 février 2004, D.S. (2004), Act.
jur., 1898, note V. AVENA-ROBARDET, écartant l'application d'une loi de police française sur la protec-
tion de l'emprunteur à propos d'un prêt portant sur un immeuble sis en france, pour le motif que la
loi allemande qui régissait le contrat apportait au consommateur une protection équivalente.
1111 Pour une application du concept d'« exception de reconnaissance mutuelle», voy. notamment:
M. FALLON,« Libertés communautaires et règles de conflit de lois», Les conflits de lois et le système ;uri-
dique communautaire (Paris, Dalloz, 2004), 31-80 ; M. FALLON et J. MEEUSEN, « Private international
law in the European Union and the exception of murual recognition», Yearb. PIL (2002), 37-66.
1111 Sur le thème des lois de police en droit communautaire, voy. : L. BERNARDEAU, « Droit commu-
nautaire et lois de police», ].CP. (2001), I, 328; O. CACHARD, La régulation internationale du marché
électronique (Paris, LGDJ, 2002), 480 p.; J. FETSCH, Eingriffsnormen und EG-Vertrag - Die Pflicht zur
Anwendung der Eingriffsnormen anderer EG-Staaten (Tübingen, Mohr, 2002), 429 p. ; P. MENGOZZI,
« Règles communautaires et règles impératives en tant que 'limites' et 'contre-limites' imposées à
l'autonomie contractuelle», Rev. march. unique eur. (1999), 169-200; A. NUYTS, « L'application des
L'APPLICABILITÉ DU DROIT NATIONAL 143

lois de police dans l'espace (Réflexions au départ du droit belge de la distribution commerciale et
du droit communautaire)», Revue (1999), 31-75, 245-266; E. PATAUT, « Lois de police et ordre juri-
dique communautaire», Les conflits de lois et le système juridique communautaire (Paris, Dalloz, 2004),
117-144; S. POILLOT PERUZZETTO, « Ordre public et lois de police dans l'ordre communautaire»,
Trav. Comité fr. dr. int. pr. 2002-2003 (Paris, Pédone, 2005), 65-106 ; O. REMIEN, Zwingendes Vertragsrecht
und Grundfreiheiten des EG-Vertrages (Tübingen, Mohr, 2003), 678 p.

4.17 - Applicabilité d'une loi de police et proportionnalité - L'approche communau-


taire révèle une interaction de l'applicabilité d'une loi de police, nationale ou étrangère, et
du principe général de proportionnalité. L'effet perturbateur du jeu de la règle d'applica-
bilité sur la mise en œuvre de la règle de rattachement, peut conduire à limiter l'effet de la
première à une nécessité stricte.
Le degré de nécessité varie pratiquement en fonction des contenus respectifs des dis-
positions désignées, tour à tour, par la règle de rattachement et selon une règle d'applica-
bilité. Ainsi, le juge saisi est appelé à effectuer un travail de droit comparé, conduisant à
mesurer le degré d'équivalence des lois en conflit, en fonction d'un objectif commun à ces
lois. La mise en œuvre de la loi de police au moyen d'une règle d'applicabilité n'aurait lieu
que si le droit matériel désigné par la règle de rattachement n'offre pas une protection
suffisante.
IllVoy.plus généralement, sur la relation entre règle d'applicabilité et règle de rattachement, supra,
n° 4.5.
1111Pour un cas d'application explicite de cette méthode en dehors d'un raisonnement communau-
taire, alors même que les dispositions en cause résultaient de la transposition d'une directive, voy. :
Anvers, 8 juin 2004, Limb. Rechtsl. (2005), 24, note A. CLABOTS, constatant, à propos des lois belge et
néerlandaise, sur la protection de l'agent commercial, qu'elles ont une même orientation et que la
seule divergence de la durée de la prescription ne suffit pas à justifier l'applicabilité de la durée la
plus longue au titre de loi de police.

Cette méthode suscite la question du mode de comparaison : celle-ci doit-elle se


faire point par point, ou globalement ? La tendance de la jurisprudence est de préférer
une comparaison globale, puisque l'exercice consiste à évaluer une équivalence des lois en
présence.
IllSur la méthode globale, voy. spécialement l'arrêt Mazzoleni, précité sous le n° précédent. Voy.
aussi, en dehors du contexte strictement communautaire, outre l'arrêt précité de la cour d'appel
d'Anvers, à propos de l'article 6 de la Convention de Rome (contrat de travail), en France: Cass. civ.,
12 novembre 2002, Briant, Revue (2003), 447, note F.JAULT.

§2 INTERACTION DES MÉTHODES


DE SOLUTION DES CONFLITS DE LOIS

A. La méthode unilatéraliste
4.18 - Présentation de la théorie unilatéraliste - Sous les formes diverses qu'il a pu
revêtir, l'unilatéralisme met à l'avant-plan le rôle de l'État et il réduit le problème du con-
flit de lois à une répartition des compétences législatives entre les États. Or, quand elle
n'est pas opérée à l'intérieur d'un ordre juridique commun aux États - tel le droit inter-
national, qui, seul, pourrait répartir entre les États leurs compétences respectives-, cette
répartition devrait se borner à délimiter l'étendue d'application dans l'espace des disposi-
tions de droit substantiel de l'État dont émane la règle de délimitation : ainsi, en chaque
144 LA RÈGLE D'APPLICABILITÉ

ordre juridique, toutes les normes matérielles seraient doublées de règles d'applicabilité
qui arrêteraient le domaine spatial des premières. À quel titre un État se prononcerait-il
sur le domaine d'application dans l'espace des normes posées par un autre État? La
méthode qui conçoit le règlement du conflit de lois sous la forme d'une délimitation du
domaine d'application dans l'espace des diverses normes matérielles est, par là même,
nécessairement condamnée à l'unilatéralisme, reconnaissant à chaque ordre juridique
étatique le pouvoir de déterminer le domaine spatial des normes dont il se compose.
La théorie unilatéraliste propose la méthode suivante de solution du conflit de lois.
Puisqu'il appartient à chaque législateur de déterminer le domaine d'application dans
l'espace de ses propres règles de droit matériel, il convient que tous les États se déclarent
prêts à accueillir les normes émanant de tous les autres ordres juridiques avec les limites
spatiales qui, en chacun de ceux-ci, les affecteraient de par leur origine.
Selon cette méthode, le conflit de lois se déploie à deux degrés : après un verdict
négatif d'inapplicabilité du droit du for, l'interprète recherche le droit ou les droits étran-
gers qui se reconnaissent applicables. Le fonctionnement d'un tel système postule un
principe universel de conflit de lois, selon lequel tout ordre juridique arrête le domaine
spatial de chacune de ses normes et applique les règles de droit étranger aux situations
relevant du domaine que ces règles mêmes se sont ainsi assigné.
l1ii L'article 310 du Code civil français sur le droit applicable au divorce, présenté comme une illus-
tration de la règle de rattachement exclusivement unilatérale (voy. supra, n ° 3.45), constitue le para-
digme de la théorie unilatéraliste depuis son adoption en 1975. Le juge français doit d'abord
vérifier si les époux sont français ou s'ils sont domiciliés en France: dans l'un ou l'autre cas, il
applique le droit français. Ensuite, selon le texte, le divorce est régi par la loi française « lorsque
aucune loi étrangère ne se reconnaît compétence, alors que les tribunaux français sont compétents
[... ] "· La formulation de cette dernière hypothèse en masque une autre, implicite, celle où une loi
étrangère se reconnaît compétence. Il appartient donc au praticien de faire cette vérification de la
volonté d'application de route loi étrangère intéressée au litige.

4.19 - Domaines privilégiés de la méthode - Si la généralisation de la méthode unila-


téraliste et son extension au champ total des conflits de lois est controversée, il existe
quelques domaines particuliers dans lesquels cette méthode est traditionnelle et univer-
sellement acceptée.
L'un des exemples le plus connu d'unilatéralisme est relatif à la détermination de la nationalité.
l1ii
Les règles sur l'acquisition, l'attribution ou la perte de la nationalité ont pour objet exclusif la
détermination des personnes qui ressortissent de l'État ayant posé ces règles. Dans l'ordre juridi-
que international comme dans les autres États, pareilles règles sont reçues avec leur propre
domaine d'application: cela signifie que la nationalité ainsi conférée est, au moins en principe, par-
tout reconnue.
1111D'autres subdivisions du droit international privé pratiquent aussi une forme d'unilatéralisme.
Pour la détermination de la compétence internationale des tribunaux et des autorités publiques
comme pour la reconnaissance des actes publics et des décisions judiciaires étrangers, chaque État
n'applique que ses règles propres. La symétrie est même parfaite entre les deux subdivisions du
conflit de juridictions : de même que chaque État se borne à régler la compétence de ses seules
autorités, il arrête les conditions auxquelles les actes étrangers sont reconnus dans son ordre Juridi-
que, sans prétendre déterminer l'efficacité internationale des actes faits ou des décisions rendues
par ses propres organes. Le respect universel de cette exacte répartition des compétences est garanti
par le principe le plus sûr de tous ceux qui gouvernent les relations internationales, le principe
d'effectivité. Comment un État pourrait-il s'immiscer dans la compétence exercée par les autorités
d'autres États? Comment saurait-il proroger hors de son territoire la force des commandements
émanés de ses organes ?
l' APPLICABILITÉ DU DROIT NATIONAL 145

11!1En dehors du droit privé, c'est également une méthode unilatéraliste qui est généralement
pratiquée: en matière pénale et en matière fiscale, compétence législative et compétence juridic-
tionnelle se confondent. Chaque État détermine les conditions de rattachement à son ordre juridi-
que qui justifient l'exercice de la répression pénale et la perception d'un impôt. Toutefois, celles-ci
se font (au moins en principe) conformément au droit du for, sans application d'un droit étranger.
N'ont pas ce caractère les hypothèses assez nombreuses dans lesquelles le contenu du droit étran-
ger ou sa mise en œuvre effective dans l'État dont il émane sont retenus comme condition d'appli-
cation (ou de non-application) du droit du for, telles la règle de la double imputabilité en matière
pénale, la règle selon laquelle un acquittement prononcé par le tribunal étranger du lieu du délit
exclut toute nouvelle poursuite, l'application du principe non bis in idem à la perception d'un impôt
sur un bien ou une activité localisés à l'étranger.

Une différence essentielle entre ces diverses applications de la méthode unilatéra-


liste et sa mise en œuvre comme méthode générale de solution des conflits de lois ne doit
pas être sous-estimée: adaptée à des matières dans lesquelles l'application du droit étran-
ger est ignorée ou exceptionnelle, la méthode parait moins adéquate quand l'enjeu est le
choix du droit applicable à une situation particulière. De plus, les branches du droit pra-
tiquant la méthode unilatéraliste font l'objet de règles formelles de répartition des com-
pétences, conférant le plus souvent à celles-ci un caractère exclusif, en raison de leur
étroite dépendance à l'égard des compétences administrative et juridictionnelle, alors
que l'exercice de la compétence législative laisse nécessairement place à de multiples com-
pétences concurrentes.

B. Critique de la théorie unilatéraliste


4.20 - La prétendue volonté du législateur - La première objection contre l'universalisa-
tion de la méthode unilatéraliste a pour objet le postulat qui la fonde, à savoir que tout
législateur entend circonscrire le domaine d'application dans l'espace de ses propres
règles de droit matériel.
Ainsi, l'interprétation unilatérale de la règle appliquant la loi nationale au statut personnel
1111

signifie que la disposition fixant à dix-huit ans l'âge de la majorité civile aurait pour seul domaine
d'application les personnes ayant la nationalité de l'État dont émane cette disposition. Pour les
personnes n'ayant pas cette nationalité il y aurait lieu de rechercher quel est l'État dont les lois
acceptent de déterminer la capacité des intéressés.

Outre les inconvénients pratiques d'une telle méthode, il paraît très contestable
d'imputer au législateur la volonté d'accompagner chacune de ses normes de droit maté-
riel d'une clause qui en délimite le domaine d'application dans l'espace. Formulée en ter-
mes généraux, une telle norme a un domaine d'application indéterminé ou universel, elle
est l'expression de ce que le législateur estime juste. Historiquement ou psychologique-
ment, le règlement du conflit de lois est une préoccupation tardive du législateur, radica-
lement distincte du choix des solutions de droit matériel. Le choix du droit applicable
aux situations transfrontières ne se laisse généralement pas déduire du contenu de cha-
cune des normes de droit substantiel.
S'abstenant de désigner elle-même le droit étranger applicable, la règle unilatérale
prétend conférer une valeur universelle au domaine spatial auréolant la règle de droit
matériel : celle-ci devrait être reçue et appliquée dans tous les ordres juridiques avec les
limites spatiales qu'y aurait imprimées l'ordre juridique dont elle émane. Mais à quel titre
un législateur élève-t-il cette prétention d'enfermer ses propres normes dans un domaine
spatial déterminé et d'attendre que les autorités publiques et les juridictions de tous les
146 LA RÈGLE D'APPLICABILITÉ

autres États se rallient aux opportunités de ses choix de politique législative (à supposer
qu'une telle politique se laisse élucider) ?
4.21 - Prédominance du droit du for - La théorie unilatéraliste aboutit à une prédomi-
nance du droit du for, à un double titre.
Durant la première phase de recherche du droit applicable, le juge est invité à vérifier
si la situation qui lui est soumise relève du domaine spatial du droit matériel interne du
for. Si la question posée en ces termes reçoit une réponse affirmative, la disposition perti-
nente de ce droit est appliquée sans égard aux éléments étrangers de la situation.
Il Telle qu'elle a notamment été élaborée par B. Currie, la théorie américaine de l'analyse des inté-
rêts gouvernementaux (governmental interest analysis, voy. supra, n ° 3.14) confère au droit du for une
position encore plus solide : cette loi est en principe toujours applicable sauf s'il est démontré
qu'un autre État peut se prévaloir d'un intérêt suffisamment sérieux à ce qu'une disposition parti-
culière de son droit matériel interne soit appliquée. Ainsi le conflit d'intérêts suscité par un conflit
de lois n'a pas pour objet les intérêts respectifs des agents juridiques privés mais ceux des États
dont le droit aurait vocation à être appliqué.
1111 Bien qu'elle ait certaines analogies avec la méthode unilatéraliste, la doctrine de W. Wengler s'en
écarte radicalement sur ce premier point. Refusant toute prépondérance de principe au droit du
for, W. Wengler détermine le droit applicable en vertu d'une règle de conflit multilatérale classique.
Toutefois, la compétence ainsi attribuée au droit étranger n'est que provisoire, et elle sera confir-
mée après vérification de la volonté du droit étranger à être appliqué (Anwendungswilligkeit).
Voy. W. WENGLER, Internationales Privatrecht (Berlin, New York, de Gruyter, 1981) ; ID., « The general
principles of private international law », Recueil des cours, vol. 104 (1962-III), 273-465; F. RIGAUX,
« Une imposante synthèse allemande en droit international privé. Le traité du professeur Wilhelm
Wengler », Revue (1982), 245-272.
Ensuite, en cas de conflit négatif, c'est-à-dire après que le juge a constaté qu'aucune
des lois en présence ne réclame son application, force est d'attribuer une compétence
subsidiaire au droit matériel interne du for, puisque la branche des conflits de lois ne sau-
rait s'accommoder - à l'instar de l'apatridie à laquelle fait conclure le conflit négatif de
nationalités - de situations particulières soustraites à tout droit étatique. Mais n'est-ce
pas anéantir le postulat fondamental du système et restituer au droit du for une compé-
tence illimitée qui y avait été déniée au départ? N'est-ce pas aussi reconnaître que le
domaine d'application dans l'espace du droit matériel n'est pas restreint a priori par des
règles d'applicabilité intangibles ?
La méthode unilatéraliste pratiquée aux États-Unis fait l'économie du conflit négatif en attri-
Ill
buant au droit matériel du for une compétence de principe.

4.22 - Le juge, arbitre de conflits de compétence législative - Pour les situations aux-
quelles le droit matériel interne du for n'est pas applicable, la théorie unilatéraliste
recommande de rechercher le droit étranger assumant une telle compétence d'après ses
propres règles d'applicabilité. L'analogie avec les règles de détermination de la nationalité
est évidente. Des conflits soit positifs, soit négatifs, risquent d'en résulter. À l'égard des
premiers il appartient au tribunal de préférer la loi de l'État qui lui paraît avoir les titres
les meilleurs. Le juge est ainsi posé en arbitre du règlement du conflit de lois.
Selon la version américaine de l'unilatéralisme, c'est pour trancher un conflit positif de compé-
1111

tences législatives que l'analyse des intérêts gouvernementaux en présence s'est révélée la plus
féconde. On notera que la quasi-totalité des conflits de lois ainsi résolus ne sont pas de nature
«internationale», ayant pour objet les lois d'États fédérés (interstate conflicts oflaws).
L'importance accrue du rôle du juge risque alors d'introduire un élément d'insécu-
rité juridique pour le praticien du droit.
L'APPLICABILITÉ DU DROIT NATIONAL 147

Elle paraît également peu compatible avec un processus législatif, dans la mesure où
le législateur, en posant une règle de conflit de lois, ne saurait se contenter d'indiquer aux
autorités publiques les seuls cas d'application de la loi du for: l'attitude à adopter dans
un contentieux transfrontière se prête également à l'édiction de règles de comportement,
et le législateur de droit international privé ne peur ignorer que les juridictions nationa-
les peuvent être saisies de demandes qui ne trouvent pas à se fonder sur le droit du for.
S'en remettre, dans ce cas, à l'appréciation du juge alors que celui-ci serait lié par les
règles d'applicabilité posées à propos des règles matérielles du for, révélerait une appro-
che fragmentaire de la politique des rapports privés transfrontières.

4.23 - La tentation unilatéraliste - La fascination exercée par l'unilatéralisme s'explique


par l'apparente simplicité du système. Il paraît, à première vue, une conception très uni-
versaliste du droit international privé, procurant une espèce de recette magique qui
réduirait tous les conflits de lois à une règle unique selon laquelle chaque État détermine-
rait selon son propre système de droit international privé quel est le domaine d'applica-
tion dans l'espace de chacune de ses règles de droit matériel. De plus, et toujours sur un
plan théorique, pour que les agents juridiques privés sachent à quel droit matériel ils
sont soumis, il suffirait de rechercher le droit applicable sans se préoccuper du pays dans
lequel un litige serait éventuellement porté. La troisième tentation de l'unilatéralisme
concerne les internationalistes de droit public que cette méthode a parfois séduits parce
qu'elle paraît procurer une solution assez élégante dans l'hypothèse où le juge n'a pas de
droit du for. Or, cette situation est précisément celle du juge international quand il doit
faire application d'un système de conflit de lois.
Sur les trois points considérés, force est de dissiper l'illusion de l'unilatéralisme. Dès
le moment où la mise en œuvre de cette méthode suscite des conflits, soit positifs soit
négatifs, on assiste à un retour pervers de la lex fori, lequel rend la solution tout à fait
inapplicable par un juge international. En effet, la solution apportée au cumul de lois qui
se déclarent applicables consiste au premier chef à donner la préférence au droit matériel
du for quand celui-ci est en concours avec un droit étranger, à l'instar de la prépondé-
rance donnée à la nationalité du for sur la nationalité d'un autre État. La solution appor-
tée aux lacunes est encore plus vicieuse, puisqu'elle consiste à conférer une compétence
subsidiaire universelle au droit matériel du for.

4.24 - L'illusion unilatéraliste - La théorie unilatéraliste repose sur une double illusion.
D'une part, la seule véritable règle de conflit de lois unilatérale est la norme fonda-
mentale de partage des compétences législatives attribuant à chaque État le pouvoir
d'arrêter le domaine spatial de ses dispositions de droit matériel; mais l'existence de cette
norme n'est nullement vérifiée, à la fois parce qu'elle assimile indûment l'exercice de la
compétence législative à l'exercice de la compétence juridictionnelle et à l'accomplisse-
ment d'actes de contrainte institutionnelle ou matérielle, et parce que, bien loin de se
prévaloir d'une telle norme, les États ont le plus souvent réglé les conflits de lois soumis à
leurs juridictions à l'aide de règles de conflit multilatérales.
D'autre part, qu'eÜe soit un organe de l'État ou un agent juridique privé, la personne
qui s'efforce de déterminer le droit applicable à une situation transfrontière selon la
méthode unilatéraliste a pour tâche l'identification des règles de droit matériel dont
l'hypothèse appréhende l'un des éléments de cette situation, et de vérifier laquelle de ces
148 LA RÈGLE D'APPLICABILITÉ

dispositions se déclare applicable en vertu des normes d'applicabilité qu'est supposé con-
tenir l'ordre juridique étatique auquel elle appartient. L'existence éventuelle - mais
somme toute marginale - de normes d'applicabilité particulières rencontre de manière
assez adéquate l'un des postulats fondamentaux de l'unilatéralisme ; pour le surplus
force est de se rabattre sur les règles de conflit multilatérales, réinterprétées comme si
elles n'avaient qu'une portée unilatérale.

C. La complémentarité des méthodes


4.25 - Présentation - Au lieu de situer l'unilatéralisme et la règle de rattachement dans
une relation d'opposition, il est préférable de constater la complémentarité des métho-
des.
Au vrai, l'unilatéralisme pur reste un phénomène exceptionnel. Cela n'empêche pas
de le faire valoir en liaison avec d'autres concepts, en fonction des matières, en relation,
tantôt avec une règle de compétence internationale, tantôt une règle d'applicabilité, tan-
tôt même une règle de rattachement.
4.26 - Alignement de la compétence législative sur la compétence juridiction-
nelle - L'existence même d'un système de conflit de lois est fondée sur la distinction
entre la détermination de la compétence administrative ou juridictionnelle et le choix du
droit applicable à la matière sur laquelle l'organe étatique exerce sa compétence. Si, dans
les limites de la première, les autorités et les juridictions d'un État n'appliquaient que le
droit matériel interne de cet État, l'hypothèse même du conflit de lois serait éliminée.
Il arrive cependant que l'objet de certaines compétences administratives ou juridic-
tionnelles justifie qu'elles soient exercées à l'exclusion de l'application d'un droit étran-
ger.
L'alignement de la compétence législative sur la compétence administrative ou juri-
dictionnelle apparaît dans certains traités internationaux et dans le droit interne. La
méthode n'appelle aucune critique quand le critère de compétence juridictionnelle
exprime un lien suffisamment étroit avec le for pour justifier l'application concomitante
du droit matériel de la juridiction compétente.
Par exemple, dans la Convention de La Haye du 5 octobre 1961 concernant la compétence des
1111

autorités et la loi applicable en matière de protection des mineurs - comme dans la Convention du
19 octobre 1996 ayant le même objet-, un premier type de disposition sert à déterminer la compé-
tence internationale des autorités. Sauf en des cas particuliers, ces autorités appliquent « leur loi
interne».
La matière du divorce manifeste une tendance à l'application du droit du for. Au Royaume-Uni,
1!111

les tribunaux anglais ne se déclarent compétents que pour prononcer le divorce d'époux ayant leur
domicile ou leur résidence habituelle en Angleterre et ils déterminent les causes du divorce selon la
lexfori.
Dès que se relâche l'appréciation du critère de compétence internationale, par exemple s'il suffit de
passer une nuit à l'hôtel pour satisfaire à la condition de résidence, l'application systématique du
droit du for conduit à des abus, tels ceux que la doctrine américaine a décrits à l'aide de l'expression
imagée « suitcase divorce». Voy. notamment: B. CuRRIE, « Suitcase Divorce», Univ. of Chicago L.R.
(1967), 26; WELs, « The Poor Man's Reno», Cornell Law Quarter/y (1949-1950), 303-326.
Comp. en Belgique l'article 3 de la loi du 27 juin 1960 sur l'admissibilité du divorce lorsqu'un des
conjoints au moins est étranger: « La détermination des causes du divorce relève de la loi belge».
Énoncée sans autre précision, la disposition revenait à rendre la loi belge applicable au fond pour
tout litige entrant dans la compétence du juge saisi.
L'APPLICABILITÉ DU DROIT NATIONAL 149

Ill Dans la doctrine, voy. notamment: H. BATIFFOL, « Observations sur les liens de la compétence
judiciaire et de la compétence législative», Mélanges Kollewyn-Ojferhaus (Leiden, Sijthoff, 1962), 56-
66 ; P. HÉBRAUD, « De la corrélation entre la loi applicable à un litige et le juge compétent pour en
connaître», Revue (1968), 205 ;]. FAWCETT, « The interrelationship ofjurisdiction and choice oflaw
in private international law », Current Legal Problems (1991), 39-62; H. MAIER et T. McCov, « A uni-
fying theory for judicial jurisdiction and choice oflaw », Am.]. Camp. L. (1991), 249-292.
Il est aisé d'apercevoir l'analogie entre cette méthode particulière de solution du
conflit de lois et celle qui vaut comme méthode générale en d'autres branches du droit
international privé, par exemple dans les conflits d'autorités et de juridictions ou en
dehors du droit international privé, par exemple en droit pénal ou en droit fiscal. Elle
relève de l'unilatéralisme en ce sens qu'elle se borne à déterminer le domaine d'applica-
tion dans l'espace des dispositions du droit du for, s'abstenant de toute désignation d'un
droit étranger. Mais il s'agit aussi d'un unilatéralisme tronqué, puisque l'aspect le plus
original de la méthode unilatéraliste est de conduire à l'application d'un droit étranger,
aux situations auxquelles ce droit se déclare lui-même applicable.
Ili Il serait inexact d'attribuer au droit international privé anglais ou américain une règle de conflit
(multilatérale) désignant la loi du domicile ou de la résidence des époux ou de l'un d'eux, alors que
la véritable portée de la règle est de lier la compétence législative à la compétence juridictionnelle.
Pareille extrapolation est impossible puisque la compétence juridictionnelle ferait défaut dès le
moment où le droit matériel interne du for ne serait pas applicable. Une telle méthode a pourtant
été suivie en Belgique en matière d'adoption, la Cour de cassation estimant que « selon le droit
international privé des États-Unis, l'état d'une personne est régi non par sa loi nationale mais par
celle de son domicile» (Cass., 4 novembre 1993, Pas., 1993, I, 921) et approuvant alors l'application
du droit belge à un adopté américain établi en Belgique. La solution illustre la théorie du renvoi
(voy. infra, n° 5 6.12 et s.). Elle néglige que selon le droit de l'État dont l'enfant était originaire - en
l'occurrence le Delaware -, le droit international privé contient une règle de compétence alterna-
tive fondant la compétence des autorités de cet État sur les critères, alternatifs, du domicile de l'une
des parties à l'acte, la juridiction saisie appliquant ensuite le droit du for (M. FALLON, note sous
l'arrêt, Rev. trim. dr. Jam., 1994, 494).

4.27 - Répartition des domaines respectifs des méthodes - L'adoption par les diffé-
rents législateurs nationaux de règles directes d'applicabilité en des matières particulières
(voy. supra, n° 5 4.3 et s.) s'inspire manifestement de la méthode unilatéraliste. Faut-il les
tenir pour des exceptions introduites dans un système général de règles multilatérales ou
pour un modèle méritant d'être universalisé?
L'analogie entre les règles directes d'applicabilité de la matière des conflits de lois et
l'unilatéralisme des règles en vigueur dans les conflits de nationalités, la condition des
étrangers et les conflits d'autorités et de juridictions donne à réfléchir. La méthode unila-
téraliste est parfaitement adaptée à la réglementation des rapports dans lesquels la puis-
sance publique occupe une position prépondérante : attribuer sa nationalité, soumettre
l'étranger aux discriminations appropriées, régler le fonctionnement de ses autorités et
de ses juridictions ainsi que la reconnaissance et l'exécution des actes et des jugements
étrangers. Dans la matière des conflits de lois le législateur a fait des applications spora-
diques de la méthode unilatéraliste soit pour verrouiller le domaine d'application dans
l'espace de dispositions de droit matériel jugées particulièrement importantes, soit parce
que la mise en œuvre de celles-ci était indissociable de l'accomplissement d'actes de
nature administrative.
Ili Ainsi, les techniques utilisées par la loi du 5 juin 1928 (voy. supra, n ° 4.5), notamment les dispo-
sitions relatives à l'immatriculation du marin naviguant sous pavillon belge (art. 3), à la délivrance
du livret de marin par le commissaire maritime ou d'une déclaration d'identité par le consul
150 LA RÈGLE D'APPLICABILITÉ

(art. 4), à la tenue du rôle d'équipage (art. 13, 14, 21, 22), excluent que l'application de la loi belge
soit étendue au contrat d'engagement d'un marin belge sur un navire étranger. Inversement,
l'homogénéité du statut administratif, contractuel et disciplinaire de l'équipage d'un navire justifie
que ce statut soit impérativement soumis à la loi du pavillon.
En droit économique, des réglementations contraignantes font appel aux techni-
ques du droit administratif, dont le domaine d'application est nécessairement déterminé
de manière unilatérale : quand la loi organise le contrôle des banques ou des compagnies
d'assurances et qu'elle soumet à l'agrément d'une autorité publique l'accomplissement
d'opérations déterminées, l'application de la norme ne saurait être séparée de la désigna-
tion des autorités instituées à cette fin. La plupart des dispositions de cette nature sont
inapplicables dans un autre ordre juridique.
Voy. F. RrGAUX, « Les règles de droit délimitant leur propre domaine d'application ", Ann. dr.
Ill!
(1983), 290-312.

4.28 - Interpénétration fonctionnelle des méthodes - Le recours simultané aux métho-


des de la règle d'applicabilité et de la règle de rattachement n'est pas inconciliable dans
les matières du droit privé. Leur coexistence se manifeste à plusieurs égards.
D'abord, la règle directe d'applicabilité exclut rarement toute règle de rattachement.
On a montré (voy. supra, n ° 4.14) le caractère fonctionnel des lois de police, leur interven-
tion en tant que telles étant subordonnée le plus souvent au caractère inapproprié - sous
l'angle de l'objectif poursuivi - de la règle de rattachement régissant globalement la
matière en cause.
Ensuite, la méthode même de détermination du domaine d'application dans
l'espace de dispositions qui, en raison de leur caractère impératif, se prêtent le mieux à
l'utilisation d'une règle d'applicabilité - ou à l'unilatéralisme - n'hésite pas à combiner
une telle règle avec la technique du rattachement. On a vu (voy. supra, n ° 4.9) que l'obser-
vation d'une convergence, en droit comparé, de règles analytiques d'applicabilité pouvait
conduire à la formulation d'une règle synthétique de rattachement, ou encore que la
prise en considération d'une règle impérative étrangère pouvait être conditionnée, non
seulement par la vérification d'une volonté d'application de cette règle, mais encore par
l'existence d'un« lien étroit» avec le pays dont émane cette règle.
Ill Malgré certaines apparences, l'article 7 de la Convention de Rome du 19 juin 1980 (voy. supra,
n° 3.56), comme en Suisse l'article 19 LDIP ou, dans le Code belge, l'article 20, est très loin de l'ins-
piration unilatéraliste qui leur a parfois été prêtée. Le message du Conseil fédéral exposant les
motifs du projet suisse explique que: « L'application ou la prise en considération de semblables
dispositions d'États tiers ne pourrait en fin de compte découler que d'une injonction du droit du
for" (p. 51). En effet, la démarche s'écarte sur un point essentiel de la méthode unilatéraliste à
l'état pur. Le caractère impératif de la disposition du droit étranger, sa volonté d'être appliquée
« quelle que soit la loi régissant le contrat» (Convention de Rome) n'est qu'un des éléments pris en
considération par la disposition permettant une dérogation à l'application de la loi du contrat
(Convention de Rome) ou de toute loi désignée en vertu des règles multilatérales du for (lois suisse
et belge). Il faut au préalable que le juge saisi ait dûment constaté que la situation présente « un
lien étroit» avec le pays dont la disposition impérative évince le droit désigné par une règle de con-
flit multilatérale. Pareille appréciation est faite selon les conceptions du conflit de lois propres au
droit du for, et c'est en ce sens qu'il faut comprendre le commentaire du Conseil fédéral. La réfé-
rence à« la conception suisse du droit» (loi suisse) exprime plus nettement sur ce point les inten-
tions du Conseil fédéral.
La véritable nature de l'article 7 de la Convention de Rome et de l'article 19 de la loi suisse ou de
l'article 20 du Code belge ne se laisse percevoir que si on rapproche ces dispositions de l'évolution
subie par la doctrine américaine. L'idée d'accueillir« l'intérêt gouvernemental» de l'État dont une
L'APPLICABILITÉ DU DROIT UNIFORME 151

disposition impérative est déclarée applicable y est totalement étrangère. En revanche, le pouvoir
reconnu au juge de s'écarter d'une application trop rigide des règles de rattachement multilatérales
doit être rapproché des solutions souples introduites dans le Restatement 2d on the conflict of laws par
le professeur Reese, qui rompt totalement avec la governmental interests anarysis. La notion de « lien
étroit» qui apparaît dans les deux textes européens évoque celle de most significant relationship qui,
selon le système du Restatement 2d, permet d'identifier la loi du contrat (proper law of the contract)
quand les parties n'ont pas elles-mêmes choisi cette loi.

Section 2
L'applicabilité du droit uniforme
4.29 - Présentation - Ni plus ni moins que le droit national, le droit uniforme soulève,
quant à sa mise en œuvre, une question d'applicabilité. Une fois qu'est établie la force
obligatoire de la règle uniforme, déterminée en fonction des États dans lesquels l'instru-
ment international est en vigueur, il reste au juge d'un tel État, saisi d'une situation par-
ticulière dotée d'éléments d'extranéité, à vérifier si ladite règle a vocation à régir le cas
d'espèce qui lui est soumis.
La question présente une intensité variable selon qu'elle affecte le droit matériel uni-
forme ou les règles de rattachement uniformes. Et pour les premières, elle revêt une
dimension particulière lorsque l'instrument est adopté dans le cadre de l'Union euro-
péenne.

§1 NOTIONS

A. Diversité des instruments


4.30 - Un reflet de la diversité des méthodes - Nombre de traites internationaux con-
cernent le droit international privé. L'ampleur de l'uniformisation présente une grada-
tion, en fonction de la nature des règles qui en font l'objet. En effet, le droit uniforme
reproduit la distinction fondamentale en droit international privé, entre règles matériel-
les et règles de conflit de lois.
L'élimination la plus radicale du conflit de lois consiste en l'uniformisation du droit
privé matériel. Alors que cette méthode ne peut être mise en œuvre que par l'adoption
d'un instrument international, les règles de conflit de lois ont pour source tantôt un
pareil traité, tantôt et le plus souvent le droit interne propre à chaque État. Cette unifor-
misation est cependant loin d'être totale. Concentrée sur les matières du droit économi-
que, pratiquement inexistante en matière familiale, elle se limite le plus souvent, dans
une matière déterminée, à un aspect ponctuel du rapport juridique en cause. Au demeu-
rant, les règles uniformes ne sont jamais en vigueur dans la totalité des États.
Par exemple, le secteur des transports internationaux a donné lieu à un ensemble remarquable
1111

de traités d'unification du droit matériel, mais la plupart portent uniquement sur le régime de la
responsabilité contractuelle (voy. infra, n ° 14.153), ainsi que sur la réparation des dommages causés
par des faits de pollution (voy. infra, n ° 15.48).
Le rapprochement des droits nationaux par l'établissement de règles communes de
rattachement constitue certes une avancée plus modeste, mais la démarche, plus réaliste,
peut suffire à favoriser l'objectif propre au règlement des situations internationales, à
savoir la sécurité juridique, le respect de droits acquis, la circulation internationale des
152 LA RÈGLE D'APPLICABILITÉ

personnes et des biens (voy. supra, n° 5 3.10 et s.), à condition sans doute que de telles dis-
positions soient complétées de règles communes sur la compétence internationale et
l'efficacité des décisions judiciaires.
L'adoption d'actes mixtes se rencontre également. Ceux-ci tendent principalement à
établir des règles matérielles communes mais, pour les questions sur lesquelles un accord
n'a pu être atteint, elles introduisent des règles de rattachement complémentaires.
Voy. récemment la Convention des Nations unies du 31 janvier 2002 relative à la cession de
1111

créance, I.L.M. (2002), 776.

4.31 - Importance de l'intégration européenne - Les compétences que le traité CE attri-


bue aux institutions communautaires en matière de « rapprochement des législations
nationales » (art. 94 et 95) ou selon les nouvelles dispositions relatives à la circulation des
personnes (voy. supra, n ° 2.27) expliquent l'existence de plusieurs dizaines d'actes com-
munautaires, règlements et directives, intéressant la matière civile ou commerciale. La
plupart de ces actes comportent des règles matérielles, qui, lorsqu'il s'agit d'une directive,
doivent faire l'objet d'une transposition dans le droit national. Il reste exceptionnel que
la Communauté arrête des règles de rattachement communes (voy. infra, n° 14.90, pour
le contrat d'assurance). Une telle perspective n'est cependant pas irréaliste, non seule-
ment parce que l'article 65 CE évoque la « matière des conflits de lois», mais encore
comme une implication du principe de subsidiarité qu'énonce l'article 5 CE.
Plusieurs matières font l'objet de travaux relatifs à une uniformisation des règles de rattache-
1111

ment, notamment le droit de la responsabilité civile (projet « Rome II », chap. 15) ou le droit des
contrats (projet« Rome I », chap. 14) mais aussi le droit du divorce (chap. 12) ou le droit des suc-
cessions (chap. 13).
En Europe, d'autres organisations poursuivent encore des objectifs propres d'har-
monisation. On peut citer le Benelux et le Conseil de l'Europe.
4.32 - Apparition d'une coutume transnationale - Il existe aussi des usages propres à
certains milieux professionnels, les plus significatifs ayant aujourd'hui un caractère
transnational. Les opérateurs commerciaux ont, par la répétition d'usages qui leur sont
propres, par le recours à des contrats types, institué des pratiques obligatoires. À celles-ci
peut être reconnu le caractère d'une coutume occupant un espace propre: il ne s'agit évi-
demment pas d'une coutume internationale au sens de l'article 38, 1, b, du Statut de la
Cour internationale de Justice puisqu'elle n'est pas le fait de sujets ou d'organes de
l'ordre juridique international. Elle n'est pas davantage réductible à la coutume comme
source de droit interne puisqu'elle s'est instituée dans un milieu qui n'appartient en pro-
pre à aucun État déterminé. La qualification transnationale doit dès lors être jugée seule
adéquate.
Dans la doctrine, voy. notamment, outre les ouvrages cités dans le chapitre 2 : E. GAILLARD,
1111

« Trente ans de !ex mercatoria. Pour une application sélective de la méthode des principes généraux
du droit», Clunet (1995), 5-30; Ph. KAHN, La vente commerciale internationale (Paris, Sirey, 1961); A.
KAssrs, Théorie générale des usages du commerce (Paris, L.G.D.j., 1984); C. LARROUMET, « La valeur des
principes d'Unidroit applicables aux contrats du commerce international »,].C.P. (1997), I, 4011 ;
E. LOQUIN, « Où en est la !ex mercatoria? », Mélanges Ph. Kahn (Paris, Litec, 2000) ; C. PAMBOUKIS,
« La !ex mercatoria reconsidérée», Mélanges Lagarde (Paris, Dalloz, 2005), 635-659.
1111 Pour une codification des usages, voy. les principes établis par UNIDROIT (Rome, 1994), 256 p.
Entre les usages du commerce et les sources de droit classiques, à savoir le droit
international et les différents droits internes, il se noue deux espèces de liens.
L'APPLICABILITÉ DU DROIT UNIFORME 153

D'une part, l'unification du droit privé matériel a pu trouver dans des pratiques ou
des usages antérieurs la matière de règles auxquelles, par une forme de codification inte-
rétatique, il est subséquemment conféré une nature juridique nouvelle les rendant obli-
gatoires dans les ordres juridiques respectifs des États parties au traité.
IllLa codification internationale du droit maritime et, d'une manière plus générale, du droit appli-
cable aux transports internationaux, est un exemple classique de pareille novation de la source du
droit applicable.
D'autre part, de nombreux instruments internationaux contiennent une référence
aux usages du commerce, le contexte et, parfois même, le texte faisant apparaître qu'il
s'agit d'usages du commerce« international».
IllVoy. par exemple l'article 23 du règlement 44/2001, qui admet une clause attributive de juridic-
tion conclue, « dans le commerce international, en une forme admise par les usages dans ce
domaine et que les parties connaissent ou sont censées connaître» (voy. infra, n° 14.13).
La référence est notable dans plusieurs instruments internationaux relatifs à l'arbitrage de droit
international privé : voy. notamment l'article VII, 1, de la Convention européenne sur l'arbitrage
commercial international du 21 avril 1961, l'article 38 du Règlement d'arbitrage de la Commission
économique pour l'Europe de l'ONU, l'article 33 du Règlement d'arbitrage de la Commission des
Nations unies pour le droit commercial international (CNUDCI).
Voy. aussi, en matière de vente, la Convention de Vienne du 11 avril 1980 (infra, n ° 14.183).
Le juge étatique appliquant un usage « international » le qualifie parfois de « droit
étranger » de manière à l'introduire plus commodément dans les catégories juridiques
qui lui sont familières (voy. infra, n ° 6.57).
Ainsi qu'il a déjà été indiqué (voy. supra, n ° 1.22), ce n'est pas la référence aux usages
transnationaux qui confère à ceux-ci une portée normative, comme s'ils n'avaient pu
l'acquérir sans l'action d'une source de droit étatique ou interétatique, pareille référence
se bornant à les introduire par un phénomène de réception dans d'autres ordres juridi-
ques.

B. Détermination de l'applicabilité de l'instrument international


4.33 - Distinction entre force obligatoire et applicabilité - Comme pour toute règle de
droit (voy. supra, n° 1.31), la délimitation du domaine spatial du traité comporte deux
questions relatives l'une à la force obligatoire (territorialité au sens formel) et l'autre à
l'applicabilité (territorialité au sens matériel).
Pour une utilisation implicite de cette distinction, voy.: C.J.C.E., aff. C-281/02, 1cr mars 2005,
1111

Owusu, à propos de la Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968 : le traité peut régir des situa-
tions ayant des points de rattachement avec un pays tiers sans entraîner pour autant aucune obli-
gation pour celui-ci.
La première question, la plus facile, concerne la détermination des pays dans les-
quels un traité a force obligatoire. À cet égard, il suffit de consulter la liste des États ayant
déposé les instruments de ratification et de vérifier si le délai généralement prévu pour
l'entrée en vigueur est expiré et si le traité n'a pas été régulièrement dénoncé.
La deuxième question est relative à l'applicabilité du traité dans l'espace: à quelles
catégories de situations est-il, selon le critère de leur localisation, applicable? À cette
question, l'exigence que le traité soit « applicable entre États contractants» fournit une
réponse généralement insuffisante. Elle ne détermine pas quelles situations concrètes
sont à même de tomber sous l'application des règles communes.
154 LA RÈGLE D'APPLICABILITÉ

Ill Ainsi, dans un traité d'établissement, les États stipulent certains avantages au profit de leurs
seuls ressortissants. Dans un traité portant des règles de compétence judiciaire, il peut être précisé
que les litiges visés sont ceux où le défendeur est domicilié dans un État contractant.
Un traité sur la reconnaissance et l'exécution des décisions judiciaires prévoit seulement que les
décisions rendues dans chacun des États contractants seront reconnues par cous les autres. Dans
cette hypothèse, le critère d'applicabilité se réfère à une relation entre États.
Dans la matière des conflits de lois, l'applicabilité des règles uniformes suscite des
questions assez complexes qui justifient un examen approfondi(§ 2 et 3 ci-dessous).
L'adoption d'actes communautaires en matière civile ou commerciale soulève des
questions analogues. Leur force obligatoire s'étend aux États membres de l'Union euro-
péenne, et à eux seuls, sans exclure que certains actes ne concernent pas certains États
membres, en vertu du recours au processus de coopération renforcée que permettent les
articles 11 CE ou 69 CE. Quant à l'applicabilité, il convient de déterminer si un acte
communautaire peut affecter toute situation quelconque, interne ou internationale, ou
seulement celles qui présentent avec le « territoire communautaire » un lien de rattache-
ment approprié.
1111La question de l'applicabilité dans l'espace d'un acte communautaire ne doit pas être confon-
due avec celle de la définition du territoire de référence pour l'application du droit communau-
taire. Les termes de l'article 299 CE sont, à cet égard, ambigus en comparaison de ceux des traités
CECA et CEEA: ils portent seulement que« Le présent traité s'applique au[ ... ]», énonçant ensuite
la liste des différents États membres. La référence explicite à certains « territoires», européens ou
<l'outre-mer, donne à entendre que la disposition sert bien à fixer le territoire pertinent; l'applica-
tion « à» l'État permet d'inclure dans ce territoire toute subdivision territoriale, même non euro-
péenne, faisant partie de cet État selon son droit constitutionnel.
Par exemple, pour déterminer l'applicabilité dans l'espace d'une règle du droit primaire dotée
d'effet direct, tel l'article 28 CE concernant la circulation des marchandises, il est insuffisant d'en
constater l'application aux différents États membres; il convient de préciser que la liberté de circu-
lation en cause régit toutes les marchandises « mises en libre pratique dans» un État membre
(art. 23 CE, § 2). De même, l'article 49 CE précise que la liberté de prestation de services vaut, « à
l'intérieur de la Communauté », à l'égard des « ressortissants des États membres établis dans un
pays de la Communauté ». Cette règle complexe se lit comme posant trois critères d'applicabilité
cumulatifs, à savoir que la situation concrète doit concerner une entrave éprouvée à l'intérieur de la
Communauté et qu'elle affecte une personne qui, à la fois, ait la nationalité d'un État membre et
soit établie dans un tel État. Pour concrétiser les éléments « à l'intérieur de la Communauté» et
« établi dans un pays», il convient de se référer à la définition du ressort territorial donnée par
l'article 299 CE.
La détermination de l'applicabilité présuppose encore une réponse à la question dis-
tincte, propre au contexte communautaire, de l'étendue de la compétence normative des
institutions communautaires. Cette compétence étant d'attribution seulement, il
n'appartient à ces institutions de rapprocher les législations nationales (art. 95 CE) ou
d'agir en matière de conflits de lois ou de juridictions (art. 65 CE) que dans la mesure
nécessaire « au bon fonctionnement du marché intérieur» (C.J.C.E., aff. C-376/98,
5 octobre 2000, Allemagne c. Parlement européen & Conseil, « Directive sur la publicité pour le
tabac», Rec., 2000, I-8419, à propos de l'article 95 CE) : les termes de l'habilitation com-
portent ainsi pour limite à l'exercice de la compétence attribuée, la condition du respect
du principe de proportionnalité. La question se pose alors de savoir si le domaine d'appli-
cation dans l'espace du droit dérivé ne doit pas s'aligner, en principe, sur celui du droit
primaire.
IllSur ce que n'excède pas les limites dans l'exercice de la compétence normative, l'adoption d'une
directive tendant à prévenir le risque d'interprétations divergentes, d'un État membre à l'autre,
l' APPLICABILITÉ DU DROIT UNIFORME 155

d'une convention internationale en vigueur dans ces États, voy.: C.J.C.E., aff. C-377/98, 9 octobre
2001, Pays-Bas c. Parlement européen & Conseil, « Directive sur la brevetabilité des inventions biotechno-
logiques », Rec. (2001), 1-7079.
Sur l'étendue de la compétence normative à l'égard des situations purement externes, voy. infra,
11111

n° 4.44.

4.34 - Conflits entre instruments - Il ne suffit pas toujours de déterminer le champ


d'application propre à chaque traité, la multiplication de ceux-ci rend nécessaire la déli-
mitation des domaines respectifs, matériels, spatiaux et temporels de traités successifs.
La plupart des traités portent sur une matière spéciale, laissant alors intactes les
règles plus générales, le cas échéant nationales, auxquelles elles apportent une dérogation.
1111 Ainsi, pour la vente d'objets mobiliers corporels, la Convention de La Haye du 15 juin 1955 pré-

vaut sur la Convention de Rome du 19 juin 1980, laquelle, dans un État à l'égard duquel les deux
instruments sont en vigueur, continue de régir les autres contrats. Pour la forme des dispositions
testamentaires (Convention de La Haye du 5 octobre 1961) et pour les accidents de la circulation
routière (Convention de La Haye du 4 mai 1971), les dispositions conventionnelles n'affectent pas
les règles nationales de conflit de lois qui concernent plus généralement la forme des actes et lares-
ponsabilité extracontractuelle.
1111 Des explications complémentaires sur les conflits de traités et sur le conflit entre un traité et le
droit interne seront données pour le choix de la norme primaire de droit international privé (infra,
n ° 5.14).

La multiplication d'actes communautaires en matière civile ou commerciale peut


aussi générer des conflits entre instruments, soit entre actes communautaires, soit entre
de tels actes et des traités conclus par des États membres. Le conflit entre actes commu-
nautaires se prête aux mêmes solutions que le conflit entre traités. Il en va différemment
du conflit entre un acte communautaire et un traité conclu par un État membre.
1111Le conflit entre une convention conclue par un État membre avec un État tiers et, soit le traité
CE lui-même, soit un acte dérivé de ce traité, est prévu par l'article 307 CE, qui distingue selon que
la convention a été conclue avant ou après l'entrée en vigueur du traité dans l'État membre. Alors
que, pour les conventions conclues ultérieurement, la primauté du traité CE est inconditionnelle,
les conventions antérieures doivent, en cas d'incompatibilité, faire l'objet des adaptations nécessai-
res par l'État membre concerné, par« rous les moyens appropriés ».
1111Il résulte de cette primauté communautaire qu'il appartient aux États membres de veiller désor-
mais à ne conclure de convention en matière de droit international privé qu'après en avoir mesuré
la compatibilité avec le droit communautaire. La question est devenue particulièrement sensible à
propos des Conventions de La Haye.
L'insertion, dans une telle convention, d'une clause dite de « déconnexion » consiste à y reconnaî-
tre la faculté pour les États membres de déroger aux règles conventionnelles. Voy. par exemple
l'article 52, paragraphe 2, de la Convention de La Haye du 19 octobre 1996 sur la protection des
enfants.
1111La négociation d'une convention par des États membres avec des États tiers soulève encore la
question de la détermination de la compétence étatique, au regard d'une compétence concurrente
ou exclusive de la Communauté pour négocier et conclure le traité. Dans les matières affectant le
marché intérieur, cette compétence de la Communauté n'est certes pas exclusive, mais elle le
devient par l'épuisement de la compétence normative sur le plan interne. Ainsi, après que la Com-
munauté a procédé à une harmonisation exhaustive des législations nationales de droit internatio-
nal privé dans une matière particulière qui couvre l'ensemble des situations communautaires, ou si
l'acte comporte une « clause externe» - visant des ressortissants de pays tiers -, elle acquiert une
compétence exclusive pour traiter de cette matière au niveau mondial. Selon la Cour de justice, une
convention affecte un acte communautaire lorsqu'elle relève du domaine couvert en grande partie
par l'acte, et l'incompétence de l'État vaut même en l'absence de risque de contradiction entre le
156 LA RÈGLE D'APPLICABILITÉ

contenu de la convention et celui de l'acte (C.J.C.E., aff. C-471/98, 5 novembre 2002, Belgique,
« Accords de ciel ouvert», Rec., 2002, I-9681).
Cela explique qu'un acte communautaire n'admette la priorité de règles conventionnelles spéciales
que si celles-ci sont antérieures à l'acte, excluant toute possibilité pour l'État d'y déroger, en une
matière particulière, par un traité ultérieur. Comp. à cet égard l'article 71, paragraphe le'", du règle-
ment 44/2001, avec l'article 57, paragraphe 1cr, de la Convention de Bruxelles.

§2 LE DROIT MATÉRIEL UNIFORME

A. Méthodes d'applicabilité du droit conventionnel


4.35 - Substitution du droit uniforme au droit commun - Par une première variété de
traités, les États s'obligent à substituer des dispositions nouvelles qui leur sont commu-
nes, aux réglementations nationales différentes jusque-là en vigueur.
S'insérant dans le droit matériel interne de chacun des États ayant participé au
mouvement d'unification, les règles uniformes acquièrent en principe le même domaine
d'application dans l'espace que les dispositions de ce droit dont elles prennent la place.
En d'autres termes, le juge saisi d'un litige se doit uniquement d'appliquer la règle de rat-
tachement pertinente en la matière.
Pour radicale qu'elle soit, cette méthode n'est guère utilisée.
!IllOn en trouve une illustration dans la Convention de Genève du 7 juin 1930 portant loi uni-
forme sur les lettres de change et les billets à ordre et dans la Convention de Genève du 19 mars
1931 portant loi uniforme sur les chèques, ou dans la Convention de Paris du 17 décembre 1962
sur la responsabilité des hôteliers quant aux objets apportés par les voyageurs.
Pratiquement, la Convention de Paris a été intégrée dans le Code civil belge, à l'article 1952. Le
domaine d'application dans l'espace de cet article est semblable à d'autres dispositions correspon-
dantes du même Code concernant le contrat de dépôt. La tâche du juge belge se réduit à utiliser la
règle de rattachement en vigueur en Belgique dans la matière des contrats. Si cette règle désigne le
droit belge, il applique ensuite l'article 1952. On voit que l'applicabilité du traité ne dépend pas de
la liste des États contractants. Celle-ci sert uniquement à vérifier la force obligatoire du traité en
Belgique, à savoir si (1 °) la Belgique a ratifié le traité et (2°) le traité est entré en vigueur internatio-
nalement pour avoir réuni le nombre nécessaire de ratifications qu'il établit.

4.36 - Superposition d'un droit uniforme propre aux situations internationales - La


plupart des traités limitent l'uniformisation à des situations qui présentent un élément
transfrontière. Ils n'affectent alors pas les situations purement internes.
Ce procédé requiert une définition de l'élément d'extranéité. Il s'agit d'isoler un élé-
ment typique du rapport juridique, dont il est normalement exigé qu'il se localise dans
des États différents. La disposition ayant cet objet ne sert nullement à définir l'applicabi-
lité de l'instrument dans l'espace.
1111Par exemple, en matière de transports, il sera exigé que le point de départ et le point de destina-
tion soient localisés dans des États différents (voy. infra, n° 14.158). En matière de vente, on trouve
l'exigence que les parties soient établies dans des États différents (voy. infra, n° 14.181).
Il n'est pas exigé, pour définir l'internationalité, que les États en cause soient des États contrac-
tants.
1111Pour un cas singulier de création de règles matérielles s'ajoutant au droit commun sans se limi-
ter aux situations internationales, voy. la Convention de Washington du 26 octobre 1973 portant
loi uniforme sur la forme d'un testament international (voy. infra, n° 13.93). Le traité ajoute aux
dispositions du Code civil d'autres règles de forme mises à la disposition du testateur. En rédigeant
un certificat dont le formulaire est organisé par la Convention, le testateur facilite sans doute l'effi-
L'APPLICABILITÉ DU DROIT UNIFORME 157

cacité de l'acte à l'étranger. Cette « forme internationale» est également accessible au testateur
dans une situation purement interne.
Sous l'angle de l'applicabilité dans l'espace, le procédé recourt à trois types de
méthodes, selon qu'il s'abstient de toute règle d'applicabilité particulière, qu'il établit
une règle uniforme de ce type (n ° 4.37) ou qu'il prétend nier l'intervention de toute règle
analogue (n ° 4.38). La première méthode ne requiert pas de développement particulier. À
l'instar du droit uniforme qui se substitue au droit commun, le traité n'accompagne les
règles matérielles d'aucune disposition sur l'applicabilité dans l'espace. L'utilisation de
cette méthode paraît exceptionnelle.
Ill On peut citer la Convention de Washington du 26 octobre 1973, sous certaines réserves (voy.
infra, n ° 13.93).
Le traité peut contenir une règle matérielle de droit international privé, comme peut
aussi le faire le droit national (voy. supra, n ° 3.8). L'applicabilité dans l'espace de ce type
de règle s'aligne sur celle de toute règle matérielle que le traité peut contenir.
Ill Ainsi, l'article 22 de la Convention de La Haye du 2 octobre 1973 sur l'administration interna-
tionale des successions s'applique aux situations visées par l'article 1er, c'est-à-dire chaque fois que
le titulaire d'un certificat dressé conformément à la Convention dans un État contractant, obtient
dans un autre État contractant un paiement ou la remise de biens.
Ill Toute règle matérielle contenue dans un traité et applicable aux situations internationales n'est
pas nécessairement une règle matérielle de droit international privé au sens propre attribué à
l'expression.
1111Le contenu de ces règles uniformes de droit privé matériel ne fait pas obstacle à ce qu'un État
contractant les déclare également applicables aux situations purement internes (voy. infra,
n ° 14.158). Certaines conventions ont même servi de modèle au législateur national dans des pays
où elles n'étaient pas en vigueur. Toutefois, l'acte par lequel un État étend l'applicabilité des dispo-
sitions contenues dans un traité international à des situations non prévues par ce traité est un acte
législatif purement interne qui se borne à faire référence aux normes matérielles que contient le
traité, sans prendre appui sur la force obligatoire de l'instrument international.

4.37 - Méthode de la règle d'applicabilité uniforme - La plupart des traités qui unifor-
misent le droit matériel délimitent leur domaine d'application dans l'espace au moyen
d'une disposition qui remplit une fonction analogue à celle qui, à propos de règles maté-
rielles nationales, caractérise la règle directe d'applicabilité (voy. supra, n ° 4.4).
Concrètement, la règle désigne l'élément typique opérant le rattachement de la
situation à au moins l'un des États contractants. Il s'agit normalement de l'élément ser-
vant à définir la condition d'internationalité de la situation visée.
liilCette double condition se rencontre dans la phrase suivante, extraite de l'article 2 de la Conven-
tion de Varsovie du 12 octobre 1929, qui définir le transport aérien international auquel, suivant
son article premier, s'applique ladite Convention: « Est qualifié transport international, au sens de
la présente Convention, tout transport dans lequel, d'après les stipulations des parties, le point de
départ et le point de destination[ ... ] sont situés soit sur le territoire de deux Hautes Parties contrac-
tantes, soit [... ] ».
D'après d'autres conventions de la même famille, tel l'article 1er, 1 °, de la Convention de Genève du
19 mai 1956 (C.M.R.), il suffit que le point de départ ou le point d'arrivée soit situé sur le territoire
d'un État contractant.
Demeurent soustraites au domaine spatial de cette variété de règles uniformes de
droit matériel, les situations purement internes, les situations transfrontières auxquelles
fait défaut l'élément typique conventionnellement défini et celles qui, selon la concrétisa-
tion de cet élément, ne sont pas rattachées au territoire de l'un des États contractants.
158 LA RÈGLE D'APPLICABILITÉ

4.38 - Méthode de l'applicabilité universelle du droit uniforme - La troisième méthode


s'apparente à la précédente en ce que le domaine d'application du droit uniforme est
aussi limité aux situations transfrontières définies par un élément typique. Toutefois, les
deux méthodes sont profondément différentes: d'après la dernière des trois méthodes,
l'applicabilité des règles de droit uniforme n'est pas limitée aux situations présentant
quelque lien avec au moins un État contractant.
IllAinsi, dans l'article 1er,§ ier, de la loi uniforme du l" juillet 1964 sur la vente internationale
d'objets mobiliers corporels, est international le contrat passé« entre des parties ayant leur établis-
sement sur le territoire d'États différents », circonstance à laquelle doit s'ajouter l'un des trois élé-
ments alternatifs définis par la même disposition. Les solutions de la loi uniforme s'appliquent à
tous les contrats qu'elle définit, même si la situation ne se rattache à aucun des États contractants.
Cette volonté d'application est exprimée par l'article 2 de la loi uniforme, selon lequel « les règles
du droit international privé sont exclues pour l'application de la présente loi[ ... ] ».
Ill Voy. aussi l'article 15 de la Convention de Londres du 19 novembre 1976 sur la limitation de
responsabilité en matière de créances maritimes (infra, n ° 14.154): la Convention s'applique en
principe « chaque fois qu'une personne mentionnée à l'article 1er cherche à limiter sa responsa-
bilité devant le tribunal d'un État partie [... ] ». Toutefois il est loisible aux États contractants
d'exclure du champ d'application celles de ces personnes qui n'ont pas leur résidence habituelle ou
leur principal établissement dans un des États contractants ou dont le navire ne bat pas le pavillon
de l'un de ces États. Une solution analogue apparaît déjà dans l'article 7 de la Convention interna-
tionale sur la limitation de la responsabilité des propriétaires de navires de mer, faite à Bruxelles le
10 octobre 1957 (voy. infra, n ° 14.154).
En s'efforçant d'élaborer un droit commun applicable à toutes les relations interna-
tionales, les rédacteurs de cette troisième espèce de conventions ont conféré aux dispo-
sitions de droit uniforme qu'elles contiennent une applicabilité illimitée quant à la
localisation de leur objet matériel.
4.39 - Critique de l'applicabilité universelle - La méthode consistant à prévoir une
application des règles matérielles uniformes indépendamment de toute règle d'applicabi-
lité se heurte à une double objection.
La première concerne le caractère illusoire de la prétendue éviction des règles de
droit international privé. Non seulement l'applicabilité des dispositions de la loi uni-
forme est subordonnée à la vérification de conditions très circonstanciées, les règles
d'applicabilité étant seulement affranchies de la condition de localisation par rapport à
l'un des États contractants, non des autres éléments typiques définissant la relation prise
en considération, mais la loi uniforme elle-même subordonne le principe de l'applicabi-
lité de la loi à une règle de droit international privé, la loi d'autonomie en matière con-
tractuelle, lorsqu'elle permet aux parties à un contrat de vente d'écarter ses propres
dispositions (art. 3 de la loi uniforme sur la vente).
En outre, dans les pays où elle n'est pas en vigueur, la loi uniforme peut être déclarée
applicable par l'intermédiaire d'une règle de rattachement donnant compétence au droit
d'un État ayant adopté cette loi.
La seconde critique porte sur le caractère illimité du champ d'application de la loi
uniforme, dont il résulte que les tribunaux des États l'ayant adoptée en appliqueront les
dispositions à toutes les situations contractuelles qu'elle définit à cette fin, quelle que
soit la localisation des éléments constitutifs de la situation. En d'autres termes, le
domaine spatial de la loi uniforme ne dépend normalement que des règles de compé-
tence judiciaire internationale en vigueur dans chacun des États qui l'ont adoptée. Ou, si
L'APPLICABILITÉ DU DROIT UNIFORME 159

l'on préfère, elle s'accompagne d'une règle de conflit de lois implicite rattachant au droit
du for les situations qu'elle vise et à l'égard desquelles les tribunaux des États où elle est
en vigueur exercent leur compétence internationale.
Ill Pour de plus amples références sur la controverse suscitée par cet aspect de la loi uniforme de
1964, voy.: F. RrGAUX, « Le domaine d'application de la loi uniforme ... », Le contrat économique inter-
national (Bruxelles, Bruylant, 1975), 107-112.
11111 Les auteurs de la Convention du 1er juillet 1964 ont prévu des réserves ayant pour effet de limi-
ter le domaine spatial de la loi (art. III et V), voire même de subordonner ce domaine à la mise en
œuvre d'une règle de conflit de lois (art. IV). Les réserves tendent respectivement: soit à limiter
l'application de la loi aux situations se rattachant à un État contractant (art. III) ou aux contrats
dont les parties ont choisi la loi uniforme pour régir leurs relations (art. V), soit à n'appliquer la loi
uniforme que si celle-ci est déclarée applicable en vertu d'une convention sur les conflits de lois en
matière de vente internationale d'objets mobiliers corporels (art. IV), ce qui vise manifestement la
Convention de La Haye du 15 juin 1955. La plupart des États ont accompagné le dépôt de leur ins-
trument de ratification de l'une ou de l'autre de ces réserves, tels le Royaume-Uni (art. V) et la Belgi-
que (art. IV).

4.40 - Combinaison des méthodes - Il arrive que le traité combine plusieurs méthodes
de délimitation de son domaine spatial, en énonçant à la fois une règle directe d'applica-
bilité et un renvoi aux règles de rattachement du for. Le procédé vise à étendre le domaine
d'application du traité, au moyen de deux techniques qui jouent de manière alternative.
La Convention de Vienne du 11 avril 1980 sur les contrats de vente internationale de marchan-
1111

dises (CVIM) tend à remplacer la loi uniforme de 1964 (voy. infra, n ° 14.182). Elle s'applique si cha-
cune des parties est établie dans deux États contractants différents (art. 1er, 1er, a), ou si les règles de
conflit du for désignent la loi d'un État contractant (art. 1cr,§ 1er, b).

Le procédé est singulier, car il combine deux concepts qui peuvent être contradic-
toires. En effet, la méthode de la règle d'applicabilité tend à restreindre le domaine
d'application des règles uniformes lorsque cette règle utilise une structure condition-
nelle, tandis que la méthode du renvoi à la règle de rattachement du for, qui caractérise
les traités de la première catégorie exposée ci-dessus (supra, n ° 4.36), entend simplement
ne pas se prononcer sur l'applicabilité par une règle particulière.
Cette singularité explique sans doute que les auteurs de la Convention de Vienne ont prévu une
Ill
réserve à l'article 1er, paragraphe F'", b) (art. 95). Cette réserve a suscité une vive controverse au sujet
de sa réciprocité. Voy. à ce sujet: M. FALLON, « Le domaine d'application de la Convention de
Vienne», Ann. dr. (1998), 264-266.

4.41 - Complémentarité de la méthode des conflits de lois - L'uniformisation du droit


privé matériel n'élimine pas radicalement, on le voit, le recours à une règle de rattache-
ment. Celle-ci reste nécessaire pour toute question exclue du domaine, matériel ou spa-
tial, du droit uniforme. Elle reste centrale dans la première méthode observée et la portée
de la troisième, qui a voulu l'évincer, est restée très marginale.
Rien n'empêche le législateur international de poser, à côté des règles uniformes de
droit matériel, des règles uniformes de rattachement, qui complètent les premières. Dans
ce cas, chacun des instruments peut obéir à des règles d'applicabilité qui lui sont propres.
Le recours à la technique d'un instrument mixte (voy. supra, n ° 4.30) rend plus délicate la
fixation du critère d'applicabilité pertinent, si le législateur international cherche à sou-
mettre les règles matérielles et les règles de rattachement uniformes à une règle unique.
L'hypothèse de l'élaboration de deux instruments parallèles est exceptionnelle. On la rencontre
1111

dans la Convention de Genève du 7 juin 1930 destinée à régler certains conflits de lois en matière
160 LA RÈGLE D'APPLICABILITÉ

de lettres de change et de billets à ordre et dans la Convention de Genève du 19 mars 1931 destinée
à régler certains conflits de lois en matière de chèques (voy. infra, n ° 14.142).
1111La Convention des Nations unies sur la cession de créances (voy. supra, n ° 4.30) définit le con-
trat international visé en exigeant que le cédant et le débiteur cédé se trouvent dans des pays diffé-
rents (art. 4). Cette précision sert uniquement à définir la matière visée (des opérations
internationales). S'y ajoute une règle d'applicabilité affectant les règles matérielles uniformes, à
savoir la condition que le cédant se trouve dans un État contractant, et cette condition ne s'étend
pas au chapitre de la Convention consacré aux règles de rattachement communes (art. 1er) : celles-
ci reçoivent ainsi un caractère universel.
Avec une règle de rattachement proprement dite il ne faut pas confondre la« règle
de signalisation». Celle-ci se borne à constater que la question qu'elle vise n'est pas réglée
par la loi uniforme, sans qu'elle désigne la loi compétente pour y pourvoir.
11111 Voy. à titre d'exemple l'article 288, alinéa 1e,, du traité CE(« la responsabilité contractuelle de la
Communauté est régie par la loi applicable au contrat en cause»), l'article 60, § 3, du règlement
44/2001, ou l'article 5, § 2, de la loi uniforme de 1964 sur la vente internationale des objets mobi-
liers corporels, selon lequel« La présente loi ne porte pas atteinte aux dispositions impératives pré-
vues dans des droits nationaux pour la protection de l'acheteur dans les ventes à tempérament».
Les directives communautaires comportent de nombreuses règles de signalisation.

B. Méthodes d'applicabilité du droit communautaire dérivé


4.42 - Présentation - Les nombreux règlements et directives adoptés par la Commu-
nauté européenne en matière civile ou commerciale illustrent la place de la méthode du
droit matériel uniforme dans un contexte d'intégration régionale.
La politique communautaire ne se confine pas à l'adoption de règles matérielles.
Marginalement il est vrai, elle porte aussi sur des règles de rattachement, et l'on peut se
demander si, dans la perspective du principe de subsidiarité que consacre l'article 5 CE,
cette méthode ne devrait pas recevoir la préférence sur celle du droit matériel uniforme.
Parfois, les règles de rattachement adoptées ne font que compléter des règles matérielles
communes (voy. infra, n ° 4.4 7).
La détermination du domaine d'application dans l'espace du droit privé commu-
nautaire est particulièrement complexe, pour des motifs propres au contexte commu-
nautaire.
11111 Sur cette problématique, voy. en particulier: S. FRANCQ, L'applicabilité du droit communautaire
dérivé au regard des méthodes du droit international privé (Bruxelles, Bruylant, 2005).

D'abord, le droit communautaire, dont ces règles sont issues, est lui-même un ordre
juridique, à l'espace nécessairement délimité. La question se pose alors d'une délimita-
tion du domaine des règles communautaires par rapport aux frontières de l'espace com-
munautaire plutôt qu'aux frontières nationales.
Ensuite, la majorité des actes communautaires en cause sont des directives. Or, ce
type d'acte, ne bénéficiant pas d'une applicabilité immédiate, a besoin d'un acte de trans-
position en droit national : le juge saisi d'un différend entre particuliers est alors conduit
à appliquer formellement, non pas la directive, mais la loi nationale de transposition.
Cette caractéristique complique la formulation de règles d'applicabilité dans une direc-
tive (voy. infra, n ° 4.45).
4.43 - Méthode de la substitution de règles communes - La substitution de règles com-
munes aux règles générales en vigueur dans chacun des États membres constitue la
L'APPLICABILITÉ DU DROIT UNIFORME 161

méthode traditionnelle du droit communautaire dérivé. Le législateur établit des règles


matérielles en un secteur déterminé, et ces règles sont destinées à remplacer les disposi-
tions équivalentes du droit national. Le plus souvent, de telles règles concernent des
situations internationales autant qu'internes. De plus, il arrive que, lorsqu'elles sont
adoptées sous forme de directive, elles ne soient pas accompagnées d'une règle d'applica-
bilité explicite.
Comme exemples parmi d'autres, voy.: directive 85/374 du 25 juillet 1985 concernant lares-
1111

ponsabilité du fait des produits défectueux, j.O.C.E. (1985), L 210; directive 86/653 du
18 décembre 1986 concernant les agents commerciaux indépendants,].O.C.E. (1986), L 382.
IllLa règle d'applicabilité peut se laisser déduire de la définition du domaine matériel de l'acte,
mais cette méthode peut susciter des difficultés d'interprétation. Voy. par exemple la directive
2002/47 du 6 juin 2002 COljCernant les contrats de garantie financière,].O.C.E. (2002), L 168, qui,
pour définir les entreprises financières visées, renvoie à d'autres actes qui, organisant l'accès au
marché, visent des entreprises établies dans la Communauté.
De même que pour le droit conventionnel, les règles matérielles, une fois intégrées
au droit national, voient leur domaine spatial délimité normalement, comme toute règle
matérielle nationale, au moyen des règles de conflit de lois du for, à moins de pouvoir en
dégager, par voie d'interprétation, une règle d'applicabilité implicite.
Ill À première vue, le juge d'un État membre saisi d'un litige international concernant la responsa-
bilité du fait d'un produit défectueux cherchera d'abord à désigner le droit national applicable au
litige au moyen de la règle nationale de rattachement, laquelle peut utiliser pour facteur de ratta-
chement la localisation du fait générateur de responsabilité, à savoir vraisemblablement la localisa-
tion de la fabrication (voy. infra, n° 15.58). Une règle matérielle issue de la transposition ne sera
donc appliquée dans cet État que si le produit a été fabriqué dans un pays ayant transposé la direc-
tive.
Il n'est pas certain que la méthode suffise à réaliser l'objectif d'achèvement du mar-
ché intérieur, puisque l'applicabilité des règles communes peut varier en fonction des
règles de rattachement nationales. Un tel constat pourrait conduire à interpréter l'acte
comme comportant une règle d'applicabilité implicite, qui permette d'aligner son
domaine d'application sur celui du droit primaire.
1111Ainsi, dans le cas précité de la responsabilité du fait des produits, il y aurait lieu de considérer
que le régime s'applique, devant le tribunal d'un État membre, à tout produit mis en libre pratique
dans un État membre, à tout le moins comme une règle d'applicabilité minimale. La question de
l'application à des produits mis en libre pratique dans un État tiers soulève un problème propre de
droit communautaire institutionnel, concernant l'existence d'une compétence «externe» pour
régler de telles situations (voy. le numéro suivant).
Ill Voy. en ce sens, le raisonnement suivi à propos de l'agence commerciale, infra, n ° 14.137.
1111Sur ce que chaque acte communautaire comprendrait une règle d'applicabilité au moins impli-
cite, voy. : S. FRANCQ, précité n ° 4.42.

4.44 - Méthode de la superposition de règles communes - Il arrive que les règles com-
munautaires se bornent à établir des dispositions nouvelles qui s'ajoutent aux règles
nationales pour le motif qu'elles ne couvriraient que les situations internationales ou
auraient une vocation particulière à le faire. Le recours à cette méthode paraît marginal
en comparaison avec le droit conventionnel, qui la privilégie.
Le droit communautaire institutionnel détermine l'existence d'une compétence
d'attribution pour l'adoption de normes communes concernant les situations purement
internes, ou les situations purement externes.
162 LA RÈGLE D'APPLICABILITÉ

À ce jour, la réponse à la question paraît incertaine, à la suite, notamment, de l'incertitude con-


11!!
cernant l'applicabilité du droit primaire aux situations purement internes (voy. sur ce point, M.
FALLON, Droit matériel général de l'Union européenne, Bruxelles, Bruylant, 2002). Pour l'affirmation
d'une incompétence, voy.: C.J.C.E., aff. C-225/95 e.a., 2 juillet 1998, Kapasakalis, Rec. (1998), 1-
4239: « les actes pris en exécution [des règles du traité en matière de libre circulation] ne peuvent
être appliqués à des activités qui ne présentent aucun facteur de rattachement à l'une quelconque
des situations envisagées par le droit communautaire et dont l'ensemble des éléments pertinents se
canronnent à l'intérieur d'un seul État membre». Comp. pourtant, dans un sens favorable à une
application aux situations internes: C.J.C.E., aff. C-241/89, 12 décembre 1990, SARPP, Rec. (1990),
1-4695, montrant qu'une directive peut, à la différence du droit primaire, affecter la production
nationale; aff. C-117/96 17 septembre 1997, Mosbaek, Rec. (1997), 1-5017, étendant aux situations
internationales, pour lui donner un effet utile, une directive organisant la protection sociale du tra-
vailleur en cas d'insolvabilité de l'employeur. De même, la directive 93/13 du 5 avril 1993 concer-
nant les clauses abusives U.O.C.E., 1993, L 95) a pu servir de base à l'inopposabilité d'une clause de
juridiction dans un contrat interne (C.J.C.E., aff. C-240/98 e.a., 27 juin 2000, Océano Grupo, Rec.,
2000, I-4941).
La Cour de justice semble avoir une perception étendue de cette forme de compétence externe
Il!!
de la Communauté. Ainsi, il suffit que l'acte communautaire ait pour l'objet le fonctionnement du
marché intérieur, sans que chaque situation concrète visée ait un lien suffisant avec l'exercice d'une
liberté fondamentale, afin d'éviter de rendre « particulièrement incertaines » les limites du
domaine d'application de l'acte, de sorte que celui-ci peut viser des « situations qui ne comportent
pas de lien direct» avec le marché intérieur (C.J.C.E., aff. C-465/00 e.a., 20 mai 2003, Ôsterreichischer
Rundfunk, Rec., 2003, 1-4989; aff. C-291/02, 1er mars 2005, Owusu).

Les actes communautaires peuvent contenir des dispositions spécialement adaptées


à la dimension communautaire des situations visées. Elles peuvent poursuivre deux
objectifs contradictoires. L'un consiste à adapter le champ de la règle de droit à l'ampleur
de l'espace communautaire, considéré comme juridiquement unique. L'autre tend à
prendre en compte la diversité des législations ou des cultures nationales pour poser une
règle de protection particulière.
1111Les exemples les plus connus du premier type concernent le droit des sociétés (voy. infra,
n° 16.17), tel le« groupement européen d'intérêt économique», ou la protection de la propriété
intellectuelle (voy. infra, n ° 13.36), telle la« marque communautaire» qui a été ajoutée à la marque
nationale.
Comme exemple de règles matérielles de droit international privé (voy. supra, n ° 3.8) du second
type, voy. la directive 94/47 du 26 octobre 1994 concernant le contrat de timeshare,].O.C.E. (1994),
L 280, réservant le choix de la langue du contrat au consommateur non résident ou étranger
(art. 4).

4.45 - Méthode de la règle d'applicabilité commune - Maints actes communautaires


comprennent une disposition qui en fixe l'applicabilité dans l'espace, à la manière d'une
règle directe d'applicabilité. La détermination exacte de la portée de cette règle semble
varier en fonction du type d'acte visé.
Lorsqu'il s'agit d'un règlement, la présence d'une règle directe d'applicabilité paraît
aussi normale qu'à propos du droit conventionnel. À tout le moins, l'absence d'une règle
d'applicabilité n'autoriserait pas nécessairement le juge à déduire de l'applicabilité
immédiate de l'acte une application universelle comme il pourrait éventuellement le faire
pour le droit dérivé (voy. supra, n ° 4.38), à la manière d'une application du droit du for.
L'insertion d'une règle d'applicabilité paraît liée à la nature du règlement. En effet, son contenu
1111

ne s'intègre pas au droit national comme peut le faire le droit conventionnel dans l'hypothèse de la
méthode de substitution. L'acte reste formellement détachable de l'ordre juridique national, ne
cessant pas d'appartenir à l'ordre juridique communautaire. On observe qu'il est préféré à la direc-
L'APPLICABILITÉ DU DROIT UNIFORME 163

tive lorsqu'il porte moins sur le rapprochement des droits nationaux que sur la création d'une ins-
titution juridique autonome, celle une marque communautaire faisant l'objet d'un enregistrement
proprement communautaire. Il paraît alors nécessaire d'accompagner l'acte d'une norme primaire
(sur le sens de ce terme, voy. supra, n ° 3.7), en privilégiant sans <loure la forme d'une règle d'applica-
bilité. Ainsi, le règlement 40/94 du 20 décembre 1993 sur la marque communautaire /J.O.C.E.,
1994, L 11) organise une procédure propre d'application des règles de protection: un système
autonome de recours est mis en place contre les décisions de l'Office communautaire d'enregistre-
ment de la marque, devant un chambre administrative dont les décisions peuvent faire l'objet d'un
recours devant la Cour de justice ; pour les actions en contrefaçon, des juridictions nationales sont
instituées en « tribunaux des marques communautaires». Ainsi, le règlement dispose d'organes
juridictionnels propres, qui sont amenés à statuer sans aucune référence à un système national de
droit international privé.
Ce qui est vrai pour un règlement portant des règles matérielles ne l'est pas nécessairement pour
un règlement portant des règles de compétence judiciaire ou des règles d'efficacité des décisions
étrangères. Voy. infra, chap. 8.

Plusieurs règlements portent des mesures d'embargo pouvant affecter la validité de certains
1111

contrats de fourniture. Leur domaine d'application dans l'espace est précisé au moyen d'une règle
d'applicabilité. Voy. notamment: le règlement 2158/99 du 11 octobre 1999 concernant une inter-
diction de la vente à l'Indonésie de matériel susceptible d'être utilisé à des fins de répression interne
ou de cerrorisme,j.O.C.E. (1999), L 265, applicable aux ressortissants d'États membres.

S'agissant de directives, l'expérience montre que les actes adoptés portent sur des
questions qui, en droit national, intéresseraient le plus souvent des « lois de police » ou
des« lois d'application immédiate» et qui, à ce titre, appelleraient l'insertion d'une règle
directe d'applicabilité (voy. supra, n ° 4.14). Le recours à la méthode de la règle d'applicabi-
lité dans une directive est donc normal à première vue. Il n'en soulève pas moins des diffi-
cultés certaines, liées au type d'acte, qui doit faire l'objet d'une transposition en droit
national. Le malaise apparaît dès la formulation du critère d'applicabilité.
IllLa circonstance que la plupart des directives portent sur des questions affectant des lois de
police ou des lois d'application immédiate s'explique du fait que l'acte tend à réduire des disparités
de législations nationales qui affectent le bon fonctionnement du marché intérieur. Or, nombre de
ces législations peuvent être vues comme des lois de police ou des lois d'application immédiate,
comme l'illustre l'arrêt Arblade précité (voy. supra, n ° 4.14). Il est significatif que peu d'actes por-
tent, par exemple, sur des contrats commerciaux, matière dans laquelle l'État n'est guère à même
de justifier une entrave aux échanges par une raison d'intérêt général au sens où l'entend le traité
CE.

1111 Sur ce que toute directive comporterait une règle, explicite ou implicite, d'applicabilité, voy. S.
FRANCQ, précité n ° 4.42.

Une première question tient à l'identification de l'ordre juridique de référence. Dans


le cas d'une règle d'applicabilité directe nationale, celui-ci est le for, la règle étant néces-
sairement unilatérale. Dans le cas d'une directive, deux possibilités existent. L'une, la plus
couramment utilisée, consiste à se référer au « territoire de la Communauté», au
« champ d'application territorial du Traité», au territoire « d'un» ou« des » États mem-
bres. L'autre requiert simplement de l'État qu'il règle les activités liées à son propre terri-
toire. La première formulation est vicieuse, en raison de l'absence d'applicabilité
immédiate de la directive : comment la loi nationale de transposition pourrait-elle ren-
voyer au « territoire de la Communauté » sans provoquer une distorsion dans la détermi-
nation de l'applicabilité spatiale des règles nationales?
L'expérience de la transposition des directives confirme la difficulté, car elle montre une pro-
1111

pension de l'État à étendre le droit du for à l'ensemble des hypothèses localisées « dans la
164 LA RÈGLE D'APPLICABILITÉ

Communauté ». Voy. par exemple: M. FALLON, « La loi applicable aux clauses abusives après la
transposition de la directive n° 93/13 », Rev. eur. dr. cons. (1996), 3-27.

1111Pour l'État, la seule transposition adéquate d'un critère se référant au territoire de la Commu-
nauté semble être la formulation d'une règle de rattachement dotée d'un élément de réciprocité,
limitée à la désignation du droit d'un État membre. Ainsi, la directive 94/47 du 26 octobre 1994
concernant le contrat de timeshare (J.O.C.E., 1994, L 280) utilise pour critère d'applicabilité la loca-
lisation de l'immeuble dans un État membre, ce qui a conduit par exemple la loi belge du 11 avril
1999 (Monit., 20 avril 1999) à prévoir l'application des règles de protection du consommateur en
vigueur dans l'État membre de situation de l'immeuble, plutôt que de prévoir l'application généra-
lisée de la loi du for.

Une seconde question tient à la détermination du facteur de localisation. À cet


égard, l'expérience communautaire montre l'utilisation de deux procédés. L'un consiste à
énoncer un critère de localisation concret et rigide, à l'instar de ce que font les traités
internationaux, tel le lieu de conclusion d'un contrat. L'autre énonce simplement que les
règles matérielles constituent une protection impérative lorsque la situation présente
« un lien étroit » avec le territoire d'un État membre.

Ill Le second procédé reprend la formulation de l'article 7 de la Convention de Rome (voy. supra,
n ° 14.74) et s'inspire donc probablement du même objectif. La transposition de la disposition n'a
pas moins montré des difficultés, singulièrement à propos de la directive 93/13 relative aux clauses
abusives (voy. infra, n ° 14.113), certains États se contentant de reproduire le terme« lien étroit»,
d'autres traduisant celui-ci par un critère de localisation concret, telle la résidence d'une partie.
Voy. pour plus de détails, M. FALLON, précité.
Le recours à une notion à contenu variable dans une directive soulève une difficulté d'interpréta-
tion, puisqu'il est incertain si le concept est amené à être transposé tel quel ou s'il laisse une marge
d'appréciation lors de la transposition. Cette difficulté n'existe pas à propos d'un règlement. Un tel
constat ne suffit cependant pas à éliminer la directive comme mode de rapprochement des législa-
tions nationales au profit du règlement, mais à mettre le législateur communautaire en garde con-
tre le risque de divergences d'interprétation en l'absence de précision apportée au texte.
Selon la Cour de justice, l'existence d' « un lien étroit» fait bien figure d'une disposition susceptible
d'effet direct et applicable telle quelle par le juge saisi. Ainsi en est-il dans le cas de la directive 93/13
(C.J.C.E., aff. C-70/03, 9 septembre 2004, Espagne), sans exclure la possibilité pour le législateur
national d'accompagner la notion d'une présomption. Comp. une règle d'applicabilité implicite de
ce type dégagée de l'interprétation d'une directive par: C.J.C.E., aff. C-381/98, 9 novembre 2000,
Ingmar, Rec., 2000, 1-9305, Revue, 2001, 107, note L. IooT).

Ill Le procédé de l'utilisation de facteurs de localisation concrets présente des variantes dans la
structure de la règle, analogues à celles qui ont été observées à propos du droit conventionnel ou de
la règle nationale d'applicabilité. Certaines règles utilisent un critère exclusif, tel le lieu de conclu-
sion du contrat de voyage (directive 90/314 du 13 juin 1990 concernant les voyages, vacances et cir-
cuits à forfait,].O.C.E., 1990, L 158). D'autres utilisent une structure alternative, qui tend à étendre
unilatéralement le domaine spatial des règles matérielles (directive 95/46 du 24 octobre 1995 rela-
tive à la protection des données à caractère personnel,].O.C.E., 1995, L 281), ou une structure con-
ditionnelle, qui tend à limiter ce domaine (directive 89/592 du 13 novembre 1989 concernant la
coordination des réglementations relatives aux opérations d'initiés,].O.C.E., 1989, L 334).

4.46 - Méthode de la clause« marché intérieur» - La pratique communautaire récente


montre le recours à une méthode qui entend correspondre de près à la logique du marché
intérieur. Par une clause dite de marché intérieur, une directive oblige par exemple l'État
de l'établissement principal du prestataire de services à veiller à ce que celui-ci offre des
prestations en conformité avec la législation de cet État, sans obliger pour autant les
autorités des autres États membres à appliquer également cette législation.
L'APPLICABILITÉ DU DROIT UNIFORME 165

Cette méthode est pratiquée dans le contexte de la « nouvelle approche » inaugurée


en 1985, se caractérisant par une politique d'harmonisation minimale des législations
nationales, limitée à l'essentiel d'une matière, dit« domaine coordonné». Cette approche
ne vise pas à éliminer le conflit de lois, mais à rendre équivalentes les lois en conflit - en
procédant à une harmonisation «essentielle» -, de manière à ce que l'application de
toute loi autre que celle du pays de provenance d'un produit ou de l'établissement d'un
prestataire de services, dite loi d'origine, devienne inutile au regard d'un objectif déter-
miné de protection de l'intérêt général - telle la protection du travailleur ou celle du con-
sommateur. Ainsi, tout État autre que l'État d'origine est amené à admettre une
« reconnaissance mutuelle » des règles en vigueur dans celui-ci, et à accepter la commer-
cialisation d'un produit ou d'un service conforme à ces règles.
Ill Pratiquée largement à propos de réglementations d'accès au marché, notamment dans le sec-
teur des services financiers, la clause « marché intérieur» trouve une illustration type en matière
civile ou commerciale dans la directive 2000/31 du 8 juin 2000 concernant le commerce électroni-
que,j.O.C.E. (2000), L 178, art. 3. Elle a suscité une difficulté majeure d'interprétation, les uns y
voyant une véritable règle de rattachement et les autres, une simple règle de signalisation, du fait
d'une précision figurant au texte, selon laquelle la directive n'établit« aucune règle additionnelle
de droit international privé » (art. 1er, § 4). L'interprétation ici proposée y voit plutôt le recours à
une règle d'applicabilité qui accompagne les règles matérielles en vigueur dans l'État d'origine,
alors que, pour l'État d'accueil, la clause jouerait de manière négative, comme obligeant à écarter la
loi normalement applicable si son application conduit à une entrave aux échanges (voy. infra,
n ° 7.45, en relation avec l'exception d'ordre public).
Pour plus de détails, voy.: M. FALLON et]. MEEUSEN, « Le commerce électronique, la directive 2000/
31/CE et le droit international privé », Revue (2002), 435-490.
1111Sur l'émergence possible d'une« exception de reconnaissance mutuelle », voy. infra, n ° 7.45, lors
de l'examen de l'exception d'ordre public.

4.47 - Complémentarité de la méthode des conflits de lois - La politique communau-


taire de rapprochement des règles matérielles nationales ne saurait négliger la méthode
de la règle de rattachement, notamment en raison du principe de subsidiarité (voy. supra,
n° 4.31). Dans la matière des contrats aussi, l'ensemble des règles d'applicabilité adop-
tées pour la protection du consommateur ou du travailleur ne peuvent pas ne pas tenir
compte du texte fondamental que constitue la Convention de Rome du 19 juin 1980. La
priorité consentie au droit communautaire sur le droit conventionnel (voy. infra, n ° 5.21)
ne suffit pas à autoriser l'adoption, dans un acte communautaire, de toute règle d'appli-
cabilité qui ne tienne pas compte de règles de conflit de lois communes préexistant dans
les États membres.
Ill!La Communauté ne semble pas avoir accordé toute l'attention voulue à cette interaction des
instruments conventionnel et communautaire. Voy. à cet égard: E. ]AYME et C. KoHLER,
« L'interaction des règles de conflit contenues dans le droit dérivé de la Communauté européenne
et des conventions de Bruxelles et de Rome», Revue (1995), 1-40.
Ill La clause de marché intérieur dont la directive sur le commerce électronique citée sous le
numéro précédent fournit une illustration, pourrait être relue dans cette perspective. Les termes
selon lesquels la directive n'établit aucune« règle additionnelle de droit international privé » pour-
raient alors se comprendre plutôt comme l'absence, dans la directive, de toute règle de rattache-
ment, méthode majeure de solution du conflit de lois, la directive entendant ainsi ne pas ôter tout
effet utile à la Convention de Rome.
Comme les traités internationaux qui uniformisent le droit matériel, le droit com-
munautaire utilise aussi des règles de rattachement complémentaires, pour les questions
que les règles matérielles uniformes n'ont pu couvrir.
166 l.A RÈGLE D'APPLICABILITÉ

Ill!La méthode est utilisée largement en droit des sociétés (voy. infra, n ° 16.16). On en trouve
encore un exemple, notamment, pour la détermination du droit de propriété en matière de restitu-
tion de biens culturels (directive 93/7 du 15 mars 1993,].O.C.E., 1993, L 74), de droits réels sur un
navire (proposition de règlement sur le registre communautaire de navires,].O.C.E., 1992, C 19), ou
pour le régime du contrat de garantie financière (directive 2002/47 du 6 juin 2002,].0.C.E., 2002, L
168).
De nombreux actes communautaires contiennent encore des règles de signalisation
(voy. supra, n ° 4.41 ). Le procédé se concilie assez bien avec le concept de la directive, puis-
que celle-ci peut se contenter d'une harmonisation partielle.
Ill Voy. par exemple la directive 91/250 du 14 mai 1991 concernant la protection juridique des pro-
grammes d'ordinateur, ].O.C.E. (1991), L 122, dont l'article 4 énonce que: « L'auteur d'un pro-
gramme d'ordinateur est [... ], lorsque la législation de l'État membre concerné l'autorise, la
personne morale considérée par cette législation comme étant titulaire du droit».

§3 LES RÈGLES DE RATTACHEMENT UNIFORMES


4.48 - Préférence pour une application universelle - Les traités internationaux conte-
nant des règles de rattachement communes aux États contractants obéissent à une
distinction partiellement identique à celle qui a été opérée ci-dessus à propos des conven-
tions d'uniformisation du droit privé matériel. Les uns contiennent des règles de ratta-
chement destinées à se substituer aux dispositions correspondantes propres à chacun des
États contractants, tandis que les autres incluent une règle d'applicabilité qui en restreint
le domaine spatial aux situations présentant avec l'un des États contractants le lien tenu
pour pertinent. Celles-ci se superposent alors au règles nationales plutôt que de s'y subs-
tituer.
À la différence de ce qui a été constaté à propos des traités d'uniformisation du droit
matériel, la pratique actuelle préfère la première méthode à la seconde (voy. supra,
n ° 4.35).

4.49 - Les règles de rattachement accompagnées de règles d'applicabilité - Certains trai-


tés limitent le domaine d'application dans l'espace des règles de rattachement qui y sont
contenues.
Deux types de clauses peuvent être utilisées à cette fin.
Le premier procédé subordonne l'application de la règle de rattachement à une con-
dition qui requiert la localisation du facteur d'applicabilité pertinent dans un État con-
tractant.
1111 Voy. par exemple l'article 13, alinéa 1'r, de la Convention de La Haye du 5 octobre 1961 concer-

nant la compétence des autorités et la loi applicable en matière de protection du mineurs : « La pré-
sente Convention s'applique à tous les mineurs qui ont une résidence habituelle dans un des États
contractants».
Comp. l'article 5 de la Convention de La Haye du 12 juin 1902 pour régler la tutelle des
1111

mineurs, l'article 1er de la Convention de La Haye du 15 novembre 1965 concernant la compétence


des autorités, la loi applicable et la reconnaissance des décisions en matière d'adoption (qui déter-
mine d'une manière très élaborée et très restrictive celles des adoptions internationales auxquelles
s'applique la Convention), et l'article 4 de la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les
aspects civils de l'enlèvement international d'enfants.
Voy. aussi l'article 1«· de la Convention de La Haye du 14 mars 1978 sur la célébration et la
1111

reconnaissance de la validité des mariages: « Ce chapitre [concernant la célébration du mariage]


s'applique aux conditions requises dans un État contractant pour la célébration du mariage ».
L'APPLICABILITÉ DU DROIT UNIFORME 167

Ill Il arrive que la condition d'applicabilité figure dans un traité bilatéral. Voy. la Convention entre
la Belgique et le Maroc du 15 juillet 1991 « sur la loi applicable et la reconnaissance des mariages et
de leur dissolution » (non en vigueur). Celle-ci n'intéresse que les ressortissants de ces États.

Le second procédé prévoit que la règle de rattachement n'a d'autre effet que de dési-
gner le droit d'un des États contractants.
Ill Voy. par exemple la Convention de La Haye du 24 octobre 1956 sur la loi applicable aux obliga-
tions alimentaires envers les enfants : « La Convention ne s'applique qu'aux cas où la loi désignée
par l'article premier, est celle d'un des États contractants» (art. 6).
Voy. aussi l'article 7 de la Convention de La Haye du 15 juin 1955 pour régler les conflits entre la loi
nationale et la loi du domicile.

À titre d'exemple d'accord bilatéral, voy. la Convention du 10 août 1981 entre la France et le
!l!J
Maroc relative au statut des personnes et de la famille et à la coopération judiciaire.

L'adjonction d'une règle d'applicabilité à une règle de rattachement constitue un


facteur de complication qui paraît hors de proportion avec la portée d'une règle de ratta-
chement. Elle risque surtout d'introduire un élément discriminatoire, car elle crée deux
catégories de situations en opérant une différenciation, lors de l'utilisation d'un élément
objectivement défini, au moyen de la seule concrétisation de cet élément dans un État
contractant.
1111Ainsi, la Convention belgo-marocaine soumet à la loi du domicile commun le divorce d'un
Belge et d'un Marocain, alors qu'avant l'entrée en vigueur du Code de droit international privé, le
droit commun soumettait le divorce d'un Belge et d'un Français au droit belge, ou le divorce par
consentement mutuel d'un Français et d'un Italien à la loi nationale la plus restrictive. La nationa-
lité constitue un élément de différenciation objective, mais une distinction faite entre un Belge et
un Français, etc., introduit une discrimination au sein même de cet élément.
!l!JDans la doctrine voy. plus généralement sur le procédé : A. VON OVERBECK,« Essai sur la délimi-
tation du domaine des Conventions de droit international privé », Mélanges Gutzwiller (Baie, Hel-
bing & Lichtenhahn, 1959), 325-346; E. VnTA, « International Conventions and National Conflict
Systems», Recueil des cours, vol. 126 ( 1969), 115-132, et la bibliographie donnée sous le n ° 4.1.
La résolution de l'Institut de droit international (voy. supra, n ° 4.1) couvre le champ d'application
des règles de rattachement comme celui des règles de droit matériel uniforme.

4.50 - Applicabilité des règles de rattachement communautaires - Dans le contexte de


l'intégration communautaire, quelques règles de rattachement tendent à uniformiser la
désignation du droit applicable pour assurer la sécurité juridique des opérations com-
merciales transfrontières.
Certaines de ces règles sont en vigueur - ou sont destinées à l'être - dans l'ensemble
des États membres de l'Union européenne sans procéder pour autant d'actes commu-
nautaires. C'est le cas de la Convention de Rome du 19 juin 1980 sur la loi applicable aux
obligations contractuelles (voy. infra, n ° 14.34). Élaborée dans le cadre d'une négociation
intergouvernementale classique, elle comporte des règles de rattachement dont l'appar-
tenance communautaire n'apparaît ni formellement ni dans le contenu. Ainsi, elle con-
firme sa volonté d'application universelle, indépendante de toute règle d'applicabilité,
selon une méthode dominante dans la pratique conventionnelle contemporaine (art. 2;
voy. supra, n ° 4.48).
Il en va différemment d'actes communautaires. Jusqu'à présent, ceux-ci voient leur
domaine d'application dans l'espace délimité au moyen d'une règle directe d'applica-
bilité. Cette pratique pourrait constituer l'embryon d'un droit des conflits« communau-
168 LA RÈGLE D'APPLICABILITÉ

Caires» de lois, à l'instar des « interstate conflicts » que connaît le droit des États-Unis à
propos des situations propres à l'espace fédéral.
La règle d'applicabilité tend à formaliser un lien entre la situation visée et l'espace
occupé par l'ordre juridique communautaire, à l'instar de ce que font aussi les règles
d'applicabilité présentes dans des règlements ou directives (voy. supra, n ° 4.45). Les cas
rencontrés illustrent un recours au premier procédé évoqué à propos des traités, celui
d'une condition concernant la localisation de l'élément d'applicabilité pertinent dans la
Communauté, alors que l'élément de rattachement peut se localiser dans un État tiers.
Ainsi, la pratique communautaire montre la possibilité d'adopter des règles universelles
dont le domaine se limiterait à des situations présentant un lien déterminé avec l'ordre
juridique auquel appartient la règle de rattachement.
Voy. par exemple les règles de rattachement adoptées en matière de contrat d'assurance (infra,
1111

n° 14.91): celles-ci ne s'appliquent qu'aux contrats portant sur un risque localisé dans la Commu-
nauté, et probablement aux seuls assureurs établis dans la Communauté.
La présence d'une telle règle d'applicabilité tendant à circonscrire le domaine de la
règle de rattachement aux situations communautaires pourrait s'expliquer par une
contrainte propre au droit communautaire institutionnel, à savoir que le législateur
communautaire ne dispose que de compétences d'attribution: l'acte adopté pour le bon
« fonctionnement du marché intérieur» (art. 95 CE, supra, n° 5 2.29 et 4.33) reçoit un
domaine d'application s'alignant naturellement sur celui de la liberté de circulation dont
il entend faciliter l'exercice.
Ill Cet élément peut servir à l'interprétation d'une règle communautaire de rattachement, pour
voir dans l'acte qui la porte une règle d'applicabilité implicite. Ainsi, la directive 2002/47 du 6 juin
2002 concernant les contrats de garantie financière (JO.CE., 2002, L 168) opère une harmonisa-
tion, à la fois, des règles matérielles et, de manière complémentaire, des règles de rattachement,
sans contenir de précision sur son applicabilité dans l'espace. Selon le préambule de la directive,
celle-ci « favorisera [... ] la libre prestation des services et la libre circulation des capitaux dans un
marché unique des services financiers». On constate que l'article 1er vise pratiquement des entre-
prises « agréées » dans un État membre.
L'existence de cette contrainte suffirait à justifier la présence d'une règle d'applicabilité, ôtant
1111

toute force persuasive à l'argument de commodité tiré de la simplification que comporte toute
règle de rattachement destinée à se substituer aux règles nationales correspondantes (voy. supra,
n° 4.43). Rien n'empêche l'État membre soucieux d'une telle simplification d'étendre le domaine
de la loi de transposition à l'ensemble des situations internationales.
1111 Le lien fonctionnel entre l'applicabilité de l'acte et le domaine du droit primaire est encore plus
fort lorsque l'acte entend expliciter le concept de « loi d'origine» dans une clause dite de marché
intérieur (voy. supra, n ° 4.46) : dans ce cas en effet, les situations visées sont nécessairement de cel-
les qui entrent dans le domaine du traité CE, et la loi désignée est nécessairement celle d'un État
membre.
IllUne mise en doute d'un tel lien est décelable dans certains arrêts de la Cour de justice concer-
nant, tantôt l'applicabilité du droit matériel uniforme (arrêt Ôsterreichischer Rundfunk précité), tan-
tôt des règles uniformes de compétence internationale (sur ce dernier point, voy. l'arrêt Owusu,
supra, n ° 4.33).
TITRE 3

,
METHODES DE SOLUTION
DES CONFLITS DE LOIS
ANALYSE FONCTIONNELLE
CHAPITRE 5

L'APPLICATION DE LA RÈGLE
DE CONFLIT DE LOIS

Section 1
Les phases successives de l'application
de la règle de conflit
5.1 - Sélection de la norme primaire - En droit international pnve comme en toute
branche du droit, la fonction du praticien est d'appliquer les règles à des situations parti-
culières. La première opération consiste à choisir la norme qui appréhende directement
les faits, norme qualifiée de «primaire» (voy. supra, n ° 3.7) car l'application qui en est
faite n'est, le plus souvent, que la première phase du processus qui doit acheminer à la
solution de droit matériel appropriée. La sélection de la norme primaire de droit interna-
tional privé fait l'objet de la section II du présent chapitre.

5.2 - Concrétisation du facteur d'applicabilité ou de rattachement- Si la norme pri-


maire de droit international privé est une règle de rattachement, la mise en œuvre de tel-
les règles requiert que soit déterminé le« facteur de rattachement» (voy. supra, n ° 3.41). Il
s'agit d'identifier le droit étatique que désigne la règle de rattachement en fonction des
éléments matériels de rattachement prévus par cette dernière : quelle est la nationalité -
ou le domicile - d'une personne, sur quel territoire se localisent un bien, la conclusion
d'un contrat, le fait générateur de la responsabilité civile ?
En outre, le domaine d'application de certaines normes primaires de droit interna-
tional privé - comme aussi celui de traités internationaux sur la condition des étrangers
ou sur les conflits de juridictions - est délimité à l'aide de « règles d'applicabilité»
(voy. supra, chap. 4), utilisant un indice de localisation analogue au facteur de rattache-
ment. Comme celui-ci, celui-là est de nature à conduire à la vérification d'une concrétisa-
tion de l'élément en cause dans un système juridique autre que celui du for. Cette
caractéristique peut également affecter la mise en œuvre d'une règle d'applicabilité de
droit national, chaque fois qu'est en cause l'applicabilité de lois de police étrangères (voy.
supra, n° 4.15).
La section III a, dès lors, pour objet la détermination du facteur de rattachement et
du facteur d'applicabilité.
172 L'APPLICATION DE LA RÈGLE DE CONFLIT DE LOIS

5.3 - Le rattachement à un droit étranger - La règle de rattachement est une « norme


indirecte» (voy. supra, n ° 3.5) qui, selon le pays dans lequel se localise le facteur de ratta-
chement, peut déclarer applicable tantôt le droit matériel interne du for, tantôt un droit
étranger. Cette deuxième hypothèse est, bien évidemment, la plus significative des
méthodes propres au droit international privé, puisqu'elle introduit dans l'ordre juridi-
que du for des normes empruntées au droit d'un autre État.

Qu'un droit étranger puisse être désigné par la norme primaire du droit du for sus-
cite les quatre problèmes essentiels de la théorie classique du droit international privé.

a) Si l'ordre juridique étranger est un système de droit non unifié ou qu'il contienne
lui-même une règle de conflit de lois prévoyant un rattachement différent de celui
qui l'a déclaré applicable, l'une des péripéties de la mise en œuvre de la norme pri-
maire de droit international privé du for a pour objet l'applicabilité des normes de
conflit de lois interne du droit étranger, voire celle de ses règles de conflit de droit
international privé. On retrouvera ici deux problèmes classiques, à savoir le
« renvoi » et la « question préalable ».

b) L'application du droit étranger introduit dans le système du juge saisi des normes
qui ne sauraient être jugées équivalentes à celles du droit du for. On appelle tradi-
tionnellement « condition procédurale du droit étranger» l'ensemble de questions
suscitées par l'insertion de normes hétérogènes dans l'ordre juridique du for. Eu
égard à la connexité des deux séries de problèmes, on y a joint ceux qui touchent à
l'application d'office des normes primaires de droit international privé du for.
c) Après que les étapes précédemment décrites ont été franchies, le juge doit affronter
une difficulté inhérente à la technique même du rattachement, à savoir que les
catégories de rattachement appréhendent des aspects partiels de la situation parti-
culière, dont le règlement, en cas de dispersion géographique de ses éléments maté-
riels, risque d'être fragmenté entre les dispositions de droit matériel de plusieurs
États. La terminologie la plus adéquate est celle « d'application distributive» des
lois applicables, ce qui couvre les prétendus « conflits de qualifications » et la
« détermination du concept préjudiciel».

d) Le caractère indirect de la règle de rattachement et la circonstance que le choix du


droit étranger se fait, le plus souvent, sans considération préalable du contenu de
son droit matériel ont pour conséquence que ce contenu peut être jugé inacceptable
pour l'ordre interne dans lequel la norme étrangère est invitée à produire ses effets.
« L'exception d'ordre public» permet alors au juge d'écarter les effets de la norme
étrangère estimés incompatibles avec le fonctionnement de l'ordonnancement
interne.

Ces quatre séries de problèmes font l'objet des chapitres 6 et 7.


LE CHOIX DE LA NORME PRIMAIRE DE DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 173

Section 2
Le choix de la norme primaire
de droit international privé
5.4 - Présentation - La sélection de la norme primaire de droit international privé lors
de la résolution d'un cas comportant des éléments d'extranéité suscite deux types de dif-
ficultés.
La première consiste à adapter les classifications propres au système juridique du
for, système de référence pour la résolution du cas, à la diversité des concepts qui peuvent
servir à la définition des éléments de ce cas constitué éventuellement sous l'empire d'un
droit connaissant des classifications différentes. Cette opération est indispensable au
choix correct de la norme primaire pertinente.
La seconde, d'une autre nature, consiste à effectuer un choix entre une pluralité de
normes primaires produites par le système de droit international privé du for, dans une
matière déterminée.

§1 L'INTRODUCTION SOUS LES CONCEPTS DU DROIT DU FOR


DE SITUATIONS CONFIGURÉES PAR UN SYSTÈME ÉTRANGER
5.5 - Présentation - L'insertion des éléments concrets d'une situation configurée par un
système étranger relève de l'opération traditionnelle de qualification, dont les termes doi-
vent être rappelés avant de vérifier l'opportunité d'une extension des qualifications de
droit interne aux situations internationales. Cette vérification conduit à la nécessité
d'une adaptation, que permet d'atteindre l'établissement de catégories de rattachement à
texture ouverte.

A. L'application de la méthode conceptuelle


aux situations purement internes
5.6 - La conceptualisation des faits - L'application de la règle de droit à une situation
individuelle a souvent été présentée sous la forme d'un syllogisme juridique.
La majeure contient l'énoncé de la règle applicable. Cette règle se compose de deux
éléments : une hypothèse, et le dispositif, par lequel certaines conséquences juridiques
sont attachées à l'hypothèse. Dans la mineure, il est constaté que la situation de fait
répond à l'hypothèse légale énoncée par la majeure. La conclusion contient le dispositif
propre à l'espèce: il est décidé qu'aux faits de la cause s'attache la conséquence juridique
prévue par le dispositif de la règle.
L'hypothèse légale est le moyen terme, nerf du syllogisme classique, concept com-
mun à la majeure et à la mineure, ce qui permet l'inférence logique que porte la conclu-
sion. Pour que le syllogisme juridique échappe au vice de la duplicatio medii, le plus grave
dont il puisse être atteint, il faut poser une rigoureuse équation entre l'hypothèse légale
(dans la majeure) et la qualification du fait (dans la mineure). Pour être valablement
soumise à la règle de droit, la situation de fait doit être réduite aux termes abstraits de
l'hypothèse légale.
174 L'APPLICATION DE LA RÈGLE DE CONFLIT DE LOIS

Le système notionnel du langage permet cette conceptualisation du fait. À vrai dire,


le praticien ne reçoit pas communication d'un donné de fait« brut», d'une situation de
vie ni d'une« expérience vécue». L'événement, décrit et parfois éprouvé par les personnes
privées, n'est livré au juriste de profession (avocat, notaire et, à une phase ultérieure du
débat, juge) que traduit, c'est-à-dire trahi, en un langage abstrait qui permet le passage du
«fait» au« droit».
5.7 - L'opération de qualification - On appelle «qualification» l'opération établissant
une relation d'identité entre l'hypothèse posée par la norme et une situation individuelle.
Cette opération consiste à «subsumer» le fait sous la règle, c'est-à-dire à rechercher le
concept qualificateur à l'égard duquel s'établit le rapport d'identité : tel fait est-il un vol,
une escroquerie, un détournement frauduleux ou une indélicatesse non punissable ?
Ill Le praticien qui manie en professionnel les concepts qualificateurs est souvent guidé par le
résultat qu'il veut atteindre et qui est inscrit dans le dispositif de la règle applicable aux faits. La
démarche la plus usuelle consiste à rechercher l'interprétation des faits qui paraisse la mieux com-
patible avec l'hypothèse de la règle dont le praticien attend l'effet juridique escompté. Au demeu-
rant, sans une connaissance préalable des règles de droit comment saurait-on trouver la
disposition pertinente ? Ce qu'on appelle parfois la dialectique fait-droit, va plus souvent du droit
à ce qu'on appelle le fait qu'il ne remonte du fait au droit.
liliComme paradigme de cette opération, voy. le raisonnement suivi par le ministère public dans
ses conclusions précédant l'arrêt Montanari (Cass., 16 juin 1994, Pas. 1994, I, 604), relatif à l'octroi
du bénéfice de la protection du logement familial entre ex-époux. Aux fins de déterminer le droit
applicable à la question, le juriste a cherché à vérifier à quel titre cette demande avait pu être formu-
lée et y a vu un effet rémanent du mariage dissous. Le raisonnement a conduit à soumettre la
demande - comme aussi une demande alimentaire - au droit applicable aux effets personnels du
mariage. Une question auparavant controversée a ainsi reçu une réponse certaine (voy. infra,
n ° 12.101).
Le « fait » n'est pas la situation existentielle vécue par des acteurs sociaux. Le prati-
cien du droit doit nécessairement soumettre cette situation à un traitement conceptuel :
non seulement parce que le langage qui permettra de rendre communicable une expé-
rience vécue est lui-même un outil conceptuel, un ensemble de signes communs aux dif-
férents locuteurs, mais aussi et surtout parce qu'il est impossible de « décrire » une
situation de fait sans utiliser des concepts ayant une connotation juridique.
Ill Ainsi, au moment où la personne expulsée du logement qu'elle occupe s'efforce d'obtenir l'aide
d'un avocat, celui-ci devra nécessairement formuler le titre de cette occupation : cette personne est-
elle le conjoint d'une autre personne ayant un « droit» à occuper le logement, faisait-elle ménage
commun avec cette autre personne, la jouissance du logement était-elle consentie en exécution
d'un autre contrat (par exemple un contrat de travail), la personne était-elle un « invité» occupant
les lieux en vertu d'un acte de simple tolérance, avait-elle occupé un local vide sans l'autorisation de
quiconque, peut-elle se prévaloir d'un droit subjectif propre (propriété, usufruit, bail) ?
Les situations dans lesquelles le praticien du droit pourra apporter une aide efficace
à la personne qui le consulte sont précisément celles où la situation inclut un rapport
«juridique» préexistant, qui investit l'acteur social d'un droit subjectif donnant ouver-
ture à une action en justice, tels le droit de cohabitation d'un époux, la qualité de loca-
taire ou de titulaire d'un autre droit contractuel, la jouissance d'un droit réel. La mise en
œuvre de l'un de ces concepts juridiques appartient nécessairement à la description de la
situation litigieuse.
5.8 - La complétude d'un système clos - Dans l'ordre interne, le double phénomène de
conceptualisation qui vient d'être sommairement décrit fait l'objet d'une discipline parti-
LE CHOIX DE LA NORME PRIMAIRE DE DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 175

culière, la logique juridique. Face à l'infinie diversité des situations de vie, la structure lin-
guistique et conceptuelle de l'ordre juridique étatique offre un cadre de référence stable
et qu'il est permis de supposer logiquement clos.
Cette stabilité se vérifie à deux niveaux : les phénomènes sociaux appréhendés par le
droit, les relations personnelles, les rapports économiques, sont introduits dans des
cadres conceptuels qu'on appelle« l'hypothèse» de la règle de droit. Vrai ou faux, le pré-
supposé de la plénitude logique de l'ordre juridique étatique implique qu'à toute relation
sociale relevant du droit corresponde un ensemble conceptuel, une hypothèse légale dont
le choix est la tâche propre du praticien.
Le second niveau auquel se manifeste la rigidité d'un système de référence universel
et exclusif est la plénitude formelle de l'ordre normatif: le droit étatique est un réseau
complexe de commandements harmonisés ou aptes à l'être, ce qui, au moins en principe,
évite aussi bien les lacunes (on ne sait quelle solution donner à une situation déterminée)
que les contradictions et les conflits (la même situation fait l'objet de commandements
incompatibles).

B. Le postulat de perméabilité des ordres juridiques


5.9 - Le droit du for comme système de référence - L'appréhension par les concepts
juridiques du for d'une situation transfrontière suscite des difficultés propres. Pas plus
dans le milieu international qu'en droit interne, on ne saurait atteindre une situation
vierge, exempte de toute impression d'un ordre juridique positif. Les personnes sont
identifiées par leur nom, leur prénom, leur domicile, toutes notions juridiques. Leurs
comportements, qu'il faut apprécier, ne sont pas réductibles à de« purs faits».
illlComment décrire un contrat sans parler d'achat, de vente, de paiement, de promesse, de loca-
tion, etc.? Comment parler d'une situation familiale sans référence aux qualités d'époux, de fils et,
en l'absence de tout lien légal, aux notions de naissance, de déclaration faite devant l'officier de
l'état civil? Comment analyser un accident de la circulation routière sans recourir aux notions de
faute, de dommage, de rapport de causalité ?

L'application du droit serait paralysée si tous les éléments de la situation étaient mis
en question. Les données qui doivent être tenues pour constantes sont nécessairement
désignées à l'aide de concepts juridiques.
La difficulté est particulièrement sensible si, comme il a été suggéré ci-dessus
(n ° 1.42), le praticien recherche, avant toute intervention d'un organe étatique, la règle
de droit applicable. Sera-t-il condamné au silence parce que lui ferait défaut ce langage
spontané qui paraît associé à un système national de droit et d'expression juridique? À
l'aide de quelles notions décrire une situation qui ne saurait être appréhendée par le jeu
des règles de conflit avant d'avoir été décrite, mais dont on se demande à présent s'il est
possible d'en énumérer les éléments constitutifs, avant tout rattachement à un ordre
juridique positif?
Dans les dernières années du XIXe siècle, Kahn et Bartin ont été les premiers auteurs
attentifs à cette interrogation. Celle-ci n'avait pas de sens pour l'école universaliste, qui
prétendait dégager de la communauté de civilisation des États occidentaux des règles de
conflit de lois utilisant des concepts aptes à appréhender toutes les institutions de ses
différents membres.
176 L'APPLICATION DE LA RÈGLE DE CONFLIT DE LOIS

En étendant aux conflits de lois le schéma logique qui caractérise l'application judi-
ciaire du droit privé et en centrant la mise en œuvre de la règle de rattachement sur un
système conceptuel déterminé, celui de l'État du for, Kahn et Bartin ont érigé la lex fori en
système de référence absolu et universel de toutes les situations juridiques, quelle qu'en
fût l'origine. Le praticien a désormais pour tâche d'insérer ces situations dans les grilles
conceptuelles familières au tribunal saisi afin de les soumettre aux règles de conflit de
lois, normes juridiques spéciales élaborées par le droit du for pour celles de ces situations
qui présentent un élément« étranger».

5.10 - L'équivalence des concepts juridiques - L'insuffisance de la méthode positiviste a


très bien été perçue par un auteur suisse, Burckhardt, qui a posé le problème sous la
forme d'une aporie : ou bien les lois civiles de deux pays coïncident et, dans ce cas, le droit
international privé est dépourvu d'objet, ou bien ces lois diffèrent d'un pays à l'autre,
mais elles se distinguent alors en chacune de leurs parties et aucune limite commune ne
saurait leur être assignée (W. BURCKHARDT, « Über die Allgemeingültigkeit des internatio-
nalen Privatrechts », Festgabe für E. Huber, 1919, 278). À côté de concepts « interchan-
geables» ou, si l'on préfère, «internationaux», encore que les contenus de leurs diverses
expressions nationales ne soient pas rigoureusement identiques, tels les concepts nais-
sance, décès, nom, contrat, promesse, vente, mariage, il en est d'autres qui portent davan-
tage les traces de leur origine nationale.
1111Si l'on reprend l'exemple donné ci-dessus (n ° 5.7) d'une personne expulsée de son logement et
qu'on suppose qu'il s'agisse d'une Marocaine répudiée par son mari, on ne saurait, sans préjudice
des effets qui, par l'application des règles de conflit de lois et de juridictions du for, le cas échéant
tempérée par l'exception d'ordre public, seront ou non reconnus à la répudiation, rechercher le
droit applicable à cette situation sans introduire le concept de répudiation dans la description ini-
tiale de l'hypothèse. Ce concept appartient au vocabulaire de la langue française, cour en étant
étranger au système de droit matériel interne de la plupart des ordres juridiques qui utilisent cette
langue.
Il arrive aussi que le concept de droit étranger soit à ce point étrange qu'il ne passe
même pas l'épreuve de la traduction. Tel est le cas du concept de trust. L'originalité en est
telle que des instruments internationaux récents, de même que le Code belge de droit
international privé, n'hésitent pas à y faire référence sans traduire dans le texte français
l'expression anglaise. Cette circonstance ne suffit pourtant pas à exclure toute possibilité
de « reconnaissance » de cette institution hétérogène dans le système du for (voy. infra,
n° 13.32).

5.11 - La catégorie de rattachement comme outil d'ouverture - L'appréciation de la nature


de l'opération de qualification est délicate. Précédant le choix de la norme primaire de
droit international privé, la simple description de la situation de fait implique l'utilisa-
tion de concepts de droit matériel empruntés aux ordres juridiques qui ont « configuré »
la situation avant qu'elle ne pénètre dans l'ordre interne du for. L'outil conceptuel de cet
ordre juridique ne saurait être réduit, comme l'a cru l'école positiviste, aux seuls éléments
procurés par ses normes de droit matériel interne.
1111Il faut dissocier radicalement de la qualification préalable au choix de la norme primaire de
droit international privé les prétendus « conflits de qualifications» dont il sera question plus loin
(infra, n ° 7.5). En droit international privé comme en droit matériel interne le maniement de con-
cepts juridiques dans la description de la situation a le caractère « hypothétique » qui convient à
celle-ci. Le praticien qui s'efforce de faire valoir les droits de son client, locataire expulsé au mépris
du bail, travailleur licencié, épouse répudiée, bénéficiaire du trust réclamant les sommes auxquelles
LE CHOIX DE LA NORME PRIMAIRE DE DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 177

il prétend avoir droit, sait que le demandeur s'expose à ce que la qualité alléguée soit victorieuse-
ment contestée par le défendeur, en fait mais aussi en droit. La seule différence entre une situation
purement interne et une situation transfrontière est que, pour atteindre la décision relative à la
seconde, il faudra, le cas échéant, vérifier la validité et les effets des qualités alléguées par les parties
en y faisant application du droit étranger désigné par une règle de rattachement.

La méthode des conflits de lois repose dès lors sur un postulat, à savoir que les con-
cepts utilisés par la norme primaire de droit international privé, notamment ceux de la
catégorie de rattachement, soient en mesure d'appréhender des situations« étrangères»,
c'est-à-dire des rapports de droit étranger, l'opération de qualification consistant alors à
mettre en présence les termes suffisamment larges de la catégorie de rattachement et les
institutions juridiques des divers droits étrangers.

Sur la controverse relative à l'objet du rattachement (s'agit-il d'une situation de fait ou d'un rap-
1111

port de droit?), voy. notamment: F. RlGAUX, La théorie des qualifications en droit international privé
(Bruxelles, Larcier, 1956), n ° 102, n ° 127, n',s 155-156.

Aussi est-il indispensable, sous un angle fonctionnel, que la règle de rattachement


dispose d'une catégorie au caractère générique assez large pour couvrir un champ étendu
de situations, le cas échéant configurées sous un ensemble conceptuel hétérogène (voy.
supra, n ° 3.38).

5.12 - Une communauté de langage - Un tel postulat n'est logiquement admissible que
si l'on suppose en outre que les professionnels du droit formés dans des ordres juridiques
nationaux différents parlent une langue commune. Cela conduit à une deuxième diffi-
culté, qui n'est pas seulement liée à la nécessité de travailler sur des notions traduites
d'une langue elle-même étrangère. L'existence de langues de très large diffusion, comme
le français, l'anglais, l'espagnol, l'arabe, et, dans une moindre mesure, l'allemand, fait
apparaître que dans les nombreux systèmes juridiques où l'une de ces langues est utilisée,
au même mot du langage choisi par le législateur ne correspondent pas des concepts
juridiques rigoureusement équivalents. Sans doute peut-on délimiter un noyau de signi-
fication commune autour duquel se sont développées des pratiques linguistiques et juri-
diques distinctes. L'obligation de traduire d'une langue dans une autre met mieux en
relief une difficulté qui risque d'être moins apparence quand la comparaison des notions
juridiques a pour objet les concepts différents désignés par des mots paraissant identi-
ques parce qu'ils appartiennent à la même aire linguistique.

La possibilité d'appréhender dans un ordre juridique les concepts formulés par un


autre système de droit est un postulat des relations privées internationales. On notera en
outre que dans les domaines où les échanges transfrontières sont les plus intenses, les
transports, les opérations de banque, de bourse, d'assurance et de réassurance, le trans-
fert de technologie et les droits intellectuels, l'unification du droit par la conclusion
d'accords interétatiques est allée de pair avec la formation d'une société transnationale
d'opérateurs professionnels partageant des pratiques, des usages et même des règles
communes qui ont précédé l'unification du droit étatique là où celle-ci a été faite. Les
opérateurs des milieux transnationaux ont aussi une langue commune, l'anglais.
178 L'APPLICATION DE LA RÈGLE DE CONFLIT DE LOIS

§2 LES CONFLITS DE NORMES PRIMAIRES


DE DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ
5.13 - Variété des conflits de normes primaires - Les normes primaires de droit inter-
national privé en vigueur dans un ordre juridique interne se laissent distinguer en raison
de leur source et de leur nature.

Par leur source, les unes appartiennent à un traité international directement appli-
cable dans l'ordre interne, les autres sont propres au droit du for.
Par leur nature, les règles de rattachement multilatérales côtoient des règles (con-
ventionnelles) d'unification du droit matériel, des règles matérielles de droit internatio-
nal privé, des normes matérielles du for dont le domaine d'application est délimité par
une règle particulière d'applicabilité, des règles de rattachement exclusivement unilatéra-
les.

Face à cette double pluralité des normes primaires de droit international privé, il y a
lieu de distinguer quatre problèmes relatifs au choix de la norme pertinente : le premier
concerne la détermination du domaine matériel de chacune des normes, au moyen de
l'opération de qualification des faits (voy. supra, n ° 5.7); la deuxième difficulté a pour
objet la détermination du domaine spatial de la norme régissant une situation transfron-
tière lorsque cette norme ne vaut que pour les situations satisfaisant aux conditions pré-
vues par la règle particulière d'applicabilité qui l'accompagne (voy. supra, n ° 1.32) ; la
troisième difficulté touche au conflit issu de la multiplicité des règles de droit pouvant
valoir comme « norme primaire » applicable à la même situation; la quatrième est le con-
flit transitoire suscité par la succession de normes différentes ayant la même nature.

A. Les conflits entre normes primaires simultanées


5.14 - Conflit de traités - Un premier type de conflit est le conflit de traités. Cela impli-
que que plusieurs traités ayant à la fois le même domaine matériel et la même applica-
bilité dans l'espace contiennent des normes primaires de droit international privé
inconciliables.
Pareil conflit est un problème de droit international général, dont certains aspects
ont été réglés par la Convention de Vienne du 23 mai 1969, et pour la solution duquel il
est renvoyé aux ouvrages spécialisés de droit international.
111 Voy. particulièrement: D. BUREAU, Les conflits de conventions, Trav. Comité fr. dr. int. pr. 1998-
1999 (Paris, Pédone, 2001), 201-234; L. GANNAGÉ, « Le droit international privé à l'épreuve de la
hiérarchie des normes" (Revue), 2001), 1-42; F. MAJOROS, Les Conventions internationales en matière de
droit privé, Partie spéciale, Le droit des conflits de Conventions (Paris, Pédone, 1980) ; ID.,« Konflikte Zwis-
chen Staatsvertragen auf dem Gebiete des Privatrechts », RabelsZ. (1982), 84-117; A. MALAN, La con-
currence des conventions internationales dans le droit des conflits de lois (Aix-Marseille, Presses univ., 2002) ;
P. VüLKEN, Konventionskonflikte im internationalen Privatrecht (Zürich, 1977).

5.1 S - Conflit entre règle conventionnelle et règle nationale - Une autre variété de con-
flit est celle qui oppose une source de droit international à une source de droit interne,
par exemple la règle de droit matériel uniforme contenue dans un traité est opposée à
une règle nationale de rattachement.
LE CHOIX DE LA NORME PRIMAIRE DE DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 179

Pour résoudre ce problème de droit constitutionnel interne, on a tendance aujour-


d'hui à faire prévaloir la disposition directement applicable d'un traité sur la règle de
droit interne, même quand celle-ci est postérieure en date.
1111 En Belgique: Cass., 27 mai 1971, État belge c. S.A. Fromagerie franco-suisse, Pas. (1971, !), 886; Riv.

dir. int. (1973), 619.


En France : Cass. (ch. mixte), 24 mai 1975, Adm. des douanes c. Soc. Cafés Jacques Vabre et S.a.r.l.j. Weigel
etCie,j.T (1975), 496, note]. V. Lours; D. (1975),J. 497.
En Italie: Corte costituzionale, 27 décembre 1973, arrêt n° 183,].T (1974), 409, note]. V. Lours;
Rir. dir. int. (1974), 130.
En Allemagne : Bundesverfassungsgericht, 9 juin 1971, Europarecht ( 1972), 51.

5.16 - Conflit entre règle d'applicabilité et règle de rattachement - Lorsque la situation


litigieuse appartient aux domaines respectifs d'une règle de rattachement et d'une règle
d'applicabilité, il y a lieu de considérer d'abord la règle d'applicabilité, en raison du carac-
tère dérogatoire de celle-ci par rapport à celle-là (voy. supra, n ° 4.5).
Cette priorité de la règle d'applicabilité vaut autant entre règles nationales qu'entre
règles conventionnelles. En revanche, elle ne s'étend pas au conflit entre règle nationale et
règle conventionnelle, cette dernière recevant la primauté en raison de sa nature propre.
Ill Ainsi, à propos de règles conventionnelles régissant le contrat de transport, la Convention de
Varsovie qui unifie le régime de la responsabilité du transporteur aérien reçoit la priorité sur la
Convention de Rome du 19 juin 1980 sur la loi applicable aux obligations contractuelles (voy. infra,
n° 14.158).

Ill En cas de conflit entre une règle de rattachement conventionnelle et une règle d'applicabilité
nationale, cette dernière ne peut recevoir effet que dans les limites posées par la première, en raison
du principe de primauté du traité. Les deux types de dispositions sont bien concurrents puisque
l'un et l'autre ont un objet commun, à savoir résoudre le conflit de lois, mais ils utilisent des
méthodes différentes (voy. supra, n'" 3.4 et s.) : à ce titre, ces règles constituent bien des normes pri-
maires.
Pour un cas de cession de priorité aux règles nationales d'applicabilité, voy. l'article 7 de la Conven-
tion de Rome du 19 juin 1980 (infra, n ° 14.74).

5.17 - Conflit entre règles matérielles et règles de rattachement conventionnelles - Quand


le même instrument international contient des règles de droit matériel uniforme et des
règles de rattachement, dont les domaines matériels coïncident, une règle d'interpré-
tation assez généralement suivie consiste à donner la primauté aux premières sur les
secondes. Dans les traités d'unification du droit, les règles de rattachement ont assez
naturellement un caractère subsidiaire ou résiduel : il y est recouru suite à l'impossibilité
de s'entendre sur une solution de droit matériel uniforme.
Ill Sur cette priorité, voy. notamment: K. ZWEIGERT et U. DROBNIG, « Einheit!iches Kaufgesetz und
Internationales Privatrecht », RabelsZ. (1965), 160.

5.18 - Conflit entre règles matérielles uniformes subsidiaires et règles matérielles


nationales - Même quand elles sont insérées dans un traité de conflit de lois, les règles de
droit matériel uniforme priment les règles matérielles du droit national déclaré applica-
ble en vertu des règles de rattachement.
Ili Pareille éviction est expressément formulée par l'article 11, alinéa 2, de la Convention de La
Haye du 2 octobre 1973 sur la loi applicable aux obligations alimentaires:« Toutefois, même si la
loi applicable en dispose autrement, il doit être tenu compte des besoins du créancier et des res-
sources du débiteur dans la détermination du montant de la prestation alimentaire».
180 l' APPLICATION DE LA RÈGLE DE CONFLIT DE LOIS

L'article 6, alinéa l ''", de la Convention de La Haye du 15 novembre 1965 sur l'adoption (voy. supra,
n ° 3.8) a la même portée, bien qu'il ne contienne pas une solution aussi explicite que la disposition
précitée.

5.19 - Récapitulation des règles de conflit de normes primaires du for - Lorsque le pra-
ticien cherche à déterminer la norme primaire pertinente, il se doit de dresser un inven-
taire de l'ensemble des dispositions de ce type qui, pour la matière en cause, ont force
obligatoire dans le système du for, règles de rattachement nationales ou conventionelles,
assorties ou non d'une règle d'applicabilité, règles matérielles ou conventionnelles assor-
ties d'une règle d'applicabilité. En revanche, il n'y a pas lieu, à ce stade, de considérer une
règle matérielle, nationale ou conventionnelle, non assortie d'une règle d'applicabilité,
puisqu'une telle règle se fond dans le système juridique que la norme primaire a pour
vocation de désigner (voy. supra, n ° 4.35).
Les divers paramètres énoncés aux numéros précédents permettent d'établir un clas-
sement des normes primaires par ordre de priorité :
- Rang 1: règle matérielle uniforme assortie d'une règle d'applicabilité.
- Rang 2: règle de rattachement uniforme assortie d'une règle d'applicabilité; et la
règle spéciale de ce type passe avant la règle générale du même type.
- Rang 3 : règle de rattachement uniforme de caractère universel ; et la règle spé-
ciale de ce type passe avant la règle générale du même type.
- Rang 4: règle matérielle nationale assortie d'une règle d'applicabilité.
- Rang 5 : règle de rattachement nationale ; et la règle spéciale de ce type passe
avant la règle générale du même type.
Ainsi, dans le paysage juridique belge, la loi du 16 juillet 2004 portant le Code de droit interna-
Ill!
tional privé se situe au rang 5 seulement quoique, par l'étendue de son domaine, elle constitue la
source la plus étendue en la matière.

5.20 - Conflit de normes primaires étrangères - Il peut arriver que le praticien ait à con-
sidérer une norme du droit étranger qui, si elle était empruntée au droit du for, aurait le
caractère d'une norme primaire : ce peut être le cas d'une règle de rattachement dans le
contexte particulier de la théorie du renvoi (voy. infra, n ° 6.12), mais plus normalement
d'une règle matérielle uniforme ou d'une règle matérielle de droit international privé en
vigueur dans le système juridique désigné par la règle de rattachement du for.
IllLe cas de désignation d'une règle matérielle uniforme en vigueur dans le droit étranger désigné
par la règle de rattachement se présente, par exemple, en matière de vente internationale (voy. supra,
n° 14.182).
Le praticien se doit alors de respecter un ordre de priorité entre les différentes nor-
mes étrangères en présence, à savoir considérer d'abord la règle matérielle uniforme,
ensuite, si l'on se situe dans le contexte du renvoi, la règle de rattachement, ensuite la
règle matérielle de droit international privé et, à titre subsidiaire seulement, la règle
matérielle de droit interne. Dans les deux derniers cas, il convient encore d'avoir égard à
une éventuelle règle directe d'applicabilité au cas où le juge saisi serait amené à y donner
effet (voy. supra, n ° 4.4).

5.21 - Conflits impliquant une règle communautaire - Lorsqu'un acte de l'Union euro-
péenne contient une règle de droit international privé, celle-ci prétend à la primauté dans
le domaine considéré, non seulement sur toute règle nationale mais encore sur toute
LE CHOIX DE LA NORME PRIMAIRE DE DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 181

règle conventionnelle en vigueur entre États membres. Pour les traites liant un État
membre à un État tiers, il incombe au premier de prendre les mesures appropriées pour
en assurer la compatibilité avec le droit communautaire (voy. supra, n ° 4.34 ).
IllPar exemple, la Convention de Rome du 19 juin 1980 sur la loi applicable aux obligations con-
tractuelles cède devant un règlement ou les dispositions nationales de transposition d'une directive
communautaire, en des termes que confirme l'article 20 de la Convention.

Le conflit peut également opposer plusieurs actes communautaires. Il y a alors lieu


d'utiliser la grille précitée, en utilisant deux types de paramètres : entre règles de même
nature, la règle spéciale prime la règle générale ; entre règles de nature différente, la règle
d'applicabilité prime la règle de rattachement.
Ill!De tels conflits ne sont pas rares et ne semblent pas avoir reçu toute l'attention nécessaire du
législateur communautaire. Ainsi, la relation précise entre l'article 6 de la directive 93/13 du 5 avril
1993 concernant les clauses abusives (J.O.C.E., 1993, L 95) et la Convention de Rome n'a jamais été
éclaircie. Voy. sur cette question, outre infra, n° 14.113, notamment: E. ]AYME et C. KoHLER,
« L'interaction des règles de conflit contenues dans le droit dérivé de la Communauré européenne
et des conventions de Bruxelles et de Rome», Revue (1995), 1-40.
La directive 2000/31 du 8 juin 2000 sur le commerce électronique (J.O.C.E., 2000, L 178) exprime
une prise de conscience du problème, comme le manifestent son préambule et l'affirmation de
l'absence de règle additionnelle de droit international privé, non sans contenir, dans la clause mar-
ché intérieur, une disposition qui affecte le conflit de lois (voy. supra, n ° 4.46).

B. Le conflit transitoire de droit international privé

5.22 - Bibliographie
0
B. ANCEL, v « Conflits de lois dans le temps», Répert. Dalloz (2000); H. BATIFFOL, « Conflits de lois
dans l'espace et conflits de lois dans le temps», Mélanges Ripert (1950), t. I, 292-303; P. COURBE, Les
objectifs temporels des règles de droit international privé (Paris, PUF, 1981); J. ERAuw, « Het intertempo-
reel internationaal privaatrecht, en de toepassing ervan in het huwelijksvermogensrecht », TP.R.
(1979), 1-28; C. GAVALDA, Les conflits dans le temps en droit international privé (Paris, 1955); C. EBEN-
ROTH, G. REINER et E. BOIZEL, « Succession d'États et droit international privé», Clunet (1996), 5-68;
A GIARDINA, Successione di norme di conflitto (Milan, Giuffrè, 1970); P. GRAULICH et M. LIÉNARD-LIGNY,
« Droit transitoire et droit international privé des régimes matrimoniaux », Mélanges Vander Elst,
341-351 ; ]. GRODECKI, « Conflict of Laws in Time », B.Y.I.L. (1959), 58-82 ;J. HERON,« Etude struc-
turale de l'application de la loi dans le temps», Rev. trim. dr. civ. (1985), 2 et s.; B. Hess, Intertempora-
les Privatrecht (Tübingen, Mohr, 1998); I. JOPPE, Overgangsrecht in het internationaal privaatrecht en het
fait accompli (Arnhem, Gouda Quint, 1987); P. LAGARDE, « Le droit transitoire des règles de conflit
après les réformes récentes du droit de la famille», Trav. Comité fr. d.i.p. (1977-1979), 89 et s.; P.
LEVEL, Essai sur les conflits de lois dans le temps (Paris, 1959) ; P. LOUIS-LUCAS, « Traits distinctifs des con-
flits de lois dans le temps et des conflits de lois dans l'espace», Mélanges Roubier (1961), t. I, 323-
348; A MAKAROV, « Postmortale Anderung der Sachnormen des Erbstatuts »,RabelsZ. (1957), 201-
219; F. A. MANN,« The Time Element in the Conflict ofLaws », B.Y.I.L. (1954), 217-247 ;J. C. MOR-
RIS, « The Time Factor in the Conflict of Laws », I.C.L.Q. (1966), 422-435; F. R.!GAUX, « Espace et
temps en droit international privé», Rev. interdise. Et. jur. (1989-22), 107-124; K. SIEHR, « Der Eini-
gungsvertrag und seine internationalen Kollisionsnormen »,RabelsZ. (1991), 240-267; M. SosNIAK,
« Les conflits dans le temps des règles de droit international privé», Annuaire polonais de dr. int.
(1981-1982), 201-218; H. STEIN, Plaats en tijd in het IPR (Deventer, Kluwer, 1984); G. VAN HECKE,« La
succession dans le temps des règles de conflit», note sous Cass., 8 octobre 1964, Rev. crit. jur. belge
(1965), 397-404; B. VON HOFFMANN, « Internationales Privatrecht im Einigungsvertrag », IPRax
(1991), 1-10; N. WATTÉ, « Les régimes matrimoniaux, les conflits de lois dans l'espace et dans le
temps», Rev. crit. jur. belge (1994), 676-732.
182 L'APPLICATION DE LA RÈGLE DE CONFLIT DE LOIS

5.23 - Solutions de droit international - Quand la règle de conflit de lois ou de conflit


de juridictions appartient à un traité international, les problèmes de droit transitoire
qu'elle peut susciter relèvent du droit international général.
Pour un état de la question, voy. les travaux de l'Institut de droit international, et notamment le
11111

rapport provisoire de M. SoRENSEN sur Le problème dit du droit interternporel dans l'ordre international,
Annuaire, vol. 55 (1973), 1-47, le rapport définitif, ibid. 85-98, le compte rendu des délibérations en
séance plénière à la session de Wiesbaden, vol. 56 (1975), 339-374, et le texte de la résolution sur
« Le problème intertemporel en droit international public», ibid., 536-541.

L'article 6 de la résolution de l'Institut de droit international de 1973 recommande


« que soient incluses dans tout instrument international des dispositions expresses, indi-
quant la solution qu'il convient de donner aux problèmes intertemporels que pourrait
soulever son application».
Cette technique est habituellement suivie par la Conférence de La Haye de droit
international privé, qui consacre le principe de l'application immédiate des dispositions
nouvelles aux actes et faits survenus après leur entrée en vigueur.
1111 Ainsi, l'article 8 de la Convention du 5 octobre 1961 sur les conflits de lois en matière de forme
des dispositions testamentaires prévoit qu'elle « s'applique à tous les cas où le testateur est décédé
après son entrée en vigueur». Il en résulte que les dispositions conventionnelles régissent les testa-
ments dressés avant l'entrée en vigueur du traité à condition que le testateur ait survécu jusqu'à
cette date.
Voy. aussi l'article 21 de la Convention du 14 mars 1978 sur la loi applicable aux régimes matrimo-
niaux et l'article 15 de la Convention du 14 mars 1978 sur la célébration et la reconnaissance de la
validité des mariages.
Il! Comp., en matière de conflits de juridictions, l'application des dispositions nouvelles du traité à
la reconnaissance et à l'exécution des actes et des décisions intervenus après son entrée en vigueur.
Voy. par exemple l'article 12 de la Convention de La Haye du 15 avril 1958 concernant la reconnais-
sance et l'exécution des décisions en matière d'obligations alimentaires envers les enfants. Comp.
l'article 24, alinéa 1er, de la Convention de La Haye du 1er juin 1970 sur la reconnaissance des divor-
ces et des séparations de corps, aux termes duquel elle « est applicable quelle que soit la date à
laquelle le divorce ou la séparation de corps a été acquis», l'alinéa 2 contenant une faculté expresse
de réserve sur ce point.
Voy. encore les dispositions particulières que contient la Convention de Bruxelles, infra, n ° 8.31.

5.24 - Solutions nationales -À défaut d'insertion d'une règle expresse de droit transi-
toire dans la loi nouvelle, la solution généralement avancée par la doctrine consiste à
étendre au changement des règles nationales de rattachement les solutions de droit tran-
sitoire prévues par le droit interne pour la catégorie de situations visée par la règle de
droit international privé.
En chaque pays, le droit transitoire interne a élaboré des solutions adaptées aux
diverses matières du droit privé, mariage, divorce, filiation, successions, contrats,
responsabilité : à la règle nouvelle de rattachement il est reconnu la même applicabilité
dans le temps qu'à la règle correspondante de droit civil interne.
1111Comp. en Belgique, en matière de régime matrimonial, la position de la Cour de cassation dans
l'arrêt Weirnberg (9 septembre 1993, Pas., 1993, I, 665): la Cour refuse de voir dans les dispositions
transitoires de la loi du 14 juillet 1976 portant réforme du droit matériel, des dispositions propres
à déterminer« l'application dans le temps d'une nouvelle règle belge de conflit de lois». Ce refus de
transposition ne porte cependant que sur la règle spéciale élaborée par le législateur de 1976. En
effet, la Cour se réfère alors à la« règle», manifestement puisée au droit civil interne, selon laquelle
« une nouvelle loi s'applique, non seulement aux situations qui naissent à partir de son entrée en
vigueur, mais aussi aux effets futurs des situations nées sous le régime de la loi antérieure qui se
LA CONCRÉTISATION DU FACTEUR DE LOCALISATION 183

produisent ou se prolongent sous l'empire de la loi nouvelle», tout en constatant qu'il y est dérogé
« lorsque l'application immédiate de la loi nouvelle porterait atteinte à des situations antérieures
définitivement accomplies». Elle utilise alors cette dérogation sur la base d'une appréciation de la
nature du régime matrimonial puisée au droit interne, à savoir le lien étroit du régime légal avec
l'institution du mariage, pour en déduire que « la détermination de la loi applicable [aux effets
patrimoniaux du mariage] doit être considérée comme définitivement acquise au moment où est
consommé le fait générateur de ceux-ci ».
Sur ce raisonnement, voy. la critique de N. CorPEL, « Conflit traqsiroire international, régime matri-
monial légal et conflit mobile», Rev. trim. dr. fam. ( 1994), 480-493.
Pour l'application de la règle de rattachement en vigueur au moment de l'acte d'adoption à la
1111

demande tendant à l'annulation de l'acte, voy.: Liège, 18 janvier 1999, Rev. gén. dr. civ. (1999), 662,
note Y. DEKELETAERE.
1111Comp.: Hoge Raad, 7 avril 1989, Tan c. Bavinck, NI.L.R. (1991), 398, note DE BOER, admettant la
rétroactivité de la nouvelle règle de rattachement jurisprudentielle sauf en cas d'atteinte à l'attente
légitime des parties.
En Belgique, le Code adopte des règles propres de solution des conflits transitoires
de droit international privé. Pour le conflit de lois, une règle générale d'application
immédiate s'accompagne de précisions et de dérogations. La précision affecte l'applica-
tion aux effets futurs d'un acte ou fait antérieur, sauf pour les matières contractuelle et
quasi délictuelle (art. 127). La date de la demande est retenue en matière de divorce et de
recherche ou de contestation d'un lien de filiation biologique. Exceptionnellement,
l'application rétroactive est prévue lorsqu'elle permet de valider un acte, en matière de
filiation, de trust, ou en cas d'exercice de l'autonomie de la volonté.
Ill! Sur ces solutions particulières, voy. infra, les chapitres concernant chacune de ces matières.

Section 3
La concrétisation du facteur de localisation
5.25 - Présentation - L'utilisation du critère de rattachement ou d'applicabilité que
contient la règle de conflit de lois suppose diverses opérations.
D'abord, le critère, pour être opérationnel, doit être à même d'identifier un système
juridique ou une règle matérielle par la localisation de l'élément pertinent. Plus que
d'aunes critères, la nationalité ainsi que le domicile et la résidence soulèvent des ques-
tions particulières.
Ensuite, il y a lieu d'évaluer l'incidence du temps sur la concrétisation du critère per-
tinent, lorsque celui-ci a subi un changement.
Enfin, il arrive qu'il faille neutraliser un élément de localisation pour le motif qu'il
ne présente pas un degré suffisant d'effectivité, suite au comportement frauduleux d'une
partie.

§1 DIVERSITÉ DES MÉTHODES DE CONCRÉTISATION


5.26 - Multiplicité des fonctions du facteur de localisation - Un concept utilisé comme
facteur de rattachement, tels la nationalité, le domicile, le lieu de situation d'un bien, la
localisation d'un acte ou d'un fait (voy. supra, n ° 3.41 ), remplit une fonction analogue en
plusieurs espèces de règles d'applicabilité. Ont été rencontrées, les dispositions qui déter-
minent le domaine spatial de règles matérielles nationales (supra, n ° 4.4), ainsi que les
184 L'APPLICATION DE LA RÈGLE DE CONFLIT DE LOIS

conditions auxquelles est subordonnée l'applicabilité de certaines règles de rattachement


conventionnelles (supra, n ° 4.49) et de la plupart des règles de droit matériel uniforme
(supra,n° 4.37).
En outre, des concepts analogues sont utilisés pour la détermination de la compétence interna-
11111

tionale des autorités et des juridictions : le domicile du défendeur, le lieu d'un délit, le lieu d'exécu-
tion d'un contrat sont des critères territoriaux usuels pour l'attribution de la corn pétence
juridictionnelle; la nationalité a le même caractère quand la compétence internationale des tribu-
naux est fondée sur la personnalité (voy. infra, n° 9.11).
En outre, les traités sur les conflits d'autorités et de juridictions se réfèrent à un élément de localisa-
tion remplissant la fonction d'une règle d'applicabilité (voy. infra, n ° 8.19).

Déterminer un facteur de rattachement ou un facteur d'applicabilité, consiste à con-


crétiser le concept par l'intermédiaire duquel une situation particulière est localisée.
C'est, par exemple, attribuer à une personne telle nationalité déterminée, désigner le lieu
de son domicile, localiser le point du territoire où un bien est situé, où un quasi-délit a
été commis.
Pareille détermination est une des phases décisives de la mise en oeuvre de la règle à
laquelle appartient le concept qui en fait l'objet. La détermination du facteur d'applicabi-
lité permet de décider si, compte tenu de leur domaine spatial, les dispositions conven-
tionnelles régissent une situation. C'est par la détermination du facteur de rattachement
qu'est désigné l'ordre juridique national applicable en vertu de la règle de rattachement à
laquelle appartient ce facteur.
Au cas où la mise en œuvre d'une règle de rattachement est subordonnée à une condition
1111

d'applicabilité, il y a lieu de déterminer successivement le facteur d'applicabilité et le facteur de rat-


tachement. Quand les deux facteurs ne coïncident pas, la succession des deux opérations est très
apparente. Ainsi, il faut d'abord vérifier si un mineur a sa résidence habituelle dans un des États
contractants (Conv. de La Haye du 5 octobre 1961, art. 13, al. 1er), avant d'appliquer l'article 3 de la
même Convention(« Un rapport d'autorité résultant de plein droit de la loi interne de l'État dont
le mineur est ressortissant est reconnu dans tous les États contractants »).
Quand les deux critères coïncident ou si la condition d'applicabilité limite la mise en œuvre des
règles conventionnelles aux cas où la loi qu'elles désignent est celle d'un des États contractants,
une seule opération suffit pour vérifier l'applicabilité de la règle et pour procéder à son application.

5.27 - Relativité de la concrétisation - Une concrétisation correcte du facteur de locali-


sation en droit international privé se doit de tenir compte de la variété des fonctions du
concept selon la nature de la règle en cause. Cela implique non seulement qu'elle puisse
varier en droit international privé, mais encore qu'elle puisse différer du sens des con-
cepts en droit interne. Que la définition du facteur de localisation doive être empruntée à
l'ordre juridique qui produit la règle ne revient pas à dire, à propos de règles nationales,
que cette référence porte sur le droit matériel interne. Il y a place pour une autonomie du
concept utilisé en droit international privé.
Il Voy. notamment : J. GONZALEZ CAMPOS, « Diversification, spécialisation, flexibilisation et maté-
rialisation des règles de droit international privé », Recueil des cours, vol. 287 (2000), 9-426 ; A. MAKA-
ROV, « Réflexions sur l'interprétation des circonstances de rattachement», Mélanges Maury (Paris,
Dalloz & Sirey, 1960), t. I, 208 ; R. NEUNER, « Die Anknüpfung im internationalen Privatrecht »,
RabelsZ. (19 34), 81 ; F. RIGAUX, La théorie des qualifications en droit international privé (Bruxelles, Larcier,
1956), n° 191-206; P. RoGERSON, « Habitua! residence: The new domicile?», I.C.L.Q. (2000), 86-
107.

Il est vrai qu'au même titre que la plupart des autres notions utilisées en droit inter-
national privé, le facteur d'applicabilité ou de rattachement est un concept emprunté au
LA CONCRÉTISATION DU FACTEUR DE LOCALISATION 185

droit interne. Des notions telles que le domicile, le lieu de conclusion ou d'exécution
d'un contrat, le lieu où une faute a été commise, la situation d'un bien, sont couramment
utilisées en droit interne, notamment en droit judiciaire (pour la détermination de la
compétence territoriale interne des tribunaux), mais aussi en droit constitutionnel (tel le
principe de l'inviolabilité du domicile), en droit pénal (pour la qualification de la viola-
tion de domicile) ou en droit civil (telle la règle de l'article 1247, alinéa 2, du Code civil
belge, selon laquelle « le paiement doit être fait au domicile du débiteur »).
illl De même, les règles substantielles de conflit d'autorités et de juridictions ont emprunté au droit
judiciaire interne les concepts servant à déterminer la compétence internationale des juridictions
étatiques. On retrouve des concepts similaires dans les traités internationaux sur la compétence et
l'exécution, où ils ont une fonction différente de celle qu'ils remplissent dans les règles d'applicabi-
lité des mêmes traités.
On n'observe pas moins la même variété de sens dans l'ordre interne: il existe plu-
sieurs notions du « domicile», selon qu'on passe du droit civil au droit judiciaire, au
droit pénal, au droit électoral, au droit fiscal, etc.
Depuis l'entrée en vigueur du Code judiciaire, le législateur belge a détaché du domicile civil,
illl
toujours défini selon les articles 102 à 109 du Code civil, le domicile pour les besoins de la procé-
dure civile, qui est « le lieu où la personne est inscrite à titre principal sur les registres de la
population» (C. jud., art. 36).

En Belgique, le Code s'attache à donner une définition des termes «domicile» et


« résidence habituelle», pour les besoins du droit international privé (voy. infra, n ° 5.67).

5.28 - Interprétation autonome des traités internationaux - La première question de


méthode est relative à la source de la règle d'applicabilité ou de rattachement. Si celle-ci
appartient à un instrument international, elle constitue une disposition commune aux
auteurs de l'acte, qu'il y a lieu d'interpréter selon l'intention qu'ils ont exprimée (voy.
infra, n ° 6.48, et, à propos du règlement 44/2001, infra, n ° 8.10).
Il est exceptionnel qu'un traité définisse le facteur de rattachement utilisé. En
l'absence d'une telle définition, ou d'un mécanisme conventionnel assurant une interpré-
tation uniforme des concepts, il est préférable d'utiliser, dans les traités, des facteurs con-
crets plutôt que conceptuels.
1111Comme cas de définition d'un facteur de localisation, voy. l'article 5 de la Convention de La
Haye du 15 juin 1955 pour régler les conflits entre la loi nationale et la loi du domicile, qui définit
le domicile dans les termes suivants : « Le domicile, au sens de la présente Convention, est le lieu où
une personne réside habituellement, à moins qu'il ne dépende de celui d'une autre personne ou du
siège d'une autorité».
Une tendance à l'utilisation de facteurs concrets s'observe, singulièrement dans les conventions
illl
de La Haye, par une substitution de la« résidence habituelle» au« domicile».

5.29 - Concrétisation au moyen d'une règle de conflit de lois - À défaut de parvenir à


une définition autonome du facteur de localisation, les auteurs d'un instrument interna-
tional peuvent procéder de manière indirecte, en désignant la loi compétente pour déter-
miner le facteur par l'intermédiaire d'une règle de conflit de lois. Il existe deux espèces de
solutions de conflit de lois, les unes qui donnent compétence à la loi du pays dans lequel
se localise le facteur d'applicabilité ou de rattachement, les autres qui recourent à une
règle de conflit de lois autonome.
L'exemple le plus typique de la première méthode est procuré par les articles ie•· et 2 de la Con-
1111

vention de La Haye du 12 avril 1930 concernant certaines questions relatives aux conflits de lois sur
186 l' APPLICATION DE LA RÈGLE DE CONFLIT DE LOIS

la nationalité. Cette méthode apparaît aussi dans l'article 59, § 2, du règlement 44/2001:
« Lorsqu'une partie n'a pas de domicile dans l'État membre dont les tribunaux sont saisis, le juge,
pour déterminer si elle a un domicile dans un autre État membre, applique la loi de cet État
membre».
De même, aux termes du dernier alinéa de l'article 1cr de la Convention de La Haye du 5 octobre
1961 sur les conflits de lois en matière de forme des dispositions testamentaires, « la question de
savoir si le testateur avait un domicile dans un lieu déterminé est régie par la loi de ce même lieu ».
111 Comme exemple de la seconde méthode, voy. la section VIII du Protocole annexé à la Conven-
tion européenne d'établissement du 13 décembre 1955, aux termes duquel la résidence habituelle
(article 30 de la Convention) « s'appréciera selon les règles applicables dans le pays dont l'intéressé
est ressortissant».

De ces méthodes il convient de distinguer celle qui utilise une simple règle de signa-
lisation (voy. supra, n° 4.41). Il arrive en effet que les rédacteurs de l'instrument interna-
tional se bornent à renvoyer la question aux règles de droit international privé de chaque
État contractant.
C'est le cas de l'article 53 de la Convention de Bruxelles, en ce qui concerne le domicile d'une
11!1
personne morale. Le règlement 44/2001 y substitue une règle matérielle (art. 60), sauf en ce qui
concerne le domicile du trust.

5.30 - Incidence du caractère multilatéral ou unilatéral de la règle - La circonstance


que le même concept - le domicile, le lieu où a été commis un délit - est tantôt un fac-
teur d'applicabilité, tantôt un facteur de rattachement, tantôt le concept par l'intermé-
diaire duquel est déterminée la compétence territoriale (interne ou internationale) des
tribunaux risque de conduire à des confusions si l'on ne distingue pas les fonctions diffé-
rentes conférées au même concept. Les règles auxquelles obéit la concrétisation de pareil
concept ne coïncident pas nécessairement pour les trois fonctions qu'il est appelé à rem-
plir.
Opposant le facteur de rattachement au facteur d'applicabilité et au concept utilisé
dans une règle de compétence juridictionnelle, la différence essentielle a pour cause le
caractère multilatéral de la règle de rattachement et le caractère unilatéral des deux
autres espèces de règles.
La règle de rattachement multilatérale ne tolère pas de lacune, le facteur de rattache-
ment qu'elle utilise doit être défini de telle manière qu'il puisse se concrétiser en
n'importe quel pays. Au contraire, la règle substantielle de conflit de juridictions se borne
à délimiter la compétence internationale des tribunaux de l'État dont elle émane ou des
États parties au traité quand la règle est conventionnelle. Si, tel qu'il est défini, le critère
de compétence ne se localise pas sur le territoire de l'État auquel appartient la juridiction
saisie, il y a seulement lieu de conclure à l'incompétence de celle-ci, ce qui ne crée ni
lacune ni déni de justice puisqu'aucun État ne revendique pour ses juridictions une com-
pétence illimitée.
Ill Cette exigence propre à la règle de rattachement en raison de sa nature multilatérale peut être
illustrée aisément à propos du domicile. La détermination de ce facteur selon le droit interne du
for peut se révéler impraticable quand ce droit s'est incorporé des exigences de nature administra-
tive allant parfois, comme le fait, en matière judiciaire, l'article 36 du Code judiciaire belge, jusqu'à
lier la détermination du domicile aux mentions contenues dans un registre public. Pareille solu-
tion ne saurait être étendue à la détermination d'un domicile dont, en raison de sa localisation
étrangère, la preuve irréfragable serait liée au fonctionnement des autorités d'un autre pays, lors-
que dans ce pays il n'existe pas d'autorités analogues ou que les renseignements qu'elles sont appe-
lées à enregistrer n'ont pas la même portée juridique.
LA CONCRÉTISATION DU FACTEUR DE LOCALISATION 187

Ceci explique que le Code belge prenne soin de dissocier la résidence habituelle du domicile au sens
où celui-ci est défini en droit matériel interne, même si la formalité administrative qui caractérise
cette définition s'appuie sur une exigence de résidence habituelle.

Sur ce point, le facteur d'applicabilité présente plus d'analogie avec le concept de


droit judiciaire international qu'avec le facteur de rattachement. En effet, quand la con-
dition d'applicabilité d'une règle conventionnelle n'est pas satisfaite, il n'y a pas non plus
de lacune puisque le droit international privé commun reste applicable.

5.31 - Incidence du caractère alternatif ou exclusif de la règle - La fonction même exer-


cée par la règle à interpréter peut influencer le sens à donner à l'élément de localisation.
Une différence radicale sépare le facteur de rattachement du concept de droit judi-
ciaire. Alors que la règle de compétence juridictionnelle est en principe alternative et n'a
qu'exceptionnellement un caractère exclusif(voy. infra, n ° 9.7), la relation s'inverse quand
on passe à la règle de rattachement: celle-ci n'est alternative que lorsque le législateur
poursuit une politique de droit matériel tendant à favoriser la position d'une des parties
(supra, n ° 3.58).
Le caractère alternatif ou exclusif de la règle elle-même est aisément étendu aux pro-
cédés de détermination du concept de localisation utilisé.
Quand la règle est alternative, il n'y a pas d'inconvénient à ce que l'interprète puisse
aussi choisir entre diverses concrétisations du facteur de rattachement (voy. supra,
n ° 3.59) ou, plus souvent, du concept de droit judiciaire.
L'interprétation de la Convention de Bruxelles, ou désormais du règlement 44/2001, en fournit
illl
un exemple topique. Au sens de l'article 5, 3°, le critère de compétence du« fait dommageable»,
utilisé en matière quasi délictuelle, permet au demandeur d'attraire le défendeur devant le tribunal
« soit du lieu où le dommage est survenu, soit du lieu de l'événement causal qui est à l'origine de ce
dommage» (C.J.C.E., aff. 21/76, 30 novembre 1976, S.A. Handelskwekerij G.]. Bier B. V et Fondation
Reinwater c. S.A. Mines de potasse d'Alsace, Rec., 1976, 1735).
Dans les conclusions précédant l'arrêt, l'avocat général Capotorti a très nettement distingué la
question de compétence juridictionnelle de la détermination du facteur de rattachement (pour la
désignation du droit matériel applicable).
Voy. aussi l'arrêt de la Cour de justice du 6 octobre 1976, aff. 12/76, Tessili, Rec. (1976, 1473), § 11:
« Il y a lieu de souligner que l'interprétation <lesdites expressions et notions aux fins de la Conven-
tion ne préjuge pas la question de la règle matérielle applicable à la situation litigieuse ».
En revanche, le caractère exclusif de la plupart des règles de rattachement interdit de
donner une interprétation alternative à un facteur de rattachement complexe : ce que
vise la règle exclusive, c'est la désignation d'un droit étatique et d'un seul. La question
s'est posée avec acuité à propos du lieu du « fait dommageable» en matière quasi délic-
tuelle, voire, à l'époque où le lieu de conclusion du contrat régissait la détermination de
la loi contractuelle, à propos du contrat entre absents. La réponse la plus appropriée
consiste, soit à multiplier les rattachements conditionnels, qui serrent de plus près une
hypothèse mieux localisée (voy. supra, n ° 3.54), soit à adopter une règle de rattachement
flexible (voy. supra, n ° 3.41 ).
1111La problématique du contrat entre absents est largement dépassée depuis l'entrée en vigueur de
la Convention de Rome du 19 juin 1980 (voy. infra, n ° 14.34), même si des difficultés nouvelles
apparaissent à l'occasion de la conclusion de contrats électroniques. Il y a lieu de distinguer la por-
tée du concept pour le droit des conflits de lois et sa signification en droit matériel interne. Savoir
si et à quel moment un contrat a été conclu entre absents peut soulever un problème de conflit de
lois indépendamment du contenu du facteur de rattachement: c'est au droit qui régit le contrat
188 L'APPLICATION DE LA RÈGLE DE CONFLIT DE LOIS

qu'il revient de répondre à la question. Aussi l'utilisation du lieu de conclusion comme facteur de
rattachement était-elle de nature à générer un cercle vicieux.
1111 Sur la problématique de la localisation des délits et quasi-délits, voy. infra, n'" 15.9 et 15.13.
Un concept peut encore recevoir un sens différent selon qu'il sert comme facteur
d'applicabilité ou comme critère de compétence internationale, dans le cas où la règle de
compétence internationale reçoit un sens exclusif alors que la règle d'applicabilité revêt
une portée alternative : tandis que la première tend à concentrer les litiges afin de pro-
téger les intérêts du défendeur, la seconde peut poursuivre un objectif distinct, à savoir
étendre le domaine d'application dans l'espace du texte.
Ill Le législateur communautaire ne semble pas avoir été conscient de cette différence lors de
l'adoption du règlement 44/2001, en ce qui concerne la détermination du domicile d'une personne
morale, critère servant à fixer autant la compétence internationale (art. 2) que l'applicabilité dans
l'espace (art. 4). Voy. infra, n ° 9.29

§2 LA DÉTERMINATION DE LA NATIONALITÉ
DE LA PERSONNE PHYSIQUE

5.32 - Bibliographie
a) Études générales sur le conflit de nationalités
M. ANCEL, « Les conflits de nationalités», Clunet (1937), 22; BAR-YAAcov, Dual Nationality (London,
1961); BoGGIANO, « La doble nacionalidad en Derecho Internacional Privado », Rev. Der. Internac.
Ciencias Diplom., (1969), n ° 535-36; P. D'ARGENT,« Nationalité et droit international public», Ann.
droit (2003), 221-231 ; G. FITZMAURICE, « The general principles ofinternational Law... », Recueil des
cours, vol. 92 (1957), 191-207; R. HANSEN et P. WEIL (dir.), Dual nationality, social rights and federal citi-
zenship in the US and Europe: The reinvention ofcitizenship (New York, Berghahn Books, 2002) ;JORDAN,
v° Conflit de nationalité, Rép. de Lapradelle et Niboyet; ISAY, « De la nationalité», Recueil des cours, vol.
5 (1924), 425-472; Ko SWAN SIK, « Nationalicy and (public) international law »,N.I.L.R (1982), 100
et s.; P. LAGARDE, La nationalité française (Paris, Dalloz, 1997) ; M. LIENARD-LIGNY,« Nationalité belge
et belge bipatride - Une nouvelle étape», Act. droit (1992), 769-792; Lours-LuCAs, « Les conflits de
nationalité», Recueil des cours, vol. 64 (1938), 1-70; A. MAKAROV, « Règles générales du droit de la
nationalité», Recueil des cours, vol. 74 (1948), 269-378; ID., Allgemeine Lehren des Staatsangehorig-
keitsrechts (1962); D. MARTIN et K. HAILBRONNER, Rights and duties ofdual nationals: Evolution and pros-
pects (La Haye, Kluwer, 2003) ; J. MAURY, « Du conflit de nationalité et en particulier du conflit de
deux nationalités étrangères devant les autorités et les juridictions françaises », Mélanges G. Scelle, t.
1, 365; D. RuzIE, « Nationalité, effectivité et droit communautaire», Rev. gén. (1993), 107-120;
W. ScHÀTZEL, « Geschichte der Staatsangehërigkeit », Mélanges Séfériadès, t. II, 475; H. G. VAN PAN-
HUYS, The Role ofNationality in International Law (Leiden, 1959); M. VERWILGHEN, « Conflits de natio-
nalités, plurinationalité et apatridie », Recueil des cours, vol. 277 (1999), 9-484; P. WEIS, Nationality
and Statelessness in International Law (London, 1956); ID., « Effective Nationality - Nottebohm and
Afcer », Mélanges Schnitzer (Genève, Georg, 1979), 501-512; A. ZIMMERMANN, « Europaisches
Gemeinschaftsrecht und Staatsangehërigkeitsrecht der Mitgliedstaten unter Berücksichtigung der
Probleme mehrfacher Staatsangehërigkeit », EuR. (1995), 54-70.

b) Convention de La Haye du 12 avril 1930


Sur cette Convention, voy. notarnment les ouvrages cités par CRUSEN, MAAS et SIED LER, Das Recht der
Staatsangehorigkeit, ire partie (Berlin, 1934), 1033 et s., et par HUDSON, International Legislation, vol. V,
1929-1931 (Washington, 1936), 359-360. Voy. surtout: R. W. FLOURNOY, « Nationalicy Convention,
Protocols and Recommendations adopted by the First Conference on the Codification ofinterna-
tional Law »,Am.]. lnt. L. (1930), 467-485; G. B. HUDSON,« The Hague Convention of1930 and the
Nationalicy ofWomen », Am.]. Int. L. (1933), 117-122 ;]. KosTERS, « La nationalité à la Conférence
LA CONCRÉTISATION DU FACTEUR DE LOCALISATION 189

de La Haye pour la codification du droit international (13 mars-12 avril 1930) »,Revue (1930), 412-
443, 599-620; AH. PHILIPSE, « La nationalité à la première conférence de codification », Acta Scandi-
navica (1931), 85-94 ;J. B. Scorr, « Nationality », Am.]. Int. L. (1930), 556-561 ;]. VAN HourrE, « La
codification des lois sur la nationalité à la Conférence de La Haye (13 mars-12 avril 1930) »,Rev. dr.
internat. etlégisl. comp. (1931), 103-119.

5.33 - Objet de l'analyse - Dans un ouvrage de droit international privé, la matière de la


détermination de la nationalité mérite un examen particulier à un double titre.
C'est parce que la nationalité est tantôt un facteur de rattachement, tantôt un fac-
teur d'applicabilité ou tantôt encore un critère de compétence judiciaire internationale
(voy. supra, n° 3.41, et infra, n° 9.11), qu'il y a lieu de s'intéresser à la concrétisation de ce
concept, comme il y a également lieu de le faire à propos d'autres éléments localisateurs,
tel le domicile (voy. infra, n ° 5.64).
C'est aussi parce que le facteur de rattachement est de nature à désigner un droit
étranger, qu'il peut être nécessaire de vérifier si une personne possède ou non une ou plu-
sieurs nationalités étrangères.
L'étude de la nationalité sous l'angle du droit international privé revêt ainsi un
caractère spécifique, distinct de celle qui, dans le droit interne, porte sur les conditions
d'attribution, d'acquisition et de perte de la nationalité du for. Il est moins question ici
de décrire à quelles conditions s'obtient ou se perd la nationalité belge - question qui
relève du droit public interne-, que de vérifier si une personne a une nationalité étran-
gère, si elle peut posséder plusieurs nationalités ou n'en avoir aucune et, le cas échéant, de
résoudre les cas de pluralité ou d'absence de nationalité.
111 Sur la détermination de la nationalité belge, voy. notamment: J.-Y. CARLIER et S. SAROLÉA, Droit
des étrangers et nationalité (Bruxelles, Larcier, 2005) ; Ch.-L. CLOSSET, Traité de la nationalité en droit belge
(Bruxelles, Larcier, 2004) ; M.-C. FOBLETS, R. FOQUÉ et M. VERWILGHEN, Devenir belge (Bruxelles,
Bruylant, 2002); M. VERWILGHEN, Le Code de la nationalité belge (Bruxelles, Bruylant, 1985).
La détermination de la nationalité revêt encore un autre intérêt pour le droit inter-
national privé: chaque fois que l'attribution de la nationalité dépend d'un lien de filia-
tion et que l'une des parties à ce lien est de nationalité étrangère, surgit une question
d'état préalable à la détermination de la nationalité. Affectant la problématique du droit
applicable au lien de filiation, cette difficulté est abordée dans le chapitre intéressant
cette matière (voy. infra, n ° 12.133).

A. Sources
1. TRAITÉS MULTILATÉRAUX

a) Instruments en vigueur en Belgique


5.34 - La Convention de La Haye du 12 avril 1930 - Le principal instrument auquel la
Belgique est partie en matière de nationalité est la Convention de La Haye, du 12 avril 1930,
concernant certaines questions relatives aux conflits de lois sur la nationalité, ainsi que ses
annexes : un Protocole relatifaux obligations militaires dans le cas de double nationalité et un Pro-
tocole spécial relatifà l'apatridie, tous deux du même jour.
IllLa loi d'assentiment du 20 janvier 1939 (Monit., 13 août 1939, Pasin., 1939, 381) a été modifiée
par la loi du 28 juin 1984, art. 21, 4° (Monit., 12 juillet 1984). Voy. l'exposé des motifs précédant le
projet de loi d'assentiment in Doc. pari., Ch. repr., sess. 1934-1935, n° 192.
190 L'APPLICATION DE LA RÈGLE DE CONFLIT DE LOIS

Ill Le texte officiel, anglais et francais, de la Convention a été publié par la Société des Nations,
Recueil des traités, vol. 179, 89.

Le domaine spatial de la Convention est limité par une condition de réciprocité: elle
ne s'applique, en effet, que dans les « relations mutuelles» entre parties contractantes.
Or, ces pays sont peu nombreux. Toutefois, comme la Convention n'a fait que codifier
plusieurs principes qui sont l'expression de la coutume internationale, la jurisprudence a
pu s'y référer même pour résoudre des conflits de nationalité dans les relations entre
États non contractants.
11!1Voy. en ce sens à propos de l'application de l'article 5 de la Convention à une femme franco-ita-
lienne, alors que ni la France, ni l'Italie ne sont liées par la Convention: Bruxelles, 22 avril 1988,
Montanari c. Queru,].T (1988), 664. Selon l'arrêt,« la Convention de La Haye n'a été ratifiée ni par la
France, ni par l'Italie, mais le principe qu'elle consacre dans l'article 5 correspond à une solution
traditionnelle admise en droit international privé», citant P. GRAULICH, Principes, 104, n° 145. De
même, la Cour de cassation (29 septembre 1994, Roch c. Glynn, Pas., 1994, I, 778) n'a pas hésité à se
prononcer sur un pourvoi qui invoquait la violation de l'article 5 de la Convention alors que les
nationalités en cause étaient britannique et irlandaise et que seul le Royaume-Uni, à l'exclusion de
l'Irlande, est lié par la Convention.
Depuis l'entrée en vigueur du Code de droit international privé, le droit belge contient une dis-
11!1
position portant des solutions analogues à celles de la Convention (art. 3).

5.35 - Autres traités multilatéraux - Parmi les autres traités multilatéraux en vigueur en
Belgique et qui concernent les conflits positifs ou négatifs de nationalités, on peut citer :
- la Convention relative au statut des apatrides, et ses annexes, signées à New York, le
28 septembre 1954 (loi du 12 mai 1960, Monit., 10 août 1960, Pasin., 1960, 503). Cette
Convention s'efforce d'améliorer la condition juridique de « l'individu qu'aucun État ne
considère comme son ressortissant par application de sa législation». En soi, elle ne pré-
tend donc ni résoudre ni prévenir l'apatridie, mais seulement en atténuer certains effets
pervers. Elle concerne donc essentiellement la condition de l'étranger.
- les Protocoles de signature facultative concernant l'acquisition de la nationalité annexés à
la Convention sur les relations diplomatiques, signée à Vienne le 18 avril 1961 (loi du 30 mars
1968, Monit., 6 juin 1968, Pasin., 1968, 353) et à la Convention sur les relations consulaires,
signée à Vienne le 24 avril 1963 (loi du 17 juillet 1970, Monit., 14 novembre 1970, Pasin.,
1970, 1221). L'objectif poursuivi dans ces Protocoles est d'éviter que les enfants d'agents
diplomatiques et consulaires ne deviennent binationaux en raison de leur naissance dans
l'État où s'exercent les fonctions d'un de leurs auteurs, lorsque la loi nationale de l'agent
diplomatique ou consulaire consacre le ius sanguinis.
- la Convention concernant l'échange d'informations en matière de nationalité, et son
annexe, signées à Paris le 10 septembre 1964 (loi du 18 juillet 1974, Monit., 31 décembre
1974, Pasin., 1974, 711). Cette Convention est entrée en vigueur en Belgique le
31 décembre 1974.
IliSur l'interprétation administrative de cette Convention, voy. la circulaire ministérielle du
25 mars 1975 (Monit., 29 mars 1975).

- la Convention européenne sur la réduction des cas de pluralité de nationalités et sur les obli-
gations militaires en cas de pluralité de nationalités, conclue à Strasbourg le 6 mai 1963, ainsi
que le Protocole portant modification de la Convention précitée, fait à Strasbourg, le
24 novembre 1977, et le Protocole additionnel à la Convention précitée, relatif à
LA CONCRÉTISATION DU FACTEUR DE LOCALISATION 191

l'échange de communications entre les États membres, fait à Strasbourg, le 24 novembre


1977 (loi du 22 mai 1991, Monit., 6 juillet 1991). Cette Convention est entrée en vigueur
en Belgique le 16 juillet 1991.
Ill Cette Convention tend à éviter le cumul de nationalités et à éviter que les pluripatrides ne doi-
vent effectuer leur service militaire dans cous les États dont ils sont les ressortissants. Depuis le
16 juillet 1991, les bipatrides qui, pour éviter le service militaire en Belgique, préfèrent renoncer à
leur nationalité belge n'ont plus à demander l'autorisation royale autrefois requise: la loi belge
d'assentiment de la Convention a, en effet, abrogé l'article 22, § 2, du Code de la nationalité belge
qui prévoyait cette autorisation.

- la Convention des Nations unies du 18 décembre 1979 sur l'élimination de toute forme
de discrimination à l'égard des femmes (loi du 11 mai 1983, Monit., 5 novembre 1985).

5.36 - Droit communautaire - Quoique la matière de la nationalité n'appartienne pas


directement au domaine du traité CE, le régime de la liberté de circulation est cependant
de nature à affecter la solution des conflits de nationalités (voy. infra, n ° 5.61).

De plus, le Traité sur l'Union européenne, signé à Maastricht le 7 février 1992


(J.O.C.E., 1992, C 191) dispose:« Il est institué une citoyenneté de l'Union. Est citoyen de
l'Union toute personne ayant la nationalité d'un État membre [... ].» (art. 17 CE). Cette
citoyenneté ne se substitue pas à la nationalité, dont la détermination continue de relever
de la compétence exclusive de l'État, selon une précision apportée à l'occasion de la révi-
sion faite par le traité d'Amsterdam du 2 octobre 1997 (J.O.C.E., 1997, C 340): « La
citoyenneté de l'Union complète la citoyenneté nationale et ne la remplace pas».
Ill Pour plus de détails sur la citoyenneté de l'Union européenne, voy. notamment M. FALLON, Droit
matériel général de l'Union européenne (Bruxelles, Bruylant, 2002), chap. 16, et les références; C.
CLOSA, « Citizenship of the Union and nationality of Member States», C.M.L.R. (1995), 487-518;
R. HANSEN et P. WEIL (dir.), Dual nationality, social rights and federal citizenship in the US and Europe: The
reinvention of citizenship (New York, Berghahn Books, 2002); E. PEREZ-VERA, « Citoyenneté de
l'Union européenne, nationalité et condition des étrangers», Recueil des cours, vol. 261 (1998), 243-
425 ; C. PHILIP et P. SOLDATOS, La citoyenneté européenne (Bruxelles, Bruylant, 2000) ;

b) Instruments dépourvus de force obligatoire en Belgique


5.37 - Traités non ratifiés par la Belgique - De nombreux instruments, non ratifiés par
la Belgique, concernent les conflits de nationalités.
!l!I On peut citer, à titre d'exemple:

- la Convention sur la nationalité de la femme mariée, adoptée le 29 janvier 1957 par l'Assemblée géné-
rale des Nations unies (résolution 1840 [XI]), signée par la Belgique le 15 mai 1972;

Voy.: Série législative des Nations unies, suppl. au volume Lois relatives à la nationalité, 1954, ST/
LEG/SER.B/9, 1959, p. 95; texte officiel, en anglais, français, chinois, russe et espagnol, dans:
Nations unies, Recueil des Traités, vol. 309, p. 65. Texte français dans: Ann. Dr. de l'Homme (1957),
309-310. Traduction en néerlandais dans: VAN DER WEG, BRINKMAN et ARNOLD, Nationali-
teitswetgeving, t. I", C-49 (Sect. l'e). Voy. l'état des signatures, adhésions et ratifications dans: Trai-
tés multilatéraux pour lesquels le Secrétaire Général exerce les fonctions de dépositaire (New York, O.N.U.,
public. annuelle). Conformément à son article 6, la Convention est entrée en vigueur le 11 août
1958. Sur cette Convention, voy. Convention sur la nationalité de la femme mariée. Historique et com-
mentaires, Nations unies, doc. E/CN.6/389, New York, 1962 (éditions française et anglaise).
192 L'APPLICATION DE LA RÈGLE DE CONFLIT DE LOIS

- la Convention des Nations unies du 30 août 1961 sur la réduction des cas d'apatridie (non signée
par la Belgique);
Texte officiel, en anglais, français, chinois, russe et espagnol, in Nations unies, document A/
Conf. 9/15, 1961. Texte anglais in: I.C.L.Q. (1962), 1090-1096. Texte français in: Ann. dr. de
l'homme pour 1961, 439-442. Traduction néerlandaise in VAN DER WEG, BRINKMAN et ARNOLD,
Nationaliteitswetgeving, t. !, C. 55 (sect. !).
- la Convention n° 13 de la Commission internationale de l'état civil, signée à Berne le
13 septembre 1973, tendant à réduire le nombre des cas d'apatridie (signée par la Belgique);

5.38 - Travaux du Conseil de l'Europe - Le gouvernement belge a été associé à l'adop-


tion de deux résolutions prises par le Comité des ministres du Conseil de l'Europe le
27 mai 1977. Il s'agit de la Résolution 77 (12) concernant la nationalité des conjoints de nationa-
lités différentes et de la Résolution 77 (13) concernant la nationalité des enfants nés hors mariage.
1111 Voy. le texte de ces résolutions in : M. KrLLERBY, « Nationalité et statut personnel dans les instru-
ments internationaux du Conseil de l'Europe », Nationalité et statut personnel (sous la direction de M.
VERWILGHEN, Bruxelles, Bruylant et Paris, L.G.D.J., 1984), 76-78, n'" 168-171.
Le Comité des ministres du Conseil de l'Europe a aussi adopté, le 20 mars 1984, une
Recommandation R (84) 9 sur les migrants de la deuxième génération, qui a trait notamment
aux conflits de nationalités, ou encore la Recommandation R (99) 18 sur la suppression et la
réduction des cas d'apatridie.
L'Assemblée consultative du Conseil de l'Europe a adopté une Recommandation 519
(1968) relative à la nationalité de la femme mariée et une Recommandation 915 (1981) relative à
la situation des travailleurs migrants dans le pays d'accueil (ce texte concerne partiellement les
problèmes de nationalité). Devenue Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, elle
a adopté une Recommandation 1081 (1988) relative aux problèmes de nationalité dans les maria-
ges mixtes.
Le Conseil de l'Europe a également servi d'enceinte à la conclusion, à Strasbourg le
6 novembre 1997, de la Convention européenne sur la nationalité (Rev. gén., 1997, 1092,
Rev. dr. étr., 1998, 115).
1111Cette Convention « établit des principes et des règles en matière de nationalité des personnes
physiques» (art. 1e,) et ne traite pas du conflit de nationalités, si ce n'est pour affirmer le droit de
toute personne à une nationalité et la nécessité d'éviter l'apatridie ; outre des critères concernant
l'acquisition de la nationalité et sa réintégration, la Convention pose deux principes inspirés de la
Convention de La Haye de 1930, à savoir une règle de compétence selon laquelle « il appartient à
chaque État de déterminer par sa législation quels sont ses nationaux», et une règle de conflit de
lois selon laquelle« cette législation doit être admise par les autres États».
La liste des actes adoptés par le Conseil de l'Europe est disponible sur le site Internet
1111

www.coe.int.

Il. TRAITÉS BILATÉRAUX

a) Prévention des conflits


5.39 - Anciens instruments - La Belgique a signé autrefois quelques traités bilatéraux
dont les clauses contenaient certaines mesures de prévention de conflits de nationalités.
Plusieurs de ces traités ont été dénoncés depuis lors.
1111 On peut citer:
- la Convention pour régler la nationalité des émigrants, conclue le 16 novembre 1868 entre la Belgique
et les États-Unis d'Amérique (loi du 11 juillet 1869, Pasin., 1869, 329), dénoncée le 21 octobre
1981 (Monit., 21 octobre 1982);
LA CONCRÉTISATION DU FACTEUR DE LOCALISATION 193

- le Traité d'amitié et de commerce, conclu le 18 avril 1912 encre la Belgique et la Bolivie (voy. surtout
l'art. 5) (loi d'approbation du 17 janvier 1913, Pasin., 1913, 22), encore en vigueur;
- la Convention sur la nationalité de la femme mariée, conclue le 9 janvier 1947 entre la Belgique et la
France (loi du 10 juin 1949, Pasin., 1949, 363).
Prétextant d'une approbation imminente d'un traité multilatéral en la matière (la Convention des
Nations unies du 29 janvier 1957, citée supra, n° 5.37), le gouvernement belge a dénoncé cette con-
vention bilatérale par un avis du 23 juillet 1971 (Monit., 23 juillet et 28 septembre 1971). Une circu-
laire ministérielle du 5 juin 1972 a précisé les effets de cette dénonciation (Monit., 15 juin 1972).
Cette dénonciation n'a pas d'effet rétroactif Il est donc encore nécessaire de se référer au traité
pour déterminer la nationalité des femmes belges ou françaises mariées durant l'intervalle encre
l'entrée en vigueur de la Convention et la date de prise d'effet de la dénonciation.

5.40 - Effets d'un changement de souveraineté - Les effets sur la nationalité belge des
changements territoriaux consécutifs aux guerres mondiales ont été réglés par traité.
Il en fut ainsi après la Première Guerre mondiale, pour organiser l'attribution de la
nationalité belge en raison des accroissements de territoire obtenus par la Belgique en
vertu du Traité de Versailles du 28 juin 1919.
Voy. les articles 36 et 37 de ce traité (loi du 15 septembre 1919), l'article 4 de la loi du 25 octobre
1111

1919 sur les options de patrie et l'article 2 de la loi du 15 septembre 1919 réglant le statut du terri-
toire de Moresnet-neutre. Dans la jurisprudence belge relative à l'interprétation des articles 36 et
37 du Traité de Versailles, voy. notamment: Cass., 27 octobre 1932, Hupperman, Pas. (1932), I, 271;
16 janvier 1954, Schumacher, Pas. (1954), I, 409.

Après la Seconde Guerre mondiale, le Traité relatif à la rectification de la frontière


belgo-allemande et au règlement de divers problèmes concernant les deux pays, conclu le
24 septembre 1956 à Bruxelles (loi du 28 avril 1958, Monit., 23 août 1958, Pasin., 1958,
907) se prononça sur la nationalité des personnes habitant dans les terriroires faisant
l'objet de la rectification de frontières. Un système d'option facilitée fut offert aux natio-
naux des deux États contractants résidant sur ces territoires.
Voy. à ce sujet: L. ST!CHELBAUDT, « Les conséquences du traité du 24 septembre 1956 relatif à la
1111

modification de la frontière belgo-allemande », Rev. admin. (1959), 67, 94 et 145.

5.41 - Effets de la décolonisation - À l'égard des effets de la décolonisation, la Belgique


a été moins attentive à prévenir des conflits de nationalités cependant bien prévisibles.
Ainsi, aucun traité bilatéral ne fut conclu entre la Belgique et ses anciennes possessions
d'Afrique devenues indépendantes: le Congo, le Rwanda et le Burundi. Le défaut de
mesures préventives engendra l'éclosion de conflits positifs ou négatifs de nationalités.
Le législateur belge adopta la loi du 22 décembre 1961 relative à l'acquisition et au recouvrement
de la nationalité belge par des étrangers nés ou domiciliés sur le territoire de la République du Congo
ou par les Congolais ayant eu en Belgique leur résidence habituelle (Monit., 8 janvier 1962, Pasin.,
1962, 914).
Ill Voy. à ce sujet M. VERWILGHEN, Le Code de la nationalité belge (Bruxelles, Bruylanc, 1985), 44 et s.,
n° 5 50 et S.

b) Suppression de certains effets du cumul de nationalités


5.42 - Obligation du service militaire - À défaut de pouvoir éliminer le cumul de natio-
nalités en reconnaissant la prépondérance d'une nationalité sur l'autre, il arrive que les
États s'entendent pour écarter un effet particulièrement nocif du cumul (voy. infra,
n° 5.62). Les clauses conventionnelles qui tendent à soustraire les bipatrides à l'obliga-
194 L'APPLICATION DE LA RÈGLE DE CONFLIT DE LOIS

tion d'accomplir leur service militaire dans les deux pays dont ils relèvent appartiennent
à ce groupe de règles de droit international.
La Belgique a ainsi conclu plusieurs traités bilatéraux pour résoudre les difficultés
que provoque, en matière d'obligations militaires, une double nationalité. Ces instru-
ments précisent souvent que leurs dispositions n'affectent en rien la condition juridique
des intéressés en matière de nationalité. En d'autres termes, le conflit de nationalités per-
siste, seul un de ses effets étant réglé: le traité n'a donc pas d'incidence sur les questions
de droit privé.

Ill. SOURCES DE DROIT INTERNE

5.43 - Le Code de la nationalité belge du 28 juin 1984 - Le Code de la nationalité belge ins-
titué par la loi du 28 juin 1984 (Monit., 12 juillet 1984, Pasin., 1984, 1201) est entré en
vigueur le 1er janvier 1985 (Monit., 4 août 1984). Il a innové dans la matière du conflit de
nationalités et bien que le texte ne contienne aucune règle spécifique à cet égard.
1111 Pendant plus d'un demi-siècle, la détermination de la nationalité belge fut régie par les lois sur
l'acquisition, la perte et le recouvrement de la nationalité, coordonnées par l'arrêté royal du 14 décembre
1932 (Monit., 17 décembre 1932, Pasin., 1932, 559). Malgré leur abrogation, ces lois restent applica-
bles aux personnes dont l'état relève de faits ou actes passés sous leur empire.
Pour plus de détails sur ces lois, voy. M. VERWILGHEN, Le Code de la nationalité belge (Bruxelles, Bruy-
lant, 1985).

Le Code de la nationalité a subi une importante réforme par la loi du 13 juin 1991
(Monit., 3 septembre 1991), entrée en vigueur le ier janvier 1992 (circulaire du 4 mai 1992,
Monit., 22 mai 1992).
1111 Sur cette réforme, voy.: M. LIÉNARD-LIGNY,« Nationalité belge, les lois de 1991 ", Rev. dr. étr.
(1991), 325-335; ID.,« Nationalité belge et belge bipatride - Une nouvelle étape", Actualités du droit
(1992), 769-792; M. VERWILGHEN et C. DEBROUX, « Le nouveau visage de la nationalité belge »,].T
(1992), 2-12.

D'autres révisions ont visé à assouplir les conditions d'acquisition de la nationalité


belge.
1111 Sur cette évolutivité de la législation, voy. notamment: M.-C. FoBLETS, R. FocQUÉ, M. VERWIL-
GHEN (dir.), Naar de Belgische nationaliteit- Devenir belge (Bruxelles, Bruylant, Anvers, Maklu, 2002).

B. Méthode de détermination de la nationalité

1. ÜÉSIGNATION DU DROIT DE L'ÉTAT COMPÉTENT

5.44 - Principe de répartition des compétences législatives - Il n'existe pas de cntere


universel ou international de détermination de la nationalité. Le droit international se
borne à énoncer une règle de compétence législative et non des dispositions substantiel-
les. Ainsi, les autorités étatiques, comme les organes de l'ordre juridique international,
doivent se référer au droit étatique déclaré applicable. La solution est constante auprès
des juridictions internationales quand elles doivent déterminer la nationalité d'une per-
sonne.
1111 L'affirmation reste particulièrement vraie en droit communautaire, où la Cour de justice ren-
voie, pour la détermination de la nationalité d'un État membre, au droit de cet État. Voy. en ce
sens: C.J.C.E., aff. C-369/90, 7 juillet 1992, Micheletti, Rec. (1992), I-4239; aff. C-179/98,
LA CONCRÉTISATION DU FACTEUR DE LOCALISATION 195

11 novembre 1999, Mesbah, Rec. (1999), 1-7955; aff. C-192/99, 20 février 2001, Kaur, Rec., 2001, 1-
1237, y voyant un principe de droit international coutumier.
Sans énoncer de véritables règles uniformes sur la détermination de la nationalité, la Conven-
lllll
tion européenne sur la nationalité du 6 novembre 1997 s'efforce d'en proposer un embryon, par
l'énonciation d'une série de« règles relatives à la nationalité», par exemple « l'acquisition de plein
droit» de la nationalité d'un État par un enfant dont l'un des parents possède la nationalité de cet
État (art. 6, § 1er, a).
La Convention de La Haye du 12 avril 1930 a codifié plusieurs principes qui sont
l'expression de la coutume internationale.
Selon l'article 1er de cette Convention, « il appartient à chaque État de déterminer
par sa législation quels sont ses nationaux. Cette législation doit être admise par les
autres États, pourvu qu'elle soit en accord avec les conventions internationales, la cou-
tume internationale et les principes de droit généralement reconnus en matière de
nationalité». Les premiers mots de la deuxième phrase énoncent clairement l'obligation,
pour chaque État, d'admettre la législation de tous les autres États, en ce qui concerne les
critères selon lesquels ils déterminent leurs propres nationaux.
La Convention européenne sur la nationalité du 6 novembre 1997 reprend mot pour mot le
lllll
principe de répartition des compétences législatives énoncé par la Convention de La Haye.
Cette obligation pour chaque État d'admettre « la législation» des autres États en
matière de nationalité est précisée au moyen d'une disposition qui revêt la forme d'une
véritable règle de conflit de lois : « Toute question relative au point de savoir si un indi-
vidu possède la nationalité d'un État doit être résolue conformément à la législation de
cet État» (art. 2). Ainsi la règle conférant à chaque État une compétence exclusive pour la
détermination de sa nationalité est-elle complétée d'une règle multilatérale faisant aux
autres États le devoir de reconnaître (en principe) les effets de cette nationalité.
111Pareille règle de conflit de lois n'est qu'une implication de la règle de répartition de compéten-
ces énoncée par le droit international. Celle-ci, en effet, suffit à ne laisser subsister aucun doute
quant au« droit applicable» (en ce sens, P. MAYER et V. HEUZÉ, n ° 844). Voy. en ce sens la Conven-
tion européenne sur la nationalité, du 6 novembre 1997, qui se borne à reproduire l'article 1er de la
Convention de La Haye, à l'exclusion de l'article 2.
En Belgique, l'article 3, § 1er, du Code de droit international privé exprime la règle de
conflit de lois précitée; l'ajout d'une règle de répartition de compétences étatiques serait
sans objet dans le contexte national.
5.45 - Reconnaissance des effets d'une nationalité étrangère - La règle de compétence
législative que contient l'article 1er de la Convention de La Haye présente cette particula-
rité de trancher le conflit de lois du point de vue de l'ordre juridique international, en
conférant à chaque État une compétence exclusive : fixer les règles selon lesquelles il attri-
bue sa propre nationalité.
Devant être respectée par tous les États, la règle leur interdit de prétendre attribuer à
aucun autre État des ressortissants que l'État compétent ne tient pas pour siens. Une
telle prétention se heurterait à une véritable impossibilité: les principaux effets de la
nationalité, ceux qu'elle produit dans l'ordre juridique de l'État qui l'a conférée, ne sau-
raient être contrôlés par les autorités d'un autre État. Tout ce que celles-ci sont en mesure
de faire, c'est de reconnaître (ou de refuser) à la nationalité étrangère les effets qu'elle est
apte à produire dans leur propre ordre juridique et, à cette occasion, d'attribuer ou de
refuser la jouissance de cette nationalité à la personne intéressée.
196 L'APPLICATION DE LA RÈGLE DE CONFLIT DE LOIS

Cette règle ne signifie pas qu'un État soit tenu de s'incliner devant toutes les déci-
sions individuelles par lesquelles les autorités d'un autre État ont attribué ou reconnu
leur nationalité à telle personne déterminée. L'efficacité des actes administratifs ou juri-
dictionnels étrangers en matière de nationalité appartient à la théorie des conflits d'auto-
rités et de juridictions (voy. infra, n ° 5.49).
De plus, la législation d'un État en matière de nationalité ne doit pas être admise par
les autres États si elle n'est pas « en accord avec les conventions internationales, la cou-
tume internationale et les principes de droit généralement reconnus en matière de
nationalité » (art. 1er, ze phrase, de la Convention de La Haye). Cette règle couvre notam-
ment les effets de la nationalité dans l'ordre juridique d'un État autre que celui qui l'a
conférée, le premier État étant maître de refuser que cette nationalité produise ses effets
dans son ordre interne alors que la législation en vertu de laquelle elle a été conférée con-
trevient au droit international. La même règle vaut dans l'ordre juridique international.
5.46 - Éviction de certains effets d'une nationalité étrangère - Avec le refus de recon-
naître à une personne la nationalité dont elle se prévaut, il ne faut pas confondre l'hypo-
thèse dans laquelle l'effet juridique dont cette nationalité est une condition d'application
est écarté pour le motif que les circonstances dans lesquelles une nationalité a été confé-
rée à une personne ne satisfont pas aux critères auxquels l'ordre juridique compétent
subordonne l'effet litigieux réclamé.
Deux théories ont été concurremment utilisées à cette fin, la fraude à la loi et la
théorie de l'effectivité.
L'exemple classique de fraude à la loi appartient à la jurisprudence française: à l'épo-
que où le divorce n'était pas admis en France, une Française séparée de corps, la princesse
de Bauffremont, obtient sa naturalisation du grand-duc de Saxe-Altenburg. Le divorce
ensuite prononcé en Allemagne n'a pas été reconnu en France pour le motif qu'il avait été
obtenu en fraude à la loi française, droit du for.
IllVoy. Cass. civ., 18 mars 1878, Bauffremont, S. (1878), 1, 193, note LABBÉ. Sur cette affaire, voy.
notamment DE FOLLEVILLE, Un mot sur le cas de Mme la Princesse de Bauffremont, aujourd'hui Princesse
Bibesco (Paris, 1876).
1111 Sur la théorie de la fraude à la loi, voy. infra, n° 5.72.
La théorie de la fraude à la loi se limite à refuser à la naturalisation étrangère l'effet
de droit particulier réclamé dans l'ordre juridique du for. L'arrêt Bauffremont de la Cour
de cassation de France n'a pas contesté ni la compétence internationale du grand-duc de
Saxe-Altenburg pour conférer sa nationalité ni sans doute même la perte de la nationalité
française que la naturalisation étrangère avait entraînée. Il a suffi de refuser à la nationa-
lité allemande l'effet que l'on entendait en déduire selon le droit international privé fran-
çais.
L'arrêt Nottebohm de la Cour internationale de Justice est un exemple de la mise en
œuvre d'une autre théorie, celle de l'effectivité. Pour que la nationalité justifie l'exercice
de la protection diplomatique, une condition supplémentaire est requise, à savoir que
cette nationalité exprime un lien effectif avec l'État protecteur, condition qui, selon
l'arrêt précité, n'était pas remplie en l'espèce. La Cour distingue des effets de la nationa-
lité dans l'ordre interne ceux qu'elle peut produire « sur le plan du droit international.
C'est le droit international qui détermine si un État a qualité pour exercer la protection et
saisir la Cour».
lA CONCRÉTISATION DU FACTEUR DE LOCALISATION 197

11!1Sur l'arrêt Nottebohm, du 6 avril 1955, CI.]. Recueil (1955), p. 5, voy. notamment: S. BASTID,
« L'affaire Nottebohm devant la Cour internationale de justice», Revue (1956), 607; P. DE VrsscHER,
« L'affaire Nottebohm », Rev. gén. (1956), 238; Ch. DE VrsscHER, Aspects récents du droit procédural de la
Cour internationale de Justice (Paris, 1966), 138-139 ; J. MAURY, « L'arrêt Nottebohm et la condition de
nationalité effective», Mélanges Makarov, RabelsZ. (1958), 515; G. PERRIN,« Les conditions de vali-
dité de la nationalité en droit international public», Mélanges Guggenheim, 853 ; R. PINTO,« Les pro-
blèmes de nationalité devant le juge international», Ann. fr. dr. internat. (1963), 361. Comp. la
décision n° 182, du 20 septembre 1958, de la Commission de conciliation italo-américaine, dans
l'affaire Flegenheimer, Rec. des sentences arbitrales, t. XIV, 327.
Nottebohm était un Allemand établi au Guatemala où il possédait des biens considérables. À la
veille de la Seconde Guerre mondiale, il obtient la naturalisation du Liechtenstein, pays dans lequel
il avait résidé le temps nécessaire à l'accomplissement des formalités requises par la loi locale. Ses
biens ayant été mis sous séquestre pour le motif qu'en sa qualité d'Allemand il était sujet ennemi, il
obtient que le Liechtenstein défende ses intérêts contre le Guatemala.
Devant la Cour internationale de Justice, il ne semble pas avoir été contesté que Nottebohm eût
régulièrement acquis la nationalité de l'État protecteur ni même qu'il eût, en conséquence, perdu
sa nationalité allemande d'origine. Au demeurant, les autorités du Guatemala avaient, en divers
documents administratifs, tenu compte de son changement de nationalité.
L'idée sous-jacente à la motivation de l'arrêt Nottebohm est très proche de celle de la
théorie de la fraude à la loi. Le droit international n'interdit pas à un État d'accorder la
naturalisation à des personnes n'ayant qu'un lien ténu avec la communauté nationale.
En revanche, il appartient au droit international d'apprécier si ce lien suffit pour que
l'État qui a conféré sa nationalité, s'en prévalant « sur le plan du droit international»,
introduise une réclamation diplomatique ou une action judiciaire en faveur de la per-
sonne intéressée.
C'est de la même manière que, dans l'affaire Bauffremont, les juridictions francaises
ont estimé que le droit d'obtenir à l'étranger un divorce apte à être reconnu en France, ne
pouvait être acquis par une Française ayant à cette seule fin acquis la nationalité d'un
État dont la loi nationale permettait le divorce. La fraude à la loi française, normalement
compétente en vertu des règles de droit international privé français, résulte de l'absence
d'effectivité du lien entre la princesse de Bauffremont et la principauté allemande dont
elle avait obtenu la nationalité. Poursuivant la comparaison avec la motivation de l'arrêt
de la Cour internationale de Justice, on peut dire que Nottebohm s'est efforcé d'obtenir
une nationalité peu effective à la seule fin de bénéficier d'une protection diplomatique
avantageuse, favorisant ainsi une fraude au jeu correct du droit de la protection diploma-
tique.
Certaines décisions internationales ont rejeté l'action diplomatique pour le motif que l'acquisi-
11!1
tion de la nationalité qui en était la condition d'application avait été frauduleuse. Voy. la jurispru-
dence arbitrale citée par R. PINTO, précité, et P. WEIS, op. cit. (n ° 5.32), p. 217.
Sur l'utilisation de la notion de nationalité « acquise de bonne foi» par la Commission
11!1
d'indemnisation des Nations unies appelée à allouer des compensations aux personnes, États ou
organisations pour les dommages liés à la guerre entre l'Irak et le Koweit, voy.: P. D'ARGENT,
« Nationalité et droit international public», Ann. droit (2003), 221-231.

Il. CONTENTIEUX DE LA NATIONALITÉ ÉTRANGÈRE

5.47 - Exclusion d'une action principale déclarative - Le principe de répart1t1on des


compétences législatives implique que, à la différence de la nationalité belge, une natio-
nalité étrangère ne puisse faire l'objet d'une action principale, déclarative de nationalité:
quel organe de l'État belge pourrait valablement contredire le demandeur qui se préten-
198 L'APPLICATION DE LA RÈGLE DE CONFLIT DE LOIS

cirait ressortissant d'un pays étranger? Seules, les autorités ou les juridictions de l'État
étranger dont la nationalité est en cause sont en droit de se prononcer à titre principal
sur cette nationalité.
Les autorités et les juridictions belges sont cependant appelées à statuer sur l'extra-
néité d'une personne et à se prononcer sur sa (ou ses) nationalité(s) étrangère(s) lorsque
ces questions présentent un caractère préalable (voy. infra, n° 6.35). Par exemple, lorsque
le juge belge applique la règle de rattachement en matière de statut personnel, il doit
déterminer la nationalité étrangère de l'intéressé pour identifier le droit matériel appli-
cable.
Ili Sur la distinction à faire entre détermination et preuve de l'extranéité d'une part, détermination
et preuve de la nationalité étrangère d'autre part, voy. M. VERWILGHEN, « La preuve de la nationalité
en droit belge», Rev.jur. et polit. Indépendance et Coopération (1985), 531.

De même, les autorités et les juridictions du royaume sont parfois tenues de se réfé-
rer à une règle étrangère en matière de nationalité lorsque celle-ci conditionne l'attribu-
tion, l'acquisition, la perte ou le recouvrement de la nationalité belge. Ainsi, pour éviter
les cas d'apatridie, le législateur subordonne généralement la perte de la nationalité belge
à l'acquisition préalable d'une autre nationalité selon ce que prévoit la loi étrangère com-
pétente.
Ili Quand une loi étrangère est la condition d'application de la loi belge, notamment en matière de
nationalité, il faut écarter les dispositions rétroactives éventuelles de la loi étrangère qui n'auraient
pas acquis force obligatoire au moment où se réalise le fait auquel le droit du for, combiné avec la
loi étrangère, attache certaines conséquences juridiques. Voy. en ce sens en France: Cass. civ.,
24 octobre 1949, Revue (1950), 367, note H. BATIFFOL; 26 janvier 1953, ibid. (1954), note Y.L., et sur
l'ensemble de la question: F. RIGAUX, « Le conflit mobile», Recueil des cours, vol. 117 (1966), 414-
415. Telle paraît aussi la solution du ministère de la Justice à en juger par la note (1) du tableau I, A,
annexé à la circulaire ministérielle du 12 février 1982 (Monit., 27 février 1982).

5.48 - Preuve d'une nationalité étrangère - Pour démontrer qu'elle possède une natio-
nalité étrangère déterminée, une personne produit souvent en Belgique une décision
judiciaire, un acte administratif, un certificat, voire un simple passeport ou une carte
d'identité émanant d'une autorité du pays auquel elle prétend se rattacher. Il y a alors
lieu de déterminer l'efficacité en Belgique de l'acte ou du jugement invoqué (voy. infra,
chap. 10).
Il ne suffit pas toujours d'établir qu'on a telle nationalité étrangère d'origine, il faut
encore prouver que celle-ci n'est pas perdue au moment pris en considération pour que
s'y attache l'effet juridique qui en découle. D'après la jurisprudence belge, la charge de la
preuve est renversée au profit de l'étranger qui, ayant établi sa nationalité d'origine, est
présumé l'avoir conservée tant que n'a pas été rapportée la preuve que cette nationalité a
été perdue.
Ill Voy.: Cass., 16 mai 1898, Marx-Levy, Pas. (1898), I, 188; 27 juin 1899, Lemaire, Pas. (1899), !, 313.
Le Conseil d'État a Jugé que, pour être considéré comme apatride, un étranger devait établir la
perte de sa nationalité d'origine: C.E .. , 26 juin 1973, n° 15941, Nemeth, RA.A.CE. (1973), 539.
Dans diverses circulaires, le ministre de la Justice a admis cette solution. Voy. p. ex., implicitement,
la circulaire du 12 février 1982 (Monit., 27 février 1982).

Ili Pour un cas de détermination de la nationalité étrangère selon la loi de l'État à l'égard duquel
doit être établi le lien prétendu, voy. Cass., 31 janvier 1958, Duc Charles de Cray et crts c. Office des
séquestres, Pas. (1958), I, 586.
LA CONCRÉTISATION DU FACTEUR DE LOCALISATION 199

5.49 - Actes administratifs étrangers conférant la nationalité de l'autorité dont l'acte


émane - Une première catégorie d'actes administratifs a pour objet l'attribution de la
nationalité ou la renonciation à une nationalité acquise. L'exemple le plus typique est la
naturalisation ou l'option de patrie. Peu importe la forme de cet acte: qu'il soit l'œuvre
du pouvoir législatif, du gouvernement ou d'une juridiction, il s'agit d'une décision indi-
viduelle prise par l'autorité compétente et ayant, à l'égard de la nationalité conférée, un
caractère constitutif.
Les règles contenues dans les articles 1er et 2 de la Convention de La Haye du 12 avril
1930 impliquent l'efficacité internationale des actes par lesquels l'organe d'un État con-
fère à un étranger la nationalité du même État. Si l'accomplissement de l'acte est attesté
selon les formes requises par la loi de cet État et s'il émane de l'autorité qu'elle désigne à
cette fin, il est conforme à l'article 2 de la Convention d'en reconnaître l'efficacité interna-
tionale, sans autre contrôle que celui qui est prévu par la deuxième phrase de l'article 1er
de la même disposition.
Cette solution est appliquée par les juridictions internationales et par les tribunaux
des États autres que l'État dont la nationalité a été acquise.
Se bornant à écarter l'effet artificieusement poursuivi, sans porter atteinte à l'acte
administratif étranger dont toutes les autres conséquences peuvent être reconnues,
l'éviction de l'effet d'une naturalisation frauduleuse ne déroge pas à l'obligation de
reconnaître les actes étrangers de naturalisation (voy. supra, n ° 5.46).

5.50 - Autorité de la chose jugée d'une décision constatant qu'une personne a ou n'a
pas la nationalité du for - La force obligatoire d'une décision judiciaire qui a fait droit à
l'action par laquelle une personne entendait se voir attribuer la nationalité du for ou qui
a rejeté cette action doit être internationalement reconnue, en vertu des articles 1er et 2 de
la Convention de La Haye du 12 avril 1930, sous la seule réserve de la vérification des con-
ditions inscrites dans la deuxième phrase de l'article 1er_
Pareille reconnaissance ainsi que l'efficacité internationale des naturalisations étran-
gères risquent de susciter un conflit positif de nationalités si la personne intéressée a
aussi la nationalité d'un autre État, voire celle de l'État du for. Pareil conflit doit être
résolu selon les règles, soit de l'article 3, soit de l'article 5, de la Convention de La Haye
(voy. infra, n ° 5.57).
5.51 - Certificats de nationalité - Toute différente est l'hypothèse dans laquelle les
autorités d'un pays dressent un certificat attestant qu'une personne a la nationalité de ce
pays. La délivrance d'un passeport et les mentions relatives à la nationalité qu'il contient,
l'inscription d'une personne aux registres consulaires, les certificats établis par l'autorité
territoriale compétente, valent jusqu'à preuve du contraire.
1111 Voy. sur cette question, notamment, LoussouARN et BOUREL, n'" 648 et s.
Les passeports et certificats attestent seulement que l'autorité qui les a délivrés y a
exprimé sa propre appréciation relative à la nationalité de l'intéressé. Pareilles apprécia-
tions ne font pas obstacle à ce que les tribunaux et les autorités d'un autre pays vérifient
eux-mêmes l'opération de la loi compétente pour attribuer la nationalité.
1111 Pour de plus amples développements, voy. : F. RIGAUX, Droit public et droit privé,§§ 22 et 62.
200 L'APPLICATION DE LA RÈGLE DE CONFLIT DE LOIS

C. Méthodes de solution des conflits de nationalités

1. ELÉMENTS CONSTITUTIFS DU CONFLIT

5.52 - Causes et nature du conflit - Les deux formes du conflit de nationalités sont la
pluralité de nationalités et l'absence de nationalité ou apatridie.
De telles anomalies ont pour origine la discordance des règles substantielles selon
lesquelles chaque État détermine ses nationaux.
1111Ainsi, selon certains États la nationalité est un effet de la filiation (ius sanguinis), d'autres confè-
rent leur nationalité à taure personne née sur leur territoire (ius soli). Comme « il appartient à cha-
que État de déterminer par sa législation quels sont ses nationaux» (voy. supra, n ° 5.44), la
personne dont le père est ressortissant d'un État dont la nationalité se communique par l'effet de
la filiation et qui est née dans un pays appliquant le principe du ius soli a deux nationalités. Est,
inversement, apatride, la personne dont les auteurs sont ressortissants d'États qui ne confèrent pas
leur nationalité iure sanguinis, alors qu'elle est née dans un pays dont la nationalité n'est pas attri-
buée en raison du lieu de la naissance.

Même entre les pays pratiquant le ius sanguinis l'évolution du droit des relations familiales et le
1111

principe de l'égalité des sexes ont multiplié les cas de conflit positif. Alors que la solution tradition-
nelle attribuait à l'enfant légitime la nationalité de son père, l'État dont la mère avait la nationalité
s'abstenant de tenir un tel enfant pour son ressortissant, en de nombreux pays aujourd'hui l'enfant
recueille aussi la nationalité de sa mère. Il en résulte un nouveau type de bipatride, l'enfant cumu-
lant les nationalités respectives de ses deux auteurs. Un tel conflit est d'autant plus répandu que la
femme n'acquiert plus automatiquement la nationalité de son mari par l'effet du mariage, ou
encore que l'acquisition volontaire d'une nationalité étrangère n'est plus toujours une cause de
perte de la nationalité d'origine.

Le conflit de nationalités revêt ainsi la nature d'un conflit de lois : le principe de


répartition des compétences législatives consacré par le droit international entraîne tan-
tôt un cumul tantôt une lacune, selon que la situation de fait répond aux critères de plu-
sieurs lois nationales ou ne satisfait aux exigences d'aucune. Il n'y a pas de conflit de
nationalités sans une dispersion géographique des éléments matériels pris en considéra-
tion par les diverses lois sur la nationalité. Le principe est absolu pour les cumuls de
nationalités, et, hormis certains cas exceptionnels de dénationalisation opérée par un
État à l'égard de ses propres ressortissants, il s'étend aussi à l'apatridie.

5.53 - Irréductibilité et dépassement du conflit- À la différence de l'apatridie, qui est


toujours un problème irréductible, les cumuls de nationalités peuvent tantôt partager ce
caractère, tantôt être considérés comme une simple position dialectique pouvant être
dépassée.
L'irréductibilité du conflit ou la persistance de l'anomalie qu'il introduit dans la
situation de la personne physique qui en est l'objet est aisée à comprendre en ce qui con-.
cerne l'apatridie. Dans un espace international divisé en États et eu égard aux droits éten-
dus que tout État réserve à ses seuls nationaux, l'apatride souffre d'un handicap sérieux
que la protection internationale dont il bénéficie ne corrige que très partiellement.
Dans l'ordre juridique international, le cumul de nationalités peut être corrigé (ci-
dessous, II). Il arrive que les États conviennent soit d'éliminer certains conflits, soit de
supprimer les incompatibilités les plus aiguës, par exemple en s'accordant sur certains
effets particuliers de la nationalité, telle l'obligation militaire (voy. infra, n ° 5.62).
LA CONCRÉTISATION DU FACTEUR DE LOCALISATION 201

Pourtant, le cumul de nationalités peut aussi désigner un simple moment dialecti-


que au cours du processus de détermination de la nationalité d'une personne, aux fins de
neutraliser l'effet du conflit (ci-dessous, III). Pour qu'on puisse choisir entre les deux
nationalités en concours, deux conditions sont nécessaires : qu'il existe une autorité
compétente pour faire ce choix et qu'elle dispose d'un critère à cette fin. Il importe peu
qu'un tel conflit de nationalités soit soulevé devant un organe de l'ordre juridique inter-
national Uuge ou arbitre, par exemple) ou devant une juridiction étatique. Dans les deux
hypothèses, l'organe qualifié applique des règles appropriées, mais qui constituent un
simple expédient plutôt qu'une véritable solution.

Il. TECHNIQUES D'ÉVICTION DU CONFLIT

5.54 - Prévention du conflit en cas de changement de nationalité lié à un changement


territorial - Pour prévenir les conflits de nationalités, les États peuvent, par traité, arrêter
des normes communes sur l'attribution de la nationalité d'origine ou les changements de
nationalité. Il est exceptionnel que les États renoncent à leur liberté d'action en ce
domaine, sauf pour régler des hypothèses particulières.
L'une de ces hypothèses concerne les changements de nationalité consécutifs à une
modification territoriale. Dans le traité qui fixe les nouvelles frontières, il a parfois été
précisé quelle catégorie de ressortissants de l'État cédant, par exemple ceux qui résidaient
habituellement sur le territoire cédé au moment du changement territorial, acquéraient
la nationalité de l'État cessionnaire.
Ill Sur ce problème, voy. en doctrine : P. AYMOND, « De la nationalité et de la naturalisation -
Modifications terriroriales et conventions internationales »,]. Cl., fasc. 504 ;J. DE BuRLET, Nationalité
des personnes physiques et décolonisation (Bruxelles, Bruylant, 1975) ; BREUWING, Staatsangehorigkeit und
Entkolonisierung (Berlin, 1975); Rapports au Colloque de l'I.D.E.F. à Vevey, Penant (1972), n ° 4, 441-
568 ; DUMAS, « Effets de la décolonisation sur la nationalité française des métis », Rev. jur. et pal.
Indépendance et Coopération (1970), 35-50.
111 Dans la jurisprudence internationale, voy. notamment : C.P.J.I., avis consultatif donné le
15 septembre 1923 sur la question de l'acquisition de la nationalité polonaise, C.P.].I. Recueil, Série
B, n ° 7; avis consultatif donné le 26 février 1925 sur l'échange des populations grecques et tur-
ques, C.P.].I. Recueil, Série B, n ° 10. Adde: affaire du territoire de Memel (Allemagne c. Lituanie), sen-
tence du 10 août 1937, Rec. des sentences arbitrales, t. Ill, 1719.
Ill Pour des exemples de traités relatifs à cette matière, voy. la Convention franco-tunisienne du
3 juin 1955 (art. 9 et 10), publiée in Revue (1955), 555 et, à ce propos, Trib. gr. inst. Paris,
6 décembre 1968, Clunet (1970), 907, note P. AYMOND, Revue (1970), 427, note P. LAGARDE; le Traité
belgo-allemand relatif à la frontière entre les deux États, signé à Bruxelles le 24 septembre 1956.
Ill Pour un exemple de solution législative, voy la loi française n ° 75-560, du 3 Juillet 1975, relative
à l'indépendance du territoire des Comores U.O. 4 juillet 1975, Revue, 1975, 820 et commentaire P.
LAGARDE). Voy. aussi : M. VERWILGHEN, « Quelques conséquences de l'indépendance des États afri-
cains et malgache sur le droit international privé belge», Penant (1972), 514 et s.

5.55 - Élimination du conflit par renonciation volontaire à une nationalité - Des dis-
positions conventionnelles prévenant les conflits de nationalités, il faut distinguer celles
qui s'efforcent de les éliminer.
Sans uniformiser ni coordonner les règles relatives à l'attribution de leur nationalité,
plusieurs États peuvent convenir de solutions communes tendant à éliminer certains
conflits entre leurs nationalités respectives.
202 L'APPLICATION DE LA RÈGLE DE CONFLIT DE LOIS

Une technique recommandée par l'article 6 de la Convention du 12 avril 1930 et


mise en œuvre par l'article 2, § 2, de la Convention européenne, du 6 mai 1963, sur la
réduction des cas de pluralité de nationalités et sur les obligations militaires en cas de
pluralité de nationalités, consiste à prévoir la faculté, pour le bipatride, de renoncer à
l'une de ses nationalités. L'exercice effectif de pareille renonciation élimine le conflit de
nationalités pour autant que l'État à la nationalité duquel il est renoncé admette la perte
de celle-ci par l'effet de la renonciation.

Ill.TECHNIQUES DE NEUTRALISATION DU CONFLIT

5.56 - Notion de choix-expédient - Lors de la détermination de la nationalité préalable


à la solution d'un problème de conflit de lois de droit privé, l'autorité saisie ne dispose
actuellement d'aucune forme de suppression du conflit de nationalités. Elle se trouve
pourtant devant la nécessité de ne retenir, sauf exception, qu'une seule nationalité parmi
celles que possède la personne physique, puisqu'il lui incombe de résoudre un conflit de
lois de droit privé de manière à désigner un seul droit applicable.
En revanche, un tel choix ne s'impose pas techniquement pour la détermination de la compé-
Ill!
tence judiciaire internationale, en raison de la nature à la fois alternative et unilatérale de la règle de
compétence.
Pour ce faire, une solution est donnée au conflit de nationalités sans supprimer
celui-ci pour autant: son effet est neutralisé pour les besoins de l'espèce. La pluralité de
nationalités n'en persiste pas moins, et elle peut donner lieu à une solution divergente de
celle qui a déjà été retenue, soit lorsque la question est posée devant une autorité autre
que celle du for, soit, devant les autorités du for, lorsque le choix est effectué seulement
en fonction de l'espèce.
5.57 - Préférence de principe pour la nationalité du for - La Convention de La Haye
du 12 avril 1930 établit pour principe que « un individu possédant deux ou plusieurs
nationalités pourra être considéré par chacun des États dont il a la nationalité, comme
son ressortissant» (art. 3).
Ce principe de préférence établit une simple faculté et non une obligation, mais la
règle correspond trop à l'intérêt politique de l'État du for pour ne pas être généralement
respectée.
Pratiquement, pour déterminer la nationalité d'une personne, l'autorité ou la juri-
diction belge doit d'abord vérifier si l'intéressé remplit les conditions qui lui ont permis
de se voir attribuer ou de recouvrer la nationalité belge. La réponse est-elle affirmative,
elle n'a en principe plus à se soucier si l'intéressé possède ou non d'autres nationalités
auxquelles il peut prétendre.
1111 Pour un cas d'application de ce principe, fondé sur les anciennes lois coordonnées de 1932,

voy.: Bruxelles, 30 juin 1981, ].T (1981), 723. Voy. ultérieurement, par exemple: Bruxelles,
12juillet 1991,J.T (1991), 818; Liège, 16 novembre 1993, Rev.gén. dr. civ. (1994), 503, note L. BAR-
NICH, évoquant « l'intérêt politique» de l'État et concluant alors nécessairement (voy. infra,
n ° 12.49) à la nullité d'un mariage consulaire célébré en Belgique; Civ. Gand, 28 mars 1994, Gentse
Rechtslev. (1994), 160; Civ. Liège, 2 février 1995,].L.M.B. (1995), 1187.
Ill La pratique administrative exprime une préférence catégorique pour la nationalité belge,
comme une implication impérative de la Convention de 1930 (Rev. dr. étr., 1989, 121). Voy. notam-
ment la réponse du ministre de la Justice à une question parlementaire de M. Lenfant (n° 88, du
6 mars 1990, Q.R., Sénat, sess. 1989-1990, p. 1262): en vertu de l'article 3 de la Convention de La
LA CONCRÉTISATION DU FACTEUR DE LOCALISATION 203

Haye du 12 avril 1930, « la personne qui, outre la nationalité belge, possède une ou plusieurs natio-
nalités étrangères est considérée en Belgique exclusivement comme belge ». Dans le même sens
impératif, voy.: Liège, 8 septembre 1992,].L.M.B. (1994), 879, note L.-L. CHRISTIANS.
Contra: Civ. Liège, 28 juin 1991, Rev. dr. étr., 1991, 220, note M.-C. FoBLETS, mais à propos de la véri-
fication d'une compétence administrative, celle du consul de Tunisie en Belgique pour célébrer un
mariage; Civ. Bruxelles, 29 avril 2003, Rev. trim. dr. Jam. (2003), 781, note M. FALLON, retenant le
choix de la nationalité étrangère fait par un Belgo-brésilien aux fins de détermination du nom.
La faculté prévue par la Convention de La Haye ne s'analyse pas nécessairement en un droit subjec-
tif pour l'individu: le texte s'adresse à l'État, auquel il offre cette faculté, et ne semble donc pas de
nature à recevoir un effet direct.
La Cour de cassation refuse de casser l'arrêt d'appel qui déclare préférer la nationalité belge,
1111

pour le motif que la Convention de La Haye ne soumet cette préférence à aucune condition
(14 novembre 1997, Hellebuyck, Pas., 1997, I, 476).
L'intérêt politique de l'État à préférer sa propre nationalité semble pourtant devoir
être fonction de l'intensité du rattachement de la situation avec l'ordre juridique du for.
À cet égard, il paraît approprié de retenir la nationalité la plus effective (voy. le numéro
suivant) lorsque l'intéressé ne possède pas d'autre lien significatif avec la Belgique et que
la situation en cause a été acquise à l'étranger.
1111Voy.: Civ. Liège, 28 juin 1991, retenant la nationalité étrangère dans le cas d'une Tunisienne
devenue Belge par option sans perdre sa nationalité d'origine, ce qui permet de valider le mariage
consulaire célébré devant le consul de Tunisie en Belgique. Dans le même sens, pour valider un acte
de reconnaissance de filiation adultérine: Civ. Arlon, 21 février 1992,J.T (1992), 661. Voy. encore, à
propos de la reconnaissance d'une répudiation intéressant un conjoint belgo-marocain : Civ.
Bruxelles, 18 mars 1998, Rev. trim. dr.fam. (1999), 120, note M. FALLON; 28 février 2001,J.T. (2001),
note H. BouLARBAH, à propos de la vente d'un immeuble appartenant à un mineur belgo-français,
retenant la nationalité française pour le motif que la tutelle avait été dévolue précédemment en
vertu du droit français.
La solution l'emporte sur celle d'une préférence inconditionnelle pour la nationalité du for, condui-
sant par exemple à procéder à une seconde célébration du mariage pour satisfaire aux conditions de
fond du droit belge que doit respecter une femme Belgo-marocaine, alors que le mariage avait déjà
été célébré conformément au droit marocain au Maroc (Bruxelles, 12 juillet 1991, précité).
À l'étranger, pour un cas de préférence pour la nationalité la plus effective, voy. par exemple: Hoge
Raad, 9 décembre 1965, Revue (1966), 297, note L. DE WINTER. Il en va de même dans la loi suisse de
droit international privé (art. 23), du moins en ce qui concerne le conflit de lois, non pour la déter-
mination de la compétence internationale.
Le Code belge de droit international privé s'en tient au principe de la préférence
pour la nationalité belge (art. 3, § 2, 1 °). Le texte s'exprime de manière impérative. Cela
n'exclut pas pour autant toute possibilité d'écarter la nationalité belge, de manière indi-
recte, via la clause d'exception (sur cette clause, voy. supra, n ° 3.17). Le cas d'espèce peut
en effet avoir peu de liens significatifs avec la Belgique et en présenter davantage avec le
pays étranger dont l'individu possède aussi la nationalité.
Comp., à propos de la répudiation, le texte de la proposition de loi, dont l'article 57 considérait
11111

le cas du binational « si la situation ne présentait pas d'autre lien significatif avec la Belgique» au
moment de l'acte de répudiation (voy. infra, n ° 12.95). Cet assouplissement a été rejeté au cours des
travaux parlementaires.

5.58 - Préférence de principe pour la nationalité effective - C'est en cas de conflit entre
des nationalités étrangères, que le droit international consacre le critère de l'effectivité.
La Convention de La Haye du 12 avril 1930 contient deux règles à cet égard.
D'abord: « Dans un État tiers, l'individu possédant plusieurs nationalités devra être
traité comme s'il n'en avait qu'une» (art. 5, ire phrase).
204 L'APPLICATION DE LA RÈGLE DE CONFLIT DE LOIS

Ensuite : « Sans préjudice des règles de droit appliquées dans l'État tiers en matière
de statut personnel et sous réserve des conventions en vigueur, cet État pourra, sur son
territoire, reconnaître exclusivement, parmi les nationalités que possède un tel individu,
soit la nationalité du pays dans lequel il a sa résidence habituelle et principale, soit la
nationalité de celui auquel, d'après les circonstances, il apparaît comme se rattachant le
plus en fait» (art. 5, 2e phrase).
Alors que la première règle impose une obligation (entre les nationalités concurren-
tes, un choix doit être fait), la seconde, non impérative, ne donne que des conseils, en
explicitant la notion de nationalité« active» ou« effective».
Ili Cette notion trouve son origine dans la jurisprudence et, à propos, il est vrai, d'un problème dif-
férent, elle a été invoquée par la Cour internationale de Justice dans l'arrêt Nottebohm (voy. supra,
n ° 5.46). La Cour y a relevé l'analogie entre le conflit de nationalités soulevé dans l'État tiers et
celui qui est soumis au juge international. Bien plus, elle a déclaré emprunter la notion de « lien
effectif" à l'article 5 de la Convention et à la jurisprudence des tribunaux étatiques. L'analogie est
plus étroite quand le juge international est mis en présence d'un conflit positif de nationalités, ce
qui n'était pas le cas dans l'affaire Nottebohm.
IllPour une application de cette règle dans un pays qui n'a pas ratifié la Convention de La Haye,
voy. en France: Cass. civ., 15 mai 1974, Martinelli, Revue (1975), 260, note NISARD.
Pour une présentation du concept de nationalité «dominante", établissant une préférence
1111

pour la nationalité« la plus effective", voy. M. VERWILGHEN, précité n ° 5.32, 458 et s.


Pratiquement, lorsque le conflit positif de nationalités a pour objet plusieurs natio-
nalités étrangères, le rôle de l'autorité ou de la juridiction belge consiste d'abord à recher-
cher si la personne en cause remplit les conditions auxquelles les lois étrangères
attribuent leur nationalité, de manière à vérifier la réalité du cumul.
Le conflit dûment constaté doit être tranché en faveur d'une des nationalités.
IliComp.: Civ. Liège, 15 novembre 1991, Rev. trim. dr. fam. (1993), 192, à propos de la détermina-
tion du nom d'un enfant de père espagnol et de mère italienne, le tribunal appliquant distributive-
ment les lois nationales des auteurs. Le raisonnement est incorrect puisqu'il viole la règle de
rattachement qui régit la détermination du nom (voy. infra, n ° 12.28) et conduit à une solution qui
ne correspond au contenu matériel d'aucune des lois en présence.
Pour opérer ce choix, l'autorité saisie pourra retenir, en principe, l'un des systèmes
proposés par l'article 5 de la Convention de La Haye:
(1 °) si l'intéressé possède la nationalité de l'État dans lequel il a sa résidence habi-
tuelle et principale, l'autorité ou la juridiction belge saisie peut le considérer exclusive-
ment comme ressortissant de cet État ;
(2 °) si l'intéressé apparaît comme se rattachant le plus en fait à un État dont il a la
nationalité, le juge ou l'autorité belge saisi peut le considérer comme ressortissant de cet
État et négliger les autres nationalités.
Ili Dans la jurisprudence belge, voy.: Bruxelles, 22 avril 1988,]. T (1988), 664, énonçant que la
détermination de la nationalité« doit se faire en recherchant tous les faits susceptibles d'indiquer
une préférence de la part de [l'intéressé] d'établir le lien le plus effectif qu'avait la personne intéres-
sée avec une des législations de ce pays et de faire prévaloir la nationalité effective ou active"·
On peut citer comme exemples d'indices d'effectivité: la connaissance de la langue nationale, les
séjours prolongés, l'accomplissement du service militaire, la possession d'immeubles, les attaches
familiales, historiques ou présentes, l'acquisition d'un diplôme dans un établissement du pays,
l'exercice d'un emploi dans le secteur public, etc. Lorsqu'aucun des critères n'est en mesure de gui-
der le choix du praticien, celui-ci pourra retenir un ou plusieurs critères subsidiaires dégagés par la
doctrine ou la jurisprudence. Il retiendra, par exemple, la nationalité acquise le plus récemment, au
LA CONCRÉTISATION DU FACTEUR DE LOCALISATION 205

moins si cette acquisition fut volontaire, celle invoquée par l'intéressé, celle qui, par ses caractères,
se rapproche le plus des conceptions belges en la matière, etc.
En revanche, la seule circonstance que l'une des nationalités en concours soit la nationalité d'ori-
gine de l'intéressé (acquise à sa naissance) ne suffit pas pour la qualifier de plus effective. Appelé à
trancher le conflit entre la nationalité britannique d'origine d'un individu et la nationalité améri-
caine qu'il avait ensuite acquise par naturalisation, conflit préalable à la détermination de l'identité
de cette personne (orthographe du nom patronymique), le président du tribunal civil de Gand a
décidé qu'en fait la nationalité américaine était la plus effective: Civ. Gand (réf.), 12 septembre
1983, Rev. dr. étr. (1983), 144, note M. COGEN.
Ill La jurisprudence a tendance à retenir, parmi les nationalités d'une personne, celle qu'elle par-
tage avec l'autre partie au rapport juridique, lorsque la détermination du droit applicable à ce rap-
port repose sur un rattachement conditionnel retenant pour facteur la nationalité commune, ce
facteur s'entendant alors comme« une» nationalité commune. La solution s'observe en matière de
régime matrimonial et pourrait s'autoriser d'une lecture littérale de l'arrêt Eicker de la Cour de cas-
sation du 10 avril 1980 (voy. infra, n° 12.72). Voy. en ce sens, notamment: Civ. Bruxelles, 31 mai
1994, R W (1994-1995), 677, ainsi que: Bruxelles, 22 avril 1988, précité, précisant que la préférence
a lieu si les deux nationalités en conflit présentent une effectivité équivalente.
Sans doute peut-on estimer que la possession d'une nationalité commune permet d'établir une
présomption d'effectivité.

Pour les cas auxquels la Convention de La Haye ne s'applique pas, le Code de droit
international privé confirme le critère de l'effectivité: l'autorité belge retient la nationa-
lité de l'État avec lequel, d'après l'ensemble des circonstances, la personne « possède les
liens les plus étroits, en tenant compte, notamment, de la résidence habituelle» (art. 3,
§2,2°).
5.59 - Préférence pour une nationalité fonctionnelle en vertu de la loi - Simple règle
permissive, l'article 3 de la Convention du 12 avril 1930 n'interdit pas d'attacher à une
situation particulière les effets découlant de la nationalité étrangère et que l'éviction de
celle-ci par la nationalité de l'État du for aurait fait écarter.
Pareille solution est classique pour l'interprétation des dispositions législatives qui,
dans l'hypothèse d'un conflit armé, frappent d'une peine ou d'une mesure de déchéance
les ressortissants ennemis. Qu'un sujet ennemi puisse se prévaloir en même temps de la
nationalité de l'État du for, ne suffit pas à le faire échapper aux mesures frappant les
sujets ennemis si son comportement a démontré qu'il méritait ce dernier qualificatif. Le
principe d'effectivité l'emporte ici sur la règle traditionnelle selon laquelle la nationalité
de l'État du for évince normalement toute autre nationalité.
Pour des exemples jurisprudentiels, voy. notamment en Belgique: Cass., 25 mars 1926, Prince
llll
d'Arenberg, Pas. (1926), I, 317; en France: Cass. req., 14 mai 1923, Prince Élie de Bourbon-Parme, D.P.
(1923) 1, 105, note MÉRIGNHAC. De son côté, M. VAN PANHUYS (précité n° 5.32, 165-166) cite des cas
néerlandais analogues. Voy. encore : WEIS, précité n ° 5.32, 193 ; NrnoYET, c. rer, n ° 406. M. VAN PAN-
HUYS et A. MAKAROV (Allgemeine Lehren, 12-29) parlent à ce sujet de« nationalité fonctionnelle».
L'affaire d'Arenberg concernait un Belge d'origine qui, en sa qualité de prince d'une maison ancien-
nement souveraine, avait acquis en 1897 la nationalité allemande en prenant à cette époque du ser-
vice dans l'armée prussienne, service qu'il avait poursuivi jusqu'en 1901. L'arrêt ne contient aucun
élément relatif au choix d'allégeance que le prince aurait manifesté durant la Première Guerre
mondiale. Selon la motivation, l'article 2 de la loi du 17 novembre 1921 « ne distingue pas entre le
Belge et l'étranger qui ont possédé la nationalité allemande ». Cette interprétation purement léga-
liste n'est pas satisfaisante, il n'appartenait pas à une loi particulière, mais aux règles générales
applicables aux conflits de nationalités de procurer la solution d'un tel conflit. La seule motivation
correcte de l'application des mesures de séquestre à un binational aurait été la préférence effective-
ment donnée par l'intéressé à la nationalité du pays ennemi. Si, durant la Première Guerre mon-
206 L'APPLICATION DE LA RÈGLE DE CONFLIT DE LOIS

diale, le prince avait manifesté une allégeance réelle à l'égard de la Belgique, il n'aurait certes pas été
justifié de le soumettre aux mesures de séquestre visant les ressortissants ennemis, et la loi du
17 novembre 1921 impliquait une telle distinction, que la Cour de cassation a refusé d'y apercevoir.
Une solution fonctionnelle du conflit peut encore résulter de l'objectif poursuivi par
la règle de rattachement du for.
1111Ainsi, en attribuant compétence à la loi interne « d'une nationalité possédée par le testateur»,
l'article F' de la Convention de La Haye du 5 octobre 1961 sur les conflits de lois en matière de
forme des dispositions testamentaires étend au conflit de nationalités la solution de rattachement
alternative qui gouverne toute l'économie de cette disposition (voy. supra, n ° 3.59). Le testament est
valable si son auteur a suivi les formes du droit d'un des pays dont il a la nationalité, si peu effective
que soit cette nationalité.
Voy. aussi l'article 15 de la Convention de La Haye du 14 mars 1978 sur la loi applicable aux régi-
mes matrimoniaux. Comp., en matière de conflits de juridictions, l'article 7 de la Convention de La
Haye du 1cr juin 1970 sur la reconnaissance des divorces et des séparations de corps.
Ill Le Code belge de droit international privé ne retient pas cette solution pour le cas des règles de
rattachement alternatives qu'il contient. Le texte y évoque « la» nationalité de l'individu, ce qui
renvoie implicitement au mode de solution de principe de l'article 3.
De manière plus exceptionnelle, la jurisprudence a parfois tranché le conflit de
nationalités en fonction du contenu matériel du droit désigné par l'intermédiaire du fac-
teur de la nationalité, retenant alors, parmi les droits en présence, celui dont le contenu
est le plus proche du droit matériel du for. La compatibilité du procédé avec la Conven-
tion de La Haye mérite d'être posée, les termes« pourra[ ... ] reconnaître exclusivement»
de l'article 5 pouvant s'entendre tantôt comme laissant une liberté à l'État, tantôt
comme limitant cette liberté dans le choix de critères exclusifs.
Pour l'utilisation de ce procédé, voy. en Belgique: Civ. Bruxelles, 9 juin 1956, Pas. (1957), Il, 99,
1111

qui estime devoir préférer l'application de celle des lois étrangères « dont le principe directeur se
rapprochera le plus de la loi du tribunal ».
En Suisse, voy.: Trib. féd., 11 juillet 1968, Dame Cardo c. Cardo, R.O., 94, Il, 65, Revue (1969), 303 et
note F. KNOEPFLER.
Pour un cas d'application du critère fonctionnel en France, voy. : P. LAGARDE, « Vers une approche
fonctionnelle du conflit positif de nationalités », Revue (1988), 29-55.

5.60 - Préférence pour une nationalité fonctionnelle en vertu d'un traité - La simple
indication que contient la deuxième phrase de l'article 5 de la Convention de La Haye
cède devant une obligation internationale plus contraignante. Quand une personne,
ayant la nationalité d'un État avec lequel le pays d'accueil a conclu un traité de récipro-
cité et la nationalité d'un autre État, réclame le bénéfice du traité, le pays d'accueil doit
reconnaître les effets juridiques découlant de l'obligation conventionnelle qu'il a con-
tractée.
Ili Voy., en matière de conflit de juridictions: Cass., 15 décembre 1994, Indra Cy., Rev. crit. ;ur. belge
(1997), 5, note]. VERHOEVEN, à propos de la caution judicatum solvi dans le cas d'une société offshore
constituée en conformité du droit du Libéria, invoquant le bénéfice de la convention bilatérale du
l"·mai 1885.
À l'étranger, voy., en matière de conflits de juridictions: Trib. féd., 9 février 1959, Clunet(l96l), 480.
Dans la doctrine: NIBOYET, t. 1er, n° 464; P. LALIVE, note sous l'arrêt du Tribunal fédéral, Ann. suisse
dr. int. (1962), 240; Ch. FRAGISTAS, Recueil des cours, vol. 104 (1961), 188-189.
Voy. aussi Paris, 7 octobre 1967, Uzan et Sultan, Revue (1968), 267, note P. LAGARDE.

5.61 - Nationalité fonctionnelle et droit communautaire - L'application de la solution


fonctionnelle du conflit de nationalités connaît une illustration remarquable en droit
communautaire.
l.A CONCRÉTISATION DU FACTEUR DE LOCALISATION 207

Dans les États de l'Union européenne, le ressortissant d'un autre État membre qui
aurait en même temps la nationalité d'un État tiers a le droit de jouir de la condition pri-
vilégiée qui découle de la première nationalité, sans que le pays d'accueil puisse refuser la
jouissance de ces droits pour le motif que l'intéressé se rattache plus effectivement à
l'État tiers.
Ill Voy.: C.J.C.E., aff. C-101/89, 12 décembre 1990, Procacci, Rec. (1990), 1-4647, implicite à propos
d'un ltalo-suisse; aff. C-369/90, 7 juillet 1992, Micheletti, Rec. (1992), 1-4239, à propos d'un ltalo-
argentin.
Ce raisonnement peut s'étendre au cas d'un conflit entre une nationalité étrangère et la nationalité
du for, commandant alors la préférence pour la première (C.J.C.E., aff. 292/86, 19 janvier 1988, Gul-
lung, Rec., 1988, 111, à propos d'un Franco-allemand se prévalant d'une liberté de circulation
auprès de l'État français) : la question se pose chaque fois que l'intéressé ne pourrait pas invoquer
le bénéfice du traité CE s'il se voyait préférer la nationalité du for pour le motif que, dans ce cas, la
situation en cause échapperait au domaine du droit communautaire parce que purement interne.
L'arrêt Micheletti précité consacre, « conformément au droit international », la compétence de cha-
que État membre pour définir les « conditions d'acquisition et de perte de la nationalité», mais
cette compétence« doit être exercée dans le respect du droit communautaire».
Pour une application du principe précité à propos de la caution judicatum solvi (infra, n ° 11.20),
voy.: C.J.C.E., aff. C-122/96, 2 octobre 1997, Saldanha, Rec. (1997), 1-5325, Revue (1998), 283, note
G. DROZ, concernant une société anglo-américaine.
Pour une application en matière de nom, voy. l'arrêt Garcia Avelia, infra, n ° 12.32.

1111Comp. la méthode de solution du conflit positif dans l'ordre juridique communautaire: à pro-
pos de l'attribution de l'indemnité de dépaysement due au fonctionnaire communautaire qui« n'a
pas et n'a jamais eu la nationalité de l'État sur le territoire européen duquel est situé le lieu de son
affectation» (art. 4, a, de l'annexe du statut des fonctionnaires européens), la Cour de justice a con-
sidéré qu'il fallait« faire abstraction de la nationalité imposée d'office à un fonctionnaire féminin,
lors de son mariage avec un ressortissant d'un autre État» (aff. 37/74, 20 février 1975, Van den
Broeck, Rec., 1975, 235). S'agissant toutefois d'une Française qui avait perdu sa nationalité d'origine
par le fait de l'acquisition de la nationalité belge lors du mariage, la Cour constate que l'intéressée
aurait pu y renoncer et conserver sa nationalité d'origine (arrêt précité). Mais il n'y a pas lieu de
retenir la nationalité italienne acquise par le mariage dans le cas d'une Belge d'origine qui, tout en
ayant conservé sa nationalité belge d'origine par une déclaration expresse, s'est vu conférer la natio-
nalité de son époux lors de son mariage sans possibilité d'y renoncer (C.].C.E., aff. 21/74, 20 février
1975, Aira/a, Rec., 1975, 221).

1111La Cour de JUStice refuse d'étendre la solution fonctionnelle de l'arrêt Micheletti au cas d'un
binational - tel un travailleur belgo-marocain - invoquant le bénéfice de prestations sociales en
vertu d'un accord conclu entre la Communauté et un État tiers, tel le Maroc (C.J.C.E., aff. C-179/
98, 11 novembre 1999, Mesbah, Rec., 1999, 1-7955). La solution signifie que, dans un tel cas, l'État
membre est libre de retenir la nationalité du for et, partant, d'exclure la personne de la protection
que lui assure l'accord en tant que ressortissant étranger. Elle repose sur une interprétation stricte-
ment communautaire de l'accord, dont l'objectif, selon la Cour, n'est pas comparable à l'objectif
d'intégration que poursuit le traité CE. Le raisonnement paraît contestable. Indépendamment de
la divergence d'objectifs, il y a lieu d'interpréter l'accord CE-Maroc comme supposant une exten-
sion de son domaine à toute personne ayant formellement la nationalité de l'État tiers.

Ill!La solution fonctionnelle énoncée par la Cour de justice pourrait connaître un ajustement dans
le sens de l'ajout d'une condition de proximité, suite à l'arrêt Collins (aff. C-138/02, 23 mars 2004,
C.M.L.R., 2005, 205, note H. ÜOSTEROM-STAPLES). Un Américano-irlandais, né aux États-Unis et y
ayant toujours résidé, avait demandé le bénéfice d'une aide à la recherche d'un emploi du droit
anglais, toutefois assortie d'une condition de résidence ; la légitimité de cette condition fut confir-
mée par la Cour.
208 L'APPLICATION DE LA RÈGLE DE CONFLIT DE LOIS

5.62 - Nationalité fonctionnelle et service militaire - De nombreuses conventions, mul-


tilatérales ou bilatérales, déchargent le bipatride de l'accomplissement de ses obligations
militaires dans l'un des États contractants.
Ces conventions déterminent le critère de rattachement (telle la résidence) en vertu
duquel le bipatride doit faire son service militaire dans l'un des pays parties au traité, les
autres États renonçant à lui imposer les obligations militaires qui découlent normale-
ment de la nationalité également établie à leur égard.
Très souvent, les dispositions conventionnelles relatives aux obligations militaires
en cas de double nationalité prévoient expressément que la solution apportée à ce pro-
blème particulier n'affecte pas la condition juridique des intéressés en matière de natio-
nalité, ce qui autorise l'État ayant renoncé à soumettre son ressortissant à des obligations
militaires à attacher tous autres effets au lien d'allégeance qu'il revendique.
1111Voy. par exemple la Convention du Conseil de l'Europe sur la réduction des cas de pluralité de
nationalités et sur les obligations militaires en cas de pluralité de nationalités, signée à Strasbourg
le 6 mai 1963. Texte officiel, en anglais et en français, in Série des traités et conventions européens, n ° 43,
et in Ann. europ. (1963), 320-331. Texte français au Clunet (1968), 781-786;]. Cl., fasc. 501 A, 2e cah.,
fiche compl. 8, (1968); Revue (1968), 555. Trad. néerl. in VAN DER WEG, BRINKMAN et ARNOLD, Natio-
naliteitswetgeving, t. I, C-65 (Sect. I).
Sur l'ensemble de ce problème, voy. A. KARAMANOUKIAN, « La double nationalité et le service
militaire», Rev. gén. (1974), 459-484.
La Convention européenne sur la nationalité du 6 novembre 1997 comprend un chapitre concer-
nant les« Obligations militaires en cas de pluralité de nationalités ».
1111Voy. aussi la Recommandation 646 (1973) du 24 janvier 1973 relative à certains aspects de
l'acquisition de la nationalité (Revue, 1973, 381).

5.63 - Référence à un élément subsidiaire en cas d'apatridie - En cas de conflit négatif


de nationalité il est rare qu'une autorité ou un juge étatique doive se prononcer à titre
principal sur l'apatridie d'un individu.
1111Il a été affirmé que, « en vertu de sa compétence dans les matières relatives à la nationalité, qui
est un attribut de l'état des personnes, le tribunal de première instance est compétent pour recon-
naître le statut d'apatride»: Civ. Bruxelles, 8 décembre 1980 et 8 décembre 1981, Rev. dr. étr. (1982),
12.

Lorsque l'apatridie est établie et qu'il y a lieu de surmonter le conflit négatif aux fins
de statuer, par exemple, sur une question d'état, il est nécessaire, à défaut de supprimer le
conflit, d'y obvier en retenant une solution subsidiaire, valable pour les besoins de
l'espèce. La solution consiste, en matière de statut personnel, à substituer le critère de la
résidence habituelle à celui de la nationalité comme élément de rattachement de la per-
sonne (voy. infra, n ° 12.9).
L'établissement de la preuve de l'apatridie soulève une question délicate. Cette
preuve est plus difficile à rapporter que celle de la possession d'une nationalité,
puisqu'elle porte sur un fait négatif.
Il n'est évidemment pas demandé à l'autorité de vérifier selon toutes les lois en
vigueur dans le monde si l'individu ne satisfait pas aux conditions posées par l'une
d'entre elles. Les faits de la cause circonscrivent le problème, le juge ou l'autorité ne
devant prendre connaissance de la teneur que d'une, deux ou trois législations : celle du
lieu de naissance de l'individu ou de ses parents, celle de l'État de sa résidence habituelle,
celle dont ses auteurs ont la nationalité ...
LA CONCRÉTISATION DU FACTEUR DE LOCALISATION 209

Il peut arriver que l'absence de la possession d'une nationalité ne soit pas certaine.
On ne peut cependant déduire du doute un concept de« nationalité indéterminée». Le
tribunal se rendrait coupable de déni de justice en s'abstenant de trancher une question
de droit pour le motif que celle-ci est «douteuse». Il lui appartient de s'en remettre à
l'organisation des preuves: de même que le statut de célibataire ou l'inexistence d'une
créance prévaut tant que la preuve positive d'un mariage ou d'un contrat n'a pas été éta-
blie, en l'absence de preuve suffisante de la réunion des conditions prévues par la loi com-
pétente, il faut décider que l'intéressé n'a pas telle nationalité et si on ne peut lui en
attribuer aucune autre, on doit le tenir pour apatride. C'est d'ailleurs très logiquement
qu'est tenue pour étrangère toute personne ne satisfaisant pas aux conditions selon les-
quelles la nationalité belge est attribuée (art. 1er de la loi du 15 décembre 1980 sur l'accès
au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers).
Selon la réponse donnée par le ministre de la Justice à une question parlementaire, la pratique
!Ill
administrative belge a créé entre l'étranger ayant fait la preuve de sa nationalité et l'apatride une
catégorie intermédiaire : l'étranger« de nationalité indéterminée ». D'après la réponse du ministre,
aurait cette qualité, la personne dont la nationalité est douteuse (Q.R, Sénat, sess. 1974-1975, n°
47, 26 août 1975, p. 1829).
À la suite de la réponse donnée à cette question, le sénateur C. De Clercq a déposé une proposition
de loi assimilant, au regard de la législation sociale, les « personnes de nationalité indéterminée »
aux« apatrides» (Doc. pari., Sénat, sess. extr. 1977, n° 85). Si bien intentionnée qu'elle fût, cette pro-
position présentait le grand inconvénient de faire entériner par le législateur dans les autres domai-
nes que ceux de la législation sociale la notion de nationalité indéterminée. Aujourd'hui, cette
proposition est devenue caduque.
Ill Le Code de droit international privé renvoie, dans un tel cas, au critère de la résidence habituelle
(art. 3, § 4).

§3 LA LOCALISATION DU DOMICILE OU DE LA RÉSIDENCE

5.64 - Bibliographie
D. BAETGE, Der gewohnliche Aufenthalt im Internationalen Privatrecht (Tübingen, Mohr, 1994), 170 p.;
L. DE WINTER, « Domicile or Nationality: the present state of Affairs », Recueil des cours, vol. 128
(1969), 347-504; Ph. FRANCESCAKIS, « Les avatars du concept de domicile dans le droit international
privé actuel», Trav. Comité fr. d.i.p. (1962-64), 291 et s.; V. MARQUETTE,« La notion de domicile des
personnes physiques et morales en droit international privé», Rev. dr. comm. belge (2003), 141-143;
D. MASMEJAN, La localisation des personnes physiques en droit international privé. Etude comparée des notions
de domicile, de résidence habituelle et d'établissement, en droit suisse, français, allemand, anglais, américain et
dans les Conventions de La Haye (Genève, Droz, 1994), 253 p.; P.M. NORTH,« Reform but not revolu-
tion - General course on private international law », Recueil des cours, vol. 220 (1990-I), 9-288;
P. RoGERSON, « Habituai residence: the new domicile?», I.C.L.Q. (2000), 86-107; B. SCHNEIDER, Le
domicile international (Neuchâtel, Ed. Ides et Calendes, 1973); P. SMART, « Domicile of choice and
multiple residence », Oxford]. Leg. St. (1990), 572-578.

S.65 - Relativité du concept de domicile en droit comparé - Le domicile reçoit des sens
très différents selon la nature de chaque système étatique.
Il faut, dès l'abord, distinguer les États fédéraux et surtout ceux dont le droit privé
interne n'est pas unifié, des États ayant une structure unitaire et régis par un seul système
juridique. En effet, dans les États fédéraux le domicile a, en droit public interne, une por-
tée qui l'assimile à une sous-nationalité et qui, par conséquent, n'est pas sans analogie
avec la fonction du domicile comme facteur de rattachement en droit international privé.
En outre, qu'ils soient ou non fédéraux, les États comprenant différentes unités territo-
210 L'APPLICATION DE LA RÈGLE DE CONFLIT DE LOIS

riales ayant leurs propres règles de droit privé interne ont dû élaborer un système interne
de conflit de lois dans lequel le domicile joue un rôle qui peut aisément être transposé
aux rapports internationaux. Ce n'est dès lors pas une coïncidence si bon nombre de ces
États n'utilisent guère la nationalité comme facteur de rattachement en droit internatio-
nal privé.

Il faut également distinguer les pays de tradition romaniste des pays de common law.
Alors que les premiers attachent au domicile une fonction de proximité administrative,
qu'exprime la formalité de l'inscription dans un registre public, les seconds peuvent lui
assigner une fonction de proximité culturelle analogue à celle que la nationalité procure
dans les premiers. C'est ainsi que le domicil oforigin est le domicile possédé par la personne
au moment de sa naissance : cette définition attribue au domicile une permanence, con-
firmée par les conditions sévères auxquelles est soumis tout changement de ce domicile.
111Le domicil oforigin se distingue du « domicil of choice ». Le concept de base est la fixité du domicile
d'origine, dont la continuité est présumée. L'adoption d'un nouveau domicile suppose la double
preuve d'une intention et d'une résidence permanente sans esprit de retour.

5.66 - Droit applicable à la détermination du domicile ou de la résidence habituelle -


Comme tout facteur de localisation (voy. supra, n° 5 3.41 et 5.26), il s'entend que le domi-
cile ou la résidence habituelle se détermine conformément à ce que prévoit le droit du
pays auquel le concept est emprunté, en l'absence du moins d'une définition inhérente à
la mise en œuvre d'un traité international (voy. supra, n ° 5.28).
IllVoy. par exemple, à propos de la Convention franco-belge du 8 juillet 1899 : Mons, 22 mars
1999, Rev. gén. dr. civ. (2001), 94, note V. MARQUETTE et N. WATIÉ.

Cela signifie que lorsque le domicile ou la résidence habituelle apparaît comme un


facteur d'applicabilité ou de rattachement utilisé par une règle de droit international
privé du for, c'est au système du for qu'il convient d'emprunter le sens du concept. En
revanche, au cas où celui-ci appartient à une règle de conflit de lois étrangère déclarée
applicable par l'effet du renvoi ou à une règle d'applicabilité étrangère faisant partie
d'une loi de police, sa détermination doit être opérée selon les règles en vigueur dans le
système étranger auquel appartient cette règle de conflit (voy. infra, n ° 6.25).
Il n'est pas certain que la jurisprudence ayant fait application du renvoi ait toujours été sensible
1111
à cette exigence, à propos du sens qu'il convient d'attribuer au terme« domicil » du droit anglais.
Pour un cas exemplaire d'une méthode correcte, voy.: Bruxelles, 1er juin 1982, Rev. trim. dr. fam.
(1983), 173, note H. WYCKAERT.

La nécessité d'emprunter au droit du for la définition donnée au domicile ou à la


résidence habituelle n'exclut pas nécessairement toute référence au droit étranger. Lors-
que la définition recourt aux formalités administratives d'inscription dans un registre
public déterminé, tel un registre de la population, il y a lieu, en cas de localisation à
l'étranger, de se référer à ce qui en tient lieu. De plus, lorsque des éléments de fait appar-
tenant à la définition du concept font l'objet d'une preuve préconstituée, telle l'attesta-
tion figurant dans un registre public, il convient d'admettre la force probante interne de
ces attestations (sur ce concept, voy. infra, n ° 10.8), à savoir la véracité des faits constatés
par l'autorité administrative étrangère ou la sincérité des déclarations de volonté qu'elle a
recueillies.
lA CONCRÉTISATION DU FACTEUR DE LOCALISATION 211

5.67 - Domicile ou résidence habituelle comme facteur de rattachement en droit


belge - La nature multilatérale de la règle de rattachement implique une conception
universaliste du domicile ou de la résidence, apte à appréhender les éléments constitutifs
du domicile en quelque pays qu'ils se localisent. Les critères retenus peuvent être de
nature matérielle, tels que l'habitation, l'établissement effectif, ou de nature juridique,
telle la volonté de qualifier l'un des éléments matériels comme principal.
De plus, la fonction localisatrice du facteur de rattachement implique l'unité de
domicile. À cet égard, la stabilité et le caractère principal de l'établissement constituent
des éléments clés. Le critère de durée ne signifie pas nécessairement un écoulement du
temps dans une période antérieure : la durée peut être potentielle.
En Belgique, le Code de droit international privé distingue domicile et résidence
habituelle, celle-ci seule jouant un rôle pour le conflit de lois (art. 4, § 2, 1 °), alors que le
domicile intervient seulement pour la détermination de la compétence judiciaire. Le
texte retient pour critère déterminant l'établissement à titre principal et présente une
série d'indices inspirés de ceux proposés par le Conseil de l'Europe, tout en ajoutant la
prise en considération de la volonté éventuelle de la personne.
Ill Comme le Code utilise pour concept unique la résidence habituelle en des matières pouvant
également concerner des personnes morales, le concept reçoit une explicitation particulière à
l'égard de celles-ci. Le texte se réfère au lieu de« l'établissement principal» (arc. 4, § 2, 2 °). Il précise
que celui-ci « se détermine en tenant compte, en particulier, du centre de direction, ainsi que du
centre des affaires ou des activités et, subsidiairement, du siège statutaire»(§ 3).
Ill Le domicile se définit par l'inscription au registre de la population en Belgique ou, pour une
personne morale, par le siège statutaire (arc. 4, § 1er). La nature unilatérale de la définition s'expli-
que par l'utilisation de ce facteur dans le Code pour la seule détermination de la corn pétence 1udi-
c1aire.

Le milieu de vie de la personne, le lieu de son intégration sociale, constituent des


indices déterminants, concepts dont la « résidence habituelle » est mieux à même de ren-
dre compte que le« domicile». Ce critère est adapté à la détermination d'une résidence à
l'étranger.
1111Avant l'entrée en vigueur du Code, quand le domicile était utilisé comme facteur de rattache-
ment ou comme facteur d'applicabilité en dehors de la matière judiciaire, la notion que contien-
nent les articles 102 et suivants du Code civil ont servi de référence: « Le domicile de tout Belge,
quant à l'exercice de ses droits civils, est au lieu où il a son principal établissement» (C. civ.,
art. 102).
Pour la définition du domicile au sens du droit judiciaire international, voy. infra, n'" 9.29 et
1111

9.50.
Ill!Pour une définition par référence à une période antérieure, camp., en matière de conflits de juri-
dictions, la Convention de La Haye du 1'' juin 1970 sur la reconnaissance des divorces et des sépa-
rations de corps, exigeant du demandeur qu'il ait résidé habituellement au moins une année
immédiatement avant la date de la demande (arc. 1"). La double circonstance que la condition de
durée n'affecte que la résidence du demandeur et non celle du défendeur, et qu'elle s'ajoute au qua-
lificatif« habituel» montre que cette condition n'est pas incluse dans ce qualificatif
Comp. une référence au critère de durée au cours d'une période antérieure, dans le règlement 2271/
96 du Conseil du 22 novembre 1996 (J.O.C.E., 1996, L 309), adopté en vue d'évincer les effets extra-
territoriaux de la loi Helms-Burton adoptée aux États-Unis, se référant à une résidence d'une durée
de six mois au moins au cours d'une période de douze mois.
La détermination du domicile ou de la résidence peut être délicate à propos de la période qui
Ill!
suit immédiatement un déménagement. La prise en compte d'un élément d'intention quant à la
212 L'APPLICATION DE LA RÈGLE DE CONFLIT DE LOIS

stabilité doit suffire à l'établissement de la preuve de la durée. Comp. en ce sens, en matière de sécu-
rité sociale: C.J.C.E., aff. C-90/97, 25 février 1999, Swaddling, Rec. (1999), 1-1075.
1111On trouve une définition modèle du« domicile» et de la« résidence habituelle» dans la résolu-
tion n ° 72 du Conseil de l'Europe du 18 janvier 1972.
Le domicile se réfère à un « lien de droit » entre la personne et un pays et résulte essentiellement du
fait que cette personne « établit ou maintient volontairement sa résidence unique ou principale»
dans ce pays, « avec l'intention d'en faire et d'y maintenir le centre de ses intérêts personnels,
sociaux et économiques».
La résidence habituelle « est uniquement déterminée par des critères de fait» et ne dépend pas
d'une autorisation de résider; elle implique un séjour « pendant un certain laps de temps » sans
être continu ; sa détermination repose sur des indices, comme la durée et la continuité de la rési-
dence« ainsi que d'autres faits de nature personnelle ou professionnelle qui révèlent des liens dura-
bles entre une personne et sa résidence », ou encore les intentions de la personne, sans toutefois
que celles-ci constituent une condition de la résidence.

Le critère de rattachement doit exclure toute référence impérative à des règles de


nature administrative, qu'il s'agisse de celles qui autorisent le séjour des étrangers ou des
mentions inscrites sur les registres de la population. De tels éléments valent seulement
comme indices de la stabilité des éléments matériels de localisation ou comme preuve
non contraignante de la réalité des faits retenus.
1111 La jurisprudence belge a écarté toute incidence des mesures administratives auxquelles est assu-

jettie la résidence de l'étranger en Belgique: la possession d'une « résidence habituelle » n'est pas
incompatible avec une situation de séjour illégal au regard de la condition de l'étranger. Voy.
notamment: Bruxelles, 22 octobre 1996, Rev. trim. dr. fam. (1998), 46. Contra: Civ. Bruxelles,
30 juillet 1996,]. T (1997), 348.
De plus, malgré l'article 13 du Code civil - visant le cas de l'étranger admis par l'autorisation du
Roi à établir son domicile en Belgique, abrogé par la loi du 15 décembre 1980 (art. 93) -, elle n'a
pas tenu la jouissance d'un domicile pour un droit civil réservé à certaines catégories d'étrangers
privilégiés. Voy.: Cass., 10 décembre 1925, Broitman, Pas. (1926), I, 109; Bruxelles, 13 décembre
1920, Pas. (1921), II, 21.
Le Code précise que la résidence s'acquiert sans formalité préalable et, dans le cas d'un étranger,
indépendamment de toute autorisation administrative de résider.
Ill La preuve du fait de l'établissement en Belgique, ou de son caractère principal, résulte, notam-
ment, des mentions des registres de la population. Toutefois, ces mentions ne constituent pas une
preuve décisive du fait, qui reste soumise à la libre appréciation du juge: Cass., 31 janvier 1958, Duc
de Cray c. Office des séquestres, Pas. (1958), I, 586.
Ill Le domicile légal de l'article 107 du Code civil - disposition qui localise au lieu de l'exercice de
la fonction le domicile du fonctionnaire qui a accepté des fonctions conférées à vie - ne saurait
avoir aucun effet en droit international privé. Il ne paraît d'ailleurs guère vraisemblable que laper-
sonne nommée à de telles fonctions n'ait pas en Belgique son principal établissement.

§4 LE CONFLIT MOBILE

5.68 - Bibliographie
Outre la bibliographie citée au n ° 5.22, voy. : F. BoucKAERT, « Modifications conventionnelles des
régimes matrimoniaux en droit international privé et conflit mobile», Rev. not. belge (1991), 486-
492; N. COIPEL, « Réflexions sur la loi applicable aux effets du mariage», Rev. trim. dr. fam. (1993),
141-180; P. COURBE, « Divorce et conflit mobile», Mélanges Holleaux (Paris, Litec, 1990); I. JOPPE,
Overgangsrecht in het internationaal privaatrecht en het fait accompli (Arnhem, Gouda Quint, 1987), 360
p.; F. R!GAUX, « Le conflit mobile en droit international privé», Recueil des cours, vol. 117 (1966),
335-341, et les références; Io., « Espace et temps en droit international privé», Rev. interdise. Et. jur.
LA CONCRÉTISATION DU FACTEUR DE LOCALISATION 213

(1989-22), 107-124; C. WASSERSTEIN FASSBERG, « On rime and place in choice oflaw for property »,
I.C.L.Q. (2002), 385-400.

5.69 - Notion du conflit mobile - Le conflit mobile est un incident qui affecte une caté-
gorie de règles de rattachement, celles qui usent d'un facteur de rattachement variable,
telles la nationalité ou la résidence habituelle. En revanche, la localisation d'un événe-
ment, par exemple de la passation d'un acte ou de la perpétration d'un délit, est la plus
constante qui soit : pareils faits ne se produisent qu'une fois, à un instant du temps et en
un point de l'espace.
Pour qu'il y ait conflit transitoire, écrivait déjà Savigny, « il faut que le changement affecte les
1111

règles de droit elles-mêmes (le droit objectif), et non les éléments de fait du rapport de droit (le
droit subjectif)» (t. VIII, § 383, p. 369). La complication apportée au conflit de lois dans l'espace
par le déplacement des éléments de fait du rattachement a très bien été aperçue par Savigny. Zitel-
mann (Internationales Privatrecht, t. I, 1893, 151) qui, à la fin du XIXe siècle, en poursuit l'élabora-
tion, l'appelle Statutenwechsel (changement de statut), mais c'est Bartin qui, dans le premier volume
de ses Principes, publié en 1930 (§ 78, p. 193), imagine la terminologie ingénieuse de « conflit
mobile», qui fut aussitôt adoptée.
Ce qu'on appelle conflit mobile a donc pour objet le choix entre plusieurs moments
successifs de la détermination du facteur de rattachement. Abstraction faite de la déter-
mination du droit applicable à une chose mobilière durant son déplacement (chose en
transit), les modifications apportées au facteur de rattachement sont discontinues, et le
problème consiste généralement à savoir si, pour l'application de la règle de conflit com-
pétente, ce facteur doit être déterminé avant ou après le changement qu'il a subi.

5.70 - Une question d'interprétation de la règle applicable - Simple incident de la


mise en œuvre de la règle de conflit de lois ou de juridictions, le conflit mobile appartient
à l'interprétation de cette règle. Dès lors, il faut d'abord rechercher si la rédaction même
de la disposition de droit international privé ne donne pas au conflit mobile une solution
explicite ou, à tout le moins, implicite.
Comme cas de solution explicite, voy. par exemple l'article 4, alinéa 2, de la Convention de La
Ill!
Haye du 2 octobre 1973 sur la loi applicable aux obligations alimentaires. La Convention du
14 mars 1978 sur la loi applicable aux régimes matrimoniaux a élaboré un système particulière-
ment détaillé - et complexe - pour rencontrer les divers problèmes suscités par la variabilité des
facteurs de rattachement utilisés.
1111La plupart des codifications récentes s'efforcent avec raison de préciser à propos de chaque règle
de rattachement particulière le moment auquel il y a lieu de déterminer le facteur de rattachement.
On peut notamment citer en ce sens les articles 9 et 10 du Code civil espagnol. En Belgique, voy. la
solution donnée pour chaque matière, dans les chapitres qui y sont consacrés.
Il est plus rare de trouver une disposition de caractère général sur le conflit mobile. Voy. en ce sens
en Autriche le paragraphe 7 LDIP et en Turquie l'article 3 LDIP.

À l'évidence, la solution du conflit mobile peut être fonction de l'objectif de la règle


de rattachement. Ainsi une règle de rattachement alternative tendant à favoriser la vali-
dité d'un acte privé peut-elle donner lieu à une solution alternative du conflit mobile, à
l'appui de cette politique.
Ill Ainsi, l'article 1e,· de la Convention de La Haye du 5 octobre 1961 sur les conflits de lois en
matière de forme des dispositions testamentaires a étendu au conflit mobile que suscite le change-
ment de la nationalité, du domicile ou de la résidence habituelle du testateur, le principe de la favor
testamenti: pour que le testament soit valable quant à la forme, il suffit qu'il soit fait dans la forme
prévue par une de ces lois, le facteur de rattachement étant concrétisé, de manière alternative, au
moment où le testateur a disposé ou au jour de son décès (camp. supra, n° 3.59). Cette solution dif-
214 l' APPLICATION DE LA RÈGLE DE CONFLIT DE LOIS

fere de celle du droit transiroire interne où l'on applique généralement à la forme des actes la loi en
vigueur au moment où l'acte est accompli.
Le Code belge retient la même technique à propos de l'option de législation adoptée en matière
successorale (art. 79).

Sur les inconvénients de cette solution, voy. notamment F. RIGAUX, Recueil des cours, vol. 117
1111

(1966), 385; W. WENGLER, 369, note 31.

5.71 - Principes de solution - À défaut de règle explicite ou en l'absence d'une politique


législative particulière, il est permis de dégager certains principes de solution du conflit
mobile.
Dans les matières du statut personnel, lorsqu'est en cause la validité d'un acte, il y a
lieu d'apprécier les circonstances de rattachement telles qu'elles se concrétisaient au
moment de cet acte. Ainsi, les conditions de validité d'un mariage, ou la détermination
d'un régime matrimonial, s'apprécient normalement au jour de la conclusion du
mariage. En revanche, la détermination des effets de l'acte, ainsi que les conditions du
prononcé d'une décision constitutive d'un état, comme en matière d'adoption ou de
divorce, s'apprécient au jour où l'effet est réclamé ou l'état constitué.
1111 La jurisprudence la plus significative concerne le droit applicable au régime matrimonial (voy.
infra, n ° 12.71) et le droit applicable aux effets personnels du mariage (voy. infra, n ° 12.62).
Pour une référence au moment de la naissance en matière de filiation, voy. en France: Cass. civ.,
11111

15 mars 1988, Hug, Revue (1989), 486, note P. COURBE.

Pour une exception à la concrétisation ancienne lorsque le conflit mobile se double d'un chan-
1111

gement de souveraineté ou d'une délocalisation absolue, voy. infra, n ° 6.11.

Pour un recours au principe de l'unité de législation pour écarter le risque de dépeçage du droit
1111

applicable en cas d'application distributive de plusieurs droits nationaux concurremment compé-


tents, voy. infra, n ° 7.26.

Dans les matières patrimoniales, comme en matière quasi délictuelle, le caractère


déclaratif de la décision autant que la sécurité juridique commandent de se référer au
moment de la conclusion d'un contrat ou de l'accomplissement des faits qui sont à l'ori-
gine de l'obligation de réparer.
Lorsque la règle de conflit de lois traduit un objectif de protection à la manière de
celui que poursuit une loi de police, il y a lieu de choisir entre la concrétisation ancienne,
applicable à la passation d'un acte privé, tel le contrat, et la concrétisation actuelle, qui
puisse mieux correspondre aux exigences d'une protection poursuivie par le législateur.
11111 La question se pose particulièrement pour les contrats de consommation et de travail, que la
Convention de Rome du 19 juin 1980 soumet à des règles de rattachement particulières exprimant
un objectif de protection (voy. infra, n'" 14.111 et 14.169), sans résoudre explicitement le conflit
mobile. Si la nature du facteur de rattachement retenu à propos des premiers (article 5, résidence
du consommateur et éléments se référant aux circonstances de la conclusion du contrat) justifie
une référence au moment de la conclusion, le choix du facteur déterminant pour la relation de tra-
vail (article 6, lieu d'exécution des prestations) s'oriente plutôt vers la concrétisation au moment de
la naissance du litige.
Dans le sens précité à propos du contrat de consommation, voy.: Trib. arr. Bruxelles, 4 mai 1992,
J.L.M.B. (1992), 1032, concernant l'application de la loi du 12 juin 1991 relative au crédit à la con-
sommation libellée en des termes équivalents à ceux de l'article 5 de la Convention de Rome; et à
propos du détachement d'un travailleur, en France: Cass. soc., 30 juin 1993, Carrefour, Revue
(1994), 323, note M.-A. MOREAU.
LA CONCRÉTISATION DU FACTEUR DE LOCALISATION 215

§5 LA NEUTRALISATION DE LA FRAUDE À LA LOI


5.72 - Bibliographie

P. ARMINJON, « La fraude à la loi en droit international privé», Clunet (1920), 409 et s. (1921), 63 et
s., 419 et s.; B. AUDIT, La fraude à la loi (Paris, Dalloz, 1974) ;J. FAWCETI, « Evasion oflaw and manda-
tory rules in private international law », Cambridge L.j. (1990), 44-62; P. FloRE, « Du changement de
nationalité opéré en fraude à la loi», Clunet (1910), 753 et s.; R. GRAVESON,« The doctrine of eva-
sion of the law in England and America», 19 Journ.Comp. L. (1937, 21 et s.; I. GUYON-RENARD,« La
fraude en matière d'état civil dans les États membres de la CIEC »,Revue (1996), 541-571; G. LANG,
La fraude à la loi en droit international privé suisse (Mauras, Impr. Chabloz, 1984), 242 p.; P. Lou1s-
LUCAS, « La fraude à la loi étrangère», Revue (1962), 1 et s.; G. MARIDAKIS, « Réflexions sur laques-
tion de la fraude à la loi d'après le droit international privé», Mélanges Maury, t. I, 231 et s.;
U. MORELLO, Frode alla legge (Milano, Giuffrè, 1969) ;J. P. NIBOYET, « La fraude à la loi en droit inter-
national privé», Rev. dr. int. lég. camp. (1927), 402 et s.; G. PARRA-ARANGUREN, « General Course of
Private International Law: Selected Problems », Recueil des cours, vol. 210 (1988-III), 9-224; J. PER-
ROUD, « La fraude à la loi en droit international privé», Clunet (1926), 19 et s.; R. PRioux, « Le droit
international privé et les contrats illicites dans le commerce international »,].T (1990), 733-739;
J. VERPLAETSE, La fraude à la loi en droit international privé (Paris, Sirey, 1938).
5.73 - La manipulation du facteur de rattachement- La fonction de la règle de ratta-
chement, qu'elle poursuive un objectif de localisation de la situation ou une politique de
caractère substantiel (voy. supra, n° 5 3.10 et s.), implique que le facteur de rattachement ne
soit pas laissé à la disposition des parties dans les matières où le droit du for ne reconnaît
pas l'automie de la volonté.
La théorie de la fraude à la loi appartient dès lors au droit des conflits de lois comme
au droit matériel interne. Dans la première matière cependant, il tend à déjouer la mani-
pulation de l'élément pertinent de localisation par les parties. L'élément de rattachement
artificiellement créé doit être neutralisé lorsqu'il a visé à la modification de la désignation
du droit qui aurait été applicable en l'absence de cette manœuvre.
En Belgique, le Code énonce que : « Pour la détermination du droit applicable en
une matière où les personnes ne disposent pas librement de leurs droits, il n'est pas tenu
compte des faits et des actes constitués dans le seul but d'échapper à l'application du
droit désigné par la présente loi» (art. 18).
L'article 12, § 4, du Code civil espagnol sanctionne la fraude à la loi, qui consiste, selon cette dis-
Ill!
position, en « l'utilisation d'une règle de conflit dans le but d'éluder l'application d'une loi espa-
gnole impérative».
Comp. le paragraphe 8 du décret-loi hongrois, l'article 851 du Code de la famille du Sénégal et,
dans l'ex-Yougoslavie, l'article 5 LDIP.
Selon l'article 6 de la Convention interaméricaine sur les normes générales du droit international
privé (Revue, 1984, 262), « le droit d'un État partie ne sera pas appliqué en tant que droit étranger
dans un autre État partie à l'occasion d'actes entachés de dérogation frauduleuse aux principes
fondamentaux de la législation de ce dernier État». De plus,« il appartiendra aux autorités compé-
tentes de l'État requis de déterminer l'intention frauduleuse des parties intéressées».

Le phénomène du mariage fictif constitue une forme de fraude à la loi qui, pour être répandue
!Ill
en droit international privé, n'affecte pas directement le concept ici en cause. Le projet de parties de
nationalités différentes de conclure un mariage sans intention de vie commune, dans le bue de
bénéficier du droit au regroupement familial, soulève une question de validité du mariage, soumise
au droit national applicable à l'acte (voy. infra, n° 12.42), sans qu'il y ait nécessairement manipula-
tion de l'élément pertinent de rattachement.
216 L'APPLICATION DE LA RÈGLE DE CONFLIT DE LOIS

Ili La théorie de la fraude à la loi agit seulement sur la désignation du droit applicable au rapport
de droit. Elle n'exclut pas d'autres effets d'une fraude à des dispositions de droit administratif, par
exemple à propos du mariage fictif visant à contourner la condition de l'étranger. Dans ce cas, le
droit fraudé peut encore fonder une sanction propre, relevant, par exemple, de la condition de
l'étranger. Voy., par exemple, une sanction d'inopposabilité aux fins du droit de séjour, non une
sanction de nullité, figurant dans la résolution du Conseil du 4 septembre 1997 sur les mesures à
adopter en matière de lutte contre les mariages de complaisance,J.O.C.E. (1997), C 382.
111!Le droit communautaire exige une approche spécifique de la théorie de la fraude à la loi. En
effet, la régime de liberté de circulation des marchandises, mais surtout des services et des person-
nes, implique la liberté des opérateurs de fixer leur établissement dans un État membre de leur
choix, autre que leur État d'origine, pour prester des services dans l'ensemble des États membres,
notamment dans l'État d'origine. Ce régime tolère le contrôle de la fraude à la loi mais sous des
conditions strictes, essentiellement la mise en place d'un contrôle au cas par cas. Voy.
spécialement: C.J.C.E., aff. C-212/97, 9 mars 1999, Centras, Rec. (1999), I-1459.
Ili La sanction de la fraude à la loi peut se manifester au moment de la reconnaissance d'une déci-
sion étrangère obtenue dans le seul but d'échapper au droit désigné en vertu de la règle de rattache-
ment du for (voy. infra, n ° 10.39). Voy. par exemple: Civ. Bruxelles, 18 novembre 2003,]. T. (2004),
893.
Le phénomène peut affecter le conflit mobile, tel un changement de nationalité ou
de résidence habituelle en matière de statut personnel. En matière successorale, il peut
consister à modifier la consistance d'un patrimoine immobilier par une opération de
vente et de rachat d'immeubles situés dans des pays différents, ou à transformer une part
immobilière en part mobilière, par la constitution d'une société par actions. En matière
de contrat, il peut consister à donner l'apparence d'une exécution des prestations dans
un pays.
Ill! Pour le cas d'un changement de nationalité, voy. l'affaire Bauffremont, supra, n ° 5.46.
Voy. un arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence (21 janvier 1981, Revue, 1982, 297) ayant con-
111!

sidéré que le mariage contracté en Israël par deux Francais domiciliés en France étaie entaché de
fraude à la loi, alors que les prétendus époux savaient qu'ils n'auraient pu se marier en France. Tou-
tefois, le motif tiré de la fraude à la loi est, dans cet arrêt, surabondant.
En matière successorale, voy. l'exception de fraude formulée par la Cour de cassation de France
Ill!
dans l'affaire Caron, à propos de la cession, par le de cujus, d'un immeuble situé en France à une
société américaine dont il détenait la majorité du capital: Cass. civ., 20 mars 1985, Revue (1986), 66,
note Y. LEQUETIE, cité par BATIFFOL et LAGARDE, n° 371.
Ili Dans la matière des contrats, la théorie de la fraude à la loi a permis de déjouer une localisation
conventionnelle de l'obligation, destinée à évincer une disposition impérative du for. La loi belge
du 27 juillet 1961 sur la résiliation unilatérale des concessions de vente exclusive à durée indétermi-
née se veut applicable à la concession de vente ayant ses effets sur le territoire belge (voy. supra,
n° 4.5). Est, dès lors, constitutive de fraude à la loi, la clause localisant fictivement l'exécution de
l'obligation du concédant au siège social de ce dernier en Allemagne (Cass., 28 juin 1979, Audi-
N.S.U., Pas. (1979), I, 1260, infra, n° 14.18). La théorie de la fraude à la loi s'efforce de protéger le
caractère impératif des dispositions de la loi belge, que les parties ne sauraient valablement écarter,
ni par une clause sur la loi applicable ni, comme en l'espèce, par une clause d'arbitrage.
Voy. encore: Civ. Liège, 30 avril 1999, Auteurs & Media (1999), 438: à propos de la réalisation de
l'adjudication d'un tableau au Luxembourg alors que la vente publique était organisée en Belgique,
afin d'échapper au droit de suite, le tribunal n'hésite pas à appliquer le droit belge, après avoir cons-
taté une fraude à cette loi, consistant en la simulation d'i:tn élément d'extranéité afin de créer un
facteur de rattachement artificiel.
L'exception de fraude à la loi suppose-t-elle une recherche de l'intention des parties?
La question est discutée. Le Code de droit international privé donne une place à cet élé-
ment, en n:ientionnant le « but » poursuivi. Dans la pratique toutefois, la définition don-
l.A CONCRÉTISATION DU FACTEUR DE LOCALISATION 217

née à la fraude à la loi en matière de conflits de lois ne semble pas devoir conduire le juge
à une introspection des consciences, dès lors que la définition fait appel à des éléments
objectifs - « des faits et des actes constitués» (art. 18 Codip) - dont l'ensemble apporte
les indices d'une volonté de manipulation. En effet, le succès de l'exception suppose que
soit établi le caractère fictif de l'élément de rattachement. Cette condition nécessite une
vérification des circonstances de temps et de lieu qui permettent de conclure à une locali-
sation artificielle de la situation.
IllPour un exposé de la discussion, voy.: BATIFFOL et LAGARDE, n ° 372, qui estiment ne pas devoir
déroger à la nécessité de vérifier l'élément intentionnel à l'instar de ce qui prévaut en droit interne.
Contra, en Belgique: R. VANDER ELsT, note sous l'arrêt Audi-N.S. U. précité, Rev. crit. jur. belge (1981),
332.
Pour une recherche de l'intention, voy.: Trib. arr. Luxembourg, 27 mars 1990, Riv. dir. int. priv. proc.
(1991), 1097, à propos d'un prêt bancaire consenti par une banque belge à un consommateur rési-
dant au Luxembourg, ce dernier étant exclu du bénéfice de la protection offerte par l'article 4 de la
Convention de Rome du 19 juin 1980 (voy. infra, n ° 14.54) du fait de la localisation de la conclu-
sion du contrat dans les locaux de la banque: l'intention de fraude dans cette localisation ne fut
pas établie en l'espèce.
Ill!L'exception de fraude est nécessairement soumise au débat contradictoire, au cours duquel les
parties peuvent faire valoir leurs arguments. Voy. par exemple, à propos de la création d'une société
fictive aux îles Cayman: Bruxelles, 11 février 1988,].T (1988), 606, Rev.gén. dr. civ. (1989), 479, note
R. P1uoux.
La sanction de la fraude à la loi peut-elle bénéficier à un droit étranger? L'approche
traditionnelle limite la loi fraudée au droit du for. Pourtant, une fraude au droit étranger
ne cesse pas de constituer une fraude à la norme primaire du for, sur l'application de
laquelle repose la désignation normale du droit étranger que les parties ont tenté d'évin-
cer (BATIFFOL et LAGARDE, n ° 373). En Belgique, le Code couvre, sans distinction, tout
droit désigné par la règle de rattachement.
Les dispositions figurant dans des codifications se limitent à prohiber l'éviction, grâce à la
lill
fraude à la loi, des règles matérielles du for.
Pour une thèse favorable à la sanction de la fraude au droit étranger, voy. B. AUDIT, La fraude à la loi,
précité n° 5.72.
CHAPITRE 6

,
LA DETERMINATION ET LA CONDITION
DU DROIT ÉTRANGER
6.1 - Présentation - Lorsque la mise en œuvre de la règle de rattachement conduit à la
désignation d'un droit étranger, il convient, avant d'entamer la phase d'application de ce
droit qui en résulte normalement, de déterminer avec précision l'objet de la désignation.
Une première question touche à la nature de la règle qui opère cette désignation.
Elle revient à savoir si cette règle porte seulement sur les règles matérielles contenues
dans le droit étranger, ou si elle s'étend aux règles de conflit de lois.
Une seconde question concerne la procédure devant la juridiction saisie. Le droit
étranger est, en tant que tel, assujetti à une condition procédurale particulière, s'écartant
partiellement du statut du droit matériel interne.

Section 1
La désignation d'une règle
de rattachement étrangère
6.2 - Variété des hypothèses - Il arrive que l'ordre juridique étranger désigné par la règle
de rattachement ne contienne pas, comme tel, les dispositions matérielles aptes à résou-
dre le litige, ou qu'il soumette le choix des règles applicables à un critère différent de celui
qui a permis sa propre désignation.
On peut retenir plusieurs séries d'hypothèses dans lesquelles le droit étranger pro-
cure lui-même une règle de conflit interne ou international de lois, par l'opération de
laquelle sera, en fin de compte, identifiée la norme matérielle applicable.
Dans une première série de cas, l'ordre juridique national désigné contient des règles
de« conflit interne» de lois, - dans l'espace ou dans le temps - dont la mise en œuvre
est préalable au choix du droit matériel applicable (§ 1er).
Dans une seconde série d'hypothèses, le droit étranger désigné contient une règle de
conflit de lois différente et l'on s'interroge sur l'applicabilité de cette règle par le juge
saisi. Cette applicabilité peut être conçue à des titres divers.
D'abord, l'application de la règle étrangère de droit international privé peut être vue
comme un effet inhérent à la nature même de la règle de rattachement du for: c'est
l'hypothèse de la théorie du renvoi(§ 2).
220 LA DÉTERMINATION IT LA CONDITION DU DROIT ÉTRANGER

Ensuite, cette application peut procéder du souci d'identifier l'ordre juridique le


plus approprié pour la solution du cas litigieux : cet ordre est déterminé de manière
objective, l'ordre juridique du for étant contingent puisque sa compétence pour régler le
conflit de lois est subordonnée à la mise en œuvre d'une règle de compétence juridiction-
nelle. L'établissement de« règles de conflit de systèmes» a permis de rattacher une ques-
tion préalable au droit désigné par la règle de conflit de lois ou de juridictions du système
juridique étranger déclaré applicable à la question principale (§ 3, A), de consolider, par
l'opération de la règle de conflit de lois ou de juridictions du droit étranger, un droit
«acquis» par cette opération(§ 3, B), de créer un for du raisonnement distinct du for du
jugement (§ 3, C), ou encore de soumettre la solution du litige à la possibilité d'une
reconnaissance à l'étranger de la décision à prendre(§ 3, D).

§1 LE CONFLIT INTERNE DE DROIT ÉTRANGER

6.3 - Bibliographie

a) Conflits interterritoriaux
Dans la Constitution américaine, voy. : art. IV; XIV< Amendment, 1866, sect. I. Pour un commen-
taire de ces dispositions, voy. : BAXTER, « Choice of Law and the Federal System », Stanford L.R.
(1963), 1-42; BoNASSIES, « Structures fédérales et conflits de lois - L'exemple des États-Unis
d'Amérique», Revue (1953), 289; CHEATHAM, Recueil des cours, vol. 99 (1960), 253-263; B. FRIEDMAN,
« Under the law of federal jurisdiction : Allocating cases between federal and scare courts », Colum-
bia L.R. (2004), 1211-1279; GRAVESON, Recueil des cours, vol. 99 (1960), 33; P. HERZOG,
« Conscitutional limits on choice of law », Recueil des cours, vol. 234 (1992-III), 239-330; KEGEL,
Recuell descours, vol. 112 (1964), 165-176.
Sur les problèmes suscités en Belgique par les réformes institutionnelles de 1970 et de 1980, voy.
notamment M. FALLON et Y. LEJEUNE, « La pratique belge des conflits interterritoriaux à l'épreuve
du droit comparé», Ann. dr. (1982), 281-335; P. LEGROS,« L'influence du droit international privé
sur la jurisprudence de la Cour d'arbitrage », Mélanges Vander Elst, 517-528 ; F. R.!GAUX, « Les règles
de droit délimitant leur propre domaine d'application »,Ann. dr. (1983), 313-331; M. UYTIENDAELE,
« Existe-t-il un droit interrégional privé en Belgique?», Mélanges Vander Elst, 785-799; J.-L. VAN
BoxSTAEL, « Constitution et conflits de lois», Rev. belge dr. int; (1994), 184-209.
Voy. en outre: B. BLAGOJEVIC, « Le concept et la structure du système juridique en Yougoslavie», Dr.
Yougoslave (1982), 3-28; A. BORRÀS RooRIGUEZ, Calificacion, renvia y orden pùblico en el derecho interregio-
nal espanol (Bellacerra, 1984); Io., « Les ordres plurilégislatifs dans le droit international privé
actuel», Recueil des cours, vol. 249 (1994-V); J. CASTEL,« Constitutional Aspects of Private Interna-
tional Law in Australia and Canada», Recueil des cours, vol. 126 (1969), 3; Constitucion, Comunidades
Autonomas y Derecho Internacional (Xunta de Galicia, Santiago, 1982); E. EDINGER, « Territorial Limi-
tations on Provincial Powers », Ottawa L.R. (1982), 57-99; M. T. HERZ, « Interprovincial, the Consti-
tution and the Conflict ofLaws », Univ. Toronto L.]. (1976), 84 et s.; M. SosNIAK, « Le droit interlocal
et le droit international privé», Polish Yearbook (1977-1978), 235-249; M. SuMAMPOuw, « Droit
interrégional privé et droit international privé », Mélanges Kokkini-Iatridou (Dordrecht, Nijhoff,
1994).
Sur le « droit interzonal» applicable aux relations encre la République fédérale d'Allemagne et la
République démocratique allemande avant la réunification, voy. : G. KEGEL, Internationales Priva-
trecht (1971), 181; P. H. NEUHAUS, 215; L. RMPE et F. STURM, Internationales Privatrecht (München,
Verlag Franz Vahien, 1977), t. I, 381, et la bibliographie citée; W. WENGLER, « Prinzipienfragen des
interzonalen Rechts in Deutschland »,Neue]ur. Woch. (1951), 49.
Pour une bibliographie générale, voy. E. VITTA, t. I, 160-163, ainsi que M. FALLON et Y. LEJEUNE, pré-
cités, 283-284.
LA DÉSIGNATION D'UNE RÈGLE DE RATTACHEMENT ÉTRANGÈRE 221

b) Conflits interpersonnels
K. ELGEDDAWY, Relations entre systèmes confessionnel et laïque en droit international privé (Paris, Dalloz,
1971); P. GANNAGÉ, « Droit intercommunaucaire et droit international privé», Clunet (1983), 479-
508 ; R. HouErss, « Le régime matrimonial légal à travers les conflits internes de lois et de juridic-
tions - Étude de droit libanais», Rev. dr. int. dr. comp. (1981), 105-124; KOLLEWIJN, Intergentiel Recht
(La Haye, 1955), principalement « Intergentiel Privaatrecht », 102-130; S. MELONE, « Les juridic-
tions mixtes de droit écrit et de droit coutumier dans les pays en voie de développement - Du bon
usage du pluralisme judiciaire dans les pays en Afrique: l'exemple du Cameroun »,Rev. int. dr. comp.
(1986), 327-346; S. PAUWELS, Rechtskeuze en wording van een eenvormige stadsgewoonte in de inlandse
rechtbanken te Leopoldstad (Kinshasa) (Musée royal de l'Afrique centrale, Tervuren, 1967, série in-8 °,
n ° 60); A. SANDERS (dir.), The internai conflict of laws in South Africa (Durban, Butterworths, 1990),
132 p. ; I. SZASZY, « Le conflit de lois interpersonnel dans les pays en voie de développement»,
Recueil des cours, vol. 138 (1973), 81-202; Io., « Interpersonal Conflict ofLaws », Mélanges W.Wengler,
t. 2,793; A. TIER, « Conflict oflaws and legal pluralism in the Sudan », I.C.L.Q. (1990), 611-640;
U. UCHE, « Conflict oflaws in a multi-ethnic setting- Lessons from anglophone Africa »,Recueil des
cours, vol. 228 (1991-III), 277-438; C. WASSERSTEIN FASSBERG, « Choice-of-Law Models: The Interna!
Interreligious Context », Mélanges Vander Elst, 885-910 ; W. WENGLER, 289-308.
c) Conflit transitoire de droit étranger
Voy. la bibliographie supra, n ° 5.22.

A. Types de conflits internes dans l'espace


6.4 - Le conflit interterritorial - La Constitution de plusieurs États attribue à des sub-
divisions territoriales compétence législative en certaines matières de droit privé. Telle
est, par exemple, la situation aux États-Unis, au Canada, au Mexique ou, dans une
mesure limitée, en Belgique.
Cette multiplicité des droits applicables suscite un problème analogue à celui du
droit international privé. L'analogie entre les deux problèmes est telle que la plupart des
ouvrages américains distinguent à peine les conflits interfédéraux (interstate conflicts of
laws) des conflits internationaux (international conflicts oflaws).
Il importe cependant de souligner la différence entre les deux variétés de conflits. Le
conflit international se distingue du conflit interrégional par l'absence, dans le premier
cas, d'une source de droit qui s'impose au respect des États nationaux et d'une juridic-
tion qui leur soit commune.
D'abord, comme le constatait déjà Savigny (§ 348, p. 29), les conflits interterrito-
riaux peuvent être résolus à l'aide d'une loi nationale commune et supérieure aux droits
locaux.
De plus, la Constitution fédérale peut contenir des règles répartitrices gouvernant
les conflits interfédéraux, à l'exclusion des rapports internationaux. Plusieurs disposi-
tions de la Constitution des États-Unis ordonnant la reconnaissance réciproque d'actes
publics émanant des autres États de l'Union (sister States) ne doivent pas être appliquées
par analogie aux actes similaires accomplis par des autorités étrangères.
Enfin, l'organisation judiciaire fédérale unifie la jurisprudence relative à certains
conflits interfédéraux.
1111 En Belgique, les entités fédérées n'ont guère de compétences législatives en matière civile ou

commerciale. Pour un cas concernant la matière de la protection de la jeunesse, voy. : C.A.,


11 décembre 1996 (Monit., 6 février 1996, R W., 1996-1997, 1422), à propos de l'application de la
222 LA DÉTERMINATION ET LA CONDITION DU DROIT ÉTRANGER

réglementation du Conseil flamand à un enfant domicilié en Flandre près de sa mère mais né en


Wallonie et de père domicilié en Wallonie: la Constitution a institué un système de répartition de
compétences exclusives, se traduisant, en la matière, par le critère de la résidence de la famille de
l'enfant, à défaut, par le critère de la localisation de son éducation et de son entretien appréciée in
concreto, à défaut encore par la localisation de l'enfant en attente d'éducation et d'entretien.
Une jurisprudence abondante a eu pour objet l'application, aux relations individuelles de travail,
d'un décret du Conseil flamand sur l'emploi des langues dans l'entreprise (voy. M. FALLON et
Y. LEJEUNE, précités).

6.5 - Le conflit interpersonnel - Comme les conflits interritoriaux, les conflits interper-
sonnels (appelés par Wengler intergentile conflicts oflaws) se posent à l'intérieur de certains
ordres juridiques nationaux. Mais, à la différence des premiers, qui naissent d'une divi-
sion territoriale des sphères de compétence législative, les seconds sont liés à la coexis-
tence, sur le même territoire, de groupes sociaux régis par des droits différents.
Il en subsiste diverses formes: le conflit interconfessionnel, principalement dans le
domaine du mariage et de la filiation, le conflit interracial, certains conflits de coutumes
en Afrique.
1111Voy. par ex. l'application de la coutume rabbinique à des Algériens de rite mosaïque (Cass. civ.,
1re ch., 28 juin 1966, Sellam, Bull. civ., 1966, I, n° 390,300), l'existence en Inde de systèmes juridi-
ques distincts applicables selon l'affiliation religieuse des personnes et, surtout, la jurisprudence
nombreuse relative à l'application du Code de statut personnel (Moudawana) marocain en Belgi-
que.
1111L'Italie connaît une forme particulière de mariage ecclésiastique. Alors que le Concordat du
Latran du 11 février 1929 avait institué en Italie deux réglementations parallèles selon que les Ita-
liens contractaient un mariage canonique ou un mariage civil, ce qui entraînait diverses consé-
quences, notamment la reconnaissance d'une compétence exclusive aux autorités ecclésiastiques
pour la dissolution d'un mariage concordataire, l'entrée en vigueur de la loi n ° 898 du 1er décem-
bre 1970 sur le divorce et la jurisprudence qui s'en est ensuivie ainsi que l'accord de modification
du Concordat du Latran conclu le 18 février 1984 (Diritto di Familia e delle persane, 1984, 821) ont
bouleversé les rapports entre les deux ordres juridiques. Après l'entrée en vigueur de la loi sur le
divorce, il a été jugé que les tribunaux civils, qui n'avaient pas le pouvoir d'annuler un mariage con-
cordataire célébré en Italie, pouvaient cependant le dissoudre par le divorce (Corte costituzionale,
11 décembre 1973, n. 175, Giur. cost., 1973, 2238). Alors que les sentences canoniques de nullité
étaient soumises à l'exequatur de la cour d'appel en vertu de l'article 34, alinéa 6, du Concordat du
Latran, la jurisprudence a progressivement soumis ces sentences au contrôle exercé sur les déci-
sions étrangères (voy. notamment: Cass., sez. un., 1er octobre 1982, n. 5026, Diritto di Famiglia e delle
persane, 1984, 14; 5 juillet 1984, n. 3944, ibid., 1984, 931). Pareille évolution a été entérinée par
l'article 8, alinéa 2, de l'accord modificatif du 18 février 1984. En outre, selon l'interprétation
dominante, l'État italien a cessé de reconnaître la compétence exclusive des juridictions canoniques
pour l'annulation d'un mariage concordataire. Il en résulte que, quelle que soit la forme du
mariage célébré par des Italiens en Italie, les effets de l'union sont, du point de vue de l'ordre juridi-
que civil, réglés par le droit étatique.
Depuis l'entrée en vigueur de l'accord modificatif du 18 février 1984, il n'est plus permis de consi-
dérer que le droit matrimonial italien soumet à deux régimes distincts le mariage civil et le mariage
concordataire. On notera l'intérêt pour la théorie du droit international privé de l'assimilation à
des décisions étrangères des sentences canoniques prononcées en Italie conformément au Concor-
dat du Latran.
Dans la doctrine, voy. notamment: F. RIGAUX, « L'article 34 du Concordat du Latran et le droit
international», Mélanges Wagnon (1976), 395-414 et, sur l'interprétation de l'accord du 18 février
1984, R. COPPOLA, « Osservazioni sull'accordo di modificazioni del Concordato lateranense »,
Diritto di Famiglia e delle persane (1984), 697-708; P. MONETA,« Il matrimonio ne! nuovo Concordato
con la Santa Sede », ibid., 1205-1220 ;J.-L. VAN BOXSTAEL, « Observations sur le pouvoir des époux
de disposer d'un mariage religieux célébré à l'étranger », Rev. trim. dr. fam. (1996), 29-42.
LA DÉSIGNATION D'UNE RÈGLE DE RATTACHEMENT ÉTRANGÈRE 223

Des accords avec le Saint-Siège ont également été conclus par l'Espagne, Malte et le Portugal. Il y
est fait référence par le règlement « Bruxelles IIbis » (voy. infra, n ° 12.56, art. 63) et, pour Malte, par
le règlement 2116/2004 du 2 décembre 2004 (J.O.C.E., 2004, L 367).

6.6 - Les conflits suscités par un changement de souveraineté - Les changements de sou-
veraineté entraînent des difficultés multiples.
Entre les conflits suscités par un changement territorial et les deux variétés de con-
flits précédemment analysées, il existe une différence fondamentale. Alors que le conflit
interterritorial et le conflit interpersonnel sont strictement internes - comme le conflit
dans le temps-, le conflit suscité par un changement de souveraineté a pour origine une
situation de droit international: l'exercice sur un territoire des compétences successives
d'États différents. Ces derniers conflits se distinguent cependant du conflit de lois de
droit international privé, lequel a pour cause l'exercice simultané, sur des territoires dis-
tincts, de compétences étatiques indépendantes les unes des autres.
De plus, les conflits suscités par un changement de souveraineté prennent des reliefs
très différents suivant la perspective dans laquelle on les envisage. Trois points de vue
doivent être distingués : celui de l'État annexant ou du nouvel État, celui de l'État qui
subsiste après avoir subi une perte de territoire, celui des États tiers.
Pour l'État annexant, l'annexion engendre un conflit interterritorial aussi long-
temps que les sources de droit entrées en vigueur sous la précédente souveraineté conser-
vent force obligatoire, et un conflit dans le temps après qu'il y a substitué son propre
droit. Ces conflits ont un caractère interne parce que, en dépit de son origine étrangère, le
droit de l'État amputé, demeuré en vigueur sur la nouvelle partie du territoire étatique,
est traité par l'État annexant comme une branche de son propre droit.
Pour un cas d'application lié à la situation de l'État annexant, voy. en Belgique: Cass., 10 mai
1111

1962, Rinck c. Époux Zander-Rinck, Pas. (1962), 1, 1014.


Aussi longtemps que l'État annexant n'a pas introduit son droit privé dans son nou-
veau territoire, le changement de souveraineté provoque un conflit interterritorial.
Il Ainsi, jusqu'au 1" janvier 1927, date à laquelle les lois civiles et commerciales en vigueur en Bel-
gique ainsi que les arrêtés et règlements pris en vertu de ces lois furent rendus obligatoires dans
toute l'étendue des territoires rattachés à la Belgique par les articles 33, 34 et 35 du Traité de Ver-
sailles du 28 juin 1919 (arr. roy. du 28 avril 1926, art. 1er), le territoire belge était régi par deux systè-
mes de droit privé, les lois allemandes ayant été maintenues en vigueur dans les territoires annexés.
Après l'unification du droit privé par l'État annexant, il subsiste un conflit transi-
toire, le territoire annexé ayant été régi, successivement, par deux systèmes juridiques.
Ill À l'arrêté royal précité sont annexées des dispositions transitoires spéciales.
1111En ce qui concerne les effets de droit privé de l'application du droit allemand dans les cantons
d'Eupen, de Malmédy et de Saint-Vith, de 1940 à 1945, voy. la loi du 27 juillet 1953 déterminant les
effets de l'application de la loi allemande dans la partie du territoire belge annexé abusivement à
l'Allemagne en mai 1940.
Quant à l'État qui a perdu une partie de son territoire, il doit considérer comme du
« droit étranger» les sources de droit qu'il a, à l'époque où sa compétence s'étendait au
territoire qui a fait sécession, introduites dans ledit territoire, au moins dans la mesure
où elles régissent des faits postérieurs au changement de souveraineté.
Il L'indépendance du Congo offre une illustration intéressante des effets d'un changement de
souveraineté sur la qualité du droit en vigueur dans un territoire. À partir du 30 juin 1960, la plu-
part des dispositions législatives et réglementaires entrées en vigueur durant la période coloniale
224 LA DÉTERMINATION ET LA CONDITION DU DROIT ÉTRANGER

continuèrent à régir le pays - désormais souverain - non plus au titre de droit belge colonial, mais
comme droit congolais proprement dit : elles ont donc changé de« nationalité».
Voy. Ph. FRANCESCAKIS, « Problèmes du droit international privé de l'Afrique noire indépendante »,
Recueil des cours, vol. 112 (1964), 269-361.
Ill Dans cet exemple, la Belgique occupe la position de l'État qui a perdu une partie de son terri-
toire. Voy. Cass., 8 octobre 1964, De Vos c. Société congolaise d'alimentation Fridapek, Pas. (1965), I, 127.

B. Solution du conflit spatial de droit étranger


6.7 - Impuissance de la règle du for à désigner la règle matérielle pertinente - Quand
le système juridique étranger déclaré compétent n'est pas unifié, il est nécessaire de déter-
miner à quelle partie de ce système sera empruntée la règle matérielle applicable.
Si, en matière familiale par exemple, un juge belge doit appliquer, en vertu de sa propre règle de
1111

rattachement, la loi nationale à un citoyen des États-Unis, il constate qu'il n'existe pas de « droit
américain», au sens d'un droit fédéral, sur les matières traditionnelles de l'état et de la capacité des
personnes. La Constitution américaine ayant, en ce domaine, confié la compétence législative aux
« États», le juge saisi n'a pas encore atteint la source de droit applicable quand sa règle de conflit
donne compétence au système américain dans son ensemble. Voy. une application par: Cass.,
4 novembre 1993, Pas. (1993), !, 921, à propos de l'adoption d'un Américain originaire de l'État du
Delaware.

Le conflit interterritorial se répercute avec le plus d'acuité sur le système de droit


international privé du tribunal saisi quand le facteur de rattachement qui y est mis en
œuvre est la nationalité. Les autres facteurs de rattachement (la résidence habituelle, la
situation d'un bien, le lieu de conclusion d'un contrat) opèrent immédiatement un ratta-
chement territorial apte à désigner le droit« local » applicable.
Au contraire, le conflit interpersonnel de droit étranger s'impose au tribunal saisi
quel que soit le facteur de rattachement utilisé. Ainsi, l'application de la loi de la rési-
dence au statut matrimonial d'une personne domiciliée dans un État qui soumet ce sta-
tut à diverses règles confessionnelles requiert une identification préalable du système
confessionnel compétent, identique à celle qui s'impose pour la mise en œuvre d'une
règle de conflit rattachant cette matière à la loi nationale.
De son côté, le système non unifié comporte normalement une règle de « conflit
interne » de lois, disposition utilisant la technique du rattachement à des situations qui
ne présentent aucun élément étranger.
6.8 - Désignation immédiate du droit local étranger - Quand la règle de rattachement
primaire a, par l'intermédiaire d'un facteur territorial, désigné le droit d'un État compre-
nant plusieurs unités territoriales dont chacune a ses propres règles de droit matériel,
plutôt que de soulever le conflit interterritorial de droit étranger il y a lieu d'appliquer
directement le droit en vigueur dans l'unité territoriale où se concrétise le facteur de rat-
tachement de la règle primaire.
Ill Se dégageant déjà de l'article 1er, alinéa 2, de la Convention de La Haye du 5 octobre 1961 sur les
conflits de lois en matière de forme des dispositions testamentaires, cette solution est explicite
dans l'article 12 de la Convention de La Haye du 2 octobre 1973 sur la loi applicable à la responsa-
bilité du fait des produits, dans l'article 17 de la Convention de La Haye du 14 mars 1978 sur la loi
applicable aux régimes matrimoniaux, dans l'article 17 de la Convention de La Haye du 14 mars
1978 sur la célébration et la reconnaissance de la validité des mariages, dans l'article 19 de la Con-
vention de Rome du 19 juin 1980 sur la loi applicable aux obligations contractuelles: la formula-
tion assimile« chaque unité territoriale» à« un pays ». Elle est plus élégante dans la Convention de
LA DÉSIGNATION D'UNE RÈGLE DE RATTACHEMENT ÉTRANGÈRE 225

La Haye du 1er juillet 1985 relative à la loi applicable au trust et à sa reconnaissance, dont
l'article 23 considère la référence à la loi d'un tel État comme une référence à « la loi en vigueur
dans l'unité territoriale concernée ». La formulation de la Convention de La Haye du 19 octobre
1996 concernant la compétence, la loi applicable, la reconnaissance, l'exécution et la coopération
en matière de responsabilité parentale et de mesures de protection des mineurs, revient à une assi-
milation de la référence à la loi d'un État à celle d'une unité territoriale (art. 47).
En Belgique, le Code de droit international privé assimile au« droit d'un État» cha-
cun des« systèmes de droit» que comprend l'État dont le droit est désigné (art. 17, § 1cr).
6.9 - Utilisation d'une règle spéciale de conflit interne - Lorsque le système de droit
étranger non unifié est désigné en vertu du critère de la nationalité ou s'il suscite un con-
flit interpersonnel, le facteur de rattachement de la règle de conflit est impuissant à loca-
liser la situation à l'intérieur d'un tel système.
Il y a alors lieu de faire application des règles auxquelles le droit étranger subor-
donne lui-même la solution de ses propres conflits internes.
1111 Comp. Cass., 4 novembre 1993, cité au numéro précédent: la Cour utilise la méthode de l'utili-
sation d'une règle étrangère, tout en se méprenant sur la portée exacte de la disposition pertinente
en l'espèce. Elle estime« que, selon le droit international privé des États-Unis, l'état d'une personne
est régi non par sa loi nationale mais par celle de son domicile ». La formulation souffre d'une dou-
ble imprécision. D'abord, ce qu'il convient de considérer est moins le droit international privé
étranger que son droit interterritorial. Or, il n'existe pas aux États-Unis de règle de conflit de lois
fédérale: la compétence des États fédérés s'étend à l'adoption de telles règles. Dans le cas d'espèce,
il y avait lieu de considérer la règle de conflit de l'État du Delaware, qui constitue en réalité une
règle de compétence juridictionnelle utilisant comme critères alternatifs la résidence de l'une ou de
l'autre partie à l'adoption, le juge saisi appliquant alors le droit du for. Une telle règle n'était trans-
posable à l'espèce que si les deux parties résidaient en Belgique, ce qui semble avoir été le cas.
Si le système étranger non unifié ne donne pas au conflit interterritorial ou interper-
sonnel une solution suffisamment explicite, il est fait application de la partie de ce droit
avec laquelle la situation a les liens les plus étroits. À la différence de la précédente, cette
règle-ci fait partie intégrante de l'ordre juridique du for.
1111 Dans la doctrine, voy. notamment: P. ARMINJON, « Les systèmes juridiques complexes et les con-
flits de lois et de juridictions auxquels ils donnent lieu», Recueil des cours, vol. 74 (1949), 73; R. DE
NovA, « Les systèmes juridiques complexes en droit international privé», Revue (1955), 1;
F. R!GAUX, La théorie des qualifications, n° 5 220-223.
Cette double solution est aujourd'hui prévue dans de nombreuses conventions éla-
borées par la Conférence de La Haye de droit international privé.
1111D'après l'article 1er, avant-dernier alinéa, de la Convention du 5 octobre 1961 sur les conflits de
lois en matière de forme des dispositions testamentaires et d'après l'article 11 de la Convention du
15 novembre 1965 concernant la compétence des autorités, la loi applicable et la reconnaissance
des décisions en matière d'adoption, « si la loi nationale consiste en un système non unifié, la loi
applicable est déterminée par les règles en vigueur dans ce système» (texte de la Convention du
5 octobre 1961 ). À défaut de telles règles, il faut, aux termes de la première de ces deux con ventions,
déterminer la loi applicable « par le lien le plus effectif qu'avait le testateur avec l'une des législa-
tions composant ce système» ; suivant la deuxième convention, il faut rechercher « la loi ou (les)
autorités du système avec lequel l'intéressé a les liens les plus étroits ».
Certaines conventions plus récentes ont modifié la terminologie sans raucher à la solution. Il en est
ainsi de l'article 16 de la Convention de La Haye du 2 octobre 1973 sur la loi applicable aux obliga-
tions alimentaires, lequel vise aussi le conflit interpersonnel de droit étranger.
On trouve une dérogation à la première solution dans la Convention de La Haye du 1er août
1111

1989 sur la loi applicable aux successions à cause de mort. Selon l'article 19, paragraphe 3, b), la
référence à la loi de l'État de la nationalité vise la loi de l'unité de cet État dans laquelle le défunt
226 LA DÉTERMINATION ET LA CONDITION DU DROIT ÉTRANGER

avait sa résidence habituelle. Ainsi, au lieu de retenir la règle de conflit interne du système plurilé-
gislatif compétent, la solution consiste à appliquer une règle subsidiaire, qui utilise un facteur ter-
ritorial de manière à se retrouver dans la première hypothèse, exposée au numéro précédent.
La référence au système avec lequel la situation a les liens les plus étroits a disparu de
certaines conventions, puis a été réintroduite dans des conventions plus récentes
1111Dans le sens d'une suppression, voy. les articles 16 à 19 de la Convention du 14 mars 1978 sur la
loi applicable aux régimes matrimoniaux et les articles 17 à 20 de la Convention du 14 mars 1978
sur la célébration et la reconnaissance de la validité des mariages.
1111Dans le sens d'une réinsertion, voy. l'article 19 de la Convention de La Haye du 1er août 1989 sur
la loi applicable aux successions à cause de mort, ou l'article 47 de la Convention de La Haye du
19 octobre 1996 en matière d'autorité parentale et de mesures de protection des enfants
Les codifications nationales présentent des solutions variées.
En Belgique, le Code de droit international privé s'aligne sur le droit comparé en désignant les
1111
règles de conflit interne de lois du droit étranger et, à défaut de telles règles, par la référence au sys-
tème avec lequel la situation a les liens les plus étroits (art. 17, § 2).
1111 Alors que l'article 12, paragraphe 5, du Code civil espagnol se borne à donner compétence aux
solutions internes de l'État étranger dans lequel coexistent plusieurs systèmes législatifs, en Autri-
che le paragraphe 5, (3) LDIP, en Allemagne le nouvel article 4, alinéa 3, EGBGB et en Italie
l'article 18 LDIP prévoient en outre qu'en cas de lacune du système étranger il faut appliquer
« l'ordre juridique partiel avec lequel existe le rapport le plus fore" (ou le plus étroit). En ex-You-
goslavie, l'article 10 LDIP contient les solutions les plus élaborées. Il prévoit d'abord le rattache-
ment immédiat« à une unité juridique déterminée" de l'État étranger (voy. supra, n ° 6.8), à défaut
de quoi il prévoit les mêmes solutions que la loi autrichienne.

C. Solution du conflit transitoire de droit étranger


6.10 - Référence à la règle étrangère de conflit - Quand le droit étranger applicable a
subi des modifications de nature à exercer une influence sur la solution du cas litigieux,
le conflit transitoire de droit étranger présente quelque analogie avec les conflits de lois
de droit interne étranger. Les solutions qui viennent d'être proposées pour cette hypo-
thèse ont généralement été étendues au conflit transitoire: l'application d'un droit étran-
ger en vertu de la règle de rattachement du for implique qu'il soit tenu compte de ses
propres modalités d'application dans le temps.
Ill! Voy. par exemple en France: Cass. civ., 3 mars 1987, Leppert, Revue (1988), 695, note M. SIMON-
DEPITRE.

Les hypothèses les plus intéressantes sont celles où le législateur étranger a mis en
vigueur des dispositions nouvelles d'application immédiate (par exemple, modification
des effets des contrats conclus avant l'entrée en vigueur de la loi nouvelle), voire rétroacti-
ves (par exemple, validation d'un acte juridique nul en vertu de la loi sous l'empire de
laquelle il a été accompli ou, au contraire, annulation d'actes valables selon les disposi-
tions qui les régissaient au moment où ils ont été faits).
Il est généralement enseigné aujourd'hui que le caractère rétroactif de la loi étran-
gère compétente doit, en principe, être respecté sous la réserve générale de l'exception
d'ordre public. La rétroactivité n'est pas comme telle contraire à l'ordre public, il y a seu-
lement lieu de vérifier si la solution particulière de droit transitoire étranger n'est pas
incompatible avec l'ordre public.
L'article 9, alinéa ier, de la Convention de La Haye du 14 mars 1978 sur la célébration et la
Ill!
reconnaissance de la validité des mariages inclut expressément la reconnaissance des mariages
LA DÉSIGNATION D'UNE RÈGLE DE RATTACHEMENT ÉTRANGÈRE 227

ayant fait l'objet d'une validation rétroactive, en assimilant au mariage« qui a été valablement con-
clu selon le droit de l'État de célébration» celui « qui devient ultérieurement valable selon ce
droit».

6.11 - Interaction d'un conflit mobile et d'un conflit transitoire - Au cas où la situa-
tion a rompu les liens qui l'unissaient au droit étranger applicable, il n'est sans doute
plus justifié d'appliquer les dispositions de ce droit postérieures à la rupture.
Les cas rencontrés dans la jurisprudence concernent la détermination du droit
applicable au régime matrimonial de personnes qui ont quitté leur pays d'origine sans
esprit de retour, le contenu de ce droit ayant changé depuis ce départ.
Ill Des décisions françaises ont écarté l'application du Code de la famille roumain du 4 janvier
1954, au régime matrimonial d'époux d'origine roumaine ayant quitté leur pays bien avant l'entrée
en vigueur de la loi nouvelle. Voy. notamment: Fort-de-France, 21 juin 1962, Braescu, Revue (1963),
724, note G. DROZ; Seine, 18 avril 1966, Cismigiu, ibid. (1967), 323, note PATARIN; et pour l'interpré-
tation de ces décisions, et d'aurres développements: F. RIGAUX, Recueil des cours, vol. 117 (1966), 404
et s.; P. GRAULICH, v 0 « Conflit de lois dans le temps», n° 5 109 et 110, Répert. Dalloz (1968);
P. COURBE, précité n ° 5.22, 236 et S.
1111 En Allemagne, il existe une jurisprudence abondante sur les réfugiés d'origine tchécoslovaque
de la région des Sudètes, mariés avant 1938 sous le régime matrimonial de leur pays d'origine et
qui n'ont pas été soumis aux dispositions du droit tchécoslovaque postérieures à leur établisse-
ment dans la République fédérale. C'est la solution donnée au conflit mobile (application de la loi
du premier domicile conjugal ou de la loi nationale au moment de la célébration du mariage, voy.
infra, n° 12.71) qui suscite la difficulté. La jurisprudence tend à pétrifier le droit étranger applicable
en l'état qu'il présentait au moment de la concrétisation du facteur de rattachement (Versteinerungs-
theorie) et à négliger ses modifications ultérieures, même si celles-ci n'ont pas un caractère rétroac-
tif, telle la modification du régime matrimonial pour l'avenir.

Une pétrification du droit applicable n'est pas toujours la meilleure solution. Il


paraît plus approprié de considérer que le facteur de rattachement normalement applica-
ble, telle la nationalité, n'exprime pas, dans de telles circonstances, un lien suffisamment
significatif avec le système étranger. Force est alors de recourir à une règle de rattache-
ment subsidiaire, propre à la matière ou, si le droit du for en est doté, inhérente à une
clause générale d'exception (voy. supra, n ° 3.11).
1111 Dans le sens proposé, voy.: Paris, 5 juillet 1990, Rev. not. belge (1991), 484, note F. BoucKAERT.
1111La pétrification conduit à priver les intéressés du bénéfice des réformes et des améliorations qui,
à la suite de l'émancipation de la femme mariée, ont été apportées au régime matrimonial légal,
tant d'après le droit de leur pays d'origine que d'après le droit du pays où ils résident actuellement
et dont ils ont parfois acquis la nationalité. C'est alors la permanence de la loi applicable au régime
matrimonial, irrévocablement fixée au moment de la conclusion du mariage, qu'il faut contester,
afin de permettre aux époux de se soumettre à un régime plus adapté au temps comme au lieu, et
dont les traits constirutifs sont empruntés à la loi du pays où ils sont actuellement établis (voy.
infra,n° 12.76).
Ainsi, la jurisprudence belge a accepté la muration du régime matrimonial de Roumains établis
définitivement en Belgique et devenus belges, par application du droit belge à la mutabilité, en
agissant sur la solurion du conflit mobile (Civ. Bruxelles, 27 mars 1996, Rev. not. belge, 1996, 338,
note C. DE BusSCHERE). La même solution a été appliquée à un Roumain et à une Hongroise mariés
en Hongrie puis établis en Italie avant de se domicilier en Belgique et d'acquérir la nationalité belge
(Gand, 26 mai 1994, Tijds. Not., 1995, 560, note K. WAUTERS-LAMBEIN et W. WAUTERS).

Toute différente est l'hypothèse d'une disposition étrangère rétroactive qui, après le
changement d'éléments de fait caractéristiques, entend saisir une situation désormais
soustraite à sa compétence.
228 LA DÉTERMINATION ET LA CONDITION DU DROIT ÉTRANGER

L'exemple classique est celui d'un décret espagnol ayant rétroactivement validé la réquisition de
1111

meubles corporels après que ceux-ci avaient été transportés en France. Sans qu'il ait à vérifier si
cette disposition est contraire à l'ordre public, le juge français doit constater que la compétence
dévolue au droit espagnol en qualité de lex rei sitae cesse de s'exercer après que les meubles ont
quitté le territoire espagnol. Voy. en France: Cass. civ., 14 mars 1939, Potasas ibericas, Revue (1939),
280 et, pour un commentaire plus approfondi, F. RIGAUX, Droit public et droit privé, § 120.
Ici aussi, les données du conflit transitoire dépendent de la solution apportée à un conflit mobile.
En matière de propriété mobilière il est généralement admis que le déplacement des meubles cor-
porels entraîne le changement du droit applicable. Dès lors, quand les meubles ont été transportés
d'un pays dans un autre, la technique de la rétroactivité de la loi ne permet pas au législateur du
premier pays de prendre à l'égard des meubles déplacés une disposition qui puisse être déclarée
applicable dans le second.

§2 LA THÉORIE DU RENVOI

6.12 - Bibliographie

Outre l'ouvrage de base de Ph. FRANCESCAKIS, La théorie du renvoi et les conflits de systèmes en droit inter-
national privé (Paris, 1958), et la bibliographie, voy.: G. BEITZKE, « Rück- und Weiterverweisung im
Internationalen Deliktsrecht? », Walter Wilburg zum 70. Geburtstag (1975), 31-39; A. BRJGGS, « In
praise and defence of renvoi», I.C.L.Q. (1998), 877-884; R. DE NovA, « Il rinvio in Froland e
Boullenois », Dir. int. (1966), 361 ; J. DERRUPPÉ, « Plaidoyer pour le renvoi», Trav. Comité fr. d.i.p.
(1964-1966), 181 ;J. FOYER,« Requiem pour le renvoi?», Trav. Comité fr. d.i.p. (1980-1981), 105-133;
0
F. FRANCESCAKIS, La théorie du renvoi en droit international privé (Paris, Sirey, 1958) ; Io., V Renvoi, Rép.
Dalloz (1968); W. GoLDSCHMIDT, « Renvoi Revisited en la jurisprudencia espanola », Rev. der. int. y
ciencas dipl. (1959), 51-60; E. GRAUE, Internationales Privatrecht, Rück- und Weiterverweisung (Berlin,
Schweitzer Verlag, 1981); R. GRAVESON,« Le renvoi dans le droit anglais acruel »,Revue (1968), 259;
P. HERZOG,« Régime matrimonial et renvoi dans deux décisions de la Cour suprême de New York»,
Revue (1968), 607 ;J.-M.JACQUET, « La fonction supranationale de la règle de conflit de lois »,Recueil
des cours, vol. 292 (2001), 147-248; W. KAssrn, Réflexions sur le renvoi en droit international privé comparé
(Bruxelles, Bruylant, 2002) ; G. KEGEL, Die Grenze von Qualifikation und Renvoi im internationalen Verfah-
rungsrecht (Opladen, 1962); Y. LEQUETTE, « Le renvoi de qualification», Mélanges Holleaux (Paris,
Litec, 1990); Io., v «Renvoi», Répert. Dalloz (1998); K. LIPSTEIN, « Unusual bedfellows - Renvoi
0

and foreign characterization joined together », Mélanges Siehr (La Haye, Asser, 2000), 405-412;
P. LOUIS-LUCAS,« Vue simplifiée du renvoi », Revue ( 1964), 1 et s. ; P. MAYER,« L'État et le droit inter-
national privé», Rev. Droits (1993), 33-44; L. MIGLIORJNO, « La questione del rinvio e le soluzioni
accolte nelle convenzioni internazionali », Riv. dir. int. priv. proc. (1996), 499-512; J. NAVARRETE, El
reenvio en el derecho internacional privado (Ed. jur. de Chile, 1969) ; P. P!CONE, « La teoria generale del
diritto internazionale privato nella legge italiana di riforma della mate ria», Riv. dir. int. (1996), 289-
364; P. REICHART, Der Renvoi im schweizerischen IPR (Zürich, Schulthess, 1996) ; A. SCHNITZER, « Der
Renvoi, Rück- und Weiterverweisung im Internationalen Privatrecht », Schweizerische Juristenzeitung
(1973), 213-219; D. E. SEIDELSON, « Americanization of Renvoi», Duquesne L.R. (1968-69), 201;
M. SoNNTAG, Der renvoi im internationalen Privatrecht(Tübingen, Mohr, 2001); E. SPIRO, « The Proper
Law of the Contract and Renvoi : Further Comments on the Amin Rasheed Shipping Case », 33
I.C.L.Q. (1984), 199-202; S. TONOLO, Il rinvio di qualificazione nei conflitti di leggi. (Milan, Giuffrè, 2003),
331 p.; A. VON MEHREN, « The Renvoi and its Relation to Various Approaches to the Choice-of-Law
Problem », Mélanges Yntema, 380 et s. ; D. WUNDERLICH, « Die versteckte Rückverweisung im Inter-
nationalen Privatrecht », Festschrift fùr Oskar Miihring (1973), 27-39.

Voy. en outre la résolution de l'Institut de droit international sur « La prise en compte du droit
international privé étranger »,Annuaire, vol. 68-II, (1999), 370,Revue (2000), 135.
LA DÉSIGNATION D'UNE RÈGLE DE RATTACHEMENT ÉTRANGÈRE 229

A. Présentation de la technique du renvoi


6.13 - Définition - Selon la technique du renvoi, la règle de rattachement du for est apte
à désigner, dans un ordre juridique étranger, non pas des règles matérielles, mais des
règles de rattachement, de manière à appliquer au cas d'espèce les règles matérielles aux-
quelles celles-ci« renvoient».
1111C'est, en France, un arrêt de la chambre des requêtes, dans une affaire Forgo, relative à la dévolu-
tion de la succession mobilière délaissée par un Bavarois en France, qui a suscité l'intérêt de la doc-
trine pour le renvoi.
Voici les principales décisions rendues dans l'affaire Forgo: Pau, 11 mars 1874, Clunet (1875), 357;
Cass. civ., 5 mai 1875, S. (1875), 1,400; Bordeaux, 24 mai 1876, S. (1877), 2, 109; Cass. civ., 24 juin
1878, S. (1878), 1, 429, D.P. (1879), 1, 56; Toulouse, 22 mai 1880, S. (1880), 2, 1111; Cass. req.,
22 février 1882, S. (1882), 1,393, note LABBÉ, D.P. (1882), 1,301.
Dans la doctrine, la note de Labbé attira l'attention sur la nouveauré du problème. L'expression
«renvoi» y apparaît comme suit:« Que si la loi du domicile du défunt repousse la compétence que
nous lui attribuons et la renvoie à la loi de la situation accidentelle des meubles ou à la loi de la rési-
dence, nous nous laisserons ramener vers cette loi qui, serait-elle la loi française, ressaisit laques-
tion et exerce un empire qu'elle abdiquait d'abord. Le juge français n'essaie pas de faire régner des
idées théoriques. Il demande une loi applicable. La détermination de cette loi est un temps incer-
taine et flottante. Qu'importe si elle se fixe et que la difficulté soit résolue ? On cherche ainsi à satis-
faire non une raison spéculative, mais une raison pratique».
Ce passage a été reproduit in extenso parce qu'il exprime une réaction« moderne» et pragmatique à
la solution du renvoi, qui contraste avec la levée de boucliers que celle-ci va susciter chez la majorité
des auteurs.
Kahn, qui reprendra l'analyse de l'arrêt Forgo quelques années plus tard, le rapprochera de déci-
sions plus anciennes, notamment un arrêt de Lübeck, relatif à l'application de l'article 13 du Code
civil demeuré en vigueur à Mayence (OAG Lübeck, 21 mars 1861, Seuffert's Archiv, 14, 107). Une
décision britannique, plus ancienne encore, également citée par Kahn, est aussi relative à un pro-
blème de détermination du domicile: il s'agissait de la succession mobilière d'une Anglaise établie
en Belgique, sans y avoir été admise par une autorisation royale (Collier v. Rivaz, 2 Curt. 855 [Eccl.
1841]).
Outre les références bibliographiques générales, voy. : PHILONENKO, « L'affaire Forgo », Clunet
(1932), 281-322, et, pour un exposé des faits de l'affaire Forgo, BATIFFOL et LAGARDE, c. rer, n ° 300.
1111En Belgique, trois semaines après le prononcé du dernier arrêt Forgo, la Cour de cassation
(9 mars 1882, Bigwood c. Scheler, Pas., 1882, I, 62) rejeta le pourvoi formé contre un arrêt de la cour
de Bruxelles qui avait appliqué le droit belge au divorce des époux Bigwood, sujets britanniques
domiciliés à Bruxelles. Pour justifier cette solution, le tribunal de première instance (Civ. Bruxelles,
19 février 1881, Pas., 1881, III, 94) avait affirmé que« le mariage des époux Bigwood ayant été célé-
bré en Belgique conformément à la loi belge et les époux ayant depuis leur mariage continué à avoir
leur domicile en Belgique, il résultait de ce qui précède que le divorce (pouvait) être poursuivi par la
demanderesse pour les causes prévues par la loi belge ». À cette motivation, la cour d'appel (Bruxel-
les, 14 mai 1881, Pas., 1881, II, 263) n'ajouta guère d'éléments.
Quant à la Cour de cassation, après avoir constaté que « loin de contrevenir à l'article 3 du Code
civil, l'arrêt en a fait l'application en tenant compte, dans l'affaire, des lois anglaises régissant lesta-
tut personnel», elle considère ensuite le choix entre la règle de conflit et les dispositions matérielles
du droit étranger comme une simple question d'application de ce droit, abandonnée à
« l'appréciation souveraine» du juge du fond. Il est douteux qu'elle se soit, en l'espèce, prononcée
sur le principe du renvoi, pour un motif qui tient à la condition procédurale du droit étranger :
selon une conception abandonnée depuis lors (voy. infra, n ° 6.46), l'assimilation du droit étranger à
des éléments de fait empêchait un contrôle de légalité à propos de l'appréciation du juge du fond.
Pour de plus amples développements sur la position de la Cour de cassation à l'égard du principe
du renvoi, voy.: F. RIGAUX, La nature du contrôle de la Cour de cassation (Bruxelles, Bruylant, 1966),
n° 230.
230 LA DÉTERMINATION ET LA CONDITION DU DROIT ÉTRANGER

6.14 - Renvoi simple, au premier ou au second degré - Sous sa forme classique, telle
qu'elle a été perçue par la jurisprudence à l'origine, la technique du renvoi vise un retour
au droit matériel du for, effectué par la règle de rattachement étrangère.
111 Ainsi, lorsque la règle du for utilise le facteur de la nationalité et que la règle étrangère utilise le
facteur du domicile, le droit matériel du for est appliqué à l'étranger domicilié sur le territoire du
for. Tel fut le cas dans l'affaire Bigwood.
Il dépend du contenu de la règle de rattachement étrangère de renvoyer au droit du
for ou à un droit étranger. Dans le second cas, la doctrine parle d'un « renvoi au second
degré».
1111Ainsi, lorsque, dans le cas précédent, l'étranger est domicilié dans un troisième État, le droit de
celui-ci est alors désigné. Il en irait de même, devant une juridiction belge, de la succession mobi-
lière d'un Français domicilié et décédé en Espagne : la règle du for désignerait le droit espagnol
comme droit du dernier domicile du défunt, mais la règle de rattachement espagnole désignerait le
droit français comme droit de la nationalité du défunt.
1111 La distinction faite entre le « renvoi au premier degré » (renvoi au sens strict) et le « renvoi au
second degré» (qui, en réalité, transfère la compétence au droit d'un État tiers) est d'une qualité
terminologique douteuse. Les expressions étrangères sont beaucoup plus correctes, qui distin-
guent, d'une part, rinvio indietro, Rückverweisung, remission, terugverwijzing (renvoi au sens strict) et,
de l'autre, rinvio altrove, Weiterverweisung, transmission, verderverwijzing (renvoi au second degré).

6.15 - Double renvoi - Le double renvoi (ou Foreign Court theory) offre une variante qui
centre le raisonnement sur la solution qu'adopterait une juridiction étrangère, celle du
pays dont le droit a été désigné par la règle de rattachement du for. Lors de l'appréciation
de cette solution, l'on tient compte de l'application que ce juge pourrait être amené à
faire de la technique du renvoi.
1111 Pour exposer ce système, pratiqué au Royaume-Uni, il suffit de présenter deux affaires soumises
en 1930 à la Chancery Division.
Dans une première espèce (in re Ross), le problème concernait la succession mobilière d'une Britan-
nique domiciliée en Italie. Parti de la règle de conflit anglaise donnant compétence à la loi du der-
nier domicile, le juge anglais applique la règle de conflit italienne qui (du point de vue du for
anglais) renvoie à la loi anglaise, loi nationale. À cette époque, la jurisprudence italienne refusait
d'appliquer le renvoi, ce qui explique que la règle italienne ait renvoyé directement au droit du for.
Devant statuer sur la légitimité de l'enfant issu d'un Britannique domicilié en Allemagne (in re
Askew), et après avoir constaté que sa règle de conflit désignait le droit allemand, droit du domicile,
la même juridiction a pris en considération les dispositions de conflit de lois de ce droit. Toutefois,
la partie du droit allemand applicable n'est pas seulement l'article 19 EGBGB qui, à l'époque, ren-
voie au droit anglais, droit de la nationalité, mais aussi l'article 27 EGBGB qui, complétant la pre-
mière disposition, enjoint au juge allemand de faire lui-même application du renvoi. Suivant sur ce
point l'indication qu'il trouve dans le système étranger, d'abord déclaré applicable en vertu de sa
règle de conflit, le juge anglais s'inspire de ce qu'aurait, à sa place, fait un juge allemand: il applique
donc l'article 19 EGBGB, qui donne compétence au droit anglais, droit de la nationalité, et
l'article 27 EGBGB, qui accepte le renvoi du droit anglais au droit allemand. Au terme de ce
« double renvoi», qui annule les effets d'un renvoi simple, le juge britannique revient au droit
matériel allemand, solution qui, pour le juge allemand, résulte d'un renvoi simple.
Voy. in re Annesley [1926] Ch. 692; in re Ross [1930] I Ch. 389; in re Askew [1930] II Ch. 259.
Dans la jurisprudence ultérieure, voy.: Re Duke of Wellington [1947] Ch. 506; [1947] 2 Ali E.R. 854
(application d'un simple renvoi, le juge anglais ayant constaté que le droit espagnol ne fait pas
application du renvoi); In the Estate ofFuld (N° 3) [1968] P. 675, [1965] 3 Ali E.R. 776 (application de
l'article 27 EGBGB).
Ill Dans la jurisprudence française, l'arrêt de Marchi, du 7 mars 1938, fait aussi application d'un
double renvoi (voy. F. RIGAUX, La théorie des qualifications en droit international privé, Bruxelles, Larcier,
1956, n° 200).
LA DÉSIGNATION D'UNE RÈGLE DE RATTACHEMENT ÉTRANGÈRE 231

6.16 - Renvoi conditionnel- Il arrive que la règle de rattachement du for limite la réfé-
rence à la règle de rattachement étrangère au cas où celle-ci prévoit un facteur de ratta-
chement déterminé. Lorsque cette condition n'est pas remplie, le droit matériel étranger
désigné par la règle du for est appliqué.
Ill Ainsi, selon l'article 7 de la directive 88/357 du 22 juin 1988 relative à l'exercice effectif de la
libre prestation de services d'assurance directe autre que l'assurance sur la vie (j.O.C.E., 1988, L 172,
voy. infra, n ° 14.92), le droit normalement applicable est celui du pays dans lequel le risque est loca-
lisé - le plus souvent le pays de la résidence habituelle du preneur-, mais les parties peuvent choi-
sir le droit d'un autre pays si un tel choix est admis par le droit du pays du risque.
L'on peut aussi donner cette qualification aux solutions qui s'attachent à concilier les facteurs
Ill!
de la nationalité et du domicile en matière de statut personnel, infra, chap. 12.

En Belgique, le Code de droit international privé montre plusieurs illustrations de


pareille modalité.
Ill Ainsi, en matière de succession immobilière, la règle de rattachement désigne le droit du pays de
situation, tout en acceptant un renvoi au droit du pays de la dernière résidence habituelle du
défunt (art. 78, § 2, al. 2).
En matière de sociétés, la désignation de la loi étrangère de l'établissement principal peut porter
sur la règle de rattachement si celle-ci utilise le critère du lieu de constitution (art. 110, al. 2).

Ce renvoi présente un « caractère substantiel » - par analogie avec des règles de rat-
tachement ayant ce caractère (voy. supra, n ° 3.58) - parce qu'il est pratiqué en fonction
du contenu même du droit désigné. Il traduit une politique législative portant sur le con-
tenu des règles de rattachement. En effet, la règle de rattachement étrangère n'est appli-
quée que si elle répond à une intention précise du législateur du for quant au droit
applicable, alors que la technique du renvoi simple n'a pas égard à une telle politique,
étant appliquée mécaniquement quel que soit le contenu de la règle étrangère de ratta-
chement. Toutefois, à la différence d'une règle de rattachement de caractère substantiel,
le renvoi conditionnel ne porte pas sur une politique de droit matériel qui prenne en
compte le contenu des règles matérielles désignées. Pour ce motif, l'expression« renvoi de
caractère substantiel » peut prêter à équivoque.

6.17 - Constantes de la technique du renvoi - Pour qu'il y ait application du renvoi au


premier ou au second degré, il faut :
- que la norme primaire de conflit de lois (celle que le juge trouve dans son propre
ordonnancement juridique) soit une règle de rattachement déclarant applicable un droit
étranger;
- que ce droit contienne une règle de conflit différente de la norme primaire
d'abord mise en œuvre par le juge saisi, (a) soit qu'elle déclare applicable le droit du for
(renvoi au 1er degré), (b) soit qu'elle transmette la compétence au droit d'un troisième
État, lequel utilise le même facteur de rattachement que le droit renvoyant (renvoi au zd
degré);
- que, pour le cas où la condition précédente est vérifiée, l'interprétation donnée à
la norme primaire de conflit consiste à préférer dans le droit déclaré applicable l'applica-
tion de la règle de conflit à celle de la règle de droit matériel interne du même ordre
juridique;
- que, dans l'hypothèse du renvoi au premier degré, la règle de conflit du droit ren-
voyant reçoive une interprétation différente, en vertu de laquelle est désignée dans le
232 LA DÉTERMINATION ET LA CONDITION DU DROIT ÉTRANGER

droit du for non plus la règle de rattachement (ce qui conduirait à un cercle vicieux) mais
une disposition de droit matériel.
La variante du double renvoi ne récuse pas les observations précédentes, mais elle y
ajoute la conception qu'a le droit international privé étranger de la technique du renvoi.
Lorsque celui-ci ignore cette technique, le raisonnement conduit au même résultat que le
renvoi simple (au premier ou au second degré, selon les cas). Lorsqu'il admet cette techni-
que, le résultat est celui qui aurait été obtenu en l'absence de toute technique de renvoi.
La variante du renvoi conditionnel ajoute aux constantes du renvoi simple une con-
dition ayant égard au contenu de la règle de conflit étrangère.

6.18 - Objectifs de la théorie du renvoi - Selon l'analyse qu'en a donnée la doctrine plus
que la jurisprudence, la théorie du renvoi est apte à poursuivre quatre objectifs.
L'objectifle plus ancien consiste à juger inconcevable l'application du droit matériel
étranger déclaré incompétent selon la règle de conflit du même pays : en désignant un
droit autre que le sien, le législateur étranger manifesterait le refus de voir appliqué son
propre droit, qui devrait être obéi au nom du respect de la souveraineté étrangère.
1111 Cet argument a été présenté par Westlake lors de travaux de l'Institut de droit international, en
1900 (Annuaire, vol. 18, 1900, 166, cité par BATIFFOL et LAGARDE, t. l", n ° 304).
Un deuxième objectif, avancé le plus largement, est la faveur de l'harmonie interna-
tionale des solutions: en suivant le renvoi opéré par le droit étranger, le juge saisi aligne
sa solution sur celle qui aurait été retenue dans l'État étranger.
Un troisième objectif, auquel la doctrine s'est résignée, concerne les avantages prati-
ques de la technique du renvoi: le renvoi au premier degré - mais non le renvoi au
second degré - permet au juge saisi d'appliquer un droit qu'il connaît mieux que le droit
étranger.
1111 Cet objectif est celui du« renvoi-expédient» que certains auteurs ont résolu de rolérer. C'est à ce
titre que s'y est rallié en France J. Maury: en appliquant les règles de droit matériel auxquelles il est
accoutumé, le juge a plus de chance d'arriver à une solution correcte. Dès 1910, la Chambre des
requêtes s'est déclarée sensible à cet argument qui sera exploité plus tard par Lerebours-Pigeon-
nière et par Niboyet.
Dans l'arrêt du 1er mars 1910 (Soulié, D.P., 1912,1, 262, Clunet, 1910, 888), la chambre des requêtes a
vu dans le renvoi un moyen d'appliquer le droit français aux étrangers domiciliés en France. Cet
avantage de l'assimilation des étrangers sera, plus tard, exploité par Niboyet (t. 1, 571 et s.; t. III,
457 et s.) et parfois explicitement avoué par la jurisprudence (Paris, 20 octobre 1951, Michaud c.
Michaut, Clunet, 1952, 188, note TAGER).
1111 Comp. la théorie ingénieuse proposée par Lerebours-Pigeonnière, d'après laquelle le droit du
for n'accepte pas le renvoi, mais s'applique à titre subsidiaire, une fois que le droit étranger a
décliné sa propre compétence (« Observations sur la question du renvoi», Clunet, 1924, 877;
LEREBOURS-PIGEONNIÈRE et LOUSSOUARN, n° 5 362-368). Cette explication a été abandonnée par LOUS-
SOUARN et BOUREL, n ° 208.
1111 Comp. l'« explication du renvoi par la notion de coordination des règles de conflits» (BATIFFOL
et LAGARDE, t. 1, n ° 304), ces auteurs étant également sensibles à l'avantage procuré par l'applica-
tion du droit matériel interne du for (ibid., n° 305).

Un quatrième objectif se distingue nettement des précédents, en liant la technique


du renvoi au contenu de la règle de rattachement du for. Le renvoi appuyerait la politique
poursuivie par cette règle chaque fois que l'objectif prépondérant est l'effectivité, à savoir
la mise en œuvre d'un effet juridique dans l'État dont le droit est désigné par la règle du
LA DÉSIGNATION D'UNE RÈGLE DE RATTACHEMENT ÉTRANGÈRE 233

for: il serait contraire à un tel objectif d'appliquer ce droit dans le cas où cet État s'y
opposerait sur son territoire.
Voy. en ce sens: BUCHER et BONOMI, n ° 422; BATIFFOL et LAGARDE, t. rer, n ° 311: « La coordina-
1111

tion des règles de conflit n'est souhaitable que si elle correspond au fondement et à l'objectif de la
règle de conflit", évoquant l'appui de l'article 4 EGBGB.
Ill!Le renvoi conditionnel peut être vu comme une règle poursuivant un tel objectif Dans le cas de
la directive concernant le contrat d'assurance, on peut estimer que le législateur communautaire a
voulu laisser un certain champ au principe d'autonomie que la règle uniforme condamne dans son
principe. En ce sens, la technique du renvoi exprime un malaise du législateur quant au contenu de
la règle de rattachement du for.
1111Une appréciation analogue peut être faite à propos de la conciliation des facteurs de la nationa-
lité et du domicile (voy. infra, n ° 6.24).

B. La technique du renvoi en droit positif


6.19 - Le renvoi selon la jurisprudence belge - Les juridictions de fond n'ont pas hésité
à pratiquer le renvoi dans les matières du statut personnel et du droit patrimonial de la
famille. L'observation est aisée à propos du renvoi au premier degré, le droit belge étant
appliqué à l'étranger dont la loi nationale désigne la loi du domicile.
1111 Voy. les cas d'application particuliers, infra, n°s 12.72, 12.97, 12.115, 12.124, 12.127, 12.152,

12.154, 12.186, 13.82, 15.12.


1111 L'utilisation de la technique a pu conduire à l'application d'une convention internationale non

en vigueur en Belgique. Voy., à propos de la Convention de La Haye du 14 mars 1978 sur la loi
applicable aux régimes matrimoniaux, ratifiée par les Pays-Bas: Civ. Gand, 31 mars 1994, T Not.
(1994), 479, note F. BoucKAERT; Civ. Termonde, 27 juin 1997, T Not. (1997), 410, note F.
BoucKAERT; Rev. gén. dr. civ. (1998), 140, note C. DE BussCHERE. Voy. également ci-dessous, l'arrêt de
la Cour de cassation du 17 octobre 2002.
Pour un cas où le juge belge a considéré la règle étrangère non pour le motif que le droit de ce
1111

pays a été désigné par la règle de rattachement belge, mais pour le motif que le droit étranger est
également intéressé au litige parce que l'acte privé a été passé sur son territoire, à propos de la
reconnaissance d'un enfant, voy.: Liège, 20 décembre 1988, ].L.M.B. (1989), 454; Civ. Liège,
20 décembre 1991, Rev. trim. dr. fam. (1992), 394; 9 janvier 1992, Rev. trim. dr. fam. (1992), 397;
comp., du même tribunal, utilisant la technique classique du renvoi simple: Civ. Liège, 2 juin 1992,
Rev. trim. dr. fam. (1992), 400.
1111Le renvoi peut jouer dans le cas où la règle étrangère utilise un facteur autre que celui du domi-
cile, par exemple la nationalité de la mère en matière de reconnaissance d'enfant (Civ. Liège, 2 juin
1992, précité), la nationalité de l'adoptant (Civ. Liège, 23 janvier 1998, Rev. trim. dr. fam., 1998, 665,
note J.-Y. CARLIER), le lieu de célébration du mariage (Bruxelles, 18 octobre 1988, ].L.M.B., 1989,
348), voire la loi nationale du mari (Civ. Anvers, 29 mars 1984, T Not., 1985, 308, note]. ERAuw).
En matière de sociétés, pour un renvoi vers la loi du pays de constitution en vertu de la règle de rat-
tachement suisse du lieu d'établissement, voy. : Anvers, 17 juin 2003, fur. Anvers (2003), 123, aux
fins de localisation du domicile au sens de l'article 5 de la Convention de Bruxelles.
Après avoir rendu plusieurs arrêts à l'interprétation malaisée, la Cour de cassation a
définitivement tranché en faveur de la technique du renvoi le 17 octobre 2002 (Echtschei-
dingsjournaal, 2003, 2, note M. TRAEST; Rev. trim. dr.fam., 2003, 341, note M. FALLON): est
confirmé l'arrêt d'appel qui a soumis une demande d'aliments entre époux divorcés à la
loi belge, dès lors que la loi étrangère de la dernière résidence conjugale renvoyait à la loi
belge, loi du divorce, en vertu de l'article 8 la Convention de La Haye du 2 octobre 1973
sur la loi applicable aux obligations alimentaires. Est ainsi consacrée la variante du ren-
voi simple au premier degré, sans limitation à l'hypothèse type d'un renvoi de la loi natio-
234 LA DÉTERMINATION ET LA CONDITION DU DROIT ÉTRANGER

nale à la loi du domicile. Reste seul indéterminé le domaine matériel d'application de la


méthode.
L'arrêt Bigwood du 9 mars 1882 ne peut être vu comme une consécration du renvoi puisqu'il
1111

repose sur une conception dépassée de la condition procédurale du droit étranger (voy. supra,
n° 6.13).
L'arrêt Bigwood II, du 14 décembre 1978 (Pas., 1979, I, 445, infra, n ° 12.97), relatif au divorce
1111

d'un couple italo-britannique, pratique le renvoi pour le statut du Britannique, alors soumis au
droit belge, mais omet toute allusion à la règle de conflit étrangère pour le statut de l'italienne,
alors que cette règle désignait à l'époque la loi nationale du mari : le renvoi aurait conduit à dési-
gner le droit anglais, lequel renvoyait à son tour au droit belge (hypothèse rare d'un renvoi au
second degré à double détente).
1111L'arrêt]osi II, du 30 octobre 1981 (Pas., 1982, I, 306, infra, n ° 15.11), concernant une action en
responsabilité civile entre Belges pour un accident survenu en Allemagne, semble exclure le renvoi
en la matière tout en formulant cette condamnation par une référence implicite au double renvoi:
alors que la cour d'appel avait appliqué le droit belge au titre de loi nationale commune des parties,
comme règle qu'auraient appliquée les tribunaux allemands, la Cour de cassation exige l'applica-
tion du droit allemand désigné par la règle de rattachement du for, qui ne souffre pas de déroga-
tion par le fait que dans un cas comme celui de l'espèce« les tribunaux allemands appliqueraient la
loi allemande ». Alors que la cour d'appel avait appliqué, sous une formulation maladroite, un ren-
voi simple au premier degré, la Cour de cassation rejette cette solution mais par une formulation
qui n'a de sens que comme une référence au double renvoi. En effet, dans le cas d'espèce, les tribu-
naux allemands auraient effectivement appliqué le droit allemand par l'effet d'un renvoi de la règle
de rattachement belge. Or, la technique du double renvoi centre le raisonnement sur celui
qu'aurait suivi le juge étranger s'il avait été saisi.
Cette position de la Cour de cassation en matière de responsabilité civile se heurte à une tendance
des juges du fond à admettre la théorie du renvoi. Voy. notamment: Anvers, 27 octobre 1999, Rev.
gén. dr. civ. (2002), 629, note]. VERLINDEN.
Ill L'arrêt du 4 novembre 1993 (Pas., 1993, I, 921), relatif à l'adoption d'un Américain originaire du
Delaware, pratique un renvoi simple au premier degré. L'arrêt utilise sans ambages une formula-
tion typique du renvoi. Cependant, malgré l'ampleur de sa formulation, la portée de l'arrêt ne sau-
rait être étendue au delà des éléments de l'espèce, qui concernaient un conflit interne de lois (voy.
infra, n° 12.127).

6.20 - Le renvoi selon les codifications nationales - En droit comparé, la position sur le
renvoi est partagée, reflet des hésitations de la doctrine à ce propos.
Plusieurs codifications récentes se prononcent en faveur du renvoi comme principe,
tout en l'excluant en matière de contrats, en raison du contenu de la règle de rattache-
ment, qui consacre l'autonomie de la volonté des parties.
Ill!En Autriche, la consécration du renvoi est absolue (§ 5 LDIP). Dans plusieurs pays, elle est limi-
tée au renvoi au premier degré (art. 12, § 2, C. civ. espagnol; art. 2, al. 3, LDIP turque; § 4, LDIP
hongroise; art. 6, 2, LDIP yougoslave). En Italie, elle vaut pour le renvoi au premier degré ainsi que
lorsque le droit d'un État « accepte ce renvoi » par la règle étrangère, mais elle connaît certaines
nuances: elle ne vaut pas lorsque le droit étranger est désigné en vertu de l'autonomie de la
volonté, ni à propos de la forme des actes ni en matière de responsabilité civile. En matière de filia-
tion, le législateur consacre un renvoi conditionnel, le renvoi n'ayant lieu que s'il favorise l'établis-
sement de la filiation (art. 13 LDIP).
1111 L'exclusion du renvoi en matière de contrats a du sens lorsque le droit étranger a été désigné en
vertu du choix opéré par les parties, étant alors entendu que ce choix ne porte raisonnablement que
sur des règles matérielles, non sur des règles de rattachement. Lorsque le rattachement subsidiaire
se détache de toute recherche de volonté hypothétique pour retenir une localisation objective du
contrat, cet argument n'est pas fondé, mais la solution peut alors se prévaloir du principe de proxi-
mité. La Convention de Rome du 19 juin 1980 exclut le renvoi (voy. ci-dessous, n ° 6.21).
LA DÉSIGNATION D'UNE RÈGLE DE RATTACHEMENT ÉTRANGÈRE 235

D'autres codifications confinent le renvoi à des matières particulières. Il en est


notamment ainsi en droit belge.
Ill Selon l'article 16 du Code belge de droit international privé, le renvoi est exclu en principe, mais
c'est sous réserve de dispositions particulières. Celles-ci concernent la capacité générale, les succes-
sions immobilières et le droit des sociétés. Dans le premier cas (art. 34, al. 2), le renvoi au premier
degré est seul admis. Dans les autres cas, le renvoi est retenu sous une forme conditionnelle. En
matière successorale, est accepté un renvoi de la loi du lieu de situation vers la loi de la dernière
résidence habituelle du défunt (art. 78, § 2) : celle-ci régit la partie mobilière de la succession, de
sorte que le renvoi permet de réaliser une unicité de la loi applicable. En matière de sociétés, le ren-
voi permet de désigner la loi de l'État en vertu de laquelle la société a été constituée, alors que le fac-
teur de rattachement de base est l'établissement principal de la société (art. 110, al. 2) : la méthode
peut donner lieu à un renvoi au second degré et reflète le souci de privilégier l'effectivité du ratta-
chement de la personne morale au système juridique désigné. Il aurait été peu efficace de soumettre
au droit anglais une société ayant son établissement principal en Angleterre alors que, ayant été
constituée valablement aux Pays-Bas, le droit anglais la tient pour relevant du droit néerlandais.
La forme conditionnelle retenue par le Code s'attache au résultat de la désignation opérée en vertu
du droit étranger, non à la formulation du facteur de rattachement pertinent : ce procédé, qui a été
inséré au cours des travaux parlementaires, est exprimé plus nettement pour la matière successo-
rale que pour le droit des sociétés.
Ill!En Allemagne, l'article 4 EGBGB admet le renvoi« pour autant [que les règles de conflit étran-
gères] n'aillent pas à l'encontre du sens de la règle de conflit allemande», tout en ajoutant que
« Lorsque la loi [étrangère] renvoie à la loi allemande, les règles de droit interne allemandes doivent
être appliquées». Il exclut le renvoi en cas de choix du droit applicable par les parties.
Ill!En Suisse, le renvoi au premier degré est admis« en matière d'état civil» (art. 14 LDIP). Le ren-
voi au premier et au second degré est également admis, par des règles spéciales, en matière de nom
(art. 37), de succession (art. 91) et pour la forme de certains contrats (art. 119).
L'exclusion catégorique du renvoi paraît exceptionnelle.
Voy. l'article 32 du Code civil grec et, avant la réforme de 1995, l'article 30 des dispositions préli-
Ill!
minaires du Code civil italien. Il en va de même de la loi russe du 26 novembre 2001.

6.21 - Le renvoi selon les actes internationaux - La plupart des conventions de La Haye
écartent expressément l'application du renvoi.
Ill La formulation de l'exclusion a évolué. Dans un premier temps, elle résultait implicitement de
la désignation, par la règle de rattachement, de « la loi interne». Par exemple, cette formule appa-
raît dans les articles 2 à 4 de la Convention du 15 juin 1955 sur la loi applicable aux ventes à carac-
tère international d'objets mobiliers corporels, dans l'article 1er de la Convention du 5 octobre
1961 sur les conflits de lois en matière de forme des dispositions testamentaires ainsi que dans les
articles 3, 4 et 6 de la Convention du 14 mars 1978 sur la loi applicable aux régimes matrimoniaux.
L'expression « loi interne» n'est pas satisfaisante pour désigner le droit matériel à l'exclusion des
règles de conflit de lois, alors que, selon la terminologie usuelle, elle signifie plutôt, soit le droit éta-
tique mis en relation avec le droit international, soit le droit du for par opposition au droit étran-
ger (voy. supra, n ° 1.24), mais jamais une subdivision du droit déclaré applicable.
Ill Depuis la Convention du 1cr juillet 1985 sur la loi applicable au trust et à sa reconnaissance, les
dispositions sur la loi applicable utilisent le mot «loi», la portée de ce concept étant précisée
comme suit: « Au sens de la convention, le terme« loi » désigne les règles de droit en vigueur dans
un État à l'exclusion des règles de conflit de lois» (art. 17). Cette formulation s'inspire de la Con-
vention de Rome du 19 juin 1980 sur la loi applicable aux obligations contractuelles, dont
l'article 15 précise que les règles de droit en vigueur dans le pays dont la loi est déclarée applicable
doivent s'entendre« à l'exclusion des règles de droit international privé ».
Il est exceptionnel qu'une convention prévoie expressément l'application du renvoi.
Ill On peut citer en ce sens une disposition commune à l'article 2 de la Convention de Genève du
7 juin 1930 destinée à régler certains conflits de lois en matière de lettres de change et de billets à
236 lA DÉTERMINATION ET LA CONDITION DU DROIT ÉTRANGER

ordre, et à l'article 2 de la Convention de Genève du 19 mars 1931 destinée à régler certains conflits
de lois en matière de chèques (voy. infra, n ° 14.142). Aux termes de la deuxième phrase de l'alinéa
ier de chacun de ces deux articles, si la loi nationale de la personne qui s'engage « déclare compé-
tente la loi d'un autre pays, cette dernière loi est appliquée». Cette formule large inclut le renvoi au
second degré.
11111 Une application intéressante du renvoi apparaît dans l'article 43, alinéa 1er, de la Convention de
Washington du 18 mars 1965, pour le règlement des différends relatifs aux investissements entre
États et ressortissants d'autres États (voy. infra, n ° 14.24). Selon cette disposition,« Le tribunal sta-
tue sur les différends conformément aux règles de droit adoptées par les parties. Faute d'accord
entre les parties, le tribunal applique le droit de l'État contractant partie au différend - y compris
les règles relatives aux conflits de lois - ainsi que les principes de droit international en la
matière».

La Conférence de La Haye a développé une technique d'admission particulière du


renvoi, lorsque l'ensemble des ordre juridiques concernés convergent vers la désignation
du même droit.
1111Sur la Convention de La Haye du 15 juin 1955 pour régler les conflits entre la loi nationale et la
loi du domicile, voy. ci-dessous, n ° 6.24.
La Convention de La Haye du 1n août 1989 sur la loi applicable aux successions à cause de mort
1111

(non en vigueur) admet le renvoi lorsque le droit étranger désigne la loi d'un État qui serait égale-
ment désignée par la règle de conflit de cet État (art. 4). Cette approche vise à faire céder la règle du
for devant une convergence des solutions selon les droits des pays avec lesquels la situation pré-
sente les liens les plus étroits. Elle appelle à cet égard l'analogie avec la fonction d'une clause
d'exception.
Ce procédé a été repris dans la Convention de La Haye du 19 octobre 1996 sur la protection des
enfants (art. 21, § 2).

En droit communautaire, on trouve une exclusion ponctuelle de la technique du


renvoi à l'occasion du contrat de garantie financière. En effet, la directive 2002/47 du
6 juin 2002 (J.O.C.E., 2002, L 168) « désigne le droit interne [du pays où le compte perti-
nent est situé], nonobstant toute règle stipulant que la question considérée doit être
tranchée selon la loi d'un autre pays. » (art. 9, § 1er).

6.22 - La condition procédurale du renvoi - Une chose est d'admettre la technique du


renvoi, autre chose de déterminer quelles sont les conditions de mise en œuvre de cette
technique par le juge.
Une première question est de savoir si le moyen doit être soulevé d'office et, dans
l'affirmative, si le juge dispose d'une liberté d'appréciation en fonction de l'espèce. La
réponse dépend de la conception qui prévaut dans le système du for au sujet de la nature
de la technique du renvoi.
Il Si le moyen est perçu comme un incident concernant le contenu du droit étranger, dont il con-
viendrait de respecter la volonté d'application, la condition procédurale du renvoi doit être alignée
sur celle du droit étranger (voy. infra, n° 5 6.46 et s .. ). En revanche, si la technique du renvoi est vue
comme un élément inhérent à la nature même de la règle de rattachement du for (voy. infra,
n° 6.26), sa condition procédurale suit celle de cette règle (voy. infra, n° 6.52).
1111Savoir si le juge dispose d'une liberté d'appréciation dans l'utilisation du renvoi dépend de
l'objectif que le système du for assigne à cette technique. Une telle liberté ne paraît concevable que
si cet objectif est celui d'un expédient permettant de désigner le droit dont l'application est la plus
aisée au regard des éléments de l'espèce (voy. infra, n° 6.25).

En Belgique, la Cour de cassation a eu soin de préciser, dans l'arrêt précité du


17 octobre 2002 (voy. supra, n ° 6.19), qu'en l'espèce, « à supposer qu'elle eût fait applica-
lA DÉSIGNATION D'UNE RÈGLE DE RATTACHEMENT ÉTRANGÈRE 237

tion de la loi [étrangère], la cour d'appel eût dû constater que cette loi renvoyait à la loi
du divorce».
IllEn France, dans le même sens, voy.: Cass. civ. (F' ch.), 21 mars 2000, Ballestrero, Revue (2000),
399, note B. ANCEL.
Autre est la question de l'interprétation de la règle étrangère de rattachement. Elle
relève de la condition de cette règle comme une partie intégrante du droit étranger et, à ce
titre, suit la condition de ce droit. Il en découle que le facteur de rattachement utilisé par
la règle étrangère se définit selon le droit étranger.
1111 Ainsi, savoir comment interpréter le « domicile » lorsque cet élément est retenu par le droit du
Royaume-Uni, dépend de ce droit (voy. supra, n ° 5.65). Pour une interprétation exemplaire du domi-
cil oforigin du droit anglais, voy. : Bruxelles, 1er juin 1982, Rev. trim. dr. fam. (1983), 173, note H. WYC-
KAERT.
1111 Une détermination de la condition procédurale du droit étranger applicable selon les principes
que prévoit le droit international privé désigné par le droit du for, est dans la logique du renvoi.
Pourtant, en France, la Cour de cassation s'y est refusée (Cass. civ., 11 juin 1996, Agora Sopha, Revue,
1997, 65, note P. LAGARDE): il est indifférent que le juge étranger établisse d'office le contenu du
droit étranger. La solution qui procéderait de cette logique, à savoir que l'office du juge saisi varie-
rait selon le système juridique auquel est empruntée la règle de conflit renvoyante, est sans aucun
doute singulière (LAGARDE, précité, p. 68). Cette critique fondée met plutôt l'accent sur une fai-
blesse de la théorie même du renvoi (voy. infra, n ° 6.26).
Enfin, savoir si le renvoi porte aussi sur la qualification d'une institution juridique,
dépend de la conception du droit international privé du for sur la « théorie des
qualifications».
Pour une présentation du « renvoi de qualifications », voy. : Y. LEQUEITE, « Le renvoi de
1111

qualifications», Mélanges D. Holleaux, 249-262. Pour une application en France, voy. : Paris, 3 mars
1994, Mobil, Revue (1994), 533, note B. ANCEL, ].C.P. (1995), II, 22367, note H. MuIR WATT, D.S.
(1994), Somm., 355, note B. AUDIT, admettant dans son principe - sauf si les parties ont choisi le
droit applicable - une qualification procédurale de la prescription selon le droit anglais applicable
au contrat.
Cette forme de renvoi ne se distingue pas de la théorie de la « qualification lege causae » et appelle,
par conséquent, la même critique (voy. infra, n ° 7.12).

6.23 - Le renvoi et le conflit de juridictions - L'interaction du renvoi et du conflit de


juridictions peut s'analyser à deux niveaux. D'un côté, il faut exclure toute possibilité
d'utiliser la technique pour la détermination de la compétence juridictionnelle. D'un
autre côté, il arrive que, lors de la mise en œuvre de la technique du renvoi, le juge appli-
que, dans le droit étranger, une règle de conflit de juridictions.
Ill Sur l'application du renvoi dans la matière des conflits de juridictions, voy. notamment: FRAN-
CESCAKIS, précité n ° 6.12, n ° 264 et S. ; FRAGISTAS, Recueil des cours, vol. 104 ( 1961), 190-192.
La technique du renvoi n'a aucune place à prendre lors de la détermination de la
compétence juridictionnelle du tribunal saisi. En effet, aucune règle de compétence juri-
dictionnelle internationale ne saurait jamais désigner un tribunal étranger, en mesure de
« renvoyer » cette compétence. À la différence de la règle de conflit de lois qui peut
donner compétence à un droit étranger, la règle de compétence juridictionnelle limite
nécessairement ses effets à la délimitation de la compétence internationale des organes
nationaux (voy. supra, n ° 1.32). Un chaînon essentiel à la mécanique du renvoi fait ici
défaut.
1111Comp. un motif surabondant d'un arrêt de la cour de Bruxelles (26 janvier 1961, Pas., 1962, II,
104) donnant à entendre, en matière de divorce, que l'incompétence d'un tribunal étranger pour-
238 LA DÉTERMINATION ET LA CONDITION DU DROIT ÉTRANGER

rait avoir pour effet de proroger la compétence du tribunal belge qui, à défaut d'accepter cette pro-
rogation, créerait « une sorte de déni de justice». Pareil raisonnement est vicié s'il signifie que le
juge saisi est désigné au moyen du critère de compétence prévu par le droit étranger. Il est accepta-
ble s'il consiste à compléter les règles de compétence internationale d'un for de nécessité (voy. infra,
n ° 9.15).

Savoir si la règle de rattachement du for est apte à désigner, dans le droit étranger,
une règle de compétence internationale, doit recevoir une réponse négative, pour deux
types de motifs. D'abord, le procédé est inconciliable avec la nature de la règle de compé-
tence internationale, pour le motif évoqué ci-dessus : pas davantage qu'une règle du for
ne pourrait attribuer compétence à une juridiction étrangère, aucune règle étrangère ne
saurait le faire à propos d'une juridiction nationale. Ensuite, lorsque la règle de compé-
tence internationale est de caractère alternatif, comme c'est normalement le cas (voy.
infra, n ° 9.7), celle-ci est impuissante à identifier le droit applicable avec toute la précision
reqmse.
1111 L'application d'une règle de compétence du droit étranger est pourtant observée en cas de
« renvoi latent»(« hidden renvoi», selon E. ScoLES, P. HAY, P. BoRCHERS et S. SYMEONIDES, Conflictof
laws, St Paul Minn., West Pub!., 2004, § 3.14, note 4), ou « versteckte Rückverweisung » selon
J. KROPHOLLER, Internationales Privatrecht, Tübingen, Mohr, 2001 § 25): chaque fois que le juge
étranger compétent aurait appliqué sa propre loi, on peut voir dans la règle de compétence étran-
gère la formulation indirecte d'une règle de rattachement.
L'utilisation du renvoi latent est constante dans la jurisprudence, singulièrement à propos du
divorce de Britanniques domiciliés en Belgique. Il est cependant douteux que cette caractéristique
du droit international privé du Royaume-Uni ait été aperçue. Il en va de même de l'arrêt de la Cour
de cassation du 4 novembre 1993, concernant l'adoption d'un Américain originaire du Delaware
(voy. infra, n° 12.127).

Toute autre est la question de savoir si la règle de rattachement du for est apte à
désigner, dans le droit international privé étranger, une règle sur la reconnaissance des
décisions étrangères : chaque fois du moins que le juge saisi identifie dans le droit étran-
ger, au lieu d'une règle de conflit de lois, une règle de compétence indirecte permettant
d'assurer la reconnai_ssance de la décision à intervenir, la prise en considération de cette
règle est de nature à assurer efficacement une harmonie internationale des solutions.
Ili!En Belgique, la Cour de cassation (29 novembre 1994, Roch, Pas., 1994, I, 778; Rev. trim. dr. fam.,
1994, 517, note M. FALLON,j.L.M.B., 1995, 516, note M. LIÉNARD-LIGNY, R W., 1994-1995, 1330, note
J. MEEUSEN, T Not., 1995, 363, note K. WAUTERS-LAMBEIN) a refusé nettement cette méthode de
raisonnement: elle a cassé la décision qui avait admis le divorce d'un Irlandais que la règle de ratta-
chement du for soumettait au droit irlandais, après avoir constaté que le jugement rendu en ce sens
serait reconnu en Irlande dès lors qu'il aurait été prononcé dans le pays du domicile. Pour l'utilisa-
tion de cette méthode en matière d'adoption, voy.: Bruxelles, 2 avril 1980, Pas. (1980), II, 79, Rev.
trim. dr.fam. (1981), 169, note K. LENAERTS; Civ. Bruges, 7 juin 1994, T Not. (1994), 457.

C. Évaluation de la technique du renvoi


6.24 - Le renvoi au regard de l'objectif d'harmonie internationale des solu-
tions - L'objectif traditionnel de l'harmonie internationale des solutions ne résiste guère
à l'analyse, si ce n'est à propos du renvoi au second degré.
L'application généralisée du renvoi au premier degré ne favorise pas l'harmonie des
solutions, puisqu'elle conduit à ce que tant dans l'État du for (par exemple l'État de la
nationalité) que dans l'État étranger (par exemple l'État du domicile) la situation (par
exemple le statut de la personne) relève du droit matériel du for. L'harmonie n'est
LA DÉSIGNATION D'UNE RÈGLE DE RATTACHEMENT ÉTRANGÈRE 239

atteinte que si, soit dans l'État de la nationalité, soit dans l'État du domicile, le juge
applique sans renvoi le droit désigné par la norme primaire de droit international privé
tandis que, dans l'autre État, il est arrivé à la même solution par l'effet du renvoi.
En cas de renvoi au second degré, l'harmonie des solutions peut être atteinte puis-
que les pays rattachant le statut personnel soit à la loi nationale, soit à la loi du domicile,
préfèrent à leur propre solution de rattachement la solution vers laquelle convergent res-
pectivement les normes primaires du pays de la nationalité et celles du pays du domicile.
Cependant, un résultat identique peut être obtenu au moyen d'une autre technique, celle
du respect des droits acquis à l'étranger (voy. infra, n ° 6.38).
Il J. MAURY (548-549) approuve le renvoi au second degré « lorsque le droit qui renvoie et celui
auquel il est renvoyé sont d'accord sur la compétence de celui-ci : on a alors la certitude d'une har-
monie juridique qui, pour n'être pas forcément absolue, n'en a pas moins une grande valeur
pratique"·
Maury s'est référé à un exemple imaginé par Raape et que celui-ci opposait tel un « rocher de
bronze " aux adversaires du renvoi : un homme épouse sa nièce à Moscou, lieu de leur domicile ;
tous deux sont suisses. Le mariage est valable d'après le droit russe déclaré compétent, et par la
règle de conflit soviétique, et par la règle de conflit suisse. Il serait injuste, estime Raape, qu'un tri-
bunal allemand saisi ultérieurement d'une action en nullité de ce mariage, y applique, conformé-
ment à son propre système de conflit de lois, l'article 100 du Code civil suisse qui établit un
empêchement de mariage entre l'oncle et la nièce, alors que le droit du pays dont les époux ont la
nationalité décline sa propre compétence et concorde sur ce point avec le droit du pays où ils ont
leur domicile au moment de la célébration du mariage.
Sur le« rocher de bronze" de Raape, voy. cet auteur, Recueil des cours, vol. 50 (1934), 413; BATIFFOL
et LAGARDE, t. !, n ° 307; LEWALD, 59-60 ; MAURY, 548. Voy. aussi infra, n ° 6.40.
C'est à Meijers que revient le mérite, non seulement d'avoir fait sortir la doctrine du renvoi des
iill
arguties logiques où la majorité des auteurs voulaient l'enfermer, mais encore d'avoir inspiré la
Convention de La Haye du 15 juin 1955 pour régler les conflits entre la loi nationale et la loi du
domicile, Convention non en vigueur mais ratifiée par la Belgique (loi du 11 avril 1962, Monit.,
26 octobre 1966). Cette Convention résout explicitement le conflit par une règle proche du renvoi
au second degré. Quand l'État dont une personne a la nationalité et le pays sur le territoire duquel
elle est domiciliée s'accordent l'un et l'autre à rattacher le statut personnel, soit à la loi nationale,
soit à la loi du domicile, pareille convergence doit être universellement respectée. L'harmonie est,
dans cette hypothèse, aisément atteinte; elle exige de l'État du for qu'il sacrifie sa propre solution
de conflit à celle des deux États les plus intéressés à régler le statut personnel.
Par exemple, un Anglais domicilié au Danemark, pays qui, comme le Royaume-Uni, rattache lesta-
tut personnel à la loi du domicile, est soumis à cette loi, même dans des États qui, tels la Belgique,
la France ou l'Allemagne, rattachent le statut personnel à la loi nationale (Conv. du 15 juin 1955,
art. 2). Inversement, un tribunal britannique ou danois soumettra des Français domiciliés en Belgi-
que ou en Allemagne à leur loi nationale (Conv. du 15 juin 1955, art. 3).
Cette solution est logiquement impeccable. Sa supériorité sur l'application inconditionnelle de la
règle de conflit du for sans renvoi avait déjà été soulignée par Raape, suivi de Maury et de Lewald.
L'exemple imaginaire de Raape est, en effet, identique à l'hypothèse prévue par l'article 2 de la Con-
vention du 15 juin 1955.
Meijers a le plus clairement exposé sa solution dans un article intitulé « Het vraagstuk der
Herverwijzing ", Weekblad voor Privaatrecht, Notaris-ambt en Regzstratie (1938), n° 5 3555-3558, repro-
duits dans Verzamelde Privaatrechtelijke Opstellen (1955), t. 11, 366-399, et publié en français dans le
Bulletin de l'Institut juridique international (1938), 191-231.
Sur la Convention du 15 juin 1955, voy. notamment: Actes et documents de la 7e session de la Confé-
rence de La Haye, 1951; FRANCESCAKIS, précité n° 6.12, n')S 183-190; ID., « La convention de La
Haye[ ... ]», Trav. Comité fr. d.i.p. (1958-1959), 151-174; MULDER, « Enkele opmerkingen [... ]»,Mélan-
ges Kollewijn-Ojferhaus, 340-348.
Comp. les travaux de l'Institut de droit international, ayant abouti à une résolution sur« La dualité
des principes de nationalité et de domicile en droit international privé » (session du Caire,
240 LA DÉTERMINATION ET LA CONDITION DU DROIT ÉTRANGER

Annuaire, 1987, vol. 1962-II, 290) : outre une recommandation à admettre une option de droit (sur
cette notion, voy. supra, n ° 3.22) en matière de régimes matrimoniaux, de successions et d'effets
personnels du mariage, le texte consacre le concept del'« échelle de Kegel » (supra, n° 3.19).
L'Institut s'est encore prononcé sur « La prise en compte du droit international privé étranger»
lors de sa session de Berlin, en 1999 (Annuaire, 1999, vol. 68-II, 370). Sur la base d'impératifs de jus-
tice, de sécurité juridique, d'efficacité, d'uniformité et de respect des attentes des parties, il estime
ne pas devoir écarter systématiquement le renvoi et pouvoir l'admettre pour un objectif distinct de
l'harmonie internationale des solutions, essentiellement un objectif de sécurité juridique. Il
approuve ainsi la technique, princip;,1ement, lorsqu'elle permet d'assurer la validité ou l'efficacité
d'un acte juridique.
Le double renvoi, quant à lui, permet de favoriser l'harmonie juridique, soit que le
juge anglais applique le renvoi simple quand l'autre pays intéressé prohibe cette solution,
soit que, grâce au double renvoi, il efface, en présence d'un pays qui pratique le renvoi
simple, la distorsion liée à la généralisation de cette solution. Mais ce procédé ne force
pas seulement à un exercice de virtuosité. Il conduit encore, comme le renvoi au premier
degré, à un cercle vicieux inextricable si les deux États intéressés s'avisaient de pratiquer
le double renvoi.
Sur l'argument du cercle vicieux provoqué par le double renvoi, voy.: DICEY-MORRJS, The conflict
1111
ofLaws (1973), chap. 6, citant l'avis du Private International Law Committee: « The English judges and
the foreign judges would then continue to bow to each other like the officers at Fontenoy».
La doctrine anglaise semble avoir suivi une évolution inverse de celle de la doctrine française : alors
que l'auteur à son époque le plus influent, Dicey, y était favorable (voy. encore DICEY-MORRIS, The
Conflict of Laws, 1973, chap. 6), les ouvrages plus récents y paraissent hostiles. Voy. notamment:
CHESHIRE & NORTH, chap. 5; MORRIS, The conflict of laws (London, Sweet & Maxwell, 2000), 515 ;
comp. l'opinion plus nuancée de GRAVESON, « The Fuld case», 15 I.C.L.Q. (1966), 937-946. Ces
auteurs qui rattachent le double or total renvoi à la Foreign Court theory y opposent le simple or partial
renvoi, tel qu'il est pratiqué en Allemagne ou en France.
IllComp. BATIFFOL et LAGARDE, t. I, n ° 309, qui, après avoir constaté le cercle vicieux, admettent le
mérite d'une théorie qui conduit à identifier l'ordre juridique compétent au cas où la compétence
du juge saisi repose sur un for exorbitant. Ce mérite peut cependant être obtenu par une méthode
distincte, qui cherche à déterminer l'ordre juridique compétent au moyen d'une règle de conflit de
systèmes (voy. infra, n ° 6.42).
L'objectif d'harmonie internationale des solutions ne se révèle pas seulement illu-
soire dans la pratique. Il néglige, au demeurant, l'interaction du renvoi et de la probléma-
tique de la reconnaissance des décisions étrangères. De fait, la technique a pu être
imaginée à une époque où une telle reconnaissance faisait difficulté : la non-reconnais-
sance à l'étranger ne présentait pas d'inconvénient majeur dès lors que le juge d'origine et
le juge requis parviendraient à la même solution quant au conflit de lois grâce au renvoi
(F. RrGAUX, Recueil des cours, vol. 213, 1989, I, 149 ; BUCHER et BoNOMI, n ° 419).
L'harmonie internationale est mieux atteinte par d'autres techniques que celle du
renvoi.
L'une est mieux à même d'assurer l'effectivité des solutions, cherchant à assurer la
reconnaissance du jugement à l'étranger.
L'autre, plus radicale puisqu'elle agit sur le contenu de la règle de rattachement du
for, tend à un accord entre les États intéressés au moyen d'un traité international.
IllAinsi, dans l'hypothèse classique du renvoi au premier degré, la Convention de La Haye du
15 juin 1955, inspirée des travaux de Meijers, prévoit que: « Tout État contractant appliquera les
dispositions du droit interne de la loi du domicile ». En réalité, la solution tranche le conflit par
une préférence pour le principe du domicile sur celui de la nationalité.
LA DÉSIGNATION D'UNE RÈGLE DE RATTACHEMENT ÉTRANGÈRE 241

6.25 - Le renvoi au regard de l'objectif de facilité - La facilité, pour le juge, d'appliquer


son propre droit matériel, ne procure sans doute qu'un avantage apparent car il est com-
pensé par la difficulté d'appliquer la règle de conflit étrangère.
1111 Sur cette question, voy. notamment: AGo, 416-419; LEWALD, 60-61; MAURY, 539-541; G. VAN
HECKE et F. RIGAUX, Rev. crit. jur. belge (1961), 358-359, 379.
De fait, la pratique du renvoi manifeste des difficultés lors de l'application de la
règle étrangère. Il en est ainsi en cas de renvoi latent (voy. supra, n ° 6.23). Il arrive aussi
que cette règle prenne le contre-pied de la règle du for, préconisant un rattachement qui a
été abrogé dans l'État du for ou qui y a été explicitement nié.
Ill Comme cas d'application d'une règle de rattachement obsolète et, probablement, inopposable
pour contrariété à l'ordre public du for, voy.: Civ. Anvers, 29 mars 1984, T Not. (1985), 308, note).
ERAuw, n'hésitant pas à appliquer la règle de rattachement japonaise donnant compétence à la loi
nationale du mari en matière de régime matrimonial (sur ce facteur, voy. infra, n ° 12.72).
1111 Comme cas d'application d'une règle étrangère utilisant un facteur peu compatible avec une
position de principe adoptée dans le système du for, voy.: Bruxelles, 18 octobre 1988, J.L.M.B.
(1989), 348, acceptant, pour statuer sur la validité du mariage quant au fond, le renvoi au droit
belge effectué par le biais d'une règle de rattachement chinoise prenant pour critère le lieu de célé-
bration du mariage; Mons, 7 novembre 1994,].L.M.B. (1996), 286, soumettant au droit belge du
domicile la question de l'annulation d'une caution pour un motif pris de l'atteinte aux intérêts de
la famille (arc. 224 C. civ.), par un renvoi effectué en vertu du droit anglais de la nationalité : ce rai-
sonnement aboutit au même résultat qu'une qualification de la disposition en cause comme une
loi de police, solution rejetée par la Cour de cassation (voy. infra, n ° 12.61).

6.26 - Le renvoi au regard de la nature de la règle de rattachement - La technique du


renvoi, telle qu'elle est pratiquée, ne s'évade d'un cercle vicieux que par une divergence
d'interprétation entre les fonctions respectives de la règle étrangère de rattachement et de
la règle du for correspondante. En effet, la règle de conflit de la loi renvoyante est inter-
prétée comme désignant le droit matériel du for, alors que la norme primaire a désigné la
règle de conflit du droit étranger à l'exclusion de ses règles de droit matériel.
1111 La doctrine de langue allemande a évoqué à ce propos un Gesamtverweisung. Voy. : NEUHAUS,
§ 35 ; A. ScHNITZER, Handbuch des internationalen Privatrechts (Bâle, 1957), vol. II, 206 et s. Comp. :
KEGEL et ScHURJG, Internationales Privatrecht (Münich, Beck, 2000), 338, y préférant le terme IPR-
Verweisung.
Ill La divergence d'interprétation apparaît aussi à propos de la condition procédurale du droit
étranger chaque fois que le juge saisi refuse de se référer à la condition procédurale établie par le
système étranger de droit international privé (voy. supra, n ° 6.22).
Cet illogisme se double d'un autre, puisque l'harmonie juridique n'est atteinte que
s'il est fait application du renvoi dans un État mais non dans l'autre. La théorie du renvoi
est donc impuissante à mériter la vocation universelle que revendique toute théorie con-
ceptuelle.
1111 Cette seconde accusation d'illogisme tombe à faux à propos du renvoi au second degré, chaque
fois du moins que le conflit entre les États en présence se limite à une confrontation entre loi natio-
nale et loi du domicile (voy. supra, n ° 6.24).
Qu'elle se fonde sur un objectif d'harmonie internationale ou de respect de la souve-
raineté étrangère, la technique du renvoi reste en deçà de ses ambitions tant qu'elle ne
prend pas en compte l'ensemble des éléments constitutifs du droit international privé
étranger, notamment la condition procédurale du droit étranger ou l'exception d'ordre
public. La difficulté d'accepter une telle prise en compte suggère une incompatibilité de
la technique du renvoi avec la nature même de la règle de conflit de lois.
242 LA DÉTERMINATION ET LA CONDITION DU DROIT ÉTRANGER

Qu'elle soit règle de rattachement ou règle d'applicabilité, la norme primaire de


droit international privé oblige le juge plutôt que le particulier : son domaine spatial
s'analyse en termes de force obligatoire plutôt que d'applicabilité (voy. supra, n ° 1.31),
proposition qui permet d'expliquer le statut actuel des systèmes de droit international
privé positif
IllComp. l'affirmation de la Cour de cassation de France dans l'arrêt Agora Sopha, précité n ° 6.22,
selon laquelle « la prescription de la loi étrangère de droit international privé [... ] n'oblige que le
juge [étranger] et non le juge [du for] ».
Avec raison, P. MAYER et V. HEUZÉ (n ° 234) estiment que« les règles de droit international privé
1111
n'entrent pas en conflit entre elles», car s'il est vrai que « les règles substantielles de droit privé
s'adressent aux individus », « les règles de conflit s'adressent au juge ».
Ill L'école positiviste a très tôt attiré l'attention sur cet argument. Kahn établissait comme un pos-
tulat la primauté absolue du système de droit international privé du tribunal saisi : « Un rattache-
ment territorial de la règle de conflit elle-même - un rattachement du rattachement - n'existe pas.
La règle de conffit a, comme telle, une valeur absolue, elle est la seule solution correcte du problème
de droit international privé, sans que son propre domaine d'application dans l'espace puisse être
limité. Il est impossible d'édifier un droit international privé du droit international privé» (KAHN,
jheringsjahrbücher, 1898, 16, note 1 et ibid., 1901, 315).
Ill!Comp. la position de WESTLAKE (précité n ° 6.18), voyant l'impossibilité d'appliquer une règle
matérielle étrangère contre sa propre volonté d'application. Comme le pense P. Lagarde (BATIFFOL
et LAGARDE, n ° 304), l'obiection est pertinente à l'égard d'une règle directe d'applicabilité étrangère,
non d'une règle de rattachement, en raison de la nature propre de l'une et de l'autre (voy. supra,
n° 3.4).
L'abandon de la technique - quant à son principe du moins - par les conventions
internationales d'application universelle (voy. supra, n° 4.48) incite logiquement à une
position analogue dans les codifications nationales. En effet, les règles conventionnelles
se substituant aux règles nationales correspondantes de droit commun, la ratification du
traité entraîne une intrusion, dans ce droit, de l'exclusion du renvoi: comment ce qui est
vrai pour une matière déterminée - celle que couvre le traité - ne le serait-il pas aussi
pour d'autres matières?
L'exclusion du renvoi dans une convention internationale s'explique du fait que, lorsque le
1111

droit désigné est celui d'un État contractant, l'une des constantes de la technique - à savoir une
disparité des facteurs de rattachement - fait par définition défaut, et, lorsque ce droit est celui
d'un État tiers, le renvoi conduirait à une désignation sortant des prévisions des États contrac-
tants, altérant alors la portée de leur accord sur le droit applicable.
L'exclusion du renvoi dans une convention universaliste s'explique par l'objectif des règles
communes: par définition, l'intention est d'exprimer les règles les meilleures d'un point de vue
objectif ou conceptuel, c'est-à-dire indépendamment des contingences propres à un système étati-
que. Il est alors peu concevable d'admettre encore une disparité de législations : il est plus con-
forme à la politique du législateur international d'inciter les États tiers à adhérer aux règles
communes.
Force est d'admettre que le renvoi d'origine jurisprudentielle est souvent un alibi
permettant d'appliquer le droit matériel du for.
Si la technique vise effectivement la coordination des systèmes, il y a lieu d'être plus
attentif à l'interaction du conflit de lois et du conflit de juridictions, en prenant pour
données aussi bien la technique de la reconnaissance internationale des décisions que la
détermination de la compétence internationale.
Au lieu de poursuivre une harmonie chimérique par l'alignement de la solution de
conflit de lois du tribunal saisi sur le contenu supposé de la règle de conflit renvoyante,
LA DÉSIGNATION D'UNE RÈGLE DE RATTACHEMENT ÉTRANGÈRE 243

les juges soucieux d'harmonie juridique internationale devraient être plus attentifs aux
conditions auxquelles la décision qu'ils rendront sera reconnue dans le pays auquel les
parties se rattachent par leur nationalité ou par leur domicile. Si, dans ce pays, la recon-
naissance d'un jugement étranger n'est pas subordonnée à l'application de la règle de
conflit primaire de l'État requis, l'admission du renvoi au premier degré par le juge dont
la décision doit y être reconnue est une péripétie innocente mais inutile.
Dans les cas exceptionnels où la saisine d'une juridiction est aléatoire parce qu'elle
se fonde soit sur un for exorbitant (voy. infra, n ° 9 .25), soit sur un élément qui, en raison
de l'écoulement du temps, ne correspond plus à une localisation significative de la situa-
tion, une règle de conflit de systèmes tendant à dissocier le for du jugement et le for du
raisonnement (voy. infra, n ° 6.42) paraît plus attrayante que la mécanique du renvoi.

6.27 - Le renvoi au regard de l'objectif de la règle de rattachement - La technique du


renvoi peut se justifier lorsqu'elle sert un objectif particulier de la règle de rattachement.
L'évaluation de la technique du renvoi selon le critère de l'objectif de la règle de rat-
tachement peut s'inspirer de deux attitudes différentes à l'égard du renvoi.
Une approche dogmatique reste liée à la nature intrinsèque de la règle de
rattachement: selon que l'objectif est de préserver la souveraineté nationale ou de rendre
compte d'un concept de proximité (voy. supra, n ° 3.13), l'on peut se montrer partisan du
renvoi ou hostile à celui-ci.
1111Le principe de souveraineté a conduit à des positions contradictoires sur le renvoi. Bartin fon-
dait la prépondérance de la règle de rattachement du for sur une conception aujourd'hui abandon-
née du conflit de lois, à savoir qu'il est un conflit de souverainetés (voy. supra, n ° 3.13). « Le droit
international privé n'est pour moi », a écrit Bartin dans la préface de ses Princices, « que la forme
juridique de l'idée de patrie, dans les relations de droit privé ». BATJFFOL et LAGARDE (n ° 311), favo-
rables au renvoi selon le critère de l'objectif de la règle de rattachement, expliquent par le principe
de souveraineté son utilisation en matière de statut personnel et de droits réels, dans la mesure où,
en ces matières, le législateur se désintéresse des étrangers et des biens localisés à l'étranger, pour
s'en remettre au droit étranger.

Sur ce que les règles de rattachement fondées sur le principe de proximité « s'accommodent
1111

moins bien» du renvoi, voy. BATJFFOL et LAGARDE, n ° 311. Avec raison, ces auteurs montrent que le
renvoi est incompatible avec la règle de la localisation objective pratiquée en certaines matières
(voy., en matière de contrats, infra, n° 14.36), ou avec une clause de proximité qui, dans certaines
codifications nationales, couvre l'ensemble de la matière civile (voy. supra, n ° 3.17). Le renvoi est
toutefois admis lorsque la règle étrangère permet d'affiner la règle du for. L'appréciation de cette
condition paraît cependant délicate.

Une approche fonctionnelle perçoit le renvoi, non pas comme un corollaire de la


nature de la norme primaire, mais comme une exception attachée aux spécificités d'une
telle norme en raison de la politique particulière qu'elle poursuit dans une matière déter-
mmée.
Selon cette perspective, le renvoi peut servir l'effet utile de la norme primaire.
Ce critère permet d'expliquer l'exclusion du renvoi lorsque la norme primaire désigne le droit
1111

choisi par les parties, la règle ayant pour objectif premier la prévisibilité du droit applicable.
Ce critère permettrait de justifier le renvoi en présence d'une norme primaire de caractère alter-
1111

natif (sur cette modalité, voy. supra, n ° 3.59) : une règle de rattachement étrangère peut être appli-
quée au cas où, la règle matérielle étrangère refusant l'effet de droit réclamé, elle permet de désigner
une règle matérielle du for ou celle d'un autre État qui permet de valider un acte. Dans le sens pré-
244 LA DÉTERMINATION ET LA CONDITION DU DROIT ÉTRANGER

cité, voy. BATIFFOL et LAGARDE, Il 311. Contra: INSTITUT DE DROIT INTERNATIONAL, session de Berlin,
O

Annuaire, vol. 68-11 (1999), 374; P. MAYER et V. HEUZÉ, n° 226.


Ill Le critère de l'effet utile est central selon BUCHER et BoNOMI (n°' 422 et s.), qui voient dans les
applications limitées du renvoi tolérées par la loi suisse une illustration du principe d'effectivité de
la règle de droit: l'objectif d'harmonie internationale est servi par le renvoi lorsque la norme pri-
maire a pour objectif prépondérant« l'application effective de la même loi que celle qui s'applique
dans l'État de la /ex causae ». Des différents cas présentés (détermination du nom, forme de certains
contrats, règlement successoral), celui du règlement successoral paraît le plus convaincant, du
moins à propos de la dévolution immobilière.
Voy. une illustration de ce concept, en Belgique, dans le Code de droit international privé, en
matière de succession immobilière (art. 78, § 2, al. 2).
Le renvoi peut aussi servir d'exutoire à un malaise sur le rattachement opéré par la
norme primaire: si le législateur a dû prendre parti parmi plusieurs solutions accepta-
bles, notamment au regard de la pratique du droit comparé, il se conçoit de procéder à
un« renvoi conditionnel», qui n'accepte de considérer la règle de rattachement étrangère
que si elle comporte un facteur de rattachement déterminé (voy. supra, n ° 3.54).
Voy. les illustrations observées en matière de contrat d'assurance (infra, n° 14.95), et à propos
1111

de la dualité des concepts de nationalité et de domicile, supra, n ° 6.24.


Les exigences propres aux obligations que l'État aurait acceptées en faveur de la libre
circulation des personnes ou des biens pourraient également justifier le recours à la tech-
nique du renvoi. Formulée dans un contexte conventionnel et puisant à un concept de
rattachement commun aux États impliqués, la technique serait une illustration explicite
d'une règle de conflit de systèmes. Comme dans le cas précité de renvoi conditionnel, elle
tend à concilier deux concepts antagonistes en l'absence d'uniformisation des règles de
conflit. À la différence de ce cas, il n'y a pas de marque de préférence pour un facteur sur
l'autre ni d'alignement sur des solutions convergentes pratiquées par certains États, mais
volonté de donner un effet utile à une valeur qui sous-tend le système du for, à savoir
l'objectif de circulation internationale.
Ill En droit communautaire, l'utilisation de la technique du renvoi pourrait atténuer la dualité
entre l'application de la loi du pays d'origine et l'application de la loi du pays d'accueil. Si le prin-
cipe de liberté de circulation que comporte le traité CE pouvait être vu comme comportant une
interdiction pour l'État d'opposer inconditionnellement aux opérateurs économiques l'applica-
tion du droit du for contre le contenu du droit du pays dont est originaire la personne ou le bien en
cause, cette interdiction n'aurait pas de sens chaque fois que le droit du pays d'origine commande-
rait en vertu de ses propres règles de conflit de lois, la désignation du droit du pays d'accueil.
Pour une présentation du contexte d'une telle application du renvoi, voy.: M. FALLON,« Les conflits
de lois et de juridictions dans un espace économique intégré: l'expérience de la Communauté
européenne», Recueil des cours, vol. 253 (1995), 234.

§3 l..A DÉSIGNATION DE L'ORDRE JURIDIQUE DE RÉFÉRENCE


6.28 - Présentation - Dans la poursuite d'un objectif de coordination des systèmes juri-
diques, la doctrine a systématisé, à côté de la théorie du renvoi, d'autres méthodes qui
partagent avec celle-ci une référence à une règle étrangère de droit international privé.
Toutefois, pareille règle étrangère n'est pas nécessairement une règle de conflit de lois et
le système étranger n'est pas nécessairement désigné en vertu de la règle de rattachement
du for qui régit le rapport juridique litigieux.
L'objectif commun à ces méthodes est d'identifier l'ordre juridique le plus approprié
pour désigner le droit applicable, en considérant que la norme primaire doit céder le pas
LA DÉSIGNATION D'UNE RÈGLE DE RATTACHEMENT ÉTRANGÈRE 245

pour le motif que le for ne présente pas de lien objectif suffisant avec la question en litige.
Elles tendent donc à rompre l'interaction de la compétence juridictionnelle et de la com-
pétence législative plus radicalement que la théorie du renvoi. À la différence de celle-ci,
elles dérogent à l'application de la norme primaire du for.

A. La théorie de la question préalable


6.29 - Bibliographie

Outre les travaux de W. WENGLER, « Die Vorfrage im Kollisionsrecht », RabelsZ. (1934), 148-251, et
« Nouvelles réflexions sur les questions préalables», Revue (1966), 165-215, voy.: P. LAGARDE,« La
règle de conflit applicable aux questions préalables», Revue (1960), 459-484; P. Louis-LUCAS,
« Qualification et répartition», Revue (1957), 160 et s.; A. MoRAIRE, Da questaô previa em direito inter-
nacional privado (Coimbra, 1968); P. PICONE, Saggio sui/a struttura formate del problema delle questioni
preliminari ne/ diritto internazionale privato (Naples, 1971); Io., Ordinamento competente e diritto interna-
zionale privato (1986), 111-137; Io., « La méthode de la référence à l'ordre juridique compétent en
droit international privé», Recueil des cours, vol. 197 (1986), II, 303-320; Io., « Les méthodes de coor-
dination entre ordres juridiques en droit international privé», Recueil des cours, vol. 276 (1999), 9-
296 ; F. R.!GAUX, La théorie des qualifications, n ° 290-304 ; M. ScHERER, Le nom en droit international privé.
Etude de droit comparé français et allemand (Paris, LGDJ, 2004), 374 p.; T. S. SCHMIDT,« The Prelimi-
nary Question and the Question of Substitution in Conflict of Laws », Scandinavian Studies in Law
(1968), vol. 12, 91-119; F. SCHWIND, note sous OGH, 8 novembre 1972, Zeitschr. für Rechtsvergleichung
(1973), 145-148; R. SCHUZ, A modern approach to the incidental question (Dordrecht, Kluwer, 1997),
296 p. ; M. H. VAN HooGSTRAETEN, « Le droit international privé néerlandais et la question
préalable», Mélanges Kollewijn-Offerhaus, 209-225.
Voy. en outre, infra, n ° 6.31.

1. PRÉSENTATION DE LA THÉORIE

6.30 - Notion de question préalable - Par question, on entend ici une question de fait
et de droit soumise au juge saisi d'un litige. Conformément au principe dispositif, c'est
aux parties qu'il appartient de formuler de telles questions: une question est dite préala-
ble ou principale selon la place qu'elle occupe dans le procès, compte tenu de la détermi-
nation de l'objet et de la cause des demandes, défenses et exceptions, responsabilité
propre des plaideurs.
Est appelée principale, la demande qui constitue l'objet même de l'action. Avant de
statuer sur celle-ci, le juge doit vérifier si les éléments de l'hypothèse légale sont réunis. La
constatation de ce qui, dans un procès déterminé, est le fait litigieux, implique l'examen,
et parfois la discussion, de questions de droit. Ces différentes questions sont appelées
préalables parce que de la solution qu'elles recevront dépend la décision prise par le juge
sur la demande (ou question principale) dont il est saisi.
Comme exemples d'une question principale, une femme abandonnée assigne son mari en vue
Ill!
d'obtenir une pension alimentaire; un successeur agit en pétition d'hérédité; un conjoint poursuit
contre l'autre l'annulation du mariage.
L'examen d'une question préalable surgit lorsque le mari qui se défend à l'action alimentaire invo-
que la nullité du mariage ; lorsqu'à celui qui réclame une part successorale est dénié tout lien fami-
lial avec le défunt; lorsque l'action en nullité du mariage se fonde sur la bigamie, ayant elle-même
pour cause l'inefficacité du divorce par lequel un des nouveaux époux se croyait affranchi d'une
union antérieure.
246 LA DÉTERMINATION IT LA CONDITION DU DROIT ÉTRANGER

6.31 - Soumission d'une question préalable à une règle de rattachement étrangère - Depuis
que W. Wengler a élaboré la théorie de la« question préalable» (Vorfrage), cette expression
désigne en droit international privé une difficulté spécifique de la matière des conflits de
lois. Il est supposé que la question principale et la question préalable relèvent de secteurs
du droit international privé qui sont scindés ou répartis entre des systèmes nationaux
différents.
IllAinsi, la question (principale) de succession fait l'objet d'une autre règle de rattachement que la
question (préalable) de légitimité. La question (principale) de validité du mariage appartient à la
matière des conflits de lois, tandis que la question (préalable) d'efficacité du divorce relève tantôt
du droit judiciaire interne, tantôt des règles sur la reconnaissance des jugements étrangers.

Le droit applicable à la question principale est désigné conformément au système de


droit international privé du for. En revanche, à propos du conflit de lois ou du conflit de
juridictions que suscite la question préalable, la « théorie» de la question préalable se
réfère au système national de droit international privé déclaré applicable à la question
principale.
Si, par exemple, des étrangers se sont mariés en Belgique, où la validité de cette union est, par la
1111

suite, attaquée pour le motif que le précédent mariage d'un des nouveaux époux n'a pas été réguliè-
rement dissous par le divorce prononcé dans un autre État que celui dont il est ressortissant, l'effi-
cacité de ce jugement sera appréciée conformément aux règles sur la reconnaissance des jugements
étrangers en vigueur dans l'État dont l'époux qui se prétend divorcé a la nationalité et dont le droit
régit la validité du mariage conformément à la règle de rattachement belge.

Le phénomène appelé « question préalable» ne présente d'originalité que s'il


entraîne une dérogation à l'application normale des règles de conflit de lois du for. La
question préalable est alors traitée comme un incident de l'application du droit étranger
compétent qui attire à elle le règlement de la question de droit international privé que
suscite la détermination d'un élément de sa propre hypothèse. Pour que puisse se poser la
question préalable, problème de conflit de lois, il faut que le droit déclaré applicable à la
question principale par la norme primaire du for ne soit pas le droit matériel interne du
tribunal saisi.
L'examen systématique de la question préalable est apparu dans la doctrine allemande, notam-
1111

ment dans l'ouvrage de MELCHIOR, publié en 1932, qui y consacra un chapitre intitulé Vorfrage (245-
265), et dans un article de WENGLER, « Die Vorfrage im Kollisionsrecht », R.abelsZ. (1934), 148-251.
Voy. aussi RAAPE, Recueil des cours, vol. 50 ( 1934), 485 et s.
La terminologie la plus usuelle est« question préalable » (Vorfrage) ou« question préjudicielle »
1111

(LEWALD, 63-66), en anglais: incidental or preliminary question (voy. WENGLER, 368-371 ; LYSYK,
« Comments on Schwebel v. Ungar », Can. Bar Rev., 1965, 363-380).
L'expression « question préjudicielle» doit être écartée parce qu'elle désigne en général une ques-
tion préalable que sa nature soustrait à la compétence de la juridiction régulièrement saisie de la
question principale, ce qui n'est évidemment pas la portée de la question préalable du droit inter-
national privé.

Il. ÉVALUATION DE LA THÉORIE

6.32 - Distinction entre la question de droit national et la question de droit étranger - La


question préalable suppose que la question principale soit rattachée à un droit autre que
le droit du for. Deux hypothèses doivent être distinguées, selon que le fait ou la situation
qui appartient aux conditions d'application de la disposition étrangère régissant laques-
tion principale est, d'après la norme primaire du for, régi ou non par le droit matériel du
LA DÉSIGNATION D'UNE RÈGLE DE RATTACHEMENT ÉTRANGÈRE 247

for. Dans l'affirmative, l'on a affaire à une question préalable de droit national et, dans la
négative, à une question préalable de droit étranger.
Ill Par exemple, si des époux se sont mariés dans les formes civiles de la loi territoriale, en trans-
gression de la disposition de leur loi nationale qui requiert une célébration consulaire, la validité de
leur union sera soulevée comme question préalable à l'exécution d'une obligation alimentaire. Il se
peur que le mariage ait été célébré en Belgique, pays dont une juridiction est appelée à trancher la
question principale, ou dans un État tiers, par exemple en France ou en Allemagne. Dans le cas de
saisine d'une juridiction belge, la question préalable de validité du mariage se pose à propos d'une
situation matrimoniale valablement créée conformément au droit du for, droit du pays où le
mariage a été célébré; dans le second cas, la question préalable est, en tout cas, soustraite à la com-
pétence du droit matériel du for. La première est une question préalable de droit national, la
seconde une question préalable de droit étranger, qui se posent, l'une comme l'autre, à l'occasion
de l'application de la loi nationale des époux à l'action alimentaire exercée par un époux contre
l'autre.

1111 Un autre exemple de la même distinction est relatif à un conflit de juridictions préalable à
l'application de la règle de conflit de lois régissant la question principale. Supposons que l'effica-
cité du divorce d'un couple franco-irlandais soit soulevée à titre préalable devant un tribunal belge :
il s'agit d'une question préalable de droit national si le divorce a été prononcé en Belgique, elle est
de droit étranger si c'est un tribunal français ou anglais qui a admis le divorce.

6.33 - Contingence de la nature préalable ou principale d'une question - Les termes


mêmes de question « principale » et de question « préalable » expriment la subordination
de la seconde question à la première, dépendance ayant pour cadre le procès : la première
question est dite principale parce qu'elle fait l'objet de la demande originellement sou-
mise au Juge.
La logique, mais aussi le mouvement du temps, appelle le renversement de cette
relation: la question dite préalable est logiquement première, c'est elle qui commande la
question principale, à la manière dont une cause précède ses effets.
1111Ainsi, pour que le second mariage soit valable il faut d'abord que le premier ait été dissous par le
divorce. La vocation successorale de l'enfant naturel ou adoptif n'est qu'un des nombreux effets de
sa filiation. Le devoir de secours est la conséquence juridique du mariage.

Dans l'enchaînement causal des effets juridiques, c'est, en général, le dernier, ou l'un
des plus récents, qui est revendiqué. L'objet de la demande en justice se circonscrit autour
d'un des effets, et parfois d'un effet accessoire ou secondaire de la situation dont il
découle. Pareille situation, l'état d'époux, de fils, de divorcé, ne paraîtra qu'exceptionnel-
lement sous les traits d'une « question » principale, et seulement si elle est contestée. En
revanche, il est fréquent que celui qui s'en prévaut, rencontrant des résistances à propos
de tel ou tel effet particulier, ne puisse les vaincre qu'en réclamant cet effet en justice.
Il ne paraît guère satisfaisant d'apprécier la validité de la situation «causale»
d'après des lois qui diffèrent selon la nature des effets réclamés. Il y va de l'harmonie juri-
dique interne et de la cohésion du système du for. La validité d'un état acquis en vertu du
droit matériel du for ne saurait, même au titre de condition préalable, être suspendue à
l'application du système de droit international privé du droit étranger déclaré applicable
à la question principale.
Ill!Supposons que des étrangers aient acquis l'état d'époux ou de fils légitime, conformément au
droit matériel du for, ou que l'état de divorcé découle impérieusement d'une décision rendue dans
l'État du for. Au cas où un effet, même accessoire, de cet état est rattaché à un droit étranger par la
règle de conflit du for, faut-il que le juge saisi déclare non avenu l'état acquis dans son propre ordre
248 LA DÉTERMINATION ET LA CONDITION DU DROIT ÉTRANGER

juridique, parce que telle serait la solution du droit international privé de l'État dont le droit est
applicable à la question principale ?
La jurisprudence comme le législateur ne se montrent guère attirés par la théorie de
la question préalable.
1111En France, voy. nettement pour un rejet de la théorie : Cass. civ., 11 mars 1986, Djenangi, Revue
(1988), 302, noteJ.-M. BISCHOFF, et, en droit comparé, les références citées par BATIFFOL et LAGARDE,
n ° 312.
1111 Les références à la théorie dans les codifications restent exceptionnelles. Voy. l'art. 8 de la Con-
vention interaméricaine sur les normes générales du droit international privé (Revue, 1984, 262),
aux termes duquel« les questions préalables, préliminaires ou incidentes, qui peuvent être soule-
vées à l'occasion d'une question principale, ne doivent pas nécessairement être tranchées confor-
mément à la loi qui régit cette dernière ». Voy. aussi l'art. 12 de la Convention de La Haye du
14 mars 1978 sur la célébration et la reconnaissance de la validité des mariages, qui rejette en prin-
cipe la théorie:« Les règles [sur la reconnaissance de la validité d'un mariage conclu dans un autre
État] s'appliquent même si la question de la reconnaissance de la validité du mariage doit être tran-
chée, à titre incident, dans le contexte d'une autre question» (al. l"l Il en va autrement lorsque la
question préalable de la validité du mariage se pose à propos d'une question principale soumise au
droit d'un État non contractant en vertu de la règle de rattachement du for (al. 2).
111Une application ponctuelle de la théorie est faite par la Convention de Munich du 5 septembre
1980 sur la loi applicable aux noms et prénoms (non en vigueur en Belgique):« Les situations dont
dépendent les noms et prénoms sont appréciées selon la loi [de la nationalité]», au« seul effet» de
détermination du nom ou du prénom (art. F').

6.34 - Méprise sur l'objet de la désignation du droit applicable - Lorsque la norme pri-
maire désigne le droit applicable, elle le fait uniquement à propos du point de droit visé
par la catégorie de rattachement. Du caractère foncièrement partiel de la catégorie
découle souvent une fragmentation du droit applicable au rapport de droit considéré
dans son ensemble (voy. supra, n ° 3.39). La théorie de la question préalable ne tient pas
compte de cette fragmentation, en réunissant sous l'ordonnancement d'un même sys-
tème juridique des questions que le système du for entend dissocier.
1111 Lorsque la question principale relative à une obligation non contractuelle est régie par un droit
étranger, tel le droit du lieu où le fait dommageable s'est produit, et que ce droit exige une relation
matrimoniale valable entre l'ayant droit et la victime, la soumission de cette relation au droit dési-
gné par la règle de rattachement étrangère revient à étendre la compétence législative de l'ordre
juridique désigné pour régir l'obligation non contractuelle, à une question distincte - celle de la
validité du mariage - qui excède l'objet de cette désignation.
En négligeant l'effet de fragmentation de la norme primaire du for, la théorie de la
question préalable introduit une incohérence, sous l'angle du système du for, à propos
du règlement du rapport juridique boiteux. Lorsque la question principale concerne
l'effet d'un rapport juridique valable selon le droit international privé du for mais non
selon le droit international privé étranger, la soumission de la question préalable au
second n'est pas satisfaisante.
IllVoy., dans un sens analogue : P. MAYER et V. HEUZÉ, n ° 263, à propos de ce que ces auteurs appel-
lent des« questions en "série" ».

Ill. APPLICATIONS PONCTUELLES DE LA THÉORIE

6.35 - Question d'état préalable à la détermination d'une nationalité étran-


gère - Quand l'attribution d'une nationalité étrangère dépend d'un élément du statut
personnel - la filiation, l'adoption, le mariage-, l'application de l'article 2 de la Conven-
lA DÉSIGNATION D'UNE RÈGLE DE RATTACHEMENT ÉTRANGÈRE 249

tion de La Haye du 12 avril 1930 (voy. supra, n ° 5.34) commande que, pour la détermina-
tion de cette nationalité, les États se réfèrent aux règles particulières posées à cette fin
dans le pays dont la nationalité est en question. Pour que la filiation, l'adoption, le
mariage, puisse avoir un effet sur la nationalité d'une personne, il faut que le droit de
l'État seul compétent pour conférer sa nationalité reconnaisse pareil effet au rapport
juridique de droit familial.
Cela impliquera le plus souvent que l'élément du statut personnel, condition
d'application de la disposition législative octroyant la nationalité, ait été acquis confor-
mément aux règles de droit international privé du même État. Il arrive toutefois que le
législateur compétent soumette à ses propres règles de droit matériel interne les condi-
tions auxquelles s'acquiert la qualité prévue par son droit de la nationalité. En revanche,
le droit international privé des autres États n'a aucun titre à s'appliquer à la question de
statut personnel préalable à la détermination d'une nationalité étrangère.
Ill Il résulte de ce postulat que la mise en œuvre des règles de droit international privé de l'État du
for permettra de reconnaître tous les effets civils de l'état acquis conformément à ces règles sans
que le même état ait aucun effet sur l'acquisition ou la perte d'une nationalité étrangère.
1111 Sur la question, voy. notamment: Ph. FRANCESCAKIS, « Les questions préalables de statut person-
nel dans le droit de la nationalité», Festgabe Makarov, R.abelsZ. (1958), 466; P. PICONE, Norme di con-
flitto speciali perla valutazione di norme materiali (Napoli, 1969), et les contributions de B. DuTOIT et de
P. LAGARDE à l'ouvrage collectif Nationalité et statut personnel (Bruylant, Bruxelles, L.G.D.J., Paris,
1984), 445-508. Voy. encore, plus généralement: M. VERWILGHEN, « Conflits de nationalités, pluri-
nationalité et apatridie », Recueil des cours (1999), vol. 277, 9-484.
III Un bon exemple est donné par les décisions relatives aux enfants nés hors mariage en Belgique
et reconnus seulement par un Marocain. En droit marocain, la reconnaissance volontaire de la
paternité naturelle, qu'elle soit simple ou adultère, est interdite (art. 83 du Code de statut person-
nel). Or, selon l'interprétation que la jurisprudence a donnée de l'article 3, alinéa 3, du Code civil, la
reconnaissance était régie, en Belgique, par la loi nationale de l'enfant (voy. infra, n° 12.115), lequel
peut être belge par sa mère ou par application de l'article 10 du Code de la nationalité. Dès lors, au
regard du droit international privé belge, il était possible d'admettre, dans ce cas, que la filiation
paternelle fût légalement établie.
Pourtant, on ne pourra jamais se fonder sur cette filiation considérée en Belgique comme valable
pour affirmer que l'enfant aurait acquis la nationalité marocaine de son père par application de
l'article 6, 1°, du Code de la nationalité marocaine, selon lequel« est marocain l'enfant né d'un père
marocain». Aucune autorité ou juridiction belge ne peut tenir pour Marocain un individu que la
loi marocaine ne considère pas comme tel. Voy. p. ex. : Civ. Liège, 28 avril 1980, Rev. trim. dr. fam.
(1981), 97.

La méthode inclut l'application des règles étrangères sur la reconnaissance des juge-
ments étrangers. De manière assez paradoxale, un jugement prononcé dans l'État du for
ne produira d'effet sur l'attribution d'une nationalité étrangère que s'il satisfait aux con-
ditions auxquelles il est reconnu selon le droit international privé du pays de cette natio-
nalité.

6.36 - Droit applicable aux actes juridiques ayant pour objet un changement de natio-
nalité étrangère - C'est conformément au système de droit international privé étranger
que doit être déterminé le droit applicable aux actes juridiques ayant effet sur une natio-
nalité étrangère ou ayant pour objet un changement (acquisition, perte ou recouvre-
ment) involontaire de cette nationalité.
Ill Ainsi, la capacité requise pour qu'un Belge puisse acquérir ou recouvrer volontairement une
nationalité étrangère ou pour qu'un étranger puisse répudier sa nationalité étrangère en vue de
250 LA DÉTERMINATION IT LA CONDITION DU DROIT ÉTRANGER

devenir belge, naguère controversée, est régie par le droit international privé de l'État étranger dont
la nationalité est en cause.

La question est plus complexe lorsque la capacité est relative à un changement de


nationalité intéressant des États tiers.

C'est de manière implicite que la jurisprudence a soumis à la règle de conflit de lois


du droit international privé belge la détermination de la capacité requise pour qu'une
Française acquière volontairement la nationalité allemande. La solution est d'autant plus
contestable que, en recourant à la théorie de la fraude à la loi, les tribunaux français
paraissent avoir admis que la nationalité française avait été perdue à la suite de l'acte de
naturalisation allemand. L'erreur de raisonnement commise consiste à avoir décomposé
les opérations par lesquelles la nationalité allemande avait été acquise, en prétendant
apprécier la validité des opérations intermédiaires. Il n'y a pas lieu de se prononcer sur la
validité d'un acte de naturalisation émanant d'un État étranger mais, le cas échéant, d'en
écarter les effets qui seraient frauduleux ou contraires à l'ordre public (voy. supra,
n° 5.49). Si cette nationalité est en conflit avec la nationalité d'un autre État tiers, le
cumul doit être résolu conformément à l'article 5 de la Convention de La Haye du
12 avril 1930 (voy. supra, n ° 5.52).

1111Voy. l'affaire Bauffeemont (supra, n° 5.46). À l'occasion d'une action introduite en Belgique par la
princesse, la cour d'appel de Bruxelles dut se prononcer sur son statut matrimonial afin de décider
si son second mari avait qualité pour l'autoriser à ester en justice. Comme les tribunaux français, la
cour d'appel de Bruxelles tint le second mariage pour nul. Elle le fit non point en invoquant la
théorie de la fraude à la loi, mais en affirmant que la princesse n'avait pas, au regard du droit fran-
çais, perdu la nationalité française, parce que son acquisition volontaire de la nationalité alle-
mande s'était faite sans autorisation maritale.

Voy. Bruxelles, 5 août 1880, de Bauffeemont c. de Bauffeemont, de Chimay et le prince Bibesco, Pas. (1880),
II, 319, Clunet (1880), 508. L'arrêt de cassation (19 janvier 1882, Pas., 1882, !, 36, Clunet, 1882, 365)
n'eut pas à se prononcer sur la validité du second mariage ni sur le conflit de nationalités. Dans la
doctrine belge, voy. notamment: LAURENT, t. V, n° 5 172-182; t. VIII, n° 123; RoLIN, t. ler, pp. 618 et
S.; PoULLET, n'" 98-99.

6.37 - Question de droit privé préalable à une question de droit communautaire - Il


arrive que le traité CE conditionne l'exercice d'un droit économique ou social à une situa-
tion de droit privé. Lorsqu'il revient au juge d'un État membre de statuer sur un tel droit
et de vider la question préalable de droit privé, la théorie de la question préalable peut
procurer le critère du choix d'un ordre juridique de référence relativement à un système
juridique - le droit communautaire - dépourvu de règles de conflit et même de règles de
droit privé.

Ainsi, en matière de sécurité sociale, le règlement 1408/71 du Conseil du 14 juin 1971 (J.O.C.E.,
Ill!
1971, L 149) renvoie, pour la définition des membres de la famille du travailleur, à la« législation
au titre de laquelle les prestations sont servies», expression qui paraît se comprendre comme cou-
vrant aussi les règles de conflit de lois. De même, pour déterminer si un travailleur appartient au
marché régulier de l'emploi d'un État membre, il convient de se référer à la législation en vigueur
au lieu d'exercice de l'emploi (C.].C.E., aff. C-434/93, 6 juin 1995, Bozkurt, Rec., 1995, I-1475), ce qui
inclut, le cas échéant, les règles sur la désignation du droit applicable à une relation de travail lors-
que l'existence d'une telle relation détermine l'appartenance au marché regulier de l'emploi.
lA DÉSIGNATION D'UNE RÈGLE DE RATTACHEMENT ÉTRANGÈRE 251

B. La théorie du respect des droits acquis


6.38 - Bibliographie

P. ARMINJON, « La notion des droits acquis en droit international privé», Recueil des cours (1933), vol.
44, 5-110; J. BEACH, « Uniform Interstate Enforcement of Vested Rights », Yale L.]. (1918), 656; J.
H. BEALE, A Treatise on the Conflict of Laws (New York, 1935), vol III; L. BRILMAYER, « Rights, fairness
and choice of law », Yale L.]. (1989), 1277 et s.; R. D. CARSWILL, « The Doctrine ofVested Rights in
Private International Law», J.C.L.Q. (1959), 268-288; D. CAVERS, « The Two 'Local Law' Theories »,
Harvard L. R. (1950), 822; CHEATHAM, « American Theories of Conflict of Laws: Their Role and
Utility », Harvard L.R. (1945), 361; W. W. COOK, Logical and Legal Bases of the ConflictofLaws (Harvard
Studies in the Conflict ofLaws, Cambridge, Mass. 1942) et l'article paru sous le même titre: Yale L.].
(1924), 457; B. FAUVARQUE-CossoN, « Droit comparé et droit international privé: la confrontation
de deux logiques à travers l'exemple des droits fondamentaux», Rev. int. dr. camp. (2000), 797-818;
A. FERRER-CORREIA, « La doctrine des droits acquis dans un système de règles de conflit bilatérales »,
Mélanges Wengler, t. II, 285; M.-N. JOBARD-BACHELIER, L'apparence en droit international privé (Paris,
LGDJ, 1984), 53 et s.; G. KAECKENBEEK, « The Protection ofVested Rights in International Law»,
B.Y.I.L. (1936), 1-18; Io., « La protection des droits acquis», Recueil des cours (1937), vol. 59, 321-
418; A. MAKAROV, « Les cas d'application des règles de conflit étrangères», Revue (1955), 431-457;
MEIJERS, « Het vraagstuk der herverwijzing », Weekbl. Priv. Notaris-Ambt en Registratie (1938), n° 5
3555-3558; H. Mum-WATT, « Quelques remarques sur la théorie anglo-américaine des droits
acquis », Revue (1986), 425-455 ; H. MÜLLER, Der Grundsatz des Wohlerworbenen Rechts im Inter nationa-
len Privatrecht (Hamburg, 1937) ; ]. P. NIBOYET, V Droits acquis, Répertoire de droit international, t. V,
0

708-725; G. PARRA-ARANGUREN, « General Course of Private International Law: Selected


Problems », Recueil des cours, vol. 210 (1988-III), 9-224; P. P!CONE, « Les méthodes de coordination
entre ordres juridiques en droit international privé», Recueil des cours, vol. 276 (1999), 9-296; A.
PILLET, « La théorie générale des droits acquis», Recueil des cours (1925), vol. 8, 489-538; F. RIGAUX,
« Espace et temps en droit international privé», Rev. interdise. ét. jur. (1989-22), 107-124; Io., « Le
conflit mobile en droit international privé», Recueil des cours, vol. 117 (1966), 355-356, 416-431; L.
B. SoHN, « New Bases for Solution of Conflict of Laws Problems », Harvard L.R. (1941-1942), 978-
1004; A. STRUYCKEN, « Locus regit actum, un nouvel avatar hollandais », Mélanges Lagarde (Paris,
Dalloz, 2005), 765-779; P. WIGNY, « La théorie des droits acquis d'après Antoine Pillet», Revue dr.
int. etlégisl. camp. (1931), 341-363.

6.39 - Permanence d'un état et écoulement du temps - Dans la matière du statut per-
sonnel où la stabilité de l'état des personnes joue un rôle déterminant, lorsque le tribunal
est saisi d'un litige après que la situation des parties s'est effectivement consolidée, il se
conçoit de se référer à un système de droit international privé étranger compétent à une
époque antérieure de la vie des intéressés. Ce faisant, le juge tient un droit pour acquis
par application des règles de rattachement en vertu desquelles une situation a pu se for-
mer ou se consolider. C'est parce que la pénétration de la situation dans l'ordre juridique
du for est tardive, que le juge hésite à appliquer une norme primaire du for, qui condui-
rait à désigner un droit matériel sous lequel la situation ne s'est ni créée ni consolidée: il
y préfère la désignation du droit matériel en vertu des règles de conflit du système dont
relevait la situation avant de pénétrer dans le système du for.
Voici un exemple topique du procédé, montrant l'utilisation de l'exception d'ordre public de
!Ili
droit étranger.
Le 14 octobre 1918, un Autrichien de confession évangélique épouse à Odessa, devant le pasteur
luthérien, une Juive russe. À Trieste en 1922, ils acquièrent la nationalité italienne, puis s'établis-
sent à Karlsruhe. Après avoir quitté le domicile conjugal, le mari assigne sa femme en nullité de
mariage. Il invoque le paragraphe 64 du Code civil autrichien qui probibe les mariages entre chré-
tiens et non-chrétiens.
252 LA DÉTERMINATION ET LA CONDITION DU DROIT ÉTRANGER

D'après le Reichsgericht, auquel l'affaire est finalement soumise, bien que les conditions de validité
du mariage relèvent, pour chaque époux, de sa loi nationale au jour de la célébration, l'action en
nullité du mariage est régie par la loi italienne, loi nationale des époux au moment où cette action
est introduite. Or, en droit international privé italien, la disparité des cultes, cause de nullité
empruntée au droit autrichien, loi nationale du mari au moment de la conclusion du mariage, est
contraire à l'ordre public, et un tribunal italien se refuserait à la retenir. Quoique l'exception
d'ordre public ne fasse pas obstacle, en Allemagne, à ce qu'on y invoque un empêchement de nature
confessionnelle, le Reichsgericht s'est rallié à la conception italienne de l'ordre public, parce que
« dans les causes matrimoniales, il faut appliquer la loi nationale et que le juge allemand n'est pas
disposé à tenir pour nul un mariage qui est valable dans l'État dont les époux ont la nationalité».
Sur RG, 16 mai 1931, RGZ, 132,416, voy.: P. LAGARDE, Recherches sur l'ordre public en droit internatio-
nal privé (Paris, L.G.D.J., 1959), n° 201 et s.; MARIDAKIS, Recueil des cours, vol. 85 (1954), 132; F.
RIGAUX, Recueil des cours, vol. 117 (1966), 427.

6.40 - Évaluation de la théorie des droits acquis - La référence à un système de droit


international privé étranger opère le « rattachement du rattachement » condamné par
Kahn dans un texte reproduit sous le n ° 6.26. Il faut certes condamner la tentative de
construire, à l'aide de «super-règles» de conflit de lois, un échafaudage complexe de
« rattachement au second degré». Après avoir étendu le domaine spatial de la règle de
rattachement au-delà des limites qui en circonscrivent la force obligatoire, il reste encore
à arrêter les limites spatiales de la règle qui opère cette extension.
IllL'expression« conflit de lois au second degré ou à la seconde puissance >> a, semble-t-il, été ima-
ginée par MEIJERS (Verzamelde Privaatrechtelijke Opstellen, t. II, 392). Voy. aussi : SzASZY, « Le nouveau
projet hongrois sur le droit international privé», Bull. trim. soc. lég. camp. (1948), 105; FRANCESCAKIS,
précité n° 6.12, n° 154 et la note 1, p. 157; LAGARDE, précité n° 6.29, 484; A. VON OVERBECK,« Les
questions générales du droit international privé à la lumière des codifications et projets récents»,
Recueil des cours, vol. 176 (1982-III), 168-177.
Un souci d'équité justifie pourtant de tenir compte du mouvement que le temps
imprime à la situation. La théorie des droits acquis paraît préférable, par la marge
d'appréciation qu'elle laisse au juge, à l'application mécanique de la théorie du renvoi ou
de la théorie de la question préalable, parfois invoquées pour résoudre le problème sou-
levé par l'écoulement du temps.
Ill L'incidence du temps est très nette dans les exemples de renvoi au second degré qui ont désa-
morcé l'opposition de la doctrine à la solution du renvoi. Si Raape a réussi à mobiliser d'excellents
auteurs en faveur des Suisses qui s'étaient mariés à Moscou (supra, n° 6.24), c'est parce que l'oncle
et la nièce avaient acquis la qualité d'époux sous la compétence conjuguée du droit international
privé russe et du droit international privé suisse. Il n'y avait pas d'autre loi à prendre en considéra-
tion au moment de la conclusion du mariage. Dès lors, il est peu satisfaisant que, pénétrant par la
suite dans un troisième pays, l'Allemagne, les époux voient leur union déclarée nulle parce que le
droit international privé allemand applique la loi nationale aux conditions de validité du mariage.
Ill La même mobilité se décèle en quelques hypothèses où le mécanisme de la question préalable
cherche à valider un effet de droit, grâce à l'application de la règle de conflit étrangère appartenant
à l'ordre juridique compétent pour régir la question principale. En voici un exemple: si un Maro-
cain marié civilement en Belgique ou en France obtient l'annulation de ce mariage des tribunaux
de son pays et y contracte ensuite une deuxième union, celle-ci est nulle d'après le droit internatio-
nal privé belge ou français. Il serait cependant peu satisfaisant d'écarter la légitimité des enfants
nés du second mariage. L'application de la théorie de la question préalable entend éviter ce résultat.
Autres exemples types de « questions préalables » soumises au droit international privé de l'État
étranger dont la loi régit la question principale : Cass. civ., 9 mai 1900, Prince de Wrède c. Dame Mal-
dauer, S. (1901), 1, 185; Schwebel v. Ungar [1964], 1 O.R. 430, 42 D.L.R. (2d 622), Ontario, Coure of
Appeal; Revue (1965), 321, note WENGLER, confirmé par la Supreme Court of Canada (1965), 48
D.L.R., (2d) 644 (S.C.c.).
LA DÉSIGNATION D'UNE RÈGLE DE RATTACHEMENT ÉTRANGÈRE 253

Le régime de la reconnaissance des jugements étrangers n'est pas inspiré d'un autre
souci que de préserver, dans toute la mesure du possible, l'autorité de ce qui a été décidé à
l'étranger. Le lien entre la reconnaissance de droits établis par un juge étranger et la théo-
rie des droits acquis est apparent dans le régime de la reconnaissance de plein droit (voy.
infra, n ° 10.15), puisque celui-ci exclut toute révision au fond du jugement étranger et,
partant, tout contrôle de la loi appliquée en fonction de ce que prévoirait la règle de rat-
tachement du juge requis.
6.41 - La théorie des droits acquis dans les codifications - Quelques codifications récen-
tes connaissent une application de la théorie des droits acquis.
La consécration est parfois explicite.
1111L'exemple le plus notable apparaît dans l'article 7 de la Convention interaméricaine sur les
règles générales de droit international privé (CIDIP-II) (Revue, 1984, 262) : « Les relations juridi-
ques valablement constituées dans un État contractant, en conformité avec toutes les lois auxquel-
les elles se rattachent au moment de cette constitution, sont reconnues dans les autres États
contractants pourvu qu'elles ne soient pas contraires à leurs principes d'ordre public».
IllAux États-Unis, la section 8, 3, du Restatement 2d est rédigée dans les termes suivants : « When
the state of the forum has no substantial relationship to the particular issue or the parties and the
courts of ail interesred scares would concur in selecring the local law rule applicable ro this issue,
the forum will usually apply this rule ».
IllLa formulation législative la plus achevée de la théorie des droits acquis avait été introduite sous
l'influence de Meijers dans l'article 25, alinéa 2, du projet de loi uniforme Benelux sur le droit inter-
national privé (1951), passé sans modification sous l'article 21, alinéa 2, du projet de 1969:
« Lorsqu'un rapport juridique est né ou s'est éteint hors de Belgique/ du Luxembourg/ des Pays-
Bas conformément à la loi applicable suivant le droit international privé des pays que ce rapport
juridique concernait essentiellement au moment de sa naissance ou de son extinction, cette nais-
sance ou cette extinction sont également reconnues en Belgique/ au Luxembourg/ aux Pays-Bas,
même par dérogation à la loi applicable en vertu des dispositions de la présente loi ».
1111L'article 31 du Code civil portugais donne une application particulière de la théorie des droits
acquis, limitée aux acres juridiques accomplis par une personne conformément aux règles de droit
international privé du pays de sa résidence habituelle.
1111En matière de mariage, la Convention de La Haye du 14 mars 1978 sur la célébration et la recon-
naissance de la validité des mariages prévoir, à propos d'un acte conclu à l'étranger, que celui-ci est
considéré comme valable s'il l'est « selon le droit de l'État de la célébration» (art. 9). Le terme
« droit» vise sans aucun doute les règles de conflit de lois, à la différence des termes « loi interne »
utilisés dans le chapitre de la Convention concernant la validité du mariage lors de la célébration.
Ainsi, la Convention distingue nettement de la théorie du renvoi, qu'elle rejette, la consécration de
la validité du mariage acquise selon le droit international privé de l'État étranger de célébration.
Cette référence au droit étranger n'est pourtant pas totale, car la Convention réserve l'application
du« droit» du for pour l'examen de certaines questions, tels la bigamie, la nubilité, l'empêchement
bilatéral.
En Suisse, l'article 73 LDIP montre un exemple analogue à propos de la validité de la reconnais-
sance d'un enfant naturel intervenue à l'étranger. Voy. aussi l'article 39 LDIP, à propos du change-
ment de nom intervenu à l'étranger.
À la différence de la théorie classique du respect des droits acquis, ces exemples couvrent aussi des
droits qui, quoique acquis à l'étranger, peuvent affecter une situation qui, au moment même de
l'acquisition du droit, avait des points de contact significatifs avec le système du for. Ils suggèrent
un rapprochement entre le régime de l'acte passé à l'étranger et celui appliqué à un jugement étran-
ger.
Une clause générale d'exception, aussi, peut préserver les droits acquis à l'étranger.
Elle permet de déroger à la règle de rattachement du for lorsque la situation ne présente
2S4 LA DÉTERMINATION ET LA CONDITION DU DROIT ÉTRANGER

pas de lien objectif avec le système du for, tout en présentant des liens significatifs avec
un autre système juridique (voy. supra, n ° 3.11 ). Quoique formulée comme une règle de
rattachement du for et se passant d'une référence à une règle de rattachement étrangère,
la formulation autant que l'esprit de la clause permettent une prise en compte de
l'emprise du temps sur la situation.
111 Voy. déjà les références dans : F. RIGAUX, « Le conflit mobile en droit international privé", Recueil
des cours, vol. 117 ( 1966-I), 425-427, évoquant « la situation effective des parties" au moment où le
juge statue.
111 En Belgique, le Code de droit international privé exprime la préservation des droits acquis
parmi les critères à considérer lors de l'appréciation des liens étroits dans le cadre de la clause
d'exception, en évoquant« la circonstance que la relation en cause a été établie régulièrement selon
les règles de droit international privé des États avec lesquels cette relation présentait des liens au
moment de son établissement" (art. 19, § 1"', al. 2).

C. La théorie du for du raisonnement


6.42 - Dissociation du for du jugement et du for du raisonnement - La subordination
de la compétence législative à la compétence juridictionnelle, fondement du droit inter-
national privé positif (voy. supra, n ° 1.46), signifie que le juge applique nécessairement
son propre système de conflit de lois. Cette constante découle du caractère national du
droit international privé. Elle accentue aussi l'importance des règles de compétence inter-
nationale, puisqu'aucune solution de conflit de lois ne peut être envisagée sans anticipa-
tion du raisonnement propre aux juridictions compétentes. Or, les règles de compétence
internationale obéissent à des objectifs spécifiques, distincts de ceux des règles de conflit
de lois.
La volonté de soumettre une situation à un droit étatique désigné indépendamment
de toute contingence liée à la saisine d'une juridiction nationale est sans doute une chi-
mère que l'école positiviste a eu le mérite de dénoncer. Certaines règles de compétence
internationale peuvent cependant justifier une dissociation du for du jugement et du for
du raisonnement.
La dissociation signifie que le juge renonce à se fonder sur un raisonnement lié à son
propre système de droit international privé : le raisonnement du conflit de lois est plutôt
emprunté à un système étranger, celui du pays avec lequel la situation est supposée pré-
senter le lien le plus approprié.
111On peut voir une illustration de ce phénomène dans la théorie du double renvoi (voy. supra,
n° 6.15). Ce rapprochement est fait par BATIFFOL et LAGARDE, n° 309.
Ill La distinction entre for du jugement et for du raisonnement apparaît chez G. DROZ, « Regards
sur le droit international privé comparé - Cours général de droit international privé ", Recueil des
cours, vol. 229 (1991-IV), 351 et s. ; voy. à ce propos : A. BUCHER,« Le for de raisonnement", Mélanges
Droz (La Haye, Nijhoff, 1996), 41-50.
111La méthode a fait l'objet d'une systématisation dans les travaux de P. PICONE, notamment: Ordi-
namento competente e diritto internazionale privato (Padoue, Cedam, 1986); « Il rinvio all' 'ordina-
mento competente' ne! diritto internazionale privato », Riv. dir. int. priv. proc. (1981), 309 et s .. ; « La
méthode de la référence à l'ordre juridique compétent en droit international privé ", Recueil des
cours, vol. 197 (1986-II), 229-420; ID.,« Les méthodes de coordination entre ordres juridiques en
droit international privé", Recueil des cours, vol. 276 (1999), 9-296.
Ill En Belgique, pour une référence générale au droit du pays dans lequel un acte a été reçu, voy. :
L. BARNICH, Les actes juridiques en droit international privé (Bruxelles, Bruylant, 2001 ).
LA DÉSIGNATION D'UNE RÈGLE DE RATTACHEMENT ÉTRANGÈRE 255

Pour une suggestion en faveur de l'application des règles de conflit de lois du pays de réception
!Il!
d'un acte public pourvu que soit vérifié un lien étroit avec ce pays, voy. : P. LAGARDE,
« Développements futurs du droit international privé dans une Europe en voie d'unification : quel-
ques conjectures », RabelsZ (2004), 225-243.

Pour une critique du procédé, voy. : A. STRUYCKEN, « Locus regit actum, un nouvel avatar
1!11
hollandais», Mélanges Lagarde (Paris, Dalloz, 2005), 765-779.

6.43 - Conditions d'application de la méthode - Pas plus qu'à propos de la question


préalable, il ne saurait être question de construire un « rattachement au second degré »
de portée générale (voy. supra, n ° 6.26), car la question resterait entière de formuler la
règle de rattachement apte à désigner le for du raisonnement. Aussi la formulation la
plus adéquate du concept du for du raisonnement semble-t-elle résider dans une clause
générale d'exception (voy. supra, n ° 3.11, et comp. supra, n ° 6.40, à propos de la théorie
des droits acquis).
1!11 En l'absence d'une clause d'exception, on voit mal comment le juge pourrait déterminer l'ordre
juridique le plus approprié, si ce n'est au terme d'un raisonnement propre à la méthode unilatéra-
liste (supra, n ° 4.18).

Les cas exceptionnels pouvant justifier cette méthode paraissent liés à l'existence
d'un for exorbitant, d'un for accessoire ou d'un for dérogatoire. Le recours à la méthode
pourrait se révéler utile dans une convention internationale concernant la compétence
judiciaire, lorsque le législateur entend circonscrire le risque de« forum shopping».
1!11En cas de for exorbitant, on conçoit que le hasard du domicile du demandeur, de la présence sur
le territoire du défendeur ou de biens sans rapport avec le litige (voy. infra, n ° 9.25), puisse conduire
à préférer les règles de rattachement d'un pays avec lequel la situation présente des liens plus signi-
ficatifs. La difficulté subsiste cependant de définir la nature du lien requis. Une désignation du for
du raisonnement par le biais de la règle de rattachement du for propre à la matière n'est pas néces-
sairement appropriée - notamment lorsque la règle est alternative. La clause d'exception peut y
pourvoir, pour le cas où la règle de rattachement pertinente ne suffit pas à exprimer une proximité.

Ill!Le for accessoire couvre la compétence attribuée aux juridictions saisies alors que la matière se
prête à l'attribution d'une compétence de principe à d'autres juridictions, par exemple dans un but
d'effectivité ou de concentration des litiges. La matière successorale peut en procurer un exemple.
Le critère du lieu d'ouverture de la succession y joue un rôle dominant pour la détermination de la
compétence. Cependant, il peut être nécessaire de conférer une compétence aux autorités du lieu
de situation d'un bien, pour des opérations de liquidation ou de transmission du bien. Une règle de
conflit de systèmes peut énoncer que ces autorités locales appliqueront les règles de conflit de lois
du pays du lieu du dernier domicile du défunt.
Voy. en ce sens la proposition pour une convention concernant la compétence judiciaire et l'exécu-
tion des décisions en matière familiale et successorale, par le Groupe européen de droit internatio-
nal privé (Rev. belge dr. intern., 1993, 645),
Camp. l'art. 91 LDIP en Suisse, se référant au droit désigné par le droit international privé du der-
nier domicile du défunt, en matière successorale. La règle est un exemple de renvoi lié à l'objectif de
la règle de rattachement du for, mais sa raison d'être est analogue à celle d'une règle désignant
l'ordre juridique compétent dans le cas où le for suisse n'est qu'accessoire. Le but serait en effet de
préserver l'unité du règlement successoral dans un cas où le système du for est peu intéressé par la
situation (BUCHER et BoNOMI, n ° 425). DROZ, précité, n ° 384, cite cette règle comme un exemple de
dissociation du for du raisonnement.
Voy. la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l'enlèvement internatio-
nal d'enfants, centrée sur une compétence naturelle des autorités de l'État de résidence de l'enfant
pour statuer sur la responsabilité parentale, dont l'article 3 soumet - à l'adresse des autorités du
pays où se trouve l'enfant qui a été enlevé - la détermination d'un droit de garde au « dtoit » de
l'État de résidence, terme dont il est entendu qu'il inclut une référence aux règles de conflit de lois.
256 LA DÉTERMINATION IT LA CONDITION DU DROIT ÉTRANGER

1111Le for dérogatoire est celui par lequel les parties choisissent de déroger au tribunal normale-
ment compétent en prorogeant la compétence d'un autre tribunal. Lorsque le for prorogé ne pré-
sente aucun lien avec la situation, on peut admettre la référence à un système étranger de conflit de
lois. Voy. en ce sens, dans l'affaire de la Banque ottomane: Paris, 19 mars 1965, Revue ( 1967), 85, note
P. LAGARDE.
1111Sur le lien entre la méthode et la solution de la question préalable ou la théorie des droits
acquis, voy. G. DRoz, précité, n ° 394 et 396. Selon cet auteur, la méthode pourrait être utilisée dans
le cas de ce que l'on pourrait appeler un for inexistant, lorsque le juge compétent pour statuer sur
la question principale ne le serait pas pour statuer sur la question préalable.
Dans le contexte propre au droit communautaire aussi, la référence aux règles de
conflit de lois d'un système étranger prédéterminé pourrait découler de la nécessité
d'assurer la liberté de circulation des biens et des personnes. De même qu'il serait incohé-
rent de contraindre l'État d'accueil d'appliquer la loi de l'État d'origine à l'encontre de la
volonté d'application de cette loi (voy. supra, n ° 6.18, à propos de la théorie du renvoi), il
pourrait se concevoir qu'afin de prévenir les entraves aux échanges pouvant résulter de
l'application de la loi d'un État membre, le conflit de lois se résolve à partir du système de
droit international privé du pays d'origine d'un bien, d'un acte ou d'une personne,
pourvu que ce pays soit aisément identifiable.

D. La référence à la reconnaissance internationale du jugement


6.44 - Recherche d'un effet utile du droit international privé du for - Une ultime ten-
tative de coordination des systèmes étatiques réside dans le souci de s'assurer de l'effica-
cité internationale de la décision à intervenir.
La méthode tend à surmonter le cloisonnement des systèmes issu du caractère
national du droit international privé. Elle prend en compte une donnée nouvelle, incon-
nue à l'époque où sont apparues d'autres techniques de coordination, comme la théorie
du renvoi ou la doctrine des droits acquis. Elle repose sur la recherche d'une coordina-
tion effective à laquelle la théorie du renvoi, de nature plus conceptuelle, ne réussit pas
vraiment.
On trouve une systématisation de cette méthode chez P. Picone (précité n ° 6.42).
Selon cet auteur, il incombe au juge de se référer à l'ordre juridique compétent, ce qui
signifie que cet ordre peut être étranger et que cette référence porte sur cet ordre dans sa
globalité, comme incluant l'ensemble de ses règles de droit international privé. Cet
ensemble couvre non seulement les règles de conflit de lois, mais encore les règles sur la
reconnaissance des jugements étrangers. L'essentiel du raisonnement de droit internatio-
nal privé ne consiste plus en la détermination du droit seul applicable à un rapport juri-
dique, considéré comme une abstraction, mais en la recherche d'une solution appropriée
à une situation concrète, localisée dans un système juridique. Dans une telle perspective,
la désignation de la loi appropriée importe moins que l'aptitude de la décision du for à
être reconnue dans un ordre juridique déterminé.
1111 L'auteur appuie sa démonstration sur un exemple emprunté au droit international privé avant

la réforme de 1986 en Allemagne. À l'époque, une combinaison de la règle de compétence interna-


tionale et de la règle de conflit de lois en matière de divorce attribuait une compétence subsidiaire
aux tribunaux allemands pour connaître d'un divorce lorsque l'un des conjoints résidait en Alle-
magne, à condition que la décision à intervenir fût reconnue selon la loi nationale du mari. De son
côté, la règle de rattachement désignait la loi nationale du mari. P. Picone explique cette combinai-
son de règles par le souci d'assurer la reconnaissance du jugement allemand à l'étranger, dans le
LA DÉSIGNATION D'UNE RÈGLE DE RATTACHEMENT ÉTRANGÈRE 257

système juridique considéré comme prédominant par le législateur allemand. L'auteur remarque
que le droit appliqué par le juge n'est qu'un des éléments de la reconnaissance, puisque celle-ci peur
également être fonction d'une règle de compétence indirecte (voy. supra, n ° 6.23).
Ill Le droit suisse recourt à la méthode de la référence à l'efficacité internationale de la décision à
intervenir. Ainsi, l'article 43, par. 2, LDIP admet la compétence des autorités suisses pour célébrer
le mariage d'étrangers non domiciliés en Suisse,« lorsque le mariage est reconnu dans l'État de leur
domicile ou dans leur État national». De manière étonnante, la même loi abandonne la méthode
en d'autres matières où elle introduit un for de nécessité (sur cette notion, voy. infra, n ° 9.15), pré-
voyant alors la désignation du droit du for (art. 47 et 48, § 3, en matière d'effets du mariage; art. 60
et 61, § 4, en matière de divorce).
Le droit suisse contient un autre exemple à propos de l'adoption. Celle-ci est régie en principe par
le droit du for (art. 77, § 1er LDIP), mais le juge prend en considération un refus éventuel de recon-
naissance de l'adoption dans l'État du domicile ou de la nationalité d'un adoptant(§ 2). Il faut pré-
ciser que la compétence internationale des tribunaux suisses repose sur le domicile d'un adoptant
ou sur un for de nécessité (for d'origine d'un adoptant) (art. 75 et 76).
IllComp., en Belgique, le refus de la Cour de cassation de permettre le divorce d'un Irlandais, par
application de la loi nationale du demandeur désignée par la règle de rattachement du for (voy.
supra, n° 6.23), alors même que le droit irlandais permet de reconnaître une décision étrangère de
divorce prononcée dans l'État du domicile.

6.45 - Conditions d'application de la méthode - Comme d'autres méthodes de coordi-


nation des systèmes, la référence à des règles étrangères sur l'efficacité des décisions
paraît devoir se limiter à des cas exceptionnels. Les exemples rencontrés suggèrent que le
droit international privé du for ne passe la main au droit international privé étranger que
si, soit la compétence internationale des juridictions correspond à un for accessoire ou
exorbitant, soit la règle de rattachement du for trahit un malaise quant à la désignation
du droit le plus approprié, soit encore la prise en considération de ce droit constitue une
condition de l'effectivité même de la décision à intervenir.
1111Les deux premiers arguments appuient respectivement la méthode de la dissociation du for du
raisonnement (voy. supra, n ° 6.42) et la théorie du renvoi conditionnel (voy. supra, n ° 6.16).
P. Picone lui-même (cours de 1986 précité, 339 et s.) reconnaît les limites de la méthode, qu'il
estime en voie de régression dans les codifications. Il en voit l'utilité dans les matières où l'élimina-
tion de rapports juridiques boiteux fait partie de l'objectif prépondérant du droit international
privé, comme en matière d'adoption, ou lorsque la compétence juridictionnelle du for est mal fon-
dée, ou pour une coordination de systèmes dont l'un raisonne en termes de règles de rattachement
multilatérales et l'autre, en termes de règles de compétence judiciaire internationale avec désigna-
tion du droit du for, hypothèse que le renvoi est impuissant à gérer.
1111 Au cas où le droit international privé du for connaît la théorie du renvoi, il paraît cohérent

d'admettre aussi le« renvoi étendu», couvrant les règles étrangères sur la reconnaissance des juge-
ments.
Ill Il faut être attentif au risque d'incohérence interne, pour le système du for, que peut créer la
méthode exposée. En effet, la référence à l'ensemble des règles de droit international privé étrangè-
res, incluant les règles sur la reconnaissance, expose le système du for à devoir considérer, le cas
échéant, des règles étrangères de compétence indirecte sanctionnant les règles de compétence
directe du for, des règles étrangères sur le respect de garanties procédurales plus strictes que celle
en vigueur dans le for, une exception d'ordre public étranger hostile à l'application éventuelle du
droit du for, etc. Que dire encore lorsque l'ordre juridique étranger de référence ignore roue sys-
tème de reconnaissance d'un jugement étranger ?
Il convient encore d'analyser la relation entre l'utilisation de la méthode et la poursuite d'une poli-
tique substantielle du for. P. PICONE (précité, 350) estime que la régression de la méthode en
matière de divorce est liée à une propension à appliquer la lex fori sans se préoccuper de la recon-
naissance à l'étranger, afin de permettre le divorce. Paradoxalement, c'est la même politique de
258 lA DÉTERMINATION ET LA CONDITION DU DROIT ÉTRANGER

faveur du divorce qui a conduit les juridictions de fond en Belgique à admettre le divorce d'irlan-
dais, ou l'adoption de majeurs, en entendant la référence à la loi de la nationalité - dont les règles
matérielles interdisaient le divorce ou l'adoption, contrairement aux règles matérielles du for -
comme incluant les règles sur la reconnaissance des jugements étrangers (voy. supra, n ° 6.23).
Ill Pour un cas de prise en considération de la règle étrangère de reconnaissance des jugements
étrangers, dans le but d'assurer l'effectivité de la décision à intervenir, voy. : J.P. Uccle, 26 octobre
1995, Rev. not. belge (1996), 125, subordonnant l'exercice du droit de visite à l'obtention de l'exequa-
tur du jugement belge dans le pays où ce droit est appelé à être exercé.

Section 2
La condition procédurale du droit étranger
6.46 - Bibliographie
D. ALEXANDRE, v « Conflits de lois - La loi étrangère devant les tribunaux français»,]. Cl. (1995),
0

fasc. 539-10 et 539-20; H. BATIFFOL, « La Cour de cassation de France et la dénaturation de la loi


étrangère», Mélanges Dalle, t. II, 216; BERVOETS, DE Born, JESSURUN D'OLIVEIRA et KOTTING, Hoe
vreemd is buitenlands recht (Deventer, Kluwer, 1979); D. BUREAU, « L'application d'office de la loi
étrangère - Essai de synthèse», Clunet (1990), 317-365; ID., « L'accord procédural à l'épreuve»,
Revue (1996), 587-620; O. CAPATINA, « L'entraide judiciaire internationale en matière civile et
commerciale», Recueil des cours, vol. 179 (1983-I), 305-412; P. COURBE,« Le contrôle, par la Cour de
cassation, de l'interprétation et de l'application de la loi étrangère», Revue (1979), 775 et s.; P. B.
CARTER, « Rejection of Foreign Law: Sorne Private International Law Inhibitions», B. YI.L. (1984),
111-132 ; B. CuRRJE, « On the displacement of the law of the forum », Selected Essays on the Conflict of
Laws (1963), 3 et s.; C. DAVID, La loi étrangère devant le ;uge du fond (Paris, 1965) et la bibliographie;
T. DE Born, « Facultative choice of law: The procedural status of choice-of-law rules and foreign
law », Recueil des cours, vol. 257 (1996), 223-428; ID., « Le juge français et le droit étranger», D.S.
(2000), C, 125-134; D. EVRIGENIS, L'application du droit étranger. Contribution à la théorie générale du droit
international privé (Thessalonique, Sakkoulas, 1956, en grec); M. FALLON,« La preuve en droit inter-
national privé belge», Rev. jur. pol. (1985), 509-522; B. FAUVARQUE-CossoN, Libre disponibilité des
droits et conflits de lois (Paris, LGDJ, 1996), 451 p.; R. FENTIMAN, Foreign law in English courts (Oxford
Univ. Press, 1998), 368 p.; P. FRANCESCAKIS, « La loi étrangère à la Cour de cassation», D. (1963),
Chron., II, 7 et 8 ; P. GANNAGÉ, « Le régime d'application et la preuve de la loi étrangère au Liban »,
Rev. jur. pal. ( 1985), 391-400 ; S. GEEROMS, Foreign law in civil litigation. A comparative and functional ana-
lysis (Oxford Univ. Press, 2004), 415 p.; R. GRAVESON, « The Inequality of the Applicable Law»,
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Systems Compared », I.C.L.Q. (1996), 271-292; R. HAYOIT DE TERMICOURT, « La Cour de cassation et
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national courts - A comparative perspective», Recueil des cours, vol. 304 (2003), 181-386; H. U. JES-
SURUN o'OLIVEIRA, De Antikiesregel: een paar aspekten van de behandeling van buitenlands recht in het bur-
gerlijk proces (Deventer, Kluwer, 1971); ID., « Foreign Law and Legal Cooperation », Hague-Zagreb
Essays 2 (Sijthoff, Alphen a/d Rijn, 1978), 216-232; ID.,« Foreign law in summary proceedings »,
Mélanges Voskuil (Dordrecht, Nijhoff, 1992), 119-136; N. KATICIC, « Application of Foreign Law in
Yugoslav Private International and Procedural Law», Hague-Zagreb Essays 2 (Sijthoff, Alphen a/d
Rijn, 1978), 193-202; O. KAHN-FREUND, « Constitutional Review on Foreign Law?», Festschrift
Mann, 207-226; K. LENAERTS, « Le statut du droit étranger en droit international privé belge. Vers
un nouvel équilibre)», Mélanges Vander Elst, 529-555 ; P. MAYER,« L'office du juge dans le règlement
des conflits de lois», Trav. Comité fr. d.i.p. (1975-1977), 233-249; ID., « Le rôle du droit public en
droit international privé», Rev. int. dr. camp. (1986), 467-486; ID.,« Les procédés de preuve de la loi
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gère par les juges du fond (Aix, PUAM, 2002), 379 p.; A. MILLER, « Federal Rule 44.1 and the 'Fact'
LA CONDITION PROCÉDURALE DU DROIT ÉTRANGER 259

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2101; J. RUTSAERT, « De uitbreiding van de cassatiecontrole tot de toepassing en interpretatie van
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sung und das auslandische Privatrecht : viel Larm um Niches ? », Festschrift Mann (München, Beck,
1977), 267-288; A. ScHNITZER, « L'égalité de la loi étrangère et de la loi interne dans les rapports
internationaux», Rev. hellén. dr. internat. (1969), 32-52; L. S!MONT, « La Cour de cassation et la loi
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rôle de la jurisprudence étrangère lors de l'application par le juge belge de la loi étrangère»,]. T
(1975), 95-98; C. TUBEUF, « L'accord procédural en droit international privé et l'office du juge au
cours d'une procédure judiciaire», Rev. dr. comm. belge (2003), 224-234; R. VANDER ELsT, « La Cour
de cassation, la loi étrangère et les règles de droit non écrites »,].T (1967), 145 et s.; A. VON OVER-
BECK, « L'application par le juge interne des conventions de droit international privé», Recueil des
cours, vol. 132 (1971), 1-196; I. ZAJTAY, Contribution à l'étude de la condition de la loi étrangère en droit
international privé français (Paris, 1958) ; Io., « L'application du droit étranger, science et fictions »,
Rev. int. dr. comp. (1971), 49 et s.; Io., « The Application of Foreign Law »,International Encyclopedia of
Comparative Law, vol. III, chap. 14.
Sur la Convention européenne dans le domaine de l'information sur le droit étranger, faite à Lon-
dres le 7 juin 1968 et entrée en vigueur le 17 janvier 1974, voy.: G. BRULLIARD, « La Convention
européenne du 7 juin 1968 relative à l'information sur le droit étranger et l'influence qu'elle peut
avoir sur l'application de la loi étrangère dans la procédure civile »,].C.P. (1973), n ° 43; H. A. DES-
MEDT, « La Convention européenne dans le domaine de l'information sur le droit étranger»,]. T
(1974), 97 et s.; J. ERAUW, « De eerste Belgische ervaringen met het europees verdrag inzake
inlichtingen over buitenlands recht », R. W (1981-1982), 1503-1508; H. U. ]ESSURUN o'OLIVEIRA,
« De Europese overeenkomst nopens het verstrekken van inlichtingen over buitenlands recht »,
Nederl.Jur. (1979), 637-648; B. RooGER et]. VAN DooRN, « Proof of Foreign Law: The Impact of the
London Convention »,I.C.L.Q. (1997), 151-173.

§ 1 NOTIONS DE PROCÉDURE CIVILE


6.47 - Présentation - La condition procédurale du droit étranger vise les difficultés
inhérentes à l'origine non nationale des règles de droit à mettre en œuvre. Ces difficultés
- qui concernent notamment la connaissance du droit étranger, son application d'office
par le juge du fond et son statut devant la Cour de cassation - sont généralement liées au
déroulement d'une action en justice.
La condition du droit étranger n'est pas identique à tous les degrés de juridiction ni
en toute matière. Cela justifie la division de cette section en quatre parties : après un rap-
pel de quelques principes régissant toute action en justice, il convient de présenter la con-
dition du droit étranger devant le juge du fond et à la Cour de cassation. Quant au droit
260 LA DÉTERMINATION ET LA CONDITION DU DROIT ÉTRANGER

public étranger, il bénéficie d'un traitement privilégié s'il est la condition d'application
d'une règle nationale de droit public.
Le droit étranger ne se limite pas au droit matériel. Il faut y inclure les règles de con-
flit étrangères, soit internes, soit internationales, quand il y a lieu d'appliquer une de ces
règles pour vider un conflit interne de droit étranger, par l'effet du renvoi ou en vertu de
la théorie des droits acquis.

6.48 - Condition du droit uniforme - Les règles uniformes insérées dans un traité inter-
national appartiennent aux sources de droit international et ne sauraient, dès lors, être
tenues pour des dispositions de droit« étranger». Leur condition en chaque État dépend
de la position que le droit constitutionnel interne reconnaît au droit international parmi
les diverses sources de droit (voy. supra, n° 5.14).
Plus délicate apparaît la condition du droit uniforme qui, dans les États contrac-
tants, a vocation à se substituer au droit commun (voy. supra, n ° 4.35). S'incorporant au
droit interne de chaque État, les dispositions unifiées doivent-elles, dans les autres États
ayant participé à l'unification, être tenues pour du« droit étranger»? L'affirmative a été
soutenue en France à propos de la loi allemande sur la lettre de change, unifiée par la
Convention de Genève à laquelle les deux États sont parties. Encore faut-il distinguer
selon que la question affecte l'interprétation du texte, ou son applicabilité d'office ainsi
que la preuve de son contenu. Sur le premier point, le principe de l'interprétation con-
forme aux objectifs du traité encourage à une interprétation autonome de ses termes.
Ill Voy. Cass. corn., 4 mars 1963, Hoeke, Clunet (1964), 806, note GoLDMAN,j.C.P. (1963), II, 13376,
note LESCOT, Revue (1964), 264. Dans la doctrine, voy. notamment: P. LAGARDE, « Les interpréta-
tions divergentes d'une loi uniforme donnent-elles lieu à un conflit de lois?», Revue (1964), 235 et
s. ; P. LESCOT,« L'interprétation judiciaire des règles de droit privé uniforme »,].CP. (1963), I, 1756.

La méthode la plus sûre pour éviter toute divergence d'interprétation du droit uni-
forme consiste à ériger les contestations relatives à cette interprétation en question préju-
dicielle déférée à une juridiction commune aux États contractants.
Dans les Communautés européennes, la procédure du renvoi préjudiciel de
l'article 234 CE attribue une compétence d'interprétation à la Cour de justice des Com-
munautés européennes.
1111 De même, le droit uniforme mis en vigueur dans le Benelux fait l'objet d'une interprétation uni-

forme confiée à la Cour de justice Benelux par le traité de Bruxelles du 31 mars 1965 entré en
vigueur le 1er janvier 1974.

Lorsque le juge d'un État membre doit appliquer le droit d'un autre État membre
dont le contenu est issu de la transposition d'une directive communautaire, il doit réser-
ver à ce « droit étranger » la condition procédurale établie par le droit communautaire.
Ainsi doit-il en interpréter les dispositions en cause en fonction de l'interprétation que la
Cour de justice a donnée aux règles transposées ou, en cas de divergence entre les disposi-
tions nationale et communautaire, en interprétant la première à la lumière de la seconde,
dans la mesure du raisonnable. De plus, il ne peut attribuer au droit communautaire -
ni, partant, au droit étranger de transposition - une condition procédurale moins favo-
rable que celle dont bénéficie la disposition correspondante de la !ex fori (principe dit
d'équivalence).
IllSur l'interprétation du droit national à la lumière d'une directive, voy.: C.J.C.E., aff. C-106/89,
13 novembre 1990, Marleasing, Rec. (1990), I-4135.
LA CONDITION PROCÉDURALE DU DROIT ÉTRANGER 261

1111 Sur l'assimilation du droit communautaire au droit national, voy. : C.].C.E., aff. C-430/93,
14 décembre 1995, Van Schijndel, Rec. (1995), I-4705; aff. C-312/93, 14 décembre 1995, Peterbroeck,
Rec. (1995), I-4599, précisant, à propos d'un moyen invoquant la contrariété du droit national à
une directive, que la règle nationale de procédure civile ne peut empêcher en fait toute applicabilité
d'office de la règle de droit en cause.
111 Pour une mise en contexte de cette problématique, voy. : M. FALLON, « Les conflits de lois et de
juridictions dans un espace économique intégré - L'expérience des Communautés européennes »,
Recueil des cours, vol. 253 ( 1995-III), 9-282.

6.49 - Principes fondamentaux régissant l'action en justice - Le traitement de l'action


obéit à trois principes procéduraux, à savoir le principe dispositif, le principe Jura novit
curia et le principe du contradictoire.
Le principe dispositif est lié au postulat de « la direction du procès par les parties»
(commissaire royal Van Reepinghen, Rapport sur la réforme judiciaire, t. I, p. 246). Le
caractère accusatoire de la procédure a été appelé par la doctrine italienne « principe
dispositif», par la doctrine allemande Verhandlungsmaxime.
Ce principe se décompose en deux règles, accompagnées d'une exception.
D'abord, le juge ne peut se fonder que sur les faits allégués et prouvés par les parties,
il doit tenir pour établi tout fait sur la réalité duquel elles concordent.
Ensuite, le juge est lié par l'objet et par la cause de la demande, ainsi que par les
défenses, fins de non-recevoir et exceptions : il ne peut allouer autre chose ni plus que ce
que la partie maîtresse des droits en litige lui réclame.
ill L'objet est l'effet juridique réclamé, par exemple le paiement d'une somme d'argent, la dissolu-
tion du mariage par le divorce. La cause est le motif de droit pour lequel pareil effet découle des
faits allégués : la somme d'argent réclamée peut être allouée à titre de dommages-intérêts, ou en
remboursement d'un prêt, ou comme prix d'un objet vendu; le divorce a pour cause l'adultère ou
des injures graves.
1111Le demandeur doit alléguer les faits sur lesquels il se fonde et fixer l'objet et la cause de sa
demande.
En déterminant l'objet et la cause de son action, le demandeur procède aussi, nécessairement, à la
qualification des faits allégués. Qualifier, c'est introduire les faits sous un concept juridique, tels
que: responsabilité civile, contrat de prêt, vente, divorce, adultère, injure grave. Pareils concepts
appartiennent à l'hypothèse de la disposition législative appliquée par le juge. Si les faits déclarés
établis entrent sous l'une de ces hypothèses, s'il est, par exemple, démontré que le défendeur a com-
mis une faute ayant causé un dommage, qu'il a reçu une somme d'argent à titre de prêt, qu'il a
commis l'adultère, la fonction du juge est d'en déduire la conséquence juridique prévue par la dis-
position législative à laquelle appartient l'hypothèse correspondante : il condamne, respective-
ment, au paiement d'une indemnité proportionnée au montant du dommage, au remboursement
du prêt, au divorce.
Voyez notamment: H. MüTULSKY, « La cause de la demande dans la délimitation de l'office du
juge», D., Chron. XXXIV (1964), 235-246; F. RrGAUX, « L'objet et la cause de la demande en droit
judiciaire privé», note sous Cass., 4 mai 1972, Rev. crit. jur. belge (1972), 239-259; J. VAN COMPER-
NOLLE, « L'office du juge et le fondement d~ litige» et F. RIGAUX, « La scission du fait et du droit et
la distinction entre le droit interne et le droit étranger», notes sous Cass., 24 novembre 1978 et
9 octobre 1980, Rev. crit. ;ur. belge (1982), 5-57. Voy. aussi: Cass., 18 novembre 2004,]. T. (2005), 160,
note J.-F. VAN DROOGHENBROECK, censurant le juge d'appel pour violation du principe dispositif en
utilisant des faits non invoqués par les parties et en modifiant ainsi la cause de la demande.
La qualification des faits - qui accompagne nécessairement la détermination de l'objet et de la
cause de la demande - lie le juge, auquel le principe dispositif interdit d'allouer autre chose que ce
qui a été réclamé ou de l'attribuer pour une cause que ni le demandeur ni le défendeur n'ont invo-
quée. Le juge ne peut prononcer la résolution du contrat et ordonner la restitution de l'objet livré,
262 LA DÉTERMINATION IT LA CONDITION DU DROIT ÉTRANGER

alors que le vendeur réclamait paiement du prix (modification de l'objet) ; il ne peut non plus don-
ner au contrat une qualification qu'aucune des parties n'a alléguée, par exemple décider qu'il y a eu
donation ou location et non vente (modification de la cause). De même, le juge ne peut prononcer
la nullité du mariage alors que la demande tendait au divorce (modification de l'objet) ni admettre
le divorce pour adultère alors que seules des injures graves avaient été invoquées (modification de la
cause).
Pour une difficulté d'application en droit international privé, voy. infra, n ° 7.23.

Il est dérogé à ces deux règles quand la matière intéresse l'ordre public. Les faits dont
l'allégation est prohibée doivent être écartés par le juge. L'accord des parties est insuffi-
sant soit pour asseoir le fait, soit pour en déduire la conséquence juridique, quand l'ordre
public est intéressé, par exemple en matière d'état des personnes.
Selon l'adage jura novit curia, « la cour sait le droit». Cela signifie que les plaideurs
n'ont pas l'obligation d'indiquer au tribunal la règle de droit dont découle, à leur profit,
l'effet juridique réclamé.
Ili! Cet adage doit être mis en relation avec le principe dispositif.

L'adage Jura novit curia permet, d'abord, de préciser la deuxième règle énoncée sous le principe
Ili!
dispositif: pour formuler l'objet et la cause de sa demande ou, s'il est défendeur, de l'exception ou
de la fin de non-recevoir proposée, le plaideur n'est pas tenu de viser un texte de loi, il suffit qu'il
exprime avec précision l'effet de droit qu'il réclame. C'est, suivant l'adage Jura novit curia, au juge
qu'il appartient de rechercher les dispositions législatives pertinentes et de les appliquer d'office.
Comme exemples d'un effet de droit réclamé, on peut citer : un associé assigne ses coassociés pour
obtenir la dissolution de la société qu'ils ont formée, un prêteur réclame le remboursement de la
somme empruntée, un propriétaire poursuit la résiliation du bail et l'expulsion du locataire, etc.

Ili! Dans l'exercice de cette mission, le juge reste lié par la première règle du principe dispositif: il
ne peut choisir que les règles de droit dont l'hypothèse vise un des faits allégués par les parties.
Réserve faite des matières qui intéressent l'ordre public, le juge ne peut rechercher les faits conne-
xes aux circonstances de la cause, faits que les parties n'ont pas elles-mêmes allégués. Sans que les
parties doivent indiquer au juge la disposition législative applicable, elles choisissent néanmoins
les concepts juridiques à l'aide desquels elles déterminent objet et cause des demandes, défenses et
exceptions et, par là, circonscrivent les règles de droit parmi lesquelles s'exerce le choix du juge.

D'après le principe du contradictoire, une partie ne peut, devant le juge, alléguer un


fait ni formuler une demande sur lesquels l'autre partie n'ait pas été mise en mesure de
s'expliquer.
De plus, le juge lui-même ne peut invoquer un fait ni appliquer une règle de droit
d'une manière qui surprenne les parties, eu égard à la position prise par elles ou par l'une
d'elles au cours du procès. Le principe du contradictoire renforce ici le principe dispositif.
Dans les matières où celui-ci s'oblitère, celui-là subsiste et en prend la place: tel est
notamment le cas si la contestation intéresse l'ordre public.

6.50 - Variation des degrés d'application de la règle de droit - La mise en œuvre de la


règle de droit dans le cas particulier appelle une distinction entre l'application au sens
strict et la simple prise en considération de la règle.
Appliquer, au sens propre du terme, une règle de droit, consiste à emprunter à cette
règle les termes mêmes du dispositif du jugement ou de l'acte public. Est appliquée, en
matière civile, la norme contenant la solution réclamée par la question principale (voy.
supra, n ° 6.30), celle qui permet au tribunal d'adjuger ou de refuser au demandeur l'objet
de sa demande initiale.
LA CONDITION PROCÉDURALE DU DROIT ÉTRANGER 263

Ill!Appelée dispositif, la partie essentielle d'une décision judiciaire ou d'un acte administratif con-
tient la décision même prise par le juge ou par l'agent du pouvoir et est exprimée en termes
impératifs : un mariage est dissous, un débiteur est condamné au paiement d'une somme, un bien
est attribué à la personne tenue pour son propriétaire, une nationalité est conférée ou reconnue,
une peine est prononcée, un service public est ordonné (tels l'obligation militaire, le paiement d'un
impôt).

Souvent, la règle est une simple condition d'application d'une autre norme.
Ill!Par exemple, si une femme réclame des aliments à un homme qu'elle prétend être son conjoint
et que le défendeur conteste la validité du mariage, le juge saisi de cette question préalable doit la
trancher, sans que sa décision ait pour portée, à supposer qu'il admette le bien-fondé de l'excep-
tion, d'annuler le mariage, demande dont il n'a pas été saisi. Aussi n'applique-t-il pas la disposition
législative en vertu de laquelle le mariage est nul: cette disposition est simple condition d'applica-
tion d'une règle excluant tout droit aux aliments en l'absence de mariage.

De nombreuses dispositions législatives font appel au droit étranger, non pour qu'il
soit appliqué par le juge, mais au titre de condition d'application du droit du for. Le pro-
cédé permet de prendre en considération le contenu de la norme étrangère sans rien
emprunter à son dispositif.
Ill!On peut prendre pour exemple le principe de la double incrimination. L'application combinée
de l'article 7 de la loi du 17 avril 1878 contenant le titre préliminaire du Code de procédure pénale
et des articles 418 et 420 du Code pénal permet de poursuivre en Belgique le Belge qui, à l'étranger,
a, « par défaut de prévoyance ou de précaution », causé des coups ou des blessures involontaires à
un autre Belge. D'après l'article 7, § 1er, précité, ce Belge ne peut être poursuivi que« si le fait est
puni par la législation du pays où il a été commis ». L'incrimination suivant la loi belge est ainsi
subordonnée à la condition que le fait soit aussi punissable d'après le droit étranger.
De plus, si ce fait a été commis à l'occasion d'un accident de roulage, pour apprécier le « défaut de
prévoyance ou de précaution» de l'article 418 du Code pénal belge le juge vérifie si l'inculpé s'est
conformé aux prescriptions du Code de la route du lieu de l'infraction. Les dispositions de ce Code
se combinent avec l'article 418 du Code pénal belge pour définir l'un des éléments constitutifs de
l'infraction.

Le procédé se laisse aussi observer en matière civile. L'appréciation d'une demande


en cette matière peur présupposer que soit prise en considération le contenu d'une
norme de droit public. Ce faisant, le juge saisi n'applique pas cette norme puisqu'il ne
condamne pas à la sanction qu'elle établit: il se sert uniquement des éléments de l'incri-
mination pour vérifier que l'une des conditions du droit civil est remplie.
Par exemple, lorsque le juge civil applique les dispositions du Code civil sur la réparation d'un
11!i
dommage causé par une faute, pour apprécier que les éléments constitutifs de la faute sont réunis
en l'espèce il prend en considération les normes de sécurité de la loi étrangère du fait illicite.
Voy. en ce sens l'article 7 de la Convention de La Haye du 4 mai 1971 sur la loi applicable en
matière d'accidents de la circulation routière : « Quelle que soit la loi applicable, il doit, dans la
détermination de la responsabilité, être tenu corn pte des règles de circulation et de sécurité en
vigueur au lieu et au moment de l'accident».

§2 LE DROIT ÉTRANGER DEVANT LE JUGE DU FOND


6.51 - Présentation - L'application du droit étranger par le juge du fond soulève pour
question principale celle de la preuve du contenu de ce droit. Elle en comporte d'autres,
l'une, en amont, consiste à déterminer si cette application doit avoir lieu d'office et
l'autre, en aval, porte sur les conséquences de l'impossibilité de prendre connaissance du
contenu du droit étranger.
264 LA DÉTERMINATION IT LA CONDITION DU DROIT ÉTRANGER

A. L'application d'office de la règle de conflit de lois


6.52 - La norme primaire, partie du droit du for - L'obligation pour le juge d'appli-
quer d'office la règle de rattachement pertinente découle du principe Jura novit curia:
comme les dispositions matérielles du système du for, que nul ne songerait à soustraire à
cette maxime, les règles de conflit de lois du for appartiennent au droit que le tribunal
applique d'office.
Toutefois, pour que soit aussi respecté le principe dispositif, l'application d'office
des règles de conflit de lois suppose que les faits allégués devant le juge fassent apparaître
les éléments étrangers de la situation. Le juge saisi de tels faits statue suivant les disposi-
tions qui régissent la matière, en l'espèce conformément aux règles de conflit de lois, sans
qu'il soit nécessaire que les parties aient été conscientes du problème de droit internatio-
nal privé auquel leur situation donnait naissance.
Si les parties ont dissimulé au juge tout élément étranger, celui-ci ne peut, sans
enfreindre le principe dispositif, soulever d'office le problème de conflit de lois.
Toutefois, l'ordre public exerce ici l'effet qui est le sien en droit judiciaire: l'accord
des parties est sans pouvoir sur la configuration des faits quand la matière intéresse
l'ordre public. Le juge a le devoir de s'informer d'office des faits qui appartiennent à
l'hypothèse d'une loi impérative ou qui intéresse l'ordre public.
Ill Quand une question d'état est rattachée à un droit étranger, le tribunal se doit d'inviter les par-
ties à s'expliquer sur la règle de conflit de lois applicable. Dans certaines matières où les fraudes et
les réticences sont à craindre, il doit se montrer exceptionnellement vigilant. aini, dans une procé-
dure en détermination ou en changement de nom, il convient d'exiger la production d'un certificat
de nationalité.
Cependant, il ne convient pas qu'en soulevant d'office un problème de conflit de lois non aperçu
ou dissimulé par les parties, le tribunal les surprenne, et c'est à un débat contradictoire sur ce pro-
blème qu'il doit, d'abord, les inviter.

6.53 -Application du principe - L'appartenance de la norme primaire au droit du for


comme toute règle de droit belge justifie que le Code de droit international privé n'expli-
cite pas le principe de l'applicabilité d'office.
La jurisprudence belge n'a pas hésité à appliquer ce principe, au moins quand la
matière intéresse l'ordre public. Même si la Cour de cassation ne semble pas avoir eu
l'occasion de le consacrer formellement, il se concilie avec le principe de l'assimilation du
droit étranger à une règle de droit, qui fonde autant la détermination du contenu du
droit étranger devant le juge (voy. infra, n ° 6.54) que la recevabilité d'un pourvoi pour vio-
lation du droit étranger (voy. infra, n ° 6.63).
Voy. les références in G.
1111 VAN HECKE et F. R.IGAUX, Rev. crit. jur. belge (1961), 362-363; ibid. (1965),
333.
IllLa jurisprudence contemporaine de la Cour de cassation peut donner lieu à des interprétations
divergentes.
D'un côté, l'affirmation générale selon laquelle le juge a la charge de la preuve du contenu du droit
étranger dès lors qu'il est saisi d'une demande portant sur l'application de ce droit (Cass., 9 octobre
1980, infra, n° 6.54), donne à entendre que l'obligation n'existe que dans ce cas. Certes affirmée à
propos de la matière contractuelle où prévaut l'autonomie de la volonté, cette précision réapparaît
en matière de statut personnel (Cass., 23 février 1984, Carretero, Pas., 1984, I, 726).
D'un autre côté, l'extension à la condition procédurale de la norme primaire du régime de la rece-
vabilité d'un moyen nouveau, limitée au cas où la règle en cause est impérative ou d'ordre public
LA CONDITION PROCÉDURALE DU DROIT ÉTRANGER 265

(Cass., 17 novembre 1983, Assurances Zurich, Pas., 1984, I, 292), implique un alignement du régime
de la norme primaire sur celui de la règle matérielle sous l'angle de l'applicabilité d'office.
L'obligation pour le juge du fond de respecter le principe du contradictoire comme un tempéra-
ment de l'adage Jura novit curia atténue la portée pratique de l'applicabilité d'office. Ainsi, est cassé
l'arrêt qui a fait application du droit étranger sans qu'aucune partie n'ait invoqué celle-ci et sans
avoir donné aux plaideurs l'occasion de conclure sur ce point, violant ainsi les droits de la défense
(Cass., 4 septembre 1992, C.M.B., Pas., 1992, I, 993, à propos de la responsabilité du transporteur à
l'égard du tiers porteur d'un connaissement, relation qualifiée de non contractuelle en droit belge).
Ill On trouve une consécration implicite de l'applicabilité d'office de la règle de rattachement en
une matière intéressant l'ordre public, dans l'arrêt Fiorini de la Cour de cassation du 12 juin 1941
(Pas., 1941, !, 224), se conformant aux conclusions de l'avocat général Cornil qui avait estimé rece-
vable parce que non nouveau un moyen tiré de l'applicabilité du droit italien à une action en
divorce, qui n'avait pas été invoqué devant le juge du fond: celui-ci « aurait pu enjoindre aux par-
ties de s'expliquer sur leur nationalité et sur leur statut personnel et, s'il avait estimé le moyen
fondé en fait et en droit, il aurait dû l'opposer d'office à l'action en divorce dont il était saisi ». Le
moyen fut cependant considéré comme manquant en fait, pour le motif que la Cour de cassation
ne pouvait pas considérer d'autres faits que ceux constatés par le juge du fond.

En droit comparé, les pays du continent européen tendent à établir l'applicabilité


d'office du droit étranger et, partant, de la norme primaire.
IllParmi les codifications nationales, voy. : en Espagne, l'art. 12, § 1er, al. 1er, C. civ. ; en Autriche, le
§ 2 LDIP. En Italie (art. 14 LDIP) et en Suisse (art. 16 LDIP), l'obligation n'est affirmée que pour
l'établissement du contenu du droit étranger. Cependant, selon BUCHER et BoNOMI (n ° 456) pour le
droit suisse, « l'obligation pour l'autorité judiciaire ou administrative d'établir d'office le contenu
du droit étranger constitue le prolongement de l'application d'office de la règle de conflit de lois».
En Allemagne, l'EGBGB est étonnamment silencieux, mais l'applicabilité d'office découle de la
jurisprudence (BGH, 21 février 1962, BGHZ 36,348; BGH, 30 mars 1976, Neue]ur. Woch., 1976,
1581).
En France, la Cour de cassation a abandonné l'ancienne jurisprudence Bisbal (Cass. civ., 12 mai
1959, Revue, 1960, 62, note H. BATIFFOL) au profit d'une obligation d'application d'office, d'abord
affirmée de manière générale (Cass. civ., 25 mai 1987, Perez, Clunet, 1987, 927, note G.T.; Cass. civ.,
11 octobre 1988, Rebouh, Revue, 1989, 368, note Y. LEQUETTE,j.C.P., 1989, II, 21327, note P. COURBE;
Cass. civ., 18 octobre 1988, Schule, Revue, 1989, 368, note Y. LEQUETTE,j.C.P., 1989, II, note J. PRÉ-
VAULT), ensuite exclue« en une matière qui n'est soumise à aucune convention internationale et où
le demandeur a la libre disposition de ses droits » (Cass. civ., 4 décembre 1990, Coveco, Revue, 1991,
558, note M.-L. NlllOYET-HOEGY; Cass. civ., 10 décembre 1991, Sarkis, Revue, 1992, 314, note H.
Mum WATT). Ensuite, elle a admis l'inapplicabilité d'office en toute matière où les droits sont dis-
ponibles, même en présence d'une règle de conflit de lois conventionnelle (26 mai 1999 Mutuelles du
Mans, Revue, 1999, 707, note H. MurR WATT). Comp. entre-temps, l'arrêt Ibold (1er juillet 1997,
Revue, 1998, 60, note P. MAYER), retenant le cas de l'accord procédural.
Au Royaume-Uni, la condition du droit étranger repose sur le principe selon lequel celui-ci est
Ill
un fait. Partant, on ne saurait y concevoir aucune obligation pour le juge ni d'appliquer d'office le
droit étranger ni d'assumer la preuve de son contenu. Voy. notamment: T. HARTLEY, « Pleading and
proof of foreign law: The major European systems compared », I.C.L.Q. (1996), 271-292.
Aux États-Unis, le silence des parties s'analyse en un accord procédural, conduisant à l'application
du droit du for (E. ScoLES, P. HAY, P. BoRCHERS et S. SYMEONIDES, Conflict oflaws, St. Paul, West Pub!.,
2004, § 12.18).
La solution ne doit pas dépendre de l'origine conventionnelle ou nationale de la
norme primaire. En effet, même lorsqu'elle découle d'un traité, la règle de rattachement,
une fois incorporée dans l'ordre juridique du for, reçoit la même force obligatoire qu'une
règle d'origine nationale. L'observation s'impose d'autant plus lorsque la règle conven-
tionnelle, de caractère universaliste, se substitue à la règle nationale correspondante (voy.
supra, n ° 4.48).
266 LA DÉTERMINATION IT LA CONDITION DU DROIT ÉTRANGER

Comp.: Liège, 14 mars 1991,J.L.M.B. (1992), 1123, note A. KOHL, qualifiant une norme primaire
1!11
comme étant d'ordre public parce que d'origine conventionnelle. En réalité, cette qualification
peut également affecter la norme primaire du droit national, en fonction de la matière en cause.
Une dissociation encre les normes primaires en fonction de leur origine a été faite dans la jurispru-
dence française précitée et paraît aujourd'hui abandonnée (voy. les arrêts précités). La doctrine a
critiqué avec raison cette distinction (P. MAYER et V. Heuzé, n° 146-147; BATIFFOL et LAGARDE,
n° 330).

L'applicabilité d'office varie en fonction de la matière en cause. Si cette matière est


de celles où le législateur admet un choix du droit applicable par les parties, telle la
matière contractuelle, ce choix peut-il s'exprimer par l'intermédiaire du principe disposi-
tif, selon lequel, en ne plaidant pas sur le droit étranger, les parties marquent un accord
procédural favorable au droit du for? À tout le moins, le juge devrait s'assurer de la réa-
lité d'un tel accord procédural, en attirant l'attention des parties sur la question de
l'applicabilité du droit étranger. Encore faut-il tenir compte du precrit de la règle de rat-
tachement qui gouverne la matière. Même en matière de contrats, le choix de la loi con-
tractuelle doit être «certain» (voy. le chap. 14). Dans les matières où une « option de
législation» est permise, comme c'est le cas pour les régimes matrimoniaux ou les succes-
sions, on voit mal comment les parties pourraient contourner les limitations relatives,
tantôt à l'objet du choix, tantôt à son mode de formulation.
1!11Sur l'admission de l'accord procédural, voy. en Belgique: Cass., 9 octobre 1980, Babcock-Smul-
ders, Pas. (1981), !, 159. En France, voy., outre la jurisprudence précitée: Cass. civ., 6 mai 1997,
Anglo-Belgian Corp., Revue (1997), 514, note B. FAUVARQUE-COSSON. Un tel accord ne doit pas être
exprès (contra: P. MAYER et V. HEUZÉ, n ° 147), mais doit au moins être certain, par exemple résulter
clairement des conclusions des parties. Pour plus de détails, voy. : D. BUREAU,« L'accord procédural
à l'épreuve», Revue (1996), 587-620.
En Belgique, pour un cas où le juge du fond paraît avoir déduit trop rapidement l'existence d'un
accord procédural du fait que la loi étrangère n'était pas invoquée, sans s'assurer d'un accord cer-
tain, voy.: Comm. Bruxelles, 2 septembre 1997, Rev. dr. comm. belge (1999), 425, à propos d'une
action (civile) en cessation d'une publicité déloyale. Comp.: Civ. Hasselt, 13 mai 2002, Rev. gén. dr.
civ. (2004), 235, qui, après avoir énoncé le principe de l'applicabilité d'office, exige que le silence des
parties sur une règle de rattachement supplétive résulte d'un accord certain et, pour ce faire, ouvre
un débat contradictoire sur ce point.

Pareil accord procédural se distingue du principe d'autonomie (voy. supra, n ° 3.21) sur deux
1!11
points : il bénéficie uniquement au droit du for, et sa portée est limitée à celle de la procédure en
cause, sous réserve de l'étendue de l'autorité de la chose jugée.

1111Dans les matières où le législateur du for admet une simple« option de législation» (voy. supra,
n ° 3.22), la possibilité d'un simple accord procédural en faveur du droit du for paraît douteuse, car
elle excéderait la prévision du législateur.

1!11 Lorsqu'une norme primaire conventionnelle ne prévoit pas explicitement l'autonomie de la


volonté, il n'appartient pas au juge d'introduire celle-ci sous le couvert du principe dispositif (voy.
pourtant en France, l'arrêt Ibold précité et, en Belgique, infra, n ° 15.34, à propos du droit applicable
aux accidents de la circulation routière) : il est vrai que le traité, en établissant des règles communes
de rattachement, n'entend pas affecter pour autant le droit de la procédure. Il reste que si la notion
de « disponibilité des droits » est liée, dans le système du for, à celle d'autonomie de la volonté,
l'exclusion de celle-ci entraîne l'exclusion de celle-là. Aussi la dissociation entre l'applicabilité
d'office de la norme primaire conventionnelle et le principe dispositif ne devrait-elle jouer que si le
système du for, tel le système britannique, nie toute obligation pour le juge d'appliquer d'office le
droit étranger.
lA CONDITION PROCÉDURALE DU DROIT ÉTRANGER 267

Lorsque le juge estime que l'accord procédural doit rester sans effet pour le motif
que sa règle de rattachement commande l'application d'un droit étranger, il ne saurait se
retrancher derrière le principe dispositif pour déclarer la demande non fondée.
1111En sens contraire, voy.: Comm. Mons, 15 juin 2001, Auteurs & Media (2002), 273, rejetant, parce
que basée sur le droit belge, une action en diffamation pour pratique commerciale déloyale liée à
l'utilisation d'un nom de domaine sur Internet, alors que la règle de rattachement désignait la loi
américaine du lieu de l'enregistrement du nom de domaine et de situation des serveurs hébergeant
les propos diffamants. Il aurait fallu, ou bien acter l'accord procédural parce que valable, ou bien
déclarer celui-ci sans effet en raison de l'indisponibilité des droits, pour appliquer ensuite d'office
la règle de rattachement pertinente.

B. Détermination du contenu du droit étranger


6.54 - Portée atténuée de l'adage Jura novit curia - Après que le juge a fait application de
la norme primaire et si celle-ci désigne un droit étranger, il se trouve devant un problème
controversé, relatif à la connaissance du contenu du droit étranger.
Il faut écarter d'emblée deux solutions extrêmes: l'une tient le droit étranger pour
un fait dont, conformément au principe dispositif, le contenu doit être allégué et prouvé
par la partie qui s'en prévaut, l'autre soumet le droit étranger à l'adage Jura novit curia au
même titre que le droit du for.
Ill!Le rejet de la première thèse peut encore être vu comme un corollaire du concept de règle de rat-
tachement, par essence de nature multilatérale (voy. supra, n ° 3.44), puisque la désignation va au
droit du for ou au droit étranger par le seul effet de la localisation du rapport de droit, sans préfé-
rence de principe pour le premier. Voy. à ce propos, mais sans allusion à la problématique de la con-
dition procédurale du droit étranger: Cass., 12 juin 1941, Matkowsky, Pas. (1941), !, 217, indiquant
que la désignation du droit de la nationalité en vertu de l'article 3, alinéa 3, du Code civil implique
que« la loi belge n'a, comme telle, aucune prééminence sur la loi étrangère ».

Contre la première solution, il faut rappeler avec force que le droit étranger est un
système normatif auquel la norme primaire a reconnu valeur de source dans l'ordre juri-
dique du for. Le juge peut - et même doit, à condition de respecter le principe du contra-
dictoire - appliquer d'office la règle de droit étranger qu'il connaît et qui est applicable
en vertu de son système de conflit de lois.
Ill!Le raisonnement vaut aussi pour la mise en œuvre d'un acte international en vigueur dans l'État
du for. Par conséquent, le juge belge ne saurait écarter l'application d'un traité pour le seul motif
que le demandeur n'a pas établi que le cas d'espèce entrait dans le domaine d'application dans
l'espace du texte, omettant de vérifier l'état des ratifications à l'étranger. Une telle attitude est
observable in : Bruxelles, 29 mai 2000, Rev. gén. dr. civ. (2003), note C. TuBEUF.

Il faut donc approuver, en Belgique, la Cour de cassation d'avoir énoncé une obliga-
tion pour le juge, « s'agissant de normes juridiques relevant d'un droit étranger», de
« rechercher et déterminer le contenu de ce droit» (Cass., 9 octobre 1980, Babcock-Smul-
ders, Pas., 1981, I, 159, Rev. crit. jur. belge, 1982, 8, note F. RIGAUX; 12 janvier 1990, Knippen-
berg, 1990, I, 566; Rev. crit. jur. belge, 1993, 450, note N. WATIÉ; 13 mai 1996, Dessart, Pas.,
1996, I, 455). La formulation insiste sur le caractère normatif de la règle étrangère. Le
Code confirme cette approche (art. 15, § 1cr).
La détermination du contenu du droit étranger relève de l'office du juge. Elle
n'affecte pas la problématique de la preuve, dont les règles ne sont pas applicables : on ne
saurait soumettre « la recherche et la détermination du contenu et de la portée de la loi
268 LA DÉTERMINATION ET LA CONDITION DU DROIT ÉTRANGER

applicable aux règles relatives à la charge de la preuve, lesquelles ne s'appliquent qu'aux


faits de la cause» (Cass., 3 décembre 1990, Vialars, Pas., 1991, I, 329).
En droit comparé, voy. de même en Suisse, l'article 16 LDIP: « Le contenu du droit étranger est
1111

établi d'office»; en Italie, l'article 14 LDIP: « L'établissement de la loi étrangère est recherché
d'office par le juge» ; en Autriche, le paragraphe 4 LDIP: « Le droit étranger doit être recherché
d'office».
Contra, au Luxembourg: Trib. arrond. Luxembourg, 7 juillet 1988, Riv. dir. int. priv. proc. (1991),
1092, et, plus généralement : F. ScHOCKWEILER, Les conflits de lois et les conflits de ;uridictions en droit
international privé luxembourgeois (Luxembourg, Min. Justice), n'" 142 et s.

Ili En France, la jurisprudence n'admet une obligation pour le Juge d'établir le contenu du droit
étranger que depuis l'arrêt Amerford (Cass. comm., 16 novembre 1993, Revue, 1994, 332, note P.
LAGARDE), en énonçant que l'obligation pour le demandeur de prouver que le droit étranger con-
duirait à un résultat différent de celui du for, a lieu dans les matières où les parties ont la libre dis-
position de leurs droits. L'obligation du juge dans les matières où les droits sont indisponibles a été
confirmée ultérieurement (Cass. civ., 1,r juillet 1997, A. et B., Revue, 1998, 60, note P. MAYER; Cass.
corn., 2 mars 1999, Sea Land Service, Revue, 1999, 305; Cass. civ., 26 mai 1999, A-B, Revue, 1999, 708,
note H. MuIR WATT). On le voit, cette solution, en introduisant une distinction selon les matières,
prolonge celle qui a été adoptée à propos de l'applicabilité d'office du droit étranger, ce qui devrait
conduire à supprimer le critère de la nature conventionnelle de la norme primaire (critère utilisé
par: Cass. civ., Agora Sopha, Revue, 1997, 65, note P. LAGARDE). Ensuite, la jurisprudence a considéré
l'obligation du juge comme inconditionnelle dès qu'il soulève l'applicabilité de la règle de rattache-
ment (Cass. civ., 27 janvier 1998, Abadou,].C.P., 1998, 11, 10098, note H. Mum WATT; 8 décembre
1998, Calberson, Revue, 1999, 80, note B.A.). Sur l'obligation pour le juge de rechercher la teneur du
droit étranger en matière contractuelle, voy. : Cass. civ., 18 septembre 2002, D & J Sporting, Revue
(2003), 88, note H. MUIR WATT.

Ill Aux États-Unis, le législateur fédéral, comme celui de la plupart des États de la fédération, s'est
écarté de la solution de la common law, pour libérer le particulier de la charge exclusive de la preuve,
celle-ci relevant davantage d'une collaboration avec le juge, qui peut faire appel à l'expertise (E.
SCOLES, P. HAY, P. BORCHERS et S. SYMEONIDES, Conflictof/aws, St. Paul, West Pub!., 2004, § 12.18).

6.55 - Difficultés propres à l'établissement du contenu du droit étranger - Le droit


étranger ne saurait, en ce qui concerne la connaissance que le juge doit en avoir, être assi-
milé au droit du for. Cela condamne l'extension pure et simple de l'adage Jura novit curia
au droit étranger.
Il arrive en effet que ce droit soit difficile à connaître. Dans ce cas, le principe Jura
novit curia cède devant les exigences pratiques, aucun juge ne pouvant, raisonnablement,
être réputé connaître tous les systèmes de droit étranger. De plus, il n'a pas accès à tous
les moyens matériels d'information de n'importe quel droit étranger.
IllLa différence avec le droit du for est, ici, patente. Appliqué à la !ex fori, l'adage Jura novit curia
signifie d'abord que le juge a accès à tous les moyens d'information du contenu de son propre
droit, si celui-ci a déjà été formulé : loi, jurisprudence, etc. Ensuite, quand le précepte n'a pas été
formulé (lacune) ou s'il est obscur ou incertain (interprétation), l'adage est complété par le pouvoir
reconnu au juge d'interpréter la loi et d'en combler les lacunes. Le juge« sait» le droit parce que, le
cas échéant, il crée ou complète la règle nécessaire à la solution du litige.

Lorsqu'il applique le droit étranger, le juge ne remplit pas une fonction identique à
celle du juge étranger. En particulier, il ne saurait établir la portée de ce droit d'une
manière qui ferait autorité sur la jurisprudence étrangère. Il doit s'attacher uniquement à
découvrir la réalité du droit étranger, tel qu'il est.
Aussi l'obligation du juge n'est-elle pas absolue. Elle connaît deux nuances.
LA CONDITION PROCÉDURALE DU DROIT ÉTRANGER 269

Une premier type de tempérament résulte de mécanismes d'assistance. Outre l'inter-


vention des parties, que commande le principe du contradictoire (voy. sous le numéro
suivant), le juge peut faire appel à des tiers. Il dispose, à cet égard, du mécanisme
d'entraide établi par la Convention de Londres du 7 juin 1968 relative à l'information sur
le droit étranger.
1111 La Convention de Londres est en vigueur essentiellement dans l'ensemble des États de l'Union

européenne et de l'Association européenne de libre échange (loi du 16 ocrobre 1973, Mon.,


23 novembre 1973). Son fonctionnement repose sur l'intervention d'Autorités centrales, qui agis-
sent comme « organes de réception» de demandes émanant d'autorités judiciaires. Ces organes
répondent eux-mêmes aux questions, ou les transmettent à tout organe ou, le cas échéant, à un
organisme privé ou à un juriste qualifié. La réponse doit informer sur le droit de l'État requis, d'une
manière« objective et impartiale». Elle ne lie pas.
1111 L'appel à des experts désignés par le tribunal est possible, notamment, en Allemagne (KEGEL et
ScHURIG, Internationales Privatrecht, Münich, Beck, 2000, 445, évoquant une pratique de consulta-
tion de centres de recherche), en Autriche (§ 4 LDIP), en Italie (art. 14 LDIP), en Espagne (C. civ.,
art. 12, § 6, al. 2, mais la preuve du contenu y relève du demandeur). On en trouve aussi application
en France (BATJFFOL et LAGARDE, n° 331-1). Pour un cas d'utilisation des services du ministère des
Affaires étrangères en Belgique, voy.: Cass., 4 novembre 1993, Pas. (1993), I, 921.
L'appel à un expert désigné par le tribunal ne paraît pas incompatible avec le caractère normatif
reconnu au droit étranger, dans la mesure où la recherche du contenu de ce droit porte sur un fait
(P. MAYER et V. HEUZÉ n° 189, et infra, n° 6.57); il pourrait se révéler plus efficace que l'appel tradi-
tionnel à des « certificats de coutume», demandés aux autorités diplomatiques ou consulaires
étrangères, voire à un particulier.
Pour un cas où le juge a accepté la fiabilité de l'extrait d'une loi étrangère diffusé par Internet, voy. :
Comm. Hasselt, 21 septembre 2001, Rev. dr. comm. belge (2002), 78.
1111La collaboration des parties apparaît dans les codifications précitées, la loi suisse précisant
qu'elle « peut être requise» (art. 16 LDIP). Il faut cependant éviter que, ce faisant, le juge se sous-
traie à son office. Sa demande devrait donc être motivée par une difficulté particulière. Comp., en
Belgique, un cas où la Cour de cassation a constaté de manière sibylline que le juge du fond ne dis-
posait pas d'informations suffisantes du fait que « le demandeur ne [prouvait] pas» que le droit
étranger permettait de faire droit à sa demande: Cass., 12 décembre 1985, Pas. (1986), I, 478.
En Belgique, le Code de droit international privé confirme que- « Lorsque le juge ne peut pas éta-
blir [le contenu du droit étranger], il peut requérir la collaboration des parties» (art. 15, § 2, al. 1e,).
L'appel aux parties y est soumis à une condition, qu'il appartient au juge d'établir.
En Suisse, l'article 16, § 1er, LDIP introduit une distinction « en matière patrimoniale», où « la
preuve peut être mise à la charge des parties».
1111Le droit communautaire entend encourager la coopération judiciaire en matière civile. Dans ce
contexte, la décision 2001/470 du 28 mai 2001 relative à la création d'un réseau judiciaire européen
en matière civile et commerciale (JO.CE., 2001, L 174) prévoit la mise en place d'un réseau com-
posé de points de contact nationaux, visant, notamment, à établir un système d'information pour
les membres du réseau, ainsi qu'à destination du public et portant, notamment, « sur le droit
interne des États membres ».
Le site de la Commission (www.europa.eu.int) présente désormais des pages d'introduction au
droit matériel des États membres dans plusieurs branches du droit civil.
Un second tempérament peut être lié à l'urgence. S'il appartient au juge de se pro-
noncer immédiatement sans bénéficier du temps nécessaire à la recherche du droit étran-
ger, la jurisprudence tend à lever l'obligation, du moins s'il est statué au provisoire.
1111 Cass., 12 décembre 1985, Pas. (1986), I, 478. Comp., en France: Cass. civ., 16 avril 1996, Denney,

Revue (1997), 716, note P. DE VAREILLES-SOMMIÈRES: il n'y a pas lieu à l'application d'office de la
norme primaire devant le juge du provisoire pour le motif que celui-ci ne statue pas au fond.
Au titre d'une exception, ce tempérament doit être strictement interprété. Dans l'affaire ayant
donné lieu à cassation, les conditions de l'attribution de la garde en droit iranien semblaient bien
270 LA DÉTERMINATION IT LA CONDITION DU DROIT ÉTRANGER

établies. Les juges du fond sont tentés de faire de ce tempérament une application plutôt large.
Voy.: Civ. Ypres, 21 mai 1997, Rev. gén. dr. civ. (1999), 82, à propos du droit marocain de la famille,
pourtant largement connu en Belgique; Trib. trav. Bruxelles (réf), 29 juin 1998,).T (1998), 779, à
propos du statut du travailleur détaché en droit français.
En Belgique, le Code de droit international privé couvre cette hypothèse en évo-
quant plus largement les cas où« il est manifestement impossible d'établir le contenu du
droit étranger en temps utile» (art. 15, § 2, al. 2). Cette formulation souple donne à
entendre que l'appréciation du délai utile varie en fonction de l'instance, mais elle
requiert dans tous les cas la preuve stricte de l'impossibilité de connaître le contenu.
111 Sur l'obligation pour le juge d'établir l'impossibilité d'obtenir la jurisprudence étrangère en
l'espèce, voy. en France: Cass. civ., 13 novembre 2003, B & K, Clunet (2004), 521, note F. MÉLIN.

6.56 - Respect des droits de la défense - L'exigence du principe du contradictoire est


très nettement affirmée par la Cour de cassation de Belgique, qui présente directement ce
principe comme un tempérament de l'agage Jura novit curia: « S'agissant de normes juri-
diques relevant d'un droit étranger, [le juge du fond] [doit] rechercher et déterminer le
contenu de ce droit, le cas échéant après avoir recueilli à ce sujet les informations néces-
saires et en respectant les droits de la défense» (Cass., 9 octobre 1980, Babcock-Smulders,
précité n ° 6.54).
Ce principe implique des devoirs particuliers, à savoir ouvrir un débat contradictoire
sur le droit étranger (Cass., 18 février 1985, Sabbadini I, Pas., 1985, I, 741), informer les par-
ties sur la méthode suivie pour connaître la teneur du droit étranger et sur les résultats de
ses recherche (Cass., 15 septembre 1982, Gilson, Pas., 1983, I, 68), permettre aux parties de
conclure sur ce point (Cass., 22 octobre 1982, Egon Oldendorif, Pas., 1983, 1, 254).
Ili Comme cas de réouverrure de débats, voy.: Bruxelles, 11 février 1988,).T. (1988), 606, à propos
du droit des îles Cayman; Trib. trav. Bruxelles, 22 avril 1998,]. TT (1998), 435, à propos du droit
du travail français; C. trav. Anvers, 20 juin 2002,]ur. Anvers (2003), 215, cependant après sembler
s'en être remis à la partie pour établir la preuve du contenu du droit luxembourgeois en l'espèce.
Sur ce que ne viole pas les droits de la défense le juge d'appel qui se contente de citer la disposition
étrangère violée, voy. : Cass., 7 ocrobre 2004, Techniker Krankenkasse, Revue@dipr.be (2005/2), 32,
après avoir constaté l'accord des parties sur la loi applicable à l'action en responsabilité civile.

6.57 - Respect de l'ensemble des sources du droit étranger et interprétation con-


forme - La désignation du «droit» étranger qu'opère la règle de rattachement n'a de
sens que si elle porte sur ce droit tel qu'il existe, à savoir sur l'ensemble des sources for-
melles, en y attachant la portée que chacune d'elles reçoit dans le système étranger. Le cas
échéant, les usages doivent recevoir la portée que leur attribue le droit étranger.
Ill Sur la portée d'une référence aux usages, voy.: Cass., 18 février 1985, Sabbadini I, Pas. (1985), !,
741, reprochant au juge d'appel, saisi d'un litige concernant un contrat d'assurance qui désignait
les usages des Lloyd's and London Underwriters, de n'avoir pas donné aux parties la possibilité de se
défendre quant à l'applicabilité « de ce droit étranger» : le raisonnement admet que les « usages
internationaux» soient un « droit étranger», bénéficiant alors de la même condition procédurale
que le droit étatique.
Quand la disposition étrangère est une source de droit écrit, il appartient au juge
d'en interpréter les termes. Pour ce faire, il doit recourir aux méthodes d'interprétation
reçues dans le système étranger auquel la règle appartient.
1111 C'est ainsi que le juge français a, pour l'application d'une loi polonaise, suivi l'interprétation

que celle-ci avait reçue du tribunal suprême de Pologne, consulté par le ministre de la Justice et
dont l'avis avait été recueilli dans un décret du pouvoir exécutif, le roue conformément aux règles
du droit public interne de ce pays (Paris, 16 mai 1960, Potocki,j.C.P., 1960, Il, 11763, note GAVALDA).
LA CONDITION PROCÉDURALE DU DROIT ÉTRANGER 271

IllLe juge ne saurait s'en tenir au texte de la loi : il doit dépasser l'apparence pour chercher à appli-
quer la solution de droit positif: Cass. civ., 24 novembre 1998, Lavazza, D.S. (1999),J, 337, note M.
MENJUCQ, Revue (1999), 88, note B.A.

L'interprétation des termes de la loi par la jurisprudence est un problème largement


débattu. Il faut affirmer, à la suite de la Cour permanente de Justice internationale, qu' « il
n'y a pas lieu d'attribuer à la loi nationale un sens autre que celui que ladite jurispru-
dence lui attribue» (12 juillet 1929, affaires des emprunts serbes et des emprunts brésiliens,
Série A, n ° 20-21 ; Clunet, 1929, 977 et 1008). Cette thèse est définitivement acquise en
Belgique depuis l'arrêt Babcock-Smulders de la Cour de cassation du 9 octobre 1980 (pré-
cité, n ° 6.54).
IllContra antérieurement: Cass., 12 novembre 1935, deux espèces, Pas. (1936), I, 48 et 51. Dans le
même sens ultérieurement: Cass., 18 juin 1993, VVK.S., Rev. gén. ass. resp. (1994), 12366, note M.
FALLON.
Les cas les plus piquants sont ceux où la même source formelle de droit a continué à régir plu-
lili
sieurs pays après leur séparation, en recevant des interprétations divergentes de leurs jurispruden-
ces respectives. Quand le juge d'un de ces États applique la disposition commune au titre de droit
de l'autre État, il doit l'interpréter avec la jurisprudence qui s'y est incorporée dans ce pays. Ainsi,
pour déterminer la validité d'un testament olographe soumis au droit belge, la cour de Douai a
interprété l'article 970 du Code civil, comme l'avait fait la Cour de cassation de Belgique, qui, sur ce
point, s'écartait de l'interprétation française (Douai, 7 mai 1901, Clunet, 1901, 810). De même, dans
l'affaire Babcock-Smulders, la Cour de cassation a reproché au juge du fond d'avoir interprété
l'article 1643 du Code civil français à la lumière de la jurisprudence belge qui, à la différence de la
jurisprudence française, ne met à charge du vendeur fabricant qu'une présomption réfragable de
connaissance du vice de la chose vendue.
Ill La même solution est retenue par la Cour de justice des Communautés européennes lorsque,
saisie en vertu d'une clause compromissoire, elle est amenée à interpréter le droit applicable au
contrat: C.J.C.E., aff. C-172/97, 10 juin 1999, SIVU, Rec. (1999), 1-3363, se référant à la jurispru-
dence française pour l'interprétation de l'article 1153 du Code civil français ; aff. C-40/98,
16 janvier 2001, Tecnologie Vetroresina, Rec. (2001), 1-307
IllEn France, voy. dans le même sens: Cass. civ. 1er juillet 1997, Africatours, Revue (1998), 292, note
H. MurR WArr,j.C.P. (1998), II, 10170, note B. FILLION-DUFOULEUR.
Ill La référence des codifications nationales à la problématique de l'interprétation paraît plutôt
exceptionnelle. Voy., en Italie, l'article 15 LDIP: « La loi étrangère est appliquée selon ses propres cri-
tères d'interprétation et d'application dans le temps»». Comp. la formulation plus générale de la loi
amrichienne (§ 3 LDIP): « le droit étranger doit être appliqué[ ... ] de la même manière que dans son
domaine originel de validité», ce qui inclut la référence aux interprétations jurisprudentielles.

L'office du juge saisi n'est pourtant pas identique à celui du juge étranger. Ainsi, sa
tâche consiste moins à interpréter le droit étranger, qu'à adopter une interprétation con-
forme du droit étranger : il ne prend pas position sur cette interprétation, mais applique
le droit étranger tel qu'il l'est dans le pays d'origine (av. gén. KRINGS, conclusions précé-
dant l'arrêt Babcock-Smulders). Le Code belge de droit international privé adopte cette
approche, en précisant que l'interprétation à considérer est celle qui est « reçue » à
l'étranger (art. 15, § 1cr, al. 2).
IllDans le même sens, P. MAYER et V. HEUZÉ (n ° 191) distinguent entre le pouvoir d'interprétation,
réservé au juge du pays d'origine, et la constatation de la teneur de la règle, imposée au juge saisi;
Cass., 14 février 2005, Gecamines,]. TT (2005), 261.
liliLa singularité de la position du juge à l'égard de l'interprétation du droit étranger semble inspi-
rer un autre tempérament au devoir du juge, qui ne devrait pas soulever d'office le problème
d'interprétation. Dans un arrêt du 23 février 1984 (Carretero, Pas., 1984, !, 726), la Cour, statuant
272 LA DÉTERMINATION ET LA CONDITION DU DROIT ÉTRANGER

sur un moyen qui invoquait la méconnaissance d'une interprétation jurisprudentielle étrangère,


estime que le juge du fond ne doit pas préciser que toutes les conditions exigées par le droit étran-
ger sont réunies, à défaut de conclusions des parties sur l'interprétation du droit étranger. Ce tem-
pérament paraît cependant difficilement conciliable avec l'applicabilité d'office du droit étranger.

C. Lacune ou ignorance du droit étranger


6.58 - Vocation subsidiaire du droit du for - L'ignorance du contenu du droit étranger,
ou la constatation d'une lacune de ce droit, peut conduire à plusieurs solutions.
L'une consiste à rejeter la demande ou la défense à laquelle le droit étranger a été
déclaré applicable.
IllUn citoyen de l'Arkansas, Walton, est victime d'un accident de roulage en Arabie saoudite.
L'auteur du fait dommageable est le conducteur d'un camion agissant pour le compte d'une
société constituée suivant la loi du Delaware. La District Court fédérale, saisie du litige, déboute le
demandeur parce qu'il n'a pas réussi à prouver que le droit de l'Arabie saoudite, !ex loci delicti, lui
permet de réclamer l'indemnisation du dommage subi. Voy. : Walton v. Arabian Am. Oil Co., 233 F. 2d
541 (2d Cir. 1956), cert. denied 352 U.S. 872 (1956).
L'arrêt Walton a eu un effet salutaire par les réactions très vives qu'il a suscitées dans la doctrine
américaine. La Rule 44.1 des Federal Rules of Civil Procedure, entrée en vigueur le 1cr juillet 1966, est
née de ce mouvement doctrinal. Sur ces Rules, voy. : E. Scoles, P. Hay, P. Borchers et S. Symeonides,
Conflicc oflaws (Sc. Paul, West Pub!.), 2004), § 12.18.
Comp., en Belgique, l'arrêt d'appel qui, dans l'affaire Via/ars, avait débouté le demandeur parce qu'il
n'établissait pas le contenu du droit du travail de l'émirat d'Abu Dhabi, arrêt qui fut cassé sur ce
point car ne respectant pas l'adage Jura novit curia (Cass., 3 décembre 1990, Pas., 1991, I, 329).
Même si certaines demandes paraissent pouvoir être rejetées quand il n'est pas établi
que le droit positif consacre l'effet juridique réclamé, il ne faut pas assimiler l'ignorance
du droit par le juge au défaut de preuve des éléments de fait de l'hypothèse. La charge de
l'allégation et de la preuve, qui incombe au demandeur, ne doit pas être étendue aux
règles de droit applicables: les connaître et les choisir appartient à l'office du juge, et si
les nécessités pratiques commandent que les parties collaborent à son information, il
paraît inadmissible que le juge excipe de son ignorance du droit, même du droit étranger,
pour débouter le demandeur, dont il est injuste, aussi, d'aggraver à ce point la position
procédurale.
De plus, la solution du rejet de la demande est liée à une méconnaissance de la fonc-
tion d'une règle de conflit de lois. Celle-ci a pour objet de conduire nécessairement le juge
à une règle de droit matériel applicable. Elle ne peut déboucher sur un aveu d'ignorance,
et le rejet de la demande constitue une solution matérielle qui excède l'objet d'une règle
de rattachement.
La solution dominante consiste à reconnaître au droit du for une vocation subsi-
diaire quand le contenu du droit étranger ne peut être déterminé avec certitude.
IllEn Belgique, la Cour de cassation ne paraît admettre« la suppléance de la lex fori » que« dans la
mesure où la loi étrangère ne peut s'appliquer immédiatement [notamment en raison de l'urgence]
et pour autant que la lex fori ne supplée que provisoirement à la loi normalement applicable »
(Cass., 12 décembre 1985, Pas., 1986, I, 478).
1111Dans les codifications nationales, voy. : en Autriche, § 4, (2) LDIP; en Suisse, art. 16, § 2 LDIP.
En Belgique, le Code de droit international privé confirme l'application subsidiaire de la lex fori à
l'hypothèse d'une« impossibilité manifeste» de connaître le droit étranger (art. 15, § 2, al. 2).
IllEn France, là où la preuve du contenu du droit étranger est mise à charge du demandeur (voy.
supra, n ° 6.54), l'ignorance du droit étranger ne conduit pas à rejeter la prétention mais à appliquer
LA CONDITION PROCÉDURALE DU DROIT ÉTRANGER 273

subsidiairement le droit du for (Cass. civ., 8 janvier 1991, UAP, Revue (1991), 569, note H. MurR
WATT). De plus, le demandeur doit démontrer que le droit étranger n'est pas équivalent au droit du
for: à défaur de pouvoir le faire, celui-ci est appliqué (Cass. civ., 22 avril 1986, Djenangi, Revue, 1988,
302, note].-M. BISCHOFF).
Une présomption de conformité du droit étranger au droit du for est pratiquée dans les pays de
1111

common Law (BATIFFOL et LAGARDE, n ° 332).

D'autres solutions, encore, sont envisageables, singulièrement en cas de lacune du


droit étranger.
L'une consiste à imputer au droit étranger une solution communément adoptée,
dans un cas similaire, par d'autres systèmes appartenant à la même famille juridique,
notamment lorsque le droit étranger est celui d'un État devenu indépendant. Le procédé
équivaut cependant à une démarche d'interprétation active normalement réservée aux
autorités du pays d'origine.
1111Pour une utilisation de cette méthode, voy.: C. trav.Bruxelles, 15 juillet 2002,].TT. (2003), 48,
retenant à ce titre la solution de droit belge à propos de la rupture d'un contrat de travail régie par
le droit congolais.

L'autre solution consiste à utiliser une règle de rattachement subsidiaire. Le procédé


respecte le mieux le droit des conflits de lois.
1111Comme cas de référence à une règle de rattachement subsidiaire, voy. : au Portugal, art. 23, 2, C.
civ.; en Italie, art. 14, § 2, LDIP: le juge applique« la loi que déterminent les autres critères de rat-
tachement éventuellement prévus pour la même hypothèse normative», formulation qui ne vaut
que pour le cas de règles de rattachement présentées en cascade (voy. supra, n ° 3.19). Aussi est-elle
complétée par une référence subsidiaire au droit du for.

§3 LE DROIT ÉTRANGER DEVANT LA COUR DE CASSATION

A. Fonctions de la Cour de cassation


6.59 - Contrôle de légalité - Au contrôle de légalité exercé sur l'application de la règle
de droit on attribue traditionnellement une double fonction : assurer la cohérence de
l'ordre juridique et celle du système juridique.
La première fonction veille à l'unité de jurisprudence en soumettant à une cour
suprême le pouvoir d'interpréter les règles en vigueur dans un ordre juridique national et
de contrôler les solutions par lesquelles il est suppléé aux éventuelles lacunes.
La deuxième fonction a un caractère disciplinaire: exprimant la structure hiérarchi-
sée de l'ordonnancement juridictionnel, elle consiste à censurer les erreurs de droit com-
mises par le juge du fond, ce qui inclut les vices de procédure.
1111L'ordre juridique communautaire présente un contraste intéressant en dissociant partiellement
les deux fonctions dans le chef de la Cour de justice des Communautés européennes. S'il est vrai
que ces fonctions restent associées à l'égard de la jurisprudence du Tribunal de première instance
des Communautés européennes, soumis au contrôle de légalité de la Cour, il en va différemment à
l'égard des juridictions nationales : ici, la fonction d'interprétation uniforme est assurée par la pro-
cédure du renvoi préjudiciel, organisée par l'article 234 CE. La fonction disciplinaire passe, le cas
échéant, par le recours en manquement exercé contre l'État (art. 226 CE).

Dans les pays où le droit écrit occupe une position prépondérante, le contrôle de
légalité est généralement restreint à la violation de la loi (au sens formel), ce qui inclut les
274 LA DÉTERMINATION IT LA CONDITION DU DROIT ÉTRANGER

règlements pris en exécution de la loi, mais non la coutume, ni les usages, ni la jurispru-
dence elle-même.
Il!Voy., en droit belge, l'article 608 C. jud, qui limite le pourvoi en cassation aux contraventions à
la« loi », et l'article 1080 C. jud., qui exige de la requête qu'elle contienne une« indication des dis-
positions légales dont la violation est invoquée».
En droit belge, le pourvoi peut également invoquer la violation d'un principe général de droit. Voy.
notamment: Cass., 10 novembre 1988, Promedia, Pas. (1989), I, 256, distinguant principe général et
adage.
Ill!La double fonction précitée implique l'irrecevabilité du pourvoi lorsque le moyen est nouveau,
sauf s'il affecte une règle impérative ou d'ordre public. D'un côté, le juge du fond ne saurait encou-
rir de reproche si le moyen n'a pas été soulevé devant lui. D'un autre côté, il convient de sauvegar-
der la cohérence de l'ordre juridique en préservant l'application des dispositions qui poursuivent
un objectif d'intérêt général.
Pour une application de ce motif d'irrecevabilité à propos de l'applicabilité du droit étranger, voy. :
Cass., 17 novembre 1983, Assurances Zurich, Pas. (1984), I, 292, déclarant nouveau un moyen qui,
invoquant pour la première fois l'application du droit étranger en vertu de l'article 3, alinéa 1e,, du
Code civil, siège de la règle de rattachement en matière d'obligations non contractuelles (voy. infra,
n° 15.11), « ne se fonde pas sur des dispositions légales d'ordre public ou impératives».
Il! Un pourvoi manquant d'intérêt est également déclaré irrecevable. En matière de conflit de lois,
il en serait ainsi en cas d'équivalence des lois en conflit selon la Cour de cassation de France (Cass.
civ., 13 avril 1999, Royale Belge, Revue, 1999, 698, note B. ANCEL et H. MuIR WAn), ce qui revient à
conférer une portée pratique au concept de« faux conflit» (fa/se conflict) du droit américain.

6.60 - Extension au contrôle de la qualification et de la dénaturation - Dans l'ordre


interne, les cours suprêmes nationales ont, par divers moyens, étendu leur contrôle à cer-
taines erreurs de jugement qui pouvaient être assimilées à une transgression de la loi.
Deux procédés sont particulièrement notables en raison de l'application qui en a été faite
au droit étranger.
Un premier procédé porte sur le contrôle de la qualification. La Cour de cassation se
reconnaît le pouvoir de vérifier si les faits de la cause souverainement constatés par le
juge du fond entrent bien sous l'hypothèse de la règle de droit que la décision attaquée y
a appliquée. Il appartient, par exemple, à la Cour de cassation de vérifier si les faits décla-
rés établis par le juge du fond sont constitutifs d'adultère, cause pour laquelle le divorce a
été prononcé.
Le contrôle de l'interprétation des actes juridiques a suscité un autre procédé : déter-
miner le sens et le contenu d'un acte privé est, en principe, une question de fait que la
Cour de cassation n'a cependant pas abandonnée à la totale discrétion du juge du fond.
Elle a contrôlé l'interprétation des actes juridiques en censurant une transgression trop
flagrante des volontés exprimées par les parties. En France, la Cour de cassation rattache
à l'article 1138 du Code civil la théorie de la «dénaturation», tandis qu'en Belgique la
même juridiction casse la décision ayant donné à un écrit une interprétation inconcilia-
ble avec le sens des termes (violation de la foi due aux actes, qui constitue une transgres-
sion des articles 1319 et 1322 du Code civil).

B. Étendue du contrôle de légalité


6.61 - Fonction disciplinaire du contrôle - Comment une cour régulatrice peut-elle
remplir sa double mission d'unification de la jurisprudence et de censure disciplinaire à
l'égard des juges du fond accusés d'avoir mal appliqué ou mal interprété le droit
l..A CONDITION PROCÉDURALE DU DROIT ÉTRANGER 275

étranger ? Un tel doute· ne suffit pas à écarter toute intervention de la Cour de cassation,
mais plutôt à en déterminer plus précisément les termes.
Il est erroné de répondre à cette question d'une manière dogmatique, soit en tenant
le droit étranger pour un simple fait, qui serait dès lors soustrait à tout contrôle de léga-
lité, soit en reconnaissant sa qualité de système juridique, ce qui lui vaudrait une assimi-
lation pure et simple au droit du for. Les observations déjà faites à cet égard à propos de
la connaissance du droit étranger ne doivent pas être répétées ici. Les deux aspects sont
étroitement liés : les motifs qui s'opposent à une extension inconditionnelle de l'adage
Jura novit curia à la connaissance du droit étranger par le juge du fond rejaillissent sur le
contrôle que la Cour de cassation est en mesure d'exercer.
U1î Depuis un arrêt du 15 décembre 1966 (De/val c. Fournier, Pas, 1967, I, 483), la Cour de cassation
de Belgique a cessé d'opposer, comme elle le faisait jusqu'alors, l'irrecevabilité du pourvoi fondé sur
la violation d'une règle de droit étranger.

Ni sur le plan de l'unité de jurisprudence ni pour ce qui concerne la fonction disci-


plinaire de la cour suprême, celle-ci n'est à même d'étendre au droit étranger le type de
contrôle qu'elle exerce sur la correcte application de son propre droit.
L'unité de jurisprudence doit être enfermée dans le réseau institutionnel de l'ordre
juridique du for. Une cour suprême énonce souverainement le sens et la portée de la lex
fori. Comment pourrait-elle raisonnablement exercer le même pouvoir à l'égard d'une
règle de droit étranger? Sans même évoquer les risques d'erreur auxquels s'exposerait
une cour de cassation proclamant ex cathedra l'interprétation jugée par elle correcte de la
disposition législative ou réglementaire étrangère, il faut surtout observer qu'à l'égard de
celle-ci elle doit obéir au principe d'interprétation qui commande déjà l'activité des juges
du fond : soumettre le droit étranger aux méthodes d'interprétation qui lui sont propres
(voy. supra, n ° 6.57), c'est-à-dire, le cas échéant, se rallier à l'interprétation que la disposi-
tion a reçue de la cour régulatrice du pays dont elle émane. La maîtrise que, dans le res-
pect de la loi, une cour suprême investie du contrôle de légalité exerce sur les sources de
droit national ne saurait être étendue aux sources du droit étranger.
Le seul contrôle admissible touche à la fonction disciplinaire de la Cour de cassa-
tion. Ayant constaté (en fait mais non en droit) la manière dont la règle litigieuse est
interprétée dans l'ordre juridique dont elle provient, la Cour de cassation y compare
l'application qu'en a faite la décision attaquée et, le cas échéant, elle censure l'erreur de
droit commise par le juge du fond.
Les difficultés inhérentes à une connaissance correcte et sûre du droit étranger,
d'ailleurs communes à la cour suprême et aux juridictions sur lesquelles s'exerce son con-
trôle, impliquent que seule une violation flagrante d'une règle de droit dont le sens et le
contenu sont assurés justifie la cassation. Il n'appartient pas à la cour suprême d'un État
de trancher une question de droit étranger douteuse ou controversée. Si le juge du fond a
choisi entre deux interprétations qui divisent la jurisprudence du pays étranger dont il a
appliqué le droit ou s'il a donné à celui-ci une interprétation qui n'est pas incompatible
avec les termes d'une disposition sur la portée de laquelle la Cour de cassation ne dispose
pas d'information sûre, la seule attitude sage est le rejet du pourvoi.
Ill!En France, la Cour de cassation fonde un contrôle limité à la violation flagrante du droit étran-
ger, sur la théorie de la dénaturation des actes. Voy. notamment: Cass. civ., 26 mai 1999, Moureau,
Revue (1999), 708, H. MuIR WATT.
276 LA DÉTERMINATION ET LA CONDITION DU DROIT ÉTRANGER

Dans le contexte particulier du droit communautaire, la juridiction communautaire s'est inter-


1111

rogée sur l'étendue de son contrôle de l'interprétation du droit d'un État membre régissant un
contrat de la Communauté par l'institution communautaire ayant participé au contrat. Réservant
aux autorités nationales le pouvoir d'interprétation, elle limite son contrôle à celui d'une « erreur
manifeste d'interprétation» et s'en remet, par exemple, aux termes d'une décision nationale coulée
en force de chose jugée (T.P.I.C.E., aff. T-365/00, 11 juin 2002, Alsace international Car Service, Rec.,
2002, II-2719).

C. Base juridique du contrôle de légalité


1
6.62 - Cassation pour vice de procédure - Lorsque l'erreur du juge du fond consiste à
avoir violé une règle de procédure, c'est la disposition - le cas échéant le principe général
- violée du droit du for qu'il convient d'invoquer.
À propos de l'application du droit étranger, le cas peut intéresser le défaut de moti-
vation, la violation du principe général du respect des droits de la défense ou la violation
du principe dispositif.
111 Pour un cas de défaut de motivation, sanctionné par l'article 149 de la Constitution, voy.: Cass.,
15 septembre 1982, Gilson, Pas. (1983), I, 68, reprochant au juge d'appel de ne pas avoir indiqué
comment il s'était informé du contenu du droit étranger et d'empêcher ainsi un contrôle, à la fois,
de la motivation et du respect des droits de la défense.
Voy. supra, n ° 6.53, les arrêts qui, au sujet des obligations du juge du fond à propos de l'établis-
1111

sement du contenu du droit étranger, imposent le respect du principe du contradictoire.


1111 Comp. en France, le recours à la violation de la règle de rattachement (en l'occurrence, l'art. 3 C.
civ.) en cas de défaut de motivation sur les éléments de preuve du contenu du droit étranger: Cass.
civ., 6 mars 2001, Arab Invest., Revue (2001), 335, note H. MuIR WATT.

6.63 - Cassation pour violation du droit du for - Une transgression du droit étranger
peut résulter, à des titres divers, d'une mauvaise application du droit du for.
Une première hypothèse concerne une mauvaise interprétation de l'hypothèse de la
règle du for qui a été appliquée, dont résulte une erreur de qualification. Cette règle peut
être une norme primaire, dont la catégorie de rattachement a été mal interprétée, ou une
règle matérielle dont l'application supposait la prise en considération d'une règle étran-
gère.
Comme erreur de qualification liée à une méconnaissance de la catégorie de rattachement, on
1111

peut prendre l'exemple d'un juge du fond qui, pour statuer sur la validité d'un mariage, aurait fait
application du droit de l'État dont les époux ont la nationalité, après avoir méconnu la nature de la
violation d'une formalité imposée par le droit du lieu de célébration. Comp. infra, n° 7.20, à propos
de la théorie des qualifications.
1111 Comme cas de censure de l'erreur de qualification consistant à avoir mal interprété la notion de

droit étranger appartenant à la qualification de la situation régie par une règle matérielle du for,
voy.: Cass., 15 février 1967, Électrorail, Pas. (1967), I, 741, et, dans la jurisprudence antérieure: Cass.,
1""juin 1868, Bouchoms, dit Bochoms, Pas. (1868), !, 425; 29 mai 1961, Talbi, Pas. (1961), !, 1037.
L'arrêt du 15 février 1967 est le plus caractéristique. Le juge du fond devait qualifier au regard de la
loi fiscale belge et de la Convention franco-belge du 16 mai 1931 pour éviter les doubles imposi-
tions, la perception d'une indemnité payée à une société belge par l'État français à la suite de la
nationalisation d'une société française dont la première était actionnaire. Pour contrôler la qualifi-
cation du juge du fond, la Cour de cassation a dû interpréter la loi française du 8 avril 1946 sur la
nationalisation de l'électricité et du gaz. En revanche, il n'était pas indispensable de viser au moyen
la violation de cette loi : n'ayant pas été appliquée par le juge du fond, la loi française n'aurait pu
être directement transgressée par lui. Elle n'intervient que pour qualifier une situation soumise au
droit fiscal belge auquel le juge contrevient quand il l'applique à une situation de fait qui n'appar-
LA CONDITION PROCÉDURALE DU DROIT ÉTRANGER 277

tient pas aux prévisions de ce droit. La loi étrangère est ici simple condition d'application du droit
du for.
Une seconde hypothèse porte sur la méconnaissance du facteur de rattachement uti-
lisé par la norme primaire.
Par exemple, le juge du fond a qualifié correctement les faits comme concernant une formalité
Ill!
du mariage, mais il a méconnu la structure disjonctive de la règle de rattachement et, au lieu
d'appliquer le droit du lieu de célébration, il a appliqué le droit de la nationalité des époux.
Ill Une mauvaise application de la théorie du renvoi constituerait une méconnaissance de la
norme primaire du for,. Voy. en ce sens: Cass., 4 novembre 1993, Pas. (1993), I, 921, recevant un
pourvoi fondé sur la violation de l'article 344 du Code civil (droit applicable à l'acte d'adoption) et
justifiant le juge d'appel d'avoir appliqué le droit belge par un renvoi du droit américain. Au vrai,
une distinction doit être faite. Si le juge du fond a méconnu la règle étrangère de rattachement,
parce qu'il a refusé d'appliquer le renvoi, et a appliqué - correctement - la règle matérielle étran-
gère pertinente, il y a bien méconnaissance de la règle de rattachement du for, dans la mesure où la
technique du renvoi est liée à l'objet de la norme primaire (voy. supra, n° 6.22). En revanche, si la
méconnaissance porte sur le contenu de la règle étrangère de rattachement - ce qui peut avoir été
le cas dans l'espèce rapportée -, la violation porte plutôt sur le droit étranger (voy. sous le
n ° suivant).

6.64 - Cassation pour violation du droit étranger - L'erreur du juge du fond peut con-
sister à avoir méconnu le droit étranger qui a été désigné par la norme primaire. Cette
erreur est distincte de celle qui consiste à avoir commis une erreur dans la désignation du
droit applicable, par exemple quand le juge a appliqué le droit du for alors qu'il aurait dû
J
appliquer un droit étranger en vertu de la norme primaire pertinente.
1111Le droit suisse fait une distinction entre la non-application du droit étranger désigné par la
norme primaire et l'application erronée du droit étranger. La première fait l'objet d'un contrôle
d'office et repose sur la violation de la règle de rattachement suisse. La seconde ne donne lieu à un
contrôle de légalité que si la contestation porte sur un droit de nature« non pécuniaire" (BUCHER
et BoNOMI, n ° 466).

La méconnaissance du contenu du droit étranger fait l'objet d'un contrôle de léga-


lité qui a pu se fonder, en Belgique, sur la violation du droit étranger, celui-ci étant consi-
déré comme une« loi» au sens de l'article 608 du Code judiciaire.
Ill La solution est certaine depuis l'arrêtjosi I du 2 avril 1981 (Pas., 1981, !, 835, Rev. crit. jur. belge,
1983, 499, note F. R.!GAUX). Le pourvoi reprochait au juge d'appel d'avoir attribué des effets patri-
moniaux au mariage posthume connu du droit français, la validité de ce mariage n'étant pas en
cause dans cette partie du pourvoi. Il était basé sur la violation de la règle de rattachement belge,
l'article 3, alinéa 3, du Code civil, pour application incorrecte du droit français, en l'espèce
l'article 171 du Code civil français. La Cour déclare le moyen irrecevable, car« les dispositions de
l'article 171 du Code civil français peuvent constituer une loi au sens de l'article 608 du Code
judiciaire"· Voy. ultérieurement en ce sens : Cass., 29 novembre 1990, Nationale Nederlanden, Pas.
(1991), !, 320; camp.: Cass., 12janvier 1990, Knippenberg, Pas. (1990), I, 566, déclarant fondé un
pourvoi invoquant la violation de la loi néerlandaise sur les faillites.
Il s'en déduit qu'un pourvoi est irrecevable s'il est fondé sur une règle matérielle du for alors qu'un
droit étranger est applicable en vertu de la règle de rattachement du for: Cass., 29 avril 1996,
Ongyert,].T (1996), 842, R W. (1996-1997), 812, note]. MEEUSEN; Cass., 19 mars 1992, Harchou, Pas.
(1992), I, 659.
Contra: Cass., 18 juin 1993, WKS, Rev. gén. ass. resp. (1994), 12366, note M. FALLON, qui, à propos
d'une mauvaise interprétation du droit néerlandais, déclare fondé pour violation de la règle de rat-
tachement, un pourvoi qui invoquait aussi, à côté de celle-ci, la règle matérielle néerlandaise violée ;
Cass., 14 février 2005, ci-dessous.

Cette thèse s'oppose à deux autres conceptions du contrôle de légalité.


278 lA DÉTERMINATION ET LA CONDITION DU DROIT ÉTRANGER

La première consiste à effectuer un contrôle de la dénaturation du droit étranger.


Cette technique est peu satisfaisante du point de vue de la condition qu'il convient de
reconnaître au droit étranger, système juridique déclaré applicable dans l'État du for,
puisqu'elle assimile ce droit à un acte juridique privé. Pourtant, elle traduit adéquate-
ment les limites dans lesquelles il y a lieu d'enfermer le contrôle de la violation du droit
étranger : seule une erreur d'interprétation flagrante qui présente quelque analogie avec
la dénaturation d'un acte juridique privé justifie la cassation de la décision attaquée (voy.
supra, n ° 6.60).
Cette technique est pratiquée en France, depuis: Cass. civ., 21 novembre 1961, Montefiore, D.
Ill!
(1963),J, 37. Voy. depuis lors la jurisprudence citée ci-dessous.
La Cour de cassation de Belgique a rejeté explicitement la technique du contrôle de la
1111

dénaturation: Cass., 2 avril 1981,Josi I, précité; Cass., 10 mars 1988, La Patriotique, Pas. (1988), !,
828, déduisant ce rejet de l'obligation mise à charge du juge du fond quant à l'établissement du
contenu du droit étranger (voy. supra, n ° 6.54); Cass., 20 avril 1989, Pas. (1989), !, 868 (même
motivation); Cass., 29 novembre 1990, Nationale Nederlanden, Pas. (1991), !, 320.

La seconde thèse consiste à motiver le pourvoi par la violation de la règle d~ ratta-


chement ayant déclaré le droit étranger applicable. Elle se fonde sur une double considé-
ration. D'une part, une méconnaissance flagrante du droit étranger constitue d'une
manière indirecte mais certaine une violation de la norme primaire en vertu de laquelle
ce droit a été déclaré applicable. D'aurre part, ni l'obligation du juge du fond ni la fonc-
tion de la Cour de cassation ne portent sur l'interprétation même du droit étranger, mais
plutôt sur une application conforme de l'interprétation dominante à l'étranger.
Ill!Voy. en France: Cass. civ., 10 mars 1993, Revue (1993), 456, note B. ANCEL, censurant pour viola-
tion de la règle française de rattachement - règle de caractère alternatif dans la matière en cause -
l'arrêt d'appel qui avait admis la légitimation par mariage en vertu du droit tunisien après avoir
énoncé que ce droit ignore coute filiation naturelle ; Cass. civ., 1er janvier 1997, Africatours, Revue
(1998), 292, note H. Mum WATT, cassant pour dénaturation liée à une méconnaissance de la lettre
du droit étranger, sur un pourvoi basé sur la violation de l'article 3 C. civ.; 24 novembre 1998,
Lavazza,].C.P. (1999), II, 337, note M. MENJUCQ, Revue (1999), 88, note B.A. Récemment encore, la
censure reposait sur la violation de l'article 12 NCPC (Cass. civ., 27 janvier 1998, Abadou, ].C.P.
(1998), 11, 10098, note H. MUIR WATT).
La thèse retenue par la Cour de cassation de Belgique dans l'arrêt du 2 avril 1981 a pour mérite
Ill!
de rendre compte de l'exigence procédurale tenant à l'irrecevabilité d'un moyen nouveau. Lorsque,
devant le juge du fond, les parties n'ont pas contesté que le droit étranger était applicable en vertu
de la norme primaire mais ont débattu sur le contenu de ce droit, le moyen invoquant la violation
du droit étranger ne saurait être nouveau (Cass., 23 février 1984, Carretero, Pas., 1984, I, 726). La
thèse de la violation de la norme primaire ne permettrait pas de dissocier ce cas de celui où la con-
testation devant le juge du fond a porté sur la norme primaire. De manière assez paradoxale,
pareille application de la doctrine de l'irrecevabilité d'un moyen nouveau a pour effet de restrein-
dre l'exercice du contrôle de légalité sur une mauvaise interprétation du droit étranger.
Pour un cas d'irrecevabilité d'un moyen nouveau portant sur l'applicabilité du droit étranger, voy. :
Cass., 17 novembre 1983, Assurances Zurich, Pas. (1984), !, 292.
L'arrêt de la Cour de cassation du 14 février 2005 (Gecamines,J. TT, 2005, 261) revient à la thèse
1111

de la violation de la règle de rattachement.

6.65 - Cassation pour mauvaise application de l'exception d'ordre public - Lorsque


l'erreur du juge du fond consiste à avoir fait une mauvaise application de l'exception
d'ordre public, la censure porte-t-elle sur la violation de la norme primaire ou sur celle
d'une règle matérielle du for qui, en raison de son caractère fondamental, a justifié l'évic-
tion du droit étranger ?
LA CONDITION PROCÉDURALE DU DROIT ÉTRANGER 279

La question n'a d'intérêt qu'à défaut de disposition légale particulière couvrant


l'exception d'ordre public. Une telle disposition figure dans toute codification globale du
droit international privé, notamment dans le Code belge (art. 21 Codip), ainsi que dans
les conventions internationales en matière de conflits de lois.
La réponse à la question dépend de l'objet assigné à l'exception d'ordre public dans
la matière des conflits de lois. Le moyen pris de la violation de la règle matérielle du for ne .
se conçoit que si celle-ci a servi de paramètre d'évaluation de la règle étrangère. La viola-
tion de la norme primaire paraît un moyen plus conforme à la définition que la doctrine
donne de l'exception. La norme primaire comporte implicitement l'obligation du juge du
fond de n'appliquer le droit étranger que sous la réserve de la compatibilité avec l'ordre
public étatique.
Ill D'emblée, il convient d'écarter de l'alternative la violation de l'article 6 du Code civil dont
l'objet, tout en affectant l'ordre public, excède celui de l'exception d'ordre public au sens du droit
des conflits de lois.
La Cour de cassation ne paraît pas avoir prêté attention à la question posée. Elle n'a pas hésité à
répondre à l'ensemble des dispositions légales citées au moyen lorsque celui-ci invoque à la fois
l'article 6 du Code civil, la norme primaire et les règles matérielles de référence du for. Voy.
particulièrement: Cass., 2 avril 1981,Josi J, Pas. (1981), I, 835. Pour un cas où étaient invoquées la
norme primaire et la règle matérielle du for sans l'article 6, voy. : Cass., 24 mars 1960, Eifeling, Pas.
(1960), I, 860.
Dans la jurisprudence belge, voy. encore: Cass., 19 septembre 1927, Sté Handels- en Landbouwbank,
Pas. (1927), !, 296; 9 décembre 1948, Georis-Grusetin,].T (1949), 228; 4 mai 1950, Vigouroux, Pas.
(1950), I, 624; 22 octobre 1953, Iramana, Pas. (1954), I, 130; 27 février 1986, Swartebroeckx, R.W
(1986-1987), 1388.
Le recours à l'article 6 du Code civil paraît hors de propos, en raison des différences entre les obiers
respectifs de cette disposition et de l'exception d'ordre public dans la matière des conflits de lois
(voy. infra, n ° 7.32).
Ill Voy. pourtant, sur cette confusion et sur l'invocation de cette disposition par certains pourvois,
les affairesJosi Jou Swartebroeckx, infra, n ° 7.37.

§4 LE DROIT PUBLIC ÉTRANGER DEVANT LE JUGE


6.66 - Assimilation du droit public étranger au droit du for - Quand l'application d'une
règle de droit public du for est subordonnée au contenu d'une disposition de droit
public étrangère, la condition de la première se communique à la seconde. Il peut en
résulter que, devant le juge du fond ou à la Cour de cassation, la condition du droit
public étranger soit meilleure que celle du droit appliqué par le juge en matière civile.
1111 Les exemples les plus suggestifs sont empruntés à l'application du droit pénal. Celle-ci est, dans
l'ordre interne, soustraite au principe dispositif Le juge du fond a le devoir de vérifier d'office si les
faits constitutifs de l'infraction sont établis; la volonté des parties (du prévenu, du ministère
public ou de la partie civile) est en principe sans effet sur le choix de la disposition législative com-
pétente et sur son application.
Les exigences de la motivation sont également plus contraignantes en matière répressive qu'en
matière civile: la décision doit constater les circonstances de fait constitutives de l'infraction et
viser les dispositions législatives qui prévoient la peine.
La Cour de cassation a le pouvoir de soulever des moyens d'office et elle casse la décision dont la
motivation insuffisante ne lui permet pas de vérifier la légalité de la condamnation ou de l'acquit-
tement.
1111La règle de la double incrimination en fournit une illustration. La juridiction répressive saisie de
faits commis à l'étranger doit vérifier d'office si ces faits sont réprimés par la loi du lieu du délit et
280 l.A DÉTERMINATION ET LA CONDITION DU DROIT ÉTRANGER

sa décision encourt la cassation si une motivation insuffisante sur ce point empêche la Cour de
cassation d'exercer son contrôle. Voy. en ce sens: Cass. crim., 19 mai 1971, Terrier, ].CP. (1972), II,
16947, note A. VJTu.
CHAPITRE 7

L'APPLICATION DU DROIT ÉTRANGER


7.1 - Présentation - Après que le praticien a pu identifier le droit applicable, notam-
ment quant au contenu, il lui reste à procéder à l'application de celui-ci. À première vue,
cette opération ne suscite pas de difficulté et devrait suivrn immédiatement la précé-
dente, celle de l'identification de la règle à appliquer.
L'application du droit étranger suscite pourtant deux types de difficultés. La première a,
dans la doctrine, donné naissance à deux théories, à savoir la théorie des qualifications et
la détermination du concept préjudiciel (section 1). La seconde difficulté porte sur la
mise e~ œuvre de l'exception d'ordre public (section 2).

Section 1
La théorie des qualifications
et la détermination du concept préjudiciel
§ 1 LA THÉORIE DES QUALIFICATIONS

7.2 - Bibliographie
a) Définition de la problématique
E. BARTIN, « De l'impossibilité d'arriver à la solution définitive des conflits de lois", Clunet (1897),
225-255; 466-495; 720-738; F. DESPAGNET, « Des conflits de lois relatifs à la qualification des rap-
ports juridiques", Clunet (1898), 253-275 ; F. KAHN, « Gesetzeskollisionen. Ein Beitrag zur Lehre
des internationalen Privatrechts ", Jherings Jahrbücher (1891), 1-143, reproduit dans: F. KAHN,
Abhandlungen zum /PR (1928), t. I, 1-123 ..

b) Affinement de la problématique
Dans l'ordre chronologique: LORENZEN, « The theory of qualifications and the conflict of laws ",
Columbia L.R (1920), 248-282; E. RABEL, « Das Problem der Qualification", RabelsZ. (1931), 241 et
s.; R. NEUNER, Der Sinn der internationalprivatrechtlichen Norm (eine Kritik der Qualifikationstheorie)
(Brno, 1932); G. MELCHIOR, 107-192; WOLFF, Internationales Privatrecht(Springers Enzyklop., Berlin,
1933), 30 et s. ; BECKETT, « The Question of Classification ("qualification") in Private international
Law", B.YLL. (1934), 46-81; MAURY, 460-512; AGo, 313-342; FALCONBRIDGE, « Characterization in
the Conflict ofLaws ", L.Q.R (1937), 235 et 537; LEWALD, 68-84; REu, note sous KG 26 mars 1939,
Deutsches Recht ( 19 39), 9 38 ; NIEDERER, Die Frage der Qualifikation ais Grundlage des internationalen Priva-
trechts (1940); WENGLER, « Réflexions sur la technique des qualifications en droit international
privé", Revue (1954), 661-691.
282 L'APPLICATION DU DROIT ÉTRANGER

c) Études contemporaines
Pour un état de la question, voy.: F. R.!GAUX, La théorie des qualifications (Bruxelles, Larcier, 1956). À la
bibliographie recueillie dans cet ouvrage, ajoutez: B. ANcEL, Les conflits de qualifications à l'épreuve de
la donation entre époux (Paris, Dalloz, 1977); ID., « L'objet de la qualification», Clunet (1980), 227-
268; B. AUDIT, « Qualification et droit international privé», Rev. Droits (1993), 55-66; BLAND,
« Classification Re-Classified »,I.C.L.Q. ( 1957), 10 et s. ; S. Cofil-lELOUP, La publicité des situations juridi-
ques, une approche franco-allemande du droit interne et du droit international privé (Paris, LGDJ, 2003),
565 p. ;J. CRUTHERS, « Substance and procedure in the conflict oflaws: A continuing debate in rela-
tion to damages», I.C.L.Q. (2004), 691-711; I. DE MAGALHAES CoLLAÇO, Da qualificaçao em direito
internacional privado (Lisboa, 1964); G. DRoz, « Regards sur le droit international privé comparé»,
Recueil des cours, vol. 229 ( 1991-IV), 322-350 ; J.-L. ELHOUEISS, « Retour sur la qualification lege cau-
sae en droit international privé», Clunet (2005), 281-313; C. FoRSYTH, « Characterisation revisited:
An essay in the theory and practice of the English conflict of laws », L.Q.R. (1997), 141-161; P.
HAGE-CHAHINE, Les conflits dans l'espace et dans le temps en matière de prescription (Paris, Dalloz, 1977) ;
H. }ACOBS, « De erfgerechtigdheid en de aard van de erfrechten van de langstlevende echtgenoot in
het internationaal privaatrecht », Tijds. Not. (1991), 51-60; R. LEHMANN,« Les qualifications »J-C/.,
fasc. 531 ; Y. LEQUETTE, « Le renvoi de qualification», Mélanges Holleaux (Paris, Litec, 1990); P.
Lou1s-LuCAs, « Qualification et répartition», Revue (1957), 153 et s.; A. PAPAUX, Essai philosophique
sur la qualification juridique: De la subsomption à l'abduction (Bruxelles, Bruylant, 2003), 532 p.; A.
ROBERTSON, Characterization in the conflict of laws (Cambridge Mass., Harvard Univ. Press, 1940); R.
ScHuz, A modern approach to the incidental question (Dordrecht, Kluwer, 1997), 296 p.; SPERDUTI, « Le
qualificazioni in dir. int. priv. », Riv. dir. intern. (1965), 393-415; S. TONOLO, Il rinvio di qualificazione
nei conflitti di leggi (Milan, Giuffrè, 2003), 331 p.; C. C. TURPIN,« Characterization and policy in the
conflict of laws », Acta juridica (Cape Town, 1959), 222-229; E. TYLAN, « La question des
qualifications», Ann. de l'Ecole franç. de Beyrouth (1946, n ° 2), 5-42; H. WEBER, Die Theorie der Qualifi-
cation (Tübingen, MDhr, 1986), 309 p.; N. WATTÉ et A.-C. VAN GYSEL, « La filiation et la vocation
successorale en droit international privé »,Rev. dr. ULB (1990), 121-152.
7.3 - Présentation - La problématique de la qualification est au cœur de la théorie géné-
rale du droit international privé. L'approche traditionnelle - et dominante - s'attache à
définir les termes utilisés par le droit international privé en partant des concepts juridi-
ques, tels qu'ils sont pratiqués en droit matériel. Afin de surmonter les difficultés rencon-
trées par cette approche, il paraît préférable de s'en tenir à une définition de ces termes
qui soit fonction de l'interprétation de la norme primaire du for.

A. Les méthodes conceptuelles de qualification


7.4 - Présentation - Les éléments d'une théorie des qualifications ont été posés par deux
représentants éminents de ['École positiviste, Bartin et Kahn (I). Les critiques que cette
théorie n'a pas manqué de susciter (II) ont ensuite conduit à la formulation de plusieurs
variantes (III).

1. LES PARADIGMES DE LA THÉORIE TRADITIONNELLE

7.5 - Une création jurisprudentielle - Comme le problème du renvoi élaboré par les
mêmes auteurs, la théorie des qualifications trouve son origine dans l'analyse que Bartin
et Kahn ont faite de décisions judiciaires prononcées dans leurs pays respectifs. Avant de
discuter la terminologie et la méthode qu'ils ont adoptées et de situer à sa vraie place la
difficulté appelée par Bartin « conflit de qualifications», il y a lieu de résumer les déci-
sions judiciaires qu'ils ont choisies comme paradigmes de la théorie nouvelle et d'exposer
la solution qu'en vertu de celle-ci ils entendaient apporter aux situations de fait présen-
tant un tel conflit.
LA THÉORIE DES QUALIFICATIONS ET LA DÉTERMINATION DU CONCEPT PRÉJUDICIEL 283

1111 Le problème que Bartin appellera« qualification » a été, pour la première fois, abordé explicite-
ment par Kahn, dans une étude intitulée:« Gesetzeskollisionen. Ein Beitrag zur Lehre des interna-
tionalen Privatrechts »,Jherings]ahrbücher(l891), 1-143.
Le titre de l'article de Bartin exprime clairement sa préoccupation : « De l'impossibilité d'arriver à
la solution définitive des conflits de lois», Clunet (1897), 225-255, 466-495, 720-738. Bien que cette
publication ait suivi à six ans d'intervalle celle de Kahn, Bartin ne semble pas avoir eu connais-
sance, en 1897, des travaux de son collègue allemand.
Le problème a été repris dès l'année suivante par Despagnet, « Des conflits de lois relatifs à la quali-
fication des rapports juridiques», Clunet (1898), 253-275.

7.6 - Un cas de conflit de qualifications selon Bartin - Le principal exemple de conflit


de qualifications, que Bartin a rendu célèbre, est emprunté à un arrêt prononcé en 1889
par la cour d'Alger, relatif à un litige qui oppose les héritiers du mari à la veuve, et qui
porte sur l'attribution à celle-ci de la« quarte du conjoint pauvre».
Les époux Bartholo se sont mariés sans contrat à Malte dont ils sont originaires. Après leur
1111

mariage, ils s'établissent en Algérie, y acquièrent des immeubles et le mari meurt sans enfant. Pour
régler les droits respectifs de la veuve et des héritiers du mari, le droit international privé français
en vigueur en Algérie offre les solutions suivantes : le régime matrimonial est soumis au droit de
Malte, lieu du premier domicile conjugal, la succession immobilière est dévolue suivant le droit
français (C. civ., art. 3, al. 2).
D'une part, le Code Rohan en vigueur à Malte soumet les époux mariés sans contrat à un régime de
communauté légale (art. 18), et attribue au conjoint survivant en état de besoin le quart de la part
du prédécédé (art. 17). D'autre part, le droit français en vigueur à cette époque ne reconnaît aucun
droit successoral au conjoint survivant.
Alger, 24 décembre 1889, Bartholo, Clunet (1891), 1171, commenté par BARTIN, Clunet (1897), 227.
C'est le contenu des règles de droit matériel appartenant, respectivement, à chacun
des deux droits compétents, qui va susciter une difficulté que Bartin lie à un conflit de
qualifications : la « quarte du conjoint pauvre » ne doit être allouée à la veuve que si elle
est un effet du régime matrimonial, non si elle est une prétention émise au titre d'héritier
ou de successeur. En effet, le Code Rohan qui, à la différence du droit français, applicable
à la succession, lui en reconnaît le bénéfice, n'est applicable que dans la mesure où les
droits qu'il consacre relèvent du régime matrimonial, à la détermination duquel se limite
sa compétence.
Selon Bartin, le législateur français, qui n'a pas défini ses catégories de rattachement
(dans l'exemple de l'arrêt Bartholo les notions de «successions» et de « régimes
matrimoniaux »), se réfère implicitement au contenu de ces concepts en droit privé
interne. Dès lors, il est fait obligation au juge de qualifier suivant la lex fori.
Bartin entend par là que les institutions du droit étranger (par exemple la « quarte
du conjoint pauvre» du droit maltais) ne peuvent être appliquées en vertu de la règle de
conflit de lois française que si leur« nature juridique» répond, d'après les définitions et
qualifications du droit privé français, à la catégorie inscrite dans la règle de rattachement.
Si le droit étranger auquel appartient l'institution litigieuse en propose une qualification
différente, celle-ci doit céder devant la nature que lui attribue le législateur du for.
7.7 - Un véritable conflit de qualifications étudié par Kahn - Dans un article publié en
1891, six ans avant celui de Bartin, Kahn avait analysé une difficulté qui, bien qu'il ne
l'eût pas appelée« qualification», était tout à fait semblable au problème qui doit ce nom
à l'auteur français. Comme celui-ci, Kahn raisonne à partir de la jurisprudence. À plu-
sieurs reprises, le Reichsgericht fut saisi d'une difficulté où l'on peut voir un véritable
conflit de qualifications : la même institution - la prescription - reçoit du législateur
284 L'APPLICATION DU DROIT ÉTRANGER

étranger et dans le système du for des qualifications incompatibles, tantôt de procédure,


tantôt de fond.
1111Le paiement d'une lettre de change souscrite aux États-Unis et soumise à la common law est
poursuivi contre une personne domiciliée en Allemagne, devant un tribunal de ce pays. Le défen-
deur oppose la prescription. Le problème de conflit de lois a pour objet le choix du droit applicable
à la faculté d'invoquer cette exception. Deux droits paraissent en concours : le droit américain, qui
régit l'obligation quant au fond, le droit allemand, qui gouverne la procédure.
D'après le Reichsgericht, il y a conflit entre la conception allemande et la conception américaine de
la prescription extinctive. Suivant la première, cette institution a pour effet d'éteindre l'obligation
elle-même; au contraire, la seconde y voit une simple exception de procédure, opposable à l'action
(remedy), mais sans incidence sur le droit (right), lequel subsiste, privé de sa sanction judiciaire.
Ce « conflit de qualifications" (suivant la terminologie de Bartin) va, dans la jurisprudence du
Reichsgericht, provoquer la lacune suivante : le juge allemand ne peut appliquer ni le droit améri-
cain, qui ne connaît qu'une exception de procédure inapplicable par un tribunal allemand, ni le
droit allemand, dont les règles de procédure ignorent pareille exception, tandis que les règles de
fond du droit allemand sont, en l'espèce, incompétentes. Dès lors, l'exception invoquée par le
défendeur fut rejetée, encore que, au moins dans une espèce, la prescription eût été acquise d'après
chacune des deux lois en concours.
RG, 8 mai 1880, RGZ 2, 13, et 23 janvier 1882, RGZ 7, 21; RG, 18 mai 1889, RGZ 24,283.

Cette jurisprudence a qualifié chaque institution en cause suivant le système de


droit privé national auquel elle appartient, retenant notamment la qualification faite par
le droit applicable au fond, caractéristique de ce que la doctrine appellera ultérieurement
une« qualification lege causae » (voy. infra, n ° 7.12).
Combinée avec une application rigide des deux règles de conflit de lois du for - celle
qui régit la procédure et celle qui régit le fond -, cette interprétation respectueuse de la
nature propre de chaque institution aboutit, suivant les cas, à une lacune ou à un cumul.
1111Ainsi, l'action en paiement d'une lettre de change soumise au droit américain n'est, devant un
tribunal allemand, assujettie à aucun délai de prescription (lacune). Supposons, au contraire, que
l'exécution d'une obligation cambiaire contractée suivant le droit allemand soit poursuivie aux
États-Unis, l'adoption par un tribunal américain de la méthode de qualification retenue par le
Reichsgericht dans l'hypothèse précédente conduit à un cumul : le droit du for et le droit de l'obli-
gation sont concurremment déclarés applicables au problème de prescription.

Adversaire du cumul comme de la lacune, Kahn propose une solution dont l'inspira-
tion est proche de la qualification lege fori de Bartin : appliquant ses règles de conflit de
lois, le juge donne aux notions dont elles se composent le sens qu'elles reçoivent du droit
civil interne. Concevant, d'après le droit privé allemand, la prescription comme une
exception de fond, le juge allemand rattache au droit américain le moyen de défense sou-
levé. Quand il applique le droit américain, le même juge ne doit plus s'interroger sur la
nature différente qui y serait imprimée aux règles de droit déjà déclarées compétentes.
La solution de Kahn triomphera beaucoup plus tard. Voy. notamment à propos de la prescrip-
1111

tion de la lettre de change: RG, 6 juillet 1934, RGZ 145, 121, Clunet (1935), 1190.

Entre le problème de la qualification et celui du renvoi, Kahn établit un parallèle très


étroit. Alors que les hypothèses classiques de renvoi dévoilent un « conflit de lois
explicite» au sens de l'adoption par deux États de règles de conflit différemment formu-
lées, il y a « conflit de lois latent » ou implicite quand ces règles sont identiques mais
reçoivent des interprétations divergentes, eu égard à la référence aux concepts du droit
privé interne incluse dans la catégorie de rattachement de chacune des deux règles. Pareil
conflit, qui correspond au conflit de qualifications de Bartin, est latent ou implicite
LA THÉORIE DES QUALIFICATIONS ET LA DÉTERMINATION DU CONCEPT PRÉJUDICIEL 285

puisqu'il se dissimule derrière l'expression identique donnée aux règles de conflit des
deux États.

Il. CRITIQUE DE LA THÉORIE TRADITIONNELLE

7.8 - Moment de la qualification - Le concept «qualification» se réfère à une opéra-


tion de logique juridique très familière au praticien (voy. supra, n ° 5.7): à quelle hypo-
thèse légale les faits correspondent-ils? De cette qualification des faits dépend le choix de
la règle qui y est applicable. Un aspect notable de ce type de qualification est la détermi-
nation de la cause juridique d'une demande, d'une défense ou d'une exception (voy. supra,
n ° 6.49).
Le problème de la qualification s'identifie avec l'opération logique par laquelle le tri-
bunal saisi classe les faits, en vue de la détermination du droit applicable en vertu de la
règle de rattachement, sous l'hypothèse légale pertinente, appelée catégorie de rattache-
ment.
Ainsi, avant même la désignation du droit étranger compétent et tant que le con-
tenu matériel de celui-ci n'a pas été déterminé, cette simple opération de« qualification»
ne suscite aucune difficulté particulière, compte tenu soit de la souplesse des catégories
les plus synthétiques, soit de la définition qui accompagne les règles de rattachement
ayant un objet moins étendu.
En revanche, la méthode conceptuelle suppose que dès le moment qui précède le
choix du droit applicable en vertu de la règle de rattachement du for, un « conflit » de
qualifications peut surgir eu égard aux contenus respectifs des systèmes de droit interne
en présence, le droit du régime matrimonial et le droit de la succession dans l'exemple de
Bartin, le droit de la procédure et le droit du contrat dans l'exemple de Kahn.
IllSur le plan terminologique, le conflit de qualifications peur prendre deux formes : tantôt il est
une simple position dialectique, tantôt il exprime les solutions incompatibles retenues par les juges
d'États différents. Le premier type de conflit se pose à l'intérieur d'un système de droit internatio-
nal privé: face aux qualifications, qu'il suppose discordantes, du droit du for et du droit étranger
désignés par la norme primaire du for, le juge doit donner la préférence aux qualifications de son
propre droit interne. Kahn et Bartin se placent en outre sur un autre plan : ils supposent que les
juges respectifs des deux États dont les qualifications de droit interne sont en conflit soient concur-
remment saisis du même litige et le tranchent chacun selon son système de qualifications, ce qui
détruit l'harmonie juridique que la rédaction des règles de conflit paraissait assurer.

7.9 - Vice logique de la méthode conceptuelle - Le raisonnement suivi par la méthode


conceptuelle recèle une grave contradiction.
Le principal argument avancé en faveur de la qualification lege fori est la nécessité
d'interpréter la règle de conflit à la lumière des catégories du droit interne du tribunal
saisi, puisque le problème est soulevé avant même le choix du droit applicable, dont la
qualification, si celle-ci est différente, ne saurait être prise en considération tant que cette
loi n'a pas été déclarée compétente.
Or, pareille justification est contredite par les données mêmes du conflit de qualifi-
cations, lesquelles impliquent que la mise en œuvre de la règle de conflit a déjà permis de
désigner le droit étranger applicable. En réalité, dans l'exemple de Bartin, la qualification
n'a pas pour objet la situation de fait, mais une institution du droit étranger, la quarte du
286 L'APPLICATION DU DROIT ÉTRANGER

conjoint pauvre du droit maltais. C'est donc bien après le choix du droit applicable, et
non avant, que se situe le problème décrit par Kahn et par Bartin.
Ce n'est pas à dire que l'analyse de Kahn et de Bartin soit sans portée. Tous les exem-
ples auxquels ils se réfèrent attestent que le problème décrit par eux apparaît après qu'au
moins un droit étranger a été désigné, et qu'il implique toujours une répartition du règle-
ment de la situation litigieuse entre plusieurs droits nationaux. Jointe au découpage des
matières opéré par les catégories de rattachement« état des personnes»,« successions»,
« régimes matrimoniaux», « procédure», la dispersion matérielle des éléments de ratta-
chement (nationalité, domicile, etc.) pris en considération par les règles correspondantes
requiert que les divers aspects visés par chacune de ces catégories soient respectivement
attribués au droit compétent.
7.10 - Un problème de répartition de compétences législatives - Dans cette perspective,
ce que la doctrine a appelé problème de la qualification a pour objet l'exacte délimitation
du domaine matériel de chacun des droits désignés par les diverses règles de rattachement.
Loin de le précéder, cette délimitation suit le choix opéré par les règles de conflit de lois du
for. De ce fait, elle s'inscrit dans un règlement global de la situation litigieuse.
G. DROZ (précité n° 7.2) couvre la matière des qualifications sous le terme
ll!li « conflit de
répartition ».
Les exemples mêmes choisis par Bartin et par Kahn exigent ce redressement de leur
problématique.
Dans l'affaire Bartholo, il ne s'agit pas de « choisir» entre l'application du droit maltais et celle
1111

du droit français. Ils sont tous deux applicables, chacun pour l'aspect qui le concerne: le Code
Rohan détermine l'étendue des droits que le conioint survivant puise dans son régime matrimo-
nial, tandis qu'il appartient au droit français de désigner les héritiers ou successibles.
Cet exemple dévoile très clairement le conflit d'intérêts qui porte le conflit de lois sur le plan
judiciaire: la masse de biens à partager étant limitée, tout ce qui aura été attribué au conjoint survi-
vant en vertu de son régime matrimonial (ou, le cas échéant, en sa qualité d'héritier ou de succes-
seur) sera soustrait aux héritiers.
L'exemple de Kahn mérite la même interprétation : le droit américain détermine les obligations
lllli
du débiteur, le droit allemand organise les moyens de défense qu'il peut opposer à son créancier
quand celui-ci l'attrait devant un tribunal allemand. Qu'on détermine le délai de prescription selon
l'un ou l'autre de ces droits, n'est qu'un aspect du règlement global de la situation qui requiert
l'application tant de l'un que de l'autre.
Centrée sur l'enjeu d'un litige particulier, la théorie des qualifications s'inscrit dans
le cadre processuel qui caractérise l'école positiviste: si la seule question de droit disputée
par les parties est, soit l'attribution au conjoint survivant de la quarte du conjoint pau-
vre, soit la fixation du délai de prescription, il est aisé de présenter le choix du droit appli-
cable à cette seule question dans les termes d'une alternative ou d'un dilemme. À cette
question-là, le juge devrait appliquer soit l'un soit l'autre des droits en présence.
7.11 - Illusion de la qualification lege fori - La qualification par le droit du for présente
un caractère illusoire, pour deux motifs.
D'abord, la référence aux catégories du droit civil interne peut constituer une
impossibilité. L'objet de la qualification étant une institution du droit étranger déclaré
applicable en vertu de la règle de conflit de lois du for (voy. supra, n ° 7.9), une réduction
aux qualifications du droit du for est un pur artifice lorsque l'institution en cause est
inconnue de ce droit.
LA THÉORIE DES QUALIFICATIONS ET LA DÉTERMINATION DU CONCEPT PRÉJUDICIEL 287

IllAinsi, dans l'affaire Bartholo, il n'y a pas de sens à vouloir qualifier selon le droit civil français la
quarte du conjoint pauvre du droit maltais, dont le premier ne contient aucune trace.
!liComp. infra, n ° 7.27, la problématique de la définition du concept préjudiciel, lorsque les droits
en présence connaissent des institutions comparables sans être identiques.
!li Le législateur russe a bien aperçu la difficulté puisque l'article 1187 du Code civil introduit par
la loi du 26 novembre 2001 (Revue, 2002, 182), après avoir énoncé une qualification de principe lege
fori, prévoit une qualification subsidiaire selon le droit étranger.
Plus fondamentalement ensuite, selon la méthode conceptuelle, les concepts utilisés
comme catégorie de rattachement sont logiquement définis par le droit matériel auquel
ils seraient empruntés. Certes, pareils concepts ont un sens en droit interne. Pourtant, ils
n'y sont assurément pas définis avec précision et ne sauraient l'être. Au demeurant, ils ne
servent aucunement à déterminer les conditions d'application d'un droit étranger, c'est-
à-dire d'une disposition appartenant à un autre système juridique réglant des situations
de vie qui lui sont propres.
Au contraire, la technique du rattachement recourt à des concepts larges, aux con-
tours indistincts, ce qui permet précisément de viser, par leur intermédiaire, des situa-
tions décrites à l'aide de concepts étrangers à l'ordre juridique du for et qui, sous peine
d'être dénaturées, n'auraient pu être exprimées au moyen d'autres « mots», plus fami-
liers au praticien qui appartient à cet ordre (voy. supra, n ° 5.10).
!li Quelle portée ont, dans un ordre juridique national, des concepts tels que « successions»,
« régimes matrimoniaux », « état des personnes» ? lis désignent des « matières» du droit privé et
paraissent, d'ailleurs, directement empruntés à l'enseignement du droit. Autant ils sont aisés à
comprendre, autant il est difficile d'assigner à leurs contenus respectifs des limites précises. Cette
tâche est d'ailleurs inutile pour le juriste de droit interne. Nombre de règles ou d'institutions ont
un caractère complexe et leur contenu les situe aux confins des grandes branches du droit civil
dont on croit apercevoir le décalque dans les systèmes de conflit de lois.

Les arrêts du Reichsgericht à partir desquels raisonne Kahn sont, à cet égard, exem-
plaires. Force est d'en déduire qu'il est artificiel de cristalliser la différence des institu-
tions de droit interne sous les traits d'une opposition radicale entre deux systèmes clos
de qualifications conceptuelles présentées comme irréductibles.
Kahn entend réagir contre une solution aberrante de la Begriffsjurisprudenz, mais sa réponse n'est
11111

guère moins conceptuelle que les décisions du Reichsgericht qu'il critique à bon escient.
Pourquoi affirmer ex cathedra que la prescription « est» une exception de fond ou, au contraire,
«est» un moyen de procédure? La vérité est plus nuancée, et les prescriptions longues, notam-
ment, ne sauraient être analysées indépendamment d'un contexte procédural. Les actions patrimo-
niales n'obéissent sans doute pas aux mêmes règles que les actions ayant pour objet les droits de la
personne, auxquels sied naturellement, et sauf exception légale, un régime de longue prescription
voire d'imprescriptibilité.
L'erreur de Kahn consiste à avoir opposé deux qualifications typiques, comme si à la qualification
procédurale du droit américain s'opposait radicalement la qualification substantielle du droit alle-
mand. Que l'écoulement du délai de prescription constitue en droit romano-germanique une cause
légale d'extinction de l'obligation (voy. notamment l'article 1234 du Code civil), n'enlève pas à la
prescription tout caractère procédural.

Ill. VARIANTES DE LA MÉTHODE CONCEPTUELLE DE QUALIFICATION

7.12 - Qualification lege causae selon Wolff- Ce que l'on appelle « qualification lege
causae » consiste à appliquer le droit étranger déclaré compétent avec ses propres qualifi-
cations.
288 L'APPLICATION DU DROIT ÉTRANGER

Cette variante de la méthode conceptuelle repose sur l'objection précitée (n ° 7.11),


selon laquelle il est impossible de qualifier selon le droit du for une institution étrangère
que celui-ci ignore. Déjà formulée dès 1898 par Despagnet, suivi de Surville, et mieux éla-
borée quelque trente ans plus tard par Martin Wolff, cette variante n'avait pas le mérite
de la nouveauté puisque telle avait précisément été la méthode suivie par le Reichsgericht
et critiquée par Kahn.
Voy. SURVILLE, Cours élémentaires de droit international privé (7c éd., Paris, 1925), 19, note 3. Voy. les
1111

références de Despagnet et de Wolff sous le n ° 7.2.


Cependant, pour éviter les lacunes que risque d'entraîner une application mécani-
que de la qualification lege causae (voy. supra, n ° 7.7), Wolff est obligé d'imaginer un cor-
rectif sous la forme d'une « qualification subsidiaire». Il illustre la difficulté et sa
solution à l'aide d'un exemple emprunté à la rupture de fiançailles.
Ill En droit allemand, les fiançailles sont un contrat ayant force obligatoire et dont la rupture uni-
latérale donne lieu à réparation (BGB, §§ 1298 et s.). Cette action en réparation est de caractère
contractuel. Pareil effet n'est pas attribué aux fiançailles en droit français ; toutefois, dans certaines
circonstances où la rupture était particulièrement injurieuse, la jurisprudence a admis une action
délictuelle fondée sur la faute commise par l'auteur de la rupture injustifiée.
Sur le terrain du droit international privé allemand, l'action contractuelle est régie par la loi natio-
nale des parties tandis que l'action quasi délictuelle paraît devoir être rattachée à la loi du lieu où
s'est produite la rupture, /ex loci delicti.
Wolff suppose qu'un Allemand rompe des fiançailles à Paris. Dans cette hypothèse, sa fiancée peut
exercer deux actions devant le tribunal compétent, soit l'action contractuelle des paragraphes 1298
et suivants du BGB, applicable comme loi du contrat, soit l'action délictuelle de l'article 1382 du
Code civil français, applicable comme loi du délit. En effet, Wolff admet le cumul d'actions qui
découle de son système de qualification.
Si l'on modifie la localisation des facteurs de rattachement en supposant qu'un Français rompe ses
fiançailles en Allemagne, la qualification lege causae risquerait de priver la fiancée de coute action
quelconque : d'une part, le droit français applicable comme loi contractuelle ne conçoit pas les
fiançailles comme un contrat ayant force obligatoire ; d'autre part, la rupture survenue en Allema-
gne n'a pas, dans ce pays, le caractère délictuel que lui attribue dans certaines circonstances la juris-
prudence française. Suivant Wolff, le juge allemand doit supposer que la conduite des parties, au
moment où elles arrivent en Allemagne, constitue un contrat tacite de fiançailles sanctionné par les
paragraphes 1298 et suivants du BGB.

7.13 - Élargissement des concepts juridiques du for par une analyse lege causae - La doc-
trine allemande contemporaine de Wolff, notamment Lewald, Melchior, Raape, adopte,
en l'appelant qualification selon la lex fori, une méthode qui ressemble à celle de Wolff
Sous la forme où elle a été reprise en France par Maury et par Batiffol, cette méthode con-
siste à distinguer deux phases dans la qualification: « une phase préparatoire d'analyse
qui, le cas échéant, prendra en considération la loi étrangère et une phase de jugement
selon la loi du for» (BATIFFOL et LAGARDE, t. I, n ° 294). Cela permet de répondre à l'objec-
tion adressée à Bartin, comme entend aussi y répondre la variante de la qualification lege
causae : comment introduire dans les concepts du droit interne du for une institution qui
en est, par hypothèse, inconnue (voy. supra, n ° 5.10)?
La méthode se sépare toutefois de la qualification lege causae dans la mesure où deux
institutions réputées similaires sont diversement qualifiées: l'étendue d'application du
droit étranger est alignée sur celle qui, pour le droit matériel du for, découle de ses pro-
pres qualifications. Ce que le droit du for emprunte au droit étranger, c'est uniquement
l'interprétation du but et des effets de l'institution en cause, aux seules fins de vérifier si
cette institution correspond bien à l'objet de la désignation opérée par la règle de conflit
LA THÉORIE DES QUALIFICATIONS ET LA DÉTERMINATION DU CONCEPT PRÉJUDICIEL 289

de lois du for. Cette analyse lege causae de l'institution étrangère peut conduire à étendre
la catégorie de rattachement du for en appliquant la règle de rattachement à des ques-
tions qui, selon le droit du for, devraient y échapper.
Ill Cette méthode donne à la situation imaginée par Wolff (voy. le numéro précédent) une solution
différente de celle de cet auteur: la qualification quasi délictuelle de l'action en réparation d'une
rupture de fiançailles, qui est celle du droit interne français, a pour conséquence qu'en droit inter-
national privé français on applique le droit du pays où l'abandon fautif a eu lieu, ce qui permet à la
fiancée de nationalité française, quand la rupture est intervenue en Allemagne, d'exercer devant les
tribunaux de son pays l'action prévue par le droit allemand, même si celui-ci la qualifie de contrac-
tuelle.

7.14 - L'autonomie des concepts utilisés comme catégorie de rattachement- C'est aussi
dans la doctrine allemande qu'est née une méthode de qualification assez proche de la
précédente. Imaginée par un grand comparatiste, Rabel, elle consiste à récuser la réfé-
rence aux concepts du droit interne pour édifier selon une méthode comparative, des
catégories de rattachement universelles, c'est-à-dire qui soient aptes à accueillir sous une
qualification commune dénationalisée les institutions juridiques des divers États.
IllAvec raison, LoussoUARN et BOUREL (n° 188) mettent en doute la« viabilité» de la méthode,
non seulement en raison de la difficulté d'identifier ces catégories au terme d'une recherche ency-
clopédique insurmontable, mais encore en raison de la subjectivité de l'interprétation de concepts
uniformes par le juge national.

7.15 - Le correctif de l'adaptation - Toutes les méthodes conceptuelles de qualification


risquent d'aboutir à des cumuls ou à des lacunes si un correctif n'y est pas apporté.
Ill À cet égard, un autre exemple de Wolff, celui de la répartition du patrimoine d'époux suédois
après le décès de l'un d'eux, est très suggestif.
Des époux allemands mariés sans contrat de mariage acquièrent ensemble la nationalité suédoise.
D'après le droit international privé allemand leur régime matrimonial est soumis au droit alle-
mand, droit de la nationalité des époux au jour de la célébration du mariage, les droits successo-
raux du conjoint survivant étant, de leur côté, déterminés conformément au droit suédois, droit de
la nationalité du de cujus au moment de son décès. Or, les contenus respectifs des deux droits (à
l'époque où raisonne Wolff) sont tels que la veuve d'un Suédois n'a aucun droit sur la succession
du prémourant tandis que le droit allemand (à la différence du droit suédois) ne partage pas entre
les époux les biens matrimoniaux, mais alloue un droit de succession au conjoint survivant.
Quand les époux changent de nationalité au cours du mariage, l'application rigoureuse des deux
systèmes de droit interne, avec leurs qualifications propres, aboutit à la disrorsion suivante : la
veuve suédoise, ci-devant allemande, n'a aucun droit, ni en vertu de son régime ni d'après la loi suc-
cessorale, tandis que la veuve allemande, suédoise au moment de son mariage, cumule le droit de
partage du régime matrimonial et la vocation successorale du droit allemand.
La théorie de« l'adaptation» (Angleichung, aggiustamento, adattamento) consiste à cor-
riger les cumuls ou lacunes : selon une méthode élaborée par Raape et par Lewald et
reprise en Italie par Cansacchi et par Ziccardi, quand la dispersion des éléments matériels
de rattachement a pour effet de conjuguer l'application de deux droits dont les contenus
respectifs ne sont pas harmonisés, le juge a pour mission de les adapter l'un à l'autre, de
manière à éviter qu'un effet juridique qui aurait été obtenu par l'application intégrale de
l'un ou de l'autre des deux droits ne soit évincé par l'application partielle de l'un et de
l'autre.
Ill Comme cas ayant donné lieu à la théorie de l'adaptation en Belgique, voy.: Civ. Liège, 17 juin
1974,]ur. Liège (1974-1975), 14: la mère naturelle, de nationalité belge, et le père adultère, de natio-
nalité italienne, demandent l'adoption plénière de leur enfant. Selon le droit italien applicable à
l'action, la légitimation par l'adoption est impossible en raison du lien biologique entre parties,
290 L'APPLICATION DU DROIT ÉTRANGER

mais une légitimation par mariage le serait. Cependant, selon le droit belge applicable à la légitima-
tion par mariage en vertu de la règle belge de rattachement, une telle légitimation est impossible en
raison de la relation adultère, mais ce droit permettrait l'adoption plénière s'il était applicable.
Observant l'objectif commun des droits en présence, à savoir permettre la légitimation dans l'un
ou l'autre contexte institutionnel, le tribunal a fait droit à la demande, en déclarant « adapter» le
droit matériel italien au droit belge.

Sur l'exemple de Wolff, voy. F. RIGAUX, La théorie des qualifications, n ° 96, n ° 257 et s., et Recueil des
Ill!
cours, vol. 117 ( 1966), 395 et s.
Sur l'adaptation, voy. encore : G. CANSACCHI, Scelta e adattamento delle norme straniere richiamate
(Torino, 1939); ID.,« Le choix et l'adaptation de la règle étrangère dans le conflit de lois», Recueil
des cours, vol. 83 (1953), 79-161; P. ZrccARDI, Il valore del diritto straniero nell' ordinamento nazionale
(1946), 44; ScHR0DER, Die Anpassung von Ko/lisions- und Sachnormen (1961); Courrs, Can. Bar Rev.
( 1963 ), 265-272 ; J. OFFERHAUS, Aanpassing in het intemationaal Privaatrecht ( 1963) : Ph. FRANCESCAKIS,
0
V « Conflits de lois (principes généraux)», n'" 341-346, Répert. Dalloz (1968); M. FALLON, « La
théorie de l'adaptation au secours de l'ordre public dans les adoptions internationales?», Rev. trim.
dr.fam. (1983), 133-148.

On retrouvera plus loin deux problèmes particuliers d'adaptation : la détermination du concept


111!
préjudiciel ou « substitution» (infra, n ° 7.27) et la « transposition », cas d'adaptation se greffant
sur un conflit mobile (infra, n° 7.31).

B. Approche fonctionnelle de la qualification par l'interprétation


de la norme primaire du for
7 .16 - Présentation - À l'approche dominante il est proposé de substituer une méthode
centrée sur l'objectif de la règle de rattachement du for et pouvant conduire à une inter-
prétation autonome des concepts pour les besoins du droit international privé (I). Il con-
vient également d'identifier, dans la problématique de la qualification, les cas suscitant
un conflit véritable, en les distinguant des hypothèses où la difficulté découle simple-
ment de l'application concurrente de plusieurs lois à des aspects distincts d'une situation
déterminée (II).
L'autonomie des concepts en droit international privé s'impose également dans le
contexte du droit conventionnel (III). Elle permet aussi d'expliquer la solution apportée à
certains conflits mobiles (IV).

1. MÉTHODE CONCEPTUELLE ET APPROCHE FONCTIONNELLE

7 .17 - Rejet de la méthode conceptuelle et de ses variantes - En droit positif, on peut


estimer que la qualification lege fori, par une référence au sens des concepts en droit privé
interne, constitue la solution dominante.
Pourtant, ni la méthode traditionnelle ni ses variantes n'échappent à trois critiques
adressées à la délimitation, selon une méthode conceptuelle de qualification, du domaine
respectif des divers droits nationaux déclarés applicables à une situation déterminée.
D'abord, saufla qualification lege causae, toutes ces méthodes partagent la contradic-
tion inhérente à la problématique de Kahn et de Bartin : présentée comme une opération
préalable au choix du droit étranger, la qualification a pour objet une institution ou une
règle de droit appartenant au droit déjà déclaré applicable. La contradiction est d'autant
plus apparente que la plupart des auteurs contemporains admettent deux moments ou
LA THÉORIE DES QUALIFICATIONS ET LA DÉTERMINATION DU CONCEPT PRÉJUDICIEL 291

deux phases dans la qualification, dont l'un comprend précisément l'analyse de l'institu-
tion étrangère dans le contexte législatif qui lui est propre.
Ensuite, la qualification selon la lex causae a pour inconvénient de susciter des
cumuls ou des lacunes qui ne sont éliminés que par le recours à de prétendues qualifica-
tions subsidiaires. La qualification selon la lex fori n'est pas davantage en mesure d'har-
moniser les contenus des lois en présence, ce qui a rendu nécessaire un ajustement de ces
lois ou leur adaptation.
Enfin, que pareils tempéraments soient admis par les auteurs mêmes qui se préva-
lent des méthodes conceptuelles de qualification, est une autre contradiction inhérente à
ces méthodes : elles sont adéquates dans la mesure où les droits nationaux concurrem-
ment applicables s'harmonisent sans difficulté. Au contraire, dès le moment où les conte-
nus respectifs de plusieurs systèmes de droit interne ne sont pas prédisposés à être
concurremment appliqués, il est nécessaire de dépasser les méthodes abstraites de déter-
mination de la nature juridique des institutions.
À la vérité, et ceci constitue sans doute l'objection la plus fondamentale, aucun sys-
tème de droit interne ne contient de qualification préétablie des diverses institutions juri-
diques, telle que celles-ci puissent être classées sous une catégorie de rattachement à
l'exclusion des autres. Quand elles sont maniées avec sagesse, les méthodes de qualifica-
tion offrent une motivation purement formelle de la solution que le juge a donnée à
l'évaluation des contenus respectifs des systèmes juridiques en présence.
7.18 - Prise en considération de l'objectif de la norme primaire du for - Plutôt que de
fonder une prétendue qualification sur la nature ou l'essence d'une institution juridique,
il paraît plus réaliste de s'attacher à l'objectif du législateur lorsqu'il pose une règle de
conflit de lois. Pareil objectif tend à tenir en équilibre des intérêts multiples et complexes,
plutôt qu'à se conformer à la définition théorique d'une institution que la science du
droit aurait déduite de la raison pure.
Nombre des critiques formulées ici à l'encontre de la méthode conceptuelle sont reprises des
1111

travaux de Robert Neuner, publiés en 1932. Celui-ci a étendu au droit international privé une criti-
que fondamentale dirigée par Philipp Heck contre la Begriffs;urisprudenz qui domine la doctrine et
la pratique judiciaire au début du xxe siècle. Heck se prévaut d'une méthode différente qu'il
appelle Interessenjurisprudenz car elle tend à reconnaître les intérêts sous-jacents à l'élaboration
d'une règle de droit.
Pour les références sur Ph. HECK, voy. F. RrGAUX, La théorie des qualifications, n°5 120-121, et supra,
n°3.14.
La diversité des intérêts entre lesquels, selon la théorie de la jurisprudence d'intérêts,
la règle de droit tient la balance égale contredit l'attribution à une règle de droit ou à une
institution d'une nature juridique exclusive de toute autre. De plus, un même objectif
peut être atteint par la mise en œuvre de techniques différentes. La prétendue nature juri-
dique d'une institution n'est pas révélatrice du but social poursuivi.
Ainsi, une répartition équitable des biens acquis durant le mariage peut prendre la forme d'un
Ill!
droit de succession ou d'un procédé de liquidation des biens après le décès d'un des conjoints.
La référence à l'objectif de la norme primaire inclut certes une référence au droit du
for, puisque la première appartient au second. Cependant, elle signifie aussi que
l'emprunt se fait moins aux concepts du droit privé interne, qu'aux objectifs propres au
droit international privé, partie du droit du for adaptée aux situations à caractère inter-
national.
292 L'APPLICATION DU DROIT ÉTRANGER

D'autres auteurs contemporains perçoivent l'importance de la prise en compte de l'objectif du


1111

législateur, mais c'est pour justifier la qualification lege fori - du fait de la nature foncièrement
nationale de la règle de conflit de lois-, non sans évocation contradictoire de la nécessité de dépas-
ser un emprunt exclusif aux définitions données par le droit privé interne.
Voy. par exemple MAYER et HEUZÉ (n')S 155 et s.), pour qui « La qualification lege fori est seule
défendable», « Le problème de la qualification s'analyse en un problème d'interprétation de la
volonté de l'auteur des règles de conflit» (n ° 156) ; et d'ajouter que, certes,« on pourrait être tenté,
pour résoudre ce problème d'interprétation de la règle, de se reporter au sens du mot en droit
interne», mais« un tel système lacunaire doit être écarté» (n° 160); et« un grave danger guette
l'interprète de la règle de conflit: l'excessive prise en considération des classifications retenues par
le droit interne du for.» (n° 165).
Selon BUCHER et BoNOMI (n')S 533 et s.), la référence exclusive au droit matériel du for est insuffi-
sante car ce droit est fait pour les situations internes, et le droit étranger désigné peut connaître des
institutions inconnues du droit du for, de sorte qu'il convient, à propos d'un« rapport de droit né
sous l'emprise d'une loi étrangère», d'effectuer une« certaine qualification préliminaire selon la loi
étrangère», indispensable pour« identifier» l'institution en cause; de plus, l'application du droit
étranger peut nécessiter une « qualification secondaire ». Tout en dissociant leur approche d'une
qualification lege fori ou lege causae, ces auteurs semblent ne pas se démarquer d'une recherche du
sens des concepts selon le droit privé interne, tout en évoquant l'opportunité, défendue par
d'autres, d'une« qualification autonome ou fonctionnelle en droit international privé ».

7.19 - Incidence de la structure de la norme primaire du for - La problématique dite


de la qualification est liée directement à la formulation de la règle de conflit de lois du
for. Les termes dans lesquels elle se pose peuvent varier considérablement en fonction du
contenu de cette règle. C'est donc par une réflexion sur la norme primaire du for qu'il
convient de chercher la solution au problème analysé.
1111Comp. la critique que plusieurs auteurs adressent à la qualification lege causae, y voyant une
« forme larvée et particulièrement imparfaite d'unilatéralisme » (MAYER et HEUZÉ n ° 167) ; BUCHER
et BONOMI situent cette méthode dans le seul contexte de l'unilatéralisme (n ° 532) ; BATIFFOL et
LAGARDE considèrent cette qualification comme« une impossibilité dans un système bilatéraliste »
(n ° 295) : c'est dire si l'attitude à l'égard de la théorie des qualifications dépend de la conception de
la règle de conflit de lois. De même, un lien peut être établi entre qualification lege causae et utilisa-
tion de la technique du renvoi, notamment dans la variante du « renvoi de qualification» (voy.
supra, n° 6.22).
Toute norme primaire du for ne crée pas un « problème de qualification». Ainsi,
lorsque l'ensemble des points de droit soulevés par une situation déterminée sont régis
par le droit d'un seul État, en raison de la concentration géographique des éléments de
localisation ou en raison du caractère unitaire de la règle de rattachement, le droit maté-
riel de cet État est applicable sans qu'il y ait lieu de distinguer l'une de l'autre les catégo-
ries appartenant à chacune des règles de rattachement utilisées.
En d'autres termes, le problème que la méthode conceptuelle a tenté de résoudre se
limite à une seule espèce de situations internationales, celles dont les éléments de locali-
sation sont assez dispersés pour que plusieurs droits nationaux soient déclarés appli-
cables par plusieurs normes primaires du for, selon les divers aspects considérés par
chacune des catégories de rattachement.
Or, la répartition des domaines respectifs des droits applicables peut s'opérer sans
recours à une prétendue opération de qualification, à savoir par une interprétation
appropriée des catégories de rattachement du for.
Comp. l'approche du problème par la Convention interaméricaine sur les normes générales du
1111

droit international privé (Revue, 1984, 262), dont l'article 9 dispose que: « Les différentes lois
applicables à la réglementation des divers aspects d'un rapport juridique doivent être appliquées
LA THÉORIE DES QUALIFICATIONS ET LA DÉTERMINATION DU CONCEPT PRÉJUDICIEL 293

d'une manière harmonieuse en vue de la réalisation des buts poursuivis par chacune de ces lois ».
La disposition ajoute que : « Les difficultés éventuelles rencontrées dans leur application simulta-
née à l'espèce en question sont tranchées compte tenu des exigences de l'équité».

Trois types de situations paraissent pouvoir être distinguées à cet égard.


Les systèmes juridiques en présence contiennent des effets juridiques incompatibles
(n ° 7.20).
Par exemple, le droit matériel algérien prescrit la célébration religieuse du mariage alors que le
1111

droit matériel belge n'admet que la forme civile.

Sans être identiques, les solutions des deux systèmes peuvent recevoir une applica-
tion distributive (n ° 7.21).
1111Ainsi, il est possible de décider que le conjoint survivant n'a aucune vocation successorale selon
le droit qui régit la succession mais qu'il a droit au quart des biens du défunt en vertu de la loi
applicable à son régime matrimonial, encore que cette solution lui accorde un avantage dont
l'aurait privé l'application intégrale et exclusive de la loi successorale.

Selon les deux droits en présence, l'objet de la demande formulée par une partie doit
lui être alloué, mais pour une cause qui est différente en chacun de ces deux droits
(n° 7.22).
Par exemple, le même effet juridique, l'exception de prescription, est fondé tantôt sur l'extinc-
1111

tion de l'obligation, tantôt sur la déchéance du droit d'agir en justice. Ou encore, les dommages et
intérêts réclamés par la fiancée abandonnée sont selon tel droit la réparation d'une faute délic-
tuelle, selon tel autre la conséquence de l'inexécution d'une obligation contractuelle.

Il. MODES DE RÉPARTITION DES DOMAINES DES DROITS CONCURREMMENT


COMPÉTENTS

7.20 - Choix entre des effets juridiques incompatibles - Le conflit de deux règles de
droit matériel qui prévoient des conséquences juridiques exclusives l'une de l'autre
appartient à l'essence même du conflit de lois, que la norme primaire tend précisément à
résoudre du point de vue du système juridique du for. En d'autres termes, il relève d'un
problème de rattachement, qui doit être résolu par l'élaboration d'une règle de conflit de
lois appropriée, à laquelle la théorie des qualifications n'ajoute qu'une motivation criti-
quable.
L'illustration peut en être fournie à propos de la détermination du droit applicable à
la validité du mariage. La question a surgi à propos du mariage civil de Grecs orthodoxes
célébré en France, du fait que le droit grec exigeait le respect de formalités religieuses par
des nationaux même à l'étranger, alors que le droit français admet la célébration civile du
mariage célébré en France.
La méthode conceptuelle pourrait y voir un problème de qualifications, puisque le
droit français, !ex fori, qualifie la formalité de question de forme, soumise à ce titre au
droit du lieu de célébration, alors que le droit grec la traite comme une question de fond,
soumise au droit de la nationalité des parties.
C'est en de tels termes que la Cour de cassation de France a abordé la question, dans l'arrêt
1111

Caraslanis (Cass. civ., 22 juin 1955, Revue, 1955, 723, note H. BATIFFOL) qui, selon la doctrine domi-
nante, s'est rallié « en toute clarté» à la méthode de qualification selon la lex fori (BATIFFOL et
LAGARDE, t. I, n ° 292). Elle rejette le pourvoi pour le motif« que la question de savoir si un élément
de la célébration du mariage appartient à la catégorie des règles de forme ou à celle des règles de
fond devait être tranchée par les juges français suivant les conceptions du droit français, selon les-
294 L'APPLICATION DU DROIT ÉTRANGER

quelles le caractère religieux ou laïque du mariage est une question de forme; qu'en conséquence,
le mariage civil contracté en France par les époux Caraslanis-Dumoulin était valable conformé-
ment à la règle locus regit actum ».
En réalité, un tel raisonnement énonce une interprétation de la règle de rattache-
ment du for applicable aux formalités du mariage. La prétendue qualification selon la !ex
fori n'est qu'une manière d'exprimer le rattachement obligatoire de la formalité de célé-
bration du mariage au droit du pays où il est conclu, plutôt qu'à la loi personnelle des
futurs époux, dont le domaine d'application est étendu par une règle de conflit exclusive-
ment unilatérale dissimulée derrière une pseudo-qualification.
Il En cette matière, le droit international privé français ne permet pas que des étrangers se préva-
lent en France des règles de forme prévues par leur loi nationale, la célébration du mariage étant
impérativement fixée selon le droit du lieu de célébration.
Le prétendu « conflit de qualifications» est ici pur artifice. C'est se placer à deux
points de vue différents, nullement incompatibles, que d'affirmer d'une part qu'une for-
malité requise à peine de nullité concerne« le fond» ou la substance (qualification étran-
gère de la célébration religieuse) et de constater de l'autre qu'il s'agit là d'une règle de
forme (qualification du for). Il n'y a pas antinomie entre ces deux aspects: ils expriment
l'un et l'autre la nature complexe d'une formalité dont la transgression a pour consé-
quence la nullité de l'acte juridique.
lm Voy. sur ce point : F. RIGAUX, Droit public et droit privé, §§ 18 et 19.
Il En matière de mariage, le problème de conflit de lois, qui touche aussi aux conflits d'autorités,
concerne la désignation de l'autorité compétente pour procéder à la célébration du mariage. Dans
les pays ayant laïcisé les formes de conclusion du mariage, l'autorité compétente est déterminée
selon le droit du lieu où il est procédé à l'échange des consentements. Que les droits d'inspiration
confessionnelle fassent une place plus large, parfois même exclusive, à la compétence des autorités
désignées par la loi personnelle des futurs époux, n'a pas pour cause une disqualification de ces for-
malités mais bien une conception différente de l'institution matrimoniale prise dans son
ensemble : fondés sur l'appartenance des croyants à une communauté religieuse, les systèmes juri-
diques confessionnels ont pour critère de rattachement la personnalité des lois et non la territoria-
lité, et ils s'efforcent d'étendre l'applicabilité de la loi personnelle à l'aide de règles de conflit
exclusivement unilatérales déterminant les formes du mariage en quelque pays qu'il soit célébré.
lm Contrairement à ce qu'affirme l'arrêt Caraslanis, « le caractère religieux ou laïque» du mariage
n'est pas plus une « question de fond » en droit grec qu'il n'est une« question de forme» en droit
français. Dans les deux pays, il existe entre le fond et la forme un lien qui s'exprime dans la solution
de rattachement appropriée : application du droit du lieu de célébration dans les pays ayant laïcisé
les formes du mariage, application de la loi personnelle dans les systèmes ayant maintenu son
caractère confessionnel (voy. supra, n ° 1.38).

7.21 - Conjugaison d'effets juridiques empruntés à des droits distincts - Dans certains
cas, les règles matérielles emprµntées aux divers droits que le juge doit appliquer, peuvent
l'être concurremment parce qu'elles ne s'excluent pas l'une l'autre.
L'affaire Bartholo est un exemple typique de cette modalité du problème de réparti-
tion, qui peut être résolu sans recours à la méthode conceptuelle de Bartin.
Il La quarte du conjoint pauvre n'est pas, ni en soi ni par la grâce du droit du for, une institution
du droit matrimonial ou du droit des successions. Destinée à protéger le conjoint survivant contre
l'indigence, elle suppose que son état de besoin soit vérifié compte tenu des droits que lui recon-
naissent, par ailleurs, et son régime matrimonial et la loi successorale et, le cas échéant, le testa-
ment qu'aurait laissé le défunt.
Avant de permettre à la veuve de s'en prévaloir, il faut vérifier si, en fait, elle en remplit les condi-
tions. Comment le savoir sans tenir compte de ce que lui reconnaît, le cas échéant, le droit français
LA THÉORIE DES QUALIFICATIONS ET LA DÉTERMINATION DU CONCEPT PRÉJUDICIEL 295

au titre de loi successorale ? L'étendue d'application du droit maltais ne saurait donc être détermi-
née indépendamment du contenu du droit français, avec lequel elle doit s'harmoniser.
Si, par application du Code Rohan en vigueur à Malte, le quart des biens du défunt est attribué au
conjoint survivant, cette quotité de biens est soustraite aux héritiers légaux et la masse de biens
dévolue conformément au droit français, loi successorale, en est réduite d'autant.
C'est là une simple conséquence du système français de conflit de lois qui permet au conjoint survi-
vant de réclamer l'application du droit étranger auquel est soumis son régime matrimonial. Con-
trairement à la problématique élaborée par Bartin, il n'y a pas lieu de choisir entre les deux droits
mais seulement de déterminer, pour chacun d'eux, son domaine matériel, et ce problème ne
dépend pas de la qualification abstraite donnée à telle institution juridique mais de la manière
dont les contenus respectifs des deux droits sont de nature à être harmonisés.

7.22 - Conflit entre les causes respectives du même effet de droit - Le cas le plus irri-
tant - parce que très révélateur du cadre processuel de la problématique des qualifica-
tions - se présente quand l'effet juridique réclamé par une partie est prévu par les deux
règles de droit matériel en concours, mais pour des causes qui diffèrent l'une de l'autre.
Au cours du débat judiciaire qui oppose les parties, chacune se prévaut de la cause ou de
la qualification qui favorise sa position dans le procès.
Ici encore, l'erreur de la théorie des qualifications a consisté à déduire de la nature
juridique d'une prétention selon le droit matériel interne, des conséquences sur le plan
du conflit de lois.
Ill Il est évidemment absurde, comme l'avait fait le Reichsgericht, de conclure à l'imprescriptibilité
d'une lettre de change que les deux droits en présence, le droit du for et le droit étranger régissant
l'obligation, soumettaient à un délai de prescription. Il n'est pas plus satisfaisant d'attribuer à la
qualification de l'exception de prescription selon le droit interne du for la portée que Kahn lui a
reconnue pour la solution du conflit de lois.

Il faut plutôt rechercher une motivation propre à la matière des conflits de lois.
Quant à la distinction entre la substance et la procédure, une limitation stricte de la
seconde aux besoins du fonctionnement de l'autorité étatique paraît conforme à un
objectif propre à un système de règles de rattachement, par essence, multilatérales, à
savoir de déterminer le droit applicable en fonction de la proximité de la situation avec
un ordre juridique sans préférence de principe pour le droit du for (voy. supra, n ° 3.10).
Ill Ainsi, il paraît judicieux de soumettre l'obligation aux délais de prescription prévus par le droit
qui la régit, ce qui restreint le domaine de la !ex fori. Cela n'empêche pas d'emprunter à celle-ci les
délais qu'elle prévoit, soit parce que la disposition du droit étranger régissant l'obligation ne pour-
rait être appliquée, soit parce que l'imprescriptibilité prévue par ce droit serait jugée incompatible
avec l'administration de la justice telle que l'organise la !ex fori.
Sur le droit applicable à la prescription extinctive, voy. notamment, outre sous le 11° 11.14: BATIF-
FOL et LAGARDE, t. II, n ° 615; GRAULICH, n ° 129; F. R.IGAUX, La théorie des qualifications, n'" 248-250.
Ill Dans la jurisprudence, comp.: Cass., 14 juillet 1898, Van Mill-Debly, Pas. (1898), I, 274; 4 mai
1950, Vigouroux, Pas. (1950), I, 624, avec: Cass. civ., 9 janvier 1934, US. Shipping Board, Revue (1934),
915, note NIBOYET; Cass. civ., 31 janvier 1950, Banque internationale de Pétrograd, D. (1950), 261, note
LEREBOURS-PJGEONNIÈRE; Cass. civ., 28 mars 1960, Revue (1960), 202, note BATIFFOL; Cass. civ.,
3 janvier 1963, D. (1963), 241; Roma, 6 septembre 1983, Nagel, Riv. dir. int. priv. proc. (1984), 167.
Voy. en outre infra, 11° 7.26.
IllUne qualification lege causae dans un cas analogue à ceux traités par le Reichsgericht dans les
arrêts commentés par Kahn, mais avec le recours à un« renvoi de qualification», est encore obser-
vée aujourd'hui dans: Trib. comm. Bruxelles, 15 février 1982, Rev. dr. comm. belge (1984), 61 ; impli-
citement, Paris, 3 mars 1994, Revue (1994), 533, note B. ANCEL ;].C.P. (1995), II, note H. Mum WATT.
En revanche, pour une référence à la loi de l'obligation, selon la « tradition latine», après constat
296 L'APPLICATION DU DROIT ÉTRANGER

que le problème de qualification est« insoluble», voy. : Trib. trav. Bruxelles, 16 février 2000, Chron.
dr. soc. (2000), 548.
Pour une qualification lege causae aux fins de déterminer la nature d'un contrat de timeshare, selon
qu'il constitue ou non un droit réel, voy. : Liège, 4 novembre 2003,].L.M.B. (2004), 1191.

Le cas échéant, la distorsion observée dans le cas d'espèce permet de révéler le carac-
tère inapproprié de la structure des normes primaires du for, dont la fragmentation est à
l'origine du dépeçage de la situation de vie. Il convient alors d'adapter le droit internatio-
nal privé du for, soit par une réforme des règles de conflit de lois pertinentes, soit par une
extension, en fonction du cas d'espèce, de la catégorie de la règle de rattachement la
mieux à même d'obtenir une solution équitable.
Ili Ainsi, dans l'hypothèse de la rupture de fiançailles, la question pertinente est de savoir si la règle
de rattachement désignant le droit du lieu du fait dommageable ou le droit régissant une obliga-
tion contractuelle (autonomie de la volonté, résidence habituelle du débiteur de la prestation
caractéristique) est apte à procurer une solution cohérente. Il y a lieu de croire plus appropriée une
règle particulière de rattachement tenant compte des relations personnelles entre les parties, inspi-
rée des dispositions qui déterminent le droit applicable aux relations de vie commune, conduisant
ainsi à désigner le droit de la nationalité commune des parties et, à défaut, le droit de leur résidence
habituelle commune (voy. infra, n° 12.104).

1111Pour une thèse favorable à l'adaptation de la règle de conflit en fonction de l'espèce, voy. :
BUCHER et BONOMI, n°s 551 et s., à propos de la distorsion entre loi du régime matrimonial et loi
successorale, estimant que,« une méthode de solution précise [faisant défaut], on doit se contenter
d'admettre [... ] une modification de la règle de conflit [... ] lorsque l'application de lois différentes à
la même cause aboutirait à des solutions incompatibles [... ] avec les objectifs des droits concernés ».

Le Code belge de droit international privé tend à prévenir la difficulté de qualifica-


tion en précisant les termes de la définition de chaque catégorie de rattachement, au
moyen d'une disposition sur le domaine de la loi applicable, à l'instar de ce que font les
Conventions de La Haye.

7.23 - Incidence du principe dispositif - Le choix de la cause des demandes, défenses et


exceptions, qui, conformément au principe dispositif, appartient aux parties elles-
mêmes, peut susciter des difficultés qu'on ne saurait confondre avec le conflit de lois
« latent » que Bartin a appelé conflit de qualifications.

Pour exprimer l' « objet » et la « cause » de sa demande dans une situation interna-
tionale, celui qui intente une action judiciaire doit tenir compte des effets juridiques que
le droit étranger compétent attribuera aux faits déclarés établis par le juge. S'il a quelque
hésitation sur le choix du droit applicable, le demandeur doit réclamer les deux effets de
droit que prévoient tant l'un que l'autre des droits nationaux en concours. Bien que la
qualification de l'action soit sans incidence sur le choix du droit applicable, dans un sys-
tème judiciaire fondé sur le principe dispositif la qualification choisie par le demandeur
limite le pouvoir du juge d'emprunter au droit étranger reconnu compétent un effet de
droit qui n'aurait pas été régulièrement réclamé.
L'action alimentaire permet d'en fournir un exemple, soumis à la jurisprudence en 1960 : Cass.,
1111

24 mars 1960, Eifeling, Pas. (1960), I, 860, Rev. crit. jur. belge (1961), 335, note F. RIGAUX.
Un enfant naturel, Français comme sa mère, intente en Belgique, contre un Belge, l'action alimen-
taire non déclarative de filiation prévue par l'article 3406 (sous la version alors en vigueur) du Code
civil belge. À la différence du droit belge, le droit civil français reconnaît à l'enfant naturel simple
l'action en recherche de paternité (à des conditions à peu près similaires à celles de l'action alimen-
taire du droit belge).
LA THÉORIE DES QUALIFICATIONS ET LA DÉTERMINATION DU CONCEPT PRÉJUDICIEL 297

D'après la Jurisprudence belge (voy. infra, n ° 12.115), cette action était, comme l'action d'état pro-
prement dite, alors soumise à loi nationale de l'enfant, soit le droit français. Aucun problème de
qualification ne se pose lors du choix du droit applicable : l'action d'état et l'action alimentaire non
déclarative de filiation sont l'une et l'autre régies par la loi nationale de l'enfant (C. civ., art. 3, al. 3).
Si le problème de conflit de lois est tranché à une phase de la procédure où le demandeur ne peut
plus modifier l'objet ni la cause de sa demande, il sera débouté : sa demande d'aliments n'est pas
fondée puisque l'article 3406 du Code civil belge n'est pas applicable à un enfant français ; quant à
la recherche de paternité du droit français, elle excède l'objet de sa demande, et le principe disposi-
tif qui régit l'action judiciaire interdit au juge d'emprunter au droit étranger reconnu compétent
au cours du litige un effet juridique que le demandeur n'a pas réclamé en temps urile.
Dans cette affaire, le conseil de l'enfant avait, par erreur, raisonné comme si son action n'avait que
les effets limités prévus par le droit belge, droit du for.

Ill. L'APPROCHE FONCTIONNELLE ET LA CODIFICATION

7.24 - Incidence du principe d'interprétation uniforme de la norme primaire conven-


tionnelle - Lorsque les normes primaires pertinentes appartiennent à un traité interna-
tional, les termes de la problématique proposée dans ce chapitre ne changent guère. En
tant que norme primaire du for, la règle de rattachement conventionnelle est mise en
œuvre comme une règle nationale.
La méthode qui vient d'être esquissée réussit à éliminer le problème de la qualifica-
tion dans l'ordre interne, ordre de référence pour la solution d'un problème de droit
international privé. Comme la qualification lege fori, cette méthode légitime à première
vue le caractère national de l'interprétation donnée aux catégories de rattachement com-
munes à plusieurs États. En ce sens, les positions de Kahn et de Bartin paraissent inexpu-
gnables sur le terrain de combat de l'école universaliste qu'ils avaient expressément
choisi. Reconnaître au juge le pouvoir d'interpréter les catégories de rattachement qu'il
utilise, introduit dans un système conceptuel universel le même trouble que la qualifica-
tion lege fori.
Pourtant, la règle uniforme incorporée dans l'ordre interne ne cesse pas d'être inter-
nationale quant à son origine et à sa source d'inspiration. C'est dire que, lorsqu'il est
appelé à interpréter des règles uniformes, le juge saisi doit tenir compte « de leur carac-
tère international et de l'opportunité de parvenir à l'uniformité dans la façon dont elles
sont interprétées et appliquées» (art. 18 de la Convention de Rome du 19 juin 1980 sur
la loi applicable aux obligations contractuelles).
L'analyse de Kahn et de Bartin demeure cependant correcte là où elle se borne à affir-
mer qu'une règle de conflit utilisant les catégories traditionnelles « état des personnes»,
«successions», « régimes matrimoniaux», est essentiellement équivoque. Introduire
pareils concepts dans une convention internationale ouverte à la communauté des États
entraîne nécessairement des divergences d'appréciation au niveau des jurisprudences
nationales, aussi longtemps que fait défaut une juridiction supérieure aux États, invitée à
contrôler la qualification judiciaire des concepts communs à ces États. On peut en
déduire que la conclusion de conventions ayant recours aux catégories traditionnelles ne
paraît avoir d'avenir que dans des sociétés internationales restreintes et mieux structu-
rées, telle l'Union européenne, qui, disposant d'une juridiction commune, la Cour de jus-
tice des Communautés européennes, peuvent lui attribuer le pouvoir de contrôler la
manière dont les catégories de rattachement conventionnelles sont interprétées par les
juridictions nationales.
298 L'APPLICATION DU DROIT ÉTRANGER

7.25 - Vers des catégories analytiques en droit conventionnel - La justesse de l'analyse


de Kahn et de Bartin est vérifiée par le changement de politique d'institutions telles que
la Conférence de La Haye de droit international privé, l'Institut de droit international,
!'International Law Association. Aux conventions et aux projets ambitieux du début du
siècle dernier ont succédé des efforts beaucoup plus circonscrits. On tend aujourd'hui à
élaborer des règles de conflit de lois communes dont l'objet vise une institution de droit
privé rigoureusement définie par l'instrument international ou désignée à l'aide d'un
concept univoque (voy. supra, n ° 3.40). Il en découle un effet de fragmentation du droit
international privé, et un rétrécissement du domaine matériel de la règle de conflit elle-
même: celle-ci n'est plus qu'une lex specialis destinée à venir s'insérer dans les règles géné-
rales de conflit de lois dont l'énoncé paraît abandonné aux législateurs nationaux. Le
droit conventionnel élaboré dans cette perspective limite ses ambitions à jeter quelques
îlots de solutions communes au milieu de chaque système de conflit de lois d'inspiration
nationale.
De telles conventions tendent à supprimer la difficulté d'interprétation des con-
cepts qui servent à définir leur champ d'application matériel, selon deux procédés. L'un
et l'autre ont en commun de définir les éléments de la catégorie de rattachement posée
par le législateur international.
L'un consiste à circonscrire la « matière » visée au moyen de termes concrets, serrant
de près les éléments constitutifs de la situation particulière et abandonnant l'utilisation
de concepts sur lesquels aucun accord n'a pu se réaliser.
Ill On peut comparer, à cet égard, les Conventions de La Haye du 5 octobre 1961 et du 19 octobre
1996 relatives à la protection des enfants. La première ne définit ni mesure de protection ni
«mineur», tandis que la seconde énumère les mesures visées et définit « l'enfant» comme n'ayant
pas atteint l'âge de 18 ans.
De même, la Convention de La Haye du 2 octobre 1973 sur la loi applicable à la responsabilité du
fait des produits évite, pour déterminer son domaine, de se référer à la responsabilité contractuelle
ou non contractuelle, et préfère exclure les cas où « la propriété ou la jouissance du produit a été
transférée à la personne lésée par celle dont la responsabilité est invoquée» (art. 1er, al. 2).

L'autre procédé consiste à définir la catégorie de rattachement de manière indirecte,


en précisant le contenu du «domaine» du droit applicable par l'énoncé de la liste des
points de droit régis par le droit désigné en vertu de la règle de rattachement convention-
nelle.
1111L'effet le plus spectaculaire de ce procédé concerne l'inclusion de la prescription dans le
domaine du droit applicable à la responsabilité, par les Conventions de La Haye du 4 mai 1971 et
du 2 octobre 1973 relatives respectivement aux accidents de la circulation rourière et à la responsa-
bilité du fait des produits. Des pays comme les États-Unis, l'Irlande ou le Royaume-Uni n'ont pas
ratifié ces conventions ...
La Convention de Rome du 19 juin 1980 a adopté le même type de disposition à l'égard de la pres-
cription (art. 10). S'agissant des« conséquences de la nullité du contrat», qu'elle inclut également
dans le domaine du droit applicable, elle a dû consentir la faculté d'une réserve, que le Royaume-
Uni a utilisée.
Le Code belge de droit international privé utilise également cette méthode.

IV. L'APPROCHE FONCTIONNELLE ET LE CONFLIT MOBILE

7 .26 - Autonomie du principe d'unité de législation - Quand la règle de conflit de lois


ne précise pas le moment à prendre en considération pour la détermination du facteur de
LA THÉORIE DES QUALIFICATIONS ET LA DÉTERMINATION DU CONCEPT PRÉJUDICIEL 299

rattachement, le choix de la solution peut être motivé par la volonté de soumettre à un


seul droit national les divers aspects de la situation litigieuse.
Ill Plus généralement sur le conflit mobile, voy. supra, n ° 5.68.
La soumission de la capacité et de la prescription à une loi unique en procure un
exemple.
Ill L'affaire Patina concerne des conventions matrimoniales passées entre un Bolivien et une Espa-
gnole mineure, incapable d'après sa loi nationale. L'épouse acquiert par l'effet du mariage la natio-
nalité bolivienne, qu'elle a conservée au moment où est exercée l'action en nullité du contrat de
mariage. Alors que le droit espagnol frappe celui-ci d'une nullité absolue, soumise à la prescription
trentenaire, le droit bolivien n'édicte qu'une nullité relative, prescrite par dix ans. Mais lequel des
deux droits l'article 3, alinéa 3, du Code civil français désigne-t-il ? Le droit de la nationalité au jour
de la conclusion du contrat ou celui de la nationalité au moment où la nullité est poursuivie ? Pour
motiver la préférence donnée à la première concrétisation du facteur de rattachement, la Chambre
civile de la Cour de cassation de France affirme que « la mise en œuvre de la nullité encourue et
notamment la prescription de l'action destinée à la faire valoir [forment] avec l'incapacité origi-
naire et sa sanction un ensemble indissociable soumis à une unique loi».
Voy.: Cass. civ., 15 mai 1963, Patina, Revue (1964), 508, note LAGARDE, Clunet (1963), 1000, note
MALAURIE, j.C.P. (1963), Il, 13366, note MoTULSKY; ajoutez: PONSARD, note sous Paris, 1er juillet
1959 (arrêt attaqué), Clunet(1960), 418.
La solution est correcte sous l'angle de la solution du conflit mobile (voy. supra, n ° 5.71): la validité
d'un acte juridique est déterminée selon le droit que désigne la concrétisation du facteur de ratta-
chement au moment où cet acte est accompli et il serait peu rationnel de soumettre à un droit dif-
férent l'exercice de l'action en nullité, et de dissocier ainsi la cause de nullité édictée par le premier
droit, du régime des sanctions qui doivent y être appliquées.
Le principe d'unité de législation appliqué au conflit mobile tend à rattacher à une
loi unique les divers aspects d'une situation individuelle qui risqueraient d'être répartis
entre les lois nationales différentes que désignent les concrétisations successives du fac-
teur de rattachement. Les notions de loi ancienne et de loi nouvelle sont étrangères à la
théorie du conflit mobile, puisqu'il s'agit d'un mouvement du rapport individuel et non
d'un changement de la règle de droit.
Ill En préférant l'unité de législation à l'application distributive de deux lois nationales à la consta-
tation de l'incapacité et à sa sanction, l'arrêt Patina évite un dépeçage: la loi personnelle qu'avait un
incapable au moment où il a accompli un acte juridique continue à régir la validité, les effets et les
sanctions de cet acte après que l'intéressé a acquis une autre nationalité. La nouvelle loi nationale
ne doit s'appliquer qu'à la capacité requise pour s'engager après la dace de son acquisition.
Le principe d'unité de législation ainsi mis en relief est très différent de celui qui
porte le même nom en droit transitoire interne.
Ill Dans cette dernière matière, le principe a une valeur temporelle, et non une signification spa-
tiale comme en droit international privé. La loi nouvelle est préférée pour que toutes les situations
soumises aux tribunaux après son entrée en vigueur soient régies par la même loi, quel que soit le
moment occupé par la situation sur l'échelle du temps.
La motivation qui fonde le principe d'unité de législation s'inspire des nécessités
propres au conflit dans l'espace. Elle appelle, à cet égard, un rapprochement avec la solu-
tion qui justifie l'application de la loi de l'obligation à la prescription extinctive quand
cette loi est en concours avec le droit du for (voy. supra, n ° 7.22). Elle n'est justifiée ni,
dans le cas du concours avec le droit du for, par une prétendue qualification de la pres-
cription extinctive en droit interne ni, en cas de conflit mobile, par une solution emprun-
tée au droit transitoire. Il faut, dans les deux cas, conclure à« l'autonomie» des concepts
du droit international privé.
300 L'APPLICATION DU DROIT ÉTRANGER

§2 LA DÉTERMINATION DU CONCEPT PRÉJUDICIEL


A. Exposé du problème
7.27 - L'interaction de règles matérielles issues de systèmes distincts - Le problème de
la détermination du concept préjudiciel apparaît dans le contexte d'une question préala-
ble (voy. supra, n° 5 6.29 et s.), après la mise en œuvre des règles de conflit pertinentes,
quand l'effet juridique réclamé au titre de question principale et soumis au droit d'un
État est subordonné à la réalisation d'une condition d'application réglée par le droit d'un
autre État. Il porte sur la coordination de règles de droit matériel appartenant à des systè-
mes juridiques différents, règles dont l'une est la condition d'application de l'autre: il
convient donc de veiller à leur interaction.
!IllIl en est ainsi, par exemple, de la conversion d'une séparation de corps en divorce quand la sépa-
ration admise dans un pays doit ensuite être convertie en divorce dans un autre.
De même, pour faire valoir une prétention successorale il faut démontrer la qualité de descendant
légitime ou adoptif, alors que la loi applicable à la succession ne coïncide pas toujours avec celle
qui détermine le statut personnel des héritiers.
1111Dans l'article qu'il consacra, en 1934, à la question préalable, W. Wengler étudia, à côté du pro-
blème de conflit de lois auquel il donna ce nom, les difficultés suscitées par la détermination du
concept préjudiciel (RabelsZ., 1934, 161). Ce dernier problème est parfois appelé «substitution»
(voy. notamment: LEWALD, 132; CANSACCHI, Recueil des cours, vol. 83 (1953), vol. 83, 151; GRAULICH,
n ° 203 et la note 1 ; FOYER, Filiation illégitime et changement de la loi applicable, Paris, 1964, n° 5 472 et
473).
1111Les deux exemples classiques de substitution appartiennent à la jurisprudence française. L'un
est relatif à la détermination de la qualité d'enfant adoptif d'un Indien de nationalité britannique,
préalable à l'application de la loi successorale française (Cass. req., 21 avril 1931, Ponnoucannamalle,
S., 1931, 1,327, note NIBOYET). L'autre concerne la conversion en divorce français d'une séparation
de corps par consentement mutuel prononcée en Italie (Cas. civ., 6 juillet 1922, Ferrari, S., 1923, 1,
12, note LYON-CAEN). Pour un commentaire de ces deux décisions et d'autres références de doctrine
en ce qui les concerne, voy. F. RIGAUX, La théorie des qualifications, n ° 295 et s.
Les paradigmes de la détermination du concept préjudiciel ou de la substitution
sont les cas d'interaction de la loi successorale et de la loi du statut personnel, et d'inte-
raction de lois distinctes distributivement applicables à diverses étapes d'un processus de
relâchement du lien conjugal.
!IllPour déterminer la part successorale de chaque catégorie de successibles, le droit applicable à la
succession recourt on recourait aux concepts du droit familial : enfant légitime, naturel, adultérin
ou incestueux, enfant adoptif. Quand la loi personnelle donne à ces concepts un contenu différent
ou si elle a supprimé certaines discriminations que connaît encore la loi successorale, il est parfois
difficile d'identifier selon la première loi la qualité requise pour la mise en œuvre de la seconde.
Par exemple, en ce qui concerne la relation de l'enfant à sa mère, au cas où la loi successorale n'attri-
bue pas la même quotité aux descendants légitimes et aux enfants naturels, quelle qualité faut-il
reconnaître à un enfant né hors mariage mais dont le starut de filiation ne connaît pas la distinc-
tion entre un enfant légitime et un enfant naturel? La question conserve un intérêt théorique
aujourd'hui, même si son intérêt pratique a considérablement diminué eu égard à l'évolution du
principe de non-discrimination dans les relations familiales, de nature à fonder une exception
d'ordre public. La question peut surgir aujourd'hui en présence d'un type de filiation inconnu de la
loi successorale, telle l'adoption ou la reconnaissance d'enfant naturel par deux époux de même
sexe.
Soit une demande de divorce par consentement mutuel introduite par deux Italiens. Selon le
1111

droit italien applicable, le divorce ne peut être prononcé qu'au terme d'une période de séparation
commençant au jour de la comparution des conjoints devant le président du tribunal au cours
LA THÉORIE DES QUALIFICATIONS ET LA DÉTERMINATION DU CONCEPT PRÉJUDICIEL 301

d'une procédure de séparation. Dans le cas où la séparation des époux a été organisée par des mesu-
res d'administration prises par le juge de paix durant le mariage, de telles mesures valent-elle
l'intervention du président du tribunal au sens prévu par le droit italien? Voy. à cet égard: Civ.
Liège, 21 décembre 1995, Pas. (1995), III, 58,j.L.M.B. (1996), 280, note M. LIÉNARD-LIGNY, Tijds. Not.
(1996), 477, noce M. LOOYENS: l'équivalence n'étant pas reconnue, le tribunal se refuse à accueillir
une demande d'homologation de la séparation.
La mise en œuvre de la règle matérielle qui régit la question principale est perturbée
par l'insertion, dans l'hypothèse de cette règle, d'une institution différente de celle qui y
est contenue. Or, toute norme a pour fonction de prévoir un effet juridique adapté à
l'hypothèse même qui y est prévue.
Ill!Pour attribuer des quotités distinctes aux diverses catégories d'héritiers, les règles de dévolution
successorale se réfèrent aux relations de filiation celles que les qualifient les dispositions qui, dans
le même système juridique, structurent les relations familiales.
En conférant aux époux séparés de corps la faculté d'obtenir le divorce par la voie de la conversion,
le législateur attache à la procédure en séparation de corps qu'il a lui-même organisée un effet spé-
cifique.

7.28 - Une question de substitution - Le problème de la détermination du concept pré-


judiciel n'est pas facile à résoudre, puisqu'il porte sur l'interaction d'institutions distinc-
tes dont la mise en œuvre a lieu normalement au sein d'un système juridique homogène,
alors que le jeu des règles de conflit de lois provoque la dispersion de cette mise en œuvre
dans des systèmes distincts.
Alors que le problème de droit international privé appelé « question préalable » con-
cerne le choix de la règle de conflit de lois, la détermination du concept préjudiciel ou
problème de la substitution porte sur l'équivalence des concepts de droit matériel. Les
compétences respectives des deux droits en présence sont, quant au principe, clairement
partagées: l'une se prononce sur l'effet juridique réclamé à titre principal, il appartient à
l'autre de vérifier si la situation particulière remplit les conditions auxquelles cet effet est
subordonné par le premier droit. La difficulté provient de ce que le concept juridique uti-
lisé comme hypothèse de la disposition législative appliquée par le juge est différent du
concept à l'aide duquel une autre droit règle la condition d'application de cette disposi-
tion.
1111 À propos de l'exemple de la conversion d'une séparation de corps en divorce, il faut se demander

si la décision prononcée en Italie et qui dans l'ordre juridique dont elle émane ne peut pas être con-
vertie en divorce, est visée par le droit matériel interne d'un autre pays - la France ou la Belgique -
dans lequel pareille conversion est prévue par la loi. Sans doute le problème d'équivalence est-il
moins crucial depuis que le droit italien admet le divorce, alors qu'à l'époque des arrêts Ferrari, la
Cour de cassation de France a dû décider si la séparation de corps admise dans un pays où le
mariage est indissoluble peut être convertie en divorce après qu'un changement de nationalité (ou
de domicile) a fait naître dans le chef de l'époux séparé de corps un droit au divorce découlant de
son nouveau statut personnel.

7.29 - Difficulté en présence d'une institution inconnue du droit applicable à la ques-


tion préjudicielle - L'équivalence des institutions est encore plus difficile à apprécier
quand certaines qualifications du droit applicable à la question principale sont incon-
nues du droit qui régit la détermination du concept préjudiciel ou y ont une portée diffé-
rente.
1!11Si la loi personnelle du successible a supprimé toute discrimination entre les diverses catégories
de filiation, il semble que pour l'application de la loi successorale attribuant des quotités différen-
tes aux enfants légitimes et aux enfants naturels, tout successible doive être tenu pour légitime.
302 L'APPLICATION DU DROIT ÉTRANGER

Telle est aussi la solution retenue par le tribunal civil de Neufchâteau (17 janvier 1979,].T., 1979,
630, note F. R!GAUX), à l'époque où le droit belge connaissait encore une discrimination successo-
rale, à propos d'un enfant polonais appelé à hériter d'un immeuble situé en Belgique. Alors que le
droit belge, loi successorale, attribuait une quotité moindre à l'enfant naturel, la loi personnelle du
demandeur avait supprimé toute discrimination entre les diverses catégories d'enfants. Le qualifier
de« naturel» au regard de la loi successorale, pour le motif qu'il était né hors mariage, aurait con-
duit à empiéter sur le domaine propre de la loi personnelle.
La même solution devrait valoir pour la détermination des droits successoraux du partenaire ou du
conjoint de même sexe du défunt, lorsque, à la différence de la loi personnelle, la loi successorale ne
connaît pas d'autre institution que le mariage entre un homme et une femme.
Ill Voy. aussi: Cass., 2 avril 1981, Josi I, Pas., 1981, 1, 835, Rev. crit. jur. belge (1983), 499, note F.
RIGAUX, à propos de l'action introduite en Belgique en réparation du dommage causé par le décès
accidentel d'un Français sur le territoire belge, la demande émanant de la femme qui avait obtenu
du président de la République française l'autorisation de procéder à la célébration posthume pré-
vue par l'article 171 du Code civil français. Bien que le droit belge, !ex loci delicti, applicable à l'action
en réparation ne connût pas cette forme de célébration, l'action de la veuve a été déclarée fondée.

B. Méthode de solution proposée


7.30 - L'appréciation de l'équivalence - La question de la substitution appelle essentiel-
lement une appréciation de l'équivalence des institutions juridiques en présence. Toute-
fois, la variété des cas de substitution et surtout la diversité de contenu des règles
matérielles ne permettent pas de donner à ce problème une solution systématique. Selon
le contenu propre à chacune des deux règles de droit dont l'une est appelée à déterminer
la condition d'application de l'autre, il faut apprécier l'équivalence entre l'exigence for-
mulée par le droit régissant la question principale et la manière dont le droit d'un autre
pays y satisfait.
Deux solutions extrêmes doivent être évitées.
Il ne faut pas se borner à une équivalence purement nominale des concepts, alors
que l'analyse comparée des institutions des deux pays permettrait de déceler des différen-
ces profondes entre des institutions portant le même nom ou, inversement, une étroite
analogie entre des concepts différemment formulés.
IllLa matière de l'adoption, avec les différences qu'elle implique entre l'adoption simple et l'adop-
tion plénière, est un exemple assez typique du danger qu'il y aurait à s'arrêter au seul nom d'une
institution pour déterminer les équivalences que requiert la détermination du concept préjudiciel.
Si la demande principale porte sur l'application de la loi qui régit les effets personnels du
1111

mariage mais que les parties soient unies par une relation de partenariat conclue conformément à
un droit étranger qui attribue à cette institution, visant à formaliser les unions homosexuelles, une
portée analogue à celle du mariage, hormis pour les questions de filiation, il n'y a pas d'obstacle à
étendre l'application de la loi des effets du mariage à cette hypothèse, à moins que l'exception
d'ordre public ne soit appelée à intervenir.
L'autre écueil consisterait à exiger du droit applicable à la détermination du concept
préjudiciel qu'il prévoie lui aussi l'effet juridique réclamé en vertu du droit qui régit la
question principale. Cette deuxième erreur reviendrait à soumettre au premier droit une
question que la règle de conflit de lois du for défère au second.
1111 Par exemple, pour qu'un enfant adoptif puisse venir à la succession des parents collatéraux des
adoptants, il suffit que cette conséquence soit prévue par la loi successorale, à condition que la qua-
lité reconnue à !'adopté par sa loi personnelle soit équivalente à celle qui a un tel effet selon la loi
successorale, sans qu'il soit nécessaire de vérifier l'étendue de son aptitude à succéder d'après sa loi
personnelle.
LA THÉORIE DES QUALIFICATIONS ET LA DÉTERMINATION DU CONCEPT PRÉJUDICIEL 303

De même, pour qu'une séparation de corps admise en vertu d'un droit autre que le droit applicable
à la conversion en divorce puisse être convertie conformément à ce dernier droit, il n'est pas néces-
saire que le premier connaisse lui-même la faculté pour les époux séparés de corps de demander le
divorce par la voie de la conversion.
Lorsque l'institution prévue par le droit régissant la question préalable est inconnue
du droit qui régit la question principale, l'appréciation de l'équivalence peut conduire
indirectement à un ajustement des catégories de rattachement du for, montrant par là
que le domaine d'application dans l'espace d'une règle matérielle ne se laisse pas détermi-
ner de manière absolue. Le cas échéant, il y a lieu de procéder à une adaptation de la règle
de rattachement du for, lorsque celle-ci soumet les effets d'un rapport juridique au droit
d'un pays qui ignore l'institution en cause alors que la validité de celle-ci est admise selon
la loi qui en régit la constitution.
L'hypothèse du mariage posthume en fournit une illustration, si on modifie sensiblement les
1111

données du cas d'espèce soumis aux juridictions belges (voy. sous le numéro précédent). Par exem-
ple, la femme belge prétend exercer un droit de succession sur un immeuble délaissé par son con-
joint posthume et localisé en Belgique. La règle de rattachement successorale désigne le droit belge,
qui ignore le mariage posthume. La validité du mariage posthume, question préalable, doit être
appréciée en l'espèce en fonction du droit français, selon lequel le mariage posthume n'entraîne
aucun droit de succession ab intestat au profit de l'époux survivant. Le juge belge ne pourrait
qu'écarter la veuve à la succession. Ce faisant, il étend le domaine d'application du droit français,
en lui attribuant une portée pour la question successorale qu'il n'est normalement pas appelé à
régir.
Sur cet exemple, voy. : F. RrGAUX, « Les situations juridiques individuelles dans un système de relati-
vité générale», Recueil des cours, vol. 213 (1989-I), 166-168.
Ill L'hypothèse du partenariat enregistré ou de la cohabitation légale - ou pacte civil de solidarité
en droit français - peut nécessiter une adaptation de la règle de rattachement. Si la demande prin-
cipale, relative aux effets personnels de la relation, est régie, en vertu de la règle de rattachement du
for, par une loi qui ignore l'institution, alors que la relation a été conclue valablement selon la loi
qui régit celle-ci en vertu du droit international privé du for, force est de revenir à une loi qui con-
naît l'institution, le cas échéant la loi même qui a permis la conclusion valable de la relation. Cette
adaptation n'est cependant pas nécessaire dans tous les cas de partenariat ou de pacte de solidarité,
et ne devrait donc pas justifier une règle de rattachement unitaire soumettant les effets de toute
relation de ce type à la loi en vertu de laquelle celle-ci a été conclue (voy. infra, n ° 12.107).
Le Code belge de droit international privé prévoit cette hypothèse, en permettant une dérogation à
la règle de rattachement (art. 60, al. 3). La proposition de loi prévoyait en cette matière une disposi-
tion plus large, du fait que la règle de rattachement dissociait davantage le régime des effets de
celui de la validité de l'acte.

7.31 - Le problème de la transposition en cas de conflit mobile - La solution donnée


au conflit mobile (voy. supra, n ° 5.68) a parfois pour conséquence le rattachement à un
droit, des effets d'un état acquis conformément à un autre droit.
Ili Ainsi, il est généralement admis que la validité d'un mariage est rattachée à la loi personnelle
des époux au moment de la célébration. À ce statut permanent s'oppose la mobilité de ses effets:
chaque effet est déterminé conformément à la loi nationale des époux au moment où il se produit.

Cette dispersion des rattachements suscite un problème analogue à la détermina-


tion du concept préjudiciel («substitution»). Greffé sur un conflit mobile, ce problème
est parfois appelé« transposition».
En voici un exemple, emprunté à un rebondissement de l'affaire Chemouni qu'on retrouvera à
1111

propos de l'exception d'ordre public (voy. infra, n ° 7.52).


Après avoir été condamné à payer des aliments à la seconde épouse dont il vivait séparé, un Tuni-
sien polygame obtient la nationalité française et il remet en question l'« effet alimentaire» de la
304 L'APPLICATION DU DROIT ÉTRANGER

polygamie. La chambre civile de la Cour de cassation de France (19 février 1963, Revue, 1963, 559,
note G.H.) maintient cet effet en affirmant que la naturalisation française acquise par le mari a
pour seule conséquence de soumettre désormais au droit français, applicable aux « effets du
mariage d'époux de nationalité différente domiciliés rous deux en France », l'obligation alimen-
taire d'un Français polygame, dont les unions contractées sous son statut tunisien ont conféré à
chacune de ses épouses la« qualité d'épouse légitime définitivement acquise [... ] à l'étranger».
L'application du droit régissant les effets alimentaires, par hypothèse compatibles avec l'ordre
public, d'une union polygame ne va pas sans difficulté lorsque ce droit lie l'obligation alimentaire
au devoir de secours et d'assistance, lequel s'exécute en nature à la résidence conjugale et n'est pas
dû à l'époux qui, sans motif valable, refuse de cohabiter avec l'autre. Dans le cas du conjoint poly-
game, l'offre de reprendre la vie commune devrait être jugée contraire à l'ordre public dans un pays
connaissant l'union monogame (voy. infra, n ° 12.43).
Dans la doctrine, voy. notamment: FRANCESCAKIS, note sous TGI Versailles, 2 février 1960, Revue
(1960), 384-387; BATIFFOL, Mélanges Roubier, 39 et s. Pour d'autres exemples des difficultés liées à ce
problème de transposition, voy. F. R.IGAUX, Recueil des cours, vol. 117 (1966), 398-402.
Le problème de transposition se distingue des autres hypothèses de substitution par
la circonstance que, dans le premier cas, les deux droits sont désignés à la faveur de deux
concrétisations successives du même facteur de rattachement.
Quand le conflit mobile ne reçoit pas de solution expresse du législateur, le juge
peut tenir compte des difficultés du problème de transposition pour modifier la solution
donnée à ce conflit.
1111Ainsi, dans le cas du Tunisien polygame devenu Français, la solution la plus correcte consiste à
laisser sous l'application du droit tunisien les effets de la polygamie compatibles avec l'ordre public
français. La différence entre les deux institutions est trop accusée pour qu'il soit raisonnable de
soumettre à un droit d'inspiration monogamique les effets, tolérés, de la polygamie. Voy. en ce sens
aussi: MAYER et HEUZÉ (n° 574, citant BISCHOFF).

Section 2
L'éviction du droit étranger
par l'exception d'ordre public
7.32 - Bibliographie
a) Études générales
Outre la bibliographie que contient l'ouvrage de P. LAGARDE, Recherches sur l'ordre public en droit inter-
national privé (Paris, LGDJ, 1959), voy.: G. BARILE, I principi fondamentali della communità statale ed il
coordinamento fra sistemi (L'ordine pubblico internazionale) (Padoue, Cedam, 1969); F. BOULANGER,« Le
rôle de l'ordre public dans les actions d'état en droit international pnvé », D.5. (1982), J., 285-287;
J. BASEDOW, « Recherches sur la formation de l'ordre public européen dans la jurisprudence»,
Mélanges Lagarde (Paris, Dalloz, 2005), 55-74; J. BLOM, « Public policy in private international law
and its evolution in rime», N.I.L.R. (2003), 373-400; A. BUCHER,« L'ordre public et le but social des
lois en droit international privé», Recueil des cours, vol. 239 (1993-II), 9-116; F. CADET, L'ordre public
en droit international de la famille: étude comparée France-Espagne (Paris, L'Harmattan, 2005) ; P.
COURBE, « L'ordre public de proximité», Mélanges Lagarde (Paris, Dalloz, 2005), 227-239; M. DE
ANGULO RoDRIGUEZ, « Du moment auquel il faut se placer pour apprécier l'ordre public
international», Revue (1972), 369 et s.; N. ENONCHONG, « Public Policy in the Conflict of Laws: A
Chinese Wall Around Little England? », I.C.L.Q. (1996), 633-661; Ph. FRANCESCAKIS, « Y a-t-il du
nouveau en matière d'ordre public?», Trav. Comité fr. d. i. p. (1966-1969), 149 et s.; F. GAMILLSCHEG,
« Rules of Public Orcier in Private International Labour Law», Recueil des cours, vol. 181 (1983-III),
285-347; A. GARNEFSKY, Public policy in Soviet private international law (Groningen, V.R.B., 1968);
--- ---------------------------------------
L'ÉVICTION DU DROIT ÉTRANGER PAR L'EXCEPTION D'ORDRE PUBLIC 305

G. GoLDSTEIN, De l'exception d'ordre public aux règles d'application nécessaire (Montréal, Thémis, 1996);
P. HAMMJE, « L'effet atténué de l'ordre public », L'extranéité ou le dépassement del'ordre juridique étatique
(Paris, Pédone, 1999), 87-1:0; E. ]AYME,« Identité culturelle et intégration: le droit international
privé postmoderne», Recueil des cours, vol. 251 (1995), spéc. 223-245; C. KABANGE, « L'ordre public
et le droit traditionnel», Rev. jur. et pol. indépendance et coopération (1972), 271 et s.; T. KEANE,
« Aloha, marriage ? Constitutional and choice of law arguments for recognition of same-sex
marriages », Stanford L.R. (1995), 499-532; L. KRAMER, « Same-sex marriage, conflict oflaws, and the
unconstitutional public policy exception», Yale L.]. (1997), 1965-2008; P. LAGARDE,« La théorie de
l'ordre public international face à la polygamie et à la répudiation - L'expérience française »,Mélan-
ges Rigaux (Bruxelles, Bruylarit, 1993), 263-282; G. A. LANG, La fraude à la loi en droit international privé
suisse (Mauraz, Imp. Chablo:;z, 1984); K. LENAERTS, « Le rôle joué par l'exception d'ordre publie lors
de la solution des conflits ie lois en matière de filiation», Rev. trim. dr. Jam. (1983), 109-132; F.
MARQUET,« Du conflit encre l'ordre juridique interne et l'ordre public international »,].T (1974),
187 et s.; A. MEZGHANI, « Le juge français et les institutions de droit musulman», Clunet (2003),
721-766; F. MoscoNI, « Exceptions to the operation of choice of law rules », Recueil des cours,
vol. 217 (1989-V), 9-214; K. MURPHY, « Traditional View of Public Policy and ordre public in Private
International Law», Georgie]. Int. Comp. L. (1981), 591-615; S. OTHENIN-GIRARD, La réserve d'ordre
public en droit international privé suisse - Personnes, famille, successions (Zürich, Schulthess, 2000),
644 p.; N. PALAJA, L'ordine pubblico 'internationale' (Padoue, Cedam, 1974); S. PoILLOT-PERUZZETTO,
« Ordre public et droit communautaire», D.S. (1993), C, 177-182; ID.,« Ordre public et lois de
police dans l'ordre commurautaire », Trav. Comité français dr. int. pr. 2002-2003 (Paris, Pédone, 2005),
65-106 ;J.-B. RACINE, L'arbitrage commercial international et l'ordre public (Paris, LGDJ, 1999), 623 p.; F.
RIGAUX, Droit public et droit privé, §§ 10, 25, 41, 42, 46, 47, SS, 71, 73, 82, 95, 99, 101, 108, 111, 119-
121,123-125, 129, 131-135, 145, 181, 184, 192, 209-212; S. ScHWUNG, « Das Ersatzrecht bei einem
Verstoss des auslandischen Rechts gegen den ordre public», RabelsZ. (1985), 407-425; 1. SEIDL-
HoHENVELDERN, « L'ordre public international et la fraude à la loi», Mélanges Maury, t. I, 473 et s.;
M. SoSNIAK, « Les effets de l'application de la clause d'ordre public dans la doctrine et la législation
contemporaines de droit international privé», Polish Yearbook Int. Law (1984), 177-192; E. STEIN-
DORFF, « Europaisches Gemeinschaftsrecht und deutsches internationales Privatrecht - Ein
Beitrag zum ordre public und zur Sonderanknüpfung zwingenden Rechts », Europarecht (1981),
426 et s.; R. VANDER ELST, « Ordre public international, lois de police, lois d'application
immédiate», Mélanges Legro;, 653 et s.; ID.,« Arbitrabilité des litiges et fraude à la loi en droit inter-
national privé», Rev. crit. jur. belge (1981), 347-359; G. VAN HECKE,« Le mariage polygamique devant
les tribunaux belges», Rev. ,:rit. jur. belge (1971), 5-12; H. VERHEUL, « Public Policy and Relativity »,
N.I.L.R. (1979), 109-129; N. WATTÉ, « Quelques remarques sur la notion de l'ordre public en droit
international privé», Rev. ci-it. jur. belge (1989), 66-104; W. WAUTERS et K. WAUTERS-LAMBEIN, « De
exceptie van de internationale openbare orde - Enkele toepassingen in het I.P.R. », Tijds. Gentse
Rechtspraak (1995), 131-136 ..

b) Problématique des droits de l'homme


D. COHEN, « La Convention européenne des droits de l'homme et le droit international privé
français», Revue (1989), 451-485; F. COLLIENNE, « Ordre public, adoption internationale et Con-
vention européenne des droits de l'homme», Rev. dr. Ulg (2004), 575-583; J.-P. COSTA, « Qui relève
de la juridiction de quel(s) État(s) au sens de l'article ier de la Convention européenne des droits de
l'homme?», Mélanges Cohenjonathan (Bruxelles, Bruylant, 2004); F. DEKEUWER-DEFOSSEZ, Internatio-
nalisation des droits de l'homme et évolution du droit de la famille (Paris, LGDJ, 1996); B. DocQUIR, « Le
droit international privé à l'épreuve de la Convention européenne des droits de l'homme »,Ann. dr.
(1999), 473-522; B. FAUVARQUE-COSSON, « Droit comparé et droit international privé: la confronta-
tion de deux logiques à travers l'exemple des droits fondamentaux», Rev. int. dr. comp. (2000), 797-
818; E. FoHRER, L'incidence de la Convention européenne des droits de l'homme sur l'ordre public internatio-
nal français (Bruxelles, Bruylant, 1999); F. GRANET,« L'application en matière d'état civil des princi-
pes posés par la Convention européenne des droits de l'homme »,Rev. trim. dr. eur. (1997), 653-684;
A. HALFMEIER, « Menschenrechte und Internationales Privatrecht im Kontext der Globalisierung »,
RabelsZ (2004), 653-686; P. HAMMJE, « Droits fondamentaux et ordre public», Revue (1997), 1-32;
J.JAKUBOWSKI, « Les pactes des droits de l'homme de l'O.N.U. et le droit international privé», Polish
306 L'APPLICATION DU DROIT ÉTRANGER

Yearbook (1977-1978), 199-207; E. ]AYME,« Identité culturelle et intégration: le droit international


privé postmoderne. Cours général de droit international privé», Recueil des cours, vol. 251 (1995-I),
9-268 ; S. KARAGIANNIS, « Le territoire d'application de la Convention européenne des droits de
l'homme», Rev. trim. dr. Homme (2005), 33-120; D. LoosCHELDER, « Die Ausstrahlung der Grund-
und Menschenrechte auf das Internationale Privatrecht », RabelsZ (2001), 383-462; F. MATSCHER,
« Le droit international privé face à la Convention européenne des droits de l'homme», Trav. Comité
fr. dr. int. pr. 1997 (Paris, Pédone, 2000), 211-225; P. MAYER,« La Convention européenne des droits
de l'homme et l'application des normes étrangères», Revue (1991), 651-666; S. SAROLÉA, « L'ordre
public international et la Convention européenne des droits de l'homme en matière de filiation»,
Rev. trim. dr.fam. (1996), 141-164; H. VAN LooN, « De wisselwerking tussen internationaal privaat-
recht en rechten van de mens», Mélanges van Rijn van Alkemade (Deventer, Kluwer, 1993), 135-148;
A. VIVIANI, « Coordinamento fra valori fondamentali internazionali e statali : La tutela dei diritti
umani e la clausola di ordine pubblico », Riv. dir. int. priv. proc. (1999), 847-888; M. VOLTZ, Men-
schenrechte und ordre public im Internationalen Privatrecht (Frankfort, Lang, 2002); N. WATTÉ, « Les
fonctions de l'ordre public international et les droits de l'homme», Mélanges Kirkpatrick (Bruxelles,
Bruylant, 2003), 1047-1071.

7.33 - Présentation - La problématique de l'ordre public en matière de conflits de lois


requiert de considérer d'abord la nature exacte du concept (§ 1er), avant d'apprécier les
conditions de sa mise en œuvre (§ 2).

§ 1 ÜÉFINITION DE L'EXCEPTION D'ORDRE PUBLIC


7.34 - Présentation- La place qu'occupe l'ordre public dans la matière des conflits de
lois est celle d'une exception, dont l'objet doit être déterminé avec précision (A). La com-
préhension de la nature exacte du concept suppose une comparaison avec d'autres con-
cepts voisins (B).

A. Objet de l'exception
7.35 - Le droit étranger désigné, objet de l'exception - Dans la matière des conflits de
lois, l'ordre public exerce une fonction propre lors de la mise en œuvre de la disposition
qui conduit normalement à l'application d'un droit étranger. Alors même que celui-ci a
été déclaré applicable en vertu de la norme primaire du for, son applicabilité peut être
écartée lorsqu'elle est incompatible avec l'ordre public, tel qu'on le conçoit dans l'État du
for.
Le terme «exception» exprime le caractère négatif de cette fonction de l'ordre
public : il est apporté une dérogation au jeu normal de la norme primaire du for.
L'exception a pour objet l'applicabilité d'un droit étranger. Elle se distingue de
l'ordre public opposé à un acte privé (voy. infra, n ° 14.77) ou de l'éviction d'une règle du
droit interne jugée incompatible avec une norme supérieure.
1111En ce sens, l'exception d'ordre public est un élément de la condition du droit étranger : à la dif-
férence des sources de droit national, le droit étranger n'est pas protégé contre une appréciation de
son incompatibilité avec « l'ordre public» du tribunal saisi. Pour un motif de cohérence formelle
du système juridique, le droit du for jouit d'une immunité dont ne bénéficie pas le droit étranger.
Ainsi, la loi en vigueur dans une unité territoriale d'un système juridique non unifié peut bénéficier
d'une immunité qui n'aurait pas été reconnue à une disposition étrangère ayant le même contenu.
Par exemple, avant l'indépendance du Congo, la Cour de cassation de Belgique a refusé de tenir
pour contraire à l'ordre public une disposition du droit colonial, qui aurait vraisemblablement été
écartée si elle avait émané d'un pouvoir étranger (Cass., 22 octobre 1953, Iramana, Pas., 1954, !, 130;
sur cet arrêt, voy. notamment la note de R. DEKKERS, Rev. crit. jur. belge, 1954, 102).
L'ÉVICTION DU DROIT ÉTRANGER PAR L'EXCEPTION D'ORDRE PUBLIC 307

La même solution a prévalu en France en ce qui concerne notamment les dispositions du BGB
maintenues en vigueur en Alsace-Lorraine (P. LAGARDE, précité n ° 6.39, 192 et s.).
En revanche, certains systèmes plurilégislatifs, de type fédéral, font jouer l'exception d'ordre public
dans les relations interfédérales. Aux États-Unis, la Full Faith and Credit Clause n'exclut pas l'argu-
ment de la public policy à propos du droit d'une entité de la fédération. De même, de l'arrêt précité
du 22 octobre 1953, on ne pourrait déduire que les conflits intercoloniaux n'ont jamais laissé de
place à l'exception d'ordre public. Voy. sur ce point: BATJFFOL et LAGARDE, n ° 357.
1111Le droit du for peut devoir être écarté en cas de violation, tantôt d'une règle constitutionnelle
de répartition des compétences normatives garante de la cohérence du système du for, tantôt d'une
norme supérieure destinée à garantir les droits fondamentaux de la personne, établie dans la Cons-
titution ou par un traité international ratifié par l'État du for. Voy. infra, n ° 7.48, sur la Convention
européenne de sauvegarde des droits de l'homme et le traité instituant la Communauté euro-
péenne.
L'exception d'ordre public ne vise pas l'hypothèse de la prise en considération du
droit public étranger.
1111Quand le juge pénal doit soumettre une infraction commise à l'étranger au principe de la dou-
ble incrimination ou reconnaître l'effet absolutoire de l'acquittement déjà prononcé par le juge
étranger, il ne saurait être soutenu que la loi pénale étrangère n'incriminant pas le fait réprimé par
la !ex fori ni que la décision étrangère ayant acquitté l'inculpé sont contraires à l'ordre public.
À propos d'une question analogue suscitée par la reconnaissance d'une décision civile étrangère,
voy.: Bruxelles, 15 décembre 1967, Pas. (1968), Il, 122.

7.36 - L'éviction des effets du droit étranger - À le serrer de plus près, l'objet de l'excep-
tion d'ordre public n'est pas le droit étranger comme tel, mais les effets que ce droit
devrait produire dans le pays où il est en principe déclaré applicable et qui sont jugés
incompatibles avec l'ordre public de ce pays.
Le tribunal saisi n'a aucune qualité pour« juger» le droit étranger ni pour infliger
un blâme au législateur étranger. Il est assez simpliste, comme le fait encore Bartin en
1930, d'associer l'exception d'ordre public au refus« d'appliquer à un litige la législation
d'un pays non civilisé, que les règles françaises du conflit des lois devraient le conduire à
appliquer si cette législation en était digne» (t. I, § 102, 268).
Ill La jurisprudence contemporaine n'est pas encore entièrement affranchie d'une prétention à
juger le droit étranger. Voy. particulièrement: Civ. Bruxelles, 27 septembre 1996, Rev. trim. dr. fam.
(1997), 393, note M. FALLON: le droit italien, applicable à une demande en divorce par consente-
ment mutuel d'époux italiens qui avaient connu une séparation prolongée, est qualifié de« nul»
pour contrariété à l'ordre public, pour le motif qu'il prévoit une homologation judiciaire de la
séparation consensuelle ! Un tel raisonnement est toutefois isolé.
Le droit étranger est évincé, non point parce qu'il est indigne d'application, mais
parce que la mise en œuvre de ses dispositions est incompatible avec le fonctionnement
normal des institutions et des règles juridiques en vigueur dans l'État du for. L'étude du
droit comparé enseigne au moins la relativité des solutions juridiques, sans que les juges
d'un État puissent prétendre que celles de la lex fori sont supérieures aux solutions diffé-
rentes d'un droit étranger.
7.37 - La relation de l'exception avec l'ordre public interne: de l'ordre public positif à
l'ordre public négatif- Ayant pour élément de référence l'ordre public de l'État du for,
l'exception d'ordre public participe du caractère national du droit international privé
(voy. supra, n ° 1.10).
Ill C'est l'école positiviste qui a posé les éléments de la théorie de l'ordre public dans la matière des
conflits de lois. Après le renvoi (chapitre 6) et la qualification (section 1), la doctrine de l'ordre
308 L'APPLICATION DU DROIT ÉTRANGER

public (selon le titre d'un article publié par Kahn en 1898) est le troisième pilier de la construction
positiviste : non seulement les règles de conflit diffèrent d'un pays à l'autre (problème du renvoi) et
les règles matérielles formulées dans les mêmes termes suscitent des conflits de qualifications, mais
le contenu du droit étranger déclaré applicable est parfois incompatible avec l'ordre public du tri-
bunal saisi.
S'élevant contre ce qu'il a appelé l'école romaniste de l'ordre public, Kahn a vivement critiqué la
confusion, courante dans la doctrine issue de Mancini, entre les lois impératives ou lois de police et
les « lois d'ordre public». Voy. KAHN, « Die Lehre vom ordre public (Prohibitivgesetze) », Jherings
]ahrbücher (1898), 1-112, reproduit dans Abhandlungen, t. !, 161-254. Dans ses Principes, publiés en
1930, Bartin présente encore le renvoi, les qualifications et l'ordre public international comme les
trois théories fondamentales « qui peuvent seules donner son vrai caractère au système du conflit
des lois pratiqué dans un État quelconque» (t. !, § 104, 271). Il avait déjà groupé les trois problè-
mes dans ses Études de droit international privé ( 1899).
Ce n'est pas à dire que Kahn et Bartin ont « inventé» la notion d'ordre public. Au contraire, des
trois problèmes qu'ils ont rapprochés l'un de l'autre, la théorie de l'ordre public avait seule été
explicitée par la doctrine universaliste. Leurs efforts ont porté sur la critique d'une théorie large-
ment reçue et qui consistait à intégrer « l'ordre public international» au jeu normal des règles de
conflit de lois.
L'ordre public interne influence nécessairement l'objet de l'exception sous l'angle de
son contenu. À cet égard, la seconde endosse nécessairement le caractère évolutif qui
affecte le premier. Les modifications apportées au droit du for exercent une influence
immédiate sur la mise en œuvre de l'exception d'ordre public.
IllAinsi, à l'époque où le droit interne belge ou français prohibait roue établissement d'une filia-
tion adultérine, il était généralement considéré que l'application d'un droit étranger plus libéral
était évincée par l'exception d'ordre public. Voy. encore: Cass. civ., 3 juin 1966, Domino, Revue
(1968), 64, note J. DERRUPPÉ. En Belgique, la jurisprudence s'est assouplie après l'entrée en vigueur
de la loi du 10 février 1958. Voy.: Bruxelles, 18 février 1960, Revue (1960), 577, note F. RIGAUX, et
surtout Cass., 27 février 1986, Swartebroeckx, Pas. (1986), I, 806.
111!Voy. aussi, à propos du mariage de personnes de même sexe, la circulaire de la ministre de la Jus-
tice, du 23 janvier 2004 (Monit., 23 janvier 2004), explicitant la possibilité de célébrer en Belgique le
mariage d'étrangers à l'encontre de leur loi personnelle, par référence à la loi du 13 février 2003
(art. 143 C. civ.) ayant élargi le mariage aux personnes de même sexe.
Cette relation n'est pourtant pas dépourvue d'ambiguïté et il convient de détermi-
ner avec soin la perspective propre à chacun des deux concepts.
Historiquement, l'ordre public dans la matière des conflits de lois procède d'une
comparaison entre le droit étranger et le droit du for. Il entre en action quand le contenu
du droit étranger en principe déclaré compétent paraît trop incompatible avec les solu-
tions différentes de la !ex fori.
Ainsi, la polygamie, la prohibition des mariages interraciaux, les discriminations entre l'enfant
Ill!
naturel et l'enfant légitime, les restrictions apportées au droit de propriété sont comparées à la
monogamie, à la liberté du mariage, à la prohibition des discriminations liées à la naissance, à la
protection constitutionnelle du droit de propriété. Au mariage d'étrangers régis par leur loi per-
sonnelle peut-on appliquer un statut polygamique ou un empêchement de mariage fondé sur la
disparité de culte ou de race ?
Cette méthode conduit le juriste à considérer un ordre public positif, fait d'un
ensemble de règles matérielles indispensables au fonctionnement de la société. Elle ne
pourrait pour autant donner cette qualification à coure règle d'ordre public, sous peine
de ruiner le droit des conflits de lois. En effet, une assimilation de l'ordre public
«international» à l'ordre public« interne» abourirait, pratiquement, à évincer l'applica-
bilité de la loi nationale à la plupart des questions de statut personnel.
L'ÉVICTION DU DROIT ÉTRANGER PAR L'EXCEPTION D'ORDRE PUBLIC 309

Ill La combinaison d'universalisme et de prépondérance de la personnalité des lois, qui caractérise


les écoles continentales du milieu et de la fin du XIXe siècle (Laurent, Mancini, Brocher, Albéric
Rolin, von Bar, Zitelmann), avait conduit les auteurs à rattacher à la notion d'ordre public l'appli-
cation des lois territoriales. Cette doctrine paraissait croire que « les lois d'ordre public
international» constituaient un ensemble législatif d'application territoriale qu'elle confondait en
même temps avec« les lois de police» (voy. supra, n ° 4.11) de l'article 3, alinéa 1'r, du Code civil.
Mal inspirée par la rédaction légaliste de l'article 6 du Code civil, la doctrine traditionnelle établis-
sait une analogie entre « les lois qui intéressent l'ordre public» en droit interne et auxquelles les
contractants ne peuvent déroger, et le noyau, plus restreint selon eux, de « lois d'ordre public
international» dont l'application prévaut sur le droit étranger.

La motivation de certains arrêts de la Cour de cassation de Belgique reflète cette


approche archaïque de l'ordre public dans la matière des conflits de lois. Est négligée,
l'évolution de « l'ordre public international», de nature positive, en « exception d'ordre
public», de nature négative. Cette approche pèche aussi par son impuissance à établir la
liste des« règles» d'ordre public international. Elle légitime enfin, à son corps défendant
sans doute, une propension du juge du fond à préférer la loi du for comme la « loi la
meilleure».
IllLa Cour de cassation de Belgique répète avec constance une formule issue de l'arrêt Vigouroux
du 4 mai 1950 (Pas., 1950, I, 624), que reproduit notamment comme suit l'arrêt Swartebroeckx du
27 février 1986 (Pas., 1986, I, 806): « Une loi d'ordre public interne n'est d'ordre public internatio-
nal que si, par les dispositions de cette loi, le législateur a entendu consacrer un principe qu'il con-
sidère comme essentiel à l'ordre moral, politique ou économique et qui, pour ce motif, doit
nécessairement exclure l'application en Belgique de toute règle contraire ou différente d'un droit
étranger, même lorsque celle-ci est applicable suivant les règles ordinaires des conflits de lois».
Comp. cependant infra, n° 12.45, la précision apportée par l'arrêt]osi I du 2 avril 1981, conciliable
avec une approche fonctionnelle centrée sur un ordre public négatif. Voy. aussi, à propos de la
reconnaissance de jugements étrangers, l'arrêt du 29 avril 2002, infra, n ° 12.96.
La seule disposition de droit belge ayant reçu, de la Cour de cassation, la qualification de loi d'ordre
public international est le principe de l'égalité des créanciers en matière de faillite (Cass.,
26 septembre 1991, IBW, Pas., 1991, I, 77).
1111Voy. dans un sens analogue, mais ayant aussi rompu avec l'école de Mancini: GRAULICH, n° 222.
Comp. le texte de l'ancien article 30 EGBGB : « L'application d'une loi étrangère est exclue, quand
cette application va à l'encontre des bonnes mœurs ou du but d'une loi allemande ». Cette disposi-
tion est généralement appelée par la doctrine allemande Vorbehaltsklausel (clause de réserve). Sous
l'intitulé« ôffentliche Ordnung (ordre public)», la loi du 25 juillet 1986 a cependant introduit une
disposition différente dans le nouvel article 6 EGBGB, qui rend compte de l'évolution (voy. infra,
n ° 7.48).
IllIl convient encore d'écarter de la terminologie la notion de « règles de conflit d'ordre public».
Proposée, semble-t-il, par LEWALD (n'" 119-122), cette expression fait double emploi avec la notion
de règle exclusivement unilatérale (voy. supra, n ° 3.45). Comp. FRANCESCAKIS, précité n ° 6.12, n ° 29 ;
LAGARDE, 105, 125-127, 146 et s., 229; KEGEL, Recueil des cours, vol. 113 (1964), 225; DERRUPPÉ, note,
Revue (1968), 66.
Ill L'approche fondée sur un ordre public négatif n'empêche pas toute formulation d'une clause
spéciale d'ordre public, dans une matière particulière: cette démarche relève du souci de préciser
les termes de l'exception, dans un but de sécurité juridique, plutôt que de la volonté d'imprimer un
élément de comparaison entre le droit du for et le droit étranger. Voy. infra, n ° 7.54.

7.38 - L'exception dans les codifications internationales - L'établissement de règles de


conflit de lois uniformes n'exclut pas la réserve de l'exception d'ordre public. Cette
réserve peut recevoir des expressions différentes.
Il arrive que le traité ne la mentionne pas. Elle est alors implicite.
310 L'APPLICATION DU DROIT ÉTRANGER

Voy. l'opinion exprimée par les délégués des États membres de la Conférence de La Haye de
1111

droit international privé, d'ailleurs confirmée par la pratique rédactionnelle présentée ci-dessous :
rapport du professeur DE WINTER, Documents relatifs à la se session, 130-131.
Voy. aussi l'opinion individuelle de deux membres de la Cour internationale de Justice, exprimée
dans l'arrêt Boil, du 28 novembre 1958 (voy. infra, n ° 12.169), Sir Hersch Lauterpacht et M. Morera
Quintana, C.I.j. Recueil (1958), 91-92 et 103.
Les Conventions de La Haye enferment le moyen de l'ordre public dans des limites
strictes, qui exigent que l'incompatibilité soit « manifeste». Au demeurant, la formula-
tion confirme le concept d'un ordre public négatif, centré sur les effets de l'application
du droit étranger plutôt que sur le jugement porté sur le droit étranger.
La formulation nouvelle apparaît dès la Convention du 24 octobre 1956 sur la loi applicable
1111

aux obligations alimentaires envers les enfants:« La loi déclarée applicable par la présente Conven-
tion ne peut être écartée que si son application est manifestement incompatible avec l'ordre public
de l'État dont relève l'autorité saisie » (art. 4).
Voy. comme exemple récent, l'article 18 de la Convention de La Haye du 1er août 1989 sur la loi
applicable aux successions à cause de mort: « L'application d'une des lois désignées par la Conven-
tion ne peut être écartée que si cette application est manifestement incompatible avec l'ordre
public».
Comp. l'inclusion d'une règle matérielle dans l'article 22 de la Convention du 19 octobre 1996 con-
cernant la compétence, la loi applicable, la reconnaissance, l'exécution et la coopération en matière
de responsabilité parentale et de mesures de protection des enfants : « L'application de la loi dési-
gnée par les dispositions du présent chapitre ne peut être écartée que si cette application est mani-
festement contraire à l'ordre public, compte tenu de l'intérêt supérieur de l'enfant ».
1111 La formulation était moins ferme dans l'article 6 de la Convention de La Haye du 15 juin 1955

sur la loi applicable aux ventes à caractère international d'objets mobiliers corporels:
« L'application de la loi déterminée par la présente Convention peut être écartée pour un motif
d'ordre public».
1111Sous l'angle terminologique, les termes « application» et« incompatibilité» marquent adéqua-
tement la méthode d'évaluation, nécessairement fonctionnelle (voy. infra, n ° 7.46) de l'ordre public,
mieux que le terme« contraire» observé dans la Convention précitée du 19 octobre 1996. Le terme
« manifeste» traduit bien le caractère restrictif du moyen mais paraît moins approprié - parce
qu'exprimant un concept d'apparence - que celui de «absolument» (ou rigoureusement, en
anglais: strongly, selon P. CARTER, « The role of public policy in English private international law »,
I.C.L.Q., 1993, 1-10).
Il arrive exceptionnellement que le traité exclue l'exception d'ordre public comme
telle, tout en incluant un concept ayant une fonction similaire.
1111Ainsi, selon l'article 20 de la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de
l'enlèvement international d'enfants : « Le retour de l'enfant conformément aux dispositions de
l'article 12 peut être refusé quand il ne serait pas permis par les principes fondamentaux de l'État
requis sur la sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales». Selon le rapport
explicatif de E. Pérez-Vera, cette solution« est le produit d'un compromis entre délégations favora-
bles et délégations contraires à l'inclusion dans la Convention d'une clause d'ordre public» (Actes et
documents de la 14e session, t. III, 1982). L'interprétation correcte de l'article 20 exige que l'exception
d'ordre public ne puisse pas comme telle être invoquée.

7.39 - L'exception dans les codifications nationales - La plupart des codifications récen-
tes prévoient expressément l'exception d'ordre public.
Ill Plusieurs lois précisent que l'éviction de la loi étrangère n'a lieu que si l'application de cette loi
doit aboutir à un «résultat» incompatible avec l'ordre public (en Autriche, § 6 LDIP; en Suisse,
art. 17 LDIP). Dans le texte suisse, l'adverbe «manifestement» qui apparaissait dans le texte du
projet déposé par le Conseil fédéral a été biffé au cours des travaux parlementaires.
En Italie, l'article 16 LDIP se réfère aux« effets» du droit étranger.
L'ÉVICTION DU DROIT ÉTRANGER PAR L'EXCEPTION D'ORDRE PUBLIC 311

En Allemagne, suivant le nouvel article 6 EGBGB, la règle de droit étranger doit être écartée
« lorsque son application conduit à un résultat manifestement incompatible avec les principes fon-
damentaux du droit allemand. C'est notamment le cas lorsque son application est inconciliable
avec les droits fondamentaux».
En Belgique, le Code de droit international privé suit la tendance du droit comparé,
en énonçant que: « L'application d'une disposition du droit étranger désigné [... ] est
écartée dans la mesure où elle produirait un effet manifestement incompatible avec
l'ordre public» (art. 21, al. 2). La référence à« une disposition» plutôt qu'au droit étran-
ger même entend confirmer le caractère fonctionnel de l'exception. Il en va de même de
l'utilisation du terme« effet».

B. Relation de l'exception avec d'autres concepts juridiques


7.40 - L'ordre public opposable à un jugement ou à un acte public étranger - La con-
trariété à l'ordre public du for est un motif de refus opposable, en droit commun (voy.
infra, n ° 10.39) comme en droit conventionnel (voy. infra, n ° 10.24), à la reconnaissance
ou à l'exécution d'une décision judiciaire étrangère ou d'un acte public étranger.
Ill Il en va différemment à propos de l'effet libératoire du fait du prince étranger. Quand un débi-
teur invoque un tel fait (voy. infra, n ° 10.9), le tribunal saisi par le créancier ne saurait invoquer
l'ordre public pour écarter l'effet de l'acte administratif étranger ayant effectivement empêché le
débiteur de remplir son obligation.
Par exemple, le propriétaire d'un immeuble situé à l'étranger ne peut obtenir de son locataire l'exé-
cution des obligations prévues par le bail, si l'immeuble a été réquisitionné par les autorités territo-
riales. La circonstance que cette réquisition était confiscatoire et, par là même, contraire à l'ordre
public, ne fait pas obstacle à ce qu'elle ait eu pour effet de libérer le débiteur. Sur la jurisprudence,
voy. F. RrGAUX, Droit public et droit privé, §§ 133-135.
Tantôt les règles de procédure du droit étranger sont jugées insuffisantes, tantôt le
contenu de la disposition législative appliquée par le juge ou même la méthode selon
laquelle il a tranché un problème de conflit de lois peuvent interdire de reconnaître la
décision.
Ill La tendance est toutefois à la suppression du contrôle de la loi applicable par le juge requis. Voy.
infra, n° 10.18.
Lorsque le juge requis est amené à porter son contrôle sur le droit étranger que le
juge d'origine a appliqué, il y a une relation manifeste entre l'appréciation de l'ordre
public dans la matière des conflits de lois et dans celle des conflits de juridictions. Cette
relation est encore plus explicite lorsque le contrôle porte sur le droit applicable en fonc-
tion des règles de rattachement du juge requis, puisque ce contrôle inclut l'exception
d'ordre public.
Une telle relation incite à étendre à la reconnaissance des jugements étrangers la
méthode d'évaluation de l'ordre public dans la matière des conflits de lois. Comme à pro-
pos du droit étranger, le rôle du juge n'est pas de porter jugement sur la décision étran-
gère, mais d'évaluer le degré de compatibilité des effets de sa réception dans son ordre
juridique. Aussi les critères d'appréciation énoncés à propos des conflits de lois (voy. infra,
n ° 7.46) valent-ils d'autant plus à propos des jugements étrangers que ceux-ci consacrent
une situation, avec l'autorité de la chose jugée que confère le droit du pays d'origine.
La jurisprudence française a développé, à propos de la reconnaissance de jugements étrangers,
1111

la notion de « l'effet atténué» de l'ordre public, analogue au critère de « l'intensité du


rattachement» proposé ci-dessous (n ° 7.53). Ce critère a été étendu logiquement ~ puisque la
312 L'APPLICATION DU DROIT ÉTRANGER

jurisprudence française pratique le contrôle du droit appliqué - à la matière des conflits de lois -
par exemple à propos d'unions polygamiques célébrées à l'étranger. Voy. à ce sujet: BATIFFOL et
LAGARDE, n ° 361.
Ill En Belgique, cette démarche est très explicite dans l'arrêt de la Cour de cassation du 29 avril
2002, ONP c. A., R. W (2002-2003), 862, note J. ERAUW; Rev. trirn. dr. farn. (2003), 94, note J.-Y. CAR-
LIER, à propos de la reconnaissance d'une répudiation (voy. infra, n ° 12.96).
L'arrêt comporte encore une précision intéressante sur la relation entre reconnaissance d'un juge-
ment étranger et conflit de lois, en ayant soin d'indiquer que le juge requis, loin d'appliquer le droit
étranger, se borne à reconnaître les effets d'un jugement qui s'est fondé sur l'application du droit
étranger.
Ill Le moyen de l'ordre public montre combien l'autorité d'une décision étrangère subit une condi-
tion discriminatoire au même titre que le droit étranger. Alors que l'autorité de la chose jugée
d'une décision nationale en couvre tous les vices et qu'elle ne saurait être combattue que par l'exer-
cice d'une des voies de recours spécialement prévues par la loi, la décision étrangère est beaucoup
plus fragile à un double égard: quels que soient les mérites respectifs des deux décisions, elle est
évincée par la décision inconciliable prononcée dans l'État du for (voy. infra, n° 5 10.24 et 10.39), et
l'exception d'ordre public fait obstacle à la reconnaissance d'une décision contenant une irrégula-
rité qui, dans l'ordre interne, est couverte par l'autorité de la chose jugée.

7.41 - L'ordre public opposable à un acte privé - L'exception d'ordre public de la


matière des conflits de lois doit être distinguée de l'ordre public contractuel quant à
l'objet et, partant, quant aux conditions techniques de la mise en œuvre, moms sans
doute quant au contenu.
Quant à l'objet, l'ordre public de droit interne vise le comportement de particuliers.
Tout système juridique restreint la maîtrise de leurs droits que le principe de la force obli-
gatoire des actes juridiques privés - que consacre l'article 1134 du Code civil - reconnaît
aux particuliers, par les notions d'ordre public et de bonnes mœurs.
En droit international privé, pareil objet a un impact sur les conditions de mise en
œuvre de l'ordre public. Celui-ci s'exprime en effet au moyen, tantôt de dispositions par-
ticulières qualifiées de règles impératives ou de règles d'ordre public, tantôt d'une dispo-
sition générale destinée à combler les lacunes que le législateur est impuissant à prévenir
en raison de la variété de situations, de circonstances, d'impératifs affectant l'intérêt
général. On trouve une telle disposition dans l'article 6 du Code civil, aux termes duquel
« on ne peut déroger, par des conventions particulières, aux lois qui intéressent l'ordre
public et les bonnes mœurs ».
La seule question de conflit de lois que soulève cet ordre public contractuel porte sur
l'applicabilité dans l'espace des dispositions législatives, particulières ou générales, qui en
sont l'expression. Pareille applicabilité se détermine au moyen des deux méthodes usuel-
les du droit international privé, soit la règle de rattachement, soit la règle directe d'appli-
cabilité. La seconde remplit ici un rôle privilégié, puisque son utilisation concerne par
excellence des dispositions impératives ou d'ordre public qui s'imposent aux particuliers
dans les situations internationales (voy. supra, n° 4.11). Pour le reste, l'article 6 ne peut
pas servir à fonder la mise en œuvre de l'exception d'ordre public en matière de conflits
de lois.
Ill!Concrètement, une disposition générale comme l'article 6 du Code civil, ou une règle particu-
lière exprimant l'intérêt général par son caractère impératif, n'est prise en considération par un
juge qu'après que celui-ci a constaté devoir l'appliquer en vertu d'une norme primaire du for, soit
une règle de rattachement désignant le droit applicable au fond du litige, y compris les dispositions
L'ÉVICTION DU DROIT ÉTRANGER PAR L'EXCEPTION D'ORDRE PUBLIC 313

impératives ou d'ordre public de ce droit, soit une disposition spéciale d'applicabilité attachée à
une règle de droit matériel.
Pour des cas d'application de cette méthode, voy. infra, n ° 14.77.
Sur le rôle limité de l'article 6 du Code civil à propos de l'exception d'ordre public, voy.
spécialement: Cass., 17 juin 1999, Elite, Bull. Cass. (1999), 916, R.W (2000-2001), 657, note J.
ERAUW : viole la règle de rattachement en matière de contrats, et partant la Convention de Rome du
19 juin 1980, le juge d'appel qui vérifie l'admissibilité d'une clause pénale en fonction de l'article 6
du Code civil sans appliquer préalablement la loi étrangère qui régit le contrat.

Cette différenciation de l'ordre public interne par son objet et par sa mise en œuvre
ne se répercute que partiellement sur le contenu de l'ordre public.
Dans un cas comme dans l'autre, ce qui est en cause est l'intérêt général, les valeurs
supérieures indispensables au maintien de la structure sociale. Nul ne se hasarderait à
énoncer, à côté de dispositions particulières qualifiées d'impératives ou d'ordre public,
une liste exprimant l'ensemble des aspects qui intéressent l'ordre public: la notion est à
contenu variable, en droit interne comme en droit international privé, et son explicita-
tion appartient aux seuls organes habilités à exprimer la conscience juridique collective
en présence de siruations particulières.
Dans les deux cas aussi, le juge peut avoir égard à un ordre public de droit interna-
tional, dont la mise en œuvre s'impose avec la même force à propos d'un acte privé qu'à
propos d'un droit étranger. Le cas échéant, il refusera de la même manière de donner
effet à un droit étranger inconciliable avec un droit fondamental consacré par un traité
international, qu'à un contrat international de droit privé comportant une violation du
même droit.
1111 Sur l'ordre public du droit international à propos du droit étranger, voy. infra, n ° 7.50.

7.42 - Ordre public et loi de police - L'exception d'ordre public de la matière des con-
flits de lois entretient des relations complexes avec la problématique dite des « lois de
police» (voy. supra, n ° 4.11). Les deux concepts ne se confondent pas sous un angle tech-
nique, alors qu'une similarité de contenu est de nature à engendrer une influence du pre-
mier sur le second.
Techniquement, les concepts sont distincts par leur objet. Comme l'exception
d'ordre public porte sur les effets de l'application du droit étranger désigné en vertu
d'une norme primaire du for, elle peut avoir pour objet une règle étrangère qualifiée de
loi de police, de loi impérative ou de loi d'ordre public. Cette prééminence de l'exception
d'ordre public traduit un ordre de priorité entre l'ordre public du for et l'ordre public
étranger, puisque le premier est apte à évincer le second lorsque celui-ci s'exprime au
moyen d'une loi particulière.
L'application du moyen de l'exception d'ordre public à l'égard du« droit public» étranger suffit
1111

à préserver les intérêts étatiques du for, mieux qu'une prétendue inapplicabilité de principe du
droit public étranger (voy. sur ce thème, supra, n ° 1.26).

La similitude de préoccupations peut toutefois expliquer un phénomène de sym-


biose entre l'ordre public et le contenu d'une norme primaire. Un recours systématique à
l'exception d'ordre public dans une matière déterminée peut conduire à la formulation
d'une règle de rattachement tendant à traduire l'intérêt général en cause, cette phase ter-
minale étant, le cas échéant, précédée d'une phase intermédiaire s'exprimant par la for-
mulation d'une règle directe d'applicabilité empruntée au concept des lois de police.
314 L'APPLICATION DU DROIT ÉTRANGER

Ill La jurisprudence belge montre un passage rapide de la phase de l'exception d'ordre public à
celle de la formulation - implicite - d'une règle de rattachement, à propos des aliments entre ex-
époux. Confrontée à de nombreuses reprises à l'application du droit d'un pays musulman - Algé-
rie ou Maroc - ne connaissant pas de droit aux aliments comparable à ce que prévoient les pays
européens, elle n'a pas hésité à traduire la préoccupation de l'éviction du droit étranger normale-
ment applicable - en tant que loi nationale commune des parties - par une règle désignant le
droit de la résidence habituelle du créancier d'aliments, avant que le Code de droit international
privé consolidât cette évolution. Voy. infra, n ° 12.189.
Le législateur belge a aussi montré l'exemple d'une relie mutation, en matière de divorce. À une
époque où de nombreux époux ressentaient l'impossibilité de divorcer en vertu du droit étranger
normalement applicable, il a adopté des dispositions particulières favorisant l'application du droit
belge (loi du 27 juin 1960, infra, n ° 12.97). Le caractère exclusivement unilatéral de ces dispositions
explicite bien le lien avec une préoccupation d'ordre public.

IllEn matière de contrat de travail, la similitude de contenu entre exception d'ordre public et loi
de police apparaît dans l'arrêt Taylor de la Cour de cassation du 25 juin 1975 (Pas., 1975, I, 1038). La
cour d'appel avait appliqué le droit belge à l'octroi d'indemnités de préavis consécutives à la résilia-
tion d'un contrat de travail conclu aux États-Unis entre Américains et exécuté en Belgique. L'arrêt
observe qu'il n'y a pas de vice de motivation dans le fait de fonder la solution sur l'application de
« dispositions légales touchant à l'ordre public international belge » alors que le demandeur au
fond avait invoqué l'applicabilité de« lois de police». Or, la première expression paraît correspon-
dre à l'ordre public positif que connaît la jurisprudence belge (voy. supra, n ° 7.37). En ne voyant pas
d'erreur de motivation dans la confusion des deux concepts, la Cour dévoile la facilité du passage
de la phase de l'exception à celle de la formulation d'une règle directe d'applicabilité, phase que
franchit l'arrêt à l'occasion du motif suivant où les lois impératives de protection du travailleur
sont qualifiées de lois de police au sens de l'article 3, alinéa 1er, du Code civil, ce qui justifie leur
applicabilité lorsque l'exécution des prestations du travailleur se localise en Belgique.
En cette matière, la phase suivante de l'élaboration d'une règle de rattachement multilatérale a été
franchie avec l'entrée en vigueur de la Convention de Rome du 19 juin 1980, dont l'article 6 bilaté-
ralise notamment le critère de localisation énoncé par l'arrêt Taylor.

IllUne démonstration analogue peut aussi être faite à propos du contrat de consommation. Voy. à
cet égard: M. FALLON, « Le droit des rapports internationaux de consommation», Clunet (1984),
765-847.

IllSur la relation entre exception d'ordre public et formulation d'une règle de rattachement, voy.
notamment: A. BUCHER, « L'ordre public et le but social des lois en droit international privé »,
Recueil des cours (1993-II), vol. 239, 9-116.

Le choix entre les deux méthodes n'est cependant pas indifférent, non seulement
parce que l'exception d'ordre public permet d'évincer une loi de police étrangère, ou
parce que la première ne saurait conduire à l'application d'un droit étranger, mais encore
parce que la mise en œuvre de l'exception (voy. infra, n ° 7.46) est plus souple que l'utilisa-
tion d'une règle directe d'applicabilité.
IllIl n'est donc pas indifférent que l'article 6 de la Convention de Rome - à la différence de l'arrêt
Taylor - ait ajouté une clause particulière d'exception, ce que ne fait pourtant pas l'article 5 qui, au
sujet du contrat de consommation, répond à une préoccupation analogue.

7 .43 - Ordre public et fraude à la loi - L'exception d'ordre public entretient des rela-
tions complexes avec la théorie de la fraude à la loi. À première vue, les deux concepts
sont similaires, puisque la fraude à la loi intéresse par définition l'ordre public. Il en va
toutefois autrement en droit international privé, en raison de l'objet propre de chaque
concept.
L'ÉVICTION DU DROIT ÉTRANGER PAR L'EXCEPTION D'ORDRE PUBLIC 315

Au sens strict, la fraude à la loi en matière de conflits de lois couvre une manipula-
tion artificielle par les parties de l'élément de localisation apte à déterminer le droit appli-
cable à la situation (voy. supra, n ° 5.73).
Cette définition montre trois différences entre l'exception de fraude et l'exception
d'ordre public en droit international privé. D'abord, la fraude affecte la règle de rattache-
ment et l'exception consiste à neutraliser la manipulation du facteur de rattachement:
elle agit donc au moment du choix de la norme primaire (chap. 5), alors que l'exception
d'ordre public agit après que la norme primaire a été mise en œuvre. Ensuite, l'exception
de fraude porte sur des comportements de particuliers, comme l'ordre public de droit
interne. Enfin, si l'exception de fraude sanctionne toute manipulation artificielle, elle
peut jouer au bénéfice de la désignation d'un droit étranger, alors qu'un tel droit ne cons-
titue normalement pas l'ordre juridique de référence de l'exception d'ordre public (voy.
infra, n ° 7.50).
Ces différences ne suffisent pas pour autant à supprimer tout lien entre les deux
concepts. Lorsque l'exception de fraude joue à propos de la reconnaissance d'un juge-
ment étranger, elle intervient au même titre que l'ordre public, dont elle peut d'ailleurs
apparaître comme un élément (voy. infra, n ° 10.12). De fait, si les parties ont obtenu un
divorce à l'étranger dans le seul but d'obtenir la dissolution du mariage à des conditions
- établies par un droit étranger - inacceptables au regard du droit du for, le refus du
juge requis de reconnaître le jugement aura le même effet que l'éviction du droit étranger
au moyen de l'exception d'ordre public.

7.44 - Ordre public et clause d'exception - L'exception d'ordre public se distingue nette-
ment de la« clause d'exception» (voy. supra, n° 3.17). Certes, l'une et l'autre ont un effet
dérogatoire, et elles ont en commun de prendre en considération l'intensité du rattache-
ment de la situation avec un ordre juridique (voy., pour l'ordre public, infra, n ° 7.53).
À la différence de l'exception d'ordre public, la clause d'exception, comme la loi de
police, agit au moment du choix de la norme primaire. Elle déroge à la règle ordinaire de
rattachement, pour le motif que, eu égard aux éléments de l'espèce, cette règle ne garantit
pas la désignation du droit le mieux à même de concrétiser le principe de proximité.
Au demeurant, la clause d'exception, pas plus que la la loi de police, n'exclut le jeu de
l'exception d'ordre public. L'application du droit étranger désigné au moyen de la clause
d'exception est exposée à l'exception d'ordre public au même titre que l'application de tout
droit étranger désigné par la règle ordinaire de rattachement. Tout au plus peut-on estimer
que la situation en cause aura un lien de rattachement ténu avec l'ordre juridique du for,
de sorte que l'exception d'ordre public peut être appelée à jouer moins fréquemment.

7.45 - Ordre public et exception de reconnaissance mutuelle - Le droit communautaire


pourrait encore générer un concept nouveau qui, comme l'exception d'ordre public,
justifie une éviction de la loi normalement applicable et repose sur le respect de valeurs
supérieures, inhérentes à l'ordre juridique communautaire. L'émergence d'une
« exception de reconnaissance mutuelle » pourrait expliquer que l'État doive se garder
d'opposer à une entreprise communautaire l'application de la loi du pays d'accueil d'un
produit ou d'un service - application résultant d'une règle de conflit de lois ou de
l'exception d'ordre public - chaque fois que l'application de la loi du pays d'origine, au
contenu équivalent, suffit à réaliser l'objectif de protection sociale poursuivi par cet État.
316 L'APPLICATION DU DROIT ÉTRANGER

1111 Sur ce concept en relation avec le droit des conflits de lois, voy.: M. FALLON et]. MEEUSEN, « Le
commerce électronique, la directive 2000/31/CE et le droit international privé », Revue (2002), 487,
à propos de la « clause marché intérieur » présente dans les directives dites de la « nouvelle
approche» ; ID., « Private international law in the European l,Jnion and the exception of mutual
recognition», Yearb. Priv. Int. Law (2002), 37-66; M. FALLON,« Libertés communautaires et règles de
conflit de lois», Les conflits de lois et le système juridique communautaire (Paris, Dalloz, 2004), 31-80.
1111 Le même concept peut limiter l'applicabilité d'une loi de police nationale: voy. supra, n ° 4.16.

§2 MISE EN ŒUVRE DE L'EXCEPTION D'ORDRE PUBLIC


7.46 - Caractère fonctionnel de l'exception d'ordre public - Pas plus que dans le droit
interne, l'ordre public du droit international privé ne se laisse enfermer dans une liste
positive de règles ayant ce caractère. « L'ordre public est le type même de la notion
fonctionnelle; aucun lien véritable n'existe entre les différentes hypothèses où il fait son
apparition, sinon qu'il n'est jamais possible de laisser la loi étrangère normalement com-
pétente régir ces situations» (LAGARDE, précité n ° 7.32, 177). Et l'auteur auquel est
empruntée cette citation, de poursuivre: « Ceci nous permet d'affirmer que le problème
de la définition de l'ordre public est un faux problème».
Le caractère exceptionnel et fonctionnel de l'ordre public en droit international
privé est aujourd'hui largement accepté.
Voy. dans la doctrine classique: KosTERS-DUBBINK, 327-393; LAGARDE, précité n° 7.32, 130 et s.;
1111

NEUHAUS, § 50; SzAszy, Recueil des cours, vol. 111 (1964), 243-244; WENGLER, 440-441.
111 Pour une tentative de détermination d'un contenu par référence à des « principes» et à des
« règles » d'ordre public, sans renier le caractère « exceptionnel» ni « relatif» du concept, voy.
BUCHER et BONOMI, n°5 473 et s.
Ill Dans la jurisprudence de la Cour de cassation, cependant fidèle à la conception archaïque d'un
ordre public positif (voy. supra, n° 7.37), la consécration d'une règle d'ordre public international
n'est certaine que pour le principe de l'égalité des créanciers en matière de faillite (Cass.,
26 septembre 1991, IBW, Pas., 1992, I, 77). Les autres arrêts ayant statué sur l'ordre public en
matière de conflits de lois concluent à l'absence d'incompatibilité de la règle étrangère incriminée.
L'arrêt]osi I est significatif, à propos du mariage posthume (voy. infra, n ° 12.44).
Les juridictions de fond manifestent une plus grande sévérité à l'égard du droit étranger, parfois
dans les termes d'une condamnation excessivement absolue. Il en est ainsi à propos des aliments
entre ex-époux (voy. infra, n ° 12.189), ou en matière de filiation avec une référence significative à la
Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (voy.
infra, n° 12.117).
Pour une explicitation du caractère exceptionnel, voy.: Civ. Nivelles, 17 mars 1998,].T (1999), 230.
Il reste alors à préciser la méthode à suivre pour comparer la disposition législative
étrangère aux critères prévalant dans l'État du for. Pour indéfinissable que soit l'ordre
public, il est en effet possible de préciser les critères auxquels obéit la mise en œuvre de
l'exception d'ordre public en droit international privé.
Trois critères principaux doivent être retenus : la gravité de l'incompatibilité entre le
droit étranger et les principes jugés essentiels dans l'ordre juridique où ce droit est appelé
à produire ses effets, la nature des effets réclamés et l'intensité du rattachement de la
situation à l'ordre juridique du for.
1111 Le Code belge de droit international privé explicite ces critères comme suit : « [L']incompatibi-
lité s'apprécie en tenant compte, notamment, de l'intensité du rattachement de la situation avec
l'ordre juridique belge et de la gravité de l'effet que produirait l'application du droit étranger»
(art. 21, al. 2).
L'ÉVICTION DU DROIT ÉTRANGER PAR L'EXCEPTION D'ORDRE PUBLIC 317

Le premier critère affecte l'émergence d'un ordre public du droit international et, à
ce titre, c'est moins l'exception d'ordre public qui intervient, que la primauté de la règle
de droit international. Aussi la mise en œuvre de l'exception est-elle fonction de l'ordre
juridique de référence, national ou international.

A. Détermination de l'ordre juridique de référence


7.47 - L'ordre public du droit international, ou le critère de la gravité de l'effet
réclamé - Lorsque l'ordre public se réfère à une norme du droit international, il est relié
à un principe que l'on peut juger absolu et qui, dans les États où est assurée la primauté
du droit international sur le droit interne, devrait justifier l'inapplicabilité de toute dis-
position, du droit étranger ou même du droit du for, dérogeant à un tel principe. C'est
alors le principe constitutionnel de la primauté de l'ordre juridique international qui
motive l'éviction de la règle matérielle jugée inconciliable.
La mise en œuvre du principe de primauté explique que l'éviction soit
inconditionnelle: celle-ci procède de la gravité de l'effet invoqué et il n'y a pas lieu de véri-
fier en outre la nature ou l'étendue de cet effet ni l'intensité du rattachement de la situa-
tion avec l'ordre juridique du for.
Ill Ainsi, jusqu'à son abrogation, le Prohibition ofMixed Marriages Act 1949, de la République d'Afri-
que du Sud, qui prohibait les mariages interraciaux, ne pouvait recevoir aucun effet quelconque
quelle que fût l'intensité du rattachement. Il en irait de même de la prohibition, établie en droit
islamique, pour une musulmane d'épouser un non-musulman.
Pour une évocation de l'interdiction de toute discrimination raciale, voy. : Bruxelles, 6 décembre
2000,]. T (2001), 572, note B. HANOTIAU, se référant à la Constitution autant qu'à la Convention
européenne de sauvegarde.
Le droit international à considérer est le ius cogens, expression de principes fonda-
mentaux communs à toute l'humanité, et, pour éviter que, sous ce couvert, les concep-
tions particulières d'un État ou d'un groupe d'États ne soient érigées en principes
universels, il y a lieu d'en rechercher la manifestation dans des instruments ayant effecti-
vement ce caractère, tels la Charte des Nations unies, les Pactes internationaux du
16 décembre 1966, et quelques grandes conventions réunissant la plupart des États.
1!11On peut citer les Conventions qui visent respectivement à la prévention et à la répression du
crime de génocide (9 décembre 1948), à la répression de la traite des êtres humains et de l'exploita-
tion de la prostitution d'autrui (21 mars 1950), la Convention relative à l'esclavage, signée à Genève
le 25 septembre 1926 et amendée par le Protocole de New York du 7 décembre 1953 (voy. aussi, sur
le même sujet, la Convention complémentaire du 7 septembre 1956), la Convention internationale
sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale (21 décembre 1965).
D'après le professeur Yasseen, ce« jus cogens international fait partie de l'ordre public de tous les
Ill!
États» (Recueil des cours, vol. 116, 1965, vol. 116,459).
On peut déjà citer en ce sens un texte de Niboyet, dans lequel il avait affirmé que la contrebande est
contraire à« un véritable ordre public international commun aux nations civilisées et que toutes
ont le devoir de respecter à peine de se placer en dehors de la communauté juridique qui est à la
base du droit international privé» (note S., 1928, 1, 305). Voy. aussi: H. RouN, « Vers un ordre
public réellement international», Mélanges Basdevant, 441-462.
La doctrine de langue anglaise parle à cet égard d'international public policy (FAWCETT, « Trade and
Finance in International Law», Recueil des cours, vol. 123, 1968, 305).
Dl La référence au ius cogens international est, à certains égards, ambiguë. Cette notion contribue à
régler les rapports entre les États, sa portée est de frapper de nullité le traité international qui trans-
gresse « une norme impérative du droit international» (Conv. de Vienne, art. 53). Elle n'appré-
318 L'APPLICATION DU DROIT ÉTRANGER

hende pas directement les relations juridiques de droit privé. Il arrive cependant qu'une telle
relation ait pour objet un comportement dont la matière touche au devoir des États de respecter
les normes impératives de droit international, tel le recrutement de mercenaires ou la vente d'armes
permettant à un État de mener une guerre d'agression.
Encore faut-il que le principe fondamental en cause bénéficie d'un effet direct, ce qui ne va pas de
soi en raison du contexte du ius cogens, qui règle les rapports entre États. Il y a lieu d'avoir égard, en
présence d'un traité, à l'intention des auteurs de celui-ci, et de vérifier, notamment, si la disposition
en cause constitue une règle suffisamment claire et inconditionnelle pour être applicable au cas
particulier.

La référence au droit naturel par la doctrine traditionnelle paraît moins heureuse


que celle faite au ius cogens.
Certaines lois, par exemple celles qui organisent l'esclavage, ou qui créent des empê-
chements de contracter fondés sur des discriminations raciales, ne devraient-elles pas
être considérées comme contraires à un droit commun universel? Pour Batiffol, « la
notion d'un droit naturel est apparue avec netteté et vigueur quand il s'est agi du respect
de la personne »(Aspects philosophiques du droit international privé, Paris, Dalloz, 1956, 161).
La difficulté est de s'entendre sur le contenu de ces principes communs. Certaines
considérations doctrinales expriment une conviction, aujourd'hui périmée, en la supério-
rité de la « civilisation » occidentale.
C'est notamment Lerebours-Pigeonnière qui a mis l'accent sur la distinction entre deux motiva-
11111

tions de l'exception d'ordre public: tantôt le juge national exprime, par sa réaction devant le droit
étranger, la conscience humaine universelle, tantôt il favorise une politique législative nationale.
Dans son expression, à tout le moins, la première motivation paraît, chez cet auteur, liée à la con-
viction de la supériorité de la civilisation occidentale (voy. notamment: LEREBOURS-PIGEONNIÈRE et
LoussoUARN, n ° 379, encore cité dans l'édition due à LoussOUARN et BouREL, évoquant les
« principes communs aux nations civilisées » n ° 254), et on peut se demander alors si elle se distin-
gue réellement de la seconde. Sur cette application du droit naturel, voy. encore: LAGARDE, précité
n ° 7.32, 44; Paris, 19 mars 1965, Banque Ottomane, Revue ( 1967), 86, note P. LAGARDE; Clunet (1966),
132, note B. GOLDMAN. Comp. les termes désormais nuancés de BATIFFOL et LAGARDE, t. I, n° 358.
Les dernières éditions de LoussoUARN et BouREL corrigent nettement l'approche antérieure
(n° 254).

7.48 - Incidence de la CEDH - Aujourd'hui en Europe, c'est la Convention de sauve-


garde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, du 4 novembre 1950, qui est
au centre du débat. Par rapport à d'autres instruments internationaux, elle suscite une
difficulté particulière en raison de son caractère régional : sans force obligatoire dans les
États tiers, s'impose-t-elle aux juridictions des États parties invitées à appliquer, en vertu
de la norme primaire du for, des règles matérielles inconciliables d'un État tiers ?
La doctrine montre une attitude prudente à cet égard (voy. notamment : P. MAYER,
précité n ° 7.32, 659 et s., estimant que le critère de l'intensité du rattachement, infra,
n ° 7.53, doit être pris en compte). La réponse à la question réside dans une interprétation
de la Convention même (P. HAMMJE, précité n ° 7.32, 15), singulièrement des termes
« toute personne relevant de la juridiction des Parties contractantes », ce qui peut couvrir
la simple saisine d'un juge (S. SAROLÉA, précité n ° 7.32, 160). Le résultat obtenu importe
davantage que le moyen suivi pour y arriver, application directe du droit du for ou dési-
gnation d'un droit étranger par une norme primaire du for. Dès lors que la désignation
du droit étranger repose sur une norme primaire de l'État du for, la responsabilité de
celui-ci est de nature à être engagée au regard de la Convention de sauvegarde.
L'ÉVICTION DU DROIT ÉTRANGER PAR L'EXCEPTION D'ORDRE PUBLIC 319

1111L'hésitation de la jurisprudence à se référer à la Convention de sauvegarde paraît d'autant


moins grande que cette référence serait obligatoire au cas où la règle matérielle incriminée serait
une règle du for.
Comme cas de référence à la Convention de sauvegarde, voy. en Belgique: Mons, 25 juin 1991, Pas.
(1991), II, 177, écartant l'incompatibilité du droit français de la filiation qui soumet à un délai pré-
fix de deux ans l'action en recherche de paternité naturelle ; plusieurs décisions écartent l'impossi-
bilité de reconnaître un enfant naturel (Civ. Anvers, 6 mai 1992, Rev. gén. dr. civ., 1993, 77, à propos
du droit turc; Civ. Bruxelles, 16 décembre 1992, Pas., 1993, III, 3, à propos du droit marocain;
29 juin 1994, Rev. trim. dr. fam., 1996, 231, note S. SAROLÉA, même motif) ou celle d'adopter un
majeur (Civ. Gand, 5 mars 1992, R. W., 1992-1993, 1099, à propos du droit néerlandais; Civ. Anvers,
25 mars 1997, Tijds. Not., 1997, 538, note K. LAMllEIN, à propos du droit roumain). Comp. en sens
contraire : Civ. Bruxelles, 21 décembre 1994, Pas., 1994, lll, 50, ne voyant pas de contrariété à l'ordre
public dans le droit italien qui interdit l'adoption d'un enfant naturel ; Bruxelles, 30 mai 2000, Rev.
trim. dr. fam. (2002), 476, statuant de même à propos de l'impossibilité d'adopter un majeur. La
Cour de cassation a rejeté fermement l'argument d'incompatibilité avec l'article 8 de la Conven-
tion, à propos de l'interdiction d'adoption de majeurs selon le droit moldave (10 avril 2003, Carau-
leanu, Rev. dr. ULg, 2004, 569, note F. CoLLJENNE, Tijds. Not., 2004, 568, note F. BoucKAERT, Rev. trim.
dr.fam., 2004, 180).
En France, voy. spécialement: Cass. civ., 24 février 1998, Vialaron, j.C.P. (1998), II, 10175, note
Th. VIGNAL, D.5. (1999),J, 309, note). THIERRY, C/unet (1998), 730, note E. KERCKHOVE.
1111Certaines codifications font référence aux droits fondamentaux. Voy. : l'article 20 de la Conven-
tion de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l'enlèvement international d'enfants :
« le retour de l'enfant[ ... ] peut être refusé quand il ne serait pas permis par les principes fondamen-
taux de l'État requis sur la sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales» (cet
instrument ne comporte cependant pas de règle de rattachement).
En Allemagne, l'article 6 EGBGB précise que le résultat de l'application du droit étranger est
incompatible avec les principes fondamentaux du droit allemand lorsque, notamment, cette appli-
cation « est inconciliable avec les droits fondamentaux». Cette formulation intègre la problémati-
que des droits fondamentaux dans le mécanisme de l'exception d'ordre public, non sans combiner
cette méthode avec celle de l'adoption de clauses spéciales d'ordre public, à la suite de la jurispru-
dence du Tribunal constitutionnel, en matière de mariage (art. 13, § 2, incompatibilité avec la
liberté de contracter mariage; art. 17, § 1e,, incompatibilité d'une loi ne permettant pas de pronon-
cer le divorce).
IllComp., en droit communautaire, la référence de la Cour de justice à la notion d'opération éco-
nomique « objectivement illicite », aux fins de la détermination d'une marchandise hors com-
merce, cette définition devant nécessairement s'entendre au moyen d'un critère qui ne soit pas
propre à l'État membre qui entendrait entraver la circulation du bien pour le motif qu'il est hors
commerce en fonction du droit national. Voy. notamment : C.J.C.E., aff. C-324/93, 28 mars 1995,
Evans & Macfarlan, ~ec. (1995), 1-563.

7.49 - Ordre public et droit communautaire - Le droit communautaire est de nature à


exercer une influence sur la mise en œuvre de l'exception d'ordre public en matière de
conflits de lois.
1111Sur ce thème, voy. : B. BASEDOW, « Recherches sur la formation de l'ordre public européen dans
la jurisprudence», Mélanges Lagarde (Paris, Dalloz, 2005), 55-74; M. FALLON,« Les conflits de lois et
de Juridictions dans un espace économique intégré - L'expérience de la Communauté
européenne», Recueil des cours, vol. 253 (1995), 145 et s.; C. FAULEN!lACH, Der gemeinschaftsrechtliche
Vorbehalt im europaïschen Wettbewerbsrecht (Frankfort, Lang, 2004), 293 p. ; S. POILLOT-PERUZZETTO,
« Ordre public et droit communautaire», D.S. (1993), C, 177-182; ID.,« Ordre public et lois de
police dans l'ordre communautaire», Trav. Comité fr. dr. int. pr. 2002-2003 (Paris, Pédone) ; F. RIGAUX,
« Les concepts indéterminés en droit international privé et en droit communautaire», Mélanges Co/-
laça (Lisbonne, Almedina, 2002), 623-647.
Dans un premier sens, le droit communautaire peut constituer un ordre juridique
de référence. Comme l'ordre public du droit international, l'ensemble des dispositions
320 L'APPLICATION DU DROIT ÉTRANGER

du droit communautaire qui ont une force obligatoire s'imposent à l'État et à ses juridic-
tions. Il peut arriver, en matière civile ou commerciale, que le droit d'un État membre que
le juge d'un autre État membre doit normalement appliquer en vertu de sa norme pri-
maire soit inconciliable avec de telles dispositions. Ce juge est alors conduit à déclarer
inapplicable la norme étrangère contraire au droit communautaire, afin d'éviter le risque
d'un recours en manquement contre son propre État pour violation du droit commu-
nautaire.
Ill L'incompatibilité peut exister avec le droit primaire (les traités fondateurs) ou avec le droit
dérivé (directive ou règlement).
Par exemple, celle règle matérielle entrave la production ou la commercialisation d'une marchan-
dise, ou une prestation de services, en matière de contrat de consommation (contrariété aux
articles 28 ou 49 CE), ou établit une discrimination sexuelle en matière de contrat de travail (con-
trariété à l'article 141 CE). Ou encore, elle viole un droit fondamental commun aux États membres,
à l'instar de ceux que protège la Convention européenne de sauvegarde. C'est ce qu'a estimé, par
exemple, la Cour de justice à propos de la réserve de propriété. Voy.: C.J.C.E., aff 17/61, 13 juillet
1962, Klockner-Werke, Rec. (1962), 615.
La contrariété à une directive peut avoir pour source l'absence de transposition ou une transposi-
tion incorrecte, dans le délai imparti, par l'État membre étranger dont le droit est désigné par la
norme primaire du for. Cette hypothèse s'est présentée aux tribunaux allemands à propos de la
directive 85/577 du 20 décembre 1985 relative aux contrats négociés en dehors des établissements
commerciaux, dans les affaires dites des « Grandes Canaries ». Sur ce thème, voy.notamment: P.
LAGARDE, « Heurs et malheurs de la protection du consommateur dans l'Union européenne»,
Mélanges Ghestin (Paris, Dalloz, 2001), 511-526; KEGEL et ScHURIG, Internationales Privatrecht
(Munich, Beck, 2000), 539.
1111Ces hypothèses doivent être distinguées, techniquement, de celle où c'est la norme primaire du
for qui est contraire au traité CE ou au droit dérivé, par exemple quand le facteur de rattachement
opère une discrimination en raison de la nationalité inconciliable avec l'article 12 CE. Voy. supra,
n ° 3.15.
Comp. le cas où, devant le juge requis, reproche est fait au juge d'origine d'avoir mal appliqué les
règles communautaires sur la circulation des marchandises, par exemple à propos d'un jugement
de condamnation à des dommages et intérêts pour violation de droits de propriété intellectuelle :
C.].C.E., aff C-38/98, 11 mai 2000, Renault, Rec. (2000), I-2973, Revue (2000), 497, note H. GAUDE-
MET-TALLON, estimant toutefois que le moyen de l'ordre public national n'avait pas à justifier un
refus de reconnaissance, le droit communautaire disposant d'un arsenal suffisant de recours juri-
dictionnels à l'égard des autorités de l'État d'origine.
1111Sont aussi différentes les hypothèses dans lesquelles le juge national est appelé à vérifier la com-
patibilité du comportement de particuliers avec des règles impératives ou d'ordre public ayant une
source communautaire.
Voy. notamment la nécessité pour un contrat international de respecter les dispositions de
l'article 81 CE en tant que constitutif d'un ordre public communautaire intégré à l'ordre public
national-. au sens de l'ordre public contractuel précité, n ° 7.41 - : C.J.C.E., aff C-126/97, 1er juin
1999, Eco Swiss China Time, Rec. (1999), I-3055, Clunet (2000), 299, note S. POILLOT-PERUZZETIO.
1111Sur ce que le droit communautaire même se doit de respecter l'ordre public de droit internatio-
nal, tel notamment qu'exprimé dans la Convention européenne de sauvegarde, voy., à propos de
l'efficacité des jugements dans le contexte de l'Union européenne (infra, n° 10.22): C.J.C.E., aff C-
7/98, 28 mars 2000, Krombach, Rec. (2000), I-1935, Revue (2000), 481, note H. Mum WATT.
Dans un second sens, le droit communautaire est en mesure d'influencer la mise en
œuvre de l'exception d'ordre public étatique. En effet, permettant d'écarter l'application
du droit étranger au bénéfice, le cas échéant, du droit du for, l'exception peut conduire à
soumettre l'opérateur économique au droit du pays d'accueil par opposition au droit du
pays d'origine (sur cette distinction, voy. supra, n ° 7.45). Si une entrave au commerce
L'ÉVICTION DU DROIT ÉTRANGER PAR L'EXCEPTION D'ORDRE PUBLIC 321

devait en découler - pour le motif par exemple que le premier comporte une interdiction
que ne prévoit pas le second-, cette entrave ferait l'objet du contrôle que permet plus
généralement le régime de liberté de circulation (voy. supra, n ° 2.28).
Comp. un cas où l'applicabilité d'une règle du for basée sur l'exception d'ordre public ne fut pas
Ill!
considérée comme violant ce régime: C.J.C.E., aff. 15/78, 24 octobre 1978, Koestler, Rec. (1978),
1971, à propos d'une règle allemande s'opposant à la récupération d'une créance fondée sur une
dette de jeu.

111!La Cour de justice hésite cependant à établir une définition autonome du contenu de l'ordre
public national. Une chose est de définir ce contenu, ce qui relève de la compétence de l'État, autre
chose d'en fixer les limites, qu'il appartient au droit communautaire de déterminer. Voy. par exem-
ple les termes prudents de: C.J.C.E., aff. C-377/98, 9 octobre 2001, Pays-Bas c. Parlement européen et
Conseil, Rec. (2001), I-7079, admettant qu'une directive permette la faculté pour l'État d'invoquer
l'ordre public dans certaines conditions sans en définir pour autant le contenu, variable en fonc-
tion des particularités socio-culrurelles de l'État.

7.50 - L'ordre public étranger - Lorsque l'ordre public invoqué devant un juge n'est
pas l'ordre public du droit international ni l'ordre public du for, mais celui d'un État
étranger, le droit désigné par la règle de rattachement peut-il être écarté pour ce motif?
La question se pose logiquement lorsque la désignation du droit applicable repose
sur une règle étrangère de droit international privé, par exemple en vertu de la théorie du
renvoi ou de la théorie des droits acquis (voy. supra, chap. 6), puisque ces techniques, en se
référant aux solutions étrangères de conflit de lois, englobent normalement l'ensemble
des procédés de mise en œuvre de ces solutions. L'affirmative comporte pourtant le ris-
que d'une atteinte à la cohérence institutionnelle du système du for, notamment lorsque
le droit dont l'application devrait être écartée est, dans l'hypothèse du renvoi, le droit
matériel de la lex fori. On peut y voir un argument supplémentaire contre la technique du
renvoi.
1111 Dans la doctrine française, qui évoque à cet égard« l'effet réflexe de l'ordre public [du for]», voy.
notamment: BATIFFOL et LAGARDE, n° 366, qui limitent strictement l'effet réflexe aux deux hypo-
thèses précitées ; LOUSSOUARN et BOUREL, n ° 262.

La référence à l'ordre public étranger peut encore se concevoir lorsqu'elle conforte


une politique d'ordre public du législateur du for. En ce cas, elle permet, notamment, de
prévenir un risque de discrimination résultant du jeu unilatéral de l'exception d'ordre
public.
1111Ainsi, certaines clauses spéciales d'ordre public du Code belge de droit international privé bila-
téralisent le critère de l'intensité du rattachement. Outre la répudiation (art. 57, dans le contexte de
la technique de la reconnaissance de décisions étrangères, infra, n° 12.95), c'est le cas à propos du
mariage de personnes de même sexe (voy. infra, n ° 12.46).

Dans un contexte distinct du contexte formel de l'exception d'ordre public, les inté-
rêts étatiques étrangers peuvent être pris en considération par le juge saisi lorsque celui-ci
est amené à donner effet à une règle impérative ou d'ordre public étrangère assortie d'une
règle directe d'applicabilité (voy. supra, n ° 4.15). Or, la mise en œuvre de l'exception
d'ordre public et l'élaboration d'une telle norme par le législateur ne sont pas sans rela-
tion entre elles (voy. infra, n ° 7.42).
111 Voy. en ce sens la prise en considération de « l'ordre public étranger» selon BUCHER et BoNOMI,
n ° 507 et s.
322 L'APPLICATION DU DROIT ÉTRANGER

B. Critères d'appréciation de l'ordre public étatique


7.51 - Relativité de l'ordre public étatique - Quand l'exception d'ordre public est moti-
vée par l'incompatibilité du droit étranger avec une politique législative nationale, il y a
lieu de mettre en balance la nature de l'effet réclamé et l'intensité du rattachement de la
situation à l'ordre juridique de référence afin de prévenir toute érection des valeurs du for
en valeurs absolues. Le juge saisi n'a pas à évaluer le droit étranger au regard de ses pro-
pres critères comme si ceux-ci constituaient une référence absolue, mais il doit vérifier la
compatibilité avec l'ordre public des seuls effets juridiques que produira la règle étran-
gère si elle vient à être déclarée applicable.
Cela fait toute la différence entre l'exception d'ordre public de la doctrine contemporaine et la
1111

conception plus légaliste qui avait cours au XIX' siècle. À cette époque, les auteurs avaient tendance
à reconnaître à certains principes du droit étatique une valeur absolue telle qu'il ne pouvait être
dérogé à aucun de ces principes en vertu du système de conflit de lois. L'institurion de la monoga-
mie était volontiers rangée au nombre de ces principes. L'acception fonctionnelle contemporaine
de l'exception a permis, au contraire, de reconnaître certains effets à la polygamie.
Cette relativité, qui suppose une évaluation au cas par cas, laisse un large pouvoir
d'appréciation au juge.
Ill L'organe du ministère public, aussi, jouit d'une telle marge d'appréciation. Il ne veille pas ici au
respect de l'ordre public interne, mais il fait jouer l'exception propre au droit international privé.
De même qu'en droit interne l'action d'office du ministère public est réservée aux atteintes les plus
graves portées à l'ordre public, il n'est pas recevable à agir dans tous les cas où, saisi à l'initiative des
parties, le juge devrait écarter l'application de la disposition étrangère. Pour justifier l'action
d'office, l'atteinte portée à l'ordre public doit être particulièrement caractérisée. On peut se référer
ici à la notion d'application « manifestement» incompatible avec l'ordre public, retenue par le
législateur belge ou par plusieurs conventions internationales (supra, n ° 7.38).
Sur le droit d'action du ministère public en droit international privé, voy. : F. R.rGAUX, note sous
Bruxelles, 18 février 1960, Revue (1960), 581-585, et, pour une application correcte de la solution
proposée: Civ. Bruxelles, 21 mai 1966,J.T (1966), 653.
Toutefois, la doctrine s'est efforcée de canaliser cette appréciation, en suggérant
deux types de critères, qui portent respectivement sur la nature des effets invoqués et sur
le degré d'intensité du rattachement de la situation avec l'ordre juridique de référence. De
plus, il arrive que le législateur formalise l'appréciation dans des matières particulières,
aux fins d'assurer la sécurité juridique, au moyen de clauses spéciales d'ordre public posi-
tif.
7.52 - Critère de la nature et de l'étendue des effets réclamés - L'évaluation des effets
réclamés en fonction de leur nature implique une différenciation selon le degré d'agressi-
vité du point de vue des principes du droit du for.
Ill!Ainsi, à propos de la polygamie, on peut distinguer les effets admissibles, tels le droit aux ali-
ments, à des dommages et intérêts en cas de décès accidentel du conjoint, la vocation successorale
ou la légitimité des enfants issus de l'union polygamique, d'effets auxquels l'exception d'ordre
public ferait obstacle: on ne saurait admettre, par exemple, que le mari polygame contraigne ses
épouses ou l'une d'elles à la vie commune dans des conditions qui seraient incompatibles avec la
conception occidentale de la dignité de la femme.
Cette approche fonctionnelle de l'exception d'ordre public a été retenue par la Cour de cassation de
Belgique, malgré sa conception d'un ordre public positif, dans l'arrêt ]osi I, du 2 avril 1981 (Pas.,
1981, I, 835, Rev. crit. jur. belge, 1983, 499, note F. RrGAUX), ne voyant pas d'incompatibilité dans
l'article 171 du Code civil français qui admet le mariage posthume, pour les besoins d'une action
en responsabilité civile, pour le motif que « le juge ne doit vérifier la compatibilité avec l'ordre
public international que des seuls effets juridiques susceptibles d'être produits par la règle du droit
L'ÉVICTION DU DROIT ÉTRANGER PAR L'EXCEPTION D'ORDRE PUBLIC 323

étranger déclarée applicable». Voy. aussi, sur le critère de l'effet: Bruxelles, 22 décembre 1995, Alg.
Jur. Tijds. (1995-1996), 488, note K. LAMBEIN.

Pareille différenciation peut aussi varier en fonction du type de collaboration que les
autorités et les juridictions d'un État sont invitées à apporter à l'application du droit
étranger, selon qu'elles sont appelées à constituer une relation juridique ou à se pronon-
cer seulement sur les effets d'une relation constituée à l'étranger. Dans le second cas,
l'ordre public doit recevoir un « effet atténué».
1111 Par exemple, ce n'est pas la même chose de prononcer un divorce ou de statuer sur une action
en recherche de paternité que de reconnaître quelque effet à un divorce déjà admis ou à une filia-
tion déjà établie à l'étranger.
La polygamie offre un autre exemple de la même problématique : les tribunaux belges et français ne
refusent pas tout effet à l'union polygamique régulièrement célébrée à l'étranger conformément au
statut personnel des intéressés. Ainsi, la deuxième épouse d'un étranger polygame n'est pas privée
en France du droit de réclamer des aliments à son mari (Cass. civ., 28 janvier 1958, Krieff c. Che-
mouni, Revue, 1958, 110). La qualité <l'ayant droit en matière de sécurité sociale a également été
reconnue (Cass. civ., 8 mars 1990, Meguellati, Revue, 1991, 694, note ÜÉPREZ, seule une épouse rési-
dant en France). Pour la jurisprudence belge, voy. infra, n ° 12.45. En revanche, il faudra juger con-
traire à l'ordre public qu'un étranger puisse se prévaloir de son statut personnel pour conclure sur
le territoire d'un État pratiquant la monogamie une deuxième union avant la dissolution de la pre-
mière.

La solution proposée s'explique par la théorie des droits acquis (voy. supra, n ° 6.38)
et non par la distinction entre une question préalable et une question principale (voy.
supra, n ° 6.30). Il est faux que le premier type de question justifierait une intervention
atténuée de l'exception d'ordre public.
1111Par exemple, si l'union polygamique a été célébrée en Belgique ou en France, il paraît contraire à
l'ordre public de lui reconnaître quelque effet juridique que ce soit. li importe peu que la question
de validité du mariage soit soulevée à titre principal ou à titre préalable : dans le premier cas, la
solution correcte est l'annulation du mariage conclu devant un officier de l'état civil, dans le
second le rejet de l'action alimentaire, motivé par la réponse négative donnée à la question préala-
ble de validité du mariage.
Inversement, le mariage régulièrement contracté à l'étranger (voy. Civ. Bruxelles, 18 décembre
2001, Rev. trim. dr.fam., 2004, 312, note M. FALLON) conformément au statut personnel des époux
produit certains effets dans un pays qui pratique la monogamie et on ne saurait en poursuivre la
nullité par la voie d'une action principale pour le motif que la réaction de l'exception d'ordre
public est plus vigoureuse à l'égard du droit étranger appliqué à la question principale qu'à l'égard
de celui qui délimite seulement l'hypothèse de la règle de droit appliquée par le juge.

7 .53 - Critère de l'intensité du rattachement de la situation avec l'ordre juridique de


référence - L'éviction du droit étranger normalement compétent ne dépend pas seule-
ment de la nature et de l'étendue des effets réclamés, il faut aussi mesurer l'intensité du
rattachement au droit du for, c'est-à-dire les liens plus ou moins étroits qui unissent la
situation litigieuse à l'État dans lequel l'exception d'ordre public est mise en œuvre.
1111La théorie de l'intensité du rattachement, qui trouve son origine chez Kahn (précité n ° 7.37) est
généralement admise en Allemagne et en Suisse (Inlandsbeziehung ou Binnenbeziehung). Voy.
notamment: BUCHER et BONOMI, n ° 491. Elle a été critiquée par P. LAGARDE, précité n ° 7.32), 55-73.
BATfFFOL et LAGARDE (n ° 359-360) l'évoquent comme une explication possible de la jurisprudence
française, qui prend en compte, en matière de statut personnel, l'existence de la nationalité fran-
çaise, tout en estimant que, en présence de certains droits fondamentaux, un tel critère ne devrait
pas jouer nécessairement. Voy. encore depuis lors, P. LAGARDE, « La théorie de l'ordre public inter-
national face à la polygamie et à la répudiation - L'expérience française», Mélanges Rigaux (Bruxel-
les, Bruylant, 1993), 263-282.
324 L'APPLICATION DU DROIT ÉTRANGER

Une forte intensité du rattachement de la situation au droit du for peut entraîner un


renforcement des exigences de l'ordre public.
IllAinsi, en reprenant l'exemple de la polygamie, il faut se demander si certaines circonstances pro-
pres à la situation particulière ne justifient pas une éviction plus rigoureuse du droit étranger. Il est
assez fréquent aujourd'hui qu'un étranger de statut polygamique contracte une union civile avec la
ressortissante d'un pays où la monogamie est de règle. Par exemple, un Marocain épouse une Fran-
çaise à Paris. Même si l'épouse a acquis la nationalité de son mari, on pourrait juger contraire à
l'ordre public de reconnaître en France les effets d'une deuxième union conclue par l'intéressé dans
son pays.
La difficulté suscitée par un cas de polygamie soumis à la Cour de cassation de France n'est correc-
tement résolue que par la théorie de l'intensité du rattachement. L'espèce était relative au mariage
civil conclu en 1954 à Lyon par deux Français de religion musulmane, nés en Algérie. Après l'indé-
pendance de l'Algérie, le mari acquiert la nationalité algérienne et contracte dans ce pays une
deuxième union en vertu de son statut de polygamie. Dans un arrêt du 17 février 1982, la première
chambre civile de la Cour de cassation n'écarte pas a priori tout effet en France de cette deuxième
union. Les questions que se pose sur cette affaire Y. LEQUETIE (note Revue, 1983, 275) reçoivent une
réponse adéquate si, grâce à la théorie de l'intensité du rattachement, on refuse à un étranger de se
prévaloir en France des effets d'une union polygamique quand le premier mariage a été conclu en
France sous le statut monogamique commun aux deux époux, à cette époque Français.
Voy. encore en France: Cass. civ., 10 février 1993, Revue (1993), 621, note]. FOYER, D.S. (1994),J, 66,
note J. MASSIP, à propos d'un droit étranger prohibant l'établissement du lien de filiation à l'égard
d'un Français résidant en France.
Voy. en Belgique: Civ. Bruxelles, 20 novembre 1990,J.T (1991), 283, Rev. dr. étr. (1990), 351, note
M.-C. FoBLETS, à propos d'une union polygamique dont la première célébration affectait un con-
joint belge, ensuite divorcé; 17 novembre 1992, ].L.M.B. (1994), 1437, à propos d'une seconde
union célébrée en Belgique.
Voy. encore, en matière d'aliments après divorce: Bruxelles, 15 janvier 2002,].T (2003), 55: l'appli-
cation de la loi nationale commune des parties, ignorant l'attribution d'aliments, est écartée pour
le motif que la vie commune avait duré plus de quarante ans en Belgique et que la femme, résidant
en Belgique, risquait d'être laissée à charge de la société.
Pour un refus d'appliquer le droit marocain qui ignore le droit de la mère d'intenter l'action en
contestation de paternité, en raison de la résidence des parties en Belgique, voy. : Civ. Bruxelles,
26 février 1997, Pas. (1996), III, 40.

111Un autre raisonnement consiste à soumettre l'admissibilité de l'union polygamique à un ratta-


chement cumulatif, ce qui implique la nullité du mariage lorsque le droit national de la femme
connaît le statut monogamique. Voy. en ce sens: Cass. civ., 24 septembre 2002, ].C.P. (2002), II,
10007, note A. DEVERS, Revue (2003), 271, note B. BouRDELOIS, voyant un empêchement bilatéral
lorsque la seconde épouse est française, même lorsque le second mariage a été célébré à l'étranger.
Cette approche rigide ne répond pas au cas où la Française est la première épouse.

Une faible intensité du rattachement permet aussi d'assouplir les exigences de


l'ordre public.
1111Ainsi, dans la matière des nationalisations, le critère, tel qu'il paraît appliqué en Allemagne,
modalise la mise en œuvre de l'exception d'ordre public et en atténue les effets, en les restreignant
aux situations présentant avec l'État du for un lien suffisant pour justifier l'éviction du droit étran-
ger normalement compétent. Ce lien peut résulter, par exemple, de la nationalité ou du domicile
du propriétaire du bien exproprié. Inversement, dans un cas où le stock de cuivre faisant l'objet du
litige avait seulement été confié à une entreprise allemande de raffinage, le tribunal de Hambourg a
estimé que la présence occasionnelle du cuivre sur le territoire allemand n'établissait pas un lien
suffisant pour déclencher la mise en œuvre de l'exception d'ordre public: les tribunaux allemands
n'ont pas à faire valoir leur conception de l'ordre public pour se prononcer sur la propriété d'un
bien que personne ne prétend détenir en Allemagne en qualité de propriétaire (LG Hambourg,
22 janvier 1973, Sociedad minieraEl Teniente SA., I.L.M., 1973, 215).
L'ÉVICTION DU DROIT ÉTRANGER PAR L'EXCEPTION D'ORDRE PUBLIC 325

La jurisprudence d'autres pays continentaux, notamment en France et en Italie, s'est référée à


l'exception d'ordre public pour refuser de reconnaître les droits acquis à l'étranger en vertu d'une
expropriation qui n'avait pas été accompagnée d'une indemnité suffisante. En France en particu-
lier, l'article 545 du Code civil sert d'étalon de mesure de l'ordre public et pousse la jurisprudence à
exiger une indemnité. Voy. les références dans F. RIGAUX, Droit public et droit privé, §§ 118-123.
Selon l'article 545, « Nul ne peut être contraint de céder sa propriété, si ce n'est pour cause d'utilité
publique, et moyennant une juste et préalable indemnité».
Ill Pour un exemple intéressant d'assouplissement de la notion d'ordre public, explicable notam-
ment par la théorie de l'intensité du rattachement, voy. : C.E., 9 juillet 1986, B.M. c. État belge, Rev. dr.
étr., n° 40 (1986), 104.
Comp. une utilisation du critère de l'intensité du rattachement en matière d'efficacité des juge-
1111

ments étrangers, à propos d'un acte de répudiation, infra, n° 12.95.

7.54 - Formulation de clauses spéciales d'ordre public positif-Afin de préserver la


sécurité juridique, il arrive que le législateur énonce une« clause spéciale d'ordre public»,
dans des matières particulièrement sensibles ou donnant lieu à un contentieux abon-
dant.
Une telle clause tend à identifier l'importance de la nature de l'effet en cause et à for-
maliser le critère de l'intensité du rattachement.
Pour une présentation de la clause spéciale d'ordre public, voy. BATIFFOL et LAGARDE, n ° 359.
11111

Ainsi, en Allemagne, il est dérogé à la règle de rattachement relative au divorce lorsque la loi étran-
gère désignée ne permet pas de prononcer le divorce, si le demandeur est allemand (art. 17, § ier,
EGBGB). En matière de mariage, si le refus de célébration édicté par la loi étrangère applicable est
« incompatible avec la liberté de contracter mariage», la loi allemande est désignée si, notamment,
l'un des fiancés est allemand ou réside en Allemagne (art. 13, § 2, EGBGB).
En Suisse, BUCHER et BONOMI, n° 5 484 et s., classent de telles clauses sous le vocable de « règles
d'ordre public», par exemple l'article 34, § 1er, LDIP soumettant la jouissance de droits civils à la
loi suisse. De même, l'article 77 LDIP soumet au droit suisse les conditions de l'adoption pronon-
cée en Suisse, mais non sans prendre en considération le risque d'un refus de reconnaissance de la
décision suisse dans l'État de la nationalité du ou des adoptants.
Le Code belge de droit international privé prévoit plusieurs clauses de ce type, sous
des formulations diverses. En matière de divorce, la clause assure l'applicabilité de la loi
belge à l'admissibilité, sans référence au critère de l'intensité du rattachement (art. SS,
§ 3), mais un telle intensité découle normalement du jeu de la règle de compétence inter-
nationale. En matière d'adoption, l'application subsidiaire du droit belge est possible
lorsque la loi étrangère désignée ne permet pas l'adoption alors que la situation a des
liens« manifestement étroits» avec la Belgique (art. 67, al. 2, voy. infra, n ° 12.122). C'est à
propos du mariage de personnes de même sexe que la technique apparaît le plus
explicitement : la loi étrangère est écartée si le droit de l'État de la nationalité ou de la
résidence de l'un des époux permet un tel mariage (art. 46, al. 2, voy. infra, n ° 12.46).
Ainsi, la nationalité et la résidence d'une seule des parties servent, alternativement, à con-
crétiser un lien jugé suffisamment intense avec un pays qui, admettant le mariage de per-
sonnes de même sexe, est considéré par le fait même inclure cet élargissement de
l'institution dans la notion d'ordre public.
La répudiation, traitée par le biais du mécanisme de la reconnaissance des décisions (art. 57),
1111

donne également lieu à une formalisation analogue, avec une explicitation de l'intensité du ratta-
chement.
En matière d'adoption, l'ancien article 344, § 1er, C. civ. organisait aussi l'applicabilité de la loi
!Ill
belge à l'égard d'un adopté mineur, en présence d'éléments précis de rattachement au territoire
belge.
326 L'APPLICATION DU DROIT ÉTRANGER

Le recours à ce type de clause doit rester marginal, afin de ne pas ruiner l'approche
fonctionnelle de l'exception d'ordre public. Un autre moyen consiste à utiliser une règle de
rattachement de caractère substantiel, formulée de manière alternative (voy. supra, n ° 3.59).

C. Effet de l'éviction du droit étranger


7.55 - Critique de l'effet de substitution du droit du for - Dans la plupart des cas, la
seule éviction de la disposition du droit étranger déclaré applicable en vertu de la règle de
conflit de lois suffit à donner satisfaction à l'exception d'ordre public.
1111Ainsi, l'action du deuxième conjoint d'un polygame est rejetée, la mère est autorisée à intenter
l'action en contestation de paternité, etc.

Il n'y a pas lieu, comme le fait généralement la doctrine, d'affirmer que le droit
interne du for se substitue d'office au droit étranger normalement compétent. Non seule-
ment, comme on vient de le voir, cette application subsidiaire du droit du for n'est pas
toujours requise, mais là où la seule éviction de la disposition étrangère contraire à
l'ordre public créerait une lacune, il est parfois possible - et il paraît préférable - de
combler celle-ci par l'application d'une autre disposition du droit étranger auquel la
règle de conflit a donné compétence. L'éviction est ainsi limitée à ce qui est indispensable.
Ill!Ainsi, après avoir écarté l'imprescriptibilité prévue par la loi de l'obligation comme contraire à
l'ordre public du for, il y a lieu de choisir la règle de droit déterminant le délai de prescription
auquel est soumise l'action. Le Reichsgericht a cassé la décision qui, après avoir écarté l'article 119,
alinéa 5, du Code des obligations suisse, avait appliqué une prescription brève du droit du for, alors
qu'il aurait fallu combler la lacune par l'interprétation du droit étranger compétent ou, à tout le
moins, en appliquant la disposition allemande « la plus proche de l'esprit du droit étranger » (RG
19 décembre 1922, RGZ 106, 85).
Sur les controverses qu'a suscitées l'arrêt du 19 décembre 1922, voy.: F. R:rGAUX, La théorie des qualifi-
cations en droit international privé (Bruxelles, Larcier, 1956), n ° 287.
1111Certaines codifications nationales contiennent une référence à l'effet de substitution du droit
du for. Voy. : en Autriche,§ 6 LDIP; en Hongrie, § 7 LDIP; Code de la famille du Sénégal, art. 851 ;
en Turquie, art. 5 LDIP. En Italie en revanche, l'article 16, § 2, LDIP commande l'application de« la
loi que déterminent les autres critères de rattachement éventuellement prévus pour la même hypo-
thèse normative. À défaut, la loi italienne s'applique».

En Belgique, le Code de droit international privé consacre la solution proposée, en ne


prévoyant l'application de la loi belge qu'en ordre subsidiaire, après constat de l'impossi-
bilité d'appliquer« une autre disposition pertinente» du droit étranger (art. 21, al. 3).
1111La jurisprudence belge n'est pas toujours attentive à la nécessité de limiter l'éviction à ce qui est
indispensable. Trop souvent, la mise en ~uvre de l'exception conduit à une désignation catégori-
que de la loi belge. Voy. par exemple: Civ. Bruxelles, 26 février 1997, Pas. (1996), III, 40, appliquant
la loi belge, non seulement à la question de savoir si la mère peut agir en contestation de paternité,
mais également à la détermination du délai de prescription.

Ainsi, le droit étranger n'est pas nécessairement appliqué dans son intégralité,
comme il le serait dans son pays d'origine, mais il fait l'objet, dans l'État du for, d'une
adaptation. Cette observation confirme que le droit des conflits de lois a moins pour
objet de réduire un conflit abstrait que de conduire les organes du for à résoudre une
situation internationale de la manière la plus appropriée du point de vue de la !ex fori.
TITRE4

DROIT JUDICIAIRE
INTERNATIONAL
CHAPITRE 8

SOURCES RELATIVES
AUX CONFLITS D'AUTORITÉS
ET DEJURIDICTIONS
8.1 - Bibliographie générale
a) Ouvrages généraux
G. BORN et D. WESTIN, International civil litigation in the United States courts (Deventer, Kluwer, 1996);
H. BORN et M. FALLON,« Droit judiciaire international - Chronique de jurisprudence »,].T (1983),
181-188, 197-225, 229-235, (1987), 457-463, 473-485, 493-499, (1992), 401-422, 425-439, avec
J.-L. VAN BoxsTAEL, Coll. Dossiers du Journal des tribunaux (Bruxelles, Larcier, 2001); S. GRUBBS,
International civil procedure (La Haye, Kluwer, 2003); T. HARTLEY, Civil]urisdiction andjudgments (Lon-
don, Sweet & Maxwell, 1985) ; P. JENARD et M. WESER, Droit international privé belge et droit convention-
nel international - Conflits de ;uridictions (Bruxelles, Bruylant, 1985) ; MAX PLANCK INSTITUT FÜR
AusLANDISCHES UND INTERNATIONALES PRIVATRECHT, Handbuch des Internationalen Zivilverfahrensrecht,
Tübingen, Mohr, 1982) ; G. MORELLI, Diritto processuale internazionale (Padova, 2e éd., 1954); E. RIEZ-
LER, Internationales Zivilprozessrecht (Berlin, Tübingen, 1949).

b) Droit conventionnel et communautaire


R. BARENTS, EG-Executieverdrag (Deventer, Kluwer, 2000) ; P. BYRNE, The EEC Convention on jurisdiction
and the enforcement ofjudgments (Dublin, Round Hall Press, 1990); L. CALVO CARAVACA, Comentario al
convenio de Bruselas relativo a la competencia judicial y a la ejecucion de resoluciones judiciales en materia civil
y mercanti/ (Madrid, Bol. Ofic. Est., 1994); M. CARPENTER, M. HAYMANN et P. VOLKEN, The Lugano and
San Sebastian Conventions (Londres, Butterworths, 1990); H. DE CocK, Etudes sur la Convention franco-
belge du 8 juillet 1899 (Bruxelles, Goemaere, 1912); G. DE LEVAL et M. STORME (dir.), Le droit processuel
et judiciaire européen (Bruges, La Charte, 2003) ; Y. DoNZALLAZ, La Convention de Lugano du 16 septembre
1988 concernant la compétence ;udiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale (Berne,
Stampfli, 3 vol., 1996, 1997, 1998); G. DRoz, Compétence judiciaire et effets des jugements dans le Marché
commun (Paris, Dalloz, 1972); H. DUINTJER TEBBENS e.a. (dir.), Compétence ;udiciaire et exécution des
décisions en Europe (Londres, Butterworths, 1993); L. FOCSANEANU, Compétence judiciaire, reconnais-
sance et exécution des décisions civiles et commerciales dans la C.E.E. (Paris, Ed. techniques, 1982) ; H. GAU-
DEMET-TALLON, Compétence et exécution des jugements en Europe (Paris, LGDJ, 2002); P. GoTHOT et
D. HOLLEAUX, La Convention de Bruxelles du 27.9.1968 (Paris, Jupiter, 1985) ; P. JENARD, La Convention
de Bruxelles du 27septembre 1968 et ses prolongements, Coll. Répert. not. (Bruxelles, Larcier, 1994);
P. KAYE, Law of the European judgments Convention (Chichester, Barry Rose Law Pub!., 1999, 5 vol.) ;
J. KROPHOLLER, Europaïsches Zivilprozessrecht (Heidelberg, Recht & Wirtschaft Ver!., 2002) ; L. MARI, Il
diritto processuale civile della convenzione di Bruxelles, I, Il sistema della competenza (Padoue, Cedam,
1999); A. MARMISSE, La libre circulation des décisions de justice en Europe (Limoges, Pulim, 2002);
A. MAYSS et A. REED, European business litigation (Aldershot, Ashgate, 1998); P. MERCIER et B. DuTOIT,
L'Europe judiciaire: les Conventions de Bruxelles et de Lugano (Bâle, Helbing, 1991) ; J. PONTIER et
330 SOURCES RELATIVES AUX CONFLITS D'AUTORITÉS ET DE JURIDICTIONS

E. BURG, EU principles on jurisdiction and recognition and enforcement of;udgments in civil and commercial
matters according ta the case law of the European Court ofJustice (La Haye, Asser Inst., 2004); P. PusTO-
RINO, « Observations sur les principes généraux opérant dans le droit international privé et pro-
cédural communautaire», R.M.U.E. (2005), 113-158; T. RAusCHER e.a. (dir.), Europdisches
Zivilprozessrecht, Kommentar (Munich, European Law Pub!., 2004); P. STONE, Civil jurisdiction and jud-
gments in Europe (Amsterdam, Longman, 1998); H. VAN HOUTTE e.a. (dir.), Europese IPR-Verdragen
(Leuven, Acco, 1997) ; Io., Het nieuwe Europese IPR: van verdrag naar verordening (Anvers, Intersentia,
2001); R. VAN HovE, De Europese executieverdragen - Brussel (1968) en Lugano (1988) (Bruges, La
Charte, 1994) ; M. WESER, Le Traité franco-belge du 8 juillet 1899 (Bruxelles, Larcier, Paris, Sirey, 1951);
ID., Convention communautaire sur la compétence judiciaire et l'exécution des décisions (Paris, Pédone,
1975).
Voy. aussi la chronique annuelle de N. WATTÉ, A. NuYTs et H. BouLARBAH,]ournal des tribunaux -
Droit européen.

8.2 - Présentation - L'élaboration de règles uniformes en matière de conflits d'autorités


et de juridictions donne une réponse adéquate aux difficultés issues du pluralisme juridi-
que en la matière, à savoir, notamment, les aléas de la communication d'actes judiciaires
à l'étranger, le risque de forum shopping, de conflits de procédures et de conflits de déci-
sions. En d'autres termes, la matière se prête mieux à l'établissement de mécanismes de
coopération interétatique que la matière des conflits de lois.
La Belgique a ratifié nombre de traités concernant les conflits d'autorités et de juri-
dictions. La plupart ont été conclus en des matières particulières, et leur liste figure dans
chacun des chapitres concernant ces matières.
Pour les matières particulières, voy. les chapitres relatifs au droit des biens (13), au droit des
1111

contrats (14) et aux obligations non contractuelles (15). Pour la matière contractuelle, il y a lieu de
distinguer en outre selon que les règles communautaires concernent les contrats en général ou des
contrats spéciaux.
Un instrument occupe une place prépondérante, en raison de l'étendue des matières
qu'il couvre et en raison de son importance pratique, liée à la circonstance qu'il est en
vigueur dans les États membres de l'Union européenne. Initialement, il a pris la forme
d'un traité international, à savoir la Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968.
Celle-ci a ensuite été convertie en un acte communautaire, par le règlement 44/2001 du
Conseil du 22 décembre 2000, dit règlement« Bruxelles I ».
1111 L'expression « Bruxelles I » s'explique du fait de l'adoption d'autres instruments ultérieurs, en
des matières particulières. Voy., en matière matrimoniale, le règlement « Bruxelles II», infra,
n° 12.79.
L'analyse qui suit porte principalement sur le règlement, la Convention de Bruxelles n'étant
1111

plus appelée qu'à jouer un rôle marginal. Dans les cas appropriés, le texte évoque encore certains
éléments de la Convention utiles à l'analyse.
Une compréhension de la portée de ces instruments nécessite à la fois un exposé des
sources, une présentation des méthodes d'interprétation et une analyse de leur domaine
d'application.
Malgré leur nombre, ces actes internationaux n'ôtent pas toute portée utile aux
règles nationales, puisque les règles communes ne font que se superposer aux règles
nationales sans s'y substituer.
ACTES LIÉS À L'UNION EUROPÉENNE 331

Section 1
Actes liés à l'Union européenne
§1 PRÉSENTATION DES ACTES « BRUXELLES 1 »
ET DE LEURS COMPLÉMENTS
8.3 - La« Convention de Bruxelles» - La Convention de Bruxelles concernant la com-
pétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale a été
signée le 27 septembre 1968 par les six pays fondateurs de la Communauté économique
européenne. Depuis lors, elle a fait l'objet de diverses adaptations aux particularités des
nouveaux États membres, non sans de notables modifications (voy. infra, n° 8.5 ; pour
une version consolidée, voy. ].O.C.E., 1998, C 27). Ces États ont signé une Convention
parallèle avec les pays membres de l'Association européenne de libre-échange, à Lugano
le 16 septembre 1988 (voy. infra, n° 8.9).
Ces traités ne sont en principe accessibles qu'aux États membres d'une de ces orga-
nisations internationales. Ainsi, la Convention de Bruxelles prévoit l'obligation pour les
nouveaux États membres de la Communauté européenne de prendre cette convention
comme base pour la négociation d'une nouvelle convention (art. 63). La Convention de
Lugano admet toutefois que des États tiers puissent adhérer, mais sur demande d'un
État contractant et à l'invitation de l'État dépositaire, après accord unanime des États
signataires et des États contractants (art. 60 et 62, § 1er, point b). Cette ouverture a per-
mis l'adhésion de la Pologne.
Ill Un premier traité avait été signé le 24 novembre 1961 entre États membres de l'Union économi-
que Benelux. À la différence de la Convention de Bruxelles, il s'étendait à la faillite et à l'efficacité
des sentences arbitrales. Il a été ratifié par le gouvernement belge et le gouvernement néerlandais
mais non par le gouvernement luxembourgeois. L'entrée en vigueur de la Convention de Bruxelles
l'a privé de toute portée dans les matières couvertes par celle-ci. Aussi, selon le quinzième rapport
commun des trois gouvernements au Conseil interparlementaire consultatif du Benelux, du
31 avril 1971, envisageait-on à cette époque l'élaboration d'un protocole additionnel à la Conven-
tion C.E.E.,« pour régler les questions que cette Convention ne traite pas, notamment celles relati-
ves à l'état des personnes» (rapport précité, p. 8). Depuis lors, le traité de 1961 « a été abandonné»,
selon]. LIMPENS, « L'unification dans les pays de Benelux», Rev. dr. uniforme (1976), 85.

8.4 - La version de base - La Convention du 27 septembre 1968 a reçu l'assentiment


des Chambres le 13 janvier 1971 (Monit., 31 mars 1971, Pasin., 1971, 19) et est entrée en
vigueur le 1er février 1973. Aux articles de la Convention s'ajoutent les articles I à VI du
Protocole qui y est annexé.
Le rapport du comité d'experts, rédigé par P. Jenard, président du groupe de travail, est un com-
i!I
mentaire autorisé de la Convention. Publié en supplément (12/72) du Bulletin des Communautés euro-
péennes et dans le journal officiel des Communautés européennes (1979, C 59), il a aussi été reproduit à la
suite de l'exposé des motifs du projet de loi d'assentiment (Doc. pari., Ch. repr., sess. 1969-1970,
n° 553-1). Ce rapport est cité communément: Rapport]enard.
Cette Convention n'est pas un acte communautaire au sens de l'article 249 du traité
CE. Plusieurs indices révèlent cependant les liens qui l'unissent au droit communautaire.
D'abord, sa signature était prévue par l'article 220 du traité CE (devenu art. 293 CE), aux
termes duquel les « États membres engageront entre eux, en tant que de besoin, des
négociations en vue d'assurer, en faveur de leurs ressortissants, [... ] la simplification des
formalités auxquelles sont subordonnées la reconnaissance et l'exécution réciproques des
332 SOURCES RELATIVES AUX CONFLITS D'AUTORITÉS ET DE JURIDICTIONS

décisions judiciaires ainsi que des sentences arbitrales». Cette filiation communautaire
explique que la signature ait été le fait des représentants des États membres réunis au
sein du Conseil des ministres, que la Communauté économique européenne en soit
l'organe dépositaire et que seuls les États membres de cette organisation puissent en faire
partie. Elle s'exprime aussi dans la détermination du domaine d'application dans l'espace
de la Convention (voy. infra, n ° 8.19), dans la définition des objectifs communs poursui-
vis (voy. infra, n° 5 8.12 et s.) ainsi que dans l'attribution d'une compétence d'interpréta-
tion à la Cour de justice des Communautés européennes (voy. infra, n ° 8.10).
llii La lecture de l'ancien article 220 du traité CE enseigne que les règles envisagées étaient censées
protéger les « ressortissants » des État membres et qu'elles ne devaient couvrir formellement que
l'efficacité des décisions, non la compétence internationale ; des négociations étaient également
prévues pour la reconnaissance des sentences arbitrales. Les travaux entrepris se sont écartés de ces
différences prévisions.

8.5 - Les versions successives - L'adhésion de nouveaux États à la Communauté éco-


nomique européenne a engendré, conformément aux prévisions de l'article 63 de la
Convention de Bruxelles, plusieurs versions modificatives. La version actuellement en
vigueur en Belgique est consécutive à l'adhésion de l'Espagne et du Portugal et a été
signée à Donostia-San Sebastian le 26 mai 1989 (J.O.C.E., 1989, L 285).
Ill Voy. la loi du 27 novembre 1996 (Monit., 8 janvier 1998). L'instrument de ratification avait été
déposé le 31 juillet 1997, prenant alors effet le 1". novembre 1997. Un tel délai entre la date de
signature et la date de ratification est regrettable puisque la première date couvre seulement l'enga-
gement de la Belgique à l'égard des autres États, non l'opposabilité du traité au justiciable. Elle per-
met de faire constater par un tribunal d'un autre État que la Belgique est un État contractant pour
les besoins de la détermination du domaine d'application de la Convention. Une déclaration com-
mune annexée prévoyait que les procédures nationales de ratification devaient avoir été achevées, si
possible, au plus tard le 31 décembre 1992 !
Ill Le rapport explicatif de MM. Almeida Cruz, Desances Real etjenard a été publié au journal offi-
ciel des Communautés européennes (1990), C 189/35. La Convention est entrée en vigueur, dans les
rapports entre l'Espagne, la France et les Pays-Bas, le ier février 1991 (J.O.C.E., 1991, L 17). Elle est
actuellement en vigueur dans l'ensemble des États de l'Union européenne, à l'exception de l'Autri-
che, de la Finlande et de la Suède (voy. ci-dessous).
IllCette version introduit des modifications substantielles au sujet du contrat de travail (voy. infra,
n° 14.165) et des baux d'immeubles (voy. infra, n° 13.4).
La Convention de San Sebastian a été précédée de deux autres Conventions d'adhé-
sion.
Ill La Convention relative à l'adhésion du Royaume de Danemark, de l'Irlande et du Royaume-Uni
de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord à la Convention concernant la compétence judiciaire et
l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, ainsi que le Protocole concernant son
interprétation par la Cour de justice, ont été signés à Luxembourg le 9 octobre 1978 (J.O.C.E.,
30 octobre 1978, L 304). Ils ont reçu l'assentiment des Chambres le 31 juillet 1986 (Monit.,
17 octobre 1986) et sont entrés en vigueur entre, d'une part, les six États fondateurs et, d'autre
part, le Danemark le 1er novembre 1986, le Royaume-Uni le 1er janvier 1987 (Monit., 1987, p. 685) et
l'Irlande le 1er juin 1988 (J.O.C.E., 1988, C 125).
Le rapport explicatif du Dr. Schlosser a été publié au Journal officiel des Communautés européennes
(1979), C 59/71.
Les modifications principales de la version de 1978 concernaient, outre certaines précisions
1111

apportées aux articles 5 (matières spéciales) et 17 (clauses de juridiction), ainsi qu'en matière
d'assurance (art. l2bis), l'introduction de règles propres aux contrats de consommation, en rem pla-
cement des anciens articles 13 à 15 (voy. infra, n ° 14.103). Voy. not. E. MEZGER, « Les grandes lignes
de la Convention du 9 octobre 1978 relative à l'adhésion du Danemark, de l'Irlande et du
ACTES LIÉS À L'UNION EUROPÉENNE 333

Royaume-Uni à la Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968 ainsi qu'au protocole concer-


nant son interprétation par la Cour de justice», Trav. Comité fr. d.i.p. (1980-1981) (Paris, C.N.R.S.,
1981), 15 et S.
La Convention relative à l'adhésion de la République hellénique à la Convention de Bruxelles a
11111

été signée à Luxembourg le 25 octobre 1982 (J.O.C.E., 1982, L 388). Elle a reçu l'assentiment des
Chambres le 31 juillet 1986 (Monit., 17 octobre 1986). Elle est entrée en vigueur à l'égard de la Bel-
gique le 1« avril 1989.
Le rapport explicatif est dû à MM. Evrigenis et Kerameus (J.O.C.E., 1986, C 298).
Cette version n'apporte aucune modification de substance à la version antérieure.
La Convention de San Sebastian est suivie d'une nouvelle version, signée à Bruxelles
le 29 novembre 1996 (J.O.C.E., 1997, C 15), en vue de l'adhésion de l'Autriche, de la Fin-
lande et de la Suède. La Belgique a cependant omis de ratifier cet instrument.
Il La Convention est entrée en vigueur le 1er décembre 1998. Elle a été ratifiée, outre par les trois
États concernés, par l'Allemagne, le Danemark, l'Espagne, la France, la Grèce, l'Irlande, les Pays-Bas
et le Portugal.
Il L'absence de ratification par la Belgique est sans portée pratique, depuis l'entrée en vigueur du
règlement 44/2001.

8.6 - Le droit communautaire dérivé et le règlement 44/2001 - Les institutions com-


munautaires sont compétentes pour adopter des actes contenant des règles relatives à la
compétence internationale ou à l'efficacité des décisions en matière civile ou commer-
ciale. Cette compétence peut reposer sur deux types de base juridique.
D'abord, le « bon fonctionnement du marché intérieur» peut exiger un rapproche-
ment des législations nationales dès qu'il est établi que des disparités sensibles sont de
nature à entraver la circulation des marchandises, des services ou des capitaux. Dans ce
cas, l'acte peut reposer sur les articles 95 CE ou 47 CE. Plusieurs de ces actes ont été adop-
tés en des matières particulières. Il est à noter que les règles de droit judiciaire internatio-
nal ne constituent qu'un objet accessoire, non l'objet essentiel, de ces actes.
1111Des dispositions sur la compétence internationale figurent par exemple dans des actes concer-
nant la protection de la propriété intellectuelle (voy. infra, n ° 13.47), les clauses abusives dans les
contrats de consommation (voy. infra, n° 14.107), le détachement international de travailleurs (voy.
infra, n ° 14.164).

Ensuite, l'extension des compétences communautaires en matière civile depuis


l'entrée en vigueur du traité d'Amsterdam le 1er mai 1999 (voy. supra, n ° 2.29) explique
l'initiative d'un formatage de la Convention de Bruxelles en un règlement 44/2001 du
Conseil du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et
l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, basé sur les nouveaux
articles 61 CE et 67 CE (J.O.C.E., 2001, L 12).
Avant l'entrée en vigueur du traité d'Amsterdam, l'article K.3 du traité de Maastricht sur
11111

l'Union européenne, du 7 février 1992, permettait au Conseil d'établir des conventions dont il
recommanderait l'adoption par les États membres. Cette disposition a été utilisée pour entrepren-
dre une révision de la Convention de Bruxelles, qui a préparé l'adoption du règlement précité. On
trouve une première trace de ces travaux dans la position de la Commission, publiée au ].O.C.E.
(1998), C 33. Les négociations ont conduit à un texte final, adopté le 30 avril 1999 et transmis au
Conseil de l'Union européenne (doc. JusTCIV 60).
Le recours à l'article 61 CE comme base juridique signifie, en termes instirutionnels, la nécessité
11111

de la procédure de l'unanimité pour l'adoption de l'acte. Toutefois, le recours à la procédure de


codécision (organisée par l'arc. 251 CE) sera possible si le Conseil en décide ainsi à l'unanimité à
l'expiration d'une période de cinq ans après l'entrée en vigueur du traité d'Amsterdam (arc. 67 CE),
334 SOURCES RELATIVES AUX CONFLITS D'AUTORITÉS ET DE JURIDICTIONS

voire même à compter du 1e,· mai 2004 comme l'y autorise désormais le traité de Nice (protocole
relatif à l'article 67). Cette habilitation a été utilisée pour certaines matières du titre IV, mais non
pour la coopération en matière civile (décision 2004/927 du 22 décembre 2004,].0.C.E., 2004, L
396).

!1!1L'emprunt de cette base juridique signifie aussi l'inapplicabilité de l'acte à certains États mem-
bres (art. 69 CE). Alors que l'Irlande et le Royaume-Uni ont cependant la faculté« de participer à
l'adoption et à l'application de la mesure » en cause (art. 3 du Protocole sur la position du
Royaume-Uni et de l'Irlande), le Danemark n'a pas la faculté d'opter pour l'applicabilité d'une
mesure ponctuelle, ne pouvant le faire que pour un ensemble de matières (Protocole sur la position
du Danemark). Par conséquent, le règlement ne pouvait pas être étendu au Danemark. Cet État
reste donc lié par la Convention de Bruxelles dans ses relations avec les autres États membres, dans
l'attente de l'adoption d'un nouvel instrument, que l'évolution des règles de conflit de juridictions
apportées par le règlement rend indispensable.

!1!1La question du choix de la base juridique appropriée a été largement discutée en doctrine. Outre
l'article 61 CE, l'article 95 CE permet l'adoption de toute mesure utile au« bon fonctionnement du
marché intérieur», ce qui n'exclut pas de soi l'adoption de règles communes de conflit de juridic-
tions, dès qu'il est établi que la disparité de ces règles entrave sensiblement la liberté de circulation.
L'hésitation d'un recours à l'article 61 CE résulte de ce qui apparaît comme une anomalie dans la
construction du texte. En effet, l'intitulé du titre IV dont relève la disposition couvre les
« politiques liées à la libre circulation des personnes », alors que le domaine du règlement paraît
excéder la problématique de la circulation des personnes. Pourtant, la relation à cette problémati-
que n'est reprise formellement par le texte qu'à propos du contrôle aux frontières extérieures, de
l'asile, de l'immigration et de la criminalité (art. 61 CE, point a), non à propos de la matière civile
(art. 61 CE, point c), et la disposition organique de la compétence en matière civile (art. 65 CE)
n'évoque pas davantage cette problématique, se contentant d'exiger que la matière concernée ait
une« incidence transfrontière » et que l'action soit« nécessaire au bon fonctionnement du marché
intérieur». Le traité de Nice n'a malheureusement pas levé l'ambiguïté.
Sur cette question, voy. la synthèse, avec les références, de Ph.-E. PARTSCH, Le droit international privé
européen: de Rome à Nice (Bruxelles, Larcier, 2003), favorable à une interprétation large des termes
du titre IV.

Le règlement 44/2001 a reçu pour prolongement un acte tendant à faciliter l'effica-


cité d'une décision rendue dans un État membre, lorsque celle-ci porte sur une « créance
incontestée» (règlement 805/2004 du 21 avril 2004, ].O.C.E., 2004, L 143, voy. infra,
n° 10.14).

L'adoption d'un acte communautaire en matière civile dans les relations entre États
membres peut entraîner une modification de la répartition des compétences législatives
dans les relations avec des États tiers. En effet, la théorie de la « préemption», selon
laquelle l'exercice par la Communauté d'une compétence partagée a pour effet de confé-
rer à cette compétence un caractère exclusif, signifie qu'après l'adoption d'un acte concer-
nant le droit judiciaire international dans une matière déterminée, la Communauté
seule, à l'exclusion des États membres, devient compétente pour négocier et conclure une
convention avec des États tiers.
!Ill Pour une application de la théorie de la préemption, voy. : C.].C.E., avis 1/94, 15 novembre 1994,
« Accord OMC», Rec. (1994), 1-5267.
!IllCette théorie a pour effet singulier d'emporter la compétence communautaire dès que le traité
comporte, fût-ce marginalement, une règle de compétence internationale. Voy. par exemple, pour
le secteur des transports suite à l'adoption du règlement « Bruxelles I », la décision 2002/971 du
Conseil du 18 novembre 2002 (J.O.C.E., 2002, L 337), autorisant l'adhésion par les États membres à
la Convention de 1996 sur la responsabilité liée au transport en mer de substances nocives (conven-
tion HNS).
ACTES LIÉS À L'UNION EUROPÉENNE 335

Ill!L'application de cette théorie a constitué un facteur de complication pour la négociation du


projet de convention de La Haye sur la compétence judiciaire et l'exécution, dite convention mon-
diale. Sur ces travaux, voy. notamment : M. TRAEST, « Eenmaking van internationaal privaatrecht :
een begripsomschrijving », TP.R. (2002), 1737-1838; A. VON MEHREN, « Drafting a convention on
international jurisdiction and the effects of foreign judgments acceptable world-wide: Can the
Hague Conference project succeed? », Am.]. Camp. L. (2001), 191-202.

8.7 - Actes communautaires particuliers - Le règlement « Bruxelles I » n'est pas une


initiative isolée. La Communauté a adopté d'autres actes en des matières particulières,
qui couvrent aussi la compétence judiciaire et l'efficacité des décisions étrangères.
Il en est ainsi, notablement, en matière matrimoniale, pour les actions concernant la
validité du mariage, le divorce, la séparation de corps et l'autorité parentale (règlement
dit « Bruxelles II», en raison de la similitude de la structure de l'acte avec celle du règle-
ment 44/2001). D'autres actes ont été adoptés en matière de faillite.
D'autres actes introduisent des règles particulières de compétence internationale, à
l'exclusion de règles sur l'efficacité des décisions, en matière de propriété intellectuelle ou
de contrats.
Ill! Pour chacun de ces actes, il est renvoyé aux chapitres traitant de ces matières.

8.8 - Actes communautaires concernant la procédure - L'adoption du règlement 44/


2001 s'est accompagnée de celle d'autres actes qui tendent à améliorer les conditions
d'accès à la justice dans le marché intérieur. Comme pour le règlement « Bruxelles I »,
elle prend pour base juridique les dispositions du titre IV de la deuxième partie du traité
CE.
On peut citer :
- pour la communication d'actes judiciaires et extrajudiciaires à l'étranger, le règle-
ment 1348/2000 du 29 mai 2000 relatif à la signification et à la notification dans les
États membres des actes judiciaires et extrajudiciaires en matière civile et commerciale
(J.O.C.E., 2000, L 160);
- pour l'obtention des preuves à l'étranger, le règlement 1206/2001 du 28 mai 2001
relatif à la coopération entre les juridictions des États membres dans le domaine de
l'obtention des preuves en matière civile et commerciale (J.O.C.E., 2001, L 174);
- pour l'aide judiciaire, la directive 2002/8 du 27 janvier 2003 visant à améliorer
l'accès à la justice dans les affaires transfrontalières par l'établissement de règles minima-
les communes relatives à l'aide judiciaire accordée dans le cadre de telles affaires (J.O.C.E.,
2003, L 26).
De plus, dans le cadre de la coopération intergouvernementale qui avait été mise en
place par l'article K du traité sur l'Union européenne, une Convention relative à la sup-
pression de la légalisation d'actes publics dans les États membres des Communautés
européennes a été signée à Bruxelles le 25 mai 1987 (loi du 27 novembre 1996, Monit.,
18 avril 1997, D.S., 1992, L, 278). Elle est en vigueur dans les relations avec le Danemark,
la France, l'Irlande, l'Italie et la Lettonie.
Plus généralement, la Communauté s'est dotée d'une structure de coopération judi-
ciaire, d'abord par la constitution d'un « cadre d'échange de magistrats de liaison»
(action commune 96/277/JAI du 22 avril 1996,j.O.C.E., 1996, L 105), ensuite par la cons-
titution d'un « réseau judiciaire » européen en matière civile et commerciale (décision
336 SOURCES RELATIVES AUX CONFLITS D'AUTORITÉS ET DE JURIDICTIONS

2001/470 du Conseil du 28 mai 2001,].O.C.E., 2001, L 174). Le premier tend à permettre


l'échange de magistrats experts en coopération judiciaire. Le second met en place un
réseau d'échange d'informations, composé de« points de contact» nationaux, d'autori-
tés centrales et des magistrats de liaison précités.
1111 Le réseau dispose d'un site accessible par le portail de la Commission (www.europa.eu.int).

8.9 - La Convention de Lugano - Les États membres des Communautés européennes


ont signé à Lugano, le 16 septembre 1988, une Convention concernant la compétence
judiciaire et l'exécution des décisions en matières civile et commerciale, ainsi que trois
Protocoles, trois Déclarations et un Acte final (].O.C.E., 1988, L 319). Cette Convention
n'est pas destinée à remplacer la Convention de Bruxelles (art. 54ter). Plusieurs disposi-
tions tendent à éviter les conflits engendrés par des litiges entrant dans les domaines
d'application respectifs des traités (art. 54ter, 57 et 59).
Sur les domaines respectifs des conventions, voy. infra, n°s 8.19 et s. La Convention de Lugano
1111

prévoit que son entrée en vigueur est subordonnée au dépôt de l'instrument de ratification de deux
États, dont un État membre de la C.E.E. et un État membre de ['A.E.L.E. (art. 62, § 3). Elle est entrée
en vigueur dans les rapports entre, d'une part la Suisse, d'autre part la France et les Pays-Bas le 1er
janvier 1992. Elle est actuellement en vigueur dans tous les États membres de l'Union européenne,
depuis son approbation par la Belgique (loi du 27 novembre 1996, Monit., 8 janvier 1998). Elle est
également en vigueur en Islande et en Norvège, ainsi qu'en Pologne (voy. infra, n ° 8.29).
1111 Le rapport explicatif de la Convention est dû à MM.Jenard et Mailer (J.O.C.E., 1990, C 189/57).

La Convention de Lugano présente avec la Convention de Bruxelles une telle simili-


tude de contenu qu'elle est communément qualifiée de« parallèle». En fait, elle a intégré
une série de modifications qui seront apportées à la Convention de Bruxelles dans sa ver-
sion de San Sebastian en 1989.
Ill La numérotation des articles est parallèle. De plus, le texte de la Convention de Lugano ne
s'écarte en substance de celui de la Convention de Bruxelles que pour apporter des précisions à cer-
taines dispositions dont l'interprétation avait suscité des difficultés en matière de contrats de tra-
vail (voy. infra, n ° 14.165), de baux d'immeubles (voy. infra, n° 13.4), de clauses de juridiction (voy.
infra, n° 5 14.11 et s.), de litispendance (voy. infra, n° 9.39).
En ce qui concerne la reconnaissance et l'exécution, la Convention ajoute deux motifs de refus,
tenant l'un au contrôle de la corn pétence indirecte lorsque le défendeur devant le juge de l'État requis
est domicilié dans un État contractant non membre des Communautés européennes (art. 54ter),
l'autre à la localisation du domicile du défendeur originaire dans l'État requis (art. 57, § 4, et 59).
La Convention, ultérieure, de Donostia-San Sebastian a introduit dans la « Convention de
Bruxelles » la plupart des nouveautés présentes dans la Convention de Lugano. Les dispositions ne
convergent pas toujours (voy. par ex. l'art. 16 à propos des baux d'immeubles et l'art. 17 à propos
des contrats de travail). De relies divergences traduisent des améliorations au texte adopté à
Lugano.
L'entrée en vigueur du règlement 44/2001 affecte également la Convention de
Lugano. Sous l'angle institutionnel, le premier bénéficie normalement de la primauté sur
le second. En termes de contenu, le texte de la Convention a besoin d'une mise à jour pré-
servant l'alignement initial des instruments.
IllSous l'angle institutionnel, la Convention reconnaît la priorité à cet autre instrument conven-
tionnel que constitue la Convention de Bruxelles (art. 57), non à cet acte unilatéral de la Com-
munauté qu'est le règlement. Le protocole n° 3, quant à lui, reconnaît la priorité aux actes
communautaires établis en des matières particulières, ce qui ne peut pas couvrir le règlement 44/
2001. La primauté de celui-ci ne fait pourtant pas de doute. En effet, les États membres ne sau-
raient exciper d'un traité conclu avec des pays tiers pour échapper aux obligations qui découlent
pour eux du droit communautaire (art. 307 CE). Il en découle que, pour ces États, le règlement doit
ACTES LIÉS À L'UNION EUROPÉENNE 337

être appliqué de préférence à la Convention chaque fois que la situation entre dans son champ
d'application.
Sous l'angle du contenu, le texte de la Convention de Lugano est dépassé depuis les adaptations
1111

effectuées par le règlement, tant du moins que l'intention est de conserver une similitude des règles
uniformes. Une révision de la Convention est donc à l'ordre du jour. L'adoption du règlement
emporte normalement que la conclusion du nouveau traité relève de la compétence de la Commu-
nauté pour les matières couvertes par le règlement, en vertu de la théorie de la préemption (voy.
supra, n° 8.6).

§2 INTERPRÉTATION DES INSTRUMENTS


8.10 - Compétence de la Cour de justice - Comme acte communautaire, le règlement
44/2001 se prête à une interprétation uniforme selon les compétences que le traité CE
attribue à la Cour de justice des Communautés européennes. Déjà, la Convention de
Bruxelles avait fait l'objet d'une telle attribution, selon les termes d'un premier Protocole,
signé à Luxembourg le 3 juin 1971, suivi d'autres protocoles accompagnant les différen-
tes conventions d'adhésion.
1111Le Protocole a reçu l'assentiment des Chambres le 18 juillet 1973 (Monit., 6 août 1975, Pasin.,
1975, 1339) et est entré en vigueur le 1er septembre 1975. Pour une version consolidée, voy.:
].O.C.E. (1998), C 27.
Ce protocole organise la procédure du renvoi préjudiciel selon des conditions sensiblement distinc-
tes de celles de l'article 234 CE. Seuls la Cour de cassation, le Conseil d'État, une juridiction sta-
tuant en degré d'appel ou le tribunal de première instance lorsqu'il statue sur le recours contre une
décision autorisant l'exécution d'un jugement étranger peuvent poser une question préjudicielle.
De plus, une question dans l'intérêt de la loi peut être posée par le procureur général près la Cour
de cassation ou toute autorité désignée par un État contractant.
1111 Pour le règlement, les conditions d'attribution de la compétence d'interprétation diffèrent aussi
sensiblement de celles de l'article 234 CE, en raison de la base juridique de l'acte. En effet, selon
l'article 68 CE, une question ne peut être posée que par une juridiction« dont les décisions ne sont
pas susceptibles de recours juridictionnel de droit interne », ce qui exclut les juridictions d'appel.
Cette restriction, qui ne s'explique qu'au regard de la matière de l'asile et de l'immigration, égale-
ment visée au titre IV comme la matière civile, est hautement regrettable. Elle est compensée par
l'organisation d'une procédure de question dans l'intérêt de la loi, ouverte au Conseil, à la Com-
mission ou à un État membre.
Le traité établissant une Constitution pour l'Europe, signé le 29 octobre 2004, supprime ces condi-
tions particulières.
L'intervention de la Cour de justice s'est révélée déterminante et l'expérience montre
que l'adoption de règles véritablement uniformes sans le complément d'un mécanisme
d'interprétation uniforme est illusoire.
1111Sur cette jurisprudence, voy., outre les arrêts présentés à propos de dispositions particulières,
l'explicitation des objectifs généraux de la Convention, infra, n° 8.12. Voy. aussi: N. WATTÉ et
A. NUYTS, Les arrêts de la Cour de justice sur l'interprétation de la Convention de Bruxelles (Anvers, Kluwer,
1998), 444 p.
Sur l'affirmation d'un «lien» avec le traité CE, voy. notamment: C.J.C.E., aff 9 et 10/77,
1111

14 juillet 1977, Eurocontrol, Rec. (1977), 1517; aff 288/82, 15 novembre 1983, Duijnstee, Rec. (1983),
3663, à propos du principe de sécurité juridique lié au principe d'égalité; aff C-432/93, 11 août
1995, SISRO, Rec. (1995), I-2269, Revue (1996), 344, note H. GAUDEMET-TALLON, à propos de la
nécessité d'une interprétation« autonome» (voy. infra, n ° 8.12).
La Cour de justice n'a pas manqué d'observer que la Convention de Bruxelles offre la« libre cir-
1111

culation des Jugements» (voy. par ex.: C.J.C.E., aff C-183/90, 4 octobre 1991, Van Dalfsen, Rec.,
1991, 1-4743, Revue, 1992, 117, note H. GAUDEMET-TALLON), facteur positif pour le droit du marché
338 SOURCES RELATIVES AUX CONFLITS D'AUTORITÉS ET DE JURIDICTIONS

intérieur, non sans constater qu'un tel instrument fait défaut en d'autres matières où se rencon-
trent des entraves aux échanges (pour la matière pénale: C.j.C.E., aff. C-29/95, 23 janvier 1997,
Eckehard Pastoors, Rec. (1997), 1-285, R W. (1997-1998), 433, note J.P. BoGAERT; pour la matière de
l'état civil: C.J.C.E., aff. C-336/94, 2 décembre 1997, Dafeki, Rec. (1997), 1-6761, Revue (1998), 329,
note G. DROZ.

Il n'est pas exclu que la Cour de justice s'estime compétente pour l'interprétation
d'une disposition nationale, lorsque celle-ci contient un renvoi inconditionnel au droit
conventionnel ou au droit communautaire et qu'elle oblige le juge national à suivre
l'interprétation retenue (C.J.C.E., aff. C-346/93, 28 mars 1995, Kleinwort Benson, Rec.,
1995, I-615, Tijds. Not., 1996, 46, note F. BouCKAERT).

8.11 - Interprétation de la Convention de Lugano - Contrairement à la Convention de


Bruxelles, la Cour de justice des Communautés européennes n'a pas reçu de compétence
d'interprétation de la Convention de Lugano. La similitude des textes implique cepen-
dant une influence de la jurisprudence de la Cour sur son interprétation.
Ill!Les Protocoles accompagnant la Convention de Lugano confirment la parenté au sujet des
questions d'interprétation. Ainsi, selon le Protocole n° 2 sur l'interprétation uniforme de la Con-
vention, les tribunaux doivent« tenir compte» des principes définis par d'autres juridictions natio-
nales (art. 1er). Un mécanisme de coopération, intéressant les Conventions de Bruxelles et de
Lugano, est également instauré, tendant à assurer à la fois une transmission des décisions par
l'intermédiaire d'un organisme central (art. 2) et une surveillance du fonctionnement des Conven-
tions au sein d'un comité permanent (art. 3).

Deux Déclarations intéressent la Cour de justice des Communautés européennes.


L'une, émanant des États membres de l' A.E.L.E., confirme la nécessité pour les tribunaux
nationaux de « tenir dûment compte » de la jurisprudence de la Cour relative à la Con-
vention de Bruxelles. L'autre, émanant des États membres des Communautés, encourage
la Cour à « tenir dûment compte », pour l'interprétation de la Convention de Bruxelles,
des« principes contenus dans la jurisprudence résultant de la Convention de Lugano».
1111Les Protocoles et Déclarations de Lugano donnent ainsi une réponse pragmatique à la question
délicate de l'attribution d'une compétence d'interprétation à la Cour de justice à propos d'un texte
liant des États tiers.
Dans l'arrêt Six Constructions (aff. 32/88, 15 février 1989, Rec., 1989, 341, Revue, 1989, 555, note P.
RoDIÈRE), la Cour de justice a pourtant refusé une référence aux termes de l'article 5, 1°, de la Con-
vention de Lugano pour interpréter l'article 5, 1°, de la Convention de Bruxelles à propos de la loca-
lisation de l'exécution des prestations du travailleur. En critiquant la pertinence du critère du siège
de l'établissement qui a embauché le travailleur, elle a refusé - suivant en cela les conclusions de
l'avocat général Tesauro - l'apport de la Convention de Lugano, qu'a confirmé ultérieurement la
disposition correspondante de la Convention de Donostia-San Sebastian.
1!11La conclusion d'une convention communautaire avec les pays de !'A.E.L.E. comme une suite du
règlement 44/2001 aurait pour effet de conférer une compétence d'interprétation de plein droit à
la Cour de justice en vertu du droit communautaire général.

8.12 - Méthodes d'interprétation - L'interprétation repose tantôt sur les objectifs et la


structure de l'acte à interpréter, tantôt sur l'observation de principes communs aux États
contractants. Il y a tout lieu de croire que les éléments dégagés des objectifs et de la struc-
ture de la Convention de Bruxelles pourront servir à l'interprétation du règlement 44/
2001. Parmi les documents utiles à l'interprétation, les rapports explicatifs rédigés à
l'occasion des versions successives de la Convention (voy. supra, n° 5 8.4 et 8.5) occupent
une place privilégiée ; et la jurisprudence de la Cour concernant une version antérieure de
la Convention garde toute sa pertinence lorsque la disposition à interpréter se concilie
ACTES LIÉS À L'UNION EUROPÉENNE 339

avec cette jurisprudence (C.J.C.E., aff. C-383/95, 9 janvier 1997, Rutten, Rec., 1997, 1-57,
Revue, 1997, 336, note H. GAUDEMET-TALLON, à propos des relations de travail).
Ill Pour une synthèse des objectifs de la Convention tels qu'ils ont été dégagés par la Cour de jus-
tice, voy., pour la jurisprudence initiale : C. KoHLER, « La jurisprudence de la Cour de justice des
Communautés européennes sur la Convention C.E.E. du 27 septembre 1968 concernant la compé-
tence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale», Ann. droit (1983),
177-217. Voy. ensuite: H. BORN, M. FALLON et J.-L. VAN BoxsTAEL Droit judiciaire international (1991-
1998), (Bruxelles, Larcier, coll. Dossiers duj.T., 2001), 18-24; M. EKELMANS, « Le recours aux objec-
tifs de la Convention de Bruxelles dans la jurisprudence de la Cour de justice relative à son
interprétation», Le recours aux ob;ectifs de la loi dans son application (Bruxelles, Story-Scientia, 1990),
265-278; M. FALLON,« Le recours aux objectifs de la loi dans son application en droit international
privé belge», ibid., 13-42.
Camp. l'attitude de la Cour de justice dans l'arrêt Six Constructions, précité au n ° 8.11.
Sur ce que la Convention de Bruxelles peut se laisser interpréter à la lumière du règlement 44/2001,
pour les actions introduites avant l'entrée en vigueur de ce dernier, voy. : C.j.C.E., aff. C-167/00, 1"'
octobre 2002, VKI & Henkel, Rec. (2002), 1-8111 ; aff. C-111/01, 8 mai 2003, Gantner Electronic, Rec.
(2003), 1-4207.

La jurisprudence de la Cour de justice souligne l'importance des principes de garan-


tie de la protection juridictionnelle des personnes établies dans la Communauté, de sécu-
rité juridique, de bonne administration de la justice (voy. infra, n ° 9.23) et de circulation
internationale des jugements (voy. infra, n ° 10.2). En outre, la technique générale d'inter-
prétation par la recherche de l'effet utile de la règle explique le recours à deux notions qui
recoupent partiellement les deux principes précités, à savoir la recherche de l'économie
de procédure et le respect de la structure globale de l'acte.
111Pour une présentation générale des méthodes, voy.: C.J.C.E., aff. C-351/89, 27 juin 1991,
Overseas Union Ins., Rec. (1991), 1-3317, Revue (1991), 764, note H. GAUDEMET-TALLON. Ainsi, la Con-
vention chercherait à établir essentiellement la sécurité juridique, à savoir la protection juridiction-
nelle des personnes établies dans la Communauté, une répartition certaine des compétences, une
prévisibilité de la compétence pour le défendeur normalement averti. De même, elle pourvoit à la
nécessité d'éviter la multiplication des juridictions compétentes et à prévenir la contrariété des
décisions (C.J.C.E., aff. C-256/00, 19 février 2000, Besix, Rec., 2000, 1-1699, Revue, 2002, 577, note
H. GAUDEMET-TALLON).
Pour plus de détails, voy. infra, chap. 9.
1111Une interprétation systémique suppose notamment que les dispositions du titre II (règles de
compétence directe) et du titre III (reconnaissance et exécution) soient lues de manière cohérente,
par exemple à propos de la règle de litispendance qui tend à prévenir les conflits de décisions:
C.J.C.E., aff. C-163/95, 9 octobre 1997, von Horn, Rec. (1997), 1-5451, Revue (1998), 105, note
H. GAUDEMET-TALLON. De même, une concentration des litiges, par exemple au lieu d'exécution de
l'obligation contractuelle principale, facilite la reconnaissance internationale de la décision en évi-
tant une multiplication des juridictions compétentes au niveau de l'instance directe: C.J.C.E., aff.
C-383/95, 9 janvier 1997, Rutten, Rec. (1997), 1-57, Revue (1997), 336, note H. GAUDEMET-TALLON, à
propos de relations de travail.
111 Une combinaison des objectifs de protection juridictionnelle et de respect de la structure de la
Convention pourrait accentuer la tendance de la Cour de justice à restreindre l'importance de
règles complémentaires du principe Actor sequitur forum rei, notamment dans l'interprétation stricte
de la portée des articles 5 ou 16. Voy. particulièrement, pour l'art. 5 - malgré les protestations de P.
Jenard, auteur du Rapport explicatif(« La Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968 et ses
prolongements», Rép. not., Bruxelles, Larcier, 1994, n ° 33) -, suite aux critiques doctrinales diri-
gées contre une disposition suspectée de fournir un for commode au demandeur (voy. infra,
n'" 14.4 et s.): aff. 33/78, 22 novembre 1978, Sornafer, Rec. (1978), 2183; aff. 32/88, 15 février 1989,
Six Constructions, Rec. (1989), 341; aff. 189/87, 27 septembre 1988, Kalfelis, Rec. (1988), 5565; aff. C-
26/91, 17 juin 1992, Handte, Rec. (1992), 1-3967, Revue (1992), 726, note H. GAUDEMET-TALLON,
340 SOURCES RELATIVES AUX CONFLITS D'AUTORITÉS ET DE JURIDICTIONS

R.TD.E. (1992), 709, note P. DE VAREILLES-SOMMIÈRES; aff. C-269/95, 3 juillet 1997, Benincasa, Rec.
(1997), I-3767,].T. (1997), 683, note M. EKELMANS.
Pour l'art. 16 (art. 22 du règl. 44/2001), voy.: C.].C.E., aff. C-8/98, 27 janvier 2000, Dansommer, Rec.
(2000), l-393, Revue (2000), 264, note H. MUIR WATT.
Singulièrement, cette méthode a prévalu également pour restreindre le domaine des règles de pro-
tection de la partie faible au contrat, tel le consommateur (voy. infra, n ° 14.110).
Les modes de définition des concepts sont de trois types. La recherche d'une défini-
tion directe et « autonome » paraît devoir être la règle. Le recours à la technique des
règles de conflit de lois ou encore à une simple règle de signalisation laissant au droit
national le soin de répondre à la question posée, reste exceptionnel. On en trouve certai-
nes illustrations dans le texte de la Convention (art. 59 du règl. pour le domicile des per-
sonnes physiques, infra, n ° 9.29) comme dans la jurisprudence de la Cour de justice.
1111Un recours aux règles de conflit de lois du tribunal saisi pour déterminer le lieu d'exécurion de
l'obligation contractuelle en litige s'observe dans l'arrêt Tessili, infra, n° 14.9; comp. la dérogation
introduite à propos du contrat de travail par l'arrêt Ivenel, infra, n° 14.165. Voy. encore l'utilisation
de cette méthode à propos d'une clause de juridiction, infra, n ° 14.14.
1111Pour une affirmation du principe de l'interprétation autonome, voy. dans la jurisprudence
récente: C.J.C.E., aff. C-125/92, 13 juillet 1993, Mulox, Rec. (1993), I-4075,J. TD.E. (1993), 36, note
M. FALLON, R.D.C.B. (1993), 1113, note N. WATIÉ; aff. C-351/96, 19 mai 1998, Drouot Asssurances,
Rec. (1998), I-3075,]. T (1998), 772, note H. BouLARBAH, Revue (2000), 63, note G. DRoz.
La Cour de justice (aff. 144/86, 8 décembre 1987, Gubisch Maschinenfabrik, Rec., 1987, 4861, Revue,
1988, 370, note H. GAUDEMET-TALLON, Clunet, 1988, 538, note A. HuET) a cependant exclu toute
préférence pour le principe d'interprétation autonome, estimant que le choix entre les méthodes
dépend simplement de chaque disposition, tout en cherchant à« assurer la pleine efficacité [de la
Convention] dans la perspective des objectifs de l'article 220 du Traité C.E.E. ». Cette position a été
reprise par la Cour en séance plénière (C-214/89, 10 mars 1992, Powell Duffryn, Rec., 1992, I-1745),
en invoquant la jurisprudence Tessili dont la portée paraissait pourtant exceptionnelle. Cet arrêt
procède toutefois en l'espèce à une interprétation autonome eu égard aux« objectifs et [à] l'écono-
mie générale de la Convention de Bruxelles, et afin d'assurer, dans la mesure du possible, l'égalité et
l'uniformité des droits et obligations qui découlent de la Convention pour les États contractants et
les personnes intéressées ». Dans le sens de l'arrêt Duffryn, voy. encore: C.J.C.E., aff. C-440/97,
28 septembre 1999, Groupe Concorde, Rec. (1999), I-6307, Revue (2000), 253, note B. ANCEL.
1111Un renvoi au droit du for s'explique lorsque l'acte ne règle pas le point de droit en cause, telle
une question de procédure (C.J.C.E., aff. C-68/93, 7 mars 1995, Shevill, Rec., 1995, I-415,].L.M.B.,
1995, 1148, note A. KOHL, Rev. gén. dr. civ., 1996, 49, note I. COUWENBERG, Revue, 1996, 487, note P.
LAGARDE), notamment pour apprécier la régularité de la communication d'un acte judiciaire (voy.
infra, n° 10.22) ou l'effet du dépôt tardif d'une pièce (C.J.C.E., aff. C-275/94, 14 mars 1996, van der
Linden, Rec., 1996, l-1393, Revue, 1996, 506, note H. GAUDEMET-TALLON).
Le renvoi peut viser les règles de conflit de lois plutôt que le droit matériel: ainsi en est-il pour
déterminer la partie à une clause de juridiction (C.J.C.E., aff. C-387/98, 9 novembre 2000, Coreck
Maritime, Rec., 2000, I-9337, Revue, 2001, 359, note F. BERNARD) ou la validité du contrat dans lequel
est insérée une clause de juridiction (C.J.C.E., aff. C-269/95, 3 juillet 1997, Benincasa, Rec., 1997, I-
3767,]. T., 1997, 683, note M. EKELMANS).
Ce renvoi ne peut pour autant affecter l'effet utile de l'acte (arrêt Shevill précité).

§3 DOMAINE DU RÈGLEMENT« BRUXELLES 1 »

A. Domaine matériel
8.13 - Situation internationale - Tout porte à croire que le règlement, comme la Con-
vention, ne concernent que les situations transfrontières, à l'exclusion des situations
purement internes. En précisant que la Convention détermine la compétence « dans
ACTES LIÉS À L'UNION EUROPÉENNE 341

l'ordre international», le préambule paraît impliquer que ses auteurs ont voulu en limi-
ter l'application à pareilles situations. Quant au règlement, la limitation résulte de sa
base juridique, puisque l'article 65 du traité CE évoque des mesures nécessaires« au bon
fonctionnement du marché intérieur » dans les matières civiles « ayant une incidence
transfrontière ». Ces instruments requièrent donc bien un élément d'extranéité, mais il
est indifférent que cet élément rattache la situation à un État membre ou à un pays tiers
(C.J.C.E., aff. C-281/02, 1er mars 2005, Owusu), pourvu que soit rencontré le critère
d'applicabilité exigé (voy. point B ci-dessous).
Apparemment théorique, la question présente toutefois un intérêt au sujet des clau-
ses de juridiction, chaque fois que le droit national en restreint l'efficacité alors que le
règlement ou la Convention peut les valider si elles entrent dans son domaine d'applica-
tion. Il peut en être ainsi en matière de résiliation d'une concession de vente exclusive
(voy. infra, n° 14.188).
11!1 Le texte ne procure pas de réponse. Par analogie avec la solution suggérée en matière de conflits
de lois (voy. infra, n° 14.69; comp. n° 14.46), la seule attribution d'une compétence à une juridic-
tion étrangère ne suffit sans doute pas à conférer au litige un caractère international. Il faut égale-
ment considérer comme insuffisant le critère de la nationalité des parties alors que les autres
éléments de la situation sont localisés dans le même pays, puisque la Convention s'efforce précisé-
ment d'éliminer ce critère pour la détermination de la compétence (voy. infra, n° 9.12). Mais on ne
saurait exiger pour autant d'avoir affaire à un contrat intéressant le « commerce international»,
puisque ce type de contrat fait l'objet d'une disposition particulière au paragraphe ter, point c, de
l'article 23 (voy. infra, n" 14.13). Dans ce sens aussi, voy.: H. GAUDEMET-TALLON, Compétence et effica-
cité des jugements en Europe (Paris, L.G.D.J., 2002), n ° 134.
Le rapport SCHLOSSER précise que l'article 17 de la Convention ne s'applique qu'aux opérations
mettant en jeu des rapports internationaux (n° 174). P. GOTHOT et D. HOLLEAUX vont dans le même
sens (précités n° 8.1, n° 167), ainsi que P. JENARD (Rdpport, précité n° 8.5, p. 8, et Traité, précité
n ° 8.1, n° 90.1.2), donnant un poids particulier au domicile des parties.

8.14 - Matière civile ou commerciale - L'article premier définit le domaine matériel de


manière positive, au moyen de l'expression « matière civile et commerciale». Il précise
que la nature de la juridiction n'importe pas, ce qui inclut notamment« les actions civi-
les portées devant les tribunaux répressifs» (rapport JENARD, chap. III, point III; voy.
aussi l'art. 5, 4°). Il précise également que la qualification exclut « les matières fiscales,
douanières ou administratives» (ajout opéré par la Convention d'adhésion de 1978).
La notion de « matière civile et commerciale » reçoit une interprétation autonome.
D'après la Cour de justice, elle exclut un litige opposant une autorité publique à une per-
sonne privée, alors que l'autorité « a agi dans l'exercice de la puissance publique» (aff.
29/76, 14 octobre 1976, Eurocontrol, Rec., 1976, 1541, Revue, 1977, 772, note G. DRoz).
Ill Ainsi, elle couvre un litige entre particuliers - opposant par exemple un enseignant à un étu-
diant - lorsque le comportement en cause« ne correspond pas à l'exercice de pouvoirs exorbitants
par rapport aux règles applicables dans les relations entre particuliers» (C.J.C.E., aff. C-172/91,
21 avril 1993, Volker Sonntag, Rec., 1993, I-1963, Revue, 1994, 96, note H. GAUDEMET-TALLON).

Constituent des indices de la qualification civile, le fondement et les modalités de


l'action, en particulier la soumission ou non de la demande au régime du droit commun.
Ainsi en est-il de l'action introduite devant une juridiction civile et tendant à l'exécution d'une
Ill!
obligation prévue par le Code civil, celle l'action d'un organisme public en remboursement d'une
aide sociale allouée à un ex-époux dans le besoin qui, par voie conventionnelle, avait renoncé à
toute créance alimentaire: l'action apparaît comme analogue à celle du particulier subrogé. La
solution serait différente si le régime de restitution dérogeait au droit commun en vertu d'une pré-
342 SOURCES RELATIVES AUX CONFLITS D'AUTORITÉS ET DE JURIDICTIONS

rogative propre conférée par le législateur (C.J.C.E., aff C-271/00, 14 novembre 2002, Gemeente
Steenbergen, Rec., 2002, I-10527).
Ill De même, la qualification de l'action de l'État en exécution d'une caution à laquelle s'est engagé
l'assureur d'un transporteur en paiement d'une dette douanière, dépend des circonstances de la
conclusion du contrat de caution, essentiellement du degré de liberté laissé aux parties dans la
détermination de leurs droits et obligations par la loi qui régit le contrat (C.J.C.E., aff C-266/01,
15 mai 2003, TIARD, Rec., 2003, I-4867).

1111 Il est douteux que l'affaire Eurocontrol obéissait à l'indice précité. La question préjudicielle con-
cernait l'exequatur en Allemagne d'un arrêt de la Cour d'appel de Bruxelles (16 décembre 1974, sur
Comm. Bruxelles, 7 mars 1974,].C.B., 1974, Ill, 520, note LITVINE), qui avait condamné une entre-
prise allemande au paiement de redevances de routes que l'Organisation européenne pour la sécu-
rité de la navigation aérienne perçoit sur les détenteurs d'aéronefs pour l'utilisation de services de
sécurité aérienne. Sur cet arrêt, voy. notamment le rapport SCHLOSSER et la note de R. GEIMER, Neue
fur. Woch. (1977), 492; F. RrGAUX, « Le droit comparé comme science appliquée», Rev. dr. intern. etdr.
comp. (1978), 74-76.
Or, les parties étaient liées par une clause d'élection de for attribuant compétence aux tribunaux
belges. L'adoption d'une telle clause par l'autorité publique internationale exclut que cette autorité
ait« agi dans l'exercice de la puissance publique». Il est significatif que les tribunaux belges n'aient
eu d'autre choix, par la suite, que d'apprécier leur compétence internationale conformément au
droit commun, à savoir l'article 635 du Code judiciaire (Bruxelles, 19 novembre 1996, Eurocontrol,
Pas., 1995, II, 119).
La Cour de justice a confirmé sa jurisprudence dans un arrêt du 16 décembre 1980, aff 814/79, État
néerlandais c. RM/Jer, Rec. (1980), 3807,j.T (1981), 82, à propos d'une action tendant au rembourse-
ment des frais d'enlèvement d'une épave par le gestionnaire des voies d'eau publiques. Elle y préci-
sait que le recouvrement par voie judiciaire plutôt qu'adminiscrative ne suffit pas à qualifier le
litige de civil.
Comp. ultérieurement: C.J.C.E., aff C-167/00, 1er octobre 2002, VKI & Henkel, Rec. (2002), I-8111,
appliquant le critère de l'exercice de pouvoirs exorbitants par rapport au droit commun à propos
de l'action en cessation introduite par une association de consommateurs, pour conclure à l'appli-
cation de la Convention.

8.15 - Matières exclues - Le règlement établit aussi une série de conditions négatives,
en excluant certaines actions de son domaine en raison de la matière qui en fait l'objet.
L'exclusion affecte des matières qui auraient pu satisfaire à la qualification « civile» ou
« commerciale».

D'après l'article premier, paragraphe 2, « sont exclus de son application :


1 ° l'état et la capacité des personnes physiques, les régimes matrimoniaux, les testa-
ments et les successions ;
1111Sont ainsi exclues les demandes concernant des questions « étroitement liées » à des questions
d'état ou à des rapports patrimoniaux« résultant directement» d'un lien familial, tel un lien con-
jugal ou sa dissolution (C.J.C.E., aff 143/78, 27 mars 1979, De Cave! c. De Cave/, Rec., 1979, 1055,
].T, 1979, 422, Revue, 1980, 614, note G. DRoz). Il en va de même d'une demande relative à la ges-
tion des biens de la femme par le mari« si cette gestion se rattache étroitement aux rapports patri-
moniaux qui résultent directement du lien conjugal» (C.J.C.E., aff 25/81, 31 mars 1982, Rec., 1982,
1189, Rev. not. belge, 1982, 315, R.W, 1981-1982, 2912).

1111Ne relève pas de cette exclusion une demande relative à une pension alimentaire. Cette matière
est clairement couverte par la Convention, qui prévoit en effet une règle de compétence spéciale
(art. 5, 2°). La qualification peut parfois être difficile, par exemple à propos d'une demande tendant
à l'octroi d'un capital à un ex-époux, attribution de nature à intéresser aussi la liquidation du
régime matrimonial. Voy. infra, n ° 12.178: C.J.C.E., aff C-220/95, 27 février 1997, van den Boogaard,
Rec. (1997), I-1147, Revue (1998), 466, note G. DROZ.
ACTES LIÉS À L'UNION EUROPÉENNE 343

On comprend mal l'exclusion de la Convention dans le cas d'une action alimentaire consécutive à
une action tendant à établir un lien de filiation, par : Cass., 29 mars 2001, Rev. trim. dr. Jam. (2001 ),
729, note M. FALLON.
En matière de validité du mariage, de divorce et de séparation de corps, voy. le règlement
1111

« Bruxelles II », infra, n ° 12.53.

2 ° Les faillites, concordats et autres procédures analogues ;


Cette notion s'entend dans un sens restrictif comme toute procédure fondée sur« l'état de ces-
1111

sation de paiement, l'insolvabilité ou l'ébranlement du crédit du débiteur impliquant une interven-


tion de l'autorité judiciaire aboutissant à une liquidation forcée et collective des biens ou, à tout le
moins, un contrôle de cette autorité» (C.J.C.E., aff. 133/78, 22 février 1979, Gourdain c. Nadler, Rec.,
1979, 733, R W, 1979-1980, 265).
L'effet, dans le pays requis, d'un jugement étranger de faillite, exclu du domaine du règlement,
1111

sur la possibilité d'exécuter un jugement antérieur passé en force de chose jugée dans le pays d'ori-
gine et inclus dans le domaine de l'acte - jugement condamnant au paiement d'une somme en exé-
cution d'un contrat - relève du droit du juge requis, y compris ses règles de droit international
privé (C.J.C.E., aff. C-267/97, 29 avril 1999, Coursier, Rec., 1999, 1-2543).
Des actes communautaires spécifiques concernent la compétence internationale et l'efficacité
1111

des décisions en matière d'insolvabilité, ainsi que d'assainissement et de liquidation d'entreprises


financières. Voy. infra, n ° 13.63.
3° la sécurité sociale ;
1111Cette notion s'interprète selon la définition résultant, en droit communautaire, du règlement
1408/71 du Conseil du 14 juin 1971 relatif à l'application du régime de sécurité sociale aux tra-
vailleurs migrants et à leur famille qui se déplacent à l'intérieur de la Communauté U.O.C.E., 1971,
L 149, et version consolidée par le règlement 118/97 du 2 décembre 1996, ].O.C.E., 1997, L 28):
cette interprétation de la Cour de justice à propos de la Convention de Bruxelles (C.J.C.E., aff. C-
271/00, 14 novembre 2002, Gemeente Steenbergen, Rec., 2002, 1-10527), en raison du lien existant
entre ce traité et le droit communautaire, vaut a fortiori pour le règlement. Il y a donc lieu de se réfé-
rer à l'article 4 du règlement 1408/71 et aux précisions fournies par la Cour de justice (même arrêt).
La notion ne couvre que les conditions d'octroi des prestations, dans le contentieux qui oppose
l'administration aux employeurs ou travailleurs, non la récupération, selon les normes du droit
commun, des sommes versées (même arrêt).
1111L'exclusion ne s'étend pas au litige portant sur un contrat de travail. Voy. par ex. : C. trav. Liège,
5 janvier 1982,]ur. Liège (1983), 241, note G. DE LEVAL. Pour une exclusion de l'action du Fonds des
accidents du travail contre l'employeur, voy.: C. trav. Liège, 6 mai 1997, Chr. dr. soc. (1998), 434.
4 ° l'arbitrage».
1111 Sur cette exclusion, voy. infra, n° 14.19.
L'exclusion d'une demande en raison de la matière peut encore venir de l'existence
d'un traité international auquel le règlement ou la Convention de Bruxelles consent la
priorité, dans une matière particulière (voy. infra, n ° 8.27).
8.16 - Demande accessoire ou provisoire - Lorsque l'objet de la demande entre pour
partie seulement dans le domaine du règlement, ou que, dans ce cas, il n'est que l'acces-
soire d'une question qui en est exclue, le règlement s'applique néanmoins. Le caractère
accessoire d'une demande est donc indifférent. Un impératif de sécurité juridique com-
mande de tenir compte seulement de l'objet du litige, sans distinguer selon que, dans la
procédure, une question apparaît comme préalable ou principale (C.J.C.E., aff. C-266/01,
15 mai 2003, TIARD, Rec., 2003, 1-4867).
Ainsi, le règlement s'applique à une demande alimentaire dans le cadre d'une procédure en
1111

divorce (à propos de la Convention: C.J.C.E., aff. 120/79, 6 mars 1980, De Cave! c. De Cave/, Rec.,
344 SOURCES RELATIVES AUX CONFLITS D'AUTORITÉS ET DE JURIDICTIONS

1980, 731, Revue, 1980, 614, note G. DRoz). Toutefois, pour éviter le risque d'un morcellement du
procès, l'article 5, 2°, précise, depuis la version de la Convention amendée en 1978, qu'en cas de
demande alimentaire accessoire à une question d'état, le tribunal compétent pour en connaître
l'est aussi pour la demande accessoire, sauf si cette compétence repose uniquement sur la nationa-
lité d'une des parties.
1111 Voy. aussi, à propos de l'arbitrage, infra, n° 14.19.
Selon la Cour de justice, le caractère provisoire d'une mesure couverte par la Con-
vention est également sans pertinence, même si les mesures définitives concernent une
matière exclue de la Convention (arrêt De Cavel, précité). Appliquée sans nuances, cette
solution risque d'attirer dans le domaine de la Convention des litiges dont les liens avec
les matières couvertes sont assez artificiels.
1111Voy. par exemple: Bruxelles, F' avril 1977, Pas. (1977), II, 205,].T (1978), 119, note A.-M. STRA-
NART, où la mesure alimentaire sollicitée au cours d'une procédure en divorce ne faisait que s'ajou-
ter à une mesure de garde et à une autorisation de résidence séparée.

8.17 - Exclusion des questions de procédure - Le règlement a pour objet essentiel de


déterminer la compétence internationale et la reconnaissance des jugements étrangers,
elle ne vise pas à unifier les règles nationales de procédure (C.J.C.E., C-365/88, 15 mai
1990, Kongress Agentur Hagen, Rec., 1990, I-1845, Revue, 1990, 564, note H. GAUDEMET-
TALLON; aff. C-68/93, 7 mars 1995, Shevill, Rec., 1995, I-415, J.L.M.B., 1995, 1148, note
A. KOHL, Rev. gén. dr. civ., 1996, 49, note I. CouwENBERG, Revue, 1996, 487, note
P. LAGARDE; aff. C-80/00, 6 juin 2002, Italian Leather, Rec., 2002, I-4995, Revue, 2002, 713,
note H. MU!R WATT). Le droit national est applicable au mode de fonctionnement des tri-
bunaux, à moins d'une disposition explicite du règlement. En ce qui concerne toutefois
l'efficacité des décisions, celui-ci règle bien la procédure d'exequatur, en un système auto-
nome et complet, mais non les questions touchant à l'exécution proprement dite, qui
relèvent du droit national (C.J.C.E., aff. 148/84, 2 juillet 1985, Deutsche Genossenschafts-
bank, Rec., 1985, 1981; aff. C-7/98, 28 mars 2000, Krombach, Rec., 2000, I-1935, Revue,
2000, 481, note H. Mu1R WATT, Tijds. Not., 2000, 412, note F. BoucKAERT).
Il La Cour de justice a confirmé à plusieurs reprises l'application du droit national, à propos de la
régularité de la communication des actes judiciaires (C.J.C.E., aff. 166/80, 16 juin 1981, Klomps,
Rec., 1981, 1593), de la détermination de la date de la saisine du tribunal (aff. 129/83, 7 juin 1984,
Zelger, Rec., 1984, 2397), de la détermination du moment où se situe la première défense au fond
(aff. 150/80, 24 juin 1981, Elefanten Schuh, Rec., 1981, 1671), des modalités d'exécution d'une déci-
sion (aff. 148/84, 2 juillet 1985, Deutsche Genossenschaftsbank, Rec., 1985, 1981, et aff. 145/86,
4 février 1988, Hoffmann, Rec., 1988, 645), de la recevabilité d'une demande en garantie (aff. C-365/
88, 15 mai 1990, Hagen, Rec., 1990, 1-1845, Revue, 1990, 564, note H. GAUDEMET-TALLON), de
l'impossibilité d'exécuter une décision formellement exécutoire (aff. C-267/97, 29 avril 1999, Cour-
sier, Rec., 1999, 1-2543).
Cette exclusion du domaine de l'acte n'empêche pas la présence de dispositions propres aux
1111

incidents de compétence (voy. infra, n ° 9.36).

8.18 - Extension du chapitre III à des matières exclues - L'article premier est commun
aux chapitres II (compétence), III (reconnaissance et exécution) et IV (actes authentiques
et transactions judiciaires) du règlement. Dès lors, le chapitre III s'étend à l'ensemble des
matières civile et commerciale.
La délimitation des matières visées par le chapitre III comporte le risque d'un éclate-
ment des conditions de l'efficacité de la décision étrangère, chaque fois que la demande
porte aussi sur une question qui en est exclue. Tel serait le cas d'une décision relative à
ACTES LIÉS À L'UNION EUROPÉENNE 345

l'attribution des droits de garde et des aliments décidée par le juge d'un autre État mem-
bre en matière de divorce.
Toutefois, le chapitre III couvre aussi des matières exclues de l'article premier, pour
apprécier si deux décisions sont inconciliables : dans ce cas, le juge requis tient compte
d'une décision intéressant une matière exclue (C.].C.E., aff. 145/86, 4 février 1988, Hoff-
mann c. Krieg, Rec., 1988, 645).
Ill Dans la Convention de Bruxelles, l'article 27, 4°, introduit parmi les motifs de refus de la recon-
naissance de la décision étrangère un contrôle propre aux matières d'état et de capacité, de régimes
matrimoniaux, de testaments et de successions (voy. infra, n° 10.24). Cela vise le cas où, pour se pro-
noncer, le juge d'origine a dû statuer au préalable sur l'une de ces questions. Cela ne signifie pas
pour autant qu'une demande de reconnaissance ou d'exécution portant principalement sur l'un de
ces aspects de la décision s'appréciera aussi sur base de la Convention.
Cette disposition a été supprimée dans le règlement.
Ill Voy. P. GoTHOT et D. HOLLEALIX (précités n° 8.1), n° 5 234,289,359.

B. Applicabilité dans l'espace

1. NOTION o' APPLICABILITÉ


8.19 - Applicabilité et force obligatoire - Les dispositions du règlement 44/2001, comme
celles de la Convention de Bruxelles, ont un domaine d'application délimité, non seule-
ment quant à la matière traitée, mais encore quant aux liens géographiques requis entre le
litige et les tribunaux saisis.
Au préalable, l'applicabilité de ces règles dépend aussi du domaine de la force obliga-
toire de l'instrument. Elles n'ont à être appliquées que par un tribunal appartenant à un
État qui est lié par l'instrument. Ainsi, un même litige remplissant les conditions d'appli-
cabilité identiques de deux traités distincts, relèvera-t-il de l'un ou de l'autre selon la
nationalité du juge saisi.
Il est clair que le règlement 44/2001 oblige seulement les juridictions des États membres, aucu-
1111

nement une quelconque autorité d'un pays tiers. Sur cette précision, voy. nettement: C.J.C.E., aff.
C-281/02, 1er mars 2005, Owusu.

Dans le cas des Conventions de Bruxelles et de Lugano, ces tribunaux sont ceux des
États qui ont ratifié chacune de ces conventions. Dans le cas du règlement, ceux-ci ne
sont pas nécessairement ceux de tout État membre. En effet, l'acte n'est pas« applicable»
au Danemark (voy. supra, n ° 8.6). Cela explique que, dans ce règlement, « on entend par
"État membre" tous les États membres à l'exception du Danemark» (art. 1er, par. 3).
Concrètement, les tribunaux belges sont tenus par le règlement, alors que les tribunaux
danois ne le sont pas. Pour ceux-ci, la Convention de Bruxelles continue d'avoir force
obligatoire, dans l'attente de la conclusion d'un nouvel instrument liant ce pays (voy.
supra, n ° 8.6). Et les tribunaux belges sont tenus de l'appliquer aux demandes présentant
avec le Danemark le lien servant à définir l'applicabilité dans l'espace, tel le domicile du
défendeur.
IllSur la distinction générale encre applicabilité et force obligatoire de la règle de droit, voy. supra,
n° 1.31.
Ill Concrètement, le juge belge aura à appliquer la Convention lorsque le défendeur est domicilié
au Danemark, ou si la demande porte sur un bien au sens de l'article 22, localisé au Danemark, ou
si la clause de juridiction désigne les juridictions danoises.
346 SOURCES RELATIVES AUX CONFLITS D'AUTORITÉS ET DE JURIDICTIONS

Les notions d'applicabilité dans l'espace et de détermination de la force obligatoire


appellent nécessairement la fixation d'un territoire de référence. Ce territoire est en prin-
cipe celui des États qui ont ratifié la Convention ou auxquels le règlement est applicable.
La réalité est plus complexe. Pour le règlement, il y a lieu de se référer au territoire défini
par l'article 299 du traité CE, ce qui exclut certains territoires cependant couverts par la
Convention, celle-ci étant alors applicable aux situations dont l'élément de localisation
pertinent est fixé sur l'un de ces territoires (art. 68, § 1er, du règl.).
11 Pour plus de détails, voy. H. GAUDEMET-TALLON, Compétence et exécution des décisions en Europe
(Paris, LGDJ, 2002), n°s 53 et s., montrant que la version de la Convention de San Sebastian a, en ne
reprenant pas l'art. 60, supprimé toute précision sur le« territoire» couvert, alors que les versions
antérieures procédaient à des extensions et à des exclusions précises. Cette modification résultait
d'une volonté d'alignement sur la Convention de Lugano, dont l'intention était d'étendre autant
que possible le territoire concerné. Selon cet auteur, il y a lieu de se référer désormais au territoire
défini par le droit constitutionnel de chaque État.

La conjonction de la suppression de l'art. 60 de la Convention et de la formulation de l'art. 68


11!1
du règlement a pour effet que la Convention continue de s'appliquer, notamment, aux territoires
français d'autre-mer, à Aruba et à Gibraltar (auteur précité, n ° 62). En revanche, aucun de ces ins-
truments ne couvre, par exemple, le territoire des îles anglo-normandes.

8.20 - Règle d'applicabilité et règle de compétence - Lorsqu'une disposition de l'acte a


pour objet d'en définir le domaine d'application, sa portée ne saurait être confondue avec
celle d'une règle de compétence.
Si une action ne répond pas aux conditions de la seconde, l'effet réclamé par le
demandeur sera rejeté. Si les éléments constitutifs du litige n'entrent pas dans le
domaine d'application, la seule conséquence en sera l'inapplicabilité de la disposition,
non pas nécessairement le rejet du moyen: celui-ci sera alors apprécié au regard d'une
autre disposition de l'acte, d'un autre acte ou, à défaut, du droit commun (C.J.C.E., aff. C-
318/93, 15 septembre 1994, Brenner, Rec., 1994, I-4275, Revue, 1995, 754, note R. LIBCHA-
BER).

Il Pareille distinction n'apparaît pas dans l'arrêt Six Constructions de la Cour de justice du 15 février
1989 (aff. 32/88, Rec., 1989, 341, Revue, 1989, 555, note P. RODIÈRE, Clunet, 1989, 461, note A. HuET)
qui, à propos d'une action introduite contre un défendeur domicilié dans un État contractant alors
que le lieu d'exécution de l'obligation contractuelle litigieuse se situait dans un État tiers, déclare
l'article 5, 1°, « inapplicable ».

8.21 - Portée de la distinction à propos des clauses de juridiction - La pertinence de la


distinction entre règle d'applicabilité et règle de compétence apparaît surtout à propos
des clauses attributives de juridiction (voy. infra, n°s 14.13).
11!1 Une question analogue surgit en matière de droits réels. Voy. le point suivant.

Si une clause entrant dans le domaine du règlement ne répond pas aux conditions
de validité que celui-ci établit, son effet sera nul, et il n'y aura plus lieu ensuite d'en appré-
cier encore la validité au regard du droit commun. La compétence du tribunal sera alors
déterminée abstraction faite de la clause. Si une clause n'entre pas dans le domaine du
règlement, il convient normalement d'en apprécier la portée au regard, soit d'un autre
instrument international qui serait applicable, soit, à défaut, du droit commun.
11!1Pour une référence aux règles de conflit de lois de la juridiction saisie lorsque la clause désigne
les juridictions d'un pays tiers, voy. : C.J.C.E., aff. C-387/98, 9 novembre 2000, Coreck Maritime, Rec.
(2000), I-9337, Revue (2001), 359, note F. BERNARD.
ACTES LIÉS À L'UNION EUROPÉENNE 347

Comme d'autres auteurs l'ont souligné, cette solution permet aux parties d'ôter
tout effet utile aux compétences exclusives ou impératives que doivent respecter les clau-
ses couvertes par le règlement ! Ce risque pourrait être écarté si on faisait prévaloir les
dispositions communes dès que le litige lui-même obéit aux conditions d'applicabilité
requises par ces dispositions. Ainsi, une clause échappant au domaine du règlement mais
valable selon le droit commun devrait céder devant le critère du for du domicile du défen-
deur chaque fois que celui-ci se localise dans un État membre. Pareille interprétation
donne toutefois au critère d'applicabilité la portée d'une règle substantielle, puisque la
clause échappant au domaine d'application du règlement se verrait privée de toute por-
tée par l'effet d'un autre critère d'applicabilité, celui du domicile du défendeur. Il paraît
plus satisfaisant de ne faire prévaloir que les compétences impératives (sections 3 à 5) et
exclusives (art. 22) du règlement, en considérant que le paragraphe 5 de l'article 23, ôtant
tout effet aux clauses contraires à ces compétences, doit être attaché à chacune des dispo-
sitions visées et régit ainsi toute clause affectant une action entrant dans le domaine
d'application de celles-ci.
Ill Sur cette question, en faveur de la première solution, voy.: G. VAN HECKE et K. LENAERTS, n° 67,
approuvant G. DROZ, précité n ° 8.1, n° 217; rapport SCHLOSSER, n" 63 ; P. GOTHOT et D. HOLLEAUX,
précités n ° 8.1, n" 166, mais sans les nuances indiquées, ainsi que la jurisprudence belge citée par B.
HANOTIAU et M. FALLON,]. T (1987), 477, n° 50.
En faveur de la seconde solution, voy. : H. GAUDEMET-TALLON, Compétence et exécution des jugements en
Europe (Paris, LGDJ, 2002), n° 131; P. MAYER et V. HEUZÉ, n° 350. Cette solution-ci respecte aussi
un objectif général de l'acte, qui entend limiter les cas dans lesquels le défendeur peut être assigné
hors du pays de son domicile (voy. infra, n" 9.22); C. trav. Liège, 3 avril 2003,].L.M.B. (2004), 413.

Il. LE LITIGE COMMUNAUTAIRE COMME CRITÈRE D'APPLICABILITÉ

8.22 - Notion de litige communautaire - Le chapitre II du règlement définit son


domaine d'application dans l'espace au moyen d'une liste précise de critères, qu'il a repris
de la Convention de Bruxelles sans aucune modification. Ceux-ci concrétisent un lien de
rattachement de la situation litigieuse avec l'ordre juridique d'un État membre, sans qu'il
soit exclu que cette situation puisse en même temps avoir de tels liens avec un État tiers.
Ce lien de rattachement n'est pas unique mais varie en fonction des matières. Dans tous
les cas, il s'apprécie au regard du« territoire» d'un État membre.
Ill Ainsi, s'il est exact que le règlement, à l'instar de la Convention, a pour objet « de répartir les
compétences judiciaires [... ] dans les relations intracommunautaires» (C.J.C.E., aff. C-365/88,
15 mai 1990, Kongress Agentur Hagen, Rec., 1990, I, 1845, Revue, 1990, 564, note H. GAUDEMET-TAL-
LON, Clunet, 1991, 498, note A. HUET), il ne se limite pas pour autant à des situations qui n'ont de
liens de rattachement qu'avec des États contractants: il peut couvrir des situations extracommu-
nautaires et affecter, à ce titre, les relations externes de la Communauté.
Ill Pour la définition du« territoire», voy. supra, n° 8.19.
Une règle d'applicabilité de caractère général se dégage de l'article 3 et, a contrario, de
l'article 4, paragraphe 1er_ Toutes les dispositions du chapitre II, à la seule exception des
articles 4, paragraphe 2, 22, 23 - et sans doute 24 (voy. infra, n° 9.37) -, ne sont applica-
bles que si le défendeur est domicilié sur le territoire d'un État membre.
Ill Le critère du domicile du défendeur remplit bien la fonction d'un critère d'applicabilité - à côté
de celle d'un critère de compétence (voy. infra, n ° 9.28). Il en résulte à l'évidence que le règlement est
applicable dès que le défendeur est domicilié dans un État membre, même lorsque le demandeur
est domicilié dans un État tiers (C.].C.E., aff. C-412/98, 13 juillet 2000,]osiReinsurance, Rec., 2000, 1-
5925, Rev. dr. comm. belge, 2001, 140, note C. VAN SCHOUBROECK, y voyant une implication du rôle
348 SOURCES RELATIVES AUX CONFLITS D'AUTORITÉS ET DE JURIDICTIONS

central de ce critère aux fins de la détermination de la compétence, au détriment du critère du


domicile du demandeur). Il en va de même lorsque l'acte ou le fait servant de critère de compétence
dans une matière particulière est localisé dans un pays tiers: C.J.C.E., aff. 32/88, 15 février 1989, Six
Constructions, Rec. (1989), 341, Revue (1989), 555, note P. RoDIÈRE; aff. C-281/02, 1er mars 2005,
Owusu; C. trav. Liège, 3 avril 2003,j.L.M.B. (2004), 413.
Pour la définition du domicile, voy. infra, n ° 9.29.

111En cas de pluralité de défendeurs, les dispositions pertinentes ne s'appliquent que si ceux-ci
sont domiciliés sur le territoire d'un État membre (C.J.C.E., aff. C-51/97, 27 octobre 1998, Réunion
européenne, Rec., 1998, 1-6511, Revue, 1999, 322, note H. GAUDEMET-TALLON).
Techniquement, on peut imaginer qu'une demande en garantie soit formulée contre un défendeur
domicilié dans un autre État membre alors que la compétence du tribunal saisi est fondée sur le
seul domicile du demandeur, en vertu de l'article 4. La Cour de cassation de France (Fe ch. civ.,
14 mai 1992, Veenbrink, Clunet, 1993, 151, note A. HUET) ne voit pas d'objection à appliquer
l'article 6, 2 °, ce qui a pour résultat de permettre d'attraire un tel défendeur devant un for exorbi-
tant. En réalité, l'article 4 ne devrait jouer que contre un défendeur domicilié dans un État tiers.

D'autres règles d'applicabilité affectent des dispositions particulières.


1111 Sur la difficulté liée à l'interaction des différents critères d'applicabilité, voy. supra, n° 8.21.

Quatre critères spéciaux d'applicabilité se substituent au domicile du défendeur, à


savoir:
- Subsidiairement, lorsque le défendeur est domicilié dans un pays tiers, le domi-
cile du demandeur, à propos de la faculté pour celui-ci d'invoquer les règles de compé-
tence internationale en vigueur dans l'État du for comme pourrait le faire un national du
même État (art. 4, § 2).
- Le lieu de situation du bien, à propos des règles de compétence exclusive de
l'article 22, applicables« sans considération de domicile». Cette règle d'applicabilité vaut
aussi pour l'article 23, paragraphe 5, dans la mesure où il se réfère à l'article 22.
111 Le critère de la situation du bien soulève la question de son « effet réflexe», lorsque le bien est
situé dans un pays tiers: faut-il en ce cas se référer au droit commun, ou revenir, du moins pour les
cas où le défendeur est domicilié sur le territoire d'un État membre, aux dispositions générales du
règlement? La première solution s'autorise de l'objectif propre de cette disposition, qui est de
déroger au critère général du domicile du défendeur au profit du choix du tribunal le plus appro-
prié. Dans les matières couvertes par l'article 22, le recours à l'article 2 est exclu.
G. DROZ (précité n ° 8.1), n° 164, est favorable à un retour au droit commun, au nom d'un« effet
réflexe» de l'article 16 de la Convention (art. 22 règl.). Dans le même sens: H. GAUDEMET-TALLON,
Compétence et efficacité des jugements en Europe (Paris, LGDJ, 2002), n ° 100. Cet « effet réflexe» est
rejeté par les rapports explicatifs des Conventions de San Sebastian et de Lugano (voy. H. BoRN et
M. FALLON,]. T., 1992, p. 415, n° 59).
Lorsque l'immeuble est situé sur le territoire d'un État tiers mais partie à la Convention de Lugano
(supra, n ° 8.9), le juge d'un État membre partie à cette Convention doit faire application de
l'article 16 de cette dernière, et se déclarer incompétent.

Le domicile de l'une des parties, à propos des clauses de juridiction (art. 23).
L'appartenance du tribunal désigné à un État membre: lorsque aucune des par-
ties à une clause de juridiction au sens de l'article 23 n'est domiciliée dans un État mem-
bre, les tribunaux des autres États membres ne peuvent connaître du différend tant que
le tribunal désigné n'a pas décliné sa compétence. Par ailleurs, les règles de procédure du
règlement (art. 25 à 30) ne valent que pour les actions introduites devant un tribunal
d'un État membre.
ACTES LIÉS À L'UNION EUROPÉENNE 349

1111 Les règles sur la litispendance et la connexité obéissent au critère de l'appartenance des juridic-
tions saisies : celles-ci doivent toutes appartenir à des États membres. La condition est suffisante,
de sorte que les dispositions s'appliquent indépendamment du domicile des parties, même lors-
que, à l'égard d'un défendeur domicilié dans un État tiers, le tribunal exercerait sa compétence en
vertu du droit commun, conformément à l'article 4 (C.J.C.E., aff. C-351/89, 27 juin 1991, Overseas
Union Insurance, Rec., 1991, 1-3317, Revue, 1991, 764, note H. GAUDEMET-TALLON).
Il peut en résulter des conflits entre instruments. Ainsi, la Convention de Lugano (supra, n° 8.9)
prévoit l'application de ses propres dispositions (art. 21 et 22) lorsque les demandes intéressent res-
pectivement des tribunaux d'un État membre des Communautés européennes et des tribunaux
d'un État contractant non membre des Communautés (art. 54ter, § 2, b).
Pour le cas où l'un des États n'était pas encore partie à la Convention de Bruxelles lors de l'intro-
duction des demandes mais bien ultérieurement alors que les demandes étaient encore pendantes,
voy.: C.J.C.E., aff. C-163/95, 9 octobre 1997, von Horn, Rec. (1997), 1-5451, Revue (1998), 105, note
H. GAUDEMET-TALLON.
Pour une inclusion dans le domaine de l'article 21 de la Convention de Bruxelles (devenu art. 27 du
règl.) de demandes portant sur une décision rendue dans un État tiers, voy.: C.J.C.E., aff. C-129/92,
20 janvier 1994, Owens Bank, Rec. (1994), 1-117, Tijds. Not. (1994), 343, note M. LOOYENS, Revue
(1994), 377, note H. GAUDEMET-TALLON.
1111 L'extension du domaine de l'article 23 résulte d'une adaptation de l'article 17 de la Convention
de Bruxelles lors de l'adhésion de la Grande-Bretagne. Elle tendrait à préserver le rôle de la place de
Londres, dont les tribunaux sont fréquemment désignés dans des contrats commerciaux. D'après
le rapport ScHLOSSER (n° 177), il est de« l'intérêt de la Communauté de veiller à ce que l'effet déro-
gatoire soit reconnu ».
1111 Pour le cas où la clause désigne les juridictions d'un pays tiers, voy. le point précédent.
La prorogation de compétence fondée sur la comparution du défendeur (art. 24, voy. infra,
1111

n° 9.37) soulève un problème particulier: est-elle subordonnée à la condition que le défendeur soit
domicilié sur le territoire d'un État membre ?
Le rapport JENARD (chap. IV, B, à propos de l'art. 18 de la Conv.) répond affirmativement. Cette
réponse, bien qu'elle ne résulte pas du texte (comp. l'art. 26, § 1er), paraît conforme à l'économie
générale de l'acte, et, notamment, à l'article 4, paragraphe 1er, auquel il n'y a pas lieu de déroger ici
(en ce sens aussi : H. GAUDEMET-TALLON, Compétence judiciaire et efficacité des décisions en Europe, Paris,
LGDJ, 2002, n ° 165).
Pourtant, la circonstance que l'article 24 trouve également à s'appliquer malgré les termes d'une
clause de juridiction (voy. infra, n° 14.12) donne à penser que son domaine puisse coïncider égale-
ment avec celui de l'article 23. De fait, pour la Cour de justice, « la comparution volontaire du
défendeur fonde la compétence de la juridiction d'un État [membre] saisie par le demandeur, sans
que le lieu du domicile du défendeur soit pertinent» (C.J.C.E., aff. C-412/98, 13 juillet 2000, Josi
Reinsurance, Rec., 2000, 1-5925, Rev. dr. comm. belge, 2001, 140, note C. VAN ScHOUBROECK), y voyant
une atténuation du principe de l'application du critère du domicile du défendeur.
1111La localisation du critère de compétence pertinent dans un État tiers peut également conduire à
écarter l'application de la disposition visée : voy. l'arrêt Six Constructions de la Cour de justice, pré-
cité, n° 8.11.
L'applicabilité de la disposition relative aux mesures provisoires ou conservatoires
(art. 31 du règl., art. 24 de la Conv.) soulève une difficulté. Initialement simple règle de
signalisation renvoyant au droit national, cette disposition n'a pas soulevé de difficulté
particulière à cet égard, jusqu'à ce que la Cour de justice y ajoute une disposition norma-
tive conditionnant l'exercice de la compétence internationale (voy. infra, n ° 9.34).
D'aucuns estiment ne pas devoir aligner l'applicabilité dans l'espace de la disposition sur
celle des autres règles de compétence du règlement (Civ. Bruxelles, 6 février 1997, Intellec-
tuele Eigendom - Droits intellectuels, 2002, 346, citant notamment P. GoTHOT et D. HoL-
LEAUX). Il y a plutôt lieu de croire qu'il faut s'en tenir aux termes de l'article 4, paragraphe
premier, qui ne prévoit pas d'exception dans ce cas, en comprenant que l'applicabilité de
350 SOURCES RELATIVES AUX CONFLITS D'AUTORITÉS ET DE JURIDICTIONS

la disposition s'aligne sur celle des règles de compétence pertinentes dans la matière
correspondante. Toute autre interprétation conduirait à substituer pratiquement
l'article 31 du règlement au droit commun des États membres, même pour un litige non
communautaire. Et, à lui seul, le critère du domicile du demandeur ne pourrait suffire
(voy. l'arrêt]osi Reinsurance, précité).
8.23 - Clauses de différenciation pour certains États - Le règlement n'établit pas un
régime totalement uniforme. Il consent encore certaines disparités de traitement, liées à
la protection d'intérêts nationaux ou aux particularités procédurales de certains droits
nationaux.
La clause de protection du défendeur luxembourgeois est présente dans la Con-
vention de Bruxelles dès sa version de 1968 (art. 1cr du protocole annexé). Le défendeur
domicilié au Grand-Duché de Luxembourg pouvait invoquer l'inopposabilité du for con-
tractuel (art. 5, 1 °), afin d'éviter d'être assigné dans un autre État membre lorsque l'obliga-
tion contractuelle en litige devait s'exécuter hors de son propre pays, et il pouvait exiger
qu'une clause de juridiction fût expressément et spécialement acceptée par lui. Le règle-
ment reprend le principe de cette protection, non sans en limiter la portée quant à l'objet
et dans le temps. Pour le for contractuel, la protection n'est due que si « le lieu final de
livraison de la marchandise ou de la prestation de service se situe au Luxembourg»
(art. 63, § 1er), restriction qui doit se lire en relation avec le contenu du nouvel article 5, 1°,
point b); pour la clause de juridiction, le texte se contente d'une confirmation écrite du
défendeur; sous l'angle des contrats visés, la protection ne s'étend pas aux prestations de
services financiers. Quant à la durée de la protection, celle-ci expire au terme d'un délai de
six ans à compter de l'entrée en vigueur du règlement, soit le 1er mars 2008.
1111Sur ce que le privilège luxembourgeois vaut uniquement à propos de l'article 5, non de
l'article 6, voy. : C. trav. Anvers, 7 février 2002,]ur. Anvers (2002), 9 ; 20 juin 2002,]ur. Anvers (2003),
215.
Une clause spéciale couvre aussi les relations de travail concernant un navire de mer
immatriculé en Grèce ou au Portugal (art. 64): la juridiction saisie ne peut statuer
qu'après avoir vérifié que l'agent diplomatique ou consulaire dont relève le navire a été
informé du litige. Comme dans le cas précédent, la protection expire au 1cr mars 2008.
Enfin, le règlement exclut l'application des dispositions relatives aux demandes en
garantie ou en intervention devant les juridictions allemandes ou autrichiennes - ainsi
que hongroises (règl. 1496/2002 du 21 août 2002,].O.C.E., 2002, L 225) -, sans tourefois
étendre cette exclusion à la reconnaissance par ces juridictions de décisions rendues dans
d'autres États membres sur la base de ces dispositions (art. 65).
8.24 - Décision rendue dans un État membre - Les critères d'applicabilité relatifs aux
règles de compétence ne sont pas pris en considération dans la matière de la reconnaissance
et de l'exécution. Le critère spatial auquel est subordonnée, dans cette matière, la mise en
œuvre des dispositions communes est que la décision ou l'acte public à reconnaître ou à exé-
cuter dans un État membre émane d'un autre État membre (voy. les art. 32, 33, § 1er, 38 et
57, § 1er; la solution est implicite dans l'art. 58). Et toute personne peut obtenir la recon-
naissance ou l'exécution dans l'État requis sans qu'elle doive se prévaloir d'un autre critère
de localisation que le lieu dans lequel l'acte ou la décision doit produire ses effets.
Ill Ainsi, bénéficie du chapitre III la décision rendue dans un État membre, lorsque la compétence
du juge d'origine se fonde sur l'un des critères exorbitants dont l'article 4 permet l'utilisation dès
lors que le demandeur est domicilié sur le territoire d'un État membre.
ACTES LIÉS À L'UNION EUROPÉENNE 351

Dans ce cas toutefois, l'article 72 permet un refus de reconnaissance sur base d'une convention pas-
sée entre l'État du juge requis et l'État tiers sur le territoire duquel se trouvait le défendeur devant
le juge d'origine.

8.25 - Critique de la définition du litige communautaire - La transformation de la Con-


vention en règlement n'a pas entraîné de modification dans la définition du litige com-
munautaire. Ce constat peut étonner, pour deux motifs. D'abord, la détermination de
l'applicabilité dans l'espace d'un acte communautaire n'obéit pas nécessairement aux
mêmes conditions que celle d'un traité conclu entre États, fussent-ils membres de la
Communauté. Ensuite, à considérer qu'en toute hypothèse la Convention de Bruxelles
est bien liée au traité CE et que, par conséquent, elle a anticipé l'exigence précitée, la com-
préhension de la problématique de l'applicabilité dans l'espace des actes communautai-
res peut avoir évolué depuis 1968.
Le lien entre l'applicabilité dans l'espace de la Convention et le traité CE apparaît
dans le préambule, où les États contractants se déclarent soucieux de « renforcer dans la
Communauté la protection juridique des personnes qui y sont établies». De son côté, le
rapportJENARD justifie l'utilisation du critère de la localisation du domicile du défendeur
dans un État contractant en comparant ses avantages à ceux de la nationalité, et il y voit
un critère plus simple à utiliser mais aussi plus équitable à l'égard d'étrangers domiciliés
dans la Communauté qui « participent à son activité et à sa prospérité économique »
(chap. IV, A, 2). En se concentrant sur la comparaison des mérites respectifs de ces deux
critères, les experts tenaient essentiellement à répondre à la condition présente dans le
texte de l'article 220 du traité CE, selon lequel la simplification des formalités de recon-
naissance des décisions judiciaires vise à renforcer la protection des « ressortissants » des
États membres.
Ill La Cour de justice évoque également l'objectif de « protection juridictionnelle des personnes
établies dans la Communauté». Voy. par exemple: C.J.C.E., aff. C-111/01, 8 mai 2003, Gantner Elec-
tronic, Rec. (2003), l-4207.
Pourtant, il y a tout lieu de croire que l'applicabilité dans l'espace de l'acte commu-
nautaire se détermine aussi en fonction de celle des droits fondamentaux inscrits dans le
traité CE et dont l'acte tend à faciliter l'exercice. À cet égard, il n'est pas certain que le
choix du critère du domicile du défendeur en ce qui concerne les règles de compétence et
celui de l'appartenance du juge d'origine à un État membre en ce qui concerne les règles
sur l'efficacité des décisions, suffise à couvrir le domaine du traité CE. En effet, la liberté
de circulation des marchandises bénéficie aux produits originaires des États membres
mais aussi à tous ceux qui sont mis en libre pratique dans la Communauté (art. 23 CE),
et la liberté de prestation de services couvre toute prestation fournie par un prestataire
ressortissant d'un État membre établi dans un tel État à un destinataire également établi
dans un État membre (art. 49 CE).
1111 Ainsi, le règlement couvre une action intentée contre une entreprise française pour la fourniture

d'une marchandise commercialisée aux États-Unis, mais non, inversement, celle intentée contre
une entreprise américaine lorsque la marchandise a été commercialisée dans la Communauté.
1111En ce qui concerne les règles sur l'efficacité des décisions, la condition de l'appartenance du juge
d'origine à un État membre emprunte un critère qui est de principe dans les traités internationaux.
Pourtant, son utilisation dans un acte communautaire, qui est unilatéral par essence, ne s'impose
pas, tandis qu'une extension des règles communes aux décisions rendues dans un pays tiers lors-
que la situation présente un intérêt communautaire répondrait mieux aux besoins du marché inté-
rieur.
352 SOURCES RELATIVES AUX CONFLITS D'AUTORITÉS ET DE JURIDICTIONS

L'article 220 du traité CE n'exigeait pas formellement que l'action des États entre dans le
11!1
domaine du traité CE, ; pourtant, cette condition découlait non seulement de l'appartenance de la
disposition au traité, mais encore de la condition que cette action soit prise« en tant que de besoin».
L'utilisation de l'article 65 CE comme base juridique du règlement accentue l'intérêt de la question
soulevée, puisque le texte exige que l'action soit « nécessaire au bon fonctionnement du marché
intérieur» (voy. supra, n ° 4.33).
Il y aurait donc lieu de s'interroger sur la possibilité de définir autrement les litiges
communautaires, en définissant l'ensemble des situations qui affectent un intérêt com-
munautaire. Cette définition semble devoir reposer sur celle des situations qui entrent
dans les prévisions des règles du traité CE qui organisent les différentes libertés de circu-
lation concernées par l'acte, sans qu'il soit exclu que le législateur communautaire reste
en deçà de la compétence attribuée en ne l'exerçant pas pour l'ensemble des situations
concernées.
1111Sur cette problématique, voy. notamment: M. FALLON,« Approche systémique de l'applicabilité
dans l'espace de Bruxelles I et de Rome I »,]. MEEUSEN e.a. (dir.), Enforcementofinternational contracts
in the European Union (Anvers, lntersentia, 2004), 127-174. Voy. plus généralement: H. GAUDEMET-
TALLON, « Les frontières extérieures de l'espace judiciaire européen: quelques repères», Mélanges
Droz (La Haye, Nijhoff, 1996), 85-104.
Selon la Cour de justice toutefois, la condition que l'acte affecte le bon fonctionnement du mar-
11!1
ché intérieur n'exige pas que la situation concrète ait un « lien effectif et suffisant» avec le marché
intérieur car une telle exigence soumettrait l'applicabilité dans l'espace de l'acte communautaire à
une variabilité excessive en fonction de l'espèce (C.].C.E., aff. C-281/02, 1er mars 2005, Owusu,
s'appuyant sur: aff. C-465/00 e.a., 20 mai 2003, Osterreichischer Rundfunk, Rec., 2003, I-4989).

C. Relations avec d'autres actes internationaux


8.26 - Conventions bilatérales - Les articles 69 et 70 du règlement déterminent les rela-
tions de l'acte communautaire avec les conventions bilatérales conclues par divers États
membres, notamment les traités faits par la Belgique avec la France et les Pays-Bas (voy.
infra, n° 8.32). Ces instruments « continuent de produire leurs effets dans les matières
auxquelles le présent règlement n'est pas applicable» (art. 70, § 1er).
Ill Dans un arrêt du 14 juillet 1977, relatif à une procédure analogue à celle qui a fait l'objet de
l'arrêt du 14 ocrobre 1976 (supra, n° 8.14), la Cour de justice a décidé que les termes« en matière
civile et commerciale» qui figurent aussi dans la Convention germano-belge du 30 juin 1958 pou-
vaient recevoir une interprétation (sur laquelle elle n'a pas de contrôle à exercer) différente de celle
que l'arrêt précité a donnée aux mêmes mots pour l'interprétation de l'article 1er de la Convention
de Bruxelles. Ainsi, rien ne s'oppose à ce que les décisions auxquelles le traité multilatéral n'est pas
applicable soient déclarées exécutoires en vertu du traité bilatéral (aff. 9/77 et 10/77, Eurocontrol,
Rec., 1977, 1517).

8.27 - Actes concernant des matières particulières - Le règlement « n'affecte pas les
conventions auxquelles les États membres sont parties et qui, dans des matières particu-
lières, règlent la compétence judiciaire, la reconnaissance ou l'exécution des décisions»
(art. 71). Le texte présente, par rapport à celui de la Convention, une différence notable.
Celle-ci ne déroge pas aux conventions auxquelles les États sont« ou seront » parties : elle
permet donc une dérogation par la conclusion d'un traité à venir, alors que le règlement
l'exclut. La différence s'explique par l'appartenance du règlement au droit communau-
taire, puisque l'exercice de la compétence normative pour le marché intérieur confère en
principe une compétence normative exclusive pour la conclusion d'accords avec des pays
tiers (voy. supra, n ° 8.6).
ACTES LIÉS À L'UNION EUROPÉENNE 353

1111 Pour une liste des conventions existantes en 1968, voy. le rapport JENARD, chap. IV, sous
l'article 57 de la Convention. Celles qui intéressent la Belgique sont mentionnées sous les n'15 8.32
et S.
Ill Le paragraphe 2 de l'article 71 ajoure que le tribunal qui applique une convention particulière à
un défendeur domicilié hors du territoire d'un État partie à cette convention, doit respecter
l'article 26 du règlement, relatif à la vérification de la recevabilité lorsque le défendeur fait défaut.
Pour une application de l'article 20 de la Convention (art. 26 du règl.), voy.: C.J.C.E., aff. C-148/03,
28 octobre 2004, Nürnberger Allgemeine Versicherungs, confirmant que la vérification de la compé-
tence au sens de l'acte renvoie, dans un tel cas, à un examen en fonction de la convention spéciale,
en l'espèce la C.M.R.
Par application de la règle !ex specialis, la priorité est également accordée aux actes
communautaires - ou aux législations nationales harmonisées en exécution de ces actes
- (art. 67), sans qu'il faille distinguer selon que l'acte particulier est antérieur ou posté-
rieur au règlement.
Ill Sur l'existence de tels actes particuliers, voy. supra, n ° 8.7.
Ill Par une disposition spécifique (art. 26, § 3), le règlement renvoie au règlement 1348/2000 du
Conseil du 29 mai 2000 (voy. supra, n ° 8.8) qui, sans viser la compétence ni l'efficacité des décisions,
affecte cette problématique en couvrant celle de la communication des actes judiciaires à l'étranger.
Le renvoi sert à définir la remise en temps utile de l'acte introductif d'instance, élément que le juge
de l'instance directe est tenu de vérifier.
Le renvoi s'étend à la Convention de La Haye, du 15 novembre 1965, relative à la signification et à la
notification à l'étranger des acres judiciaires et extrajudiciaires en matière civile et commerciale
(infra, n'" 8.40 et 11.25 et s.), pour les cas exclus du domaine du règlement 1348/2000 (art. 26, § 4).
Le règlement cède aussi devant un traité conclu par un État membre avec un État
tiers, dont l'effet est de refuser la reconnaissance, dans le premier État, d'une décision
rendue dans un autre État partie à la Convention de Bruxelles, lorsque le tribunal d'ori-
gine a pu fonder sa compétence sur l'un des critères exorbitants que tolère l'article 4 en
présence d'un demandeur domicilié sur le territoire d'un État membre (art. 72, renvoyant
à l'art. 59 de la Convention).

8.28 - Application du régime de reconnaissance le plus favorable - Comme la Conven-


tion de Bruxelles, le règlement contient encore des dispositions originales qui, au lieu de
choisir en faveur d'un traité, tendent à concilier les textes en présence, en vue de faciliter
la circulation internationale des jugements.
Une première hypothèse concerne l'interaction d'un traité particulier sur la compé-
tence avec le chapitre III du règlement. L'article 71, paragraphe 2, contient une disposi-
tion interprétative du paragraphe 1er, d'après laquelle le chapitre III s'applique à la
décision d'un tribunal d'un État membre qui a fondé sa compétence sur un tel traité.
Une seconde hypothèse concerne l'interaction du chapitre III avec un traité particu-
lier sur la reconnaissance. Même si une décision étrangère entre dans le domaine d'un tel
traité, il peut être fait application, pour obtenir la reconnaissance ou l'exécution, de la
procédure établie par le chapitre III (même disposition interprétative de l'art. 57, § ier).
1111 La Convention de Lugano (voy. supra, n° 8.9) contient des dispositions analogues (art. 57, 3° et
5°), reprises de la Convention de Bruxelles.

8.29 - Relations avec la Convention de Lugano - Les liens entre le règlement et la Con-
vention de Lugano (précitée, n° 8.9) suscitent une difficulté particulière. Lorsqu'une
action introduite devant les tribunaux d'un État lié par les deux instruments répond au
critère d'applicabilité utilisé par l'un et l'autre, lequel doit-il appliquer?
354 SOURCES RELATIVES AUX CONFLITS D'AUTORITÉS ET DE JURIDICTIONS

Selon l'article 54ter de la Convention de Lugano, la Convention de Bruxelles - c'est-


à-dire le règlement - prévaut dans cet État. En revanche, les tribunaux d'un État partie à
la Convention de Lugano mais auquel le règlement ne s'applique pas (le Danemark par
exemple), ne peut qu'appliquer les dispositions de la première.
Par exemple, pour les États liés par la Convention de Lugano, une action intentée contre un
1!11
défendeur domicilié en France relève de cette Convention pour les tribunaux suisses, mais du règle-
ment pour les tribunaux belges.
Les deux instruments utilisent le domicile du défendeur dans un État membre/contractant
1111

comme critère d'applicabilité dans l'espace (voy. supra, n° 8.22).


Ce principe connaît des exceptions. Les unes concernent les compétences exclusives
de l'article 16 - art. 22 du règlement - (voy. infra, n° 9.30) et la prorogation de compé-
tence prévue par l'article 17 - art. 23 du règlement - (voy. infra, n° 9.32), les autres tou-
chent à la litispendance et à la connexité: dans ces cas, les dispositions pertinentes de la
Convention de Lugano prévalent.

D. Applicabilité dans le temps


8.30 - Applicabilité immédiate des règles de compétence - La date pertinente pour
déterminer l'applicabilité dans le temps des règles de compétence du règlement, comme
de celles de la Convention, est celle du jour de l'introduction de l'action ou de la récep-
tion de l'acte authentique (art. 66, § ier du règl.; art. 54 de la Conv.). C'est l'action judi-
ciaire plutôt que la situation litigieuse qui constitue l'objet des règles communes.
Ainsi, une situation initialement exclue du domaine de la Convention ou du règle-
ment peut y être comprise au jour de l'introduction de l'action. Il peut en être ainsi de
clauses de juridiction, insérées par exemple dans un contrat interne au moment de sa
conclusion, mais intéressant ultérieurement une action à caractère international.
Voy. à propos des clauses de juridiction, en ce sens, P. GoTHOT et D. HOLLEAUX (précités n ° 8.1),
11111
n° 168; C.J.C.E., aff. 25/79, 13 novembre 1979, Sanicentral, Rec. (1979), 3423,].T (1980), 171, à propos
d'une clause insérée dans un contrat de travail. Contra: Liège, 18 février 2000, D.A.O.R. (2000), 391.

8.31 - Efficacité des décisions étrangères - Le principe précité vaut aussi pour l'effica-
cité des décisions. Toutefois, l'article 66, paragraphe 2, du règlement étend le domaine de
celui-ci aux procédures introduites dans l'État d'origine avant la date de son entrée en
vigueur lorsque la décision étrangère est rendue après cette date, mais à condition que,
soit la compétence du juge d'origine trouve à se fonder sur les règles du chapitre II ou sur
celles d'une convention bilatérale, soit l'action dans l'État d'origine entre dans le
domaine d'application dans le temps de la Convention de Bruxelles ou de la Convention
de Lugano.
L'article 66 introduit ainsi un contrôle de la compétence indirecte, en principe exclu pour les
1!11
décisions relevant du domaine du règlement ou de la Convention (voy. infra, n° 10.23). Voy. une
application par: Civ. Bruxelles, 12 avril 1988, Rev. gén. dr. civ. (1989), 422.
Des dispositions transitoires particulières figurent dans les versions modificatives de la Conven-
1111

tion de Bruxelles. Entre les États parties à la Convention de base, les dispositions nouvelles sont
applicables immédiatement.
L'article 70, paragraphe 2, du règlement, comme la disposition correspondante de la
Convention, confirme que les traités sur lesquels le règlement, ou la Convention, a la
priorité (voy. ci-dessous) s'appliquent aux décisions étrangères rendues avant son entrée
en vigueur.
ACTES INTERNATIONAUX NON LIÉS À L'UNION EUROPÉENNE 355

Section 2
Actes internationaux
non liés à l'Union européenne
§1 CONVENTIONS BILATÉRALES DOUBLES
8.32 - Relations avec la France et les Pays-Bas - Deux traités bilatéraux portent sur
l'ensemble des matières civile et commerciale, et couvrent à la fois la compétence interna-
tionale et l'efficacité des décisions étrangères.
La portée de ces traités a été réduite considérablement par l'entrée en vigueur de la
Convention de Bruxelles puis du règlement 44/2001, ainsi que du règlement
« Bruxelles II» (voy. infra, n° 12.79) et du règlement sur l'insolvabilité (voy. infra,
n ° 13.63). Ils n'affectent plus que des demandes exclues du domaine d'application de ces
actes (voy. supra, n ° 8.26). Il s'agit de:
- la Convention conclue le 8 juillet 1899 entre la Belgique et la France sur la compé-
tence judiciaire, sur l'autorité et l'exécution des décisions judiciaires, des sentences arbi-
trales et des actes authentiques (loi du 31 mars 1900, Monit., 30-31 juillet 1900, Pasin.,
1900,329);
- la Convention conclue le 28 mars 1925 entre la Belgique et les Pays-Bas sur la
compétence judiciaire territoriale, sur la faillite, sur l'autorité et l'exécution des décisions
judiciaires, des sentences arbitrales et des actes authentiques, et le Protocole additionnel
(loi du 16 août 1926, Monit., 27 juillet 1929, Pasin., 1929, 549).
8.33 - Domaine d'application des conventions bilatérales doubles - Le domaine d'ap-
plication dans l'espace de ces traités n'est pas toujours aisé à déterminer. Bien qu'ils
visent essentiellement les rapports entre ressortissants d'États contractants - ceux-ci
fussent-ils tous ressortissants de l'État contractant autre que celui du for-, il n'est pas
exclu qu'ils puissent s'appliquer également à des litiges auxquels sont parties les ressor-
tissants d'États tiers.
Il Sur ces questions, voy., outre les études de H. DE CocK (spéc. pp. 107 et 131) et de M. WESER,
précitées n° 8.1: C. DEBROUX, note sous C. trav. Mons, 15 mai 1991, Rev. trim. dr. fam. (1991), 332-
337.

Le traité belgo-néerlandais est assez clair à cet égard. L'article 9 exige seulement que
l'une des parties devant une juridiction de l'un des États soit ressortissante de l'autre
État. Cette disposition ne s'applique cependant pas aux règles de compétence relatives à
la faillite (art. 20 à 25), qui ne contiennent aucun critère d'applicabilité.
Sur l'application de ce traité à une demande en divorce émanant d'un Néerlandais contre un
1111

Luxembourgeois, voy. : Bruxelles, 2 janvier 2001, R. W. (2001-2002), 782.

Le traité franco-belge accompagne certaines règles spéciales d'un critère d'applicabi-


lité, en matière d'obligations (art. 2), en matière de contestation relative à l'exploitation
d'une succursale (art. 3, § 2), en matière de faillite (art. 8). Tant ces dispositions que celles
de l'article premier, paragraphe 2 - qui permet au Belge d'invoquer en France l'article 14
du Code civil, sous certaines conditions, « pour traduire d'autres étrangers» - impli-
quent que le traité est applicable à des litiges entre un ressortissant de l'autre État con-
tractant et un ressortissant d'un État tiers.
356 SOURCES RELATIVES AUX CONFLITS D'AUTORITÉS ET DE JURIDICTIONS

1111 Les compétences exclusives instituées en matière de tutelle et de succession ne comportent pas
de critère d'applicabilité explicite. En raison de leur nature, leur application s'impose à tout litige
relatif à une tutelle ou à une succession ouverte en Belgique ou en France, mais en limitant la
répartition des compétences que ces règles opèrent aux conflits opposant tribunaux belges et fran-
çais.
Les dispositions sur la litispendance et la connexité suscitent une difficulté analo-
gue. Alors que le traité belgo-néerlandais requiert explicitement que l'un des plaideurs
soit ressortissant de l'autre État contractant, le traité franco-belge est muet, ce qui laisse
supposer qu'il suffit que les deux litiges soient respectivement soumis aux tribunaux de
l'un et de l'autre États.

§2 TRAITÉS CONCERNANT LA COMPÉTENCE INTERNATIONALE


8.34 - Présentation - La Belgique n'est partie à aucun traité concernant uniquement la
compétence internationale pour l'ensemble de la matière civile et commerciale. Elle l'est
en revanche à des conventions doubles ayant ce caractère (voy. les Conventions de Bruxel-
les et de Lugano, et les conventions bilatérales précitées).
De nombreux traités concernant une matière particulière règlent la compétence
internationale des juridictions et des autorités. Il est renvoyé aux chapitres portant sur
ces matières, spécialement le droit des biens et le droit des obligations non contractuel-
les.
8.35 - Conventions consulaires - Outre la Convention de Vienne, du 24 avril 1963, sur
les relations consulaires (loi du 17 juillet 1970, Monit., 14 novembre 1970, Pasin., 1970,
1221), il existe un très grand nombre de conventions consulaires bilatérales, les unes
antérieures à la Convention de Vienne, et dont certaines dispositions ont été remplacées
ou complétées par les dispositions correspondantes de cette Convention, les autres pos-
térieures et qui la complètent, d'autres encore qui lient la Belgique à des États n'ayant pas
adhéré à la Convention de Vienne.
Ill Outre la liste des conventions consulaires publiée dans Ann. dr. et se. polit. (1957), 260, voy. celles
qui ont été conclues avec les pays suivants, dans l'ordre chronologique:
- Royaume-Uni, 8 mars 1961 (loi du 12 juin 1964, Monit., 9 octobre 1964, Pasin., 1964, 1479);
- Grand-Duché de Luxembourg, 30 septembre 1965 (Monit., 8 décembre 1966, Pasin., 1966, 889);
- Israël, 19 août et 25 septembre 1968 (non publié) ;
- États-Unis d'Amérique, 2 septembre 1969 (loi du 8 août 1973, Monit., 20 décembre 1973, Pasin.,
1973, 1130);
- République socialiste fédérative de Yougoslavie, 30 décembre 1969 (loi du 25 avril 1973, Monit.,
20 décembre 1973, Pasin., 1973, 1527), confirmée avec la Croatie, la Macédoine et la Slovénie
(Monit., 12 décembre 1997) ;
- Roumanie, 1er juillet 1970 (loi du 12 avril 1973, Monit., 19 décembre 1973, Pasin., 1973, 1315);
- Pologne, Protocole et échange de lettres, 11 février 1972 (loi du 22 novembre 1973, Monit.,
5 février 1974, Pasin., 1973, 1315);
- Turquie et échange de lettres, 28 avril 1972 (loi du 22 août 1974, Monit., 14 avril 1976, Pasin.,
1976, 767);
- Union des Républiques socialistes soviétiques, Protocole annexe et échange de lettres, 12 juillet
1972 (loi du 14 janvier 1975, Monit., 9 août 1975, Pasin., 1975, 49);
- République socialiste tchécoslovaque, 15 juin 1976 (loi du 8 mars 1978, Monit., 26 septembre
1978), confirmée avec la Slovaquie (Monit., 22 juin 1999) et avec la Tchéquie (Monit.,
17 septembre 1997);
ACTES INTERNATIONAUX NON LIÉS À L'UNION EUROPÉENNE 357

- Hongrie, 9 juillet 1976 (loi du 12 juillet 1978, Monit., 5 octobre 1978);


- Bulgarie, 28 novembre 1978 (loi du 18 avril 1980, Monit., 1981, 2530);
- Algérie, 17 mai 1979 (loi du 2 février 1981, Monit., 19 février 1982).
Ill La Convention consulaire avec la République démocratique allemande, du 3 avril 1981 (loi du
17 janvier 1984, Monit., 30 mars 1984), a cessé de produire ses effets le 3 octobre 1990.

§3 TRAITÉS CONCERNANT L'EFFICACITÉ


DES DÉCISIONS ET DES ACTES PUBLICS
8.36 - Présentation - La conclusion de traités multilatéraux portant sur la reconnais-
sance et l'exécution à l'exception de la compétence internationale, pour l'ensemble de la
matière civile et commerciale, est plutôt exceptionnelle. On peut citer la Convention de
La Haye du 1er février 1971 sur la reconnaissance et l'exécution des jugements étrangers
en matière civile et commerciale, non en vigueur en Belgique. En revanche, de nombreu-
ses conventions bilatérales ont ce caractère (voy. infra, n ° 8.3 7).
Plus nombreuses sont les conventions doubles, de caractère général (voy. supra,
n ° 8.32) ou portant sur des matières particulières, singulièrement le droit des transports
(voy. infra, n° 14.156).
De nombreuses conventions bilatérales portant spécialement sur la reconnaissance
et l'exécution des décisions judiciaires ont été conclues en des matières particulières, sin-
gulièrement en matière d'obligations alimentaires (voy. infra, n ° 12.180).
La reconnaissance d'actes publics étrangers a fait l'objet de peu d'actes internatio-
naux multilatéraux. Voy. par exemple, en matière d'état civil, infra, n ° 8.42.
D'autres conventions concernent l'efficacité des sentences arbitrales.

8.37 - Conventions bilatérales - Les conventions bilatérales les plus significatives en


matière civile et commerciale ont perdu de leur importance en raison de la priorité du
règlement 44/2001 et des Conventions de Bruxelles et de Lugano (voy. supra, n ° 8.26).
Toutefois, elles conservent toute leur pertinence lorsqu'elles portent sur l'efficacité des
sentences arbitrales.
Ill! Ces traités sont les suivants :
- Convention entre le Royaume de Belgique et la République fédérale d'Allemagne concernant la
reconnaissance et l'exécution réciproques, en matière civile et commerciale, des décisions judi-
ciaires, sentences arbitrales et actes authentiques, et Protocole additionnel à cette Convention,
signés à Bonn le 30 juin 1958 (loi du 10 août 1960, Monit., 18 novembre, Pasin., 1960, 1119);
- Convention entre le Royaume de Belgique et la République d'Autriche, sur la reconnaissance et
l'exécution réciproques des décisions judiciaires, sentences arbitrales et actes authentiques en
matière civile et commerciale, signée à Vienne le 16 juin 1959 (loi du 10 août 1960, Monit.,
28 octobre 1961, Pasin., 1961, 795);
- Convention entre le Royaume de Belgique et la République italienne, concernant la reconnais-
sance et l'exécution des décisions judiciaires et d'autres titres exécutoires en matière civile et
commerciale, signée à Rome le 6 avril 1962 (loi du 24 juillet 1963, Monit., 18 novembre, Pasin.,
1963, 1544);
- Convention conclue le 2 mai 1934 encre la Belgique et la Grande-Bretagne sur l'exécution réci-
proque des jugements, et Protocole du même jour (loi du 4 mai 1936, Monit., 27 novembre,
Pasin., 1936, 719);
358 SOURCES RELATIVES AUX CONFLITS D'AUTORITÉS ET DE JURIDICTIONS

Les dispositions de cette Convention ont été étendues au territoire de Hong-Kong, en vertu
d'un accord par échange de lettres prenant effet le 28 décembre 1972 (Monit., 8 octobre 1977),
ainsi qu'à la Nouvelle-Zélande (Monit., 25 février 1938);
- Convention entre la Belgique et la Suisse sur la reconnaissance et l'exécution des décisions judi-
ciaires et des sentences arbitrales, signée à Berne le 29 avril 1959 (loi du 21 mai 1962, Monit.,
11 septembre, Pasin., 1962, 664).
Il est plus rare que la Belgique soit liée avec des États non membres de l'Union euro-
péenne, en des matières qui ne soient pas particulières.
1111 On peur citer :
- Convention entre la Belgique et l'Inde relative à la reconnaissance des actes notariés, conclue à
Bruxelles par échange de lettres les 21 novembre et 16 juillet 1962 (Monit., 19 février 1962);
- Convention entre le Royaume de Belgique et le Royaume du Maroc relative à l'entraide judi-
ciaire en matière civile, commerciale et administrative et dans le domaine de l'information juri-
dique, signée à Rabat le 30 avril 1981 (Monit., 10 janvier 1984), art. 12 et 13.
La Belgique a conclu avec le Maroc une convention intéressant la reconnaissance d'actes de
1111

répudiation, mais cet instrument n'est pas entré en vigueur (voy. infra, n° 12.95).

8.38 - Efficacité des sentences arbitrales - Le régime de la reconnaissance des sentences


arbitrales étrangères fait l'objet de deux types de traités.
Plusieurs conventions bilatérales de portée générale règlent cette matière à la suite
des dispositions relatives aux décisions judiciaires. C'est le cas des traités conclus avec la
France, les Pays-Bas, l'Allemagne, la Suisse et l'Autriche.
Trois traités multilatéraux portent spécifiquement sur cette matière, à savoir :
- le Protocole du 24 septembre 1923 relatif à la validité des clauses d'arbitrage dans
les contrats commerciaux (loi du 20 septembre 1924, Monit., 5-6 janvier 1925), art. 3,
remplacé par la Convention de New York ci-dessous pour les matières auxquelles celle-ci
s'applique;
- la Convention de Genève du 26 septembre 1927 concernant la reconnaissance et
l'exécution des sentences arbitrales rendues à l'étranger (loi du 15 avril 1929, Monit.,
11 juillet 1929) ;
- la Convention de New York du 10 juin 1958 pour la reconnaissance et l'exécution
des sentences arbitrales étrangères (loi du 5 juin 1975, Monit., 15 novembre 1975).
1111 Sur ces conventions, voy. infra, chap. 14.
À côté de ces instruments, voy. encore la Convention de Genève du 21 avril 1961 sur l'arbitrage
Ill
commercial international, infra, n ° 14.80, dont le contenu intéresse le conflit de lois.

§4 TRAITÉS CONCERNANT LA PROCÉDURE INTERNATIONALE


OU LE FONCTIONNEMENT D'AUTORITÉS
8.39 - Condition procédurale de l'étranger - Outre la Convention de La Haye, du 1er
mars 1954 relative à la procédure civile (loi du 28 mars 1958, Monit., 11 mai, Pasin., 1958,
281), qui a remplacé pratiquement la Convention du 17 juillet 1905, et outre un principe
d'assimilation de l'étranger au national qui se laisse dégager du traité CE (voy. infra,
n ° 11.21), il y a lieu de mentionner la plupart des traités relatifs à la condition des étran-
gers. À côté de traités bilatéraux d'établissement et de coopération, on peut citer la Con-
vention européenne d'établissement du 13 décembre 1955 (loi du 24 mars 1961, Monit.,
24 août 1965, Pasin., 1965, 1314), la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au
ACTES INTERNATIONAUX NON LIÉS À L'UNION EUROPÉENNE 359

statut des réfugiés (loi du 26 juin 1953, Monit., 4 octobre, Pasin., 1953, 723) et la Conven-
tion de New York du 28 septembre 1954 relative au statut des apatrides (loi du 12 mai
1960, Monit., 10 août, Pasin., 1960, 503).
De plus, de nombreuses dispositions conventionnelles suppriment au profit des res-
sortissants des États contractants l'une ou l'autre des deux principales discriminations
maintenues par le droit commun, à savoir: la caution de l'étranger demandeur (voy. infra,
n° 5 11.20 et s.) et les restrictions apportées au droit à l'assistance judiciaire (voy. infra,
n° 11.23).
1111La dispense de caution et le bénéfice de l'assistance judiciaire sont respectivement prévus par les
articles 17 à 19 et 20 de la Convention de La Haye du 1er mars 1954, par les articles 9 et 8 de la Con-
vention européenne d'établissement et par de nombreuses conventions dont la liste est publiée aux
Codes Bruylant et aux Codes Larcier en note sous l'article 851 du Code judiciaire et en note sous
l'article 668 du Code judiciaire.
Les dispositions de la Convention de La Haye sont destinées à être remplacées par celles de la Con-
vention de La Haye du 25 octobre 1980 tendant à faciliter l'accès international à la justice, entrée
en vigueur le 1rr mai 1988. La Belgique n'a pas signé cette Convention.
Il est fréquent qu'aucune caurion ne puisse être exigée de celui qui, dans un État contractant,
Ill
demande l'exécution d'une décision rendue dans un autre État contractant. De même, l'assistance
judiciaire obtenue dans le deuxième État doit être étendue, sans nouvel examen, à la procédure
d'exécution engagée dans le premier État. Voy. par exemple l'article 9, alinéa 2, de la Convention de
La Haye du 15 avril 1958 concernant la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière
d'obligations alimentaires envers les enfants, et l'article 9, 2°, de la Convention de New York du
20 juin 1956 sur le recouvrement des aliments à l'étranger.

Une disposition intéressant la condition procédurale de l'étranger défendeur figure à


l'article 61 du règlement « Bruxelles I », repris de l'Article II du Protocole annexé à la
Convention de Bruxelles, tendant à assurer les droits de la défense devant une juridiction
répressive lorsque la procédure est de nature à influencer la responsabilité civile du
défendeur : ce défendeur peut se faire représenter sans comparaître personnellement,
même lorsque la comparution aura été ordonnée, mais, dans ce cas, la décision pourra ne
pas être reconnue dans un autre État membre.
Ill Pour une interprétation de cette disposition relative à son domaine d'application matériel, voy. :
C.J.C.E., aff. 157/80, 26 mai 1981, Rinkau, Rec. (1981), 1391.

8.40 - Communication des actes judiciaires et extrajudiciaires à l'étranger - Les diffi-


cultés inhérentes à la communication effective d'un acte judiciaire à l'étranger encoura-
gent à la mise en place de mécanismes de coopération interétatiques. De tels mécanismes
sont désormais prévus au sein de l'Union européenne (voy. le chapitre 11). La Belgique
est également partie à plusieurs conventions multilatérales, complétées par des instru-
ments bilatéraux.
1111 Comme conventions multilatérales, sont en vigueur en Belgique:
- Convention internationale relative à la procédure civile, signée à La Haye le 17 juillet 1905 (loi
du 20 avril 1909, Monit., 25 avril 1909), aujourd'hui remplacée entre États contractants par la
Convention de 1954;
- Convention internationale relative à la procédure civile, signée à La Haye le 1er mars 1954 (loi du
28 mars 1958, Monit., 11 mai 1958, Pasin., 1958, 281), art. 1er à 7, remplacés entre États contrac-
tants par les dispositions correspondantes de la Convention de 1965 ;
- Accord complémentaire sur le statut des forces stationnées en République fédérale d'Allema-
gne, signé à Bonn le 3 août 1959 (loi du 6 mai 1963, Monit., 22 juin 1963), art. 32;
360 SOURCES RELATIVES AUX CONFLITS D'AUTORITÉS ET DE JURIDICTIONS

- Convention relative à la signification et à la notification à l'étranger des actes judiciaires et


extrajudiciaires en matière civile ou commerciale, signée à La Haye le 15 novembre 1965 (loi du
24 janvier 1970, Monit., 9 février 1971, Pasin., 1971, 126);
- Convention concernant la coopération administrative et judiciaire dans le domaine des régle-
mentations se rapportant à la réalisation des objectifs de l'Union économique Benelux, signée à
La Haye le 29 avril 1969 (loi du 11 décembre 1970, Monit., 17 février 1971, Pasin., 1970, 1854).
1111Pour les accords bilatéraux, voy. la liste établie par H. BoRN et M. FALLON,j.T (1983), 186, n° 23,
en ajoutant les accords passés avec l'Algérie le 12 juin 1970 (loi du 14 août 1974, Monit., 14 février
1984), avec le Maroc le 30 avril 1981 (Monit., 10 janvier 1984), avec la République démocratique
allemande le 29 novembre 1982 (Monit., 10 janvier 1985), dont les effets ont cessé le 3 octobre 1990,
avec la Hongrie le 11 mai 1983 (Monit., 21 février 1984), abrogeant implicitement les accords passés
avec ce pays antérieurement (Monit., 4 mai 1985), avec la Tunisie le 27 avril 1989 (Monit., 20 octobre
1999), avec l'Autriche le 23 octobre 1989 (Monit., 26 septembre 1998), avec la Tchécoslovaquie le
15 octobre 1984 (Monit., 7 août 1986). Un protocole passé avec la Roumanie le 30 octobre 1979 (loi
du 18 juin 1984, Monit., 5 septembre 1984) complète un accord passé avec ce pays le 3 octobre
1975.
En matière répressive également, des traités facilitent la transmission des actes judi-
ciaires. Ils peuvent intéresser l'action civile.
Voy., outre les conventions bilatérales, la Convention européenne d'entraide Judiciaire en
1111

matière pénale, signée à Strasbourg le 20 avril 1959 (loi du 19 juillet 1975, Monit., 23 octobre 1975,
Pasin., 1975, 1249), art. 7.

8.41 - Commission rogatoire - En dehors du contexte de l'Union européenne (voy.


supra, n ° 8.8), quelques conventions facilitent l'organisation de commissions rogatoires,
pour l'ensemble de la matière civile et commerciale ou en des matières particulières.
1111 Comme traités multilatéraux, sont en vigueur en Belgique:
- Convention internationale relative à la procédure civile, conclue à La Haye le 1er mars 1954 (loi
du 28 mars 1958, Monit., 11 mai 1958, Pasin., 1958, 281), art. 8 à 16;
- Convention sur le recouvrement des aliments à l'étranger, signée à New York le 20 juin 1956 (loi
du 6 mai 1966, Monit., 30 juillet 1966, Pasin., 1966, 227), art. 7;
- Convention européenne d'entraide judiciaire en matière pénale, faite à Strasbourg le 20 avril
1959 (loi du 19 juillet 1975, Monit., 23 octobre 1975, Pasin., 1975, 1249), art. 3 à 6.
Voy. la liste des conventions bilatérales dans les Codes Bruylant, t.
Ili rer, note sous l'art. 11 du
Code judiciaire.

8.42 - État civil - L'organisation de la coopération interétatique entre autorités de l'état


civil est principalement le fait de la Commission internationale de l'état civil.
Ili Comme traités multilatéraux, sont en vigueur en Belgique:
- Convention internationale relative à la procédure civile, conclue à La Haye le 1er mars 1954 (loi
du 28 mars 1958, Monit., 11 mai 1958, Pasin., 1958, 281), art. 25;
- Convention relative à la délivrance de certains extraits d'actes de l'état civil destinés à l'étranger
et Annexes, signées à Paris le 27 septembre 1956 (loi du 18 juillet 1974, Monit., 31 décembre
1974, Pasin., 1974, 712), entrées en vigueur le 8 mars 1975 (Monit., 6 mars 1975; voy. circ. du
25 mars 1975, Monit., 29 mars 1975);
- Convention relative à la délivrance gratuite et à la dispense de légalisation des expéditions
d'actes de l'état civil, signée à Luxembourg le 26 septembre 1957 (Monit., 27 mai 1966, Pasin.,
1966,273);
- Convention concernant l'échange international d'informations en matière d'état civil, et
Annexes, signées à Istanbul le 4 septembre 1958 (loi du 18 juillet 1974, Monit., 31 décembre
1974, Pasin., 1974, 712), entrées en vigueur le 8 mars 1975 (Monit., 6 mars 1975; voy. circ. du
25 mars 1975, Monit., 29 mars 1975).
DROIT COMMUN 361

Voy. une liste des conventions bilatérales dans les Codes Bruylant, t. l", note sous l'arc. 45 du
Ill
Code civil et dans les Codes Larcier, t. I", v « Actes de l'état civil».
0

8.43 - Légalisation et échange d'informations - De nombreux instruments organisent


divers mécanismes de coopération interétatique. Certains dispensent de la formalité de la
légalisation. D'autres tendent à faciliter le transfert d'informations entre autorités admi-
nistratives.
En matière de légalisation, on peut citer, outre, dans les relations entre États membres de
Ill!
l'Union européenne, la Convention de Bruxelles du 25 mai 1987 (voy. supra, n ° 8.8) :
- Convention supprimant l'exigence de la légalisation des actes publics étrangers, faite à La Haye
le 5 octobre 1961 (loi du 5 juin 1975, Monit., 7 février 1976, Pasin., 1975, 661);
- Convention européenne relative à la suppression de la légalisation des actes établis par les
agents diplomatiques et consulaires, signée à Londres le 7 juin 1968, Clunet (1971), 194;
- Des accords avec l'Allemagne fédérale le 13 mai 1975 (Monit., 19 mars et 25 avril 1981) et avec la
France le 9 novembre 1981 (Monit., 12 février 1982).
Ill En matière d'échange d'informations, on peut citer:
- Convention concernant l'échange d'informations en matière d'acquisition de nationalité et
Annexe, faites à Paris le 10 septembre 1964 (loi du 18 juillet 1974, Monit., 31 décembre 1974),
entrées en vigueur le 8 mars 1975 (Monit., 6 mars 1975; voy. circ. du 25 mars 1975, Monit.,
29 mars 1975) ;
- Convention européenne sur la notification à l'étranger des documents en matière administra-
tive, faite à Strasbourg le 24 novembre 1977 (Monit., 1e, septembre 1982, Pasin., 1982, 1228);
- Accord européen sur la transmission des demandes d'assistance judiciaire, signée à Strasbourg
le 27 janvier 1977 (Monit., 8 novembre 1978);
- Convention relative aux aspects civils de l'enlèvement international d'enfants, conclue à La
Haye le 25 octobre 1980 (loi du 10 août 1998, Monit., 24 avril 1999);
- Convention bilatérale avec le Maroc du 30 avril 1981 (précitée, n° 8.37), prévoyant une coopéra-
tion dans le domaine de l'information juridique (art. 17 à 28) ;
- Parmi les traités non en vigueur en Belgique, la Convention sur l'obtention des preuves à
l'étranger en matière civile ou commerciale, faite à La Haye le 18 mars 1970, la Convention
européenne sur l'obtention à l'étranger d'informations et de preuves en matière administrative,
faite à Strasbourg le 15 mars 1978.

Section 3
Droit commun
§1 DROIT JUDICIAIRE COMMUN
8.44 - Code de droit international privé - La loi du 16 juillet 2004 portant le Code de
droit international privé (Monit., 27 juillet 2004) introduit un jeu de règles de compé-
tence internationale et de règles sur l'efficacité des décisions judiciaires et des actes
publics étrangers, qui a vocation à faire office de droit commun.
Ces règles sont tantôt de nature générale (chap. I, sect. 4 et 6). Tantôt, elles sont pro-
pres à des matières particulières et sont éparpillées, à ce titre, dans les subdivisions du
Code concernant de telles matières.
Ili Le Code de droit international privé abroge les dispositions correspondantes du Code judi-
ciaire, lesquelles s'étaient contentées de reprendre celles de l'ancien Code de procédure civile.
Les principaux travaux préparatoires du Code judiciaire sont :
362 SOURCES RELATIVES AUX CONFLITS D'AUTORITÉS ET DE JURIDICTIONS

- Doc. pari., Sénat, sess. 1963-1964, n° 60, du 10 décembre 1963, contenant l'exposé des motifs du
gouvernement, le projet de loi auquel sont annexés le texte du projet de Code et le rapport établi
par M. Charles VAN REEPINGHEN, commissaire royal à la réforme judiciaire, ainsi que l'avis de la
section de législation du Conseil d'État, du 18 juin 1963;
- Doc. pari., Sénat, sess. 1964-1965, n° 170, du 9 mars 1965: rapport fait au nom des commissions
de la Justice et de l'Emploi, du Travail et de la Prévoyance sociale, par M. DE BAECK, rapporteur
général;
- Doc. pari., Ch. repr., sess. 1964-1965, n° 1040, du 8 avril 1965: rapport fait au nom de la com-
mission de la Justice, par M.F. HERMANS.

8.45 - Code judiciaire et lois particulières - Les principaux articles du Code judiciaire
intéressant le droit international privé ont pour objets respectifs, dans l'ordre de
numérotation :
les commissions rogatoires (art. 11, al. 2, et 873, al. 2);
les notifications d'actes judiciaires à l'étranger (art. 40 et 55);
la compétence d'attribution du juge de l'exequatur (art. 570, tel que modifié par
l'art. 134 de la loi du 16 juillet 2004);
1111 Auparavant, cet article était le siège du régime de l'efficacité des décisions judiciaires étrangères.

la compétence internationale des tribunaux belges (art. 635 à 638);


1111 Ces articles ont été abrogés par le Code de droit international privé, à l'exception de l'article 637.
1111 Sur ces dispositions lors de leur adoption, voy. : R. VANDER ELST, « Le Code judiciaire et les con-
flits de juridictions»,]. T. ( 1970), 305-306.

- les restrictions apportées au droit pour les étrangers d'obtenir le bénéfice de


l'assistance judiciaire (art. 667 et 668 ; voy. aussi l'art. 677) ;
1111 L'article 668 a été modifié par l'article 90 de la loi du 15 décembre 1980 (voy. infra, n° 11.23).

la caution de l'étranger demandeur (art. 851);


l'annulation (art. 1717) et l'exécution (art. 1718 à 1723) des sentences arbitrales.
Certaines règles de compétence internationale subsistent en dehors du Code judi-
oaire.
Des lois particulières contiennent des règles de compétence internationale, tel
l'article 4, alinéa 1er, de la loi du 27 juillet 1961 relative à la résiliation unilatérale des
concessions de vente exclusive à durée indéterminée (voy. supra, n° 4.5, et infra, n° 14.186),
ou la loi du 13 avril 1995 relative au contrat d'agence commerciale (voy. infra, n ° 14.137).
illlVoy. en outre, pour l'efficacité des décisions étrangères, les article 344bis et 344quater, al. 2, du
Code civil relatifs à la reconnaissance des décisions étrangères en matière d'adoption, destinés à
être remplacés par les articles 365-1 à 365-5 du Code civil après l'entrée en vigueur de la loi du
24 avril 2003 réformant l'adoption (Monit., 16 mai 2003, infra, n° 12.110).

§2 ACTES DE L'ÉTAT CIVIL


8.46 - Efficacité des actes étrangers - Outre les articles 27 et 31 du Code de droit inter-
national privé, voy. la loi du 14 juillet 1966 relative à certains actes de l'état civil dressés
en dehors du territoire du royaume, l'arrêté royal du 28 août 1967 portant exécution de
cette loi et l'arrêté ministériel du 23 février 2001 (infra, n° 12.23).
ÜROIT COMMUN 363

§3 FONCTIONS CONSULAIRES
8.47 - Règles de compétence internationale - Les dispositions suivantes affectent la
compétence des autorités consulaires :
- la loi du 31 décembre 1851 sur les consulats et la juridiction consulaire (Monit.,
7 janvier 1852) ;
- l'arrêté royal du 23 mars 1857 réglant les attributions des consuls en matière de
légalisations et de significations judiciaires (Monit., 29 mars 1857);
- la loi du 10 juillet 1931 concernant la compétence des agents diplomatiques et
consulaires en matière notariale (Monit., 31 juillet 1931) ;
- la loi du 12 juillet 1931 relative à certains actes de l'état civil et à la compétence
des agents diplomatiques et consulaires en matière d'état civil (Monit., 31 juillet 1931),
dont l'article 13 a été inséré dans l'article 170 du Code civil, ensuite modifié par la loi du
1er mars 2000 (Monit., 6 avril 2000), et dont l'article 7 a été modifié par la loi du 4 mai
1999 (Monit., ier juillet 1999).
CHAPITRE 9

RÈGLES GÉNÉRALES
DE COMPÉTENCE INTERNATIONALE
9.1 - Bibliographie
Outre les ouvrages généraux cités sous le chapitre 8, voy. : M. BAHMAEL, L'intervention du juge étatique
des mesures provisoires et conservatoires en présence d'une convention d'arbitrage. Droits français, anglais et suisse
(Paris, LGDJ, 2002); H. BAUER, Compétence judiciaire internationale des tribunaux civils français et alle-
mands (Paris, Dalloz, 1965); C. CHALAS, L'exercice discrétionnaire de la compétence juridictionnelle en droit
international privé (Aix, PUAM, 2000); P. DE PAEPE, Études sur la compétence civile à l'égard des étrangers
(Bruxelles, Bruylant, 1900-1902), 2 vol.; P. DE VAREILLES-SOMMIÈRES, La compétence internationale de
l'État en matière de droit privé (Paris, LGDJ, 1997); FRAGISTAS, « La compétence internationale en droit
privé», Recueil des cours, vol. 104 (1961), 159-271; H. GAUDEMET-TALLON, La prorogation volontaire de
juridiction en droit international privé (Paris, Dalloz, 1965) ; A. HEYVAERT, De internationale rechtsmacht van
de gerechten na het WI.P.R (Mechelen, Kluwer, 2005) ; X. KRAMER, Het kort geding in internationaal pers-
pectief (Deventer, Kluwer, 2001) ; A. LowENFELD, International litigation and the quest for reasonableness -
Essays in private international law (Oxford, Clarendon, 1996) ; F. A. MANN, « The Doctrine of Interna-
tional Jurisdiction Revisited after Twenty Years », Recueil des cours, vol. 186 (1984), 9; O. MERKT, Les
mesures provisoires en droit international privé (Zürich, Schulthess, 1994); A. MIAJA DE LA MuELA, « Les
principes directeurs des règles de compétence territoriale des tribunaux internes en matière de litiges
comprenant un élément international», Recueil des cours, vol. 135 (1972), vol. 135, 1-96; A. Nurrs,
L'exception de forum non conveniens (Bruxelles, Bruylant, 2003); E. PATAUT, Principe de souveraineté et con-
flits de juridictions (Paris, LGDJ, 1999) ; Th. PFEIFFER, Internationale Zustandigkeit und prozessuale Gerechtig-
keit (Frankfort, Klostermann, 1995); M.-P. PuLJAK, Le droit international privé à l'épreuve du principe
communautaire de non-discrimination en raison de la nationalité (Aix, PUAM, 2003) ; J. SALMON, « La légis-
lation belge relative à la compétence des agents diplomatiques et consulaires en matière notariale et
d'état civil», Mélanges]. Baugniet (Bruxelles, ULB, 1976), 637-705; H. VAN HourrE, « Internationale
bevoegdheid en lex fori », R W. (1977-1978), 1908-1912; J. P. VERHEUL, Rechtsmacht in het Nederlands
internationaal privaatrecht (Anvers, Maarten Kluwer, 1982) ; A. VON MEHREN, « Theory and practice of
adjudicatory authority in private international law: A comparative study of the doctrine, policies
and practices of common- and civil-law systems», Recueil des cours, vol. 295 (2002), 9-432 ; C. VosKUIL,
De internationale bevoegdheid van de Nederlandse rechter (Amsterdam, 1967).
9.2 - Présentation - Avant d'exposer le contenu des règles générales de compétence
judiciaire dans le contentieux international, il est utile d'énoncer les notions qui régis-
sent cette matière.
Quant aux notions (sect. 1), il y a lieu de comprendre la nature exacte de la compé-
tence internationale (§ 1er), avant d'établir les types de critères utilisés en droit comparé
(§ 2). De plus, la mise en évidence des objectifs de l'attribution d'une compétence inter-
nationale est indispensable à la compréhension de la portée de la règle de compétence,
notamment aux fins de son interprétation(§ 3).
366 RÈGLES GÉNÉRALES DE COMPÉTENCE INTERNATIONALE

Quant au contenu (sect. 2), une distinction est faite, pour des raisons pratiques, en
fonction de la source de la règle de compétence, acte communautaire (§ 1er), droit con-
ventionnel(§ 2) ou, à défaut, droit commun(§ 3).

Section 1
Notion de compétence internationale
§1 NATURE DE LA COMPÉTENCE INTERNATIONALE
A. Compétence internationale et compétence interne
9.3 - Définition de la compétence internationale - Quand une autorité ou une juridic-
tion étatique est saisie d'une situation présentant quelque élément étranger, elle doit
d'abord décider si elle est internationalement compétente.
Déterminer la compétence internationale d'une autorité ou d'un tribunal consiste à
décider si la situation qui lui est soumise relève, en raison des éléments d'extranéité qui la
caractérisent, de la compétence juridictionnelle de l'État auquel il appartient et n'en est
pas exclue en raison de la matière, ou de la qualité des personnes qui y sont intéressées.
La compétence internationale vise ainsi le pouvoir de connaître d'une demande en
raison de l'appartenance du juge ou de l'autorité à un corps d'organes. Elle appelle alors
l'analogie avec le pouvoir de juridiction, qui porte sur les attributions conférées aux
membres de l'ordre judiciaire considéré dans son ensemble. Toutefois, à la différence du
pouvoir de juridiction, la compétence internationale peut également porter sur l'inter-
vention d'un organe quelconque dans l'État, qu'il appartienne ou non au pouvoir judi-
ciaire. En quelque sorte, elle affecte le pouvoir de juridiction de l'État, non le pouvoir de
juridiction dans l'État.
Pour plus de développements, voy. : M. FALLON,
1111 « La dérogation volontaire à la compétence
internationale», Rev. crit. jur. belge (2003), 271-316.
La compétence internationale peut être« directe» ou« indirecte». Elle est indirecte
lorsqu'elle fait l'objet d'une règle qui appartient aux motifs de refus pouvant être oppo-
sés à une décision étrangère (voy. le chapitre 10).
9.4 - Dissociation de la compétence interne - Compétence internationale et compétence
interne doivent être dissociées nettement. Il est vrai que la distinction entre les deux critè-
res de compétence internationale - localisation et matière - suggère une analogie trom-
peuse avec la distinction, familière en droit judiciaire interne, entre la compétence
territoriale et la compétence d'attribution.
Quand la situation soumise à une autorité publique ou à un juge présente quelque
élément étranger, il doit poser d'abord la question de la compétence internationale sous
ses divers aspects. Cet examen s'opère par référence à l'ordre juridique pris dans son
ensemble, sans qu'il y ait lieu de rechercher quelle autorité de cet État est, le cas échéant,
compétente: le problème de compétence interne ne sera abordé qu'après qu'une réponse
affirmative aura été donnée à la question de compétence internationale. Celle-ci a pour
seule portée de déterminer si la situation relève de l'État à une autorité duquel elle est
soumise, sans préjudice de la question si cette autorité-là ou une autre du même État est
compétente. En ce sens, cette compétence est appelée générale.
NOTION DE COMPÉTENCE INTERNATIONALE 367

La distinction implique que les deux compétences puissent se déterminer selon des
règles distinctes. C'est le cas en droit belge, où le législateur, plutôt que d'utiliser la
méthode de transposition des règles de compétence interne en règles de compétence
internationale, a créé, dès le XIXe siècle, des règles propres à la matière internationale.
IllAvant l'entrée en vigueur du Code de droit international privé, le droit belge connaissait un
ensemble de règles spécifiques composé, d'une part, de l'article 15 du Code civil (critère de la natio-
nalité belge du défendeur) et, d'autre part, des articles 635 à 638 du Code judiciaire, qui avaient
repris la substance de l'article 52 de la loi du 25 mars 1876. Ainsi, deux catégories de règles complé-
mentaires visaient, respectivement, le défendeur belge et le défendeur étranger.
Ill La technique de la « transposition » des règles de compétence interne en règles de compétence
internationale est utilisée à l'étranger, lorsque fait défaut un système de règles légales de compé-
tence internationale. Voy. par ex. en France, P. MAYER et V. HEUZÉ, n'" 284 et s., non sans certaines
exceptions prétoriennes, comme en matière de succession immobilière (Cass., 1 ce ch. civ., 7 mars
2000, Igoa-Etchebarren, Revue, 2000, note B. ANCEL). Aux Pays-Bas, voy. Hoge Raad, 13 février 1987,
Revue (1988), 555, noteJ.-P. VERHEUL.
La jurisprudence belge a utilisé la technique de la transposition dans certaines matières particuliè-
res, telle la faillite, en raison du caractère exclusif de la compétence (voy. infra, n ° 13.70).
Ill Pour un cas de confusion entre compétence internationale et compétence territoriale interne,
voy.: Cour d'arbitrage, 30 janvier 2003,]. T (2003), 191, infra, n ° 9.54.
La même distinction interdit aussi toute analogie avec la compétence territoriale et
la compétence d'attribution, concepts du droit judiciaire interne. Non seulement la com-
pétence internationale n'est pas nécessairement territoriale, mais encore on observe des
motifs d'incompétence en raison de l'objet de la demande ou de la qualité des personnes
qui obéissent à des impératifs irréductibles à ceux qui, dans l'ordre interne, commandent
une répartition entre les différents pouvoirs de l'État.
9.S - La compétence interne et le droit international privé - La décision sur la compé-
tence internationale ne vide normalement pas la question de compétence interne. Après
qu'a été établi le pouvoir de connaître d'une situation internationale, il reste à désigner le
tribunal ou l'autorité compétent pour exercer ce pouvoir. Ce second stade dans l'examen
de la compétence soulève les deux questions traditionnelles de la compétence territoriale
et de la compétence d'attribution.
La compétence interne se détermine selon le droit du for. Ce principe n'empêche pas
que cette détermination de compétence doive être modalisée pour son application à une
situation internationale.
D'un côté, il arrive qu'une règle de compétence internationale désigne directement
la juridiction territorialement compétente. De telles règles se reconnaissent à leur formu-
lation, en mentionnant« le tribunal» compétent plutôt que« les juridictions ».
Le règlement 44/2001 contient plusieurs exemples de ce procédé, notamment à l'article 5. C'est
1111

aussi le cas du règlement« Bruxelles II» (Civ. Hasselt, 11 juin 2002, Limb. Rechtsl., 2002, 332).
1111 En Belgique, les règles de compétence internationale se bornent normalement à déterminer la
compétence générale. Une fois cette compétence établie, il y a lieu de se référer aux dispositions per-
tinentes du Code judiciaire (art. 13 Codip; voy. infra, n ° 9.57).
D'un autre côté, les éléments étrangers de la situation ne permettent pas toujours de
régler la compétence interne selon les critères habituels du droit interne. Il appartient
alors au droit international privé d'élaborer les règles spéciales de droit judiciaire qui
déterminent la compétence d'attribution et la compétence territoriale interne des autori-
tés et des juridictions déjà reconnues internationalement compétentes.
368 RÈGLES GÉNÉRALES DE COMPÉTENCE INTERNATIONALE

Tel est le cas en ce qui concerne la compétence territoriale lorsque le critère de la


compétence internationale n'est pas de nature territoriale. Si, par exemple, la nationalité
des parties est le seul lien entre la situation litigieuse et le pays du tribunal saisi, aucun
des critères usuels de compétence territoriale interne (domicile, résidence, situation des
biens, etc.) n'est adéquat et il y a lieu d'élaborer une règle propre à ce type d'hypothèse.
Ill En France, l'application des articles 14 et 15 du Code civil a suscité sur ce point une abondante
jurisprudence. Voy. notamment: BAT!FFOL et LAGARDE, n ° 683-684.
Ill Le Code belge de droit international privé prévoit deux hypothèses (art. 13, infra, n ° 9.60).
Lorsque la compétence internationale repose sur un critère territorial alors que le critère de compé-
tence interne ne se localise pas en Belgique, le premier est transposé en règle de compétence
interne.
Lorsque la compétence internationale repose sur la nationalité belge, à défaut de localisation en
Belgique du critère de compétence interne le demandeur a le choix de saisir le tribunal de l'arron-
dissement de Bruxelles.

Quant à la compétence d'attribution, sa détermination dépend des divisions du


droit substantiel interne, ce qui peut entraîner un manque d'harmonie avec le droit
étranger applicable au fond. Il en est ainsi notamment de la distinction entre les tribu-
naux civils, les tribunaux de commerce, les tribunaux du travail, ou de l'institution de
juridictions spécialisées, tribunaux de la famille ou de la jeunesse.
Il appartient à la lex fori de désigner l'autorité compétente en raison de la matière.
Quand le droit étranger applicable au fond désigne une autre autorité que celle qui est
prévue par la lex fori, celle-ci se substitue à la première (voy. infra, n ° 9.58). La difficulté est
plus aiguë si le droit étranger attribue à un organe de l'État un pouvoir qui n'est pas de
nature à être exercé par une autorité étrangère. Les pouvoirs de dispense conférés au chef
de l'État en matière de mariage ou d'adoption ont ce caractère. Plutôt que d'en refuser
l'attribution à tout organe du for, il y a lieu de reconnaître la possibilité de s'adresser à
celui qui bénéficie de la plénitude de juridiction, à savoir en Belgique le tribunal de pre-
mière instance (voy. infra, n ° 9.59).

B. Caractéristiques de la règle de compétence internationale


9.6 - Une règle de nature unilatérale - Le principe de territorialité au sens formel (voy.
supra, n ° 1.34) implique que le juge étatique ne voie sa compétence fixée qu'en fonction
du droit du for, ce qui inclut les dispositions d'origine internationale - tel un traité -
insérées dans l'ordre interne.
Les règles - étatiques - de compétence internationale se bornent à délimiter la com-
pétence des organes de l'État considéré. Le droit international prohibe, en effet, toute
immixtion dans la détermination de la compétence internationale des autres États. Il
faut aussi rattacher au droit international la théorie du défaut de juridiction (voy. infra,
n° 9.16).
Pour les cas où aucun des critères retenus par le droit international privé d'un État
n'attribue compétence à l'un de ses organes, il n'appartient pas à ce système de droit de
désigner l'organe - international ou étranger - compétent.
Lorsque la règle de compétence internationale est insérée dans un acte international,
elle reçoit une formulation multilatérale - ou bilatérale dans le cas d'un traité bilatéral.
Ainsi, le règlement 44/2001 - qui fait suite à la Convention de Bruxelles - se réfère aux
NOTION DE COMPÉTENCE INTERNATIONALE 369

juridictions de l'État sur le territoire duquel le défendeur est domicilié (art. 2), aux tribu-
naux de l'État sur le territoire duquel est domicilié le consommateur (art. 16), ou, en
matière de droits réels immobiliers, aux tribunaux de l'État où l'immeuble est situé
(art. 22, 1 °). Cependant, chacune de ces dispositions se présente comme un faisceau de
règles unilatérales. C'est par commodité que le texte comporte une formulation abstraite
de la règle, mais nul n'ignore que l'acte international ne peut servir à désigner que les
juridictions d'un État qu'il lie. C'est pourquoi le texte précise, à chaque fois, qu'il s'agit
d'un État « contractant » dans le cas d'un traité, ou d'un État « membre » dans le cas
d'un acte communautaire.

9.7 - Une règle alternative plutôt qu'exclusive - Les règles de compétence internatio-
nale sont alternatives en un double sens. D'un côté, elles tendent à favoriser la com-
pétence des juridictions nationales en multipliant les critères aptes à établi-; cette
compétence. D'un autre côté, elles ne font pas obstacle à l'application de règles concur-
rentes. Par conséquent, elles tendent à laisser au demandeur dans un litige international
un choix parmi les divers ordres de juridictions internationalement compétents.
Ill Ainsi, le caractère alternatif reçoit-il un sens sensiblement distinct de celui qui caractérise la
compétence territoriale interne, puisque le choix laissé au demandeur dans un litige interne ne sau-
rait lui permettre d'opter pour un ordre de juridiction étranger.

Ce caractère alternatif obéit à un objectif propre à la compétence internationale, à


savoir offrir au demandeur un for approprié sans l'exposer au risque d'un déni de justice
(voy. infra, n ° 9.9). On ne peut donc en déduire que la compétence internationale n'est
pas d'ordre public, comme cela peut être le cas de la compétence interne.
Ill En France, l'article 92 du Code de procédure civile prévoit une simple faculté de vérification
d'office de l'incompétence.
1111La vérification d'office pourrait encore reposer sur un objectif propre à la détermination de la
compétence internationale, à savoir un objectif de protection juridictionnelle du défendeur étran-
ger. En ce sens, la liste des critères alternatifs serait limitative, et cette limitation procéderait de la
nécessité de ne pas attraire un étranger lorsque la cause n'a pas de lien significatif avec le for. Un tel
impératif n'impliquerait alors une vérification d'office qu'en cas de défaur du défendeur. Voy. en ce
sens, P. MAYER et V. HEUZÉ, n ° 308.
IllSelon le Code belge de droit international privé, le tribunal saisi vérifie d'office la compétence
internationale (art. 12).

La règle de compétence internationale exclusive reste exceptionnelle. Elle a pour


effet de désigner impérativement les juridictions d'un seul État ou même une juridiction
déterminée de cet État.
Une règle exclusive n'est opérationnelle que lorsqu'elle résulte de l'application d'un
acte international ou du droit international. En effet, faisant partie d'un ordonnance-
ment commun aux États, elle est alors apte à opérer une véritable répartition de compé-
tences entre les juridictions d'États différents.
IllOn trouve une règle exclusive découlant du droit international à propos du contentieux de la
nationalité (voy. supra, n ° 5.47) ou pour les actions et les voies de recours ayant pour objet un acte
administratif ou une décision judiciaire (voy. infra, n ° 9.17).
Dans la Convention franco-belge du 8 juillet 1899, voy. les articles 6, 7 et 8 qui donnent respec-
1111

tivement compétence au tribunal du lieu d'ouverture de la tutelle en matière de tutelle, au tribunal


du lieu d'ouverture de la succession en matière successorale et au tribunal du domicile d'un com-
merçant pour déclarer la faillite de ce commerçant.
370 RÈGLES GÉNÉRALES DE COMPÉTENCE INTERNATIONALE

Le règlement 44/2001 contient aussi des règles de compétence exclusive en des matières particu-
1111

lières (art. 22, 1 ° à 5°). L'article 25 précise que« le juge d'un État membre, saisi à titre principal
d'un litige pour lequel une juridiction d'un autre État membre est exclusivement compétente en
vertu de l'article 22, se déclare d'office incompétent». De même, il donne un caractère exclusif à la
compétence attribuée par une clause d'élection de for, « sauf convention contraire des parties»
(art. 23).

Il arrive au législateur national de conférer à ses propres juridictions une compé-


tence exclusive, de manière forcément unilatérale.
Ainsi, le paragraphe 55 du décret-loi hongrois n° 13/1979 confère aux tribunaux hongrois une
1!11
compétence exclusive « dans une procédure concernant l'état d'une personne de nationalité
hongroise».
1!11En Belgique, la jurisprudence a conféré une portée exclusive à la règle de compétence internatio-
na)e en matière de faillite, en refusant de reconnaître une décision étrangère ayant statué alors que
le commerçant avait son principal établissement en Belgique (voy. infra, n ° 13.70).

Une telle règle ne constitue en réalité qu'une règle « indirecte » analogue aux règles
de compétence auxquelles sont subordonnées la reconnaissance et l'exécution de déci-
sions judiciaires étrangères (voy. infra, n ° 10.12).
En effet, le législateur d'un État ne peut régler la compétence judiciaire internatio-
nale des autres États. Comme l'effet juridique d'une règle de compétence exclusive
devrait se produire là où opère l'exclusion, c'est-à-dire dans les ordres juridiques auxquels
la compétence est déniée, une telle règle serait totalement inefficace dans l'ordre juridi-
que dont elle émane si elle ne constituait une règle de compétence indirecte interdisant
de reconnaître les décisions étrangères prononcées par un tribunal dont ladite règle
exclut la compétence.
Telle est bien la portée du paragraphe 55 du décret-loi hongrois précité. En effet, le
1111

paragraphe 70 du même décret-loi dispose que les décisions étrangères rendues dans des affaires
qui relèvent de la compétence exclusive des tribunaux hongrois ne seront reconnues en Hongrie
que dans les cas définis par ce décret-loi. Parmi les cas relatifs à l'état des personnes, le
paragraphe 71 ne retient que trois hypothèses: le divorce ou l'interdiction d'un Hongrois et
l'homologation de l'adoption d'un Hongrois par un étranger.
Ill!En Belgique, le Code de droit international privé n'énonce qu'exceptionnellement une règle de
compétence exclusive, par la technique de l'insertion d'une règle de compétence indirecte parmi les
motifs de refus d'une décision étrangère. C'est le cas en matière de nom (art. 39), de droits de
propriété intellectuelle donnant lieu à enregistrement (art. 93), de sociétés (art. 115), de faillite
(art. 121). Dans ces cas, la règle de compétence directe n'est pas de type alternatif, la règle limitant
strictement la compétence internationale des juridictions belges.
En outre, le législateur peut, pour la détermination de la compétence internationale
de ses propres juridictions, prendre en considération les règles de compétence exclusive
du droit étranger. En revanche, quand le droit du for ne contient aucune disposition qui
subordonne expressément la compétence internationale de ses juridictions à la recon-
naissance de cette compétence par un droit étranger, il n'y a pas lieu de tenir compte des
règles unilatérales de compétence exclusive de ce droit.
En Allemagne, les juridictions allemandes doivent décliner leur compétence en matière de
1111

divorce dans certains cas où la décision à intervenir ne serait reconnue dans aucun des États aux-
quels les époux appartiennent. La règle unilatérale de compétence exclusive que contient la loi per-
sonnelle des époux est ainsi érigée en condition d'application de la règle de compétence
internationale du tribunal saisi. Les modifications apportées au paragraphe 606a ZPO par la loi du
25 juillet 1986 ont considérablement restreint la portée de cette condition d'application déduite
du contenu du droit étranger. Selon le chiffre 4 nouveau de l'alinéa 1er de cet article, « Les tribu-
NOTION DE COMPÉTENCE INTERNATIONALE 371

naux allemands sont compétents en matière matrimoniale[ ... ] lorsque l'un des conjoints a sa rési-
dence habituelle sur le territoire de la République fédérale d'Allemagne, à moins que la décision à
rendre ne soit manifestement reconnue par la loi d'aucun des États dont l'un des conjoints est
ressortissant».
En Suisse, en matière successorale, le législateur prévoit la compétence des juridictions suisses
1111

du dernier domicile du défunt (art. 86, § Fr, LDIP), tout en « [réservant] la compétence exclusive
revendiquée par l'État du lieu de situation des immeubles » (§ 2).

Le régime d'une clause d'élection de for selon le droit national peut également con-
duire à conférer une compétence exclusive aux juridictions désignées, à condition toute-
fois que la clause soit valable selon le droit applicable (voy. infra, n ° 9.14), mais sans
pouvoir empêcher que la reconnaissance de cette compétence à l'étranger puisse être
refusée.
Ill En Belgique, selon le Code de droit international privé, la prorogation volontaire de compé-
tence au profit des juridictions belges confère un caractère exclusif à la compétence attribuée
(art. 6) : il en résulte qu'une décision étrangère rendue en méconnaissance de cette compétence ne
pourra pas être reconnue, en vertu des motifs généraux de refus énoncés par le législateur (arc. 25,
§ Fr, 7°). Lorsque la clause déroge valablement à la compétence des juridictions belges, une dispo-
sition particulière oblige le juge belge à surseoir à statuer et, le cas échéant, à se dessaisir (art. 7).

9.8 - Effet d'une compétence d'ordre public sur l'application d'une règle convention-
nelle - L'exception d'ordre public (voy. supra, n ° 7.32) permet-elle de déroger aux règles
de compétence judiciaire internationale insérées dans un traité, lorsque la demande inté-
resse l'ordre public du for quant à la substance?
La jurisprudence française a donné à cette question une réponse affirmative pour
l'interprétation de la Convention franco-suisse et de la Convention franco-belge (voy.
infra, n ° 13.44). En l'occurrence, les tribunaux français ont voulu motiver leur compé-
tence exclusive pour se prononcer sur la validité de brevets français, alors que l'appli-
cation du traité international eût justifié la compétence des tribunaux de l'État
cocontractant.
Bien que la solution d'espèce soit correcte (voy. infra, n ° 9.17) et fasse aujourd'hui
l'objet d'une disposition expresse de la Convention de Bruxelles (art. 16, 4 °) comme du
règlement 44/2001 (art. 22, infra, n ° 13.44), il est erroné d'affirmer, comme l'a fait la
Cour de cassation de France, que les règles de compétence conventionnelles peuvent être
écartées chaque fois que les tribunaux français sont « saisis d'une demande intéressant
l'ordre public français» (Cass. civ., 21 janvier 1936). À défaut de réserve expresse conte-
nue dans un traité, il est inadmissible que chacun des États contractants puisse faire
céder l'exécution du traité international devant son ordre public judiciaire.
Voy. Cass. civ., 21 janvier 1936, Société des Usines de Melle, Revue (1936), 510, note NIBOYET. Cet
Ill
arrêt a écarté l'application de la Convention franco-belge. En ce qui concerne la Convention franco-
suisse, voy.: Lyon, 19 février 1931,Annalesdelapropriétéindustrielle, artistiqueetlittéraire (1933), 291;
TGI Paris, 27 juin 1969, Chassagnon, D. (1970), som. 3.

9.9 - Conflits positifs et conflits négatifs de compétences - Le caractère à la fois natio-


nal et unilatéral de la règle de compétence internationale est de nature à générer des con-
flits positifs et négatifs, exposant les agents juridiques privés à deux risques, le déni de
justice et le choix entre des injonctions incompatibles.
Impensable à propos de la compétence interne, qui repose sur un système de réparti-
tion cohérent, l'impossibilité pour le justiciable de trouver un juge se présente chaque
372 RÈGLES GÉNÉRALES DE COMPÉTENCE INTERNATIONALE

fois que la situation n'obéit à aucun des critères qui servent à fixer, unilatéralement, la
compétence des autorités des États intéressés. L'importance du risque est fonction du
caractère alternatif ou non de la règle de compétence : ce risque est grand si la compé-
tence internationale est fixée, dans chaque État, au moyen d'un critère unique exclusif de
tout autre et que ce critère varie d'un État à un autre. Cela suffit à justifier le caractère par
essence alternatif de la règle de compétence internationale, en l'absence d'un système de
règles uniformes.
Ill Pour un cas significatif d'incompétence internationale fondée sur une règle non alternative,
venant d'une extension à la compétence internationale d'une règle de compétence interne, en
matière de divorce, voy. en France: Cass. (F" ch. civ.), 13 janvier 1981, Revue (1981), 331, note H.
GAUDEMET-TALLON.
Ill Sur ce que la circonstance que le demandeur serait exposé à un déni de justice à l'étranger ne
justifierait pas la prorogation de compétence du tribunal saisi, voy.: Cass. (l'" ch. civ.), 7 janvier
1982, Le Van Chan, Revue (1983), 87, note B. AUDIT, dans le cas particulier d'une succession portant
sur des immeubles sis à l'étranger et soumis au droit étranger; contra implicitement, l'arrêt précité
du 13 janvier 1981.
Ill Comp. infra, n ° 9.15, la correction que peur apporter le concept de« for de nécessité».
Le conflit positif d'injonctions est beaucoup plus fréquent. Il faut s'y résigner cha-
que fois qu'il a pour cause le caractère concurrent des compétences étatiques en la
matière, le droit international ne comportant qu'un jeu très limité de règles exclusives
(voy.supra,n° 9.7).
La matière du droit économique en montre les exemples les plus frappants, à propos
du droit de la concurrence ou de l'interdiction de commercer avec des entreprises d'un
État déterminé. Pratiquement, la question de la compétence internationale est liée à celle
de la compétence législative, à savoir l'applicabilité dans l'espace de la réglementation en
cause. À cet égard, il convient de distinguer, d'une part, la question de l'applicabilité de
l'injonction aux effets, localisés dans l'État du for, d'actes ou de faits localisés à l'étranger,
et, d'autre part, la question de l'adoption, par l'État sur le territoire duquel se trouve le
destinataire d'une telle injonction, d'une « loi de blocage » ou d'une « contre-mesure »
tendant à interdire à cette personne de donner suite aux injonctions qui lui sont adres-
sées de l'étranger. Dans les deux cas, le droit international n'interdit pas l'adoption de
pareilles mesures, pourvu qu'elles ne tendent pas à établir une contrainte institutionnelle
sur des autorités étrangères.
De telles lois de blocage ont été adoptées, notamment, à propos de l'obligation faite à des socié-
1111

tés étrangères de communiquer certaines informations économiques. Voy. à ce propos,


notamment: D. BERLIN,« La loi française n° 80-358 du 16 juillet 1980 relative à la communication
de documents et renseignements d'ordre économique, commercial ou technique à des personnes
physiques ou morales étrangères», D.P.C.I. (1986), 563-596; L. CoHEN-TANUGI, « Les juridictions
américaines face aux lois étrangères interdisant la communication de renseignements
économiques», Revue (1983), 213-248; L. COLLINS,« Lois de blocage ou de rétorsion. L'expérience
du Royaume-Uni», ibid., 597-615; D. J. GERBER, « Extraterritorial Discovery and the Conflict of
Procedural Systems: Germany and the United States», 34 Am.]. Camp. L. (1986), 745-788; M.
NEVOT, « La communication de renseignements économiques à l'étranger - Remarques sur la loi
du 16 juillet 1980 », Revue (1981), 421-446.
Ili Le droit communautaire montre aussi une illustration intéressante, dans le règlement 2271/96
du 22 novembre 1996 portant protection contre les effets de l'application extraterritoriale d'une
législation adoptée par un pays tiers, ainsi que des actions fondées sur elle ou en découlant
(j.O.C.E., 1996, L 309): aux fins de contrer efficacement les mesures américaines de récupération
sur les biens d'entreprises ayant bénéficié de la loi cubaine de nationalisation d'avoirs américains, la
NOTION DE COMPÉTENCE INTERNATIONALE 373

Communauté - seule compétente à cet égard en droit communautaire, à l'exclusion des États
membres - s'est dotée d'un instrument interdisant de reconnaître tout jugement américain de
récupération et organisant la compétence internationale des juridictions des États membres à pro-
pos d'actions en réparation du dommage subi par un acte de récupération.
Voy. à ce sujet, notamment: H. LESGUILLONS, « Les lois Helms-Burton et D'Amato : les réactions de
l'Union européenne», Rev. dr. aff. int. (1997), 95-112; A. LOWE,« U.S. extraterritorial jurisdiction:
The Helms-Burton and D'Amato acts », I.C.L.Q. (1997), 378-389; B. STERN, « Les lois Helms-Bur-
ton et D'Amato-Kennedy », Rev.gén. (1996), 979-1004.
Le différend a donné lieu à la conclusion d'un mémorandum d'entente concernant la loi Helms-
Burton, du 11 avril 1997 (I.L.M., 1997, 529).
Ill Voy. plus généralement : L. BOISSON DE CHAZOURNES, Les contre-mesures dans les relations internatio-
nales économiques (Paris, Pédone, 1992); G. BURDEAU, « Le gel d'avoirs étrangers», Clunet (1997), 5-
58 ; J. GROSS, « Iraqi-Kuwaiti sanctions and choice of law in the Eurodollar market», Law Pol. Int.
Bus. (1991), 471-526; M.-A. RENOLD, Les conflits de lois en droit antitrust (Zürich, Schulthess, 1991) ;
F. R!GAUX, « Les situations juridiques individuelles dans un système de relativité générale », Recueil
des cours, vol. 213 (1989-I), 292-334; Io., « Rapport préliminaire sur la compétence extraterritoriale
des États», Annuaire (1999), vol. 68-I, 271 et s.; P.M. ROTH,« Reasonable extraterritoriality: Correc-
ting the balance of interests », I.C.L.Q. (1992), 245-286; B. STERN,« L'extraterritorialité revisitée -
Où il est question des affaires Alvarez-Machain, Pâte de bois et de quelques autres ... », Annuaire fr.
dr. int. (1992), 239-313.
Lorsque le conflit positif conduit à des décisions judiciaires inconciliables dans des
États différents, il appartient à chaque État de s'opposer à la reconnaissance du jugement
étranger, en faisant figurer cet élément parmi les motifs de refus (voy. infra, n ° 10.24). La
prévention de tels conflits peut se concevoir au moyen de l'exception de litispendance
internationale, dont l'admission en droit commun reste cependant très rare (voy. infra,
n° 9.56).

§2 TYPOLOGIE DES CRITÈRES DE COMPÉTENCE INTERNATIONALE


A. Critères tenant à la localisation du litige
9.10 - Diversité des méthodes - Le règlement de la compétence internationale peut repo-
ser sur trois types de méthodes. Un premier procédé consiste à transposer à la compétence
internationale les règles qui servent à déterminer la compétence interne. Le droit français
en donne une illustration (voy. supra, n° 9.4). Selon un deuxième procédé le législateur crée
une liste spécifique de règles de compétence: c'est le cas du droit belge et, pour le législa-
teur international, de la Convention de Bruxelles ou du règlement 44/2001. Un troisième
procédé substitue à un système basé sur des règles préétablies une appréciation laissée au
juge en fonction des circonstances de l'espèce, méthode suivie en droit anglo-saxon.
Les trois méthodes ont en commun d'utiliser, à un degré variable, des critères de
type territorial. La deuxième et la troisième sont de nature à y ajouter un critère de type
personnel.
Le recours à la première méthode se présente comme un pis-aller, puisque la déter-
mination de la compétence internationale obéit à des contraintes propres. Il résulte de
l'absence de dispositions légales spécifiques et s'interdit d'utiliser d'autres critères de
compétence que des critères territoriaux. Cela explique que le droit français connaisse un
système mixte, empruntant à la fois à la première et à la deuxième méthodes.
Un règlement cohérent de la compétence internationale semble devoir emprunter à
la fois à la deuxième et à la troisième méthodes.
374 RÈGLES GÉNÉRALES DE COMPÉTENCE INTERNATIONALE

9.11 - La personnalité - La nationalité constitue un fondement traditionnel de la com-


pétence internationale.
Elle sert de base à la compétence des autorités extraterritoriales, tels les agents diplo-
matiques et consulaires, dont l'intervention (célébration d'un mariage, rédaction d'un
acte notarié) est généralement limitée aux seuls ressortissants de l'État qui les a insti-
tuées, ou à tout le moins aux actes auxquels est intéressée une personne ayant cette natio-
nalité (voy. infra, n ° 9 .61 ).
L'utilisation de la nationalité comme critère spatial de compétence internationale
suffit à disqualifier celle-ci comme une compétence territoriale, évitant ainsi toute confu-
sion possible avec la compétence territoriale interne.
IliEn Belgique, une telle confusion a été entretenue malencontreusement par le classement, dans
le Code judiciaire, des règles de compétence internationale (art. 635 à 638 C. jud.) sous l'intitulé
« compétence territoriale» avec les règles de compétence interne (art. 624 à 634 C. jud.).

En matière judiciaire, la compétence du juge national des plaideurs était, d'après le


Code civil de 1804, «naturelle». L'article 14 du Code Napoléon permettait au Français
demandeur de saisir les tribunaux de son pays d'une action qui ne présentât aucune
autre attache avec celui-ci et, selon l'article 15, il pouvait, comme défendeur, être cité
devant les mêmes tribunaux. Aujourd'hui, malgré les critiques formulées à juste titre
contre une compétence aussi exorbitante que celle de l'article 14 du Code civil français, la
nationalité des parties (surtout si elle leur est commune) et, à tout le moins, la nationa-
lité du défendeur restent des critères valables de compétence judiciaire internationale.
Dans les pays appliquant la loi nationale au statut personnel, ce critère est spécialement
adapté aux matières telles que le mariage, le divorce ou la filiation.
Ili La compétence à l'égard des nationaux éclipsait, en 1804, toute compétence à propos de litiges
entre étrangers, dont le juge naturel devait être cherché dans leur État d'origine. En France, un rejet
explicite de l'extranéité des parties comme cause d'incompétence fut encore nécessaire en 1962
(Cass., l'' ch. civ., 30 octobre 1962, Scheffel, Revue, 1963, 387, note Ph. FRANCESCAKIS). En Belgique,
la compétence à l'égard d'étrangers fut acquise dès l'adoption de l'article 52 de la loi du 25 mars
1876.

Le Code belge de droit international privé atténue sensiblement le rôle de la natio-


nalité comme critère de compétence (infra, n ° 9 .51 ). À côté des matières gracieuses de
droit familial, celle-ci n'intervient plus que si elle est partagée par les parties à la cause.

9.12 - L'assimilation au national - Il peut arriver que le principe de personnalité soit


étendu à certaines catégories d'étrangers, malgré le caractère unilatéral de la règle. Tel est
le cas lorsque le législateur les assimile au national pour les besoins de la compétence
internationale. Deux procédés ont été utilisés à cette fin.
Le premier procédé consiste à supprimer le privilège de nationalité. Lorsque les juri-
dictions nationales sont sans compétence pour connaître de différends entre étrangers,
l'assimilation au national est un expédient commode pour assurer l'accès à la justice aux
ressortissants d'un État avec lequel un traité est conclu. C'est en ce sens que l'on peut
comprendre l'objectif initial de la Convention franco-belge du 8 juillet 1899, du moins à
l'égard du droit français, procédé repris ultérieurement par la Convention belgo-néerlan-
daise du 28 mars 1925, aux termes desquelles« les Belges [en France] [aux Pays-Bas] et les
[Français] [Néerlandais] en Belgique sont régis par les même règles de compétence que
les nationaux».
NOTION DE COMPÉTENCE INTERNATIONALE 375

1111 Le règlement 44/2001 utilise des termes analogues à propos du défendeur étranger domicilié
dans l'État du for (art. 2, § 2).

L'assimilation ainsi entendue consiste à gommer, pour l'appréciation de la com-


pétence internationale, le facteur de la nationalité dans les litiges concernant des ressor-
tissants d'États contractants. Il reste alors au juge saisi d'un tel litige à appliquer
directement les règles de compétence interne.
Le second procédé consiste à étendre le privilège de nationalité au demandeur étran-
ger. La Convention franco-belge précitée comporte le revers de la suppression du privi-
lège, puisqu'elle précise que le Belge, en France, peut invoquer l'article 14 du Code civil
(critère de la nationalité française du demandeur) à l'encontre d'un étranger, du moins
s'il a été autorisé à se domicilier en France.
L'illustration la plus éclatante d'une telle extension figure dans la Convention de Bruxelles, et à
1111

sa suite dans le règlement 44/2001, dont l'article 4, paragraphe 2, a pour effet de permettre, par
exemple, à un Japonais domicilié en France d'y agir, comme s'il était Français, contre une entreprise
établie aux États-Unis.

9.13 - La territorialité - Pour déterminer la compétence internationale des autorités et


des juridictions étatiques, la territorialité a une double portée.
Elle permet, d'abord, de délimiter l'espace territorial dans lequel l'autorité étatique
peut exercer ses fonctions. L'acte accompli en dehors de ce territoire est sans valeur juri-
dique pour défaut de juridiction.
Il faut ensuite vérifier si la situation présente avec le territoire de l'État considéré une
attache justifiant l'intervention des autorités ou des juridictions locales : domicile ou
résidence des parties, situation d'un bien, localisation d'un acte juridique ou d'un délit,
simple présence des parties.
IliEn Belgique, les articles 635 à 638 C. jud. ont constitué un bon exemple de dispositions basées
sur le principe de territorialité.

9.14 - La volonté - Les parties peuvent recevoir la faculté de désigner la ou les juridic-
tions, étatiques ou arbitrales, compétentes pour régler leurs différends internationaux.
En l'absence de disposition législative accompagnant les règles spécifiques de compé-
tence internationale, la jurisprudence belge n'a pas hésité (voy. infra, n° 14.17) à consa-
crer l'admissibilité d'une clause d'élection de for dans les situations internationales. On
peut y voir à première vue une transposition du principe de l'autonomie des volontés
reconnu à propos de situations internes, tant en ce qui concerne la substance des droits
que la faculté pour les parties de désigner le tribunal compétent. L'approche s'explique
aussi par un objectif de sécurité juridique des rapports commerciaux internationaux
(voy. infra, n ° 9.22).
Ill!La question a été débattue plus largement aux États-Unis, où le principe de l'admissibilité de
telles clauses n'est acquis que depuis le prononcé, en 1972, de l'arrêt Bremen v. Zapata Offshore Cy.,
par la Cour suprême (407 U.S. 1 [1972]), non sans la réserve que « enforcement is shown by the
resisting party to be unreasonable under the circumstances ». Sur cette problématique, voy. : Y. LEE,
« Forum selection clauses : Problems of enforcement in diversity cases and State courts,,, Columbia
]. Transn. L. (1997), 663-696.

En France, la jurisprudence a développé une règle matérielle de droit international privé per-
Ill!
mettant l'admissibilité de principe d'une clause d'élection de for dans les litiges internationaux,
surmontant ainsi une règle d'interdiction valant en droit interne (P. MAYER et V. HEUZÉ, n ° 303).
376 RÈGLES GÉNÉRALES DE COMPÉTENCE INTERNATIONALE

Ili Le Code belge de droit international privé confirme la faculté de prorogation (art. 6) ou de déro-
gation (art. 7) volontaires (voy. le chapitre 14).
Pareille clause a un double effet: un « effet prorogatoire », en ce sens qu'elle rend
« apte à connaître d'un litige donné un tribunal qui ne pourrait, en l'espèce, fonder sa
compétence sur aucune autre base»; « un effet dérogatoire», à savoir « l'exclusion de
toute compétence que pourraient avoir, en l'absence d'un tel accord, les tribunaux autres
que celui qui y est désigné».
1111Voy. L. T. WELAMSON, Rapport explicatif de la Convention de La Haye du 25 novembre 1965 sur
les accords d'élection de for, Actes et documents de la dixième session de la Conférence de La Haye de droit
international privé, t. IV, For contractuel, 201-226, spéc. 204.
1111 En Belgique, le Code de droit international privé exprime ce double effet dans deux dispositions

séparées (art. 6 et 7).


L'adoption d'une clause affectant la compétence internationale soulève des ques-
tions complexes, distinctes de celles que pose le choix d'un tribunal dans un litige
interne.
À défaut de traité international liant les deux États intéressés, auxquels appartien-
nent respectivement le for élu et les tribunaux du pays dont la compétence est exclue en
vertu de la clause contractuelle, il appartient au droit de chacun des deux pays de se pro-
noncer sur celui des deux effets de la clause qui est, à son égard, pertinent (voy. infra,
n° 5 14.16 et s.). Il appartient à chacun de ces droits de déterminer les conditions de
l'admissibilité et de la validité de telles clauses, le cas échéant en soumettant tout ou par-
tie de ces conditions à un droit étranger. La méthode de solution peut différer pour les
questions d'admissibilité et de validité. La fonction juridictionnelle de la clause peut
expliquer une référence de principe au droit du for pour l'admissibilité, alors que, pour la
validité, la nature contractuelle de la clause justifie une référence normale au droit dési-
gné en vertu de la règle de rattachement qui régit la matière des contrats (voy. infra,
n° 14.17).
À ces conditions peut appartenir l'exigence que la situation concernée soit réelle-
ment internationale, ou celle d'un lien significatif entre la situation et l'État dont les juri-
dictions ont été désignées. L'appréciation d'un tel lien peut toutefois différer selon
qu'elle est faite par les juridictions dont la compétence a été prorogée ou par celles dont
la compétence a été écartée.
1111Dans l'État que la clause prive d'une compétence juridictionnelle, l'effet dérogatoire peut être
respecté encore que la compétence des juridictions de cet État puisse être fondée sur les règles de
compétence internationale du for. Il n'est même pas certain que les règles de compétence exclusive
du droit judiciaire interne doivent l'emporter sur la clause d'élection de for, les premières ayant
pour objet la répartition des compétences (soit territoriale soit d'attribution) à l'égard de situa-
tions purement internes. L'existence d'un lien significatif de la situation avec le pays du tribunal
saisi malgré la clause peut cependant jouer un rôle : ce tribunal n'acceptera sans doute pas l'effet
dérogatoire de la clause, alors que tous les éléments de la situation, ou du moins les plus significa-
tifs, la rattachent à cet État (voy. infra, n ° 14.18, pour la jurisprudence belge). Il est douteux que les
parties puissent donner compétence aux tribunaux d'un pays étranger alors que tous les éléments
de leur situation sont, au moment de la conclusion du contrat, localisés dans un seul pays, réserve
que suscite également une clause de choix du droit applicable (voy. infra, n° 14.46).
1111Dans l'État bénéficiaire de la prorogation, quand la situation présente des éléments transfron-
tières (par ex., contrat entre des entreprises de pays différents), le choix du tribunal d'un État avec
lequel la situation ne présente pas de lien significatif comporte l'avantage, légitime, d'une forme de
«neutralité» du for élu. Encore cet État pourra-t-il considérer qu'il n'appartient pas à ses juridic-
NOTION DE COMPÉTENCE INTERNATIONALE 377

rions de prêter leur assistance à la solution de litiges totalement externes, en raison du coût que
représente le service de la justice.
En Belgique, le Code de droit international privé présente une réserve de ce type (art. 6, § 2).

9.15 - Le for inapproprié et le for de nécessité - L'élaboration d'un système de compé-


tence internationale en un jeu de règles rigides ne laissant aucune place à une apprécia-
tion de la compétence en fonction des circonstances de l'espèce, expose au risque de
solutions peu conformes aux objectifs (voy. supra, n ° 9.9, et infra, n ° 9.21) du règlement
de la compétence internationale.

Une telle appréciation peut s'exprimer selon deux méthodes, négative et positive.
Dans les systèmes anglo-saxons, le juge saisi peut refuser une compétence interna-
tionale par ailleurs établie, lorsqu'il apparaît des circonstances que les juridictions d'un
autre État seraient plus appropriées pour connaître du différend. Cette appréciation peut
dépendre de la matière en cause (par exemple l'administration d'un patrimoine), de
l'existence de procédures pendantes simultanément dans le for et à l'étranger, de l'atti-
tude du demandeur cherchant à attraire le défendeur devant un for particulièrement
désavantageux pour ce dernier. Elle repose sur une comparaison des mérites respectifs
d'une saisine du for ou à l'étranger, en fonction, notamment, de la localisation des élé-
ments de l'espèce, du droit qui serait appliqué au fond, de la difficulté pour le demandeur
d'obtenir un procès équitable à l'étranger.
1111Outre la bibliographie générale (voy. supra, n ° 9.1), voy. une présentation, notamment, par: J.
FAWCETI (dir.), Declining jurisdiction in private international law (Oxford, Clarendon, 1995). Sur la
théorie du forum (non) conveniens aux Pays-Bas, voy.: J. P. VERHEUL, « The Forum (non) conveniens
in English and Dutch Law and Under Sorne International Conventions», I.C.L.Q. (1986), 413-422
et l'arrêt du Hoge Raad, 13 février 1987, Revue (1988), 555, noteJ.-P. VERHEUL.
Pour une critique tendant à limiter l'application de la théorie, voy. : D. W. ROBERTSON, « Forum
Non Conveniens in America and England: A Rather Fantastic Fiction», L.Q.R (1987), 398-432.
Pour une analyse approfondie, voy. : A. NUYTS, L'exception de forum non conveniens (Bruxelles, Bruy-
lant, 2003).

111! Sur l'application de la théorie du forum non conveniens dans le contexte du règlement
« Bruxelles I », voy. infra, n ° 9.27.

L'appréciation d'un « for de nécessité» répond à un souci d'extension de la com-


pétence internationale du for dans les cas où cette compétence n'est pas fondée sur les
critères préétablis. Elle joue donc un rôle subsidiaire. Son objectif est de contourner le
risque d'un déni de justice.
111 Le droit suisse a ouvert la voie à une reconnaissance légale du concept en disposant, par
l'article 3 LDIP, que: « Lorsque la présente loi ne prévoit aucun for en Suisse et qu'une procédure à
l'étranger se révèle impossible ou qu'on ne peut raisonnablement exiger qu'elle y soit introduite, les
autorités judiciaires ou administratives suisses du lieu avec lequel la cause présente un lien suffi-
sant sont compétentes ». D'autres clauses permettent aussi de compenser les termes stricts dans
lesquels la compétence des juridictions suisses est déterminée en des matières particulières. Sur ces
clauses, voy. A. BUCHER et A: Bo NOM!, n ° 150.

Ill Le Code belge de droit international privé consacre ce concept, tout en précisant le caractère
exceptionnel de cette compétence et en exigeant des liens « étroits» avec la Belgique (art. 11, infra,
n ° 9.48), approche analogue à celle de la clause d'exception dans la matière des conflits de lois (voy.
supra, n° 3.17).
378 RÈGLES GÉNÉRALES DE COMPÉTENCE INTERNATIONALE

B. Critères tenant à l'objet du litige


9.16 - Le défaut de juridiction - En principe, tout ordre juridique étatique jouit d'une
compétence illimitée quant à la matière. Toutefois, le droit international impose aux
autorités et juridictions d'un État le respect de la souveraineté des autres États.
À ce défaut de juridiction (lack ofjurisdiction) on peut assigner différentes sources,
selon qu'il résulte du principe de territorialité, du concept d'immunité de l'État étranger,
du refus de remettre en cause la validité de l'acte d'un État étranger, ou parce que l'objet
du litige affecte directement les intérêts politiques de l'État étranger.

9.17 - Limites territoriales du pouvoir de contrainte de l'État- La mise en œuvre du


principe de territorialité au sens formel (voy. supra, n ° 1.34) suppose que tribunal cons-
tate son défaut de juridiction quand la mesure sollicitée implique un acte de coercition
localisé hors du territoire de l'État du for ou comporte une injonction adressée à des
autorités étrangères.
Ill!Ainsi, les juridictions d'un État ne peuvent ni annuler ni rectifier un acte de l'état civil dressé par
une autorité étrangère ni réformer ou casser un arrêt prononcé par une juridiction étrangère ni
annuler un brevet accordé par l'autorité compétente d'un État étranger. Voy. notamment:
F. RIGAUX, Droit public et droit privé, §§ 44 à 51 ; Io., « La force probante des écrits en droit internatio-
nal privé», Revue (1961), 72-79; !o., note sous Amiens, 18 février 1958,]. T. (1958), 420-421.

L'appréciation des limites exactes que le droit international impose à l'exercice des
compétences étatiques peut être malaisée.
Il arrive que le juge ou l'autorité enfreigne les limites de sa propre compétence inter-
nationale en adressant une injonction à une autorité étrangère ou en accomplissant un
acte matériel d'exécution sur un document délivré par une autorité étrangère et qui
n'était pas destiné à faire l'objet de cet acte.
Voy. par exemple: Cass., 14 novembre 1927, Pas. (1928), I, 7, ordonnant qu'un acte notarié fran-
Ill!
çais soit « réformé dans le sens du jugement et réintégré dans cet état dans l'étude du notaire
précité»; Bruxelles, 9 octobre 1973, Talhaoui,].T (1973), 711, n'estimant pas illicite que la gendar-
merie appose sur le passeport d'un étranger des mentions que ce document n'est pas destiné à
recevoir. Pour un commentaire de ces deux décisions, voy. respectivement: F. RIGAUX, Revue (1961),
79, et].T (1974), 50-51, et sur les instructions administratives relatives aux« cachets pouvant être
apposés dans les passeports», voy. la circulaire du 27 juin 1978 (Monit., F' juillet 1978).

Ill!D'autres décisions mesurent plus correctement les limites de la compétence. Ainsi, à l'époque
où le droit belge prévoyait la mention des déchéances du droit de conduire sur la carte d'identité
du condamné, il a été correctement jugé qu'une telle mention ne pouvait être apposée sur la carte
d'identité délivrée à un Français par l'administration française du lieu de son domicile. De même,
quand un époux.belge ayant pour employeur une entreprise établie à l'étranger est en défaut de
satisfaire à son obligation de contribuer aux charges du mariage, le tribunal belge ne peut notifier
au tiers débiteur résidant à l'étranger la mesure de délégation de sommes prévue par l'article 221
(218 avant la loi du 14 juillet 1976) du Code civil. Sur ces deux exemples, voy. respectivement:
Cass., 5 octobre 1964, Procureur du Roi à Ypres c. Delebarre, Pas. (1965), I, 108, et F. RIGAUX, Droit public
et droit privé, § 45-A; Bruxelles, 18 février 1971,]. T (1971), 235, et commentaire, Rev. crit. jur. belge
(1976), 228. Voy. de même en France: Cass., 1re ch. civ., 20 mars 2001, Hassan, Revue (2001), 697,
note H. MuIR WATT, se refusant - après avoir pris soin de constater que la validité même du testa-
ment n'était pas en cause - à annuler formellement un acte public étranger recevant un testament,
ou à adresser une injonction à l'officier public étranger dont il était attesté qu'il avait faussement
rapporté les déclarations du testateur. Autre chose serait de refuser de reconnaître la force pro-
bante de l'acte public étranger.
NOTION DE COMPÉTENCE INTERNATIONALE 379

Une juridiction belge est sans pouvoir pour désigner un notaire étranger pour procéder à la liqui-
dation d'une succession mais bien pour auroriser un notaire belge à se faire assister par un notaire
étranger pour les biens situés à l'étranger (Civ. Bruxelles, 31 mai 1994, R. W., 1994-1995, 677). Voy.
aussi, à propos du refus de censurer une décision du Haut Commissaire des N arions unies auquel
compétence avait été déléguée - jusqu'à la loi du 14 juillet 1987 - pour statuer sur la reconnais-
sance du statut de réfugié: Liège, 17 mai 1993,].L.M.B. (1994), 267, situation ayant pour inconvé-
nient de priver le particulier d'une voie de recours juridictionnel.
Une juridiction belge est également incompétente pour ordonner la mainlevée d'une saisie prati-
quée à l'étranger au lieu de situation du bien, mais non pour ordonner une mesure de sûreté - en
l'espèce une garantie - tendant à permettre la libération du bien, dès lors que cette mesure est exé-
cutable par le justiciable sans qu'il y ait pour autant immixtion dans la compétence des aurorités
étrangères: Bruxelles, 19 novembre 1996, Pas. (1995), II, 119.
Ill!Comp., à propos d'une demande de reconnaissance de l'injonction d'un tribunal américain
interdisant au plaideur belge d'intenter une action en Belgique (anti-suit injunction ), un refus fondé
sur le défaut de compétence du juge étranger, assorti aussitôt d'une astreinte interdisant la tenta-
tive d'autres mesures étrangères limitant l'accès aux tribunaux belges : Civ. Bruxelles (réf.),
18 décembre 1989, R. W (1990-1991), 676, et les observations de H. BORN et M. FALLON,]. T (1992),
438, n° 145.
Dans le cas inverse où il est demandé au juge belge d'interdire, pour abus de droit, certains actes
décrétés dans le cadre d'une procédure de discovery en cours devant un tribunal américain contre
une entreprise belge, ce juge s'est également déclaré incompétent pour commettre une immixtion
dans le cours de la procédure étrangère : Comm. Termonde, 3 janvier 2000, Rev. dr. comm. belge
(2000), 242, note P. WAUTELET, R.W. (2001), 1095, note M. NEUT.
Comp. en France, l'interdiction faite à une partie de demander la vente d'un immeuble à l'étranger :
Cass. civ., 19 novembre 2002, Banque Worms, Revue (2003), 631, note H. Mum WATT.
La Cour de justice a condamné l'injonction tendant à blog uer une demande vexaroire introduite à
l'étranger, motif pris de l'ingérence dans la compétence de la juridiction étrangère et de l'existence
d'une règle de litispendance internationale dans la Convention de Bruxelles: aff. C-159/02, 27 avril
2004, Turner, Rev. dr. comm. belge (2004), 800, note T. KRUGER,j.T. (2004), 31, note A. NuYTs, Revue
(2004), 654, note H. MurR WATT.
L'erreur inverse consiste, pour le tribunal, à refuser, par excès de timidité, d'exercer
une compétence qui lui appartient. L'exemple classique est celui des actes juridiques pri-
vés reçus par une autorité publique. Faute d'avoir su distinguer de l'acte instrumentaire
accompli par l'autorité publique étrangère, les déclarations de volonté privées qui y sont
constatées (voy. infra, n° 5 10.3, 12.52 et 12.111), certains tribunaux n'ont pas osé annuler
un mariage ou une reconnaissance d'enfant naturel.
Ili Voy. par exemple: Gand, 25 février 1956, Rev. crit. jur. belge (1957), 179, note P. GRAULICH; Civ.
Hasselt, 18 mars 1964, Pas. (1965), III, 25.
Pour une appréciation correcte de l'étendue de la compétence pour annuler un mariage célébré à
l'étranger, voy.: Gand, 26 avril 1973, R.W. (1973-1974), 1886; Civ. Bruxelles, 17 ocrobre 1989, Pas.
(1990), III, 47.
Une telle possibilité est prévue par le Code belge de droit international privé, en matière de mariage
(art. 43), après un avis réservé du Conseil d'État (Doc. pari., Sénat, 2001-2002, n ° 2-1225/1, p. 275).
1111La protection des droits de propriété intellectuelle a suscité une abondante jurisprudence rela-
tive à l'étendue de la compétence juridictionnelle à l'égard d'une demande tendant à interdire des
faits localisés en terriroire étranger, telle une contrefaçon. Voy. infra, n ° 13.35.
IllLa demande de mesures conservaroires soulève également une difficulté d'appréciation
lorsqu'elle porte sur des biens localisés à l'étranger. Voy. infra, n° 5 9.54, 13.46.

9.18 - Immunités du droit international - Les privilèges et les immunités du droit


international, coutumier ou conventionnel, constituent un autre domaine dans lequel le
pouvoir de juridiction du for connaît une limite due à la qualité du sujet de droit en
380 RÈGLES GÉNÉRALES DE COMPÉTENCE INTERNATIONALE

cause ou à la nature d'un acte accompli dans l'exercice d'une puissance publique étran-
gère. Cette limite est fonction d'un pouvoir de juridiction que le droit international
reconnaît à l'État dont l'organe ou l'acte est en cause. Ce pouvoir - que l'État peut
renoncer à exercer - prive le juge normalement compétent du pouvoir de connaître de la
demande (Cass., 12 mars 2001, Ligue des États arabes, Pas., 2001, I, 390; Alg. fur. Tijdschr.,
2001, 493, note B. DE VUYsT).
La jurisprudence belge a été l'une des premières à appliquer aux États étrangers la
théorie de l'immunité restreinte: quand l'activité de l'État étranger qui fait l'objet du
litige appartient à la gestion privée, ainsi distinguée de l'exercice de la puissance publi-
que, les tribunaux belges se déclarent compétents.
1111 Voy. Cass., 11 juin 1903, Chemin de fer liégeois-luxembourgeois c. État néerlandais, Pas. ( 1903), I, 294,

ainsi que les décisions récentes cirées par H. BoRN et M. FALLON, ].T (1983), 218, (1987), 481,
(1992), 428; H. BORN, M. FALLON et].-L. VAN BoxsTAEL, Droit judiciaire international (1991-1998), coll.
Dossiers du].T., (Bruxelles, Larcier, 2001), 538 et s.; Bruxelles, 16 mars 1989,]. T (1989), 548; Trib.
trav. Bruxelles, 23 mai 1989, Jurisprudence des juridictions du travail de Bruxelles (1989), 274; pour
l'immunité absolue à l'égard d'un chef d'État étranger, voy. Civ. : Bruxelles (sais.), 29 décembre
1988, Prés. Mobutu, J.L.M.B. (1989), 169. À propos de l'immunité invoquée par une organisation
internationale, voy. Cass., 12 mars 2001, précité.
Ainsi, constitue un acre de gestion privée, la résiliation d'un contrat de travail affectant un employé
d'ambassade qui avait été engagé comme professeur de langue et de culture nationales (C. trav.
Bruxelles, 22 septembre 1992, Pas., 1992, II, 104, précisant qu'en cas de défaut de l'État, le déclina-
toire doit être examiné d'office).
Le critère pertinent est celui de la nature de l'acte, non celui de sa destination. Ainsi, ne donnent
pas lieu à immunité de juridiction l'action en paiement de matériel médical ou scientifique de
nature à servir à la production d'armes nucléaires (Bruxelles, 10 mars 1993,J. T., 1994, 787, note J.
VERHOEVEN), ou l'action en paiement d'honoraires d'architecte relatifs à la construction d'une mos-
quée (Bruxelles, 27 avril 1992,]. T., 1993, 24).
1111 Dans les rapports entre États contractants, la Convention européenne sur l'immunité des États
du 16 mai 1972 prévaut sur les solutions du droit commun.
111 Voy. aussi, sur la question des immunités, l'analyse approfondie de G. VAN HECKE et K. LENAERTS,
n°' 70-85.
L'immunité d'exécution se distingue de l'immunité de juridiction. Quant à sa défini-
tion, elle pose une limite à l'exercice du pouvoir de contrainte sur des biens, ajoutant,
quant à ses conditions, au critère de la nature de l'acte, qui affecte l'immunité de juridic-
tion, le critère de la destination - publique ou privée - du bien qui fait l'objet de la
mesure d'exécution.
1111 Sur cette distinction, voy.: Bruxelles, 10 mars 1993,].T. (1994), 787, note]. VERHOEVEN, à propos
de la détermination de la portée d'une déclaration d'exequatur demandée au tribunal de première
instance conformément à l'article 570 du Code judiciaire (voy. infra, n° 10.14): la mesure de con-
trainte gît moins dans cette déclaration que dans la mesure de saisie ultérieure, seule cette dernière
étant de nature à porter sur des biens déterminés dont il soit possible d'apprécier la destination.
À propos d'une demande de mainlevée d'une saisie-arrêt pratiquée sur un compte bancaire affecté
au fonctionnement d'une mission diplomatique, voy.: Bruxelles, 8 octobre 1996,].T. (1997), 100,
note P. D'ARGENT, réformant Civ. Bruxelles, 9 mars 1995,J. T (1995), 565, note P. D'ARGENT: posant
l'immunité en des termes larges qui n'excluent pas pour autant la thèse de l'immunité restreinte, la
cour d'appel attache les fonds en cause à « la continuité des services publics» étrangers comme
corollaire de l'exercice de la souveraineté et met à charge de la partie privée le soin d'établir la
preuve contraire. Voy. encore: Bruxelles, 15 février 2000,].T. (2001), 6, note M. RoMERO.
1111 Sur l'immunité d'exécution en droit belge, voy. J. VERHOEVEN, « Immunity from Execution of
Foreign States in Belgian Law», N.I.L.R. (1979), 74-84.
NOTION DE COMPÉTENCE INTERNATIONALE 381

9.19 - L'exception de validité de l'acte d'un État étranger - La théorie anglo-améri-


caine de l' Act of State complète les immunités de juridiction. Elle consiste à interdire aux
tribunaux de se prononcer sur la validité des actes d'un État étranger, quelle que soit la
qualité des parties au procès. Si, durant un litige qui oppose des parties ne pouvant se
prévaloir de l'immunité de juridiction, la validité de l'acte d'un État étranger vient à être
contestée, le tribunal saisi doit s'abstenir de se prononcer sur la validité de cet acte.
Ili Sur cette théorie, voy. notamment: F. RIGAUX, Droit public et droit privé, §§ 113-118, et la biblio-
graphie ibid., p. 228, noces 40 et 55 ; J. BARIST, « Recent Developments concerning the Ace of Stace
Doctrine: The Allied Bank Decision », Rev. dr. aff int. (1985), 851-858; N. ENONCHONG, « Public
Policy in the Conflicc ofLaws: A Chinese Wall Around Little England? », I.C.L.Q. (1996), 633-661 ;
R. ERGEC, « La doctrine de !'Act of Stace et la jurisprudence belge», Rev. dr. int. dr. camp. (1984), 61-
93; C. FLINTERMAN, De Act of State doctrine (Anvers, Maarten Kluwer, 1983) ; P. HERZOG, « La théorie
de !'Act of Stace dans le droit des États-Unis», Revue (1982), 617-646; G. VAN HECKE,« Notes criti-
ques sur la théorie de la non-jusciciabilité », Mélanges Rigaux (Bruxelles, Bruylant, 1993), 517-526 ;].
VERHOEVEN, « Sur la récupération à l'étranger des sommes détournées par d'anciens chefs d'État»,
Mélanges La/ive (Bâle, Helbing & Lichcenhahn, 1993), 359-376.
1111On peut citer en ce sens en Belgique: Cass., 23 novembre 1939, de Pinillos, Pas. ( 1939), I, 487. Sur
cet arrêt, voy. notamment: F. RIGAUX, Droit public et droit privé, § 109-B, et infra, n° 13.23. Bien que la
motivation se réfère à la notion d' « immunité de juridiction », comme aucune des parties au procès
n'était l'État étranger lui-même ou un de ses agents, il est permis d'interpréter cette décision
comme ayant plutôt fait application de la théorie de l'acte d'un État étranger. Plus net en ce sens :
Civ. Anvers, 21 février 1939, Propetrol, Belg. jud. (1939), 371. Pour une analyse générale, voy.
R. ERGEC, précité.

1111Correctement interprétée, la théorie de l'acte d'un État étranger exclut la mise en œuvre de
l'exception d'ordre public, moins parce que celle-ci, selon l'arrêt du 23 novembre 1939, appartient
au droit international privé et ne saurait donc être invoquée en droit international « public», que
parce que, procédant par sa narure de l'examen du fond, elle est étrangère à un examen qui semble
relever de la recevabilité de l'exception.

L'on distinguera, au sens strict, cette théorie de celle dite de « l'acte de gou-
vernement», qui couvre l'absence de pouvoir de juridiction due à un acte émanant, non
d'un État étranger, mais du pouvoir exécutif du for. L'appréciation de ce pouvoir de juri-
diction dépend exclusivement du mode de répartition qu'établit à cet égard le droit du
for.
Voy., en France, une application de ce concept par: Conseil d'État, 19 février 1988, Robatel, D.S.
1111

(1988), J, 365, à propos d'une mesure nationale d'embargo à l'exportation d'un équipement
nucléaire à destination du Pakistan.

1111Pour une référence maladroite aux termes « acte de gouvernement » à propos d'un contentieux
portant sur un contrat de bail contracté par un diplomate, voy. : J.P. Bruxelles, 26 mai 1994,
].].P. (1994), 221, rejetant cette qualification en l'espèce, et non sans utiliser aussi le concept
d'immunité.

9.20 - Dettes douanières ou fiscales - Le défaut de juridiction peut encore être dû au


fait que l'objet de la demande n'appartient pas à la matière civile et commerciale. Ainsi,
les juridictions étatiques se déclarent incompétentes pour connaître d'une action qui,
même indirectement, tend au recouvrement d'un impôt dû à un État étranger. La ques-
tion est plus controversée en ce qui concerne les dettes de sécurité sociale ou d'assistance
aux indigents. En tout état de cause, le fondement de l'incompétence réside moins dans
une norme de droit international que dans les limites que l'État assigne à l'action de ses
juridictions.
382 RÈGLES GÉNÉRALES DE COMPÉTENCE INTERNATIONALE

Pour un état de la question, voy. : F. RIGAUX, Droit public et droit privé, §§ 78-93 ; P. SMART,
11111

« International Insolvency and the Enforcement of Foreign Revenue Laws », I.C.L.Q. (1986), 704-
710. Pour un exemple de refus de connaître d'une prétention à la récupération d'une dette doua-
nière étrangère, voy. en France: Cass. civ., 2 mai 1990, Rép. Guate~ala, Revue (1993), 378, note B.
AUDIT, utilisant pour critère de délimitation le concept de l'exercice d'une prérogative de puissance
publique (camp. supra, n ° 8.14): tout en invoquant les« principes de droit international», la Cour
admet que le défaut du pouvoir de juridiction cède devant les exigences de la courtoisie internatio-
nale ou la convergence des intérêts en cause.
Voy. encore la décision de la Cour suprême du Canada refusant l'exécution forcée d'une condam-
nation étrangère de nature fiscale: U.S. of America v. Harden (1963) S.C.R. 366, (1963) 44 W.W.R.,
(1964) 41 D.L.R. (2d) 721.
Pour l'utilisation du critère de l'exercice de la puissance publique dans le cadre du règlement
1111

« Bruxelles I », voy. supra, n ° 8.14.


Pour une définition des demandes relevant de la sécurité sociale par une référence au règlement
11111

1408/71, voy.: Anvers, 4 février 1998, R. W. (1998-1999), 471.

§3 ÜBJECTIFS DU RÈGLEMENT
DE LA COMPÉTENCE INTERNATIONALE
9.21 - Spécificité des objectifs - La compétence internationale se distingue de la compé-
tence interne, non seulement par sa nature, mais également par ses objectifs. Deux carac-
téristiques du contentieux transfrontière suffisent à le démontrer.
La première est de nature physique : elle procède du phénomène de distance, de
l'éloignement dans l'espace des éléments du procès, comme le domicile des parties, la
localisation des actes, des faits ou des biens. Ce phénomène peut compliquer l'adminis-
tration des preuves, engendrer des surcoûts liés au déplacement des personnes. Il peut
encore être amplifié par des facteurs d'ordre politico-culturel, comme la nécessité de
s'adapter à la procédure étrangère, notamment la langue de la procédure, ou la nécessité
- légale ou non - de recourir aux services d'un avocat local.
La seconde caractéristique est de nature juridique. Le choix de la compétence juri-
dictionnelle peut influencer la compétence législative, puisque les juridictions saisies
appliqueront nécessairement les règles de conflit de lois nationales, alors que les règles
correspondantes s'imposant aux juridictions d'un autre État pourraient conduire à
appliquer au fond un droit différent. Après le procès, il y a encore lieu pour le bénéficiaire
de la décision d'en obtenir l'exécution, le cas échéant forcée, et, lorsque cette exécution
doit avoir lieu à l'étranger, le demandeur s'expose à la nécessité d'entreprendre une procé-
dure nouvelle, pouvant engendrer surcoûts et perte de temps.
Les objectifs du règlement de la compétence internationale sont assurément com-
plexes. La complexité découle autant de l'évolution de ces objectifs dans le temps, que de
leur multiplicité. À l'intérêt de l'État à décider de l'étendue de son propre pouvoir de juri-
diction, s'ajoute celui des plaideurs, demandeur et défendeur, à bénéficier d'une protec-
tion équitable.
La clarification de tels objectifs en Europe est largement due à la jurisprudence de la
Cour de justice des Communautés européennes relative à l'interprétation de la Conven-
tion de Bruxelles (voy. supra, n ° 8.10).
9.22 - La protection juridictionnelle du défendeur - Comme pour la compétence interne,
le domicile du défendeur constitue un critère de référence pour la compétence internatio-
NOTION DE COMPÉTENCE INTERNATIONALE 383

nale. Émanation du principe Actor sequitur forum rei, il manifeste le souci du législateur que
l'action soit portée à proximité de la personne du défendeur, afin de lui éviter les inconvé-
nients du phénomène de distance. C'est aussi dans ce pays que, normalement, le deman-
deur trouvera des biens pouvant faire l'objet d'une mesure d'exécution forcée.
Le critère du domicile du défendeur est consacré autant par l'art. 2 du règlement 44/2001 que
1111

par l'arc. 5 du Code belge de droit international privé (voy. infra, sect. 2).

Cet objectif de protection comporte plusieurs corollaires.


D'abord, lorsque le législateur énumère les critères de compétence internationale, la
liste ainsi arrêtée a un caractère exhaustif. En posant que le demandeur peut agir dans le
pays du domicile du défendeur ou dans celui du lieu d'exécution de l'obligation, le légis-
lateur entend exclure tout élargissement des critères de compétence à l'encontre du
défendeur (à propos de la Convention de Bruxelles: C.J.C.E., aff. C-129/92, 20 janvier
1994, Owens Bank, Rec., 1994, 1-117, T.P.R., 1994, 343, note M. LOOYENS; Revue, 1994, 377,
note H. GAUDEMET-TALLON). Ce contexte ne laisse pas de place à la théorie du forum non
conveniens (voy. infra, sect. 2).
Un tel souci se concilie aussi avec un objectif de sécurité juridique pour le défendeur
(C.J.C.E., aff. C-269/95, 3 juillet 1997, Benincasa, Rec., 1997, 1-3767,].T., 1997, 683, note
M. EKELMANS), avantage également procuré par une clause de juridiction valablement
acceptée (C.J.C.E., aff. C-106/95, 20 février 1997, MSG, Rec., 1997, 1-911,]. T., 1997, 406,
note C. MEREU, Revue, 1997, 563, note H. GAUDEMET-TALLON).
Ill Dans le cas de règles uniformes, l'objectif de sécurité juridique se réalise également en répartis-
sant les compétences de manière certaine, en évitant une multiplication de juridictions concurren-
tes et en prévenant le risque de décisions inconciliables (C.J.C.E., aff. C-256/00, 19 février 2002,
Besix, Rec., 2002, I-1699, Revue, 2002, 577, note H. GAUDEMET-TALLON), ce qui permet au défendeur
d'identifier aisément le for compétent (C.J.C.E., aff. C-334/00, 17 septembre 2002, Tacconi, Rec.,
2002, 1-7357).

Enfin, la protection du défendeur peut exiger du législateur qu'il soit renoncé à cer-
tains« fors exorbitants» (voy. infra, n ° 9.25).

9.23 - La bonne administration d~ la justice - L'objectif de bonne administration de la


justice peut revêtir plusieurs significations pour la détermination de la compétence inter-
nationale.
Il y va d'abord du souci de concentrer le procès au lieu le plus proche de la situation,
en vue d'en favoriser l'organisation utile. On peut y voir l'illustration d'un principe de
proximité en raison de l'objet de la demande - plutôt que de la qualité des parties. Par
nature, ce principe donne lieu à la formulation de règles propres à des matières particu-
lières. Il se concilie autant avec des règles alternatives qu'avec la détermination de compé-
tences exclusives.
Ill Le règlement 44/2001 isole formellement de celles règles particulières en les insérant dans une
disposition spécifique: l'article 5 couvre, notamment, la matière des contrats, des quasi-délits, des
obligations alimentaires. De plus, il établit une série de compétences exclusives (art. 22) dont
l'objectif est une bonne administration de la justice (voy. notamment: C.J.C.E., aff. C-8/98,
27 janvier 2000, Dansommer, Rec., 2000, I-393, Revue, 2000, 264, note H. MUIR WATT).
1!11Le souci de« concentration» des litiges est très présent dans la jurisprudence de la Cour de jus-
tice relative à la Convention de Bruxelles. Une telle concentration permet une « économie de
procédures» lorsque l'obligation en litige se localise dans plusieurs pays ou en cas de pluralité
d'obligations en litige : en limitant la compétence du juge local, la Cour encourage le demandeur à
384 RÈGLES GÉNÉRALES DE COMPÉTENCE INTERNATIONALE

agir pour le tout dans le pays du domicile du défendeur. Ainsi, la victime d'un dommage survenu
dans plusieurs pays peut agir dans chaque pays pour la part de dommage qui s'y localise, non pour
le tout (C.J.C.E., aff. C-69/93, 7 mars 1995, Shevill, Rec., 1995, 1-415). En matière contractuelle, en
cas d'obligations multiples il y a lieu de se référer au lieu d'exécution principal (C.J.C.E., aff. C-125/
92, 13 juillet 1993, Mulox, Rec., 1993, I-4075) mais, en cas de pluralité d'obligations principales, le
juge compétent pour connaître de l'une ne peut étendre sa compétence aux autres obligations, le
demandeur désireux de saisir un juge unique devant alors s'adresser au juge du domicile du défen-
deur (C.J.C.E., aff. C-420/97, 5 octobre 1999, Leathertex, Rec., 1999, I-6747). Il en va de même lors-
que l'obligation en litige est localisable «mondialement», c'est-à-dire dans tout État, telle une
obligation de ne pas faire (C.J.C.E., aff. C-256/00, 19 février 2002, Besix, Rec., 2002, 1-1699).
La relation avec le concept de« proximité» est présente dans: C.j.C.E., aff. C-18/02, 5 février 2004,
DFDS Torline, Revue (2004), 791, note E. PATAUT; aff. C-168/02, 10 juin 2004, Kronhofer.
En droit commun, une certaine concentration des litiges est recherchée, notamment, en matière
1111

successorale (art. 77 Codip).

En rapprochant le juge de l'objet du litige, ces règles particulières offrent au deman-


deur la faculté d'agir dans un pays plus proche - et plus commode pour lui - que le pays
du domicile du défendeur. On le voit, ces règles visent moins à la protection juridiction-
nelle du défendeur qu'à l'administration efficace de la justice. De plus, lorsqu'elles
offrent une faculté de choix au demandeur, elles complètent le principe Actor sequitur,
sans vraiment y déroger. En revanche, la règle de compétence exclusive peut être vue
comme ayant un caractère dérogatoire.
1111Le caractère complémentaire et non dérogatoire peut exercer une incidence sur le processus
d'interprétation de la règle particulière. Si celle-ci devait être dérogatoire, elle recevrait une inter-
prétation stricte, en ce qui concerne autant l'hypothèse de la règle - par exemple la « matière
contractuelle» - que son dispositif On trouve une tendance en ce sens, dans la jurisprudence de la
Cour de justice, spécialement à propos des compétences spéciales de l'article 5 de la Convention de
Bruxelles (voy. supra, n° 8.12).
1111Le caractère dérogatoire des règles de compétence exclusive du règlement 44/2001 justifie leur
interprétation stricte (C.J.C.E., aff. 280/90, 26 février 1992, Hacker, Revue, 1993, 74, note G. DROZ;
aff. C-261/90, 26 mars 1992, Reichert, Revue, 1992, 714, note B. ANCEL).
En second lieu, l'objectif de bonne administration de la justice justifie aussi la pré-
vention des conflits de décisions, ce à quoi tend, lorsqu'elle existe, une règle de litispen-
dance internationale (C.J.C.E., aff. C-406/92, 6 décembre 1994, The Ship Tatry, Rec., 1994,
I-5439, Revue, 1995, 588, note E. TrcHADOU; aff. C-116/02, 9 décembre 2003, Gasser, Rev.
dr. comm. belge, 2004, 791, note P. WAUTELET, Revue, 2004, 444, note H. Mum WATT).
9.24 - La protection juridictionnelle du demandeur - Plusieurs règles traditionnelles
favorisent le demandeur, et d'abord la nature alternative des critères de compétence
internationale qui joignent à son pouvoir d'initiative celui de choisir la juridiction com-
pétente parmi celles qui peuvent l'être. D'autres solutions traditionnelles, de caractère
général, sont, elles aussi, en faveur du demandeur, tel le critère de sa nationalité (art. 14
C. civ.).
Les critiques contemporaines qui affectent de telles règles, qualifiées d'exorbitantes
(voy. infra, n ° 9 .25), suggèrent qu'une telle méthode est peu satisfaisante aujourd'hui
comme règle de portée générale. Le concept de« for de nécessité» (voy. supra, n ° 9.15), au
caractère exceptionnel, paraît suffire à la poursuite de l'objectif de protection.
Il est significatif que, dès 1876, le législateur belge ait assorti le critère du domicile ou de la rési-
1111

dence du demandeur (ancien art. 638 C. jud.) d'une faculté de déclinatoire de juridiction par le
défendeur (ancien art. 636 C. jud.). Sur ce mécanisme complexe, voy. infra, n ° 9.49.
NOTION DE COMPÉTENCE INTERNATIONALE 385

La protection juridictionnelle d'une catégorie de demandeurs renforce, en certaines


matières, un objectif de protection législative. Les règles matérielles - impératives ou
d'ordre public - protectrices d'une personne réputée la « partie faible» d'une relation
contractuelle ou quasi délictuelle sont assorties d'une règle spéciale d'applicabilité et
d'une règle de compétence internationale garantissant, la première, l'application de la loi
de protection en vigueur dans le pays où se localise l'intérêt jugé prépondérant et la
seconde, la compétence d'un tribunal proche du même lieu, à laquelle est jointe l'inop-
possabilité d'une clause d'élection de for conclue avant la naissance du différend.
Ill Les exemples de règles matérielles impératives ou d'ordre public dont l'application dans l'espace
est assurée non seulement par une règle spéciale d'applicabilité mais encore par une règle spéciale
de compétence internationale, sont nombreux. En Belgique, on peut citer le contrat d'agence com-
merciale (voy. infra, n ° 14.137) ou le contrat de concession exclusive (voy. infra, n° 14.186). En droit
communautaire, une telle disposition a été prise, par exemple, à propos du travailleur en détache-
ment international (voy. infra, n° 14.164). On y trouve encore un exemple dans une « contre-
mesure>> arrêtée par le Conseil de l'Union européenne suite à l'adoption, aux États-Unis, de la loi
Helms-Burton, contre-mesure autorisant le for du patrimoine en plus des règles de compétence de
la Convention de Bruxelles (aujourd'hui du règlement 44/2001) (voy. infra, n° 15.15).

Ill Le règlement 44/2001 - comme précédemment la Convention de Bruxelles - illustre une poli-
tique de protection de la partie faible en matière de contrats de consommation et de relations indi-
viduelles de travail (voy. infra, chap. 14). Ces dispositions se combinent avec celles que prévoit la
Convention de Rome du 19 juin 1980 sur la loi applicable aux obligations contractuelles. Un tel
lien est exprimé - fût-ce maladroitement - par la Cour de justice, à propos des relations de travail,
dans l'arrêt Ivenel (aff. 133/81, 26 mai 1982, Rec., 1982, 1891). D'autres dispositions du règlement
et de la Convention s'expliquent aussi par l'objectif de protection juridictionnelle de la partie fai-
ble, à savoir la règle propre aux créances alimentaires (art. 5, 2°: C.J.C.E., aff. C-295/95, 20 mars
1997, Farrell, Rec., 1997, I-1683, Rev. trim. dr. Jam., 1997, 116, Revue, 1997, 594, note G. DRoz), voire
la règle concernant la preuve de la réalité du consentement à une clause de juridiction (art. 17 de la
Conv., art. 23 du règl.: C.].C.E., aff. C-106/95, 20 février 1997, MSG, Rec. 1997, I-911,J. T., 1997, 406,
note C. MEREU, Revue, 1997, 563, note H. GAUDEMET-TALLON). Comp., supra, n ° 8.12, la restriction
apportée aux règles de protection du consommateur en raison de leur caractère dérogatoire.

9.25 - Notion de« for exorbitant» - Le for est dit exorbitant lorsque la compétence
internationale du juge ne trouve pas à se fonder sur l'un des objectifs admis communé-
ment. Cette qualification comporte un élément de condamnation à l'égard de certaines
règles nationales visant à permettre la saisine du juge dans les litiges internationaux sur
base de la seule localisation d'une personne ou d'un bien, même sans relation avec le
litige. Une telle condamnation peut se trouver dans un instrument international. Dans le
droit national aussi, on peut en trouver par l'intermédiaire d'une règle de compétence
indirecte (voy. supra, n ° 9.7).
Ill La Convention de Bruxelles - suivie par le règlement 44/2001 - a mis en exergue ce concept en
établissant une liste de tels fors (art. 3, § 2, de la Conv. ; annexe I du règl., et mise à jour par règl.
1496/2002 du 21 août 2002,].O.C.E., 2002, L 225, règl. 1937/2004 du 9 novembre 2004,].0.C.E.,
2004, L 334, règl. 2245/2004 du 27 décembre 2004, J.O.C.E., 2004, L 381). Ceux-ci peuvent avoir
trait, tantôt à une qualité - nationalité (art. 14 C. civ. français) ou domicile - propre au deman-
deur, tantôt à la localisation de biens sans rapport avec le litige(« for du patrimoine»).
La liste, non limitative, des dispositions visées varie, pour le droit belge, avec les versions du texte.
Dans la version de la Convention de 1968, il s'agissait des articles 52, 52bis et 53 de la loi du
25 mars 1876, ce qui recouvrait pratiquement les articles 635 à 638 du Code judiciaire, ainsi que de
l'article 15 du Code civil. Dans la Convention de 1978 - comme dans l'annexe I du règlement-, il
n'est plus question, outre ce dernier, que de l'article 638. Le rapport ScHLOSSER (n° 82) admet que le
texte de 1968 avait inclus l'article 52 (devenu art. 635) et l'article 52bis (devenu art. 637) par erreur.
386 RÈGLES GÉNÉRALES DE COMPÉTENCE INTERNATIONALE

Il résulte de la liste une assimilation de fait entre le critère de l'article 638 du Code judiciaire et
celui de l'article 14 du Code civil français (for de la nationalité du demandeur), sans tenir compte,
curieusement, du tempérament imposé par l'article 636 (voy. infra, n° 9.49).
111 L'objectif de pareille liste est principalement de dénoncer les« revendications abusives de com-
pétence internationale » de certains États membres (rapport ScHLOSSER, n° 82). Il ne vise donc pas à
préciser l'alinéa 1«·, qui énonce un principe d'assimilation de l'étranger au national (voy. infra,
n° 9.33). À première vue, sa place serait donc plutôt dans le préambule ou dans le rapport explica-
tif, puisque aucune des règles dénoncées ne saurait l'emporter sur les règles conventionnelles.
Cependant, l'article 72 du règlement - comme l'article 59 de la Convention - se réfère aux critères
énumérés dans cette liste, au titre du contrôle de la compétence indirecte comme un motif de refus
que le juge requis peut opposer à une décision d'un État membre en vertu d'un engagement de
l'État du juge requis vis-à-vis d'un État tiers sur le territoire duquel le défendeur avait son domicile
ou sa résidence habituelle.
Il!! Sur ce que l'article 3 n'empêche pas, au sens de l'article 31 du règlement (voy. infra, n° 9.34), le
juge du provisoire de fonder sa compétence sur le domicile du demandeur, voy. : C.j.C.E., aff C-
391/95, 17 novembre 1998, Van Uden, Rev. dr. corn. belge (1999), 611, note H. BOULARBAH, Revue
(1999), 340, note]. NORMAND.
Ill Cette critique du « for du patrimoine » a eu une influence sur le droit commun. Voy. en France
le revirement de la jurisprudence Nassibian (Cass., ire ch. civ., 6 novembre 1979, Revue, 1980, 588,
note G. COUCHEZ) par l'arrêt Méridien-Breckwoldt (Cass., ire ch. civ., 17 janvier 1995, Revue, 1996,
133, note Y. LEQUETTE). En Allemagne, le Bundesgerichtshof a admis la nécessité d'ajouter à la loca-
lisation de biens saisissables une condition tenant à l'existence d'autres points de contact avec le
système du for (BGH, 2 juillet 1991, I.C.L.Q., 1992, 632, note G. DANNEMANN).
Il!!La critique du for du patrimoine ne vaut évidemment pas lorsque le litige porte précisément sur
le bien en cause, par exemple en matière de droits réels.

Section 2
Contenu des règles générales de compétence
9.26 - Présentation - La détermination de la compétence internationale obéit à la dis-
tinction traditionnelle entre le droit communautaire et le droit conventionnel, d'une
part, qui reçoivent la primauté, et le droit commun, d'autre part.
Parmi les sources appartenant à la première catégorie, celles du droit communau-
taire revendiquent une primauté par rapport à celles du droit conventionnel, conformé-
ment à ce que prévoit le droit communautaire général. L'importance, pour la pratique,
des sources liées au traité CE - tant la Convention de Bruxelles que le règlement 44/
2001, appelé communément « Bruxelles I » (voy. le chapitre 8) - appelle à leur mise en
évidence avant d'exposer successivement les dispositions d'autres sources conventionnel-
les et les règles du droit commun.
IllIl n'est question, dans ce chapitre, que des règles générales, c'est-à-dire qui régissent l'ensemble
de la matière civile et commerciale. Pour l'exposé de règles en des matières particulières, il est ren-
voyé à chacun des chapitres traitant de ces matières
Il!! Le domaine d'application du règlement est exposé dans le chap. 8.

§1 RÈGLES GÉNÉRALES DE « BRUXELLES 1 »

A. Règles de compétence
9.27 - Exhaustivité des règles communes - L'objectif de protection juridictionnelle du
défendeur, lié à un impératif de sécurité juridique, implique que la détermination de la
CONTENU DES RÈGLES GÉNÉRALES DE COMPÉTENCE 387

compétence internationale échappe à l'appréciation souveraine du juge du fond, ou


puisse se baser sur d'autres règles nationales que celles posées ou permises par l'acte com-
munautaire.
!Ill Aussi, la théorie anglaise du forum non conveniens (voy. supra, n ° 9.15) ne pourrait-elle être utili-
sée par un tribunal anglais saisi d'une action intentée contre un défendeur domicilié dans un État
membre et dont la compétence est vérifiée en vertu du règlement ou de la Convention.
L'appréciation est certes plus délicate lorsque le tribunal étranger est celui d'un État tiers. Tout
comme les dispositions communes relatives à la litispendance ou à la connexité ne concernent
qu'un conflit entre tribunaux d'États membres, un conflit éventuel avec un tribunal d'un État tiers
relève du droit national du tribunal saisi. La disposition nationale appliquée ne saurait pour
autant porter atteinte à l'effet utile de l'acte ni, en tout cas, contredire l'une des règles prévoyant
qu'un tribunal d'un État membre est« seul» compétent (arr. 22 et 23 du règl.).
Dans le même sens, H. GAUDEMET-TALLON, Revue (1991), 461 et s., et le commentaire de l'arrêt
rendu en Angleterre par la Court of Appeal dans l'affaire Harrods, qui avait admis la théorie du
forum non conveniens. Sur cette question, voy. aussi : P. NORTH, « La liberté d'appréciation de la com-
pétence 0urisdictional discretion) selon la Convention de Bruxelles», Mélanges Rigaux (Bruxelles,
Bruylant, 1993); H. BORN et M. FALLON,j.T (1992), 409, excluant nettement le jeu de la théorie; A.
Nuns, L'exception de forum non convenions (Bruxelles, Bruylant, 2003), n° 5 154 et s., déduisant cette
conclusion de l'importance de l'objectif de sécurité juridique dans la jurisprudence de la Cour de
JUStice, non sans regretter l'absence de toute possibilité de clause d'exception à propos des compé-
tences spéciales de l'article 5 (n ° 160).
La Cour de justice a exclu l'utilisation de la théorie dans un cas où les juridictions étrangères con-
currentes appartenaient à un pays tiers: C.J.C.E., aff. C-281/02, 1"" mars 2005, Owusu, mettant en
exergue l'objectif de sécurité juridique.

9.28 - Compétence de principe du for du domicile du défendeur - Le règlement 44/2001


écarte radicalement la nationalité au profit du domicile du défendeur : « Sous réserve des
dispositions du présent règlement, les personnes domiciliées sur le territoire d'un État
membre sont attraites, quelle que soit leur nationalité, devant les juridictions de cet État
membre» (art. 2, § 1er). Il fait de même à propos de la règle d'applicabilité dans l'espace
(art. 4, § 1er, supra, n ° 8.22).
!Ill Cette règle pose une compétence internationale, non une compétence territoriale interne (voy.
supra, n ° 9.4) : elle permet qu'une personne soit attraite devant une juridiction de l'État où elle est
domiciliée, autre que celle du lieu de ce domicile, en vertu du droit commun.

Ce principe occupe la première place par rapport aux autres règles de compétence.
De plus, son objectif, qui est d'assurer la protection juridictionnelle au défendeur (voy.
supra, n° 9.22), a un caractère fondamental. Il en est résulté une tendance à une interpré-
tation stricte des autres règles de compétence (voy. supra, n° 8.12).
L'article 2, paragraphe 1er,« réserve» d'autres chefs de compétence que celui que cet
article énonce. Ces dérogations ont une portée différente selon qu'elles ajoutent à la
compétence des tribunaux du pays du domicile celle des tribunaux d'un autre État mem-
bre (compétences« spéciales» des art. 5 et 6), qu'elles excluent toute compétence interna-
tionale autre que celle du pays dans lequel se localise l'objet du litige (compétences
«exclusives» de l'art. 22) ou que celle du pays ou du tribunal désigné par une clause
expresse d'élection de for(« prorogation» de compétence de l'art. 23), ou selon qu'elles
combinent une compétence particulière avec d'autres règles générales (art. 8, 15 et 18).
Ill Le terme« compétences spéciales» qui regroupe les articles 5 et 6 ne s'entend pas au sens d'une
compétence prévue dans une matière spéciale, mais d'une règle qui détermine autant la compé-
tence« internationale» que la compétence« interne» (voy. supra, n ° 9.5). De ce point de vue, l'inti-
tulé lié à la structure du règlement est inadapté, puisque la section 2 comprend une règle de
388 RÈGLES GÉNÉRALES DE COMPÉTENCE INTERNATIONALE

compétence« générale» (art. 5, 6°), introduite lors de la révision de la Convention de Bruxelles en


1978, tandis que d'autres subdivisions relatives à des contrats particuliers (sect. 3 à 5) contiennent
aussi des règles de compétence« spéciale».

9.29 - Définition du domicile - Le règlement 44/2001 s'abstient de donner une défini-


tion autonome du domicile des personnes physiques, pour se référer au droit national,
tout en définissant celui des personne morales à la différence de ce que fait la Convention
de Bruxelles.
La détermination du domicile des personnes physiques fait l'objet d'une règle de
conflit de lois déjà commentée (supra, n° 5.29). Elle est régie par« la loi interne» de l'État
membre sur le territoire duquel ce domicile se localise (art. 59, § 1er et 2).
Le règlement ne contient aucune disposition relative à la détermination du domicile dans un
1111

État tiers, d'ailleurs inutile pour son objet.


1111La version initiale de la Convention prévoyait une règle de conflit de lois propre au domicile
d'une personne qui « dépend de celui d'une autre personne ou du siège d'une autorité », désignant
« la loi nationale» de l'intéressé (art. 52, al. 3). Cette disposition a été supprimée dans la version de
San Sebastian.
1111En cas de pluralité de domiciles, on peut déduire de l'interprétation donnée par la Cour de jus-
tice à l'article 5, 3° (voy. supra, n° 5.31), que les juridictions des divers États membres sur le territoire
desquels la partie intéressée est domiciliée seront concurremment compétentes.

La détermination du domicile des personnes morales obéit à une règle matérielle,


sauf en ce qui concerne le trust et en matière de validité ou de dissolution d'une société
(infra, n° 16.24). Celles-ci« sont domiciliées là où est situé (a) leur siège statutaire, (b)
leur administration centrale, ou (c) leur principal établissement» (art. 60, § 1er).
Selon la Convention de Bruxelles, « le siège des sociétés et des personnes morales est assimilé au
1111

domicile pour l'application de la présente Convention» (art. 53). À défaut de critère commun aux
États contractants,« pour déterminer ce siège, le juge saisi applique les règles de son droit interna-
tional privé» (art. 53, 2e phrase).
Pour une application de la méthode, voy. : Anvers, 17 juin 2003,Jur. Anvers (2003), 123.
1111L'article 60, paragraphe 2, du règlement précise le sens du terme « siège statutaire» « pour le
Royaume-Uni et l'Irlande», indiquant par là, lorsqu'il existe, le « registered office», à défaut le
« place of incorporation», à défaut encore« le lieu selon la loi duquel la formation (constitution) a
été opérée». Cette disposition introduit une définition particulière lorsqu'il y a lieu de vérifier la
présence d'un domicile sur le territoire de l'un de ces pays, se référant alors aux définitions qui pré-
valent dans ces droits nationaux.

Cette définition autonome reproduit les termes de l'article 48 du traité CE. Cette
disposition vise à définir la « nationalité » des personnes morales pour les besoins de
l'application des règles du traité qui organisent la liberté d'établissement et la libre
prestation de services. De fait, ces règles ne bénéficient qu'aux« ressortissants» des États
membres.
1111Pareil emprunt est cohérent pour définir le domicile lorsqu'il remplit la fonction de critère
d'applicabilité, non comme critère de compétence. Dans le premier cas, il s'agit uniquement de
déterminer la catégorie des personnes qui entrent dans le domaine d'application des règles com-
munes. Pour ce faire, la règle d'applicabilité peut recevoir un sens alternatif, ce qui conduit à élargir
cette catégorie, de manière unilatérale. C'est bien la portée qu'il convient de donner à l'art. 48 CE,
et il n'y a pas d'inconvénient à l'étendre au règlement. L'appréciation diffère à propos du critère de
compétence. Puisque le règlement a pour objectif de répartir les compétences juridictionnelles
entre les États membres et de concentrer les litiges au domicile du défendeur (voy. supra, n ° 9.28), il
s'entend que le critère doit obéir à une acception aussi précise que possible. En admettant trois
CONTENU DES RÈGLES GÉNÉRALES DE COMPÉTENCE 389

localisations possibles du domicile d'une société, le texte expose celle-ci au risque de se voir assi-
gnée dans trois États membres différents au titre de son seul« domicile».

Le règlement contient aussi plusieurs références à la notion d' « établissement »


d'une personne morale, dans le but de permettre d'assigner la société au lieu de cet éta-
blissement pour les contestations relatives à son exploitation (chef de compétence
spéciale de l'art. 5, 5° ; contrat d'assurance, art., 9, § 2; contrat de consommation, art. 15,
§ 2; contrat de travail, art. 18, § 2).
Ill Pour une définition des notions de« succursale, agence ou établissement», voy. infra, n° 16.25.

9.30 - Compétence liée à l'objet du litige - Le règlement ajoute au principe du for du


domicile du défendeur plusieurs compétences liées à l'objet du litige. Pour les besoins
d'une présentation générale, les compétences particulières peuvent être classées en fonc-
tion de leur objectif (voy. supra, n ° 9 .21 ).
En raison de leur objet particulier, ces dispositions sont analysées en détail à propos de chacune
1111

des matières auxquelles elles se rapportent.

Une première catégorie de dispositions exprime un lien objectif entre le litige et la


juridiction. Selon l'article 5, il en est ainsi dans les matières suivantes: contrats, délits et
quasi-délits, aliments, action civile devant une juridiction répressive, exploitation d'un
établissement, trust, assistance en matière de transport de marchandises.
Une deuxième catégorie de dispositions tend à protéger une partie faible au contrat.
Il en est ainsi en matière de contrats d'assurance (art. 8 à 14), de contrats de consomma-
tion (art. 15 à 17) et de contrats individuels de travail (art. 18 à 21 ; dans la Conv., art. 5,
1 °, 2e phrase et art. 17, al. 5). La protection offerte est double. Elle permet à la partie fai-
ble d'agir dans le pays où se localise le centre de ses intérêts (domicile de l'assuré ou du
consommateur, lieu principal d'exécution des prestations du travailleur) et d'invoquer
l'inopposabilité d'une clause de juridiction conclue avant la naissance du différend.
La structure des dispositions relatives à la protection de la partie faible souffre de la méthode de
1111

révisions successives de la Convention. La version de 1968 comportait uniquement des disposi-


tions relatives à l'assuré, la protection du consommateur n'ayant été introduite qu'en 1978 et celle
du travailleur, en 1989. Il est regrettable que les dispositions sur la protection du travailleur n'aient
pas été regroupées sous une section spéciale. Le règlement a corrigé cette anomalie.
Cette strucrure peut avoir un effet pervers sur la méthode d'interprétation des dispositions en
cause de la Convention. Alors que les dispositions sur le contrat de travail sont insérées dans celles
qui concernent plus généralement le contrat, le contrat de consommation fait l'objet d'une section
particulière qui en accentue le caractère exceptionnel. De fait, la Cour de justice en a déduit une
interprétation stricte (voy. infra, n ° 14.104), attitude que n'implique pas nécessairement l'article 5
(voy. supra, n ° 8.12). Une telle interprétation stricte paraît pourtant peu conciliable avec l'objectif
de la règle en cause, qui est un objectif de protection d'une partie faible. La correction effectuée
dans le règlement ne devrait pas entraîner une interprétation divergente de dispositions identiques
en substance.

Une troisième catégorie de dispositions tient compte de la nature de la mesure por-


tant sur un bien, nécessitant l'intervention d'autorités publiques (art. 22), ce qui justifie
que les compétences prévues aient un caractère exclusif. Aussi constituent-elles de vérita-
bles dérogations au principe du for du domicile du défendeur (art. 2), comme à la règle
générale d'applicabilité de la Convention (art. 4). À ce titre, elles appellent une interpréta-
tion stricte.
Voy. par exemple une interprétation stricte de la compétence des tribunaux de l'État d'exécu-
1111

tion d'une décision, lorsque, par la voie d'une action en opposition à l'exécution, le défendeur
390 RÈGLES GÉNÉRALES DE COMPÉTENCE INTERNATIONALE

demande« la compensation entre le droit en vertu duquel l'exécution est poursuivie et une créance
sur laquelle les tribunaux de cet État [... ] ne seraient pas compétents pour statuer si elle faisait
l'objet d'une action autonome» (C.J.C.E., aff. 220/84, 4 juillet 1985, Autoteile, Rec., 1985, 2267,
Revue, 1986, 142, note E. MEZGER).
Voy. encore l'interprétation stricte d'autres chefs de compétence de l'article 22, infra, n ° 13.5.

9.31 - Compétence dérivée - Certaines des compétences prévues par le règlement sont
dérivées, en ce sens qu'elles reposent sur une attraction exercée par une action principale,
dans les cas de pluralité de défendeurs (art. 6, 1 °) ou de pluralité de demandes (demande
en garantie, art. 6, 2 ° ; demande reconventionnelle, art. 6, 3 ° ; demandes jointes, art. 6,
4 o).
1111 Sur le domaine d'application dans l'espace de l'article 6, voy. supra, n ° 8.22.

Sur l'application de l'article 6 en présence d'une clause attributive de compétence, voy. infra,
1111

n° 9.32, à propos de l'article 23.

En cas de pluralité de défendeurs (art. 6, 1°), un lien suffisant est exigé entre les
demandes, qui doivent obéir à une condition de connexité. Introduite par le règlement,
cette condition avait déjà été énoncée par la Cour de justice à propos de la Convention :
C.J.C.E., aff. 189/87, 27 septembre 1988, Kalfelis, Rec. (1988), 5565,].T (1989), 214, note
M. EKELMANS; aff. C-365/88, 15 mai 1990, Kongress Agentur Hagen, Rec. (1990), I-1845,
Revue (1990), 564, note H. GAUDEMET-TALLON, Clunet (1991), 498, note A. HUET.
Il découle du texte même de l'article 6, 1 °, que celui-ci ne couvre que le cas où le litige est porté
1111

devant le tribunal du domicile de l'un des défendeurs (C.J.C.E., aff. C-51/97, 27 octobre 1998, Réu-
nion européenne, Rec., 1998, I-6511).

L'arrêt Kongress Agentur Hagen précise que la compétence dérivée en vertu de


l'article 6, 2° (appel en garantie) s'applique« quel que soit le fondement de la compétence
au principal». Cette disposition n'exige pas de lien de connexité entre les demandes, mais
elle interdit qu'une des demandes« n'ait été formée que pour traduire hors de son tribu-
nal celui qui a été appelé».
La « demande reconventionnelle» doit « [dériver] du contrat ou du fait sur lequel
est fondée la demande originaire». Elle vise uniquement celle « tendant à une condam-
nation distincte du demandeur», non le simple moyen de défense, lequel « fait partie
intégrante de l'action intentée par le demandeur» (C.J.C.E., aff. C-341/93, 13 juillet 1995,
Danvaern Production, Rec., 1995, I-2053, s'appuyant sur le droit comparé des États con-
tractants).

9.32 - Prorogation volontaire de compétence - Le règlement prévoit des prorogations


de compétence au profit des tribunaux des États membres, dans deux types de cas.
Un accord d'élection de for valablement conclu (art. 23) a pour effet d'exclure tant la
compétence déterminée par le principe général consacré par l'article 2 que les compéten-
ces spéciales des articles 5 et 6 (C.J.C.E., aff. 24/76, 14 décembre 1976, Estasis Salotti, Rec.,
1976, 1851). La compétence prorogée est « exclusive, sauf convention contraire des
parties» (art. 23, § 1er). L'accord ne peut cependant pas déroger à l'une des compétences
exclusives de l'article 22 ni aux dispositions protectrices d'une partie faible (l'assuré,
art. 14, le consommateur, art. 17, le travailleur, art. 21).
L'article 17 a suscité de nombreuses questions d'interprétation, qui sont examinées dans le
1111

chapitre 14.
CONTENU DES RÈGLES GÉNÉRALES DE COMPÉTENCE 391

À la différence du règlement, la Convention ne précise le caractère exclusif de la compétence


1111

prorogée qu'en énonçant que les tribunaux désignés sont « seuls » compétents. En revanche, elle
ajoute, à la différence du règlement, que« si la convention attributive de juridiction n'a été stipulée
qu'en faveur de l'une des parties », celle-ci reste en droit d'invoquer toute autre disposition perti-
nente de la Convention (art. 17, al. 5).

La comparution volontaire du défendeur permet aussi de fonder la compétence du


tribunal saisi (art. 24), sauf si elle a pour objet de contester la compétence ou si la matière
relève d'une juridiction exclusivement compétente en vertu de l'article 22.
L'article 24 doit recevoir une interprétation extensive, favorable au défendeur, eu égard à son tri-
1111

ple objectif, à savoir assurer la protection juridictionnelle du défendeur, rendre compte de l'auto-
nomie des volontés et réaliser l'économie de procédure (C.J.C.E., aff. 48/84, 7 mars 1985, Spitzley,
Rec., 1985, 787, Revue, 1985, 682, note H. GAUDEMET-TALLON).

La prorogation tacite par voie de comparution vaut même en présence d'une clause attributive
Ill
au sens de l'article 23 (C.J.C.E., aff. 150/80, 24 juin 1981, Elefanten Schuh, Rec., 1981, 1671). Encore
faut-il que la renonciation soit certaine. Camp., à propos d'une comparution à l'étranger en inter-
vention dans une cause opposant le demandeur à l'action aux clients du défendeur: Liège,
25 novembre 1997, Rev. dr. comm. belge (1998), 393, note H. BouLARBAH, critiquant une telle exten-
sion de la portée d'une comparution qui ne peut avoir effet qu'entre parties à cette cause.

Ill Le terme« défendeur» s'entend de la partie défenderesse à la demande en cause, non pas néces-
sairement du défendeur à l'action. Ainsi, il vise le demandeur principal auquel est opposée une
demande en compensation (C.J.C.E., aff. C-48/84, 7 mars 1985, Spitzley, Rec., 1985, 787, Revue,
1985, 682, H. GAUDEMET-TALLON).

1111 La« contestation de la compétence» peut avoir lieu en même temps que la première défense au
fond - et non ultérieurement-, à condition qu'elle« ne se situe pas après le moment de la prise de
position considérée, par le droit procédural national, comme la première défense adressée au tribu-
nal saisi» (arrêt Elefanten Schuh précité).

L'exclusion de la prorogation tacite affecte seulement l'article 22, non les dispositions de pro-
1111

tection de l'assuré, du consommateur ou du travailleur. En d'autres termes, ceux-ci peuvent renon-


cer à la protection qui leur est offerte. Il est regrettable que le texte n'exige pas que cette
renonciation soit expresse.

Ill Sur la compétence du juge de la comparution pour connaître de mesures provisoires, voy. infra,
n ° 9.34.

9.33 - Principe d'assimilation au national - Les dispositions générales du règlement -


comme celles de la Convention - font trois applications du principe d'assimilation d'une
personne domiciliée dans un État membre à un ressortissant de cet État.
Une première application concerne le défendeur domicilié dans un État membre:
« Les personnes qui ne possèdent pas la nationalité de l'État dans lequel elles sont domi-
ciliées, y sont soumises aux règles de compétence applicables aux nationaux» (art. 2, § 2).
Sont, par là, visées les règles de compétence territoriale interne, en Belgique, notamment,
les règles générales des articles 624 à 630 du Code judiciaire (infra, n° 9.60).
1111 Il faut croire que le principe d'assimilation énoncé pour le cas où le défendeur est attrait dans
l'État de son domicile vaut aussi dans d'autres cas, lorsque le défendeur domicilié dans un État
membre est attrait dans un autre État membre, en vertu des articles 22 ou 23 par exemple, et que la
règle de compétence commune ne procure pas d'indication sur la compétence interne.

Une deuxième application a pour objet la condamnation, par le règlement, de fors


exorbitants (voy. supra, n ° 9.25). Le défendeur domicilié dans un État membre ne peut se
392 RÈGLES GÉNÉRALES DE COMPÉTENCE INTERNATIONALE

voir opposer des règles nationales de compétence internationale que le demandeur pour-
rait invoquer contre lui en raison de sa qualité d'étranger (art. 3, § 1er).
La troisième mise en œuvre du principe d'assimilation à un ressortissant d'un État
membre vise le demandeur ayant son domicile sur le territoire d'un de ces États alors que
le défendeur est domicilié en dehors de ceux-ci (art. 4, § 2). Pareil demandeur peut,
« quelle que soit sa nationalité » et comme les nationaux, invoquer contre le défendeur
les règles de compétence en vigueur dans l'État où il a son domicile, et notamment celles
figurant sur la liste des fors exorbitants. Cela inclut une disposition telle que l'article 14
du Code civil français (voy. supra, n° 9.11).
Autant l'assimilation du défendeur au national est inspirée du « libéralisme de la
Convention» (rapport JENARD, chap. IV, A, 2), autant pareille appréciation ne peut être
étendue à l'assimilation du demandeur au national. En permettant au demandeur étran-
ger mais domicilié dans un État membre de s'y prévaloir des privilèges exorbitants fondés
sur la nationalité, l'article 4, paragraphe 2, bien loin d'avoir fait prévaloir un critère
« libéral » sur un critère nationaliste, a étendu le privilège de nationalité aux demandeurs
se rattachant par leur domicile à l'État qui a maintenu un tel privilège.
111 Un exemple fera comprendre les conséquences paradoxales de ce système. Un Argentin domici-
lié en France peut citer devant un tribunal français, conformément à l'article 14 du Code civil, un
Belge domicilié au Congo. Il n'est pas exact que « ce principe avait déjà été établi expressément
dans la Convention franco-belge du 8 juillet 1899 » (art. 1er, § 2, infra, n ° 9.43) (rapport JENARD,
chap. IV, B, art. 4), car cette dernière disposition se limitait à étendre le privilège de nationalité aux
seuls Belges demandeurs.

Le malaise provient de ce qu'un instrument international dont la philosophie affir-


mée estl'adage Actor sequitur forum rei (rapportJENARD, chap. IV, B, art. 2; supra, n° 9.21) a
considérablement étendu les hypothèses dans lesquelles le demandeur peut attraire
devant un tribunal du pays de son domicile un défendeur qui n'est pas domicilié dans un
des États liés par l'acte.
1111 Comp., dans le même sens : B. G0LDMAN, « Un traité fédérateur: la Convention entre les États
membres de la C.E.E. sur la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et
commerciale», Rev. trim. dr. eur. (1971), 1-39, n° 23. Voy. également l'analyse critique de F. K. ]VEN-
GER, « La Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968 et la courtoisie internationale -
Réflexions d'un Américain», Revue (1983), 37-51.

9.34 - Compétence en matière de mesures provisoires - Les règles de compétence du


règlement ne font pas obstacle à ce que les autorités judiciaires d'un État membre pren-
nent « les mesures provisoires et conservatoires » prévues par leur propre droit et, il faut
l'ajouter, selon leurs propres règles de compétence internationale (art. 31).
1111 Sur cette problématique, voy., outre les études citées au n ° 8.1, notamment: H. BouLARBAH,
« Les mesures provisoires en droit commercial international : développements récents au regard
des Conventions de Bruxelles et de Lugano», Rev. dr. comm. belge (1999), 604-610; P. DE VAREILLES-
SoMMIÈRES, « La compétence internationale des tribunaux français en matière de mesures
provisoires», Revue (1996), 397-439; M. FALLON, « Le référé international en matière civile et
commerciale», Rev. dr. ULB (1993), 43-94 F. GERHARD,« La compétence du juge d'appui pour pro-
noncer des mesures provisoires extraterritoriales», Rev. suisse dr. int. dr. eur. (1999), 97-142; C.
KESSEDJIAN, « Mesures provisoires et conservatoires. À propos d'une résolution adoptée par l'Asso-
ciation de droit international», Clunet (1997), 103-114; A. MARMISSE et M. WrLDERSPIN, « Le régime
jurisprudentiel des mesures provisoires à la lumière des arrêts Van Uden et Mietz », Revue (1999),
669-684; J.-F. VAN ÜRO0GHENBR0ECK, « Les compétences internationale et territoriale du juge du
CONTENU DES RÈGLES GÉNÉRALES DE COMPÉTENCE 393

provisoire (les mesures provisoires et le litige européen) », Les mesures provisoires en droit belge,français
et italien (Bruxelles, Bruylant, 1998).

L'objectif de cette règle est « d'éviter aux parties un préjudice résultant de la lon-
gueur des délais inhérente à toute procédure internationale» (C.J.C.E., aff. C-104/03,
28 avril 2005, St. Paul Dairy Industries). Sa nature« dérogatoire» implique cependant une
interprétation stricte de ses termes, qui s'exprime surtout à propos de la définition de
son domaine (voy. le n ° suivant), car son utilisation risque de contredire les objectifs de
sécurité juridique pour le défendeur et de concentration des litiges (même arrêt).
En apparence, le texte contient une simple règle de signalisation. Ce faisant, le règle-
ment limite le domaine des règles de compétence directe à la compétence« pour connaî-
tre du fond». Ceci ne signifie pas pour autant que l'acte ne couvre pas la problématique
des mesures provisoires. D'un côté, la règle de signalisation a pour portée d'incorporer la
règle de compétence nationale dans le système commun, à propos de la détermination de
la compétence indirecte, c'est-à-dire lors de la reconnaissance de la décision étrangère
(C.J.C.E., aff. 125/79, 21 mai 1980, Denilauler, Rec., 1980, 1553; voy. infra, n ° 10.12). D'un
autre côté, le règlement permet au juge compétent pour connaître du fond en vertu des
règles communes, de connaître aussi des mesures provisoires reconnues nécessaires
(C.J.C.E., aff. C-391/95, 17 novembre 1998, Van Uden Maritime, Rec., 1998, I-7091, Rev. dr.
com. belge, 1999, 611, note H. BouLARBAH, Revue, 1999, 340, note]. NORMAND).
Selon la Cour de justice, l'article 31 comporte bien une « règle de compétence»
(arrêt Van Uden précité). En effet, la référence aux règles nationales est conditionnelle, en
ce sens que la compétence du juge du provisoire au sens de cette disposition n'est pas illi-
mitée (C.J.C.E., aff. C-99/96, 27 avril 1999, Mietz, Rec., 1999, I-2277, et ce même en cas de
comparution volontaire). Deux conditions apparaissent. La première tient à« l'existence
d'un lien de rattachement réel» entre l'objet du litige et l'État du for. La seconde évoque
l'obligation pour le juge « de prendre en considération la nécessité d'imposer des condi-
tions ou modalités destinées à garantir le caractère provisoire ou conservatoire » des
mesures en cause, périphrase inspirée de l'arrêt Denilauler précité et servant de réponse à
l'observation faite devant la Cour selon laquelle la condition d'un lien suffisant devait
s'accompagner de celle de l'urgence. Ces conditions sont suffisantes, en ce sens que la
compétence du juge national peut se fonder sur un for exorbitant au sens de l'article 3.
1111 Voy. déjà P. GOTHOT et D. HOLLEAUX (précités n° 8.1), n° 5 202-205, qui, s'attachant à l'objectif
d'économie de procédure, exigent qu'il y ait urgence, et que se localisent sur le territoire de la déci-
sion à prendre la personne ou les biens qui font l'objet de la mesure.
1111 Pour une application de la jurisprudence Van Uden à des biens situés en Belgique, voy. : Cass.,
3 septembre 1999, SANAC, Rev. dr. comm. belge (2000), 128, note M. PERTEGAS SENDER, à propos
d'une demande de saisie pour contrefaçon alors même que le brevet n'était pas protégé en
Belgique; Bruxelles, 20 février 2001, Roche, IRDI (2002), 284, refusant la compétence pour une
demande déclaratoire de constatation de non-contrefaçon pour l'ensemble des pays de l'Union
européenne. Voy. infra, le chap. 13.
À propos d'un litige relatif à une concession exclusive de vente, voy. : Liège, 17 janvier 2002, Rev. dr.
comm. belge (2005), 38.

11111 Les deux conditions précitées ne s'imposent pas à l'adoption de mesures provisoires par le juge
compétent pour connaître du fond en vertu du règlement (arrêt Mietz précité). Ce juge pourra donc
décider de mesures conservatoires dès lors que sa compétence repose par exemple sur l'article 2 ou
sur l'article 5, même si la mesure concerne des biens localisés à l'étranger, nécessitant alors une pro-
cédure d'exequatur lorsqu'il y a lieu d'obtenir une exécution forcée sur ces biens. Sur la compétence
394 RÈGLES GÉNÉRALES DE COMPÉTENCE INTERNATIONALE

du juge du fond à statuer au provisoire sans être tenu par l'article 31, voy.: Comm. Hasselt, 14 juin
2001, R W. (2003-2004), 309.

Le silence de la Cour sur la condition de l'urgence semble impliquer que cette condition ne soit
1111

pas formellement requise par le règlement. Elle peut cependant l'être par le droit national. Voy. par
exemple, à propos d'une mesure d'expertise: Civ. Courtrai, 25 juin 2001, R. W. (2003-2004), 476.

Le texte du règlement, qui s'aligne sur celui de la Convention, contraste curieusement avec celui
1111

du règlement« Bruxelles II», qui s'inspire de la jurisprudence précitée (voy. infra, n ° 12.82).

9.35 - Domaine de la compétence en matière de mesures provisoires - La détermina-


tion du domaine d'application de l'article 31 du règlement - comme de celui de
l'article 24 de la Convention - appelle des précisions quant à la matière et quant à la
nature des mesures autorisées.
Quant à la matière, la disposition suppose qu'un juge d'un État membre puisse être
compétent pour connaître du fond en vertu du règlement, en d'autres termes, que l'objet
du litige entre dans le domaine matériel de l'acte. Il n'est cependant pas requis, selon la
Cour de justice, que le juge du fond soit un juge étatique.
1111Par exemple, est exclue du domaine du règlement et, partant, de celui de l'article 31, une
demande tendant à obtenir un document destiné à faire preuve dans un litige concernant des rap-
ports patrimoniaux entre époux résultant directement du mariage, litige relevant de la matière des
« régimes matrimoniaux», exclue par l'article 1er du règlement (C.J.C.E., aff. 25/81, 31 mars 1982,
W c. H., Rec., 1982, 1189).
Relève du règlement et, partant, de l'article 31, malgré l'exclusion de l'arbitrage du domaine de
l'acte (voy. supra, n ° 8.15), une demande tendant à des mesures provisoires comme soutien d'une
procédure d'arbitrage - et non aux fins de mise en œuvre de celle-ci. En effet, il y a lieu de considé-
rer, non la nature des mesures en cause, mais la nature « des droits» dont ces mesures tendent à
assurer la sauvegarde (C.J.C.E., aff. C-261/90, 26 mars 1992, Reichert II, Rec., 1992, I-2149; arrêt Van
Uden Maritime précité).
Voy. encore en matière de brevets: Bruxelles, 11 février 1977,]. T (1977), 529 et, en matière de
mesures provisoires durant la procédure en divorce, infra, n° 12.82.

Quant à la nature des mesures, une définition autonome du provisoire permet de


contrôler le domaine de l'exception apportée aux règles communes. Cette définition
relève donc d'une interprétation systémique du règlement: il y a lieu d'éviter que, par le
détour des règles nationales de compétence pour connaître du provisoire, le demandeur
obtienne dans son propre pays une décision dont la porti'e permette de faire l'économie
d'un jugement au fond dans le pays du domicile du défen eur. Aussi la mesure provisoire
au sens de l'article 31 couvre-t-elle uniquement celle qui ise à« maintenir une situation
de fait ou de droit afin de sauvegarder des droits dont la reconnaissance est par ailleurs
demandée au juge du fond» (C.J.C.E., aff. C-261/90, 26 mars 1992, Reichert II, Rec., 1992,
1-2149).
Ainsi, le référé-provision visant au paiement à titre de provision d'une contre-prestation con-
1111

tractuelle n'est-il normalement pas une mesure provisoire au sens de l'article 31, à moins qu'il serve
à« garantir l'efficacité de l'arrêt au fond». Il ne peut l'être que si une double preuve est rapportée, à
savoir que la somme allouée est de nature à être remboursée au cas où la demande est rejetée au
fond et que la mesure porte sur des avoirs localisés « dans la sphère de compétence territoriale du
juge saisi » (arrêt Van Uden Maritime précité). La même appréciation vaut pour la procédure en kart
geding des articles 289 à 297 du Code néerlandais de procédure civile (arrêt Mietz précité n ° 9.33).
La condition relative à la localisation des avoirs, que la Cour de justice évoque à propos de la défini-
tion de la mesure, est déjà explicite dans la règle de compétence elle-même, selon l'arrêt Van Uden
Maritime.
CONTENU DES RÈGLES GÉNÉRALES DE COMPÉTENCE 395

Ne constitue pas une mesure provisoire au sens de l'arrêt Reichert II, la demande introduite
11111

devant le juge des référés, tendant simplement à obtenir une décision plus rapide sur l'obligation
de livrer la chose vendue (Bruxelles, 7 septembre 1999, R W, 2000-2001, 593).
Ill Échappe également au domaine de l'article 31 la procédure d'audition provisoire de témoins
aux fins de permettre au demandeur d'apprécier l'opportunité d'une procédure au fond: C.J.C.E.,
aff. C-104/03, 28 avril 2005, St. Paul Dairy Industries. Cette appréciation contraint pratiquement le
demandeur à introduire une telle procédure devant le juge du fond, quitte à invoquer alors le béné-
fice du règlement 1206/2001 du 28 mai 2001 relatif à la coopération entre les juridictions des États
membres dans le domaine de l'obtention des preuves (voy. infra, n ° 11.18), comme le suggère l'arrêt
précité.
Sur l'exequatur d'une décision de référé adoptée par un juge qui n'est pas compétent pour con-
1111

naître du fond en vertu du règlement et qui comporte une mesure qui ne peut pas être qualifiée de
provisoire au sens de l'article 31, voy. infra, n° 10.23.

L'interprétation systémique du règlement conduit ainsi à une définition fonction-


nelle de la mesure provisoire, selon que la mesure est à prendre ou non par le juge compé-
tent pour connaître du fond.

B. Régime des incidents de compétence


9.36 - Renvoi au droit national pour les questions de procédure - Alors que le règlement
44/2001 - comme la Convention de Bruxelles - a pour objet essentiel de déterminer la
compétence internationale et la reconnaissance des jugements étrangers, il ne vise pas à uni-
fier les règles nationales de procédure (C.J.C.E., C-365/88, 15 mai 1990, Kongress Agentur
Hagen, précité n° 8.17). Le droit national est applicable au mode de fonctionnement des tri-
bunaux, à moins d'une disposition explicite du règlement (voy. supra, n ° 8.17).
Cette exclusion du domaine du règlement n'empêche pas la présence de dispositions
propres aux incidents de compétence.

9.37 - Vérification de la compétence - Sous le couvert de règles de procédure, les articles


25 et 26, paragraphe 1er, confèrent aux règles de compétence du règlement un caractère
obligatoire que le tribunal saisi doit même, en certains cas, relever d'office. Il faut cepen-
dant distinguer trois hypothèses.
Dans l'hypothèse d'une compétence exclusive, « le juge d'un État membre, saisi à
titre principal d'un litige pour lequel une juridiction d'un autre État membre est exclusi-
vement compétente en vertu de l'article 22, se déclare d'office incompétent» (art. 25). Il
importe peu que le défendeur comparaisse ou fasse défaut.
1111Le contrôle d'office s'impose aussi à la juridiction de cassation alors même qu'aucune des par-
ties n'a invoqué l'article 22 dans les moyens du pourvoi (C.J.C.E., aff. 288/82, 15 novembre 1983,
Dui;nstee, Rec., 1983, 3663, Revue, 1984, 361, note G. BONET). Selon la Cour de justice, il y va dures-
pect du « principe de la sécurité juridique dans l'ordre communautaire" et de l'impératif de
« l'égalité et [de] l'uniformité des droits et obligations [découlant] de la Convention pour les États
contractants et pour les personnes intéressées "·

Dans l'hypothèse du défaut du défendeur « domicilié sur le territoire d'un État


membre » et « attrait devant une juridiction d'un autre État membre », le juge doit,
d'office, se déclarer incompétent « si sa compétence n'est pas fondée aux termes du pré-
sent règlement» (art. 26, § 1er).
Pour une application de cette disposition, voy. : Trib. arr. Liège, 15 décembre 1994, ].L.M.B.
11111

(1995), 1170, Pas. (1994), III, 47.


396 RÈGLES GÉNÉRALES DE COMPÉTENCE INTERNATIONALE

La vérification de la compétence selon les termes du règlement se comprend comme un renvoi


1111

aux règles de compétence d'une convention spéciale, dans le cas prévu par l'article 71, § 2 (pri-
mauté des conventions en des matières particulières) : C.J.C.E., aff C-148/03, 28 octobre 2004, Nür-
nberger Allgemeine Versicherungs.
Dans l'hypothèse où une partie conteste la compétence internationale du tribunal
saisi sans invoquer pour aurant le règlement, il appartient au tribunal d'appliquer
d'office celui-ci en tant que norme juridique applicable (Trib. trav. Liège, réf., 6 février
1989,].L.M.B., 1990, 5, note D. MARTIN; Cass. civ., 17 décembre 1986, Revue, 1988, 92,
note H. TAGARAS).
Le règlement n'impose donc pas formellement un contrôle d'office de la compé-
tence lorsque celle-ci n'affecte pas une compétence exclusive ou en l'absence de défaut. Si
le défendeur comparaît sans contester la compétence, le juge saisi est compétent (art. 24).
La comparution volontaire est donc prorogatoire de compétence (voy. infra, n ° 14.12) et
le juge saisi ne peut pas soulever son incompétence, sauf s'il existe une compétence exclu-
sive au profit d'une autre juridiction.
1111La contestation de la compétence peut avoir lieu en même temps que la défense au fond, à con-
dition qu'elle« ne se situe pas après le moment de la prise de position considérée, par le droit pro-
cédural national, comme la première défense adressée au juge saisi » (C.J.C.E., aff 150/80, 24 juin
1981, Elefanten Schuh, Rec., 1981, 1671).
Ill Le chapitre III relatif à l'efficacité des décisions confirme le principe selon lequel les règles relati-
ves à la compétence ne concernent pas l'ordre public (art. 35, § 3), mais à l'exception des compéten-
ces exclusives (art. 22) et des compétences fondées sur un objectif de protection de la partie faible
(assurance et contrats de consommation) (art. 35, § 3). Dans cette dernière hypothèse, on observe
une divergence singulière selon que la compétence en cause est directe - la vérification n'a pas lieu
d'office - ou indirecte - le contrôle du motif de refus a lieu d'office. Il est cour aussi singulier que
le contrôle de ce motif n'aie pas lieu à propos des règles de compétence protectrices du travailleur.

9.38 - Vérification de la recevabilité - En cas de défaut du défendeur domicilié sur le


territoire d'un État membre et attrait devant une juridiction d'un autre État membre, le
juge a l'obligation de « surseoir à statuer aussi longtemps qu'il n'est pas établi que ce
défendeur a été mis à même de recevoir l'acte introductif d'instance ou un acte équiva-
lent en temps utile pour se défendre ou que toute diligence a été faite à cette fin» (art. 26,
§ 2).
L'objectif est « de garantir les droits de la défense en reconnaissant l'importance
dans l'ordre international de la signification des actes judiciaires» (rapportJENARD, chap.
IV, B, art. 20).
1111Ceci explique que le règlement - comme la Convention - n'aie prévu aucune « garantie» pour
le défendeur condamné par défaut dans le pays de son domicile, situation qui, selon l'esprit de ces
instruments, n'a aucun caractère international.
Esc, en revanche, regrettable l'absence de contrôle analogue au profit des ressortissants non domi-
ciliés dans un État membre, qui peuvent être condamnés par défaut en vertu d'une compétence
exorbitante maintenue dans un autre État (voy. supra, n ° 9.33). Toutefois, une disposition du
chapitre III, concernant la reconnaissance et l'exécution des décisions, permet aux juridictions de
l'État requis d'exercer un contrôle sur le respect des droits de la défense en cas de condamnation
par défaut. Sur les liens encre l'art. 26, § 2, et l'art. 34, 2°, voy. infra, n° 10.22, ainsi que, à propos des
dispositions de la Convention: C.J.C.E., aff 166/80, 16 juin 1981, Klomps c. Michel, Rec. (1981),
1593, sur l'extension de l'expression« acte introductif d'instance» à tout acte de procédure équiva-
lent, assimilation qu'effectue d'ailleurs le texte révisé de 1978.
Le fait qu'un contrôle sera encore exercé par le juge requis de reconnaître la décision étrangère ne
doit pas inciter le juge d'origine à une vérification moins serrée, mais plutôt à opérer lui-même ces
CONTENU DES RÈGLES GÉNÉRALES DE COMPÉTENCE 397

vérifications, au regard des conditions posées par l'article 34, 2°. Le règlement tend en effet à met-
tre en œuvre dès l'établissement de la compétence toutes les garanties permettant d'assurer une
reconnaissance ultérieure du jugement.

Les conditions établies par le règlement à propos de l'obligation de surseoir cèdent


devant celles que prévoit l'article 19 du règlement 1348/2000 du 29 mai 2000 relatif à la
signification et à la notification dans les États membres des actes judiciaires et extrajudi-
ciaires en matière civile ou commerciale (art. 26, § 3), ou, lorsque ces dispositions ne sont
pas applicables, devant celles que prévoit l'article 15 de la Convention de La Haye du
15 novembre 1965 relative à la signification et à la notification à l'étranger des actes judi-
ciaires et extrajudiciaires,« si l'acte introductif d'instance a dû être transmis en exécution
de cette convention» (art. 26, § 4).
IllLa condition d'applicabilité du règlement 1348/2000 n'est pas remplie à l'égard du Danemark
(voy. supra, n ° 8.19). Pour la Convention de La Haye, elle est remplie pour l'ensemble des États de
l'Union européenne, à l'exception de l'Autriche et de Malte.

9.39 - Litispendance et connexité : notions - Le règlement - comme la Convention -


règle les effets de la litispendance et de la connexité quand plusieurs demandes ayant l'un
de ces caractères sont formées devant les juridictions d'États membres différents (art. 27
à30).
Ill Pour le cas d'un conflit de procédures impliquant un tribunal d'un État tiers, voy. supra, n° 9.27.

Il y a litispendance « lorsque les demandes ayant le même objet et la même cause


sont formées entre les mêmes parties» (art. 27, § ier).
La Cour de justice a donné une définition autonome de cette notion. L'impératif
d'une bonne administration de la justice suppose que l'on évite la poursuite de procédu-
res parallèles dans des États différents et, partant, « dans toute la mesure du possible » le
prononcé de décisions inconciliables au sens de l'article 34 du règlement (voy. infra,
n° 10.24). La notion reçoit alors un sens large. La litispendance ne requiert pas« l'iden-
tité formelle des deux demandes» mais bien celle des parties (C.J.C.E., aff. 144/86,
8 décembre 1987, Gubisch Maschinenfabrik, Rec., 1987, 4861, Revue, 1988, 370, note H. GAU-
DEMET-TALLON, Clunet, 1988, 538, note A. HUET; aff. C-351/89, 27 juin 1991, Overseas
Unionlnsurance, Rec., 1991, 1-3317, précité, n° 8.22).
Ill Ainsi, il y aurait lieu de considérer comme constitutives de litispendance deux demandes entre
les mêmes parties relatives à un contrat de vente, l'une tendant à son exécution, l'autre à la résolu-
tion ou à l'annulation, dès lors qu'elles ont pour objet la force obligatoire du contrat et que l'action
en annulation ou en résolution pourrait tout aussi bien constituer un moyen de défense opposé à
l'action en exécution (arrêt Gubisch Maschinenfabrik précité).
Comme le suggèrent les commentateurs de cet arrêt, la définition extensive donnée à la litispen-
dance trouverait plutôt une explication dans les défauts inhérents à d'autres règles communes, qui
ne permettent pas une concentration des litiges contractuels: c'est le cas de l'article 28 (connexité),
qui n'est pas attriburif de compétence, ainsi que de l'article 5, 1°, qui se réfère normalement à cha-
que obligation en litige (voy. infra, n° 14.7). Il paraît plus correct de porter le remède là où gît le mal,
comme l'indique d'ailleurs l'évolurion de la jurisprudence de la Cour en matière de contrats.

Ill L'« identité» des parties s'entend largement. Elle ne suppose pas nécessairement une identité
formelle. Ainsi, la condition est remplie lorsqu'une demande vise l'assuré et l'autre, l'assureur, du
moins si la convergence de leurs intérêts respectifs - impliquant le cas échéant une autorité de la
chose jugée en cas de subrogation - peut conduire au risque de décisions inconciliables (C.J.C.E.,
aff. C-351/96, 19 mai 1998, Drouot Assurances, Rec., 1998, 1-3075, ].T., 1998, 772, note H. BouLAR-
BAH).
398 RÈGLES GÉNÉRALES DE COMPÉTENCE INTERNATIONALE

En cas d'identité partielle des parties, le dessaisissement n'est requis que pour autant que les par-
ties au litige devant le juge second saisi sont également parties à la procédure engagée antérieure-
ment devant la juridiction d'un autre État, et la procédure peut donc continuer entre les autres
parties, même si cela entraîne un « morcellement» du litige (C.J.C.E., aff C-406/92, 6 décembre
1994, The ship Tatry, Rec., 1994, I-5439, précisant que les conditions de la connexité pouvaient alors
être remplies).
La« cause» des demandes« comprend les faits et la règle juridique invoqués comme fondement
11!1
de la demande » (arrêt The ship Tatry précité).
L'« objet» des demandes « consiste dans le but» (arrêt précité) non dans les moyens invoqués
(C.J.C.E., aff C-111/01, 8 mai 2003 Gantner Electronic, Rec., 2003, I-4207). Ont le même objet des
demandes tendant, l'une à nier la responsabilité, l'autre à obtenir des dommages et intérêts fondés
sur la responsabilité (arrêt The ship Tatry).
Pour une application de la définition de la litispendance, voy.: Comm. Bruxelles, 31 mars 1994,
Rev. dr. comm. belge (1995), 418, note H. VAN HourrE; 23 juin 1994,].T.D.E. (1994), 201.
11!1La distinction que connaît le droit anglais entre les actions in personam et in rem est sans perti-
nence, eu égard à la définition autonome de la litispendance (arrêt The ship Tatry précité).

Sont connexes « les demandes liées entre elles par un rapport si étroit qu'il y a inté-
rêt à les instruire et juger en même temps afin d'éviter des solutions qui pourraient être
inconciliables si les causes étaient jugées séparément» (art. 28, § 3). Le règlement n'exige
pas, comme le fait la Convention, que les demandes soient pendantes au premier degré.
Partageant, avec la disposition relative à la litispendance, le même objectif de bonne
administration de la justice par la prévention de la contrariété de décisions, la connexité
se doit aussi de recevoir une interprétation autonome extensive. La Cour va pourtant
plus loin qu'à propos de la litispendance, puisqu'elle voit un risque de contrariété entre
des décisions, constitutif de connexité, même lorsque « leurs conséquences juridiques ne
s'excluent pas mutuellement» (C.].C.E., aff. C-406/92, 6 décembre 1994, The ship Tatry,
Rec., 1994, I-5439). Il y va, selon la Cour, d'un impératif de « meilleure coordination de
l'exercice de la fonction judiciaire à l'intérieur de la Communauté», alors que le motif de
refus que vise l'article 34 constitue une exception au principe de circulation des juge-
ments.
Cette précision relative à l'objectif de la règle sur la connexité semble valoir, par identité de
11!1
motifs, pour la litispendance.

9.40 - Conditions de mise en œuvre de la litispendance ou de la connexité - La défini-


tion de la litispendance et de la connexité implique deux précisions absentes du texte.
La première tient à l'existence de deux instances directes en cours devant des juridic-
tions compétentes. Il n'y a litispendance ni lorsque le tribunal premier saisi a statué défi-
nitivement sur la demande (C.J.C.E., aff. 42/76, 30 novembre 1976, De Wolf c. Cox> Rec.,
1976, 1759) ni lorsque les demandes concernent l'efficacité, dans des États différents,
d'une décision rendue dans un autre État (C.].C.E., aff. C-129/92, 20 janvier 1994, Owens
Bank, Rec., 1994, I-117, Tijds. Not., 1994, 343, note M. LOOYENS).
La condition relative à la concurrence d'instances directes traduit correctement l'objet d'une
1111

demande d'exequatur, qui vise à obtenir l'exécution d'une décision dans le seul État requis, non
dans un autre État. Il ne saurait, dès lors, y avoir identité d'objets lorsque les demandes concernent
des États différents.

La seconde précision tient à la détermination du moment exact de la saisine. Pour la


Convention de Bruxelles, la Cour de justice y a répondu pour la litispendance, mais en
des termes transposables à la connexité : est première saisie « la juridiction devant
CONTENU DES RÈGLES GÉNÉRALES DE COMPÉTENCE 399

laquelle ont été remplies en premier lieu les conditions permettant de conclure à une
litispendance définitive, ces conditions devant être appréciées selon la loi nationale de
chacune des juridictions concernées» (aff 129/83, 7 juin 1984, Zelger, Rec., 1984, 2397,
].T, 1984, 584, Revue, 1985, 374, note D. HoLLEAUX). De son côté, le règlement donne une
définition autonome de ce moment (art. 30), en distinguant selon que l'acte doit être
déposé auprès de la juridiction ou qu'il doit être notifié ou signifié avant d'être déposé. La
date pertinente est, respectivement, celle du dépôt ou celle de la réception par l'autorité
chargée de la notification ou signification. Dans les deux cas, le demandeur doit prendre
les mesures ultérieures requises pour que l'acte soit, selon les cas, notifié ou signifié au
défendeur, ou déposé auprès de la juridiction.
9.41 - Effets de la litispendance et de la connexité - À des conditions différentes, le rè-
glement prévoit un mécanisme de surséance ou de dessaisissement du juge saisi en
second lieu. Il ne rend ce dernier maître du règlement de la compétence qu'en cas de des-
saisissement pour connexité.
En cas de litispendance, la juridiction saisie en second lieu doit se dessaisir après que
la compétence du tribunal premier saisi est établie (art. 27, § 2). Elle surseoir à statuer -
et ce d'office - dans l'attente de cette vérification (art. 27, § 1er). Cette solution est con-
forme à la raison d'être du régime de la litispendance, qui est d'éliminer un conflit de
compétences concurrentes.
Selon la version de la Convention antérieure à 1989, le texte ne limitait pas le dessaisissement au
1111

cas où la compétence du premier juge était vérifiée, exposant ainsi les parties au risque d'un juge-
ment d'incompétence du premier juge après dessaisissement du second. Il ne permettait pas non
plus au juge saisi en second lieu de vérifier la compétence du juge premier saisi, la simple surséance
en cas de contestation devant permettre de réaliser le but de la disposition, qui serait d'éviter les
« conflits négatifs» de juridictions (C.j.C.E., aff. C-351/89, 27 juin 1991, Overseas Union Insurance,
Rec., 1991, 1-3317, Revue, 1991, 764, note H. GAUDEMET-TALLON).
1111Le juge second saisi peut-il contrôler si la décision du juge premier saisi pourra être internatio-
nalement reconnue? Selon la version initiale, la réponse était largement affirmative (P. GoTHOT et
D. HOLLEAUX, précités n ° 8.1, n° 5 219-220). L'arrêt Overseas Union Insurance précité laisse entrevoir
certaines nuances, non sans équivoque. Après avoir réservé le cas où la compétence du juge saisi en
second lieu est de nature exclusive,« notamment» au sens de l'article 16 de la Convention - ou 22
du règlement-, il exclut tout contrôle de la compétence« en dehors [d']exceptions limitées», évo-
quant « le stade de la reconnaissance ou de l'exécution » où le contrôle porte, en vertu de
l'article 28 de la Convention - ou 35 du règlement -, sur des « règles de compétence spéciale ou
exclusive ayant un caractère impératif ou d'ordre public». L'arrêt von Horn du 9 octobre 1997 (aff.
C-163/95, Rec., 1997, 1-5451, supra, n ° 8.22, à propos du domaine spatio-temporel de l'art. 21 de la
Conv.) admet que le juge second saisi poursuive la procédure lorsque la compétence du juge pre-
mier saisi est fondée « sur des règles non conformes au titre II de la convention », puisque, dans ce
cas, la décision du juge premier saisi « ne pourrait être reconnue » dans l'État du juge second saisi
- affirmation qui n'est cependant vraie qu'à propos des règles de compétence exclusive et impéra-
tive. L'arrêt admet ainsi un contrôle par anticipation de la compétence indirecte, y compris pour les
compétences non impératives, mais déclare limiter cette dérogation - sans s'en expliquer autre-
ment - au cas, examiné en l'espèce, d'une procédure engagée avant l'entrée en vigueur de la Con-
vention.
Le juge second saisi ne peut en tout cas pas se substituer au juge premier saisi désigné par une
clause de juridiction visée par l'article 23, car il n'est pas mieux placé pour vérifier la compétence de
celui-ci: C.J.C.E., aff. C-116/02, 9 décembre 2003, Gasser, Rev. dr. comm. belge (2004), 791, note P.
WAUTELET, Revue (2004), 444, note H. Mum WATT.

Ill! En cas de connexité,« la juridiction saisie en second lieu peur surseoir à statuer» (art. 28, § 1er).
Ainsi, après que le tribunal premier saisi aura rendu une décision apte à être reconnue dans l'État
400 RÈGLES GÉNÉRALES DE COMPÉTENCE INTERNATIONALE

auquel appartient l'autre juridiction, l'autorité de la chose jugée de cette décision permettra d'évi-
ter des solutions« inconciliables ».
Ill En cas de connexité, la juridiction saisie en second lieu peut également se dessaisir si plusieurs
conditions sont remplies (art. 28, § 2) : que ce dessaisissement soit demandé par une des parties,
que le droit du juge premier saisi permette la jonction d'affaires connexes et que ce juge soit com-
pétent pour connaître des demandes. À ces conditions s'ajoute la nécessité d'avoir affaire à des
demandes pendantes au premier degré.
1111 Dans le texte de la Convention, l'exigence que les demandes soient pendantes au premier degré
est posée plus généralement par l'alinéa 1cr, mais elle n'a d'utilité que dans le cas du dessaisisse-
ment, anomalie que le règlement a corrigée.
Voy. à ce sujet P. GOTHOT et D. HoLLEAUX précités n° 8.1, n',s 225-226, relatant les incidents de
rédaction.
Comme les dispositions sur la litispendance et la connexité ne sont pas attributives
de compétence, elles ne sauraient avoir pour effet de joindre devant un juge qui n'est pas
compétent au sens du règlement, une affaire connexe à une autre pour laquelle cette
compétence existe (C.J.C.E., aff. 150/80, 24 juin 1981, Elefanten Schuh, Rec., 1981, 1671;
aff. C-51/97, 27 octobre 1998, Réunion européenne, Rec., 1998, 1-6511 ).
9.42 - Concurrence de compétences exclusives - « Lorsque les demandes relèvent de la
compétence exclusive de plusieurs juridictions, le dessaisissement a lieu en faveur de la
juridiction première saisie» (art. 29).
1111 Le rapport explicatif de la Convention, à laquelle ce texte est repris, évoque à cet égard « une
hypothèse qui ne se présentera que très rarement».
À titre d'exemple, on peut concevoir des demandes relatives à une société dont le siège statutaire ne
correspond pas au siège réel (P. GOTHOT et D. HOLLEAUX, précités n ° 8.1, n° 222), ou à l'exploitation
d'un bail à ferme relatif à des terres situées de part et d'autre d'une frontière (C.J.C.E., aff. 158/87,
6 juin 1988, Scherrens c. Maenhout, Rec., 1988, 3791, Revue, 1989, 545, obs. H. GAUDEMET-TALLON,j. T,
1989, 714, note O. MACGJLLAVRY; cet arrêt exclut cependant des compétences concurrentes en ce
cas: voy. infra, n° 13.5).

La portée de ce texte sibyllin est malaisée à établir. Ce serait lui accorder un effet
utile que d'estimer, d'un côté, qu'il déroge au caractère facultatif du dessaisissement
prévu par les articles 27 et 28, et, d'un autre côté, qu'il sert à assurer que la décision du
juge premier saisi soit reconnue ultérieurement dans l'État du juge second saisi
Pour le surplus, il n'est pas certain si l'article 29 est autonome et, dans la négative,
avec quelles dispositions des articles 27 et 28 il doit se combiner. Assurément avec la défi-
nition de la litispendance et de la connexité (d'après le rapport JENARD, il s'applique aux
deux hypothèses), mais on peut hésiter sur l'applicabilité de l'exigence de demandes
« pendantes au premier degré» (art. 28, § 2). De même, il est incertain si l'article 29
entend interdire à la juridiction saisie en second lieu de surseoir à statue"r comme le per-
mettent l'article 27, paragraphe 2, et l'article 28, paragraphe 1er_
Le texte ne vise que l'hypothèse où les compétences en concurrence sont l'une et
l'autre exclusives. Lorsque seule la compétence du juge premier saisi a ce caractère, le juge
second saisi devra nécessairement se dessaisir pour respecter la primauté liée à une com-
pétence exclusive. Lorsque la compétence exclusive est celle du juge second saisi, celui-ci
n'a pas à se dessaisir puisque la compétence du premier juge ne saurait alors être admise
au sens du règlement.
Ill Voy. en ce sens: H. GAUDEMET-TALLON, Compétence et exécution des jugements en Europe (Paris,
LGDJ, 2002), n',s 337 et 347, en ce qui concerne la litispendance, alors que, pour la connexité, cet
CONTENU DES RÈGLES GÉNÉRALES DE COMPÉTENCE 401

auteur fonde plutôt l'argument sur la primauté de la compétence exclusive, non sur l'absence de
compétence du juge premier saisi. En cas de conflit entre compétences exclusives, cet auteur pro-
pose, à propos de la connexité, le maintien des conditions de l'article 28, paragraphe 2.

§2 RÈGLES GÉNÉRALES
DES AUTRES INSTRUMENTS INTERNATIONAUX
9.43 - Règles de compétence directe conclues avec la France et avec les Pays-Bas - Deux
traités conclus respectivement avec la France en 1899 et avec les Pays-Bas en 1925, com-
prennent des règles de compétence directe concernant la matière civile et commerciale.
L'entrée en vigueur de la Convention de Bruxelles en a cependant limité la portée (voy.
supra, n ° 8.32).
Le principe fondamental commun aux deux traités bilatéraux est l'assimilation du
national de chaque État contractant aux ressortissants de l'autre État devant les juridic-
tions de celui-ci. La Convention conclue avec les Pays-Bas y ajoute le for du domicile du
défendeur.
Pratiquement, le principe d'assimilation signifie qu'il y a lieu, en Belgique, de déter-
miner la compétence internationale à l'égard d'un plaideur français ou néerlandais
comme si celui-ci était belge. Il a pour portée d'écarter les règles de compétence exorbi-
tantes, tels l'article 14 du Code civil français ou, avant son abrogation, l'article 638 du
Code judiciaire, au ressortissant d'un État contractant attrait devant les tribunaux de
l'autre État. De plus, le traité franco-belge prend soin d'ajouter que l'article 15 du Code
civil (aujourd'hui abrogé) est inapplicable aux rapports entre ressortissants d'États con-
tractants.
Ainsi le tribunal belge saisi tranche-t-il la compétence en faisant abstraction du facteur de la
1111

nationalité ou de la seule résidence du demandeur, et en faisant application des seules règles de


compétence territoriale interne (H. BORN et M. FALLON, ].T., 1983, n ° 113, p. 210, citant: Cass.,
29 octobre 1970, Cordonnier,J.T., 1971, 57). Voy. en ce sens, à propos d'une demande de restitution
d'un enfant belge résidant en France: Mons, 13 avril 1993, Rev. trim. dr. jàm. (1994), 525, faisant
application de l'article 44 de la loi du 8 avril 1965 (voy. infra, n° 12.169).
Il Un litige devant un tribunal belge entre un Français ou un Néerlandais et un ressortissant d'un
État tiers entre également dans le domaine spatial des conventions bilatérales (voy. supra, n° 8.33).
Dans ce cas, les conventions n'écartent pas, devant un tel tribunal, le privilège de nationalité du
demandeur: le ressortissant d'un pays tiers en bénéficie ou en subit les conséquences; et ce privi-
lège n'a pas pour effet de supprimer toute application des règles nationales de corn pétence interna-
tionale, mais simplement d'agir sur le critère de nationalité (H. BoRN, M. FALLON et J.-L. VAN
BoxSTAEL, Droit judiciaire international (1991-1998), coll. Dossiers du J.T., Bruxelles, Larcier, 2001,
n ° 252). Voy. en ce sens, à propos d'une action en divorce introduite par un Néerlandais résidant en
Italie contre un Luxembourgeois domicilié au Luxembourg alors que la dernière résidence conju-
gale se situait en Belgique: Bruxelles, 2 janvier 2001, R W (2001-2002), 782.
Les deux traités contiennent aussi quelques règles spéciales de compétence, par
exemple en matière d'obligations, de tutelle, de succession, de faillite, qui sont analysées
lors de l'examen de chacune des matières particulières qu'elles concernent.
L'interprétation des facteurs de localisation utilisés par les règles conventionnelles
est-elle autonome, ou doit-elle être empruntée au droit applicable au fond du litige ?
La Cour de cassation se réfère au droit qui régit l'obligation au sens de l'article 4 de
la Convention belgo-néerlandaise: quand l'action en réparation d'un accident survenu
aux Pays-Bas est introduite devant un tribunal belge, il y a lieu de considérer que l'obliga-
402 RÈGLES GÉNÉRALES DE COMPÉTENCE INTERNATIONALE

tion doit être exécutée en Belgique au lieu du domicile du créancier, le droit néerlandais,
lex loci delicti (voy. infra, n° 15.11), imposant au débiteur d'exécuter son obligation en ce
lieu (Cass., 10 décembre 1976, Van Esbroeck c.]oris, Pas., 1977, I, 413).
L'analogie avec la méthode suivie par la Cour de justice des Communautés euro-
péennes à propos de la Convention de Bruxelles, pour la matière des contrats (voy. supra,
n ° 5.31, l'arrêt Tessili), est certaine. Cette méthode y revêt pourtant un caractère excep-
tionnel.
D'autres décisions ont procédé à une interprétation autonome.
Ainsi, au nom d'une telle interprétation, les Juges du fond se réfèrent, en matière de faillite, à
Ill!
une définition du domicile en fonction de l'établissement principal (Bruxelles, 18 juin 1996, Rev. dr.
comm. belge, 1997, 312, note V. MARQUETTE; Mons, 22 mars 1999, Rev. gén. dr. civ., 2001, 94, note V.
MARQUETTE; 7 juin 1999, Rev. dr. comm. belge, 2003, 140, note V. MARQUETTE).

9.44 - Conventions simples - Certains traités bilatéraux de portée générale dont l'objet
se limite à l'efficacité des décisions étrangères peuvent intéresser la compétence interna-
tionale, directement ou indirectement, abstraction faite du règlement de la litispen-
dance, exposé ci-dessous.
Ainsi, les Conventions belgo-suisse (art. 10) et belgo-allemande (art. 15) contiennent
des dispositions relatives au pouvoir d'arrêter des mesures provisoires ou conservatoires.
Des règles de compétence indirecte figurent dans les conventions bilatérales passées
en matière de reconnaissance et d'exécution (voy. la liste supra, n° 5 8.37 et 8.38). Elles
n'exercent cependant aucune incidence sur la compétence directe, c'est-à-dire sur la com-
pétence internationale du juge d'origine: en droit international privé belge, celui-ci sta-
tue en effet indépendamment de l'efficacité qu'aura sa décision à l'étranger, soit dans
l'État contractant, soit dans un État tiers.

9.45 - Litispendance et connexité internationales dans les traités bilatéraux - Deux


espèces de traités bilatéraux contiennent une clause relative à la litispendance.
1111 Sur l'applicabilité dans l'espace de cette exception, voy. supra, n" 8.33.

On ne s'étonnera pas de rencontrer une telle clause dans les traités qui, contenant
des règles de compétence directe, prévoient qu'en cas de litispendance, la cause peut, à la
demande d'une des parties, être renvoyée devant la juridiction déjà saisie de l'autre État
(traité franco-belge, art. 4, § ier; traité belgo-néerlandais, art. 6, § icr). Ces traités contien-
nent aussi une disposition sur la connexité.
On rencontre une clause analogue, mais qui se limite à prévoir le dessaisissement du
tribunal second saisi, dans quelques traités bilatéraux ayant pour seul objet la reconnais-
sance et l'exécution des décisions judiciaires. Cette règle particulière de compétence
directe est destinée à éviter la contrariété de deux décisions dont l'une a été rendue dans
un État contractant tandis que l'autre, prononcée dans le deuxième État, devrait être
reconnue dans le premier.
Ill Voy. l'art. 15, § ier, du traité avec la République fédérale d'Allemagne, l'art. 10, § ier, du traité
avec la Suisse, etl'art. 14, al. F', du traité avec l'Italie (précités n° 8.37).

La définition de la litispendance dépend des dispositions de chaque traité, et peut


donc varier de l'un à l'autre.
CONTENU DES RÈGLES GÉNÉRALES DE COMPÉTENCE 403

IllL'exception de litispendance de la première de ces trois dispositions a fait l'objet de l'arrêt de la


Cour de cassation du 4 mai 1972, Naschke c. Schubert, Pas. (1972), I, 806, Rev. crit. jur. belge (1973),
233, note F. RIGAUX. En ce qui concerne le traité avec l'Italie, voy.: Bruxelles, 3 février 1998, Rev.
Divorce (2000), 55, refusant l'exception de litispendance entre une demande en divorce et une
demande en homologation d'une convention de séparation de fait.
L'effet de la litispendance n'est pas aussi automatique que dans le règlement 44/
2001 ou dans la Convention de Bruxelles. En effet, le juge saisi en second lieu ne se des-
saisit que si la décision que prendra le juge premier saisi pourra être reconnue dans son
pays, ce qui recouvre en fait également un contrôle de la compétence. Cette condition,
expresse dans certains traités (Convention belgo-allemande), est considérée comme
implicite dans d'autres (voy. M. WESER et P. JENARD, précités n ° 8.1, 348, à propos de la
Convention belgo-française). On peut également la trouver en droit commun (voy. infra,
n° 9.56).

§3 RÈGLES GÉNÉRALES DU DROIT COMMUN

A. Présentation
9.46 - Agencement des règles de compétence internationale - Les règles de droit com-
mun ne sont applicables qu'à défaut de l'un des actes communautaires ou des traités
cités précédemment. Elles consacrent avec une netteté plus grande que d'autres droits
étrangers la distinction fondamentale qu'il y a lieu de faire entre la compétence interna-
tionale et la compétence interne (voy. supra, n ° 9.4), qui se divise elle-même en compé-
tence territoriale et compétence d'attribution (voy. supra, n° 9.5).
Le Code de droit international privé présente les règles de compétence matière par
matière, tout en énonçant une série de règles générales. Celles-ci sont inspirées de la
Convention et du règlement « Bruxelles I ». Outre le principe Actor sequitur forum rei et
l'admission de l'autonomie de la volonté, il prévoit des dispositions analogues concer-
nant les compétences dérivées (codéfendeurs, demandes reconventionnelles, en garantie,
en intervention), les incidents de compétence (vérification de la compétence, litispen-
dance, connexité), les mesures provisoires.
L'établissement d'une liste exhaustive de critères de compétence internationale
exclut à la fois la technique de la transposition des règles de compétence interne, et le
recours inconditionnel à la théorie du forum non conveniens, ou for inapproprié. En revan-
che, un appel au concept de« for de nécessité» (voy. supra, n ° 9.15) aide à surmonter cer-
taines rigidités, lorsque les dispositions législatives ne tiennent pas compte d'une règle de
conflit de lois privilégiant le droit du for, ou de difficultés que peuvent rencontrer les
plaideurs en raison du manque de coordination des systèmes nationaux de compétence.
Ill Sur le caractère exhaustif des dispositions législatives antérieures, excluant tout chef de compé-
tence se fondant sur l'appréciation libre de liens étroits, voy.: C. trav. Liège, 17 mai 1999, Chron. dr.
soc. (2002), 333.
Ill La théorie du for inapproprié connaît une application particulière à propos de la prorogation
volontaire de juridiction (art. 6, § 2, Codip, voy. infra, n ° 14.16).
La technique de la transposition de règles de compétence territoriale interne a été pratiquée pré-
1111

cédemment par une partie de la jurisprudence, avec une critique de la doctrine.


L'application des articles 624 à 630 du Code judiciaire ôtait toute signification à l'article 635, dont
certaines règles spéciales recouvraient d'ailleurs des hypothèses visées aux articles 627 ou 628. Ces
404 RÈGLES GÉNÉRALES DE COMPÉTENCE INTERNATIONALE

dispositions-ci n'intéressent les litiges internationaux que pour déterminer la compétence interne,
après que la compétence internationale des tribunaux belges a été établie (voy. infra, n° 9.60).
Voy. un rappel de la distinction et les références jurisprudentielles par H. BORN et M. FALLON,]. T.
(1983), 197, n',s 40-41, 212, n°5 125bis et s., (1987), 473, n° 24. Contra: J. ERAuw, 48, transposant
aussi en règle de compétence internationale l'article 628 du Code judiciaire, ainsi que M. WESER et
P.JENARD, 450, mais pour la seule matière du divorce. G. VAN HECKE et K. LENAERTS (n° 55) évoquent
également les dispositions « générales » des articles 624 à 634 à côté des articles 635 à 638 et de
l'article 15 du Code civil, et estiment que les articles 627 à 629 ne sauraient être écartés dans les
siruations internationales par une clause contraire à l'article 630, mais à condition que l'on se
trouve dans l'une des hypothèses de l'article 15 du Code civil ou des articles 635 à 638, qui détermi-
nent le cadre général de la compétence internationale des tribunaux belges.
La question revêtait un intérêt pour les règles impératives des articles 627 à 630, et singulièrement
au sujet de la validité des clauses attributives de juridiction. Voy. infra, n° 9.53.

Les critères spatiaux de compétence internationale sont en général alternatifs : pour


que la compétence des tribunaux belges soit fondée, il suffit de satisfaire à l'un des cri-
tères énoncés (voy. supra, n° 9.7). Certaines compétences sont exclusives. C'est le cas en
matière de faillite, de droits de propriété intellectuelle ou de sociétés (voy. les chap. 13 et
16).
Certains critères sont de type cumulatif: la compétence requiert la combinaison de
la localisation de plusieurs éléments sur le territoire de l'État du for, ce qui a pour effet de
restreindre les hypothèses dans lesquelles les autorités de cet État pourront connaître
d'un litige. C'est le cas de la loi du 27 mars 1985 relative à l'annulation des sentences arbi-
trales (voy. infra, n° 14.31). Le Code montre aussi plusieurs exemples exigeant que les par-
ties à la cause possèdent toutes la nationalité belge, la nationalité d'une seule partie étant
insuffisante.
Est seule examinée dans ce chapitre la structure générale des règles de compétence.
Le contenu des règles spéciales est exposé dans les chapitres concernant les matières par-
ticulières.

9.47 - Compétence internationale en matière gracieuse - La détermination de la com-


pétence internationale en matière gracieuse n'a guère attiré l'attention sinon par le biais
de questions de compétence d'attribution (voy. infra, n° 5 9.58 et s.). Le législateur a néan-
moins établi des critères appropriés en matière de nom, de mariage ou de filiation.
Ill Pour une analyse de la compétence gracieuse selon la jurisprudence, voy. H. BORN et M. FALLON,
].T. (1983), 213, 214-216, (1987), 481, (1992), 427; H. BORN, M. FALLON,J.-L. VAN BOXSTAEL, Droit
judiciaire international (1991-1998), coll. Dossiers duJ.T. (Bruxelles, Larcier, 2001), 529.

B. La compétence internationale

1. CRITÈRES SPATIAUX DE COMPÉTENCE

9.48 - Exhaustivité des règles de compétence et for de nécessité - En établissant une


liste de critères de compétence internationale, suivant en cela l'exemple de la législation
antérieure, le Code de droit international privé enferme en même temps les chefs de com-
pétence dans les limites de tels critères. En d'autres termes, il n'y a normalement pas de
place pour une liberté d'appréciation par le juge, par l'intermédiaire d'un concept de
forum non conveniens amenant celui-ci à considérer qu'il est moins approprié pour connaî-
tre du litige qu'un juge étranger.
CONTENU DES RÈGLES GÉNÉRALES DE COMPÉTENCE 405

1111Pour un recours particulier au concept du for inapproprié, voy. cependant infra, n ° 14.16, à pro-
pos de la prorogation volontaire de compétence.
Cette exhaustivité n'a pas empêché le législateur de prévoir un for de nécessité (sur
cette notion, voy. supra, n ° 9.15). Par une « attribution exceptionnelle de compétence
internationale», les juridictions belges peuvent connaître d'une demande « lorsque la
cause présente des liens étroits avec la Belgique» (art. 11 Codip). Un tel assouplissement
procède d'un concept de proximité, qui figure parmi les objectifs de l'allocation de com-
pétence internationale (voy. supra, n ° 9.23).
La disposition joue cependant comme une clause d'exception, tendant à préserver le
droit fondamental d'accès à la justice. Il appartient au juge qui en fait usage de motiver sa
décision. Deux cas permettent l'utilisation de la clause. Soit il est établi « qu'une procé-
dure à l'étranger se révèle impossible». Soit il est établi« qu'on ne peut raisonnablement
exiger que la demande soit formée à l'étranger».
Il Le droit suisse connaît ce type de disposition, aux conditions analogues (arc. 3 LDIP).
1111L'impossibilité de procéder vise par exemple la désorganisation du système juridictionnel d'un
pays en état de guerre civile.
1111 L'appréciation de l'exigence « raisonnable» permet, selon l'exposé des motifs de la proposition
de loi (Doc. pari., Sénat, 2003-2004, n ° 3-27/1) d'évaluer la faisabilité d'une action à l'étranger en
raison, par exemple, du montant des intérêts en jeu.

9.49 - Critères du domicile et de la résidence - Le Code de droit international privé


confirme la prééminence du critère du domicile du défendeur (art. 5).
1111La règle confirme un principe établi par l'article 52 de la loi du 25 mars 1876 et repris par
l'article 635 du Code judiciaire. Celui-ci énumérait onze cas dans lesquels un« étranger» peut être
attrait devant les tribunaux belges.
La détermination du domicile d'une personne morale a suscité des difficultés lorsqu'une société
1111

étrangère a, en Belgique, une succursale non impliquée dans l'activité ayant donné lieu au litige. Le
Code y apporte une réponse dans l'article 5, § 2. Voy. infra, chap. 16.
En revanche, il abandonne toute référence générale au domicile du demandeur. Pré-
cédemment, l'article 638 du Code judiciaire permettait au demandeur domicilié ou rési-
dant en Belgique de saisir une juridiction belge à titre subsidiaire. Toutefois, ce for
« exorbitant » subissait le tempérament d'un déclinatoire, que le défendeur pouvait
opposer sous une condition de réciprocité (art. 636 C. jud.).
1111La condition de réciprocité s'appréciait en fait, sur la base d'un traité, d'un texte légal ou de tous
« actes propres à en établir l'existence» (art. 636, al. 2). Sa preuve obéissait aux règles générales rela-
tives à la preuve du droit étranger (voy. supra, n ° 6.55).
Selon ce mécanisme, le tribunal peut déduire la réciprocité de sa connaissance du droit étranger
(par exemple, la législation zaïroise) et, en conséquence, se déclarer incompétent (voy. en ce sens,
Civ. Bruxelles, 17 octobre 1975, Pas., 1976, III, 14), non sans avoir mis le demandeur en mesure de
s'expliquer sur ce point. À défaut de traité de réciprocité, « il n'incombe pas à la demanderesse de
faire la preuve que le déclinatoire n'est pas fondé» (Civ. Huy, 20 octobre 1971,Jur. Liège, 1971-1972,
70) et le tribunal peut se déclarer compétent. Voy. dans le même sens: Civ. Bruxelles, 30 janvier
1970,].T (1970), 498.
En revanche, lorsque le défendeur comparaît, la charge de la preuve lui incombe. Voy. outre les réfé-
rences citées par H. BORN et M. FALLON,j.T. (1983), 224: Bruxelles, 1er décembre 1994, Pas. (1994),
II, 11 ; Liège, 28 avril 1997, Rev. trim. dr. fam. (1998), 257.
Voy. des applications du mécanisme à propos du droit allemand (Bruxelles, 3 mai 1977, Pas., 1978,
II, 13, se référant à tort aux règles étrangères de compétence interne; Civ. Liège, 26 juin 1990,
J.L.M.B., 1991, 1292), du droit camerounais (Civ. Liège, 16 janvier 1992, J.L.M.B., 1993, 295), du
406 RÈGLES GÉNÉRALES DE COMPÉTENCE INTERNATIONALE

droit italien (Civ. Liège, F' septembre 1977,]. T., 1979, 59), du droit panaméen (C. trav. Bruxelles,
18 mai 1993, Rev. dr. soc., 1993, 361), du droit roumain (Civ. Arlon, 3 mai 1996,j. T., 1997, 49, préci-
sant avec raison que la charge de la preuve n'incombe pas au demandeur), du droit suisse (Liège,
28 avril 1997, Rev. trim. dr. Jam., 1998, 257), du droit tunisien (Gand, 15 mars 1996, R.W., 1996-
1997, 781), du droit turc (Gand, 2 novembre 1995, R.W., 1995-1996, 956) et du droit zaïrois (Civ.
Bruxelles, 17 octobre 1975, Pas., 1976, III, 14; Bruxelles, 16 mars 1989,].T., 1989, 550).

Le domicile de la personne sur laquelle se concentre l'intérêt prépondérant apparaît,


dans le Code, en place du domicile du demandeur, en certaines matières particulières.
1111Voy., en matière d'état dans une disposition subsidiaire (art. 32), ou dans des matières particu-
lières, comme l'autorité parentale (arr. 33), le nom (arr. 36), l'absence (art. 40), la filiation (art. 61),
l'adoption (art. 66, où la résidence de l'une des parties suffit). Il en va de même en matière d'obliga-
tions alimentaires (art. 73), de contrats de consommation et de travail (arr. 97), voire de sociétés
(arr. 109) ou d'insolvabilité (art. 118).
Le domicile du demandeur apparaît comme rel en matière matrimoniale, mais sous la condi-
1111

tion d'une çlurée de douze mois avant l'introduction de la demande (art. 42), à l'exemple de ce que
prévoit le règlement« Bruxelles Il" (voy. infra, n ° 12.81).

9.50 - Définition du domicile ou de la résidence en matière judiciaire - Pour les besoins


de la compétence internationale, le Code de droit international privé retient le
«domicile» ou la « résidence habituelle». Ces deux notions font l'objet de définitions
propres à l'application du Code.
Alors que la résidence relève d'une appréciation factuelle, le domicile se définit par
référence à une formalité administrative. Cette différence s'explique par la fonction assi-
gnée plus généralement à chacune de ces notions. Alors que la résidence sert principale-
ment à désigner le droit applicable et appartient, à ce titre, à une règle de rattachement, le
domicile sert uniquement à la détermination de la compétence internationale. À ce titre,
la référence à une formalité d'inscription assure la facilité du contrôle de la vérification
du domicile, et elle se comprend uniquement par un renvoi à des formalités connues en
droit belge, en raison de la nature foncièrement unilatérale d'une règle de compétence
internationale.
1111 Pour une définition de la résidence, voy. supra, n ° 5.64.

Selon le Code, le domicile d'une personne physique se comprend comme le lieu où


celle-ci « est inscrite à titre principal, en Belgique, sur les registres de la population, sur
les registres des étrangers ou sur le registre d'attente» (art. 4, § ier, 1 °).
1111 Pour les personnes morales, le siège statutaire rient lieu de domicile (2°).
1111Précédemment, il convenait de se référer à l'article 36 du Code judiciaire, entendant par domi-
cile « le lieu où la personne est inscrite à titre principal sur les registres de la population " et par
résidence, « tour autre établissement tel le lieu où la personne a un bureau ou exploite un com-
merce ou une industrie ».

La 101 du 19 juillet 1991 (Monit., 3 septembre 1991) relative aux registres de la popu-
lation oblige l'inscription dans la commune de la « résidence principale». Celle-ci est
définie par l'article 3 de la loi et par les articles 16 à 20 de l'arrêté royal d'exécution du
16 juillet 1992 (Monit., 15 août 1992).
Le domicile de l'étranger obéit au même mode de concrétisation que celui des natio-
naux. La notion de registre s'entend au sens générique d'une formalité administrative
d'inscription. Elle ne renvoie pas nécessairement aux seuls « registres de la population »
qui, au sens strict, sont réservés aux Belges et aux étrangers établis, alors que les simples
CONTENU DES RÈGLES GÉNÉRALES DE COMPÉTENCE 407

titulaires d'une autorisation de séjour sont inscrits au « registre des étrangers » et les can-
didats réfugiés, au« registre d'attente».
Ill Contra avant la loi du 19 juillet 1991: Cass., 14 avril 1987, Pas. (1987), I, 975.
IliLa loi du 19 juillet 1991 (Monit., 3 septembre 1991) relative aux registres de la population ne vise
nécessairement que les étrangers autorisés à s'établir. L'arrêté royal d'exécution du 16 juillet 1992
(précité) fusionne ces registres avec celui des étrangers.
Sur l'inscription des fonctionnaires de la Communauté européenne, voy. : C.J.C.E., aff. 85/85,
11111

18 mars 1986, Belgique, Rec. (1986), 1149.


Ill Avant son abrogation par la loi du 15 décembre 1980, l'article 13 du Code civil visait l'hypo-
thèse spéciale de l'étranger« qui aura été admis par l'autorisation du Roi à établir son domicile en
Belgique». Ce texte avait suscité la question de savoir si, à défaut d'avoir été autorisé par le Roi à
établir son domicile en Belgique, l'étranger y jouit d'un domicile. À cette question, il fut générale-
ment donné une réponse affirmative (voy. la précédente édition de cet ouvrage, n ° 722).
' .
9.51 - Critère de la nationalité - Le Code de droit international privé supprime la place
prépondérante que le Code Napoléon a attribuée à la nationalité pour les besoins de la
compétence internationale. Désormais, ce critère ne remplit plus le rôle d'une règle géné-
rale. Il n'apparaît que dans des matières particulières. Hormis la matière du nom
(art. 36), de l'autorité parentale (art. 33) et une place subsidiaire pour les questions géné-
rales d'état (art. 32), ainsi que pour les demandes gracieuses, il n'est pertinent, en matière
d'état, que si les parties sont belges (art. 42, 61, 73).
Ainsi, le critère de la nationalité belge du défendeur ne sert plus à distinguer, dans le
contentieux transfrontière, selon que le défendeur est belge (art. 15 C. civ.) ou étranger
(art. 635 C. jud.).
Il L'article 15 du Code civil, selon lequel« un Belge pourra être traduit devant un tribunal de Bel-
gique, pour des obligations par lui contractées en pays étranger, même avec un étranger», couvrait
l'ensemble des matières civile et commerciale, sans que le litige dût comporter aucun élément de
localisation de nature territoriale avec le for. Par la généralité de ses termes, la disposition s'appli-
quait aux personnes morales comme aux personnes physiques (Cass., 22 juillet 1847, Soc. La France
c. Tongre-Hambursin, Pas., 1847, I, 404).
Depuis l'entrée en vigueur de la loi du 25 mars 1876, la doctrine belge était divisée sur laques-
11111

tion de savoir si cette loi avait implicitement abrogé l'article 15 du Code civil. La jurisprudence
n'avait cependant pas hésité à en faire application. Voy. les références citées dans la précédente édi-
tion de cet ouvrage, n ° 816.
11111 Inapplicable au Belge domicilié dans un des États liés par le règlement 44/2001 ou par les Con-
ventions de Bruxelles ou de Lugano, l'article 15 du Code civil entrait en concours avec les règles de
compétence exorbitante d'un de ces États, que ces actes (art. 4, § 2) déclarent applicables quand le
demandeur, mais non le défendeur, y est domicilié (voy. supra, n ° 9.33).
Ainsi, un Argentin domicilié en France pouvait attraire un Belge domicilié en Argentine soit devant
un tribunal français (art. 14 C. civ. français et art. 4, al. 2, de la Convention de Bruxelles), soit
devant un tribunal belge (art. 15 C. civ. belge).

De même, la nationalité belge du demandeur perd la place subsidiaire que la doc-


trine et la jurisprudence lui avaient laissée en matière d'état malgré l'abrogation formelle
de l'article 14 du Code civil en 1949.
IllSur cette « prorogation exceptionnelle de compétence», voy. la précédente édition de cet
ouvrage, n° 818.
Il Selon le Code, la nationalité du demandeur n'intervient pratiquement que lorsque la demande
porte sur le statut d'une personne en dehors d'un litige affectant une relation interpersonnelle, ou
408 RÈGLES GÉNÉRALES DE COMPÉTENCE INTERNATIONALE

lorsqu'elle affecte un impératif de protection particulier, en matière d'autorité parentale ou


d'adoption.

9.52 - Compétences dérivées - Le droit belge admet la compétence des juridictions bel-
ges pour connaître d'une demande dérivant d'une autre demande lorsque la compétence
à l'égard de la seconde est établie.
Il en est ainsi en cas de pluralité de défendeurs, dont l'un a en Belgique son domicile
ou sa résidence (art. 5, § 1er, al. 2, Codip; précédemment, art. 635, 10°, C. jud.) ou de plu-
ralité de demandes, en cas de demande en intervention ou d'une demande reconvention-
nelle lorsque la demande originaire est pendante devant un tribunal belge (art. 8 Codip,
précédemment art. 635, 9 °, C. jud.), mais aussi « si la demande est connexe à un procès
déjà pendant devant un tribunal belge» (art. 9 Codip, précédemment art. 635, 6°, C.
jud.).
IllLa connexité est définie conformément à l'article 30 du Code judiciaire (Comm. Liège, 6 février
1986, Ann. Liège, 1987, 53, note P. GRAULICH et 1. MoREAU-MARGRÈVE). Elle se vérifie, par exemple, à
propos de demandes concernant la liquidation des successions respectives de conjoints et de leur
régime matrimonial (Civ. Bruxelles, 31 mai 1994, R W., 1994-1995, 677).
Une condition de loyauté affecte cependant la compétence dérivée du domicile du
défendeur (pluralité de défendeurs) ou d'une demande originaire (demande en garantie
ou en intervention). Il ne faut pas que la demande ait été introduite uniquement « pour
traduire un défendeur hors de la juridiction de son domicile ou de sa résidence à
l'étranger» (art. 5 Codip).
Ill Cette condition reprend les termes utilisés par le règlement « Bruxelles I » pour la demande en
garantie ou en intervention, alors que, pour le cas de pluralité de défendeurs, celui-ci retient plutôt
une exigence de connexité.
Pour la demande reconventionnelle, une telle exigence est implicite puisque le texte prévoit que
celle-ci« dérive du fait ou de l'acte sur lequel est fondée la demande originaire » (art. 8, 2 °, Codip).
Précédemment, la jurisprudence exigeait aussi la loyauté de l'assignation, à savoir un « lien de
1111

droit» entre le premier défendeur et le demandeur, outre la condition de connexité. Voy. par
exemple: C. trav. Liège, 21 octobre 1992,]. TT ( 1994), 181, et la jurisprudence citée par H. BORN et
M. FALLON,J.T. (1983), 223, (1987), 484, avec J.-L. VAN BoxsTAEL, Droit judiciaire international (1991-
1998), coll. Dossiers duj.T. (Bruxelles, Larcier, 2001), 574.
1111 La condition de loyauté énoncée au texte ne doit pas s'entendre d'une condition de connexité
au sens strict, afin de ne pas ôter tout effet utile à l'extension de compétence fondée sur la con-
nexité (voy. infra, n ° 9.56).

9.53 - Rôle de la volonté des parties - La prorogation volontaire de la compétence


internationale des juridictions belges fait désormais l'objet d'une disposition spécifique
(art. 6), de même que la dérogation volontaire à la compétence internationale (art. 7).
Le législateur consacre l'admissibilité de principe des clauses de juridiction, non
sans préciser que cette admissibilité peut dépendre de la matière en litige, en fonction de
la disponibilité des droits selon le droit belge, et en soumettant la dérogation volontaire à
un test d'efficacité de la décision à prendre par le juge étranger choisi.
llli Pour plus de détails sur cette clause de nature contractuelle, voy. infra, n° 14.16.
Ill Pour une clause d'arbitrage, il y a lieu de se référer aux dispositions pertinentes du Code Judi-
ciaire (voy. infra, n° 14.19).
Ill Précédemment, ni la prorogation ni la dérogation volontaire ne faisaient l'objet d'aucune dispo-
sition législative, hormis la clause d'arbitrage. Au chapitre de la compétence, le législateur ne réglait
la prorogation volontaire qu'à propos de la compétence interne, ne permettant de déroger aux
CONTENU DES RÈGLES GÉNÉRALES DE COMPÉTENCE 409

règles impératives des articles 627 à 629 du Code judiciaire que par un accord conclu après la nais-
sance du différend.

9.54 - Adoption de mesures provisoires ou conservatoires - Les juridictions belges peu-


vent prendre des mesures provisoires ou conservatoires dans deux contextes différents.
D'abord, le juge compétent pour connaître du fond, l'est aussi pour prendre de telles
mesures, même si celles-ci supposent un acte localisé à l'étranger. Dans ce cas, il convien-
dra de soumettre la décision aux dispositions sur l'efficacité des décisions étrangères que
connaît le droit étranger.
Ensuite, une compétence spécifique est prévue, à la double condition de l'urgence et
de la localisation en Belgique« des personnes ou des biens» qui font l'objet de la mesure
(art. 10 Codip, précédemment art. 635, 5 °, C. jud.).
1111 Comp. supra, n° 9.34, à propos du règlement« Bruxelles I ».
Précédemment, l'article 635, 10°, du Code judiciaire autorisait le juge à prendre des mesures
Ill!
provisoires ou conservatoires, mais en omettant tout critère de compétence.
La protection des droits de propriété intellectuelle contre des contrefaçons a donné lieu à un con-
tentieux abondant concernant la possibilité, pour le juge du provisoire, de prendre des mesures
portant sur des faits localisés à l'étranger. Voy. infra, n ° 13.46.

La présence, dans le Code de droit international privé, d'une disposition propre aux
mesures conservatoires, empêche désormais de transposer l'article 633 du Code judi-
ciaire en règle de compétence internationale. Selon cette disposition, « les demandes en
matière de saisie conservatoire [... ] sont exclusivement portées devant le juge du lieu de la
saisie [... ] ».
1111Le juge des saisies de. Bruxelles a exprimé ~ne tendance à entendre le chef de corn pétence dans
un sens strict en précisant n'être compétent que si le tiers saisi est établi en Belgique, et non lorsque
la saisie doit être opérée sur des biens localisés à l'étranger (Civ. Bruxelles, sais., 14 juin 1996,J. T.,
1997, 242).
Sur l'affirmation du caractère exclusif de la compétence établie par l'article 633, à propos de la
reconnaissance d'une décision étrangère, voy.: Bruxelles, 24 juin 1977,J.T. (1977), 747.
1111La saisie-arrêt soulève une difficulté de localisation: a-t-elle lieu au domicile du débiteur saisi
ou en un lieu affectant le tiers saisi ?
La jurisprudence a localisé la saisie au lieu de la signification de l'exploit au tiers saisi ou au lieu de
réception par celui-ci de la notification de l'ordonnance, que ce soit pour les litiges internes (Cass.,
4 février 1983, Pas., 1983, !, 646) ou les litiges internationaux (Civ. Anvers, 4 octobre 2001, R W.,
2001-2002, 573).
Le législateur a corrigé cette solution en localisant la saisie au domicile du débiteur (art. 633, al. 2,
C. jud, introduit par la loi du 4 juillet 2001). L'application de ce critère au contentieux internatio-
nal a été condamnée par la Cour d'arbitrage pour violation du principe constitutionnel de non-dis-
crimination à l'égard d'un débiteur saisi domicilié à l'étranger qui demanderait une saisie-arrêt en
Belgique (C.A., 30 janvier 2003,].L.M.B., 2003, 564, note G. DE LEVAL, Actualités du droit, 2003, 349,
note P. WAUTELET). Cette condamnation se comprend si l'intention du législateur de 2001 était
bien de retenir exclusivement le lieu du domicile du débiteur saisi dans le contentieux internatio-
nal. Il semble pourtant que la précision introduite en 2001 entendait viser uniquement le cas où le
débiteur saisi est domicilié en Belgique (G. DE LEVAL et P. WAUTELET, précités).
La loi du 8 avril 2003 (Mon., 12 mai 2003) confirme que la précision introduite en 2001 concerne
uniquement le débiteur domicilié en Belgique, en disposant désormais que: « En matière de
saisie-arrêt, le juge compétent est celui du domicile du débiteur saisi. Si le domicile du débiteur
saisi est situé à l'étranger ou est inconnu, le juge compétent est celui du lieu d'exécution de la
sa1s1e. »
410 RÈGLES GÉNÉRALES DE COMPÉTENCE INTERNATIONALE

Si l'article 633 devait être vu uniquement comme une règle de compétence interne (P. WAUTELET,
précité), l'objection émise par la Cour d'arbitrage devenait sans objet puisque le critère introduit
par la loi de 2001 ne pouvait conduire à ôter une compétence internationale établie à un stade
antérieur du raisonnement.
Cette controverse permet d'illustrer la difficulté d'ériger une règle de compétence internationale
exclusive, en raison des rigidités qui en résultent (voy. supra, n ° 9.7). La précision apportée par le
législateur de 2003 permet au moins de montrer que la compétence internationale se concilie
mieux, en la matière, avec un critère concret permettant d'appréhender les biens visés par la mesure
à prendre.
Le critère retenu par l'article 10 du Code s'entend dans un sens concret, ce qui vise, en matière de
saisie-arrêt, la localisation de toute personne en mesure de prendre des dispositions à l'égard des
biens en cause, tantôt le tiers saisi, tantôt le débiteur.
111 Les juridictions belges sont compétentes pour connaître de la validité ou de la mainlevée d'une
telle saisie lorsque celle-ci a été pratiquée en Belgique (voy. précédemment la précision en ce sens
dans l'art. 635, 5°, C. JUd.). A contrario, elles ne le sont pas pour ordonner la mainlevée d'une saisie
pratiquée à l'étranger (Bruxelles, 19 novembre 1996, Pas., 1995, 11, 119).
Ill Sur la possibilité d'ordonner une saisie sur des biens sis à l'étranger, voy. en France: Cass. civ.
(l'e ch.), 22 juin 1999, Revue (2000), 42, note G. CVNIBERTJ.

Il. RÉGIME DES INCIDENTS DE COMPÉTENCE

9.55 - Le déclinatoire de compétence internationale - Sur plusieurs points, les disposi-


tions du Code judiciaire relatives au régime du déclinatoire et valables pour la compé-
tence interne, ne sauraient s'appliquer comme telles à la compétence internationale, en
raison de la nature spécifique de celle-ci.
D'un côté, la vérification de la compétence internationale a lieu d'office (art. 12
Codip).
1111 Selon l'exposé des motifs de la proposition de loi (Doc. pari., Sénat 2003-2004, n° 3-27/1), cette

vérification comporte un enjeu particulier pour l'État du for: impliquant le « pouvoir de juridic-
tion de l'État», elle demande un examen du respect des conditions auxquelles le législateur a sou-
mis l'attribution à ses propres juridictions du pouvoir de connaître d'un litige à caractère
international.
IllLe juge saisi vérifiera notamment si la comparution du défendeur « a pour objet principal de
contester la compétence» au sens de l'article 6, § 1er, al. 2.
D'un autre côté, la compétence internationale ne suscite, à la différence de la compé-
tence interne, aucun problème de répartition des compétences. En effet, les autorités bel-
ges sont incompétentes pour adresser quelque injonction que ce soit à des autorités
étrangères, fût-ce pour leur reconnaître une compétence. Dès lors, le tribunal d'arrondis-
sement n'a pas à connaître des conflits de compétence internationale, pas plus qu'il
n'appartiendrait au tribunal saisi de renvoyer la cause au sens de l'article 660 du Code
judiciaire. Par ailleurs, le tribunal ne saurait exiger des plaideurs qu'ils déterminent, au
sens de l'article 855 du Code judiciaire, quel tribunal, selon eux, est compétent. Quant au
déclinatoire de compétence internationale, l'article 636 du Code judiciaire - plutôt que
l'article 854 - donne la réponse lorsque le défendeur est étranger: à défaut pour lui de le
faire dans les premières conclusions, le juge retient la cause et statue au fond.
Ill Sur ces questions et sur la jurisprudence, voy. H. BORN et M. FALLON,J.T (1983), 217, (1987),
481, avecJ.-L. VAN BoxsTAEL, Droit judiciaire international (1991-1998), coll. Dossiers du].T. (Bruxel-
les, Larcier, 2001), 531 et s .. Pour un cas de refus de renvoyer à un tribunal étranger pour le motif
que le tribunal d'arrondissement est sans compétence pour statuer sur le pouvoir de juridiction,
voy.: T. arr. Liège, 15 décembre 1994,].L.M.B. (1995), 1170, Pas. (1994), III, 47. Sur ce que le juge de
CONTENU DES RÈGLES GÉNÉRALES DE COMPÉTENCE 411

renvoi n'est pas lié par l'appréciation de la compétence internationale du premier juge, voy. :
Bruxelles, 30 octobre 2001, Rev. Divorce (2003), 42, noteJ.-L. VAN BoxsTAEL.
1111 La circonstance qu'un jugement avant dire droit déclarant fondé le déclinatoire de compétence
internationale ne puisse être suivi d'un jugement définitif, explique l'inapplicabilité de
l'article 1050, alinéa 2, du Code judiciaire, qui réserve l'appel contre un jugement rendu sur la com-
pétence à l'appel contre le jugement définitif (Liège, 1er février 1994,].L.M.B., 1994, 1058, note G. DE
LEVAL). En revanche, il n'y a pas lieu d'écarter cette disposition lorsque le jugement écarte le décli-
natoire (Liège, 5 mars 2002,]. T., 2003, 8, note H. BOULARBAH, qui critique cette asymétrie).
Quant au moment auquel le déclinatoire doit être soulevé, le fait que la compétence
internationale doive être vérifiée d'office implique que, comme pour le pouvoir de juri-
diction, le déclinatoire puisse être soulevé à tout moment.
Ill Précédemment, la jurisprudence exigeait que le déclinatoire eût lieu in limine litis, solution qui
s'explique mieux par la circonstance que les règles de compétence internationale sont normale-
ment alternatives que par la nature de la compétence internationale, qui est irréductible à la déter-
mination d'une compétence territoriale.
Sur cette jurisprudence, voy. la chronique précitée (1983), 217.

9.56 - La litispendance et la connexité - Le Code de droit international privé introduit


une exception de litispendance internationale (art. 14). En revanche, la connexité inter-
nationale est extensive de compétence sans pouvoir entraîner, inversement, un blocage de
la compétence des juridictions belges (art. 9).
Une telle introduction revêt un caractère exceptionnel, lorsqu'elle a lieu en dehors
d'un instrument international. En effet, le rejet de l'exception est un corollaire du prin-
cipe selon lequel, aucune autorité étrangère ni aucun législateur étranger n'ayant le pou-
voir d'adresser des injonctions aux autorités nationales, la compétence de celles-ci ne
saurait dépendre de celle de tribunaux étrangers.
1111 La jurisprudence belge a été peu encline à admettre l'exception. Voy. H. BORN et M. FALLON,j.T
(1983), 217, (1987), 481, (1992), 428; H. BORN, M. FALLON etJ.-L. VAN BoXSTAEL, Droit judiciaire inter-
national (1991-1998), coll. Dossiers du J.T. (Bruxelles, Larcier, 2001), 537; Bruxelles, 20 juin 2000,
]. T. (2001), 678; Liège, 8 octobre 2002,]. T. (2003), 215. Pour un cas d'admission de principe de la
litispendance, cependant non vérifiée en l'espèce, voy.: J.P. Grivegnée, 21 septembre 1989, ].].P.
(1992), 113.
111 En faveur de cette exception en France, voy.: Cass. civ., 26 novembre 1974, Revue (1975), 494, et
l'approbation de M. WESER,j.T (1976), 73. En matière de connexité: Cass. civ., 20 octobre 1987,
Clunet (1988), 447, note A. HUET; 22 juin 1999, Revue (2000), 42, note G. CUNIBERTI.

L'admission de l'exception est cohérente avec la règle de la reconnaissance de plein


droit des décisions étrangères (voy. infra, n ° 10.41 ). En effet, cette règle, qui tend à favori-
ser la circulation internationale des jugements, se complète judicieusement d'une dispo-
sition assurant la prévention de décisions inconciliables. Dans cette perspective, son effet
serait subordonné à l'appréciation, par le juge belge, des conditions auxquelles serait
subordonnée la reconnaissance de la décision étrangère à intervenir.
L'exception ne saurait cependant être admise que sous des conditions strictes, qui
sont fonction de son contexte. À défaut d'instrument international, elle est liée, non à
une répartition exacte des compétences étatiques, mais à la probabilité qu'une décision
étrangère pourra être reconnue en Belgique.
Le Code établit pour condition déterminante la vérification de la probabilité que la
décision étrangère à intervenir pourra être reconnue en Belgique. Avant le prononcé de
celle-ci, il prévoit uniquement une faculté de surséance, non un dessaisissement, et exige
412 RÈGLES GÉNÉRALES DE COMPÉTENCE INTERNATIONALE

que l'appréciation tienne compte « des exigences d'une bonne administration de la


justice». La priorité est donnée au juge premier saisi, comme c'est le cas pour la compé-
tence interne. Le juge n'est donc pas appelé à apprécier les mérites de sa compétence
internationale en comparaison avec ceux de la compétence du juge étranger.
1111P. WAUTELET, Les conflits de procédures - Étude de droit international privé comparé (Leuven, KUL,
thèse multigr., 2002), qui évoque le concept de « déférence», propose de s'en tenir à la règle de la
priorité chronologique, roue en centrant la définition de la litispendance sur l'évaluation du risque
de décisions inconciliables et en limitant l'exclusion de l'exception au cas d'une compétence exclu-
sive des juridictions belges et au cas d'un contrôle de la fraude à la compétence internationale.
L'inconciliabilité d'une décision étrangère avec une décision belge figure comme un motif de
1111

refus de la reconnaissance (art. 25, § l", 5°, Codip).


La violation par le juge étranger de la priorité du juge belge premier saisi est sanctionnée par un
1111

refus de reconnaissance de la décision étrangère (art. 25, § 1er, 6°, Codip).

C. La compétence interne
9.57 - Compétence d'attribution en matière contentieuse - Après que la compétence
internationale des autorités ou des juridictions belges a été dûment vérifiée, il reste à
décider de quel ordre de juridiction relève la matière en litige (voy. supra, n ° 9.4). Le prin-
cipe fondamental consiste à déterminer la compétence d'attribution selon le droit
interne du for.
La mise en œuvre de ce principe n'entraîne guère de difficulté en matière conten-
tieuse. Hormis les problèmes suscités par les immunités de juridiction ou par la théorie
de l'Act of State (voy. supra, n° 5 9.18 et 9.19), les tribunaux se saisissent des actions selon
leurs propres règles de compétence matérielle.
Ainsi, les actions civiles que les articles 145 et 373, alinéa 3, du Code civil soumettent
au tribunal de la jeunesse relèvent de cette juridiction quelle que soit la nationalité de la
personne dont l'état de minorité justifie cette compétence.
111 Sur les hésitations antérieures de la jurisprudence, voy. les références dans : G. VAN HECKE et F.
RrGAUX, Rev. crit. jur. belge (1970), 291-292. La jurisprudence plus récente a cessé d'être divisée (voy.
ibid., 1976, 253).
Le principe est plus discutable si la détermination de l'état de minorité suscite une
question préalable de conflit de lois, à soumettre à la loi nationale de l'intéressé : un
étranger de dix-neuf ans, mineur selon sa loi nationale, relève-t-il du tribunal de première
instance ou du tribunal de la jeunesse ? Bien que les deux solutions soient défendables, il
faut préférer la seconde : comme les règles du statut personnel applicables au fond sont
celles qui gouvernent un mineur, il paraît judicieux de maintenir l'intéressé sous la com-
pétence du tribunal de la jeunesse dont le fonctionnement et la procédure sont adaptés à
l'état de minorité du justiciable, état pris en considération pour déterminer la compé-
tence d'attribution des tribunaux.
Comp. sur ce point les solutions divergentes de deux décisions commentées respectivement
111
dans: Rev. crit. jur. belge (1970), 292-293, et ibid. (1976), 251.

9.58 - Compétence d'attribution en matière gracieuse - La détermination de la compé-


tence d'attribution risque d'être complexe en matière gracieuse ou administrative, telles
les compétences exercées pour accorder des autorisations, des dispenses, des habilita-
tions ou des homologations. En effet, il faut concilier l'application du droit du for à la
CONTENU DES RÈGLES GÉNÉRALES DE COMPÉTENCE 413

détermination de la compétence avec l'application du droit étranger au principe même


de l'intervention d'une autorité.
Le principe de la plénitude de juridiction des tribunaux de droit commun permet à
ceux-ci de connaître de toute action régie par le droit étranger, même si l'objet et la cause
de la demande sont inconnus de la !ex fori.
Une première difficulté tient à la détermination exacte du droit applicable au fond,
droit dans lequel le juge belge est invité à puiser le principe d'une intervention. La solu-
tion doit être cherchée dans une interprétation correcte de la règle de rattachement du
for.
Ill Ainsi, en matière d'adoption, il n'y a pas lieu de procéder à l'autorisation d'un acte passé à
l'étranger, lorsque le droit applicable aux formalités exigées pour passer l'acte, droit de l'État où
l'acte a été passé, ne prévoit pas cette condition (voy. infra, n ° 12.120). Voy. de même, en matière de
reconnaissance d'enfant naturel, infra, n ° 12.112.

Une seconde difficulté concerne le transfert aux autorités d'un autre pays de compé-
tences non contentieuses que la loi régissant le fond attribue aux autorités qu'elle a elle-
même instituées. Pour opérer un tel transfert, il y a lieu de distinguer deux hypothèses
selon que l'intervention de l'autorité considérée est ou non prévue par le droit du for.
Quand l'intervention est prévue par le droit du for, le principe de la soumission de la
compétence d'attribution à la !ex fori exige de substituer à l'autorité que désigne le droit
étranger l'autorité belge remplissant une fonction analogue selon le droit interne.
Ill Ainsi, bien que, en droit italien, les adoptions fussent homologuées par la cour d'appel, l'homo-
logation de l'adoption d'un Italien par un autre Italien a été faite en Belgique par le tribunal de pre-
mière instance (Bruxelles, 28 juin 1961, Rev. dr. Jam., 1961, 173, note J. HuMBLED), le cas échéant,
depuis l'entrée en vigueur de la loi du 8 avril 1965, par le tribunal de la jeunesse (voy. infra,
n° 12.120).

Quand le droit étranger attribue à une de ses autorités un pouvoir d'autorisation ou


d'habilitation que ne connaît pas la !ex fori, celle-ci ne contient aucune solution prééta-
blie pour la détermination de la compétence d'attribution. À juste titre, la jurisprudence
belge accepte assez libéralement d'accorder les autorisations prévues par le droit étranger
applicable au fond.
Ill À une époque où le droit belge ne connaissait pas encore l'autorisation de mariage donnée à un
mineur par le tribunal de la jeunesse en cas de refus abusif des détenteurs de l'autorité parentale, le
tribunal de Tournai s'est substitué au procureur général habilité par la loi italienne pour donner au
mariage d'un Italien mineur le consentement requis par sa loi nationale (Civ. Tournai, 10 octobre
1962,]. T, 1962, 716). De même, le tribunal de Charleroi a donné à un adoptant italien âgé de
moins de cinquante ans la dispense de l'empêchement d'adopter prévue par le Code civil italien
(Civ. Charleroi, 30 avril 1954, ].T, 1954, 629). Voy. aussi: Bruxelles Ueun.), 22 février 1973, ].T
(1973), 236: le tribunal de la jeunesse se substitue au tribunal des tutelles qui, selon le droit alle-
mand, habilite un mineur (allemand) âgé de quatorze ans à consentir lui-même à son adoption;
Civ. Bruxelles, 21 février 1995,J. T., 1995, 387: le juge de paix trouve dans l'article 488bis du Code
civil la compétence pour arrêter les mesures d'administration que l'article 497 du Code civil fran-
çais attribue au juge des tutelles.
IllEn cas de difficulté d'instituer un conseil de famille non prévu par la loi nationale du mineur,
camp.: Civ. Bruxelles, 30 septembre 1985, ].].P. (1986), 181, note G. ROMMEL; J.P. Saint-Gilles,
25 mars 1986,J.J.P. (1987), 165, note A. MENSEL; Civ. Bruxelles, 11 avril 1987, Pas. (1987), III, 75.

9.59 - Exercice de la compétence attribuée au chef de l'État - Aux dispenses accordées


en certaines matières par le chef de l'État, la distinction proposée dans le numéro précé-
414 RÈGLES GÉNÉRALES DE COMPÉTENCE INTERNATIONALE

dent est, en principe, applicable. Bien que le pouvoir de dispense soit, historiquement, un
attribut du pouvoir législatif et qu'il continue à être exercé par le chef de l'État qui a con-
servé quelques éléments du pouvoir législatif des monarques de l'Ancien Régime (et, dans
le cas du mariage, du Pape selon le droit canonique), il paraît admissible que le Roi
exerce, pour l'application d'un droit étranger, le pouvoir de dispense qu'il tient du droit
belge.
1111 Avant la modification de l'article 145 du Code civil par la loi du 19 janvier 1990, le tribunal de
Liège a refusé d'accorder à un Italien la dispense d'âge que, selon sa loi nationale, il devait obtenir
du tribunal (Civ. Liège, 12 novembre 1976,j. T, 1977, 211). Selon la motivation, ce pouvoir aurait
pu être exercé par le Roi qui, sous la législation antérieure, accordait des dispenses semblables. Voy.
les réserves de H. BoRN, « La compétence des tribunaux belges à l'égard des demandes de dispense
de l'âge légal de la nubilité intéressant des mineurs étrangers », Rev. trim. dr. Jam. (1978), 203-231, et
de G. VAN HECKE et K. LENAERTS, n° 87, ces derniers pour le motif, discutable, qu'il n'appartiendrait
pas à l'autorité d'un État d'appliquer le droit d'un autre État.
Se sont déclarés compétents en raison du refus d'intervention de l'administration : Bruxelles,
14 mai 1980, Rev. trim. dr.fam. (1981), 83; Civ. Bruxelles, 4 septembre 1981,].T (1982), 361.
Voy. dans le sens proposé la pratique administrative française citée par BATIFFOL et LAGARDE,
!Ill
n° 418.
1111 La question reste d'actualité à propos du pouvoir que l'article 164 du Code civil attribue au Roi
(dispenses relativement aux mariages entre l'oncle et la nièce, la tante et le neveu).
Quand le droit étranger applicable au statut personnel attribue au chef de l'État un
pouvoir de dispense inconnu du droit du for, il paraît difficile que le Roi exerce, pour
l'application du droit étranger, un pouvoir de dispense qu'il n'a pas reçu du législateur
belge. Compte tenu de la plénitude de sa juridiction, le tribunal belge de première ins-
tance devrait se substituer à l'autorité étrangère, quelle qu'elle soit, dès lors que, ne pré-
voyant aucune intervention analogue, la loi belge n'a pu conférer à une autorité
déterminée la compétence d'attribution requise.
Camp. la solution différente enseignée dans: Rev. crit. jur. belge (1976), 248, à laquelle la solution
lllli
qui vient d'être exposée doit être préférée.

9.60 - La compétence territoriale interne - Malgré la distinction conceptuelle qu'il y a


lieu d'opérer entre la compétence internationale et la compétence interne (voy. supra,
n° 9.4), il arrive que les règles relatives à la première déterminent également la seconde.
C'est le cas de plusieurs dispositions du règlement« Bruxelles I » (voy. supra, n° 9.30), ou
de certaines lois particulières. Cette détermination doit être respectée.
1111 Comme règles spéciales explicites, voy., outre l'article 350, § 1'', alinéa 2, du Code civil - et,
après l'entrée en vigueur de la loi du 13 mars 2003 modifiant certaines dispositions du Code judi-
ciaire en matière d'adoption (Monit., 16 mai 2003) - (voy. supra, n° 9.47): l'article 1395, § 2, alinéa
2, du Code civil.
Lorsque la règle de compétence internationale ne détermine pas la compétence
interne, il y a lieu de faire application d'une disposition distincte. Celle-ci est à trouver
normalement dans les règles du Code judiciaire concernant la compétence territoriale
(art. 13, al. ier, Codip).
1111 Cette hypothèse se présente chaque fois que le critère de compétence internationale est la natio-
nalité. En ce cas, la jurisprudence s'est référée avec raison aux règles de compétence territoriale
interne, à savoir aux articles 624 et suivants du Code judiciaire.
Voy. les références citées par H. BORN et M. FALLON, ].T (1983), 224, n° 188; contra: Trib. trav.
Bruxelles, 15 février 1984, Jurisprudence des ;uridictions du travail de Bruxelles (1985), 66; Bruxelles,
18 septembre 1986, Rev. dr. comm. belge (1987), 128; 20 février 1990, Rev. not. belge (1990), 402.
CONTENU DES RÈGLES GÉNÉRALES DE COMPÉTENCE 415

llllEn présence des critères de compétence internationale de nature territoriale contenus dans
l'article 635 du Code judiciaire avant son abrogation, on a pu se demander si le même critère pou-
vait être transposé par analogie en critère de compétence interne, ou s'il convenait également
d'appliquer les dispositions des articles 624 à 630 du Code judiciaire. L'application des mêmes dis-
positions - les articles 624 à 630 - au cas où le défendeur est étranger assurait une égalité de trai-
tement des plaideurs sans discrimination de nationalité, principe fondamental introduit par le
législateur de 1876, en même temps que le respect, pour la compétence interne, des règles impérati-
ves des articles 627 à 630.
Voy. notamment la discussion entre H. BORN, favorable à la transposition, et M. FALLON,]. T (1983),
225, (1987), 485, (1992), 434, et les références. G. VAN HECKE et K. LENAERTS, n° 55, exigeaient égale-
ment le respect de ces dispositions dans les situations internationales. Contre la transposition, voy.
aussi M. WESER et P. JENARD, 420.
La jurisprudence paraît s'être prononcée contre la transposition, dans le sens ici proposé : voy. les
références citées,].T (1987), 485; Civ. Tournai, 21 mars 1988,J.L.M.B., 1988, 716; en faveur de la
transposition: Liège, 28 avril 1997, Rev. trim. dr. Jam. (1998), 257.
Lorsque les règles de compétence interne ne suffisent pas, parce que la situation ne
présente aucune des attaches territoriales prévues par le législateur, il convient de recou-
rir à une règle subsidiaire et d'utiliser le critère prévu par la règle correspondante de com-
pétence internationale ou, à défaut, d'établir une règle subsidiaire spécifique. Celle-ci
désigne le juge de l'arrondissement de Bruxelles (art. 13, al. 2, Codip).
Ill Ainsi, le recours au critère impératif de l'article 627, 9°, est exclu lorsque le travail s'exécute à
l'étranger (Mons, 10 février 1983,j. TT, 1984, 273; Bruxelles, 14 mai 1985, Rev. dr. soc., 1985, 380).
Contra, en matière de divorce: Trib. arr. Bruxelles, 6 avril 1992, Actualités du droit (1992), 1357, note
H. BORN.
Pour un recours au critère des points de contact de la situation litigieuse avec le territoire, voy. :
1111

Trib. arr. Nivelles, F' décembre 1992,].T (1993), 582.

§4 COMPÉTENCE DES AUTORITÉS


ET DES JURIDICTIONS EXTRATERRITORIALES
9.61 - Une compétence limitée - Les autorités et les juridictions qui siègent en dehors
du territoire de l'État qui les a instituées exercent une compétence restreinte, générale-
ment limitée aux personnes ayant la nationalité de cet État.
L'exercice de ces compétences répond à un double jeu de conditions. Il faut que
l'autorité ait reçu un tel pouvoir de l'État qui l'a instituée, en vertu du principe Auctor
regit actum (voy. supra, n° 3.34). Il faut également que cette compétence soit recon'nue par
l'État sur le territoire duquel elle est appelée à intervenir, tant en vertu de la règle Locus
regit actum (voy. supra, n ° 3.29) que d'une règle de droit international positif (art. 5, f, de la
Convention de Vienne du 24 avril 1963 sur les relations consulaires). L'autorisation de
l'État de résidence se déduit soit des termes exprès d'une convention consulaire, soit
implicitement de la compétence que celui-ci attribue à ses propres autorités extraterrito-
riales.
La Belgique a attribué de telles compétences à ses agents diplomatiques et consulai-
res à l'étranger. Elle a également passé un certain nombre de conventions consulaires.
Ill Voy. l'article 5 de la loi du 10 juillet 1931 concernant la compétence des agents diplomatiques et
consulaires en matière notariale, et les articles 1rr, 3, 6 et 7 - ce dernier étant assoupli par la loi du
4 mai 1999 (Monit., 1er juillet 1999) - de la loi du 12 juillet 1931 relative à certains actes de l'état
civil et à la compétence des agents diplomatiques et consulaires en matière d'état civil. Voy. une
liste des conventions consulaires supra, n° 8.35.
416 RÈGLES GÉNÉRALES DE COMPÉTENCE INTERNATIONALE

Ces dispositions donnent à entendre que les autorités diplomatiques ou consulaires


ne sont compétentes qu'à l'égard d'actes intéressant leurs propres nationaux. Le principe
peut être difficile à appliquer lorsque l'acte intéresse plusieurs parties, tel le mariage, la
reconnaissance d'enfant naturel ou l'adoption. La thèse limitant le pouvoir d'interven-
tion au cas où toutes les parties ont la nationalité de l'État qui a institué l'autorité, paraît
trop restrictive. Il semble conforme, à la fois à la loi de 1931 et à la pratique belge des
accords consulaires, de n'exclure la compétence de l'autorité extraterritoriale que lorsque
l'acte intéresse un ressortissant de l'État de résidence.
1111Les principales hypothèses dans lesquelles peuvent intervenir les agents diplomatiques et con-
sulaires (célébration des mariages, actes de l'état civil, liquidation des successions) sont abordées
lors de l'examen de chacune de ces matières spéciales (voy. infra, chap. 12 et 13).

9.62 - Compétence à l'égard des forces de l'OTAN - Le stationnement de forces d'un


État de l'Alliance atlantique sur le territoire d'un autre État et l'institution de juridic-
tions militaires extraterritoriales auprès de ces forces a suscité des conflits de juridictions
d'une nature particulière.
1111 Le statue de ces forces est régi par la Convention du 19 juin 1951 encre les États parties au Traité
de l'Atlantique Nord sur le statut de leurs forces (loi du 9 janvier 1953, Monit., 15 mars 1953, Pasin.,
1953, 17). Ce statue est complété, en ce qui concerne les forces stationnées en République fédérale
d'Allemagne, par un accord complémentaire signé à Bonn le 3 août 1959 (loi du 6 mai 1963, Monit.,
22 juin 1963, Pasin., 1963, 444), modifiant un accord antérieur du 26 mai 1952. Cet accord est entré
en vigueur le 1cr juillet 1963.
Les articles VII et VIII de la Convention du 19 juin 1951 apportent aux conflits de
juridictions des solutions particulières qui présentent notamment les deux aspects
suivants:
(1) Une première série de règles déterminent la compétence juridictionnelle.
Pour résoudre les conflits de juridictions, le droit conventionnel distingue des hypo-
thèses de juridiction exclusive et des hypothèses de juridiction concurrente. Des mécanis-
mes de priorité assurent dans ce dernier cas le règlement du conflit. Ils réservent à l'État
d'origine une compétence prioritaire, sous réserve de renonciation, dans deux hypothèses
seulement : celle d'une infraction ayant causé préjudice uniquement à cet État ou à l'un
de ses ressortissants, tels que définis par la Convention, et celle d'une infraction
« résultant de tout acte ou négligence accompli dans l'exécution du service» (Conv.
19 juin 1951, art. VII,§ 3).
1111 Il appartient aux autorités militaires de l'État d'origine d'apprécier si le fait a été « accompli

dans l'exécution du service", et aussi longtemps que ces autorités n'ont pas renoncé à l'exercice de
leur compétence, l'action intentée devant les tribunaux du pays où l'infraction a été commise est
irrecevable (Liège, 19 décembre 1966, R.W, 1966-1967, 1186, Rev. dr. pén., 1967-1968, 574, com-
mentaire de M. DANSE, avec références de jurisprudence française dans le même sens).
En outre, les règles relatives à certaines demandes d'indemnités prévues par l'article
VIII, paragraphe 5, de la Convention de 1951 ne s'appliquent pas aux membres des forces
et des éléments civils ayant la même nationalité que l'auteur du dommage. Par consé-
quent, les juridictions civiles belges sont compétentes pour statuer sur l'action en répara-
tion exercée par un Belge contre un militaire belge pénalement condamné pour la faute
commise sur le territoire de la République fédérale d'Allemagne.
1111 Voy. Cass.,19 juin 1972, Thibaut c. Escaut s.a. et Établissement Laroy s.a., Pas. (1972), I, 971, Rev. dr.

pén. (1974-1975), 448-457, commentaire de F. VANDER VORST et M. DANSE; Cass., 17 septembre


1991, Mc Cali, Pas. (1992), I, 51.
CONTENU DES RÈGLES GÉNÉRALES DE COMPÉTENCE 417

La même solution vaut lorsque le défendeur à l'action civile est, non pas l'auteur du
dommage, mais l'État dont ce dernier et la victime civile sont ressortissants (Civ. Bruxel-
les, 30 juin 1971, R W, 1972-1973, 1776).
(2) Une autre disposition établit une immunité d'exécution.
En ce qui concerne« un litige né d'un acte accompli dans l'exécution du service», le
« membre d'une force ou d'un élément civil» jouit de l'immunité d'exécution à l'égard
des condamnations prononcées à sa charge par une juridiction de l'État de séjour (Con-
vention du 19 juin 1951, art. VIII,§ 5,g).
1111 Dans la doctrine, voy. notamment: M. DANSE,« Le statut pénal de l'OTAN», Rev. dr. pén. mil.
(1963), II-1 et II-2, (1965), V-1; DEHAUSSY, « Les conditions d'application des normes convention-
nelles sur le for interne français», Clunet (1960), 702; LAZAREFF, Le statut des forces de l'OTAN et son
application en France (Paris, 1964).
1111 Sur la question du droit applicable à l'action en responsabilité civile non contractuelle dont est
saisie une autorité en vertu du droit conventionnel, voy. infra, n° 15.12.
CHAPITRE 10

RÈGLES GÉNÉRALES SUR L'EFFICACITÉ


DES DÉCISIONS JUDICIAIRES
,
ET DES ACTES PUBLICS ETRANGERS
10.1 - Bibliographie
Outre la bibliographie générale citée dans le chapitre 8, voy. :
D. ALEXANDRE, Les pouvoirs du juge de l'exequatur (Paris, LGDJ, 1970); H. BATIFFOL, « Les effets des
jugements étrangers », Cours I.H.E.I. (1959-1960, 1965-1966) ; A. BERNEL, Le principe d'équivalence ou
de « reconnaissance mutuelle» en droit communautaire (Zürich, Schulthess, 1996) ; BiscoTTINI,
« L'efficacité des actes administratifs étrangers», Recueil des cours, vol. 104 (1961), 635-697; D. CAM-
PBELL (dir.), International execution against judgments debtors (London, Sweet & Maxwell, 1993); G.
CATTA, Les problèmes soulevés par l'exequatur (Paris, LGDJ, 1967); M.-T. CAUPAIN et G. DE LEVAL, Effica-
cité de la justice civile en Europe (Bruxelles, Larcier, 2000) ; CONSEIL DE L'EUROPE, Guide pratique de la
reconnaissance et de l'exécution des décisions ;udiciaires étrangères en matière civile et commerciale (Londres,
Morgan Grampian Ltd., 1975) ;].-P. CORREA DELCASSO, « Le titre exécutoire européen et l'inversion
du contentieux», Rev. int. dr. camp. (2001), 61-82; G. DE LEVAL, F. GEORGES et]. MATRAY, « Le passage
transfrontalier du titre exécutoire», L'efficacité de la justice civile en Europe (Bruxelles, Larcier, 2000),
162-185; P. FEDOZZI, « De l'efficacité extraterritoriale des lois et des actes de droit public», Recueil
des cours, vol. 27 (1929), 141-241 ;J. FOYER, De l'autorité de la chose jugée en matière civile. Essai d'une défi-
nition (Paris, 1954); L. GANSHOF, « La condition d'ordre public et la reconnaissance en Belgique
d'un état régulièrement acquis à l'étranger», Mélanges]. Baugniet (1976), 289-306; H. GAUDEMET-
TALLON, « La reconnaissance des jugements étrangers portant sur une somme d'argent, en matière
civile et commerciale», Rev. int. dr. camp. (1986), 487-510; P. GoTHOT, « Des conditions auxquelles
une décision judiciaire étrangère peut fonder en Belgique une exception de chose jugée », note sous
Cass., 29 mars 1973, Rev. crit. jur. belge (1975), 544-576; W. J. HAHSCHEID, « Quelques questions fon-
damentales concernant l'autorité de la chose jugée en droit comparé », Mélanges Schnitzer, 179-196 ;
B. HANOTIAU, « Force probante et force obligatoire des actes d'état civil et des jugements déclaratifs
étrangers», Rev. trim. dr. Jam. (1978), 137-144; H. Ho, « Policies underlying the enforcement of
foreign commercial judgments »,I.C.L.Q. (1997), 443-462; D. HOLLEAUX, Compétence du juge étranger
et reconnaissance des jugements (Paris, Dalloz, 1970); J. ISNARD et J. NORMAND, L'aménagement du droit
de l'exécution dans l'espace communautaire (Paris, Éd. jur. & techn., 2003); M. IssAD, Le jugement étran-
ger devant le juge de l'exequatur. De la révision au contrôle (Paris, LGDJ, 1970); E. JEULAND, « Le titre exé-
cutoire européen: un château en Espagne?», Gaz. Pal. (2005), n° 147, 15-22; P. KAYE, Methods of
execution of orders and judgments in Europe (Chichester, Wiley, 1996); W. KENNETT, The enforcement of
judgments in Europe (Oxford Univ. Press, 2000); K. KERAMEUS, « Enforcement in the international
context », Recueil descours, vol. 264 (1997), 179-410; P. KlNSCH, Le fait du prince étranger (Paris, LGDJ,
1994); P. KoH, « Foreign judgments in ASEAN~ A proposai», I.C.L.Q. (1996), 844-860; D. KoK-
KINI-lATRIDOU et]. P. VERHEUL, Les effets des jugements et sentences étrangers aux Pays-Bas (Kluwer, 1970);
420 RÈGLES GÉNÉRALES SUR L'EFFICACITÉ DES DÉCISIONS JUDICIAIRES ET DES ACTES PUBLICS ÉTRANGERS

J. LARSEN, « Enforcement of Foreign Judgments in Latin America: Trends and Individual


Differences », Texas Int. L.]. (1982), 213-227; A. MARMISSE, La libre circulation des décisions de justice en
Europe (Limoges, Pulim, 2002); F. MAJORos, « À propos de la procédure simplifiée de l'exequatur»,
Revue (1978), 47-57; A. MARKIEWICZ, « Portée spécifique de l'exigence de conformité à l'ordre public
en matière d'exequatur »,Actualités du droit (1991), 194-201 ;J.-D. McCLEAN, Recognition ofFamily]ud-
gments in the Commonwealth (London, Butterworths, 1983) ; Ch. PAMBOUKIS, L'acte public étranger en
droit international privé (Paris, LGDJ, 1993); Io., « L'acte quasi public en droit international privé»,
Revue (1993), 565-590; Io., v « Acte public étranger», Répert. Dalloz (1998); K. W. PATCHEIT, Reco-
0

gnition ofCommercialjudgments and Awards in the Commonwealth (London, Butterworths, 1984); H.


PÉROZ, La réception des ;ugements étrangers dans l'ordre juridique français (Paris, LGDJ, 2005); R. RAsIR et
I. LEBBE, « L'Europe judiciaire entre l'efficacité et le droit de défense»,]. T. (1995), 417-423 ; A.
REMIRO BROITONS, Esecucion de sentencias extranjeras en Espana (Madrid, 1974); H. READ, Recognition
and enforcement of foreign judgments in the common law units of the British Commonwealth (Cambridge
Mass., Harvard Univ. Press, 1938); F. RIAD, La valeur internationale des ;ugements en droit comparé
(Paris, 1955); F. RIGAUX, « L'efficacité en Belgique des jugements étrangers »,].T (1960), 285-292,
302-307; Io., « La force probante des écrits en droit international privé», Revue (1961), 1-82. R.
STÜRNER, « L'acte notarié dans le commerce juridique européen »,Rev. int. dr. comp. (1996), 515-532;
H. VAN HourrE, « De · openbare orde' ais beletsel voor de erkenning of tenuitvoerlegging van bui-
tenlandse vonnissen », R W (1973-1974), 737-762; A.T. VON MEHREN, « Recognition and enforce-
ment of foreign judgments - General theory and the role of jurisdictional requirements », Recueil
des cours, vol. 167 (1980-II), 9-112; Io., « Recognition and enforcement of Sister-State judgments:
Reflections on the general theory and current practice in the E.E.C. and the U.S.A. », Columbia L.R.
(1981), 1044-1060; Io., « Recognition of United States judgments abroad and foreign judgments
in the United States: Would an international convention be useful? », RabelsZ. (1993), 449-459.

Section 1

Notions

§ 1 ÜBJIT DU CONCEPT D'EFFICACITÉ


10.2 - Notion de réception dans le système du for - La circulation internationale des
personnes et des biens serait sérieusement entravée si l'État refusait tout effet à un droit
établi à l'intervention d'une autorité étrangère. Refuser en Belgique tout effet au divorce
prononcé à l'étranger dans l'État dont les personnes ont la nationalité et où elles rési-
dent, nécessiterait l'introduction d'une nouvelle action imposant au juge de reconsidérer
l'ensemble des éléments de la situation. Un tel refus de principe empêcherait un officier
public, tel un notaire, de tenir pour acquis un changement d'état exerçant une influence
sur les conditions de passation d'un acte.
1111L'objectif de « circulation internationale des jugements » serait donc inhérent à un système
d'efficacité des jugements étrangers. Un tel objectif a été explicité le plus nettement à propos de la
Convention de Bruxelles, puis du règlement 44/2001 (voy. infra, n° 10.18). Comme le droit com-
mun s'est aligné sur le titre III de la Convention - avant sa modification par le règlement précité-,
on peut affirmer qu'il poursuit aussi un tel objectif. La Convention - comme le règlement -
présente pourtant l'originalité, par rapport au droit commun, d'uniformiser également les règles
de compétence directe, facteur favorable à la reconnaissance internationale.

Par la« reconnaissance», l'État requis accueille dans son propre réseau d'autorités
et de juridictions les effets que le jugement ou l'acte produit dans le pays d'origine. Cette
terminologie est d'inspiration continentale.
NOTIONS 421

La reconnaissance a un caractère déclaratoire, non constitutif de droits, puisqu'elle


se limite à recevoir ce qui a été constitué à l'étranger. N'étant pas créatrice de droits et
ayant seulement pour objet la décision étrangère et non le fond du litige, elle ne peut pas
conduire à modifier la décision étrangère, mais seulement à accepter ou à refuser, en tout
ou en partie, ce qui a été décidé.
IllPar exemple, si un jugement danois a déclaré la faillite d'un débiteur possédant des biens en Bel-
gique mais que, en vertu du droit danois, cette faillite a des effets limités au territoire danois, la
reconnaissance de la décision en Belgique ne saurait avoir pour effet de bloquer les avoirs situés en
Belgique: Cass., 26 septembre 1991, IBW, Pas. (1992), !, 77.

IllDe même, le juge requis ne pourrait pas déclarer un jugement étranger exécutoire à l'encontre
de personnes qui n'ont pas été impliquées par la condamnation étrangère: Bruxelles, 10 mars
1993,].T. (1994), 787, note]. VERHOEVEN.

Ill Sur ce que le juge requis ne peut pas compléter ni modifier la décision étrangère, voy., dans le
cadre de la Convention de Bruxelles: Cass., 2 mars 2000, R W (2000-2001), 342. Ainsi, le juge
requis ne procède pas à la capitalisation d'intérêts en lieu et place du juge d'origine (Mons,
12 octobre 1999, Rev. not. belge, 2001, 340, noteJ.-L. VAN BoxSTAEL, rappelant encore que le contrôle
a pour objet le Jugement même, non une censure d'un gouvernement étranger non reconnu).

Ill Le règlement 44/2001 explicite ce caractère déclaratoire - déjà admis formellement par la Con-
vention de Bruxelles - en précisant que le juge de l'exequatur «constate» la force exécutoire
(art. 42 et 43).

!IllLe pourvoi en cassation ayant donné lieu à l'arrêt du 29 avril 2002 (voy. supra, n ° 7.40 et infra,
n ° 10.39, à propos de l'ordre public) prétendait qu'en reconnaissant une répudiation établie au
Maroc entre parties marocaines, le juge d'appel avait appliqué la loi étrangère. L'arrêt corrige la
méprise en affirmant que le juge du fond a seulement décidé de reconnaître en Belgique les effets
d'une répudiation intervenue au Maroc en vertu de la loi marocaine, et il rejette le moyen comme
manquant en fait. Cela illustre la nature de la reconnaissance, qui se limite aux effets de ce qui a été
établi à l'étranger.

Il appartient à chaque État de déterminer, par des normes substantielles, les condi-
tions de réception d'une décision ou d'un acte étranger. Le principe de territorialité au
sens formel implique ainsi la nature forcément unilatérale des règles sur l'efficacité des
décisions ou des actes étrangers.

Toutefois, le droit communautaire pourrait comporter une obligation de


« reconnaissance mutuelle», en dehors même des prévisions du droit dérivé. Pour les
matières relevant du domaine du traité CE, le refus de reconnaître une décision judiciaire
ou un acte public émanant d'un autre État membre pourrait constituer un obstacle aux
échanges au sens, selon les cas, des articles 28, 39, 43 ou 49 CE. Le principe de
« reconnaissance mutuelle» en cas d'équivalence des normes ou des actes nationaux, que
la Cour de justice a établi dans le cadre du contrôle de la proportionnalité d'une mesure
nationale constitutive d'entrave aux échanges, est transposable aux décisions judiciaires
et aux actes publics, sous le concept de « confiance » mutuelle (voy. infra, n ° 10.54,
l'exemple de l'arrêt Dafeki). L'élaboration de la Convention de Bruxelles, suivie du règle-
ment 44/2001, obéit assurément à une telle préoccupation (voy. supra, n° 5 8.3 et s.).

La nature particulière de la reconnaissance semble expliquer que les conditions aux-


quelles est soumis le jugement ou l'acte étranger soient vérifiées d'office par le juge
reqms.
422 RÈGLES GÉNÉRALES SUR L'EFFICACITÉ DES DÉCISIONS JUDICIAIRES ET DES ACTES PUBLICS ÉTRANGERS

En ce sens, voy.: Cass., 23 janvier 1981, Lupo, Pas. (1981), I, 547; Liège, 26 juin 1985, fur. Liège
1111

(1985), 474.

La portée de la décision rendue sur la reconnaissance est nécessairement limitée au


territoire du for. Cela découle non seulement du principe de territorialité, mais encore de
l'objet même de la décision: se bornant à apprécier le degré de réception de la décision ou
de l'acte dans le système juridique du for, cette décision ne saurait, à son tour, faire l'objet
d'une reconnaissance à l'étranger:« Reconnaissance sur reconnaissance ne vaut».

10.3 - Nature de la décision étrangère ou de l'acte public étranger - La décision ou


l'acte étranger doit être de ceux qui concernent la matière civile ou commerciale, concept
servant à définir l'objet du droit international privé (voy. supra, n ° 1.9 et, à propos du
règlement« Bruxelles I », n° 8.14).
La « décision » étrangère est de nature individuelle, par opposition aux actes de por-
tée générale qui, à l'instar de la loi, visent un nombre indéterminé de personnes.
La décision émane le plus souvent d'une juridiction, entendue au sens large. Ce peut
être une juridiction répressive ou une autorité n'appartenant pas au pouvoir judiciaire.
L'essentiel est qu'il y ait eu décision sur un point relevant de la matière civile ou commer-
ciale, voire que la décision puisse avoir une incidence sur un point relevant de cette
matière.
1111Pour le règlement 44/2001, voy. infra, n ° 10.17.
En droit commun, l'article 570 du Code judiciaire évoquait les « décisions rendues par les juges
étrangers, en matière civile». Le Code de droit international privé définit la« décision judiciaire »
comme toute décision rendue« par une autorité exerçant un pouvoir de juridiction » (art. 22, § 3).
En France, pour la recevabilité d'une demande d'exequatur portant sur un jugement américain
d'ouverture d'une procédure de faillite, voy.: Cass. (l'e ch. civ.), 17 octobre 2000, Barney's, Revue
(2001), 121, note].-P. REMERY et H. MuIR WATT, Clunet (2001), 859, note G. CuNIBERTI.
Ill! Sur les effets d'une décision rendue en matière répressive, voy. infra, n ° 10.50.
1111Les transactions judiciaires font l'objet d'un régime particulier dans le règlement 44/2001 (voy.
infra, n° 10.17). Sur la notion de transaction judiciaire, qui provient du droit allemand, voy. en
France : Cass. ( 1•·c ch. civ.), 24 octobre 1973, Dana Nanceau c. Soc. Diffusion industrielle et automobile par
le crédit, Clunet (1974), 592, note D. HOLLEAUX.

La définition de l'acte public appelle une distinction entre l'acte administratif et


l'acte instrumentaire, car leur efficacité à l'étranger ne s'apprécie normalement pas dans
les mêmes termes (voy. infra, n ° 10. 7).
L'acte administratif est une décision unilatérale qui, d'autorité, crée, modifie ou sup-
prime une situation juridique.
L'acte dit instrumentaire émane d'un officier public ayant pour fonction la consta-
tation, la réception, des déclarations de volonté émises par des agents juridiques privés.
Le contenu de l'acte instrumentaire se laisse dédoubler. Pour passif qu'il soit, le rôle de
l'officier public, notaire, officier de l'état civil, conservateur des hypothèques, contribue le
plus souvent à conférer aux déclarations de volonté des parties une force probante privi-
légiée. C'est cependant des parties elles-mêmes qu'émane l'acte juridique (negotium) dont
les effets sont obligatoires.
1111La plupart des actes administratifs épuisent leur efficacité à l'intérieur de l'ordre juridique dont
ils émanent, et il est exceptionnel qu'ils soient appelés à produire des effets dans l'ordre juridique
international ou dans l'ordre juridique d'autres États. Ces effets ont un caractère réflexe ou indi-
NOTIONS 423

rect, ils appartiennent le plus souvent aux éléments constitutifs d'une situation juridique privée.
Par exemple, lors de la vente d'un terrain situé à l'étranger le vendeur produit le permis de bâtir
délivré par les autorités locales.
Quelques catégories d'actes administratifs ont une vocation particulière à étendre leurs effets en
dehors de l'ordre juridique dont ils émanent: ceux qui concernent l'attribution de la nationalité
(par exemple, un décret de naturalisation), la concession des brevets et des autres droits de pro-
priété intellectuelle, les licences d'importation et d'exportation, les autorisations relatives au con-
trôle des changes, les certificats d'aptitude (permis de conduire un véhicule ou un aéronef, brevet
de la marine marchande), etc. À propos de certains de ces actes, on peut encore distinguer de l'acte
administratif proprement dit le document qui le constate: passeport, certificat de nationalité,
diplôme ou certificat d'aptitude, etc.
Sur la méthode de reconnaissance d'un acte public étranger, dans le sens précité, voy.
!Ill
notamment: M. GORÉ, « L'acte authentique en droit international privé », Trav. Comité fr. dr. int. pr.
1998-1999 (Paris, Pédone, 2001), 23-38.

10.4 - État d'origine et État requis - Par décisions judiciaires et actes publics « étran-
gers », il faut entendre ceux qui émanent d'un autre « État ».
L'acte et la décision sont qualifiés d'« étrangers» par rapport à l'État dans lequel une
personne se prévaut de leur efficacité. Cet État est appelé l'État « requis», tandis que
l'expression État« d'origine» désigne le pays dont l'acte ou la décision est originaire.
Que la décision ou l'acte doive émaner d'un État exclut les actes et les décisions éma-
nant d'organes institués par une source de droit international, telles la Cour internatio-
nale de justice, la Cour européenne des droits de l'homme, la Cour de justice ou la
Commission des Communautés européennes, un tribunal arbitral institué par deux
États.
Cela exclut aussi les sentences arbitrales de droit privé. Celles-ci sont, comme les
décisions judiciaires, de nature à recevoir pleine efficacité dans l'État requis, mais c'est
sous des conditions spécifiques qui font l'objet d'une analyse distincte (voy. infra,
n° 14.24).
La « nationalité » d'un acte public ou d'une décision judiciaire dépend du réseau
institutionnel d'autorités et de juridictions auquel appartient l'organe étatique dont
l'acte ou la décision émane. Pareille détermination ne fait pas de difficulté sauf pour ce
qui concerne l'arbitrage de droit privé (voy. infra, n ° 14.24).

§2 CLASSIFICATION DES EFFETS

A. Classification sous l'angle du type d'effet


10.5 - Intérêt de la classification - Il importe de distinguer et d'analyser les différents
types d'effets qu'une décision ou un acte étranger est appelé à produire dans l'État requis,
afin de déterminer de manière suffisamment précise les conditions auxquelles chacun de
ces effets peut être attribué. Pareilles conditions varient d'un effet à l'autre, et le praticien
se doit d'être attentif à la qualification exacte de l'effet réclamé, pour éviter de se voir
opposer une condition stricte dont l'application n'est en l'espèce pas requise.
Parmi les effets qui peuvent être reconnus à une décision judiciaire, à un acte public
ou à une sentence arbitrale, il faut distinguer :
424 RÈGLES GÉNÉRALES SUR L'EFFICACITÉ DES DÉCISIONS JUDICIAIRES ET DES ACTES PUBLICS ÉTRANGERS

la force exécutoire ;
la reconnaisance ;
la force probante ;
l'effet de fait.

Ces effets présentent une intensité inégale, et cette variation se traduit dans la
rigueur des conditions exigées, de la plus sévère à la plus souple. Qui peut le plus peut le
moins. Ainsi, une décision ayant force exécutoire bénéficie aussi a fortiori de la force pro-
bante, alors que celle-ci peut être attribuée à une décision qui ne répondrait pas aux con-
ditions de la force exécutoire. Mais cela signifie aussi que la force exécutoire ne saurait
être attribuée sans la force probante.

Les quatre effets précités se laissent regrouper deux par deux, non seulement en rai-
son de leur nature mais aussi en fonction des conditions de leur admission.

10.6 - Force exécutoire et reconnaissance des décisions judiciaires - « Reconnaître» une


décision ou un acte étranger revient à le tenir pour obligatoire dans l'État requis.
1111Le droit international privé utilise à dessein un terme propre (la« reconnaissance») pour viser
l'autorité de la chose jugée, afin de mieux distinguer le statut d'un jugement étranger de celui d'une
décision prononcée par une juridiction nationale : le premier ne bénéficie en principe pas de l'auto-
rité par l'effet automatique de la loi et, lorsque la reconnaissance est « de plein droit» (voy. infra,
n° 10.15), celle-ci reste soumise au contrôle de motifs de refus et n'entraîne pas la force exécuroire,
à la différence d'un jugement national. De plus, la reconnaissance porte sur l'autorité telle qu'elle
est définie dans l'État d'origine (voy. infra, n ° 10.11).

La force obligatoire d'un jugement relève de l'autorité de la chose jugée. Elle interdit
toute contestation ultérieure de ce qu'il faut tenir pour la vérité judiciaire. Reconnaître
un jugement étranger y confère la même autorité qu'à une décision prononcée dans
l'État du for.
Ill Selon le Code belge de droit international privé, « la reconnaissance établit pour droit ce qui a
été décidé à l'étranger» (art. 22, § 3, 2 °).

La force exécutoire place la contrainte étatique au service de celle des parties qui a
obtenu gain de cause et peut requérir des autorités compétentes à cette fin l'accomplisse-
ment d'un acte de contrainte sur les biens (par exemple une saisie) ou d'un acte de coerci-
tion sur les personnes. En principe, la force exécutoire implique la force obligatoire à
laquelle elle se bornerait à ajouter la mise en œuvre de moyens matériels de coercition. En
principe seulement, car l'exercice de certaines voies de recours contre une décision judi-
ciaire ne prive pas nécessairement celle-ci de la force exécutoire, accordée de manière pro-
visionnelle.
1111La décision qui s'est prononcée sur les droits respectifs des parties a, dans leurs relations
mutuelles, la même force obligatoire que le précepte général de la loi à l'égard de destinataires indé-
terminés. Le dispositif judiciaire arrête les éléments de fait qui constituent une situation particu-
lière et« dit» le droit qui y est applicable. Sur ces deux points, l'autorité de la décision s'impose aux
parties.

Deux autres notions doivent être mises en relation avec la force obligatoire ou autorité de la
1111

chose jugée.
NOTIONS 425

L'une concerne l'obJet du dispositif judiciaire, tenu ou non pour« définitif» selon qu'il tranche le
fond même du litige ou a seulement ordonné des mesures préparatoires ou une instruction de la
cause.
L'autre notion porte sur la faculté d'exercer un recours contre une décision judiciaire. Selon une
terminologie qui prête à confusion avec l'autorité de la chose jugée, est « passée en force de chose
jugée», la décision contre laquelle il n'existe plus de recours.
L'autorité de la chose jugée s'attache en principe aux jugements « définitifs », au sens qui vient
d'être précisé. Elle est indépendance de la force de chose jugée car même l'exercice effectif d'une
voie de recours ne prive pas la décision qui en fait l'objet de son caractère obligatoire. Toutefois, sa
force exécutoire sera suspendue, sauf si le juge a déclaré la décision exécutoire par provision, c'est-à-
dire nonobstant tout recours.
11!1Quant à« l'exception de la chose jugée », elle est un moyen de défense découlant de la force obli-
gatoire d'une décision: elle permet à la partie qui s'en prévaut de faire obstacle à ce qu'une nouvelle
action ayant même objet et même cause soit introduite encre les mêmes parties. Cette exception ne
peut toutefois être invoquée à l'encontre de certaines décisions donc la force est liée à la persistance
des circonstances de fait dans lesquelles elles ont été rendues : ainsi, une décision ayant accordé un
secours alimentaire ou statué sur la garde d'un enfant est sujette à révision si la situation des par-
ties s'est modifiée.

10.7 - Force obligatoire des actes publics étrangers - La différence de nature entre
l'acte administratif, dont l'autorité émane du pouvoir conféré par l'État à ses agents, et
l'acte instrumentaire, dont la force obligatoire est l'œuvre de la volonté d'agents juridi-
ques privés, rejaillit sur la problématique du droit international privé. La force obliga-
toire d'un acte juridique privé est déterminée selon la règle de droit matériel qui le régit.
Il en est ainsi du mariage ou du contrat translatif de droit réel immobilier. L'officier
public se borne à constater les volontés exprimées par les parties.
Déterminé selon la loi qui y est applicable, l'effet juridique des déclarations de
volonté constatées dans un acte instrumentaire et notamment les obligations qu'elles
nouent entre les contractants relèvent de la matière des conflits de lois. À l'égard des actes
instrumentaires, la branche des conflits d'autorités règle seulement ce qui concerne les
formalités à suivre, la force probante privilégiée et la force exécutoire.
En d'autres termes, la reconnaissance d'un acte instrumentaire étranger obéit nor-
malement à un régime distinct de celui du jugement étranger. Au lieu de se borner à rece-
voir l'acte après un contrôle des divers motifs de refus pouvant lui être opposés, le juge
requis est appelé à en apprécier la validité en vertu du droit national déclaré applicable
par la règle de rattachement pertinente.
Ill Comp. sur cette question la thèse de Ch. PAMBOUKIS, L'acte public étranger en droit international
privé (Paris, LGDJ, 1993); ID.,« L'acte quasi public en droit international privé», Revue (1993), 565-
590, prônant un raisonnement analogue pour les actes instrumentaires et pour les décisions judi-
ciaires. Il est vrai qu'en France, un tel raisonnement n'empêche pas le contrôle du droit applicable.
Comp.: L. BARNICH, Les actes juridiques en droit international privé (Bruxelles, Bruylanc, 2001), propo-
sant une référence au système de droit international privé du pays où l'acte a été reçu ; contra: A.
STRUYCKEN, « Locus regit actum, un nouvel avatar hollandais », Mélanges Lagarde (Paris, Dalloz,
2005), 765-779, critiquant l'approche en ce sens aux Pays-Bas.
1111Le Code de droit international privé comble une lacune du droit commun en Belgique en expli-
citant le régime de l'efficacité des actes publics étrangers (voy. infra, n ° 10.56). L'article 27 soumet la
« reconnaissance » de la validité de l'acte aux règles de conflit de lois du juge requis.

1111 Le règlement« Bruxelles Il » innove en cette matière, en assimilant l'acte authentique à la déci-

sion judiciaire sous l'angle de sa reconnaissance (voy. infra, n ° 12.90).


426 RÈGLES GÉNÉRALES SUR L'EFFICACITÉ DES DÉCISIONS JUDICIAIRES ET DES ACTES PUBLICS ÉTRANGERS

11! Sur la reconnaissance des actes publics en droit commmunautaire général, voy. infra, n ° 10.54.
La reconnaissance de l'acte public se distingue de l'effet exécutoire qu'il peut pro-
duire. La réception de cet effet à l'étranger obéit à des règles analogues à celles qui concer-
nent les décisions judiciaires.
Voy. déjà: J. BAUGNIET, « L'exécution des actes aurhentiques dans les pays de la CEE », Mélanges
1111
Ganshof van der Meersch, t. II, 711-716; F. RrGAUX, v 0 «Acte», n° 5 173-182, Répert. Dalloz (1968).
Sur la force exécutoire d'un acte notarié en droit interne, voy.: Cass., 23 mai 1991,].T (1991),
1111
613, à propos de la vente publique d'un immeuble permettant une mesure d'expulsion.
Le règlement 44/2001 prévoit des dispositions propres à la force exécutoire des actes publics
1111

étrangers (voy. infra, n ° 10.53).

10.8 - La force probante - La « force probante » se divise en force probante


«extrinsèque» ou authenticité et force probante« intrinsèque».
L'authenticité consiste uniquement à savoir si un instrument émane de la personne
ou de l'autorité dont il porte la signature et à laquelle on l'attribue.
La force probante intrinsèque fait preuve des énonciations que le document con-
tient. Cette notion doit être limitée à la constatation de faits, matériels ou juridiques. Par
exemple, le juge constate qu'une partie a comparu devant lui et a fait telle déclaration.
L'expédition du jugement fait alors preuve des faits dont le magistrat a été un témoin pri-
vilégié. Pour reconnaître un tel effet à une décision étrangère, il suffit de vérifier les condi-
tions auxquelles celle-ci jouit de la force probante dans l'État requis.
Il! Une erreur assez répandue consiste à attribuer à la force probante intrinsèque ce qui est, en réa-
lité, l'effet de l'auroricé de la chose jugée. Par exemple, reconnaître le divorce prononcé à l'étranger,
ce n'est pas, comme on l'affirme parfois, donner force probante à la décision, comme si celle-ci
« faisait preuve» de l'état de divorcé. L'expédition du jugement prouve que le juge étranger a cons-
titué les parties dans un état nouveau : pareil effet du pouvoir exercé par le juge relève, par consé-
quent, de l'autorité de la chose jugée. Sur le plan de la force probante, la production de l'expédition
d'une décision étrangère atteste que les parties sont tenues pour divorcées dans le pays dont elle
émane. Pour que la même qualité leur soit attribuée dans un autre pays, il faut y reconnaître force
obligatoire au jugement étranger constitutif de l'état nouveau. De même, quand à l'occasion d'un
litige civil ou d'une poursuite répressive le juge déclare certains faits établis, il rend une décision,
dont l'efficacité internationale pose une question d'autorité de la chose jugée et non de force pro-
bante.
Pour distinguer si la preuve de faits « constatés » par une décision judiciaire étrangère relève de la
force probante ou de la force obligatoire, il faut vérifier si le juge a été témoin de faits dont il atteste
la véracité (telle la comparution d'une partie) ou s'il a décidé (après une enquête ou par l'interpréta-
tion d'un écrie) que les faits étaient tels ou tels.
Pour une définition dans le sens précité, voy. le Code de droit international privé, art. 26.
Quant à l'acte public instrumentaire, c'est bien la force probante privilégiée qui en
constitue l'effet spécifique. Elle s'attache à la garantie que procure l'intervention d'un
officier public.
10.9 - L'effet de fait - Un « effet de fait » peut être attribué à une décision judiciaire ou
à un acte public étranger, quand le simple fait que la décision a été prononcée ou que
l'acte a été reçu ou établi appartient aux éléments constitutifs de l'hypothèse d'une règle
de droit appliquée par le juge.
Par exemple, à l'occasion de poursuites du chef de bigamie, l'inculpé fait valoir, parmi les causes
1111

de nature à exclure sa responsabilité pénale, un jugement de divorce étranger sur la foi duquel il a
cru pouvoir contracter un second mariage. Que la décision de divorce ne puisse pas être reconnue
NOTIONS 427

parce qu'elle ne remplit pas toutes les conditions requises à cette fin, n'empêche pas que sa seule
existence appartient aux faits sur lesquels le juge répressif d'un autre État peut asseoir une motiva-
tion d'acquittement. Pour un cas où la prévention d'adultère a été écartée par l'effet de fait attribué
à une répudiation irrégulière, voy.: Corr. Bruxelles, 21 octobre 1986, Rev. dr. étr. (1986), 110. Sur
l'appréciation, aux fins d'une action en divorce, du caractère injurieux d'un acte de répudiation
irrégulier, voy.: Bruxelles, 4 octobre 1988, Pas. (1989), II, 67.

1111L'effet de fait peut aussi être attribué à un jugement rendu à l'étranger en matière répressive.
Encore faut-il s'entendre sur la portée du concept d'effet de fait. Lorsque, pour les besoins de
l'appréciation de l'action civile, le juge belge considère le contenu d'un jugement répressif
étranger concernant un accident de la circulation routière pour en déduire la cause du décès, il y
emprunte cerces un élément de fait pour les besoins de la cause pendante devant lui, mais qui tou-
che plutôt à l'autorité de la chose jugée ou au moins à la force probante, selon les cas. Pour un
emprunt à la notion d'effet de fait dans ce cas, voy. : Gand, 11 janvier 1996, Tijds. Gentse Rechtspraak
( 1996), 155.

1111 Le Code de droit international privé consacre la notion à l'article 29

L'acte public étranger, aussi, peut recevoir un effet de fait, par l'application de la
théorie du fait du prince en matière contractuelle : le débiteur d'une obligation soumise
au droit du for peut invoquer comme cause de libération l'acte administratif étranger qui
l'a empêché d'exécuter son obligation dans le pays désigné par le contrat.
Par exemple, l'exécution d'un contrat de travail est suspendue au cas où les autorités locales
11111

refusent la délivrance du permis de travail requis eu égard à la nationalité du travailleur. Voy. en ce


sens: Cass. soc., 22 février 1967, Bull. civ. (1967), IV, 144. Pour d'autres exemples d'application de la
théorie du fait du prince, voy. notamment: F. RrGAUX, Droit public et droit privé, §§ 133-135, et plus
généralement, P. KlNSCH, précité n ° 20.1.

La notion d'effet de fait ne se conçoit qu'à propos de décisions ou d'actes étrangers


et cette théorie a même été élaborée afin de justifier l'efficacité d'une décision judiciaire
qui ne satisfait pas aux conditions requises pour être reconnue.
La théorie de l'effet de fait trouve son origine chez E. BARTIN,
1111 « Le jugement étranger considéré
comme un fait», Clunet (1924), 867.

B. Classification sous l'angle des motifs de refus


10.10 - Nature des motif de refus - L'objectif de circulation internationale des déci-
sions ou des actes publics n'interdit pas à l'État requis de soumettre la décision ou l'acte
à l'examen de conditions tenant au contenu de celui-ci autant qu'aux circonstances dans
lesquelles il a été établi. Puisque ces conditions se présentent comme des obstacles possi-
bles à l'efficacité, elles prennent la forme de« motifs de refus».
Pareils motifs concernent principalement la première catégorie d'effets, à savoir la
force exécutoire et la reconnaissance. La seconde catégorie - la force probante et l'effet de
fait - obéit à des conditions beaucoup plus souples, qui se réduisent pratiquement à un
contrôle de véracité. La soumission des effets de la première catégorie à des conditions
communes obéit à une nécessité pratique, qu'illustre l'exception de la chose jugée. Force
exécutoire et autorité de la chose jugée sont les deux faces d'une seule réalité juridique : le
caractère obligatoire ou contraignant de la décision judiciaire. Afin d'éviter toute contra-
riété de décisions, il faut à tout le moins que l'autorité de la chose jugée ne soit pas
reconnue à des conditions moins rigoureuses que celles qui sont exigées pour la force
exécutoire. En cas d'identité des conditions prévues pour les deux catégories d'effets,
428 RÈGLES GÉNÉRALES SUR L'EFFICACITÉ DES DÉCISIONS JUDICIAIRES ET DES ACTES PUBLICS ÉTRANGERS

le seul risque de discordance provient d'une divergence sur l'appréciation de ces condi-
tions.
11111 Si un créancier a obtenu la condamnation de son débiteur dans un pays et que l'exécution de
cette décision doive être poursuivie dans un autre pays où sont situés les biens du débiteur, il serait
contradictoire qu'après avoir refusé de donner force exécutoire à la décision étrangère, les tribu-
naux de ce pays accueillent l'exception de chose jugée invoquée par le débiteur pour faire obstacle à
une nouvelle action ayant même objet et même cause que la première, ce qui aurait pour consé-
quence de soustraire les biens du débiteur à l'action de son créancier.

10.11 - Prise en considération du droit de l'État d'origine - La circonstance que les


motifs à considérer sont ceux qu'établit l'État requis n'empêche pas que les conditions
d'application de certains de ces motifs fassent appel au droit de l'État d'origine. Pour ce
type de vérification, le droit de l'État d'origine remplit dans l'État requis la fonction de
condition d'application des règles substantielles de reconnaissance ou de mise à exécu-
tion qui y sont en vigueur.
Le premier point à vérifier a pour objet la réalité et le contenu du jugement ou de
l'acte étranger. Celui qui entend s'en prévaloir doit en produire une preuve instrumen-
taire authentique. L'admission de la force probante extrinsèque de cet instrument est une
condition préalable à tout autre effet. Or, il est généralement admis que pour avoir force
probante l'expédition du jugement ou de l'acte étranger doit satisfaire aux conditions
d'authenticité prévues par le droit du pays d'origine. Le droit du pays requis peut toute-
fois y ajouter l'exigence d'une authentification par les autorités de ce pays, selon la procé-
dure dite de la légalisation (voy. infra, n ° 10.47).
Un deuxième ordre de vérifications porte sur l'étendue de l'efficacité du jugement
ou de l'acte dans le pays dont il émane. Pour être reconnu ou pour valoir titre, il faut que
le jugement ou l'acte étranger ne soit pas, dans son propre ordre juridique, privé des
effets qu'on entend lui faire produire ailleurs. Il convient de vérifier selon le droit de
l'État d'origine si la décision y jouit, selon le cas, de la force obligatoire ou de la force exé-
cutoire, et quelle en est l'étendue.
1111 Pour une référence au droit de l'État d'origine à propos de l'étendue de l'autorité de la chose

jugée, voy., dans le contexte de la Convention de Bruxelles: C.J.C.E., aff 145/86, 4 février 1988,
Hoffmann, Rec. (1988), 645, Revue (1988), 598, note H. GAUDEMET-TALLON.

10.12 - Référence à l'ordre juridique de l'État requis - La reconnaissance d'un acte


public ou d'un jugement étranger est subordonnée à la vérification d'une deuxième série
de conditions, très différentes de la première série par leur nature et par leur objet. Il y a
lieu d'apprécier si les effets réclamés dans l'ordre juridique de l'État requis peuvent y être
admis.
Le contrôle porte principalement sur :
a) La compétence indirecte: l'acte ou le jugement étranger n'excède-t-il pas la compé-
tence internationale de l'officier public ou de la juridiction dont il émane?
b) La protection juridictionnelle du défendeur: s'il s'agit d'une décision judiciaire pro-
noncée par défaut, un contrôle plus sévère est généralement consacré au respect des
droits de la défense (due process oflaw).
c) Le respect de l'ordre public: l'autorité requise vérifie, selon un pouvoir d'apprécia-
tion assez discrétionnaire, si l'acte public ou le jugement étranger est, par son con-
tenu ou par ses effets, contraire à l'ordre public du pays requis.
NOTIONS 429

IllLe concept de l'ordre public peut couvrir seulement des valeurs fondamentales de l'ordre juridi-
que, mais aussi d'autres éléments comme la fraude dans la procédure ou l'inconciliabilité de la
décision ou de l'acte avec une procédure pendante ou une décision prononcée ou un acte rendu
dans l'État requis : il y va, dans la plupart de ces cas, de la préservation de la cohérence institution-
nelle de l'ordre juridique de l'État requis, ou préservation d'un ordre public de procédure. Voy. par
exemple, outre le règlement 44/2001, infra, n° 10.24, la Convention de La Haye du [cr février 1971
sur la reconnaissance et l'exécution des jugements étrangers en matière civile et commerciale (non
en vigueur en Belgique), art. 5.
Sur ce que l'exception d'ordre public peut suffire à justifier le refus de reconnaissance ou d'exécu-
tion quand le traité ne contient aucune disposition relative à ces points particuliers, voy., à propos
de la Convention franco-belge du 8 juillet 1899, Cass. civ., 23 mars 1936, Santer c. Meuter, Revue
(1937), 198, et à propos de la Convention franco-sarde, Cass. civ., 18 novembre 1891, Parance/li c.
Mallet, S. (1892), 1, 52.

10.13 - La révision au fond- La révision au fond est la faculté pour le juge requis
d'étendre son contrôle à la manière dont la juridiction étrangère a tranché les points de
fait et de droit qui lui étaient soumis. Si ce juge estime que la décision a été mal rendue,
en fait ou en droit, il a le pouvoir de refuser qu'elle soit mise à exécution dans l'État
reqms.
Une forme atténuée de révision au fond consiste à vérifier si la juridiction étrangère
a appliqué les mêmes solutions de conflit de lois que celles qui eussent découlé de la mise
en œuvre des règles de conflit de l'État requis.
1111Une définition de la révision au fond est donnée - pour les besoins de la Convention de Bruxel-
les, mais extensible à d'autres contextes - par la Cour de justice des Communautés européennes
dans les arrêts Krornbach (aff. C-7/98, 28 mars 2000, Rec., 2000, I-1935, Revue, 2000, 481, note H.
Mum WATT) et Renault (aff. C-38/98, 11 mai 2000, Rec., 2000, I-2973, Revue, 2000, 497, note H. GAu-
DEMET-TALLON): la révision porterait sur (1 °)«une divergence[ ... ] entre la règle de droit appliquée
par le juge de l'État d'origine et celle qu'aurait appliquée le juge de l'État requis s'il avait été saisi du
litige» et (2°) sur« l'exactitude des appréciations de droit ou de fait qui ont été portées par le Juge
de l'État d'origine».

L'objectif de circulation internationale des jugements explique la tendance à suppri-


mer la révision au fond.
IllVoy., par exemple, l'article 36 du règlement 44/2001 et l'article 8 de la Convention de La Haye
du l"' février 1971.
1111L'article 27, 4°, de la Convention de Bruxelles - non repris par le règlement 44/2001 - et
l'article 7 de la Convention de La Haye du 1er février 1971 ont limité pareille vérification aux matiè-
res exclues du domaine de la Convention mais sur lesquelles une décision de l'État d'origine s'est
prononcée au titre de question préalable.
Ill En droit commun, le Code de droit international privé supprime la révision au fond en coute
matière (art. 25, § 2).
Voy. déjà, outre la jurisprudence antérieure en matière d'état (infra, n ° 10.39): Cass., 29 avril 2002,
Pas. (2002), I, 1026, R. W (2002-2003), 862, note J. ERAUW, Rev. trirn. dr. farn. (2003), note J.-Y. CAR-
LIER, Echtscheidingsjournaal (2003), 862, note M. TRAEST, précisant que le rôle du juge requis n'est pas
de contrôler la loi applicable selon le système du for, mais de reconnaître les effets d'une décision
intervenue à l'étranger sur la base d'un droit étranger.

C. Classification sous l'angle de la procédure


10.14 - L'octroi de l'exequatur- Par la « procédure d'exequatur» un juge de l'État
requis déclare exécutoire une décision judiciaire ou un acte public étranger. Cette procé-
dure conduit à l'adoption d'une décision dotée d'une autorité propre et, partant, d'une
430 RÈGLES GÉNÉRALES SUR L'EFFICACITÉ DES DÉCISIONS JUDICIAIRES ET DES ACTES PUBLICS ÉTRANGERS

force exécutoire et obligatoire étendue à l'ordonnancement institutionnel de l'État


reqms.
Au sens strict, l'exequatur a pour objet principal l'attribution de la force exécutoire à
la décision ou à l'acte étranger. Comme la force exécutoire présuppose la reconnaissance
du jugement, l'exequatur inclut par extension la même demande tendant seulement à la
reconnaissance.
111 En droit commun, le terme« exequatur» figurait dans l'article 570 du Code judiciaire, qui règle
la compétence d'attribution du tribunal de première instance. Selon cet article, le tribunal statue
« sur la demande d'exequatur» d'une décision étrangère. Le terme« exequatur» ne se référait donc
pas nécessairement à une procédure particulière. Il portait sur un titre conféré par le juge spéciale-
ment requis à cette fin.
111 Le règlement 44/2001 et la Convention de Bruxelles comme le Code de droit international privé
évitent l'utilisation du terme « exequatur», se contentant des termes « exécution » et « déclarer
exécutoire». Les traités bilatéraux y ont recours. Ainsi, la Convention belgo-néerlandaise du
28 mars 1925 précise que « l'exequatur est accordé par le tribunal» (art. 12), ou que le juge
« [accorde] l'exequatur» (art. 13).

En déclarant exécutoire la décision étrangère, le juge requis ne fait qu'autoriser la


mise à exécution. La déclaration n'est donc pas une mesure d'exécution proprement dite.
1111 Voy.]. VERHOEVEN, sous Bruxelles, 10 mars 1993,j.T (1994), 787.

Seule la première catégorie d'effets - la force exécutoire et la reconnaissance - est


soumise à la condition d'un exequatur. Au vrai, la raison d'une telle condition apparaît
surtout pour la force exécutoire. La reconnaissance peut être obtenue sans l'exequatur.
IllD'après la Cour de cassation (23 janvier 1981, Lupo, Pas., 1981, I, 547), sauf exception,« un juge-
ment étranger ne peut en aucun cas acquérir autorité de chose jugée sans que le juge belge compé-
tent n'ait constaté qu'il satisfait à toutes les conditions requises par l'article 570 du Code judiciaire
pour son exequatur en Belgique».

Pouvant impliquer l'accomplissement d'actes de contrainte physique (saisie des


biens, remise d'un mineur à la personne ou à l'autorité qui en a obtenu la garde), la force
exécutoire est une prérogative du souverain territorial. Aucun acte public, aucune déci-
sion judiciaire n'a, de plein droit, force exécutoire dans un État autre que celui dont il
émane.
111Même le droit conventionnel n'a pas supprimé l'exigence d'un contrôle des autorités de l'État
requis, préalable à l'exécution forcée d'une décision étrangère. Le plus souvent, ce contrôle est
exercé par les autorités judiciaires de ce pays et il fait l'objet d'une action spécifique, de caractère
contentieux.

Le droit de l'Union européenne montre cependant une évolution vers une


« exécution de plein droit » des décisions et actes étrangers. Alors que la Convention de
Bruxelles suit le modèle classique, le règlement « Bruxelles I » requiert encore une
« procédure » dans l'État requis rout en limitant strictement le rôle du juge requis au
cours de la première phase de la procédure (voy. infra, n ° 10.29). Un pas de plus est fran-
chi avec le« titre exécutoire européen». Le jugement rendu dans un État membre est mis
à exécution, dans l'État requis, dans les mêmes conditions qu'une décision rendue dans
cet État, sur la seule production d'un« certificat» émanant du pays d'origine et assurant
le respect de conditions préétablies. La fonction des autorités de l'État requis se réduit
essentiellement à la vérification de l'authenticité de l'expédition et de l'existence du certi-
ficat.
NOTIONS 431

1111Voy. le règlement 805/2004 du 21 avril 2004 portant création d'un titre exécutoire européen
pour les créances incontestées U.O.C.E., 2004, L 143). Selon l'article 5, « Une décision qui a été certi-
fiée en cane que titre exécutoire européen dans l'État membre d'origine est reconnue et exécutée
dans les autres États membres, sans qu'une déclaration constatant la force exécutoire soit néces-
saire et sans qu'il soie possible de contester la reconnaissance. »
11!1 Voy. encore, en matière de droit de visite, infra, n° 12.162.

10.1 S - La reconnaissance de plein droit - La plupart des instruments internationaux


sur la reconnaissance et l'exécution mutuelles des décisions judiciaires prévoient que
l'autorité de la chose jugée leur est reconnue de plein droit, c'est-à-dire sans condition de
forme ni de procédure, tout en restant généralement soumise aux motifs de refus oppo-
sables à l'octroi de la force exécutoire. En droit commun, la reconnaissance de plein droit
fut d'abord énoncée par la jurisprudence en certaines matières, à savoir l'état et à la capa-
cité des personnes ainsi que la faillite, avant de connaître une généralisation dans le Code
de droit international privé (voy. infra, n ° 10.41 ).
La décision reconnue jouit de l'autorité de la chose jugée au jour où celle-ci a été
acquise dans l'État d'origine. Toute personne ou toute autorité doit reconnaître l'auto-
rité de la décision étrangère pourvu que cette dernière satisfasse aux conditions de fond
prévues par l'instrument international ou par la loi. La vérification de ces conditions est
faite par la personne à l'égard de laquelle ou par toute autorité publique devant laquelle
la décision est invoquée.
1111 Par exemple, le débiteur d'une obligation peut opposer à son créancier l'extinction de la dette,
constatée par un jugement étranger; l'officier de l'état civil est requis de célébrer un second
mariage sur la production d'une décision étrangère ayant dissous la précédente union d'un des
futurs époux; quelque tribunal que ce soit, et non pas seulement celui qui est compétent pour
accorder l'exequatur, doit accueillir l'exception de la chose jugée régulièrement fondée sur une
décision étrangère (Cass., 23 janvier 1981, Lupo, Pas., 1981, I, 547).

La reconnaissance de plein droit a pour corollaire la suppression de la révision au


fond parmi les motifs de refus (voy. infra, n° 5 10.25 et 10.39).

10.16 - Intérêt de la reconnaissance de plein droit - La reconnaissance de plein droit


obéit, dans les actes internationaux, au souci de favoriser la circulation des jugements et,
en termes de politique de droit matériel, elle contribue à assurer la sécurité des opéra-
tions commerciales ou la permanence de l'état de la personne. Elle épargne au justiciable
les lenteurs de l'action en exequatur, en des cas appelant l'urgence.
Cette forme de reconnaissance présente cependant l'inconvénient de la précarité. À
défaut d'être admise par une décision judiciaire jouissant elle-même de l'autorité de la
chose jugée, la reconnaissance de plein droit est opérée sous la seule responsabilité de la
personne ou de l'autorité qui a vérifié les conditions de fond. Pareille efficacité est fragile.
1111 L'exemple le plus typique est celui du second mariage que l'officier de l'état civil a célébré au vu
d'un jugement de divorce étranger. Il peut arriver qu'un des nouveaux époux (ou l'autre partenaire
de l'union dissoute par le divorce) obtienne plus tard la nullité de ce mariage pour le motif que la
décision étrangère se heurte à l'un des motifs de refus requis pour sa reconnaissance. En effet, le
juge saisi de ce litige n'est pas lié par l'appréciation, par hypothèse erronée, de l'officier de l'état
civil. Voy. par exemple: Civ. Bruxelles, 18 novembre 2003,].T (2004), 893.

Pareille précarité n'affecte cependant pas la reconnaissance décidée par un juge saisi
de l'exception de chose jugée, dans la mesure du moins où l'autorité de la chose jugée qui
s'attache à cette décision s'étend aux motifs qui soutiennent le dispositif.
432 RÈGLES GÉNÉRALES SUR L'EFFICACITÉ DES DÉCISIONS JUDICIAIRES ET DES ACTES PUBLICS ÉTRANGERS

IllAinsi, la décision par laquelle le juge de paix a statué sur la contribution aux charges du ménage
entre époux (C. civ., arc. 221) après avoir écarté l'exception tirée de l'existence d'une répudiation,
s'impose au juge ultérieurement saisi d'une demande de divorce entre les mêmes parties, ce juge
n'étant plus à même d'examiner l'exception à nouveau soulevée devant lui: Cass., 15 mars 1991,
Chourak, Pas. (1991), !, 656.
Une autre difficulté provient de ce que la personne ou l'autorité à l'égard de laquelle
la décision étrangère est invoquée peut refuser de la reconnaître ou hésite à engager sa
responsabilité sur une appréciation délicate ou controversée. Celui qui se prévaut de la
décision a le choix entre la soumettre à la procédure prévue pour la force exécutoire ou
agir en justice contre la personne ou l'autorité récalcitrante, en se prévalant de l'autorité
de la décision. Par exemple, la personne qui veut se remarier peut assigner l'officier de
l'état civil pour lui faire ordonner par le juge de célébrer la seconde union. Depuis l'entrée
en vigueur du Code de droit international privé, le droit commun admet l'action en
opposabilité d'un jugement étranger (voy. infra, n ° 10.42).
IllLe recours à la procédure prévue pour la déclaration de la force exécutoire paraît le plus naturel,
surtout lorsque cette procédure est simplifiée, comme c'est le cas de la Convention de Bruxelles et
du règlement 44/2001. Pourtant, le règlement ne prévoit l'action en« constatation" de la recon-
naissance qu'en cas de« contestation" (arr. 33, § 2).
Ill Le règlement « Bruxelles IIbis" prévoit aussi l'action en opposabilité (art. 21, § 3, infra,
Il
O
12.91).

Section 2
Efficacité des décisions judiciaires
§1 ACTES LIÉS À L'UNION EUROPÉENNE

A. Présentation
10.17 - Domaine des actes liés à l'Union européenne - Lorsque la décision émane d'un
État membre de l'Union européenne, il y a lieu de vérifier l'applicabilité du règlement 44/
2001 et, à défaut, celle de la Convention de Bruxelles ou, lorsqu'elle émane d'un État par-
tie à la Convention de Lugano, l'applicabilité de cet instrument. Les uns et les autres
répondent à des critères analogues, tant matériels que temporels et spatiaux.
Ill Les conditions concernant le domaine d'application ont été présentées en même temps que
l'inventaire des sources des conflits d'autorités et de juridictions (chap. 8).
Ces actes ne concernent que des« décisions» (art. 32 du règl., art. 25 de la Conv.). La
définition en est large (voy. supra, n ° 10.3), s'arrêtant à la fonction juridictionnelle plutôt
qu'à sa qualification institutionnelle.
La nature répressive, administrative ou civile de la juridiction d'origine n'importe
pas (art. 1er), non plus que la dénomination de la décision,« arrêt, jugement, ordonnance
ou mandat d'exécution» (art. 32 du règl.). De plus, le chapitre III s'étend aux décisions
portant « fixation par le greffier du montant des frais de procès» (art. 32). Il en va de
même de décisions portant mesures provisoires ou conservatoires (C.J.C.E., aff. 125/79,
21 mai 1980, Denilaulerc. Cauchet, Rec., 1980, 1553,].T, 1980, 629; C.J.C.E., aff. C-80/00,
6 juin 2002, Italian Leather, Rec., 2002, I-4995, Revue, 2002, 713, note H. MuIR WATT, à pro-
pos du référé), ou condamnant à une astreinte (art. 49), ou de décisions qui, faisant
EFFICACITÉ DES DÉCISIONS JUDICIAIRES 433

encore l'objet d'un recours ordinaire, ne sont pas encore coulées en force de chose jugée
(art. 37).
L'arrêt Denilauler précité précise qu'une décision ordonnant des mesures provisoires ou conser-
1111

vatoires ne bénéficie pas de l'exécution simplifiée prévue par le chapitre III, lorsque la partie contre
laquelle ces mesures sont dirigées n'a pas été appelée à comparaître et que ces mesures sont desti-
nées à être exécutées sans avoir été préalablement signifiées à cette partie.
Ultérieurement, l'arrêt Mietz (C.J.C.E., aff C-99/96, 27 avril 1999, Rec., 1999, 2277, Revue, 1999,
669, note A MARMISSE et M. WrLDERSPIN) ajoute que le juge requis ne peut appliquer le chapitre III
qu'après s'être assuré que les mesures prises entrent bien dans le domaine de l'article 31 du
règlement ou de l'article 24 de la Convention, ou qu'elles émanent bien d'un juge certainement
compétent au fond en vertu des règles communes de compétence directe, afin de contrer un
détournement de ces règles. Le chapitre III ne serait pas applicable en cas de silence du juge d'ori-
gine sur le fondement de sa compétence pour connaître du fond (même arrêt).
Selon la Cour de justice, la décision doit avoir été rendue au cours ou au terme d'une
instruction normalement contradictoire, eu égard au libéralisme des dispositions con-
ventionnelles relatives à l'octroi de la reconnaissance (arrêt Denilauler, précité). Cela
n'exclut pas pour autant une décision rendue par défaut et réputée contradictoire, ou
encore une injonction ouverte à une instruction contradictoire sur opposition avant la
demande d'exécution (C.J.C.E., aff C-474/93, 13 juillet 1995, Hengst Import, Rec., 1995, I-
2113, Revue, 1996, 152, note H. GAUDEMET-TALLON). Le texte n'exclut pas non plus la juri-
diction gracieuse.
La décision doit émaner d'un organe juridictionnel « appartenant à un État contractant et sta-
1111

tuant de sa propre autorité sur des points litigieux entre parties» (C.J.C.E., aff C-414/92, 2 juin
1994, Solo Kleinmotoren, Rec., 1994, I-2237,J.L.M.B., 1995, 1176, note A KOHL), formulation mala-
droite qui suggère l'exclusion de la juridiction gracieuse.
La décision doit émaner d'un organe étatique, ce qui exclut les sentences arbitrales.
Les transactions judiciaires font l'objet de dispositions particulières (art. 57 et 58 du
règl.).
Ill L'arrêt Solo Kleinmotoren précité a précisé que la transaction judiciaire ne répondait pas à la défi-
nition de la décision judiciaire. Il aurait suffit de dire qu'elle relève de dispositions particulières.

10.18 - Objectif de circulation internationale des jugements - Le chapitre III du règle-


ment 44/2001 doit se comprendre en relation avec le chapitre II (règles de compétence
directe). Les dispositions relatives à la reconnaissance et à l'exécution forment l'objet pre-
mier de l'acte, qui est d'assurer la libre circulation des jugements dans la mesure néces-
saire au bon fonctionnement du marché intérieur (art. 65 CE). Le préambule de la
Convention de Bruxelles rappelle les termes de l'article 220 du traité CE (devenu art. 293
CE). Les dispositions du chapitre II apparaissent ainsi comme une condition nécessaire à
la réalisation de cet objectif.
Le chapitre III se caractérise par une stricte limitation des motifs de refus pouvant
être opposés à une décision étrangère et par une simplification des formalités de recon-
naissance ou d'exécution. Cette réduction du rôle du juge requis n'a pu être envisagée
que par l'établissement d'une série de garanties procédurales devant le juge d'origine, ce
que tend précisément à réaliser le chapitre II concernant la compétence : au plus strictes
les dispositions que doit respecter en amont le juge d'origine, au plus souple le contrôle
effectué en aval par le juge requis.
Voy. spécialement: C.J.C.E., aff. 166/80, 16 juin 1981, Klomps c. Michel, Rec. (1981), 1593; aff.
Ill
258/83, 27 novembre 1984, Brennero c. Wendel, Rec. (1984), 3971; aff. C-183/90, 4 octobre 1991, Van
434 RÈGLES GÉNÉRALES SUR L'EFFICACITÉ DES DÉCISIONS JUDICIAIRES IT DES ACTES PUBLICS ÉTRANGERS

Dalfsen, Rec. (1991), 1-4743, Revue (1992), 117, note H. GAUDEMET-TALLON, excluant la recevabilité,
devant le juge requis, d'un moyen déjà soumis au juge d'origine.
La circulation intracommunautaire des décisions réalise en même temps un objectif de sécurité
juridique, qui implique la mise en place d'un système autonome et complet, une application uni-
forme de celui-ci et une stricte limitation des motifs de refus, même si cette circulation n'est envisa-
gée que « dans toute la mesure du possible" (C.J.C.E., aff. C-7/98, 28 mars 2000, Krombach, Rec.,
2000, 1-1935, Revue, 2000, 481, note H. MUIR WATT).

Le chapitre III comporte également un objectif propre. La libre circulation des juge-
ments ne peut affaiblir, de quelque manière que ce soit, les droits du défendeur devant le
juge requis. Le principe de protection juridictionnelle guide également le chapitre II,
lequel consacre le principe Actor sequitur forum rei (voy. supra, n° 9.22) et impose au juge
d'origine la vérification de la recevabilité de l'assignation (voy. supra, n° 9.38). Il ne revêt
pas moins une importance particulière dans une procédure accélérée tendant à faciliter,
au détriment du défendeur, la reconnaissance ou l'exécution de la décision rendue.
Sur le principe de protection juridictionnelle dans le cadre du chapitre III, à propos du titre III
1111

de la Convention de Bruxelles, voy.: C.J.C.E., aff. 49/84, 11 juin 1985, Debaecker et Plouvier c. Bouw-
man, Rec. (1985), 1779,].T (1986), 158, note M. EKELMANS, ainsi que l'arrêt Klomps, précité; aff. C-
305/88, 3 juillet 1990, Lancray, Rec. (1990), 1-2725, Revue (1991), 161, note G. DROZ, Clunet (1991),
503, note A. HUET. Voy. également infra, n° 10.22.

Ces objectifs impliquent que, lorsqu'une décision a été prononcée dans un État
membre conformément au chapitre II du règlement, la reconnaissance et la force exécu-
toire ne puissent être obtenues qu'aux conditions et selon les garanties procédurales du
chapitre III. L'action en exequatur ne permet pas la réitération de la condamnation déjà
prononcée par le juge d'origine (C.J.C.E., aff. 42/76, 30 novembre 1976, De Wolf c. Cox,
Rec., 1976, 1759, infra, n° 10.27).
Même si le règlement se borne à régler la procédure d'exequatur des titres exécutoi-
res étrangers sans toucher à l'exécution proprement dite, qui reste soumise au droit
national du juge requis, l'application de ce droit ne peut pas porter atteinte à l'effet utile
du règlement.
Ill Cela exclut par exemple qu'en vertu du droit national une partie puisse former un recours con-
tre l'exécution d'une décision revêtue de la formule exécutoire alors qu'elle a omis d'intenter un
recours contre l'exequatur (C.].C.E., aff. 145/86, 4 février 1988, Hoffmann c. Krieg, Rec., 1988, 645).

Ces objectifs ne semblent pas exclure pour autant toute possibilité d'élargir la recon-
naissance d'une décision étrangère en vertu du droit commun. Au cas où celui-ci prévoit
des motifs de refus moins sévères que ceux du règlement, ces règles plus libérales
devraient recevoir effet pourvu qu'elles respectent les deux objectifs précités, à savoir,
outre la circulation internationale des décisions, la protection juridictionnelle du défen-
deur.
IllCela signifie, par exemple, que, dans le contexte de la Convention, le contrôle de la loi appliquée
que prévoit l'article 27, 4 °, ne devrait pas être effectué en Belgique (voy. infra, n'" 10.24 et 10.39),
tandis que le contrôle de la compétence indirecte, non opéré en droit belge, resterait de rigueur.
Cette disposition ne figure plus dans le règlement 44/2001.

Ill Cette position est plus nuancée que celle du rejet catégorique du droit commun, par exemple
chez H. GAUDEMET-TALLON, Compétence et exécution des jugements en Europe (Paris, LGDJ, 2002),
n ° 435, faisant état de la controverse doctrinale.
EFFICACITÉ DES DÉCISIONS JUDICIAIRES 435

B. Motifs de refus
10.19 - Interprétation stricte des motifs de refus - Le règlement 44/2001, comme la
Convention de Bruxelles, soumet la reconnaissance ou la mise à exécution d'une décision
étrangère à des motifs de refus assez semblables à ceux que connaissent d'autres sources
de droit conventionnel, ainsi que, en Belgique, le droit commun.
De l'objectif du règlement comme de celui de la Convention et de son lien avec le
traité CE il résulte, non seulement que la liste des motifs de refus est exhaustive (C.J.C.E.,
aff. C-474/93, 13 juillet 1995, Hengst Import, Rec., 1995, I-2113, Revue, 1996, 152, note
H. GAUDEMET-TALLON, interdisant le contrôle de la loi appliquée) - ce qui va de soi -
mais encore qu'ils doivent recevoir une interprétation stricte, en raison de la dérogation
qu'ils apportent au principe de liberté de circulation des jugements (C.J.C.E., aff. 166/80,
16 juin 1981, Klomps, Rec., 1981, 1593; aff. C-414/92, 2 juin 1994, Solo Kleinmotoren, Rec.,
1994, 1-2237,].L.M.B., 1995, 1176, note A. Kom).
Le texte ne dit pas si le contrôle des motifs de refus a lieu d'office. L'affirmative peut
être déduite de l'emploi de l'indicatif(« Une décision n'est pas reconnue si[ ... ]»). Selon la
Cour de justice, ce contrôle a bien lieu d'office (C.J.C.E., aff. C-80/00, 6 juin 2002, Italian
Leather, Rec., 2002, I-4995, Revue, 2002, 713, note H. MUIR WATT), et ce, semble-t-il, pour
l'ensemble des motifs de refus. Pratiquement, cette solution est implicite lorque utilisa-
tion est faite de la procédure de mise à exécution, unilatérale lors d'une première phase
(voy. infra, n ° 10.28). La question revêt un intérêt dans d'autres contextes procéduraux,
telle l'exception de chose jugée. Dans ce cas, il paraît suffisant que, parmi les motifs de
refus, soient contrôlés d'office ceux qui appellent une vérification selon le droit de l'État
d'origine ou d'après les règles substantielles du règlement, alors que les motifs à vérifier
selon le droit de l'État requis obéiraient à la condition procédurale prévalant dans le
droit commun de cet État.
IliComp. en France: Cass. (l'° ch. civ.), 17 novembre 1999, Revue (2000), 52, note B. ANCEL, préci-
sant que le contrôle de l'ordre public n'a pas lieu d'office.
Ili L'arrêt Italian Leather concerne le motif de l'inconciliabilicé de décisions. La Cour y évoque la dif-
férence grammaticale entre le texte de la Convention de Bruxelles et celui de la Convention de
Lugano qui, dans une hypothèse particulière, prend soin de préciser que la reconnaissance« peut»
être refusée (arc. 28, al. 2). Elle ajoute, comme si cet argument était insuffisant, que le motif ciré de
l'inconciliabilité de décisions tend à assurer l'objectif de sécurité juridique, ce qui est vrai dans
l'ordre juridique de l'État requis mais pas nécessairement à l'égard d'une circulation intracommu-
nautaire des décisions.

1. CONDITIONS À VÉRIFIER SELON LE DROIT DE L'ÉTAT D'ORIGINE

10.20 - Authenticité de l'expédition et preuve de la communication de l'acte introduc-


tif en cas de défaut - Le demandeur doit produire diverses pièces émanant de l'État
d'origine.
Il y a lieu de produire une expédition « réunissant les conditions nécessaires à son
authenticité » (art. 53, § 1er, du règl., art. 46, 1°, de la Conv.), sans toutefois qu'aucune
légalisation ne puisse être exigée (art. 56 du règl., art. 49 de la Conv.).
Si la décision a été rendue par défaut, la Convention exige que le demandeur joigne
l'original ou une copie certifiée conforme« du document établissant que l'acte introduc-
tif d'instance, ou un acte équivalent, a été signifié ou notifié à la partie défaillante »
436 RÈGLES GÉNÉRALES SUR L'EFFICACITÉ DES DÉCISIONS JUDICIAIRES IT DES ACTES PUBLICS ÉTRANGERS

(art. 46, 2°, de la Conv.). En effet, la reconnaissance est refusée si« l'acte introductif d'ins-
tance ou un acte équivalent n'a pas été signifié ou notifié au défendeur défaillant, réguliè-
rement et en temps utile, pour qu'il puisse se défendre» (art. 27, 2 °, de la Conv.). Le
règlement innove, en dispensant de cette formalité pour les besoins de la reconnaissance
mais, lorsque la force exécutoire est demandée, il y a lieu de produire normalement un
certificat qui, émanant de l'État d'origine (voy. infra, n ° 10.29), atteste, notamment, de la
date de la signification ou de la notification de l'acte introductif d'instance au cas où la
décision a été rendue par défaut.
1!1 L'article 48 de la Convention - comme l'article SS du règlement en ce qui concerne le certificat
- permet à l'autorité judiciaire de dispenser de la production du second document. Sur la traduc-
tion, voy. le même article.
1!1Sur la preuve de la régularité de la communication de l'acte introductif d'instance, voy. infra,
point 2°.

Ces documents doivent normalement être produits lors du dépôt de la requête


(art. 40, § 3, du règl., art. 33, al. 3, de la Conv.). La Cour de justice a toutefois dispensé de
cette exigence, dans le souci de respecter l'objectif de circulation des jugements, si le droit
national permet un dépôt ultérieur, à condition que le défendeur dispose d'un délai rai-
sonnable pour exécuter volontairement le jugement et que le coût de toute procédure
inutile soit supporté par le demandeur à l'exécution (C.J.C.E., aff. C-275/94, 14 mars
1996, Van der Linden, Rec., 1996, 1-1393, R W., 1996-1997, 203, note I. CoUWENBERG, Revue,
1996, 506, note H. GAUDEMET-TALLON, et l'arrêt subséquent de la Cour de cassation,
20 juin 1996, R W., 1996-1997, 720).

10.21 - Décision non définitive - Au cas où la décision étrangère « fait l'objet d'un
recours ordinaire» dans l'État d'origine, l'autorité judiciaire de l'État requis « peut sur-
seoir à statuer» sur la reconnaissance (art. 37 du règl., art. 30 de la Conv.) ou sur le
recours dirigé contre l'ordonnance d'exequatur et même, dans ce dernier cas, impartir un
délai au défendeur pour former un recours qui serait encore ouvert (art. 46, § 1er, du règl.,
art. 38, al. 1er, de la Conv.).
l!I Dans son arrêt du 22 novembre 1977 (aff. 43/77, Industria!Diamond Supplies, Rec., 1977, 2175), la
Cour de justice a décidé que « constitue un 'recours ordinaire' formé ou susceptible d'être formé
contre une décision étrangère tout recours qui est de nature à pouvoir entraîner l'annulation ou la
modification de la décision faisant l'objet de la procédure de reconnaissance ou d'exécution selon
la Convention et dont l'introduction est liée, dans l'État d'origine, à un délai déterminé par la loi et
prenant cours en vertu de cette décision même ». Cette notion inclut le pourvoi en cassation, quelle
que soit à cet égard la qualification des voies de recours en chacun des États contractants.

Grâce à ce système, le règlement et la Convention ont éliminé les notions d'autorité


ou de force de la chose jugée. Les décisions prononcées dans un État membre peuvent
être «reconnues» dans un autre État avec l'autorité qui s'attache à une décision ayant
fait l'objet d'un recours, déployant dans l'État requis les effets qu'elle a dans l'État d'ori-
gine (C.J.C.E., aff. 145/86, 4 février 1988, Hoffmann c. Krieg, Rec., 1988, 645). Pour être mis
à exécution, il suffit que le jugement soit exécutoire dans l'État d'origine, ce qui inclut
des décisions exécutoires par provision.
Ill!Pour la mise à exécution, il y a lieu de vérifier, selon le droit de l'État d'origine, l'effet même qui
doit être étendu à l'État requis: selon l'article 38 du règlement, seules les décisions « exécutoires»
dans un État membre doivent être« mises à exécution dans un autre État membre». L'article 47,
1°, de la Convention précise que la partie qui demande l'exécution doit produire« tout document
de nature à établir que, selon la loi de l'État d'origine, la décision est exécutoire et a été signifiée»,
EFFICACITÉ DES DÉCISIONS JUDICIAIRES 437

alors que le règlement renvoie simplement au certificat exigé lors de la demande de déclaration de
la force exécutoire, document attestant la force exécutoire de la décision dans l'État d'origine.
Pour une application de l'article 47 de la Convention, voy.: Civ. Tournai, 21 février 1991,].L.M.B.
(1991), 691; Cass. 7 mai 1982, Pas. (1982), I, 1029; 23 septembre 1994, Pas. (1994), I, 762, exigeant
que le pourvoi concernant l'irrégularité de la signification invoque la violation du droit étranger,
non de l'article 47 précité.
1111 Une décision étrangère condamnant à une astreinte ne peut être exécutoire dans l'État requis

que si le montant en a été définitivement fixé dans l'État d'origine (art. 49 du règl., art. 43 de la
Conv.).

Il. CONDITIONS À VÉRIFIER SELON LES RÈGLES SUBSTANTIELLES COMMUNES

10.22 - Respect des droits de la défense - Si le défendeur a fait défaut, le juge requis se
doit de vérifier si les droits de la défense ont été respectés dans l'État d'origine. Les textes
limitent toutefois ce contrôle à la vérification des conditions dans lesquelles l'acte intro-
ductif d'instance a été communiqué au défendeur.
IllCe contrôle bénéficie aussi au défendeur défaillant domicilié dans l'État d'origine. Voy. en ce
sens: G. DROZ (précité n ° 8.1), n° 500; M. WESER (précité n ° 8.1), n° 275; C.].C.E., aff. 228/81,
15 juillet 1982, Pendy Plastic, Rec. (1982), 2723, Clunet (1982), 960, note A. HUET, Revue (1983), 521,
note G. DROZ. Ainsi, la disposition de l'article 26, paragraphe 2, à laquelle le juge de l'État d'origine
a dû se conformer si le défendeur était domicilié sur le territoire d'un État membre autre que l'État
d'origine, est utilement complétée pour le cas, précisément, où le défendeur avait son domicile
dans un État tiers.
Pareille limitation du contrôle du respect des droits de la défense procède du carac-
tère dérogatoire des motifs de refus. La limitation est double. Non seulement le texte ne
prévoit pas d'autre moyen tiré de la violation des droits de la défense, mais encore ce
moyen n'est-il prévu qu'en cas de défaut devant le juge d'origine.
1111L'essentiel est que le défendeur ait pu connaître la procédure entamée contre lui, dès l'introduc-
tion de l'instance. Ce n'est pas le cas lorsqu'il a été représenté par un avocat qu'il n'a pas mandaté
(C.J.C.E., aff. C-78/95, 10 octobre 1996, Hendrikman, Rec., 1996, I-4943, Revue, 1996, 555, note G.
DRoz). C'est bien le cas lorsqu'il a conclu, au cours d'une procédure répressive avec jonction de
l'action civile, sur les griefs au pénal sans contredire la créance de droit civil dont il a eu connais-
sance (C.J.C.E., aff. C-172/91, 21 avril 1993, Volker Sonntag, Rec., 1993, I-1963, Rev. dr. comm. belge,
1993, 1105, Revue, 1994, 96, note H. GAUDEMET-TALLON).
Cela ne suffit cependant pas à nier toute interprétation favorable au défendeur,
puisque l'objectif de protection juridictionnelle est central dans la Convention (C.J.C.E.,
aff 49/84, 11 juin 1985, Debaecker et Plouvier c. Bouwman, Rec., 1985, 1779,]. T., 1986, 158,
note M. EKELMANS). La Cour de justice n'a pas hésité à consacrer la prééminence des
droits fondamentaux de la personne, tels qu'ils résultent de la Convention européenne
de sauvegarde des droits de l'homme et figurent comme des principes généraux du droit
communautaire : au sens du règlement ou de la Convention, le juge requis doit assurer le
respect de ces droits lors de la vérification du respect de l'ordre public (C.J.C.E., aff C-7/
98, 28 mars 2000, Krombach, Rec., 2000, I-1935, Revue, 2000, 481, note H. MurR WATT).
Ill L'affaire Krombach concernait l'efficacité en Allemagne d'un jugement répressif rendu en France
et ayant condamné au paiement d'une indemnité à la partie civile, alors que le défendeur allemand
n'avait pas comparu et n'avait pas eu la possibilité, selon le droit français, de se fair~ représenter.
1111Dans le cadre de la Convention, le bénéfice de la protection a été étendu au défendeur défaillant
qui, ayant eu connaissance du jugement, n'a pas exercé les voies de recours disponibles (C.J.C.E.,
aff. C-123/91, 12 novembre 1992, Mina/met, Rec., 1992, I-5661, Revue, 1993, 81, note G. DRoz). Le
règlement a corrigé la Convention sur ce point (voy. ci-dessous).
438 RÈGLES GÉNÉRALES SUR L'EFFICACITÉ DES DÉCISIONS JUDICIAIRES ET DES ACTES PUBLICS ÉTRANGERS

ii Comp. l'article 61 du règlement, repris de l'article II du protocole annexé à la Convention, per-


mettant de refuser la reconnaissance lorsque le défendeur n'a pas eu « la possibilité de se faire
défendre», dans une procédure répressive avec jonction d'action civile, lorsque la comparution per-
sonnelle n'a pas eu lieu alors qu'elle a été ordonnée par le juge d'origine.
Le règlement et la Convention divergent quant aux conditions du contrôle.
Selon la Convention, la décision n'est pas reconnue « si l'acte introductif d'instance
ou un acte équivalent n'a pas été signifié ou notifié au défendeur défaillant, régulière-
ment et en temps utile, pour qu'il puisse se défendre» (art. 27, 2 °).
ii « L'acte introductif d'instance» s'entend de celui dont la communication au défendeur met
celui-ci en mesure de faire valoir ses droits avant le prononcé d'un jugement exécutoire dans l'État
d'origine (C.j.C.E., aff. C-474/93, 13 juillet 1995, Hengst Import, Rec., 1995, 1-2113, Revue, 1996, 152,
note H. GAUDEMET-TALLON, à propos d'un decreto ingiuntivo italien accompagné d'une requête dont
la communication fait courir un délai pour former opposition sans que le demandeur ne puisse
obtenir de décision exécutoire avant l'expiration de ce délai).
En ce qui concerne l'injonction de payer du droit allemand, voy., dans un sens affirmatif: C.j.C.E.,
aff. 166/80, 16 juin 1981, Klomps c. Michel, Rec. (1981), 1593.
Ce contrôle a une double portée, et les conditions à respecter sont cumulatives
(C.J.C.E., aff. C-305/88, 3 juillet 1990, Lancray, Rec., 1990, I, 2725, Revue, 1991, 161, note
G. DRoz, Clunet, 1991, 503, note A. HUET). L'adverbe« régulièrement» fait référence« à la
loi interne de l'État d'origine et aux conventions internationales relatives à la transmis-
sion des exploits» (rapport JENARD, chap. V, art. 27). Il n'exige pas « la preuve que le
défendeur a effectivement eu connaissance de l'acte introductif d'instance», à moins de
« circonstances exceptionnelles» établissant que le défendeur n'a pas été en mesure
d'entamer sa défense (C.J.C.E., aff. 166/80, 16 juin 1981, Klomps c. Michel, Rec., 1981,
1593). Ces circonstances exceptionnelles peuvent être postérieures à l'acte de communi-
cation (arrêt Debaecker précité). Les conséquences de l'irrégularité de l'acte relèvent égale-
ment de la loi de l'État d'origine (C.J.C.E., aff. C-305/88, 3 juillet 1990, Lancray, précité).
Les mots« en temps utile» attribuent à l'autorité de l'État requis le pouvoir de refu-
ser la reconnaissance et la mise à exécution si elle« considère que l'acte n'a pas été trans-
mis en temps utile au défendeur pour qu'il puisse assurer sa défense» (rapport JENARD,
loc. cit.). La notion de durée utile est factuelle et son appréciation relève du juge, qui doit
tenir compte de tous les éléments de fait, et notamment des comportements respectifs
des parties (C.J.C.E., arrêt Debaecker, précité).
Selon le règlement, la décision n'est pas reconnue « si l'acte introductif d'instance
ou un acte équivalent n'a pas été signifié ou notifié au défendeur défaillant en temps utile
et de telle manière qu'il puisse se défendre, à moins qu'il n'ait pas exercé de recours à
l'encontre de la décision alors qu'il était en mesure de le faire. » (art. 34, 2 °).
Par rapport à la Convention, la différence est double. Le contrôle ne porte plus sur la
« régularité» de la communication de l'acte. De plus, la protection ne bénéficie plus
qu'au défendeur diligent, alors que la Convention protège celui-ci lorsqu'il a négligé
d'exercer un recours dans l'État d'origine.
10.23 - Contrôle de la compétence indirecte - À la différence des conventions bilatéra-
les en vigueur en Belgique (voy. infra, n° 10.36), le règlement et la Convention ne pré-
voient pas, en règle générale, que le juge requis vérifie si le juge d'origine a respecté les
règles communes de compétence directe. Non seulement pareil contrôle est en principe
exclu (art. 35, § 3, du règl., art. 28, al. 3 de la Conv.), mais il est précisé en outre, dans la
EFFICACITÉ DES DÉCISIONS JUDICIAIRES 439

Convention, que « les règles relatives à la compétence ne concernent pas l'ordre public
visé à l'article 27, 1° » ou, dans le règlement en des termes inélégants, que« le critère de
l'ordre public visé à l'article 34, point 1, ne peut être appliqué aux règles de compétence».
Toutefois, par dérogation au principe, « les décisions ne sont pas reconnues si les
dispositions des sections 3, 4 et 6 du chapitre II ont été méconnues ainsi que dans le cas
prévu à l'article 72 » (art. 35, § ier, du règl.), disposition reprise de l'article 28 de la Con-
vention.
Les trois sections visées ont pour objet la compétence en matière d'assurances, de contrats con-
llffl
clus par des consommateurs et les compétences exclusives de l'article 22. Le cas prévu à l'article 72
est l'hypothèse où l'État requis s'est engagé vis-à-vis d'un État tiers à ne pas reconnaître une déci-
sion rendue dans un aurre État membre en vertu d'une règle de compétence exorbitante, contre un
défendeur qui avait son domicile ou sa résidence habituelle sur le territoire de l'État tiers. Les
articles 35 et 59 permettent à l'État requis de refuser de reconnaître une telle décision.
L'omission de la matière des relations de travail, à côté de celles des contrats d'assurance et de con-
sommation, apparaît comme une anomalie, qui s'observe également dans le cadre de la Conven-
tion.
Un contrôle de la compétence indirecte a également lieu en cas de conflit transitoire, lorsque la
llffl
décision étrangère a été rendue avant l'entrée en vigueur du règlement (art. 66) ou de la Conven-
tion.
Ill!La Convention de Lugano (supra, n° 8.9) ajoute deux nouveaux cas de contrôle - facultatif - de
la compétence indirecte (art. 28, al. 2, renvoyant aux art. 54ter, § 3, et 57, § 4).
La Cour de justice a ajouté une vérification de la compétence indirecte dans le cas de
mesures provisoires ou conservatoires arrêtées par un juge qui n'aurait pas motive
expressément le fondement de sa compétence pour connaître du fond (voy. supra,
n° 9.34, l'arrêtMietz).

Ill. CONDITIONS À VÉRIFIER SELON LE DROIT DE L'ÉTAT REQUIS

10.24 - Motifs préservant la cohérence de l'ordre juridique du for - Quatre motifs de


refus sont appréciés au regard du droit de l'État requis, à savoir (art. 34 du règl., art. 27 de
la Conv.):
(1) la reconnaissance est« contraire à l'ordre public de l'État membre requis» (1 °);
Sur la nécessité de donner une interprétation stricte de la notion, voy.: Cass., 14 juin 1985, Car-
11111

ron, Pas. (1985), I, 1323; Civ. Bruxelles, 28 avril 1987, Pas. (1987), III, 80; Gand, 22 décembre 1988,
Pas. (1989), II, 162; Civ. Liège, 9 octobre 1995, Actualités du droit (1996), 80.
Le motif de l'ordre public ne peut pas être retenu lorsque le refus entre dans une autre catégorie
Ill!
de motifs, par exemple le caractère inconciliable des décisions (C.J.C.E., aff 145/86, 4 février 1988,
Hoffmann c. Krieg, Rec., 1988, 645).
Ce contrôle est subsidiaire par rapport à celui du respect des droits de la défense (C.J.C.E., aff
C-474/93, 13 juillet 1995, Hengst Import, Rec., 1995, I-2113, Revue, 1996, 152, note H. GAUDEMET-
TALLON) et ne peut dissimuler une vérification de ce respect (C.J.C.E., aff C-78/95, 10 octobre 1996,
Hendrikman, Rec., 1996, I-4943, Rev. gén. dr. civ., 1997, 621, note H. BouLARBAH, Revue, 1997, 555,
note G. DROZ).
Le contenu de l'ordre public est défini par l'État requis mais le droit communautaire en con-
llffl
trôle les limites, en particulier au regard de ses principes généraux, dont la protection des droits
fondamentaux de la personne fait partie. Il peut en résulter que cette notion conduise à un con-
trôle des droits de la défense qui excède ce que permet le point 2 (arrêt Krombach, précité n ° 10.22).
Font également partie de l'ordre public communautaire dont le juge requis doit assurer le respect,
les règles fondamentales du traité CE relatives au marché intérieur, telles les règles de concurrence
des articles 81 CE et 82 CE (C.].C.E., aff C-126/97, 1er juin 1999, Eco Swiss China Time, Rec., 1999, I-
440 RÈGLES GÉNÉRALES SUR L'EFFICACITÉ DES DÉCISIONS JUDICIAIRES ET DES ACTES PUBLICS ÉTRANGERS

3055, Clunet, 2000, 299, note S. PoILLOT-PERUZZETTO). Toutefois, il n'y aurait lieu à refus qu'en cas
d'incompatibilité «inacceptable» avec l'ordre public - dans le souci d'éviter la confusion avec la
révision au fond-, en limitant le contrôle à« la violation manifeste d'une règle de droit considérée
comme essentielle» (C.].C.E., aff. C-38/98, 11 mai 2000, Renault, Rec., 2000, I-2973, Revue, 2000,
497, note H. GAUDEMET-TALLON). Ce ne serait pas le cas d'une simple méconnaissance par le juge
d'origine de l'application des règles sur la circulation des marchandises (même arrêt) - alors même
que celles-ci présentent un caractère aussi fondamental que les règles de concurrence : la Cour de
justice, craignant une entrave à la circulation des jugements via une extension de la révision au
fond, déplace l'examen de l'affectation du marché intérieur vers les mécanismes juridictionnels mis
en place par le traité CE, comme l'article 234 CE (procédure de renvoi préjudiciel).
1111Le contrôle de la contrariété à l'ordre public porte moins sur la décision même que sur sa
« reconnaissance », nuance qui doit inciter à une appréciation fonctionnelle de l'ordre public ten-
dant moins à sanctionner le jugement étranger qu'à évaluer l'admissibilité de ses effets, selon une
méthode analogue à celle qui est admise dans la matière des conflits de lois (voy. supra, n ° 7.46 et, à
propos du droit commun, infra, n° 10.39).

(2) la décision est« inconciliable avec une décision rendue.entre les mêmes parties
dans l'État membre requis» (3°);
Ill Pour exercer ce contrôle, il appartient au juge requis de rechercher « si les décisions en cause
entraînent des conséquences juridiques qui s'excluent mutuellement», ce qui est le cas lorsque
l'une accorde des aliments encre époux tandis que l'autre prononce le divorce (C.].C.E., aff. 145/86,
4 février 1988, Hoffmann c. Krieg, Rec., 1988, 645). Pour une appréciation du juge du fond, voy. par
ex. : Civ. Bruxelles, 12 avril 1988, Rev. gén. dr. civ. ( 1989), 422. Le critère de l'effet est essentiel,
l'inconciliabilité ne devant pas se mesurer en fonction de la nature des procédures en concours
(C.J.C.E., aff. C-80/00, 6 juin 2002, Italian Leather, Rec., 2002, I-4995, Revue, 2002, note H. Mum
WATT, à propos d'une contradiction entre une décision prononcée au fond et une décision en
référé).
111Ce contrôle relève de la prévention de troubles contre l'ordre social (arrêt Italian Leather précité,
évoquant le rapport}ENARD), ce qui n'est pas éloigné d'un contrôle de l'ordre public.
111 L'incompatibilité s'apprécie encre deux décisions au sens de l'article 32 du règlement ou de
l'article 25 de la Convention, non encre une décision et une transaction judiciaire, pour le motif
que le trouble issu de la contradiction éventuelle ne serait pas aussi « grave » que si la juridiction
étrangère avait tranché elle-même la question litigieuse (C.].C.E., aff. C-414/92, 2 juin 1994, Solo
Kleinmotoren, Rec., 1994, I-2237,].L.M.B., 1995, 1176, note A. KoHL).

(3) selon la Convention, le tribunal de l'État d'origine a, pour rendre sa décision,


tranché une question préalable« relative à l'état ou à la capacité des personnes physiques,
aux régimes matrimoniaux, aux testaments et aux successions», en méconnaissant une
règle de droit international privé de l'État requis, « à moins que sa décision n'aboutisse
au même résultat que s'il avait fait application des règles du droit international privé de
l'État requis » (4 °) ; ce motif de refus n'est pas repris par le règlement ;
111!Il est douteux que, dans un pays qui - telle la Belgique - exclut le contrôle par le juge requis de
la loi appliquée par le juge d'origine e_n matière d'état et de capacité (voy. infra, n° 10.39), la Con-
vention impose d'effectuer ce contrôle. En exigeant qu'il y ait méconnaissance d'une « règle de
droit international privé de l'État requis », le texte paraît impliquer que le refus n'est possible que si
l'une de ces règles prévoit le contrôle de la loi appliquée. En ce sens aussi: H. GAUDEMET-TALLON,
Compétence et efficacité des jugements en Europe (Paris, LG DJ, 2002), n ° 394.
La suppression du contrôle de la loi appliquée dans le règlement résulte probablement de sa
Ill!
suppression dans le règlement « Bruxelles II» (voy. infra, n ° 12.92). Pourtant, cet acte est loin de
couvrir l'ensemble des matières visées.

(4) « la décision est inconciliable avec une décision rendue antérieurement dans un
autre État membre ou dans un État tiers entre les mêmes parties dans un litige ayant le
EFFICACITÉ DES DÉCISIONS JUDICIAIRES 441

même objet et la même cause, lorsque la décision rendue antérieurement réunit les con-
ditions nécessaires à sa reconnaissance dans l'État membre requis » (4 ° du règl., comp.
5° de la Conv.).
Dans la Convention, ce motif, ajouté en 1978, ne couvre pas le cas de conflit entre décisions
1111

émanant de deux États contractants autres que celui du juge requis.


Ce contrôle est plus limité que le motif relatif à l'hypothèse de conflit avec une décision de l'État
1111

du juge requis, puisqu'il exige la triple identité de parties, d'objet et de cause.

10.25 - Exclusion de la révision au fond- Que ce soit pour la reconnaissance (art. 36


du règl., art. 29 de la Conv.) ou pour la mise à exécution (art. 45, § 2 du règl., art. 34, al. 3,
de la Conv.), la décision étrangère ne peut pas faire« l'objet d'une révision au fond», et ce
« en aucun cas». Cette interdiction, de caractère général, est évidemment sans préjudice
d'autres motifs de refus prévus par la Convention, qui, tel le contrôle de l'ordre public,
autorisent le juge requis à examiner ce qui a été jugé.
Il sera parfois difficile de dissocier pratiquement la révision au fond du contrôle de l'ordre
1111

public. Voy. les nuances que la Convention requiert du juge requis à propos de : Liège, 17 mai 1984,
fur. Liège (1984), 381.
1111 Pour une définition de la révision au fond, voy. l'arrêt Krombach, précité n° 10.13.
1111 Cette interdiction impliquerait que, dans le pays requis, le juge ne puisse pas, par exemple lors
de l'appréciation du sursis à statuer (voy. infra, n° 9.38), connaître d'un moyen que la partie qui a
introduit le recours était en mesure de faire valoir devant le juge d'origine (C.j.C.E., aff. C-183/90,
4 octobre 1991, Van Dalfsen, Rec., 1991, I-4743, Revue, 1992, 117, note H. GAUDEMET-TALLON). À ce
motif on en préfère un autre évoqué par l'arrêt, à savoir l'objectif de circulation internationale des
jugements et la préservation de l'effet utile du règlement ou de la Convention (faveur à la déclara-
tion d'exequatur), voire un motif tiré de l'étendue de la chose jugée, car ce n'est pas réviser au fond
que de statuer sur un moyen dont le juge d'origine n'a pas connu.

C. Formes de la reconnaissance
10.26 - Reconnaissance de plein droit - En principe, la reconnaissance a lieu de plein
droit, « sans qu'il soit nécessaire de recourir à aucune procédure» (art. 33, § 1er, du règl.,
art. 26, al. 1er, de la Conv.).
L'autorité qui s'attache au jugement étranger doit être reconnue par quiconque, et
sa force obligatoire s'impose comme s'il s'agissait d'une décision analogue prononcée
dans l'État requis, sauf si une des exceptions prévues par les articles 34 et 35 - 27 et 28 de
la Convention - peut être invoquée contre la décision (voy. supra, n° 5 10.22 à 10.24).
10.27 - Reconnaissance incidente et action en opposabilité - Le règlement et la Con-
vention prévoient deux hypothèses dans lesquelles la personne contre laquelle ou vis-à-
vis de laquelle la décision est invoquée résiste à la reconnaître.
(1) « Si la reconnaissance est invoquée de façon incidente devant une juridiction
d'un État membre, celle-ci est compétente pour en connaître» (art. 33, § 3, du règl.,
art. 26, al. 3, de la Conv.).
Si, par exemple, à l'occasion d'une autre action entre les mêmes parties et ayant même objet et
Ill!
même cause, le défendeur motive par la décision étrangère une exception de chose jugée (voy. supra,
n° 10.6), le juge saisi doit notamment vérifier si la reconnaissance de la décision prononcée dans un
autre État membre ne doit pas être exclue en vertu des articles 34 ou 35 du règlement.
(2) «Encas de contestation, toute partie intéressée qui invoque la reconnaissance à
titre principal peut faire constater, selon la procédure prévue aux sections 2 et 3 du pré-
442 RÈGLES GÉNÉRALES SUR L'EFFICACITÉ DES DÉCISIONS JUDICIAIRES ET DES ACTES PUBLICS ÉTRANGERS

sent chapitre, que la décision doit être reconnue» (art. 33, § 2, du règl., art. 26, al. 2, de la
Conv.).
1111 Lorsqu'une décision doit être reconnue, le requérant peut demander des mesures provisoires ou
conservaroires, conformément à la loi de l'État requis, sans devoir faire déclarer cette décision exé-
curoire (art. 47, § 1cr, du règl.).
Bien que cette disposition ne soit pas très clairement rédigée, elle implique que la
seule procédure correcte pour faire reconnaître à titre principal une décision ayant un
titre à l'être en vertu du règlement ou de la Convention consiste à soumettre cette déci-
sion à la procédure simplifiée prévue pour la mise à exécution. La disposition est impéra-
tive et les tribunaux des États membres doivent relever d'office qu'elle procure à la partie
intéressée le seul moyen de faire constater qu'une décision soumise au règlement ou à la
Convention doit être reconnue (C.J.C.E., aff. 42/76, 30 novembre 1976, De Wolf c. Cox,
Rec., 1976, 1759).
IllDans l'affaire De Wolf, le créancier ayant obtenu d'un juge de paix belge la condamnation de son
débiteur estimait moins coûteux de former à nouveau la même demande devant le kantonrechter
néerlandais que de poursuivre l'exequatur devant le président de l'Arrondissementsrechtbank. Il
résulte de l'arrêt que le juge cantonal des Pays-Bas ne pouvait, en reconnaissant l'autorité de la déci-
sion belge, formuler une deuxième fois un dispositif identique au premier.
1111 Pour un cas de recevabilité d'une action en opposabilité, voy.: Bruxelles, 13 janvier 1998, Rev.
gén. dr. civ. (2000), 450, note H. BoULARBAH.
L'arrêt du 30 novembre 1976 ne fait pas obstacle à ce que la partie ayant obtenu une
décision judiciaire en sa faveur invoque la force obligatoire de cette décision afin d'obte-
nir dans l'État requis une décision ayant force exécutoire mais dont le dispositif est diffé-
rent du dispositif de la décision reconnue.
Ainsi, le jugement ayant, dans un État membre, constaté le caractère illicite d'un acte de concur-
1111

rence déloyale pourrait justifier que la juridiction compétente d'un autre État membre fasse une
injonction à la partie condamnée ou prenne une mesure conservatoire ou provisoire.

D. Procédure de la mise à exécution


10.28 - Une procédure accélérée en deux phases - Quoique la décision étrangère
« béné-ficie d'une présomption de régularité » (rapport JENARD, chap. V, art. 30) dans le
cadre du règlement ou de la Convention, ces actes ne dérogent pas au principe de droit
commun selon lequel les décisions exécutoires rendues à l'étranger ne sauraient faire
l'objet d'un acte d'exécution forcée dans l'État requis qu'« après y avoir été revêtues de la
formule exécutoire», même s'ils facilitent considérablement la libre circulation des juge-
ments à l'intérieur des États membres.
Ill Le règlement relatif aux créances incontestées innove considérablement en établissant une
supra, n° 10.14). Dans le pays requis, aucune procédure n'est
« force exécuroire de plein droit» (voy.
plus nécessaire. Cependant, outre l'authenticité de l'expédition et l'existence du certificat prévu par
ce règlement, un contrôle peut encore porter sur une condition relative à l'inconciliabilité des déci-
sions (art. 21), laissée à l'appréciation de « la juridiction compétente dans l'État membre
d'exécution », à la demande du débiteur de la créance.
Le règlement comme la Convention mettent en place une procédure d'exequatur
conçue comme un système autonome et complet (C.J.C.E., aff. C-172/91, 21 avril 1993,
Volker Sonntag, Rec., 1993, 1-1963, Revue, 1994, 96, note H. GAUDEMET-TALLON), sans toute-
fois couvrir ni les modalités de mise en œuvre de la procédure d'exequatur (C.J.C.E., aff.
198/85, 10 juillet 1986, Carron c. République fédérale d'Allemagne, Rec., 1986, 2437, j.T.,
EFFICACITÉ DES DÉCISIONS JUDICIAIRES 443

1986, 665, note M. EKELMANS) ni la procédure de mise à exécution de la décision accor-


dant l'exequatur (infra, n° 10.34).
La procédure est divisée en deux phases, mais elle entretient l'espoir que la seconde
ne soit pas souvent imposée à la partie qui entend poursuivre l'exécution de la décision.
La première est unilatérale (art. 38 du règl., art. 31 de la Conv.) et la seconde, contradic-
toire (art. 43, § 3, du règl., art. 37 de la Conv.). Celle-ci se présente comme un recours
introduit contre la décision marquant la fin de la première phase. Le règlement, comme
la Convention, tend ainsi à concilier deux objectifs antinomiques, celui d'une accéléra-
tion des procédures et celui du respect des intérêts du défendeur.

10.29 - La phase unilatérale - La première phase est introduite « sur requête de la par-
tie intéressée» (art. 38 du règl., art. 31 de la Conv.), et le juge statue à bref délai (art. 45,
§ 1er, du règl., art. 34, al. 1er, de la Conv.).
En vertu de l'article 39, § 1er, et de l'annexe II du règlement - mise à jour par divers règlements
1111

de la Commission (J.O.C.E., 2002, L 225, 2004, L 318, L 334, L 381) -, en Belgique la requête est
présentée au tribunal de première instance tandis que le paragraphe 2 de la même disposition
détermine le tribunal territorialement compétent: c'est, en principe, la juridiction dans le ressort
duquel est situé « le domicile de la partie contre laquelle l'exécution est demandée » et, à défaut
d'un tel domicile, le lieu de l'exécution.
Le dépôt de la requête obéit aux modalités fixées par le droit de l'État requis (art. 40, § 1er, du
1111

règl, art. 33, al. 1er, de la Conv.).

Le requérant doit faire élection de domicile dans le ressort de la juridiction saisie


(art. 40, § 2, du règl, art. 33, al. 2, de la Conv.). Les modalités de l'élection relèvent du
droit de l'État requis. En cas de silence de ce droit sur le moment de l'élection, la forma-
lité doit être accomplie « au plus tard lors de la signification du jugement accordant
l'exequatur», tant pour ne pas retarder indûment la procédure que pour protéger les
droits du défendeur (C.J.C.E., aff. 198/85, 10 juillet 1986, Carron, précité n ° 10.24).
La sanction de l'irrégularité de ces formalités relève du droit national, « sous réserve du respect
1111

des objectifs visés par la Convention» (arrêt Carron, précité) : la sanction ne peut pas remettre en
cause la validité du jugement ordonnant l'exequatur ni permettre de porter atteinte au respect des
droits de la partie contre laquelle l'exécution est poursuivie. Comp. les hésitations de la jurispru-
dence citée par H. BoRN et M. FALLON,j.T (1983), 230, n" 203.

Le tribunal ne peut pas entendre « la partie contre laquelle l'exécution est


demandée» (art. 41 du règl., art. 34, al. ier, de la Conv.). Toutefois, dans le cadre de la
Convention (al. 2), il peut rejeter la requête pour l'un des motifs prévus aux articles 27 et
28 - ce qui paraît impliquer qu'il doit, le cas échéant, soulever d'office l'un de ces motifs.
Le règlement atténue le rôle du juge, en excluant l'examen de ces motifs (art. 41). En
d'autres termes, le juge de l'exequatur se contente de constater l'accomplissement des
formalités prévues par le règlement.
Les formalités auxquelles la requête doit satisfaire sont (1 °) la production d'une
expédition de la décision réunissant les conditions nécessaires à son authenticité (voy.
supra, n ° 10.20, à propos de la reconnaissance) et, dans le cadre du règlement, la produc-
tion d'un certificat délivré par la juridiction ou l'autorité compétente de l'État d'origine
en utilisant le formulaire prévu par le règlement (art. 54). Ce certificat atteste, notam-
ment, que la décision est exécutoire dans l'État d'origine.
Le système de certificat mis en place par le règlement implique que le juge requis se fie aux men-
1111

tions qui y figurent. Cela n'exclut probablement pas route possibilité de mettre celles-ci en doute,
444 RÈGLES GÉNÉRALES SUR L'EFFICACITÉ DES DÉCISIONS JUDICIAIRES ET DES ACTES PUBLICS ÉTRANGERS

pourvu que soient rencontrées les conditions prévues plus généralement par le droit communau-
taire pour la contestation de la force probante d'un acte public étranger (voy. infra, n ° 10.54).
Le juge requis peut dispenser le requérant de la formalité du certificat« s'il s'estime suffisamment
éclairé» (art. 55, § 1er, du règl.).

IllLa Convention exige aussi que la décision étrangère soit exécutoire dans l'État d'origine. Cette
notion doit s'entendre dans un sens formel, comme visant une décision revêtue de la formule exé-
cutoire, indépendamment de l'impossibilité d'exécution (C.J.C.E., aff. C-267/97, 29 avril 1999,
Coursier, Rec., 1999, I-2543).

La décision est, à la diligence du greffier, portée « aussitôt » à la connaissance du


requérant (art. 42, § 1er, du règl., art. 35 de la Conv.), les négociateurs ayant entendu
réserver à celui-ci« l'effet de surprise qui doit s'attacher à la procédure d'exequatur si l'on
veut éviter que le défendeur n'ait l'occasion de soustraire ses biens à toute mesure
d'exécution» (rapportJENARD, chap. V, art. 34).
Si l'exécution est autorisée, la décision est signifiée ou notifiée à la partie contre
laquelle l'exécution est demandée (art. 42, § 2, du règl.). Cette décision « emporte l'auto-
risation de procéder» à des mesures conservatoires sur les biens de cette partie (art. 47,
§ 2, du règl., art. 39, al. 2, de la Conv.). Ces mesures sont les seules à pouvoir être exécu-
tées pendant le délai de recours ouvert contre cette décision et jusqu'à ce qu'il ait été sta-
tué sur celui-ci (art. 47, § 3, du règl., art. 39, al. 1er, de la Conv.).
IllLa partie qui demande l'exécution puise dans le règlement ou dans la Convention même le droit
à des mesures conservatoires: il n'est donc pas nécessaire de recourir à des procédures particulières
prévues par le droit national, et celui-ci ne peut imposer d'autres conditions ni d'autres délais que
ceux prévus par la Convention (C.J.C.E., aff. 119/84, 3 octobre 1985, Capelloni et Aquilini c. Pelkmans,
Rec., 1985, 3147).
1111 L'autorisation de prendre des mesures conservatoires ne peut être assortie de la constitution de
la garantie prévue par l'article 46, § 3, du règlement, ou par l'article 38, § 3, de la Convention (voy.
le n ° suivant), seulement applicable après que le juge a été saisi d'un recours contre l'autorisation
d'exécution (C.J:C.E., aff. 258/83, 27 novembre 1984, Brennero c. Wendel, Rec., 1984, 3971).

10.30 - La phase contradictoire sur recours - La deuxième phase, contentieuse, orga-


nise un recours contre la décision du juge requis. Le système mis en place doit être consi-
déré comme autonome et complet, en ce sens qu'il n'appartient pas au droit national d'y
ajouter : ce système limite en effet strictement les obstacles pouvant être opposés à la
reconnaissance d'une décision (C.J.C.E., aff. 148/84, 2 juillet 1985, Deutsche Genossen-
schaftsbank, Rec., 1985, 1981).
La phase des recours obéit à des règles distinctes selon que la décision a autorisé
l'exécution ou a rejeté la requête qui tendait à cette fin.

10.31 - Recours contre l'autorisation d'exécution - La partie contre laquelle l'exécu-


tion est demandée peut former un recours contre la décision « constatant la force
exécutoire», en respectant les délais fixés par l'article 43, paragraphe 5, du règlement ou
par l'article 36 de la Convention. Pareil recours « est porté, selon les règles de la procé-
dure contradictoire: en Belgique, devant le tribunal de première instance [... ] » (art. 43,
§§ 2 et 3, du règl., art. 37, al. 1er, de la Conv.). Le tribunal ne peut déclarer le recours fondé
que si son auteur établit l'un des motifs de refus visés aux articles 34 et 35 du règlement
- ou 27 et 28 de la Convention - (art. 45, § 1er, du règl.), non sur l'absence de moyens
opposés par le défendeur sur recours (Cass., 16 juin 1988, Pas., 1988, I, 1243).
EFFICACITÉ DES DÉCISIONS JUDICIAIRES 445

Ill Seule la partie contre laquelle l'exécution est demandée peut exercer le recours; les tiers ne peu-
vent agir contre l'autorisation d'exécution, mais bien contre les« mesures d'exécution forcée» pro-
prement dite dans les conditions prévues par le droit national (C.J.C.E., arrêt Deutsche
Genossenschaftsbank, précité).
il Le délai est fixé à un mois à compter de la signification à la partie contre laquelle l'exécution est
demandée, et il est porté à deux mois si cette partie est domiciliée dans un État membre autre que
l'État requis (art. 43, § 5, du règl., art. 36 de la Conv.).
D'après le rapport du comité d'experts, si la même partie est domiciliée dans un État tiers, le délai
d'un mois peut « être augmenté des délais en raison de la distance tels qu'ils sont prévus » par le
droit de l'État requis. Cette interprétation équitable du texte ne résulte pas indubitablement de
celui-ci.
Ill Le délai de recours est impératif, et le juge doit soulever d'office le moyen tiré de sa violation
(C.J.C.E., aff. 145/86, 4 février 1988, Hoffmann c. Krieg, Rec., 1988, 645, Revue, 1988, 598, note H.
GAUDEMET-TALLON).

Lorsque la décision du juge d'origine n'est pas coulée en force de chose jugée, le juge
saisi du recours peut, à la requête de l'auteur du recours, surseoir à statuer (art. 46, § ier,
du règl., art. 38, al. 1er, de la Conv.). Il peut également subordonner l'exécution à la cons-
titution d'une garantie (§ 3) à charge du bénéficiaire de la décision du juge d'origine. La
constitution de cette garantie ne peut être ordonnée que dans ce cas (C.J.C.E., aff 258/83,
27 novembre 1984, Brennero c. Wendel, Rec., 1984, 3971).
1111La faculté de surseoir à statuer tend à protéger le défendeur contre d'éventuels dommages qui
pourraient résulter de l'exécution d'une décision non coulée en force de chose jugée qui viendrait à
être modifiée. Elle appelle une interprétation stricte, non seulement en raison de son caractère
exceptionnel, mais aussi pour éviter roue risque de révision au fond, prohibée dans ce contexte (voy.
supra, n ° 10.25). Aussi la juridiction saisie du recours ne pourrait-elle prendre en considération, ni
des moyens qui ont déjà été soumis au juge étranger, ni des moyens qu'une partie s'est abstenue
d'invoquer devant ce juge (C.J.C.E., aff. C-183/90, 4 octobre 1991, Van Dalfsen, Rec., 1991, 1-4743,
Revue, 1992, 117, note H. GAUDEMET-TALLON).

La décision rendue sur le recours ne peut faire l'objet, en Belgique, que d'un pourvoi
en cassation (art. 44 du règl., art. 37, § 2, de la Conv.). Le souci de limiter la remise en
cause du jugement étranger explique une interprétation étroite des conditions de ce
recours. La notion de décision s'entend dans un sens restrictif. Il s'agit de celle qui
« statue sur le bien-fondé du recours formé contre la décision accordant l'autorisation
d'exécution» (C.J.C.E., aff C-183/90, 4 octobre 1991, Van Dalfsen, précité).
1111Ces termes restrictifs excluent la décision accordant des mesures conservatoires en vertu de
l'article 47 du règlement ou de l'article 39 de la Convention (C.J.C.E., arrêt Brennero, précité), ou la
décision relative au sursis à statuer (C.J.C.E., aff. C-432/93, 11 août 1995, SJSRO, Rec., 1995, 1-2269,
Revue, 1996, 344, note H. GAUDEMET-TALLON) ou à la constitution d'une garantie, prise en vertu de
l'article 46 du règlement ou de l'article 38 de la Convention, même lorsqu'elle fait formellement
partie de la décision sur le bien-fondé (arrêt Van Dalfsen, précité).
Comme le recours contre la décision autorisant l'exécution, ce recours n'est pas ouvert au tiers
1111

(C.].C.E. aff. C-172/91, 21 avril 1993, Volker Sonntag, Rec., 1993, 1-1963, Rev. dr. comm. belge, 1993,
1105, Revue, 1994, 96, note H. GAUDEMET-TALLON).
1111 La juridiction suprême saisie du recours ne peut, lorsqu'elle est compétente au fond selon le
droit national (Royaume-Uni), surseoir à statuer et ordonner la constitution d'une garantie au sens
de l'article 46 du règlement ou de l'article 38 de la Convention (arrêt SISRO précité).

10.32 - Recours contre le refus d'exécution - La Convention n'organise qu'un degré de


juridiction en cas de rejet de la demande de déclaration de la force exécutoire. L'ordon-
nance de rejet peut être directement déférée à la cour d'appel, dont la décision ne peut
446 RÈGLES GÉNÉRALES SUR L'EFFICACITÉ DES DÉCISIONS JUDICIAIRES ET DES ACTES PUBLICS ÉTRANGERS

faire l'objet que d'un pourvoi en cassation (art. 41). Le règlement a supprimé cette parti-
cularité (art. 43), cette ordonnance étant soumise aux mêmes voies de recours que celle
qui autorise l'exécution.
Le juge saisi du recours veille avec un soin particulier aux intérêts du défendeur,
puisque, lorsque celui-ci est défaillant, il doit vérifier la loyauté de l'assignation devant le
juge d'origine conformément aux dispositions de l'article 26 du règlement ou de
l'article 20 de la Convention, même lorsque le défendeur n'est pas domicilié dans un État
membre (art. 43, § 4, du règl., art. 40, § 2, de la Conv.).
L'obligation pour le juge d'appeler le défendeur à comparaître est absolue, et vaut
également lorsque le rejet de l'exécution se fonde sur la violation par le demandeur d'une
règle procédurale, comme la production de documents, ou lorsque le défendeur n'est pas
domicilié dans l'État d'exécution, ce qui peut accroître le risque de voir celui-ci soustraire
ses biens saisissables à la mesure d'exécution (C.J.C.E., aff. 178/83, 12 juillet 1984, P. c. K.,
Rec., 1984, 3033, Revue, 1985, 566, note P. LAGARDE, Clunet, 1985, 178, note A. HuET).

10.33 - La force exécutoire partielle - La mise à exécution peut n'être autorisée que
pour certains chefs de la demande, l'alinéa 2 prévoyant en outre que « le requérant peut
demander une exécution partielle» (art. 48 du règl., art. 42 de la Conv.).
Bien qu'aucune disposition ne précise pour quelle raison la juridiction saisie du
recours doit, selon le cas, le rejeter ou y faire droit, il va de soi que ce ne peut être qu'en
fonction de l'appréciation des seuls motifs admis par les articles 34 et 35 du règlement
ou 27 et 28 de la Convention (voy. supra, n° 5 10.19 et s.).
10.34 - Mise à exécution de la décision qui autorise l'exécution - Il convient de distin-
guer la procédure tendant à l'apposition de la formule exécutoire, de celle qui poursuit
ensuite la mise à exécution proprement dite. Tandis que la première relève du règlement
ou de la Convention, la seconde dépend du droit national (C.J.C.E., aff. 145/86, 4 février
1988, Hoffmann c. Krieg, Rec., 1988, 645, Revue, 1988, 598, note H. GAUDEMET-TALLON).
l!!lSur la possibilité d'octroyer un cantonnement conformément aux dispositions du Code judi-
ciaire après que la décision étrangère exécutoire par provision a fait l'objet, en Belgique, d'une auto-
risation d'exécution, voy.: Bruxelles, 8 février 2000,].T. (2000), 426; Civ. Gand, 18 mars 2002, R.W
(2002-2003), 30.
L'application du droit national ne peut pour autant priver d'effet utile le système
mis en place. Ainsi, le juge saisi d'un recours contre une mesure d'exécution doit soulever
d'office le moyen tiré de la violation du délai impératif prévu à l'article 43 du règlement
ou à l'article 36 de la Convention, et conclure à l'irrecevabilité du recours que le défen-
deur à l'exécution aurait pu intr~duire contre la décision du juge requis accordant la
force exécutoire (C.J.C.E., arrêt Hoffmann, précité). Toutefois, il en irait autrement si l'irre-
cevabilité obligeait le juge à ignorer un jugement national inconciliable prononcé aupa-
ravant (même arrêt).
l!!l Dans l'affaire Hoffmann, la Cour de cassation des Pays-Bas était saisie d'un conflit entre la déci-
sion néerlandaise ayant accordé la force exécutoire à un jugement étranger attribuant des aliments
entre époux, et un jugement néerlandais ayant prononcé le divorce des parties.
La Cour considère aussi plus généralement que la décision qui a reçu la force exécu-
toire peut ne pas être exécutée en raison d'une impossibilité tirée du droit national
« pour des raisons qui échappent au domaine d'application» du règlement ou de la Con-
vention.
EFFICACITÉ DES DÉCISIONS JUDICIAIRES 447

§2 LES AUTRES INSTRUMENTS INTERNATIONAUX

A. Classification des traités internationaux


en vigueur en Belgique
10.35 - Classification en fonction des matières couvertes - Les conventions multilaté-
rales et les traités bilatéraux énumérés dans la liste des sources (supra, n ° 8.3 7) doivent
être classés d'après l'étendue des matières qu'ils règlent respectivement.
1111 Pour une analyse détaillée de ces instruments, voy. P. JENARD et M. WESER (précités n ° 8.1).
(1) Les conventions avec la France et les Pays-Bas sont les plus complètes: elles
règlent la reconnaissance et l'exécution des décisions judiciaires et des sentences arbitra-
les ainsi que la mise à exécution des actes authentiques, mais elles contiennent en outre
des règles de compétence directe déjà commentées (voy. supra, n°s 9.43).
En outre, la Convention avec l'Autriche du 16 juillet 1969 concernant la faillite est la
seule convention intéressant une matière particulière et réglementant à la fois l'efficacité
des décisions et la compétence directe.
(2) D'autres conventions ont un objet plus limité :
(a) La procédure simplifiée d'exequatur prévue par les Conventions de La Haye sur la
procédure civile vise seulement« les condamnations aux frais et dépens».
(b) La Convention de New York du 20 juin 1956 et la Convention de La Haye du
15 avril 1958, la Convention avec l'Autriche du 25 octobre 1957 et la Convention avec la
Yougoslavie du 12 décembre 1973 limitent leur objet aux obligations alimentaires. La
Convention avec la Roumanie du 6 novembre 1980 porte sur le divorce.
1111 En application de la Convention conclue avec la Roumanie en matière de divorce, le législateur
a, dans la loi d'assentiment, institué une procédure particulière tendant à régler le contentieux de
la reconnaissance. La demande est introduite par voie de requête auprès du tribunal de première
instance de la résidence du demandeur ou, à défaut, de Bruxelles, et obéit à la procédure prévue par
les articles 1025 à 1034 du Code judiciaire.
La Convention ne couvre que la partie de la décision relative à la dissolution du lien conjugal. Aussi
une demande tendant à obtenir l'exécution forcée d'une condamnation aux aliments ou relative à
la garde devrait-elle obéir à la procédure, distincte, du droit commun. La loi d'assentiment trahit
les liens existant entre reconnaissance et force exécutoire en déclarant maladroitement que les déci-
sions sont reconnues « après avoir été revêtues de la formule exécutoire », alors que la Convention
paraît consacrer le principe de la reconnaissance de plein droit.
La Convention (art. 7) confirme utilement que la simple transcription du jugement de divorce dans
les registres de l'état civil ne présuppose pas l'exequatur. Sur cette question, voy. infra, n°s 10.46 et
12.22.
(c) La Convention européenne du 20 mai 1980 limite son objet à la garde des
enfants, mais couvre à la fois l'efficacité des jugements étrangers et un mécanisme de coo-
pération facilitant le rapatriement.
Ill La loi d'assentiment de la Convention organisait une procédure unilatérale d'exequatur, qui se
référait aux articles 1025 à 1034 du Code judiciaire, et désignait le tribunal de première instance du
lieu de la résidence de l'enfant. La loi du 10 août 1998 (Monit., 24 avril 1999) a modifié la procédure
en renvoyant désormais aux articles l034bis à l034quinquies (procédure de la requête contradic-
toire).
(d) La Convention de La Haye du 29 mai 1993 sur la protection des enfants et la coo-
pération en matière d'adoption internationale prévoit une reconnaissance de plein droit
448 RÈGLES GÉNÉRALES SUR L'EFFICACITÉ DES DÉCISIONS JUDICIAIRES ET DES ACTES PUBLICS ÉTRANGERS

des décisions judiciaires, sur présentation d'un certificat délivré par les autorités d'ori-
gine.
1111 La loi du 24 avril 2003 réformant l'adoption (Monit., 16 mai 2003) entend adapter le droit belge
à l'entrée en vigueur de la Convention (qui suppose une loi distincte d'assentiment) en organisant
une reconnaissance administrative, par l'autorité centrale fédérale (voy. infra, n° 12.140).

(d) La Convention avec la Grande-Bretagne s'est bornée à la reconnaissance et à


l'exécution réciproques des seules décisions judiciaires.
(e) À cet objet s'ajoute, dans la convention avec la Suisse, la reconnaissance et l'exé-
cution des sentences arbitrales.
(f) Les Conventions avec l'Allemagne fédérale, avec la Suisse et avec l'Italie, ainsi que
la Convention belgo-autrichienne du 16 juin 1959 sont plus complètes encore,
puisqu'elles s'étendent à l'exequatur des actes authentiques. Elles ne se distinguent des
conventions avec la France et avec les Pays-Bas que par l'absence de règles de compétence
directe.
Ill La loi d'assentiment de la convention belgo-allemande contient une disposition particulière
(art. 2) relative aux recours pouvant être dirigés contre la décision d'exequatur.

B. Traités bilatéraux avec la France, les Pays-Bas,


la Grande-Bretagne et l'Italie
10.36 - Analogie avec le droit commun - Dans les matières auxquelles ils continuent à
s'appliquer depuis l'entrée en vigueur de la Convention de Bruxelles, puis de divers actes
communautaires, ces quatre instruments internationaux subordonnent l'exécution for-
cée et la reconnaissance des décisions étrangères à des conditions de fond dont l'énoncé
s'inspire de l'article 10 de la loi du 25 mars 1876 (devenu l'article 570 du Code judiciaire)
et qui, si elles diffèrent légèrement d'une convention à l'autre (les deux plus anciennes
étant les plus proches de leur modèle commun), sont identiques pour les deux
effets réglementés. Alors que l'exécution forcée est subordonnée à la procédure d'exe-
quatur, la reconnaissance a lieu de plein droit, la personne privée ou l'autorité devant
laquelle la décision est produite vérifiant si celle-ci remplit les conditions prévues par le
traité.
111 Pour une appréciation stricte de l'ordre public selon la convention belgo-italienne, dans un rai-
sonnement original tendant à évaluer les chances de reconnaissance d'un jugement hypothétique
qui, en Italie, devait être rendu aux termes d'un contrat passé entre époux pour faire prononcer la
nullité d'un mariage canonique par un tribunal ecclésiastique, voy. : Bruxelles, 11 mai 1994, Rev.
trim. dr.fam. (1996), 25, noteJ.-L. VAN BoxsTAEL.
1111 Pour une appréciation du critère du temps raisonnablement utile pour assurer sa défense, et du
critère des décisions inconciliables, que prévoit la convention belgo-britannique, voy. : Liège,
25 mai 1993,J. T. (1994), 88.
1111Pour une appréciation de l'étendue de l'autorité de la chose jugée d'une décision italienne de
référé opposée à une procédure de divorce en cours en Belgique, voy. : Bruxelles, 3 février 1998, Rev.
Divorce (2000), SS.

Tant pour la mise à exécution que pour la reconnaissance, la révision au fond est
exclue.
Ces conventions comportent des règles de compétence indirecte.
EFFICACITÉ DES DÉCISIONS JUDICIAIRES 449

1111Pour un cas de refus de reconnaissance fondé sur le critère de la nationalité du demandeur, à


propos d'un jugement français couvert par la Convention franco-belge du 8 juillet 1899, voy. : C.
trav. Mons, 15 mai 1991, Rev. trim. dr.fam. (1991), 317, note C. DEBROUX. En matière de faillite, voy.:
Civ. Anvers, 24 janvier 1994, R W. (1994-1995), 130.
La procédure d'exequatur est celle du droit commun (voy. infra) n° 10.40).

C. Traités bilatéraux avec l'Allemagne, l'Autriche et la Suisse


10.37 - Régimes distincts pour la reconnaissance et la force exécutoire - Les conven-
tions visées ici se caractérisent par la différence qu'elles établissent entre les conditions de
fond de l'exequatur et les exigences, moins rigoureuses, de la simple reconnaissance.
Cette distinction est critiquable (voy. supra, n° 10.10; JT, 1961, 207; Rapport ]ENARD,
chap. V, art. 30).
Pour le surplus, ces conventions distinguent comme les précédentes la reconnais-
sance, qui a lieu de plein droit, et la mise à exécution, subordonnée à la procédure d'exe-
quatur.
La Convention avec l'Allemagne contient une disposition (art. 2, § 2) qui a inspiré
l'article 27, 4°, de la Convention de Bruxelles (voy. supra, n° 10.24). Elle permet au juge
requis, en certaines matières, de contrôler la loi appliquée par le juge d'origine.
Une disposition de ce type figure aussi dans la convention conclue avec la Roumanie
en matière de divorce (art. 4).

§3 ÜROIT COMMUN

A. Force exécutoire et reconnaissance


10.38 - Présentation - L'entrée en vigueur du Code de droit international privé apporte
de sensibles innovations dans le régime de la reconnaissance des décisions étrangères.
La modification la plus notable consiste dans la généralisation de la reconnaissance
de plein droit, ce qui se traduit par la suppresion de la nécessité d'une procédure préala-
ble et par son corollaire, la suppression d'une révision au fond.
De plus, la procédure même est profondément modifiée, puisque le Code, s'inspi-
rant des actes« Bruxelles I », introduit la requête unilatérale.
Quelques décisions anciennes ont, soit par la théorie du contrat judiciaire, soit par l'attribution
1111

d'un effet de fait au jugement étranger, essayé de reconnaître à celui-ci une certaine autorité sur le
dénouement du litige soumis à une juridiction belge même en l'absence d'exequatur (voy. ].T,
1960, 287).
Précédemment, le régime était organisé par l'article 570 du Code judiciaire, qui, sous le couvert
1111

d'un règle attributive de compétence au tribunal de première instance à propos d'une « demande
d'exequatur», établissait la liste des motifs de refus pouvant être opposés à la décision.
Le texte reprenait, avec quelques améliorations rédactionnelles, celui de l'article 10 de la loi du
25 mars 1876.
Pour plus de détails sur la jurisprudence relative à l'application de l'article 570, voy. notamment la
chronique de H. BoRN et M. FALLON (précités n° 8.1).
Pour le reste, le Code confirme la distinction de principe entre questions de procé-
dure et motifs de refus opposables au jugement étranger.
450 RÈGLES GÉNÉRALES SUR L'EFFICACITÉ DES DÉCISIONS JUDICIAIRES ET DES ACTES PUBLICS ÉTRANGERS

Les dispositions nouvelles régissent toute demande concernant des jugements ren-
dus après le ier octobre 2004 (art. 126, § 2, Codip). Toutefois, la solution du conflit tran-
sitoire connaît un assouplissement, en faveur de la décision à reconnaître : si celle-ci a été
rendue antérieurement, elle peut également être reconnue si elle « satisfait aux
conditions» du Code (al. 2), mais elle ne sera en aucun cas soumise aux conditions plus
strictes de celui-ci.
11!!En général, les motifs de refus du Code ne s'écartent guère des motifs connus précédemment,
hormis pour la révision au fond. Toutefois, le Code se montre plus strict pour les actes de répudia-
tion (voy. infra, n ° 12.95).

11!!Les «conditions» évoquées par le texte s'entendent logiquement des motifs de refus, non des
conditions de procédure. Pour celles-ci, il y a lieu de se référer à la règle de conflit transiroire régis-
sant« la compétence internationale» (art. 126, § 1er, Codip). Toute autre interprétation signifierait
que, le cas échéant plusieurs années après l'entrée en vigueur du Code, toute demande de recon-
naissance ou de déclaration de la force exécutoire doive encore être introduite selon des disposi-
tions qui n'auront plus cours pour les demandes concernant plus généralement des jugements
étrangers.

1. MOTIFS DE REFUS

10.39 - Énonciation des motifs - Le Code de droit international privé établit (art. 25,
§ 1er) une liste de motifs de refus sensiblement plus longue que l'ancien article 570 du
Code judiciaire. Hormis la question de la révision au fond, les modifications sont d'ordre
formel, le Code visant à identifier certains motifs auparavant englobés sous le concept
ouvert d'ordre public.
Il! D'autres motifs de refus sont propres à certaines matières et sont analysés, à ce titre, dans les
chapitres particuliers.

La décision étrangère fait l'objet des contrôles cumulatifs suivants :


(1) respect de l'ordre public (1 °), ainsi que contrôle de la fraude à la loi (3°) et de
l'inconciliabilité des décisions (5° et 6°);
Pour une conception restrictive de l'ordre public, voy.: Cass., 10 mai 1990, Rev. dr. étr. (1990),
illl
260, cassant Mons, 16 décembre 1987, Pas. (1988), II, 70, Rev. rég. dr. (1988), 103, note M. FALLON.
La jurisprudence a utilisé la notion d'ordre public « atténué» développée en matière de conflits de
lois (voy. supra, n° 7.52). Voy. spécialement, à propos de l'opposabilité d'un acte de répudiation aux
fins de l'octroi du droit à une pension : Cass. 29 avril 2002, R. W (2002-2003), 862, note J. ERAuw,
Rev. trim. dr. fam. (2003), 94, note J.-Y. CARLIER. Le texte légal reprend désormais les critères de la gra-
vité de l'effet invoqué et de l'intensité du rattachement également présents dans l'article 21.
Pour une référence aux principes essentiels, tels que fixés dans la Constitution et dans la Conven-
tion européenne de sauvegarde des droits de l'homme, comme l'interdiction de toute discrimina-
tion raciale, voy.: Bruxelles, 6 décembre 2000, J. T (2001), 572, note B. HANOTIAU. L'ordre public
comprend également les règles fondamentales du marché intérieur européen, comme l'interdiction
d'ententes et d'abus de position dominante des articles 81 CE et 82 CE: C.J.C.E., aff. C-126/97,
29 avril 1999, Eco Swiss China Time, Rec. (1999), I-3055, Clunet (2000), 299, note S. PüILLOT-RERUZ-
ZETTO.

La jurisprudence belge a invoqué l'exception d'ordre public contre une décision étrangère
Ill!
inconciliable avec une décision belge (voy. Cass., 4 novembre 1909, Pas., 1909, I, 429). Ce motif est
désormais distinct (point 5°), comme il l'est aussi dans le règlement « Bruxelles I » (voy. supra,
n° 10.24).
Pour le conflit de procédures, voy. infra, n ° 10.44, à propos de la reconnaissance de plein droit.
EFFICACITÉ DES DÉCISIONS JUDICIAIRES 451

Pour un contrôle de la fraude à la loi sous le couvert de l'ordre public, lorsque les parties ont
1111

cherché à obtenir à l'étranger ce qu'elles n'auraient pu obtenir en Belgique, voy. : Civ. Bruxelles,
24 mai 1988, Rev. trim. dr. fam. (1990), 382; 18 novembre 2003,]. T. (2004), 893.
Le Code ne sanctionne la fraude à la loi que si deux conditions sont remplies, à savoir que la
matière est de celles où les parties ne disposent pas librement de leurs droits et que « le seul but»
en cherchant à obtenir le jugement étranger était d'échapper à l'application du droit - belge ou
étranger - désigné par la règle belge de rattachement.

(2) respect des droits de la défense (2 °);


Le respect de ces droits s'apprécie au regard du droit belge, non du droit du pays d'origine:
1111

Cass., 15 janvier 1995, Consarc Corp., Pas. (1995), I, 15, faisant reproche au juge américain d'avoir
donné à croire, à propos d'un litige entre une société américaine et un démembrement de l'État ira-
kien, que« la guerre du Golfe s'est poursuivie devant sa juridiction ». Pour un cas de refus de recon-
naissance pour le motif que le juge étranger a négligé d'entendre un témoin important, voy.:
Bruxelles, 2 février 1995,]. T. (1995), 769.

1111L'importance de ce motif, que le législateur a eu le souci de particulariser au regard de l'ordre


public, ne peut être négligée (Bruxelles, 6 juin 1979,]. T., 1980, 7). Le contrôle vise principalement à
vérifier si le défendeur a été mis en mesure de faire valoir utilement ses moyens. Voy. par exemple:
Liège, 26 juin 1985,Jur. Liège (1985), 474; 5 décembre 1988, Rev. trim. dr. fam. (1989), 481, note M.
FALLON.

Ce contrôle inclut a fortiori celui de la régularité de la communication de l'acte introductif d'ins-


1111

tance, cette régularité devant s'apprécier au regard du droit étranger (art. 24, § 1er, 2 °).
En cas de défaut devant le juge étranger, le demandeur doit produire« l'original ou une copie certi-
fiée conforme du document établissant que l'acte introductif d'instance ou un acte équivalent a été
signifié ou notifié à la partie défaillante» (/oc. cit.). Le juge belge peut toutefois accepter un docu-
ment équivalent, voire en dispenser(§ 3).
En cas de défaut, la circonstance que le défendeur a introduit un recours dans le pays d'origine en
dehors des délais légaux ne suffit pas à constater une violation des droits de la défense (Civ. Bruxel-
les, 13 ocrobre 2004, Rev. gén. dr. civ., 2005, 125).

IllDe nombreuses décisions concernant les droits de la défense intéressent des cas de répudiation
(voy. infra, n ° 12.95).

(3) contrôle de la compétence indirecte (7° et 8 °);


Ill Ce contrôle intéresse deux contextes.
D'abord, il permet d'assurer l'effectivité de l'attribution d'une compétence directe exclusive aux
juridictions belges en certaines matières (sur la compétence internationale exclusive, voy. supra,
n ° 9.7). Cela permet, par exemple, de refuser de reconnaître un divorce prononcé par une aurorité
diplomatique étrangère en Belgique (voy. infra, n° 12.87). Comp. aussi dans ce sens, le refus de
reconnaître une anti-suit injunction: Civ. Bruxelles (réf.), 18 décembre 1989, R. W. (1990-1991), 676.
En France, en faveur de la reconnaissance d'une mareva injunction, de nature extraterriroriale, pour
non-contrariété à l'ordre public, voy.: Cass. civ., 30 juin 2004, Revue (2004), 815, note H. Mum
WATT.

Ensuite, il sanctionne certains fors exorbitants (sur cette notion, voy. supra, n ° 9.25), à savoir la
compétence fondée sur la seule présence d'une personne ou d'un bien sans aucun rapport avec le
litige devant le juge étranger.

Il Précédemment, l'article 570 du Code judiciaire exigeait que le juge étranger ne fût pas compé-
tent seulement en raison de la nationalité du demandeur : ce critère sanctionnait le privilège de
nationalité de l'article 14 du Code Napoléon.
Pour un contrôle plus étendu, fondé sur la notion de « juge naturel», voy. : Civ. Anvers, 11 juin
2001, R.A.B.G. (2004), 494, note K. DE LAET, sanctionnant un divorce touristique en Tunisie, pays
de la nationalité d'origine des époux alors que ceux-ci résidaient en Belgique et que la femme avait
acquis la nationalité belge. Selon le Code, il convient plutôt de contrôler la fraude à la loi.
452 RÈGLES GÉNÉRALES SUR L'EFFICACITÉ DES DÉCISIONS JUDICIAIRES ET DES ACTES PUBLICS ÉTRANGERS

(4) vérification du caractère définitif de la décision étrangère (4 °) ;


Ill!L'article 570 du Code judiciaire exigeait que la décision fût passée en force de chose jugée. Le
texte actuel se réfère à une décision qui ne puisse plus faire l'objet d'un recours ordinaire, selon une
terminologie reprise des textes communauraires. La vérification de cette condition a lieu selon le
droit étranger.

1111 Toutefois, lorsque cette condition n'est pas remplie, le juge belge peur ordonner des mesures
d'exécution provisoires, qu'il peur subordonner à la constitution d'une garantie (art. 23, § 4). Cette
possibilité est inspirée des textes communauraires.
Précédemment, dans le sens d'une interprétation large de la condition du caractère définitif de
manière à se satisfaire d'une décision exécutoire par provision, voy.: Bruxelles, 19 septembre 2001,
R.W. (2003-2004), 27.

L'invocation de la force exécutoire exige la preuve que, selon le droit étranger, la décision est exé-
1111

cutoire et a été signifiée ou notifiée (art. 24, § 1er, 3°).

(5) vérification de l'authenticité de l'expédition (art. 24).


Voy. par exemple: Civ. Nivelles, 25 juin 1991, Rev. trim. dr. Jam. (1991), 378, note M. FALLON,
111!
ordonnant la réouverture des débats après dépôt d'une simple traduction de l'expédition.

La reconnaissance et la force exécutoire présupposent ainsi la force probante externe de la déci-


1111

sion. En particulier, il y a lieu d'être attentif à la nécessité d'obtenir normalement la légalisation du


document produit (voy. infra, n ° 10.4 7).

Le juge belge doit exiger la production de la pièce, mais il peut aussi accepter un document équi-
1111

valent, voire en dispenser « s'il s'estime suffisamment éclairé» (art. 24, § 2). Cette disposition est
inspirée des textes communautaires.

La« révision au fond» ne figure plus parmi les motifs de refus (art. 25, § 2).
1111 La révision au fond (voy. supra, n° 10.13), que, depuis l'arrêt Munzer (Cass. civ., 7 janvier 1964,
Revue, 1964, 344), la jurisprudence française a supprimée en toute matière, avait suscité de la part
de la doctrine belge des critiques dont le commissaire royal Van Reepinghen a fait état dans son
rapport (Rapport sur la réforme judiciaire, t. rer, 209). C'est en connaissance de cause que cette exigence
archaïque, consacrée par la Cour de cassation dans son arrêt du 19 juillet 1849, Chabot c. Verheyden,
Pas. ( 1849), I, 358, fut maintenue dans l'article 570 du Code judiciaire.
Sur un contrôle en droit et en fait d'une décision étrangère au regard de l'effet de l'embargo décrété
sur la Yougoslavie aux fins d'exécution d'un contrat, voy.: Bruxelles, 19 septembre 2001, R W.
(2003-2004), 27.

Cette condition fut supprimée par la jurisprudence en matière d'état, ensemble avec la recon-
1111

naissance de plein droit (voy. infra, n° 10.41), mais confirmée en d'autres matières: Cass., 23 janvier
1981, Lupo c. Castilla, Pas. (1981) I, 547; contra: Bruxelles, 10 mars 1993,J.T (1994), 787, note J.
VERHOEVEN.

1111La notion couvre la vérification de toute erreur en droit ou en fait (Bruxelles, 2 février 1995,J. T.,
1995, 769). Elle est plus large que le contrôle limité à la loi appliquée au fond. Cette forme-ci de
contrôle atténué est toujours admise en France (BATIFFOL et LAGARDE, n° 726, et récemment: Cass.
civ., 25 février 1986, Shafa, Revue, 1987, 103, note F. MONÉGER). En Belgique, camp. en ce sens déjà:
Cass., 4 octobre 1956, Pas. (1957), I, 88, contre une décision ayant, au moins en certaines matières,
écarté l'application du droit belge alors que ce droit était compétent en vertu de ses propres règles
de conflit de lois.
Sur cette double signification de la révision au fond, voy. la jurisprudence de la Cour de justice,
citée supra, n ° 10.13. Voy. aussi: Civ. Bruxelles, 9 juin 1999,]. T (2000), 189.

1111Exceptionnellement, le Code maintient une forme de révision au fond en matière de nom


(art. 39), ainsi que lors du contrôle de la fraude à la loi.
EFFICACITÉ DES DÉCISIONS JUDICIAIRES 453

Il. PROCÉDURE EN VUE DE LA RECONNAISSANCE OU DE LA FORCE EXÉCUTOIRE

10.40 - Procédure en deux phases - L'entrée en vigueur du Code de droit international


privé s'est accompagnée d'une modification notable de la procédure à suivre pour obte-
nir la reconnaissance ou la force exécutoire d'une décision étrangère. À cet égard, le Code
s'est inspiré de la procédure mise en place par la Convention de Bruxelles.
1111Précédemment, le législateur n'avait pas prévu de procédure particulière. En toute matière et
« quelle que soit la valeur du litige », la demande était soumise au tribunal de première instance
(art. 570 C. jud.). La disposition a été maintenue dans le Code judiciaire, sous la seule portée d'une
règle de compétence d'attribution.
La compétence est attribuée au tribunal de première instance (art. 23, § 1er, Codip,
art. 570 C. jud.). La procédure est unilatérale dans une première phase, par renvoi aux
articles 1025 à 1034 du Code judiciaire(§ 3).
L'organisation de mesures provisoires est possible au cours de la première phase
lorsque la décision étrangère n'est pas définitive, ou durant le délai prévu pour un
recours contre la décision autorisant l'exécution et jusqu'à ce qu'il ait été statué sur celui-
ci (§ 4 et § 5).
Le texte énonce aussi les pièces qui doivent être jointes à la requête (art. 24).
L'action ne doit pas être portée contre l'ensemble des ayants droit (Cass., 2 mars
2000, R W, 2000-2001, 342).
Le tribunal examine normalement d'office les conditions de fond énoncées par le
législateur (Cass., 23 janvier 1981, Lupo, Pas., 1981, I, 547, évoquant une obligation pour
le juge).
1111 Pourtant, certains motifs de refus intéressent spécialement la protection du défendeur devant le
juge d'origine, comme le respect des droits de la défense ou le contrôle de la compétence indirecte.
Lorsque le défendeur devant le juge d'origine introduit une demande d'exequatur, on peut considé-
rer qu'il a renoncé à cette protection. En revanche, il paraît imprudent de présumer celle-ci dans le
chef de cette partie qui est aussi défenderesse à l'exequatur, dans la mesure où son silence ne signi-
fie pas nécessairement renonciation.
La renonciation à une protection peut également résulter de l'attitude des parties devant le juge
d'origine. Ainsi, le demandeur devant le juge d'origine doit être considéré comme irrecevable à
invoquer devant le juge requis l'incompétence du tribunal qu'il a lui-même saisi (Bruxelles,
8 novembre 1984,].T., 1985, 318). Il en irait de même du défendeur devant le juge d'origine qui ne
se serait pas opposé à cette compétence alors qu'il a été mis en mesure de le faire.
Camp., en France: Cass. civ., 19 janvier 1983, Revue (1984), 492, note P. MAYER; 29 mars 1989, Clu-
net (1989), 1014, note C. KESSEDJJAN. M. EKELMANS (note sous C.].C.E., aff. 49/84, 11 juin 1985,].T.,
1986, 158) parle plus généralement d'une« obligation de loyauté» à charge des parties au procès.

10.41 - Reconnaissance de plein droit- La décision étrangère bénéfice de l'autorité de


la chose jugée en Belgique sans qu'il faille recourir à la procédure en deux phases qu'éta-
blit le Code de droit international privé (art. 22, § 1er, al. 2). Il en va ainsi en toutes matiè-
res, à l'exception de l'adoption (voy. le chap. 12).
Cette innovation s'inspire des textes communautaires. Elle élargit également la solu-
tion que la jurisprudence belge avait consacrée en matière d'état et de capacité, et en
matière de faillite.
Ill Les principaux arrêts de la Cour de cassation, relatifs aux décisions étrangères en matière d'état
et de capacité des personnes, sont, jusqu'à l'arrêt de principe de 1973 qui a fixé la jurisprudence:
29 mars 1973, Defontaine c. Lemage, Pas. (1973), I, 735, Rev. crit. jur. belge (1975), 539, note
P. GoTHOT: 6 août 1852, de Terwangne c. Heurtey, Pas. (1853), I, 146; 19 janvier 1882, de Bauffremont,
454 RÈGLES GÉNÉRALES SUR L'EFFICACITÉ DES DÉCISIONS JUDICIAIRES ET DES ACTES PUBLICS ÉTRANGERS

Pas. (1882), I, 36; 25 juin 1903, Ctesse de Mercy-Argenteau c. Duchesse d'Avaray, Pas. (1903), I, 317;
16 janvier 1953, De Pellaertc. Breydel, Pas. (1953), I, 335, Revue (1953), 810, note FRANCESCAKIS, concl.
de M. HAYOIT DE TERMICOURT, publiées in Arr. Cass. (1953), 304; 4 octobre 1956, Clossetc. Declercque,
Pas. (1957), I, 88, Rev. crit. jur. belge (1957), 23, note VAN HECKE, Revue (1957), 478, note VANDER ELST;
11 octobre 1957, Franck c. Dupont, Pas. (1958), I, 122.

1111 Sur les questions soulevées par cette jurisprudence, voy. l'édition précédente de cet ouvrage,
n'" 859 et s.

10.42 - Action en (in)opposabilité - Le Code admet la recevabilité d'une demande ten-


dant au refus de la reconnaissance ou de la force exécutoire, ou encore tendant à la recon-
naissance même lorsque la partie qui l'invoque ne réclame aucune exécution forcée
immédiate (arc. 22, § 2). Cette action présente un intérêt chaque fois que le bénéficiaire
de la décision ou la partie adverse veut assurer la régularité du jugement étranger.
1111 L'action en opposabilité ou en inopposabilité est admise en France: BATIFFOL et LAGARDE,
n° 736, et les références citées, notamment: Cass. civ., 3 janvier 1980, Garino, Revue (1980), 597,
note D. HOLLEAUX, Clunet (1980), 341, note A. HUET; 19 décembre 1995, BCCI, Revue (1996), 714,
note H. GAUDEMET-TALLON; P. MAYER et V. HEUZÉ, n° 407.

IllEn Belgique, la jurisprudence a pu admettre une telle action. Voy. : Bruxelles, 10 septembre
1987, Ann. Liège (1988), 125; Civ. Bruxelles, 26 juin 1986, Rev. trim. dr. fam. (1986), 403; Civ. Mali-
nes, 30 avril 1987, R.W. (1988-1989), 757; Civ. Bruxelles, 3 mars 1992,}.L.M.B. (1992), 1387; contra:
Civ. Arlon, 9 janvier 1987, Rev. gén. dr. civ. (1987), 77.
Pour un cas d'action en opposabilité d'une répudiation, introduite par l'épouse, contre l'officier de
l'état civil qui refusait de transcrire, voy.: Civ. Bruxelles, 7 janvier 1998, Pas. (1998), III, 1, surséant
toutefois à statuer pour appeler le mari à la cause. Pourtant, l'action en exequatur n'exige pas
d'appeler à la cause tous les ayants droit: Cass., 2 mars 2000, R.W (2000-2001), 342.

Ill Par exemple, en raison de la précarité de l'autorité qui s'attache à une décision étrangère ayant
homologué une adoption, le ou les adoptants ou !'adopté ont certainement un intérêt à introduire
une demande en reconnaissance de cette décision devant le tribunal de première instance.
Ou encore, la personne qui veut se remarier peut poursuivre contre son ex-conjoint l'exequatur de
la décision de divorce ou introduire une action tendant à faire condamner l'officier de l'état civil à
célébrer le second mariage.

1111 Pour l'action en inopposabilité, voy., dans la jurisprudence française: Cass. civ., 22 janvier 1951,
Weiller, Revue (1951), 167, note FRANCESCAKIS; 10 février 1971, Bielski, Revue (1972), 123.

Pareille action est recevable quand elle est exercée par une personne dont le statut
est en cause, ainsi que par le ministère public en matière d'état et de capacité.
Il Voy. par exemple: Civ. Bruxelles, 17 octobre 1989, Rev. trim. dr. fam. ( 1990), 391, note M. FALLON.

Le procureur du Roi ne trouve dans l'article 184 du Code civil que le pouvoir de poursuivre la
Ill!
nullité du second mariage, vicié par la bigamie si le divorce étranger ne doit pas être reconnu. C'est
par erreur que le tribunal de Bruxelles a en outre déclaré recevable et fondée l'action en nullité du
divorce étranger introduite par le ministère public : il n'y a pas de voie de nullité contre les juge-
ments étrangers (voy. supra, n° 9.17). Voy. Civ. Bruxelles, 3 mai 1972, Pas. (1974), III, 29. On trouve
la même erreur dans un jugement du tribunal de Liège (9 novembre 1966,jur. Liège, 1967-1968, 35).

Ill. EFFETS DE LA DÉCISION ACCORDANT L'EXEQUATUR

10.43 - Caractère déclaratoire de l'exequatur - Après qu'elle a reçu l'exequatur, la déci-


sion étrangère produit tous ses effets en Belgique. En matière civile et commerciale, cette
décision est assimilée à une décision belge. Toutefois, le tribunal peut limiter l'exequatur
à une partie du dispositif.
EFFICACITÉ DES DÉCISIONS JUDICIAIRES 455

Ill Sur l'exequatur partiel, voy.: Cass., 19 janvier 1882, de Bauffremont, Pas. (1882), I, 36; Civ. Bruxel-
les, 6 mars 1970,J.T (1970), 298; Mons, 12 octobre 1999, Rev. not. belge (2001), 340, noteJ.-L. VAN
BoxSTAEL. Comp. la solution semblable de la Convention de Bruxelles (supra, n° 10.33).

Après exequatur, la décision étrangère a force obligatoire en Belgique et elle peut


notamment servir de fondement à l'exception de la chose jugée.
Ill Quand la non-exécution d'une décision judiciaire civile constitue un délit selon le droit belge, la
décision étrangère ayant reçu l'exequatur appartient aux conditions d'application de la loi pénale.
Ainsi, le délit d'abandon de famille réprimé par l'article 39lbis du Code pénal est établi quand la
condamnation au paiement d'une pension alimentaire à l'exécution de laquelle le prévenu s'est
volontairement soustrait émane d'un tribunal étranger, mais a reçu l'exequatur en Belgique
(Bruxelles, 12 octobre 1932, Rev. dr. pén., 1932, 1169).

L'autorité qui s'attache au jugement étranger est celle que confère le droit du juge
d'origine, tant pour son objet que pour son étendue, sans préjudice d'un contrôle au
regard de l'ordre public du pays requis.
111 Voy. à ce sujet en France, BATIFFOL et LAGARDE, n° 736-1.

En recevant le jugement étranger avec l'autorité qui y est attachée, l'exequatur lui
attribue normalement effet au jour où il bénéficie de cette autorité dans le pays d'origine.
En ce sens, la décision du juge requis« déclare» l'exequatur. Se contentant de recevoir le
jugement étranger (voy. supra, n ° 10.14), elle n'est pas constitutive de droits.
1111 La jurisprudence est rare. En France, voy. dans le sens proposé, P. MAYER et V. HEUZÉ, n° 427 ;
contra: Y. LouSSOUARN, P. BOUREL et DE VAREILLES-SOMMIÈRES, n° 504-2.

IV. EFFETS DE LA RECONNAISSANCE DE PLEIN DROIT

10.44 - Recevabilité de l'exception de chose jugée - L'admission de la reconnaissance


de plein droit a pour effet d'accorder à la décision étrangère l'autorité dont elle dispose à
l'étranger, et celle-ci prend date au jour où le droit étranger lui attribue cet effet.
1111 Sur l'effet au jour où l'autorité existe dans le pays d'origine, voy. : Civ. Nivelles, 29 juin 1995,
Rev. trim. dr.fam. (1996), 76.

Par conséquent, la décision étrangère permet de fonder une exception de chose jugée
durant une instance en cours dans le pays requis (art. 22, § 1er, al. 3, Codip). De même,
l'existence d'une procédure pendante dans ce pays ne saurait justifier l'irrecevabilité
d'une action en opposabilité du jugement étranger.
Ill! Voy. à cet égard en France, P. MAYER et V. HEUZÉ, n° 448.
Par exemple, si une procédure de divorce est en cours en Belgique et que la dissolurion du
Ill!
mariage ait été prononcée entre les mêmes parties pour la même cause à l'étranger, il n'est pas dou:
ceux que l'exception de chose jugée puisse être accueillie au cours de cette procédure (Liège, 26 juin
1985,]ur. Liège, 1985, 474). Il est indifférent que l'effet de cette décision remonte ou non à une date
antérieure à celle de l'ouverture de la procédure en Belgique (Civ. Bruxelles, 25 janvier 1989,
]LM.B., 1989, 487).
La reconnaissance peut ainsi être examinée par le juge de paix saisi d'une demande de contribu-
Ill!
tion aux charges du mariage (Civ. Bruxelles, 8 mars 1983, Rev. trim. dr. Jam., 1983, 268, note Ch.
PANIER) ou par le tribunal du travail saisi d'une demande d'allocation sociale au titre d'épouse du
travailleur (Trib. trav. Liège, 8 décembre 1982,Jur. Liège, 1983, 234).

La partie de la décision qui, à propos d'un jugement étranger, se prononce sur


l'exception de chose jugée, bénéficie de l'autorité de la chose jugée, comme élément de la
motivation inséparable du dispositif (Cass., 15 mars 1991, Chourak, Pas., 1991, I, 656, à
456 RÈGLES GÉNÉRALES SUR L'EFFICACITÉ DES DÉCISIONS JUDICIAIRES IT DES ACTES PUBLICS ÉTRANGERS

propos d'un jugement relatif à la contribution aux charges du mariage, qui s'était pro-
noncé au préalable sur l'efficacité d'un acte de répudiation).
L'admission de l'exception de chose jugée comme un corollaire de la reconnaissance
de plein droit emporte la nécessité d'admettre aussi l'exception de litispendance ou de
connexité internationale (voy. supra, n ° 9.56). En effet, en l'absence d'une telle exception,
le défendeur à l'action en Belgique est en mesure de préférer une défense à l'étranger par
l'intentement d'une action principale au lieu d'ouvrir une action reconventionnelle (Civ.
Bruxelles, 17 octobre 1989, Rev. trim. dr. fam., 1990, 391, note M. FALLON). De fait, l'admis-
sion de l'exception dès le stade de la compétence directe repose sur le souci de prévenir le
risque de décisions inconciliables au moment du débat sur l'efficacité du jugement étran-
ger (voy., à propos du règlement 44/2001, supra, n ° 9.39).
L'exception de chose jugée à l'étranger connaît un frein. Afin d'assurer le respect du
mécanisme de litispendance, le législateur a introduit, parmi les motifs de refus du juge-
ment étranger, son caractère inconciliable avec une demande encore pendante en Belgi-
que, entre les mêmes parties et sur le même objet, lorsque la demande à l'étranger a été
introduite après l'introduction de la demande en Belgique (art. 25, § 1er, 6°).
Selon l'exposé des motifs de la proposition de loi (Doc. pari., Sénat, 2003-2004, n ° 3-27/1), ce
1111

motif de refus tend à contourner la manœuvre d'une « course au jugement» et complète le motif
de refus fondé sur la priorité d'une décision belge même postérieure à la décision étrangère : il évite
un risque de blocage de la procédure belge en cours.

10.45 - Primauté d'une décision de l'État du for antérieure à la demande d'exequa-


tur - Par l'effet en quelque sorte immédiat qu'elle attache à la décision étrangère, la
reconnaissance de plein droit risque d'affecter une décision rendue en Belgique.
Si la décision étrangère est postérieure à une décision belge avec laquelle elle est
inconciliable, un refus de reconnaissance de la première est certain, motif pris d'une con-
trariété avec l'ordre public (sur ce motif de refus, voy. supra, n° 10.39).
IllVoy. par exemple, en matière de faillite: Comm. Bruxelles, 8 novembre 1989, Rev. dr. comm. belge
(1990), 854.
1111Pour une priorité de la décision étrangère alors que la décision belge en conflit n'était pas défini-
tive, voy.: Liège, 8 octobre 2002,].T (2003), 215, précisant que l'antériorité de l'ouverture de la pro-
cédure belge ne justifie pas un refus de reconnaissance.
Si la question se pose à l'occasion d'une demande de reconnaissance introduite
après le prononcé de la décision belge, alors que la décision étrangère à été rendue avant
celle-ci, le système de la reconnaissance de plein droit met en péril l'impératif de cohé-
rence de l'ordre juridique du for, inhérent au concept de l'ordre public: il paraît incohé-
rent de demander au juge belge requis de contredire un jugement belge antérieur.
1111En ce sens, BATIFFOL et LAGARDE, n° 727, et l'article 34, 3°, du règlement 44/2001, supra,
n° 10.24; contra: Civ. Bruxelles, 17 octobre 1989, Rev. trim. dr. Jam. (1990), 391, note M. FALLON;
camp. en France, Cass. civ. (1re ch.), 9 janvier 1996, Revue (1996), 719, note H. MuIR WATT, donnant
la primauté à un jugement étranger antérieur à un jugement français mais ayant obtenu l'exequa-
tur en France après ce dernier, motif pris de la date à laquelle l'exequatur confère l'autorité de la
chose jugée (sur cette date, voy. supra, n ° 10.44).
Le Code prévoit la contrariété de décisions dans la liste des motifs de refus (art. 25,
§ 1er, 5 °) : il y a refus si la décision étrangère est inconciliable avec une décision rendue en
Belgique, antérieurement ou postérieurement à la décision étrangère, ou avec une déci-
sion étrangère rendue antérieurement et pouvant être reconnue en Belgique.
EFFICACITÉ DES DÉCISIONS JUDICIAIRES 457

10.46 - Transcription de la décision étrangère - La transcri prion peut être tantôt une
formalité substantielle, tantôt une formalité administrative.

La formalité substantielle de la transcription d'un jugement étranger n'est requise


que dans la mesure prévue par le droit du juge d'origine.
1111 Ainsi, en matière de divorce, les articles 1275 à 1278 ainsi que les articles 1303 et 1304 du Code
judiciaire organisent la transcription du dispositif du jugement ou de l'arrêt, aux fins de rendre
celui-ci opposable aux tiers. Il s'agit d'une formalité qui appartient à la procédure belge et à
laquelle il n'y a pas lieu de soumettre les décisions étrangères. Pour être reconnues, celles-ci doivent
remplir les conditions auxquelles elles produisent leurs effets dans l'ordre juridique dont elles éma-
nent, ce qui inclut, le cas échéant, la transcription du dispositif ou toute formalité analogue dans le
pays d'origine du jugement.
Voy. en ce sens: Bruxelles, 2 février 1971, Pas. (1971), II, 154; C. trav. Mons, 2 juin 1995,].L.M.B.
(1996), 287.

Avec la transcription, formalité substantielle, il ne faut pas confondre celle qui cons-
titue un moyen efficace de conserver dans les registres de l'état civil tenus en Belgique un
renseignement intéressant l'état d'un Belge ou d'une personne domiciliée en Belgique.
En outre, la transcription purement administrative du divorce prononcé à l'étranger est
de nature à faciliter l'inscription d'une mention en marge de l'acte de mariage si celui-ci a
été dressé en Belgique.

Pour être transcrit, il n'est pas nécessaire que le jugement étranger ait reçu
l'exequatur: la formalité a pour seul objet l'enregistrement d'une décision étrangère qui
paraît satisfaire aux conditions requises pour être reconnue. Il serait paradoxal que l'offi-
cier de l'état civil pût - et dût - célébrer un second mariage sans exequatur ni vérifica-
tion judiciaire des conditions de la reconnaissance, alors que la simple transcription
requerrait une telle formalité.
1111 Après avoir soutenu une solution contraire dans une circulaire du 7 mars 1953 (voy. une édition
antérieure de cet ouvrage, 1979, n° 975), le ministre de la Justice s'est rallié à cette thèse par une cir-
culaire du 30 avril 1984 (Monit., 30 mai 1984), l'acceptant explicitement comme une implication du
régime de la reconnaissance de plein droit consacré par l'arrêt de la Cour de cassation du 29 mars
1973 (supra, n° 10.41). En ce sens aussi: Civ. Hasselt, 22 mars 1983, Rev. trim. dr. fam. (1984), 165,
avis conforme du ministère public; Civ. Bruxelles, 15 mars 1988, Rev. trim. dr. fam. (1990), 376;
9 juin 1999,]. T (2000), 189. Contra antérieurement: Bruxelles, 6 juin 1979,].T (1980), 7.
À propos de l'émargement prévu par l'article 49 du Code civil, voy. en ce sens: Liège, 26 juin 1985,
fur. Liège (1985), 474.

1111 La solution proposée est consacrée par le règlement « Bruxelles II» (voy. infra, n° 12.91):
« aucune procédure n'est requise pour la mise à jour des actes de l'état civil [... ] sur la base d'une
décision rendue[ ... ]» (art. 14, § 2).

IllLe Code de droit international privé consacre cette solution (art. 31, voy. infra, n ° 12.22), tout en
ajoutant que le contrôle des motifs de refus par l'autorité publique est exigé. Il prévoit la faculté
pour le dépositaire du registre de demander l'avis du ministère public sur l'appréciation des motifs
de refus, ainsi que la possibilité pour le ministre de la Justice d'établir des directives en vue d'une
application uniforme de ces motifs.

Ill La formalité du dépôt qu'organise la loi du 14 juillet 1966 (voy. infra, n° 12.23) est également
ouverte aux jugements étrangers, par exemple de divorce, et requiert la vérification des motifs de
refus qui président à la reconnaissance (Civ. Bruxelles, 9 octobre 1996, Rev. trim. dr. fam., 1997, 396).
Le Code confirme cette solution (art. 31, § 3).
458 RÈGLES GÉNÉRALES SUR L'EFFICACITÉ DES DÉCISIONS JUDICIAIRES ET DES ACTES PUBLICS ÉTRANGERS

B. Force probante et effet de fait


1. FORCE PROBANTE EXTRINSÈQUE

10.47 - Preuve de l'authenticité par la légalisation - Aucun effet ne saurait être reconnu
à un jugement étranger dont le contenu n'est pas attesté par un instrument faisant foi,
l'expédition du jugement.
Comme la seule garantie d'authenticité est la signature de l'officier public ayant
dressé et délivré cette expédition, et que cette signature est, par hypothèse, inconnue dans
le pays requis, elle fait l'objet d'une procédure appelée« légalisation».
La légalisation porte uniquement sur l'authenticité. Selon les termes de la Conven-
tion de La Haye du 5 octobre 1961, elle« n'atteste que la véracité de la signature, la qua-
lité en laquelle le signataire de l'acte a agi et, le cas échéant, l'identité du sceau ou timbre
dont l'acte est revêtu».
IllPour une définition stricte de la légalisation portant seulement sur la conformité du document
avec l'original, non sur la vérification de la substance de l'acte, voy. correctement: Civ. Liège,
24 septembre 1997, Rev. dr. étr. (1997), 385.
La formalité suit deux filières: d'abord, une cascade de contrôles successifs dans le
pays auquel appartient l'officier public, la dernière authentification étant la signature
d'un fonctionnaire du ministère des Affaires étrangères, la pièce étant ensuite transmise
par la voie diplomatique aux autorités de l'État requis.
En droit commun, l'organisation de la formalité repose désormais sur l'article 30 du
Code de droit international privé. Cette disposition a un triple objet : elle détermine
l'obligation de légaliser (al. 1er), définit la formalité de légalisation (al. 2) et établit une
compétence d'attribution (al. 3).
L'obligation de légalisation confirme une pratique antérieure, laquelle ne reposait
sur aucun texte légal explicite. Elle ne s'impose cependant qu'à défaut d'application de
l'un des nombreux instruments internationaux dont découlerait une « dispense » de
légalisation.
Ill La pratique antérieure s'appuyait sur une disposition de la loi de 1851 organique des consulats
(ci-dessous), qui attribuait une compétence en la matière (arc. 14). Or, selon l'article 137 de cette
loi, « Sont abrogées, en tant qu'elles sont applicables en Belgique et contraires à la présente loi, les
dispositions de l'ordonnance du roi de France, du mois d'août 1681 ».
Selon l'article 23 du livre I, titre IX, de l'ordonnance sur la marine d'août 1681 (cité par J. ERAUW et
N. WATTÉ, Les sources du droit international privé belge, Bruxelles, Bruylant, 1992, n ° 799), « cous actes
expédiés dans les pays étrangers quand il y aura des consuls ne feront foi en France que s'ils sont
par eux légalisés ».
La légalisation ne saurait être exigée lorsque la décision judiciaire entre dans le domaine d'un
1111

instrument international qui dispense de cette formalité. Les traités de reconnaissance et d'exécu-
tion contiennent généralement une telle dispense. Voy. par exemple l'article 56 du règlement 44/
2001 et l'article 49 de la Convention de Bruxelles.
La définition de la formalité suit les termes de la Convention de La Haye de 1961.
Ses termes restrictifs (la légalisation « n'atteste que [... ] ») signifient que la formalité ne
conduit nullement l'autorité à apprécier l'un des motifs de refus énoncés par l'article 25
du Code de droit international privé.
L'exposé des motifs de la proposition de loi (Dac. pari., Sénat, 2003-2004, n ° 3-27/1) explicite la
1111

fonction stricte de la formalité.


EFFICACITÉ DES DÉCISIONS JUDICIAIRES 459

L'autorité compétente pour légaliser le document étranger est normalement un


agent diplomatique ou consulaire. Subsidiairement, la loi prévoit l'intervention du
ministre des Affaires étrangères.
Il La détermination de l'autorité consulaire spécialement compétente relève de l'article 14 de la loi
du 31 décembre 1851 (Monit., 7 janvier 1852) relative aux consulats et à la juridiction consulaire. Le
consul« légalise les actes et documents expédiés dans l'étendue de sa juridiction et destinés à être
produits ailleurs». Les modalités de cette légalisation sont organisées par l'arrêté royal du 23 mars
1857 (Monit., 29 mars 1857).

Il. FORCE PROBANTE INTRINSÈQUE

10.48 - Fiabilité des énonciations de l'instrument - Suivant la distinction proposée ci-


dessus (voy. supra, n ° 10.8), la notion de force probante doit être réservée aux énoncia-
tions de l'instrument attestées sous la garantie de la personne ou de l'autorité dont il
porte la signature. Se reliant à la force probante extrinsèque, pareil effet implique parfois
plusieurs relais: par exemple, l'expédition du jugement ne porte d'autre signature que
celle du greffier, lequel atteste que la minute de la décision a été signée par les juges et
qu'il en a fidèlement reproduit le libellé.
Les faits ainsi énoncés doivent être tenus pour établis dans l'État requis, tout en ne
leur accordant pas davantage de force probante que celle qui s'y attache dans l'État d'ori-
gine. Il n'y a donc pas lieu de soumettre la force probante interne à des conditions analo-
gues à celles qui président à la reconnaissance. Il n'est pas exclu non plus que, dans l'État
requis, la preuve contraire des faits puisse être rapportée.
1111 Les précisions apportées à propos de la force probante des actes publics (voy. infra, n° 10.57),
valent également pour les décisions judiciaires. En effet, les termes du Code de droit international
privé sont analogues pour les jugements (art. 26) et pour les actes publics (art. 28).

111. EFFET DE FAIT

10.49 - Admission sans condition particulière - L'effet de fait de la décision étrangère,


reposant lui-même sur sa force probante, doit être admis sans autre condition (art. 29
Codip).
1111 Voy. en ce sens: Cass., 28 janvier 1943, Vassilié c. Cie belge pour l'étranger, Pas. (1943), I, 43, et sur

cette décision :j.T (1960), 288, ainsi que les exemples cités supra, n ° 10.9.

En outre, un jugement étranger ayant condamné une partie est, au sens de


l'article 1445 du Code judiciaire, un titre authentique ou privé qui permet de procéder à
une saisie-arrêt conservatoire sans l'autorisation du juge des saisies.
Il Ne saurait avoir ce caractère, la décision étrangère qui, en vertu d'une disposition analogue à
celle de l'article 1445 précité, se borne à autoriser une saisie conservatoire, autorisation dont les
effets ne sauraient s'étendre au territoire belge. Voy.: Bruxelles, 24 juin 1977,].T (1977), 747.

C. Efficacité des décisions répressives étrangères en matière civile


10.50 - Présentation - L'élément essentiel du dispositif d'une décision répressive, la
condamnation à une peine, se dérobe, par sa nature, à des actes d'exécution dans un
ordre juridique autre que celui de l'État où la décision a été rendue, à moins d'un accord
entre l'État d'origine et l'État requis. En d'autres termes, la question de l'efficacité d'une
décision répressive étrangère ne se pose guère à première vue.
460 RÈGLES GÉNÉRALES SUR L'EFFICACITÉ DES DÉCISIONS JUDICIAIRES ET DES ACTES PUBLICS ÉTRANGERS

Toutefois, la décision répressive peut exercer un effet sur l'action civile. Deux cas
doivent être distingués: soit la juridiction répressive étrangère a aussi statué sur l'action
civile; soit la juridiction civile est appelée à connaître de l'efficacité d'une décision répres-
sive étrangère de nature à influencer sa décision au civil.
10.51 - Dispositif civil d'une décision répressive - Dans les pays, comme la Belgique,
où l'action civile en réparation du dommage causé par l'infraction peut être jointe à
l'action publique pour être portée devant les tribunaux correctionnels, le dispositif de la
décision qui statue sur les mérites de cette action a un caractère civil.
Certains instruments internationaux, tel l'article ier du règlement 44/2001 ou de la
Convention de Bruxelles, prévoient expressément qu'ils s'appliquent« en matière civile et
commerciale et quelle que soit la nature de la juridiction», ce qui inclut le dispositif civil
d'une juridiction répressive.
La même solution prévaut en droit commun. La définition large donnée au terme
« décision judiciaire» par le Code de droit international privé (art. 22, § 3) permet
d'inclure une décision rendue sur l'action civile par une juridiction répressive. Cette déci-
sion sera donc reconnue aux mêmes conditions que si elle avait été rendue par une juri-
diction civile.
10.52 - Effet d'une décision répressive sur l'action civile - La décision répressive ren-
due à l'étranger peut exercer un effet sur l'action civile introduite devant une juridiction
belge, lorsque le droit applicable à l'action civile attribue un effet à la décision qui s'est
prononcée sur l'action répressive, mais aussi plus généralement lorsque la preuve d'un
fait utile à l'action civile peut être apportée au moyen d'éléments de preuve qui ont été
appréciés par le juge répressif.
L'exemple le plus répandu au1ourd'hui est celui des accidents de la circulation. Si les juridic-
1111
tions pénales du pays où l'accident s'est produit ont acquitté ou condamné un des conducteurs,
leur décision ne lie pas le juge civil d'un autre pays devant lequel est portée l'action en réparation
du dommage causé par l'accident.
Sur cette question, voy.: F. RIGAUX, Droit public et droit privé, § 24; Io., « L'exercice de la justice
répressive", Ann. dr. (1985), 40-42.
La négation de tout effet ne serait pas en harmonie avec deux constantes, à savoir le
caractère absolutoire de l'acquittement prononcé par un tribunal du pays où les faits ont
été commis et la possibilité de mettre à exécution la réparation civile ordonnée par le tri-
bunal étranger.
La jurisprudence belge a admis qu'un effet soit attribué à une décision répressive
étrangère lors de l'exercice de l'action civile en Belgique. La raison de décider doit être
cherchée à la fois dans l'article 13 de la loi belge du 17 avril 1878 dans l'hypothèse d'un
acquittement, et dans l'autorité qui s'attache au dispositif civil des décisions rendues par
une juridiction étrangère. D'après l'article 13 précité, l'action publique est paralysée en
Belgique par la décision d'acquittement qu'a prononcée le juge du pays étranger où les
faits ont été commis. Si l'action civile avait été introduite dans le même pays, le juge qui
en aurait été saisi n'aurait pu méconnaître l'autorité de la décision répressive et cette
décision civile aurait dû être reconnue en Belgique. Il serait incohérent de refuser à la
décision répressive étrangère un effet civil qui doit être reconnu s'il a été préalablement
incorporé au dispositif civil tombant sous l'application d'un traité de reconnaissance et
d'exécution conclu par la Belgique. Il n'est pas plus cohérent d'écarter les conséquences
EFFICACITÉ DES ACTES PUBLICS 461

civiles d'un acquittement prononcé par une juridiction du pays du délit alors que cette
décision lie le juge répressif belge qui vient à être saisi du même fait.
1!111 Bien que le motif ciré de l'article 3, alinéa 1er, du Code civil ne soit guère satisfaisant, il faut
approuver la cour de Liège d'avoir reconnu l'autorité qui s'attache à un jugement du tribunal cor-
rectionnel d'Avesnes-sur-Helpe ayant acquitté un conducteur belge du chef d'avoir conduit en état
d'ébriété; l'assureur belge avait invoqué cette faute pour faire déchoir l'intéressé du bénéfice du
contrat d'assurance: Liège, 31 octobre 1969, ]ur. Liège (1969-1970), 202; voy. cependant en sens
contraire, à propos de décisions d'acquittement: Bruxelles, 11 juin 1968, Pas. (1968), II, 254;
21 mars 1969, Pas. (1969), II, 142; à propos d'une décision de condamnation: Liège, 19 novembre
1973, Bull. ass. (1976), 151.

Pour la prise en considération d'une décision répressive étrangère aux fins de connaître les cau-
1!111

ses d'un décès, voy.: Gand, 11 janvier 1996, Tijds. Gentse Rechtspraak (1996), 155, distinguant recon-
naissance - qu'il exclut en matière répressive - et effet de fait. L'effet emprunté allait cependant
au-delà de l'effet de fait (sur cet effet, voy. supra, n ° 10.9).

1111La loi du 10 juin 1998 modifiant certaines dispositions en matière de prescription (Moniteur,
17 juillet 1998) dissocie la prescription de l'action civile de celle de l'action publique. Sur cette
question, il n'y a donc plus lieu de s'interroger sur l'effet d'une action publique introduite à l'étran-
ger.

Section 3
Efficacité des actes publics
§1 INSTRUMENTS INTERNATIONAUX

A. Actes émanant d'un État de l'Union européenne


10.53 - Le règlement 44/2001 - La mise à exécution, respectivement, des actes authenti-
ques et des transactions judiciaires est prévue par le règlement 44/2001 (art. 57 et 58),
comme par la Convention de Bruxelles (art. 50 et 51). Il n'y avait pas lieu de prévoir la
simple «reconnaissance» (ou la force obligatoire) de ces actes, puisque celle-ci est un
effet de l'acte juridique privé conclu par les parties et relève de la matière des conflits de
lois (voy. supra, n° 10.7).
Pour une application de l'article 50, voy.: Civ. Bruxelles, 7 janvier 1987, Pas. (1988), III, 41. En
1111
France, voy.: Cass. civ. (1re ch.), 12 janvier 1994, Tanon, Revue (1994), 557, note Ch. PAMBOUKIS; Aix-
en-Provence, 2 mars 2000, Revue (2001), 168, note G. LÉGIER.

Comp., en matière matrimoniale (infra, n° 12.90), la« reconnaissance» mise en place par le
1111
règlement« Bruxelles II».

L'acte authentique n'est pas défini par le règlement. Selon la Cour de justice, il s'agit
d'un acte établi entre particuliers et faisant l'objet de l'intervention de l'autorité publique
« ou de toute autre autorité habilitée par l'État d'origine» (C.J.C.E., aff. C-260/97, 17 juin
1999, Unibank, Rec., 1999, I-3715, Revue, 2000, 245, note G. DRoz). Il doit remplir trois
conditions (même arrêt, citant le rapportJENARD-MôLLER): l'authenticité doit être établie
par l'autorité publique, elle doit porter sur le contenu de l'acte, non pas seulement sur sa
signature, et il doit être exécutoire par lui-même.
1111 Ne revêt pas ce caractère un titre de créance privé, exécutoire selon le droit danois sans l'inter-
vention d'une autorité publique (arrêt Unibank précité).
462 RÈGLES GÉNÉRALES SUR L'EFFICACITÉ DES DÉCISIONS JUDICIAIRES ET DES ACTES PUBLICS ÉTRANGERS

111!La condition d'authentification du contenu devrait être éclaircie. Le simple enregistrement ne


suffit pas pour qualifier l'acte, mais faut-il exiger que l'autorité soit« active», qu'elle procède à une
appréciation de l'acte (en ce sens, H. GAUDEMET-TALLON, Compétence et efficacité des décisions en Europe,
Paris, L.G.D.]., 2002, n° 469)? Il convient de ne pas dépasser ce qui relève de l'authentification,
c'est-à-dire de l'attestation de la survenance d'actes ou de faits matériels, comme, outre la véracité
d'une signature, la constatation de la teneur des déclarations des parties, ce qui ne va pas jusqu'à
statuer sur la validité de ces déclarations.

111Le règlement assimile à un acte authentique une convention alimentaire conclue devant une
autorité administrative ou authentifiée par elle (art. 57, § 2).

111! Sur la distinction entre transaction judiciaire et décision judiciaire, voy. supra, n ° 10.3.

Les seules conditions auxquelles la formule exécutoire est, dans un État membre,
apposée sur un acte authentique reçu par une autorité publique d'un autre État membre,
sont:
1 ° que l'acte produit réunisse les« conditions nécessaires à son authenticité dans l'État
d'origine» (art. 57, § 3, du règl., art. 50, al. 2, de la Conv.);
2 ° qu'il soit exécutoire dans le même État (art. 57, § ier, du règl., art. 50, al. 1cr, de la
Conv.;
3° que l'exécution de cet acte ne soit pas« manifestement contraire à l'ordre public de
l'État membre requis» (art. 57, § 1cr, du règl.; comp. art. 50, al. 1cr, de la Conv.).
P. GoTHOT et D. HoLLEAUX (précités n° 8.1), n° 410, précisent que l'octroi de la force exécutoire
1111
ne dépend pas d'une vérification de la validité de l'acte privé (negotiurn), en ce sens que si la validité
de l'acte est contestée, l'examen du moyen ne relève pas de la compétence du juge de l'exequatur
mais plutôt de celui qui est désigné par les règles de compétence directe (voy. supra, n'" 9.27 et s.) du
règlement ou de la Convention. Dans le même sens, H. GAUDEMET-TALLON, précité, n° 470.

Le caractère exhaustif de ces conditions implique que l'acte ne puisse pas se voir
opposer d'autres motifs de refus opposables à un jugement (C.J.C.E., aff. C-414/92, 2 juin
1994, Solo Kleinmotoren, Rec., 1994, I-2237,].L.M.B., 1995, 1176, note A. KoHL).
La dispense de légalisation dont bénéficient les jugements s'étend aux actes publics (implicite-
Ill!
ment, art. 57, § 4, du règl., art. 51, al. 3, de la Conv.). Voy. une application par: Cass. civ. (ire ch.),
12 janvier 1994, précité.

La procédure est celle qui est à suivre pour les décisions (art. 57, § 1cr, du règl.,
art. 50, al. 1er, de la Conv.) : cela implique que l'apposition de la formule exécutoire soit
sollicitée par requête adressée au tribunal compétent pour donner force exécutoire aux
jugements et que les mêmes voies de recours puissent être exercées contre la décision qui
s'est prononcée sur la requête et contre les décisions ultérieures. De plus, le requérant
doit déposer le certificat délivré par une autorité du pays d'origine, conformément au
règlement ou à la Convention, selon les conditions imposées pour la production d'une
décision aux fins de mise à l'exécution (art. 57, § 4, du règl.).

10.54 - Le droit communautaire - Le traité CE ne contient aucune disposition expresse


sur l'efficacité des actes publics dressés dans un État membre. Il n'empêche que les règles
générales sur le marché intérieur, qui établissent la liberté de circulation des marchandi-
ses, des personnes, des services et des capitaux, sont de nature à affecter le droit interna-
tional privé (voy. supra, n° 5 2.28 et 10.18), et singulièrement l'efficacité des actes publics.
Encore convient-il, dans chaque cas, d'établir au préalable que les circonstances de
l'espèce entrent dans le domaine d'application du traité.
EFFICACITÉ DES ACTES PUBLICS 463

La Cour de justice des Communautés européennes a pu déduire de ce régime géné-


ral l'obligation pour une mesure nationale qui entrave la liberté de circulation, de respec-
ter le principe général de proportionnalité. Celui-ci implique, pour l'État, l'interdiction
d'imposer au bénéficiaire d'une liberté de circulation une contrainte qui ne tienne aucun
compte de normes ou d'actes établis dans un autre État de l'Union européenne. En cas
d'équivalence des normes ou des actes nationaux, il y a une obligation de reconnaissance
mutuelle de ceux-ci. Plus précisément, il y aurait lieu d'admettre une « confiance
mutuelle » dans les interventions des autorités des États membres.
1111 Ce principe a trouvé application à propos de l'établissement, en Allemagne, de la force probante
d'un acte de naissance établi en Grèce, aux fins de fixer l'âge d'un travailleur en vue de l'accès à la
pension. Alors que, selon le droit allemand, l'acte rectificatif qui avait été fait en Grèce suite à la dis-
parition des registres ne pouvait recevoir la même force probante qu'un acte correspondant rédigé
en Allemagne, la Cour de justice pose comme un corollaire de l'article 48 du traité CE (devenu
art. 39 CE) l'obligation de« respecter les certificats et actes analogues relatifs à l'état des personnes
[ ... ] à moins que leur exactitude ne soit sérieusement ébranlée par des indices concrets se rappor-
tant au cas individuel en cause» (C.J.C.E., aff. C-336/94, 2 décembre 1997, Dafeki, Rec., 1997, I-
6761, Revue, 1998, 329, note G. DRoz).
Comp., à propos de l'efficacité en Allemagne d'un acte de naissance turc, soumis à vérification com-
plémentaire en comparaison avec les actes nationaux en raison d'incertitudes plus grandes sur la
véracité: C.J.C.E., aff. C-102/98 e.a., 14 mars 2000, Kocak, Rec. (2000), I-1287, n'y voyant pas de dis-
crimination indirecte ni le besoin de vérifier la compatibilité de l'entrave en fonction de l'objectif
d'intérêt général poursuivi et de la proportionnalité.
Ill!Comp., à propos d'un certificat d'assujetissement à la sécurité sociale: C.J.C.E., aff. C-178/97,
30 mars 2000, Barry Banks, Rec. (2000), I-2005, Rev. dr. soc. (2000), 641, note B. DE PAUW: en cas de
doute sur l'exactitude des faits, il appartient à l'autorité émettrice de reconsidérer l'acte, étant
entendu que celui-ci jouit d'une présomption de régularité quant à l'exactitude de ces mentions.
Voy. aussi: C.].C.E., aff. C-372/02, 11 novembre 2004, Adanez-Vega, énonçant l'obligation de« tenir
compte» de l'attestation de l'autorité étrangère, laquelle a l'obligation de « garantir l'exactitude
des mentions» et de reconsidérer l'attestation en cas de doute, tout en ajoutant que l'attestation ne
vaut pas comme élément de preuve irréfragable pour les juridictions étrangères.
Même si cette jurisprudence concerne le domaine de la sécurité sociale, où une commission admi-
nistrative a été mise en place qui peut connaître d'un désaccord entre autorités, la motivation est
plus large, qui, sur la base de l'article 10 CE (principe général de coopération loyale), met à charge
de l'autorité d'origine l'obligation de garantir l'exactitude des mentions, et évoque un recours pos-
sible à la Cour de justice dans le cadre d'une action en manquement afin que celle-ci puisse appré-
cier l'exactitude des mentions. Dans l'attente, l'aurorité réceptrice serait liée par l'acte public.
La solution prévaut aussi à propos de la reconnaissance d'un permis de conduire, également orga-
nisée par voie de directive: C.J.C.E., aff. C-476/01, 29 avril 2004, Kapper, énonçant la compétence
exclusive de l'autorité émettrice pour connaître d'une contestation relative aux éléments de preuve
- comme la résidence - rapportés par l'acte.
Même si cette solution, qui va plus loin que l'arrêt Dafeki, est affirmée dans une matière où les légis-
lations nationales ont été coordonnées - le certificat public étant délivré selon un formulaire préé-
tabli -, il y a lieu de croire qu'elle vaille plus généralement, comme l'affirme l'arrêt Tennah-Durez
(aff. C-110/01, 19 juin 2003, Rec., 2003, I-6239, relatif à une attestation de délivrance d'un diplôme
universitaire), qui engage l'autorité réceptrice, en cas de doute, à demander confirmation de
l'authenticité à l'autorité émettrice. En ce sens encore : C.J.C.E., aff. C-58/98, 3 octobre 2000, Cors-
ten, Rec. (2000), I-7919.
Comp., pour la mise en place d'un système de reconnaissance d'un titre étranger sans formalité,
Ill!
en matière de créances douanières : C.J.C.E., aff. C-361/02 e.a., 1er juillet 2004, Tsapalos.
Une dispense de légalisation des actes publics émanant d'autorités des États mem-
bres de l'Union européenne est organisée par une convention conclue en marge de la
Communauté (voy. supra, n ° 8.8), au sein de la coopération intergouvernementale orga-
464 RÈGLES GÉNÉRALES SUR L'EFFICACITÉ DES DÉCISIONS JUDICIAIRES ET DES ACTES PUBLICS ÉTRANGERS

nisée par l'article K du traité sur l'Union européenne. Plus généralement, l'interdiction
d'exiger la légalisation d'actes émanant d'autorités des États membres découlerait du
principe de confiance mutuelle précité.
1111 Voy. en ce sens: C.J.C.E., aff. C-424/98, 25 mai 2000, Italie, Rec. (2000), 1-4001.

B. Autres instruments internationaux


10.55 - Procédure de mise à exécution - La mise à exécution des actes authentiques est
prévue dans les conventions conclues par la Belgique respectivement avec la France, les
Pays-Bas, la République fédérale d'Allemagne, l'Italie et dans les deux conventions con-
clues avec l'Autriche.
Alors que les traités franco-belge et belgo-néerlandais ainsi que les deux conventions
avec l'Autriche organisent en chacun des pays la procédure de l'exequatur (en Belgique, le
président du tribunal de première instance est déclaré compétent), la mise à exécution
des actes authentiques allemands et italiens obéit au droit commun. Depuis l'entrée en
vigueur de l'article 586, 3°, du Code judiciaire, celui-ci coïncide avec la procédure prévue
par la première catégorie de traités. L'abrogation de la disposition (voy. ci-dessous) ne
modifie pas la procédure à suivre, désormais régie par l'article 27 du Code de droit inter-
national privé.
1111On notera, par conséquent, que l'exequatur des actes authentiques dressés dans un des États
liés par le règlement 44/2001 ou par la Convention de Bruxelles avec lesquels la Belgique demeure
liée par un traité bilatéral est respectivement accordé par le tribunal de première instance ou par le
président de ce tribunal selon que l'acte est visé par le règlement ou la Convention de Bruxelles, ou
par le traité bilatéral.

§2 LE DROIT COMMUN
10.56 - Reconnaissance et mise à exécution des actes publics - Le Code de droit inter-
national privé prévoit des dispositions particulières pour la reconnaissance et la force
exécutoire des actes publics et des transactions judiciaires étrangers (art. 27).
1111 Le Code comble ainsi une lacune. Précédemment, l'article 586, 3°, du Code judiciaire attribuait

au président du tribunal de première instance, saisi par voie de requête, compétence pour statuer
sur l'exequatur des actes authentiques autres que ceux énumérés au 2° - visa d'un acte d'hypothè-
que portant sur un immeuble situé à l'étranger - passés en pays étranger,« pour autant qu'il existe
avec ces pays un traité réglant l'exequatur de ces actes». Cette disposition avait curieusement sup-
primé l'exequatur des actes publics quand il n'est pas prévu par un traité international.
Jusqu'à l'entrée en vigueur du Code judiciaire, la procédure et, par analogie, les conditions de
1111

l'exequatur des actes publics étrangers, étaient empruntées à l'article 10 de la loi du 25 mars 1876, à
savoir aux mêmes dispositions que celles affectant les décisions judiciaires.

La procédure à suivre est la même que pour les décisions judiciaires : la reconnais-
sance est acquise de plein droit, alors que la force exécutoire requiert une déclaration
préalable du tribunal de première instance. Le refus de reconnaissance de plein droit
ouvre la possibilité d'un recours selon la procédure valable pour la reconnaissance des
jugements.
1111Il en découle que la reconnaissance judiciaire suivra une autre procédure que si la validité de
l'acte est mise en cause dans un autre contexte. La proposition de loi ne prévoyait pas de disposi-
tion particulière, ce qui revenait à renvoyer à la procédure normale de la citation. La modification,
introduite par voie d'amendement (amendement n ° 21 du gouvernement) tend à faciliter l'accès à
EFFICACITÉ DES ACTES PUBLICS 465

la justice pour le citoyen confronté à une réticence de l'administration vustification de l'amende-


ment, Doc. pari., Sénat, 2003-2004, n ° 3-27/3).

Les conditions à vérifier sont, outre l'authenticité et, le cas échéant, la remise des piè-
ces exigées pour les jugements, la «validité» de l'acte « conformément au droit
applicable» en vertu du Code. Cette précision vise à indiquer que l'acte privé lui-même
(negotium) reste soumis au jeu de la règle de conflit de lois.
1111 Sur cette question en général, voy. supra, n ° 10.7.

10.57 - Force probante et effet de fait des actes publics - Le Code de droit internatio-
nal privé organise la force probante (art. 28) et l'effet de fait (art. 29) des actes publics
étrangers, comme il le fait pour les jugements: l'acte fait foi des constatations faites, sauf
preuve contraire, pourvu qu'il réponde aux formalités du droit du pays où il a été passé et
qu'il réunisse les conditions nécessaires à son authenticité.
De même, la légalisation des actes publics étrangers fait désormais l'objet d'une
explicitation, comme pour les jugements (art. 30 Codip; voy. infra, n ° 10.47).
Sur la légalisation des actes de l'état civil, voy. la circulaire du ministre de la Justice du 17 février
1111

1993, Monit., 27 mars 1993.


La praticien sera attentif à vérifier si l'acte public concerné bénéficie d'un traité international
1111

dispensant de la formalité (voy. supra, n ° 8.43). ·


IllSur la question distincte de la légalisation des actes établis en Belgique mais destinés à être pro-
duits à l'étranger, voy., en matière d'état civil, l'article 45, paragraphe 2, alinéa 2, du Code civil.

La force probante interne peut être admise aux conditions indiquées pour les déci-
sions judiciaires (voy. infra, n ° 10.48) sous réserve de l'application de dispositions parti-
culières. Il faut que l'acte étranger en cause mérite la qualification d'acte public et que le
droit étranger en vertu duquel il a été dressé lui reconnaisse, comme en Belgique, une
force probante supérieure à l'acte sous seing privé.
La procédure de la contestation de la force probante est fixée par le droit du for, non
par le droit étranger. Il y a donc lieu de recourir à la procédure d'inscription de faux, non
sans quelque adaptation par rapport à celle qui affecte les actes internes. En effet, la pro-
cédure d'inscription de faux tend à aboutir, le cas échéant, à la rectification de l'instru-
ment déclaré faux, cette partie du dispositif étant mise à exécution grâce à une injonction
adressée au dépositaire de la minute. Toutefois, elle est inapplicable à un acte public
étranger, car les tribunaux de l'État requis sont incompétents pour accueillir l'inscription
de faux dirigée contre un officier public étranger. La procédure rencontre des obstacles
pratiques (impossibilité de se faire produire ou de soumettre à une expertise l'original
conservé à l'étranger) et, surtout, elle ne saurait se clôturer par une injonction adressée
au dépositaire étranger de la minute. Un expédient consiste à procéder à une transcrip-
tion préalable de l'acte étranger et à faire porter la procédure sur cette transcription.
Sur ce point, voy. notamment: F. R.IGAUX, « La force probante des écrits en droit international
1111
privé», Revue (1961), 77-80. Voy. aussi supra, n° 9.17. Voy. aussi en France: Cass. (1re ch. civ.),
20 mars 2001, Hassan, Revue (2001), 697, note H. Mum WATT, constatant que le juge du fond,
devant lequel était mise en cause la réalité même des énonciations faites par l'autorité publique qui
avait reçu un testament, ne pouvait que refuser d'annuler l'acte étranger ou d'adresser une injonc-
tion à l'autorité étrangère, en l'absence de transcription préalable.
CHAPITRE 11

LA PROCÉDURE DANS
LE CONTENTIEUX TRANSFRONTIÈRE
11.1 - Bibliographie

Outre la bibliographie générale, supra, chapitre 8, voy. :

a) Procédure et coopération judiciaire


R. ARENAS GARCIA, El contrai de oficio de la competencia judicial internacional (Madrid, Eurolex, 1996);
H. BouLARBAH, « Le cadre général des règles communautaires en matière de procédure civile :
coopération judiciaire, droit judiciaire européen et droit processuel européen», Le droit processuel et
judiciaire européen (Bruges, La Charte, 2003), 167-194; O. CAPATINA, « L'entraide judiciaire interna-
tionale en matière civile et commerciale », Recueil des cours, vol. 179 (1983-I), 305-412 ; Io., « L'accès
des tribunaux nationaux à l'entraide judiciaire internationale», Clunet (1984), 549-566; COMMIS-
SION CE, Livre vert sur l'assistance judiciaire en matière civile: Problèmes rencontrés par le plaideur transfron-
talier, COM[2000]51 final; J. CRUTERS, « Substance and procedure in the conflict of laws: A
continuing debate in relation to damages »,I.C.L.Q. (2004), 691-711 ;]. DETIENNE,« L'accord euro-
péen sur la transmission des demandes d'assistance judiciaire »,].T (1978), 740-741; G. DRoz,
« Les droits de la demande dans les relations privées internationales», Trav. Comité fr. dr. int. pr. 1993-
1994 (Paris, Pédone, 1996), 97-114; U. EHRICKE, « Art. 12 I (ex 6 I) EG-Vertrag und das nationale
Zivilprozessrecht - Bilanz und Perspektiven », IPRax (1999), 311-323 ; S. GRUBBS, International civil
procedure (La Haye, Kluwer, 2003) ; C. KEssEDJIAN, « L'action en justice des associations de consom-
mateurs et d'autres organisations représentatives d'intérêts collectifs en Europe», Revue (1997),
281-300; E. LEROY,« L'aide juridique et judiciaire en droit européen», Le droit processuel et judiciaire
européen (Bruges, La Charte, 2003), 295-328; D. McCLEAN, lnternational co-operation in civil and crimi-
nal matters (Oxford Univ. Press, 2002); O. MIGNOLET, « Le contenu des règles de procédure issues
des règlements communautaires et leur sanction», Le droit processuel et judiciaire européen (Bruges, La
Charte, 2003), 329-372; M.-L. NIBOYET-HOEGY, L'action en justice dans les rapports internationaux de
droit privé (Paris, Economica, 1986); P. ScHLOSSER, « A new dimension of human rights considera-
tion in civil procedure », Riv. dir. int. priv. proc. (1995), 31-40; M. VERWILGHEN, « Traités maltraités:
La légalisation des actes notariés dans les relations belgo-allemandes et belgo-françaises »,Mélanges
Raucent (Bruxelles, Bruylant, 1992) ; P. VLAS, « The principle of fair trial in international civil
litigation », Mélanges Voskuil (Dordrecht, Nijhoff, 1992).

b) Communication des actes


CONFÉRENCE DE LA HAYE, Manuel pratique de la Convention du 15 novembre 1965 (Maarten Kluwer,
Anvers, 1992); G. DE LEVAL, « Signifier en Europe sur base du règlement n ° 1348/2000 - Bilan
après un an et demi d'application », Mélanges Marchal (Bruxelles, Larcier, 2003) ; P. DE RrDDER, La
signification à l'étranger en matière civile et commerciale (Bruxelles, Bruylant, 1993); R. DuJARDIN, « Les
modes de signification dans la C.E.E. en dehors des Conventions de La Haye », L'huissier de justice
(1991), 95-105; ID. « Le rôle de l'huissier de justice dans l'application de la Convention de
468 LA PROCÉDURE DANS LE CONTENTIEUX TRANSFRONTIÈRE

Bruxelles», Huissier de justice (1995), 149-169; M. EKELMANS, « La signification des actes judiciaires
dans les pays limitrophes», Rev. dr. comm. belge (1992), 826-836; ID.,« Le règlement 1348/2000 rela-
tif à la signification et à la notification des actes judiciaires et extrajudiciaires »,].T. (2001), 481-
488; B. HESS,« Nouvelles techniques de la coopération judiciaire transfrontière en Europe »,Revue
(2003), 215-238; E. LEROY,« Le règlement (CE) n ° 1348/2000 relatif à la signification et à la notifi-
cation dans les États membres des actes judiciaires et extrajudiciaires en matière civile et
commerciale», Rev. not. belge (2001), 138-188; J. MEEUSEN, « Het Europees betekeningsverdrag:
snelheid, soepelheid en samenwerking ais troeven voor meer efficiënte betekeningsprocedures in
Europa », Rev. dr. comm. belge (1999), 597-603; P. MEIJKNECHT, « Service of documents in the Euro-
pean Union: The Brussels Convention of 1997 », Rev. eur. dr. priv. (1999), 445-457; F. R!GAUX, « La
signification des actes judiciaires à l'étranger», Revue (1963), 447-474; H. TAGARAS, « L'applicabilité
des Conventions de La Haye dans le cadre de la Convention de Bruxelles », Rev. belge dr. int. ( 1991 ),
479-490; H. VAN HouTTE, « Het ogenblik van de betekening bij dagvarding in het buitenland »,Rev.
dr. comm. belge (1996), 814-819; ID. (dir.), Het nieuwe Europese IPR: van verdrag naar verordening
(Anvers, Intersencia, 2001); Ch. VANHEUKELEN, « Le règlement 1348/2000 - Analyse et évaluation
par un praticien du droit», Le droit processuel et judiciaire européen (Bruges, La Charte, 2003), 195-236.

c) Preuve
Ch. BRUNEAU, « L'obtention des preuves en matière civile et commerciale», ].C.P. (2001), I, 349;
D. CAMPBELL, Serving process and obtaining evidence abroad (Dordrecht, Kluwer, 1998); L. COLLINS,
« The Hague Evidence Conventions and Discovery; A serious Misunderstanding? », I.C.L.Q.
(1986), 765-786; S. CORNELOUP, La publicité des situations juridiques, une approche franco-allemande du
droit interne et du droit international privé (Paris, LGDJ, 2003); Y. DEKETELAERE, « Le règlement 1206/
2001 en matière de preuves: vers la constitution d'un espace judiciaire civil européen »,Rev. gén. ass.
resp. (2002), n ° 13584; E. FoNGARO, La loi applicable à la preuve en droit international privé (Paris, LGDJ,
2004); L. FUMAGALLI, « La nuova disciplina comunitaria dell'assunzione delle prove all'estero in
materia civile», Riv. dir. int. priv. proc. (2002), 327-348; C. GAVALDA, « Les commissions rogatoires
internationales en matière civile et commerciale», Revue (1964), 1540; D. J. GERBER,« Extraterrito-
rial Discovery and the Conflict of Procedural Systems : Germany and the United States »,Am.].
Comp. L. (1986), 745-788; T. HABu GROUD, La preuve en droit international privé(Aix, PUAM, 2000); B.
HESS,« Nouvelles techniques de la coopération judiciaire transfrontière en Europe», Revue (2003),
215-238; A. HUET, Les conflits de lois en matière de preuve (Paris, Dalloz, 1965); W. KENNETT, « The pro-
duction of evidence within the European Communiry »,Modern L.R. (1993), 342-360; D. LEBEAU et
M.-L. NrnoYET, « Regards croisés du processualiste et de l'internationaliste sur le règlement (CE) du
28 mai 2001 relatif à l'obtention des preuves civiles à l'étranger», Gaz. Pal. (2003), n ° 50, 6-19; M.
LEBOIS, « Le règlement n ° 1206/2001 du Conseil du 28 mai 2001 relatif à la coopération encre les
juridictions des États membres dans le domaine de l'obtention des preuves en matière civile ou
commerciale», Le droit processuel et judiciaire européen (Bruges, La Charte, 2003), 271-294; C. McLA~
CHLAN, « The jurisdictional limits of disclosure orders in transnational fraud litigation », I.C.L.Q.
(1998), 3-49; D. MoUGENOT, « Le règlement européen sur l'obtention des preuves »,].T. (2002), 17-
21 ; A. MÜLLER, Grenzüberschreitende Beweisaufnahme im Europdischen Justizraum (Tübingen, Mohr,
2004) ; M. NEUT et L. DEMEYERE, « De grensoverschrijdende bewijsverkrijging binnen de Europese
Unie: Brengt verordening nr. 1206/2001 de verhoopte versoepeling teweeg? », R. W (2004-2005),
361-378; M.-L. NrnoYET-HOEGY, L'action en justice dans les rapports internationaux de droit privé (Paris,
Economica, 1986) ; NOTE, « The Hague Evidence Convention: A Practical Guide to the
Convention», Georgia]. Int. Comp. L. (1986), 703 et s.; H. ScHIMA, « Harmonie des décisions et droit
de procédure »,Mélanges Kollewijn (1962), 455-461 ;]. SoEK, « The Service of Documents abroad and
the Protection ofDefendant resident abroad», N.I.L.R. (1982), 72 et s.; S. SZAS2Y, « The Basic Con-
necting Factor in International Cases in the Domain of Civil Procedure »,I.C.L.Q. (1977), 436-456;
Fr. TERRE,« Les conflits de lois en matière d'action en justice», Trav. Comité fr. dr. int. pr (1964-1966),
111 et s. ; D. TEITELBAUM, « Strict Enforcement of Extraterritorial Discovery », 38 Stanford L.R.
(1986), 841-890; S. UHLIG, « L'obtention des preuves en matière civile et commerciale et le règle-
ment européen relatif à la coopération entre les juridictions des États de l'Union du 28 mai 2001 :
une encrée en vigueur passée inaperçue»,]. T. (2004), 789-796; Th. VIGNAL, v «Preuve», Répert.
0

Dalloz (1999).
DÉLIMITATION DE LA PROCÉDURE 469

11.2 - Présentation - Les actes de procédure accomplis au cours d'un litige transfron-
tière peuvent susciter plusieurs questions particulières.
Consistant à cerner avec précision la notion de procédure, une première difficulté
tend à identifier ce qui relève strictement du fonctionnement de la juridiction, sans y
inclure tout processus de mise en œuvre de la règle de droit, telle la preuve des actes juri-
diques privés.
Une seconde série de questions affecte l'accès de l'étranger à la justice. La personne
n'ayant pas la nationalité de l'État du for est exposée à des entraves épargnées au national.
Une troisième série de questions concerne les formalités particulières qu'il convient
de respecter afin de communiquer un acte judiciaire à l'étranger.

Section 1
Délimitation de la procédure
§1 L'APPLICATION DU DROIT DU FOR
11.3 - Principe de territorialité au sens matériel- Le principe suivant lequel les tribu-
naux appliquent, à l'exclusion de toute autre, leurs propres règles de procédure est large-
ment admis. Il serait, d'après Meijers (précité n ° 2.1, 195), la plus ancienne règle de
conflit de lois connue, attestée avant 1235 par Jacobus Balduini. Le juge ne saurait appli-
quer le droit étranger que sur le fond du droit, ad !item decidendam, sa loi est seule applica-
ble à la procédure, ad !item ordinendam.
Il convient d'abord de préciser à quel titre le principe de territorialité régit la procé-
dure. Celle-ci se distingue à cet égard des règles de compétence juridictionnelle, territo-
riales au sens formel. Il serait oiseux de subordonner à la médiation d'une règle de conflit
de lois l'applicabilité de la disposition selon laquelle une autorité ou une juridiction éta-
tique se déclare internationalement compétente: l'acte par lequel l'agent d'un État se sai-
sit d'une situation émane directement d'une compétence ou d'un pouvoir qu'il ne saurait
tenir que de l'ordre juridique dont il relève. Au contraire, le rattachement des règles de
procédure au droit du for relève de la territorialité au sens matériel: il s'agit de savoir
quelles dispositions sont« applicables » au déroulement du procès. Au surplus, l'applica-
bilité de normes procédurales étrangères ne saurait être exclue a priori (voy. infra, n° 11. 7),
ce qui délivre de l'irritant problème de qualification, le caractère prétendu procédural
d'une telle situation n'étant pas un motif de l'écarter.
La mise en œuvre de la règle de conflit de lois rattachant en principe la procédure au
droit du for suscite deux séries de questions. Il faut d'abord déterminer ce qu'on entend par
procédure et ensuite mieux préciser la nature des règles de procédure que contient la lex fori.
11.4 - Portée du renvoi au droit interne - La référence au droit du for en tant que loi de
procédure est généralement conçue comme un renvoi au droit interne. Cette notion doit
être bien entendue et appelle quelques précisions.
En premier lieu, il faut réserver les dispositions de procédure insérées dans un traité
international et directement applicables par les juridictions étatiques. Il y a également
lieu de vérifier si, le cas échéant, telle règle du droit interne est compatible avec les princi-
pes énoncés par un instrument international établissant des droits fondamentaux.
470 LA PROCÉDURE DANS LE CONTENTIEUX TRANSFRONTIÈRE

Il! Outre la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, on songe au traité CE,
particulièrement aux dispositions sur l'interdiction de toute discrimination en raison de la natio-
nalité (arc. 12) ou sur l'interdiction d'entraves non discriminatoires aux échanges ou à la circula-
tion des personnes.
Pareille question s'est posée à propos de la procédure italienne d'injonction de payer, dont le béné-
fice est exclu lorsque le défendeur est domicilié à l'étranger. Cette mesure a été qualifiée d'entrave à
l'exportation au sens de l'article 29 CE, mais la Cour de justice a appliqué sa jurisprudence concer-
nant l'exclusion du contrôle communautaire des entraves purement aléatoires et indirectes
(C.J.C.E., aff. C-412/97, 22 juin 1999, ED, Rec., 1999, I-3845).
D'autres arrêts montrent clairement l'incidence du traité CE, en particulier à propos de la règle de
l'imposition d'une caution à l'étranger demandeur (voy. infra, n ° 11.21).

Parmi les règles de droit interne proprement dites, les règles ordinaires du procès
civil qui s'appliquent à tout litige quels qu'en soient les éléments d'extranéité doivent être
distinguées de certaines règles substantielles qui dérogent au droit commun de la procé-
dure par considération pour l'élément étranger typique qu'elles visent expressément.
Parmi les solutions de droit interne applicables à tout litige quelconque, on peut citer la forme
11!1
de l'introduction de la demande, le caractère oral ou écrit de la procédure, l'exigence d'un prélimi-
naire de conciliation, les délais et les conditions d'exercice des voies de recours.
Il!À titre d'exemple, voy.: Gand, 29 juin 1965, Pas. (1966), II, 196, soumettant aux formes prévues
par l'article 340,f, du Code civil l'introduction de l'action alimentaire non déclarative de filiation
d'un enfant allemand, bien que l'action fût régie, quant au fond, par le droit allemand.
Appartiennent aux règles de procédure spécialement adaptées aux particularités
d'une situation internationale et sont par conséquent des dispositions matérielles de
droit international privé (supra, n° 3.8) : la détermination des formes selon lesquelles la
citation doit être faite quand le défendeur réside hors du territoire du royaume (C. jud.,
art. 40, voy. infra, n° 11.24), l'allongement du délai de comparution lorsque la communi-
cation de l'acte judiciaire doit avoir lieu à l'étranger (C. jud., art. 55).
11.5 - Coopération internationale en matière de procédure - Le principe de territoria-
lité au sens formel qui guide la détermination de la compétence, complété du principe de
territorialité au sens matériel qui commande l'application du droit du for aux modalités
de fonctionnement de l'autorité étatique, implique une stricte limitation des devoirs de
procédure à l'intérieur des frontières de l'État du for.
De graves difficultés peuvent en découler, principalement lorsqu'il y a lieu de com-
muniquer un acte judiciaire à l'étranger ou de rassembler des éléments de preuve situés à
l'étranger, puisque l'autorité locale ne saurait être mise dans l'obligation de répondre à la
demande de renseignements ni, à plus forte raison, d'exécuter le devoir ou de satisfaire à
l'injonction qui lui viendraient de l'autorité d'un autre pays si un accord international
n'a pas prévu une coopération à cette fin.
Un règlement efficace de ces questions passe donc par la conclusion d'accords au
moins tacites.
Ill! Voy. une liste de tels accords, supra, n ° 8.40.
Il! Sur la communication des actes, voy. infra, n ° 11.24.

§2 PRINCIPE DE DÉLIMITATION DES QUESTIONS PROCÉDURALES


11.6 - Méthode de délimitation - Autant la distinction entre le déroulement de la pro-
cédure et une question de fond ou de substance est facile à poser en son principe, autant
ÜÉLIMITATION DE LA PROCÉDURE 471

peut-elle paraître difficile à mettre en œuvre en certaines situations particulières. Loin


d'apporter à ces difficultés une solution adéquate, la problématique conceptualiste des
qualifications (voy. supra, n ° 7.2) a détourné de la recherche d'une méthode mieux adap-
tée aux exigences propres à ces situations.
Suivant quels procédés le juge saisi d'une situation privée internationale va-t-il déli-
miter le domaine de la !ex fori, compétente pour ce qui regarde la procédure, du champ
d'application des lois régissant le fond du litige? Les questions les plus intéressantes
concernent les hypothèses dans lesquelles substance et procédure sont étroitement liées.
Il en est ainsi pour la distinction entre la détermination des preuves légalement requises et la
11111

procédure selon laquelle une preuve est administrée.


De même, la question de la représentation en justice et notamment des conditions auxquelles un
incapable peur agir n'est qu'un cas particulier du problème plus général de la représentation en
droit international privé.
La forme dans laquelle doit être dressée la procuration requise pour comparaître en justice ou
devant une autorité publique est un troisième exemple, d'autant plus suggestif qu'on y voit conver-
ger trois questions de droit: la forme, la procédure et la substance.
Le choix du droit applicable à la prescription extinctive suscite aussi un problème bien connu de
convergence du fond et de la procédure (voy. supra, n° 7.22).
IllCes différentes questions de délimitation sont étudiées à l'occasion de l'examen de chacune des
règles de conflit de lois qu'il y a lieu de coordonner avec l'application du droit du for à la procédure.
Avant d'énoncer quelques principes de solution, il convient d'écarter toute méthode
conceptuelle prétendant déterminer la nature juridique ou la qualification d'une institu-
tion ou d'une règle déterminée - la prescription extinctive, une forme de célébration du
mariage, l'exigence de rédaction d'un écrit - dans l'ordre interne, pour en déduire le
choix de la catégorie de rattachement - procédure ou substance, forme ou fond - sous
laquelle classer l'institution ou la règle considérée. L'application distributive de la !ex fori
à la procédure et du droit étranger à différents aspects de la situation liés au déroulement
de l'action fait appel à des méthodes propres au droit international privé, et qui prennent
en considération le contenu des diverses règles de droit en présence.
11.7 - Principe de limitation stricte - Trois principes peuvent être dégagés, le deuxième
et le troisième étant plutôt des corollaires du premier.
(1) Il y a lieu de poser en règle fondamentale la limitation du domaine procédural du
droit du for.
Ce premier principe est justifié par une considération propre au droit international
privé : le souci de faire prévaloir les éléments de rattachement objectifs, touchant à la
matière même de la situation litigieuse, sur la compétence du droit du for, qui risque de
n'avoir qu'un lien occasionnel ou tardif avec cette situation et dont la mise en œuvre est
subordonnée au choix opéré par le demandeur entre les différents États pouvant exercer
leur compétence.
Le principe d'interprétation ainsi dégagé tend à faire la place la plus large aux divers
droits régissant le fond, la technique des conflits de lois permettant aux parties de pré-
voir plus tôt et avec plus de sécurité lequel de ces droits est compétent et quel en est le
champ d'application. Il inclut, de prime abord, une interprétation stricte du concept
«procédure» qu'il convient de limiter à ce qu'exige le fonctionnement de l'appareil judi-
ciaire et administratif. En de nombreux cas le droit étranger applicable au fond procure
au juge la solution d'une question de droit qui, selon une méthode conceptuelle, au
demeurant arbitraire, de qualification, pourrait être estimée« de nature procédurale».
472 LA PROCÉDURE DANS LE CONTENTIEUX TRANSFRONTIÈRE

1111Ainsi, rien n'empêche le juge de choisir le délai de prescription dans le droit régissant le fond de
l'obligation ni de déterminer selon la même loi l'admissibilité des preuves. Si elle se généralise, une
telle solution favorise mieux l'harmonie des solutions (voy. supra, n° 3.12) qu'une application
extensive du droit du for.

1111Par exemple, le calcul d'intérêts judiciaires de nature indemnitaire, pour la période qui suie
l'assignation comme pour celle qui la précède, repose sur les critères établis par le droit applicable
au fond: Cass., 29 novembre 1990, R W. (1990-1991), 1270.

(2) Le deuxième principe encourage le juge à chercher dans un droit étranger ayant
avec la situation litigieuse un lien plus objectif que le pur rattachement procédural, la
solution d'une série de questions de droit qui forment autant de conditions d'applica-
tion d'une règle de procédure ou sont préalables au fonctionnement d'une institution
procédurale.
IllAinsi, la détermination de l'âge auquel on a qualité pour agir en justice dépend de la loi person-
nelle de la partie intéressée. La loi de la résidence décide si une habilitation est requise, mais, au cas
où celle-ci est conférée par le juge ou par l'aurorité, les formes de l'habilitation relèveront du droit
du for comme loi de procédure.
Voy. en ce sens un jugement déjà cité (n° 9.58) : le droit allemand détermine à partir de quel âge un
mineur allemand peut consentir lui-même à son adoption, il appartient au droit de la résidence de
décider en outre que ce mineur a besoin d'une autorisation de justice, mais celle-ci est donnée par
l'autorité belge que désignent les règles belges de compétence d'attribution et qui recourt aux for-
mes prévues par ses propres disposirions,procédurales.
On aura relevé l'analogie avec la solution donnée à une autre question préalable, concernant la
définition de l'état de minorité dont dépend la détermination de la compétence d'attribution selon
le droit belge (voy. supra, n° 9.57).

(3) La solution de principe ne fait pas obstacle à ce que la lex fori, en tant que loi pro-
cédurale, comble certaines la~unes que pourrait susciter une application mécanique du
droit régissant le fond. La lex fori remplit dans ce cas une fonction subsidiaire.
Un exemple classique déjà rencontré est l'application du délai de prescription du
droit du for quand le droit étranger déclare imprescriptible une action que le droit du for
soumet à un délai plus long que le délai de droit commun du droit applicable au fond
(voy. supra, n° 7.55).

§3 APPLICATIONS DE LA MÉTHODE DE DÉLIMITATION

A. L'intérêt, la qualité et la capacité pour agir


11.8 - Application de la lex fori à l'intérêt - Il appartient à la lex fori de déterminer les
conditions dans lesquelles le demandeur peut avoir intérêt à agir en justice (Bruxelles,
4 mars 1993,J.T., 1993, 537, implicite).
Ce principe doit valoir également pour la détermination de l'admissibilité d'une
action collective. Savoir si un syndicat ou une association de consommateurs ou de pro-
tection de l'environnement peut agir dans l'intérêt collectif, dépend assurément, quant
au principe, du droit du for dans la mesure où ce type d'action est de nature à affecter
l'intérêt général et peut se substituer, le cas échéant, à l'action du ministère public.
ÜÉLIMITATION DE LA PROCÉDURE 473

11.9 - Droit applicable à la qualité et à la capacité pour agir - Le principe d'une limita-
tion stricte des questions procédurales à ce qui détermine le déroulement du procès, con-
duit à permettre l'application d'un droit étranger en ce qui concerne la capacité et la
qualité pour agir.
Le droit de l'État dont le demandeur a la nationalité ou, pour les personnes morales,
le droit applicable à la validité de leur constitution, détermine le droit d'ester en justice et
l'étendue de cette capacité, mais il appartient à la !ex fori de décider si un groupement
doit disposer de la personnalité juridique pour pouvoir agir. Par extension, le droit de
l'incapacité détermine la représentation en justice consécutive à une incapacité.
Pour une application de la loi contractuelle à la qualité pour agir du courtier d'assurance en
1111

tant que représentant de l'assuré, voy.: Anvers, 30 mai 1990,]ur. Anvers (1991), 126.
Pour la soumission de la capacité d'ester d'une personne morale au droit qui régit celle-ci, voy. :
1111

Bruxelles, 29 juin 1989,].T. (1989), 749, note L. VAN BUNNEN. Pour l'application du droit qui régit
une association de fait à l'attribution de la personnalité juridique, voy.: Cass., 11 janvier 1979, The
Marine Ins. Cy.,]. T. (1979), 464, Rev. gén. ass. resp. (1982), n ° 10530, concl.J. VELU. Plus généralement,
voy. le chap. 16.
La même solution vaut en droit communautaire, pour les litiges soumis à la compétence de
1111

pleine juridiction de la Cour de justice en vertu d'une clause compromissoire: C.J.C.E., aff C-77/
99, 11 octobre 2001, Oder-Plan Architektur, Rec. (2001), I-7355.
La qualité pour agir appelle une appréciation plus nuancée.
En ce qui concerne l'action «attitrée», à savoir la détermination du titulaire du
droit d'action, la qualité dépend du droit applicable au fond de la cause.
1111Il en est ainsi, par exemple, de la question de savoir qui, de la victime ou d'un ayant droit, a qua-
lité pour demander la réparation d'un dommage, ou de celle de savoir qui peut introduire une
action en recherche ou en contestation de paternité.
1111 Sur l'action oblique, voy. le chap. 14, infra, n ° 14.62.
'
La détermination du titre à agir peut encore se poser à propos d'une action intro-
duite par un groupement (syndicat, association), pour déterminer la représentativité du
demandeur. Savoir si un titre est nécessaire et quelles en sont les conditions d'attribu-
tion, dépend du droit de l'État dont relève ce groupement.
1111Ainsi, l'action collective introduite en Belgique par une association française de consommateurs
suppose que celle-ci puisse produire l'agrément octroyé conformément au droit français et qui con-
ditionne, selon ce droit, la représentativité de l'association. Cela signifie que cette association ne
doit pas, pour agir en Belgique, avoir obtenu l'agrément prévu par le droit belge.
Ill Cette question est distincte de celle de l'intérêt à agir, qui dépend de la lex fori (voy. supra, n ° 11.8).
La détermination du titre doit encore être distinguée de la détermination du droit
que le demandeur a qualité à faire protéger. Cette question-ci relève nécessairement du
domaine du droit applicable à la substance de la cause.
Ill Ainsi, une association de consommateurs devrait pouvoir intenter en Belgique une action col-
lective en réparation du dommage que prévoit le droit français, dès lors que ce droit serait applica-
ble à la cause en vertu de la règle de rattachement pertinente en matière de responsabilité civile non
contractuelle.
Ill Voy. plus généralement sur l'action collective: J.-Y. CARLIER, « Les actions collectives transfron-
tières. Rapport belge», Les actions collectives transfrontières des organisations de consommateurs (Zürich,
Schulthess, 1997), 45-68 ; M. FALLON, « An essay on the mutual recognition of group actions
(governmental, organisational or class actions) in cross-border consumer conflicts within the
European Community », Group Actions and the Defence ofthe Consumer Interest in the European Commu-
474 LA PROCÉDURE DANS LE CONTENTIEUX TRANSFRONTIÈRE

nity (Bruxelles, Story-Scientia, 1992), 245-261; ID., « Le droit communautaire au secours de


l'action collective transfrontière », Les actions collectives transfrontières des organisations de consomma-
teurs (Zürich, Schulchess, 1997), 229-257; C. KESSEDJIAN, « L'action en justice des associations de
consommateurs et d'autres organisations représentatives d'intérêts collectifs en Europe », Riv. dir.
int. pr. proc. (1997), 287-300; M.-L. NmoYET-HOEGY, précité n° 11.1, exprimant le principe de l'appli-
cation de la loi de l'institution pour le fonctionnement de laquelle le droit d'agir est accordé; F.
ÜSMAN, « Les actions collectives des consommateurs dans l'Union européenne : un nouveau défi
pour le droit international privé communautaire», Effets des jugements nationaux dans les autres États
membres de l'Union européenne (Bruxelles, Bruylant, 2001), 89-117 ; R. PHAIR, « Resolving the 'choice-
of-law' problem in Rule 23(6)(3) nationwide classs actions», Univ. Chicago L.R. (2000), 835-863.
111!En droit communautaire, le rattachement de la détermination du titre à la loi d'origine de
l'association est établi par la directive n ° 98/27 du 19 mai 1998 relative aux actions en cessation en
matière de protection des intérêts des consommateurs,].O.C.E. (1998), L 166. Sur cette directive,
voy. notamment: A. MORIN, « Les actions collectives transfrontières - La directive relative aux
actions en cessation en matière de protection des intérêts des consommateurs », Rev. aff eur.
(1998), 211-216.

B. La comparution par représentant devant une autorité publique


11.1 0 - Distinction entre la modalité de la comparution et l'incapacité - Il y a lieu de
distinguer les types de représentation liés au déroulement de la procédure, des problèmes
de représentation nécessaire suscités par l'incapacité de la personne qui doit comparaître.
(1) Appartiennent à la première série d'hypothèses:
- le caractère facultatif ou obligatoire de la comparution par mandataire (tel le
ministère des avoués, ou des avocats à la Cour de cassation) ;
- les règles relatives à la preuve du mandat (voy. par exemple l'art. 440, al. 2, C. jud.)
et, s'il doit être prouvé par écrit, à la forme de l'écrit.
Ces questions touchent de trop près au déroulement de la procédure pour pouvoir
être soustraites à la lex fori. La même solution prévaut en ce qui concerne la comparution
devant une autorité publique, notaire, officier de l'état civil.
(2) Toute différente apparaît la représentation des incapables, laquelle est assurée
conformément au statut personnel de l'intéressé.
111!Ainsi, il est de jurisprudence constante, en Belgique comme en France, que l'action alimentaire
est exercée au nom d'un enfant de nationalité allemande par le ]ugendamt ayant cette compétence
d'après la loi personnelle du mineur. Voy. en ce sens: Bruxelles, 14 février 1962, Pas. (1962), II, 227;
15 juin 1962, R.W (1962-1963), 1584.
Depuis l'entrée en vigueur du Code de droit international privé, la représentation relève de la loi de
la résidence plutôt que de celle de la nationalité (voy. infra, n ° 12.153).
1111 À propos de la représentation des personnes morales, voy. infra, n° 16.27.
Comp., à propos de la représentation de l'assuré par un tiers, en faveur de l'application de la loi
1111

du contrat: Anvers, 30 mai 1990,]ur. Anv. (1991), 126.

C. Le calcul des délais


11.11 - La théorie des qualifications - En droit interne, le législateur fixe des délais de
nature diverse, délais d'attente, délais de forclusion, délais à l'expiration desquels il n'est
plus permis d'accomplir un acte juridique, d'intenter une action en justice ou d'exercer
une voie de recours. Le choix du droit applicable à la prescription extinctive, qui a consti-
tué chez Kahn l'exemple type de conflit de lois latent ou conflit de qualifications (voy.
ÜÉLIMITATION DE LA PROCÉDURE 475

supra, n ° 7.7), n'est qu'un cas parmi d'autres du problème que suscitent en droit interna-
tional privé le calcul des délais et les conséquences qui découlent de leur transgression :
nullité de l'acte, forclusion, prescription extinctive.
Comme il appartient à la même loi de déterminer la durée du délai et les conséquen-
ces qui s'attachent à sa transgression, il serait erroné de faire varier selon la nature de cel-
les-ci la qualification (au sens donné à ce mot par Bartin) du délai lui-même, et surtout
d'en déduire une solution de conflit de lois.
1111Selon la théorie des qualifications, aurait un caractère procédural, le délai dont l'écoulement
fait obstacle à l'exercice d'une action en justice, tandis que le délai à l'expiration duquel l'obligation
est elle-même éteinte serait rattaché à la loi régissant cette obligation. En d'autres termes, la
méthode des qualifications renverse l'ordre des problèmes en prétendant subordonner le choix de
la loi compétente à la nature juridique propre à l'effet même prévu par cette loi.

Pour une application de la théorie de la qualification lege causae conduisant à la prescription du


Ill!
droit belge à propos d'un contrat soumis au droit anglais, voy. : Comm. Bruxelles, 15 février 1983,
Rev. dr. comm. belge (1984), 61, cité infra, n° 14.55.

11.12 - Les délais liés au déroulement du procès - Il ne paraît guère difficile de distin-
guer les délais de procédure, directement relatifs au déroulement de l'action, de tous les
délais qui, quelle que soit leur incidence sur ce déroulement, s'en laissent séparer. Seuls
les premiers sont impérativement fixés par la lex fori, tandis qu'il faut, en principe, ratta-
cher les seconds au droit applicable au fond.
1111Par exemple, l'effet interruptif de l'acte de citation dépend du droit applicable au fond, telle la
loi contractuelle, compétent pour fixer autant la longueur du délai de prescription que les causes
d'interruption. En revanche, la détermination des demandes pouvant être incluses dans l'acte
introductif d'instance dépend de la lex fori : il en est ainsi du point de savoir si une demande intro-
duite ultérieurement constirue une demande nouvelle (Cass., 29 novembre 1990, Billiet, Pas., 1991,
I, 321).

Cette interprétation stricte de la notion plus générale de loi procédurale (voy. supra,
n° 11.6) ne rattache à cette loi que les délais se rapportant immédiatement au déroule-
ment du procès.
Ill! Ont ce caractère :
- les délais d'attente ;
- les délais de citation (C. jud., art. 707 à 710) ;
- les délais qui fixent le temps dans lequel une partie doit conclure ou présenter ses moyens de
défense (C. jud., art. 747 et 748);
- les délais de forclusion pour l'exercice des voies de recours (C. jud., art. 1051) ou pour l'accom-
plissement de formalités liées à l'administration de la justice, tel le délai dans lequel il y a lieu de
requérir la transcription du dispositif d'un jugement de divorce (C. jud., art. 1275 et 1303).

En fixant ces délais de procédure, la !ex fori détermine aussi les conséquences qui
s'attachent à leur transgression.

11.13 - Les délais concernant le fond de l'action - Les délais qui ne se rattachent pas
directement au déroulement de l'action relèvent en principe du droit applicable au fond,
auquel il appartient de déterminer la durée du délai ainsi que sa nature : prescription
extinctive (avec les possibilités d'interruption ou de suspension que cela comporte), for-
clusion (ou délai fatal avec, le cas échéant, une intervention de la force majeure), extinc-
tion du droit lui-même.
476 lA PROCÉDURE DANS LE CONTENTIEUX TRANSFRONTIÈRE

Avec, parfois, des hésitations dans l'expression, la jurisprudence belge s'est nette-
ment prononcée en faveur d'une application restrictive de la !ex fori.
Ill Sont ainsi rattachés au statut de la personne intéressée :
- le délai dans lequel peut être introduite une action en recherche de maternité (Cass., 4 mai 1950,
Vigouroux, Pas., 1950, I, 624) ou de paternité (Civ. Charleroi, 12 janvier 1990,J.T, 1990, 662, con-
firmé par Mons, 25 juin 1991,].T, 1991, 744), ou une action en contestation de paternité (Civ.
Bruxelles, 20 février 1990, Pas., 1990, III, 93, Rev. gén. dr. civ., 1991, 86; 4 novembre 1998,J.T.,
1999, 583; Bruxelles, 23 avril 1998,]. T., 1999, 581);
- le délai d'exercice de l'action en désaveu (Civ. Verviers, 9 novembre 1953, j.T, 1954, 42; Civ.
Anvers, 16 novembre 1962, Pas., 1964, III, 52; Civ. Bruxelles, 12 novembre 1975, R.W, 1975-
1976, 1581);
- le délai d'exercice de l'action alimentaire non déclarative de filiation (Bruxelles, 13 juin 1964,
Pas., 1965, II, 184).
1111 De même, il appartient :
- au droit étranger régissant une lettre de change d'en régler la prescription (Cass., 14 juillet 1898,
Van Mill-Debly c. Ka/es, Pas., 1898, I, 274);
- à la loi contractuelle de déterminer les causes d'interruption de la prescription, tandis que la loi
procédurale détermine les actions visées par l'assignation (Cass., 29 novembre 1990, R. W, 1990-
1991, 1201; Trib. trav. Bruxelles, 16 février 2000, Chron. dr. soc., 2000, 548, évoquant le conflit
« insoluble» de qualifications) ;
- à la loi contractuelle plutôt qu'à la loi du for de déterminer le délai d'exercice d'une action en
paiement d'un arriéré de fret (Bruxelles, 21 octobre 1966,]ur. Anv., 1967, 25);
- au droit applicable à la responsabilité quasi délictuelle de fixer la prescription de l'action directe
contre l'assureur (Bruxelles, 3 novembre 1975,].T, 1976, 367) ou de l'action de la victime contre
le responsable (Bruxelles, 11 avril 1972, R. W, 1973-1974, 1212).
1111 En décidant que le droit allemand n'est pas contraire à l'ordre public en ce qu'il ne prévoit
aucun délai pour l'exercice de l'action alimentaire non déclarative de filiation, la Cour d'appel de
Bruxelles (13 juin 1964, précité) n'entend pas se prononcer sur l'imprescriptibilité de cette action,
mais soumettre la question au droit commun de la prescription.
Ill La détermination d'un délai spécial de prescription peut relever du concept de loi de police et
appelle alors, à ce titre, un raisonnement du conflit de lois emprunté à cette méthode. Voy. : Anvers,
8 juin 2004, Limb. Rechtsl. (2005), 24, note A. CLABOTS, supra, n ° 4.17.

11.14 - Bibliographie sur la prescription - La détermination du droit applicable à la


prescription est une question classique du droit des conflits de lois.
1111 Voy.: P. ARMINJON, « L'usucapion et la prescription extinctive en droit international privé»,

Mélanges Pillet (1929), t. l''", 19-56; FAYEZ HAGE-CHAHINE, Les conflits dans l'espace et dans le temps en
matière de prescription (Paris, Dalloz, 1977) ; ID., « La vérité jurisprudentielle sur la loi applicable à la
prescription extinctive de l'obligation», Mélanges A. Weill (Paris, Dalloz, 1983), 303-324; P. HAY,
« Die Qualifikation der Verjahrung im US-Amerikanischen Kollisionsrecht », IPRax (1989), 197-
202; M. PHILONENKO, « La prescription extinctive en droit international privé», Clunet (1936), 259-
283, 513-546.

D. La preuve des actes et des faits


11.15 - Application du droit qui régit la relation - En principe, la détermination du
mode de preuve d'un acte privé relève du droit applicable au rapport juridique. Il en va de
même de la preuve d'un fait pour les besoins de la détermination des droits et obligations
des parties à un rapport juridique. Cela vise en particulier l'établissement de la charge de
la preuve et les présomptions légales.
DÉLIMITATION DE LA PROCÉDURE 477

IllAinsi, la preuve d'un lien de filiation relève de la loi personnelle applicable à la validité de ce lien
(Bruxelles, 23 avril 1998,J. T., 1999, 581). Ou encore, la détermination du mode de preuve d'un fait
constitutif d'une faute quasi délictuelle, notamment l'établissement d'une présomption de faute,
dépend du droit applicable à l'action en responsabilité.
En revanche, la lex fori règle le mode d'administration de la preuve devant le juge, par
exemple le mode d'interrogation d'un témoin, ou la portée de l'attitude d'une partie face
aux allégations de l'autre partie. La même loi permet, le cas échéant, de s'opposer à
l'administration d'une preuve selon un mode qu'elle n'admet pas.
1111Voy. aussi, en droit communautaire: T.P.I.C.E., aff. T-172/01, 21 avril 2004, relatif à l'existence
d'une convention alimentaire au profit d'un fonctionnaire de la Communauté : à défaut de règle
matérielle en droit communautaire, le juge se réfère à la loi grecque qui régit la convention alimen-
taire après divorce pour permettre la preuve par témoins, tout en constatant que ce mode de preuve
est admis également en droit communautaire.
C'est aussi au droit du for qu'il appartient de fixer la force probante d'un acte public,
fût-ce avec une référence au droit de l'État où cet acte a été établi (voy. supra, n ° 10.57). En
revanche, la force probante d'un acte privé - savoir si le document présenté prouve, par
exemple, la réalité d'un échange de consentements qui y est constaté - relève du droit
applicable à cet acte.
IllEn matière de contrats, la preuve du consentement d'une partie relève de la loi contractuelle
mais cette partie peut invoquer une disposition plus favorable du droit de l'État de sa résidence
habituelle (voy. infra, n ° 14.55).
Contra: Bruxelles, 11 juin 2002, Rev. trim. dr. Jam. (2003), 329, qui, après avoir énoncé l'applica-
1111

tion de la loi de la nationalité pour déterminer la condition de consentement, se réfère à la loi de


procédure pour fixer les modes de preuve de l'absence de consentement.

11.16 - Preuve de l'existence d'un acte privé - La question de savoir si la preuve d'un
acte privé obéit ou non à un mode préconstitué (exigence d'un écrit, règle du « bon
pour» de l'article 1326 du Code civil) relève du droit applicable à la forme de l'acte.
L'interprétation alternative de la règle Locus regit actum autorise le recours à l'une des
formes admises, soit par le droit qui régit l'acte au fond, soit par le droit de l'État sur le
territoire duquel l'acte a été passé (voy. supra, n ° 3.32).
1111En matière de contrats, la Convention de Rome du 19 juin 1980 soumet la preuve de l'acte juri-
dique, alternativement, au droit du for ou au droit applicable à la forme, tantôt le droit du lieu de
conclusion, tantôt le droit qui régit le contrat au fond ·(art. 14, § 2; voy. infra, n ° 14.56). Le texte
précise toutefois que ce rattachement ne vaut que « pour autant que la preuve puisse être adminis-
trée selon [le mode ainsi autorisé] devant le tribunal saisi ». L'existence de présomptions légales ou
la répartition de la charge de la preuve obéit également au domaine de la loi qui régit le contrat au
fond (arc. 14, § 1er, de la Conv.). Comp. en France: Cass. (Fe ch. civ.), 5 janvier 1999, Ollanescu, Revue
(1999), 293, note A. HUET, évoquant l'alternative entre la loi du lieu de l'acte et la loi du for. ·
Pour un cas de preuve d'un mandat par la remise de fonds en vue de la construction d'une mos-
1111

quée en Arabie Saoudite, voy.: Civ. Liège, 30 novembre 1989,J.T. (1989), 78, écartant l'application
du droit belge et admettant celle du droit religieux.
IllSur la preuve du consentement en matière de filiation, voy. infra, n° 12.116 et 12.123; et sur la
détermination des modes de preuve, voy. infra, n ° 12.116.

11.17 - Obtention de preuves à l'étranger - Le droit belge permet d'adresser à une


autorité judiciaire étrangère une commission rogatoire pour faire procéder à un acte
d'instruction (C. jud., art. 11, al. 2), mais il n'admet l'exécution d'une commission roga-
toire émanant d'une autorité judiciaire étrangère qu'après autorisation du ministre de la
Justice (C. jud., art. 873, al. 2).
478 lA PROCÉDURE DANS LE CONTENTIEUX TRANSFRONTIÈRE

Ill Sur les commissions rogatoires étrangères, voy. la circulaire du ministre de la Justice du 14 mai
1888 (Monit., 20 mai 1888).
Ill La Cour de cassation (25 mars 1898, Capochiani c. Guzzolini et crts, Pas., 1898, I, 126) a très nette-
ment distingué l'obligation pour l'autorité judiciaire belge saisie de la demande émanant du juge
étranger de vérifier sa propre compétence ainsi que « la conformité du service réclamé avec les
règles du droit», sans qu'il lui appartienne de rechercher « si l'exécution de la commission roga-
toire est opportune et en concordance avec les convenances internationales et les intérêts du pays».
Alors que le deuxième point fait l'objet d'une appréciation politique du gouvernement que le légis-
lateur a attribuée au ministre de la Justice, le pouvoir judiciaire peut, par la décision qu'il rend sur
la première question, refuser d'exécuter la commission rogatoire que le ministre l'autorise à accom-
plir sans l'y contraindre.
1111Le ministère public est compétent pour faire exécuter par le tribunal la commission rogatoire
émanant d'un tribunal étranger que le ministre de la Justice lui a transmise à cette fin (Civ. Bruxel-
les, 13 juin 1896, même espèce), sans que les plaideurs intéressés aient qualité pour relever appel
d'une décision à laquelle ils n'ont pas été parties (Bruxelles, 16 décembre 1896, même espèce, Belg.
jud., 1897, 321).
Ill Le procureur du Roi peut interjeter appel contre une ordonnance refusant de donner exécution
à une commission rogatoire émanant d'une autorité étrangère (Bruxelles, 25 avril 1956, Pas., 1957,
II, 107).

De nombreux traités internationaux tendent à établir une coopération entre autori-


tés étatiques (voy. supra, n ° 8.43). Outre les traités bilatéraux, il faut citer la Convention
de La Haye du 1er mars 1954 relative à la procédure civile, en vigueur en Belgique, dont les
articles pertinents ont toutefois été remplacés, pour les États qui l'ont ratifiée - ce qui
n'est pas le cas de la Belgique-, par la Convention de La Haye du 18 mars 1970 sur
l'obtention des preuves à l'étranger en matière civile et commerciale.

11.18 - Obtention des preuves dans l'Union européenne - Le droit communautaire


connaît un mécanisme de coopération entre autorités des États membres de l'Union
européenne.
Le règlement 1206/2001 du 28 mai 2001 (j.O.C.E., 2001, L 174), entré en vigueur le
ier juillet 2001, tend à assurer une transmission directe et rapide des demandes d'actes
d'instruction entre les juridictions des États membres.
1111 Le règlement n'est pas applicable au Danemark, puisque la base juridique utilisée (art. 65 CE)
exclut une telle possibilité. En revanche, le Royaume-Uni et l'Irlande ont fait usage de la faculté
d'opt-in que leur offre le traité CE (voy. supra, n ° 8.6).
Le règlement n'exclut pas l'application d'autres instruments internationaux entre États mem-
1111

bres, pourvu que ceux-ci améliorent la coopération qu'il met en place.


La demande est transmise «parle moyen le plus rapide» (art. 6), à l'aide d'un for-
mulaire (art. 4). L'autorité requise procède à l'exécution conformément à son propre
droit, et ne peut y opposer un refus que dans des cas strictement énoncés (art. 14). La
juridiction requérante peut aussi procéder directement à un acte d'instruction dans un
autre État membre conformément à son propre droit, avec l'autorisation de l'organisme
central désigné par cet État et seulement pour les actes pouvant « avoir lieu sur une base
volontaire, sans qu'il soit nécessaire de recourir à des mesures coercitives» (art. 17).
La présence des parties lors de l'exécution est prévue, du moins si le droit de la juri-
diction requérante le permet, et les conditions de cette participation relèvent du droit de
l'État requis. La présence de représentants de la juridiction requérante est également pré-
vue, de même que leur participation à l'exécution de l'acte.
LA CONDITION PROCÉDURALE DE L'ÉTRANGER 479

La Commission CE est investie d'un pouvoir d'exécution du règlement. Elle tient à


jour un manuel contenant les informations communiquées par les États et indiquant les
juridictions compétentes pour procéder à des actes d'instruction (art. 19).

Section 2
La condition procédurale de l'étranger
11.19 - Principe d'assimilation au national - Hormis les règles de compétence judi-
ciaire fondées sur la nationalité belge du demandeur ou du défendeur (C. civ., art. 14 et
15 avant leur abrogation), et deux restrictions qui forment leur condition procédurale
propre (voy. ci-dessous), les étrangers ont toujours été soumis aux mêmes règles de com-
pétence et de procédure que les Belges.
Dès 1848, la Cour de cassation a tenu l'accès aux tribunaux du Royaume pour une
faculté du « droit des gens» dont aucun étranger n'est privé, et qui, au surplus, lui est
garantie par le principe constitutionnel d'égalité entre l'étranger et le Belge, sauf excep-
tion prévue par la loi. La règle doit être étendue à l'accès à toutes les autorités publiques
territoriales: officier de l'état civil, notaire, conservateur des hypothèques, receveur de
l'enregistrement, etc.
Sur l'accès des étrangers aux tribunaux belges, voy. : Cass., 3 août 1848, Flescher c. Valeriane, Pas.
1111

(1848), I, 358; 1er octobre 1880, Nys, Pas. (1880), 1,292. Dans la doctrine: LAURENT, r. rer, n'" 435 et s.
Le principe d'assimilation s'applique également aux personnes morales étrangères,
l'accès aux tribunaux leur étant assuré dans les mêmes conditions qu'aux personnes
morales correspondantes de droit belge, même si d'autres restrictions peuvent leur être
opposées, en vertu du droit applicable à la création et au fonctionnement de la personne
morale, ou encore du droit qui régit le fond de l'action (voy. infra, n° 16.27).

§ 1 LA CAUTION DE L'ÉTRANGER DEMANDEUR


11.20 - Droit commun - L'article 851 du Code judiciaire reprend le principe de l'ancien
article 16 du Code civil selon lequel la partie qui se défend contre l'action introduite par
un étranger peut exiger de celui-ci qu'il fournisse une caution ou toute autre sûreté, afin
de garantir le paiement de frais et dommages et intérêts résultant du procès. La disposi-
tion actuelle omet toutefois l'exception relative aux matières de commerce prévue par
l'ancien texte.
1111En France, la caution de l'étranger demandeur a été supprimée par l'abrogation de l'ancien
article 16 du Code civil (loin° 75-596 du 9 juillet 1975).
Ill L'étranger peut être une personne morale: Bruxelles, 14 mars 2002, Rev. dr. jud. (2003), 225.
Le Belge jouit d'un double privilège: à lui seul appartient le droit d'exiger caution
d'un étranger demandeur, et personne ne peut le contraindre à fournir semblable cau-
tion. L'étranger qui se défend contre un autre étranger ne peut donc soulever l'exception
judicatum solvi.
Le privilège ne vaut pas contre l'étranger défendeur. La qualité de demandeur s'apprécie au
1111

regard de l'action originaire (Civ. Bruxelles, 26 octobre 1987, J. T., 1988, 250; Bruxelles,
10 décembre 1996,].L.M.B., 1997, 1242, note G. DE LEVAL).
D'après la Cour de cassation, la règle a pour objet« de prémunir le justiciable belge,
ou le justiciable assimilé à ce dernier par l'article 13 [du Code civil], contre les pertes
480 LA PROCÉDURE DANS LE CONTENTIEUX TRANSFRONTIÈRE

pécuniaires que peut lui faire subir, par un procès sans fondement, un étranger n'offrant
pas de garanties, en Belgique, pour assurer le paiement des frais et des dommages et inté-
rêts auxquels il serait condamné» (Cass., 4 octobre 1965, Alhadeff,j.T, 1966, 148).
111 Pareille motivation explique pourquoi la jurisprudence a reconnu au Belge le droit d'exiger cau-
tion d'un établissement public étranger, alors même que celui-ci possédait des immeubles suffi-
sants en Belgique: étant insaisissables en vertu de l'immunité d'exécution dont jouissent les États
étrangers et leurs démembrements, ces biens ne peuvent pas constituer la garantie adéquate (Civ.
Bruxelles, 25 mars 1965,]. T, 1965, 332).
1111Est irrecevable pour défaut d'intérêt le pourvoi introduit contre une décision qui a rejeté
l'exception de caution, mais n'a pas condamné le demandeur aux frais ni à des dommages et inté-
rêts (Cass., 10 septembre 1987, Pas., 1988, I, 35, R W, 1987-1988, 1429, note]. ERAuw).
L'exception de caution doit être soulevée in limine litis et faire l'objet d'une décision séparée :
111
Mons, 15 octobre 1991, Pas. (1991), II, 191.
1111L'existence d'une réciprocité de fait dans le cas où l'État du demandeur n'exige pas de caution
est indifférente, puisque la caution vise à assurer l'exécution des pertes pécuniaires subies par le
défendeur au cas où le demandeur ne disposerait pas de biens sur le territoire (Liège, 25 novembre
2002,].T., 2003, 174).

11.21 - Instruments internationaux - Plusieurs traités suppriment explicitement l'obli-


gation de caution. Il en est ainsi des Conventions de La Haye de 1905 et de 1954, au profit
des « nationaux d'un des États contractants, ayant leur domicile dans l'un de ces États »
(art. 17, al. ier). Les articles 18 et 19 de ces conventions organisent une procédure simpli-
fiée de mise à exécution des « condamnations aux frais et dépens du procès» (art. 18,
al. 1er).
D'autres conventions encore, multilatérales ou bilatérales, ont également supprimé
la caution de l'étranger demandeur, dès que celui-ci a la nationalité de l'un des États con-
tractants.
111Sur ces conventions, voy. supra, n° 8.39. Pour la détermination de la qualité de« ressortissant» à
propos d'une société off-shore constituée selon le droit du Libéria, voy. : Cass., 15 décembre 1994,
Rev. crit. jur. belge (1997), 5, note]. VERHOEVEN.
La suppression par voie conventionnelle peut être implicite. Ainsi le traité CE exclut-
il que l'exception puisse être opposée au demandeur étranger, chaque fois que la situa-
tion entre dans le domaine d'application du traité. Selon la Cour de justice, cette disposi-
tion de procédure civile est de nature à créer une entrave aux échanges et tombe, à ce titre,
sous le contrôle, notamment, des articles 12 CE et 59 CE.
111 La condamnation est très ferme, mais elle ne vaut que si la situation est de celles - de caractère
essentiellement économique - qui entrent dans le domaine du droit communautaire. Voy. :
C.].C.E., aff. C-20/92, 1er juillet 1993, Hubbard, Rec. (1993), 1-3777,].T. (1993), 36, note M. EKEL-
MANS, Tijds. Not. (1994), 187, note F. BoucKAERT, Revue (1994), 633, note G. DROZ, évoquant« la pos-
sibilité pour les opérateurs étrangers de saisir une juridiction d'un État membre pour trancher les
litiges auxquels leurs activités économiques peuvent donner lieu, au même titre que les ressortis-
sants de cet État»; aff. C-43/95, 26 septembre 1996, Data Delecta, Rec. (1996), I-4661, Revue (1997),
33, note G. DROZ; aff. C-323/95, 20 mars 1997, Hayes, Rec. (1997), I-1711 ; aff. C-122/96, 2 octobre
1997, Saldanha, Rec. (1997), I-5325, ajoutant que la règle nationale qui ne conditionne pas l'excep-
tion de caution en fonction de l'importance des biens situés sur le territoire du for viole le principe
général de proportionnalité.
La même solution peut être déduite d'autres traités exigeant l'assimilation de
l'étranger au national, soit en matière de droits fondamentaux, soit dans une matière
particulière, par exemple en matière de propriété intellectuelle.
LA CONDITION PROCÉDURALE DE L'ÉTRANGER 481

Dès lors que le juge belge est appelé à apprécier l'exception au regard de l'état de fortune du
1111

demandeur, il n'y aurait pas de contrariété à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme :
Comm. Charleroi, 8 février 1994,].L.M.B. (1995), 21, note A. KOHL. En ce sens aussi: Comm. Mons,
2 novembre 2000, Rev. dr. cornm. belge (2001), 617, note C. RoMMELAERE, J. T (2001), 523, note M.
FALLON.
Serait contraire au principe de l'égal accès à la justice et, partant, à l'ordre public du juge requis, la
condamnation à une caution d'un montant prohibitif émanant d'une juridiction étrangère - dans
un pays ne connaissant pas cette exigence: Cass. (F" ch. civ.), 16 mars 1999, Pordea, Revue (2000),
223, note G. DRoz, dans le cadre de l'article 27 de la Convention de Bruxelles.
1111À propos de la protection du droit d'auteur, voy. l'interprétation donnée à l'article 4 de la Con-
vention de Berne dans sa version du 26 juin 1948 par: Civ. Bruxelles, 14 février 1997, Rev. gén. dr.
civ. (1997), 232.

11.22 - Étendue de l'assimilation au national - Les dispositions des traités internatio-


naux relatives à la caution suscitent une question d'interprétation : le privilège se limite-
r-il à dispenser l'étranger demandeur de l'obligation de fournir caution, ou lui permet-il,
en outre, s'il est défendeur, de l'exiger d'un autre étranger demandeur, soumis au droit
commun?
Pour répondre à cette question, il faut interpréter les termes et l'esprit de chaque dis-
position conventionnelle. Celles qui contiennent une clause générale de non-discrimina-
tion ou d'assimilation aux nationaux étendent à l'étranger qui en bénéficie le droit,
comme défendeur, d'exiger caution des étrangers demandeurs non privilégiés.
La clause d'assimilation aux nationaux de l'article 16, § 3, de la Convention de Genève sur lesta-
1111

tut des réfugiés et de la Convention de New York sur le statut des apatrides doit recevoir la même
interprétation. En ce sens, voy.: Comm. Bruxelles, 18 février 1987, Rev. dr. comrn. belge (1988), 324.
Sur l'interprétation plus restrictive de la jurisprudence française avant l'abrogation de l'article 16
du Code civil français, voy.: P. LAGARDE, v0 «Apatride», Rép. Dalloz (1999).
La question d'une extension de l'assimilation aux personnes en attente d'obtenir le statut d'apa-
1111

tride ou aux apatrides de fait s'est posée. Pour une appréciation in concreto lorsque le demandeur est
un apatride ne bénéficiant pas du statut administratif, voy. : Civ. Bruxelles, 9 décembre 1998,
].L.M.B. (2001), 486. De même, pour un candidat apatride dans son action contre l'État en vue
d'obtenir le statut: Bruxelles, 29 février 2000, Alg.]ur. Tijdschr. (2000), 242.
En revanche, les termes de l'article 17, alinéa 1er, de la Convention de La Haye, du 1er mars 1954,
1111

sur la procédure civile(« Aucune caution ni dépôt[ ... ] ne peut être imposé[ ... ] aux nationaux d'un
des États contractants [... ] ») n'impliquent que la seule dispense d'être condamné à fournir caution
comme demandeur. Voy. aussi l'article 9 de la Convention européenne d'établissement.

§2 L'ASSISTANCE JUDICIAIRE
11.23 - Extension du bénéfice de l'assistance judiciaire - L'article 667 du Code judi-
ciaire réserve aux Belges le bénéfice de l'assistance judiciaire.
Toutefois, de nombreuses catégories d'étrangers peuvent se prévaloir d'une exten-
sion du bénéfice de l'assistance, en vertu du droit commun ou d'un traité international
(art. 668). Il s'agit de tout ressortissant d'un État membre du Conseil de l'Europe, de tout
étranger qui a, d'une manière régulière, sa résidence habituelle en Belgique et de tout
étranger dans les procédures prévues par la loi sur l'accès au territoire, le séjour, l'établis-
sement et l'éloignement des étrangers.
Ill De nombreux traités garantissent le droit à l'assistance judiciaire aux catégories d'étrangers qu'ils
désignent (voy. supra, n° 8.39). Un tel droit découlerait également implicitement du traité CE, selon
un raisonnement analogue à celui qui a été arrêté à propos de la caution de l'étranger demandeur.
482 LA PROCÉDURE DANS LE CONTENTIEUX TRANSFRONTIÈRE

1111 Voy. aussi !'Accord européen sur la transmission des demandes d'assistance judiciaire, fait à

Strasbourg le 27 janvier 1977 (supra, n° 8.44) et le rapport explicatif concernant cet Accord, publié
par le Conseil de l'Europe.

La directive 2002/8 du 27 janvier 2003 visant à améliorer l'accès à la justice dans les
affaires transfrontalières par l'établissement de règles minimales communes relatives à
l'aide judiciaire accordée dans le cadre de telles affaires (J.O.C.E., 2003, L 26), oblige les
États membres à étendre l'aide judiciaire de manière non discriminatoire à toute
personne domiciliée ou résidant dans un autre État membre, qu'elle soit une ressortis-
sante d'un État membre ou une ressortissante d'un pays tiers en séjour régulier dans un
État membre. De plus, l'aide doit être «appropriée», de manière à garantir un accès
« effectif» à la justice.
Comme pour d'autres actes basés sur les articles 61 CE et s., le terme« État membre» s'entend
illl
de roue État membre à l'exception du Danemark.

Section 3
La communication des actes judiciaires
à l'étranger
11.24 - Droit commun - En l'absence de traité, le législateur localise fictivement sur le
territoire belge l'accomplissement des actes requis pour qu'une personne qui n'a, dans ce
pays,« ni domicile, ni résidence, ni domicile élu connus», soit régulièrement citée devant
un tribunal belge (C. jud., art. 40).
Deux hypothèses doivent être distinguées.
Soit le destinataire de l'acte possède, à l'étranger, un domicile. La communication
est alors faite par envoi postal.
1111Une copie de l'exploit est adressée par l'huissier de justice sous pli recommandé à la poste au
domicile ou à la résidence à l'étranger « et en outre par avion si le point de destination n'est pas
dans un État limitrophe». « La signification est réputée accomplie par la remise de l'acte aux servi-
ces de la poste contre récépissé de l'envoi dans les formes prévues au présent article» (art. 40,
al. 1er). Pour un cas de double envoi par avion et par la poste, voy. : Gand, 10 mars 2004, Rev. dr. jud.
(2004), 136.
L'envoi postal ne peut être effectué valablement que s'il n'est pas exclu par un instrument inter-
1111

national (voy. ci-dessous). En revanche, son irrégularité selon la loi du pays de destination - par
exemple en Autriche ou en Suisse - est indifférente.
Soit le destinataire n'a« en Belgique ni à l'étranger de domicile, de résidence ou de
domicile élu connus». La signification est alors faite au procureur du Roi (art. 40, al. 2).
Toutefois, ces deux formes exceptionnelles de signification seraient non avenues si la
partie à la requête de laquelle l'acte a été accompli connaissait le domicile ou la résidence
du signifié en Belgique ou à l'étranger (art. 40, al. 4).
Ce mécanisme repose sur la localisation ou la connaissance du domicile, deux élé-
ments qui ont soulevé des questions pratiques délicates.
illl Pour un exposé d'une jurisprudence abondante, voy.: H. BoRN et M. FALLON (précités n° 8.1).

1111L'article 40 vise à concilier deux exigences contradictoires, à savoir éviter des communications
abusives à l'étranger tout en gardant pour exceptionnelle l'hypothèse où la communication peut
être faite au procureur du Roi, puisque le procédé ne garantit nullement l'arrivée de l'acte à destina-
LA COMMUNICATION DES ACTES JUDICIAIRES À L'ITRANGER 483

tion. La situation du demandeur est donc délicate, car il lui appartient de faire une recherche qui
ne confine pas pour autant à une enquête (Civ. Liège, 22 mars 2004,j.L.M.B., 2005, 434). Elle l'est
encore davantage en cas de changement du domicile du défendeur à l'étranger. Normalement, le
risque d'un tel changement est à charge du demandeur (Cass., 8 septembre 1975, Verschueren c. Kat-
sar:z;yris, Pas., 1976, !, 36; 24 juin 1982, Welsh, Pas., 1982, 1, 1255). Il en va toutefois autrement lors-
que l'ignorance est imputable à la négligence du destinataire, auquel cas la communication au
procureur du Roi pourra être considérée comme régulière (Cass., 22 mai 1980, Wachskerz c. De Don-
der, Pas., 1980, !, 1168). Il en va de même lorsque le destinataire a communiqué une adresse impré-
cise ou inexacte (Cass., 15 décembre 1993, Pauwels, Pas., 1993, !, 1071) ou encore lorsque les
informations concernant un domicile à l'étranger n'indiquent qu'une pure éventualité (Cass.,
14 février 1995, Sea/ici, Pas., 1995, !, 179).
Sur ce que « l'adresse de référence » en Belgique est bien constitutive de domicile au sens de
l'article 40, voy.: Cass., 19 avril 2002,].L.M.B. (2003), 1000, note V. D'HUART.

!IllL'appréciation exacte du devoir de connaissance relève du juge du fond: Cass., 22 octobre 1987,
Pas. (1988), I, 211.

11.25 - Mode de transmission conventionnel - L'application des conventions interna-


tionales relatives à la communication des actes judiciaires a soulevé une abondante juris-
prudence. Il y a lieu d'être particulièrement attentif au choix de l'instrument approprié
parmi les conventions multilatérales et bilatérales en vigueur.
Pour une liste des conventions, voy. supra, n° 8.40. L'instrument de référence est la Convention
11!1
de La Haye du 15 novembre 1965.

1111 Sur cette jurisprudence, voy. la chronique de H. BORN et M. FALLON (précités n ° 8.1).

Ces conventions concernent les « matières civile et commerciale». La définition de ces termes
1111

peut être délicate (comp. supra, n° 8.14, à propos du règlement« Bruxelles I »). Il convient en cout
cas de chercher à s'inspirer des travaux préparatoires. Ainsi apparaît-il que la Convention de La
Haye du 15 novembre 1965 ne porte pas sur une demande de sécurité sociale. Contra: Cass.,
30 septembre 1985, Pycke c. O.N.A.FTS., Pas. (1986), I, 89,jur. Liège (1986), 62, supra, n° 1.9.

11.26 - Moment de l'accomplissement de la formalité - Lorsqu'en vertu de ces conven-


tions les autorités belges transmettent l'acte à signifier aux autorités compétentes du
pays dans lequel se trouve le destinataire de l'acte, la Cour de cassation décide que la for-
malité est réputée accomplie au moment où l'autorité étrangère compétente a reçu le
document dont elle doit assurer la transmission et la remise à la personne soumise à sa
juridiction. Il en va différemment lorsque la disposition conventionnelle prévoit la
remise de l'acte au destinataire, comme c'est le cas de l'article IV du Prorocole annexé à la
Convention de Bruxelles (voy. infra, n ° 11.28).
1111 Voy. notamment: Cass., 24 mars 1975, Pas. (1975), I, 750, en ce qui concerne la remise de l'acte
au président du Landgericht ou de l'Amtsgericht pour l'application de la Convention belgo-alle-
mande du 25 avril 1959. Voy. les confirmations ultérieures citées par H. BORN et M. FALLON,]. T
(1983), 187, (1987), 462, (1992), 407, notamment Cass., 3 octobre 1979, Severin c. Dieter, Pas."(1979),
I, 150.

1111 Avant l'adoption du Code judiciaire, voy. déjà en ce sens: Cass., 4 mars 1954, Pas. (1954), !, 577;
2 mars 1961, Pas. (1961), 721; 26 juin 1964, Pas. (1964), 1, 1155,].T (1964), 576, en ce qui concerne
la remise d'un exploit par le consul de Belgique à l'autorité compétente de l'État requis.

La détermination du moment auquel la communication est faite relève de l'interpré-


tation du traité si celui-ci procure un élément de solution et, à défaut, du droit de l'État
sur le territoire duquel la formalité est accomplie, comme il en va plus généralement de la
régularité de la communication. Si l'application du droit de l'État requis laisse la déter-
484 LA PROCÉDURE DANS LE CONTENTIEUX TRANSFRONTIÈRE

mination de la date incertaine, il appartient aux États d'instituer les mécanismes d'infor-
mation appropriés.
Dans les rapports belgo-allemands, il appartient au demandeur de prouver que l'autorité alle-
1111

mande compétente a envoyé un accusé de réception de l'acte (Cass., 19 mai 1982, Pas., 1982, I,
1102; 8 Juin 1988, Pas., 1988, I, 1202).
Lorsque la communication est faite en vertu de la Convention de La Haye du 15 novembre
111!
1965, celle-ci paraît supposer que la communication n'a lieu qu'au jour où le destinataire a été mis
en mesure de recevoir l'acte (art. 5 et 15). Voy. à ce sujet: M. FALLON, note sous Comm. Liège,
31 mars 1983,].T (1984), 21; Gand, 10 mars 2004, Rev. dr.jud. (2004), 136; plus généralement en
faveur de la remise au destinataire, F. RrGAUX, « La signification des actes judiciaires à l'étranger»,
Revue (1963), 465-467.

111L'article 15 de la Convention de La Haye confirme également que, lorsque la communication a


eu lieu selon un procédé qui n'y est pas prévu, il y a lieu de respecter les formes suivies par le droit
de l'État requis. Il en va de même selon la Convention de Bruxelles, à propos du motif de refus
d'une décision étrangère tenant à l'irrégularité de la communication de l'acte introductif d'ins-
tance devant le juge d'origine (C.J.C.E., aff. C-123/91, 12 novembre 1992, Mina/met, Rec., 1992, 1-
5661, Revue, 1993, 81, note G. DROZ; voy. supra, n ° 10.22) - contrôle que le règlement 44/2001 a
supprimé.
Comme les mécanismes conventionnels tendent à favoriser l'accomplissement de la
formalité, il faut les tenir pour complémentaires et il suffit à l'expéditeur d'utiliser l'un
des modes admis.
Cette pluralité des modes de communication engendre la pratique d'un cumul de
communications, ce qui soulève la question de la détermination de la date de l'accom-
plissement de la formalité lorsque les diverses communications ont été effectuées régu-
lièrement. Une tendance naturelle consiste à retenir la première date, celle à laquelle l'une
des communciations est réputée avoir été accomplie, même fictivement. Cette solution a
pour inconvénient de donner une priorité de fait à un mode suranné, l'envoi postal, sur
d'autres modes qui garantissent davantage la remise effective au destinataire. Une règle
s'en référant plutôt, à tout le moins pour le calcul de l'expiration d'un délai de recours, à
la date de la première réception, paraît plus respectueuse du principe de protection juri-
dictionnelle du défendeur.
1111Pour une référence à la date de la première signification, aux fins du calcul d'un délai pour se
pourvoir en cassation, voy.: Cass., 4 novembre 1993, ].L.M.B. (1994), 917, note G. BLOCK; Gand,
12 septembre 2003, Rev. dr. ULg (2004), 424, note 1. BAMBUST, en faveur de l'envoi postal. Comp.
infra, n ° 11.28, le concept de la double daMtion avancé dans le cadre de l'Union européenne.

11.27 - Sanction de l'irrégularité d'une communication - Normalement, les conven-


tions relatives à la communication des actes règlent uniquement leur mode de transmis-
sion, non la conséquence de leur accomplissement sur la poursuite de la procédure. La
sanction de l'irrégularité de la communication, comme la fixation des délais procédu-
raux, relèvent donc du droit de la juridiction devant laquelle la procédure est introduite.
L'article 15 de la Convention de La Haye du 15 novembre 1965 fait obligation au
juge saisi de surseoir à statuer en cas de défaut aussi longtemps qu'il n'est pas établi,
notamment, que la signification a eu lieu en temps utile pour la défense. Cette déroga-
tion a toutefois une portée limitée et n'affecte ni la fixation des délais ni, sans doute, la
sanction de leur violation.
Ill Voy. à ce sujet M. FALLON, précité,]. T (1984), 21, ainsi que: Mons, 13 janvier 1995, Actualités du
droit ( 1996), 39. La Belgique a fait la déclaration prévue par l'alinéa 2 de l'article 15.
LA COMMUNICATION DES ACTES JUDICIAIRES À L'ÉTRANGER 485

11.28 - Communication des actes dans l'Union européenne - La nature particulière


des liens formés dans un« espace intérieur» appelle l'établissement de formalités aussi
proches que possible de celles qui prévalent dans l'ordre interne. C'est à quoi tendent
divers instruments élaborés dans le cadre de la coopération intergouvernementale.
Ainsi, l'article IV du protocole annexé à la Convention de Bruxelles prévoit, en com-
plément d'autres modes de transmission (Cass. fr., ire ch. civ., 2 mai 2001, Revue, 2001,
717, note E. PorssoN-DROCOURT), un système simplifié de communication d'officier
ministériel à officier ministériel, que les États peuvent cependant refuser par déclaration
faite au secrétaire général du Conseil de l'Union européenne. L'acte est remis au destina-
taire par l'officier ministériel de l'État requis, remise qui est constatée par une attestation
envoyée par l'autorité étrangère (Cass., 19 novembre 1980, Pas., 1981, I, 331).
Le règlement 1348/2000 du 29 mai 2000 relatif à la signification et à la notification
dans les États membres des actes judiciaires et extrajudiciaires en matière civile et com-
merciale U.O.C.E., 2000, L 160), est en vigueur entre États membres - à l'exception du
Danemark - depuis le 31 mai 2001.
!li Le règlement reprend la substance de la Convention du 26 mai 1995 ayant cet objet, établie
dans le cadre de la coopération intergouvernementale prévue par l'article K du traité sur l'Union
européenne avant sa modification par le traité d'Amsterdam.
Un rapport explicatif avait été joint à cette convention (j.O.C.E., 1997, C 261) et peut encore servir
utilement à l'interprétation du règlement.

L'acte tend à établir une communication directe et rapide entre les entités - locales
ou centrales - désignées par les États membres, et à déterminer la date de l'accomplisse-
ment de la formalité malgré les différences entre les règles procédurales des États mem-
bres.
lili Le règlement ne s'applique pas« lorsque l'adresse du destinataire est inconnue» (art. F', § 2).

Le règlement contient également une disposition relative à la vérification, par le juge devant
1111

lequel le défendeur ne comparaît pas, que la communication a été faite en temps utile (arc. 19) en
des termes inspirés de l'article 15 de la Convention de La Haye du 15 novembre 1965.

L'acte est transmis« par tout moyen approprié» pourvu que l'intégrité et la lisibilité
du contenu soient préservées, et il est accompagné du formulaire type dont un modèle
figure en annexe du règlement (art. 4).
!IllD'autres moyens restent ouverts, soit ceux permis par d'autres instruments, pourvu qu'ils facili-
tent la communication et ne contreviennent pas au règlement (arc. 20), soit ceux qu'autorise le
règlement, par voie consulaire ou diplomatique (art. 12), par la poste à moins d'une réserve expri-
mée par l'État destinataire (art. 14), ou directement à la demande du requérant par les soins« des
officiers ministériels, fonctionnaires ou autres personnes compétents de l'État membre requis» - à
moins que l'État requis ne s'y oppose (art. 15).

L'entité requise adresse un accusé de réception à l'entité émettrice (art. 6) et elle


assure la signification ou la notification de l'acte « dans les meilleurs délais» selon sa
propre loi ou selon la forme particulière demandée par l'entité émettrice (art. 7). Elle
adresse enfin à l'entité d'origine une attestation établie selon un formulaire type lorsque
les formalités relatives à la signification ou à la notification ont été accomplies (art. 10).
Le destinataire peut refuser l'acte s'il est établi dans une langue autre que la langue
officielle du lieu de la signification ou notification ou une langue de l'État d'origine
«comprise» par lui (art. 8).
486 LA PROCÉDURE DANS LE CONTENTIEUX TRANSFRONTIÈRE

La détermination de la date de l'accomplissement de la formalité fait l'objet d'une


disposition complexe, faisant appel à un concept fonctionnel de double datation (art. 9).
En principe, la formalité est accomplie au jour de son exécution conformément au droit
de l'État requis: cette solution protège le destinataire, dans le cas, par exemple, de la
détermination d'un délai de recours. Cependant, à l'égard du requérant, la détermination
de la date dépend du droit de l'État d'origine lorsque l'acte doit être transmis dans un
délai déterminé dans le cadre d'une procédure à introduire ou en cours dans cet État.
Cette exception permet au requérant de connaître la date de la formalité pour les besoins,
par exemple, de l'interruption d'une prescription. En d'autres termes, la date d'une trans-
mission donnée pourra varier en fonction du requérant et en fonction du destinataire.
L'État peut « déroger» à ces dispositions « pendant une période de transition de cinq ans
1111

[renouvelable], pour des motifs valables» (arc. 9, § 3).


llllPour un cas d'application concernant la remise en mains propres en Belgique par voie d'huissier
d'un acte d'opposition à un Jugement transmis d'Allemagne à l'autorité centrale belge, voy.: Civ.
Bruxelles, 8 septembre 2003, Rev. dr. jud. (2004), 140, note D. DE MAESENEER, retenant, pour
l'auteur de la signification, la date d'expression formelle de sa volonté par la remise de l'acte à
l'autorité centrale.
La Commission est chargée de fonctions d'exécution importantes (art. 17). Elle met
à jour annuellement un manuel des entités désignées par les États membres, un réper-
toire des actes visés par le règlement et adapte, si nécessaire, le formulaire type annexé au
règlement.
1111Voy. le manuel d'entités et le répertoire des actes publiés par la décision 2001/781 de la Com-
mission du 25 septembre 2001 (J.O.C.E., 2001, L 298), complétés, en ce qui concerne l'Allemagne,
par la décision 2002/350 du 3 avril 2002 (J.O.C.E., 2002, L 125), puis corrigés pour le Royaume-Uni
(J.O.C.E., 2003, L 60).
llllLa Commission assure aussi la publication des communications diverses que les États sont
tenus d'adresser en vertu de l'article 23, concernant, notamment, la détermination des entités com-
pétentes, la dérogation aux dispositions sur la double datation, les langues dont l'utilisation est
admise, l'acceptation de l'envoi postal ou de la communication par officier ministériel. Voy. :
j.O.C.E. (2001), C 151, C 202, C 282, (2002), C 13, (2003), C 65, C 136, (2004), C 37.

Pour un état du fonctionnement du règlement, voy. le rapport de la Commission du 10 octobre


llll
2004, COM/2004/603 final.
TITRES

' ,
REGLES SPECIALES
CHAPITRE 12

LA PERSONNE
ET LES RAPPORTS DE FAMILLE
Section 1
Observations générales sur le statut personnel
12.1 - Bibliographie générale

a) Monographies
S. ALDEEB et A. BoNOMI (dir.), Le droit musulman de la famille et des successions à l'épreuve des ordres ;uridi-
ques occidentaux (Zürich, Schulthess, 1999) ; D. BOULANGER et J.-L. BOURGEOIS, Notariat, relations com-
munautaires et internationales (Conférence de La Haye de droit international privé) (Bruxelles,
Bruylant, 1994) ; F. BOULANGER, Droit civil de la famille: Aspects internes et internationaux (Paris, Econo-
mica, 1990), 385 p. ; A. BUCHER, L'enfant en droit international privé (Bâle, Helbing & Lichtenhahn,
2003) ; Io., Le couple en droit international privé (Bâle, Helbing & Lichtenhahn, 2004) ; F. CADET,
L'ordre public en droit international de la famille: étude comparée France-Espagne (Paris, L'Harmattan,
2005); A. CALVO CARAVACA, Estatuto persona/ y multiculturalidad de la familia (Madrid, Colex, 2000);
J.-Y. CARLIER, Autonomie de la volonté et statut personnel (Bruxelles, Bruylant, 1992) ;J-Y. CARLIER et M.
VERWILGHEN (dir.), Le statut personnel des musulmans - Droit comparé et droit international privé (Bruxel-
les, Bruylant, 1992); J. CARRASCOSA GONZALEZ, Matrimonio y eleccion de Ley (Grenade, Comares,
2000); J. DE BuRLET, Traité de l'état civil - Les relations internationales (Bruxelles, Larcier, 1987);
F. DEKEUWER-DEFOSSEZ (dir.), Internationalisation des droits de l'homme et évolution du droit de la famille
(Paris, LGDJ, 1996); A. ELGEDDAWY, Relations entre systèmes confessionnel et laïque en droit international
privé (Paris, Dalloz, 1971); I. FADLALLAH, La famille légitime en droit international privé (Paris, Dalloz,
1977); M.-C. FoBLETS, Les familles maghrébines et la justice en Belgique -Anthropologie juridique et immi-
gration (Paris, Karthala, 1994) ; Io. (dir. ), Femmes marocaines et conflits familiaux en immigration (Anvers,
Maklu, 1998); L. GANNAGÉ, La hiérarchie des normes et les méthodes du droit international privé. Etude de
droit international privé de la famille (Paris, LGDJ, 2001); P. GANNAGÉ (dir.), Le pluralisme des statuts per-
sonnels dans les États multicommunautaires (Bruxelles, Bruylant, 2002); D. HENRICH, Internationales
Familienrecht (Frankfort, Ver!. Standesamtswesen, 1989); M. HUNTER-HENIN, Pour une redéfinition du
statut personnel (Aix, PUAM, 2005); E. ]ACOBY (dir.), Les familles sans frontière en Europe, 101 e Congrès
des notaires de France (Assoc. Congrès Not. France, 2005); E. }AYME et H.-P. MANSEL, Nation und
Staat im Internationalen Privatrecht (Müller, Heidelberg, 1990); U. KôTTERS, Parteiautonomie und
Anknüpfungsmaximen - Ein Vergleich des deutschen und U.S.-amerikanischen internationalen Familien- und
Erbrechts (Frankfort, Lang, 1989); N. LOWE (dir.), Families across frontiers (La Haye, Kluwer, 1996);
J.-D. McCLEAN, Recognition offamily judgments in the Commonwealth (London, Butterworths, 1983);
J. NASIR, The status of women under Islamiclaw (Dordrecht, Nijhoff, 1994) ; C. RoCHAT, La dislocation du
statut personnel - Étude de droit international privé (Lausanne, Imp. Vaudoise, 1986) ; M. VERWILGHEN
(dir.), Nationalité et statut personnel (Bruxelles, Bruylant, 1984); N. WATTÉ, Les droits et devoirs respectifs
des époux en droit international privé (Bruxelles, Larcier, 1987).
490 LA PERSONNE ET LES RAPPORTS DE FAMILLE

b) Etudes générales
Outre les études mentionnées dans les bibliographies propres à chaque section de ce chapitre, voy. :
F. BALLION, « La pratique judiciaire et administrative et le droit maghrébin des personnes dans
l'arrondissement judiciaire de Bruxelles »,].].P (1989), 69-94; F. BoucKAERT, « Internacionaal pri-
vaatrecht en grepen uit de notariele praktijk. Ontleding van casussen », Tijds. Not. (1998), 322-343;
A. BUCHER, « La famille en droit international privé », Recueil des cours, vol. 283 (2000), 9-186 ; J. DE
CEUSTER et K. LENAERTS, « Het personen- en familierecht in het internationaal privaatrecht », Perso-
nen- en Familierecht (Anvers, Kluwer, permanent) ; J. DEPREZ, « Droit international privé et conflit de
civilisations - Aspects méthodologiques», Recueil des cours, vol. 211 (1988-III), 9-372; M. FALLON,
« Chronique de jurisprudence - Les conflits de lois relatifs à la personne et aux relations
familiales», Rev. trim. dr. fam. (1988), 193-246; ID.,« Une chronique anticipée du droit internatio-
nal privé de la famille (1980-2000) », Rev. trim. dr. fam. (1991), 475-494; M.-C. FOBLETS, « La femme
marocaine et sa loi en Belgique», Rev. dr. étr. (1991), 336-342; ID., « Conflits conjugaux et
immigration: libérer la femme marocaine musulmane malgré elle?», Ann. droit (1999), 45-68; ID.,
« Migrant women caught between Islamic family law ans women's righcs. The search for the appro-
priate 'connecting factor' in international family law », Maastricht]. eur. camp. L. (2000), 11-34 ;
P. GANNAGÉ, « La pénétration de l'autonomie de la volonté dans le droit international privé de la
famille», Revue (1992), 425-454; A. HEYVAERT, « De grenzen van de gezinsautonomie in de interna-
tionale openbare orde in België », RW (1981-1982), 2221-2242; ID.,« Het gelijkheidsbeginsel in
het Belgisch internationaal huwelijks-, echtscheidings- en afstammingsrecht », R W (1991-1992),
1194-1202 ; A. GIARDINA, « La Corte Costitutionale ed i rapporti personali tra coniugi ne! diritto
internazionale privato », Riv. dir. int. priv. proc. (1987), 209-226; E. ]AYME, « Diritto di famiglia:
società multiculturale e nuovi sviluppi del diritto internazionale privato », Riv. dir. int. priv. proc.
(1993), 295-304; C. KoHLER, « L'article 220 du traité CEE et les conflits de juridictions en matière
de relations familiales: premières réflexions», Riv. dir. int. priv. proc. (1992), 221-240; C. LABRUSSE,
« La compétence et l'application des lois nationales face au phénomène de l'immigration
étrangère», Trav. Comitéfr. d.i.p. (1975-1977), 111-133; K. LENAERTS, « Chroniek van het internatio-
naal privaatrecht », R.W (1986-1987), 1857-1908, 1937-1944; (1989-1990), 902-920; ID.,« Der
Staatsangehorigkeitsgrundsatz im belgischen Internationalen Privatrecht », Nation und Staat (Hei-
delberg, Müller, 1988), 165-192; Y. LEQUETTE, « Le droit international privé de la famille à l'épreuve
des conventions internationales», Recueil des cours, vol. 246 (1994-II), 9-234; M. LIÉNARD-LIGNY,
« Nationalité belge et statut personnel depuis la loi du 28 juin 1984 », Ann. Liège (1985), 195-238;
A. MEZGHANI, « Le juge français et les institutions de droit musulman», Clunet (2003), 721-766;
P.-M. NORTH, « Development of rules of priva te international law in the field of family law », Recueil
des cours, vol. 166 (1980-I), 9-118; L. PALSSON, « Rules, problems and trends in family conflict of
laws », Recueil des cours, vol. 199 (1986-IV), 313-414; F. RIGAUX, « La condition des personnes dans
l'Europe de 1993 », Rev. belge dr. int. (1992), 519-535; F. RIGAUX et G. VAN HECKE,« Examen de juris-
prudence - Droit international privé (1981-1990) », Rev. crit. jur. belge (1991), 143-203; S. SAROLÉA,
« Chronique de jurisprudence. Les conflits de lois relatifs à la personne et aux relations familiales
(1988-1996) », Rev. trim. dr. fam. (1997), 5-80; ID., « Le Code de droit international privé et le
droit familial: le grand nettoyage de printemps», Rev. trim. dr. fam. (2004), 819-872; N. WATTÉ,
« Les relations familiales en droit international privé et l'incidence du principe de l'égalité entre
l'homme et la femme», Mélanges R. Vander Elst (Bruxelles, Nemesis, 1986), 911-928; P. WAUTELET,
« Le Code de droit international privé et les relations matrimoniales internationales», Rev. Div.
(2005), 49-60.

12.2 - Présentation - Avant d'analyser les différentes questions de statut personnel


dans les sections particulières, il est utile d'évoquer la problématique, déterminante en
cette matière, de la dualité entre la nationalité et la résidence habituelle comme facteurs
de rattachement. De plus, il convient d'être attentif à la nécessité de dissocier nettement
les questions de droit civil des questions de droit administratif qui y sont souvent liées.
ÜBSERVATIONS GÉNÉRALES SUR LE STATUT PERSONNEL 491

§ 1 ETENDUE ET LIMITES DE L'APPLICATION


DE LA LOI DE LA NATIONALITÉ
12.3 - Prédominance de la nationalité - Depuis 1804, l'article 3, alinéa 3, du Code civil,
source générale du droit international privé belge en matière d'état et de capacité des per-
sonnes, soumettait celles-ci à la loi du pays dont elles ont la nationalité. Des lois parti-
culières y avaient déjà dérogé, notamment la loi du 27 juin 1960 sur l'admissibilité du
divorce lorsqu'un des conjoints au moins est étranger.
1111 La prédominance du critère de la nationalité s'observe également sur l'ensemble du continent
européen, à l'exception de la Suisse. Comp. l'affirmation selon laquelle la solution constitue un
principe commun, par la Commission de compensation mise en place suite à la guerre entre Irak-
Koweit, 26 mai 1994, I.L.M. (1995), 265.

Le Code de 2004 maintient la prédominance de la nationalité pour la détermination


de l'état et de la capacité de la personne (art. 38 Codip ), telle la détermination du nom ou
des conditions de validité du mariage ou d'un lien de filiation biologique. Il atténue
cependant ce principe, au profit du critère de la résidence habituelle, pour les questions
qui, tout en relevant du droit de la personne et de la famille, affectent plutôt les condi-
tions de vie de la personne dans son milieu social. Il en va ainsi de la détermination des
effets du mariage, personnels (voy. infra, n ° 12.61) ou patrimoniaux (voy. infra, n ° 12.71),
de la détermination et l'exercice de l'autorité parentale (voy. infra, n ° 12.158), de l'octroi
d'aliments (voy. infra, n ° 12.186). Il en va de même du divorce (voy. infra, n ° 12.98). En
matière d'adoption, l'utilisation d'une échelle de Kegel (utilisation de la nationalité com-
mune comme facteur principal et de la résidence habituelle à titre subsidiaire) traduit la
dimension sociologique de ce type de lien de filiation (voy. infra, n ° 12.122).
Dans ces matières, la nationalité ne perd pas toute fonction. Elle intervient encore à
titre subsidiaire, lorsque la résidence habituelle apparaît dans une règle de type condi-
tionnel (localisation de la résidence des parties dans le même pays), comme c'est le cas en
matière d'effets du mariage ou de divorce. Elle constitue aussi un élément d'un rattache-
ment alternatif en cascade, lorsque la règle tend à assurer une politique de protection
d'une partie faible, comme c'est le cas en matière d'autorité parentale ou d'aliments.

12.4 - Solution apportée au conflit des lois personnelles - La règle de rattachement


désignant la loi nationale de la personne soulève une question d'interprétation lorsque le
rapport juridique concerne des personnes de nationalités différentes. Pour rencontrer
cette difficulté, diverses solutions sont envisageables :
- soit le rattachement distributif, accompagné d'un rattachement cumulatif;
1111 Voy. supra, n ° 3.59, notamment, en matière de divorce, la jurisprudence Rossi. Le rattachement
cumulatif s'impose à propos d'exigences communes aux parties à la relation, tel l'empêchement de
mariage fondé sur l'inceste lorsque, selon l'une des lois nationales des futurs époux, il existe entre
eux un lien de parenté ou d'alliance prohibant le mariage.

soit le rattachement alternatif;


1111 Voy., en matière de filiation, infra, n ° 12.115.

soit le rattachement conditionnel, accompagné d'un rattachement subsidiaire ;


1111 Voy. en matière d'adoption, infra, n ° 12.122.

soit le rattachement exclusif.


492 LA PERSONNE IT LES RAPPORTS DE FAMILLE

1111 L'application exclusive d'une des lois nationales consiste à déplacer le centre de gravité de la
relation vers une des parties et traduit ainsi l'objectif poursuivi par la règle de rattachement. En
droit belge, cette solution a été retenue en matière de régimes matrimoniaux (voy. infra, n ° 12.72) et
de filiation (voy. infra, n ° 12.115).

12.5 - Émergence de la résidence habituelle en droit comparé - En divers pays où le


rattachement du statut personnel à la loi nationale était aussi traditionnel qu'en Belgi-
que, certains courants doctrinaux se sont déclarés favorables, dès la seconde moitié du
XXè siècle, à ce que cette matière relève plutôt de la loi du domicile ou de la résidence
habituelle.
111 Voy. notamment: D. H. BEUKENHORST, « Een ideaal domiciliebegrip - Domicilie in het licht van
de controverse nationaliteit of domicilie », Weekblad voor Privaatrecht, Notarisambt en Registratie
(1977), n°' 5378-5379; A. BUCHER, précité n ° 12.1 ; L. DE WINTER, « Domicile or Nationality: the
Present State of Affairs », Recueil des cours, vol. 128 (1969-III), 347-504; Ph. FRANCESCAKIS, « Les ava-
tars du concept de domicile dans le droit international privé actuel », Trav. Comité fr. d.i.p. ( 1962-
1964), 281-323; E. D. GRAVE,« Domicile, Nationality and the Proper Law of the Person », German
Yearbook ofInternational Law (1976), 254; Y. LoussoUARN, « La dualité des principes de nationalité et
de domicile en droit international privé», Annuaire, vol. 62-II (1987), 295-352; D. MAYER,
« Évolution du statut de la famille en droit international privé", Clunet (1977), 447-469, spéciale-
ment 451-45 7.

Trois arguments principaux ont été avancés:


(1) La réalité sociale. Étant celle du milieu où vivent les personnes intéressées, la loi du
domicile ou de la résidence habituelle est mieux adaptée aux conditions actuelles de leur
existence que la loi du pays dont elles ont conservé la nationalité alors que celle-ci a cessé
de se manifester par des liens aussi effectifs.
(2) Les migrations. Dans les pays d'immigration, ce premier argument se renforce de
considérations d'opportunité, les unes politiques - l'application de la loi du domicile
aux étrangers accélère leur assimilation - d'autres de simple commodité: il est plus facile
pour le juge de connaître et d'appliquer la lex fori.
(3) L'évolution du droit de la nationalité. D'une part, le rattachement de l'individu à la
nation s'affaiblit pour s'insérer dans des rattachements infranationaux (régionaux, com-
munautaires) et supranationaux (citoyenneté européenne). D'autre part, les conflits posi-
tifs de nationalités à l'égard d'une même personne ou d'une famille se multiplient. Les
époux ne partageant plus toujours la même nationalité et, conformément au principe
d'égalité des sexes, les deux auteurs risquent de communiquer l'un et l'autre une nationa-
lité à leurs descendants. Or, à défaut de nationalité commune, on peut croire que beau-
coup de familles nucléaires partagent au moins le même domicile ou la même résidence
habituelle.

12.6 - Pertinence relative du facteur de la résidence habituelle - Les trois arguments


qui viennent d'être résumés ne sont pas décisifs et surtout ils négligent la diversité des
situations que couvre le concept très générique de statut personnel. Quelques distinc-
tions aideront à émousser la pertinence de ces arguments.
D'abord, il faut être attentif à l'incidence du conflit mobile. Si la résidence habituelle
tend à traduire la recherche du milieu de vie des intéressés, il ne faut pas perdre de vue
que le moment auquel il y a lieu de déterminer le facteur de rattachement - à savoir le
moment de l'établissement d'un acte - risque de faire remonter assez loin dans le temps
la détermination de ce milieu. Les problèmes relatifs à l'établissement d'une filiation ou à
ÜBSERVATIONS GÉNÉRALES SUR LE STATUT PERSONNEL 493

la validité d'un mariage peuvent se poser très longtemps après le moment adéquat pour
déterminer le facteur de rattachement, ce moment étant contemporain de la naissance
ou de la conclusion du mariage. En revanche, les événements qui scandent la vie des per-
sonnes, tels le mariage, le divorce, la conception et la naissance, ont des conséquences qui
se prolongent tout au long de la vie et parfois même au-delà. Ainsi, à la permanence et à
la mobilité de ces effets s'oppose le caractère instantané de l'acte juridique ou du fait
dont ils procèdent. La recherche de la loi la plus adaptée aux éléments actuels d'une
situation vaut pour la première série de problèmes, elle est moins convaincante à l'égard
de la seconde : que signifie cette actualité rétrospective, la prétention de soumettre un
acte juridique à la loi qui bénéficiait d'un lien plus effectif que celui qui pouvait se déga-
ger de la nationalité possédée à la même époque ?
Aussi, à l'égard de la validité des actes juridiques (mariage, reconnaissance d'enfant
naturel) ou de l'acquisition d'un état de filiation, la nationalité offre une stabilité et une
sécurité dont la résidence est privée, surtout s'il faut la localiser à une date reculée dans le
temps. En revanche, l'application subsidiaire de la loi du domicile est justifiée quand les
effets permanents d'une relation d'état unissant plusieurs personnes doivent être soumis
à une loi qui leur soit commune, qu'elles partagent ou non la même nationalité.
Ensuite, l'argument tiré du conflit des lois personnelles n'est pas adéquat quand la
question rattachée à la loi nationale fait l'objet d'une application distributive des lois en
conflit ou de l'application exclusive de l'une d'elles. À l'égard de ces questions, il n'y a pas
lieu de substituer la loi du domicile ou de la résidence pour ce motif
Ill C'est ainsi que les conditions de validité du mariage sont soumises aux lois nationales respecti-
ves des futurs époux, que l'établissement de la filiation est rattaché à la loi nationale de l'auteur,
que la capacité de chaque personne est soumise à sa loi nationale.
Enfin, l'argument tiré de l'adéquation du domicile à une politique d'intégration des
immigrés n'est pas toujours décisif, lorsque les personnes partagent la même nationalité.
Dans ce cas, l'application de leur loi nationale peut exprimer plus justement la réalité
d'une intégration, par exemple lorsque les membres d'une famille ayant la même natio-
nalité se sont expatriés ensemble ou lorsque deux immigrés de même nationalité se sont
mariés. Tant que les immigrés sont demeurés dans des familles homogènes partageant la
même nationalité, l'imposition d'un statut personnel en fonction du domicile risque,
selon ce qu'on peut juger de leur comportement, de ne pas répondre à un changement
profond de leur milieu culturel. Il appartient alors au législateur de décider d'une politi-
que consistant à privilégier, tantôt le sentiment individuel d'appartenance culturelle,
tantôt l'intérêt de l'État d'accueil à sauvegarder ses valeurs matérielles.
1111 Pour une analyse générale contemporaine du débat, voy. spécialement: A. BUCHER, « La famille

en droit international privé», Recueil des cours, vol. 283 (2000), 9-186 ; P. LAGARDE, « Nationalité et
droit international privé», Ann. droit (2003), 205-220.
1111 Sur le rôle de la nationalité comme critère de compétence, voy. supra, n ° 9.11.
1111Lors de sa session du Caire, l'Institut de droit international a, dans sa résolution sur La dualité
des principes de nationalité et de domicile en droit international privé (Annuaire, 1987, vol. 62-II, p. 290),
reconnu l'inopportunité de l'affirmation d'une prévalence d'un facteur sur l'autre, et a préconisé
une méthode de conciliation. Celle-ci recourt à une autonomie limitée de la volonté des parties en
matière de régimes matrimoniaux, de successions, d'effets personnels du mariage, de divorce et de
séparation de corps, le choix étant limité à la nationalité et au domicile. En outre, en cas de conflit
des lois personnelles, un principe de préférence est émis en faveur du facteur, de nationalité ou de
domicile, commun.
494 LA PERSONNE ET LES RAPPORTS DE FAMILLE

12.7 - Option de droit - Certains ont tenté de trouver un moyen terme entre le ratta-
chement du statut personnel à la loi nationale et son rattachement à la loi du domicile
ou de la résidence habituelle, par l'autonomie de la volonté offrant aux personnes le
choix de la loi applicable.
Pour une thèse favorable à une autonomie limitée de la volonté, notamment en vue de concilier
lilll
les conflits de civilisations entre systèmes confessionnels et laïques, voy. J.-Y. CARLIER, Autonomie de
la volonté et statut personnel (Bruxelles, Bruylant, 1992), et les références.

Un tel choix n'est cependant pas absolu, à la différence de ce que permet le principe
d'autonomie en matière de contrats.
lilll Pour une présentation générale, voy. supra, n° 3.21.

Il s'agit d'une option de droit pour l'une des lois, de nationalité ou de résidence
habituelle, que le législateur du for a préalablement déterminées, en fonction du degré de
proximité.
Ce choix doit aussi être encadré par des règles de forme.
De façon limitée, le Code introduit l'option de droit dans certains domaines du sta-
tut personnel (divorce, art. 55, § 2; régimes matrimoniaux, art. 49; successions, art. 79).

12.8 - Incidence du principe de non-discrimination - La mise en évidence, ces derniè-


res années, du principe d'égalité ou de non-discrimination dans les contextes de la pro-
tection des droits fondamentaux de la personne comme de la libre circulation des
personnes dans l'Union européenne, fait surgir la question de la conformité du facteur
de la nationalité à ce principe. Il convient de procéder en deux temps: d'abord, en utili-
sant un élément de comparaison afin de vérifier si des situations comparables sont sou-
mises à des traitements différents; ensuite, en vérifiant si l'éventuelle différenciation de
traitement repose sur un critère objectif et répond à une exigence de proportionnalité. En
matière de conflits de lois, l'appréciation doit être nuancée et requiert une analyse sous
deux angles différents.
Sous l'angle du contenu de la règle de rattachement, l'application du critère de la
nationalité au statut personnel est considérée traditionnellement, selon les arguments
présentés sous le numéro précédent, comme de nature à remplir la double condition exi-
gée. Cela ne signifie pas nécessairement que l'utilisation de ce critère ne saurait être dis-
criminatoire. Un tel risque existe chaque fois que la règle de rattachement opère un
privilège de nationalité. Dans ce cas, elle reçoit d'ailleurs nécessairement une formulation
et une interprétation exclusivement unilatérales (sur cette notion, voy. supra, n° 3.45).
1111 Tel était le cas, par exemple, de l'article 2 de la loi du 27 juin 1960 en matière de divorce.

Sur cette question, plus généralement, voy. notamment: A. HEYVAERT, précité n° 12.1 ; M. FAL-
lilll
LON,« Variations sur le principe d'origine entre droit communautaire et droit international privé »,
Mélanges F Rigaux (Bruxelles, Bruylant, 1993), 187-221 ; !o.,« Les conflits de lois et de juridictions
dans un espace économique intégré - L'expérience des Communautés européennes », Recueil des
cours, vol. 253 (1995), 126 et s. ; M.-P. PULJAK, Le droit international privé à l'épreuve du principe commu-
nautaire de non-discrimination en raison de la nationalité (Aix-Marseille, PUAM, 2003), 451 p. ; F. R:rGAUX,
« Versorgungsausgleich' and Art. 12 EC : Discriminations based on the nationality and German
private international law », IPRax (2000), 287 et s.

Sous l'angle de l'application du droit étranger désigné, il se peut que le contenu


matériel de celui-ci prévoie une différenciation de traitement qui ne répond pas aux con-
ÜBSERVATIONS GÉNÉRALES SUR LE STATUT PERSONNEL 495

dirions précitées. Dans ce cas, le mécanisme général de l'exception d'ordre public (supra,
chap. 7) permet d'écarter les effets de l'application de la loi étrangère à l'espèce.
12.9 - Substitution du domicile pour les réfugiés et les apatrides - Chaque fois qu'en
matière de statut personnel il est fait référence à l'application de la loi nationale, il y a
lieu, pour ce qui concerne le réfugié ou l'apatride, de substituer à cette loi celle de sa rési-
dence habituelle (art. 3, § 3, Codip).
lil Pour les cas relevant de ces dispositions, l'article 12, § 1er, de la Convention de Genève du
28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (loi du 26 juin 1953, Monit., 4 octobre 1953) et
l'article 12, § 1er, de la Convention de New York du 28 septembre 1954 relative au statut des apatri-
des (loi du 12 mai 1960, Monit., 10 août 1960) précisent qu'il convient d'appliquer à la personne
« la loi du pays de son domicile ou, à défaut de domicile,[ ... ] la loi du pays de sa résidence». À la dif-
férence de ces conventions, le Code belge omet toute référence au domicile. De plus, il précise qu'il
s'agit de la résidence« habituelle» (sur ce qualificatif, voy. supra, n ° 5.67).
Cette substitution ne devrait concerner que le réfugié reconnu, dont la rupture avec l'État d'origine
est ainsi constatée, non le candidat réfugié en cours de procédure, encore qu'un débat puisse se
tenir a posteriori, en raison du caractère déclaratif de la décision de reconnaissance de la qualité de
réfugié.
lil Voy. une application à un adoptant réfugié, par Civ. Bruxelles, 17 novembre 1987, R. W ( 1989-
1990), 1062.
Comp. supra, n° 6.11, l'éviction de la loi étrangère normalement applicable aux réfugiés, en cas
1111

de combinaison d'un conflit mobile et d'un conflit transitoire; Paris, 5 juillet 1990, Rev. not. belge
(1991), 484, note F. BoUCKAERT.
La substitution a également lieu lorsque la détermination de la nationalité d'une
personne se révèle impossible (art. 3, § 4, Codip), dans le cas exceptionnel où la preuve
matérielle de la nationalité ne peut être apportée.
La substitution a pour effet d'assimiler au Belge la personne qui réside habituelle-
ment - ou, le cas échéant, est domiciliée - en Belgique. Aussi, pour l'interprétation
d'une règle de conflit désignant la loi nationale, des époux tous deux apatrides ou l'un
Belge et l'autre apatride, à condition que celui qui n'est pas belge ait en Belgique son
domicile ou sa résidence habituelle, sont réputés avoir une nationalité commune.
12.10 - Droit applicable aux effets d'un rapport boiteux - Un rapport juridique est dit
boiteux en matière d'état lorsque, par l'application de la règle de conflit de lois de l'État
du for, il est tenu pour valable dans cet État alors qu'il est tenu pour nul dans l'État dont
les personnes ont la nationalité. Cette discordance est la conséquence normale de la
disparité des règles de droit international privé et il ne peut y être remédié de manière
satisfaisante qu'au moyen d'une uniformisation des règles de cette branche du droit
international privé.
Cette situation soulève une difficulté au regard du système juridique du for. Chaque
fois qu'il y a lieu, pour celui-ci, de déterminer le droit applicable à un acte ou à un fait con-
sécutif au rapport boiteux, et que la règle de conflit du for désigne le droit de l'État qui
tient le rapport de base pour nul, il faut s'interroger sur la cohérence de cette désignation.
Ainsi, un mariage civil tenu pour valable en Belgique peut être considéré comme nul au Maroc,
1111

pays de la nationalité des parties. Faut-il soumettre à la loi marocaine les effets personnels de ce
mariage, en vertu de la règle de rattachement du for? Faut-il également y soumettre l'action en
divorce?
De même, un mariage peut être tenu pour valablement dissous en Belgique alors qu'il ne l'est
Ill!
pas à l'étranger: ce divorce peur être qualifié de« boiteux». Peut-on soumettre à la loi étrangère les
496 LA PERSONNE IT LES RAPPORTS DE FAMILLE

effets de ce divorce en vertu de la règle de rattachement du for, ou encore l'aptitude au remariage de


l'un des ex-époux ?
Ill À l'inverse un mariage peut être valablement dissous à l'étranger et cette dissolution ne pas être
reconnue en Belgique (par exemple en cas de répudiation, art. 57 Codip).
La logique commande à première vue d'écarter ici l'application de la loi désignée par
la règle de rattachement pour régir l'acte ou le fait consécutif, sans être certain de la règle
subsidiaire qu'il convient d'adopter en l'absence de solution législative, loi de la résidence
ou loi du for.
Pourtant, lorsque le juge saisi statue sur une question de conflit de lois et qu'il sou-
met celle-ci au droit étranger, il ne se préoccupe pas de la reconnaissance, à l'étranger, de
sa décision. Cela signifie que le système juridique étranger n'est jamais considéré dans
son ensemble, mais uniquement dans les limites qu'opère la désignation par la règle de
rattachement. Or, cette désignation porte uniquement sur un point de droit strictement
identifié, tel l'effet du mariage ou le divorce, alors que d'autres aspects du rapport juridi-
que, telle sa validité, peuvent relever du droit d'un autre État (voy. supra, n ° 3.39).
En d'autres termes, la désignation du droit étranger sur un point de droit particulier
reflète moins un souci de préserver la cohérence du système étranger, que celui de tra-
duire une politique de rattachement inhérente au système du for. Celui-ci peut décider
que l'application du droit étranger à un élément particulier de l'espèce reste plus appro-
priée que celle du droit du for, même si, dans un cas comme celui de l'espèce, le juge
étranger aurait raisonné différemment du juge saisi. Lorsque la règle de rattachement
désigne le droit étranger, cette désignation ne constitue que l'un des éléments du raison-
nement juridique conduisant à l'application de la règle de droit au cas particulier. La
désignation du droit étranger a pour objet une règle prise dans son abstraction, le droit
étranger n'étant pas appliqué pour le tout à l'espèce: le processus même d'application
relève de l'action du juge saisi et se traduit par la décision qu'il s'apprête à prendre.
IllDans l'édition précédente de cet ouvrage, les auteurs étaient sensibles à l'argument du rapport
boiteux.
Ill Dans le sens ici présenté, voy. notamment: MAYER et HEUZÉ, n° 263, liant notamment la solu-
tion à celle donnée pour la question préalable (voy. supra, n ° 6.30). En Belgique, voy. aussi : J. MEEU-
SEN, Nationalisme en internationalisme in het internationaal privaatrecht (Anvers lntersentia, 1997), 115,
et les références à la jurisprudence faisant usage de l'exception liée au rapport boiteux. Depuis lors,
appliquant cette théorie à propos de l'effet d'un mariage boiteux sur la filiation: Anvers, 9 janvier
2002,Alg.]ur. Tijdschr. (2001-2002), 1041.
1111 L'exposé des motifs de la proposition de loi portant le Code de droit international privé (Doc.

pari., Sénat, 2003-2004, n ° 3-27/1) exclut l'utilisation de l'exception liée au rapport boiteux, sous le
commentaire de l'article 46.
1111Le Code de droit international privé répond à la difficulté à propos des relations de vie com-
mune, dans le cas où la règle de rattachement en soumet les effets au droit d'un pays qui ignore
l'institution (voy. infra, n° 12.108, à propos de l'art. 60).

§2 EFFETS DE DROIT ADMINISTRATIF D'UNE RELATION D'ÉTAT

A. Autonomie de la question d'état


12.11 - Diversité des hypothèses - La relation cl' état peut avoir une incidence sur de
nombreuses questions de droit administratif Le mariage confère des droits vis-à-vis de la
ÜBSERVATIONS GÉNÉRALES SUR LE STATUT PERSONNEL 497

puissance publique (droit à une pension de survie, par exemple), l'état de majorité peut
avoir une incidence sur l'exercice de droits sociaux, un rapport de parenté est générateur
d'incompatibilités pour l'exercice de certaines fonctions publiques, etc. Le mariage et la filia-
tion ont également un effet sur l'acquisition ou la perte de la nationalité (infra, n ° 12.13).
Sur la nécessité de déterminer l'état de minorité en fonction de la loi nationale pour les besoins
1111

de l'application d'une règle de droit public, voy.: Cass., 25 novembre 1991, Polat, Pas. (1992-I), 224,
Rev. dr. étr. (1993), 317, note M.-C. FOBLETS.
L'incidence est également apparente sur la condition des étrangers. Lorsque le droit
communautaire ou le droit interne belge consacre le droit au regroupement familial, il
impose à l'autorité administrative (Office des étrangers, administration compétente pour
délivrer un permis de travail) l'obligation de reconnaître certains effets juridiques à des
relations d'état constituées selon le droit étranger. Inversement, l'exploitation abusive du
droit au regroupement familial peut inciter l'étranger à conclure un mariage fictif.
IllSur le droit au regroupement familial, voy. notamment: M. NYs, « Le droit au regroupement
familial: nouvelles dispositions légales», Rev. dr. étr. (1994), 3-26. Sur la reconnaissance d'un parte-
nariat étranger, voy. la directive 2004/38 du 29 avril 2004 (j.O.C.E., 2004, L 158), art. 2.
La mise en œuvre de la règle de droit communautaire ou de droit administratif
implique que soit résolue une question préalable de droit international privé. L'autorité
administrative doit vérifier selon les règles de conflit de lois exposées dans le présent cha-
pitre à quelles conditions une relation d'état a pu se constituer ou se modifier. En
d'autres termes, la détermination de la question d'état ne relève pas nécessairement de la
!ex fori, elle peut relever du droit étranger désigné par la règle de rattachement du for.
Il en va de même lorsque la contestation de l'état de la personne repose sur le soup-
çon d'une fraude à la législation relative aux étrangers.
L'autonomie des concepts de droit international privé implique que la détermina-
tion de la résidence habituelle de l'étranger ne dépende pas de l'octroi d'une autorisation
administrative préalable de séjour sur le territoire, dès lors que le concept vise une situa-
tion de fait. Ainsi, le Code belge précise, à propos de la définition de la résidence habi-
tuelle, qu'il s'agit du lieu de l'établissement principal « même en l'absence de tout
enregistrement et indépendamment d'une autorisation de séjourner ou de s'établir»
(art. 4, § 2, 1 °, Codip). En revanche, le« domicile» se définit par référence à une inscrip-
tion « sur les registres de la population, sur les registres des étrangers ou sur le registre
d'attente» (art. 4, § ier, 1 °, Codip ).
IllVoy. en ce sens: Bruxelles, 22 ocrobre 1996, Rev. trim. dr. fam. (1998), 46, à propos de la condition
de publication préalable au mariage.
1111 Comp., pour les besoins de l'application de la loi belge sur la nationalité : Cass., 16 janvier 2004,

].L.M.B. (2004), 900, note A. CHOMIK et z. MAGLIONI, Rev. dr. étr. (2004), 21, note A. DETHEUX, énon-
çant que la condition de résidence de sept ans posée par la loi sans autre précision exclut l'exigence
supplémentaire d'une autorisation administrative de séjour; contra, art. 299 de la loi-programme
du 27 décembre 2004 (Monit., 27 décembre 2004).

12.12 - Voies d'action contre l'autorité administrative - L'étranger qui se prétend vic-
time d'une erreur d'appréciation commise par l'autorité administrative compétente a le
choix entre deux voies d'action.
Il peut attaquer l'illégalité de la décision administrative lui ayant refusé la jouissance
du droit qu'il prétendait déduire d'une relation d'état. À cette occasion, la juridiction
administrative pourra contrôler si l'acte attaqué a fait une correcte application des règles
498 LA PERSONNE ET LES RAPPORTS DE FAMILLE

du droit international privé belge. Il arrive, par exemple, que l'Office des étrangers refuse
de délivrer une autorisation de séjour à un étranger pour cause de simulation de mariage
ou de polygamie, ou à une femme marocaine pour le motif que celle-ci a été répudiée. Si
l'acte de répudiation n'a pas encore fait l'objet d'un exequatur ou d'une reconnaissance
par une juridiction civile belge, l'appréciation de l'Office des étrangers est elle-même sou-
mise au contrôle de légalité du Conseil d'État. La décision administrative doit être annu-
lée si elle n'a pas correctement appliqué les règles du droit international privé belge.
1111 À propos d'une union polygamique, voy. C.E., 9 juillet 1986, cité infra, n° 12.43.

La deuxième voie d'action consiste à saisir la juridiction civile, selon les cas, d'une
action en opposabilité ou d'une action tendant à faire déclarer inopposable en Belgique
l'acte ou la décision de l'autorité étrangère, sur lequel repose l'acte administratif belge. Si
une décision devait intervenir sur une telle action avant que la juridiction administrative
ne se fût prononcée sur le recours introduit devant elle, il faudrait admettre que l'auto-
rité de la chose jugée au civil s'impose à la juridiction administrative. L'inverse n'est sans
doute pas vrai car, dans l'exemple donné ci-dessus, le Conseil d'État se serait borné à
trancher une question préalable de droit civil, dans les limites du litige administratif qui
lui aurait été déféré, sans que le jugement sur cette question pût régler de manière défini-
tive l'état des personnes.
1111 Sur l'action en opposabilité ou en inopposabilité, voy. supra, n° 10.42.

B. Détermination de la nationalité et statut personnel


1. ÉNONCÉ DU PROBLÈME

12.13 - Référence du Code de la nationalité à des notions de droit civil - Le Code de la


nationalité belge utilise abondamment des concepts empruntés à diverses branches du
droit, principalement du droit civil. Pas plus que les textes qui l'ont précédé, il ne con-
tient aucune clause expresse en vue de régler les questions préalables de statut personnel.
Faut-il résoudre les questions préalables d'état par application de la règle de conflit
de lois régissant l'état et la capacité des personnes et donc appliquer le cas échéant une loi
étrangère, la loi nationale de l'intéressé ? Ou faut-il, au contraire, retenir exclusivement
les définitions proposées par le droit matériel belge ?
1111Les mêmes questions préalables peuvent se poser à propos de la détermination d'une nationa-
lité étrangère (voy. supra, n ° 6.35, à propos de la théorie de la question préalable).

12.14 - La thèse nationaliste - Une première manière de résoudre les questions préala-
bles de statut personnel liées à la détermination de la nationalité belge consiste à les sou-
mettre systématiquement au droit matériel belge, en considérant que les concepts utilisés
dans la loi belge sur la nationalité ne peuvent être définis que par référence aux disposi-
tions de ce droit.
Cette solution a été retenue:
(1) au XIXe siècle, par la Cour de cassation, qui considéra que« l'application des lois
personnelles étrangères [était] de nature à compromettre un intérêt national belge» et
ajouta qu'il y avait un intérêt national « à ce que le droit de réclamer la qualité de Belge ne
soit pas organisé sur une base variable et ne soit pas subordonné à l'arbitraire des souve-
rainetés étrangères» (Cass., 19 février 1878, Belg.]ud., 1878, col. 321).
ÜBSERVATIONS GÉNÉRALES SUR LE STATUT PERSONNEL 499

(2) par la doctrine belge commentant les lois coordonnées de 1932. Le premier
auteur qui publia un commentaire sur ces lois, R. Standaert, fonctionnaire au ministère
de la Justice, estimait que: « Dès qu'il intervient un élément belge ou qu'il s'agit de la
nationalité belge, la majorité, la minorité, la filiation, la reconnaissance, la légitimation,
etc., dont il est question dans nos lois sur la nationalité sont déterminées par les notions
de droit civil belge. »
1111 Pour justifier cette vue nationaliste, Standaert reprit l'idée de la Cour de cassation en se laissant
influencer par la terminologie utilisée dans les années trente dans une partie de l'Europe. Selon cet
auteur, « Les lois sur la nationalité relèvent du droit public; elles régissent la conservation et le
développement de la race ; elles associent l'individu à la vie de la nation. » Et d'ajouter: « En consé-
quence, il ne peut appartenir à la loi étrangère qui n'est basée ni sur nos us et coutumes, ni sur
notre mentalité, de conférer à un individu des droits aussi importants que ceux qui naissent de la
nationalité» (R. STANDAERT, La nationalité belge, 30 et s., n'" 27 et s. ; ID., « La nationalité belge »,
Novel/es - Droit civil, t. F', 1938, 49 et s., n')S 38 et s.).
1111 Cette thèse et sa justification furent reprises telles quelles par une doctrine unanime pendant
près de quarante ans.
(3) par le ministre de laJustice, dans une circulaire du 4 mars 1982 (Monit., 17 mars
1982).
1111 Sur cette circulaire et les critiques qu'elle suscite, voy. M. VERWILGHEN, Le Code de la nationalité
belge (Bruxelles, Bruylant, 1985), 250 et s.
Cette thèse repose sur une erreur d'argumentation. La Cour de cassation considérait
à tort que l'éviction du droit étranger s'imposait pour sauvegarder le principe de la souve-
raineté de l'État dans la détermination de ses nationaux, alors que l'empire de la loi
étrangère s'arrêtait aux limites de la question préalable de statut personnel. Et c'est parce
que le législateur lui-même commandait l'applicabilité du droit étranger, par le biais de
la règle belge de rattachement, que ce droit tranchait les problèmes d'état des personnes.
La qualité de Belge n'était aucunement subordonnée à une souveraineté étrangère,
même non arbitraire. C'est le législateur belge qui fixait lui-même les conditions requises
pour être Belge. C'est lui qui retenait, parmi les éléments des hypothèses légales, des critè-
res liés au statut personnel. C'est lui encore qui admettait, dans ce cas, l'applicabilité des
normes matérielles étrangères.
12.1 S - La thèse internationaliste - Déjà au XIXe siècle, la volonté du législateur fut
d'appliquer la loi nationale des enfants désireux de devenir Belges après dix-huit ans,
pour régir les habilitations requises. Cette thèse revient à respecter le jeu des règles de
conflit de lois pour régler la question d'état préalable à la détermination de la nationalité
belge.
!Ill Les travaux parlementaires préparatoires à la loi du 16 juillet 1889 (Monit., 16-17 août 1889,
Pasin., 1889, 313) attestent cette volonté du législateur. De même, dans un rapport sur le projet
appelé à devenir la loi du 8 juin 1909, le député Léon Mabille formula cette thèse internationaliste
en des termes excellents. Il rappela la position de la Cour de cassation, mais sans l'approuver (voy.
les débats reproduits in Pasin., 1909, 129).
La jurisprudence belge postérieure à l'entrée en vigueur des lois coordonnées de
1932 n'est guère abondante, mais elle n'a pas hésité à trancher la question préalable en se
fondant sur le statut personnel de l'individu en cause.
1111 Civ. Courtrai, 6 décembre 1963, Pas. (1964), III, 14; Civ. Hasselt, 18 mars 1964, Pas. (1965), III,
25; Civ. Bruxelles Ueun.), 2 octobre 1968,].T (1969), 13; Civ. Liège, 22 mars 1974,Jur. Liège (1974-
1975), 219; Civ. Liège, 29 avril 1971,]. T (1971), 611.
500 LA PERSONNE ET LES RAPPORTS DE FAMILLE

Quant à la Cour de cassation, si elle n'a plus eu l'occasion de statuer sur la loi applicable à une
1111

question préalable liée à la nationalité belge, il est intéressant de relever sa position dans un
domaine voisin: par un arrêt du 24 janvier 1977 U.T., 1977, 410), elle a appliqué la loi personnelle
d'un étranger à une question de droit civil préalable à la mise en œuvre de dispositions de droit
pénal.
Le législateur de 1969 opta en faveur de la solution internationaliste en introduisant
un article 3bis dans les lois coordonnées, relatif aux effets sur la nationalité de la légitima-
tion par adoption.
On lisait, en effet, dans les travaux préparatoires que « les termes · légitimation par adoption'
1111

pouvant ne pas se retrouver dans une législation étrangère qui devrait être consultée, il conviendra de
rechercher si une adoption passée à l'étranger par un étranger en faveur d'un enfant belge répond,
dans ses effets, au nouveau concept belge de légitimation par adoption» (cité in Pasin., 1969, 222).
Ces termes montrent que la volonté du législateur n'était pas de se référer exclusivement aux défini-
tions de droit civil belge, mais de respecter le statut personnel des étrangers désigné par la règle
belge de conflit de lois.
Dans la doctrine, majoritairement favorable à la thèse internationaliste, voy. notamment: J. DE
1111

CEUSTER, « Considérations critiques à propos de l'interprétation de la législation belge sur la


nationalité», Rev. dr. étr. (1982), 70-79; Ph. FRANCESCAKIS, « Les questions préalables de statut per-
sonnel dans le droit de la nationalité», IvibelsZ. (1958), 466-497; M. LIÉNARD-LIGNY,« Nationalité
belge et statut personnel depuis la loi du 28 juin 1984 », Ann. Liège (1985), 195-238; M. VERWIL-
GHEN, in Nationalité et statut personnel, 366 et s., n° 874.

Il. LA SOLUTION DU DROIT BELGE

12.16 - Attitude du législateur de 1984 - Au cours des travaux préparatoires du Code de


la nationalité belge, il apparut clairement, tant des déclarations gouvernementales que
des observations du Conseil d'État, que le problème de la loi applicable aux questions
préalables de statut personnel ne recevait aucune solution dans le texte même du Code et
que cette lacune était voulue : la volonté du législateur fut de laisser « à la jurisprudence
administrative éclairée par la jurisprudence judiciaire » le soin de trancher ce problème,
« étant donné l'extrême diversité et le caractère parfois imprévisible des situations» (Doc.
pari., Ch. repr., 1983-1984, n° 756-1, p. 34).
1111Pour des références plus complètes aux travaux préparatoires, voy. M. VERWILGHEN, précité
n ° 12.14, n° 5 435 et s.

Le législateur a tenté parfois d'éviter de poser la question préalable de statut person-


nel. Ainsi, il a remplacé les mots « minorité » et « majorité » figurant dans le projet de loi
par l'expression« enfant âgé de moins de dix-huit ans». Mais il ajouta les mots « ou non
émancipé», suscitant par là une nouvelle question préalable de statut personnel: quelle
loi appliquer à l'émancipation?
Des circulaires successives du ministre de la Justice donnant des instructions aux
administrations provinciales et communales, ainsi qu'au ministère public, dénotent une
hésitation sur les solutions à adopter et ne sont guère éclairantes. Si une tendance à
appliquer la loi belge s'y décèle pour les questions de filiation, la position n'est pas aussi
nette pour l'ensemble des questions d'état.
1111La circulaire du 12 février 1982 (Monit., 27 février 1982) considère que pour acquérir la nationa-
lité de son mari grec (et donc pour perdre sa nationalité belge d'origine), la femme belge doit avoir
célébré son mariage suivant le rite de la religion du mari (voy. tableau LA, note 2).
Ill La circulaire du 6 août 1984 (Monit., 14 août 1984) soulève à plusieurs reprises le problème,
mais en lui donnant une solution ambiguë : il convient, selon elle, d'appliquer« le droit belge» aux
L'IDENTIFICATION DES PERSONNES PHYSIQUES 501

questions préalables. Or ce droit comprend à la fois des règles matérielles et des normes de conflit
de lois ou de juridictions. Lesquelles choisir? Le ministre ne se prononce nettement qu'à propos
des questions préalables de filiation adoptive: il opte résolument, dans ce cas, en faveur de la solu-
tion internationaliste : l'article 9 du Code de la nationalité s'applique aux adoptions - quelle que
soit leur dénomination - valablement faites à l'étranger dans les formes locales (en vertu de l'adage
Locus regit actum, voy. infra, n° 12.126) et selon les lois applicables au fond.

IllDans la circulaire du 30 juillet 1985 complétant la précédente (Monit., 1er août 1985), le ministre
décide que« par droit belge, pour les questions d'état et de capacité préalables à la question de natio-
nalité belge, il faut entendre, en principe du moins, le droit interne belge ». L'embarras ministériel
réapparaît donc, comme en témoigne l'incise(« en principe du moins»).

Le Code de droit international privé ne prévoit aucune disposition propre à la déter-


mination du droit applicable à la filiation comme question préalable à la détermination
de la nationalité (art. 62). De fait, la solution retenue, à savoir l'application de principe de
la loi nationale de l'auteur au lieu de celle de l'enfant, permet d'imposer la thèse interna-
tionaliste tout en évitant la difficulté majeure qu'elle suscitait. Cette difficulté apparaît
lorsque la règle de rattachement du for soumet le lien de filiation à la loi nationale de
l'enfant, comme c'était partiellement le cas en droit belge avant l'entrée en vigueur du
Code (voy. infra, n ° 12.115). L'interaction des questions de nationalité et de filiation
engendrait alors un cercle vicieux, puisque la détermination de la nationalité de l'enfant
dépend de la filiation alors que la détermination de la filiation dépendait de la nationa-
lité de l'enfant. La seule issue consistait alors, soit à modifier la règle de rattachement,
soit à se référer au seul droit belge pour définir le lien de filiation au sens du Code de la
nationalité.
Il n'y a pas d'obstacle à ce que l'état nouveau exerçant un effet sur la nationalité
belge découle d'une décision judiciaire étrangère, à condition que celle-ci soit reconnue
en Belgique selon les règles pertinentes. Tels un jugement étranger ayant prononcé
l'adoption d'un enfant étranger par des conjoints belges, une décision étrangère de désa-
veu faisant perdre à l'enfant la nationalité belge du mari de sa mère, un jugement étran-
ger faisant droit à une action en recherche de paternité, etc.

Section 2
L'identification des personnes physiques
§1 LES ACTES DE L'ÉTAT CIVIL

12.17 - Bibliographie
J. DE BuRLET, Traité de l'état civil, t. II, Les relations internationales (Bruxelles, Larcier, 1987) ;J.-F. FLAUSS,
« État civil et droit communautaire», Mélanges Sturm (Liège, Ed. Univ., 1999); F. GRANET,
« L'application en matière d'état civil des principes posés par la Convention européenne des droits
de l'homme», Rev. trim. dr. eur. (1997), 653-684; I. GUYON-RENARD, « La fraude en matière d'état
civil dans les États membres de la CIEC », Revue (1996), 541-571 ; Ch. PAMB0UKIS, L'acte public étran-
ger en droit international privé (Paris, LGDJ, 1993); ID., « L'acte quasi public en droit international
privé», Revue (1993), 565-590 ;]. PAUWELS e.a., Actuele problemen van burgerlijke stand- Internationaal
privaatrecht (Anvers, Kluwer, 1979) ; J. SALMON, « La législation belge relative à la compétence des
agents diplomatiques et consulaires en matière notariale et d'état civil», Mélanges]. Baugniet
(Bruxelles, ULB, 1976), 637-705; J. VAN DE VELDE, État civil international (Bruges, Vanden Broele,
502 LA PERSONNE IT LES RAPPORTS DE FAMILLE

1993); L. WILLEMARCK, « La compétence des agents diplomatiques et consulaires en matière nota-


riale -Théorie et analyse de la pratique», Rev. not. belge (2002), 340-354.

Voy. aussi les ouvrages suivants de droit matériel contenant des indications sur les conflits
d'aurorités : CENTRE DE DROIT DE LA FAMILLE DE L'U.C.L., Traité de l'état civil, t. rer, Les relations internes
(Bruxelles, Larcier, 1978); H. DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, t. rer (1962), n° 5 379-473;
N OVELLES, Droit civil, t. rer, État civil, par E. VROONEN ; Rép. prat. droit belge, v 0 « État civil » ; ROLAND et
WouTERS, Guide pratique de l'officier de l'état civil en Belgique (12e éd. mise à jour au 1er mars 1963,
Bruxelles, 1963); F. PHILIPPART et J. M. LEBOUTTE, État civil, Funérailles, Sépultures (Bruges, Vanden
Broele, feuilles mobiles).

A. Le fonctionnement des autorités belges


12.18 - Détermination de la compétence internationale - La compétence internatio-
nale des officiers de l'état civil belges est déterminée selon la loi belge.

Le Code de droit international privé comporte, en des matières particulières, diver-


ses règles ayant cet objet. Il en est ainsi en matière de changement de nom (art. 36, al. 2),
de célébration du mariage (art. 44), d'enregistrement d'une cohabitation légale (art. 59),
de reconnaissance de paternité (art. 64).

De plus, le Code énonce, pour chaque matière d'état, des dispositions particulières
permettant de fonder la compétence internationale des juridictions belges. En outre, à
défaut de telles dispositions, une règle résiduelle leur attribue compétence lorsque laper-
sonne réside en Belgique ou est belge lors de l'introduction de la demande (art. 32).

Conformément à la distinction de principe posée entre la compétence internatio-


nale et la compétence territoriale interne (voy. supra, n ° 9.3), une fois que le juge belge
s'est reconnu internationalement compétent, la compétence interne doit être déterminée
conformément au droit interne belge (Code judiciaire). Lorsque celui-ci n'y suffit pas, il y
a lieu de transposer la règle de compétence internationale à cette fin et, à défaut, les juri-
dictions de l'arrondissement de Bruxelles ont une compétence territoriale subsidiaire
(art. 13 Codip; voy. supra, n ° 9.60).
1111 Avant l'entrée en vigueur du Code, la jurisprudence admettait d'assouplir les règles de compé-
tence territoriale interne afin de pouvoir désigner l'autorité belge compétente. Ainsi, le tribunal
civil de Liège (27 juin 1975,Jur. Liège, 1975-1976, 7) s'est à juste titre déclaré compétent pour pro-
noncer un jugement tenant lieu d'acte de naissance d'un enfant coréen domicilié avec ses parents
adoptifs dans l'arrondissement judiciaire de Liège. La nationalité belge des adoptants et sans doute
même la circonstance que l'enfant adoptif réside en Belgique justifient que l'état civil de celui-ci
puisse être régularisé. En droit interne, le tribunal compétent est celui du lieu de la naissance. Dans
les cas où la naissance a eu lieu hors du territoire belge, il est cependant nécessaire de fonder la
compétence territoriale interne sur un autre critère, tel le domicile.

12.19 - Compétence des autorités diplomatiques en matière d'état civil - Les autorités
diplomatiques et consulaires belges disposent de compétences en matière d'état civil,
organisées par la loi du 12 juillet 1931 (Monit., 31 juillet 1931). Cette attribution appelle
les distinctions suivantes :

(a) Une règle générale de compétence internationale permet de déterminer à l'égard


de quelles situations internationales l'attribution a lieu. Le critère est celui de la nationa-
lité de la ou des personnes concernées (art. 1er et 2).
L'IDENTIFICATION DES PERSONNES PHYSIQUES 503

(b) Une règle générale de compétence d'attribution opère une distinction entre les
agents diplomatiques et les consuls. Ces derniers doivent avoir reçu une attribution spé-
ciale du ministre des Affaires étrangères (art. 2).
Voy. les arrêtés ministériels du 29 août 1984 (Monit., 28 septembre 1984), du 10 avril 1985
Ili
(Monit., 8 mai 1985), du 14 juin 1989 (Monit., 17 août 1989) et du 24 avril 1992 (Monit., 8 mai 1992).
(c) Des règles spéciales déterminent la compétence des autorités en certaines matiè-
res, comme la reconnaissance d'enfant naturel (art. 6) ou le mariage (art. 7). Elles préci-
sent à l'égard de quelle(s) personne(s) le critère de la nationalité doit être satisfait.
1111 Sur ces matières particulières, voy. infra, n° 5 12.49 et 12.111.

12.20 - Application de la règle Auctor regit actum - L'officier de l'état civil a l'obligation
de respecter les formalités prévues par la loi de l'État qui l'a institué (voy. supra, n ° 3.34). Il
ne saurait donc recevoir un acte ni effectuer une mention que la loi belge n'organise pas.
Ili Ainsi, l'attribution du nom est un effet de la loi, le cas échéant de la loi étrangère désignée par la
règle de rattachement belge (voy. infra, 12.28), et il n'appartient pas à l'officier de l'état civil de pré-
juger l'opération de la loi par une mention que le législateur n'a pas prévue.
Jusqu'à la modification de l'article 57 du Code civil par la loi du 30 mars 1984, il était illégal d'attri-
buer un nom au nouveau-né dans son acte de naissance, et il y avait donc lieu d'ordonner, comme
l'a fait le tribunal civil de Nivelles (24 octobre 1967, Rec. jur. trib. civ. Niv., 1969, 71), la rectification
de l'acte de naissance d'un enfant portugais auquel l'officier de l'état civil avait expressément con-
féré un nom de famille déterminé selon les règles du droit portugais.
Ili Sur les formalités du mariage, voy. infra, 12.47.
IllSur la compétence des autorités administratives pour l'enregistrement d'une cohabitation
légale et son incidence sur la loi applicable, voy. infra, n ° 12.108.

B. L'efficacité en Belgique des actes de l'état civil étrangers


12.21 - Admission de la force probante - L'efficacité des actes de l'état civil dressés par
une autorité étrangère est reconnue traditionnellement en Belgique. Déjà selon
l'article 47 du Code civil,« tout acte de l'état civil des Belges et des étrangers, fait en pays
étranger, fera foi, s'il a été rédigé dans les formes usitées dans ledit pays». Le Code de
2004 a repris ce principe, sous une forme plus précise, pour l'ensemble des actes authen-
tiques (voy. supra, n ° 10.57). Ainsi, l'acte de l'état civil étranger jouit, en Belgique, de la
force probante s'il satisfait aux conditions de forme établies par le droit étranger désigné
par la règle de rattachement belge et aux conditions nécessaires à son authenticité selon
le droit de l'État dans lequel il a été établi (art. 28, § 1er, Codip ). La preuve contraire des
faits constatés par l'autorité étrangère peut être apportée par toutes voies de droit
(art. 28, § 2, Codip).
1111 La jurisprudence a manifesté une ouverture certaine aux actes étrangers de l'état civil.

Ainsi, la circonstance qu'un acte étranger contient des mentions insolites ne suffit pas à le faire
écarter: « de toute manière, il est impossible de supposer, comme l'intimé le fait, que, pour les
besoins de la cause, les autorités russes compétentes auraient délivré des faux » (Bruxelles, 9 janvier
1974, Pas., 1975, II, 67).
Même irrégulier, l'acte de l'état civil dressé à l'étranger n'est pas privé de toute force probante, et s'il
constate un fait matériel (naissance, décès) « il peut au moins constituer une présomption grave
recueillie par le juge du fond» (concl. procureur général MERLIN précédant Civ. req., 10 mars 1813,
reproduit par MERLIN, Répertoire, v0 «Émigration», § XVIII).
Le tribunal de Bruxelles a admis, à titre de présomption concourant, avec d'autres pièces, à rappor-
ter la preuve du décès, un bulletin de décès portant le sceau de la ville française d' Armentières, mais
non signé (21 août 1915, Pas., 1915-1916, III, 85).
504 lA PERSONNE IT LES RAPPORTS DE FAMILLE

Ill Sur la force probante des actes de mariage, voy. infra, n° 12.51.
IllSur la force probante d'un acte de nororiété, voy.: Civ. Liège, 12 octobre 1973,]ur. Liège (1973-
1974), 139. Un acte de notoriété peut suppléer à l'impossibilité de disposer d'un acte de naissance,
en matière de nationalité et de mariage.
111 Sur la reconnaissance des livrets d'état civil, voy. la Convention du 5 septembre 1990, Riv. dir. int.
priv. proc. (1994), 206, non en vigueur en Belgique.
111 Sur la validité d'un acte de reconnaissance d'un enfant naturel conforme aux formalités du
droit du pays de sa réception, voy.: Civ. Arlon, 9 juin 1995,]. T (1996), 177, par application de
l'article 47 C. civ., précisant que la question soulevait une question de validité plutôt que d'effica-
cité.
De plus, l'acte doit normalement faire l'objet d'une légalisation (art. 30 Codip; voy.
supra, n ° 10.47), sauf si un instrument international en prévoit la dispense.
111Sur la légalisation des actes de l'état civil, voy. la circulaire du ministre de la Justice du 17 février
1993 (Monit., 27 mars 1993).
Dans le contexte particulier de l'Union européenne, l'acte établi dans un autre État
membre doit recevoir le même traitement qu'un acte établi dans l'État du for, chaque fois
qu'un traitement moins favorable est de nature à constituer une entrave à une liberté de
circulation instituée par le traité CE. Même si, en l'absence de règles communes sur la
reconnaissance des décisions étrangères en matière d'état civil analogues à celle qu'orga-
nise le règlement« Bruxelles I », la rectification d'actes nationaux et étrangers ne doit pas
faire l'objet d'un traitement équivalent, il y a lieu de respecter le certificat étranger à
moins que son exactitude ne soit ébranlée ultérieurement par des indices concrets se
rapportant au cas individuel (C.J.C.E., aff. C-336/94, 2 décembre 1997, Dafeki, Rec., 1997,
1-6761, Rev. dr. étr., 1999, 83, note S. FRANCQ, Revue, 1998, 329, note G. DRoz, supra,
n° 10.57).
12.22 -Transcription sur le registre de l'état civil de décisions et d'actes étrangers rela-
tifs à des Belges - La transcription d'un acte de l'état civil (à ne pas confondre avec la
transcription du dispositif de certains jugements) est la copie intégrale de cet acte sur les
registres d'une commune à l'égard de laquelle la personne intéressée présente le rattache-
ment territorial défini par la loi.
La transcription a notamment pour effet de centraliser les actes de l'état civil dres-
sés, soit par des autorités extraterritoriales, soit par des autorités étrangères. Ces deux
hypothèses doivent être distinguées.
(a) La transcription d'un acte dressé par une autorité extraterritoriale tend simple-
ment à assurer la coordination de diverses autorités belges.
L'article 8 de la loi du 12 juillet 1931 relative à certains actes de l'état civil et à la
compétence des agents diplomatiques et consulaires en matière d'état civil prescrit
qu'une copie de tout acte d'état civil dressé par ces agents « sera transcrite, à la diligence
du ministre des Affaires étrangères, dans les registres de l'état civil de la commune belge
dans laquelle la personne que l'acte concerne a eu son dernier domicile dans le
royaume». L'acte de mariage est transcrit au lieu du dernier domicile de chacun des
époux (art. 8, al. 2).
La loi a également prévu la transcription des actes dressés par d'autres autorités bel-
ges instrumentant hors du territoire national: commandants de navires et d'aéronefs,
actes dressés aux armées, etc.
L'IDENTIFICATION DES PERSONNES PHYSIQUES 505

(b) En ce qui concerne les actes dressés par une autorité étrangère, la loi ne prévoyait,
jusqu'à l'entrée en vigueur du Code de droit international privé, que la transcription de
l'acte de mariage du Belge, reçu par une autorité étrangère, mais cette disposition a été
abrogée par le Code (voy. infra, n° 12.50). Celui-ci a toutefois rétabli l'article 48 du Code
civil, abrogé par la loi du 15 décembre 1949, ouvrant au Belge la faculté de demander la
transcription d'un acte de l'état civil le concernant, sur les registres de la commune de
son domicile ou de son premier établissement après son retour. Pareille transcription est
indispensable si l'acte doit être rectifié (infra, n° 12.24).
Ill Pour une interdiction faite à l'officier de l'état civil de refuser de transcrire les actes relatifs à
l'état civil des Belges, dressés par une autorité étrangère, voy. la circulaire du ministre de la Justice,
du 10 février 1939, Revue communale (1939), 218.
Ill Certains textes qui ordonnent une transcription dans les relations internes sont appliqués, par
analogie, aux relations internationales : ainsi, l'acte de décès dressé à l'étranger est transcrit sur les
registres de la commune belge du lieu du domicile du défunt (voy. les articles 80 et 82 du Code
civil).
La formalité de la transcription requiert la vérification préalable des conditions qui
président à l'octroi, selon les cas, de la reconnaissance ou de la force probante de l'acte
(art. 31 Codip). Pour un jugement, elle ne requiert certes pas de déclaration judiciaire
préalable mais bien la vérification qu'aucun des motifs de refus prescrits par l'article 25
du Code ne s'oppose à la reconnaissance. Pour un acte, il faut vérifier sa validité au regard
du droit désigné par la règle de rattachement belge ou, pour un acte constatant un fait
matériel, comme la naissance ou le décès, sa force probante.
IllLe dépositaire du registre auquel la transcription est demandée peut uniquement, « en cas de
doute sérieux», demander l'avis du ministère public pour qu'il procède, si nécessaire, à des vérifica-
tions supplémentaires (art. 31, § 2, al. 3, Codip).
IllLe ministre de la Justice peut« établir des directives visant à assurer une application uniforme
des conditions» que le dépositaire du registre est tenu de vérifier (art. 31, § 2, al. 2, Codip).

12.23 - Dépôt de décisions ou d'actes étrangers au ministère des Affaires étrangè-


res - La loi du 14 juillet 1966 relative à certains actes de l'état civil dressés en dehors du
territoire du royaume organise le dépôt d'une expédition de ceux-ci au ministère des
Affaires étrangères. Le ministre assure la délivrance de copies ou d'extraits de ces expédi-
tions (art. 2).
Ill Les actes visés sont les« actes ou jugements relatifs à l'état civil des Belges résidant à l'étranger,
qui auront été régulièrement rédigés dans les formes usitées dans le pays [que le ministre des Affai-
res étrangères] détermine» (art. 1er). Cette détermination a été faite initialement par l'arrêté minis-
tériel du 7 décembre 1966, dont l'article unique désigne « les États qui ne sont pas membres
actuellement du Conseil de l'Europe ». Cet arrêté a été remplacé par l'arrêté ministériel du
23 février 2001 (Monit., 11 avril 2001).
Un arrêté royal d'exécution du 28 août 1967 précise notamment que les expéditions ne doivent pas
être légalisées (art. 1er), qu'une copie ou un extrait de ces expéditions est envoyé par le ministre à
l'officier de l'état civil compétent en vue d'une annotation ou d'une mention en marge d'un acte
dressé ou transcrit en Belgique (art. 3) et que le ministre procède, le cas échéant, à des mentions en
marge des expéditions déposées à son département (art. 4).
Ill La légalisation dont il est accordé dispense est celle qui émane du département des Affaires
étrangères, non des autorités belges à l'étranger. Celle-ci reste donc requise, sauf dispense prévue
par un traité (voy. supra, n ° 10.47).
Ill! Sur cette loi, voy. encore la circulaire ministérielle du 26 janvier 1967 et les commentaires de M.
STICHELBAUDT, Rev. adm. (1967), 77, (1968), S.
506 LA PERSONNE ET LES RAPPORTS DE FAMILLE

Comme la transcription, la mention suppose la vérification de certaines conditions


inhérentes au contenu de la décision ou de l'acte. Pour la décision, elle revient à en
admettre la reconnaissance et obéit donc aux conditions requises plus généralement
pour obtenir cet effet. Pour l'acte, elle consiste, selon les cas, à en admettre la validité ou
la force probante et suppose alors un contrôle des conditions prescrites, respectivement,
par l'article 27, § 1cr, et par l'article 28 du Code de droit international privé.
Voy. dans le sens de la vérification des conditions de reconnaissance d'un jugement étranger :
1111

Civ. Bruxelles, 9 octobre 1996, Rev. trim. dr.fam. (1997), 396.

Le dépôt d'actes étrangers au ministère des Affaires étrangères rencontre adéquate-


ment les besoins des sujets belges qui, à l'étranger, ne recourent pas à la compétence
d'officier de l'état civil des agents diplomatiques et consulaires. En outre, la pratique
administrative semble avoir donné à la loi une interprétation extensive: pour que l'acte
soit accepté en dépôt, il suffit qu'il concerne une relation familiale à laquelle est intéres-
sée une partie de nationalité belge.
Un double des actes déposés est conservé sur microfilms, dont, s'ils sont dûment
attestés par le fonctionnaire compétent, la force probante est équivalente à celle des expé-
ditions ou des extraits eux-mêmes.
Le Code de droit international privé confirme le bien-fondé du système établi par la
loi de 1966, tout en attribuant désormais au Roi le pouvoir d'en décider, pour les actes ou
décisions qui concernent un Belge, ou encore un étranger résidant en Belgique (art. 31,
§ 3, Codip).

12.24 - Rectification d'un acte de l'état civil dressé à l'étranger - La rectification est
une modification apportée par voie d'autorité aux actes de l'état civil incorrects, erronés
ou irréguliers. En droit belge, ces actes sont rectifiés par le tribunal de première instance
(C. jud., art. 1383-1385).
La rectification des actes de l'état civil dressés par un agent diplomatique ou par un
agent consulaire exerçant les fonctions d'officier de l'état civil est attribuée au tribunal de
première instance de Bruxelles (art. 11, al. 2, de la loi du 12 juillet 1931).
La rectification d'un acte dressé par une autorité étrangère soulève un problème par-
ticulier. Le contenu essentiel du dispositif de rectification est l'injonction adressée par le
juge à l'officier public. Grâce aux formalités de la transcription de ce dispositif sur les
registres et à la mention faite en marge de l'acte rectifié, le juge contraint le détenteur du
registre à délivrer des extraits corrigés ou complétés conformément à ses prescriptions.
Or, pareille injonction ne peut pas être adressée par un tribunal belge à un officier de
l'état civil étranger (voy. supra, n ° 9.17).
Sous la pression de nécessités pratiques, il a été admis que les tribunaux d'un État
rectifient un acte de l'état civil relatif à un ressortissant du même État, pourvu que, si cet
acte émane d'une autorité étrangère, il ait été préalablement transcrit sur les registres de
l'État du for. Cette pratique est irréprochable à la double condition :
- d'assigner pour objet au dispositif de rectification, non point l'original étranger,
mais la copie qui en a été faite dans l'État du for, ce qui donne à ce dispositifle caractère
d'une injonction régulièrement adressée à l'officier de l'état civil de cet État, détenteur de
la copie;
L'IDENTIFICATION DES PERSONNES PHYSIQUES 507

- de se résigner à la discordance inévitable entre l'acte transcrit et rectifié dans


l'État du for, et l'original conservé à l'étranger. L'acte transcrit acquiert une autonomie
qui n'aurait pas dû lui appartenir mais dont les avantages pratiques sont indiscutables.
Ill Pour les références, voy. NovELLES, op. cit. n° 12.17, n° 279; F. RIGAUX, « La force probante des
écrits en droit international privé», Revue (1961), 73-77; ROLAND et WoUTERS, op. cit. n° 12.17, n°
127. Dans la jurisprudence, voy.: Civ. Liège, 24 septembre 1976 (2 espèces),]ur. Liège (1976-1977),
76 et 164.

La procédure de rectification a été étendue aux actes déposés au ministère des Affai-
res étrangères conformément à la loi du 14 juillet 1966 (voy. ci-dessus).

C. Coopération internationale en matière d'état civil


12.25 - Mécanismes établis par la CIEC - La Belgique est partie à plusieurs conven-
tions internationales conclues sous les auspices de la Commission internationale de
l'état civil. Celles-ci tendent à favoriser la portée internationale des actes ainsi que les
échanges d'informations entre les autorités d'États membres différents.
Ill! Voy. une liste de ces traités avec les références, supra, n ° 8.42.

§2 L'IDENTITÉ, LE NOM ET LE PRÉNOM


12.26 - Bibliographie

F. BALLION, « La pratique judiciaire et administrative et le droit maghrébin des personnes dans


l'arrondissement judiciaire de Bruxelles »,].].P. (1989), 69-94; Ch.-L. CLOSSET, « Le patronyme des
étrangers en Belgique», ].T (1973), 725-727; C. BENICKE et A. ZIMMERMANN, « Internationales
Namensrecht im Spannungsfeld zwischen Internationalem Privatrecht, Europaïschem Gemeins-
chaftsrecht und Europaïscher Menschenrechtskonvention », IPRax (1995), 141-150; R. DAYANT,
« Le nom en droit international privé »,].-Cl., fasc. 542; L. DE FOER, « Naam, verandering van natio-
naliteit en bipatridie », R W (1983-1984), 101 et s.; H. GAUTIER, « Le nom des étrangers en
Belgique», Mouv. comm. (1975), 148-156; E. GUBBELS, « De knellende banden van het namenrecht »,
Tijds. Familie- en Jeugdrecht (2004), 295-304; H. JESSURUN D'OuvEIRA, « Het Europese Hof activeert
het Europese burgerschap », Ned. ]urbi. (2003), 2238-2243 ; A. LARA AGUADO, El nombre en derecho
internacional privado (Madrid, Camares, 1998) ; NEUMEYER, « Le nom des personnes en droit admi-
nistratif. Etude de droit comparé et de droit administratif international», Rev. dr. intern. et législ.
comp. (1938), 827 et s., (1939), 41 et s.; W. PiNTENS, « De naam van buitenlanders in de akten van de
burgerlijke stand», Actuele problemen van burgerlijke stand (Anvers, Kluwer, 1979), 36-55 ; ID., « De
keuze en de verbetering van een Marokkaanse voornaam », RW (1986-1987), 116 et s.; ID.,« Van
Konstandinidis tot Garcia Avelia. De invloed van de rechtspraak van het Hof van Justitie op de
ontwikkeling van het familierecht », Burgerlijke Stand (2004), 527-541; W. SCHATZEL, « Le nom des
personnes en droit international», Recueil des cours, vol. .95 (1958-111), 77-261; M. SCHERER, Le nom
en droit international privé. Etude de droit comparé français et allemand (Paris, LGDJ, 2004); A. STRUYC-
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(1991), 573-592; L. STICHELBAUDT, « Les prénoms - État actuel de la question», Rev. adm. (1970),
149-157; G. VAN HECKE,« Le nom des personnes en droit international privé», Mélanges Vander Elst
(Bruxelles, Nemesis, 1986), 811-820.

12.27 - Présentation - En droit international privé, l'identité de la personne soulève tra-


ditionnellement la question de la détermination et du changement du nom et du pré-
nom.
508 LA PERSONNE IT LES RAPPORTS DE FAMILLE

En soi, elle évoque encore d'autres questions, tantôt celle du moment auquel une
personne existe en tant que telle, à partir du moment de sa conception, tantôt celle de
son identité sexuelle. L'hypothèse d'une adaptation physiologique d'un transsexuel peut
entraîner une demande de modification de son état. Théoriquement, la question relève
du droit désigné pour régir l'état de la personne, à savoir en Belgique le droit du pays
dont elle a la nationalité, en vertu des dispositions générales de l'article 34, § 1er, du Code
de droit international privé. En pratique, puisque le droit pour un transsexuel à la modi-
fication de son état résulte de la Convention européenne de sauvegarde des droits de
l'homme, l'exception générale d'ordre public conduit à écarter l'application d'une loi
étrangère qui exclurait une telle demande.
1111 Voy. en ce sens en France: Paris, 14 juin 1994, Revue (1995), 308, note Y. LEQUETIE, à propos

d'un Argentin résidant en France.


111 Sur la question du transsexualisme devant la Cour européenne des droits de l'homme, voy. :
C.E.D.H., 11 juillet 2002, Goodwin, Rev. trim. dr. h. (2004), 889, note LEVINET.

A. Détermination du nom et du prénom


12.28 - Rattachement de la question d'état à la loi nationale - Comme question d'état,
le nom relève de la loi nationale de l'intéressé, sous le droit ancien en vertu de l'article 3,
alinéa 3, du Code civil, désormais en vertu de l'article 37 du Code de droit international
privé.
111 À propos du nom et du prénom de ressortissants de pays du Maghreb, voy. Anvers, 3 février
1986, R W (1986-1987), 116, note W. PINTENS; 22 mai 1990, R W (1991-1992), 308.
L'application de la loi nationale est confirmée par la Convention de Munich du 5 septembre
1111

1980 sur la loi applicable aux noms et prénoms, signée mais non ratifiée par la Belgique.
1111 Le Code apporte une précision relative au conflit mobile : en cas de changement de nationalité,
la détermination du nom ou du prénom dépend de la loi de la nouvelle nationalité à partir de ce
changement (art. 37, al. 2, Codip). Cela ne signifie pas nécessairement un changement de nom par
l'effet du changement de nationalité : c'est à la loi de la nouvelle nationalité qu'il appartient de
déterminer, par une règle matérielle, si un changement de nom a lieu et à quelles conditions.
L'absence d'une celle règle matérielle particulière emporte l'absence de changement dans le nom.
Ill Le principe de l'application de la loi nationale implique que l'indication du nom dans un regis-
tre belge reproduise littéralement les noms et prénoms lorsqu'ils sont écrits dans les mêmes carac-
tères que ceux utilisés en Belgique. En cas de divergence de caractères (langue grecque, langue
arabe ... ), la reproduction doit se faire sans traduction par translittération. Ce principe est confirmé
par la Convention de Berne du 13 septembre 1973 relative à l'indication des noms et prénoms dans
les registres de l'état civil, signée mais non ratifiée par la Belgique.
À tout le moins dans le contexte de l'Union européenne, l'indication, même réalisée conformément
à une disposition conventionnelle, ne peur pas constituer une entrave à la liberté de circulation des
personnes d'une manière qui heurte le traité CE (C.J.C.E., aff C-168/91, 30 mars 1993, Konstantini-
dis, Rec., 1993, I-1191, Rev. trim. dr. h., 1994, 445, note].-F. FLAuss).
En cas de pluralité de nationalités, il y a lieu de préférer la nationalité belge éven-
tuelle (voy. supra, n ° 5.57). Une préférence inconditionnelle peut cependant conduire à
un résultat inapproprié, lorsque cette nationalité présente peu d'effectivité. Même si le
texte légal ne prévoit pas de dérogation spécifique en ce sens (rejet de l'amendement
n ° 36, Doc. pari., Sénat, 2003-2004, n ° 3-27/7, p. 388), la clause générale d'exception peut
jouer, lorsque les conditions strictes en sont remplies (voy. supra, n ° 3.17), à moins d'envi-
sager une demande en changement de nom (voy. ci-dessous).
L'IDENTIFICATION DES PERSONNES PHYSIQUES 509

Avant l'entrée en vigueur du Code, le tribunal civil de Bruxelles (29 avril 2003, Rev. trim. dr. fam.,
Ill!
2003, 781, note M. FALLON) a donné préférence à la nationalité brésilienne sur la nationalité belge,
transmise par la mère bel go-brésilienne, dans le cas d'un enfant né en Belgique.

Le nom obéit à un rattachement autonome. Cela signifie que la loi applicable ne


varie pas en fonction de celle qui régit une relation d'état ayant un effet sur le nom, tel un
rapport de filiation. De même, le rattachement du nom n'influence pas celui de la rela-
tion d'état ayant effet sur le nom.
1111L'article 1er de la Convention de Munich étend l'application de la loi nationale, pour les besoins
de la détermination des noms et prénoms, aux« situations dont dépendent les noms et prénoms».
Cette solution présente l'inconvénient de faire varier l'appréciation d'un état selon que la question
intéresse le nom ou qu'elle porte principalement sur cet état.

L'autonomie du rattachement est consacrée par le Code de droit international privé, selon les
Ill!
précisions qu'en donne l'exposé des motifs.

Voy. à tort, un rattachement du nom de l'enfant aux lois nationales de ses père (espagnol) et
1111

mère (italienne), appliquées de manière prétendument distributive de manière à attribuer, en


finale, le nom du père à l'exclusion de celui de la mère: Civ. Liège, 15 novembre 1991, Rev. trim. dr.
fam. (1993), 192.

La loi nationale d'une personne détermine notamment selon quels procédés les
noms respectifs de son père et de sa mère lui sont communiqués.
1111 Voy.: Liège, 8 septembre 1992,j.L.M.B. (1994), 879, note L.-L. CHRISTIANS.

En ce qui concerne par exemple un Espagnol, l'application de la loi espagnole emporte l'attribu-
1111

tion du premier nom de son père et du premier nom de sa mère, selon les modalités d'option
qu'offre cette loi. Voy., dans un cas où un tel nom est exprimé dans l'acte de naissance d'un enfant
espagnol: Civ. Liège, 13 février 1976,]. T (1976), 229.

Ill!La faculté pour les parents de choisir le nom de leur enfant dépend ainsi de la loi nationale de
celui-ci. La solution peut soulever une difficulté dans le cas exceptionnel où des membres d'une
même fratrie ont des nationalités différentes, chaque fois que la loi nationale de l'un d'eux impose
la règle de l'unicité du nom. Il semble cohérent d'en assurer l'application au moyen d'un rattache-
ment cumulatif des lois nationales.

En France, en faveur de l'application de la loi qui régit les effets du mariage, voy. : Cass. civ.,
11!1
7 octobre 1997, Canovas Gutierrez, Revue (1998), 72, note critique P. HAMMJE.

La loi nationale s'impose à l'officier public au moment de désigner un étranger dans


un acte, même si le nom ne fait pas l'objet d'une mention expresse dans l'acte de nais-
sance (voy. supra, n° 12.20).

12.29 - Exigence administrative de port du nom - Toujours en vigueur en Belgique,


l'article 1er du décret du 6 fructidor an II est une disposition de police administrative qui
régit les étrangers comme les Belges.
Cette disposition interdit à quiconque de porter un nom ou un prénom autres que
ceux qui sont« exprimés dans son acte de naissance». Elle s'adresse aussi aux étrangers,
qui, à défaut de produire leur acte de naissance, doivent porter le nom et le prénom men-
tionnés dans les documents d'identité dont ils sont nécessairement porteurs dès qu'ils
séjournent régulièrement sur le territoire belge.
De même, la fixité du nom est un principe ayant, en Belgique, une portée territoriale
(voy. notamment Civ. Bruxelles, 9 juin 1956,j. T, 1959, 47).
510 LA PERSONNE IT LES RAPPORTS DE FAMILLE

À défaut de pouvoir produire un document d'identité, l'étranger réfugié peut établir son iden-
1111

tité en produisant route pièce de nature à bénéficier de la force probante, comme un certificat de
vaccination émanant des autorités de l'État dont l'intéressé est ressortissant (Liège, 28 novembre
1986,].T, 1987, 89).
Le Commissariat général aux réfugiés et apatrides (CGRA) délivre des documents d'identité au
réfugié reconnu.

12.30 - Conflit de juridictions - Une règle de compétence internationale complète uti-


lement, dans le Code, la règle de rattachement (art. 36 Codip). Elle prévoit naturellement
la compétence des juridictions belges lorsque la personne est belge. Ce chef de compé-
tence est cependant insuffisant, puisqu'il est approprié de prévoir un accès à la justice
belge dès que la personne intéressée réside en Belgique: cette extension de compétence
est également admise par le Code. En outre, il étend à ce contentieux les règles générales
de compétence internationale, ce qui permet d'agir en Belgique dès que le défendeur est
domicilié ou réside habituellement en Belgique (art. 5 Codip).
S'agissant de reconnaître une décision étrangère, le Code introduit une forme de
révision au fond atténuée (sur cette notion, voy. supra, n ° 10.13), à savoir un contrôle de
la loi applicable, tendant à assurer le respect de la loi nationale de l'intéressé (art. 39
Codip ). Lorsque celui-ci est belge - au jour du jugement étranger-, il convient de véri-
fier la conformité au droit belge. Lorsqu'il est étranger, il suffit de vérifier que la recon-
naissance est possible seloh le droit étranger : si ce droit n'impose pas de contrôle de la loi
applicable, celui-ci est omis.

B. Changement de nom ou de prénom


12.31 - Rattachement de principe à la loi nationale - La loi compétente pour détermi-
ner si le nom se modifie à la suite d'un changement d'état (par l'effet du mariage, du
divorce, de l'adoption) ou par la seule volonté, est la loi nationale de l'intéressé, même si
le changement de nom est une simple conséquence de l'acquisition d'un autre état
(art. 38 Codip). Le Code de droit international privé étend ainsi l'autonomie du rattache-
ment au cas du changement de nom ou de prénom, dans la logique de ce qui a lieu pour
la détermination du nom à la naissance par un effet de la filiation.
IllDans l'édition précédente, les auteurs avaient soutenu la thèse de l'application du droit qui
régit les effets de l'état nouveau de la personne (n° 968). Ils convenaient toutefois que la transmis-
sion du nom patronymique selon les règles du droit étranger (espagnol ou portugais, par exemple)
n'est possible qu'à l'intérieur de familles nucléaires dont les différents membres partagent une
nationalité commune. Quand deux conjoints, l'un Belge et l'autre Espagnol, vivant en Belgique,
conservent chacun leur nationalité après la conclusion du mariage et quelle que soit la nationalité
de l'enfant, ils suggéraient de recourir à un facteur commun aux époux, tel le domicile, pour dési-
gner le droit applicable à la transmission du nom.
1111La jurisprudence a manifesté quelque réticence à appliquer le droit étranger. Voy. à propos de la
reconnaissance: Civ. Liège, 18 mai 1983,Jur. Liège (1983), 380; 13 janvier 1989,].L.M.B. (1989), 461,
faisant prévaloir, au nom de l'intérêt de l'enfant, la loi belge de résidence sur la loi nationale nor-
malement applicable.
En droit comparé, l'autonomie du rattachement du nom reste controversée. À ce sujet, voy. G.
1111

VAN HECKE, op. cit. n° 12.26, émettant une préférence pour la thèse de l'autonomie, à la suite de
codifications nationales récentes. En ce sens aussi en Belgique, N. WAITÉ, précitée (n° 12.1), n° 291.
1111Pour un rattachement autonome de la question du changement de nom d'un enfant après le
divorce de ses parents, en faveur de la loi nationale de l'enfant, voy.: Civ. Gand, 19 mars 1992, Rev.
gén. dr. civ. (1993), 70.
L'IDENTIFICATION DES PERSONNES PHYSIQUES 511

Il en résulte que lorsque, au moment du mariage, la loi nationale des époux leur per-
met de choisir le nom de l'un ou de l'autre, cette faculté doit être admise. Si elle n'existe
que selon la loi nationale de l'un des époux et non de l'autre, la question revient à savoir
si l'un d'eux a la faculté de prendre le nom de l'autre. Ainsi entendue, elle affecte le statut
du premier, et la faculté d'option sera reconnue aux conditions que prévoit sa loi natio-
nale.
Ill!Par exemple, en cas de mariage d'un Allemand et d'une Belge, le premier pourra prendre le nom
de son épouse en vertu de ce que permet le droit allemand, alors que la seconde ne pourra pas choi-
sir le nom de son mari, tant que cette faculté n'existe pas en droit belge.

1!11Le Code de droit international privé prévoit qu'en cas d'option conforme à la loi compétente,
l'officier de l'état civil belge mentionne ce nom dans l'acte de mariage (art. 38, al. 2). Cette disposi-
tion est complétée en ce sens par l'article 76, 11 °, C. civ., tel que modifié par la loi-programme du
31 décembre 2004 (Monit., 31 décembre 2004, art. 240).

12.32 - Changement de nom d'un binational ressortissant de l'Union européenne -


Lorsque la personne possède plusieurs nationalités, dont la nationalité belge, une diffi-
culté risque de surgir lorsque le nom a été déterminé par l'autorité étrangère - et men-
tionné sur un acte étranger - conformément à la loi de la nationalité étrangère, alors
que, aux yeux des autorités belges, cette personne ne cesse pas d'être belge, en vertu de la
solution donnée au conflit de nationalités (voy. supra, n ° 5.57).
Par exemple, une personne ayant les nationalités belge et espagnole dès la naissance - étant de
1111

père espagnol et de mère belge - est enregistrée en Espagne selon le nom attribué conformément
au droit espagnol (double nom composé du premier nom du père et du premier nom de la mère),
alors qu'en Belgique, où elle réside, elle n'a pas cessé d'être considérée comme belge, ce qui impli-
que que soit retenu le double nom de son père.

Cette situation peut gêner la personne circulant dans plusieurs pays. Dans le con-
texte de l'Union européenne, les autorités belges doivent tenir compte de la nationalité
d'un autre État membre que possède l'intéressé. Aussi ce dernier est-il en droit de deman-
der un changement de nom, aux conditions que prévoit le droit de sa nationalité qui lui
est le plus favorable, afin d'obtenir un alignement du nom attribué en Belgique sur celui
qui l'a été à l'étranger.
1111Voy. à cet égard: C.J.C.E., aff. C-148/02, 2 octobre 2003, Garcia Avello, Revue (2004), 184, note P.
LAGARDE, D.S. (2004), J, 1476, note M. AUDIT, et commentaire de J.-Y. CARLIER, J. TD.E., 2004, 74.
Encore convient-il que l'intéressé établisse qu'il se trouve dans une situation encrant dans le
domaine du droit communautaire, ce qui est le cas lorsqu'il est un ciroyen de l'Union européenne
en séjour dans un État membre autre que celui dont il revendique la nationalité et à condition qu'il
établisse que la discordance évoquée crée une entrave à la liberté de circulation instaurée par
l'article 18 CE, ce que la Cour a admis dans un cas comme celui de l'espèce, alors même que les
enfants sont nés et ont roujours résidé en Belgique.
Le raisonnement de la Cour repose sur la constatation d'une discrimination encre Belges et person-
nes qui, roue en étant belges, ont une seconde nationalité, discrimination liée au refus des autorités
belges d'admettre le changement de nom dans le cas d'espèce. Alors que l'État belge invoquait la
nécessité de traiter les uns et les autres de manière égale en préférant la nationalité belge dans tous
les cas, la Cour a considéré que les situations n'étaient pas comparables, seuls les binationaux étant
confrontés à la contradiction de leurs lois nationales. Elle a ensuite écarté les justifications d'inté-
rêt général liées aux principes de fixité de nom et d'intégration sociale de la personne, non sans en
admettre le principe, pour violation du principe de proportionnalité en l'espèce.

Implicitement la Cour de justice reconnaît une sorte d'option de nationalité en matière de nom.
Ill!
Cette option s'étendra-t-elle à d'autres domaines du statut personnel?
512 LA PERSONNE ET LES RAPPORTS DE FAMILLE

1111Dans ce cas d'espèce, il est remarquable que la personne, belgo-espagnole, a pu invoquer


d'abord sa nationalité belge pour bénéficier de l'application de la loi belge sur le changement
volontaire de nom - en l'occurrence, l'invocation de circonstances exceptionnelles constituées de
la divergence entre le nom acté dans l'acte de naissance en Belgique et le nom mentionné dans les
registres espagnols de l'état civil -, ensuite sa nationalité espagnole pour justifier le bénéfice du
traité CE. Il est vrai qu'au lieu d'introduire une procédure administrative en changement de nom
avec recours au Conseil d'État, elle aurait pu également introduire directement la procédure judi-
ciaire en détermination de nom devant le tribunal de première instance.
1111La procédure de changement de nom par acte volontaire que connaît le droit belge devrait suf-
fire à rencontrer d'autres cas analogues soulevés par des citoyens de l'Union européenne, par exem-
ple lorsque, à la différence de l'affaire Garcia Avelia, l'acte de naissance a été rédigé à l'étranger et
non en Belgique.

12.33 - Conflits d'autorités et de juridictions - Les changements de nom et de prénom


par l'effet d'un acte administratif suscitent deux espèces de conflits d'autorités.
La compétence de l'autorité belge pour modifier, par la voie administrative, le nom
d'un étranger est douteuse, saufle cas de réfugiés et d'apatrides dont le statut personnel
est régi par la loi belge. Cette exigence est confirmée par l'article 36, alinéa 2, du Code de
droit international privé.
IllD'après la doctrine, l'administration française s'abstient de modifier le nom des étrangers. Voy.
notamment: BATIFFOL et LAGARDE, t. Il, n° 404, note 2; MAYER et HEUZÉ, n° 467; NIBOYET, t. VI,
n° 1606.
Les États signataires de la Convention d'Istanbul du 4 septembre 1958 relative aux change-
1111

ments de noms et de prénoms (non en vigueur en Belgique), se sont engagés à ne pas accorder
pareil changement aux ressortissants d'un autre État contractant, saufle cas de double nationalité.

L'acte administratif étranger ou la décision étrangère ayant modifié le nom d'un


Belge suite à un acte volontaire, ne peut être reconnu en Belgique, comme une consé-
quence de la compétence exclusive que se réservent les autorités belges : une telle règle de
compétence indirecte figure dans l'article 39, point 1 °, du Code de droit international
privé.
1111Ce motif de refus reçoit, dans le Code, une nuance lorsque la personne possède aussi la nationa-
lité d'un État membre de l'Union européenne, comme une conséquence de l'arrêt GarciaAvello, pré-
cité.

Pour d'autres personnes, le législateur a introduit une règle miroir, permettant de


refuser la reconnaissance si le changement intervenu dans un État autre que l'État dont
la personne a la nationalité n'est pas reconnu dans celui-ci (art. 39, point 3 °). Il en résulte
que, par hypothèse, le changement sera nécessairement reconnu en Belgique s'il a eu lieu
dans l'État dont la personne a la nationalité.

§3 L'ABSENCE

A. Les conflits d'autorités et de juridictions


12.34 - Compétence internationale des autorités belges - L'organisation de l'absence
par les articles 115 et suivants du Code civil repose sur le critère du domicile ou de la rési-
dence de l'absent, qui sert à déterminer la compétence territoriale interne et qui a pu être
transposée en règle de compétence internationale dans l'attente d'une règle spécifique de
ce type. Depuis l'entrée en vigueur du Code de droit international privé, la résidence
L'IDENTIFICATION DES PERSONNES PHYSIQUES 513

habituelle apparaît comme un critère de principe pour fixer la compétence internationale


(art. 40 Codip). Il a paru naturel d'y ajouter le critère de la nationalité belge de l'absent,
mais non du membre de sa famille qui demanderait la reconnaissance de l'absence.
Ill Toutefois ce membre de la famille - par exemple l'épouse belge d'un couple belgo-cambodgien
résidant au Cambodge et revenue en Belgique après la disparition de son mari - pourrait invoquer
l'attribution exceptionnelle de compétences si on ne peut raisonnablement exiger qu'elle retourne
au Cambodge pour cette procédure (art. 11 Codip).

En revanche, le for du domicile du défendeur (art. 5 Codip) n'est pas retenu en cette
matière.
L'adoption de mesures relatives aux biens de l'absent justifie que le for de situation
soit aussi retenu: les juridictions belges sont également compétentes à l'égard de biens
situés en Belgique, mais à l'égard de ces biens seulement, lorsque l'absent est étranger ou
résidait à l'étranger lors de sa disparition.

12.35 - Reconnaissance des mesures prises à l'étranger - Les décisions judiciaires étran-
gères qui auraient pourvu à l'administration des biens d'un absent doivent être recon-
nues aux conditions prévues plus généralement pour les jugements (supra, chap. 10).
Ainsi, les biens situés en Belgique sont valablement administrés par la personne ou
l'autorité qu'une décision étrangère reconnue en Belgique a investies de ce pouvoir.

B. Le conflit de lois
12.36 - Loi de la nationalité et loi de la résidence - Les conditions auxquelles l'absence
doit être déclarée sont déterminées par la loi de la nationalité de l'absent lors de sa dispa-
rition (art. 41 Codip). Dans la plupart des cas, cette règle conduira à l'application de la lex
fori.
En revanche, l'administration provisoire des biens de l'absent relève de la loi de sa
résidence habituelle lors de sa disparition (art. 41, al. 2, Codip). L'application subsidiaire
du droit belge est prévue pour le cas où cette loi ne permet pas d'organiser de telles
mesures. La référence à la loi de la résidence habituelle lors de la disparition, combinée
avec la disposition qui organise le rattachement successoral, permettra normalement
une confusion des lois applicables à un titre ou à un autre, sauf pour les masses immobi-
lières.
Les effets de l'absence ne relèvent pas nécessairement de la loi personnelle de
l'absent.
Les effets de l'absence sur la liberté matrimoniale du conjoint demeuré seul (voy. par
exemple l'article 139 du Code civil) dépendent de la loi régissant l'aptitude matrimoniale
de ce conjoint.
IllDe nombreuses lois étrangères autorisent le remariage du conjoint de l'absent. Un étranger
peut se prévaloir en Belgique de ce droit que lui confère sa loi nationale.
De même, la détermination de la qualité d'héritier d'un absent relève du rattache-
ment de la succession à laquelle celui-ci serait appelé.
L'effet de l'absence sur la responsabilité parentale relève du rattachement propre à
cette matière.
514 LA PERSONNE ET LES RAPPORTS DE FAMILLE

Section 3
La formation du mariage
12.37 - Bibliographie
B. Brx, « Choice of law and marriage: A proposai», Family L.Q. (2002), 255-272; B. BouRDELOIS,
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sous Cass., 2 avril 1981, Revue (1983), 59 et s.; R. WAGNER,« EG-Kompetenz für das Internationale
Privatrecht in Ehesachen? », RabelsZ (2004), 119-153; J. WARDLE (dir.), « International marriage
and divorce regulation and recognition», Family L.Q. (1995), 497-701.
Voy. aussi: le rapport explicatif de M. Ake MALMSTROM sur la Convention de La Haye du 14 mars
1978 sur la célébration et la reconnaissance de la validité des mariages, Actes et documents de la
treizième session, t. III, pp. 289-313; les Mélanges offerts à Roland De Valkeneer (Bruxelles, Bruylant,
2000).
Sur les formalités du mariage, voy.: DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, t. Ier, n°s 693-695;
LEHMANN,« Les qualifications »,].-Cl., fasc. 531, n°s 78 et s.; Louis-LUCAS,« La distinction du fond
et de la forme dans le règlement des conflits de lois », Mélanges Maury, t. Ier, 194 et s. ; C. PARIS, « Le
rôle de l'officier de l'état civil requis de célébrer un mariage présumé simulé», Rev. trim. dr. Jam.
(1997), 335-347; F. RIGAUX, La théorie des qualifications, n° 241 ; ID., note sous Bruxelles, 14 décembre
1955, Revue (1957), 72; ID., note sous Civ. Bruxelles, 10 octobre 1956, Ann. not. enreg. (1956), 329-
333; ID., v0 «Acte», n°s 62-76, Rép. Dalloz (1968); A. SAPART, « Célébration et reconnaissance des
mariages d'étrangers en Belgique - Implications au niveau communal», Rev. dr. étr. (1996), 515-
524.
LA FORMATION DU MARIAGE 515

Sur le mariage confessionnel, voy. : P. CALLERI, « Matrimoni acattolici ed ordine pubblico », Riv. dir.
intern. (1967), 342-354; L.-L. CHRJSTIANS, « Le droit canonique internormatif- Conflits de lois et de
juridictions avec les systèmes étatiques et les autres systèmes religieux en droit matrimonial»,
Revue ( 1998), 217-248 ; A. K. ELGEDDAWY, Relations entre systèmes confessionnels et laïques en droit interna-
tional privé (Paris, Dalloz, 1971); LALAGUNA DOMINGUEZ, « Matrimonio de Espanoles en el extran-
jero en la forma de la !ex loci», Annuario de derecho civil (1960), 881-941; Io., « Nulidad de
matrimonio civil por confesion catolica de los contrayentes »,jus canonicum, t. rer (1961), 271-289;
MARIDAKIS, « Le mariage des Grecs orthodoxes hors de la Grèce »,Revue (1952), 661 ;]. MESTRE,« Le
mariage en France des étrangers de statut confessionnel», Revue (1977), 659-700; J.-L. VAN Box-
STAEL, note sous Bruxelles, 11 mai 1994, Rev. trim. dr. fam. (1996), 25; M. VERWILGHEN, « Un cas de
mariage confessionnel contracté par des Belges à l'étranger »,].T (1970), 57-65.
Sur le mariage de personnes de même sexe, voy., outre infra, n° 12.103: H. JESSURUN o'OuvEIRA,
« De Europese Commissie erkent het Nederlands huwelijk », Ned. jurbl. (2001), 2035-2040; T.
KEANE, « Aloha, marriage ? Constitutional and choice oflaw arguments for recognition of same-sex
marriages », Stanford L.R. (1995), 499-532; L. KRAMER, « Same-sex marriage, conflict oflaws, and the
unconstitutional public policy exception», Yale L.]. (1997), 1965-2008; NOTE, « Constitutional
constraints on interstate same-sex marriage recognition», Harvard L.R. (2003), 2028-2051 ; G. Ros-
SOLILLO, « Registered partnerships e matrimoni rra persane della stesso sesso : problemi di qualifi-
cazione ed effetti nell'ordinamento italiano », Riv. dir. int. priv. proc. (2003), 363-398; D. STERCKX,
« Le mariage homosexuel et l'ordre international ministériel »,].T. (2004), 390.

12.38 - Présentation - La détermination de la validité du mariage soulève principale-


ment une question de conflit de lois (§ 1er). Le conflit de juridictions affecte, d'une part,
la compétence internationale pour connaître des actions en nullité, singulièrement lors-
que le mariage a été célébré à l'étranger(§ 2), d'autre part, la reconnaissance des décisions
étrangères ayant annulé un mariage(§ 3).
Le conflit d'autorités concerne essentiellement la compétence internationale de
l'officier de l'état civil ou des autorités diplomatiques pour célébrer un mariage. Il est
analysé en même temps que la question du droit applicable aux formalités de l'acte de
célébration(§ 1cr, point B).

§1 LES CONDITIONS DE VALIDITÉ DU MARIAGE


12.39 - Présentation - Le Code de droit international privé consolide le droit antérieur,
en retenant un rattachement disjonctif distinguant conditions de fond et de forme : aux
premières la loi de la nationalité, aux secondes la loi du lieu de célébration.
Il n'y a donc pas lieu de s'attacher à la solution du conflit transitoire, du moins pour
les dispositions nouvelles propres au mariage, sous réserve de ce qui sera dit à propos du
mariage de personnes de même sexe. En revanche, il y a lieu d'être attentif aux modifica-
tions pouvant affecter certaines règles générales, telle l'élimination de la technique du
renvoi.

A. Les conditions de fond


12.40 - Principe : l'application distributive des lois nationales respectives des
époux - La validité du mariage relève du droit de l'État dont chaque époux a la nationa-
lité au moment de la célébration (art. 46, al. 1er, Codip), à l'exception de la détermination
des formalités de la célébration. Quand les futurs époux n'ont pas la même nationalité, il
convient d'appliquer de manière distributive leurs lois nationales respectives. L'âge de la
516 LA PERSONNE IT LES RAPPORTS DE FAMILLE

nubilité, la détermination de la capacité matrimoniale et du consentement, l'aptitude à


contracter mariage relèvent, pour chacun des futurs époux, de la loi du pays dont il a la
nationalité au moment de la conclusion du mariage.
L'application cumulative des deux lois nationales s'impose lorsque l'une des deux
lois prévoit un empêchement fondé sur une relation entre les futurs époux - tel l'inceste.
1111Ainsi, il suffit que l'oncle ou la nièce, la tante ou le neveu soit belge pour que le mariage soit pro-
hibé conformément à l'article 163 du Code civil, sauf dispense royale (C. civ., art. 164), encore que
le partenaire ait la nationalité d'un pays qui ne connaît pas cet empêchement.
Sur le pouvoir de lever certains empêchements par voie de dispense, voy. supra, n° 9.59.

Pour les actes passés avant le 1er octobre 2004, la technique du renvoi peut conduire
à soumettre le cas d'espèce à une loi autre que la loi nationale. En matière de mariage, il
en sera ainsi chaque fois que la loi de l'État dont les époux ou l'un d'eux sont ressortis-
sants, désigne la loi du lieu de célébration pour déterminer les conditions de fond du
mariage. L'utilisation de cette technique est cependant exclue pour les mariages célébrés
après cette date (art. 16 Codip).
Ill Pour une application de cette technique à propos du mariage d'un Belge et d'une Chinoise,
voy.: Bruxelles, 18 octobre 1988,].L.M.B. (1989), 348.

En cas de mariage boiteux, lorsque l'acte a été célébré valablement en la forme civile
en Belgique alors qu'il est tenu pour nul pour ce motif par la loi nationale des parties, la
jurisprudence pratique une forme de dérogation à l'application de la loi nationale pour
la détermination des conditions de fond, pour le motif que l'on ne saurait logiquement
emprunter à cette loi les conditions d'un acte que celle-ci tient pour inexistant. Cette
objection a cependant été surmontée (voy. supra, n ° 12.10).
Ill Dans le sens d'une dérogation en faveur de la loi belge, voy.: Civ. Bruxelles, 31 mars 1992, Rev.
gén. dr. civ. (1993), 75.

12.41 - Domaine de la loi nationale - Il apparaît du texte de l'article 46 du Code que la


loi nationale des parties régit normalement l'acte de mariage, à l'exception des formalités
de la célébration. Le législateur a entendu ainsi éviter l'utilisation de l'opposition du fond
et de la forme, en assignant à la loi des formalités la portée d'une exception.
La loi nationale de chaque époux détermine les conditions du consentement, respec-
tivement, de celui-ci et de ses parents, ainsi que les habilitations requises.
Ill Pour le consentement des parents, voy.: Mons, 20 décembre 1978, Pas. (1979), II, 24. Ainsi, la
mère, veuve, d'un Belge âgé de vingt ans qui s'est marié en Écosse sans le consentement qui était
prévu par l'article 149 du Code civil, peut obtenir l'annulation de cette union conformément à la
loi belge (Cass., 8 mars 1963, Meeus c. Engelen, Pas., 1963, I, 754).
111 Pour le consentement des parties, voy. notamment: Anvers, 28 avril 1998, Alg. fur. Tijdschr.
(1999-2000), 540, note K. LAMBEIN.
Ill De même, pour se marier en Belgique, un Italien mineur a besoin des habilitations prévues par
sa loi nationale, non sans que l'application de la loi étrangère puisse donner lieu à une adaptation
afin de respecter les compétences d'attribution du droit belge (voy. supra, n° 9.58 : Civ. Tournai,
10 octobre 1962,].T., 1962, 716, à propos de l'autorisation requise du procureur général).
Ill Le mariage d'une Belgo-marocaine de moins de dix-huit ans, célébré en l'espèce au Maroc,
s'apprécie au regard des seules dispositions de la loi belge, le conflit de nationalités étant tranché
en faveur de la nationalité belge (voy. supra, n ° 5.57) en raison d'un intérêt politique de l'État
(Liège, 19 mars 1996, Rev. trim. dr. Jam., 1997, 323).
l.A FORMATION DU MARIAGE 517

Pour un cas d'annulation basée sur la contrainte exercée par le tuteur matrimonial sur une femme
marocaine, voy.: Mons, 7 février 1995,Journ. dr. jeunes (1995), 471.

Ill Comp., à propos des relations bilatérales avec le Maroc, la convention du 15 juillet 1991 sur la
loi applicable et la reconnaissance des mariages et de leur dissolution (Rev. trim. dr.jam., 1994, 537),
cependant non entrée en vigueur, confirmant l'application distributive des lois nationales.

La détermination des modes de preuve du consentement relève normalement (voy.


supra, n ° 11.16) du rattachement matrimonial, sans devoir exclure que l'exception
d'ordre public puisse jouer à l'égard de l'admissibilité de certains modes de preuve.
Il paraît donc erroné d'affirmer sans plus que la preuve de l'absence de consentement obéit au
1111

droit belge en tant que loi de procédure (Bruxelles, 11 juin 2002, Rev. trim. dr. jam., 2003, 329).

La loi nationale semble aussi devoir régir la détermination du versement de la dot et


les conséquences de sa violation, sans préjudice du jeu éventuel de l'exception générale
d'ordre public (voy. infra, n ° 12.45).
La question s'est posée lorsque le non-versement s'ajoute à l'absence de consentement au
1111

mariage (Civ. Bruxelles, 20 février 1985, ].T, 1985, 286; 28 octobre 1986, Rev. dr. étr., 1986, 112;
17 octobre 1989, Pas., 1990, III, 46). La conjonction de ces éléments de fait peut concourir à la
preuve de la simulation du mariage (voy. ci-dessous), mais savoir s'il pouvait être question d'une
obligation éventuelle de versement d'une dot relève de la loi de la nationalité.

En cas de conflit de lois personnelles, il faut s'interroger sur l'existence d'un rattachement
1111

cumulatif ou distributif. Soit l'institution suppose que les deux conjoints appartiennent au même
contexte culturel, ce qui exigerait alors un rattachement cumulatif des lois nationales ; soit elle a
pour fonction de protéger les intérêts du créancier, ce qui emporterait l'application de la loi natio-
nale de l'époux au bénéfice duquel la dot doit être constituée.

12.42 - Le consentement des époux et la théorie de la simulation - Comme condition


essentielle de validité du mariage, l'exigence du consentement - et sa sanction - relève
du rattachement matrimonial.
Par exemple, la simulation du consentement est une cause de nullité du mariage aux conditions
1111

de la loi belge, à l'égard de celui des deux conjoints qui a cette nationalité (Gand, 26 avril 1973,
RW, 1973-1974, 1886), ou de la loi française à l'égard d'un conjoint de nationalité française (Civ.
Bruxelles, 30 janvier 1970,]. T, 1970, 498).

Ill La jurisprudence relative à la simulation est particulièrement abondante (voy. les chroniques
publiées à la Rev. trim. dr. jam., 1980, 235 et s., 11° 6, 1988, 193 et s., n° 5 21 22, 1997, 29, n°s 19 et 20,
et à la Rev. crit. jur. belge, 1991, pp. 157-158, 2003, 507, n ° 18). L'hésitation s'observe encre l'applica-
tion de la loi belge (Civ. Bruxelles, 30 mars 1976,].T, 1976, 427, ayant appliqué la loi belge à un
mariage simulé par deux Grecs en Belgique; Civ. Bruxelles, 5 février 1991, Rev. dr. étr., 1991, 50,
appliquant la loi belge à un mariage célébré en Belgique entre un Français et une Zairoise) et celle
de la loi nationale (Civ. Bruxelles, 28 octobre 1986, Rev. dr. étr., 1986, 112 ; Bruxelles, 28 janvier
1986, Pas., 1986, II, 56; 24 avril 1990, Rev. trim. dr. jam.,1990, 363; ier février 1994,].L.M.B., 1994,
599, note M. LIÉNARD-LIGNY; 9 décembre 1997, Rev. Divorce, 1999, 100; Anvers, 2 janvier 2002, Alg.
fur. Tijdschr., 2001-2002, 959).
La solution de l'application de la loi nationale s'impose, de sorte que le pourvoi invoquant la viola-
tion du droit belge à propos de l'absence de consentement d'un Marocain est irrecevable, la viola-
tion de la loi marocaine étant la base nécessaire du pourvoi (Cass., 19 mars 1992, Harchou, Pas.,
1992, I, 659).

La plupart des actions concernent un ressortissant marocain. La jurisprudence a eu l'occasion


1111

d'affirmer avec netteté que le droit marocain exige la réalité du consentement comme une condi-
tion essentielle du mariage (voy. notamment: Anvers, 2 janvier 2002, précité).
518 LA PERSONNE ET LES RAPPORTS DE FAMILLE

La preuve de la simulation peut s'avérer délicate, surtout en raison de l'apparte-


nance culturelle des époux. Il convient de s'attacher au moins à un faisceau de présomp-
tions graves, précises et concordantes (Civ. Bruxelles, 18 décembre 1990,].T, 1991, 242;
Bruxelles, 18 octobre 1988,].L.M.B., 1989, 348; 1er février 1994,J.L.M.B., 1994, 599, note
M. LIÉNARD-LIGNY), basées sur l'établissement de faits.
1111L'absence de cohabitation et de consommation est naturellement un fait pertinent (not. Anvers,
7 octobre 1985, Pas., 1985, 11,204; Bruxelles, ier février 1994, précité, ensemble avec le non-verse-
ment de la dot; 9 décembre 1997, Rev. divorce, 1999, 100, ensemble avec l'absence de célébration
religieuse; Liège, 28 novembre 2001,J.T., 2002, 131, ibid., à propos d'un Turc), mais l'appréciation
doit être prudente à propos de conjoints musulmans, car le droit musulman exclut toute consom-
mation avant la célébration religieuse (Civ. Bruxelles, réf., 10 décembre 1980, Rev. dr. étr., 1980, n°
11, p. 12). De même: Civ. Bruxelles, 30 novembre 1994, Rev. trim. dr. Jam., 1995, 66, ne retenant pas
le non-versement de la dot combiné avec l'absence de relations sexuelles pour des motifs religieux.
11!1 L'absence d'une célébration coutumière a pu être vue comme constituant un indice pertinent
en fonction du milieu culturel des parties (Civ. Bruxelles, 17 janvier 1984, Rev. trim. dr. Jam., 1986,
28) mais, face à la difficulté d'apprécier la portée de cet élément pour l'interprétation de la volonté
des parties, l'indice objectif de l'absence de cohabitation fut ensuite retenu comme plus décisif
(Civ. Bruxelles, 19 octobre 1994, Rev. trim. dr. Jam., 1995, 54).
1111 Tenant pour insuffisant l'argument de la contrainte normale des parents liée au devoir d'obéis-

sance dans la culture musulmane sans preuve de cette contrainte en l'espèce: Bruxelles, 16 mars
2000, Rev. trim. dr. Jam. (2001), 281, note M.-C. FoBLETS. Sont également insuffisants le non-verse-
ment de la dot combiné avec l'absence de relations sexuelles.

Le fait que la simulation éventuelle ait pour but de frauder la réglementation


relative à l'accès de l'étranger au territoire ne suffit pas à écarter l'application de la loi
nationale (voy. not. SPANOGHE et ERAuw, op. cit. n° 12.37, p. 302) : la question d'état est
autonome par rapport à toute question administrative (voy. supra, n ° 12.11 ).
Il paraît critiquable de fonder la preuve de la simulation sur des difficultés éprouvées par l'inté-
Ill!
ressé au sujet de son statut d'étranger (voy. cette critique par Gand., 14 février 1986, Rev. dr. étr.,
1986, 43; 13 février 2001, Alg.Jur. Ti;dschr., 2001, 329). Comp., utilisant cet élément comme indice:
Liège, 26 avril 1993,].T. (1994), 536.; Bruxelles, 1er février 1994,].L.M.B. (1994), 599, note M. LIÉ-
NARD-LIGNY.

Dans le sens proposé, voy. nettement: Bruxelles, 24 juin 2004, N.j.W. (2005), 134, évoquant le con-
cept de mariage de raison et exigeant une preuve de la simulation sur la base d'éléments concor-
dants.
Ill De même, il faut désapprouver l'attitude du ministère public consistant à s'opposer au mariage
avant sa célébration (voy., dans un sens critique, Civ. Mons, 21 février 1986,].T, 1987, 370). Pour
un cas de refus, considéré comme injustifié, de délivrance d'un certificat de non-empêchement par
l'officier de l'état civil en vue de la célébration à l'étranger, après avis favorable du ministère public,
voy.: Civ. Bruxelles, 27 avril 1998, Rev. dr. étr. (1998), 233.
1111Pour un découplage des questions d'état et d'immigration, dans le sens d'une appréciation spé-
cifique aux fins d'immigration sans affecter pour autant l'annulation du mariage, voy. la résolution
du Conseil de l'Union européenne du 4 décembre 1997 sur les mesures à adopter en matière de
lutte contre les mariages de complaisance,J.O.C.E. (1997), C 382.
Pour le droit au regroupement familial de l'époux d'un citoyen européen, indépendamment des
documents d'accès au territoire (visa) ou de séjour, voy.: C.J.C.E., aff. C-459/99, 25 juillet 2002,
MRAX, Rec. (2002), 1-6591, et la circulaire du 21 octobre 2002 (Monit., 29 octobre 2002) qui fait
suite à cet arrêt.
Le législateur a toutefois introduit dans le Code civil des dispositions spécifiques
pour lutter contre les mariages simulés (art. 146bis C. civ.). Les officiers de l'état civil sont
invités à faire un contrôle préventif.
LA FORMATION DU MARIAGE 519

!Ill Pour un recours à la technique des indices, voy. la circulaire ministérielle du 7 juillet 1994,
Monit., 7 juillet 1994.

12.43 - L'existence d'un précédent mariage non dissous et la polygamie - La question


de savoir si le conjoint étranger, ressortissant d'un pays qui admet la polygamie, a pu
nouer valablement un second lien matrimonial dans un pays où cette célébration est pos-
sible, relève exclusivement de sa loi nationale.
Ili À propos de ressortissants marocains, voy. Liège, 23 avril 1970, Rev. crit. jur. belge (1971), 5, note
G. VAN HECKE; Civ. Bruxelles, 15 janvier 1992, Pas. (1992), III, 42. Il en va ainsi d'un mariage entre
une Belge catholique et un Gambien musulman (Bruxelles, 20 mai 1981, Rev. not. belge, 1982, 208),
étant indifférent le fait d'une annulation par l'autorité ecclésiastique fondée sur l'absence de
volonté de l'époux de conclure une union indissoluble. Dans le même sens, C.E .. , 9 juillet 1986, Rev.
dr. étr. (1986), 104; Anvers, 22 octobre 1985,].TT (1986), 29; Corr. Bruxelles, 21 octobre 1986, Rev.
dr. étr. (1986), 110.
Le nouveau Code marocain de la famille, entré en vigueur le 6 février 2004 (loi 03-70) limite for-
11!1
tement la polygamie, en exigeant une autorisation préalable du juge de la famille (art. 42) après
convocation de l'épouse (art. 43). Et« la polygamie est interdite lorsqu'une injustice est à craindre
entre les épouses »ou« lorsque l'épouse a exigé de son époux qu'il s'engage à ne pas lui joindre une
autre épouse » (art. 40).

Comp. en France, en faveur d'un rattachement cumulatif: Cass. civ., 24 septembre 2002, Revue
11!1
(2003), 271, note B. BOURDELOIS.

En Angleterre, voy. Court of Appeal, 24 juin 1982, Hussain v. Hussain, Clunet (1988), 807, note K.
11!1
LIPSTEIN, 3 All.E.R. [1982] 415.

Ill Il ressort clairement de l'application de la loi nationale que doit être annulé le second mariage
conclu par une Colombienne au Venezuela avant la dissolution du premier alors que le droit
colombien n'admet pas la polygamie: Bruxelles, 6 mars 2001, Echtsch. ]oum. (2001), 140, K. JAN-
SEGERS et J. VERHELLEN. Pour un cas de nullité d'un second mariage conclu entre un Grec, déjà lié
par un mariage religieux célébré en Grèce, et une Belge, alors qu'une loi grecque rétroactive a régu-
larisé ce second mariage, mais seulement à l'égard du Grec, non de la Belge, voy. : Civ. Gand, 21 juin
2001, Rev. gén. dr. civ. (2003), 109, note K.JANSEGERS.
De même, doit être annulé le mariage civil célébré en France après que les époux ont célébré leur
union sous la forme coutumière au Congo (Cass. civ., 3 février 2004, D.S., 2004, ], 3171, note J.-G.
MAHINGA).
En revanche, le second mariage ne saurait encourir la sanction de nullité après que le juge d'appel a
établi la nullité du premier mariage: Cass., 20 avril 2001, Alg.]ur. Tijdschr. (2001-2002), 551.
!IllAutre chose est l'impossibilité de célébrer un mariage polygamique en Belgique (voy. infra,
n ° 12.45, à propos de l'exception d'ordre public).

La reconnaissance du mariage polygamique quant à sa validité n'empêche pas


l'éventualité de l'incompatibilité de certains effets d'une telle union avec l'ordre public
(voy. supra, n ° 7.52).

12.44 - Le cas du mariage posthume - Le droit étranger peut, comme le fait le Code
civil français (art. 171) autoriser la célébration d'un mariage après le décès d'un des
(futurs) époux. Lorsqu'une Belge a épousé, en France, un Français décédé au jour de la
célébration, conformément aux dispositions du droit français relatives au mariage pos-
thume, il appartient au droit français de déterminer les conditions de validité de ce
mariage, sans préjudice de la mise en oeuvre éventuelle de l'exception d'ordre public.
L'application de la loi étrangère est certaine (Liège, 6 février 1980, Dhont c. Josi,]. T, 1980,
492, Rev. trim. dr. fam., 1980, 274, concl. min. publ., Revue, 1983, 59, note M. VERWILGHEN;
520 LA PERSONNE ET LES RAPPORTS DE FAMILLE

Cass., 2 avril 1981, Pas., 1981, I, 835, concl. VELU, R W, 1982-1983, 922, note]. ERAuw, Rev.
crit. jur. belge, 1983, 499, note F. RrGAUX).
Le titre exact de cette application est controversé. Si plusieurs auteurs (RrGAUX,
précité; VAN HECKE et LENAERTS, n° 456) y voient une application de la règle Locus régis-
sant la célébration du mariage, d'autres estiment, à la suite de la cour d'appel, que la
question intéresse aussi le consentement du défunt, dont le mode d'expression relèverait
effectivement de la règle Locus (VERWILGHEN, précité), voire simplement sa capacité matri-
moniale. La première interprétation favorise la validité du mariage en raison du lieu de
célébration quelle que soit la nationalité de« l'époux» décédé. À tout le moins, la Cour
de cassation paraît avoir rejeté implicitement un rattachement cumulatif aux lois natio-
nales des conjoints (ERAUW, précité).
IllEn faveur de l'application de la loi du lieu de célébration, à propos d'une demande de célébra-
tion en Belgique avec un Italien prédécédé, voy.: Liège, 4 mars 1997,]. T (1997), 520.

12.45 - L'exception d'ordre public - L'exception d'ordre public intervient tantôt pour
écarter un empêchement que contient la loi étrangère normalement applicable, tantôt
pour prohiber la célébration, en Belgique, d'un mariage qui serait admissible conformé-
ment à la loi personnelle des époux ou à la loi du lieu de célébration.
Ill Par exemple, aucun empêchement de caractère racial ou de nature religieuse ne saurait faire
obstacle à la célébration d'un mariage en Belgique (supra, n° 7.47). Inversement, un étranger poly-
game ne pourrait se prévaloir de sa loi nationale pour conclure sur le territoire belge une deuxième
union avant la dissolution de la première (n° 7.53). L'exception d'ordre public doit aussi jouer à
l'égard d'une union polygamique qui serait conclue devant un agent diplomatique ou consulaire
étranger en Belgique.
Cependant, l'appréciation de l'exception doit se faire en fonction du double critère
de la nature des effets postulés et de l'intensité du rattachement de la situation à l'ordre
juridique belge, sauf dans les cas où l'application de la loi étrangère contredirait un prin-
cipe du droit international positif (voy. supra, n° 5 7.46 et s.).
1111Pour une appréciation exemplaire de l'exception, à propos de l'admission des effets d'un
mariage posthume valablement célébré en France, pour les besoins d'une action en responsabilité
civile, voy.: Cass., 2 avril 1981, Dhontc.Josi, précité n° 12.44.
IllL'absence de paiement de la dot comme cause de nullité du mariage est écartée par la jurispru-
dence au nom de l'exception d'ordre public (Bruxelles, 17 avril 1985, cité par RIGAUX et VAN HECKE,
Rev. crit. jur. belge, 1991, 156; Gand, 12 septembre, 1994, R W., 1996-1997, 1194; Civ. Bruxelles,
30 novembre 1994, Rev. trim. dr. fam., 1995, 66). Une réponse aussi catégorique est douteuse, à
moins d'une intensité particulière du rattachement de la situation à l'ordre juridique belge, telle la
célébration du mariage en Belgique.
Ainsi, une union polygamique valablement conclue à l'étranger peut produire cer-
tains effets, alors même que les parties ne sauraient se prévaloir de leur statut personnel
pour contracter en Belgique une deuxième union avant la dissolution de la première.
Sur le droit pour les deux veuves d'un travailleur marocain, victime d'un accident mortel, de se
1111

prévaloir l'une et l'autre de l'article 1382 du Code civil à l'égard du tiers responsable du décès, voy. :
Liège, 23 avril 1970, Rev. crit. jur. belge (1971), 5, note G. VAN HECKE, Revue (1975), 61, note P. GRAU-
LICH.

1111Sur le droit à des aliments, voy.: Civ. Liège, 26 juin 1975,Jur. Liège (1975-1976), 163, Rev. crit. jur.
belge (1976), 229-230, implicite, alors même que la première épouse d'un Marocain était une Ita-
lienne ayant épousé celui-ci au consulat du Maroc en Belgique, le second mariage ayant eu lieu au
Maroc avec une Marocaine. Le statut monogamique de la première épouse aurait pu entraîner une
appréciation différente, en vertu du critère de l'intensité du rattachement ; voy. en ce sens, Civ.
LA FORMATION DU MARIAGE 521

Bruxelles, 20 novembre 1990,].T. (1991), 283, Rev. dr. étr. (1990), 351, note M.-C. FOBLETS, alors
même que le premier mariage conclu avec une Belge avait été dissous après le second mariage ;
l'action alimentaire présupposait la légitimité des enfants issus de la seconde union : J.P. Zaventem,
17 octobre 2002,].].P. (2004), 456, faisant droit à la demande de la première épouse et autorisant
aussi une résidence séparée.
Ill Sur le droit au regroupement familial, voy.: C.E., 9 juillet 1986, Rev. dr. étr. (1986), 104, la cir-
constance que la première épouse était belge étant indifférente dès lors que le premier mariage
avait été dissous antérieurement à l'entrée sur le territoire - mais après conclusion du second
mariage - par le divorce.
Ill Sur le droit à des allocations sociales, voy.: Anvers, 22 octobre 1985,J. T.T. (1986), 29; mais non,
prétendument, le droit à une pension d'épouse: C. trav. Liège, 18 avril 2001, Chr. dr. soc. (2004), 176,
et la note renvoyant à une jurisprudence plus souple, rapportée au Guide social permanent, part. I,
livre II, titre III, ch. II, 2, n ° 910.
La question de la compatibilité avec l'ordre public d'une distribution des droits de pension de
veuve entre les différentes épouses d'un Marocain - par application de la convention bilatérale de
sécurité sociale du 24 juin 1968 (loi du 20 juillet 1970) - a été posée à la Cour d'arbitrage, lui
demandant une interprétation des principes d'égalité des sexes (l'homme ne risquant jamais une
telle distribution) et de non-discrimination en raison de la nationalité (les femmes belges échap-
pant à un tel risque). Selon la Cour (arrêt du 4 mai 2005, Haouach), qui prend soin de relever que le
droit belge connaît des cas de distribution des droits en cas de remariage, la réponse relève d'une
appréciation in concreto de l'exception d'ordre public, à effectuer par le juge du fond en fonction de
l'espèce. Sur une telle appréciation, voy.plus généralement supra, chap. 7).
1111Sur l'acquittement de la prévention de délit d'adultère de l'époux, voy. : Corr. Bruxelles,
21 octobre 1986, Rev. dr. étr. (1986), 110.
1111 Le droit coranique permet que les époux concluent au moment de la célébration du mariage un
pacte de monogamie. Pareille stipulation est très recommandable en cas de mariage mixte. Voy. :J.-
Y. CARLIER, « Les contrats de mariage internationaux : l'aspect particulier des clauses relatives aux
relations personnelles» in Relations familiales internationales (Bruxelles, Bruylant, 1993), 278-900.
Le nouveau Code marocain de la famille prévoit cette possibilité à l'art. 40 (voy. supra, n ° 12.43).

12.46 - Exception d'ordre public et mariage de personnes de même sexe - Depuis que
certains droits étrangers, tels les Pays-Bas, ont admis la faculté pour des personnes de
même sexe de contracter mariage, s'est posée la question, à la fois, de la reconnaissance
en Belgique d'un tel mariage célébré à l'étranger, et de la possibilité de contracter une
telle union en Belgique, par application de la loi de la nationalité des parties.
L'utilisation du concept de« mariage» à l'égard de l'union de personnes de même sexe a soulevé
1111

une réaction dans la doctrine, comme aussi du Conseil d'État, à l'occasion de l'adoption de la loi
du 13 février 2003 ouvrant le mariage à des personnes de même sexe. Voy. notamment: J.-L. REN-
CHON, « Mariage et homosexualité »,]. T. (2002), 505-514. Sous l'angle du droit international privé,
ce qui importe n'est pas le mot utilisé(« mariage» en Belgique et aux Pays-Bas,« partenariat» en
Suède et en Allemagne) mais le contenu de l'institution ainsi créée : si elle à des effets similaires au
mariage elle devra être considérée comme telle.
La distinction entre « mariage» et « relation de vie commune » pose une question de qualifica-
111111

tion d'institutions étrangères - comme le partenariat - à classer dans l'une ou l'autre catégorie de
rattachement, qui se résout par la théorie de l'équivalence (voy. infra, sect. 6).
À propos du partenariat homosexuel en Suède, assimilé au mariage, voy. la position de l'État
111111

suédois dans: C.J.C.E., aff. C-122/99 P, 31 mai 2001, Rec. (2001), I-4319.
Avant la loi du 13 février 2003 ouvrant le mariage aux personnes de même sexe en
Belgique, la réponse devait être cherchée dans le jeu normal de l'exception générale
d'ordre public. Comme pour la polygamie, il semblait exclu d'autoriser l'officier de l'état
civil à célébrer un tel mariage. En revanche, comme pour la polygamie, une union homo-
522 LA PERSONNE IT LES RAPPORTS DE FAMILLE

sexuelle célébrée à l'étranger conformément à la loi nationale des parties pouvait recevoir
certains effets en fonction de l'intensité du rattachement de la situation avec l'ordre juri-
dique belge.
ffll Il ressort des travaux préparatoires de la loi du 13 février que l'intention du législateur de 2003 a
été de ne pas toucher aux règles de conflit de lois relatives au mariage. Aussi, l'admissibilité du
mariage relevait de la loi nationale de chacune des parties, par un rattachement de type cumulatif.
Voy. en ce sens la circulaire ministérielle du 8 mai 2003 (Monit., 16 mai 2003), renvoyant aux tra-
vaux préparatoires.
L'exposé des motifs de la proposition de Code de droit international privé, rédigé avant la loi du
ffll
13 février 2003, évoque l'utilisation de l'exception générale d'ordre public.
ffllUne circulaire ministérielle du 23 janvier 2004 (Monit., 27 janvier 2004), remplaçant celle du
8 mai, prend acte de la loi du 13 février pour énoncer que« l'application d'une disposition de droit
étranger doit être écartée si cette disposition prohibe le mariage de personnes de même sexe, lors-
que l'une d'elles a la nationalité d'un État ou a sa résidence habituelle sur le territoire d'un État
dont le droit autorise un tel mariage ». Cette approche fait usage du critère d'intensité du rattache-
ment, qu'elle concrétise par le jeu alternatif de la nationalité et de la résidence de l'une des parties à
la relation.
1111Pour les besoins de l'application de la réglementation sur l'immigration, comp. la circulaire du
30 septembre 1997 relative à l'octroi d'une autorisation de séjour sur la base de la cohabitation dans
le cadre d'une union durable (Monit., 14 novembre 1997), qui ouvre le droit au regroupement fami-
lial pour les cohabitants indépendamment de la nature juridique de leur relation et de leur sexe.

Le Code de droit international privé introduit une disposition propre au mariage de


personnes de même sexe (art. 46, al. 2), sous la formulation d'une clause spéciale d'ordre
public positif (sur cette notion, voy. supra, n ° 7.54), qui, dans un but de sécurité juridique,
formalise le critère d'intensité du rattachement. En apparence, la disposition ne conduit
pas à appliquer une loi autre que la loi nationale, mais tend à écarter la disposition de la
loi nationale qui ne permettrait pas l'union de personnes de même sexe. Toutefois, elle
prend pour critères, de manière alternative, la nationalité ou la résidence habituelle de
l'une des parties, et utilise pour ordre juridique de référence, non pas nécessairement
l'ordre juridique du for, mais tout système étranger qui admet une telle union. Pratique-
ment, dès qu'un des partenaires a une résidence habituelle en Belgique, quelle que soit sa
nationalité, un mariage homosexuel est possible. En quelque sorte, le critère de la rési-
dence habituelle, coïncidant avec le for lorsque cette résidence est en Belgique, supplante
le critère de la nationalité sur la question essentielle de la différence de sexe, la loi natio-
nale ne demeurant applicable que pour les autres critères de fond (consentement, âge ... ).
IllVoy. Doc. pari., Sénat, 2003-2004, n ° 3-27/7, p. 300 : « Dans l'amendement du gouvernement
[retenu], l'une de ces conditions [la nationalité ou la résidence habituelle dans un État permettant
le mariage homosexuel] ne doit être remplie que dans le chef d'une des deux personnes».
Certains sénateurs y ont décelé un risque de« tourisme marital» (/oc. cit.).
1111Autre chose est la reconnaissance de cette union dans un autre pays, dont l'État de la nationa-
lité, selon l'utilisation de l'exception d'ordre public du droit international privé de ce pays. Les offi-
ciers de l'état civil sont invités à attirer l'attention des époux sur le fait que leur mariage pourrait ne
pas avoir d'effets juridiques dans certains États étrangers qui ne permettent pas ce type de mariage
(circulaire précitée du 23 janvier 2004).
1111La question du conflit de nationalités pourrait se poser en matière de mariage de personnes de
même sexe, particulièrement dans les États membres de l'Union européenne. Ainsi un belgo-
italien, résidant en Italie, pourrait-il y revendiquer le droit à la reconnaissance, voire à la célébration
en Italie de son mariage homosexuel en application de sa loi nationale belge, par une manière
d'extension de la jurisprudence Garcia Avelia? (voy. supra, n ° 12.32).
LA FORMATION DU MARIAGE 523

Le renversement du contenu de l'ordre public, par la volonté du législateur, est


manifeste, passant d'un ordre public négatif (qui rejette la loi nationale des personnes
qui voulaient célébrer une union homosexuelle en Belgique) à un ordre public positif
(qui rejette la loi nationale qui empêcherait la célébration d'une union homosexuelle en
Belgique).
Ill L'article 46, alinéa 2, obtient un résultat analogue à celui de la circulaire du 23 janvier qui, adop-
tée au moment des discussions en commission de la Justice du Sénat, tendait en somme à anticiper
la disposition légale.
Le conflit transitoire fait l'objet d'une règle particulière: « L'article 46, alinéa 2, s'applique au
1111

mariage célébré à partir du 1er juin 2003 » (art. 127, § 3, Codip), cette date étant celle de l'entrée en
vigueur de la loi du 13 février. Le législateur a cru nécessaire d'aiouter une disposition parallèle
pour le mariage célébré à l'étranger, dans la disposition relative à l'efficacité des décisions et actes
authentiques étrangers (art. 126, § 2, al. 3). Le même résultat aurait été obtenu par un raisonne-
ment basé sur la mise en œuvre de l'article 27 du Code (renvoyant, pour les actes étrangers, aux
règles sur le conflit de lois).

B. Les formalités de l'acte de célébration


12.47 - Interprétation impérative de la règle Locus regit actum - Le mariage doit être
célébré devant l'autorité compétente selon le droit du pays de la célébration, et cette
autorité agit selon les modalités prévues par son propre droit. Cette solution découle
autant de la combinaison des principes traditionnels Locus regi,t actum et Auctor regi,t actum,
que d'une disposition légale, l'ancien article 170 du Code civil, ou l'actuel article 47 du
Code de droit international privé. Celui-ci ne fait que confirmer la solution consacrée par
celui-là.
1111 Curieusement, l'article 170 du Code civil ne couvrait que les mariages célébrés à l'étranger,
déclarant « valables en Belgique quant à la forme [...] les mariages [... ] célébrés en pays étranger
dans les formes suivies dans ledit pays». L'omission du mariage célébré en Belgique découlait pro-
bablement de l'évidence de l'application du droit belge dans ce cas. Il n'empêche que l'anomalie se
projetait sur la règle relative aux conditions de fond, puisque l'article 170ter ne couvrait, à cet
égard, que les mariages prévus à l'article 170.
1111La règle implique la nullité du mariage contracté en la forme religieuse en Belgique (Liège,
19 février 1953, Rev. crit. jur. belge, 1953, 253, note PIRET; Civ. Termonde, 29 juin 1989, Pas., 1990,
III, 16) ou en Allemagne (Civ. Bruxelles, 26 novembre 1965,].T., 1966, 230).
Il en va de même d'un mariage célébré au Zaïre entre un Belge et une Zaïroise selon une forme que
le droit zaïrois réserve aux autochtones non immatriculés (Civ. Bruxelles, 18 novembre 1986, Rev.
gén. dr. civ., 1988, 467, note VAN GYSEL).
L'application de la loi du lieu de célébration est impérative. La règle Locus ne reçoit
donc pas, en cette matière, l'interprétation alternative qui sied en d'autres matières (voy.
supra, n ° 3.29).
1111Ainsi, les époux dont la loi nationale connaît la célébration religieuse sont tenus de suivre les
formalités prévues par le droit du pays de célébration: Civ. Bruxelles, 10 octobre 1956, Ann. not.
enreg. (1956), 319; 26 novembre 1965,].T (1966), 230, à propos du mariage civil au Royaume-Uni
de Grecs orthodoxes, invoquant inutilement l'exception d'ordre public et la Constitution alors que
la solution procède simplement de la règle de rattachement précitée.
Il suffir de se référer à ce que prévoit le droit du pays où l'acte a été passé. La règle
permet ainsi de tenir pour valable en Belgique une célébration religieuse dans un pays où
celle-ci reçoit un effet civil, ou un mariage consensuel dans un pays admettant qu'un tel
acte soit passé sans forme particulière.
524 LA PERSONNE IT LES RAPPORTS DE FAMILLE

Ill! La validité d'une célébration religieuse à l'étranger, même lorsque l'un des époux est belge, n'a
pas fait de difficulté dans la jurisprudence. Voy.: Cass., 20 février 1913, Dutry q.q., Maertens et
Pauwels c. Brazieret héritiers de Wavrin-Villers au Tertre et crts, Pas. (1913), I; Bruxelles, 28 mai 1955, Rev.
dr. fam. (1955), 61; Civ. Bruxelles, 6 juillet 1957, Bull. Féd. avoués (1957), n° 4, p. 3; Civ. Bruxelles,
16 décembre 1967, ].T. (1970), 68; Civ. Bruxelles, 30 avril 1986, Rev. dr. étr. (1986), 73; Liège,
19 mars 1996, Rev. trim.dr. fam. (1997), 323, pour une célébration au Maroc.
111!Pour la validité du mariage conclu dans un pays qui admet la validité du seul échange des con-
sentements, sans intervention d'un officier public ni d'un ministre du culte, et quelle que soit la
nationalité des parties, voy.: Cass. req., 20 décembre 1841, D.P. (1842), 1, 34; 13 janvier 1857, D.P.
(1857), 1, 106, relatives à des mariages contractés solo consensu conformément à l'ancien droit cano-
nique demeuré en vigueur en certains États des États-Unis.
Plus récemment, les cas rencontrés concernent des mariages célébrés au Maroc devant témoins,
selon le Code de statut personnel, le cas échéant avec portée rétroactive. La validité de principe de
tels mariages a pu être admise : J.P. St-Gilles, 5 avril 1990, J. T. (1990), 662; Civ. Bruxelles,
20 novembre 1990,].T. (1991), 283, Rev. dr. étr. (1990), 351, note M.-C. FOBLETS. Encore reste-t-il à
apporter la preuve de la réalité de l'échange des consentements Uugement précité).

Exceptionnellement, le dérèglement des institutions publiques durant des opéra-


tions militaires ou sur un territoire occupé par des armées étrangères, ou l'impossibilité
pour les futurs époux de recourir aux formalités territoriales (rites religieux auxquels ils
ne peuvent ou ne veulent recourir, législation discriminatoire à l'égard des étrangers), les
contraignent à contracter un mariage purement consensuel ou à s'adresser à un ministre
du culte incompétent d'après la loi territoriale. Il est regrettable que, pas plus que la juris-
prudence française, la jurisprudence belge n'ait admis la validité de tels mariages.
111 Voy. une discussion des cas dans F. RrGAUX, Droit public et droit privé, §§ 26-27. Comp. sur ce point
la solution plus libérale de la jurisprudence anglaise notamment de Merker v. Merker [1963] P. 283,
Revue (1964), 98, note LIPSTEIN, au cas similaire tranché en sens contraire par Civ. Bruxelles,
26 novembre 1965, ci-dessus. Comp. infra, n° 13.95, la solution analogue proposée pour la forme du
testament.

12.48 - Compétence internationale des autorités belges de l'état civil - Le Code de droit
international privé précise les termes de la compétence internationale des officiers belges
de l'état civil pour dresser un acte de mariage. Les critères sont relativement ouverts,
puisqu'il suffit que l'une des parties soit belge, soit domiciliée ou réside habituellement
en Belgique lors de la célébration (art. 44). Toutefois, le critère de la résidence est affecté
d'une condition de durée (trois mois au moins), introduite dans le souci d'éviter les
mariages« touristiques». La crainte de tels mariages a été exprimée essentiellement, au
cours des travaux préparatoires, suite à l'élargissement des conditions d'admissibilité de
l'union de personnes de même sexe.
L'utilisation de la résidence habituelle comme critère de compétence indique que le mariage
1111

peut être célébré en Belgique même lorsque l'étranger n'est pas autorisé au séjour. La notion de
résidence revêt en effet un caractère factuel (voy. supra, n ° 5.67).
Ill Avant l'entrée en vigueur du Code, îa jurisprudence admettait l'obligation pour l'officier de
l'état civil de procéder à la célébration même en l'absence de domicile en Belgique, pourvu par
exemple que l'une des parties fût belge. Voy.: Civ. Bruxelles, 21 février 1996,]. T. (1996), 802;
Bruxelles, 22 octobre 1996, Rev. trim. dr. fam. (1998), 46; 15 mai 1997,].L.M.B. (1998), 1208, note C.
PARIS. Contra: Civ. Audenaerde, 8 octobre 2002, R.A.B.G. (2004), 461, note VANGOIDSENHOVEN.
La circulaire ministérielle du 28 août 1997 (Monit., l cr octobre 1997) affirme que l'étranger en
séjour illégal peut se marier en Belgique.
Une règle de compétence interne complète l'attribution de compétence internatio-
nale, en des termes exprimés par les articles 63 et 64 du Code civil à propos de la forma-
LA FORMATION DU MARIAGE 525

lité de déclaration du mariage. Celle-ci doit être déposée dans la commune du domicile
de l'un des époux, à défaut d'un tel domicile en Belgique, dans celle de la résidence
actuelle de l'un d'eux, à défaut encore, dans la commune de l'ancien domicile, du domi-
cile d'un parent jusqu'au deuxième degré ou du lieu de naissance, à défaut enfin à l'offi-
cier de l'état civil de Bruxelles (art. 63 C. civ.). La déclaration doit apporter la preuve,
notamment, de la nationalité, du domicile, ou de la résidence d'une durée de trois mois
au moins (art. 129 Codip, modifiant l'art. 64 C. civ.).
Un officier de l'état civil pourrait-il recevoir l'union de personnes de même sexe alors
que le droit applicable aux conditions de fond, tel le droit suédois dans le cas de partenai-
res suédois, organiserait une telle union sous l'appellation distincte d'un« partenariat« ?
Le principe Auctor regit actum implique que l'autorité belge doit se contenter de recevoir
les actes de nature à se prêter aux formalités prévues par le droit belge. Si le droit étranger
applicable au fond s'interprète comme constituant le partenariat en institution équiva-
lente au mariage (voy. infra, n ° 12.106), il n'y a normalement pas d'objection à ce que
l'officier de l'état civil procède à la célébration, pourvu de respecter les formalités prévues
par le Code civil belge.
Ill On convient qu'en cas de célébration, une difficulté pourra surgir à propos de la qualification à
donner à l'union, mariage ou partenariat. Il semble que la demande des partenaires en vue de la
célébration ne puisse porter que sur un « mariage», et l'enregistrement portera alors sur cette
appellation. Autre chose est, pour l'officier de l'état civil, d'emprunter au droit étranger applicable
au fond les conditions que celui-ci classe sous la catégorie« partenariat». Sur la question des trans-
criptions ou mentions d'actes étrangers, voy. infra, n° 12.50.

12.49 - Validité du mariage consulaire - Le mariage peut être célébré devant une auto-
rité diplomatique ou consulaire, pourvu que cette possibilité soit admise et par le droit
du pays où il est célébré (règle Locus regi,t actum) et par le droit du pays dont relève l'auto-
rité (règle Auctor regi,t actum ).
S'agissant des autorités belges accréditées à l'étranger, le droit belge leur attribue
compétence en matière de célébration du mariage, aux conditions que prévoit la loi du
12 juillet 1931 (Monit., 31 juillet 1931 ). Selon l'article 7, cette compétence a lieu dès qu'un
des futurs époux a la nationalité belge.
Il L'article 7 a été modifié en ce sens par la loi du 4 mai 1999 (Monit., 1er juillet 1999). Selon la ver-
sion antérieure, les deux époux devaient être belges ; exceptionnellement, la compétence existait à
l'égard d'un Belge épousant une étrangère (et non l'inverse), dans les pays désignés par le ministre
des Affaires étrangères dont la loi locale met obstacle à la célébration. La liste de ces pays figure
dans l'arrêté ministériel du 14 juin 1989 (Monit., 17 août 1989), modifié le 24 avril 1992 (Monit.,
8 mai 1992).

Il Les termes de l'article 7 avaient été repris par l'article 170, 2 °, C. civ. Celui-ci a été abrogé par le
Code de droit international privé (art. 139, 2°), sans affecter pour autant la compétence attribuée
parla loi de 19 31.
L'article 170 n'attribuait de compétence, dans le cas de couples mixtes, qu'en cas de nationalité
belge du mari. Cette discrimination en raison du sexe avait été supprimée par la loi du 1e, mars
2000 (Monit., 4 juin 2000).

S'agissant de la célébration d'un mariage consulaire sur le territoire belge, la Belgi-


que appartient aux États n'admettant pas qu'un de leurs ressortissants épouse un étran-
ger sur leur territoire devant l'agent diplomatique ou consulaire de l'État dont l'autre
futur conjoint a la nationalité.
526 LA PERSONNE ET LES RAPPORTS DE FAMILLE

111 De tels mariages one été annulés par les tribunaux belges. Voy.: Civ. Bruxelles, 19 février 1881,
Pas. (1881), III, 94; Civ. Anvers, 4 août 1877, Pas. (1879), III, 157; Civ. Liège, 27 février 1976, fur.
Liège (1975-76), 275; Civ. Bruxelles Ueun.), 15 juin 1981, ].T (1981), 760, incidemment; Liège,
16 novembre 1993, Rev. gén. dr. civ. (1994), 503, note L. BARNICH, alors que le conjoint belge avait
aussi la nationalité étrangère.
La même solution a été affirmée par la Cour de cassation de France: Cass. civ., 30 juillet 1900, S.
(1902), 1,225.
111Le mariage consulaire de deux étrangers peut aussi être annulé s'il ne satisfait pas aux règles de
fond applicables en vertu du droit international privé belge, et notamment si la loi étrangère com-
pétence est contraire à l'ordre public.
Pour un cas de validité du mariage de deux Marocains au consulat du Maroc, voy. J.P. Molenbeek,
21 juin 1988, Rev. trim. dr. fam. (1989), 23.
Au regard du droit belge, la validité d'un mariage consulaire conclu en Belgique entre étrangers
1111

alors que l'un des époux a la nationalité d'un pays tiers, devrait être admise, dès lors que le droit
belge attribue une telle compétence à ses propres consuls dès qu'un des époux est belge. Voy. en ce
sens: Civ. Liège, 15 avril 2002,]. T (2003), 365.
Une convention consulaire conclue entre la Belgique et le pays dont les époux ou,
éventuellement, l'un d'eux, sont des ressortissants, doit, le cas échéant, être consultée
(voy. la liste supra, n° 8.35).
Ill La plupart de ces traités exigent que les deux époux soient des ressortissants de l'État d'envoi. Le
traité passé avec le Royaume-Uni (8 mars 1961, loi du 12 juillet 1964, Monit., 9 octobre 1964,
art. 28) admet que l'un des époux seulement soit un ressortissant de l'État d'envoi, du moment
qu'aucun d'eux n'est un ressortissant du pays de résidence.
Ill L'accord peut prévoir une condition de résidence, excluant la célébration si l'une des parties
réside sur le territoire de l'État d'accréditation. Voy. par exemple la convention conclue avec le
Royaume-Uni (8 mars 1961, Monit., 9 octobre 1964), art. 28, b), iii).
S'agissant de la célébration d'un mariage consulaire à l'étranger, il faudra se référer
au droit international privé de cet État.
1111 Un mariage entre une Belge et un Congolais au consulat du Congo à Cologne sera valable quant
à la forme, en application du droit international privé allemand.

12.50 - Domaine de la loi du lieu de célébration - La loi du lieu de célébration régit les
questions qui relèvent strictement des formalités entourant la passation de l'acte. Ces
formalités affectent essentiellement le mode d'intervention de l'autorité publique et cou-
vrent l'ensemble des actes et pièces qui doivent ou peuvent lui être soumis.
Le Code de droit international privé en donne une liste exemplative (art. 47, § 2),
incluant:
- les déclarations et publications préalables ;
Quelle que soit la nationalité des futurs époux, l'officier belge de l'état civil ne peut procéder à la
11111

célébration si celle-ci n'a pas été précédée des déclarations requises par la loi belge ou si dispense de
déclaration n'a pas été obtenue.
La doctrine est unanime sur ce point. Voy. notamment: LAURENT, t. IV, n'" 276, 310 et 319 ; ROLAND
et WouTERS, op. cit. n° 957, n° 756; RouN, t. II, n'" 551 et 558. Pour un cas pratique, voy. Rev. adm.
(1964), 118.
1111Le mariage d'un Belge à l'étranger ne doit pas être précédé des déclarations prescrites par
l'article 63 du Code civil. Sous sa rédaction primitive, l'article 170 du Code civil exigeait cette con-
dition pour le mariage d'un Français à l'étranger.
Pourtant, la théorie du « mariage clandestin» s'est basée sur l'applicabilité des règles de publicité
aux nationaux. Quand des Belges contractent mariage à l'étranger, le principe de la publicité a été
rattaché par la Cour de cassation à leur loi nationale. Il appartient au juge du fond« de se placer au
LA FORMATION DU MARIAGE 527

double point de vue [de la loi du lieu de célébration] et de la loi belge pour apprécier si le mariage a
été dépourvu de la publicité effective requise par chacune de ces lois» (Cass., 20 février 1913, Pas.,
1913, I, 118).
Les déclarations ou publications préalables constituent l'un des éléments qui concourent à la
publicité de l'acte, ourre la célébration devant l'officier de l'état civil compétent et le caractère
public de la célébration elle-même. Aucun de ces éléments n'est nécessaire à la validité du mariage.
Quand cette validité est contestée, le juge recherche si le mariage était clandestin: l'absence d'un des
trois éléments qui rendent le mariage public n'est une cause de nullité que si les époux ont eu
l'intention frauduleuse de dissimuler leur union. Cette intention est appréciée en fait. Le plus sou-
vent, le juge en trouve la preuve dans la volonté des époux de déjouer un autre empêchement prohi-
bitif.
Sur la jurisprudence, voy. M. VERWILGHEN, !oc. cit. n° 12.37,J.T (1970), 59, et pour des considéra-
tions critiques, F. RIGAUX, note sous Bruxelles, 25 novembre 1959, Revue (1962), 83-84 et la note 1,
p. 84. Voy. ultérieurement: Civ. Malines, 29 juin 1982, Pas. (1983), III, 33; 19 juin 1984, R W (1985-
1986), 326.
En cas de violation d'un empêchement dirimant tenant au consentement des parents d'un mineur
prévu par la loi nationale de celui-ci, le recours à la théorie de la clandestinité est superflu, le ratta-
chement de cette condition de fond à la loi nationale suffisant à annuler le mariage (Mons,
20 décembre 1978, Pas., 1979, II, 24).
Ill Dans le cas d'un mariage consulaire, la règle Auctor regj,t actum implique que les autorités belges
à l'étranger assurent le respect des conditions de publicité prévues par le droit belge. L'article 170bis
du Code civil, modifié par la loi du 4 mai 1999, confirme que la déclaration de mariage à célébrer
par une autorité diplomatique ou consulaire est faite conformément au droit belge.
Les publications éventuelles exigées par la loi locale doivent, en outre, être effectuées.
- les modalités d'établissement de l'acte de mariage;
ml En cas de conclusion d'un mariage posthume, il paraît inévitable de soumettre à la loi du lieu de
célébration les formalités requises, et pour passer l'acte, et pour exprimer le consentement du
défunt (voy. supra, n° 12.44). Voy. en ce sens: Liège, 4 mars 1997,].L.M.B.. (1997), 1036, note Y.-H.
LELEU, à propos de la célébration d'un tel mariage en Belgique, le prédécédé étant italien.
ml L'opposition à mariage se rattache, par sa forme - une notification faite à l'officier de l'état civil
- aux formalités de célébration : l'opposition prévue par la loi belge ne saurait avoir pour destina-
taire qu'un officier public institué en vertu de la même loi.
Cela n'empêche pas d'emprunter à la loi étrangère les conditions d'application de la formalité orga-
nisée par le droit belge : ainsi, la loi nationale commune au père qui a formé l'opposition et à sa fille
majeure détermine les cas justifiant cette opposition et les causes pour lesquelles le juge belge doit
en accorder mainlevée (Civ. Liège, 3 mai 1967, Pas., 1967, III, 99,].T, 1967, 540). Pour que l'opposi-
tion soit recevable, il faut que la personne dont elle émane démontre que la loi régissant l'empêche-
ment qu'elle entend dénoncer l'autorise à faire obstacle à la célébration.
- la transcription éventuelle de l'acte de mariage;
Ill!L'article 171 du Code civil prévoyait, jusqu'à son abrogation par le Code de droit international
privé, la transcription de l'acte de célébration du mariage contracté par un Belge à l'étranger, soit
avec un Belge, soit avec un étranger. Cette formalité était opérée à l'initiative du conjoint belge, sur
les registres de l'état civil du lieu du premier domicile des époux à leur retour en Belgique. Le Code
réintroduit la possibilité d'une transcription de tout acte de l'état civil, dont le mariage, par
l'article 48 du Code civil (voy. supra, n ° 12.22).
Ces dispositions ne visent que le mariage célébré devant une autorité étrangère. Les actes de célé-
bration dressés par un agent diplomatique ou consulaire belge sont transcrits d'office, à la dili-
gence de ce fonctionnaire (voy. supra, n° 12.22).
Le non-accomplissement de la formalité était sans effet sur la validité du mariage (Civ. Malines,
29 juin 1982, Pas., 1983, III, 33), mais a parfois été retenu comme élément de fait concourant à son
caractère clandestin (Cass., 20 février 1913, voy. supra, n° 12.47).
La transcription peut certainement porter sur un mariage de personnes de même sexe valable-
Ill!
ment conclu à l'étranger, depuis l'entrée en vigueur de la loi du 13 février 2003. L'appréciation est
528 LA PERSONNE IT LES RAPPORTS DE FAMILLE

plus délicate dans le cas d'un partenariat valablement enregistré à l'étranger, dont les effets seraient
équivalents à ceux du mariage (voy. infra, n° 12.106). Si le principe même de la transcription ne
semble pas soulever de difficulté particulière, la question reste de savoir sous quelle appellation
l'acte doit être cité. La fidélité de la transcription suppose l'utilisation de l'appellation d'origine. Il
devrait alors en aller de même d'autres mentions apportées dans des registres publics.
la possibilité de passer l'acte devant une autorité confessionnelle;
1111 Voy. supra, n ° 12.47.
1111Cette possibilité était reconnue, notamment, en Espagne pour les catholiques (C. civ. esp.,
art. 42) et en Grèce pour les orthodoxes (C. civ. hellén., art. 1367). Sur les modifications du droit
matrimonial espagnol (loi du 7 juillet 1981), voy. notamment: M. VERWILGHEN, « L'évolution du
droit matrimonial espagnol», Mélanges Wagnon, 619-620; pour la Grèce, la loi du 5 avril 1982 a
admis la célébration civile (Revue, 1982, 790).
1111 La question se pose aujourd'hui à propos des ressortissants marocains de statut musulman,

dont le mariage, confessionnel, doit se faire devant une autorité ayant également des qualités liées à
la religion (adouls).
La jurisprudence belge a maintenu la validité du mariage civil de ces étrangers en Belgique, mais
pour des motifs contestables. Les tribunaux ont écarté l'application de la loi nationale des futurs
époux, pour le motif qu'elle est« contraire à l'ordre public international belge » (Bruxelles, 16 mars
1961, ci-dessous). Avant d'évincer la loi étrangère pour ce motif, il faut s'interroger sur son titre de
compétence.
Le législateur étranger prétend certes déterminer la forme de célébration du mariage de ses ressor-
tissants, hors de son territoire, et considère même qu'il s'agit d'une condition de fond et non de forme
(problème de qualification). Quoi qu'il en soit, la disposition considérée appartient au droit interna-
tional privé étranger. Elle entre en conflit avec la règle du droit international privé belge, selon
laquelle les solennités du mariage célébré en Belgique relèvent impérativement de la loi belge. Entre
ces deux règles de droit international privé (qui appartiennent plutôt au conflit d'autorités qu'au
conflit de lois), le juge belge ne saurait hésiter: il applique la sienne, aucune source de droit belge ni
de droit international ne lui permettant de consulter la loi nationale d'étrangers pour déterminer
les autorités compétentes en Belgique.
Dans la jurisprudence, outre Bruxelles, 16 mars 1961, Pas. (1962), II, 68, voy.: Civ. Charleroi,
5 juillet 1957, Rev. dr. Jam. (1957), 242, note DE KEERSMAECKER; Civ. Liège, 5 novembre 1958, fur.
Liège (1958-1959), 171; Civ. Bruxelles, 28 octobre 1986, Rev. dr. étr. (1986), 112, repoussant la loi
marocaine au nom de l'ordre public. Comp. la solution correcte de Civ. Bruxelles, 29 octobre 1982,
Rev. trim. dr.fam. (1985), 211, avis min. pub!., à propos de Grecs.
Pour une critique de la solution donnée aux mariages confessionnels en vertu de la théorie des qua-
lifications, voy. supra, 7.20.
En pratique, pour éviter des situations boiteuses, il était suggéré de faire une double célébration :
d'abord devant l'officier de l'état civil belge, ensuite devant le consul du Maroc qui a les compéten-
ces adoulaires requises par le droit marocain.
Le nouveau Code marocain de la famille n'impose plus cette double célébration car« les Marocains
résidant à l'étranger peuvent conclure leur mariage selon les procédures administratives locales du
pays de résidence» mais en présence, le cas échéant, du tuteur matrimonial (Wali) et de deux
témoins musulmans (art. 14) et en respectant certaines conditions dont celles relatives à la dot. Il
faudrait alors, pour éviter les mariages boiteux, que les officiers de l'état civil belges soient formés
et informés en vue du respect de ces conditions ou que la deuxième célébration au consulat soit
maintenue. Une copie de cet acte de mariage doit être déposée dans les trois mois au consulat
(art. 15).
- la possibilité de passer l'acte par procuration.
Sur le mariage par procuration, voy. déjà en ce sens: Civ. Liège, 3 février 1966,Jur. Liège (1965-
1111

1966), 203; Civ. Bruxelles, 18 décembre 1990,J.T (1991), 242, à propos du Maroc. On trouve la
même solution dans plusieurs pays étrangers dont le droit interne n'admet pas plus que le droit
belge le mariage par procuration. Voy. RIGAUX, Le statut de la représentation, 73-78. Contra: Civ. Lou-
vain, ier décembre 1998, Tijds. Not. (2000), 49, admettant la procuration pour l'homme à propos
LA FORMATION DU MARIAGE 529

d'une célébration au Maroc, par application distributive des lois nationales; Civ. Audenarde,
22 octobre 2002, RA.B.G. (2004), 472, note F. DE BocK, concluant dans un cas et sur un raisonne-
ment analogues à la nullité à propos d'une procuration pour la femme belge.
1111 Le nouveau Code marocain de la famille a réduit les possibilités de mariage par procuration.
Celui-ci doit être autorisé au préalable par le juge qui examine les « circonstances particulières»
(art. 17).
1111En France, une règle unilatérale exige que le mariage d'un Français, même contracté à l'étranger,
requiert sa présence (art. 146-1 C. civ.). Cette disposition étend l'interdiction du mariage par procu-
ration aux nationaux par une règle d'applicabilité, alors que la célébration du mariage en France
semble bien supposer l'application du droit français - et l'exclusion d'une procuration - par l'effet
de la règle de rattachement qui détermine les conditions de forme de l'acte.

12.51 - Preuve de la célébration du mariage - La personne qui prétend avoir été mariée
à l'étranger doit produire une expédition de l'acte authentique éventuel (art. 24 Codip,
auquel renvoie l'art. 27).
Toutefois, lorsque la distance ou la difficulté de communiquer avec certains pays
étrangers rend une telle production impossible, la jurisprudence française a admis que la
célébration fût prouvée par d'autres voies.
IllVoy. des exemples dans: F. RIGAUX, v0 «Acte», n'" 57-58, Rép. Dalloz (éd. 1968). Voy.: Civ. Liège,
21 mai 1995, Rev. trim. dr.fam. (1998), 642, noteJ.-P. MASSON, la preuve du mariage ayant été mise
en cause à l'occasion d'une instance en divorce et le juge se satisfaisant, au vu de l'impossibilité de
produire les pièces, de documents belges considérant les époux comme mariés.
Cette attitude libérale doit être approuvée. Elle est compatible avec l'article 24 du
Code de droit international privé, qui permet d'accepter des documents équivalents,
voire d'en dispenser si une preuve suffisante est apportée(§ 2).
Ill L'applicabilité du droit belge à la détermination du mode de preuve se concilie avec le principe
selon lequel il appartient au droit du for de déterminer les conditions de réception d'un acre public
étranger, comme d'une décision judiciaire étrangère.
La preuve du mariage consensuel - supposé qu'il soit valable - a évidemment lieu
par toutes voies de droit, soit celles que permet la lex loci actus, soit celles de la lex fori.
Voy. par ex. J.P. St-Gilles, 5 avril 1990,J.T (1990), 662, infirmé quant à cette preuve par Civ.
1111

Bruxelles, 20 novembre 1990,].T (1991), 283.

§2 LES ACTIONS EN NULLITÉ DE MARIAGE

A. Détermination de la compétence internationale


12.52 - Compétence en matière matrimoniale selon le Code - Le Code de droit inter-
national privé introduit des règles spécifiques de compétence internationale en matière
matrimoniale. Ces dispositions, par leur caractère général, couvrent notamment l'action
en nullité de mariage.
Selon l'article 42, les juridictions belges sont compétentes, pratiquement:
- si la dernière résidence habituelle commune se trouvait en Belgique moins de
douze mois avant l'introduction de la demande ;
- si le demandeur réside habituellement en Belgique depuis douze mois au moins
lors de l'introduction de la demande ;
- si les époux sont belges lors de l'introduction de la demande.
530 LA PERSONNE IT LES RAPPORTS DE FAMILLE

En outre, en fonction des règles générales sur la compétence internationale, elles


sont compétentes si le défendeur est domicilié ou réside habituellement en Belgique
(art. 5 Codip), ou encore en cas de connexité (art. 9 Codip) ou de prorogation exception-
nelle de compétence (art. 11 Codip ).
1111Avant l'entrée en vigueur du Code, les tribunaux belges étaient internationalement compétents
pour prononcer la nullité d'un mariage, d'après les règles de droit commun que contenaient les
articles 635 à 638 du Code judiciaire et l'article 15 du Code civil, sans négliger la compétence excep-
tionnelle dont pouvait se prévaloir le demandeur de nationalité belge (voy. supra, n° 9.11). Désor-
mais, la nationalité d'une des parties ne suffit plus à fonder la compétence internationale.
Dans la jurisprudence, voy. par ex.: Civ. Bruxelles, 18 décembre 1990,]. T (1991), 242, solution
implicite à propos d'un demandeur de nationalité belge. Pour une application des articles 636 et
638 du Code judiciaire à une action en nullité de mariage, également fondée sur la simulation,
voy.: Civ. Bruxelles, 30 janvier 1970,]. T (1970), 498. Pour un cas d'application de l'article 636 à un
défendeur turc, voy.: Gand, 2 novembre 1995, R W'. (1995-1996), 956.

De plus, le ministère public peut introduire une action en nullité si le mariage a été
célébré en Belgique, ou si l'un des époux est belge ou réside habituellement en Belgique
au moment de l'introduction de la demande (art. 43, 2 °, Codip ).
La circonstance que le consentement des époux a été reçu par un officier public
étranger ne fait pas obstacle à ce que le mariage, comme acte juridique, soit annulé par le
tribunal belge: la décision judiciaire a pour objet l'acte juridique privé et non l'acte ins-
trumentaire dressé par l'officier public étranger.
1111 Voy. en ce sens: Gand, 26 avril 1973, R.W (1973-1974), 1886 et contra: Gand, 25 février 1956,

Rev. crit. jur. belge (1957), 179. Ces deux cas sont typiques puisqu'ils concernent une nullité déduite
de la simulation. Voy. depuis lors, très clairement en faveur de la compétence, Civ. Bruxelles,
17 octobre 1989, Pas. (1990), III, 46; 18 décembre 1990,].T (1991), 242; Liège, 16 novembre 1993,
Rev. gén. dr. civ. (1994), 503, note L. BARNICH; Civ. Bruxelles, 10 février 1998,].L.M.B. (2000), 1213;
Anvers, 28 avril 1998, Alg. Jur. Tijdschr. (1999-2000), 540, note K. LAMBEIN; Gand, 13 février 2001,
Alg.]ur. Ti;dschr. (2001), 329; sur le principe, voy. supra, n° 9.17.
1111 Dans son avis sur l'avant-projet de loi portant le Code de droit international privé (Doc. pari.,

Sénat, 2001-2002, n° 2-1225/1, 275), le Conseil d'État critiquait la possibilité d'une telle action en
nullité, au motif d'une« ingérence de l'autorité judiciaire belge dans le fonctionnement des autori-
tés publiques étrangères», tout en atténuant ensuite la portée de cette condamnation en citant le
cas où, selon le droit étranger, la dissociation entre l'acte public et l'acte privé n'est pas possible, et
il suggérait d'évoquer plutôt l'action en« inopposabilité » du mariage en Belgique, aux conséquen-
ces identiques à celles d'une déclaration de nullité. La portée exacte du concept d'opposabilité d'un
acte public étranger reste cependant à déterminer, si elle ne se confond pas avec les notions de
reconnaissance ou de force probante (voy. supra, n°s 10.56 et s.), tandis que la déclaration de nullité,
à la différence d'un refus de reconnaissance limité au territoire, pourrait théoriquement faire
l'objet d'une décision d'exequatur à l'étranger.

12.53 - Compétence internationale dans le contexte de l'Union européenne - Pour les


demandes qui entrent dans le domaine d'application dans l'espace du règlement
« Bruxelles Ilbis » (voy. infra, n ° 12.80), le demandeur dispose de chefs de compétence
internationale analogues à ceux qu'utilise le Code de droit international privé (art. 3).
À la différence du Code toutefois, le règlement ne retient pas le domicile comme cri-
tère de compétence. De plus, lorsque le demandeur est belge, il suffit qu'il ait résidé en
Belgique depuis six mois au moins.
1111Le règlement comporte une discrimination entre citoyens européens qui pourrait être soumise
à la censure de la Cour de justice des Communautés européennes : il fixe à« six mois au moins ».la
LA FORMATION DU MARIAGE 531

durée de résidence du demandeur national alors qu'elle est de« au moins une année» pour l'étran-
ger (art. 3, § 1", a) (infra n ° 12.81).
L'appréciation est plus délicate pour le critère de la nationalité commune des époux, retenu par le
règlement comme par le Code (art. 42, 4°, Codip).

B. Sanction de l'absence de validité


12.54 - Loi applicable à la détermination de la sanction - Il appartient à la loi appli-
quée à la validité du mariage (loi nationale de chacun des époux en ce qui concerne les
conditions de fond, loi du lieu de célébration pour la forme extrinsèque) de déterminer la
sanction des empêchements qu'elle édicte. Ainsi, la loi étrangère à laquelle est emprunté
un empêchement dirimant décide si le mariage doit être déclaré nul ou inexistant
(Bruxelles, 31 janvier 1961, Pas., 1962, II, 137).
Par exemple, le droit allemand distingue le mariage inexistant (Nichtehe), la nullité absolue
1111

(Nichtigkeit) et l'annulabilité (Aujhebung).


Sur l'application de la loi de la nationalité à la sanction de nullité, voy.: Cass., 23 février 1995, El
1111

Gha-zzali, Pas. (1995), I, 205, Revue (1996), 305, note M. FALLON. En France, voy. en ce sens: Cass. civ.,
F' décembre 1998,j.C.P. (1999), II, 10032, note H. Mum WATT.
Il est excessif de qualifier de contraire à l'ordre public une loi étrangère qui n'attache
pas à la violation d'une condition de validité essentielle l'effet de la nullité. Il est plus adé-
quat de recourir à une appréciation qui soit fonction de la nature de l'effet invoqué et de
l'intensité du rattachement de la situation (voy. supra, n° 12.45).
Pour une« condamnation» de la loi turque, voy. Bruxelles, 28 janvier 1986, Pas. (1986), II, 56;
1111

Civ. Bruxelles, 10 février 1998,].L.M.B. (2000), 1213.

Si la simulation a eu pour but de frauder la législation relative à la condition des


étrangers, il suffit de faire obstacle aux seuls effets de droit public recherchés par une
dénaturation de l'institution matrimoniale
IllVOY.: RrGAUX et VAN HECKE, Rev. crit. jur. belge (1991), 158. Dans le sens de l'annulation, voy.: Civ.
Bruxelles, 10 février 1998, précité.

12.55 - Détermination de l'effet de la sanction: la putativité - En certains droits étran-


gers, les effets de l'inexistence ou de la nullité absolue ne sont pas identiques aux effets de
l'annulation. Ainsi, en Allemagne, le Nichtehe et le mariage nul perdent tous leurs effets,
tandis que l'Aujhebung n'a de conséquence que pour l'avenir. En droit belge, la théorie du
mariage putatif permet de consolider les effets acquis en vertu du mariage aussi long-
temps que la nullité n'a pas été judiciairement constatée.
Il est logique, comme l'a décidé la Cour de cassation de France (Civ., 6 mars 1956,
Moreau c. Bazbaz, Revue, 1956, 305, note Ph. FRANCESCAKrs), que la loi en vertu de laquelle
la nullité est prononcée détermine aussi les conditions auxquelles les époux et leurs
enfants peuvent se prévaloir du bénéfice du mariage putatif. Cette solution doit être
généralisée : la même loi est, en principe, compétente pour arrêter le caractère et les effets
de la nullité.
Traditionnellement, les articles 201 et 202 du Code civil belge sont appliqués quand la cause de
1111

nullité provient de la loi belge (voy.: Cass., 8 mars 1963, Pas., 1963, I, 754; 28 octobre 1966,J.T,
1967, 22; Bruxelles, 8 octobre 1963,].T, 1963, 694; Liège, 19 février 1953, cité n° 12.47).
IllPlusieurs décisions ont également reconnu le bénéfice du mariage putatif alors que le mariage
avait été annulé par application d'une loi étrangère, sans que la motivation fasse apparaître quels
532 LA PERSONNE ET LES RAPPORTS DE FAMILLE

sont les effets de la nullité d'après cette loi. En ce sens, voy. notamment: Civ. Bruxelles,
26 novembre 1965,]. T (1966), 230.
La jurisprudence récente consacre l'application de la loi étrangère (Bruxelles, 28 janvier 1986, Pas.,
1986, II, 56, à propos du droit turc; 27 juin 1988, Rev. dr. étr. 1988, 219, à propos du droit tunisien;
Civ. Bruxelles, 18 novembre 1986, Rev. gén. dr. civ. 1988, 467, note A.-Ch. VAN GYSEL, à propos du
droit zalrois).
Certains effets de la théorie du mariage putatif paraissent « détachables » de la loi
qui régit la nullité du mariage. Il en est ainsi notamment pour le régime des pensions de
survie qu'il faut rattacher à l'institution (de droit public, de droit social, de droit du tra-
vail) compétente. De même, l'étendue de la réparation des conséquences d'un accident
relève de la loi applicable à la responsabilité civile.
Ill Appliquant toutes deux le droit belge, deux décisions ont donné des solutions contradictoires à
une question délicate : en cas de décès d'un bigame, dont le second conjoint peur réclamer le béné-
fice du mariage putatif, les deux veuves ont-elles droit à la réparation forfaitaire prévue par la loi
sur les accidents du travail? Quelle que soit la loi applicable à la nullité du mariage, il semble que
cette question doive être résolue conformément à la loi régissant la réparation des accidents du tra-
vail.
Voy.: Civ. Charleroi, 1er juin 1963, Rev. gén. ass. resp. (1967), 7909; Civ. Hasselt, 18 février 1966, ibid.
(1967), 7867.
Pour l'appréciation de la « bonne foi» exigée par l'article 201 du Code civil, et si
l'erreur commise par un des époux est une erreur de droit, il faut tenir compte, en droit
international privé, du contenu de la règle de conflit de lois sur lequel le conjoint belge a
pu se méprendre. La circonstance qu'un Belge se marie à l'étranger en vue d'éluder une
disposition de la loi belge, n'exclut pas nécessairement sa bonne foi, car il a pu croire le
mariage valable conformément au droit international privé.
Ill Voy.: Cass., 8 mars 1963, Pas. (1963), I, 754; 28 octobre 1966,].T (1967), 22, implicite.
Ill Le même principe a été appliqué à la confiance que des Belges ont pu avoir en un divorce obtenu
à Reno (Nevada) et déclaré contraire à l'ordre public. Le second mariage a été annulé, mais le carac-
tère frauduleux du divorce n'a pas empêché l'application de la théorie du mariage puratif (Bruxel-
les, 8 octobre 1963,].T, 1963, 694). Voy. encore: Civ. Bruges, 3 novembre 1965, R W (1966-1967),
1340, conf. par Gand, 19 janvier 1967, inédit.

§3 LA RECONNAISSANCE DES DÉCISIONS ÉTRANGÈRES


AYANT STATUÉ SUR LA VALIDITÉ D'UN MARIAGE
12.56 - Renvoi aux règles générales - Les décisions étrangères qui se sont prononcées
sur la validité d'un mariage sont reconnues de plein droit si elles satisfont aux conditions
générales auxquelles est soumise la reconnaissance d'une décision (voy. supra, chap. 10).
Ces conditions ne valent évidemment qu'à défaut de l'application d'un instrument inter-
national applicable à la matière, tel le règlement « Bruxelles Ilbis » (voy. infra, n° 5 12.90
et s.).
Ill Une sentence ecclésiastique d'annulation du mariage religieux célébré par deux Belges à Saint-
Marin, qui par l'exequatur (delibazione) d'une juridiction italienne a été introduite dans un ordre
juridique civil étranger, peut en principe être reconnue en Belgique (Civ. Bruxelles, 16 décembre
1967,].T, 1970, 68, note M. VERWILGHEN; Bruxelles, 11 mai 1994, Rev. trim. dr.fam., 1996, 25, note
J.-L. VAN BOXSTAEL, Rev. gén. dr. civ., 1996, 120, note V. MARQUETTE).
1111Un telle sentence doit, comme d'autres décisions judiciaires et alors même qu'elle émane d'un
tribunal non lié par la Convention, obéir aux exigences que pose l'article 6 de la Convention euro-
péenne de sauvegarde des droits de l'homme, et sa reconnaissance doit être refusée si, prononcée
LES RAPPORTS ENTRE ÉPOUX 533

sans examen contradictoire, elle viole les droits de la défense (C.E.D.H., aff. 30882/96, 20 juillet
2001, Pellegrini, Revue, 2004, 106, note critique L.-L. CHRISTIANS).
1111 La reconnaissance d'une décision rendue dans un État membre de l'Union européenne à propos
d'un mariage confessionnel, fait l'objet de dispositions particulières dans le règlement
« Bruxelles IIbis ». Voy. l'article 63 et, pour une extension à Malte, le règlement 2116/2004 du
2 décembre 2004 (J.O.C.E., 2004, L 367).
Pour un cas d'application de l'exception de chose jugée en matière de nullité de mariage, voy.
1111

Gand, 26 avril 1973, R.W (1973-1974), 1886.


1111Pour une application du traité franco-belge, voy.: C. trav. Mons, 15 mai 1991, Rev. trim. dr.fam.
(1991), 317, note C. DEBROUX, refusant de reconnaître un jugement français ayant prononcé la nul-
lité d'un mariage, pour le double motif que le juge français n'avait pu être compétent qu'en raison
de la nationalité française du demandeur et que ce refus était en harmonie avec le maintien de la
validité de ce mariage dans le pays de célébration.

Section 4
Les rapports entre époux
12.57 - Bibliographie
Peu de publications portent spécifiquement sur les effets généraux du mariage. Voy. : N. COIPEL,
« Réflexions sur la loi applicable aux effets du mariage», Rev. trim. dr. fam. (1993), 141-180; J. DE
GAVRE et M.-F. LAMPE,« Le régime primaire ou les droits et devoirs respectifs des époux», La réforme
des droits et devoirs respectifs des époux et des régimes matrimoniaux (Bruxelles, Ed. Jeune Barreau, 1977),
85-196 ; J. ERAuw, « De collisierechtelijke aanknoping van het patrimoniale basisstatuut ('primair
statuut') van het huwelijk », R.W. (1978-1979), 881-896; E. Guw1x, « De doolhofvan het wetscon-
flictenrecht inzake primair huwelijksstelsels bewegwijzerd door het Hof van Cassatie ? », Mélanges
Baeteman (Anvers, Kluwer, 1997), 141-166; M. VERWILGHEN, « Du neuf sur la loi régissant le régime
matrimonial primaire», Mélanges Rigaux (Bruxelles, Bruylant, 1993), 581-618; N. WATIÉ, Les droits et
devoirs respectifs des époux en droit international privé (Bruxelles, Larcier, 1987).
La matière des régimes matrimoniaux a fait l'objet de publications abondantes.
H. BoRN, « Ferments nouveaux d'évolution des conflits de lois concernant les régimes
matrimoniaux »,].T (1977), 167-170, 181-187; L. BARNICH, « Les régimes matrimoniaux en droit
international privé», Rev. dr. étr. (1998), 721-730; A. BONOMI, « Autonomie des parties en droit
patrimonial de la famille et intérêt des entrepreneurs: aspects de droit matériel et de droit interna-
tional privé», Rev. suisse dr. int. dr. eur. (2004), 459-482; F. BoucKAERT, « Modifications convention-
nelles des régimes matrimoniaux en droit international privé et conflit mobile», Rev. not. belge
(1991), 486-492; J. CANIVET, « Les conflits de lois concernant le régime matrimonial des époux
mariés sans contrat», J. T. (1963), 37-40; J.-Y. CARLIER, « Les contrats de mariage internationaux:
aspect particulier des clauses relatives aux relations personnelles», Relations familiales internationales
(Bruxelles, Bruylant, 1993), 277-300; G. CoucHEz, Essai de délimitation du domaine de la loi applicable
au régime matrimonial (Paris, Dalloz, 1972); M. DAVIE,« Matrimonial property in English and Ame-
rican conflict of laws », I.C.L.Q. (1993), 855-881 ; C. DE BusscHERE, « La modification convention-
nelle du régime matrimonial pendant le mariage : quelques aspects du droit international privé
belge»,]. T. (1996), 89-98; ID.,« La loi du 9 juillet 1998 relative à la procédure de modification con-
ventionnelle du régime matrimonial au cours du mariage», Rev. not. belge (1999), 62-122; C. DE
WULF, « Het huwelijksvermogensrecht en het erfrecht in het internationaal privaatrecht », TP.R.
(1982), 327-364; G. DROZ, « Les régimes matrimoniaux en droit international privé comparé»,
Recueil des cours, vol. 143 (1974-III), 1-138; J. ERAuw, « Het intertemporeel internationaal privaa-
trecht en de toepassing ervan in het huwelijksvermogensrecht », TP.R. (1979), 1-28; J. ERAuw et
M. VERWILGHEN, « Droit international privé», Cinq années d'application de la réforme des régimes matri-
534 LA PERSONNE IT LES RAPPORTS DE FAMILLE

moniaux (Bruxelles, Bruylant, 1982), 331-398; P. GRAULICH et M. LIÉNARD-LIGNY,« Droit transitoire


et droit international privé des régimes matrimoniaux», Mélanges Vander Elst (Bruxelles, Nemesis,
1986), 341-351; B. HANOTIAU, « La loi applicable au régime matrimonial légal et à sa mutabilité»,
Rev. trim. dr.fam. (1979), 320-325; A. HEYVAERT, « Het Belgisch internationaal huwelijksvermogens-
recht », TP.R (1978), 555-589; M. LIÉNARD-LIGNY,« Le principe d'autonomie et le régime matrimo-
nial en droit international privé», Div. Actualité (1998), 83-89; A. MALMSTROM, « Le régime matri-
monial en droit international privé », Mélanges Ganshof van der Meersch, t. II, 843-854; M. REVILLARD,
Droit international privé et pratique notariale (Paris, Rép. not. Defrenois, 2001); ID.,« Les mesures de
publicité relatives aux régimes matrimoniaux en matière internationale», Rép. not. Defr. (1998),
1201-1209; J.-L. VAN BoxSTAEL, « L'avantage matrimonial et le conflit de lois», Mélanges De Valke-
neer (Bruxelles, Bruylant, 2000), 485-506 ; J. VAN ERP, Internationaal huwelijksvermogensrecht (Zwolle,
Tjeenk Willink, 1985); G. VAN HECKE,« Des conflits de lois relatifs au régime matrimonial légal et à
sa mutabilité », Rev. crit. jur. belge ( 1955), 117-125 ; R. VANDER ELST, note sous Mons, 22 octobre
1975, Rev. not. belge (1976), 520; R. VANDER ELST et POLAKIEWICZ, « Les régimes matrimoniaux en
droit international privé», Ann. not. enreg. (1962), 73-93, 113-143; H. VAN HourrE, « Internationaal
privaatrecht en huwelijksvermogensregime : Nationaliteits- of woonplaatsbegin-sel ? », R W. (1975-
1976), 1927-1932 ; M. VERWILGHEN (dir.), Régimes matrimoniaux, successions et libéralités dans les relations
internationales et internes (Bruxelles, Bruylant, 2003, 3 vol.); M. VERWILGHEN, « Les rapports
patrimoniaux dans le couple en droit international privé belge »,Mélanges Grégoire (Bruxelles, Bruy-
lant, 2000), 277-322; M. VERWILGHEN et P. VAN DEN EYNDE, Traité pratique des régimes matrimoniaux,
t. II, Droit international (Bruxelles, Bruylant, 1985) ; I. VIARENGO, Autonomia della volontà e rapporti
patrimoniali tra coniugi nel diritto internazionale privato (Padoue, Cedam, 1996); N. WATTÉ, « Les
relations familiales en droit international privé et l'incidence du principe de l'égalité entre l'homme
et la femme», Mélanges Vander Elst (Bruxelles, Nemesis, 1986), 911-928; Io., « Les régimes
matrimoniaux, les conflits de lois dans l'espace et dans le temps», Rev. crit. jur. belge (1994), 676-
732; N. WATTÉ et L. BARNICH, Les conflits de lois en matière de régimes matrimoniaux, Répert. not.
(Bruxelles, Larcier, 1997); G. WIEDERKEHR, Les conflits de lois en matière de régime matrimonial (Paris,
Dalloz, 1967).
La matière fait l'objet de la Convention de La Haye du 14 mars 1978 sur la loi applicable aux régi-
mes matrimoniaux (non en vigueur en Belgique). Pour un commentaire de cette convention, voy.
notamment le rapport explicatif de M. VON OVERBECK, Actes et documents de la 13e session, t. II,
329-383; F. BouCKAERT, Tijds. Not. (1993), 342-352 ;]. ERAUW, Tijds. Not. (1979), 1-16; M. LOOYENS,
Rev. gén. dr. civ. (1995), 30-45; M. Liénard-LIGNY, Ann. Liège (1981), 311-337; M. REVILLARD, « Dix
ans d'application de la convention de La Haye sur la loi applicable aux régimes matrimoniaux»,
Rép. not. Defr. (2002), 893-914; A. STRUYCKEN, Ned. ]urbi. (1991), 397-402; N. WATTÉ, ].T. (1982),
661-665.

12.S8 - Présentation - Après qu'est établie la validité de la relation matrimoniale, il con-


vient de distinguer, pour les besoins du droit international privé, l'ensemble des effets
liés à cette relation sur la personne et sur les biens des époux. Traditionnellement, la pré-
sentation des questions relatives au régime matrimonial est détachée de celle des ques-
tions de statut personnel, pour la rapprocher de celles des successions, sous le couvert du
droit patrimonial de la famille. Toutefois, le contenu des dispositions concernant le
régime matrimonial, autant que la proximité des problématiques, encourage à traiter
cette matière ensemble avec d'autres questions connues comme relevant du régime pri-
maire.
Dans l'édition précédente de cet ouvrage, l'exposé du régime matrimonial était joint à celui des
Ill!
successions et des libéralités entre vifs. Toutefois, de nombreux renvois ont dû y être opérés avec les
développements relatifs aux effets personnels du mariage.
1111 Le contenu des règles de rattachement influence l'ordonnancement de la présentation. En Bel-
gique, le rattachement du régime matrimonial est lié à celui des effets du mariage. En France, la
nature contractuelle du rattachement explique que la matière soit présentée ensemble avec les actes
LES RAPPORTS ENTRE ÉPOUX 535

et faits juridiques. Voy. par exemple les manuels de BATIFFOL et LAGARDE, ou de LoussoUARN et Bou-
REL Comp. en revanche MAYER et HEUZÉ, pour une présentation globale du droit patrimonial de la
famille.

§1 LE CONFLIT DE JURIDICTIONS
12.59 - Renvoi aux règles générales sur le contentieux matrimonial - La loi offre à un
époux de nombreuses mesures d'exécution contre l'autre. De telles mesures suscitent une
question fondamentale qui relève du conflit de juridictions : quels sont les éléments
étrangers d'une situation excluant la compétence des juridictions belges ?
Il n'y a pas nécessairement coïncidence entre la compétence juridictionnelle et la
compétence législative. Le pouvoir d'intervention des tribunaux belges dans la relation
conjugale ne se limite pas à se prononcer sur les effets personnels d'un mariage soumis à
la loi belge. Inversement, certaines situations auxquelles la loi belge est applicable sont
soustraites à la compétence juridictionnelle des tribunaux belges.
Ill L'exemple le plus éclairant concerne l'article 221, alinéa 2, du Code civil. La délégation de som-
mes est une mesure d'exécution qui n'est pas réservée aux seuls époux dont les relations personnel-
les ou le régime matrimonial primaire sont soumis à la loi belge. Il convient d'assurer l'intervention
des tribunaux belges lorsque le tiers auquel le juge de paix enjoint de se libérer entre les mains d'un
conjoint à l'exclusion de l'autre réside en Belgique ou est une entreprise y ayant une succursale ou
un siège d'opération, et sans doute aussi lorsque le conjoint délégataire réside en Belgique ou y a
fait élection de domicile, de manière à ce que le paiement à propos duquel s'opère la substitution
de créancier soit localisé en Belgique.

Ill Rien ne s'oppose en soi à ce qu'il soit fait défense à un époux d'aliéner un immeuble situé à
l'étranger: après exequatur aux conditions posées par le droit étranger, une telle ordonnance est
susceptible d'être mise à exécution dans le pays où l'immeuble est situé. En revanche, le président
du tribunal ne saurait ordonner, à propos d'un tel immeuble, une mesure de publicité foncière
dont l'exécution échappe nécessairement à sa compétence.

IllRares sont les décisions à soulever la question de la compétence internationale, notamment à


propos des actions basées sur l'article 223. Voy. par ex. J.P. Rhode St-Genèse, 18 septembre 1989,
Rev. gén. dr. civ. (1991), 152, note C. JUSTE, acceptant sa compétence à propos d'une demande éma-
nant d'une Française domiciliée en Belgique contre un Algérien domicilié à l'étranger.

Depuis l'entrée en vigueur du Code, le droit international privé belge dispose de


règles propres au contentieux matrimonial. L'article 42 revêt une portée générale, en ce
qu'il concerne « le mariage ou ses effets, le régime matrimonial », etc.
Pratiquement, la compétence des juridictions belges est vérifiée dans l'un des cas
suivants:
- le défendeur est domicilié ou réside habituellement en Belgique au moment de la
demande (art. 5 Codip);
Ce critère est pertinent en cas de demande basée sur l'article 221, alinéa 2, du Code civil.
Ill!
L'article 5, § 2, du Code de droit international privé, permet aussi d'agir en Belgique à l'égard d'un
établissement secondaire d'une société établie à l'étranger.

- la dernière résidence habituelle commune se situait en Belgique moins de douze


mois avant l'introduction de la demande (art. 42, 2 °, Codip);
- le demandeur réside habituellement en Belgique depuis douze mois au moins au
moment de la demande (art. 43, 3°, Codip);
536 LA PERSONNE ET LES RAPPORTS DE FAMILLE

- les époux sont belges au moment de la demande (art. 42, 4°, Codip).
Le lieu de situation de l'immeuble qui sert de logement familial ne figure pas parmi
les chefs de compétence, alors même que la loi belge serait applicable au fond (voy. infra,
n ° 12.66). Il y a lieu de croire que, dans la plupart des cas, l'un des critères précités suffira
à asseoir l'intervention des juridictions belges. De plus, la prorogation exceptionnelle de
compétence établie par l'article 11 du Code pourrait jouer un rôle utile, pourvu que les
conditions de son application soient remplies en l'espèce.
12.60 - Le contentieux matrimonial dans le contexte de l'Union européenne - À l'heure
actuelle, les instruments communautaires ne comportent guère de dispositions visant les
relations entre époux.
Le règlement« Bruxelles llbis » (voy. infra, n° 12.79) ne couvre pas les litiges liés aux
effets du mariage. Selon l'article 1er, il vise seulement les procédures relatives« à l'annula-
tion du mariage des époux ».
Le règlement« Bruxelles I » exclut de son domaine« l'état et la capacité des person-
nes physiques, les régimes matrimoniaux[ ... ]» (art. 1er). L'exclusion couvre, notamment,
la demande relative à la gestion des biens d'un époux par l'autre lorsque cette gestion est
liée étroitement aux rapports qui résultent du lien conjugal, ou encore l'octroi d'un capi-
tal à l'un des époux en relation avec la liquidation du régime matrimonial (voy. supra,
n° 9.15).

§2 ÜROIT APPLICABLE AUX EFFETS PERSONNELS


ET AU RÉGIME PRIMAIRE

A. Détermination de la loi des effets généraux du mariage


12.61 - Rattachement fondé sur la proximité - Le Code de droit international pnve
introduit une règle de rattachement propre aux « effets » du mariage, rompant ainsi avec
l'incertitude qui a caractérisé la solution antérieure.
Avant l'entrée en vigueur du Code, le rattachement ne faisait pas de difficulté en cas
de nationalité commune des époux: la désignation de cette loi reposait sur l'article 3, ali-
néa 3, du Code civil. En cas de divergence de nationalités, une tendance se dessinait en
faveur de l'application de la loi de la résidence conjugale.
L'article 170ter du Code civil prévoyait une règle de rattachement propre au mariage mais ne
1111
concernant que les conditions de validité de l'acte.
En France, la jurisprudence a étendu à cette hypothèse la solution inaugurée en matière de
11111

divorce: les effets personnels du mariage d'époux de nationalités différentes sont régis par la loi du
pays où ils sont tous deux domiciliés (Cass. civ., 19 février 1963, Chemouni, Revue, 1963, 559). Ulté-
rieurement cependant, un rattachement territorial lié au concept des lois de police a prévalu (voy.
ci-dessous, n° 12.63).
Cette thèse fut reprise en particulier par N. WATIÉ, précitée n° 12.37, 123-125, non sans laisser
1111
une large place à l'applicabilité dérogatoire des lois de police.
11111 La Cour de cassation de Belgique a retenu l'application de la loi nationale commune des époux
et, à titre subsidiaire, « lorsque les époux sont de nationalités différentes au moment où le conflit
surgit», de la loi du « premier domicile conjugal », à propos d'une demande d'annulation de eau-
LES RAPPORTS ENTRE ÉPOUX 537

tion contractée par l'un des époux, fondée sur l'article 224 du Code civil (Cass., 25 mai 1992, Ban-
que Sud Belge, j.L.M.B., 1992, 938, notes S. NUDELHOLE et M. LIÉNARD-LIGNY, Tijds. Not., 1992, 432,
note F. BoUCKAERT, Revue, 1993, 615, note M. FALLON, Rev. dr. étr., 1992, 418, note M.-C. FüBLETS).
Relatif à une question touchant aux effets du mariage sur les biens des époux, cet arrêt, dont la for-
mulation se réfère de manière générale« au mariage et à ses effets», pouvait intéresser a fortiori les
effets du mariage sur la personne des époux.

Le Code se prononce en faveur d'un rattachement territorial : les effets du mariage


sont régis normalement par le droit du pays où« l'un et l'autre époux ont leur résidence
habituelle[ ... ] » (art. 48, § 1er, 1 °). Ce critère n'exige pas que la résidence soit commune: il
suffit que les deux parties résident dans le même pays, même en des lieux séparés.
Il L'application de « la loi de la résidence habituelle commune des époux» est proposée, au titre
de solution principale, dans les résolutions de l'Institut de droit international. Voy. Annuaire, vol.
46, t. F', p. 176. Le rapport de MM. Batiffol et Valladao a été publié dans !'Annuaire, vol. 44, t. II,
pp. 1 et s.; le rapport complémentaire dans !'Annuaire, vol. 45, c. rer, pp. 231 et s. Voy. aussi: E. POIS-
SON,« Les relations entre époux dans les récentes codifications du droit international privé », Revue
(1967), 277-302; A. BUCHER, « La famille en droit international privé», Recueil des cours, vol. 283
(2000), 46-47.

À défaut de résidence dans le même pays, le rattachement revient au critère de la


nationalité, pourvu que celle-ci soit commune aux parties. Subsidiairement, le droit
belge est applicable (art. 48, § 1er, 2 ° et 3 °).
Très nettement, la règle tend à réaliser un objectif de proximité (voy. supra, n ° 3.13).
La nationalité occupe une place secondaire, et uniquement lorsqu'elle manifeste une
convergence de rattachement des deux parties.
Ill!En n'évoquant pas une faculté de choix du droit applicable par les époux, le Code exclut nette-
ment cette possibilité, comme s'en justifie l'exposé des motifs (Doc. pari., Sénat, 2003-2004, n° 3-
27/1, 81). Une telle faculté, limitée, est admise par certaines codifications nationales (voy. par
exemple, l'art. 14 EGBGB en Allemagne), et est suggérée par J.-Y. CARLIER, Autonomie de la volonté et
statut personnel (Bruxelles, Bruylant), 1992.

La règle nouvelle remplace la règle ancienne à partir du 1er octobre 2004. En effet, il
y a lieu d'appliquer en cette matière le principe de solution du conflit transitoire que
retient l'article 127, paragraphe 1er, alinéa 2, selon lequel la règle nouvelle détermine le
droit applicable aux effets produits après l'entrée en vigueur de la loi. Appliquée à la
matière du mariage, cette disposition signifie que, si la validité de l'acte est régie par la
règle de rattachement prévalant au jour de la passation de celui-ci, il en va autrement de
ses effets.

12.62 - Solution du conflit mobile - La détermination de la loi applicable aux effets du


mariage soulève la question du moment auquel il convient de concrétiser le facteur de
rattachement lorsque la situation des époux a subi un changement qui affecte ce facteur.
Tel est le cas lorsque ceux-ci ou l'un d'eux a changé de nationalité, ou ils ont changé de
résidence conjugale entre le moment de la célébration du mariage et celui où surgit le
conflit relatif aux effets du mariage.
Le Code de droit international privé fixe la concrétisation du facteur de rattache-
ment au moment du conflit, non au moment du mariage. Il se réfère à cet égard « au
moment où ces effets sont invoqués ou, lorsque l'effet invoqué affecte un acte juridique,
au moment où celui-ci a été passé» (art. 47, § 1er). Ce faisant, le législateur suit la ten-
dance observée en doctrine et en jurisprudence. La solution se concilie le mieux avec un
538 LA PERSONNE ET LES RAPPORTS DE FAMILLE

objectif de proximité. Plus généralement en manere d'état, elle permet de s'attacher à


l'intégration sociale des personnes, qui peut évoluer tout au long de la vie.
Ill Voy. en ce sens en France, notamment: H. BATIFFOL et P. LAGARDE, n° 433.

1111 La référence au moment où l'acte a été passé a été ajoutée par voie d'amendement lors des tra-
vaux de la commission de la Justice du Sénat. Elle permet par exemple de pétrifier la concrétisation
du facteur lorsque la question porte sur la validité d'une libéralité entre époux.

111 La Cour de cassation avait évoqué l'incidence du temps sur la situation des époux dans l'arrêt
cité au numéro précédent, mais y apportant une solution non dépourvue de paradoxe. Tout en se
référant, à défaut de nationalité commune, au « premier» domicile conjugal, elle visait le cas où
« les époux sont de nationalités différentes au moment où le conflit surgit». Ainsi le moment perti-
nent pour apprécier l'existence d'une nationalité commune était-il bien celui où se pose la question
des effets, étant indifférent que les époux aient partagé une nationalité commune au moment de la
célébration du mariage. Il paraît alors singulier de soumettre cette hypothèse au facteur du
« premier» domicile plutôt qu'à celui du domicile actuel. En réalité, aucun élément du pourvoi
n'invoquait de changement intervenu dans le domicile des époux. On peut donc douter que la
Cour ait entendu résoudre un conflit mobile lié au changement de domicile, l'arrêt ayant soin, au
demeurant, de préciser que le recours au« premier» domicile ne vaut qu'« en règle».
Comp. l'appréciation de M. LIÉNARD-LIGNY (note précitée n° 12.61, p. 949), regrettant la référence
au premier domicile et estimant que la Cour a pu se référer au premier domicile acquis après que
les époux ont perdu leur nationalité commune.

lil La référence à la concrétisation actuelle est très nette dans la jurisprudence ultérieure des juges
du fond. Il en va ainsi de l'arrêt de renvoi dans l'affaire précitée (Bruxelles, 27 juin 1996, Rev. trim.
dr. fam., 1997, 429, note S. FRANCQ). Voy. aussi: Civ. Liège, 5 décembre 1994, Rev. trim. dr. fam.
(1995), 580, Ti;ds. Not. (1996), 77, note C. De BUSSCHERE.

12.63 - Rattachement spécial de nature territoriale - La possibilité de préférer, pour


certains des effets du mariage, un rattachement territorial, au titre de l'application impé-
rative d'une loi de police, a été largement évoquée en doctrine. La loi belge devrait alors
être appliquée chaque fois que se concrétise sur le territoire belge le fait ou l'acte jugé per-
tinent.
1111 En France, la Cour de cassation a étendu la qualification des lois de police à l'ensemble des
« règles relatives aux devoirs et droits respectifs des époux énoncées par les articles 212 et suivants
du Code civil», en considérant qu'elles « sont d'application territoriale » (Cass. civ., ire ch.,
20 octobre 1987, Cressat, Revue, 1988, 540, note Y. LEQUEITE, Clunet, 1988, 446, note A. HUET).

Une telle dualité de rattachements suppose cependant que la ligne puisse être cor-
rectement tracée entre les effets strictement personnels du mariage et les effets de nature
patrimoniale et d'identifier, parmi ceux-ci, les effets appelant à un rattachement territo-
rial.
En Belgique, N. WAITÉ, précité n ° 12.37, qualifie de lois de police un nombre élevé de disposi-
Ill!
tions relatives aux effets du mariage, à savoir la capacité des époux, la solidarité des dettes du
ménage à l'égard des tiers, l'activité professionnelle, la perception des revenus, la contribution aux
charges du ménage et la protection de la résidence conjugale.

IllDans l'édition précédente de cet ouvrage (n'" 1455 et s.), recevaient cette qualification, la protec-
tion de la résidence conjugale, l'accès à un compte de dépôt ou à un coffre-fort, la responsabilité
des époux à l'égard de tiers.

1111 Comme illustration de la difficulté, voy. la controverse jurisprudentielle au sujet des articles 221

et 223 du Code civil, ci-dessous. À propos de l'article 224 du Code civil, la cour d'appel de Mons
(20 juin 1989, Rev. dr. comm. belge, 1990, 787) avait retenu un rattachement territorial au titre d'une
qualification de loi de police, solution contestée par l'arrêt de la Cour de cassation précité.
LES RAPPORTS ENTRE ÉPOUX 539

L'entrée en vigueur du Code de droit international privé atténue la portée de cette


controverse, dans la mesure où la règle nouvelle donne la prééminence au facteur territo-
rial de la résidence des époux dans le même pays.
La théorie du mariage boiteux a également suscité une dérogation à l'application de
la loi personnelle. Toutefois, la nécessité d'une telle dérogation peut varier en fonction de
la portée assignée à la règle de conflit de lois et semble être contestée par le législateur
(voy. supra, n° 12.10).
1111 Comme exemple d'utilisation de cette théorie, voy.: Bruxelles 0eun.), 2 mai 1974, Pas. (1975), Il,
11.

B. Domaine de la loi des effets généraux du mariage


12.64 - Notions de droit matériel - Dans le chapitre du Code civil consacré aux droits
et devoirs respectifs des époux (arc. 212 à 224), certaines dispositions déterminent les
effets personnels du mariage, d'autres configurent, après les modifications apportées par
la loi du 14 juillet 1976, le régime matrimonial dit primaire. Les premières organisent la
communauté de vie des époux sous la forme de droits et de devoirs respectifs, tandis que
les secondes fixent impérativement certains effets du mariage sur les biens des époux, et
l'aptitude de ceux-ci a accomplir des actes juridiques patrimoniaux.
1111Les effets personnels du mariage couvrent notamment les devoirs de cohabitation, de fidélité,
de secours et d'assistance (C. civ., art. 213) ou les devoirs analogues, plus ou moins étendus, que
contiendrait une loi étrangère. Il en va de même des modalités du choix de la résidence conjugale
(C. civ., art. 214), du degré d'autonomie de chacun des conjoints pour l'exercice d'une profession
(C. civ., art. 216, § ier) et du droit de chaque époux d'utiliser le nom de l'autre à cette occasion (C.
civ., art. 216, § 2).
1111Quand on le décrit par référence au droit matériel belge, le régime primaire a pour objet: l'effet
du mariage sur la capacité juridique de chacun des époux (art. 212, al. 3), la protection du loge-
ment familial (art. 215), le droit pour chaque époux de percevoir seul ses revenus et les modalités
d'affectation de ceux-ci indépendamment du régime matrimonial choisi par les époux (art. 217,
al. 1er et 2), les règles relatives à l'ouverture d'un compte en banque et à la location d'un coffre-fort
(art. 218), les limites dans lesquelles un époux peut constituer l'autre comme son mandataire
(art. 219), les règles de gestion du patrimoine prévues pour le cas de défaillance de l'un ou l'autre
époux (art. 220), l'obligation de contribuer aux charges du ménage (art. 221, al. F'), l'obligation
solidaire aux dettes contractées pour les besoins du ménage (art. 222).
Il Plusieurs dispositions affectent la validité de certains types d'actes accomplis par les époux ou
par l'un d'eux. Il en est ainsi de donations faites ou de sûretés personnelles données par un des
époux et qui mettent en péril les intérêts de la famille (art. 224, 3° et 4°). Le Code civil réglemente
aussi les opérations faites entre époux, à titre gratuit comme libéralité (art. 1091 et s.) ou à titre
onéreux, vente (art. 1595) ou cession de parts indivises (art. 1469).
1111 D'autres dispositions affectent la procédure et les mesures d'exécution et relèvent, à ce titre, du
conflit de juridictions.
Ces dispositions - ainsi que les solutions correspondantes du droit étranger appli-
cable - soumettent les relations personnelles comme les relations patrimoniales entre
époux à certains principes fondamentaux. Ceux-ci visent à concilier divers objectifs, à
savoir en même temps la protection de la famille ainsi que celle d'une partie faible à la
relation, et, d'une part, l'égalité des sexes ainsi que l'autonomie avec laquelle chaque
époux doit pouvoir organiser sa vie professionnelle et gérer son patrimoine, et, d'autre
parc, le maintien d'un principe d'unité et de solidarité qui, en raison de la règle d'égalité,
ne peut plus trouver son expression dans la prépondérance du mari. Sans doute, ces prin-
540 LA PERSONNE ET LES RAPPORTS DE FAMILLE

cipes ne sont pas affirmés avec la même force dans tous les systèmes de droit interne et les
points d'équilibre ne sont pas identiques partout, ce qui suscite précisément des problè-
mes de conflit de lois.

12.65 - Questions soumises à la loi des effets du mariage - Le Code de droit interna-
tional privé établit une liste exemplative des points de droit soumis à la loi qui régit les
effets du mariage (art. 48, § 2). L'établissement de cette liste tend à asseoir la sécurité juri-
dique. Elle s'inspire cependant des dispositions contenues dans le droit matériel du for,
sans pouvoir anticiper sur le contenu du droit étranger désigné. Il appartient à l'inter-
prète de chercher une équivalence entre les premières et le second.
Relèvent de cette catégorie, notamment :
- les devoirs de cohabitation et de fidélité ;
1111 Pour une mesure autorisant une résidence séparée, voy.: J.P. Zaventem, 17 octobre 2002,].].P.

(2004), 456.

- la contribution aux charges du mariage, ainsi que le devoir de secours en nature ;


Ill Voy. en ce sens :J.P. Namur, 20 octobre 1988,J.].P. (1989), 101 ;J.P. Schaerbeek, 25 octobre 1991,
Rev. dr. étr. (1991), 359, tout en réservant l'applicabilité de la loi belge à la délégation de sommes,
inconnue en droit marocain; Civ. Liège, 30 mars 1988, Rev. gén. dr. civ. (1989), 417, tout en réser-
vant l'application de la loi territoriale plus favorable en tant que loi de police; Civ. Namur,
22 septembre 2000, Rev. dr. étr. (2000), 678, appliquant l'échelle de Kegel.
Il Pour le devoir de secours, voy. infra, n ° 12.188, son insertion dans la catégorie des obligations
alimentaires lorsqu'il s'exprime sous cette forme.

- la perception des revenus propres et leur affectation ;


1111Selon l'exposé des motifs de la proposition de Code (Doc. pari., Sénat, 2003-2004, n° 3-27/1, 79),
ces termes visent« les modalités d'ouverture d'un compte de dépôt ou de location d'un coffre». Le
texte justifie la règle de préférence à celle de la localisation du coffre, par le motif que le critère de la
résidence des époux doit prévaloir même en cette matière, notamment pour prévenir le risque de
fraude à la loi, tout en admettant que le banquier étranger « ne se verra pas tenu par la loi belge en
ce qui concerne l'obligation d'informer».
1111Ce rattachement ne préjuge pas la propriété des sommes ou des valeurs sur lesquelles il est
reconnu à chaque époux un pouvoir de gestion exclusif. En cas de litige ou au moment de la liqui-
dation du régime matrimonial, la loi choisie par les époux et les clauses de leur contrat de mariage
ou la loi déclarée applicable à leur régime secondaire déterminent la nature propre ou commune de
ces biens.

- l'admissibilité des contrats et libéralités entre époux et la révocation de celles-ci;


IllPour la donation, voy.: Civ. Anvers, 13 novembre 1980, Pas. (1982), III, 20. Voy. aussi en France:
Cass. civ., 3 avril 1990, Revue (1991), 104, note B. ANCEL.
Ill Ce rattachement vaut uniquement pour l'admissibilité de l'acte, et sa révocabilité. En revanche,
la nature contractuelle de celui-ci implique l'application de la règle de rattachement qui régit les
contrats pour toute question de nature contractuelle.
De plus, le rattachement successoral est encore susceptible d'influencer l'acte en tant que libéralité
(voy. infra, n° 14.192).
1111Pour un contrat entre époux, voy. Bruxelles, 22 avril 1988, ].T. (1988), 664; Civ. Nivelles,
15 janvier 1990,J. T. (1990), 162, distinguant correctement de l'opération de cession de parts indivi-
ses dans un immeuble, l'opération de partage de meubles communs, celle-ci procédant de la liqui-
dation du régime secondaire et relevant alors de la loi applicable à ce régime.

- les modalités de la représentation d'un époux par l'autre;


LES RAPPORTS ENTRE ÉPOUX 541

1111L'application à la représentation d'un époux par l'autre de la loi gouvernant le régime primaire,
s'agissant tantôt de dispositions qui limitent le droit de se donner mutuellement mandat (C. civ.,
art. 219), tantôt de celles qui permettent d'obtenir une délégation judiciaire (C. civ., art. 220 et 221,
al. 2 et s.), ne vise que les aspects internes du rapport de représentation (voy. infra, n ° 14.136). Les
restrictions que contiendrait sur ce point la loi du régime primaire sont inopposables aux tiers, qui
peuvent se fier aux dispositions en vigueur dans le pays où le représentant a agi (voy. infra,
n° 14.138).
Il en résulte que les articles 219, 220 et 221, alinéa ier, du Code civil, régissent l'opposabilité aux
tiers des actes accomplis en Belgique par un époux en qualité de mandataire ou de délégataire de
l'autre.
- la validité à l'égard d'un époux d'un acte passé par l'autre qui affecte les intérêts
de la famille, ainsi que la réparation des conséquences dommageables d'un tel acte à
l'égard de cet époux.
Ill Sur cette question, le Code confirme l'approche de la Cour de cassation (voy. supra, n° 12.61).
IllLa règle ne couvre que l'opposabilité de l'acte à l'époux, non les conditions de formation, d'exé-
cution ou d'extinction du contrat conclu par l'autre époux avec le tiers, qui relèvent du rattache-
ment contractuel.
Ill Le rattachement s'étend judicieusement au régime des dommages et intérêts que l'un des époux
peut réclamer à l'autre, et notamment à la détermination de la durée de prescription de l'action
(art. 224, § 2, C. civ.). Ce résultat peut aussi être atteint au moyen de la notion de rattachement
accessoire consacrée, en matière de responsabilité civile, par l'article 100 du Code de droit interna-
tional privé.

12.66 - Rattachements spéciaux - Le Code établit une catégorie ouverte des « effets »
du mariage. Celle-ci ne couvre cependant pas toute question liée au mariage.
Le régime matrimonial dit secondaire obéit à un rattachement qui lui est propre
(voy. infra, n ° 12.67).
De plus, le principe du rattachement autonome du nom (voy. supra, n ° 12.28) impli-
que que la faculté d'utiliser le nom du conjoint et, le cas échéant, avec l'accord de celui-ci,
relève de la loi personnelle de celui qui entend en faire usage.
La question de la protection du logement familial obéit à un rattachement déroga-
toire, retenant un critère territorial de manière inconditionnelle, à savoir en toute hypo-
thèse le lieu de situation de l'immeuble (art. 48, § 3, Codip).
Ill Sur la question du logement familial, voy. N. WATIÉ, précitée (n° 12.57), 273-293; ID.,« Lesta-
tut du logement familial en droit international privé et les articles 214 et 215 du Code civil», Rev.
not. belge (1986), 174-181.
Cette règle s'écarte de l'approche de la Cour de cassation, qui s'était prononcée incidemment en
1111

faveur de la loi personnelle à propos d'une demande introduite par un ex-époux après le divorce
(voy. infra, n ° 12.101).
La question des relations avec les tiers est complexe. En effet, ceux-ci peuvent ne pas
appartenir à la sphère d'intégration sociale des époux, par exemple lorsqu'ils sont établis
dans un pays autre que celui de la résidence conjugale. Dans ce cas, l'application de la loi
des effets du mariage peut les surprendre. De plus, en cas d'action judiciaire dans le pays
de la résidence conjugale, la reconnaissance de la décision à l'étranger peut susciter des
difficultés. Une interrogation analogue surgit à propos du régime matrimonial secon-
daire (voy. infra, n ° 12.75).
Il ressort de la formulation de l'article 48, paragraphe 2, précité que la loi des effets
du mariage régit ce qui concerne l'ouverture d'un compte de dépôt ou la location d'un
542 LA PERSONNE ET LES RAPPORTS DE FAMILLE

coffre, la relation avec le tiers dans la délégation de sommes, ainsi que l'annulation du
contrat conclu avec un tiers, à la demande de l'époux qui n'a pas contracté. En revanche,
la relation entre le représentant et le tiers relève du rattachement de la représentation
(voy. n ° précédent).
De plus, la solidarité à la dette contractée par l'un des époux pour les besoins du
ménage ou l'éducation des enfants relève du même rattachement que celui de l'opposabi-
lité au tiers du régime matrimonial : la loi de ce régime est applicable, sous réserve de
l'application de la loi du pays dans lequel le tiers et l'époux dont il est le créancier rési-
daient lors de la naissance de la dette (art. 54, § 2, Codip ).
11111 L'important est que le tiers puisse compter sur l'application d'une loi prévisible, relie la loi de la
résidence conjugale ou au moins la loi du pays dans lequel il réside ainsi que l'époux avec lequel il a
contracté. L'article 54 conduit précisément à ce résultat. Il en sera de même le plus souvent de
l'article 48. L'une et l'autre dispositions permettent de concrétiser le critère de résidence - du tiers
pour le premier, des époux pour le second - au moment où l'acte a été conclu.

§3 DROIT APPLICABLE AU RÉGIME MATRIMONIAL


12.67 - Réforme législative et conflit transitoire - L'entrée en vigueur du Code de droit
international privé au 1er octobre 2004 implique une modification substantielle des solu-
tions apportées au conflit de lois en matière de régimes matrimoniaux.
Les solutions anciennes ne perdront pas pour autant toute pertinence. En effet, il
résulte de la règle générale de solution du conflit transitoire (art. 127, § 1er, Codip) que
les règles nouvelles ne régissent que les actes et faits juridiques survenus après leur entrée
en vigueur, ainsi que les effets produits après cette date par de tels actes ou faits. Ainsi, les
règles anciennes continuent de régir le régime matrimonial d'époux mariés avant le 1er
octobre 2004.
Ill Selon l'exposé des motifs de la proposition de loi (Doc. pari., Sénat, 2003-2004, n ° 3-27/1,
p. 142), « pour la catégorie du régime matrimonial, le Code s'applique aux mariages célébrés après
son entrée en vigueur».
Une question analogue s'est posée suite à l'évolution jurisprudentielle survenue dans les années
!Ill!
soixante-dix. La Cour de cassation a estimé que la règle ancienne continuait de régir les contrats
antérieurs (Cass., 9 septembre 1993, Weimberg, Rev. not., 1993, 563, concl. min. publ.,J.L.M.B., 1994,
398, note M. LIÉNARD-LIGNY, Rev. crit.jur. belge, 1994, 668, note N. WAITÉ, Rev. trim. dr.fam., 1994,
471, note N. COIPEL). Le raisonnement se heurtait cependant à une double difficulté, à savoir (1 °) la
nature jurisprudentielle du changement de règle et (2 °) la nature surannée - sinon discriminatoire
- de la règle ancienne, qui désignait la loi nationale du mari. Voy. ensuite: Civ. Liège, 9 octobre
1981, Rev. trim. dr. fam. (1982), 138, note M. VERWILGHEN; G. VAN HECKE et K. LENAERTS, n ° 579; J.
ERAUW et M. VERWILGHEN, précités (n° 12.57), 394; Civ. Malines, 20 novembre 1995, R.W (1996-
1997), 751, note C. BERX et]. MEEUSEN, Tijds. Not. (1997), 167, note C. DE BuSSCHERE, faisant remon-
ter la date du revirement à celle de l'entrée en vigueur de la Convention européenne de sauvegarde
des droits de l'homme.
Cette solution soulève notamment la question de l'application ou non de la règle ancienne aux
mariages antérieurs pour la période postérieure au changement. M. VERWILGHEN et P. VAN DEN
EYNDE, précités (n ° 12.57), n ° 51, ont préconisé l'application de la nouvelle règle de conflit pour les
biens acquis et les dettes nées après l'entrée en vigueur de la loi du 14 juillet 1976 qui organise l'éga-
lité patrimoniale des époux en droit matériel.
En faveur de l'application immédiate de la règle nouvelle aux mariages antérieurs, voy. : Mons,
23 avril 1987,j.L.M.B. (1987), 1249; P. GRAULICH et M. LIÉNARD-LIGNY, précités (n° 12.57), au terme
d'un examen fouillé, se basant sur la nature jurisprudentielle du changement. Pour plus de détails,
voy. F. R.IGAUX, Rev. crit. jur. belge (1981), 330.
LES RAPPORTS ENTRE ÉPOUX 543

Aux Pays-Bas, le Hoge Raad (7 avril 1989, Tan c. Bavinck, N.I.L.R., 1991, 398, note T. DE BOER) a fait
rétroagir la règle jurisprudentielle nouvelle, tout en réservant l'attente légitime des parties, corri-
geant un arrêt antérieur qui avait refusé l'effet rétroactif dans le cas d'un mariage conclu à l'époque
où était en vigueur la Convention de La Haye du 17 juillet 1905, ultérieurement dénoncée.
llliLa Convention de La Haye du 14 mars 1978 (supra, n ° 12.57) prévoit que, sauf déclaration con-
traire de l'État, ses dispositions ne s'appliquent qu'aux époux qui se sont mariés après son entrée
en vigueur pour cet État (art. 21).

Toutefois, les mariages célébrés sous la période antérieure peuvent bénéficier des
règles nouvelles par l'exercice de l'autonomie de la volonté.
D'une part, si les époux ont, avant le 1er octobre 2004, fait choix du droit d'un État,
un tel choix est valable s'il satisfait aux dispositions du Code.
D'autre part, les époux peuvent, après le 1er octobre 2004, passer un acte modificatif
de leur régime matrimonial, dont la validité sera soumise au droit désigné par le Code.
Pour la clarté de l'exposé, il paraît judicieux de maintenir la distinction tradition-
nelle selon que les époux ont choisi (A) ou non (B) le droit applicable à leur régime, en
évoquant ensuite la mutation conventionnelle (C). Pour chaque point, les solutions
anciennes sont comparées aux règles nouvelles.

A. Droit applicable en vertu d'un choix des époux


12.68 - Aperçu historique - La situation d'époux ayant fait un contrat de mariage fut, a
l'origine, très nettement distinguée de celle de conjoints mariés sans contrat. Les effets
patrimoniaux du mariage étaient, dans la première hypothèse, régis par une seule cou-
tume, celle du lieu du contrat, conformément à la règle Locus regit actum. À défaut de con-
vention matrimoniale, les époux étaient soumis, en vertu de la lex rei sitae, a autant de
régimes qu'il y avait de ressorts distincts où des biens étaient situés.
Pour unifier le régime matrimonial d'époux mariés sans contrat, Charles Dumoulin,
avocat au Parlement de Paris (1500-1566), imagina de considérer que le régime coutu-
mier de la communauté légale en vigueur à Paris était applicable en vertu d'un « contrat
tacite», la volonté d'être soumis à ce régime résultant implicitement de ce que les époux
n'avaient pas conclu de convention contraire. Grâce à cette « qualification contrac-
tuelle», le régime coutumier de la communauté légale passa de la règle de conflit jusque-
là retenue (la lex rei sitae) à la règle déjà en vigueur quand les époux avaient fait un contrat
(Locus regit actum expliqué par la loi d'autonomie).
Dans l'arrêt de Ganey de 1525, le Parlement de Paris fit droit à la thèse de Dumoulin.
La solution consista à donner à la volonté tacite des époux une interprétation
stéréotypée : ils étaient présumés avoir choisi le régime en vigueur au lieu du premier
domicile conjugal. Le rattachement au premier domicile conjugal reposait donc sur une
double présomption, celle de l'unité du patrimoine et celle d'une volonté des époux.
Recueillant la solution de l'ancien droit, la jurisprudence française et la jurispru-
dence belge en donnèrent des interprétations divergentes.
En France, c'est dans la matière des régimes matrimoniaux que la jurisprudence
s'orienta le plus tôt et le plus nettement vers la loi d'autonomie: en l'absence de contrat,
il appartient au juge du fond« d'apprécier souverainement, d'après les circonstances de
la cause», le régime légal auquel les époux ont entendu se soumettre (voy. notamment:
544 lA PERSONNE ET LES RAPPORTS DE FAMILLE

Cass. civ., 7 novembre 1961, Daim c. Minaz.zi, Revue, 1962, 681, note H. BATIFFOL). Toute-
fois, la jurisprudence a vu dans le premier domicile conjugal une présomption solide à
défaut d'autres éléments: les juges du fond doivent rechercher la volonté des parties,« en
tenant spécialement compte de la présomption résultant de la fixation du domicile
conjugal » (Cass. civ., 15 décembre 1965, Dupuy c. Vanthaliti, Clunet, 1967, 398).
1111 La France a ratifié depuis lors la Convention de La Haye du 14 mars 1978 (supra, n ° 12.57).
En Belgique, après avoir, au XIXe siècle, soumis les époux mariés sans contrat à la loi
du premier domicile conjugal, les tribunaux se sont parfois exprimés en faveur de la loi
d'autonomie, avec l'interprétation qu'elle recevait de la jurisprudence française. Une
autre solution trouve sa source dans la doctrine favorable à l'application de la loi natio-
nale du mari (Rolin, De Paepe, Poullet), et elle coïncide à peu près avec l'entrée en vigueur
(le 15 avril 1913) de la Convention de La Haye du 17 juillet 1905 sur les effets du mariage,
qui consacre cette solution. Même après sa dénonciation par la Belgique (produisant
effet le 24 août 1922), la Convention de 1905 est restée pour les auteurs et aussi pour la
jurisprudence une source de droit ayant« une valeur doctrinale» telle que« rien n'empê-
che les tribunaux d'appliquer les principes qu'elle consacre» (concl. av. gén. LEPERRE, pré-
cédant Bruxelles, 17 avril 1940, Rev. prat. not., 1940, 422).
À la fin du xxe siècle, la Convention de la Haye du 14 mars 1978 sur la loi applicable
aux régimes matrimoniaux exprime une nouvelle tendance. Tout en confirmant le prin-
cipe d'autonomie, elle se singularise dans la détermination du rattachement subsidiaire.
Elle donne la préférence à la loi du pays de la résidence des deux époux et, à défaut, dési-
gne la loi de la nationalité commune sous des conditions strictes, à défaut encore, elle se
réfère à la détermination des liens les plus étroits.
111 Ce texte subtil échoue à établir une sécurité juridique satisfaisante, en prévoyant une évolutivité
de la désignation de la loi applicable en vertu du rattachement objectif, en omettant toute règle sur
la mutabilité et en s'en remettant, de manière subsidiaire, au rattachement par les liens les plus
étroits. Il contraint pratiquement les époux à faire choix du droit applicable. La Convention n'a été
ratifiée que par la France, le Luxembourg et les Pays-Bas.

12.69 - Portée du principe d'autonomie dans le Code - Appliqué au régime matrimo-


nial, le principe d'autonomie signifie que les époux peuvent choisir le droit qui détermine
leur régime. Un tel choix est distinct, et plus radical, que celui qui consiste à déterminer le
régime même, parmi ceux qu'offre le législateur de droit matériel.
Le Code consacre l'autonomie ainsi entendue en droit des conflits de lois. Toutefois,
la faculté de choix n'est pas illimitée. Il s'agit plutôt d'une option de législation, offerte
entre plusieurs lois prédéterminées, à savoir l'une des lois suivantes :
- celle de l'État où les époux fixeront pour la première fois leur résidence habi-
tuelle;
Ill Comme le relève le Conseil d'État dans son avis relatif à l'avant-projet de loi (Doc. pari., Sénat,
2001-2002, n° 2-1225/1, 280), le choix de la loi de la première (future) résidence commune com-
porte un risque en cas de difficulté à fixer ce lieu. Ce risque, s'il n'est pas inexistant, paraît toutefois
limité, car il suppose l'absence de résidence commune après le mariage.
En revanche, il est possible que, immédiatement après le mariage, les époux déménagent pour une
période de temps limitée sans que ce déménagement soit constitutif d'une résidence « habituelle»
au sens de l'article 4 du Code. Aussi, les futurs époux se préparant à une telle éventualité se
devraient d'effectuer leur choix en conséquence (exposé des motifs de la proposition de loi, Doc.
pari., Sénat, 2003-2004, n° 3-27/1, 81).
Dans de telles hypothèses, le choix effectué devrait être considéré comme inopérant (ibid.)
LES RAPPORTS ENTRE ÉPOUX 545

Ill Cette règle figure également dans la Convention de La Haye de 1978.

celle de l'État de la résidence ou de la nationalité de l'un des époux au moment du


choix.
Le choix doit obéir, en outre, aux conditions matérielles suivantes (art. 50 Codip):
- quant à son objet, il doit porter sur l'ensemble des biens des époux: ceux-ci ne
peuvent donc pas dépecer leur régime matrimonial, par exemple en dissociant le droit
applicable aux masses immobilières ;
1111Le choix ne peut affecter que les questions qui relèvent du domaine de la loi du régime, selon la
définition qui en est donnée infra, n ° 12.73.

- quant à sa formulation, il obéit à une exigence analogue à celle qui frappe le choix
d'un régime, telle qu'énoncée par l'article 52 (voy. infra, n ° 12.74).
1111 L'article 52 détermine le droit applicable à la forme du choix du régime même. Le renvoi à cet
article se comprend comme portant sur l'exigence de forme qui affecte le choix d'un régime selon le
droit désigné. S'il signifiait seulement une référence aux modalités prévues par ce droit pour le
choix du droit applicable, cela conduirait à une lacune fréquente chaque fois que ce droit ignore
l'autonomie de la volonté. De plus, c'est au droit international privé du for qu'il appartient de défi-
nir les modalités du choix du droit applicable, ce que fait le législateur belge en s'en remettant pra-
tiquement aux exigences imposées pour le choix du régime. Il aurait été plus clair de spécifier que le
choix doit être fait dans la forme prescrite pour les contrats de mariage, comme le fait la Conven-
tion de La Haye de 1978, du moins pour l'hypothèse d'une désignation expresse (art. 13).
Le renvoi au « droit applicable au régime matrimonial » évoqué par l'article 52 se comprend
1111

comme un renvoi au droit qui régit ce régime au cas où le choix de la loi applicable est valable
quant à la forme.

De plus, la détermination du consentement sur la clause de choix relève d'une règle


de conflit de lois, qui désigne la loi du régime matrimonial. En effet, la question relève du
domaine de cette loi (art. 53, § l°', 1 °, Codip).
Ill!La loi désignée est logiquement celle qui régirait le régime dans l'hypothèse où la clause aurait
été acceptée valablement. La solution s'inspire de celle retenue en matière de contrats (Exposé des
motifs de la proposition de loi, Doc. pari., Sénat, 2003-2004, n ° 3-27/1, 83). Elle ne concerne cepen-
dant ni la question de l'admissibilité du choix (couverte par l'art. 49) ni celle de la forme dans
laquelle le choix doit être fait.

Le moment du choix est indifférent. Le choix peut être fait à tout moment, et peut
modifier un choix antérieur (art. 50, § 1er). Cependant, les époux doivent être attentifs au
fait qu'un tel choix ultérieur, en opérant changement de la détermination de la loi appli-
cable, ne peut porter atteinte aux droits des tiers (art. 50, § 3). De plus, sauf stipulation
contraire, il n'a d'effet que pour l'avenir.
1111Des dispositions analogues sur le moment du choix figurent dans la Convention de La Haye de
1978.
Les époux mariés avant le 1er octobre 2004 peuvent aussi formuler un tel choix en cours de
1111

manage.

12.70 - Autonomie de la volonté avant le 1er octobre 2004 - La jurisprudence relative à


un choix du droit applicable au régime matrimonial par les époux est rare. La Cour de
cassation ne s'est pas exprimée explicitement. Seul l'arrêt Eicker du 10 avril 1980 (voy.
infra, n ° 12.72), en soumettant à la loi de la nationalité le régime d'époux« mariés sans
contrat», au vu du lien de ce régime avec le mariage et ses effets, donne à penser qu'il en
irait autrement du régime conventionnel : celui-ci pourrait relever d'un choix des parties.
546 LA PERSONNE IT LES RAPPORTS DE FAMILLE

Cependant, toute confusion encre régime conventionnel et autonomie de la volonté au sens du


1111

droit international privé doit être évitée, car celle-ci est de nature à affecter aussi un régime légal,
tandis que tout contrat de mariage ne contient pas nécessairement de choix du droit applicable
(voy. le n° précédent).

Un arrêt de la Cour de cassation du 15 décembre 1966 (De/val, Pas., 1967, I, 478) a déclaré irrece-
1111
vable pour défaut d'intérêt, motif ciré de l'identité de contenu du droit belge et du droit étranger,
un pourvoi qui reprochait au juge du fond de n'avoir pas spécifié quel droit avait été appliqué au
fond alors que les époux avaient fait choix du droit français.

1111 Le lien opéré par l'arrêt Eicker entre le régime légal et le mariage a fait douter de la possibilité
d'envisager l'autonomie de la volonté en cette matière, celle-ci ne se prêtant pas, traditionnelle-
ment, à la faculté de choix du droit applicable par les parties. Voy. les références citées par: N.
WATIÉ, « Droit international privé (conflit de lois), Examen de jurisprudence (1990 à 2002) », Rev.
crit. jur. belge (2003), 515.

Les juges du fond n'ont pas hésité à admettre le choix du droit applicable par les
parties.
Voy.: Civ. Liège, 10 janvier 1994, ].L.M.B. (1994), 1191, note S. NUDELHOLE; Bruxelles,
1111

29 octobre 1996, Rev. not. belge (1997), 275, note L. BARNICH, Rev. trim. dr.fam. (1996), 566, note M.
FALLON, Div. Act. (1998), 83, note M. LIÉNARD-LIGNY.

Le législateur avait pris une disposition qui, en établissant une limite à la formula-
tion du choix du droit applicable, admettait implicitement le principe d'autonomie.

L'article 1389 du Code civil, introduit par la loi du 14 juillet 1976, disposait que:
«Les époux ne peuvent établir leurs conventions matrimoniales par simple référence à
une législation abrogée ou, si l'un d'eux est Belge, à une législation étrangère.»
La disposition a été modifiée par l'article 130 du Code de droit international privé, par la sup-
1111
pression des termes« ou, si l'un d'eux est Belge, à une législation étrangère». Les contraintes impo-
sées par le Code quant à la formulation du choix du droit applicable ont été jugées suffisantes.

1111 La portée de cette disposition était sans doure minime, puisqu'elle prohibait la référence pure et

simple à une législation étrangère, mais non l'élaboration d'un régime conventionnel dont les clau-
ses fussent inspirées par une telle législation. La disposition n'en était pas moins critiquable
puisqu'elle interdisait au Belge épousant une étrangère ou à la Belge épousant un étranger d'élimi-
ner tout conflit de lois par une clause simple insérée dans leur contrat de mariage. Elle découra-
geait également en fait l'adoption d'un régime prévu par un droit étranger.

Ill Cet article fournie l'illustration d'une règle matérielle de droit international privé (voy. supra,
n ° 3.8), qui ne doit pas être appliquée par analogie ni à la simple référence à la loi belge ni à la réfé-
rence à une loi étrangère quand les deux conjoints sont étrangers.
Comme le législateur belge s'est abstenu d'en déterminer le domaine d'application dans l'espace, il
y a lieu de limiter celui-ci aux conventions matrimoniales dressées devant une autorité belge. Le but
que semble avoir poursuivi le législateur étaie d'éviter que le Belge épousant une étrangère (ou vice
versa) n'adopte par simple référence un régime étranger qu'il (ou qu'elle) ne connaît pas.
Voy. le rapport fait au nom de la commission de la Justice du Sénat par M. HAMBYE, Doc. pari.,
Sénat, sess. excr. 1974, n° 683/2, p. 21, et dans la jurisprudence: Civ. Bruxelles, 21 décembre 1977,
Rev. trim. dr.fam. (1978), 76.
Cette crainte est beaucoup moins fondée quand les conventions matrimoniales sont dressées à
l'étranger devant une autorité étrangère.
Voy. encore F. RIGAUX, « Quelques réflexions sur la loi du 14 juillet 1976 - Droit interne et droit
international privé», Rev. trim. dr. Jam. (1978), 17 et s.
LES RAPPORTS ENTRE ÉPOUX 547

B. Droit applicable en l'absence de choix


12.71 - Échelle des rattachements établie par le Code - En l'absence de choix valable
du droit applicable par les époux, le Code soumet le rattachement objectif du régime
matrimonial à une échelle de rattachements qui donne une place prééminente au facteur
de la résidence habituelle sur celui de la nationalité (art. 51).
En effet, l'échelle des rattachements s'établit comme suit:
- application du droit de la résidence habituelle de l'un et l'autre époux après la
célébration ;
Il n'est pas requis que la résidence soit commune : il suffit que les deux époux résident dans le
1111

même pays.
Il s'agit de la « première» résidence conjugale, non de toute autre résidence acquise ultérieure-
1111

ment pendant le mariage.


IllLa résidence pertinente doit être « habituelle », au sens que ce qualificatif reçoit plus générale-
ment (art. 4 Codip, supra, n ° 5.67).
- à défaut, application du droit de la nationalité commune au moment du
manage;
- à défaut, application du droit du pays de célébration.
Ill Ce critère subsidiaire a été préféré à celui des liens éttoits (utilisé par la Convention de La Haye
de 1978) ou à celui de la !ex fori. L'argument tient principalement à un objectif de sécurité juridi-
que.
L'adoption d'une telle échelle s'inspire de celle qu'utilise la Convention de La Haye
de 1978. Elle renoue avec une jurisprudence ancienne, que la première Convention de La
Haye, de 1905, avait renversée (voy. supra, n ° 12.68). Dans le Code, elle répond à une cohé-
rence dans le rattachement des éléments qui affectent la vie commune jusqu'à la dissolu-
tion de celle-ci, en s'attachant à retenir une localisation qui traduise un objectif de
proximité. Ainsi, l'orientation est analogue à celle suivie pour les effets généraux du
mariage (voy. supra, n° 12.61), comme pour le divorce (voy. infra, n° 12.98). Le risque d'un
dépeçage de la relation de vie commune s'en trouve largement réduit, sous réserve de la
solution donnée au conflit mobile.
!IllLa prééminence de la résidence commune n'était pas absente de la jurisprudence belge avant
l'entrée en vigueur du Code. Voy. par exemple: Civ. Liège, 6 janvier 1978, ]ur. Liège (1977-1978),
285, ayant soumis deux Italiens mariés en Italie mais vivant en Belgique à la loi belge, en qualité de
« loi du pays de l'intégration prépondérante des époux « ; Civ. Anvers, 18 juin 1980, Rev. trim. dr.
Jam. (1982), 94; Civ. Tournai, 3 septembre 1981, Rev. not. belge (1981), 561; Civ. Liège, 10 janvier
1994,].L.M.B. (1994), 1191, note S. NUDELHOLE; Civ. Bruxelles, 4 octobre 2001, Rev. Div. (2002), 7,
note L. BARNICH, implicite.
La solution donnée au conflit mobile constitue un élément déterminant de la règle
de rattachement, à l'égard d'un rapport de droit voué à la durée. Selon le Code, la concré-
tisation a lieu au moment du mariage, tantôt lors de la célébration (pour la nationalité),
tantôt après celle-ci (pour la résidence). Cette solution est dominante en la matière quant
à son principe. On la retrouve autant dans la Convention de La Haye de 1978 que dans
certaines codifications nationales ou en jurisprudence. Ce faisant, le Code pétrifie la
détermination du droit applicable, dans un souci de sécurité juridique. Il ouvre toutefois
la possibilité d'une modification de cette désignation, selon des modalités limitées qui
laissent aux époux d'en décider, soit par un choix ultérieur de loi applicable (voy. supra,
n ° 12.69), soit par la procédure de mutation (voy. infra, n ° 12.76).
548 lA PERSONNE IT LES RAPPORTS DE FAMILLE

1111La Convention de La Haye de 1978 permet aussi un choix ultérieur du droit applicable. Mais
elle prévoit aussi un changement de désignation par l'effet du rattachement objectif, en fonction
de l'évolution des circonstances de rattachement. C'est le cas, notamment, en cas de déménage-
ment vers le pays de la nationalité commune ou, en cas de déménagement vers un autre pays, après
écoulement d'un délai de dix ans (art. 7). Ce changement n'a cependant, en principe, d'effet que
pour l'avenir (art. 8).

1111Parmi les codifications nationales, voy. : art. 15 EGBGB en Allemagne qui, tout en rattachant
aux effets généraux du mariage, précise qu'il s'agit de ces effets« lors de sa célébration»; la loi ita-
lienne du 31 mai 1995 prévoit un rattachement aux effets généraux du mariage sans fournir de pré-
cision sur le conflit mobile (art. 30). Contra: la loi suisse du 18 décembre 1987 s'en remet à une
actualisation du facteur de rattachement pertinent, à savoir le domicile (art. 54), sauf volonté con-
traire des époux (art. 55), dans le souci d'éviter que l'immuabilité du rattachement abourisse à la
désignation d'un droit avec lequel les époux ont perdu tout lien (BUCHER et BONOMI, n ° 658).

En France, la jurisprudence utilise pour le régime légal une échelle classique ayant pour ratta-
1111

chement principal la nationalité commune et pour rattachement subsidiaire, le domicile, dans leur
concrétisation lors du mariage. Toutefois, le changement de domicile peut être pris en compte en
fonction de la volonté des époux (Cass. civ., 9 octobre 1991, Diermeyer, Rép. Defr.,1992, 35, note M.
lŒVILLARD).

La combinaison d'un conflit mobile et d'un conflit transitoire est de nature à justi-
fier l'application automatique d'un nouveau régime légal, au cas où les époux ont volon-
tairement rompu les liens qui les unissaient au pays à l'égard duquel le facteur de
rattachement se concrétisait au moment de la conclusion du mariage (voy. supra,
n ° 6.11). Ce résultat peut être obtenu par le recours aux conditions de la clause générale
d'exception de l'article 19 du Code.
1111 Sur ce thème, voy. en France: Paris, 5 juillet 1990, Rev. not. belge (1991), 484, note F. BOUCKAERT,
à propos de réfugiés roumains ayant acquis ultérieurement la nationalité française.

12.72 - Échelle des rattachements pratiquée avant l'entrée en vigueur du Code - Le lien
établi entre le régime légal et le mariage emportait nettement la désignation de la loi de la
nationalité, par application de l'article 3 du Code civil. Le cas du conflit des lois person-
nelles soulevait un problème plus délicat. La désignation de la loi nationale du mari a
prévalu longtemps, avant son remplacement par la loi de la résidence conjugale.
1111 Le rattachement de principe à la loi de la nationalité est établi fermement par l'arrêt Eicker de la

Cour de cassation, en ce qui concerne le régime légal: Cass., 10 avril 1980, Eicker c. Brickman, Pas.
(1980), I, 968, R W (1980-1981), 918, note]. ERAuw, Rev. not. belge (1980), 495, note R. VANDER ELST,
Rev. trim. dr. fam. (1980), 390, note J.-L. RENCHON, Rev. crit. jur. belge (1981), 309, note F. RIGAUX. En
revanche, le cas du régime conventionnel non accompagné d'un choix de loi n'entre pas dans cette
formulation.

En faveur de la loi nationale du mari, voy. encore: Civ. Bruxelles, 3 janvier 1973, Cab. dr. fam.
1111

(1974-1975), 19; Civ. Liège, 30 décembre 1977,]ur. Liège (1977-1978), 196, cette dernière décision
émettant elle-même des réserves sur l'application de cette loi et n'ayant retenu celle-ci que parce
que les époux étaient d'accord sur son application.
La préférence donnée à la loi nationale du mari a été jugée incompatible avec l'égalité des conjoints,
introduite en droit belge par la loi du 30 avril 1958 (GRAULICH, n ° 167). Ce motif n'est pas décisif en
raison de la neutralité de la règle de rattachement au regard du droit matériel appliqué (voy. VAN
0
HECKE et RrGAUX, Rev. crit. jur. belge, 1965, 346-348 ; VANDER ELST, Rép. prat. droit belge, compl., t. II, v
« Conflits de lois», n°' 43 et 46). Mais on retiendra le souci de soumettre le ménage à un critère
commun aux deux époux, ce qui a justifié l'application de la loi de la résidence conjugale aux effets
personnels du mariage (supra, n ° 12.61).
LES RAPPORTS ENTRE ÉPOUX 549

Ill La première décision à avoir introduit le critère subsidiaire de la résidence, plus précisément de
l'intégration prépondérance, est l'arrêt Beddini de la cour d'appel de Mons du 22 octobre 1975, Rev.
not. belge (1976), 520, note R. VANDER ELsT.
La règle s'est imposée rapidement: Civ. Bruxelles, 21 décembre 1977, Rev. trim. dr.fam. (1978), 76;
Anvers, 11 janvier 1982, Rec.gén. enr. not. (1983), 145; Mons, 23 avril 1987,].L.M.B. (1987), 1249.
Voy. déjà dans le même sens l'article 2 de la résolution de l'Institut de droit international, à la ses-
sion de Grenade, Annuaire, vol. 46 (1956), 363.
1111La condition de nationalité commune semblait remplie dès que les deux époux partageaient
«une» nationalité, même en cas de binationalité lorsque cette nationalité n'était ni la plus effective
ni celle du for. Voy. en ce sens: Bruxelles, 22 avril 1988,J.T (1988), 664; Civ. Bruxelles, 19 octobre
1990, Rev. not. belge (1992), 218.

Le conflit mobile était tranché, selon cette jurisprudence, en retenant la concrétisa-


tion du facteur pertinent au moment du mariage. Plus précisément, pour la nationalité,
ce moment est celui qui suit la conclusion, ce qui permet de considérer la nationalité
acquise par le fait du mariage. Pour la résidence, il s'agit de la «première» résidence
« conjugale ».
Pour le facteur de la nationalité, voy. l'arrêt Eicker, précité, évoquant celle acquise « par la
1111

conclusion» du mariage; Civ. Liège, 5 décembre 1994, Rev. trim. dr. Jam. (1995), 580, Tijds. Not.
(1996), 77, note C. DE BusscHERE, admettant que les époux pouvaient avoir perdu tout contact avec
ce pays; Civ. Louvain, 3 juin 2003, R.A.B.G. (2004), 506.
1111Pour le facteur de résidence, la solution est implicite dans l'arrêt Banque Sud Belge du 25 mai
1992 (voy. supra, n° 12.61), certes relatif aux effets généraux du mariage mais valant, a fortiori, pour
le régime matrimonial. Voy. ultérieurement, notamment: Bruxelles, 4 juin 1998, Rev. trim. dr. Jam.
(1999), 576, noce M. FALLON.

La technique du renvoi a été appliquée à la matière du régime matrimonial, comme


elle l'a été plus généralement en matière de statut personnel (voy. supra, n ° 6.19).
Voy.: Bruxelles, 7 juillet 1943, J. T (1945), 41, à propos d'époux britanniques domiciliés en
1111

Belgique; le cas tranché par Bruxelles, 16 mai 1960, Pas. (1960), II, 265, est plus complexe: la loi
nationale du mari yougoslave renvoyait à la loi congolaise, « loi du domicile commun envisagé»,
mais comme le Code civil congolais ne contenait pas de disposition sur le régime matrimonial
légal, la lacune a été comblée par l'application de la loi belge ; Civ. Audenarde, 29 juin 1982, R W
(1982-1983), 1135, note]. ERAUW, Rec. gén. enr. not. (1983), 147.
1111La solution du conflit des lois personnelles fournit l'occasion de dénoncer une difficulté supplé-
mentaire que soulève le renvoi lorsque la règle de rattachement étrangère utilise un critère que le
droit du for a rejeté explicitement. Il en est ainsi pour la détermination du régime d'un couple
libano-syrien dont la première résidence conjugale était au Japon, la règle japonaise désignant la loi
nationale du mari (Civ. Anvers, 29 mars 1984, Tijds. Not., 1985, 308, note]. ERAUW, utilisant la tech-
nique). La raison d'être du revirement paraît exclure que le tribunal belge puisse donner effet à une
telle règle étrangère.
1111 Le renvoi pouvait conduire à désigner une convention internationale ratifiée par l'État étranger
et non par la Belgique. Ce fut le cas de la désignation du droit néerlandais, à propos de la Conven-
tion de La Haye du 14 mars 1978. Voy.: Civ. Gand, 31 mars 1994, Tijds. Not. (1994), 479, note F.
BoucKAERT; Civ. Dendermonde, 27 juin 1997, Tijds. Not. (1997), 410, note F. BouCKAERT, Rev.gén. dr.
civ. (1998), 140, note C. DE BusscHERE, Rev. not. belge (1998), 388. Pour le droit portugais, voy.: Cass,
17 octobre 2002, R. W. (2002-2003), 1507, note B. VoLDERS, Rev. trim. dr. Jam. (2003), 341, note M.
FALLON.

12.73 - Domaine de la loi du régime - La loi applicable au régime secondaire détermine


l'ensemble des questions de droit relatives à la composition du patrimoine des époux, à
sa gestion et aux modalités de sa liquidation (art. 53, § 1er, 5 °, Codip ).
550 LA PERSONNE ET LES RAPPORTS DE FAMILLE

IllL'article 48 du Code, relatif aux effets généraux du mariage, réserve le rattachement du régime
matrimonial. Cette réserve montre que le domaine du régime primaire ne doit pas être interprété
largement au détriment du domaine du régime secondaire. Pour un cas d'extension excessive du
régime primaire à la possibilité pour l'époux de se faire autoriser à vendre un immeuble commun
en vertu de l'article 1420 du Code civil, voy.: Anvers, 11 janvier 1988, Pas. (1988), II, 91.

Le Code fournit d'autres précisions.


L'autonomie de la volonté en droit matériel relève de la loi du régime. Elle concerne:
l'admissibilité et la validité du contrat de mariage (2 °) ;
la possibilité et l'étendue du choix d'un régime matrimonial (3°).
Ill Ces questions sont distinctes de celle de la validité de la clause même de choix du droit applica-
ble (voy. supra, n ° 12.69).
1!11 Les époux ne sauraient adopter d'autre régime conventionnel que ceux qu'offre le droit désigné.
Ill La règle illustre une dérogation au rattachement contractuel (voy. le chap. 14).

La dissolution du régime relève aussi de la loi du régime. Il en va de même de sa


liquidation et des règles du partage. Toutefois, le mode de composition et d'attribution
des lots relève du droit de situation des biens (art. 53, § 2, Codip).
Ill La survenance d'un divorce ou d'une séparation de corps peut susciter une difficulté pour la
détermination de la date de la dissolution, lorsque celle-ci a été prononcée en vertu d'une loi étran-
gère ou par un juge étranger et qu'il pourrait résulter de cette loi ou de celle du juge que la dissolu-
tion du patrimoine, tantôt intervient à une date autre que celle prévue par la loi patrimoniale,
tantôt même a lieu alors que la loi patrimoniale ne prévoit pas cette cause de dissolution.
Le Code soumet la question à la loi patrimoniale. En revanche, lorsque cette loi prévoit que le patri-
moine est dissous par le divorce même, la détermination de la date de la dissolution du lien matri-
monial relève de la loi du divorce (art. 56, 4°, Codip). Lorsque la loi patrimoniale ignore
l'institution du divorce, force est d'écarter l'application du droit étranger au titre d'une lacune. Il se
peut encore que le jugement de divorce se soit prononcé sur la dissolution du patrimoine : la ques-
tion relève alors du régime de la reconnaissance de ce jugement.
Voy. dans le sens de l'application de la loi patrimoniale : Bruxelles, 29 octobre 1996, Rev. not. belge
(1997), 275, note L. BARNICH, Rev. trim. dr. fam. (1996), 566, note M. FALLON, Rev. Div. (1998), 83,
note M. LIÉNARD-LIGNY; 4 juin 1998, Rev. trim. dr. fam. (1999), 576, note M. FALLON; Anvers,
26 octobre 1999, Rev.gén. dr. civ. (2001), 33, note C. DE BusscHERE. Contra, en faveur de l'application
de la loi du divorce à la détermination du moment de la liquidation: Civ. Liège, 5 décembre 1994,
Rev. trim. dr.fam. (1995), 580, Tijds. Not. (1996), 77, note C. DE BusscHERE; en faveur de l'application
de la loi du lieu de situation pour le partage d'un immeuble: Civ. Bruxelles, 4 octobre 2001, Rev.
Div. (2002), 7, note L. BARNICH.
Ill L'effet du divorce sur des avantages consentis entre époux ou sur la répartition de certains
apports peut être vu comme relevant de la loi patrimoniale, en raison de son incidence sur le patri-
moine des époux, même si la loi du divorce peut intervenir comme loi de police (selon les condi-
tions générales de l'art. 20 Codip) lorsqu'elle établit une sanction spécifique d'un comportement.
En faveur de l'application de la loi du régime, voy.: Civ. Liège, 23 mars 1961,J.T. (1961), 373; G.
VAN HECKE et K. LENAERTS, n° 510. Une position favorable à la loi du divorce a été soutenue dans
une précédente édition de cet ouvrage (1979, n ° 1270).
Il y a lieu de réserver le cas où le jugement étranger de divorce s'est prononcé sur certains droits
patrimoniaux et que la reconnaissance de la décision est demandée en Belgique. Dans ce cas, il n'y a
pas lieu de refuser cet aspect de la décision pour le seul motif qu'il repose sur l'application de la loi
du divorce. Contra: Gand, 21 février 1951, Pas. (1951), II, 60.
D'autres questions relèvent d'un rattachement propre, soit en raison de leur nature,
soit en vertu d'une règle spéciale. Le premier cas est celui de la capacité à conclure un con-
trat de mariage, qui relève de la règle générale concernant la capacité, à moins que ne soit
LES RAPPORTS ENTRE ÉPOUX 551

en cause une incapacité propre à la matière (art. 34 Codip). Les règles spéciales portent
respectivement sur la forme du contrat de mariage et sur les relations avec des tiers.
12.74 - Rattachement alternatif pour la forme du contrat de mariage - Le Code établit
une règle particulière pour la détermination des formalités à suivre pour la conclusion
du contrat de mariage (art. 52, al. 1er). Cette disposition a une double nature: elle porte
d'une part une règle de conflit de lois et, d'autre part, une règle matérielle.
La règle de rattachement est de type alternatif. Elle tend à désigner une loi qui per-
mette d'assurer la validité formelle de l'acte, soit la loi du régime, soit la loi du pays où le
contrat a été passé.
1111Sur la technique du rattachement alternatif, voy. supra, n ° 3.59.
Cette technique est d'utilisation courante en matière de forme des actes. Voy., en matière de con-
trats, infra, n° 14.56.
La solution est inspirée de la Convention de La Haye de 1978.
La règle matérielle exige que le choix du régime ait fait« au moins [... ] l'objet d'un
écrit daté et signé des deux époux».
1111 Cette exigence figure également dans la Convention de La Haye de 1978.
L'exigence est de nature minimale : si chacune des lois désignées par la règle de rattachement
1111

exige une forme spécifique, celle-ci doit être respectée.


La règle matérielle répond à une règle d'applicabilité implicite (sur cette notion, voy. supra,
1111

n° 4.9) assurant son application devant toute autorité belge, même lorsque la règle de rattache-
ment précitée désigne un droit étranger.
Pour les contrats passés avant le 1er octobre 2004, la pratique antérieure admettait
aussi un rattachement alternatif en fonction de la loi du régime ou de celle du lieu de
conclusion.
1111 Cass., 28 mai 1925, Ainley, Pas. ( 1925), I, 264.
1111 Ainsi, l'article 1392 du Code civil exigeant un acte notarié ne régit pas nécessairement les Belges
à l'étranger. De même, deux étrangers dont la loi du régime déclare valable le contrat de mariage
par acte privé ne seraient pas soumis à cette exigence.
Le Belge souhaitant passer le contrat à l'étranger peut s'adresser aux autorités diplo-
matiques et consulaires belges à l'étranger, qui peuvent recevoir le contrat de mariage de
deux Belges ou d'un Belge et d'un étranger (loi du 10 juillet 1931, art. 5).
Le texte de la loi évoque le contrat conclu entre un Belge et une étrangère, ce qui exclurait la
1111

compétence lorsque la femme est belge. Dans la loi du 12 juillet 1931 réglant les compétences en
matière d'état civil, qui contenait une règle analogue, cette disposition discriminatoire a été corri-
gée (loi du 14 mai 1999). L'absence de correction de la loi du 10 juillet apparaît comme une inad-
vertance, et la femme peut invoquer la violation du principe fondamental de l'égalité de sexes pour
obtenir l'intervention de l'autorité belge.

12.75 - Rattachement de protection pour les relations avec les tiers - Le Code intro-
duit des dispositions particulières tendant à préserver les intérêts des tiers avec lesquels
les époux ou l'un d'eux ont contracté. Même si l'opposabilité du régime au tiers reste sou-
mise en principe à la loi du régime, le tiers peut cependant invoquer l'application d'un
autre droit, avec lequel il présente un lien déterminé, à savoir celui du pays de sa résidence
au moment où il a contracté, lorsque du moins l'époux cocontractant résidait aussi dans
ce pays.
1111La Convention de La Haye maintient en principe l'applicabilité de la loi du régime, mais elle
prévoit la faculté pour un État contractant d'y déroger, selon un mécanisme de protection analo-
552 LA PERSONNE ET LES RAPPORTS DE FAMILLE

gue, avec les réserves énoncées ci-dessous (art. 9). Elle permet toutefois au tiers d'invoquer les dis-
positions de la loi de sa résidence ou de celle de l'époux qui lui oppose le contrat de mariage, sans
exiger que cette loi soit commune.
Cette protection ne joue cependant pas dans tous les cas. Elle est exclue dans trois
hypothèses :
- soit les époux ont suivi les formalités de publicité ou d'enregistrement prévues
par le droit applicable au régime ;
11 Cette hypothèse présuppose que ce droit organise de telles formalités. En droit belge, c'est le cas
de l'article 76, 10°, du Code civil: l'acte de mariage énonce« la date du contrat de mariage, le nom
et la résidence du notaire qui l'a reçu et l'indication du régime matrimonial « ; la sanction est
l'inopposabilité du régime conventionnel au tiers qui a contracté dans l'ignorance du contrat de
mariage.
Il en irait de même des formalités de mutation, par exemple, en droit belge, l'homologation et la
publication au Moniteur (voy. infra, n ° 12.77).
Le droit belge organise aussi un enregistrement des contrats de mariage passés par des commer-
çants, le notaire ayant l'obligation de transmettre au greffe du tribunal de commerce un extrait du
contrat (art. 12 et 13 C. comm.).
Il Pratiquement, lorsque les époux établis en Belgique s'y marient après avoir passé un contrat de
mariage, l'officier de l'état civil procède à la mention précitée. Même si le contrat de mariage est
régi par un droit étranger, la mention s'impose à l'officier en vertu de la règle Auctor regit actum,
quelle que soit la formalité prévue par ce droit. Les époux devront cependant être attentifs à la
sanction éventuelle d'inopposabilité au cas où les formalités éventuelles prévues par la loi patrimo-
niale n'ont pas été suivies.
En cas de célébration du mariage à l'étranger alors que la loi belge est applicable au régime, ou si le
droit étranger applicable prévoit une publicité, les époux font bien de faire transcrire l'acte en Bel-
gique (voy. supra, n ° 12.22) et de faire mentionner, lors de cette formalité, leur régime matrimonial.
111La Convention de La Haye se réfère plutôt aux formalités organisées soit par la loi de la rési-
dence du tiers, soit par celle de la résidence de l'époux qui lui oppose le contrat de mariage.
- soit le tiers avait connaissance du régime ou ne l'a ignoré qu'en raison de son
imprudence;
IllEn cas de connaissance alors que les règles de publicité de la loi patrimoniale n'ont pas été res-
pectées, le but de protection est atteint (Exposé des motifs de la proposition de loi, Doc. pari., Sénat,
2003-2004, n ° 3-27/1, 84).
- soit, en matière immobilière, les époux ont respecté les règles de publicité du lieu
de situation de l'immeuble.
11 Les époux seront donc prudents de transcrire leur contrat affectant des droits réels sur un
immeuble situé en Belgique, en vertu de l'article 1er de la loi hypothécaire du 16 décembre 1851 qui
organise des règles de publicité foncière: cette transcription assurera l'opposabilité de leur contrat
aux tiers, pour les immeubles situés en Belgique et ce, à l'égard des autorités belges. Voy. déjà: N.
WATIÉ, « Les conflits de lois en matière de régimes matrimoniaux", Rép. not. (Bruxelles, Larcier,
1982), n ° 53.

C. Droit applicable à la mutation de régime


12.76 - Application de principe de la loi du régime - Le Code de droit international
privé soumet la modification conventionnelle du régime matrimonial à la loi qui régit
celui-ci. La question relève ainsi du domaine de la loi patrimoniale (art. 53, 4 °).
IllIl en résulte que, avant de procéder à la mutation, les époux peuvent effectuer un choix du droit
applicable à leur régime, pourvu qu'il respecte les exigences des articles 49 et 50. Un tel choix leur
permettrait de désigner un droit qui admet la mutabilité.
LES RAPPORTS ENTRE ÉPOUX 553

La loi du régime détermine à la fois l'admissibilité de la mutation (la mutabilité) et


les conditions de fond de la mutation. Il en va de même des effets dans le temps de la
mutation, savoir si« le nouveau régime agit de manière rétroactive ou si les époux peu-
vent le faire agir de manière rétroactive».
Le conflit mobile ne fait l'objet d'aucune solution spécifique. Il se résout donc de la
même manière que pour la détermination du régime matrimonial, à savoir par une pétri-
fication des éléments de concrétisation au moment du mariage. Cette pétrification peut
soumettre l'opération à une loi avec laquelle la situation peut ne plus avoir de liens signi-
ficatifs, par exemple lorsque les époux ont déménagé depuis le mariage, vers un pays dont
ils n'ont pas la nationalité. Une forme d'actualisation est cependant ouverte aux époux,
par la possibilité de procéder d'abord à un changement de la loi patrimoniale, selon les
modalités permises par l'article 50 du Code. Il appartiendra ensuite à cette nouvelle loi de
fixer les conditions de la mutation.
Ill Concrètement, l'article 50 permet aux époux de choisir la loi de l'État de la nationalité ou de la
résidence de l'un d'eux au moment du choix, ce qui permet de tenir compte de la concrétisation
actuelle de chacun de ces facteurs. Voy. en ce sens l'exposé des motifs de la proposition de loi (Doc.
pari., Sénat, 2003-2004, n° 3-27/1, 83), qui précise que la solution retenue suit l'avis du Conseil
d'État.

La jurisprudence antérieure est ainsi confirmée partiellement par le Code.


1111Même avant que le législateur de droit matériel n'introduisît la mutabilité en Belgique par la loi
du 14 juillet 1976, la loi applicable au régime légal pouvait fonder une modification convention-
nelle.
Voy. Bruxelles, 24 mai 1954, Rev. crit. jur. belge (1955), 107; Civ. Tournai, 26 mars 1992,J. T (1992),
460, note C. DE BusSCHERE. Voy. plus largement la jurisprudence citée par: N. WATIÉ, « Examen de
jurisprudence (1990-2002), Droit international privé (conflit de lois)", Rev. crit. jur. belge (2003),
516.
Pour un cas d'admission de l'autonomie de la volonté, par un choix du régime belge de commu-
nauté lors de la mutation, voy.: Anvers, 22 décembre 1997, Tijds. Not. (1998), 496, note F.
BOUCKAERT; Mons, 21 janvier 1998,j.L.M.B. (1999), 797, note C. COUQUELET, implicite.

Ill La réponse au conflit mobile donnait lieu à des solutions divergentes, tantôt en faveur d'une
pétrification de l'élément pertinent de rattachement, tantôt en faveur de son actualisation.
En faveur d'une actualisation, outre l'édition précédente de cet ouvrage (Bruxelles, Larcier, 1993,
n° 1448), voy.: Anvers, 11 janvier 1988, Pas. (1988), 220; Gand, 26 mai 1994, Tijds. Not. (1995), 560,
note K. WAUTERS-LAMBEIN et W. WAUTERS; Civ. Bruxelles, 27 mars 1996, Rev. not. belge (1996), 338,
note C. DE BusSCHERE.
En faveur d'une pétrification, voy.: Civ. Bruxelles, 2 avril 1990, Rev. dr. étr. (1990), 345; Civ. Liège,
7 mars 1994, Rev. trim. dr. fam. (1996), 90, note M. FALLON; Civ. Gand, 11 mai 1995, Rev. gén. dr. civ.
(1996), 73; Bruxelles, 24 mars 1998,].L.M.B. (1999), 799, note C. COUQUELET.

Pour les mariages célébrés avant le 1er octobre 2004, la mutation intervenue après
cette date soulève un problème de conflit transitoire, qui pourrait revêtir un intérêt prati-
que en cas de conflit mobile, puisque la règle nouvelle tranche nettement celui-ci. Ni le
Code ni l'exposé des motifs de la proposition de loi n'y apportent de réponse spécifique.
À première vue, les conditions de la mutation relèvent de l'ancienne règle de rattache-
ment, dans la mesure où celle-ci concerne les mariages célébrés au cours de la période
antérieure. Toutefois, la mutation conventionnelle constitue un contrat qui est, comme
tel, dans l'hypothèse précitée, un acte survenu après l'entrée en vigueur du Code au sens
de l'article 127, paragraphe 1er_ En ce sens, sa validité devrait relever des règles nouvelles.
554 LA PERSONNE ET LES RAPPORTS DE FAMILLE

12.77 - Droit applicable aux formalités de l'acte de mutation - Le Code introduit un


rattachement particulier des modalités de l'acte de mutation, qui déroge à la règle géné-
rale concernant les formalités à suivre pour le contrat de mariage (art. 52, al. 2). La règle
spéciale consacre certes le principe de l'application de la loi du lieu de conclusion (Locus
reyjt actum). Toutefois, ce principe reçoit une portée exclusive, et non alternative: les for-
malités à respecter sont nécessairement celles prévues par cette loi.
Le terme « formalités » englobe les règles établies aux fins de publicité.
Il en va ainsi de la procédure d'homologation instituée par l'article 1395 du Code civil (Exposé
1111

des motifs de la proposition de loi, Doc. pari., Sénat, 2003-2004, n ° 3-27/1, 83), et de la publication
au Moniteur prévue par l'article 1396. Cette procédure organise une intervention du tribunal de
première instance de la résidence conjugale.
Avant l'entrée en vigueur du Code, l'applicabilité de la procédure d'homologation
était discutée dans la jurisprudence, celle-ci retenant tantôt un rattachement territorial
exclusif, tantôt un rattachement à la loi patrimoniale.
111 La plupart des décisions, citées par N. WATIÉ, « Examen de jurisprudence (1990-2002), Droit
international privé (conflit de lois) », Rev. crit. jur. belge (2003), 518, favorisent le rattachement terri-
torial exclusif. Adde: Civ. Dendermonde, 27 juin 1997, Tijds. Not. (1997), 410, note F. BouCKAERT,
Rev. gén. dr. civ. (1998), 140, note C. DE BusscHERE; Bruxelles, 24 mars 1998, J.L.M.B. (1999), 799,
note C. COUQUELET.
Telle qu'elle est prévue en droit belge, la compétence attribuée au juge de l'homolo-
gation prévoit comme condition de l'intervention que la modification entraîne la liqui-
dation du régime préexistant ou un changement actuel dans la composition des
patrimoines - cas dit de la« grande modification». L'exigence de cette condition relève
certainement du droit belge, en tant que condition affectant la compétence du tribunal.
En revanche, la vérification qu'il y est satisfait en l'espèce dépend du contenu de la modi-
fication et, par ce biais, du droit applicable à celle-ci.
Voy. par exemple: Bruxelles, 24 mars 1998, précité, précisant que la condition relative à
1111

l'ampleur de la modification relève de la procédure, puis estimant qu'en l'espèce le passage du


régime italien de séparation au régime belge équivalent se ramenait à une petite modification, ne
requérant alors pas d'homologation. De même, pour un cas où fut constatée une « petite
modification » par application du droit français régissant la mutation, voy. : Civ. Mons, 26 avril
1999, Rev. not. belge (2000), 215, note C. DE BusscHERE. Contra, à propos du droit français: Civ.
Tournai, 3 mai 2001, Rev. gén. dr. civ. (2002), 297, note C. DE BusscHERE, admettant l'homologation
dans ce cas car prévue par le droit français, celui-ci étant applicable pour le motif que la condition
d'homologation y est qualifiée de condition de fond. Ce raisonnement est erroné, dans la mesure
où la qualification doit rester attachée à la portée propre à la règle de rattachement du for (voy.
supra, n° 7.18).

Section 5
La dissolution et le relâchement du lien conjugal
12.78 - Bibliographie
a) Études générales
R. ABRAHAMS, « La loi belge du 27 juin 1960 sur l'admissibilité du divorce lorsqu'un conjoint au
moins est étranger», Clunet (1966), 765-782; H. BoRN, « La contribution de l'arrêt de la Cour de
cassation du 29 mars 1973 au perfectionnement de la théorie de l'efficacité en Belgique des juge-
ments étrangers», ].T. (1975), 521-531; J.-Y. CARLIER, « Volonté, ordre public et fraude dans la
l.A DISSOLUTION ET LE RELÂCHEMENT DU LIEN CONJUGAL 555

reconnaissance des divorces et répudiations intervenus à l'étranger», Rev. trim. dr. [am. (1991), 165-
172; P. COURBE, « Divorce et conflit mobile», Mélanges Holleaux (Paris, Litec, 1990), 69-82; J. DE
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nationalité en droit international privé belge - À propos d'un arrêt de la Cour d'appel de
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het Belgisch internationaal huwelijks-, echtscheidings- en afstammingsrecht », R.W. (1991-1992),
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B. MARTIN-BOSLY et N. MASSAGE,« Le principe de l'admissibilité du divorce pour cause déterminée
entre époux de même nationalité», Rev. gén. dr. civ. (1991), 223-239; L. PALSSON, Marriage and divorce
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toestemming », R. W. (1990-1991), 1116-1120; M. VERWILGHEN, « Le divorce en droit international
privé belge à la lumière de la jurisprudence récente », N.I.L.R. ( 1974), 51-67; ID., « La loi applicable
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b) Règlement « Bruxelles II»


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556 lA PERSONNE ET LES RAPPORTS DE FAMILLE

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c) Répudiation
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(Paris, Economica, 2004); J.-Y. CARLIER, « La reconnaissance des répudiations», Rev. trim. dr. Jam.
(1996), 131-140; ID.,« La reconnaissance mesurée des répudiations par l'examen in concreto de la
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l'homme est-elle supérieure aux conventions bilatérales reconnaissant les répudiations
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(1997), 1-32; ID., note sous Cass. civ. 17 février 2004, Revue (2004), 423; P. LAGARDE,« La théorie de
l'ordre public international face à la polygamie et à la répudiation - L'expérience française »,Mélan-
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NARD-LIGNY, « La répudiation», Relations familiales internationales (Bruxelles, Bruylant, 1993), 21-28 ;
P. MERCIER, Conflits de civilisations et droit international privé - Polygamie et répudiation (Genève, Droz,
1972); Y. MERON, « L'accommodation de la répudiation musulmane», Rev. int. dr. camp. (1995),
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TELET, « La répudiation répudiée», Rev. dr. ULg (2004), 457-467.

§1 LES CONFLITS D'AUTORITÉS ET DE JURIDICTIONS

A. Compétence internationale

1. LA COMPÉTENCE INTERNATIONALE SELON LE RÈGLEMENT


« BRUXELLES IIB/S »

12.79 - Objet du règlement« Bruxelles Ilbis » - Le règlement dit« Bruxelles IIbis » entend
constituer la suite du règlement dit « Bruxelles I » (voy. supra, n ° 8.6). Alors que celui-ci
vise à répartir les compétences internationales entre juridictions d'États membres de
LA DISSOLUTION ET LE RELÂCHEMENT DU LIEN CONJUGAL 557

l'Union européenne dans les matières patrimoniales, celui-là le fait pour le contentieux
matrimonial en général, du divorce et de la séparation de corps en particulier.
Les institutions communautaires ont adopté successivement deux actes, le second
abrogeant le premier: le règlement 1347/2000 du 29 mai 2000 relatif à la compétence, la
reconnaissance et l'exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de res-
ponsabilité parentale des enfants communs (J.O.C.E., 2000, L 160), dit« Bruxelles II», et
le règlement 2201/2003 du 27 novembre 2003 relatif à la compétence, la reconnaissance
et l'exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité
parentale (J.O.C.E., 2003, L 338), dit« Bruxelles IIbis ». Le second ne modifie pas la subs-
tance du premier pour le contentieux du divorce, il s'attache plutôt à élargir son domaine
matériel à l'égard du contentieux de la responsabilité parentale (voy. infra, n ° 12.154).
Le règlement « Bruxelles II » a été précédé de la Convention de Bruxelles du 28 mai 1998 ayant
1111

le même objet (J.O.C.E., 1998, C 344), basée sur l'article K.3 du traité UE. Cet instrument n'est
jamais entré en vigueur. Il est accompagné d'un rapport explicatif, dû à A. BoRRAS, donc les termes
servent encore utilement à l'interprétation du règlement (J.O.C.E., 1998, C 221).
1111Le règlement « Bruxelles !Ibis» remplace formellement les règles de compétence du règlement
« Bruxelles II» à partir du 1er mars 2005. Il est cependant encré en vigueur le 1er août 2004, pour
être applicable immédiatement dans des dispositions concernant l'échange d'informations encre
autorités nationales (art. 72).

Quant à son objet, le règlement concerne l'action en divorce ou en séparation de


corps, non toute demande ultérieure concernant les effets du divorce ou les relations
entre ex-époux. De plus, les demandes alimentaires restent régies par le règlement
« Bruxelles I » (voy. infra, n ° 12.178). Il porte sur toute demande en divorce, y compris les
demandes conjointes.
Le règlement prime d'autres instruments internationaux ratifiés par la Belgique. Il
en est particulièrement ainsi des conventions bilatérales conclues avec la France ou les
Pays-Bas, ou encore celles qui, tout en portant sur l'efficacité des jugements, contiennent
aussi une règle de litispendance internationale, comme les conventions conclues avec
l'Allemagne et avec l'Italie. Au vu de la jurisprudence publiée, assez nombreuse à propos
du divorce, la portée de ces instruments est considérablement réduite du fait du règle-
ment.
12.80 - Domaine spatial du règlement « Bruxelles Ilbis » - Le règlement ne concerne
pas tout contentieux international. Comme le règlement« Bruxelles I », il ne porte norma-
lement que sur les litiges que l'on peut qualifier de communautaires. Ceux-ci sont définis
eu égard à un rattachement déterminé avec un ou plusieurs États membres. À la différence
du règlement« Bruxelles I », le règlement définit ces litiges de manière complexe.
Le Danemark n'est pas un État membre au sens du règlement (art. 1er, § 3). Cette exclusion
11111

résulte de la clause d'opting-out insérée dans l'article 69 CE.

Une distinction s'impose selon la qualité du défendeur.


La première catégorie peut être qualifiée de « défendeur communautaire». Si le
défendeur réside habituellement dans un État membre, ou s'il est ressortissant d'un tel
État - ou est« domicilié au Royaume-Uni ou en Irlande au sens où l'entendent les droits
de ces États»-, la compétence internationale ne peut être déterminée qu'en fonction du
règlement : l'utilisation subsidiaire du droit commun est donc exclue (art. 6 du règle-
ment« Ilbis »).
S58 LA PERSONNE IT LES RAPPORTS DE FAMILLE

ill Pour ce motif, le texte évoque le « caractère exclusif» des compétences. Ce qualificatif est
usurpé: il ne signifie pas que la compétence établie soit exclusive au sens entendu en droit judi-
ciaire mais simplement que, dans ce cas, seul le règlement peut, pour un juge d'un État membre,
déterminer sa compétence.
illSoit un demandeur belge et un défendeur américain résidant à Paris : la compétence est établie
en fonction du règlement seulement. Il en va de même si le défendeur est français, mais réside aux
États-Unis.
illIl est regrettable que le texte évoque seulement la qualité de défendeur, alors que l'acte concerne
aussi des demandes conjointes. Cette anomalie n'a pas été corrigée par le règlement
« Bruxelles IIbis ».
1111Pour une application du règlement à un défendeur marocain résidant en Italie, voy. : Civ. Has-
selt, 11 juin 2002, Limb. Rechtsleven (2002), 332.
Les autres cas sortent à première vue du domaine du règlement et relèvent alors des
règles du droit commun. Il en va cependant autrement dans deux hypothèses.
D'abord, le règlement reprend la règle de l'assimilation du demandeur étranger au
national consacrée par l'article 4 du règlement« Bruxelles I » (voy. supra, n° 5 9.12 et 9.33),
pour permettre à ce demandeur d'invoquer le for exorbitant de la nationalité du deman-
deur (art. 7, § 2, du règlement« !Ibis»).
Ensuite, les règles du droit commun semblent recevoir une portée résiduelle. En
effet, le renvoi au droit national n'a lieu que« lorsque aucune juridiction d'un État mem-
bre n'est compétente en vertu des articles 2 à 6 » (art. 7, § 1er). Cela signifie qu'il convient,
lors d'une première phase, de chercher à appliquer le règlement; ensuite, si celui-ci ne
conduit pas à la compétence d'une juridiction dans l'Union, il est encore possible, dans
une seconde phase, de fonder la compétence des juridictions nationales sur le droit
national, si et seulement si il n'y a pas de défendeur« communautaire».
Ill Ces compétences sont alors qualifiées de« résiduelles ».
1111Le libellé de l'article 7, § 1er, est général, ne distinguant pas selon la qualité du défendeur. Il
résulte cependant de l'article 6 précité que le« défendeur communautaire» ne saurait en aucun cas
se voir opposer, de manière complémentaire, les règles nationales de compétence. Il peut en résul-
ter, assez paradoxalement, que, dans certains cas, toute compétence des juridictions d'États mem-
bres fera défaut à l'égard d'un défendeur communautaire, alors qu'elle pourrait exister à l'égard
d'un défendeur non communautaire.
IllPour une présentation des controverses d'interprétation, voy. : J.-Y. CARLIER, S. FRANCQ, J.-L. VAN
BOXSTAEL, op.cit.,]. TD.E. (2001), 73, n ° 18.
Les articles 7 et 8 du règlement
1111 « Bruxelles II » sont devenus les articles 6 et 7 dans le règlement
« Bruxelles IIbis ».

12.81 - Règles de compétence du règlement - Comme le règlement « Bruxelles I », le


règlement « Bruxelles !Ibis » se garde de concentrer les litiges dans un seul État, mais se
contente d'écarter certains chefs de compétence tout en établissant un liste de fors alter-
natifs (art. 3 du règlement« !Ibis»). À la différence du règlement« Bruxelles I », cette liste
est longue : elle augmente ainsi le risque de fors concurrents et, partant, de forum shop-
ping.
Ainsi, le demandeur peut agir dans l'un des États membres où se situe :
la résidence habituelle des époux ;
la dernière résidence habituelle des époux dans la mesure où l'un d'eux y réside
encore;
LA DISSOLUTION IT LE RELÂCHEMENT DU LIEN CONJUGAL 559

la résidence habituelle du défendeur;


en cas de demande conjointe, la résidence habituelle de l'un ou l'autre époux;
sa propre résidence habituelle, sous une condition de durée.
1111Le texte distingue selon que le demandeur a ou non la nationalité du for. Dans l'affirmative, la
durée minimale est de six mois. Dans la négative, elle est de douze mois.
Cette distinction introduit une différenciation en raison de la nationalité qui, faute de toute justifi-
cation objective donnée dans le rapport explicatif, paraît contraire à l'article 12 CE, à moins d'éta-
blir que les demandeurs ne se trouvent pas dans une situation comparable selon qu'ils ont ou non
la nationalité du pays de résidence.
IllPour un cas d'application, voy. : Civ. Hasselt, 11 juin 2002, Limb. Rechtsleven (2002), 332, dans un
cas où le défendeur marocain résidait en Italie, pays de la dernière résidence conjugale.
De plus, il peut agir dans le pays dont l'un et l'autre ont la nationalité.
Ces critères de compétence se laissent regrouper selon qu'ils ont pour objectif:
- d'établir un for de proximité: c'est le cas des critères basés sur un élément com-
mun aux époux (résidence ou nationalité);
- d'assurer une protection juridictionnelle du défendeur: c'est le cas du critère basé
sur la résidence habituelle du défendeur.
Aucun de ces objectifs ne semble prévaloir sur l'autre, à la différence du règlement
« Bruxelles I »: les critères figurent dans une liste où aucun critère n'apparaît comme
dérogatoire par rapport aux autres. Les deux objectifs combinés traduisent une orienta-
tion matérielle commune, la favor divortii.
Pour une présentation synoptique des différents chefs de compétence et de leur application par
11111

le juge belge, voy. les tableaux publiés in:]. TD.E (2001), 81 et 84.

12.82 - Extensions de compétence - À la différence du règlement « Bruxelles I », le


règlement « Bruxelles !Ibis» ne trouve à établir de compétence dérivée qu'en cas de
demande reconventionnelle (art. 4).
De plus, il prévoit une extension de compétence dans le cas de la conversion de la
séparation de corps en divorce : la juridiction qui a prononcé la séparation est compé-
tente pour la demande de conversion (art. 5).
Enfin, des mesures provisoires ou conservatoires peuvent être adoptées par d'autres
juridictions que celles compétentes au fond (art. 20). Le texte utilise pour critère de com-
pétence la localisation de la personne ou des biens qui font l'objet de la mesure à prendre.
Il ajoute une condition matérielle, relative à l'urgence. De plus, il précise que les mesures
« cessent d'avoir effet lorsque la juridiction de l'État membre compétente en vertu du
présent règlement pour connaître du fond a pris les mesures qu'elle estime appropriées»
(§ 2).
Le texte se dissocie par ces deux éléments de l'article 31 du règlement « Bruxelles I », rédigé
11111

comme une disposition établissant certes la compétence, mais par un renvoi au droit national.
L'interprétation qui en a été donnée restreint toutefois le chef de compétence (voy. supra, n ° 9.34).
La circonstance que le juge du provisoire peut être amené à prendre des mesures diverses,
1111

notamment en matière alimentaire, soulève la question irritante de la détermination de la source


légale de la compétence, du fait que le règlement « Bruxelles I » régit celle-ci mais non d'autres
mesures en matière d'état. Voy. à ce sujet supra, n° 8.16, en faveur de l'application de ce règlement à
la demande alimentaire. L'entrée en vigueur du règlement« Bruxelles II» a réduit l'intérêt pratique
de cette question, du moins tant que l'interprétation des dispositions pertinentes de celui-ci reste
voisine du texte de l'article 20 du règlement« Bruxelles IIbis ».
560 LA PERSONNE ET LES RAPPORTS DE FAMILLE

Pour une application de l'article 24 de la Convention de Bruxelles aux mesures provisoires durant
l'instance en divorce alors que l'un des chefs de la demande a pour objet l'octroi d'une pension ali-
mentaire, voy. Bruxelles, ier avril 1977, J.T (1978), 119; Liège, 30 janvier 1991, Rev. trim. dr. fam.
(1992), 60; contra, au sujet de la Convention de Bruxelles, à tort, Civ. Verviers (réf.), 7 mai 1986, Rev.
trim. dr.fam. (1988), 467, note M. FALLON.
1111 Des mesures provisoires peuvent encore être adoptées dans l'État dont les juridictions sont
compétentes au fond, même si la demande ne satisfait pas aux critères de compétence relatifs au
contentieux du provisoire.
1111 Sur les mesures à l'égard des enfants, voy. infra, n°s 12.154 et s.

12.83 - Litispendance et connexité - Comme le règlement « Bruxelles I », le règlement


« Bruxelles Ilbis » établit une exception à la compétence, liée à l'existence de demandes
concurrentes (art. 19). Ce mécanisme est essentiel à un système de répartition des compé-
tences juridictionnelles, qui caractérise les actes communautaires. Il vise au dessaisisse-
ment du juge second saisi, en prévoyant deux phases: d'abord, ce juge surseoir à statuer
dans l'attente que le juge premier saisi établisse sa compétence; ensuite, dans l'affirma-
tive, il se dessaisit en faveur de celui-ci.
1111 Sur ce que la vérification de la compétence du juge étranger relève uniquement de l'appréciation
de celui-ci, non de celle du juge belge, voy., ourre supra, n° 9.41, à propos du règlement
« Bruxelles I » : Civ. Bruxelles, 22 janvier 2003,j. T (2003), 665.

Comme le règlement « Bruxelles I », le règlement« Bruxelles llbis » définit, par une


règle matérielle, le moment de la saisine, en des termes identiques (art. 16; voy. supra,
Il 9.40).
O

L'exception ne distingue pas la litispendance de la connexité. Au lieu d'exiger la tri-


ple identité traditionnelle, elle se contente de l'identité de parties: il n'est pas requis que
les demandes aient le même objet ni la même cause.
111Pour un cas d'application de la disposition, constatant l'obligation de se dessaisir, voy. : Civ.
Bruxelles, 21 novembre 2002, Rev. trim. dr. fam. (2003), 128, à propos d'une concurrence entre une
demande de séparation judiciaire en Italie et une demande de séparation de corps en Belgique.
Camp., à propos de l'exception de litispendance présente dans la convention belgo-allemande
1111

du 30 juin 1958 (arc. 15), l'absence de litispendance au sens de la triple identité exigée par ce texte,
lorsqu'une demande invoque le trouble de la vie conjugale et l'autre, l'adultère: Bruxelles, 24 avril
1997, Rev. trim. dr. fam. (1997), 371. De même, à propos de la convention belgo-italienne du 6 avril
1962, pour une demande en divorce alors que l'autre porte sur l'homologation d'une convention
de séparation de fait, voy.: Bruxelles, 3 février 1998, Rev. Div. (2000), 55.

12.84 - Rôle du juge dans la vérification de la compétence et de la recevabilité - Le règle-


ment « Bruxelles Ilbis » impose au juge, à l'instar du règlement « Bruxelles I », un con-
trôle de sa compétence et de la recevabilité de la demande.
Le contrôle de la compétence a lieu d'office (art. 17), en toute hypothèse, malgré le
caractère alternatif des compétences communes, alors que, dans le règlement
« Bruxelles I », ce n'est le cas qu'en matière de compétence exclusive.
1111Le contrôle suppose une double vérification, portant sur (1 °) la compétence du tribunal saisi et
(2 °) la compétence d'une juridiction d'un autre État membre en vertu du règlement. Le jugement
d'incompétence n'a pas lieu si la compétence du juge saisi est fondée par exemple sur l'un des critè-
res énoncés à l'article 3, alors qu'une juridiction étrangère serait compétente sur la base d'un autre
de ces critères.
En cas de non-comparution du défendeur, le juge saisi surseoir à statuer pour per-
mettre d'établir que cette partie a pu être informée de l'action en temps utile (art. 18). Les
LA DISSOLUTION IT LE RELÂCHEMENT DU LIEN CONJUGAL 561

termes de la disposition sont analogues à ceux utilisés par le règlement « Bruxelles I »


(voy. supra, n ° 9.38).
1111À la différence du règlement« Bruxelles I », le texte n'exige pas que le défendeur ait sa résidence
dans un État membre. Il est seulement requis qu'il réside dans un État autre que celui du for. Cela
signifie que la disposition joue aussi en cas d'assignation d'un défendeur non communautaire,
comme le permet l'article 7.

Il. LA COMPÉTENCE INTERNATIONALE SELON LE DROIT COMMUN

12.85 - Renvoi aux dispositions générales sur le contentieux matrimonial - Depuis l'en-
trée en vigueur du Code de droit international privé, il suffit de se référer aux règles géné-
rales de compétence internationale régissant toute demande relative au mariage ou à ses
effets, à la dissolution ou au relâchement de l'union conjugale ou à ses effets (art. 42
Codip, supra, n ° 12.52).
L'étendue du domaine couvert par le règlement « Bruxelles !Ibis» réduit toutefois
considérablement la portée de cette disposition pour le contentieux du divorce.
Au demeurant, la disposition s'aligne sur celle du règlement. Elle s'en écarte pour
deux chefs de compétence, liés à la dernière résidence conjugale et à la résidence du
demandeur. Pour le premier, elle n'exige pas la condition d'une résidence actuelle de l'un
des époux : il suffit que cette résidence était en Belgique « moins de douze mois avant
l'introduction de la demande». Pour la seconde, elle s'aligne sur une durée de douze
mois sans distinction en fonction de la nationalité belge du demandeur.
Ces dispositions sont applicables à toute demande introduite à partir du 1er octobre
2004. Il n'y a donc plus lieu de se référer aux règles en vigueur antérieurement.
1111Le droit en vigueur avant le 1ei· ocrobre 2004 ne contenait aucune règle de compétence interna-
tionale propre à la matière du divorce. Force était alors d'utiliser les règles générales (art. 15 C. civ.,
art. 635 à 638 C. jud.), non sans une extension opérée par une référence à l'ancien article 14 C. civ.
en tant que for de nécessité, voire une restriction résultant d'une transposition de l'article 628, 1 °,
C. jud. Sur la jurisprudence, voy. l'édition précédente de cet ouvrage, n ° 1051 et s.

12.86 - Renvoi aux dispositions générales sur la compétence - Outre les règles propres
au contentieux matrimonial, il y a lieu de se référer aux dispositions générales du Code
de droit international privé, en ce qui concerne les compétences dérivées (demande
reconventionnelle, art. 8), l'adoption de mesures provisoires (art. 10, voy. supra, n ° 9.54),
voire le recours subsidiaire à un for de nécessité (art. 11, voy. supra, n ° 9.48).
La compétence au provisoire existe, pourvu que soient vérifiés les critères de compétence inter-
1!111

nationale exigés, même si le juge compétent au fond est un juge étranger. Voy. déjà: Anvers,
30 septembre 1997, Alg.Jur. Tijdschr. (1997-1998), 354, note K. LAMBEIN.

De plus, le Code permet une extension de compétence en cas de connexité (art. 9) et


prévoit une exception de litispendance internationale (art. 14, voy. supra, n ° 9.56).
Il organise aussi le contrôle de la compétence, exigeant qu'elle ait lieu d'office
(art. 12).

12.87 - Éviction des règles étrangères de compétence - Le jeu d'une règle étrangère de
compétence juridictionnelle ne saurait conduire à altérer l'ordonnancement de la compé-
tence internationale des juridictions belges.
562 LA PERSONNE IT LES RAPPORTS DE FAMILLE

Une juridiction belge n'a pas à tenir compte d'une règle unilatérale de compétence
exclusive par laquelle une législation étrangère entendrait restreindre la compétence de
cette juridiction (voy. supra, n ° 9.7).
La jurisprudence a été très nette à propos de la séparation de corps d'époux espagnols qui, ayant
1111

contracté un mariage canonique reconnu dans leur pays d'origine, relevaient des juridictions ecclé-
siastiques en matière de nullité de mariage et de séparation de corps. Il suffit de satisfaire aux règles
de droit international privé belge déterminant la compétence internationale des tribunaux belges
pour obliger ceux-ci à se prononcer sur l'action en séparation de corps dont ils sont saisis.
Voy. en ce sens: Bruxelles, 11 décembre 1965, Pas. (1966), II, 307, Rev. crit. jur. belge (1970), 5, note F.
RIGAUX; Civ. Bruxelles, 25 avril 1969,].T (1969), 408.

De même, le caractère exclusif de la compétence d'attribution des tribunaux belges


en Belgique ne saurait non plus être altéré par la compétence que certaines autorités
étrangères puiseraient dans leur propre droit pour prononcer la dissolution d'un
mariage en Belgique. Dans les matières que la loi a attribuées à la compétence exclusive
du pouvoir judiciaire conformément à l'article 144 de la Constitution, il est illégal que,
sur le territoire belge, d'autres autorités prétendent s'immiscer dans les litiges conjugaux.
Ill!Ainsi, les répudiations ou les divorces qui seraient actés en Belgique dans des locaux consulaires
ne sauraient être reconnus en droit belge, non pour un motif d'ordre public, mais en raison de la
compétence exclusive des tribunaux belges pour la dissolution du lien conjugal en Belgique.
Semblable pratique a eu lieu en plusieurs consulats du Maroc en Belgique dans les années soixante-
dix. Dans la jurisprudence, voy. notamment: J.P. Etterbeek, 25 mai 1977, ].].P. (1978), 100; Civ.
Bruxelles, 26 mai 1978, Rev. trim. dr. Jam. (1978), 273 ;].P. St-Gilles, 23 mars 1981,].T (1982), 363.
Le gouvernement belge paraît avoir adopté la même attitude, ainsi qu'il résulte d'une circulaire du
ministre de la Justice (27 juin 1978, Monit., l er juillet, 7620).
Ce principe d'incompétence des consuls du Maroc pour acter une répudiation en Belgique est
accepté par les autorités marocaines selon les conventions signées entre les deux pays, mais non
ratifiées (sur les conventions de 1990, voy. : J.-Y. CARLIER, « Les conventions entre la Belgique et le
Maroc en matière de droit familial», Rev. trim. dr. Jam., 1994, 447-462).

Ill. DÉTERMINATION DE LA COMPÉTENCE INTERNE

12.88 - Compétence interne du juge du fond - Les dispositions analysées aux points
précédents fixent uniquement la compétence internationale, non la compétence territo-
riale interne (voy. sur cette distinction, supra, n ° 9.4).
Le règlement « Bruxelles Ilbis » utilise une terminologie qui est typique d'une règle
de compétence internationale. À la différence du règlement « Bruxelles I », il se réfère
toujours aux « juridictions de l'État » vues dans leur ensemble, sans déterminer directe-
ment quel tribunal de l'État il convient de saisir. Pour ce faire, il y a lieu de se référer aux
dispositions du Code judiciaire, à savoir l'article 628, 1 °, qui oblige à porter la demande
devant le juge du domicile du défendeur ou celui de la dernière résidence conjugale.
Contra: Civ. Hasselt, 11 juin 2002, Limb. Rechtsleven (2002), 332, voyant la détermination de la
Ill
compétence interne dans le règlement.

Le Code de droit international privé consacre aussi cette distinction. Une fois fixée la
compétence internationale des juridictions belges sur la base du Code, celui-ci renvoie à
l'agencement de la compétence interne tel qu'il résulte du Code judiciaire; lorsque ce
renvoi n'y suffit pas, il transpose à cet effet les règles de compétence internationale ; plus
subsidiairement encore, il prévoit la compétence du tribunal de l'arrondissement de
Bruxelles (art. 13, voy. supra, n ° 9.60).
LA DISSOLUTION IT LE RELÂCHEMENT DU LIEN CONJUGAL 563

1111Ainsi, lorsque la compétence internationale est fondée sur la résidence prolongée du deman-
deur alors que la dernière résidence conjugale était en Belgique mais a cessé depuis plus de douze
mois, les juridictions belges sont internationalement compétentes, tant en vertu du règlement
« Bruxelles IIbis » que du Code, et il convient de chercher à appliquer l'article 628, 1 °, C. jud. :
comme la dernière résidence conjugale est en Belgique, la demande doit être portée devant le juge
de ce lieu.
Lorsque la compétence internationale des juridictions belges est fondée sur la nationalité belge
commune des parties alors que le défendeur réside à l'étranger où se trouve aussi la dernière rési-
dence conjugale, l'article 628, 1°, C. jud. ne saurait être respecté puisque le cas tombe en dehors de
ses prévisions, alors qu'une saisine en Belgique doit rester possible. Le Code renvoie alors au critère
de la résidence prolongée du demandeur (art. 42) si elle est vérifiée; sinon, il permet de saisir le tri-
bunal de Bruxelles (art. 13, al. 2).
l!I!Au cours de la période antérieure, la jurisprudence n'était pas unanime à limiter la portée de
l'article 628, 1 °, C. JUd. à celle d'une règle de compétence interne. Pour une application correcte,
voy.: Bruxelles, 2 janvier 2001, R.W (2001-2002), 782.

12.89 - Compétence interne du juge du provisoire - Le Code judiciaire organise une


compétence du provisoire propre à la matière du divorce (art. 1280 C. jud.), à côté de la
compétence présidentielle générale de l'article 584, laquelle exige que l'urgence soit véri-
fiée.
La compétence basée sur l'article 1280 du Code judiciaire est, en principe, réservée
aux époux dont l'action en divorce ou en séparation de corps est pendante devant une
juridiction belge, quelle que soit leur nationalité.
1111Voy. en ce sens: Civ. Gand, 27 décembre 1993, Tijds. Gentse Rechtsleven (1994), 118; Civ. Bruxel-
les, 13 février 1997, Pas. (1996), III, 31; Trib. arr. Gand, 26 octobre 1998, R.W (1998-1999), 1148;
Bruxelles, 22 avril 1999, Rev. Div. (1999), 155; Civ. Bruxelles, 21 novembre 2002, Rev. trim. dr. Jam.
(2003), 128; 22 janvier 2003,].T. (2003), 665.

Le juge du provisoire n'appliquera pas nécessairement le droit belge quant au con-


tenu des mesures à adopter. Sous réserve de ce qui sera dit plus loin à propos des mesures
relatives aux enfants mineurs (infra, n ° 12.161 ), ces mesures sont choisies conformément
à la loi qui régit les effets personnels du mariage (voy. supra, n° 5 12.61 et s.).

B. Efficacité de la dissolution intervenue à l'étranger


1. ÜISSOLUTION INTERVENUE DANS UN ÉTAT DE L'UNION EUROPÉENNE

12.90 - Applicabilité du règlement« Bruxelles Ilbis » - Le règlement « Bruxelles Ilbis »


(voy. supra, n ° 12.79) détermine les conditions de l'autorité de la chose jugée et de la
déclaration de la force exécutoire de toute décision de divorce ou de séparation de corps
rendue dans un État membre de l'Union européenne lié par le règlement (art. 21, § 1er).
l!I! L'appartenance de la juridiction à un État membre de l'Union sert ainsi à définir le domaine
spatial des règles uniformes, et non la qualité du défendeur, qui intervient seulement pour la déter-
mination de la compétence.
1111Les États liés sont tous les États membres de l'Union européenne, à l'exclusion du Danemark
(art. 1"r, § 3). L'efficacité en Belgique d'un jugement de divorce danois s'apprécie donc en fonction
des règles du droit commun.

Les décisions visées sont, au sens de l'article 2, 4 °, « toute décision de divorce, de


séparation de corps ou d'annulation d'un mariage, [... ] quelle que soit la dénomination
de la décision, y compris les termes "arrêt", "jugement" ou "ordonnance"». De plus,
564 LA PERSONNE ET LES RAPPORTS DE FAMILLE

comme dans le règlement Bruxelles II (art. 13, § 3), le règlement Bruxelles IIbis (considé-
rant n ° 22) prévoit que « les actes authentiques et les accords entre parties qui sont exé-
cutoires dans un État membre sont assimilés à des décisions aux fins de l'application des
règles de reconnaissance et d'exécution» (art. 46).
Cette extension a pour singularité de soumettre la« reconnaissance» de l'acte authentique à un
1111

régime libéral excluant toute révision « au fond», à savoir tout contrôle de la loi applicable. Il en
résulte un changement radical de perspective pour les systèmes nationaux de droit international
privé basés sur l'utilisation de règles de rattachement de nature multilatérale, ne distinguant pas
selon qu'un negotium a été reçu par un instrumentum dans l'État du for ou à l'étranger (voy. supra,
n° 10.7).

12.91 - Consécration de la reconnaissance de plein droit - Le règlement« Bruxelles IIbis »


étend à la matière du divorce le système de reconnaissance de plein droit consacré en
matière patrimoniale dès la Convention de Bruxelles, avec l'évolution que lui a imprimée le
règlement« Bruxelles I », auquel il suffit de renvoyer pour l'essentiel (voy. supra, n° 5 10.18
et s.).
111 En bref, ce régime se caractérise par :
- la suppression de toute procédure pour obtenir la reconnaissance, non la déclaration de la force
exécutoire, sans exclure la possibilité d'une action en opposabilité ou en inopposabilité (art. 21,
§ 3, du règlement« !Ibis»);
- le maintien du contrôle de motifs de refus strictement énoncés ;
- le caractère unilatéral de la première phase de la procédure, le juge contrôlant d'office les motifs
de refus sans audition du défendeur, celui-ci n'intervenant que sur la phase de recours.
1111Le règlement établit une procédure spécifique en vue de la reconnaissance et de la déclaration de
la force exécutoire, en des termes analogues à ceux que prévoit le règlement« Bruxelles I ».

Il précise que la mention d'une décision étrangère dans un registre de l'état civil ne
constitue pas une mesure d'exécution, en indiquant qu'aucune procédure n'est requise à
cette fin (art. 21, § 2). Tout en omettant toute référence à d'autres conditions à respecter,
il faut comprendre le texte comme permettant uniquement une économie de procédure,
sans interdire la vérification des motifs de refus qui préside à la reconnaissance.
1111 Voy. à cet égard en droit commun, supra, n ° 12.22.

12.92 - Motifs de refus opposables à la décision étrangère - Le règlement« Bruxelles !Ibis»


donne une liste limitative des seuls motifs permettant de refuser de reconnaître ou de déclarer
la force exécutoire de la décision (art. 22), à savoir:
a) si la reconnaissance est manifestement contraire à l'ordre public de l'État membre
reqms;
b) si l'acte introductif d'instance ou un acte équivalent n'a pas été signifié ou notifié au
défendeur défaillant en temps utile et de telle manière qu'il puisse pourvoir à sa
défense, à moins qu'il ne soit établi que le défendeur a accepté la décision de manière
non équivoque;
c) si elle est inconciliable avec une décision rendue dans une instance opposant les
mêmes parties dans l'État membre requis ; ou
d) si elle est inconciliable avec une décision rendue antérieurement dans un autre État
membre ou dans un État tiers dans une affaire opposant les mêmes parties, dès lors
que cette première décision réunit les conditions nécessaires à sa reconnaissance
dans l'État membre requis.
LA DISSOLUTION ET LE RELÂCHEMENT DU LIEN CONJUGAL 565

Ces motifs sont repris à ceux du règlement« Bruxelles I ».


Comme celui-ci, le règlement « Bruxelles Ilbis » précise exclure toute rev1s1on au
fond (art. 26). Cette notion couvre l'appréciation des éléments de fait, comme aussi le
contrôle de la loi applicable (voy. supra, n ° 10.13). Le règlement dissocie formellement ces
deux éléments, en distinguant le cas de« disparités entre lois applicables» (art. 25): « La
reconnaissance d'une décision ne peut être refusée au motif que la loi de l'État membre
requis ne permet pas le divorce, la séparation de corps ou l'annulation du mariage sur la
base de faits identiques. »
À la différence du règlement« Bruxelles I », le règlement exclut tout contrôle de la
compétence indirecte, précisant que le respect des règles de compétence directe ne fait
pas partie du contrôle de l'ordre public.

Il. RÈGLES DU DROIT COMMUN

12.93 - Confirmation du régime de reconnaissance de plein droit - Le Code de droit


international privé étend à l'ensemble de la matière civile et commerciale le système de
reconnaissance de plein droit que la jurisprudence avait développé à l'occasion de la
matière du divorce, par l'arrêt Defontaine du 29 mars 1973 (voy. supra, n ° 10.41). Il suffit
de renvoyer à ce régime général (chap. 10). Une règle particulière affecte cependant les
actes de répudiation (voy. infra, n ° 12.95).
Les règles du droit commun s'appliquent normalement dès que la décision n'émane pas d'un
Ill!
État membre de l'Union européenne lié par le règlement « Bruxelles IIbis ». Pour d'autres États, la
Belgique n'a conclu à ce jour d'accord bilatéral spécifique qu'avec la Roumanie (Convention du
6 novembre 1980, loi du 27 avril 1984, Monit., 5 septembre 1984).

Le régime de reconnaissance de plein droit implique la faculté d'obtenir le dépôt organisé par le
1111

législateur (voy. supra, n° 12.23) sans procédure préalable, pourvu que le jugement étranger de
divorce soit régulier au regard des motifs de refus qui lui sont opposables (Gand, 9 octobre 1996,
Rev. trim. dr.fam., 1997, 396).

Sur l'opposabilité d'un jugement anglais de divorce lors d'une instance relative à des mesures à
Ill!
adopter entre époux dans le cadre d'une procédure en divorce ouverte en Belgique, voy. : Civ.
Bruxelles, 18 octobre 1996, Rev. trim. dr. Jam. (1997), 636.

12.94 - Motifs de refus opposables à une décision étrangère - En substance, le Code


ne modifie guère la liste de motifs de refus pouvant être opposés à une décision étrangère
de divorce. On retrouve à l'article 25, parmi d'autres, le contrôle de l'ordre public et du
respect des droits de la défense, motifs particulièrement sensibles en la matière.
Le contrôle de l'ordre public a pu servir à vérifier la cause de divorce admise par le
juge étranger. Toutefois, après que la loi du 27 juin 1960 avait fait aux étrangers divor-
çant en Belgique une application presque systématique du droit matériel de la lex fori
(voy. infra, n ° 12.97), il n'était plus satisfaisant d'accentuer le caractère unilatéral de cette
solution en refusant de reconnaître en Belgique le divorce d'époux belges prononcé à
l'étranger, pour le motif que ceux-ci n'auraient pas été soumis à leur loi nationale.
Ill!Avant l'entrée en vigueur de la loi du 27 juin 1960, la Cour de cassation estimait que ne pouvait
être reconnue, parce que contraire à l'ordre public, la décision étrangère ayant prononcé le divorce
d'époux belges pour une cause non prévue par leur loi nationale (4 octobre 1956, Closset, Pas., 1957,
I, 88; 11 octobre 1957, Franck, Pas., 1958, I, 122).
566 lA PERSONNE ET LES RAPPORTS DE FAMILLE

La jurisprudence a adopté une interprétation libérale de l'exception d'ordre public : le jugement


étranger ne fut plus déclaré contraire à l'ordre public pour le seul motif que le mariage de Belges a
été dissous pour une cause non prévue par leur loi nationale.
Dans le sens préconisé, voy. notamment: Gand, 5 juin 1968, Pas. (1968), II, 242; Bruxelles, 12 mars
1974, R.W (1973-1974), 2386, Pas. (1974), II, 141; 17 décembre 1974,].T. (1975), 279; Civ. Lou-
vain, 12 juin 1978, R W. (1978-1979), 675; C. trav. Mons, 2 juin 1995,j.L.M.B. (1996), 287.
Des décisions isolées (Civ. Bruxelles, 3 mai 1972, Pas., 1974, III, 29; Anvers, 20 mars 1991, Rev. gén.
dr. civ., 1992, 409, note M. LIÉNARD-LIGNY) peuvent être citées en sens contraire.

L'exception d'ordre public a également permis de contrôler si, en divorçant à l'étran-


ger, les parties n'ont pas entendu frauder la loi belge, en obtenant à l'étranger une
décision qu'ils n'auraient pu obtenir en Belgique. Toutefois, une telle manœuvre se com-
prenait essentiellement au moment où la règle belge de rattachement soumettait néces-
sairement le divorce de tout Belge à la loi du for et tant que la loi étrangère appliquée
prévoyait une cause de divorce ignorée du droit belge.
1111 Le contrôle a été effectué, notamment, à propos d'actes de répudiation effectués à l'étranger par
un Belge (Anvers, 30 novembre 1982, Rev. dr. étr., 1982, 59; Civ. Bruxelles, 3 octobre 1989, Rev. trim.
dr. fam., 1990, 385) ou par un étranger (Trib. trav. Liège, 8 décembre 1982,]ur. Liège, 1983, 234) rési-
dant habituellement en Belgique.
Pour un contrôle relatif à un jugement de divorce, tunisien en l'espèce, voy. : Civ. Anvers, 11 juin
2001, RA.B.G. (2004), 494, note K. DE LAET, concluant au refus de reconnaissance pour le motif
que le juge belge était, en raison de liens étroits avec la Belgique - ménage de Tunisiens résidant en
Belgique, dont la femme avait acquis la nationalité belge-, le juge naturel des parties. Ce contrôle
de la fraude à la compétence ne doit cependant pas contredire la limitation stricte du motif de
refus tiré de la compétence indirecte (voy. supra, n° 10.39).
Ce contrôle a été central dans la jurisprudence française relative aux actes de répudiation, en cas
1111

de résidence des parties en France. Voy. spécialement: Cass. civ., 17 février 2004 (5 arrêts), Revue
(2004), 423, note P. HAMMJE, Clunet (2004), 1200, note L. GANNAGÉ, D.S. (2004), J, 824, et D, 815,
note P. COURBE,}.C.P. (2004), II, 10128, note H. FULCHIRON.
Le Code prévoit le contrôle de la fraude à la loi comme un motif de refus distinct
(art. 25, § ier, 3°). Avant d'accueillir ce moyen, le juge requis veillera à recueillir tous les
moyens de preuve pertinents. On ne peut en effet priver les nationaux du choix d'une
procédure de divorce à l'étranger, tandis que le contrôle du jugement étranger ne peut
s'étendre ni à une révision au fond ni même au contrôle de la loi appliquée.
IliSur la théorie de la fraude à la loi et son application dans l'affaire de Bauffremont, voy. supra,
n° 5.73.
Ill Voy., à titre d'illustration de contrôles effectués: Civ. Louvain, 12 juin 1978, R W (1978-1979),
675; Civ. Bruxelles, 15 mars 1988, Rev. trim. dr. fam. (1990), 376 et 24 mai 1988, Rev. trim. dr. fam.
(1990), 382, noteJ.-Y. CARLIER, à propos d'un divorce par consentement mutuel prononcé par pro-
curation en République dominicaine entre une Belge et un Colombien résidant en Colombie. Dans
ce cas, la volonté de divorcer commune aux parties a influencé la décision de reconnaissance.
Ili Le Code précise que la fraude consiste à vouloir« échapper à l'application du droit désigné » en
vertu de ses règles de rattachement. Cette formulation permet de sanctionner la fraude au droit
étranger, lorsque celui-ci aurait été désigné par une juridiction belge si elle avait été saisie de l'ins-
tance directe.
Voy. déjà sur cette problématique, dans le contexte de conventions bilatérales, concluant à
l'absence de fraude: Bruxelles, 29 juin 1962, ].T (1963), 27, note F. Rl.GAUX ijugement français);
9 décembre 1975, Rev. not. belge (1976), 80 ijugement néerlandais).
Le contrôle de l'ordre public a également couvert la vérification du caractère incon-
ciliable de décisions concurrentes, motif désormais séparé dans le Code (art. 25, § 1er, 5 °
et 6°).
LA DISSOLUTION IT LE RELÂCHEMENT DU LIEN CONJUGAL 567

1111Pour le cas d'une décision étrangère opposée en cours d'instance en Belgique, alors que la procé-
dure étrangère avait été ouverte après la procédure belge, voy.: Mons, 30 novembre 1993, Rev. rég.
dr. (1995), 173, estimant qu'en cas même de reconnaissance, l'intérêt à poursuivre la procédure
belge en cours subsiste pour obtenir la dissolution pour une autre cause ; Liège, 8 octobre 2002,J. T.
(2003), 215, Rev. rég. dr. (2003), 106, note H.B., admettant la reconnaissance. Selon le Code, la cir-
constance d'une saisine ultérieure à l'étranger suffirait à exclure la reconnaissance.
Ill En revanche, il n'y a pas d'objection à reconnaître l'effet d'un jugement étranger de divorce lors-
que l'instance en cours en Belgique a le même objet: Civ. Liège, 7 janvier 1999, Div. Act. (1999), 46, à
propos d'un jugement croate basé sur la séparation, le tribunal précisant que, pour les besoins de la
demande alimentaire et alors que la demande de divorce en Belgique reposait sur l'article 231 C.
civ., il restait utile de déterminer si le divorce étranger avait été prononcé aux torts de l'une des par-
ties, en l'occurrence celle qui avait abandonné le domicile conjugal.

La violation des droits de la défense est un motif justifiant le refus de reconnaître


une décision prononcée par défaut, alors surtout que la compétence territoriale de la
juridiction étrangère s'appuie à un lien ténu (résidence occasionnelle) et sans que les pro-
cédés utilisés pour la citation du défendeur garantissent qu'il en a été dûment averti.
1111Voy. par exemple: Civ. Bruxelles, 25 juin 1971, R.W. (1972-1973), 1449; Civ. Bruxelles, 3 mai
1972, Pas. (1974), III, 29; Bruxelles, 6 juin 1979, Pas. (1979), II, 122, à propos d'un jugement sud-
africain; Liège, 5 décembre 1988, Rev. trim. dr.fam. (1989), 481, note M. FALLON, à propos d'un juge-
ment américain; Civ. Liège, 13 février 1986, fur. Liège (1986), 223, à propos d'un jugement cana-
dien. Dans les trois derniers cas cités, la distance et les coûts de procédure ont pu influencer
l'appréciation du juge requis.
Pour un constat du respect des droits de la défense dans le cadre d'une procédure espagnole où le
défendeur avait pu être assisté d'un avocat, voy. : Liège, 8 octobre 2002, précité.

12.95 - Le régime de la répudiation - Le Code de droit international privé introduit


une disposition propre à l'acte de répudiation (art. 57).
Ill L'introduction dans une codification générale d'une disposition propre à une institution parti-
culière peut étonner. Elle traduit le souci du législateur de prendre position sur une problématique
sensible, largement débattue au cours des travaux préparatoires. En effet, dans les dernières ann°ées,
la plupart des décisions relatives à la reconnaissance de la dissolurion d'un mariage intervenue à
l'étranger concernent la répudiation, le plus souvent de droit marocain.

L'objectif de l'article 57 est de rendre exceptionnelle la reconnaissance d'un acte de


répudiation. Ainsi se comprend la structure de la disposition. Le paragraphe 1er pose un
principe de non-reconnaissance, alors que le paragraphe 2 introduit une dérogation,
d'interprétation stricte. Les termes de cette dérogation s'analysent essentiellement
comme une explicitation des motifs généraux de refus posés par l'article 25.
Ill Le Code n'utilise pas le terme « répudiation ». Est visé tout « acte [... ] constatant la volonté du
mari de dissoudre le mariage sans que la femme ait disposé d'un droit égal ».
Ce procédé répond à trois objectifs. D'abord, pour être opérationnel, le concept doit être apte à
couvrir toute hypothèse analogue à celle qualifiée de « répudiation» dans le pays d'origine.
Ensuite, la définition traduit les motifs du malaise, à savoir que la dissolution procède de la volonté
d'une partie et que l'autre partie ne dispose pas d'un tel droit. Enfin, la disposition se garde d'intro-
duire le terme« répudiation» dans le vocabulaire du droit belge, argument auquel les parlementai-
res ont été sensibles.
La définition requiert qu'en l'espèce, il soit vérifié si la femme« a» disposé d'un droit« égal». L'uti-
lisation du passé indique que le contrôle a lieu in concreto. Ce droit doit être égal : il ne suffit donc
pas de constater que, selon le droit du pays d'origine, la femme pouvait aussi demander la dissolu-
tion pour une cause déterminée ou avec le consentement du mari (notamment la répudiation dite
Kho0. Voy. à cet égard l'exposé des motifs de la proposition de loi, Doc. pari., Sénat, 2003-2004, n ° 3-
27/1. Sur les nuances qu'appellerait la répudiation Khol, ne reposant pas sur la seule constatation
568 LA PERSONNE IT LES RAPPORTS DE FAMILLE

de la volonté du mari, voy. cependant: J.-Y. CARLIER, « La reconnaissance en Belgique des répudia-
tions unilatérales intervenues au Maroc ou l'ordre public répudié? »,].T (1985), 101-108.
En revanche, cette définition ne couvre pas le divorce prononcé par application d'un droit qui
fonde la dissolution sur la volonté d'une des parties, si cette faculté appartient également aux deux
époux, ce qui est le cas de la législation tunisienne pour toute répudiation, ou de la nouvelle législa-
tion marocaine lorsque le mari a consenti au droit d'option (par exemple dans l'acte de mariage)
qui permet à l'épouse de le répudier (Code marocain de la famille de 2004, art. 89).
Le nouveau droit marocain pourrait encore soulever une question d'interprétation quant au res-
pect de la condition d'un « droit égal», dès lors que la forme de « divorce pour désunion» permet
désormais à chaque époux de demander le divorce, parallèlement à l'institution de la répudiation,
qui n'a pas été supprimée.
La disposition exige que l'acte ait fait l'objet d'une homologation judiciaire (art. 57,
§ 2). Cette exigence repose sur un double motif. D'abord, elle montre que le concept de
«reconnaissance», quis~ caractérise par un contrôle limité à la vérification d'une série de
motifs de refus, ne se conçoit qu'à propos d'une décision judiciaire, non d'un acte privé,
fut-il reçu par une autorité publique: c'est en raison de l'autorité de la chose jugée consa-
crée dans le pays d'origine que l'État requis accepte, le cas échéant, de recevoir comme tel
ce qui est définitivement acquis à l'étranger. Ensuite, elle indique le souci de garantir
l'intervention d'un juge, le rôle de celui-ci fût-il limité.
1111Le Conseil d'État (Doc. pari., Sénat, 2001-2002, n° 2-1225/1, 281) avait critiqué cette condition,
pour le motif que le juge étranger n'accomplit pas un véritable acte de juridiction mais que son
intervention, qui relève de la« précaution probatoire », se contente« d'entériner» la déclaration de
volonté du mari. Si cette affirmation est exacte pour certaines répudiations, elle ne l'est plus pour
le nouveau Code marocain selon lequel le juge autorise, après audience et tentative de conciliation,
la répudiation dans certaines conditions mais ne l'homologue plus (art. 80 à 84 du Code maro-
cain). De plus, elle ne contredit pas qu'il y a décision judiciaire et que celle-ci, dans le pays d'origine,
fige la situation juridique des parties après avoir été coulée en force de chose jugée.
1111La condition montre que l'acte étranger ne saurait recevoir de portée en Belgique en l'absence
d'intervention judiciaire, pas même par le biais d'un raisonnement basé sur l'application des règles
de conflit de lois du for, énoncées dans l'article 55 du Code.
Les motifs de refus spécifiques se laissent classer en deux catégories.
Un premier type de motifs relèvent de l'ordre public de proximité (voy. supra,
n ° 10.39) : la reconnaissance est refusée, parce qu'incompatible avec l'ordre public du for,
lorsque la situation présente un lien de rattachement d'un certain degré d'intensité avec
l'ordre juridique de celui-ci, voire de tout autre État ne connaissant pas la répudiation.
Ainsi, la reconnaissance est refusée si l'une des parties est Belge ou réside habituellement
en Belgique au moment de l'homologation dans le pays d'origine.
Ill L'article 57 innove en ce que l'ordre public de référence peut être un ordre public étranger, celui
d'un pays qui « ne connaît pas cette forme de dissolution du mariage ». Ainsi, lorsqu'une Alle-
mande a été répudiée alors qu'elle résidait en France, il est cohérent de refuser également la recon-
naissance en Belgique.
Le terme« connaît» peut soulever une difficulté d'interprétation. La proposition de loi déposée au
Sénat (Doc. pari., Sénat, 2003-2004, n ° 3-27/1) était plus précise: le refus n'avait lieu que si la disso-
lution « n'est pas susceptible d'être reconnue dans l'État [... ] », termes qui se réfèrent aux règles
étrangères sur l'efficacité des décisions. L'intention du gouvernement, auteur de l'amendement
(n ° 56) qui a servi de base au texte finalement adopté, était probablement de se contenter de véri-
fier le contenu du droit matériel étranger, tel que le Code civil français ou néerlandais, pour exclure
la reconnaissance, exprimant surtout le souci d'éviter de « détourner le droit du divorce belge»
(Doc. pari., Sénat, 2003-2004, n ° 3-27/7, 313) : de fait, une politique plus libérale de reconnaissance
dans le pays de résidence laisserait une brèche permettant à une répudiation reconnue dans un
État de l'Union européenne de« circuler» dans d'autres États membres.
LA DISSOLUTION IT LE RELÂCHEMENT DU LIEN CONJUGAL 569

1111En cas de binationalité, il y a lieu de trancher le conflit conformément à l'article 4 du Code. Par
exemple, si l'un des époux est belgo-marocain, il y a lieu de retenir sa nationalité belge pour appré-
cier le motif de refus, ce qui amènera à refuser la reconnaissance, même s'il s'agit d'un couple vivant
au Maroc. La proposition de loi précitée dérogeait à l'article 4 en énonçant que la condition de
nationalité belge pouvait être écartée - et ce par le juge seulement, non par toute autorité publique
- « si la situation ne présentait pas d'autre lien significatif avec la Belgique» au moment de
l'homologation judiciaire.

Un autre motif relève de l'ordre public des valeurs fondamentales, à savoir du prin-
cipe d'égalité: puisque l'acte étranger heurte en ce qu'il n'est pas ouvert à la femme, il
viole le principe général de l'égalité des sexes; selon une certaine logique de renonciation
à un droit fondamental, seule l'acceptation de la dissolution par la femme est de nature à
lever cette contrariété à l'ordre public du for.
1111L'acceptation doit être certaine et « sans contrainte ». Si cette qualification paraît aller de soi,
son explicitation vise à attirer l'attention de l'autorité requise, qui aura à motiver son appréciation
à cet égard.

1111L'acceptation peut avoir lieu à cout moment, lors de l'homologation ou ultérieurement, par
exemple après que la femme est arrivée en Belgique, au moment où elle entend faire transcrire l'acte
dans un registre public, ou lorsqu'elle veut se remarier.
La proposition de loi précitée exigeait que l'acceptation aie eu lieu lors de l'homologation, dans le
but d'éviter que le sort de la dissolution soie entre les mains de l'une des parties - la femme - mais
aussi dans un souci de sécurité juridique: la femme ne sera pas toujours présente à l'instance évo-
quant la reconnaissance, par exemple en cas de litige encre l'homme et l'office des pensions, ou
l'intérêt, pour la femme, à invoquer ou non le bénéfice de la reconnaissance pourrait varier en fonc-
tion de l'effet invoqué.
Le motif de la solution arrêtée est un souci de réalisme : l'exigence d'une acceptation lors de
l'homologation aurait restreint considérablement les cas de reconnaissance, dans la mesure où la
procédure étrangère ne tient pas compte de cet élément; elle risquait aussi de mettre la pression sur
la femme, incitée à consentir à un moment difficile pour elle.

La justification d'une reconnaissance basée sur l'acceptation de la femme est dans le souci
1111

maintes fois affirmé durant les travaux préparatoires d'éviter une « double victimisation» de la
femme: un refus de reconnaissance obligerait en effet celle-ci à ouvrir en Belgique une procédure
de divorce.

D'autres motifs énoncés par les dispositions générales de l'article 25 conservent une
portée utile, notamment le caractère inconciliable de la décision étrangère avec une déci-
sion rendue en Belgique.
L'absence de renvoi à l'article 24 ne dispense pas du respect des conditions de forme,
notamment de la production d'une expédition authentique du jugement exécutoire dans
l'État d'origine.

12.96 - Portée du régime de la répudiation - Les exigences prec1tees sont de nature


cumulative, comme c'est aussi le cas des motifs généraux de refus de l'article 25. En pra-
tique, la répudiation ne pourra donc être reconnue que si, lors de l'homologation à
l'étranger, la relation concernait des étrangers ne vivant pas en Belgique, alors que, ulté-
rieurement, l'une des parties ou les deux viennent en Belgique, pour y séjourner ou pour
des raisons patrimoniales - par exemple la vente d'un immeuble : dans ce cas, la partie
qui invoque la dissolution devra établir la réalité de l'acquiescement de la femme.
La demande en opposabilité de la dissolution est ouverte à la femme autant qu'au mari, et elle
1111

ne requiert aucune procédure judiciaire préalable, conformément au régime de la reconnaissance


de plein droit. L'amendement n ° 47, qui n'a pas été retenu, exigeait au contraire qu'elle émane« de
570 lA PERSONNE IT LES RAPPORTS DE FAMILLE

l'époux auquel cet acte est opposé» et ce, « conformément à la procédure prévue à l'article 23 ».
Cette exigence revenait à priver l'homme d'un accès à la justice.

La politique retenue, que l'on pourrait qualifier du « double verrou», est à mi-che-
min entre une tentation de refus absolu et l'attitude de semi-ouverture pratiquée par la
jurisprudence.
1111Le terme« verrou» a été utilisé au cours du débat au sein du comité d'avis du Sénat pour l'éga-
lité des chances entre les hommes et les femmes (Doc. pari., Sénat, 2003-2004, n ° 3-27/5, 12 et 20).
Le verrou est constitué des deux types de motifs spécifiques précités, relatifs à la proximité et à
l'acceptation.
1111 Une politique de refus absolu était préconisée par plusieurs parlementaires (amendements
n° 5 6, 41 et 64) mais aussi par le Conseil d'État (Doc. pari., Sénat, 2001-2002, n ° 2-1225/1, 280 et s.).
Celui-ci invoquait essentiellement le principe absolu d'égalité, ainsi que, à propos de l'acceptation
par la femme, son caractère illusoire ainsi que l'indisponibilité de la procédure (art. 5 du Protocole
n° 7 de la Convention européenne de sauvegarde, pour l'égalité dans le mariage et lors de sa disso-
lution, art. 3 de la Convention européenne de sauvegarde, pour l'interdiction de traitements dégra-
dants).
1111Les juges du fond admettaient pratiquement la reconnaissance, même en cas de résidence en
Belgique, dès la preuve de l'acquiescement par la femme, formulé même postérieurement à l'acre.
Voy. les références citées dans la précédente édition de cet ouvrage (Bruxelles, Larcier, 1993),
n ° 1063. Comp. : Liège, 5 février 2002,J. T (2002), 368, reconnaissant une répudiation Khol par assi-
milation au divorce par consentement mutuel.
Les juges de première instance en étaient venus à préférer à une condamnation de principe, une
appréciation in concreto tenant pour déterminantes l'acceptation ultérieure par la femme et l'inten-
sité du rattachement de la situation avec la Belgique, notamment pour contrer toute fraude à la loi
par une répudiation dite « touristique». Voy. spécialement, pour leur motivation nuancée: Civ.
Nivelles, 25 juin 1991, Rev. trim. dr.fam. (1991), 378, note M. FALLON; Civ. Bruxelles, 16 décembre
1997,].].P. (2000), 212, note M.-C. FoBLETS; 9 juin 1999,J. T (2000), 189; Civ. Liège, 23 mars 2001,
].L.M.B. (2002), 167; Civ. Anvers, 16 avril 2002, Rev. gén. dr. civ. (2002), 472 ; 26 novembre 2002,
RA.B.G. (2004), 491, note K. DE LAET.
Dans le cas où l'homme est belge, comp.: Anvers, 30 novembre 1982, Rev. dr. étr. (1982), 59, admet-
tant la reconnaissance, et la critique de F. RrGAUX et G. VAN HECKE, Rev. crit. jur. belge (1991), 174;
Gand, 20 février 2003, RA.B.G. (2004), 498, note K. DE LAET, la refusant, ainsi que la circulaire du
27 avril 1994, Monit., 19 mai 1994.
Il était parfois prétendu que l'acte devait être conforme à la loi nationale des parties (voy.
notamment: Bruxelles, 30 juin 1998,]. T., 1999, 648; circulaire du 27 avril 1994, Monit., 19 mai
1994) : cette affirmation est inexacte, du moins dans un raisonnement basé sur l'article 570 C. jud.
(reconnaissance des jugements) car elle revient à effectuer un contrôle de la révision au fond, exclu
en matière d'état (voy. supra, n° 10.41). Voy. en ce sens, à propos de la répudiation: Cass., 29 avril
2002, cité ci-dessous, précisant que le juge requis n'applique pas le droit étranger mais se contente
de recevoir les effets d'une répudiation intervenue à l'étranger en vertu de la loi étrangère.
1111 La Cour de cassation a rendu plusieurs arrêts montrant une évolution vers une appréciation in
concreto, tenant compte à la fois de l'intensité du rattachement de la situation et de l'acceptation de
la femme, mais pourvu que cette acceptation ait eu lieu au moment de l'acte. Voy. successivement:
Cass., 11 décembre 1995, R W. (1995-1996, 1339, note]. ERAUW, Rev. dr. étr (1996), 185, note M.-C.
FoBLETS, Rev. trim. dr. fam. (1996), 165, note J.-Y. CARLIER, refusant la reconnaissance pour violation
des droits de la défense, la femme n'ayant pas été convoquée ; 29 avril 2002, Echts]ourn. (2003), 862,
note M. TRAEST, Rev. Div. (2003), 97, note C. BARBÉ, R W. (2002-2003), 862, note J. ERAUW, Rev. trim.
dr. fam. (2003), 94, note J.-Y. CARLIER, admettant la reconnaissance lorsque les époux marocains
vivaient au Maroc lors de la répudiation, que la femme y vit encore et qu'elle a accepté la
dissolution; 29 septembre 2003, Rev. trim. dr. fam. (2004), 317, refusant la reconnaissance pour vio-
lation des droits de la défense lorsque, malgré une convocation régulière, la femme a fait défaut à la
procédure de dissolution et ne pouvait« guère» faire valoir ses droits, étant indifférent qu'elle ait
acquiescé ultérieurement.
LA DISSOLUTION IT LE RELÂCHEMENT DU LIEN CONJUGAL 571

Pour un aperçu général de jurisprudence et des références à la doctrine, voy. : A. BELAMRI, in


11111

M.-C. FoBLETS (dir.), Femmes marocaines et conflits familiaux en immigration (Anvers, Maklu, 1998), 105-
148 ;].-Y. CARLIER, « La reconnaissance mesurée des répudiations par l'examen in concreto de la con-
trariété à l'ordre public», Rev. trim. dr. fam. (2003), 94.
11111 Par la position de « double verrou» rendant les conditions de proximité et de consentement
cumulatives plutôt qu'alternatives, le législateur belge exprime une approche sévère qui contraste
avec l'évolution du droit de certains pays d'origine, comme le nouveau Code marocain de la famille
marocain de 2004.
1111En France, la jurisprudence de la Cour de cassation a évolué. Plusieurs arrêts rendus le 17 février
2004 (D.S., 2004), J, 824, note P. COURBE (D, 815), Rép. Defr. (2004), 812, note J. MASSIP, Revue
(2004), 423, note P. HAMMJE, sont considérés par la doctrine comme fermant nettement la porte à la
répudiation, en invoquant rour à rour le respect du principe d'égalité au sens du protocole n ° 7 à la
Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, qui admettrait l'acquiescement par
la femme, et un ordre public de proximité excluant la reconnaissance en cas de domicile en France.
Ces arrêts concernaient une partie domiciliée en France. Toute ambiguïté n'a pas disparu quant à
la combinaison des deux critères précités. Pour une synthèse de l'évolution de cette jurisprudence,
voy. le commentaire de J. Massip, évoquant chronologiquement dans la jurisprudence une admis-
sion, un contrôle de la fraude, un contrôle des droits de la défense et d'une protection pécuniaire,
un refus de principe pour violation du principe d'égalité, un contrôle de la fraude, des droits de la
défense et d'une protection pécuniaire; désormais, le refus serait catégorique en cas de résidence en
France. Pour deux points de vue opposés dans la doctrine, voy. R. EL-HUSSEIN!, « Le droit interna-
tional privé français et la répudiation islamique», Revue. (1999), 427, et A. MEZGHANI, « Le juge
français et les institutions de droit musulman», Clunet (2003), 721-765.

L'introduction, par l'épouse répudiée, d'une demande en divorce en Belgique est une
faculté qui s'analyse en relation avec le statut de la répudiation.
Selon la jurisprudence, le refus de reconnaissance de la répudiation n'empêche pas de qualifier
11111

l'acte d'injure grave aux fins d'apprécier l'existence d'une cause déterminée. Comp.: Bruxelles,
4 ocrobre 1988, Pas. (1989), II, 66, catégorique en ce sens; 12 novembre 1998, Rev. Div. (1999), 46,
appréciant plus correctement en fonction des circonstances de la répudiation, notamment l'omis-
sion d'informer la femme.
Ili La question de l'accès au divorce pour la femme a été évoquée constamment au cours des tra-
vaux préparatoires. Certains parlementaires proposaient de combiner un refus catégorique avec
une règle matérielle donnant droit à la dissolution sur base de l'article 231 C. civ., les rorts étant à
la charge du mari (amendement n ° 64). Le gouvernement a été entendu, en plaidant que cette
question relevait d'une réforme du droit du divorce.
Comp., en droit italien, l'article 3 de la loi du 1er décembre 1970 sur le divorce, prévoyant que« La
dissolution[ ... ] peut être obtenue par l'un des époux[ ... ] dans les cas où[ ... ] l'autre conjoint, ressor-
tissant étranger, a obtenu à l'étranger l'annulation ou la dissolution du mariage ou a contracté à
l'étranger un nouveau mariage ».
Une règle matérielle pourrait être insérée dans le Code civil, introduisant une nouvelle cause, dis-
tincte, de divorce, pour rous les cas où l'autre époux a obtenu, à l'étranger, l'annulation ou la disso-
lution du mariage, lorsque la décision étrangère n'est pas susceptible d'être reconnue en Belgique.
Il faut observer que l'insertion d'une règle matérielle ne suffit pas à en assurer l'application,
laquelle dépend encore de sa désignation par une règle de conflit de lois, soit règle de rattachement,
soit règle unilatérale d'applicabilité, au sens de l'article 20 du Code (sur cette notion, voy. supra,
n ° 4.4). Elle aurait le mérite de limiter les cas de situation boiteuse, ce qui correspond à l'objectif
d'harmonie des solutions du droit international privé.
11111 Lorsque la femme réside en Belgique, la compétence du juge belge du divorce sera vérifiée prati-
quement dès qu'elle aura résidé en Belgique depuis douze mois, ou si la dernière résidence conju-
gale était en Belgique moins de douze mois avant la saisine (art. 42 Codip). Selon l'article 55 du
Code (voy. infra, n ° 12.98), la loi ne sera appliquée, pratiquement, que si la dernière résidence con-
jugale était en Belgique, ou si le mari réside encore en Belgique.
572 LA PERSONNE ET LES RAPPORTS DE FAMILLE

§2 DROIT APPLICABLE À LA DISSOLUTION


ET AU RELÂCHEMENT DU LIEN CONJUGAL
12.97 - Réforme législative et conflit transitoire - L'entrée en vigueur du Code de droit
international privé signifie une refonte radicale du droit des conflits de lois en matière de
divorce et de séparation de corps.
1111 Des travaux sont également en cours au sein de l'Union européenne. Voy. à cet égard le Livre
vert publié au Clunet (2005), 575.

Les règles nouvelles sont applicables immédiatement, aux demandes introduites à


partir du 1er octobre 2004. L'exposé des règles antérieures ne présente donc plus guère
d'utilité pratique. Une brève présentation aide cependant à la compréhension de la por-
tée du changement.
À la veille de l'entrée en vigueur du Code, les règles de conflit de lois présentaient, en
la matière, une structure complexe liée à un éclatement des sources. Cette disparité était
due à une initiative législative ponctuelle, qui avait entendu parer aux difficultés rencon-
trées par certains couples vivant en Belgique, sans se préoccuper d'une réglementation
globale.
La loi du 27 juin 1960 (Monit., 9 juillet 1960) visait à assurer l'application du droit
belge aux conditions du divorce dans une série d'hypothèses considérées comme sociale-
ment prioritaires. Il s'agissait du divorce de Belges - ou d'un Belge avec un étranger - et
du divorce pour cause déterminée, y compris entre étrangers.
L'admissibilité du divorce pour cause déterminée encre étrangers relevait roucefois de la loi
1111

nationale du demandeur (arc. 1er).

Ces règles de nature unilatérale dérogeaient aux dispositions générales tirées de


l'article 3, alinéa 3, du Code civil. Celui-ci conduisait à une application des lois nationales
des parties, dans le sens d'un rattachement cumulatif par désignation de la loi la plus
stricte sur l'admissibilité du divorce.
1111 Postérieurement à la loi de 1960, cette jurisprudence fut consolidée par l'arrêt Bigwood du
14 décembre 1978 (]. T., 1979, 356, note M. FALLON, R W., 1978-1979, 2001, note]. ERAUW, Rev. trim.
dr. fam., 1979, 170, note R. VANDER ELST, Rev. crit. jur. belge, 1979, 111, noce F. R!GAux). Re_lacif au
divorce d'un Britannique et d'une Italienne, cet arrêt consolidait en même temps l'application de la
technique du renvoi, qui y fut pratiquée à l'égard de l'époux mais non, singulièrement, à l'égard de
l'épouse.

L'agencement de telles règles ne permettait pas de couvrir avec certitude l'ensemble


des hypothèses possibles, notamment la séparation de corps et sa conversion en divorce,
ou encore l'apparition de nouvelles formes de divorce, tel le divorce basé sur la faillite
irrémédiable du mariage ou la séparation prolongée. De plus, en fixant la désignation du
droit applicable en fonction de qualifications juridiques propres au système du for - la
distinction entre consentement mutuel et cause déterminée-, le législateur confrontait
le juge à une difficulté d'interprétation du droit étranger potentiellement compétent,
chaque fois que celui-ci surmontait de telles qualifications, notamment y préférant le
concept unique de faillite du mariage.
Cette situation avait engendré des démarches interprétatives complexes. Plusieurs
propositions avaient été émises, qui tendaient, dans un souci de simplification, à dési-
gner le droit belge.
LA DISSOLUTION ET LE RELÂCHEMENT DU LIEN CONJUGAL 573

Voy. la présentation de la problématique et une lecture interprétative détaillée de la loi, dans la


1111

précédente édition de cet ouvrage (Bruxelles, Larcier), 1993, n°5 1014 et s.


1111Comme propositions de loi, voy. : Doc. pari., Sénat, 1988-1989, n ° 610-1, du 7 mars 1989 (prop.
Lallemand). Voy. précédemment la proposition déposée par M. Storme (Doc. pari., Sénat, 1979-
1980, n° 470, du 19 juin 1980), et à ce sujet: M. WESER,« Le droit est l'art du bien et du juste -
Quelques réflexions sur le projet de loi sur le divorce en droit international privé», Mélanges Vander
Elst (Bruxelles, Nemesis, 1986), 929-934.

A. Détermination de la loi du divorce ou de la séparation


12.98 - Échelle de rattachements fondée sur la proximité - Le Code établit une échelle
à quatre niveaux, qui manifeste une préférence de principe pour le critère de la résidence
habituelle (art. 55, § 1er).
La demande est régie par le droit de l'État :
1 ° de la résidence habituelle de l'un et l'autre époux;
Il n'est pas exigé que l'un et l'autre résident ensemble: les résidence peuvent être séparées, du
1111

moment qu'elles se situent dans le même pays.


2 ° à défaut, de la dernière résidence habituelle commune, à condition que l'un des
époux réside encore dans cet État ;
Cet échelon fut introduit par voie d'amendement au cours des travaux au sein du Sénat (amen-
1111

dement n ° 40). Il permet de neutraliser le comportement de l'époux, normalement défendeur, qui


quitte le pays de la résidence familiale, par exemple pour retourner dans son pays d'origine.
1111 À la différence de l'échelon précédent, la résidence ici prise en compte est la résidence conjugale.

3 ° à défaut, de la nationalité commune des époux.


Subsidiairement, lorsque aucune de ces conditions de rattachement n'est remplie, le
droit belge est applicable.
Il résultera probablement de cette échelle de rattachements que le droit belge sera
appliqué dans la plupart des cas, au vu de la résidence des parties ou de l'une d'elles. La
mise à l'écart du facteur de la nationalité est remarquable. Ce facteur n'intervient plus
que si la nationalité est partagée : la politique de référence à la nationalité d'une des par-
ties, qui caractérisait les règles antérieures - autant dans le contexte de la loi de 1960 que
par l'effet du rattachement cumulatif - a disparu. De plus, en exigeant une nationalité
partagée, le facteur exprime un objectif nouveau, celui de proximité de préférence à un
objectif de souveraineté. Un tel objectif de proximité est également affirmé à propos des
effets du mariage. Normalement, le droit appliqué au divorce sera le même que celui qui
régit les effets généraux du mariage.
En droit comparé, les pays européens ayant introduit le facteur de résidence à côté
de celui de la nationalité utilisent une échelle de Kegel de type classique (voy. supra,
n° 3.19), donnant la préférence au facteur de la nationalité. D'autres codifications récen-
tes manifestent cependant la même approche que celle retenue par le législateur belge.
Ill!Pour l'utilisation d'une échelle de Kegel classique, voy.: en France, la jurisprudence Rivière
(Cass. civ., 17 avril 1953, Revue, 1953, 412, note H. BATIFFOL), avant l'adoption de l'article 310 du
Code civil, qui utilise ce concept mais sous une forme unilatérale ; en Allemagne : art. 17 EGBGB,
renvoyant au rattachement des effets généraux du mariage; en Italie, l'article 31 de la loi du 31 mai
1995 sur le droit international privé; en Espagne, la loi du 29 septembre 2003 concernant les
mesures concrètes en matière de sécurité publique, violence domestique et intégration sociale des
étrangers (Revue, 2003, 783).
574 LA PERSONNE ET LES RAPPORTS DE FAMILLE

Pour une proposition favorable à l'utilisation d'une échelle inversée, voy. les travaux du Groupe
européen de droit international privé, réunion de Vienne, en 2003 (www.drt.ucl.ac.be/gedip).

12.99 - Ouverture en faveur de l'autonomie des volontés - Le Code prévoit la faculté


pour les époux de choisir le droit applicable au divorce (art. SS, § 2). Il répond ainsi à une
avancée remarquée en doctrine, consistant à permettre aux personnes en situation de
migration d'adapter la loi applicable à leur réalité sociale en optant, selon le type de
migration courte ou longue, pour le rattachement au droit du pays d'origine ou au droit
du pays d'accueil.
1111Voy. principalement en Belgique : J.-Y. CARLIER, Autonomie de la volonté et statut personnel (Bruxel-
les, Bruylant, 1992). Voy. ultérieurement en ce sens limité, les résultats d'une recherche sur l'inté-
gration juridique des étrangers: M.-C. FoBLETS (dir.), Femmes marocaines et conflits familiaux en
immigration: quelles solutions juridiques appropriées? (Anvers, Maklu), 1998 ; M.-C. FoBLETS, « Conflits
conjugaux et immigration: libérer la femme marocaine musulmane malgré elle?», Ann. dr. (1999),
45-68 ; ID.,« Migrant women caught between Islamic family law ans women's rights. The search for
the appropriate 'connecting facror' in international family law »,Maastricht]. eur. camp. L. (2000),
11-34.

L'exercice de l'autonomie fait toutefois l'objet d'un encadrement strict.


Quant à l'objet, le choix ne peut porter que sur la loi de la nationalité commune, ou
sur la loi belge. En quelque sorte, le législateur permet aux parties de rétablir l'échelle de
Kegel classique, donnant la préférence au critère de la nationalité. Ce faisant, les époux
expriment que leur proximité culturelle est restée plus forte avec le pays de leur nationa-
lité.
111 L'exercice de ce choix peur servir à prévenir le risque d'un refus de reconnaissance du divorce à
l'étranger, chaque fois que le système étranger de reconnaissance des jugements pratique un con-
trôle de la loi appliquée.

Le choix en faveur de la loi de la nationalité resterait inopérant si, ce faisant, les époux désignent
1111

un droit dont l'application se heurterait à l'exception d'ordre public.

Quant au moment, le choix doit être fait devant le juge du divorce : « Il doit être
exprimé lors de la première comparution».
IllLa nécessité d'une expression du choix indique que, en cas de silence des parties sur le droit
applicable, le juge ne peut pas s'en remettre à un choix tacite: il devra appliquer d'office le droit
désigné par la règle de rattachement objectif.

1111Le législateur rejette roue choix fait antérieurement au litige, notamment un choix global réa-
lisé, par exemple, au moment de la conclusion du mariage, parmi les divers arrangements matrimo-
niaux. La faculté d'un choix anticipatif aurait permis aux époux de disposer de leur statut
personnel. Elle risquait aussi de soumettre l'un des époux à une pression inacceptable.

12.100 - Dérogation par une clause spéciale d'ordre public - Le Code explicite les ter-
mes de l'exception générale d'ordre public, par l'insertion d'une clause spéciale d'ordre
public positif (voy. supra, n ° 7.S4). L'effet de cette clause est de permettre le divorce alors
même que l'institution est ignorée du droit normalement applicable (art. SS, § 3).
L'utilisation d'une telle clause spéciale traduit l'évolution du droit comparé en
matière de divorce au long de la seconde moitié du xxe siècle. Les États dont le droit
ignore l'institution même de la dissolution du mariage du vivant des époux sont devenus
exceptionnels. D'autres pays européens ont introduit une clause qui a pu servir de
modèle au législateur belge.
LA DISSOLUTION ET LE RELÂCHEMENT DU LIEN CONJUGAL 575

1111 Voy. : en Allemagne, l'article 17, § ier, EGBGB; en Italie, l'article 31, § 2, de la loi du 31 mai 1995
sur le droit international privé; en Suisse, l'article 61, § 3, de la loi du 18 décembre 1987 sur le droit
international privé.
Ces clauses présentent routefois des variations notables. Seule la clause italienne est analogue à la
clause belge. La clause allemande consiste en un rattachement alternatif en cascade, permettant le
divorce s'il ne peut être prononcé selon le droit normalement applicable. La clause suisse joue lors-
que ce droit soumet le divorce à des « conditions extraordinairement sévères ». De plus, ces deux
clauses ne bénéficient qu'à des époux ayant avec le for un rattachement déterminé, par la nationa-
lité (Allemagne) ou par la nationalité ou le domicile (Suisse). Une telle condition comporte le ris-
que d'une discrimination qui, dans le cas allemand, pourrait violer l'article 12 CE.
La clause insérée dans le Code comporte une double particularité, quant à son hypo-
thèse et quant à son effet. L'hypothèse est celle où le droit étranger ignore l'institution
même du divorce: ce n'est pas le cas lorsque, connaissant l'institution, il ne permet pas la
dissolution dans le cas d'espèce. L'effet est de désigner, non pas le droit du for, mais un
autre droit désigné par l'échelle des rattachements.
La clause spéciale ne vise pas à remplacer la clause générale de l'exception d'ordre
public (art. 21 Codip). Celle-ci peut jouer dans d'autres cas, non visés par la clause spé-
ciale, pourvu que soient rencontrées les conditions d'appréciation qui lui sont propres.
Parmi d'autres formes de dérogation, seule la clause générale d'exception peut inter-
venir (art. 20 Codip), comme en d'autres matières. En revanche, le législateur a entendu
ne pas donner effet au concept de rapport juridique boiteux (voy. supra, n ° 12.10).
1111 La jurisprudence a utilisé cette forme de dérogation, à propos de mariages d'étrangers valables

selon le droit belge mais non selon la loi de la nationalité. Voy.: Civ. Arlon, 3 novembre 1967,Jur.
Liège (1967-1968), 301; Civ. Bruxelles 17 octobre 1975, Pas. (1976), III, 14; Bruxelles, 12 octobre
1981, Rev. trim. dr. jam. (1982), 50, note M. VERWILGHEN.
Pour un recours excessif au concept de proximité - avant même la consécration de la clause
1111

d'exception - et au concept de droit au divorce, dans un cas où la loi italienne de la nationalité


commune ne permettait pas le divorce pour le motif que la condition de durée de la séparation
n'était pas remplie en l'espèce, voy. : Civ. Hasselt, 28 Janvier 2003, Limb. Rechtsleven (2003), 152.

B. Domaine de la loi du divorce ou de la séparation


12.101 - Unicité de la catégorie de rattachement - Le Code établit une règle de ratta-
chement unique pour l'ensemble des hypothèses de dissolution du mariage et de relâche-
ment du lien conjugal. Il n'y a donc plus lieu d'opérer les ventilations qu'appelait le droit
antérieur.
Le droit désigné régit principalement les causes et conditions de la dissolution ou
séparation (art. 56, 2°). Il en va de même de l'admissibilité de la séparation (1 °). En
d'autres termes, le législateur accepte le risque que le droit étranger ne connaisse pas
l'institution de la séparation, alors qu'il se prémunit contre un tel risque pour le divorce,
au moyen de la clause spéciale d'ordre public évoquée au numéro précédent.
1111 L'application du droit étranger aux conditions du divorce inclut la question des modalités de la

séparation éventuelle, savoir si elle doit avoir été actée par la voie judiciaire. Voy. sur cette question,
à propos du droit italien: Civ. Liège, 21 décembre 1995, J.L.M.B. (1996), 280, note M. LIÉNARD-
LrGNY, Tijds. Not. (1996), 477, note M. LooYENS, Rev. rég. dr. (1997), 110, note S. FRANCQ.
Dès lors que l'intervention judiciaire est requise, elle peut être demandée en Belgique, non pas
devant le type d'autorité ayant reçu cette attribution en droit étranger, mais selon les attributions
576 lA PERSONNE ET LES RAPPORTS DE FAMILLE

du droit belge, le cas échéant devant le tribunal de première instance en vertu de la plénitude de sa
juridiction.

En cas de divorce par consentement mutuel, le droit désigné régit les conditions du
consentement, y compris son mode d'expression (2 °).
Ce droit détermine également l'effet essentiel du divorce, à savoir la dissolution
même et son moment.
!Ill En revanche, la dissolution du régime matrimonial obéit à sa loi propre (voy. supra, n° 12.73).

D'autres effets du divorce obéissent à la loi qui leur est propre. En omettant toute
précision à cet égard, le législateur a ainsi renoncé à énoncer une loi des effets du divorce.
11111 Voy. l'exposé des motifs de la proposition de loi (Doc. pari., Sénat, 2003-2004, n° 3-27/1, 87).

La dissolution du mariage opère des changements radicaux relativement à la per-


sonne de chaque ex-époux, aux rapports personnels et patrimoniaux entre eux, ainsi
qu'au sujet du statut des enfants.
11111 Entre ex-époux, le changement peut affecter le nom, l'ensemble des devoirs respectifs liés à la vie
en commun, singulièrement le devoir de secours ou d'entretien, ainsi que le régime des biens affec-
tés par la vie commune, qu'il s'agisse du régime matrimonial, de libéralités, avantages ou contrats
institués entre époux.
11111 Quant à la personne même de l'ex-époux, l'aptitude au remariage constitue sans doute l'expres-
sion la plus caractéristique de la rupture du mariage. Elle peut affecter, tantôt une interdiction de
se remarier avant l'écoulement d'un certain délai, tantôt une contrainte relative à la qualité de la
personne avec laquelle une union future est envisagée.
Au sujet des enfants, la rupture du mariage pose la double question de l'attribution de l'autorité
11111

parentale et de l'obligation alimentaire.

Certes, il est apparemment commode de regrouper ces différentes questions sous la


catégorie des« effets du divorce». Il s'agirait alors d'une qualification sans doute propre
aux besoins du droit international privé puisqu'elle n'aurait guère d'utilité en droit
interne, et elle impliquerait assez naturellement un rattachement à la loi du divorce.
À dire vrai, une telle démarche peut être artificielle. Comme toute opération de qua-
lification destinée à déterminer la règle de rattachement pertinente, il est illusoire de
rechercher dans le droit interne des classifications qui, soit y seraient dépourvues de
toute utilité, soit pourraient répondre à des nécessités distinctes de celles qui comman-
dent la désignation du droit applicable.
Ill En termes de qualification, en effet, certaines de ces questions touchent tout autant à une per-
pétuation du mariage dissous ou à un aménagement de certains effets du mariage : il peut en être
ainsi de l'attribution d'un secours alimentaire à l'un des ex-époux, ou de l'utilisation qui peut être
faite, par chaque ex-époux, d'un éventuel patronyme familial choisi lors du mariage. Il en va autre-
ment de la restitution aux époux de la liberté matrimoniale et de la dissolution de la communauté
de biens. D'autres points de droit consistent encore en un aménagement des effets du mariage sur
les relations familiales.

La dissolution du mariage par le divorce peut aussi apparaître comme un pur inci-
dent qui, comme la nullité du mariage ou le décès de l'un des époux, est un simple fac-
teur de perturbation d'un rapport juridique préexistant, rattaché à sa loi propre. Ces
institutions sont de nature variée, mariage, rapports de filiation, devoir de secours entre
des personnes unies par un lien privilégié, succession, régime matrimonial, contrat, mais
aussi institutions de droit public comme le bénéfice d'assurances sociales.
LA DISSOLUTION IT LE RELÂCHEMENT DU LIEN CONJUGAL 577

Une telle perspective met en cause la légitimité d'un rattachement unitaire des
« effets » du divorce.
Aussi, relèvent de la loi qui leur est propre :
- les relations des ex-époux avec les enfants: il en est ainsi de l'exercice de l'autorité
parentale ou du devoir de secours, mais non des mesures qui doivent être adoptées au
cours de la procédure même de divorce (voy. le numéro suivant) ;
Voy. par exemple pour un rattachement autonome du nom de l'enfant après la dissolution, par
Ill!
désignation de la loi nationale de l'enfant: Civ. Gand, 19 mars 1992, Rev. gén. dr. civ. (1993), 70.
- l'incidence du divorce sur la personne de l'ex-époux, comme la détermination du
nom ou l'aptitude au remariage;
- les rapports entre ex-époux, tel le devoir de secours, ou la subsistance, après la dis-
solution, d'un effet général du mariage, telle l'occupation du logement familial.
1111Voy. déjà, en faveur d'un rattachement aux effets du mariage, pour le devoir de secours: Bruxel-
les, 4 octobre 1988, Pas. (1989), II, 66; 19 mars 1990, Rev. trim. dr. fam. (1990), 155; Civ. Bruxelles,
30 octobre 1990, Rev. gén. dr. civ. (1991), 293; Bruxelles, 19 mars 1991, Pas. (1991), II, 129; G. vAN
HECKE et K. LENAERTS, n ° 509 ; pour le logement familial: Cass., 16 juin 1994, Montanari, Rev. not.
belge (1994), 397, concl. min. pub!., Rev. trim. dr.fam. (1994), SOS, note M. FALLON,j.L.M.B. (1995),
509, note M. LIÉNARD-LIGNY, Rev. crit. jur. belge (1996), 5, note N. WATTÉ.
Contra, en faveur de la loi appliquée au divorce, la Convention de La Haye du 2 octobre 1973 sur la
loi applicable aux obligations alimentaires, non ratifiée par la Belgique, art. 8.
Ill Sur l'octroi de prestations compensatoires pour la perte de revenus ou de droits à une pension,
voy. infra, n ° 12.188.
En droit allemand, la compensation des expectatives de pensions et de rentes (Versorgungsausgleich)
- opérée par le juge du divorce entre les droits respectifs des époux à une pension - relève de la loi
appliquée au divorce, qui est la loi applicable aux effets généraux du mariage, non sans une réfé-
rence subtile à la loi nationale des époux : l'une de celles-ci doit prévoir cette compensation pour
que la loi des effets du mariage s'applique; à défaut, la compensation est accordée en vertu de la loi
allemande, pourvu que, pendant le mariage, les effets de celui-ci aient été soumis à une loi pré-
voyant une compensation (art. 17, § 3, EGBGB).
Pour une position favorable au rattachement de la compensation des droits de pension à la loi
applicable au divorce ou, si cette loi ignore une telle institution, à la loi des effets personnels du
mariage, voy. la résolution de l'Institut de droit international lors de sa session de Helsinki,
Annuaire, vol. 61-II, 1986, 304.
Ill!Le droit pour un ex-époux de bénéficier d'une pension de survie souscrite par l'autre, relève de la
loi qui régit ce régime de pension. Il convient ensuite d'apprécier en fonction de la loi qui régit le
divorce, si celui-ci a été prononcé pour une cause qui, selon ce régime, exclut le droit à la pension
(F. RIGAUX, « La loi applicable aux effets du mariage après sa dissolution», Rapport définitif,
Annuaire, vol. 61-I, 1985, 433).

12.102 - Adoption de mesures en cours d'instance - L'adoption de mesures à prendre


au sujet de l'autorité parentale et du devoir de secours mérite l'attention lorsqu'elle a lieu
en cours de procédure.
Le Code précise que la loi du divorce régit « l'obligation d'un accord entre époux
portant des mesures concernant la personne, les aliments et les biens des époux et des
enfants dont ils ont la charge» (art. 56, 3°). Ce faisant, le législateur tranche entre plu-
sieurs rattachements possibles, à savoir la loi applicable au divorce, la loi belge en tant
que loi de procédure, de loi de police impérative ou de loi applicable à toute mesure pro-
visoire, soit encore la loi applicable aux effets du mariage ou la loi applicable plus généra-
lement, tantôt à l'autorité parentale, tantôt aux obligations alimentaires. De fait, la
578 LA PERSONNE ET LES RAPPORTS DE FAMILLE

question du principe même des mesures à prendre conditionne l'admissibilité du


divorce. En revanche, le contenu de ces accords éventuels relève des rattachements pro-
pres à chacune des matières.
Ili Voy., à propos des conventions préalables dans le cadre du divorce par consentement mutuel, en
faveur de l'application de la loi du divorce: Bruxell~s, 25 mars 1980, Rev. trim. dr. Jam. (1980), 168.
111 Pour l'application de la loi du divorce à une action alimentaire entre ex-époux, voy. : Bruxelles,
10 octobre 2000, Rev. Div. (2001), 66, note P. GEORGIN, Rev. trim. dr. Jam. (2001), 669, note M. FAL-
LON.
S'agissant de mesures provisoires à adopter dans l'attente du divorce, il suffit de ren-
voyer à la règle de rattachement pertinente concernant les effets généraux du mariage ou
les obligations alimentaires.
111 Pour l'application de la loi des effets du mariage aux mesures de secours provisoires, voy.
Bruxelles, 25 octobre 1982, Rev. trim. dr. Jam. (1985), 312; Civ. Verviers (réf.), 7 mai 1986, Rev. trim.
dr. Jam. (1988), 467, note M. FALLON, qui applique implicitement la loi belge; Civ. Namur,
22 septembre 2000, Rev. dr. étr. (2000), 678, soumettant des mesures de fixation de la résidence con-
jugale, d'hébergement des enfants et d'aliments à la loi des effets du mariage, à savoir la loi natio-
nale commune et, à défaut, la loi de la résidence commune. H. BATIFFOL et P. LAGARDE (t. II, 1983),
n ° 451, critiquent la jurisprudence favorable à la loi du for.
111 Le droit international privé suisse soumet les mesures provisoires au droit suisse, tout en réser-
vant le rattachement des aliments entre époux (soumis à la Convention de La Haye du 2 octobre
1973) et le rattachement des effets de la filiation (art. 62, §§ 2 et 3, de la loi sur le droit internatio-
nal privé du 18 décembre 1987).

Section 6
Les rapports de couple hors du mariage
12.103 - Bibliographie
L. BARNICH, « Union libre et cohabitation légale. Questions de droit international privé», Mélanges
De Valkeneer (Bruxelles, Bruylant, 2000), 1-16; M. BELL, « Holding back the tide? Cross-border
recognition of same-sex partnerships within the European Union »,Rev. eur. dr. pr. (2004), 613-632;
K. BOELE-WOELKI, « Private international law aspects of registered partnerships and other forms of
non-marital cohabitation in Europe », Louisiana L.R (2000), 1053 et s. ; T. BRANDT, Die Adoption
dur.ch eingetragene Lebenspartner im internationalen Privat- und Verfahrensrecht (Frankfort, Lang, 2004);
A. DEVERS, Le concubinage en droit international privé (Paris, LGDJ, 2004); H. FULCHIRON, « Réflexions
sur les unions hors mariage en droit international privé», Clunet (2000), 889-913; P.-Y. GAUTIER,
« Les couples internationaux de concubins », Revue (1991), 525-540; M. GEBAUER et A. STAUDINGER,
« Registrierte Lebenspartnerschaften und die Kappungsregel des Art. 176 Abs. 4 EGBGB »,IPRax
(2002), 275-282 ; U. JAGERT, « Deliktsrechtliche Betrachtungen zur nichtehelichen Lebensgemeins-
chaft aus der Sicht des deutschen und des italienischen Rechts », RabelsZ. (1989), 718 et s.;
D.]AKOB, Die eingetragene Partneschaft im Internationalen Privatrecht (Koln, Schmidt Ver!., 2002);
H. JESSURUN D'ÜLIVEIRA, « Het pacte civil de solidarité, het geregistreerde partnerschap, het openges-
telde huwelijk en het Nederlandse internationaal privaatrecht », Ned. ]urbi. (2000), 884-886; Io.,
« Registered partnerships, Pacses and private international law - Sorne reflections », Riv. dir. int.
priv. proc. (2000), 293-322 ; G. KEssLER, Les partenariats enregistrés en droit international privé (Paris,
LGDJ, 2005); G. KHAIRALLAH, « Les "partenariats organisés" en droit international privé», Revue
(2000), 317-330; S. LORENZO,« Las parejas no casadas ante el Derecho internacional privado »,Rev.
esp. der. int. (1989), 487-532; P. MAYER,« Les méthodes de la reconnaissance en droit international
privé», Mélanges Lagarde (Paris, Dalloz, 2005), 547-573; M. MIGNOT,« Le partenariat enregistré en
droit international privé», Rev. int. dr. camp. (2001), 601-656; H. MuIR WATT,« Les modèles fami-
liaux à l'épreuve de la mondialisation (aspects de droit international privé) »,Ar.ch. Phil. Droit (2001),
LES RAPPORTS DE COUPLE HORS DU MARIAGE 579

271-284; P.-P. RENS0N, « L'union libre internationale», Ann. droit (2002), 181-225; M. REVILLARD,
« Le PACS, les partenariats enregistrés et les mariages homosexuels dans la pratique de droit inter-
national privé», Rép. not. Defr. (2005), 461-480; F. RrGAUX, « The law applicable to non traditional
families », Mélanges Siehr (La Haye, Asser Inst., 2000), 647-656; G. Ross0LILLO, « Registered part-
nerships e matrimoni tra persane dello stesso sesso : problemi di qualificazione ed effetti nell'ordi-
namento italiano », Riv. dir. int. priv. proc. (1003), 363-398; K. SIEHR, « Family unions in private
international law », N.I.L.R (2003), 419-436 ; H. T0NER, Partnership rights, free movement and EU law
(Oxford, Hart Pub!., 2004); M. TRAEST, « Buitenhuwelijkse samenlevingsvormen in het internatio-
naal privaatrecht: een materie in voile evolutie », Alg. fur. Tijds. (2000-2001), 384-388 ; N. WATTÉ et
L. BARNICH, « L'union libre en droit international privé», L'union libre (Bruxelles, Bruylant, 1992);
A. WEYEMBERGH, « Les nouvelles formes de vie commune et leur impact sur le regroupement
familial», Rev. dr. étr. (2000), 6-18.
Voy. en outre le recueil d'articles publié dans les ouvrages collectifs suivants : Des concubinages, droit
interne, droit international, droit comparé, Mélanges en l'honneur de]. Rubbelin-Devichi (Paris, Litec, 2002) ;
Aspects de droit international privé des partenariats enregistrés en Europe (Zürich, Schulthess, 2004); K.
B0ELE-W0ELKI et A. FUCHS, Legal recognition ofsame-sex couples in Europe (Anvers, Intersentia, 2003).

§1 LES FIANÇAILLES

12.104 - Application du principe de proximité - De soi, les questions relatives à la


constitution du lien de fiançailles, à ses effets, à sa dissolution et aux effets de la dissolu-
tion, devraient relever de la loi du pays correspondant à l'intégration prépondérante du
rapport juridique. Plus précisément, s'agissant d'une relation de couple, il paraît cohé-
rent de concrétiser le concept de proximité au moyen de facteurs de rattachement analo-
gues à ceux qui caractérisent le mariage, singulièrement les effets généraux de celui-ci.
Le Code de droit international privé complète les dispositions relatives au mariage,
au moyen d'une règle de rattachement propre aux relations de fiançailles (art. 45), dispo-
sition qui reprend pratiquement celles relatives aux effets du mariage.
Dans la doctrine classique, la question des effets de la rupture des fiançailles a été
utilisée pour justifier une variante de la théorie des qualifications (voy. supra, n ° 7.12).
C'est aussi en se basant sur la qualification donnée en droit matériel - plus précisément
par le droit du for - à une demande en dommages et intérêts, que le tribunal civil de
Gand a soumis celle-ci à la loi du lieu de l'acte générateur du dommage, opérant ainsi un
rattachement à la catégorie de la responsabilité civile.
1111 Civ. Gand, 15 février 1982, R. W (1982-1983), 2770, note]. ERAUW.

Une solution correcte ne peut être trouvée que dans des considérations propres à la
structure globale des règles de conflit de lois du for. Le choix de la règle pertinente doit
être fonction de la nature et du contenu des règles susceptibles de désigner le droit appli-
cable. Le critère de l'acte générateur est non seulement trop fortuit pour régler une ques-
tion relevant de la vie commune de deux personnes, il sera aussi, bien souvent, inapte à
localiser exactement l'événement pertinent. Il est donc préférable de considérer la nature
du rattachement qui régit les rapports de type familial, en ayant égard au lien qui unit les
rapports personnels entre individus avec la loi du pays d'intégration prépondérante.
Le Code permet ce résultat lorsque l'action relève de la matière des obligations non
contractuelles, au moyen du concept de rattachement accessoire (art. 100, voy. infra,
n° 15.19).
580 LA PERSONNE ET LES RAPPORTS DE FAMILLE

§2 LES RELATIONS DE VIE COMMUNE


12.105 - Présentation - La dernière décennie du xxe siècle a connu une révolution dans
le droit des rapports de couple. En droit matériel belge, l'évolution a connu deux phases,
la première par la création du concept de « cohabitation légale » (loi du 23 novembre
1998, art. 1475 et s. C. civ.), la seconde par l'élargissement du mariage à l'union de per-
sonnes de même sexe (loi du 13 février 2003, adaptant notamment l'art. 143 C. civ.). À
l'étranger, le droit néerlandais a servi de catalyseur, celui-ci connaissant une variété de
formes d'union, puisque le législateur est le premier à avoir consacré, en Europe, l'élargis-
sement du mariage à l'union de personnes de même sexe, non sans avoir créé au préalable
le geregistreerd partnerschap, forme de relation ouverte à des personnes de l'un ou l'autre
sexe et subsistant à côté de l'élargissement du mariage. Dans d'autres pays qui ont suivi
cette évolution, l'orientation est moins complexe, dans la mesure où le législateur a
limité l'accès à une relation légale pour les personnes de même sexe à une seule forme de
relation, soit le « pacte civil de solidarité» (pacs) en France, soit une forme de registered
partnership dans les pays scandinaves ou en Allemagne. Ces pays, à la différence de la Bel-
gique ou des Pays-Bas, pratiquent une césure formelle entre la relation hétérosexuelle et
la relation homosexuelle : à la première le mariage, à la seconde le partenariat. Mais au-
delà de cette ventilation, les fonctions de l'une et l'autre institutions sont le plus souvent
analogues, à l'exception de l'effet sur la filiation.
1111Vue avec le recul auquel contraint le droit des conflits de lois, la réglementation des rapports de
couple de personnes de même sexe obéit, comme celle de rapports hétérosexuels, à la nécessité pour
la collectivité d'exercer un contrôle social de telles relations. En particulier, en organisant l'enregis-
trement de la relation, le législateur offre aussi une protection à celui des partenaires qui, au long
de la vie de couple, apparaîtrait comme la partie la plus faible.

Ces institutions juridiques nouvelles se distinguent de l'union de fait par le forma-


lisme qui s'attache à la reconnaissance légale de la relation. Celle-ci doit normalement
faire l'objet d'une inscription dans un registre public, pour générer une protection légale.
La précédente édition de cet ouvrage (Bruxelles, Larcier, 1993), n ° 1066, ne traitait encore que
1111

de l'union de fait. Il y était proposé d'adopter un système de rattachement analogue à celui qui
peut rendre compte de l'intégration prépondérante d'un couple, en utilisant une échelle de Kegel.

Pour établir des règles de droit international privé relatives à ces diverses institu-
tions, il n'est pas nécessaire que celles-ci soient connues du droit matériel du for. Même si
ce droit ignore l'institution du partenariat, le juge saisi doit être à même de statuer sur
toute demande qu'un particulier peut lui adresser au sujet d'une relation éventuellement
établie à l'étranger. Ce constat encourage à configurer les catégories de rattachement du
for d'une manière suffisamment ouverte pour leur permettre d'englober des institutions
inconnues du système du for, en s'attachant à les qualifier selon leur fonction plutôt que
selon leur nature.
Pour les relations de couple, cela signifie que, pour être opérationnelle, la catégorie
de rattachement se devrait de couvrir l'ensemble de ces relations, quelle que soit leur
appellation, pourvu que soit identifiable le rôle que la collectivité assigne à l'institution.
C'est plaider pour une catégorie unique des relations de couple, englobant le mariage, au
sens classique ou élargi, ainsi que le partenariat enregistré connu de certains droits étran-
gers, lorsque leur encadrement légal - selon le droit étranger - est équivalent à celui du
manage.
LES RAPPORTS DE COUPLE HORS DU MARIAGE 581

12.106 - Définition de la catégorie de rattachement - Le Code de droit international


privé se devait de couvrir la problématique des rapports de couple autres que le mariage
au sens strict. Il prévoit en la matière des règles particulières, qui se distinguent nette-
ment de celles qui régissent le mariage (art. 58 à 60). Encore convient-il de circonscrire
avec soin la catégorie juridique visée.
!IllLe droit matériel belge a connu une évolution législative sensible au cours des travaux prépara-
toires de la loi de droit international privé, puisque la loi sur l'élargissement du mariage porte la
date du 13 février 2003. Cela explique que les termes de l'exposé des motifs de la proposition de loi
qui avait été déposée en premier lieu (Doc. pari., Sénat, 2001-2002, n° 2-1225/1) ne tiennent pas
compte du changement législatif opéré entre-temps, et les termes de la proposition déposée ulté-
rieurement (Doc. pari., Sénat, 2003-2004, n ° 3-27/1) n'ont pas été adaptés.
L'exposé des motifs relate, et la consécration de formes alternatives d'union à l'étranger, et le ratta-
chement de la cohabitation légale. Pour la première, il montre la nécessité d'adopter une position
pour le cas où un juge belge aurait à connaître d'une relation constituée à l'étranger. Pour l'une
comme pour l'autre, il établit un rattachement unitaire de l'ensemble des relations de couple, en
étendant par analogie les règles du mariage, sous réserve de certaines adaptations, notamment en
cas de relation boiteuse (arc. 60, § 4, de la proposition de loi).

La catégorie juridique se comprend comme visant « une situation de vie commune


donnant lieu à enregistrement par une autorité publique et ne créant pas entre les coha-
bitants de lien équivalent au mariage» (art. 58). Les termes en sont suffisamment ouverts
pour englober un rapport de droit indépendamment de son appellation. La définition
comporte deux éléments. D'abord, quant à la formation de la relation, seule est visée celle
donnant lieu à enregistrement. Ensuite, quant à sa portée, la relation ne doit pas être
équivalente au mariage.
L'union de fait n'est donc pas visée. Ainsi, le Code ne prévoit pas de rattachement particulier
1111

pour cette relation. Il y aura lieu d'identifier, au cas par cas, la nature de la demande (par exemple,
une demande fondée sur un contrat) et d'appliquer en conséquence les règles de rattachement pro-
pres à la matière concernée. De plus, la clause générale d'exception (art. 19 Codip) pourrait jouer
un rôle utile.
Pour une critique de cette exclusion, voy. : P.-P. RENSON, « L'union libre internationale", Ann. dr.
(2002), 181-225.

La vérification de la condition d'équivalence est assurément déterminante. La condi-


tion doit s'analyser avec la souplesse que requiert le droit international privé général (voy.
supra, n ° 3.38). Elle nécessite pratiquement une phase d'interprétation du droit étranger
qui sert de support à la demande. De plus, le contenu de la règle de rattachement, qui
souligne le caractère dérogatoire de la règle, appelle, en cas de doute, une interprétation
stricte de la notion de relation de vie commune.
1111Les travaux préparatoires évoquent à plusieurs reprises, et l'état du droit comparé, et la classifi-
cation possible d'une institution, sans qu'une position nette puisse en être déduite. Il a toutefois
été affirmé, par le ministre, que « une solution possible serait de prévoir qu'est équivalente au
mariage une institution qui crée un empêchement au mariage sauf si, dans l'État qui a créé cette
institution, les personnes qui l'ont conclue pouvaient se marier" (Doc. pari., Sénat, 2003-2004,
n ° 3-27/7, 335).
La condition d'équivalence est de nature à classer comme ne relevant pas de la catégorie la plupart
des relations de partenariat établies en fonction du droit de pays scandinaves. De fait, ces législa-
tions, tout en utilisant une appellation spécifique, renvoient pour le reste aux conditions du
mariage et, sous réserve de la filiation, à ses effets. La même interprétation devrait valoir pour le
droit allemand, même si l'intention du législateur a été de dissocier formellement le Lebenspartners-
chaft du mariage, concept réservé à l'union hétérosexuelle.
S82 LA PERSONNE ET LES RAPPORTS DE FAMILLE

L'appréciation est plus délicate pour le « geregistreerd partnerschap » du droit néerlandais, ouvert,
comme le mariage, aux couples hétéro- comme homosexuels, comme l'est aussi la cohabitation
légale du droit belge. L'effet de ce partenariat est analogue à celui du mariage et inciterait à l'insérer
dans la catégorie du mariage au sens du Code de droit international privé ; toutefois, selon le cri-
tère précité dans les travaux préparatoires, la possibilité d'accéder à l'institution du mariage ten-
drait à l'exclure de cette catégorie.

En pratique, la catégorie des « relations de vie commune » devrait ne couvrir que la


relation de cohabitation légale du droit belge, et quelques institutions de droit étranger
équivalentes, comme le pacte civil de solidarité du droit français (Doc. parl., Sénat, 2003-
2004, n ° 3-27/7, 336).

12.107 - Préférence pour le lieu d'enregistrement - Le Code soumet la relation de vie


commune au droit de l'État de l'enregistrement (art. 60). En cas de pluralité d'enregistre-
ments - dans des pays différents -, seul le premier enregistrement est pris en considé-
ration.
La même solution se retrouve en droit allemand (loi du 16 février 2001, Revue, 2001, 772), et
Ill!
pratiquement aux Pays-Bas (loi du 6 juillet 2004, www.overheid.nl).

Camp. la règle d'applicabilité unilatérale retenue en droit suédois : l'enregistrement est possible
Ill!
en Suède si l'une des parties est domiciliée en Suède depuis deux ans, ou si l'une d'elles est suédoise
(ou norvégienne ou danoise) et est domiciliée en Suède lors de l'acte (loi du 31 mai 2000, Revue,
2001, 774).

Le domaine de la règle de rattachement est large, puisqu'il couvre l'ensemble des


questions, de la formation à la cessation, y compris les effets sur les biens des partenaires
(art. 60, al. 2). Cette extension a été vue, par ses auteurs, comme un élément déterminant
du choix du facteur du lieu d'enregistrement: la solution s'explique par un souci de sim-
plification, en retenant un rattachement en quelque sorte vertical de la relation. Ainsi, le
droit applicable aux effets ne saurait relever d'un droit qui ignore l'institution, ou d'un
droit qui, tout en connaissant une institution analogue, lui assigne des effets difficile-
ment conciliables avec ceux prévus par le droit qui a permis la formation de la relation.
IllLa solution (découlant de l'amendement n ° 58 du gouvernement) est le résultat de divers
amendements. Le premier à avoir été déposé (amendement n ° 7, ensuite retiré au vu d'amende-
ments ultérieurs le confirmant) exprimait une opinion partagée par la plupart des membres de la
commission de la Justice du Sénat (Doc. pari., Sénat, 2003-2004, n ° 3-27/7, 334 et n ° 3-27/3). Sa
justification traduit l'orientation recherchée. Elle évoque la portée essentielle de la relation de
cohabitation légale, qui relève de la gestion des biens des partenaires, et souligne la difficulté de
ventiler l'application de lois différentes aux différents aspects de la relation.

Ill Ce rattachement vertical motivé par le caractère encore limité dans l'espace de législations rela-
tives à la vie commune hors mariage, paraît voué à s'aligner sur les règles de rattachement de la
catégorie du mariage dès que l'évolution du droit comparé montrera une banalisation de l'institu-
tion.

Toutefois, une dérogation est apportée au critère du lieu d'enregistrement en ce qui


concerne les relations avec les tiers : le Code renvoie par analogie (art. 60, al. 3) aux dispo-
sitions relatives à l'opposabilité du régime matrimonial (art. 54), tout en réservant le cas
du rapport boiteux.
Ili En cas de rapport boiteux, c'est-à-dire si le droit régissant l'opposabilité« ne connaît pas la rela-
tion de vie commune, il est fait application du droit de l'État sur le territoire duquel la relation a
été enregistrée».
LA FILIATION 583

12.108 - Détermination de la compétence internationale - Une distinction s'impose


selon que la compétence internationale est celle de juridictions ou d'autorités adminis-
tratives.
Les juridictions belges doivent être à même de connaître de toute demande concer-
nant une relation de vie commune, pourvu que soit rencontré un lien suffisant avec le
système du for. En d'autres termes, il n'y a pas lieu de restreindre leur compétence inter-
nationale du fait que ce système ne connaît pas l'institution juridique qui fonde la
demande. À cet effet, le Code renvoie (art. 59, al. 1er) aux dispositions générales sur la
compétence internationale concernant le contentieux matrimonial (art. 42).
L'appréciation est plus délicate pour la compétence de l'autorité administrative,
lorsque celle-ci est appelée à enregistrer la formation ou la cessation de la relation. En
effet, en raison du principe Auctor regit actum, cette autorité n'est pas en mesure d'acter
d'autres éléments que ceux que prévoit son propre droit. En d'autres termes, un officier
belge de l'état civil ne saurait procéder à d'autre enregistrement que celui d'une relation
de cohabitation légale. Cette limitation contribue à expliquer le rattachement de la rela-
tion au droit du pays d'enregistrement.
La compétence internationale de l'autorité d'enregistrement obéit à une règle spéci-
fique, tant pour la formation de la relation que pour sa cessation (art. 59, al. 2 et 3). Le
critère pertinent est celui de « la résidence habituelle commune » des parties au moment
de la conclusion et, pour la cessation, celui de l'enregistrement de la formation en Belgi-
que. Il vise à transposer le critère utilisé par l'article 1476 du Code civil pour la compé-
tence interne.
1111 La solution résulte des discussions au sein de la commission de la Justice du Sénat (amende-
ment n ° 57, retiré après débat et adoption de l'amendement n ° 97).
1111 Le critère de la « résidence habituelle » fut jugé analogue à celui du « domicile » utilisé par
l'article 1476, compris comme renvoyant à l'article 102 C. civ.
1111 Les règles de compétence interne du Code civil sont inadaptées à l'hypothèse de l'enregistre-
ment de la cessation, puisque, à ce moment, les parties peuvent ne plus être domiciliées en Belgi-
que.

Section 7
La filiation
12.109 - Bibliographie
a) Filiation biologique
C. CAMPIGLIO, Il rapporta di filiazione ne/ diritto internazionale privato italiano (Padova, Cedam, 1990);
C. CHABERT, L'intérêt de l'enfant et/es conflits de lois (Aix, PUAM, 2001) ; J.-Y. CHEVALLIER, Filiation natu-
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tion légitime en droit international privé (Paris, Dalloz, 1977); M. FALLON,« La filiation internationale:
problèmes nouveaux, solutions nouvelles », Relations familiales internationales (Bruxelles, Bruylant,
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584 LA PERSONNE ET LES RAPPORTS DE FAMILLE

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b) Adoption
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internationaal privaatrecht », Rev. gén. dr. civ. (1989), 449-467; (1990), 5-18; H. MuIR WATT,« La loi
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des cours, vol. 180 (1983, II), 295-412; M. PERTEGAS SENDER, « L'intérêt de l'enfant dans l'adoption
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LA FILIATION 585

d'autorités et de juridictions en matière de filiation adoptive »,].].P. ( 1973), 161-178 ; ID.,« Filiation
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d'accueil (Bruxelles, Story-Scientia, 1990), 179-192; ID., « Le renouveau de l'adoption
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M. VERWILGHEN, J.-Y. CARLIER, C. DEBROUX et J. DE BuRLET, L'adoption internationale en droit belge
(Bruxelles, Bruylant, 1991).
Pour des présentations générales des réformes législatives successives, voy., dans l'ordre
chronologique: F. BoucKAERT, « De wet van 21 maart 1969 betreffende de adoptie en de wettiging
door adoptie en het internationaal privaatrecht », Tijds. Not. (1971), 1-13; M. VERWILGHEN, « La filia-
tion adoptive en droit international privé belge - Etude des règles de conflits de lois introduites à
l'article 344 du Code civil par la loi du 21 mars 1969 », Rev. not. belge (1973), 162-199 et 226-241;
C. DEBROUX, « La réforme du droit international privé de la filiation adoptive »,]. T (1988), 293-
301; ID.,« La filiation adoptive internationale depuis la loi du 27 avril 1987 - Réforme souhaitée
mais inattendue», Rev. trim. dr. Jam. (1987), 253-276 ; J. ERAuw, « De nieuwe geplande regeling in
België van de internationale adopties - Een analyse», R.W: (1986-1987), 2065-2086; M. TRAEST,
« Interlandelijke adoptie na de wet van 24 april 2003 », R. W. (2003-2004), 1361-1375.
Sur la Convention de La Haye de 1993, voy. notamment: N. MEYER-FABRE,« La Convention de La
Haye du 29 mai 1993 sur la protection des enfants et la coopération en matière d'adoption
internationale», Revue (1994), 259-296; E. POISSON-DROCOURT,« L'entrée en vigueur de la Conven-
tion de La Haye du 29 mai 1993 sur la protection des enfants et la coopération en matière
d'adoption», Clunet (1999), 707-744; B. STURLÈSE, « La Convention de La Haye du 29 mai 1993 sur
la protection des enfants et la coopération en matière d'adoption internationale »,].C.P. (1993), I,
3710; M. VERWILGHEN, « La genèse d'une Convention sur l'adoption d'enfants originaires de
l'étranger», Rev. belge dr. int. (1991), 438-468.
Voy. également la résolution adoptée par l'Institut de droit international lors de sa session du Cen-
tenaire (Rome, 1973), concernant les effets de l'adoption en droit international privé, dont le texte
est publié par la Revue (1973), 179. Sur les travaux préparatoires de l'Institut, voy.: Annuaire, vol. 55
(1973), 117-213, avec le rapport de R. DE NovA, 694-717.
La Revue internationale de droit comparé a publié un recueil de travaux sur l'adoption interne et inter-
nationale en 1985, pp. 703-865.

12.110 - Réformes législatives et conflit transitoire - L'entrée en vigueur du Code de


droit international privé, le 1er octobre 2004, modifie radicalement les règles de rattache-
ment en matière de filiation, tantôt biologique, tantôt sociologique. La solution donnée
au conflit transitoire en ces matières ne prive pas de tout intérêt pratique les solutions
valables précédemment.
Plutôt que de consacrer une subdivision particulière aux règles antérieures, il paraît plus effi-
Ill!
cace de les distinguer des solutions nouvelles lors de l'analyse de ces dernières.
Pour la filiation biologique, les règles nouvelles s'appliquent« aux demandes intro-
duites après» le 1er octobre 2004. Toutefois, elles « n'affectent pas un lien de filiation
valablement établi avant cette date» (art. 127, § 5). L'intention du législateur est de favo-
riser l'application des règles nouvelles, même aux actes antérieurs, en raison des incerti-
tudes affectant les règles antérieures. Toutefois, cette rétroactivité ne saurait affecter des
droits légitimement acquis : la solution retenue présente ainsi un caractère alternatif,
dans un sens favorable à la validité du lien de filiation.
Ill Le terme« demande» vise non seulement une action judiciaire, mais toute prétention, puisque
celle-ci, une fois non satisfaite, peut se transformer en action.
Pour l'adoption, les règles nouvelles affectent uniquement les actes passés après leur
entrée en vigueur (art. 127, § 6), mais cela ne signifie pas nécessairement le ier octobre
2004. En effet, l'entrée en vigueur de l'ensemble des règles, de compétence, de rattache-
586 LA PERSONNE IT LES RAPPORTS DE FAMILLE

ment et d'efficacité des décisions étrangères, relatives à l'adoption, a été postposée, dans
l'attente de l'entrée en vigueur de la loi spéciale du 24 avril 2003 réformant l'adoption
(art. 140). Cette loi comporte certaines règles de droit international privé, dont un règle-
ment complet de la reconnaissance des décisions étrangères, et, pour le surplus, elle
maintient les règles de conflit de lois antérieures, contenues dans les articles 344 et 344ter
du Code civil (art. 24, § 1er, de la loi sur l'adoption). Elle vise principalement à adapter le
droit belge à une ratification de la Convention de La Haye du 29 mai 1993 sur la protec-
tion des enfants et la coopération en matière d'adoption internationale.
111 L'entrée en vigueur de la loi du 24 avril 2003 réformant l'adoption (Monit., 16 mai 2003), fixée
par le Roi, a été postposée au 1er septembre 2005 (arrêté royal du 24 août 2005, Monit., 29 août
2005). Ce retard est lié à l'ampleur de la réforme, initialement limitée à une adaptation du droit
belge à l'entrée en vigueur de la Convention de La Haye du 29 mai 1993, ensuite étendue au droit
matériel de l'adoption (art. 343 à 356-4 nouveaux C. civ.).
Concernant les cas internationaux, la loi de 2003 distingue l'hypothèse de l'établissement d'une
adoption en Belgique de celle de la reconnaissance d'une adoption établie à l'étranger. Pour la pre-
mière hypothèse, elle organise une procédure particulière et des voies de recours (art. 1231-26 et s.,
C. jud.), et elle établit une série de conditions matérielles liées au respect de formalités propres aux
cas d'un déplacement international d'un enfant (art. 360-1 à 363-6 nouveaux C. civ.). Pour la recon-
naissance, elle distingue selon que le cas entre ou non dans le domaine de la Convention de La
Haye. Dans la négative, elle établit un régime complet de reconnaissance, qui fait fonction de droit
commun.
IllLes articles 344 et 344ter C. civ. restent donc applicables après le 1er octobre 2004, jusqu'au 1er
septembre 2005. Après l'entrée en vigueur des dispositions du Code, elles continueront de détermi-
ner la validité d'actes établis avant cette date, même si la phase juridictionnelle est postérieure à
cette date.
111 Dans le cas d'adoptions établies à l'étranger, l'entrée en vigueur de la règle spéciale du Code
(art. 72) dépend de celle de la loi du 24 avril 2003, puisque son contenu se réfère aux dispositions
de celle-ci.
Les dispositions transitoires de la loi du 24 avril 2003 prévoient une règle alternative, en faveur de
la reconnaissance (art. 24, § 2) : une décision étrangère devenue définitive avant l'entrée en vigueur
de la loi, relève des règles sur la reconnaissance du droit antérieur si celui-ci est plus favorable. Il en
va de même si la décision, rendue antérieurement, est devenue définitive après cette date (loi du
20 juillet 2005, Monit., 29 juillet 2005, art. 9, modif. art. 24, § 2, de la loi de 2003), sous certaines
conditions toutefois si l'adoption implique un déplacement international (art. 24, § 3, nouveau).
Pratiquement, dans la mesure où le régime nouveau est plus strict, le régime ancien prévaudra, hor-
mis pour le contrôle de la loi applicable, désormais supprimé. Ce contrôle est toutefois remplacé
par l'obligation de respecter certaines règles matérielles (voy. infra, n ° 12.143).
Cette loi précise qu'une décision reconnue antérieurement peut bénéficier de la procédure d'enre-
gistrement qu'elle établit.
Les adoptions établies avant l'entrée en vigueur des règles nouvelles semblent toute-
fois relever de ces dernières en ce qui concerne le droit applicable à leurs effets. Cette
solution découle du principe de l'application immédiate consacré par le Code.
Il! Cette nuance peut avoir une portée pratique sensible, car les nouvelles règles de rattachement
diffèrent nettement des anciennes.

§ 1 LA FILIATION BIOLOGIQUE

A. Compétence internationale
12.111 - Critères extensifs de compétence internationale - Le Code de droit internatio-
nal privé introduit des règles de compétence internationale propres à la matière de la
LA FILIATION 587

filiation. Une distinction s'impose selon que la compétence affecte une juridiction ou
une autorité. (art. 61).
(1) La compétence juridictionnelle (art. 61) s'attache moins à la qualité de deman-
deur ou de défendeur, qu'à la qualité d'enfant ou de père et mère prétendus. Toutefois, il
convient d'y ajouter les règles générales, à savoir principalement l'utilisation du critère
du domicile ou de la résidence habituelle du défendeur (art. 5).
Les règles particulières ont égard à :
la résidence habituelle de l'enfant;
la résidence habituelle de l'auteur en cause;
la nationalité commune de l'enfant et de l'auteur en cause.
Ces règles ne retiennent pas la nationalité de l'une des parties, comme le permettait
l'ancien article 15 du Code civil, voire la prorogation exceptionnelle de compétence fon-
dée sur la nationalité du demandeur (voy. supra, n ° 9 .51 ).
IllAu cours de la période antérieure, po·ur l'utilisation de la nationalité de l'enfant, voy. : Trib. arr.
Nivelles, 1er décembre 1992, ].T. (1993), 582; Gand, 20 décembre 1996, RW (1997-1998), 1077,
dans ce cas sur la base, singulièrement, de l'article 3 C. civ., porteur d'une règle de conflit de lois.

La détermination de la compétence territoriale interne a lieu selon les dispositions


de l'article 331, paragraphe 1er, du Code civil. Celui-ci établit une compétence exclusive
en faveur du tribunal du domicile - la résidence habituelle au sens de l'article 102 du
Code civil - de l'enfant.
IllSi l'enfant réside à l'étranger alors que l'auteur en cause réside en Belgique, l'article 13 du Code
renvoie à l'article 61, pour désigner le tribunal de ce lieu.
Ill Si l'enfant réside à l'étranger alors que la compétence internationale est fondée uniquement sur
la nationalité commune des parties, l'article 13 du Code permet de porter la demande devant le
juge de l'arrondissement de Bruxelles.
Au cours de la période antérieure, pour une utilisation de l'article 331 C. civ. comme règle de
1111

compétence internationale, voy.: Civ. Gand, 19 avril 2001, Tijds. Gentse Rechtspraak (2002), 90.

(2) La compétence internationale de l'autorité administrative fait désormais l'objet


d'une disposition explicite, qui faisait défaut antérieurement (art. 65). L'autorité peut
recevoir l'acte si l'enfant est né en Belgique ou réside en Belgique au moment de l'acte, ou
si l'auteur est belge ou réside en Belgique au moment de l'acte.
De plus, les autorités diplomatiques et consulaires, belges ou étrangères, peuvent, le
cas échéant, intervenir selon les contraintes du principe Auctor regi,t actum (voy. supra,
n° 3.34).
Les autorités diplomatiques ou consulaires belges à l'étranger possèdent une telle
compétence en vertu de la loi du 12 juillet 1931, à condition que le reconnaissant soit
belge. La nationalité de l'enfant est donc indifférente.
1111Le recours au critère de la nationalité de l'auteur est en harmonie avec la soumission du lien de
filiation à la loi nationale de l'auteur.

Les autorités étrangères accréditées en Belgique peuvent également recevoir un acte


de reconnaissance si cette compétence est prévue par la loi étrangère.
Voy. par ex.: Civ. Liège, 18 mai 1983, fur. Liège (1983), 380 (consulat grec); Civ. Bruges,
11111

27 janvier 1986, R W. (1986-1987), 878, note L. DE FOER (consulat italien).


588 LA PERSONNE ET LES RAPPORTS DE FAMILLE

Il n'est pas certain qu'il faille imposer - comme le fait par ex. J. DE BuRLET, op. cit. n° 12.1,
1111
n° 1479 - par voie de réciprocité que le reconnaissant soit un ressortissant du pays d'envoi. Il ne
pourrait en aller autrement qu'en cas d'application impérative de la règle Locus. Dès lors que l'on
considère que l'acte est valable s'il répond aux conditions prescrites par la loi étrangère applicable
aux conditions de fond, on ne saurait exclure qu'une autorité du pays dont l'enfant a la nationalité
ait reçu compétence de la loi étrangère pour recevoir tout acte concernant cet enfant, même effec-
tué par un ressortissant de l'État de résidence.
La validité même de l'acte reçu par l'autorité s'apprécie au moyen des règles de ratta-
chement pertinentes, et non des règles relatives à l'efficacité des décisions judiciaires
étrangères. Étant reçu par une autorité publique étrangère sous la forme instrumentaire,
l'acte ne cesse d'avoir un caractère privé (voy. supra, n ° 10.7).
Ill! Voy. une telle confusion par: Civ. Liège, 18 mai 1983, précité.

12.112 - Compétence d'attribution - L'intervention d'une autorité belge peut faire dif-
ficulté lorsque la reconnaissance est soumise à une loi étrangère.
(1) Une première question surgit lorsque la loi étrangère confère à l'acte une portée
différente de celle attribuée par la loi belge à l'acte que l'autorité belge est compétente
pour recevo1r.
La Convention portant extension de la compétence des autorités qualifiées pour
recevoir les reconnaissances d'enfants naturels, signée à Rome le 14 septembre 1961 (loi
du 18 juillet 1967, Pasin., 1967, 934) prévoit que:
- les ressortissants d'États dont la loi ne prévoit que la reconnaissance avec filiation
peuvent souscrire une telle reconnaissance devant les autorités publiques d'un État qui
n'admet que la reconnaissance sans filiation (art. 2 et 4);
- les ressortissants d'États dont la législation prévoit la reconnaissance sans filia-
tion sont admis à souscrire pareille reconnaissance devant les autorités compétentes d'un
État qui ne prévoit que la reconnaissance avec filiation (art. 3 et 4).
1111En Suisse, il est précisé que la personne reconnaissant un enfant naturel pourra, si la loi de son
pays d'origine le permet, déclarer que la reconnaissance« sera avec ou sans effet d'état civil» (circu-
laire du département fédéral de justice et de police, du 29 avril 1964). Mais les effets de cette décla-
ration de volonté sont déterminés par la loi compétente, laquelle n'est pas désignée par la
Convention.
IllContrairement à ce que donne à entendre l'exposé des motifs du projet de loi d'assentiment
(Doc. pari., Ch. repr., 1963-1964, n° 698), aucune solution de conflit de lois ne pourrait être déduite
de la Convention.
(2) Une autre question surgit lorsque la loi étrangère, soit prévoit une homologation
dans des cas que la loi belge ne prévoit pas, soit répute l'acte accompli par la simple pré-
sentation d'une demande de légitimation, soit encore suppose une déclaration devant les
autorités de l'état civil.
Dans le premier et le troisième cas, la plénitude de juridiction du tribunal de pre-
mière instance permet d'asseoir sa compétence (voy. supra, n ° 9.58).
Pour le cas où une déclaration est prévue devant l'officier de l'état civil, voy. : Civ. Liège,
1111

21 octobre 1988,].L.M.B. (1989), 132.


1111 Encore faut-il que le droit étranger applicable prévoie la formalité qui fait l'objet de la demande.

Voy. en ce sens: Civ. Liège, 9 janvier 1992, Rev. trim. dr. fam. (1992), 397, disant n'y avoir pas lieu à
homologation puisque le droit polonais ne prévoit pas cette exigence; 12 juin 1992, Rev. trim. dr.
fam. (1992), 407, déclarant la demande recevable puisque le droit zaïrois prévoyait cette formalité.
LA FILIATION 589

Dans le second cas, il n'y a aucune objection à admettre la validité de l'acte quant à
la forme.
Ill Voy.: Civ. Mons, 21 novembre 1984, Rev. trim. dr.fam. (1985), 118.

Encore faut-il que le droit étranger qui prévoit cette intervention soit bien applica-
ble à la question. Ce sera le cas, en cette matière, lorsque l'acte a été passé à l'étranger
mais sans accomplir la formalité subséquente de l'homologation. Le droit étranger est en
effet applicable aux formalités à accomplir (voy. infra, n ° 12.116).

B. Droit applicable
12.113 - Objectifs de la règle de rattachement en matière de filiation - L'incertitude qui
affectait le contenu de la règle de conflit de lois en matière de filiation à la veille de
l'entrée en vigueur du Code de droit international privé, justifie quelques considérations
liminaires sur les enjeux de la problématique. De soi, la recherche des objectifs de la règle
de conflit de lois en cette matière peut avoir égard à des éléments de droit matériel, au
principe fondamental de l'intérêt de l'enfant et à une exigence de praticabilité de la règle
de droit.
En premier lieu, le droit matériel de la filiation a vu s'estomper, sous la pression des
droits fondamentaux, la distinction traditionnelle entre les filiations dites légitime et
naturelle. Cette distinction ne saurait donc plus fournir une classification utile aux fins
de la solution du conflit de lois. Cependant, d'autres clivages peuvent apparaître à l'inté-
rieur de la filiation par le sang. Une différence tient aux conditions biologiques de la pro-
création, celle qui sépare l'établissement de la filiation maternelle de la preuve de la
filiation paternelle. Après qu'il a cessé de qualifier le lien entre l'enfant et ses auteurs, le
mariage demeure un chaînon essentiel pour le fonctionnement de la présomption légale
de paternité. De plus, dans un pays qui, comme la Belgique, demeure très attaché à l'attri-
bution de sa nationalité par l'effet de la filiation, le choix de la loi applicable à la détermi-
nation de la filiation au moment de la naissance reste lié à l'attribution de la nationalité
iure sanguinis. On pourrait en déduire un rattachement à la loi de l'auteur en cause, non
sans pouvoir envisager, de soi, un rattachement distinct en fonction d'autres modes
d'établissement de la filiation.
Ill Quant aux modes d'établissement de la filiation, on peut en distinguer trois :
(a) ceux qui procèdent directement de l'application de la loi, telles la règle Mater semper certa est ou
la présomption légale de paternité du mari de la mère ;
(b) ceux qui exigent une déclaration de volonté de l'auteur de l'enfant, par exemple la reconnais-
sance de maternité ou de paternité ;
(c) ceux qui mettent en œuvre une action judiciaire, soit pour établir la filiation d'une personne qui
en est dépourvue (telle l'action en recherche de paternité), soit pour renverser une filiation réguliè-
rement établie en vertu d'un des deux premiers modes (par exemple : désaveu de paternité, contes-
tation d'une reconnaissance de paternité ou de maternité).
En droit comparé, le lien de filiation dite légitime, de plein droit ou par la naissance, subit l'attrac-
tion de la loi d'un aureur, tantôt la loi nationale de la mère (art. 311-14 du Code civil français, mais
la légitimation obéit à un rattachement alternatif, art. 311-16), tantôt la loi des effets du mariage
ou, alternativement, la loi nationale de chaque auteur (art. 19 de la loi allemande de 1986). En
Suisse, le droit désigné est celui de la résidence de l'enfant; cependant, la loi nationale commune
de l'enfant et des parents est appliquée si les uns et les autres ne résident pas dans le même État
(art. 72 de la loi de 1987). La loi suédoise du 30 mai 1985 (Revue, 1987, 198) institue un rattache-
ment alternatif de la paternité de plein droit à la loi de la résidence ou de la nationalité de l'enfant
590 LA PERSONNE ET LES RAPPORTS DE FAMILLE

(art. 2) ; l'action en contestation de cette paternité relève toutefois de la loi de la résidence de


l'enfant (art. 4).

1111L'application de la loi nationale de l'enfant aux modes (b) et (c) soumettrait à une loi unique
l'ensemble des actes juridiques et des actions en justice relatifs à la filiation, tandis que la loi de
l'auteur régirait le mode (a). Une telle ventilation aurait cependant pour inconvénient de différen-
cier la solution selon que le lien fait l'objet ou non d'une contestation, risquant de sacrifier la sécu-
rité juridique à un aléa procédural.

1111 Le développement de possibilités de procréation artificielle, tout en posant des questions nou-

velles, n'est pas encore de nature à bouleverser ces objectifs (infra, n ° 12.117).

En deuxième lieu, le principe fondamental de l'intérêt de l'enfant peut être vu sous


un angle abstrait ou concret.
Sur les utilisations variables du concept, voy. : C. CHABERT, L'intérêt de l'enfant et les conflits de lois
1111

(Marseille, PUAM), 2001, 632 p.

Considéré de manière abstraite, l'intérêt de l'enfant peut être vu comme conduisant


à la loi du statut personnel de l'enfant, qui serait le mieux à même de définir exactement
cet intérêt. Ce procédé relève cependant d'une analyse assez théorique, courante dans le
droit international privé classique - et souvent réductible au seul argument d'aurorité -
de l'institution en cause, sans considérer nécessairement l'impact du rattachement
obtenu.
11!1On trouve une application de ce raisonnement dans la jurisprudence de la Cour de cassation
relative à l'action en recherche de paternité (voy. infra, n ° 12.115).

En faveur de l'application de la loi nationale de l'enfant sur la base du principe d'égalité, voy. A.
1111

HEYVAERT, op. cit. n ° 12.1.

Considéré de manière concrète, l'intérêt de l'enfant reçoit une portée qui lui est pro-
pre en droit international privé. Dans cette matière, la seule manière de lui conférer une
portée réelle consiste à utiliser une règle de caractère substantiel utilisant un rattache-
ment de type alternatif, la loi appliquée étant celle qui réalise le mieux l'objectif de pro-
tection recherché (voy. supra, n ° 3.59).
1111Le recours à des règles alternatives s'introduit en droit comparé à propos de la filiation natu-
relle.
En Allemagne, l'article 20 de la loi du 25 juillet 1986 (Revue, 1987, 170 et s.) prévoit l'application de
la loi nationale de la mère, de celle du père ou de celle de la résidence habituelle de l'enfant. L'éven-
tail est plus large en droit suisse, puisqu'il couvre la loi de la résidence de l'enfant, sa loi nationale,
et celles de la résidence et de la nationalité de ses père et mère (arc. 72 de la loi du 18 décembre
1987, Revue, 1988, 409 et s.). En France, l'article 311-14 du Code civil prévoit l'application alterna-
tive de la loi nationale de l'auteur ou de celle de l'enfant pour la reconnaissance volontaire, tandis
que la recherche de filiation relève de la règle qui régit aussi la filiation légitime (loi nationale de la
mère).

En troisième lieu, le droit des conflits de lois exige l'utilisation de règles praticables.
Or, en matière de filiation, les difficultés concrètes liées à la détermination du droit appli-
cable sont de deux ordres.
D'une part, dans les pays qui, comme la Belgique, attribuent par principe la nationa-
lité par l'effet de la filiation, il est parfois impossible de déterminer cette nationalité lors-
que la loi applicable au lien est précisément la loi nationale de la personne intéressée, à
savoir l'enfant. La difficulté est réelle lorsque l'établissement du lien doit être fixé avant la
naissance de l'enfant. Le cercle vicieux ne peut être évité que, soit en renonçant à ce ratta-
l.A FILIATION 591

chement, soit en définissant, pour les seuls besoins de la détermination de la nationalité


de l'enfant, le lien de filiation par référence au droit matériel du for (voy. supra, n ° 12.13).
D'autre part, la pratique suggère une interaction possible des modes d'établisse-
ment de la filiation. Une contestation de paternité par l'auteur peut avoir pour pendant
une contestation ou une recherche de paternité par l'enfant; la négation d'un lien de
filiation légitime ou l'affirmation d'un lien de filiation naturelle à l'égard d'un auteur
peut découvrir une filiation adultérine à l'égard de l'autre; la reconnaissance et la recher-
che de paternité ne se conçoivent qu'en l'absence d'une présomption de paternité; la
légitimation par mariage peut être liée aux conditions d'une reconnaissance de maternité
ou de paternité. L'interaction peut également affecter les filiations biologique et
sociologique: telle loi peut n'admettre qu'une légitimation par adoption et telle autre,
une légitimation par mariage. L'application de lois distinctes en fonction de la nature du
lien ou de son mode d'établissement peut conduire à des impasses logiques; elle peut
aussi aboutir, si l'on n'y prend garde, à un cumul de filiations paternelles ou maternel-
les ...
Ill Pour des exemples empruntés à la jurisprudence, voy. : M. FALLON, Rev. trim. dr. fam. ( 1988), 224
et s.; Civ. Bruxelles, 20 février 1990, Rev.gén. dr. civ. (1991), 86.

12.114 - Rattachement à la loi nationale de l'auteur selon le Code - Le législateur a


pris position en faveur de l'application de principe du droit de l'État dont la personne
dont la paternité ou la maternité est en cause a la nationalité (art. 62 Codip).
Le conflit mobile est tranché en fonction du moment de la naissance: la nationalité
prise en considération est celle possédée par la personne à ce moment, et non ultérieure-
ment.
IllDans la jurisprudence, la question du conflit mobile s'est posée rarement. Voy. : Civ. Nivelles,
17 mars 1998, J. T (1999), 230, en faveur d'une concrétisation au moment de la contestation, ame-
nant à rattacher l'acte de reconnaissance à la loi belge.

Le Code maintient ainsi une fidélité au facteur de la nationalité, selon une approche
qu'il utilise plus largement pour déterminer l'état d'une personne. La résidence n'est pas
retenue, malgré une tendance rencontrée en ce sens dans la jurisprudence. Est également
écartée la nationalité de l'enfant. D'un côté, ce facteur génère une incertitude lorsque est
en cause la détermination de cette nationalité, et que celle-ci dépend du lien de filiation.
D'autre part, la nationalité de l'enfant sera le plus souvent celle de son auteur, ou même
de ses auteurs présumés.
L'application de la loi de chaque auteur à l'égard duquel la formation d'un lien de
filiation est en cause, permet d'obtenir un rattachement unitaire indépendant du mode
d'établissement de la filiation, tout en respectant une ligne de partage entre les filiations
maternelle et paternelle. Elle conduit encore à une égalité de statuts entre enfants issus
des mêmes auteurs.
Cette règle appelle une solution des conflits potentiels de filiations, lorsqu'un lien
est revendiqué à l'égard d'un enfant par plusieurs personnes de même sexe, soit en cas de
remariage de la mère, soit en cas de reconnaissance volontaire. Au lieu de poser une règle
matérielle d'application immédiate, le législateur s'en tient à la technique de rattache-
ment, en désignant la loi à laquelle sera empruntée la solution du conflit de filiations.
Trois cas sont envisagés par le législateur (art. 62, § 2) :
592 LA PERSONNE ET LES RAPPORTS DE FAMILLE

- le conflit entre un lien établi de plein droit et un acte de reconnaissance est régi
par la loi applicable au premier ;
- le conflit entre plusieurs liens établis de plein droit est régi par celui des droits
applicables à ces liens, avec lequel la situation présente la relation la plus étroite ;
- le conflit entre deux actes de reconnaissance est régi par la loi applicable à la pre-
mière reconnaissance.
111 L'exposé des motifs (Doc. par!., Sénat, 2003-2004, n ° 3-27/1, 98) - qui relève que la Convention
Benelux de 1968 consacrait le même principe de rattachement à la loi nationale de l'auteur sans
résoudre autrement le conflit de filiations que par une allusion du rapport explicatif à la loi des
liens les plus étroits - explicite qu'en cas d'acte de reconnaissance, la problématique « affecte la
portée, sur un lien de filiation déterminé, d'un acte volontaire ou, en cas de pluralité d'actes volon-
taires, de l'acte établi en second lieu ».

12.115 - Solutions retenues avant l'entrée en vigueur du Code - La jurisprudence avait


appliqué l'article 3, alinéa 3, du Code civil pour justifier l'application de principe de la loi
de la nationalité. Le conflit de lois personnelles avait engendré une distinction entre les
différents modes d'établissement de la filiation.
Pour la filiation de plein droit, une préférence s'est imposée en faveur de la loi natio-
nale de la mère par le fait de la naissance pour la filiation maternelle et, pour la présomp-
tion de paternité, de la loi nationale du mari de la mère. Toutefois, un rattachement
spécial de l'action en contestation a parfois été énoncé, en faveur de la loi nationale de
l'enfant.
Pour la filiation maternelle, voy. en ce sens: Civ. Charleroi, 27 juin 1958, Rev. dr. fam. (1955-
1111

1959), 346; Civ. Bruxelles, 9 juin 1956, Pas. (1957), III, 99,].T (1959), 47; Civ. Nivelles, 17 mars
1998,j. T. (1999), 230, de même que pour la filiation paternelle de plein droit.
La solution ne change pas lorsque l'enfant entend faire établir un lien de filiation maternelle alors
que le nom de sa mère ne figure pas dans l'acte de naissance. Voy. à propos d'un enfant né en
France, Civ. Bruges, 5 novembre 1979, R W (1979-1980), 2777, Rev. trim. dr. fam. (1980), 444,
somm., note].-L. RENCHON.
1111Pour l'action en désaveu, en faveur de la loi nationale du père, voy. : Civ. Bruxelles, 3 novembre
1956, Pas. (1957), III, 110; 29 septembre 1987, Pas. (1987), III, 110; 6 octobre 1987, Rev. gén. dr. civ.
(1988), 481; Civ. Anvers, 16 novembre 1962, Pas. (1964), III, 52; Civ. Verviers, 9 novembre 1953,].T
(1954), 42; Civ. Nivelles, 13 juin 1967,].T (1968), 256.
Pour la présomption de paternité et sa contestation, voy. : Civ. Bruxelles, 22 novembre 1988, Rev.
trim. dr. fam. (1990), 253, note M. FALLON; 20 février 1990, Rev. gén. dr. civ. (1991), 86; 30 avril 1990,
Rev. dr. étr. (1990), 91; Civ. Tournai, 21 mars 1988, ].L.M.B. (1988), 717; Civ. Bruxelles, 16 Juin
1992,].L.M.B. (1993), 1208; Bruxelles, 23 avril 1998,]. T. (1999), 581 ; Civ. Gand, 19 avril 2001, Tijds.
Gentse Rechtspraak (2002), 90.
Contra, en faveur de la loi nationale de l'enfant : Civ. Dendermonde, 15 février 2001, Alg.]ur. Tijdschr.
(2001-2002), 97, note S. MOSSELMANS.
1111Pour une dissociation des rattachements, soumettant la filiation de plein droit à la loi de
l'auteur et sa contestation, à la loi de l'enfant, voy. : Civ. Bruxelles, 23 novembre 1994, Rev. trim. dr.
fam. (1995), 671; 27 mars 1996, Rev. gén. dr. civ. (1997), 116; 7 janvier 1998, Rev. gén. dr. civ. (2002),
212, note A.-Ch. VAN GYSEL; 4 novembre 1998,j. T. (1999), 583.
Ill La légitimation par mariage a été rattachée à la loi nationale du père (Civ. Bruges, 27 janvier
1986, R W., 1986-1987, 878, note L. DE FOER; Civ. Bruxelles, 15 juin 1981, ].T., 1981), 760, et la
jurisprudence antérieure citée par B. HANOTIAU, Rev. trim. dr. fam. (1980), 235 et s., n ° 39.
En faveur de la loi des effets du mariage, voy. : G. VAN HECKE et K. LENAERTS, n')S 526-529.
Un rattachement unique de la légitimation et de la reconnaissance volontaire aurait également sa
logique. En ce sens, implicitement, Civ. Bruxelles, 28 janvier 1987, Rev.gén. dr. civ. (1988), 340.
LA FILIATION 593

Pour la filiation par acte volontaire, s'agissant de la validité au fond, la jurisprudence


a évolué en faveur de la loi nationale de l'enfant.
Voy. par exemple dans la jurisprudence des dernières années: Bruxelles, 28 mai 1991, Pas.
1111

(1991), II, 166; Civ. Arlon, 21 février 1992,].T. (1992), 661.


1111En faveur d'un rattachement explicitement alternatif, voy. : Civ. Bruges, 27 janvier 1986, R W.
(1986-1987), 878, note L. DE FOER; contra: Civ. Bruxelles, 28 janvier 1987, Rev. gén. dr. civ., (1988),
340, implicite, envisageant, pour le cas où la loi nationale de l'enfant interdirait la reconnaissance,
la loi nationale du reconnaissant.
Comp., dans le sens d'un rattachement de type cumulatif (loi de l'enfant et loi de l'auteur) : Bruxel-
les, 30 janvier 2003, N.j.W. (2003), 709.
111 Pour un refus de distinguer le rattachement de la formation du lien et celui de sa contestation,
voy. : Bruxelles, 30 janvier 2003, précité.
Pour une reconnaissance avant la naissance, régie par la loi nationale de l'auteur, voy. : Civ.
1111

Liège, 2 juin 1992, Rev. trim. dr. Jam. (1992), 400; Civ. Bruxelles, 24 mars 1999, Rev. trim. dr. Jam.
(1999), 661.
L'exigence de certains législateurs de soumettre la validité de la reconnaissance paternelle au
1111

consentement de la mère soulève deux questions relatives, respectivement, à la détermination de la


loi applicable à cette condition et à sa contrariété éventuelle à l'ordre public. Il semble cohérent
d'inclure cette condition dans le domaine de la loi applicable à l'établissement du lien de filiation, à
savoir la loi nationale de l'enfant.
La question de la contrariété à l'ordre public doit être soulevée depuis que la Cour d'arbitrage a
déclaré contraire au principe constitutionnel d'égalité, la condition que le législateur a introduite
dans l'article 319, § 3, du Code civil (arrêt n° 39/90, du 21 décembre 1990, Gausin c. Martin,J.T.,
1991, 252, note E. JAKHIAN,j.L.M.B., 1991, 114, note D. PIRE). Une condition analogue figure dans
l'article 1476 du Code civil grec. La déclaration d'inconstitutionnalité qui frappe la disposition
belge ne saurait s'étendre comme telle à une disposition étrangère désignée au moyen d'une règle
belge de conflit de lois. Il convient plutôt de se référer au mécanisme général de mise en œuvre de
l'exception d'ordre public (voy. supra, chap. 7 et s., et infra, n ° 12.117).
1111 Pour le droit applicable aux formalités de l'acte, voy. infra, n ° 12.116.
L'action en recherche de paternité ou de maternité a également été soumise à la loi
nationale de l'enfant.
Voy. Cass., 20 mars 1941, Lakaye, Pas. (1941), I, 86; Civ. Bruxelles, 4 avril 1964, Pas. (1965), III,
1111

28; Bruxelles, 20 juin 1972, Pas. (1973), II, 4; Civ. Liège, 13 juin 1975, fur. Liège (1975-1976), 28;
Civ. Charleroi, 20 février 1986, Pas. (1986), III, 45 ; 12 janvier 1990,J. T. (1990), 662, confirmé par
Mons, 25 juin 1991,J.T. (1991), 744; Civ. Bruxelles, 21 décembre 1994, Rev. trim. dr.Jam. (1996),
233, note M. FALLON.
Dans son arrêt du 24 mars 1960 (Eifeling, Pas., 1960, I, 860), la Cour de cassation applique cette loi à
une action alimentaire non déclarative de filiation, pour casser l'arrêt d'appel, alors que le pourvoi
avait fondé cette solution sur l'appartenance au statut personnel et le lien entre cette action et l'éta-
blissement d'une filiation.
111Pour un rattachement à la loi nationale du père, voy.: Liège, 29 avril 1991, Rev. trim. dr. Jam.
(1992), 363, Rev. rég. dr. (1992), 407, note]. SossoN.
Ill Pour un rattachement alternatif à la loi nationale du père ou à celle de l'enfant, voy. : Bruxelles,
30 octobre 1984, Pas. (1985), II, 9.
11!1 Lorsque la recherche concerne un enfant dont le nom de la mère ne figure pas dans l'acte de
naissance, il n'y a pas lieu de déroger aux solutions précitées. Si l'acte à été dressé à l'étranger, il est
exclu d'en demander en Belgique la rectification.
Sur la question de la rectification, voy. supra, n° 12.24, et Civ. Bruxelles, 17 novembre 1974, Cah. dr.
Jam. (1975), 26.
Sur la jurisprudence antérieure, voy. notamment: Rev. crit. jur. belge (1970), 287, (1971), 263,269 et
S., (1976), 244-245.
594 LA PERSONNE IT LES RAPPORTS DE FAMILLE

La jurisprudence récente n'a pas hésité à s'écarter du facteur de la nationalité, au


profit du facteur de la résidence, au nom d'une prise en compte du but social des lois, et
ce indépendamment du jeu de l'exception d'ordre public.
1111Voy. spécialement: Mons, 28 novembre 2000, Rev. trim. dr. Jam. (2002), 479, note M. FALLON,
Tijds. Not. (2003), 134, note F. BoucKAERT, préférant la loi belge de résidence commune des parties à
la loi turque de nationalité commune - prévoyant un délai de prescription de un mois à compter
de la naissance pour l'action en contestation - en invoquant l'intérêt de l'enfant à voir fixée la
vérité biologique; Civ. Gand, 25 octobre 2001, Alg.fur. Tijdschr. (2001-2002), 855, note M. TRAEST,
critiquant d'autres solutions, dont celle en préparation dans le projet de Code.
En faveur du facteur de résidence à propos du désaveu de paternité, mais dans le contexte d'un
1111

mariage boiteux, voy.: Anvers, 9 janvier 2002, Alg.fur. Tijdschr. (2001-2002), 1041.
Certaines décisions plus anciennes se sont référées à la loi du domicile commun : Civ. Liège,
8 octobre 1971, fur. Liège (1971-1972), 157; 10 mars 1972, Cah. dr. Jam. (1973-1974), 27;
24 décembre 1976,fur. Liège (1977-1978), 284.
Une autre manière d'écarter l'application des dispositions matérielles de la loi natio-
nale a pu résulter de l'application de la technique du renvoi, généralement pratiquée par
la jurisprudence en matière d'état. Le Code exclut désormais cette technique en matière,
notamment, de filiation (voy. supra, n ° 6.20).
1111Les cas d'application paraissent peu fréquents. Voy.: Civ. Nivelles, 12 octobre 1998,]. T. (1999),
228, la loi américaine renvoyant au droit belge de la résidence de l'enfant ; Civ. Dendermonde,
15 février 2001, Alg. fur. Tijdschr. (2001-2002), 97, note S. MossELMANS, renvoi analogue par la loi
allemande ; Civ. Gand, 25 octobre 2001, précité, renvoi analogue par la loi yougoslave.

12.116 - Domaine de la loi de la filiation; rattachements spéciaux des consentements


et des formalités - La loi qui régit le lien de filiation détermine l'ensemble des questions
relatives à l'établissement ou à la contestation du lien (art. 63 Codip). En revanche, les
effets du lien de filiation sur la personne et les biens de l'enfant relèvent de la loi qui leur
est propre, par exemple celle qui régit le nom, l'autorité parentale ou les obligations ali-
mentaires.
Il n'y a donc pas lieu de distinguer selon que la détermination du lien se pose de
plein droit, ou à l'occasion d'une action en contestation d'un lien précédemment établi.
Il en va de même de la détermination des personnes admises à agir (Exposé des motifs de la pro-
1111

position de loi, Doc. pari., Sénat, 2003-2004, n° 3-27/1, 99). Voy. en ce sens: Civ. Bruxelles, 16 juin
1992,].L.M.B. (1993), 1208; Bruxelles, 23 avril 1998,J.T. (1999), 581.
Cette question s'est révélée suffisamment sensible pour inciter la jurisprudence à utiliser l'excep-
tion d'ordre public (voy. ci-dessous).
De même, la détermination des modes de preuve relève de la loi de la filiation, y
compris la question de leur admissibilité, et non du droit belge en tant que loi de procé-
dure. La loi précise qu'il en va de même des conditions et des effets de la possession
d'état.
Ill!L'exposé des motifs de la proposition de loi (Doc. pari., Sénat, 2003-2004, n ° 3-27/1, 99) indique
que le principe est également consacré en France (LoussoUARN et BouREL, n ° 342), sauf pour la pos-
session d'état qui y obéit à un facteur territorial, mais par une règle unilatérale visant uniquement
l'application du droit français (art. 311-15 C. civ.) et ne contredisant pas l'application de principe
de la loi de la filiation (MAYER et HEUZÉ, n ° 612). Au sens du Code, l'article 311-15 précité utilise
une règle d'applicabilité visée à l'article 20.
1!11Dans la jurisprudence, pour une soumission de la possession d'état à la loi qui régit le lien de
filiation, voy. : Bruxelles, 30 janvier 2003, NJ. W. (2003), 709.
La même loi régit les questions de prescription.
LA FILIATION 595

IllVoy. en ce sens: Civ. Bruxelles, 16 juin 1992,].L.M.B. (1993), 1208; 28 juin 1995, Pas. (1995), III,
25; Bruxelles, 23 avril 1998,]. T. (1999), 581.

Ill! Pour un recours à l'exception d'ordre public, voy. ci-dessous.

Deux questions relèvent toutefois d'un rattachement spécial. Celui-ci n'exclut pas
véritablement ces matières du domaine de la loi de la filiation. Il ajoute un rattachement,
à la manière d'une règle de caractère substantiel (voy. supra, n ° 3.58), par un rattache-
ment en cascade pour les consentements, dans un but de protection de l'intérêt de
l'enfant, et par un rattachement alternatif pour les formalités de l'aéte de reconnaissance
dans un but de faveur à la validité de l'acte.
Pour le consentement de l'enfant, le Code désigne en premier lieu la loi de la filia-
tion. Toutefois, si cette loi« ne prévoit pas l'exigence d'un tel consentement», il y a lieu
d'appliquer la loi de la résidence habituelle de l'enfant au moment du consentement, en
ce qui concerne les conditions de celui-ci autant que son mode d'expression (art. 62, § 1er,
al. 2).
IllUne disposition analogue régit les consentements en matière d'adoption (voy. infra, n ° 12.123).
On observe ainsi que cette matière obéit à un rattachement analogue à celui qui affecte l'ensemble
des questions relatives à l'autorité parentale et aux mesures de protection (voy. infra, sect. 8).

Pour les formalités de l'acte de reconnaissance, il suffit de suivre les dispositions,


soit de la loi du lien de filiation, soit celles de la loi du pays où l'acte a été passé (art. 64).
Ill Cette règle alternative, qui se distingue d'une disposition exigeant le respect des formalités de la
loi du lieu de l'acte, était déjà suggérée dans la précédente édition de cet ouvrage (Bruxelles, Larcier,
1993), n ° 1082.
IllDans la jurisprudence, voy. en ce sens: Civ. Nivelles, 17 mars 1998,]. T. (1999), 230. Comp.:
Bruxelles, 30 janvier 2003, N.].W. (2003), 709, évoquant la règle Locus sans nuance, probablement
parce que la question n'était pas en cause.

12.117 - Éviction de la loi de la filiation par l'exception d'ordre public - Comme en


toute matière, l'exception d'ordre public permet d'écarter l'application d'une disposition
du droit étranger désigné, à condition que soient vérifiés les critères d'appréciation qui
président à sa mise en œuvre (art. 21 Codip; voy. supra, chap. 7).
IllUne clause spéciale d'ordre public positif affecte, dans le Code de droit international privé, la
question du consentement de l'enfant, lorsque la loi de la filiation n'exige pas un tel consentement
(voy. ci-dessous).
Pour l'utilisation de l'exception à l'égard d'une disposition étrangère exigeant le consentement
Ill!
de la mère à la reconnaissance paternelle, voy., outre supra, n ° 12.115: Civ. Turnhout, 14 novembre
1996, R.W. (1998-1999), 21, à propos du droit néerlandais.
Pour le rejet de l'exception à propos du droit français écartant la présomption de paternité légi-
Ill!
time lorsque le nom du mari n'est pas inscrit dans l'acte de naissance, voy. : Civ. Nivelles, 17 mars
1998,]. T (1999), 230.

L'expérience de la jurisprudence antérieure à l'entrée en vigueur du Code montre


une tendance très nette à l'utilisation de l'exception en matière de filiation. Elle exprime
une hésitation à appliquer un droit étranger plus restrictif que le droit belge en vue de
l'établissement du lien. La question a concerné principalement le délai de prescription,
lorsqu'il est particulièrement bref, la détermination de la qualité pour agir, ou encore la
négation même du concept de paternité naturelle par le droit étranger. Parfois avec
l'appui de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, elle a suscité
596 LA PERSONNE IT LES RAPPORTS DE FAMILLE

une utilisation plutôt abstraite de l'exception alors que celle-ci appelle une appréciation
en fonction de l'espèce.
Ill Sur la question de la prescription, voy.: Civ. Bruxelles, 28 juin 1995, Pas. (1995), III, 25, écartant
l'exception à propos du délai de un mois à compter de la naissance prévu par la loi turque; Bruxel-
les, 23 avril 1998,J. T. (1999), 581, écartant l'exception à propos de l'absence de délai selon le droit
marocain.
1111Sur la question de la qualité pour agir, voy.: Civ. Bruxelles, 15 décembre 1992,J.L.M.B. (1993),
1210, note A. Nurrs, écartant le droit turc; 26 février 1997, Pas. (1996), III, 40, et 7 janvier 1998,
Pas. (1998), III, 2, Rev. gén. dr. civ. (2002), 212, note A.-Ch VAN GYSEL, à propos du droit marocain
lorsque l'enfant n'a pas la possession d'état à l'égard de la mère, après avoir vérifié l'intensité du rat-
tachement avec l'ordre juridique belge (enfant né et résidant en Belgique); Civ. Gand, 3 avril 2000,
Tijds. Gentse Rechtspraak (2000), 164, à propos du droit marocain.
1111Sur la question du principe de la paternité naturelle, voy.: Civ. Anvers, 6 mai 1992, Rev. gén. dr.
civ. (1993), 77, écartant, au nom de la Convention européenne de sauvegarde, le droit turc qui
exclut la reconnaissance d'enfant adultérin; Civ. Bruxelles, 16 décembre 1992, Pas. (1993), III, 3,
idem à propos du droit marocain ; 29 juin 1994, Rev. trim. dr. Jam. (1996), 231, note S. SAROLÉA, idem ;
Civ. Anvers, 30 juin 1998, R W. (2000-2001), 311, note K. SwERTS, idem.
Pour une évaluation en fonction de l'intensité du rattachement, voy. en France : Cass. civ.,
10 février 1993, Revue (1993), 621, note]. FOYER.

Cette jurisprudence donne à prévoir une difficulté à s'en remettre à la loi nationale
de l'auteur de manière inconditionnelle. Il aurait sans doute été plus judicieux de prévoir
dans le Code, par une clause spéciale d'ordre public positif, que lorsque le droit étranger
désigné ne permet pas d'établir un lien de filiation à la demande de l'enfant, celui-ci peut
invoquer le droit de sa résidence habituelle au moment de l'introduction de la demande.
Le recours à des modes de procréation assistée peut également donner lieu à la mise
en œuvre de l'exception d'ordre public, en fonction de l'évolution de la politique législa-
tive.
111 À l'avenir, il est prévisible que les tribunaux auront à connaître de l'établissement d'un lien de
filiation de substitution. À supposer que le droit étranger applicable admette la substitution et
valide le consentement de la mère porteuse à attribuer, le cas échéant par contrat, la filiation à la
mère biologique, il y a lieu d'apprécier l'ordre public en fonction des critères de la gravité de l'effet
et de l'intensité du rattachement. Camp. la condamnation de principe de cette pratique au nom de
l'indisponibilité de l'état de la personne, en France, par: Cass. civ., 31 mai 1991,J. T. (1991), 767,
note X. DIJON etJ.-P. MASSON, cassant Paris, 15 juin 1990, D.S. (1990),J, 540, note BOULANGER, qui
avait admis correctement une formule d'adoption ; Rennes, 4 juillet 2002, D.S. (2002), ], 2902, note
F. GRANET, même condamnation.
Ill La question a été posée au cours des travaux préparatoires au Code de droit international privé,
et il y a été répondu par référence aux termes généraux de l'exception d'ordre public (Rapport fait
au nom de la commission de la Justice, Doc. pari., Sénat, 2003-2004, n ° 3-27/7, 252).

§2 LA FILIATION ADOPTIVE

A. Compétence internationale
12.118 - Demandes introduites avant l'entrée en vigueur de la loi du 24 avril 2003 - Le
Code civil résolvait par une disposition unique la compétence internationale et la compé-
tence interne (art. 350, § 1er, al. 2).
Ill La requête d'adoption étant une procédure gracieuse, il n'y a pas lieu de tenir compte d'un
défendeur.
LA FILIATION 597

La compétence était attribuée en ordre principal au tribunal belge du lieu de la rési-


dence de l'adoptant ou de l'un des époux adoptants et, en ordre subsidiaire, à celui du
lieu de la résidence de l'adopté ou de l'un des adoptés. Si aucune des parties n'avait de
résidence en Belgique, il suffisait qu'une d'elles fût belge pour que la compétence interna-
tionale des juridictions belges fût fondée.
1111La désignation du tribunal de Bruxelles lorsque aucune partie n'est domiciliée en Belgique est
une règle subsidiaire de compétence interne, indispensable lorsque la compétence internationale se
fonde sur un critère personnel et que fait défaut tout critère territorial normalement utilisé pour
définir la compétence interne (voy. supra, n ° 9.60). Le tribunal désigné est seul compétent, à l'exclu-
sion de tout autre dans le pays.
Sur ce caractère exclusif, voy.: Civ. Courtrai ijeun.), 4 avril 1978, RW. (1978-1979), 506; Gand
ijeun.), 11 mai 1978, Doc. prot. jeun., I, 357.

L'action en révocation de l'adoption, laquelle a un caractère contentieux, relevait des


règles de compétence du droit commun selon l'article 367, § 2, alinéa 1er_ Il était ainsi
renvoyé aux articles 635, 636 et 638 du Code judiciaire et 15 du Code civil, sous réserve
du respect dû aux traités internationaux contenant des règles de compétence directe.
Ill L'article 367, § 2, alinéa 2, prévoit encore le cas où la compétence ne trouverait à se fonder que
sur la nationalité de l'adoptant ou de !'adopté et, à l'instar de l'article 350, désigne alors, pour la
compétence interne, le tribunal de Bruxelles.

1111Selon l'article 140, alinéa 3, du Code de droit international privé, les articles 635, 636 et 638 du
Code judiciaire, et l'article 15 du Code civil, restent en vigueur jusqu'à la date d'entrée en vigueur
de la loi du 24 avril 2003, « dans la mesure où ils peuvent porter sur l'adoption ou la révocation de
l'adoption».

12.119 - Demandes introduites après l'entrée en vigueur de la loi du 24 avril 2003 - La


compétence pour connaître des demandes introduites après l'entrée en vigueur de la loi
du 24 avril 2003 est déterminée par l'article 66 du Code de droit international privé.
L'établissement de l'adoption obéit aux mêmes critères que ceux énoncés par
l'ancien article 350 du Code civil. À la différence de celui-ci, il n'établit pas de hiérarchie
entre les différents critères. Les tribunaux belges sont donc compétents dès que l'une des
parties à la relation est belge ou a sa résidence habituelle en Belgique.
IllLa compétence interne obéit aux règles pertinentes établies par la loi du 24 avril 2003. L'article 4
de la loi renvoie à l'article 752, al. 2, du Code judiciaire.

La conversion d'une adoption simple en adoption plénière obéit aux mêmes critères
de compétence, auxquels est ajoutée la circonstance que la première a été établie en Belgi-
que (art. 66, al. 2, Codip).
La révocation d'une adoption obéit à des dispositions analogues (al. 3).
Ill Le texte ne permet pas d'exclure que la révocation puisse porter sur une adoption établie à
l'étranger. Une celle révocation ne porte pas atteinte à l'autorité de la chose jugée à l'étranger, dès
lors qu'elle n'a d'effet que pour l'avenir.

La révision d'une adoption obéit à des dispositions analogues, auxquelles est ajoutée
la circonstance qu'une décision judiciaire établissant l'adoption a été reconnue ou décla-
rée exécutoire en Belgique (al. 4).
Ill Le Code abroge la règle de compétence internationale insérée à l'article 359-5 nouveau du Code
civil par la loi du 24 avril 2003, afin de rassembler l'ensemble des dispositions de cette nature
(arc. 139, 5 °).
598 LA PERSONNE IT LES RAPPORTS DE FAMILLE

Les agents diplomatiques ou consulaires belges n'ont pas reçu de compétence en


matière d'adoption par la loi de 1931. Ils ont toutefois pu remplir certaines fonctions en
vertu d'un acte international, sans aller jusqu'à l'homologation. La loi du 24 avril 2003
(art. 14) modifie la loi du 10 juillet 1931 concernant la compétence des agents diplomati-
ques et consulaires en matière notariale, pour étendre leurs fonctions aux actes concer-
nant un projet d'adoption, ou une adoption prononcée ou reconnue en Belgique.
1111Voy. par ex. la Convention consulaire du 12 juillet 1972, conclue avec !'U.R.S.S. (loi du
14 janvier 1975, Pasin., 1975, 49). Aux termes de l'article 30, 1 °, e), de cette Convention:
« 1. Le fonctionnaire consulaire a le droit, pour autant qu'il y soit autorisé par la législation de
l'État d'envoi: [... ]
e) d'établir tout acte en vue de la filiation adoptive lorsque l'adoptant et !'adopté sont ressortis-
sants de l'État d'envoi.
2. Les personnes intéressées doivent toutefois respecter les formalités prescrites par le législateur de
l'État de résidence. »

12.120 - Compétence d'attribution - La détermination de la compétence d'attribution


des autorités belges relève, tant pour la révocation que pour l'établissement d'une filia-
tion adoptive, de la loi belge en tant que loi du for.
1111 La compétence d'attribution du tribunal de la jeunesse à l'égard d'adoptés de moins de dix-huit
ans peut être donnée comme exemple de la détermination de la compétence d'attribution selon la
!ex fori (arc. 1231-3 nouveau C. jud.). Voy. supra, n ° 9.58, et: Civ. Dinant Ueun.), 19 septembre 1977,
].T (1978), 209.

1111La répartition des compétences au sein du système fédéral explique qu'en Belgique, les autorités
communautaires interviennent dans la procédure d'adoption (voy. infra, n ° 12.123 et 12.138).
Pour la Communauté française, voy. le décret du 31 mars 2004 (Monit., 13 mai 2004, destiné à rem-
placer l'arrêté de !'Exécutif du 14 juillet 1992, Monit., 26 août 1992) et, pour la Communauté fla-
mande, le décret du 30 avril 2004 (Monit., 8 septembre 2004, destiné à remplacer le décret du
17 juillet 1997, Monit., 23 septembre 1997). L'entrée en vigueur de ces décrets est liée à celle de la loi
fédérale du 24 avril 2003 (voy. supra, n ° 12.110).

Quiconque prétend, sur le territoire belge, constituer ou anéantir une filiation adop-
tive doit se conformer aux procédures d'établissement ou de révocation organisées par la
loi belge. Seuls les actes accomplis à l'étranger peuvent prétendre à la reconnaissance en
Belgique, mais il faudrait tenir pour nulles les adoptions ou leur révocation autorisées
sur le territoire belge par d'autres autorités que celles qui ont été désignées par la loi. Cela
exclut, par exemple, qu'une telle procédure puisse se dérouler devant un agent diplomati-
que ou consulaire.
Lorsque l'acte d'adoption a été passé à l'étranger, la phase judiciaire de la procédure
peut être poursuivie en Belgique (art. 69, al. 2). Il est évidemment supposé que la compé-
tence internationale soit acquise.
Avant la loi du 24 avril 2003, la réponse positive à cette question ne posait guère de difficulté
1111

pratique puisque la procédure belge d'adoption consistait en deux étapes: l'acte d'adoption
(devant notaire ou juge de paix) et l'homologation de cet acte par le tribunal de première instance.
L'on pouvait concevoir aisément qu'un contrat d'adoption dressé hors du territoire belge fût
ensuite soumis à la procédure d'homologation organisée par le droit belge.
Après l'entrée en vigueur de la loi du 24 avril 2003, la procédure belge d'adoption étant une procé-
dure unique d'établissement devant le tribunal de première instance, la même réponse est plus
délicate puisque le rôle du tribunal de première instance ne se réduit plus à une simple fonction
d'homologation.

Trois conditions doivent cependant être remplies.


LA FILIATION 599

D'abord, il faut que le droit étranger applicable à la forme dans laquelle l'acte a dû
être dressé (voy. infra, n ° 12.123), prévoie le principe d'une telle autorisation. Il est toute-
fois indifférent que ce droit désigne le tribunal civil, car la détermination de la compé-
tence d'attribution relève du droit belge uniquement.
Ensuite, l'acte doit répondre aux exigences d'authenticité posées par le droit étran-
ger. En effet, il paraît difficile d'admettre qu'un contrat d'adoption sous seing privé satis-
faisant aux règles de forme de la loi étrangère sous l'empire de laquelle l'acte a été dressé,
puisse être soumis à procédure judiciaire devant un tribunal belge compétent. Il ne s'agit
pas d'une dérogation à la règle Locus regit actum, mais de la mise en œuvre d'une autre
règle de droit international privé, relative au fonctionnement d'un service public (voy.
supra, n ° 3.36) : la loi belge qui gouverne la procédure judiciaire détermine les exigences
de forme des instruments produits au cours de cette procédure.
Il Voy. en ce sens : Civ. Tongres Ueun.), 2 décembre 1969, Doc. prot. jeun., 1, 179. Comp. Civ. Gand,
14 septembre 1981,J. T. (1981), 657, refusant l'homologation d'un acte« passé devant un fonction-
naire hongrois», sans se demander si le droit étranger prévoyait une celle autorisation, et se pro-
nonçant à rort sur « l'autorité de la chose jugée » de l'acte étranger, sans se demander si l'acte
étranger avait la nature d'un acte public ou d'un acte juridictionnel, plutôt que d'un acte privé
passé en la forme instrumentaire.
Il Il appartient à la loi du pays où l'acte a été dressé de décider si la personne qui l'a reçu a qualité
d'officier public.

Enfin, l'hypothèse ne peut pas être de celles que le Code civil qualifie d' « adoptions
internationales» (art. 360-2), terme couvrant le cas particulier d'une adoption
« impliquant le déplacement international d'un enfant», soit lorsque celui-ci réside à
l'étranger et que les adoptants résident en Belgique, soit lorsqu'il doit être déplacé à
l'étranger alors qu'il réside en Belgique. En effet, les conditions strictes auxquelles le droit
belge soumet la procédure à suivre dans ce cas impliquent l'accomplissement de nom-
breuses formalités en Belgique.
Ili!Le problème de la compétence d'attribution lié à la suppression de la procédure d'homologa-
tion en droit belge ne paraît pas avoir été aperçu dans les travaux préparatoires, l'article 69 du Code
ne faisant l'objet d'aucune observation (Doc. pari., Sénat, 2003-2004, n ° 3-27/7 et 338) et l'exposé
des motifs, antérieur à la loi de 2003, parlant encore d'acte d'adoption pour l'ensemble de
l'article 69, en ce compris la procédure belge.
Pour éviter des difficultés d'interprétation des compétences d'attribution du tribunal de première
instance, il est conseillé d'effectuer l'ensemble de la procédure soit en Belgique, soit à l'étranger, et,
dans ce dernier cas, de poursuivre par une procédure de reconnaissance.

B. Droit applicable
12.121 - Présentation - La règle de conflit transitoire oblige à distinguer selon que le
droit applicable est déterminé en vertu du Code de droit international privé ou selon les
dispositions antérieures. La solution du conflit transitoire est exposée supra, n ° 12.110.
La simplification de la règle de rattachement attendue de l'entrée en vigueur du
Code sera compensée par l'alourdissement considérable des procédures administratives
(adaptabilité, aptitude à adopter, enregistrement), qui risque de décourager l'adoption
internationale, particulièrement en cas de déplacement international d'enfant. La filière
dite libre, qui consiste à ne pas passer par un organisme d'adoption, tendra probable-
ment à disparaître.
600 LA PERSONNE ET LES RAPPORTS DE FAMILLE

1. ÜROIT APPLICABLE EN VERTU DU CODE DE DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ

12.122 - Détermination de la loi de l'adoption - Le Code soumet l'établissement de


l'adoption à une échelle de rattachements du type de l'échelle de Kegel, exprimant un
objectif de proximité (voy. supra, n ° 3.13). Cette échelle est assortie d'un double verrou de
protection: une structure en cascade visant à assurer la protection de l'intérêt de l'enfant
et la préservation de l'application de certaines dispositions impératives (art. 67).
Le rattachement de proximité a pour échelons, respectivement, la nationalité com-
mune des adoptants, à défaut, la localisation de leur résidence habituelle dans le même
État, à défaut encore le droit belge. Le conflit mobile se résout par la concrétisation des
facteurs de rattachement au moment de l'établissement de l'adoption.
Le rattachement de protection comporte deux éléments.
D'abord, en cas d'atteinte« manifeste» « à l'intérêt supérieur de !'adopté», le droit
étranger est écarté au 15énéfice du droit belge, à condition que « l'adoptant ou les adop-
tants [aient] des liens manifestement étroits avec la Belgique». Ces termes sont rédigés à
la manière d'une clause spéciale d'ordre public positif (voy. supra, n ° 7.54).
Ensuite, l'application du droit étranger est sans préjudice de l'application de
l'article 357 du Code civil, après sa modification par la loi du 24 avril 2003. Cette dispo-
sition exige le respect de l'article 344-1 - nécessité de fonder l'adoption sur de justes
motifs et de rechercher l'intérêt supérieur de l'enfant - et que l'adoptant ou les adop-
tants soient« qualifiés et aptes à adopter»,« quel que soit le droit applicable à l'établisse-
ment de l'adoption».
Ill!Cette disposition utilise une règle spéciale d'applicabilité au sens de l'article 20 du Code, dont le
critère est l'appartenance du juge saisi à l'ordre juridique belge.
Ill À moins d'ôter tout effet utile à la règle de rattachement, la vérification de l'aptitude ne doit pas
se comprendre autrement que par référence à l'appréciation en fait commandée par le droit maté-
riel, sans extension à d'autres conditions légales du droit belge, comme l'âge minimum requis.
La conversion d'une adoption simple en adoption plénière est soumise aux mêmes
règles de rattachement que l'établissement de l'adoption (art. 71, § F').
IllEn toute hypothèse, l'applicabilité de l'article 359-2 nouveau C. civ. doit être assurée, qui
requiert que les consentements requis par le droit applicable aient été donnés en vue d'une adop-
tion produisant l'effet d'une adoption plénière. La détermination de l'exigence des consentements
doit avoir lieu logiquement en vertu du rattachement spécial régissant cette matière (voy. ci-des-
sous).
Le Code modifie l'article 359-3 nouveau du Code civil en y ôtant les termes « les règles de droit
1111
international privé», afin de rassembler l'ensemble des règles de rattachement dans le Code de
droit international privé (art. 130).
Il s'entend que le conflit mobile se résout par la concrétisation des facteurs de rattachement au
Ill
moment de la conversion.

12.123 - Domaine de la loi de l'adoption et rattachements spéciaux - La loi de l'adop-


tion détermine l'ensemble des conditions relatives à son établissement qui ne font pas
l'objet d'un rattachement spécial. Il en va ainsi de l'admissibilité, de l'âge requis, de l'exis-
tence d'une adoption antérieure.
Cette loi détermine aussi l'effet essentiel de l'acte, à savoir la nature du lien créé par
l'adoption (art. 70 Codip), singulièrement la question de savoir si l'adopté cesse ou non
d'appartenir à sa famille d'origine. D'autres effets obéissent à leur rattachement propre,
LA FILIATION 601

tels le nom, l'autorité parentale, l'empêchement à mariage, le droit à des aliments, la


vocation héréditaire de l'adopté dans la succession de l'adoptant, la dévolution de la suc-
cession de l'adopté.
Le Code organise des rattachements spéciaux pour le consentement et les formalités
de l'acte, ainsi que pour la révocation et la révision de l'adoption.
Les consentements des parties - adopté et adoptant(s) - obéissent à un rattache-
ment territorial exclusif, assorti d'un double verrou de protection. Le rattachement de
proximité se réfère à la résidence habituelle de l'adopté au moment de l'adoption ou, en
cas de déplacement, immédiatement avant celui-ci. La protection consiste à appliquer le
droit belge dans deux hypothèses : lorsque le droit étranger ne prévoit pas la nécessité
d'un consentement, et lorsque l'article 358 nouveau du Code civil, applicable« quel que
soit le droit applicable au consentement de l'adopté » exige, par renvoi à l'article 348-1
nouveau, que l'adopté de plus de douze ans doté de discernement consente à l'adoption.
Ill Comme la disposition relative à l'aptitude à adopter, celle relative au consentement du mineur
utilise une règle spéciale d'applicabilité au sens de l'article 20 du Code.
Ill L'article 348-1, alinéa 2, précise que l'établissement d'une adoption plénière exige que les con-
sentements requis aient été donnés à cette fin, c'est-à-dire aux fins de rompre le lien préexistant de
filiation entre l'enfant et ses père et mère.
Pour les formalités à respecter en vue de l'établissement de l'acte, le Code fait appli-
cation de la règle Locus regit actum, dans sa portée impérative (voy. supra, n ° 3.31 ). La dis-
position est formulée de manière unilatérale, ne prévoyant que le cas de l'acte établi en
Belgique (art. 69, al. 1er). Dans le cas d'une décision judiciaire étrangère ou d'un acte
authentique étranger en effet, le Code renvoie à des dispositions propres à la reconnais-
sance de décisions ou d'actes publics étrangers (art. 72 Codip) et au besoin à la poursuite
de la procédure judiciaire« prévue par le droit belge» (art. 69, al. 2).
La ventilation ainsi opérée indique qu'il n'y a pas de place pour un acte d'adoption établi sous
1111

seing privé à l'étranger conformément à la loi locale (Exposé des motifs de la proposition de loi,
Doc. pari., Sénat, 2003-2004, n° 3-27/1, 102).
Ill Dans un souci de contrôle, les formalités d'une adoption internationale sont considérablement
alourdies par la loi du 24 avril 2003, en cas de déplacement international d'un enfant. Ces formali-
tés tendent à respecter les exigences posées par la Convention de La Haye du 29 mai 1993 (voy.
infra, n° 12.137).
Ill Lorsque l'adoption est établie en Belgique, il y a lieu de respecter les formalités particulières pré-
vues au cas où le dossier « implique le déplacement international d'un enfant », au sens des
articles 360-1 et 360-2 du Code civil. Ces dispositions ne concernent donc ni l'adoption d'une per-
sonne de plus de dix-huit ans, ni celle d'un enfant en l'absence de déplacement international (qui
est toutefois soumise à une enquête sociale, art. 1231-6 C. jud.).
Une distinction apparaît selon que l'enfant doit être déplacé de l'étranger vers la Belgique, et inver-
sement.
En cas de déplacement vers la Belgique, les personnes désireuses d'adopter un enfant résidant habi-
tuellement en Belgique doivent avoir suivi « la préparation organisée par la communauté
compétente» et « obtenir un jugement les déclarant qualifiées et aptes à assumer une adoption
internationale» (art. 361-1 C. civ.). Il faut supposer que cette qualification est appréciée en vertu du
droit désigné par la règle de conflit de lois posée par le Code de droit international privé. Le texte
précise ensuite les conditions auxquelles le déplacement peut avoir lieu (arc. 361-3 C. civ.), ainsi que
les documents à produire (art. 361-4 C. civ.).
En cas de déplacement vers l'étranger, le texte énonce les conditions préalables à son autorisation, à
savoir: (1 °) un jugement du tribunal de la jeunesse constatant que l'enfant est« internationale-
ment adoptable» sur la base d'une étude sociale, que l'adoption internationale répond à l'intérêt
602 LA PERSONNE ET LES RAPPORTS DE FAMILLE

supérieur de celui-ci et que l'ensemble des consentements requis ont pu être donnés en connais-
sance de cause (art. 362-2 C. civ.); (2 °) l'autorité centrale communautaire, notamment, (a) a reçu
de l'autorité étrangère compétente un rapport que celle-ci a adressé à l'autorité centrale fédérale,
donnant diverses informations sur les adoptants et (b) a constaté que l'adoption répond à l'intérêt
supérieur de l'enfant (art. 362-3 C. civ.); (3°) une« décision de confier» l'enfant, à prendre après
vérification que l'adoptant est qualifié et apte selon l'autorité étrangère compétente, que l'enfant
sera autorisé à séjourner à l'étranger et que l'accord de l'adoptant est assuré.

111 Les communautés ont, par voie de décrets, mis en place la procédure de préparation prévue par
la loi. Voy. les références citées infra, n ° 12.138.
La Convention de La Haye du 29 mai 1993 (voy. infra, n° 12.137) permet l'intervention d'organis-
mes agréés (arc. 22, § 1er). Elle permet aussi à l'État d'origine de déclarer que l'adoption ne peut
avoir lieu que si les fonctions de l'Autorité centrale sont exercées conformément à l'article 22. La
Belgique a fait une déclaration en ce sens, énonçant que« l'adoption d'un enfant résidant [en Belgi-
que] ne peut avoir lieu que si les fonctions conférées à l'Autorité centrale de l'État d'accueil sont
exercées » conformément à cette disposition.

La révocation de l'adoption relève du domaine de la loi de l'adoption (art. 71, § 2,


Codip). La référence va bien à la loi qui a servi à l'établissement même de l'adoption.
Ainsi, la solution du conflit mobile préfère un rattachement vertical à une actualisation
du rattachement au jour de la révocation.
111 Le texte de la proposition de loi ne contenait pas cette nuance relative au conflit mobile. Elle a
été introduite judicieusement au cours des travaux de la commission de la Justice du Sénat (amen-
dement n ° 62), afin d'établir la sécurité juridique selon la justification, afin de neutraliser un chan-
gement de concrétisation effectué dans le but de la demande en révocation, selon les discussions en
commission de la Justice (Doc. pari., Sénat, 2003-2004, n ° 3-27/7, 152,245 et 338).

Voy. déjà, dans un sens analogue: Liège, 18 janvier 1999, Rev. gén. dr. civ. (2000), 662, note Y.
Ill
DEKETELAERE.

La révision de l'adoption est régie, dans tous les cas, par le droit belge (art. 71, § 3,
Codip).
IllLe Code incorpore ainsi l'alinéa 2 de l'article 359-5 nouveau du Code civil, qu'il abroge en con-
séquence (art. 139, 5°).

La nullité de l'adoption fait l'objet d'une règle matérielle qui entend régir toute
demande introduite en Belgique : elle « ne peut être prononcée en Belgique, même si le
droit de l'État où elle a été établie le permet» (art. 359-6 nouveau C. civ.).
Ill Cette interdiction est singulière, car elle est pratiquement sans objet. Soit l'adoption a été éta-
blie en Belgique, et son« annulation» ne se conçoit que comme la remise en cause de l'autorité de
la chose jugée. Soit elle a été établie par une juridiction étrangère, et la demande porte alors sur la
reconnaissance d'une décision, c'est-à-dire la réception ou le refus de la chose jugée à l'étranger, le
juge belge n'ayant aucune compétence pour « annuler» un jugement étranger. Voy. par exemple:
Liège, 18 janvier 1999, Rev. gén. dr. civ. (2000), 662, note Y. DEKETELAERE.
Autre serait l'hypothèse d'une demande portant sur une adoption étrangère passée par un simple
acte privé ou un acte authentique. Une demande devrait pouvoir être introduite tendant à en con-
tester la validité.
Dans le cas d'une décision étrangère annulant une adoption, la question revient à nouveau à se
prononcer sur la reconnaissance d'une décision (voy. infra, n° 5 12.137 et s.).

12.124 - Éviction de la loi de l'adoption par l'exception d'ordre public - La jurispru-


dence a fait un large usage de l'exception d'ordre public, pour contourner autant la
rigueur du cumul limitatif concernant l'admissibilité de l'adoption, que l'interdiction
d'adopter un majeur énoncée par de nombreux droits étrangers.
LA FILIATION 603

L'exception ne constitue pourtant un moyen acceptable que si elle est utilisée dans
son sens fonctionnel, en tenant compte des circonstances de l'espèce (voy. supra, n°' 7.46
et s.), notamment, de l'âge de l'enfant, de son degré d'insertion dans la société belge et de
son statut familial en cas de refus d'adoption (Bruxelles, 9 novembre 1982, Rev. trim. dr.
fam., 1983, 198). Il faut savoir que la décision entreprise risque le plus souvent de créer un
rapport «boiteux», l'adoption n'étant pas reconnue dans le pays d'origine. Dans beau-
coup de cas, il sera même problématique de demander le consentement de la famille
d'origine.
1111 Sur la question de l'admissibilité, voy. les références citées par: G. vAN HECKE et F. RIGAUX, Rev.
crit. jur. belge (1991), 177, et par M. FALLON, Rev. trim. dr. fam. (1988), 233.
En France, n'écartant pas la loi étrangère, voy.: Cass. civ., 19 octobre 1999, El Karroumi, Clunet
(2000), 737, note F. MüNEGER.

Sur l'interdiction d'adopter un enfant naturel en droit italien, voy.: Civ. Bruxelles, 21 décembre
1111

1994, Pas. (1994), III, 50, écartant l'exception.

1111C'est en réponse à ces difficultés que le législateur avait renoncé au cumul limitatif pour les
adoptés de moins de quinze ans (voy. infra, n ° 12.129). Cela a rendu plus difficile l'utilisation de
l'exception d'ordre public en présence d'une volonté claire du législateur d'opérer une distinction
selon l'âge, tout en conduisant à des références plus fréquentes à la théorie du renvoi (sur cette
notion, voy. supra, chap. 6) par des juridictions de fond soucieuses de faire droit à l'adoption de
majeurs en présence de relations filiales véritables.

1111 Sur l'adoption de majeurs, la Cour de cassation a pris fermement position dans l'arrêt Carau-
leanu du 10 avril 2003 (Rev. trim. dr. fam., 2004, 180), concernant l'adoption d'un Moldave: le droit
au respect de la vie privée et familiale que consacre l'article 8 de la Convention européenne de sau-
vegarde des droits de l'homme n'établit pas un droit fondamental à l'adoption.
Dans le même sens: Civ. Bruxelles, 16 novembre 1994, J.L.M.B. (1995), 527, note M. LIÉNARD-
LIGNY; Anvers, 2 mai 1995, Tijdschr. Vreemd. (1997), 411, note L. WALLEYN; Bruxelles, 30 mai 2000,
Rev. trim.dr. fam. (2002), 476; 4 septembre 2001,].T (2002), 469.
Voy. précédemment, évinçant la loi étrangère: Civ. Turnhout, 12 décembre 1996, R W. (1999-2000),
334; Civ. Anvers, 25 mars 1997, Tijds. Not. (1997), 538, note K. LAMBEIN; 25 janvier 2002, R W
(2002-2003), 1395.

Il reste que, selon la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant (20 novembre
1111

1989, loi du 25 novembre 1991, Monit., 17 janvier 1992), tout enfant« privé de son milieu familial »
a droit à une « protection de remplacement», qui peut être une adoption, un placement dans une
famille ou une kafalah de droit islamique, pourvu qu'il soit « tenu compte», notamment, « de son
origine ethnique, religieuse, culturelle et linguistique» (art. 20). D'autres dispositions (art. 21) con-
cernent spécialement l'organisation de l'adoption.

Il. DROIT APPLICABLE EN VERTU DES ARTICLES 344 ET 344TER DU CODE CIVIL

12.125 - Orientations générales - L'adoption est l'une des rares matières à avoir suscité
l'intérêt du législateur de droit international privé avant l'entrée en vigueur du Code.
Deux lois ont réglé successivement la matière, avant même la loi du 24 avril 2003 - dont
le texte final ne comprend cependant guère de règles de compétence internationale ni de
rattachement-, à savoir les lois du 21 mars 1969 et du 27 avril 1987.
En droit international privé, la première période a vu confirmé le principe du ratta-
chement en fonction de la nationalité de chacune des parties, approche conduisant à
déclarer l'acte inadmissible chaque fois que l'institution est ignorée de l'une des lois
nationales en présence.
604 LA PERSONNE IT LES RAPPORTS DE FAMILLE

La seconde période a entendu corriger cet effet restrictif, en élargissant la possibilité


d'adopter des enfants mineurs, par application de la loi belge, pourvu qu'existe une cer-
taine proximité avec l'ordre juridique belge.
Quoi qu'il en soit du droit applicable, le juge de l'homologation doit vérifier que
l'adoption et l'adoption plénière « sont fondées sur de justes motifs et présentent des
avantages pour celui qui en est l'objet».
1111Placée en tête du chapitre 1er du titre VIII consacré à la filiation adoptive, cette disposition est
soustraite au domaine matériel de l'article 344. La double exigence fondamentale de l'article 343
du Code civil n'appartient pas à ces conditions que l'article 344 soumet à la loi (éventuellement
étrangère) qui régit le statut personnel. Elle constitue plutôt la définition même de l'adoption, et la
principale fonction de la procédure d'homologation est de garantir qu'aucune filiation adoptive ne
soit établie en Belgique sans que l'autorité judiciaire compétente ait pu en contrôler les motifs.
Pour cette appréciation, il faut tenir compte des circonstances familiales propres à !'adopté et à
l'adoptant, que leurs origines nationales respectives sont de nature à configurer. Cela n'inclut
cependant aucune référence à une loi étrangère, et la vérification des justes motifs de l'adoption est
le résultat d'une appréciation souveraine, en fait, du juge du fond.

12.126 - Droit applicable aux formalités de l'acte - Le Code civil ne comporte aucune
disposition relative à loi applicable à la forme de l'acte d'adoption ou de sa révocation.
IllLa loi du 21 mars 1969 évoquait, à propos des actes passés en Belgique, la validité de ceux qui
respectaient les« formes prévues par le présent Code ». Cette précision a été supprimée par la loi du
27 avril 1987.

La terminologie varie. Alors que pour les enfants de moins de quinze ans, le
paragraphe 1er de l'article 344 évoque les conditions« de fond» - ce qui exclut les condi-
tions de forme -, pour les autres, le paragraphe 2 ne parle que des « conditions », ce qui
peut couvrir aussi les questions de forme. Il en va de même pour la révocation.
On ne peut certes en déduire une dérogation à la règle Locus regj.t actum, commune
aux actes juridiques privés. Mais convient-il d'en retenir une interprétation alternative,
qui est de principe, ou plutôt une interprétation impérative ? Les travaux préparatoires
suggèrent la volonté du législateur de déroger à l'interprétation alternative.
Voy. à ce sujet: M. VERWILGHEN, « L'établissement de la filiation adoptive ...
1111 », op. cit. n ° 12.109,
188; C. DEBROUX, op. cit. n ° 12.109, 205.

Ill Sous la législation antérieure, voy. l'interprétation impérative donnée par: Civ. Bruxelles Qeun.),
18 juin 1984,J.J.P. (1986), 78, note]. ERAuw.
Voy. depuis lors, en ce sens: Anvers, 7 octobre 1997, Alg.Jur. Tijdschr. (1998-1999), 73.

Ainsi, adoptant et adopté ne pourraient se prévaloir de leur loi nationale commune


pour faire en Belgique un contrat d'adoption par acte sous seing privé. Il y a lieu de res-
pecter, en ce qui concerne la forme du contrat d'adoption et la forme des consentements
à l'adoption, l'article 349 du Code civil prévoyant que ces actes doivent être dressés par le
juge de paix ou par un notaire.
1111 Les formalités de la comparution des parties et du ou des représentants à l'acte d'adoption relè-
vent de la forme, de même que le mode d'expression du consentement ou le mode de constatation
de l'adoptabilité. Voy. Civ. Liège, 25 avril 1983, Rev. trim. dr. fam. (1985), 108; Anvers Qeun.), 6 juin
1980, Rev. trim. dr.fam. (1982), 77.

Selon le Code de droit international privé, le mode d'expression du consentement relève désor-
1111

mais de la loi de la résidence de !'adopté (voy. supra, n° 12.123).


LA FILIATION 605

a) Établissement de l'adoption d'une personne de plus de quinze ans


12.127 - Détermination de la loi de l'adoption - L'adoption internationale est subor-
donnée au respect, par chacune des parties, des « conditions que lui impose son statut
personnel» (art. 344, § 2, C. civ.), expression qui se comprend comme une référence à la
nationalité.
Ill Comme en d'autres matières de l'état et de la capacité, l'application de la loi personnelle peut
cependant être écartée, tantôt par l'application de la loi du domicile au statut personnel de l'apa-
tride et du réfugié, tantôt par le mécanisme du renvoi.
Au sujet de réfugiés, voy. Civ. Bruxelles, 17 novembre 1987, R W. (1989-1990), 1062.
Pour le cas d'un candidat réfugié, soumis à sa loi nationale, voy.: Bruxelles, 22 décembre 1995, Alg.
fur. Tijdschr. (1995-1996), 488, note K. LAMBEIN.
Pour des cas d'application du renvoi, voy.: Civ. Bruxelles, 21 avril 1967, Pas. (1968), III, 19; Civ.
Namur, 12 février 1971, fur. Liège (1971-1972), 52; Civ. Liège, 8 décembre 1972, fur. Liège (1972-
1973), 271 ; Bruxelles, 2 avril 1980, Rev. trim. dr. Jam. (1981), 169, avis min. pub!. et note K.
LENAERTS; Civ. Bruges, 7 juin 1994, Tijdschr. Not. (1994), 457; Anvers, 2 mai 1995, Tijdschr. Vreemd.
(1997), 411, note L. WALLEYN; Civ. Liège, 23 janvier 1998, Rev. trim. dr. Jam. (1998), 665, note J.-Y.
CARLIER, pour l'adoption d'un majeur polonais par une veuve belge au moyen du renvoi à la loi
nationale de l'adoptant désignée par la règle de rattachement polonaise.
La Cour de cassation (4 novembre 1993, Pas., 1993, I, 921, Tijdschr. Not., 1994, 454, note K. WAU-
TERS-LAMBEIN, Rev. gén. dr. civ., 1994, 394, note L. BARNICH, Rev. trim. dr. Jam., 1994, 494, note M. FAL-
LON) a admis l'utilisation du renvoi vers la loi belge du domicile dans le cas de l'adoption d'un
Américain.

Le domaine de la loi de l'adoption s'entend de manière large. Indépendamment de la


question des effets (voy. infra, n ° 12.132), il inclut :
(1) L'admissibilité de l'établissement d'une filiation adoptive. Certains droits étran-
gers ignorent une telle institution et il suffit que le statut personnel d'une des parties
n'admette pas l'adoption pour que le tribunal belge doive refuser de l'homologuer. La
référence à la loi nationale de chaque partie aboutit sur ce point à un cumul limitatif
(supra, n ° 3.59) : il faut que l'adoption soit admissible d'après chacune des lois personnel-
les des parties au contrat.
Ainsi, un enfant algérien ne peut pas être adopté en Belgique (Civ. Gand, jeun., 7 novembre
1111

1969, Rev. dr. Jam., 1970, 58), et un Marocain ne peut pas y adopter (Civ. Bruxelles, jeun., 26 mars
1970, Rev. dr. Jam., 1970, 74; Liège, 30 mai 1983, Rev. trim. dr. Jam., 1984, 55; Civ. Bruxelles, 15 avril
1985,J.J.P., 1986, 18, note]. ERAuw), l'institution de l'adoption étant ignorée du droit algérien et du
droit marocain.
Pour l'adoption d'un Russe, voy. Civ. Bruxelles 0eun.), 14 janvier 1988,].T. (1989), 751.

Lors de l'examen de l'admissibilité, il n'y a pas lieu d'exiger que le droit étranger pré-
voie formellement une institution qualifiée d'adoption, mais de rechercher si l'institu-
tion étrangère comporte des effets analogues à ceux de l'établissement d'un rapport de
filiation.
Ill En Belgique, la question a été posée à propos de la kaJalah, dont la jurisprudence a refusé à juste
titre l'analogie avec l'adoption, le droit musulman interdisant l'adoption ayant des effets de filia-
tion (voy. M. FALLON, Rev. trim. dr. Jam., 1988, 233 ;].P. Saint-Gilles, 16 janvier 2001, Rev. gén. dr. civ.,
2001, 245). Le nouveau Code marocain de la famille ne reprend plus l'interdiction formelle de
l'adoption (ancien art. 83, 3 °, nouvel art. 146), ce qui pourrait porter à confusion même si le légis-
lateur marocain n'a introduit aucune procédure d'adoption dans son droit interne, à la différence
du législateur tunisien.
Autre chose est d'envisager cette forme de placement si le droit étranger qui l'organise est applica-
ble à la relation en cause, au titre de la catégorie régissant les incapacités (voy. infra, sect. 8).
606 LA PERSONNE IT LES RAPPORTS DE FAMILLE

(2) la détermination des conditions propres à la personne de chacune des parties:


âge, différence d'âge entre l'adoptant et l'adopté, droit d'adopter son propre enfant natu-
rel, interdiction d'adopter quand on a des descendants, etc. Le rattachement est normale-
ment distributif, lorsque la condition concerne la personne, soit de l'adoptant ou de
chacun des adoptants, soit de l'adopté. Exceptionnellement, il est de type cumulatif, lors-
que la condition porte sur une relation typique entre deux parties (différence d'âge, par
exemple).
Ill Pour des illustrations dans la jurisprudence et certaines difficultés de mise en œuvre du droit
étranger, voy. : Rev. crit. jur. belge (1970), 290-291, ( 1976), 247-248, (1982), 415, (1991), 177-179 ; Rev.
trim. dr. Jam. (1988), 235-239.
!Ili Sur la dispense liée à l'application de la loi étrangère en matière d'adoption, voy. supra, n ° 9.58.
Le consentement de l'adopté relève de sa loi nationale.
IllVoy. not.: Bruxelles Ueun.), ier avril 1971,].T. (1971), 327; 22 février 1973,].T. (1973), 236; Civ.
Bruxelles Ueun.), 6 septembre 1989,].T. (1990), 260; Gand, 11 mai 1992, Tzjdschr. Gentse Rechtspraak
(1992), 90; Liège, 18 janvier 1999, Rev. gén. dr. civ. (2000), 662, note Y. DEKETELAERE ..
1111L'article 344, § 3, C. civ. confirme partiellement cette solution traditionnelle. La loi de !'adopté
est applicable« si [elle] fixe les modalités relatives au consentement à son adoption ou à son adop-
tion plénière et désigne les personnes qui ont qualité pour donner ce consentement». Si la condi-
tion n'est pas remplie, il faut croire que le consentement est soumis à la loi nationale de l'adoptant.
Sur cette disposition, voy. la critique de M. VERWILGHEN, « L'établissement de la filiation
adoptive ... », précité n ° 12.109, 187.
1111 La loi applicable au consentement détermine à quelles conditions le refus de consentir peut être

jugé abusif. Voy. Liège Ueun.), 21 juin 1977, Rev. not. belge (1978), 85.
En revanche, la détermination du lien de filiation entre l'adopté et sa famille d'ori-
gine relève de la loi qui lui est propre, à savoir la loi applicable à ce rapport de filiation.
Cette dualité de rattachements peut soulever une difficulté lorsque la loi applicable à la
filiation biologique, par exemple celle de l'auteur, ignore l'adoption. La difficulté n'est
pourtant qu'apparente puisque, juridiquement, la seule vérification à opérer dans cette
loi est celle de l'existence d'un lien de filiation biologique.
IllAinsi, il est incorrect de ne pas demander le consentement du père marocain naturel pour le
motif que la reconnaissance n'est pas valable selon la loi nationale de celui-ci, alors que la règle
belge de rattachement soumet cet acte à la loi belge de l'enfant Q.P. Schaerbeek, 27 mars 1985,J.J.P.,
1986, 44, note]. ERAuw).
IllLa vérification du lien de filiation biologique peut se heurter à un problème de preuve. Voy. Civ.
Bruxelles Ueun.), 21 février 1986, Rev. gén. dr. civ. (1988), 149, révélant la pratique chilienne de la
rédaction d'un« acte de naissance» ad hoc avant le départ de l'enfant du Chili, mentionnant le nom
des adoptants. On ne saurait accorder à cet acte la force probante d'un acte de naissance permet-
tant d'établir un lien de filiation biologique entre enfant et parents, comme l'a pensé le ministère
public.

12.128 - Rattachement spécial de la révocation de l'adoption - La révocation d'une adop-


tion « est permise en Belgique aux conditions et avec les effets prévus par le présent
Code» (art. 344quater C. civ.).
Ill Cette disposition reprend en substance la solution qui prévalait avant la réforme de 1987.
1111L'absence de toute référence à une loi étrangère s'explique sans doute par le parallélisme qu'on
peut observer entre les« justes motifs» de l'adoption (art. 343 C. civ.) et les« motifs très graves» de
sa révocation (art. 367, § l''", al. icr, C. civ.). Celle-ci fait aussi l'objet d'une appréciation discrétion-
naire du juge, pour laquelle le législateur n'a pas estimé nécessaire de prévoir un rattachement
autre qu'à la loi du for.
LA FILIATION 607

Comp. une référence à la loi de la nationalité des parties, celles-ci étant belges en l'espèce : Liège,
1111

18 janvier 1999, Rev.gén. dr. civ. (2000), 662, note Y. DEKETELAERE.

En décidant que les conditions de la révocation relèvent de la loi belge, le législateur


se réfère implicitement à la distinction entre les deux espèces de filiation adoptive dont
l'une est révocable et l'autre non. Au cas où une filiation adoptive acquise en pays étran-
ger fait l'objet d'une action en révocation devant les tribunaux belges, ceux-ci doivent
vérifier si cette filiation est équivalente à une adoption simple, révocable, ou à une adop-
tion plénière, irrévocable.

b) Établissement de l'adoption d'un mineur de moins de quinze ans


12.129 - Éviction de la loi étrangère sur l'admissibilité - La loi de 1987 a introduit une
dérogation à l'application distributive des lois nationales lorsque l'adopté n'a pas atteint
l'âge de quinze ans au jour de l'acte. L'objectif était de permettre l'adoption, simple au
moins, même lorsque la loi d'origine des adoptants ou de !'adopté ignore l'adoption, afin
de permettre, notamment, l'adoption d'enfants algériens ou marocains par des Belges.
L'article 344, paragraphe 1er, du Code civil distingue selon que la loi du ou des adop-
tants admet ou non l'adoption. Dans les deux cas, la loi de !'adopté est négligée, au profit
de celle des adoptants.
Trois cas sont envisageables :
(a) Si la loi personnelle de l'adoptant ou la loi personnelle commune des adoptants
admet l'adoption, cette loi régit les conditions de fond de l'acte;
(b) Si les adoptants sont de nationalités différentes mais que chacune des deux lois
admet l'adoption, la loi belge est applicable;
(c) Si la loi personnelle de l'adoptant ou de l'un des adoptants n'admet pas l'adop-
tion, le législateur a prévu la possibilité de passer l'acte aux conditions prévues par la loi
belge, si une exigence de nature territoriale est remplie. Celle-ci tend à assurer un lien de
proximité de la situation avec le système juridique belge. Cette condition est double,
devant être remplie dans le chef des adoptants et de l'adopté: les premiers doivent résider
depuis cinq ans au moins en Belgique ; le second doit y résider depuis deux ans au moins
ou y être né.
Ill La disposition relative à ce dernier cas se contente de déterminer l'applicabilité de la loi belge, en
se référant à un critère de localisation sur le territoire belge. Le législateur a ainsi opté pour une for-
mulation unilatérale, alors que coures les autres dispositions sont formulées de manière multilaté-
rale.
Cette discordance soulève la question d'une interprétation multilatérale de la disposition. Il y a lieu
en effet de prévoir le cas où, par exemple, les adoptants sont belge et marocain mais résident en
France ou aux Pays-Bas. La procédure peut se dérouler en Belgique puisque l'autorisation pourra
être demandée au tribunal désigné par l'article 350 du Code civil. Mais faut-il déduire de l'absence
de résidence en Belgique des adoptants qu'ils ne pourront procéder à l'adoption ?
Une interprétation multilatérale de la disposition consisterait plutôt à permettre l'application de
la loi du pays de leur résidence.
Cette solution est avancée par C. ÜEBROUX, « La réforme ... », précitée n ° 12.109, n ° 67, à propos de
la reconnaissance d'une décision étrangère, sur la base des travaux préparatoires. Dans l'hypothèse
de la reconnaissance, le législateur renvoie au contrôle de la loi appliquée par le juge étranger (voy.
infra, n° 12.147), de sorte que la même interprétation doit prévaloir dans les deux hypothèses.
608 LA PERSONNE IT LES RAPPORTS DE FAMILLE

Le domaine de ce rattachement spécial ne s'étend cependant pas au consentement


de !'adopté ni aux habilitations dont il a besoin. Comme pour !'adopté de plus de quinze
ans, la question relève de la loi nationale de !'adopté (art. 344, § 3, C. civ.).
1111 Voy. une application par Civ. Bruxelles, 17 novembre 1987, R. W. ( 1989-1990), 1062.
1111Le rattachement spécial peut avoir pour conséquence que la loi de !'adopté ne connaisse pas
l'adoption alors que son admissibilité relève de la loi belge. Un retour à la loi de l'adoptant par
interprétation de l'arc. 344, § 3, C. civ. est alors possible ; subsidiairement, il faudra s'en remettre à
la loi qui a permis l'admissibilité.
Comp. Civ. Bruxelles, 17 novembre 1993, Rev. dr. étr. (1993), 601, s'attachant à relever l'équivalence,
en droit marocain, des conditions de consentement attachées à l'acte de prise en charge d'un
enfant abandonné; contra: J.P. Saint-Gilles, 16 janvier 2001, Rev. gén. dr. civ. (2001), 245.
La révocation de l'adoption obéit à la même disposition que pour !'adopté de quinze
ans (voy. supra, n ° 12.128).

c) Choix entre l'adoption simple et l'adoption plénière


12.130 - Choix selon la loi de l'adoption pour l'adopté de quinze ans - Le choix de l'une
des deux formes d'adoption que prévoit le droit belge n'est possible dans le chef de res-
sortissants étrangers que si la loi étrangère applicable le prévoit.
La vérification à opérer dans le droit étranger ne doit pas s'arrêter à la qualification
donnée par ce droit, mais doit consister en une analyse de l'équivalence entre les institu-
tions en présence. Si la loi personnelle applicable aux conditions de l'adoption connaît
comme la loi belge une adoption à plusieurs degrés, il y a lieu d'emprunter les conditions
requises au type d'adoption du droit étranger compétent qui se rapproche le plus de celle
des deux filiations adoptives que les parties veulent faire homologuer en Belgique.
Sur la notion d'équivalence, voy. plus généralement supra, n'" 7.27 et s., et, à propos de l'adop-
1111

tion, comp. J. CANIVET, « De l'équivalence... », précité n ° 12.109; M. VERWILGHEN, « La filiation


adoptive ... », précité n ° 12.109.
Lorsque la loi étrangère compétente ne connaît qu'une espèce d'adoption, il serait
artificiel d'assimiler cette adoption à l'une ou à l'autre des deux filiations adoptives orga-
nisées par la loi belge et de ne permettre l'homologation que de ce seul type de filiation.
La jurisprudence a admis à juste titre la légitimation par adoption d'enfants, notamment
coréens et vietnamiens, dont la loi nationale ne connaissait qu'une seule forme d'adop-
tion. Il suffit alors de vérifier dans leur chefles conditions requises pour l'adoption que
connaît leur loi nationale.
1111 Voy. la jurisprudence belge citée dans: Rev. crit. jur. belge (1976), 250-252 et comp.: F. RrGAUX,
« Les tendances actuelles du droit international privé belge », Rev. belge dr. intern. (1975), 11-12.
1111 Sur la distinction entre la légitimation des enfants naturels et la légitimation par adoption,

voy.: Rev. crit. jur. belge (1970), 291 (1976), 249-250. Pour un cas d'adaptation de la loi étrangère
applicable à la légitimation par adoption qui refusait celle-ci à un enfant naturel tout en permet-
tant une légitimation de celui-ci par mariage, alors que la loi applicable à cette légitimation-ci pré-
voyait la solution inverse, voy.: Mons, 5 octobre 1981,].T. (1981), 759, et l'analyse de M. FALLON,
Rev. trim. dr.fam. (1983), 133-148.
Dans le choix de la forme d'adoption, le tribunal ne saurait sans doute s'attacher à
« des raisons purement humanitaires» qui ont guidé les adoptants, lorsque l'adopté est
un enfant abandonné originaire d'un milieu socio-économique défavorisé, pour n'autori-
ser que l'adoption simple.
1111 Une considération de ce type est présente dans: Anvers, 6 juin 1980, Rev. trim. dr. fam. (1982), 77.
LA FILIATION 609

La portée du consentement donné par la famille d'origine influence le choix du type


d'adoption. Lorsque ce consentement porte clairement sur une adoption simple et qu'il
est envisagé de procéder à une adoption plénière, il est indispensable d'obtenir un renou-
vellement du consentement.
Ill Voy. Anvers, 6 juin 1980, Rev. trim. dr. fam. (1982), 77.
L'interprétation de la portée du consentement est plus délicate lorsque le pays d'ori-
gine ne connaît qu'une forme d'adoption. Le tribunal doit alors s'attacher à une compa-
raison des institutions dans la ligne indiquée ci-dessus.
IllVoy. Anvers, 3 octobre 1980, Rev. trim. dr.fam. (1982), 81, note M. VERWILGHEN, à propos d'un
adopté philippin.

12.131 - Choix restreint pourl'adopté de moins de quinze ans - Si l'adopté n'a pas
atteint l'âge de quinze ans, le choix entre les deux formes d'adoption n'est ouvert que si
l'adoption est admise par la loi nationale de l'adoptant ou, lorsqu'il y a plusieurs adop-
tants, par leurs lois nationales respectives.
Ill Voy. les hypothèses (a) et (b) citées supra, n° 12.129.

Seule l'adoption simple est possible dans le dernier cas envisageable, lorsque la loi
nationale de l'adoptant ou lorsque la loi nationale de l'un des adoptants n'admet pas
l'adoption (art. 344, § 1er, C. civ.). Encore faut-il, dans ce cas, que les parties satisfassent à
l'exigence de territorialité prévue par la loi.
Ill Voy. le cas (c) supra, n ° 12.129.

d) Droit applicable aux effets de l'adoption


12.132 - Orientation générale - La détermination du droit applicable aux effets de
l'adoption fait l'objet de dispositions particulières dans le Code civil, à la différence de ce
que prévoit le Code de droit international privé (voy. supra, n ° 12.123).
Ces règles expriment quatre constantes :
a) Le rattachement retenu a un caractère unitaire, en ce sens que l'ensemble des effets
d'un acte sont soumis à une seule et même loi.
La définition du terme« effets» suscite une difficulté. Englobe-t-elle l'ensemble des
effets généraux du rapport de filiation, ou seulement ceux que le législateur de droit
matériel a attachés à l'adoption (art. 357 à 366 C. civ.) ? Ces dispositions régissent
les effets sur le nom, sur l'attribution de l'autorité parentale, sur certains empêche-
ments à mariage, sur le devoir alimentaire, sur les droits successoraux de l'adopté
dans sa famille d'origine et sur la succession de l'adopté. Au vu du contenu donné
par le législateur à la règle de rattachement (voy. ci-dessous), il est suggéré de retenir
une interprétation stricte du concept« effet».
Ill La définition du concept pour les besoins des conflits de lois n'obéit pas nécessairement à celle
utilisée en droit interne. On peut sans doute admettre qu'il couvre les implications inhérences à
l'acte, à savoir si celui-ci crée ou dissout un lien de filiation, mais les conséquences que cela impli-
que pour définir la qualité d'héritier, pour attribuer l'autorité parentale ou pour ouvrir la tutelle,
peuvent relever logiquement de la loi applicable respectivement à l'institution successorale, à
l'autorité parentale ou à la tutelle. De plus, il n'y a pas de raison de soumettre à un rattachement
propre au rapport d'adoption la détermination d'un devoir alimentaire envers l'enfant.
b) La méthode consiste à soumettre normalement les effets à la loi appliquée à tout ou
partie de l'établissement de l'acte de base. Il en va cependant autrement pour l'adop-
610 l.A PERSONNE IT LES RAPPORTS DE FAMILLE

tion en Belgique d'adoptés qui ont atteint l'âge de quinze ans (art. 344ter, in fine).
Cette exception suggère que le principe de l'attraction de la loi des effets par la loi de
l'établissement ne répond pas à une nécessité logique.
Le conflit mobile subit un corollaire fâcheux de cette méthode. Celle-ci suppose que
la question de l'effet soit résolue en fonction de la concrétisation du facteur de ratta-
chement au jour de la formation de l'acte de base, non au jour où l'effet est réclamé.
Cette solution va à l'encontre de celles qui sont apportées généralement au conflit
mobile en droit comparé.
1111 Camp. supra, n ° 12.62, à propos du mariage.
1111 La solution apportée au conflit mobile n'implique pas pour aurant une pétrification du droit

applicable. Celui-ci est appliqué tel qu'il se présente au jour où l'effet est demandé, avec l'évolution
intervenue depuis le moment de la formation de l'acte de base.

c) La circonstance que l'adoption a été établie à l'étranger plutôt qu'en Belgique n'est
pas nécessairement déterminante.
1111Pour l'adoption d'un enfant de moins de quinze ans, le législateur soumet aux mêmes solutions
de conflit de lois les effets d'une décision étrangère et ceux d'une décision belge, et n'opère pas de
distinction selon la nationalité belge ou étrangère des parties (arc. 344ter, 1rc phrase).
Le texte comporte une anomalie puisqu'il omet de viser les effets d'une adoption passée entre Bel-
ges à l'étranger, alors que cette hypothèse est prévue explicitement à propos de la reconnaissance
d'une décision étrangère d'adoption ou de révocation. Rien ne justifie apparemment de particulari-
ser cette hypothèse, qu'il y a donc lieu de soumettre aux dispositions qui règlent les effets de l'adop-
tion.
1111Lorsque la question des effets concerne un acte établi ou révoqué à l'étranger, elle présuppose
que la décision étrangère puisse être reconnue conformément aux règles prévues respectivement
par l'article 344bis (adoption) ou par l'article 344quater (révocation) du Code civil.
Il y aura alors lieu de recourir à la méthode du rattachement à deux degrés, l'un pour déterminer le
droit applicable aux effets (question principale), l'autre pour effectuer le contrôle de la loi appli-
quée par le juge d'origine (question préalable).
Le contrôle de l'ordre public peut, en soi, également être double. Il peut porter sur l'incompatibilité
des effets de l'application d'une loi étrangère à la question des effets de l'acte ou de sa révocation,
mais aussi sur l'incompatibilité de la décision étrangère elle-même. Il est suggéré que la seconde
vérification puisse être plus libérale que la première, dans la mesure où elle porte sur des droits
valablement acquis à l'étranger (voy. supra, n ° 7.52).

d) La loi belge est souvent appliquée en fait à la question des effets de l'adoption ou de
sa révocation, établie en Belgique ou à l'étranger.
1111 Il n'en va autrement que dans les cas suivants :
- l'adoption - quel que soit l'âge de l'enfant - a été réalisée à l'étranger et son admissibilité
relève du droit étranger ;
- l'adoption d'un enfant de moins de quinze ans a été réalisée en Belgique par un adoptant
étranger ou par des adoptants étrangers de même nationalité, dont la loi nationale admet
l'adoption;
- la révocation a eu lieu à l'étranger et la personne « dans l'intérêt de laquelle» elle a été pro-
noncée est de nationalité étrangère.

12.133 - Droit des effets de l'adoption d'une personne de quinze ans - Lorsque l'adopté
a atteint l'âge de quinze ans au jour de l'acte, une distinction nouvelle apparaît, selon que
l'acte a été réalisé en Belgique ou à l'étranger.
Si l'acte a eu lieu à l'étranger, ses effets sont soumis à la loi « qui a été appliquée à
son admissibilité» (art. 344ter, ire phrase).
LA FILIATION 611

1111 Cette solution s'aligne sur celle qui vaut pour l'adoption d'un enfant qui n'a pas atteint l'âge de
quinze ans, que l'acte ait été réalisé en Belgique ou à l'étranger (voy. ci-dessous).

Si l'acte a eu lieu en Belgique, ses « effets sont régis par la loi belge» (art. 344ter, in
fine).
Cette solution, qui consacre l'application de la loi belge en tant que loi du for, est exceptionnelle
1111

en matière de stacut personnel. Elle traduira souvent une rupcure entre la loi appliquée à l'établis-
sement du lien et la loi appliquée aux effets, puisque la première obéit au rattachement tout à fait
traditionnel de l'application distributive - avec la réserve du cumul limitatif - des lois nationales
respectives des parties, dans la ligne du principe de l'article 3, alinéa 3, du Code civil.
Rien ne justifie une dérogation aussi nette à ce principe, pas même le souci de simplifier l'interven-
tion de praticiens belges par l'application de leur propre loi.
Par comparaison avec le cas d'une adoption passée entre parties belges, la solution comporte sans
doute un élément discriminatoire qu'un contrôle au regard de l'article 6 de la Consticution devrait
permettre de sanctionner.

12.134 - Droit des effets de l'adoption d'un mineur de moins de quinze ans - Lorsque
l'adopté n'a pas atteint l'âge de quinze ans au moment de l'acte, les effets de celui-ci
« sont régis [... ] par la loi qui a été appliquée à son admissibilité» (art. 344ter, ire phrase).
Cette règle vaut pour les adoptions réalisées en Belgique aussi bien que pour déterminer
les effets d'une adoption acquise par une décision étrangère.
Pour les procédures suivies en Belgique, la loi de l'admissibilité est aussi celle des
conditions de fond, à l'exception de la condition relative au consentement de l'adopté.
De plus, il s'agit normalement de la loi belge, sauf dans une hypothèse, lorsque la loi
nationale de l'adoptant ou la loi nationale commune des adoptants admet l'adoption :
dans ce cas, la loi appliquée est la loi nationale du ou des adoptants.
Ainsi voit-on que, dans son principe, la loi applicable aux effets est souvent la loi
belge, comme à propos des enfants ayant atteint l'âge de quinze ans.
La solution retenue dans ce cas-ci a pourtant un mérite propre.
Lorsque cette loi est celle de l'adoptant, on peut supposer que le rattachement des
effets n'est pas artificiel dans la mesure où l'acte a intégré l'enfant à la famille de celui-ci.
Il n'en va différemment que pour les effets à l'égard de l'enfant par rapport à sa famille
d'origine, du moins si l'on comprend cet effet sous le concept visé par la loi.
1111Le rattachement à la loi de l'admissibilité ne risque pas de désigner plusieurs lois en cas de plu-
ralité d'adoptants puisque, dans cette hypothèse, la loi appliquée aura été la loi belge (voy. supra,
n ° 12.129).

Lorsque cette loi est la loi belge, les mérites de son application s'imposent chaque
fois que cette loi seule a permis l'adoption, à l'exclusion de la loi nationale de l'adoptant,
des adoptants ou de l'un d'eux. Dès lors que, dans ce cas, le législateur a choisi d'appli-
quer la loi du for, il ne peut qu'imposer cette loi pour déterminer les effets de l'acte. Le
même résultat aurait pu être atteint par la théorie générale du rapport juridique boiteux
(voy. supra, n ° 12.10).
Cette appréciation ne s'impose évidemment pas lorsque la loi belge a été appliquée à
l'admissibilité alors que les adoptants étaient de nationalités différentes et que leurs lois
nationales respectives admettent l'adoption. Dans ce cas, le législateur soumet les condi-
tions de fond de l'adoption à la loi belge par raison de facilité, et l'application de la même
loi aux effets de l'acte constitue tout autant un pur expédient.
612 LA PERSONNE ET LES RAPPORTS DE FAMILLE

12.135 - Critique de la solution à propos d'adoptions établies à l'étranger - Lorsque


l'adoption a été réalisée à l'étranger, l'application de la loi de l'admissibilité aux effets de
l'acte soulève de sérieuses objections.
Les unes sont d'ordre théorique. Derrière l'apparence d'une unité de rattachement
que réaliserait le concept de« loi de l'admissibilité» selon que l'adoption a été réalisée en
Belgique ou à l'étranger, se cache une disparité réelle, puisque la loi appliquée à l'admissi-
bilité de l'acte passé à l'étranger est rarement la loi belge, parfois la loi de l'adoptant. De
plus, la solution risque de provoquer un dépeçage du rapport juridique, chaque fois que
les règles de rattachement étrangères soumettent ses effets à une loi autre que celle appli-
quée à son admissibilité. Enfin, le concept« loi de l'adoption» recouvre une règle diffé-
rente selon qu'il concerne les effets de l'acte - se référant alors à la loi appliquée - ou la
reconnaissance d'une décision étrangère - se référant alors à la loi applicable selon une
règle de rattachement du for. En d'autres termes, le législateur a calqué sa propre struc-
ture de règles de rattachement sur le processus de rattachement opéré à l'étranger.
D'autres objections sont d'ordre pratique. Dans un cas déterminé, les effets admis
en Belgique peuvent être différents de ceux admis à l'étranger, et, lorsque la décision
étrangère s'est prononcée sur certains de ces effets, comme l'attribution du nom, le légis-
lateur déroge sans raison objective à la reconnaissance de l'autorité de la chose jugée.
Dans ce cas en effet, il faut croire que seule une reconnaissance partielle peut avoir lieu,
pour tout ce qui excède la détermination des effets. De plus, la mise en œuvre du ratta-
chement peut être malaisée, chaque fois que, soit la loi appliquée est difficile à repérer,
soit l'admissibilité repose sur la convergence de plusieurs lois.
Il Pour l'ensemble de ces critiques, voy. not. C. DEBROUX, « La reconnaissance ... », précitée
n ° 12.109, 211, cet auteur prévoyant la tendance à recommencer une procédure en Belgique. Une
telle stratégie pourrait toutefois heurter le régime de la reconnaissance de plein droit de la décision
étrangère (voy. infra, n° 12.148).

12.136 - Droit des effets de la révocation d'une adoption - La détermination du droit


applicable aux effets de la révocation varie selon que celle-ci a eu lieu en Belgique ou à
l'étranger. L'un des principaux effets auxquels on doit penser a pour objet la détermina-
tion des conditions auxquelles les liens entre l'ex-adopté et sa famille d'origine repren-
nent leur force.
Les effets d'une révocation opérée en Belgique sont régis par la loi belge
(art. 344quater, al. 1er, C. civ.).
On constate ainsi une convergence des rattachements de la révocation et de ses effets. La
1111

méthode est heureuse puisqu'elle évite le risque de devoir demander des effets à une loi étrangère
qui ignore la révocation. Le même résultat aurait cependant pu être obtenu au moyen de la théorie
du rapport juridique boiteux.
1111L'ancienne législation opérait une distinction entre la loi applicable à la révocation et la loi
applicable aux effets : la première relevait de la loi belge et les secondes, de la loi personnelle de
!'adopté, cette loi étant censée pouvoir définir le mieux l'intérêt principal à protéger.
Il Les effets d'une décision étrangère de révocation « sont régis en Belgique par la même loi» que
celle ayant servi au contrôle de la décision étrangère elle-même (art. 344quater, al. 2, C. civ.). On sait
qu'aux yeux du législateur, la décision étrangère doit satisfaire, pour pouvoir être reconnue, au con-
trôle de la loi qui a été appliquée par le juge d'origine (voy. infra, n° 12.147). En d'autres termes, il y
a lieu de vérifier si le même résultat aurait été atteint par application de la loi du« statut personnel
de la partie dans l'intérêt de laquelle la révocation a été prononcée».
Il est évident que l'application de cette loi doit être écartée lorsqu'elle n'aurait pu permettre l'éta-
blissement même du lien d'adoption.
LA FILIATION 613

C. Reconnaissance des décisions et des actes publics étrangers


en matière d'adoption
12.137 - Présentation - Le jeu de diverses réformes législatives fait que les sources com-
prennent plusieurs séries de dispositions, à savoir (1 °) l'article 72 du Code de droit inter-
national privé, dont l'application a été postposée à la date de l'entrée en vigueur de la loi
du 24 avril 2003, (2 °) la loi du 24 avril 2003 dans ses dispositions sur l'efficacité des déci-
sions étrangères et, dans l'attente de l'entrée en vigueur de celle-ci, (3°) les articles 344bis
et 344quater, alinéa 2, du Code civil.
1111 Sur la solution du conflit transitoire, voy. supra, n° 12.110.
À ces sources nationales, il convient d'ajouter la Convention de La Haye du 29 mai
1993 sur la protection des enfants et la coopération en matière d'adoption internationale
(loi du 24 juin 2004, Monit., 6 juin 2005). L'instrument de ratification de la Belgique a été
déposé le 26 mai 2005, avec effet au 1er septembre 2005. Cet acte comprend principale-
ment un régime de reconnaissance internationale des adoptions. Il y joint un mécanisme
de coopération administrative. De plus, il complète ce régime par une harmonisation
minimale des règles matérielles sur « les conditions des adoptions internationales»,
visant à assurer l'adoptabilité de l'enfant selon les autorités de l'État d'origine et l'apti-
tude à adopter selon les autorités de l'État d'accueil.
IllLa Communauté française a approuvé la Convention (décret du 31 mars 1991, Monit., 19 mai
1994), ainsi que la Communauté flamande (décret du 8 mai 2002, Monit., 18 juin 2002), la Commu-
nauté germanophone (décret du 27 ocrobre 2003, Monit., 12 février 2004) et la Région de Bruxelles-
capitale (ord. du 13 mai 2004, Monit., 16 juin 2004).

1. RECONNAISSANCE DES DÉCISIONS RENDUES APRÈS L'ENTRÉE EN VIGUEUR


DE LA LOI DE 2003
a) Décisions couvertes par la Convention de La Haye du 29 mai 1993
12.138 - Objet de la Convention de La Haye - Le régime établi par la Convention de La
Haye du 29 mai 1993 ne couvre que les décisions qui entrent dans son objet matériel
autant que spatial.
Sous l'angle matériel, la Convention vise « les adoptions établissant un lien de
filiation» (art. 2, § 2), lorsque l'adopté n'a pas atteint l'âge de dix-huit ans au moment
précis où les autorités centrales du pays d'origine et du pays d'accueil ont accepté que la
procédure se poursuive (art. 3).
Ill Les termes « lien de filiation » couvrent autant une adoption plénière qu'une adoption simple :
il n'est pas nécessaire que l'institution rompe le lien préexistant avec la famille d'origine. En effet, la
Convention comporte des dispositions qui distinguent les deux hypothèses (art. 26 et 27), ce qui
confirme que l'une et l'autre sont couvertes.
Sous l'angle spatial, la Convention concerne seulement l'adoption avec déplacement
international, et ce déplacement doit avoir lieu entre des États contractants.
111 Le déplacement a lieu de l'État de la résidence habituelle de l'enfant (État d'origine) vers l'État
d'accueil. Quant à son moment, il peut précéder ou suivre l'adoption dans l'un de ces États,
l'important est qu'il ait lieu« en vue d'une telle adoption» (art. 2, § 1").
La liste des États contractants peut être obtenue aisément sur le site de la Conférence de La
Ill
Haye de droit international privé (www.hcch.net). Elle comprend un nombre important d'États, à
614 LA PERSONNE ET LES RAPPORTS DE FAMILLE

savoir l'ensemble des États membres de de la Conférence (à l'exception de l'Irlande, des États-Unis,
de la Russie et de la Chine), ainsi qu'une vingtaine d'États non membres, dont la plupart sont des
États de provenance d'enfants à adopter.

Le régime de l'efficacité des décisions étrangères constitue l'objet premier de la Con-


vention de La Haye. Celle-ci complète cependant ce régime, non seulement par la créa-
tion d'un mécanisme classique de coopération par l'intermédiaire d'Autorités centrales,
mais encore en énonçant une série de règles de nature matérielle, relatives aux conditions
à respecter pour le bon déroulement de la procédure en vue de l'établissement de l'adop-
tion. En effet, le respect de telles garanties communes est de nature à établir le climat de
confiance mutuelle indispensable à un fonctionnement harmonieux des règles mises en
place.
Ill La loi du 24 avril 2003 incorpore ces règles matérielles (voy. supra, n ° 12.123).
Ill Un État fédéral peut désigner « plus d'une Autorité centrale» mais il doit alors désigner aussi
« l'Autorité centrale à laquelle toute communication peut être adressée » (arc. 6, § 2). Pour la Belgi-
que, celle-ci est le Service de !'Adoption internationale, au sein du Service public fédéral Justice
(arrêté ministériel du 24 août 2005, Monit., 29 août 2005).
Voy. encore respectivement, pour les Autorités communautaires: l'arrêté de !'Exécutif de la Com-
munauté française du 14 juillet 1992 (Monit., 26 août 1992) créant « l'autorité communautaire
pour l'adoption internationale» (ACAI) ainsi que le décret du Parlement flamand du 15 juillet
1997 relatif à l'adoption internationale (Monit., 23 septembre 1997) et l'arrêté du Gouvernement
flamand du 20 octobre 1998 (Monit., 19 décembre 1998), qui désigne l'organisme public« Kind en
Gezin » (arc. 2). Ces décrets sont destinés à être remplacés, respectivement, par le décret du 31 mars
2004 (Monit., 13 mai 2004) et par le décret du 30 avril 2004 (Monit., 8 septembre 2004), entrés en
vigueur le 1cr septembre 2005. La loi d'assentiment du 24 juin 2004 indique, respectivement,
l'Autorité centrale communautaire du Ministère de la Communauté française (Dir. gén. Aide à la
Jeunesse), l'organisme « Kind en Gezin » et, pour la Communauté germanophone, le Zentrale
Behorde der Deutschsprachigen Gemeinschaft für Adoptionen.

12.139 - Régime de reconnaissance de plein droit - La Convention consacre le modèle


de la« reconnaissance de plein droit» (art. 23, § 1er) d'une décision étrangère (voy. supra,
n ° 10.15). L'autorité de la décision est reçue sans procédure préalable dans l'État requis,
et les motifs de refus sont strictement énoncés ; ils n'incluent en aucun cas une révision
au fond.
De fait, la production de la décision étrangère ne requiert que la satisfaction de deux
conditions.
D'abord, il y a lieu de produire un« certificat» délivré par l'autorité compétente de
l'État où l'adoption a eu lieu, établissant que celle-ci est « conforme à la Convention»
(art. 23, § 1er).
IllL'article 364-1 nouveau du Code civil (introduit par la loi du 24 avril 2003) renvoie à cet égard
au certificat mis en place par l'article 364-2 du même Code.
En Belgique, le certificat est émis par le Service de !'Adoption internationale du Service public
Ill!
fédéral Justice.

Ensuite, un seul motif de refus peut être opposé à la reconnaissance, à savoir la con-
trariété manifeste à l'ordre public de l'État requis,« compte tenu de l'intérêt supérieur de
l'enfant» (art. 24).
IllL'article 364-1 du Code civil reprend la substance de cette disposition. Son utilité est donc dis-
cutable. En termes de force obligatoire, seule la disposition pertinente de la Convention doit être
appliquée.
l.A FILIATION 615

La simplicité de ce régime cache mal la complexité de la procédure qu'il aura fallu


respecter en amont pour obtenir l'établissement de l'adoption. C'est en quelque sorte le
pendant des formalités importantes introduites dans la procédure en cas d'adoption en
Belgique avec déplacement international d'enfants. Les termes de la loi du 24 avril 2003
permettent d'en rendre compte.
12.140 - Formalités administratives complémentaires selon le droit belge - La loi du
24 avril 2003 introduit deux types de conditions supplémentaires en vue de la reconnais-
sance, qui sont de nature administrative.
Une première formalité est exigée en amont de la reconnaissance. Le certificat prévu
par la Convention doit être présenté à l'autorité diplomatique ou consulaire belge accrédi-
tée dans l'État de résidence de l'enfant, si la Belgique n'a pas conclu, avec cet État, un
accord supprimant le contrôle des personnes aux frontières. Ce certificat doit être présenté
directement à l'Autorité centrale fédérale, dans les autres cas (art. 364-2 nouveau C. civ.).
1111 L'autorité diplomatique se contente de vérifier l'authenticité du document, rien de plus.
Ill Le contrôle du motif de refus de l'ordre public relève de l'Autorité centrale fédérale.
En aval de l'appréciation par l'Autorité centrale fédérale, la loi prévoit un
« enregistrement» de la décision. Cet enregistrement est effectué par l'autorité fédérale
même (art. 367-2 nouveau C. civ.). La décision est remise ou notifiée aux requérants
(art. 367-1 nouveau C. civ.).
1111L'Autorité centrale tient un « registre central" des décisions favorables à la reconnaissance
(arrêté royal du 24 août 2005, Monit., 29 août 2005).
La décision administrative, une fois enregistrée, « est reconnue par toute autorité ou
juridiction, ainsi que par toute autre personne, sur simple présentation de l'attestation
d'enregistrement» (art. 367-2, al. 3).
En d'autres termes, aucune reconnaissance ne peut avoir lieu en l'absence de l'enre-
gistrement. Une telle exigence paraît peu conciliable avec la règle de la reconnaissance
« de plein droit » posée par la Convention de La Haye.
Ill L'obligation pour une juridiction de reconnaître la décision administrative soulève difficulté.
En excluant toute possibilité pour le juge d'apprécier que les conditions de la reconnaissance ont
été remplies, elle soustrait au ressort des tribunaux des contestations qui ont pour objet des droits
civils, au sens de l'article 144 de la Constitution.
Le texte réserve « les recours contre une décision rendue [... ] par l'autorité centrale"· Sous peine
d'ôter tout effet utile à l'obligation pour le juge de reconnaître, ces recours semblent viser un
recours en annulatiop devant le Conseil d'État s'agissant d'un acte administratif. La particularité
est toutefois que cet acte administratif porte, à l'évidence, sur un droit civil, ce qui permettrait éga-
lement de justifier la compétence du tribunal de première instance, par exemple en cas de silence
ou de refus de procéder à l'enregistrement.
Une telle anomalie a été corrigée par la loi-programme du 31 décembre 2004 (Monit., 31 décembre
2004), qui modifie l'article 367-2 en prévoyant un recours juridictionnel contre le refus d'enregis-
trement, selon la procédure de la requête contradictoire (art. 243).

12.141 - Effets de l'adoption - La reconnaissance de la décision emporte aussi celle de


certains effets (art. 26). Cette liste ne comporte pas l'ensemble des effets qu'un lien de
filiation est de nature à produire.
L'effet visé en premier lieu est de l'essence de l'institution: il s'agit du lien même de
filiation nouvellement créé. Le texte ajoute, si besoin était, que la reconnaissance porte
aussi, le cas échéant, sur la rupture du lien préexistant de filiation biologique.
616 LA PERSONNE IT LES RAPPORTS DE FAMILLE

La reconnaissance porte aussi sur « l'autorité parentale des parents adoptifs à


l'égard de l'enfant». Il y a lieu de croire que cela vise l'attribution de l'autorité, non la
détermination des conditions de son exercice, qui devrait relever de la règle de conflit de
lois en la matière, comme il en va de la filiation biologique.
1111Au vrai, on voit mal la raison d'être de la disposition. Dès lors que la reconnaissance porte sur le
lien de filiation, il suffit de se référer à la loi qui régit la détermination de l'autorité parentale pour
décider qui est investi de cette autorité, et comment il peut l'exercer. Le Rapport explicatif (G.
PARRA-ARANGUREN, Actes et Documents de la Dix-septième session, t. II, 618), confirme que celle-ci est
comprise dans celle-là, tout en indiquant que le « lien de filiation» est plus large, car il persiste
après l'extinction de la responsabilité parentale. Ce constat ne répond pas à l'objection.

b) Droit commun
12.142 - Régime de reconnaissance administrative - L'entrée en vigueur combinée de
l'article 72 du Code de droit international privé et de la loi du 24 avril 2003 signifie la
mise en place d'un régime de reconnaissance administrative de la décision étrangère.
Le Code consent en la matière une dérogation à ses dispositions générales, qui consa-
crent en toute matière une reconnaissance de plein droit du jugement étranger (voy. supra,
n ° 10.41 ). Il opère un renvoi aux dispositions pertinentes du Code civil, introduites par la
loi de 2003, tant pour l'établissement que pour la conversion, révocation, révision ou annu-
lation décidée à l'étranger. Ce renvoi vaut aussi dans le cas d'un acte authentique étranger.
12.143 - Motifs de refus de la reconnaissance - Les articles 365-1 et 365-2 du Code civil
énoncent une série de motifs de refus spécifiques, selon des variations dans la formula-
tion dont la pertinence n'est guère explicite.
Certaines conditions sont énoncées de manière positive (art. 365-1) et d'autres, de manière
1111

négative (art. 365-2).


La reconnaissance est refusée pour l'un des motifs suivants :
- l'autorité qui a établi l'adoption n'était pas compétente selon le droit de l'État
d'origine;
- les formes et la procédure de l'État d'origine n'ont pas été respectées;
- la décision établissant l'adoption n'est pas passée en force de chose jugée dans
l'État d'origine;
- lorsque les adoptants résidaient habituellement en Belgique au moment de
l'adoption, les formalités établies par le droit belge aux articles 361-1 à 361-4 du Code
civil relatives à l'aptitude à adopter ou en vue du déplacement régulier de l'enf~nt n'ont
pas été respectées (voy. supra, n ° 12.123);
- l'adoption est manifestement contraire à l'ordre public;
- lorsque l'enfant résidait habituellement en Belgique au moment de l'adoption,
les formalités établies par le droit belge aux articles 362-2 à 362-4 du Code civil relatives à
l'adoptabilité ou à la décision de confier l'enfant à l'adoptant n'ont pas été respectées
(voy. supra, n° 12.123);
- en cas de fraude à la législation sur la nationalité ou sur l'immigration ;
- en cas de fraude dans la procédure commise sciemment par les adoptants, ou
lorsque l'adoption a été établie dans un but de fraude à la loi, à moins que « des motifs
liés au respect des droits de l'enfant» commandent de déroger à ce motif de refus.
LA FILIATION 617

12.144 - Procédure en vue de la reconnaissance - Le Code civil énonce les formalités à


accomplir pour obtenir la reconnaissance. Elles concernent respectivement l'introduc-
tion de la demande et l'enregistrement de la décision.
La demande est portée devant l'Autorité centrale fédérale (art. 365-3). Toutefois, elle
peut l'être également devant les autorités diplomatiques ou consulaires belges si l'enfant
réside dans un État avec lequel la Belgique n'a pas passé d'accord de suppression des con-
trôles des personnes aux frontières, et ce avant le déplacement de l'enfant.
Ill!Le texte ne précise pas la nature du contrôle opéré par l'autorité diplomatique, mais il indique
qu'elle transmet la demande à l'Autorité centrale fédérale. Il ajoute que l'autorité diplomatique éta-
blit un passeport au nom de l'enfant belge, ou une autorisation de séjour s'il est étranger, lorsque
sont remplies les« conditions» des articles 365-1 et 365-2. Cela semble attribuer curieusement à
cet agent le pouvoir de décider de la reconnaissance, à côté des attributions de l'Autorité centrale
fédérale.

Le demandeur doit produire une liste de documents, énoncée par l'article 365-4.
Outre une copie certifiée conforme de la décision (1 °) ou de l'acte accompagnée d'une
traduction éventuelle (2 ° ), il s'agit de pièces tendant à établir (3 ° à 5 °) l'identité des par-
ties, (6°) celle, le cas échéant, de ses père et mère avec la preuve éventuelle de leurs consen-
tements, (7°) l'autorisation étrangère de déplacer l'enfant, (8°) l'aptitude des adoptants
résidant en Belgique et (9°) l'agrément de l'organisme intermédiaire éventuel.
Il L'Autorité centrale fédérale peut dispenser de la production de certaines pièces.

La décision de reconnaissance est prise par l'Autorité centrale fédérale (art. 367-1) et
enregistrée par celle-ci (art. 367-2), aux mêmes conditions que les décisions couvertes par
la Convention de La Haye.

12.145 - Reconnaissance des décisions de conversion, de révocation, de révision et


d'annulation d'une adoption - Le Code civil règle diversement les hypothèses de déci-
sions qui affectent une adoption précédemment établie.
La décision de conversion obéit au même régime de reconnaissance que la décision
d'adoption (art. 365-5).
1111 li en va de même dans le système de la Convention de La Haye (art. 27, § 2).
La décision d'annulation ne peut produire aucun effet en Belgique (art. 366-3).
Cette disposition reflète celle qui concerne l'instance directe, mais elle paraît recevoir une portée
Ill!
pratique plus nette qu'à propos de cette instance (voy. supra, n ° 12.123).

La décision de révocation ou de révision obéit à des conditions particulières en ce


qui concerne les motifs de refus et les formalités d'introduction de la demande. En revan-
che, la formalité de l'enregistrement leur est applicable comme à toute décision en
matière d'adoption.
Comme pour une décision établissant l'adoption, cette décision n'est pas reconnue
pour l'un des motifs de refus suivants (art. 366-1):
l'autorité étrangère n'était pas compétente selon le droit de l'État d'origine;
- les formes et la procédure de l'État d'origine n'ont pas été respectées;
- la décision étrangère n'est pas passée en force de chose jugée dans l'État
d'origine;
- la décision est manifestement contraire à l'ordre public.
618 LA PERSONNE IT LES RAPPORTS DE FAMILLE

La demande doit être portée devant l'Autorité centrale fédérale (art. 366-2), ce qui
exclut l'intervention d'un agent diplomatique ou consulaire. Elle doit être accompagnée
d'une série de pièces. Comme pour une décision établissant l'adoption, outre une copie
certifiée conforme de la décision (1 °) ou de l'acte accompagnée d'une traduction éven-
tuelle (2°), il s'agit de pièces tendant à établir (3° à 5°) l'identité des parties et (6°) celle,
le cas échéant, de ses père et mère avec la preuve éventuelle de leurs consentements.

Il. RECONNAISSANCE DES DÉCISIONS RENDUES AVANT L'ENTRÉE EN VIGUEUR


DE LA LOI DE 2003
12.146 - Application du régime antérieur plus favorable - La reconnaissance d'une
décision étrangère rendue avant l'entrée en vigueur de la loi de 2003 a lieu normalement
selon les dispositions en vigueur au moment où elle est devenue définitive.
111 Voy., pour une décision appréciée au regard de la loi de 1987: Liège, 18 janvier 1999, Rev. gén. dr.
civ. (2000), 662, note Y. DEKETELAERE.
La loi du 24 mars 2003 n'en dispose toutefois ainsi que si le régime antérieur est
plus favorable à la décision (art. 24, § 2). Cela suppose que le régime nouveau puisse être
appliqué également, dans un sens favorable. La loi précise qu'une décision définitive
avant son entrée en vigueur « est enregistrée par l'autorité centrale fédérale». Pour une
décision « reconnue en Belgique » avant cette date, cet enregistrement a lieu « à la
demande des intéressés». Il en découle que, si une décision a été rendue précédemment
sans avoir fait l'objet d'une « reconnaissance de plein droit», il y aurait lieu à enregistre-
ment avant de pouvoir invoquer, ultérieurement, la reconnaissance. Il en résulterait un
alourdissement sensible du régime appliqué à la décision. En réalité, la vérification que la
décision a été« reconnue» se conçoit mal dans un régime« de plein droit».
12.147 - Motifs de refus de la reconnaissance - Les articles 344bis et 344quater, alinéa 2,
du Code civil déterminent les conditions de la reconnaissance en Belgique, respective-
ment, de l'acquisition d'une filiation adoptive en pays étranger et de la décision étrangère
ayant révoqué une adoption. Ces conditions se substituent aux règles du droit commun
de l'article 570 du Code judiciaire.
Les deux hypothèses donnent lieu à l'énoncé d'une même condition, qui relève
d'une forme de révision au fond, plus généralement supprimée en matière d'état (voy.
supra, n ° 10.41). La reconnaissance est subordonnée à la vérification du respect de la solu-
tion belge de conflit de lois. Même si le texte ne le précise pas, cette vérification doit être
faite en fonction de la configuration de la situation au moment où l'adoption a été réali-
sée à l'étranger. De plus, il y a seulement lieu de vérifier si le résultat atteint est compati-
ble avec celui qui aurait été obtenu si la procédure s'était réalisée en Belgique, sans devoir
exiger que la règle de rattachement appliquée à l'étranger soit formellement identique à
celle prévue par le Code civil.
111 Cette condition est exprimée dans des termes sensiblement différents. L'acquisition d'une filia-
tion adoptive en pays étranger est reconnue« si, au moment où elle a été réalisée, les conditions qui
auraient permis l'adoption en Belgique étaient réunies ou si chacune des parties satisfait aux con-
ditions que lui imposait son statut personnel » (art. 344bis). De son côté, la décision de révocation
est reconnue« si les conditions prévues par le statut personnel de la partie dans l'intérêt de laquelle
la révocation a été prononcée, ont été respectées » (art. 344quater, al. 2).
111Ainsi, le législateur a opposé à la reconnaissance des décisions étrangères en matière d'adoption
un obstacle que le droit commun ne prévoit pas, ce qui ne paraît guère en harmonie avec la politi-
que de faveur de l'adoption qu'il poursuivait en général.
LA FILIATION 619

Les arguments tenant à la nature contractuelle de l'adoption ou à la lutte contre une éventuelle
fraude à la loi, ne sont guère convaincants. D'un côté, on ne peut exclure que le droit du pays où
l'adoption s'est déroulée organise une procédure exclusivement juridictionnelle. D'un autre côté, la
fraude, qui ne saurait être exclue plus généralement à propos d'aucune procédure suivie à l'étran-
ger, peut être contrôlée au moyen de l'ordre public (sur ce moyen, voy. supra, n ° 10.39).
Pour ce qui concerne la révocation de l'adoption, la condition est d'autant plus critiquable qu'elle
subordonne la reconnaissance des jugements étrangers au respect d'une solution de conflit de lois
différente de celle que les tribunaux belges doivent eux-mêmes respecter, puisque
l'article 344quater soumet les conditions de la révocation à la lex fori (voy. supra, n° 12.128). Au
demeurant, le rattachement est inopérant chaque fois que la loi étrangère désignée ne permet pas
l'établissement même du lien d'adoption. En ce cas, il convient d'appliquer une règle subsidiaire,
dans la ligne des solutions apportées à propos de rapports Juridiques boiteux.

Le législateur a ajouté deux conditions, relatives à l'absence de contrariété à l'ordre


public et à l'authenticité de l'expédition d'après la loi du pays où l'adoption a été acquise
(art. 344bis, al. 2). Stipulées uniquement à propos de l'adoption et non de sa révocation,
régie par l'article 344quater, on peut supposer que ces deux conditions supplémentaires
sont également requises à propos d'une décision étrangère de révocation, fût-ce en vertu
de l'article 570 du Code judiciaire.
Ill!La réforme mettait ainsi un terme à une difficulté d'interprétation que soulevait le texte anté-
rieur, qui ne reprenait pas ces deux conditions. Il n'était pas clair si le contrôle de la loi appliquée
prévu par le législateur s'ajoutait aux conditions de la reconnaissance selon le droit commun ou s'il
y était substitué. Bien que la lettre du texte pût être invoquée en faveur de la seconde interpréta-
tion, la première paraissait plus conforme au système général de la reconnaissance des jugements
étrangers, auquel il ne semblait pas que le législateur eût voulu apporter une dérogation aussi fon-
damentale.

En n'ajoutant à l'article 344bis que deux des conditions que prévoit l'article 570 du
Code judiciaire, le législateur a-t-il entendu renoncer aux autres, à savoir le respect des
droits de la défense, la nécessité d'une décision passée en force de chose jugée et une com-
pétence du juge d'origine fondée sur un critère autre que la nationalité du demandeur?
On ne saurait négliger la dimension contentieuse d'une procédure d'adoption, non seu-
lement à propos d'une révocation, mais chaque fois que peut exister une divergence
d'intérêts entre parties, par exemple à propos du consentement de la famille d'origine; le
contrôle du respect des droits de la défense doit alors pouvoir être assuré, au titre d'un
principe inhérent à la reconnaissance des décisions étrangères. Quant au contrôle de la
compétence indirecte selon l'article 570, il pourrait conduire à refuser l'effet d'une déci-
sion - sans doute hypothétique - prononcée dans le pays dont l'adopté ou l'adoptant
seul à la nationalité sans y résider. On peut supposer que le législateur a omis cette condi-
tion de nationalité parce que l'article 350 du Code civil admettait lui-même de fonder la
compétence des tribunaux belges sur la nationalité.
1111Sur cette question, voy. l'étude critique de C. DEBROUX, « La reconnaissance ... ", précitée
n° 12.109.

La condition que la décision étrangère soit coulée en force de chose jugée paraît
devoir être considérée comme implicite dès lors qu'un traité international applicable n'y
déroge pas.

12.148 - Conditions procédurales de la reconnaissance - La dérogation apportée par le


législateur à l'article 570 du Code judiciaire porte sur les motifs de refus opposables à la
décision, non sur les conditions procédurales qui régissent l'octroi de la reconnaissance
620 LA PERSONNE IT LES RAPPORTS DE FAMILLE

ou de la force exécutoire. Il en est ainsi du régime de la reconnaissance« de plein droit»,


que le législateur consacre, mais également de la procédure éventuelle de l'exequatur.
Si la vérification des conditions auxquelles peuvent être reconnues les décisions
étrangères en matière d'adoption suscite quelque hésitation, il appartient à la partie inté-
ressée de faire lever le doute en poursuivant devant le tribunal de première instance la
reconnaissance de la décision étrangère, par la voie d'une action en reconnaissance ou, le
cas échéant, de l'exequatur.
Il n'est pas question de soumettre ni le contrat d'adoption ni, à plus forte raison, la
décision étrangère à une procédure nouvelle d'autorisation.
111 Contra: Civ. Bruxelles 0eun.), 12 février 1970, Rev. dr. fam. (1970), 67. Sur l'action en reconnais-
sance, voy. supra, n° 10.42.
On peut même douter que les parties puissent, en Belgique, procéder à une nouvelle
adoption lorsque la décision étrangère répond aux conditions nécessaires à sa reconnais-
sance. Elles pourraient certes y avoir intérêt, par exemple pour faire retarder le moment
de l'établissement du lien ou pour soumettre les effets du lien à une loi autre que celle
applicable aux effets d'une adoption réalisée à l'étranger (sur cette question, voy. infra,
n° 5 12.132 et s.). La réalisation d'un nouvel acte pourrait se heurter à l'autorité dont
bénéficie la décision étrangère dès le moment où elle est devenue définitive, corollaire du
régime de la reconnaissance de plein droit.
il En ce sens: Civ. Audenarde, 16 février 1999, Tijds. Not. (2000), 42, note K. LAMBEIN.
Ill Voy. en France, sur l'irrecevabilité d'une action en inopposabilité d'une décision étrangère
d'adoption qu'avaient obtenue les demandeurs, voy.: Cass. civ., 14 février 1990, Revue (1991), 129,
note E. POISSON-DROCOURT.

Section 8
L'incapacité et la protection des incapables
12.149 - Bibliographie
a) L'incapacité
P. ALAERTS, « De voogdij en de verkoop van onroerende goederen van buitenlandse minderjarigen :
een praktijkonderzoek »,Jura Falconis (1990-1991), 401-430; M. ALLEN,« Child-State jurisdiction:
A due process invitation to reconsider some basic family law assumptions », Family L.Q. (1992),
293-318; I. BARRIÈRE-BROUSSE, « L'enfant et les conventions internationales», Clunet (1996), 843-
888 ; A. BIGOT, L'autorité parentale dans la famille désunie en droit international privé (Aix, PUAM, 2003) ;
F. CAPOTORTI, « La capacité en droit international privé», Recueil des cours, vol. 110 (1963-III), 157-
270; C. CHABERT, L'intérêt de l'enfant et les conflits de lois (Aix, PUAM, 2001); Ch.-L. CLOSSET et
Ch. VERHEYDEN, « Nationalité des parties et compétence territoriale du tribunal de la jeunesse en
matière civile»,]. T (1975), 26 et s.; COLLECTIF, « Le mineur étranger et le droit belge», Rev. dr. étr.
(1994, hors série); G. DROZ, « La protection des mineurs en droit international privé français
depuis l'entrée en vigueur de la Convention de La Haye du 5 octobre 1961 », Clunet (1973), 603-
643 ; B. DuTOIT, « La protection des incapables majeurs en droit international privé », Revue ( 1967),
466-504; O. FURTAK, Die Parteifdhigkeit im Zivilverfahren mit Auslandsberührung. Prozessrecht zwischen
Kollisionsrecht, Fremdenrecht und Sachrecht (Heidelberg, Winter Ver!., 1995); E. GALLANT, La responsabi-
lité parentale et protection des enfants en droit international privé (Paris, LGDJ, 2004); P. GLENN, La capa-
cité de la personne en droit international privé français et anglais (Paris, Dalloz, 1975) ; Io., « Méthodologie
conflictuelle et protection de l'incapable étranger», Cahiers de droit (1985), 1031-1044; H. JACOBS,
« Het vervreemden van een onroerend goed geheel of gedeeltelijk toebehorend aan een vreemde
L'INCAPACITÉ ET LA PROTECTION DES INCAPABLES 621

minderjarige en het internationaal privaatrecht »,Jura Falconis (1990-1991), 431-437;]. KROPHOL-


LER, « Das IPR der Kindschaftswirkungen im Lichte der Europaischen Rechtsentwicklung »,
RabelsZ. ( 1995), 407-418 ; I. LAMMERANT, « La tutelle des mineurs étrangers non accompagnés », Rev.
trim. dr. Jam. (2003), 423-437; Y. LEQUETTE, Protection familiale et protection étatique des incapables (Paris,
Dalloz, 1976) ; P. McELEAVY, « Brussels IIbis: Matrimonial matters, parental responsibility, child
abduction and mutual recognition», I.C.L.Q. (2004), 503-518; A. MOULAY RcHID, « Les droits de
l'enfant dans les conventions internationales et les solutions retenues dans les pays arabo-
musulmans », Recueil des cours, vol. 268 (1997), 9-290; J.-L. RENCHON (dir.), L'enfant et les relations
familiales internationales (Bruxelles, Bruylant, 2003) ; F. R!GAUX, v « Droit international privé», Les
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Novel/es, Protection de la jeunesse (Bruxelles, Larcier, 1978) ; Io., « Le statut des mineurs, l'autorité
parentale et les obligations alimentaires en droit international privé», TP.R. (1982), 311-326; Io.,
Le statut de la représentation (Leyden, Brill, 1963); R. RING,« Persona! jurisdiction and child support:
establishing the parent-child relationship as minimum contacts», California L.R. (2001), 1125-
1164; S. SAROLÉA, « Le conflit familial et le droit international privé», Le conflit familial à la croisée du
droit (Bruxelles, Bruylant, 2004), 169-198; Io., « Un nouveau règlement au 1er mars 2005: Bruxelles
IIbis », Rev. Divorce (2004), 130-135; H. STALFORD et E. DONNELLY, « Brussels II revisited - An over-
view of proposed amendments », Family Law (2002), 904-907; M. SUMAMPOUW, « Parental responsi-
bility under Brussels II», Mélanges Siehr (La Haye, Asser Inst., 2000), 729-746; J.-L. VAN BoxsTAEL,
« L'administration de la personne et des biens des incapables », Relations familiales internationales
(Bruxelles, Bruylant, 1993), 191-236; M. VERWILGHEN, « Conflits de lois relatifs à la protection de la
personne des mineurs», Rev. trim. dr. Jam. (1980), 5-50; M. VERWILGHEN et H. VAN HourrE,
« Conflits d'autorités et de juridictions relatifs à la protection de la personne du mineur», Rev. belge
dr. intern. (1980), 397-432; A. E. VON OVERBECK, « La reconnaissance des rapports d'autorités 'ex
lege' selon la Convention de La Haye sur la protection des mineurs», Mélanges Deschenaux (Fri-
bourg, Ed. universitaires, 1977), 447-467; W. VON STEIGER, « The protection of minors in private
international law », Recueil des cours, vol. 112 (1961-II), 473-521.

b) L'enlèvement et la restitution d'enfants

Outre la bibliographie complète relative à la Convention de La Haye de 1980 disponible sur le site
www.hcch.net, voy. : M.-D. ADAM MuNOZ et S. GARCIA CANO, Sustraccion internacional de menores y
adopcion internacional (Madrid, Colex, 2004); P. BEAUMONT et P. McELEAVY, The Hague Convention on
international child abduction (Oxford Univ. Press, 1999); G. CASWELL, « A psychological critique of
international child custody and abduction law », Family L.Q. (1998), 557-602; S. DEMARS, « L'entrée
en vigueur et la mise en œuvre en Belgique de la Convention de La Haye sur les aspects civils de
l'enlèvement international d'enfants», Rev. dr. étr. (1999), 701-710; B. DESCHENAUX, L'enlèvement
international d'enfants par un parent (Berne, Stampfli, 1995);]. ERAUW, « De eerste passen in de lange
mars tegen 'legal kidnapping': het Europees Verdrag van 20 mei 1980 in werking », R. W (1985-
1986), 1973-1986; M. FALLON et O. LHOEST, « La Convention de La Haye sur les aspects civils de
l'enlèvement international d'enfants. Entrée en vigueur d'un instrument éprouvé», Rev. trim. dr.
Jam. (1999), 7-53; H. FULCHIRON, Les enlèvements d'enfants à travers les frontières (Bruxelles, Bruylant,
2004); P. JENARD, « Les enlèvements internationaux d'enfants et l'administration», Rev. belge dr.
intern. (1988), 35-60; N. LOWE et A. PERRY, « International child abduction - The English
experience », I.C.L.Q. (1999), 127-154; F. MONÉGER, « Les enlèvements internationaux d'enfants»,
].C.P. (1992), D, 3605; S. OSCHINSKY, « L'enlèvement international d'enfant»,]. T (1986), 433-434;
Io., « Le legal kidnapping et ses solutions en droit conventionnel», Mélanges Vander Elst (Bruxelles,
Nemesis, 1986), 647-654; L. SILBERMAN, « Hague convention on international child abduction: A
brief overview and case law analysis », Family L.Q. (1994), 9-34; M. VERHEYDE, « Internationale
parentale ontvoeringen », N.].W (2003), 990-995; N. WATTÉ, « Les nouvelles Conventions de La
Haye et de Luxembourg en matière d'enlèvement et de garde des enfants », Rev. trim. dr. Jam. (1983),
5-18.

Voy. en outre la résolution de l'Institut de droit international sur La coopération entre autorités étati-
ques dans la lutte contre le déplacement illicite d'enfants (session de Lisbonne, 31 août 1995), Annuaire,
vol. 66-II, p. 454.
622 lA PERSONNE IT LES RAPPORTS DE FAMILLE

12.150 - Réforme législative et conflit transitoire - L'entrée en vigueur du Code de


droit international privé entraîne une modification substantielle des règles existantes,
pour la détermination de la compétence internationale autant que du droit applicable.
La réforme tend à concentrer les solutions de droit international privé sur le critère
de la résidence habituelle de l'incapable, en lieu et place du critère de la nationalité. Ce
faisant, elle s'aligne sur une tendance en droit comparé, exprimée notamment par la
seconde convention de La Haye concernant la matière, à savoir la Convention du
19 octobre 1996 concernant la compétence, la loi applicable, la reconnaissance, l'exécu-
tion et la coopération en matière de responsabilité parentale et de mesures de protection
des enfants.
La Convention de 1996 a été précédée de la Convention de La Haye du 5 octobre 1961 concer-
1111

nant la compétence des autorités et la loi applicable en matière de protection des mineurs.
!Ili Aucun de ces instruments n'est en vigueur en Belgique.
Les nouvelles dispositions visent aussi à unifier les catégories de rattachement, en
rassemblant l'ensemble des questions touchant à l'exercice de la responsabilité parentale
et aux mesures de protection. Les dispositions sont communes aux mineurs et aux
majeurs. Seule la détermination de l'incapacité relève d'un rattachement spécial, fidèle au
critère de la nationalité.
Pour le conflit de juridictions, l'application des règles générales (art. 126 Codip) ne
semble pas susciter de difficultés particulières : les règles nouvelles de compétence inter-
nationale régissent les demandes introduites après le 1er octobre 2004; le régime de l'effi-
cacité des décisions affecte les décisions rendues après cette date, mais il peut bénéficier à
celles-ci puisqu'il suffit qu'elles satisfassent aux conditions nouvelles.
Pour le conflit de lois, la solution relève de la règle générale de l'application immé-
diate des règles nouvelles aux actes et faits survenus après leur entrée en vigueur, ainsi
qu'aux effets ultérieurs de ceux-ci (art. 127, § 1er, Codip). Il ne fait pas l'objet de disposi-
tions spécifiques, à la différence de ce qui est observé pour d'autres matières du statut
personnel. Une distinction doit être faite selon que la question appelle ou non une
mesure de protection.
Lorsque est en cause une mesure de protection, l'enjeu porte sur l'adoption d'un
acte constitutif de droits et d'obligations. Les règles nouvelles concernent l'adoption de
toute mesure postérieure à leur entrée en vigueur.
1111 La solution est explicitée dans la Convention de La Haye du 19 octobre 1996 (art. 53).
Pour la détermination de l'incapacité en revanche, les règles nouvelles ne sauraient
conduire à affecter un état acquis antérieurement. Si une personne était devenue capable
avant le 1er octobre 2004, cet état est lié à un acte ou à un fait survenu antérieurement : il
serait incohérent qu'elle puisse redevenir incapable par l'application des dispositions
nouvelles. La portée pratique de la question est minime pour la détermination de l'inca-
pacité, puisque les règles nouvelles confirment les solutions antérieures. Elle est plus sen-
sible pour la détermination de la responsabilité parentale de plein droit, soumise à des
solutions nouvelles. Comme pour la détermination de l'incapacité, il y a lieu de se référer
au moment de l'acte ou du fait - tel le décès d'un auteur - qui a pu recevoir un effet de
plein droit sur la personne ou sur les biens de l'incapable. En d'autres termes, les règles
nouvelles n'empêchent pas de reconnaître un rapport d'autorité résultant de plein droit
de la loi désignée par l'ancienne règle de rattachement.
!Ili Cette solution est retenue par la Convention de La Haye du 5 octobre 1961 (art. 17).
L'INCAPACITÉ ET LA PROTECTION DES INCAPABLES 623

§ 1 LA DÉTERMINATION DE L'INCAPACITÉ

A. Compétence internationale
12.1 S1 - Référence à la nationalité ou à la résidence de la personne - Le Code de droit
international privé règle la compétence internationale des juridictions belges pour con-
naître des demandes tendant à déterminer la capacité d'une personne, sous le couvert
d'une disposition générale portant sur l'ensemble des demandes concernant« l'état ou la
capacité» (art. 32). Cette disposition est de nature résiduelle, dans la mesure où elle
n'intervient qu'à défaut de règle propre à la matière particulière en cause, tel l'établisse-
ment d'un lien de filiation.
La compétence des juridictions belges sera vérifiée en tout cas dans l'un des trois cas
suivants:
la personne réside habituellement en Belgique lors de la demande ;
celle-ci est belge à ce moment; ou
le défendeur est domicilié ou réside habituellement en Belgique à ce moment
(art. 5).
En outre, la compétence internationale peut résulter d'une attribution exception-
nelle au sens de l'article 11, lorsque les conditions du for de nécessité sont vérifiées (voy.
supra, n° 5 9.15 et 9.48).

B. Droit applicable
12.1 S2 - Référence à la loi de la nationalité - Le Code de droit international privé con-
firme le principe du rattachement à la loi nationale (art. 34), qu'avait consacré l'article 3,
alinéa 3, du Code civil, qui rompait avec le principe antérieur du rattachement à la loi du
domicile.
La capacité des réfugiés et des apatrides est régie, comme les autres éléments du sta-
tut personnel, par la loi de leur domicile (voy. supra, n ° 12.9).
Le conflit mobile est neutralisé : un changement de nationalité ne saurait conduire à
faire perdre une capacité acquise conformément à la loi de l'ancienne nationalité (art. 34,
§ 1er, al. 3). Cette solution offre une modalité de règle alternative à effet de cliquet: la loi
appliquée sera la loi la plus favorable à l'état de capacité. Elle se justifie par un souci de
sécurité juridique. Pratiquement, lorsque la détermination de la capacité affecte la vali-
dité d'un acte, le critère est concrétisé au moment où cet acte a été accompli.
Ili La solution est inspirée de l'article 7 EGBGB (Exposé des motifs de la proposition de loi, Doc.
pari., Sénat, 2003-2004), n ° 3-27/1, 65).
Ili Voy. sur cette question: F. RrGAUX, « Le conflit mobile», Recueil des cours, vol. 117 (1966), 378-
381, préférant la solution contraire, au nom de la sécurité juridique des transactions. Comp. en
matière de contrats (voy. infra, n ° 14.60) une règle favorable à la capacité pour rencontrer le besoin
de prévisibilité pour le cocontractant de l'incapable.

La technique du renvoi peut avoir pour effet de conduire à l'application d'une loi
autre que celle de la nationalité, telle la loi de la résidence habituelle. Selon les règles
anciennes, cette technique était utilisée sans limitation, pour l'ensemble de la matière du
statut personnel. Depuis l'entrée en vigueur du Code de droit international privé, elle est
624 LA PERSONNE ET LES RAPPORTS DE FAMILLE

en principe exclue (art. 16, voy. supra, n ° 6.20), mais une dérogation a été introduite en
matière de capacité (art. 34, § 1er, al. 2). Cette dérogation ne permet cependant que l'une
des variantes de la technique, celle du renvoi au premier degré : « la capacité est régie par
le droit belge si l'application du droit étranger conduit à l'application de ce droit». Ce
renvoi, le seul de type inconditionnel consacré par le Code (voy. supra, n ° 6.16), répond à
un objectif propre à la matière.
1111 Ce renvoi au droit du for ne doit pas être vu comme l'expression d'une tendance nationaliste. Il
a été introduit par la voie d'un amendement du gouvernement (amendement n ° 50). Selon la justi-
fication, « les règles du droit belge qui protègent l'incapable pourront bénéficier à un étranger
même capable selon sa loi nationale. En revanche, s'il est incapable selon sa loi nationale mais
capable selon la loi belge, il sera mis à égalité avec les Belges qui se trouvent en Belgique. »
1111 Pour une application du renvoi selon les règles antérieures, voy. : Civ. Bruxelles, 22 décembre
1967, Pas. (1968), III, 61.

12.153 - Domaine de la loi de l'incapacité - Le rattachement à la loi de la nationalité


couvre un nombre restreint de questions, malgré le caractère générique du terme
«capacité».
Essentiellement, le domaine de cette loi est la détermination de la capacité générale
d'une personne liée à son état de minorité. La détermination de cet état appartient égale-
ment à ce domaine. Il devrait donc en aller ainsi de l'émancipation. En revanche, en sont
exclues les incapacités spéciales, ainsi que, pratiquement, la détermination de l'incapacité
d'un majeur. Il devrait en aller de même de la représentation.
1111 L'application de la loi nationale en vertu de l'ancienne règle de conflit de lois, qui régissait
l'incapacité d'un mineur comme d'un majeur, ainsi que la représentation, a donné lieu à une abon-
dante jurisprudence.
Voy. Civ. Dinant, 15 octobre 1959,J. T (1959), 689; Civ. Bruges, 11 octobre 1962, R W. (1962-1963),
1829; Civ. Turnhout 0eun.), 7 mars 1979, R W. (1979-1980), 1177, note C. DE BusscHERE
(émancipation); Bruxelles, 23 mai 1989,J.L.M.B. (1989), 1475.
Les applications concernent la représentation en justice (C.E., 12 mars 1980, R W., 1980-1981, 858,
note]. DE CEUSTER), notamment de l'enfant naturel, celle-ci étant, conformément à la loi nationale
de l'enfant, exercée par sa mère, même si elle ne l'a pas reconnu (Gand, 10 avril 1961, Rev. crit.jur.
belge, 1962, 21, note R. VANDER ELST), ou bien soustraite à la mère même si celle-ci est tenue pour
légitime (Bruxelles, 15 juin 1962, R W., 1962-1963, 1584). Pour la représentation en justice d'un
enfant légitime, voy.: Bruxelles, 4 décembre 1970, ]. T. (1971), 236; Bruxelles (sect. Mons),
27 octobre 1972, Pas. (1973), II, 39,j.T. (1973), 34; Bruxelles, 27 novembre 1986, Rev. gén. dr. civ.
(1988), 113, noce L. BARNICH. Pour la représentation lors d'une action en réparation d'un dom-
mage, voy.: Bruxelles, 4 décembre 1970,J.T. (1971), 236; 27 octobre 1972,J.T. (1973), 334.
Voy. pour la passation d'un acte privé, par exemple une adoption (Anvers, 6 juin 1980, Rev. trim. dr.
fam., 1982, 77; Civ. Bruxelles, 6 septembre 1989,]. T., 1990, 260), une transaction (Civ. Bruxelles,
22 septembre 1982, Rev.gén. ass. resp., 1985, 10918), une vente d'immeuble (Civ. Gand, 30 juin 1975,
Tijds. Not., 1975, 230; Civ. Termonde, 3 avril 1980, Pas., 1980, III, 31; Civ. Bruxelles, 20 octobre
1982, Tijds. Not., 1983, 64, note C. DE BusscHERE; 30 septembre 1985, J.j.P., 1986, 181, note G.
ROMMEL; J.P. St-Gilles, 25 mars 1986,].J.P., 1987, 165, note A. MENSEL), un acte d'emprunt (Civ.
Bruxelles, 11 avril 1987, Pas., 1987, III, 76).
La loi de la capacité régit aussi le droit d'agir en justice. Voy., pour une application particulière rela-
tive aux restrictions affectant le Roi: TGI Paris, 18 octobre 2001, ].L.M.B. (2001), 1583, faisant
application de la loi belge en vertu de l'article 3, alinéa 3, du Code civil français, avec l'obligation
d'agir par l'intermédiaire de l'administrateur de la liste civile. Mais, selon les nouvelles dispositions
du Code, la détermination du représentant légal relèverait plutôt de la loi de résidence (voy. infra,
n° 12.158).
Ill La détermination de l'incapacité d'un adulte relève pratiquement de la loi de la résidence (voy.
infra, n°5 12.175 et 12.176), puisqu'elle procède normalement de l'adoption d'une mesure.
L'INCAPACITÉ ET LA PROTECTION DES INCAPABLES 625

Ill La question de la représentation relève de l'article 35 du Code (loi de la résidence, voy. infra, § 2)
plutôt que de l'article 34 selon les termes de l'exposé des motifs de la proposition de loi (Doc. pari.,
Sénat, 2003-2004, n° 3-27/1, 66). Il est vrai que le texte légal, formulé en termes synthétiques,
aurait pu être plus explicite, par l'inclusion d'une disposition précisant le domaine de la loi appli-
cable. Le rattachement territorial de la représentation coïncide avec celui de l'autorité parentale et
des mesures de protection, telle la tutelle, dont procède la désignation du représentant.

1111 Comp., parmi les instruments internationaux relatifs à la protection des incapables (voy. infra,
§ 3), l'inclusion de la désignation et des fonctions d'un représentant, mais l'exclusion de l'émanci-
pation, par les Conventions de La Haye de 1996 et de 2000.

La loi nationale détermine aussi l'état de majorité ou de minorité pour les besoins de
l'application de la loi pénale ou de la réglementation sociale.
1111Voy. Cass., 24 janvier 1977, Pas. (1977), I, 555; 25 novembre 1991, Polat, Pas. (1992), I, 224, Rev.
dr. étr. (1993), 317, note M.-C. FOBLETS; pour l'application de la législation sociale, C. trav. Liège,
4 mai 1990, Rev. dr. soc. (1991), 359; camp. C. trav. Liège, 29 juin 1988,J.T. (1989), 497, écartant la
loi nationale au nom du principe de non-discrimination de l'article 7 du traité C.E.E. (devenu
art. 12 CE).

En revanche, « Les incapacités propres à un rapport juridique sont régies par le droit
applicable à ce rapport» (art. 34, § 2). Cette précision confirme la nature résiduelle du
rattachement à la loi nationale de l'incapable. Il y a lieu de se référer au droit qui régit un
rapport juridique pour vérifier l'existence d'une cause particulière d'incapacité.
La capacité de contracter donne lieu à une dérogation à la loi nationale depuis l'entrée en
1111

vigueur de la Convention de Rome du 19 juin 1980 (voy. infra, n ° 14.60). Une personne ne peut
opposer une incapacité résultant de sa loi nationale dans un contrat conclu entre des personnes se
trouvant dans un même pays, lorsqu'elle serait capable selon la loi de ce pays, que si le cocontrac-
tant a connu cette incapacité ou ne l'a ignorée qu'en raison d'une imprudence de sa part (art. 11).
Cette solution est traditionnelle en France à propos d'actes accomplis en France par des étrangers,
depuis Cass. req., 16 janvier 186i, Lizardi, D.P. (1861), 1, 193. Voy. MAYER et HEUZÉ, n° 525. Comp.
la solution semblable de l'article 7, alinéa 3, EGBGB.
L'art. 11 précité de la Convention de Rome implique que dans son principe, la capacité de contrac-
ter relève de la loi nationale: le rapport explicatif précise que la solution découle de l'exclusion de
la matière de la capacité du domaine de la convention en vertu de l'article 1er_

La disposition précitée se trouve également dans l'article 20 de la loi italienne du 31 mai 1995
1111

sur le droit international privé.

1111Sur la loi applicable à la capacité requise pour s'engager par chèque, par lettre de change et par
billet à ordre, voy. infra, n ° 14.144.

La sanction de l'incapacité relève, selon la jurisprudence, de la loi de l'incapacité. Il


en irait ainsi de la nullité, de la prescription. Cette solution ne s'impose pas pour autant.
Elle affecte l'unité du rattachement de l'acte litigieux.
1111 Voy. dans la jurisprudence: en France, Cass. civ. (F" secc.), 15 mai 1963, Patina, Revue (1964),

506, note P. LAGARDE, Clunet (1963), 996, note Ph. MALAURIE, et supra, n° 7.26; en Belgique, Gand,
5 juin 1968, R.W. (1968-1969), 265.

IllLa Convention de Rome étend le domaine de la loi contractuelle à la prescription et aux nulli-
tés. La faculté laissée aux État de formuler une réserve sur ce dernier point atteste du malaise (voy.
infra, n° 14.55).
626 LA PERSONNE IT LES RAPPORTS DE FAMILLE

§2 L'AUTORITÉ PARENTALE

A. Compétence internationale
12.154 - Contexte de l'Union européenne - L'Union européenne s'est intéressée à la
détermination de la compétence internationale en matière de « responsabilité parentale »
- selon les termes utilisés désormais par les instruments internationaux » - en deux
temps. D'abord, elle a limité son action aux demandes accessoires à une action en
divorce, par l'adoption du règlement 1347/2000 du 29 mai 2000 relatif à la compétence,
la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de
responsabilité parentale des enfants communs, dit« Bruxelles II» (J.O.C.E., 2000, L 160).
Ensuite, elle a étendu son action à toute demande, même en dehors d'une procédure en
divorce, par le règlement 2201/2003 du 27 novembre 2003 relatif à la compétence, la
reconnaissance et l'exécution des décisions en matière matrimoniale, dit « Bruxelles
Ilbis » (J.O.C.E., 2003, L 338), qui abroge le précédent.
Pour une présentation générale de ces actes, voy. supra, n ° 12.79. Les règles de compétence inter-
Ill!
nationale du règlement 2201/2003 remplacent celles du règlement 1347/2000 pour les demandes
introduites à partir du 1er mars 2005.

Le domaine matériel du règlement « Bruxelles IIbis » porte, en ce qui concerne les


incapacités, sur toute demande relative « à l'attribution, à l'exercice, à la délégation, au
retrait total ou partiel de la responsabilité parentale» (art. 1er, § ier, b ), ce qui inclut,
notamment, « le droit de garde et le droit de visite» (§ 2, a), mais non« l'émancipation»
(§ 3, d).
1111Le règlement définit plus précisément certains concepts (art. 2).
La« responsabilité parentale» comprend« l'ensemble des droits et obligations conférés à une per-
sonne physique ou une personne morale sur la base d'une décision judiciaire, d'une attribution de
plein droit ou d'un accord en vigueur, à l'égard de la personne ou des biens d'un enfant. [Elle] com-
prend notamment le droit de garde et le droit de visite ». Le concept correspond à « l'autorité
parentale » au sens du Code civil belge.
Le« droit de garde» comprend « les droits et obligations portant sut les soins de la personne d'un
enfant, et en particulier le droit de décider de son lieu de résidence ». Il correspond à
« l'hébergement » au sens du Code civil belge.
Le« droit de visite» comprend« notamment le droit d'emmener l'enfant pour une période limitée
dans un lieu autre que celui de sa résidence habituelle». Il correspond au « droit aux relations
personnelles » au sens du Code civil belge.
Ill! Ces définitions sont inspirées de la Convention de La Haye de 1996.
Le règlement ne définit pas l'enfant. Cette omission est singulière. Par comparaison, la Conven-
ffll
tion de La Haye de 1996 utilise une condition d'âge (dix-huit ans) (art. 2).

Le domaine spatial du règlement ne fait pas l'objet d'une disposition spécifique,


mais il se laisse déduire du jeu des règles de compétence. Au total, le droit commun
n'intervient plus qu'à titre résiduel, « lorsqu'aucune juridiction d'un État membre n'est
compétente» en vertu du règlement (art. 14).
ffll Le règlement « Bruxelles Il» établissait plus clairement qu'il ne concernait qu'un enfant rési-
dant dans un État membre (art. 3, § 2). Cette limitation permettait de résoudre un conflit potentiel
avec le domaine laissé à la Convention de La Haye de 1996, en réservant à celle-ci un champ exclusif
(le cas des enfants résidant hors de l'Union européenne).
Le règlement 2201/2003 établit des règles de compétence distinctes selon que l'enfant réside
Ill!
dans un État membre (art. 8, 9 et 12, § 3), ou dans un État partie à la Convention de La Haye de
L'INCAPACITÉ ET LA PROTECTION DES INCAPABLES 627

1996 ou dans un autre État tiers (arc. 12, § 4). Dans la seconde hypothèse, celle d'un enfant rési-
dant pratiquement hors de l'Union européenne, il prévoit un for de nécessité. A contrario, ce for ne
vaut pas lorsque l'enfant réside dans un État partie à la Convention de La Haye.
Les règles de compétence internationale du règlement « Bruxelles Ilbis » sont basées
respectivement sur :
- le critère de la résidence habituelle de l'enfant lors de la saisine (art. 8, § 1er);
- en cas de déplacement international de l'enfant, une durée de trois mois maxi-
mum après ce déplacement, pour modifier une décision sur le droit visite, si le titulaire de
ce droit réside encore dans cet État, à moins que celui-ci ait accepté la compétence des
juridictions de l'État de la nouvelle résidence (art. 9) ;
1111L'hypothèse d'un déplacement illicite fait l'objet de précisions importantes (arc. 10 et 11), qui
adaptent les dispositions de la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 (voy. infra, n ° 12.166).
Ill Le « maintien» de compétence en cas de déplacement semble de nature exclusive: le juge de
l'ancienne résidence « garde» sa compétence pour les mesures de modification, ce qui implique
l'absence de compétence corrélative pour le juge de la nouvelle résidence.
1111Un maintien de la compétence dans un cas de ce type est également prévu par la Convention de
La Haye de 1996 (art. 14), mais en des termes plus classiques (voy. le n° suivant).
- en cas de demande en divorce, en séparation de corps ou en annulation du
mariage, la compétence pour connaître du fond de la demande introduite (art. 12, § 1er) ;
Ill Le texte précise utilement que cette compétence doit être« exercée».
1111 La compétence du juge du principal cesse, notamment, après qu'est passée en force de chose
jugée la décision prise au principal ou, le cas échéant, la décision sur la responsabilité parentale
encore en instance à ce moment(§ 2).
Ill Le texte n'exige pas, à la différence du règlement« Bruxelles II», que l'enfant soit« commun ».

- l'existence d'un« lien étroit», notamment par la résidence habituelle ou la natio-


nalité de l'un des titulaires de la responsabilité parentale, à condition d'un accord sur la
compétence et du respect de l'intérêt supérieur de l'enfant (art. 12, § 3);
1111 La condition d'un accord sur la compétence se trouve déjà dans le règlement « Bruxelles II », à
l'égard d'un enfant résidant dans un autre État membre, à la seule condition que la responsabilité
parentale soit exercée par au moins un des époux.
- un for de nécessité, « lorsqu'une procédure s'avère impossible» dans l'État tiers
où l'enfant réside habituellement, si cet État n'est pas partie à la Convention de La Haye
de 1996 (art. 12, § 4) ;
1111 Sur la notion de for de nécessité, voy. supra, n ° 9.15.
- à défaut de pouvoir déterminer la résidence de l'enfant et à défaut de pouvoir fon-
der la compétence des juridictions d'un État membre sur l'un des critères précités, ainsi
qu'à l'égard d'enfants réfugiés, la seule« présence» de l'enfant (art. 13).
Ill La compétence à l'égard du réfugié semble ne pas reposer sur le critère de la résidence habi-
tuelle. Même si cela ne se laisse pas déduire de la lettre du texte, qui précise seulement(§ 2) que« Le
paragraphe 1 s'applique également aux enfants réfugiés », cette interprétation est seule compatible
avec un effet utile de la disposition : si la résidence devait jouer, il n'y aurait eu nul besoin de préci-
ser spécialement la compétence fondée sur la seule présence.
On voit pourtant mal pourquoi la résidence habituelle n'aurait pas été retenue pour le réfugié
reconnu. Cette différence de traitement paraît constituer une forme de discrimination contraire à
la Convention de Genève sur le statut des réfugiés (voy. supra, n ° 12.9).
Les enfants« internationalement déplacés [... ] par suite de troubles prévalant dans leur pays » sont
assimilés aux réfugiés.
628 LA PERSONNE IT LES RAPPORTS DE FAMILLE

Ill La Convention de La Haye de 1996 comporte une disposition analogue (art. 6).
En outre, le règlement prévoit un mécanisme de « renvoi » à une juridiction d'un
autre État, lorsque celle-ci est« mieux placée» pour connaître de la demande (art. 15). Ce
renvoi peut être« demandé» par le juge saisi, mais le juge de renvoi n'est pas sans pou-
voir apprécier sa propre compétence « en raison des circonstances spécifiques de
l'affaire» et « dans l'intérêt supérieur de l'enfant» (§ 5). Le renvoi n'est possible que si
l'enfant a« un lien particulier» avec l'État de renvoi, lien défini à l'aide d'indices, comme
la résidence de l'enfant, sa nationalité, la résidence de l'un des titulaires de la responsabi-
lité parentale, la localisation de biens sur le territoire(§ 4).
Ce mécanisme de renvoi est inspiré de celui que contient l'article 8 de la Convention de La Haye
1111

de 1996.
1111 Ce mécanisme est distinct de celui de la litispendance, qui suppose la saisine concurrente de
deux juridictions également compétentes. Le règlement établit une exception de litispendance,
dont le régime est identique à celui prévu pour le contentieux matrimonial (voy. supra, n ° 12.83).
Toutefois, la définition de la litispendance obéit à la triple identité d'objet, de cause et de parties, la
troisième se contentant toutefois de se référer à des actions« à l'égard d'un enfant».
L'adoption de mesures provisoires ou conservatoires obéit aux règles générales
posées par le règlement (voy. supra, n ° 12.82).
Cet ensemble subtil montre la primauté du critère de la résidence de l'enfant. En
particulier, le critère de la nationalité est abandonné. Il n'apparaît que comme l'indice
d'un critère de proximité, dans le chef de l'un des parents.
Ces règles ne servent pas à déterminer la compétence territoriale interne. Celle-ci
continue donc d'être déterminée en fonction du droit national.
Elles ne servent pas davantage à déterminer la compétence d'attribution.
12.155 - Contexte de la Convention de La Haye du 19 octobre 1996 - La Conférence de
La Haye de droit international privé a élaboré un instrument couvrant l'ensemble des
questions de conflit de juridictions et de conflit de lois « en matière de responsabilité
parentale et de mesures de protection des enfants». Elle n'a pas été ratifiée par la Belgi-
que. La possibilité ainsi que l'opportunité de le faire supposent un examen attentif des
relations de l'instrument avec le droit de l'Union européenne.
1111Les travaux ont été menés au même moment que ceux qui ont conduit au règlement
« Bruxelles II ». La question du conflit des instruments a donc été considérée attentivement. Il en
est résulté une « clause de déconnexion » dans la Convention de La Haye (art. 52). Les États mem-
bres de l'Union européenne ont reçu « l'autorisation » de procéder à sa signature, par la décision
2003/93 du Conseil du 19 décembre 2002 (J.O.C.E., 2003, L 48). La nécessité d'une telle autorisa-
tion s'explique du fait que, en adoptant le règlement 1347/2000, la Communauté a, par l'exercice
d'une compétence interne, acquis une compétence exclusive à l'égard des relations externes pour la
matière visée, selon la jurisprudence générale de la Cour de justice des Communautés européennes.

Par son contenu, la Convention de La Haye ne diffère pas sensiblement du règle-


ment « Bruxelles Ilbis ». À la différence de celui-ci, elle prévoit la faculté pour les juridic-
tions d'un État contractant de demander à bénéficier d'un renvoi par les juridictions de
l'État de résidence (art. 9), alors que le règlement organise seulement un renvoi à l'initia-
tive de celles-ci. De plus, la Convention prévoit, en cas de déplacement licite de l'enfant,
un maintien des mesures adoptées (art. 14), sans que cela revienne à attribuer une com-
pétence exclusive temporaire aux juridictions de la première résidence, comme le fait le
règlement.
L'INCAPACITÉ ET LA PROTECTION DES INCAPABLES 629

Aussi, sous l'angle de la détermination de la compétence internationale en matière


d'autorité parentale, l'opportunité d'une ratification de la Convention n'apparaît
qu'après que celle-ci aura été ratifiée par un groupe significatif d'État tiers. À ce moment,
la ratification reviendra à étendre pratiquement le système du règlement aux relations
avec ces États.
li! Le domaine de la Convention dépasse cependant la matière de l'autorité parentale, puisqu'il
couvre aussi l'ensemble des mesures de protection (voy. infra, § 3).

12.156 - Contexte des conventions bilatérales - Jusqu'à l'entrée en vigueur du règle-


ment « Bruxelles !Ibis», les conventions conclues avec la France et avec les Pays-Bas en
matière civile et commerciale (voy. supra, n ° 8.32) servaient à déterminer la compétence
internationale en matière d'autorité parentale, et la jurisprudence publiée atteste
l'importance pratique de ces instruments en la matière.
1111 Sur l'application de la Convention franco-belge, voy. Bruxelles, 6 mars 1986,].T. (1986), 439, se
déclarant incompétent à l'égard d'un Français domicilié en France ayant la garde des enfants. De
même antérieurement, Bruxelles, 31 janvier 1973,]. T. (1973), 448, Pas. (1973), II, 90, et le commen-
taire in Rev. crit. jur. belge (1976), 253-254; Mons, 13 avril 1993, Rev. trim.dr. fam. (1994), 525, con-
cluant au critère de la résidence du gardien.

Ces instruments ne sont plus applicables en la matière aux demandes introduites à


partir du 1er mars 2005.

12.157 - Règles du droit commun - Pour autant que le règlement« Bruxelles !Ibis» leur
laisse encore une place utile, des dispositions particulières déterminent, dans le Code de
droit international privé, la compétence internationale pour connaître de demandes
« concernant l'autorité parentale [... ] » (art. 33).
La compétence des juridictions belges peut reposer sur l'un des critères suivants :
- les mêmes critères que ceux qui régissent les demandes en matière de capacité, à
savoir la nationalité ou la résidence habituelle de l'incapable, ainsi que le domicile ou la
résidence habituelle du défendeur;
Pour l'utilisation du critère de nationalité pour un droit de visite, voy. : Civ. Courtrai,
1111

7 novembre 2001, Tijdschr. West-VI. (2001), 184, noce P. ARNou, montrant que le juge du provisoire
peut baser sa compétence internationale sur celle des juridictions belges pour connaître du fond.
La résidence, comme la nationalité, est celle possédée lors de la demande. Rien n'empêche donc
1111

une juridiction belge de se déclarer compétente en cas de déplacement de l'enfant vers la Belgique,
pour modifier une décision rendue à l'étranger.
Voy. déjà en ce sens : Bruxelles, 23 octobre 1964, somm. dans : R. ABRAHAMS, « Chronique de juris-
prudence belge», Clunet (1965), 676; Bruxelles, 15 janvier 1964, Pas. (1965), II, 20; 26 avril 1990,
Rev. trim. dr. fam. (1990), 368 (arc. 4, § 1er, de la Convention franco-belge du 8 juillet 1899); Civ.
Bruxelles (réf.), 6 mai 1969, Pas. (1970), III, 11 ; Civ. Bruxelles ijeun.), 26 mai 1972, Doc. prot. jeun., 1-
249. Contra: Civ. Liège, 9 novembre 1966,]ur. Liège (1967-1968), 35.

- en outre, si la demande porte sur l'administration de biens, la localisation de ces


biens.
De plus, le Code consacre la compétence du juge saisi d'une demande en divorce, en
séparation de corps ou en nullité du mariage, à l'égard d'enfants de moins de dix-huit
ans.
Pratiquement, le Code permet de fonder la compétence à l'égard d'un Belge résidant
et se trouvant hors de l'Union européenne.
630 LA PERSONNE ET LES RAPPORTS DE FAMILLE

Subsidiairement, le critère de la seule présence de l'incapable permet l'adoption de


mesures,« dans les cas d'urgence».
D'autres mesures, de nature provisoire ou conservatoires, peuvent être prises aux
conditions générales de l'article 10 du Code de droit international privé (voy. supra,
n° 9.54).
lill Sur la question de la compétence en matière de mesures provisoires dans le cadre du divorce,
voy. supra, n° 12.86. À propos de mesures de garde, voy.: Civ. Bruxelles, 13 février 1997, Pas. (1996),
III, 31, basant la compétence d'attribution sur l'article 584 C. jud. plutôt que sur l'article 1280.

B. Droit applicable
12.158 - Référence de principe à la résidence de l'enfant- Le Code de droit internatio-
nal privé innove en soumettant désormais l'autorité parentale - le droit d'hébergement
et le droit aux relations personnelles - au critère de la résidence habituelle de l'enfant
(art. 35), au lieu du critère de la nationalité, auparavant basé sur l'article 3, alinéa 3, du
Code civil.
1111Sur le principe de rattachement, voy. M. VERWILGHEN, « Conflits de lois ... ", précité n° 12.149,
ainsi que: Cass., 28 novembre 1929, Harris, Pas. (1930), I, 34; 12 décembre 1985, Rev. not. belge
(1987), 353, note R. VANDER ELST; voy. aussi: Bruxelles, 27 juin 1969,J. T. (1969), 622 et Rev. crit. jur.
belge (1976), 256; 9 novembre 1982, Rev. dr. étr. (1983), 27.
Contra: Civ. Bruxelles, 12 octobre 1990, Rev. gén. dr. civ. (1991), 87, appliquant la loi nationale
comme rattachement des effets du lien de filiation.
L'arrêt précité de la Cour de cassation précise que si les dispositions relatives à l'exercice du droit de
garde ont bien un caractère d'ordre public, elles ne relèvent pas pour autant de la catégorie des dis-
positions obligeant tous ceux qui habitent le territoire, c'est-à-dire qu'il ne s'agit pas de lois de
police au sens de l'article 3, alinéa 1", du Code civil (sur la notion, voy. supra, n° 4.11).
Pour une application de la loi marocaine, commune aux parties, après répudiation, voy. : J.P.
lill
Schaerbeek, 23 janvier 1973,].J.P. (1976), 210; Civ. Anvers Ueun.), 15 juin 1976, Doc. prot. jeun., 1-
323.
Pour le droit de visite, voy. antérieurement, en faveur de la loi nationale : Voy. Civ. Bruxelles
1!11
0eun.), 4 décembre 1968,J. T (1969), 105.
La jurisprudence avait parfois manifesté une tendance à appliquer le droit belge au
nom de l'intérêt de l'enfant.
1111Civ. Bruxelles Ueun.), 12 mars 1969, ].T (1969), 372; 21 avril 1969, Rev. dr. fam. (1969), 8;
Bruxelles (secc. Mons), 27 octobre 1972,J. T (1973), 334; Liège, 11 juin 1975,Jur. Liège (1975-1976),
25.
Pour le droit de visite, voy.: Civ. Bruxelles Ueun.), 12 mars 1969,]. T (1969), 372; Bruxelles,
lill
24 novembre 1971, Pas. (1972), II, 31.
Le Code exprime un souci de prise en compte de l'intérêt de l'enfant, non seulement
en établissant un rattachement de proximité, mais encore en prévoyant un rattachement
en cascade. En effet, lorsque la loi de résidence ne permet pas d'assurer une protection
suffisante, il est fait application de la loi de la nationalité de l'enfant et, à défaut encore,
du droit belge (art. 35, § 2).
Par comparaison, la Convention de La Haye du 19 octobre 1996 conduit à la dési-
gnation de la loi du for (art. 15, § 1er), ce qui signifie pratiquement la désignation de la loi
de la résidence de l'enfant, mais pas dans tous les cas. Elle prévoit aussi un rattachement
en cascade, en faveur de la loi du pays avec lequel la situation « présente un lien étroit »
(§ 2).
L'INCAPACITÉ ET LA PROTECTION DES INCAPABLES 631

12.159 - Solution du conflit mobile - Le Code de droit international privé vise à résou-
dre le conflit mobile par une référence à l'actualisation du critère de rattachement perti-
nent, en retenant sa concrétisation au jour de la demande. Ce principe appelle certaines
précisions.
Le moment de la demande est clairement pertinent en ce qui concerne l'exercice de
l'autorité parentale (art. 35, § ier, al. 2).
La détermination de l'autorité parentale, en revanche, ne peut pas faire abstraction
du moment où se sont produits les actes ou faits déclencheurs de l'attribution de l'auto-
rité, dans la mesure où cette attribution résulte directement de l'effet de la loi: l'autorité
parentale existant en vertu de la loi de la première résidence subsiste après le changement
de résidence. Une actualisation des circonstances de rattachement a cependant lieu, en
faveur de la personne qui n'est pas encore investie de l'autorité parentale: celle-ci peut
invoquer les dispositions de la loi de la nouvelle résidence (ou nationalité).
1111On trouve ainsi une règle alternative à effet de cliquet, déjà observée pour la détermination de
l'incapacité.
11111 La Convention de La Haye de 1996 contient une disposition analogue (art. 16, §§ 3 et 4).

12.160 - Règles matérielles d'aménagement de l'autorité parentale - Le contenu de la


décision relative à un attribut de l'autorité parentale - droit de garde ou droit de visite -
peut prendre en considération la spécificité du caractère international de la situation. On
se trouve en présence de l'élaboration, par la jurisprudence, d'une règle matérielle de
droit international privé (voy. supra, n ° 3.8.).
La prise en considération de l'intérêt de l'enfant (voy. supra, n° 5 3.14 et 12.158) con-
siste certes aussi en un élément matériel dissociable de l'opération de désignation du
droit applicable. Mais il s'agit plutôt ici d'imposer au détenteur de l'autorité parentale
des contraintes liées au déplacement de l'enfant à l'étranger, afin de préserver le droit
pour celui-ci de bénéficier de l'exercice harmonieux des droits de garde et de visite attri-
bués aux parents. Le degré d'intégration culturelle de l'enfant et sa capacité d'adaptation
à un séjour à l'étranger devraient également être pris en considération.
Parmi les conditions observées, on trouve l'obligation de soumettre le déplacement de l'enfant à
11111

l'étranger à l'occasion du droit de visite, à l'accord exprès de l'autre parent (Bruxelles, 30 juin 1981,
].T., 1981, 723, note N. WATTÉ), l'obligation de rapatrier l'enfant qui a été emmené à l'étranger par
le détenteur du droit de garde en ôtant toute possibilité d'exercice effectif du droit de visite par
l'autre parent (Bruxelles, 9 décembre 1981, Rev. trim. dr. fam., 1985, 76; pourvoi rejeté par Cass.,
9 septembre 1982, Rev. trim. dr. fam., 1985, 95; comp. dans la même affaire, Bruxelles, 23 décembre
1982, ibid.), ou encore une modification de la convention préalable au divorce lorsque le détenteur
du droit de garde a expatrié l'enfant contrairement au prescrit de la convention (Bruxelles,
9 novembre 1984, Rev. trim. dr. fam., 1987, 433).
Pour l'octroi de l'autorité parentale à l'auteur resté dans le pays d'origine alors que l'autre s'est
1111

expatrié, voy.: Bruxelles, 28 juin 2001, Rev. trim. dr. fam. (2003), 188; Civ. Bruxelles, 16 août 2001,
Rev. trim. dr. fam. (2003), 205, accordant une garde accessoire à la mère expatriée (Espagne) pour les
périodes de vacances scolaires.
1111Sur ce que l'enlèvement de l'enfant par la mère n'est pas défavorable à l'octroi de la garde princi-
pale sous condition de ramener l'enfant afin de permettre l'exercice des droits du père, voy. : Bruxel-
les, 6 décembre 2001, Rev. trim. dr.fam. (2003), 197.
Sur cette jurisprudence, voy.: J.-L. RENCHON, « L'hébergement et l'éducation de l'enfant
1111

"transfrontières" », L'enfant et les relations familiales internationales (Bruxelles, Bruylant, 2003), 293-
362.
632 LA PERSONNE IT LES RAPPORTS DE FAMILLE

La violation des conditions imposées à l'exercice de l'autorité parentale s'expose aux


mécanismes de restitution mis en place par des instruments internationaux (voy. infra,
n° 5 12.166 et s.). Le juge qui décide de la mesure d'aménagement peut encore prévoir
comme mesure préventive le dépôt d'une caution ou l'imposition d'une astreinte. Il peut
également subordonner l'exercice du droit à l'obtention préalable de la reconnaissance à
l'étranger de sa décision.
ID Pour une subordination à une reconnaissance préalable, voy.: J.P. Uccle, 26 octobre 1995, Rev.
not. belge (1996), 125, à propos du droit de visite.
Encore faut-il tenir compte du régime de liberté de circulation des jugements mis en
place au sein de l'Union européenne (voy. infra, n ° 12.162): fondé sur le concept de con-
fiance mutuelle et amenuisant le risque de refus de reconnaissance à l'étranger, il réduit
d'autant la raison d'être de mesure préventives, voire de mesures d'aménagement, dont
l'adoption pourrait se révéler contraire aux dispositions du traité CE relative à la libre cir-
culation des personnes.

12.161 - Attribution de la garde en cas de divorce - Le divorce et la séparation de corps


constituent des incidents qui peuvent être déterminants pour l'attribution et l'exercice
de l'autorité parentale.
En isolant la question de l'autorité parentale dans un chapitre distinct, le Code de
droit international privé manifeste l'autonomie du rattachement de l'autorité parentale:
qu'il y ait ou non divorce ou séparation de corps, par une procédure en cours ou après
une décision à cet égard, la détermination du droit applicable obéit au principe du ratta-
chement à la loi de la résidence de l'enfant.
Toutefois,« l'obligation d'un accord entre époux portant des mesures concernant la
personne [... ] et les biens [... ] des enfants dont ils ont la charge» relève de la loi qui régit le
divorce (art. 56, 3°; voy. supra, n ° 12.101). Ce rattachement spécial concerne seulement le
principe même d'un accord, non son contenu.
Voy. déjà les solutions en ce sens proposées dans l'édition précédente de cet ouvrage (Bruxelles,
1111

Larcier, 1993), n° 5 1134 et s.

La référence de principe à la loi de la résidence de l'enfant plutôt qu'à la loi de sa


nationalité a pour conséquence, en cas de divorce, de limiter les cas dans lesquels il y
aurait lieu de s'interroger sur l'éviction de la loi étrangère lorsque celle-ci ne reconnaît
pas le divorce intervenu. En effet, la résidence de l'enfant sera, le plus souvent, en Belgi-
que, et, si les époux résident dans le même pays, la loi de leur résidence régira aussi le
divorce.
1111 Sur la notion de rapport juridique boiteux, voy. supra, n ° 12.10.

C. Efficacité des décisions étrangères


12.162 - Efficacité dans le contexte de l'Union européenne - De même que le règle-
ment « Bruxelles II », le règlement « Bruxelles IIbis » (voy. supra, n ° 12. 79) tend à faciliter
l'efficacité des décisions judiciaires entre États membres de l'Union européenne en
matière de« responsabilité parentale».
Ce règlement établit un régime de reconnaissance de plein droit, en des termes ana-
logues à ceux concernant le contentieux matrimonial (voy. supra, n ° 12.91). Des disposi-
L'INCAPACITÉ ET LA PROTECTION DES INCAPABLES 633

tions particulières affectent cependant la liste des motifs de refus et la déclaration de la


force exécutoire.
Deux motifs de refus sont propres à la matière de la responsabilité parentale
(art. 23). L'un et l'autre affectent le droit à l'audition. Le premier sanctionne la violation
du droit de l'enfant d'être entendu devant le juge d'origine, selon« les règles fondamen-
tales de procédure de l'État membre requis», sauf le cas d'urgence (point b). Le second
concerne le cas où la décision étrangère a été rendue sans que la personne qui fait valoir
que la décision fait obstacle à l'exercice de l'autorité parentale ait eu la possibilité d'être
entendue (point d).
Ill!Le second de ces motifs n'est pas examiné d'office, mais seulement à la demande de la personne
intéressée.
1111Un troisième motif spécifique concerne le cas particulier où le juge étranger n'a pas respecté la
procédure de consultation de l'article 56 préalablement à un décision de placement de l'enfant à
l'étranger (point g).
1111Tout contrôle de la compétence indirecte est exclu, comme c'est le cas pour le contentieux
matrimonial (art. 24). Cela témoigne du climat de confiance mutuelle que le règlement tend à éta-
blir, puisque le juge requis aura à se fier à la manière dont le juge d'origine a appliqué les règles
communes de compétence internationale lors de l'instance directe.
La Convention de La Haye du 19 octobre 1996 maintient un contrôle de la compétence indirecte
(art. 23, § 2, a).

Une procédure en vue de la déclaration de la force exécutoire est également instau-


rée. Ses termes sont analogues à ceux qui caractérisent la procédure établie par le règle-
ment « Bruxelles I » pour les matières patrimoniales : cette procédure repose sur deux
phases, une première phase unilatérale et une seconde phase contradictoire sur recours.
La Convention de La Haye de 1996 s'en remet, pour la procédure de déclaration de la force exé-
1111

cutoire ou d'enregistrement, au droit de l'État requis, tout en exigeant que celle-ci soit « simple et
rapide» (art. 26).
1111La décision rendue sur le droit de visite fait l'objet de dispositions particulières (art. 41): elle
bénéficie d'une force exécutoire de plein droit, en ce sens que le droit établi est« reconnu et jouit de
la force exécutoire dans un autre État membre sans qu'aucune déclaration lui reconnaissant force
exécutoire ne soit requise et sans qu'il soit possible de s'opposer à sa reconnaissance si la décision a
été certifiée dans l'État membre d'origine». Ce certificat ne peut être délivré qu'après vérification,
par le juge d'origine, de la notification de l'acte introductif d'instance et du droit à l'audition, des
parties et de l'enfant.
La force exécutoire de plein droit est également assurée à un ordre de retour en cas de déplace-
Ill
ment illicite (voy. infra, n° 12.168).

Un mécanisme de coopération entre autorités d'États membres (art. 55) permet


encore aux particuliers d'adresser une demande d'assistance concernant la reconnais-
sance ou l'exécution d'une décision (art. 57). Celle-ci est adressée par le titulaire de lares-
ponsabilité parentale à l'autorité centrale de son pays de résidence ou à celle du pays de la
résidence habituelle ou de la présence de l'enfant.

12.163 - Convention de Luxembourg sur la garde des enfants - La Convention de


Luxembourg du 20 mai 1980 sur .la reconnaissance et l'exécution des décisions en
matière de garde des enfants et le rétablissement de la garde des enfants (loi du 1er août
1985, Monit., 11 décembre 1985) facilite la reconnaissance des décisions, dans le but pre-
mier de lutter contre les déplacements sans droit des enfants.
634 LA PERSONNE ET LES RAPPORTS DE FAMILLE

La Convention a été élaborée dans le cadre du Conseil de l'Europe, au même moment que la
1111

Convention de La Haye de la même année sur l'enlèvement d'enfants.

111! Elle s'applique uniquement à l'égard de décisions rendues dans un autre État contractant.

Une distinction est faite selon qu'il y a eu ou non déplacement« sans droit».
Le déplacement sans droit se définit par référence à la « violation d'une décision
relative à [la] garde rendue dans un État contractant et rendue exécutoire dans un tel
État» (art. 1er, d). Y est assimilé le non-retour après exercice d'un droit de visite.
En cas de déplacement sans droit, lorsqu'une demande de restitution a été intro-
duite moins de six mois à partir de celui-ci, les motifs de refus qui peuvent être opposés à
la décision qui a attribué la garde sont limités au caractère inconciliable de décisions ren-
dues avant le déplacement ainsi que, s'il y a eu défaut, au contrôle de la régularité de la
signification et au contrôle de la compétence indirecte (art. 9). Toutefois, aucun motif de
refus n'est opposable à la décision étrangère, si deux conditions sont remplies: les parties
avaient la nationalité de l'État d'origine et l'enfant y résidait (art. 8).
1111La règle de compétence indirecte utilise pour critères alternatifs la résidence habituelle de
l'enfant ou du défendeur, ou la dernière résidence habituelle commune des parents si l'un d'eux y
réside encore.

Ill!Le caractère inconciliable de la décision ne peut justifier un refus de reconnaissance lorsque


l'enfant avait sa résidence habituelle « dans l'année » précédant son déplacement, sur le territoire
de l'État d'origine de la décision.

Voy. une application de l'article 9 par: Civ. Bruxelles, 16 mai 1989, Rev. dr. étr. (1991), 52; Civ.
1111

Courtrai, 8 décembre 1992, R W. (1992-1993), 1272, note CAPPELAERE.

En l'absence de déplacement sans droit ou si un déplacement sans droit a eu lieu


depuis plus de six mois, d'autres motifs de refus peuvent être opposés, tels l'incompatibi-
lité avec « les principes fondamentaux du droit régissant la famille et les enfants dans
l'État requis» ou le changement de circonstances. D'autres chefs de compétence indi-
recte que dans le cas précédent sont également énoncés. De plus, le texte prévoit des cau-
ses de suspension de la procédure de reconnaissance ou en exécution (art. 10).
Pour une application de l'article 10, voy.: J.P. Roeselare, 27 mars 1997, R W. (1997-1998), 652,
1111

refusant de reconnaître un jugement allemand de placement dans une école de langue allemande,
au nom de l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme.

La Convention prévoit également plusieurs règles de procédure relatives, tantôt au


dépôt de certains documents, tantôt au déroulement de la procédure.
La loi d'approbation a appliqué aux décisions visées par la Convention la procédure sur requête
1111

prévue aux articles 1025 à 1034 du Code judiciaire, avant sa modification (voy. supra, n ° 10.35).

Afin de faciliter la restitution des enfants, la Convention institue un mécanisme de


coopération entre autorités centrales. L'autorité de l'État requis prend les dispositions
nécessaires pour, notamment,« assurer la reconnaissance ou l'exécution de la décision»
(art. 5, § 1er, c).

12.164 - Reconnaissance de plein droit selon le droit commun - Le Code de droit


international privé ne pose aucune règle spéciale sur la reconnaissance d'un jugement
étranger en matière d'autorité parentale. Le régime général est donc applicable (art. 22 et
s.), qui consacre une reconnaissance de plein droit (voy. supra, n ° 10.41).
L'INCAPACITÉ ET LA PROTECTION DES INCAPABLES 635

Ill Sur l'utilisation, dans le cadre d'une procédure d'exécution d'un droit de visite décidé par un
juge belge, de l'exception de chose jugée à l'étranger, appréciée selon le régime de la reconnaissance
de plein droit, voy.: Civ. Bruxelles, 3 septembre 2003,].L.M.B. (2004), 750.

La reconnaissance d'une décision étrangère n'exclut pas de prendre des mesures dif-
férentes que commande un changement de circonstances.
La circonstance qu'une même décision puisse avoir statué sur la garde et les ali-
ments ne devrait pas susciter de difficulté particulière dans la mesure où, abstraction
faite d'un instrument international qui régirait l'une à l'exclusion de l'autre, ces ques-
tions obéissent à un régime commun de reconnaissance de plein droit. Ce n'était pas le
cas auparavant, les décisions alimentaires se prêtant alors à une révision au fond, exclue
en matière d'état.

D. Restitution d'enfants déplacés irrégulièrement


12.165 - Restitution en l'absence de mécanisme international - Lorsqu'un enfant a été
déplacé ou retenu à l'étranger en violation des dispositions concernant l'exercice de
l'autorité parentale, il y a lieu de s'interroger sur les possibilités d'une restitution rapide
de celui-ci dans l'État de sa résidence habituelle, non seulement pour la préservation de
l'intérêt de l'enfant, mais aussi pour assurer le droit pour le titulaire de l'autorité paren-
tale d'être réuni rapidement à l'enfant.
Sur ce droit du parent, voy. : C.E.D.H., 25 janvier 2000, Ignaccolo-Zenide, Rev. trim. dr. Jam. (2000),
1111

429.

Les instruments relatifs à la reconnaissance des jugements sont insuffisants, pour


deux raisons. D'abord, le déplacement peut avoir eu lieu en violation d'un droit établi de
plein droit par la loi. Ensuite, lorsqu'une décision s'est prononcée sur l'exercice de ce
droit dans l'État de résidence, la reconnaissance de cette décision à l'étranger obéira aux
seules conditions posées par le droit étranger, le cas échéant dans le cadre d'un traité qui
le lie avec l'État de résidence. Elle risque alors de se heurter à deux motifs de refus : la
décision est inconciliable avec une première décision rendue dans l'État requis; l'enfant
est ressortissant de l'État requis.
La seule solution réellement efficace consiste à mettre en place un mécanisme de
coopération internationale, permettant d'organiser une restitution de l'enfant. À défaut,
rien n'empêche évidemment de qualifier le rapt parental de voie de fait, et de condamner
au paiement d'une astreinte. Cette sanction ne sera pourtant efficace que si, soit son des-
tinataire possède des biens saisissables sur le territoire national, soit elle est susceptible
de faire l'objet d'une reconnaissance à l'étranger.
Pour le cas d'une astreinte, voy. Bruxelles, 8 novembre 1983, Rev. trim. dr. Jam. (1984), 70; Liège,
1111

30 juin 1983, Rev. trim. dr.Jam. (1986), 108; Civ. Bruxelles, 5 novembre 1995, Rev. trim. dr. Jam. (1996),
427. Son applicabilité aux matières familiales a été admise, dans le cadre de la Convention Benelux
du 28 novembre 1973, par la Cour de justice Benelux ( 11 mai 1982, Rev. trim. dr. Jam., 1982, 329).

Ill D'une extrême rigueur, la sanction de !'astreinte doit être utilisée avec prudence, singulièrement
lorsque le destinataire est confronté avec des commandements contradicroires émanant d'aurori-
tés de pays différents, à moins qu'il n'ait précisément organisé une telle situation dans le but
d'échapper à la sanction. De ce point de vue, la date de l'introduction de la procédure à l'étranger
pourrait être déterminante.
636 LA PERSONNE IT LES RAPPORTS DE FAMILLE

En particulier, aucun changement de la résidence habituelle de l'enfant ne devrait


résulter de la voie de fait que constitue un déplacement en violation de l'exercice de
l'autorité parentale.

12.166 - La Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur l'enlèvement international


d'enfants - La Conférence de La Haye de droit international privé a élaboré une conven-
tion tendant à assurer la restitution de l'enfant victime d'un rapt parental transfrontière.
La Convention est en vigueur en Belgique depuis le ier mai 1999 (loi du 10 août 1998,
Monit., 24 avril 1999).
111Le site Internet de la Conférence (www.hcch.net) diffuse non seulement un état à jour des ratifi-
cations, mais également de précieux documents de travail sur la mise en œuvre de la Convention
dans les États contractants (rapports périodiques de la Commission spéciale sur le fonctionnement
de la Convention, base de données de jurisprudence, etc.).
La Convention a donné lieu à une jurisprudence très abondante à l'étranger. Voy. notamment une
présentation par: M. FALLON et O. LHOEST, précités n° 12.149.
IllLa référence du règlement 2201/2003 (voy. le n ° suivant) à la Convention implique que tous les
États membres de l'Union européenne soient liés par l'instrument conventionnel.
Comp., en Amérique du Sud, la Convention de Montevideo du 15 juillet 1989 sur la restitution
1111

internationale des enfants (I.L.M., 1990, 63).

L'objet de la Convention est d'assurer, dans les plus brefs délais et sans recours à des
procédures particulières de reconnaissance, le retour immédiat de l'enfant. Ce méca-
nisme « n'affecte pas le fond du droit de garde» (art. 19) et ne dépend donc d'aucune
appréciation de la validité de la décision qui a attribué ce droit. Le retour n'est pas subor-
donné à la reconnaissance de la décision dans l'État requis ni à l'absence d'une décision
inconciliable dans cet État. Le concept repose sur le principe selon lequel tout différend
relatif au droit de garde relève normalement des juridictions de l'État de résidence de
l'enfant avant le déplacement. La neutralisation du déplacement constitue un moyen à
cette fin.
Sur ce que la Convention n'a pas pour objet d'organiser la décision sur la garde, voy. : Civ. Liège,
!Ill
14 mars 2002, Rev. trim. dr.fam. (2003), 398.

Le domaine spatial de la Convention couvre le cas d'un enfant résidant habituelle-


ment dans un État contractant et déplacé vers un autre État contractant.
Le domaine matériel couvre le déplacement« illicite» (art. 3) d'un enfant avant qu'il
parvienne à l'âge de seize ans (art. 4). Est« illicite» le déplacement en violation d'un droit
de garde attribué «par» le droit de l'État contractant dans lequel l'enfant avait sa rési-
dence habituelle immédiatement avant son déplacement ou son non-retour, à condition
que ce droit soit exercé effectivement (art. 3).
Cette référence au droit de la résidence de l'enfant est en harmonie avec les nouvelles règles du
1111

Code de droit international privé en la matière (voy. supra, n ° 12.158).


IllL'appréciation de l'illicéité dépend de la vérification de la localisation de la résidence au
moment du déplacement. Cette vérification peut s'avérer délicate: Liège, 13 mai 2003, Rev. rég. dr.
(2003), 186.

Le retour n'est cependant pas inconditionnel. Certains motifs permettent de s'y


opposer, à savoir :
- l'écoulement d'un délai d'un an accompagné de l'intégration de l'enfant dans son
nouveau milieu (art. 12);
L'INCAPACITÉ ET LA PROTECTION DES INCAPABLES 637

- le défaut d'exercice effectif du droit de garde au moment du déplacement (art. 13,


al.ler,a);
- l'acquiescement du titulaire du droit de garde à ce déplacement (art. 13, al. 1er, a);
- le risque grave de danger psychique ou physique pour l'enfant en cas de retour
(art. 13, al. ier, b);
- l'opposition de l'enfant en âge de raison et de maturité suffisante (art. 13, al. 2);
1111 Pour l'audition d'un enfant de 13 ans refusant le retour, voy. : Civ. Bruxelles, 27 mai 2003, Rev.

trim. dr.fam. (2003), 559.

- la violation des principes fondamentaux de l'État requis sur la sauvegarde des


droits de l'homme et des libertés fondamentales (art. 20).
1111Pour un ordre de retour, voy.: Civ. Liège, 14 mars 2002, Rev. trim. dr. fam. (2003), 398; Civ.
Bruxelles, 17 avril 2003, Rev. trim. dr. fam. (2003), 568, ordonnant le retour vers Israël après avoir
énoncé que les juridictions de l'État israélien de résidence sont les mieux placées pour statuer sur la
garde et avoir considéré que le retour n'exposait pas l'enfant à un danger individuel en raison du
climat d'insécurité général dans ce pays; Liège, 13 mai 2003, Rev. rég. dr. (2003), 186, en raison
d'une expertise psychiatrique favorable au titulaire de l'autorité parentale, effectuée dans l'État de
résidence.
Par l'intervention des autorités centrales des États concernés, l'enfant est remis au
détenteur du droit de garde. En cas de saisine d'une juridiction, celle-ci doit statuer
«d'urgence», le dépassement d'un délai de six semaines s'exposant à une demande de
déclaration sur les raisons de ce «retard» (art. 11). De fait, la décision à prendre inter-
vient sans préjudice du fond, ce qui l'assimile à l'adoption d'une mesure de nature con-
servatoire.
La Convention ne porte préjudice ni à l'application d'un autre instrument interna-
tional ni à la possibilité pour les États d'écarter des restrictions susceptibles d'affecter le
retour d'un enfant.
1111Elle prévaut cependant sur la Convention de La Haye du 5 octobre 1961 concernant la compé-
tence des autorités et la loi applicable en matière de protection des mineurs (voy. infra, n ° 12.170) ;
et la Convention de 1996 (voy. supra, n° 12.170) déclare ne pas l'affecter, sans exclure qu'elle puisse
contribuer à obtenir le retour mieux que ne le fait la Convention de 1980 (art. 50).

12.167 - La Convention de Luxembourg du 20 mai 1980 sur le droit de garde - Même


si le mécanisme qu'elle établir relève essentiellement de la technique de la reconnaissance
de décisions étrangères (voy. supra, n ° 12.163), la Convention de Luxembourg a pour
objectif premier d'assurer le retour de l'enfant déplacé « sans droit». Ce retour devrait
être «immédiat», avec l'aide de l'autorité centrale de l'État vers lequel l'enfant a été
déplacé.
Cette restitution est inconditionnelle lorsqu'elle est demandée dans un délai de six
mois, si l'enfant résidait habituellement dans l'État d'origine et avait, ainsi que ses
parents, pour seule nationalité celle de cet État, au moment où la décision relative à
l'autorité parentale a été rendue ou au moment du déplacement (art. 8).
1111L'évolution du droit de la nationalité risque cependant de rendre lettre morte ce mécanisme, dès
lors que le mariage n'a plus d'effet sur la nationalité de la femme et que l'enfant acquiert la natio-
nalité de chacun de ses auteurs.
Ainsi, en cas de déplacement sans droit d'un enfant en Allemagne, lorsque la garde a été attri-
1111

buée en Belgique au père belge alors que l'enfant belge résidait en Belgique mais que la mère est
Allemande, l'une des conditions précitées fait défaut.
638 LA PERSONNE ET LES RAPPORTS DE FAMILLE

Lorsque ces conditions font défaut et que le retour est demandé dans un délai de six
mois, il y a lieu de demander la reconnaissance ou l'exécution de la décision à l'étranger.
Les motifs de refus opposables sont cependant limités, selon une liste variable en fonc-
tion des circonstances.
En comparaison avec la Convention de La Haye, la Convention de Luxembourg a
pour inconvénients de présupposer une décision sur la garde dans le pays de résidence
avant le déplacement, et de permettre le non-retour dès que l'enfant possède, parmi ses
nationalités, celle de l'État vers lequel il a été déplacé.
1111Ainsi, dans le cas énoncé ci-dessus d'un enfant enlevé en Belgique par sa mère allemande alors
que la garde a été attribuée à son père belge par une décision belge, et à sa mère par une décision
allemande, la Convention de La Haye conduirait, à la différence de la Convention de Luxembourg,
à une restitution immédiate indépendamment de la validité de la décision belge.
1111En revanche, la Convention de Luxembourg assure mieux l'effectivité de la décision sur la garde,
lorsque l'enfant a été déplacé vers un pays dont il n'a pas la nationalité, lorsque la demande de res-
titution intervient dans un délai de moins de six mois, car elle n'autorise pas le refus de retour pour
le motif tiré de la mise en danger de l'enfant.

12.168 - Le règlement « Bruxelles IIbis » - À l'occasion de l'adoption d'actes concer-


nant la compétence internationale en matière de responsabilité parentale, l'Union euro-
péenne n'a pas pu omettre toute référence à la problématique du rapt parental. Les
règlements « Bruxelles II» et « Bruxelles IIbis » tendent, l'un et l'autre, à neutraliser le
déplacement illicite, en tenant pour inopposable un changement de résidence lié au
déplacement.
Ill À cette fin, le règlement « Bruxelles II » se contente de renvoyer à la Convention de La Haye de
1980 (art. 4), commandant au juge saisi d'exercer sa compétence en conformité avec celle-ci,
notamment en s'abstenant de statuer sur le fond du droit de garde aux conditions que prévoit
l'art. 16 de la Convention.
Le règlement « Bruxelles Ubis » couvre le rapt parental au moyen de deux types de
dispositions, concernant respectivement l'incidence sur la compétence internationale et
le retour de l'enfant.
Sous l'angle de la compétence internationale, le déplacement« illicite» n'affecte pas
le pouvoir des juridictions de l'État de la résidence habituelle de l'enfant avant le déplace-
ment (art. 10). Celles-ci ne perdent leur compétence qu'après que l'enfant « a acquis une
résidence habituelle dans un autre État membre», mais sous la condition de l'acquiesce-
ment du titulaire du droit de garde ou, à défaut, de l'écoulement d'une période d'au
moins un an.
L'écoulement d'une période d'un an n'est cependant pertinent que si plusieurs conditions
Ill
cumulatives sont remplies :
- une intégration de l'enfant dans son nouvel environnement;
- l'absence d'objection au non-retour, soit par l'absence ou le retrait d'une demande de retour,
soit par une décision de l'État d'origine clôturant une procédure de retour ou prise sur la garde
sans impliquer un retour.
IllL'illicéité se définit selon des termes (art. 2, 11 °) repris de la Convention de La Haye.
Une précision est donnée sur la notion d'exercice conjoint du droit de garde: elle suppose que l'un
des titulaires de la responsabilité parentale ne peut décider du lieu de résidence de l'enfant sans le
consentement de l'autre titulaire.
Lorsqu'une demande de retour a été introduite en vertu de la Convention de La
Haye, le règlement complète les dispositions auxquelles celle-ci soumet le refus de retour,
L'INCAPACITÉ ET LA PROTECTION DES INCAPABLES 639

tantôt en formulant différemment certains termes, tantôt en restreignant les motifs de


refus.
IllLe droit de l'enfant d'être entendu, en fonction de âge et de son degré de maturité (2 °), est rap-
pelé.
Ill La nécessité d'une procédure rapide est rappelée, avec la précision qu'elle vise les procédures
« les plus rapides prévues par le droit national » et que la décision doit être rendue dans un délai de
six semaines à compter de la saisine, sauf circonstances exceptionnelles (3°).
IllLe retour doit être accepté si « des dispositions adéquates ont été prises pour assurer la protec-
tion de l'enfant dès son retour» (4°).
Cette précision explicite la pratique des« engagements » (« undertakings »), certaines jurisprudences
nationales posant des « safe harbour orders » dans le cadre de l'application de la Convention de La
Haye (voy. M. FALLON et O. LHOEST, précités n ° 12.149, 34, note 102)
Ill L'obligation d'entendre le demandeur au retour avant de refuser celui-ci est énoncée (5 °).
Ill En cas de refus de retour, le juge doit transmettre une copie de sa décision, directement ou par
l'intermédiaire de son autorité centrale, à la juridiction compétente ou à l'autorité centrale de l'État
de la résidence de l'enfant avant le déplacement, de manière à ce que la réception ait lieu dans un
délai d'un mois à compter de cette décision (6°).
La portée de la décision sur le retour, prise dans l'État vers lequel l'enfant a été
déplacé, fait encore l'objet de deux précisions, relatives à une saisine des juridictions de
l'État de la résidence.
D'abord, le règlement vise à enclencher une décision sur la garde dans l'État de rési-
dence (art. 11, 7°). Après que le juge qui a rendu la décision l'a notifiée aux autorités com-
pétentes de l'État de résidence, celles-ci la notifient à leur tour aux parties pour les inviter
« à présenter des observations à la juridiction [afin que celle-ci] examine la question de la
garde de l'enfant». Ces« observations doivent être présentées « conformément au droit
national», dans un délai de trois mois. Passé ce délai, cette juridiction« clôt l'affaire».
Ensuite, la décision de non-retour ne fait aucunement obstacle à la reconnaissance,
dans le pays où cette décision a été rendue, d'une décision ultérieure ordonnant le retour,
rendue par une juridiction compétente en vertu du règlement (art. 12, 8°).
Plus généralement, toute décision ordonnant le retour jouit de la force exécutoire de
plein droit, aux conditions que prévoit l'article 42.

§3 LES MESURES DE PROTECTION DE L'INCAPABLE

A. Présentation
12.169 - Objet des mesures de protection - L'administration de la personne et des
biens des incapables, singulièrement des mineurs, peut donner lieu, le plus souvent dans
l'État de résidence de l'incapable, à des mesures spéciales de protection prises par des
autorités administratives ou judiciaires. Certaines de ces mesures relèvent nettement du
droit civil, telles la tutelle ou la minorité prolongée. D'autres ont un caractère adminis-
tratif prononcé, telle une mesure de placement, ou constituent la sanction d'un compor-
tement susceptible de nuire à l'éducation ou à la santé de l'incapable, par exemple la
mesure de déchéance de l'autorité parentale.
Ill En Belgique, on trouve de telles mesures, relativement aux mineurs, dans la loi du 8 avril 1965
relative à la protection de la jeunesse, dans les décrets du Conseil flamand relatifs à l'assistance spé-
ciale à la jeunesse, coordonnés le 4 avril 1990 (Monit., 8 mai 1990) ou dans le décret du Conseil de la
640 LA PERSONNE IT LES RAPPORTS DE FAMILLE

Communauté française du 4 mars 1991 relatif à l'aide à la jeunesse (Monit., 12 juin 1991), et, relati-
vement aux malades mentaux, dans les lois du 26 juin 1990 (Monit., 27 juillet 1990) et du 18 juillet
1991 (Monit., 26 juillet 1991).
Ill De plus, l'article 479 de la loi-programme(!) du 24 décembre 2002 (Monit., 31 décembre 2002)
organise un régime de tutelle du mineur étranger non accompagné (MENA).
Ces dispositions évoquent encore le cas du mineur non accompagné par une personne exerçant
l'autorité parentale ou la tutelle « en vertu de la loi nationale du mineur», alors que l'entrée en
vigueur du Code de droit international privé a entraîné un remplacement de principe de la loi de la
nationalité par la loi de la résidence. Cette anomalie a été corrigée par la loi-programme du
31 décembre 2004 (Monit., 31 décembre 2004), qui se contente correctement d'une règle de signali-
sation renvoyant à « la loi applicable conformément à l'article 35 de la loi du 16 juillet 2004 »
(arc. 265 et 269).

Par leur objet, ces mesures peuvent affecter l'exercice de l'autorité parentale. Par leur
nature même, elle ne sont pas toujours dissociables d'une décision relative à l'attribution
d'un droit d'hébergement. Lorsqu'à l'occasion du divorce, il y a lieu de se prononcer sur
l'administration de la personne d'un mineur, la loi applicable à cette question peut, selon
les cas, tantôt prévoir un mode d'attribution du droit d'hébergement, tantôt organiser la
tutelle de l'incapable.
Cette observation conduit à la nécessité de soumettre au même rattachement de
principe l'exercice de l'autorité parentale et les mesures prises plus largement pour assu-
rer la protection du mineur.
Dans les pays qui consacrent l'application de la loi nationale au statut personnel, un
tel rattachement peut être inapproprié, parce qu'inefficace, à propos de certaines mesures
qui, par leur nature, appellent un critère territorial, comme la résidence habituelle de
l'incapable, voire sa simple présence, sur le territoire de l'État qui prend la mesure. Il y a
alors lieu de ventiler les catégories de rattachement, opération qui peut s'avérer délicate.
Ill À la différence du rattachement du statut personnel, le rattachement territorial présente un
caractère strictement unilatéral. Il peut être rapproché de la notion générale de loi de police ou de
loi d'application immédiate (voy. supra, n° 4.11).
1111La distinction entre la tutelle et des mesures d'éducation protectrice a fait l'objet de l'arrêt Boil
de la Cour internationale de justice (Affaire relative à la Convention de 1902 pour régler la tutelle des
mineurs, dite affaire Boil, Pays-Bas c. Suède, arrêt du 28 novembre 1958, Recueil (1958), 55. Sur cet
arrêt, voy. notamment: H. BATIFFOL et Ph. FRANCESCAKIS, « L'arrêt Boil de la Cour internationale de
justice et sa contribution à la théorie du droit international privé», Revue (1959), 259; F. RrGAUX,
Droit public et droit privé, §§ 72, 73, 77, 154.
À l'occasion d'un différend entre le gouvernement néerlandais et le gouvernement suédois au sujet
de l'interprétation de la Convention de La Haye du 12 juin 1902 sur la tutelle des mineurs, la Cour
a distingué des mesures traditionnelles de droit privé, protégeant le mineur à l'intérieur de sa
famille, celles qui souvent sont dirigées contre les personnes ne remplissant pas de manière satisfai-
sante leurs devoirs d'autorité parentale ou de tutelle. D'après la Cour, la Convention de 1902 ne
couvre que les mesures de la première catégorie; elle laisse intact le droit des États de prendre une
mesure de protection qui dépouille le tuteur de tout ou partie de ses prérogatives. De plus, la Cour
précise que ces dernières mesures ont un caractère territorial, c'est-à-dire que les autorités, tantôt
judiciaires, tantôt administratives, qui ont compétence pour les prendre, ne sauraient appliquer
d'autre loi que la leur.
La Cour paraît aussi supposer que la territorialité des mesures de protection de la jeunesse fait obs-
tacle à ce que pareilles mesures soient prises par une autorité publique à l'égard de ses ressortis-
sants se trouvant à l'étranger. Cette deuxième conséquence de la notion de territorialité doit être
jugée excessive: en soi, il n'y a pas d'obstacle à ce qu'un tribunal de la jeunesse belge puisse, quand
les circonstances l'exigent, déchoir de la puissance paternelle les auteurs d'un mineur belge qui
réside temporairement à l'étranger.
L'INCAPACITÉ ET LA PROTECTION DES INCAPABLES 641

Ill Pour un cas de concours entre la mesure de garde demandée au tribunal belge en vertu de
l'article 302 du Code civil et la mesure éducative prise par un magistrat de la jeunesse étranger,
voy.: Civ. Bruxelles Geun.), 21 avril 1969, ].T (1969), 442 et le commentaire, Rev. crit. ;ur. belge
(1970), 294-295.

12.170 - Instruments internationaux - Plusieurs catégories d'instruments internatio-


naux affectent le conflit de juridictions ou le conflit de lois relatif aux mesures de protec-
tion.
Quatre traités multilatéraux particuliers règlent, selon les cas, les questions de com-
pétence internationale, de loi applicable, d'efficacité internationale, tantôt d'une mesure
bien déterminée, tantôt de toute mesure de protection.
Ill La Convention de La Haye du 12 juin 1902 pour régler la tutelle des mineurs a été approuvée
par la Belgique (loi du 27 juin 1904, Pasin., 1904, 147). Sa portée pratique est réduite. En effet, elle
ne s'applique qu'aux mineurs qui, à la fois, résident dans un État contractant et - sauf pour les cas
d'urgence - sont ressortissants d'un tel État. Ces États sont: Allemagne, Autriche, Belgique, Espa-
gne, Italie, Grand-Duché de Luxembourg, Pologne, Roumanie.
La Convention devrait être dénoncée, même si l'entrée en vigueur du règlement « Bruxelles llbis »
n'affecte pas son objet. Par son contenu, basé sur le principe de l'application de la loi de la nationa-
lité, elle entre en contradiction avec les nouvelles règles du Code de droit international privé.
L'interprétation de cette Convention a donné lieu à un différend entre les Pays-Bas et la Suède,
dans l'affaire Boil (voy. le n ° précédent).
1!11D'autres instruments ne sont pas en vigueur en Belgique:
- Convention de La Haye du 5 octobre 1961 concernant la compétence des autorités et la loi
applicable en matière de protection des mineurs ;
- Convention de La Haye du 19 octobre 1996 concernant la compétence, la loi applicable, la
reconnaissance, l'exécution et la coopération en matière de responsabilité parentale et de mesu-
res de protection des enfants, qui vise à remplacer la Convention de 1961;
- Convention de La Haye du 13 janvier 2000 sur la protection internationale des adultes.
D'autres traités portent spécifiquement sur le rapatriement de mineurs qui ont
quitté le domicile familial.
Ill Sont en vigueur en Belgique:
- Arrangement conclu entre la Belgique et les Pays-Bas en vue du rapatriement des mineurs qui se
sont soustraits à l'autorité paternelle ou tutélaire, conclu par échange de lettres le 21 juillet
1913 (Monit., 12-13 janvier 1914, Pasin., 1913, n ° 597, Monit., 2 avril 1933);
- Arrangement conclu entre la Belgique et la France en vue du rapatriement des mineurs qui se
sont soustraits à l'autorité paternelle ou tutélaire, conclu à Bruxelles le 17 juillet 1925 (Monit.,
12 août 1925, Pasin., 1925, n ° 242);
- Arrangement entre la Belgique et le Grand-Duché de Luxembourg en vue du rapatriement des
enfants mineurs qui se sont soustraits à l'autorité paternelle ou tutélaire, conclu par échange de
lettres datées du 31 mai 1933 (Monit., 12 juillet 1933, Pasin., 1933, n ° 213) ;
- Arrangement conclu entre la Belgique et l'Italie en vue du rapatriement des enfants mineurs qui
se sont soustraits à l'autorité paternelle ou tutélaire, fait à Rome, le 7 février 1934 (Monit.,
1er mars 1934, Pasin., 1934, 46, Monit., 15 mai 1949);
- Convention européenne d'assistance sociale et médicale, signée à Paris le 11 décembre 1953 (loi
du 4 juillet 1956, Monit., 29 mars 1957, Pasin., 1957, 163), art. 10.
Ill Voy. aussi la Convention européenne sur le rapatriement des mineurs, faite à La Haye le 28 mai
1970. Cette Convention a été signée, mais n'est pas ratifiée par la Belgique.
Certains traités de caractère général comportent des dispositions pouvant intéresser
la protection des mineurs, en matière de compétence ou de coopération.
1!11 Conventions relatives à la compétence:
642 LA PERSONNE IT LES RAPPORTS DE FAMILLE

- En matière de tutelle, la Convention franco-belge du 8 juillet 1899 (voy. supra, n ° 8.32) contient
un chef de compétence directe (art. 6).
- En matière consulaire, il y a lieu de consulter, outre la Convention de Vienne du 24 avril 1963
(arc. 5, h), les conventions bilatérales (voy. supra, n ° 8.35).
Voy. sur ces conventions: M. VERWILGHEN et H. VAN HourrE, « Conflits d'autorités ... », précités
n° 12.149, 402. Voy. par ex. la Convention conclue avec la Bulgarie le 28 novembre 1978 (loi du
18 avril 1980, Moniteur, 6 mars 1981), art. 50.

Ill Coopération entre autorités :


- Conventions de Luxembourg du 20 mai 1980 et de La Haye du 25 octobre 1980, au sujet du
déplacement d'enfants en violation d'un droit de garde (voy. supra, n°s 12.166 et s.).

12.171 - Les mesures de protection selon le droit commun - Le Code de droit interna-
tional privé tend à établir une unicité de la catégorie de rattachement, en soumettant au
même rattachement territorial les questions relatives à l'autorité parentale - sa détermi-
nation et son exercice - d'une part, et les diverses mesures de protection, de nature civile
ou administrative, d'autre part. De plus, il établit à la fois des règles de compétence inter-
nationale et des règles de conflit de lois particulières, tout en s'en remettant, pour l'effica-
cité des jugements, au régime général de la reconnaissance de plein droit.
IllCe faisant, il s'aligne sur la tendance exprimée par la Convention de La Haye du 19 octobre 1996
concernant la compétence, la loi applicable, la reconnaissance, l'exécution et la coopération « en
matière de responsabilité parentale et de mesures de protection des enfants ».

La définition de la catégorie est large. Les dispositions pertinentes (art. 33 et 35)


visent « la tutelle, la détermination de l'incapacité d'un adulte ou la protection de la per-
sonne ou des biens d'un incapable». Alors que le texte ne précise pas les éléments de cette
définition, l'exposé des motifs de la proposition de loi indique une inspiration des
notions utilisées par la Convention de La Haye du 19 octobre 1996. Il inclut« la tutelle et
la curatelle, l'attribution de fonctions de gestion ou de représentation à un organisme, le
placement dans une famille d'accueil, notamment dans le cas de la "kafalah", l'admi-
nistration des biens de la personne, ou encore une mesure de déchéance de l'autorité
parentale» (Doc. par!., Sénat, 2003-2004, n ° 3-27/1, 64), ainsi que l'émancipation (ibid.,
65), la question de la représentation et les formes habilitantes (ibid., 66). En somme, la
notion affecte l'étendue de l'incapacité, à la seule exception de ses causes (ibid., 65). La
protection concerne autant l'enfant que l'adulte (ibid., 65) mais, pour ce dernier, elle vise
aussi la détermination de l'incapacité. En revanche, elle ne couvre pas les mesures « qui
relèvent de la protection sociale ou résultent d'un comportement dangereux de la per-
sonne à protéger» (ibid., 64).
Ill Le Code comprend dans la même catégorie les mineurs comme les majeurs, alors que la Con-
vention de La Haye de 1996 ne concerne que les enfants. Elle est suivie de la Convention du
13 janvier 2000 sur la protection internationale des adultes, non ratifiée par la Belgique.

B. Compétence internationale
12.172 - Compétence internationale selon le droit conventionnel - Les Conventions
de La Haye de 1961, de 1996 et de 2000 ont pour objectif premier de déterminer la com-
pétence internationale des autorités et juridictions appelées à prendre des mesures de
protection de l'incapable. La compétence emporte normalement la désignation de la loi
du for.
L'INCAPACITÉ ET LA PROTECTION DES INCAPABLES 643

1111La Convention de La Haye de 1902 ne prévoit de règle de compétence explicite que de manière
marginale, tantôt pour prévoir l'intervention d'un agent diplomatique ou consulaire, tantôt pour
l'adoption de mesures d'urgence. Les termes imprécis de ses articles 2 et 3 peuvent toutefois se
comprendre aussi comme englobant une règle de compétence. Voy. en ce sens: J.P. Asse, 2 mars
1999, Tijds. Not. (2000), 53, note C. DE BuSSCHERE.
Ill La Convention franco-belge de 1899 attribue une compétence exclusive au« juge du lieu où la
tutelle s'est ouverte» (art. 6).
1111Le règlement « Bruxelles !Ibis» porte uniquement sur la responsabilité parentale. Toutefois, il
envisage le cas particulier où le juge saisi « envisage le placement de l'enfant dans un établissement
ou dans une famille d'accueil » (art. 56) : lorsque le placement doit être fait dans un autre État
membre, il ne peut être ordonné qu'après approbation des autorités compétentes de cet État, si le
droit de celui-ci prévoit l'intervention d'une autorité en cas de placement.

Pour la protection des mineurs, le contenu de ces règles de compétence est identique
à celui qui affecte les mesures relatives à l'autorité parentale. Il suffit donc d'y renvoyer
(voy. supra, n° 5 12.154 et s.). Ces règles tendent à concentrer la compétence dans le pays de
la résidence habituelle de l'incapable.
Pour la protection des adultes, la Convention de 2000 consacre aussi le critère de la
résidence habituelle de l'incapable (art. 5), non sans laisser un pouvoir d'initiative aux
autorités de l'État de la nationalité, à moins que les autorités de l'État de résidence ne s'y
opposent (art. 7). Elle permet à ces dernières de requérir l'intervention des autorités
d'autres États (art. 8), de manière analogue à ce que prévoit la Convention de 1996 pour
les enfants.
1111Le conflit mobile se résout par une compétence immédiate des autorités de la nouvelle résidence
(art. 7, § 2).
IllLa Convention consacre encore le for de la situation de biens à administrer (art. 9), un for subsi-
diaire en cas d'urgence (art. 10), un for d'exception basé sur la présence de l'incapable, pour l'adop-
tion de mesures« ayant un caractère temporaire» (art. 11).

12.173 - Compétence internationale selon le droit commun - Les règles de compé-


tence internationale en matière de mesures de protection sont celles qui affectent aussi la
détermination de l'autorité parentale (art. 33).
Ces règles (voy. supra, n ° 12.157) permettent pratiquement d'agir en Belgique à pro-
pos d'un Belge, ou d'un étranger résidant en Belgique, ou, en cas d'urgence, de toute
autre personne se trouvant en Belgique, ainsi qu'à propos de biens situés en Belgique.
IllVoy., en faveur du critère de résidence, pour l'adoption d'une mesure de déchéance de l'autorité
parentale intéressant un Français résidant en Belgique, à l'égard de parents français résidant en
France: Liège, 30 juin 1983, Rev. trim. dr. fam. (1986), 116, alors que la Convention franco-belge de
1899 aurait dû être considérée.
Voy., à propos de la compétence pour autoriser la vente d'un immeuble appartenant à un
1111

mineur étranger alors que la succession s'est ouverte en France et que les parties y sont domiciliées :
J.P. Mouscron, 8 avril 2002, Rev. not. belge (2002), 621, noteJ.-L. VAN BoxsTAEL.

Ces dispositions règlent la compétence internationale. La détermination de la com-


pétence interne découle d'autres dispositions, incluses dans le Code civil ou dans des lois
particulières. Celles-ci ne sont applicables qu'après que la compétence internationale des
juridictions belges a été vérifiée.
Pour la tutelle, l'article 390 du Code civil prévoit qu'elle est organisée normalement par le juge
1111

de paix du domicile du mineur, au sens de l'art. 36 C. jud.


644 LA PERSONNE IT LES RAPPORTS DE FAMILLE

1111Pour d'aurres mesures de protection, l'article 44 de la loi du 8 avril 1965 relative à la protection
de la jeunesse, tel que modifié par la loi 2 février 1994 (Monit., 17 septembre 1994), établit des critè-
res en cascade, urilisant la résidence du parent ou du tuteur titulaire du droit de garde si elle se
situe en Belgique, à défaut le lieu où le jeune est trouvé ou hébergé.

La compétence d'attribution est déterminée par le droit belge, quel que soit le lieu de
résidence ou la nationalité de la personne intéressée. Toutefois, une adaptation des règles
applicables peut être requise. En effet, lorsque le droit étranger applicable au fond pré-
voit l'intervention d'une autorité judiciaire inexistante en Belgique, comme le juge des
tutelles, il y a lieu normalement de respecter la compétence d'attribution fixée par le droit
belge.
Voy. par ex. : J.P. Liège, 4 mai 1983,].J.P. ( 1983), 225, note J.-P. MACQUET et R. LEDENT, à propos
1111

de la réunion du conseil de famille.

1111 En cas d'impossibilité de convoquer le conseil de famille, la question s'est posée de savoir si le
juge de paix pouvait se substituer à ce conseil CT.P. St-Gilles, 25 mars 1986,].].P., 1987, 165, note A.
VAN MENSEL; 28 juillet 1989,J.].P., 1990, 114) ou si, plutôt, la compétence du tribunal civil s'impo-
sait au titre de sa plénitude de juridiction (Civ. Bruxelles, 11 avril 1987, Pas., 1987, III, 76, à propos
d'un mineur marocain).

Pour l'intervention du juge de paix à propos de l'administration provisoire des biens d'un
1111

majeur alors que le droit étranger applicable désigne le juge des tutelles, voy. : Civ. Bruxelles,
21 février 1995,].T. (1995), 387. De même, à propos de la vente d'un immeuble appartenant à un
mineur français: Civ. Bruxelles, 28 février 2001,J. T. (2001), 550, note H. BoULARBAH.

Le principe Auctor regit actum entraîne la soumission à la loi belge du mode de fonc-
tionnement de l'autorité tutélaire (étendue et articulation des divers pouvoirs, contrôle
exercé sur les organes de la tutelle par une autorité administrative ou judiciaire). En
revanche, les habilitations spéciales ou les formalités requises pour l'accomplissement
d'un acte juridique déterminé relèvent de la loi qui régit l'incapacité mais, depuis l'entrée
en vigueur du Code de droit international privé, cette loi coïncidera le plus souvent avec
la loi du for.
Par exemple, si le tuteur est amené à accomplir un acte en Belgique, l'habilitation éventuelle-
1111

ment prévue par le droit belge n'est pas requise si elle ne l'est pas par la loi étrangère qui régit la
tutelle (Cass., 16 juillet 1906, Neerinckx, Pas., 1906, I, 349).

12.174 - Compétence internationale en des matières particulières - Certaines mesures


de protection instituées par le législateur appellent, par leur nature, une règle de compé-
tence internationale particulière. Établies dans des situations d'urgence, elles concernent
toute personne se trouvant sur le territoire.
La tutelle administrative conférée aux centres publics d'aide sociale par les
articles 63 à 68 de la loi du 8 juillet 1976 organique des centres publics d'aide sociale
s'exerce à l'égard des enfants, belges ou étrangers, recueillis par un tel centre.
Voy. en ce sens, à propos de l'ancienne législation (arc. 78 de la loi du 10 mars 1925),
1111

implicitement: Civ. Charleroi, 27 juin 1958, Rev. dr.fam. (1958), 346.

De même, le régime de tutelle instauré pour le mineur étranger non accompagné


(MENA) par l'article 479 de la loi-programme (I) du 24 décembre 2002 (Monit.,
31 décembre 2002) concerne, en raison de son but manifeste, tout mineur pendant la
durée de son séjour en Belgique.
L'INCAPACITÉ IT LA PROTECTION DES INCAPABLES 645

C. Droit applicable
12.17 5 - Référence de principe à la loi de la résidence - L'entrée en vigueur du Code de
droit international privé signifie un changement de la règle de rattachement affectant la
protection de l'incapable: écartant le principe du rattachement en fonction de la natio-
nalité - auparavant basé sur l'article 3, aliné 3, du Code civil-, le législateur soumet la
matière à la loi de la résidence habituelle de l'incapable (art. 35, § 1er), comme il le fait
aussi pour l'autorité parentale (voy. supra, § 2).
Dans la jurisprudence antérieure à l'entrée en vigueur du Code, voy., pour une référence à la loi
1!111

de la nationalité: Civ. Bruxelles, 6 septembre 1989,J. T. (1990), 260, pour la rutelle d'un Chilien.
Voy. aussi, pour l'application de la loi nationale :
- au statur de minorité prolongée: Civ. Bruxelles, 10 décembre 1993, Pas. (1993), III, 55; 25 juin
1997, Rev. trim. dr. Jam. (1998), 38, mais au motif de l'expression d'une volonté des parties en
conservant leur nationalité d'origine. Contra, en faveur de la loi de résidence : Civ. Liège, 6 mars
1998, Rev. trim. dr. Jam. (2000), 230, note M. FALLON, au nom d'un objectif d'intégration.
- pour l'administration provisoire des biens d'un majeur: Civ. Bruxelles, 21 février 1995, J. T.
(1995), 387, mais évoquant un rattachements alternatif en cascade, au bénéfice de la loi belge si
elle est plus favorable ;J.P. Louvain, 5 juillet 1999, R W. (1999-2000), 856.

Le conflit mobile se résout par une actualisation du facteur de rattachement: la rési-


dence est celle possédée« au moment des faits donnant lieu[ ... ] à l'ouverture de la tutelle
ou à l'adoption de mesures de protection».
L'objectif poursuivi est celui d'une protection adéquate de l'incapable. Il s'exprime
par l'utilisation d'une technique de rattachement alternatif en cascade. Cette technique
se retrouve aussi dans les instruments internationaux en la matière.
1111Outre la Convention de La Haye de 1902 précitée, la Convention de La Haye de 1996 prévoit, si
la protection« le requiert», l'application de la loi du pays avec lequel la siruation a les liens les plus
étroits (art. 15, § 2), ce qui n'exclut pas un rattachement en fonction de la nationalité. Il en va de
même de la Convention de 2000, en ce qui concerne les adultes.
La Convention de La Haye de 1961 revient à un résultat analogue puisque, malgré la compétence
de principe des autorités et de la loi du pays de résidence, les aurorités de la nationalité peuvent
prendre les mesures qu'exige l'intérêt du mineur (art. 4). L'agencement des compétences des autori-
tés et des lois des différents États n'est cependant pas établi clairement.

Trois types de dérogation affectent le principe de résidence, tantôt en raison de


l'objectif de protection, tantôt en raison de l'application d'un instrument international,
tantôt en raison de la nature des dispositions en cause.
D'abord, le facteur de la nationalité agit de manière subsidiaire, si le droit de la rési-
dence« ne permet pas d'assurer la protection que requièrent la personne ou ses biens»
(§ 2). Plus subsidiairement encore, le droit belge est appliqué s'il « s'avère impossible,
matériellement ou juridiquement, de prendre les mesures prévues par le droit étranger
applicable » (§ 3).
Ensuite, le facteur de la nationalité constitue le rattachement de principe dans le
cadre de la Convention de La Haye de 1902, en matière de tutelle. Toutefois, l'application
de cet instrument est limitée au cas où le mineur est ressortissant d'un État contractant
et réside dans un tel État.
La Convention de ·1902 admet l'application subsidiaire de la loi de résidence, si la tutelle ne peut
1111

pas être constituée conformément à la loi de la nationalité (art. 3).


646 LA PERSONNE ET LES RAPPORTS DE FAMILLE

La loi italienne du 31 mai 1995 sur le droit international privé maintient le rattachement à la loi
111!
de la nationalité pour la protection des majeurs (art. 43) tour en transposant au droit commun les
règles de la Convention de La Haye de 1961 en ce qui concerne les enfants (art. 42).
En Allemagne, l'art. 24 EGBGB maintient également le rattachement de principe à la loi de la
nationalité, en ce qui concerne la tutelle et la curatelle.
En Suisse, la loi du 18 décembre 1987 sur le droit international privé transpose également la Con-
vention de La Haye de 1961 (art. 85), tout en l'étendant aux majeurs, et en prévoyant un for de
nécessité - et donc l'application de la loi suisse.
Enfin, la seule présence de l'incapable sur le territoire belge peut justifier l'application
d'une règle de protection, en raison de la nature de la réglementation en cause. Cela paraît
être le cas de la loi organique de la tutelle des mineurs étrangers non accompagnés (MENA).
Voy. déjà en ce sens auparavant, pour la tutelle des centres publics d'aide sociale, sur la base
1111

d'une qualification de « loi de police» au sens de l'article 3 du Code civil: Civ. Charleroi, 27 juin
1958, Rev. dr.fam. (1958), 346.
1!11La loi précitée peut être vue comme une illustration d'une réglementation d'ordre public assor-
tie d'une règle spéciale d'applicabilité implicite au sens de l'article 20 du Code de droit internatio-
nal privé (sur cette notion, voy. supra, chap. 4).

12.176 - Domaine de la loi de protection; rattachement des habilitations - La catégo-


rie de ce qu'il est convenu d'appeler les mesures de protection couvre l'ensemble des ques-
tions régissant l'étendue de l'incapacité, à côté des dispositions relatives à l'attribution
ou à l'exercice de l'autorité parentale.
La détermination de questions préalables d'état échappe à la loi de protection, pour
relever de la loi qui régit la relation d'état.
Ainsi, la détermination de l'état de minorité relève de la loi nationale de l'intéressé: Bruxelles,
1!11
23 mai 1989,].L.M.B. (1989), 1475.
La détermination des habilitations dont l'incapable a besoin pour passer un acte
appelle, comme la question de la représentation, une réponse nuancée. Elle relève normale-
ment de la loi de protection, à moins d'un rattachement à la loi qui régit l'acte, soit en vertu
d'une règle spéciale, soit parce que la question est inhérente à la validité même de l'acte.
111Ainsi, la détermination des consentements requis pour pouvoir contracter mariage relève tradi-
tionnellement de la loi qui régit les conditions de fond du mariage.
1!11 Des règles particulières affectent le consentement de l'enfant en matière de filiation (art. 62,
§ l'r, Codip, voy. supra, n ° 12.116) ou en matière d'adoption (art. 68 Codip, voy. supra, n ° 12.123).
La passation d'un acte relatif à un droit réel immobilier peut requérir une habili-
tation spéciale, comme le prévoient par exemple les articles 1186 et 1187 du Code
judiciaire, qui organisent l'intervention du juge de paix. Cette exigence relève du ratta-
chement général des habilitations, à savoir, normalement, de la loi de la résidence de
l'incapable. L'incidence de la loi de situation de l'immeuble peut toutefois constituer un
facteur de complication.
Ill Voy., dans le sens de l'application de la loi de protection, l'exposé des motifs de la proposition de
loi portant le Code de droit international privé (Doc. pari., Sénat, 2003-2004, n ° 3-27/1, 66).
Comp. implicitement en ce sens la Convention de La Haye de 1996, qui inclut dans son objet les
mesures de protection portant sur« la disposition des biens de l'enfant» (art. 3, g).
Dans la jurisprudence, voy. notamment - alors au bénéfice de la loi de la nationalité en vertu de
l'art. 3 C. civ.: Civ. Bruxelles, 26 février 1997, Rev. trim. dr. Jam. (1998), 36 (loi anglaise); J.P. Mous-
cron, 8 avril 2002, Rev. not. belge (2002), 621, note J.-L. VAN BoxsTAEL.
Ill Si la vente a lieu en Belgique où l'immeuble est situé mais que le mineur réside à l'étranger, il y a
lieu d'appliquer le régime d'autorisation de la loi étrangère, tout en respectant les compétences
LES OBLIGATIONS ALIMENTAIRES 647

d'attribution du droit belge au cas où le droit étranger prévoit l'intervention d'une autorité déter-
minée. Comp. en ce sens, à propos de l'autorisation en vue de la conclusion d'un emprunt hypothé-
caire pour l'achat d'un immeuble par un Marocain, l'application de la loi marocaine - à ce
moment, en vertu de l'art. 3 C. civ. - conduisant à demander le consentement du père d'une
femme mariée, Civ. Bruxelles, 11 avril 1987, Pas. (1987), III, 75.
En revanche, il n'y a normalement pas lieu d'étendre au mineur - même belge - résidant à l'étran-
ger les formalités par lesquelles le législateur belge protège les incapables, alors que la loi de la rési-
dence du mineur ne connaît pas les mêmes exigences.
Comp. en ce sens, mais avec une référence à la loi de la nationalité du mineur en vertu de l'art. 3 C.
civ.: Civ. Bruxelles, 2 février 1968, Pas. (1968), III, 64; motivation de Civ. Gand, 30 juin 1975, Rec.
gén. enr. (1976), 124; Civ. Bruxelles, 20 octobre 1982, Tijds. Not. (1983), 64, note C. DE BussCHERE;
Civ. Bruxelles, 30 septembre 1985,j.].P. (1986), 181, note G. ROMMEL. Ces décisions en sont pour-
tant venues à l'application des formalités prévues en Belgique, par voie d'interprétation ou en
l'absence de preuve du contenu du droit étranger. Comp.: Civ. Bruxelles, 28 février 2001, J. T.
(2001), 550, note H. BouLARBAH, appliquant la loi française à un Belge-français pour le motif que la
tutelle avait déjà été constituée conformément au droit français.
1111Si le droit belge régit l'incapacité, par exemple parce que le mineur réside en Belgique, mais que
l'immeuble est à l'étranger, l'autorisation de procéder à la vente doit normalement être requise en
vertu de l'article 1186 C. jud. L'autorisation doit pouvoir être demandée à l'étranger, en s'adressant
à l'autorité compétente selon le droit étranger. Elle doit aussi pouvoir l'être en Belgique mais, dans
ce cas, le juge de paix doit pouvoir autoriser que la vente se fasse à l'étranger, le cas échéant en
ordonnant qu'elle ait lieu selon les formes locales pour la vente de biens de mineurs, dans la
mesure où le respect de cette forme usuelle peut avoir un effet positif sur la vente (Exposé des
motifs de la proposition de loi, Doc. pari., Sénat, 2003-2004, n ° 3-27/ 1, 66 ; comp. en ce sens, pour
la vente de meubles: Bruxelles, 19 octobre 1970, Ann. not., 1970, 421). Il ne faut pas exclure que
cette décision doive se soumettre aux conditions auxquelles le droit étranger soumet plus générale-
ment l'efficacité des décisions étrangères.
1111Si la vente a eu lieu à l'étranger alors que le mineur réside en Belgique, la vérification de la vali-
dité de l'acte de vente requiert normalement celle du respect des habilitations prévues par le droit
belge. Il y a cependant lieu d'être attentif à l'incidence du principe Auctor regzt actum, impliquant
que l'autorité étrangère ait agi conformément à l'agencement des compétences prévu par son pro-
pre droit. Ainsi, l'exigence d'une hypothèque légale pourrait difficilement s'imposer lorsque le
droit étranger du lieu de situation de l'immeuble empêche l'autorité étrangère d'y procéder (en ce
sens, voy.: J.-L. VAN BOXSTAEL, « Le patrimoine du mineur dans les relations internationales»,
L'enfant et les relations familiales internationales, Bruxelles, Bruylant, 2003, 271 ).
Lorsque la vente a eu lieu à l'étranger, l'application de la sanction de nullité en vertu de la loi de la
protection pourrait paraître excessive. Ce risque est plus limité si la sanction est rattachée à la loi
contractuelle, même en cas de violation d'une règle de protection (voy. infra, n ° 14.55). Encore con-
vient-il de mesurer la portée de l'art. 11 de la Convention de Rome du 19 juin 1980 (voy. infra,
n ° 14.60), qui protège le tiers qui s'est fié à la loi locale. Une disposition analogue figure dans la
Convention de La Haye de 1996 (art. 19), qui prévient la nullité d'un acte passé entre un tiers et la
personne qui a la qualité de représentant selon la loi du lieu de l'acte mais non selon la loi de pro-
tection (la loi de résidence de l'incapable).

Section 9
Les obligations alimentaires
12.177 - Bibliographie
Outre l'ouvrage collectif rassemblant des études de droit comparé, publié par le C.N.R.S., L'obliga-
tion alimentaire en droit international privé (t. rer, 1983, t. II, 1988), voy.: S. ALVAREZ GONZALEZ, Crisis
matrimoniales internacionales y prestaciones alimenticias entre conyuges (Madrid, Civitas, 1996); C. BARBÉ,
« Les clauses relatives aux aliments entre ex-époux», Rev. gén. dr. civ. (2002), 141-152; M. BILMANS,
648 LA PERSONNE ET LES RAPPORTS DE FAMILLE

« Les conflits de lois en matière d'obligations alimentaires envers les enfants et la Convention de La
Haye du 24 octobre 1956 »,].T. (1972), 129-132; C. BISCAREITI or RuFFIA, Le obbligazioni alimentari
nel diritto internazionale privato convenzionale (Padova, Cedam, 1989) ; W. DUNCAN, « The develop-
ment of the new Hague Convention on the international recovery of child support and other forms
of family maintenance», Family L.Q. (2004), 663-688; E. GROFFIER, Les pensions alimentaires à travers
les frontières (Bruxelles, Bruylant, 1980); F. HERZFELDER, Les obligations alimentaires en droit internatio-
nal privé conventionnel (Paris, LGDJ, 1985); E. GuLDIX et K. VAN CAUWELAERT, « De onderhoudsvor-
dering van het kind jegens zijn ouders in het Belgisch internationaal privaatrecht », R. W (1982-
1983), 257-290; A. HEYVAERT, « Onderhoudsgeld in het Belgisch internationaal privaatrecht »,
Onderhoudsgeld (Bruxelles, CED-Samson, 1978) ; P. LALIVE, « Sur la loi applicable à l'obligation ali-
mentaire et à la question préalable de filiation, selon la Convention de La Haye du 24 octobre
1956 », Ann. suisse dr. int. (1977), 377-390; M. LIÉNARD-LIGNY,« Le recouvrement des aliments», Rev.
dr. étr. (1998), 749-762; M. LOOYENS, « De toepasselijke wet op de echtscheidingsgevolgen anno
2005 », Echtscheidingsjournaal (2005), 113-115; D. LOZANO, « La determinacion de la ley applicable a
las obligaciones de alimentos en el Derecho internacional privado espanol », Rev. espan. der. int.
(1989), 433-486; D. MARTINY, « Maintenance obligations in the conflicts oflaws », Recueil des cours,
vol. 247 (1994-III), 131-290; E. MEZGER, « Vieux et nouveaux problèmes posés par l'application de
la Convention du 25 avril 1958 concernant la reconnaissance et l'exécution des décisions en
matière d'obligations alimentaires envers les enfants», D.S. (1977), ]., 686-688; Y. MERON,
« L'accommodation de la répudiation musulmane», Rev. int. dr. comp. (1995), 921-942; F. RIGAUX,
« Le statut des mineurs, l'autorité parentale et les obligations alimentaires en droit international
privé», T.P.R. (1982), 311-326; Io., « "Versorgungsausgleich" and Art. 12 EC: Discriminations
based on the nationality and German private international law », JPRax (2000), 287 et s. ; M. SAUTE-
RAUD-MARCENAC, « Le recouvrement des aliments à l'étranger: application des Conventions de New
York, La Haye, Bruxelles», Trav. Comité fr. d.i.p. (1986); E. SCOLES, « Choice oflaw in family property
transactions», Recueil des cours, vol. 209 (1988-II), 9-94; V. TATON, « Les obligations alimentaires
entre ex-époux», Relations familiales internationales (Bruxelles, Bruylant, 1993), 59-86;
M. VERWILGHEN, « Contribution à l'étude historique du droit international privé des obligations
alimentaires», Mélanges Vander Elst (Bruxelles, Nemesis, 1986), 863-883; N. WATIÉ, « Les consé-
quences juridiques du divorce en droit international privé», Rev. crit. ;ur. belge (1996), 12-36.

§1 CONFLITS D'AUTORITÉS ET DE JURIDICTIONS

A. Compétence internationale
12.178 - Compétence dans le contexte de l'Union européenne - Le règlement 44/2001
du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécu-
tion des décisions en matière civile et commerciale, dit « Bruxelles I », a repris en subs-
tance le contenu de la Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968 (voy. supra, n° 5 8.4
et 8.6).

Le règlement prévoit une règle de compétence particulière en matière d'obligations


alimentaires. Selon l'article 5, 2 °, la demande peut être portée, soit devant le tribunal du
domicile ou de la résidence habituelle du créancier d'aliments, soit, s'il s'agit d'une
demande accessoire à une action relative à l'état des personnes, devant le tribunal compé-
tent pour en connaître selon la loi du for, à moins que cette compétence repose unique-
ment sur la nationalité d'une des parties.
1111 Pour une application du critère de la prorogation de compétence du juge compétent pour con-
naître de la question d'état, voy.: Gand, 16 octobre 2003, RA.B.G. (2004), 483, note F. DE BocK, à
propos d'une procédure principale en divorce, la compétence interne s'appréciant alors sur la base
de l'art. 628 C. jud.
LES OBLIGATIONS ALIMENTAIRES 649

Cette disposition traduit un objectif de proximité (voy. supra, n ° 9.23) et, à ce titre,
privilégie le critère de la résidence du créancier. En même temps, elle tend à protéger la
partie faible à la relation (C.J.C.E., aff. C-295/95, 20 mars 1997, Farrell, Rec., 1997, 1-1683,
Revue, 1997, 594, note G. DRoz). Toutefois, la place de la disposition dans la structure du
règlement conduit à en donner une interprétation stricte, car le demandeur est égale-
ment en mesure d'agir dans le pays du domicile du défendeur, en vertu de l'article 2, et
celui-ci tend aussi à protéger le défendeur, partie faible à une action, notamment lorsqu'il
est débiteur d'aliments (C.J.C.E., aff. C-433/01, 15 janvier 2004, Blijdenstein, Revue, 2004,
465, note E. PATAUT).
L'applicabilité du règlement aux actions alimentaires est certaine. Elle résulte de la
présence même de l'article 5, 2 °. Et la circonstance que la demande soit accessoire à une
action d'état est indifférente (voy. supra, n ° 8.16).
Il! Sur l'application de l'article 5 malgré le caractère accessoire de la demande, voy. : Civ. Nivelles,
30 décembre 1994,].L.M.B. (1995), 1530.
La circonstance que le demandeur soit un organisme public est indifférente (voy. supra, n° 8.14).
Ill!
L'important est que son action ne relève pas, selon le droit national, d'un régime dérogatoire du
droit commun basé sur une prérogative de puissance publique (CJ.C.E., aff C-271/00,
14 novembre 2002, Gemeente Steenbergen, Rec., 2002, I-10489).

La définition de l'action alimentaire a donné lieu à quelques précisions.


Quant à son objet, elle vise à satisfaire aux besoins du créancier, en tenant compte de
ses ressources, étant indifférent qu'elle puisse se traduire par l'octroi d'un capital plutôt
que d'une rente (C.J.C.E., aff. C-220/95, 27 février 1997, van den Boogaard, Rec., 1997, 1-
1147, Tijds. Not., 1997, 364, note E. VAN HOVE, Revue, 1998, 466, note G. DRoz). Elle
s'étend à une demande de prestation compensatoire après divorce, concernant des
« obligations financières éventuelles entre ex-époux après le divorce, fixées à raison des
ressources et besoins réciproques» des parties (C.J.C.E., aff. 120/79, 6 mars 1980, De
Cave! II, Rec. 1980, 731, Revue, 1980, 614, note G. DRoz).
Dans le même sens, pour l'octroi d'une compensation pour la perte de droits à une pension
Ill!
résultant du fait que l'épouse, en arrêtant de travailler pour s'occuper de la famille, a subi une
réduction de sa pension, voy.: Bruxelles, 30 octobre 2001, Rev. Div. (2003), 42, noteJ.-L. VAN Boxs-
TAEL, évoquant la« prestation compensatoire» du droit français.

Quant aux parties à la cause, le demandeur qui se prétend créancier peut bénéficier
de ce chef de compétence: il n'est pas nécessaire qu'une décision antérieure l'ait reconnu
comme titulaire de droits (arrêt Farrell, précité). En revanche, le demandeur doit avoir au
moins cette prétention; il ne s'agit pas de toute partie invoquant les droits d'un créan-
cier, par exemple dans le cas d'une action récursoire d'un organisme public qui ne consti-
tue pas une partie faible au litige (arrêt Blijdenstein, précité).

12.179 - Compétence selon le droit commun - Le Code de droit international pnve


introduit des règles particulières de compétence internationale en matière d'obligations
alimentaires (art. 73).
La compétence des juridictions belges est rencontrée dans l'un des cas suivants :
le créancier réside habituellement en Belgique lors de la demande ;
les parties sont belges à ce moment;
le défendeur est domicilié en Belgique à ce moment (art. 5); ou
650 LA PERSONNE IT LES RAPPORTS DE FAMILLE

- la demande est accessoire à une action d'état pour laquelle les juridictions belges
sont compétentes (§ 2).
En outre, les règles générales de compétence internationale prévoient, notamment,
les conditions dans lesquelles une mesure conservatoire peut être demandée en Belgique,
telle une saisie-arrêt (voy. supra, n ° 9.54).

B. Efficacité des décisions et des actes publics étrangers


12.180 - Instruments internationaux - Plusieurs actes internationaux tendent à facili-
ter l'efficacité internationale des décisions.
Dans le contexte de l'Union européenne, les dispositions générales du règlement
« Bruxelles I » couvrent les décisions et les actes public portant sur des demandes alimen-
taires.
La Belgique est partie à deux traités multilatéraux, à savoir:
- la Convention de La Haye du 15 avril 1958 concernant la reconnaissance et l'exé-
cution des décisions en matière d'obligations alimentaires envers les enfants (loi du
11 août 1961, Pasin., 1961, 686);
1111 En outre, la Belgique a signé mais non ratifié la Convention de La Haye du 2 octobre 1973 sur la
reconnaissance et l'exécution des décisions relatives aux obligations alimentaires.
- la Convention de New York du 20 juin 1956 sur le recouvrement des aliments à
l'étranger (loi du 6 mai 1966, Pasin., 1966, 227).
Plusieurs conventions bilatérales ont été conclues en la matière, à savoir :
- la Convention entre le Royaume de Belgique et la République d'Autriche sur la
reconnaissance et l'exécution réciproques des décisions judiciaires et des actes authenti-
ques en matière d'obligations alimentaires, signée à Vienne le 25 octobre 1957 (loi du
22 avril 1960, Pasin., 1960, 440) ;
- la Convention entre le Royaume de Belgique et la République socialiste fédérative
de Yougoslavie sur la reconnaissance et l'exécution des décisions judiciaires en matière
d'obligations alimentaires, signée à Belgrade le 12 décembre 1973 (loi du 3 juin 1975,
Monit., 16 juillet 1976, Pasin., 1976, 1762);
- la Convention entre le Royaume de Belgique et la République socialiste de Rou-
manie sur la reconnaissance et l'exécution des décisions judiciaires en matière d'obliga-
tions alimentaires, signée à Bucarest le 30 octobre 1979 (loi du 23 mars 1983, Monit.,
20 décembre 1983).
12.181 - Efficacité dans le contexte de l'Union européenne - Le demandeur à l'exécu-
tion d'une obligation alimentaire dispose de plusieurs moyens pour obtenir l'effet
recherché dans l'Union européenne.
Lorsque la créance alimentaires est «incontestée», il peut invoquer la force exécu-
toire de plein droit, aux conditions établies par le règlement 805/2004 du 21 avril 2004
portant création d'un titre exécutoire européen pour les créances incontestées (voy. supra,
n° 10.14).
Dans les autres cas, le règlement « Bruxelles I », de même que la Convention de
Bruxelles, régit les conditions dans lesquelles peut être reconnue ou exécutée en Belgique
une décision rendue en matière d'aliments par un tribunal d'un autre État lié par l'ins-
LES OBLIGATIONS ALIMENTAIRES 651

trument. Il suffit donc de renvoyer aux dispositions générales pertinentes (voy. supra,
chap. 10).
Ill Pour un cas d'application de la Convention de Bruxelles à propos d'une décision française, voy.
Liège, 17 mai 1984,Jur. Liège (1984), 381.
Contra, curieusement (voy. supra, n° 8.15): Cass. 29 mars 2001, Rev. trim. dr.fam. (2001), 729, note
M. FALLON, pour le motif que la Convention de Bruxelles ne concerne pas les questions d'état.

1111 Sur la possibilité de refuser l'efficacité d'une décision alimentaire étrangère pour le motif qu'elle
est inconciliable avec une décision nationale de divorce, voy. C.J.C.E., aff 145/86, 4 février 1988,
Hoffmann c. Krieg, Rec. (1988), 645, Revue (1988), 598, note H. GAUDEMET-TALLON, Clunet (1988), 449,
note A. HUET.

Le règlement« Bruxelles I », comme la Convention, concerne aussi les actes authen-


tiques étrangers, en réglant les conditions auxquelles ils peuvent être « déclarés
exécutoires» dans l'État requis (art. 57, voy. supra, n ° 10.53). À la différence de la Conven-
tion, il y assimile une convention alimentaire conclue devant une autorité administrative
ou authentifiée par elle (§ 2).
1111 Pour l'application à l'efficacité d'un acte authentique allemand, voy. Civ. Bruxelles, 7 janvier
1987, Pas. (1988), III, 41; Anvers, 31 octobre 1990, Rev. gén. dr. civ. (1992), 405, note M. LIÉNARD-
LIGNY.
Contra, à propos d'une déclaration effectuée en Allemagne devant un greffier, ayant cette compé-
tence selon le droit allemand: Civ. Ypres, 29 octobre 1996, Rev. gén. dr. civ. (1997), 210, constatant
encore l'absence des pièces requises.

Ni la Convention ni le règlement ne dérogent à la Convention de La Haye du 15 avril


1958, qui appartient aux conventions« qui, dans des matières particulières, règlent[ ... ] la
reconnaissance et l'exécution des décisions» (règlement, art. 71).
1111 À la différence de la Convention (art. 57), le règlement n'étend cependant pas la dérogation aux
conventions auxquelles les États membres « seront» parties puisque, par son adoption, il permet
désormais à la Communauté de considérer que la conclusion d'accords futurs avec des pays tiers
relève de sa compétence exclusive.

12.182 - La Convention de La Haye du 15 avril 1958 - Comme tout instrument inter-


national relatif à l'efficacité des décisions, la Convention de La Haye du 15 avril 1958 vise
à améliorer la liberté de circulation des jugements.
La domaine matériel s'aligne sur celui de la Convention de La Haye du 24 octobre
1956 (art. 1er, voy. infra, n ° 12.190). Elle ne concerne donc que les aliments envers des
enfants. Elle ne porte pas sur les actes authentiques.
À propos d'un acte allemand, voy.: Anvers, 31 octobre 1990, Rev. gén. dr. civ. (1992), 405, note M.
Ill!
LIÉNARD-LIGNY.

Cinq motifs de refus, exclusifs de toute révision au fond, conditionnent la recon-


naissance comme la déclaration de la force exécutoire de la décision (art. 2). Parmi ces
conditions, la première concerne la compétence de l'autorité qui a statué, selon des règles
de compétence indirecte fixées dans l'article 3. Par comparaison avec le règlement
« Bruxelles I » comme avec le droit commun, la présence de telles règles de compétence
indirecte, qui freine la liberté de circulation des jugements, constitue un anachronisme.
L'exigence d'une condition procédurale pour obtenir l'effet recherché, n'est pas
explicite. La Convention se contente d'énoncer que« la procédure d'exequatur» est régie
par la loi de l'État requis (art. 6). Le concept général de reconnaissance de plein droit (voy.
supra, n° 10.15) donne à croire qu'elle est nécessaire à l'obtention de la force exécutoire,
652 LA PERSONNE IT LES RAPPORTS DE FAMILLE

alors que la demande de reconnaissance - peu réaliste dans le présent contexte mats
néanmoins visée par la Convention - y échappe.
1111Les États contractants ont indiqué au gouvernement des Pays-Bas les autorités compétentes
pour rendre des décisions en matière d'aliments et pour rendre exécutoires les décisions étrangères
(art. 13). Voy. le site de la Conférence de La Haye, www.hcch.net.

L'article 11 prévoit expressément la faculté pour le créancier de requérir l'exécution,


soit en vertu du droit interne de l'État requis, soit en vertu d'un autre traité international
qui y est applicable.
111Pour des applications de la Convention, voy. notamment: Cass., 24 octobre 1975, Pas. (1976), I,
251; Civ. Liège, 8 octobre 1976,]ur. Liège (1976-1977), 117; Civ. Bruxelles, 22 décembre 1976, R. W.
(1976-1977), 2606, note H. VAN HoUTTE; 18 novembre 1981, Rev. trim. dr.fam. (1982), 296.
111Plusieurs applications concernent des décisions allemandes et ont vérifié dans un sens libéral la
conformité de celles-ci avec l'ordre public alors que le droit allemand admet que la preuve de rap-
ports sexuels repose sur le serment de la mère. Voy. spéc. Cass., 25 octobre 1979, Pas. (1980), I, 262,
invoquant la jurisprudence Vigouroux relative au contrôle de l'application d'une loi étrangère (voy.
supra, chap. 7). Sur la preuve par prélèvement sanguin, voy. Civ. Termonde, 30 janvier 1986, R. W.
(1985-1986), 2910.
Sur ce thème, voy. J. ERAuw, « Duitse alimentatievorderingen en de openbare orde in België », R. W.
(1979-1980), 1729-1738.

Comme le règlement « Bruxelles I », la Convention n'exclut pas l'application


d'autres dispositions, nationales ou internationales, permettant d'améliorer la liberté de
circulation du jugement (art. 11). Concrètement, le demandeur à l'exécution aura le plus
souvent intérêt à invoquer le règlement ou le droit commun plutôt que la Convention.

12.183 - Efficacité selon le droit commun - À défaut de règles particulières concernant


l'efficacité des décisions et des actes authentiques étrangers en matière alimentaire, il y a
lieu de se référer aux dispositions générales (voy. supra, chap. 10).
Depuis l'entrée en vigueur du Code de droit international privé, une décision étran-
gère est, en toute matière, reconnue de plein droit en Belgique, sans révision au fond.
Cette extension aux matières patrimoniales bénéficie aux créances alimentaires.
IllSelon les règles antérieures, la reconnaissance de plein droit était limitée aux questions d'état, ce
qui soulevait la question de leur extension aux aliments, surtout lorsque la décision étrangère
affecte les unes et les autres. Le lien étroit qui unit l'attribution d'aliments à la relation de statut
personnel, incitait à une réponse affirmative.
Voy. en ce sens: Civ. Bruxelles, 10 septembre 1996, Rev. gén. dr. civ. (1998), 50, note P. WAUTELET,
admettant en outre la reconnaissance d'une décision exécutoire par provision.
Contra: Bruxelles, 8 novembre 1984,].T. (1985), 318.

Le motif de refus tiré de l'ordre public peut jouer un rôle important à l'occasion de
litiges entre ex-époux, notamment lorsque la décision étrangère relative à la dissolution
du mariage, rendue en vertu du droit islamique, n'a accordé aucun aliment à l'épouse, ou
des aliments réduits à un « don de consolation». Il faut toutefois se garder d'une posi-
tion radicale excluant par principe l'effet alimentaire. L'utilisation du moyen doit donner
lieu à une appréciation fonctionnelle (voy. supra, n ° 10.39). Parmi les facteurs qu'il faut
considérer en la matière, figurent le fait que l'acte de dissolution du mariage a été
reconnu, que le juge étranger a conféré au règlement un caractère définitif ou non, que la
demande d'aliments, si elle était introduite en Belgique indépendamment de l'autorité de
la chose jugée de la décision étrangère, serait régie par le droit belge, ou par le droit étran-
LES OBLIGATIONS ALIMENTAIRES 653

ger sans donner lieu à l'exception d'ordre public en raison de l'insuffisante intensité du
rattachement de la situation avec le système juridique belge.
IllSur la nécessité de prendre en compte les deux premiers facteurs, voy. la résolurion de l'Institut
de droit international sur « La loi applicable à certains effets d'un mariage dissous », Annuaire
(1986), vol. 61-II, 298, point 6, b etc.
Ill Dans la jurisprudence, voy.: J.P. Saint-Gilles, 5 mai 1988, ].].P. (1989), 122; J.P. Saint-Nicolas,
3 avril 1990,].J.P. (1990), 371 ;J.P. Marche-en-Famenne,].J.P. (2000), 242, rejetant la partie alimen-
taire d'un jugement turc après avoir insisté sur la localisation de la résidence du créancier et de la
dernière résidence conjugale en Belgique.
IllSur l'octroi d'aliments à la femme répudiée lorsque la décision homologuant l'acte de répudia-
tion a pu être reconnue en Belgique à l'exception de sa partie alimentaire, voy. supra, n° 5 12.95 et s.

La reconnaissance de la décision n'exclut pas nécessairement toute demande ulté-


rieure en modification de la créance alimentaire. L'admissibilité de la modification relève
du droit désigné en vertu de la règle de rattachement en la matière, mais elle présuppose
aussi que l'autorité préalablement accordée au jugement étranger ne s'y oppose pas, ce
qui pourrait être le cas en vertu du droit appliqué par le juge étranger.
IllSur l'admission d'une modification, voy.: J.P. Bruxelles, 28 janvier 1992,].J.P. (1992), 157, non
sans s'attacher à l'existence d'un accord des parties.

12.184 - Recouvrement d'aliments à l'étranger - Normalement, c'est au créancier qu'il


incombe d'agir en vue d'obtenir que la décision lui accordant des aliments puisse être
reconnue ou mise à exécution à l'étranger, dans le pays où le débiteur se trouve ou
possède des biens. La Convention de New York du 20 juin 1956 sur le recouvrement des
aliments à l'étranger (loi du 6 mai 1966, Monit., 30 juillet 1966) a mis en place un méca-
nisme d'assistance au recouvrement de la créance, qui complète d'autres instruments
visant à la reconnaissance des jugements.
La Convention de New York s'applique au cas où le créancier« se trouve sur le terri-
toire d'une des Parties contractantes » alors qu'il prétend avoir droit à des aliments de la
part d'un débiteur« qui est sous la juridiction d'une autre Partie contractante» (art. 1er,
1).
Le créancier adresse sa demande d'exécution à une autorité du pays où il se trouve,
appelée « Autorité expéditrice» (art. 2, 1). Celle-ci transmet un dossier dont l'article 3
détermine le contenu, à l'autorité du pays du débiteur que l'article 2, 2, dénomme
« Institution intermédiaire ».
Ill Le gouvernement belge a désigné le ministre de la Justice pour remplir à la fois les rôles <l'Auto-
rité expéditrice et <l'Institution intermédiaire-(voy. Pasin., 1966, 230).

L'Institution intermédiaire agit comme un représentant du créancier, dans les limi-


tes des pouvoirs que celui-ci a conférés (art. 6). Cela implique notamment intenter une
action alimentaire ou poursuivre l'exécution d'une décision déjà rendue.
D'après l'article 6, 3, de la Convention, la loi régissant les actions intentées par l'Ins-
titution intermédiaire ainsi que « toutes questions connexes est la loi de l'État du débi-
teur, notamment en matière de droit international privé».
Ill Il s'agit d'une règle de signalisation (voy. supra, n° 4.41). Non seulement la Convention ne se
prononce pas sur la loi applicable à l'obligation, mais elle ne contient aucune disposition relative à
la reconnaissance réciproque des décisions en matière d'obligations alimentaires.
654 LA PERSONNE IT LES RAPPORTS DE FAMILLE

§2 CONFLITS DE LOIS

A. Règle générale de rattachement


12.185 - Réforme législative et conflit transitoire - L'entrée en vigueur du Code de
droit international privé au 1er octobre 2004 signifie une modification radicale des règles
de rattachement en matière d'obligations alimentaires.
La Belgique n'a pas ratifié la Convention de La Haye du 2 octobre 1973 sur la loi applicable aux
1111

obligations alimentaires, mais celle-ci a inspiré le législateur de 2004.


Le rapport explicatif de la Convention est dû à M. VERWILGHEN, Actes et documents de la douzième ses-
sion, t. IV (1975), 383-465.
111!Voy. encore la Convention interaméricaine sur les obligations alimentaires, signée à Montevideo
le 15 juillet 1989 (I.L.M., 1990, 73).

Le Code consacre le principe de l'application immédiate des règles nouvelles aux


effets futurs d'actes ou de faits antérieurs (art. 127). Selon ce principe, toute revendica-
tion d'aliments introduite à partir du 1er octobre 2004 relève normalement des disposi-
tions du Code, dans la mesure où elle vise à satisfaire des besoins futurs du créancier.
La solution peut différer dans l'éventualité d'une convention alimentaire. Lorsque la
demande concerne la validité ou l'exécution d'un tel accord, il y a lieu de tenir pour perti-
nent le moment où l'acte a été passé. Le Code ajoute que si cet accord antérieur comporte
un choix du droit applicable, celui-ci peut être validé en fonction des dispositions perti-
nentes du Code, à savoir l'article 75 (art. 127, § 2).
111Encore faut-il que l'obligation procède bien de l'accord plutôt que de la loi. Ce n'est pas néces-
sairement le cas envers un enfant (Cass., 31 octobre 1991,]. T., 1992, 75), alors que cela peut l'être
entre époux après divorce (Cass., 21 juin 1991,].T., 1992, 75).

Lorsque la demande est de nature indemnitaire, par exemple lorsque l'octroi d'ali-
ments repose sur les torts qui ont causé le divorce, la solution retenue pour une demande
en réparation d'un préjudice quasi délictuel - à savoir l'application des règles en vigueur
au moment du fait illicite - (voy. infra, n ° 15.8) s'impose à première vue. Toutefois,
l'objectif de sécurité juridique qui inspire cette solution ne trouve pas de place ici. De
plus, le moment de la naissance du dommage est celui de la dissolution du mariage, où
cesse le devoir de secours. Il y aurait donc lieu de retenir la même solution de conflit tran-
sitoire que pour le divorce (voy. supra, n ° 12.97).

12.186 - Principe de rattachement territorial - « L'obligation alimentaire est régie par


le droit de l'État sur le territoire duquel le créancier a sa résidence habituelle au moment
où elle est invoquée» (art. 74, § 1er, Codip).
Le Code abandonne ainsi le rattachement à la nationalité, que la jurisprudence avait
déduit, faute de disposition légale spécifique, de l'article 3 du Code civil relatif aux ques-
tions d'état.
1111La jurisprudence la plus abondante avant l'entrée en vigueur du Code concerne l'action alimen-
taire non déclarative de filiation de l'enfant narurel que son père n'a pas pu ou n'a pas voulu recon-
naître. En cette matière, l'application de la loi nationale de l'enfant est systématique. Elle se justifie
par l'idée que l'action alimentaire non déclarative de filiation tempère la prohibition ou la diffi-
culté de prouver la paternité et, par conséquent, se présente comme un substitut de l'action en
recherche.
LES OBLIGATIONS ALIMENTAIRES 655

Voy.: Cass., 24 mars 1960, Eifeling, Pas. (1960), I, 860, Rev. crit. ;ur. belge (1961), 335, note F. RIGAUX,
et la jurisprudence abondante citée dans: Rev. crit. ;ur. belge (1970), 297-298; Civ. Liège, 13 février
1976,]ur. Liège (1975-1976), 229.
Pour la contriburion en faveur des enfants communs, voy. pour l'application de la loi nationale
commune : Civ. Nivelles, 8 avril 1997, Rev. trim. dr. fam. ( 1998), 51.
Ill L'obligation alimentaire résultant du mariage, de la parenté ou de l'alliance, relevait nettement
de la loi nationale commune des parties. Pour le divorce, voy. : Civ. Nivelles, 8 avril 1997, précité ;
Civ. Bruxelles, 16 décembre 1997,J.J.P. (2000), 212, note M.-C. FoBLETS; Bruxelles, 15 janvier 2002,
Rev. trim. dr.fam. (2003), 360.
La solution était moins ferme en cas de conflit des lois personnelles.
En faveur de la loi nationale du créancier: Bruxelles, 26 octobre 1967,].T. (1968), 24.
Ill Cependant, le jeu de l'exception d'ordre public (voy. ci-dessous) revenait souvent à désigner la
loi belge de résidence du créancier.
Voy. déjà, en faveur de la loi de la résidence du créancier, motif tiré de la prise en compte de l'état de
besoin: Civ. Bruxelles, 28 février 2000, Rev. trim. dr.fam. (2001), 692, note M. FALLON.
Ili Le renvoi permettait aussi de revenir à l'application du droit belge. Voy. : Cass., 17 octobre 2002,
Echtsch. ]ourn. (2003), 2, note M. TRAEST, R W. (2003), 1507, note B. VOLDERS, Rev. trim. dr. Jam.
(2003), 341, note M. FALLON.
Ili Comp. le diagnostic pessimiste du T.P.I.C.E., dans l'affaire Khouri (aff. T-85/91, 18 février 1992,
Recueil, 1992, 11-2637), à l'occasion d'une demande adressée à un fonctionnaire européen, consta-
tant l'absence de règle claire et précise en matière alimentaire dans le droit belge des conflits de lois.
L'objectif de la règle nouvelle est de lier les conditions de la définition de la créance
alimentaire à l'intégration socio-économique de celle-ci, en s'attachant à la fonction
sociale de l'institution. On y reconnaît une illustration de l'objectif de proximité (voy.
supra,n° 3.13).
Ill La Convention de La Haye de 1973 utilise un principe de rattachement analogue (art. 4).
Le conflit mobile se résout en retenant l'actualisation du facteur de rattachement.
La solution se déduit de la fonction sociale de l'institution alimentaire : le rattachement
se doit de permettre une appréciation actuelle de l'état de besoin. Selon le texte, le
moment pertinent de concrétisation est celui où l'obligation« est invoquée».
Ill La préférence pour une actualisation du facteur pertinent est une constante en la matière. Le
droit allemand évoque la résidence« actuelle» (art. 18, (1er).
La Convention de La Haye de 1973 formule le principe sous la formulation d'une application
immédiate de la loi nouvellement désignée : « En cas de changement de la résidence [... ], la loi
interne de la nouvelle résidence habituelle s'applique à partir du moment où le changement est
intervenu» (art. 4, al. 2).
Le moment de « l'invocation» du droit ne doit pas s'entendre nécessairement comme celui de
l'introduction de la demande en justice, car la mise en œuvre de la règle de rattachement doit pou-
voir être autonome, et le texte légal prend soin de n'utiliser cette expression qu'à propos des règles
de compétence. Appliqué à la matière alimentaire, le terme doit se comprendre comme visant la
période pour laquelle des aliments sont demandés. Si, normalement, le droit est invoqué pour cou-
vrir des besoins présents et à venir, la demande peut aussi porter sur des arriérés: dans ce cas, il est
logique d'opérer une ventilation en fonction des périodes concernées.
Le changement de résidence du créancier emporte la soumission d'une demande de modifica-
illi
tion de la pension alimentaire à la loi nouvelle, comme le montre le rapport explicatif de la Con-
vention de La Haye. Cette loi déterminera ainsi la variabilité de la pension, même si la loi qui a servi
à déterminer celle-ci précédemment énonçait un principe d'immutabilité.
Ill Pour les aliments après divorce, la règle de l'actualisation du facteur de rattachement pourrait
avoir un effet de surprise sur le débiteur, en cas de déménagement ultérieur du créancier. Pour y
remédier, il aurait fallu pétrifier le conflit au moment de la demande en divorce, voire au moment
656 LA PERSONNE ET LES RAPPORTS DE FAMILLE

de la dernière résidence conjugale. Un tel effet pourrait être obtenu au moyen de la clause générale
d'exception (art. 19), en fonction des circonstances de l'espèce.
Comp. la Convention de La Haye de 1973, qui s'en remet à la loi appliquée au divorce.
Ili Pour une actualisation du facteur de rattachement - à l'époque la nationalité pour des ali-
ments après divorce-, voy. :J.P. Liège, 30 janvier 1997,].L.M.B. (1998), 426, note B. MAIRY, retenant
cependant la nationalité belge acquise postérieurement au divorce mais avant l'introduction d'une
demande alimentaire postérieure au divorce. Pour une position favorable au moment de la dissolu-
tion, voy. N. WATIÉ, « Examen de jurisprudence (1990 à 2002) », Rev. crit. ;ur. belge (2003), 527.

12.187 - Dérogation en cas de délocalisation du créancier - Le rattachement territorial


connaît une dérogation liée à la délocalisation du créancier (§ 1er, al. 2). Cette dérogation
s'inspire du même principe de proximité que celui qui fonde le rattachement de principe.
Elle agit à la manière d'une clause spéciale d'exception (voy. supra, n ° 3.17).
L'hypothèse est celle où le créancier a quitté le pays d'intégration prépondérante des
parties. Dans ce cas, un rattachement en fonction de la localisation de la nouvelle rési-
dence du créancier risquerait d'encourager celui-ci à la délocalisation. Le texte légal défi-
nit avec précision la situation visée : il faut que les parties aient la nationalité du même
État et que le débiteur réside dans cet État.
1111Cette exception est inspirée de l'art. 18, § 5, EGBGB, où elle reçoit cependant une formulation
strictement unilatérale.
Une disposition analogue figure aussi parmi les facultés de réserve admises par la Convention de
La Haye de 1973 (art. 15).
La formulation est certes stricte: la dérogation ne joue pas si le créancier s'est expatrié alors que
11111

le ménage n'a jamais vécu dans le pays d'expatriation, lorsque les époux sont de nationalités diffé-
rentes. La clause générale d'exception (art. 19) pourrait rourefois jouer, si les conditions en sont
remplies.
La clause spéciale d'exception, appliquée aux rapports de couple, permet de soumet-
tre pratiquement à une loi unique la contribution aux charges du mariage, les conditions
du divorce et le devoir de secours entre époux ainsi que l'obligation alimentaire entre ex-
époux.
Sur les difficultés liés à un éclatement des rattachements de la relation entre ex-époux, lors
Ill!
d'une demande d'ordre pécuniaire, voy. supra, n ° 12.101.

12.188 - Domaine de la loi alimentaire - La règle de rattachement a un domaine large,


à la fois par la catégorie des créances visées et par la liste des questions couvertes.
Les questions couvertes visent l'ensemble des règles qui déterminent la formation,
les titulaires, l'étendue, la variabilité, l'extinction de la créance, ainsi que les délais de
prescription (art. 76, § 1er).
Toutefois, lorsque le demandeur se prétend subrogé aux droits du créancier qu'il a
été dans l'obligation de désintéresser, la subrogation est régie par le droit applicable à
cette obligation. Ainsi, le droit d'une institution publique de poursuivre le rembourse-
ment de sommes versées au créancier, relève de la loi qui régit l'obligation de l'organisme
de désintéresser le créancier(§ 2).
Le droit de l'obligation - ou de l'institution - régit uniquement l'existence de la subrogation,
11111

non l'étendue de l'obligation à charge du débiteur d'aliments : celle-ci relève de la loi alimentaire
(§ l er, 50).
IliLa solution figure également dans la Convention de La Haye de 1973, où elle ne couvre cepen-
dant que le cas d'une institution publique (art. 9).
LES OBLIGATIONS ALIMENTAIRES 657

1111Ainsi, il appartient à la loi belge de déterminer si le centre public d'aide sociale peut poursuivre
le remboursement des frais de l'aide sociale en exerçant une action directe contre le débiteur ali-
mentaire de celui qui a bénéficié de cette aide (art. 98, § 2, de la loi du 8 juillet 1976), et de désigner
les débiteurs auxquels le centre public d'aide sociale peut réclamer le remboursement des frais qu'il
a assumés.
Il en va de même du Service des créances alimentaires qui a désintéressé le créancier en vertu de la
loi du 21 février 2003 (voy. ci-dessous).
Mais il appartient à la loi de la résidence du créancier d'aliments de fixer les conditions d'existence
et l'étendue de la créance alimentaire à l'égard du débiteur. Pratiquement, cette loi sera souvent la
loi belge.
Ill En cas de subrogation conventionnelle, il convient de se référer au contrat en cause (voy. infra,
n° 14.58).
1111En l'absence d'obligation légale ou conventionnelle du demandeur, celui-ci invoquera la gestion
d'affaires (voy. infra, n° 15.60).
L'action récursoire du co-débiteur qui a désintéressé le créancier relève du domaine de la loi ali-
1111

mentaire (art. 76, 5°).


Ill Sur l'ensemble de ces hypothèses, voy.: D. MARTINY, précité n° 12.177, 237 et s.
La catégorie visée couvre l'ensemble des actions alimentaires, quelle que soit la qua-
lité des parties. Elle régit les rapports entre époux comme entre ex-époux, les rapports
entre parents et enfants, entre collatéraux, etc.
Ill Le devoir de secours, sous sa forme alimentaire, entre époux relève de cette catégorie, à la diffé-
rence de la contribution aux charges du mariage (voy. supra, n ° 12.65). Voy. déjà implicitement sur
le devoir de secours: Civ. Bruxelles, 28 février 2000, Rev. trim. dr. fam. (2001), 692, note M. FALLON.
Dans la jurisprudence antérieurement, voy., dans le contexte de la loi des effets du mariage, une
application de la loi nationale commune des parties par: Bruxelles, 4 octobre 1988, Pas. (1989), II,
66 ; 19 mars 1990, Rev. trim. dr. fam. ( 1990), 155 ; Civ. Bruxelles, 30 octobre 1990, Rev. gén. dr. civ.
(1991), 293.
En cas de conflit de lois personnelles, en faveur de la loi de la résidence commune, voy. : Civ.
Namur, 22 septembre 2000, Rev. dr. étr. (2000), 678.
Pour une application de la loi belge sans soulever la question du conflit de lois, voy. : J.P. Zaventem,
].].P. (2004), 456.
En France, pour un rattachement de la contribution aux charges du mariage à la loi alimentaire,
voy.: Cass. civ., 6 novembre 1990, Revue (1991), 348, note M. SJMON-DEPITRE; 9 juillet 2003, Boutet,
Clunet (2004), 182, note F. MüNÉGER.
1111 La solution retenue en cas de divorce tranche avec celle de la Convention de La Haye de 1973
(rattachement à la« loi appliquée au divorce», art. 8, mais avec faculté d'une réserve). De son côté,
la Cour de cassation avait opté pour un rattachement lié aux effets du mariage, ce qui avait conduit
en l'espèce à la loi nationale commune (Cass., 16 juin 1994, Rev. not. belge, 1994, 397, concl. min.
pub!., Rev. trim. dr. fam., 1994, 505, note M. FALLON,j.L.M.B., 1995, 509, note M. LIÉNARD-LIGNY, Rev.
crit. jur. belge, 1996, note N. WATTÉ).
Dans le sens de la loi appliquée au divorce dont le droit aux aliments constitue une sanction, voy. :
Bruxelles, 10 octobre 2000, Rev. Div. (2001), 66, note P. GEORGIN, Rev. trim. dr.fam. (2001), 669, note
M. FALLON.
Comp., en droit européen, la position de la Cour de justice à propos du statut de fonctionnaires, se
prononçant en faveur de la loi qui régit les effets du divorce: aff. 24/71, 17 mai 1972, Meinhardt,
Rec. (1972), 269.
En cas de divorce, pour la détermination de droits compensatoires au sens du Code civil français,
voy. en France, un rattachement alimentaire (entraînant une soumission à la Convention de La
Haye de 1973): Cass. civ., 16 juillet 1992, Revue (1993), 26, note P. COURBE, voyant la catégorie de
l'ensemble des « conséquences pécuniaires » du divorce. La qualification se comprend dès lors que
la demande tend à obtenir la compensation de la disparition du devoir de secours et la disparité
consécutive que le divorce peut créer dans les conditions de vie respectives (art. 270 C. civ. fr.).
658 LA PERSONNE ET LES RAPPORTS DE FAMILLE

Voy. aussi en ce sens, à propos de la Convention de Bruxelles, supra, n ° 12.178.


Ill! La transformation en obligation civile d'une obligation naturelle volontairement exécutée
relève aussi du domaine de la loi alimentaire. Pour une application du droit belge sans soulever la
question du droit applicable, voy.: Civ. Bruxelles, 28 ocrobre 1971, Pas. (1972), III, 32.
IllSur la question du rattachement de l'action en frais de gésine, voy. en faveur du même rattache-
ment que celui des aliments: Bruxelles, 24 juin 1966, Ann. not. (1966), 193; Bruxelles, 18 février
1981, Rev. not. belge (1982), 415.
La même solution est retenue en Suisse (art. 83, § 2, LDIP).
Contra: Civ. Bruxelles, 4 avril 1964, Pas. (1965), III, 28, préférant un rattachement à la loi du lieu du
fait dommageable (à savoir le lieu des relations hors mariage ... ) en raison du caractère indemnitaire
de l'action.

12.189 - Éviction de la loi alimentaire par l'exception d'ordre public - Comme en toute
matière, l'exception générale d'ordre public permet d'écarter l'application de la loi étran-
gère désignée, pour un motif tenant à son incompatibilité radicale avec l'ordre public
belge, pourvu que l'appréciation se fasse in concreto, en fonction de la gravité de l'effet
invoqué et de l'intensité du rattachement de la situation avec l'ordre juridique belge (voy.
supra, n° 7.51).
La jurisprudence a fait un large usage de l'exception à propos des dispositions de la
loi étrangère appliquée au contentieux entre ex-époux, lorsque cette loi ignore le principe
de l'attribution alimentaire ou ne prévoit que l'attribution forfaitaire d'un montant
réduit alors que le secours alimentaire serait dû en vertu du droit belge. Cette jurispru-
dence a permis d'identifier la place croissante occupée par le critère de la résidence du
créancier d'aliments. Le contenu des règles nouvelles de rattachement en la matière
devrait réduire la nécessité d'avoir recours à l'exception.
Voy. déjà la jurisprudence citée dans: Rev. crit. jur. belge (1961), 389-390; Civ. Bruxelles, 15 mai
1111

1990, Rev. trim. dr. Jam. (1991), 422, écartant la loi marocaine ignorant une dette alimentaire envers
un enfant majeur.
1111 Pour l'utilisation de l'exception à propos de la loi allemande permettant une renonciation con-

ventionnelle aux aliments en cas de divorce, voy. : Mons, 19 janvier 2000, Rev. gén. dr. civ. (2002),
185, note C. BARBÉ, ayant recours au critère de l'intensité du rattachement en fonction du domicile
du créancier.
111! Pour une éviction de la loi luxembourgeoise invoquée par le banquier étranger opposant le
secret professionnel à une demande formulée en vue de déterminer le montant des ressources du
débiteur, voy.: Liège, 6 mars 2000,j.L.M.B. (2000), 1728.

Appliquée à la répudiation, cette approche a conduit la jurisprudence à considérer le


mari comme l'époux « contre qui le divorce a été prononcé» au sens de l'article 306 du
Code civil, dans les cas où la dissolution même du mariage a été reconnue à l'exclusion de
la partie alimentaire.
Dans les dernières années, la jurisprudence a eu tendance à écarter systématiquement l'applica-
1111

tion de la loi marocaine ou algérienne. Voy.: Civ. Bruxelles, 31 janvier 1989, Rev. trim. dr. Jam.
(1990), 42, note M. FALLON; Bruxelles, 9 mai 1989, Rev. trim. dr. Jam. (1990), 37; Bruxelles, 19 mars
1991, Pas. (1991), II, 129, notant l'acquisition volontaire par les parties d'une résidence en
Belgique; Civ. Bruxelles, 26 novembre 1992, Rev. trim. dr. Jam. (1993), 121; Civ. Nivelles, 8 avril
1997, Rev. trim. dr. Jam. (1998), S 1, énonçant l'octroi d'aliments à l'époux innocent comme un prin-
cipe fondamental, et appliquant la loi belge comme loi de résidence.
Pour une approche fonctionnelle liée à l'espèce, voy. : Civ. Bruxelles, 16 décembre 1997,j.J.P. (2000),
212, note M.-C. FoBLETS, signalant l'absence de moyens de subsistance de la femme et la localisa-
tion de sa résidence en Belgique; Bruxelles, 15 janvier 2002, ].T. (2003), SS, évoquant la durée
LES OBLIGATIONS ALIMENTAIRES 659

exceptionnelle de la vie commune (45 ans) en Belgique et le risque de voir la femme à charge de la
société.
En France, voy., à l'encontre de la loi marocaine: Cass. civ., 16 juillet 1992, Revue (1993), 269, note
P. COURBE.

Ili Pour l'utilisation de la présomption de l'article 306 C. civ., voy.: Civ. Namur, 17 mai 1990, Rev.
trim. dr.fam. (1990), 431 ;J.P. Hasselt, 25 juillet 1995, Limb. Rechtsleven (1997), 175. Cette solution
est recherchée pour accorder à la femme un statut favorable roue en reconnaissant en Belgique son
état d'épouse répudiée.
Une approche parallèle est remarquée à propos de la reconnaissance de décisions étrangères en
Ili
matière d'aliments. Voy. supra, n ° 12.183.

Dans les rapports entre époux, l'intervention de l'ordre public paraît moins sensible.
Voy. J.P. Namur, 20 octobre 1988, ].].P. (1989), 101; Civ. Bruxelles, 26 février 1988, Rev. dr. étr.
1111

(1988), 216, admettant qu'en vertu du droit marocain l'époux supporte seul les charges du ménage
(nafaqa).

B. Rattachements spéciaux
12.190 - Aliments envers des enfants selon la Convention de La Haye de 1956 - La Bel-
gique a ratifié la Convention de La Haye du 24 octobre 1956 sur la loi applicable aux obli-
gations alimentaires envers les enfants (loi du 17 juillet 1970, Pasin., 1970, 1219).
Le domaine de la Convention se limite aux obligations envers l'enfant, y compris
adoptif, défini comme une personne non mariée de moins de 21 ans. De plus, la Conven-
tion n'est applicable que si elle conduit à désigner le droit d'un État contractant (art. 6,
voy. supra, n ° 4.49).
1111 Ainsi, la Convention ne remplace pas le droit commun. Elle ne régit pas, pratiquement, une

créance envers un enfant résidant dans un pays tiers, par exemple les États-Unis. Pour la liste des
États contractants, voy. le site www.hcch.net.
1111 La Convention ne préjuge pas du droit applicable aux rapports de filiation ni aux rapports fami-
liaux entre créancier et débiteur (art. 5).
Sur l'application de la Convention à un enfant tunisien résidant en Belgique et fondant son
1111

action sur l'article 3406 (ancien) du Code civil, voy. Bruxelles, 18 février 1981, Rev. not. belge (1982),
415.

La règle de rattachement repose sur un principe territorial, se référant à la résidence


habituelle du créancier d'aliments (art. 1er).
Ili Le conflit mobile se résout par une actualisation du facteur de rattachement: comme le fera la
Convention de La Haye de 1973, la résidence retenue est celle correspondant à la période pour
laquelle les aliments sont réclamés (voy. supra, n ° 12.186).

La règle connaît deux dérogations, qui poursuivent deux objectifs distincts, la pre-
mière un objectif de faveur au créancier et la seconde, un objectif de proximité.
(1) « La loi belge est déclarée applicable même si l'enfant a sa résidence habituelle à
l'étranger, lorsque la demande d'aliments est portée devant un tribunal belge, que
l'enfant et la personne à qui les aliments sont réclamés sont de nationalité belge, et que
cette dernière personne a sa résidence habituelle en Belgique.» (loi du 27 juillet 1970,
art. 2).
Ill Cette règle de type unilatéral résulte d'une faculté de dérogation offerte par l'art. 2 de la Con-
vention.
660 LA PERSONNE IT LES RAPPORTS DE FAMILLE

La dérogation répond à un cas de délocalisation du créancier. Elle est reprise plus généralement
1111

par le Code (voy. ci-dessus).

(2) au cas où la loi de la résidence habituelle de l'enfant lui refuse tout droit aux ali-
ments, l'autorité saisie applique la loi désignée par sa propre règle de conflit de lois
(art. 3).
1111 Cette dérogation utilise la technique de rattachements alternatifs en cascade (voy. supra,
n° 3.59).
Le droit commun utilise aussi cette technique depuis l'entrée en vigueur du Code de droit interna-
tional privé, mais en des termes différents (voy. ci-dessous).
1111 À l'époque de l'entrée en vigueur de la Convention à l'égard de la Belgique, la règle de conflit du

droit commun permettait pratiquement à un enfant étranger ayant sa résidence habituelle en Bel-
gique d'exercer une action à fins de subsides prévue par sa loi nationale, dans les cas où, selon les
articles 336 et suivants du Code civil belge, son action devrait être rejetée.
Depuis l'entrée en vigueur du Code de droit international privé, la règle de conflit du droit com-
mun permet, par un rattachement en cascade, l'application de la loi de la nationalité commune
(voy. ci-dessous), mais cette faculté est sans objet du fait de la dérogation (1); toutefois, cette règle
prévoit encore l'application subsidiaire de la loi belge, désignation qui conserve un effet utile lors-
que les parties sont de nationalité étrangère.

12.191 - Aliments entre époux ou envers des enfants selon le droit commun - Lorsque
le créancier est l'époux ou l'enfant mineur du débiteur, il peut invoquer le bénéfice d'une
loi autre que celle de sa résidence habituelle, dans les conditions fixées par l'article 74,
§ 2, du Code de droit international privé.
La disposition utilise la technique de rattachements alternatifs en cascade (voy.
supra, n ° 3.59), selon un objectif de faveur à l'octroi d'aliments. La règle utilise pour éche-
lons successivement :
la nationalité commune des parties ;
la loi belge.
Ces échelons correspondent à ceux que consacre la Convention de La Haye de 1973
(art. 5 et 6).
Le déclenchement du rattachement en cascade dépend du contenu de la loi norma-
lement applicable: il faut que celle-ci« n'accorde pas de droit aux aliments». La condi-
tion ne se réfère pas à la seule admissibilité de la créance, elle est vérifiée in concreto, « par
une comparaison de ce que peut obtenir le créancier en vertu de l'un ou de l'autre droit»
(Exposé des motifs de la proposition de loi, Doc. par!., Sénat, n ° 3-27/1, 105).
Le rattachement en cascade prévaut sur le rattachement lié à la délocalisation. Ainsi,
lorsque le créancier s'est expatrié, la loi des liens les plus étroits sera normalement appli-
cable, mais le créancier pourra encore invoquer la loi belge - pourvu que la compétence
internationale des juridictions belges soit vérifiée.
1111 Dans la Convention de 1956, l'hypothèse de la délocalisation (art. 2) cède aussi devant le ratta-
chement en cascade (art. 3).
Dans la Convention de 1973, la dérogation - déduite d'une réserve - liée à la délocalisation
1111

prévaut sur le rattachement en cascade.


Ce rattachement spécial ne vaut pas entre ex-époux. Par cette exclusion, le législa-
teur estime que la politique de faveur aux aliments doit valoir uniquement au sein de la
relation familiale existante.
LES OBLIGATIONS ALIMENTAIRES 661

Les relations entre époux ou entre ex-époux échappent ainsi à un rattachement qui
rende compte d'un lien entre les parties, sauflorsque le demandeur en appelle à la loi de
la nationalité commune. Cela peut avoir pour inconvénient, en cas de demandes croisées,
de soumettre chacune d'elles à une loi distincte, avec le risque d'une incompatibilité de
contenus. Une autre approche aurait pu consister à soumettre l'ensemble des obligations
pécuniaires à un rattachement lié aux effets généraux du mariage. Toutefois, la force opé-
ratoire d'un tel rattachement n'aurait guère été plus grande - sauf à retenir la nationalité
commune pour rattachement principal - puisque ces effets relèvent en principe de la loi
du pays où résident les deux parties, créancier et débiteur: force aurait alors été de s'en
remettre au rattachement subsidiaire à la loi belge (sur ce rattachement, voy. supra,
n° 12.61).
Ill Sur la difficulté liée aux demandes croisées, voy. : A. BUCHER, Le couple en droit international privé
(Bâle, Helbing & Lichtenhahn, 2004), n ° 204, qui estime toutefois que l'inconvénient est limité en
pratique.
La Convention de La Haye de 1973 ne remédie pas à cet inconvénient pour les rapports entre
époux. Pour les aliments après divorce, la solution retenue (loi appliquée au divorce) a pour mérite
principal de désigner une loi unique.

12.192 - Conventions alimentaires - Le Code de droit international privé prévoit le cas


où la demande d'aliments est liée à l'exécution d'une convention ayant cet objet (art. 75).
Le rattachement spécial est fonction de la nature contractuelle de la source de l'obliga-
tion, ce qui implique l'admission d'une autonomie des volontés, une solution spécifique
du conflit mobile et une faveur à la validité formelle de l'acte.
1111 La règle couvre uniquement les aliments découlant de relations de parenté, de mariage ou
d'alliance. D'autres conventions alimentaires relèvent des règles relatives aux contrats (voy. infra,
chap. 14).
À défaut de règle spéciale insérée dans l'art. 75, les conventions visées auraient été soumises aux
règles de rattachement relatives aux obligations contractuelles, en raison de l'extension donnée par
l'art. 98.
IllLe rattachement spécial ne devrait valoir que si le créancier est partie à la convention. Ce n'est
pas le cas de l'enfant dont les parents ont pris par convention des mesures envers leurs enfants
dans le cadre d'une procédure en divorce (voy. supra, n° 12.102).
Le rattachement ne vaut également que si l'obligation dont l'exécution est invoquée trouve sa
source dans le contrat, non dans la loi.
1111 Dans la jurisprudence antérieure, voy. : Mons, 19 janvier 2000, Rev. gén. dr. civ. (2002), 185, note
C. BARBÉ, désignant d'abord la loi nationale commune des époux, en l'occurrence la loi allemande,
écartant ensuite celle-ci au nom de l'ordre public, pour le motif qu'elle permet une renonciation
aux aliments.
L'autonomie des volontés s'exprime par une faculté d'option de législation(§ 1er).
L'option est enfermée dans les limites d'une liste préétablie de lois, comme c'est le cas
d'autres dispositions concernant la matière des relations de famille. La liste retient pour
facteurs pertinents la nationalité ou la résidence habituelle de l'une des parties.
Comp. les autres cas d'option fermée, en matière de régimes matrimoniaux, de divorce, de suc-
1111

cess10ns.
1111 Les critères prévus sont analogues à ceux retenus pour le régime matrimonial (art. 49).
Ill Sur l'autonomie de la volonté en cette matière, voy. plus généralement : C. BARBÉ, « Les clauses
relatives aux aliments entre ex-époux", Rev.gén. dr. civ. (2002), 141-152.
En cas de choix valable du droit applicable, il semble que c'est à cette loi qu'il appartient de déter-
1111

miner si les époux peuvent, par exemple, renoncer à l'avance au droit à une pension en cas de divorce,
662 LA PERSONNE ET LES RAPPORTS DE FAMILLE

ou modaliser les conditions d'attribution d'une celle pension. L'exception d'ordre public peut éven-
tuellement jouer, s'il devait être décidé que la question affecte le noyau dur des valeurs fondamenta-
les de la société, cout en ayant égard aux critères d'appréciation fonctionnelle (voy. supra, n ° 7.46).
Le défaut de choix appelle un rattachement objectif (§ 2). Cette règle subsidiaire
reproduit la règle générale relative aux aliments, hormis le cas de la délocalisation. Cette
solution peut surprendre à première vue, puisque le facteur retenu a égard à la qualité de
«créancier», alors que l'une et l'autre parties peuvent y prétendre. La règle retenue per-
met de réduire l'écart entre le rattachement de la convention et celui des aliments non
conventionnels. Sans doute le terme« créancier» doit-il s'entendre comme le demandeur
qui prétend à cette qualité en cas de litige. De ce fait, la loi qui régit la convention peut
varier en fonction du demandeur.
1111Une difficulcé analogue surgie en cas de demandes alimentaires croisées encre (ex-)époux non
liés par un accord, lorsque les parties résident dans des pays différents (voy. ci-dessus) : la créance
de chacun des époux sera régie par une loi distincte, avec le risque de contradictions encre les lois
applicables.
Voy. plus généralement: D. MARTINY, précité n° 12.177, 221, évoquant la nécessité de lier le ratta-
chement contractuel à celui de l'obligation légale, et proposant par le fait même d'écarter l'autono-
mie des volontés.
Le conflit mobile se résout par une pétrification du facteur de rattachement, à la dif-
férence de la règle générale relative aux aliments : la référence est à la concrétisation au
moment où l'acte a été passé. La solution, qui est constante en matière de contrats, obéit
à un objectif de sécurité juridique (voy. plus généralement supra, n ° 5.71).
Les formalités à respecter pour la passation de l'acte obéissent à un rattachement
utilisant le principe Locus regj,t actum dans son expression alternative (voy. supra, n ° 3.32).
Il suffit que la convention suive les formes prescrites par le droit du pays de conclusion
ou par le droit qui la régit au fond(§ 3).
12.193 - Accès au Service des créances alimentaires - La loi du 21 février 2003 créant
un Service des créances alimentaires au sein du SPF Finances (Monit., 28 mars 2003), met
en place un mécanisme d'octroi d'avances au créancier d'une pension alimentaire et de
recouvrement de ces créances auprès du débiteur.
1111Les pensions visées sont celles dues aux enfants, ou entre époux ou cohabitants. Elles doivent
avoir été fixées par une décision judiciaire exécutoire ou par une convention visée à l'arc. 1288 C.
jud. ou encore, dans le cas d'aliments envers des enfants, par un accord exécutoire visé aux
articles 731 à 734 C. jud.
« Le Service des créances alimentaires octroie son intervention si le créancier d'ali-
ments est domicilié en Belgique et si le débiteur d'aliments est domicilié en Belgique ou y
perçoit des revenus» (art. 6, modifié par l'art. 331 de la loi-programme du 21 décembre
2003, Monit., 28 décembre 2003). Cette disposition remplit la fonction d'une règle
d'applicabilité (voy. supra, n ° 4.6), déterminant les situations internationales entrant
dans le champ d'application de la loi.
La version initiale de l'article 6 étaie formulée comme suie: « L'application de la présente loi est
1111

limitée aux créanciers d'aliments ayant leur domicile ou leur résidence habituelle en Belgique».
Cette formulation-ci indiquait plus explicitement sa fonction d'applicabilité.
Le critère d'applicabilité retenu est de nature conditionnelle. Le domicile du créan-
cier n'est pas suffisant: sa localisation en Belgique doit s'accompagner d'un autre élé-
ment relatif au débiteur, soit le domicile de celui-ci, soit la localisation de biens.
1111 Cet ajout semble lié au souci de faciliter les opérations menées par le Service.
LES OBLIGATIONS ALIMENTAIRES 663

Ill!Le« domicile» semble s'entendre au sens de l'article 36 du Code judiciaire plutôt qu'au sens de
la résidence habituelle (art. 102 C. civ.). Cette déduction est tirée autant des travaux préparatoires
(cités par J.-P. MASSON,j.T., 2004, 192, citant: Doc. pari., Ch. repr. 7 janvier 2003, n° 50-1627/17,
amendement n ° 132) que de la modification opérée sur la version primitive, où le domicile était
dissocié de la résidence habituelle. Ce choix facilite la vérification de la condition.
Le Service n'intervient qu'au vu d'une décision exécutoire, d'une convention conclue
entre les époux dans le cadre du divorce par consentement mutuel, ou d'un accord de
conciliation acté par un jugement. Cette condition peut conduire le Service à verser des
aliments dus en raison d'une créance établie en vertu d'un droit étranger, ou d'une déci-
sion étrangère.
Ill Lorsque la décision a été rendue en Belgique, celle-ci reposera le plus souvent sur le droit belge,
puisque la« résidence habituelle » du créancier constitue le facteur de rattachement normal. Il n'y
a cependant aucun inconvénient, pour un organisme public, à effectuer une avance sur un mon-
tant dû en raison de l'application du droit étranger, dès lors que le juge a pu utiliser au préalable le
filtre de l'exception d'ordre public.
IllIl est regrettable, à cet égard, que le domicile aie été préféré à la résidence comme facteur d'appli-
cabilité de la loi, car l'un et l'autre ne coïncident pas nécessairement.
Ill!Lorsque la décision a été rendue à l'étranger, la référence à une « décision exécutoire » trouve
parfaitement à couvrir un jugement étranger qui bénéficie de la force exécutoire en Belgique. Ici
aussi, une juridiction belge aura normalement été appelée au préalable à vérifier le respect de
l'ensemble des motifs de refus prévus par le Code de droit international privé (voy. supra, n ° 10.39).
!Ill L'accord de conciliation visé par la loi dans le cas d'aliments envers des enfants doit aussi cou-
vrir d'autres transactions judiciaires établies à l'étranger. Lorsque le juge qui est intervenu appar-
tient à un État lié par le règlement 44/2001 dit « Bruxelles 1 » (voy. supra, n ° 8.6), il suffit de se
référer à l'article 58 de ce règlement.
Il peut arriver que le jugement étranger bénéficie de la force exécutoire de plein droit. Ce sera le
!Ill
cas lorsque la créance est« incontestée» au sens du règlement 805/2004 du 21 avril 2004 U,O.C.E.,
2004, L 143).
Ill!En cas d'accord entre époux conclu dans le cadre du divorce, un tel accord peut être soumis à un
droit étranger, en fonction de la règle de rattachement qui régit une convention alimentaire (voy.
ci-dessus). Ici aussi, le juge du divorce aura pu vérifier que la convention est de nature à recevoir un
effet juridique plein et entier en respectant l'ensemble des règles de droit international privé, y
compris le jeu de l'exception d'ordre public.
Le Service peut recouvrer les sommes versées auprès du débiteur. Le droit au recou-
vrement de l'organisme public - comme la subrogation organisée par la loi - relève bien
de la loi belge, tantôt en vertu de la règle d'applicabilité de la loi même, tantôt par applica-
tion de l'article 75, § 2, du Code de droit international privé, mais l'étendue des obliga-
tions du débiteur dépend de la loi qui régit l'obligation alimentaire (voy. supra, n ° 12.186).
Le droit de l'Union européenne pourrait avoir une incidence sur l'applicabilité de la
réglementation précitée. En effet, à l'égard de personnes couvertes par un régime de sécu-
rité sociale d'un État membre, l'avance sur pensions alimentaires constitue une
« prestation familiale» au sens du règlement 1408/71 du 14 juin 1971 (tel que modifié,
].O.C.E., 2001, L 187). Or, selon ce règlement, les prestations sont dues selon le droit de
l'État de l'exercice des activités professionnelles et, en cas de cessation de telles activités,
selon le droit de l'État de résidence.
IllVoy. en ce sens : C.J.C.E., aff. C-302/02, 20 janvier 2005, Effing.
La Cour de justice précise que le rattachement en fonction de la résidence n'est pas constitutif
d'une discrimination au sens de l'article 12 CE, dès lors que la disparité de traitements dont se
plaint la personne est due à la disparité des législations désignées par la règle de rattachement.
CHAPITRE 13

LES BIENS
13.1 - Présentation - Le lieu de situation d'un bien a une incidence déterminante sur la
solution des conflits de lois et de juridictions, dans un ensemble de matières identifié,
selon la tradition, par le terme de« statut réel». Le Code Napoléon a consolidé ce critère
de localisation pour les immeubles (art. 3, al. 2), et la pratique a confirmé celui-ci pour les
droits portant sur un meuble. À côté du régime général des droits réels (sect. 1), le prin-
cipe du rattachement territorial affecte le régime de la propriété intellectuelle (sect. 2). Il
s'étend également à la faillite (sect. 3). Enfin, en droit international privé belge, il explique
les règles applicables aux questions successorales (sect. 4).

Section 1
Le régime général des droits sur un bien
13.2 - Bibliographie
a) Généralités
C. BEREZOWSKI, « Le développement progressif du droit aérien », Recueil des cours, vol. 128 ( 1969-III),
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666 LES BIENS

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c) Sûretés
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LE RÉGIME GÉNÉRAL DES DROITS SUR UN BIEN 667

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Baconnière, 1960); D. LAPRES, « Principles of Compensation for Nationalized Property », I.C.L.Q.
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668 LES BIENS

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§ 1 APPLICATION DU PRINCIPE DE TERRITORIALITÉ


13.3 - Problématique de la localisation d'un bien - L'ensemble des questions tradi-
tionnellement rassemblées sous le concept de droit des biens obéit, en droit international
privé, au principe de territorialité sous son expression la plus directe, à savoir une réfé-
rence au lieu où le bien se trouve.
L'unanimité rare qui existe à ce propos cache mal une série de difficultés.
Les unes découlent de la diversité des droits pouvant porter sur un bien. La question
tient à la détermination de l'étendue de la catégorie des droits en cause: porte-t-elle uni-
quement sur les droits dits réels, ou aussi sur des droits dits personnels, ou droits de
créance? La coexistence d'autres catégories du droit international privé incite plutôt à
voir dans celle des biens une nature résiduelle : les droits issus d'un contrat relèvent de la
catégorie contractuelle, ceux issus d'un quasi-délit, de la catégorie quasi délictuelle, etc.
Mais la délimitation de la catégorie des biens obéit sans doute aussi à une exigence liée
aux limites du pouvoir de contrainte physique sur un bien : lorsque le titulaire d'un droit
sur un bien entend réaliser ce droit par une action en revendication ou en rétention, les
dispositions légales en vigueur au lieu de situation exercent une attraction certaine.
Celle-ci est telle, à propos d'immeubles, que la confusion est fréquente entre leur statut
contractuel et leur statut réel, le premier étant parfois rattaché, par la jurisprudence, à la
loi du lieu de situation en tant que lex rei sitae, alors que les aspects contractuels d'un
droit acquis sur un immeuble devraient rester soumis au rattachement contractuel. À
cette confusion peut s'en ajouter une autre, entre le problème de compétence internatio-
nale et le problème de compétence législative.
1111 Pour une confusion des conflits de lois et de juridictions, voy. : Cass., 31 octobre 1968, Dupuis c.
Hoyois, Pas. (1969), I, 227. La Cour déduit de l'article 3, alinéa 2, du Code civil, règle de conflit de
lois, une solution de conflit de juridictions.

Une autre difficulté tient à la diversité des biens concernés. Tant que le droit porte
sur un bien corporel, et surtout sur un immeuble, la référence au lieu de situation se con-
cilie aisément avec un objectif de sécurité juridique. Il en va autrement lorsque le droit
porte sur des biens immatériels, soit par nature, soit par dématérialisation. Outre le cas
particulier des droits de propriété intellectuelle (voy. infra, section 2), il faut évoquer la
constitution de droits sur des créances, tel un gage ou un usufruit, ou la détermination
de droits sur un titre dépourvu de certificat. De plus, la nature de l'assiette de certains
droits peut soulever une difficulté pratique au regard de la mise en œuvre du principe de
territorialité, telle la difficulté de localiser un privilège général, par nature apte à concer-
ner des biens situés dans des pays différents.
LE RÉGIME GÉNÉRAL DES DROITS SUR UN BIEN 669

1111Même si le principe territorial régit les droits réels portant sur des meubles autant que sur des
immeubles, ceux-ci sont soumis, en droit matériel, à des règles particulières, qui accentuent le for-
malisme et le contrôle étatique, non seulement pour assurer la maîtrise de politiques foncière et fis-
cale mais encore pour assurer la transparence des opérations immobilières dans un but de sécurité
juridique. D'où la tendance à exercer une compétence exclusive sur les immeubles sis sur le terri-
toire, et à imposer impérativement le respect des formalités qui président au transfert de droits sur
de tels immeubles.
Une autre difficulté peut encore résulter de la diversité des fonctions attachées à un
droit sur un bien. À côté de la catégorie des droits réels principaux, l'on connaît celle des
droits réels accessoires, qui sont constitués, non pour assurer un droit en soi sur la chose,
mais pour garantir un droit distinct portant sur un autre bien, telle une créance. Ce cas
ouvre la possibilité d'une aspiration du droit réel par le droit qui régit le rapport juridi-
que principal.

A. Règles de conflit de juridictions


1. CONTENTIEUX IMMOBILIER

a) Compétence internationale dans le contexte de l'Union européenne


13.4 - Compétence exclusive en matière de droits réels et de baux immobiliers - Le rè-
glement « Bruxelles I » (voy. supra, n ° 8.6) contient une règle de compétence exclusive,
selon laquelle« sont seuls compétents, sans considération du domicile: 1) en matière de
droits réels immobiliers et de baux d'immeubles, les tribunaux de l'Etat membre où
l'immeuble est situé» (art. 22).
1111Lorsqu'un contrat porte sur une propriété située sur le territoire de plusieurs Etats, les tribu-
naux de chaque Etat sont compétents à raison des biens situés sur le territoire de cet Etat, à moins
d'une unité économique de la propriété attestée par un contrat unique et par une contiguïté des
terrains (C.J.C.E., aff. 158/87, 6 juillet 1988, Scherrens, Rec., 1988, 3791, ].T., 1989, 714, note
0. MACGILLAVRY, Revue, 1989, 545, note H. GAUDEMET-TALLON, C/unet, 1989, 454, note A. HuET).
1111Le bail ne donne lieu à la compétence exclusive que s'il est de « longue» durée. Le bail de
« courte » durée, à savoir conclu pour une période maximale de six mois consécutifs, donne certes
lieu au for de situation, mais pas de manière exclusive s'il remplit certaines conditions strictes :
avoir été conclu« en vue d'un usage personnel temporaire» par un locataire« personne physique»
domicilié dans le même Etat« membre» que le« propriétaire » : dans ce cas, l'action peut aussi être
portée devant le juge du domicile du défendeur.
1111 Pour une application de la règle à un droit réel immobilier, voy. : Bruxelles, 26 septembre 1996,
Alg.]ur. Tijdschr. (1997-1998), 121, note K. LAMBEIN.

Le caractère exclusif de la compétence attribuée suppose que la vérification de la


compétence ait lieu d'office (art. 22).
Le domaine d'application de la disposition est fonction de celui du règlement, sous
l'angle matériel autant que spatial (voy. supra, chap. 8).
Ill La règle de compétence exclusive est applicable même si le demandeur et le défendeur sont tous
deux domiciliés dans un Etat tiers, et elle prévaut sur une convention attributive de juridiction
(règl. précité, art. 23, § 5, voy. supra, n ° 8.22).
Lorsque l'immeuble est situé sur le territoire d'un Etat tiers, l'article 22 n'est pas applicable. De
1111

deux interprétations possibles renvoyant dans ce cas, l'une au droit national du juge saisi (théorie
dite de l'effet réflexe), l'autre aux dispositions générales du règlement, il faut préférer la première
(voy. supra, n° 8.22).
670 LES BIENS

1111La règle ne s'applique pas aux contestations relatives à des droits réels immobiliers trouvant
leur source dans une des matières exclues du domaine matériel de l'acte selon l'article 1er_
Il en est ainsi des contestations relatives au droit de jouissance légale des père et mère (état et capacité
des personnes), au partage d'un immeuble après divorce (régimes matrimoniaux), à la dévolution suc-
cessorale d'un immeuble (testaments et successions), à l'exercice d'un privilège en cas de faillite.
En revanche, une contestation relative à une donation immobilière ne paraît pas devoir être sous-
traite à la règle, l'article ier n'ayant pas visé les libéralités parmi les matières exclues du champ
d'application du règlement.

13.S - Définition de la matière des droits immobiliers - Il y a lieu de déterminer quel-


les actions entrent dans le champ d'application matériel de l'article 22, 1 °, du règlement,
en précisant la portée de trois notions, celles d'« immeuble», de« baux» et de« matière
de droits réels ».
1111 Sur le principe d'une interprétation stricte en raison du caractère dérogatoire de l'article 22, voy.
la jurisprudence de la Cour de justice, supra, n ° 9.30.
La notion d'« immeuble» a reçu une interprétation stricte. Elle ne s'étend pas à la
cession d'un fonds de commerce, bien meuble incorporel (C.J.C.E., aff. 73/77, 14 décem-
bre 1977, Sanders, Rec., 1977, 2383,].T., 1978, 131).
La « matière des baux» a, en revanche, été entendue largement. Elle couvre l'exis-
tence ou la durée du contrat, ou l'exécution des obligations contractuelles, comme le
paiement du loyer.
ffllLe comité d'experts avait adopté une interprétation limitative, combattue par G. DROZ (op. cit.
n ° 8.1, n° 5 150-153) : « La règle tracée ne s'applique pas aux actions ayant uniquement pour objet le
paiement du loyer, ces actions pouvant être considérées comme détachées de l'immeuble loué »
(rapport JENARD, précité n ° 8.4, chap. IV, B, sect. 5). La Cour de justice en a décidé autrement, éten-
dant la règle de compétence à toutes questions relatives à l'usage du bien. Elle ne distingue pas les
baux de courte durée, comme la location d'une maison de vacances, sauf pour les litiges « qui ne se
rapportent qu'indirectement à l'usage de la propriété louée, tels ceux concernant la perte du béné-
fice des vacances et des frais de voyage» (aff. 241/83, 15 janvier 1985, Rosier, Rec., 1985, 99, Revue,
1986, 128, note G. DRoz).
1111La contestation doit opposer locataire et propriétaire. Ne relève pas de cette hypothèse le litige
entre le locataire et un organisateur professionnel de voyages qui a procuré à son client un loge-
ment de vacances ne lui appartenant pas et a assuré la réservation du voyage (C.J.C.E., aff. C-280/
90, 26 février 1992, Hacker, Rec., 1992, I-1111, D.S., 1992,J, 454, note F. OSMAN). Cette hypothèse a
vocation à entrer dans la catégorie des contrats de consommation, soumis à des règles particulières
(voy. infra, chap. 14).
La« matière des droits réels» s'entend, en revanche, dans un sens strict. Elle porte
sur des droits qui produisent effet à l'égard de tiers (C.J.C.E., aff. C-292/93, 9 juin 1994,
Lieber, Rec., 1994, 1-2535, Revue, 1995, 123, note].-P. BÉRAUDO, Tijds. Not., 1995, 148, note
F. BoUCKAERT). Elle porte certes sur« l'étendue, la consistance, la propriété, la possession
d'un bien immobilier ou l'existence d'autres droits réels sur ces biens» (C.J.C.E., aff. C-
115/88, 10 janvier 1990, Reichert I, Rec., 1990, 1-27, Revue, 1991, 151, note B. ANcEL), à
condition que l'action soit fondée sur de tels droits (C.J.C.E., aff. C-294/92, 17 mai 1994,
Webb, Rec., 1994, 1-1717, Revue, 1995, 123, noteJ.-P. BÉRAUDO, Clunet, 1995, 477, note].-M.
BISHOFF), dont le titulaire cherche à obtenir « la protection des garanties qui sont atta-
chées à leur titre» (arrêt Reichert I, précité) : il est insuffisant que la demande concerne un
droit réel, telle l'action paulienne (même arrêt), une demande en indemnisation de la
perte de jouissance d'un immeuble suite à la nullité d'une opération immobilière (arrêt
Lieber précité) ou encore l'action tendant à faire constater la qualité de trustee (arrêt Webb
précité).
LE RÉGIME GÉNÉRAL DES DROITS SUR UN BIEN 671

La règle devrait-elle s'étendre aux contestations portant sur l'existence du contrat translatif,
11111

telle la réalité de l'échange des consentements ? Par exemple, une personne prétend qu'une autre
lui a vendu un immeuble, sans produire de preuve écrite de ce contrat. Comme de la solution qui
sera donnée à cette contestation dépend la détermination du titulaire du droit réel immobilier, il
paraît conforme à l'intention des auteurs du texte de la soumettre à la compétence exclusive des
juridictions de l'Etat où l'immeuble est situé. La structure globale de l'instrument appelle aussi
cette solution, une définition extensive permettant de contourner route tentative de détournement
par l'une des parties de l'exclusivité de la compétence attribuée.
Ill Le comité d'experts fait à ce sujet un commentaire qu'on peut juger trop limitatif. Selon le rap-
portJENARD, « ces contestations entraînent, en effet, fréquemment des vérifications, des enquêtes,
des expertises qui devront être faites sur place. De plus, la matière est souvent soumise, en partie,
aux usages qui ne sont généralement connus que des juridictions du lieu de la situation de
l'immeuble ou, tout au moins, du pays où l'immeuble est situé. Finalement, le système retenu tient
compte également de la nécessité d'opérer des transcriptions sur les registres fonciers qui existent
au lieu de la situation de l'immeuble » (rapport JENARD, précité n ° 8.4, chap. IV, B, sect. 5).
Ce texte a été paraphrasé par la Cour de justice dans son arrêt précité du 14 décembre 1977, point
13, et l'argument de proximité a été repris par d'autres arrêts relatifs aux droits réels. La Cour de
justice ne précise pas moins, à propos du bail d'immeuble, que les objectifs de l'article justifient
une extension, notamment, aux contestations relatives « à l'existence ou à l'interprétation » du
contrat (arrêt précité, point 15).
Ill Les arguments du rapport explicatif restent à la surface du problème. Les contestations les plus
délicates relatives aux droits réels immobiliers ne font pas appel aux experts immobiliers, et les for-
malités d'inscription sur les registres publics sont une pure conséquence de la solution apportée à
un tel litige. De plus, cette question-là est visée par l'article 22, 3 °, qui confère une compétence
exclusive« en matière de validité des inscriptions sur les registres publics [aux] tribunaux de l'Etat
membre sur le territoire duquel ces registres sont tenus ». Il est plus important de savoir si une con-
testation relative à un contrat translatif de droits réels immobiliers tombe sous l'application de
l'article 22, 1 °, du règlement.
Ill La« matière immobilière» connaît une forme d'extension indirecte, puisque le juge du lieu de
situation est également compétent pour connaître d'une action jointe contre le même défendeur
« en matière contractuelle» (arc. 6, 4°).

b) Compétence internationale selon le droit commun


13.6 -Absence de for immobilier spécifique - Pas plus que ne le faisait l'article 635 du
Code judiciaire, le code de droit international privé ne prévoit de règle de compétence
exclusive en matière immobilière. Les juridictions belges peuvent connaître de contesta-
tions portant sur des droits réels, non seulement si le bien se situe en Belgique, mais aussi
dans les cas prévus par les dispositions générales (art. 85).
Ill Le for de situation de l'article 635, 1 °, du Code judiciaire a été appliqué, notamment, à l'action
en partage d'immeubles situés en Belgique, justifiant que le tribunal belge procède au partage par-
tiel des immeubles situés dans ce pays, alors surtout qu'il constate que les biens soumis à la même
indivision et situés à l'étranger y ont déjà été partagés par les juridictions du pays de la situation.
Voy. en ce sens : Cass., 31 octobre 1968, supra, n ° 13.3.
Ill La notion d'« immeuble» a été interprétée selon le sens qu'elle reçoit en droit judiciaire interne.
À propos de l'ancien article 52 du Code de procédure civile dont la substance a été reprise par
l'article 635 du Code judiciaire, la Cour de cassation (10 janvier 1907, Mayumbe, Pas., 1907, I, 85),
s'est référée à« la nature de l'objet réclamé par le demandeur, au but principal qu'il poursuit», tout
en refusant la qualification immobilière à l'action en résiliation d'une vente d'immeuble, en restitu-
tion du prix et en dommages et intérêts, pour le motif que celle-ci ne tendait pas à « faire entrer
dans le patrimoine du demandeur ou à lui faire reconnaître un droit de propriété ou de possession,
ni tout autre droit foncier sur les immeubles litigieux ».
672 LES BIENS

IllPour la qualification mobilière des éléments d'une fresque arrachés d'une chapelle située en
France et déplacés en Suisse après la vente, voy. en France: Cass. (ass. plén.), 15 avril 1988, Fondation
Abeg,g, Clunet (1989), 86, note Ph. KAHN.
La possibilité de saisir une juridiction belge sur base du Code à propos d'un immeu-
ble situé à l'étranger paraît limitée, pour des motifs juridiques et pratiques. Si l'immeuble
est situé dans l'Union européenne, le règlement « Bruxelles I » - ou la Convention de
Bruxelles en cas de localisation au Danemark - excluent la compétence des juridictions
belges. Il en va de même d'un immeuble situé dans un Etat partie à la Convention de
Lugano (voy. supra, n ° 8.9). En cas de localisation dans un autre pays, une interprétation
de l'article 22 du règlement par la théorie de l'effet réflexe devrait exclure également la
compétence. Quoi qu'il en soit, la personne qui entend se prévaloir d'un droit réel immo-
bilier fait bien de saisir de préférence un tribunal du pays où l'immeuble est situé, afin de
ne pas risquer un refus d'exequatur, qui pourrait n'avoir d'autre motif que la compétence
exclusive à laquelle prétendrait l'Etat de la situation du bien.
111 Le tribunal belge devrait, en tout cas, se déclarer incompétent pour adresser une injonction à un
service public étranger. Il ne saurait ordonner ni qu'il soit procédé à une inscription sur un registre
foncier étranger ni que l'autorité compétente du lieu de situation de l'immeuble délivre un certifi-
cat foncier. Il n'y a cependant pas d'obstacle à ce qu'il se prononce sur le transfert d'un droit réel
immobilier par l'effet d'un contrat. L'exécution d'une telle décision dans le pays où l'immeuble est
situé suppose qu'elle y reçoive l'exequatur.
Ill Les tribunaux français déclinent leur compétence quand une action a pour objet un immeuble
situé à l'étranger. Voy. : BATIFFOL et LAGARDE, t. II, n ° 681.

c) Reconnaissance et mise à exécution des décisions étrangères en Belgique


13.7 - Règle de compétence indirecte - La décision prononcée dans un Etat membre de
l'Union européenne en violation de la compétence exclusive de l'article 22, 1 °, du règle-
ment « Bruxelles I » ne peut pas être reconnue en Belgique.
1111De nombreux traités bilatéraux - qui cèdent désormais devant le règlement « Bruxelles I » ou
devant la Convention de Lugano - ne contenant que des règles de compétence indirecte subordon-
nent la reconnaissance et l'exécution d'une décision étrangère ayant statué sur un droit réel immo-
bilier à la condition que le bien qui en fait l'objet soit situé sur le territoire du pays dont émane la
décision.
En ce sens, voy. notamment: l'article 4, § 2, de la Convention avec le Royaume-Uni, du 2 mai 1934,
et l'article 2, (1) h, de la Convention avec la Suisse, du 29 avril 1959 (voy. supra, n ° 8.37).
Les règles du droit commun ne contiennent aucune disposition explicite à cet égard.
Toutefois, si une décision d'un pays tiers s'est prononcée sur des droits réels sur un
immeuble situé en Belgique, alors que l'article 22 du règlement confère une compétence
exclusive aux juridictions belges, il y aura lieu de constater la violation, par la décision,
d'une règle de compétence exclusive, au sens de l'article 23, § 1er, 7°, du Code de droit
international privé.

Il. COMPÉTENCE INTERNATIONALE EN MATIÈRE MOBILIÈRE

13.8 - For alternatif du lieu de situation - Dans le contexte de l'Union européenne, la


demande portant sur des droits réels mobiliers ne fait l'objet d'aucune règle spécifique de
compétence internationale. Il en va autrement du droit commun.
Le règlement « Bruxelles I » n'offre pas d'autre chef de compétence que le critère
général du domicile du défendeur (art. 2).
LE RÉGIME GÉNÉRAL DES DROITS SUR UN BIEN 673

Le Code de droit international privé ajoute aux règles générales (voy. supra, n ° 9.48)
le cas où« _le bien est situé en Belgique» (art. 85).
1111 Le Code suit ainsi l'exemple du droit allemand (art. 23 ZPO) ou du droit néerlandais (art. 126,
3 °, Wetboek van burgerlijke rechtsvordering). -

Des précisions sont fournies à propos de certains biens dont la localisation est pro-
blématique. Pour d'autres, il n'y a pas lieu de procéder par analogie avec la localisation
retenue pour les besoins de la détermination du droit applicable (voy. infra, n ° 13.13). En
effet, les règles spéciales ayant cet objet utilisent un critère de rattachement sans conférer
à celui-ci la portée d'une localisation fictive.
L'article 85 fournit une explicitation pour une demande relative à des droits portant sur un
1111

fonds de commerce : celui-ci est réputé être situé en Belgique si le fond présente« les liens les plus
étroits» avec la Belgique (art. 85, renvoyant à l'art. 87, § 2).
De même, la demande concernant des droits réels sur une créance peut être introduite en Belgi-
1111

que si le débiteur est domicilié ou a sa résidence habituelle en Belgique lors de l'introduction de la


demande.

13.9 - Saisie de biens mobiliers - Comme en d'autres matières, la saisie peut être prati-
quée en Belgique, si les biens qui en font l'objet se trouvent en Belgique (art. 31 Règl.
« Bruxelles I », art. 10 Codip, concernant les mesures conservatoires, supra, n° 5 9.34 et
9.54).
Des instruments internationaux peuvent prévoir des règles particulières, telle la
Convention de Bruxelles, du 10 mai 1952, pour l'unification de certaines règles sur la sai-
sie conservatoire des navires de mer (loi du 24 mars 1961, Monit., 19 juillet 1961).
1111Cette Convention s'applique aux saisies effectuées en vertu d'une « créance maritime» (art. 2),
celle-ci pouvant avoir pour cause, notamment,« la propriété contestée d'un navire», ou encore« la
copropriété contestée d'un navire ou sa possession, ou son exploitation, ou les droits aux produits
d'exploitation d'un navire en copropriété» (art. 1er, 1 °, litt. o et p).
1111La Convention prévoit la compétence du juge dans le ressort duquel la saisie doit être pratiquée
(art. 4).
Elle étend cette compétence à celle de connaître du fond du litige, sous la condition qu'au critère de
la situation du bien s'en ajoute un autre, soit en vertu du droit du for, soit tel qu'il est défini par
l'article 7.

B. Règles générales de conflit de lois


1. DÉTERMINATION DE LA LOI RÉELLE

13.10 - Référence de principe à la loi du lieu de situation - Que ce soit en vertu de


l'article 3, alinéa 2, du Code civil, ou de l'article 87, § 1er, du Code de droit international
privé, la détermination de droits sur un bien est régie par le droit du pays de situation de
ce bien. Il n'y a pas lieu de distinguer, en soi, en fonction de la nature mobilière ou immo-
bilière du bien, classification qui dépend, au demeurant, de la loi qu'il convient de dési-
gner (voy. infra, n ° 13.11).
Ill!La jurisprudence avait interprété largement les termes de l'article 3, alinéa 2, du Code civil,
selon lesquels« Les immeubles, même ceux possédés par des étrangers, sont régis par la loi belge ».
Elle leur a reconnu une portée multilatérale et les a appliqués aux meubles comme aux immeubles.
La jurisprudence belge est pauvre à ce sujet. L'extension est surtout apparente en France: voy. Cass.
req., 19 mars 1872, Craven, D.P. (1874-1), 465, S. (1872-1), 238; Cass. req., 24 mai 1933, Kantoorde
Mas, S. (1935-1), 253, Revue (1934), 142.
674 LES BIENS

La portée de l'article 3 n'est pourtant pas des plus claires. Un projet antérieur prévoyait l'applica-
tion de l'alinéa 1er aux meubles. Dans l'ancien droit, la solution n'était pas certaine. Diversement
interprété, l'adage Mobilia sequuntur personam rattachait plutôt les meubles à la personne. Sur cette
évolution en France, voy. notamment B. ANCEL et Y. LEQUETIE, Grands arrêts de la jurisprudence fran-
çaise de droit international privé (Paris, Sirey, 2001 ), sous Cass. civ., 8 juillet 1969, D.I.A. C.
Le conflit transitoire de droit international privé n'est pas tranché autrement par le Code que
111!
dans une référence générale au principe de l'application aux actes et faits ultérieurs, et aux effets
futurs d'actes ou de faits antérieurs - à moins que ceux-ci ne consistent en un contrat, un fait
dommageable ou un quasi-contrat-, sous réserve d'une disposition spécifique pour les biens cul-
turels (voy. infra, n ° 13.15).

Appliqué à des biens meubles, le principe de la loi du lieu de situation soulève


immanquablement la question de la solution du conflit mobile: en cas de transfert du
bien d'un pays à un autre, convient-il de se référer à l'ancienne localisation ou à la
nouvelle ? L'importance de cette question justifie un développement particulier (voy.
infra, n° 13.14).
Une autre question affecte la localisation de biens incorporels: elle fait également
l'objet d'une analyse spécifique (voy. infra, n ° 13.18).

Il. ÜOMAINE DE LA LOI RÉELLE

13.11 - Définition du régime des biens - La« matière» des droits réels appelle une déli-
9:!_it_.iücm rigoureuse par rapport à d'autres questions de droit international privé, not.im-
ment celles qui concernent la forme ou la substance des actes juridiques privés portant
sur un bien : contrat de vente ou de donation, testament, bail, etc.
Toute question intéressant la constitution ou la transmission d'un droit réel immo-
bilier, n'appelle pas nécessairement l'application des règles de droit matériel de la !ex rei
sitae.
Par exemple, une indivision immobilière a diverses sources: elle peut être la conséquence d'une
Ill!
communauté de biens entre époux, un effet de la dévolution d'une succession à plusieurs héritiers,
une phase de la liquidation d'une personne morale déclarée nulle ou dissoute. Les règles auxquelles
obéit le partage en ces diverses circonstances ne relèvent pas nécessairement de la /ex rei sitae en tant
que loi applicable au régime des biens.
1111Si un immeuble dépendant d'une succession est situé dans un pays qui soumet les règles de
dévolution successorale à la loi nationale du défunt (par exemple, en Italie, art. 46 LDIP), le partage
judiciaire auquel procède un tribunal italien a pour effet d'investir les héritiers de la jouissance
effective de leurs parts respectives dans la succession. Pour déterminer celles-ci, le tribunal italien
fait application de la loi nationale du défunt, par exemple de la loi belge si le défunt était belge.

Le droit applicable au régime des biens détermine la liste et la définition des droits
_réels dont un immeuble ou un meuble peut faire l'objet, Jes conditions auxquelles ces
droits s'acquièrent, ~e conservent, se transmettent, et leur opposabilité aux tiers.
Selon le Code de droit international privé, ce droit « détermine, notamment :
1° le caractère mobilier ou immobilier d'un bien ;
IllCette forme de qualification lege causae répond à la nécessité de respecter la classification retenue
par le droit appelé à déterminer la nature des droits réels susceptibles de grever le bien, en fonction
de sa nature mobilière ou immobilière.

2° l'existence, la nature, le contenu et l'étendue des droits réels susceptibles d'affecter


un bien[ ... ];
LE RÉGIME GÉNÉRAL DES DROITS SUR UN BIEN 675

Cette liste ne porte pas sur la détermination des causes de création d'un droit. Celles-ci peuvent
11111

découler de la loi ou d'un acte privé, tel un contrat. Elle relèvent d'un rattachement auronome.
hin_si, l9rsque le droit est constitué par la voie d'un contrat, l'effet trarislatif du contrat opérant
transmission du droit réel dépend de la !ex rei sitae. En revanche, la capacité des parties relève en
principe de leur loi personnelle (voy. supra, n° 12.152). La validité et l'interprétation des act_esjuri-
digues doivent être soumises à la loi du contrat, encore qu'il y ait de grandes chances que cette loi
soit précisément la loi du pays où est situé l'immeuble qui en fait l'objet (voy. infra, n ° 14.131). La
forme des actes juridiques est en principe soumise à la règle Locus regit actum, mais la nécessité de
satisfaire aux exigences de fonctionnement des services de publicité foncière énerve l'efficacité de
cette maxime dans les pays dont le droit matériel distingue l'effet translatif immédiat du contrat de
son opposabilité aux tiers, ce qui explique la référence à la loi du lieu de situation en matière immo-
bilière.
Il existe aussi des causes légales ou conventionnelles d'attribution de la propriété d'un immeuble,
qui font chacune l'objet d'un rattachement approprié: l'application de la loi successorale, du
régime matrimonial légal ou conventionnel, de la loi régissant une société, et, le cas échéant, du
contrat de société au partage de l'actif social en cas de dissolution, en sont quelques exemples.
Le terme« existence » d'un droit vise l'énumération des droits réels établie par la l9i. Cette énu-
11111

mération relève de la compétence exclusive de la loi du lieu de situation.


Voy. par exemple: Liège, 4 (ou 24) novembre 2003, J.L.M.B. (2004), 1191, ].T. (2004), 215, qui,
appelé à interpréter la disposition d'un contrat de mariage attribuant les meubles au survivant, a
cherché à déterminer la nature des droits découlant d'un contrat de time-sharing portant sur un
immeuble situé au Portugal. La Cour a déduit de l'opposabilité aux tiers du droit d'habitation et de
l'inscription hypothécaire de ce droit en droit portugais, à la fois l'existence d'un droit réel et la
nature immobilière du droit.
3° les titulaires de ces droits ;
4 ° la disponibilité de ces droits ;
5° les modes de constitution, de modification, de transmission et d'extinction de ces
droits;
6° l'opposabilité aux tiers d'un droit réel.» (art. 94, § 1er).
Sur l'effet d'une clause de réserve de propriété - qui s'éteint par le droit d'accession résultant de
11111

l'incorporation du meuble à l'immeuble -, soumise au droit belge de localisationactuelle 111_ê111e_ si


la validité peut s'en apprécier en fonction de la loi du contrat, voy. : Liège, 20 janvier 1998, Rev. dr.
comm. belge (1998), 397.
Une dérogation à ce domaine apparaît en matière de successions: la transmission
des biens du défunt relève de la loi successorale, non sans une référence à la loi du lieu de
situation lorsque celle-ci requiert l'intervention d'une autorité publique (art. 82, § ier).
13.12 - Régime des sûretés - Certains droits sont constitués sur un bien aux fins de
garantir l'effectivité d'un autre droit. Alors qualifiés de« sûreté», ils peuvent recevoir les
_attributs d'un droit réel - ils sont alors qualifiés de droits réels accessoires-, tel le gage,
l'hypothèque, le privilège spécial sur un meuble ou sur un immeuble, voire le privilège
général. D'autres sûretés sont dites« personnelles » : elles prennent la forme d'un contrat
de garantie, tel le cautionnement, sans générer de droit réel. À ce titre, ces sûretés-ci
n'appellent pas de développement particulier dans le présent chapitre (voy. infra,
n° 14.122).
Le rattachement des droits réels accessoires n'appelle pas de règle spécifique dans
son principe : comme les droits principaux, leur détermination relève de la loi du lieu de
situation du bien.
11111 Sur le droit de rétention d'un bien comme moyen d'obtenir l'exécution d'une obligation, voy.:
Comm. Bruges, 19 septembre 1995, R W (1997-1998), 131, énonçant _u_!l_rattachement cumulatif à
676 LES BIENS

l.9c loi qui régit le rapport entre les parties (en l'espèce, la loi contractuelle) et à la loi de situation;
cette approche sévère signifie qu'un droit de rétention valable selon la première loi mais non la
seconde, ne peut être invoqué, cela afin de préserver les tiers ainsi que la sécurité du crédit. Il semble
que l'incidence de la loi réelle puisse se limiter à un rattachement disjonctif, distinguant la ques-
tion de l'opposabilité aux tiers : alors que la validité du rapport juridique entre parties et l'admissi-
bilité du droit de rétention relèvent de la loi qui régit ce rapport, l'existence d'un droit réel lié à la
rétention - et l'opposabilité de celle-ci aux tiers - relève de la loi de situation. En ce sens aussi, avec
de nombreuses références : A. NUYTS, « Le droit de rétention en droit international privé : quelques
observations sur le rôle de la loi de l'obligation, de la loi réelle et de la loi du lieu d'exécution », Rev.
gén. dr. civ. (1992), 30-53.
Comp. en France, en faveur du rattachement réel mais non sans hésitation pour l'interaction de la
loi contractuelle, l'avis du ministère public précédant: Cass. corn., 2 mars 1999, Sea Land Service,
Revue (1999), 305, cet arrêt se contentant cependant de constater que le rétenteur n'apportait pas la
preuve du contenu du droit étranger invoqué (sur ce moyen distinct affectant la condition procé-
durale du droit étranger, voy. supra, n° 5 6.54 et s.).
1111 Le conflit mobile donne lieu, pour les sûretés, à la même solution que pour d'autres droits réels.
IllLes sûretés affectant certains biens peuvent toutefois donner lieu à des règles spéciales, mais ces
biens font aussi l'objet d'un rattachement spécial pour la détermination des droits réels princi-
paux. Pour les navires et aéronefs, voy. infra, n° 13.17; pour les droits sur des créances, voy. infra,
n° 13.21.

Çela n'empêche pas de soumettre à sa loi propre le rapport contractuel éventuel qui,_
tel le contrat de gage.,__<! c::onstitué la garantie.
1111Pour une critique de la dualité des rattachements - le droit réel étant soumis à la loi de la situa-
tion actuelle du bien-~Î:-ie rapport contractueÇi la -loi d'autonomie-, en faveur de la loi d'aut<J:
.. nomie, voy. G. KHAIRALLAH, Les sûretés mobilières en droit international privé (Paris, Economica, 1984),
limitant le titre de la loi de la situation au cas du tiers qui a agi de bonne foi, sans légèreté ni impru-
dence. Cet auteur invoque notamment Cass. corn., 11 mai 1982, Localease c. Singer, Revue (1983),
450, note G. KHAIRALLAH, cassant l'arrêt qui avait exigé le respect des formes de publicité prévues
par le droit français à propos d'un meuble qui, importé d'Allemagne et localisé en France au
moment du litige, avait fait l'objet d'un contrat de crédit-bail entre un propriétaire et un locataire
allemands et avait été sous-loué à un Français.

Le Code précise que« l'existence de causes de préférence et leur rang, ainsi que la dis-
tribution du produit de la réalisation», relèvent de la loi de situation aux fins de réalisa-
tion du bien du débiteur (art. 94, § 2).
1111 La portée générale de la disposition inclut l'ensemble des causes de préférence, liées ou non à un
droit réel.
Ill Le privilège général relève aussi de ce rattachement. En cas d'éparpillement du patrimoine, il ne
trouvera cependant à s'exercer qu'en fonction du lieu de situation de chacun des biens qui en font
l'objet.
Ill En cas de faillite, voy. infra, n ° 13.67.

Ainsi, l'hypothèque relève certainement de la loi de situation pour ses effets à l'égard
de tiers, notamment des autres créanciers du débiteur hypothécaire. Mais les parties peu-
vent soumettre le contrat d'hypothèque à une autre loi.
Pour un renvoi général à la loi de situation, voy.: C.].C.E., aff C-222/97, 16 mars 1999, Trum-
1111

mer, Recueil (1999), I-1661, Rev. gén. dr. civ. (2000), 308, note H. MouREAU.
Le fait qu'un jugement étranger déclaratif de faillite a été exequaturé en Belgique n'empêche pas la
compétence du tribunal belge pour« apprécier, selon la loi belge, l'existence et le rang de la créance
hypothécaire afin de vérifier l'exactitude des opérations d'ordre, ensuite de la vente forcée d'un
immeuble sis en Belgique» (Civ. Bruxelles, sais., 24 juin 1970, Pas., 1970, III, 117).
LE RÉGIME GÉNÉRAL DES DROITS SUR UN BIEN 677

IllPour le rattachement du contrat hypothécaire, voy. infra, n ° 14.131. Quant à la forme, le contrat
devra cependant obéir à la loi de situation (art. 9 Conv. Rome).
Ill Un acte hypothécaire conclu à l'étranger mais portant sur un immeuble situé en Belgique devra,
pour recevoir« effet» en Belgique, être revêtu du« visa» du président du tribunal de première ins-
tance de la situation des biens (art. 77 de la loi hypothécaire du 16 décembre 1851). « Ce magistrat
est chargé de vérifier si les actes et les procurations, qui en sont le complément, réunissent routes
les conditions nécessaires pour leur authenticité dans le pays où ils ont été reçus » (al. 2). De plus,
l'exigence du visa est étendue à l'acte de consentement à radiation ou à réduction d'une inscription
hypothécaire, passé en pays étranger (art. 93, al. 3), ainsi qu'à la procuration dressée par un notaire
étranger et produite lors de la conclusion du contrat d'hypothèque en Belgique (Cass., 15 janvier
1853, Lecouteulx de Canteleu, Pas., 1853, I, 104).
Cette disposition refuse au contrat toute force obligaroire aussi longtemps qu'il n'a pas été soumis
à la formalité du visa. Le Code de droit international privé n'a pas abrogé cette disposition, mais il
l'a fait pour l'article 586, 2° C. jud, qui organise la compétence d'attribution. La formalité doit
donc être considérée comme une règle spéciale toujours en vigueur. Quant à la compétence d'attri-
bution, elle découle désormais de l'article 570 C. jud., et la procédure est celle prévue par l'article 27
du Code de droit international privé.
Cette formalité est plus sévère que l'article 27 du Code, puisque la formalité de l'inscription dans
un registre public est vue normalement comme un effet de la force obligatoire (§ 1er de l'art. 27) et
non de la force exécutoire(§ 2 de l'art. 27).
Il va de soi que l'acte étranger qui a fait l'objet d'une déclaration de force exécutoire au sens de
l'article 23 du Code, est dispensé de la formalité du visa.
Pour une application de l'article 77, voy.: Bruxelles, 19 février 1998, Pas. (1997), II, 48.
Pour un examen du Code à ce propos, voy. : J. DECUYPER, « Visa abrogé ou non ? That's the
question ! », Rec. gén. enr. not. (2005), 45-52.
Ill En droit conventionnel, la force « exécutoire» de l'acte est soumise à l'exequatur du président
du tribunal civil de la situation des biens (art. 17 Conv. de 1899 avec la France, art. 17 Conv. de
1925 avec les Pays-Bas, supra, n ° 8.32). De même, l'article 57 du règlement« Bruxelles I » (voy. supra,
n ° 8.6) prévoit que les actes authentiques reçus et exécutoires dans un Etat membre reçoivent un
effet exécutoire dans un autre Etat membre moyennant le respect de la procédure de l'exequatur.

§2 LOCALISATION PROPRE À CERTAINS BIENS


13.13 - Présentation - Certains biens soulèvent une difficulté particulière aux fins de la
solution du conflit de lois comme du conflit de juridictions, soit parce qu'étant en
mouvement ou l'ayant été, ils suscitent un conflit mobile, soit parce que, comme biens
incorporels, ils ne se laissent pas saisir par une localisation quelconque d'un élément
constitutif et nécessitent alors le recours à une fiction, soit encore parce que, constitutifs
d'un patrimoine, ils sont rebelles à une localisation dans un pays déterminé lorsque leurs
éléments sont éparpillés dans des pays différents.

A. Biens en circulation
13.14 - Solution du conflit mobile - Il existe entre les meubles et les immeubles une
différence fondamentale, qui exerce une influence directe sur la détermination du droit
applicable. Celle-ci tient à l.1 mobilité_ des choses précisément qualifiées de meubles.
Dans l~-!!1?,_!_(ère des droits réels sur un meuble corporel, _le conflit mobile résulte du
conc:o_t,1rs des droits réels constitués ou consentis sur la même chose, conformément aux
lois différentes par lesquelles le meuble transporté d'un pays à l'autre a été successive-
_ll}~nt régi.
678 LES BIENS

Les deux lois en vertu desquelles des droits réels inconciliables ont été consentis sur
le meuble corporel seront le plus souvent la loi de la situation antérieure du meuble et la
loi du pays où le meuble se trouve au moment du litige, laquelle coïncide avec la lex fori.
1111 Pour bien saisir la portée du conflit mobile dans la matière des droits réels sur un meuble corpo-
rel, il faut considérer la manière dont les différents systèmes de droit matériel conçoivent la dépen-
dance plus ou moins étroite de la propriété à l'égard de la possession.

S__elon l'interprétation donnée au principe de territorialité, les effets de la possession


.:tc:quise dans un pays déterminé doivent être reconnus dans les autres pays où le meuble
_corporel est, par la suite, transporté, mais la loi du pays où le possesseur actuel du bien a
_acquis celui-ci détermine les actions - telle la revendication - par lesquelles celui qui se
pr_éten~le vraipropriétaire du bien peut faire valoir ses droits.
1111 Voy. en ce sens: Civ. Bruxelles, 21 mai 1953, Pas. (1955), III, 4.

To_utefois, si, dans l'Etat de la situation actuelle du meuble, quelqu'un prétend avoir
acquis conformément à la loi locale un droit réel qui évince le droit acquis antérieure-
ment, cette loi déter!1]i_11-~_!.:t _p~ote_ction du possesseu~ contre ceux qui entendraient se
prévaloir de la loi désignée par une localisation antérieure du même bien, loi en vertu de
laquelle leur propre droit se serait constitué.
Le Code de droit international privé explicite cette forme de rattachement distribu-
tif dans la règle de base relative aux droits réels (art. 87). Après avoir affirmé le principe de
l'application de la loi de situation actuelle (§ 1er), il précise que l'acquisition ou la perte
de droits s'apprécie ~n fonction de la localisation du bien au moment de l'acte ou du fait
invoqué pour fonder cette acquisition ou cette perte (§ 2).
111 Par exemple, si une voiture a été acquise en Allemagne mais qu'elle est déplacée ensuite en Belgi-
que, où elle se trouve entre les mains d'un tiers, la détermination du droit de propriété relève de la
loi allemande mais la protection du possesseur sera celle du droit belge.
Voy. de même, pour l'application de l'article 2270 du Code civil belge à un bien situé en Belgique,
en faveur du possesseur qui avait acquis ce bien à l'étranger auprès d'un vendeur non-propriétaire:
Liège, 18 janvier 2002,].L.M.B. (2002), 1050. Mais la qualité de propriétaire suite à l'achat devrait
s'apprécier en fonction du droit correspondant à la situation du bien au moment du transfert de
propriété.
111L'avis du Conseil d'Etat dénonce un vice de circularité du raisonnement (Doc. pari., Sénat, 2001-
2002, n ° 2-1225/1, p. 265) pour le motif que les actes et faits pertinents au sens du§ 2 ne sont con-
nus qu'après détermination du droit applicable. Cependant, ce cercle vicieux est évité si la référence
va uniquement à l'invocation d'actes ou de faits par le demandeur, ce que fait précisément le texte
légal, tel que modifié suite à l'avis.
Ill L'article 87 du Code est inspiré de l'article 100 de la loi suisse de droit international privé.

L'efficacité de_§_ilr_et_ésréelles mobilières est particulièrement sensible au conflit


mobile. Selon la majorité des auteursfrançais, un meuble corporel ayant franchi une
frontière est purgé des droits réel_s _que la loj de la nouvelle situation ne tient pas pour
_valables. Ainsi formulée, la solution ne permet au détenteur d'un objet reçu en gage dans
un Etat, de le transférer dans un autre Etat et de faire valoir son droit de préférence qu'à
la condition qu'il remplisse les exigences auxquelles la loi du deuxième Etat en subor-
donne l'opposabilité aux autres créanciers ou à ceux qui revendiqueraient un autre droit
réel sur le même bien.
Ill Pour un cas d'application de la loi de la situation actuelle à un litige relatif à l'existence d'un
droit réel lié à un gage, voy. : Comm. Anvers, 22 mars 1990, D.E. T. (1991), 647.
LE RÉGIME GÉNÉRAL DES DROITS SUR UN BIEN 679

Il semble toutefois que l'application de la loi actuelle ne s'impose que pour la con-
frontation du droit, au moment de sa réalisation, avec d'autres droits concurrents. Sans
exiger pour autant une purge, il suffit de considérer que le concours des créanciers obéira
à la loi de la situation actuelle. Le Code confirme que la loi de situation détermine
« l'existence de causes de préférence et leur rang, ainsi que la distribution du produit de
la réalisation» (art. 94, § 2), sans préciser la solution du conflit mobile, mais cette solu-
tion est inhérente à la loi du concours, qui exige, pour la réalisation sur un bien déter-
miné, l'application d'une loi unique.
13.1 S - Revendication de biens transférés illicitement : biens volés et biens cultu-
rels - Le Code de droit international privé offre une protection particulière à la per-
sonne lésée lorsque la présence du bien hors du territoire d'origine est liée à un compor-
tement illicite, soit un vol, soit la violation d'une réglementation relative à la sauvegarde
de biens culturels.
Ill Quand une chose volée dans un pays a été transportée sur le territoire d'un autre pays, la victime
du vol peut se prévaloir normalement de la première loi sauf contre un tiers qui, prétendant avoir
acquis la propriété de la chose conformément à la loi du second pays, peut opposer à la revendica-
tion de l'ancien propriétaire les moyens de défense que lui offre la loi de la situation actuelle du bien.
Voy. en ce sens: trib. Amsterdam, 27 novembre 1932, Nederl. Jurisprudentie (1935), 1657. Comp.
routefois: Hof's-Hertogenbosch, 18 septembre 2000, NI.PR. (2001), 75, soumettant le bien volé à
la loi de situation avant la dépossession.
La protection consiste à offrir à la personne qui se prétend lésée une option de légis-
lation, entre la loi de la situation ancienne et celle de la situation actuelle du bien (art. 90
pour les biens culturels, art. 92 pour les biens volés).
Il La définition des éléments de l'hypothèse relève de la loi de l'ancienne situation. Il en va ainsi
pour savoir si le bien fait partie du patrimoine à protéger, si sa présence hors du territoire d'origine
est licite ou s'il y a eu vol.
1111L'incidence du temps fait l'objet de deux précisions dans le code au sujet des biens culturels,
concernant deux cas de conflit transiroire, un conflit de droit matériel et un conflit de droit inter-
national privé : la solution consiste à« geler» la règle de droit.
Le premier conflit vise le cas d'un changement de la loi de l'Etat d'origine sur un des éléments de
l'hypothèse, après que le bien a quitté le territoire de cet Etat: il n'est pas tenu compte de ce chan-
gement, afin d'éviter une protection rétroactive de la part d'un Etat en même temps intéressé par la
restitution.
Le second conflit concerne la modification de la règle belge de rattachement: l'article 90 régit uni-
quement le bien« qui a quitté le territoire de l'Etat de manière illicite après l'entrée en vigueur» du
Code, à savoir après le 1er octobre 2004. Introduite au cours des débats parlementaires, cette dispo-
sition tend à protéger les possesseurs actuels contre la nouvelle règle protectrice. L'exemple évoqué
lors des travaux préparatoires concerne notamment les collections possédées par les musées natio-
naux.
Il Dans sa résolution sur « La vente d'objets d'art sous l'angle de la protection du patrimoine
culturel», adoptée lors de sa session de Bâle en 1991 (Rev. belge dr. intern., 1991, 346), l'Institut de
droit international propose une règle de conflit de lois particulière, soumettant le transfert de la
propriété à la loi du pays d'origine du bien (art. 2) ; ce pays est défini comme « celui auquel, du
point de vue culturel, l'objet en question se trouve rattaché par le lien le plus étroit» (art. 1'r, b).
Il On trouvera des références à la jurisprudence dans l'étude de H. MurR-WATT, précitée n° 13.2,
notamment l'arrêt de la Court of Appeals (Seventh Circuit) des Etats-Unis du 24 octobre 1990 en
l'affaire Autocephalous Greek Orthodox Church of Cyprus and Republic of Cyprus v. Goldberg, commenté
par cet auteur et faisant droit à la revendication par l'Etat de Chypre de fresques arrachées d'une
église localisée sur son territoire. Camp. l'arrêt de la House of Lords dans l'affaire Attorney General of
New Zealand v. Ortiz, [1983] 2 Ali ER 93.
680 LES BIENS

111 Comp. infra, n ° 14.75, à propos d'une action en revendication d'un Etat étranger liée à la
matière contractuelle, l'absence de pouvoir de juridiction invoquée en France lorsque la demande
fondée sur le droit public étranger est« liée à l'exercice de la puissance publique».
1111 Les règles impératives - ou lois de police - du lieu de situation actuelle d'un objet d'art peuvent
encore, lorsqu'elles s'accompagnent d'une règle spéciale d'applicabilité, exercer une incidence sur la
validité de certains actes privés.
Voy. par exemple, sur la mise en œuvre de dispositions testamentaires, infra, n° 13.100.

Toutefois, une disposition à effet de cliquet entend protéger le possesseur de bonne


foi, au cas où la loi de la situation ancienne « ignore toute protection » du possesseur : au
minimum, celui-ci pourra compter sur la protection offerte par la loi de situation
actuelle (al. 2 des art. 90 et 92).
Ill La protection minimale du possesseur de bonne foi est envisagée par plusieurs instruments
internationaux au moyen d'une règle matérielle de droit international privé.
Outre la résolution précitée de l'Institut de droit international et la Convention Unesco du
14 novembre 1970 concernant les mesures à prendre pour interdire et empêcher l'importation,
l'exportation et le transfert de propriété illicites des biens culturels (non ratifiée par la Belgique),
voy. la directive européenne citée ci-dessous, ainsi que la convention d'Unidroit du 24 juin 1995 sur
les biens culturels volés ou illicitement exportés (I.L.M., 1995, 1322, Revue, 1997, 239, commentaire
G. DRoz).

Dans le contexte de l'Union européenne, la directive 93/7 du 15 mars 1993 relative à


la restitution de biens culturels ayant quitté illicitement le territoire d'un Etat membre
(j.O.C.E., 1993, L 74, loi du 28 octobre 1996, Monit., 21 décembre 1996) établit des règles
matérielles uniformes, tout en soumettant leur applicabilité dans l'espace à un critère
implicite, à savoir que le bien se trouve actuellement dans un Etat membre après avoir
quitté le territoire d'un autre Etat membre. Cette règle d'applicabilité ne se substitue pas
à une règle de rattachement, qui reste formellement nécessaire dans le cas particulier
puisque le juge, loin de pouvoir appliquer directement la directive, se doit encore de dési-
gner la loi nationale de transposition pertinente. Cette désignation dépendra alors de la
règle de rattachement nationale.
1111L'illicéité de l'exportation est déterminée en fonction de la loi d'origine, alors que le bien cultu-
rel est défini de manière autonome en fonction de critères énoncés par la directive.
1111Une règle spéciale de compétence internationale prévoit que la demande est introduite devant le
tribunal compétent de l'Etat de situation actuelle du bien (arc. 5).
Une règle spéciale de rattachement affecte le droit de propriété après la restitution, par réfé-
11111

rence à la loi de l'Etat d'origine : « La propriété du bien culturel après la restitution est régie par la
législation de l'État membre requérant. » (art. 12).
La directive a été transposée en droit belge par la loi du 28 octobre 1996 (Monit., 21 décembre
1111

1996).

Des mécanismes de coopération peuvent être mis en place par la voie d'instruments
internationaux.
Voy. par exemple, outre la directive précitée, la Convention européenne pour la protection du
1111

patrimoine archéologique, du 16 janvier 1992 (Rev. gén., 1992, 480, www.coe.int, non en vigueur en
Belgique).
Sous l'angle de la compétence, le législateur a prévu, dans la loi de transposition de
la directive, la possibilité de porter une demande devant le juge des saisies du lieu où se
trouve le bien. Cependant, lorsque celui-ci est la propriété d'un Etat étranger et qu'il fait
l'objet d'une exposition en Belgique, il est insaisissable, à moins qu'il soit affecté à une
LE RÉGIME GÉNÉRAL DES DROITS SUR UN BIEN 681

activité économique ou commerciale de droit privé (loi du 14 juin 2004, Monit., 29 juin
2004).
llll La loi du 14 juin 2004 fait application de la théorie de l'immunité restreinte d'exécution (voy.
supra, n ° 9.18).

13.16 - Biens en transit et équipements de transport- Les questions de droit que sus-
cite une chose pendant qu'elle se déplace d'un pays à l'autre résistent à l'application de la
lex rei sitae : le caractère fugace de toute localisation rend arbitraire le choix d'un moment
où la chose en mouvement serait, par l'effet d'une fiction, réputée immobile. De plus, ces
biens peuvent, à un moment donné, se trouver dans un espace soustrait à toute souverai-
neté.
Les principaux meubles corporels en déplacement sont les marchandises d'une part,
les équipements de transport (navires, bateaux, aéronefs, automobiles, matériel roulant
de chemin de fer) d'autre part.
Le Code de droit international privé opère une distinction selon que le bien fait ou
non l'objet d'un enregistrement.
Pour les marchandises non enregistrées, il désigne le droit du pays de destination
(art. 88).
Ill La solution est inspirée de l'article 101 de la loi suisse de droit international privé.
D'autres rattachements ont été proposés : loi du pays de l'expédition (Convention de La Haye
1111

du 15 avril 1958 sur la loi applicable au transfert de propriété en cas de vente à caractère internatio-
nal d'objets mobiliers corporels, non en vigueur, art. 6), loi du pavillon en ce qui concerne les mar-
chandises voyageant par mer, et, sous certaines conditions, loi du pays de destination pour les
marchandises transportées par terre.
Pour un état de la question, voy. notamment: BATIFFOL et LAGARDE, t. II, n ° 509.

Les navires, autres bateaux et aéronefs, ainsi que les véhicules destinés à la circula-
tion sur la voie publique, sont immatriculés. L'immatriculation est un acte administratif
national consistant à inscrire le bien sur les registres tenus à cette fin par chaque Etat.
illL'immatriculation des aéronefs est organisée par les articles 17 à 21 de la Convention de Chi-
cago, du 7 décembre 1944, relative à l'aviation civile internationale (loi du 30 avril 1947, Pasin.,
1948, 857).
ill L'immatriculation en Belgique est organisée par diverses réglementations, à savoir notamment:
- Pour les aéronefs: l'article 6 de la loi du 27 juin 1937 (Monit., 26 juillet 1937) et les articles 2 à 18
de l'arrêté royal du 15 mars 1954 (Monit., 26 mars 1954).
- Pour les navires et bateaux: la loi du 21 décembre 1990 relative à l'enregistrement des navires
(Monit., 29 décembre 1990) et l'arrêté royal du 21 décembre 1990 (Monit., 29 décembre 1990).
- Pour les bâtiments de plaisance : l'arrêté royal du 15 mars 1966 relatif aux lettres de pavillon et à
l'équipement des bâtiments de plaisance (Monit., 6 avril 1966) et l'arrêté ministériel d'exécution
du 16 mars 1966.
La Convention relative à la reconnaissance internationale des droits sur aéronefs, signée à
llll
Genève le 19 juin 1948, a été ratifiée par la Belgique (loi du 6 août 1993, Monit., 18 décembre 1993).
Comp., dans la Communauté européenne, la proposition de règlement du Conseil du
Ill!
13 décembre 1991 relative au registre et au pavillon communautaires (l.O.C.E., 1991, C 19).
L'immatriculation tient lieu de nationalité pour les navires et aéronefs, pour les
besoins de l'application de textes qui utilisent le concept de nationalité.
Ill!Sur la nationalité des aéronefs, voy. l'article 17 de la Convention de Chicago et l'article 6 de la
loi du 27 juin 1937.
682 LES BIENS

11! Pour les navires, la Convention de Moncego Bay du 10 décembre 1982 sur le droit de la mer (loi
du 18 juin 1998, Monit., 16 décembre 1999) précise (arc. 91) que« Les navires possèdent la nationa-
lité de l'Etat donc ils sont autorisés à battre pavillon», et chaque Etat fixe souverainement les con-
ditions d'attribution de cette nationalité, les conditions d'immatriculation et le droit de battre
pavillon, mais« il doit exister un lien substantiel entre l'Etat et le navire».
En Belgique, voy. l'article 2 de la loi du 21 décembre 1990 relative à l'enregistrement des navires
(Monit., 29 décembre 1990): le droit de battre pavillon «belge» est soumis à la formalité de
«l'enregistrement».
Il!Pour une référence à l'Etat d'enregistrement, base d'octroi du pavillon, comme élément consti-
tutif de la nationalité d'un navire pour les besoins de l'interprétation du traité CE, voy.
notamment: C.J.C.E., aff. C-246/89, 4 octobre 1991, Royaume-Uni, Rec., 1991, 4607, C.M.L.R.
(1992), 405, note CHURCHILL; aff. C-280/89, 2 décembre 1992, Irlande, Rec. (1992), I-6185.
Il paraît plus rationnel de soumettre le droit réel à la loi nationale de l'engin (appe-
lée, pour les navires, loi du pavillon) qu'à la loi de sa situation. Ce principe est confirmé
par le Code de droit international privé (art. 89), qui retient pour critère le lieu d'inscrip-
tion dans un registre public.
Le critère de l'immatriculation ne résout pas toute difficulté. Si un cumul d'imma-
triculations semble exceptionnel, il est plus fréquent que le bien fasse l'objet d'un chan-
gement d'immatriculation, générant un conflit mobile.
1111Pour les aéronefs, l'article 19 de la Convention de Chicago se borne à constater que :
« L'immatriculation ou le transfert d'immatriculation d'aéronefs dans un Etat s'effectue confor-
mément à ses lois et règlements. »
Le législateur belge s'est efforcé d'éviter tout cumul d'immatriculations. D'après l'article 5 de
l'arrêté royal du 15 mars 1954, « aucun aéronef immatriculé à l'étranger n'est immatriculé en Belgi-
que avant d'avoir été rayé du registre étranger».
Voy. aussi les articles 6, 9 et 11 du même arrêté.
IllPour les navires, la Convention de Moncego Bay exclut les effets d'un cumul de nationalités :
« Les navires naviguent sous le pavillon d'un seul Etat» (art. 92, § l "} S'il navigue sous le pavillon
de plusieurs Etats, le navire« ne peut se prévaloir, vis-à-vis de tout Etat tiers, d'aucune de ces natio-
nalités et peut être assimilé à un navire sans nationalité » (§ 2).
1111Sur le changement de pavillon des navires dans la Communauté, voy. le règlement 613/91 du
4 mars 1991 relatif au changement de registre des navires à l'intérieur de la Communauté U,O.C.E.,
1991, L 68), prévoyant l'obligation pour l'Etat d'autoriser l'immatriculation d'un navire qui a fait
l'objet d'un agrément antérieur dans un autre Etat membre.
L'effet utile du texte légal suppose qu'en cas de pluralité d'immatriculations simul-
tanées, la référence soit faite à celle du pays avec lequel l'engin a les liens les plus substan-
tiels. Quant au conflit mobile, il se résout normalement selon les principes applicables
aux meubles corporels.
Ill L'article 89 du Code ne fournit pas de précision sur le conflit mobile. En évoquant « le droit de
l'Etat sur le territoire duquel l'inscription a eu lieu », le texte formule simplement le critère de rat-
tachement pertinent, sans trancher le cas d'un changement d'immatriculation.
Pour les navires, le critère du pavillon remplit pratiquement la fonction du critère de l'immatri-
1111

culation. Voy. déjà l'article 22 de la loi maritime, ci-dessous.


Pour les besoins de la compétence internationale, notamment la localisation du
bien aux fins de saisie, c'est la situation concrète du matériel qui continue de servir de cri-
tère, dès lors qu'il convient de prendre une mesure de coercition. Certains engins peuvent
toutefois donner lieu à une règle particulière, qui tend à surmonter la difficulté de locali-
sation. Ainsi, le matériel de chemin fer obéit à une règle de concentration au lieu de l'éta-
blissement du propriétaire.
LE RÉGIME GÉNÉRAL DES DROITS SUR UN BIEN 683

Ill!Le matériel roulant de chemin de fer est, par la Convention de Berne qui y est applicable, sous-
traie à coute saisie autre que celle qui serait ordonnée par un tribunal de l'Etat de l'administration
de la compagnie ferroviaire à laquelle ce matériel appartient (COTIF, arc. 57, § 3 ; voy. infra,
n° 14.155).
Ill Sur la saisie des navires, voy. supra, n ° 13.9.

13.17 - Sûretés grevant des équipements de transport - Le rattachement des navires et


d'autres bateaux à la loi de leur pavillon et des aéronefs à la loi de l'immatriculation au
titre de loi de situation pour la détermination des droits réels (art. 89 Codip) s'étend aux
sûretés consenties sur ces meubles corporels. En cas de conflit mobile, la concrétisation
du facteur est celle au jour de la constitution de la sûreté (voy. supra, n ° 13.14).
Ill!Pour les navires, voy. l'article 22 de la loi maritime, selon lequel l'étendue des privilèges et hypo-
thèques sur le navire« est réglée par la loi du pavillon que portait légalement le navire au moment
où s'est opéré le changement de nationalité » (art. 22 de la loi maritime). La solution ainsi donnée
au conflit mobile présuppose une consécration du facteur du pavillon.
L'hypothèque, le mortgage ou le gage maritime est soumis à la loi du pays « auquel le navire est
ressortissant» (arc. 1er) selon la Convention de Bruxelles du 10 avril 1926 pour l'unification de cer-
taines règles relatives aux privilèges et hypothèques maritimes (loi du 20 novembre 1928, Pasin.,
1931, 143). Cette Convention contient une règle d'applicabilité qui en restreint le domaine aux
navires ressortissants d'un Etat contractant (art. 14). Elle a été modifiée par deux Conventions du
27 mai 1967 (non en vigueur). Sur ces modifications, voy. C. LEGENDRE,« La conférence diplomati-
que de Bruxelles de 1967 », Le droit maritime français (1967), 515 et s.; SIMON et HENNEBICQ, « Les pri-
vilèges et hypothèques maritimes et l'inscription des droits relatifs aux navires en construction »,
Rev. dr. int. dr. camp. (1967), 149-174.
De même, « l'hypothèque maritime ou fluviale et les privilèges régulièrement établis sont réglés
suivant la législation de celui des deux Etats auquel le navire est ressortissant» (art. 23, al. 3) selon
la Convention belgo-néerlandaise du 28 mars 1925 relative à la compétence (voy. supra, n ° 8.32).
1111Sur l'éventualité d'une saisie conservatoire consécutive à la constitution, selon le droit applica-
ble, d'un mortgage de droit anglo-saxon, voy., dans le cadre de la Convention de Bruxelles du 10 mai
1952 pour l'unification de certaines règles sur la saisie conservatoire des navires de mer (loi du
24 mars 1961, Pasin., 1961, 591): Cass., 18 septembre 1981, Aegean Moon Inc., Pas. (1982), I, 92.
Comp., pour les aéronefs, la Convention de Rome du 29 mai 1933 (loi du 11 septembre 1936,
Pasin., 1937, 35) pour l'unification de certaines règles relatives à la saisie conservatoire des aéronefs.
1111Pour les aéronefs, voy. encore la Convention du 19 juin 1948 relative à la reconnaissance inter-
nationale des droits sur aéronefs (loi du 6 août 1993, Monit., 18 décembre 1993, et le commentaire
de G. JAKHIAN,j. T., 1995, 377). Celle-ci établit un régime d'hypothèque donc l'applicabilité s'étend à
la reconnaissance du droit sur un aéronef immatriculé dans un autre Etat contractant.
1111Pour les équipements ferroviaires, cellules d'aéronefs et équipements spatiaux, voy. la Conven-
tion Unidroit de 2001 relative aux garanties internationales portant sur des matériels d'équipe-
ment mobiles (www.unidroit.org, non en vigueur), qui établit un régime matériel complété de
règles de compétence mais non de rattachement, et détermine son applicabilité en fonction de la
« situation » du débiteur à la garantie dans un Etat contractant. Cette situation est définie au
moyen d'une disposition analogue à celle de l'article 48 du traité CE.
La soumission des privilèges maritimes et aériens à la loi du pays d'immatriculation
ou, pour le navire, du pavillon conforte une partie de la jurisprudence extérieure.
La jurisprudence a hésité à appliquer la loi du pavillon. Dans le sens de l'application de la loi du
1111

lieu de situation, voy.: Bruxelles, 12 mai 1956, fur. Anv. (1957), 195; Anvers, 30 juillet 1982, fur.
Anv. (1983-1984), 347; dans le sens de la loi du pavillon, voy.: Gand, 10 octobre 1986, Rev. dr.
comm. belge (1987), 113, note K. LENAERTS; Comm. Gand, 18 septembre 2001, Tijdschr. Gentse Rechts-
praak (2001), 326.
K. LENAERTS, précité, distingue la détermination du droit applicable à la création du privilège, celle
du droit applicable à l'exercice du privilège (notamment l'opposabilité aux tiers) et celle du droit
684 LES BIENS

applicable aux modalités d'exécution sur les biens. La première relève du droit applicable au rap-
port juridique de base, la seconde du droit de la situation du bien et la troisième, du droit du for.
C'est au titre de loi de situation que la loi du pavillon régit les modalités d'exercice du privilège.
Pour les aéronefs, voy.: Comm. Bruxelles, 25 janvier 1984,j.C.B. (1985), SS, se référant au ratta-
1111

chement de principe à la loi de l'immatriculation, mais appliquant de manière subsidiaire la loi


belge, avec laquelle l'avion « a le plus de liens », motif pris de l'irrégularité de l'immatriculation
selon le droit des Etats-Unis.
Pour une critique générale de la prééminence de la loi du pavillon, voy. S. CARBONE, « La régle-
1111

mentation du transport et du trafic maritimes dans le développement de la pratique


internationale», Recueil des cours, vol. 166 ( 1980-I), 251-364, 327 et s.

B. Biens incorporels
13.18 - Problématique de localisation d'un droit - Le concept de bien a normalement
pour éléments constitutifs une chose, partie du monde réel, et une valeur qui y est atta-
chée, par laquelle la chose est susceptible d'un acte juridique. L'activité humaine est elle-
même productrice de valeurs : les prestations sont évaluables en argent sans que corres-
ponde nécessairement à cette valeur une chose bien déterminée, mais elles peuvent aussi
constituer une action, ou un ensemble d'actions, sur une chose tout en acquérant une
valeur propre.
Le système juridique prend en compte cette valorisation de l'activité en lui recon-
naissant une identité propre. Cette abstraction prend la forme de la création d'un droit,
détachable d'une chose déterminée et de nature à pouvoir faire l'objet d'opérations,
comme aussi à pouvoir être grevée de droits propres. Ainsi apparaissent des droits sur un
droit.
Le phénomène identifiable le plus aisément est celui des « droits intellectuels ».
Quoique ne portant pas sur la maîtrise d'une chose du monde matériel, ils peuvent faire
l'objet d'un droit de« propriété», assurant au titulaire une exclusivité sur son œuvre qui,
en raison de son originalité - et de cette exclusivité - acquiert une valeur propre. Ce
« droit intellectuel » peut être cédé ou transféré, donné en garantie, comme toute chose
susceptible d'appropriation.
1111 Voy. par exemple, pour un rattachement de droits réels portant sur un dessin ou modèle visé par

le règlement 6/2002 du 12 décembre 2001 sur les dessins ou modèles communautaires (J.O.C.E.,
2002, L 3), l'application de la loi du domicile du titulaire du dessin ou modèle à la question si le
dessin ou modèle est un droit de propriété (art. 27) ainsi qu'à l'opposabilité aux tiers du transfert
du droit ou d'un gage (art. 33).
Le même constat peut être fait pour un droit de créance, habilitation du créancier à
exiger du débiteur une prestation imposée par la loi ou par le contrat. Le créancier peut
aussi transférer son droit, le donner en garantie, accomplir des actes juridiques qui trai-
tent l'obligation comme un objet de droit mobilisable.
Tantôt encore, c'est un ensemble de biens, constitué en patrimoine, qui peut faire
l'objet, comme tel, de droits détachables des biens déterminés qui le composent: par le
fait même, ce patrimoine peut être engagé, et l'ensemble des actifs peut servir à couvrir le
passif qui y est lié. Ainsi, le droit conçoit comme un patrimoine l'ensemble des biens lais-
sés par le défunt, ou l'ensemble des biens laissés par le failli, voire un ensemble de biens
affectés à une destination déterminée, tel un fonds de commerce et, au-delà, le patri-
moine constitutif d'une société.
LE RÉGIME GÉNÉRAL DES DROITS SUR UN BIEN 685

Les questions juridiques soulevées par certains de ces biens de nature incorporelle
ont acquis une autonomie propre: c'est le cas de la propriété intellectuelle, du droit suc-
cessoral, du droit de la faillite. Leur analyse fait donc l'objet d'un traitement séparé.
Quant aux droits de créance, ils relèvent normalement d'un rattachement qui leur
est propre, celui qui régit le rapport juridique dont ils sont issus. Appelle seule un traite-
ment particulier la question de leur localisation en tant qu'objet d'un droit, telle la
créance gagée.
Appelle aussi un traitement particulier la localisation d'un titre représentatif d'un
patrimoine ou d'une partie de patrimoine, chaque fois que ce titre peut acquérir une
valeur propre par sa négociabilité et peut, de ce fait, devenir l'objet même d'un droit, tel
un gage ou un usufruit sur une part représentative du capital d'une société.

13.19 - Localisation d'un droit de créance - La détermination d'une créance relève de


la loi applicable au rapport juridique qui l'a créée, contrat ou quasi-délit. De plus, la ces-
sion d'une créance obéit à un rattachement qui lui est propre (voy. infra, n ° 14.57).
La loi applicable au rapport de base définit-elle pour autant la localisation même du
droit de créance, en tant que bien faisant partie d'un patrimoine et, partant, susceptible
de mesures d'appropriation?
Pour les besoins de la détermination de droits réels sur une créance, le Code de droit
international privé introduit une règle spéciale de rattachement, qui a égard à la rési-
dence habituelle de la personne qui a constitué de tels droits (art. 87, § 3).
IllAinsi, les éléments d'un droit de gage sur une créance, par exemple sur une facture, sont déter-
minés en fonction du droit de la résidence habituelle du débiteur gagiste. Ce rattachement permet
d'assurer une unité de la loi applicable en cas de mise en gage d'une pluralité de créances. Il focalise
aussi sur un élément connu de l'ensemble des personnes concernées (débiteur de la créance gagée,
créancier gagiste).

Ce rattachement ne vaut qu'en cas de constitution volontaire d'un droit réel, non
lorsque le droit existe en vertu de la loi. En ce cas, le droit réel doit être considéré comme
attaché au rapport juridique qui l'a fait naître, et relever du rattachement de la créance
sur laquelle il porte.
Ill Ainsi, l'existence d'un privilège au profit du tiers lésé sur les indemnités dues par l'assureur
dépend de la loi qui régit les obligations de l'assureur, soit la loi contractuelle, soit éventuellement
une loi de police terriroriale (Liège, 21 février 1978, fur. Liège, 1978-1979, 161; Comm. Anvers,
25 avril 1991,Jur. Anvers, 1994, 243).

Le droit communautaire semble appliquer un principe d'attraction par le lieu de


réalisation. Les actifs d'une compagnie d'assurances représentés par des créances sont
localisés « dans l'Etat membre où ils sont réalisables» (directive 73/239 du 24 juillet
1973 relative à l'accès à l'activité de l'assurance directe autre que l'assurance sur la vie et à
son exercice,].O.C.E., 1973, L 228, art. 5, c). En matière d'insolvabilité,« pour les créances,
[... ] l'Etat membre dans lequel se trouve un bien [est celui] sur le terriroire duquel se
trouve le centre des intérêts principaux du tiers débiteur» (règlement 1346/2000 du
29 mai 2000 relatifaux procédures d'insolvabilité,].0.C.E., 2000, L 160, art. 2, g).
1111Comp., pour la localisation de droits sur un droit de propriété intellectuelle au domicile du
titulaire de celui-ci, le règlement 6/2002, précité.
686 LES BIENS

13.20 - Billets de banque et dépôts bancaires - Même s'ils sont assimilés à des droits
réels en raison du titre qui les incorpore, les billets de banque sont parfois soumis à des
règles spéciales de droit international privé.
La possession de billets ou leur revendication au sens des articles 2279 et 2280 du
Code civil est régie par la loi de situation actuelle des billets, chose corporelle, à savoir par
le droit belge si ceux-ci se trouvent en Belgique.
Toutefois, l'alinéa 3 de l'article 2279 du Code civil interdit que le droit de revendica-
tion contre le possesseur prévu par l'alinéa 2 en cas de perte ou de vol soit applicable
« aux billets de la Banque nationale de Belgique et aux billets émis en vertu de la loi du
12 juin 1930 lorsque leur possesseur est de bonne foi». Cette règle a pour effet de sou-
mettre au seul alinéa 1er de l'article 2279 la catégorie de biens qu'elle désigne. Les billets
de banque étrangers demeurent soumis au droit commun de la propriété mobilière.
Ill Pour l'application de l'alinéa 3, la circonstance que les billets ont été acquis, perdus ou volés à
l'étranger est indifférente: le législateur prohibe qu'ils puissent être revendiqués contre la personne
qui les possède de bonne foi en Belgique. La loi belge est ainsi applicable pratiquement en tant que
lexfori.
Cela exclut aussi qu'une décision étrangère ayant fait droit à une telle revendication puisse, par
!Ill
son exequatur, contraindre le possesseur de bonne foi à restituer les billets de banque qu'il détient
sur le territoire belge.
La localisation d'actifs inscrits en compte bancaire peut également soulever une dif-
ficulté. L'inscription en compte représente un montant correspondant à des espèces
fongibles ; et la banque a pour obligation de restituer un montant équivalent, dans la
monnaie du compte. Lorsque le client a constitué un droit réel sur les montants en
compte, convient-il d'utiliser le rattachement des droits sur une créance, par une localisa-
tion en fonction de la résidence habituelle du client, en vertu de l'article 87,
paragraphe 3, du Code de droit international privé ? Cette solution reposerait sur une
qualification des droits du client sur les biens inscrits en compte comme des droits de
créance, qualification « légale » qui peut dépendre du droit qui régit la relation bancaire.
Il paraît suffisant de s'arrêter à la constatation que l'inscription en compte reflète la réa-
lité d'espèces déposées, ces espèces constituant des biens corporels: il y a alors lieu de
localiser le droit réel éventuel en fonction de la localisation de ces espèces, normalement
au lieu d'ouverture du compte bancaire.
Le même résultat serait atteint en considérant que le droit patrimonial à la restitution des mon-
1111

tants déposés est incorporé dans le titre que constitue l'inscription en compte: le rattachement
prévu par l'article 91, paragraphe 1er (voy. ci-dessous) désigne alors pratiquement la loi de l'établis-
sement principal de la banque dépositaire.
1111 li paraît insuffisant de s'arrêter à la constatation de l'existence d'un droit de créance du client

sur la banque. En effet, dans l'affirmative, il faudrait procéder de même pour tout droit de créance
affectant un bien corporel, par exemple lorsque le propriétaire d'une voiture a déposé celle-ci
auprès d'un réparateur. Pour les besoins du droit international privé, l'élément pertinent pour
identifier le domaine du rattachement en fonction du droit de créance, est l'absence de toute réalité
corporelle : à ce titre, la disposition de l'article 87, § 3, a une portée résiduelle.

13.21 - Titres au porteur et titres dématérialisés - Un bien corporel, telle une mar-
chandise ou un ensemble de biens, corporels et incorporels - comme une part sociale
représentative d'une partie du capital, mais aussi de la valeur d'une société - peuvent
donner lieu à l'émission d'un certificat, à l'exclusion de toute autre trace, dont la posses-
sion est destinée à établir un droit de propriété. Ce certificat sera, lui-même, négociable. Il
LE RÉGIME GÉNÉRAL DES DROITS SUR UN BIEN 687'

arrive aussi que le titre même ne fasse pas l'objet d'un certificat incorporé sur un support
meuble, mais qu'il fasse l'objet d'une inscription en compte, tantôt dans un registre tenu
par l'émetteur - c'est le cas des titres nominatifs de sociétés-, tantôt dans les livres d'un
intermédiaire financier enregistrant uniquement, au regard du nom d'un titulaire, le
nombre de parts détenues par celui-ci - hypothèse dite des titres dématérialisés.
La détermination de droits sur un titre relève d'un rattachement disjonctif.
D'un côté, la détermination de droits sur un titre incorporé dans un certificat relève
de la loi du lieu de situation du titre. En cas de conflit mobile, le rattachement distributif
observé pour les meubles corporels est également applicable (art. 91, § 2, Codip). En cas
de titre nominatif ou de titre dématérialisé, le rattachement a lieu en fonction du lieu
d'inscription du titre en compte, avec une présomption réfragable de localisation en
fonction de l'établissement principal de la personne qui tient le compte des titulaires de
titres (art. 91, § 1er, Codip), soit la société émettrice pour le titre nominatif, soit l'intermé-
diaire financier pour le titre dématérialisé.
La formulation générale de l'article 91, § 1"1 , permet d'en étendre l'application à d'autres titres
1111

que ceux représentatifs d'une marchandise ou d'une part de capital, tels les « permis de polluer»
devenus négociables (sur ces permis, voy. la directive 2003/87 du 13 octobre 2003 établissant un
système d'échange de quotas d'émission de gaz à effet de serre dans la Communauté,].O.C.E., 2003,
L275).
1111Cette formulation permet de couvrir la pratique de la détention de titres dématérialisés auprès
d'intermédiaires financiers, dans la mesure où le terme« enregistrement prévu par la loi » doit être
entendu dans un sens générique comme ne se limitant pas à un « registre public» (voy. à cet égard
l'exposé des motifs de la proposition de loi, Doc. pari., Sénat, 2003-2004, n ° 3-27/1).
L'arrêté royal n ° 62 du 10 novembre 1967 relatif au dépôt d'instruments financiers fongibles et la
liquidation d'opérations sur ces instruments (Monit., 14 novembre 1967) comporte deux disposi-
tions qui intéressent le conflit de lois. L'une définit l'organisme de liquidation comme un orga-
nisme agréé par le Roi (art. 1"). L'autre précise que la mise en dépôt d'instruments par l'organisme
de liquidation auprès d'autres dépositaires à l'étranger « n'affecte pas l'application » de cet arrêté
(art. 4). L'une et l'autre règles expriment une approche unilatérale, puisqu'elles se préoccupent seu-
.Jement de la gestion de titres sur le territoire. En ajoutant que le sous-dépôt à l'étranger n'affecte
pas l'application du régime matériel lié aux opérations, le texte donne à entendre qu'il est assorti
d'une règle d'applicabilité prenant pour critère l'organisme de liquidation agréé en Belgique.
Ill La Conférence de La Haye a également adopté, le 13 décembre 2002, une Convention sur la loi
applicable à certains droits sur des titres détenus auprès d'un intermédiaire (non en vigueur). La
Convention concerne, dans l'ensemble, la détermination de droits réels sur les titres dématérialisés.
Elle se distingue par la consécration de l'autonomie de la volonté, mais limitée à la désignation de
la loi d'un pays dans lequel l'intermédiaire a un établissement effectuant de telles opérations. À
défaut de choix valable, les droits sont régis par la loi de« l'établissement particulier» via lequel la
convention de compte a été conclue. Subsidiairement, ils sont régis par la loi « qui régit la
constitution» de l'intermédiaire. Le texte ajoute encore une liste de« critères exclus» pour la déter-
mination du rattachement.
Formulée dans une langue ardue, dont la version française est parfois rendue approximative par la
traduction de l'anglais, la Convention recourt à des rattachements atypiques et nécessite une
méthode de raisonnement qui semble plus familière de l'approche américaine que de l'approche
continentale.
Sur la Convention, voy.: P. BLOCH et H. DE VAUPLANE, « Loi applicable et critères de localisation des
titres multi-intermédiés dans la Convention de La Haye du 13 décembre 2002 », Clunet (2005), 3-
40; M. GERMAIN et C. KESSEDJIAN, « La loi applicable à certains droits sur des titres détenus auprès
d'un intermédiaire. Le projet de convention de La Haye de décembre 2002 », Revue (2004), 49-82.
IllLa dépossession involontaire de titres au porteur a suscité des règles matérielles particulières
dans un grand nombre de législations nationales.
688 LES BIENS

Voy. à titre d'exemple la loi du 24 juillet 1921 (Monit., 10 août 1921) relative à la dépossession invo-
lontaire des titres au porteur.
Ces législations permettent à la victime de la perte ou du vol de faire opposition auprès de l'orga-
nisme qu'elles désignent, procédure qui, étant suivie de la publicité appropriée, a pour effet de ren-
dre irrégulière et de soustraire à l'application de la règle « En fait de meubles la possession vaut
titre» route acquisition faite, même de bonne foi, à l'expiration du délai prévu par la loi.
Ces mesures, qui affectent le possesseur acquéreur de bonne foi, relèvent normalement de la loi du
pays où celui-ci a acquis le titre à l'aide duquel il contredit la revendication de l'ancien propriétaire
dépossédé. Il appartient à cette loi de décider si la revendication est admissible compte tenu de la
procédure d'opposition ou d'une procédure analogue qui y a été - ou non - pratiquée.
Toutefois, les dispositions du Code de droit international privé protectrices du propriétaire d'un
bien corporel volé (art. 92) semblent couvrir aussi l'hypothèse de titres au porteur, notamment eu
égard à l'emplacement de l'article, placé après l'article 91.
La Convention relative à l'opposition sur titres au porteur à circulation internationale et le Règle-
ment annexe faits à La Haye le 28 mai 1970 ont été approuvés par la loi du 10 avril 1973 (Pasin.,
1973, 402) et sont entrés en vigueur le 11 février 1979 (Monit., 10 février).
111La constitution, par voie conventionnelle, d'une garantie composée de titres négociables par
inscription dans un registre ou sur un compte tenu par un intermédiaire, donne lieu à une règle
spéciale de rattachement, établie par la directive 2002/47 du 6 juin 2002 concernant les contrats de
garantie financière (J.O.C.E., 2002, L 168, loi du 15 décembre 2004, Monit., 1er février 2005, art. 17).
Ce rattachement concerne, notamment, la concurrence entre les droits sur la garantie, et « les for-
malités requises pour la réalisation de la garantie». Il désigne « la loi du pays où le compte perti-
nent est situé» (art. 9).
111 Une référence à la loi de l'Etat membre dans lequel le registre ou le compte est situé pour la
détermination des droits du titulaire d'une sûreté sur un titre, se trouve également dans la directive
98/26 du 19 mai 1998 concernant le caractère définitif du règlement dans les systèmes de paiement
et de règlement des opérations sur titre (J.O.C.E., 1998, L 166, art. 9), et dans la loi de transposition
du 28 avril 1999 (Monit., 1er juin 1999). Voy. aussi l'art. 24 de la directive 2001/24 du 4 avril 2001
(J.O.C.E., 2001, L 125) concernant la liquidation des établissements de crédit. Ces dispositions ne
concernent cependant que les comptes tenus dans un État membre.
D'un autre côté, la représentativité du titre, sa négociabilité et les droits attachés au
titre sont régis par le droit du pays d'émission (art. 91, § 3, Codip). La notion de« meuble
corporel», applicable aux titres au porteur, est ici effacée en faveur de l'aspect immatériel
du rapport juridique entre la société et ses actionnaires, rapport qui se rattache à la loi du
siège de la société.
111 Une illustration exceptionnelle de l'applicabilité de la loi de l'émission est donnée par l'affaire
Royal Dutch, relative à l'adoption de mesures visant à faire face à des spoliations collectives.
Par des arrêtés dits de « rétablissement des relations de droit», le gouvernement des Pays-Bas a
voulu, en 1945, vérifier si les porteurs de valeurs mobilières néerlandaises n'avaient pas acquis cel-
les-ci à la suite des spoliations commises par les autorités allemandes durant la Seconde Guerre
mondiale. Le système consista à inviter les porteurs à obtenir la validation de leurs titres en souscri-
vant une déclaration accompagnée de documents justificatifs. La liste des titres non déclarés fut
publiée et, à l'expiration du délai fixé, ces titres furent annulés.
Après la clôture de la procédure de validation, des porteurs de titres non validés réclamèrent à la
société qui les avait émis la délivrance de titres nouveaux. Plusieurs affaires concernant la Royal
Dutch furent portées devant les tribunaux français et suisses. Dans les deux pays, la Cour suprême
décida que l'Etat dont relève une société est compétent pour prendre des mesures non discriminatoi-
res et non confiscatoires à l'égard des actionnaires,« quel que soit le pays où les titres sont détenus».
Voy. les réfêrences aux décisions de la Cour de cassation de France et du Tribunal fédéral suisse,
ainsi qu'un commentaire plus détaillé, dans: F. RrGAUX, Droit public et droit privé, § 108.
La perte ou le vol d'un chèque, d'un billet à ordre ou d'une lettre de change donne
lieu à une règle de rattachement particulière : les mesures à prendre sont régies par la loi
du pays où les effets de commerce sont payables.
LE RÉGIME GÉNÉRAL DES DROITS SUR UN BIEN 689

Voy. l'art. 9 de la Convention de Genève du 7 juin 1930 destinée à régler certains conflits de lois
11111

en matière de lettres de change et de billets à ordre, et l'art. 7, 8°, de la Convention de Genève du


19 mars 1931 destinée à régler certains conflits de lois en matière de chèques. Sur ces Conventions
sous l'angle du rattachement contractuel, voy. infra, n° 14.142.

C. Localisation d'un patrimoine


13.22 - Utilité d'un rattachement unitaire du patrimoine - Le bien peut, dans certai-
nes circonstances, se définir non seulement eu égard à son objet - une chose ou un élé-
ment incorporel - et à sa valeur économique, mais encore eu égard au titulaire de droits
sur ce bien. Il arrive en effet que l'ensemble des biens d'une personne acquière une valeur
propre, qui est elle-même de nature à être appréhendée comme telle par le législateur, ou
à faire l'objet d'opérations économiques.
Ainsi, au moment du décès, les biens du défunt sont considérés par le législateur comme consti-
1111

tuant un patrimoine, unité dont rend compte, fût-ce partiellement, le rattachement successoral en
droit international privé (voy. infra, sect. 4).
1111Le cas le plus explicite est celui du fonds de commerce, qui peut faire l'objet d'un gage. Selon la
loi du 25 octobre 1919, celui-ci« comprend l'ensemble des valeurs qui composent le fonds de com-
merce et notamment la clientèle, l'enseigne, l'organisation commerciale, les marques, le droit au
bail, le mobilier de magasin et l'outillage", et éventuellement une partie de la marchandise en
stock (art. 2).
Comme exemple d'un gage constitué sur un fonds de commerce localisé en Belgique, voy. : Comm.
Courtrai, 31 octobre 2000, R W (2004-2005), 1593.

La constitution de droits sur un tel patrimoine implique la possibilité d'un rattache-


ment unitaire, au lieu de soumettre celle-ci à la loi de la situation de chaque élément, cor-
porel ou incorporel, qui compose l'ensemble, d'autant plus que l'ensemble peut
comporter une valeur propre, qui dépasse la somme des composantes.
C'est pourquoi le Code de droit international privé introduit un rattachement spé-
cial du « patrimoine composé d'un ensemble de biens affectés à une destination
particulière» (art. 87, § 2). La règle s'en remet au concept de proximité. Sans constituer
une règle de rattachement au sens strict, le texte a pour portée de localiser le bien au sens
du principe territorial. Il « répute » le patrimoine se situer dans le pays avec lequel il pré-
sente « les liens les plus étroits». L'intention est de préserver une souplesse suffisante
face aux variétés possibles de situations. Le cas du « fonds de commerce » est indiqué par
le texte, mais à titre illustratif.
L'interprétation du concept de proximité n'exclut pas toute présomption. À propos du fonds de
1111

commerce, celle-ci pourrait utiliser le critère de l'établissement principal de la société concernée en


cas d'existence d'une personnalité morale ou, à défaut, du propriétaire du fonds.

13.23 - Effets internationaux d'une nationalisation - Lorsqu'un Etat procède à une


expropriation ou à une nationalisation, les effets peuvent être perçus à travers les frontiè-
res lorsque tout ou partie des biens concernés appartient à un étranger - particulier ou
Etat - ou est situé sur un territoire étranger. La problématique intéresse le droit interna-
tional public dans ses aspects des rapports entre Etats, mais elle saisit aussi le droit inter-
national privé chaque fois que l'opération a une incidence sur des biens qui font l'objet
d'échanges économiques.
1111Un cas plus exceptionnel est celui où l'Etat étranger lui-même est en possession d'un bien con-
fisqué ou réquisitionné à son profit. Une jurisprudence abondante concerne des navires réquisi-
690 LES BIENS

tionnés en temps de guerre et que le propriétaire originel revendique devant les tribunaux d'un
autre Etat dans les eaux territoriales duquel le navire a pénétré paisiblement.
D'après la Cour de cassation, l'immunité de juridiction de l'Etat étranger fait obstacle à ce que les
tribunaux belges se saisissent d'une telle action dirigée contre cet Etat. Même si le demandeur sou-
cient qu'une réquisition faite sans indemnité est contraire à l'ordre public,« celui-ci n'est à considé-
rer qu'au regard du droit international privé et est, dès lors, étranger au droit international public,
le seul applicable en l'espèce».
Voy. Cass., 23 novembre 1939, de Pinillos c. Murua et cts, Pas. (1939), !, 487. Il s'agissait d'un vapeur
réquisitionné par le gouvernement espagnol au cours de la guerre civile.
Comme on l'a indiqué ci-dessus (n° 9.19), bien que l'arrêt soit explicitement motivé par l'immunité
de juridiction de l'Etat étranger, il a plutôt fait application de la théorie de l'acte de gouvernement.
Une affaire similaire a été jugée dans le même sens par la Chambre des Lords (Compania Naviera Vas-
congado v. S.S. Cristina [1939] A.C. 485).
1111Un traité international peut convenir des modalités d'indemnisation des intérêts étrangers.
C'est le cas du protocole à la Convention générale de coopération entre la Belgique et le Zaïre du
28 mars 1976 (loi du 16 juillet 1976, Monit., 28 août 1976), portant règlement de l'indemnisation
des biens zaïrianisés ayant appartenu à des personnes physiques belges. Ce protocole fixe les moda-
lités d'évaluation de la valeur des biens. Il prévoit en particulier la liquidation des créances par
l'Etat zaïrois sur une période de vingt années, ainsi qu'un « préfinancement» en dix ans par l'Etat
belge. Les sommes versées par l'Etat zaïrois sont portées sur un compte de l'Etat belge auprès d'une
banque zaïroise. La Cour de cassation a admis que les Belges puisent dans ce protocole le« bénéfice
des droits civils dont ils peuvent demander devant les juridictions belges l'exécution » par l'Etat
belge. L'obligation de préfinancement assumée par l'Etat reçoit ainsi une applicabilité directe.
Voy.: Cass., Thonon c. Etat belge, Rev. dr. pén. crim. (1985), 22, note M. WAELBROECK. Ultérieurement, a
été conclu un protocole relatif au règlement de l'indemnisation des biens zaïrianisés ayant appar-
tenu à des personnes morales belges n'ayant pas pu obtenir un règlement d'indemnisation ou la
rétrocession de leurs biens zaïrianisés (24 juillet 1983, Monit., 8 février 1984). Sur l'indemnisation
par l'Etat belge, voy. encore: Cass., 25 février 1993, Pas. (1993), I, 210.
Vis-à-vis d'autres pays, voy., avec le Maroc, l'accord du 12 juillet 1976 relatif aux conséquences
financières du Dahir portant loin° 1-73-213 (loi du 18 avril 1980, Monit., 13 juin 1981) et, plus
généralement dans le cadre d'accords relatifs aux investissements, avec la Malaisie (22 novembre
1979, loi du 15 juillet 1981, Monit., 30 mars 1982) ou avec le Cameroun (27 mars 1980, loi du
21 août 1981, Monit., 5 février 1982).

Lorsque l'Etat étranger n'est pas directement partie au procès ou ne peut se préva-
loir de son immunité de juridiction, la jurisprudence belge a cherché à déterminer le
droit applicable à l'opération de nationalisation par l'utilisation de la règle de rattache-
ment qui gouverne le régime des biens, sans préjudice de l'exception d'ordre public.
L'application du principe territorial signifie que la validité de l'opération au regard
du droit belge dépend de la loi du pays de situation des biens au moment de la nationali-
sation. Ce principe a été compris comme limitant le pouvoir de l'Etat expropriant aux
biens situés sur son propre territoire, à l'exclusion des biens situés à l'étranger.
Pour le refus de donner effet à un décret s'efforçant de valider de manière rétroactive la confisca-
1111

tion d'un bien après que celui-ci a quitté le territoire de l'Etat ayant pris la mesure, voy. : Cass. civ.,
14 mars 1939, Soc. Potasas Ibericasc. Nathan Bloch, Revue (1939), 280, note H. BATIFFOL.

La localisation réelle de certains biens peut poser problème, dans ce contexte comme
dans d'autres, telles les parts représentatives du capital d'une société. La jurisprudence a
hésité entre le lieu de situation du titre au porteur et le lieu d'émission du titre.
Pour une localisation en Belgique de titres au porteur de sociétés belges déposés par leur pro-
1111

priétaire auprès d'une banque égyptienne qui, à son tour, les a confiés à une banque établie en Bel-
gique, voy. Comm. Bruxelles, 16 mai 1963, Pas. (1963), III, 124.
LE RÉGIME GÉNÉRAL DES DROITS SUR UN BIEN 691

En faveur du lieu de détention, voy. en Angleterre : Banco de Viscaya v. Don Alfonso de Barbon y Austria
[1935] 1 K.B. 140; Rumasa s.a. v. Multinvest Ltd. [1986] AIL E.R.129, [1986] 2 W.L.R. 24, Clunet (1988),
842, note K. LIPSTEIN, et en Suisse: Trib. féd., 11 mai 1964, Vetania Trust reg. c. Lloyd's Bank (Foreign),
R.O. 90, II, 158.
En faveur du lieu d'émission, voy. en France: Cass. civ., 17 octobre 1972, ép. Audouze c. Royal Dutch,
Revue (1973), 520, note H. BATIFfOL.
La loi française de nationalisation du 11 février 1982 (J.O., 13 février 1982) a limité volontairement
son application aux titres de sociétés étrangères possédés en France par les sociétés nationalisées.
Techniquement, l'opération a consisté en réalité en un rachat par l'Etat du capital de sociétés fran-
çaises.

Les créances de l'entreprise nationalisée localisées à l'étranger ont également été


soustraites, par la jurisprudence, à l'emprise de la nationalisation, en vertu du principe
territorial.
1111Par exemple, le débiteur belge d'une entreprise hongroise nationalisée refuse de s'acquitter entre
les mains de la personne morale de droit public que la loi hongroise de nationalisation a substituée
au créancier privé. Alors que la Cour d'appel de Bruxelles (14 octobre 1967, Kovacs c. Hasserlic, Pas.,
1968, II, 69) invoque l'exception d'ordre public, il faut s'interroger sur la localisation de la créance :
si celle-ci se localise en Belgique au domicile du débiteur, elle échappe pour ce motif à la loi de
nationalisation de l'Etat étranger.

L'attribution des droits sur les marques et les brevets dont l'entreprise nationalisée
était titulaire, a suscité une abondante jurisprudence.
1111Voy. par exemple: Cass., 2 juin 1960, Agebel c. « Koh-I-Noor; L. et C. Hardmuth » et csts., Pas. ( 1960), 1,
1138, Rev. crit. jur. belge (1962), 446, note P. GOTHOT. La Cour de cassation invoque la contrariété à
l'ordre public du caractère confiscatoire de la mesure, sans chercher à localiser les droits de pro-
priété intellectuelle. Sur la jurisprudence étrangère, voy. : F. RIGAUX, Droit public et droit privé, § 129.
Ill Les droits intellectuels localisés hors du territoire de l'Etat expropriant et qui échappent à la
mesure globale de nationalisation du patrimoine de l'entreprise ne tombent pas dans le domaine
public. Il a généralement été admis que les anciens actionnaires de l'entreprise nationalisée consti-
tuent une société nouvelle soumise au droit d'un autre pays où la société nationalisée possédait des
biens. L'exploitation des brevets et des marques soustraits à la nationalisation est poursuivie par la
société nouvelle qui a même été autorisée à agir en contrefaçon contre l'entreprise publique de
l'Etat d'origine quand celle-ci a exporté ses produits sous le nom ou la marque litigieux.
Voy. les décisions françaises et allemandes citées dans : F. R:iGAUX, Droit public et droit privé, §§ 128 et
130.
Ill Camp., pour l'application du régime de la libre circulation des marchandises dans l'Union euro-
péenne, la faculté reconnue au titulaire d'une marque de s'opposer à l'importation d'un produit
similaire revêtu de la même marque, même dans le cas « où la marque avait à l'origine un seul titu-
laire et où cette unicité de titulaire a été rompue à la suite d'une expropriation » (C.].C.E., aff C- 10/
89, 17 octobre 1990, CNL c. Hag, Rec., 1990, I-3711,J. T. 1991, 404, note F. DE VISSCHER, Rev. trim. dr.
eur., 1991, 283, note R. JOLIET, à propos d'une marque ayant appartenu à une filiale belge de la
société allemande Haget cédée à une société belge par les autorités belges dans le cadre des mesures
de séquestre de biens ennemis prises en 1944).

La détention, par l'entreprise nationalisée, de titres de sociétés étrangères, telles des


filiales, soulève un problème analogue, chaque fois que la localisation des parts peut être
considérée comme se faisant au lieu d'émission, à savoir à l'établissement principal de la
filiale.
111À propos des effets, en Belgique, des mesures de nationalisations prises par la loi française du
11 février 1982, le tribunal de commerce de Namur (14 octobre 1986, ACSYNGO c. Saint Gobain et
Glaceries Saint Roch, R.G. n° 1475/83) a admis le maintien de la société nationalisée dans ses droits
de propriété, sur base d'arguments divers: la mesure de nationalisation, limitée à un changement
d'actionnariat, n'a pas modifié la structure de la société nationalisée ; la thèse de la substitution des
692 LES BIENS

anciens actionnaires de cette société, par ailleurs indemnisés, dans les droits de cette dernière au
sein du capital des filiales se serait heurtée à des difficultés pratiques considérables ; la mesure
étrangère n'a été la manifestation d'aucune politique d'ingérence dans l'économie d'Etats étran-
gers. Une ordonnance du président de ce tribunal, siégeant en référé (12 août 1982, Rev. prat. soc.,
1982, 184), avait cependant admis le sérieux d'une contestation relative aux droits des anciens
actionnaires de la société nationalisée sur le capital de filiales étrangères, la décision refusant les
distinctions opérées par le tribunal de commerce.
Pour une autre contestation relative aux effets sur une filiale belge de la nationalisation du Crédit
du Nord, voy. Comm. Bruxelles (réf.), 29 octobre 1982, ].T. (1982), 743, la décision concluant
cependant au défaut d'urgence, non sans avoir rejeté la thèse de la substitution des anciens action-
naires de la société nationalisée dans le capital de la filiale localisée à l'étranger.

Une approche glob.i.le par l'appréhension des biens de l'entreprise nationalisée


comme un ensemble constitutif d'un patrimoine, incite plutôt à localiser ce patrimoine
dans le pays avec lequel il présente les liens les plus étroits (art. 87, § 2, Codip). Ce ratta-
chement conduirait normalement à désigner le droit du pays de l'établissement principal
de l'entreprise concernée et à admettre, par conséquent, l'effet de la mesure sur l'ensem-
ble des biens, même localisés à l'étranger, sous réserve de l'exception d'ordre public.

13.24 - Lois étrangères de nationalisation et ordre public - Dans les cas où la loi étran-
gère de nationalisation est désignée par la règle de rattachement du for, son application à
l'espèce peut se heurter au jeu de l'exception générale d'ordre public (art. 21 Codip).
L'ordre public peut d'abord être celui du droit international public.
Encore faut-il décelér une règle impérative que le droit international imposerait avec
suffisamment de certitude à l'Etat. C'est bien le cas de la règle selon laquelle l'expropria-
tion ou la nationalisation de biens appartenant à un étranger est illicite si elle n'est pas
accompagnée du paiement d'une indemnité équitable.
1111 Voy. : Cour permanente de JUStice internationale, 25 mai 1926, Usine de Chorzow, C.P.J.I., série A,
n° 7, p. 22.

111!Le protocole n° 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme admet les
atteintes au droit de propriété, à condition qu'elles reposent sur une « cause d'utilité publique»,
qu'elles soient organisées par la loi et respectent les dispositions applicables, et qu'elles respectent
les« principes généraux du droit international >>. Après avoir précisé que la référence au droit inter-
national ne concernait pas, dans l'évolution actuelle du droit, des ressortissants de l'Etat nationali-
sant, la Cour européenne a interprété la disposition comme supposant le versement d'une
indemnité« raisonnablement en rapport avec la valeur du bien », dont le montant relèverait toute-
fois du pouvoir discrétionnaire de l'Etat « sauf s'il se révèle manifestement dépourvu de base
raisonnable» (arrêt Lithgow du 8 juillet 1986,]. T., 1987, 34).

La nationalité de la personne lésée constitue ainsi un indice déterminant de l'inten-


sité du rattachement entre la situation et l'ordre juridique concerné. On ne saurait en
déduire pour autant - lorsque !'exproprié a la nationalité de l'Etat expropriant - que la
seule transgression du principe de la propriété privée, tel que le garantit la Constitution,
est contraire à l'ordre public du droit international privé. Cette position excessive est évi-
demment incompatible avec le critère de l'intensité du rattachement (voy. supra, n ° 7.53).
Ill Plusieurs décisions belges affirmant de manière péremptoire que l'expropriation sans indem-
nité est contraire à l'ordre public sont cependant relatives à des cas où le bien exproprié était loca-
lisé en Belgique avant que la mesure ne fût arrêtée, sans vérifier au préalable si le droit étranger était
applicable à de tels biens en raison de leur localisation.
LE RÉGIME GÉNÉRAL DES DROITS SUR UN BIEN 693

À l'occasion des mesures de nationalisation prises par le législateur français en 1982, la jurispru-
1111

dence belge a eu l'occasion d'admettre comme non contraire à l'ordre public une mesure étrangère
non discriminatoire ni confiscatoire.
IllComp. Bruxelles, 18 décembre 1981, Banque Commerciale de Syrie, Rev. Banque (1982), 99, esti-
mant ne pas devoir soulever le caractère (non) confiscatoire de la mesure étrangère en l'absence
d'une contestation sur ce point.
L'évaluation peut également différer selon que le propriétaire exproprié est encore
en possession ou non du bien concerné. Il est fréquent que le nouveau propriétaire pos-
sesseur du bien à l'étranger demande simplement la protection du possesseur de bonne
foi, après acquisition du bien. Les quelques cas rencontrés dans la jurisprudence, au sujet
des nationalisation soviétiques ou iraniennes, sont marginaux au regard de l'ensemble
des opérations économiques nouées sans difficulté sur des biens nationalisés.
ffll Si le titulaire du droit exproprié n'a jamais perdu la possession de son bien et a transféré celui-ci
sur le territoire d'un autre Etat, les autorités du pays où le bien est situé ont hésité à prêter main-
forte à l'Etat étranger qui leur demanderait d'ordonner que le bien lui soit remis.
Voy.: Cass. req., 5 mars 1928, Etat russe c. Compagnie« La Ropit » et autres, Revue (1929), 288, note].-P.
NmoYET. L'exception d'ordre public invoquée parmi les motifs de l'arrêt est superfétatoire, l'action
originelle ayant été exercée par l'Etat soviétique réclamant que lui soit remis un navire visé par un
décret de nationalisation, mais qui avait trouvé refuge dans un port français avant que le proprié-
taire exproprié n'en eût perdu la possession. Voy. aussi la motivation de la Chambre des Lords dans
l'affaire Cristina (supra, n ° 13.23).
1111 Pour plus de développements, voy. : F. R:!GAUX, Droit public et droit privé, §§ 115-132.

§3 RÉGIME DES DROITS LIÉS À LA CONSTITUTION D'UN TRUST


13.25 - Présentation - Le Code de droit international privé a introduit des règles pro-
pres au trust, institution ignorée du droit belge mais de nature à pouvoir être invoquée
devant une juridiction belge. Il fournit ainsi au juge saisi une indication sur le raisonne-
ment à adopter pour la détermination de la compétence internationale et la désignation
du droit applicable.
Les dispositions légales s'inspirent de la Convention de La Haye du 1er juillet 1985
ayant cet objet (non en vigueur en Belgique). Elles tendent à favoriser la reconnaissance
d'un trust portant sur des biens localisés dans un pays qui connaît cette institution, en
offrant la faculté de choisir le droit applicable au trust et en désignant, subsidiairement,
la loi de la résidence habituelle du trustee, gestionnaire du patrimoine.
13.26 - Définition - Institution spécifique du droit anglo-américain, « le trust est un
rapport de droit fiduciaire relatif à des droits patrimoniaux, dont il rend une personne
titulaire en la soumettant à des obligations pour le bénéfice d'une autre personne ou
pour un intérêt d'ordre général et impersonnel» (ARMINJON, NOLDE et WOLFF, Traité de
droit comparé, Paris, LGDJ, 1952, n ° 786). Malgré la difficulté de donner une définition
concise d'un ensemble de règles ponctuelles destinées à rencontrer des difficultés parti-
culières, on peut voir dans le trust, le plus souvent, un rapport triangulaire dans lequel
une personne, le settlor, transmet un bien à une deuxième personne, appelée trustee, pour
qu'elle l'administre ou en dispose au profit d'un tiers, le cestui que trust. L'originalité de
l'institution consiste en ce que le trustee est investi de la propriété du bien, tandis que les
avantages en sont recueillis par le bénéficiaire désigné par le settlor.
Ill Pour une analyse du trust destinée aux juristes continentaux, voy. notamment: J.-P. BÉRAUDO,
Les trusts anglo-saxons et le droit français (Paris, LGDJ, 1992).
694 LES BIENS

Les modes de constitution et les objectifs du trust sont variables. Celui-ci peut être
constitué en vertu de la loi ou par convention, pour cause de mort ou entre vifs. L'irré-
ductibilité de l'institution à des catégories préétablies justifie que des règles spéciales
soient prévues.
La Convention de Rome du 19 juin 1980 (voy. infra, n ° 14.34) exclut le trust de son domaine
1111

d'application.
IllLa pratique du trust se rencontre dans certaines formules de time sharing (infra, n° 14.113) pro-
posées au public.

Le Code donne du trust une définition tirée de la Convention de La Haye.


« Le terme "trust" vise une relation juridique créée par un acte du fondateur ou par
une décision judiciaire, par lequel des biens sont placés sous le contrôle d'un trustee afin
de les administrer dans l'intérêt d'un bénéficiaire ou dans un but déterminé» (art. 122).
Par comparaison avec la Convention, celle-ci ne régit cependant que le trust constitué par acte
1111

volontaire (arc. 3), non le trust judiciaire.

Le texte ajoute les précisions suivantes sur les caractéristiques de l'institution :


« 1 ° les biens du trust constituent une masse distincte et ne font pas partie du patri-
moine du trustee ;
2 ° le titre relatif aux biens du trust est établi au nom du trustee ou d'une autre per-
sonne pour le compte du trustee ;
3 ° le trustee est investi du pouvoir et chargé de l'obligation, dont il doit rendre
compte, d'administrer, de gérer ou de disposer des biens selon les termes du trust et les
règles particulières imposées au trustee par la loi».

A. Compétence internationale
13.2i - Union européenne : référence de principe au lieu du domicile du trust - Le rè-
glement « Bruxelles I » prévoit une règle de compétence spéciale en matière de trust. Le
défendeur domicilié sur le territoire d'un Etat membre de l'Union européenne peut être
attrait, dans un autre Etat membre, « devant les tribunaux de l'Etat sur le territoire
duquel le trust a son domicile»,« en sa qualité de fondateur, de trustee ou de bénéficiaire
d'un trust constitué soit en application de la loi, soit par écrit ou par une convention ver-
bale, confirmée par écrit» (art. 5, 6 °).
Ill La nature des droits conférés par le trust soulève la question de l'applicabilité du for exclusif de
situation de l'immeuble (arc. 22, 1 °) lorsque le trust en cause porte sur un tel bien. Il semble que
l'article 5, 6°, couvre les litiges« internes» (voy. en ce sens: H. GAUDEMET-TALLON, Compétence et exé-
cution des ;ugements en Europe, Paris, LGDJ, 2002, n ° 236) alors que l'article 22 concernerait les litiges
impliquant un tiers. Cela expliquerait que, pour la Cour de justice (aff. C-294/92, 17 mai 1994,
Webb, Rec., 1994, 1-1717, Revue, 1995, 123, note].-P. BÉRAUDO), la demande du constituant tendant
à établir que le défendeur détient un immeuble situé en France en qualité d'administrateur, n'a pas
pour objet un droit réel immobilier au sens de l'article 22. Cette interprétation s'autorise de l'objec-
tif de cette disposition-ci (voy. supra, n ° 9.23), à savoir n'exiger l'intervention du juge local que dans
la mesure nécessaire aux devoirs d'expertise (objectif de bonne administration) et dans la mesure
d'un alignement de la compétence juridictionnelle sur la compétence législative.

Par ailleurs, une clause attributive de juridiction insérée dans un acte constitutif de
trust reçoit effet, dans la mesure où elle répond aux dispositions générales relatives au
domaine d'application de l'article 23 et à la validité d'une clause de juridiction, pour les
LE RÉGIME GÉNÉRAL DES DROITS SUR UN BIEN 695

actions portées contre le fondateur, le trustee ou le bénéficiaire « s'il s'agit de relations


entre ces personnes ou de leurs droits ou obligations dans le cadre du trust».
Comment convient-il de localiser le « domicile du trust » ?
Comme pour la localisation du domicile d'une personne physique, le règlement uti-
lise une simple règle de signalisation renvoyant la solution au système de droit interna-
tional privé du juge saisi (art. 60, § 3). Cette règle a sans doute pour objectif premier
d'écarter toute méthode d'interprétation autonome. Elle ne laissera pas moins perplexes
les juges continentaux, dont le système juridique ignore l'institution.
Le juge belge se gardera en tout cas de procéder à une localisation analogue à celle
qui caractérise plus généralement le domicile des personnes physiques ou des sociétés,
par une référence au critère de l'inscription au registre de la population ou du principal
établissement (voy. supra, n ° 9.50). Pareille localisation serait dépourvue de sens à propos
d'une institution portant sur la gestion de biens. Il convient alors de créer une règle de
droit international privé, qui opérerait une confusion entre la détermination du critère
de compétence et celle du facteur de rattachement, ce facteur désignant normalement un
système juridique connaissant l'institution du trust.
Voy. en ce sens P. GOTHOT et D. HoLLEAUX (précités n ° 8.1), n ° 105, citant notamment, pour le
1111
Royaume-Uni, la section 46 du Civil Jurisdiction and Judgments Act 1982, qui localise le domicile du
trust au moyen du critère des liens les plus étroits.

13.28 - Droit commun: référence de principe au lieu d'administration - Selon le Code


de droit international privé, les tribunaux belges sont compétents pour connaître d'une
demande relative au trust si le défendeur est domicilié ou réside en Belgique (art. 5), ou
encore si (art. 123, § ier) :
le trust est administré en Belgique ; ou
- la demande concerne des biens situés en Belgique lors de son introduction.
La référence au lieu d'administration du trust renvoie pratiquement à l'établissement principal
1111
du trustee.
Le for de situation s'impose du fait de la limite que le code impose à la détermination de droits
!Ili
de trust sur ces biens situés en Belgique (voy. ci-dessous).
De plus, comme le règlement« Bruxelles I », le Code permet la désignation des juri-
dictions compétentes au moyen d'une clause conforme au prescrit général applicable aux
prorogations volontaires de juridiction (art. 123, § 2).

B. Droit applicable au trust


--.
'13.29; - Autonomie de la volonté - Comme dans la matière des contrats, le législateur
per~et au constituant de choisir le droit qui régit le trust (art. 124, § ier, Codip ). Ce
.
choix peut porter sur l'ensemble des biens du trust, ou sur une partie seulement, latitude
qui permet un dépeçage du rattachement.
La forme du choix est indifférente. Comme pour les contrats, le choix peut ne pas
être exprès. Il peut résulter du contenu de l'acte constitutif ou résulter des circonstances
de la cause.
Par comparaison, la Convention de Rome exige, en matière contractuelle, que le choix soit
!Ili
«certain» (voy. infra, n ° 14.44).
1111 Le juge devrait se garder de la recherche d'une volonté hypothétique des parties.
696 LES BIENS

L'étendue du choix connaît cependant divers types de limites.


D'abord, le choix doit porter sur un droit qui «valide» le trust(§ 2). À défaut, il est
sans effet et le trust relève du rattachement objectif. Par cette condition, le législateur
s'attache à assurer l'effet utile du choix effectué.
Par comparaison, la Convention de La Haye se contente d'exiger que le droit choisi
1111

«connaisse» l'institution : le choix sera valable s'il porte sur un droit qui connaît l'institution sans
valider pour autant le trust constitué in concreto.
1111 Comp. en matière de contrats: le choix peut y conduire à un droit qui annulerait le contrat (voy.
infra, n ° 14.41).

Ensuite, le choix ne peut pas être artificiel. Il le sera s'il permet de soumettre à un
droit qui valide le trust, un ensemble de biens localisés dans un pays qui ignore l'institu-
tion (§ Fr, al. 2). Et il ne peut pas aller à l'encontre des dispositions de la loi du lieu de
situation régissant la détermination et le transfert de droits réels (voy. ci-dessous).
Par comparaison, la Convention de La Haye prévoit une disposition analogue sous forme d'une
1111

faculté de réserve (arc. 13).


De plus, le choix ne peut pas affecter la protection d'héritiers réservataires (voy. ci-
dessous).
Enfin, de manière plus générale, le rattachement volontaire peut être écarté par
l'application de règles impératives ou d'ordre public commandées par une règle spéciale
d'applicabilité (art. 20, voy. supra, chap. 4).
1111 La Convention de La Haye prévoit également la contrainte des lois de police (arc. 16).

13.30 - Rattachement objectif au lieu d'administration - À défaut de choix valable du


droit applicable, le trust relève du droit du pays dans lequel le trustee a son établissement
principal au moment de sa constitution (§ 2). Par cette solution, le législateur a préféré
un objectif de sécurité juridique à un rattachement plus souple basé sur la recherche des
liens les plus étroits du trust avec un pays déterminé, méthode suivie par la Convention
de La Haye. Celle-ci tient « le lieu d'administration du trust» comme un indice parmi
d'autres, avec la résidence du trustee et la situation des biens. Dans le Code, la clause
générale d'exception (art. 19) permet cependant un certain assouplissement du rattache-
ment prédéterminé.
Le Code ne prévoit pas la faculté pour le juge de procéder à un dépeçage de la loi du
trust, à la différence de la Convention de La Haye. Un tel dépeçage doit donc être exclu
lorsqu'il ne résulte pas d'un choix du constituant.
Le conflit mobile est tranché en tenant pour pertinent le moment de constitution
du trust. Un changement d'établissement du trustee est ainsi neutralisé pour les besoins
du droit applicable. De plus, c'est au droit ainsi désigné qu'il appartient de déterminer la
mutabilité du trust, comme la nomination d'un nouvel administrateur ou le déplace-
ment du lieu d'administration.
1111 Par comparaison, la Convention de La Haye n'évoque pas la question du conflit mobile.

13.31 - Domaine de la loi du trust - Le Code définit largement la liste des questions
juridiques régies par la loi du trust (art. 125). Cette liste s'étend, notamment, à la validité
et à l'interprétation du trust, à ses effets et à sa cessation, comme à son administration.
La forme du trust n'obéit à aucun rattachement particulier. Il n'y a donc pas lieu
d'appliquer à ce propos l'adage Locus reyj,t actum (voy. supra, n ° 3.29).
LE RÉGIME GÉNÉRAL DES DROITS SUR UN BIEN 697

Il!!Par comparaison, la Convention de La Haye exige un écrit (art. 3). Cette règle matérielle
n'affecte cependant, dans la Convention, que la détermination de son domaine d'application, et
non sa validité puisqu'un trust verbal relèverait alors du droit international privé commun du juge
sa1s1.
Le domaine de ce rattachement ne couvre pas pour autant toute question intéres-
sant un trust.
D'abord, certaines questions portant sur la détermination de titulaires de droits sur
un bien échappent à la loi du trust pour relever d'un rattachement spécial. Il en va ainsi
de la protection de l'héritier réservataire selon la loi qui régit la dévolution successorale
(art. 124, § 3). De même, le transfert de droits réels ou la protection du possesseur de
biens qui font l'objet du trust, sont régis par la loi réelle (art. 125, § 2).
La disposition relative à l'héritier réservataire est en harmonie avec celle qui protège celui-ci en
l!II
cas de choix de la loi applicable à la succession (art. 79).
Sur la validité d'un trust testamentaire dans les limites du droit à la réserve, voy. déjà: Civ.
Ill!
Bruxelles, 31 mai 1994, R W (1994-1995), 677.
Comp., en France, la qualification de donation indirecte donnée à un trust constitué du vivant du
constituant par lequel celui-ci se dépouille du capital tout en recevant les revenus, à charge de
remettre le capital aux bénéficiaires au jour du décès: Cass. civ., 20 février 1996, Zieseniss, Revue
(1996), 691, note G. DROZ.
li! Pour un cas d'utilisation de la formule du trust (du droit de l'ile de Man) pour organiser le droit
d'utilisation d'un immeuble situé au Portugal dans le cadre d'un contrat de time sharing, voy. : Liège,
4 novembre 2003,].L.M.B. (2004), 1191,]. T (2004), 209 : ayant à qualifier de mobilier ou d'immobi-
lier le droit institué par un tel contrat pour les besoins de la liquidation d'une communauté de
biens par laquelle le survivant recevait la propriété des meubles, la Cour d'appel voit dans le trust
un démembrement de la propriété entre l'administrateur, titulaire de la legal ownership, et le bénéfi-
ciaire, titulaire de l 'equitable ownership; elle précise que la détermination de la liste des droits réels
pouvant affecter un bien dépend du droit de situation du bien, en l'espèce le droit portugais qui
organise un régime de publicité foncière du droit de time share, tout en ajoutant que la nature réelle
de ce droit est confirmée par le droit de suite que la common law confère au bénéficiaire du trust: cet
ajout paraît contredire le rattachement du droit réel au droit du pays de situation, puisque le droit
portugais ignore le démembrement de propriété issu d'un trust.
Ensuite, les questions préalables restent régies par la loi qui leur est propre. Il en va
ainsi de la validité du testament constitutif de trust, des règles relatives à la protection
des incapables, de la réglementation des effets du mariage ou de la détermination du
régime matrimonial.
13.32 - Reconnaissance d'un trust constitué à l'étranger - À la différence de la Conven-
tion de La Haye, le Code ne distingue pas formellement selon que le trust a été constitué
en Belgique ou à l'étranger. En cas de constitution volontaire, il procède à un rattache-
ment bilatéral, désignant la loi applicable indépendamment du lieu de constitution.
Pour justifier des règles particulières de « reconnaissance », il est insuffisant d'invo-
quer la nécessité de reconnaître au trust son plein effet sans que, dans les pays qui igno-
rent l'institution, il soit nécessaire de l'insérer dans une catégorie préexistante du for. Au
vrai, dès lors qu'existe une règle de rattachement appropriée et que celle-ci désigne un
droit étranger connaissant le trust, il convient d'appliquer celui-ci tel qu'il est, en y
incluant les institutions inconnues du for. La difficulté, si elle existe, concerne plus géné-
ralement la condition du droit étranger (voy. à ce sujet supra, n° 5 6.51 et s.).
IllAu vrai, les dispositions de la Convention sur la« reconnaissance" confirment largement que ce
processus passe par la désignation de la loi applicable au trust. Si leur utilité n'apparaît dès lors
698 LES BIENS

guère, elles trouvent à s'expliquer par le souci d'assurer une intégration optimale du trust dans les
systèmes juridiques qui ignorent l'instirution.
Une première série de dispositions renvoient à la loi applicable au trust, que ce soit par le jeu des
règles de conflit de lois (art. 11, al. 1er) ou en vertu de l'applicabilité de dispositions impératives.
Une deuxième série de dispositions sont de nature matérielle. Elles consacrent deux éléments
essentiels de l'institution, d'une part le principe de la distinction des patrimoines (art. 11, al. 2) et
ses corollaires (art. 11, al. 3), d'autre part les pouvoirs du trustee de faire inscrire un bien dans un
registre (art. 12). Ces deux éléments auraient cependant reçu le même effet par la simple applica-
tion de la loi du trust. L'article 12 ajoute toutefois pratiquement, en ce qui concerne l'inscription,
l'application cumulative de la loi du registre, puisque la formalité ne peut être interdite par la loi de
l'Etat où l'inscription doit avoir lieu ni être incompatible avec cette loi.
Une troisième série de dispositions sont mises au service de politiques contradictoires dont l'appré-
ciation incombe à chaque Etat contractant, permettant, l'une d'instituer un motif de refus de la
reconnaissance (art. 13), l'autre d'appliquer des règles de droit plus favorables à la reconnaissance
d'un trust (art. 14).
En cas de trust judiciaire, il y aura lieu d'utiliser les règles générales concernant la
reconnaissance des jugements étrangers (voy. supra, chap. 10).

Section 2
Les droits intellectuels
13.33 - Bibliographie
a) Généralités
G. AUSTIN,« The infringement of foreign intellectual property rights », L.Q.R (1997), 321-340; S.
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intellectual property in cyberspace »,]. Int. Arb. (2001), 487-510; G. DINWOODIE, « International
intellectual property litigation: A vehicle for resurgent comparativist thought? »,Am.]. Camp. L.
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1996); M. PERTEGAS SENDER, « Handhaving van intellectuele rechten in internationaal perspectief.
Welke rechter is bevoegd voor voorlopige maatregelen ? », Le droit processuel et judiciaire européen
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b) Propriété industrielle
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30 ; B. CoRTESE, Il trasferimento di tecnologia ne! diritto internazionale privato. Licenza e cessione di privative
industriali e know-how (Padoue, Cedam, 2002) ; J. DELFOSSE, « La protection en Belgique des dessins
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système juridictionnel de l'Union européenne dans le cadre de la propriété industrielle à l'aube de
la création du brevet communautaire», Rev. dr. UE. (2002), 711-734; F. DE VISSCHER, « Les récents
LES DROITS INTELLECTUELS 699

développements de la protection internationale des inventions »,].T. (1978), 517-520, 534-543;


J. FOYER, « Problèmes internationaux contemporains des brevets d'invention », Recueil des cours,
vol. 171 (1981-II), 341-442; C. HONORAT!, « La cross-border prohibitory injunction olandese in
materia di contrafazione di brevetti : sulla legitimità della inibitoria transfrontaliera alla luce della
convenzione di Bruxelles del 1968 », Riv. dir. int. priv. proc. (1997), 301-332; A. HUET,« La marque
communautaire: la compétence des juridictions des Etats membres pour connaître de sa validité et
de sa contrefaçon», Clunet ( 1994), 623-642 ; O. KuNz, « La propriété industrielle dans le droit inter-
national privé des pays socialistes», Recueil des cours, vol. 200 (1986-V), 9-92; D. LLEWELYN, « Forum
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nious tactics or misuse of private international rules? »,Jura Falconis (2001), 505-522; Io., Cross-bor-
der enforcement of patent rights (Oxford, Clarendon, 2002); M. PERTEGAS SENDER et B. SrnowEL,
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Hof van Justitie », Rev. dr. comm. belge (2004), 755-763 ; C. Roox, « Grensoverschrijdende maatrege-
len in octrooizaken: Overzicht van Belgische rechtspraken (1997-2002) »,I.RD.I. (2002), 257-274;
M. RoTONDI, « Effets internationaux des expropriations et des nationalisations vis-à-vis des
marques», Mélanges Maury, t. rer, 435-455 ; D. STAUDER et M. VON RosPATT, « Protection transfronta-
lière des brevets européens», Rev. int. dr. écon. (1999), 119-134; P. VERON,« Trente ans d'application
de la Convention de Bruxelles à l'action en contrefaçon de brevet d'invention», Clunet (2001), 805-
830.

c) Droit d'auteur

J.-S. BERGÉ, La protection internationale et communautaire du droit d'auteur (Paris, LGDJ, 1996); Io.,
« Droit d'auteur, conflit de lois et réseaux numériques : rétrospective et prospective », Revue (2000),
357-397; P. BoLLA, « De la Convention universelle sur le droit d'auteur à une convention interna-
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tions internationales des droits d'auteur et des droits voisins (Paris, Dalloz, 1976); B. Docqum, « Le titu-
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« Harmonizing copyright - Contract conflicts analyses», Copyright (1989), 49-60; J. GrNSBURG,
« Détermination de la loi applicable à la titularité du droit d'auteur entre l'auteur de l'œuvre d'art
et le propriétaire de son support», Revue (1994), 603-624; Io., « The private international law of
copyright in an era of technological change», Recueil des cours, vol. 273 (1998), 239-406; M. JOSSE-
LIN-GALL, Les contrats d'exploitation du droit de la propriété littéraire et artistique - Etude de droit comparé et
de droit international privé (Paris, Joly, 1995); R. LuzzATTO, « Problemi internazionalprivatistici del
diritto di aurore», Riv. dir. int. priv. proc. (1989), 273-292; R. MASTROIANNI, Diritto internazionale e
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private international law in the light of recent cases and developments », IPRax (1998), 495-504;
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flits de lois», Rev. int. dr. auteur (1976), 45-87; D. WINN, European Community and international media
law (Paris, Lib. Lavoisier, 1994).
700 LES BIENS

§1 PRÉDOMINANCE DU PRINCIPE DE TERRITORIALITÉ


13.34 - Nature particulière des droits intellectuels - Malgré leur caractère immatériel,
les droits intellectuels ont un domaine spatial délimité par les frontières de l'Etat de la loi
duquel ils tiennent leur consistance et leur opposabilité. Cela s'explique par la nature
propre de cette catégorie de droits et par les conditions dans lesquelles ils ont fait leur
apparition en droit positif.
La protection légale, contre l'atteinte de tiers, de la maîtrise exercée par l'auteur ou
l'inventeur sur le produit intellectuel de son ingéniosité a créé un droit subjectif nouveau
faisant éclater la summa divisio des droits patrimoniaux en droits réels et droits de créance.
En droit international privé, le domaine intellectuel suscite des questions multiples
qu'il est possible d'ordonner autour des grandes divisions de la matière: condition des
étrangers, conflits de lois, conflits d'autorités et de juridictions.
Sur le terrain de la condition des étrangers, on s'est demandé si le droit intellectuel n'était pas
1111

un « droit civil» au sens de l'interprétation exégétique de l'article 11 du Code civil avant son abro-
gation, c'est-à-dire un droit subjectif dont la jouissance par l'étranger était subordonnée à la condi-
tion de la réciprocité. C'est pourquoi les conventions internationales <l'Union prévoient
expressément l'assimilation des ressortissants de chacun des pays de l'Union à un national du pays
où la protection d'un droit intellectuel est poursuivie.
La notion de territorialité permet d'exprimer la position particulière des droits intel-
lectuels dans la problématique des conflits de lois ou d'autorités. Le principe est com-
mun aux deux principales catégories de droits intellectuels, la propriété industrielle et le
droit d'auteur (propriété artistique et littéraire). Toutefois, le régime matériel de protec-
tion de l'un et de l'autre présente une différence sensible: la protection de la propriété
industrielle requiert en général l'accomplissement de formalités de dépôt ou d'enregistre-
ment, alors que la protection du droit de l'auteur a lieu le plus souvent de plein droit, par
la seule application de la loi à l'œuvre originale publiée.
13.35 - La territorialité au sens matériel et au sens formel - La nature de la protection
matérielle des droits intellectuels confère à la territorialité deux significations différentes
(voy. supra, n° 5 1.34 et s.).
Pour l'ensemble des droits intellectuels, le principe revêt un sens matériel. La loi du
pays dans lequel la protection doit être assurée est applicable car c'est sur le territoire de
cet Etat que s'accomplissent les actes matériels de jouissance du droit (publication,
reproduction, fabrication ou vente des objets fabriqués selon le modèle ou le brevet pro-
tégés) et que sont, le cas échéant, commis les faits de contrefaçon.
Pour les brevets, dessins ou modèles, qui donnent lieu à un dépôt ou à un enregistre-
ment, le principe revêt aussi un sens formel, qui explique la limite de la protection
accordée: groupés sous le concept de« propriété industrielle», ces divers droits subjec-
tifs n'ont normalement d'effet que sur le territoire de l'Etat dont un organe administratif
a accordé concession d'un de ces droits. Pareils droits n'ont aucune efficacité extra-
territoriale : seule une concession nouvelle accordée par chaque autorité nationale dans
les limites de sa compétence territoriale permet d'assurer la protection dans d'autres
espaces territoriaux. D'après les conventions <l'Union et les lois nationales, le dépôt ini-
tial n'est que la condition de l'octroi prioritaire d'une protection nouvelle et autonome
concédée par l'organe compétent d'autres Etats.
La solution du conflit de lois est ainsi étroitement subordonnée à une question de
conflit d'autorités: le droit intellectuel a pour source nécessaire l'acte d'une autorité éta-
LES DROITS INTELLECTUELS 701

tique dont la compétence se limite à un seul territoire national. Il ne peut en être autre-
ment qu'en présence d'un accord entre Etats, comme c'est le cas du Benelux.
1111 Le droit de l'Union européenne ne surmonte qu'avec peine le principe de territorialité. Seul le
concept de « droit intellectuel communautaire » y parvient, mais sans contredire le postulat de la
délimitation territoriale de la protection: cette protection est accordée pour l'ensemble du terri-
toire communautaire en cas d'inscription dans un registre communautaire - et non national-, de
sorte que la protection vaut pour l'ensemble du territoire de l'ordre juridique dont émane le régime
de protection.
Ainsi, selon la directive 2004/48 (voy. ci-dessous),« les mesures[ ... ] s'appliquent[... ] à toute atteinte
[... ] prévue [... ] par la législation nationale de l'Etat membre concerné» (art. 2).
1111Pour une confirmation de la limitation territoriale de la protection de la marque, voy. : C.J.C.E.,
aff. 238/89, 13 décembre 1990, Pail Corp. & Dalhausen, Rec. (1990), I-4827, constatant la nécessité
d'un dépôt dans chaque Etat, d'origine ou de commercialisation. Pour une présentation générale
du principe à propos du droit des marques, constatant l'incidence négative sur le marché intérieur
et adressant un appel à des règles uniformes, voy.: C.J.C.E., aff. C-9/93, 22 juin 1994, IHT & Ideal-
Standard, Rec. (1994), I-2789.
1111Sans nier la faculté pour l'Etat d'entraver les échanges au nom de la nécessité de protéger la pro-
priété intellectuelle, selon une justification prévue par l'article 30 CE, la Cour de justice n'a pas
moins stigmatisé les entraves aux échanges pouvant résulter de l'exercice du droit de propriété,
lorsque le titulaire s'oppose à la réimportation d'un produit par une entreprise titulaire d'une
licence volontairement concédée (règle de l'épuisement).
La nature administrative de l'acte de concession exerce sur le conflit de juridictions
des conséquences qui ne se laissent correctement définir qu'à la lumière d'un principe de
droit international, à savoir l'incompétence des juridictions d'un Etat pour apprécier la
validité du droit intellectuel concédé par l'autorité administrative d'un autre Etat.

§2 LA PROPRIÉTÉ INDUSTRIELLE
A. Présentation des sources internationales
13.36 - Système de la Convention d'Union - La protection internationale de la pro-
priété industrielle repose sur un acte général, complété par d'autres instruments spécifi-
ques, ainsi que par plusieurs actes communautaires.
Le régime de base est établi par la Convention <l'Union de Paris du 20 mars 1883
pour la protection de la propriété industrielle, plusieurs fois révisée depuis, la dernière
fois à Stockholm le 14 juillet 1967 (loi du 26 septembre 1974, Pasin., 1974, 925).
1111La Convention de Stockholm a également institué l'Organisation mondiale de la propriété
intellectuelle (O.M.P.I.), dont le siège est à Genève (site Internet: www.wipo.org).
De plus, au sein de l'Union européenne, la directive 2004/48 du 29 avril 2004 rela-
tive au respect des droits de propriété intellectuelle (J.O.C.E., 2004, L 157) oblige les Etats
membres à assurer la mise en œuvre des droits du titulaire de la propriété intellectuelle.
Le régime des marques repose sur !'Arrangement de Madrid du 14 avril 1891 concer-
nant l'enregistrement international des marques de fabrique ou de commerce, plusieurs
fois révisé depuis, la dernière fois à Stockholm le 14 juillet 1967 (loi du 26 septembre
1974, Pasin., 1974, 925), et le protocole du 27 juin 1989 (loi du 29 août 1997, Monit.,
28 juillet 1998).
1111L'arrangement de Madrid est complété par !'Arrangement de Nice du 15 juin 1957 concernant
la classification internationale des produits et des services auxquels s'appliquent les marques de
702 LES BIENS

fabrique ou de commerce, révisé à Stockholm le 14 juillet 1967 (loi du 26 septembre 1974, Pasin.,
1974, 925) et à Genève le 13 mai 1977 (loi du 15 mai 1984, Monit., 22 mai 1985).

Pour les marques, d'autres régimes de caractère régional revêtent une importance
particulière, dans le Benelux ou dans l'Union européenne.
1111Convention Benelux du 19 mars 1962 en matière de marques de produits, signée à Bruxelles (loi
du 30 juin 1969, Monit., 14 octobre 1969; adde Monit., 8 septembre 1970) et protocole modificatif
du 7 août 1996 (loi du 3 juin 1999, Monit., 26 octobre 1999), portant adaptation aux règles de
l'O.M.C. La Convention a donné lieu à plusieurs règlements d'exécution et d'application.
Voy. encore, dans les relations avec des pays tiers: !'Arrangement du 10 avril 1975 entre le Gouver-
nement du Royaume de Belgique, le Gouvernement du Grand-Duché de Luxembourg et le Gouver-
nement du Royaume des Pays-Bas, d'une part, et le Gouvernement de la République populaire de
Chine, d'autre part, concernant l'enregistrement et la protection des marques de produits (Monit.,
17 mars 1977).
!Ill Le droit communautaire comprend plusieurs actes :
- La directive 89/104 du 21 décembre 1988 rapprochant les législations des Etats membres sur les
marques (j.O.C.E., 1989, L 40), ne préjuge pas de l'application de la Convention de Paris.
- Le règlement 40/94 du 20 décembre 1993 sur la marque communautaire (j.O.C.E., 1994, L 11)
ajoute aux systèmes nationaux d'enregistrement, un système d'inscription dans un registre uni-
que.
- Le règlement 3295/94 du 22 décembre 1994 sur la mise en libre pratique et l'exportation de
marchandises de contrefaçon et de marchandises pirates (j.O.C.E., 1994, L 341) tend à organiser
une indemnisation du titulaire du droit de propriété intellectuelle, complété par le règlement
383/2003 du 22 juillet 2003 (j.O.C.E., 2003, L 196), organisant l'intervention des autorités
douanières à l'égard de telles marchandises.

Pour les brevets d'invention, plusieurs actes de base organisent un régime de protec-
tion, à savoir :
- la Convention de Strasbourg du 27 novembre 1963 sur l'unification de certains
éléments du droit des brevets d'invention (loi du 8 juillet 1977, Monit., 30 septembre
1977, suppl. 7 octobre 1977);
- le Traité de coopération en matière de brevets, fait à Washington le 19 juin 1970
(loi du 8 juillet 1977, Monit., 30 septembre 1977, suppl. 7 octobre 1977). Sur les formali-
tés du dépôt en Belgique, voy. l'arrêté royal du 21 août 1981 (Monit., 5 novembre 1981);
- l'Arrangement de Strasbourg du 24 mars 1971 concernant la classification inter-
nationale des brevets (loi du 22 janvier 1975, Pasin., 1976, 2347).
Ill Voy. précédemment :
- Accord de La Haye du 6 juin 1947 relatif à la création d'un Bureau international des brevets,
révisé à La Haye le 16 février 1961 (loi du 30 juin 1969, Pasin., 1969, 784), dénoncé par la Belgi-
que le 30 décembre 1977 avec effet le 31 décembre 1979 (Monit., 24 mars 1978).
- Convention européenne de Paris du 11 décembre 1953 relative aux formalités prescrites pour
les demandes de brevets (loi du 15 janvier 1965, Pasin., 1965, 29), dénoncée par la Belgique le
4 avril 1976.
- Convention européenne de Paris du 19 décembre 1954 sur la classification internationale des
brevets d'invention (Monit., 29 octobre 1955), dénoncée avec effet le 7 octobre 1975 et remplacée
par !'Arrangement de Strasbourg du 24 mars 1971.
Certains brevets font l'objet d'instrumens internationaux spécifiques.
IllAccord de Paris du 21 septembre 1960 pour la sauvegarde mutuelle du secret des inventions
intéressant la défense et ayant fait l'objet de demandes de brevet (Monit., 21 mars 1962).
LES DROITS INTELLECTUELS 703

l!IConvention de Budapest du 28 avril 1977 sur la reconnaissance internationale du dépôt des


micro-organismes aux fins de la procédure en matière de brevets et Règlement d'exécution (Monit.,
14 janvier 1984).
Une protection régionale des brevets est assurée en Europe par plusieurs instru-
ments, internationaux ou communautaires. Les actes communautaires portent sur des
régimes sectoriels.
l!IConvention de Munich du 5 octobre 1973 sur la délivrance de brevets européens (convention
sur le brevet européen), Règlement d'exécution et Protocole (loi du 8 juillet 1977, Monit.,
30 septembre 1977, suppl. 7 octobre 1977).
Sur les formalités du dépôt en Belgique d'une demande de brevet européen, voy. l'arrêté royal du
27 février 1981 (Monit., 5 mars 1981).
Convention de Luxembourg du 15 décembre 1975 relative au brevet européen pour le Marché
1111

commun (Convention sur le brevet communautaire) et Règlement d'exécution (loi du 8 juillet


1977, Monit., 30 septembre 1977, suppl. 7 octobre 1977).
Directive 87/54 du 16 décembre 1986 concernant la protection juridique des topographies de
!Ill
produits semi-conducteurs (J.O.C.E., 1987, L 24, voy. infra,§ 3).
Règlement 2100/94 du 27 juillet 1994 instituant un régime de protection communautaire des
1111

obtentions végétales (J.O.C.E., 1994, L 227).


Directive 98/44 du 6 juillet 1998 relative à la protection juridique des inventions biotechnologi-
1111

ques (J.O.C.E., 1998, L 213).


Les dessins et modèles font l'objet d'un régime de base dans l'Arrangement de La
Haye du 6 novembre 1925 concernant le dépôt international des dessins ou modèles
industriels (loi du 31 juillet 1978, Monit., 13 janvier 1979), révisé à plusieurs reprises,
notamment par !'Acte de Stockholm du 14 juillet 1967 (loi du 26 septembre 1974, Pasin.,
1974, 925), et Protocole de Genève du 29 août 1975 (loi du 31 août 1978).
1111 La Belgique a dénoncé plusieurs actes antérieurs (Monit., 27 février 1974):
- Révision de !'Arrangement de La Haye du 6 novembre 1925, faite à Londres le 2 juin 1934 (loi
du 2 juin 1939, Pasin., 1939, 846);
- Acte additionnel de Monaco du 18 novembre 1961, complétant !'Arrangement de La Haye du
6 novembre 1925 (loi du 7 août 1964, Pasin., 1965, 54).
Une protection régionale des dessins et modèles est assurée au sein du Benelux et de
l'Union européenne.
1111 Convention Benelux du 25 octobre 1966 en matière de dessins ou modèles (loi du 1er décembre
1970, Pasin., 1973, 1605, err. Monit., 15 février 1974), modifiée par le protocole du 20 juin 2002 (loi
du 13 mars 2003, Monit., 14 mars 2003). Cette Convention a donné lieu à plusieurs règlements
d'exécution et d'application. Voy. aussi le protocole modificatif du 7 août 1996 (loi du 3 juin 1999,
Monit., 26 octobre 1999), portant adaptation aux règles de l'O.M.C.
!Ill Comme actes communautaires, voy. :
- Directive 98/71 du 13 octobre 1998 sur la protection juridique des dessins ou modèles (J.O.C.E.,
1998, L 289).
- Règlement 6/2002 du 12 décembre 2001 sur les dessins ou modèles communautaires (J.O.C.E.,
2002, L 3), ajoutant aux registres nationaux un système d'enregistrement unique.

B. Condition des étrangers et conflits de lois


1. ACTES INTERNATIONAUX

13.37 - Principe d'assimilation au national - À côté de dispositions d'unification du


droit matériel, les instruments internationaux organisent une assimilation des ressortis-
704 LES BIENS

sants de chacun des pays contractants à un national de l'Etat dans lequel la protection
est réclamée, pour les cas où les lois étatiques compétentes établiraient des discrimina-
tions fondées sur la nationalité (par ex., art. 2, § 1er, Conv. Union de Paris). De plus, ces
ressortissants sont assimilés aux ressortissants d'Etats tiers « qui sont domiciliés ou ont
des établissements industriels ou commerciaux effectifs et sérieux sur le territoire de l'un
des pays de l'Union» (art. 3). On trouve des dispositions analogues dans l'article 1er (2) et
(3) et l'article 2 de l'Arrangement de Madrid.
1111Les diverses lois belges d'assentiment contiennent une disposition aux termes de laquelle les
Belges peuvent revendiquer l'application à leur profit, en Belgique, des dispositions des deux séries
de traité, dans tous les cas où ces dispositions seraient plus favorables que la loi belge pour proté-
ger, respectivement, les droits dérivant de la propriété industrielle (Union de Paris) ainsi que les
marques (Arrangement de Madrid).
1111 Voy. aussi l'article 18 de la loi uniforme Benelux sur les marques de produits, annexée à la Con-

vention Benelux en matière de marques de produits, signée à Bruxelles le 19 mars 1962.


1111L'article 2 de la loi du 15 janvier 1965 portant approbation de la Convention européenne rela-
tive aux formalités prescrites pour les demandes de brevets, et des Annexes, signées à Paris le
11 décembre 1953 (dénoncée par la Belgique), permettait aux Belges de revendiquer l'application à
leur profit en Belgique des dispositions de cette Convention qui seraient plus favorables que la loi
belge pour protéger les droits dérivant de la propriété industrielle.
Pour le reste, le principe de territorialité implique que les règles uniformes régissent
toute demande de protection couvrant le territoire des Etats contractants.
1111Dans le contexte de l'Union européenne, la Cour de justice en a déduit que le régime de protec-
tion de la marque mis en place par la directive 89/104 du ·21 décembre 1988 détermine la jouis-
sance de droits par le titulaire dans l'ensemble de la Communauté (C.j.C.E., aff. C-355/96, 16 juillet
1998, Silhouette International,]. T., 1999, 286, note F. DE V1sccHER, Rev. crit. jur. belge, 1999, 361, note
L. VAN BUNNEN).

13.38 - Accès au dépôt d'un brevet - La détermination de la catégorie des personnes en


droit de déposer un brevet varie d'un instrument à un autre.
Une limitation aux nationaux ou aux personnes domiciliées dans un Etat contrac-
tant est prévue par le Traité de coopération en matière de brevets (Washington, 19 juin
1970, art. 9 (1)). Toutefois, l'Assemblée peut étendre la catégorie des ayants droit aux per-
sonnes domiciliées dans un pays partie à la Convention de Paris ainsi qu'aux nationaux
de ce pays (art. 9 (2)).
1111Le domicile fait l'objet d'une définition:« la détermination du domicile du déposant dépend de
la législation nationale de l'Etat contractant où il prétend être domicilié et est tranchée par l'office
récepteur" (règle 18.1, a, du Règlement d'exécution, basée sur l'art. 9 (3) du Traité); et« la posses-
sion d'un établissement industriel ou commercial effectif et sérieux dans un Etat contractant est
considérée comme constituant domicile dans cet Etat" (règle 18.1, b).
Sur la détermination de la nationalité, notamment celle des personnes morales, voy. la règle
1111

18.2.
De même, une limitation aux nationaux d'un Etat membre de l'Union européenne
est prévue à propos de la protection de topographies de produits semi-conducteurs
(directive 87/ 54 du 16 décembre 1986, art. 3, § 3, a), sans exclure la faculté pour le Con-
seil d'étendre la protection à des ressortissants de pays tiers sous réserve d'une condition
de réciprocité.
Voy. une extension, notamment, par plusieurs décisions du 9 octobre 1990, ].O.C.E. (1990),
1111

L 285 et L 307.
LES DROITS INTELLECTUELS 705

Encore ces limitations doivent-elles ne pas entrer en conflit avec l'ouverture inhé-
rente aux règles de l'Organisation Mondiale du Commerce, spécialement l'ADPIC.
L'accès à toute personne physique ou morale, sans condition de nationalité, est
offert par la Convention sur la délivrance de brevets européens (Munich, 5 octobre 1973,
art. 58). L'habilitation est étendue à « toute société assimilée à une personne morale en
vertu du droit dont elle relève».
Le droit de l'inventeur salarié fait l'objet d'une règle de rattachement dans la Con-
vention de Munich.« Si l'inventeur est un employé, le droit au brevet européen est défini
selon le droit de l'Etat sur le territoire duquel l'employé exerce son activité personnelle»
et, si cet Etat ne peut être déterminé, selon le droit « de l'Etat sur le territoire duquel se
trouve l'établissement de l'employeur auquel l'employé est attaché» (art. 60 (1)).

13.39 - Effets du dépôt d'un brevet - La Convention du 5 octobre 1973 sur le brevet
européen ne contient pas de règle de droit matériel. La détermination des effets du brevet
concédé fait l'objet d'une règle de rattachement. Ce brevet confère à son titulaire « dans
chacun des Etats contractants pour lesquels il a été délivré, les mêmes droits que lui con-
férerait un brevet national délivré dans cet Etat» (art. 64, 1).
Ill! Voy. aussi l'article 74 de la même Convention.

La Convention sur le brevet communautaire assimile le brevet communautaire « en


tant qu'objet de propriété» à un brevet national de l'Etat contractant sur le territoire
duquel le demandeur du brevet avait son domicile ou son siège à la date du dépôt de la
demande, soit, à défaut, avait un établissement à cette date, soit, à défaut, « le premier
mandataire du demandeur inscrit au registre européen des brevets avait son domicile
professionnel à la date de cette inscription» (art. 39, § 1er). Si aucun de ces critères ne
peut être vérifié, le brevet communautaire est assimilé à un brevet allemand.

13.40 - Accès au dépôt d'un dessin ou modèle - Les actes communautaires compren-
nent plusieurs dispositions intéressant le droit international privé.
Le critère de la localisation de l'enregistrement apparaît comme déterminant dans la
directive 98/71 du 13 octobre 1998. Celle-ci prend pour critère d'applicabilité un enregis-
trement dans un Etat membre ou dans le Benelux, mais aussi un enregistrement interna-
tional prenant effet dans un Etat membre. La loi de l'Etat d'enregistrement régit la
titularité du droit et l'autorisation d'inscription. Elle définit aussi le régime de protection
par les règles sur le droit d'auteur.
Le critère du domicile du titulaire sert à déterminer le régime du dessin ou
modèle comme objet de propriété, en cas d'enregistrement communautaire, de manière
analogue à ce qui vaut pour le brevet communautaire (règlement 6/2002 du 12 décembre
2001).

13.41 - Protection contre la contrefaçon - Des règles éparses tendent à privilégier un


rattachement de l'action en contrefaçon au droit de l'Etat dans lequel la protection est
demandée.
La contrefaçon donne lieu à une référence au droit national dans la Convention sur
le brevet communautaire (15 décembre 1975, art. 36), pour autant que les règles du droit
international privé de l'Etat devant les tribunaux duquel la contrefaçon est poursuivie
« ne renvoient pas au droit national d'un autre Etat contractant».
706 LES BIENS

Pour le reste, la Convention sur le brevet communautaire soumet les effets de ce brevet à des
1111

règles matérielles uniformes: ces effets « sont exclusivement déterminés par les dispositions de la
présente convention » (art. 36).

Dans le contexte de l'Union européenne, une règle de rattachement vise à définir


l'atteinte au droit de propriété autant que les conditions d'indemnisation du titutaire.
Celle-ci désigne le droit de l'Etat (membre) dans lequel la demande de protection est
introduite (règlement 3295/94 du 22 décembre 1994, art. 1er, § 2, b, et art. 9 (1), infra,
0
ll 15.46).
1111 Voy. aussi, dans le contexte de la directive 89/104: C.J.C.E., aff. C-245/02, 16 novembre 2004,
Anheuser-Busch, soumettant l'étendue et le contenu de la protection de la marque à« l'ordre juridi-
que de l'Etat membre concerné » (§ 64).

Il. DROIT COMMUN

13.42 - Application du principe de territorialité - Le Code de droit international privé


confirme le principe de territorialité par une règle de rattachement de portée générale qui
soumet le droit de propriété intellectuelle au « droit de l'Etat pour le territoire duquel la
protection est demandée» (art. 93, al. 1er).
1111Ce rattachement régit « l'existence, la nature, le contenu et l'étendue» des droits de propriété
(art. 94, § 1er, 2°).

La titularité du droit relève cependant d'un rattachement spécial, faisant applica-


tion du principe de proximité : « la détermination du titulaire originaire d'un droit de
propriété industrielle est régie par le droit de l'Etat avec lequel l'activité intellectuelle pré-
sente les liens les plus étroits» (art. 93, al. 2). Cette solution permet d'assurer l'unicité de
la détermination du titulaire. Elle fait l'objet d'une explicitation lorsque l'invention a été
obtenue dans le cadre d'un contrat, par exemple lorsqu'elle découle de l'activité d'un
salarié : dans ce cas, la détermination du titulaire relève de la loi qui régit ce contrat, par
exemple la loi qui régit le contrat de travail en vertu de l'article 6 de la Convention de
Rome (voy. infra, n° 14.169).
L'action en réparation d'un dommage consécutif à la violation du droit de propriété
intellectuelle relève aussi d'un rattachement distinct de celui du droit réel, dans la
mesure où elle relève de la matière quasi délictuelle : il y a alors lieu de retenir le rattache-
ment qui régit les obligations non contractuelles dérivant d'un fait dommageable. Par
extension, il en va de même de l'admissibilité et du régime de l'action en cessation (voy.,
sur cette matière, le chap. 15).

13.43 - Accès à l'enregistrement du droit - Le droit belge assure une égalité d'accès au
dépôt d'un brevet pour le ressortissant étranger. Cette règle résulte implicitement de la
faculté pour le juge des saisies d'imposer au requérant qu'il consigne un cautionnement
sans que le législateur vise expressément la situation d'un requérant étranger (art. 1483
C. jud.).
En prévoyant dans sa rédaction originelle que le breveté de nationalité étrangère avait i'obliga-
1111

tion de consigner un cautionnement à l'occasion de la saisie en matière de contrefaçon, l'article 8


de la loi du 24 mai 1854 sur les brevets d'invention (abrogé par l'art. 2-27 de la loi du 10 octobre
1967) reconnaissait implicitement le droit de cet étranger à obtenir un brevet.

Une limitation peut trouver sa source dans un acte communautaire. Ainsi, la pro-
tection juridique des topographies de produits semi-conducteurs (directive 87/54 du
LES DROITS INTELLECTUELS 707

16 décembre 1986; loi du 10 janvier 1990, Monit., 26 janvier 1990) ne s'adresse que« aux
personnes physiques qui sont ressortissantes d'un Etat membre des Communautés euro-
péennes ou qui y ont leur résidence habituelle » ainsi que, en ce qui concerne les droits
offerts à l'employeur, « aux personnes morales qui ont un établissement industriel ou
commercial effectif et sérieux sur le territoire d'un Etat membre des Communautés
européennes» (art. 6 de la loi), sous réserve du prescrit d'un instrument international ou
d'une décision du Conseil des Communautés européennes (art. 7).
La loi uniforme Benelux sur les marques de produits a supprimé toute discrimina-
tion fondée sur la nationalité.
De la loi du 1er mars 1879 concernant les marques de fabrique ou de commerce, il ne subsiste
1111

plus que les dispositions pénales (art. 8 à 15). Les autres dispositions ont été formellement abro-
gées par l'article 3, 1 °, de la loi du 30 juin 1969 portant approbation de la Convention Benelux en
matière de marques de produits, alors que l'article 6, alinéa 2, de la loi de 1879 contenait une réfé-
rence à la réciprocité diplomatique.

C. Règles de compétence internationale

1. COMPÉTENCE DES JURIDICTIONS NATIONALES

13.44 - Compétence exclusive pour connaître de la validité du droit de pro-


priété - L'inscription ou la validité « des brevets, marques, dessins et modèles, et autres
droits analogues donnant lieu à un dépôt ou à un enregistrement», relève de la compé-
tence exclusive des juridictions du pays dont les autorités ont attribué le droit par enre-
gistrement (règl. « Bruxelles I », supra, n ° 8.6, art. 22, 4 ° ; art. 86, al. 2, Codip ). Les textes
désignent les « juridictions de l'Etat [... ] sur le territoire duquel le dépôt ou l'enregistre-
ment a été demandé, a été effectué ou est réputé avoir été effectué aux termes d'une con-
vention internationale».
1111Le domaine de la compétence exclusive s'entend dans un sens strict (C.J.C.E., aff 288/82,
15 novembre 1983, Dui;nstee, Rec., 1983, 3663, Revue, 1984, 361, note G. BONET; sur ce principe
d'interprétation à propos de l'art. 22, voy. supra, n ° 13.5). Il se limite à un litige principal relatif à la
validité ou à l'inscription, en d'autres termes au fonctionnement du service public (P. GOTHOT et D.
HoLLEAUX, précités n° 8.1, n° 155). Cela exclut une contestation entre employeur et employé au
sujet d'une invention, mais inclut toute contestation que le juge du« lieu de délivrance» du brevet
est le plus apte à trancher, comme celle portant sur« l'existence ou la déchéance d'un brevet ou sur
la revendication d'un droit de priorité au titre d'un dépôt antérieur».
111 Le « brevet européen », dont la délivrance est organisée par la Convention de Munich du
5 octobre 1973 (art. Vquinquies), fait l'objet d'une confirmation de ce principe de compétence
(art. 22, 4 °, al. 2).

La solution s'explique par un principe de droit international selon lequel un tribu-


nal ne peut constater la nullité d'un brevet concédé par un acte administratif étranger.
111 Voy. M. PLAISANT,« De la protection internationale de la propriété industrielle », Recueil des cours,
vol. 39 (1932-I), 213, note 1, et 470-472.
Voy. déjà: Liège, 30 janvier 1909, Wallot et Kruger c. Georges et Fortunesco, Pas. ( 1909), II, 175.
111 Contra les lois uniformes Benelux (voy. infra, n° 13.48) qui, rejetant expressément le critère du
lieu du dépôt, permettent à un Etat contractant de se prononcer sur la validité d'un brevet ou des-
sin déposé à l'étranger.
1111 Comp., dans le cadre de la Convention franco-belge de 1899 (précitée n ° 8.32), la réticence des

juridictions françaises à appliquer les règles conventionnelles qui ne contiennent aucune disposi-
708 LES BIENS

tian propre à la matière, pour le motif que ces règles ne sauraient« porter atteinte à la compétence
des tribunaux français saisis d'une demande intéressant l'ordre public français ; qu'il en est ainsi
d'une demande en nullité d'un brevet d'invention délivré par les autorités françaises » (Cass. civ.,
21 janvier 1936, Revue, 1936, 510, noteJ.-P. NIBOYET).
Cette solution découle du caractère exclusif de la compétence reconnue aux juridictions de l'Etat
donc une autorité a concédé le brevet. Le motif tiré de l'ordre public est, ici, inopérant; c'est en
vertu du droit international que les tribunaux d'un Etat doivent se déclarer incompétents pour
« annuler les brevets accordés par une puissance étrangère».

La territorialité des droits de propriété industrielle interdit aussi aux juridictions d'un Etat de
1111

donner une injonction tendant à ce que le titulaire d'une licence localisée sur le territoire d'un
autre Etat rétrocède celle-ci à son cédant.
Sur ce point, voy. la jurisprudence anglaise commencée dans : F. RIGAUX, Droit public et droit privé, § 177.

13.45 - Compétence pour connaître de mesures de protection - L'attribution d'une com-


pétence exclusive aux juridictions de l'Etat d'enregistrement n'ôte pas tout pouvoir aux
juridictions d'autres Etats, pour d'autres demandes tendant à assurer la protection du
droit de propriété intellectuelle.
L'action en contrefaçon qui vise à faire cesser un comportement causant un dom-
mage au titulaire du droit, entre dans les prévisions du for quasi délictuel, dès lors que la
demande apparaît comme portant sur une réparation en nature, voire tend à prévenir un
dommage (voy. infra, n ° 15.4). L'action peut alors être portée en Belgique si le compor-
tement illicite - l'acte de contrefaçon - s'y localise, ou si le dommage y survient ou
menace d'y survenir (art. 5, 3 °, règl. « Bruxelles I » ; art. 96, 2 °, Codip ). Toutefois, lorsque
la compétence se fonde sur la survenance du dommage, elle ne couvre que la partie du
dommage localisée dans l'Etat du juge saisi, sans pouvoir s'étendre à une demande de
protection pour le territoire d'autres Etats.
Sur la limitation du for du dommage, voy. infra, n ° 15.5.
Ill!
Pour une illustration à propos d'une action en contrefaçon d'une marque française par une société
espagnole ayant procédé à une diffusion en France par la voie d'Internet, voy., en faveur d'une com-
pétence limitée au dommage survenu en France : Cass. civ., 9 décembre 2003, Castellblanch, Revue
(2004), 632, note O. CACHARD.
Voy. aussi : Comm. Anvers, 2 janvier 2003, Tijds. Gentse Rechtspraak (2003), 38, exigeant une concréti-
sation du dommage initial, distingué du lieu de découverte du dommage, et se déclarant incompé-
tent pour connaître du dommage subi par une société belge suite au remboursement de son
commettant japonais lésé par une contrefaçon commise par un fournisseur italien ; Bruxelles,
9 décembre 2004,]. T. (2005), 338, note A. CRUQUENAIRE, appelé à connaître de la réparation d'un
dommage causé par la violation d'une marque liée à son usage sur Internet à partir d'un site ali-
menté en Suisse, et estimant n'être compétent que pour le dommage localisé en Belgique comme
pays de protection du titre, identifié par la localisation de la consultation du site ; en revanche, la
seule mise à disposition des données par une accessibilité sur le marché belge n'est pas apparue
comme constirutive d'un « fait» pertinent, dès lors que le défendeur n'exerçait aucune activité
commerciale en Belgique.
Ili Comp. la loi du 26 juin 2003 relative à l'enregistrement abusif des noms de domaine (Monit.,
9 septembre 2003), dont l'article 4 permet d'introduire une action en cessation lorsque le deman-
deur a son domicile ou son principal établissement en Belgique ou en cas d'« enregistrement abusif
d'un nom de domaine enregistré sous le domaine BE ». Cette disposition ne saurait prévaloir sur
celles du règlement, au cas où une incompatibilité serait décelée.
L'interaction des fors de l'enregistrement et du fait dommageable peut soulever une
difficulté lorsque la demande tend à obtenir une déclaration de non-contrefaçon à
l'égard de plusieurs défendeurs et à effet global, c'est-à-dire valable pour le territoire de
plusieurs Etats. Une telle action, dite« Torpedo », peut viser à prévenir l'introduction, à
LES DROITS INTELLECTUELS 709

l'étranger, d'autres actions en contrefaçon. Malgré certaines hésitations, la jurisprudence


a entendu neutraliser cette tactique, en appréciant sévèrement la connexité qui condi-
tionne l'action contre plusieurs défendeurs (art. 6, 1 °, du règl.) et en refusant de retenir le
for quasi délictuel en l'absence de fait illicite lors de l'action. Toutefois, l'exception de
validité du droit de propriété n'a pas été jugée de nature à geler le for quasi délictuel au
bénéfice du for de l'enregistrement. Pratiquement, la déclaration de contrefaçon ne peut
alors être obtenue que pour le territoire belge.
Ill Voy.: Civ. Bruxelles, 12 mai 2000, Rohm Enzyme, I.R.D.I. (2002), 321, niant un lien de connexité
entre la demande en contrefaçon et l'exception en validité, refusant de connaître de la demande
contre des défendeurs domiciliés à l'étranger pour défaut de connexité et constatant l'absence de
fait susceptible de fonder un for quasi délicruel; 8 juin 2000, Roche, I.R.D.I. (2002), 295, Int. Eigen-
dom- en Reclamerecht (2000), 232, note R. DE RANITZ, dans le même sens ; 7 avril 2003, Steps Holding,
I.R.D.I. (2003), 282, dans le même sens pour la connexité; Bruxelles, 20 février 2001, Roche, I.R.D.I.
(2001), 168, note S. CATIOOR, confirmant Civ. Bruxelles, 12 mai 2000.
Contra, en faveur de la connexité entre l'action en contrefaçon et l'action en validité: Civ. Bruxelles,
27 juin 2002, Colgate-Palmolive, I.R.D.I. (2002), 295.
1111 Comp., à propos de la délimitation d'un litige en matière de droits réels, supra, n ° 13.5.
Une concentration du litige peut encore être obtenue en Belgique si le défendeur y
est domicilié (art. 2, règl. « Bruxelles I », voy. supra, n ° 9.28).
1111 Pour une référence au for du défendeur, voy. : Civ. Bruxelles, 27 juin 2002, Colgate-Palmolive,
I.R.D.I. (2002), 295, limitant curieusement la compétence aux actes commis en Belgique et appe-
lant de ses vœux la création d'une juridiction européenne des brevets.
Dans le domaine de la Convention Benelux sur les marques en revanche, le deman-
deur peut agir dans le pays de son propre domicile (art. 37 A, Cour de justice Benelux, aff
90/4, 16 décembre 1991,].T., 1992, 917, note F. DE VrssCHER).
13.46 - Compétence pour connaître de mesures provisoires - Le titulaire du droit de
propriété peut chercher à obtenir une mesure provisoire de protection. Cette demande
peut être introduite devant le juge compétent au fond, même pour des mesures à prendre
sur des biens situés à l'étranger, ou devant les juridictions du pays où se trouvent les
biens qui font l'objet de la mesure (voy. supra, n° 5 9.34 et 9.54).
Le contentieux de la contrefaçon montre la tentation de chercher à obtenir du juge
du provisoire des mesures de portée extraterritoriale, en marge d'une action au fond
ayant cet effet. Une telle demande est vouée à l'échec lorsqu'elle se base sur la compétence
au prov1s01re.
Sur la définition d'une mesure provisoire à propos d'une demande en contrefaçon, voy. : Civ.
1111

Bruxelles, 6 février 1997, Smithkline Beecham Group, I.R.D.I. (2002), 346, excluant la demande de sus-
pension des effets du brevet et incluant la demande d'autorisation de fabriquer. Comp. ci-dessous,
à propos de la marque communautaire.

Ill Sur la compétence pour ordonner une mesure sur des biens situés à l'étranger lorsque la mesure
émane des juridictions compétentes au fond et sous réserve d'en obtenir la force exécutoire à
l'étranger au moyen de la procédure appropriée, voy. : Civ. Bruxelles, 27 juin 1997, Smithkline Bee-
cham Group, I.R.D.I. (2002), 342.
1111Sur la compétence pour effectuer une saisie sur des biens situés en Belgique, à la demande du
titulaire d'un brevet enregistré à l'étranger et alors que le juge étranger est compétent au fond, voy. :
Cass., 3 septembre 1999, SANAC, Rev. dr. comm. belge (2000), 128, note M. PERTEGAS SENDER.
Sur l'incompétence pour autoriser au provisoire la production aux Pays-Bas d'un produit bre-
1111

veté, voy. : Civ. Bruxelles, 23 juin 2000, I.R.D.I. (2002), 328. Dans le même sens, refusant d'ordonner
710 LES BIENS

une mesure à effet global: Civ. Bruxelles, 22 septembre 2000, Torpedo, I.R.D.I. (2000), 292; 7 avril
2003, Steps Holding, I.R.D.I. (2003), 282; contra, accordant une celle mesure : Civ. Bruxelles,
14 septembre 2001, Colgate-Palmolive,I.RD.I. (2002), 239.

13.47 - Compétence basée sur les droits de propriété « communautaire » - Plusieurs


instruments communautaires organisent un système de protection globale reposant sur
un enregistrement unique, système qui ne supprime pas les enregistrements nationaux
mais s'y superpose. C'est le cas pour le brevet européen ou le brevet communautaire,
pour la marque communautaire ou pour le dessin ou modèle communautaire, ou encore
pour l'enregistrement d'obtentions végétales.
Ces actes tendent à compléter le règlement« Bruxelles I ».
La Convention sur le brevet communautaire permet d'agir en contrefaçon dans le
pays du domicile du défendeur (art. 69, § 1er) ou dans le pays sur le territoire duquel un
fait de contrefaçon a été commis mais, dans ce cas, uniquement pour connaître de ce fait
(§ 2). Une règle de compétence couvre également le cas où le défendeur est domicilié dans
un pays tiers, ne laissant ainsi plus de place aux règles de compétence du droit commun :
le demandeur peut alors agir dans le pays de son domicile ou, à défaut d'un domicile dans
un Etat contractant, devant les juridictions allemandes (§ 1er). De son côté, la demande
en déchéance ou nullité est introduite devant l'organisme d'enregistrement unique.
111! La Convention ne comporte pas de règle spécifique sur les mesures provisoires, renvoyant ainsi
à l'article 31 du règlement« Bruxelles I "·

111!La« procédure d'exécution d'un brevet communautaire" relève de la compétence exclusive des
tribunaux et des autorités de l'Etat du domicile ou du siège du demandeur du brevet (arc. 41).

Le règlement sur la marque communautaire écarte, notamment, les articles 2, 5 et


31 du règlement « Bruxelles I » pour les litiges en contrefaçon et en validité. Il confirme
pratiquement les règles établies pour le brevet communautaire (art. 93), tout en précisant
que le for du fait illicite ne couvre pas l'action en déclaration de non-contrefaçon(§ 5). Le
for du domicile est compétent pour connaître d'actes de contrefaçon localisés à l'étranger
(art. 94). Les demandes en validité peuvent être introduites, par voie conventionnelle ou
par voie d'exception, devant le tribunal saisi de la demande en contrefaçon, mais non de
la demande en déclaration de non-contrefaçon (art. 95). Un mécanisme de connexité
règle les conflits entre des procédures en contrefaçon et en validité, au profir de l'organe
premier saisi, sauf en cas d'action en constatation de non-contrefaçon (art. 100). Des
mesures provisoires peuvent être demandées, outre sur la base du for du provisoire,
devant le juge du domicile - mais non devant celui de l'acte de contrefaçon-, et elles
« sont applicables sur le territoire de tout Etat membre» (art. 99).
111 Sur la définition des mesures provisoires au sens du règlement, interprété à la lumière de
l'accord ADPIC conclu au sein de l'O.M.C., voy.: C.J.C.E., aff. C-53/96, 16 juin 1998, Hermès Inter-
national, Rec. (1998), I-3603, étendant la notion à une procédure néerlandaise d'urgence qui permet
aux parties d'accepter le jugement comme définitif, et au juge d'apprécier des éléments de fond.
Comp. supra, n ° 9.35, la définition d'une mesure provisoire dans le cadre général de l'article 31 du
règlement« Bruxelles I "·

Le règlement sur les dessins ou modèles communautaires reproduit pratiquement


les dispositions du règlement sur la marque communautaire. Pour les mesures provi-
soires, il précise que l'exception de nullité soulevée « autrement que par la voie d'une
demande reconventionnelle est recevable» (art. 90, § 2).
LES DROITS INTELLECTUELS 711

13.48 - Abandon du for de l'enregistrement pour le Benelux - Les lois uniformes


Benelux en matière de marques (art. 37) et en matière de dessins ou modèles (art. 29)
comportent un ensemble de règles de compétence internationale. Rejetant expressément
le critère du lieu du dépôt ou de l'enregistrement, ces actes consacrent pour une part les
critères généraux du domicile du défendeur et du lieu de naissance ou d'exécution de
l'obligation litigieuse, au choix du demandeur. Les parties peuvent également convenir
expressément d'une clause de juridiction. Enfin, lorsque ces critères sont« insuffisants»,
le demandeur peut agir devant le tribunal de son propre domicile ou de sa résidence ou, à
défaut de ce critère sur le territoire Benelux, devant le tribunal de son choix, à Bruxelles,
La Haye ou Luxembourg.
Ill Malgré le caractère alternatif de ces critères, le juge examine d'office sa compétence.
Sur l'examen d'office, voy. Anvers, 5 juin 1978, Rev. dr. intell. (1978), 255.

IllPour un cas d'application du for du demandeur, voy.: Cour de justice Benelux, aff. 90/4,
16 décembre 1991, Burberrys,].T. (1992), 917, note F. DE V!SSCHER, permettant la jonction en cas de
pluralité de demandeurs si elle est prévue par le droit du for et évoquant l'incidence de la litispen-
dance et de la connexité internationales.

Cet ensemble de règles soulève certaines difficultés pratiques.


L'applicabilité spatiale ne fait l'objet d'aucune explicitation. Le texte ne spécifie pas
que le critère de compétence se localise sur le « territoire Benelux» plutôt que sur celui
du tribunal saisi, sauf à propos du domicile ou de la résidence du demandeur. Il faut sup-
poser qu'un tel critère d'applicabilité est implicite également pour les critères du domi-
cile du défendeur et du lieu de naissance ou d'exécution de l'obligation litigieuse.
Ainsi, un demandeur domicilié en Belgique ne pourrait agir dans ce pays si le domicile du défen-
1111

deur ou la naissance ou l'exécution de l'obligation litigieuse se localisent dans un autre pays du


Benelux.

Les relations entre ces lois uniformes et le règlement« Bruxelles I », dont l'article 67
donne priorité aux conventions portant sur une matière spéciale, font difficulté. Les lois
uniformes entrent bien dans cette catégorie, mais la disposition du règlement à laquelle
elles dérogent a précisément aussi ce caractère de spécialité ! Force est alors de faire jouer
la règle de primauté de l'article 307 CE, au bénéfice du règlement.
La question se pose en des termes différents à l'égard de la Convention de Bruxelles, qui n'est
1111

pas un instrument communautaire. Sans doute la nature de « loi uniforme» justifie-t-elle que
priorité soit accordée à la Convention. Pour l'Etat membre du Benelux, la règle de compétence
introduite par la loi uniforme prend la place des règles de droit commun, de sorte que la Conven-
tion de Bruxelles, dont le domaine est limité aux dépôts effectués sur le territoire d'un Etat con-
tractant, fait figure de règle spéciale. Toute autre solution permettrait aux Etats du Benelux de
déroger à l'article 16, 4 °, de la Convention pour tout enregistrement couvert par la Convention de
Paris, hypothèse à laquelle s'étendent les lois uniformes.
Sur cette question, voy. aussi M. DE SALLE, « Compétence territoriale en matière de marques», Rev.
dr. intell. (1978), 27 et F. GoTZEN, « La compétence judiciaire en droit européen et en droit Benelux
des marques et modèles», Rev. dr. intel!. (1978), 172.

13.49 - Détermination de la compétence interne - La loi du 28 mars 1984 sur les bre-
vets d'invention (Monit., 9 mars 1985) introduit des règles spéciales de compétence, qui
ont un caractère exclusif (art. 73, §§ 4 à 6) : les parties ne peuvent y déroger par une con-
vention contraire.
712 LES BIENS

Le demandeur agit devant le tribunal du domicile ou de la résidence du défendeur


ou de l'un des défendeurs, si l'un de ces critères se localise en Belgique. À défaut, il peut
agir devant le tribunal de son propre domicile ou de sa résidence.

Il. ATTRIBUTION DE COMPÉTENCE À DES AUTORITÉS INTERNATIONALES

13.50 - Création d'offices communautaires - Alors que la Convention <l'Union de Paris


laisse aux autorités respectives des divers Etats contractants les compétences administra-
tives et judiciaires requises pour la mise en œuvre des droits protégés, la Convention du
5 octobre 1973 sur le brevet européen et la Convention du 15 décembre 1975 sur le brevet
communautaire ont attribué des pouvoirs jusqu'ici exercés par des organes étatiques aux
autorités communes qu'elles créent ou qu'elles investissent de pareils pouvoirs. Il en va
de même, à leur suite, des actes communautaires concernant la marque communautaire
et les dessins ou modèles communautaires.
La Convention de 1973 a institué une organisation européenne des brevets dont un
des organes est l'Office européen des brevets (art. 4), à l'intérieur duquel sont instituées
diverses « instances chargées des procédures», ce qui inclut des Chambres de recours
(art. 21) et une Grande Chambre de recours (art. 22).
111Les procédures d'opposition et de recours sont organisées, respectivement, par les articles 99 à
105 et 106 à 112. Les attributions conférées aux instances spéciales instituées par la Convention
excluent toute immixtion des juridictions nationales.
111 L'article 131 organise la coopération administrative et judiciaire entre l'Office européen des bre-
vets et les juridictions et autres autorités compétentes des Etats contractants.
111 L'article 138 détermine de manière limitative les causes pour lesquelles un brevet européen peut
être déclaré nul « en vertu de la législation d'un Etat contractant, avec effet sur le territoire de cet
Etat».
La Convention du 15 décembre 1975 sur le brevet communautaire a institué à
l'Office européen des brevets « des instances spéciales communes aux Etats contrac-
tants» (art. 4). En outre, diverses compétences sont attribuées à la Cour de justice des
Communautés européennes.
IllCompétence pour prononcer la nullité d'un brevet communautaire est attribuée à l'Office euro-
péen des brevets (art. 56). Un pourvoi en cassation est prévu devant la Cour de justice des Commu-
nautés européennes (art. 63).
Pour le surplus, les articles 68 à 70 attribuent compétence aux tribunaux nationaux, selon des
règles détaillées qui y sont contenues.
1111L'article 73 confère à la Cour de justice des Communautés européennes compétence pour sta-
tuer à titre préjudiciel sur les questions d'interprétation de la Convention sur le brevet communau-
taire et sur la validité et l'interprétation des dispositions communautaires arrêtées en exécution de
la même Convention.
Le règlement sur la marque communautaire institue « un Office de l'harmonisation
dans le marché intérieur (marques, dessins et modèles)» (OHMI) (art. 2) qui gère l'enre-
gistrement et connaît des demandes de déchéance et de nullité. Ses décisions sont sus-
ceptibles de recours devant « la chambre de recours» (art. 57 et s.), dont les décisions
sont elles-mêmes susceptibles d'un recours devant la Cour de justice (art. 63, compétence
attribuée au Tribunal).
IllLe règlement institue en outre des « tribunaux des marques communautaires», mais ceux-ci
sont des juridictions nationales auxquelles les Etats membres auront dû attribuer les compétences
établies par le règlement pour connaître des demandes de protection.
LES DROITS INTELLECTUELS 713

D. Reconnaissance et exécution des décisions étrangères


13.51 - Possibilité de reconnaître ou d'exécuter un jugement étranger - La territoria-
lité des marques ou brevets ne fait pas obstacle à ce que les mesures ordonnées dans un
pays pour protéger le titulaire du droit contrefait reçoivent force exécutoire dans un autre
pays d'où les objets contrefaits ont été exportés, même si ledit brevet y a été déclaré nul.
Ill Voy.: Douai, 20 mars 1967, Soc. Clermont-Bonte c. Soc. Groeninghe Ververi;, Revue (1958), 691, note
Y. LOUSSOUARN.
1111 Conformément à l'article 31 du règlement« Bruxelles I » (précité n ° 8.6), le possesseur d'un bre-
vet aux Pays-Bas qui entend agir en contrefaçon dans ce pays peut faire procéder en Belgique à une
saisie-description, sans être tenu par les dispositions des articles 1481 et 1488 du Code judiciaire.
Voy. Bruxelles, 11 février 1977, Soc. Eli LiUy,J. T. (1977), 529.
Rien ne s'oppose non plus à ce que la décision par laquelle un juge étranger a résilié
le contrat de licence d'un brevet reçoive la force exécutoire dans le pays sur le territoire
duquel le brevet produit ses effets.
1111Voy. Amiens, 18 février 1958, Forest c. Punski, Revue (1959), 134, note M. WESER,j.T. (1958), 418,
note F. R.IGAUX. Le pourvoi dirigé contre cet arrêt a été rejeté par: Cass. civ., 5 avril 1960,J.T. (1960),
665. Un arrêt plus ancien de la Chambre civile (17 mars 1936, Dreyfus-Clavel c. s.a. Fabrique de soie arti-
ficielle de Tubize, Revue, 1936, 791) a, de même, rejeté le pourvoi dirigé contre l'arrêt de la Cour de
Paris (11 juin 1931, S., 1933, 2, 73), qui avait accordé la force exécutoire à une sentence arbitrale
belge ayant statué sur la validité d'un contrat de société passé pour l'exploitation de brevets français.
Les conditions d'octroi de la force exécutoire seront les mêmes que pour tout juge-
ment rendu dans une autre matière, en l'absence de régime particulier. Ainsi, dans le cadre
du règlement« Bruxelles I », il y a lieu de se référer aux règles de procédure des articles 38
et s., en se tenant aux seuls motifs de refus autorisés par le texte. Ceux-ci comportent une
règle de compétence indirecte, excluant la reconnaissance si le juge d'origine a violé la
règle de compétence exclusive de l'article 22, 4 °, concernant les demandes en validité.
Sur ce que l'absence de règle matérielle de protection du droit intellectuel consacré par le juge
1111

étranger en vertu du droit étranger, en l'occurrence un droit sur des pièces de rechange de voitures,
ne suffit pas à soulever l'objection de l'ordre public, voy. : C.J.C.E., aff. C-38/98, 11 mai 2000,
Renault, Revue (2000), 497, note H. GAUDEMET-TALLON,j.C.P. (2001), II, 10607, note C. NoURISSAT,
excluant aussi tout contrôle de ce type au titre de révision au fond.

13.52 - Règles propres à certains droits de propriété« communautaire» - D'après la


Convention du 5 octobre 1973 sur le brevet européen, la décision rendue par l'Office
européen des brevets sur une opposition formée contre un brevet européen délivré doit,
en ce qui concerne la condamnation aux frais, être reconnue et mise à exécution dans
tous les Etats contractants, sous le seul contrôle de son authenticité (art. 104, § 3). Il en
va de même de la procédure de nullité d'un brevet communautaire devant l'Office euro-
péen des brevets (art. 61, § 3, Conv. brevet communautaire).
La reconnaissance et l'exécution des décisions nationales concernant le droit au bre-
vet communautaire font l'objet de dispositions propres (art. 71 Conv. brevet communau-
taire).
En revanche, le règlement sur la marque communautaire se contente de renvoyer
aux dispositions générales du règlement « Bruxelles I » (art. 105), comme le règlement
sur les dessins ou modèles communautaires.
111 Le règlement sur les dessins ou modèles communautaires précise qu'une décision étrangère de
nullité d'un droit« produit dans tous les Etats membres [les effets de la nullité] » (art. 87).
714 LES BIENS

13.53 - Force exécutoire de plein droit dans le Benelux - L'article 9 de la Convention


Benelux du 19 mars 1962 en matière de marques de produits dispense de la formalité de
l'exequatur les décisions judiciaires rendues dans l'un des trois Etats lorsque celles-ci se
situent dans le cadre des articles 14 ou 27 (nullité de marque).

§3 LE DROIT D'AUTEUR

A. Sources de droit international


13.54 - Système de la Convention de Berne - La protection internationale du droit
d'auteur repose sur l'Acte de Paris du 24 juillet 1971 (loi du 25 mars 1999, Monit.,
10 novembre 1999), qui actualise et remplace entre Etats contractants la Convention de
Berne du 9 septembre 1886 concernant la création d'une Union internationale pour la
protection des œuvres littéraires et artistiques. Cet Acte est complété par le Traité de
l'OMPI sur le droit d'auteur (TDA), du 20 décembre 1996, approuvé par la décision
2000/278 du Conseil de l'Union européenne du 16 mars 2000 (T.O.C.E., 2000, L 89).
OOI La Convention de Berne a été révisée à plusieurs reprises, et dernièrement par !'Acte de Bruxelles
du 26 juin 1948 (loi du 26 juin 1951, Pasin., 1951, 961) pour les dispositions de fond, et par ['Acte
de Stockholm du 14 juillet 1967 (loi du 26 septembre 1974, Pasin., 1974, 925) pour les questions
relatives au fonctionnement de l'Union.

De plus, la Convention universelle de Genève du 6 septembre 1952 sur le droit


d'auteur (loi du 20 avril 1960, Pasin., 1960, 1173) complète la Convention de Berne pour
les œuvres qui n'ont pas pour pays d'origine un Etat partie à l'Union de Berne.
L'Union européenne a adopté deux types de dispositions générales, les unes portant
uniformisation de certaines règles matérielles (directive 2001/29 du 22 mai 2001 sur
l'harmonisation de certains aspects du droit d'auteur et des droits voisins dans la société
de l'information,J.O.C.E., 2001, L 167, loi du 22 mai 2005, Monit., 27 mai 2005), les autres
établissant des règles minimales en vue de la mise en œuvre d'un régime de protection
(directive 2004/ 48 du 29 avril 2004, supra, n ° 13.36).
D'autres instruments portent sur des aspects spécifiques du droit d'auteur. Certains
émanent du législateur communautaire.
OOI Pour les droits voisins, voy. :
- Convention de Rome des 10-26 octobre 1961 sur la protection des artistes, interprètes ou exécu-
tants, des producteurs de phonogrammes et des organisi;nes de radiodiffusion (loi du 25 mars
1999, Monit., 10 novembre 1999).
- Directive 92/100 du 19 novembre 1992 relative au droit de location et de prêt et à certains
droits voisins du droit d'auteur dans le domaine de la propriété intellectuelle (JO.CE., 1992, L
346).
m Pour le secteur de la radiodiffusion, voy. :
- Arrangement européen du 15 décembre 1958 sur l'échange des programmes au moyen de films
de télévision (loi du 15 février 1962, Monit., 28 mars 1962).
- Arrangement européen du 22 juin 1960 pour la protection des émissions de télévision, et proto-
cole du 22 janvier 1965 (loi du 14 janvier 1968, Monit., 6 mars 1968).
- Directive 93/83 du 27 septembre 1993 relative à la coordination de certaines règles du droit
d'auteur et des droits voisins du droit d'auteur applicables à la radiodiffusion par satellite et à la
retransmission par câble,].O.C.E. (1993), L 248.
LES DROITS INTELLECTUELS 715

- Convention européenne du 11 mai 1994 concernant des questions de droit d'auteur et de droits
voisins dans le cadre de la radiodiffusion transfrontière par satellite, Rev.gén. (1994), 561 (non
en vigueur en Belgique).
!Ill Pour la protection des droits liés à l'utilisation de supports électroniques, voy. :
- Directive 87/54 du 16 décembre 1986 concernant la protection juridique des topographies de
produits semi-conducteurs U.O.C.E., 1987, L 24, loi de transposition du 10 pnvier 1990, Monit.,
26 janvier 1990).
- Directive 91/250 du 14 mai 1991 concernant la protection juridique des programmes d'ordina-
teur u.o.C.E., 1991, L 122, loi de transposition du 30 juin 1994, Monit., 27 Juillet 1994).
- Directive 96/9 du 11 mars 1996 concernant la protection juridique des bases de données,
J.O.C.E. (1996), L 77, transposée par la loi du 31 août 1998 (Monit., 14 novembre 1998).
IllPour le droit de suite, voy. la directive 2001/84 du 27 septembre 2001 relative au droit de suite
au profit de l'auteur d'une œuvre d'art originale,].O.C.E. (2001), L 272.

B. Condition des étrangers et conflit de lois


13.SS - Détermination de la catégorie des auteurs protégés - Alors que les dispositions
matérielles de la loi sur le droit d'auteur ne connaissent aucune règle d'applicabilité
explicite, les instruments internationaux visent « les pays auquels s'applique la présente
Convention » (Acte de Paris, art. 1er), expression narrative qui évoque la force obligatoire
de l'instrument sans définir les situations concrètes visées. Une autre disposition déter-
mine les auteurs« protégés», terme qui couvre la formulation d'une règle d'applicabilité
(sur cette notion, voy. supra, chap. 4).
L'applicabilité du régime de protection s'entend dans un sens large, puisque l'Acte
de Paris établit une liste de trois critères alternatifs, exprimant un lien de rattachement
avec un Etat contractant, soit par la nationalité, soit par la résidence habituelle, soit par
la première publication de l'œuvre (art. 3).
!IllLe cinéma fait l'objet d'un critère spécifique, qui a égard au siège ou à la résidence habituelle du
producteur (art. 4, a).
!Ill L'œuvre d'architecture obéit au critère de sa localisation (art. 4, b).
!IllPour la radiodiffusion, les critères alternatifs sont la localisation du siège « social» de l'orga-
nisme et celle de l'émetteur de diffusion (Conv. 1961, art. 6).
Ill Pour les supports de son, les critères alternatifs sont la nationalité du producteur de phono-
gramme, le lieu de première fixation du son et le lieu de première publication du phonogramme
(Conv. 1961, art. 5).
1111 Pour les artistes et interprètes, les critères alternatifs sont la localisation de l'exécution et l'utili-

sation d'un média (phonogramme ou radiodiffusion) protégé.


Cette règle d'applicabilité commande trois types de dispositions.
D'abord, des règles matérielles instituent un régime de protection, comme la déter-
mination du droit moral (art. 6bis), du droit de suite (art. 14ter), la détermination de la
durée de la protection (art. 7) ou les conditions des droits de traduction, de reproduction
ou de citation (art. 8, 9, 10).
Ensuite, l'« étranger» bénéficie d'un principe d'assimilation au national (art. 5).
Cette situation est celle de l'auteur qui demande une protection dans un pays distinct de
celui du« pays d'origine» de l'œuvre. Celui-ci est en principe le pays de première publica-
tion dans un pays contractant ou, en cas de publication dans un pays tiers, l'Etat contrac-
tant dont l'auteur a la nationalité.
716 LES BIENS

Cette protection est due indépendamment de l'existence de la protection dans le pays d'origine
1111

de l'œuvre (§ 2).
111Une condition de réciprocité permet à un pays contractant de« restreindre» la protection d'un
auteur ressortissant d'un autre pays contractant qui n'offre pas une protection« suffisante» de ses
ressortissants (arc. 6).
Dans le contexte de l'Union européenne aussi, la discrimination qui frappe l'auteur ou l'inter-
1111

prète étranger peut s'avérer contraire au principe de non-discrimination de l'article 12 du traité CE.
Voy.: C.J,C.E., aff. C-92/92 e.a., 20 octobre 1993, Phil Collins, Rec. (1993), 1-5145, D.S. (1995), J, 133,
note B. EDELMAN.

Enfin, quelques règles subsidiaires de conflit de lois couvrent les questions non
réglées par l'instrument international (voy. ci-dessous).
Les règles matérielles de la première catégorie tendent à remplacer les règles maté-
rielles nationales chaque fois que l'auteur appartient à la catégorie des personnes proté-
gées. Toutefois, celui-ci peut « revendiquer l'application de dispositions plus larges» du
droit d'un Etat contractant (art. 19). Ainsi, les dispositions conventionnelles constituent
un socle de protection minimale, qui n'empêche pas l'application alternative des disposi-
tions nationales, du moins dans les limites prévues par les règles d'applicabilité propres à
ces dispositions.

13.56 - Règles de conflit de lois selon les instruments internationaux - Comme il est
de principe en matière de droits de propriété intellectuelle, les droits de l'auteur sont
régis par la loi du pays de protection. Celle-ci est la loi du pays « où » la protection est
réclamée, dans l' Acte de Paris.
111 Pour les droits voisins, la définition du « traitement national » passe par une règle de rattache-
ment, puisque ce traitement est celui accordé par la législation de l'Etat contractant « sur le terri-
toire duquel la protection est demandée» (art. 2).
111Pour une application de cette règle de rattachement, voy.: Civ. Gand, 21 janvier 2002, I.RD.I.
(2002), 119.

La loi de protection détermine, dans l'Acte de Paris,« l'étendue» de la protection et


les moyens de recours (art. 5, § 2; art. 6, § 4), les personnes ou institutions ayant qualité
pour exercer les droits de l'auteur après sa mort (art. 6), la durée de la protection (art. 7,
§ 8), les limites du droit de suite (art. l4ter). Pour les œuvres cinématographiques, elle
détermine la titularité du droit (art. l4bis, § 2).
1111 Sur ce que la Convention de Berne ne régirait pas la titularité - hormis le cas des droits sur un

film-, voy.: Civ. Gand, 10 janvier 1996, Rev. dr. comm. belge (1997), 33, note M. PERTEGAS SENDER.
Sur ce que la Convention contient bien une règle de conflit de lois - soumettant à la loi de protec-
tion« l'étendue» de celle-ci-, pour le motif que cette règle remplit le rôle d'une disposition subsi-
diaire - donc générale - ayant vocation à couvrir toute question non couverte par une règle
matérielle uniforme, voy. notamment, avec les références: J.-S. BERGÉ, note critique sous TGI Ren-
nes, 22 juin 1992, Revue (1999), 76. Cet auteur regrette pourtant la soumission de la titularité à la
loi de protection.

L'action en réparation semble aussi suivre la contrainte du principe de territorialité


puisque, selon la directive 2001/29 du 22 mai 2001, il incombe à l'Etat d'organiser une
action en réparation du titulaire lésé par une infraction commise sur son territoire
(art. 8, § 2).
Pour une soumission à la loi de protection de l'action en contrefaçon de logiciels en vertu de la
1111

Convention de Berne, voy. en France: Cass. civ., 5 mars 2002, Sisro, D.S. Aff (2002), J, 2999, note
LES DROITS INTELLECTUELS 717

N. BOUCHE, D.S. Aff (2003),J, 58, note M.JOSSELIN-GALL, entendant cette loi comme celle du lieu du
comportement de contrefaçon et non celle du lieu de survenance du dommage.
La loi du pays d'origine reçoit un domaine limité. Dans l'Acte de Paris, elle sert à
fixer la durée maximale de protection, à moins que la loi de protection « n'en décide
autrement» (art. 7, § 8).
llllLorsque la loi de protection renvoie, pour la durée maximale de la protection, à la loi d'origine
comme le permet la Convention de Berne, à moins que l'auteur soit allemand, cette restriction
constitue une violation du principe de non-discrimination posé par l'article 12 du traité CE :
C.J.C.E., aff C-360/00, 6 juin 2002, Ricordi, Rec. (2002), 1-5089, Revue (2002), 771, note J.-S. BERGÉ,
Auteurs & Media (2002), 402, note V.-L. BENABOU.
Dans le contexte de l'Union européenne, le principe dit du pays d'origine (voy. supra,
n° 5 4.46 et 7.45) peut exercer une influence plus déterminante. Il trouve application dans
le secteur de la télévision, par la directive 93/83 du 27 septembre 1993 relative à la radio-
diffusion par satellite et à la retransmission par câble.
Voy. à ce propos, désignant la loi du pays d'émission: Paris, 3 ocrobre 2001, Revue (2002), 315,
llll
note J.-S. BERGÉ.
La loi nationale de l'auteur détermine la protection de base du droit de suite (art. 14,
§ 2).
La forme du contrat d'engagement de l'auteur d'une contribution cinématographi-
que est régie par la loi du pays contractant où se situe le siège ou la résidence habituelle
du producteur, mais la loi de protection peut prévoir l'exigence d'un écrit.
Ces règles de rattachement présentent certaines dispositions cumulatives, permet-
tant, parmi plusieurs lois, l'application de la plus stricte en termes de protection. Il en est
ainsi pour la durée de la protection, pour la détermination de la forme d'un contrat
d'engagement dans une contribution cinématographique et pour le droit de suite.
13.57 - Règles de conflit de lois selon le droit commun - Selon le Code de droit inter-
national privé, la protection du droit d'auteur et des droits voisins relève de la même
règle de rattachement que d'autres droits de propriété intellectuelle, à savoir du droit du
pays« pour le territoire duquel» la protection est demandée (art. 93, al. ier).
llllComme les règles de compétence internationale n'excluent pas que le titulaire puisse agir en
Belgique au titre de la localisation du domicile du défendeur, rien n'empêche une juridiction belge
de soumettre dans ce cas le régime de protection à un droit étranger.
Lorsque la compétence de la juridiction belge repose sur le critère du territoire de protection
(art. 86, al. 1"), et puisque cette compétence est limitée à la protection demandée pour le territoire
belge, cette juridiction appliquera forcément le droit belge.
Pour l'application de la loi de protection du for, voy. : Bruxelles, 10 novembre 1998, I.RD.I.
llll
(1999), 24.
La détermination du titulaire du droit d'auteur, en revanche, ne suit pas la règle de
rattachement valable pour la propriété industrielle (art. 93, al. 2). En d'autres termes, elle
relève du rattachement territorial à la loi de protection. Ce faisant, le législateur a estimé
que cette question est associée étroitement au régime de protection, qualifiant en quel-
que sorte celui-ci de loi de police (sur cette notion, voy. supra, n° 4.11). Il écarte ainsi la
thèse de l'application de la loi d'origine. Cela n'implique cependant pas l'exclusion de
toute loi étrangère. En effet, en présence d'un contrat de cession de droits, il convient de
soumettre au rattachement contractuel toute question concernant l'existence, l'exécu-
tion ou l'extinction du contrat. En revanche, la question de la cessibilité - et a fortiori
718 LES BIENS

celle de la titularité primitive, c'est-à-dire avant cession - relève logiquement de la loi de


protection.
1111Sur cette question, voy. notamment en France: Cass. civ., 28 mai 1991, Huston, Revue (1992),
751, note P.-Y. GAUTIER, qualifiant de loi de police la loi française sur le droit moral de l'auteur sur
un film et écartant la loi américaine de première diffusion qui permettait un contrat d'engagement
déniant au réalisateur la qualité d'auteur au profit du producteur.
Voy. depuis lors, à propos des droits sur un film, la désignation de la loi du pays de protection par
!'Acte de Paris (art. l4bis, § 2), ci-dessus. Toutefois, si cette loi permet d'inclure parmi la catégorie
des titulaires les auteurs de contributions, ceux-ci ne pourront pas s'opposer à l'exploitation du
film, sauf stipulation contraire (art. l4bis, § 2, b).
1111 Pour l'application de la loi de protection, voy.: Bruxelles, 10 ocrobre 1997, DAOR (1998),

vol. 46, p. 64; 8 octobre 2001, Auteurs & Media (2002), 344, étendant le domaine de la loi de protec-
tion à l'objet du droit, à la titularité, au contenu et à la durée de la protection, tout en soumettant
le contrat de cession à la loi contractuelle et, par le fait même, la qualité de producteur au sens de
cette loi.
Pour l'application de la loi d'origine, voy.: Civ. Gand, 10 janvier 1996, Rev. dr. comm. belge (1997),
33, noce M. PERTEGAS SENDER; Civ. Bruges, 28 novembre 2001, Auteurs & Media (2002), 426, dési-
gnant la loi de l'établissement principal de l'auteur; Bruxelles, 10 novembre 1998, I.R.D.I. (1999),
24, déterminant les droits du producteur d'un film sur la base d'un contrat régi par le droit néer-
landais, prenant appui sur G. VAN HECKE et K. LENAERTS, n° 5 670 et s. Ces auteurs réservent pour-
tant la question de l'admissibilité du contrat de cession, qu'ils soumettent à la loi de protection.
Pour une distinction entre le rattachement contractuel de la cession du droit et l'opposabilité aux
tiers de cette cession, celle-ci étant soumise à la loi belge de protection, voy.: Liège, 16 mars 1999,
Ing.-Cons. (1999), 392.
IIIJPour les droits voisins, voy. l'application de la loi du lieu de protection par: Cass. civ.,
9 décembre 2003, Revue (2004), 595, note T. Azz1, soumettant à la loi française la demande d'un
artiste ayant enregistré une œuvre musicale en Belgique, celle-ci ayant été reproduite en France
sans autorisation.
En droit belge, le régime matériel de protection est contenu dans la loi organique du
30 juin 1994 (Monit., 27 juillet 1994).
Ill Cette loi inclut le droit de suite, abrogeant ainsi la loi du 25 juin 1921 ayant cet objet. Celle-ci
comportait une condition de réciprocité analogue à celle de la législation organique du droit
d'auteur.
Conformément à l'article 93 du Code de droit international privé, cette loi s'appli-
que normalement, dans son ensemble, à toute demande de protection effectuée pour le
territoire belge.
Ill!Pour un cas d'application des règles belges sur le droit de suite à propos du désintéressement de
l'auteur d'une œuvre d'art située en Belgique et destinée à être offerte en vente publique en Belgi-
que alors que l'adjudication volontaire avait été réalisée par l'huissier au Luxembourg pour échap-
per au paiement de ce droit, voy. : Civ. Liège, 30 avril 1999, Auteurs & Media ( 1999), 438, utilisant la
théorie de la fraude à la loi pour qualifier d'artificiel l'élément d'extranéité constitué de la vente
volontaire; confirmé par: Liège, 18 janvier 2001, Auteurs & Media (2001), 248, semblant considérer
que la législation sur le droit de suite a pour critère d'applicabilité le lieu de réalisation de la vente
publique, mais après avoir pris soin de constater que les biens litigieux se trouvaient dans ce pays
lors de la vente volontaire. L'allusion complémentaire à une clause de choix de la loi belge dans
l'acte de cette vente pour confirmer cette solution procède d'une confusion avec le rattachement
contractuel, qui affecte uniquement la validité et les effets du contrat de vente.
Ce régime matériel comporte une règle d'assimilation de l'étranger au national,
assortie d'une condition de réciprocité (art. 79 de la loi de 1994).
Sur cette condition déjà présente dans la législation antérieure, voy.: Civ. Charleroi,
IIIJ
30 novembre 1976,]. T. (1978), 665.
LES DROITS INTELLECTUELS 719

La détermination de la durée de la protection obéit à une règle de rattachement par-


ticulière. Celle-ci désigne la loi belge ou la loi du pays auquel appartient l'auteur étranger,
la protection étant restreinte au délai le plus court fixé par l'une ou l'autre de ces lois. Ce
rattachement de type cumulatif, qui déroge à l'article 93 précité, suit la solution retenue
par les instruments internationaux.

13.58 - Règles d'applicabilité particulières - Certains reg1mes spécifiques de protec-


tion peuvent être soumis à une règle spécifique d'applicabilité, qui déroge au rattache-
ment à la loi de protection ou qui, plutôt, en précise la portée.
Ce phénomène s'observe à propos des règles matérielles établies par voie de directive
communautaire. Alors que la plupart de celles qui intéressent le droit d'auteur n'explici-
tent pas leur domaine d'application dans l'espace, il en va autrement à propos des droits
sur la radiodiffusion par satellite, des droits sur une base de données ou des droits sur la
topographie de produits semi-conducteurs.
La directive 93/83 sur la radiodiffusion dissimule une telle règle d'applicabilité sous
la formulation d'une définition de la notion de« communication» (art. 1cr). Cette défini-
tion se réfère à un élément de localisation situé dans la Communauté. Lorsque, par la
suite, la directive prévoit le droit exclusif de l'auteur d'autoriser la communication
(art. 2), cette règle matérielle s'entend comme couvrant uniquement les situations inter-
nationales délimitées par la règle d'applicabilité. La loi de transposition (art. 49 de la loi
organique sur le droit d'auteur) reproduit cette définition à l'identique mais, placée dans
ce contexte, sa nature de règle d'applicabilité n'apparaît pas clairement. Par ailleurs, elle
omet de définir la localisation de la retransmission par câble.
Ill Aux termes de la directive 93/83 (art. 1e'", § 2) :
« b) La communication au public par satellite a lieu uniquement dans l'État membre dans lequel,
sous le contrôle et la responsabilité de l'organisme de radiodiffusion, les signaux porteurs de pro-
grammes sont introduits dans une chaîne ininterrompue de communication conduisant au satel-
lite et revenant vers la terre.
[... ]
d) Lorsqu'une communication au public par satellite a lieu dans un pays tiers qui n'assure pas le
niveau de protection prévu au chapitre II:
i) si les signaux porteurs de programmes sont transmis au satellite à partir d'une station pour
liaison montante située dans un État membre, la communication au public est réputée avoir eu
lieu dans cet État membre et les droits prévus au chapitre II peuvent être exercés contre la personne
exploitant cette station, ou
ii) s'il n'est pas fait appel à une station pour liaison montante mais qu'un organisme de radiodiffu-
sion situé dans un État membre a délégué la communication au public, celle-ci est réputée avoir eu
lieu dans l'État membre dans lequel l'organisme de radiodiffusion a son principal établissement
dans la Communauré et les droits prévus au chapitre II peuvent être exercés contre l'organisme de
radiodiffusion. »
Selon le § 3 : « Aux fins de la présente directive, on entend par « retransmission par câble » la
retransmission simultanée, inchangée et intégrale par câble ou par un système de diffusion par
ondes ultracourtes pour la réception par le public d'une transmission initiale à partir d'un autre
État membre, sans fil ou avec fil, notamment par satellite, d'émissions de télévision ou de radio des-
tinées à être captées par le public. »

La directive 96/9 sur la protection des bases de données explicite mieux la présence
d'une règle particulière d'applicabilité: la règle matérielle de protection par le droit« sui
generis» qu'elle institue « s'applique aux bases de données dont le fabricant ou le titu-
laire du droit sont ressortissants d'un Etat membre ou ont leur résidence habituelle sur
720 LES BIENS

le territoire de la Communauté» (art. 11). La loi de transposition du 30 août 1998 repro-


duit cette disposition à l'identique (art. 12).
Ill Pour les personnes morales, le texte étend le régime aux sociétés définies en des termes analo-
gues à ceux par lesquels l'article 48 CE assimile celles-ci aux ressortissants d'un Etat membre. Tou-
tefois, il y ajoute une restriction lorsque le rattachement est fondé uniquement sur le siège
statutaire, en exigeant - conformément à la jurisprudence de la Cour de justice (voy. infra,
chap. 16) - « un lien réel et continu avec l'économie d'un Etat membre».

De même, la directive 87/54 comprend une règle explicite déterminant la catégorie


des personnes protégées. Sous réserve de critères d'applicabilité propres au cas de droits
cédés par voie de contrat, le texte retient la qualité de ressortissant ou de résident d'un
Etat membre (art. 3, § 3). Ces dispositions sont reproduites par la loi du 10 janvier 1990
(Monit., 26 janvier 1990, art. 6 à 8).
Il Lorsque la création a lieu dans le cadre d'une relation contractuelle autre qu'une relation de tra-
vail, la catégorie des personnes protégées s'étend« aux sociétés et autres personnes morales qui ont
un établissement industriel ou commercial effectif et sérieux sur le territoire d'un État membre»
(arc. 3, § 3, b, ii) ou, à défaut, « procèdent à une première exploitation commerciale dans un État
membre d'une topographie qui n'a fait l'objet d'une exploitation commerciale nulle part ailleurs
dans le monde antérieurement, et[ ... ] ont reçu de la personne habilitée à disposer de la topographie
l'autorisation exclusive de procéder à son exploitation commerciale dans toute la Communauté»
(§ 4).

C. Compétence internationale
13.59 - Renvoi aux règles générales de compétence - À la différence d'autres droits de
propriété intellectuelle qui donnent lieu à un enregistrement, le droit d'auteur ne se prête
pas à une règle spécifique de compétence internationale.
Dans !'Acte de Paris, la saisie fait l'objet d'une disposition spécifique en cas de contrefaçon: elle
1111

peut être pratiquée « dans les pays de l'Union où l'œuvre originale a droit à la protection légale»,
même si la reproduction provient d'un pays où l'œuvre n'est pas protégée (arc. 16).
1111 La loi du 30 juin 1994 transposant la directive 91/250 du 14 mai 1991 concernant la protection
juridique des programmes d'ordinateur (Monit., 27 juillet 1994), ajoute au texte de la directive une
règle de compétence (arc. 13), d'attribution et territoriale. Celle-ci désigne pour seul compétent le
tribunal de première instance du lieu de l'infraction ou du lieu du domicile ou de la résidence du
défendeur, et, à défaut de domicile ou de résidence en Belgique, celui du domicile ou de la résidence
du demandeur. Il est incertain si cette règle de compétence territoriale interne entend être transpo-
sée en règle de compétence internationale (sur cette notion, voy. supra, n ° 9.4). La question n'a
d'intérêt que lorsque le domicile et la résidence du défendeur sont dans un pays tiers à l'Union
européenne puisque, dans les autres cas, le règlement « Bruxelles I » reçoit la priorité. Il y a lieu de
croire que, comme pour d'autres chefs de compétence insérés dans les articles 627 à 629 du Code
judiciaire, la disposition sert uniquement à déterminer la compétence interne, non sans prévoir le
cas particulier où le critère principal retenu ne se localise pas en Belgique alors que la compétence
internationale des juridictions belges serait acquise par ailleurs. L'entrée en vigueur du Code de
droit international privé force à voir dans l'article 86 la seule règle de compétence internationale
pertinente en droit commun.

Dans le contexte du règlement« Bruxelles I », le for de référence est celui qui com-
mande la matière quasi délictuelle, désignant le lieu où le fait dommageable s'est produit
ou risque de se produire (art. 5, 3°). Ces termes permettent de couvrir, notamment,
l'action en cessation (voy. supra, n ° 13.45). Le « fait » au sens de cette disposition est, soit
l'événement causal, soit la survenance du dommage. Le premier élément vise la localisa-
tion de l'acte de contrefaçon et le second, le lieu de distribution.
L'INSOLVABILITÉ 721

Ill Lorsqu'un film étranger a été diffusé en Belgique via Internet, l'acte de contrefaçon s'entend de
la copie, de la vente, de l'importation, de la communication au public et de l'alimentation d'un site
web depuis le territoire ; le lieu de survenance du dommage est celui de la consultation d'un site
web (Bruxelles, 4 mai 2001,].T., 2003, 234).
Le droit commun connaît des dispositions analogues (art. 86 et 96 Codip, supra,
n ° 13.45).
L'introduction d'une action en contrefaçon soulève, comme pour d'autres droits de
propriété intellectuelle, la question de l'extension de l'ordre de cesser à des comporte-
ments localisés hors du territoire de l'Etat du juge saisi. La tendance de la jurisprudence
est, ici aussi, à exclure tout effet extraterritorial. Encore faut-il comprendre la raison d'en
décider. Elle résulte moins de la crainte d'un excès de l'exercice de la compétence interna-
tionale à l'égard d'une souveraineté étrangère, que de la restriction qu'impose la règle de
compétence en matière quasi délictuelle, puisque celle-ci limite l'intervention du juge de
proximité aux actes commis sur le territoire ou au dommage survenu sur le territoire.
Mais pour ce dommage, le texte n'exclut pas la possibilité d'un ordre de cesser un acte
commis à l'étranger. De plus, une telle limitation ne vaut plus lorsque la compétence est
fondée sur le critère général du domicile du défendeur. Il en va autrement lorsque la
demande est introduite au provisoire devant une juridiction autre que celle compétente
au fond. En tout état de cause, la circonstance que la règle de rattachement désigne la loi
de protection ne suffit pas à justifier une limitation de la compétence internationale.
Ill!Pour un ordre global de cessation, voy.: Comm. Bruxelles (réf.), 31 janvier 1997, I.RD.I. (1997),
44; Civ. Bruxelles, 24 septembre 2001, Auteurs & Media (2002), 537, interdisant de vendre un dis-
que en Belgique ainsi qu'aux Pays-Bas; Gand, 12 juin 2003, Ing.-Cons. (2004), 385, note B. DocQUIR,
se contentant d'observer l'absence de contestation de la compétence et la possibilité d'exécuter le
jugement en Belgique, comme à l'étranger grâce au règlement« Bruxelles I ».
Ill!Pour une limitation strictement territoriale de l'ordre de cesser, voy. : Bruxelles, 4 mai 200 l,J. T.
(2003), 234, dans un cas où la compétence au fond était basée sur la survenance du dommage;
Mons, 13 mai 2002, Auteurs & Media (2002), 421, note F. BRISON, refusant d'interdire de reproduire
des enregistrements hors de Belgique et constatant que l'effet de la protection se limite au terri-
toire de l'Etat qui édicte celle-ci.

Section 3
L'insolvabilité
13.60 - Bibliographie

a) Monographies
M. BRIDGE et R. STEVENS (dir.), Cross-border security and insolvency (Oxford Univ. Press, 2001);
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722 LES BIENS

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13.61 - Présentation - En cas d'insuffisance d'actifs, le patrimoine du débiteur fait


l'objet de mesures à l'égard des créanciers, soit mesures de protection (concordat), soit
mesures de liquidation (faillite). Le débiteur peut être commerçant (cas de la faillite en
Belgique) ou non (règlement de dettes en Belgique, faillite dans certains pays étrangers).
Le règlement international d'une faillite ou d'un concordat soulève les trois ques-
tions classiques du droit international privé, à savoir la détermination de la compétence
internationale des juridictions belges, la désignation du droit applicable et la reconnais-
sance en Belgique d'une décision étrangère.
Deux facteurs de complication affectent la matière. D'un côté, il faut tenir compte
de l'incidence de droits - de créance ou réels - détenus par des tiers sur des biens du
débiteur en faillite, lorsque des biens sont éparpillés dans des pays différents. D'un autre
côté, il faut tenir compte de la portée du règlement 1346/2000 du 29 mai 2000 relatif aux
procédures d'insolvabilité (].O.C.E., 2000, L 160). Ce règlement concerne les procédures
affectant un débiteur dont le centre des intérêts principaux est localisé dans la Commu-
nauté.
Le Code de droit international privé tient compte de ce règlement, qu'il complète en
couvrant seulement les procédures qui sortent de son domaine d'application (art. 116 à
121). De plus, son contenu s'inspire étroitement de celui du règlement, qu'il étend alors
aux procédures concernant des pays tiers.
13.62 - Les principes d'universalité et de territorialité - Le but de la faillite étant de
faire régner l'égalité entre les divers créanciers de l'insolvable, elle tend à fondre en une
masse commune toutes les valeurs actives du failli, pour en partager le prix par contribu-
tion entre les créanciers, sous réserve des causes légitimes de préférence (infra, n ° 13.73).
724 LES BIENS

La finalité de l'institution commande que tous les biens du failli, en quelque pays qu'ils
se trouvent, soient versés dans une masse commune pour être partagés entre tous les
créanciers, quels que soient leur nationalité, leur domicile et la loi régissant la créance.
La solution ainsi décrite est connue sous le nom d' « universalité de la faillite». Elle
suppose le conflit de juridictions résolu sous ses deux aspects : détermination du pays
compétent pour organiser la liquidation et, dans tous les autres pays, reconnaissance des
mesures prises par les autorités du premier.
Par« territorialité de la faillite», on entend, au contraire, un système tendant à cons-
tituer autant de masses de biens qu'il y a de pays dans lesquels ils sont dispersés, et à créer
un privilège de fait au profit du groupe de créanciers qui, dans chacun de ces pays, s'est
saisi des biens qui y sont respectivement situés. À vrai dire, la territorialité de la faillite est
moins un système que l'effet d'une liquidation anarchique du patrimoine dont les élé-
ments se localisent en différents pays.
1111Un jugement du tribunal de commerce de Bruxelles (18 juin 1965,j.C.B., 1968, IV, 161, note R.
VANDER ELST) en fournit un exemple. Une société belge déclarée en faillite par le tribunal de com-
merce de Bruxelles est créancière d'une firme allemande et débitrice d'une banque allemande. Celle-
ci fait saisie-arrêt sur ladite créance et obtient d'un tribunal allemand que le débiteur allemand du
failli lui verse une somme équivalente au montant de sa propre créance. D'après le droit allemand,
le fait que le débiteur soit déclaré en faillite à l'étranger (en l'espèce, en Belgique) ne fait pas obsta-
cle à la saisie de l'actif situé en Allemagne et à l'exécution forcée au profit exclusif du saisissant.
C'est là une application caractéristique de la territorialité de la faillite, consacrée par le droit inter-
national privé allemand.

Pour un cas dans lequel la faillite a été déclarée en Allemagne, voy. Comm. Bruxelles, 20 juin
1111

1975,].T (1975), 641.

1111Le principe de la territorialité de la faillite implique que, lorsque celle-ci a été déclarée dans un
pays où il prévaut, il n'y a aucune objection à procéder à une saisie dans un pays où prévaut le prin-
cipe de l'universalité (Cass., 26 septembre 1991, Rev. dr. comm. belge, 1992, 360, à propos d'une
faillite déclarée au Danemark).

§1 LES PROCÉDURES D'INSOLVABILITÉ


DANS LE CONTEXTE DE L'UNION EUROPÉENNE
13.63 - Prééminence du règlement 1346/2000 - Applicable aux procédures ouvertes
après le 31 mai 2002, le règlement sur l'insolvabilité a vocation à remplacer d'autres trai-
tés antérieurs que la Belgique a ratifiés, du moins pour les procédures qu'il vise.
Le règlement« Bruxelles I » (voy. supra, n ° 8.15) ne couvre pas la matière de la faillite, du concor-
1111

dat « et autres procédures analogues» (art. 1er, § 2, b). Voy. par exemple: C.J.C.E., aff C-267/97,
29 avril 1999, Coursier, Rec. (1999), I-2543, à propos de la détermination de la portée d'un jugement
de faillite étranger sur un jugement antérieur de condamnation à payer une dette.
La coexistence des règlements nécessite une interprétation harmonieuse de leurs domaines respec-
tifs en raison de la matière. Ainsi, il y a lieu de croire que le règlement 1346/2000 couvre les deman-
des qui dérivent « directement» de la faillite, de sorte que d'autres demandes introduites par le
curateur relèvent du règlement « Bruxelles I ». Sur l'application de la Convention de Bruxelles à
une action en recouvrement de créance de la société en liquidation ne s'insérant pas« étroitement»
dans le cadre de la procédure collective voy. en France: Cass. corn., 24 mai 2005, D.S. Act. (2005),
1553, note A. LIENHARD.
Une définition stricte des demandes visées par le règlement 1346/2000 est confirmée à propos de la
reconnaissance des décisions étrangères (voy. ci-dessous).
L'INSOLVABILITÉ 725

Les principaux de ces instruments sont les conventions franco-belge et belgo-néer-


landaise (voy. supra, n ° 8.32), qui contiennent une règle de compétence directe en la
matière, consacrant le principe d'universalité et retenant pour critère pertinent le lieu du
«domicile» du débiteur ou, pour les sociétés commerciales, celui du« siège social».
IllEn cas de localisation du critère pertinent dans un pays tiers, la compétence pouvait aussi se
fonder sur la localisation d'un simple« établissement commercial».
Ill L'application de ces textes a soulevé des questions relatives à la définition du« domicile» et de
la matière de la faillite. Sur la jurisprudence, voy. les références citées par H. BoRN et M. FALLON,
« Droit judiciaire international~ Chronique de jurisprudence »,]. T (1983), 211-212, ( 1987), 480 ;
avecJ.-L. VAN BoxsTAEL, Dossiers].T (2001), n ° 256.
Le domicile a été entendu comme visant le siège réel au moment de la cessation des paiements. Voy.
notamment: Gand, 9 décembre 1993, RW. (1993-1994), 1430, Pas. (1993), II, 30. Sur l'inopposabi-
lité d'un transfert de siège opéré sans publicité, voy.: Gand, 2 octobre 1997, TR V. (1998), 47, note
D. NAPOLITANO ; Cass., 18 février 1999, Rev. crit. jur. belge (2002), 306, note D. MATRAY, évoquant le
lieu du siège social; Mons, 22 mars 1999, Rev. gén. dr. civ. (2001), 94, note V. MARQUETTE et N.
WATTÉ, évoquant le lieu du principal établissement.
Sur la notion de litiges de la faillite, voy. notamment: Anvers, 27 octobre 1997, R.W (1998-1999),
675, qualifiant de litige issu de la faillite celui dont la solution réside dans les dispositions spéciales
qui régissent la faillite.
L'utilité pratique de ces dispositions n'a pas disparu totalement avec l'entrée en vigueur des
1111

actes communautaires, puisque ceux-ci ne couvrent pas toutes les entreprises.

Parmi les traités bilatéraux comportant des règles sur l'efficacité des décisions étran-
gères, seul celui conclu avec le Royaume-Uni s'étend à la matière de la faillite (art. 4, § 3,
C).
La Belgique a encore conclu avec l'Autriche, le 16 juillet 1969, une convention rela-
tive à la faillite, le concordat et le sursis de paiement (loi du 15 avril 1975, Monit.,
24 juillet 1975).

13.64 - Domaine du règlement 1346/2000 - Même si le règlement sur l'insolvabilité a


vocation à régir la plupart des procédures d'insolvabilité, il laisse certaines procédures en
dehors de son domaine d'application. Ce domaine obéit à un double critère, d'ordre
matériel et spatial.
Le domaine matériel est large, mais il connaît certaines restrictions. Il couvre non
seulement la faillite, mais encore toute procédure «collective», « fondée sur l'insolvabi-
lité » du débiteur, que celui-ci soit commerçant ou non, pourvu que la procédure
entraîne le dessaisissement, partiel ou total, du débiteur ainsi que la désignation d'un
syndic (art. 1er, § 1er). Ainsi, l'acte couvre, en droit belge, la faillite, le concordat ou le
règlement collectif de dettes (annexe A). En revanche, le secteur des services financiers est
exclu du domaine de l'acte, dans l'attente de règles particulières prenant en compte un
mécanisme spécifique d'assainissement et de liquidation(§ 2).
IllSur ce que la définition de l'insolvabilité au sens du règlement peut ne pas correspondre exacte-
ment à celle du droit national, voy. : D. BUREAU, « La fin d'un îlot de résistance. Le règlement du
Conseil relatif aux procédures d'insolvabilité», Revue (2002), 613-679, spéc. 624 et s.
L'application de la notion d'insolvabilité dans un cas concret devrait avoir lieu en deux phases.
D'abord, le juge aura égard à la définition fonctionnelle du règlement, qui est de nature à englober,
de manière autonome, une procédure ouverte dans tout Etat membre. Ensuite, après qu'il a cons-
taté l'applicabilité du règlement, il décidera de l'ouverture d'une des procédures connues du droit
national, selon les définitions notionnelles données par ce droit, applicable au fond.
726 LES BIENS

li La liste des procédures annexée au règlement a été mise à jour par le règlement 603/2005 du
12 avril 2005,j.O.C.E. (2005), L 100.
li Comp. la définition de la « faillite» donnée par la Cour de justice, à propos de l'exclusion de
cette matière du domaine du règlement« Bruxelles I », supra, n ° 8.15.
Outre les banques et les assurances, l'exclusion concerne« les entreprises d'investissement qui
11!1
fournissent des services impliquant la détention de fonds ou de valeurs mobilières de tiers » et les
organismes de placement collectif (OPCVM).
1111Les banques et assurances ont fait l'objet de directives sectorielles: directive 2001/17 du
19 mars 2001 (J.O.C.E., 2001, L 110) pour les banques, et directive 2001/24 du 4 avril 2001 (J.O.C.E.,
2001, L 125) pour les entreprises d'assurances. Ces directives ont été transposées en droit belge par
la loi du 6 décembre 2004 (Monit., 28 décembre 2004).

Les demandes qui dérivent de l'insolvabilité sont-elles visées par les règles de compé-
tence du règlement ? Apparemment non, puisque celui-ci évoque seulement les procédu-
res d' « ouverture». Pourtant, au titre de la reconnaissance des décisions étrangères, il vise
bien« d'autres décisions», notamment celles« qui dérivent directement de la procédure
d'insolvabilité» (art. 25). Dans l'attente d'une confirmation de l'extension du règlement,
le Code de droit international privé précise que le juge compétent pour ouvrir une procé-
dure l'est également « pour connaître des contestations qui en dérivent directement»
(art. 118, § 2).
La détermination de la compétence interne sort de l'objet du règlement. Celui-ci se
contente de déterminer la compétence internationale, en désignant seulement « les
juridictions » d'un Etat dans leur ensemble, sans préciser quel tribunal est territoriale-
ment compétent (sur cette notion, voy. supra, n ° 9.4). Par conséquent, la désignation de
ce tribunal relève du droit du for (voy. infra, n° 13.72).
Le domaine d'application dans l'espace du règlement ne fait l'objet d'aucune explici-
tation. Certes, sa force obligatoire affecte toute juridiction d'un Etat membre, à l'excep-
tion du Danemark, en raison de l'emprunt à l'article 67 du traité CE comme base
juridique. Quant à la définition des situations internationales visées, le texte n'offre
d'autre certitude que de couvrir toute procédure concernant un débiteur dont le centre
des intérêts principaux est dans la Communauté, puisque cet élément configure le critère
de compétence internationale établi par le règlement (voy. ci-dessous). On peut en
déduire que celui-ci n'affecte pas les règles nationales concernant un débiteur dont le
centre des intérêts principaux est au Danemark ou dans un pays tiers. Autre est laques-
tion de l'application du règlement au débiteur communautaire, pour les biens de celui-ci
localisés dans un pays tiers. Comme le règlement ne prévoit aucune disposition particu-
lière à cet égard, force est de s'en tenir au jeu de la règle de compétence qu'il institue, à
savoir le pouvoir d'une juridiction d'un Etat membre de connaître de tous les biens de ce
débiteur, même ceux localisés à l'étranger (principe d'universalité).
li Les principes du règlement, qui tendent à assurer une répartition égale des actifs disponibles,
s'imposent même à la Cour de justice, saisie en vertu d'une clause compromissoire : C.].C.E., aff. C-
294/02, 17 mars 2005, AMI Semiconductor Belgium, à propos d'une créance de la Commission contre
une société allemande en faillite.

13.65 - Prééminence du critère du centre des intérêts principaux du débiteur - La loca-


lisation du « centre des intérêts principaux » du débiteur détermine la compétence inter-
nationale (art. 3) et, partant, la compétence législative, la procédure étant régie par la loi
de « l'Etat d'ouverture» (art. 4). La procédure ainsi ouverte est dite « principale».
L'INSOLVABILITÉ 727

L'ouverture d'une procédure principale relève d'une compétence exclusive lorsque le cen-
tre des intérêts principaux est situé sur le territoire d'un Etat membre(§ 2).
1111Cette exclusivité suffit à expliquer l'absence de règle de litispendance internationale. Comp. ci-
dessous la possibilité d'ouvrir une procédure dans un autre pays alors que la procédure principale
est pendante, la seconde procédure étant dite secondaire.
La loi applicable à l'insolvabilité est la loi du for. Le domaine de cette loi est explicité par le
Ill!
paragraphe 2 de l'article 4.
La loi de l'insolvabilité règle, notamment, « les effets de la procédure sur les poursuites
individuelles ». Elle détermine ainsi dans quelle mesure un créancier peut encore faire valoir sa
créance isolément (C.J.C.E., aff C-294/02, 17 mars 2005, AMI Semiconductor Belgium).
La définition du« centre des intérêts principaux» donne lieu à une précision pour
les personnes morales, au moyen d'une présomption. Celle-ci désigne « le lieu du siège
statutaire». Cette présomption est toutefois réfragable. Il n'est donc pas exclu que le juge
du lieu du siège réel de direction puisse être compétent, mais il faudra motiver en ce sens
contre la présomption favorable au siège statutaire.
IllLe groupe de sociétés constitue un facteur de complication, que révèlent les premières décisions
d'application. Ainsi, dans l'affaire Daisytek, les juridictions britanniques se sont déclarées compé-
tentes pour ouvrir une procédure à l'égard de la filiale française d'une société anglaise, localisant
ainsi au siège de la société mère le centre des intérêts principaux de la filiale et renversant la pré-
somption établie par le règlement. Cette compétence a été acceptée en France, au stade de la recon-
naissance de la décision étrangère: Versailles, 4 septembre 2003, Revue (2003), 655, note G.
KHAIRALLAH,j.C.P. (2004), II, 10007, note M. MENJUCQ, Clunet (2004), 142, note A. JACQUEMONT.
Comme illustration d'ouverture d'une procédure au lieu du centre des intérêts principaux en
1111

Belgique, voy.: Comm. Bruxelles, 29 juillet 2003, D.A.O.R. (2004), n ° 68, p. 94.
D'autres procédures principales ont été ouvertes en Belgique sur cette base, alors même qu'une autre
procédure avait été ouverte à l'étranger. Voy. : Comm. Tongeren, 20 février 2003, Rev. dr. comm. belge
(2004), 70, note T. KRUGER, à propos d'une société dont le siège statutaire était à l'étranger.
Pour un cas de renversement de la présomption à propos d'une société constituée en Belgique
1111

où elle eut son siège réel mais qui transféra ensuite son siège statutaire en France, compétence fon-
dée sur le maintien du siège factuel en Belgique, voy.: Comm. Bruxelles, 8 décembre 2003, D.A.O.R
(2004), n° 68, p. 96, note B. DE MooR.
Le cas d'extension de la faillite au maître de l'affaire n'est pas exclu des prévisions du règlement. Une
1111!

demande concernant un commerçant dont le centre des affaires est en Belgique alors que son domicile
est, par exemple, à Monte Carlo, pourra relever de la compétence des juridictions belges. Voy. précédem-
ment en ce sens dans la jurisprudence: Liège, 3 juin 1983,jur. Liège (1983), 561, note A. KOHL.

La compétence attribuée porte sur l'ensemble des biens du débiteur. Le règlement


consacre ainsi le principe d'universalité. Celui-ci n'est pourtant pas absolu: on pourrait
évoquer la consécration d'un principe d'universalité relative, en raison de la territorialité
de certaines procédures et de certaines créances.
13.66 - Exception au critère du centre des intérêts principaux : les procédures territo-
riales - Le règlement ne s'en tient pas au principe d'universalité. Il atténue l'exclusivité
de la compétence du juge de la procédure principale, en permettant l'ouverture d'une
procédure dans un autre Etat membre, sur le territoire duquel le débiteur possède un
«établissement». Une telle procédure est dite « territoriale » au sens où ses effets « sont
limités aux biens du débiteur se trouvant sur ce dernier territoire» (art. 3, § 2).
L'ouverture d'une procédure territoriale autonome ne peut cependant avoir lieu qu'à la
1111!

demande d'un créancier ayant un rattachement particulier avec le pays d'établissement, soit par
son domicile, sa résidence ou son siège, soit par l'origine de sa créance dans l'exploitation de cet
728 LES BIENS

établissement(§ 4, b). Elle peut encore se faire si une procédure principale ne peut être ouverte en
vertu de la loi du centre des intérêts principaux du débiteur(§ 4, a).
1111 Le domaine de la loi de l'insolvabilité est précisé au moyen d'une liste exemplative des questions

visées (art. 4, § 2).


1111Certains droits ne peuvent être inclus que dans une procédure principale, à l'exclusion d'une
procédure terriroriale. Il en est ainsi d'un brevet ou marque communautaire ou autre droit analo-
gue établi par des dispositions communautaires (art. 12). Cette disposition est confirmée pour les
dessins ou modèles communautaires par le règlement 6/2002 du 12 décembre 2001 (J.O.C.E., 2002,
L 3), ainsi que par le règlement 422/2004 du 19 février 2004 sur la marque communautaire
(J.O.C.E., 2004, L 70). Ces confirmations valent aussi pour les procédures non visées par le règle-
ment 1346/2000. La solution figure déjà dans la Convention du 15 décembre 1975 sur le brevet
communautaire (précitée n ° 13.36), art. 42.

Lorsque la procédure territoriale suit l'ouverture d'une procédure principale, elle est
dite «secondaire» (§ 3). Cette procédure est une procédure de « liquidation»; elle ne
donne pas lieu à un examen de l'insolvabilité du débiteur (art. 27).
La circonstance qu'une procédure principale est pendante à l'étranger n'affecte pas la possibilité
1111

d'ouvrir une procédure secondaire (art. 16, § 2).


Ill Pour un cas d'ouverture d'une procédure secondaire, voy. : Comm. Charleroi, 16 juillet 2002,
Rev. dr. comm. belge (2004), 811, à propos d'une société dont le siège statutaire était en France, y fai-
sant l'objet d'une procédure de redressement judiciaire, et après avoir observé que le centre des
intérêts principaux était au siège d'exploitation belge.
1111 Pour un cas d'ouverture d'un procédure simplement terriroriale non précédée de l'ouverture

d'une procédure principale à l'étranger, voy.: Comm. Bruxelles, 18 novembre 2002, D.A.O.R.
(2003), n ° 68, p. 88.

13.67 - Neutralisation de la loi du concours dans l'intérêt des créanciers - Le règlement


atténue encore la portée du principe d'universalité en introduisant une limite impor-
tante à la loi du concours. Il vise ainsi à sauvegarder les intérêts des créanciers, tantôt
lorsque les biens concernés sont localisés hors du territoire du pays de la procédure, tan-
tôt lorsque la créance résulte d'un rapport juridique soumis à la loi d'un autre État.
Le droit réel grevant un bien du débiteur situé dans un autre État membre n'est pas
«affecté» par la procédure d'insolvabilité (art. 5, § ier). Pourtant, il peut donner lieu à
une action en nullité, en annulation ou en inopposabilité d'un acte préjudiciable à
l'ensemble des créanciers, en vertu de la loi de l'insolvabilité(§ 4).
1111La disposition se présente moins, dans sa formulation, comme une règle de rattachement, que
comme une règle matérielle de droit international privé (sur cette notion, voy. supra, n ° 3.8), pre-
nant la !ex fori pour règle d'applicabilité. Pourtant, le préambule se comprend comme énonçant
« un rattachement particulier qui déroge à la loi de l'Etat d'ouverture» (§ 25).
La solution revient pratiquement à une référence à la loi de l'insolvabilité, laquelle contient alors
une règle favorable au titulaire du droit réel « étranger». Cependant, cette faveur disparaît par
l'ouverture d'une procédure territoriale dans le pays de situation, puisque, dès ce moment, la locali-
sation cesse d'être« étrangère» à cette procédure.
La combinaison de la règle matérielle précitée avec l'hypothèse d'une procédure secondaire arrive
au même résultat qu'un rattachement de l'opposabilité du droit réel à la loi du lieu de situation. Le
sort du droit réel pourra donc varier selon que l'insolvabilité donne lieu ou non à une procédure
unique ou à plusieurs procédures.
1111Le texte ne tient pour pertinente que la localisation du bien dans un Etat membre, non dans un
Etat tiers. Il conduit donc à désavantager pratiquement les créanciers de pays tiers, sauf à considé-
rer que le règlement n'étend pas son domaine aux biens du débiteur situés dans un pays tiers (voy.
supra, n ° 13.64).
L'INSOLVABILITÉ 729

Ill!Le texte vise aussi les « biens incorporels» localisés à l'étranger. Les créances font l'objet d'une
localisation fictive, au « centre des intérêts principaux du tiers débiteur» (art. 2, g). Les droits ins-
crits « dans un registre public» sont réputés localisés dans « l'Etat membre sous l'autorité duquel
ce registre est tenu» (!oc. cit.).
Ill La réserve de propriété au profit du vendeur du débiteur n'est pas non plus affectée par l'ouver-
ture de la procédure, lorsque le bien se trouve dans un autre Etat membre lors de l'ouverture (art. 7,
§ ier), sous la réserve des règles impératives de la loi du concours pour les actes préjudiciables à
l'ensemble des créanciers(§ 3).
Une règle de rattachement véritable est énoncée, pour la réserve de propriété, à propos de l'assainis-
sement et de la liquidation des établissements financiers. Voy. notamment, pour le secteur de
l'assurance, la directive 2001/17 du 19 mars 2001 (j.O.C.E., 2001, L 110), désignant la loi de situa-
tion actuelle du bien (art. 21).
La loi réelle régit encore « les effets de la procédure d'insolvabilité sur un contrat
donnant le droit d'acquérir un bien immobilier ou d'en jouir» (art. 8), ou les effets sur
un bien immobilier, un navire ou un aéronef soumis à inscription dans un registre public
(art. 11), ainsi que la validité de l'acte de disposition à titre onéreux d'un immeuble,
navire ou aéronef, conclu après l'ouverture de la procédure (art. 14).
La loi contractuelle régit, notamment, les effets de la procédure sur un système de
paiement ou de règlement ou un marché financier (art. 9), ou sur un contrat de travail
(art. 10). Elle permet encore de contrer l'attaque portée contre un acte préjudiciable à
l'ensemble des créanciers selon la loi de l'insolvabilité (art. 13).
Ill!La protection du travailleur en cas d'insolvabilité de l'employeur fait l'objet d'un mécanisme
communautaire spécifique tendant à assurer l'indemnisation du travailleur. Voy. la directive 80/
987 du 20 octobre 1987 (j.O.C.E., 1987, L 283), modifiée par la directive 2002/74 du 23 septembre
2002 (j.O.C.E., 2002, L 270) qui, lorsque l'employeur est actif dans plusieurs Etats membres, met le
paiement des créances impayées à charge de l'institution du lieu d'exercice habituel du travail, cette
institution appliquant sa propre loi. Sous la directive 80/987, voy. sur cette hypothèse: C.J.C.E.,
aff. C-117/96, 17 septembre 1997, Mosbaek, Rec. (1997), 1-5017, énonçant plutôt l'intervention de
l'institution du pays de l'établissement principal de l'employeur, par un rapprochement avec le rat-
tachement de la procédure d'insolvabilité.
Ill!Pour l'application de la loi du système de paiement aux droits et obligations d'un participant
qui fait l'objet d'une procédure d'insolvabilité, voy. l'art. 8 de la directive 98/26 du 19 mai 1998
(j.O.C.E., 1998, L 166, loi du 28 avril 1999, Monit., 1er juin 1999, art. 7).

Les techniques de rattachement utilisées par le législateur communautaire pour


neutraliser l'effet de la procédure d'insolvabilité sont variées, consistant tantôt à soumet-
tre la question au domaine de la loi qui régit le rapport juridique liant le tiers, tantôt à
formuler une véritable règle de rattachement.
1111Une règle de rattachement apparaît à propos de la compensation de créances (art. 6, désignant
la loi qui régit la créance du débiteur insolvable), du contrat immobilier (art. 8, désignant la loi du
lieu de situation), du bien enregistré (art. 11, désignant la loi du registre). Cette méthode est inco-
hérente, puisqu'elle consiste à énoncer, à l'occasion d'un texte sur l'insolvabilité, des règles de ratta-
chement ayant une portée plus générale. Ainsi, le contrat immobilier ne sera pas nécessairement
soumis à la loi du lieu de situation (voy. infra, n° 14.131). Il aurait été suffisant de renvoyer dans
tous les cas au droit qui régit le rapport juridique en cause.
D'autres règles matérielles tendent encore à protéger le tiers, en neutralisant l'effet
de l'ouverture d'une procédure sur l'acquisition de certains droits. Il en est ainsi des
droits de l'acheteur d'un bien du débiteur à l'acquisition de la propriété du bien vendu,
sans possibilité de résolution ou de résiliation en raison de l'ouverture de la procédure
(art. 7, § 2). De même, celle-ci n'affecte pas les ordres qui, au moment de l'ouverture de la
730 LES BIENS

procédure, ont été effectués dans le cadre d'un système de paiement et de règlement
d'opérations sur titre au sens de la directive 98/26 du 19 mai 1998 (JO.CE., 1998, L 166;
loi de transposition du 28 avril 1999, Monit., 1er juin 1999).
111Cette directive contient une règle d'applicabilité selon laquelle les règles matérielles s'appli-
quent à tout système - entendu comme un « accord » - régi par le droit d'un Etat membre choisi
par les participants parmi les Etats où l'un d'eux a son siège social (art. 2).

13.68 - Reconnaissance d'une décision étrangère - Comme il se doit, le règlement con-


sacre la reconnaissance de plein droit d'une décision rendue en vertu de celui-ci, tantôt
décision d'ouverture (art. 16), tantôt toute décision relative au déroulement ou à la clô-
ture d'une procédure (art. 25), ainsi que d'autres décisions« qui dérivent directement de
la procédure d'insolvabilité et qui s'y insèrent étroitement, même si elles sont rendues par
une autre juridiction» (même article).
111Pour une application à propos d'un « redressement judiciaire » décidé en France, voy. : Anvers,
23 août 2004, D.E.T (2005), 95, soumettant cependant à la loi belge du 17 juillet 1997 sur le con-
cordat judiciaire (art. 21, § 1") l'accès du créancier gagiste à une voie d'exécution sur les biens
mobiliers. En soi, une telle faculté semble dépendre plutôt de la loi en vertu de laquelle la mesure
de redressement a été décidée. Encore fallait-il examiner si, en l'espèce, le droit de gage était affecté
par la procédure étrangère du fait de la localisation du bien (art. 5 du règlement). La circonstance
que la décision française avait été rendue après le jugement belge de première instance constituait
un facteur de complication...
La force exécutoire n'est pas attribuée pour autant de plein droit. Sa déclaration
passe par les conditions établies par le règlement« Bruxelles I » (art. 25).
Le référence aux articles 31 à 51 de la Convention de Bruxelles doit se comprendre comme por-
1111

tant sur les articles 38 à 58 du règlement, puisque celui-ci s'était substitué entre-temps à la Conven-
tion entre les Etats membres de l'Union européenne à l'exception du Danemark. Le renvoi ne porte
pas sur l'article 34, § 2, de la Convention: cette exclusion est devenue sans objet depuis l'entrée en
vigueur du règlement, puisqu'elle tendait à supprimer tout contrôle des motifs de refus lors de la
phase unilatérale de la procédure, suppression qu'opérera le règlement« Bruxelles I ».
111 La technique de référence est critiquable car approximative. Ainsi, elle soulève une difficulté à
propos du contrôle de la compétence indirecte. En effet, le règlement sur l'insolvabilité se com-
prend comme excluant, à l'époque où il a été rédigé, ce contrôle lors de la phase unilatérale, non
lors de la phase contradictoire, puisque l'article 34, § 2, dont il exclut l'application, permet ce con-
trôle lors de cette première phase mais ne concerne pas la seconde phase. Cette exclusion peut se
comprendre à l'époque de la rédaction puisqu'au même moment, le règlement« Bruxelles II» (voy.
supra, n ° 12.70) excluait aussi ce contrôle lors de la première phase mais non lors de la seconde.
Avec l'entrée en vigueur du règlement « Bruxelles I », ce contrôle s'effectue aussi lors de la phase
contradictoire (art. 45). Or, il prévoit une règle de compétence indirecte, mais seulement dans des
matières particulières (art. 35, contrats d'assurance et de consommation, droits réels). Forcément,
ces matières n'incluent pas celle de l'insolvabilité, exclue du règlement « Bruxelles I ». Pourtant,
une interprétation selon l'effet utile du règlement sur l'insolvabilité devrait étendre par identité de
motifs le contrôle de la compétence indirecte à cette matière, car, parmi celles donnant lieu à un tel
contrôle dans le règlement « Bruxelles I », figurent (art. 22) des matières connaissant une règle de
compétence directe exclusive. Telle est bien la nature de la règle de compétence directe en matière
d'insolvabilité.
Ill Le règlement n'identifie pas, par une annexe, le tribunal ayant la compétence d'attribution pour
connaître d'une demande de reconnaissance ou de déclaration de la force exécutoire, à la différence
du règlement« Bruxelles I », qui cite, pour la Belgique, le tribunal de première instance. À première
vue, ce tribunal est donc compétent aussi en matière de la faillite. De son côté, le Code attribue
cette compétence au tribunal de commerce, non seulement pour les décisions rendues dans un
pays tiers (régime du droit commun), mais également pour celles rendues en vertu du règlement
(voy. infra, n ° 13.75). Il aurait été plus judicieux que celui-ci établisse une liste propre à la matière.
L'INSOLVABILITÉ 731

Dans l'attente d'une modification du règlement tendant à introduire une nouvelle annexe, il n'est
pas certain que l'attribution du tribunal de commerce soit conforme au règlement. Certes, il appar-
tient aux Etats de modifier les annexes (art. 74), ce qui confirme leur compétence à cet égard, mais
le règlement reste ob!igaroire dans tous ses éléments, y compris ses annexes tant qu'elles n'ont pas
été adaptées valablement, et le particulier a donc le droit de se fier à sa version en vigueur.

Les effets de la reconnaissance sont d'abord ceux attribués par la loi de l'Etat
d'ouverture de la procédure (art. 17). De plus, ils portent sur les pouvoirs du syndic, sans
préjudice d'une décision inconciliable rendue dans l'Etat requis (art. 18).

13.69 - Mécanismes de coordination et d'information - Le règlement ne se contente


pas de mettre en place un ensemble de règles de conflit. Il institue également un méca-
nisme de coordination entre procédures de différents pays et établit diverses mesures de
publicité.
En cas d'ouverture d'une procédure secondaire, il est important d'assurer une cohé-
rence des dispositions arrêtées de part et d'autre. Aussi les syndics des différentes procé-
dures se voient imposer un devoir de coopération et d'information (art. 31). De plus, les
opérations de liquidation de la procédure secondaire peuvent devoir être suspendues à la
demande du syndic de la procédure principale (art. 33). Après la liquidation dans le cadre
de la procédure secondaire, un éventuel surplus d'actifs est transféré par le syndic de cette
procédure au syndic de la procédure principale (art. 35).
Des mesures d'information tendent à faciliter la production de leurs créances par
des créanciers étrangers, pourvu cependant qu'ils aient leur résidence habituelle, leur
domicile ou leur siège dans un Etat membre, seuls ces créanciers étant autorisés, curieu-
sement, à produire leurs créances (art. 39). Une obligation d'informer « sans délai» ces
créanciers incombe à la juridiction ou au syndic de toute procédure, principale ou terri-
toriale (art. 40), dans une des langues officielles de l'Etat d'ouverture (art. 42).

§2 LES PROCÉDURES D'INSOLVABILITÉ SELON LE DROIT COMMUN

A. Ouverture d'une procédure en Belgique


13.70 -Analogie avec le régime des procédures communautaires - L'élaboration du Code
de droit international privé appelait à une prise de position sur le maintien des solutions
antérieures, ou sur une adaptation de celles-ci au nouvel agencement des règles de conflit
issu du règlement sur l'insolvabilité.
La solution antérieure reposait sur une jurisprudence qui avait consacré un principe
d'universalité absolue, sur la base d'une transposition de la règle de compétence interne
attribuant une compétence exclusive au tribunal du domicile du failli (art. 631 C. jud.). Il
en découlait l'impossibilité de prononcer la faillite d'un commerçant domicilié à l'étran-
ger tout en ayant des avoirs ou un établissement secondaire en Belgique. Inversement, la
faillite prononcée en Belgique entendait viser aussi les biens d'une succursale localisée à
l'étranger. Et une décision étrangère était reconnue de plein droit dès lors qu'elle concer-
nait un débiteur domicilié à l'étranger, mais non en Belgique.
1111 La solution découlait d'un arrêt de principe de la Cour de cassation du 6 août 1852, de Terwan-

gne, Pas. (1853), 1, 155, reconnaissant les pouvoirs du syndic nommé par la juridiction française du
domicile du failli.
732 LES BIENS

Voy. notamment, pour l'incompétence à l'égard d'un débiteur domicilié à l'étranger: Bruxelles,
14 juin 1978,J.C.B. (1979), 419, note H. VAN HoUTIE; Liège, 30 septembre 1981,J.C.B. (1982), 336.
Pour la compétence à l'égard de la succursale étrangère d'un débiteur domicilié en Belgique, voy. :
Comm. Bruxelles, 28 avril 1980,J.C.B. (1980), 417.
Pour le refus de reconnaître un jugement étranger, voy.: Comm. Bruxelles, 26 novembre 1991, Rev.
dr. comm. belge (1992), 1077.
111 La définition du domicile pouvait susciter des difficultés dans une procédure internationale.
En l'absence de domicile en Belgique au sens l'article 36 du Code judiciaire et de résidence connue
hors du territoire belge, la compétence du juge belge du lieu d'exercice de l'activité commerciale a
été retenue: Cass., 30 septembre 1976, Gouda,J.T (1977), 57; 3 décembre 1987, Pas. (1988), I, 411.
Pour les sociétés commerciales, le lieu de l'établissement principal a été retenu, en harmonie avec la
règle de rattachement en matière de sociétés (voy. infra, n° 16.11). Voy. particulièrement, à propos
d'une société de droit public étrangère dont le siège à l'étranger était apparu comme fictif, dans
l'affaire Air Zaïre: Bruxelles, 21 septembre 1995, Rev. prat. soc. (1996), 129, noteJ.-L. VAN BoxsTAEL;
Cass., 2 décembre 1996, Rev. dr. comm. belge (1997), 526, note M. CLAEYS, retenant la localisation du
siège réel en Belgique.
Ill Le concordat, aussi, obéissait au principe d'universalité. Voy., dans l'affaire Leernhout & Hauspie:
Comm. Ypres, 19 janvier 2001 et 20 juin 2001, TR. V. (2001), 60 et 336, indiquant comme corollaire
le rejet d'une demande tendant à attendre une autorisation de vente d'actifs par un tribunal étran-
ger, américain en l'espèce.
Le Code tend à transposer au droit commun le concept d'universalité relative consa-
cré par le règlement, en distinguant procédure principale et procédure secondaire. La
portée pratique de ce régime est toutefois limitée, puisque, pour les entreprises visées par
le règlement, il n'affecte pas tout débiteur dont « le centre des intérêts principaux» est
dans la Communauté - à l'exception du Danemark.
Le droit commun reprend la terminologie ouverte adoptée par le règlement, en
englobant sous le terme « procédure d'insolvabilité » toute procédure « collective fondée
sur l'insolvabilité» (art. 116), comprenant, outre la faillite, le concordat et le règlement
collectif de dettes, ou encore, à propos de la reconnaissance d'une décision étrangère,
toute procédure ouverte à l'étranger.
IllLe texte de la proposition de loi citait les procédures de faillite, de concordat et de règlement
collectif de dettes. La version finale issue de l'amendement n ° 106 de MM. Zenner et Vandenberghe
(Doc. pari., Sénat, 2003-2004, n ° 3-27/6) est plus large, afin de pouvoir viser, au stade de la recon-
naissance d'une décision étrangère, toute procédure étrangère connaissant une autre appellation.
Ill La justification de l'amendement précité précise que le texte peut« s'appliquer à des procédures
non visées par le règlement sur l'insolvabilité, telles que la liquidation volontaire ou judiciaire fon-
dée sur l'insolvabilité du débiteur». Une telle extension ne devrait certes pas couvrir route procé-
dure de liquidation issue de la dissolution de la société, question relevant de la loi qui régit la
société.

13.71 - Compétence internationale - La détermination de la compétence internatio-


nale obéit à une disposition complémentaire de celle du règlement, dont la formulation
tend à clarifier la relation entre les textes (art. 118). Comme le règlement n'évoque nulle-
ment le sort des procédures exclues de son domaine, il convenait d'expliciter au moins
que, en principe, les juridictions belges n'ont pas de compétence en dehors des cas prévus
par le règlement, ce qui revient à focaliser la compétence sur le critère du centre des inté-
rêts principaux.
IllPour une définition du terme « procédure d'insolvabilité », voy. encore la directive 98/26 du
19 mai 1998 sur les systèmes de paiement et de règlement des opérations sur titres (J.O.C.E., 1998,
L'INSOLVABILITÉ 733

L 166, arc. 2,j, loi du 28 avril 1999, Monit., 1er juin 1999, art. 7) et la loi du 15 décembre 2004 sur les
sûretés financières (Monit., F'février 2005, arc. 3, 5°).
L'établissement de règles de droit commun hors des situations visées par le règlement présente
1111

une utilité lorsque le centre des intérêts principaux du débiteur est dans un pays tiers alors qu'un
établissement secondaire est situé en Belgique.

Le Code confirme le principe d'universalité antérieur en énonçant que les juridic-


tions belges ne sont pas compétentes, sauf exception, lorsqu'elles ne le sont pas en vertu
du règlement. C'est dire pratiquement que la compétence n'existe que si « le centre des
intérêts principaux » du débiteur est en Belgique. En ce sens, la solution confirme la solu-
tion jurisprudentielle. Pour arriver au même résultat que cette jurisprudence, le texte vise
le cas où« l'établissement principal ou le siège statutaire» - ou, pour une personne phy-
sique, le domicile - est situé en Belgique, alors que le centre des intérêts principaux serait
dans un pays tiers : les juridictions belges sont alors compétentes pour ouvrir une procé-
dure « principale », de nature universaliste.
1111L'hypothèse visée par le Code est pratiquement celle où le « centre des intérêts principaux» au
sens du règlement est bien au lieu du siège statutaire comme le présume le règlement, alors que
l'établissement principal est en Belgique: la disposition préserve ainsi la logique de la solution
antérieure.
Lorsque l'établissement principal sera dans un pays tiers alors que le siège statutaire est en Belgi-
que, ou· dans un autre Etat membre de l'Union européenne (sauf le Danemark), le règlement
s'appliquera normalement, sauf si la présomption peut être renversée en l'espèce.
Le règlement collectif de dettes (arc. 1675/2 C. jud.) relève aussi de la règle précitée. Aussi le
1111

Code a-t-il supprimé du Code judiciaire la référence au « domicile» du débiteur pour fonder la
compétence du tribunal (art. 136). Telle quelle, cette référence ne correspondait plus au critère
énoncé par le règlement et, en droit commun, le législateur a préféré un alignement sur les solu-
tions de celui-ci.

L'innovation principale consiste à permettre l'ouverture d'une procédure territoriale


en Belgique (art. 118, § 1er, 2 °). Il suffit que le débiteur y possède « un établissement».
Comme dans le cadre du règlement, cette procédure concerne seulement les biens situés
en Belgique (art. 117, 3°). Une telle procédure peut également être« secondaire» - en
l'absence même de tout mécanisme de répartition des compétences en dehors d'un con-
texte conventionnel : la compétence pour ouvrir une procédure territoriale subsiste mal-
gré la reconnaissance, en Belgique, d'une décision étrangère d'ouverture d'une procédure
principale (art. 118, § 3).
Ces règles de compétence visent non seulement l'ouverture d'une procédure. Elles
permettent au juge compétent pour l'ouverture de la procédure, de connaître de toutes
« contestations qui en dérivent directement» (art. 118, § 2).
1111La formulation est plus précise que celle de l'ancien article 635, 8 °, du Code judiciaire, qui éten-
dait la compétence aux « contestations en matière de faillite ». Pour une application, voy. par
exemple: Mons, 16 mai 1989, Rev. dr. comm. belge (1990), 783.

13.72 - Compétence interne - Pas plus que le règlement, le Code ne détermine la com-
pétence interne après que la compétence internationale des juridictions belges est véri-
fiée. Pour ce faire, il convient de se référer d'abord aux dispositions du Code judiciaire et
subsidiairement, pour le cas où le critère de compétence interne ne se localise pas en Bel-
gique, aux dispositions pertinentes du Code (art. 13 Codip).
Une distinction a lieu selon que la procédure est principale ou territoriale.
734 LES BIENS

En cas de procédure principale, le tribunal compétent est celui de l'établissement


principal du débiteur - ou siège social pour une personne morale (art. 631, § 1er, al. 1er,
C. jud.).
Ainsi, lorsque la compétence des juridictions belges est fondée sur le critère du siège statutaire
1111

- en vertu du règlement ou du Code-, il y a lieu de saisir le tribunal du lieu de l'établissement


principal ou siège social si celui-ci se trouve en Belgique.
À défaut de localisation en Belgique, il convient de retenir une règle subsidiaire pour la compé-
1111

tence interne, puisque la compétence internationale reste acquise. Force est alors d'utiliser le critère
du siège statutaire, en vertu de l'article 13 du Code, qui renvoie au critère de compétence interna-
tionale de l'article 118 - ou du règlement.

En cas de procédure territoriale, la désignation du juge du lieu de l'établissement


découle à suffisance de l'article 118 du Code, par l'intermédiaire du jeu de l'article 13,
sans qu'il ait été nécessaire d'ajouter une disposition à cet effet dans le Code judiciaire.
Voy. la justification de l'amendement n ° 112 de MM. Zenner et Vandenberghe (Doc. pari., Sénat,
1111

2003-2004, n ° 3-27/6).
Ill!La nouvelle rédaction de l'article 631, § l", al. 2 (art. 135 Codip) évoque seulement une procé-
dure basée sur le règlement. En effet, celui-ci ne comprend aucune disposition sur la compétence
interne.
La disposition attribue la compétence au tribunal premier saisi en cas de pluralité d'établissements
sur le territoire.
Ill!Avant l'entrée en vigueur du Code, l'article 3 (al. 1") de la loi sur la faillite du 8 juillet 1997,
modifié par la loi du 4 septembre 2002, comportait une anomalie puisqu'il pouvait se comprendre
comme établissant la compétence internationale des juridictions belges pour ouvrir une procédure
territoriale lorsque le débiteur« possède un établissement en Belgique ». Entendue en ce sens, cette
règle faisait double emploi avec le règlement, auquel elle renvoyait par ailleurs.
Le Code modifie la disposition de manière à l'entendre comme une règle matérielle énonçant que
l'ouverture d'une procédure territoriale peut avoir lieu à propos d'un débiteur non commerçant et
que l'état de faillite de l'établissement belge s'apprécie indépendamment « de l'état des établisse-
ments de celui-ci situés à l'étranger ». De plus, la faillite territoriale est déclarée« indépendamment
de tout examen de l'état du débiteur>> (al. 2). Le texte vise d'abord à combler une lacune puisqu'il
convenait de permettre une procédure à l'égard d'un non-commerçant lorsque le droit étranger qui
régit la procédure principale le prévoit. Ensuite, il donne sa portée utile à l'ouverture d'une procé-
dure territoriale, en permettant d'agir dès que l'établissement local présente un état de faillite alors
que le débiteur a préservé l'état de ses établissements à l'étranger.

13.73 - Droit applicable à l'insolvabilité - Comme le règlement et comme la jurispru-


dence antérieure, le Code confirme la soumission de la procédure d'insolvabilité au droit
belge (art. 119). Ce droit régit toute question relative aux « conditions d'ouverture», au
« déroulement » et à la« clôture » de la procédure. Des précisions sur le domaine de la loi
de l'insolvabilité sont données par un renvoi aux dispositions pertinentes du règlement
(art. 4, § 2).
L'effet de la procédure sur les droits de tiers, titulaires de droits réels ou travailleurs
créanciers de leur employeur, obéit à des dispositions inspirées du règlement (voy. supra,
n ° 13.67). Celles-ci tendent à faire échapper de tels droits à l'emprise de la loi de l'insolva-
bilité.
1111Cela explique une répartition des tiers en trois catégories, selon que l'exception de la loi de
l'insolvabilité relative aux actes préjudiciables à l'ensemble des créanciers est opposable au tiers
(§ 1cr) ou non(§ 2), ou selon que la question affecte la validité d'un acte de disposition du débiteur
(§ 3).
L'INSOLVABILITÉ 735

De manière générale, l'opposabilité aux tiers d'un droit réel ainsi que l'existence et le rang de causes
de préférence sont régies par la loi de situation du bien au moment de la réalisation de celui-ci,
selon l'article 94. Celui-ci précise que c'est« sans préjudice de l'article 119 », et le texte de la justifi-
cation de l'amendement qui a introduit cette disposition (amendement n ° 72 du gouvernement,
Doc. pari., Sénat, 2003-2004, n ° 3-27/6) indique qu'il appartient à la loi de la faillite de déterminer
quelles créances sont privilégiées. Les termes de la justification doivent être nuancés. Le renvoi à
l'article 119 signale qu'en cas de faillite, il y a lieu de considérer cette disposition. Celle-ci consiste
certes à rattacher, par principe, à la loi de la faillite, notamment, « les règles de la distribution du
produit de la réalisation des biens [et] le rang des créances» (art. 4, § 1er, i, du règlement auquel
renvoie l'art. 119, § 1er), mais elle réserve aussi, parmi les causes de préférence, celles qui résultent
d'un droit réel, d'une compensation ou d'une réserve de propriété, les laissant à la loi de situation.
1111L'ensemble de ces dispositions est rédigé sous la forme de règles de rattachement, alors que le
règlement traire certaines d'entre elles par une règle matérielle.
Pour les droits réels, une différence sensible en découle. Alors que le règlement soumet pratique-
ment ceux-ci à la loi de l'insolvabilité en posant une règle matérielle applicable au titre de !ex fori, le
Code s'en remet à la loi réelle. La première approche assure l'inopposabilité de la procédure au titu-
laire du droit réel, alors que le Code laisse cette question à la loi réelle. Le Code ne cherche donc pas
à offrir au créancier du débiteur une protection aussi large que le règlement, afin de ne pas vider de
toute substance la notion de règlement« collectif» tout en offrant une sécurité juridique minimale
au créancier étranger. En pratique toutefois, l'un et l'autre textes préservent les règles de la loi de
l'insolvabilité sur l'inopposabilité des actes préjudiciables à l'ensemble des créanciers, non sans
nuance (voy. ci-dessous).
Ill La préservation des droits réels selon la loi de situation - actuelle - du bien, même en cas de
faillite, va plus loin que la solution de la jurisprudence antérieure, qui soumettait l'exercice du pri-
vilège, notamment l'opposabilité de la réserve de propriété, à la loi de la faillite, alors que l'existence
et l'étendue du droit réel relèvent de leur loi propre.
Voy.: Comm. Bruxelles, 27 octobre 1958,J.C.B. (1959), 81; Bruxelles, 27 mars 1963, Pas. (1963), II,
226; Comm. Courtrai, 25 juin 1964, R.W (1964-1965), 271; Comm. Gand, 8 janvier 1982 (2 espè-
ces),].C.B. (1982), 417, note H. VAN HOUTIE, et Rev. dr. comm. belge (1984), 35, note H. VAN HouTIE;
Anvers, 20 novembre 1984, Rev. dr. comm. belge (1986), 787; Bruxelles, 22 mars 1988, Rev. dr. comm.
belge (1989), 631, noteJ.-F. GÉRARD; 15 juin 1993,].L.M.B. (1995), 904.
En France, voy. en ce sens: Cass. civ., 8 janvier 1991, Clunet (1991), 993, note A. JACQUEMONT, qui
approuve.
Comp.: Comm. Charleroi, 22 mars 1994, ].L.M.B. (1995), 159, somm., soumettant à la loi espa-
gnole la distribution du prix de la vente et acceptant de créer ainsi une sous-masse, à propos d'un
immeuble situé en Espagne dans le cadre d'une faillite ouverte en Belgique,
Ill Un rattachement à la loi de la faillite apparaît dans la Convention belgo-néerlandaise de 1925
(supra, n ° 8.32), pour les privilèges sur les biens meubles du failli, et les hypothèques et privilèges
immobiliers restent soumis à la loi de la situation du bien, alors que ceux portant sur un navire ou
bateau relèvent de la loi de l'Etat de la nationalité du navire ou bateau (art. 23).

13.74 - Coopération entre administrateurs - Le Code innove en visant à encourager


une coopération entre un curateur belge et un administrateur nommé à l'étranger
(art. 120). Il est vrai que la mise en œuvre d'une coopération transfrontière est hasardeuse
en l'absence d'un mécanisme conventionnel. Aussi la disposition, tout en s'inspirant du
mécanisme mis en place par le règlement, amenuise la portée de l'obligation faite au
curateur.
IllL'information des créanciers ne fait pas l'objet de dispositions spécifiques, à la différence de ce
que prévoit le règlement. Un tel devoir a été considéré comme disproportionné, notamment lors-
que ces créanciers sont établis dans des pays tiers, alors que le règlement se limite aux créanciers
communautaires.
D'abord, à la différence du règlement, le commandement du législateur ne s'adresse
qu'au curateur belge: il serait inopérant d'ordonner à l'administrateur étranger de faire
736 LES BIENS

un acte déterminé. Cela n'empêche pas qu'il puisse être demandé au curateur belge de
chercher à collaborer. Cette disposition se comprend moins comme une obligation de
résultat, que comme posant les termes d'une habilitation à agir. Elle obéit toutefois à une
condition de réciprocité, amenant à vérifier si le droit étranger organise une obligation
au moins« équivalente».
Une condition de réciprocité affecte aussi l'obligation de transfert du surplus d'actifs à charge
1111

du curateur de la procédure secondaire (art. 120, al. 3).

Ensuite, une règle de raison tempère la charge imposée à l'administration de la


faillite. Les frais d'inscription, de publicité et de coopération ne doivent être assumés que
s'ils sont raisonnables au regard de l'actif du débiteur (al. 2).

B. Reconnaissance des décisions étrangères


13. 7 5 - Principe de reconnaissance de plein droit - Comme le règlement et comme la
pratique antérieure, le Code confirme le régime de la reconnaissance de plein droit des
décisions étrangères en matière d'insolvabilité (art. 121). Cela signifie que la décision
étrangère aura autorité de chose jugée en Belgique sans qu'il soit nécessaire d'y obtenir
un jugement préalable d'exequatur.
1111 Le droit commun ne s'applique qu'à défaut d'acte communautaire ou conventionnel: il ne con-
cerne donc pas une décision étrangère « prononcée en vertu du règlement sur l'insolvabilité », à
savoir dans un Etat membre de l'Union européenne à l'exception du Danemark, à l'égard d'une
entreprise relevant d'un secteur non exclu par le règlement ou une directive.

Est visée toute décision « relative à l'ouverture, au déroulement ou à la clôture»


d'une procédure.
En France, sur la recevabilité d'une demande portant sur une décision américaine d'ouverture
1111

de la procédure de faillite, consistant en un simple enregistrement de la requête mais avec effet de


suspension des poursuites, voy. : Cass. civ., 17 octobre 2000, Barney's, Revue (2001), 121, notes J.-P.
REMERY et H. MurR WATT.

Cette reconnaissance s'étend à l'admission des pouvoirs de l'administrateur nommé


par le juge étranger, notamment la faculté de demander l'ouverture d'une procédure ter-
ritoriale, ou de solliciter des mesures provisoires aux conditions générales de l'article 10
(§ 3). Cette faculté peut être exercée sans exequatur préalable, car elle relève de l'effet de
reconnaissance plutôt que de la force exécutoire.
1111 Sur la reconnaissance des pouvoirs d'un administrateur étranger, voy. la Mode/ law on cross-border

insolvency, 30 mai 1997, I.L.M. (1997), 1386.


IllAinsi, l'administrateur étranger peut faire procéder immédiatement à la vente d'un immeuble
en Belgique, sans le préalable d'une déclaration judiciaire de la force exécutoire: Comm. Tongeren,
8 mai 1996, Tijds. Not. (1997), 241, note F. BouCKAERT. Mais il appartient à l'autorité saisie de con-
trôler les motifs de refus énoncés tant par l'article 121 (contrôle de la compétence indirecte) que
par l'article 25.

Les règles générales sur l'efficacité des décisions étrangères sont applicables. Il en est
ainsi du concept de reconnaissance de plein droit, de la nécessité d'une déclaration judi-
ciaire d'exequatur pour l'obtention de la force exécutoire, ou du respect d'une série de
motifs de refus qui commandent la reconnaissance ou la non-reconnaissance.
Toutefois, deux types de dispositions particulières concernent la matière de l'insol-
vabilité.
L'INSOLVABILITÉ 737

D'abord, deux motifs de refus supplémentaires sont prévus. Ils procèdent, respecti-
vement, d'un contrôle de la compétence indirecte et d'une révision au fond. D'une part, il
est exigé du jugement étranger qu'il n'ait pas été rendu sur une procédure d'insolvabilité
qui aurait relevé de la compétence des juridictions belges en vertu du Code (§ 1er).
D'autre part, le jugement étranger ne peut pas porter atteinte aux droits des créanciers
qui sont préservés par le rattachement spécial établi par le Code(§ 2).
Il Par dérogation aux motifs généraux de refus de l'article 23, le Code introduit une règle de com-
pétence indirecte (sur cette notion, voy. supra, n° 9.3) qui donne à la règle de compétence directe de
l'article 118 un caractère exclusif. Toutefois, dans le cas d'une procédure principale, le seul critère
tenu pour exclusif est celui de l'établissement principal: il est indifférent que le jugement étranger
ait été rendu alors que le débiteur avait son seul siège statutaire en Belgique.
Lorsque la procédure étrangère était basée sur la localisation d'un établissement secondaire, l'effi-
cacité de la décision est limitée à coute question concernant des biens situés dans ce pays: cette
limitation reflète la nature strictement territoriale assignée à une telle procédure par le droit inter-
national privé belge - mais aussi communautaire.

Par comparaison, la Convention franco-belge de 1899, à présent écartée par le règlement dans la
1111

plupart des procédures d'insolvabilité (voy. ci-dessus), prévoit une règle de compétence indirecte
conduisant au refus de reconnaissance si le juge français qui a statué n'a pas respecté la règle com-
mune désignant le tribunal du domicile du débiteur. Cette règle a été prise à la lettre au cas où ce
domicile était bien en France mais non dans le ressort du tribunal: Civ. Anvers, 24 janvier 1994,
R W ( 1994-1995), 130, à propos d'un jugement du tribunal de Paris concernant un commerçant
domicilié à Marseille. La solution est excessive, puisque le juge étranger n'a pas empiété sur la com-
pétence des juridictions de l'Etat requis et alors que son jugement a acquis force de chose jugée
dans l'Etat d'origine.

1111L'appréciation d'une violation de la règle de compétence indirecte peut s'avérer délicate lorsque
le juge étranger a fait application de la théorie de l'extension de la faillite au maître de l'affaire et
que celui-ci est domicilié en Belgique. La question s'est posée dans le cadre de la Convention
franco-belge. Un refus de reconnaître (Civ. Gand, 1er février 1996, Rev. gén. dr. civ., 1997, 334) a été
infirmé pour le motif que l'action contre le maître dérive directement de la faillite : Gand, 6 mai
1997, Rev. gén. dr. civ. (2001), 93, note V. MARQUETTE et N. WATIÉ.

Ensuite, la compétence est attribuée au tribunal de commerce, non au tribunal de


première instance(§ 4). Elle s'étend également aux jugements rendus sur la base du règle-
ment. Il peut arriver que le débiteur ne soit pas un commerçant, que ce soit dans le cadre
d'une faillite prononcée sur la base d'un droit étranger qui n'impose pas cette condition,
ou dans le cadre d'un règlement collectif de dettes. Dans ce cas-ci seulement le Code
maintient la compétence du tribunal civil.
L'attribution spéciale au tribunal de commerce résulte d'un amendement introduit en commis-
Ill!
sion de la Justice du Sénat (Doc. pari., Sénat, 2003-2004, n ° 3-27/6, amendement n ° 111 de MM.
Zenner et Vandenberghe).

1111L'objectif de cette attribution est de concentrer la compétence en matière de faillite. Cette con-
centration s'observe non seulement entre l'instance directe et l'instance en reconnaissance, mais
aussi, dans l'instance en reconnaissance, pour les décisions rendues dans des pays tiers comme
pour celles rendues en vertu du règlement. Elle vaut également pour toute procédure de reconnais-
sance entrant dans le domaine d'un traité international en vigueur en Belgique qui ne prévoit
aucune attribution de compétence.
Sur l'extension de la compétence d'attribution aux jugements rendus en vertu du règlement, voy.
les doutes exprimés supra, n ° 13.68.
738 LES BIENS

Section 4
Les successions
13.76 - Bibliographie
a) Généralités
R. ABRAHAMS, « La loi applicable aux successions mobilières», Ann. not. enreg. (1963), 185-190;
S. ALDEEB et A. BoNOMI, Le droit musulman de la famille et des successions à l'épreuve des ordres juridiques
occidentaux (Zürich, Schulthess, 1999) ; L. BARNICH, « Les successions immobilières ab intestat et
testamentaires», Relations familiales internationales (Bruxelles, Bruylant, 1993), 319-344; A. BoNOMI,
« Autonomie des parties en droit patrimonial de la famille et intérêt des entrepreneurs : aspects de
droit matériel et de droit international privé», Rev. suisse dr. int. dr. eur. (2004), 549-482; F. Boue-
KAERT, « Internationaal privaatrecht en grepen uit de notariele praktijk. Ontleding van casussen »,
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France et en Allemagne (Paris, Dalloz, 1964); ID., Les successions internationales, Problèmes contemporains
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« L'autonomie de la volonté en droit international privé des successions dans la perspective d'une
future réglementation européenne», Riv. dir. int. priv. proc. (2004), 473-498; C. DE BusscHERE, « La
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216; P. DE CESAR!, Autonomia della volontà e legge regolatrice delle successioni (Padoue, Cedam, 2001);
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privaatrecht », Tijds. Not. (1983), 33-62; C. DE WULF, « Het huwelijksvermogensrecht en het erfrecht
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nalen Erbrecht », RabelsZ. (1966), 205-240; K. DREHER, Die Rechtswahl im internationalen Erbrecht
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matière successorale en droit international privé belge», Rev. crit. jur. belge (1972), 440-453;
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sio juris' », Mélanges Loussouarn (Paris, Dalloz, 1994) ; J. HÉRON, Le morcellement des successions interna-
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de langstlevende echtgenoot in het internationaal privaatrecht », Tijds. Not. (1991), 51-60;
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les (Bruxelles, Bruylant, 1993), 345-382; E. VAN HovE, Het internationaal privaatrecht in de notariele
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aspects de l'unification du droit international privé, spécialement en matière de successions»,
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ID.,« Les incidences de la loi du 14 mai 1981 sur le droit international privé», Les droits successoraux
LES SUCCESSIONS 739

du conjoint survivant (Bruxelles, Bruylant, 1981); ID. (dir.), Régimes matrimoniaux, successions et libérali-
tés dans les relations internationales et internes (Bruxelles, Bruylant, 2003), 3 vol.; N. WATIÉ, « La filia-
tion et la vocation successorale en droit international privé », Rev. dr. ULB (1990), 121-152 ; ID., Les
successions internationales, Conflits de lois - Conflits de ;uridictions, Coll. Rép. not. (Bruxelles, Larcier,
1992).
Sur la Convention de La Haye du 1er août 1989 sur la loi applicable aux successions à cause de mort
(non en vigueur), voy. outre les Actes et Documents de la 16e session (La Haye, Bureau permanent, 1990)
avec le rapport explicatif de D. WATERS, les commentaires de P. LAGARDE, Revue (1989), 249-276, et
de E. ScoLES, Am.]. Camp. L. (1994), 85-124.
b) Successions testamentaires
G. DRoz, « Les nouvelles règles de conflit françaises en matière de forme des testaments », Revue
(1968), 1-23; P. GoTHOT, « L'article 992 du Code civil néerlandais et le problème de la forme des
testaments en droit international privé belge», Mélanges L. Graulich, 669-681 ; L. HEYVAERT, « Het
eigenhandig testament van Nederlanders in België », R W (1953-1954), 513-518; R. VANDER ELST,
« La Convention de La Haye du 5 octobre 1961 sur les conflits de lois en matière de forme des dis-
positions testamentaires», Rev. not. belge (1970), 115-137; E. VAN DIEVOET, « Le testament ologra-
phe fait en Belgique par un ressortissant néerlandais et la pratique notariale», Rev. prat. not. (1956),
6-9.
Sur la Convention de La Haye du 5 octobre 1961, voy. particulièrement le Rapport explicatif de
H. BATIFFOL, Actes et Documents de la <)C session, t. I, 158-179.
Sur les règles matérielles concernant la forme des testaments internationaux, voy.: J.-E. BEERNAERT
et W. PINTENS, « La renaissance du testament international »,].T (1999), 129-130; Ph. DE PAGE,
« Le testament international et sa mystique», Rev. not. belge (1984), 7-23; J. DE VROE,
« Internationaal testament - Afgeschafte mystiek testament», Tijds. Not. (1985), 183-188; C. DE
WULF, « De wet van 2 februari 1983 rot invoering van het testament in de internationale vorm en
tot wijziging van een aantal bepalingen van het Burgerlijk Wetboek en de wet rot regeling van het
notarisambt », Tijds. Not. (1983), 321-338; C. HALL, « Towards a Uniform Law of Wills: the
Washington Convention 1973 »,I.C.L.Q. (1974), 851-866; K. NADELMANN, « The Formai Validity of
Wills and the Washington Convention 1973 Providing the Form of an International Will», Am.].
Camp. L. (1974), 365-378; W. PiNTENS et R. TORFS, Internationaal testament (Anvers, Kluwer, 1985);
M. REvrLLARD, « L'entrée en vigueur de la Convention de Washington du 28 octobre 1973 portant
loi uniforme sur la forme d'un testament international», Clunet (1995), 585-598; M. PUELINCKX-
CoENE, « Het verdrag van Washington van 26 okcober 1973 en het internationale testament», R. W
(1983-1984), 1041-1056; R. VANDER ELST, « Le testament international», ].T (1984), 257-261;
P. Van DIJCK, « Het internationaal testament», Rev. belge dr. int. (1981-1982), 243-264.
c) Administration et transmission des successions
F. BoucKAERT, « Ascendentenverdeling en internationaal privaatrecht », Tijds. Not. (1972), 50-57; E.
CHEATHAM, « The Statutory Successor, the Receiver and the Executor in Conflict of Laws », Colum-
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bles à la transmission et au partage de la succession », Rapport belge au 6e Congrès de l'Union
internationale du notariat latin (Montevideo, 1969); G. DRoz, « Saisine héréditaire et administration
de la succession en droit international privé français et comparé», Revue (1970), 183-225;
A. EGGER, Le transfert de la propriété dans les successions internationales (Genève, Georg, 1982) ; J. FALCON-
BRJDGE, « Administration and Succession in the Conflict ofLaws », Canadian. Bar Rev. (1934), 67-79,
125-141; M. FERID, « Le rattachement autonome de la transmission successorale en droit interna-
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du 2 octobre 1973 sur l'administration internationale des successions», Rev. not. belge (1975), 490-
502 ; M. GORÉ, L'administration des successions en droit international privé français (Paris, Lavoisier,
1994); B. HOPKINS, « The Extraterritorial Effect of Probate Decrees », Yale L.]. (1944) 208-270;
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263;]. MAURY, « Des conflits de lois en matière d'exécution testamentaire et d'administration des
successions», Rapport général au 3c congrès international de droit comparé (Londres, 1950);
M. REVILLARD, « La liquidation d'une succession internationale: difficultés rencontrées dans la pra-
740 LES BIENS

tique notariale», Revue (1978), 305-327; F. R.IGAUX, « Quelques aspects de la transmission d'une
succession mobilière dans les relations internationales »,Rev. banque (1970), 254-270; Io., « La mise
en œuvre, dans les pays de droit civil, de certaines institutions successorales du droit anglo-saxon»,
Revue Henri Maigret (1962), 7-15; Io., « L'intervention des autorités consulaires dans la conserva-
tion, l'administration et la liquidation des successions», Ann. droit (1957), 251-276, 327-359; J.
SACE, « Quelques réflexions sur les conflits de lois en matière de partage d'ascendant», Mélanges
Vander Elst (Bruxelles, Nemesis, 1986), 675-715; E. STIMSON, « Conflict ofLaws and the Administra-
tion of Decendents' Persona! Propercy », Virginia L.R. ( 1960), 134 7-1390 ; C. THIBIERGE, « Problèmes
de transmission et de partage des successions en droit international privé », Trav. Comité fr. d.i.p.
(1960-1962), 67-81; H. VAN HouTIE, « Naar een internationaal certificaac voor de beheerder van
een internationale nalacenschap », R. W (1976-1977), 2300-2302; E. VAN HovE, « Liquidation et
partage des biens successoraux en Belgique et à l'étranger »,J'hérite à l'étranger (Bruxelles, Féd. royale
des notaires de Belgique, 1984), 105-124; VIATIE, « La transmission des immeubles situés en
France, dépendant d'une succession ouverte à l'étranger »,journal des notaires et des avocats (1968),
848-852; M. VERWILGHEN, « Le parcage des biens situés à l'étranger», Ann. droit (2000), 439-462.
Sur la Convention de La Haye, du 2 octobre 1973, sur l'administration internationale des succes-
sions, voy. le rapport explicatif de P. LALIVE dans : Actes et documents de la 12e session, t. II, 285-308.
Sur les travaux en cours au sein de l'Union européenne, voy. le Livre vert de la Commission, Clunet
(2005), 583

13.77 - Présentation - Lors du décès, les biens laissés par le défunt constituent, selon le
droit matériel, une universalité. Le règlement successoral affecte la transmission d'un
patrimoine et peut être vu, à ce titre, comme un aspect du régime des biens. C'est bien ce
raisonnement qui a été suivi en Belgique avant l'adoption du Code de droit international
privé.
Le règlement international d'une succession suit les étapes d'un règlement interne, à
savoir la détermination de la dévolution et l'appréciation de la portée de dispositions de
dernière volonté, ainsi que les modalités d'administration et de transmission des biens
jusqu'au partage. La détermination du droit applicable y apparaît plus déterminante que
celle de la compétence internationale, sans doute en raison de la rareté du contentieux
observée en la matière : en effet, le règlement repose essentiellement sur l'intervention du
notaire, loin du bruit du prétoire.
L'entrée en vigueur du Code de droit international privé ne bouleverse pas le droit
antérieur, si ce n'est par l'admission d'une option de législation.
Dans ses dispositions de conflit de lois, il concerne uniquement les décès survenus
après le 1er octobre 2004, tout en permettant de valider une option de législation faite
avant cette date (art. 127 Codip).

§ 1 LA DÉVOLUTION LÉGALE

A. Compétence internationale
13.78 - Absence de compétence exclusive - Alors que la détermination de la compé-
tence territoriale interne repose sur le lieu d'ouverture de la succession, à l'exclusion de
tout autre lieu (art. 627, 3 °, C. jud.), il en va autrement de la compétence internationale.
Le Code de droit international privé ne consacre pas pour autant le jeu des règles
générales de compétence internationale. Il recourt à un concept de semi-concentration
des litiges, en fonction de la proximité de l'espèce avec le juge saisi.
LES SUCCESSIONS 741

Le critère de principe est celui de la localisation en Belgique de la dernière résidence


habituelle du défunt (art. 77, 1 °). Ce chef de compétence vaut pour l'ensemble des mas-
ses, mobilière et immobilière. Il peut donc concerner des immeubles situés à l'étranger.
Il Précédemment, la compétence des juridictions belges pouvait reposer, outre sur la nationalité
belge du défendeur (art. 15 C. civ.), sur la localisation en Belgique de l'immeuble (art. 635, 1°,
C. jud.) ou de l'ouverture de la succession (4°).
Pour le cas d'un défunt domicilié en dernier lieu en Suisse, voy.: Bruxelles, 22 novembre 1994,J.T.
(1995), 453, refusant la compétence mais sur la base erronée de l'art. 627 C. jud. et au motif confus
que la règle de rattachement désignait la loi suisse.
Il Les juridictions françaises refusent leur compétence internationale lorsque l'immeuble est situé
à l'étranger. Voy. notamment: Paris, 22 mars 1991, Revue (1992), 298, note M. GoRÉ; Cass. civ.,
7 mars 2000, Igoa-Etchebarren, Revue (2000), 459, note B. ANCEL. Comp. toutefois: Cass. civ.,
21 mars 2000, Ballestrero, Revue (2000), 399, note B. ANCEL, Clunet (2001), SOS, note M. REvrLLARD,
faisant reproche au juge du fond de s'être déclaré incompétent sans avoir soulevé, même d'office,
l'application de la règle de rattachement étrangère qui désignait la loi française au fond. Ainsi,
l'argument d'incompétence semble fondé sur un impératif d'alignement des compétences juridic-
tionnelle et législative.

Comme critère subsidiaire, la localisation d'un bien en Belgique peut aussi fonder la
compétence internationale, mais uniquement pour la partie de la demande portant sur
ce bien.
On trouve une analogie avec la matière de l'insolvabilité, où une juridiction belge pourra con-
Ill!
naître d'une procédure « territoriale» pour des bien situés en Belgique (voy. supra, n'" 13.66 et
13.71).
Ainsi, le plus souvent, la compétence législative s'alignera sur la compétence juridic-
tionnelle, puisque le juge belge saisi appliquera normalement le droit belge désigné par la
règle de rattachement. Il n'en ira autrement que lorsque la demande porte sur la dévolu-
tion d'un meuble situé en Belgique alors que le défunt résidait à l'étranger en dernier lieu.
Le droit conventionnel connaît peu de règles de compétence internationale en la
matière. Seule la Convention franco-belge (voy. supra, n ° 8.32) a étendu l'attribution
exclusive qui régit la compétence interne (art. 7).
Il Pour un cas d'application de la Convention, voy. : Civ. Bruxelles, 17 décembre 1998,J. T. ( 1999),
608.
Ill! Le règlement« Bruxelles I » ne couvre pas« les testaments et les successions» (art. l "l
111! Pour une proposition de convention européenne en la matière, voy. les travaux du Gedip, Riv.
dir. int. priv. proc. (1993), 1079: Voy. ensuite le Livre vert de la Commission, Clunet (2005), 583.

B. Droit applicable
1. DÉSIGNATION DE LA LOI SUCCESSORALE

13.79 - Principe de rattachement territorial - Le Code de droit international privé con-


solide la jurisprudence belge antérieure. Inspirée du régime des biens, la solution tend à
appliquer le principe territorial tout en procédant, pour une partie de la succession, à un
rattachement du patrimoine qui tienne compte de l'universalité de la succession.
La partie mobilière de la succession est rattachée à la loi de la dernière résidence
habituelle du défunt (art. 78, § 1er). Ce rattachement établit ainsi les meubles en une
masse unique, quel que soit le pays où ils se trouvent.
742 LES BIENS

La tradition invoque l'ancien adage Mobilia sequuntur personam: les meubles sont réputés se
111!
trouver au lieu du dernier domicile du défunt. Le passage général de la loi du domicile à la loi
nationale, qui fut l'œuvre du Code civil, n'exerça aucune influence sur le rattachement des succes-
sions mobilières, celles-ci ne relevant pas du statut personnel.

1111La Cour de cassation n'a guère eu l'occasion de se prononcer sur le rattachement successoral.
Dans son arrêt du 28 mars 1952 toutefois (infra, n ° 13.84), elle isole explicitement la partie mobi-
lière et soumet celle-ci à la loi suédoise, après que le pourvoi avait souligné que le défunt était de
nationalité suédoise sans préciser son dernier domicile. Celui-ci étant également en Suède, on ne
saurait déduire de l'arrêt une préférence pour le facteur de la nationalité sur celui du dernier domi-
cile.

111Dans la jurisprudence, voy. par exemple: Liège, 21 février 1978,]ur. Liège (1978-1979), 161; Civ.
Bruxelles, 19 octobre 1990, Rev. not. belge (1992), 218; Anvers, 22 décembre 1997, Tijds. Not. (1998),
496, note F. BoUCKAERT.
Le critère utilisé par la jurisprudence était le« domicile», mais au sens de l'article 102 C. civ., ce qui
renvoie à l'établissement principal. Voy. par exemple: Civ. Bruxelles, 31 mai 1994, R. W. (1994-
1995), 677; 17 décembre 1998,].T. (1999), 608; Civ. Gand, 5 janvier 2001, Tijds. Gentse Rechtspraak
(2001), 84, estimant avec raison que le seul décès dans un hôpital belge ne suffisait pas à localiser
en Belgique la dernière résidence d'une personne domiciliée aux Pays-Bas.
Le Code définit désormais la résidence habituelle (arc. 4, voy. supra, n ° 5.67), d'une manière qui se
concilie avec le critère des centres d'intérêts affectifs et patrimoniaux (Liège, 21 février 1978, pré-
cité).

Ili La même solution prévaut en France. Le recours à l'article 3, alinéa 2, du Code civil est explicite
pour la partie immobilière: Cass. civ., 14 mars 1837, S. (1837), 1, 95. Le rattachement des meubles
repose sur« l'ancienne règle, toujours subsistante»: Cass. civ., 19 juin 1939, Revue (1939), 481,
note J.-P. NIBOYET; un arrêt plus récent confirme la solution pour les meubles, sur base de
« l'article 3 du Code civil et [des] principes du droit international privé qui gouvernent le droit des
successions et des libéralités» (Cass. civ., 18 octobre 1988, Clunet, 1989, 349, note D. ALEXANDRE).

La partie immobilière de la succession est soumise à la loi de situation (art. 78, § 2,


al. 1er, Codip). Par conséquent, il y aura autant de masses immobilières, et de lois applica-
bles, qu'il y a de pays dans lesquels sont situés les immeubles successoraux.
Ili Voy. Cass., 31 octobre 1968, Dupuis c. Hoyois, Pas. (1969), 1, 227, liant l'application de la loi du
lieu de situation à l'article 3, alinéa 2, du Code civil, mais au terme d'une confusion entre le conflit
de lois et le conflit de juridictions.

Ill Le régime de dévolution que prévoit la loi du 16 mai 1900 sur les petits héritages ne s'applique
qu'à l'immeuble situé en Belgique, mais la condition relative à la limite du revenu cadastral de
l'ensemble des immeubles que comporte la succession, s'apprécie au regard des immeubles sis à
l'étranger. Voy. à propos de cette loi: Anvers, 22 avril 1986, R.W. (1986-1987), 870, note K.
LENAERTS.
L'arrêt précité évoque l'article 9 du projet Benelux de droit international privé, aujourd'hui aban-
donné, qui se référait à la nationalité du défunt.

La Convention de La Haye du 1er août 1989 sur la loi applicable aux successions à
cause de mort (supra, n ° 13.76, non en vigueur) cherche à combiner les facteurs de la
nationalité, du domicile et de la localisation par les liens les plus étroits, sans opérer de
distinction entre les parties mobilière et immobilière du patrimoine (art. 3).

13.80 - Admission d'une option de législation - Le Code de droit international privé


introduit pour innovation principale en matière successorale, la faculté pour le défunt
d'organiser sa succession par le recours à une option de droit (art. 79).
LES SUCCESSIONS 743

Le choix est limité, puisqu'il ne peut porter que sur la loi de la nationalité ou de la
résidence de son auteur, soit lors du choix, soit lors du décès. Il doit être exprimé dans
« une déclaration revêtant la forme d'une disposition à cause de mort».
Ill La Convention de La Haye du 1er août 1985 (supra, n ° 13.76) prévoit une faculté analogue.
1111 À l'étranger, voy. par exemple l'article 90 de la loi suisse de droit international privé.
1111Cette idée figurait déjà dans les résolutions du 7e Congrès de l'Union internationale du notariat
latin (Bruxelles, 1963), où le vœu fut émis de rattacher les successions à la loi nationale du défunt,
avec la faculté de choisir, par testament, l'application de la loi du dernier domicile (voy. Revue,
1964, 168 et s., 276 et s.).
Le choix ne peut pas opérer de dépeçage du patrimoine : il doit conduire à soumettre
celui-ci à une loi unique. Cette exigence exprime le but poursuivi par le législateur, d'arri-
ver, par ce biais, à une unité de la loi successorale.
Le choix a pour limite de ne pas pouvoir affecter la réserve qu'assure la loi désignée
en vertu du rattachement objectif.
Cette faculté permet au défunt de gérer sa succession sans devoir rédiger un testa-
ment, document supposé régler de manière plus précise les droits des héritiers alors
qu'une telle perspective ne répond pas nécessairement à ses souhaits. De plus, le testa-
ment ne permet pas de modifier une disposition de la loi successorale sur laquelle le
défunt n'a pas d'emprise, par exemple une cause d'exhérédation, le moment d'ouverture
de la succession, les conditions d'acceptation ou de renonciation par les héritiers.
13.81 - Dévolution de la succession de l'adopté - Selon le Code de droit international
privé, il n'y a pas lieu de soumettre à une règle de rattachement particulière la dévolution
des biens d'une personne adoptée.
Ce faisant, le législateur abandonne une disposition singulière consacrée par
l'article 344ter du Code civil - avant son abrogation-, qui soumet, sans distinction, les
«effets» de l'adoption à « la loi qui a été appliquée à son admissibilité» (voy. supra,
n ° 12.133). Ne distinguant pas la dévolution successorale, le texte peut laisser entendre
que celle-ci, au titre d'un effet de l'adoption, relève de la loi appliquée à l'admissibilité.
Semblable interprétation paraît cependant dépasser l'intention du législateur qui, au vu
des réactions que la solution antérieure avait suscitées, semble sur ce point se contenter
d'une référence aux règles de droit international privé.
1111 Voy. M. VERWILGHEN e.a., L'adoption internationale en droit belge (Bruxelles, Bruylant, 1991), n° 80,

citant le rapport DELRUELLE-GHOBERT, pp. 23, 38 et 39.


Ill L'ancien article 344, § 2, alinéa 1er, du Code civil, semblait déroger à l'application de la loi du
dernier domicile en prévoyant la soumission de cette question au « statut personnel de !'adopté».
Il était controversé si cette formulation signifiait une consécration du facteur de la nationalité ou si
elle portait uniquement sur les questions de starut personnel préalables à la détermination de la
dévolution.
Sur cette question, voy. l'édition précédente de cet ouvrage, n ° 1273.

13.82 - Dérogation par le renvoi - Le Code de droit international privé admet une
forme de renvoi en matière successorale (art. 87, § 2, al. 2), alors qu'il exclut cette techni-
que dans son principe (art. 16).
La technique n'est admise que pour le rattachement d'une masse immobilière, lors-
que« le droit étranger conduit à l'application du droit de l'Etat sur le territoire duquel le
défunt avait sa résidence habituelle au moment de son décès». Cette forme de renvoi
744 LES BIENS

conditionnel (voy. supra, n ° 6.16) tend à assurer, autant que possible, une unité du ratta-
chement successoral. Il faut que le droit étranger de situation refuse sa propre compé-
tence, mais il suffit qu'il conduise en fait au droit de la dernière résidence, même si le
facteur de rattachement est autre, par exemple la nationalité.
1111 La Convention de La Haye du 1er août 1989 (supra, n ° 13.76) prévoit une forme limitée de ren-
voi, celle du renvoi au second degré (supra, n ° 6.21) au bénéfice de la loi d'un Etat non contractant
(art. 4) : la disposition tend à respecter la convergence des rattachements observée dans le droit
étranger désigné par la règle du for et dans le droit désigné par ce droit étranger.
Avant l'entrée en vigueur du Code, la jurisprudence utilisait la technique du renvoi
en matière successorale, comme elle le faisait en d'autres matières (voy. supra, n ° 6.19).
1111 Voy. notamment: Anvers, 22 avril 1986, R W. (1986-1987), 870, note K. LENAERTS, à propos du
droit espagnol.
111 En France, voy.: Cass. civ., 21 mars 2000, Ballestrero, Revue (2000), 399, note B. ANCEL, Clunet
(2001), 505, noce M. REVILLARD.

13.83 - Eviction de la loi désignée par l'exception d'ordre public - Comme en d'autres
matières, la clause générale de l'exception d'ordre public (art. 21 Codip) permet d'écarter
l'application de la loi étrangère désignée, en fonction des circonstances de l'espèce.
Toute disparité entre le droit du for et le droit étranger, notamment celle qui créerait
une inégalité entre certains héritiers, ne justifie pas la mise en œuvre de l'exception. De
même, il est insuffisant de constater que le droit étranger ne connaît pas l'institution de
la réserve.
Traditionnellement, le législateur belge, comme le législateur français, a entendu
préserver le principe d'égalité par l'établissement d'un « droit de prélèvement». Selon
l'article 912 du Code civil, « dans le cas de partage d'une succession comprenant des
avoirs situés sur le territoire d'un Etat étranger, les cohéritiers non ressortissants de cet
Etat prélèveront sur les biens situés en Belgique une portion égale à celle des biens .étran-
gers dont ils seraient exclus, à quelque titre que ce soit, en vertu des lois et coutumes
locales». Cette règle matérielle de droit international privé a nécessairement pour critère
d'applicabilité la localisation d'un immeuble en Belgique, sur lequel l'héritier évincé
pourra faire valoir ses droits.
Sur cette disposition, telle que modifiée par la loi du 15 décembre 1980, voy.: J. ERAUW, « Het
1111

nieuw recht van voorafneming in de internationale erfenissen », Mélanges Spanoghe (Anvers, Kluwer,
1983), 115-135; A. HEYVAERT, « Het erfrecht van vreemdelingen na de wet van 15 december 1980
betreffende het vreemdelingenstatuut », Tijds. Not. (1981), 257-276; N. TORES,« Het recht van voor-
afneming bij internationale erfenissen »,Jura Falconis (1980-1981), 101-126; R. VANDER ELST,« La
condition civile des étrangers selon la loi du 15 décembre 1980 », Rev. not. belge (1981), 355-361 ; N.
WATTÉ, « Le droit de prélèvement dans les successions internationales», Mélanges Pirson (Bruxelles,
U.L.B., 1986), 411-418.
Sur la relation avec la problématique des droits de l'homme, voy. : D. COHEN, « La Convention
européenne des droits de l'homme et le droit inte1mational privé français», Revue (1989), 451-485).
L'origine historique de la disposition remonte au Code de 1804, selon lequel l'étranger n'était
1111

admis à succéder aux biens délaissés en France que sous la condition de la réciprocité diplomati-
que. À la réciprocité diplomatique, la loi du 20 mai 1837 substitua la réciprocité craie pour craie.
En 1865, le législateur mit fin à l'interdiction de succéder pour les étrangers, et compensa, au profit
des seuls héritiers belges, ce dont ils auraient été privés à l'étranger. Historiquement lié à la sup-
pression de l'inégalité entre le Belge et l'étranger, que contenait l'ancien article 726 du Code civil, le
droit de prélèvement introduisait ainsi une discrimination nouvelle, puisque la règle matérielle de
droit international privé avait égard à la nationalité belge des cohéritiers qu'elle entendait favoriser.
LES SUCCESSIONS 745

D'après les travaux préparatoires de la loi du 27 avril 1865, le privilège accordé aux héritiers belges
à l'égard de leurs cohéritiers étrangers consistait à prélever sur les biens situés en Belgique une part
égale à celle dont ils auraient été privés sur les biens situés à l'étranger, non seulement en raison de
leur qualité de Belges, mais aussi en vertu de l'application de la loi étrangère normalement compé-
tente d'après les règles belges de conflit, et notamment s'il s'agit d'une loi qui ne connaît pas la
réserve légale prévue par la loi belge.

1111Sur l'application de cette disposition, voy. notamment: Bruxelles, 9 janvier 1974, Pas. (1975), li,
67; Civ. Dinant, 16 octobre 1974,]ur. Liège (1975-1976), 29; Civ. Arlon, 21 décembre 2000, Rev. not.
belge (2001), 325, note F. BouCKAERT, montrant une extension de l'hypothèse à toute disparité des
droits, tel un usufruit moins étendu de la veuve.

lillLa version finale de l'article 912, ainsi corrigée par l'article 86 de la loi du 15 décembre 1980 sur
la condition des étrangers, n'a que partiellement rencontré les critiques justifiées par la version
antérieure. Pour une interprétation qui en limite le domaine au cas où un traitement discrimina-
toire a été effectué de manière définitive dans le pays étranger sur la base de la nationalité, voy. G.
VAN HECKE et K. LENAERTS, n ° 614.
Seul le privilège de nationalité a été atténué par l'extension du droit de prélèvement à tous les cohé-
ritiers autres que les ressortissants de l'Etat étranger sur le territoire duquel se trouve la portion de
biens dont la dévolution donne lieu à la mise en œuvre du prélèvement. Ainsi, la disposition est
tout à fait dénaturée puisque, de la règle de condition des étrangers qu'elle paraissait être à son ori-
gine, elle est devenue pratiquement une règle de conflit de lois avec un léger tempérament propre à
la condition des étrangers.
La version finale supprimait certes une discrimination qu'autorisait la version antérieure entre les
héritiers belges et des cohéritiers ayant la nationalité d'un autre Etat membre de l'Union euro-
péenne sans toutefois la supprimer entièrement puisque la disposition pouvait encore être opposée
à un ressortissant de l'Etat de situation de l'immeuble étranger. L'article 12 du traité CE, qui inter-
dit les discriminations basées sur la nationalité, permet de mettre en doute ce mécanisme chaque
fois qu'il constitue une entrave à la circulation de personnes ou de biens protégés par ce traité.
Contra: M.-P. PULJAK, Le droit international privé à l'épreuve du principe communautaire de non-discrimina-
tion en raison de la nationalité (Aix-Marseille, PUAM, 2003), n'" 793 et s., estimant que les situations
du national et de l'étranger ne sont pas comparables.
Le jugement précité du tribunal civil de Dinant a soumis au droit de prélèvement un cohéritier de
nationalité française.

Une règle de conflit de lois qui, comme celle du droit belge, fait une assez large place
à la loi du pays de la situation, ne doit pas prétendre corriger sur les biens situés en Belgi-
que l'application de cette loi aux biens situés à l'étranger.
111 On peut certes concevoir que le législateur qui soumet à une loi unique l'ensemble de la dévolu-
tion successorale - comme c'est le cas en Espagne-, s'efforce de rétablir l'égalité des cohéritiers,
tom pue par l'application de la lex rei sitae dans les pays étrangers où est située une partie des biens
successoraux. Le procédé suivi à cette fin consiste à autoriser le prélèvement d'une part compensa-
toire sur les biens situés dans l'Etat du for. L'exercice de ce droit n'est pas subordonné à une condi-
tion de nationalité, mais a pour cause l'application par le juge étranger d'une solution de conflit de
lois dérogeant à celle de l'Etat du for.

Ill Sur le plan de la condition des étrangers, il eut été rationnel de permettre au Belge de compen-
ser sur les biens situés en Belgique ce dont il aurait été privé à l'étranger, en raison d'une règle de
condition des étrangers moins libérale que l'article 3 de la loi du 27 avril 1865. Comme on l'a vu, le
droit de prélèvement n'a pas été tenu dans ces limites.

Le Code de droit international privé a abrogé l'article 912 du Code civil (art. 139,
6°). Autre chose serait de considérer que, en fonction de l'espèce, l'application du droit
étranger puisse avoir des effets incompatibles avec l'ordre public (sur cette exception, voy.
supra, chap. 7).
746 LES BIENS

Il. DOMAINE DE LA LOI SUCCESSORALE

13.84 - Liste des questions successorales - « Le droit applicable à la succession déter-


mine notamment (art. 80 Codip):
1° les causes et le moment de l'ouverture de la succession;
1111 Il en est ainsi des présomptions de survie, de la théorie des comorientes.
2° la vocation des héritiers et légataires, y compris les droits du conjoint survivant ainsi
que les autres droits sur la succession qui naissent de l'ouverture de celle-ci;
Il en est ainsi de la détermination des successibles. Il doit en aller de même des qualités requises
1111

pour succéder (enfant conçu, absence de causes d'indignité, statut du conjoint divorcé).
3° la vocation de l'État ;
lillSur l'attribution à l'Etat suédois de meubles vacants situés en Belgique par un Suédois domici-
lié en Suède, voy. : Cass., 28 mars 1952, Etat belge c. Etat suédois, Pas. ( 1952), !, 483, Revue (1953), 132,
note Y. LoussoUARN. Voy. aussi in Re Maldonado [1953] 2 Ali E.R. 1579, Clunet (1961), 1156, note K.
LrPSTEIN. La Court of Appeal a attribué à l'Etat espagnol les biens mobiliers délaissés en Angleterre
par un Espagnol dont la succession s'était ouverte en Espagne.
D'après une partie de la doctrine, la solution de la Cour de cassation de Belgique serait un exemple
de qualification par la /ex causae (supra, n ° 7.12): la loi successorale est appliquée avec sa propre
qualification du droit de l'Etat (le droit suédois qualifie de successoral le droit de l'Etat), s'écartant
de celle de la !ex fori (le droit belge consacrerait un droit régalien).
Le problème est, en ces termes, mal posé. La prétendue« nature juridique» du droit de l'Etat dans
les relations internes n'a pas d'influence à exercer sur le problème de droit international privé. La
méthode conceptuelle de qualification fut invoquée pour combler une lacune du droit internatio-
nal privé positif: à quel Etat faut-il attribuer les biens d'une succession à laquelle n'est appelé
aucun héritier ni successible, légal ou testamentaire ?
Le caractère factice du prétendu conflit entre la conception belge et la conception suédoise du droit
de l'Etat est souligné par l'existence, en droit international privé suédois, d'une règle matérielle
unilatérale de droit international privé qui exclut expressément toute incidence de la
« qualification successorale » du droit de l'Etat sur le problème de droit international privé (voy.
supra, n ° 3.9).
1111 Au vu de la règle de rattachement belge, l'enjeu se limite, pour l'Etat belge, aux meubles laissés

en Belgique par un défunt établi à l'étranger. Il est en revanche plus grand dans un pays dont la
règle de rattachement soumet l'intégralité de la succession à la loi nationale du défunt.
Ill Comp. l'arc. 16 de la Convention de La Haye du 1er août 1989 (supra, n ° 13.76) permettant à
l'Etat de situation d'appréhender les biens vacants : la formulation se comprend comme désignant
normalement la loi successorale, mais celle-ci peut être écartée, au moyen d'une condition qui
s'analyse comme une clause spéciale d'ordre public positif
Sur le droit successoral de l'Etat, voy. : BARTIN, c. II, §§ 459-460 ; R. QuADRI, « La successione
1111

dello Stato ne! diritto internazionale privato », Riv. dir. int. (1958), 51-65; Y. LoussouARN, note sous
Cass., 28 mars 1952, Revue (1953), 132; G. MARIDAKIS, « Les bona vacantia d'après le droit interna-
tional privé», RabelsZ (1958), 802; F. RIGAUX, La théorie des qualifications, n',s 77, 160, 233-235.
4° les causes d'exhérédation et d'indignité successorale;
5° la validité au fond des dispositions à cause de mort ;
6° la quotité disponible, la réserve et les autres restrictions à la liberté de disposer à
cause de mort ;
7° la nature et l'étendue des droits des héritiers et des légataires, ainsi que les charges
imposées par le défunt ;
go [... ]
9° les causes particulières d'incapacité de disposer ou de recevoir;
LES SUCCESSIONS 747

10 ° le rapport et la réduction des libéralités ainsi que leur prise en compte dans le calcul
des parts héréditaires. [... ] ».
11!1 Sur le rapport, voy.: Civ. Bruxelles, 5 janvier 1971, Rev. gén. ass. resp. (1972), 8942.

13.85 - Questions préalables - Dans la détermination du droit applicable à une succes-


sion, il convient de départager avec soin les questions successorales lorsque celles-ci ne
sont qu'un préalable à l'examen d'une autre question de droit.
1111 Ainsi:
- La détermination de la transmissibilité, par voie successorale, d'un droit à réparation ou d'une
obligation de réparer, dépend de la loi de la responsabilité civile, alors que la détermination de
la qualité d'héritier dépend de la loi successorale.
Voy. la Convention de La Haye du 4 mai 1971 sur la loi applicable en matière d'accidents de la
circulation routière, art. 8, 5 °, à propos de la transmission du droit à réparation. Pour la trans-
mission de l'obligation de réparer aux héritiers, voy.: Liège, 21 février 1978, fur. Liège (1978-
1979), 161, spécifiant que la détermination des conditions de l'acceptation de la succession
dépend de la loi successorale.
- La transmissibilité à la succession d'une dette alimentaire dépend de la loi applicable à l'obliga-
tion alimentaire, mais la détermination de l'obligation incombant à chaque héritier dépend de
la loi successorale.
Inversement, la mise en œuvre des règles de dévolution peut susciter des questions
préalables relatives à l'état des personnes: détermination de la qualité d'époux, d'enfant,
etc. Ces questions sont rattachées à la loi qui régit chacune de ces institutions. Par exem-
ple, la loi successorale détermine l'ordre de succession de l'enfant et fixe sa part, tandis
que la loi personnelle de l'intéressé décide s'il a la qualité d'enfant.
1111Au cas où, conformément à son statut polygamique, le défunt a contracté plusieurs unions suc-
cessives dont les effets doivent, en principe, être reconnus en Belgique, il ne faudrait pas juger con-
traire à l'ordre public que plus d'une épouse survivante soit appelée à une succession dévolue
conformément à la loi belge.
Voy. en France, Cass. civ., 3 janvier 1980, Revue (1980), 331, note H. BATIFFOL; contra, précédem-
ment, TGI Paris, 17 juin 1972, Revue (1975), 62, note I. FADLALLAH. Sur le principe, voy. supra,
n° 7.52.
1111La même appréciation s'impose lorsque la loi étrangère applicable au statut personnel consacre
la validité d'un mariage posthume. Voy. Cass., 2 avril 1981,Josi c. Dhont, supra, n° 12.44.
La détermination du concept préjudiciel risque de susciter des difficultés déjà évo-
quées, chaque fois que la mise en œuvre de la loi successorale suppose l'intervention
d'une institution prévue par la loi personnelle qui s'harmonise difficilement avec la pre-
mière (voy. les exemples cités supra, n° 5 7.27 et s.).

§2 LES SUCCESSIONS TESTAMENTAIRES

A. Droit applicable à la forme du testament


1. FORMES ORDINAIRES: LA CONVENTION DE LA HAYE DU 5 OCTOBRE 1961
a) Domaine de la Convention
13.86 - Entrée en vigueur et conflit transitoire - La Convention sur les conflits de lois
en matière de forme des dispositions testamentaires, faite à La Haye le 5 octobre 1961 et
748 LES BIENS

approuvée par la loi du 29 juillet 1971, est entrée en vigueur à l'égard de la Belgique le
19 décembre 1971.
Les règles de la Convention s'appliquent« à tous les cas où le testateur est décédé
après son entrée en vigueur», c'est-à-dire après le 20 décembre 1971 (art. 8).
Le gouvernement belge n'a pas fait usage de la réserve, prévue par l'article 13, permettant aux
1111

Etats contractants de n'appliquer la Convention « qu'aux dispositions testamentaires postérieures


à son entrée en vigueur».

Conformément à l'article 6 de la Convention, les règles de droit international privé


qu'elle contient s'appliquent à toutes les situations visées, quelle qu'en soit la localisation
et même si la loi déclarée applicable n'est pas celle d'un autre Etat contractant. Dès lors,
la Convention prévaut sur toute règle nationale de droit international privé, et notam-
ment celle de l'article 999 du Code civil.
Le Code de droit international privé confirme que la Convention de La Haye contient les règles
1111

de droit commun en y renvoyant à l'article 83.


1111 Sur la portée de l'article 3 de la Convention, voy. infra, n ° 13.91.

13.87 - Notion de« dispositions testamentaires» - C'est délibérément que les rédac-
teurs de la Convention ont préféré au mot «testament» l'expression « dispositions
testamentaires». Celle-ci a une portée plus étendue puisque, à côté des testaments pro-
prement dits, instruments destinés à recevoir les dispositions de dernière volonté, elle
inclut aussi tout écrit quelconque dans lequel une telle disposition apparaîtrait, même de
manière accidentelle, ainsi qu'un codicille (H. BATIFFOL, Rapport explicatif, p. 160).
La Belgique a fait usage de la faculté de « se réserver de ne pas reconnaître les dispo-
sitions testamentaires faites, en dehors de circonstances extraordinaires, en la forme
orale par un de ses ressortissants n'ayant aucune autre nationalité» (art. 10).
La Convention couvre aussi :
- un acte de révocation: « L'article premier s'applique aux dispositions testamen-
taires révoquant une disposition testamentaire antérieure» (art. 2, al. 1er). Longuement
discuté, ce texte exprime la volonté de la majorité des membres, qui fut « d'exclure la
révocation résultant d'un fait ou d'un acte ayant un autre objet, tel le mariage ou le
divorce du testateur, tout en incluant les révocations par testament oral, et celles qui ne
prennent aucune disposition nouvelle aux lieu et place des dispositions révoquées» (H.
BATIFFOL, Rapport explicatif, p. 166).
Il Sur les discussions qui ont précédé l'adoption du texte, voy. Actes et Documents de la 9' session, t. 3,
74-79, 118-121.
Ill Sur les règles de fond applicables à la révocation de dispositions testamentaires, voy. infra,
n ° 13.90.

- un testament conjonctif: elle s'applique« aux formes des dispositions testamen-


taires faites dans un même acte par deux ou plusieurs personnes» (art. 4).
Il Décidant que la Convention régit la forme des testaments conjonctifs, cette disposition ne
prend pas parti sur la loi applicable à la question de savoir si un tel testament est licite (H. BATIFFOL,
R.apport explicatif, p. 167). À supposer qu'il le soit, la validité quant à la forme en est appréciée con-
formément aux règles de conflit de la Convention.

En revanche, le testament consulaire n'est pas couvert par la Convention. Celle-ci n'a
pas entendu se prononcer sur les conditions de forme auxquelles devaient satisfaire les
LES SUCCESSIONS 749

dispositions testamentaires reçues par un agent diplomatique ou consulaire (H. BATIF-


FOL, Rapport explicatif, p. 166).

Le Code de droit international privé étend les solutions de la Convention « aux


autres dispositions à cause de mort» exclues du domaine de l'instrument (art. 83, al. 2).

13.88 - Notion de forme - « Les prescriptions limitant les formes de dispositions testa-
mentaires admises et se rattachant à l'âge, à la nationalité ou à d'autres qualités person-
nelles du testateur» sont couvertes par la Convention (art. 5). Celle-ci surmonte ainsi
une difficulté irritante que suscitaient les jurisprudences nationales antérieures à son
entrée en vigueur.
Ill La difficulté la plus commentée par la doctrine avait pour origine l'article 992 de l'ancien Code
civil néerlandais, défendant au sujet néerlandais de faire à l'étranger un testament olographe con-
formément à la loi locale. En Belgique comme en France, la jurisprudence avait cependant, après
quelques hésitations, admis la validité du testament olographe fait par un Néerlandais dans un
pays qui connaît cette forme de testament. Voy. les références dans : F. RIGAUX, Droit international
privé (1968), n° 406.
Ill Bartin avait à tort traité comme un conflit de qualifications le conflit entre la loi néerlandaise
prohibant la forme olographe et la loi territoriale qui la déclare valable: entre la qualification
« règle de fond» qu'il imputait à l'article 992 du Code civil néerlandais et la qualification« règle de
forme» qu'il attribuait à l'article 970 du Code civil français, le juge français devait préférer la quali-
fication de la lex fori. À la vérité, la disposition néerlandaise prétendant limiter les formes en les-
quelles un sujet néerlandais peut faire son testament en dehors des Pays-Bas est une règle de droit
international privé que les juges d'un autre Etat n'ont pas à appliquer.
Pour un état de la question, voy. notamment: F. RIGAUX, La théorie des qualifications, n° 5 4, 276-277.
Sur le faux conflit de qualifications fond-forme, voy. supra, n ° 7.20.
Désormais, la prohibition de faire un testament olographe du droit néerlandais
n'est respectée que dans la mesure où ce droit est seul applicable en vertu de l'article pre-
mier de la Convention.
Ill Ainsi est nul, le testament olographe fait par un Néerlandais aux Pays-Bas où il a son domicile
et sa résidence. Pour que le testament soit valable, il suffit qu'une autre loi soit déclarée applicable
conformément au même article: par exemple, la loi belge, si le testament a pour objet un immeuble
situé en Belgique ou si la disposition testamentaire a été faite dans ce pays.

b) Règles de conflit de lois de la Convention


13.89 - Interprétation alternative de la règle Locus regit actum - L'article premier est un
des exemples les plus typiques de règle de conflit de lois alternative (voy. supra, n ° 3.59).
« Une disposition testamentaire est valable quant à la forme si celle-ci répond à la loi
interne:
Ill Sur le sens de l'expression« loi interne», voy. supra, n° 6.21.
a) du lieu où le testateur a disposé, ou
b) d'une nationalité possédée par le testateur, soit au moment où il a disposé, soit au
moment de son décès, ou
c) du lieu dans lequel le testateur avait son domicile, soit au moment où il a disposé,
soit au moment de son décès, ou
La définition du domicile fait l'objet d'une règle de rattachement spéciale (art. 1'', al. 3).
1111

Le gouvernement belge n'a pas fait usage de la réserve permettant à tout Etat contractant de déter-
miner le domicile du testateur selon la loi du for (Conv., art. 9).
750 LES BIENS

d) du lieu dans lequel le testateur avait sa résidence habituelle, soit au moment où il a


disposé, soit au moment de son décès, ou
e) pour les immeubles, du lieu de leur situation» (art. 1er, al. 1er).
Ill La solution alternative est étendue au conflit de nationalités (b) ainsi qu'au conflit mobile (b, c
et d).
111D'après la solution donnée au conflit mobile, certains testaments nuls au moment où ils ont été
dressés peuvent être validés ultérieurement par le seul effet du changement de nationalité, de
domicile ou de résidence du testateur.

13.90 - Rattachement alternatif de la forme de la révocation à un statut antérieur - La


disposition testamentaire révoquant une disposition antérieure est valable quant à la
forme si elle satisfait à l'une des lois désignées conformément à l'article premier, la déter-
mination du facteur de rattachement étant opérée au moment où s'accomplit l'acte de
révocation (le cas échéant, au moment du décès du testateur) (art. 2, al. 1er).
Il suffit aussi que la forme de l'acte de révocation réponde « à l'une des lois aux ter-
mes de laquelle, conformément à l'article premier, la disposition testamentaire révoquée
était valable» (art. 2, al. 2). Cette disposition ajoute au rattachement alternatif de l'alinéa
premier un autre faisceau de solutions alternatives, pour le cas où la concrétisation d'un
facteur de rattachement se serait modifiée entre les deux actes.
Ill Par exemple, le testateur qui a changé de nationalité ou de domicile entre le moment auquel il a
pris la disposition testamentaire originelle et le jour où il a révoqué celle-ci peut valablement faire
la révocation en la forme de la loi d'une nationalité ou d'un domicile qu'il a perdus.

13.91 - Règles nationales complémentaires - La Convention « ne porte pas atteinte aux


règles actuelles ou futures des Etats contractants reconnaissant des dispositions testa-
mentaires faites en la forme d'une loi non prévue aux articles précédents» (art. 3).
L'ampleur des alternatives offertes par les règles de rattachement conventionnelles
rend peu vraisemblable que les règles de conflit de lois du droit commun belge applica-
bles au moment de l'entrée en vigueur de la Convention de La Haye aient pu contenir une
solution alternative supplémentaire. L'interprétation donnée par la jurisprudence à
l'article 999 du Code civil - avant son abrogation (art. 139, 7°, Codip) - était tout
entière absorbée par les règles de conflit nouvelles. Seule la détermination de la loi appli-
cable aux formes exceptionnelles est de nature à avoir donné quelque effet à l'article 3 de
la Convention (infra, n° 5 13.94 et s.).
13.92 - Exception d'ordre public - Comme d'autres conventions de La Haye, la Con-
vention énonce une clause d'ordre public, aux termes de laquelle« l'application d'une des
lois déclarées compétentes par la présente Convention ne peut être écartée que si elle est
manifestement incompatible avec l'ordre public» (art. 7, voy. supra, n ° 7.38).

Il. FORME DU TESTAMENT INTERNATIONAL

13.93 - Règles matérielles à l'applicabilité incertaine - Le législateur belge a institué


un testament « à forme internationale», par la loi du 2 février 1983 (Monit., 11 octobre
1983), ainsi qu'en approuvant la Convention de Washington du 26 octobre 1973, dans
un acte distinct (loi du 11 janvier 1983, Monit., 11 octobre 1983).
Le texte de la loi du 2 février 1983 reproduit en fait celui de l'annexe à la Convention de
Ill
Washington, portant la loi uniforme, à l'exception de l'article 8 - qui vise le cas où le droit national
LES SUCCESSIONS 751

organise une procédure obligatoire de conservation -, tout en complétant celle-ci de dispositions


désignant les personnes habilitées à instrumenter et en adaptant certains articles du Code civil. Il
aurait été sans doute plus élégant d'insérer ces dispositions dans la loi d'approbation. L'utilité de la
loi du 2 février n'apparaît même pas pour permettre une application immédiate du contenu de la
Convention puisque celle-ci était entrée en vigueur internationalement avant la ratification par la
Belgique.
Les règles relatives à ce testament sont des règles matérielles, qui, par définition,
n'évincent normalement pas la règle de rattachement pertinente, telle que fixée par la
Convention de La Haye du 5 octobre 1961. En effet, le domaine des règles matérielles
n'est, à première vue, fonction d'aucun critère d'applicabilité particulier. Il ne se limite
même pas aux seules situations transfrontières, le régime pouvant intéresser, indifférem-
ment, un testateur en situation internationale ou interne. Sous cet angle, l'intitulé de la
loi du 2 février 1983 est plus correct que celui de la Convention, le premier évoquant la
« forme » internationale, le second le « testament» international.
1111La loi uniforme constitue une illustration originale de la première méthode d'unification du
droit matériel, analysée supra, n ° 4.35. Au lieu de se substituer aux règles de droit interne, ses dispo-
sitions s'y ajoutent, à la manière de règles optionnelles.
1111 Dans la Convention, certaines dispositions ont un domaine d'applicabilité dans l'espace néces-

sairement délimité au moyen d'une condition de réciprocité. Insérées dans le corps même du traité
(art. III et IV) et non dans l'annexe contenant la loi uniforme, elles concernent la « reconnaissance
internationale» de la désignation de la personne habilitée à instrumenter et de l'attestation délivrée
par cette personne, prévue par la loi uniforme (art. 10), que les formalités du testament international
ont été suivies. Ces dispositions relèvent davantage du conflit d'autorités que du conflit de lois.
Nonobstant son objet, la loi uniforme comporte pourtant une référence indirecte à
la détermination du droit applicable. En disposant que le testament est valable, en ce qui
concerne la forme, « quels que soient notamment le lieu où il a été fait, la situation des
biens, la nationalité, le domicile ou la résidence du testateur», l'article premier pose une
règle - matérielle - de validité dont la portée ne dépend d'aucun critère de localisation
de la situation. C'est, par une voie détournée, nier toute pertinence aux facteurs de ratta-
chement, notamment ceux fixés par la Convention de La Haye du 5 octobre 1961.
Vue sous cet angle, la loi uniforme se rapproche davantage de la troisième méthode d'unifica-
1111

tion, analysée supra, n ° 4.38.

Ill. FORMES EXCEPTIONNELLES

13.94 - Règles matérielles de droit international privé - Sous l'intitulé « Des règles par-
ticulières sur la forme de certains testaments», les articles 981 à 998 du Code civil sou-
mettent à des règles spéciales le testament dressé en des circonstances exceptionnelles.
Ces circonstances sont :
- « les testaments des militaires et des individus employés dans les armées »
(art. 981 à 984);
- « les testaments faits dans un lieu avec lequel toute communication sera intercep-
tée à cause de la peste ou autre maladie contagieuse» (art. 985 à 987);
- « les testaments faits sur mer dans le cours d'un voyage» (art. 988 à 998).
L'applicabilité de ces dispositions matérielles dépend de la Convention de La Haye.
Elles constituent une partie de « la loi interne » du pays dont le droit est désigné en vertu
des règles de conflit de lois conventionnelles.
752 LES BIENS

1111Pareille qualification est la seule correcte puisque l'applicabilité de la disposition matérielle de


droit international privé est elle-même déterminée à l'aide d'une règle de conflit de lois (supra,
n ° 3.9). Ce que les rédacteurs de la Convention ont entendu exclure, c'est toute forme de renvoi;
dès lors, l'expression« loi interne» inclut les règles matérielles de droit international privé.

1111 En vertu des règles de conflit de lois de la Convention, les articles 981 à 998 du Code civil peu-

vent être déclarés applicables si l'un des facteurs de rattachement retenus par ces règles se localise
en Belgique, par exemple si le militaire a la nationalité belge ou si les dispositions des articles 985 à
987 sont appliquées à la forme d'un testament fait en Belgique, etc.

Il peut arriver qu'aucun des critères de rattachement de la Convention ne désigne la


loi belge.
Tel est le cas si un « individu employé dans les armées » qui n'a pas la nationalité belge et n'a ni
1111

domicile ni résidence en Belgique suit les formes du testament des militaires hors du territoire
belge.

111 De même, un passager n'ayant aucun lien avec la Belgique doit pouvoir faire son testament
dans les formes des articles 988 à 997 sur un bâtiment battant pavillon belge, et l'on pourrait hési-
ter à appliquer à cette hypothèse l'article 1er, alinéa 1er, a, de la Convention de La Haye.

À la vérité, bien que le législateur ne se soit pas expressément prononcé sur ce point,
il faut déduire des formalités mêmes auxquelles la loi a soumis le testament des militaires
et celui fait sur mer que ces deux formes exceptionnelles ont pour domaine spatial, res-
pectivement, l'armée belge et les navires battant pavillon belge. Dès lors, cette seule cir-
constance justifie la mise en œuvre de la forme exceptionnelle prévue par la loi belge,
même si aucun des critères de rattachement de la Convention ne se vérifie en l'espèce.
Grâce à l'article 3 de la Convention, la règle spéciale de conflit de lois belge - sous la
forme d'une règle d'applicabilité - s'ajoute à celles qui sont prévues par l'article premier.

13.9S - Dérèglement des institutions publiques - Il arrive que les institutions publi-
ques se sont déréglées à un point tel que le testateur ne peut recourir à aucune des formes
prévues par les diverses lois compétentes.
111 Tel a, par exemple, été le cas pour certains prisonniers durant la Seconde Guerre mondiale.

1111 Sur les motivations artificielles de la jurisprudence française, voy. : F. Rigaux, Droit public et droit
privé, §§ 25 et 27.

La seule solution correcte consiste à autoriser le juge civil à assouplir des exigences
de forme qui ne sauraient être imposées dans leur rigueur à une personne mise dans
l'impossibilité de les respecter.
Ill Comp. supra, n ° 12.51, la solution analogue proposée pour la célébration du mariage.

13.96 - Compétence des agents diplomatiques ou consulaires - La loi du 10 juillet 1931


concernant la compétence des agents diplomatiques et consulaires en matière notariale
inclut dans cette compétence la passation des « actes et contrats concernant exclusive-
ment des sujets belges» (art. 5, 1 °), ce qui inclut le testament d'un Belge.
1111Voy. aussi l'article 5, 6°, pour le cas où un étranger ferait un testament portant sur des biens
situés en Belgique.

Ill Sur la compétence relative à un testament international, voy. l'arc. 16 de la loi du 2 février 1983
(supra, n° 13.93).
IllL'arrêté ministériel du 22 décembre 1983 (Monit., 31 janvier 1984) organise une procédure de
dépôt d'une copie au greffe du tribunal de première instance de Bruxelles.
LES SUCCESSIONS 753

B. Inscription du testament
13.97 - Système de la Convention de Bâle - La Convention de Bâle du 16 mai 1972
relative à l'établissement d'un système d'inscription des testaments a été approuvée par
la loi du 13 janvier 1977 (Monit., 6 mai 1977), dont l'article 7 fait entrer en vigueur au
1cr janvier 1977 l'obligation d'inscription prévue par la Convention.
L'organisme chargé de procéder aux inscriptions et de répondre aux demandes de
renseignements est la Fédération royale des notaires de Belgique (loi d'assentiment,
art. 2). Le système d'inscription vise les actes énumérés par l'article 4 de la Convention,
auxquels s'ajoutent les actes désignés par l'article 4 de la loi d'assentiment. D'après
l'article 6, 1, de la Convention, « l'inscription n'est soumise, en ce qui concerne le testa-
teur, à aucune condition de nationalité ou de résidence»: le notaire, l'autorité publique
ou la personne habilitée à cette fin, soit qu'ils aient dressé un acte authentique, soit qu'ils
aient reçu en dépôt un testament olographe, le font inscrire dans le pays où ils exercent
leurs fonctions, quels que soient la nationalité, le domicile ou la résidence du testateur.
En outre, à la demande du testateur, le notaire, l'autorité publique ou la personne
chargés de faire l'inscription peuvent y procéder « non seulement dans l'Etat où le testa-
ment aura été dressé ou déposé, mais également, par l'intermédiaire des organismes
nationaux, dans les autres Etats contractants» (art. 6, 2).
Conformément à l'article 10 de la Convention, celle-ci « ne porte pas atteinte aux
règles qui, dans chacun des Etats, concernent la validité des testaments et autres actes
visés par la présente Convention».

C. Validité intrinsèque du testament


13.98 - Loi applicable à la capacité du testateur - Acte juridique, le testament est sou-
mis au droit international privé commun, notamment à l'article 34, § ier, du Code de
droit international privé, en ce qui concerne la capacité de disposer. Celle-ci est détermi-
née suivant la loi nationale de l'auteur de la disposition.
Un changement de nationalité du testateur après la rédaction de ses dispositions de
dernière volonté ne paraît pas devoir exercer d'influence sur la détermination de la loi
applicable à sa capacité: celle-ci dépend de la loi personnelle au moment de l'accomplis-
sement de l'acte juridique.
Ill Voy. en ce sens: BOULANGER, précité n ° 13.76, 145-146.

En droit international privé belge, il paraît d'autant moins justifié de préférer la loi
nationale au moment du décès que celle-ci est étrangère au règlement successoral propre-
ment dit.
13.99 - Incapacités spéciales de disposer et de recevoir - La plupart des incapacités
spéciales de disposer sont indissociables de l'incapacité spéciale de recevoir correspon-
dante, eu égard au caractère réciproque de la relation entre le testateur et le légataire, rela-
tion à laquelle la loi attache une mutuelle prohibition (voy. par exemple les articles 907 à
909 du Code civil). En France, une opinion dominante rattache ces incapacités à la loi
successorale.
Voy. en ce sens: Paris, 29 novembre 1954, Revue (1956), 272, note Y. LoussoUARN. Dans la
Ill
doctrine: BATIFFOL et LAGARDE, t. II, n ° 651 ; BOULANGER, précité n ° 13.76, 145.
754 LES BIENS

Le Code de droit international privé soumet à la loi successorale« les causes particu-
lières d'incapacité de disposer et de recevoir» (art. 80, § 1er, 9°).
Voy.: Civ. Dinant, 16 octobre 1974, fur. Liège (1974-1975, 29, soumettant un enfant naturel
1111

français à l'incapacité de recevoir prévue par l'article 757 du Code civil, loi successorale.
La capacité de recevoir et le régime de spécialité des personnes morales ont suscité une abon-
1111

dante jurisprudence qui les a soumis à la loi régissant le statut juridique de ces personnes.
Dans la jurisprudence française, voy. notamment: Cass. civ., 7 février 1912, D.P. (1912), 1, 433 ; Civ.
Seine, 14 novembre 1936, Revue (1938), 57; Rouen, 26 juillet 1949, Revue (1951), 629, note Y. Lous.
SOUARN.

Le statut des fondations, personnes morales que le testateur institue en vue de les
faire bénéficier de ses libéralités, est soumis à la loi d'autonomie dans les limites de la
liberté de tester fixées par la loi successorale.
Voy.: Paris, 16 mai 1960, Fondation Potocki, ].CP. (1960), II, 11.763, note GAVALDA, et sur cet
1111

arrêt, voy. encore infra, n ° 13.102.

13.100 - Loi applicable à la dévolution testamentaire - La succession testamentaire est


soumise à la loi compétente en matière de succession ab intestat (voy. supra, n° 5 13.79 et s.).
Selon le Code de droit international privé, cette loi détermine « la validité au fond des
dispositions à cause de mort» (art. 80, § ier, 5°).
Il appartient à cette loi de fixer les limites de la liberté de tester, notamment par l'ins-
titution d'une réserve héréditaire, dont la même loi détermine les modalités d'exercice.
1111 Le testament pourrait instituer un trust mais sans pouvoir porter atteinte à la réserve (voy.

supra, n ° 13.31). En cas d'atteinte, il est excessif de déclarer l'inapplicabilité du testament à


l'immeuble qui en fait l'objet (Civ. Seine-Inférieure, sect. Rouen, 19 décembre 1927, Revue, 1928,
511, note LEPAULLE). Il est suffisant, mais délicat, de limiter l'efficacité du trust à la quotité disponi-
ble (Civ. Bruxelles, 27 novembre 1947, Pas., 1948, III, 51; 31 mai 1994, R W., 1994-1995, 677; Paris,
10 janvier 1970, Revue, 1971, 518, note G. DRoz).

Le pacte successoral fait l'objet, dans la Convention de La Haye du ier août 1989 sur
la loi applicable aux successions à cause de mort (non en vigueur), de dispositions parti-
culières (art. 8 à 12) qui, en substance, désignent la loi successorale de la ou de chacune
des parties concernées. Dans le second cas, le rattachement obtenu est de type cumulatif.
Le testament peut cependant désigner la loi applicable à la dévolution, sans préju-
dice des dispositions sur la réserve.
Le contenu de certaines dispositions testamentaires peut encore se heurter à l'appli-
cation de règles impératives autres que celles figurant dans la loi successorale, pour un
motif tenant notamment au statut de certains biens concernés par ces dispositions. La
loi de la situation actuelle de ces biens pourra en effet avoir un titre à s'appliquer. La solu-
tion peut se fonder sur les dispositions générales de l'article 20 du Code de droit interna-
tional privé.
Ill L'arrêt rendu par le Hoge Raad des Pays-Bas le 16 mars 1990 (Museum Bredius, N.I.L.R., 1991,
403, note Th. DE BOER) en fournit un bon exemple: un testament rédigé par un Monégasque -
dont la succession était, en vertu de la règle néerlandaise de rattachement, soumise au droit de
Monaco - et prévoyant que les œuvres d'art dont il avait fait don à un musée ne pouvaient en être
retirées, fut soumis à la loi néerlandaise du 1cr mai 1925 relative aux musées, permettant dans cer-
tains cas la révision d'un testament par le juge.

13.101 - Force probante du testament authentique étranger - De la question de la loi


applicable à la forme du testament et à la conformité de son contenu à la loi successorale,
LES SUCCESSIONS 755

il convient d'en distinguer une autre, relative à la véracité des constatations faites par le
notaire étranger qui a reçu le testament en la forme authentique.
Cette question-ci concerne la force probante intrinsèque de l'acte public étranger
(voy. supra, n ° 10.8). Par conséquent, la constatation de faits matériels faites par l'officier
public seront tenues pour vraies jusqu'à preuve du contraire, une inscription de faux ne
pouvant être établie directement sur l'acte étranger mais seulement sur une copie faite en
Belgique.
Sur la qualification de la question comme concernant la force probante, voy. : Cass. civ., 20 mars
Ill!
2001, Hassan, Revue (2001), 697, note H. MurR WATT.
Il serait exclu d'admettre une compétence des juridictions du for pour procéder à une annula-
1111

tion de l'acte public étranger, ni pour donner une quelconque injonction à l'officier étranger
(même arrêt).

D. Interprétation du testament
13.102 - Principe d'autonomie de la volonté- La loi régissant la dévolution successo-
rale assigne au testateur les limites dans lesquelles ses actes de volonté sont efficaces.
Quand il s'est clairement exprimé, il est assez facile d'apprécier la légalité des dispositions
qu'il a prises, et notamment de réduire à la quotité disponible tout legs portant atteinte à
la réserve légale.
Pour interpréter les dispositions obscures et compléter les dispositions insuffisan-
tes, il faut se référer à la loi choisie par le testateur (art. 84 Codip).
1111Voy. en ce sens: Paris, 16 mai 1960,].C.P. (1960), II, 11763, note GAVALDA; Civ. Seine, 26 février
1958, Clunet (1959), 430, note A. PONSARD; Paris, 10 janvier 1970, Revue (1971), 518, note G. DROZ.
Bien que ce dernier arrêt paraisse affirmer la compétence de la loi d'autonomie pour des biens
situés à l'étranger, il exclut cependant que la loi étrangère choisie par l'intéressé puisse porter
atteinte à la réserve prévue par la loi française, applicable à la succession.

Le choix doit être exprès ou certain. De plus, il ne peut avoir pour objet que l'une des
lois auxquelles le défunt peut soumettre la succession.
Ili Pourtant, une autonomie large n'est pas incompatible avec une limitation, ou même une exclu-
sion, de la loi d'autonomie en matière successorale. La recherche de la volonté du testateur (inter-
prétation, en anglais: construction) est aisément dissociable de la loi successorale: c'est dans les
limites permises par cette loi que le de cujus a usé de sa liberté de tester, notamment en introduisant
dans son testament des dispositions de dernière volonté qui ne sauraient être interprétées que par
référence à la loi étrangère à laquelle elles sont empruntées.
Par exemple, quand un Anglais institue un trust sur des biens dévolus conformément à la loi belge,
ses dernières volontés ne sont efficaces qu'à concurrence de la quotité disponible, mais, dans ces
limites, elles doivent être interprétées à la lumière du droit anglais.
Ainsi dissociée de la loi successorale, qui détermine la validité et les effets du testament, la loi con-
sultée pour l'interprétation de cet acte remplit une fonction analogue à celle de dispositions subs-
tantielles du même droit, matériellement incorporées à l'acte juridique (infra, n° 14.47).

À défaut de loi choisie par le testateur, le testament doit être interprété d'après la loi
du pays avec lequel il a les liens les plus étroits, avec une présomption de localisation à la
résidence habituelle du défunt au moment de sa rédaction (art. 84, al. 2, Codip).
Voy. en faveur de la loi du domicile : Philipson-Stow and others v. In/and Revenue Cornrnissioners
1111

[1961], A.C. 727; dans la doctrine, BATIFFOL et LAGARDE, t. II, n ° 654.

Les dispositions précitées valent également pour la révocation du testament.


756 LES BIENS

E. Effets du testament
13.103 - Rattachement des effets à la loi successorale - La distinction entre la recher-
che de la volonté du testateur, question de fait que la loi compétente aide, le cas échéant,
à élucider, et la détermination des effets juridiques de la volonté ainsi interprétée n'est
pas toujours aisée. Question de droit, le deuxième problème doit être rattaché à la loi suc-
cessorale.
Un cas limite concerne l'effet d'un testament sur ceux qui l'ont précédé. À défaut de
révocation expresse et quand les contenus respectifs des testaments successifs ne sont
pas incompatibles, il appartient normalement à la loi successorale de décider si les legs
contenus dans un premier testament sont rendus caducs par un testament ultérieur.
Ill Voy. en faveur de la loi successorale: Cass. civ., 13 novembre 1951, Biadelli c. Orphelins d'Auteuil,
Revue (1952), 323.

1111 En droit interne, cette question est réglée par les articles 1035 à 1038 du Code civil.

L'application de la loi du domicile du testateur au moment de la rédaction du second testament


1111

peut aussi se concevoir, au titre de loi applicable à l'interprétation de la volonté, lorsqu'on peut
déceler une référence au moins implicite du testateur à cette loi. Cette solution évite un dépeçage
de l'effet du testament lorsque celui-ci porte sur des immeubles situés dans des pays différents et
que la loi successorale est celle de la situation de chaque immeuble.

La caducité d'un testament ou d'un legs (voy. par exemple les articles 1039 à 1047
du Code civil) relève également de la loi successorale.
L'effet du testament se détermine au regard d'une loi successorale qui peut ne pas
être celle dont le testateur a pu considérer l'application au moment de la rédaction du
testament. Cela découle de la solution donnée au conflit mobile en matière successorale :
la loi applicable est déterminée par la concrétisation du facteur de rattachement (domi-
cile, situation des biens, nationalité) au jour du décès.
1111La jurisprudence britannique en offre un excellent exemple (in re Groas [1915] 1 Ch. 572). Au
moment où une Néerlandaise lègue à son mari tous les biens dont la loi lui permet de disposer, elle
est domiciliée aux Pays-Bas, mais elle transfère ensuite son domicile en Angleterre où elle meurt. La
loi anglaise applicable à la succession mobilière ne restreint pas la liberté de tester, tous les biens
meubles de la défunte sont donc attribués à son mari. Si elle était morte peu après la rédaction du
testament, le legs aurait été réduit à concurrence du disponible, en vertu des règles néerlandaises
sur la réserve. La circonstance que la testatrice avait expressément limité sa libéralité à la mesure
que la loi permet, ne justifie pas qu'on prenne en considération la loi qui aurait été applicable si elle
était morte immédiatement après avoir testé.

1111De même, dans un litige de droit transitoire et de droit interrégional, la chambre civile de la
Cour de cassation de France a décidé que le testament par lequel, sous l'empire du Code civil fran-
çais en vigueur en Alsace-Lorraine en 1897, un homme léguait à sa femme un usufruit, ne privait
pas celle-ci du droit successoral que l'entrée en vigueur du BGB allait, trois ans plus tard, attribuer
au conjoint survivant (Cass. civ., 2 août 1921, Baltzer, Clunet, 1923, 105).

§3 ADMINISTRATION, LIQUIDATION IT PARTAGE DES SUCCESSIONS


13.104 - Présentation - La liquidation et le partage de successions internationales sont
un des problèmes les plus difficiles pour le praticien. En effet, au cas où les biens délaissés
par le défunt sont localisés en plusieurs pays, trois séries de difficultés risquent de se con-
juguer.
LES SUCCESSIONS 757

Avant le partage de l'excédent d'actif, un conflit aigu peut opposer trois catégories
d'intérêts divergents : les créanciers, le fisc et les héritiers et successeurs.
De plus, les règles de transmission des biens ne sont pas identiques dans tous les
pays. L'une des différences les plus accusées oppose le système de saisine de plein droit
des héritiers aux systèmes anglo-américains dans lesquels la dévolution n'est pas immé-
diate, les biens étant distribués, après le règlement du passif, sous le contrôle des tribu-
naux.
Ill D'après la common law, les héritiers ne sont pas saisis de plein droit des meubles laissés par leur
auteur. Si celui-ci n'a pas fait de testament, le tribunal, généralement une Probate Court, désigne un
administrator chargé de recueillir l'actif, de payer les dettes et les impôts, puis de distribuer le solde
entre les héritiers. En principe, l' administrator est désigné par le tribunal de l'Etat où le défunt avait
son dernier domicile (domiciliary administrator). Pareille désignation n'est pas subordonnée à la pré-
sence de biens sur le territoire de cet Etat. D'autres administrateurs, ayant un caractère auxiliaire,
peuvent être désignés par le tribunal de tout Etat dans lequel le défunt a laissé des biens (assets).
Voy., aux Etats-Unis, les §§ 467 et 468 du Restatement 2nd, favorable à une administration unitaire
de la succession. Les pouvoirs d'un administrator hors du territoire de l'Etat qui l'a désigné sont
reconnus par le Restatement 2nd, au moins quand ils n'entrent pas en concours avec ceux de l'admi-
nistrator local.
Les successions testamentaires n'échappent pas au contrôle judiciaire dans les pays de common law.
Les pouvoirs sont, en général, attribués par le testateur à un executor, dont la fonction est beaucoup
plus étendue que celle de l'exécuteur testamentaire du Code civil. Toutefois, l'executor doit soumet-
tre le testament au tribunal compétent, le plus souvent une Probate Court, auquel il appartient,
après vérification de l'acte, de lui délivrer des lettres d'administration.

Enfin, les biens successoraux peuvent être dispersés en différents pays et, par la force
de leur situation, être soumis à des règles de conflit de lois différentes et à des systèmes de
transmission peu ou mal harmonisés.
IllLa méthode archaïque du droit de prélèvement (supra, n ° 13.83) est un exemple de « correctif»
par lequel un Etat dans lequel une partie des biens est située s'efforce d'étendre l'application de ses
propres règles de conflit de lois à la dévolution de biens sis hors de son territoire.

La Convention de La Haye du 2 octobre 1973 sur l'administration internationale


des successions constitue une première tentative de solution, mais elle n'a pas réuni un
nombre significatif de ratifications. Le Code de droit international privé introduit des
dispositions particulières en la matière.

A. Administration et transmission de la succession


13.1 OS - Rattachement de principe à la loi successorale - Il appartient à la loi successo-
rale de déterminer les modalités d'administration et de transmission de la succession
(art. 82, § 1er, al. 1er). Un dépeçage du patrimoine relativement aux conditions d'adminis-
tration ou de transmission pourra en résulter, en cas de pluralité de masses due à la loca-
lisation d'immeubles dans des pays distincts du pays de la dernière résidence du défunt.
La loi successorale détermine ainsi si le successeur est saisi de plein droit ou s'il doit
obtenir l'envoi en possession.
1111 Voy. par exemple: Civ. Charleroi, 23 juin 1961,].T. (1961), 590.

Il en va de même de la délivrance du legs au légataire universel.


Un souci de réalisme porte à déroger à ce principe lorsque la loi du lieu de situation
d'un bien exige l'intervention d'autorités de cet Etat(§ 2).
758 LES BIENS

L'acceptation de la succession ou la renonciation relève aussi de la loi successorale


(art. 80, § 1er, 8 °, Codip ). Toutefois, il est dérogé à ce rattachement si la loi du lieu de
situation d'un bien exige des formalités particulières (§ 2).
IllSur l'application de la loi successorale, voy. notamment: Bruxelles, 2 novembre 1973, ].T.
(1974), 430; Liège, 21 février 1978,]ur. Liège (1978-1979), 161.
Voy. aussi, pour l'interprétation de l'article 1189 du Code judiciaire, qui règle les formes de la vente
d'immeubles appartenant à des successions acceptées sous bénéfice d'inventaire, Civ. Bruxelles,
15 mai 1974,]. T. (1974), 622.
1111La loi de situation ne s'applique que si elle exige une formalité particulière. Lorsque ce n'est pas
le cas, il suffit de respecter les modalités prévues par la loi successorale.
1111 La règle de compétence que contiennent respectivement les articles 784 et 793 du Code civil
sont des règles de compétence territoriale interne et ne font, dès lors, pas obstacle à ce qu'un héri-
tier accomplisse cette formalité au greffe du tribunal de l'arrondissement dans lequel un immeuble
est situé.

13.106 - Mesures urgentes et provisoires - L'apposition des scellés, l'inventaire, la dési-


gnation d'un administrateur provisoire ou d'un curateur à succession vacante relèvent
des autorités du pays de la situation des biens. Certaines mesures sont parfois prises par
le consul de l'Etat dont le défunt était ressortissant.
IllSur la compétence des consuls en matière successorale, voy. F. RIGAUX, précité n° 13.76, Ann.
droit (1957), 251-276 et 327-359.
1111 Voy. la liste des conventions consulaires, supra, n ° 8.35.

La présence d'un administrator ou d'un exécuteur testamentaire dont les pouvoirs


s'exercent conformément à la loi du lieu d'ouverture de la succession rend le plus souvent
superflue la désignation d'un mandataire de justice par les juridictions locales.

13.107 - Paiement des dettes - Comme dans le cas d'une faillite, aux avantages d'une
liquidation unitaire fait obstacle la dispersion des biens en plusieurs pays.
IllSur cette difficulté, voy. notamment la note de G. DROZ, sous Cass. civ., 13 février 1973, veuve
Oliverc. époux Allen, Revue (1974), 338.
1111 En matière successorale, il faut distinguer l'obligation aux dettes de la contribution à celles-ci.

Lorsque le créancier peut se prévaloir d'un droit de gage sur les biens du défunt (en
droit belge, tous les biens du défunt forment le gage de tous ses créanciers, loi du
16 décembre 1851, art. 8), il peut saisir les biens situés en n'importe quel pays, à condi-
tion qu'il puisse se prévaloir d'un titre exécutoire délivré ou reconnu au lieu de la situa-
tion. En pratique, il s'attaquera de préférence aux biens délaissés dans le pays où il a son
domicile ou son établissement commercial. Il en résulte un certain privilège de fait au
profit des créanciers locaux, ceux qui sont étrangers au pays dans lequel se trouvent les
biens les plus aisément saisissables devant d'abord obtenir la mise à exécution du titre
dont ils se prévalent.
Ill Il est généralement admis qu'un créancier peut faire une saisie conservatoire en invoquant un
titre exécutoire étranger, à condition qu'il obtienne l'exequatur durant la procédure de validation de
la saisie. Voy. en ce sens: Cass., 4 juin 1891, Pas. (1891), I, 162 et les références françaises citées par
BATIFFOL et LAGARDE, t. II, n ° 74. Voy. aussi supra, n ° 10.49.

Quand une succession s'est ouverte dans un pays de common law, l'administrator
chargé de payer les dettes et les impôts avant de distribuer l'excédent d'actif entre les héri-
tiers peut demander à obtenir les meubles situés en Belgique. Cette demande ne sera
LES SUCCESSIONS 759

reçue que dans la mesure où la qualité de l' administrator peut être reconnue en Belgique
(voy. ci-dessous).
13.108 - Paiement des dettes fiscales - Une distinction s'impose lorsque le créancier est
l'Etat du for ou un Etat étranger.
Dans le cas d'un Etat étranger, les meubles comme les immeubles délaissés en Belgi-
que sont soustraits à toute action de l'administration fiscale étrangère. Il faut même
exclure toute forme indirecte de recouvrement forcé d'un impôt par le fisc étranger. Il en
est ainsi au cas où l'administrator veut se faire remettre les biens pour payer les droits de
succession ou des dettes fiscales du défunt.
1111Il existe sur ces deux questions une jurisprudence constante dans les pays de common law. Voy.
les références dans : F. RIGAUX, Droit public et droit privé, § 84, mais camp. les décisions commentées
ibid.,§ 85, C.

Le droit de recouvrement de l'Etat belge dépend d'une règle d'applicabilité de la


législation fiscale, qui utilise deux critères, chacun concernant un droit distinct.
La résidence habituelle détermine la perception de l'impôt. Celui-ci est perçu « sur la
valeur, déduction faite des dettes, de tout ce qui est recueilli dans la succession d'un habi-
tant du royaume» (art. 1er, al. 1er, 1°, C. suce.). Est « habitant du royaume celui qui, au
moment de son décès, y a établi son domicile ou le siège de sa fortune» (al. 2).
1111 Sur la notion d'habitant, voy. notamment: E. GENIN, « De la qualité d'habitant du royaume »,
Rec. gén. enr. not., n° 15.647 (1920), 175-193; E. SCHREUDER, « L'habitant du Royaume», Ann. not.
enr. (1967), 5-33.
!IllCette notion fait appel à une définition spécifique du domicile, qui, selon la Cour de cassation,
« n'est pas celui que vise le Code civil, mais un état de fait, caractérisé par la résidence ou habitation
effective et qui dépend de circonstances dont l'appréciation est abandonnée au juge du fond».
Voy. Cass., 6 octobre 1941, Nogueira c. Administration des Finances, Pas. (1941), 368. Plus récemment:
Bruxelles, 17 juin 1968, Rev. fisc. ( 1969), 109.
La situation d'un immeuble en Belgique détermine la perception d'un « droit de
mutation par décès». Le Code des droits de succession assujettit à un tel droit« la valeur
des biens immeubles situés en Belgique recueillis dans la succession d'un non-habitant
du royaume» (art. 1er, al. 1er, 2 °).

13.109 - Reconnaissance des pouvoirs d'administration - Le Code de droit internatio-


nal privé introduit une disposition relative aux pouvoirs d'un administrateur étranger
(art. 82, § 2), qui implique que celui-ci peut, en principe, agir en Belgique sur la simple
présentation de la preuve de son habilitation.
Selon le texte, « Les pouvoirs d'une personne habilitée à administrer la succession en
vertu [de la loi successorale] sont sans préjudice de ceux attribués en vertu d'une décision
judiciaire rendue ou reconnue en Belgique».
Pour avoir un effet utile, cette disposition suppose que le pouvoir de l'administra-
teur soit reconnu de plein droit, sans distinguer selon que le dépositaire des biens concer-
nés refuse ou non de s'exécuter.
Le texte indique également que l'administrateur étranger pourra agir même si un
tiers se prétend investi de la saisine de plein droit. En effet, le pouvoir de l'administrateur
ne peut être reconnu que s'il a été investi par la loi qui régit la dévolution du bien con-
cerné. Il ne saurait donc y avoir de conflit. Si la dévolution du bien est régie par la loi
760 LES BIENS

belge parce que le défunt est décédé en Belgique (meuble) ou parce que le bien est situé en
Belgique (immeuble), l'héritier aura gain de cause sur l'exécuteur testamentaire désigné à
l'étranger.
1111Voy. en ce sens les explications de l'exposé des motifs de la proposition de loi (Doc. pari., Sénat,
2003-2004, n ° 3-27/1).
Un conflit pourrait cependant surgir au cas où la loi étrangère du lieu de situation aura exigé
l'intervention d'une aurorité locale alors que la dévolution reste régie par un droit qui prévoit la
saisine de plein droit. Dans ce cas cependant, l'autorité prendra normalement une décision, qui
devrait être assimilée à une décision judiciaire, et le conflit sera tranché par l'application des règles
sur l'efficacité des jugements (voy. ci-dessous).
Ill Sur les expériences étrangères, voy. par exemple en France: Cass. cr., 4 juin 1941, Sz.apka c. Geffros
et Bessin, S., 1944, 1, 133, note H. BATIFFOL: il appartient au public trustee administrant une succes-
sion mobilière soumise à la loi américaine d'exercer en France l'action en réparation du préjudice
subi par le de cujus, alors qu'en droit français, l'action ex herede est intentée par les héritiers eux-
mêmes.
Les exécuteurs testamentaires d'un sujet britannique dont la succession mobilière est soumise à la
loi britannique, loi du dernier domicile, ont qualité pour reprendre, devant les tribunaux français,
l'instance entamée par le de cujus lui-même avant son décès (Paris, 4 juillet 1958, Clunet, 1959, 1122,
note PONSARD).
Dans une affaire où l'application des règles de conflit de lois en vigueur en Indochine donnait com-
pétence à la loi personnelle du défunt, la chambre civile a permis à l'executor d'exercer sur les
immeubles sis en Cochinchine les pouvoirs étendus que le testateur lui avait confiés jusqu'à la
majorité des héritiers mineurs (Cass. civ., 22 juin 1954, Eaishabi c. Maindin, Revue, 1955, 123, note
LOUSSOUARN).
Si l'administrateur étranger a été investi par une décision judiciaire, ses pouvoirs
seront fonction de la reconnaissance de plein droit ou, en cas de refus de remise du bien,
ils reposeront sur la déclaration de la force exécutoire de la décision en vertu des règles
générales sur l'efficacité des décisions étrangères (art. 22 et s., Codip; voy. supra,
chap. 10).
Pratiquement, en l'absence de contestation, l'administrateur pourra invoquer la reconnaissance
1111

de ses pouvoirs sans procédure judiciaire préalable (art. 22 Codip), mais il pourra se voir opposer
une décision inconciliable en Belgique (art. 25, § 1er, 5°, Codip).
Quand les pouvoirs conférés par le testateur ont pour objet l'administration de
biens appartenant à des héritiers mineurs, la loi de l'incapacité doit aussi être prise en
considération (voy. supra, n° 5 12.75 et s.).
Ill Sur la compétence d'une juridiction belge pour autoriser la vente d'un immeuble d'un mineur,
sur base du critère du lieu de situation, voy. :J.P. Mouscron,].J.P. (2002), 420, cependant sur base de
l'article 629 du Code judiciaire, règle de compétence interne.

13.110 - Envoi en possession du légataire institué par un testament mystique ou olo-


graphe - Lorsque, en vertu de la loi successorale, le légataire universel d'une succession
sans héritier réservataire, bénéficiaire d'un testament olographe ou fait dans la forme
internationale, doit se faire envoyer en possession, il peut introduire sa demande devant
les juridictions belges si la succession s'est ouverte en Belgique ou pour les biens situés en
Belgique (art. 77 Codip).
IllL'article 1008 du Code civil, qui prévoit la compétence du président du tribunal de première
instance de l'arrondissement dans lequel la succession s'est ouverte, est une règle de compétence
interne, non de compétence internationale.
IllUne demande tendant à faire conserver un testament trouvé en Belgique pourrait aussi être
introduite aux conditions du for de nécessité (art. 11 Codip).
LES SUCCESSIONS 761

IllSur la possibilité d'introduire une demande en Belgique pour des biens localisés en Belgique,
voy. déjà: Civ. Malines, 28 juin 1955, Tijds. Not. ( 1955), 184; Civ. Courtrai, 8 mars 1951, ibid. (1951),
87.
Si le testament a été soumis à une vérification judiciaire à l'étranger, un envoi en
possession en Belgique n'est plus nécessaire car, soit cette décision opérera envoi en pos-
session, soit elle se limitera à homologuer le testament privé et ses effets seront reconnus
de plein droit (art. 22 Codip).
IllVoy. déjà: Civ. Bruxelles, 6 mars 1956, Ann. not. enr. ( 1956, 190, à propos d'un Probate du tribu-
nal de New York. En France, voy.: Paris, 4 juillet 1958, Clunet (1959), 1122, noce PONSARD.

B. Partage des biens


13.111 - Détermination de la compétence internationale - Les juridictions belges sont
compétentes pour procéder au partage, soit lorsque la dernière résidence habituelle du
défunt était en Belgique, soit à propos d'immeubles situés en Belgique (art. 77 Codip),
même pour procéder à un partage partiel.
Ill Sur la compétence des tribunaux belges pour procéder au parcage partiel des immeubles situés
en Belgique, voy. Cass., 31 octobre 1968, supra, n ° 13.6. Cet arrêt fonde cependant la règle sur la cir-
constance que le droit belge était applicable à la succession immobilière en vertu de l'article 3,
alinéa 2, du Code civil. On ne saurait pour autant en déduire un lien nécessaire entre la compétence
juridictionnelle et la compétence législative en matière successorale.
Voy. aussi: Civ. Bruxelles, 17 décembre 1998,j.T. (1999), 608; Civ. Arlon, 2 avril 1999,].T. (1999),
607.
IllComp. Civ. Courtrai, 25 mars 1980, R.W. (1980-1981), 2279, noce C. DE BusscHERE, refusant de
prononcer le parcage judiciaire d'un immeuble situé en France, sans examiner l'application éven-
tuelle de la Convention franco-belge. Dans le même sens en France: Paris, 22 mars 1991, Revue
(1992), 298, noce M. GORÉ, au nom du principe de proximité.
Acceptant sa compétence pour un immeuble situé en France, sur base de la Convention franco-
belge, voy.: Anvers, 9 février 1998, R.W. (1998-1999), 440, ainsi que pour nommer un notaire mais
non pour ordonner des mesures d'exécution, et évoquant la nécessité d'un exequatur en France.
Ill!L'action en nullité d'un partage d'ascendant portant sur des immeubles situés en Belgique et à
l'étranger est de la compétence des tribunaux belges, alors surcout que les motifs de nullité invo-
qués étaient l'incapacité du donateur, l'erreur et le dol. Contra: Civ. Gand, 16 juin 1970, Rev. crit. jur.
belge (1972), 433, note L. GANSHOF. Voy. aussi F. BouCKAERT, « Ascendentenverdeling en Internatio-
naal Privaatrecht », Tijds. Not. (1972), 50-57. Ces deux auteurs critiquent également la décision par
laquelle le tribunal de Gand s'est déclaré incompétent.
La compétence pour nommer un notaire étranger soulève plutôt une question
d'incompétence matérielle internationale. Revenant à conférer une mission à un officier
public étranger, un tel ordre semble ne pas pouvoir être donné.
1111 Voy.: Civ. Bruxelles, 31 mai 1994, RW. (1994-1995), 677.
Ill Plus généralement, pour un refus de donner une injonction au notaire étranger en tant qu'offi-
cier, voy.: Cass. civ., 20 mars 2001, Hassan, Revue (2001), 697, note H. MurR WATT.

13.112 - Rattachement spécial des modalités du partage - Si le partage en tant que tel
relève de la loi successorale, il en va autrement de ses modalités (art. 81 Codip).
La loi successorale détermine par exemple le régime de l'indivision et de la sortie
d'indivision, ou les conditions d'un partage amiable. En l'absence de précision dans le
texte légal, les formalités à suivre relèvent aussi de cette loi, à l'exclusion de la loi du lieu
du partage.
762 LES BIENS

En revanche, la détermination des lots - mode de composition et attribution -


relève de la loi de situation des biens au moment du partage.
Ill La solution donnée au conflit mobile permettrait certes la délocalisation d'un bien en vue de
l'attribution. Toutefois, l'argument de fraude à la loi (art. 18 Codip) permettrait de neutraliser ce
comportement.
Quand des mineurs y sont intéressés, les formes habilitantes de la loi de l'incapacité
doivent être respectées (voy. supra, n ° 12.75).
La réduction des legs et le rapport des libéralités sont soumis à la loi successorale
(voy. supra, n ° 13.84).
CHAPITRE 14

LES CONTRATS
14.1 - Bibliographie
a) Rattachement contractuel
En raison de l'abondance des publications, il a fallu se limiter aux monographies et à quelques étu-
des de base.
M.-E. ANCEL, La prestation caractéristique du contrat (Paris, Economica, 2001); M. AUDIT, Les conventions
transnationales entre personnes publiques (Paris, LGDJ, 2002) ; H. BATIFFOL, Les conflits de lois en matière de
contrats (Paris, Sirey, 1938); ID., « La loi appropriée au contrat», Mélanges Goldman (Paris, Litec,
1982), 1-14; ID., Les contrats en droit international privé comparé (Montréal, Univ. McGill, Inst. dr.
comp., 1981); A. BoGGIANO, International standard contracts (Londres, Graham & Trotman, 1991);
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VACA et L. FERNANDEZ DE LA GANDAR.A (dir.), Contratos internacionales (Madrid, Rogar, 1997);]. CAR-
R.AscosA GONZALEZ, El contrato internacional (Madrid, Civitas, 1992) ; S. CHAILLE DE NERE, Les difficultés
d'exécution du contrat en droit international privé (Aix, PUAM, 2003) ; B. CoRTESE, Il trasferimento di tecno-
logia ne/ diritto internazionale privato. Licenza e cessione di privative industriali e know-how (Padoue,
Cedam, 2002) ; G. DELA UME, Transnational contracts, Applicable law and settlement ofdisputes (New York,
Oceana, 1979, 1983); L. DE W1NTER, « Enige beschouwingen over de wet van karakteristieke
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« Harmonization of private international law relating to contractual obligations », Recueil des cours,
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764 LES CONTRATS

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LES CONTRATS 765

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b) Lois de police

Outre les références c1tees à propos des lois de police sous le chapitre 4, voy. : B. AUDIT,
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Draft Convention on the Law Applicable to Contractual Obligations», European L.R (1979), 236-
244; ID., « Mandatory mies in international contracts: The common law approach », Recueil des
cours, vol. 266 (1997), 337-426; ].-M. JACQUET, « La norme juridique extraterritoriale dans le com-
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766 LES CONTRATS

c) Arbitrage international
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LES CONTRATS 767

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« L'exécution en Belgique des sentences arbitrales belges et étrangères», ].T (1997), 305-315;
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laws issues in determining the applicable substantive law in the context of investment
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nal et l'obligation de boycottage imposée par un État», Clunet (1991), 349-370 ;J-C. POMMIER,« La
résolution du conflit de lois en matière contractuelle en présence d'une élection de droit: le rôle de
l'arbitre», Clunet (1992), 5-44; R. PRioux, « Le juge et l'arbitre face aux lois étrangères d'application
immédiate dans les contrats internationaux: les nouvelles possibilités offertes par la loi du
14 juillet 1987 », Rev. dr. comm. belge (1988), 251-296 ;J-B. RACINE, L'arbitrage commercial international
et l'ordre public (Paris, LGDJ, 1999); L. REED, J. PAULLSSON et N. BLACKABY, Guide to ICSID arbitration
(La Haye, Kluwer, 2004); C. REYMOND, « Conflits de lois en matière de responsabilité délictuelle
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M. RUBINO-SAMMARTANO, « Le tronc commun des lois nationales en présence - Réflexions sur le
droit applicable par l'arbitre international», Rev. Arb. (1987), 133-138; Ch. SERAGLINI, Lois de police
et justice arbitrale internationale (Paris, Dalloz, 2001); N. SHELKOPLYAS, The application ofEC law in arbi-
tration proceedings (Groningen, Europa Law Pub!., 2003); M. SoRNARAJAH, International commercial
arbitration: The problem ofState contracts (Singapore, Longmans, 1990); W. TETLEY, « Arbitration and
the choice of law », D.E. T (1993), 149-179 ; F.-X. TRAIN, Les contrats liés devant l'arbitre du commerce
international (Paris, LGDJ, 2003).
768 LES CONTRATS

Section 1

Règles générales de conflit


de juridictions relatives aux contrats
14.2 - Présentation - Le règlement « Bruxelles I » occupe une place déterminante pour
la solution des conflits de juridictions en matière contractuelle, laissant peu de place, en
pratique, au droit commun.

À côté des actes communautaires, on peut encore citer les deux conventions bilaté-
rales conclues respectivement avec la France en 1899 et avec les Pays-Bas en 1925 (voy.
supra, n ° 8.32). Celles-ci déterminent un forum contractus, opposable au défendeur domi-
cilié en dehors de l'Union européenne - ou d'un État partie à la Convention de Lugano
- et possédant la nationalité, tantôt française, tantôt néerlandaise, et elles consacrent
l'efficacité d'une clause attributive de compétence internationale, valable pour les clauses
désignant les juridictions d'un pays non membre de l'Union européenne ou non partie à
la Convention de Lugano.

§1 RÈGLES DE COMPÉTENCE PROPRES AUX CONTRATS


DANS LE RÈGLEMENT« BRUXELLES 1 »

14.3 - Présentation - Le règlement 44/2001 (supra, n ° 8.6) fournit, pour l'ensemble des
contrats, l'essentiel des règles de compétence internationale et d'efficacité des décisions
étrangères, dans les limites de son domaine d'application dans l'espace (voy. supra,
n ° 8.19). Il comprend des dispositions propres aux contrats. De celles-ci, certaines
s'appliquent exclusivement à certains contrats: il en est question dans la section III, lors
de l'examen des contrats spéciaux.

Les règles contractuelles de portée générale introduisent un for approprié (art. 5, 1 °)


et déterminent les conditions de validité des clauses attributives de juridiction (art. 23).

On précise que le for contractuel s'ajoute à la compétence de principe des tribunaux


de l'État où le défendeur est domicilié (art. 2; supra, n ° 9.30). Cela signifie que si le défen-
deur est domicilié sur le territoire d'un État lié par le règlement et que l'autre critère de
compétence se localise sur le territoire d'un autre État membre, le demandeur peut choi-
sir dans lequel de ces deux pays il introduira son action.

Les articles 5 et 23 ne se contentent pas de déterminer la compétence internationale.


Ils contiennent en même temps des règles de compétence interne, permettant de dési-
gner, dans l'État pertinent, lequel des tribunaux de cet État est compétent (sur cette
notion, voy. supra, n° 9.14).

Ces dispositions ont suscité de nombreuses difficultés d'interprétation, que la Cour


de justice des Communautés européennes a été appelée à trancher. Il ne saurait être
question d'en donner ici autre chose qu'une présentation générale aidant à comprendre
la mise en œuvre de ces dispositions, en renvoyant pour le surplus aux ouvrages spécia-
lisés.
RÈGLES GÉNÉRALES DE CONFLIT DE JURIDICTIONS RELATIVES AUX CONTRATS 769

A. Critère du lieu d'exécution (art. S, 1 °)


14.4 - Formulation du for contractuel - Aux termes de l'article 5, 1 °, du règlement 44/
2001, « une personne domiciliée sur le territoire d'un État membre peut être attraite,
dans un autre État membre, [... ] en matière contractuelle, devant le tribunal du lieu où
l'obligation qui sert de base à la demande a été ou doit être exécutée».
Cette disposition connaît une dérogation importante au profit du défendeur domi-
cilié au Luxembourg (art. 63): si ce défendeur est attrait devant un tribunal d'un autre
État membre en application de l'article 5, 1°, il peut décliner la compétence de ce tribu-
nal, à moins que le contrat en cause ne concerne la prestation d'un service financier. Tou-
tefois, ce privilège accordé initialement par la Convention de Bruxelles, cessera, selon le
règlement, au terme d'un délai de 6 ans à compter de l'entrée en vigueur de l'acte (voy.
supra, chap. 8).
Une mise en œuvre correcte de l'article 5, 1 °, suppose trois opérations, à savoir une
qualification correcte de l'action, la détermination de l'obligation à localiser et la localisa-
tion même de l'exécution de cette obligation.

1. QUALIFICATION DE L'ACTION

14.S - Définition de la« matière contractuelle» - L'article 5, 1 °, ne s'applique qu'à une


contestation portant sur une« matière contractuelle». La qualification de l'action a lieu
de manière autonome, conformément aux objectifs de l'acte et sans aucune référence au
droit national (C.J.C.E., aff. 34/82, 22 mars 1983, Peters, Rec., 1983, 987, Revue, 1983, 663,
note H. GAUDEMET-TALLON; aff. 9/87, 8 mars 1988, Arcado c. Haviland, Rec., 1988, 1539).
Pratiquement, la qualification de l'action peut soulever une difficulté lorsque la
nature exacte du rapport juridique de base prête au doute, par exemple à propos des rap-
ports entre associés, ou lorsqu'il n'est pas clair si l'action trouve à se fonder sur un con-
trat ou un quasi-délit.
La Cour de justice (arrêt Peters, précité) a étendu l'article 5, 1 °, au litige concernant
des rapports entre associés, en se fondant principalement sur certains objectifs généraux
de l'acte, l'économie de procédure et la bonne administration de la justice. Elle évoque
aussi la nature du lien contractuel : le litige doit intéresser des « liens étroits du même
type que ceux qui s'établissent entre parties à un contrat».
De plus, la disposition ne vise pas « une situation dans laquelle il n'existe aucun
engagement librement assumé d'une partie envers une autre » : pour que la matière soit
contractuelle, il faut un lien contractuel entre parties au procès, même si la contestation
reçoit dans certains droits nationaux une qualification contractuelle: c'est le cas en Bel-
gique et en France de l'action directe du sous-acquéreur contre le fabricant (C.J.C.E., aff.
C-26/91, 17 juin 1992, Handte, Revue, 1992, 726, note H. GAUDEMET-TALLON).
1111Pour une qualification contractuelle au sens de l'article 5, 1 °, de l'action du sous-acquéreur con-
tre le fabricant, voy. Cass. civ., 28 octobre 1986, Revue (1987), 612, note H. GAUDEMET-TALLON.
L'arrêt n'est toutefois guère motivé, considérant comme évidente la qualification contractuelle au
regard du droit français.
1111L'arrêt Handte précité fonde principalement la solution sur la nécessité d'ir ;erpréter strictement
les chefs de compétence de l'article 5, dans un but de protection juridictionne ;e du défendeur (voy.
supra, n ° 9.22). Il remarque également que la qualification contractuelle de l'a~tion directe du sous-
acquéreur est isolée en droit comparé.
770 LES CONTRATS

La condition de l'existence d'un engagement librement assumé exclut du champ


contractuel l'obligation de réparer issue de la rupture de négociations précontractuelles
(C.J.C.E., aff. C-334/00, 17 septembre 2002, Tacconi, Revue, 2003, 668, note P. RÉMY-
CoRLAY, à propos de l'omission, pour une partie, de conclure un contrat de vente après
que le contrat de leasing avait été conclu).
Cette approche stricte du champ contractuel conduit, par exemple, à n'y inclure
l'action récursoire d'une caution subrogée dans les droits du créancier contre le proprié-
taire de marchandises, débiteur d'une dette douanière mais non partie au contrat de cau-
tionnement conclu avec le créancier, que si ce propriétaire a autorisé le contrat de
cautionnement (C.J.C.E., aff. C-265/02, 5 février 2004, Frahui[).
En revanche, l'action est qualifiée de contractuelle dès qu'elle repose sur l'identifica-
tion d'une obligation qui trouve son origine dans la seule volonté de son auteur, telle une
promesse de gain qui a été acceptée : il existe alors « un engagement qui lie son auteur
comme en matière contractuelle» (C.J.C.E., aff. C-27/02, 20 janvier 2005, Engler, N.]. W.,
2005, 482).
111 Cette extension semble couvrir l'engagement unilatéral. Le même arrêt rejette l'application de
l'article 13 (art. 15 du règl., infra, n° 14.103), dont les termes, selon la Cour, exigeraient un contrat
synallagmatique, fait d'obligations réciproques et interdépendantes. Il est troublant que, pour les
besoins de l'article 5, l'arrêt relève à la fois que la disposition n'exige pas la conclusion d'un contrat
et que la promesse de gains avait été acceptée en l'espèce. En tout état de cause, la distinction selon
que le contrat est ou non synallagmatique ne repose sur aucun argument de texte.

14.6 - Demande portant sur la validité du contrat - Une contestation portant sur la
formation du lien contractuel, c'est-à-dire l'existence des éléments constitutifs du con-
trat ou la nullité de celui-ci, entre dans le domaine de l'article 5.
La Cour de justice en a décidé ainsi à propos de l'exception de nullité (aff. 38/81,
4 mars 1982, Effer, Rec., 1982, 825, Revue, 1982, 570, note H. GAUDEMET-TALLON), statuant
dans le même sens qu'à propos des baux d'immeubles (voy. supra, n ° 13.5). Il devrait en
aller de même pour l'action principale en nullité.
111Sur cette question, voy. P. GoTHOT et D. HoLLEAUX, précités n° 8.1, n° 63, hésitant à étendre la
disposition à l'action principale en nullité, et les références en sens divers.
Ill Pour une application de la jurisprudence Ejfer, voy. : Liège, 28 avril 2003, D.A.O.R (2003), n ° 67,
p. 73.

Il. ÜÉTERMINATION DE L'OBLIGATION À LOCALISER

14.7 - Référence de principe à l'obligation en litige - L'obligation pertinente est-elle le


contrat lui-même, l'obligation la plus caractéristique du contrat, ou l'obligation même
qui fait l'objet du litige?
Le texte explicite, depuis la version de 1978, qu'il s'agit de l'obligation qui sert de
base à la demande. Il consacre ainsi la position de la Cour de justice, qui s'était référée dès
1976 à l'obligation« servant de base à l'action judiciaire» (C.J.C.E., aff. 14/76, 6 octobre
1976, De Bloos, Rec., 1976, 1497).
Cette obligation doit cependant, selon la Cour, constituer une obligation
«autonome», ca '-, « dans les cas où le demandeur fait valoir son droit au paiement de
1
dommages et intérêts, ou invoque la résolution du contrat aux torts et griefs de l'autre
partie, l'obligation visée [... ] est toujours celle découlant du contrat et dont l'inexécution
RÈGLES GÉNÉRALES DE CONFLIT DE JURIDICTIONS RELATIVES AUX CONTRATS 771

est invoquée pour justifier de telles demandes» (même arrêt). Et le caractère autonome
de l'obligation est régi par le droit national (même arrêt).
IllLa question a reçu de nombreuses illustrations en matière de concessions de vente exclusives
(voy. infra, n ° 14.187).

Cette solution connaît une dérogation expresse en matière de contrats de travail


(voy. infra, n° 14.164).
Le règlement confirme la formulation de la Convention, non sans retenir, pour les
livraisons communautaires, une solution qui se concilie mieux avec une référence à la
prestation caractéristique du contrat puisque le critère de compétence est alors celui de la
livraison de la marchandise ou de la fourniture du service, quelle que soit l'obligation en
litige (voy. ci-dessous).

14.8 - Pluralité d'obligations - Lorsque plusieurs obligations sont en cause, il convient


de se référer à l'obligation principale en litige (C.J.C.E., aff. 266/85, 15 janvier 1987, She-
navai, Rec., 1987, 239,].T 1987, 364, note H. BORN, Revue, 1987, 793, note G. DRoz).
Si le litige porte sur plusieurs obligations d'importance équivalente, le juge n'est
compétent que pour connaître de la demande portant sur celle de ces obligations dont
l'exécution se localise sur son propre territoire. S'il doit en résulter un éclatement du pro-
cès, le demandeur, pour y obvier, peut agir dans le pays du domicile du défendeur
(C.J.C.E., aff. C-420/97, 5 octobre 1999, Leathertex, Rev. dr. comm. belge, 2000, 170, note P.
HOLLANDER, Rev. gén. dr. civ., 2001, 384, note Y. DEKETELAERE, Revue, 2000, 76, note H.
GAUDEMET-TALLON).
Pour une application de la jurisprudence Shenavai à une demande d'indemnités de préavis et
1111

d'éviction et de versement d'arriérés de commissions à propos d'un contrat d'agence commerciale,


voy.: Comm. Anvers, 15 février 2002, R.A.B.G. (2004), 1337.

Ill. LOCALISATION DE L'EXÉCUTION DE L'OBLIGATION EN LITIGE

14.9 - Localisation selon le droit national applicable à l'obligation - Le lieu d'exécu-


tion est déterminé conformément à la loi qui régit l'obligation litigieuse selon les règles
de conflit de lois de la juridiction saisie. La Cour de justice s'est en effet gardée de donner
une définition autonome de la localisation (aff. 12/74, 4 octobre 1976, Tessili, Rec., 1976,
1473). Elle s'en est justifiée ultérieurement en estimant que la méthode de l'interpréta-
tion autonome de l'acte n'a lieu que dans la mesure du possible, en fonction de chaque
disposition en cause (aff. C-440/97, 28 septembre 1999, Groupe Concorde, Revue, 2000,
253, note B. ANCEL, soulignant que la Convention de Rome du 19 juin 1980 assure désor-
mais une uniformité dans la désignation de la loi applicable à l'obligation contractuelle).
On constate que la détermination de la compétence internationale devient ainsi fonction
de la loi déclarée applicable au fond du litige.
Ill La solution a été confirmée par: C.J.C.E., aff. C-288/92, 29 juin 1994, Custom Made, Revue
(1994), 692, note H. GAUDEMET-TALLON, précisant que la solution a lieu même si le for n'a pas
d'autre lien étroit avec le litige et même si la règle nationale conduit à l'application de la LUVI (voy.
infra, n° 14.180).
IllPour des cas d'application dans la jurisprudence belge, voy. par ex. : Bruxelles, 10 juin 1976,j. T
(1976), 742; 24 avril 1980, Pas. (1980), II, 87; Liège, 5 janvier 1982,jur. Liège (1983), 241, note G. DE
LEVAL; Bruxelles, 2 septembre 1998, R W (1998-1999), 924; 7 septembre 1999, R W (1998-1999),
593; Cass., 11 mai 2001, Feller Rock, Pas. (2001), I, 820; Liège, 9 décembre 2002, Rev. gén. dr. civ.
772 LES CONTRATS

(2005), 123 (obligation de payer); Comm. Hasselt, 8 juin 2004, Rev. dr. comm. belge (2005), 96 (obli-
gation de payer), alors cependant que l'espèce semblait concerner une livraison communautaire.
Ill Cette méthode rend excessivement complexe la détermination de la compétence internationale,
spécialement en matière de vente d'objets mobiliers corporels. Elle n'a pas toujours été respectée
(voy. par ex.: Mons, 7 janvier 1992,].L.M.B., 1992, 881, note A. KoHL).
Pour une application exemplaire, voy.: Liège, 28 avril 2003, D.A.O.R. (2003), vol. 67, p. 73: la loi qui
régit l'exécution est désignée directement par la règle d'applicabilité que contient la CVIM (voy.
infra, n° 14.182), dès que les parties sont établies dans des États contractants différents, et la règle
qui s'en déduit est la portabilité de la dette.
1111Pour une localisation de l'obligation de payer les honoraires dus à un avocat établi en Belgique,
après constatation de l'application de la loi belge au fond du litige: Anvers, 30 mars 1998, Rev. gén.
dr. civ. (2003), 328, note J.-P. BUYLE, faisant application de la thèse de la portabilité de la dette due à
l'avocat.
IllPour le cas où le lieu d'exécution se situe en dehors du territoire d'États membres, voy. supra,
n° 8.22.

Les parties peuvent toutefois convenir de la localisation de l'exécution, pourvu que


l'accord soit valable selon le droit national (C.J.C.E., aff. 56/79, 17 janvier 1980, Zelger,]. T,
1980, 314, Revue,1980, 385, note E. MEZGER; Anvers, 3 janvier 1995, Rev. dr. comm. belge,
1995, 387, note]. ERAUW; 25 juin 2001, Rev. dr. comm. belge, 2003, 150, note G. STUER). La
localisation conventionnellement fixée doit correspondre à une effectivité, faute de quoi
l'accord s'analyse en une clause de juridiction, qui doit alors obéir aux conditions de
l'article 23 (C.J.C.E., aff. C-106/95, 20 février 1997, MSG, Revue, 1997, 563, note H. GAU-
DEMET-TALLON).

14.10 - Livraisons communautaires - Dans certains cas, la localisation de l'exécution


est définie directement, sans aucune référence au droit national.
Il en va ainsi en cas de livraison communautaire, depuis l'entrée en vigueur du règle-
ment 44/2001 (art. 5, 1 °, b): pour la vente de marchandises, le lieu à considérer est« le
lieu d'un État membre où, en vertu du contrat, les marchandises ont été ou auraient dû
être livrées», ou, pour la fourniture de services, « le lieu d'un État membre où, en vertu
du contrat, les services ont été ou auraient dû être fournis». Cette règle ne vaut cepen-
dant que« sauf conventions contraires».
Ill Cette disposition se comprend comme une ouverture au concept de la prestation caractéristi-
que du contrat, que consacre la Convention de Rome (voy. infra, n ° 14.54), puisqu'il tend à concen-
trer les litiges au lieu de la livraison ou fourniture sans distinguer selon l'obligation en litige.
Ill Selon le texte, les parties ont la faculté d'agir sur le for de la livraison ou fourniture, de deux
manières, tantôt en écartant ce for, tantôt en définissant le lieu de livraison ou de fourniture. La
portée exacte de ces deux allusions à l'autonomie de la volonté n'est certes pas des plus claires (H.
GAUDEMET-TALLON, Compétence et exécution des jugements en Europe, Paris, LGDJ, 2002, n ° 201 et 202).
À tour le moins, les parties peuvent déroger au for de la fourniture ou livraison, ce qui les ramène à
la méthode Tessili. De plus, il est normal que le lieu à considérer soit celui seul que le débiteur avait
à considérer en vertu du contrat. Reste entière la question si ce lieu doit résulter d'une disposition
expresse et, dans la négative, s'il y a lieu de revenir, pour sa concrétisation, au droit national appli-
cable.
La portée utile du texte se comprend comme visant à écarter la méthode Tessili, ce qui suppose que
le lieu de livraison ou de fourniture puisse se déterminer sans le détour par une règle de localisa-
tion issue du droit qui régit le contrat: la localisation relève alors d'une recherche purement fac-
tuelle, en fonction de l'économie générale du contrat (en ce sens: A. HUET,« Convention de Vienne
du 11 avril 1980 sur les contrats de vente internationale de marchandises et compétence des tribu-
naux en droit judiciaire européen", Mélanges Lagarde, Paris, Dalloz, 2005, 417-430, spéc. 428, et les
RÈGLES GÉNÉRALES DE CONFLIT DE JURIDICTIONS RELATIVES AUX CONTRATS 773

références). Contra: Gand, 13 octobre 2003, D.A.O.R. (2004), 41, se référant encore à la règle maté-
rielle de quérabilité des marchandises contenue dans la CVIM, applicable au contrat de vente en
l'espèce, et voyant ce lieu à la remise au premier transporteur, à savoir au siège social du vendeur.
lll!Le concept de « fourniture de services » pourrait susciter une difficulté d'interprétation. Pour
les services immatériels, tel le service bancaire, voy. : J. BURKE,« Brussels I Regulacion (EC) 44/2001 :
Application to financial services under Article 5(1)(6) », Columbia]. eur. L. (2004), 527-548. Omet de
considérer comme une fournirure communautaire : Comm. Hasselt, 8 juin 2004, Rev. dr. comm.
belge (2005), 96, à propos d'une demande de paiement de facture émanant d'un entrepreneur belge
à l'encontre d'un client néerlandais à propos d'une prestation effectuée aux Pays-Bas.
La relation de travail connaît également une dérogation à la méthode Tessili (voy.
infra, n° 14.164).

B. Clauses de juridiction ( art. 23)


14.11 - Faveur de principe aux clauses de juridiction - Les parties au contrat peuvent
désigner le tribunal ou les tribunaux d'un État qui seront appelés à trancher leurs diffé-
rends (art. 23). L'objectif est d'assurer la sécurité juridique en permettant aux parties, et
singulièrement au défendeur (potentiel), d'organiser la prévisibilité du for compétent
(C.].C.E., 3 juillet 1997, Benincasa,]. T., 1997, 683, note M. EKELMANS, Rev. dr. comm. belge,
1998, 382, note I. CORNET; voy. supra, n ° 9.22).
1111Les clauses visées sont de celles qui agissent sur la compétence« internationale», puisque celle-
ci constitue l'objet premier du règlement. Le texte n'explicite cependant pas qu'il concerne les
situations pourvues d'un élément d'extranéité. Sur cette question, voy. supra, chap. 8.
Si l'article 23 devait porter aussi sur les situations internes, il conduirait à valider des clauses prohi-
bées par le droit national en certaines matières.
Il peut donc être déterminant de vérifier si un élément d'extranéité n'a pas été créé artificiellement
par les parties. Voy., à propos d'une concession de vente exclusive (infra, n ° 14.188): Cass., 21 juin
2001, Pas. (2001), I, 1197, excluant une fraude à la loi lorsqu'une partie est domiciliée à l'étranger
dans l'État dont une juridiction a été choisie alors que le contrat a pour objet la distribution de
produits en Belgique.
Pareille désignation ne peut cependant, ni affecter une compétence exclusive au sens
de l'article 22, ni survenir avant la naissance du différend en matière de contrats d'assu-
rance, de consommation ou de travail (voy. infra, n° 5 14.88, 14.107 et 14.168).
Ill Le domaine d'application dans l'espace de l'article 23 est spécialement délimité (voy. supra,
n° 8.22). De plus, la disposition ne s'étend pas aux clauses d'arbitrage (voy. infra, n° 14.19).
Une clause de juridiction n'entrant pas dans le domaine spatial de l'article 23 relève du droit
Ill
commun (voy. supra, n° 8.21).
L'objet de la clause se limite aux différends relatifs à « un rapport de droit
déterminé». Cette précision vise à protéger le contractant en évitant que l'attribution
soit étendue à tout différend entre les parties, trouvant son origine dans un rapport autre
que celui à propos duquel la clause a été convenue (C.].C.E., aff. C-214/89, 10 mars 1992,
Duffryn, Revue, 1992, 528, note H. GAUDEMET-TALLON, Rev. dr. comm. belge, 1992, 872,
notes I. CüUWENBERG et F. BüUCKAERT).
liliAinsi, une clause de juridiction figurant dans un contrat de vente n'affecte pas nécessairement
la relation entre les mêmes parties affectant le contrat de concession exclusive : Bruxelles, 3 avril
1997, D.A.O.R (1997), n° 43, p. 93.
De même, il n'y a pas lieu de retenir la forme arrêtée dans des relations courantes (voy. ci-dessous)
lorsque le litige porte sur l'existence d'un contrat sans lien avec de telles relations : Liège, 28 avril
2003, D.A.O.R. (2003), n° 67, p. 73.
774 LES CONTRATS

L'effet de la clause est de conférer une compétence« exclusive, sauf convention con-
traire des parties».
Selon la Convention, le tribunal désigné est« seul» compétent. Cela n'empêche pas les parties
1111

d'y renoncer (C.].C.E., aff. C-116/02, 9 décembre 2003, Gasser, Revue, 2004, 444, note H. MuIR WATT,
Rev. dr. comm. belge, 2004, 791, note P. WAUTELET).
Encore faut-il, à la fois, que la renonciation soit certaine, et que soit déterminable la partie en
faveur de laquelle la clause a été rédigée. Ce n'est pas nécessairement le cas d'une clause désignant
les tribunaux du domicile d'une partie (C.J.C.E., aff. 22/85, 24 juin 1986, Anterist, Rec., 1986, 1951;
comp. : Bruxelles, 24 février 2000,]. T., 2000, 468).
Le règlement a supprimé une référence spéciale à cette faculté.

14.12 - Modalités de la clause de juridiction - L'article 23 ne précise pas selon quelles


modalités peut avoir lieu la désignation, si ce n'est qu'elle peut porter sur un tribunal
déterminé ou sur un ensemble de juridictions nationales. La pratique a montré une cer-
taine souplesse.
Ill!Ainsi, la clause peut désigner plusieurs juridictions, chacune des parties n'étant attraite que
devant les tribunaux de l'État où elle est domiciliée. Dans ce cas, le juge saisi est également compé-
tent pour statuer sur une demande reconventionnelle introduite par le défendeur et relative à une
compensation connexe au rapport de droit litigieux, si cela est compatible avec les termes et le sens
de la clause (C.].C.E., aff. 23/78, 9 novembre 1978, Meeth, Rec., 1978, 2133).
Un accord sur le lieu d'exécution des obligations contractuelles ne constitue pas une clause attribu-
tive au sens de l'article 23 et, partant, échappe aux conditions de validité qu'établit cette disposi-
tion, à moins que le lieu «convenu» soit fictif (C.J.C.E., aff. 56/79, 17 janvier 1980, Zelger, Rec.,
1980, 89, Revue, 1980, 385, note E. MEZGER; aff. C-106/95, 20 février 1997, MSG,].T., 1997, 406,
note C. MEREU, Revue, 1997, 563, note H. GAUDEMET-TALLON).
La Cour de justice a étendu la notion de convention attributive de juridiction à une clause insérée
dans les statuts d'une société anonyme et couvrant les différends qui opposent la société à ses
actionnaires (aff. C-214/89, 10 mars 1992, Duffryn, précité). Cette thèse est un corollaire de la qua-
lification contractuelle donnée antérieurement par la Cour à un différend opposant un associé et
un administrateur (voy. supra, n ° 14.5).

Le texte prévoit cependant certaines formes particulières de prorogation volontaire.


Il permet l'attribution de compétence aux tribunaux d'un État membre par l'acte consti-
tutif d'un trust (art. 23, § 4). Par ailleurs, la simple comparution du défendeur permet
une prorogation tacite de compétence, à moins que la comparution ait pour objet de
contester la compétence (art. 24, voy. supra, n ° 9.37).

14.13 - Validité de la clause de juridiction- L'article 23 fixe lui-même les conditions de


validité de la clause de juridiction. Il ne saurait donc être question pour le droit national
d'y ajouter quoi que ce soit, par exemple en imposant l'emploi d'une langue déterminée
(C.J.C.E., aff. 150/80, 24 juin 1981, Elefanten Schuh, Rec., 1981, 1671, Revue, 1982, 144,
note H. GAUDEMET-TALLON).
Ces conditions affectent la forme de la clause. Elles sont qualifiées de « strictes » par
la Cour de justice, car elles tendent à protéger la partie à laquelle la clause est opposée
(aff. C-106/95, 20 février 1997, MSG,].T, 1997, 406, C. MEREU, Revue, 1997, 563, note H.
GAUDEMET-TALLON). On ne peut pas en déduire pour autant que la disposition régirait les
seules conditions de forme, tout en laissant au droit national de déterminer d'autres con-
ditions de fond. En effet, la condition posée par l'article 23 a pour « fonction d'assurer
que le consentement des parties soit effectivement établi» (C.J.C.E., aff. 24/76,
14 décembre 1976, Estasis Salotti, Rec., 1976, 1831,]. T., 1977, 208).
RÈGLES GÉNÉRALES DE CONFLIT DE JURIDICTIONS RELATIVES AUX CONTRATS 775

Par conséquent, il n'y a pas lieu d'y ajouter la recherche de la réalité du consentement, dès lors
Il!!
que la condition de forme a été respectée. Celle-ci constitue en quelque sorte « l'unique mode de
preuve et une présomption irréfragable de la condition de fond qu'est l'existence d'un consente-
ment effectif» : il y aurait en quelque sorte « auto-suffisance» du régime instauré par l'article 23
(H. BoRN et M. FALLON,]. T., 1983, 206, n ° 87). Contra: le Rapport de P. JENARD et G. MôLLER sur la
Convention de Lugano (précité n° 8.9), n° 55.

À tout le moins, le droit national ne saurait imposer une quelconque condition


d'admissibilité de la clause, au regard des dispositions d'une loi de police prohibant une
clause de juridiction ou la rendant inopposable à une partie en fonction d'un objectif de
protection des intérêts de celle-ci. Les seuls motifs d'inadmissibilité reconnus concernent
le contrat de consommation, d'assurance ou de travail. Pour le reste, le juge ne peut pas
contrôler« le bien-fondé » de la clause par une évaluation de l'incidence du droit matériel
applicable au fond (C.J.C.E., aff. C-159/97, 16 mars 1999, Castelletti, Revue, 1999, 559,
note H. GAUDEMET-TALLON, D.E.T., 1999, 617, note M. LOOYENS).
1111La nullité du contrat sur la base du droit matériel applicable ne saurait davantage être
invoquée: C.J.C.E., aff. C-269/95, 3 juillet 1997, Benincasa,]. T. (1997), 683, note M. EKELMANS, Rev.
dr. comm. belge (1998), 382, note I. CORNET.
Trois formes sont distinguées.
En principe, la clause doit être écrite ou verbale et confirmée par écrit (point a).
Il!!Au vrai, la Cour de justice a modalisé la rigueur de la preuve de l'acceptation au regard de la
forme utilisée, en fonction de la qualité des contractants ou du type de rapports contractuels. Ainsi
s'assurera-t-on d'un« renvoi exprès» aux conditions générales contenant une clause attributive ou
à des offres antérieures faisant référence à de telles conditions générales » (arrêt Estasis Salotti, pré-
cité). Lorsque le contrat a été conclu verbalement et a été suivi d'une confirmation écrite à laquelle
le vendeur joint ses conditions générales où figure une clause de juridiction, une « acceptation
écrite» de l'acheteur est nécessaire, à moins de se situer dans le cadre de « rapports commerciaux
courants entre parties établis sur base des conditions générales» (aff. 25/76, 14 décembre 1976,
Segoura, Rec., 1976, 1851), ou que l'accord verbal ait porté expressément sur la clause attributive
(aff. 221/84, 11 juillet 1985, Berghoefer, Rec., 1985, 2699, Revue, 1986, 335). L'acceptation écrite n'est
pas non plus nécessaire « lorsqu'une convention écrite comportant une clause attributive de juri-
diction et prévoyant, pour sa prorogation, la forme écrite, est venue à expiration, mais a continué à
constituer le fondement juridique des relations contractuelles entre parties» (aff. 313/85,
11 novembre 1986, Iveco Fiat, Rec., 1986, 3337). Il en est de même« si, d'après la loi applicable, les
parties pouvaient valablement proroger le contrat initial sans observer la forme écrite» (même
arrêt).
Dans la jurisprudence, voy. notamment: Gand, 14 septembre 1994, Rev. dr. comm. belge (1995), 382,
note J. ERAuw, constatant l'acceptation expresse des conditions générales auxquelles il était
renvoyé; Mons, 21 décembre 1998,]. T (1999), 275, constatant l'absence d'acceptation.
Pour une vérification de la portée de l'acceptation tacite d'une facture en fonction du droit belge,
voy. : Cass., 29 avril 2004, Continental Cargo Carriers, D.E. T. (2004), 688.
Jusqu'au 1er mars 2008, vis-à-vis du défendeur domicilié au Luxembourg, lorsque le lieu de
1111

livraison - hormis pour les services financiers - se situe au Luxembourg, la clause doit avoir été
« expressément et spécialement acceptée» (art. 63, § 2). Pour des cas d'application de ce privilège
(voy. supra, n° 8.23), voy.: Liège, 16 juin 1992,].L.M.B. (1992), 1396, note A. KOHL; Mons, 13 mai
2003, Rev.gén. dr. civ. (2004), 101, note P. WAUTELET.
!1!1 L'arrêt Dujfryn du 10 mars 1992 (précité n ° 14.11) évoque le cas d'une clause insérée dans les
statuts d'une société « et adoptée conformément aux dispositions du droit national applicable » :
c'est admettre un titre à l'application du droit national au sujet de la validité de la clause. Il précise
qu'il suffit que les statuts soient« déposés en un lieu auquel l'actionnaire peut avoir accès ou figu-
rent dans un registre public», ajoutant qu'il importe peu que l'actionnaire se soit opposé ou non à
l'adoption de cette clause.
776 LES CONTRATS

La clause peut aussi être conclue « sous une forme qui soit conforme aux habitudes
que les parties ont établies entre elles » (point b ).
Le texte suit ainsi l'interprétation nuancée de la condition de forme faite par la Cour de justice.
1111

Pour une appréciation de l'acceptation en cas de relations continues, voy. notamment: Liège,
25 novembre 1997, Rev. dr. comm. belge (1998), 393, note H. BouLARBAH; Bruxelles, 7 septembre
1999, R W (2000-2001), 593; Anvers, 10 avril 2000, fur. Anv. (2001), 204, constatant l'absence de
relations commerciales antérieures.
La clause peut encore être conclue « dans le commerce international, sous une
forme qui soit conforme à un usage dont les parties avaient connaissance ou étaient cen-
sées avoir connaissance et qui est largement connu et régulièrement observé dans ce type
de commerce par les parties à des contrats du même type dans la branche commerciale
considérée» (point c).
11 La condition de conformité aux usages ne supprime pas la condition de consentement : elle éta-
blit une présomption de consentement (arrêt Castelletti précité). Il y a lieu de vérifier dans l'usage, en
particulier, les conditions concernant la présentation matérielle de la clause, la langue, le statut
d'un formulaire non signé (même arrêt).
La preuve de l'existence de l'usage se fait par référence à la branche commerciale en cause, non à un
pays déterminé ; elle s'établit par voie d'indices, telle son utilisation par les opérateurs occupant
une position prépondérante dans la branche (arrêt Castelletti précité).
1111 Pour une application au secteur de la navigation sur le Rhin, voy. : C.J.C.E., arrêt MSG, précité.

14.14 - Définition de la partie à la clause - Ces conditions de validité s'apprécient en


fonction des seules «parties» au sens de l'article 23. Une clause valablement convenue
entre contractants ne peut pas être opposée au tiers sur base de la disposition, à moins
que celui-ci ait succédé au contractant dans ses droits et obligations selon le « droit
national applicable».
Il C.J.C.E., aff. 71/83, 19 juin 1984, Tilly-Russ, Rec. (1984), 2417, Rev. dr. comm. belge (1985), 98, note
]. LIBOUTON, Revue (1985), 385, note H. GAUDEMET-TALLON, à propos de la validité de clauses de con-
naissement attributives de compétence à des tribunaux étrangers (voy. infra, n° 14.148). Comp. la
position de la Cour en matière d'assurance, infra, n ° 14.88.
La solution vaut également dans le cas d'une clause convenue sous une forme admise par un usage
du commerce international (arrêt Castelletti, précité n ° précédent, renvoyant à l'arrêt Tilly Russ).
La référence au« droit national applicable » ne désigne pas nécessairement la lex fori.
Cette simple règle de signalisation renvoie à la règle de rattachement ou d'applicabilité
régissant dans le système du for la question préalable de droit privé (C.J.C.E., aff. C-387/
98, 9 novembre 2000, CoreckMaritime, Revue, 2001, 359, note F. BERNARD).

§2 RÈGLES DE COMPÉTENCE DU DROIT COMMUN


A. For contractuel
14.15 - Lieu de naissance ou d'exécution de l'obligation - Le Code de droit internatio-
nal privé a introduit un for contractuel dont le contenu, cependant, ne modifie pas le
droit antérieur: les juridictions belges sont compétentes « si [l'obligation contractuelle]
est née en Belgique ou si celle-ci est ou doit être exécutée en Belgique» (art. 96). Cette dis-
position s'ajoute aux règles générales de compétence internationale, notamment au for
du domicile ou de la résidence du défendeur (art. 5, voy. supra, chap. 9).
Selon le droit antérieur, l'étranger pouvait être assigné en Belgique au lieu de la nais-
sance ou de l'exécution de l'obligation en litige (art. 635, 3 °, C. jud.).
RÈGLES GÉNÉRALES DE CONFLIT DE JURIDICTIONS RELATIVES AUX CONTRATS 777

1111Pour les difficultés d'interprétation rencontrées par une jurisprudence peu abondante, voy. H.
BORN et M. FALLON,j.T. (1983), 221-223, (1987), 484; ID., avec J.-L. VAN BOXSTAEL, Droit judiciaire
international (1992-1998) (Bruxelles, Larcier, 2001), n° 5 297 et s. Il y est notamment fait état d'un
arrêt de la Cour de cassation relatif à la Convention belgo-néerlandaise du 28 mars 1925, mais
dont la motivation repose sur une extension analogique d'une règle inspirée du droit commun
(Cass., 10 décembre 1976, Van Esbroeck, Pas., 1977, I, 413): l'expression « lieu où l'obligation doit
être exécutée», prévue par cette convention, doit être déterminée par la loi qui régit le fond du
litige, c'est-à-dire par l'intermédiaire d'une règle de conflit de lois. Dans ce sens à propos de
l'article 635, se référant à cet arrêt: Bruxelles, 19 mars 1987, Rev. dr. comm. belge (1988), 297; Gand,
ier mars 1996, Rev. gén. dr. civ. (1997), 104, note I. CouwENBERG, utilisant pour règle de rattache-
ment susceptible de servir à concrétiser le lieu de naissance du contrat, le critère du lieu d'exécution
de la prestation caractéristique. Comp.: Gand, 9 octobre 1996, Rev. dr. comm. belge (1998), 765, pro-
cédant à une appréciation concrète en fonction de la localisation du point de départ d'un transport
aérien; de même, pour une référence au lieu de chargement comme élément d'exécution en
Belgique: Anvers, 17 juin 2003, D.E.T. (2003), 496.
Cette méthode, peu conciliable avec le principe selon lequel un critère de compétence s'interprète
selon le sens qui est donné au concept dans l'ordre juridique dont il relève, ne se rencontre en réa-
lité qu'en présence de l'impossibilité de trouver un tel sens dans le cadre d'un instrument interna-
tional, en raison de divergences fondamentales entre États contractants (voy. ci-dessus la
jurisprudence Tessili, n ° 14.9, à propos de la Convention de Bruxelles). Voy. encore les nuances
introduites par: H. BoRN et M. FALLON,]. T. (1992), 431, n° 110.
L'approche précitée pose encore la question de savoir si la position de la Cour de justice relative au
contrat de travail doit également être suivie. Pour l'affirmative, voy. : C. trav. Liège, 2 juin 1994, Rev.
rég. dr. (1994), 371, note H. BoRN. Pour une référence au lieu de signature par le travailleur pour
concrétiser le lieu de conclusion, voy.: C. trav. Liège, 21 octobre 1992,].T.T. (1994), 181. Pour une
localisation directe de l'obligation de donner un préavis, voy.: C. trav. Liège, 17 mai 1999, Chr. dr.
soc. (2002), 333. Comp.: C. trav. Bruxelles, 18 mai 1993, Rev. dr. soc. (1993), 361, se référant au lieu
de conclusion du contrat, déterminé en fonction de la loi nationale applicable au contrat.

B. Clauses de juridiction

1. CLAUSES D'ÉLECTION DE FOR

14.16 - Nature hybride de la prorogation volontaire de compétence internationale - L' exa-


men de la faculté pour les parties de déroger à la compétence internationale des juridic-
tions belges en convenant d'un juge étranger, soulève une question complexe, du fait de
la nature contractuelle d'une clause qui remplit une fonction juridictionnelle. Au titre de
contrat, la validité de la clause obéit normalement à ce que prévoit la loi nationale
désignée au moyen d'une règle de conflit de lois. Au titre de sa fonction, la clause ne sau-
rait faire abstraction de contraintes imposées par la loi du for en tant que loi de procé-
dure.
Le Code de droit international privé consacre par une disposition générale la possi-
bilité de proroger la compétence des juridictions belges (art. 6) ou d'y déroger (art. 7). En
outre, des lois particulières assortissent des règles matérielles impératives d'une disposi-
tion prévoyant l'inopposabilité à la partie que l'on entend protéger de certaines clauses
attributives de compétence internationale. De plus, la nature exclusive de certaines règles
de compétence internationale empêche les parties d'y déroger.
1111Pour le cas de règles matérielles impératives assorties d'une limitation de la dérogation volon-
taire, voy. infra, à propos du contrat d'agence commerciale, du contrat de transport, du contrat de
travail ou du contrat de concession de vente exclusive.
11111 Pour le cas d'une compétence exclusive, voy. la matière de la faillite, supra, chap. 13.
778 LES CONTRATS

Ce faisant, le Code comble une lacune puisque le droit antérieur ne comportait


aucune disposition générale sur les clauses attributives de compétence internationale.
lillL'interdiction de déroger par contrat avant la naissance du litige (art. 630, al. 1er, C. jud.) à une
série de règles de compétence territoriale spéciales, énoncées aux articles 627 à 629 du Code judi-
ciaire, ne suffisait pas à exclure la validité d'une clause d'élection de for antérieure au litige quand
celle-ci porte, non pas sur la compétence territoriale interne mais sur la compétence internationale.
En effet, ces règles spéciales intéressent la seule compétence interne. Pour s'en assurer, il suffit
d'observer que certains chefs de compétence qui, jusqu'à la naissance du litige, ont un caractère
impératif, apparaissaient comme des compétences purement alternatives dans l'article 635 du
Code judiciaire. Comp. par exemple les articles 627, 3 ° et 4 °, et 635, 4 ° (en matière successorale) et
les articles 629, 1 °, et 635, 1 ° (en matière immobilière). Sur la distinction entre compétences inter-
nationale et interne, voy. supra, n° 9.3.

Les parties peuvent convenir de la compétence internationale « en une matière où


elles disposent librement de leurs droits en vertu du droit belge». Dans ce cas, la compé-
tence attribuée est exclusive. Toutefois, le juge belge saisi peut décliner sa compétence
« lorsqu'il résulte de l'ensemble des circonstances que le litige ne présente aucun lien
significatif avec la Belgique (art. 6, § 2) : on peut y voir une illustration du concept de
forum non conveniens (voy. supra, n ° 9.15).
En cas de dérogation volontaire, le juge belge saisi doit se dessaisir dès qu'il apparaît
que« la décision étrangère est susceptible d'être reconnue en Belgique» et, entre-temps,
il surseoir à statuer, à moins qu'il soit« prévisible que la décision étrangère ne pourra pas
être reconnue » en Belgique, ou encore que le litige réponde aux conditions du for de
nécessité posé par l'article 11 (sur cette notion, voy. supra, n ° 9.15).
Une compréhension exacte de la problématique de la prorogation volontaire de
compétence internationale suppose une distinction entre la détermination du droit
applicable à la clause et celle du contenu du droit matériel désigné.

14.17 - Distinction entre validité et admissibilité de la clause - La détermination du


droit applicable à la clause peut susciter deux types de réponse.
L'une tend à désigner une loi unique, dont l'identité peut toutefois différer selon
que la clause est abordée sous l'angle de sa nature ou de sa fonction. D'un côté, la nature
contractuelle de l'acte encourage à soumettre celui-ci à la loi désignée par la règle de con-
flit de lois en matière contractuelle, ce qui permet pratiquement aux parties de choisir la
loi nationale applicable (sur le principe d'autonomie, voy. infra, n ° 14.36). D'un autre
côté, la fonction juridictionnelle de la clause incite à en déduire l'application incondi-
tionnelle de la loi du for.
Une solution intermédiaire consiste distinguer la validité de l'admissibilité: la pre-
mière dépend du rattachement contractuel alors que la seconde relève de la loi du for.
Dans cette perspective, le titre de cette loi serait soit celui d'une loi de procédure, soit
celui d'une loi de police.
lillEn faveur de la loi d'autonomie, voy. notamment: Bruxelles, 4 octobre 1985,]. T (1986), 93,
note A. KoHL; Trib. trav. Bruxelles, 19 octobre 1987,]ur. trav. Brux. (1987), 375.
En faveur de la loi du for, à propos d'une clause prorogatoire de la compétence des tribunaux bel-
ges, voy.: Cass., 15 juin 1988, Rev. dr. comm. belge (1989), 586, note H. VAN HoUTIE (p. 565-567).
Selon l'arrêt, le juge du fond ne doit pas considérer le droit étranger, car celui-ci ne saurait détermi-
ner la compétence du juge belge. La Cour a cependant eu soin de préciser l'absence de contestation
au sujet de la validité du contrat principal« dans son ensemble ».
RÈGLES GÉNÉRALES DE CONFLIT DE JURIDICTIONS RELATIVES AUX CONTRATS 779

L'application de la loi belge à l'admissibilité sans préjudice de l'application plus large de la loi
d'autonomie à d'autres questions de validité, semble avoir été admise par la Cour de cassation. Plu-
sieurs arrêts rendus à propos de clauses d'arbitrage (voy. infra, point II) valent par identité de motifs
pour la clause d'élection de for. Selon cette approche, l'application de la loi belge se justifie dans
des matières régies par une loi de police, comme c'est le cas en matière de concession de vente
exclusive (voy. infra, n° 14.188) ou de transport maritime de marchandises (voy. infra, n° 14.157).
Comme arrêt relatif à une clause prorogatoire de la corn pétence de tribunaux étrangers, voy. : Cass.,
2 novembre 2001, Price Waterhouse Coopers, Pas. (2001), I, 1769, Rev. crit. jur. belge (2003), 263, note M.
FALLON, admettant« une clause attributive de compétence aux seules juridictions d'un État étran-
ger licitement convenue», saufle cas d'une« compétence internationale exclusive».

Ili L'utilisation du rattachement contractuel pour la validité de la clause ne renvoie normalement


pas à la Convention de Rome du 19 juin 1980, puisque celle-ci exclut de son domaine d'application
les« conventions d'arbitrage et d'élection de for» (art. Fr, § 2): Cass., 24 février 1997, Lefevre, Pas.
(1997), I, 270. Toutefois, le Code étend les solutions de la Convention à cette problématique
(art. 98, § 1", al. 2).

Le Code emprunte implicitement à la thèse du rattachement mixte : la désignation


doit être« convenue valablement», terme qui suppose un accord valable selon la loi qui
régit celui-ci en tant que contrat international. Et le concept d'admissibilité se traduit par
la référence à « une matière où [les parties] disposent librement de leurs droits», cette
matière étant définie« en vertu du droit belge ».
Ill Il semble insuffisant de constater que pour le divorce, le régime matrimonial ou les successions,
le Code organise une option de droit pour en déduire une libre disponibilité. Une telle option ne
traduit pas une « liberté» aussi large que l'autonomie de la volonté. Au demeurant, la portée de
l'autonomie dans le droit des conflits de lois diffère de celle que connaît le droit matériel, puisque,
selon l'approche objectiviste, elle revient à se soumettre à un droit qui ne cesse pas d'exercer sa con-
trainte en tant qu'ordre juridique (voy. infra, n ° 14.40).

La question de l'application d'autres lois que celle du for mérite d'être posée.

Lorsque le juge belge est saisi malgré une clause qui désigne un juge étranger, une
référence à la loi du for étranger désigné est cohérente puisqu'elle permet d'anticiper
l'appréciation que ce juge fera de sa propre compétence: au cas où celui-ci serait amené à
décliner sa compétence, il serait inapproprié que le juge belge saisi décline la sienne au
seul motif de la présence d'une clause de juridiction valable. Encore faut-il préciser que
cette référence au droit étranger n'est pertinente que si elle couvre toute disposition de ce
droit étranger de nature à influencer l'appréciation du juge étranger, y compris ses pro-
pres règles de droit international privé.
1111 Voy. sur cette question: N. CO!PEL-CORDONNIER, précité n ° 14.1, n ° 307.

lillCette référence au droit étranger est implicite dans l'article 7, puisque l'attente d'une décision à
rendre à l'étranger suppose que cette décision pourra bloquer la compétence du juge saisi après que
le juge étranger a constaté la validité de la clause au regard de son propre droit.

Autre chose serait de soumettre l'admissibilité au droit qui régit la matière en vertu
de la règle de rattachement du for. Au vrai, l'admission d'une clause en vertu du droit
étranger, par exemple de la loi de la nationalité, alors qu'un tel accord serait exclu en
vertu du droit du for lorsque la personne possède la nationalité de cet État, pourrait
s'avérer problématique en termes de politique législative.
Comp., ci-dessous à propos de l'arbitrage, la référence classique à la loi du for, sans évocation du
1111

droit étranger qui régit la matière.


780 LES CONTRATS

1111 Sur cette question, voy. N. COIPEL-CORDONNIER, précité n° 14.1, et sa proposition de limiter la
référence à la loi du fond aux cas d'inarbitrabilité propres à une matière particulière en raison
d'une politique déterminée de protection.
En faveur de la loi applicable au fond, voy. : P. MAYER et V. HEUZÉ, n ° 306, à propos de la clause
compromissoire.
Ill L'exposé des motifs de la proposition de loi (Doc. par!., Sénat, 2003-2004, n ° 3-27/1) ne fournit
de précisions qu'à propos de l'applicabilité de lois belges de protection.

14.18 - Contenu du droit belge sur l'admissibilité d'une clause - Une fois établi le titre
du droit belge à déterminer l'admissibilité de la clause de juridiction en tant que loi du
for, il reste à en préciser le contenu. Cette question est au vrai la plus délicate. L'applicabi-
lité du droit du for n'implique pas de soi une illicéité de la clause.
La jurisprudence belge n'a pas hésité à lier l'admissibilité au domaine d'application
dans l'espace d'une règle impérative ou d'ordre public du for recevant la qualification de
loi de police (sur cette notion, voy. supra, chap. 4) dans la matière considérée.
La circonstance que la jurisprudence de la Cour de cassation concerne principalement des con-
11111

ventions d'arbitrage n'empêche pas d'étendre celle-ci aux clauses d'élection de for par identité de
motifs.
Lorsqu'une disposition impérative entend régir tout contrat exécuté en Belgique et
prévoit la compétence internationale des juridictions belges dans ce cas, tout en énon-
çant l'inopposabilité d'une clause dérogatoire de compétence internationale, il est cohé-
rent de limiter cette inopposabilité aux cas entrant dans le domaine des dispositions
impératives en cause.
De même, en l'absence de disposition particulière relative à la prorogation volon-
taire, lorsque la relation contractuelle présente avec l'ordre juridique belge des liens qui
justifient l'applicabilité d'une loi de police, la jurisprudence a pu en déduire l'inadmissi-
bilité d'une dérogation volontaire. Sont ainsi exclus pratiquement de la sanction les con-
trats que l'on pourrait qualifier de réellement internationaux.
1111 Pour l'exigence de liens objectifs avec le système étranger dont les tribunaux sont désignés, voy.

Trib. trav. Bruxelles, 19 juin 1986,J. TT (1988), 151, et infra, n ° 14.168, à propos du contrat de tra-
vail.
Dans l'un et l'autre cas, l'inadmissibilité dépend, tantôt directement, tantôt indirec-
tement, de l'applicabilité de la loi de police au fond du litige.
Ainsi, la Cour de cassation a précisé que la sanction d'inadmissibilité n'a pas lieu si
le juge étranger est amené à assurer une protection équivalente. Cette vérification peut se
faire dans deux contextes distincts. Soit le juge belge est saisi après que le juge étranger a
statué au fond et il suffit alors de contrôler si une protection équivalente a été assurée
(Cass., 28 juin 1979, Audi-NSU, Pas., 1979, I, 1260, Rev. crit. jur. belge, 1981, 332, note R.
VANDER ELST). Soit ce juge intervient avant la saisine du juge étranger désigné : dans ce
cas, il doit s'assurer que ce juge sera tenu de faire application du droit belge, et il peut, à
cet égard, s'en tenir à la vérification de l'existence d'une stipulation expresse du contrat
faisant choix de ce droit (Cass., 2 février 1979, Bibby Line, Pas., 1979, I, 634; 22 décembre
1988, Gutbrod, inédit sur ce point).
Ill Dans la jurisprudence, voy. notamment: Anvers, 26 septembre 1995,Jur. Anv. (1996), 3.
1111 L'utilisation du critère du contrôle de la loi applicable par le juge étranger ne tient pas compte
d'autres éléments de nature à influencer le choix du tribunal, comme la difficulté pour l'une des
parties de soutenir une procédure à l'étranger.
RÈGLES GÉNÉRALES DE CONFLIT DE JURIDICTIONS RELATIVES AUX CONTRATS 781

L'entrée en vigueur du Code de droit international privé ne bouleverse pas nécessai-


rement l'approche jurisprudentielle. Il suffit en effet d'interpréter le droit belge comme
admettant la disponibilité des droits sous les conditions précitées.
Ill L'exposé des motifs précité ne manque pas d'évoquer cette pratique jurisprudentielle.

Il. CONVENTIONS D'ARBITRAGE

14.19 - Compétence pour connaître de la validité de la clause d'arbitrage- Aucune con-


vention internationale ne détermine la compétence internationale des tribunaux étati-
ques pour connaître d'un litige intéressant la validité d'une clause d'arbitrage ou d'une
sentence arbitrale.
Ill Sur la compétence pour connaître de la validité d'une sentence, voy. infra, § 3.
L'exclusion de l'arbitrage figure à l'article 1er du règlement« Bruxelles I » (voy. supra,
n° 8.15). Selon la Cour de justice, cette exclusion vise l'arbitrage en tant que matière et ne
dépend donc pas de la place occupée par la question dans la procédure devant le juge
national. Le règlement ne s'applique donc pas lorsque la question est soulevée à titre
préalable à propos de la validité d'une clause d'arbitrage. Il en va de même lorsque l'inter-
vention du juge étatique est requise lors de la mise en œuvre d'une procédure d'arbitrage.
111C.J.C.E., aff. C-190/89, 25 juillet 1991, Rich c. Soc. Italiana Impianti, Rec. (1991), I, 3855,]. T (1992),
494, note M. EKELMANS.
Camp. le rapport ScHLOSSER, n° 62, évoquant les discussions entre experts relatives à l'étendue
lill
de l'exclusion. Selon le rapporteur, celle-ci ne vaut que pour la « procédure d'arbitrage », c'est-à-
dire uniquement lorsque le litige porte au principal sur l'arbitrage.
Cette exclusion comporte le risque de permettre aux parties de contourner par une
clause d'arbitrage valable selon le droit national, les conditions que le règlement met à
l'efficacité des clauses de juridiction.
Le régime des incidents de compétence devant le juge national fait l'objet de l'article
VI de la Convention européenne du 21 avril 1961 sur l'arbitrage commercial internatio-
nal (loi du 19 juillet 1975, Monit., 17 février 1976), qui soulève le cas d'une exception tirée
de l'existence d'une clause d'arbitrage.
lill Camp. l'art. V réglant les incidents de compétence devant l'arbitre.
À défaut de règle conventionnelle, la compétence pour connaître de la validité d'une
clause d'arbitrage relève des règles de compétence internationale du droit commun, à
savoir celles que contient le Code de droit international privé, à moins que la demande ne
relève d'une règle spéciale contenue dans le Code judiciaire ou dans une loi particulière.
lillUne règle particulière concerne la compétence pour connaître de la nullité d'une sentence arbi-
trale. Voy. infra, n ° 14.31.
Ill L'exposé des motifs de la proposition de loi portant le Code de droit international privé (Doc.
pari., Sénat, 2003-2004, n° 3-27/1, sous l'art. 2) précise que le Code peut couvrir l'arbitrage en tant
que matière, « par exemple lorsqu'une juridiction belge est saisie d'une demande portant sur la
validité d'une clause d'arbitrage ».
Sur ce que l'exception tirée d'une convention d'arbitrage affecte le pouvoir de juridiction (rechts-
1111

macht) et non la compétence au sens des articles 1050 et 1055 du Code judiciaire, voy. : Anvers,
7 avril 2003, Rev. dr. comm. belge (2004), 572, note M. PIERS.

14.20 - Droit applicable à la convention d'arbitrage - Il est communément admis qu'en


tant qu'accord de volontés constitutif d'une relation contractuelle, la convention d'arbi-
782 LES CONTRATS

trage relève du principe d'autonomie qui gouverne l'ensemble de la matrere contrac-


tuelle. Par conséquent, les parties peuvent choisir la loi applicable à ce contrat.
11111 La Convention de Rome (infra, n ° 14.34) exclut l'arbitrage de son domaine d'application. La rai-
son en est, d'après l'exposé des motifs, la présence de traités internationaux régissant la matière,
non l'inadaptation du principe d'autonomie qu'elle consacre.
Toutefois, selon le Code de droit international privé, les solutions de la Convention sont étendues
aux matières contractuelles qui en sont exclues (arc. 98, § 1er, al. 2).
1111 La solution est confirmée par la Convention de Genève du 21 avril 1961 sur l'arbitrage commer-
cial international (art. VI, § 2, litt. a).
Cette Convention ne constitue pas le droit commun applicable à la clause d'arbitrage. En effet, elle
ne s'applique qu'aux clauses ayant un lien déterminé avec le territoire d'États contractants, à savoir
la résidence habituelle ou le siège des parties au moment de la conclusion de la clause (art. I< 1 , 1 °,
litt. a).
La jurisprudence française a choisi une autre voie, en se référant à la loi du for par le biais d'une
11111

règle matérielle de droit international privé favorable à la validité de la convention d'arbitrage dans
le commerce international, non sans limites (voy. infra, n ° 14.21).
Pour le cas où les parties n'ont pas choisi de loi, il convient de déterminer un ratta-
chement subsidiaire de la clause. Conformément à la solution du droit commun, la loi
applicable sera alors désignée selon la méthode indiciaire, c'est-à-dire que la clause sera
rattachée à la loi du pays avec lequel elle présente les liens les plus étroits (voy. plus géné-
ralement infra, n ° 14.53).
Parmi les indices de localisation, deux possèdent un poids prépondérant. Le premier
est celui du pays où la sentence arbitrale doit être rendue. Le second est celui de la loi
applicable au contrat principal.
Ill Le critère du pays de la sentence est consacré par la Convention de Genève de 1961 (art. VI,§ 2,
litt. b). Celle-ci renvoie subsidiairement, pour le cas où il est impossible de déterminer ce pays, à la
règle de conflit de lois du juge saisi. Le critère du lieu de l'arbitrage est traditionnel. Voy. G. VAN
HECKE et K. LENAERTS, n ° 855. Il paraît artificiel lorsque le tribunal arbitral désigné appartient à
une institution permanente due à l'initiative privée et délocalisée par rapport à l'ordre étatique du
lieu du siège.
La référence à la loi applicable au contrat principal n'exclut pas l'autonomie de la clause d'arbi-
11111

trage, admise par les jurisprudences belge (F. RIGAUX, « L'autonomie de la clause compromissoire
en droit belge», Ann. droit, 1961, 215-242; Liège, 28 avril 2003,].T., 2003, 324) et française (Cass.
civ., ire sect., 7 mai 1963, Gasset, Revue, 1963, 615; Paris, 13 décembre 1975, Menicucci, Revue, 1976,
508, note B. ÜPPETIT).
L'opposabilité de la convention d'arbitrage à une personne qui n'a pas participé à sa
conclusion soulève une question analogue à celle que pose la clause d'élection de for (voy.
supra, n° 14.14): même si la convention ne lie que les« parties», il reste à déterminer si
un tiers peut être considéré comme ayant succédé aux obligations de l'une d'elles.
IllLa question s'est posée, dans la jurisprudence belge, à propos du statut du tiers porteur du
connaissement: Anvers, 26 mai 2003, N.J. W (2003), 1296, appliquant directement la solution du
droit matériel belge sans recherche préalable du droit national applicable à la question.

14.21 - Droit applicable à l'arbitrabilité - Plusieurs sources conduisent à énoncer un


rattachement spécial de l'arbitrabilité, de manière analogue à ce qui prévaut pour la
clause de juridiction.
Au stade de l'instance directe, la Convention de Genève de 1961 admet que la licéité
de la clause d'arbitrage dépende d'une règle impérative de protection présente dans le
droit d'un autre État que celui qui régit la convention d'arbitrage. L'article VI prévoit,
RÈGLES GÉNÉRALES DE CONFLIT DE JURIDICTIONS RELATIVES AUX CONTRATS 783

dans une disposition distincte de celle qui désigne la loi de la convention d'arbitrage, que
le« juge saisi pourra ne pas reconnaître la convention d'arbitrage si, selon la loi du for, le
litige n'est pas susceptible d'arbitrage» (§ 2, al. 2). La disposition n'admet pourtant que
l'applicabilité d'une loi impérative du for, non celle d'une loi étrangère. La Convention de
New York formule une exigence analogue en des termes sensiblement différents: pour
être reconnue conformément au traité, il faut que la convention d'arbitrage soit écrite et
qu'elle ait pour objet « un rapport de droit déterminé, contractuel ou non contractuel,
portant sur une question susceptible d'être réglée par voie d'arbitrage» (art. 2, § 1er).
Voy. aussi la loi modèle sur l'arbitrage commercial international, préparée par Uncitral (J.L.M.,
Il!!
1985, 1302), qui n'affecte pas les règles impératives nationales relatives à l'arbitrabilité (art. ier, 5°).
Il!! À l'égard de la Belgique, la Convention de New York ne couvre que les sentences rendues sur le
territoire d'un autre État contractant, en vertu de la déclaration faite par le gouvernement belge
(voy. infra, n° 14.26). En revanche, celui-ci n'a pas fait usage de la réserve permettant de limiter
l'application de la Convention aux différends issus de rapports de droit considérés comme com-
merciaux par la loi nationale.
1111Les juges du fond se sont attachés à voir dans la Convention de New York une confirmation du
principe d'autonomie de la volonté, du moins au stade de l'instance directe.
Voy. notamment: Comm. Louvain, 24 mars 1992, Rev. dr. comm. belge ( 1993), 1131 ; 14 septembre
1999, R W. (1999-2000), 1302, note M. NEUT; Comm. Bruxelles, 5 octobre 1994,]. T (1995), 344,
noce B. HANOTIAU; Comm. Gand, 21 décembre 2000, D.A.O.R (2001), 324, noce B. HANOTIAU;
Liège, 28 avril 2003,].T (2003), 811, tout en soulignant l'existence d'une loi d'application immé-
diate dans la matière en litige mais en écartant son application pour le motif que celle-ci n'a de por-
tée que dans l'ordre juridique du for, motif reposant sur une confusion entre force obligatoire et
applicabilité d'une règle de droit (voy. supra, n ° 1.31 ).
1111La Cour de cassation a affirmé nettement l'applicabilité du droit du for à l'arbitrabilicé en vertu
de la Convention de New York, puisque l'article 2, loin de comprendre une règle de rattachement,
permet au juge saisi d'exclure l'arbitrabilicé en cas d'affectation de« l'ordre public» de son système
juridique (Cass., 15 octobre 2004, Calvi, R.W., 2004-2005, 1063, note M. PIERS, Rev. dr. comm. belge,
2005, 488, notes séparées de M. TRAEST et de P. HOLLANDER).
La Cour a cassé l'arrêt d'appel pour ne pas avoir exclu « a priori » l'applicabilité de la « lex fori ».
L'arrêt d'appel avait soumis l'arbitrabilicé à la loi suisse choisie par les parties, à propos d'un con-
trat de concession exclusive de vente prévoyant un arbitrage à Genève.
L'interprétation de la Cour de cassation paraît conforme à la Convention de New York. Voy. plus
généralement : A. VAN DEN BERG, The New York Arbitration Convention of1958 (Kluwer, Anvers, 1981 ),
152-154, et les références de droit comparé.
Une distinction encre la phase de l'instance directe et celle de la reconnaissance d'une sentence a
Il!!
pu reposer sur une application combinée du Protocole de Genève de 1923 et de la Convention de
Genève de 1927 (voy. supra, n ° 8.38), destinés à être remplacés par la Convention de New York de
1958: le premier faisait interdiction au juge étatique de se déclarer compétent malgré les termes
d'une clause d'arbitrage ; la seconde permettait au juge requis de refuser la reconnaissance pour un
motif tenant à l'inarbicrabilicé du litige selon son propre droit.
Cette distinction paraît dépassée par les termes nets des Conventions précitées de 1961 et 1958.
Au stade de la reconnaissance de la sentence, l'arbitrabilité est également fonction
du droit du for.
Il!!La Convention de Genève du 26 septembre 1927 (voy. supra, n ° 8.38) subordonne la reconnais-
sance ou l'exécution de la sentence étrangère à ce « que, d'après la loi du pays où elle est invoquée,
l'objet de la sentence soit susceptible d'être réglé par voie d'arbitrage » (art. 1", al. 2, lice. b).
Ces termes se sont substitués à ceux, nettement plus libéraux, utilisés par le Protocole de
1111

Genève du 24 septembre 1923 relatif à la validité des clauses d'arbitrage. La reconnaissance de la


validité est inconditionnelle (arc. 1er), et la clause a pour effet de rendre incompétent le juge étati-
que à moins qu'elle soit devenue« caduque ou inopérante» (art. 4).
784 LES CONTRATS

Ill La Convention de New York permet au juge requis de refuser la reconnaissance si l'objet du
litige n'est pas susceptible de faire l'objet d'une sentence arbitrale selon son propre droit (art. 5, § 2,
a). Ce motif de refus est distinct de celui de l'ordre public (point b).

En droit commun aussi, la convention d'arbitrage peut porter sur roue différend
« sur lequel il est permis de transiger» (art. 1676 C. jud.). Par cette disposition, le législa-
teur pose une règle de nature à avoir une incidence sur la compétence internationale des
juridictions belges. Cette règle n'a de force obligatoire ni pour une juridiction étrangère
ni pour un arbitre.
La disposition a pour effet d'obliger le juge saisi à se déclarer incompétent
(art. 1679, § ier C. jud.). Toutefois, ce résultat n'est acquis que si le litige est de ceux sur
lesquels il est permis de transiger. Le texte ne précise pas en vertu de quel droit national
cette condition est vérifiée. Le silence du législateur semble impliquer une référence
implicite au droit du for.
IllPour une référence au droit du for au stade de la compétence directe, voy. les arrêts Bibby Line et
Gutbrod précités n° 14.18.

La désignation du droit du for n'entraîne pas nécessairement l'inarbitrabilité: celle-


ci dépend du contenu du droit matériel. La Cour de cassation semble avoir retenu deux
critères d'appréciation, à savoir l'existence d'une réglementation impérative dont l'appli-
cabilité serait assurée en l'absence de la clause d'arbitrage, et la vérification que l'arbitre
devra assurer ou a assuré une protection équivalente à celle prévue par cette réglementa-
tion.
Ill Voy. la jurisprudence exposée ci-dessus, à propos des clauses de juridiction.

Ill L'arrêt précité du 15 octobre 2004 évoque seulement une vérification au regard de « l'ordre
public", terme plus étroit que celui de« règle impérative", comme le relève P. Hollander: le pour-
voi critiquait l'application de la loi contractuelle par le juge d'appel après que celui-ci eut observé
que les règles belges en cause étaient« impératives "· Le pourvoi reprochait non seulement la viola-
tion de l'article 2 de la Convention de New York, mais aussi celle de ces règles impératives, quali-
fiées de« lois de police "· La Cour a cassé sur la base du premier moyen. Il est improbable qu'elle ait
entendu modifier la jurisprudence établie par l'arrêt Audi-NSU précité, qui se base sur la nature
impérative des dispositions en cause.

Comp. en France: Cass. civ. (1re sect.), 20 décembre 1993, Dalico, Revue (1994), 663, note P.
1111

MAYER, montrant une méthode de désignation implicite de la loi du for, sous le couvert de l'énon-
ciation d'une règle matérielle de droit international privé favorable à la convention d'arbitrage
dans le commerce international, tempérée par les limites qu'imposent les lois impératives ou
d'ordre public. Cette approche écarte cependant la méthode conflictuelle également pour les ques-
tions relatives à la validité même de la convention.

Ill Comp., dans le droit de l'Union européenne: C.J.C.E., aff. C-209/90, 8 avril 1992, Feilhauer, Rec.
(1992), l-2613, qui, relatif à l'admissibilité d'une clause compromissoire désignant la Cour de jus-
tice dans un contrat conclu entre la Communauté et un particulier mais soumis au droit allemand,
écarte une sanction de nullité de la loi contractuelle au bénéfice de l'article [238 CE], organique de
la compétence d'attribution de la Cour; cet article peut être vu comme une disposition de l'ordre
juridique du for communautaire.

14.22 - Droit applicable à la capacité de compromettre - La capacité requise pour con-


clure une convention d'arbitrage est déterminée selon la loi personnelle de chacune des
parties. La solution est confirmée par les Conventions de Genève de 1961 (art. VI,§ 2) et
de New York de 1958 (art. 5, 1 °,litt.a).
RÈGLES GÉNÉRALES DE CONFLIT DE JURIDICTIONS RELATIVES AUX CONTRATS 785

L'une des incapacités le plus souvent citées est celle de l'État ou de certains organis-
mes de droit public. Il se peut que la loi compétente limite cette incapacité aux situations
internes, créant pour les situations internationales une règle matérielle de droit interna-
tional privé. Il en est ainsi pour les clauses entre parties établies dans deux États diffé-
rents liés par la Convention de Genève de 1961, dont l'article II contient une règle de
droit matériel uniforme prévoyant la faculté de compromettre pour les personnes mora-
les qualifiées de droit public par la loi qui leur est applicable.
La jurisprudence française a limité aux contrats internes l'interdiction pour l'État français de
11111

compromettre quand la clause d'arbitrage est insérée dans « un contrat international passé pour
les besoins et dans des conditions conformes aux usages du commerce maritime»: Cass. civ. (1re
sect.), 2 mai 1966, Galakis, Revue (1967), 553.

1111 Le Code judiciaire limite la capacité d'une personne morale de droit public de conclure une con-

vention d'arbitrage (art. 1676, § 2, al. 2 C. jud.), sans toutefois préciser si cette limitation s'étend
aux opérations internationales.

Camp. la résolution de l'Institut de droit international (session de Saint-Jacques de Compos-


11111

telle, 1989, Annuaire, vol. 63-II, 325) dont l'article 5 précise qu'« un État, une entreprise d'État ou
une entité étatique ne peut pas invoquer son incapacité de conclure une convention d'arbitrage
pour refuser de participer à l'arbitrage auquel il a consenti».

14.23 - Droit applicable à la procédure arbitrale - Les effets de la convention d'arbi-


trage ou de la clause compromissoire, et notamment la détermination de la procédure
que les arbitres devront suivre, relèvent de la loi du pays où ils sont invités à siéger en
vertu de cet accord.
11111 Voy. notamment: Gand, 25 novembre 1955, Pas. (1956), II, 97; Civ. Bruxelles, 13 mars 1992, Act.
dr. (1992), 1377.

La « nationalité » d'une sentence arbitrale est, en général, déterminée par son ratta-
chement au pays sur le territoire duquel elle a été rendue (voy. infra,§ 3). L'application de
la loi du siège de l'arbitrage à la procédure arbitrale et - on le verra plus loin (n° 5 14.80 et
s.) - au moins en certains cas le choix de cette loi comme lex fori pour la mise en œuvre
des règles de droit international privé, renforcent le critère en vertu duquel il est conféré
une nationalité à la sentence.

Toutefois, de nombreuses instances arbitrales se déroulent aujourd'hui selon la pro-


cédure organisée par une organisation privée, telle la Cour d'arbitrage de la Chambre de
commerce internationale, et le lieu de l'arbitrage est alors peu significatif, étant déter-
miné soit par les facilités qu'offre au tribunal arbitral le siège de l'institution privée, soit
par la commodité pour l'arbitre de siéger dans son propre pays. De toute manière, en cas
d'arbitrage institutionnel, la procédure fait l'objet d'un règlement arrêté par l'institution
elle-même et qui tire sa force obligatoire de l'adhésion à ce règlement inscrite dans la con-
vention d'arbitrage.
1111L'article 11 du Règlement de la C.C.I. stipule que « les règles applicables à la procédure devant
l'arbitre sont celles qui résultent du présent règlement et, dans le silence de ce dernier, celles que les
parties, ou à défaut l'arbitre, déterminent en se référant ou non à une loi interne de procédure
applicable à l'arbitrage».

En France, le nouveau Code de procédure civile consacre le principe d'autonomie en matière de


11111

procédure pour l'arbitrage« international» (art. 1494).


786 LES CONTRATS

§3 EFFICACITÉ DES SENTENCES ARBITRALES


14.24 - Présentation - L'efficacité internationale des sentences arbitrales suscite trois
questions relevant de la théorie générale des conflits d'autorités et de juridictions.
La première concerne la définition du caractère « étranger » d'une sentence arbitrale.
Etant l'œuvre d'un« juge privé», la sentence arbitrale ne se rattache pas à un État par un
lien aussi nécessaire que l'insertion des autorités publiques dans un ordre juridique for-
mellement constitué.
Si occasionnel qu'il puisse être, on estime généralement que le territoire sur lequel la
sentence est rendue détermine « la nationalité» de celle-ci. Tel est, d'ailleurs, le critère
retenu par les conventions internationales qui organisent la mise à exécution réciproque
des sentences rendues dans chacun des États contractants.
IllVoy. par exemple l'article l", 1, de la Convention de New York, du 10 juin 1958, pour la recon-
naissance et l'exécution des sentences arbitrales étrangères.
Le critère est implicite dans le Code judiciaire. En ce sens, voy. : E. KRINGS,
1111 « L'exécution des sen-
tences arbitrales», Rev. dr. int. dr. camp. (1976), 198.
La reconnaissance et l'exécution des sentences émanant de tribunaux arbitraux ins-
titués par un accord interétatique, tel le CIRDI, font l'objet de règles propres, générale-
ment prévues par le traité lui-même.
1111La Convention de Washington du 18 mars 1965 pour le règlement des différends relatifs aux
investissements entre États et ressortissants d'autres États (loi du 17 juin 1970, Monit.,
24 septembre 1970) a soumis à un arbitrage institutionnel organisé par le traité lui-même les diffé-
rends définis par l'article 25 de la Convention et auxquels sont parties un État contractant et un
resssortissant d'un autre État contractant. Le Centre international pour le règlement des diffé-
rends relatifs aux investissements (CIRDI) est une institution permanente d'arbitrage créée par les
États contractants et désignant un tribunal ad hoc pour se prononcer sur chaque différend particu-
lier.
1111Dans la doctrine, voy. notamment: A. BROCHES,« The Convention on the Setclement oflnvest-
ment Disputes between States and National of other States», Recueil des cours, vol. 136 (1972), 331
et s. ; G. DELAUME, « Le Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investisse-
ments (CIRDI) », Clunet (1982), 775; ID.,« ICSID Arbitration and the Courts», Am.]. Int. L. (1983),
786-803 ; A. GIARDINA, « L'exécution des sentences du Centre international pour le règlement des
différends relatifs aux investissements», Revue (1982), 273-293.
De même, l'arrêt rendu par la Cour de Justice des Communautés européennes dans
l'exercice de la compétence qui lui est dévolue par l'article 238 du traité CE a force exécu-
toire dans les États membres aux conditions fixées conformément aux articles 244 et 256
du même traité.
Selon l'article 238 CE, « la Cour de justice est compétente pour statuer en vertu d'une clause
Ill!
compromissoire contenue dans un contrat de droit public ou de droit privé passé par la Commu-
nauté ou pour son compte».
Voy. à titre d'exemple, l'arrêt de la Cour de justice du 18 décembre 1986, dans l'affaire 426/85, Com-
mission c. Zoubek, Rec. (1986), 4057.
La deuxième difficulté a aussi pour origine le caractère privé de l'arbitrage: la sen-
tence n'a d'autre force obligatoire que celle que la volonté des parties a pu y imprimer par
la conclusion de la convention d'arbitrage. N'ayant pas qualité d'officier public, l'arbitre
ne confère aucune force exécutoire à sa décision. Pour que les États prêtent le concours
de la force publique à l'exécution forcée des sentences arbitrales, celles-ci doivent être
soumises à l'exequatur d'une autorité étatique. Pareille formalité n'a, assurément, que
RÈGLES GÉNÉRALES DE CONFLIT DE JURIDICTIONS RELATIVES AUX CONTRATS 787

des effets territoriaux ; elle doit dès lors être repetee en chaque État sur le territoire
duquel une des parties veut faire procéder à des actes d'exécution forcée.
La difficulté consiste à savoir si, pour être reconnue à l'étranger, une sentence doit
avoir, au préalable, reçu l'exequatur de l'autorité compétente du pays auquel elle se ratta-
che. Bien que cette exigence d'un double exequatur puisse être jugée excessive, certains
traités bilatéraux la prévoient expressément en subordonnant la mise à exécution d'une
sentence arbitrale étrangère à la condition qu'elle soit exécutoire dans le pays dont elle
émane.
La troisième question résulte de la différence entre une demande portant sur la
reconnaissance d'une sentence et celle portant sur sa validité. Une chose est de demander
de reconnaître, en Belgique, l'efficacité d'une sentence exécutoire à l'étranger, autre chose
d'introduire la même demande après que la sentence a fait l'objet d'une décision étran-
gère qui en a prononcé, le cas échéant, la nullité.

A. Contentieux de l'efficacité d'une sentence arbitrale

1. ÜROIT CONVENTIONNEL

14.25 - Règlement« Bruxelles I » - Pas plus qu'il ne régit la compétence internationale


en matière d'arbitrage, le règlement « Bruxelles I » (supra, n ° 8.6) ne régit la reconnais-
sance et l'exécution des sentences arbitrales.
L'exclusion vaut sans doute aussi pour toute décision d'un tribunal étatique étran-
ger, dans la mesure où celle-ci a pour objet la reconnaissance ou la validité d'une sentence
arbitrale ou d'une clause d'arbitrage. Il n'en irait cependant pas de même lorsque le juge-
ment n'a traité de la reconnaissance de la sentence que de manière incidente, alors que le
dispositif porte sur une matière couverte par le règlement.
1111 En faveur de l'exclusion, voy. le rapport SCHLOSSER (JO.CE., 1979, C 59), n° 65. P. GüTHOT et
D. Hou.EAUX (op. cit. n° 8.1), n° 233, adoptent la nuance ici suggérée.

14.26 - Conventions de Genève et de New York - Entrée en vigueur le 16 novembre


1975, la Convention de New York remplace depuis cette date la Convention de Genève du
26 septembre 1927 (voy. supra, n ° 8.38) dans les relations avec les États liés par la
deuxième Convention (Convention de New York, art. 7, 2°).
Le domaine des Conventions de Genève et de New York est limité par des critères
d'ordre spatial.
1111Alors que la Convention de Genève (art. l '", al. 1ei) se borne à tenir pour « étrangère» la sen-
tence rendue dans un pays autre que l'État requis, la Convention de New York ajoute à cette catégo-
rie de sentences celles « qui ne sont pas considérées comme sentences nationales » dans l'État
requis. En outre, la Convention de New York permet à tout État contractant de déclarer qu'il en
limite l'application aux différends issus de rapports de droit considérés comme commerciaux par
la loi nationale (art. 1'', § 3).

1111Egalement pour la détermination du domaine spatial des règles conventionnelles, la Conven-


tion de Genève est plus restrictive que la Convention de New York: elle limite l'applicabilité des
règles communes aux sentences rendues « dans le territoire » d'un autre État contractant (art. 1er,
al. 1cr), tandis que la Convention de New York permet seulement de faire une déclaration à cette fin,
le paragraphe F' n'incluant aucune condition de réciprocité (art. l", § 3).
788 LES CONTRATS

Toutefois, la plupart des États contractants, et notamment la Belgique, ont fait la déclaration ten-
dant à limiter le domaine d'application de la Convention de New York aux sentences rendues sur le
territoire d'un État contractant.
La reconnaissance et la mise à exécution obéissent à des conditions concernant :
(a) les documents à produire (Conv. New York, art. 4);
(b) la régularité du compromis, ou de la convention d'arbitrage, qui donne à la sen-
tence son fondement contractuel (Protocole de 1923 et Conv. Genève, art. 1er, al. 2, a à c,
art. 2, c; Conv. New York, art. 2, art. 5, § 1er, a etc) ;
(c) la vérification des conditions auxquelles la sentence a force obligatoire et exécu-
toire dans l'État d'origine (Conv. Genève, art. 1er, al. 2, d, art. 2, a, et art. 3 ; Conv. New
York, art. 5, § 1er, d et e, art. 6);
Ill!Sur la condition que la sentence ait force obligatoire, voy. successivement: Civ. Bruxelles,
25 janvier 1996,].T. (1997), 6, note G. BLOCK; Bruxelles, 24 janvier 1997,].T (1997), 319, note B.
HANOTIAU et B. DUQUESNE; Cass., 5 juin 1998,].T. (1998), 701, illustrant la difficulté de définir le
caractère obligatoire et de dissocier les notions de décision « définitive » et de décision devant faire
l'objet d'un premier exequatur dans le pays d'origine.
(d) la vérification des conditions auxquelles l'État requis subordonne la mise à exé-
cution d'une sentence étrangère (Conv. Genève, art. 1er, al. 2, e, art. 2, b; Conv. New York,
art. 5, § 1er, b, et§ 2).
IllSur l'application de l'article 5, § 2, au sujet de l'admissibilité d'une clause d'arbitrage relative à
une concession de vente exclusive, voy. infra, n° 14.190.
Ne prévoyant pas que la sentence étrangère soit exécutoire dans l'État d'origine, la
Convention de New York n'exige pas le double exequatur.
14.27 - Convention européenne du 21 avril 1961- L'article IX de la Convention du
21 avril 1961 (supra, n ° 14.19) àdmet comme motif de refus opposable à la reconnais-
sance d'une sentence arbitrale, l'existence d'une décision d'annulation intervenue dans
l'État dans lequel ou d'après la loi duquel la sentence a été rendue, lorsque l'annulation
repose sur l'un des motifs énoncés au texte.
Le paragraphe 2 précise qu'entre États parties à la Convention de New York, l'appli-
cation de l'article V, § 1er, e, de cette Convention se limite aux causes d'annulation énu-
mérées par le paragraphe premier.
14.28 - Conventions bilatérales - La Convention franco-belge du 8 juillet 1899 (art. 15)
et la Convention belgo-néerlandaise du 28 mars 1925 (art. 15) prévoient à peu près dans
les mêmes termes que les sentences arbitrales rendues dans un État contractant ont de
plein droit l'autorité de la chose jugée si elles satisfont aux quatre premières conditions
prévues par l'article 11 pour la reconnaissance des jugements. En outre, l'exequatur est
accordé par le président du tribunal après vérification des mêmes conditions.
Parmi les autres traités bilatéraux, la Convention belgo-allemande du 30 juin 1958
(art. 13), la Convention avec la Suisse du 29 avril 1959 (art. 9) et la Convention avec
l'Autriche du 16 juin 1959 (art. 6, renvoyant aux dispositions de la Convention de
Genève du 26 septembre 1927) ont prévu la reconnaissance et la mise à exécution des
sentences arbitrales.
La Convention conclue avec la Suisse ne prévoit pas, à côté du contrôle de l'ordre
public, celui de l'admissibilité de la clause d'arbitrage. Ce silence peut se comprendre
RÈGLES GÉNÉRALES DE CONFLIT DE JURIDICTIONS RELATIVES AUX CONTRATS 789

comme l'exclusion de ce motif de refus. En effet, la Convention est postérieure à la Con-


vention de New York qui opère la distinction, et les États parties auraient pu, comme
c'est le cas pour la Convention passée avec l'Autriche, s'y référer s'ils avaient entendu s'ali-
gner sur ses dispositions. L'interprétation est plus délicate pour les Conventions passées
antérieurement, avec les Pays-Bas et avec la France, qui renvoient aux motifs de refus vala-
bles pour les décisions de tribunaux étatiques.
1111La Cour de cassation a eu l'occasion d'appliquer la Convention conclue avec la Suisse, dans
l'affaire Audi-N.S.U. c. Adelain Petit (28 juin 1979, Pas., 1979, I, 1260,].T., 1979, 625, R. W, 1980-1981,
539, Rev. crit. jur. belge, 1981, 332, note R. VANDER ELST). Elle a toutefois donné la priorité à la Con-
vention de New York, malgré les termes exprès des traités sur ce point (voy. ci-dessous).

De tous les traités bilatéraux, seul celui conclu avec l'Allemagne exige que la sen-
tence rendue sur le territoire de l'État contractant y soit « exécutoire», ce qui implique
qu'elle y ait déjà reçu l'exequatur. L'interprétation de la Convention franco-belge est con-
troversée sur ce point.
1111 Voy. à propos du double exequatur dans les traités bilatéraux :J.T. (1960), 204, n° 29.

14.29 - Rapports entre traités - Lorsque la sentence étrangère entre dans le domaine de
différents traités en vigueur dans l'État requis, il appartient au juge de trancher le conflit
en recherchant d'abord une solution dans les textes conventionnels en présence.
Ainsi, la Convention de New York permet aux parties de se prévaloir d'une sentence
conforme, notamment, aux « traités du pays où la sentence est invoquée» (art. 7). Elle
donne donc la préférence à une convention bilatérale éventuelle qui contiendrait un
régime plus favorable à la sentence étrangère.
Pour un cas de priorité de la Convention belgo-néerlandaise, voy.: Civ. Hasselt, 24 février 1997,
1111

Rev.gén. dr. civ. (1997), 232; Anvers, 25 octobre 1999, Rev.gén. dr. civ. (2001), 539, note M. EKELMANS.

Paraît remplir cette condition le traité qui, à la différence de la Convention de New


York, n'ajoute pas le contrôle de l'arbitrabilité à celui de l'ordre public. C'est le cas de la
Convention conclue avec la Suisse, et il paraît peu conforme à une interprétation correcte
de celle-ci d'affirmer que le contrôle de l'arbitrabilité a lieu« même [s'il] n'est pas expres-
sément formulé » par le traité. Qu'il figure dans le droit commun ne suppose pas qu'il
soit nécessairement sous-entendu dans tout traité international. La notion d'arbitrabilité
peut en effet être plus large que celle d'ordre public. Ce sera le cas, par exemple, lorsque la
partie dont les intérêts sont protégés peut renoncer à la protection.
Ill Comp. l'arrêt Audi-N.S.U. précité, interprétant la Convention belgo-suisse comme permettant
implicitement le contrôle de l'arbitrabilité, mais omettant de trancher le conflit avec la Convention
de New York.

Il. DROIT COMMUN

14.30 - Efficacité d'une sentence étrangère - En l'absence d'instrument international,


la procédure de reconnaissance et de mise à exécution d'une sentence arbitrale est régie
par le droit commun.
Le président du tribunal de première instance est sa1s1 par voie de requête des
demandes d'exequatur « des sentences arbitrales rendues en Belgique ou à l'étranger
[... ] » (art. 586, 1 °, C. jud.).
790 LES CONTRATS

1111La compétence de la cour d'appel pour connaître d'une sentence lorsqu'il a été compromis sur
appel d'un jugement du tribunal de première instance ou du tribunal de commerce (voy. l'art. 606,
1°, C. jud.) ne concerne pas les sentences étrangères.

La procédure et les conditions de l'exequatur sont réglées par les articles 1719 à
1723 du Code judiciaire.
111 Voy. une application par: Civ. Bruxelles, 6 décembre 1988, Ann. Liège (1990), 267, accordant
l'exequatur à une sentence qui avait été infirmée dans le pays d'origine par une décision d'appel
contre laquelle un pourvoi en cassation avait été introduit. Comp. la Convention de New York, qui
prévoit un sursis à l'exécution dans ce cas.
111 Sur le refus de reconnaissance basé sur l'inarbitrabilité du litige, voy. supra, n ° 14.18.
111 Pour une thèse favorable à un régime de reconnaissance basé sur une règle de rattachement plu-
tôt que sur la vérification de motifs de refus, voy. S. BOLLÉE, Les méthodes du droit international privé à
l'épreuve des sentences arbitrales (Paris, Economica, 2004).
Ces dispositions ne concernent pas l'efficacité d'une décision étrangère qui s'est pro-
noncée sur la reconnaissance d'une sentence arbitrale. L'objet même de cette décision
empêche que l'exequatur de cette décision soit demandé en Belgique. Il appartient aux
parties de demander plutôt un nouvel exequatur de la sentence.

B. Contentieux de la nullité d'une sentence arbitrale


14.31 - Compétence pour connaître de la nullité d'une sentence - La compétence
internationale pour connaître de la validité d'une sentence ne fait l'objet d'aucune con-
vention internationale. L'observation de la pratique suggère cependant une compétence
exclusive des juridictions du pays sur le territoire duquel la sentence a été rendue. Cette
compétence peut être vue comme un corollaire de la responsabilité de l'État à l'égard de
tout acte de justice privée tombant sous sa juridiction, c'est-à-dire accompli sur son terri-
toire, et de sa compétence exclusive pour régler la concurrence ainsi exercée à l'égard du
fonctionnement de ses propres tribunaux.
11111 Certains traités consacrent indirectement la compétence des tribunaux du pays où la sentence a
été rendue, ou d'après la loi duquel elle a été prononcée. Ainsi, les Conventions de Genève de 1927
et de New York de 1958 évoquent l'incidence de l'annulation de la sentence« par une autorité com-
pétente du pays dans lequel, ou d'après la loi duquel, la sentence a été rendue» (Conv. de New York,
art. 5, 1, e) sur les conditions de reconnaissance et d'exécution.
Comp. la loi modèle sur l'arbitrage commercial international, préparée par UNCITRAL, appli-
11111

cable lorsque le « lieu de l'arbitrage» se trouve sur le territoire de l'État qui adopte la loi (I.L.M.,
1985, 1302) et prévoyant un recours devant les tribunaux de cet État (art. l" et 34).
En Suisse (loi relative au droit international privé, art. 190) comme en France (Code de procé-
1111

dure civile, art. 1504), le recours en annulation contre une sentence de droit international privé
n'est possible que si celle-ci a été rendue sur le territoire national.

Il appartient ainsi au droit belge de déterminer la compétence des juridictions belges


pour connaître de la validité d'une sentence prononcée en Belgique. Le cas échéant, cette
compétence peut être réduite, en fonction d'un lien de rattachement déterminé avec le
territoire. Ainsi, l'article 1717 du Code judiciaire permet aux parties « d'exclure tout
recours en annulation d'une sentence arbitrale lorsque aucune d'elles n'est soit une per-
sonne physique ayant la nationalité belge ou une résidence en Belgique, soit une per-
sonne morale ayant en Belgique son principal établissement ou y ayant une succursale »
(§ 4).
RÈGLES GÉNÉRALES DE CONFLIT DE JURIDICTIONS RELATIVES AUX CONTRATS 791

!IllLe texte en vigueur résulte de la loi du 19 mai 1998 (Monit., 7 août 1998), qui a modifié la loi du
27 mars 1985 (Monit., 13 avril 1985). La modification a consisté à limiter le cas d'incompétence à
l'hypothèse où elle résulte d'une renonciation des parties.
Ill L'objectif de la loi est d'attirer les arbitrages « internationaux» en Belgique (voy. Doc. pari.,
Sénat, 1982-1983, n° 513/1). Le recours à un critère matériel d'incompétence tenant à la matière du
litige est évité, en y substituant des critères spatiaux définis de manière négative. La loi évite aussi
de qualifier les arbitrages en cause d'internationaux. Il n'est pas moins paradoxal de devoir consta-
ter que la loi institue une catégorie spéciale de sentences belges mais rendues entre étrangers, c'est-
à-dire dépourvues des liens spatiaux pertinents avec le territoire. Ces sentences ne sont pas pour
autant a-nationales au sens des conventions relatives à l'efficacité.
llliÀ quel moment les critères spatiaux énoncés par la loi doivent-ils être rencontrés : au jour de la
convention d'arbitrage, au jour de l'ouverture de la procédure arbitrale, au jour du prononcé de la
sentence ou au jour de·l'introduction de la demande d'annulation? Les opinions divergent sur ce
point. Contenant des critères de compétence, la condition doit à première vue être remplie à la plus
récente de ces dates. Toutefois, elle a pour objectif de définir la qualité de la sentence et, à ce titre,
implique plutôt une référence au jour où celle-ci a été prononcée. Comp. la loi modèle UNCITRAL,
se référant, pour la définition de l'internationalité, notamment à la résidence des parties lors de la
convention d'arbitrage.
!Ill Parmi les commentaires de la loi, voy. notamment: F. DE LY, « De liberalisering van de interna-
tionale arbitrage», TP.R. (1985), 1025-1050; L. MATR.AY, « La loi belge du 27 mars 1985 et ses réper-
. eussions sur l'arbitrage commercial international», Rev. dr. int. dr. camp. (1987), 243-262; M.
STORME, « Belgium, a Paradise for International Commercial Arbitration », Int. Business Lawyer
(1986), 294-295; A. VANDERELST, « Increasing the Appeal of Belgium as an International Arbitral
Forum - The Belgian Law of March 27, 1985 Concerning the Annulment of Arbitral Awards »,
Journal ofInternational Arbitration (1986), 77-86; H. VAN HoUTTE, « La loi belge du 27 mars 1985 sur
l'arbitrage international», Rev. arbitrage (1986), 29-42; N. WATTÉ, « Le sort des sentences arbitrales
en droit belge depuis la loi du 27 mars 1985 », Rev. belge dr. intem. (1988), 496-512, mettant en
doute la compatibilité de cette loi avec la Convention de Strasbourg du 20 janvier 1966 portant loi
uniforme en matière d'arbitrage.
Les causes d'annulation de la sentence sont celles prévues par le droit belge. Une
liste en est donnée par l'article 1704 du Code judiciaire.
1111 Pour une appréciation du motif de l'ordre public, voy.: Bruxelles, 6 décembre 2000,]. T. (2001),

572, note B. HANOTIAU, évoquant les principes essentiels énoncés dans la Constitution ou la Con-
vention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, tel le principe de non-discrimination en
raison de la race.

14.32 - Appréciation d'une sentence annulée à l'étranger - Lorsque le tribunal étran-


ger s'est prononcé sur la validité de la sentence, les règles générales relatives à la recon-
naissance et à l'exécution des décisions en matière civile et commerciale sont
d'application, sous réserve d'un traité international.
La Convention de New York détermine l'attitude à suivre dans le pays requis lorsque
la sentence rendue à l'étranger fait l'objet d'un recours en annulation ou a été annulée.
Lorsque la demande en annulation a été introduite à l'étranger devant les autorités
compétentes, le juge requis sursoit à statuer s'il l'estime approprié (art. 6).
Ill Pour un cas d'appréciation, voy.: Gand, 1er avril 1994, R.W (1994-1995), 1057. L'appréciation
peut être fonction de la probabilité que la sentence puisse être annulée : Bruxelles, 24 janvier 1997,
]. T. (1997), 319, note B. HANOTIAU et B. DUQUESNE.

Lorsque la sentence a été annulée, son exécution dans le pays requis est refusée à la
demande de la partie intéressée (art. 5, § 1er, e). L'annulation figure donc pratiquement
comme un motif de refus de la sentence au moment de l'appréciation de sa reconnais-
792 LES CONTRATS

sance. Plus exactement, la décision étrangère d'annulation permet de s'opposer à la


reconnaissance par l'exception de chose jugée, qui peut être invoquée comme un effet de
la reconnaissance de cette décision même. Ou encore, cette décision peut avoir fait l'objet
d'une reconnaissance dans l'État requis avant que la sentence annulée n'y soit invoquée.
La décision étrangère d'annulation se prononce moins sur la réception de la sentence (question
1111

de reconnaissance) que sur son existence même. Elle est donc susceptible d'être reconnue à son
cour à l'étranger, ce que ne pourrait pas une décision étrangère de reconnaissance d'une sentence
rendue dans un autre pays.
1111 Sur la reconnaissance d'une décision française d'annulation, voy.: Bruxelles, 14 avril 1999,]ur.

Anvers (1999), 303, confirmant Civ. Bruxelles, 29 septembre 1998, ibid., 271.
Sur un refus d'exequatur d'une sentence annulée en Espagne, voy. : Gand, 1cr avril 1994, R W.
1111

(1994-1995), 1057, ajoutant que la Convention de Genève de 1961 limite les motifs de refus aux
causes de nullité énoncées dans l'article 9, § 1"'.

La Convention de New York permet toutefois d'appliquer les règles plus libérales du
droit commun du juge requis (art. 7).
1111Voy. une application en France par: Cass. civ., 23 mars 1994, Hilmarton, Revue (1995), 356, note
critique B. ÜPPETIT, conduisant à reconnaître, en vertu du droit français, une sentence annulée en
Suisse pour le motif que celle-ci était une « sentence internationale qui n'était pas intégrée dans
l'ordre juridique» étranger.

Section 2
Règles générales de conflit de lois
relatives aux contrats
§ 1 PLURALISME DES SOURCES ET DES MÉTHODES
14.33 - Variété des catégories contractuelles - L'état actuel du droit international privé
des contrats se caractérise par un pluralisme des sources. Comme tel, le concept de con-
trat ne correspond plus guère à une catégorie de rattachement bien définie. Il est vrai que
cette matière reste régie par un principe fondamental, celui de l'autonomie des volontés.
Ce principe donne toutefois naissance à des sous-catégories qui visent, tantôt à en assu-
rer une meilleure consécration, tantôt à en réduire la portée. Ainsi se profilent trois types
de contrats sous l'angle de la détermination du droit applicable.
La première catégorie recouvre les contrats les plus usuels, tels la vente, le bail,
l'entreprise. Ils se forment et s'exécutent dans le cadre traditionnel des droits étatiques
dont l'applicabilité dépend, dans chaque ordre étatique, d'une règle de conflit de lois per-
mettant aux parties de choisir le droit applicable à leurs relations contractuelles et recou-
rant, à défaut d'un tel choix, à un rattachement subsidiaire. La catégorie correspondant à
cette règle est générique, en ce sens qu'elle porte sur le contrat en général.
La deuxième catégorie partage avec la précédente le recours à la technique des règles
de conflit de lois de droit étatique. Elle recouvre cependant des contrats soumis à des dis-
positions spécifiques. Ce particularisme peut avoir une double origine. Certains contrats
font l'objet de règles propres pour un motif purement historique. Cela a été le cas de la
vente. L'importance de ce contrat à une époque où les règles générales de conflit n'étaient
guère fixées, explique l'adoption d'une règle précise, de nature législative. La plupart des
RÈGLES GÉNÉRALES DE CONFLIT DE LOIS RELATIVES AUX CONTRATS 793

contrats de cette catégorie sont cependant de ceux qui appellent une désignation impéra-
tive du droit applicable, en raison à la fois de l'intérêt de l'État à maîtriser certains rap-
ports économiques de masse et de la nécessité d'assurer une protection particulière de
l'un des contractants, pour le motif qu'un déséquilibre des rapports de forces altère
l'autonomie des volontés. C'est le cas notamment de certains contrats d'assurance ou de
consommation, des contrats de travail, de la concession de vente exclusive. Pour les con-
trats de cette catégorie, le législateur a privilégié la méthode de la règle d'applicabilité (sur
cette méthode, voy. supra, chap. 4).
La troisième catégorie se distingue des précédentes par la nature des intérêts en jeu
et par le mode de règlement des litiges. Les relations contractuelles ici en cause sont
moins nombreuses et moins stéréotypées, et mettent en présence des intérêts beaucoup
plus considérables impliquant des partenaires d'une certaine dimension. Cette catégorie
ne se laisse sans doute guère définir avec précision, recouvrant pratiquement les contrats
de la première catégorie. Elle ne se caractérise pas moins par une référence à une techni-
que propre de règlement des litiges. Celle-ci tend à évincer toute emprise étatique sur le
contrat, en soumettant celui-ci au droit transnational et en confiant à des arbitres la
fonction de juger.
Ces différentes catégories ne sont pas cloisonnées pour autant. Lorsqu'une entre-
prise de grande taille contracte avec un agent économique de taille petite ou moyenne, la
dimension de la première ne suffit pas à exclure l'application du droit international privé
étatique. On en trouve une illustration à propos des relations de travail. D'un autre côté,
il n'est pas exclu que des contractants relativement modestes utilisent les techniques de
règlement des litiges propres aux grands contrats.
La présentation des règles générales appelle une distinction entre la détermination
du rattachement contractuel(§ 2) et la définition du domaine de celui-ci(§ 3). De plus, il
convient d'apprécier les limites de la mise en œuvre de ce rattachement face, d'une part à
l'applicabilité de lois impératives(§ 4), d'autre part à l'intervention d'un arbitre(§ 5).
14.34 - Préséance de la Convention de Rome de 1980 - Parmi les sources intéressant les
contrats internationaux, la Convention de Rome du 19 juin 1980 sur la loi applicable aux
obligations contractuelles, occupe une place particulière.
11111 La Convention de Rome du 19 juin 1980 est ouverte à la signature des seuls États membres des
Communautés européennes U.O.C.E., 1980, L 266, Revue, 1980, 875, Clunet, 1981, 218). Les États
adhérents sont amenés à négocier leur adhésion aux conventions signées en vertu de
l'article 293 CE et aux« conventions indissociables de la réalisation des objectifs de ce traité et dès
lors liées à l'ordre juridique communautaire» (voy. par ex. l'art. 3, § 2, de !'Acte d'adhésion du
12 juin 1985 U.O.C.E., 1985, L 302), pratiquement par la signature d'une nouvelle convention
reprenant les termes de la Convention de Rome. Voy. successivement les Conventions de Luxem-
bourg le 10 avril 1984 pour l'adhésion de la Grèce U.O.C.E., 1984, L 146), de Funchal du 18 mai
1992 U.O.C.E., 1992, L 333) pour l'adhésion de l'Espagne et du Portugal, de Bruxelles du
29 novembre 1996 pour l'adhésion de l'Autriche, de la Finlande et de la Suède U.O.C.E., 1997, C 15,
et rapport explicatif, C 191 ; loi du 25 avril 2004, Monit., 17 juin 2004). Une version consolidée a été
publiée au].O.C.E. (1998), C 27). La convention d'adhésion liée à l'élargissement aux dix nouveaux
pays a été signée à Luxembourg le 14 avril 2005.
1111 Le rapport explicatif de la Convention est dû à M. GIULIANO et P. LAGARDE et a été publié au
].O.C.E. (1980), C 282.
1111La version finale de la Convention a été précédée de deux avant-projets, de 1972 et de 1978. Sur
les versions antérieures, voy. notamment: H. BATIFFOL, « Projet de Convention C.E.E. sur la loi
794 LES CONTRATS

applicable aux obligations contractuelles», Rev. trim. dr. eur. (1975), 181-186; J. FOYER,« L'avant-
projet de Convention C.E.E. sur la loi applicable aux obligations contractuelles et non
contractuelles», Clunet ( 1976), 555-658 ; B. HANOTIAU et P. JENARD, « Les clauses relatives au contrat
dans l'avant-projet de Convention C.E.E. sur la loi applicable aux obligations contractuelles et non
contractuelles», Le contrat économique international, précité n° 14.1, 41-66; H.U. JESSURUN o'Ou-
VEIRA, « Characteristic Obligation in the Draft EEC Obligation Convention», Am. ]. Camp. L.
(1977), 303-331; P. LAGARDE,« Examen de l'avant-projet de Convention C.E.E. sur la loi applicable
aux obligations contractuelles et non contractuelles», Trav. Comitéfr. d.i.p. (1971-1973), 148-188; O.
LANDO, B. VON HOFFMANN et K. SIEHR (eds.) European Private International Law of Obligations (Tübin-
gen, ].C.B. Mohr, 1975); R. VANDER ELST, « L'unification des règles de conflit de lois dans la
C.E.E. »,].T (1973), 249-254.
Certains États membres ont subordonné leur ratification à l'adoption d'un proto-
cole spécial attribuant une compétence d'interprétation à la Cour de justice des Commu-
nautés européennes (sur la position de la Commission à ce sujet, voy. J.O.C.E., 1980, C
94). Il faut approuver l'attribution d'un pouvoir d'interprétation à la Cour de justice.
Celle-ci est déjà amenée à y procéder à propos d'autres textes, soit la Convention et le
règlement « Bruxelles I » relatifs à la compétence judiciaire (voy. supra, n ° 8.6), soit une
directive complétant la Convention de Rome ou y dérogeant.
liliDeux protocoles relatifs à l'interprétation ont été signés le 19 décembre 1988 (J.O.C.E., 1989, L
48, Revue, 1989, 414). Le premier attribue une compétence d'interprétation à la Cour de justice des
Communautés européennes et organise la procédure du renvoi préjudiciel. Le second déclare que
la Cour de justice a la compétence que lui confère le premier protocole. L'entrée en vigueur dépend
de la ratification par l'ensemble des douze États signataires: la dernière ratification nécessaire a été
faite par la Belgique (loi du 25 avril 2004, Monit., 28 août 2004), permettant ainsi l'entrée en
vigueur des protocoles au 1er août 2004.
La combinaison de ces deux protocoles s'explique par deux facteurs, l'un d'ordre constitutionnel,
l'autre d'ordre communautaire. Il est admis qu'un organe communautaire ne peut se voir attribuer
de compétences non prévues, directement ou indirectement, par le traité CE, sans un accord una-
nime des États membres. Or, l'Irlande objectait ne pas pouvoir accepter la saisine d'une juridiction
internationale à propos de compétences appartenant à ses propres tribunaux sans une modifica-
tion de sa Constitution, difficile à envisager pour la présente matière. Sur ces protocoles et leur jus-
tification, voy. le rapport de A. TrZZANO,j.O.C.E. (1990), C 219.

Faisant état de l'évolution de la matière en Europe, la philosophie qui inspire la


Convention de Rome est assez proche de la problématique classique du droit internatio-
nal privé. Elle fait la place la plus large à l'autonomie des volontés sous le seul contrôle
des autorités étatiques. S'il est vrai qu'elle comporte une ouverture à de nouveaux modes
de solution, comme la loi d'application immédiate ou le rattachement impératif de cer-
tains contrats, la méthode reste résolument« conflictualiste » et« étatiste». Excluant de
son domaine la validité des clauses d'arbitrage, elle donne aussi pour mission à'l'inter-
prète d'identifier l'État auquel se rattache la situation contractuelle. La formation d'un
droit transnational des contrats lui demeure étrangère. Elle paraît même l'exclure (voy.
infra, n° 14.46).
Une révision de la Convention est à l'ordre du jour, à l'occasion de son reformatage
en acte communautaire, à l'instar de ce qui a été fait pour la Convention de Bruxelles
(projet « Rome I » ).
lili Un Livre vert a été diffusé par la Commission le 14 janvier 2003: doc. COM(2002)654 final.
Voy. les réactions, notamment, du Comité économique et social,].O.C.E. (2004), C 108.

14.35 - Domaine de la Convention de Rome - La catégorie des règles générales de ratta-


chement comprend d'une part les relations contractuelles incluses dans le domaine de la
RÈGLES GÉNÉRALES DE CONFLIT DE LOIS RELATIVES AUX CONTRATS 795

Convention de Rome, d'autre part celles qui, tout en échappant à ce dernier, n'entrent
dans celui d'aucune réglementation propre à un contrat particulier.
Pour appartenir au domaine de la Convention, la relation contractuelle doit remplir
une triple condition relative à son objet (art. 1er). D'une part, elle doit « comporter un
conflit de lois». D'autre part, elle doit intéresser des« obligations contractuelles». Enfin,
elle ne doit pas concerner l'une des matières exclues par la disposition.
Formellement, les contrats portant sur des matières exclues relèvent des solutions
développées par la jurisprudence avant l'entrée en vigueur de la Convention. Celle-ci peut
néanmoins se laisser inspirer par le contenu de la Convention, comme le suggère
d'ailleurs l'exposé des motifs, au titre de« raison écrite». Le Code belge de droit interna-
tional privé prévoit une extension des règles de la Convention à ces matières, pourvu
qu'elles portent sur des obligations contractuelles (art. 98, § 1er, al. 2).
Sur les difficultés liées à la détermination du domaine matériel de la Convention, voy. notam-
1111

ment M. FALLON,« Le nouvel agencement des règles de conflit de lois en matière de contrats »,].T
(1988), 469-474; F. RIGAUX, « Examen de quelques questions laissées ouvertes par la Convention de
Rome sur la loi applicable aux obligations contractuelles», Cah. dr. eur. (1988), 306-321.
IllL'extension opérée par le Code ne signifie pas que toute obligation contractuelle relève désor-
mais de la Convention. Elle vaut « hormis les cas où la loi en dispose autrement ». Il en est ainsi,
notamment, en matière de régimes matrimoniaux ou de conventions alimentaires. En revanche, le
contrat de donation bénéficie de l'extension, non sans quelques nuances (voy. infra, sect. 3).

Le domaine d'application dans l'espace de la Convention est illimité en ce sens que


ses dispositions régissent tout contrat international, visé par son domaine matériel,
quelle qu'en soit la localisation: par son caractère« universel» (art. 2), le traité a vocation
à se substituer aux règles nationales correspondantes (voy. supra, n ° 3.48).
Le domaine d'application dans le temps de la Convention est fixé par référence à la
date de la conclusion du contrat. L'acte concerne ainsi tous les contrats conclus après le
1er avril 1991. Toutefois, une application anticipée du contenu de la Convention aux con-
trats conclu après le 1er janvier 1988 a été prévue en Belgique par la loi d'approbation du
14 juillet 1987 (voy. à ce sujet M. FALLON,« Entrée en vigueur de la Convention de Rome
du 19 juin 1980 sur la loi applicable aux obligations contractuelles »,]. T., 1991, 309).
1111La reproduction du texte de la Convention dans la loi d'approbation aux fins de son application
anticipée trahit toutefois certaines erreurs de rédaction. Ainsi, l'article 2, § 2, a, se réfère à
l'article 12 au lieu de l'article 11, et le litt. h à l'article 15 au lieu de l'article 14. De plus, il eût été
plus élégant d'évoquer, à l'article 7, § 2, la loi du« for» ou la loi« belge » plutôt que la loi du« pays
du juge», expression qui ne convient que dans un texte international. Plus grave est l'erreur glissée
à l'article 6, § 2, in fine. Le texte paru au Moniteur intègre dans le litt. b la réserve relative à l'existence
de liens étroits(« à moins que[ ... ]»), alors que celle-ci porte sur l'ensemble du§ 2, et non pas seule-
ment sur le litt. b. L'erreur a été corrigée (Monit., 18 avril 1989).
La Convention cède devant l'application d'une autre convention internationale
(art. 21) ou d'un acte communautaire (art. 20). De plus, un État peut en écarter l'applica-
tion par le jeu d'une nouvelle règle spéciale de conflit qu'il a adoptée au terme d'une pro-
cédure de consultation entre États signataires (art. 23).
IllLa priorité laissée à une convention internationale particulière joue, par exemple, en matière de
vente d'objets mobiliers corporels (voy. infra, n ° 14.180) ou de lettres de change ou de billets à ordre
(voy. infra, n° 14.142).
IllDe nombreux actes communautaires prévalent aujourd'hui sur la Convention en des matières
particulières, principalement pour les contrats de consommation (voy. infra, n ° 14.102). Lorsqu'ils
796 LES CONTRATS

contiennent une règle de droit international privé, ces actes, qui portent essentiellement sur le
droit matériel, ne contiennent que rarement des règles de rattachement, la plupart ayant recours,
explicitement ou implicitement (sur ce dernier cas, voy. le contrat d'agence commerciale, infra,
n° 14.137) à la technique des règles d'applicabilité.

§2 DÉTERMINATION DE LA LOI DU CONTRAT

A. Le principe d'autonomie
14.36 - Présentation - Une compréhension exacte de la signification du principe d'auto-
nomie dans les contrats internationaux nécessite un aperçu de l'évolution historique (1 °)
ainsi qu'une analyse de la portée du choix des parties (2 °).
L'autonomie des parties connaît aussi des limites, sous forme de dérogations. Cer-
taines sont propres à des contrats spéciaux et sont examinées dans la section suivante.
D'autres concernent l'ensemble des contrats (3°).

1. ÉVOLUTION DES SOLUTIONS

14.37 - Référence au lieu de conclusion - Les canonistes du xne siècle et l'École ita-
lienne des statuts (supra, n ° 2.4) appliquaient aux actes juridiques privés la coutume du
lieu où l'acte est accompli. La solution s'exprima dans l'adage Locus regit actum et fut
expliquée par l'idée que les contractants connaissent la coutume en vigueur au lieu de
leur engagement et qu'ils s'y réfèrent implicitement. Cette justification d'une solution
qui, à l'origine, était impérative la transforma en règle facultative ou alternative: régies
par la loi du lieu de conclusion parce qu'elles y ont consenti, les parties peuvent, en choi-
sissant une autre loi, se soustraire à la première.
11 Sur cet adage, voy. supra, n ° 3.29.

Dans le passage de la règle Locus regit actum à la loi d'autonomie, il faut mentionner
l'influence de Dumoulin, qui s'est exercée sur un problème particulier, le régime des
biens entre époux (supra, n ° 12.68), et celle de Mancini qui fit appel à« l'autonomie de la
volonté» pour contrebalancer l'application systématique de la loi nationale (Y. NISHI-
TANI, « Mancini e l'autonomia della volontà nel diritto internazionale privato », Riv. dir.
int. priv. proc., 2001, 23-44).

14.38 - Apparition de la loi d'autonomie en droit comparé - Bien que l'on puisse citer
des décisions anglaises ayant, dès la deuxième moitié du XVIIF siècle, rattaché un contrat
à la loi choisie par les parties, cette solution se manifeste nettement dans la jurisprudence
britannique au milieu du siècle suivant.
11 Sur Robinson v. Bland (1760) 2 Burr. 1077, voy. notamment: BEALE, Cases on the Conjlict ofLaws, t.
II, 309 ; P. FARACO DE AZEVEDO, Recherches sur la ;ustification de l'application du droit étranger (Louvain,
Presses UCL, 1971), 41-42.

Réserve faite de la matière spéciale du contrat de mariage (supra, n ° 12.68), en


France, ce n'est qu'à la fin du XIXe siècle que la faculté reconnue aux parties de soumettre
leur contrat à la loi qu'elles ont choisie se libère de l'application impérative de la règle
Locus regit actum. En 1910, la Cour de cassation proclamait que: « La loi applicable aux
contrats, soit en ce qui concerne leur formation, soit quant à leurs effets et conditions,
RÈGLES GÉNÉRALES DE CONFLIT DE LOIS RELATIVES AUX CONTRATS 797

est celle que les parties ont adoptée» (Civ., 5 décembre 1910, S., 1911, 1, 129, note LYON-
CAEN).
Au cours du XXe siècle, on trouve aussi des applications de la loi d'autonomie dans
la jurisprudence internationale. La plus notable apparaît dans deux arrêts de la Cour per-
manente de Justice internationale, du 12 juillet 1929.
1111 Voy. Affaire concernant le paiement de divers emprunts serbes émis en France, arrêt n ° 14 ; Affaire relative

au paiement en or des emprunts fédéraux brésiliens émis en France, arrêt n ° 15 ; C.P.].I., série A, n°s 20-21,
et pour un commentaire de ces arrêts du point de vue de la loi d'autonomie, voy. F. RIGAUX, Droit
public et droit privé,§§ 69-71.
La loi d'autonomie est actuellement appliquée par la plupart des jurisprudences
nationales.
Ill Aux États-Unis, le principe d'autonomie a été admis tardivement, en 1954, par la décision Auten
v. Auten (1954) 308 NY 155, 124 NE 2d 99. Elle sera consacrée par le Restatement Second,§§ 187, 188.
Dans le premier tiers du xxe siècle, la loi d'autonomie a été critiquée par la doctrine, notam-
1111

ment par NIBOYET (précité n° 14.1).


Dans la doctrine contemporaine, sur le principe d'autonomie en général, voy. : B. FAUVARQUE-Cos-
soN, Libre disponibilité des droits et conflits de lois (Paris, LGDJ, 1996); S. GurLLEMARD, « L'élection de
droit: comparaison québéco-européenne », Rev. int. dr. camp. (2005), 49-84, avec une analyse des
modalités et limites; V. HEUZÉ, « La volonté en droit international privé», Droits (1999), 113-128,
dans un sens critique ;J.-M. ]ACQUET,« Retour sur la règle de conflit de lois en matière de contrats »,
Clunet (1991), 679-690; P. NYGH, Autonomy in international contracts (Oxford Univ. Press, 1999) ;J-C.
POMMIER, Principe d'autonomie et loi du contrat en droit international privé conventionnel (Paris, Econo-
mica, 1992).
Ill Très révélatrice du discrédit qui frappa jadis la loi d'autonomie est l'attitude de l'Institut de
droit international en sa session de Lausanne (1927). Voy. Annuaire, vol. 33, t. III, 191 et s. Comp.
GUTZWILLER, Annuaire, vol. 43, c. II, 95 et s. Contra: la résolution adoptée par l'Institut en 1991, à la
session de Bâle, précitée n ° 14.1.

En droit de l'Union européenne aussi, la jurisprudence de la Cour de justice rend


compte du principe d'autonomie, principalement dans le contexte des contrats conclus
par la Communauté avec des particuliers (C.J.C.E., aff. C-69/97, 27 avril 1999, SNUA,
Rec., 1999, I-2363; aff. C-87/01 P, 19 juillet 2003, CCRE, Cah. dr. eur., 2003, 695, note M.
EKELMANS). Pour les besoins du contrôle de compatibilité de l'article 1643 du Code civil
français avec l'article 29 CE, elle a aussi constaté la faculté pour les parties d'échapper au
droit normalement applicable par le choix d'un autre droit (aff. C-339/89, 24 janvier
1991, AlsthomAtlantique,].T., 1991, 350, D.S., 1991,J, 273, note C. BERR).
14.39 - Apparition de la loi d'autonomie dans le droit belge - La première application
explicite de la loi d'autonomie par la Cour de cassation de Belgique apparaît dans l'arrêt
Antwerpia du 24 février 1938 (Pas., 1938, I, 66, Belg. jud., 1938, 289, note PHILONENKO,
Revue, 1938, 661, note WIGNY). En des termes manifestement inspirés de l'arrêt français
du 5 décembre 1910, la Cour y affirme que« la loi applicable aux contrats, tant pour leur
formation que pour leurs conditions et effets, [est] celle que les parties ont adoptée».
Des décisions plus récentes de la même juridiction ont rappelé ce principe en des
termes d'autant plus formels que certaines sont relatives à des cas limites de la mise en
œuvre de la loi d'autonomie (voy. notamment infra, n° 5 14.55 et 14.169 et s.).
1111Voy.: Cass., 27 mars 1968, s.a. Belgroma c. van Caeter, Pas. (1968), I, 916; 3 février 1971, Melchiorc.
Soc. Dumont Frères, Pas. (1971), I, 513; 27 novembre 1974, Debeckerc. Baeyens, Pas. (1975), I, 343, 62;
21 février 1975, Bohme c. s.a. Incotex, Pas. (1975), I, 642; 25 juin 1975, Tay/ore. s.a. Venda International,
798 LES CONTRATS

Pas. (1975), I, 1038; 4 septembre 1975, Nelissen c. Samer, Pas. (1976), !, 16, R. W. (1975-1976), 1561,
note H. VAN HourrE,; 24 septembre 1987, Brunner, Pas. (1988), !, 12, Ann. Liège (1988), 25, note R.
V ANDER ELST.

À défaut de règle de rattachement légale, la Cour de cassation a fondé le principe


d'autonomie dans les contrats internationaux, tantôt sur ce principe même, tantôt sur
l'article 1134 du Code civil.
1111Dans l'arrêt du 27 novembre 1974, qui a soumis la forme extrinsèque du contrat à la loi implici-
tement choisie par les parties (voy. infra, n° 14.56), le premier moyen du pourvoi se fondait notam-
ment sur la violation« de la règle belge de conflit de lois de l'autonomie de la volonté applicable en
matière contractuelle». En effet, le juge du fond avait affirmé que la convention de cession d'un
fonds de commerce « doit être régie par la loi du pays avec lequel elle présente les rapports les plus
étroits et les plus réels ». Après avoir relevé dans la motivation de l'arrêt attaqué les éléments pro-
pres à justifier une interprétation compatible avec le principe de la loi d'autonomie, la Cour cons-
tate« Qu'ainsi, pour aboutir à ce qu'il qualifie 'une localisation objective' de la convention, suivant
l'économie de celle-ci et les circonstances de la cause, le premier juge n'invoque en réalité que des
éléments propres à révéler la volonté des parties, dès la formation de la convention, et en déduit
souverainement que cette volonté a été de soumettre la cession à l'empire de la loi française ».
L'arrêt du 24 septembre 1987, tout en adoptant le même type de formulation, confirme qu'il y va
d'une application de l'article 1134 du Code civil alors que le moyen du pourvoi invoquait aussi dis-
tinctement« la règle belge de conflit de lois de l'autonomie de la volonté».

Depuis lors, plusieurs traités ratifiés par la Belgique ont consacré le principe d'auto-
nomie.
Pour la vente, c'est le cas de la Convention de La Haye du 15 juin 1955 sur la loi
applicable aux ventes à caractère international d'objets mobiliers corporels (voy. infra,
n° 14.180).

Pour l'ensemble des contrats, la Convention de Rome explicite que« le contrat est
régi par la loi choisie par les parties » (art. 3, § 1er).
Pour un cas d'application de l'article 3, § 1", voy. : Cass., 17 juin 1999, Elite, R. W (2000-2001),
llll
657, note]. ERAUW.

llllSur l'article 42, alinéa 1er, de la Convention internationale pour le règlement des différends rela-
tifs aux investissements entre États et ressortissants d'autres États, voy. infra, n° 14.80.

Il. PORTÉE DU CHOIX EXPRIMÉ PAR LES PARTIES

14.40 - Incorporation du droit choisi ou intégration du contrat à ce droit? - Une objec-


tion à laquelle se heurte la loi d'autonomie consiste à y déceler un cercle vicieux: régis-
sant la validité même du contrat, la loi choisie par les parties est appliquée à l'efficacité
des déclarations de volonté dont dépend sa propre compétence.
L'objection du cercle vicieux est surmontable. En effet, la loi du contrat est un ordre
juridique dont la validité est indépendante de la volonté des parties. Celles-ci se bornent à
le désigner, et leur choix est prévu par la règle de conflit du for. La déclaration de volonté
des parties n'a donc pas un caractère initial, elle s'intercale entre la règle de droit interna-
tional privé du for (loi d'autonomie) et le droit étranger qu'elle identifie parmi les ordres
juridiques nationaux en vigueur (voy. infra, n ° 14.46).
IllPour une excellente critique de l'objection du cercle vicieux, voy. : E. VITTA, « Relazione e pro-
getto di legge su! diritto internazionale privato », Prospettive del diritto internazionale privato (Milano,
Giuffré, 1968), 150-151; P. GOTHOT, Revue (1976), 665-674.
RÈGLES GÉNÉRALES DE CONFLIT DE LOIS RELATIVES AUX CONTRATS 799

Pour autant, il ne faudrait pas minimiser la portée du choix des parties. Celui-ci
tient lieu de facteur de rattachement dans la règle de conflit de lois appliquée par le juge ;
ce sont les parties qui déterminent l'ordre juridique national dans lequel se meut leur
opération.
On trouve une réduction de ce type dans la « théorie de la localisation » de H. BATIFFOL, telle
1111

qu'elle a été exprimée par exemple dans son Traité, t. II, 7e éd., n ° 573. La clause de choix exprès ne
serait« qu'un élément - capital assurément - de la localisation du contrat, mais non absolument
obligatoire en droit parce que cette localisation reste une question de fait». Par conséquent, le juge
ne serait pas lié par le choix des parties. L'auteur y voit une réponse à l'objection du cercle vicieux,
en limitant l'intervention des parties à une opération de localisation, « ce qui est un acte matériel,
non juridique, donc sans problème de validité» (n ° 573-1).

C'est, en tout cas, dénaturer le rôle de la volonté des parties que de réduire la compé-
tence attribuée au droit étranger à l'incorporation des dispositions législatives étrangères
parmi les stipulations du contrat. Cette thèse, parfois qualifiée de subjectiviste - parce
qu'au lieu d'opérer un rattachement du rapport juridique, elle ne tient compte que de la
volonté subjective des parties - accompagne chronologiquement la consécration du
principe d'autonomie au XIXe siècle.
1111Dans un contexte légèrement différent, l'arrêt du 24 février 1938 (supra, n° 14.39) trahit
l'approche subjectiviste. Pour repousser un moyen fondé sur le caractère « politique et
exceptionnel» de la loi étrangère prohibant la clause-or, appliquée par le juge du fond, la Cour
décide« que le moyen manque en fait, le juge du fond n'ayant pas fait application des lois étrangè-
res comme telles, mais de dispositions légales étrangères invoquées et insérées par les parties dans
leur convention et devenues, par conséquent, des dispositions conventionnelles».
1111Ultérieurement, la Cour de cassation a très nettement affirmé que « la loi applicable aux con-
trats régit non seulement leurs conditions et leurs conséquences, mais aussi leur réalisation et, dès
lors, leur existence» (Cass., 21 février 1975, supra, n° 14.39 et infra, n° 14.55). Elle a ainsi cassé
l'arrêt de la Cour de Gand ayant appliqué la lex fori à la question de savoir si un contrat de vente est
conclu par une simple acceptation tacite de la facture (solution belge), alors que la loi allemande,
loi du domicile de la personne à laquelle le paiement de cette facture était réclamé, exige une accep-
tation expresse.

14.41 - Incidence pratique de la thèse de l'intégration - La question de la portée du


choix des parties a un intérêt pratique. Selon que l'on adopte ou non la thèse dite subjec-
tiviste, la mise en œuvre du principe d'autonomie variera sur trois points au moins, à
savoir le moment à partir duquel on estime que, le choix étant inexistant, il convient
d'utiliser un rattachement subsidiaire (voy. infra, C), les modalités qui accompagnent le
choix de la loi applicable (voy. infra, B) et l'éventualité d'une annulation du contrat ou de
l'une de ses clauses par application de la loi choisie par les parties. La thèse subjectiviste
se doit de rechercher, en cas de silence des parties, leur volonté hypothétique ; elle tend à
ne pas imposer de contrainte aux parties lors de la formulation de leur choix; elle exclut
que l'application de la loi choisie puisse conduire à la sanction de la nullité.
Il Voy. la résolution de l'Institut de droit international (session de Bâle, précitée n ° 14.1 ), spéciale-
ment au sujet de la nullité du contrat (art. 3, § 3).

L'observation de la jurisprudence belge sur ces points montre un rejet de fait de la


théorie subjectiviste. En effet, elle admet une série de limites à l'autonomie incompatibles
avec cette thèse (voy. infra, B). Toutefois, la formulation adoptée se concilie mieux avec la
thèse subjectiviste.
1111 Ainsi, la Cour de cassation a assimilé à une recherche de la volonté des parties par le juge l'appli-

cation par celui-ci de la méthode de« localisation objective» (Cass., 27 novembre 1974, Pas., 1975,
800 LES CONTRATS

I, 343), dominante en Belgique comme rattachement subsidiaire du contrat (voy. infra, n ° 14.53).
Par conséquent, elle s'est refusée à tout contrôle autre que celui de la foi due aux actes (voy. infra,
n° 14.50).

Ill La Cour n'a pas hésité, dans son arrêt du 24 février 1938 (supra, n ° 14.39), à admettre la sanc-
tion de nullité prévue par la loi désignée implicitement par les parties.

14.42 - Incidence du principe d'autonomie sur la technique du conflit de lois - La


faculté reconnue aux parties de désigner le droit applicable à leurs relations contractuel-
les exerce aussi une incidence sur la mise en œuvre de certaines techniques générales de
droit international privé.
(1) Technique du renvoi
Il est admis généralement, y compris par la Convention de Rome (art. 15), qu'il n'y a
pas lieu à l'application de la technique du renvoi (supra, n° 5 6.27 et s.) en matière de con-
trats, pour le motif que cette technique serait incompatible avec la portée de la loi d'auto-
nomie. Ce serait aller à l'encontre des prévisions des parties d'appliquer les règles
matérielles d'un droit autre que celui qu'elles ont désigné.
Voy. l'art. 2, § 3, de la résolution de l'Institut de droit international (session de Bâle, précitée
1111

n° 14.1), excluant le renvoi« sauf volonté expresse contraire».


Ill En droit commun, la question ne revêt plus d'intérêt en Belgique depuis l'entrée en vigueur de
l'article 16 du Code de droit international privé (voy. supra, chap. 6). Formellement toutefois, c'est
bien encore l'article 15 de la Convention de Rome que le juge belge aura à appliquer.

À la vérité, cette objection semble valoir surtout dans la perspective de la thèse sub-
jectiviste précitée. Lorsque les parties n'ont pas choisi de droit applicable et que le ratta-
chement subsidiaire opéré par le juge ne peut s'appuyer sur aucune recherche de volonté
(voy. infra, n° 14.51), le respect de l'attente des parties n'apparaît plus comme une exi-
gence essentielle à la règle de conflit contractuelle. Or, c'est précisément à défaut de choix
de la loi applicable que la problématique du renvoi présente un intérêt pratique, puisque
l'on constate une convergence en droit comparé pour ce qui est de la loi d'autonomie.
Voy. la nuance présente dans la résolution de l'Institut sur« La prise en compte du droit inter-
1111

national privé étranger» (session de Berlin, 1999, Annuaire, vol. 68-11, 370): « La prise en compte
du droit international privé étranger [... ] ne devrait pas être envisagée [... ] si les parties ont le choix
du droit applicable et, l'ayant exercé, n'ont pas inclus dans celui-ci le droit international privé ».
L'exclusion ne jouerait donc pas en l'absence de choix des parties.

(2) Jeu de la clause d'exception


Fondée sur le principe de proximité, la mise en œuvre de la clause d'exception est
écartée lorsque la désignation du droit applicable repose sur un choix des parties (art. 19,
§ 2, Codip). Cette exclusion repose sur le fondement du principe d'autonomie, vecteur de
sécurité juridique davantage qu'expression d'un concept de proximité (voy. supra,
chap. 3).
L'exclusion vaut uniquement en cas de choix des parties, non lorsque la désignation
de la loi nationale découle du rattachement objectif. Il est donc cohérent que la Conven-
tion de Rome permette, en ce cas, le jeu d'une clause de ce type (voy. infra, point C).
(3) Application d'office de la loi étrangère
Il est de principe en droit belge que le juge saisi d'une situation à caractère interna-
tional applique d'office le droit étranger, ainsi que la règle de conflit de lois qui conduit à
RÈGLES GÉNÉRALES DE CONFLIT DE LOIS RELATIVES AUX CONTRATS 801

sa désignation (voy. supra, n ° 6.51 ). La règle ne vaut toutefois que dans les limites de ce
qui intéresse l'ordre public, en vertu du principe dispositif (voy. supra, n ° 6.53).
Ainsi, dans les matières où est reconnue une autonomie des volontés, il n'y a pas lieu
pour le juge saisi de soulever d'office l'application de la loi étrangère désignée par la règle
de conflit de lois, dès lors que les parties peuvent, lors du procès même (voy. infra,
n ° 14.45), exprimer une préférence pour la loi du for. On peut tout aussi bien considérer
qu'en appliquant alors le droit du for, le juge respecte également la règle de conflit de
lois, dans la mesure où celle-ci consacre précisément le principe d'autonomie.
Si l'on admet qu'en tout état de cause le juge saisi applique d'office la règle de conflit
contractuelle, il lui revient également de désigner d'office la loi applicable à certains con-
trats spéciaux qui connaissent, soit une dérogation, soit un tempérament à la loi d'auto-
nomie, sauf à considérer que la partie dont l'intérêt est protégé puisse renoncer
valablement à cette protection en ne l'invoquant pas.
IllComp. infra, n° 15.11, en matière de responsabilité civile, la position de la Cour de cassation au
sujet de l'application des lois de police mêmes : il n'appartient pas au juge de les soulever d'office.

B. Modalités du choix du droit applicable


1. FORME DU CHOIX DE LA LOI CONTRACTUELLE

14.43 - Formulation d'un choix exprès - Le choix de la loi applicable est qualifié d'exprès
lorsqu'il figure dans une clause spéciale faisant partie du contrat ou annexée à celui-ci.
La validité de ce type de clause s'apprécie-t-elle de la même manière que les autres
clauses contractuelles? Dans l'affirmative, elle dépendrait de la loi contractuelle, ce qui
conduirait à un cercle vicieux puisque la clause de choix a précisément pour objet de dési-
gner cette loi. Logiquement, comme élément d'une règle de conflit de lois, elle devrait
plutôt relever du droit du for, à tout le moins pour son admissibilité et ses effets sur la
désignation de la loi contractuelle.
Le législateur en a toutefois décidé autrement en renvoyant sur ce point, dans la
Convention de Rome (art. 3, § 4), aux dispositions applicables à toute clause contrac-
tuelle quelconque. La loi applicable à la clause de choix est alors, quant au consentement,
celle qui serait applicable si la clause était valable, sous réserve des dispositions tendant à
protéger la partie qui s'engage ou de celles qui gouvernent la forme de la clause ou la
capacité contractuelle (voy. infra, n°5 14.55 et s.).
Toutefois, lorsqu'elles répondent à la définition des lois de police, les règles matériel-
les du for - relatives, par exemple, aux conditions générales de vente dans les contrats de
consommation - peuvent obéir à un rattachement particulier, que commande l'impéra-
tivité de ces règles.
Ill! Pour le contrat de consommation, voy. infra, n ° 14.109.
IllLa résolution de l'Institut de droit international (session de Bâle, précitée n° 14.1) prévoit une
règle matérielle propre au choix de la loi applicable formulé dans des conditions générales (art. 5).

14.44 - Expression d'un choix tacite mais certain - Une distinction traditionnelle a lieu
entre le choix exprès et le choix tacite, ou implicite. Lorsque ni le contrat ni l'un de ses
avenants ne contiennent de clause expresse, on se demande si le choix peut résulter de
manière certaine d'autres éléments de la relation contractuelle.
802 LES CONTRATS

La Convention de Rome n'exige pas de choix exprès. La volonté des parties peut
aussi « résulter de façon certaine du contrat ou des circonstances de la cause» (art. 3,
§ 1er). La condition de certitude encourage à une interprétation stricte du mode d'expres-
s10n.
En matière de vente, la Convention de La Haye du 15 juin 1955 (infra, n ° 14.180) adopte une
1111

position similaire, tout en exigeant que ce choix résulte « indubitablement des dispositions »
mêmes du contrat.
1111Déniant avec raison la portée d'un choix de loi au choix de la langue et à la nationalité des par-
ties, voy.: Comm. Hasselt, 10 mai 2000, R W (2000-2001), 1244.

La thèse de l'admission d'un choix tacite se doit de rencontrer le problème de la por-


tée d'une clause se référant à une loi spéciale ou à une police type en vigueur dans un
pays. La jurisprudence belge s'est montrée réticente à y voir une manifestation certaine
de volonté, lui donnant plutôt, avec raison, la portée d'un indice parmi d'autres de locali-
sation objective du contrat.
Voy. les références citées par B. HANOTIAU et M. FALLON,j.T (1987), 99; C. trav. Mons, 8 février
1111

1999,]. TT. (1999), 370. Pour un choix certain déduit d'une référence aux usages pratiqués en
France, voy.: Trib. trav. Huy, 18 juin 1999, Chron. dr. soc. (2002), 340, note M. FALLON.

Avant l'entrée en vigueur de la Convention de Rome, les juridictions de fond avaient


tendance à rechercher le choix tacite. Elles ne procédaient pas moins en fait à un ratta-
chement subsidiaire du contrat: ce rattachement, en l'occurrence la méthode indiciaire
(voy. infra, n ° 14.53), est alors présumé correspondre à la volonté réelle des parties.
Ill Voy. par ex.: Bruxelles, 8 mai 1968, fur. Anv. (1968), 232; C. trav. Bruxelles, 2 mars 1980, ].T
(1980), 230; Bruxelles, 11 décembre 1985, Pas. (1985), II, 32, pourvoi rejeté par Cass., 24 septembre
1987, Pas. (1987), I, 112.
En France, l'arrêt de principe de la Cour de cassation du 5 décembre 1910, S. (1911), 1, 129, note
LYON-CAEN, avait admis également qu'à défaut de volonté expresse, celle-ci« peut s'induire des faits
et circonstances de la cause, ainsi que des termes du contrat».
1111D'autres décisions se sont refusées à cette recherche de volonté, par ex. : Comm. Bruxelles,
28 novembre 1969,J.C.B. (1976), 786; Comm. Gand, 8 janvier 1982,J.C.B. (1982), 417, note H. VAN
HoUTTE. La Cour de cassation, dans un arrêt du 27 novembre 1974 (Pas., 1975, I, 343), a appelé à un
rattachement subsidiaire « à défaut de stipulation expresse constatant la volonté des parties»,
mais tout en approuvant finalement le juge du fond d'avoir, par une localisation objective - la
méthode indiciaire - recherché la volonté des parties.
Voy. également Cass., 24 septembre 1987, Pas. (1988), I, 112.
Comp. en France, Cass. civ., 6 juillet 1959, Revue (1959), 708, note H. BAT!FFOL: « à défaut de décla-
ration expresse [... ], il appartient aux juges du fond de rechercher, d'après l'économie de la conven-
tion et les circonstances de la cause, quelle est la loi qui doit régir les rapports des contractants».

14.45 - Moment d'expression du choix - En admettant que le choix résulte des circons-
tances de la cause, la Convention de Rome permet aux parties de l'exprimer à tout
moment, y compris au cours du procès.
1111 En faveur d'un choix opéré dans les conclusions, voy. : C. trav. Bruxelles, 18 mai 1993, Rev. dr.

soc. (1993), 361.


En revanche, une telle déduction ne saurait être faite des termes plus restrictifs de la Conven-
1111

tion de La Haye du 15 juin 1955.

La solution de la Convention de Rome est conforme à la jurisprudence antérieure.


Voy. par ex.: Comm. Bruxelles, 12 septembre 1979,].T (1980), 374; Cass., 9 octobre 1980, Pas.
1111

(1981), I, 159,J.T (1981), 70, note R VANDER ELST.


RÈGLES GÉNÉRALES DE CONFLIT DE LOIS RELATIVES AUX CONTRATS 803

Voy. une confirmation de cette solution par la résolution de l'Institut de droit international
1111!

(session de Bâle, précitée n ° 14.1), art. 6.

La Convention précise que le choix peut être modifié et ce, à tout moment (art. 3,
§ 2).

Il. LIMITES DU CHOIX DE LA LOI CONTRACTUELLE

14.46 - Objet du choix - Telle qu'elle est administrée par les tribunaux étatiques, la loi
d'autonomie implique que le choix des parties ait pour objet la loi d'un État. En revan-
che, la loi choisie peut être sans lien avec le contrat.
La Convention de Rome n'exige pas littéralement cette condition. Celle-ci résulte
pourtant indirectement de ses termes. Ainsi le domaine de l'acte se limite à l'hypothèse
de situations comportant un « conflit de lois», expression qui recouvre uniquement,
comme en témoignent notamment les traductions néerlandaise et allemande, un conflit
entre lois étatiques.
11111 Dans le même sens en France: Cass. civ., 5 février 1991, Groupe Zürich c. Levante, Rev. gén. ass. terr.
(1991), 660, note FAUGEROLAS.
Sur le choix du droit d'un État non reconnu, ou de règles de droit abrogées au jour du choix,
1111

voy. supra, n ° 3.46.

Une clause de référence aux usages du commerce peut garder de son utilité malgré la
nécessité de choisir un droit étatique. Certes, pareille référence ne vaut pas désignation
de la loi contractuelle : le juge étatique localisera le contrat, s'il y a lieu, en fonction d'une
règle de rattachement subsidiaire. Mais il appartient à la loi contractuelle ainsi désignée
de déterminer quelle portée elle confère aux usages.
1111! Voy. en matière de vente, infra, n ° 14.182, à propos de l'application de la LUVI et de la CVIM. Le
jeu combiné de la LUVI et de la Convention du 15 juin 1955 relative à la loi applicable, donnait le
même résultat.
1111! Pour l'attribution d'une portée subsidiaire aux règles et usances de la C.C.I. en matière de crédit
documentaire en l'absence de dispositions pertinentes dans le droit applicable, voy. Comm. Bruxel-
les, 27 février 1978,].C.B. (1979), 8. Dans un arrêt du 18 février 1985 (Sabbadini, Pas., 1985, I, 741),
la Cour de cassation reproche au juge du fond de ne pas avoir assimilé les règles et usances des
Lloyd's de Londres au droit étranger, quant à la condition qu'il convenait de reconnaître au droit
applicable du point de vue de la connaissance de son contenu (sur cette question, voy. supra,
n° 6.57).

Le principe selon lequel la loi d'autonomie permet seulement la soumission du con-


trat à un ordre juridique étatique, appartient au droit international privé étatique.
Déplacées dans ce contexte, les observations parfois très pertinentes faites à propos du
« contrat sans loi » (voy. notamment, infra, n ° 14.81) se vérifient quand on en limite la
portée aux relations contractuelles soustraites au contrôle effectif des ordres juridiques
étatiques. Le dualisme des sources de droit a ainsi pour conséquence deux interpréta-
tions très différentes de la loi d'autonomie en droit international privé.
Sur le contrat « sans loi», voy. notamment: H. BATIFFOL, Aspects philosophiques, 96-102; J.-P.
1111!

BERAUDO, « Faut-il avoir peur du contrat sans loi ? », Mélanges Lagarde (Paris, Dalloz, 2005), 93-112 ;
S.M. CARBONE,« Il 'contratto senza legge' e la convenzione di Roma del 1980 », Riv. dir. int. priv. proc.
(1983), 279 et s.; LEVEL,« Le contrat dit sans loi», Trav. Comité fr. d.i.p. (1964-1966), 209 et s.; Y.
LOUSSOUARN et J.O. BREDIN, Droit du commerce international (Paris, Sirey, 1969), 602-604; PEYREFITTE,
« Le problème du contrat dit 'sans loi'», D. (1965), C, 113; R. VANDER ELST, Rép. prat. dr. belge,
804 LES CONTRATS

Campi., t. II, v 0 « Conflits de lois», n° 172; W. WENGLER, « Immunité législative des contrats
multinationaux», Revue (1971), 637-661.
Voy. aussi : Le contrat économique international (précité n ° 14.1 ), notamment pp. 290-291 et 443-447.
Le choix peut porter sur le droit d'un pays avec lequel le contrat n'a pas de lien parti-
culier. Cette faculté est fonction de la portée assignée au principe d'autonomie (voy.
supra, n° 5 14.40 et s.). La perspective subjectiviste implique normalement la possibilité
d'un tel choix, la théorie de la localisation objective l'exclut, non sans entendre dans un
sens large la notion d'objectivité.
1111 Ainsi, pourrait être objectifle lien entre un contrat de prêt et la loi de l'État de New York, même

en l'absence de tout lien géographique du contrat avec cet État, en raison de l'importance de cette
place et de sa réglementation pour les milieux financiers.

La Convention de Rome ne contient aucune limite de ce type. Elle permet même aux
parties à un contrat interne, entendu au sens de l'article 3, paragraphe 3, de choisir une
loi étrangère. Dans ce cas cependant, le contrat n'échappera pas pour autant aux
« dispositions impératives » du pays où se localise ce contrat interne.

14.47 - Dépeçage de la loi contractuelle: désignation d'une loi de référence - Quand


les parties choisissent la loi qui régit leur contrat, leur choix se limite-t-il à une seule loi
nationale ou peuvent-elles soumettre les différents aspects du contrat à autant de droits
distincts, suivant une technique dite de « dépeçage » : telle loi pour la forme, une autre
pour la validité, une troisième pour l'exécution?
1111Pour une approche plus générale du phénomène du dépeçage, voy. l'article de P. LAGARDE, cité
n ° 14.1; M. EKELMANS, « Le dépaçage du contrat dans la Convention de Rome du 19 juin 1980 sur
la loi applicable aux obligations contractuelles », Mélanges Vander Elst (Bruxelles, Nemesis, 1986),
243-253.

Avant de répondre à cette question, il faut distinguer l'incorporation au contrat de


règles de droit matériel (materiellrechtliche Verweisung) de la loi d'autonomie proprement
di te (kollisionsrechtliche Verweisung).
1111H. LEWALD, « Règles générales des conflits de lois», Recueil des cours, vol. 69 (1939-III), 114 et s.,
attribue cette distinction à Zitelmann.

L'incorporation à un contrat de règles de droit matériel empruntées, le cas échéant,


à un droit étranger est valable dans les limites permises soit par la liberté contractuelle en
droit interne (C. civ., art. 1134), soit par la loi d'autonomie en droit international privé.
Celle-ci exige que le choix des parties ait pour objet une loi nationale déterminée, compé-
tente pour apprécier la validité de l'incorporation de dispositions matérielles d'autres
lois dérogeant sur certains points particuliers à la loi du contrat.
En revanche, une mosaïque de dispositions matérielles hétérogènes ne saurait être
assimilée à la mise en œuvre de la loi d'autonomie. Une telle forme de dépeçage équivau-
drait à soustraire le contrat à toute loi qui le structure et elle ne serait pas compatible
avec les arguments à l'aide desquels il a été justifié que la loi choisie par les parties gou-
verne tant la validité du contrat que l'existence des déclarations de volonté sur lesquelles
il repose.
1111Les parties ne sauraient donc exclure de leur choix de la loi contractuelle les dispositions de
celle-ci qui conduisent à annuler le contrat ou certaines de ses dispositions. Par ailleurs, la désigna-
tion de la loi contractuelle qu'opère une clause de choix ne saurait être regardée comme incorpo-
rant au contrat, à titre de dispositions supplétives, les seules règles de nature à en combler les
lacunes.
RÈGLES GÉNÉRALES DE CONFLIT DE LOIS RELATIVES AUX CONTRATS 805

Aux termes de l'article 3, paragraphe 1er, de la Convention de Rome, les contractants


peuvent désigner la loi applicable à la totalité ou à une partie seulement de leur contrat.
Cette disposition ne permet pas un véritable dépeçage du contrat, puisque celui-ci
sera, pour le surplus, soumis à la loi désignée conformément à l'article 4 (voy. infra,
n° 14.54).
En revanche, la Convention permet un dépeçage limité de la loi contractuelle par le
juge, à défaut de choix des parties: un tel dépeçage n'est possible que « à titre
exceptionnel » et seulement « si une partie du contrat est séparable du reste du contrat »
(art. 4, § 1er).
Avec le « dépeçage » du contrat, organisé par les parties, il ne faut pas confondre
l'application «inéluctable» des lois de police contractuelle déclarées compétentes en
vertu de la localisation de certains éléments de la situation (voy. infra, n° 14.73). Cette
application n'en conduit pas moins, comme le dépeçage, à un morcellement du droit
applicable, sauf si le rattachement impératif emporte un rattachement global du contrat,
ce à quoi tendent par exemple les articles 5 et 6 de la Convention de Rome pour les con-
trats de consommation et de travail, à la différence de l'article 7.

14.48 - Exclusion d'une pétrification de la loi contractuelle - La loi d'autonomie per-


met-elle aux parties de soustraire leur contrat aux modifications législatives postérieures
à l'échange des consentements ? Une technique parfois utilisée consiste à pétrifier la loi
choisie, en limitant son contenu aux règles en vigueur au moment de la conclusion du
contrat.
D'après une doctrine dominante, les parties ne peuvent, même en déclarant expres-
sément se soumettre au droit en vigueur au moment de la conclusion du contrat, se sous-
traire à ses modifications ultérieures.
La jurisprudence estime qu'en choisissant une loi nationale, les parties sont, quant à
l'exécution de leur convention, régies par les dispositions de ce droit entrées en vigueur
après la conclusion du contrat et applicables aux contrats en cours. Telle est, notam-
ment, la solution de la jurisprudence belge.
1111La question s'est posée à propos d'emprunts internationaux que les parties avaient rattachés à
l'or avant une abolition législative de la clause-or, applicable aux contrats en cours.
Voy. Cass., 24 février 1938, précité n ° 14.39, qui n'a pas tranché expressément la question, l'inter-
prétation donnée au contrat par le juge dù fond ayant été jugée souveraine. Comp. Bruxelles,
4 février 1936, Pas. (1936), II, 52. Sur l'ensemble de la question, voy. G. VAN HECKE, Problèmes ;uridi-
ques des emprunts internationaux (2e éd., 1964), 194 et s., et pour d'autres références, voy. F. RrGAUX,
Recueil des cours, vol. 117, 403, note 28.
Sur l'interprétation de la jurisprudence française, qui a appliqué à cette situation une règle maté-
rielle de droit international privé (supra, n° 3.8), voy. notamment P. GRAULICH, v « Conflit de lois
0

dans le temps», n° 5 106 à 108, Rép. Dalloz (édit. 1968), et H. BATIFFOL, v 0 « Contrats et
conventions», n')S 34 à 37, ibid.

Ill La résolution de l'Institut de droit international (session de Bâle, précitée n ° 14.1) permet la
clause de pétrification tout en prévoyant l'application des règles impératives ultérieures de la loi
désignée qui entendent régir les contrats en cours (art. 8).

14.49 - Pétrification liée à un changement de souveraineté - L'hypothèse dans laquelle


la loi du contrat est celle d'un territoire qui a subi un changement de souveraineté après
la conclusion du contrat appelle une attention particulière.
806 LES CONTRATS

Si les dispositions de droit matériel applicables au contrat ont été modifiées par
l'État nouveau ou par l'État annexant, la jurisprudence du pays dont le territoire a été
détaché a tendance à appliquer aux contractants ayant quitté ce territoire pour regagner
une partie non annexée du même pays le droit de cet État, de préférence au droit de l'État
nouveau.
Ili Ainsi, un arrêt de la cour de Paris a maintenu sous l'empire de la loi française un contrat conclu,
avant l'indépendance de l'Algérie, encre des sociétés ayant ensuite transféré en France leur siège
d'exploitation. Cette solution se justifie sans doute par l'interprétation de la volonté des parties
qui, en choisissant l'application de la loi française, n'ont pas entendu passer sous la juridiction du
nouvel État, volonté qui s'exprime dans la rupture du lien qui les unissait au territoire ayant accédé
à l'indépendance.
Outre Paris, 10 juillet 1965, Revue (1966), 63, voy. des références de jurisprudence allemande posté-
rieure au démembrement de l'Empire allemand par le Traité de Versailles, dans F. RrGAUX, Recueil
descours,vol. ll7,4ll-4l4.

Ill. CONTRÔLE DE LA COUR DE CASSATION SUR LE CHOIX


DE LA LOI CONTRACTUELLE

14.50 - Interprétation souveraine de la volonté des parties - L'interprétation, par le


juge du fond, de la volonté des parties dans le choix de la loi contractuelle échappe au
contrôle de la Cour de cassation (Cass., 24 février 1938, supra, n ° 14.39).
Le juge du fond« apprécie souverainement[... ] à quelle loi les contractants ont entendu subor-
111!
donner l'exécution de leurs accords» (Cass., 27 novembre 1974 et 4 septembre 1975, supra,
n° 14.39).

1111La solution est appliquée aussi par la Cour de cassation de France: « C'est par une interpréta-
tion souveraine de la volonté des parties [que la cour d'appel] déduit de ces circonstances que cel-
les-ci ont entendu faire régir leur convention par la loi française» (Cass. civ., 28 juin 1966, Revue,
1967, 334).
En incorporant la loi choisie par les parties à la méthode de localisation objective, un arrêt plus
récent a encore affirmé « que les juges du fond apprécient souverainement les circonstances qui
déterminent la localisation d'un contrat d'où ils déduisent la loi qui lui est applicable » (Cass. civ.,
1re ch., 29 juin 1971, Nassarc. Banque commerciale africaine, Clunet, 1972, 51, noce Ph. KAHN).

L'interprétation des volontés contractuelles est cependant assujettie au contrôle


exercé sur les actes juridiques privés, en Belgique celui de la foi due aux actes, en France
celui de la dénaturation, auxquels s'ajoute, dans les deux pays, le contrôle de la motiva-
tion (voy. par exemple, Cass., 5 juin 1959, Detmers et Smith c. s.a. Ville de Rotterdam, Pas.,
1959, I, 1016).
1111Dans l'arrêt du 24 février 1938, la Cour de cassation constate expressément que l'interprétation
donnée à la convention par le juge du fond « n'est pas inconciliable avec les termes de celle-ci, et
qu'elle est en outre basée sur les circonstances extrinsèques», formule classique du contrôle de
l'interprétation des actes juridiques. Sur ce contrôle, voy. F. RIGAUX, La nature du contrôle de la Cour de
cassation, n')S 179-189.

1111 L'arrêt du 21 février 1975 (voy. supra, n° 14.39) justifie la cassation de la décision attaquée par la
violation de l'article 97 [aujourd'hui 149] de la Constitution (contrôle de la motivation).
RÈGLES GÉNÉRALES DE CONFLIT DE LOIS RELATIVES AUX CONTRATS 807

C. Droit applicable à défaut de choix

1. FONCTION DE LA RÈGLE DE RATTACHEMENT SUBSIDIAIRE

14.51 - Un rattachement objectiflocalisateur - Les incertitudes sur la portée du prin-


cipe d'autonomie des volontés (voy. supra, n° 14.40) ont eu une répercussion, dans la
jurisprudence, sur la détermination exacte des cas d'intervention d'un rattachement sub-
sidiaire. Par définition, pareil rattachement intervient lorsque fait défaut la concrétisa-
tion du facteur retenu à titre principal (voy. supra, n ° 3.53).
La tendance relevée à rechercher la volonté implicite des parties ne saurait à tout le
moins figurer comme une règle subsidiaire par rapport à un choix explicite. Il n'y a lieu
de recourir aux solutions subsidiaires que si la volonté commune des parties est inexis-
tante ou indécelable au vu des indices existants. Ainsi entendue, la règle de rattachement
subsidiaire a par définition un caractère objectif: elle tend à localiser le contrat en fonc-
tion d'éléments matériels de rattachement, sans qu'il soit raisonnable d'imputer aux con-
tractants une volonté même implicite.
Ill Critiquant le caractère arbitraire de la recherche des volontés quand les indices significatifs font
défaut, le tribunal de commerce de Bruxelles a été jusqu'à comparer cette prétention à
« l'optimisme excessif de l'aveugle qui pénètre dans une chambre obscure pour y prendre un cha-
peau noir qui ne s'y trouve pas» (Comm. Bruxelles, 28 novembre 1969,].C.B., 1976, 786).

Sous la forme où elle a été élaborée au XIXe siècle par la doctrine allemande, une pre-
mière solution subsidiaire paraît difficile à distinguer de l'interprétation des volontés
implicites. Appelée hypothetische Parteiwille, cette théorie consiste à s'efforcer d'identifier la
loi que, compte tenu des divers éléments de localisation de la situation, les parties eus-
sent choisie si elles avaient exprimé leur volonté à cet égard.
Ill La méthode est critiquable dans la mesure où elle paraît supposer que les circonstances propres
à la cause révèlent des indices suffisants de rattachement à telle loi déterminée, alors que, précisé-
ment, l'insuffisance ou le caractère contradictoire de ces indices n'ayant pas permis de déceler le
choix implicite des parties, il faut faire appel à une solution subsidiaire.

À l'autre extrême, la théorie de la localisation considère le choix même explicite


comme un simple indice, certes déterminant, parmi les éléments objectifs de localisation
que le juge doit peser.
Ill Certaines formulations de la Cour de cassation de Belgique donnent à entendre que, malgré la
consécration de la méthode indiciaire, elle est demeurée fidèle à la recherche des volontés hypothé-
tiques (voy. supra, 14.39). Il en va de même du contrôle limité qu'elle exerce sur l'application de la
loi d'autonomie (voy. supra, n° 14.50). Aussi une méthode dite de localisation objective, caractérisée
par la recherche d'indices permettant de rattacher le contrat à un pays déterminé (voy. infra,
n ° 14.53), ne procède-t-elle pas nécessairement d'un rattachement fondé sur des critères de nature
purement objective.

De part et d'autre, on s'efforce de réduire à un dénominateur commun toutes les


solutions de conflit de lois en matière contractuelle, niant l'articulation de ces solutions
autour du fait, tantôt vérifiable, tantôt absent, du choix des parties.
Trop dogmatiques, ces deux tendances ne rendent compte ni du fait que constituent
les volontés des parties, fait décisif quand il est vérifié mais faisant parfois défaut, ni de la
manière dont les traités internationaux articulent l'une à l'autre une règle de conflit prin-
cipale fondée sur la loi d'autonomie et une série de règles subsidiaires procédant de la
808 LES CONTRATS

localisation du contrat par ses éléments matériels à défaut d'indices suffisants de la


volonté des parties.
Encore peut-on se demander si un renversement de perspective n'est pas de nature à
assurer une démarcation plus nette des rattachements subsidiaire et principal. Le prin-
cipe de rattachement serait constitué par la règle actuellement appelée subsidiaire et fon-
dée sur des éléments objectifs de localisation. Au titre d'une exception, les parties
pourraient déroger à cette localisation, mais en des termes nécessairement exprès. Il
appartiendrait au droit du for de déterminer l'extension de cette dérogation, en décidant
si le rattachement volontaire peut se substituer au rattachement objectif, ou seulement le
prolonger.
IllLe rattachement actuel des contrats de consommation et de travail (voy. infra, n'" 14.109 et s.,
14.169 et s.) peut servir à illustrer cette conception, tout en limitant la dérogation exprimée par les
parties à un complément de protection assuré à la partie jugée la plus faible. L'évolution est encore
plus nette à propos du contrat d'assurance (voy. infra, n° 14.90).
111Comp. plus généralement la technique de l'option de droit, supra, n° 3.22, lorsque la règle de
rattachement énonce au principal un rattachement objectif, tout en permettant ensuite une déro-
gation par les parties dans des limites prédéterminées Voy. aussi l'article 101 du Code de droit
international privé, infra, n ° 15.14.

Il. ÉVOLUTION DES RÈGLES DE RATTACHEMENT SUBSIDIAIRES

14.52 - Identification d'un lieu prédéterminé - Au cours d'une première phase, le rat-
tachement contractuel a été basé sur la localisation d'un élément déterminé du contrat,
d'abord la conclusion, ensuite l'exécution.
La référence au lieu de formation des actes juridiques figure dans les règles de conflit
de lois les plus anciennes (voy. supra, n° 14.37). Elle a encore reçu une consécration
comme rattachement subsidiaire par la Cour de cassation de France dans son arrêt de
principe du 5 décembre 1910 (voy. supra, n ° 14.38).
Ce facteur a perdu aujourd'hui tout titre à figurer comme facteur de rattachement
subsidiaire, si ce n'est pour des opérations déterminées, comme des contrats de bourse.
IllLa jurisprudence belge a manifesté un abandon progressif du facteur. Voy. une critique vigou-
reuse par: C. trav. Bruxelles, 11 juin 1974, R W (1974-1975), 2030. Celui-ci s'est pourtant main-
tenu longtemps en matière de contrat d'assurance.

L'abandon du lieu de conclusion a joué généralement dans la jurisprudence au pro-


fit du lieu d'exécution, lequel a dominé comme tel le rattachement des contrats à la veille
de l'entrée en vigueur de la Convention de Rome. C'est au sujet des contrats de travail
(localisation des prestations du travailleur) que la jurisprudence y a manifesté l'attache-
ment le plus fort.
Certaines décisions ont précisé sur le tard que l'élément à localiser est celui de l'exé-
cution de la « prestation caractéristique » du contrat. Cette démarche tend à isoler, en cas
de pluralité de débiteurs - ce qui est en réalité le cas de tout contrat synallagmatique -
un facteur unique. Sans l'expliciter, elle semble avoir emprunté à la théorie de la presta-
tion caractéristique consacrée par la Convention de Rome (voy. infra, n ° 14.54).
Ill Voy. Comm. Bruxelles, 12 novembre 1979,j.C.B. (1980), 299, note N. WATIE; 3 septembre 1981,
].C.B. (1982), 630; 10 mai 1982,j.C.B. (1983), 241; 22 février 1985,J.T (1985), 491. En France, voy.:
Cass. civ., 25 octobre 1989, Procomex, Clunet (1992), 113, note FERRY.
RÈGLES GÉNÉRALES DE CONFLIT DE LOIS RELATIVES AUX CONTRATS 809

14.53 - La méthode indiciaire - Souvent assimilé à une « localisation objective», qu'il


illustre sans en être l'apanage (voy. supra, n° 14.51), le rattachement indiciaire se distin-
gue essentiellement des précédents par l'absence de facteur préconstitué. Plutôt que de
décider qu'à défaut de choix de la loi contractuelle, celle-ci est désignée en tous les cas
selon le facteur du lieu d'exécution, il s'agit de déterminer le pays avec lequel le contrat,
ou la situation contractuelle, présente les liens les plus étroits en l'espèce. L'opération
relève d'une appréciation de fait, laissée nécessairement au juge en cas de litige.
1111 La solution cire son origine du droit anglais, où elle a reçu l'appellation de proper law of the con-

tract. Transposée en droit américain, elle y a été étendue à la matière de la responsabilité civile
comme proper law ofthe tort (infra, n ° 15.10).
1111Selon Dicey-Morris paraphrasant la jurisprudence, le rôle du juge est, sans exprimer pour
autant l'intention, inexistante, des parties, de « dire comment une personne droite et raisonnable
aurait considéré le problème, quelle intention des hommes d'affaires moyens, raisonnables et intel-
ligents auraient vraisemblablement exprimée s'ils avaient été conscients du problème et des cir-
constances de fait, dont le juge, à défaut des parties, a été informé" (Rule 127 de DrcEY).
Quoique sous des formulations diverses, la jurisprudence belge a appliqué pratique-
ment la méthode indiciaire depuis de nombreuses années.
Ill Voy. les références citées par B. HANOTIAU et M. FALLON,j.T (1987), 100-101. Sur l'ambiguïté de
la formulation, voy. supra, n° 14.44. Alors que l'arrêt attaqué s'était très clairement prononcé en
faveur de la localisation objective du contrat, un arrêt de rejet de la Cour de cassation (27 novembre
1974, Pas., 1975, I, 343) s'est prononcé sur le moyen tiré de la loi d'autonomie en droit internatio-
nal privé, en réduisant la localisation faite par le juge du fond à une interprétation souveraine de la
volonté des parties.
En France, la méthode indiciaire a été approuvée par la Cour de cassation dès 1959 : « Il appar-
1111

tient aux juges du fond de rechercher d'après l'économie de la convention et les circonstances de la
cause quelle est la loi qui doit régir les rapports des contractants" (6 juillet 1959, Revue, 1959, 708).

14.54 - Référence à la prestation caractéristique - La Convention de Rome consacre la


méthode indiciaire (art. 4, § 1er). Elle rencontre toutefois une objection souvent opposée
à celle-ci: laissant un pouvoir d'appréciation large au juge du fond, elle empêche la prévi-
sibilité des solutions, déterminante en matière contractuelle. À cette fin, le texte établit
certaines présomptions, de nature réfragable.
Une première présomption est de nature générale. Les liens les plus étroits sont
supposés exister avec le pays où le débiteur de la prestation caractéristique possède sa
résidence habituelle ou son établissement principal (§ 2). Cette prestation peut être iden-
tifiée, parmi les obligations issues du contrat, comme celle qui crée une richesse sur le
marché.
Ill Le texte n'aide pas à identifier la prestation caractéristique du contrat. Le rapport explicatif en
donne une approche négative, en excluant la prestation de paiement, commune à tout contrat
synallagmatique. Il ajoute, à titre d'exemple d'une prestation caractéristique, celle du vendeur, du
fournisseur d'un service, du transporteur, de l'assureur, du banquier, de la caution. Il précise que le
rattachement repose sur « l'essence de l'obligation", et que la prestation vise « la fonction que le
rapport juridique en cause exerce dans la vie économique et sociale du pays"·
IllDans la jurisprudence, voy.: Comm. Hasselt, 3 février 1993, Limb. Rechtsleven (1993), 234, note
M. HANSSEN, identifiant la prestation du déclarant dans un contrat de déclaration en douanes de
marchandises; 8 février 1994, R.W (1996-1997, 307, identifiant la prestation de l'entrepreneur de
construction; Comm. Anvers, 29 juin 1994, Rev. dr. comm. belge (1995), 429, note M. CLAEYS, identi-
fiant la prestation du banquier qui ouvre le crédit documentaire; Anvers, 3 janvier 1995, Rev. dr.
comm. belge (1995), 387, note J. ERAUW, identifiant la prestation de l'entrepreneur de construction
immobilière; Comm. Bruxelles, 2 septembre 1997, Alg. jur. Tijds. (1999-2000), 140, note K. Roox;
810 LES CONTRATS

Bruxelles, 18 février 1999, Rev. prat. soc. (2000), 243, identifiant la prestation du mandataire pour les
relations internes du contrat de mandat; Comm. Hasselt, 10 mai 2000, R W (2000-2001), 1244,
identifiant la prestation de l'entrepreneur sous-traitant; 8 juin 2004, Rev. dr. comm. belge (2005), 96,
identifiant la prestation de l'entrepreneur.
En France, voy.: Grenoble, 13 septembre 1995, Revue (1996), 666, note D. PARDOEL, Clunet (1996),
948, note C. WITZ, identifiant par la prestation de l'affactureur.
Le contrat de distribution a donné lieu à des interprétations divergentes. Voy. infra, n° 14.189.
111 Dans la doctrine antérieure, voy. déjà, principalement, les travaux de A. SCHNITZER, précités
n ° 14.1.
Voy. déjà aussi: G. VAN HECKE,« Signification et limites du principe de l'autonomie de la volonté
dans les contrats internationaux», Rev. dr. int. dr. camp. (1955), 84.
La théorie a reçu une illustration en matière de vente dès la Convention de La Haye du 15 juin
1955, mais sans combinaison avec la méthode indiciaire (voy. infra, n ° 14.184).
La localisation selon la prestation caractéristique du contrat se fait au moyen de
l'établissement du débiteur de cette prestation, et non de l'exécution de cette prestation.
1111Pour une illustration - anticipée - à propos du contrat d'agence, dans le sens de la désignation
de la loi de l'établissement de l'agent, voy.: Trib. arrond. Luxembourg, 7 juillet 1988, Riv. dir. int.
priv. proc. (1991), 1092. En France, voy.: Douai, 13 juillet 1988, Clunet (1990), 403, note J.-M. JAC-
QUET, appliquant la loi de l'établissement du bailleur d'une grue.
D'autres présomptions sont spéciales. Pour les contrats portant sur des immeubles,
la présomption joue en faveur du pays de situation du bien (§ 3) et, pour le contrat de
transport de marchandises, du pays où convergent l'établissement principal du transpor-
teur et, soit le chargement ou déchargement, soit l'établissement principal de l'expédi-
teur(§ 4).
Le conflit mobile est tranché par référence à la localisation de l'établissement ou de
la résidence au moment de la« conclusion » du contrat.
Une clause dite «d'exception» remplit une double fonction. D'un côté, elle sert de
règle subsidiaire, pour le cas où la prestation caractéristique ne se laisse pas déterminer
(art. 4, § 5, 1re phrase). D'un autre côté, elle tempère la référence au lieu de l'établissement
du débiteur de la prestation caractéristique en écartant la présomption « lorsqu'il résulte
de l'ensemble des circonstances que le contrat présente des liens plus étroits avec un
autre pays», auquel cas la loi de ce pays est appliquée(§ 5, ze phrase).
1111Pour une première application, critiquée, de cette clause, voy.: Versailles, 6 février 1991, Revue
(1991), 745, note P. LAGARDE, C/unet (1992), 125, note J. FOYER. Voy. aussi: C. CAMPIGLIO, « Prime
applicazioni della clausola d'eccezione europea in materia contrattuale », Riv. dir. int. priv. proc.
(1992), 241-254.
Comp. les termes ambigus de: Comm. Anvers, 13 avril 1999, Jur. Anv. (1999), 238, relatif à une
assurance maritime, retenant, à titre d'indices, la loi (belge) du lieu de conclusion, de résidence de
l'assuré et des usages auxquels les parties s'étaient référées.
Il!Pour un rejet en l'espèce de la clause d'exception, voy. : Anvers, 7 avril 1998, Rev. gén. dr. civ.
(1999), 83.

§3 DOMAINE DE LA LOI CONTRACTUELLE


A. Étendue du domaine de la loi contractuelle
14.55 - Questions relevant du droit des contrats - La détermination du droit applica-
ble à la situation contractuelle se distingue de la détermination des questions que ce
droit est appelé à régir.
RÈGLES GÉNÉRALES DE CONFLIT DE LOIS RELATIVES AUX CONTRATS 811

En principe, le domaine de la loi contractuelle s'étend à toutes les questions qui, par
leur nature, relèvent du droit des contrats. Il en va ainsi de la formation du contrat (con-
sentement, objet et cause, partiellement forme), de son interprétation, de l'exécution des
obligations contractuelles, de la détermination de la monnaie du contrat, de l'extinction
des obligations, de la preuve contractuelle. La Convention de Rome consacre ce principe
(art. 10).
!Ill Ainsi, la prescription extinctive relève de la loi contractuelle (Cass., 29 novembre 1990, Pas.,
1991, I, 321; Trib. trav. Bruxelles, 2 février 1981,]. TT., 1982, 60; Gand, 9 octobre 1996, R W., 1997-
1998, 125).
Il importe peu que la loi contractuelle étrangère donne à cette institution une qualification diffé-
rence, ne connaissant que des prescriptions de nature procédurale. Pour le juge belge saisi, laques-
tion se réduit à celle de la détermination du contenu de sa règle de conflit de lois en matière de
prescription, et du choix encre le rattachement au principe d'autonomie ou à la loi du for au titre
de loi de procédure. L'extension donnée au domaine de la première et la relative restriction de la
seconde (voy. supra, chap. 11) par le droit international privé du for impliquent une préférence pour
celle-là.
Ce mode de raisonnement permet d'éviter tout recours à une analyse conceptuelle en termes de
qualification (voy. supra, n° 7.22). Une telle analyse a pourtant été opérée par le tribunal de com-
merce de Bruxelles dans un jugement du 15 février 1983, Rev. dr. comm. belge (1984), 61, qui a appli-
qué la prescription de droit belge à un contrat soumis au droit anglais en procédant à une
qualification lege causae.
ffll Pour la détermination de la monnaie, voy. infra, n° 5 14.64 et s.
Certaines questions donnent lieu à une application nuancée de la loi contractuelle.
Il en est ainsi de l'existence du contrat (art. 8), de sa forme (art. 9), des problèmes de
preuve (art. 14), de la cession de créance (art. 12).
Pour l'existence du contrat, la partie qui prétend ne pas avoir consenti peut se référer
sous certaines conditions à la loi de sa résidence habituelle.
L'application de principe de la loi contractuelle à la question de l'existence confirme la jurispru-
ffll
dence, notamment: Cass., 21 février 1975, Pas. (1975), !, 642, mais sans la nuance précitée. Voy. une
présentation de celle-ci par B. HANOTIAU et M. FALLON,j. T ( 1987), 108-110. Pour une application de
la loi contractuelle sur la base de l'article 8, voy.: Comm. Anvers, 15 février 2002, R.A.B.G. (2004),
1337. Sur la portée théorique de l'extension de la loi contractuelle à l'existence du contrat, voy.
supra, n ° 14.40.
!Ill Le domaine de la loi contractuelle s'étend aux « conséquences de la nullité du contrat (art. 10,
§ 1", e), mais la Convention ouvre une faculté de réserve à cet égard (art. 22, § 1"'). La Belgique n'en
a pas fait usage.
La portée de négociations précontractuelles sur l'existence du contrat pourrait relever à ce titre
1111

de la loi précitée.
1111Sur la thèse de l'application de la loi de la résidence de l'acceptant, voy. notamment: A. BoG-
GIANO, (précité n ° 14.1, Recueil descours), 34-36, indiquant son origine allemande, ainsi que: F. VIS-
CHER, précité n ° 14.1, 45-46; résolution de l'Institut de droit international, session de Bâle, précitée
n ° 14.1, art. 4, § 2.
L'exécution relève de la loi du contrat, mais la Convention introduit une nuance
pour les« modalités» d'exécution ainsi que pour« les mesures à prendre par le créancier
en cas de défaut dans l'exécution» (art. 10, § 2) : à ce propos, l'on« aura égard à la loi du
pays où l'exécution a lieu». Cette disposition renvoie à la loi locale, sans constituer pour
autant une dérogation véritable au domaine de la loi du contrat, puisque les règles loca-
les seront seulement prises en considération : le juge aura à en tenir compte dans son
appréciation. Les «modalités» visées sont, selon l'exposé des motifs, définies selon le
812 LES CONTRATS

droit du for, faute de pouvoir trouver une définition autonome de la notion, mais
incluent en toute hypothèse« la réglementation de jours fériés, celle des modalités d'exa-
men de la marchandise ainsi que les mesures à prendre en cas de refus de celle-ci».
111 Selon l'exposé des motifs, le terme« avoir égard» implique une simple faculté pour le juge saisi
d'appliquer la loi locale, et ce « pour rendre justice aux parties». Il semble plutôt que l'expression
relève de la notion de« prise en considération» d'une règle (voy. supra, n° 6.50), et le texte paraît
impliquer une obligation, et non une simple faculté, de prendre cet élément en considération.

14.56 - La forme du contrat - La forme de l'acte relève alternativement - dans un sens


favorable à sa validité - de la loi contractuelle et de la loi du lieu de conclusion, sous
réserve de dispositions spéciales intéressant respectivement le contrat conclu par repré-
sentant, l'acte unilatéral, le contrat de consommation et le contrat portant sur un droit
réel immobilier (art. 9). Toutefois, lorsque les contractants« se trouvent» dans des pays
différents, la loi contractuelle a pour alternative la loi de l'un de ces pays.
1111 Pour une présentation générale du droit applicable à la forme des actes, voy. supra, n ° 3.29.

La référence à la loi qui régit le contrat au fond permet, indirectement, que les par-
ties fassent choix du droit applicable à la forme. En effet, la Convention tolère un dépe-
çage de la loi contractuelle: l'aspect formel peut être vu comme« une partie» du contrat
au sens de l'article 3.
La jurisprudence antérieure à la Convention de Rome illustre, sous deux variantes,
un recours au principe d'autonomie. Dans cette perspective toutefois, le juge ne cherche
pas nécessairement à appliquer la loi qui favorise la validité du contrat quant à la forme,
mais plutôt à appliquer la loi qui a été choisie par les parties.
Selon une première modalité, le droit du lieu de conclusion a été appliqué, « lorsque
n'est pas établie la volonté des parties de soumettre la forme de leur contrat à la loi qui
régit au fond celui-ci ou à leur loi nationale» (en France: Cass. civ., ire ch., 10 décembre
1974, Pierucci, Revue, 1975, 474, note R. PONSARD, Clunet, 1975, 542, note Ph. KAHN).
Selon une seconde modalité, le droit qui régit le contrat quant au fond a été appli-
qué, à moins que ne soit établi le choix d'un autre droit par les parties.
111 Sans être explicites, plusieurs arrêts de la Cour de cassation de Belgique peuvent être interprétés
en ce sens: Cass., 27 novembre 1974, Debecker, Pas. (1975), I, 343; 24 septembre 1987, Brunner, Pas.,
(1988), I, 112.
Dans l'affaire Debecker, des Belges domiciliés en Belgique y font un contrat par lequel l'un cède à
l'autre un fonds de commerce situé en France. La nullité est prononcée pour violation des règles de
forme du droit français, le juge du fond ayant pu légalement déduire des circonstances de la cause
que le contrat était soumis à ce droit, choisi par les parties. Sans doute l'arrêt ne contient-il aucune
trace de l'autonomie du statut de la forme et on peut s'étonner que le demandeur en cassation n'ait
pas pensé à invoquer la violation de la règle Locusregitactum (qui aurait pu trouver un appui textuel
dans l'article 3, alinéa 1", du Code civil).
L'arrêt de 1987 rejette le pourvoi dirigé contre un arrêt de la cour d'appel de Bruxelles qui avait
validé sur base du droit belge un cautionnement conclu en Suisse, en énonçant que « les indices
relevés à propos du choix de la loi applicable au fond subsistent en ce qui concerne le choix de la loi
applicable à la forme». En constatant le respect de l'article 1134 du Code civil alors que la violation
de« la règle belge de conflit de lois locus regit actum » était invoquée, la Cour confirme une tendance
à ne pas isoler le rattachement de la forme du contrat, tout en admettant l'éventualité du choix
exprès d'une autre loi.
Voy. aussi: Mons, 20 novembre 1991,J.L.M.B. (1992), 772, note M. LIÉNARD-LIGNY, soumettant la
forme à la loi contractuelle si les parties n'ont pas choisi la loi du lieu de conclusion.
RÈGLES GÉNÉRALES DE CONFLIT DE LOIS RELATIVES AUX CONTRATS 813

14.57 - La cession de créance - Le rattachement de la cession de créance appelle une


distinction qu'opère nettement l'article 12 de la Convention de Rome.
Ill Sur cette question, voy. spécialement: E. CASHIN-RrTAINE, Les cessions contractuelles de créances de
sommes d'argent dans les relations civiles et commerciales franco-allemandes (Paris, LGDJ, 2001) ; V. HEUZÉ,
« Le droit international privé du contrat d'assurance », Traité de droit des assurances (Paris, LGDJ,
2002) ; E.-M. KIENINGER, « Das Statut der Forderungsabtretung im Verhaltnis zu Drittten », R.abelsZ
(1998), 678 et s.; E.-M. KIENINGER et E. ScHÜTZE, « Die Forderungsabtretung im Internationalen
Privarrecht », IPR.ax (2005), 200-208 ; M. LooYENS, « Cessie en subrogatie in het internationaal
privaatrecht », Rev. dr. comm. belge (1994), 686-701; A. MALATESTA, La cessione del credito nel diritto
internazionale privato (Padoue, Cedam, 1996); W. MANGOLD, Die Abtretung im Europdischen Kolli-
sionsrecht (Frankfurt, Lang, 2001) ; M. MosHINSKY, « The assignment of debts in the conflict of
laws », Law Quart. Rev. (1992), 591-625; D. PARDOEL, Les conflits de lois en matière de cession de créance
(Paris, LGDJ, 1997) ; V. SAGAERT, « De zakenrechtelijke werking van de cessie : de nieuwe IPR-rege-
ling na de wet van 2 augustus 2002 », T.P.R (2003), 561-612; A. SrNAY-CYTERMANN, « Les conflits de
lois concernant l'opposabilité des transferts de créance», Revue (1992), 35-60; W. VAN LEMBERGEN,
« Grensoverschrijdende cessie van schuldvorderingen na de wet van 2 augustus 2002 op het finan-
cieel toezicht: consensus over consensualisme? »,Dr.banc. fin. (2003), 145-159.
La convention passée entre le cédant et le cessionnaire est un contrat soumis à la loi
d'autonomie en ce qui concerne leurs relations respectives.
Ill En ce sens déjà, voy. : Paris, 11 février 1969, Clunet (1969), 918.
Ainsi, le moment du transfert de la créance d'un patrimoine à l'autre est déterminé selon la loi
1111

du contrat de cession: Comm. Courtrai, 31 octobre 2000, R.W (2004-2005), 1593, retenant la loi
de l'établissement du cédant en vertu du critère de la localisation par la prestation caractéristique
du contrat.
En revanche, la cessibilité de la créance et l'opposabilité de la cession au débiteur
cédé dépendent de la loi applicable à la créance cédée.
Ill Voy. une application par: Civ. Anvers (sais.), 15 janvier 1991, R W (1991-1992), 55; Comm. Has-
selt, 9 novembre 1999, Alg. jur. Tijdschr. (1999-2000), 507; Civ. Bruxelles, 17 mars 2000,]. T. (2001), 740.
Sur l'opposabilité des droits du débiteur cédé (acheteur) à l'affacrureur, soumise à la loi de la vente,
voy.: Grenoble, 13 septembre 1995, Revue (1996), 666, note D. PARDOEL, Clunet (1996), 948, note C.
WITZ.
Voy. antérieurement: J.P. Borgerhout, 14 décembre 1973, ].].P. (1975), 144; contra, à propos de
l'article 1690 C. civ.: Civ. Bruxelles, 9 avril 1968, Pas. (1968), III, 106, dans le sens de l'application de
la règle Locus regzt actum.
Le rapport explicatif précise que la loi de la créance cédée régit les « modalités requises» pour que
le transfert ait un effet vis-à-vis du débiteur.
Le texte n'évoque pas la question de l'opposabilité de la cession aux tiers autres que le
débiteur cédé. Si ce silence doit être interprété comme une inclusion dans le domaine de la
loi contractuelle, cela exclurait l'application de la loi de la créance cédée et se compren-
drait comme la désignation de la loi qui régit la cession. Une autre solution se dégage en
doctrine, au bénéfice de la loi de l'établissement du cédant: ce rattachement comporte
l'avantage de désigner une loi à la fois connaissable pour les tiers et unique en cas de ces-
sions multiples (affacturage) ou successives. Pratiquement, elle se confondra souvent avec
le rattachement de la créance cédée et du contrat de cession (via une localisation par la
prestation caractéristique) tout en excluant l'autonomie de la volonté. Le Code de droit
international privé retient l'application de la loi de la résidence du cédant (art. 87, § 3).
Ill Le rattachement à la loi qui régit le contrat de cession a été retenu par le législateur dans le
secteur des services financiers. Selon l'article 145 de la loi du 2 août 2002 relative à la surveillance
du secteur financier et aux services financiers (Monit., 4 sept. 2002, abrogé par le Code),
« L'opposabilité du contrat de cession de créance à l'égard des tiers autres que le débiteur cédé est
814 LES CONTRATS

déterminée conformément au droit applicable au contrat de cession ». Curieusement, cette posi-


tion - qui permet aux parties de se référer à une loi étrangère favorable par l'exercice de l'autono-
mie de la volonté - n'a été prise que pour les entreprises finandères, sans considération pour
d'autres secteurs d'activité.
Dans la doctrine, en faveur de la loi du cédant, voy. notamment E.-M. Kieninger et V. Sagaert,
1111

précités.
En ce sens également, la Convention des Nations unies du 12 décembre 2001 sur la cession de
créance dans le commerce international (J.L.M., 2002, 776) ; la position du Groupe européen de
droit international privé (réunion de Vienne, 2003, www.drt.ucl.ac.be/gedip).
Contra, en faveur de la loi de la créance cédée: Hoge Raad, 16 mai 1997, Alg.Jur. Tijdschr. (1998-
1999), 295, note K. CHRISTIAENS et I. PEETERS, renvoyant à l'article 12, § 1", de la Convention de
Rome ; en faveur d'un rattachement unitaire de la créance cédée, voy. notamment E. Cashin-
Ritaine (sauf pour la réserve de propriété) et W. Mangold, précités.
11!1Dans le cas soumis au tribunal de commerce de Courtrai (31 octobre 2000, précité), une banque
belge créancier du cédant et détenteur d'un droit de gage sur le fonds de commerce de celui-ci,
déclaré en faillite, invoquait l'inopposabilité de la cession d'une créance sur l'État néerlandais opé-
rée à titre de sûreté au bénéfice d'un cessionnaire allemand, en se basant sur la loi belge applicable
au contrat de cession. Le même résultat aurait été obtenu par la règle de rattachement du Code, le
cédant étant établi en Belgique. Par ailleurs, les droits sur le fonds de commerce issus du gage
auraient également été régis par le droit belge (voy. supra, n ° 13.22).
En matière de contrat d'assurance, la cession du contrat fait l'objet de règles maté-
rielles spéciales à l'article 11 de la deuxième directive relative aux assurances « non-vie »
(infra, n° 14.92) et à l'article 14 de la directive 2002/83 relative aux assurances «vie»
(infra, n ° 14.99). Ces dispositions se réfèrent aux « conditions prévues par le droit
national», notamment au sujet de la cessibilité et de la publicité vis-à-vis du preneur,
sans qu'il soit sûr que cette référence constitue une règle de conflit de lois. Il s'agirait
alors d'une simple règle de signalisation (supra, n ° 4.41). Encore peut-on hésiter à propos
de la règle relative à la publicité puisque celle-ci, à la différence des autres, vise un État
déterminé, respectivement celui du lieu « où le risque est situé» et celui de l'« enga-
gement». De plus, en prévoyant une autorisation administrative préalable à la cession,
les auteurs du texte ont pu supposer - mais alors à tort - que l'autorité n'appliquerait
que ses propres règles matérielles.
Ces dispositions relatives à la cession du « contrat» soulèvent la question de l'applicabilité à
1111

une telle cession de l'article 12 de la Convention de Rome relatif à la cession de « créance». L'affir-
mative n'est pas douteuse puisque la première expression englobe la seconde. Celle-ci aurait été
mieux libellée en s'étendant aussi à la cession éventuelle de dettes.
1111L'application de l'article 12 de la Convention de Rome aux contrats visés par les directives est
possible au titre de « règles générales de droit international privé » au sens entendu par ces directi-
ves (voy. infra, n ° 14.90).

14.58 - La subrogation - La subrogation conventionnelle fait également l'objet d'une


règle spécifique, qui distingue entre l'existence de la subrogation et le contenu des droits
que le subrogé peut faire valoir (art. 13). La première question relève de la loi régissant le
contrat qui lie le subrogeant et le subrogé. La seconde question dépend de la loi régissant
la relation entre le subrogeant et son propre débiteur.
111Le Groupe européen de droit international privé propose de soumettre la subrogation conven-
tionnelle à une règle analogue à celle qui régit la cession de créances (réunion de Vienne, 2003, pro-
position relative à une révision de la Convention de Rome, www.drt.ucLac.be/gedip).
Ainsi, pour le contrat d'assurance, la subrogation de l'assureur est régie par la loi du contrat
d'assurance: Comm. Anvers, 13 avril 1999,jur. Anv. (1999), 238.
1111 L'opposabilité du transfert au tiers autre que le débiteur fait l'objet d'une règle analogue à celle

concernant l'opposabilité de la cession de créance (art. 87, § 3, Codip).


RÈGLES GÉNÉRALES DE CONFLIT DE LOIS RELATIVES AUX CONTRATS 815

La subrogation légale fait l'objet d'une règle particulière (art. 107 Codip, infra,
n° 15.24).

14.59 - La compensation de créances - Lorsque le débiteur oppose au créancier l'exis-


tence d'une dette de celui-ci à son égard, il invoque l'extinction de son obligation par voie
de compensation.
La Convention de Rome ne dit rien sur la compensation. En revanche, elle inclut
« les divers modes d'extinction des obligations» dans le domaine de la loi contractuelle
(art. 10, § ier, d).
Si la compensation fait l'objet d'une convention particulière qui en règle les condi-
tions (compensation conventionnelle), celles-ci ne peuvent être appréciées qu'au regard
de la loi qui régit cette convention.
Si la compensation invoquée résulte directement de la loi (compensation légale),
l'effet extinctif sur chacune des obligations concernées implique un rattachement cumu-
latif des conditions de la compensation aux lois qui régissent chacune des créances en
cause.
La thèse du rattachement cumulatif est retenue, pour les besoins du droit communautaire, par
1111
la Cour de justice des Communautés européennes (aff. C-87/01 P, 10 juillet 2003, Commission c.
Conseil des communes et régions d'Europe, Rec., 2003, 1-7617, à propos d'une compensation entre une
créance d'un particulier au titre d'une aide communautaire et une créance de la Commission sur ce
particulier liée à la mauvaise exécution d'un contrat de services), rappelant que la compensation
« opère l'extinction simultanée de deux obligations existant réciproquement entre deux
personnes » et énonçant qu'une « compensation extrajudiciaire entre des créances gouvernées par
deux ordres juridiques distincts ne saurait intervenir que pour autant qu'elle satisfait aux exigences
des deux ordres juridiques en présence».
1111 Dans le même sens en France, voy.: H. BATIFFOL et P. LAGARDE, n° 614.
11!1La doctrine allemande privilégie la thèse de l'application de la loi qui régit la créance à laquelle
la compensation est opposée (voy. H. BATIFFOL et P. LAGARDE précités). Cette thèse a pour inconvé-
nient de lier la solution à une action en justice et à la position procédurale d'une partie, et risque de
créer une inégalité entre les créanciers.
1111Des règles particulières déterminent la loi de la compensation en cas d'insolvabilité. Voy. supra,
n ° 13.67.

14.60 - La capacité contractuelle - La Convention de Rome consacre le principe admis


par la jurisprudence de l'application de la loi de la nationalité de celui qui s'engage (art. 11).
Elle modalise ce rattachement lorsque les contractants se trouvent dans le même
pays au moment de la conclusion. En ce cas, une incapacité fondée sur la loi nationale ne
saurait prévaloir vis-à-vis du cocontractant sur une capacité admise par la loi du lieu de
conclusion, à moins que ce cocontractant n'ait connu cette incapacité ou ne l'ait ignorée
qu'en raison d'une imprudence de sa part (voy. sur cette question, supra, n ° 12.153).
1111Sur la capacité, voy. dans la doctrine ancienne : L. GRAULICH, « Quelques réflexions sur les con-
flits de lois relatifs à la capacité de contracter», Mélanges Mahaim (Paris, Sirey, 1935), 644-656.

14.61 - Droits réels constitués par voie conventionnelle - Le contrat constitutif d'un
droit réel reste soumis à la règle de conflit de lois qui régit la matière contractuelle, sans
exclure certains rattachements particuliers. Ainsi, le contrat ayant pour objet un droit
réel immobilier fait l'objet d'une présomption spéciale dans la Convention de Rome, en
faveur de la localisation de l'immeuble (art. 4, § 3).
816 LES CONTRATS

En revanche, l'existence d'un droit réel et son opposabilité aux tiers relèvent de la
règle de conflit de lois qui régit le droit des biens (voy. supra, n ° 13.11).
Ainsi, la détermination du droit applicable à la réserve de propriété appelle une distinction
1111
selon que la question intéresse un élément du contrat de vente (existence de consentements, déter-
mination du prix) ou son opposabilité aux tiers, notamment en cas de faillite.

14.62 - Actions protectrices d'une créance - Selon le Code civil, le créancier peut cher-
cher à agir en justice afin de préserver l'effet utile de sa créance, en s'assurant de l'apti-
tude de son débiteur à s'exécuter. Ce faisant, il vise à protéger son droit de gage général.
Dans le cas de l'action oblique, il agit en lieu et place de son débiteur contre le débiteur de
celui-ci (art. 1166), afin que celui-ci exécute ses obligations envers celui-là. Dans le cas de
l'action paulienne, il attaque un engagement pris par son débiteur« en fraude de [ses]
droits» (art. 1167).
La soumission de l'action oblique à la loi qui régit la créance du demandeur à
l'action s'autorise autant d'un objectif de protection de cette créance que d'une analyse
de l'institution en termes de subrogation: dans ce dernier cas, l'existence de l'action relè-
verait de la loi précitée, alors que le contenu de la demande relèverait de la loi qui régit la
relation entre le débiteur du demandeur et son propre débiteur. Une analyse en termes de
représentation, selon laquelle le demandeur agit comme représentant de son débiteur,
signifierait que l'existence de la représentation relèverait de la relation entre représentant
et représenté, en cas de représentation volontaire.
La soumission de l'action paulienne à la loi qui régit la créance du demandeur peut
aussi s'autoriser d'un objectif de protection de cette créance. En revanche, même si elle
n'a pas pour objet la réparation d'un dommage, elle tend à prévenir la survenance d'un
dommage dû à un acte prétendument fautif et, à ce titre, elle pourrait dépendre d'un rat-
tachement quasi délictuel.
Tout rattachement basé sur une analyse de la nature de l'institution - subrogation
légale ou action quasi délictuelle - a pour inconvénient de faire dépendre la solution de
la nature assignée par le droit applicable au fond. Pour éviter ce cercle vicieux, il semble
préférable de s'attacher à la fonction de l'action, tel son but de protection de la créance
du demandeur. À cet égard, cette fonction peut aussi être vue comme affectant la déter-
mination de la personne ayant qualité pour agir sur l'acte attaqué dans l'action pau-
lienne, et pour agir en exécution de l'obligation dans l'action oblique: le rattachement
devrait alors désigner le droit qui régit, respectivement, l'acte attaqué et la créance du
débiteur du demandeur.
1111 Pour un rattachement considérant la créance protégée, voy. : H. BATIFFOL et P. LAGARDE, n ° 546;
pour une analyse en termes de qualité pour agir, voy.: P. MAYER et V. HEUZÉ, n ° 497; M.-L. NIBOYET-
HoEGY, L'action en justice dans les rapports internationaux de droit privé (Paris, Economica, 1986), 240 et
s., en faveur de la créance protégée.

En faveur de la loi de la créance du débiteur dans l'action oblique, voy.: Aix-en-Provence,


1111

30 mars 1979, Revue (1980), 717, note LÉGIER.


En faveur de la loi de l'acte attaqué dans l'action paulienne, voy. H. BATIFFOL et P. LAGARDE, n° 541,
en raison de« la gravité de l'action pour le tiers », tout en évoquant aussi un rattachement de type
cumulatif faisant intervenir la loi de la créance protégée.

1111En faveur de la soumission de l'action paulienne à la loi de situation du bien, où aura lieu une
saisie, au titre d'action tendant à préserver le droit de gage, voy. P. MAYER et V. HEUZÉ, n ° 665.
RÈGLES GÉNÉRALES DE CONFLIT DE LOIS RELATIVES AUX CONTRATS 817

B. Détermination de la monnaie contractuelle


14.63 - Bibliographie
V. BLACK, « Foreign currency obligations in private international law », Recueil des cours, vol. 302
(2003), 9-196; G. BLOCK, « Les incidences du passage à l'euro en matière civile»,]. T. (1999), 97-105;
F. BoucKAERT, « Het gebruik van vreemde munten in notariële akten », Tijds. Not. (1992), 352-359;
DE LA MARNIERRE, « Monnaie de compte et monnaie de payement »,D. (1951), Chr., 169; M. DELIER-
NEUX, « Les instruments du paiement international», Rev. dr. aff int. (1,993), 987-1024;
B. DUQUESNE et F. DE BROUWER,« Aspects juridiques du passage à la monnaie unique »,].T. (1998),
81-89 ; EBKE et NORTON (dir.), Festschrift in honour of Sir joseph Gold (Heidelberg, Recht und Wirts-
chaft, 1990), 470 p.; M. FALLON, « La monnaie du jugement en matière de contrats», Ann. Liège
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naie étrangère devant la Chambre des Lords - Nouveaux développements »,Revue (1979), 687 et s.;
A. GIARDINA, «L'euro: aspetti internazionalprivatistici », Riv. dir. int. priv. proc. (1999), 789-800;
F. GIANVITI, « Le contrôle des changes étranger devant le juge national», Revue (1980), 479-502;
J. GOLD, « Les clauses de monnaies convertibles dans le cadre des dispositions monétaires interna-
tionales actuelles», Revue (1980), 1 et s.; P. GOTHOT, « Loi monétaire tierce et loi du contrat», Rev.
Banque-Cahier ( 1979), 70-98 ; F.-Ch. ]EANTET, « Emprunts français à l'étranger: Domaines réservés à
la loi française», j.C.P. (1975-I), 2704; Ph. KAHN (dir.), Droit et monnaie - États et espace monétaire
transnational (Paris, Litec, 1988); B. KLEINER, Internationales Devisen-Schuldrecht (Zürich, Schulthess,
1985); D. LEFORT, « Problèmes juridiques soulevés par l'utilisation privée des monnaies
composites», Clunet (1988), 369-412; Ph. MALAURIE, « Le droit monétaire dans les relations privées
internationales», Recueil des cours, vol. 160 (1978-II), 265-334; F.A. MANN, The Legal Aspect of Money
(Oxford, Clarendon, 5e éd., 1992); MoEYKENS, « De muntdevaluatie in het internationaal
privaatrecht », R.W. (1965-1966), 1329; M. NIYONZIMA, « Vorderingen in een vreemde munt rechts-
vergelijkend bekeken, in het bijzonder naar Engels en Belgisch contractenrecht », TP.R. (1990), 9-
35 ; ID., La clause de monnaie étrangère dans les contrats internationaux - Étude de droit comparé (Bruxelles,
Bruylant, 1991), 311 p.; F. PocAR et A. MALATESTA, « Gli effetti dell'euro sui contratti
internazionali », Riv. dir. int. priv. proc. (1999), 201-222; E. PuTMAN et S. TAMBURINI-KENDER, « L'euro
et le droit des contrats», Rev. int. dr. écon. (1998), 313-324; L. RADICATI DI BROZOLO, « International
payments and conflict oflaws », Am.]. Comp. L. (2000), 307-326; P. RooRYCK, « Juridische aspectent
van de invoering van de Euro», TR. V (1997), 117-133 ;J. RITTER, Euro-Einfürungund IPR unter beson-
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van het vreemd geld », R. W. (1969-1970), 1957-1964; C. SUNT, « De invoering van de 'Euro'», R.W
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1964), 138-253; ID.,« Currency », International Encyclopedia ofComparative Law, vol. III, chap. 35; ID.,
« Conversion de la monnaie de compte en monnaie de paiement», Rev. Banque-Cahier (1979), 61-
69 ; M. VERWILGHEN, « Les effets des dépréciations monétaires sur les rapports contractuels. Etude
de la jurisprudence belge du droit international privé »,].C.B. (1971), 744-768, (1972), 99-126.
Parmi les études consacrées au Fonds monétaire international, plus particulièrement à l'article
VIII, section 2(b) de ses statuts, voy.: D. CARREAU, Souveraineté et coopération monétaire internationale
(Paris, Cujas, 1970); G.R. DELAUME, « De l'élimination des conflits de lois en matiere monétaire réa-
lisée par les statuts du F.M.I. et de ses limites», Clunet (1954), 332-379; Ph. DRAKIDIS, « Du carac-
tère non exécutoire de certains contrats de change, d'après les statuts du F.M.I. »,Revue (1970), 363-
400; L. FocsANEANU, « Les aspects juridiques du système monétaire international», Clunet (1968),
239-281 ; ID., « Le droit international monétaire à la recherche d'un système», Clunet (1973), 644-
675; F. GIANVITI, « Réflexions sur l'article VIII, section 2 (b) des statuts du F.M.I.», Revue (1973),
471-487, 629-661 et la bibliographie ;J. Gow, The Fund Agreement in the Courts (Washington, I.M.F.,
1962), avec mise à jour; ID., « The Bretton Woods Agreements of July 22, 1944, in the Courts»,
RabelsZ (1974), 683-719; G.B. ScHWAB, « The unenforceability of international contracts violating
exchange regulations : Article VIII, Section 2 (b) of the I.M.F. Agreement», Virginia Journ. Int. Law
(1985), 967-1006.
818 LES CONTRATS

On trouvera tous les textes relatifs au droit monétaire international : L. iAZZAR, Transnational econo-
mic and monetary law transactions and contracts (New York, Oceana), vol. I (1977); vol. II (1978), sur
feuillets mobiles.

14.64 - Présentation - La monnaie remplit différentes fonctions: unité de mesure per-


mettant de chiffrer ou d'évaluer le montant de l'obligation, elle s'appelle monnaie « de
compte». Elle est aussi le moyen d'exécuter une obligation, on la dénomme alors mon-
naie« de règlement» (ou monnaie de paiement). Par son incorporation dans les espèces
monétaires ou les billets de banque au porteur, la monnaie est aussi un bien (voy. supra,
n ° 13.20).
On entend par« règlement» ou« paiement international» l'exécution d'une obliga-
tion de payer qui exige un transfert de sommes d'un pays à l'autre. Pareille exécution con-
cerne la monnaie de règlement ou de paiement.

1. EFFICACITÉ DES MESURES NATIONALES DE PROTECTION

14.65 - Foisonnement de réglementations de droit public - Depuis la Première Guerre


mondiale, les États ont pris diverses mesures afin de protéger leur monnaie. Les unes
concernent la monnaie de compte, telle la prohibition de la clause-or ou de la clause de
référence à une monnaie étrangère. D'autres ont pour objet l'exécution des règlements
internationaux, elles contrôlent les changes. En de nombreux pays, il est interdit aux par-
ticuliers d'être titulaires de comptes en devises étrangères.
Ainsi, les problèmes juridiques suscités par la monnaie de compte et par la monnaie
de règlement se situent aux confins du droit public et du droit privé. La validité de certai-
nes clauses contractuelles d'une part, les modalités du paiement de l'autre, sont soustrai-
tes à la volonté des contractants pour être régies par des dispositions législatives
impératives. Celles-ci appartiennent le plus souvent soit à la catégorie des lois de police
contractuelle (infra, n ° 14.73 ), soit à ces lois dont la transgression délibérée rend immo-
rale ou, à tout le moins, illicite la cause de l'obligation (infra, n ° 14.77).

14.66 - Portée des accords de Bretton Woods - Selon l'article VIII, section 2(6), des sta-
tuts du Fonds monétaire international, « les contrats de change qui mettent en jeu la
monnaie d'un membre et sont contraires aux réglementations de contrôle des changes
que ce membre maintient en vigueur ou qu'il a introduites en conformité avec cet
Accord, ne seront pas exécutoires sur les territoires des membres. En outre, les membres
pourront, par accord mutuel, coopérer à des mesures destinées à rendre plus efficaces les
réglementations de contrôle des changes de l'un d'eux, à condition que ces mesures et
réglementations soient compatibles avec le présent Accord» (traduction non officielle, le
texte anglais seul faisant foi, Washington, F.M.I.).
La portée de cette disposition est controversée. Dans les différents États parties aux
accords de Bretton Woods, elle a suscité une abondante jurisprudence.
Ill Sur cette jurisprudence, voy. les chroniques de J. GOLD, sous le titre The Fund Agreement in the
Courts (supra, n ° 14.63).

La Belgique étant liée par les accords, il faut considérer que ses tribunaux ne peuvent
déclarer obligatoires « les contrats de change qui mettent en jeu la monnaie d'un autre
RÈGLES GÉNÉRALES DE CONFLIT DE LOIS RELATIVES AUX CONTRATS 819

État membre », si ces contrats « sont contraires aux réglementations de contrôle des
changes» que cet État maintient ou met en vigueur, conformément aux accords de Bret-
ton Woods.
Voy. par exemple: Comm. Bruxelles, 13 mars 1973,].C.B. (1973), 403, et F. RIGAUX, « L'exécution
!!Il
en Belgique d'un contrat de change prohibé par la loi d'un autre État», Ann. Liège (1988), 659-683.

14.67 - Limites aux mesures nationales de protection selon le droit communautaire - Les
mesures par lesquelles un État membre de l'Union européenne restreint le choix de la
monnaie pour une raison d'intérêt général quelconque, qu'elle relève d'une politique
monétaire ou d'un souci de sécurité juridique, se doivent de respecter le régime général
de contrôle des entraves aux échanges institué par le traité CE (voy. supra, n ° 2.28). En
particulier, de telles mesures peuvent enfreindre les dispositions organiques de la circula-
tion des capitaux (art. 56 CE et s.).
En cas d'entrave contraire au traité CE, le juge d'un État membre doit laisser inappli-
quée la disposition nationale en cause, qu'elle émane de son propre État ou d'un autre
État membre.
Il!!Par exemple, une mesure autrichienne prohibant une inscription hypothécaire en devises peut
apparaître comme une entrave à la constitution d'une sûreté dans une opération transfrontière, et
sa compatibilité avec le traité CE dépendra de la nature de la raison d'intérêt général invoquée pour
la justifier ainsi que d'un contrôle proportionnalité. Voy.: C.j.C.E., aff. C-222/97, 16 mars 1999,
Trummer, Rev. dr. comm. belge (2000), 308, noce H. MOUREAU.

Il. DÉTERMINATION DE LA MONNAIE DE COMPTE

14.68 - Rôle de la loi du contrat - On peut hésiter à rattacher la détermination de la


monnaie de compte, soit à la loi du lieu du paiement, soit à la loi qui régit le contrat.
Le rattachement traditionnel désigne la loi du lieu du paiement, lorsque les parties
n'ont pas désigné la monnaie en laquelle le débiteur doit se libérer. Cette solution a été
retenue par la Cour permanente de Justice internationale dans ses deux arrêts du
12 juillet 1929. Après avoir affirmé qu'un emprunt international émis par un État est,
sauf clause contraire, régi par la loi de cet État, la Cour a cependant soumis la seule ques-
tion en litige, celle de la validité de la clause-or, à la loi française, loi du lieu du paiement.
Ill Voy. les références de ces arrêts, supra, n ° 14.38.
IllPour une référence à la loi contractuelle, voy. M. FALLON, précité n ° 14.63. Voy. aussi: C. rrav.
Liège, 8 novembre 1996,]. TT (1997), 150.
!!Il Comp., en matière de responsabilité civile non contractuelle : Cass. civ., 4 décembre 1990, UAP,
Revue (1992), 292, note E. PUTMAN, rejetant l'application de la loi de l'obligation délictuelle au
bénéfice de la loi de la résidence habituelle de la victime.
!!IlSi le lieu du paiement ne peut être déduit de l'intention commune des parties, il y a lieu de
déterminer la monnaie de compte conformément à la loi qui régit l'obligation.
Voy. notamment: Sent. arb., 16 avril 1964, Pas. (1964), III, 82. Selon certains auteurs, il faudrait
plutôt, dans ce cas, réputer l'obligation stipulée dans l'unité monétaire du pays où s'est conclu
l'accord de volontés (DEKKERS, Droit civil, t. II, n ° 527; LEJEUNE et DIERICKX,j. T, 1962, 217).
Le rattachement à la loi contractuelle est plus conforme à la manière dont est conçu
le domaine de la loi contractuelle. Dès lors que celui-ci inclut l'exécution du contrat, à
savoir la détermination du contenu des obligations contractuelles, il est cohérent de
l'étendre à la définition de l'ampleur de la dette. Pratiquement, la question revient à
savoir si les parties peuvent choisir une monnaie étrangère, ou faire référence à un étalon
820 LES CONTRATS

de mesure, tel l'or, ou, en l'absence de tout choix, quelle doit être la monnaie de compte.
C'est à la loi contractuelle qu'il appartient à la fois de décider de la licéité d'un choix et de
déduire de l'absence de choix, le cas échéant, une référence à la monnaie du pays dont la
loi régit le contrat. Toutefois, il ne faut négliger l'incidence possible, ni de certaines régle-
mentations de protection (voy. infra, n ° 14.73), ni de l'exception d'ordre public.
1111 Pour une désignation de la loi du contrat à la détermination de« l'ampleur de la dette», voy. en
Suisse l'art. 147, § 2, LDIP.
1111 Dans le sens de la loi du contrat, avec les références à la jurisprudence française, voy. : H. BATIF-
FOL et P. LAGARDE, n ° 613; P. MAYER et V. HEUZÉ, n ° 742.

14.69 - Incidence de la monnaie de compte sur la détermination de la loi contrac-


tuelle - Il est douteux que le choix d'une monnaie de compte étrangère puisse suffire à
conférer un caractère international à un contrat que tous les autres éléments rattachent à
un seul pays. Dans une décision critiquée par la doctrine, la Cour de cassation a pourtant
reconnu cet effet à une telle stipulation. La Convention de Rome est muette sur ce point.
Elle s'attarde plutôt à neutraliser le choix fait d'une loi étrangère dans un contrat pure-
ment interne, en préservant le jeu des règles impératives du pays auquel ce contrat est rat-
taché (art. 3, § 3).
1111Cass., 4 septembre 1975, précité n° 14.39. Voy. la note de H. VAN HourrE, R W (1975-1976),
1567-1569.
En revanche, la stipulation d'une monnaie de compte dans le contrat international
peut servir d'indice pour déterminer la loi contractuelle, lors de la recherche des liens les
plus étroits, sans toutefois que cet indice suffise, puisqu'il n'est appelé à jouer pratique-
ment, parmi d'autres, que dans le cadre de la clause d'exception prévue par l'article 4, § 5,
de la Convention de Rome (voy. supra, n ° 14.54).
Voy. dans le sens d'une valeur indiciaire: Comm. Bruxelles, 14 février 1963, fur. comm. Brux.
1111

(1963), 376; comp. Cass., 24 février 1938, « Ville d'Anvers», Pas. (1938), 1, 66.
Deux sentences arbitrales célèbres sont relatives à la détermination de la monnaie de
compte. L'une concernait un différend entre deux États, l'autre l'exécution d'un contrat
entre un État et une entreprise étrangère.
1111 Voy. la sent. du président René CASSIN, 10 juin 1955, Gouvernement hellénique c. Gouvernement bri-

tannique, affaire des« cargaisons déroutées», Revue (1956), 278, note H. BATIFFOL; Sent. arb. G. RIPERT
et A. PAN CHAUD, 2 juillet 1956, Société européenne d'études et d'entreprise c. Gouvernement yougoslave, Clu-
net (1959), 1074.

14.70 - Définition de la valeur de la monnaie - La loi régissant la monnaie de compte


détermine son pouvoir libératoire en cas de dépréciation monétaire. Elle décide si, en cas
de variation de valeur, le montant nominal dû reste inchangé. En cas de dévaluation, le
créancier ne peut donc pas réclamer des dommages et intérêts destinés à compenser
l'éventuelle diminution de valeur de la monnaie, à moins que la loi du contrat en dispose
autrement.
1111 Cette règle a été appliquée par la jurisprudence à l'abolition législative de la clause-or et aux lois
allemandes de valorisation (Aufwertung) des créances (voy. supra, n° 14.49 et les références).
C'est en application de ce principe que, dans les rapports belgo-congolais, le créancier d'une
1111

obligation libellée en francs congolais a dû subir les conséquences des dépréciations de la monnaie
de compte.
Dans la jurisprudence, voy.: Civ. Bruxelles, 14 octobre 1963, ].T (1963), 662; Bruxelles,
1111

24 décembre 1964, Pas. (1965), II, 293; Civ. Bruxelles, 26 mai 1965,J. T (1965), 660; Comm. Bruxel-
RÈGLES GÉNÉRALES DE CONFLIT DE LOIS RELATIVES AUX CONTRATS 821

les, 25 août 1965, fur. comm. Brux. (1966), 40 ; Bruxelles, 26 juin 1990, Rev. gén. ass. resp. (1990),
n° 11762, note R. VANDER ELST.
Sur le pouvoir libératoire de la monnaie et l'attribution de dommages et intérêts, voy. par exemple:
C. trav. Mons, 13 septembre 1990,].TT (1991), 198.
Ill En Suisse, selon l'art. 147, § ier, LDIP, « La monnaie est définie par le droit de l'État
d'émission. »
La création de l'euro comme monnaie de certains États membres de l'Union euro-
péenne a nécessité l'établissement de deux types d'actes. D'un côté, il a fallu définir la
valeur de la monnaie nouvelle (règlement 974/98 du 3 mai 1998 concernant l'introduc-
tion de l'euro, ].O.C.E., 1998, L 139). D'un autre côté, le Conseil a veillé à neutraliser
l'incidence de la nouvelle monnaie sur les contrats en cours, en introduisant le principe
de la continuité des contrats (règlement 1103/97 du 17 juin 1997 fixant certaines dispo-
sitions relatives à l'introduction de l'euro,J.O.C.E., 1997, L 162). Aucun de ces actes ne
définit son applicabilité dans l'espace à l'égard des obligations contractuelles. Celle-ci se
dégage cependant de leur objet. L'un et l'autre concernent les contrats utilisant la mon-
naie de compte d'un État membre ayant introduit l'euro. Ainsi, le principe de la conti-
nuité des contrats ne trouve à s'appliquer concrètement qu'aux contrats régis par le droit
de l'un de ces États.
Ill Sur la question, voy. notamment: C. SUNT, « De invoering van de euro», R W (1996-1997),
1177-1188; A. GIARDINA,« L'euro: aspetti internazionalprivatistici », Riv. dir. int. prov. proc. (1999),
789-800 ; F. PocAR, « Quelques observations sur la continuité des contrats face à l'introduction de
l'euro», Mélanges Siehr (La Haye, Asser Inst., 2000), 591-604; F. PocAR et A. MALATESTA,« Gli effetti
dell'euro sui contratti internazionali », Riv. dir. int. priv. proc. (1999), 201-222; J. RITTER, Euro-Ein-
führung und IPR unter besonderer Berücksichtigung nachehelicher Unterhaltsvertrdge (Frankfort, Lang,
2003), 283 p.

Ill. DÉTERMINATION DE LA MONNAIE DE RÈGLEMENT

14.71 - Rôle de la loi du lieu du paiement - Il appartient à la loi du pays dans lequel le
paiement est effectué de déterminer les modalités du paiement, et notamment la mon-
naie - nationale ou étrangère - dans laquelle le débiteur peut se libérer, ainsi que la date
de la conversion.
111 Ainsi, la loi locale détermine la régularité d'un paiement par chèque: Gand, 22 décembre 1994,
R. W (1995-1996), 262.
Ill Pour une référence à la loi du contrat pour déterminer la date de conversion, voy. : C. trav. Liège,
8 novembre 1996,J. TT (1997), 150.
Autre chose est de déterminer le lieu où le paiement doit être effectué. À défaut de
règle de rattachement spécifique, la question paraît relever de la loi qui régit le contrat,
car elle détermine une modalité de l'exécution, cependant détachable des réglementa-
tions locales auxquelles il y a lieu d'avoir égard en vertu de l'art. 10, § 2, de la Convention
de Rome (voy. supra, n ° 14.55).
111 Voy. sur cette question, pour une référence au lieu du domicile ou au lieu d'exécution après
affirmation de la désignation de la loi du lieu du paiement: Comm. Bruxelles, 11 décembre 2001,
Rev. dr. comm. belge (2003), 57, noteJ.-P. BUYLE et M. DELIERNEUX.

Pour les paiements à effectuer en Belgique, la loi du 12 juillet 1991 (Monit., 9 août
1991), qui a modifié l'article 3 de la loi du 30 décembre 1885, permet désormais d'expri-
mer des sommes en monnaies autres que la monnaie nationale - le franc à l'époque-, à
savoir en Ecu et en devises d'États membres de l'O.C.D.E., dans les actes publics et admi-
822 LES CONTRATS

nistratifs. Désormais, cette loi doit se lire en combinaison avec la loi du 30 octobre 1998
relative à l'euro (Monit., 10 novembre 1999), qui opère conversion des sommes exprimées
en francs belges.
Sur la loi de 1991, voy.: J.V. Lours, « Le franc belge n'est plus requis dans les actes publics et
1111

administratifs »,].T (1991), 669-670. Voy. aussi l'arrêté royal d'exécution du 14 septembre 1992
(Monit., 25 septembre 1992).

Le refus de libeller une condamnation en toute devise autre que celle prévue par la
loi de 1991 repose sur une lecture inexacte de la loi de 1885. Celle-ci ne visait pas à choisir
la monnaie de paiement, entre la monnaie nationale et une monnaie étrangère, mais uni-
quement à définir la monnaie nationale en renvoyant au franc. Il ne devrait donc pas être
exclu de permettre la condamnation au paiement en devises choisies par les parties, tout
en permettant au débiteur de se libérer en euros dès lors que le paiement est à effectuer
en Belgique.
1111 Sur la base de la loi de 1885, les tribunaux belges ne condamnaient, en cas d'obligations libellées

en monnaie étrangère, qu'à la contre-valeur de celle-ci en francs belges. Dans cette perspective,
l'éventuelle perte qui peut en résulter pour le créancier en cas de dépréciation monétaire peut être
couverte par l'attribution de dommages et intérêts, du moins si la loi contractuelle prévoit cette
possibilité. Celle-ci est en effet applicable à la question au titre de loi applicable à l'exécution des
obligations contractuelles, et à la responsabilité qui peut découler de la violation de l'une de ces
obligations. Voy.: Cass., 4 septembre 1975, Pas. (1976), I, 16; 26 novembre 1976, Pas. (1977), I, 339.
En réalité, il paraissait excessif d'imputer au législateur de 1885, qui avait d'abord en vue la défini-
tion de la monnaie nationale par rapport à des unités monétaires de l'Ancien Régime ayant tou-
jours cours à l'époque, la volonté d'interdire toute possibilité de condamnation en monnaie
étrangère. Au demeurant, la fixation du taux de conversion au jour du paiement effectif (voy. ci-
dessous) et l'attribution éventuelle de dommages et intérêts en cas de dépréciation, rapprochaient
en fait la position de la jurisprudence de celle de la condamnation en devises. Voy. à ce sujet M. FAL-
LON, précité n° 14.63.
Comp. en France, la faculté laissée au débiteur de se libérer en devises ou en monnaie nationale
pour les règlements internationaux (P. MAYER et V. HEUZÉ, n ° 746).

14.72 - Date de la conversion en monnaie de paiement- Si les parties n'ont rien stipulé
à cet égard, il incombe au juge de déterminer la date à prendre en considération pour pro-
céder à la conversion éventuelle des monnaies, et de fixer le taux de change.
Il est traditionnellement enseigné que la date du jour du paiement effectif doit être
préférée à celle du jour de la naissance de l'engagement, à celle de la mise en demeure et à
celle où la dette est devenue exigible.
Ill Voy. Cass., 17 janvier 1929, Ville d'Anvers c. capitaine Foxwell, Pas. (1929), I, 63; PIRET, Les variations
monétaires et leurs répercussions en droit privé belge (Bruxelles, 1935), n ° 30; la jurisprudence citée dans
DE PAGE, t. III, n ° 459; Bruxelles, 5 février 1965,]. T (1965), 153; Bruxelles, 31 mars 1987, Ann_
Liège (1988), 74, note M. FALLON; 19 mai 1988,J.T (1988), 655.
Sur l'article 562, al. 1er, du Code judiciaire, évoquant le jour de la demande pour évaluer le mon-
Ill!
tant de celle-ci, voy.: Cass., 22 septembre 1992, RW. (1992-1993), 582, cassant l'arrêt d'appel fai-
sant application de cette disposition alors que la demande tendait à obtenir la contre-valeur en
francs belges d'une somme libellée en dollars, calculée au cours le plus élevé au jour du paiement.

IliLa loi du 12 juillet 1991 se réfère, pour le calcul des dépens, au jour du jugement de condamna-
tion aux dépens (art. 1018, al. 2, C. jud.).

1111Pour une référence au jour du jugement déclaratif de faillite pour la conversion d'une créance
libellée en monnaie étrangère, voy.: Bruxelles, 15 juin 1993,].L.M.B. (1995), 904.
RÈGLES GÉNÉRALES DE CONFLIT DE LOIS RELATIVES AUX CONTRATS 823

Ill Pour une référence au jour du jugement étranger pour la conversion de la monnaie de condam-
nation dans le cadre d'une déclaration d'exequatur, voy.: Bruxelles, 29 novembre 1994, Pas. (1994),
II, 6.
L'existence de plusieurs cours parallèles d'une monnaie étrangère soulève un pro-
blème particulier. Il arrive que celle-ci ait un cours indicatif communiqué par la Banque
Nationale différent de celui qui est pratiqué sur le marché libre. Faur-il calculer le cours
du jour du paiement effectif au taux du marché libre ou à celui du marché officiel ? Si la
monnaie étrangère est cotée au marché officiel en Belgique, elle doit être évaluée devant
les juridictions belges en fonction de ce cours (C. jud., art. 562, al. 1er).
Ill Voy. en ce sens: Comm. Bruxelles, 13 mars 1973, précité n° 14.66.

À défaur de cours officiel, il faut prendre en considération la valeur d'achat que lui
attribue le marché libre en Belgique, alors même qu'une valeur différente lui serait recon-
nue dans l'État qui l'a émise.
Ill Voy. en ce sens: Gand, 13 mars 1969,].T (1969), 422.
Comp., à propos des actes publics et des actes administratifs, l'arrêté royal du 14 septembre
1111

1992 (supra, n ° 14.71) se référant au cours indicatif communiqué par la Banque Nationale.

§4 ÜÉROGATIONS À LA LOI D'AUTONOMIE

A. Les lois de police contractuelle


14.73 - Lois de police de droit privé ou de droit public - Les lois de police (supra,
n ° 4.11) mordent sur l'espace propre à la loi d'autonomie en soustrayant à la loi choisie
par les parties et, le cas échéant, à la loi désignée en vertu d'une méthode de localisation
objective, le règlement de tout ou partie de la situation contractuelle.
1111Il s'agit d'une illustration de la méthode générale des règles particulières d'applicabilité, laquelle
procède à la délimitation du domaine spatial des normes matérielles sans recours à la technique de
la règle de rattachement (voy. supra, chap. 4).

La soumission de ces situations à des règles particulières d'applicabilité agit comme


une dérogation à la règle de rattachement, dans le souci de protéger l'une des parties au
moyen de dispositions impératives. La dérogation n'est toutefois pas toujours absolue,
chaque fois que l'auteur de la règle laisse à la partie la plus faible le choix entre les dispo-
sitions désignées impérativement et celles de la loi choisie par les parties.
Ili Voy. infra, section 3, pour les contrats de consommation et de travail. Par contraste, le contrat
d'engagement maritime connaît une dérogation absolue au principe d'autonomie (voy. infra,
n ° 14.171). Comp. dans un sens analogue, le contrat d'assurance, infra, section 3.

On ne confondra pas la problématique des lois de police contractuelle avec celle, voi-
sine, des lois de police interdisant, sous peine de sanctions de nature répressive ou admi-
nistrative, un comportement déterminé. Seules les premières intéressent le contenu
même du régime contractuel, décrivant les droits et obligations issus du contrat. À ce
titre, elles seules sont susceptibles d'application à la relation contractuelle. Les secondes
ne se prêtent qu'à une prise en considération aux fins d'apprécier l'étendue des obliga-
tions contractuelles (voy. supra, n ° 6.50). Elles ne sauraient au demeurant être appliquées
par le juge civil dans leur dispositif pénal ou administratif.
111 Il existe une grande variété de lois de police du second type, que l'on peut qualifier, selon les
contextes, de police administrative, répressive, monétaire, etc. Ainsi, quelle que soit la loi - le cas
824 LES CONTRATS

échéant de police contractuelle - applicable au contrat de travail, il faut respecter les règles relati-
ves à la protection de la santé du travailleur et à la sécurité du travail du (des) pays où les presta-
tions s'exécutent. L'exécution d'un contrat d'entreprise suppose que l'autorité territorialement
compétente ait délivré le permis de bâtir ou d'ériger un établissement dangereux ou insalubre. Ou
encore, à la différence de la monnaie de compte, la détermination de la monnaie de paiement ne
saurait faire abstraction des contraintes imposées par le pays du lieu du paiement, comme la déter-
mination des moyens libératoires (voy. supra, n° 14.71). Voy. aussi infra, à propos de l'appréciation
de la licéité d'un contrat violant une réglementation de change étrangère, n ° 14. 77.
111Dès 1929 (voy. supra, n ° 14.38), la Cour permanente de Justice internationale voyait dans les
règles de police monétaire des dispositions dont l'application est« inéluctable».
1111On trouve un exemple significatif d'une loi de police intéressant la généralité des contrats dans
la loi du 30 mars 1976 relative aux mesures de redressement économique (Monit., l" avril 1976).
L'article 57 annule toute clause contractuelle contenant une indexation de prix, et rend inopposa-
bles certaines clauses de révision de prix. Mais l'interdiction ne s'applique qu'aux contrats qui « se
rapportent à des prestations à effectuer en Belgique » et « ont été passés par des personnes résidant
en Belgique».
111Pour un cas de prise en considération d'une loi du for relative à la réglementation de l'exporta-
tion de marchandises sensibles (loi belge du 11 septembre 1962, Monit., 27 octobre 1962), à propos
de commerce d'armes, voy.: Comm. Bruxelles, 2 mai 1988, Rev. gén. dr. civ. (1990), 59, note L. BAR-
NICH.

14. 74 - Rattachement impératif du contrat et applicabilité de règles impératives - Depuis


l'entrée en vigueur de la Convention de Rome, le droit belge connaît deux modes de déro-
gation à la règle de rattachement qui font appel aux règles impératives.
L'une consiste à prévoir un rattachement impératif du contrat, tout en laissant une
place variable à l'autonomie. Elle affecte des contrats spéciaux, tels les contrats de con-
sommation, d'assurance, de travail (voy. infra, sect. 3).
L'autre consacre, par une règle générale valable pour l'ensemble des contrats, un rat-
tachement spécial des « lois de police» dont l'applicabilité concourt avec celle de la loi
contractuelle désignée par la règle de rattachement. C'est la portée que revêt l'article 7 de
la Convention de Rome.
La catégorie de lois de police visées par la seconde méthode est plus large que la pre-
mière catégorie, car elle peut inclure des dispositions de police administrative ou répres-
sive évoquées au numéro précédent. Au-delà de cette différence, il est douteux si l'une et
l'autre catégories couvrent des normes matérielles de nature distincte. Il est arrivé que
certaines règles impératives initialement qualifiées de lois de police aient fait l'objet ulté-
rieurement d'un rattachement impératif, un glissement s'opérant alors dans la méthode
de solution du conflit de lois, de la règle d'applicabilité vers la règle de rattachement (voy.
supra, n ° 4.9).
Il Un glissement du statut de lois de police vers un rattachement impératif est manifeste en
matière de contrats de travail (voy. infra, n° 14.169). Il se présente aussi en matière de contrats de
consommation (voy. infra, n ° 14.111).
Ill Aussi, l'applicabilité de l'article 7 aux contrats spéciaux faisant l'objet d'un rattachement impé-
ratif ne doit pas être exclue pour des règles impératives dont l'objet dépasse la police contractuelle.
Il est plus douteux si, aux règles applicables en vertu d'un rattachement impératif du contrat, il
convient d'ajouter celles de même nature que l'article 7 permet de prendre en considération. Les
commentateurs n'excluent pas une telle possibilité. La question paraît cependant avoir un intérêt
pratique limité, vu la rareté de règles spéciales d'applicabilité et la convergence de leur contenu avec
celui de l'article 7. Voy. pourtant infra, n ° 14.112.
RÈGLES GÉNÉRALES DE CONFLIT DE LOIS RELATIVES AUX CONTRATS 825

Le paragraphe 2 de l'article 7 sauvegarde l'applicabilité de règles de la loi du pays du


juge saisi « qui régissent impérativement la situation quelle que soit la loi applicable au
contrat ». La disposition confirme ainsi la fonction dérogatoire des lois de police, et elle
ne soumet l'emprise de ces lois à aucune limitation, au risque de laisser à l'État du for la
possibilité d'ôter tout effet utile au jeu des règles de rattachement uniformes.
Pour une application de cette disposition, favorable aux règles du for, voy. : Liège, 18 février
11111

2000, D.A.O.R (2000), 391, à propos de la loi de 1961 en matière de concession de vente exclusive
(voy. infra, n° 14.189); Trib. trav. Huy, 18 juin 1999, Chron. dr. soc. (2002), 340, note M. FALLON, à
propos de la protection impérative du représentant de commerce. Pour un cas de rejet de la règle
du for, en matière de contrats de travail, pour le motif que le travailleur ne prestait pas habituelle-
ment en Belgique, voy.: C. trav. Anvers, 19 novembre 2001, R.W (2003-2004), 821, montrant par là
qu'il incombe au moins au juge saisi de vérifier une volonté d'application dans l'espace de la règle
impérative du for.
Le blanc seing que le paragraphe 2 laisse à l'État du for en vue de l'application de ses
propres lois de police ne va pas sans comporter une difficulté au regard des libertés fon-
damentales instituées par le traité CE. L'application d'une telle loi peut constituer une
entrave aux échanges et, dans ce cas, elle n'est tolérée que si, notamment, elle ne soumet
pas la personne à laquelle on l'oppose à un commandement auquel celle-ci s'est déjà con-
formé en fonction d'une réglementation étrangère : une « obligation de reconnaissance
mutuelle des normes des États membres» supposerait que l'État du for n'ajoute pas
d'autres contraintes à celles auxquelles l'opérateur économique s'est déjà conformé à
l'étranger, dès lors que les normes en conflit sont de nature équivalente. Pratiquement, la
mise en œuvre de l'article 7 devrait donc être assortie d'une « clause de reconnaissance
mutuelle».
11111 Sur ce raisonnement, voy. supra, n ° 7.45.
Voy., pour un tel raisonnement: Colmar, 18 février 2004, D.S. (2004), Act. jur. 1898, note V.
11111

AVENA-ROBARDET; implicitement: Anvers, 8 juin 2004, Limb. Rechtsleven (2005), 24, note A. CLABOTS.

14.75 - Conditions d'application des lois de police étrangères - Autrefois problémati-


que, l'application de lois de police contractuelle étrangères est désormais admise dans
son principe. La difficulté n'apparaît en réalité que lorsque la loi de police en cause
n'appartient pas à la loi contractuelle.
Sur les hésitations de la jurisprudence à ce propos, voy., dans le sens du refus : Comm. Anvers,
Ill!
17 juin 1986,Jur. Anv. (1987), 48 (matière des transports).
En faveur de la prise en considération, mais alors que la désignation de la loi contracruelle par le
juge n'était pas claire: Bruxelles, 24 mars 1987, Ann. Liège (1988), 64, note F. RIGAUX, et 25 mai
1989,J.T (1990), 46, note F. RIGAUX (dispositions monétaires à propos d'un chèque).
Comp., lorsque la loi de police étrangère s'incorpore à la loi du contrat: Cass., 24 février 1938, pré-
cité n ° 14.39, mais pour le motif que les dispositions en cause ont été « insérées par les parties dans
leur convention» et sont« devenues, par conséquent, des dispositions conventionnelles"·
Ill! Sur le refus d'appliquer une loi étrangère de droit public, voy.: Mons, 20 novembre 1991,
].L.M.B. ( 1992), 772, note M. LIÉNARD-LIGNY, Rev. gén. dr. civ. ( 1993), 46, note I. CouwENBERG (dispo-
sitions fiscales); Anvers, 4 février 1998, R W (1998-1999), 471 (réglementation de sécurité sociale).
Le paragraphe 1er de l'article 7 de la Convention de Rome consacre la possibilité
pour le juge saisi de « donner effet » aux « dispositions impératives » étrangères, notion
correspondant à celle de« loi de police», selon l'exposé des motifs et comme le confirme
l'intitulé de la disposition. Cette application n'est toutefois pas inconditionnelle. Simple
faculté pour le juge, elle suppose que la situation présente « un lien étroit » avec le pays
en cause, qu'il soit tenu compte de la nature, de l'objet de ces dispositions et des effets de
826 LES CONTRATS

leur (non-)application, et que ces dispositions veuillent effectivement s'appliquer à la


situation.
1111 Pour une présentation générale de l'article 7, voy. supra, n° 4.12.
Pour une qualification de la loi de police en l'espèce par interprétation de la loi étrangère en cause,
voy. : Anvers, 8 juin 2004, Limb. Rechtsleven (2005), 24, note A. CLABOTS.

1111 Dans la jurisprudence antérieure, voy. l'arrêt de principe du Hoge Raad, 13 mai 1966, Alnati,
Revue (1967), 522, note STRUYCKEN.
Pour un cas d'application du§ 1er, voy.: Comm. Bruxelles, 2 novembre 2000,].T (2001), 523, note
M. FALLON, Rev. dr. comm. belge (2001), 617, note C. ROMMELAERE. Le jugement conclut toutefois au
refus de donner effet en l'espèce à la loi étrangère, en l'occurrence une loi tunisienne relative aux
contrats de concession exclusive de vente.

La Convention de Rome prévoit la faculté pour les États de réserver l'application, par leurs pro-
1111

pres tribunaux, du§ 1er de l'article 7. En ont fait usage l'Allemagne, l'Irlande, le Luxembourg et le
Royaume-Uni.

La résolution de l'Institut de droit international (session de Bâle, précitée n ° 14.1) limite l'appli-
111!
cation de règles impératives étrangères distinctes de celles de la loi du contrat, en prévoyant non
seulement une condition relative à l'existence d'un lien étroit, mais en exigeant encore qu'elles
« poursuivent des fins généralement acceptées par la communauté internationale» (art. 9, § 2).

Ill!Comp. en France, en termes de compétence internationale: Cass. civ., 2 mai 1990, Rép. du Guate-
mala, Revue (1991), 378, note B. AUDIT: si, selon le droit du for, l'objet de la demande, fondée sur le
droit public étranger, est« lié à l'exercice de la puissance publique» de l'État étranger, le juge saisi
est incompétent à moins que, selon le droit du for,« les exigences de la solidarité internationale ou
la convergence des intérêts en cause justifient» pareille compétence. Ainsi y a-t-il, selon la Cour,
défaut de juridiction lorsque l'État étranger exerce une revendication fondée sur un droit de suite
par application de sa réglementation de commerce extérieur, même lorsque « la règle de droit
public en cause s'incorpore à la loi du contrat».

1111L'article 7, § 1er, a été ignoré dans l'affaire Ammann-Yanmar (Cass. civ., 25 novembre 2003, Revue,
2004, 102, note P. LAGARDE), où l'arrêt d'appel est cassé pour avoir soumis à la loi belge de 1961 sur
les concessions de vente exclusives (voy. infra, sect. 3) un contrat conclu entre un concédant français
et un concessionnaire belge suite à une identification de la prestation caractéristique comme étant
celle du distributeur, alors que ce résultat pouvait être atteint par une qualification de la loi belge
comme loi de police.

14.76 - Référence aux lois de police du pays d'origine - La portée du principe du pays
d'origine, que consacre le droit communautaire dérivé, sur le droit international privé,
est vivement débattue (voy. supra, n° 5 2.28 et 4.16). Vue sous l'angle des obligations con-
tractuelles, sa mise en œuvre peut apparaître, non sans paradoxe, comme une implica-
tion du jeu de lois de police.
La directive 2000/31 du 8 juin 2000 relative à certains aspects juridiques des services
de la société de l'information, et notamment du commerce électronique dans le marché
intérieur (].O.C.E., 2000, L 178) fournit une illustration type de cette problématique.
Selon la clause marché intérieur, « Chaque État membre veille à ce que les services [... ]
fournis par un prestataire établi sur son territoire respectent les dispositions nationales
applicables dans cet État membre relevant du domaine coordonné» (art. 3, § 1er), le
domaine coordonné couvrant, notamment, « les exigences [en matière] de contrat»
(art. 2, h, i). Selon la loi belge de transposition (loi du 11 mars 2003, Monit., 17 mars
2003), « La fourniture de services [... ] par un prestataire établi sur le territoire belge doit
être conforme aux exigences applicables en Belgique» (art. 5, al. ier).
RÈGLES GÉNÉRALES DE CONFLIT DE LOIS RELATIVES AUX CONTRATS 827

Il paraît certes difficile de voir, dans ces dispositions, une véritable règle de rattache-
ment au sens strict. À tout le moins, elles revêtent la portée d'une règle d'applicabilité
imposant l'application de la loi belge lorsque le prestataire est établi en Belgique, affec-
tant un ensemble de règles matérielles composé, au minimum des dispositions harmoni-
sées par la directive (par exemple l'information précontractuelle, les modalités de la
conclusion du contrat entre absents), voire de toute règle de droit des contrats si le
« domaine coordonné » doit se comprendre comme ayant cette portée.
IllPour plus de détails, voy. notamment: M. FALLON et]. MEEUSEN, « Le commerce électronique, la
directive 2000/31/CE et le droit international privé», Revue (2002), 435-490. Minimisant l'effet de
ces dispositions sur le droit international privé, voy. notamment: M. WILDERSPIN et X. LEWIS, « Les
relations entre le droit communautaire et les règles de conflits de lois des États membres », Revue
(2002), 1-38, 289-314.
Pour une critique virulente du phénomène, voy. : V. HEUZÉ, « De la compétence de la loi du pays
Ill!
d'origine en matière contractuelle ou l'anti-droit européen », Mélanges Lagarde (Paris, Dalloz, 2005),
393-415.

B. L'ordre public
14.77 - Incidence de l'ordre public contractuel sur la licéité de la cause - Aux termes
de l'article 1133 du Code civil, doit être déclaré nul, le contrat dont la cause est illicite
parce qu'elle est prohibée par la loi, ou parce qu'elle est contraire à l'ordre public ou aux
bonnes mœurs. Plus généralement, l'article 6 du Code civil prohibe de déroger« par des
conventions particulières aux lois qui intéressent l'ordre public et les bonnes mœurs ».
La théorie de la cause peut aussi inviter à déclarer illicites des contrats internatio-
naux générant des obligations qui poursuivent délibérément la transgression de certai-
nes réglementations étrangères.
1111Comme exemples classiques on peut citer les contrats de contrebande, ceux qui poursuivent un
trafic de devises en transgression de lois douanières ou de la réglementation des changes d'un État
autre que l'État du for dont la loi est applicable au contrat, ou encore les contrats portant sur la
vente d'objets d'art en violation de la réglementation du pays d'origine de ces objets.
Voy. sur ce thème, de manière générale : A. MEZGHANI, « Méthodes de droit international privé et
contrat illicite», Recueil des cours, vol. 303 (2003), 119-430 ; R. PRJoux, « Le droit international privé
et les contrats illicites dans le commerce international»,]. T (1990), 733-739; ID.,« Le droit appli-
cable aux contrats internationaux de vente d'armes », Rev. belge dr. int. (1993), 217-238.
IllVoy. notamment: Bruxelles, 17 février 1886, Pas. (1886), II, 173; 13 mai 1936, Belg. jud. (1937),
4; Comm. Bruxelles, 19 avril 1968, ].C.B. (1968), 765, note F. RrGAUX,; Bruxelles, 24 mars 1987,
Ann. Liège (1988), 64, note F. R:rGAUX, suivi dans la même affaire de: Bruxelles, 23 juin 1988, J. T
(1989), 381, note F. RIGAUX; R. PRIOUX, « Le droit international privé et les contrats illicites dans le
commerce international »,].T (1990), 733-739.
Sur la jurisprudence étrangère, voy.: Regazzoni v. Sethia (1964) Ltd [1958] A.C. 301; BGH,
Ill!
22 juin 1972, BGHZ 59, 83; F. RIGAUX, Droit public et droit privé,§§ 95-97.
Ill Par exemple, le litige porte sur l'exécution d'un contrat de société ayant pour objet un trafic de
devises organisé par des Belges entre la Belgique et le Zaïre (Comm. Bruxelles, 19 avril 1968), ou sur
l'exécution d'un contrat par lequel des commerçants anglais ayant exporté du jute de l'Inde vers
l'Afrique du Sud (Regazzoni v. Sethia), ou sur l'indemnisation par un assureur allemand du proprié-
taire d'œuvres d'art illégalement exportées du Nigeria et perdues durant le transport (BGH, 22 juin
1972). Dans chacun de ces cas, l'exécution du contrat a été refusée en raison de la nullité du con-
trat, fondée sur l'ordre public contractuel (art. 6 et 1133 C. civ., common law, § 138 BGB), celui-ci
interdisant de donner force obligatoire à un contrat ayant pour objet la transgression délibérée
d'une norme étrangère.
828 LES CONTRATS

Ill La norme prohibitive transgressée peut encore être une norme de l'État du for, alors que le con-
trat international est régi par un droit étranger, telle une vente conclue en Belgique entre Israéliens
et Américains portant sur la fourniture d'armes à livrer à Malte en destination de l'Iran, en viola-
tion de la loi du 11 septembre 1962: Comm. Bruxelles, 2 mai 1988, Rev. gén. dr. civ. (1990), 59, note
L. BARNICH, qualifiant avec imprécision cette loi d'ordre public au sens de l'ordre public internatio-
nal belge.
111 Pour un cas de contrat de commission lié à la corruption de fonctionnaires, voy. : Gand,
16 janvier 1986,J.T (1989), 108, se gardant toutefois de soulever la question du droit applicable,
tout en effectuant une appréciation in concreto qui tienne compte des pratiques« locales », pakista-
naises en l'occurrence.
L'illicéité peut aussi résulter de la violation d'une norme de droit international,
appelant une obligation de coopération entre les États. Tantôt il peut s'agir directement
d'un ordre public reposant sur une conviction fondamentale de la société internationale,
ou résultant d'un traité en vigueur entre l'État du for et l'État étranger. Tantôt, la loi
étrangère transgressée met en œuvre un tel principe énoncé dans un traité cependant
non ratifié par l'État du for. Tantôt, il y a lieu de donner effet à une mesure d'interdiction
émanant du Conseil de sécurité des Nations unies.
IllDans la décision Reggazoni v. Sethia, il est précisé que la « public policy » requiert cette
« deference to international comicy » et la motivation s'appuie sur un précédent de 1824 ayant
décidé que les contrats de ce genre sont« concrary to the law of nations».
111 L'arrêt précité du Bundesgerichcshof se réfère à la Convention Unesco du 14 novembre 1970
relative à la protection des biens culturels, quoique non en vigueur en Allemagne.
IllVoy. encore nettement: Paris, 9 février 1966, Favier, Revue (1966), 264, ayant annulé une traite
acceptée couvrant le solde de paiement d'une vente de matériel de guerre conclue à Genève entre
deux sociétés ayant leur siège au Liechtenstein, ce trafic étant jugé« contraire à l'ordre public inter-
national, tel que celui-ci est révélé» par diverses conventions internationales.
1111 Sur une jurisprudence plus divisée concernant le contrôle des changes, voy. : F. RrGAUX, Droit

public et droit privé, §§ 94-106.


111Comme traités impliquant une solidarité entre États contractants, voy. : l'article VIII,
section 2b, des statuts du Fonds monétaire international, supra, n ° 14.66 ; en matière de protection
des biens culturels, voy. la Convention Unesco précitée (supra, n ° 13.15).
Avec un contrat qui a pour seule cause la volonté délibérée de prélever un profit sur
des transgressions systématiques d'une réglementation étrangère, il ne faut pas confon-
dre les cas dans lesquels pareille violation n'a qu'un caractère accessoire ou trouve sa jus-
tification dans les circonstances qui l'ont accompagnée.
111Sur la distinction entre la cause immorale et la cause simplement illicite, et les conséquences de
cette distinction quant à la restitution de l'indu, une des deux parties mais non l'autre ayant exé-
cuté l'obligation illicite, voy. la jurisprudence citée dans : F. RIGAUX, Droit public et droit privé,§ 96.
Le caractère illicite de l'obligation principale peur rejaillir sur un contrat accessoire
quand la cause illicite leur est commune.
Ainsi, le contrat de transport d'une chose dont la vente est illicite et même l'assurance de ce
1111

transport participent à la nullité de la convention principale, sauf si, en scindant les opérations
successives, il y a moyen de maintenir la validité du contrat accessoire. Voy. en ce sens: Bruxelles,
13 mai 1936, précité. Voy. aussi, à propos d'un contrat de courtage accessoire à un contrat de vente
d'armes: Comm. Bruxelles, 2 mai 1988, précité.

14.78 - Droit applicable à la cause et prise en considération de la norme prohibitive -


La théorie de la cause doit être empruntée à la loi qui régit le contrat. Aussi, l'article 6 ou
l'article 1133 du Code civil belge ne peut être appliqué formellement qu'après qu'il a été
RÈGLES GÉNÉRALES DE CONFLIT DE LOIS RELATIVES AUX CONTRATS 829

constaté que le droit belge régit le contrat (Cass., 17 juin 1999, Elite, Bull. Cass., 1999,
916).
En revanche, la norme prohibitive étrangère ou du droit international est « prise en
considération » pour évaluer les comportements que la loi du contrat qualifie d'illicites.
En quelque sorte, celle-ci agit comme une loi de police sanctionnant les actes juridiques
privés transgressant l'ordre public international.
Ill L'appartenance des réglementations étrangères en cause au droit public ne suffit pas à renoncer
à une annulation du contrat.
La jurisprudence, notamment en France, a longtemps hésité à annuler ces contrats quand ils
étaient soumis à la loi du for. L'erreur de raisonnement consistait à refuser d'appliquer la régle-
mentation étrangère qualifiée de droit public, pour le motif que les tribunaux d'un État n'ont pas à
prêter main-forte à l'exécution ni des lois douanières ou fiscales ni de la réglementation des chan-
ges d'un autre État (voy. supra, n° 14.75). Principe assurément correct, mais en l'occurrence
inadéquat: en effet, il ne s'agit pas ici de percevoir un impôt ou une taxe pour le compte d'un État
étranger ou de punir ceux qui contreviennent à sa réglementation sur le contrôle des changes, mais
seulement de refuser l'exécution forcée d'un acte juridique poursuivant délibérément et dans un
but de lucre la transgression de ces règles, bien plus, prétendant conférer un caractère obligatoire à
l'engagement de commettre pareille transgression.
111 La jurisprudence belge précitée admet que la loi du contrat, en l'occurrence la !ex fori, doit tenir
pour illicite l'obligation ayant pour cause la violation systématique d'une loi étrangère prohibant
certaines opérations d'exportation ou d'importation ou contrôlant les changes.
Cette solution a également été retenue en Angleterre, en Allemagne et aux Pays-Bas. Voy. les réfé-
rences dans : F. RrGAUX, Droit public et droit privé,§§ 95-97.
Le raisonnement ne se confond pas avec celui de l'exception d'ordre public du droit
des conflits de lois (voy. supra, n ° 7.42). À la différence des cas dans lesquels une loi étran-
gère est évincée en vertu de l'exception d'ordre public, la théorie de la cause illicite ou
immorale invite les juridictions étatiques à décider que la transgression délibérée d'une
loi étrangère est incompatible avec l'ordre public ou avec les bonnes mœurs contractuels
tels que les définit la loi du contrat. De même, il faut distinguer l'annulation d'un contrat
pour le motif que sa cause est illicite au regard du droit international, de l'éviction d'une
loi étrangère incompatible avec l'ordre public international au sens de principes auxquels
la communauté internationale ne permet pas de déroger (voy. supra, n ° 7.4 7).
IllAinsi, de nombreuses décisions ont refusé de prendre en considération une réglementation des
changes jugée spoliatrice ou l'interdiction d'exporter leurs biens faite à des émigrés pour cause
politique.
Voy. les références dans : F. RIGAUX, Droit public et droit privé, §§ 103-106. Adde: Prés. Rb. Den Haag,
17 septembre 1982, Sensor Nederland, Revue (1983), 473, note B. AUDIT.

14.79 - Exception d'ordre public - Quand le contrat est soumis à une loi étrangère,
l'application des dispositions de cette loi incompatibles avec l'ordre public du tribunal
saisi doit être écartée, conformément aux règles générales (supra, chap. 7). Il se peut que
cette loi étrangère soit une loi de police.
Cette exception d'ordre public se distingue des cas où l'ordre public contractuel
impose non pas d'évincer une loi étrangère, mais de refuser tout effet obligatoire aux
conventions privées (supra, n ° 7.41 ).
Elle se distingue tout autant de la mise en œuvre d'une loi de police (voy. supra,
n ° 7.42).
IllSur ce que la réglementation sur l'indemnisation consécutive au licenciement d'un travailleur
ne justifie pas la mise en œuvre de l'exception d'ordre public, voy.: C. trav. Anvers, 19 novembre
830 LES CONTRATS

2001, R W (2003-2004), 821. Comp.: Cass. 25 juin 1975, Taylor, Pas. (1975), I, 1038, ne voyant pas
de défaut de motivation dans un arrêt d'appel qui avait répondu en termes d'exception d'ordre
public à un argument basé sur l'applicabilité de lois de police, à propos du licenciement d'un tra-
vailleur.

Le recours à l'exception d'ordre public est d'autant plus rare en matière de contrats
que la technique de l'applicabilité des lois de police contractuelle prend de l'extension. Il
n'est pourtant pas certain que la seconde présente des avantages à ce point déterminants
pour évincer la première. Telle qu'elle est appliquée à ce jour, elle ne présente pas la
faculté d'adaptation que requiert l'équité (voy. infra, n ° 14.178, l'exposé relatif au contrat
de travail).
L'utilisation de l'exception peut également connaître une limite lors de l'invocation
du fait du prince étranger. Il arrive que l'autorité étrangère territorialement compétente a
effectivement mis en œuvre ses propres lois de police, de telle sorte qu'elle oppose à l'exé-
cution d'une obligation régie par la loi désignée par la règle de rattachement ou par la !ex
fori un obstacle insurmontable. L'invocation du fait du prince étranger permet alors de
libérer le débiteur, sans même que le créancier puisse invoquer l'exception d'ordre public
pour empêcher que les effets de l'acte de l'autorité étrangère sur l'obligation soient recon-
nus par le tribunal saisi. Ainsi, l'originalité de l'insertion du fait du prince étranger dans
le déroulement de la situation contractuelle consiste en la totale éviction de l'exception
d'ordre public.
Il Voy. supra, n ° 10.9, ainsi que les références qui y sont indiquées. Adde: Comm. Anvers, 28 avril
1989, Rev. dr. comm. belge (1990), 413, note H. VAN HourrE.

§5 LE PRINCIPE D'AUTONOMIE DEVANT L'ARBITRE


14.80 - Limite de l'emprise étatique - Dans l'arbitrage de droit international privé, la
loi ou le principe d'autonomie a une portée très différente de celle qui est reconnue à la
loi d'autonomie dans les traités conclus par les États, ou devant les juridictions nationa-
les.
Pour rappel, d'après le droit international privé étatique, la loi d'autonomie permet seulement
1111

aux contractants de se soumettre à un ordre juridique étatique en vigueur (supra, n ° 14.46), ce qui
inclut l'ordre public contractuel de la loi choisie par les parties. En justice, cette loi cède devant les
dispositions de police contractuelle que contient la loi d'un autre pays avec lequel le contrat pré-
sente le lien approprié (supra, n ° 14.73) et elle peut être écartée en vertu de l'exception d'ordre
public (supra, n° 14.79). Le juge est aussi tenu par son ordre public judiciaire (supra, n ° 7.51).

À la différence du juge étatique, l'arbitre n'a pas de !ex fori. Il ne dispose d'aucun
cadre normatif de nature à comporter à la fois un jeu de règles de rattachement et des
règles d'applicabilité commandant le respect de règles impératives ou d'ordre public. La
raison d'être même de l'arbitrage est de permettre aux parties de régler leurs litiges en
dehors du système étatique. L'État n'est donc guère en mesure de dicter à l'arbitre le droit
que celui-ci doit appliquer au fond au stade de l'instance directe. En revanche, il reste
maître de la réception de la sentence dans son propre système et peut, lors de la phase de
la reconnaissance, édicter l'une ou l'autre réglementation affectant la solution du litige
au fond. Cependant, la tendance est à limiter les motifs de refus de la reconnaissance
(voy. supra, n° 5 14.24 et s.), mais cela n'exclut pas tout contrôle fondé sur l'exception
d'ordre public, voire, plus largement, sur le respect de certaines règles impératives dont
l'applicabilité doit être assurée dans les situations internationales.
RÈGLES GÉNÉRALES DE CONFLIT DE LOIS RELATIVES AUX CONTRATS 831

Le degré d'autonomie institutionnelle dont jouit l'arbitre se reflète ainsi sur le mode
de raisonnement en vue de résoudre le fond du litige. Si l'arbitre statue dans le cadre d'un
règlement d'arbitrage spécifique, il aura à respecter ce règlement, avec les règles éventuel-
les de conflit de lois que celui-ci comporte. Dans les autres cas, les règles arrêtées par le
droit étatique, national ou international, reçoivent une portée essentiellement déclara-
toire, tant que leur sanction ne s'exprime pas lors de la phase de l'annulation ou de la
reconnaissance de la sentence.
Plusieurs textes couvrent la détermination du droit applicable par l'arbitre. Tous
consacrent la faculté pour les parties de choisir le droit applicable. En l'absence de choix,
une règle subsidiaire tend à renvoyer à la règle de conflit de lois que l'arbitre jugera
«appropriée».
111!Selon l'article VII, § 1", de la Convention de Genève du 21 avril 1961 sur l'arbitrage commercial
international (loi du 19 juillet 1975, Monit., 17 février 1976): « Les parties sont libres de déterminer
le droit que les arbitres devront appliquer au fond du litige. À défaut d'indication par les parties du
droit applicable, les arbitres appliqueront la loi désignée par la règle de conflit que les arbitres juge-
ront appropriée en l'espèce. Dans les deux cas, les arbitres tiendront compte des stipulations du
contrat et des usages du commerce. » De plus,« les arbitres statueront en amiables compositeurs si
telle est la volonté des parties et si la loi régissant l'arbitrage le permet» (§ 2).
Ill Selon l'article 42, alinéa 1er, de la Convention du 18 mars 1965 pour le règlement des différends
relatifs aux investissements entre États et ressortissants d'autres États (loi du 17 juin 1970, Monit.,
24 septembre 1970): « Le tribunal statue sur les différends conformément aux règles de droit
adoptées par les parties. Faute d'accord entre les parties, ce tribunal applique le droit de l'État con-
tractant partie au différend - y compris les règles relatives aux conflits de lois - ainsi que les prin-
cipes de droit international en la matière. »
Sur cette application du renvoi, voy. supra, n ° 6.21.
On trouve aussi une référence, subsidiaire, aux règles de conflit de lois étatiques - à savoir celles
1111!

du lieu du siège arbitral - dans la résolution de l'Institut de droit international (session de Bâle,
précitée n° 14.1), article 6 combiné avec l'article 4.
Pour une formulation analogue à celle de la Convention de Genève, voy. l'article 17 du règle-
Ill
ment de la CCI.
La loi-modèle de la CNUDCI (art. 28) renvoie à la règle de conflit que l'arbitre« juge applicable
Ill!
en l'espèce».
1111Il est exceptionnel qu'une règle étatique contienne une disposition particulière de conflit de
lois. C'est le cas de la loi suisse sur le droit international privé, dont l'article 187 se réfère, en
l'absence de choix des parties,« aux règles de droit avec lesquelles la cause présente les liens les plus
étroits».
En Belgique comme en France, le législateur se réfère, en l'absence de choix, aux « règles du
Ill!
droit» (art. 1700 C. jud.) ou aux « règles de droit [que l'arbitre] estime appropriées» (art. 1496
C. proc. civ.).

14.81 - Étendue des pouvoirs des parties et de l'arbitre - Ces textes reconnaissent aux
parties une autonomie étendue. En effet, leur choix peut porter sur tout« droit». Ce mot
ne désigne pas seulement la loi d'un pays déterminé, destinée à encadrer l'ensemble de
l'opération, mais il permet aux parties:
- de se référer directement aux stipulations mêmes du contrat et aux usages du
commerce, indépendamment de toute loi-cadre;
- de dépecer le contrat en rattachant les diverses obligations qui le constituent et
les phases successives de sa mise en œuvre à autant de lois nationales différentes ;
832 LES CONTRATS

- de le soumettre à des « principes généraux du droit » ou aux règles communes à


plusieurs systèmes juridiques, ce qui, en pratique, laisse aux arbitres un pouvoir d'appré-
ciation à peu près illimité ;
- de soustraire l'arbitre à obligation de se référer à toute « règle de droit» en lui
demandant de statuer en amiable compositeur.
Ill L'amiable composition est toutefois sujette, dans la Convention de Genève, à une limite en
fonction de ce que prévoit« la loi régissant l'arbitrage», expression non autrement précisée dans le
texte.

En l'absence de choix des parties, l'arbitre ne connaît normalement d'autre con-


trainte que celle de voir sa sentence dotée d'une effectivité suffisante lors de la phase de la
reconnaissance. Pour le reste, à défaut de règle imposée par l'institution dont il relève, il
peut s'en remettre, en fonction de l'espèce, aux règles de rattachement communes aux
États avec lesquels la cause présente des liens significatifs, à toute règle de conflit de lois
dont il peut prévoir la mise en œuvre par un juge étatique au stade de la réception de la
sentence dans l'ordre étatique, à moins encore de se référer aux usages du commerce ou
aux stipulations du contrat, évoqués par la Convention de Genève.
Les « stipulations du contrat» peuvent être de nature à exclure toute référence à une loi étati-
1111

que. Ayant pour origine une pratique américaine, la rédaction de contrats très détaillés dans les-
quels les parties s'efforcent de rencontrer toutes les éventualités a aidé à propager la notion de
« contrat sans loi» (camp. supra, n ° 14.46). Il faut entendre par là que le contrat économique inter-
national est un microcosme juridique s'efforçant d'apporter une solution à tout différend que peut
susciter l'exécution de la convention.
Les « usages du commerce» désignent la lex mercatoria, telle qu'elle s'exprime dans des condi-
1111

tions générales de vente ou des pratiques habituellement respectées dans un milieu professionnel
déterminé (voy. supra, n ° 2.35).
1111Des règles de conflit de lois communes aux pays avec lesquels la cause présente un lien significa-
tif peuvent être trouvées dans la Convention de Rome du 19 juin 1980, appelée à servir de socle à
l'ensemble des systèmes des États membres de l'Union européenne.

14.82 - Incidence des règles impératives ou d'ordre public nationales - Les textes ne
laissent pas de place aux règles de conflit de lois du pays du siège de l'arbitrage. Cela illus-
tre l'absence de lex fori qui caractérise la juridiction arbitrale. Certes, l'arbitre devrait nor-
malement être attentif au risque d'annulation de sa sentence par une juridiction de ce
pays (sur la compétence pour ce faire, voy. supra, n ° 14.31 ), en fonction des règles de droit
international privé de ce système étatique. De telles règles peuvent pourtant prévoir la
faculté pour les parties de renoncer à tout recours en annulation. Et rien n'exclut que les
parties se conformeront au dispositif de la sentence, ce qui suffira à conférer à celle-ci
toute l'effectivité voulue. Fondamentalement, l'arbitre se doit, comme professionnel, de
rendre une sentence - acte privé ayant une base contractuelle - qui soit dotée d'effecti-
vité selon une prévisibilité raisonnable, car cela correspond à la mission contractuelle qui
lui a été confiée, et qui ne revienne pas à conforter un autre acte privé - le contrat princi-
pal - dont la cause serait immorale ou illicite. Un test commode de la nécessité d'assurer
le respect de dispositions étatiques consiste à vérifier si l'opposabilité de telles disposi-
tions constitue un cas de force majeure pour l'une des parties.
IllEn faveur de l'obligation pour l'arbitre de considérer les règles d'ordre public ou les lois de
police du droit du pays d'exécution - davantage que du pays d'annulation -, notamment au
regard des arguments de force majeure et d'illicéité de la cause, voy. : J.-B. RACINE, L'arbitrage com-
mercial international et l'ordre public (Paris, Dalloz, 1999), n° 5 514 et s.
RÈGLES PROPRES À CERTAINS CONTRATS 833

Ill Sur le thème, voy. encore: H. ARFAZADEH, « L'ordre public du fond et l'annulation des sentences
arbitrales internationales en Suisse », Rev. suisse dr. int. dr. eur. ( 1995), 223-254; Ph. KAHN,« Les prin-
cipes généraux du droit devant les arbitres du commerce international», Clunet (1989), 305-327 ;J.-
C. POMMIER, « La résolution du conflit de lois en matière contractuelle en présence d'une élection
de droit: le rôle de l'arbitre», Clunet (1992), 5-44; Ch. SERAGLINI, Lois de police et justice arbitrale inter-
nationale (Paris, Dalloz, 2001).
Parmi les règles de droit international privé pouvant être prises en compte au cours
d'une procédure d'annulation ou de reconnaissance de la sentence, il faut compter les
dispositions éventuelles concernant l'arbitrabilité du litige (voy. supra, n ° 14.21). Il en va
de même d'autres dispositions d'ordre public dont l'applicabilité s'imposerait à la situa-
tion malgré son caractère international.
1111Telle est la portée de l'arrêt Eco Swiss China Time de la Cour de justice des Communautés euro-
péennes (aff. C-126/97, 1er juin 1999, Clunet, 2000, 299, note S. PoILLOT-PERUZZETIO): le juge néer-
landais saisi d'une demande d'annulation d'une sentence arbitrale doit contrôler le respect, par la
sentence, des dispositions de l'article 81 CE interdisant les ententes qui affectent la concurrence,
dispositions jugées faire partie de l'ordre public national. Encore faut-il vérifier si la situation est de
celles qui entrent dans le domaine d'application dans l'espace de l'article 81 CE.
Voy. plus largement: N. SHELKOPLYAS, The application of EC law in arbitration proceedings (Groningen,
Europa Law Pub!., 2003).
Ill Plus généralement, sur la prise en compte de l'impératif d'ordre public international par l'arbi-
tre, voy. : Y. DERAINS, « L'ordre public et le droit applicable au fond du litige dans l'arbitrage
international», Rev. arb. (1986), 375-414; Ph. KAHN, « Les principes généraux du droit devant les
arbitres du commerce international», Clunet (1989), 305-327; P. LALIVE, « Ordre public transnatio-
nal (ou réellement international) et arbitrage international», Rev. arb. (1986), 329-374; J.-P.
MmTRY, « L'arbitre international et l'obligation de boycottage imposée par un État», Clunet (1991),
349-370; J.-C. POMMIER, « La résolution du conflit de lois en matière contractuelle en présence
d'une élection de droit: le rôle de l'arbitre», Clunet (1992), 5-44.

Section 3
Règles propres à certains contrats
§1 LE CONTRAT D'ASSURANCE

14.83 - Bibliographie
P. BLANCO MORALES, El seguro espanol en el Derecho internacional privado - Derecho comunitario (Madrid,
Caser, 1989) ; B. DUBUISSON, « Les règles belges de conflit de lois et l'assurance communautaire »,
Les assurances de l'entreprise (Bruxelles, Bruylant, 1993), 533-606; Io., « La loi applicable aux contrats
non-vie : Les vicissitudes de la transposition des directives européennes », Encyclopédie de l'assurance
(Paris, Economica, 1998), 943-976 ; Io., « La loi applicable au contrat d'assurance dans l'Espace
européen», Rev. dr. corn. belge (2004), 731-754; Io., « La loi applicable au contrat de réassurance»,
Mélanges Dalcq (Bruxelles, Larcier, 1994), 111-134; Io., « L'assurance automobile obligatoire et le
droit international privé», Rev. gén. ass. resp. (2000), n ° 13284; B. DuBUISSON et M. FALLON, « Les
véhicules en circulation internationale et le droit international privé», Rev. gén. ass. resp. (1991),
n ° 11781 ; M. FALLON, « La loi applicable au contrat d'assurance selon la directive du 22 juin
1988 », Rev. gén. ass. terr. (1989), 243-268; M. FRIGESSI DI RATIALMA, « Osservazioni sui profili inter-
nazionalprivatistici della seconda direttiva comunitaria sull'assicurazione contro i danni », Riv. dir.
int. priv. proc. (1989), 563-594; Io., The implementation provisions ofthe EC choice oflaw rules for insurance
contracts (La Haye, Kluwer, 2003); Io., Il contratto internazionale di assicurazione (Padoue, Cedam,
1991 ), 250 p. ; A. GKOUTZINIS, « Free movement of services in the EC Treaty and the law of contrac-
tual obligations relating to banking and financial services», C.M.L.R. (2004), 119-175; V. HEUZÉ, Le
834 LES CONTRATS

droit international privé du contrat d'assurance, Traité de droit des assurances (Paris, LGDJ, 2002), 1400-
1580; K. LENAERTS, « La loi applicable et la libre prestation de services en assurance-vie», Ann. dr.
(1990), 145-168; Y. LoussoUARN, « Les conflits de lois en matière de contrat d'assurance et la direc-
tive communautaire du 22 juin 1988 », Rev. gén. ass. terr. (1989), 291-305; R. MONACO,« Les assu-
rances en droit international privé», Recueil des cours, vol. 101 (1960), 381 et s.; F. PocAR, « Conflitti
di leggi e di giurisdizioni in materia di assicurazioni nelle Communità economica Europea », Riv.
dir. int. priv. proc. (1987), 429-452; R. PRIOUX, « Problèmes relatifs au système de la carte verte inter-
nationale d'assurance automobile», Rev. gén. ass. resp. (1987), n ° 11305; F. REICHERT-FACILIDES et
H.J. JESSURUN o'OLIVEIRA (dir.), International insurance contract law in the EC (Deventer, Kluwer, 1993) ;
J. RIPOLL, « Les conflits de lois en matière de droit des assurances», Rev. gén. ass. terr. (1992), 479-
496; W. RoTH, Internationales Versicherungsvertragsrecht (Tübingen, Mohr, 1985); Io., « EEC Treaty
article fifty-nine and its implications for conflicts law in the field of insurance contracts »,Duke].
Camp. Int. L. (1992), 129-148; F. SANCHEZ CALERO e.a., Ley de contrato de seguro (Pamplona, Aranzadi,
1999); L. ScHUERMANS, « Verzekering en internationaal privaatrecht », R. W (1979-1980), 2209-
2228; F. SEATZU, Insurance in private international law - A European perspective (Oxford, Hart Pub!.,
2003) ; B. SMULDERS et P. GLAZENER, « Harmonization in the field of insurance law through the
introduction ofCommunity rules of conflict », C.M.L.R. (1991), 775-798; O. STEIN,« Le droit inter-
national des assurances», Recueil des cours, vol. 19 (1927), 1 et s.; C. VAN ScHOUBROECK,
« Grensoverschrijdende verzekering en beroepsaansprakelijkheid »,Bull. ass. (1995), 501-542.

14.84 - Présentation - Les règles spéciales affectant le contrat d'assurance découlent


essentiellement du droit communautaire. À côté de la Convention de Bruxelles, suivie du
règlement « Bruxelles I », il convient de tenir compte de plusieurs directives introduisant
de nouvelles règles de conflit de lois. Des dispositions relatives aux clauses de juridiction
figurent aussi dans la loi du 9 juillet 1975 relative au contrôle des entreprises d'assuran-
ces.
Les actes communautaires concernent aussi l'assurance obligatoire de la responsa-
bilité, tantôt en matière automobile, tantôt en matière de transports. Ces règles parti-
culières sont présentées, respectivement, avec les obligations non contractuelles (infra,
chap. 15) et avec le contrat de transport (infra, § 8).

A. Compétence internationale
14.85 - Place des règles particulières dans le règlement« Bruxelles I » - Le règlement
« Bruxelles I » (voy. supra, n ° 8.6) consacre une section particulière à la détermination de
la compétence internationale« en matière d'assurances» (art. 8 à 14).
Ces règles spéciales tendent à la protection de l'une des parties au contrat, celle qui
est présumée la plus faible, à savoir l'assuré, le preneur ou le bénéficiaire et, le cas échéant,
la personne lésée introduisant une action directe. Cette protection s'exprime par l'admis-
sion du for du demandeur, par la limitation des chefs de compétence intéressant l'action
de l'assureur et par la réglementation des clauses attributives de juridiction.
1111À l'instar des dispositions générales, le règlement prévoit aussi des compétences dérivées en cas
de demande reconventionnelle (art. 12, § 2) et en cas d'appel à la cause de l'assureur en responsabi-
lité civile, si la loi du tribunal saisi de l'action par la personne lésée le permet (art. 11, § 2).
En revanche, l'article 6, pas plus que les articles 2 et 5, n'est applicable aux contrats couverts par
l'article 8.
Quant au domaine matériel, la section s'étend à première vue à toute couverture
d'assurance, obligatoire ou non, assurance ou coassurance, couverture de responsabilité
civile, assurance portant sur un immeuble, assurance maritime ou aérienne. De fait, le
texte évoque l'action contre un« coassureur », et, à propos des règles protectrices concer-
RÈGLES PROPRES À CERTAINS CONTRATS 835

nant la prorogation volontaire de juridiction, il en exclut les grands risques (voy. ci-
dessous), ce qui donne à entendre que ceux-ci relèvent bien de la section particulière.
Pourtant, l'action du réassuré contre le réassureur en serait exclue, selon une interpréta-
tion stricte de la section en fonction de son objectif, qui est de protéger uniquement la
partie faible au contrat (C.J.C.E., aff. C-412/98, 13 juillet 2000,]osi Reinsurance, Rec., 2000,
I-5925, Rev. dr. comm. belge, 2001, 140, note C. VAN SCHOUBROECK, Bull. ass., 2002, 590, note
J.-L. FAGNART et H. BoULARBAH). Il en irait de même d'un appel en garantie entre assu-
reurs, du fait qu'aucune protection spéciale ne se justifie dans les rapports entre des pro-
fessionnels (C.J.C.E., aff. C-77/04, 26 mai 2005, Réunion européenne Il).
1111Sur l'interprétation stricte liée au caractère dérogatoire de la section, voy. aussi la jurisprudence
relative aux contrats de consommation, infra, n° 14.104.
Ill!L'exclusion des rapports entre professionnels se comprend cerces en termes d'objectifs de la
politique, mais elle ne convainc pas au regard du système du règlement. Non seulement les
« grands risques» sont évoqués par la section 3. De plus, le maintien d'une section propre au con-
trat d'assurance à côté de celle qui a été ajoutée en 1978 pour le contrat de consommation n'est
cohérent que si les domaines de ces sections distinctes ne coïncident pas : en ce sens, le domaine de
la section relative aux assurances semble plus large que celui de la section consacrée au contrat de
consommation.
Autre chose serait de modifier le règlement, de manière à insérer les relations d'assurance dans la
section relative aux contrats de consommation, quitte à y maintenir des chefs de compétence adap-
tés à la matière.

Il résulte de l'arrêt Réunion européenne II précité que l'article 6 reste applicable à certains contrats
1111

d'assurance. Comp. en sens contraire, précédemment: Anvers, 16 mars 1993,Jur. Anv. (1994), 429,
à propos d'un litige entre professionnels.

Le domaine d'application dans l'espace des règles communes est fixé par la localisa-
tion du domicile du défendeur dans un État membre de l'Union européenne (art. 4
auquel renvoie l'art. 8, voy. supra, n ° 8.22). Pour ce qui est de l'assureur, le texte fournit
des précisions particulières, qui étendent le domaine au cas d'une compagnie ne possé-
dant sur le territoire d'un État membre qu'une « succursale, une agence ou tout autre
établissement» dont l'exploitation est mise en cause par la contestation (art. 9, § 2).
À la différence des compétences spéciales de l'article 5, qui s'ajoutent à la compé-
tence de principe des tribunaux de l'État membre où le défendeur a son domicile (art. 2),
les règles particulières excluent l'application de l'article 2 ainsi que celle de l'article 5,
sous réserve de l'article 5, 5 °.

14.86 - Action contre l'assureur dans le règlement« Bruxelles I » - La demande portée


contre l'assureur bénéficie d'une liste de compétences alternatives, de manière à faciliter
l'accès à la justice.
L'assureur peut être attrait (art. 9) :
« 1) devant les tribunaux de l'État où il a son domicile, ou
2) dans un autre État membre, devant le tribunal du lieu où le demandeur a son
domicile, ou
Ce « demandeur» est« le preneur d'assurance, l'assuré ou un bénéficiaire». Cela exclut norma-
1111

lement tout tiers n'entrant pas dans l'une de ces catégories. Voy. cependant infra, n° 15.6, à propos
de l'action directe contre l'assureur automobile.

Ill! Le texte de la Convention de Bruxelles ne vise que la demande du« preneur».


836 LES CONTRATS

3) s'il s'agit d'un coassureur, devant le tribunal d'un État membre saisi de l'action
formée contre l'apériteur de la coassurance.»
Ill Les dispositions reprises sous les points 2 et 3 incluent une règle de compétence territoriale
interne (voy. supra, n ° 9.5).
1111Il est satisfait à la condition de domicile sur le territoire d'un État membre quand l'assureur
possède une succursale ou une agence dans un de ces États et alors que la contestation est relative à
l'exploitation de cette succursale ou agence (art. 9, § 3). De plus, le tribunal du lieu de la situation
de la succursale ou de l'agence est compétent en vertu de l'article 5, 5 °, auquel se réfère expressé-
ment l'article 8 (voy. infra, n ° 16.25).
Pour certaines couvertures, la liste est complétée. Outre le cas des assurances de res-
ponsabilité (voy. infra, n ° 15.6), une demande relative à la couverture d'un risque immo-
bilier peut être introduite devant le tribunal du lieu « où le fait dommageable s'est
produit» (art. 10). Ce critère manque de précision. Il aurait été plus judicieux d'évoquer
directement le lieu de situation de l'immeuble comme localisation du risque (comp. infra,
n ° 14.91, à propos de la règle de conflit de lois).
14.87 - Action de l'assureur dans le règlement« Bruxelles I » - La section limite stric-
tement les possibilités d'action de l'assureur contre le preneur, l'assuré ou le bénéficiaire.
La demande originaire ne peut être portée que devant les juridictions du pays du
domicile du défendeur (art. 12, § 1er) : la disposition confirme ainsi le principe posé par
l'article 2, tout en excluant toute possibilité pour l'assureur de se prévaloir du for con-
tractuel de l'article 5.
Comme l'article 2, la disposition reçoit la formulation d'une règle de compétence internatio-
1111

nale, sans détermination de la compétence territoriale interne.


L'assureur bénéficie cependant aussi de règles de compétence dérivée, pour l'intro-
duction d'une demande reconventionnelle (art. 11, § 2) et, en cas d'action directe de la
victime, pour appeler à la cause le preneur ou l'assuré (art. 11, § 3).
14.88 - Protection contre les clauses de juridiction dans le règlement « Bruxelles I » -
Le règlement entend protéger la partie faible, par un « encadrement de l'autonomie»
(C.J.C.E., aff. C-112/03, 12 mai 2005, SFIP) en ne permettant une clause de juridiction
que dans l'un des cas suivants (art. 13) :
1111 Le texte suit celui de la Convention de Bruxelles, tout en y ajoutant les hypothèses 4 ° et 5 °.
1 ° elle est postérieure au différend;
2 ° elle permet à la partie protégée de saisir d'autres tribunaux que ceux qui sont indi-
qués par l'acte;
Le caractère« impératif» de l'objectif de protection exclut que le preneur puisse renoncer au for
1111

de son propre domicile (arrêt SFIP précité).


1111 Ainsi, la clause doit avoir été stipulée « au profit exclusif» du preneur, de l'assuré ou du bénéfi-

ciaire, ce qui reviendrait à autoriser « une clause, non pas exclusive, mais facultative» (arrêt SFIP
précité).
3 ° étant conclue entre des parties ayant leur domicile ou leur résidence habituelle dans
un même État, elle consiste à attribuer compétence aux tribunaux de cet État, « sauf
si la loi de celui-ci interdit de telles conventions» ;
4 ° si le preneur n'a pas son domicile sur le territoire d'un État membre,« sauf s'il s'agit
d'une assurance obligatoire ou qui porte sur un immeuble situé dans un État
membre»;
RÈGLES PROPRES À CERTAINS CONTRATS 837

5° si elle concerne un contrat couvrant un ou plusieurs des risques énumeres à


l'article 14. Il s'agit en substance des « grands risques» - assurances relatives aux
navires et aéronefs et marchandises transportées autres que les bagages et les dom-
mages corporels aux passagers -, pour lesquels une protection spéciale du preneur
n'est pas jugée nécessaire.
IllLa mise à l'écart des grands risques se retrouve pour la solution du conflit de lois (voy. infra,
n° 14.93). Leur définition est empruntée aux actes communautaires qui, à la fois, déterminent les
conditions d'accès au marché de l'assurance et énoncent les règles de conflit de lois relatives au
contrat d'assurance.
Les clauses valables au regard de l'article 13 doivent-elles obéir en outre aux condi-
tions de l'article 23 du règlement?
La Cour de justice semble l'admettre, en acceptant d'interpréter l'article 23 à propos
d'une clause conclue par un assureur, non sans appuyer son interprétation sur les termes
particuliers de l'article 13. Ainsi, la notion de« partie» ayant consenti à la clause englobe
non seulement le bénéficiaire au nom d'une stipulation pour autrui ; une extension de
l'exigence que celui-ci ait consenti formellement pour qu'il puisse l'invoquer à son profit
serait inutile et « difficilement réalisable si avant tout litige, l'assuré n'a pas été informé
par le preneur d'assurance de l'existence d'une clause de juridiction stipulée à son
profit», d'autant plus que, dans un tel contexte, l'assureur a manifesté son consentement
à un « système général et ouvert de prorogation de compétence» (aff. 201/82, 14 juillet
1983, GerlingKonzern, Rec., 1983, 2503, Revue, 1984, 141, note H. GAUDEMET-TALLON, Clu-
net, 1983, 843, note A. HuET).
Ill L'article 13 évoque expressément le droit du« bénéficiaire» d'invoquer la clause.
IllInversement, l'assureur ne saurait opposer une clause de juridiction à l'assuré bénéficiaire, en
raison de l'objectif de protection qui transparaît du système des dispositions en cause (arrêt SFIP
précité).
IllUne autre question porte sur l'extension des critères d'applicabilité spatiale de l'article 23 : la
clause visée par l'article 13 ne concerne-t-elle que la désignation d'une juridiction d'un État mem-
bre, comme c'est normalement le cas de l'article 23 ? L'objectif de protection de la partie faible
incite à répondre par la négative, puisque l'affirmative autoriserait à contourner les règles impérati-
ves de protection dès que le droit commun permettrait la clause de juridiction. La question se pose
aussi pour le contrat de consommation et pour le contrat de travail. Voy. en ce sens : H. GAUDEMET-
TALLON, Compétence et exécution des jugements en Europe (Paris, LGDJ, 2002), n ° 276.
Il semble encore que la clause doive répondre aux conditions résultant de la directive
93/13 du 5 avril 1993 relative aux clauses abusives, du moins si le contractant de l'assu-
reur est un consommateur. Sur ce point, voy. infra, à propos du contrat de consomma-
tion, n 14.107.
O

14.89 - Clauses de juridiction en droit commun - Une clause attributive de juridiction


à un tribunal étranger, qui n'est couverte ni par la Convention de Bruxelles ni par le règle-
ment« Bruxelles I », est nulle au regard de l'article l9ter de la loi du 9 juillet 1975 - telle
que modifiée par la loi du 19 juillet 1991 (Monit., 9 août 1991) - relative au contrôle des
entreprises d'assurances, pour toute contestation relative aux contrats souscrits en Belgi-
que ou portant sur un risque localisé en Belgique au sens de l'article 3 de la loi.
Le caractère impératif de cette disposition en commande l'application par le juge
belge au titre de loi du for dès que les conditions spéciales d'applicabilité sont remplies,
même si la loi contractuelle est étrangère.
1111 Sur cette question, voy. plus généralement supra, n ° 14.73.
838 LES CONTRATS

B. Droit applicable au contrat d'assurance


14.90 - Harmonisation européenne des règles de conflit de lois - Plusieurs directives
destinées à faciliter l'accès et l'exercice des prestations de services dans le secteur de
l'assurance comportent soit des règles de rattachement, soit des règles matérielles unifor-
mes.
Une distinction s'impose selon que la prestation de services concerne ou non l'assu-
rance-vie. D'autres dispositions intéressent l'assurance de la responsabilité civile des véhi-
cules automoteurs qu'il y a lieu, pour des raisons de commodité, d'examiner à propos des
obligations non contractuelles (voy. infra, n ° 15.38).
Les contrats visés sont ceux portant sur un risque visé par l'une des branches figu-
rant dans la liste annexée aux directives pertinentes. Cela inclut, notamment, des opéra-
tions de capitalisation ou des assurances maladie (B. DUBUISSON, précité n ° 14.83, Rev.
belge dr. comm., 2004, 74 7).
Ces directives s'écartent sensiblement des dispositions de la Convention de Rome.
Toutefois, les « règles générales de droit international privé » en matière de contrats con-
tinuent de s'appliquer dans la mesure où elles ne sont pas incompatibles avec les disposi-
tions des directives (art. 7, § 3, de la directive « non-vie»; art. 4, § 5, de la directive
«vie»).
Avant l'entrée en vigueur de ces dispositions, le contrat d'assurance est resté long-
temps soumis, en l'absence de choix des parties, à la loi du lieu de conclusion, non sans
une évolution en faveur de la méthode indiciaire, dans la ligne du rattachement général
des contrats.
Ill!En faveur du critère du lieu de conclusion, voy. encore: Mons, 15 décembre 1976, Pas. (1977), II,
147; Liège, 21 février 1978,Jur. Liège (1978-1979), 161; Comm. Bruxelles, 9 janvier 1978,Jur. Anv.
(1977-1978), 278.
En faveur de la méthode indiciaire, voy.: sent. arb., 16 juin 1983, Rev. gén. ass. resp. (1985),
n ° 10855; Comm. Bruxelles, 8 janvier 1986, Rev. dr. comm. belge (1987), 440.

D'autres actes communautaires peuvent comporter des règles matérielles uniformes


intéressant le contrat d'assurance. Il convient alors encore d'en fixer l'applicabilité dans
l'espace, en déterminant les contrats internationaux qui en relèvent. Il en est ainsi de la
directive 98/29 du 7 mai 1998 portant sur l'harmonisation des principales dispositions
applicables à l'assurance-crédit à l'exportation pour les opérations bénéficiant d'une cou-
verture à moyen et à long terme (J.O.C.E., 1998, L 148), qui recourt à un double critère
d'applicabilité, à savoir que la couverture porte sur des biens ou services originaires d'un
État membre et que l'entreprise bénéficiaire soit de celles qui sont visées par
l'article 48 CE.

14.91 -Applicabilité dans l'espace des règles communautaires de rattachement- Le


domaine d'application dans l'espace des règles de rattachement est limité. Celles-ci
n'intéressent que les polices couvrant des risques localisés sur le territoire d'un État
membre de la Communauté. Chaque directive contient une définition de la localisation
du risque. Pour les contrats ne remplissant pas cette condition d'applicabilité, il convient
d'appliquer les dispositions de la Convention de Rome du 19 juin 1980, tantôt les règles
générales (voy. supra, n°s 14.36 et s.), tantôt, lorsqu'il y a lieu, les règles spéciales de protec-
tion du consommateur (voy. infra, n°s 14.109 et s.).
RÈGLES PROPRES À CERTAINS CONTRATS 839

1111Pour éviter cour conflit avec les directives alors en préparation, la Convention de Rome avait
prévu qu'elle ne s'applique pas aux polices couvrant un risque localisé dans un État contractant
(art. 2, § 3). Ce critère de localisation doit logiquement être défini par référence aux dispositions
pertinentes des directives.
Ill Le recours à une règle d'applicabilité délimitant le domaine spatial de règles de rattachement
uniformes est exceptionnel (voy. supra, n ° 4.48). Il s'explique par le lien entre l'adoption de ces actes
et le« fonctionnement du marché intérieur», critère attributif de compétence normative aux insti-
tutions communautaires selon l'article 95 CE.
En pratique, le risque se localisera normalement au lieu de la résidence habituelle du
preneur, sauf pour certains risques spéciaux, portant sur les véhicules automobiles, les
immeubles ou les voyages de courte durée : dans ces cas, il se localise respectivement au
lieu d'immatriculation, au lieu de l'immeuble et au lieu de conclusion du contrat (art. 2,
litt. d, de la deuxième directive non-vie; art. 3, § 3, de la loi de 1975).
Le domaine d'application des règles communes semble obéir à un second critère de
délimitation, à savoir l'établissement de l'assureur dans un État membre. Cette limite
découle de l'objet de l'acte, qui est de garantir la libre prestation aux entreprises remplis-
sant cette condition.
IllL'inclusion des règles de conflit de lois dans la loi de contrôle des entreprises donne aussi à
croire que ces règles ne régissent que les entreprises agréées en Belgique. Une interprétation aussi
étroite, liant le domaine de dispositions de droit privé à des mécanismes de contrôle administratif,
conduirait à une lacune puisque la couverture, par un établissement étranger, d'un risque localisé
dans un État membre n'entre pas davantage dans le domaine de la Convention de Rome.

1. L'ASSURANCE DIRECTE AUTRE QUE L'ASSURANCE SUR LA VIE

14.92 - Présentation - Des règles de rattachement propres au contrat d'assurance figu-


rent dans la directive 88/357 (dite « deuxième directive») du 22 juin 1988 relative à
l'exercice effectif de la libre prestation de services d'assurance directe autre que l'assu-
rance sur la vie (J.O.C.E., 1988, L 172).
Ill La directive a été transposée en droit belge par l'arrêté royal du 22 février 1991 modifiant la loi
du 9 juillet 1975 relative au contrôle des entreprises d'assurances (Monit., 11 avril 1991). Voy. spéc.
l'article 16, introduisant dans la loi de 1975 les articles 28ter à 28octies. Ces dispositions ont été
modifiées par les arrêtés royaux du 8 janvier 1993 (Monit., 9 février 1993), art. 4, et du 12 août 1994
(Monit., 16 septembre 1994), art. 22.
Ill Les dispositions nouvelles ne s'appliquent pas aux contrats en cours (art. 28octies de la loi du
9 juillet 1975).
1111La directive 88/357 a été complétée par la directive 92/49 («troisième» directive) du 18 juin
1992 (j.O.C.E., 1992, L 228), dont l'article 31contient une disposition relative aux conflits de lois.
D'une complexité sans doute excessive, les règles de rattachement fixées par
l'article 7 de la directive maintiennent le principe d'autonomie de la volonté, tout en sou-
mettant la faculté de choix des parties à trois types de variables. Celles-ci concernent res-
pectivement la nature du risque, la localisation des éléments de la situation et le contenu
du droit international privé du ou des États sur le territoire desquels la situation se loca-
lise objectivement en considération des éléments précités (voy. ci-dessous). De plus, elles
permettent la prise en considération de lois de police, du for ou étrangères, d'un État
autre que celui dont la loi est applicable au contrat.
1111Les dispositions de transposition en droit belge figurent aux articles 28ter et 28quater de la loi de
1975.
840 LES CONTRATS

!Ill Sur la cession du contrat d'assurance, voy. supra, n ° 14.57.

Le législateur communautaire exprime une politique législative apparemment con-


tradictoire à celle de la Convention de Rome. En effet, il émet une préférence nette pour
la loi du lieu du risque, qui se confondra le plus souvent avec celle de la résidence habi-
tuelle ou de l'administration centrale du preneur, rendant ainsi artificielle une alterna-
tive que le texte affiche souvent entre ces deux critères. De son côté, la Convention de
Rome, par le biais du rattachement général selon la prestation caractéristique (voy. supra,
n ° 14.54), conduira le plus souvent à la loi de l'établissement de l'assureur, sauf lorsque
le preneur est un consommateur - auquel cas prévaut également une référence de fait à
la loi du preneur (voy. infra, n ° 14.111 ).
Une certaine cohérence apparaît sans doute dans l'observation de l'application sys-
tématique de la loi d'un État membre de la Communauté aux contrats couverts par un
assureur européen, tantôt selon la directive puisque le lieu du risque se trouvera nécessai-
rement sur le territoire d'un de ces États, tantôt selon la Convention de Rome.

a) Choix de la loi applicable par les parties


14.93 -Autonomie illimitée pour les grands risques - Pour les « grands risques», les
parties ont le libre choix de la loi applicable (art. 7, § Fr, litt. f, de la directive; art. 28ter,
§ 6, de la loi de 1975).
La définition du grand risque relève de la directive. Elle a lieu par un renvoi de
l'article 5 à la définition donnée par la première directive (dir. 73/239 du 24 juillet 1973,
].O.C.E., 1973, L 228).
Toutefois, le choix des parties est sans préjudice de l'application des règles impérati-
ves du pays dans lequel se localisent tous les éléments de la situation lors du choix (litt.
g; § 6 précité de la loi). Cette limite reprend celle que contient l'article 3, § 3, de la Con-
vention de Rome.
L'autonomie des parties reste également soumise aux modalités exigées pour tout
choix de la loi applicable dans un contrat (voy. supra, n ° 14.43), ainsi qu'à l'applicabilité
d'éventuelles lois de police (voy. supra, n ° 14.73).

14.94 - Absence d'autonomie pour les couvertures obligatoires - Lorsque le législa-


teur impose une couverture d'assurance, la directive prévoit une faculté pour l'État de
« prescrire que la loi applicable au contrat d'une assurance obligatoire est celle de l'État
qui impose l'obligation d'assurance» (art. 8, § 4, litt. c).
Pour le régime de l'assurance obligatoire de la responsabilité en matière de véhicules automo-
1111

teurs, voy. infra, n ° 15.41.

Le législateur belge a fait usage de cette faculté au moyen d'une règle unilatérale,
prévoyant que « les contrats destinés à satisfaire à une obligation d'assurance imposée
par la loi belge sont régis par la loi belge» (art. 28sexies). De plus,« les dispositions impé-
ratives du droit belge sont applicables [... ] lorsque la Belgique impose l'obligation
d'assurance» (art. 28quater, § 2).
1111 Le législateur reprend ainsi une formulation tautologique déjà présente dans la directive.

Il n'est pas certain que l'application de la loi belge en tant que loi contractuelle
s'imposait à toute assurance obligatoire prévue en Belgique. Il était suffisant de prévoir
RÈGLES PROPRES À CERTAINS CONTRATS 841

cette application pour les seules règles matérielles ayant un effet contraignant sur le con-
trat.

14.95 - Autonomie variable en fonction de la localisation du risque - Pour les risques


non visés aux points précédents, le degré d'autonomie prévu par la directive est fonction
de la configuration territoriale de la situation.
Dans le cas où le risque et la résidence habituelle du preneur se localisent dans le
même État membre, la loi de cet État est normalement applicable (art. 7, § 1er, litt. a).
Dans les autres cas, une option de législation limitée est offerte par la directive :
celle-ci permet de choisir la loi de l'État du risque ou la loi de l'État de la résidence du pre-
neur (litt. b etc), ou encore la loi du lieu du sinistre lorsque le contrat porte sur des sinis-
tres pouvant se localiser dans un État membre distinct de celui du lieu du risque (litt. d;
art. 28ter, § 5, de la loi). Mais un élargissement de l'autonomie est possible, s'il est prévu
par la loi désignée par le rattachement objectif (litt. e).
1111Il est précisé que lorsque le preneur est un professionnel et que le contrat porte sur des risques
localisés dans différents États membres, le choix peut porter sur la loi de l'un de ces États ou sur
celle du pays de la résidence habituelle ou de l'administration centrale du preneur (litt. c; § 3 de la
loi).
On observe que, sauf dans le cas où le choix des parties porte sur la loi du pays de la résidence
1111

habituelle ou de l'administration centrale du preneur, la loi désignée est nécessairement celle d'un
État membre de la Communauté.

Le législateur belge a préféré distinguer selon que le risque est localisé en Belgique
ou à l'étranger.
En cas de localisation du risque en Belgique, si le preneur réside également en Belgi-
que, la loi exclut l'autonomie envisagée par la directive (art. 28ter, § l er, al. 1er), comme
celle-ci permet de le faire, à moins que le choix porte sur la loi du sinistre lorsque celui-ci
se localise hors du pays de résidence. Si le preneur réside à l'étranger, un choix est ouvert
entre la loi de l'un des États visés (al. 2), y compris la loi du lieu du sinistre(§ 5).
En cas de localisation du risque dans un autre État membre, le texte semble ouvrir
une autonomie illimitée (§ 2) mais, en réalité, cette autonomie est uniquement celle que
permet la loi de cet État membre ou celle de l'État membre de la résidence du preneur
(§ 4). Il y a lieu d'ajouter au texte le cas d'un choix de la loi du sinistre, choix que permet
la directive.
1111 Selon les termes de la transposition, si « les parties n'ont pas choisi la loi applicable, le contrat

est régi par la loi de l'État membre où le risque est situé"· Cette phrase comporte une double singu-
larité. Quant à son objet, elle sert à définir le rattachement objectif, en désignant la loi du lieu du
risque en l'absence de choix: elle fait double emploi avec le § 7 qui prévoit cette hypothèse, et
génère une contradiction puisque le rattachement objectif du § 7 est plus souple (voy. infra,
n ° 14.97). Quant à l'auronomie des volontés, elle ne se déduit que par une interprétation a
contrario: puisque le texte prévoit l'hypothèse de l'absence de choix, c'est que le législateur admet
celle de l'existence d'un choix valable.
1111 L'octroi d'une auronomie illimitée semble contraire à la directive, puisque celle-ci ne l'admet
que dans les limites prévues par la loi désignée par le rattachement objectif Le§ 4 reprend heureu-
sement en ce sens les termes de la directive.
111 La transposition de la faculté de choisir la loi du sinistre est incomplète, puisque la loi belge ne
la consacre que lorsque le risque est localisé en Belgique(§ 5), sans envisager le cas d'un risque loca-
lisé dans un autre État membre.
842 LES CONTRATS

La référence au principe d'autonomie tel que l'admet le droit étranger de l'État désigné au
1111

moyen d'un critère de localisation, paraît nouvelle en droit international privé positif Elle est pro-
che de la thèse de la référence à l'ordre juridique de base, ou Grundlegung, avancée notamment par
A. ScHNITZER, «père» de la théorie de la prestation caractéristique. Voy. à ce sujet P. MAYER, « Le
mythe de l'ordre juridique de base, ou Grundlegung », Le droit des relations économiques internationales,
Etudes offertes à B. Goldman (Paris, Litec, 1983), 199-216. La Convention de Rome du 19 juin 1980
n'a pas repris cette thèse.
Un rapprochement peut également être fait avec la technique du renvoi (voy. supra, n° 6.16).

14.96 - Modalités du choix du droit applicable - Le choix doit être exprès ou certain,
pouvant découler des clauses du contrat ou des circonstances de la cause (art. 7, § 1er,
litt. h, de la ze dir., repris par l'art. 28ter, § 7, de la loi de 1975).
Cette condition est reprise de la disposition correspondante de la Convention de
Rome de 1980. Le texte ne se prononce pas sur d'autres conditions imposées générale-
ment au choix des parties, et notamment par cette Convention (voy. supra, n ° 14.43.). La
référence de la directive aux règles générales (voy. supra, n ° 14.90) implique cependant
leur application aux contrats visés.
Une condition supplémentaire d'information du preneur, personne physique, appa-
raît dans l'article 31 de la troisième directive. Il s'agit d'une règle matérielle de droit inter-
national privé, imposant une obligation d'informer au sujet« de la loi qui sera applicable
au contrat au cas où les parties n'auraient pas de liberté de choix ou du fait que les par-
ties ont la liberté de choisir la loi applicable et, dans ce cas, de la loi que l'assureur pro-
pose de choisir». La détermination des « modalités d'application» de cette disposition
est régie par la loi de l'État membre où le risque est situé.

b) Rattachement subsidiaire du contrat


14.97 - Application particulière de la méthode indiciaire - Comme la Convention de
Rome, la directive consacre le principe de la localisation objective du contrat par l'appré-
ciation d'indices, méthode dont elle tempère l'imprévisibilité par un jeu de présomptions
(art. 7, § 1er, litt. h; art. 28ter, § 7, de la loi de 1975). Pour le reste, elle se sépare de la Con-
vention par l'identification, à la fois, des iç.dices pertinents et du critère de localisation
désigné par la présomption.
Ill Comme la Convention, la directive prévoit également la possibilité d'un dépeçage, toutefois
exceptionnel, de la loi contractuelle, lorsqu'une partie du contrat est séparable du reste de celui-ci.

Les seuls indices que le juge peut prendre en considération sont les critères entrant
en ligne de compte pour le choix de la loi applicable par les parties, à savoir l'État du lieu
du risque, celui de la résidence du preneur - qui se confondra le plus souvent avec le pre-
mier - et, le cas échéant, l'État du lieu du sinistre.
La présomption joue en faveur de l'État du lieu du risque.
Ill Le contenu de cette présomption paraît cadrer assez mal avec le principe de l'autonomie
«totale>> consentie aux parties pour les grands risques, où fait défaut toute préférence pour le lieu
du risque. Il aurait été plus judicieux de se référer au critère de l'établissement de l'assureur, dans la
ligne de ce que prévoit la Convention de Rome (applicable aux risques localisés dans des pays tiers)
mais aussi de la portée que reçoit le principe de l'État d'origine dans le droit communautaire dérivé
(voy. supra, n ° 4.46).
La loi de transposition (art. 28ter, § 7) respecte les termes de la directive, suite à la
modification introduite par l'arrêté royal du 12 août 1994. Auparavant, le texte prévoyait
RÈGLES PROPRES À CERTAINS CONTRATS 843

l'application inconditionnelle de la loi du lieu du risque en cas de défaut de choix des


parties.

c) Application des lois de police


14.98 - Primauté des règles impératives - La prise en considération des lois de police,
du for ou étrangères, par le juge est rendue possible selon un procédé déjà utilisé par
l'article 7 de la Convention de Rome de 1980 (art. 7, § 2, de la dir.; art. 28quater de la loi
de 1975; voy. supra, n° 5 14.73 et s.).
Une différence subsiste cependant au sujet de la désignation des lois étrangères pou-
vant être prises en compte. Sauf lorsqu'il s'agit de la réglementation d'une assurance
obligatoire, il ne peut s'agir que de dispositions de l'État du lieu du risque et, en cas
d'éparpillement de ce critère, ces lois sont considérées de manière distributive (al. 3).
Comme la Convention de Rome, la directive distingue loi du for et lois étrangères.
Pour la première, elle affirme ne pas y« porter atteinte». Pour les secondes, le texte laisse
à l'État d'en décider. Le législateur belge prévoit explicitement que « il peut être donné
effet à de telles dispositions » étrangères, approche cohérente avec celle adoptée à propos
de la Convention de Rome (voy. supra, n° 14.75).
La directive ne précise nullement ce qu'il faut entendre par ces règles qui « régissent
impérativement la situation». En raison de la similitude des termes utilisés, leur défini-
tion obéit à la même méthode que pour l'article 7 de la Convention de Rome (voy. supra,
n° 14.74).
Ill Un exemple significatif de règles impératives de protection au sens de la directive figure dans
l'arrêté royal du 12 janvier 1984 déterminant les conditions minimales de garantie des contrats
d'assurance couvrant la responsabilité civile extracontractuelle relative à la vie privée (Monit.,
31 janvier 1984). Sans pour autant imposer d'assurance obligatoire, le législateur a établi les garan-
ties minimales que l'assureur est tenu de couvrir en cas de souscription. Ces dispositions s'appli-
quent à tout contrat souscrit ou considéré comme souscrit en Belgique (art. 2).
Outre cette règle d'applicabilité, le texte comprend certaines dispositions matérielles d'ordre spa-
tial, dont l'objet est uniquement de fixer l'étendue« territoriale » de la couverture, non l'applicabi-
lité de la loi. Il en est ainsi de la condition que le preneur« ait sa résidence principale en Belgique»
(art. 3, 1), de« l'extension» de la garantie« à tous les pays de l'Europe géographique et à ceux bor-
dant la Méditerranée» (art. 4), ou encore de la disposition définissant la responsabilité civile
comme celle « résultant des articles 1382 jusque et y compris l386bis du Code civil et de disposi-
tions analogues de droit étranger» (art. 1er).

Ill D'autres dispositions sur l'applicabilité des lois d'assurance obligatoire figurent à l'article 8 de
la directive (art. 28quinquies de la loi de 1975 ; voy. aussi, à propos des véhicules automoteurs, infra,
n ° 15.41).

Le législateur belge semble entendre dans un sens extensifla notion de règle impéra-
tive ici visée. En effet, les règles du droit belge ayant ce caractère s'imposent chaque fois
que« le risque est situé en Belgique» (art. 28quater, § 2, de la loi de 1975). Par ailleurs, les
dispositions de la loi du 25 juin 1992 sur le contrat d'assurance terrestre (Monit., 20 août
1992) « sont impératives» à moins que « la possibilité d'y déroger par des conventions
particulières résulte de leur rédaction même» (art. 3 de cette loi). De plus, l'article 3 de la
loi de 1975 déclare« nuls» - sous réserve de la« bonne foi» du preneur(§ 5) - les con-
trats souscrits auprès d'une entreprise non agréée pour couvrir un engagement ou un ris-
que localisés en Belgique.
844 LES CONTRATS

La seule allusion au caractère impératif de dispositions de la loi de 1992 ne suffit pas à en faire
1111

des lois de police au sens ici visé, car celles-ci ne couvrent pas toute règle impérative (voy. supra,
n° 4.14).
IllLa règle de la nullité des contrats souscrits auprès d'une entreprise non agréée pour couvrir un
risque localisé en Belgique constitue une disposition matérielle, non une règle d'applicabilité. Son
but manifeste est pourtant bien de sanctionner tout contrat portant sur un risque localisé en Belgi-
que, lorsque l'assureur n'est pas agréé. La disposition n'aurait aucun sens à propos d'un contrat
portant sur un risque localisé à l'étranger.
Ill À titre de comparaison, la loi du 27 mars 1995 relative à l'intermédiation en assurances et à la
distribution d'assurances (Monit., 14 juin 1995), telle que modifiée par la loi du 11 avril 1999
(Monit., 30 avril 1999), conditionne l'exercice de l'activité en interdisant de participer à la conclu-
sion de contrats d'assurance qui sont « manifestement contraires» à deux catégories de disposi-
tions, évoquées dans deux catégories de cas (art. 10). Dans un premier cas, un contrat conclu avec
une entreprise agréée en Belgique serait contraire à des dispositions du droit belge « qui sont
impératives». Dans un second cas, un contrat conclu avec une entreprise qui n'est pas agréée en
Belgique serait contraire à des dispositions du droit belge « qui sont d'intérêt général ». Cette
notion évoque celle de« raison d'intérêt général» du droit communautaire, ce qui ne suffit pas à la
dissocier nettement de celle de règle impérative. Elle ne s'accompagne d'aucune règle d'applicabi-
lité particulière. Toutefois, en obligeant par ailleurs à ne traiter qu'avec des entreprises agréées en
application de la loi de 1975, pour exercer leur activité en Belgique ou pour offrir leurs prestations
en Belgique, la loi renvoie aux règles d'applicabilité de cette loi.
1111 Sur la difficulté de définir la catégorie des lois de police en la matière, voy. notamment les tra-

vaux de B. DUBUISSON, précité.


Il est douteux que le traité CE laisse une entière liberté à l'État pour imposer l'appli-
cation de toute disposition qu'il considère impérative. Certes, la faculté pour l'État du
lieu du risque d'opposer à l'assureur étranger ses propres règles impératives tendant à la
protection du consommateur a été reconnue explicitement par la Cour de justice des
Communautés européennes dans un arrêt relatif à l'interprétation du principe de libre
prestation de services (aff. 205/84, 4 décembre 1986, Commission c. Allemagne, Rec., 1986,
3755, § 40). A contrario, l'admission d'une telle faculté sera difficile à établir en l'absence
d'un tel objectif de protection, par exemple pour les grands risques. De plus, le droit
communautaire impose une condition de proportionnalité entre la règle nationale et
l'objectif poursuivi. Dans ce contexte, il y a lieu de tenir compte d'une équivalence éven-
tuelle des législations de protection en vigueur dans l'État d'accueil et dans l'État d'ori-
gine du prestataire du service (outre cet arrêt, voy. supra, n ° 4.16).

Il. L'ASSURANCE DIRECTE SUR LA VIE

14.99 - Présentation - Le contrat d'assurance sur la vie fait l'objet de règles de rattache-
ment spécifiques, dans la directive 90/619 (dite «deuxième» directive) du 8 novembre
1990 (J.O.C.E., 1990, L 330), ensuite consolidée par la directive 2002/83 du 5 novembre
2002 (J.O.C.E., 2002, L 345, transposée par arrêté royal du 14 novembre 2003, Monit.,
14 novembre 2003). Les dispositions de transposition figurent aux articles 28nonies et
28decies de la loi du 9 juillet 1975 sur le contrôle des entreprises d'assurances.
Il La directive 90/619 a été transposée par l'arrêté royal du 8 janvier 1993 (Monit., 9 février 1993),
art. 5, qui a introduit les articles 28nonies et 28decies dans la loi sur le contrôle des entreprises
d'assurances.
Il Une« troisième» directive a été adoptée le 10 novembre 1992 (dir. 92/96,].0.C.E., 1992, L 360,
transposée par arr. royal du 12 août 1994, Monit., 16 septembre 1994). Modifiant la précédente, elle
n'intéresse que marginalement le droit applicable. Elle a été abrogée par la directive 2002/83.
RÈGLES PROPRES À CERTAINS CONTRATS 845

La règle de rattachement porte uniquement sur le contrat, non sur d'autres ques-
tions préalables du droit de la famille ou du droit du travail, dont l'incidence est détermi-
nante en matière d'assurance-vie. La solution de ces questions obéit aux rattachements
propres à ces matières.
La cession du contrat fait l'objet de règles matérielles spéciales, sans qu'il soit certain
qu'elles permettent de déterminer la loi applicable à la cession (voy. supra, n ° 14.57).
14.100 - Prédominance du lieu de l'engagement- Les règles de conflit de la directive
2002/83 présentent la même structure que pour le contrat d'assurance non-vie (art. 32).
Le contrat obéit à un rattachement objectif et l'autonomie des volontés est strictement
limitée. De plus, il ne peut être porté atteinte aux règles impératives du for, et le juge a la
faculté, si son propre droit le prévoit, de donner effet aux règles impératives de la loi de
l'État correspondant au rattachement objectif que pose la directive (§ 4). Pour le reste,
l'acte renvoie aux règles générales de droit international privé de l'État du for(§ 5).
IllL'article 28decies de la loi belge reprend, pour l'applicabilité des règles impératives, des disposi-
tions analogues à celles établies pour l'assurance non-vie (voy. supra, n ° 14.98).
Le critère de rattachement objectif se réfère au« lieu de l'engagement» (§ 1er), défini
comme la résidence habituelle du preneur ou, s'il s'agit d'une personne morale, l'établis-
sement auquel se rapporte la couverture. Dans la loi de transposition, il se traduit par
l'application de la loi belge lorsque « le contrat est relatif à des risques localisés en
Belgique» (art. 28nonies, § 1er). En cas de localisation dans un autre État membre, le con-
trat est régi par la loi de cet État (§ 2).
La faculté de choix de la loi applicable est offerte dans différentes hypothèses : lors-
que la loi de l'engagement le permet (§ ier); et lorsque le preneur réside dans un État
membre autre que celui dont il est ressortissant : la loi de la nationalité peut alors être
choisie (§ 2). Le législateur belge exclut l'autonomie lorsque le risque se localise en Belgi-
que (art. 28nonies, § 1er, al. 1er). Mais, lorsque le preneur, résidant en Belgique, a la natio-
nalité d'un autre État membre, choix peut être fait de la loi de cet État (al. 2). En
revanche, en cas de localisation du risque dans un autre État membre, le texte désigne la
loi du lieu du risque si« les parties n'ont pas choisi la loi applicable», ce qui se comprend
comme permettant un choix illimité de la loi applicable (§ 2). Cette transposition com-
porte une double anomalie : elle ne prévoit pas de choix de la loi de la nationalité lorsque
le preneur réside dans un autre État membre; et, en cas de risque localisé à l'étranger, elle
ne conditionne pas l'autonomie par ce qu'autorise la loi du lieu du risque.
Le législateur a suivi la même technique de transposition que pour la directive« non-vie» (dis-
!Ill
tinction en fonction de la localisation du risque en Belgique et à l'étranger), commettant les mêmes
erreurs d'interprétation de la directive.
De plus, le preneur ne peut, selon la directive, être empêché de souscrire un contrat
conclu avec une entreprise agréée « pour autant qu'il ne soit pas en opposition avec les
dispositions légales d'intérêt général en vigueur dans l'État membre de l'engagement»
(art. 33).
Ill Dans la deuxième directive, l'art. 14, § 5, permettait« de souscrire un engagement autorisé par
la réglementation de l'État membre de l'établissement [de l'assureur], sauf s'il est contraire aux dis-
positions d'ordre public de l'État membre de la prestation>>.
L'expression « dispositions légales d'intérêt général », puisée à la terminologie relative au
1111

régime communautaire de la libre circulation des marchandises et des services, englobe normale-
846 LES CONTRATS

ment les dispositions que le droit international privé qualifie de « lois de police » (voy. supra,
n ° 14.74 et chap. 4).
1111 Cette règle ne semble pas avoir donné lieu une disposition légale spécifique dans la loi belge de
transposition.
Une obligation d'informer le preneur est énoncée en des termes figurant à l'annexe
III de la directive.

§2 LE CONTRAT DE CONSOMMATION

14.101 - Bibliographie
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pétence judiciaire et protection des consommateurs dans le domaine du crédit hypothécaire »,
Euredia (1999), 414-423; K. VASILJEVA, « 1968 Brussels Convention and EU Council regulation
n ° 44/2001: Jurisdiction in consumer contracts concluded online », Eur. L.]. (2004), 123-142;
C. VON GRALF-PETER, « Transnationales Verbrauchervertragsrecht », RabelsZ. (2004), 244-287.
RÈGLES PROPRES À CERTAINS CONTRATS 847

14.102 - Inventaire des sources - L'application de solutions particulières à un contrat


conclu par un consommateur procède d'une tendance plus générale à assurer la protec-
tion de la partie la plus faible au contrat. On en trouve des illustrations en matière de
relations de travail, mais aussi d'assurance ou de concession de vente exclusive.
L'apparition de règles spéciales à la fin des années soixante-dix concerne la détermi-
nation tant de la compétence internationale que du droit applicable. En revanche, ce phé-
nomène n'a pratiquement pas affecté l'uniformisation du droit privé matériel, jusqu'à
l'apparition d'une politique de l'Union européenne.
Leur liste ne se limite pourtant pas aux seules dispositions qui visent le consomma-
teur en tant que tel. D'autres textes sont applicables aux contrats de consommation, soit
parce qu'ils visent à la protection d'un contractant qui peut être qualifié de consomma-
teur sans recevoir pour autant cette qualification - ce peut être le cas en matière d'assu-
rances ou de tourisme-, soit parce qu'en l'absence d'exclusion de ce type de contrat, ils
s'y appliquent normalement en fait - comme c'est le cas en matière de transports ou de
vente -, soit encore parce que le contrat n'obéit pas à la qualification de contrat de con-
sommation au sens des règles spéciales de protection : il tombe alors dans le domaine des
règles générales.
La plupart des sources ont pour contexte l'intégration européenne. Outre des ins-
truments conventionnels conclus entre États membres de l'Union européenne, le législa-
teur communautaire a adopté plusieurs actes qui visent à rapprocher les droits matériels
des États membres, non sans comprendre une disposition sur le conflit de lois.
On peut citer :
1° pour le conflit de juridictions :
- la Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968, art. 13 à 15, suivie du règle-
ment 44/2001 du 22 décembre 2000 dit « Bruxelles I » (voy. supra, chap. 8), art. 15 à 17 ;
- la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 tendant à faciliter l'accès interna-
tional à la justice (voy. supra, n ° 8.39) ;
- la directive 2002/8 du 27 janvier 2003 visant à améliorer l'accès à la justice dans
les affaires transfrontalières par l'établissement de règles minimales communes relatives
à l'aide judiciaire accordée dans le cadre de telles affaires (j.O.C.E., 2003, L 26);
- la directive 98/27 du 19 mai 1998 relative aux actions en cessation en matière de
protection des intérêts des consommateurs (j.O.C.E., 1998, L 166, loi du 26 mai 2002,
Monit., 10 juillet 2002).
2° pour des règles de rattachement :
- la Convention de Rome du 19 juin 1980, art. 5 et, subsidiairement, art. 3 et 4 (voy.
supra, sect. 2) ;
- la Convention de La Haye du 15 juin 1955 sur la loi applicable à la vente interna-
tionale d'objets mobiliers corporels (voy. infra, n ° 14.180), pour les contrats conclus
avant le 1er septembre 1999;
- le projet de Convention de La Haye sur la loi applicable à certaines ventes aux
consommateurs.
Ce texte, préparé par la quatorzième session de la Conférence de La Haye (25 octobre 1980),
1111

n'est pas entré en vigueur. Voy. le texte sur le site www.hcch.net.


848 LES CONTRATS

3 ° des actes de rapprochement du droit matériel, accompagnés d'une règle particulière


d'applicabilité:
- la directive 90/314 du 13 juin 1990 concernant les voyages, vacances et circuits à
forfait (J.O.C.E., 1990, L 158, loi du 16 février 1994, Monit., l er avril 1994), ainsi que diver-
ses conventions relatives au contrat de transport (voy. infra, n° 5 14.153 et s.);
111La directive 90/314 tend à remplacer la Convention de Bruxelles du 23 avril 1970 (CCV) que la
Belgique a ratifiée (loi du 30 mars 1973, Pasin., 1973, 362) puis dénoncée (Monit., 6 janvier 1994), et
rapport explicatif publié dans : Conférence diplomatique sur le contrat de voyage (Bruxelles, Goe-
maere, 1971).

- la directive 94/47 du 26 octobre 1994 concernant la protection des acquéreurs


pour certains aspects des contrats portant sur l'acquisition d'un droit d'utilisation à
temps partiel de biens immobiliers, dite directive« timeshare » (J.O.C.E., 1994, L 280, loi
du 11 avril 1999, Monit., 30 avril 1999);
- plusieurs directives ayant recours à une règle d'applicabilité type, depuis la direc-
tive 93/13 du 5 avril 1993 concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec
les consommateurs (J.O.C.E., 1993, L 95, loi du 3 avril 1997, Monit., 30 mai 1997, pour les
professions libérales, et loi du 2 août 2002, Monit., 20 novembre 2002) : directive 97/7 du
20 mai 1997 concernant la protection des consommateurs en matière de contrats à dis-
tance (J.O.C.E., 1997, L 144, loi du 25 mai 1999, Monit., 23 juin 1999, Monit., 23 juin 1999,
et, pour les professions libérales, loi du 2 août 2002, Monit., 20 novembre 2002) ; directive
1999/44 du 25 mai 1999 sur certains aspects de la vente et des garanties des biens de con-
sommation (J.O.C.E., 1999, L 171, loi du 1er septembre 2004, Monit., 21 septembre 2004);
directive 2002/65 du 23 septembre 2002 concernant la commercialisation à distance de
services financiers auprès des consommateurs (J.O.C.E., 2002, L 271, loi du 24 août 2005,
Monit., 31 août 2005).

IllD'autres directives antérieures ne contiennent pas de règle d'applicabilité explicite : directive


85/577 du 20 décembre 1985 concernant la protection des consommateurs dans le cas de contrats
négociés en dehors des établissements commerciaux (J.O.C.E., 1985, L 372, loi du 13 août 1986,
Monit., 24 septembre 1986, et loi du 3 avril 1997, Monit., 16 mai 1997); directive 87/102 du
22 décembre 1986 relative au crédit à la consommation (J.O.C.E., 1987, L 42, loi du 12 juin 1991,
Monit., 9 juillet 1991).

4° des dispositions nationales de protection du consommateur, assorties d'une règle


particulière d'applicabilité: la loi du 4 août 1992 relative au crédit hypothécaire
(Monit., 19 août 1992); la loi du 24 mars 2003 instaurant un service bancaire de base
(Monit., 15 mai 2003).

A. Compétence internationale
14.103 - Présentation - Des règles spéciales de compétence internationale figurent dans
le règlement « Bruxelles I » (art. 15 à 17), ainsi que dans la Convention de Bruxelles
depuis sa révision le 9 octobre 1978, sous une section réservée aux« contrats conclus par
des consommateurs» (art. 13 à 15).
Ill!Ces dispositions remplacent celles qui, dans la première version de la Convention, concernaient
les ventes et prêts à tempérament. Déjà dans l'arrêt Bertrand du 21 juin 1978 (aff. 150/77, Rec.,
1978, 1431), la Cour de justice des Communautés européennes avait limité le bénéfice de ces dispo-
sitions, pratiquement, aux contrats conclus par des consommateurs, en excluant le cas de la« vente
RÈGLES PROPRES À CERTAINS CONTRATS 849

d'une machine, consentie par une société à une autre société moyennant un prix payable par traites
échelonnées ». L'arrêt se réfère aux « acheteurs ayant besoin de protection, leur position économi-
que étant caractérisée par leur faiblesse vis-à-vis des vendeurs du fait qu'ils sont des consomma-
teurs finaux à caractère privé, non engagés, par l'achat du produit acquis à tempérament, dans des
activités commerciales ou professionnelles».

Les règles spéciales se substituent aux dispositions des articles 2 et 5 - comme en


matière d'assurances -, sans préjudice de l'application des articles 4 et 5, 5 °, ni d'autres
dispositions qui complètent les règles de compétence aux sections 8 à 10, tel l'article 31
(mesures provisoires et conservatoires).
IllSur l'applicabilité de l'article 31, voy.: C.J.C.E., aff. C-99/96, 27 avril 1999, Mietz, Rec. (1999), I-
2277, R W. (1999-2000), 1353, note L. DEMEYERE.
IllComme /ex specialis, les articles 15 et 16 prévalent sur l'article 5 et leur examen doit précéder
celui de l'article 5 (C.J.C.E., aff. C-96/00, 11 juillet 2002, Gabriel, Rec., 2002, I-6367).
Ill Les articles 15 et 16 ne s'appliquent que « en matière de contrat». Toutefois, ils sont appelés à
couvrir route action qui présente « des liens à ce point étroits» avec d'autres prétentions au titre
d'un contrat conclu avec un consommateur, qu'elles « en sont indissociables », ce qui est le cas
d'une action tendant au gain d'un prix promis par le cocontractant en cas d'achat d'un produit
(arrêt Gabriel précité).
L'interprétation stricte de ces dispositions emporterait la condition que le contrat soit synallagma-
tique, cette exigence excluant prétendument l'acceptation d'une promesse de gain (C.J.C.E., aff. C-
27/02, 20 janvier 2005, Engler, N.].W, 2005, 482, énonçant ensuite singulièrement la possibilité
d'inclure une telle hypothèse dans la« matière contractuelle» visée par l'article 5).

Les règles générales du règlement ou de la Convention régissent les contrats non


visés par ces règles spéciales.
On sera particulièrement attentif à la qualification donnée par la Cour de justice à l'action
1111

directe du sous-acquéreur contre le vendeur, pour les besoins de l'application de l'article 5, 1 ° (voy.
supra, n° 14.5).

Comme les règles générales, les règles spéciales ont un domaine spatial limité. Leur
application dans l'espace se réduit au cas où le défendeur est domicilié sur le territoire
d'un État membre (art. 4). Toutefois, le domicile reçoit une définition propre - comme
en matière d'assurances-, dont le caractère extensif conduit à élargir le domaine au cas
d'un simple établissement du défendeur (art. 15, al. 2).
IllSi la condition spatiale n'est pas remplie, le droit national reste applicable et le demandeur
bénéficie du privilège éventuel de nationalité que celui-ci prévoit (art. 4).
Sur la non-application de l'article 15 du règlement et un renvoi au droit national - sauf en ce qui
concerne l'article 22 - lorsque le défendeur est domicilié dans un pays tiers, voy. : C.J.C.E., aff. C-
318/93, 15 septembre 1994, Brenner, Rec. (1994), I-4275.
L'opposabilité d'une clause attributive de juridiction aux tribunaux d'un État membre alors que
11111

le demandeur aurait son domicile sur le territoire d'un État membre et le défendeur, dans un État
tiers, serait appréciée au regard des dispositions générales de l'article 23 pour les contrats commer-
ciaux (voy. supra, n ° 8.22).
Qu'en irait-il d'une clause désignant les juridictions d'un pays tiers? Cette clause échapperait cer-
tainement au domaine de l'article 23. Mais, indépendamment de l'incidence de la directive 93/13
(voy. ci-dessous), elle ne devrait pas échapper pour autant aux exigences de l'article 17, afin d'assu-
rer l'effet utile de l'objectif de protection de la partie faible qui sous-tend cette disposition (voy.
supra, n° 14.88, à propos du contrat d'assurance).

14.104 - Définition du consommateur protégé selon le règlement « Bruxelles I » - La


définition du consommateur fait l'objet de dispositions précises. Trois critères doivent
850 LES CONTRATS

être pris en compte, à savoir le concept matériel de consommateur, l'internationalité de


la situation et la nature du contrat.
111 La preuve de l'applicabilité des règles de protection incombe pratiquement au consommateur,
demandeur à l'argument: Comm. Hasselt, 27 juin 2001, R.W (2003-2004), 630; CJ.C.E., aff. C-464/
01, 20 janvier 2005, Gruber. Contra en France: Cass. civ. (l'e ch.), 3 juillet 2001, D.S. (2002),J, 10055,
note E. DU RUSQUEC, Clunet (2002), 183, note A. HUET, cassant l'arrêt d'appel pour ne pas avoir vérifié
que les conditions d'ordre spatial étaient remplies, ce qui conduit pratiquement à une présomption
qui paraît difficilement compatible avec l'interprétation stricte donnée par la Cour de justice.

Le consommateur se définit, au sens matériel, par le caractère non professionnel de


l'usage de l'objet du contrat par l'une des parties. Si le texte ne le précise pas, il est évident
que cette partie est le destinataire du bien fourni, non le fournisseur, et que ce dernier est
un professionnel: cette double condition est inhérente à l'objectif de protection propre
au droit de la consommation. Il implique également que le consommateur soit une per-
sonne physique.
111 Pour une définition stricte de la notion de consommateur, conforme à la fois aux objectifs géné-
raux de protection juridictionnelle du défendeur et à l'objectif spécial de protection, voy.: CJ.C.E.,
aff. C-89/91, 19 janvier 1993, Shearson Lehmann Hutton, Rec., 1993, I-139, exigeant que la partie pro-
tégée soit un non-professionnel, soit partie au contrat et soit partie au procès; aff. C-269/95,
3 juillet 1997, Benincasa, Rec. (1997), I-3767,]. T (1997), 683, note M. EKELMANS, n'incluant que le
contrat conclu objectivement hors de l'activité professionnelle, actuelle ou future, ce qui n'est pas
le cas d'un contrat de franchise portant sur l'exploitation d'un magasin.
En cas d'acquisition dans un but mixte, l'article 15 ne s'applique que si la partie professionnelle est
« non négligeable», et la preuve en incombe au consommateur (CJ.C.E., aff C-464/01, 20 janvier
2005, Gruber, ajoutant que l'ignorance légitime de la finalité professionnelle par le cocontractant
du consommateur exclut l'application de la disposition).
Le consommateur est une personne physique, non par exemple une association de consomma-
1111

teurs (CJ.C.E., aff C-167/00, F' octobre 2002, VKI & Henkel, Rec., 2002, I-8111).
L'internationalité de la situation se définit par la présence de certains éléments de
localisation dans le pays de résidence du consommateur. Elle ne joue cependant pas pour
certains contrats de crédit, à savoir « une vente à tempérament d'objets mobiliers
corporels», ou encore un« prêt à tempérament ou une opération de crédit liés au finan-
cement d'une vente de tels objets» (art. 15, § 1er, a et b).
1111Cette condition de localisation ne se confond ni avec un critère d'applicabilité, ni avec un critère
de compétence, ni avec un critère de rattachement. Elle remplit une fonction analogue à celle d'une
disposition déterminant l'hypothèse d'une règle matérielle de droit international privé (voy. supra,
n'" 3.8 et s.). À l'inverse de celle-ci cependant, elle requiert, par la convergence d'éléments dans le
même État, que la situation visée ait avec cet État un degré élevé de proximité.
La condition remplit toutefois une fonction qui sert à fonder la compétence internationale,
puisqu'elle vise« à garantir l'existence de liens étroits entre le contrat en cause et l'État sur le terri-
toire duquel le consommateur est domicilié» (C.J.C.E., aff C-96/00, 11 juillet 2002, Gabriel, Rec.,
2002, 1-6367).
Ill Le crédit à tempérament est à interpréter de manière stricte, comme les autres dispositions de la
section en raison de leur caractère dérogatoire : ainsi, il suppose que le transfert de la possession ait
lieu avant le paiement échelonné du prix, et non l'inverse (CJ.C.E., aff C-99/96, 27 avril 1999,
Mietz, Rec., 1999, J-2277, R W., 1999-2000, 1353, note L. DEMEYERE).

La définition de cette condition d'internationalité a connu une évolution, dans le


sens d'une extension du domaine de la protection.
La Convention de Bruxelles ne protège que le consommateur dit « passif» : elle sup-
pose que le consommateur ait reçu dans l'État de son domicile une « proposition spécia-
RÈGLES PROPRES À CERTAINS CONTRATS 851

lement faite » ou une publicité et qu'il ait accompli dans cet État les actes nécessaires à la
conclusion du contrat.
Le règlement « Bruxelles I » vise le cas où le contrat a été « conclu » dans l'État du
domicile du consommateur, ou encore celui où le contrat « entre dans le cadre » des acti-
vités commerciales ou professionnelles si le cocontractant du consommateur «dirige»
celles-ci vers cet État (art. 15, § 1er, c). On pourrait parler désormais de consommateur
«semi-passif», car le texte protège le consommateur qui a pris l'initiative à l'étranger.
1111Le règlement permet de faire l'économie de l'appréciation en fait de la localisation de l'acte de
publicité - doit-il être orienté spécialement vers le pays du consommateur? En revanche, il main-
tient la difficulté de localiser la conclusion du contrat, notamment en cas d'utilisation d'Internet.
La condition de« direction » des activités nécessite aussi une appréciation délicate.
Par une déclaration commune, le Conseil et la Commission ont entendu préciser que la seule acces-
sibilité d'un site Internet ne suffit pas à« diriger» ses activités sur un marché déterminé, estimant
qu'il faut que le site« invite à la conclusion de contrats à distance [... ] et qu'un contrat ait effective-
ment été conclu à distance, par tout moyen».

IllSelon la Cour de justice, citant le rapport explicatif de la Convention de Rome qui reprend des
termes analogues (voy. infra, n ° 14.110), « les notions de 'publicité' et de 'proposition spécialement
faite', figurant à la première de ces conditions communes aux conventions de Bruxelles et de Rome,
visent toutes formes de publicité faite dans l'État contractant où le consommateur est domicilié,
qu'elle soit diffusée de manière générale, par voie de presse, de radio, de télévision, de cinéma ou
selon toute autre modalité, ou adressée de manière directe, par exemple par voie de catalogues spé-
cialement dirigés vers ledit État, ainsi que les propositions d'affaires soumises individuellement au
consommateur, notamment par le moyen d'un agent ou d'un colporteur» (C.J.C.E., aff. C-96/00,
11 juillet 2002, Gabriel, Rec., 2002, 1-6367).

1111 « L'expression "actes nécessaires à la conclusion" du contrat se réfère à tout acte écrit ou à coute
autre démarche effectués par le consommateur dans l'État où il est domicilié et qui expriment sa
volonté de donner suite à la sollicitation du professionnel» (arrêt Gabriel précité).

Certains contrats sont exclus du domaine de la protection, soit en vertu d'une dis-
position expresse, soit par interprétation systémique. Il s'agit du contrat de transport - à
moins qu'il se combine avec un contrat de voyage - (art. 15, § 3) mais aussi, selon la logi-
que d'une combinaison des sections 3 et 4, du contrat d'assurance visé par les articles 8 à
14, ainsi que, en raison du caractère exclusif de la compétence attribuée, des opérations
sur immeuble couvertes par l'article 22.
Ill N'entre pas dans l'objet de l'article 22, au titre éventuel de la matière du bail, la mise à la dispo-
sition d'un logement de vacances par un organisateur de voyages dans le cadre d'un contrat de
voyage à forfait, lorsque le litige n'oppose pas l'utilisateur au propriétaire du logement: la relation
contractuelle s'analyse alors en un contrat de services (C.J.C.E., aff C-280/90, 26 février 1992, Hac-
ker, Rec., 1992, 1-1111, supra, n ° 13.5).
1111 La Convention de Bruxelles ne couvre que la « fourniture de services ou d'objets mobiliers
corporels» (art. 13, al. 1"', 3°), restriction que ne reprend plus le texte du règlement.

14.105 - Définition du consommateur protégé selon le droit commun - Le Code intro-


duit un système de protection inspiré de la Convention de Bruxelles (art. 97, § 1er, 1 °).
Deux critères servent à définir le domaine matériel de la protection. Quant à la
nature du contrat, le texte est large puisqu'il couvre toute fourniture de biens ou de servi-
ces. Quant à la qualité des parties, le consommateur est une personne physique, qui agit
« dans un but » étranger à son activité professionnelle, et le cocontractant est nécessaire-
ment une personne agissant« dans le cadre de ses activités professionnelles».
852 LES CONTRATS

Une délimitation d'ordre spatial transparaît aussi de la règle de compétence. Prati-


quement, deux cas sont distingués. Le consommateur protégé est celui qui, résidant en
Belgique, y a accompli« les actes nécessaires à la conclusion du contrat». Il est aussi celui
qui, résidant en Belgique, a passé - en Belgique ou ailleurs - une commande qui « a été
précédée d'un offre ou d'une publicité en Belgique».
111!Ces termes sont inspirés de la Convention de Bruxelles, alors qu'ils n'ont pas été repris tels quels
par le règlement. Les termes « actes nécessaires à la conclusion » sont plus souples que le terme
« conclusion » utilisé par le règlement, puisqu'il permet de se satisfaire de la localisation de l'accep-
tation dans un contrat à distance. De plus, le texte renonce au critère de la localisation de la
« direction » des activités, à l'interprétation délicate.

14.106 - Référence au domicile du consommateur - La protection consiste à laisser un


choix au consommateur, à l'aide d'une distinction analogue à celle qui apparaît en
matière d'assurance.
Dans le règlement « Bruxelles I », le consommateur peut porter son action, soit
devant les tribunaux de l'État membre de son propre domicile, soit devant ceux du domi-
cile du défendeur, alors que le cocontractant ne peut agir que devant les tribunaux de
l'État membre du domicile du consommateur.
Le domicile du consommateur se définit conformément aux dispositions générales de
11111

l'article 59 (voy. supra, n ° 9.29), tandis que celui du cocontractant reçoit une définition autonome,
qui étend pratiquement la notion au simple bureau d'affaires (art. 15, § 2).
Comme en matière d'assurance, ces règles spéciales « ne portent pas atteinte au droit d'intro-
111!

duire une demande reconventionnelle devant le tribunal saisi d'une demande originaire
conformément» à la section 4 (art. 16, § 3).

En droit commun, la protection va plus loin que selon le règlement, puisque le con-
sommateur peut agir en Belgique s'il y réside, ou encore en vertu des règles générales de
compétence (critères du domicile du défendeur, du lieu de naissance ou du lieu d'exécu-
tion de l'obligation, de manière alternative) (art. 97, § ier, Codip).
14.107 - Contrôle des clauses de juridiction - Les clauses attributives de juridiction
font l'objet d'un contrôle afin d'éviter qu'elles jouent au détriment du consommateur.
Dans le règlement « Bruxelles I », le traitement est analogue à celui observé en
matière d'assurance, le texte de l'article 17 reprenant en substance les trois premiers cas
de l'article 13 (voy. supra, n ° 14.88).
Ill!Pour un cas d'application des dispositions générales de l'article 17 de la Convention (devenu
art. 23 du règlement) sans vérification des conditions prévues par les règles spéciales, voy. : Liège,
3 décembre 1990,J.T (1991), 841.
En droit commun, le Code de droit international privé n'attribue d'effets à la clause
« à l'égard du consommateur» que si elle est postérieure à la naissance du différend
(art. 97, § 3). Le texte ne reprend que la première des hypothèses prévues par le règlement.
Quant à la sanction, il est plus précis que le règlement puisque, plutôt que d'autoriser
une dérogation comme le fait celui-ci, il énonce une règle d'inopposabilité à l'une des
parties, le consommateur.
D'autres textes encore peuvent intervenir. Ainsi, la loi du 14 juillet 1991 sur les
pratiques du commerce et sur l'information et la protection du consommateur qualifie
d'abusive la clause permettant au demandeur, au moyen d'une élection de domicile,
d'agir devant un tribunal autre que celui désigné par l'article 624, 1 °, 2 ° et 4 °, du Code
RÈGLES PROPRES À CERTAINS CONTRATS 853

judiciaire (art. 32, 20°); l'interdiction précise toutefois ne pas affecter l'application de la
Convention de Bruxelles. Une disposition analogue figure à l'article 114 de la loi du
12 juin 1991 relative au crédit à la consommation, modifiant l'article 628, 8 °, du Code
judiciaire pour y introduire le domicile du consommateur comme chef de compétence
impérative. De même, la loi du 11 avril 1999 (Monit., 30 avril 1999) relative au contrat de
timeshare, ajoute aux dispositions de transposition de la directive 94/47, une règle répu-
tant non écrite une clause désignant les juridictions d'un pays tiers,« lorsque l'acquéreur
a sa résidence habituelle en Belgique ou lorsque l'immeuble est situé sur le territoire d'un
État partie [à la Convention de Bruxelles ou à la Convention de Lugano]» (art. 3, § 4).
IliEn spécifiant ne concerner qu'une clause désignant les juridictions d'un pays tiers, la loi de 1999
respecte la primauté de la Convention ou du règlement« Bruxelles I », qui sont compris comme ne
contrôlant que les clauses désignant les juridictions d'un État membre (voy. supra, n ° 8.22).
1111À première vue, les dispositions de la loi du 14 juillet 1991 n'intéressent que la compétence ter-
ritoriale interne puisqu'elles affectent des articles qui, dans le Code judiciaire, contiennent ce type
de règle (voy. supra, n ° 9.60). L'intention du législateur semble cependant être de couvrir également
la compétence internationale: ainsi s'explique l'allusion de la loi à la Convention de Bruxelles, qui
a cet objet.
De son côté, l'article 114 de la loi du 12juin 1991 régit impérativement toute situation entrant
dans le domaine d'application dans l'espace de cette loi, fixé au moyen d'une règle spéciale d'appli-
cabilité (voy. infra, n° 14.112).
Les termes des dispositions relatives aux concessions de vente exclusives (voy. infra, n° 14.189) ou
au contrat d'agence commerciale (voy. infra, n ° 14.137) sont plus clairs à cet égard.
Ces dispositions doivent être lues en parallèle avec l'interprétation donnée par la
Cour de justice à la directive 93/13, dont l'annexe donne pour exemple d'une clause abu-
sive celle qui a pour objet ou pour effet« de supprimer ou d'entraver l'exercice d'actions
en justice ou des voies de recours par le consommateur, notamment en obligeant le
consommateur à saisir exclusivement une juridiction d'arbitrage non couverte par des
dispositions légales» (point 1, q). Ainsi, serait abusive une clause non négociée indivi-
duellement, obligeant le consommateur à porter le litige devant le juge de la résidence du
défendeur, car elle crée une entrave à l'exercice de l'action en justice en raison de l'éloigne-
ment du for désigné et des frais complémentaires pour le consommateur (aff C-240/98
e.a., 27 juin 2000, Océano Grupo, Rec., 2000, 1-4941). Affirmée à propos d'un cas purement
interne, cette interprétation vaut a fortiori pour la compétence internationale.
Ill La sanction cirée de la directive 93/13 prévaut sur celle de l'article 17 du règlement« Bruxelles
I », par l'effet de la priorité consentie par l'article 67 de celui-ci. Encore faut-il que la situation entre
dans le domaine d'application dans l'espace de cette directive (voy. infra, n° 14.113).

14.108 - Protection par une règle de compétence indirecte - La Convention de Bruxel-


les comme le règlement s'assurent de l'efficacité de la protection fournie, en insérant une
règle de compétence indirecte parmi les motifs de refus d'une décision étrangère (art. 35
du règlement).
La décision étrangère n'est pas reconnue si le juge d'origine a violé l'une des règles de
compétence qui offrent un choix au consommateur ou limitent les possibilités d'action
du cocontractant, ou s'il a fondé sa compétence sur une prorogation volontaire contraire
à l'article 17.
Une protection analogue est assurée en matière de contrat d'assurance. Singulièrement, elle est
1111

omise pour le travailleur.


Pour une application, voy.: Civ. Hasselt, 15 octobre 2001, Alg. jur. Tijdschr. (2001-2002), 909,
1111

note M. TRAEST.
854 LES CONTRATS

B. Droit applicable au contrat de consommation


14.109 -Agencement des règles de conflit - Parmi les dispositions relatives à la déter-
mination du droit applicable au contrat de consommation, il convient d'opérer une dis-
tinction. Des règles de rattachement particulières figurent à l'article 5 de la Convention
de Rome du 19 juin 1980: elles constituent le droit commun. Deux autres catégories de
dispositions doivent etre considérées : certains contrats font l'objet d'une réglementation
spéciale, qui reçoit la priorité; et les contrats exclus du domaine de l'article 5 relèvent, à
titre subsidiaire, des règles générales des articles 3 et 4.
En outre, la forme du contrat de consommation relève d'une règle particulière (arc. 9 de la
1111

Conv. de Rome, voy. supra, n ° 14.56).

La présence de réglementations spéciales dans des traités ou des actes communau-


taires mérite l'attention. La Convention de Rome donne la priorité à ces actes (art. 20) et
à ces traités (art. 21). Aussi l'efficacité de la protection assurée par l'article 5 peut-elle être
réduite en raison de l'adoption de dispositions applicables en fait aux contrats de con-
sommation sans porter spécifiquement sur ceux-ci.
1111Le cas de la vente d'objets mobiliers corporels en fournit une illustration. La Convention de La
Haye du 15 juin 1955 (voy. infra, n° 14.180) n'exclut pas la vente aux consommateurs, catégorie au
vrai ignorée à l'époque de sa rédaction. Le jeu de l'article 21 de la Convention de Rome peut con-
duire à accorder la priorité aux dispositions de la Convention de La Haye. Toutefois, la Conférence
de La Haye de droit international privé a déclaré, lors de sa quatorzième session en 1980, que cette
convention « ne met pas obstacle à l'application par les États parties de règles particulières sur la
loi applicable aux ventes aux consommateurs ». Selon les travaux préparatoires, les États pour-
raient y déroger sans d'autre formalité que d'informer le Bureau permanent de la Conférence.

L'ordonnancement des sources intéressant le contrat international de consomma-


tion se présente pratiquement comme suit:
1° le contrat d'assurance couvrant un risque localisé sur le territoire d'un État membre
des Communautés européennes relève des règles de rattachement nationales trans-
posant les directives en la matière (voy. supra, § 1er) ;
On observe ainsi que la qualification d'un contrat déterminé pourra varier selon la localisation
1111

de son objet. Le contrat d'assurance ne recevra la qualification de contrat « conclu par un


consommateur» que s'il porte sur un risque localisé hors du territoire d'un État membre des Com-
munautés européennes.

2 ° les divers contrats spéciaux entrant dans le domaine d'une directive relèvent directe-
ment des règles matérielles de transposition de ces directives ;
3° le contrat de transport entrant dans le domaine de l'une des conventions internatio-
nales en vigueur en matière de transports (voy. infra, § 8) relève directement des
règles matérielles de l'une de ces conventions ;
4 ° le contrat visé par les dispositions de l'article 5 de la Convention de Rome, y compris
la vente d'objets mobiliers corporels, relève des règles de rattachement que contient
cette disposition;
5° le contrat exclu du domaine de l'article 5 relève des règles générales sur le droit
applicable au contrat (voy. supra, sect. 2) ;
6 ° les contrats visés par une réglementation nationale particulière assortie d'une règle
d'applicabilité relèvent directement de cette réglementation, par application de
l'article 7 de la Convention.
RÈGLES PROPRES À CERTAINS CONTRATS 855

14.110 - Définition stricte du consommateur protégé par la Convention de Rome - Le


domaine d'application de l'article 5 de la Convention de Rome obéit à deux types de cri-
tères, l'un d'ordre spatial, l'autre d'ordre matériel. Ces critères y reçoivent, surtout pour la
définition du consommateur« passif», une définition analogue à celle du texte révisé de
la Convention de Bruxelles du 9 octobre 1978, qui les a inspirés : leur interprétation est
donc de nature à converger (voy. supra, n° 14.104).
Ill Des divergences affectent cependant les contrats de crédit, que la Convention de Rome ne dis-
tingue pas des autres contrats lors de la définition de l'internationalité du contrat. De plus, la Con-
vention de Rome distingue le cas où le cocontractant a reçu la commande dans le pays du
consommateur (cas du démarchage), ou encore celui où le consommateur a été incité à acheter à
l'étranger (cas du voyage à la journée).
IllLes divergences se sont accentuées depuis l'entrée en vigueur du règlement 44/2001, puisque
celui-ci protège désormais le consommateur« semi-passif» (voy. supra, n ° 14.104).
1111 Sur ce que la charge de la preuve que le contrat obéit à la définition de l'article 5 incombe au
demandeur, voy.: Comm. Liège, 10 février 1994, Rev. dr. comm. belge (1995), 402, note J. INGBER.
Pour une constatation que les éléments de la définition ne sont pas remplis en l'espèce d'une vente
entre un professionnel et un particulier, voy.: Anvers, 7 avril 1998, Rev. gén. dr. civ. (1999), 83.

Certains contrats sont exclus, en raison de leur objet. Il en est ainsi de certains ser-
vices, comme le transport, ou « lorsque les services dus au consommateur doivent être
fournis exclusivement dans un pays autre que celui dans lequel il a sa résidence
habituelle». Par ailleurs, l'exclusion du contrat d'assurance portant sur un risque localisé
sur le territoire d'un État membre des Communautés européennes procède de l'exclusion
générale qu'établit l'article 2, § 3, de la Convention.
Ill Comme dans la Convention de Bruxelles, l'opération sur immeuble subit l'attraction du lieu de
situation. En effet, l'article 5 ne vise que« la fourniture d'objets mobiliers corporels». Si le texte vise
aussi la« fourniture de services», il faut sans doute comprendre que c'est à l'exclusion des contrats
qui portent sur des droits d'utilisation d'un immeuble au sens de l'article 4, § 3, de la Convention.
IllSur l'exclusion du contrat de timeshare de la définition de l'article 5, voy. en Allemagne: BGH,
19 mars 1997, Revue (1998), 610, note P. LAGARDE.

14.111 - Référence à la loi de résidence du consommateur - La protection de la partie


la plus faible s'exprime par un rattachement spécial, qui peut confondre la loi contrac-
tuelle avec l'applicabilité des règles impératives de protection, surmontant en quelque
sorte la dualité du rattachement contractuel et de l'applicabilité des lois de police obser-
vée pour le régime général des contrats.
Une distinction s'impose selon que la loi du contrat est désignée par les parties, ou
par le juge à défaut de choix. Dans les deux cas toutefois, une référence privilégiée est
faite à la loi du pays de la résidence habituelle du consommateur.
1111 En pratique, cette loi sera normalement - outre les cas du démarchage et du voyage à la journée
- celle du pays où se localisent aussi, et une proposition ou publicité, et un acte nécessaire à la con-
clusion du contrat par le consommateur. En effet, le texte présente la particularité de désigner le
facteur de rattachement par référence au critère spatial évoqué au numéro précédent pour définir
le consommateur passif
Cette technique est également présente dans le projet de Convention de La Haye sur la vente aux
consommateurs (précité supra, n° 14.102).
Ill Le texte ne résout pas le conflit mobile, contrairement à ce que fait l'article 4 (voy. supra,
n° 14.54): il ne précise pas si la résidence est celle possédée au moment de la conclusion du con-
trat, ou une résidence ultérieure. Quoique l'impératif de protection s'accommode mieux d'une
localisation du critère pertinent au moment du litige, la concrétisation la plus ancienne paraît cor-
856 LES CONTRATS

respondre mieux à la structure du rattachement, qui prend en compte d'autres circonstances de


lieu qui ont entouré la conclusion du contrat.
En cas de choix de la loi applicable par les parties, il y est donné effet. Le texte con-
firme donc l'autonomie des volontés, sans y imposer d'autres limites que celles qui régis-
sent les contrats en général (voy. supra, n° 5 14.43 et s.). Cependant, le consommateur peut
compter au moins sur la protection des dispositions impératives de la loi de sa résidence
habituelle. On assiste donc au jeu alternatif de la loi contractuelle et des règles impérati-
ves du pays de résidence, dans un sens favorable au consommateur.
L'article 5 donne ainsi une illustration de la technique du rattachement alternatif, décrite supra,
11111

n° 3.59.
Pour un cas de choix qualifié d'implicite - alors que l'article 3 requiert qu'il soit au moins cer-
1111

tain-, voy.: Trib. arrond. Luxembourg, 27 mars 1990, Riv. dir. int. priv. proc. (1991), 1097.
Lorsque les parties n'ont pas choisi la loi applicable au contrat, celle-ci est désignée
selon le facteur de la résidence habituelle du consommateur. Dans ce cas, il y a déroga-
tion au rattachement subsidiaire qui gouverne les contrats en général, et singulièrement
abandon de la méthode indiciaire. Pratiquement, une confusion s'opère alors entre la
désignation de la loi contractuelle et l'applicabilité des règles impératives de protection.
14.112 - Prise en considération des lois de police - L'article 5 suffit-il à exclure la règle
générale de la prise en considération, par le juge, des lois de police du for ou étrangères en
vertu de l'article 7 de la Convention? Il semble que cette possibilité, curieusement, n'ait
pas été exclue par les auteurs du texte. Cette approche conduit à affaiblir la portée utile
de l'article 5.
Voy. supra, n° 14.74. Le rapport explicatif cite, à titre d'exemple de dispositions visées par l'ali-
1111

néa 2 de l'article 7, « les règles en matière de [... ] protection du consommateur».


Sur ce qu'en droit national, dans un cas où la Convention n'était pas applicable puisque le contrat
avait été conclu avant son entrée en vigueur, la loi française sur le crédit à la consommation consti-
tue une loi de police, voy.: Cass. civ. (1re ch.), 19 octobre 1999, Moquin, Clunet (2000), 328, note].-B.
RACINE.

Par conséquent, le consommateur pourrait également compter sur la protection


d'autres dispositions que celles désignées en vertu de l'article S. De fait, certaines lois de
protection du consommateur présentent une volonté d'application particulière plus
extensive que l'applicabilité des règles impératives de l'article 5, alors même que les unes
et les autres poursuivent une politique similaire.
1111On en trouve une illustration en droit belge, à propos des contrats de crédit. Les lois du 12 juin
1991 et du 4 août 1992 (voy. supra, n ° 14.102) prévoyent leur application, notamment, lorsque
l'emprunteur et le prêteur ont respectivement leur résidence habituelle et leur siège principal ou
résidence principale en Belgique au moment de la conclusion du contrat. Elles reprennent égale-
ment, comme hypothèse d'application, celle visée par l'article 5 de la Convention de Rome.
Comp. la loi du 24 mars 2003 instaurant un service bancaire de base (Monit., 15 mai 2003), qui
s'applique au consommateur ayant sa résidence principale en Belgique, lorsque la banque est un
organisme visé par la loi du 22 mars 1993, ce qui vise concrètement un établissement de crédit
« opérant en Belgique».
Comp. aussi la loi du 11 avril 1999 (Monit., 30 avril 1999) relative au contrat de timeshare, lorsque
l'immeuble faisant l'objet du contrat est situé dans un pays tiers: dans ce cas non couvert par la
directive transposée (dir. 94/47), la loi s'applique dès que le consommateur réside en Belgique et y a
«conclu» le contrat, même lorsque l'offre ou la publicité a été faite à l'étranger; elle s'applique éga-
lement en cas de conclusion à l'étranger, si le consommateur réside en Belgique, tout en ajoutant
des termes analogues à la définition du consommateur passif ou du voyage à la journée présente
dans l'article 5 de la Convention de Rome.
RÈGLES PROPRES À CERTAINS CONTRATS 857

1111Les lois précitées de 1991, de 1992 et de 1999 désignent explicitement le lieu de résidence au
moment de la conclusion du contrat. Voy. un cas d'application de la loi du 12 juin 1991 par: Trib.
arr. Bruxelles, 4 mai 1992,].L.M.B. (1992), 1032.
li!En France, sur ce que la loi sur le surendettement de particuliers est opposable au prêteur
immobilier étranger dès lors que l'emprunteur est domicilié en France, alors même que le contrat
désigne le droit étranger du prêteur, voy.: Cass. civ. (1re ch.), 10 juillet 2001, Rev. dr. bancaire (2001),
364, note M.-E. MATHIEU.

14.113 - Applicabilité des règles impératives de transposition de directives - La pri-


mauté reconnue aux directives (voy. supra, n ° 14.35) implique l'application des règles
matérielles nationales de transposition dès que la situation entre dans le domaine
d'application dans l'espace visé par le texte.
La disposition dont l'application est en cause dans le litige entre particuliers est la
loi de transposition, non la directive même, dépourvue de tout effet direct « horizontal »
selon le droit communautaire. Le praticien doit donc utiliser la règle d'applicabilité éven-
tuelle que contient la loi de transposition, tout en devant interpréter celle-ci, dans la
mesure du raisonnable, en fonction des termes de la directive transposée.
li!Sur ce principe d'interprétation, voy.: C.J.C.E., aff. C-106/89, 13 novembre 1990, Marleasing, Rec.
(1990), I-4135.
Concrètement, ces dispositions doivent donc être prises en compte, quelle que soit
par ailleurs la loi applicable au contrat de consommation en vertu de l'article 5 de la Con-
vention de Rome. Précisément, les termes stricts de la définition du consommateur pro-
tégé ont incité le législateur communautaire à étendre le champ de la protection.
Le législateur belge n'a pas toujours effectué une transposition complète de la règle
d'applicabilité de la directive, en négligeant les situations localisées dans un autre État
membre. Pour celles-ci, il faut alors interpréter la loi dans un sens compatible avec la
directive transposée, dans la mesure où cette interprétation ne va pas à l'encontre des ter-
mes de la loi.
Pour le contrat de voyage, la loi du 16 février 1994 se dit applicable aux contrats
« vendus ou offerts en vente en Belgique», étant entendu que l'intermédiaire agissant
pour un organisateur établi à l'étranger est considéré comme organisateur (art. 2, §§ 1er
et 2). Le juge belge saisi d'une demande relative à un contrat vendu dans un autre État
membre aura à appliquer la loi de cet État membre résultant de la transposition de la
directive 90/314. Il lui suffira, soit de procéder à une interprétation analogique de
l'article 2 précité, à la lumière de la directive, soit de se référer à la volonté d'application
de la loi étrangère. ·
Pour le contrat de timeshare, la loi du 11 avril 1999, telle que corrigée par la loi du
19 janvier 2001 (Monit., 21 février 2001), couvre le contrat portant sur un immeuble situé
en Belgique (art. 3, § 1er). De plus, lorsque l'immeuble est situé dans un autre État mem-
bre, elle commande au juge belge d'appliquer les règles de protection de la loi de cet État
(§ 2).
La loi de 1999 soumettait le bénéfice de l'application de la loi de l'État membre étranger de
1111

situation à une condition de résidence en Belgique du consommateur. Supprimée par la loi de


2001, cette condition ajoutait une exigence aux termes de la directive.
Pour le contrôle des clauses abusives, la loi du 7 décembre 1998 répute non écrite une
clause désignant le droit d'un pays tiers,« lorsque, en l'absence de cette clause, la loi d'un
858 LES CONTRATS

État membre de l'Union européenne serait applicable et que cette loi procure une protec-
tion plus élevée au consommateur» (art. 4, modifiant l'art. 33, § 2, de la loi du 14 juillet
1991 sur les pratiquès du commerce et sur l'information et la protection du consomma-
teur). Cette disposition requiert du juge belge qu'il compare les contenus respectifs de la
loi choisie et de la loi objectivement applicable, mais aussi qu'il vérifie au préalable que
celle-ci est la loi d'un État membre. Cette loi est désignée conformément aux dispositions
de la Convention de Rome, tantôt l'article 5, tantôt les articles 3 et 4.
IllCette transposition est l'une des diverses formes utilisées par les États membres lors de la trans-
position de l'article 6, § 2, de la directive 93/13. Pour plus de détails sur cette situation de disparité
des transpositions, voy. : M. FALLON, « Le droit applicable aux clauses abusives après la transposi-
tion de la directive 93/13 du 5 avril 1993 », Rev. eur. dr. cons. (1996), 3-27.
La directive exige de l'État qu'il assure la protection de la directive contre le choix du droit d'un
1111

pays tiers, lorsque le contrat présente« un lien étroit» avec le territoire d'un État membre.
IllLa formulation retenue par le législateur belge ne respecte pas l'objectif du législateur commu-
nautaire, car elle conduit pratiquement à restreindre le champ de la protection au consommateur
passif au sens de l'article 5 de la Convention de Rome, ou au cas où le vendeur réside dans un État
membre - l'art. 7 n'est pas pris en compte par la disposition de transposition, puisqu'elle évoque
seulement la loi applicable« en l'absence de cette clause».
De fait, selon la Cour de justice, les termes « un lien étroit» s'entendent comme une règle qui ne
saurait faire l'objet d'une traduction au moyen d'une combinaison de critères de localisation pré-
déterminés, mais bien au moyen d'une présomption simple (C.].C.E., aff. C-70/03, 9 septembre
2004, Commission c. Espagne): constitue alors une transposition erronée la disposition qui renvoie,
en droit ou en fait, à la protection organisée par la loi désignée en vertu de l'article 5 de la Conven-
tion de Rome.
Pour le contrat conclu à distance, la loi du 25 mai 1999 répute « nulle et interdite » une
clause désignant le droit d'un pays tiers, « en ce qui concerne les matières régies par la
présente [loi] [... ] lorsque le contrat présente un lien étroit avec le territoire d'un ou de
plusieurs États membres» (art. 82, § 4, nouveau, de la loi du 14 juillet 1991 précitée).
Cette disposition vise à transposer les termes de la directive 97/7 qui sont rédigés de
manière identique à ceux de la directive 93/13. Elle diffère cependant de celle relative aux
clauses abusives, puisqu'elle ne requiert aucune comparaison des contenus des lois en
conflit, et utilise pour critère de rattachement l'existence d'un lien étroit, reprenant en
cela les termes mêmes de la directive.
L'utilisation du critère d'un lien étroit avec le territoire d'États membres est conforme à l'inten-
1111

tion du législateur communautaire et permet de ne pas restreindre la catégorie des consommateurs


protégés.
Ill La loi de transposition semble vouloir s'appliquer dès que le lien étroit est vérifié. Outre le cas
d'un tel lien avec la Belgique, cela peut aussi être celui d'un lien avec tout autre État membre, par
exemple la France. La loi belge serait alors appliquée à un contrat qui pourrait n'avoir aucun lien de
rattachement avec l'ordre juridique belge. Il aurait été plus judicieux de s'inspirer de la méthode
suivie pour le contrat de timeshare, en déclarant alors applicable la loi de l'État membre étranger
avec lequel le contrat présente un lien étroit et, en cas de liens égaux avec plus d'un État, la loi de
celui avec lequel le contrat présente les liens les plus étroits.
IllComp. en France l'ordonnance 2005-648 du 6 juin 2005 relative à la commercialisation à dis-
tance des services financiers auprès des consommateurs (J.O. n ° 131 du 7 juin 2005), écartant la loi
d'un pays tiers choisie par les parties, au bénéfice des dispositions protectrices de la loi de la rési-
dence du consommateur issues de la transposition. Cette éviction concerne les seuls contrats ayant
un lien étroit avec le territoire d'un État membre au moins, et ce lien est précisé au moyen d'une
présomption utilisant le critère de la résidence du consommateur. Cette présomption utilise la
technique évoquée par la Cour de justice dans l'arrêt du 9 septembre précité.
l
RÈGLES PROPRES À CERTAINS CONTRATS 859

La loi du 24 août 2005, transposant la directive 2002/65 sur les services financiers à distance et
1111

modifiant l'article 83decis de la loi du 14 juillet 1991, revient à la formule utilisée pour les clauses
abusives ...

Pour le contrat de vente, la loi du 1er septembre 2004 de transposition de la directive


1999/44 du 25 mai 1999 introduit un article 1649octies dans le Code civil, selon lequel:
« Toute stipulation déclarant applicable à un contrat régi par la présente section la loi
d'un État tiers à l'Union européenne est nulle en ce qui concerne les matières régies par la
présente section lorsque, en l'absence de cette stipulation, la loi d'un État membre de
l'Union européenne serait applicable et que cette loi procure une protection plus élevée
au consommateur dans lesdites matières». Ces termes reviennent à la méthode utilisée
par la loi de 1998 pour les clauses abusives.
1111 Le texte de transposition reproduit une faiblesse de la directive, qui évoque seulement le cas du
choix du droit d'un pays tiers par les parties. Comme pour d'autres contrats, une telle limitation de
l'hypothèse est incohérente en termes de politique de protection: elle ne permet pas de couvrir le
contrat conclu dans un État membre par un consommateur résidant dans un État membre auprès
d'un vendeur établi dans un pays tiers, chaque fois que ce consommateur ne répond pas à la défini-
tion donnée par l'article 5 de la Convention de Rome.
Une limitation de l'hypothèse au choix de la loi conctractuelle par les parties n'a de sens que dans la
directive 93/13, où elle peut se comprendre comme une qualification de ce choix comme clause abusive.
1111Le texte légal complète la transposition en ouvrant l'action collective en cessation au cas où
l'acte en cause « [ a] son origine en Belgique» tout en portant atteinte aux intérêts collectifs des
consommateurs dans un autre État membre, dès lors que les règles matérielles de transposition
sont applicables en vertu de l'article 1649octies précité (arc. 4, al. 2, de la loi).

14.114 - Incidence du régime communautaire de liberté de circulation - Au regard du


traité CE, l'application des règles protectrices de la loi de la résidence du consommateur
peut apparaître comme une entrave aux échanges, de nature à tomber sous le contrôle de
l'article 28 CE lors de la vente de marchandises, ou de l'article 49 CE lors de la prestation
d'un service. La seule nature impérative de la règle nationale, le cas échéant qualifiée de
loi de police par le système national, ne suffit pas à immuniser la règle (voy. supra,
n ° 4.16). Il faut encore que son contenu soit proportionné à l'objectif poursuivi. En par-
ticulier, il faut avoir égard au test d'équivalence des lois en conflit: lorsque les contenus
respectifs de celles-ci offrent une protection équivalente au consommateur - équivalence
de fait ou obtenue par la voie d'une harmonisation minimale (dite «essentielle») des
législations-, la règle impérative du pays de résidence du consommateur doit être écar-
tée au bénéfice de la loi qui régit le contrat, au nom d'une obligation de« reconnaissance
mutuelle » des législations en cause.
Le contrat de consommation offre une illustration particulière de l'incidence du
régime de liberté de circulation dans l'affaire Parodi (C.J.C.E., aff. C-222/95, 9 juillet 1997,
Rec., 1997, I-3899, TR V, 1997, 389, note G. STRAETMANS), relative à l'opposabilité aux
banques étrangères d'une condition d'agrément administratif aux fins de pouvoir offrir
des prêts hypothécaires sur le marché français. Après avoir constaté que le secteur ban-
caire constitue un élément sensible pour la protection du consommateur et que l'harmo-
nisation des législations acquise au moment des faits, étant de nature minimale,
permettait des mesures de protection plus élevées sous réserve du respect du traité CE, la
Cour de justice a admis la nécessité d'assurer l'application des règles impératives du pays
du consommateur, mais seulement en fonction des caractéristiques du prêt et de la qua-
lité de l'emprunteur.
860 LES CONTRATS

Il Selon l'arrêt Parodi, « une distinction doit être faite selon la nature de l'activité bancaire en cause
et du risque encouru par le destinataire du service. Ainsi, la conclusion d'un contrat de prêt hypo-
thécaire présente pour le consommateur des risques différents de ceux du dépôt de fonds auprès
d'un établissement de crédit. Or, à cet égard, la nécessité de protéger l'emprunteur varie en fonc-
tion de la nature des prêts hypothécaires, étant observé que, dans certaines situations, en raison
précisément des caractéristiques du prêt octroyé et de la qualité de l'emprunteur, il n'y a aucun
besoin de protéger celui-ci par l'application des règles impératives de son droit national(§ 29).
11 L'obligation de reconnaissance mutuelle conduit à modaliser la portée des articles 5 et 7 de la
Convention de Rome. Les rattachements prévus semblent ne pas pouvoir entraver l'exécution d'un
contrat conclu valablement selon le droit d'un État membre au contenu équivalent.
Voy. en ce sens: Colmar, 18 février 2004, D.S. (2004), ], 1898, note V. AVENA-ROBARDET, à propos
d'un prêt consenti par une banque allemande à un résident français.
Comp. déjà en ce sens, la recommandation de la Commission du 1er mars 2001 relative à l'informa-
tion précontractuelle devant être fournie aux consommateurs par les prêteurs offrant des prêts au
logement (J.O.C.E., 2001, L 69).

§3 LE CONTRAT D'ÉTAT
14.11 5 - Bibliographie
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tion (La Haye, Kluwer, 2004); G. SACERDon, I contratti tra Stati e stranieri nel diritto internazionale
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international?», Rev. gén. (1972), 313-345.
RÈGLES PROPRES À CERTAINS CONTRATS 861

14.116 - Présentation - À l'appui de la « délocalisation » ou de l' « internationalisation »


du contrat économique international, la doctrine a pu invoquer quelques arbitrages,
qualifiés de transnationaux parce que, ayant pour objet un différend entre un État (ou un
organisme de droit public) et une entreprise privée étrangère, le plus souvent à propos
d'un contrat de concession, ils ont paru occuper un espace intermédiaire entre les rela-
tions interétatiques soumises au droit international et les rapports privés régis par le
droit international privé.
Il! L'Institut de droit international a adopté, lors de sa session d'Oslo, en 1977, une résolution sur
les accords entre un État et une personne privée étrangère (Annuaire, vol. 57 et 58, 1977), sur rap-
port de G. VAN HECKE.

La problématique du contrat d'État est centrée sur la possibilité de soumettre celui-


ci à une méthode de désignation du droit applicable distincte de celle qui caractérise le
droit international privé, permettant ainsi aux parties d'échapper aux contraintes de la
loi de l'État cocontractant.

A. Échappatoire au droit étatique


14.117 - Application du droit transnational - Selon une première technique, le contrat
d'État est soumis au droit international, dans le souci de protéger les entreprises contrac-
tant avec un État contre toute modification du droit applicable, puisque l'État peut tirer
parti de sa toute-puissance législative pour porter atteinte à ses obligations de contrac-
tant. Traité ou quasi-traité du droit international, ce contrat devrait être respecté par
l'État lui-même et, à cette fin, soustrait à l'exercice de son pouvoir législatif.
Voy. notamment: K. BOCKSTIEGEL, précité; F. CASTBERG, « International Law in our Time »,
1!11
Recueil des cours, vol. 138 (1973-I), 9-10; W. FRIEDMANN,« General Course in Public International
Law», Recueil des cours, vol. 127 (1969-III), 107-109; C. LEBEN, précité; F.A. MANN, « The proper
law ... ", précité, 43; P. WEIL, précité, 179-181.
11! L'une des difficultés suscitées par cette solution est l'absence de personnalité internationale de
l'entreprise privée (même si, par sa dimension ou la diffusion de ses implantations, elle est qualifiée
de« multinationale»). La qualité de« sujet du droit international» est vigoureusement déniée à
ces entreprises par: G. SACERDOTI, précité, 84 et s.; W. WENGLER, « Les accords entre États ... », pré-
cité, 33 7-338.
Il!Comp. MANN ou WEIL (/oc. cit., 174) qui s'efforcent de justifier l'application du droit internatio-
nal sans admettre l'assimilation du contrat d'État à un traité entre sujets du droit des gens.

Cette solution a trouvé consécration dans plusieurs sentences arbitrales.


11!Voy. particulièrement la sentence rendue le 19 janvier 1977 par l'arbitre unique R.-J. Dupuy,
dont le texte a été reproduit au Clunet (1977), 350-359, précédé d'un commentaire de J.-F. LALIVE,
« Un grand arbitrage ... », précité.
Pour un commentaire des principaux arbitrages transnationaux postérieurs à la Seconde
1!11
Guerre mondiale auxquels la sentence du 19 janvier 1977 se réfère à de nombreuses reprises, voy.:
F. RrGAUX, Droit public et droit privé, §§ 199-208. Pour une analyse critique de cette sentence elle-
même, voy.: F. R.rGAUX, « Des dieux et des héros», Revue (1978), 435-459.

14.118 -Délocalisationducontrat- Une seconde technique, qu'il n'est pas toujours


facile de distinguer nettement de la précédente, consiste à promouvoir la formation d'un
droit nouveau, spécialement adapté aux relations «transnationales», droit issu du
milieu propre aux « grandes affaires» internationales et sur lequel les entreprises multi-
nationales exercent une influence prépondérante (supra, n ° 2.35).
862 LES CONTRATS

Ill Voy. notamment: W. GOLDSCHMIDT, précité; J.-F. LALIVE, précité; LORD McNAIR, « The general
principles of law recognized by civilized nations» B. Y.I.L. (1957), 4-5. Ici aussi, les critiques sont
vives, venant soit des auteurs qui entendent éviter la formation d'un droit soustrait au contrôle éta-
tique (voy. notamment: J. Touscoz, « Le régime juridique international des hydrocarbures et le
droit international du développement», Clunet, 1973, 303, note 13), soit des auteurs favorables à
l'internationalisation du contrat (P. WEIL, précité, 179).
D'après Ch. M. SPOFFORD (« Third Party Judgment and International Economie Transactions»,
Recueil des cours, vol. 113, 1964-III, 197), les techniques utilisées par les deux solutions« are basically
the same ».

Consolidé par des arbitrages eux-mêmes qualifiés de « quasi internationaux » (parce


qu'ils se déroulent entre un État et une entreprise « privée » ayant la nationalité d'un
autre État), ce droit se caractériserait par son autonomie à l'égard des sources de droit
interne. Il est difficile d'apprécier dans quelle mesure les « principes généraux» dont il
s'inspire ou qu'il contribue à dégager (respect de la force obligatoire des traités, de la sta-
bilité des contrats, ainsi que des droits acquis) coïncident avec les« principes généraux de
droit reconnus par les nations civilisées» auxquels se réfère l'article 38, § 1er, litt. c, du
Statut de la Cour internationale de justice. Pareille convergence fait obstacle à une sépa-
ration tranchée entre les deux techniques.
À l'appui de la formation d'un droit transnational, dont il existe encore d'autres
manifestations, la doctrine cite généralement, soit une pratique contractuelle contenant
référence aux« principes généraux du droit», soit même une poignée de sentences arbi-
trales qui auraient fait application de ces principes.
D'autres situations qu'il est possible de qualifier de transnationales sont les accords entre pro-
1111

ducteurs de produits de base. Voy. quelques exemples dans: J. FAWCETT, « The Function of Law in
International Commodity Agreements», 44 B. Y.I.L. (1970), 160-165 ;J. Touscoz, précité. Comp. les
accords Tova/op, Cristal et Opal (I.L.M., 1969, 497, 1971, 137, 1974, 1409; F. RIGAUX, Droit public et
droit privé,§§ 12-13) et les accords intergouvernementaux sur le même objet (voy. J. FAWCETT, ibid.,
165 et s.).
1111 On trouve des exemples de contrats faisant référence aux « principes généraux du droit» dans :
P. WEILL, précité, 150 et S. ; Ch. SPOFFORD, précité, 205-207 ; J. VERHOEVEN, « Les contrats entre
États ... », précité, 132-133, notes 59 et 60, 142, note 99; la sentence arbitrale du 19 janvier 1977,
précitée.
1111 Les sentences arbitrales sont notamment invoquées en faveur de cette solution par : W. FRIED-
MANN, précité, 150-155; Ch. SPOFFORD, précité, 199-205; P. WEIL, précité, 150, 164 et S.

14.119 - Critique des échappatoires - Des deux techniques, celle de la référence au


droit international est la plus originale. Si proches qu'elles paraissent parfois se confon-
dre, les solutions se séparent l'une de l'autre sur un point capital que la sentence du
19 janvier 1977 a très bien mis en lumière et qui fait l'originalité de la première.
Si un État et l'entreprise privée étrangère qui font un contrat peuvent se placer dans
le champ normatif du droit international, le contrat a, vis-à-vis des obligations interna-
tionales de la partie étatique, la même portée qu'un traité international proprement dit.
Et, notamment, l'État ne saurait se prévaloir de ses attributs de souveraineté à l'encontre
d'un acte juridique accompli au même titre. Alors que « délocaliser » le contrat
(deuxième solution) se borne à le soustraire au système universel de répartition des com-
pétences législatives entre les multiples pouvoirs étatiques, que pareille délocalisation
cesse de considérer comme les seuls détenteurs de la fonction normative, en l'» interna-
tionalisant » on le hisse à un ordre normatif supérieur, auquel l'État, comme contrac-
RÈGLES PROPRES À CERTAINS CONTRATS 863

tant, est subordonné au même titre que l'État personne morale est soumis au droit inter-
national.

La grande différence entre la délocalisation et l'internationalisation du contrat con-


siste en ce que la première se borne à entériner un nouveau mode de formation du droit
dont rend compte le pluralisme juridique (supra, n ° 1.17), tandis que la seconde prétend
conférer à un contrat dont une seule partie a qualité de sujet du droit international, la
valeur d'une source de ce droit équivalente à un traité interétatique.

Rien n'empêche des contractants de se soustraire au choix entre les divers droits éta-
tiques pour préférer soit la !ex mercatoria ou les usages du commerce, soit une référence
au droit comparé, aux« principes généraux du droit», voire au droit international dans
la mesure où certaines règles de ce droit sont susceptibles de s'appliquer par analogie à
leur situation. Il s'agit, dans tous les cas, d'un simple « renvoi matériel» (voy. supra,
n ° 14.46). Pareille délocalisation du contrat transnational est effective aussi longtemps
que les parties acceptent de se conformer aux règles qu'elles ont elles-mêmes posées ou y
sont contraintes par la pression du milieu auquel elles appartiennent.

En revanche, les parties ne sauraient prétendre délocaliser leur contrat et, en même
temps, obtenir des juridictions étatiques que celles-ci entérinent des accords consistant
précisément à évincer le jeu normal du droit international privé étatique. Il serait plus
extraordinaire encore que la référence au droit international par des contractants qui
n'ont pas, l'un et l'autre, qualité de sujets du droit international, eût un effet de sublima-
tion sur la qualité de la partie non étatique, de telle sorte que le renvoi de droit matériel
pût transformer le contrat en quasi-traité de droit international restreignant les préroga-
tives de la partie étatique sur le plan des rapports de souveraineté. Dans les « accords de
développement économique», un tel effet n'est rendu possible que si les deux contrac-
tants ont qualité de sujets du droit international ou si l'arbitrage a été institutionnalisé
par un accord interétatique, telle la Convention du 18 mars 1965 (supra, n ° 14.24).

B. Application du droit étatique


14.120 - Application du droit de l'État en cause - La solution la plus classique, qui
remonte aux arrêts prononcés par la Cour permanente de Justice internationale dans les
affaires des emprunts serbes et brésiliens (supra, n ° 14.38), consiste à affirmer que les con-
trats entre un État et une entreprise privée étrangère relèvent nécessairement d'un droit
interne déterminé et que, sauf stipulation contraire, il y a lieu de les soumettre au droit
de l'État partie au contrat.
1111 Bien que la solution de la Cour permanente ait été critiquée par la doctrine (voy. notamment:
P. WEIL, précité, 118, et d'une manière générale tous les auteurs se prononçant en faveur de la délo-
calisation ou de l'internationationalisation), l'affirmation selon laquelle cette solution serait
atteinte d'une« érosion croissante" (P. WEIL), ne paraît plus vérifiée aujourd'hui. Tant la pratique
internationale (voy. J. VERHOEVEN, précité, 136-139) que la doctrine reviennent au principe selon
lequel un droit étatique peut régir le contrat qualifié de transnational. Voy. notamment: G. SACER-
DOTI, précité, 56, 195 et S.

1111 L'article 42, alinéa ter, de la Convention de Washington du 18 mars 1965 (supra, n ° 14.24)
donne à la loi de l'État contractant une place sensiblement équivalente à celle qui lui a été reconnue
par la Cour permanente.
864 LES CONTRATS

111 Les arrêts prononcés en 1929 par la Cour permanente ont fait l'objet d'une réinterprétation
ingénieuse, mais peu convaincante dans la sentence arbitrale du 19 janvier 1977, précitée. Voy. la
critique de cette interprétation, Revue (1978), 446-447.
111 L' Accord belgo-allemand relatif au règlement des litiges résultant de contrats passés directe-
ment, signé à Bonn le 3 août 1959 (loi du 6 mai 1963, Monit., 22 juin 1963), prévoit en son article 3
relatif à des contrats de fourniture passés entre les forces belges en Allemagne et un entrepreneur
pour des fournitures à effectuer dans ce pays, que le litige peut être porté en Allemagne contre
l'État allemand, qui défend les intérêts de l'État belge. En ce cas, le droit applicable est celui choisi
par les parties dans le contrat ou, à défaut, le droit allemand.

§4 LE CONTRAT DE GARANTIE

14.121 - Bibliographie
S. BARJATII, « Le garanzie finanziarie nell'insolvenza transnazionale : l'attuazione della direttiva
2002/47/CE », Riv. dir. int. priv. proc. (2004), 841-876; F. BoNELLI, « La Convenzione di Roma del 19
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applicabile ai contratti (Padoue, Cedam, 1983), 115-136; F. BoucKAERT, « Les prêts transfrontaliers
garantis par une hypothèque : esquisse d'une solution», Mélanges De Valkeneer (Bruxelles, Bruylant,
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civiles et commerciales franco-allemandes (Paris, LGDJ, 2001); A. GozLAN, International letters of credit -
Resolving conflict oflaw disputes (Dordrecht, Kluwer, 1998) ; M. JoBARD-BACHELLIER, « Les lettres d'inten-
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financial services», Maastricht]. Eur. Camp. L. (1997), 161-208, 284-309.

14.122 - Présentation - Traditionnellement, le contrat qui, quelle que soit sa dénomi-


nation, a pour objet d'assurer, par l'adjonction d'une obligation distincte, l'exécution
d'une obligation dérivant d'un rapport juridique déterminé, n'obéit pas à d'autres règles
RÈGLES PROPRES À CERTAINS CONTRATS 865

de droit international privé que celles qui régissent plus généralement les obligations
contractuelles.
De tels contrats ne soulèvent pas moins des difficultés particulières, liées à la plura-
lité de relations concernées. Ces difficultés tiennent au degré d'autonomie de la garantie
par rapport à la relation juridique de base.
De plus, il arrive que le législateur ait posé certaines règles spécifiques de droit inter-
national privé.

A. Compétence internationale
14.123 - Application du for contractuel - En matière contractuelle, le demandeur peut
agir, notamment, devant le tribunal du lieu où l'obligation a été ou devait être exécutée
(art. 5, 1 °, règl. « Bruxelles I »; art. 96 Codip; voy. supra, n° 5 14.4 et 14.15).
Le contentieux lié à l'exécution d'une garantie conventionnelle peut soulever deux
types de questions.
Dans un premier cas, le créancier de l'obligation de garantie agit contre son débi-
teur. Faut-il chercher à localiser cette obligation par elle-même, ou par l'intermédiaire de
l'objet de la garantie? Par exemple, dans l'hypothèse d'un cautionnement, faut-il locali-
ser l'obligation de la caution de s'exécuter, ou plutôt l'obligation principale qui a donné
lieu à une caution? Ou encore, dans l'hypothèse d'une lettre de patronage, faut-il locali-
ser l'obligation du garant en fonction de la localisation des obligations de la filiale dont
la garantie tend à assurer la garantie de l'exécution?
Il semble que les quelques décisions rendues à cet égard tendent à localiser l'obliga-
tion en litige en fonction de l'obligation garantie. Il n'est cependant pas certain que cette
solution s'impose dans tous les cas. S'il est vrai que l'obligation de garantie n'a de sens
qu'en fonction de l'obligation garantie, elle ne cesse pas de donner lieu à un processus de
mise en œuvre autonome.
1111 Pour le contrat de cautionnement, voy.: Bruxelles, 9 septembre 1993,J.L.M.B. (1994), 465, note
A. KOHL, en faveur de la localisation de l'obligation cautionnée. Il semble pourtant que, si la c'au-
tion devait s'exécuter par exemple par un paiement à faire dans le pays du créancier de l'obligation
de base, alors que le débiteur de celle-ci avait à payer dans un autre pays, seul le premier lieu devrait
être retenu pour l'obligation de la caution.
111 Pour la localisation de l'obligation issue d'une lettre de patronage, voy. : Cass. comm., 30 janvier
2001, ING Bank, Revue (2001), 539, note S. PorLLOT-PERUZZETTO, en faveur du lieu du siège de la
filiale soutenue.
Sur ce que la lettre de patronage revêt bien un caractère contracruel, voy.: Cass. civ., 3 mars 1992,
Svedex Holding, Revue (1993), 692, note P. COURBE.

Dans un second type de cas, le garant qui s'est exécuté intente une action récursoire
contre le débiteur de l'obligation de base. Cette demande peut avoir diverses causes, soit
l'existence d'une subrogation, soit l'existence d'une action personnelle liée à un enga-
gement consenti par le débiteur ou à une obligation de type quasi contractuel. Dans le
contexte du règlement « Bruxelles I », l'interprétation stricte de la notion de « matière
contractuelle» implique l'existence, entre parties au litige, d'un engagement librement
assumé, ce qui supposerait, en cas d'action subrogatoire de la caution, que le débiteur ait
autorisé le contrat de garantie (C.].C.E., aff. C-265/02, 5 février 2004, Frahuil).
1111 En cas d'action quasi contractuelle, voy. infra, chap. 15.
866 LES CONTRATS

B. Droit applicable au contrat de garantie


14.124 - Identification du rattachement contractuel - La détermination du droit appli-
cable au contrat de garantie suppose une identification rigoureuse du rattachement con-
tractuel, en dissociant cette question de celles qui affectent d'autres rattachements: soit
le rattachement du contrat de base, soit celui de rapports juridiques non contractuels,
telle la question de la création d'une sûreté réelle ou celle de l'existence d'un quasi-con-
trat. Chacune de ces questions répond au rattachement qui lui est propre.
Ainsi, la constitution d'une sûreté réelle conventionnelle appelle une distinction
entre la naissance et l'exécution de l'obligation contractuelle d'une part, et l'existence et
la mise en œuvre du droit réel d'autre part. La seconde question relève de la loi du lieu de
situation du bien (voy. supra, n ° 13.12).
Cette distinction ne semble pas toujours nette dans la pratique. Voy. par exemple, à propos d'un
1111

gage: Comm. Anvers, 22 mars 1990, D.E.T. (1991) 647, évoquant cependant avec justesse la sou-
mission à la loi du lieu de situation des questions de validité du contrat« qui tiennent à la consti-
tution d'un droit réel». Il devrait en aller ainsi des conditions concernant l'objet (meuble ou
immeuble, corporel ou incorporel) du gage ou l'obligation d'une mise en possession.

14.125 - Rattachement d'un contrat de cautionnement - La constitution d'une caution


soulève traditionnellement la question de savoir si le droit qui régit ce contrat relève
d'une appréciation autonome ou s'il convient plutôt de désigner le droit qui régit l'obli-
gation dite principale.
Lorsque les parties au contrat de caution ont choisi le droit applicable, ce choix doit
être tenu pour valable, alors même qu'il porte sur une loi distincte de celle qui régit le
contrat principal. En effet, la Convention de Rome ne comporte aucune disposition ten-
dant à soumettre à une contrainte particulière l'exercice de la loi d'autonomie dans le cas
d'un contrat de garantie.
1111 Avant l'entrée en vigueur de la Convention de Rome, comp.: Cass., 24 septembre 1987, Ann.

Liège ( 1988), 25, note R. VANDER ELST, rejetant parce que manquant en fait un moyen reprochant au
juge d'appel de ne pas avoir répondu aux conclusions des parties qui tendaient à obtenir l'applica-
tion de la théorie de la prestation caractéristique du contrat de caution. Le juge du fond avait ainsi
préféré à un rattachement autonome en l'absence de choix exprès du droit applicable, un rattache-
ment au droit qui régit le contrat principal par un mécanisme de présomption de la volonté des
parties en ce sens. A fortiori, cette approche admettait la faculté pour les parties de choisir la loi du
cautionnement de manière autonome.

En l'absence de choix du droit applicable par les parties, la jurisprudence montre


une hésitation entre la thèse du rattachement accessoire, soumettant le contrat de garan-
tie au droit qui régit le contrat principal, et la thèse du rattachement autonome. Le
système de la Convention de Rome implique une préférence pour la seconde thèse, en
l'absence de toute disposition propre à ce contrat. Il y a donc lieu d'utiliser la présomp-
tion en faveur de la loi de l'établissement principal du débiteur de la prestation caracté-
ristique du contrat de caution, ce débiteur devant être normalement la partie qui offre la
garantie (voy. plus généralement supra, n ° 14.54). Toutefois, le jeu de la clause d'excep-
tion (art. 4, § 5) pourrait conduire à une autre solution, en fonction des circonstances de
l'espèce.
1111Dans la jurisprudence, voy. en faveur du rattachement accessoire: Liège, 6 janvier 1989, Rev. rég.
dr. (1989), 85. Comp., de cette même juridiction, en faveur du rattachement autonome: 28 juin
1991, Pas. (1991), II, 179.
RÈGLES PROPRES À CERTAINS CONTRATS 867

li!!En France, en faveur du rattachement accessoire, voy.: Cass. civ., 22 octobre 1996, Catteau,].C.P.
(1997),J, 22826, note critique H. MurR WATT. Camp. MAYER et HEUZÉ, n° 721, distinguant la cau-
tion offerte par une banque et soumise à ce titre à la loi de la banque.
Pour une utilisation de la clause d'exception, voy.: Versailles, 6 février 1991, Revue (1991), 745,
11!1
note P. LAGARDE (critique sur l'utilisation de la clause dans le cas d'espèce).
La validité du cautionnement peut encore relever d'une loi distincte, si celle-ci
exprime en ce sens une volonté particulière d'application. Cela peut être le cas d'une dis-
position permettant à l'un des époux de demander l'annulation du contrat par lequel
l'autre époux s'est porté garant, lorsque cet engagement nuit aux intérêts de la famille. Ce
rattachement spécial peut résulter, dans le contexte de la Convention de Rome, de
l'exclusion des questions relevant du droit de la famille (art. 1er), ou encore de la portée
de l'article 7 relatif aux lois de police (voy. supra, n ° 14.74, et la jurisprudence citée).
14.126 - Rattachement d'une garantie indépendante ou unilatérale - Lorsque la garan-
tie est consentie de manière indépendante de l'exécution du contrat de base (garantie dite
à première demande), ou lorsqu'elle résulte d'un engagement unilatéral à couvrir les det-
tes d'autrui (lettre de patronage), il n'y a pas de difficulté particulière à déterminer le
droit applicable après que la nature contractuelle de l'opération a pu être identifiée.
La faculté pour les parties de choisir le droit applicable à la garantie ne fait pas de
doute, même si le choix résulte d'une expression unilatérale, le bénéficiaire de la garantie,
qui l'a acceptée, étant alors réputé avoir accepté cette clause.
En l'absence de choix des parties, la présomption d'un rattachement en fonction de
l'établissement du débiteur de la prestation caractéristique du contrat (art. 4, § 2, Conv.
Rome) signifie pratiquement une référence à l'établissement du garant, sans préjudice de
l'utilisation de la clause spéciale d'exception (§ 5) si les conditions en sont remplies en
l'espèce.
Ainsi, les rattachements sont convergents entre les garanties dites indépendantes et
les autres. Cela permet notamment de laisser à la loi qui régit le contrat de déterminer
l'existence d'une indépendance.
li!! Pour un rattachement en ce sens de l'indépendance, voy. : Cass. civ., 30 octobre 1993, Tarek Ben
Ammar, Revue (1997), 685, note M.JOBARD-BACHELLIER.

14.127 - Rattachement du contrat de garantie financière - Dans le contexte de l'Union


européenne, des règles spécifiques régissent le contrat de garantie sous forme d'espèces
ou d'instruments financiers, afin d'instaurer une réglementation commune des garanties
constituées dans le cadre des systèmes de paiement et de règlement des opérations sur
titre. La directive 2002/47 du 6 juin 2002 (J.O.C.E., 2002, L 168) complète en ce sens la
directive 98/26 du 19 mai 1998 (J.O.C.E., 1998, L 166).
li!!Des travaux parallèles ont été menés par la Conférence de La Haye de droit international privé,
qui ont conduit à la Convention de La Haye, adoptée le 13 décembre 2002, sur la loi applicable à
« certains droits sur des titres détenus auprès d'un intermédiaire ». Cette convention a un objet
plus large, puisqu'elle ne porte pas uniquement sur le cas où le titre est utilisé en garantie : elle cou-
vre toute question relative aux « droits résultant du crédit de titres à un compte de titres», ainsi
que, notamment, le transfert de tels titres. Elle ne détermine cependant pas les obligations « de
nature purement contractuelle » résultant du crédit de titres à un compte ou du transfert de tels
titres. Voy. supra, chap. 13.
La directive 2002/47 a pour objet principal d'établir des règles matérielles commu-
nes, dont elle ne précise pas explicitement les conditions d'applicabilité dans l'espace. La
868 LES CONTRATS

nature des institutions visées comme parties à de tels contrats donne cependant à enten-
dre qu'il s'agira normalement d'entreprises agréées dans un État membre.
Les règles matérielles ne semblent pas porter sur la relation contractuelle même
mais plutôt sur la réalisation de la garantie; elles ne comportent pas moins des disposi-
tions sur la forme du contrat et sur l'admissibilité de certains modes de garantie. Elles
sont complétées par une règle de conflit de lois, pour certaines questions qui n'ont pas
fait l'objet d'harmonisation (art. 9). Cette règle concerne les garanties portant sur des
titres négociables « transmissibles par inscription en compte». Elle désigne « la loi du
pays où le compte pertinent est situé». Le renvoi est exclu, puisque le texte précise que le
terme« loi» s'entend du « droit interne» et non d'autres règles« stipulant que laques-
tion considérée doit être tranchée selon la loi d'un autre pays ».
Le domaine de ce rattachement porte sur :
- « la nature juridique et les effets patrimoniaux de la garantie » ;
- « les exigences relatives à la mise au point d'un contrat[ ... ] et, plus généralement,
l'achèvement des formalités nécessaires pour rendre un tel contrat [... ] opposable aux
tiers»;
la détermination du rang de droits de propriété ou d'autres droits concurrents;
« les formalités requises pour la réalisation de la garantie».
Le rattachement contractuel relève de la Convention de Rome. Celle-ci permet aux
parties de choisir le droit applicable et se réfère subsidiairement à une localisation par les
liens les plus étroits avec une présomption en faveur de l'établissement du débiteur de la
prestation caractéristique. Ce débiteur semble certes être l'intermédiaire en ce qui con-
cerne le contrat de gestion du compte, non en ce qui concerne le contrat de garantie
même, pour lequel le propriétaire du titre offert en garantie semble remplir plutôt cette
fonction.

§5 LES OPÉRATIONS SUR IMMEUBLES

14.128 - Bibliographie
F. BoucKAERT, « Les prêts transfrontaliers garantis par une hypothèque : esquisse d'une solution»,
Mélanges De Valkeneer (Bruxelles, Bruylant, 2000), 77-92 ; Ch. HENSEN, « De no taris en internationale
onroerend goed transacties », Tijds. Not. (1992), 241-255; F. MoscoNI, « Competenza giurisdizio-
nale e legge regolatrice della locazione di immobili all'estero », Riv. dir. int. priv. proc. (1993), 5-32;
P. PIRODDI, « Competenza giurisdizionale e legge applicabile aile locazioni immobiliari nelle con-
venzioni di Bruxelles e di Roma», Riv. dir. int. priv. proc. (1995), 41-86; A. SERAVALLE, « Conflitti di
leggi nei contratti internazionali di costruzione »,Riv. dir. int. priv. proc. (1991), 895-924; R. VANDER
ELST,« Les entreprises belges face à la loi française du 4 janvier 1978 relative à la responsabilité et à
l'assurance dans le domaine de la construction», Entr. et dr. (1982), 46-52; N. WATTÉ, « La forme
des contrats de vente d'immeuble en droit international privé », Rev. not. belge (1994), 6-12.
Voy. également, à propos du contrat de timeshare, la bibliographie citée à propos du contrat de con-
sommation, supra, n° 14.101.

14.129 - Incidence de la loi de situation - Sans constituer une catégorie spécifique de


rattachement, les contrats, de nature diverse (vente, bail, assurance, etc.), intéressant des
immeubles subissent en pratique l'attraction du critère du lieu de situation. Cette attrac-
RÈGLES PROPRES À CERTAINS CONTRATS 869

tion répond à la difficulté de dissocier les aspects purement contractuels de ceux qui
affectent l'attribution du droit réel et relèvent comme tels de la loi du lieu de situation.
1111 Pour une présentation des droits réels, voy. supra, chap. 13.
1111 Au sujet de la réglementation du crédit hypothécaire, comp. supra, n ° 14.112.

A. Compétence internationale
14.130 - Référence au lieu de situation - Le règlement « Bruxelles I », comme la Con-
vention de Bruxelles (voy. supra, chap. 8), attribue une compétence exclusive aux tribu-
naux de l'État membre où l'immeuble est situé « en matière de droits réels immobiliers et
de baux d'immeubles».
1111 La raison d'être de cette attribution de compétence résiderait dans le lien avec la compétence
législative, en raison de l'intérêt de l'État du lieu de situation à assurer l'application impérative des
dispositions servant à déterminer les obligations du locataire (C.J.C.E., aff C-292/93, 9 juin 1994,
Lieber, Ti;ds. Not., 1995, 148, note F. BoucKAERT,j.l.M.B., 1995, 1177, note A. KoHL).
De plus, le tribunal du lieu de situation de l'immeuble bénéficie d'une compétence
dérivée pour connaître d'une demande dirigée contre le défendeur principal, « en matière
contractuelle, si l'action peut être jointe à une action en matière de droits réels
immobiliers» (art. 6, 4°).
En droit commun, cette compétence n'est qu'alternative, s'ajoutant aux chefs de compétence
1111

que prévoit l'article 635 du Code judiciaire.


Le recours de cette disposition à des concepts appelant une qualification juridique
suscite des difficultés, tant pour concrétiser la notion de droit réel que pour définir le
bien immobilier ou le bail d'immeuble. En tout cas, cette qualification ne saurait
s'appuyer sur des solutions adoptées par le droit national.
1111 Pour plus de détails, voy. supra, n° 13.5, à propos de la matière des droits réels immobiliers.
Le Code de droit international privé n'établit pas de compétence exclusive en
matière immobilière, ni pour connaître de demandes portant sur des droits réels affec-
tant un bien situé en Belgique (voy. supra, n ° 13.6), ni en matière de bail immobilier.
1111 La solution confirme la règle alternative que contenait l'ancien article 635 du Code judiciaire.

B. Droit applicable au contrat immobilier


14.131 - Présomption favorable à la loi du lieu de situation pour le rattachement
objectif - Les contrats portant sur des immeubles, même lorsqu'ils ont été conclus par
des consommateurs (voy. supra, n ° 14.110), relèvent des règles générales de rattachement
et, partant, de l'autonomie des volontés (art. 3, Conv. Rome). Néanmoins, à défaut de
choix fait par les parties, la méthode indiciaire. (voy. supra, n ° 14.54) cède devant une pré-
somption favorable à la loi du lieu de situation et non pas à la loi de la résidence habi-
tuelle du débiteur de la prestation caractéristique (art. 4, § 3).
En matière de vente, les traités internationaux distinguent traditionnellement selon que le con-
1111

trat porte sur un objet mobilier corporel ou sur un immeuble. Voy. infra, n° 14.180.
Cette règle spéciale s'étend aux contrats« ayant pour objet un droit réel immobilier
ou un droit d'utilisation sur un immeuble». Cela vise de soi la vente autant que le bail et
l'exploitation d'un fonds de commerce, mais non, selon l'exposé des motifs, la construc-
tion ou la réparation.
870 LES CONTRATS

La présomption n'est toutefois que réfragable, comme c'est le cas aussi pour
l'ensemble des contrats (voy. supra, n ° 14.54).
1111Ainsi, le bail d'une maison de vacances à l'étranger conclu entre deux personnes résidant dans le
même pays pourrait relever, selon l'exposé des motifs, de la loi de résidence commune, le facteur du
lieu de situation ne bénéficiant que d'une présomption réfragable.
Comp. en ce sens: Civ. Marche-en-Famenne, 26 février 1986, Ann. Liège (1988), 100, noce H.
1!11
BORN. Cette position ne coïncide pas avec celle qui a été adoptée pour la compétence internatio-
nale. Dans l'affaire précitée, le tribunal belge s'était déclaré compétent en vertu de l'article 16 de la
Convention de Bruxelles, puis avait écarté l'application de la loi du lieu de l'immeuble.
1111Dans la jurisprudence antérieure, une référence de fait à la loi du lieu de situation est tradition-
nelle. Elle est rompue nettement par la cour d'appel d'Anvers dans un arrêt du 22 novembre 1978,
Tijds. Not. (1979), 54; voy. les références citées par B. HANOTIAU et M. FALLON,]. T. (1987), 102.
La forme du contrat relève normalement de la loi du pays de situation, par déroga-
tion à la règle Locus regit actum (art. 9, § 6). Toutefois, ce rattachement est fonction de la
volonté d'application en ce sens de la loi désignée.
Des actes communautaires établissent des rattachements sensiblement distincts,
ayant en commun de focaliser le rattachement sur le lieu de situation, sans tenir compte
des nuances de la Convention de Rome.
1!11La directive 2000/31 sur le commerce électronique du 8 juin 2000 (J.O.C.E., 2000, L 178) exclut du
domaine de la« clause marché intérieur» (prévoyant l'applicabilité des dispositions de la loi de l'éta-
blissement du prestataire de services, supra, n ° 14.76) « la validité formelle des contrats créant ou trans-
férant des droits sur des biens immobiliers, lorsque ces contrats sont soumis à des exigences formelles
impératives selon le droit de l'État membre dans lequel le bien immobilier est situé» (annexe à la dir.).
1111Selon le règlement 1346/2000 du 29 mai 2000 relatif aux procédures d'insolvabilité U.O.C.E.,
2000, L 160), « les effets de la procédure d'insolvabilité sur un contrat donnant le droit d'acquérir
un bien immobilier ou d'en jouir sont régis exclusivement par la loi de l'État membre sur le terri-
roire duquel ce bien est situé».
1!11En matière de contrats d'assurance portant sur des immeubles, les dispositions de la directive
du 22 juin 1988, applicables aux risques localisés dans la Communauté européenne, soumettent
également le contrat au rattachement général prévu pour le contrat d'assurance (voy. supra,
n ° 14.95). Cependant, le critère du lieu du risque, qui y joue un rôle central, est concrétisé par une
référence au lieu de situation de l'immeuble.

14.132 - Incidence des lois impératives - L'application au contrat immobilier de la


règle de rattachement faisant appel à l'autonomie des volontés n'exclut pas la prise en
considération de lois de police de protection du for ou d'un État étranger, en vertu de
l'article 7 de la Convention de Rome (voy. supra, n ° 14.74). De fait, certaines lois protè-
gent spécialement l'acquéreur ou l'emprunteur immobilier, ou réglementent la vente
d'immeubles à construire. Lorsque ces lois ne précisent pas leur domaine d'application
dans l'espace, la question reste pourtant ouverte de savoir si leur volonté est nécessaire-
ment de ne s'appliquer qu'aux immeubles localisés sur le territoire.
À propos de la loi Breyne du 9 juillet 1971, voy.: Corr. Liège, 30 avril 1979,Jur. Liège (1978-1979),
1111

426, refusant l'application à un immeuble situé à l'étranger, sur base d'une qualification concep-
tuelle du contrat comme appartenant au statut réel immobilier.
1!11 Sur la protection de l'emprunteur immobilier en Belgique, voy. supra, n ° 14.112.
1111Sur la législation française, voy. P. PELLETIER, « Propositions pour l'application dans l'espace de
la loi du 13 juillet 1979 relative à l'information et à la protection de l'emprunteur dans le domaine
immobilier», Revue (1981), 247-262, ainsi que R. VANDER ELsT, précité n ° 14.128.
1111 Sur la constitution de droits réels immobiliers, telle une sûreté, voy. supra, n ° 13.12.
RÈGLES PROPRES À CERTAINS CONTRATS 871

§6 LE CONTRAT D'INTERMÉDIAIRE
14.133 - Bibliographie
G. BADR, « Agency: Unification of material law and conflict rules », Recueil des cours, vol. 184 (1984),
9-168; L. BERNARDEAU, « Droit communautaire et lois de police »,].C.P. (2001), I, 328; R. DE QuE-
NAUDON, « Quelques remarques en matière de représentation volontaire», Revue (1984), 413-438;
C. FERRY, « Contrat international d'agent commercial et lois de police», Clunet (1993), 299-308;
P. HAY et W. MüLLER-FREIENFELS, « Agency in the conflict oflaws and the 1978 Hague Convention »,
Am.]. Camp. L. (1979), 1-50; P. LAGARDE, « La loi applicable au contrat de distribution com-
merciale», Revue générale de droit (1990), 669-685; O. LANDO, « Loi applicable au contrat d'agence
commerciale et règlement des différends », Le contrat d'agence commerciale internationale (Bruxelles,
Bruylant, 1997), 83-104; A. NUITS, La concession de vente exclusive, l'agence commerciale et l'arbitrage
(Bruxelles, Bruylant, 1996) ; F. PARENTE,« La disciplina dell'agire rappresentativo nella convenzione
di Roma sulla legge applicabile alle obbligazioni contrattuali », Riv. dir. int. priv. proc. (1993), 341-
433; F. RIGAUX, Le statut de la représentation (Bibliotheca Visseriana, t. 27, Leiden, Brill, 1963); Io., v0
« Agency », International Encyclopedia of Comparative Law, vol. III, chap. 29, et la bibliographie
détaillée; J.G. SAUVEPLANNE, « Het Haagse Verdrag over de toepasselijke wet op de vertegenwoor-
diging », R W (1978-1979), 1265-1274; F. TROMBETTA-PANIGADI, Rappresentanza volontaria e diritto
internazionale privato (Padoue, Cedam, 2003); H. VERHAGEN, Agency in private international law - The
Hague convention on the law applicable to agency (Dordrecht, Nijhoff, 1995); P. WÉRY, Le mandat
(Bruxelles, Larcier, 2000), spéc. 314-320.

14.134 - Présentation - Le contrat d'intermédiaire insère, quelle que soit son appella-
tion, une partie dans une chaîne de rapports juridiques. Le plus souvent, l'intermédiaire
constitue le maillon d'une chaîne de distribution d'un produit ou d'un service, tel l'agent
commercial, le concessionnaire exclusif, le courtier en assurances. Il peut également
constituer un simple représentant, comme c'est le cas dans le mandat. Il peut se situer ou
non dans une relation de dépendance.
Dans tous les cas, la question de droit international privé est liée à la pluralité des
parties intéressées. Dans le contrat de représentation, le représentant est en relation, à la
fois, avec le représenté et avec le tiers alors que le premier et le dernier ne sont pas en con-
tact direct. Dans les contrats liés à la distribution d'un produit ou d'un service, le distri-
buteur constitue le lien entre le producteur situé en amont et le destinataire situé en aval.
Cette configuration triangulaire soulève la question de l'unicité du droit applicable à
l'ensemble multipartite.
11111 L'intervention de l'organe d'une personne morale relève du rattachement propre au fonctionne-
ment de la personne morale (voy. infra, n° 16.14).
Le contrat de distribution exclusive est présenté séparément(§ 10), en même temps
que les règles sur la vente, en raison du lien étroit entre ce type de rapport contractuel et
la vente même.

A. La relation interne
14.135 - Compétence internationale: localisation de l'obligation en litige - Dans le
litige qui oppose le représenté au représentant auquel reproche est fait d'avoir mal exé-
cuté son mandat, la détermination de l'obligation contractuelle en litige au sens de
l'article 5, 1 °, du règlement« Bruxelles I », ou de l'article 96 du Code de droit internatio-
nal privé, passe par une localisation de l'exécution des obligations du mandataire. Lapra-
tique semble s'en remettre à une référence au lieu d'exercice de l'activité de celui-ci, même
872 LES CONTRATS

s'il conviendrait de s'attacher d'abord à identifier la loi qui régit cette obligation pour y
déceler une disposition permettant d'effectuer cette localisation Uurisprudence Tessili,
voy. supra, n ° 14.9).
Ill Voy. :].P. Namur, 13 février 1990,JJ.P. (1992), 81.

Dans le litige qui oppose le représentant au représenté parce que celui-ci a, par exem-
ple, résilié le contrat de manière prétendument abusive, l'obligation à localiser est moins
celle de payer l'indemnité demandée que celle, autonome, de respecter le contrat d'agence
(C.J.C.E., aff C-9/87, 8 mars 1988, Arcado, Rec., 1988, I-1539). Il reste alors à localiser cette
obligation. La méthode à suivre est sans doute analogue à celle utilisée à propos de la
rupture d'une concession exclusive de vente (voy. infra, n ° 14.187).
IllPour une référence globale au lieu de l'exécution du contrat par l'agent, voy. : Comm. Bruxelles,
29 mai 1990, Rev. dr. comm. belge (1992), 908.

Dans le cas d'une « fourniture communautaire» au sens de l'article 5, 1 °, b ), du


règlement, il suffit de localiser celle-ci quelle que soit l'obligation en litige (voy. supra,
n ° 14.10). Cette localisation se fera normalement en fonction de l'établissement de
l'agent.
Ill Voy. en ce sens: Gand, 28 avril 2004, Rev. dr. comm. belge (2005), 70, R.A.B.G. (2004), 1333.

14.136 - Détermination du rattachement contractuel- Les divers aspects de la relation


contractuelle liant le représenté au représentant obéissent aux règles générales sur le
droit applicable aux obligations contractuelles, à savoir les dispositions de la Convention
de Rome.
Il en résulte que les parties ont le libre choix de la loi contractuelle.
À défaut de choix des parties, il est admis que la prestation caractéristique au sens de
l'article 4, § 2, est celle du représentant plutôt que celle du représenté, à moins de faire
jouer la clause spéciale d'exception (§ 5). Pratiquement, dès lors, le rattachement objectif
conduit à désigner la loi de l'établissement principal de l'agent ou du mandataire.
Voy. en ce sens: Comm. Hasselt, 12 juillet 1989, Distributierecht (1987-1992), 318; Bruxelles,
1111

18 février 1999, Rev. prat. soc. (2000), 243; Comm. Anvers, 15 février 2002, RA.B.G. (2004), 1337;
Comm. Termonde, 19 décembre 2002, Tijds. Gentse Rechtspraak (2002), 284. En France, en ce sens,
alors que la Convention de La Haye du 14 mars 1978 était applicable, voy.: Cass. civ., 18 juillet
2000, Bismuth, Clunet (2001), 97, note E. LOQUIN et G. SIMON.
11!1Le principe de l'application subsidiaire de la loi de l'établissement du représentant est égale-
ment consacré par la Convention de La Haye du 14 mars 1978 sur la loi applicable aux contrats
d'intermédiaires et à la représentation, non en vigueur en Belgique.

La forme dans laquelle le contrat de représentation doit être conclu relève de la règle
générale de l'article 9 de la Convention deRome: il suffit de suivre les formalités exigées,
soit par le droit du pays où l'acte a été conclu, soit par le droit qui régit le contrat même.

14.137 - Protection impérative de l'agent commercial - Dans le contexte de l'Union


européenne, l'agent commercial indépendant bénéficie d'une protection minimale mise
en place par la directive 86/653 du 18 décembre 1986 (J.O.C.E., 1986, L 382). Celle-ci pose
une série de règles matérielles communes aux États membres, sans les accompagner
d'une règle d'applicabilité explicite.
Aux termes de la directive,« l'agent commercial est celui qui, en tant qu'intermédiaire indépen-
1111

dant, est chargé de façon permanente, soit de négocier la vente ou l'achat de marchandises pour
RÈGLES PROPRES À CERTAINS CONTRATS 873

une autre personne, ci-après dénommée 'commettant', soit de négocier et de conclure ces opéra-
tions au nom et pour le compte du commettant. » (art. 1'r, § 2).
La mise en œuvre de la directive pose la question de la détermination de son applica-
bilité dans l'espace: les règles impératives de protection posées par une loi nationale de
transposition s'appliquent-elles au contrat international si et seulement si cette loi est
désignée en vertu des règles de conflit de lois de la Convention de Rome, y compris les
dispositions relatives à la prise en considération des lois de police (art. 7) ?
La législateur belge a cru devoir préciser, dans la loi de transposition du 13 avril
1995 (Monit., 2 juin 1995), que« toute activité d'un agent commercial ayant son établisse-
ment principal en Belgique relève de la loi belge [... ] », toutefois « sous réserve de l'appli-
cation des conventions internationales auxquelles la Belgique est partie» (art. 27). Une
formulation aussi générale est ambiguë: la référence à« la loi belge» couvre-t-elle seule-
ment la loi de 1995, ou toute disposition du droit belge relative au contrat? Dans l'affir-
mative, la disposition violerait la Convention de Rome : elle ne peut donc se comprendre
que comme une loi de police applicable selon ce que permet l'article 7, § 2, de la Conven-
tion.
La précision ainsi donnée par la loi de transposition comporte aussi le risque d'une
délimitation du domaine spatial de la protection qui puisse ne pas correspondre exacte-
ment à la volonté du législateur communautaire. Cette affirmation suppose que celui-ci
puisse avoir une telle volonté.
Selon la Cour de justice, la présence d'une règle d'applicabilité implicite se laisse
déduire du contexte de la directive. Adopté en vue de faciliter la liberté d'établissement,
l'acte se doit de régir toute situation ayant « un lien étroit» avec la Communauté,
« notamment lorsque l'agent commercial exerce son activité sur le territoire d'un État
membre, quelle que soit la loi à laquelle les parties ont entendu soumettre le contrat »
(C.J.C.E., aff. C-381/98, 9 novembre 2000, Ingmar, Revue, 2001, 107, note L. IDoT).
Ainsi, les règles protectrices doivent régir un contrat d'agence conclu entre un agent établi dans
Ill!
la Communauté et un commettant établi aux États-Unis, alors même que les parties ont fait choix
du droit américain (même arrêt).
Camp. le résultat en sens contraire obtenu dans un cas analogue par : Cass. civ., 28 novembre
Ill!
2000, Allium, Clunet (2001 ), S 11, note J.-M. JACQUET, déniant aux dispositions nationales de trans-
position la qualification de loi de police. La question est cependant moins de savoir si ces disposi-
tions ont bien ce caractère, que d'identifier dans la loi de transposition une règle d'applicabilité
implicite déduite de la directive.

B. La relation externe
14.138 - Référence au droit du pays de l'activité de l'intermédiaire - La question de
savoir dans quelle mesure le mandant est tenu à l'égard des tiers avec lesquels le man-
dataire a contracté, relève d'un rattachement qui lui est propre. Selon le Code de droit
international privé, il y a lieu d'appliquer le droit de l'État sur le territoire duquel l'inter-
médiaire a agi. Le texte ajoute une présomption de localisation, en faveur du lieu de la
résidence habituelle de celui-ci (art. 108).
Ill! La référence au lieu de l'activité est constante. Voy. par exemple: Bruxelles, 18 février 1999, Rev.
prat. soc. (2000), 243.
La Convention de La Haye du 14 mars 1978 prévoit une solution plus nuancée, basée sur un rat-
11111

tachement à la loi de l'établissement du représentant.


874 LES CONTRATS

Cette loi détermine si le représentant a été habilité à agir au nom et pour le compte
d'une autre personne, quelle est l'étendue de cette habilitation et quels en sont les effets.
1111Notamment, cette loi détermine si le représenté est lié en cas de mandat apparent (P. WÉRY, pré-
cité n ° 14.133, p. 320).

14.139 - Détermination de questions de forme - Au moment d'agir, le représentant


doit être attentif à deux questions particulières de droit international privé affectant la
forme dans laquelle l'acte doit être passé, sous l'influence de la règle générale Locus regit
actum (voy. supra, n ° 3.29).
La détermination de la forme dans laquelle doit être passé un contrat conclu par le
représentant avec un tiers relève certes du rattachement général posé par la Convention
de Rome (art. 9, voy. supra, n ° 14.56). Mais lorsque le texte se réfère à la localisation d'une
partie, il précise qu'en cas de contrat conclu par un représentant, la personne à considé-
rer est celui-ci et non le représenté(§ 3).
De même, la forme que doit revêtir une procuration dépend normalement de
l'application alternative de la règle Locus regit actum, ce qui, outre les lois désignées par la
localisation propre à la procuration (loi du pays où celle-ci a été faite ou loi qui régit le
contrat de représentation), inclut la loi régissant l'acte juridique à accomplir. Toutefois,
lorsque la loi qui régit cet acte exige une forme particulière, il est prudent de s'aligner sur
cette exigence (P. WÉRY, précité n ° 14.133, p. 318, à propos des exigences de la loi réelle).
Ainsi, les exigences des articles 76 et 77 de la loi hypothécaire ont été étendues à tout contrat
1111
d'hypothèque portant sur un immeuble localisé en Belgique (Cass., 18 janvier 1853, Pas., 1853, I,
504). Voy. F. R!GAUX, Agency, n° 19, avec les références en droit comparé.

§7 LA NÉGOCIATION DE TITRES

14.140 - Bibliographie
P. BLOCH, « Un espoir déçu ? La Convention des Nations Unies sur les lettres de change et billets à
ordre internationaux», Clunet (1992), 907-920; E. CAPRIOLI, « La loi applicable aux contrats de cré-
dits documentaires, approche de droit comparé», Rev. dr. aff. int. (1991), 905-944; R. CHEMALY,
« Conflits de lois en matière d'effets de commerce», Recueil des cours, vol. 209 (1988-II), 347-452;
G. CONTALDI, « L'art. 17 della convenzione di Bruxelles del 1968 e l'opponibilita al terzo portatore
delle clausole di proroga della giuridizione contenute in polizze di carico », Riv. dir. int. priv. proc.
(1999), 890-912; M. EKELMANS, « Les conditions de validité au regard de l'article 17 de la Conven-
tion de Bruxelles du 27 septembre 1968 d'une clause attributive de juridiction dans un connaisse-
ment maritime», Cah. dr. eur. (1985), 426-446; Y. LoussouARN et J.-D. BREDIN, Droit du commerce
international (Paris, Sirey, 1969) ; A. MALATESTA, « Considerazioni sull'ambito di applicazione della
Convenzione di Roma del 1980: il caso dei titoli di credito », Riv. dir. int. priv. proc. (1992), 887-904;
J. PUTZEYS, « Le nationalisme dans le droit international», Mélanges R. Rodière; R. ROLAND, « La
clause de juridiction dans les connaissements devant l'article 17 de la Convention C.E.E. du
27 septembre 1968: retour à l'anarchie? »,].T. (1983), 301-304; R. STEENOT, « Internationaal pri-
vaatrechtelijke problemen bij documentair krediet », Rev. Banque (1999), 208-217; G. VAN HECKE,
« Crédits bancaires internationaux et conflits de lois», D.P.C.I. (1977), 497-505.

Voy. encore le« Rapport sur la loi applicable aux effets de commerce » préparé par la Conférence de
La Haye de droit international privé, Actes et documents de laXVJIC session (1995), t. I, 158-185.

14.141 - Présentation - La circulation de titres représentatifs d'un droit sur un bien


suscite de nombreuses questions, non seulement parce que l'institution intéresse à la fois
le statut de la propriété et le droit des contrats, mais aussi parce que la négociabilité du
RÈGLES PROPRES À CERTAINS CONTRATS 875

titre se prête mal au principe d'autonomie qui, en matière de contrats, se conçoit le


mieux en présence d'un accord entre les auteurs d'une relation individualisée. Or, chaque
négociation du titre crée une relation contractuelle nouvelle, avec une partie tierce à la
relation de base. À la particularité de cette structure contractuelle s'ajoute la nécessité de
concilier la loi contractuelle désignée avec une loi de police susceptible de réglementer
impérativement tout ou partie de la situation.
Les questions relatives au droit de revendication du titulaire du titre subissent une nette attrac-
Ill!
tion de la loi du lieu de situation du bien: voy. supra, n'" 13.10 et s.

Lorsque le titre est dématérialisé, sa localisation suscite une difficulté particulière. Voy., à pro-
Ill!
pos de la détermination des droits réels, supra, n ° 13.21.

La détermination de la loi applicable à la relation contractuelle crée une difficulté analogue


Ill!
lorsque le litige oppose un contractant à un sous-contractant, en matière de vente ou de contrat
d'entreprise.

Traditionnellement, deux types de titres négociables ont donné lieu à des solutions
particulières, à savoir les chèques, lettres de change et billets à ordre d'une part, le con-
naissement maritime d'autre part. Alors que les premiers ont surtout attiré l'attention en
ce qui concerne la détermination du droit applicable, le second a suscité des difficultés au
sujet de la compétence internationale.
L'apparition de nouvelles pratiques contractuelles portant sur la cession de titres
dématérialisés mérite aussi l'attention. Il en va ainsi du contrat de garantie financière,
lorsque la garantie consiste en un titre dématérialisé.
Ill Sur ces contrats, voy. supra, n ° 13.21.

A. Les effets de commerce et le chèque

1. SOURCES

14.142 - Présentation - Les effets de commerce (lettre de change et billet à ordre) et le


chèque présentent cette particularité commune d'avoir, à peu près à la même époque, fait
l'objet d'une convention portant loi uniforme sur chacune de ces deux matières, ainsi
que d'une convention réglant par des solutions de conflit de lois communes les questions
ayant résisté à l'unification du droit matériel. Il existe une grande convergence entre les
règles de droit international privé retenues par chacun des deux instruments.
La Convention destinée à régler certains conflits de lois en matière de lettres de
change et de billets à ordre, signée à Genève le 7 juin 1930, a été approuvée par la loi du
16 août 1932 (Pasin., 1933, 478).
Ill!En outre, la loi uniforme sur les lettres de change et billets à ordre annexée à la Convention de
Genève du 7 juin 1930 (loi du 16 août 1932, Pasin., 1933, 466) a été introduite en droit belge par la
loi du 10 août 1953 (Pasin., 1953, 526). Certaines dispositions de cette loi ont été rectifiées et inter-
prétées par la loi du 31 décembre 1955 qui a, en outre, assuré la coordination des textes en vigueur
sous l'intitulé: « Lois coordonnées sur la lettre de change et le billet à ordre" (Monit., 19 janvier
1956, Pasin., 1955, 845)
Dans l'article 92 des lois coordonnées, le législateur belge a fait usage de la faculté de réserve
Ill!
prévue par l'article 2, alinéa 3, de cette Convention.
876 LES CONTRATS

La Convention destinée à régler certains conflits de lois en matière de chèques,


signée à Genève le 19 mars 1931, a été approuvée par la loi du 23 mars 1951 (Pasin., 1962,
62).
1111La réserve permise par l'article 2, alinéa 3, de cette convention a été inscrite dans l'article 63 de la
loi du ier mars 1961.
111 L'article 64 de la même loi contient une règle de droit international privé relative à la forme du
chèque.
En vertu de la loi du 1er mars 1961, la loi uniforme sur le chèque, annexée à la Convention de
1111

Genève du 19 mars 1931 (loi du 23 mars 1951, Pasin., 1962, 49), a pris la place du droit belge jus-
que-là en vigueur.

14.143 - Domaine spatial des deux conventions de conflit de lois - L'article 10 de la


Convention du 7 juin 1930 (effets de commerce) et l'article 9 de la Convention du
19 mars 1931 (chèque) permettent l'un et l'autre aux États contractants d'écarter l'appli-
cation des règles de conflit de lois communes quand l'engagement a été pris hors du ter-
ritoire d'un État contractant ou quand ces règles déclarent applicable le droit d'un État
non contractant.
Sur la délimitation du domaine spatial des règles de conflit de lois conventionnelles, voy. supra,
Ill!
4.48.
Comme le législateur belge n'a pas fait usage de cette faculté, il faut dénier aux tribu-
naux le pouvoir de restreindre le champ d'application des règles de conflit conventionnel-
les. Celles-ci constituent, en Belgique, le droit international privé commun applicable à
tout effet de commerce et à tout chèque, quel que soit le droit étranger déclaré applicable.
1111Le Code de droit international privé confirme cette interprétation en renvoyant à ces conven-
tions pour la détermination du droit applicable (art. 98, §§ 2 et 3), procédé qu'il n'utilise que pour
les traités ayant un caractère universel.

Il. DROIT APPLICABLE

14.144 - Capacité requise pour s'engager: prédominance de la loi du lieu de signa-


ture - La loi nationale de la personne régit normalement sa capacité à s'engager (art. 2,
al. Fr, ire phrase des conv.). L'application éventuelle du renvoi (voy. supra, n ° 6.21) est
toutefois admise (2e phrase).
Toutefois, selon l'alinéa 2, « La personne qui serait incapable, d'après la loi indiquée
par l'alinéa précédent, est néanmoins valablement tenue, si la signature a été donnée sur
le territoire d'un pays d'après la législation duquel la personne aurait été capable»
(rédaction identique dans les deux Conventions).
1111 Sur cette règle de conflit alternative, voy. supra, n° 3.59.
La Belgique a cependant fait usage de la faculté de réserve prévue par l'alinéa 3 de
chacune des deux dispositions. Le gouvernement belge a fait introduire dans l'une et
l'autre lois uniformes une disposition aux termes de laquelle la validité des engagements
pris « par un Belge à l'étranger n'est reconnue en Belgique que si, d'après la législation
belge, il possédait la capacité requise pour les prendre».
111Voy., en matière de lettre de change et de billet à ordre, les lois coord., art. 92 ; en matière de chè-
que, la loi du 1er mars 1961, art. 63.
Le texte est commun aux deux dispositions, sauf la substitution du mot «loi» au mot
«législation" dans l'article 63 de la loi du 1er mars 1961.
Ill Sur le caractère exclusivement unilatéral de ces deux règles de conflit de lois, voy. supra, n ° 3.45.
RÈGLES PROPRES À CERTAINS CONTRATS 877

14.145 - Forme de l'acte: application impérative de la loi du lieu - Selon les deux Con-
ventions, la forme des actes est régie en principe par la loi du pays où ils ont été faits.
L'application impérative de la loi du lieu où la formalité est accomplie ne souffre pas
d'exception en ce qui concerne« la forme et les délais du protêt, ainsi que la forme des
autres actes nécessaires à l'exercice ou à la conservation des droits» en matière de lettre
de change et de billet à ordre, et en matière de chèque (art. 8 de chacune des deux Con-
ventions).
1!11 Sur la règle Locus regit actum, voy. supra, chap. 3.

Quant à la forme de l'engagement lui-même, elle est en principe régie par la loi du
pays sur le territoire duquel il a été souscrit (Conv. du 7 juin 1930, art. 3, al. 1er; Conv. du
19 mars 1931, art. 4, al. ier, ire phrase).
Un tempérament affecte le cas où, n'étant pas valables selon la loi précitée, les enga-
gements initiaux sont « conformes à la législation de l'État où un engagement ultérieur a
été souscrit » : dans ce cas, « la circonstance que les premiers engagements sont irré-
guliers n'infirme pas la validité de l'engagement ultérieur» (Conv. du 7 juin 1930, art. 3,
al. 2; Conv. du 19 mars 1931, art. 4, al. 2).
De son côté, le chèque est valable quant à la forme s'il satisfait aux exigences soit de
la loi du pays sur le territoire duquel un engagement a été souscrit, soit de celle du pays
du lieu du paiement. En effet,« l'observation des formes prescrites par la loi du lieu du
paiement suffit» (Conv. du 19 mars 1931, ze phrase de l'art. 4, al. 1er).
Toutefois, le chèque souscrit par un Belge obéit à une règle particulière. Faisant
usage de la réserve ouverte par la Convention du 19 mars 1931 (art. 4, al. 3), le législateur
belge a consacré en cette matière l'application alternative de la loi nationale du Belge,
grâce à une règle de conflit exclusivement unilatérale. « Les engagements souscrits par
chèque par un Belge à l'étranger, dans les formes de la loi belge, sont valables en Belgique
à l'égard d'un autre Belge» (loi du 1er mars 1961, art. 64).
Le législateur belge n'a pas fait usage d'une faculté analogue prévue par l'article 3, alinéa 3, de la
Ill!
Convention du 7 juin 1930.
Pour un cas de nullité d'un chèque souscrit au Zaïre sans mention du lieu de création, par appli-
Ill!
cation de l'article 1er de la loi uniforme, mais en omettant toute référence à la Convention du
19 mars 1931 pour la détermination du droit applicable, voy. Bruxelles, 24 mars 1987, Ann. Liège
(1988), 64, note critique F. R.!GAUX.
IllLa conformité des termes de la réserve avec le principe de non-discrimination du droit commu-
nautaire peut être mise en doute.

14.146 - Dépeçage des effets de l'engagement - La loi du pays où le titre est payable
régit:
- « les effets des obligations de l'accepteur d'une lettre de change et du souscripteur
d'un billet à ordre» (Conv. du 7 juin 1930, art. 4, al. 1er);
1111. Voy. une application par: Bruxelles, 22 septembre 1988,J. T. ( 1989), 333, Pas. (1989), II, 38.

- la faculté de restreindre l'acceptation à une partie de la somme et l'obligation de


recevoir un paiement partiel (Conv. du 7 juin 1930, art. 7);
- la détermination des personnes sur lesquelles un chèque peut être tiré (Conv. du
19 mars 1931, art. 3, al. ier);
878 LES CONTRATS

- les neuf questions de droit énumérées par l'article 7 de la Convention du 19 mars


1931, notamment« les mesures à prendre en cas de perte ou de vol du chèque» (8 °).
1111 Sur le dernier point, voy. aussi l'article 9 de la Convention du 7 juin 1930, et supra, n ° 13.21.

La loi du pays dans lequel une signature a été donnée détermine :


- les effets que produit la signature des obligés autres que l'accepteur d'une lettre
de change et le souscripteur d'un billet à ordre (Conv. du 7 juin 1930, art. 4, al. 2) ;
- si, d'après la loi du pays où le chèque est payable, un titre est nul comme chèque
en raison de la personne sur laquelle il a été tiré, les obligations résultant des signatures
qui y ont été apposées en d'autres pays dont les lois ne contiennent pas ladite disposition,
obligations qui sont dès lors valables (Conv. du 19 mars 1931, art. 3, al. 2);
- les effets des obligations résultant d'un chèque (Conv. du 19 mars 1931, art. 5).
La loi du lieu de la création du titre détermine :
- les délais de l'exercice de l'action en recours (Conv. du 7 juin 1930, art. 5; Conv.
du 19 mars 1931, art. 6);
- « si le porteur d'une lettre de change acquiert la créance qui a donné lieu à l'émis-
sion du titre» (Conv. du 7 juin 1930, art. 6).

B. Le connaissement
14.147 - Présentation - Le connaissement se présente à la fois comme un élément cons-
titutif du contrat de transport, puisqu'il intéresse la preuve de la réception des marchan-
dises par le capitaine, et un titre dont peut se prévaloir le porteur pour se faire délivrer les
marchan_gi~~~ e11 l'.ét~t de réception. De soi, il soulève autant de difficultés en ce qui con-
cerne;[;joi _applj<;:i!.l2Wque pour la détermination de la compétence internationale. Or,
dans la jurisprudence, seule cette seconde dimension semble avoir attiré l'attention.
L'une des difficultés vient de la portée qu'il convient d'attribuer aux dispositions de
l'article 91 du livre II du Code de commerce. Reprenant en substance la Convention de
Bruxelles du 25 août 1924 pour l'unification de certaines règles en matière de connais-
sement (voy. infra, n° 14.154), cet article contient à la fois diverses règles relatives à la
création du connaissement, un régime de la responsabilité du transporteur énonçant
les droits que le porteur peut faire valoir, ainsi qu'une disposition sur la négociabilité
(§ VI) pour le cas où chargeur et transporteur conviennent d'une dérogation à ses dispo-
sitions.
L'article 91 se dit applicable à l'égard de tout« connaissement émis pour le trans-
port des marchandises effectué par tout navire, de quelque nationalité qu'il soit, au
départ ou en destination d'un port du royaume».

1. COMPÉTENCE INTERNATIONALE

14.148 - Opposabilité d'une clause de juridiction au tiers porteur selon le règlement


« Bruxelles I » - N'étant pas exclue du domaine du règlement« Bruxelles I » (voy.supra,
n ° 8.15), l'action du porteur du connaissement en relève assurément dès lors que le
défendeur est domicilié sur le territoire d'un État membre lié par le règlement.
RÈGLES PROPRES À CERTAINS CONTRATS 879

Lorsque l'une des parties seulement, tel le demandeur, est domiciliée dans l'un de
ces États et que le connaissement contient une clause attributive de juridiction aux tribu-
naux d'un État membre, cette clause est-elle opposable au tiers porteur ?
La réponse dépend de la qualification de« partie» au sens de l'article 23, l'opposabi-
lité n'étant admise que si le tiers peut être considéré comme succédant aux droits et obli-
gations du chargeur. Cette condition s'apprécie selon le « droit national» du juge saisi
(C.J.C.E., aff. 71/83, 19 juin 1984, Tilly-Russ, Rec., 1984, 2417, Rev. dr. comm. belge, 1985, 98,
note]. LIBOUTON, Revue, 1985, 385, note H. GAUDEMET-TALLON).
L'expression « droit national» s'entend comme une référence au système de droit
international privé du for (C.J.C.E., aff. C-387/98, 9 novembre 2000, Coreck Maritime,
Revue, 2001, 359, note F. BERNARD, fur. Anvers, 2000, 387). En cette matière, celui-ci
comprend non seulement une règle de rattachement, mais également une règle spéciale
d'applicabilité régissant des dispositions impératives (voy. l'art. 91 ci-dessous, point 2 ° ).
Il Dans un arrêt du 18 septembre 1987 (Precam, Pas., 1988, I, 75), la Cour de cassation, après avoir
constaté l'application de l'article 91, a affirmé clairement que, selon cette disposition, le tiers por-
teur ne succède pas au chargeur, mais que ses droits à l'égard du transporteur sont réglés d'une
manière indépendante par le connaissement. Par conséquent, la clause de juridiction lui est inop-
posable. Voy. ultérieurement: Anvers, 14 mars 1990,]ur. Anv. (1991), 120. Comp. antérieurement
l'arrêt ambigu du 25 janvier 1985, Pas. (1985), I, 611.
1111Pour l'application de la loi qui régit le connaissement, voy.: Comm. Anvers, 7 avril 1997, D.E. T
(1997), 431, à propos d'un transport au départ et à destination de l'étranger, exclu du domaine de
l'article 91.

14.149 - Opposabilité d'une clause de juridiction au tiers porteur selon le droit com-
mun - Afin de mieux garantir l'application impérative de l'article 91 du livre II du Code
de commerce, la jurisprudence belge en a renforcé l'efficacité en ôtant tout effet à l'attri-
bution de compétence à un tribunal étranger quand celle-ci contribue à la mise en action
de la stipulation contractuelle désignant la loi étrangère tout en neutralisant la protec-
tion voulue par la loi belge.
1!11Selon la Cour de cassation, les parties ne peuvent se soustraire à l'application de l'article 91 et la
clause attribuant compétence à un tribunal étranger doit être annulée quand elle « n'est que
l'accessoire de celle contenant référence à la loi étrangère » (9 juin 1932, Bathe, Pas., 1932, I, 183 ;
voy. aussi Cass., 19 décembre 1946, Witt, Pas., 1946, I, 480). Toutefois, la clause doit recevoir effet
lorsque, tenant lieu de loi entre parties au sens de l'article 1134 du Code civil, elle prévoit que le
juge étranger appliquera le droit belge ou les règles de la Convention de La Haye reprises à
l'article 91, et qu'il n'est pas établi que le juge étranger n'appliquera pas ce droit (2 février 1979,
Bibby Line, Pas., 1979, I, 634, supra, n° 14.18).
La jurisprudence est très abondante. Voy. une confirmation récente par: Anvers, 17 juin 2003,
D.E.T. (2003), 496.

Sur l'applicabilité de la loi belge en tant que loi du for à l'admissibilité de la clause, voy. supra,
1!11
n° 14.17, et Cass., 15 juin 1988, ].T (1989), 259, Rev. dr. comm. belge (1989), 586, note H. VAN
HOUITE.

14.150 - Détermination du lieu d'exécution de l'obligation en litige - À défaut de clause


de juridiction opposable au tiers, la compétence se détermine en fonction du règlement
« Bruxelles I » si le défendeur est domicilié dans un État membre auquel celui-ci s'appli-
que, ou de la Convention de Lugano si le domicile de cette partie est dans un État con-
tractant. À défaut encore, les dispositions générales du Code de droit international privé
sont applicables.
880 LES CONTRATS

f Pour rappel (voy. supra, sect. 1), le critère pertinent selon le règlement est, outre le
domicile du défendeur, le lieu d'exécution de l'obligation en litige, mais, en cas de fourni-
ture « communautaire » d'un service, il y a lieu de se référer au lieu de cette fourniture. Le
\ Code ajoute aux critères du domicile du défendeur et du lieu d'exécution de l'obligation
1
L en litige, celui de la naissance de l'obligation.
Ill Pour une application de la jurisprudence Tessili (voy. supra, n ° 14.9), conduisant à déterminer la
loi applicable à l'obligation en litige par une référence à l'article 91 du livre Il du Code de com-
merce, voy.: Anvers, 17 juin 2003, D.E. T. (2003), 496, estimant toutefois qu'il n'y a pas lieu de rete-
nir en l'espèce le chef de compétence de l'article 5, pour le motif que, le lieu d'exécution étant
multiple du fait que le vice de chargement pouvait se localiser au lieu de chargement autant que de
déchargement, l'objectif de sécurité juridique ou de concentration des litiges ne pouvait pas être
atteint.
}
\; llld obrs qude défende ur edst d omicilié e~ Su'.sdse et que, selodndle_ chonnaissemen t, le lideu d'exécbut ion
, e 17o 11gat1on est au 11eu e 11vra1son, c est-a- 1re au port e ec argement, 1es JUfl 1ct10ns e1ges
1 sont incompétentes, en vertu de la Convention de Lugano, lorsque ce port est aux États-Unis
, (Comm. Anvers, 18 juin 2002, D.E. T., 2002, 453).

L'article 91 du livre II du Code de commerce ne contient pas de règle formelle de


compétence (Comm. Anvers, 18 juin 2002, précité). Aussi, lorsque le défendeur est domi-
cilié ·à l'étranger alors que le transport est au départ d'un port belge mais à destination
d'un port étranger, ou inversement, aucune juridiction belge ne sera à même d'assurer
l'application des dispositions impératives que contient cet article, sauf à considérer que
celui-ci contient une règle implicite de compétence de nature à assurer l'effet utile de la
règle matérielle de protection.

Il. DROIT APPLICABLE AU CONNAISSEMENT

14.151 - Portée de l'article 91 du livre II du Code de commerce - Une distinction s'im-


pose selon que la question faisant l'objet du litige entre ou non dans le domaine d'un
traité de droit matériel uniforme assorti d'une règle spéciale d'applicabilité. Dans l'affir-
mative, comme c'est le cas de la Convention de Bruxelles du 25 août 1924 (voy. infra,
n ° 14.154), les dispositions du traité sont applicables immédiatement, sans qu'il soit
nécessaire d'utiliser au préalable une règle de rattachement (voy. plus généralement supra,
chap. 4).
En droit commun, la Convention de Rome, qui sert à déterminer le droit applicable
au contrat, ne s'applique normalement pas à des « instruments négociables, dans la
mesure où les obligations nées de [ceux-ci] dérivent de leur caractère négociable» (art. 2,
§ 2, litt. c). Cela signifie que les effets de l'instrument sur les relations entre chargeur et
transporteur restent soumis à la loi régissant le contrat de transport (sur cette loi, voy.
infra, n° 14.160). Quant aux effets vis-à-vis de tiers, l'exposé des motifs confirme l'exclu-
sion des obligations nées de la négociabilité de l'instrument et renvoie, pour la détermi-
nation de cette négociabilité, au« droit international privé du juge saisi».
Ill Comp. la solution adoptée par la Convention de Rome à propos de la cession de créance :
l'article 12, § 2, soumet à la loi qui régit la créance cédée, notamment, la cessibilité et les rapports
entre cessionnaire et débiteur.

La détermination de la loi applicable au connaissement passe nécessairement par les


dispositions de l'article 91 du livre II du Code de commerce. Celui-ci contient en effet
une règle spéciale d'applicabilité du droit matériel, qui se distingue d'une règle de ratta-
RÈGLES PROPRES À CERTAINS CONTRATS 881

chement (sur cette notion, voy. supra, chap. 4). Ainsi, cette règle d'applicabilité définit
directement le domaine d'application dans l'espace des règles matérielles de l'article 91,
sans qu'il soit nécessaire de déclarer au préalable le droit belge applicable au moyen d'une
règle de rattachement.
Il convient de préciser que la situation visée par la règle est rattachée à la Belgique au
moyen d'un critère alternatif, qu'un port belge soit le point de départ ou le lieu de desti-
nation du transport maritime. Dès lors, la règle n'est pas susceptible de recevoir une
interprétation multilatérale.
Ainsi, la règle régit un transport de Valparaiso vers Anvers ou d'Anvers vers Singapour, mais on
!Ill
ne saurait en déduire aucune solution par la voie de l'analogie au cas où les marchandises sont
transportées de Valparaiso à Singapour.
La détermination de la loi contractuelle au moyen d'une règle de rattachement
n'intervient que pour les questions non réglées par l'article 91, à savoir, soit un élément
de la relation que cette disposition ne règle pas, soit une situation échappant à son
domaine d'application dans l'espace.
Ainsi, l'article 91 n'est pas applicable lorsque le départ et la destination sont à l'étranger, alors
1111

même que le connaissement est régi par le droit belge (Anvers, 24 septembre 2002, D.E. T., 2002,
772). On trouve ici l'exemple d'une règle autolimitative (voy. supra, n ° 4.9).
Plus généralement, le caractère négociable d'un titre est régi, selon le Code de droit
international privé, par le droit de l'État du lieu d'émission (art. 91, § 3, supra, chap. 13).

§8 LE CONTRAT DE TRANSPORT

14.152 - Bibliographie
Outre les études publiées dans les ouvrages collectifs consacrés à la Convention de Rome du 19 juin
1980 ou dans les traités de droit commercial, voy.: P. DE MEIJ, Samenloop van CMR-Verdrag en EEX-
Verordening (Deventer, Kluwer, 2003); F. DE VrsscHER, « Les conflits de lois en matière de droit
aérien», Recueil des cours, vol. 48 (1934-II), 279-385; W. GULDIMANN, « Air Carriers' Liability in Res-
pect of Passengers - From Warsav 1929 via The Hague 1955 to Guatemala City 1971 », Recueil des
cours, vol. 135 (1972-I), 452-477; HOSTIE, « Le transport de marchandises en droit international»,
Recueil des cours, vol. 78 (1951), 211 et s.; IvALDI, Diritto uniforme dei trasporti e diritto internazionale pri-
vato (Milan, Giuffrè, 1990); JAMBU-MERLIN, « Conflits de lois en matière de transports maritimes»,
Trav. Comité fr. dr. int. pr. (1960-1962), 89 et s.; M. LITVINE, « Le mythe de l'uniformisation du droit
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882 LES CONTRATS

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tion of law by international convention : the experience of the Brussels convention of 1924 », Loui-
siana L.R. (1961), 553.

A. Sources internationales
14.153 - Transport aérien - Le texte de référence est, en matière de transports aériens, la
Convention de Varsovie du 12 octobre 1929 pour l'unification de certaines règles relati-
ves au transport aérien international (loi du 7 avril 1936, Pasin., 1936, 660), amendée à La
Haye par le Protocole du 28 septembre 1955 (loi du 30 juillet 1963, Pasin., 1963, 896),
complétée à Guadalajara le 18 septembre 1961 (loi du ier avril 1969, Pasin., 1969, 332),
amendée à Guatemala City le 8 mars 1971 et à Montréal le 25 septembre 1975 (Protoco-
les non signés par la Belgique).
Jugeant excessives les limitations de responsabilité posées par la Convention de Var-
sovie et ses révisions successives, le Conseil de l'Union européenne a adopté le règlement
2027/97 du 9 octobre 1997 relatif à la responsabilité des transporteurs aériens en cas
d'accident (J.O.C.E., 1997, L 285). Celui-ci a été suivi de la Convention de Montréal du
28 mai 1999 (loi du 13 mai 2003, Monit., 18 mai 2004; décision d'approbation 2001/539
du Conseil du 5 avril 2001,JO.C.E., 2001, L 194).
De plus, la Communauté a édicté des règles de protection des passagers en cas de
surréservation (règlement 261/2004 du 11 février 2004 établissant des règles communes
en matière d'indemnisation et d'assistance des passagers en cas de refus d'embarquement
et d'annulation ou de retard important d'un vol,JO.C.E., 2004, L 46, abrogeant un règle-
ment antérieur de 1991).
Elle a également établi des exigences communes en matière d'assurance applicables
aux transporteurs aériens, par le règlement 785/2004 du 21 avril 2004 (J.O.C.E., 2004,
L 138).
On peut encore ajouter l'Accord multilatéral relatif aux redevances de route (Euro-
control), conclu à Bruxelles le 12 février 1981 (loi du 16 novembre 1984, Monit., 30 avril
1985), dont les articles 15 à 19 contiennent un jeu de dispositions relatives à l'efficacité
des décisions relatives aux créances de l'organisation Eurocontrol.

14.154 - Transport maritime - Sont en vigueur en Belgique:


- Convention du 25 août 1924 pour l'unification de certaines règles en matière de
connaissement (loi du 20 novembre 1928, Pasin., 1931, 139), modifiée par le Protocole
RÈGLES PROPRES À CERTAINS CONTRATS 883

fait à Bruxelles le 23 février 1968 (loi du 29 août 1978, Monit., 23 novembre 1978) et par le
Protocole du 21 décembre 1979 (loi du 17 août 1983, Monit., 22 novembre 1983).
- Convention de Bruxelles du 10 octobre 1957 sur la limitation de la responsabilité
des propriétaires de navires de mer et Protocole (loi du 18 juillet 1973, Pasin., 1976, 211).
Un Protocole modificatif a été signé à Bruxelles le 21 décembre 1979 (loi du 17 août
1983, Monit., 22 novembre 1983).
Ill Cette Convention remplace, pour les relations entre les États qui la ratifient ou y adhèrent, la
Convention de Bruxelles du 25 août 1924 pour l'unification de certaines règles concernant la limi-
tation de la responsabilité des propriétaires de navires de mer (loi du 20 novembre 1928, Pasin.,
1931, 139).

- Convention relative au transport par mer de passagers et de leurs bagages, faite à


Athènes le 13 décembre 1974 et Protocole fait à Londres le 19 novembre 1976 (loi du
11 avril 1989, Monit., 6 octobre 1989). Cette Convention ne modifie pas les droits et obli-
gations procédant d'autres conventions relatives à la limitation de la responsabilité des
propriétaires de navires de mer (art. 19).
- Convention sur la limitation de la responsabilité en matière de créances mariti-
mes, faite à Londres le 19 novembre 1976 (loi du 11 avril 1989, Monit., 6 octobre 1989).
Cette Convention remplace, entre États intéressés, la Convention de Bruxelles du
10 octobre 1957 (art. 18, § 4).
De plus, les Nations unies ont proposé à la signature des États la Convention du
31 mars 1978 sur le transport de marchandises par mer (règles de Hambourg) (D.E. T.,
1992, 645).
Ill Pour connaître l'état des conventions maritimes, voy. le site: www.comitemaritime.org.

14.155 - Transport terrestre - Sont en vigueur en Belgique :


Convention de Genève du 19 mai 1956 relative au contrat de transport interna-
tional de marchandises par route (CMR) (loi du 4 septembre 1962, Pasin., 1962, 1076), et
Protocole du 5 juillet 1978 (loi du 25 avril 1983, Monit., 20 octobre 1983).
- Convention de Berne relative aux transports internationaux ferroviaires (COTIF),
signée à Berne le 9 mai 1980 (loi du 25 avril 1983, Monit., 7 septembre 1983).
Ill Cette convention codifie les conventions de Berne du 7 février 1970 concernant respectivement
le transport des voyageurs et des bagages par chemin de fer (CIV), Annexes et Protocoles (loi du
24 janvier 1973, Pasin., 1973, 85), et le transport des marchandises par chemin de fer (CIM) et Pro-
tocoles (loi du 24 janvier 1973, Pasin., 1973, 85).
Une nouvelle version a été adoptée à Vilnius le 23 juin 1999 (www.otif.org; D.E. T., 2005, 53).
Ill La Convention CIV remplaçait la Convention du 25 février 1961, elle-même complétée par une
Convention additionnelle, conclue à Berne le 26 février 1966 (loi du 5 septembre 1968, Pasin., 1968,
653), et maintenue en vigueur par le Protocole Il du 9 novembre 1973 (Pasin., 1974, 1281).
La Convention CIM remplaçait également une Convention du 25 février 1961.

B. Compétence internationale
14.156 - Primauté des règles spéciales du droit conventionnel - La plupart des conven-
tions d'uniformisation du droit matériel des transports comportent une règle de compé-
tence internationale, à laquelle il y a lieu de se référer lorsque la situation entre dans le
domaine d'application, notamment spatial, de la convention. Le règlement« Bruxelles I »
884 LES CONTRATS

leur accorde la priorité sur ses propres dispositions (art. 71). De plus, il cède devant une
règle spéciale présente dans un autre acte communautaire ou dans une loi nationale de
transposition d'une directive (art. 67).
La Belgique est partie à plusieurs traités comportant une règle de compétence inter-
nationale accessoire.
1111 On peut citer les dispositions des traités suivants :
- Convention révisée pour la navigation du Rhin, signée à Mannheim le 17 octobre 1868 (pre-
mière publication au Moniteur belge du 29 septembre 1954, erratum, Monit., 6 mai 1955), art. 33 à
39;
- Convention pour l'unification de certaines règles concernant l'immunité des navires d'État,
signée à Bruxelles le 10 avril 1926 (loi du 20 novembre 1928, Monit., 1cr_2 juin 1931) et Protocole
du 24 mai 1934 (Monit., 9 septembre 1936);
- Convention de Varsovie précitée, art. 33, 45 et 46 ;
- Convention CMR précitée, art. 31;
- Convention CIM précitée, art. 44, codifiée par la Convention COTIF signée à Berne le 9 mai
1980 (loi du 25 avril 1983, Monit., 7 septembre 1983);
- Convention CIV précitée, art. 39 et 40, codifiée par la Convention COTIF signée à Berne le 9 mai
1980 (loi du 25 avril 1983, Monit., 7 septembre 1983) ;
- Accord multilatéral relatif aux redevances de route (Eurocontrol), conclu à Bruxelles le
12 février 1981 (loi du 16 novembre 1984, Monit., 30 avril 1985), art. 13.
Ill Pour des cas d'application de l'article 31 de la Convention CMR du 19 mai 1956, voy.: Comm.
Anvers, 25 juin 1976, D.E.T. (1976), 691; Bruxelles, 9 novembre 1977, Rev. gén. ass. resp. (1979),
10079; Gand, 19 novembre 1993, R W. (1994-1995), 436.
Pour un examen de priorité de la CMR sur la Convention de Bruxelles, voy.: C.J.C.E., aff C-148/03,
28 octobre 2004, Nürnberger Allgemeine Versicherungs.
Sur ce que le régime de l'acceptation d'une clause de juridiction couverte par l'art. 31 relève du
droit applicable au contrat à défaut de disposition spécifique dans la Convention et en vertu de la
priorité donnée par l'article 31, voy.: Cass., 29 avril 2004, Continental Cargo Carriers, Rev. dr. comm.
belge (2005), 510.
Pour une application de l'article 28 de la Convention de Varsovie, voy. : Comm. Bruxelles,
1111

21 septembre 1998,Jur. Anvers (1999), 68, limitant le domaine de la disposition à l'action contre le
transporteur, sans l'étendre à celle du transporteur.
Ill La Convention de Montréal tend à protéger le demandeur (art. 33). Elle ajoute aux critères du
domicile du transporteur et du lieu de destination, consacrés par la Convention de Varsovie, le cri-
tère de la résidence principale du passager, pour les dommages corporels, à condition toutefois que
le transporteur ait des activités commerciales dans ce pays. Cette protection est analogue à celle
que le règlement« Bruxelles I » offre désormais au consommateur (art. 15).
À défaut de telle règle, il convient d'appliquer, avant de recourir au droit commun,
les dispositions du règlement « Bruxelles I » (voy. supra, chap. 8).
Ill Le règlement contient deux dispositions propres au transport. Le paragraphe 7 de l'article 5
ajoute aux compétences spéciales que prévoit cette disposition, le cas du paiement de la rémunéra-
tion réclamée en raison de l'assistance ou du sauvetage dont a bénéficié une cargaison ou un fret, et
prévoit la compétence du juge du lieu de la saisie de ces marchandises. L'article 7, au sujet du trans-
port maritime, étend aux demandes relatives à la limitation de la responsabilité, la compétence du
tribunal compétent pour connaître des actions en responsabilité du fait de l'utilisation ou de
l'exploitation d'un navire.
1111En droit commun, pour une application du critère du lieu de naissance ou d'exécution de l'obli-
gation (art. 635 C. jud., remplacé par l'art. 96, 1 °, Codip), voy.: Gand, 9 octobre 1996, Rev. dr. corn.
belge (1998), 765, compétent à propos d'un départ de Belgique; Comm. Anvers, 23 février 1998,]ur.
RÈGLES PROPRES À CERTAINS CONTRATS 885

Anvers (2000), 431, compétent à propos d'avaries à des marchandises devant être livrées en Belgi-
que.
Pour un emprunt incorrect à l'article 624 C. jud. (constitutif d'une règle de compétence interne
seulement), voy. : Anvers, 26 mai 2003, N.J. W. (2003), 1296.

14.157 - Incidence de l'article 91 du livre II du Code de commerce - En matière de


transports maritimes, une règle de compétence implicite recourant de manière alterna-
tive aux facteurs des lieux de départ et de destination a été déduite par la jurisprudence
des dispositions de l'article 91 du livre II du Code de commerce, qui impliqueraient
l'interdiction, dans tout contrat couvert par cet article, d'une clause attributive de juri-
diction à des tribunaux étrangers lorsqu'il n'est pas établi que les juges désignés appli-
queraient le droit belge.
1111 Sur cette question, voy. supra, à propos du connaissement, n ° 14.149.

C. Droit applicable au contrat de transport

1. APPLICABILITÉ DES RÈGLES MATÉRIELLES UNIFORMES

14.158 - Primauté des règles spéciales d'applicabilité - Lorsque la question litigieuse


entre dans le domaine d'application d'une convention ou d'un acte communautaire
d'uniformisation du droit matériel des transports, il convient d'en appliquer immé-
diatement les dispositions, sans recours préalable à une règle de rattachement, du
moins lorsque l'acte comporte une règle spéciale d'applicabilité. En effet, celle-ci remplit
une fonction analogue à celle d'une règle de rattachement et s'y substitue (voy. supra,
chap. 4).
La plupart des instruments contiennent une règle d'applicabilité qui en limite le
domaine aux relations présentant avec un ou plusieurs des États liés le lien territorial
défini par l'acte lui-même.
Ainsi, la Convention de Varsovie - comme celle de Montréal - limite son application aux trans-
1111

ports au départ et à destination d'États contractants (art. 1er,§ 2).


La Convention d'Athènes (transport de passagers par mer) utilise plusieurs critères d'applicabilité
alternatifs, ce qui a pour effet d'étendre son domaine dans l'espace (pavillon d'un État contractant,
conclusion du contrat dans un État contractant, ou départ ou destination dans un tel État).
La Convention COTIF (transports ferroviaires) vise le transport « en trafic international direct
entre les États membres» (art. 2).

Les règlements communautaires contiennent une règle d'applicabilité explicite. Le


règlement 2027/97 régit les« transporteurs aériens de la Communauté» (art. 2), à savoir
les transporteurs titulaires d'une licence délivrée par un État membre sur la base du
règlement 2407/92 du 23 juillet 1992 concernant les licences des transporteurs aériens
(JO.CE., 1992, L 240). Le règlement 785/2004 relatif aux exigences en matière d'assu-
rance régit tous les opérateurs aériens « qui utilisent l'espace aérien à l'intérieur, à desti-
nation, en provenance ou au-dessus du territoire d'un État membre auquel le traité
s'applique» (art. 2). Le règlement 261/2004 relatif à la surréservation régit les transports
au départ de la Communauté, ou ceux à destination de celle-ci mais seulement si le trans-
porteur est« communautaire» et à condition que le droit étranger n'offre pas de protec-
tion équivalente (art. 3).
886 LES CONTRATS

14.159 - Portée subsidiaire des règles de rattachement nationales - Il peut arriver que
les règles matérielles issues de l'instrument international ne s'accompagnent d'aucune
règle spéciale d'applicabilité. Ce cas peut se présenter dans deux séries d'hypothèses.
Soit c'est le législateur international qui décide de se passer de tout critère d'applica-
bilité. Cette option, exceptionnelle et critiquable (voy. supra, n ° 4.38), se rencontre dans la
Convention de Bruxelles du 10 octobre 1957 sur la limitation de la responsabilité des
propriétaires de navires de mer (art. 7).
Soit c'est le législateur national qui décide d'étendre l'application des solutions con-
ventionnelles à des catégories de situations n'entrant pas dans les prévisions du traité. Il
peut recourir à deux procédés, tantôt une disposition insérée dans la loi d'assentiment,
tantôt l'insertion des règles du traité dans la législation interne belge.
1111 Voy. comme exemple du premier procédé l'article 2 de la loi du 7 avril 1936 (Pasin., 1936, 660)

d'assentiment à la Convention de Varsovie du 12 octobre 1929.

IllPour un cas d'insertion dans le droit interne, voy. l'article 1" de la loi du 28 novembre 1928
(Pasin., 1928, 470), mettant la législation belge en concordance avec la Convention de Bruxelles du
25 août 1924 sur la limitation de la responsabilité des propriétaires de navires.

Alors que la technique qui entend se passer de toute règle d'applicabilité prévient le
recours à une règle de rattachement du for, celle-ci reste indispensable dans l'hypothèse
de l'extension des règles conventionnelles.

Il. APPLICABILITÉ DU DROIT MATÉRIEL NATIONAL

14.160 - Détermination de la loi contractuelle - Le contrat de transport relève de la


Convention de Rome. À ce titre, il bénéficie du principe de l'autonomie des volontés et, à
défaut de choix des parties, le rattachement objectif repose sur la méthode indiciaire
(voy. supra, sect. 2).
Toutefois, certains transports de marchandises donnent lieu à une mise en œuvre
particulière de cette méthode. Ils échappent à la présomption favorable au lieu de l'éta-
blissement principal du débiteur de la prestation caractéristique : la présomption joue
plutôt en faveur de la loi du pays« dans lequel le transporteur a son établissement princi-
pal au moment de la conclusion du contrat», mais à la condition que se situe aussi dans
ce pays « le lieu de chargement ou de déchargement ou l'établissement principal de
l'expéditeur» (art. 4, § 4).
L'exposé des motifs précise que le transporteur est celui qui s'engage contractuellement vis-à-vis
1111

de l'expéditeur, même s'il fait exécuter le transport par un tiers.


Pour une application, voy. en France: Cass., 24 mars 2004, Transports Collomb Muret, D.E. T. (2004),
531.
Ill Le législateur a considéré que, pour le transport de marchandises, l'établissement du transpor-
teur ne constituait pas un facteur significatif à lui seul, mais qu'il devait être combiné avec d'autres
facteurs. Cela signifie que lorsque les combinaisons figurant au texte font défaut, la loi du contrat
est déterminée conformément à la méthode indiciaire au sens du paragraphe 1er de l'article 4, et
non en fonction de la prestation caractéristique qu'évoque le paragraphe 2.

Le contrat de transport de passagers et de leurs bagages reste soumis à la règle géné-


rale de rattachement, qui conduit normalement à la loi de l'établissement du transpor-
teur. Ne s'agissant que d'une présomption, celle-ci peut être renversée.
RÈGLES PROPRES À CERTAINS CONTRATS 887

Il pourrait en être ainsi, selon l'exposé des motifs, d'un transport encre Bruxelles et Londres par
1111

un transporteur établi aux États-Unis.

1111Assez curieusement, le transport de passagers échappe ainsi au rattachement spécial des


contrats conclus par des consommateurs. L'article 5 (voy. supra, n ° 14.110) exclut en effet ce con-
trat de son champ d'application. Et l'exposé des motifs justifie la soumission au rattachement
général par la nécessité de soumettre la situation à une loi unique pour le transporteur vis-à-vis de
plusieurs passagers, considération qui se trouve précisément à la base de la théorie de la prestation
caractéristique. Il est cependant douteux que cet argument vaille uniquement pour le contrat de
transport, alors que d'autres contrats offerts par des entreprises aux consommateurs relèvent de
l'article S.

14.161 - Application de lois de protection - L'application de la loi contractuelle n'em-


pêche pas celle, concurrente, de règles impératives ou d'ordre public, soit du for, soit
étrangères, qui y prétendent quel que soit le droit qui régit par ailleurs le contrat. Cette
possibilité est admise plus généralement par l'article 7 de la Convention de Rome (voy.
supra, n° 5 14.74 et s.).
En matière de transports, ce principe trouve illustration à propos de l'article 91 du
Livre II du Code de commerce (voy. supra, n° 14.151). Ainsi, quelle que soit la loi applica-
ble à la situation en vertu de la règle de rattachement, le juge belge est autorisé, selon les
termes généraux de la Convention de Rome - et il y est contraint selon ceux de
l'article 91 -, à appliquer les règles de protection que prévoit cette disposition à tout
transport au départ ou à destination d'un port de Belgique.
Ill!Tant la nature de l'article 91 - loi de police dont le domaine est circonscrit par une règle spé-
ciale d'applicabilité - que le contenu de la règle spéciale d'applicabilité - critère alternatif excluant
route possibilité d'interprétation analogique - empêchent qu'il y soit donné une extension propre
à définir, tantôt la règle de rattachement du rapport juridique en cause, tantôt l'applicabilité de lois
de police étrangères correspondantes. L'applicabilité de ces dernières obéit aux seules modalités
que précise l'article 7 de la Convention de Rome (voy. supra, n° 14.75).
Sur ce que l'article 91 est bien une« loi d'application immédiate, voy.: Anvers, 13 janvier 2003,Jur.
Anvers (2003), 341.

Une dérogation au principe apparaît toutefois en matière de transports maritimes et


aériens, où le législateur belge a énoncé l'inapplicabilité, notamment, de lois de police
étrangères qui, pour être de nature administrative ou pénale, ne sont pas moins de nature
à exercer une incidence sur la validité du contrat. « Sauf exemption dans les cas établis
par le Roi, il est interdit à toute personne résidant dans le Royaume ou y ayant son siège
ou un établissement, de donner suite aux mesures ou décisions d'un État étranger ou
d'organismes relevant de celui-ci relatives à une réglementation en matière de concur-
rence, de puissance économique ou de pratiques restrictives dans le domaine du trans-
port international maritime ou aérien» (art. 1er de la loi du 27 mars 1969 relative à la
réglementation des transports maritimes et aériens, Monit., 17 juin 1969, modifié par la
loi du 21 juin 1976).
Ill!Formulée en des termes assez larges, cette disposition n'a égard, ni à l'existence de liens étroits,
ni à une volonté d'application éventuelle de la loi étrangère. Elle semble illustrer les termes de la
dernière phrase du paragraphe 1e.· de l'article 7, qui appellent à tenir compte de la nature et de
l'objet de la législation en cause.

La loi vise non seulement les « mesures " - soit des actes de portée générale - mais aussi des
1111

« décisions ", ce qui recouvre des injonctions.


888 LES CONTRATS

§9 LE CONTRAT DE TRAVAIL

14.162 - Bibliographie

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chering van werknemers in het internationaal privaatrecht na de Europese richtlijn van 16 decem-
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duels du travail», Rev. gén. droit (1991), 79-107; O. WoUTERS, « De rechterlijke bevoegdheid inzake
RÈGLES PROPRES À CERTAINS CONTRATS 889

arbeidsovereenkomsten onder het EEX- en het EVEX-Verdrag, de EEX-Verordening en het Wetboek


IPR »,].TT (2004), 385-397, 405-418.
Lors de sa session de Zagreb, en 1971, l'Institut de droit international a adopté une résolution sur
les conflits de lois en matière de droit du travail. Voy. le texte dans ['Annuaire de l'Institut, vol. 54, t.
II, 461-464, et un commentaire par G. VAN HECKE,« Les travaux de l'Institut de droit international
sur les conflits de lois en matière de droit du travail», Rev. esp. der. int. (1974), 193.

A. Compétence internationale
1. ACTES INTERNATIONAUX

14.163 - Application du règlement 44/2001- Le règlement « Bruxelles I » (supra,


chap. 8) s'applique au contrat de travail. Il exclut cependant la sécurité sociale de son
domaine d'application (art. 1er, al. 2, 3 °). Lorsque la demande porte à la fois sur le con-
trat et sur une question de sécurité sociale et que cette dernière apparaît comme princi-
pale, le règlement s'applique néanmoins à l'aspect contractuel, car le caractère accessoire
d'une demande entrant dans le domaine de l'acte n'importe pas. Autre est la question de
savoir si celui-ci s'applique alors pour l'intégralité de la demande. La négative répond à la
fois aux termes assez nets du règlement et à la nécessité de contrecarrer toute manœuvre
procédurale.
L'inclusion du contrat de travail dans le domaine de la Convention de Bruxelles se trouve déjà
Ill!
dans le rapportJENARD (précité n ° 8.4).
Pour un cas d'exclusion prêtant à la critique, voy.: Trib. trav. Verviers, 28 septembre 1977,]. TT
(1978), 43.
1111Camp, à propos de la Convention franco-belge de 1899 (précitée n° 8.32), en faveur de
l'inclusion: C. trav. Bruxelles, 4 juillet 1973,J.T. (1973), 553.

Aucune définition du « contrat individuel de travail» n'est donnée dans le règle-


ment. La jurisprudence relative à la Convention de Bruxelles suggère toutefois qu'il s'agit
d'un contrat « qui lie un travailleur dépendant à une entreprise» (arrêt Ivenel, infra,
n ° 14.165) ou qui crée « un lien durable qui insère le travailleur dans le cadre d'une cer-
taine organisation des affaires de l'entreprise ou de l'employeur» (arrêt Shenavai, infra,
n ° 14.165). Couvrant assurément le contrat de travail, ces termes peuvent aussi viser
d'autres« contrats concernant le travail dépendant» (arrêt Shenavai).
La Convention de Rome du 19 juin 1980 vise aussi le
1111 « contrat individuel de travail» (arc. 6)
sans en donner de définition.
Ill!La définition donnée par la Cour de justice s'aligne sur celle du « travailleur>> au sens de
l'article 39 du traité CE. Voy. les références citées par M. FALLON, Droit matériel général de l'Union euro-
péenne (Bruxelles, Bruylant, 2002), 474.

14.164 - For spécial de protection du travailleur selon le droit dérivé - Le contrat« indi-
viduel » de travail donne lieu à une règle particulière de protection du travailleur. La pro-
tection consiste à permettre à celui-ci d'agir en justice, outre devant les juridictions du
pays du domicile du défendeur, devant celles du pays du lieu d'exécution des prestations
contractuelle_s (art. 19).
1111Ces dispositions. particulières dérogent aux règles générales du règlement (arc. 18, § 1er). Toute-
fois, elles maintiennent, en cette matière, le for d'assimilation de l'étranger demandeur au national
(arc. 4, § 2), ainsi que la possibilité de saisir le tribunal du lieu de l'établissement de l'employeur
pour une contestation relative à l'exploitation de celui-ci (arc. 5, 5°). Cela permet pratiquement au
890 LES CONTRATS

travailleur d'agir contre l'employeur établi à l'étranger, lorsqu'il est occupé par un siège local
d'exploitation.
L'établissement local ne peut cependant être une filiale, juridiquement indépendante, de
l'employeur: C. trav., Anvers, 7 février 2002,Jur. Anvers (2002), 9.
Ili Le domaine spatial de ces dispositions de protection est étendu au cas où l'employeur est domi-
cilié dans un pays tiers, tout en possédant un établissement dans un État membre auquel le règle-
ment s'applique: cet employeur est considéré comme ayant un domicile en ce lieu pour toute
contestation relative à l'exploitation de cet établissement (art. 18, § 2).
1111Le for du lieu d'exécution détermine à la fois la compétence internationale et la compétence
interne, à la différence du for du domicile, qui se limite à la première.
Le lieu d'exécution retenu est celui de l'accomplissement «habituel» des presta-
tions, ou celui du« dernier lieu» d'accomplissement habituel. En l'absence de cette con-
dition, le critère subsidiaire est celui du lieu d'embauche du travailleur.
Ainsi, est indifférent un lieu d'exécution accessoire. li en est normalement ainsi en cas de déta-
1111

chement temporaire du travailleur.


Ili Le lieu d'exécution se détermine en fait et, en cas d'exécution multiple, l'objectif de concentra-
tion des litiges implique la focalisation au lieu principal d'activités (C.J.C.E., aff. C-125/92,
13 juillet 1993, Mulox,].TD.E. (1993), 36, note M. FALLON, Rev. dr. comm. belge (1993), 1113, note N.
WAITÉ; aff. C-383/95, 9 janvier 1997, Rutten, Revue (1997), 336, note H. GAUDEMET-TALLON, évo-
quant la présence d'un bureau comme indice de localisation ; aff. C-37/00, 27 février 2002, Weber,
Rec. (2002), I-2013, relatif à une activité sur une plate-forme sur le plateau continental, se référant,
en l'absence de tout bureau, à un critère temporel de durée de l'activité sur le territoire et à la
recherche du centre de gravité de la relation contractuelle.
La pluralité de lieux d'importance égale ne donne pas lieu à des compétences concurrentes, le
1111

texte renvoyant en ce cas au lieu d'embauche (arrêt Weber, précité).


IllLe lieu se détermine au moment de la survenance du litige (arrêt Mulox, précité; arrêt Weber,
précité).
1111L'obligation à considérer est bien celle du travailleur, non celle de l'employeur, alors même que
le litige porte sur celle-ci (C.J.C.E., aff. C-437/00, 10 avril 2003, Pugliese, Rec., 2003, I-3573).
1111La succession d'employeurs peut donner lieu à une difficulté particulière, lorsque le travailleur
agit contre le premier, par exemple la société mère d'une filiale auprès de laquelle il a été détaché. Il
y a lieu, dans ce cas, de concilier l'intérêt du travailleur à agir localement à moindre frais avec un
objectif de prévisibilité pour le défendeur. Le second lieu d'exécution ne serait alors pertinent que si
le premier employeur est encore intéressé à la prestation du travailleur, non sans évaluer, en faveur
du travailleur, une série d'indices tenant à la prévisibilité du second contrat, aux liens organiques
ou économiques entre employeurs successifs, à l'existence d'un accord-cadre entre ceux-ci, au
maintien d'un pouvoir de direction effectif du premier employeur (arrêt Pugliese, précité).
Le travailleur détaché au sens de la directive 96/71 (voy. infra, n ° 14.176) peur toute-
fois agir dans l'État membre où « il est ou était » détaché, sans exclure qu'il puisse invo-
quer toute autre règle de compétence internationale « conformément aux conventions
internationales existantes » (art. 6). Cette protection juridictionnelle complète celle que
la directive offre sous l'angle de la détermination du droit applicable.
1111La disposition déroge ainsi nettement à l'article 20 du règlement « Bruxelles I », sans exclure
pour autant que le travailleur agisse dans le pays du domicile de l'employeur ou dans le pays du
lieu d'exécution habituelle.
1111 La loi belge de transposition de la directive (voy. infra, n ° 14.176) omet d'introduire toute dispo-

sition équivalente à celle prévue par la directive.


De son côté, l'employeur ne peut agir contre le travailleur que devant les juridictions
de l'État du domicile de ce dernier (art. 20, § 1er). Cela exclut donc normalement toute
RÈGLES PROPRES À CERTAINS CONTRATS 891

action au lieu d'exécution des prestations. Il pourra cependant introduire en ce lieu une
demande reconventionnelle (art. 20, § 2).

14.165 - For contractuel selon les Conventions de Bruxelles et de Lugano - Ni dans sa


version initiale ni après la révision de 1978 (voy. supra, n ° 8.5), la Convention de Bruxelles
ne prévoyait de règle de compétence propre au contrat de travail, qui aurait pu protéger
le travailleur, à l'instar de ce qui est prévu pour les contrats de consommation ou d'assu-
rance.
Depuis l'entrée en vigueur du règlement« Bruxelles I », la Convention de Bruxelles régit encore
Ill!
toute demande introduite dans un État membre contre un employeur domicilié au Danemark
(voy. supra, n ° 8.6). Toutefois, au cas où cet employeur a un établissement dans un autre État mem-
bre, le travailleur rattaché à cet établissement devrait pouvoir invoquer les dispositions du règle-
ment.

Une règle de compétence spéciale avait néanmoins été dégagée de l'interprétation de


l'article 5, 1 °, interprétation qui fut ensuite consolidée dans le texte de la disposition par
la version de San Sebastian, ainsi que dans la Convention de Lugano. Selon cette inter-
prétation, l'obligation contractuelle à prendre en considération n'est pas celle en litige -
comme il est de règle (voy. supra, n° 14.7) -, mais celle qui caractérise le contrat. Cette
obligation est celle du travailleur, et elle s'exécure au lieu où celui-ci effectue ses presta-
tions.
C.J.C.E., aff. 133/81, 26 mai 1982, Ivenel, Rec. (1982), 1891, Revue (1983), 116, note H. GAUDE-
11111

MET-TALLON, confirmé par: aff. 266/85, 15 janvier 1987, Shenavai, Rec. (1987), 239,].T (1987), 364,
note H. BORN, Revue (1987), 793, note H. GAUDEMET-TALLON.
Cette solurion était empruntée à la Convention de Rome du 19 juin 1980 - alors non en vigueur -
qui prévoit une règle de rattachement propre au contrat de travail (voy. infra, n° 14.169), mais elle
se conciliait mal avec les termes de l'article 5, 1 °, dans leur formulation en vigueur à l'époque.

Le texte de l'article 5, 1 °, a été corrigé par la version de San Sebastian, et dans la Con-
vention de Lugano, en ce sens que l'obligation à considérer reste celle« qui sert de base à
la demande», mais le lieu d'exécution de cette obligation « est celui où le travailleur
accomplit habituellement son travail», tout en ajoutant que, « si le travailleur n'accom-
plit pas habituellement son travail dans un même pays, ce lieu est celui où se trouve l'éta-
blissement qui a embauché le travailleur».
Selon la Cour de justice (aff. 32/88, 15 février 1989, Six Constructions, Rec., 1989, 341, Revue,
11111

1989, 555, note P. RoDIÈRE), la référence au lieu d'embauche, introduite en 1989, ne pouvait pas
s'étendre à l'interprétation de la version antérieure du texte.
1111La comparaison entre les termes de l'arrêt Ivenel et ceux des Conventions de Lugano et de San
Sebastian laisse encore apparaître une contradiction au sujet de l'obligation à prendre en considé-
ration, le premier se référant à l'obligation « qui caractérise le contrat » et les autres, à celle qui sert
de base à la demande.

14.166 - Régime des clauses de juridiction - Comme pour le consommateur (voy. supra,
n ° 14.107), le règlement « Bruxelles I » offre au travailleur une protection contre une
clause de juridiction qui pourrait lui causer préjudice (art. 21).
La protection consiste à exclure toute dérogation aux règles spéciales de compé-
tence, à moins que la clause soit postérieure à la naissance du différend, ou qu'elle per-
mette au travailleur de saisir d'autres tribunaux.
1111 Ainsi, une clause rédigée après que le travailleur a contesté la légalité de la résiliation du contrat,

est opposable à celui-ci au moment où il saisit une des juridictions visées à l'article 19.
892 LES CONTRATS

1111 Encore faut-il que cette clause réponde aux conditions générales de l'article 23, à savoir, norma-
lement, qu'elle ait été conclue« par écrit ou verbalement avec confirmation écrite» (art. 23, § 1er, a).
L'applicabilité des conditions de l'article 23 est confirmée par la référence de cette disposition à,
notamment, l'article 21 (§ 5), en exigeant le respect de celle-ci.
1111Le domaine spatial de l'article 21 s'aligne-t-il sur celui de l'article 23? Dans l'affirmative, le
régime communautaire de la clause de juridiction concernerait seulement le choix d'une juridic-
tion d'un État membre et à condition que l'une des parties soit domiciliée dans un tel État - étant
entendu que le domicile devrait couvrir la localisation de l'établissement secondaire de l'employeur
au sens de l'article 19. La clause serait alors appréciée en vertu du droit commun (voy. supra,
n ° 8.21), avec le risque que celui-ci valide une telle clause.
L'objectif de protection des articles 18 à 21 suggère plutôt une réponse négative: une clause dési-
gnant les juridictions d'un pays tiers relèverait de l'article 21, du moins si le défendeur est domicilé
dans un État membre. Voy. supra, n° 14.88, à propos du contrat d'assurance.
Pour une application de l'article 21 à toute relation de travail visée par l'article 18, voy., à propos de
la Convention de San Sebastian mais en des termes transposables au règlement : C. trav. Liège,
3 avril 2003,].L.M.B. (2004), 413, à propos d'une clause désignant les tribunaux algériens.
De son côté, la Convention de Bruxelles ne contient une réglementation des clauses
de juridiction qui soit propre aux relations de travail que depuis la version de San Sebas-
tian, à l'exemple de la Convention de Lugano. La disposition, insérée dans l'article 17
(al. 5) portant le régime général des clauses de juridiction, est analogue à celle du règle-
ment.
1111Sous l'empire de la version antérieure à 1989, de telles clauses devaient être réputées valables si
elles répondaient aux conditions de l'article 17 (voy. supra, n° 5 14.166 et s.; Trib. trav. Bruxelles,
9 mars 1992,]ur. dr. soc., 1992, 287, à propos d'une clause désignant les tribunaux français ; C. trav.
Anvers, 6 juin 1995, Limb. Rechtsl., 1996, 110, note P. MARTENS, pour une clause en faveur des tribu-
naux allemands).
Le système conventionnel présentait ainsi une anomalie. Non seulement d'autres contrats requé-
rant une protection particulière de la partie dite faible faisaient alors l'objet de dispositions parti-
culières à cet égard (voy. les contrats d'assurance, supra, n° 14.88, et les contrats de consommation,
supra, n ° 14.107), mais le chef de compétence spéciale de l'article 5, 1 °, avait, quant à lui, donné lieu
à une interprétation de la Cour de justice (arrêt Ivenel, précité) qui reposait sur un tel objectif de
protection.

Il. DROIT COMMUN

14.167 - Détermination du for contractuel - Le Code de droit international privé pour-


voit à une forme de protection du travailleur au moyen d'une concrétisation particulière
de l'exécution de l'obligation. Celle-ci est réputée se localiser en Belgique« lorsque le tra-
vailleur accomplit habituellement son travail en Belgique lors du différend» (art. 97,
§ 2).
Le critère retenu est celui de l'activité« habituelle», ce qui ne couvre pas toute activité quelcon-
1111

que localisée sur le territoire. Une activité partielle ne répond à cette condition que si, parmi celles
accomplies, elle revêt un caractère principal.
Ill Le conflit mobile est tranché par référence au moment du différend, non au moment de la
demande ni au dernier lieu d'accomplissement habituel. Pour une référence à ce dernier lieu, voy. le
règlement« Bruxelles I ».
Cette règle n'exclut pas l'application, en cette matière, du for général du lieu de la
naissance de l'obligation, ce qui permet d'agir en Belgique si le contrat y a été conclu.
Cela revient à admettre pratiquement, de manière alternative, le critère du lieu d'embau-
che.
1111 La méthode suivie par le législateur diffère de celle du législateur communautaire.
RÈGLES PROPRES À CERTAINS CONTRATS 893

D'abord, la compétence internationale se détermine de manière alternative, en fonction soit du lieu


d'exécution, soit du lieu d'embauche, alors que, selon le règlement« Bruxelles I », le second n'inter-
vient que de manière subsidiaire, à défaut d'accomplissement« habituel» du travail dans un pays
déterminé.
Ensuite, la concrétisation vaut aussi lorsque la demande émane de l'employeur, alors que, selon le
règlement, celui-ci ne pourrait agir en Belgique que si le travailleur y est domicilié.
La différence peut trouver à s'expliquer du fait que, contrairement à l'attribution nationale de la
compétence internationale, le règlement opère une véritable répartition des compétences interna-
tionales.
1111Avant l'entrée en vigueur du Code, les règles de compétence internationale du droit commun
intéressant le contrat de travail étaient celles prévues plus généralement par l'article 15 du Code
civil et par les articles 635 à 638 du Code judiciaire.
Pour un cas d'application de l'article 635, 3° et 10°, voy.: Civ. Bruxelles, 7 décembre 1990,J.L.M.B.
(1992), 25, exigeant un lien entre le litige et l'exploitation de la succursale belge de l'employeur,
ainsi qu'un lien de connexité en cas de pluralité de défendeurs; C. trav. Liège, 17 mai 1999, Rev. dr.
soc. (2002), 333, dans le même sens, exigeant l'existence d'un bureau de l'employeur au lieu de la
simple résidence d'un employé.
Pour l'incompétence des juridictions belges lorsque le contrat a été conclu et presté à l'étranger
avec un paiement partiel de la rémunération en Belgique, voy. : C. trav. Liège, 2 juin 1994, Rev. rég.
dr. (1994), 371, note H. BORN. Comp., en faveur de la compétence lorsque l'exécution en Belgique
n'a été que partielle: C. trav. Anvers, 19 novembre 2001, R W. (2003-2004), 821.

Les règles impératives des articles 627, 9 °, et 630 du Code judiciaire ne font que
déterminer la compétence interne, non la compétence internationale.
Sur cette distinction, voy. supra, n° 5 9.3 et 9.60. Dans le même sens : C. trav. Bruxelles,
1111

20 novembre 1974,]. T. (1975), 135; 14 mai 1985, Rev. dr. soc. (1985), 380; Trib. trav. Bruxelles,
3 novembre 1981,J.TT. (1983), 12; C. trav. Bruxelles, 19 septembre 1997,].TT (1997), 484.
Pour une application de l'article 627, 9°, au détachement à l'étranger d'un travailleur embauché en
Belgique, voy.: C. trav. Bruxelles, 28 janvier 1992,Jur. dr. soc. (1992), 319, justifiant la compétence
des tribunaux belges.

L'occupation sur un dispositif situé sur le plateau continental obéit à une règle par-
ticulière. La loi du 13 juin 1969 (voy. infra, n° 14.173) répute localisé sur le territoire du
deuxième canton de justice de paix de l'arrondissement judiciaire de Bruxelles tout acte
ou fait ayant des effets juridiques autres que pénaux qui se produisent sur ou à l'égard
d'un tel dispositif. Cette disposition ne vaut qu' « à défaut d'autres règles attributives de
compétence ». Cette formulation se comprend comme précisant le facteur territorial du
lieu d'exécution des prestations pour la détermination, notamment, de la compétence
territoriale interne, sans préjudice de l'application d'autres règles de compétence interna-
tionale. Pour la mise en œuvre de celles-ci, la localisation de l'exécution de l'obligation se
fera en assimilant les actes et faits visés par la loi de 1969 à des actes et faits localisés sur
le territoire belge.

14.168 - Régime des clauses de juridiction - Le Code de droit international privé com-
prend une disposition protectrice du travailleur, en déclarant la clause inopposable à
celui-ci si elle a été conclue avant la naissance du différend (art. 97, § 3).
Le législateur ne prévoit pas, à la différence du règlement« Bruxelles I », le cas d'une clause anté-
1111

rieure à la naissance du différend mais jouant en faveur du travailleur. Toutefois, le dispositif de la


règle(« ne produit ses effets à l'égard») est moins strict que celui du règlement(« Il ne peut être
dérogé»): il n'entraîne pas la nullité de la clause, mais seulement son inopposabilité, ce qui laisse
au travailleur de décider s'il invoque la prorogation volontaire de juridiction convenue avant la
naissance du différend.
894 LES CONTRATS

Avant l'entrée en vigueur du Code, l'inopposabilité au travailleur d'une clause attri-


butive de juridiction aux tribunaux étrangers était problématique. Elle a donné lieu à la
création prétorienne d'une règle matérielle de droit international privé, lorsque le contrat
présente des liens suffisamment étroits avec la Belgique.
111 Les juridictions du ressort de la cour du travail de Bruxelles manifestaient une tendance à ne
retenir les dispositions protectrices du travailleur que lorsque le droit belge est applicable à la
clause, et elles exigaient que le contrat litigieux présente des liens de rattachement suffisants avec le
territoire belge. On peut y voir une consécration de la thèse du rattachement de la licéité de la
clause à la loi contractuelle (supra, n ° 14.17). Il paraît plus correct, et plus conforme aux termes de
certaines décisions se livrant à la méthode indiciaire sans en tirer de déduction pour le droit appli-
cable, d'y voir un raisonnement en deux temps. D'abord, le droit belge est déclaré applicable à la
licéité au titre de loi de police du for. Ensuite, ce droit s'analyse comme comprenant une règle
matérielle de droit international privé (sur cette notion, voy. supra, n ° 3.8) qui n'étend pas la règle
de l'inopposabilité de la clause aux contrats réellement internationaux, ces contrats se comprenant
comme ceux qui ne présentent pas de liens suffisants avec le for.
Sur cette jurisprudence, voy. M. FALLON, J. TT (1984), 265. Voy. notamment: Trib. trav. Anvers,
6 avril 1984,]. TT (1985), 174, Rev. dr. soc. (1985), 265. Parmi les éléments de localisation, l'exécu-
tion à l'étranger des prestations du travailleur paraît avoir joué un rôle déterminant (voy.
explicitement: Trib. trav. Bruxelles, 19 juin 1986,].TT., 1988, 151). Cette solution a permis de don-
ner effet à des clauses de juridiction insérées dans des contrats d'engagement de pilotes au service
de la compagnie aérienne Air Zaïre.
La localisation à l'étranger de l'exécution des prestations du travailleur JOUe aussi un rôle détermi-
nant dans la jurisprudence française: Cass. soc., 8 juillet 1985, Allard, Revue (1986), 113, note H.
GAUDEMET-TALLON; Cass. civ., 16 juin 1987, Air Afrique, D.S. (1988), somm., 341, note B. AUDIT;
Cass. civ., 17 décembre 1985, Sorelec, Revue (1986), 537, note H. GAUDEMET-TALLON, indiquant un
lien entre la licéité de la clause et l'absence corrélative de « compétence territoriale impérative»
d'une juridiction française.
Pour l'inopposabilité d'une clause en cas d'exécution en Belgique, voy. par exemple: C. trav. Liège,
8 novembre 1996,]. TT. (1997), 150. Pour l'opposabilité d'une clause en cas de détachement en Bel-
gique auprès d'un centre d'affaires international couvrant un vaste secteur géographique à l'étran-
ger, voy.: C. trav. Bruxelles, 19 septembre 1997,].TT (1997), 484.

IllCe mode de raisonnement paraît n'avoir été adopté qu'en matière de relations de travail, alors
même que la question de la licéité des clauses attributives de juridiction insérées dans des contrats
appelant la protection de l'une des parties, revêt un caractère plus général.
Sur les diverses techniques utilisées, voy. plus généralement supra, n°s 14.16 et s.

1111 La Convention de Rome du 19 juin 1980 ne pouvait, par elle-même, servir à évaluer la validité
d'une clause de juridiction: Cass., 24 février 1997, Pas. (1997), I, 270.

La question de l'opposabilité au travailleur d'une clause d'arbitrage sort du domaine


du Code de droit international privé. Le Code judiciaire, qui règle cette matière, ne pré-
voit aucune disposition à cet égard. Force est alors de se référer à l'analyse théorique de la
question de l'admissibilité d'une clause de juridiction, selon laquelle il y a lieu d'assurer
l'application des règles impératives du droit belge.
1111 Sur la convention d'arbitrage, voy. supra, n ° 14.21.
Contra: Trib. trav. Bruxelles, 19 octobre 1987,Jur. trav. Brux. (1987), 375, validant une clause d'arbi-
trage par une référence au droit zaïrois applicable au fond du litige.
En France, en faveur de l'inopposabilité, même lorsque le droit étranger régit le fond du litige, voy. :
Cass. civ., 4 mai 1999, Sacinter, Revue (1999), 747, note F. SAULT-SESEKE.
RÈGLES PROPRES À CERTAINS CONTRATS 895

B. Droit applicable à la relation de travail


1. RATTACHEMENT CONTRACTUEL

14.169 - Autonomie de la volonté et localisation objective - Le « contrat individuel de


travail» fait l'objet d'une règle de rattachement spéciale (art. 6 Conv. Rome). À l'instar du
contrat de consommation, il appelle, aux yeux du législateur, une protection de la partie
jugée la plus faible.
Le principe de l'autonomie des volontés est maintenu (art. 6, § 1er). Il joue pratique-
ment en faveur du travailleur, puisque celui-ci pourra invoquer les règles protectrices du
droit choisi par les parties.
Le principe d'autonomie était admis par la jurisprudence antérieure. Voy. implicitement: Cass.,
1111

27 mars 1968, Pas. (1968), 1,916; 3 février 1971, Pas. (1971), !, 513; 25 juin 1975, Pas. (1975), I,
1038. Parmi les juridictions de fond, les références explicites sont nombreuses. Voy. par exemple:
Trib. trav. Bruxelles, 16 février 1976,]. TT (1976), 151 ; C. trav. Bruxelles, 28 juin 1978,]. T (1979),
217.
IllDepuis lors, voy. en ce sens: C. trav. Bruxelles, 28 janvier 1992,]ur. dr. soc. (1992), 319, en faveur
de la loi belge; C. trav. Liège, 8 novembre 1996,j.TT. (1997), 150; C. trav. Mons, 8 février 1999,
].TT. (1999), 370, pour un choix implicite du droit français au moment du différend.
À défaut de choix de la loi par les parties, un rattachement spécial est prévu qui,
comme pour le contrat de consommation, coïncide avec l'applicabilité des lois de police
(voy. infra, n° 14.174).
La règle subsidiaire prévoit une série de critères, à considérer dans l'ordre d'impor-
tance suivant :
1 ° le lieu habituel d'accomplissement du travail en exécution du contrat, même en cas
de détachement temporaire du travailleur dans un autre pays;
1111La disposition ne précise pas la solution à donner au conflit mobile. En faveur d'une localisa-
tion au moment du différend, ce qui se concilie moins avec le rattachement contractuel qu'avec
l'objectif, dominant, de protection, voy.: C. trav. Anvers, 19 novembre 2001, R.W. (2003-2004), 821.
1111 Ce rattachement neutralise le détachement (voy. infra, point 2°).

2 ° à défaut, le lieu de l'établissement qui a embauché le travailleur.


Ill Voy. une application par: Bruxelles, 4 avril 1990, R. W (1991-1992), 921.
Ces critères traduisent une localisation objective du contrat. Cette présomption
peut être renversée s'il « résulte de l'ensemble des circonstances que le contrat de travail
présente des liens plus étroits avec un autre pays ».
1111La possibilité de renverser la présomption vaut pour chacune des hypothèses visées aux points
1 ° et 2 °, et non pas seulement pour la seconde, comme pourrait le laisser entendre la corn position
du texte paru au Moniteur (voy. supra, n ° 14.35).
Ill Pour une référence à cette clause spéciale d'exception, voy.: C. trav. Anvers, 19 novembre 2001,
R. W. (2003-2004), 821, tenant cependant pour insuffisants des indices tenant à la résidence du tra-
vailleur et au paiement partiel du salaire en ce lieu; C. trav. Liège, 3 avril 2003,].L.M.B. (2004), 413,
utilisant la clause au bénéfice du droit belge en raison de la nationalité et de la résidence commu-
nes des parties, du lieu de conclusion du contrat et du lieu de paiement du salaire. Pour un cas
d'équilibre de liens entre la Belgique et le pays dont la loi avait été choisie par les parties, voy. : C.
trav. Liège, 8 novembre 1996, ].TT. (1997), 150, décidant en faveur de la loi choisie, alors que la
clause d'exception ne devrait pas jouer dans un tel cas mais uniquement en présence de liens
« plus » étroits avec un pays déterminé.
896 LES CONTRATS

Par ce jeu de présomptions, la loi opère une conciliation entre deux solutions obser-
vées dans la jurisprudence antérieure à défaut de choix de la loi applicable par les parties,
le critère du lieu d'exécution des prestations du travailleur et la méthode indiciaire.
1111Pour une présentation de cette jurisprudence, voy. B. HANOTIAU et M. FALLON,}. T. ( 1987), 104.
Certaines décisions ont préfiguré la solution législative, par une référence de fait au siège de
l'employeur en l'absence d'exécution habituelle dans un pays: voy. C. trav. Bruxelles, 8 février 1983,
R. W. (1983-1984), 2620, note]. ERAuw; 11 avril 1978,]. TT (1978), 234, conf. par Cass., 5 novembre
1979, Pas. (1980), !, 286, R. W (1979-1980), 2499, note J. ERAUW. Pour l'expression d'une préférence
pour la méthode indiciaire sur le critère d'exécution, voy.: Trib. trav. Bruges, 16 septembre 1982,
]. TT (1983), 402. Ces décisions conduisent à l'application en fait de la loi du for.

Il n'est pas sûr que le texte soit adapté à des relations complexes se caractérisant par
une mobilité des parties, non seulement dans l'espace, mais aussi dans le temps. On
songe, principalement à l'intérieur d'un groupe de sociétés, au cas du travailleur ayant
presté son activité habituelle dans des pays successifs, ou dépendant successivement de
différents établissements. Si le rattachement du contrat même plaide en faveur de la loca-
lisation existant au moment de sa conclusion - ce qui expliquerait la référence à l'établis-
sement « d'embauche» -, cette solution paraît artificielle sous l'angle de l'applicabilité
de lois de police (voy. infra, n° 5 14.174 et s.).
Pour le cas de litiges intéressant un travailleur transféré dans un pays autre que celui de
1111

l'embauche et soumis au droit belge sans que la question du droit applicable ait été soulevée, voy. :
C. trav. Mons, 21 novembre 1991, ].TT (1992), 93, à propos de la question de l'unicité
d'employeur; Trib. trav. Bruxelles, 12 juillet 1991,Jur. dr. soc. (1991), 490, évoquant la question du
contrat de cession.

14.170 - Définition de la catégorie de rattachement spéciale - L'article 6 ne définit pas


le contrat visé par le rattachement spécial. Il utilise cependant les termes assez précis de
« contrat individuel de travail». Selon l'exposé des motifs, cela laisse intacts « les pou-
voirs qu'une organisation syndicale de travailleurs pourrait tirer de conventions
collectives». Par ailleurs, la règle s'étend aux « relations de pur fait, notamment celles se
caractérisant par un non-respect des dispositions contractuelles imposées par la loi en
vue de la protection du travailleur». Cette dernière précision laisse entendre qu'il appar-
tient à la législation désignée de définir le contrat de travail, cette qualification l'empor-
tant sur toute autre donnée par les parties.
Sans aucun doute, l'expression« contrat de travail» doit s'entendre de manière suf-
fisamment souple pour comprendre des relations qui, tout en présentant le même carac-
tère, reçoivent une appellation différente, comme celle de« contrat d'emploi». L'élément
déterminant semble devoir être l'existence d'un rapport de subordination dans un lien
durable, au sens où l'entend le droit communautaire.
1111 Camp. le critère de dépendance utilisé en matière de compétence juridictionnelle par la Cour de
JUStice dans les arrêts Ivenel et Shenavai (supra, n° 14.165) dont l'inspiration réside dans les disposi-
tions mêmes de l'article 6.
C'est à la loi désignée par le rattachement spécial qu'il revient de définir la qualité
d'employeur (C. trav. Liège, 8 novembre 1996,]. TT., 1997, 150). La détermination d'une
relation de travail entre parties au litige en cas de prestations successives au service
d'entreprises distinctes, dépend donc du droit qui régirait la relation prétendue entre le
travailleur et, soit le premier employeur, soit le second.
Autre serait la question de la cessibilité du contrat, qui semble devoir relever du droit qui régit le
1111
premier contrat.
RÈGLES PROPRES À CERTAINS CONTRATS 897

14.171 - Le contrat de marin - Il ne fait pas de doute que l'article 6 intéresse également
le contrat d'engagement maritime, en tant que contrat individuel de travail. Le critère de
rattachement prévu évince-t-il alors les dispositions de l'article 17 de la loi du 5 juin
1928, selon lesquelles cette loi s'applique aux contrats conclus au service d'un navire bat-
tant pavillon belge et non à ceux conclus au service de navires battant pavillon étranger ?
Même si l'utilisation de la clause d'exception, du critère subsidaire du lieu d'embauche,
ou plus simplement une concrétisation fictive du lieu d'exécution principal, permettrait
au juge de maintenir en fait le critère du pavillon à ce type de contrat, une différence sub-
siste sur l'admissibilité d'une clause de choix de la loi applicable.
1111La question n'est pertinence que si l'on voit dans l'article 17 une règle de rattachement, puisque
la Convention ne laisse plus subsister les règles de rattachement antérieures - elle permet tout au
plus de créer des règles dissidentes ultérieures, sous réserve d'une procédure particulière (art. 23).
En ce sens, F. RrGAUX, « Les règles de droit délimitant leur propre domaine d'application », Ann. dr.
(1983), 306; Trib. trav. Bruxelles, 8 septembre 1982,]. T.T. (1983), 146. Sous l'empire de la loi de
1987, on pouvait se demander si l'article 6 abroge ou non toute règle de rattachement antérieure;
pour les contrats soumis à la Convention de Rome, l'article 6 prévaut.
Si l'article 17 est vu uniquement comme règle spéciale d'applicabilité (en ce sens, M. FALLON,« Les
règles d'applicabilité en droit international privé », Mélanges Vander Elst, Bruxelles, Nemesis, 1986,
298), sa prise en considération par le juge reste techniquement possible grâce à l'article 7 de la Con-
vention de Rome.

Pour un cas d'application du critère du pavillon (grec en l'espèce), voy. : Trib. trav. Anvers,
1111

8 mars 1991, D.E.T. (1991), 651.


La Convention de Rome conduirait normalement aussi au critère du pavillon: C. trav. Anvers,
20 juin 2002,]ur. Anvers (2003), 215.

La loi de 1928 est auto-limitative, de sorte qu'elle ne saurait être appliquée à un marin au service
1111

d'un navire battant pavillon étranger (Cass., 4 mai 1992, Fonds des accidents du travail, Pas., 1992, I,
771).

Une référence au critère du pavillon figure dans certains actes communautaires con-
cernant les conditions de travail des gens de mer. Ainsi, la directive 1999/63 du 21 juin
1999 (J.O.C.E., 1999, L 167) concernant un accord collectif européen relatif à l'organisa-
tion du temps de travail, régit tout marin au service d'un navire immatriculé sur le regis-
tre d'un État membre.
Encore peut-on se demander si la référence au critère du pavillon est pertinente cha-
que fois qu'il s'agit d'un pavillon de complaisance. La nécessité pour tout critère de loca-
lisation de revêtir une certaine effectivité pourrait conduire à y déroger dans un tel cas,
au bénéfice du critère du lieu de l'établissement principal du propriétaire du navire.

14.172 - Personnel civil occupé auprès de forces stationnées à l'étranger - Le contrat des
travailleurs civils occupés auprès des forces belges stationnées en Allemagne a fait l'objet
d'une règle de rattachement spéciale. Selon l'article 56 de l'Accord complétant la Con-
vention entre les États parties au traité de l'Atlantique Nord sur le statut de leurs forces,
en ce qui concerne les forces étrangères stationnées en République fédérale d'Allemagne
(loi du 6 mai 1963, Pasin., 1963, 444, voy. supra, n ° 9.62), ces travailleurs étaient soumis à
la législation allemande du travail applicable aux employés civils des forces armées alle-
mandes.
Ill Voy. par ex. C.E., 14 juin 1978, R.A.A.C.E. (1978), n° 19063, à propos d'une action intentée con-
tre l'État belge par un magasinier belge licencié pour cause de suppression d'emploi.
898 LES CONTRATS

14.173 - Personnel occupé sur une installation off-shore - Les travailleurs occupés sur
une installation ou autre dispositif situé en haute mer, fixé à demeure sur le plateau con-
tinental et visé par la loi du 13 juin 1969 sur le plateau continental de la Belgique (Monit.,
8 octobre 1969) « sont soumis au droit belge» (art. 7), comme cette installation. Par
ailleurs, « les actes ou faits ayant des effets juridiques autres que pénaux qui se produi-
ront sur ou à l'égard d'une installation ou d'un autre dispositif visé à l'article 7 seront
réputés s'être produits en Belgique» (art. 9, al. 1er).
Ces dispositions ne semblent pas avoir pour portée de soumettre nécessairement au
droit matériel belge toute relation de travail exécutée sur une plate-forme située sur le
plateau continental. Leur combinaison fait ressortir que, d'une part, l'ordre juridique
national s'étend à de tels rapports localisés hors du territoire - le plateau continental
désignant un espace situé en dehors de la mer territoriale (art. 1er, al. 1er, a) -, précision
utile pour fixer les limites du pouvoir de juridiction, et, d'autre part, cet espace est fictive-
ment assimilé à celui du territoire de l'État pour la mise en œuvre de toute règle faisant
appel à un facteur de localisation.
Les termes prudents de l'avis du Conseil d'État peuvent également s'interpréter en ce sens.
1111
Ainsi, les contrats de travail concernés relèveraient de l'article 6 de la Convention de Rome et, à
défaut de désignation de la loi contractuelle par les parties, l'exécution habituelle sur un dispositif
localisé sur le plateau continental sera considérée comme localisée sur le territoire belge.

Le rapport explicatif de la Convention pose plus simplement que« pour le travail effectué sur une
1111

plate-forme pétrolière en haute mer, on devrait appliquer la loi du pays de l'entreprise qui a embau-
ché le travailleur». Comp., pour la compétence internationale, l'arrêt Weber, précité n° 14.164.

Il. APPLICABILITÉ DES RÈGLES IMPÉRATIVES DE PROTECTION

14.174 - Protection assurée par les articles 6 et 7 de la Convention de Rome - Les lois
impératives de protection du travailleur reçoivent un domaine d'application défini par
l'article 6 de la Convention de Rome. Le critère utilisé est le même que celui qui sert à
désigner la loi contractuelle à défaut de choix des parties.
Lorsque les parties ont choisi la loi du contrat, celle-ci ne peut, par définition, préva-
loir sur des dispositions plus protectrices de la loi désignée par le rattachement impératif.
Lorsque la loi choisie prévoit des dispositions plus favorables que cette loi, celles-ci béné-
ficient au travailleur. Ainsi, la Convention de Rome consacre un système de rattachement
alternatif, dans le sens de l'application de la loi la plus favorable au travailleur (sur ce type
de rattachement, voy. supra, chap. 3).
Ill Pareil système se laissait déjà déduire de la jurisprudence antérieure. Voy. notamment: Cass.,
25 juin 1975, Pas. (1975), !, 1038.
Le critère d'applicabilité utilisé était l'exécution sur le territoire de tout ou partie des prestations
du travailleur. Si l'arrêt de la Cour de cassation du 27 mars 1968 (Pas., 1968, I, 916) avait pu laisser
entendre qu'une localisation potentielle, simplement prévue au contrat, pouvait suffire, la juris-
prudence ultérieure, non sans ambiguïté, a exclu le simple détachement temporaire (Trib. trav.
Bruxelles, 2 février 1981,].T.T., 1982, 234), voire exigé une exécution principale sur le territoire (C.
trav. Bruxelles, 24 mai 1983, R W., 1983-1984, 253; Trib. trav. Bruxelles, 4 mars 1985,J. T.T., 1985,
426; C. trav. Anvers, 15 avril 1996,].T.T., 1997, 237; 19 novembre 2001, R.W., 2003-2004, 821). Voy.
plus généralement: B. HANOTIAU et M. FALLON,}. T. (1987), 105. Pour une exécution partielle consi-
dérée comme suffisante, voy.: Cass., 16 novembre 1994, Kawa/,]. T. (1995), 297.
Sur ce qu'une occupation même brève sur le territoire au moment du licenciement justifie l'appli-
cation des règles belges de protection, voy.: C. trav. Bruxelles, 7 octobre 1998,].T.T. (1999), 152.
RÈGLES PROPRES À CERTAINS CONTRATS 899

L'applicabilité d'autres règles impératives encore est prévue plus généralement par la
Convention de Rome, au titre de« lois de police» (art. 7, voy. supra, sect. 2).
La présence de cette disposition de portée générale soulève la question de sa perti-
nence pour les contrats qui font déjà l'objet de règles spéciales de protection, comme le
contrat de travail ou le contrat de consommation (voy. supra, n ° 14.74). À la différence de
l'article 6, qui détermine lui-même l'applicabilité des lois de protection, l'article 7 s'en
remet plus largement à la volonté d'application exprimée par la règle impérative.
liliL'article 7, alinéa 2, de la Convention de Rome maintient la possibilité pour le juge d'appliquer
les lois de police belges, sans y imposer de restriction. Cela revient à admettre qu'en matière de con-
trat de travail, les dispositions impératives qualifiées de loi de police puissent encore relever de
règles d'applicabilité développées avant l'entrée en vigueur de la Convention, règles au demeurant
analogues à celles de l'article 6.

14.175 - Définition des lois de police - La définition de la catégorie des lois de police
constitue une opération délicate.
L'article 6 vise toutes« dispositions impératives» assurant une« protection» au tra-
vailleur. L'article 7 vise également toutes « dispositions impératives », en précisant qu'il
s'agit de celles qui sont applicables quelle que soit la loi qui régit le contrat. La précision
ne permet pas de différencier les deux catégories de dispositions, puisque, dans le con-
texte de l'article 6, celles-ci peuvent être celles d'un pays autre que celui dont la loi a été
choisie par les parties.
La Cour de justice a repris à son compte une définition donnée par la doctrine fran-
çaise, selon laquelle les lois de police sont de celles qui visent à la sauvegarde de l'organi-
sation politique, sociale ou économique de l'État justifiant leur applicabilité à toute
personne se trouvant•sur le territoire ou à tout rapport juridique localisé sur le territoire
(C.J.C.E., aff C-369/96 e.a., 23 novembre 1999, Arblade, Rev. dr. étr., 1999, 779, note S.
FRANCQ, Revue, 2000, 710, note M. FALLON, voy. supra, n ° 4.14). Exprimée à l'occasion
d'un contrôle de compatibilité avec le droit communautaire d'une norme sociale relative
à la protection du travailleur détaché, cette définition pourrait être reprise par la Cour
aux fins d'interprétation de l'article 7.
Ill!Dans la jurisprudence belge, le concept de « loi de police» permet d'englober, en matière de
rupture du contrat, les dispositions « qui fixent les délais minima de préavis ou les indemnités qui
en tiennent lieu» (Cass., 25 juin 1975, Ingersol, Pas., 1975, I, 1038), ainsi que la détermination, par le
juge, de l'indemnité de préavis lorsque la rémunération dépasse la limite fixée par la loi (Cass.,
3 juin 1985, ].TT., 1985, 309, note C.W.), mais non l'indemnité de licenciement (C. trav. Liège,
23 septembre 1993, Rev. dr. soc., 1993, 450). On peut y ajouter les dispositions sur le salaire mini-
mum, l'indemnité d'éviction, le complément de salaire pour les heures supplémentaires, le pécule
de vacances, les causes de suspension du contrat, etc. Pour le pécule de vacances, voy. : Cass.,
16 novembre 1994, Kawa/,]. T (1995), 297.
Pour une qualification en ce sens de la loi du 24 juillet 1987 sur le travail intérimaire, voy. : C. trav.
Anvers, 7 février 2002,]ur. Anvers (2002), 9, utilisant le critère du lieu d'exécution habituelle, pour
en déduire l'inapplicabilité à la mise à disposition d'un travailleur au Luxembourg.
Dans le même sens, pour la loi de 1965 relative à la protection de la rémunération du travailleur,
applicable à ce titre à tout travailleur prestant habituellement en Belgique, voy. : Cass., 4 décembre
1989,]. TT. (1990), 77, R W. (1989-1990), 988.
La législation relative aux accidents du travail obéit à une règle d'applicabilité qui lui
est propre. Selon la loi du 10 avril 1971, le critère est celui qui régit l'applicabilité du
régime de sécurité sociale des travailleurs. D'après l'article 3 de la loi du 28 décembre 1944,
il s'agit de l'occupation en Belgique au service d'un employeur« établi en Belgique ou acta-
900 LES CONTRATS

ché à un siège d'exploitation établi en Belgique». Les situations couvertes par le règlement
1408/71, codifié par le règlement 883/2004 du 29 avril 2004 (J.O.C.E., 2004, L 166), obéis-
sent également aux règles de conflit de lois propres au contexte communautaire.
111 Pour un cas intéressant la législation antérieure à 1971, voy. Cass., 22 juin 1977, RW. (1978-
1979), 2655, note]. ERAUW.
111 Pour une qualification de la rémunération due après un accident du travail comme relevant de
la notion de prestation de sécurité sociale au sens du règlement 1408/71, voy.: Anvers, 4 février
1998, RW (1998-1999), 471.

Certaines lois de police tendent à l'organisation du travail autant qu'à la protection


du contractant individuel, et imposent une réglementation de nature administrative qui
ne détermine pas directement le régime contractuel. Il s'agit par exemple de la fixation de
la durée du travail, de la police de sécurité et d'hygiene sur les lieux du travail.
Selon le rapport explicatif, l'article 6 couvre ce type de réglementation. Il n'est
cependant pas certain que le critère de rattachement retenu pourra se concilier dans tous
les cas avec le critère strictement territorial qu'appelle cette réglementation, à savoir
toute localisation physique du travailleur sur le territoire au moment pertinent. Sans
doute est-il plus judicieux de soumettre l'applicabilité de ces dispositions au jeu plus
souple de l'article 7.
De même, l'article 7 trouve à s'appliquer à d'autres dispositions d'ordre public sans
rapport direct avec les impératifs des relations sociales mais qui peuvent affecter l'enga-
gement d'une personne dans un contrat dépendant, sans apparaître pour autant comme
une loi de police contractuelle au sens traditionnel du terme.
Ainsi, la loi du 1er août 1979 concernant les services dans une armée ou une troupe étrangère se
1111

trouvant sur le territoire d'un État étranger (Monit., 24 août 1979) vise à interdire l'engagement de
mercenaires, tout en limitant les hypothèses auxquelles elle s'applique. Les critères d'applicabilité
sont, alternativement, la localisation en Belgique de l'acte d'engagement ou, lorsque celui-ci se
localise à l'étranger, la nationalité belge du recruteur et du volontaire.
Malgré la nature répressive de ses sanctions, cette loi régit l'admissibilité même du contrat d'enga-
gement qu'elle vise.
Tant en raison de ses critères d'applicabilité que de la nature de son objet, cette loi d'application
immédiate résiste à toute interprétation multilatérale (voy. supra, n° 4.9).

14.176 - Protection du travailleur détaché - En droit commun, le détachement ne


donne lieu à aucune protection particulière, puisque la jurisprudence se réfère au lieu
d'exécution habituelle pour identifier les règles impératives pertinentes, et l'article 6 pré-
cise que ce critère joue« même [si le travailleur] est détaché à titre temporaire dans un
autre pays».
1111 Dans la jurisprudence, voy.: C. trav. Liège, 18 juin 1992, Rev. rég. dr. (1992), 506, désignant la loi
américaine en présence d'un détachement en Belgique; comp. : C. trav. Bruxelles, 4 mai 1993, Rev.
dr. soc. (1993), 280, refusant d'appliquer la réglementation belge relative au paiement d'heures sup-
plémentaires en cas de déplacement à l'étranger.

Le droit de l'Union européenne présente deux orientations contradictoires.


D'un côté, lorsque le juge saisi entend assurer la protection du travailleur détaché en
désignant les dispositions impératives en vigueur dans le pays du détachement, il risque
de se heurter à une norme d'inopposabilité de ces dispositions à l'employeur lorsque
celui-ci bénéficie de la liberté de prestation de services dans le marché intérieur. Cette
limitation découle de l'obligation de reconnaissance mutuelle de la réglementation
RÈGLES PROPRES À CERTAINS CONTRATS 901

sociale du pays d'origine de l'entreprise, chaque fois que celle-ci fournit une protection
équivalente au travailleur (C.J.C.E., aff C-369/96 e.a., 23 novembre 1999, Arblade, Rev. dr.
étr., 1999, 779, note S. FRANCQ, Revue, 2000, 710, note M. FALLON). Cette équivalence est
appréciée globalement (C.J.C.E., aff C-165/98, 15 mars 2001, Mazzoleni, Revue, 2001, 495,
note E. PATAUT).
1111 Voy. encore, sur la problématique du détachement: C.J.C.E., aff. C-49/98 e.a., 25 octobre 2001,

Finalarte, Rec. (2001), 1-7831; aff. C-164/99, 24 janvier 2002, Portugaia Construçoes, Rec. (2002), 1-787.
D'un autre côté, la directive 96/71 du 16 décembre 1996 (J.O.C.E., 1997, L 18) orga-
nise une protection du travailleur détaché en lui permettant d'invoquer, outre la loi
applicable en vertu de la Convention de Rome, les dispositions impératives de la loi du
pays du détachement. L'acte prend soin d'établir la liste des règles impératives visées. Il
est à noter qu'il n'opère aucun rapprochement des règles matérielles des États membres
en la matière. Il y a lieu de croire que l'applicabilité systématique de la loi du détache-
ment pourrait se heurter à une exception de reconnaissance mutuelle que l'entreprise
pourrait soulever en cas d'équivalence des législations en conflit.
1111L'acte limite son domaine à un détachement opéré dans la Communauté par une entreprise éta-
blie dans un État membre, tout en excluant qu'une entreprise d'un pays tiers puisse bénéficier d'un
régime plus favorable qu'une entreprise visée par l'acte (art. Fr, § 4).
1111La transposition de la directive a été faite par la loi du 5 mars 2002 (Monit., 13 mars 2002). Celle-
ci entend régir tout travailleur détaché en Belgique tout en étant occupé habituellement à l'étran-
ger ou en ayant été engagé à l'étranger (art. F 1 , 2°). Elle fait obligation à l'employeur, notamment,
de respecter« les conditions de travail, de rémunération et d'emploi [... ] qui sont prévues par des
dispositions[ ... ] sanctionnées pénalement» (art. 5, § 1er).
La protection offerte par la loi belge est plus étendue que celle de la directive à un double titre.
D'abord, elle couvre aussi le détachement par un employeur de pays tiers, et pose ainsi le régime de
droit commun. Ensuite, elle concerne l'applicabilité d'une catégorie de dispositions nettement plus
large que celle prévue par la directive. Si la première extension ne fait pas de difficulté au regard du
droit communautaire, il peut en aller autrement de la seconde, qui relève du contenu même de la
directive.
La loi belge a cependant un domaine plus étroit que celui de la directive, en prévoyant uniquement
le détachement en Belgique, non dans un autre État membre, alors que la directive oblige tout État
membre à prévoir aussi un tel cas. Sur ce point, la transposition est donc incomplète.

14.177 - Protection collective - L'organisation de la protection du travailleur peut être


liée à son appartenance à un groupe social déterminé. Elle peut résulter tantôt de l'éta-
blissement de règles par voie de convention collective, tantôt d'une réglementation con-
cernant l'entreprise à laquelle le travailleur est attaché.
L'applicabilité des conventions collectives obéit-elle à des critères particuliers? Une
distinction s'impose entre le droit applicable à l'accord collectif en tant qu'échange de
volontés, et l'applicabilité des dispositions de protection que cet accord établit au béné-
fice des travailleurs.
La désignation du droit applicable à l'accord collectif même obéit aux règles généra-
les valables pour l'ensemble des contrats.
1111C'est en ce sens que peut s'entendre l'exclusion - dans le rapport explicatif - des conventions
collectives de l'objet de l'article 6.
En revanche, il n'y a pas lieu de déduire des particularités attachées au mode d'élabo-
ration des règles de protection, à savoir le mode conventionnel, une règle spéciale d'appli-
cabilité. Comme d'autres mesures réglementaires de protection - lesquelles peuvent au
902 LES CONTRATS

demeurant se contenter de donner force obligatoire à des dispositions conventionnelles


-, elles obéissent aux critères d'applicabilité valables pour les dispositions impératives, et
la question de la portée à attribuer à une éventuelle règle d'applicabilité explicite qui les
accompagne se pose dans les mêmes termes que pour ces mesures réglementaires.
Voy., pour une assimilation dans le sens exposé ici: C. trav. Liège, 23 septembre 1993, Rev. dr. soc.
1111
(1993), 450.
IllSelon le rapport explicatif, les règles de protection visées à l'article 6 peuvent également com-
prendre les conventions collectives rendues obligatoires par la loi du pays désigné à cet article.
IllSur l'applicabilité d'une convention collective française, comme partie de la loi du contrat, à
propos d'un travail exécuté à l'étranger dès lors que la convention n'exclut pas cette hypothèse, voy.
en France: Cass. civ., 5 novembre 1991, Masson, Revue (1992), 314, note M.-A. MOREAU, Clunet
(1992), 357, note H. MUIR-WATT.
1111De même, en droit communautaire, la convention collective, par sa nature, n'échappe pas plus
que toute disposition réglementaire au contrôle de compatibilité avec le régime des entraves à la
liberté de circulation. Voy. : C.J.C.E., arrêts Finalarte et Portugaia Construçoes, précités.
Plusieurs actes communautaires organisent une protection du travailleur en tant
qu'entité de l'entreprise.
Le transfert des actifs de l'entreprise à une autre entreprise fait l'objet de la directive
2001/23 du 12 mars 2001 (J.O.C.E., 2001, L 82), qui codifie la directive 77/187. L'acte con-
cerne tout établissement qui « se trouve dans le champ d'application du traité » (art. ier,
§ 2), champ d'application défini par l'article 299 CE, lequel détermine les territoires des
États membres auxquels le traité s'applique.
IllPour une référence à la localisation du siège dans la Communauté de l'entreprise transférée,
voy.: C. trav. Liège, 10 juin 1993,]. TT. (1993), 371.
L'information et la consultation des travailleurs par l'institution d'un comité
d'entreprise européen sont mises en place par la directive 94/45 du 22 octobre 1994, dite
directive Vredeling (J.O.C.E., 1994, L 254). L'acte comprend un ensemble complexe de
règles de conflit de lois. D'abord, une règle d'applicabilité définit son domaine par la
localisation de l'établissement sur le territoire d'un État membre. Ensuite, plusieurs
règles de rattachement intéressent des questions laissées en dehors de l'harmonisation :
application subsidiaire de la loi de la direction centrale à l'accord de négociation (art. 7),
application de la loi du pays d'emploi à la protection sociale des représentants des tra-
vailleurs (art. 10).
1111Pour un examen détaillé des dispositions complexes de la directive, voy. : J. MEEUSEN, « Directive
94/45 concernant les comités d'entreprise européens: aspects de droit international privé», Comi-
tés d'entreprise européens (Anvers, lntersentia, 1999), 239-271.
1111La directive comporte plusieurs règles propres à l'existence d'un groupe de sociétés.
Pour une application, voy.: TG! Paris, 19 septembre 2001,]. TT (2002), 205, avec une référence à la
loi de la société mère ou, si celle-ci n'a pas son siège dans un État lié par la directive (cas du
Royaume-Uni), à la loi de la société désignée par la société mère.
La procédure de licenciement collectif fait l'objet de la directive 98/59 du 20 juillet 1998
(J.O.C.E., 1998, L 225, codifiant la directive 75/129). L'acte ne contient aucune règle d'appli-
cabilité explicite, ni aucune définition des « établissements » qu'il vise. Son application aux
«établissements» localisés dans un État membre paraît résulter de l'objectif de l'acte.
D'autres dispositions protègent le travailleur en cas d'insolvabilité de l'employeur
(dir. 80/987 du 20 octobre 1987, supra, n ° 13.67).
RÈGLES PROPRES À CERTAINS CONTRATS 903

Ill. MISE EN ŒUVRE DE L'EXCEPTION D'ORDRE PUBLIC

14.178 - Interprétation stricte de l'exception - Comme en d'autres matières, le juge


saisi peut écarter l'application de la loi désignée « si cette application est manifestement
incompatible avec l'ordre public du for» (art. 16 Conv. Rome).
L'utilisation de cette exception reste marginale, non seulement parce qu'elle est inha-
bituelle en matière de contrats où prédomine le principe d'autonomie, mais surtout parce
que l'application des dispositions impératives ou d'ordre public du for est déjà assurée,
lorsqu'il échet, au moyen de règles spéciales d'applicabilité (voy. le point précédent).
Sur ce que les règles sur l'indemnité de préavis ne constituent pas une « loi d'ordre public
1111

international», voy.: Cass., 17 décembre 1990,]anssen,].TT. (1991), 258, Pas. (1991), !, 381.
Pourtant, la technique de l'exception d'ordre public a l'avantage, sur celle des règles
spéciales d'applicabilité, de permettre d'atténuer la rigidité inhérente à une telle règle, car
elle amène à prendre en considération le contenu de la loi normalement applicable ainsi
que les circonstances de l'espèce (voy. supra, n° 5 7.46 et s.). Le phénomène est très appa-
rent à propos de situations exclues du domaine de la Convention de Rome.
Ainsi, l'application de la loi du lieu d'exécution des prestations au moment de la rupture ne suf-
11111

fit pas à rendre compte de considérations d'équité lorsque ce facteur permet au cadre supérieur
d'une entreprise multinationale de bénéficier de la protection assurée aux travailleurs en Belgique,
mais exclut de cette même protection un travailleur belge effectuant des prestations à l'étranger.
Dans le premier cas, le travailleur bénéficiera d'un cumul surprenant de la sécurité d'emploi assu-
rée par le droit belge et de salaires élevés dont le montant est fonction de l'absence de garanties ana-
logues à l'étranger.
Il faudrait cependant se garder de faire jouer les deux techniques de manière alterna-
tive, leur coexistence risquant d'étendre en fait l'empire de la loi du for, en l'appliquant
non seulement aux situations visées par le critère d'applicabilité des lois de police, mais
en outre à toute situation présentant avec le for l'intensité de rattachement requise.
Ill On trouve trace de pareille confusion dans un arrêt de la cour du travail de Bruxelles du 24 mai
1983, R W (1983-1984), 253, qui justifie l'application éventuelle du régime belge de la rupture du
contrat, non seulement par une qualification comme loi de police, mais aussi comme disposition
« d'ordre public international belge».
D'autres décisions font une allusion correcte à l'exception d'ordre public, sans l'accueillir en
l'espèce pour autant: C. trav. Liège, 22 octobre 1981,].TT (1982), 58; Trib. trav. Bruxelles, 2 février
1981,]. TT (1982), 234.
Le recours aux règles spéciales d'applicabilité permet certes de contribuer à la sécu-
rité juridique. Cela n'empêche pas d'assortir la règle d'une souplesse analogue à celle qui
caractérise l'exception d'ordre public. C'est précisément ce que fait, pour le contrat de
travail, la clause d'exception de l'article 6 de la Convention de Rome, mais cette clause n'a
pas égard au contenu des règles matérielles en conflit (voy. supra, n ° 14.169).

§ 10 LE CONTRAT DE VENTE
14.179 - Bibliographie
a) Études générales
Outre les ouvrages cités dans Actes et documents de la 9' session, t. 1er, 327-329, et Actes et Documents de la
J(Y session, t. 1er, 326-327, ainsi que les ouvrages concernant les conventions de droit matériel uni-
forme, voy. : J. BAUERREIS, « Le rôle de l'action directe contractuelle dans les chaînes internationales
904 LES CONTRATS

de contrats», Revue (2000), 331-355; C. BERNASCONI, « The persona! and territorial scope of the
Vienna Convention on contracts for the international sale of goods », NI.L.R (1999), 137-170;
R. BERTRAMS et F. VAN DER VELDEN, Overeenkomsten in het internationaal privaatrecht en het Weens koop-
verdrag (Zwolle, Tjeenk Willink, 1999); M. BRJAT (dir.), La vente internationale d'œuvres d'art (Deven-
ter, Kluwer, 1988, 1990), 2 vol.; E. CORNU et B. ELSTER,« Quelle protection pour l'objet d'arc lors de
sa vente ou de son exportation? »,].T (2000), 455-459; M. FALLON,« Le domaine d'application de
la Convention de Vienne», Ann. droit (1998), 255-278; M. FALLON et D. PHILIPPE,« La Convention
de Vienne sur les contrats de vente internationale de marchandises»,]. T (1998), 17-37 ;]. FAWCETT,
J. HARRIS et M. BRIDGE, International sale of goods in the conflict of laws (Oxford Univ. Press, 2005);
L. FREDERJCQ, « La vente en droit international privé (Quelques conventions récentes)», Recueil des
cours, vol. 93 (1958-I), 1-116; M. GuTZWILLER, « La loi applicable aux ventes à caractère internatio-
nal d'objets mobiliers corporels», Ann. suisse dr. int. (1951), 149 et s.; A. HUET, « Convention de
Vienne du 11 avril 1980 sur les contrats de vente internationale de marchandises et compétence des
tribunaux en droit judiciaire européen», Mélanges Lagarde (Paris, Dalloz, 2005), 417-430; P. LALIVE
(dir.), La vente internationale d'œuvres d'art (Genève, Fac. droit, Paris, CCI, 1985); O. LANGNER, « Das
Kaufrecht auf dem Prüfstand der Warenverkehrsfreiheit des EG-Vertrages », RabelsZ. (2001), 223-
244 ; R. PRIOUX, « Les lois applicables aux contrats internationaux de vente d'armes », Rev. belge dr.
int. (1993), 217-238; L. REczEI, « The area of operacion of the international sales conventions »,Am.
]. Camp. L. (1981), 513-522; S. RUTTEN,« Bewijs in de internationale koopovereenkomst »,Jura Fal-
conis (1993), 221-238; K. SIEHR, « International art trade and the law », Recueil des cours, vol. 243
(1993-VI), 9-292; K. VAN NUFFEL, « Het Weens koopverdrag en internacionaal dwingend recht »,
Jura Falconis (1998-1999), 55-76; N. WATTÉ et A. NuYTs, « Le champ d'application de la Convention
de Vienne sur la vente internationale. La théorie à l'épreuve de la pratique», Clunet (2003), 365-424.
À propos de la Convention de La Haye du 22 décembre 1986, voy. notamment: D. COHEN et
D. UGHETTO, « La nouvelle Convention de La Haye relative à la loi applicable aux ventes internatio-
nales de marchandises», D.S. (1986), C, 149-156, 157-158; O. LANDO, « The 1985 Hague Conven-
tion on the law applicable to sales», RabelsZ. (1987), 60-85; Y. LoussoUARN, « La Convention de La
Haye d'octobre 1985 sur la loi applicable aux contrats de vente internationale de marchandises»,
Revue (1986), 271-296.

b) Contrat de distribution exclusive


D. BERLIN, « Droit international et distribution internationale», D.P.C.I. (1993), 6-61;
G. BRJCQMONT etJ.-M. PHILIPS, « De la compétence territoriale du juge belge, d'après la Convention
communautaire du 27 septembre 1968, en matière de résiliation, avec préavis, d'un contrat de con-
cession de vente à durée indéterminée »,].T (1975), 475-476 et (1976), 744; P. Ch. COLLETTE,« La
concession de vente exclusive et l'article 5, 5°, de la Convention de Bruxelles du 27 septembre
1968 »,].C.B. (1977), 198-205; P. CRAHAY, Guide des contrats internationaux d'agence et de concession de
vente (Bruxelles, Story-Scientia, 1989); G. GoLDSTEIN, « La distribution et la franchise internationa-
les en droit international privé québécois», Canadian Bar Rev. (1998), 219-256; P. HOLLANDER,
« L'arbicrabilité des litiges relatifs aux contrats de concession de vente exclusive et d'agence com-
merciale en droit belge», Rev. dr. aff- int. (1998), 86-101; R. LEDOUX,« Les vicissitudes de la loi sur
les concessions de vente exclusive face à la C.E.E. »,].T (1973), 401-402; ID.,« Les concessions de
vente en Belgique et les règles de compétence C.E.E.»,]. T (1975), 217-221 ; ID.,« La Convention de
New York et la Convention européenne sur l'arbitrage international et les concessions de vente en
Belgique», J. T (1976), 304-309; P. LAGARDE, « La loi applicable au contrat de distribution
commerciale», Revue générale de droit (1990), 669-685; P. LELEUX, « Concessions de vente en Belgi-
que et règles de compétence de la Convention C.E.E. du 27 septembre 1968 »,].T (1977), 73-74;
J. MASEDA RoDRIGUEZ, Aspectas internacionales de la concession mercanti/ (Univ. Santiago di Compos-
cella, 2000); A. NUYTs, La concession de vente exclusive, l'agence commerciale et l'arbitrage (Bruxelles,
Bruylant, 1996); ID.,« L'application des lois de police dans l'espace (Réflexions au départ du droit
belge de la distribution commerciale et du droit communautaire)», Revue (1999), 31-75, 245-266;
ID., « Le contrôle de l'arbitrabilicé selon la loi du for dans les Conventions de New York et de
Genève et les concessions des vente exclusive à durée indéterminée en Belgique »,Rev. dr. comm. belge
(1993), 1122-1130; M. PIERS et H. VERBIST, « Concessiegeschillen en arbitrage. Welk recht bepaalc
vatbaarheid voor arbitrage?», N.].W. (2005), 619-626; P. VANDEPITTE et A. DE ScHOUTHEETE, « Le
RÈGLES PROPRES À CERTAINS CONTRATS 905

champ d'application territorial de la loi du 27 juillet 1961 sur les concessions de vente exclusive»,
].T. (1990), 725-729; R. VANDER ELST,« Concessions de vente en Belgique et règles de compétence
de la Convention C.E.E. du 27 septembre 1968 », ].T. (1976), 733-738, (1977), 74-75; H. VAN
HourrE, « L'arbitrabilité des concessions de vente exclusive », Mélanges Vander Elst (Bruxelles, Neme-
sis, 1986), 821-834; Io., « Is een Belgisch vonnis inzake concessiebeëindiging uitvoerbaar in het
buitenland wanneer de concessie-overeenkomst een arbitragebeding bevat ? », Rev. dr. comm. belge
(1995), 876-881 ; C. VERBRAEKEN, « La loi applicable aux contrats de concession de vente exclusive
comportant un ou plusieurs éléments d'extranéité», Mélanges Heenen (Bruxelles, Bruylant, 1994),
557 et s.; M. WESER,« L'article 5, alinéa 1er, de la Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968 et
la concession de vente exclusive »,]. T. ( 1976), 323-325.

A. Droit applicable au contrat de vente


14.180 - Pluralité de sources internationales - Le contrat de vente fait l'objet de plu-
sieurs instruments internationaux qui affectent la détermination du droit applicable,
directement par l'établissement de règles de rattachement spécifiques, ou indirectement
par l'établissement de règles matérielles uniformes accompagnées de règles d'applicabi-
lité particulières.
La Belgique a ratifié :
1° Comme instrument contenant des règles de rattachement :
- la Convention de La Haye du 15 juin 1955 sur la loi applicable aux ventes à carac-
tère international d'objets mobiliers corporels (loi du 21 septembre 1962, Monit.,
29 septembre 1964).
1111 D'autres conventions n'ont pas été ratifiées par la Belgique:
- Convention de La Haye du 15 avril 1958 sur la loi applicable au transfert de propriété en cas
de vente à caractère international d'objets mobiliers corporels (non entrée en vigueur).
- Convention de La Haye du 15 avril 1958 sur la compétence du for contractuel en cas de vente
à caractère international d'objets mobiliers corporels (signée par la Belgique, non entrée en
vigueur).
- Convention de La Haye du 22 décembre 1986 sur la loi applicable aux contrats de vente
internationale de marchandises (non en vigueur).
2 ° Comme instruments contenant des règles matérielles :
- la Convention de La Haye du ier juillet 1964, portant loi uniforme sur la vente
internationale des objets mobiliers corporels (LUVI) (loi du 15 juillet 1970, Pasin., 1970,
1154);
- la Convention de La Haye du 1er juillet 1964, portant loi uniforme sur la forma-
tion des contrats de vente internationale des objets mobiliers corporels (loi du 15 juillet
1970, Pasin., 1970, 1167);
- la Convention de Vienne du 11 avril 1980 sur la vente internationale de marchan-
dises (CVIM) (loi du 4 septembre 1996, Monit., 1er juillet 1997).
Le texte de cette Convention a été publié dans: I.L.M. (1980), 671, Revue (1981), 383, Clunet
1111

(1988), 557.
Des conflits transitoires résultent de la succession d'actes portant sur la même
matière. Pratiquement, la Convention de Rome régit les contrats de vente conclus à par-
tir du 1er septembre 1999. La CVIM régit les contrats conclus à partir du 1er novembre
1997. Il convient donc d'appliquer les instruments les plus anciens aux contrats conclus
avant ces dates.
906 LES CONTRATS

Ill La Belgique a dénoncé les Conventions du 15 juin 1955 (Monit., 30 juin 1999) et du 1"' juillet
1964 (Monit., 1er juillet 1997).
La dénonciation de la Convention de 1955 vise à assurer l'application des règles générales de la
Ill
Convention de Rome du 19 juin 1980 et celle des Conventions de 1964, l'application de la CVIM.

L'Union européenne n'a guère procédé, jusqu'à présent, à l'harmonisation du droit


de la vente, si on fait abstraction des contrats de consommation (voy. supra, n ° 14.102). Il
faut citer la directive 2000/31 du 8 juin 2000 relative à certains aspects juridiques des ser-
vices de la société de l'information, et notamment du commerce électronique dans le
marché intérieur (« directive sur le commerce électronique ») (]. O. C.E., 2000, L 178),
transposée en droit belge par la loi du 11 mars 2003 (Monit., 17 mars 2003). Quoique son
intitulé donne à croire que l'acte ne porte que sur la prestation de services, il couvre aussi
les opérations de vente établies par la voie d'Internet.

14.181 - Domaine matériel des instruments internationaux - Les différentes conven-


tions relatives à la vente n'intéressent que les objets mobiliers corporels. Les opérations
sur immeubles sont donc exclues. Dans la Convention de Rome, elles font l'objet de dis-
positions particulières, portant sur tout contrat ayant « pour objet un droit réel immobi-
lier ou un droit d'utilisation d'un immeuble» (art. 4, § 3), expression qui englobe la vente
(voy. supra, n° 14.131).
Il y a lieu d'être attentif aux exclusions opérées par ces instruments, pour certaines
modalités de vente ou certaines questions relatives au contrat.
1111 Voy. F. RIGAUX,}.T. (1972), 561-572, n°s 13-15.
1111L'article 5 de la Convention de 1955 exclut du domaine de la règle de rattachement la capacité
des parties, la forme du contrat, le transfert de propriété, les effets de la vente à l'égard des tiers.
N'étant pas une vente, la concession de vente exclusive n'est pas soumise aux règles de conflit de
lois de la Convention de La Haye sur la loi applicable. Voy. Bruxelles, 10 février 1977,]. T. (1977),
343.

Ces instruments ne portent que sur des contrats internationaux, dont la définition
fait l'objet de précisions dans les instruments portant droit matériel uniforme. Ces préci-
sions tendent à restreindre le domaine du droit uniforme aux seules opérations présen-
tant les éléments d'extranéité visés. Parmi ceux-ci, l'établissement des parties dans des
pays différents occupe la première place, les textes tendant à viser les seuls contrats rele-
vant du commerce international.
La condition relative au caractère international du contrat doit être distinguée d'une condition
11!1

d'applicabilité spatiale, au sens entendu au numéro suivant. À la différence de celle-ci, elle


n'exprime aucun lien de rattachement géographique de la situation avec un ordre juridique déter-
miné. Sur cette condition, voy. plus généralement supra, n ° 4.36.

14.182 - Domaine spatial des instruments internationaux - La détermination des situa-


tions visées par ces instruments au regard des liens qui les rattachent aux États qui les
ont ratifiés, varie selon que l'acte établit des règles de rattachement ou des règles maté-
rielles uniformes.
I' La Convention de Rome, comme la Convention de La Haye de 1955, sont des instru-
'' ments de caractère universel (sur cette notion, voy. supra, n ° 4.48) : servant à désigner le
droit applicable même lorsque le droit désigné est celui d'un pays tiers, ils occupent la
place du droit commun des règles de rattachement en droit belge. La détermination de
l'applicabilité dans l'espace des instruments internationaux en vigueur en Belgique, à
RÈGLES PROPRES À CERTAINS CONTRATS 907

savoir les deux Conventions de 1964 et la Convention de 1955, supposait une opération
délicate, dont la jurisprudence n'a pas toujours été consciente.
Les conventions portant droit matériel uniforme appellent une distinction entre la
LUVI et la CVIM.
La LUVI créait une difficulté particulière, du fait de sa volonté d'application à toute
situation internationale même dépourvue de toute attache avec l'État du for (voy. supra,
n ° 4.38). Il en résultait normalement que le droit matériel uniforme était d'application
immédiate devant un juge belge, sans recherche préalable du droit applicable en vertu de
la règle de rattachement contractuelle. Toutefois, en déposant son instrument de ratifica-
tion, le gouvernement belge a déclaré que, conformément à l'article IV de la Convention,
« la Belgique n'appliquera la loi uniforme que si la Convention de La Haye du 15 juin
1955 sur la loi applicable aux ventes internationales d'objets mobiliers corporels conduit
à l'application de la loi uniforme» (Monit., 14 janvier 1971). Cela signifie que la loi uni-
forme n'était applicable que si elle était en vigueur dans un pays dont le droit était
déclaré compétent en vertu de la Convention de conflit de lois.
1111 Sur les difficultés que suscite cette réserve, voy. F. RIGAUX,j.T (1972), 561-572, n° 5 82-86.
Ill Pratiquement, la Convention sur la loi applicable contient les solutions de conflit de lois appli-
cables à toute vente appartenant à son domaine matériel. Quand elle désigne le droit belge ou le
droit d'un autre État dans lequel la loi uniforme de 1964 est entrée en vigueur, celle-ci est applica-
ble en tant que droit matériel. Dans les autres cas, il y a lieu d'appliquer le droit matériel interne de
l'État à l'égard duquel se concrétise le facteur de rattachement.
1111 Une application immédiate de l'une des conventions de 1964 a été fréquente dans la jurispru-
dence des premières années: voy. B. HANOTIAU et M. FALLON, ].T (1987), 108. La jurisprudence
récente a manifesté, au contraire, un raisonnement correct. Voy. par ex.: Bruxelles, 30 avril 1987,
Ann. Liège (1988), 90, note G. VAN HECKE.
L'entrée en vigueur en Belgique de la CVIM a supprimé toute difficulté relative à
l'interaction des instruments internationaux relatifs à la vente. En effet, elle comporte
une règle d'applicabilité exigeant un lien avec un État contractant, à l'exemple de la plu-
part des conventions portant droit matériel uniforme (voy. supra, n ° 4.37). Le choix de
cette méthode de solution du conflit de lois conduit à évincer la règle de rattachement
contractuelle : lorsque la situation entre dans le domaine spatial de la convention de
droit matériel uniforme, celle-ci est applicable directement sans qu'il soit nécessaire
d'utiliser au préalable une règle de rattachement.
1111 Par exemple, la CVIM régit directement une vente conclue entre parties établies respectivement
en Belgique et en Chine: Comm. Hasselt, 19 mai 1999, R.W (1999-2000), 1242. Il en va de même en
cas d'établissements en Belgique et en Italie: Comm. Ypres, 20 janvier 2001, R.W (2001-2002),
1396, note K. Roox, montrant qu'il y a lieu d'être attentif au domaine matériel de la CVIM qui, ne
couvrant ni prescription ni octroi d'intérêts de retard, laisse ces questions à la loi contractuelle.
Par ailleurs, la CVIM prévoit aussi son application en tant que loi désignée par une
règle de rattachement du juge saisi (art. 1er, § 1er, b ), ce qui permet son application à des
situations ne présentant pas d'autre lien de rattachement avec un État contractant que la
circonstance que la loi désignée par le système de droit international privé du for conduit
au droit d'un tel État.
Ill Inversement, avant la ratification de la CVIM par la Belgique, un tribunal belge a estimé devoir
appliquer celle-ci dès que sa règle de rattachement désignait le droit d'un État qui l'avait ratifiée.
Voy.: Anvers, 4 novembre 1998, Rev. dr. comm. belge (1999), 133, à propos de l'application du droit
néerlandais, choisi par les parties. Cette solution semble confondre applicabilité et force obliga-
908 LES CONTRATS

toire de la règle de droit (voy. supra, chap. 1cr) : le juge saisi doit trouver dans son propre système
une norme primaire permettant de conduire à la désignation des règles uniformes; or, la disposi-
tion précitée de la CVIM n'en fait pas partie tant que le traité n'a pas été approuvé par l'État du for.
La solution pourrait être différente si le juge saisi s'en remettait à la seule volonté d'application de
l'acte dès lors que celui-ci est en vigueur dans l'État dont la loi est désignée en vertu de la règle de
rattachement du for, mais cette méthode devrait alors s'étendre à l'ensemble des traités d'uniformi-
sation du droit matériel.

14.183 - Incidence de l'autonomie de la volonté sur l'applicabilité de la CVIM - Un


choix des parties permet-il d'inclure ou d'exclure l'application de la CVIM?
L'exclusion est permise explicitement par la Convention (art. 6), ce qui revient à
donner à l'acte un caractère supplétif.
111 La forme de l'exclusion ne fait l'objet d'aucune précision. À défaut d'être expresse, elle pourrait
se déduire de manière certaine du contrat, élément à apprécier strictement. Voy. en ce sens dans la
jurisprudence belge: Comm. Namur, 15 janvier 2002,].L.M.B. (2002), 1589, estimant que la réfé-
rence aux usages de droit allemand ne suffie pas à exclure la CVIM. Encore faut-il, sur cette ques-
tion, consulter celle-ci, qui consent la priorité des usages auxquels les parties ont consenti (arc. 9).

La faculté pour les parties de choisir la CVIM ne fait l'objet d'aucune précision. La
question ne revêt d'intérêt pratique que lorsque le contrat ne présente pas les conditions
d'applicabilité prévues par la Convention (établissements dans des États contractants ou
désignation du droit d'un État contractant en vertu du rattachement objectif). Deux
types de choix peuvent se présenter.
Le choix peut d'abord avoir pour objet le droit d'un État contractant. La réponse
découle de la règle d'applicabilité de la Convention qui renvoie au droit international
privé du for: dès lors que celui-ci, via l'article 3 de la Convention de Rome, permet aux
parties de choisir une loi étatique, ce choix se comprend comme une référence à l'ensem-
ble des sources en vigueur dans cet État, ce qui comprend la CVIM, acte qui exprime une
volonté d'application conditionnée par la mise en œuvre de la règle de rattachement du
for.
1111Par exemple, si le contrat a été conclu entre une partie établie au Royaume-Uni (État non lié) et
une autre établie en Belgique (État lié) alors que le contrat désigne le droit français (la France a rati-
fié la Convention), un tel choix inclut la CVIM, sauf exclusion conforme à l'article 6 de celle-ci. Sur
la portée en ce sens du choix du droit français, voy. notamment: Gand, 15 mai 2002, Rev. dr. comm.
belge (2003), 155, note E. BoosoN et T. KRUGER; et en cas de choix du droit belge, à propos de la
LUVI: Bruxelles, 9 février 1989, Rev. dr. comm. belge (1990), 164, note L. BARNICH.

Le choix peut encore consister à désigner directement la CVIM. Il ne devrait cepen-


dant pas recevoir d'autre portée que celle d'une référence à des usages commerciaux. En
effet, si le contrat n'entre pas de plein droit dans le domaine de la CVIM, le choix du droit
applicable relève de la Convention de Rome. Or, celle-ci ne déclare efficace, comme choix
de la loi contractuelle, que le choix du droit d'un État (voy. supra, n ° 14.46). Il reste alors à
la loi qui régit le contrat en vertu des règles de rattachement de cette Convention de
déterminer quelle portée peut recevoir une référence du contrat à des usages.

14.184 - Règles de rattachement conventionnelles - L'application de la Convention de


Rome ne nécessite pas d'autre développement propre à la vente qu'à propos du rattache-
ment objectif, mis en œuvre à défaut de choix des parties. La présomption des liens les
plus étroits avec le pays de l'établissement du débiteur de la prestation caractéristique
désigne clairement la loi de l'établissement du vendeur (voy. supra, n ° 14.54).
RÈGLES PROPRES À CERTAINS CONTRATS 909

Il suffit de rappeler que cette solution est dans la ligne de celle que prévoit la Convention de
1111

1955. Elle est cependant plus flexible, puisque cette Convention ne prévoit ni mécanisme de pré-
somption ni clause d'exception. De plus, la Convention de Rome permet de donner effet aux lois de
police d'un pays autre que celui dont le droit régit le contrat.

La Convention de La Haye de 1986 est dans la ligne de la Convention de 1980 : formulation du


1111

choix de la loi par les parties, loi applicable à l'existence du contrat, à la forme du contrat. Elle y
ajoute aussi la possibilité d'un renversement de la présomption favorable à l'établissement du ven-
deur, par une référence à la méthode indiciaire, sauf lorsque la question litigieuse entre dans le
domaine de la Convention de Vienne de 1980.

Pour les contrats qui y restent soumis, l'application de la Convention de La Haye de


1955 présente une difficulté au regard de la mise en œuvre des conditions d'application
de la LUVI, en cas de choix tacite par les parties du droit d'un pays qui n'a pas ratifié la
LUVI alors que le rattachement objectif de la Convention désigne le droit d'un pays qui a
ratifié la LUVI.
Ill Sur cette difficulté, voy. l'édition précédente de cet ouvrage, n ° 1404.

B. Contrats de distribution
14.185 - Présentation - La pratique des affaires a développé diverses formes de contrats
de distribution par lesquelles les parties s'engagent à limiter leurs opérations de vente ou
d'achat, de manière exclusive ou sélective. La variante la plus fréquente, observée par
exemple dans le secteur automobile, est celle où le distributeur s'engage à ne vendre au
détail que des produits fournis par le contractant.
De telles pratiques soulèvent une difficulté au regard du droit de la concurrence,
puisqu'en imposant à une partie de ne se fournir qu'auprès d'une entreprise déterminée,
ou de ne vendre qu'à une entreprise déterminée, elles affectent la liberté d'approvisionne-
ment ou d'écoulement. Il n'est donc pas étonnant que le droit communautaire se soit
doté d'une réglementation à cet égard, par l'établissement de règles matérielles, accompa-
gnées de règles d'applicabilité particulières, explicites ou implicites.
1111 Ces actes organisent les conditions d'exemption de certaines ententes. Voy. le règlement 19/65
du 2 mars 1965 (j.O.C.E., 1965, n ° 36), modifié par le règlement 1215/99 du 10 juin 1999 (j.O.C.E.,
1999, L 148), et les règlements d'exécution de la Commission, principalement le règlement 2790/
99 du 22 décembre 1999 (j.O.C.E., 1999, L 336) et, pour le secteur automobile, le règlement 1400/
2002 du 31 juillet 2002 (j.O.C.E., 2002, L 203).

En droit belge, le souci du législateur s'est focalisé sur la protection du distributeur,


dans le cas d'un contrat à durée indéterminée, considérant qu'en raison de la situation de
dépendance économique dans laquelle la clause d'exclusivité place ce distributeur, une
résiliation unilatérale du contrat sans préavis ni indemnité par la partie qui a accordé
l'exclusivité est de nature à lui causer préjudice. Cette protection est mise en place par la
loi du 27 juillet 1961 relative à la résiliation unilatérale des concessions de vente exclusive
à durée indéterminée (Monit., 5 octobre 1961).
Au sens de cette loi, est une« concession de vente [... ] toute convention en vertu de laquelle un
1111

concédant réserve, à un ou plusieurs concessionnaires, le droit de vendre, en leur propre nom et


pour leur propre compte, des produits qu'il fabrique ou distribue» (art. 1cr, § 2).

Sur ce que la loi vise seulement la résiliation, non la résolution du contrat, voy. : Bruxelles,
1111

22 mai 1995, Pas. (1995), II, 25.


910 LES CONTRATS

Appliquée aux contrats internationaux, cette loi soulève des questions de conflit de
juridictions et de conflit de lois qu'elle résout partiellement.

1. COMPÉTENCE INTERNATIONALE

14.186 - Référence à la localisation en Belgique des effets du contrat - L'article 4, ali-


néa 1er, de la loi de 1961 contient une règle de compétence internationale de caractère
impératif, tendant à protéger le concessionnaire, et l'article 6 assortit cette disposition
d'une inopposabilité à celui-ci des clauses de juridiction ou d'arbitrage convenues avant
la naissance d'un différend relatif à la résiliation du contrat (voy. supra, n ° 4.5).
La règle de compétence internationale permet au concessionnaire d'agir en Belgique
dès que la concession « produit ses effets dans tout ou partie du territoire belge», et
détermine la compétence interne en fonction du domicile du demandeur ou du domicile
ou du siège du concédant.

14.187 - Primauté du for contractuel selon le règlement« Bruxelles I » - Depuis l'entrée


en vigueur de la Convention de Bruxelles, suivie de celle du règlement 44/2001 (voy.
supra, chap. 8), les règles de compétence communautaires l'emportent sur la disposition
exorbitante du droit commun que contient l'article 4, alinéa 1er, de la loi précitée.
Toutefois, interprétant l'article 5, 1 °, de la Convention, les tribunaux belges ont ten-
dance à se déclarer compétents quand la concession de vente résiliée produisait ses effets
sur le territoire belge, ce qui aboutit à la même solution que celle de la loi belge.
1111Voy. Cass., 6 avril 1978, Knauer c. Callens,]. T. (1978), 618, rejetant le pourvoi contre: Bruxelles,
10 juin 1976, ].T. (1976), 742, ayant réformé: Comm. Bruxelles, 30 mai 1974, ].T. (1974), 676;
Comm. Bruxelles, 22 juin 1989, Rev. dr. comm. belge (1990), 702, note P. HOLLANDER; Bruxelles,
3 avril 1997, D.A.O.R. (1997), n° 43, p. 9; Mons, 21 décembre 1998, ].T. (1999), 275. D'après la
Cour de cassation, cette interprétation est conforme à celle que la Cour de justice des Communau-
tés européennes a donnée de l'article 5, 1 °, précisément à propos de l'incidence de la loi belge du
27 juillet 1961 (aff. 14/76, 6 octobre 1976, De Bloos, voy. supra, n ° 14.7).
Dans le même sens, pour l'application du traité franco-belge de 1899 (précité n° 8.32), voy.:
Bruxelles, 10 février 1977,J. T. ( 1977), 343.
1111 Comp. en France: Cass. civ. (l1-e ch.), 15 mai 2001, Revue (2002), 86, note P. LAGARDE, concréti-
sant le lieu d'exécution par référence à la loi applicable, désignée en fonction de la prestation carac-
téristique, celle-ci se localisant au siège du fournisseur.

14.188 - Validité des clauses de juridiction et des conventions d'arbitrage - La vali-


dité de la dérogation volontaire à la compétence des juridictions belges désignées par
l'article 4, alinéa 1er, de la loi précitée doit s'analyser différemment selon que la clause
entre ou non dans le domaine d'application du règlement« Bruxelles I ».
Quand la clause satisfait aux conditions posées par l'article 23 du règlement, les tri-
bunaux belges doivent décliner leur compétence, nonobstant le prescrit de la loi du
27 juillet 1961. C'est le cas chaque fois que la désignation porte sur le tribunal d'un État
lié par le règlement et que l'une des parties est domiciliée dans un tel État, à condition
que la clause ait été valablement acceptée (voy. supra, n'" 14.11 et s.).
Voy. notamment: Comm. Bruxelles, 15 janvier 1976,J. T. (1976), 210; 10 décembre 1987, Rev. dr.
11111

comm. belge (1990), 791, note P.M. Lours; Comm. Gand, 5 mars 1992, Tijds. Gentse Rechtspraak
(1992), 120; Mons, 8 octobre 1996, ].L.M.B. (1997), 1651; 5 juin 1997, Tijds. Gentse Rechtspraak
(1997), 151; Liège, 25 janvier 2002, Rev. rég. dr. (2002), 421.
RÈGLES PROPRES À CERTAINS CONTRATS 911

En revanche, les tribunaux belges doivent se déclarer compétents en dépit de la sti-


pulation d'une clause arbitrale, quand le litige qui devrait être soumis à l'arbitrage est
visé par l'article 4, alinéa 1er, de la loi de 1961. La volonté du législateur en ce sens est
claire. Ni la Convention de Genève du 21 avril 1961 ni la Convention de New York du
10 juin 1958, ne prétendent, malgré la primauté de leurs dispositions, empêcher le juge
saisi de se référer aux règles impératives du for en ce qui concerne l'arbitrabilité du litige
(voy. supra, n° 14.21). La Cour de cassation admet toutefois le déclinatoire, s'il est établi
que le juge désigné a appliqué ou appliquera la loi belge au cas d'espèce (voy. supra,
n° 14.18).

IllVoy. Bruxelles, 7 janvier 1969, Pas. (1969), II, 74,].T (1969), 528; 17 octobre 1974, Pas. (1975), II,
59; Comm. Bruxelles, 21 mars 1972,J.T (1972), 447; 13 septembre 1979,j.T (1980), 374. Contra,
notamment: Bruxelles, 4 octobre 1985,J. T. (1986), 93, note A. KOHL; Comm. Bruxelles, 5 octobre
1994,j.T. (1995), 344, note B. HANOTIAU; Comm. Gand, 21 décembre 2000, D.A.O.R (2001), 324,
note B. HANOTIAU; Liège, 28 avril 2003,].T. (2003), 811. Sur cette question, comp. H. VAN HourrE,
précité n ° 14.179, in Mélanges Vander Elst, et les références, notamment étrangères, considérant que
la Convention de New York n'empêche pas le juge belge d'admettre l'arbitrabilité du litige en vertu
de la loi contractuelle étrangère.

1111 Pour une appréciation de l'argument de fraude consistant à simuler un élément d'extranéité, en
l'espèce le siège étranger du bénéficiaire de la clause alors que les produits sont distribués en Belgi-
que, voy. : Cass., 21 juin 2001, Pas. (2001), !, 1197, concluant à l'absence de fraude.

Il. DROIT APPLICABLE AU CONTRAT DE DISTRIBUTION

14.189 - Portée de la référence à la loi belge pour la concession exclusive - Parmi les
contrats de distribution, la concession exclusive a suscité une attention particulière du
fait de la loi du 27 juillet 1961. Pourtant, cette loi ne suffit pas à déterminer le ratta-
chement contractuel. Comme tout contrat, la concession exclusive relève, à défaut de dis-
positions spécifiques, des règles de rattachement générales applicables aux contrats.
Lorsque l'alinéa 2 de l'article 4 de la loi de 1961 dispose que le juge belge« appliquera la
loi belge», il n'établit pas, comme la formulation pourrait le laisser entendre, une règle
de rattachement mais plutôt une règle d'applicabilité particulière (sur cette notion, voy.
supra, chap. 4).
La détermination de la loi contractuelle relève des articles 3 et 4 de la Convention de
Rome (voy. supra, sect. 2). Les parties peuvent donc choisir la loi applicable et, à défaut de
choix, cette loi sera celle du pays avec lequel le contrat a les liens les plus étroits, avec une
présomption en faveur de l'établissement du débiteur de la prestation caractéristique.
L'application du concept au contrat de concession exclusive reste délicate. À tout le
moins, il faut ventiler cette relation d'exclusivité et le contrat de fourniture lui-même, car
la première engendre des droits et obligations de nature distincte de la vente. À l'instar
du contrat d'intermédiaire (voy. supra, § 6), la prestation du distributeur pourrait être
considérée comme caractéristique, à moins que l'espèce montre un rôle déterminant du
concédant dans les conditions de distribution. Il en irait ainsi, probablement, du rôle du
franchiseur dans le contrat de franchise.
1111 Comp. cependant en France: Cass. civ., 15 mai 2001, Optelec, Revue (2002), 86, note P. LAGARDE,
Clunet (2001), 1121, note A. HUET, soumettant au droit néerlandais du lieu de fourniture par le
concédant, une demande du concessionnaire français visant à obtenir réparation du dommage dû
à une résiliation unilatérale du contrat.
912 LES CONTRATS

Les règles impératives de la loi de 1961 seront appliquées par le juge belge - comme
le lui permet l'article 7 de cette Convention de Rome - chaque fois qu'est rencontré le
critère d'applicabilité que celle-ci prévoit, à savoir l'exécution de tout ou partie de la con-
cession sur le territoire belge. Il est clair que le titre du droit belge dans ce cas se limite
aux questions touchant à la résiliation du contrat au sens de la loi de 1961, sans s'étendre
à d'autres questions contractuelles, qui restent soumises à la loi du contrat.
Ili Pour un cas de confusion, voy.: Comm. Bruxelles, 10 septembre 1979,j.C.B. (1980), 602, note
critique H. VAN HOUITE.
Ili Sur ce que la loi de 1961 constitue bien une loi impérative au sens de l'article 7, voy.: Liège,
18 février 2000, D.A.O.R (2000), 391.
1111Sur ce que la loi de 1961 ne sera pas nécessairement appliquée par le juge étranger alors même
qu'elle entendrait régir une concession ayant effet en Belgique, voy.: Cass. civ. (1re ch.),
25 novembre 2003,].C.P. (2004), II, 10046, note]. RAYNARD, à propos d'une concession accordée par
un concédant français, la Cour cassant l'arrêt d'appel qui avait appliqué la loi de 1961 comme loi
du contrat alors qu'il convenait, selon la Cour, de se référer à la prestation de fourniture des pro-
duits comme caractéristique du contrat, sans toutefois que la mise en œuvre de l'article 7 semble
avoir été soulevée en l'espèce comme elle aurait pu l'être. Cette utilisation n'est toutefois que facul-
tative (voy. supra, n° 14.75).
Lorsque l'exécution principale de la concession se localise à l'étranger mais que, soit
le droit belge régit le contrat en tant que loi contractuelle - en vertu du choix des parties
ou du rattachement objectif-, soit le contrat, soumis au droit étranger, connaît en Belgi-
que une exécution accessoire, la règle d'applicabilité précitée soulève une difficulté
d'interprétation. Dans le premier cas, on se demande si la désignation du droit belge à
l'ensemble des prestations contractuelles s'étend également aux dispositions de la loi de
1961. Dans le second cas, on s'interroge sur l'opportunité de l'application de la loi de
1961 sur base d'une localisation somme toute artificielle.
Il paraît conforme à la politique législative inhérente à la protection du concession-
naire que les dispositions de la loi de 1961 ne soient appliquées dans aucun de ces cas.
Dans le premier cas, où le contrat est régi par le droit belge, il n'en irait autrement
que lorsque le choix du droit belge par les parties peut se comprendre comme une réfé-
rence certaine aux dispositions protectrices de la loi, le législateur ne pouvant être sup-
posé empêcher que l'autonomie contractuelle étende le domaine de sa propre loi au-delà
de ce qu'il a expressément prévu.
Ill Pour l'interprétation du choix exprès du droit belge comme une référence implicite à la loi de
1961, voy.: Bruxelles, 4 janvier 1989, R W. (1989-1990), 20; Liège, 18 décembre 2003, Rev. dr. comm.
belge (2005), 50. Contra: Bruxelles, 30 janvier 2004, Rev. dr. comm. belge (2005), 55.
Ill Sur les travaux préparatoires de la loi de 1961, voy. : Doc. pari., Sénat, 1959-1960, n ° 172, Propo-
sition de loi sur les concessions de vente exclusive; ibid., n ° 426, Rapport fait au nom de la commis-
sion des Classes moyennes, par M. VERHAEST, avec, en annexe, l'avis du Conseil d'État. Ces
documents ont été reproduits à la Pasin. (1961), 629.
Pour les concessions exécutées sur un territoire étranger, le juge ne saurait non plus
déduire de la règle d'applicabilité que connaît la loi belge, une volonté d'application du
droit étranger. Il doit plutôt se référer aux critères prévus par l'article 7, alinéa 1er, de la
Convention de Rome, qui exigent de vérifier la volonté d'application propre du droit
étranger.
IllPour une critique de l'interprétation multilatérale des règles spéciales d'applicabilité, voy. plus
généralement supra, n ° 4.9.
RÈGLES PROPRES À CERTAINS CONTRATS 913

1111 Pour un cas d'application de l'article 7, alinéa 1er, sans conclure toutefois en l'espèce à l'applica-
tion de la loi étrangère, voy.: Comm. Mons, 2 novembre 2000,]. T (2001), 523, note M. FALLON, Rev.
dr. comm. belge (2001), 617, note C. ROMMELAERE.
1111 Pour une utilisation de la règle de rattachement générale dans le cas d'un contrat exécuté en
Allemagne, voy.: Comm. Bruxelles, 20 décembre 1991, Rev. dr. comm. belge (1992), 919.

En revanche, en cas de localisation simultanée en Belgique et à l'étranger, il paraît


conforme à la volonté du législateur d'assurer l'application de la loi belge pour la partie
localisée en Belgique, déterminable, par exemple, en fonction du chiffre d'affaires corres-
pondant aux ventes réalisées sur le territoire.
1111 Voy. en ce sens: Comm. Bruxelles, 20 avril 1994, Rev. dr. comm. belge (1995), 515, note P. KILESTE;
Comm. Anvers, 21 mai 1999, Rev. dr. comm. belge (1999), 887.

Ill. EFFICACITÉ D'UNE DÉCISION ÉTRANGÈRE

14.190 - Refus de reconnaissance après révision au fond- Si un juge étranger ou un


arbitre a statué sur la résiliation d'une concession visée par la loi de 1961 malgré les ter-
mes de l'article 6 de cette loi, le juge belge appelé à en assurer la force exécutoire ou la
reconnaissance peut-il opposer comme motif de refus l'interdiction de compromettre
établie par la loi ?
La question a reçu une réponse affirmative de la Cour de cassation, à propos d'une
sentence arbitrale entrant dans le domaine, et de la Convention de New York du 10 juin
1958, et de la Convention belgo-suisse du 29 avril 1959. La Convention de New York per-
met en effet de refuser l'efficacité sur base d'un motif d'inarbitrabilité prévu par le droit
du for, du moins si la clause d'arbitrage a, selon les termes de l'arrêt,« pour but et pour
effet d'entraîner l'application d'une loi étrangère». La Cour ajoute que la Convention
belgo-suisse admet également ce contrôle, alors même qu'elle ne prévoit que le motif
d'ordre public, plus restrictif. Elle considère que le contrôle d'arbitrabilité a lieu même
s'il n'est pas expressément prévu par une convention internationale.
1111 Cass., 28 juin 1979, Audi-N.S.U. c. Adelain Petit, Pas. (1979), I, 1260,].T (1979), 625, Rev. crit. jur.
belge (1981), 332, note R. VANDER ELST. La jurisprudence antérieure avait admis l'efficacité de juge-
ments étrangers dans le cadre de conventions bilatérales aujourd'hui remplacées par la Convention
de Bruxelles: Bruxelles, 14 février 1973, Pas. (1973), II, 100; Civ. Bruxelles, 6 mars 1970,j.T (1970),
298. Sur cette question, voy. plus généralement supra, n° 5 14.16 et s.

En réalité, le contrôle de l'arbitrabilité, distinct de celui de l'ordre public, s'apparente


à une révision au fond de la décision étrangère, ce qui transparaît particulièrement de la
limitation de ce contrôle au cas où le droit du for n'a pas été appliqué. Par conséquent, il
ne doit être pratiqué que, soit lorsqu'un traité l'admet expressément - ce qui est le cas de
la Convention de New York-, soit lorsque pareille révision est prévue. Celle-ci est généra-
lement exclue des traités relatifs à la reconnaissance des décisions.

§ 11 LES LIBÉRALITÉS ENTRE VIFS

A. Application de la loi d'autonomie


14.191 -Application de la Convention de Rome - Comme contrat, la donation relève
de la loi d'autonomie. Son rattachement peut donc découler d'un choix des parties, con-
formément aux règles générales applicables aux obligations contractuelles. En l'absence
914 LES CONTRATS

de choix, il y a lieu de retenir la loi du pays avec lequel la relation a les liens les plus
étroits. La présomption en faveur de la loi de la résidence du débiteur de la prestation
caractéristique semble devoir aller à la loi de la résidence du donateur.
1111 Sur l'application de la Convention de Rome, voy. notamment: L. FUMAGALLI, « La convenzione
di Roma e la legge regolatrice delle donazioni ", Riv. dir. int. priv. proc. ( 1993), 589-606.

1111 Pour une application de la loi d'autonomie, voy. en France: Paris, 23 janvier 1990, Revue (1991),
92, note Y. LEQUETTE, Clunet (1990), 994, note M.-L. NIBOYET-HOEGY,j.C.P. (1991), II, 21637, note M.
BÉHAR-TOUCHAIS.

ffll L'extension donnée à la Convention de Rome par le Code de droit international privé (art. 98)
vaut notamment pour la donation, même si l'acte est établi entre membres d'une même famille.

1111 La forme de la donation relève de l'article 9 de la Convention de Rome (voy. supra, n ° 14.56).
Pour une référence à la loi du lieu de conclusion, voy. en France: Cass. civ., 23 janvier 2001, Le
Meilleur, Clunet (2001), 1113, note T. VIGNAL,j.C.P. (2001), II, 10620, note G. LÉGIER.

Lorsque l'acte recourt à l'institution du trust, il y a lieu de retenir le rattachement


que le Code de droit international privé établit en cette matière (voy. supra, chap. 13).
1111Pour un trust à charge de remise des biens aux héritiers lors du décès, qualifié de donation indi-
recte, voy.: Cass. civ., 20 février 1996, Zieseniss, Revue (1996), 692, note G. DROZ, ].C.P. (1996), II,
22647, note M. BEHAR-TOUCHAIS.

B. Limites à l'application de la loi d'autonomie


14.192 - Incidence de la loi personnelle - Certaines règles propres aux donations doi-
vent être rattachées à la relation d'état dont elles dépendent. Ainsi la donation entre
époux doit tenir compte d'éventuelles limitations résultant de la loi qui régit les effets du
mariage, telles l'admissibilité et la révocabilité de l'acte (art. 48, § 2, Codip, voy. supra,
n ° 12.65). L'interdiction de faire certaines donations aux enfants adultérins ou inces-
tueux dépend de la loi qui régit la filiation, sans préjudice du jeu éventuel de l'exception
d'ordre public.
1111 Pour une présentation générale des rattachements de la donation entre époux, voy. : B. ANCEL,
Les conflits de qualification à l'épreuve des donations entre époux (Paris, Dalloz, 1977) ; P. VAN DEN EYNDE,
« Les donations entre époux", Relations familiales internationales (Bruxelles, Bruylant, 1993), 301-
318.

1111 Sur l'application de la loi personnelle des effets du mariage, voy. en France: Cass. civ., 3 avril
1990, Klein, Revue (1991), 104, confirmant: Versailles, 27 juin 1988, Revue (1989), 696, note B.
ANCEL.

1111 Comp. l'incidence de la loi personnelle sur la validité de certains actes établis par un époux, qui
mettent en péril les intérêts de la famille, à propos d'une sûreté conventionnelle, supra, n')S 12.61 et
12.65.

Sur l'incidence possible de la loi du régime matrimonial, voy. : J.-L. VAN BoxSTAEL, « L'avantage
1111

matrimonial et le conflit de lois", Mélanges De Valkeneer (Bruxelles, Bruylant, 2000), 485-506.

De même, la capacité de donner ou de recevoir des personnes morales dépend du


droit qui régit la personne morale (voy. infra, n ° 16.14).

14.193 - Incidence de la loi successorale - Lors du décès du donateur, la réduction de la


donation à concurrence du disponible ou le rapport des libéralités entre héritiers peut
être invoquée.
RÈGLES PROPRES À CERTAINS CONTRATS 915

Le Code de droit international privé confirme le rattachement successoral du rap-


port et de la réduction des libéralités ainsi que de leur prise en compte dans le calcul des
parts héréditaires (art. 80, supra, n ° 13.84).
Ill En ce sens en France, voy.: Cass. civ., 18 octobre 1988, Revue (1989), 368, note Y. LEQUETTE,j.C.P.
(1989), Il, 21259, note PRÉVAULT; Paris, 23 janvier 1990, précité.
Ce rattachement ne sera connu qu'après l'ouverture de la succession. Le donateur
peut certes viser à assurer la prévisibilité de la loi successorale en faisant usage de l'option
de législation (art. 79). Cependant, un tel choix ne peut pas porter atteinte à la réserve
prévue par la loi successorale désignée en vertu du rattachement objectif.
CHAPITRE 15

LES OBLIGATIONS
NON CONTRACTUELLES
Section 1
Obligations dérivant d'un fait dommageable
15.1 - Bibliographie
T. BALLARINO, « Questions de droit international privé et dommages catastrophiques », Recueil des
cours, vol. 220 (1990-I), 289-388; U. BAX!,« Mass torts, multinational enterprise liability and private
international law », Recueil des cours, vol. 276 (1999), 297-427; G. BEITZKE, « Les obligations délic-
tuelles en droit international privé», Recueil des cours, vol. 115 (1965-II), 67-141; O. BoscoVIc, La
réparation du préjudice en droit international privé (Paris, LGDJ, 2003); P. BouREL, Les conflits de lois en
matière d'obligations extracontractuelles (Paris, Dalloz, 1961); ID., « Du rattachement de quelques
délits spéciaux en droit international privé», Recueil des cours, vol. 214 (1989-II), 255-398; P. CARTER,
« Choice oflaw in tort and delict », L.Q.R. (1991), 405-418 ; S. CNUDDE, « Naar een verfijning van de
!ex loci delicti regel? », Rev. gén. dr. civ. (1993), 467-480; D. COHEN, « La responsabilité civile des
dirigeants sociaux en droit international privé», Revue (2003), 585-624; B. DE GROOTE,
« Rechtsmacht inzake vorderingen uit onrechtmatige daad: enkele bedenkingen bij de toepassing
van art. 5 sub 3 EEX-Verdrag », T.P.R. ( 1996), 735-826 ; ]. ERAuw, De onrechtmatige daad in het interna-
tionaal privaatrecht (Anvers, Kluwer, 1982); ID., « Artikel 1384 B.W. en een voorvraag in het I.P.R. »,
R.W. (1977-1978), 1607-1612; ID., « Hoofdlijnen van de argumentatie voor een betere verwij-
zingsregel inzake de internationale gevallen van aansprakelijkheid »,R. W. (1981-1982), 2519-2526;
M. FALLON,« The law applicable to international obligations - a Belgian viewpoint »,Hague-Zagreb-
Ghent Essays 8 (Anvers, Maklu, 1989), 59-82; ID., « L'incidence de l'autonomie de la volonté sur la
détermination du droit applicable à la responsabilité civile non contractuelle », Mélanges Dalcq
(Bruxelles, Larcier, 1994), 159-188; M. FALLON et S. FRANCQ, « Les conflits de lois en matière d'obli-
gations contractuelles et non contractuelles (1986-1997), Chronique de jurisprudence», ].T.
(1998), 683-700; H. Fox, « Stace responsibility and torr proceedings against a foreign scare in
municipal courts», Neth. Yearb. Int. L. (1989), 3-34; P. GLENN,« Tort liability and choice oflaw -
Role of private international law and of constitutional law », Rev. barreau canadien (1989), 586-591 ;
B. HANOTIAU et M. FALLON, « Les conflits de lois en matière d'obligations contractuelles et non con-
tractuelles (1965-1985) », ].T. (1987), 117-124; K. HERTZ, Jurisdiction on contract and tort under the
Brussels Convention (Copenhagen, DJOF, 1998); C. HONORAT!, « La nuova disciplina tedesca della
legge applicabile al fatto illecito », Riv. dir. int. priv. proc. (2000), 323-348 ; Th. KADNER GRAZIANO, La
responsabilité délictuelle en droit international privé européen (Bâle, Helbing & Lichtenhahn, 2004);
O. KAHN-FREUND,« Delictual Liability and the Conflict of Laws », Recueil des cours, vol. 124 (1968-II),
1-166; P. KAYE, « Recent developments in the English private international law of torts», IPRax
(1995), 406-409 ;]. KRoPHOLLER, « Ein Anknüpfungssystem für das Deliktsstatut », RabelsZ. (1969),
601-652; P. MANKOWSKI, « Das Internet im Internationalen Vertrags- und Deliktrecht », RabelsZ.
918 LES OBLIGATIONS NON CONTRACTUELLES

(1999), 203-294; F.A. MANN, « The consequences of an international wrong in international and
national law », B. YI.L. (1975-1976), 1-65; C. MORSE, Torts in Private International Law (Amsterdam,
Noordholland, 1978); ID., « Torts in Private International Law: A New Statutory Framework »,
I.C.L.Q. (1996), 888-901; P. NYGH, « The Reasonabie Expectations of the Parties As a Guide to the
Choice of Law in Contract and in Tort», Recueil des cours, vol. 251 (1995-I), 269-400; F. PocAR, « Le
droit des obligations dans le nouveau droit international privé [italien]», Revue (1996), 41-66;
M. PRYLES, « Tort and related obligations in private international law », Recueil des cours, vol. 227
(1991-II), 9-206; C. REYMOND,« Les conflits de lois en matière de responsabilité délictuelle devant
l'arbitre international», Trav. Comité fr. dr. int. pr. (1988-1989), 97-122; A. SARAVALLE, « Recenti svi-
luppi in materia di responsabilità civile in diritto internationale privato comparato », Riv. dir. int.
priv. proc. (1995), 657-683; L. ScHUERMANS et P. LAVRYSEN-VAN EUPEN,« Onrechtmatige daad en
schadeloosstelling naar Belgisch internationaal privaatrecht », T.P.R (1974), 649-691; H. SONNEN-
BERGER, « La loi allemande du 21 mai 1999 sur le droit international privé des obligations non con-
tractuelles et des biens », Revue (1999), 647-668; R. VANDER ELST, Les lois de police et de sûreté en droit
international privé belge et français (Bruxelles, Parthenon, 1956, 1963); ID.,« Lois régissant l'action en
réparation d'un délit commis par un Belge à l'étranger», Rev. crit. jur. belge (1957), 195-203; H. VAN
HourrE, « Internationale forumshopping bij onrechtmatige daad », Mélanges Dalcq (Bruxelles, Lar-
cier, 1994), 575-590; E. VANLINTHOUT, « Het recht, toepasselijk op de onrechtmatige daad in het
I.P.R., in de Belgische rechtspraak van 1966 tot nu», Jura Falconis (1993), 239-254; J. VON HEIN,
« Rechtswahlfreiheit im Internationalen Privatrecht », IPRax (2000), 595-613; W. WENGLER, « La
responsabilità per fatto illecito nel diritto internazionale privato. Ricerca di una nuova
sistematica », Ann. dir. intern. (1966).
L'Institut de droit international a adopté une résolution sur « Les obligations délictuelles en droit
international privé», lors de sa session d'Édimbourg, Annuaire, vol. 53 (1969), t. Ier, 293-546; t. II,
180-254.
Les travaux des XIW Journées d'études juridiques Jean Dabin ont été publiés dans: La réparation
des dommages catastrophiques - Les risques technologiques majeurs en droit international et en
droit communautaire (Bruxelles, Bruylant, 1990), 579 p.
Sur la proposition de règlement communautaire « Rome II », voy. : S. BARIATTI, « La futura disci-
plina delle obbligazioni non contrattuali nel quadro della comunitarizzazione del diritto interna-
zionale privato », Riv. dir. int. priv. proc. (2005), 5-24; P. DE VAREILLES-SOMMIÈRES,« La responsabilité
civile dans la proposition de règlement communautaire sur la loi applicable aux obligations non
contractuelles ("Rome II")», Les conflits de lois et le système ;uridique communautaire (Paris, Dalloz,
2004), 185-204; GROUPE DE HAMBOURG, « Comments on the European Commission's draft propo-
sai for a Council regulation on the law applicable ro non-contractual obligations »,RabelsZ. (2002),
1-56.

15.2 - Présentation des sources - La matière des obligations non contractuelles est
régie par une multiplicité de sources, dont l'enchevêtrement constitue un facteur de
complexité certain. En effet, cette multiplicité se traduit par l'existence d'actes qui se dif-
férencient par la nature de leur source (internationale, européenne, nationale), par leur
objet matériel (quasi-délits en général, délits spéciaux) ou par la nature de leur contenu
(règles de rattachement, règles matérielles, règles de conflit de juridictions). Ce phéno-
mène va en s'accentuant: l'importance de certains risques liés à la société industrielle a
incité le législateur national ou européen à édicter, le plus souvent, des règles matérielles
uniformes assorties ou non d'une règle spéciale d'applicabilité et parfois complétées
d'une règle spéciale de compétence internationale.
Les actes internationaux et européens en vigueur en Belgique sont cités lors de l'exposé des
1!11
matières particulières qu'ils affectent.
Les actes internationaux ayant pour objet d'harmoniser le droit matériel ne concernent jamais
qu'un délit spécial.
ÜBUGATIONS DÉRIVANT D'UN FAIT DOMMAGEABLE 919

Lorsque ces actes se contentent d'harmoniser le droit matériel sans comporter de règle spéciale
d'applicabilité, ils n'ajoutent aucune règle de droit international privé : leur domaine d'application
dans l'espace est alors fixé au moyen des règles de conflit de lois nationales.
L'absence de règle d'applicabilité explicite dans un acte communautaire ne signifie pas nécessaire-
ment que celui-ci en soit dépourvu: la présence d'une telle règle peut être décelée par voie d'inter-
prétation (voy. supra, chap. 4).
IllLe Code de droit international privé a introduit des règles de compétence internationale et de
rattachement propres aux obligations non contractuelles dérivant d'un fait dommageable et aux
quasi-contrats (art. 98 à 107).
!IllDeux projets aujourd'hui abandonnés, mais faisant partie d'une codification englobant
d'autres matières, ont eu pour objet la loi applicable aux obligations non contractuelles.
Il en est ainsi du projet de loi uniforme Benelux de 1969 (non entré en vigueur, voy. supra, chap. 2),
et de l'avant-projet de Convention C.E.E. sur la loi applicable aux obligations contractuelles et non
contractuelles. Ces articles ont été biffés de la version établie en 1978, le groupe de travail ayant
« décidé de négocier une convention séparée pour les obligations non contractuelles ».
Pour une bibliographie générale sur le projet de convention C.E.E., voy. supra, n ° 14.34. Sur les
articles 10 à 14, voy. en outre: M. FALLON,« Les dispositions de l'avant-projet C.E.E. relatives à la loi
applicable aux obligations aquiliennes », European Private International Law of Obligations (Tübingen,
Mohr, 1975), 87-98; R. VANDER ELST,« Projet de convention C.E.E. sur la loi applicable aux obliga-
tions non contractuelles», Rev. trim. dr. eur. (1975), 187-195; A. VON OVERBECK et P. VoLKEN, « Das
internationale Deliktsrecht im Vorentwurf der EWG », RabelsZ. (1974), 56-78.
Des travaux sont en cours au sein de l'Union européenne en vue de règles uniformes sur la loi
!Ill
applicable aux obligations non contractuelles (projet dit« Rome Il»). Voy. la proposition de règle-
ment transmise au Conseil le 22 juillet 2003, Doc. COM(2003) 427 final.

Lorsque le praticien est amené à résoudre un cas particulier, il doit consulter


d'abord les actes communautaires et à défaut, internationaux, soumettant un délit
spécial à des règles matérielles et/ou de compétence internationale assorties d'une règle
spéciale d'applicabilité. Ensuite seulement, il peut se référer, pour la solution de la com-
pétence internationale, aux règles générales du règlement« Bruxelles I » et, à défaut, à cel-
les du Code de droit international privé; pour la solution du conflit de lois, en l'absence
de règles harmonisées, il utilise les règles de rattachement du Code de droit international
privé, tout en accordant la priorité à des règles matérielles nationales accompagnées
d'une règle spéciale d'applicabilité.

§1 RÈGLES GÉNÉRALES DE CONFLIT DE JURIDICTIONS

A. Contexte de l'Union européenne


15.3 - Le for quasi délictuel selon le règlement « Bruxelles I » - Quand le défendeur
est domicilié sur le territoire d'un État membre de l'Union européenne auquel il s'appli-
que, l'article 5, 3 ° et 4 °, du règlement « Bruxelles I » ajoute à la compétence des juridic-
tions de cet État (art. 2, al. 1er; voy. supra, n ° 9.30) deux autres chefs de compétence, ainsi
qu'un chef propre à l'assistance maritime.
Ill Ces dispositions incluent une règle de compétence territoriale interne, puisqu'elles désignent le
tribunal spécialement compétent.

Le défendeur peut être attrait:


- soit, « en matière délictuelle ou quasi délictuelle, devant le tribunal du lieu où le
fait dommageable s'est produit ou risque de se produire» (art. 5, 3°);
920 LES OBLIGATIONS NON CONTRACTUELLES

- soit, « s'il s'agit d'une action en réparation de dommage ou d'une action en resti-
tution fondées sur une infraction, devant le tribunal saisi de l'action publique, dans la
mesure où, selon sa loi, ce tribunal peut connaître de l'action civile» (art. 5, 4 °).

En outre, lorsque la contestation porte sur le paiement d'une rémunération récla-


mée en raison d'une opération d'assistance ou de sauvetage dont a bénéficié une cargai-
son ou un fret, elle peut être portée devant le tribunal du lieu de saisie des biens ou du
lieu où une saisie aurait pu être faite (art. 5, 7°). La disposition admet ainsi un for du
patrimoine, plus généralement considéré comme exorbitant (voy. supra, n ° 9 .25).
Le règlement n'exclut pas que les parties puissent convenir d'un tribunal compétent
en vertu de l'article 23.

En revanche, il n'offre pas la possibilité au juge saisi de ne pas exercer sa compétence


en invoquant une règle nationale, tel le concept anglo-saxon de «forum non conveniens »
(C.J.C.E., aff. C-281/02, 1er mars 2005, Owusu, supra, n ° 9.27).

15.4 - Notion de matière quasi délictuelle - La notion de « matière délictuelle ou quasi


délictuelle» doit s'entendre dans un sens autonome, et non par référence à une qualifica-
tion opérée en droit national. L'action doit avoir pour objet de« faire condamner le débi-
teur à réparer les dommages qu'il a causés». L'action paulienne n'obéit pas à cette
condition (C.J.C.E., aff. C-261/90, 26 mars 1992, Reichert, Rec., 1992, I-2149). Mais la
notion peut aussi viser à couvrir l'action préventive: si la solution est certaine dans le
texte du règlement « Bruxelles I », elle se laissait déjà déduire d'une interprétation de la
Convention de Bruxelles (C.J.C.E., aff. C-167/00, 1er octobre 2000, VKI & Henkel, Rec.,
2000, I-8111, Revue, 2003, 682, note P. RÉMY-CORLAY, à propos de l'action collective d'une
association de consommateurs en cessation d'une publicité abusive).
Ainsi, relève de l'article 5, 3 °, l'action préventive visant à empêcher la réalisation du dommage
1111

consécutif à l'immobilisation d'un navire pour fait de grève (C.J.C.E., aff C-18/02, 5 février 2004,
DFDS Torline, Revue, 2004, 791, note E. PATAUT). Il importe peu que le comportement ait cessé
entre-temps, en raison de l'objectif de prévisibilité de la compétence pour le demandeur (même
arrêt).

Comme en droit interne, la délimitation par rapport à la notion de « matière


contractuelle» peut s'avérer délicate (comp. supra, n° 14.5). Lorsque le tribunal est saisi
de demandes contractuelle et quasi délictuelle concurrentes, il ne peut fonder sur sa com-
pétence à connaître de la demande quasi délictuelle, une compétence à connaître de la
demande contractuelle: celle-ci ne saurait reposer que sur le critère visé à l'article 5, 1 °
(C.J.C.E., aff. 189/87, 27septembre 1988, Kalfelis, Rec., 1988, 5565,].T., 1989, 214, note
M. EKELMANS, Clunet, 1989, 457, note A HUET).

15.5 - Localisation du fait dommageable - La notion de « lieu où le fait dommageable


s'est produit» a fait l'objet d'une interprétation donnant de l'expression une définition
alternative: le demandeur a le choix d'agir devant le tribunal « soit du lieu où le dom-
mage est survenu soit du lieu de l'événement causal qui est à l'origine de ce dommage»
(C.J.C.E., aff. 21/76, 30 novembre 1976, Bier c. Mines de potasse d'Alsace, Rec., 1976, 1735,
Revue, 1977, 568, note P. BoUREL, Clunet, 1977, 728, note A HuET).
1111 Par exemple, le fait constitué d'un préavis de grève se localiserait au siège du syndicat (C.J.C.E.,

aff. C-18/02, 5 février 2004, DFDS Torline, Revue, 2004, 791, note E. PATAUT).
ÜBLIGATIONS DÉRIVANT D'UN FAIT DOMMAGEABLE 921

L'objectif de cette interprétation n'est pas de protéger le demandeur, contrairement


aux apparences: selon la Cour de justice, l'article 5 a une portée dérogatoire, le principe
de l'article 2 visant à assurer la protection juridictionnelle du défendeur. La disposition
vise à la fois à assurer un objectif de proximité et à préserver l'assurance de la prévisibilité
du for compétent pour le défendeur (voy. supra, n ° 9.23). Aussi, en cas d'éparpillement
des éléments constitutifs de la responsabilité, le critère du « fait dommageable » perdrait
de sa pertinence en termes de sécurité juridique pour l'une et l'autre parties (C.J.C.E., aff.
C-168/02, 10 juin 2004, Kronhofer).
Cet objectif se traduit dans la détermination de la compétence basée sur le lieu de
survenance du dommage. Cette compétence subit une double limite: la notion vise uni-
quement le dommage direct, et ce dommage doit être local. Lorsque ces conditions ne
sont pas remplies, il reste au demandeur à invoquer l'article 2 (for du domicile du défen-
deur).
1111La condition du dommage direct conduit à neutraliser la localisation des pertes économiques.
Ainsi, pour un dommage subi par une société française du fait de pertes de l'une de ses filiales alle-
mandes consécurives à une interruption de crédit décidée par un banquier allemand, seul le dom-
mage direct doit être pris en compte (C.J.C.E., aff. C-220/88, 11 janvier 1990, Soc. Dumez, Rec., 1990,
1-49, Revue, 1990, 363, note H. GAUDEMET-TALLON, Clunet, 1990, 498, note A. HuET). Dans le cas évo-
qué, c'était alors la filiale allemande qui devait être considérée comme la victime directe du dom-
mage, et celui-ci était donc survenu en Allemagne plutôt qu'en France.
Voy. encore: à propos de la réparation d'une atteinte à la réputation commise par une banque à
l'égard d'un client étranger auquel elle avait refusé de délivrer un instrument financier en raison
d'un soupçon de fraude: C.J.C.E., aff. C-364/93, 19 septembre 1995, Marinari, Rec. (1995), 1-2719,
Clunet (1996), 562, note J.-M. BrscHOFF, précisant que la définition autonome du dommage
s'impose même lorsque celui-ci consiste dans l'atteinte à un droit ; à propos de l'action du destina-
taire de marchandises avariées contre le transporteur avec lequel il n'a pas contracté: C.J.C.E., aff
C-51/97, 27 octobre 1998, Réunion européenne, Rec. (1998), 1-6511, Revue (1999), 322, note H. GAU-
DEMET-TALLON, indiquant le lieu de la livraison due de la marchandise plutôt que le lieu de consta-
tation des avaries, afin de préserver l'objectif de prévisibilité pour le défendeur; à propos du
dommage résultant de l'immobilisation d'un navire : arrêt DFDS Torline précité, évoquant divers
« indices », dont le pavillon.
Ainsi, ne sont pas constitutives du lieu de survenance du dommage: la localisation de la perte de
revenus liée au coût de funérailles ni la localisation du dommage moral (Cass., 28 février 2002, Via
International, Pas., 2002, I, 604) ; la localisation du centre du patrimoine d'un investisseur agissant
en réparation d'une faute de placement liée à un transfert d'espèces sur un compte à l'étranger
(arrêt Kronhofer, précité).
Serait localisable en Belgique, le dommage subi par une personne y travaillant, causé par des inju-
res proférées lors d'un concert donné aux Pays-Bas à destination d'un public belge (Civ. Bruxelles,
2 avril 1996, Auteurs & Media, 1997, 314).
Il en va autrement de pertes éprouvées par une entreprise belge suite au remboursement de son
client japonais consécutif à la fourniture de produits contrefaits par un vendeur italien (Comm.
Gand, 2 janvier 2003, Tijds. Gentse Rechtspraak, 2003, 38).
Ill!La condition du dommage local empêche le juge de connaître d'autres dommages localisés à
l'étranger. Ainsi, en cas de diffamation par voie de presse, la victime ne peut agir dans le pays de dif-
fusion que pour les atteintes à sa réputation localisables dans ce pays où elle est connue (C.J.C.E.,
aff C-68/93, 7 mars 1995, Shevill c. Presse Alliance, Rec., 1995, 1-415, ].L.M.B., 1995, 1148, note A.
KOHL, Rev. gén. dr. civ., 1996, 49, note I. COUWENBERG, Revue, 1996, 487, note P. LAGARDE).

15.6 - Compétence en matière d'assurances - Le règlement « Bruxelles I » déroge aux


règles générales pour l'action du tiers lésé contre l'assureur de responsabilité, autant que
pour l'action de l'assureur.
1111 Pour les demandes contractuelles, voy. supra, n° 14.86.
922 LES OBLIGATIONS NON CONTRACTUELLES

Le demandeur peut agir, outre au lieu du domicile du défendeur ou au lieu de son


propre domicile :
soit« devant le tribunal du lieu où le fait dommageable s'est produit» (art. 10) ;
soit « devant le tribunal saisi de l'action de la personne lésée contre l'assuré si la
loi de ce tribunal le permet» (art. 11, § 1er).
Ces dispositions régissent aussi l'action directe intentée par la victime contre l'assu-
reur,« lorsque l'action directe est possible» (art. 11, § 2) ; en outre, si la loi relative à cette
action prévoit la mise en cause du preneur d'assurance ou de l'assuré, le même tribunal
sera aussi compétent à leur égard (art. 11, § 3). Le texte ne désigne pas la loi applicable à
l'action directe.
Ill En matière d'assurances, le « demandeur» autorisé à saisir le tribunal de son propre domicile
est le preneur, l'assuré ou le bénéficiaire. En cas d'action directe de la victime, le texte (art. 11, § 2) se
contente de renvoyer aux règles de compétence valables pour un tel demandeur, ce qui signifie que
la personne lésée ne peur pas agir devant son propre tribunal.
Pour une application dans le domaine des transports, conduisant à une incompétence, voy.:
Anvers, 16 mars 1993,]ur. Anv. (1994), 429.
Toutefois, pour le secteur de la couverture du risque automobile, la directive 2005/14 du 11 mars
2005 (J.O.C.E., 2005, L 149, SC directive) ajoute au préambule de la directive 2000/26 (voy. infra,
n° 15.38) un considérant selon lequel, au sens du règlement 44/2001, « les personnes lésées peu-
vent intenter une action en justice contre l'assureur de la responsabilité civile dans l'État membre
sur le territoire duquel elles sont domiciliées ». Cette méthode d'interprétation constitue une
forme de modification de l'acte communautaire.

1111 Le texte ne prévoit l'action directe que« lorsque l'action directe est possible » (arc. 11, § 2). Cette
condition constitue une simple règle de signalisation (voy. supra, n° 4.41), qui renvoie aux règles de
droit international privé du juge saisi. Elle ne paraît pas indispensable pour autant. Il n'aurait pas
été excessif d'étendre le bénéfice de la section au tiers lésé, pourvu que la demande identifie l'exis-
tence d'une relation d'assurance qui lie le défendeur, tout en réservant au traitement du fond la
question de l'existence et du régime de l'action directe.

B. Droit commun
15.7 - Insertion d'une règle spéciale de compétence - Le Code de droit international
privé introduit une règle propre aux demandes fondées sur une obligation non contrac-
tuelle liée à un fait dommageable (art. 96, 2 °). Le texte s'inspire de la portée donnée à la
disposition correspondante du règlement « Bruxelles I », puisqu'il permet de fonder la
compétence des juridictions belges en cas de survenance en Belgique du « fait généra-
teur » ou du dommage.
Le texte se garde d'utiliser le terme « fait dommageable», préférant citer directement chacun
1111

des éléments constitutifs de la responsabilité.


La localisation se réfère aussi à la« menace» d'un fait ou d'un dommage, ce qui couvre l'action pré-
ventive.
En cas d'éclatement d'un élément constitutif (localisation partielle en Belgique), la compétence
n'est pas limitée lorsqu'il affecte le fait générateur, mais bien lorsqu'il affecte le dommage. Comme
le règlement« Bruxelles I », le texte limite donc la compétence aux dommages locaux, contraignant
alors le demandeur à agir à l'étranger s'il veut obtenir une concentration des litiges.
À la différence du règlement« Bruxelles I », le Code ne fixe normalement pas la compétence territo-
riale interne (voy. supra, n ° 9.60). Celle-ci doit donc se déterminer en fonction des articles 624 et
suivants du Code judiciaire.
ÜBLIGATIONS DÉRIVANT D'UN FAIT DOMMAGEABLE 923

Ill!Précédemment, l'article 635 du Code judiciaire ne contenait aucune disposition particulière. La


compétence se laissait déterminer selon d'autres notions, soit le domicile ou la résidence du défen-
deur ou d'un des défendeurs, soit le lieu où l'obligation est née ou doit être exécutée (3°).
Pour un cas d'application de l'article 635, 3 °, à l'action intentée par une victime de la zaïrianisation
contre l'acquéreur du bien nationalisé, admettant les critères alternatifs du lieu de l'acte générateur
et du lieu de réalisation du dommage sans identifier celui-ci pour autant avec la résidence de laper-
sonne lésée: Bruxelles, 16 mars 1989,J. T. (1989), 550.

§2 RÈGLES GÉNÉRALES DE CONFLIT DE LOIS

A. Détermination de la loi de la responsabilité


15.8 - Présentation - L'entrée en vigueur du Code de droit international privé signifie
un bouleversement des règles de rattachement en matière de responsabilité civile. En
effet, le législateur a introduit un jeu de règles spécifiques, là où, précédemment, la juris-
prudence avait dû, faute de disposition légale, procéder à une interprétation des termes
laconiques de l'article 3, alinéa premier, du Code civil, aux termes duquel « Les lois de
police et de sûreté obligent tous ceux qui habitent le territoire».
Les règles nouvelles régissent les demandes basées sur des actes ou des faits établis
ou survenus après le 1er octobre 2004 (art. 127, § ier, al. 2), date d'entrée en vigueur du
Code. Par conséquent, les règles anciennes continuent de régir, après cette date, lares-
ponsabilité encourue pour un acte ou un fait antérieur.
La strucrure des dispositions légales présente une distinction entre règle générale et
règles spéciales. La première établit un principe de rattachement objectif, auquel les par-
ties peuvent toutefois déroger par une option de droit. De plus, l'exception générale
d'ordre public permet d'écarter, le cas échéant, l'application de la loi désignée en l'espèce.

1. RATTACHEMENT DE PRINCIPE

a) Solutions actuelles
15.9 - Rattachement fondé sur le principe de proximité - Le Code établit une échelle
de rattachements, en fonction de la localisation des éléments de l'espèce, cherchant à
désigner la loi du pays avec lequel la siruation présente les liens les plus étroits (art. 99,
§ ier).
L'échelle comporte trois degrés, à savoir, dans l'ordre descendant:
- la résidence des parties dans le même pays au moment de la survenance du fait
dommageable (1 °);
Ill!Le conflit mobile est résolu par une référence au moment du « fait dommageable». Ce terme
doit se comprendre dans le sens traditionnel, comme pouvant couvrir la survenance de l'acte géné-
rateur comme celle du dommage. Le texte ne précise pas la solution en cas d'éparpillement de ces
éléments, à la différence de ce qu'il fait pour la responsabilité du fait des produits (voy. infra,
n ° 15.58). Il y a sans doute lieu d'admettre une souplesse d'appréciation, en se contentant, par
exemple, d'une convergence des résidences à un moment de survenance de l'un quelconque de ces
éléments.
- la localisation dans le même pays de l'ensemble des éléments constitutifs de la
responsabilité, à savoir le fait générateur du dommage et le dommage même, « en
totalité » (2 °) ;
924 LES OBLIGATIONS NON CONTRACTUELLES

1111 Les termes de cette localisation doivent s'entendre strictement : ce rattachement n'est pertinent
que si l'ensemble des éléments constitutifs se localise dans le même pays. Cette exigence est expri-
mée par les termes « en totalité». Ainsi, ce rattachement n'est pas pertinent si une partie du dom-
mage, ou si une partie du fait générateur, se localise dans un autre État.
Ce faisant, le législateur a voulu exprimer que le concept de « fait dommageable» n'est significatif
que s'il traduit une proximité suffisance, de nature à sauvegarder la prévisibilité du droit applica-
ble. Ainsi, la règle nouvelle ne consacre pas un abandon total du principe territorial initial, mais
elle lui assigne une nouvelle fonction, de proximité plutôt que de souveraineté.
Dans le contexte du règlement« Bruxelles I » aussi, le« fait dommageable» n'est considéré comme
totalement pertinent, selon la Cour de justice, que s'il correspond à une concentration de l'ensem-
ble des éléments constitutifs de la responsabilité (arrêt Kronhofer, précité n ° 15.5). Pourtant, il con-
serve un rôle en cas d'éparpillement, mais l'interprétation stricte donnée encourage le demandeur à
agir plutôt dans le pays du domicile du défendeur.

La localisation du dommage s'entend du lieu de matérialisation de celui-ci, non pas nécessaire-


11111

ment du lieu où le dommage est ressenti, selon l'exposé des motifs (Doc. pari., Sénat, 2003-2004,
n ° 3-27/1). En cas de dommage causé à un tiers par ricochet, seul le dommage direct, causé à la vic-
time, est pris en compte. Voy. déjà en ce sens en France: Cass. civ., 28 octobre 2003, Pays-Fourvel,
Revue (2004), 83, note D. BUREAU, Clunet (2004), 499, note G. LÉGIER.

- subsidiairement, une localisation par les liens les plus étroits de l'obligation en
cause avec un pays déterminé (3°).
111 Ce rattachement subsidiaire établit une clause spéciale d'exception, dont les termes sont néces-
sairement plus souples que ceux de la clause générale de l'article 19, puisqu'elle n'intervient qu'à
défaut de l'un des liens plus significatifs prédéterminés aux échelons précédents.
Cette clause spéciale d'exception ôte évidemment de sa portée utile à la clause générale chaque fois
qu'elle trouve à s'appliquer. Cela ne revient cependant pas à écarter la clause générale pour l'ensem-
ble de la matière de la responsabilité civile. En effet, il pourra arriver que même la convergence des
résidences dans le même pays ne suffise pas, en fonction des éléments de l'espèce, à traduire les
liens« les plus» étroits: la clause générale pourrait donc jouer en ce cas.
1111Il est apparemment curieux d'évoquer encore les liens « les plus étroits » lorsque la clause
d'exception intervient en ordre subsidiaire. L'intensité du lien doit évidemment s'apprécier en
fonction d'une proximité relative, eu égard à l'éparpillement des éléments de l'espèce. Le texte pré-
cise toutefois que l'appréciation doit se faire à l'égard de «l'obligation» plutôt que de la
« situation », ce qui amène à focaliser sur les seuls éléments constitutifs de la responsabilité. Ainsi,
le fait générateur et la survenance du dommage ou d'une partie de ceux-ci peuvent être pris en con-
sidération, en combinaison avec l'un ou l'autre élément apte à exprimer une localisation précise
d'un fait ou d'un dommage diffus, celle la résidence d'une partie.

15.10 - Évolution du droit comparé - À l'étranger, toute fidélité à un rattachement


absolu au lieu de l'acte générateur (lex loci delicti) a pratiquement disparu. La réaction ini-
tiale s'est manifestée aux États-Unis, où la jurisprudence d'une majorité d'États a aban-
donné le rattachement rigoureux à la lex loci delicti au profit d'une approche plus souple.
Le coup d'envoi fut donné par l'arrêt Babcock v.]ackson de la cour d'appel de New York (12
NY 2d 473,240 NYS 2d 743, 191 NE 2d 279 [1963]; Revue, 1964, 283).
Ill Cette évolution de la jurisprudence a été consacrée par les §§ 145 et suivants du Restatement 2d
on the law ofconflict oflaws (supra, chap. 2).
1111La bibliographie se confond pratiquement avec celle du droit international privé américain, car
la plupart des études générales évoquent la matière de la responsabilité. La plupart des cours géné-
raux donnés à l'Académie de droit international analysent cette évolution Voy. plus spécialement
les références citées supra, chap. 2. Adde: D. CAVERS, « Concemporary Conflicts Law in American
Perspective», Recueil des cours, vol. 77 (1970-II), 71-308; W. REESE, « General Course on Private
international Law», Recueil des cours, vol. 150 (1976-II), 1-193; R. WEINTRAUB, « The Future of
ÜBLIGATIONS DÉRIVANT D'UN FAIT DOMMAGEABLE 925

Choice of Law for Torts: What Principles should be preferred? », Law and Contemporary Problems
(1977), 146.
Voy. aussi la chronique annuelle de S. SYMEONIDES, « Choice oflaw in the American courts», Am.].
Camp. L., ainsi que: ID., « The American choice-of-law revolution in the courts: Today and
comorrow », Recueil des cours, vol. 298 (2002), 9-448.
1111 La jurisprudence n'est pas monolithique, mais elle s'inspire des différentes théories proposées

en doctrine, desquelles se dégagent l'analyse des intérêts gouvernementaux (governmental interests


analysis) de B. Currie ou de A. Ehrenzweig, la méthode de la localisation objective ou indiciaire (most
significant relationship) de W. Reese, les approches fonctionnelles (functional approaches) basées sur le
but de l'institution de D. Cavers et de R. Weintraub, ou la recherche de la loi la meilleure (better law
theory) de R. Leflar. La plupart des cas intéressent des accidents de la circulation ou de la consom-
mation. Pour une analyse des applications relatives aux seconds, voy. M. FALLON, infra, n ° 15.56.

En Europe, les réactions les plus sensibles se situent au Royaume-Uni, pays de com-
mon law, mais aussi en Allemagne ou aux Pays-Bas.
Les travaux qui furent à l'origine de la réaction contemporaine sont ceux de J.H.C. MORRIS,
1111

« The Proper Law of a Tort», Harvard L.R. (1950-1951), 881, et de H. BrNDER, « Zur Auflockerung
des Deliktsstatuts », RabelsZ. (1955), 401.
1111 Au Royaume-Uni, voy. pour l'application du droit anglais à un accident survenu à Malte entre
deux militaires britanniques qui y étaient en service, Boys v. Chaplin [1968] 1 Ali. E.R. 283, 25 juin
1969, Revue (1970), 78, note GRAVESON et WoRTLEY. Cette jurisprudence a suscité de nombreuses
interrogations, principalement suite aux appréciations diverses émises par les membres de la haute
juridiction pour justifier la solution: voy., outre les ouvrages généraux :J.J. FAWCETT, « Is American
Governmental Interest Analysis the Solution co English Tort Choice of Law Problem? », I.C.L.Q.
(1982), 150-166; ID.,« Policy Considerations in Tort Choice of Law», Modern L.R (1984), 650-670.
En 1996, le Private International Law (Miscellaneous Provisions) Act (Revue, 1996, 377) établit des règles
écrites en la matière. Celles-ci mettent en avant une clause d'exception, tout en affirmant un ratta-
chement principal en fonction de la localisation de la survenance du dommage.
1111En Allemagne et aux Pays-Bas, le législateur est également intervenu par voie de dispositions
particulières, respectivement en 1999 (Revue, 1999, 870) et en 2001 (Neth. Int. Law Rev., 2003, 222).
La loi suisse de 1987 comporte également des règles propres à la matière (art. 133).
Ces dispositions expriment la tendance à préférer la localisation par la résidence des parties dans le
même pays, avec le tempérament d'une clause d'exception. Le rattachement subsidiaire maintient
une référence aux éléments constitutifs de la responsabilité, plus précisément au lieu de surve-
nance du dommage, avec des nuances variables : tantôt une condition de prévisibilité (Pays-Bas,
Suisse), tantôt alternativement avec le lieu de l'acte générateur, au choix du demandeur (thèse alle-
mande de l'ubiquité).
La loi néerlandaise tient aussi pour pertinent le lieu du fait dommageable si cous les éléments cons-
titutifs de la responsabilité se localisent dans le même pays. Cette référence se retrouve aussi dans
la loi belge.
1111L'Institut de droit international a, ces dernières années, consacré deux sessions à la responsabi-
lité non contractuelle. Il suggère un assouplissement du rattachement territorial, aussi bien pour
l'ensemble de la matière (session d'Édimbourg, précité n° 15.1), que pour les actions en concur-
rence déloyale (session de Cambridge, infra, n ° 15.42).
1111 Camp. la référence laconique de la Cour de justice des Communautés européennes à une ten-
dance à l'application de la loi du lieu de survenance du dommage : C.J.C.E., aff. C-397/96,
21 septembre 1999, Kordel, Rec. (1999), 1-5959; aff. C-397/02, 9 septembre 2004, Clinique La Ramée.

La proposition de règlement transmise au Conseil par la Commission exprime une


préférence de principe pour le critère du lieu de survenance du dommage, tout en accor-
dant la priorité à la localisation de la résidence des parties dans le même pays et en tem-
pérant le rattachement par une clause d'exception.
926 LES OBLIGATIONS NON CONTRACTUELLES

Le texte en projet exprime ainsi une évolution en faveur d'un rattachement de proxi-
mité, où la convergence des résidences dans un même pays constitue un indice détermi-
nant. En même temps, il n'abandonne pas toute référence aux éléments constitutifs de la
responsabilité, tout en préférant l'élément «dommage» à l'élément « fait générateur»,
au nom d'une accentuation de l'objectif de compensation inhérent au droit matériel de
la responsabilité civile.
1111 Comp. l'avant-projet de 1978, dont l'article 10 contenait pour seule disposition un rattache-
ment en fonction de la localisation du fait générateur, tempéré par une clause d'exception, ainsi
libellée: « Toutefois, lorsque d'une part, il n'existe pas de lien significatif entre la situation résul-
tant du fait dommageable et le pays où s'est produit le fait et que, d'autre part, cette situation pré-
sente une connexion prépondérante avec un autre pays, il est fait application de la loi de ce pays»
(al. 2). Les alinéas 3 et 4 précisaient, respectivement, la nature de cette connexion et la solution
applicable en cas de pluralité de victimes.

b) Jurisprudence antérieure
15.11 - Référence absolue au lieu du fait générateur - Selon la Cour de cassation, « les
lois qui déterminent les éléments du fait générateur de la responsabilité civile, délictuelle
ou quasi délictuelle, ainsi que le mode et l'étendue de la réparation, sont des lois de police
au sens de l'article 3 » du Code civil (17 mai 1957, Bologne c. Sainte, Pas., 1957, I, 1111).
Ill!La solution est constante. Voy.: Cass., 2 janvier 1961, Jeangout c. Motte, Pas. (1971), 1, 465;
23 novembre 1962, Riemens c. Kulleberg, Rev. crit. jur. belge (1963), 223, note F. RIGAUX; 27 novembre
1964, Kovalev c. Barton, ibid. (1966), 98, note F. RIGAUX; 23 octobre 1969, RFA. c. Bureau belge des
assureurs automobiles, ibid. (1971), 345, note F. RIGAUX; 24 janvier 1977, Procureur du Roi c. Keppels,j. T.
(1977), 410; 30 octobre 1981, Groupe Josi c. Faes, Pas. (1982), I, 306, Rev. gén. ass. resp. (1983),
n ° 10567, note]. ERAUW; 17 novembre 1983, Z. c. coop. V De S., Pas. (1984), I, 292, R. W. (1984-1985),
2185, note L. DE FOER; 12 avril 1985, État belge c. Dahlen et Luchte, Pas. (1985), I, 979, R. W. (1985-
1986), 2539, note]. ERAUW; 10 mars 1988, La Patriotique c. Meuser, Pas. (1988), I, 829; 29 avril 1996,
Ongyert, ibid. (1996), I, 395, R.W (1996-1997), 812, note]. MEEUSEN.
L'action civile née d'un délit pouvant être réprimé par les juridictions belges conformément aux
Ill!
dispositions de la loi du 17 avril 1878, demeure régie par la loi du pays étranger où il a été commis
(Cass., 17 mai 1957, précité; camp. l'opinion contraire du procureur général]ANSSENS dans les con-
clusions précédant Cass., 26 novembre 1908).
Ill!Cette approche repose sur une interprétation large des termes légaux : pour que la loi d'un terri-
toire soit applicable, il n'est pas nécessaire que la personne responsable y« habite» ni même qu'elle
y soit présente. Il suffit que le « fait générateur» du dommage y soit localisé (Cass., 23 novembre
1962, précité).

L'interprétation multilatérale ainsi donnée à l'article 3, alinéa 1er, du Code civil par
l'arrêt du 17 mai 1957 permet l'application de lois de police étrangères, alors que le précé-
dent arrêt prononcé sur un conflit de lois en matière de responsabilité civile avait affirmé
que le juge belge ne peut appliquer d'autres lois de police que celles du for (Cass.,
26 novembre 1908, Soc. Gérard c. Monseur, Pas., 1909, I, 25). Si la possibilité de donner une
interprétation multilatérale aux règles d'applicabilité des lois de police du for prête à dis-
cussion (voy. supra, n ° 4.9), l'inapplicabilité des lois de police étrangères est aujourd'hui
abandonnée (supra, n ° 4.15).
Le rattachement retenu par la Cour de cassation n'a aucun caractère impératif ou
d'ordre public, de sorte qu'il n'incombe pas au juge du fond de le soulever d'office (arrêt
du 17 novembre 1983). Cette précision implique la possibilité pour les parties de négliger
toute référence à la loi étrangère normalement applicable au cours du procès. La solution
ÜBLIGATIONS DÉRIVANT D'UN FAIT DOMMAGEABLE 927

constitue un corollaire du principe dispositif (voy. supra, n ° 6.53) ; elle paraît pourtant
peu compatible avec la qualification de « loi de police » donnée au droit matériel de la
responsabilité civile.
Ill Camp., à propos de la loi d'autonomie, infra, n ° 15.14.

15.12 - Éviction de la loi de l'acte générateur par les juges du fond - Même dans le con-
texte du droit commun, les juridictions de fond n'ont pas hésité à écarter la loi du lieu de
l'accident, en utilisant des techniques variées
Un premier procédé consistait à préférer la loi correspondant au « milieu social » du
fait dommageable, ce qui permettait pratiquement de désigner la loi de la résidence des
parties en cas de localisation dans le même pays.
Ainsi, la loi du lieu de l'accident a été écartée en matière de responsabilité des véhicules automo-
11!1
teurs avant l'entrée en vigueur de la Convention de La Haye de 1971 (voy. infra, n ° 15.32):
- soit qu'il s'agisse d'un accident de la circulation dont les seules victimes sont les passagers d'un
véhicule immatriculé en Belgique et dont tous les occupants résident dans ce pays et ont cette
nationalité (Civ. Anvers, 4 novembre 1976, R W., 1976-1977, 2089; contra: Bruxelles, 14 mai
1973, infra, n ° 15.20), constatant que les parties sont d'accord sur l'application de la loi liba-
naise, mais appréciant le quantum du dommage« en fait», c'est-à-dire selon la jurisprudence
belge);
- soit que l'accident soit survenu en Allemagne, mais concerne exclusivement des membres des
familles belges accompagnant les forces armées qui y sont stationnées (Civ. Bruxelles, 30 juin
1971, R.W.,1972-1973, 1776);
- soit que le dommage dont la réparation est demandée soit en relation avec la violation d'une
obligation issue de la matière familiale (Anvers, 4 février 1987, Pas. (1988), II, 86, à propos d'une
action civile en réparation pour un adultère commis en Belgique, intéressant des époux néerlan-
dais établis aux Pays-Bas. Comp. supra, n ° 12.61, à propos de l'applicabilité de l'article 224 du
Code civil, et n ° 12.104, à propos de la rupture de fiançailles).
Ill Ce recours à la méthode indiciaire était toutefois contraire à la jurisprudence très ferme de la
Cour de cassation.
Voy.: Cass., 30 octobre 1981, précité, cassant un arrêt de la Cour d'appel de Bruxelles qui avait uti-
lisé cette méthode; Anvers, 21 mai 1979, R.W. (1979-1980), 2726.
Il en était même ainsi d'accidents intéressant des membres de troupes belges stationnées en Alle-
magne. Alors que prévalait antérieurement la thèse d'un alignement de la compétence législative
sur la compétence juridictionnelle (sur cette dernière, voy. supra, n ° 9.62), l'arrêt précité du 12 avril
1985 expose que nulle dérogation de ce type n'est plus justifiée depuis l'entrée en vigueur de
l'accord belgo-allemand du 3 août 1959, modificatif d'accords précédents (sur cet accord, voy.: J.
ERAUW, R.W., 1985-1986, 2539 et s.).
En ce sens aussi : Bruxelles, 9 octobre 1990, Bull. ass. ( 1991 ), 151, précisant correctement que la dési-
gnation de la loi étrangère ne viole pas le principe constitutionnel d'égalité des Belges devant la loi
dès lors que, placés dans des situations analogues, ceux-ci sont soumis à la même règle.
Pour la Jurisprudence antérieure, voy. Cass., 2 janvier 1961,]eangout c. Motte, Pas. (1961), !, 465.
Un second procédé consistait à utiliser la technique du renvoi, aux fins d'appliquer
une loi autre que celle désignée par la règle de rattachement traditionnelle (sur cette tech-
nique, voy. supra, chap. 6).
Ainsi, dans le cas d'un litige opposant deux Belges à propos d'un accident survenu en Allema-
1111

gne, la règle de rattachement allemande pouvait conduire à l'application de la loi belge (Civ.
Anvers, 4 novembre 1976, R. W., 1976-1977, 2089). Voy. encore: Gand, 4 octobre 1994, R W. (1995-
1996), 435 ; Anvers, 27 octobre 1999, Rev. gén. dr. civ. (2002), 629, note J. VERLINDEN.
La Cour de cassation a rejeté l'argument tiré de la solution qu'appliqueraient des juges alle-
1!1
mands dans un cas de ce type, par son arrêt précité du 30 octobre 1981. Le texte de l'arrêt ne cite
928 LES OBLIGATIONS NON CONTRACTUELLES

cependant pas expressément le renvoi, ni ne reprend la formulation exacte propre à cette techni-
que, car celle-ci se préoccupe moins de savoir ce qu'aurait fait le juge étranger, comme l'arrêt donne
à le penser, que d'appliquer la règle étrangère de rattachement, sauf dans la variante du double ren-
voi (voy. supra, n° 6.15).

15.13 - Difficultés de concrétisation du fait générateur - La localisation de l'acte géné-


rateur a pu s'avérer délicate pour des motifs variés. Il est possible que ses éléments consti-
tutifs soient éparpillés dans des pays différents, le comportement se distinguant alors de
son point d'impact. La difficulté peut également tenir, soit à l'impossibilité de fixer le
moment et, partant, le point de l'espace où le fait a été accompli, soit à l'absence de terri-
toire national. Cette difficulté justifie, tantôt un abandon de ce facteur de rattachement,
tantôt une explicitation par des rattachements spéciaux (voy. infra,§ 3).
Dans une première hypothèse, le fait générateur du délit produit son effet à dis-
tance. La référence à « la loi du lieu du fait générateur du dommage » se comprend en
faveur de l'application de la loi du pays où l'auteur a agi. Celle-ci est supposée traduire en
effet le fondement attribué par la Cour de cassation au régime de responsabilité, à savoir
le règlement des conséquences du comportement constiturif de la violation de la loi de
police.
Pour l'application de la loi néerlandaise à la responsabilité encourue par le propriétaire d'un
1111

bois situé aux Pays-Bas d'où le feu s'était communiqué à un bois situé en Belgique, voy. Bruxelles,
28 mai 1969, Pas. ( 1969), II, 297. De même, pour une référence au lieu où la« faute» a été commise,
voy. Liège, 21 février 1978,]ur. Liège (1978-1979), 161.

Toute différente apparaît l'hypothèse où les éléments constitutifs du fait générateur


même se localisent sur les territoires de plusieurs États.
Tel est le cas d'un dommage causé par la voie d'une publication diffusée en plusieurs pays : le
!Ill
préjudice est subi en chacun de ces pays, mais l'acte imputable à l'auteur du dommage peut aussi y
être localisé. En effet, la faute ne consiste pas seulement à avoir décidé d'imprimer un journal ou
un illustré dans un pays déterminé, mais aussi à l'avoir diffusé dans ce pays et en quelques autres.
Voy. infra, n°s 15.53 et s.
Lorsqu'il est impossible de localiser le fait générateur, soit par l'absence de territoire
national, soit par l'ignorance du moment et du lieu où il a été commis, il paraît préféra-
ble de prendre acte de l'impuissance du facteur à fournir toute indication au sujet du rat-
tachement de la responsabilité et de rechercher un rattachement subsidiaire.
Ainsi, en faveur de la loi américaine dans le cas d'une action liée à un vol de diamants perpétré
!Ill
encre le point de départ d'un avion de ligne en Belgique et son point de destination aux États-Unis,
voy.: Bruxelles, 9 mai 1978,].T. (1979), 143.
!IllSur les hypothèses d'abordage en haute mer, voy. infra, n°s 15.27 et s.
En revanche, la localisation reste aisée lorsque l'accident survient dans les « eaux territoriales»,
plus exactement les « eaux intérieures étrangères » (Cass., 23 novembre 1962 et 27 novembre
1964): la mer territoriale et les eaux intérieures appartiennent au «territoire» visé par l'article 3,
alinéa 1", du Code civil.
La localisation de l'acte générateur sur un navire de mer mais dans un port étranger ne suffit donc
pas à justifier l'application de la loi du pavillon, même lorsque la cause du dommage est dissociée
du point d'impact et que ce point se trouve sur la terre ferme. Voy. dans le sens de la loi du
pavillon: Civ. Anvers, 6 octobre 1982, Rev. dr. comm. belge (1983), 102, à propos du décès de mem-
bres d'un équipage se trouvant sur le quai d'un port suédois alors que l'accident trouvait sa cause
dans une fuite de gaz due à une explosion survenue à bord du navire battant pavillon belge. La
solution du tribunal se comprend mieux comme une réaction à la solution de principe de la Cour
de cassation. Comp. dans le même sens en Italie: Cass., 15 juillet 1976, cité dans: Clunet (1983),
183.
ÜBLIGATIONS DÉRIVANT D'UN FAIT DOMMAGEABLE 929

Il. EXCEPTIONS AU RATTACHEMENT

15.14 - Autonomie de la volonté - Les parties à l'action peuvent-elles faire choix du


droit applicable à la responsabilité? Le Code y répond par l'affirmative (art. 101). La rai-
son d'être d'une telle faculté réside essentiellement dans un facteur de sécurité juridique:
par ce choix, les parties fixent de manière certaine le droit applicable, sans devoir s'en
remettre au juge.
Ill La proposition de règlement « Rome II » admet également une telle faculté, selon des modalités
analogues à celles prévues par le Code.

Quant à l'objet, la faculté de choix est illimitée: les parties peuvent choisir toute loi,
non pas nécessairement une loi en rapport avec l'obligation en litige. De plus, l'utilisa-
tion de cette faculté exclut l'utilisation de la clause d'exception (art. 19, § 2).
Les modalités du choix répondent cependant à certaines conditions. Quant au
moment, le choix doit être fait« après la naissance du différend». Quant à sa formula-
tion, il doit être« exprès».
La jurisprudence antérieure admettait une « clause» de choix de loi, mais sans fournir d'autre
1111

précision, ni quant au moment ni quant à la formulation. Voy. en ce sens: Cass., 30 octobre 1981,
précité. La référence au terme « clause » suggère que le choix doive être exprès.
La faculté de conclure un accord procédural (voy. supra, n ° 6.53) reste ouverte, en application du
1111

principe dispositif, si la matière en cause ne relève pas de l'ordre public. Cet accord a nécessaire-
ment lieu après la naissance du différend. En revanche, il peut n'être qu'implicite, puisqu'il suffit
qu'aucune des parties ne soulève la question de la détermination du droit applicable. À la diffé-
rence du principe d'autonomie, l'accord ne porte par définition que sur le droit du for.

L'effet du choix est cependant limité aux relations entre parties: celles-ci ne peuvent
pas« porter atteinte aux droits des tiers».
1111 Cette limitation de l'effet du choix exclut que le choix de la loi de la responsabilité puisse désa-
vantager l'assureur de responsabilité, appelé à indemniser en fonction du droit matériel qui régit la
réparation du dommage.

15.1 S - Règles spéciales d'applicabilité - Il arrive, en cette matière comme en d'autres,


que le législateur de droit matériel assortisse les normes qu'il établit d'une règle d'appli-
cabilité particulière, ayant pour effet de déroger à la règle de rattachement générale. La
raison d'être d'une telle règle est le plus souvent d'assurer l'effectivité internationale de
règles impératives ou d'ordre public dotées d'une force particulière. Le recours à ce pro-
cédé peut aussi s'expliquer par la nature de l'acte, comme c'est le cas d'un règlement ou
d'une directive communautaire.
De nombreux instruments internationaux introduisent des règles matérielles cout
en délimitant leur domaine d'application dans l'espace.
Ill Outre les cas ci-dessous, voy. infra,§ 3, les actes concernant les accidents aériens ou maritimes, le
risque nucléaire ou environnemental.

L'indemnisation de victimes d'actes de violence tend à relever du régime établi dans


l'État de l'infraction.
Voy.: la Convention de Strasbourg du 24 novembre 1983 relative au dédommagement des victi-
1111

mes d'infractions violentes (loi du 19 février 2004, Monit., 13 avril 2004), imposant à l'État
d'indemniser les victimes d'infractions commises sur son territoire, texte applicable aux ressortis-
sants d'États parties ou aux ressortissants d'États membres du Conseil de l'Europe résidant dans
l'État de l'infraction.
930 LES OBLIGATIONS NON CONTRACTUELLES

En cette matière, voy. aussi la directive 2004/80 du 29 avril 2004 relative à l'indemnisation des victi-
mes de la criminalité U.O.C.E., 2004, L 261), imposant aux États membres un régime d'indemnisa-
tion, accessible dans l'État membre de l'infraction.
Ill!Voy. en Belgique la loi sur l'indemnisation des victimes d'actes intentionnels de violence (loi du
1ec août 1985, Monit., 6 août 1985), applicable aux victimes belges ou en séjour régulier en Belgique.
En France, la loi 90-589 du 6 juillet 1990 relative aux victimes d'infractions U.C.P., 1990, III, 64024)
est applicable à tout ressortissant français, ou à tout acte commis en France, ou à tout ressortissant
communautaire ou tout étranger en séjour régulier en France.
Ill!Une telle loi, se doit de bénéficier à tout citoyen de l'Union européenne victime d'un acte com-
mis sur le territoire, même résidant à l'étranger, pour être compatible avec le traité sur l'Union
européenne (C.].C.E., aff. 186/87, 2 février 1989, Cowan, Revue, 1990, 83, note M. SrMON-DEPITRE,
].T., 1989, 314 et 496, note M. VERDUSSEN).
Plusieurs actes communautaires concernant des activités exercées via Internet éta-
blissent des règles matérielles de responsabilité assorties, explicitement ou implicite-
ment, d'une règle d'applicabilité, ayant égard à l'établissement du prestataire de services
dans un État membre.
IllAinsi, les directives 1999/93 du 13 décembre 1999 sur un cadre communautaire pour les signa-
tures électroniques U.O.C.E., 2000, L 13) et 2000/31 du 8 juin 2000 sur le commerce électronique
U.O.C.E., 2000, L 178) contiennent des règles particulières sur la responsabilité du prestataire, res-
pectivement, de certification de signature (responsabilité sauf preuve de l'absence de négligence)
ou d'hébergement de fichiers (exonération de principe), accompagnées d'une clause marché inté-
rieur, telle, dans la directive 1999/93: « Chaque État membre applique les dispositions nationales
qu'il adopte conformément à la présente directive aux prestataires de service de certification établis
sur son territoire et aux services qu'ils fournissent» (art. 4).

L'acte peut, pour assurer son effectivité, comprendre à la fois une règle d'applicabi-
lité, une règle de compétence internationale et une règle sur l'efficacité des jugements
étrangers. Les lois de blocage peuvent en fournir une illustration intéressante.
Ill Ainsi, le règlement 2271/96 du 22 novembre 1996 portant protection contre les effets de l'appli-
cation extraterritoriale d'une législation adoptée par un pays tiers, ainsi que des actions fondées sur
elle ou en découlant U.O.C.E., 1996, L 309), qui vise à bloquer les effets extraterritoriaux de la loi
Helms-Burton, établit une série de mesures visant à interdire de donner effet à la loi étrangère.
Ce règlement s'applique aux personnes suivantes (art. 11) exerçant une activité commerciale entre
la Communauté et des pays tiers (art. 1cr) :
« 1) toute personne physique qui réside dans la Communauté et qui est un ressortissant d'un État
membre;
2) toute personne morale constituée en société dans la Communauté ;
3) toute personne physique ou morale visée à l'article 1", paragraphe 2, du règlement (CEE)
n° 4055/86;
4) toute autre personne physique qui réside dans la Communauté, à moins que cette personne ne
se trouve dans le pays dont elle est un ressortissant ;
5) toute autre personne physique se trouvant dans la Communauté, y compris dans ses eaux terri-
toriales et son espace aérien ou à bord de tout aéronef ou de tout navire relevant de la juridiction
ou du contrôle d'un État membre, et agissant à titre professionnel. »
L'acte établit un régime de réparation du préjudice subi par la loi étrangère. Il complète ces règles
matérielles de règles de compétence internationale renvoyant à la Convention de Bruxelles [au
règlement« Bruxelles I »], tout en y ajoutant le for exorbitant du patrimoine (compétence au fond
basée sur le lieu de la saisie) (art. 57, § 3).
Il exclut la reconnaissance d'un jugement étranger basé sur la loi aux effets extraterritoriaux
(art. 5).

15.16 - Exception d'ordre public - Comme en toute matiere, l'exception générale


d'ordre public (art. 21 Codip) permet d'écarter l'application de la loi désignée.
ÜBLIGATIONS DÉRIVANT D'UN FAIT DOMMAGEABLE 931

Cette éventualité était affirmée clairement par la jurisprudence anteneure (voy.


notamment: Cass., 2 janvier 1961, précité n ° 15.11). Cependant, il y a tout lieu de croire
qu'en matière de responsabilité civile, les juridictions belges soient réticentes à faire
usage de l'exception.
Ainsi, d'après l'arrêt du 17 mai 1957 (précité n° 15.11), il n'y a pas lieu d'opposer l'exception à
11111

«une disposition légale étrangère qui, tout en reconnaissant à la victime le droit à la réparation du
dommage causé par un fait illicite, ne donne pas à cette réparation la même étendue que la loi
belge».
Dans ses conclusions, M. Hayoit de Termicourt a ajouté la précision suivante : « On doit admet-
11111

tre que serait contraire à l'ordre public international belge une disposition légale étrangère en vertu
de laquelle la victime d'une infraction punie par la loi belge serait privée du droit à une réparation
quelconque» (Pas., 1957, 1, 1114). Comp. sur ce point: R. VANDER ELsT, notes].T (1956), 686, et
Rev. crit. jur. belge (1957), 202-203. Il faut noter, en effet, que dans l'ordre interne, la matière de la
responsabilité civile n'intéresse pas, en principe, l'ordre public, au sens de l'article 6 du Code civil
(comp. supra, n ° 15.11).
Comp. en France, où l'exception a joué à l'encontre de la prescription établie par le droit
11111

espagnol: Cass. civ., 21 mars 1979, Antunes, Revue (1981), 81, note R. DAYANT, Clunet (1980), 92,
note A. Hun,j.C.P. (1980), II, 19311, note F. MoNÉGER. Une conception plus restrictive de l'ordre
public a été admise ensuite par: Cass. civ., 6 juin 1990, Phénix Espagnol, Revue (1991), 354, note P.
BOUREL.

B. Domaine de la loi de la responsabilité


15.17 - Présentation - La détermination du droit applicable à la responsabilité ne se
réduit pas à l'identification de la loi, du for ou étrangère, pertinente. Encore convient-il
de définir les points de droit qui relèvent de ce rattachement. Cette problématique affecte
plusieurs questions. Outre la liste des éléments qui appartiennent aux éléments constitu-
tifs de la responsabilité, elle concerne l'identification de la nature, contractuelle ou non
contractuelle, de l'action. De plus, il y a lieu d'isoler certaines questions qui, tout en affec-
tant le régime de la responsabilité, relèvent de matières connexes, telles des questions
préalables d'état ou l'action directe de la victime contre l'assureur.

1. QUESTIONS RELEVANT DE LA RESPONSABILITÉ

15.18 - Étendue du domaine de la loi de la responsabilité - Le domaine de la loi qui


régit la responsabilité est entendu largement. Relèvent de cette loi, notamment (art. 103
Codip):
1 ° les conditions et l'étendue de la responsabilité;
2 ° la responsabilité du fait des personnes, des choses ou des animaux ;
Cela couvre « la responsabilité du dommage que l'on cause, non seulement par son propre fait,
1111

mais encore par celui des personnes dont on doit répondre ou des choses que l'on a sous sa garde»
(Cass., 23 novembre 1962, précité n° 15.11). Il s'agissait, en l'espèce, de la responsabilité d'un arma-
teur, en raison d'une faute commise par le capitaine lors d'un abordage survenu dans les eaux néer-
landaises de l'Escaut.
Sur la responsabilité du fait d'autrui en droit international privé, voy. la note de F. RrGAUX sous cet
arrêt, Rev. crit. jur. belge (1963), 234-237.
De même, le § 831 du BGB est, en tant que loi de la responsabilité, applicable à la question de
savoir si le mari de la conductrice est civilement responsable de l'accident causé par sa femme (Civ.
Bruxelles, 15 mars 1957, Rev. gén. ass. resp., 1957, 5926), et les §§ 832, 1626 et 1631 du même Code
932 LES OBLIGATIONS NON CONTRACTUELLES

régissent la responsabilité des père et mère pour les quasi-délits de leurs enfants mineurs (Civ.
Malines, 27 mars 1975, R W., 1976-1977, 821).
Ill Pour la responsabilité du fait des choses, voy. déjà: Liège du 10 juillet 1956,]. T. (1956), 683,
note R VANDER ELST, en un élément qui échappa à la cassation dans l'arrêt du 17 mai 1957 (précité,
n ° 15.11), ayant rattaché l'action fondée sur l'article 1384, alinéa 1er, du Code civil belge à la loi du
lieu du fait générateur et appliqué en conséquence l'article 1403 du Code civil néerlandais. La com-
pétence de la loi de la responsabilité (loi du fait générateur) fut confirmée dans un obiterdictum de
l'arrêt du 23 novembre 1962 (précité, n ° 15.11).
Voy. aussi en France, l'arrêt Lautour (Cass. civ., 25 mai 1948, Revue, 1949, 89, note H. BATIFFOL), se
référant au lieu où le gardien exerce la garde sur la chose.
IllLes articles 2, 3°, et 8, 7°, de la Convention de La Haye du 4 mai 1971 (voy. infra, n° 15.32) lais-
sent hors de son champ d'application « les responsabilités du fait d'autrui à l'exception de celle du
propriétaire du véhicule et de celle du commettant».
3 ° les causes d'exonération, ainsi que toute limitation et tout partage de responsa-
bilité;
Ill!L'opposabilité à l'action en réparation« non contractuelle » d'une clause restrictive ou exonéra-
roire de responsabilité non contractuelle, relève de la loi de cette responsabilité, alors que ses
aspects contractuels, comme la réalité de son acceptation ou son admissibilité au regard d'une
politique de protection du consommateur, dépend de la loi du contrat.
4° l'existence et la nature des dommages susceptibles de réparation;
O
S les mesures que le juge peut prendre pour assurer la prévention ou la cessation du
dommage;
6° les modalités et l'étendue de la réparation;
7° les personnes ayant droit à réparation du dommage qu'elles ont personnellement
subi;
8 ° la mesure dans laquelle le droit de la victime à réparation peur être exercé par ses
héritiers;
9° les prescriptions et les déchéances fondées sur l'expiration d'un délai, y compris le
point de départ, l'interruption et la suspension des délais ;
10 ° la charge de la preuve et les présomptions légales.
De ces questions, méritent un examen particulier, outre la détermination de la
nature de l'action, la détermination des personnes tenues à réparation, le mode et l'éten-
due de la réparation.
15.19 - Nature de l'action - Comme c'est plus généralement le cas en droit internatio-
nal privé, la définition de la catégorie de rattachement recourt aux concepts juridiques
du système du for. Tant que ceux-ci sont suffisamment généraux et se réfèrent à une ins-
titution qui reçoit une expression dans un acte concret de la vie sociale, comme le
mariage ou le contrat, la conceptualisation des faits de l'espèce ne suscite pas de diffi-
culté majeure. Il peut en aller autrement de la responsabilité civile non contractuelle,
concept qui ne reçoit de concrétisation que dans les éléments de la réparation qui sera
accordée et ne trouve à s'appuyer sur l'existence d'aucun rapport déterminé entre parties.
Par exemple, il peut être délicat de conceptualiser l'action en réparation de troubles de
v01smage.
À propos de relations transfrontières, des difficultés de ce type sont apparues lors-
que l'action tend à la réparation d'un dommage causé en dehors de tout rapport juridi-
ÜBLIGATIONS DÉRIVANT D'UN FAIT DOMMAGEABLE 933

que déterminé, mais en présence d'une institution juridique préexistante, connexe à


l'action en réparation. Il en est ainsi de la rupture de fiançailles entre étrangers, de la
réparation des conséquences de l'atteinte à la vie privée ou même de certaines actions en
réparation entre parties contractantes.
Plutôt que d'aligner exactement les contours de la catégorie du for sur les qualifica-
tions données par le droit matériel du for, il est préférable de chercher une clef de réparti-
tion entre les domaines respectifs des règles de rattachement du for, dans l'analyse des
objectifs et de l'adéquation des contenus de celles-ci (voy. plus généralement supra,
n° 5 7.16 et s.). Ainsi, à supposer que le rattachement ait pour objectif de rendre compte de
l'existence d'un lien prépondérant entre parties, la catégorie de la « responsabilité
extracontractuelle » aura un caractère résiduel, n'intervenant qu'en l'absence de relation
privilégiée entre parties susceptible de traduire le lien requis.
1111 Indépendamment de sa qualification contractuelle, quasi délictuelle ou familiale, la réparation

des conséquences de la rupture d'un lien de fiançailles relèverait alors de la loi du pays où se situe
l'intégration des intéressés, loi de nationalité ou de résidence commune. L'appréciation des consé-
quences de l'atteinte à la vie privée ne saurait faire abstraction non plus du milieu de vie de laper-
sonne lésée.
La rupture de liens de fiançailles a donné lieu à une qualification « quasi délictuelle» de l'action
consécutive, en Belgique (Civ. Gand, 15 février 1982, RW., 1982-1983, 2770, note]. ERAUW, 2721),
aussi bien qu'en France à propos du refus dugueth (Civ. Seine, 22 juin 1967, Clunet, 1968, 356, note
R. DAYANT, Revue, 1969, 474, note Y. LoussouARN). Dans les deux cas, le recours au critère du lieu
où la« faute» a été commise paraît assez simpliste.
L'action en réparation entre parties liées par un contrat ou impliquées dans une rela-
tion contractuelle plus large, doit donner lieu à une solution pragmatique analogue.
L'admissibilité d'une action non contractuelle, question connue sous l'appellation
du « concours » ou « cumul » des actions, suscite une première difficulté. Face à une dua-
lité des rattachements contractuel et non contractuel, il semble préférable de soumettre
la question à la loi de la responsabilité non contractuelle, plutôt qu'à un rattachement
cumulatif, car la question intéresse l'admissibilité de celle-ci, pour un motif tenant sim-
plement à l'existence d'une relation préexistante entre parties. Une attraction de l'éven-
tuelle action non contractuelle sous le rattachement contractuel supprime la difficulté.
La thèse dite du« rattachement accessoire», que consacre l'article 100 du Code de
droit international privé, tend à un tel résultat: l'obligation non contractuelle est régie
par le droit applicable à un rapport préexistant entre parties avec lequel cette obligation a
un lien étroit.
1111Aux Pays-Bas, la thèse du « rattachement accessoire» a permis, notamment, de soumettre
l'action quasi délictuelle au droit applicable à un rapport contractuel. Voy. déjà: L. STRIKWERDA,
Inleiding tot het Nederlandse internationaal privaatrecht (Groninge, Noordhoff, 1990), 182 et s.
Depuis lors, ce concept est consacré par l'article 5 de la loi du 11 avril 2001 (Wet conflictenrecht
onrechtmatige daad, site www.overheid.nl).
Sur la question du concours des actions, voy. en faveur de la loi de la responsabilité: G. VAN
1111

HECKE et K. LENAERTS, n° 771; Civ. Anvers, 25 octobre 1994, RW. (1994-1995), 1065, note]. MEEU-
SEN. Contra, en France: Cass. civ., 18 octobre 1989, Alfa Laval, Revue (1990), 712, note J. FOYER,
approuvant le juge du fond d'avoir appliqué la règle de l'option prévue par la loi du contrat sans
devoir recourir à la règle française de rattachement relative à la responsabilité non contractuelle.
Cette solution conduit à soumettre une action non contractuelle à la loi du contrat.
L'action directe du sous-acquéreur contre le vendeur, ou celle du maître de l'ouvrage
contre le sous-traitant, soulève aussi une question de qualification spécifique, résolue de
934 LES OBLIGATIONS NON CONTRACTUELLES

manière variable en droit matériel comparé. L'absence entre parties au litige d'un lien
direct analogue à celui qui se noue entre deux contractants par un échange de volontés,
inciterait à en proposer un rattachement« non contractuel».
IllAu sujet de l'action directe du sous-acquéreur, cette solution est avancée par la Convention de
La Haye du 2 octobre 1973 relative à la responsabilité du fait des produits (infra, n° 15.57). Contra,
la tendance à l'application de la loi de la « créance protégée», exprimée par H. BATIFFOL et P.
LAGARDE, n ° 605.
1111 Comp. supra, n ° 14.5, à propos de la compétence internationale.
li Comp. infra, n°s 15.25 et 15.40, les solutions proposées pour l'action directe du tiers lésé contre
l'assureur du responsable.

15.20 - Modalités et étendue de la réparation - La détermination du mode de répara-


tion - en nature ou par équivalent - et de l'étendue de celle-ci, dépend de la loi qui régit
la responsabilité. Cela signifie que cette question ne relève pas d'un rattachement propre,
par exemple de la loi de la résidence de la personne lésée.
li La solution est constante dans la jurisprudence de la Cour de cassation.
« Sont des lois de police, au sens dudit article 3 [du Code civil], non seulement celles qui détermi-
nent les éléments du fait générateur, mais aussi celles qui déterminent le mode et l'étendue de la
réparation due en raison de ce fait» (Cass., 23 novembre 1962, supra, n ° 15.11).
« La limitation de la responsabilité du propriétaire d'un navire, quel que soit le fondement de cette
limitation, concerne le mode et l'étendue de la réparation due en raison de ce fait » (Cass.,
23 novembre 1962) et est par conséquent soumise à la loi du pays où ce fait a été commis. Sur la loi
applicable aux limitations de responsabilité de l'armateur, voy. la note sous l'arrêt cité, Rev. crit. 1ur.
belge (1963), 237 à 241.
Voy. de même, notamment: Gand, 19 juin 1962, R.W. (1962-1963), 845, note F. BouCKAERT, à
1111

propos du refus d'allouer des dommages et intérêts aux parents de la victime quand celle-ci ne les
entretenait pas par son travail, point sur lequel le droit néerlandais est moins favorable à la victime
que le droit belge; Civ. Neufchâteau, 24 juillet 1968,Jur. Liège (1968-1969), 222.

En pratique, la référence de certaines juridictions aux critères utilisés dans le pays de


la résidence de la personne lésée pour calculer le montant de la réparation du dommage
corporel a fourni une échappatoire à la rigueur du rattachement à la loi du lieu du fait
générateur.
li Voy.: Bruxelles, 14 mai 1973, Pas. (1973), II, 155: après avoir déclaré la loi libanaise applicable
en qualité de !ex loci delicti, l'arrêt estime que pour apprécier le quantum du dommage souffert par
des ressortissants belges établis en Belgique, le juge doit s'inspirer de la jurisprudence belge. Il s'agi-
rait« d'une question de pur fait laissée à la libre appréciation du juge qui statue en équité». Dans
le même sens: Liège, 22 décembre 1986, Rev. gén. ass. resp. (1988), n ° 11328, prenant en considéra-
tion le mode de calcul en vigueur dans le pays de la résidence de la victime; Bruxelles, 26 juin 1990,
« affaire du Heisel », Rev.gén. ass. resp. (1990), n° 11762, note R. VANDER ELsT, procédant à une évalua-
tion du dommage en lires italiennes avant de prononcer la condamnation en francs belges.
Comp. en France, en faveur de l'application de la loi de la résidence de la victime à la détermina-
Ill!
tion de la monnaie de compte: Cass. civ., 4 décembre 1990, U.A.P. c. Zivkovic, Revue (1992), 292,
note E. PUTMAN.

La méthode n'est compatible avec le prescrit légal que si elle traduit l'appréciation
laissée au juge du fond par la loi de la responsabilité. Si cette loi prévoit un plafond
d'indemnisation, ou un forfait, il serait contraire au rattachement prévu par le législateur
d'accorder davantage en fonction de la loi de la résidence de la victime. En d'autres ter-
mes, référence peut être faite, moins à la loi de la résidence, qu'aux conditions de vie dans
le pays de résidence.
ÜBLIGATIONS DÉRIVANT D'UN FAIT DOMMAGEABLE 935

La référence aux conditions de vie dans le pays de résidence peut jouer au détriment
de la victime, si celle-ci réside dans un pays au niveau de vie moins élevé. Autre chose est
d'anticiper, lors de l'évaluation, un déménagement futur éventuel de la personne lésée
dans un pays au niveau de vie différent.
Ill Au sujet de travailleurs migrants, voy.: Anvers, 17 juin 1976, R. W. (1977-1978), 2538, décrétant
que l'allocation à une veuve marocaine demeurant au Maroc d'une indemnité de 100.000 francs
pour le dommage moral subi à la suite du décès de son mari en Belgique, n'est certes pas inférieure
à la somme de 150.000 francs habituellement allouée à une veuve belge en Belgique. Dans un sens
analogue, voy. deux arrêts de la cour d'appel de Gand du 14 novembre 1978, R. W. (1978-1979),
2123, et du 10 décembre 1979, Rev. gén. ass. resp. (1981), 10334.

15.21 - Responsabilité de l'État pour les actes de ses organes ou préposés - L'applica-
tion de la loi de la responsabilité aux conditions dans lesquelles les organes et préposés
de l'État engagent la responsabilité de celui-ci, est à première vue problématique. Sous un
angle théorique, elle reviendrait à soumettre l'État aux dispositions arrêtées par un légis-
lateur autre que le sien. Sous un angle pratique, l'application par analogie à l'État des
règles auxquelles obéit la responsabilité de l'État étranger pour les actes de ses propres
agents peut s'avérer difficile.
En réalité, le contentieux reste limité, car l'hypothèse dans laquelle des agents ou
préposés sont à même d'intervenir en dehors du territoire national est par nature excep-
tionnelle. Il pourrait toutefois se développer à mesure de l'accroissement des interven-
tions de type humanitaire. Dans la jurisprudence belge, on trouve des litiges liés au
stationnement des troupes belges en Allemagne ou à des erreurs de pilotage commises
dans les eaux néerlandaises de l'Escaut. Dans les deux types de cas, une préférence a été
donnée, sur base de considérations variables, à la loi belge.
Ill À propos de la responsabilité de l'État belge en raison des fautes commises par des membres des
forces armées stationnées en République fédérale d'Allemagne, voy.: Civ. Bruxelles, 9 avril 1969,
R. W (1969-1970), 1396; 30 juin 1971, R.W. (1972-1973), 1776, et voy. aussi supra, n ° 9.62. Contra:
Bruxelles, 9 octobre 1990, Bull. ass. (1991), 151.

Ill La responsabilité de l'État belge en raison d'une erreur commise par l'un de ses pilotes dans les
eaux territoriales néerlandaises de l'Escaut a été soumise à la loi néerlandaise par le tribunal civil de
Bruxelles dans un jugement du 14 avril 1978,Jur. Anv. (1979-1980), 276. Ce jugement a été infirmé
par un arrêt de la cour d'appel du 7 avril 1981 (inédit). L'adoption de la loi du 30 août 1988 (Monit.,
17 septembre 1988) visant à supprimer la responsabilité de l'État et prévoyant une application
rétroactive, confirme l'intérêt de l'État à voir appliqué son propre droit. Si le droit néerlandais
devait être déclaré applicable, la loi précitée serait pratiquement sans objet. La solution peut aussi
bien se déduire de la présence, dans cette loi, d'une règle d'applicabilité implicite.
Le Règlement du 20 mai 1843 (voy. infra, n ° 15.30) ne contient pas de solution expresse, mais plu-
sieurs dispositions, notamment les articles 58, alinéa 3, 59 (modifié par l'art. 1er de la Convention
belgo-néerlandaise du 4 mai 1891, approuvée par la loi du 27 février 1892), 67 et suivants, souli-
gnent que chaque État soumet ses pilotes à la discipline de ses autorités administratives et à la
compétence de ses juridictions, sans qu'il soit tenu compte du lieu où la faute a été commise.

IllÀ propos de la réparation par l'État belge du dommage causé par ou à ses militaires, la loi du
20 mai 1994 (Monit., 24 août 1994) relative aux statuts du personnel militaire, ne contient pas de
règle particulière de conflit de lois.

Des traités de coopération peuvent également servir de cadre à l'action d'autorités


publiques extraterritoriales. Ils ne contiennent que rarement une disposition expresse
désignant le droit applicable aux conséquences dommageables du comportement de ces
936 LES OBLIGATIONS NON CONTRACTUELLES

organes. Lorsque c'est le cas, la soumission de la responsabilité de l'État à un droit étran-


ger ne semble pas susciter de difficulté de principe.
1111L'application de la loi de« survenance du dommage » à la responsabilité personnelle des agents,
mais aussi à celle de l'État du fait de leur comportement, est prévue, dans le cadre des relations
belgo-néerlandaises, par le Protocole sur la responsabilité civile des agents en mission sur le terri-
toire d'une autre Partie, joint à la Convention Benelux d'extradition et de coopération judiciaire en
matière pénale du 27 juin 1962 (loi du 1cr juin 1964, Monit., 27 octobre 1964).
L'application de la loi de l'État requérant est prévue par la Convention entre la Belgique et les
1111

Pays-Bas sur l'assistance mutuelle dans la lutte contre les catastrophes et les accidents, signée à La
Haye le 14 novembre 1984 (Monit., 29 octobre 1988), aux conditions de la responsabilité de cet État
pour les dommages causés sur son territoire par une équipe d'assistance de l'État d'envoi. Cette
solution permet de soumettre aux mêmes conditions les indemnisations dues aux victimes locales,
que le comportement soit dû à une autorité nationale ou à une autorité étrangère.
Plusieurs instruments adoptés dans le contexte de l'Union européenne confirment l'applicabilité
1111

de la loi de l'État sur le territoire duquel l'organe étranger a agi. Voy. en ce sens: la Convention du
29 mai 2000 relative à l'entraide judiciaire en matière pénale entre les États membres de l'Union
européenne (J.O.C.E., 2000, C 197); la décision-cadre 2002/465/JAI du Conseil du 13 juin 2002 rela-
tive aux équipes communes d'enquête (J.O.C.E., 2002, L 162); l'accord du 17 novembre 2003 relatif
au statut du personnel militaire et civil détaché auprès des institutions européennes (J.O.C.E., 2003,
C 321), dans le cadre des missions de politique extérieure visées par le traité UE (art. 18).
Contra, en faveur de la loi de l'État d'envoi: le règlement 2725/2000 du Conseil du 11 décembre
2000 concernant la création du système « Eurodac » pour la comparaison des empreintes digitales
aux fins de l'application efficace de la convention de Dublin [relative à la détermination de l'État
compétent pour l'examen de la demande d'asile] U-O.C.E., 2000, L 316), en ce qui concerne l'action
en réparation contre l'État pour un traitement illicite (art. 17).
Plus fondamentalement, la soumission de l'État à un droit étranger ne se conçoit
pas moins en cette matière qu'en d'autres branches du droit civil ou commercial, sans
exclure qu'une loi particulière organisant un régime spécifique de responsabilité pour
certains risques, apparaisse comme s'accompagnant d'une règle d'applicabilité implicite
opérant par auto-désignation.
Cette orientation est celle du Code de droit international privé. En omettant toute
règle particulière, le législateur a entendu soumettre la responsabilité de l'État aux
mêmes règles de conflit de lois que le particulier. Encore faut-il rappeler que le Code ne
couvre que« la matière civile et commerciale» (art. 2).
1111La solution est certaine à la lecture des discussions en commission de la Justice du Sénat, où le
texte final a été élaboré alors que la proposition en débat prévoyait une règle particulière sous
l'article 103 (Doc. pari., Sénat, 2003-2004, n ° 3-27/7, p. 357 et s.).
1111Une délimitation selon que la demande relève de la« matière civile ou commerciale» serait en
harmonie avec l'application de la théorie de l'immunité restreinte de juridiction (voy. supra,
n ° 9.18), sur laquelle se basent les juridictions belges pour écarter l'exception d'incompétence pour
les actes accomplis iure gestionis.
Une définition de la« matière civile» d'après la méthode choisie par la Cour de justice pour l'inter-
prétation de la Convention de Bruxelles, selon que le régime auquel l'État est soumis relève ou non
du droit commun (voy. supra, n° 8.14), engendre un cercle vicieux tant que ce régime ne sera connu
qu'après désignation du droit applicable.
Comp. supra, n° 14.75: Cass. civ., 2 mai 1990, évoquant, à propos de l'application de règles de
1111

droit public étranger, le critère de« l'exercice de la puissance publique».


1111 Comp., en Autriche, l'arrêt de la Cour suprême du 17 février 1982 (Héritiers de Pierre S. c. Autriche,
Int. Law Reports, vol. 86, 546), n'hésitant pas à soumettre au droit étranger la responsabilité de l'État
responsable du fait de son diplomate qui avait causé un accident de chasse.
ÜBLIGATIONS DÉRIVANT D'UN FAIT DOMMAGEABLE 937

Autre est la question de savoir qui est organe ou préposé de l'État en cause : celle-ci
relève nécessairement de la loi de cet État, selon un raisonnement également appliqué
aux questions préalables (voy. ci-dessous).

Il. QUESTIONS PRÉALABLES

15.22 - Questions de droit étranger préalables à la détermination de la responsabi-


lité - La détermination de la responsabilité peut requérir une réponse préalable à une
question distincte de celle de l'action en réparation elle-même, et relative à l'existence
d'un lien, de parenté ou contractuel, entre des personnes.
Ce lien peut intéresser la recevabilité de l'action introduite contre une personne con-
sidérée comme héritier du responsable.
La détermination de la responsabilité du fait d'autrui suppose de tenir compte
d'autres institutions qui affectent le principe et l'étendue de cette responsabilité, telle
l'autorité parentale rattachée à la loi personnelle de l'auteur du fait dommageable, ou un
lien contractuel éventuel entre le commettant et ses préposés, soumis à la loi applicable à
ce contrat.
À propos de la responsabilité du fait d'enfants mineurs, voy. une illustration par: Cass.,
1111

24 janvier 1977, précité n ° 15.11.


De même, la détermination de la qualité d'héritier relève de la loi applicable à la suc-
cession de la personne décédée (voy. supra, n ° 13.84).
15.23 - Questions de droit étranger préalables à la détermination des ayants droit -
Pour vérifier l'existence d'un dommage conformément à la loi de la responsabilité, il faut
parfois soumettre le lien conjugal ou le lien de parenté dont se prévaut un ayant droit de la
victime à une autre loi. Cette loi sera celle du statut personnel si la question concerne l'exis-
tence d'un lien conjugal. Si elle porte sur la qualité d'héritier, ce sera la loi successorale.
Sur l'action exercée par la deuxième épouse d'un polygame, ou par une personne ayant con-
1111

tracté un mariage posthume, voy. supra, n° 12.43. Voy. aussi: Civ. Hasselt, 9 juin 1969,].T (1973),
42, ayant appliqué la loi turque à un mariage dont la validité était contestée.
C'est aussi en vertu des règles générales relatives à la représentation d'un incapable
(voy. supra, n ° 12.153) que la loi de la résidence du mineur est applicable à la capacité
d'ester en justice.
Voy.: Bruxelles, 27 novembre 1986, Rev. gén. dr. civ. (1988), 113, note L. BARNICH, alors en faveur
1111

de la loi nationale.

Ill. QUESTIONS CONNEXES AU STATUT DE LA RESPONSABILITÉ CIVILE

15.24 - Rattachement autonome de la subrogation légale - Le Code de droit interna-


tional privé consacre un rattachement traditionnel de la subrogation au droit applicable
à l'obligation d'indemniser la victime (art. 107, al. ier).
1111Selon la Cour de cassation (23 octobre 1969, arrêt précité n° 15.11), « la subrogation légale aux
droits de la victime, de celui qui l'a dédommagée en tout ou en partie, indépendante du statut de
l'acte illicite, obéit à sa loi propre, celle qui régit le paiement opérant subrogation ». Un militaire
allemand victime d'un accident en Belgique avait été indemnisé par la République fédérale d'Alle-
magne, qui a été autorisée à se prévaloir contre l'auteur de l'accident des dispositions de droit
administratif allemand en vertu desquelles l'État fédéral est subrogé aux droits du militaire ou du
fonctionnaire à concurrence des traitements payés durant l'incapacité de travail et des soins ou
938 LES OBLIGATIONS NON CONTRACTUELLES

autres prestations assurés par l'État en raison de l'atteinte à l'intégrité corporelle ou du décès de
son agent.
Voy. aussi: Bruxelles, 26 mai 1992, Bull. ass. (1993), 52.
lllll La proposition de règlement« Rome II » prévoit une solution analogue (arc. 15).
La subrogation conventionnelle dépend d'un rattachement distinct, qui relève de la matière
Ill!
contractuelle (voy. supra, n ° 14.58).
Sur la subrogation légale, voy. notamment: P. LAGARDE, note sous Cass. civ. (Fe ch.), 17 mars
1111

1970 et sous Cass. b., 23 octobre 1969, Revue (1970), 688-698; F. RrGAUX, « Le paiement avec subro-
gation éteignant l'obligation délictuelle ou quasi délictuelle d'autrui en droit international privé»,
Rev. crit. jur. belge (1971), 348-367; J.G. SAUVEPLANNE, « De subrogatie in het internationaal
privaatrecht », Mélanges Kollewijn-Offerhaus, 413-429.

Ainsi, le droit de subrogation que, dans de nombreux pays, la loi a institué au profit
de l'État employeur, relève de ces dispositions légales. En pareil cas, la véritable victime de
la partie du préjudice couvert par le statut de droit public du fonctionnaire ou du mili-
taire est l'État lui-même, privé des services de son agent par la faute d'un tiers, tout en
étant statutairement tenu à poursuivre le paiement du traitement et à assumer la charge
des soins de santé. Cette mise en œuvre du droit public étranger a été admise par plu-
sieurs juridictions suprêmes étrangères.
Ill!Voy. les références dans la note sous l'arrêt du 23 octobre 1969, Rev. crit. jur. belge (1971), 348-
367, et sur la nature juridique de la norme étrangère appliquée, voy. F. RIGAUX, Droit public et droit
privé, §§ 88 et 186.
La Cour de justice des Communautés européennes retient un rattachement analogue pour la
Ill!
subrogation prévue par le règlement de coordination des régimes nationaux de sécurité sociale des
travailleurs migrants. Voy. notammment: aff. 72/76, 16 février 1977, Topfer, Rec. (1977), 271; aff.
C-428/92, 2juin 1994, DAK, Rec. (1994), 1-2259; aff. C-397/96, 21 septembre 1999, Kordel, Rec.
(1999), 1-5959. Ces arrêts distinguent nettement le rattachement de la subrogation de celui de la
responsabilité civile, qui continue de relever du droit international privé du for.

Le même principe de solution vaut pour la subrogation de l'assureur. Celle-ci


dépend de la loi du contrat d'assurance, en vertu de laquelle l'assureur a dû indemniser la
victime.
Voy.: Liège, 12 novembre 1973, Rev. gén. ass. resp. (1974), 9225; Civ. Bruxelles, 11 décembre
Ill!
1973, RW. (1973-1974), 1614; Bruxelles, 27 novembre 1986, Rev. gén. dr. civ. (1988), 113, note L.
BARNICH.

Le rattachement autonome détermine l'admissibilité et l'étendue de la subrogation,


tout en ne permettant pas d'obtenir davantage que ce que la victime aurait pu obtenir.
Par conséquent, les termes de l'obligation du débiteur responsable à l'égard du subrogé
ne dépassent pas ce que la loi de la responsabilité prévoit à l'égard de la victime.
1111Cette ventilation est exprimée nettement par la Cour de justice à l'occasion de la subrogation de
l'organisme de sécurité sociale, spécialement dans l'arrêt Kordel précité.
Il se peut encore que l'examen des droits de l'ayant droit présuppose celui d'une question préa-
1111

lable relative à un lien entre celui-ci et la victime, par exemple lorsque la loi de la subrogation fait
dépendre l'indemnisation de l'ayant droit de l'existence d'une créance alimentaire envers la
victime: l'existence de cette créance dépend évidemment du rattachement alimentaire.

15.25 - Action directe de la personne lésée contre l'assureur du responsable - Le légis-


lateur peut organiser, au profit de la victime d'un accident, le bénéfice d'une action directe
contre la compagnie qui assure la responsabilité civile de l'auteur du fait dommageable.
Quand le statut légal et contractuel de l'assurance est soumis à la loi d'un pays, mais que
ÜBUGATIONS DÉRIVANT D'UN FAIT DOMMAGEABLE 939

l'assuré a commis le fait dommageable sur le territoire d'un autre pays, à laquelle de ces
deux lois appartient-il de décider si la victime peut agir directement contre l'assureur?
La question ne se limite pas nécessairement à la matière de la responsabilité non contractuelle.
lllll
La loi peut organiser une action directe pour l'ensemble des contrats d'assurance. Voy., en France,
l'article 124-3 du Code des assurances.
1111 Sur l'assurance automobile obligatoire, voy. infra, n ° 15.40.

Le Code de droit international privé soumet l'action directe au droit qui régit l'obli-
gation de l'assuré d'indemniser le tiers (art. 106). La solution illustre un rattachement à
la loi de la créance protégée, celle du tiers envers l'assuré.
1111La jurisprudence belge a rattaché nettement l'admissibilité de l'action directe à la loi de la res-
ponsabilité. Voy. notamment: Bruxelles, 15 mai 1964, Pas. (1965), II, 153 et concl. min. pub!.; Civ.
Verviers, F' décembre 1964, fur. Liège (1964-1965), 165; Liège, 26 janvier 1967, ].T. (1967), 539;
Bruxelles, 13 janvier 1971, Pas. (1971), II, 103; Bruxelles, 3 novembre 1975,J.T. (1976), 367; Bruxel-
les, 17 novembre 1975, R.W. (1976-1977), 534.

Une autre solution consiste à appliquer la loi régissant le contrat d'assurance, car la
question intéresse la détermination des bénéficiaires de la couverture. Elle a également le
mérite de faire coïncider le rattachement de l'admissibilité de l'action avec celui de l'éten-
due des obligations de l'assureur vis-à-vis du tiers lésé, dont le rattachement contractuel
n'est pas contesté. Mais le rattachement contractuel n'exclut nullement, au cas où cette
loi ne prévoirait pas d'action directe, l'applicabilité d'une loi de police de protection du
tiers lésé, en fonction d'un critère de nature territoriale.
Voy. en ce sens : Bruxelles, 28 novembre 1990, Rev. gén. ass. resp. ( 1991), n ° 11793 ; P.
1111 MAYER et V.
HEUZÉ, n° 683.
1111La loi du contrat d'assurance a été appliquée au privilège du tiers lésé sur l'indemnité due par
l'assureur à l'assuré: Comm. Anvers, 25 avril 1991,Jur. Anvers (1994), 243.

Toutefois, comme l'action directe est généralement liée au système de l'assurance


obligatoire et que le domaine spatial de cette obligation est lui-même territorial, on
revient par ce détour à la loi de la responsabilité. Vis-à-vis du tiers lésé, le rattachement
présente alors pratiquement un caractère alternatif.
Le Code prend position en faveur du tiers lésé en permettant d'agir contre l'assureur
en vertu de la loi qui régit le contrat d'assurance, lorsque ce droit n'existe pas selon la loi
de l'obligation.
Voy. dans un sens analogue l'article 9 de la Convention de La Haye du 4 mai 1971 en matière
1111
d'accidents de la circulation routière (infra, n ° 15.40).
Le rattachement de l'action directe à la loi de l'obligation comporte toutefois une
limite. L'assureur ne saurait être tenu à l'égard du tiers lésé d'assurer une garantie à
laquelle il n'est pas tenu à l'égard de l'assuré en vertu de la loi du contrat d'assurance, soit
parce que la garantie est limitée, soit parce que l'assureur peut opposer certains moyens
de défense à l'assuré.
Sur cette ventilation, voy. en France: Cass. civ., 20 décembre 2000, Delaporte, Revue (2002), 682,
1111

note V. HEUZÉ.

15.26 - Action récursoire de l'assureur contre l'assuré - D'après la jurisprudence, l'action


récursoire de l'assureur contre l'assuré est régie par la loi du contrat plutôt que par celle
de la responsabilité, car elle se fonde sur une violation, par l'assuré, de ses obligations
contractuelles ou légales. La solution doit être approuvée.
940 LES OBLIGATIONS NON CONTRACTUELLES

1111 Voy.: Bruxelles, 23 septembre 1965, Rev. gén. ass. resp. (1967), 7921 et 7908 et note M. MAHIEU;
Liège, 19 novembre 1973, Bull. ass. (1976), 151; Mons, 15 décembre 1976, Rev. gén. ass. resp. (1978),
9860; Bruxelles, 24 octobre 1977,J.T (1978), 9.
1111 Pour un cas de formulation d'une règle matérielle de droit international privé à propos de
l'action récursoire en matière d'assurance automobile, voy. : Cass., 8 novembre 2002, Pas. (2002), I,
2138, limitant le recours au cas où l'accident s'est produit en Belgique et non à l'étranger, à propos
d'un accident causé en Belgique par un conducteur disposant d'un permis étranger non reconnu
en Belgique.

§3 DÉLITS SPÉCIAUX

A. Accidents aériens et maritimes


15.27 - Présentation des sources - Le droit commun ne comporte pas d'autre règle de
conflit de juridictions ou de conflit de lois propres aux accidents aériens ou maritimes
qu'une règle de compétence juridictionnelle figurant dans l'article 637 du Code judi-
ciaire. En revanche, plusieurs instruments internationaux règlent divers aspects du con-
tentieux.
Pour les accidents aériens, la Belgique est partie à la Convention de Rome du
7 octobre 1952 relative aux dommages causés aux tiers à la surface par des aéronefs
étrangers (loi du 14 juillet 1966, Pasin., 1966, 447), qui vise à une harmonisation du droit
matériel.
1111 Outre la bibliographie citée supra, n ° 14.152, voy. notamment: T. KOOPMANS,« Le dommage aux
personnes dans le développement du droit du transport international», Mélanges Kollewijn-Offe-
rhaus (1962), 288-298; R.H. MANKIEWICZ,« Vers une refonte de la Convention de Varsovie et la révi-
sion de la Convention de Rome?», D.E.T. (1976), 822-841, 854-861; G. THOMSON,« La révision de
la Convention de Rome», Rev.fr. dr. aérien (1975), 233-264.
En matière maritime, plusieurs conventions en vigueur en Belgique harmonisent
tantôt le droit matériel, tantôt les règles de conflit de juridictions.
1111 Pour le secteur nucléaire, voy. la Convention de Bruxelles du 17 décembre 1971 relative à lares-
ponsabilité civile dans le domaine du transport maritime de matières nucléaires (loi du 11 avril
1989, Monit., 6 octobre 1989).
La responsabilité du propriétaire du navire peut faire l'objet d'une limitation aux
conditions prévues par la Convention de Londres du 19 novembre 1976 sur la limitation
de la responsabilité en matière de créances maritimes (loi du 11 avril 1989, Monit.,
6 octobre 1989), ou d'instruments antérieurs ayant cet objet.
111 La convention de 1976 remplace entre États parties la Convention de Bruxelles du 10 octobre
1957 sur la limitation de la responsabilité des propriétaires de navires de mer, et le Protocole (loi du
18 juillet 1973, Monit., 29 janvier 1976, Pasin., 1976, 211).
La Convention de 1956 remplaçait entre États parties la Convention du 25 août 1924 (I) pour l'uni-
fication de certaines règles concernant la limitation de la responsabilité des propriétaires de navires
de mer (loi du 28 novembre 1928, Pasin., 1928, 466).
Sur cette problématique, voy. : E. Du PONTAVICE, « La conférence du comité maritime internatio-
11111

nal de Hambourg (1-5 avril 1974), Révision des Conventions de Bruxelles sur la limitation de lares-
ponsabilité des propriétaires de navires de mer et sur l'unification de certaines règles en matière de
connaissement, des 10 octobre 1957 et 25 août 1924 », Droit maritime français (1974), 383-388;
R.JAMBU-MERLIN, « Loi applicable à l'abordage en haure mer», D.S. (1966), 578; F. R.iGAUX, « La
responsabilité du fait d'autrui, spécialement en cas d'abordage, en droit international privé
comparé», Rev. crit. jur. belge (1963), 227-241; R. RoDIERE, « Les tendances contemporaines du droit
ÜBLIGATIONS DÉRIVANT D'UN FAIT DOMMAGEABLE 941

privé maritime international», Recueil des cours, vol. 135 (1972-I), 335-409; ID.,« La limitation de
responsabilité du propriétaire de navires (Passé, présent et avenir)», Droit maritime français (1973),
259-267; E. VAN BOGAERT, « Rechtsconflicten in verband met aanvaringen op zee », R.W (1976-
1977), 514-523. Voy. encore: M. GUERIN,« Législation applicable en matière de transport interna-
tional de marchandises par mer », Droit maritime français (1988), 653 et s.
Les conséquences civiles d'un abordage et des opérations d'assistance font l'objet
des deux Conventions du 23 septembre 1910 (loi du 14 septembre 1911, Pasin., 1913, 67).
De plus, des règles de compétence internationale ont été établies par la Convention pour
l'unification de certaines règles relatives à la compétence civile en matière d'abordage,
signée à Bruxelles le 10 mai 1952 (loi du 24 mars 1961, Pasin., 1961, 586).
1111 Pour l'action pénale, voy., du même jour, la Convention internationale pour l'unification de cer-
taines règles relatives à la compétence pénale en matière d'abordage et autres événements de navi-
gation (loi précitée du 24 mars 1961).
IllPour la prévention des abordages, voy. encore la Convention de Londres du 20 ocrobre 1972 (loi
du 24 novembre 1975, Monit., 12 juin 1976 et 14 juillet 1977), établissant des règles de circulation
en haute mer.
1111La convention de 1910 précise que l'indemnisation a lieu sans tenir compte du lieu de l'abordage
(art. 1er). C'est dire si elle a pour objet d'unifier les règles matérielles, sans avoir à tenir compte d'une
règle de rattachement qui, à l'époque, soumettait la responsabilité civile au lieu du fait illicite.

15.28 - Applicabilité dans l'espace des instruments internationaux - Avant d'utiliser


l'une ou l'autre de ces conventions internationales, il convient de vérifier que l'espèce
appartient au domaine d'application dans l'espace que celle-ci se donne.
Ce domaine est normalement fixé au moyen d'une règle d'applicabilité. Dans cette
matière, le critère de référence est le rattachement du moyen de transport à un État par-
tie, par la nationalité ou l'immatriculation.
En matière maritime, les conventions de 1910 (règles matérielles) et de 1952 (compétence civile)
1111

recourent à un principe de réciprocité et exigent, pour être applicables, que cous les navires impli-
qués aient la nationalité d'un État partie.
1111 En matière d'accident aérien, la convention sur l'indemnisation des tiers à la surface utilise un
critère cumulatif, exigeant que l'accident se soit produit sur le territoire d'un État partie et que le
dommage soit causé par un avion immatriculé dans un tel État.
La loi belge d'assentiment précise (art. 2) que les dispositions de la Convention « seront d'applica-
tion sur le territoire belge, que l'immatriculation de l'aéronef ait eu lieu à l'étranger ou qu'elle ait
eu lieu en Belgique même». Cette formulation maladroite semble viser à inclure les cas purement
internes.
Une extension de l'applicabilité aux moyens de transport de pays tiers reste excep-
tionnelle. On la rencontre surtout en matière de limitation de la responsabilité du pro-
priétaire de navire: les règles uniformes s'appliquent à toute personne faisant valoir la
limitation de sa responsabilité devant une juridiction d'un État partie (art. 15
Conv. Londres). L'objectif de l'instrument, à savoir une limitation de la responsabilité
dans l'intérêt du propriétaire, souligne le caractère exorbitant d'une règle d'applicabilité
qui s'en réfère pratiquement à la lex fori, au détriment des passagers victimes.
IllLa Convention de Londres permet cependant à l'État d'établir une règle d'applicabilité prenant
pour critère la résidence de la personne dans un État partie, ou la possession, par le navire impli-
qué, du pavillon d'un État partie. La Belgique n'a pas fait usage de cette faculté.

15.29 - Règles de compétence internationale - La détermination de la compétence inter-


nationale fait l'objet de règles particulières en matière maritime. Celles-ci visent la demande
consécutive à un abordage ou à une opération d'assistance ou de sauvetage.
942 LES OBLIGATIONS NON CONTRACTUELLES

En matière d'abordage, la Convention de 1952 (art. 1er) confirme le principe de la


compétence des juridictions de l'État de la résidence habituelle du défendeur, ou de l'un
de ses sièges d'exploitation, ainsi que la référence particulière au critère du lieu du fait
dommageable qu'elle traduit par le lieu de l'abordage, lorsque celui-ci est survenu dans
un port ou des eaux intérieures. Elle ajoute le critère du lieu de la saisie du navire. Ce tri-
bunal sera ainsi compétent pour connaître du fond. En d'autres termes, la Convention
consacre en cette matière le for exorbitant du patrimoine (voy. supra, n ° 9.25).
Les parties peuvent encore déroger à ces chefs de compétence par une clause de juridiction ou
llil
d'arbitrage (art. 2).

En matière d'assistance ou de sauvetage maritime, le règlement« Bruxelles I » consa-


cre également le for exorbitant du patrimoine en prévoyant la compétence du tribunal de
la saisie de marchandises destinées à garantir le paiement d'une rémunération liée à la
prestation (art. 5, 7°).
En droit commun, l'abordage fait l'objet d'une disposition spécifique, que le Code
de droit international privé n'a pas abrogée. Lorsque l'abordage a eu lieu dans un port,
une rade ou des eaux intérieures belges, les juridictions belges sont compétentes (art. 637
c. jud.).
La disposition confère un caractère exclusif à la compétence attribuée. Cette exclusivité se tra-
llil
duira au moment de la reconnaissance d'une décision étrangère qui aurait méconnu cette compé-
tence, par un refus de la reconnaissance (art. 25, § 1e,, 7°, Codip).
Ill! La disposition omet toute allusion à la faculté pour les parties de déroger à la compétence des
juridictions belges par une clause de juridiction ou d'arbitrage. L'inadmissibilité d'une telle déroga-
tion découle du caractère exclusif de la compétence attribuée.

15.30 - Droit applicable à la responsabilité résultant d'un abordage - Lorsque l'abor-


dage survient en haute mer et qu'il n'implique pas des navires appartenant au domaine
d'application d'un traité en vigueur en Belgique, la détermination du droit applicable à la
responsabilité civile ne saurait reposer sur le critère du lieu du fait dommageable,
entendu comme le lieu du fait illicite.
Voy. en France par exemple: Cass. civ., 9 mars 1966, Lenten c. Vigouroux, Revue (1966), 636, appli-
1111

quant la lex fori à un abordage survenu en haute mer.


La référence du Code de droit international privé à la résidence des parties dans le
même pays conduit à la désignation de la loi de l'établissement principal du créancier et
du débiteur de l'obligation non contractuelle, lorsque ces établissements sont situés dans
le même pays. À défaut, il reste à déterminer avec quel pays l'obligation en cause a des
liens étroit~, en tenant compte de toutes les circonstances.
1111Comp. l'initiative de la Belgique et de l'Espagne en vue de l'adoption d'un règlement« Bruxelles
I », texte qui a précédé la proposition soumise par la Commission, qui prévoyait une règle propre
aux accidents survenus dans des zones non soumises à souveraineté. Celle-ci se référait aussi aux
liens les plus étroits, tout en privilégiant le lieu d'immatriculation ou le pavillon du moyen de
transport ou de l'installation« ayant un lien avec le délit». Cette disposition résolvait mal le cas de
l'abordage, sauf à considérer que le moyen de transport visé fût celui de la partie dont la responsa-
bilité est mise en cause.
La survenance d'un abordage dans les eaux intérieures belges répond à des disposi-
tions particulières. D'assez nombreux accidents soumis à des juridictions belges sont des
abordages survenus dans les eaux néerlandaises de l'Escaut.
1111 Voy. notamment: Cass., 23 novembre 1962 et 27 novembre 1964 (précités n ° 15.11).
ÜBLIGATIONS DÉRIVANT D'UN FAIT DOMMAGEABLE 943

Ill!Sur l'applicabilité particulière des dispositions légales par lesquelles l'État a limité sa responsa-
bilité du fait d'erreurs de ses pilotes, voy. infra, n ° 15.21. Sur ce contentieux, voy., avant l'adoption
de cette loi: Civ. Bruxelles, 14 avril 1978,Jur. Anv. (1979-1980), 276.
L'embouchure de l'Escaut fait l'objet d'un régime international spécifique qui
trouve son origine dans l'article 9 du Traité du 19 avril 1839, en vertu duquel le pilotage
et le balisage ainsi que la conservation des passes de l'Escaut en aval d'Anvers seront sou-
mis à une surveillance commune (§ 2) déterminée selon un Règlement adopté de com-
mun accord par les deux États(§ 6).
Ce Règlement a été arrêté le 20 mai 1843, pour l'exécution des dispositions des articles 9 et 10
1111

du Traité du 19 avril 1839, et du chapitre II, sections !, II, III et IV du Traité du 5 novembre 1842. Le
Règlement a, pour la dernière fois, été modifié par la Convention belgo-néerlandaise du
12 décembre 1968 (Monit., 25 juin 1969).
1111 Voy. aussi la loi du 3 novembre 1967 sur le pilotage des bâtiments de mer et l'arrêté royal du
8 juin 1971.

B. Accidents de la circulation routière


15.31 - Bibliographie
B. DuBUISSON, « L'assurance automobile obligatoire et le droit international privé», Rev. gén. ass.
resp. (2000), n ° 13284; B. DUBUISSON et M. FALLON,« Les véhicules en circulation internationale et
le droit international privé», Rev. gén. ass. resp. (1991), n ° 11781 ; R. DALCQ, « Accidents de la circu-
lation routière et droit international privé et judiciaire », Mélanges Hannequart et Rasir (Bruxelles,
Story, 1997), 3-13; L. FORGET, Conflits de lois en matière d'accidents de la circulation routière (Paris, Dal-
loz, 1973); S. FREDERICQ, « De wet van 4 juli 1972 tot wijziging van de wet van 1 juli 1956 inzake
motorrijtuigen », R W (1973-1974), 1025-1034; PERRouo, « L'action directe de la partie lésée contre
les compagnies étrangères », Rev. gén. ass. terr. (1931), 23 ; A. PIRE,« La quatrième directive sur l'assu-
rance automobile», Bull. ass. (2001), 7-39; R. PRJoux, « Problèmes relatifs au système de la carte
verte internationale d'assurance automobile», Rev. gén. ass. resp. (1987), n° 11305; E. RANDONE,
« Problèmes posés par un accident de la circulation routière comportant un élément d'extranéité,
spécialement s'il est survenu dans un pays autre que celui de la victime ~ Rapport final », Bull. ass.
(1970), 412-420; S. ROLAND,« Les droits de la victime d'un accident vis-à-vis de l'assureur de lares-
ponsabilité civile de l'auteur du dommage »,fur. Anvers (1977-1978), 103-130; L. SCHUERMANS et
P. LAVRYSEN-VAN EUPEN,« Les accidents de la circulation en droit international privé belge »,Rev. dr.
int. dr. camp. (1974), 6-49; M. VASSOGNE,« Problèmes posés par un accident de la circulation rou-
tière comportant un élément d'extranéité spécialement s'il est survenu dans un pays autre que celui
de la victime», Bull. ass. (1970), 205-220; N. WATTÉ, « Les règles belges de conflits de juridictions en
matière de réparation des accidents de la circulation routière», Rev. gén. ass. resp. (1976), n ° 9613.

1. ÜROIT APPLICABLE AU RÉGIME DE RESPONSABILITÉ

15.32 - Présentation des sources - La désignation du droit applicable au régime de la


responsabilité liée à un accident de la circulation routière repose sur la Convention de La
Haye du 4 mai 1971 sur la loi applicable aux accidents de la circulation routière (loi du
10 février 1975, Pasin., 1975, 153), entrée en vigueur le 3 juin 1975.
IllParmi les commentaires de cette Convention, voy. notamment : L. GANSHOF, « La Convention de
La Haye du 4 mai 1971 sur la loi applicable en matière d'accidents de la circulation routière »,].T
(1974), 257-259; M.-L. STENGERS, « Commentaire de la Convention de La Haye du 4 mai 1971 sur
la loi applicable en matière d'accidents de la circulation routière», Rev. gén. ass. resp. (1975),
n° 9503.
Le rapport explicatif de E. ESSEN a été publié dans les Actes et documents de la 11 e session, t. III,
Ill!
200-218.
944 LES OBLIGATIONS NON CONTRACTUELLES

1111 Le domaine temporel de la Convention n'est pas explicité. La solution la plus adéquate consiste
à y soumettre les accidents de la circulation routière survenus après la date de son entrée en
vigueur. Cette solution est retenue par la Cour de cassation.
Voy. Cass., 30 décembre 1981, ].T (1981), 649; Mons, 24 avril 1980, Rev. gén. ass. resp. (1982),
n ° 10488, note J.-L. FAGNART.

Le Code de droit international privé n'affecte pas le jeu de la Convention (art. 99,
§ 2, 5 °). En effet, celle-ci présente un caractère universel (art. 11 ; sur cette notion, voy.
supra, chap. 3). Puisqu'elle permet de désigner le droit d'un pays tiers, elle a vocation à
régir une situation internationale quelconque, même dépourvue de tout rattachement
avec un État partie : elle configure donc le droit commun des règles de rattachement en la
matière.

15.33 - Domaine matériel de la Convention - La Convention a pour domaine la


« responsabilité civile extracontractuelle découlant d'un accident de la circulation rou-
tière, quelle que soit la nature de la juridiction appelée à en connaître » (art. 1er, al. 1er).
L'accident se définit comme tout accident« concernant un ou des véhicules[ ... ] et qui est
lié à la circulation sur la voie publique, sur un terrain ouvert au public [... ] » (al. 2).
1111L'utilisation du terme « responsabilité» soulève la question de l'application du texte aux régi-
mes de compensation légale indépendants d'une obligation incombant au propriétaire ou au con-
ducteur même, lorsque l'indemnisation est mise à charge d'un organisme public ou de l'assureur
de la responsabilité. L'interprétation retenue par la jurisprudence est large, puisqu'elle tend à
inclure « tant la loi applicable à la responsabilité civile que celle qui est applicable aux modalités et
à l'étendue de la réparation des dommages découlant d'un accident de la circulation, quel qu'en
soit le fondement, à condition qu'il soit extracontractuel » (Cass., 19 mars 2004, Bull. ass., 2004,
500, Rev. gén. ass. resp., 2004, n° 13941, note C. BARBÉ, à propos de l'art. 29bis de la loi du 21 novem-
bre 1989 relative à l'assurance automobile obligatoire, tenant l'assureur« responsabilité» du véhi-
cule pour débiteur de l'obligation d'indemniser l'usager de la roure, indépendamment de toute
responsabilité même objective du conducteur).
Cette interprétation est la seule conciliable, et avec l'esprit de la Convention, et avec la nature d'une
règle de rattachement. Raisonner autrement conduirait à faire dépendre le domaine de la règle de
rattachement du contenu du droit que celle-ci doit désigner. Aussi est-ce la formulation de la caté-
gorie de rattachement qui doit être revue, de manière à y inclure toute action en réparation du
dommage causé par un accident de la circulation routière.
En France, un raisonnement analogue est tenu à propos de la loi Badinter, mais non à propos de la
loi relative à l'indemnisation des victimes d'infractions (Cass. civ., 2e ch., 3 juin 2004, Revue, 2004,
750, note D. BUREAU, cette loi étant qualifiée de loi de police dérogatoire : comme l'indique l'anno-
tateur, cette qualification viole la Convention de La Haye, mais autre chose serait de requalifier la
demande comme portant sur l'indemnisation par un fonds de garantie indépendamment de toute
responsabilité, méthode revenant à extraire l'action du domaine de la Convention. En revanche, le
recours du Fonds contre le responsable relève certainement de ce domaine.

La liste des points de 'droit visés par la règle de rattachement est donnée par
l'article 8. Elle atteste de l'applicabilité de la Convention à« la responsabilité du commet-
tant du fait de son préposé» (7°).
Il découle de l'article 5 que la Convention s'applique aussi à la réparation des dom-
mages aux biens.
Certaines exclusions sont explicitées. Elles portent tantôt sur la mise en cause de
personnes ou d'organismes autres que les agents matériels de l'accident (tels les fabri-
cants, vendeurs et réparateurs du véhicule, le propriétaire de la voie de circulation, les
organismes de sécurité sociale), tantôt sur les recours entre personnes responsables.
ÜBUGATIONS DÉRIVANT D'UN FAIT DOMMAGEABLE 945

En ce qui concerne les responsabilités du fait d'autrui, la Convention règle seule-


ment« celle du propriétaire du véhicule et celle du commettant» (art. 2, 3°).
L'article 2 exclut les recours entre personnes responsables (4°), ainsi que les recours
et les subrogations concernant les assureurs (5 °) ; toutefois, l'article 9 règle spécialement
l'action directe de la personne lésée contre l'assureur du responsable (voy. infra, n ° 15.40).
1111 La raison d'être de l'exclusion tiendrait, selon le rapport explicatif, à la nature contractuelle de
ces recours. Cette justification manque de nuance. Il serait plus correct de dire que l'exclusion cou-
vre uniquement un rattachement autonome fondé sur une relation contractuelle ou sur une subro-
gation légale.
1111Faisant application de l'exclusion, la Cour de cassation de France a écarté de la Convention
l'action récursoire d'un co-responsable basée sur une obligation solidaire, cette action étant alors
soumise à la loi du lieu de l'accident en vertu du droit commun (Cass. civ., 24 février 1993, Lloyd c.
Fanorenantsoa, Revue, 1993, 444, note P. BoUREL). La solution est peu satisfaisante, car elle conduit à
un rattachement inapproprié au regard de la matière. La solidarité à la dette relève normalement
du domaine de la loi de la responsabilité (voy. supra, n ° 15.18).

15.34 - Structure de la Convention - La Convention a pour objet d'établir les règles de


rattachement propres au régime de la responsabilité liée aux accidents de la circulation
routière. À cet égard, elle opère une distinction selon que le dommage est causé ou non à
des biens.
En revanche, la Convention n'affecte pas les règles générales concernant la mise en
œuvre des règles de rattachement. Ces éléments de la « théorie » du droit des conflits de
lois restent soumis au droit national. Toutefois, certaines questions font l'objet d'une
explicitation. Il en est ainsi du renvoi et de la problématique des systèmes plurilégislatifs,
ainsi que de l'ordre public.
L'utilisation de l'expression« loi interne» pour désigner le droit applicable entend exclure toute
1111

application du renvoi (voy. supra, n° 6.21).


1111 Les articles 12 à 14 contiennent les règles à suivre quand la loi compétente désigne un système

juridique non unifié (art. 12) ou quand un État partie à la Convention a un tel système (art. 13 et
14). Voy. supra, n° 5 6.7 et s.
D'après l'article 10, l'application de la loi compétence« ne peut être écartée que si elle est mani-
1111

festement incompatible avec l'ordre public» (voy. supra, n ° 7.38).


Le texte omet toute allusion à la condition procédurale du droit étranger, comme
c'est plus généralement le cas des instruments internationaux. On peut en déduire que
cette question reste en dehors de l'objet de l'harmonisation. Ainsi en est-il de la question
de l'applicabilité d'office de la règle de rattachement. Le principe dispositif peut, en cette
matière, amener les parties à conclure un accord procédural conduisant à l'application
du droit du for.
En revanche, la faculté pour les parties de choisir un autre droit que celui désigné par la Con-
1111

vention, en dehors de l'accord procédural, doit être exclue. En effet, la« règle» de l'autonomie de la
volonté est une règle de rattachement comme une autre et relève, à ce titre, de l'objet matériel de la
Convention. En omettant cette faculté, celle-ci doit donc se comprendre comme l'excluant.
Contra, admettant l'autonomie: Liège, 22 décembre 1986, Rev. gén. ass. resp. (1988), n ° 11328.
En France, voy.: Cass., 19 avril 1988, Roho, Revue (1989), 68, note H. BATIFFOL, admettant un choix
par les parties de la loi française de nationalité commune.
Ill Sur ce que les règles conventionnelles seraient par nature d'ordre public, et ne doivent pas être
invoquées in limine litis, voy.: Liège, 14 mars 1991,J.L.M.B. (1992), 1123, note A. KOHL. La question
est cependant plus complexe, car elle relève plus généralement de la détermination de la condition
procédurale de la règle de rattachement (voy. supra, chap. 6).
946 LES OBLIGATIONS NON CONTRACTUELLES

15.35 - Rattachement au lieu de l'accident ou au lieu d'immatriculation - La Conven-


tion confirme le principe, dominant au moment de son adoption, de l'application de la
loi du lieu de l'accident (art. 3), expression du fait générateur de l'obligation non contrac-
tuelle. L'innovation consiste à tempérer ce principe dans des cas jugés présenter un lien
plus étroit avec un autre pays. Ce tempérament exprime ainsi un objectif de proximité.
Celui-ci se traduit par une règle rigide, non par une clause d'exception. Cette approche
permet de garantir la prévisibilité du droit applicable, élément de sécurité juridique pré-
cieux pour les assureurs.
Ill Tout localisation objective de la situation au moyen d'une appréciation des indices de rattache-
ment est donc exclue (Cass., 15 mars 1993, Lemmens, Pas., 1993, I, 285, Rev. gén. dr. civ., 1994, 138,
note L. BARNICH).
Le juge belge ne saurait utiliser, en cette matière, la clause générale d'exception de l'article 19 du
1111

Code de droit international privé.


IllVoy. des applications de l'art. 3 par: Bruxelles, 27 novembre 1986, Rev. gén. dr. civ. (1988), 113,
note L. BARNICH; Civ. Courtrai, 12 janvier 1988, Rev. gén. ass. resp. (1991), n ° 11710; Liège, 14 mars
1991,j.L.M.B. (1992), 1123, note A. KoHL.
Ill!Le critère du stationnement habituel évince le critère de l'immatriculation dans deux cas
(art. 6):
- « pour les véhicules non immatriculés ou immatriculés dans plusieurs États » ;
- « lorsque ni le propriétaire, ni le détenteur, ni le conducteur du véhicule n'avaient, au moment
de l'accident, leur résidence habituelle dans l'État d'immatriculation».

Le critère de l'immatriculation se substitue à celui de l'accident si tous les véhicules


impliqués dans l'accident (ou, le cas échéant, le seul véhicule qui y soit impliqué) sont
immatriculés dans un État autre que celui sur le territoire duquel l'accident est survenu
(art. 4).
Ill Pour des cas d'application de l'article 4, voy. par exemple: Liège, 22 décembre 1986, Rev. gén. ass.
resp. (1988), n ° 11328; Bruxelles, 11 juin 1987, Rev. gén. dr. civ. (1989), 500; Cour mil., 23 mai 1990,
RW. (1991-1992), 152; Cass., 19 mars 2004, Bull. ass. (2004), 500.
En France, voy.: Cass. civ., 22 janvier 1991, La Paternelle, Rev. gén. ass. terr. (1991), 949, note M. GoRÉ.

Le texte distingue quatre cas dans lesquels la loi du pays d'immatriculation régit :
- la responsabilité « envers le conducteur, le détenteur ou toute autre personne
ayant un droit sur le véhicule, sans qu'il soit tenu compte de leur résidence habituelle »
(art. 4, a et b);
- la responsabilité « envers une victime qui était passager, si elle avait sa résidence
habituelle dans un État autre que celui sur le territoire duquel l'accident est survenu»
(art. 4, a) ;
- la responsabilité « envers une victime se trouvant sur les lieux de l'accident hors
du véhicule, si elle avait sa résidence habituelle dans l'État d'immatriculation» (art. 4, a) ;
en cas de pluralité de victimes, la loi applicable est déterminée séparément à l'égard de
chacune d'entre elles (art. 4, a, al. 2);
- la responsabilité des personnes se trouvant sur les lieux de l'accident hors du ou
des véhicules, alors même qu'elles sont aussi victimes de l'accident, quand ces personnes
sont impliquées dans l'accident (le texte anglais dit plus clairement:« are involved in the
accident and may be liable ») (art. 4, c), à condition que toutes ces personnes aient leur
résidence habituelle dans l'État d'immatriculation.
ÜBLIGATIONS DÉRIVANT D'UN FAIT DOMMAGEABLE 947

Pour une appréciation des conditions de l'article 4, c, dans un cas délicat, voy. : Civ. Liège,
11111

11 décembre 2001, Rev. gén. ass. resp. (2003), n ° 13678, à propos d'un accident dû à un jet de pierres
d'un pont d'autoroute, causant des blessures au passager britannique d'un autobus: après consta-
tation de l'implication d'un seul véhicule, la présence hors du véhicule d'un tiers impliqué condui-
sit à écarter la disposition, au bénéfice de l'article 3.

15.36 - Dommages aux biens autres que les véhicules (art. 5) - Le texte distingue selon
que les biens sont transportés dans le véhicule où se trouvait la victime, passager (al. 1er)
ou conducteur (al. 2), ou hors de ce véhicule (al. 3).
Pour les biens transportés dans le véhicule, le rattachement est le même que celui
des dommages corporels : le texte renvoie aux articles 3 et 4.
Pour les biens se trouvant hors du véhicule, la loi du lieu de l'accident est applicable
en principe. Toutefois, la loi du lieu d'immatriculation est applicable lorsque les biens
sont des « effets personnels » d'une victime résidant dans le pays d'immatriculation, dès
lors que cette loi sera aussi la loi de la responsabilité pour les dommages corporels.

15.37 - Règle spéciale d'applicabilité pour les règles de circulation et de sécurité


(art. 7) - Comme la loi du pays de l'accident ne régira pas toujours la responsabilité, la
Convention prend soin de réserver l'applicabilité de règles de comportement auxquelles
la personne responsable a pu se fier au moment de l'accident. Ainsi, « quelle que soit la
loi applicable, il doit, dans la détermination de la responsabilité, être tenu compte des
règles de circulation et de sécurité en vigueur au lieu et au moment de l'accident» (art. 7).
On observe que l'article 7 précité tranche en même temps une question de droit transitoire
!Ill
interne (voy. supra, n ° 5.24).

Les mots « être tenu compte » expriment adéquatement que les règles de circulation
et de sécurité interviennent seulement comme« condition d'application» de la loi appli-
cable à la responsabilité quand celle-ci ne coïncide pas avec la loi de ce lieu (voy. supra,
n° 6.50).

Il. CONTENTIEUX DE L'ASSURANCE DE RESPONSABILITÉ

15.38 - Présentation - En matière d'accidents de la circulation routière, l'organisation,


par les législateurs de nombreux pays, d'une couverture d'assurance obligatoire de lares-
ponsabilité civile, combinée le plus souvent avec l'établissement d'un droit d'action
directe de la personne lésée contre l'assureur, a généré un contentieux particulier, soumis
à des dispositions légales spécifiques.
Initialement dues au législateur national, ces dispositions trouvent aujourd'hui le
plus souvent leur origine dans des actes de l'Union européenne.
En Belgique, la réglementation de l'assurance obligatoire est contenue dans la loi du
11111

21 novembre 1989 (Monit., 8 décembre 1989). Les dispositions du contrat type sont fixées par
l'arrêté royal du 14 décembre 1992 (Monit., 3 février 1993).

!IllComme actes communautaires, on peut citer: directive 72/166 du 24 avril 1972 U.O.C.E., 1972,
L 103), imposant une couverture obligatoire et supprimant le principe du contrôle de la
couverture; directive 84/5 du 30 décembre 1983 U.O.C.E., 1984, L 8), étendant les conditions des
couvertures; directive 90/232 du 14 mai 1990 U.O.C.E., 1990, L 129), complétant la 2e directive;
directive 2000/26 du 16 mai 2000 U.O.C.E., 2000, L 181, 4e directive); directive 2005/14 du 11 mars
2005 U.O.C.E., 2005, L 149, 5e directive).
948 LES OBLIGATIONS NON CONTRACTUELLES

Les ire et 2e directives ne contiennent pas de règle de droit international privé, à la différence des 3e
et 4e directives. La se directive comporte des règles accessoires de compétence internationale.
Outre la détermination de la compétence internationale, ces dispositions particuliè-
res peuvent servir à désigner le droit applicable à l'action directe de la personne lésée con-
tre l'assureur. À cet égard, elles illustrent l'utilisation des deux méthodes concurrentes de
solution du conflit de lois, celle de la règle de rattachement et celle de la règle d'applicabi-
lité.
Dans la pratique, l'indemnisation de la personne lésée dans un accident transfron-
tière est facilitée, lorsque l'assureur est étranger, par la mise en place de « bureaux
nationaux» chargés d'assurer la gestion du sinistre.
1111 Les directives précitées tiennent compte de ces bureaux nationaux.
Sur le système du certificat international d'assurance, dit de la « carte verte», et sur le méca-
11111

nisme des bureaux nationaux, voy. notamment: B. ÜUBUISSON et M. FALLON, Rev. gén. ass. resp.
(1991),n° 11791.

15.39 - Compétence internationale - Lorsque la demande appartient au domaine du


règlement « Bruxelles I », il y a lieu de se référer aux dispositions que cet acte consacre à
l'action directe de la personne lésée contre l'assureur de la responsabilité (voy. supra,
n ° 15.6).
Pratiquement, la personne lésée peut agir contre l'assureur, soit en appelant celui-ci
devant le tribunal saisi de l'action contre l'assuré, si la loi de ce tribunal le permet (art. 11,
§ 1er), soit en agissant directement contre lui devant le tribunal du domicile du deman-
deur ou du défendeur, ou devant le tribunal « du lieu où le fait dommageable s'est
produit» (art. 11, § 2). Ce fait est normalement, en matière automobile, l'accident même.
11111 L'extension de la protection au tiers lésé résulte d'une précision fournie par la se directive (voy.
supra, n° 15.6).
Ill Le représentant désigné par l'assureur pour régler le sinistre n'est pas un « établissement» au
sens du règlement 44/2001 (Se directive, modifiant l'article 4, § 8, de la 4e directive).
Le législateur belge a confirmé ces chefs de compétence en permettant au tiers lésé,
lorsqu'il invoque la couverture obligatoire, d'agir en Belgique, soit devant le juge du lieu
où s'est produit le fait générateur du dommage, soit devant le juge de son propre domi-
cile, soit devant le juge du siège de l'assureur (art. 15 de la loi du 21 novembre 1989,
modifiée par la loi du 22 août 2002, Monit., 17 septembre 2002). Cette disposition - ou la
disposition correspondante de la Convention de Bruxelles - ne saurait avoir de portée
utile qu'à propos d'un assureur qui n'a ni domicile - au sens de l'article 60 du règlement
(voy. supra, n ° 9.29) - ni établissement dans un État membre lié par le règlement.
11111 La disposition précitée est conforme à l'article 7 de la loi uniforme Benelux, annexée à la Con-
vention de Luxembourg du 24 mai 1966 (loi du 19 février 1968, Monit., 21 mai 1976).

15.40 - Droit applicable à l'action directe contre l'assureur - La désignation de la loi


qui régit l'action du tiers lésé contre l'assureur passe d'abord par la règle de rattachement
alternative de la Convention de La Haye (art. 9). L'objectif est nettement de favoriser le
demandeur, en augmentant les chances d'admissibilité de l'action.
Pour une application de cette disposition à l'action en indemnisation de l'usager de la route
11111

basée sur l'article lSbis de la loi du 21 novembre 1989, voy.: Cass., 19 mars 2004, Bull. ass. (2004),
500.
La personne lésée peut puiser le droit d'action directe:
ÜBLIGATIONS DÉRIVANT D'UN FAIT DOMMAGEABLE 949

- soit dans la loi déclarée applicable à son action en responsabilité en vertu des
articles 3, 4 ou 5 ;
- soit dans la loi du pays de l'accident quand celle-ci est évincée par la loi de l'État
d'immatriculation en vertu des articles 4 ou 5 ;
- soit dans la loi du contrat d'assurance.
L'application de la deuxième et de la troisième de ces lois est subsidiaire par rapport
à la précédente dans la mesure où elles ne prennent place que si la première ne connaît
pas le droit d'action directe de la personne lésée.
Il Sur l'application de l'article 9, voy.: Civ. Courtrai, 12 janvier 1988, Rev. gén. ass. resp. (1991),
n° 11710; Cour mil., 23 mai 1990, R W. (1991-1992), 152.

Le domaine de la règle couvre-t-il, outre l'admissibilité, l'étendue des obligations de


l'assureur, et notamment le régime de l'opposabilité des exceptions? La Cour de cassa-
tion a répondu par l'affirmative et a déclaré la loi belge applicable lorsque cette loi régit
aussi l'action en responsabilité - en vertu de l'article 4 - et le contrat d'assurance, reje-
tant l'application éventuelle de la loi étrangère du lieu de l'accident.
Il Cass., 26avril 1990, Goeminne, Rev. gén. ass. resp. (1991), n° 11791, note B.DusurssoN et
M. FALLON, ].L.M.B. (1990), 988, note G. DE LEVAL, Bull. ass. (1990), 729, note F. DE LY, Rev. dr. comm.
belge (1992), 888, note L. BARNICH, cassant: Bruxelles, 11 juin 1987, (1989), 500, Bull. ass. (1988),
315, note F. DE LY. Voy. l'arrêt de renvoi: Liège, 21 septembre 1992, Pas. (1992), II, 99, Rev. gén. ass.
resp. (1996), 12666.
Pour une extension de l'article 9 au régime de l'action, voy. : B. DuBUISSON, « L'assurance automo-
bile obligatoire et le droit international privé», Rev. gén. ass. resp. (2000), n ° 13284.
Il Pour une distinction encre la recevabilité de l'action, soumise à l'article 9, et le régime de pres-
cription de l'action directe, régi par la loi de la responsabilité, voy. : Bruxelles, 8 novembre 1994,J. T.
(1995), 520.

Dans le contexte de l'Union européenne, la personne lésée bénéficie d'un droit


d'action directe à l'encontre de l'assureur, que la cinquième directive a étendu aux cas
internes alors que la quatrième directive accordait à la victime uniquement la faculté de
s'adresser directement, dans son pays de résidence, à un représentant local de l'assureur
étranger - ou, à défaut, à un organisme local d'intervention-, lorsque l'accident s'est
produit à l'étranger.
Il Cette disposition de la 4' directive ne constituait pas une règle de conflit de lois, mais plutôt
une règle matérielle de droit international privé (sur cette notion, voy. supra, n° 3.8). Cette règle
matérielle appelait encore une règle d'applicabilité de nature à définir son domaine d'application
dans l'espace.

À cet effet, les cas visés sont définis avec précision (art. 1er, 4e dir.), en prévoyant pour
conditions cumulatives que l'accident survienne dans un État membre autre que celui de
la résidence de la victime et soit dû à un véhicule immatriculé dans un État membre et y
ayant son stationnement habituel. Ils couvrent aussi l'accident survenu dans un pays
tiers si la victime réside dans un État membre, « sans préjudice du droit international
privé».
L'intervention de « bureaux nationaux » en vue de faciliter le règlement des sinistres
n'est pas de nature à influencer la détermination du droit applicable aux conditions de
l'indemnisation, que celles-ci relèvent du régime de la responsabilité ou de l'étendue de la
couverture d'assurance. En effet, le bureau agit comme un représentant de l'assureur.
950 LES OBLIGATIONS NON CONTRACTUELLES

Le préambule de la 4e directive précise que la directive n'affecte pas le droit international privé,
lllll
plus précisément qu'elle établit l'intervention du représentant ou de l'organisme sans déterminer
le droit matériel applicable, et que la seule présence du représentant ne suffit pas à fonder la com-
pétence internationale (art. 4, 8 °).
L'absence de règle de rattachement spécifique sur le régime de l'indemnisation due à la personne
lésée donne à entendre que le représentant, voire l'organisme, agira conformément au droit appli-
cable à la responsabilité en vertu des règles de rattachement nationales, à savoir, en Belgique, celles
de la Convention de La Haye.

Ili Sur l'application de la loi belge du lieu de l'accident alors que le véhicule était immatriculé à
l'étranger, voy.: Cass, 31 ocrobre 1997, Virgo, Pas. (1997), I, 1109, constatant ensuite que la loi belge
ne couvrait pas le véhicule volé.

IliLes règles matérielles sur l'intervention du représentant chargé du règlement du sinistre obéis-
sent à une règle d'applicabilité particulière: l'accident doit avoir été causé par un véhicule assuré
auprès d'un établissement situé dans un État membre, autre que celui de la résidence de la per-
sonne lésée, et ce véhicule doit avoir son stationnement habituel dans un État membre, autre que
celui de la résidence de cette personne.

15.41 - Droit applicable à la couverture obligatoire - Pour déterminer le droit applica-


ble au contrat d'assurance de responsabilité, il convient de combiner les règles générales
relatives au contrat d'assurance (voy. supra, chap. 14) avec les règles particulières d'appli-
cabilité qui régissent la couverture obligatoire.

Selon la 3e directive sur l'assurance automobile, la police d'assurance doit couvrir


« la totalité du territoire de la Communauté» et elle doit garantir « dans chacun des
États membres, la couverture exigée par sa législation, ou la couverture exigée par la légis-
lation de l'État membre où le véhicule a son stationnement habituel lorsque cette der-
nière est supérieure» (art. 2).

Cette disposition comprend à la fois une règle matérielle de droit international privé
et une règle de conflit de lois hybride. La première énonce les limites territoriales de la
garantie: elle est due même en cas de déplacement du véhicule à l'étranger; mais elle ne
définit pas les véhicules visés. La seconde, cherchant à améliorer la protection de la per-
sonne lésée, lui permet d'invoquer la couverture la plus haute offerte, soit par la loi du
stationnement habituel, soit par la loi qui exige une couverture : alors que la première
branche désigne certainement le droit applicable, la seconde branche semble s'en remet-
tre simplement à la manière dont la législation sur l'assurance obligatoire fixe son propre
domaine d'application dans l'espace.

La disposition de droit international privé se double d'une règle d'applicabilité, qui


réduit son domaine aux cas où le véhicule est stationné dans un État membre, ou à ceux
qui relèvent de la loi de couverture obligatoire d'un État membre.

L'acte de transposition (arrêté royal du 14 décembre 1992 relatif au contrat type


d'assurance obligatoire, Monit., 3 février 1993) précise s'appliquer en cas de sinistre causé
en Belgique; et, en cas de sinistre survenu à l'étranger, la garantie due est celle prévue par
la loi étrangère, sans que celle-ci puisse priver l'assuré de la garantie plus étendue que la
loi belge lui accorde.
ÜBLIGATIONS DÉRIVANT D'UN FAIT DOMMAGEABLE 951

C. Pratiques commerciales déloyales

15.42 - Bibliographie

CONFÉRENCE DE LA HAYE,« Note sur la responsabilité civile pour fait de concurrence déloyale et sur
les mesures conservatoires connexes», Actes et documents de la 17" session (1995), 96-107; F. DANTHE,
Le droit international privé suisse de la concurrence déloyale (Comparativa, 1998); A. DE CALUWÉ, « Les
effets internationaux de la loi sur les pratiques du commerce »,Rev. dr. comm. belge (1994), 592-598;
A. DYER, « Unfair competition in private international law », Recueil des cours, vol. 211 (1988-III),
373-446; C. HONORAT!, La legge applicabile alla concorrenza sleale (Padoue, Cedam, 1995); L. IooT,
« Quelques pistes pour la résolution des conflits de droits de la concurrence en matière de
distribution», D.P.C.I. (1993), 214-243; Io., « Les conflits de lois en droit de la concurrence», Clu-
net (1995), 321-342; M.A. RENOLD, Les conflits de lois en droit antitrust (Zürich, Schultess, 1991); M.
PERTEGAS SENDER, « De wet op de handelspraktijken (WHPC) : steeds toegepast op transnationale
gevallen van oneerlijke mededinging? », Rev. dr. comm. belge (1999), 394-397; R. PRJoux,
« L'application internationale de la loi du 14 juillet 1991 sur les pratiques du commerce, l'informa-
tion et la protection du consommateur», Les pratiques du commerce (Bruxelles, Bruylant, 1994), 331-
366; A. THÜNKEN, « Multi-State advertising over the internet and the private international law of
unfair competition »,I.C.L.Q. (2002), 909-942; G. VAN HECKE,« L'effet sur le marché comme facteur
de rattachement du droit de la concurrence», Mélanges La/ive (Bâle, Helbing & Lichtenhahn, 1993),
73-80; P. WAUTELET, « Concurrence déloyale internationale: quelques pistes de réflexion sur le
champ d'application de la loi sur les pratiques du commerce »,D.C.C.R. (1998), 218-242.
Voy. aussi la résolution de l'Institut de droit international sur « Les règles de conflit de lois en
matière de concurrence déloyale», lors de sa session de Cambridge, Annuaire, vol. 60 (1984), t. II,
292.

15.43 - Présentation - La personne lésée peut chercher à demander la réparation, en


nature ou par équivalent, du dommage causé par une pratique commerciale au sens
large, soit acte de concurrence déloyale - telle une entente interdite ou un abus de posi-
tion dominante-, soit plus largement une pratique de commerce contraire aux normes
posées par le législateur.

Les demandes liées à la violation d'un droit de propriété intellectuelle ne relèvent


pas nécessairement des règles propres à la protection de ces droits, dans la mesure où
elles tendent à la réparation du dommage subi. Toutefois, le lien entre les demandes de
validité et d'indemnisation justifie que celles-ci soient évoquées dans le chapitre concer-
nant la propriété intellectuelle (voy. supra, chap. 13).
1111 Pour un cas de dissociation des demandes, à propos d'une action en contrefaçon d'un logiciel,

voy. : Cass. civ., 5 mars 2002, Sisro, D.S. Aff, 2003, J, 58, note M. JOSSELIN-GALL, distinguant le ratta-
chement à la loi du lieu de protection du droit, concrétisé par le lieu du comportement, et le ratta-
chement de l'indemnisation à la loi du dommage.

Dans le contexte de l'Union européenne, une réglementation commune du droit des


« pratiques commerciales déloyales» à l'égard des consommateurs est mise en place par
la directive 2005/29 du 11 mai 2005 (J.O.C.E., 2005, L 149), sans comporter de règles de
droit international privé. L'acte contient toutefois, comme il est devenu d'usage, une
« clause marché intérieur» (art. 4; supra, n ° 4.46).

15.44 - Compétence internationale - L'action en cessation d'une pratique commerciale


relève en principe des règles de compétence internationale qui régissent plus générale-
ment la matière quasi délictuelle (voy. supra, § 1er).
952 LES OBLIGATIONS NON CONTRACTUELLES

Ainsi, l'action en cessation d'une association de consommateurs pour un acte de publicité


11111

trompeuse relève bien de l'article 5, 3 °, du règlement« Bruxelles I », et il n'est pas nécessaire qu'un
dommage soit survenu: C.J.C.E., aff. C-167/00, l °' octobre 2002, VKI & Henkel, Revue (2003), 682,
note P. RÉMY-CORLAY.

La loi du 26 mai 2002 relative aux actions en cessation intracommunautaires en


matière de protection des intérêts des consommateurs (Monit., 10 juillet 2002, transpo-
sant la directive 98/27 du 19 mai 1998, ].O.C.E., 1998, L 166) ouvre le droit d'action
devant le président du tribunal de commerce de Bruxelles « en cas d'infraction ayant son
origine en Belgique et comportant des effets dans un autre État membre de l'Union
européenne» (art. 4). Une telle règle, qui ne figure pas dans la directive transposée, ne
saurait jouer que si la demande sort du domaine d'application dans l'espace du règle-
ment« Bruxelles I », à savoir lorsque le défendeur est domicilié dans un pays tiers.
IllVoy. une application de l'article 4 par: Comm. Bruxelles, 6 décembre 2004, ].T. (2005), 343,
localisant au siège du défendeur l'origine d'une infraction consistant en la diffusion de publicité
au Royaume-Uni en violation du droit anglais, sur une action introduite par l'Office ofFair Trading.

15.45 - Rattachement lié à la survenance du dommage - Le Code de droit internatio-


nal privé introduit un rattachement autonome de l'obligation non contractuelle dérivant
d'un fait dommageable« en cas d'acte de concurrence déloyale ou de pratique commer-
ciale restrictive» (art. 99, § 2, 2 °). Le rattachement repose sur le lieu où« le dommage est
survenu ou menace de survenir».
Ill Voy., obtenant un résultat analogue : Comm. Bruxelles, 6 décembre 2004,]. T. (2005), 343, sou-
mettant au droit anglais l'action en cessation d'une publicité diffusée au Royaume-Uni, car cette
loi correspond au marché perturbé et sa désignation permet une égalisation des conditions de con-
currence sur ce marché.

La référence au lieu du dommage correspond à une tendance en droit comparé. Elle


s'explique non seulement par un concept de proximité, mais encore par le souci d'assurer
des conditions égales sur le marché concerné. En ce sens, il se comprend que le dommage
surviendra normalement sur le marché concerné par le comportement. Mais il ne faut
pas exclure nécessairement toute référence au lieu de l'établissement principal de laper-
sonne lésée. Le critère semble s'entendre de manière souple, afin de permettre une adap-
tation à la variété de situations.
Sur cette tendance, voy., outre l'exposé des motifs joint à la proposition de règlement « Rome
11111

Il»: Th. KADNER GRAZIANO, précité n ° 15.1, 88.


Ill!Comp. la loi suisse de droit international privé, posant en règle l'application du« droit de l'État
sur le marché duquel le résultat s'est produit», tout en renvoyant au droit« du siège de l'établisse-
ment lésé» si l'acte « affecte exclusivement les intérêts d'entreprise d'un concurrent déterminé »
(art. 136).
liliLa proposition « Rome II» soumet l'obligation résultant d'un « acte de concurrence déloyale»
- terme large comprenant toutes pratiques commerciales restrictives - au droit du pays « sur le
territoire duquel les relations de concurrence ou les intérêts collectifs des consommateurs sont
affectés [... ] de manière directe et substantielle» (art. 5, § 1cr). Toutefois, le rattachement autonome
cède le pas au rattachement général de la responsabilité civile lorsque l'acte« affecte exclusivement
les intérêts d'un concurrent déterminé ».

Le rattachement autonome se distingue du rattachement général en ce qu'il exclut


la désignation du droit du pays dans lequel se trouvent les résidences des parties, et qu'il
conduit à la loi du dommage même en cas d'éparpillement des éléments constitutifs de la
responsabilité.
ÜBLIGATIONS DÉRIVANT D'UN FAIT DOMMAGEABLE 953

En revanche, il n'exclut ni le jeu de la clause générale d'exception (art. 19), ni le prin-


cipe d'autonomie (art. 101).
15.46 - Règles de conflit dérogatoires - De nombreux contentieux portent sur l'appli-
cabilité internationale de la réglementation relative à l'action en cessation d'actes con-
traires aux pratiques commerciales loyales, telle la loi belge du 14 juillet 1991.
La jurisprudence n'a pas hésité à étendre le domaine de la loi, après avoir qualifié
celle-ci de« loi de police» au sens de l'article 3, alinéa premier, du Code civil. La méthode
a permis d'appliquer celle-ci à tout acte, tantôt localisé en Belgique, tantôt de nature à
produire des effets sur le marché belge. Ces critères de localisation alternatifs démulti-
plient l'applicabilité internationale de la loi.
Voy. notamment: Comm. Hasselt, 9 juillet 1999, Rev. dr. intel!. (2001), 106, appliquant la loi de
1111

1991 à la fabrication en Belgique d'un produit d'appellation Whisky destiné à l'étranger;


21 septembre 2001, Rev. dr. comm. belge (2002), 78, espèce et dispositif analogues.
Le Code de droit international privé ne condamne pas cette approche, puisqu'il admet la pri-
1111

mauté de règles particulières d'applicabilité (art. 20).


Ce contentieux a donné lieu à des illustrations intéressantes lorsque la pratique a
eu recours à Internet. La difficulté consiste alors à localiser correctement l'acte ou ses
effets.
illPour une localisation de l'acte comme du dommage, voy.: Bruxelles, 13 février 2001, R.W.
(2000-2001), 1564, appliquant la loi de 1991 à l'action contre un fournisseur de services disposant
d'un serveur en Belgique, à partir duquel des hyperliens conduisent à des sites étrangers de déchar-
gement de musique en violation des droits d'auteur.
Pour une localisation en Belgique de l'effet d'une usurpation de nom de domaine d'une société
1111

belge, voy.: Bruxelles, 1er avril 1998,J.L.M.B. (1998), 1588, E. WÉRY.


La lutte contre la contrefaçon de marques a suscité une règle de conflit de lois parti-
culière en droit communautaire. Le règlement 3295/94 du 22 décembre 1994 fixant des
mesures en vue d'interdire la mise en libre pratique et l'exportation de marchandises de
contrefaçon et de marchandises pirates (J.O.C.E., 1994, L 341) soumet l'indemnisation du
titulaire du droit de propriété intellectuelle lésé par un fait dommageable, à la loi de
l'État membre dans lequel la demande d'intervention a été introduite, tandis que la res-
ponsabilité du titulaire de ce droit est régie par le droit de l'État dans lequel la marchan-
dise se trouve (art. 9).

D. Atteintes à l'environnement
15.47 - Bibliographie
CONFÉRENCE DE LA HAYE,« Note sur la loi applicable à la responsabilité civile pour dommages cau-
sés à l'environnement», Actes et documents de la 17< session (1995), t. 1er, 186-211; A. DE RAULIN,
« L'épopée judiciaire de l'Amoco Cadiz », Clunet (1993), 41-96; F. FRANCIONI et T. ScovAZZI, Interna-
tional responsibility for environmental harm (London, Graham & Trotman, 1991); K. KREUZER,
« Umweltstorungen und Umweltschaden im Kollisionsrecht », Umweltschutz im Volkerrecht und Kolli-
sionsrecht (Heidelberg, Müller Ver!., 1992), 245-313; ID.,« Environmental disturbance and damage
in the context of private international law », Rev. eur. dr. int. (1992), 57-78; C. VON BAR,
« Environ mental damage in private international law », Recueil des cours, vol. 268 ( 1997), 291-412.

15.48 - Présentation - Certains risques présentent une masse critique telle que, leur
nature transfrontière aidant, les États ont mis en place des mécanismes communs
954 LES OBLIGATIONS NON CONTRACTUELLES

établissant, tantôt un régime de responsabilité, tantôt un régime de compensation. Le


phénomène est apparent à propos du risque nucléaire, ainsi que pour divers faits de pol-
lution.
En matière d'énergie nucléaire, la Convention de Paris du 29 juillet 1960 constitue le
texte de référence.
Ill La loi du 1er avril 1966 (Pasin., 1966, 497) a approuvé quatre actes internationaux:
- Convention de Paris du 29 juillet 1960 sur la responsabilité civile dans le domaine de l'énergie
nucléaire;
- Convention complémentaire et son annexe, faites à Bruxelles le 31 janvier 1963 ;
- Protocole additionnel à la Convention de Paris, fait à Paris le 28 janvier 1964;
- Protocole additionnel à la Convention complémentaire de Bruxelles, fait à Paris le 28 janvier
1964.
111La loi du 3 juillet 1985 (Monit., 30 août et 7 novembre 1985) a approuvé les Protocoles, du
16 novembre 1982, modifiant (1 °) la Convention du 29 juillet 1960, amendée le 28 janvier 1964, et
(2°) la Convention du 31 janvier 1963, amendée le 28 janvier 1964.
Ill Dans le domaine du transport, voy. la Convention de Bruxelles du 17 décembre 1971 relative à
la responsabilité civile dans le domaine du transport maritime de matières nucléaires (signée par la
Belgique), ainsi que la Convention du 25 mars 1962 relative à la responsabilité civile des exploi-
tants de navires nucléaires (signée par la Belgique).
Voy. le commentaire par P. STROHL, « La Convention de 1971 relative à la responsabilité civile dans
le domaine du transport maritime de matières nucléaires, un essai de conciliation entre le droit
maritime et le droit nucléaire», Ann. fr. dr. int. (1972), 753-784.
Ill L'Agence internationale de l'énergie atomique a élaboré le texte d'une Convention, dite Conven-
tion de Vienne, du 21 mai 1963, relative à la responsabilité civile en matière de dommages nucléai-
res (non signée par la Belgique).
Plusieurs instruments internationaux concernent les conséquences d'un fait de pol-
lution maritime.
Ill Sont en vigueur en Belgique :
- Convention internationale de Londres du 12 mai 1954 pour la prévention contre la pollution
des eaux de la mer par les hydrocarbures et Annexes (loi du 29 mars 1957, Pasin., 1957, 176). La
Convention a été amendée le 11 avril 1962 (loi du 14 janvier 1966, Pasin., 1966, 202), et est
entrée en vigueur le 20 janvier 1978 (Monit., 30 juin 1977) ;
- Protocole modificatif, du 27 novembre 1992, de la Convention internationale du 29 novembre
1969 sur la responsabilité civile pour les dommages dus à la pollution par des hydrocarbures,
(loi du 10 août 1998, Monit., 16 mars 1999), remplaçant la Convention de 1969 (loi du 20 juillet
1976, Monit., 13 avril 1977) ;
- Convention d'Oslo du 15 février 1972 pour la prévention de la pollution marine pour les opéra-
tions d'immersion effectuées par les navires et aéronefs, et Annexes (loi du 8 février 1978, Monit.,
4 mai 1978).
Ill On peut citer en outre :
- le Protocole, du 27 novembre 1992, modificatif de la Convention internationale de Bruxelles du
18 décembre 1971 portant création d'un Fonds international d'indemnisation pour les dom-
mages dus à la pollution par les hydrocarbures (FIPOL) (loi du 10 août 1998, Monit., 16 mars
1999; voy. la décision 2004/246 du 2 mars 2004 autorisant les États membres à signer le Proto-
cole,].O.C.E., 2004, L 78), remplaçant cette Convention (Monit., 5 novembre 1993);
- la Convention internationale de Londres du 2 novembre 1973 pour la prévention de la pollu-
tion par les navires, Protocole et Annexes (non signés par la Belgique) ;
- la Convention de 1996 sur la responsabilité et l'indemnisation pour les dommages liés au trans-
port par mer de substances nocives et potentiellement dangereuses (HNS) (voy. la décision
ÜBLIGATIONS DÉRIVANT D'UN FAIT DOMMAGEABLE 955

2002/971 du 18 novembre 2002 autorisant les États membres à signer la Convention,J.O.C.E.,


2002, L 337);
- la Convention de 2001 sur la responsabilité civile pour les dommages dus à la pollution par les
hydrocarbures de soute (voy. la décision 2002/72 du 19 septembre 2002 autorisant les États
membres à signer la Convention,].O.C.E., 2002, L 256);
- le Protocole sur la responsabilité civile et l'indemnisation en cas de dommages causés par les
effets transfrontières d'accidents industriels sur les eaux transfrontières, du 21 mai 2003.
Est également en vigueur en Belgique la Convention de Londres, Moscou et
Washington du 29 mars 1972 sur la responsabilité internationale pour les dommages
causés par des objets spatiaux (loi du 13 juillet 1976, Monit., 28 juillet 1977, Pasin., 1977,
1592).
Ili Pour des commentaires de cette Convention, voy. notamment: O. DELEAU, « La Convention sur
la responsabilité internationale pour les dommages causés par des objets spatiaux>>, Ann. fr. dr. int.
(1971), 876-888; THERAULAZ, « Le projet de convention sur la responsabilité internationale pour les
dommages causés par des objets spatiaux», Rev. gén. air et espace (1971), 267.

Une approche plus globale est offerte par la Convention de Lugano du 21 juin 1993
sur la responsabilité civile des dommages résultant d'activités dangereuses pour l'envi-
ronnement (Int. Leg. Mat., 1993, 1228; non signée par la Belgique).
La Communauté européenne s'est également dotée d'un régime de prévention et de
remise en état des dommages environnementaux par la directive 2004/35 du 21 avril
2004 sur la responsabilité environnementale (J.O.C.E., 2004, L 143), où fait cependant
défaut un régime de responsabilité.
En matière de déchets, la Communauté européenne est partie à la Convention de
Bâle du 22 mars 1989 sur le contrôle des mouvements transfrontières de déchets dange-
reux et de leur utilisation (décision 93/98 du ier février 1993, ].O.C.E., 1993, L 39). En
outre, un Protocole du 10 décembre 1999 concerne la responsabilité et l'indemnisation
en cas de dommages résultants de tels mouvements (non signé par la Belgique, site
www.basel.int).

15.49 - Détermination de la compétence internationale - La demande tendant à obte-


nir la réparation d'une atteinte à l'environnement - y compris une action préventive de
cessation - est à introduire devant les juridictions désignées par, respectivement, le règle-
ment « Bruxelles I » et le Code de droit international privé. Pratiquement, la demande
pourra être introduite, dans l'Union européenne en vertu du règlement ou en Belgique
en vertu du Code, au lieu du déversement de substances ou au lieu de survenance du
dommage, ainsi que devant les juridictions de l'État du domicile du défendeur (voy.
supra,n° 15.3).
La Convention de Lugano précitée énonce des règles de compétence analogues à celles du règle-
11111

ment « Bruxelles I ». Elle ajoute un for spécial pour les demandes introduites par les associations,
désignant le tribunal du lieu de l'exercice de l'activité dangereuse ou du lieu d'adoption de mesures
de prévention ou de remise en état (art. 19).
Il en va de même du Protocole sur les accidents industriels.

Certains instruments internationaux prévoient des règles particulières de compé-


tence internationale. En matière nucléaire, la compétence tend à être concentrée au lieu
de survenance de l'accident nucléaire (Conv. Paris, art. 13). En matière de pollution, la
concentration a lieu plutôt devant les juridictions du pays de survenance du dommage
(Conv. Londres de 1992, Conv. HNS, Conv. Hydrocarbures de soute).
956 LES OBLIGATIONS NON CONTRACTUELLES

IllEn matière de déchets, le Protocole de Bâle retient également le critère du lieu du dommage,
roue en ajoutant le principe du for de la résidence du défendeur.

Il La Conventions HNS précise qu'en cas de pollution en haute mer, l'action peut être portée
devant les juridictions du pays d'immatriculation du navire - ou à défaut, du pavillon-, ainsi que
devant ceux du pays de résidence du propriétaire ou du pays où un fonds d'indemnisation a été
constitué (art. 38).

15.50 - Règles d'applicabilité du droit matériel uniforme - La primauté du traite,


autant que l'objet de ceux ici examinés, impliquent une vérification de leur domaine
d'application dans l'espace avant d'utiliser toute autre règle de conflit de lois. Lorsque
l'espèce obéit aux critères fixés par la règle d'applicabilité contenue dans le traité, une
telle règle suffit à la désignation du droit applicable au fond (voy. supra, chap. 4).

La règle d'applicabilité utilise le plus souvent pour base le lieu de survenance du


dommage, parfois en se contentant de ce critère (Conv. Londres, Conv. HNS): dans ce
cas, l'instrument international entend régir tout dommage causé dans un État partie,
même par un fait localisé dans un pays tiers. La règle restreint parfois le domaine de l'ins-
trument en exigeant que le fait se localise aussi dans un État partie (Conv. Paris, Prot.
Bâle sur les déchets, Prot. sur les accidents industriels). Il paraît plus exceptionnel que la
règle prenne pour critère unique la localisation du fait dans un État partie (Conv.
Lugano).
1111 La Convention de Lugano étend encore son application au cas où une règle de conflit de lois du

juge saisi désigne le droit d'un État partie (sur ce procédé, voy. supra, chap. 4).

15.51 - Rattachement autonome des atteintes à l'environnement - Le Code de droit


international privé introduit une règle spéciale de rattachement, qui consacre le critère
du lieu de survenance du dommage, actuel ou futur (art. 99, § 2, 3°). La règle couvre le
dommage aux biens autant qu'aux personnes.

Ce rattachement spécial écarte ainsi, comme pour d'autres délits spéciaux, le critère
de la résidence des parties dans le même pays, critère peu approprié en cette matière. Il
n'exclut pas de soi que le dommage puisse se localiser au lieu de la résidence de la victime.
De plus, la clause générale d'exception reste d'application (art. 19), et rien n'empêche les
parties de convenir du droit applicable (art. 101).
1111 La proposition « Rome II » comprend une règle spéciale, offrant à la personne lésée une option

entre la loi du lieu du fait et celle du lieu de survenance du dommage. La règle exprime une politi-
que de faveur à la restauration de l'environnement, dans la ligne de l'objectif communautaire de
réalisation d'un niveau élevé de protection. L'exposé des motifs souligne que le critère du lieu de
survenance du dommage correspond à une tendance en droit comparé et évite la délocalisation
d'activités dangereuses, mais n'empêche pas l'installation d'un établissement frontalier de nature à
causer un dommage dans un pays voisin à faible niveau de protection.

La règle de rattachement n'empêche pas le jeu d'une règle spéciale d'applicabilité qui
affecterait un régime de protection particulier (art. 20 Codip).
IllAinsi, l'arrêté du gouvernement wallon du 5 novembre 1998 relatif aux règles d'indemnisation
par la Région wallonne des dommages causés par les déchets (Monit., 15 décembre 1998) prend
pour critère d'applicabilité la survenance du dommage sur le terriroire de la Région, et ajoute une
présomption de localisation en fonction de la présence de la personne lésée sur le territoire au
moment de l'exposition aux effets nocifs des déchets.
ÜBLIGATIONS DÉRIVANT D'UN FAIT DOMMAGEABLE 957

E. Dommages causés par des médias


15.52 - Bibliographie
A. BUCHER, « Le premier amendement de la LDIP », Mélanges La/ive (Bâle, Helbing & L~chtenhahn,
1993), 3-10; J.-L. CHENAUX, Le droit de la personnalité face aux médias internationaux - Etude de droit
international privé comparé (Genève, Droz, 1990), 312 p.; M. DECKER, Aspects internes et internationaux
de la protection de la vie privée en droit français, allemand et anglais (Aix, PUAM, 2002); J. MESTRE,« Les
conflits de lois relatifs à la protection de la vie privée »,Mélanges Kayser (Aix-en-Provence, 1979), 239
et s. ; K. SIEHR, « European private international law of torts. Violations of privacy and rights rela-
ting to the personality », Riv. dir. int. priv. proc. (2004), 1201-1214; M. VON HINDEN, Personlichkeitsver-
letzungen im Internet. Das anwendbare Recht (Tübingen, Mohr, 1999) ; G. WAGNER, « Ehrenschutz und
Pressefreiheit im europaischen Zivilverfahrens- und Internarionalen Privatrecht », RabelsZ. (1998),
243-285.

15.53 - Détermination de la compétence internationale - À défaut de règles particuliè-


res, il faut se référer aux règles de compétence internationale qui régissent la matière de la
responsabilité civile.
Dans le contexte du règlement « Bruxelles I », le for du « fait dommageable» a
donné lieu à une illustration propre au dommage lié à un fait de diffamation par la voie
de la presse. Le terme « fait dommageable » comprend deux éléments constitutifs, à
savoir l'événement causal et la matérialisation du dommage, et le demandeur a le choix
d'agir dans tout État membre de l'Union européenne où se concrétise l'un de ces élé-
ments (voy. supra, n ° 15.5). En cas de publication diffamatoire, l'événement causal « ne
peut être que le lieu d'établissement de l'éditeur», ce lieu étant « le lieu d'origine du fait
dommageable, à partir duquel la diffamation a été exprimée et mise en circulation »
(C.J.C.E., aff. C-68/93, 7 mars 1995, Shevill, Rev. gén. dr. civ., 1996, 49, note I. CoUWENBERG,
Revue, 1996, 487, note P. LAGARDE); et l'atteinte à la réputation se matérialise au lieu de sa
manifestation,« là où la publication est diffusée, lorsque la victime y est connue» (même
arrêt).
1111Camp., pour les besoins d'une action en cessation d'un acte de contrefaçon de droits d'auteur
sur un film, dont des éléments auraient été copiés: Bruxelles, 4 mai 2001, « La Veuve de Saint-
Pierre »,]. T. (2003), 234, localisant l'événement causal au lieu de production du film ou de copies, et
le dommage, au lieu de distribution (captation de programme télévisé étranger, location en vidéo-
thèque).
1111Pour une localisation en Belgique de la matérialisation du dommage suite à la diffusion d'un
livre en Belgique, voy. : Civ. Bruxelles, 7 janvier 2002, Auteurs & Media (2002), 455. De même, pour
la distribution par voie de presse : Bruxelles, 26 février 2003, Rev. gén. ass. resp. (2004), n ° 13871.
La solution prend un parti favorable à l'éditeur. En effet, l'événement se localisera
normalement au lieu de son domicile au sens de l'article 2 - ce qui réduit la portée utile
de l'option offerte à la personne lésée par l'article 5. De plus, la décision de diffusion dans
un pays pourrait aussi être vue, en soi, comme un élément du fait causal.
L'utilisation de supports électroniques, notamment par la voie d'Internet, peut éga-
lement soulever une difficulté de localisation. L'emplacement du serveur auquel un accès
est offert au public est vu par la jurisprudence comme un élément du « fait générateur »
(Trib. gr. inst. Paris, 22 mai 2000, Yahoo !,].T., 2001, 421, note G. STUER et Y. DEKETELAERE)
et le lieu de consultation d'un site étranger, comme un élément de matérialisation du
dommage. Ainsi entendu, celui-ci est localisable potentiellement dans tout État. Encore
faudrait-il, à lire la jurisprudence Shevill, que la personne lésée établisse un préjudice pos-
958 LES OBLIGATIONS NON CONTRACTUELLES

sible en relation avec l'événement, comme sa réputation en ce lieu pour une atteinte aux
droits de la personnalité, ou en relation avec une perte de marché, pour une atteinte à un
droit de propriété intellectuelle. Et la compétence basée sur la localisation du dommage
est limitée à la localisation dans le pays du for.
1111L'arrêt précité de la cour d'appel de Bruxelles du 4 mai 2001 envisage une localisation par Inter-
net, de l'événement causal au lieu d'alimentation, sur le territoire, d'un site étranger et de la maté-
rialisation du dommage, au lieu de consultation, sur le territoire, d'un site étranger ; de même,
l'arrêt précité du 26 février 2003, pour la matérialisation du dommage au lieu de consultation d'un
site Internet.
De même en France, pour une localisation du dommage au lieu de consultation passive d'un site
localisé à l'étranger, voy. : Cass. civ., 9 décembre 2003, Castellblanch, Revue (2004), 632, note O.
CACHARD,j.C.P. (2004), II, 10055, note C. CHABERT, à propos de la réparation du dommage causé par
la contrefaçon d'une marque diffusée à partir d'un site localisé en Espagne et consultable en France.
À propos de la protection d'une marque constituée d'un nom de domaine, voy. : Bruxelles,
9 décembre 2004,].T. (2005), 338, note A. CRUQUENAIRE, qui, après avoir localisé en Suisse le fait
générateur constitué de l'enregistrement frauduleux, n'identifie la survenance du dommage en Bel-
gique, où le site était accessible, qu'en raison de l'enregistrement de la marque qui avait été effectué
pour ce territoire.

1111 Comp., pour la règle de rattachement: Cass. civ., 14 janvier 1997, Gordon and Breach Science,
Revue (1997), 504, noteJ.-M. BiscHOFF, voyant dans la diffusion en France d'une érude scientifique,
dans le contexte de la réparation d'un fait de concurrence déloyale, une confusion du fait généra-
teur et de la réalisation du dommage.
Pour une extension de ce critère à la compétence du juge des référés dès lors qu'il lui est demandé
de prévenir un dommage dont la réparation est demandée en Belgique, à savoir interdire la diffu-
sion d'un livre d'un auteur belge (quoique résidant à l'étranger), voy.: Bruxelles, réf., 6 juin 2002,
N.]. W. (2003), 670, alors que le demandeur est un organisme allemand de radio-diffusion.

15.54 - Rattachement autonome de l'atteinte - Le Code de droit international privé


introduit un rattachement spécial« en cas de diffamation ou d'atteinte à la vie privée ou
aux droits de la personnalité» (art. 99, § 2, 1 °). La règle offre une option à la personne
lésée, entre la loi du fait générateur et celle du lieu de survenance du dommage - actuel
ou futur. Cette applicaüon du concept d'ubiquité (voy. supra, n ° 3.20) tend à favoriser la
personne lésée. Elle connaît cependant un tempérament : le responsable peut établir
l'imprévisibilité de la localisation de la survenance du dommage. Dans ce cas, seul le
droit du lieu de l'événement causal sera pris en compte. Comme pour d'autres rattache-
ments spéciaux, les parties peuvent faire choix du droit applicable après la naissance du
différend (art. 101) et, sauf en cas de choix, la clause générale d'exception reste applicable
(art. 19).
1111 Comp. en France: Cass. civ., 14 janvier 1997, Gordon and Breach Science, Revue (1997), 504, note

J.-M. BiscHOFF, ôtant l'effet utile de l'option en concentrant l'événement et le dommage au même
lieu de diffusion. Voy. antérieurement, en faveur de l'application de la loi du lieu où les faits ont été
commis aux« conséquences de l'atteinte à la vie privée d'une personne ou de la violation du droit
qu'elle possède sur son image»: Cass. civ., 13 avril 1988,Jours de France, Revue (1988), 546, note P.
BouREL. Cette solution rompait avec la désignation distributive des lois des lieux de diffusion (par
ex.: Paris, 19 mars 1984, Caroline de Monaco, Revue, 1985, 141, note H. GAUDEMET-TALLON). P. Bou-
REL (Recueil des cours, précité n ° 15.1) y préfère l'application de la loi de la résidence habituelle de la
victime, solution qu'avait invoquée le pourvoi dans l'affaire jours de France précitée.

Pour la localisation en Belgique, au lieu de publication de photos, du fait générateur alors que la
1111

personne lésée résidait en France et que les photos avaient été prises en France, voy. : Civ. Bruxelles,
27 avril 2004, Auteurs & Media (2005), 80.
ÜBLIGATIONS DÉRIVANT D'UN FAIT DOMMAGEABLE 959

Ill!Pour la localisation du « fait générateur», au sens de l'article 3, § 1er, du Code civil (voy. supra,
n ° 15.11), au lieu du« point final» de l'acte, pour un cas d'usurpation de nom de domaine consti-
tué du nom d'une société, la localisation opérée se confondant alors avec le lieu de l'établissement
principal de la société (également lieu de survenance du dommage), voy.: Bruxelles, F' avril 1998,
Tractebel,J.L.M.B. (1998), 1588, note E. WÉRY. Contra, de manière plus rigoureuse: Comm. Mons,
15 juin 2001, Starnet Communications, inédit, localisant le fait au lieu d'enregistrement du nom de
domaine litigieux et de situation du serveur contenant des propos diffamants.
1111Lorsque le dommage se localise en plusieurs pays (diffusion simultanée), la personne lésée ne
pourra invoquer le bénéfice de la loi d'un de ces pays que pour le dommage qui y est localisé. On ne
pourrait pas évoquer à cette occasion une application « conjointe» des droits des différents pays
(Civ. Bruxelles, 17 janvier 1975,J. T., 1975, 441) mais plutôt leur application distributive.
L'atteinte à la vie privée par la voie de la presse requiert une balance des intérêts de
deux droits fondamentaux, celui de la protection de la vie privée et celui de la protection
de la liberté d'expression. Ces valeurs d'ordre constitutionnel peuvent entraîner un
recours à la clause générale de l'exception d'ordre public lorsque les conditions en sont
remplies (art. 21), à l'encontre d'un droit étranger dont l'application à l'espèce violerait
autant l'un que l'autre de ces droits.
Ill!L'impératif d'ordre constitutionnel de protection de la liberté de la presse justifie-t-il une exclu-
sion de la loi du dommage au profit de la loi du lieu de production de l'article de presse? Si cette
solution rigide peut satisfaire cet impératif (par exemple à l'égard d'un droit étranger organisant
une censure), il peut également ne pas satisfaire un impératif de protection de la vie privée.
1111Comp. la proposition de règlement « Rome II», qui, tout en laissant jouer la règle générale de
rattachement en matière de responsabilité civile, désigne la loi du for« lorsque l'application de la
loi désignée [... ] serait contraire aux principes fondamentaux du for en matière de liberté d'expres-
sion et d'information» (art. 6, § 1er).

15.55 - Règles spéciales de conflit de lois - Le législateur peut déroger aux règles de rat-
tachement qui régissent les atteintes aux droits de la personnalité, en fonction d'un
objectif ou d'un contexte particulier. Le phénomène se rencontre à propos de l'organisa-
tion de la protection de données à caractère personnel par le législateur communautaire.
De manière générale, la directive 95/46 du 24 octobre 1995 relative à la protection
des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la
libre circulation de ces données (J.O.C.E., 1995, L 281) établit les conditions de licéité du
traitement et énonce un principe de responsabilité tempéré, comme cause d'exonération,
par la preuve que« le fait qui a provoqué le dommage [n'est] pas imputable [au responsa-
ble du traitement] » (art. 23). Elle complète ces règles matérielles d'un jeu de règles de
conflit de lois, distinguant selon que le responsable du traitement est établi ou non dans
la Communauté (art. 4). Dans l'affirmative, la loi applicable est celle de l'État membre où
est situé l'établissement du responsable du traitement où celui-ci a été effectué. Dans la
négative, cette loi est celle de l'État membre sur le territoire duquel sont situés les
« moyens, automatisés ou non», auxquels le responsable du traitement a eu recours.
Ill! La directive 2002/58 du 12 juillet 2002 sur la vie privée et les communications électroniques
(J.O.C.E., 2002, L 201) établit des règles matérielles applicables à toute fourniture de communica-
tion électronique par voie d'un réseau public de communications dans la Communauté.
1111 La directive 95/46 a été transposée en droit belge par la loi du 11 décembre 1998 (Monit.,
3 février 1999), modifiant la loi du 8 décembre 1992. L'article 3bis nouveau contient, pour le res-
ponsable de traitement établi dans la Communauté, une règle unilatérale visant les seuls établisse-
ments localisés en Belgique. Cette règle doit s'entendre comme complétée d'un faisceau de règles
d'applicabilité analogues énoncées par chacun des États d'origine des opérateurs établis ailleurs
dans la Communauté.
960 LES OBLIGATIONS NON CONTRACTUELLES

F. Responsabilité du fait des produits


1S.S6 - Bibliographie
J.-P. BERAUDO, « L'application internationale des nouvelles dispositions du Code civil sur la respon-
sabilité du fait des produits défectueux »,].C.P. (1999), I, 140; D. CAVERS, « The Proper Law of Pro-
ducer's Liability », I.C.L.Q. (1977), 703-733; P. CERINA, « Osservazioni di diritto internazionale
privato sulla direttiva CEE 85/374 in materia di responsabilita per danno da prodotti difettosi »,
Riv. dir. int. priv. proc. (1991), 355-374; M. DELi, « Criteri di giurisdizione e convenzione di Bruxelles
del 1968 nelle vendite a catena », Riv. dir. int. priv. proc. (1993), 305-314; H. DUINTJER TEBBENS, Inter-
national Products Liability (Alphen a/d Rijn, Sijthoff-Noordhoff, 1980); Io., Produktaansprakelijkheid
(Deventer, Kluwer, 1995); S. DUTSON, « Product liability and private international law: Choice of
law in tort in En gland »,Am.]. Camp. L. (1999), 129-146 ; J.-L. FAGNART, « La vente internationale de
marchandises : la vente internationale et la responsabilité du fait des produits », Rev. dr. ULB
(1998), 105-130; M. FALLON, Les accidents de la consommation et le droit (Bruxelles, Bruylant, 1982);
Io., « Le droit des rapports internationaux de consommation», Clunet (1984), 765-847 ;]. FAWCETT,
« Products liability in private international law: A European perspective », Recueil des cours, vol. 238
(1993-I), 9-246; W. FREEDMAN, Product liability actions by foreign plaintijfs in the United States (Deventer,
Kluwer, 1987) ; R. FREITAG, Der Einfluss des Europdischen Gemeinschaftsrecht auf das internationale Pro-
dukthaftungsrecht (Tübingen, Mohr, 2000); P. GLENN,« La guerre de l'amiante», Revue (1991), 41-
60; P. KAYE, Private international law of tort and product liability :Jurisdiction, applicable law and extraterri-
torial measures (Dartmouth, Aldershot, 1991); P.J. KozYRIS, « Values and methods in choice oflaw
for products liability: A comparative comment on statutory solutions», Am.]. Camp. L. (1990),
475-510; G. KuHNE, « Choice of Law in Products Liabilicy », California L.R (1972), 1-38; A. SARA-
VALLE, Responsabilita del produttore e diritto internaz.ionale privato (Padoue, Cedam, 1991) ; S. SYMEONI-
DEs, « Choice oflaw for products liability: The 1990s and beyond », Tulane L.R. (2004), 1214-1349;
C. WALSH, « Territoriality and choice of law in the Supreme Court of Canada: Applications in pro-
duce liability daims», Canadian Bar Rev. (1997), 91-129; M. WANDT, Internationale Produkthaftung
(Heidelberg, Recht & Wirthschaft, 1995).
Sur la Convention de La Haye du 2 octobre 1973, voy. : B. DUTOIT, « La récente Convention de La
Haye sur la loi applicable à la responsabilité du fait des produits», N.I.L.R. (1973), 109-124;
P. CAVIN,« La Convention sur la loi applicable à la responsabilité du fait des produits», Ann. suisse
dr. int. (1972), 44-60; M. FALLON, « Le projet de convention sur la loi applicable à la responsabilité
du fait des produits »,].T (1974), 73-80; Y. LoussoUARN, « La Convention de La Haye sur la loi
applicable à la responsabilité du fait des produits», Clunet (1974), 32-47 ;J. STEENBERGEN, « De pro-
duktenaansprakelijkheid in het internationaal privaatrecht en de Conventie van de XIIe zitting van
de Haagse Conferentie », R W (1972-1973), 942-950.
1S.S7 - Présentation - Le cqntentieux de la responsabilité du fait des produits est un de
ceux qui, à côté de celui des accidents de la circulation routière, a suscité les débats les
plus larges en vue de la détermination du droit applicable. Ce débat est né aux États-Unis
avant de toucher l'Europe, principalement à l'occasion de la signature, le 2 octobre 1973,
de la Convention de La Haye sur la loi applicable à la responsabilité du fait des produits.
La Convention de La Haye avait fait l'objet d'un vote d'assentiment favorable de la Chambre le
1111

16 décembre 1976 (Doc. pari., Ch., 1975-1976, n° 981/1).


1111 Le rapport explicatif du professeur Willis REESE a été publié dans le Doc. pari. n° 981, précité, et
dans les Actes et documents de la 12' session, t. III, 252-273.
La responsabilité du fait des produits suscite des questions de conflit de lois infini-
ment plus ardues que les accidents de la circulation routière. Trois différences principales
peuvent être signalées : les éléments qui constituent la relation causale à localiser sont
plus complexes et plus dispersés dans le premier cas que dans le second; le produit créa-
teur de risques est susceptible d'être transporté en des pays que le «fabricant» dont la
responsabilité est en question n'a pu prévoir, alors que, compte tenu de l'exclusion portée
ÜBLIGATIONS DÉRIVANT D'UN FAIT DOMMAGEABLE 961

par l'article 2 de la Convention du 4 mai 1971, celle-ci ne s'applique le plus souvent qu'à
la responsabilité de personnes elles-mêmes présentes au lieu où le véhicule « est impliqué
dans l'accident»; la chaîne causale d'actes et de faits susceptibles d'engager la responsa-
bilité en raison d'un produit se compose, pour une large part, d'actes juridiques, en telle
sorte que cette responsabilité est tantôt contractuelle, tantôt quasi délictuelle.
À ces particularités techniques, s'ajoute la considération que les accidents en cause
engagent parfois un secteur important de l'économie nationale, et que leur ampleur peut
être catastrophique. Ce facteur de coût accentue l'intérêt que peut revêtir pour l'État la
préférence donnée à une loi sur une autre.
15.58 - Rattachement autonome de la responsabilité du fait des produits - Le Code de
droit international privé a introduit une règle spéciale de rattachement « en cas de res-
ponsabilité du producteur, de l'importateur ou du fournisseur du fait d'un produit »
(art. 99, § 2, 4 °).
La règle désigne le droit de l'État de la résidence habituelle de la personne lésée, et le
conflit mobile est tranché en fonction du moment de la survenance du dommage. Elle ne
préjudicie ni du choix d'une autre loi par les parties, pourvu que ce soit après la naissance
du différend (art. 101), ni du jeu de la clause générale d'exception (art. 19).
La solution peut être vue comme cherchant à favoriser la personne lésée. En effet,
d'autres alternatives auraient pu consister à chercher une loi dont l'application fût prévi-
sible pour le responsable, soit par la formulation d'un critère déterminé exprimant un
élément de localisation connu de celui-ci, comme la mise sur le marché dans le pays de
résidence, soit par une condition de prévisibilité de la loi applicable. Pourtant, la loi de
résidence de la personne lésée ne sera pas nécessairement favorable à celle-ci : tout dépen-
dra de son contenu. De plus, une référence au lieu de commercialisation aurait été peu
appropriée lorsque la personne lésée n'a pas acquis le produit en cause.
111!La Convention de La Haye élabore un système complexe qui s'efforce de tenir en équilibre les
diverses localisations possibles en donnant compétence à la loi d'un pays vers lequel convergent
deux facteurs de rattachement au moins : les articles 4 et 5 contiennent chacun une règle de ratta-
chement conditionnel utilisant les critères du fait dommageable, de la résidence des parties et du
lieu d'acquisition du produit, dont la première est subsidiaire par rapport à la seconde. Une troi-
sième solution (art. 6), subsidiaire par rapport aux deux précédentes, offre une option au deman-
deur (entre la loi du fait dommageable et la loi de l'établissement du fabricant), exprimant ainsi
une politique de droit matériel qui lui est favorable. Enfin, le champ d'application de toutes les
règles précédentes est restreint par un critère de droit matériel, la prévisibilité, pour le fabricant res-
ponsable, de l'exportation de ses produits (art. 7).
La proposition de règlement« Rome II » émet aussi une préférence de principe pour la loi de la
Ill
résidence de la personne lésée, tout en tempérant celle-ci par une clause de prévisibilité pour le
fabricant (art. 4) : lorsque celui-ci établie que le produit n'a pas été commercialisé dans le pays de
résidence avec son consentement, la loi de son établissement est applicable. Cette règle cède cepen-
dant lorsque les parties résident dans le même pays, ou devant le jeu de la clause d'exception.
111L'absence de condition de prévisibilité dans le Code pourrait être compensée par le jeu de la
clause d'exception.
Le texte ne contient pas de définition de la« responsabilité du fait des produits». Il
n'utilise pas non plus cette expression, préférant se référer au « fait » d'un produit, sans
avoir égard à la qualité du défendeur (producteur, importateur ou fournisseur). Il n'est
pas exigé que le produit soit « défectueux », car cette condition relève du régime matériel
de la responsabilité, qui dépend précisément de la loi à désigner. Une difficulté pourrait
962 LES OBLIGATIONS NON CONTRACTUELLES

surgir à propos de l'action directe du sous-acquéreur, qui est de nature contractuelle en


droit belge. La réponse réside en dehors de la règle précitée. D'abord, il y a lieu de s'en
tenir à la solution inhérente à l'article 5 de la Convention de Rome du 19 juin 1980 sur la
loi applicable aux obligations contractuelles : si, au sens de ce texte, l'action est contrac-
tuelle, elle relève nécessairement de cette Convention. Dans la négative, la demande relève
de la règle précitée.
Ill Même au cas où la demande doit être qualifiée de non contractuelle, la loi peut être désignée en
fonction d'un« rattachement accessoire» (arc. 100, voy. supra, n° 15.19), à condition qu'existe« un
rapport juridique préexistant entre parties », ce qui ne serait pas nécessairement le cas de l'action
directe.
1111 Comp. supra, n° 14.5, la qualification non contractuelle de l'action directe du sous-acquéreur
pour les besoins de l'application du règlement« Bruxelles I ».
Ill La Convention de La Haye évite de définir la catégorie de rattachement au moyen des termes
«défectueux» et« extracontractuel », préférant préciser seulement que« Lorsque la propriété ou la
jouissance du produit a été transférée à la personne lésée par celle dont la responsabilité est invo-
quée, la Convention ne s'applique pas dans leurs rapports respectifs. » (art. 1er, al. 2).

Section 2
Les autres obligations non contractuelles
§1 LES OBLIGATIONS QUASI CONTRACTUELLES

15.59 - Bibliographie
BALLARINO, « L'arricchimento senza causa ne! dir. int. privato », Dir. internazionale (1963), 341-394;
BALASTER, Die ungerechtfertige Bereicherung im I.P.R. (Winthercur, 1955); T. BENNETT,« Choice oflaws
rules in daims of unjust encichment », I.C.L.Q. (1990), 136-168; P. BouREL, Les conflits de lois en
matière d'obligations extra-contractuelles (Paris, 1961), 25-2 7 ; G. CARELLA, « La disciplina international-
privatistica delle obbligazioni da facto lecito nella proposta di regolamento 'Roma II' »,Ri.v. dir. int.
priv. proc. (2005), 25-40 ; M. EILLINGHOFF, Das Kollisionsrecht der ungerechtfertigten Bereicherung nach dem
IPR-Reformgesetz von 1999 (Frankfort, Lang, 2004); GuTIERIDGE et LIPSTEIN, « Conflict of Laws
Matters of Unjustifiable Enrichment », Cambridge L.]. (1941), 84-89 ; G. PANAGOPOULOS, Restitution in
private international law (Oxford, Hart Pub!., 2000) ; F. RIGAUX, Le statut de la représentation, 110-111 ;
R. STEVENS, Restitution in private international law (Oxford Univ. Press, 2004); K. ZWEIGERT,
« Bereicherungsansprüche im I.P.R. », Süddeutsche Juristenzeitung ( 194 7), 24 7.

15.60 - Référence au lieu du fait dont résulte l'obligation - Le rattachement territorial


de l'obligation de restituer ce qui a été indûment perçu est assez généralement admis,
sous réserve de l'application de la loi du contrat quand l'obligation appartient à la liqui-
dation d'une situation contractuelle (par exemple : annulation du contrat suivie de lares-
titution des prestations réciproques).
Pour une application de la loi du contrat annulé en raison de son caractère illicite, voy. en
Il!!
France: Cass. civ., 28 juin 1969, Constant c. Lanata, Revue (1970), 464, note Ph. DRAKIDIS, et le com-
mentaire de cet arrêt dans F. R!GAUX, Droit public et droit privé, § 96, B.
En appliquant la loi du fait générateur, il reste à localiser ce fait: c'est normalement
le lieu où le paiement indu a été fait.
De même, la loi du pays où une personne a, en l'absence de tout rapport contractuel,
géré les affaires d'autrui détermine normalement les obligations du maître de l'affaire à
LES AUTRES OBLIGATIONS NON CONTRACTUELLES 963

l'égard de son gérant, ainsi que la mesure dans laquelle l'acte du gérant a engagé le maître
à l'égard des tiers.
Le Code de droit international privé introduit des règles propres aux quasi-contrats,
qui se réfèrent au principe de la localisation de la survenance du fait dont résulte l'obliga-
tion quasi contractuelle (art. 104, § 1er).
Le critère de la survenance de ce fait sert aussi de critère de compétence internationale (art. 96,
11!1
3°), en complément des règles générales du Code.

La localisation de ce fait ne constitue cependant que la présomption de liens étroits


entre l'obligation et le système juridique désigné. Le Code utilise ainsi une technique par-
ticulière de clause de proximité qui, plutôt que de prendre la forme d'une clause d'excep-
tion, introduit un élément de prévisibilité en jouant sur la preuve de la proximité.
Une autre présomption agit sur la localisation du paiement d'une dette d'autrui:
celle-ci est présumée avoir les liens les plus étroits avec l'État dont le droit régit la dette.
Le Code consacre, en cette matière comme pour les obligations quasi délictuelles,
une forme de rattachement accessoire (art. 104, § 1er, al. 2).
Il permet aussi un choix du droit applicable par les parties, comme pour la responsa-
bilité quasi délictuelle (art. 104, § 2).
1111 La proposition de règlement « Rome II» établit aussi un rattachement spécial des quasi-contrats,
avec une référence de principe au critère de la localisation du fait pour l'entichissement sans cause.
Pour la gestion d'affaires, le lieu du fait n'est retenu que si celui-ci« se rapporte à la protection phy-
sique d'une personne ou à la sauvegarde d'un bien corporel déterminé» (art. 9, § 4). Dans les autres
cas, la loi de la résidence habituelle du maître de l'affaire est retenue.
La proposition donne cependant la priorité au rattachement à la loi de la résidence des parties dans
le même pays, et admet un rattachement accessoire.

§2 L'ENGAGEMENT PAR ACTE UNILATÉRAL


15.61 - Référence au critère de la résidence - Le Code de droit international privé con-
sacre une disposition particulière au droit applicable à l'obligation dérivant de l'engage-
ment par déclaration unilatérale de volonté (art. 105).
Le droit de la résidence habituelle du déclarant au moment de son engagement régit
cette obligation éventuelle. Toutefois, le déclarant peut y déroger en choisissant une
autre loi. De plus, sauf en cas de choix de loi, le rattachement est sans préjudice de la
clause générale d'exception (art. 19 Codip).
Une telle disposition a un domaine résiduel, puisqu'elle ne peut jouer que si l'obliga-
tion n'obéit pas à l'une des qualifications contractuelle, quasi délictuelle ou quasi contrac-
tuelle (Exposé des motifs de la proposition de loi, Doc. par!., Sénat, 2003-2004, n ° 3-27).
1111 Le rattachement retenu est en harmonie avec ceux que prévoit la Convention de Rome pour les
obligations contractuelles (art. 3 et 4).
CHAPITRE 16

LES PERSONNES MORALES


16.1 - Bibliographie
a) Monographies
M. ANDENAS, K. Hovr et E. WYMEERSCH (dir.), Free movement of companies in EC law (Oxford Univ.
Press, 2003) ; BADR, Alien Corporations in Conflict of Laws (Cairo, 1953) ; EGu, Die Sitzverlegungjuristis-
cher Personen im I.P.R (Zurich, 1965); M. GARDENES SANTIAGO, Las Fundaciones en Derecho internacio-
nal privado espanol (Madrid, Eurolex, 2004); F. GUILLAUME, Lex societatis. Principes de rattachement des
sociétés et correctifs institués au bénéfice des tiers en droit international privé suisse (Zürich, Etudes suisses dr.
int., 2001); E.-M. KlENINGER, Wettbewerb der Privatrechtsordnungen im Europdischen Binnenmarkt
(Tübingen, Mohr, 2002) ; S. LOMBARDO, Regulatory competition in company law in the European Commu-
nity. Prerequisites and limits (Frankfort, Lang, 2002); M. MENJUCQ, Droit international et européen des
sociétés (Paris, Montchrestien, 2001); ID., La mobilité des sociétés dans l'espace européen (Paris, LGDJ,
1997) ; P. MERCIAI, Les entreprises multinationales en droit international (Bruxelles, Bruylant, 1993) ;
S. RAMMELOO, Corporations in private international law: A European perspective (Oxford Univ. Press,
2001) ; V. S!MONART, La personnalité morale en droit privé comparé (Bruxelles, Bruylant, 1995) ; E. STEIN-
DORFF, EG-Vertrag und Privatrecht (Baden-Baden, Nomos, 1996) ; F. UNZICKER, Niederlassungsfreiheit der
Kapitalgesellschaften in der Europdischen union nach der Centras- und der Uberseering-Entscheidungen des
EuGH (Frankfort, Lang, 2004); P. VLAs, Rechtspersonen in het internationaal privaatrecht (Deventer,
Kluwer, 1982) ; G. VAN SOLIN GE, Grensoverschrijdende juridische fusie (Deventer, Kluwer, 1994) ;J. Wou-
TERS et H. SCHNEIDER, Current issues of cross-border establishment of companies in the European Union
(Anvers, Maklu, 1995) ; D. ZIMMER, Internationales Gesellschaftsrecht (Heidelberg, Recht & Wirths-
chaft, 1996).

b) Études générales
M. BENEDETTELLI, « 'Corporate governance', mercati finanziari e diritto internazionale privato »,
Riv. dir. int. priv. proc. (1998), 713-744; P. BERTOLI, « The legal status of non-governmental organisa-
tions in private international law », Riv. dir. int. priv. proc. (2004), 103-132; G. BROGGINI, « Sulle
societa ne! diritto internazionale privato », Riv. dir. int. (1992), 30-40; S. CARBONE, « Conflitti di
leggi erra giurisdizioni nella disciplina dei trasferimenti di pacchetti azionari di riferimento »,Riv.
dir. int. priv. proc. (1989), 777-790; D. COHEN, « La responsabilité civile des dirigeants sociaux en
droit international privé», Revue (2003), 585-624; G. DELAUME, « Les conflits de juridictions en
matière de sociétés »,].C.P. (1950), I, 849; F. DESSEMONTET, « La responsabilité des organes sociaux
en droit international privé », Aspects du droit international des sociétés (Zürich, Schulchess, 1995) ;
R. DE VALKENEER, « La représentation des sociétés en droit international privé »,Mélanges Bouttiau et
Demblon (Bruxelles, Bruylant, 1987), 83-90 ; M. FALLON, « La responsabilité du fait d'autrui au sein
d'un groupe international de sociétés en droit belge », Rapports belges au XIe Congrès de l'Académie
internationale de droit comparé (Bruxelles, Bruylant, 1982), 313-332 ;]. FAWCETT, « A new approach to
jurisdiction over companies in private international law », I.C.L.Q. (1988), 645-667; J. GABRIEL,
« Succursales de sociétés étrangères en Belgique», Rev. dr. aff. int. (1986), 799-808; S. GILCART, « À
propos des associations, de leur siège social et de la loi applicable », Rev. gén. dr. civ. (2000), 199-232 ;
966 LES PERSONNES MORALES

R.JAFFERALI, « L'application du droit belge aux sociétés de droit étranger. Une esquisse des contours
de la lex societatis », Rev. dr. comm. belge (2004), 764-790; H. KRONKE, « Capital markets and conflict
of laws », Recueil des cours, vol. 286 (2000), 245-386 ; A. LOWENFELD, « Obligations of a company
belonging to an international group and their effect on other companies of that group », Annuaire,
vol. 66-I (1995), 497-507; Ph. MALHERBE et J.-M. ]ONET, « Concurrence entre juridictions en droit
américain des sociétés - Un regard européen sur le syndrome du Delaware», Rev. dr. int. dr. camp.
(2003), 141-232; V. MARQUETTE, « La notion de domicile des personnes physiques et morales en
droit international privé», Rev. dr. comm. belge (2003), 141-143; V. MARQUETTE et N. WATTÉ, « La
détermination de la loi applicable aux personnes morales», Rev. dr. comm. belge (2003), 147-149;
R. PR1oux, « L'article 197 des lois coordonnées sur les sociétés commerciales, disposition méconnue
de droit international privé belge», Rev. gén. dr. civ. (1989), 482-488; Io., « Les sociétés étrangères
dans le Code des sociétés: une occasion manquée »,].T. (2003), 17-24; A. PRUJINER, « La personna-
lité morale et son rattachement en droit international privé», Cahiers de droit (1990), 1049-1074;
M. REVILLARD, « Les conventions internationales relatives aux associations», Clunet (1992), 299-
318; F. RIGAUX, « Droit économique et conflits de souverainetés», RabelsZ. (1988), 104-156;
C. RYNGAERT, « De verenigbaarheid van de Amerikaanse Sarbanes-Oxley Act met internationaal en
Belgisch recht », T.R V. (2004), 3-21; J. SAcE, C. STORCK et A. PATERNOSTER, « La loi nationale face
aux structures patrimoniales étrangères», Rev. not. belge (2000), 234-245 ; P. SMART, « Corporate
domicile and multiple incorporation in English private international law »,]. Bus. L. (1990), 126-
136 ; Th. TILQUIN, « L'incorporation comme facteur de rattachement de la !ex societatis », Rev. prat.
soc. (1998), 5-56; B. VAN BRUYSTEGEM, « De vennootschap van de multinationale onderneming »,
R.W (1979-1980), 2277-2294; S. VANDEGINSTE, « Het toepassingsgebied van de Belgische regeling
inzake openbare overnameaanbiedingen vanuit grensoverschrijdende perspectief », T.R V. (1991),
400-408; H. VAN HourrE, « The law applicable to securities transactions: Choice of law issues»,
The future for the global securities market (Oxford, Clarendon, 1996), 69-82; M. VERWILGHEN,
« Compétence des tribunaux belges à l'égard des sociétés zaïroises», Rev. prat. soc. (1973), 77-119.
Voy. aussi la résolution de l'Institut de droit international sur « Les obligations des entreprises
multinationales et leurs sociétés membres», session de Lisbonne, 1995, Revue (1996), 383.

c) Condition des personnes morales étrangères


R. ABRAHAMS, Les sociétés en droit international privé (Liège, Desoer, Paris, Lib. Techniques, 1957); DE
PAEPE, Etudes sur la compétence civile à l'égard des étrangers (Bruxelles, Bruylant, 1900, 1902), t. II, 267-
394; T. DRUCKER, « Companies in Private International Law», 1.C.L.Q. (1968), 28-57; R. DRURY,
« The regulation and recognition of foreign corporations : responses to the "Delaware
Syndrome"», Cambridge L.]. (1998), 165-194; B. GOLDMAN, « La nationalité des sociétés dans la
C.E.E.», Trav. Comitéfr. dr. int. pr. (1966-1969), 353; G. LEMPEREUR, « L'implantation en Belgique des
banques étrangères», D.P.C.1. (1975), 395-408; Y. LousSOUARN, « La condition des personnes mora-
les en droit international privé», Recueil des cours, vol. 96 (1959-I), 447-552; P. MAYER,« Les métho-
des de la reconnaissance en droit international privé», Mélanges Lagarde (Paris, Dalloz, 2005), 547-
573 ; P. POULLET, n°s 195-227; M. RAHMAN, « Determination of nationality of transnational corpo-
rations (TNCs): A functional approach »,Indian]. Int. L. (1988), 222-235; M. REVILLARD, « Les con-
ventions internationales relatives aux associations», Clunet (1992), 299-318; F. R.!GAUX, « Les
personnes morales en droit international privé», Ann. droit (1964), 241-266; A. ROLIN, r. Ier, n°s 27-
38; t. III, n°s 1258-1339; G. VAN BoxsoM, Rechtsvergelijkende studie over de nationaliteit der vennoots-
chappen (Bruxelles, Bruylant, 1964) ;]. VERHOEVEN, « Condition des étrangers, conflit de lois et socié-
tés offshores», Rev. crit. jur. belge (1997), 5 et s.; P. VLAS, « 'Apatride' associations: Aspects of private
international law », N.1.L.R (1990), 37-70.
L'Institut de droit international a adopté une résolution sur« Les sociétés anonymes en droit inter-
national privé», rapport de G. VAN HECKE, Annuaire, vol. 51-I, 312 et s., et, vol. 51-II, 263.
La doctrine belge de droit commercial comporte certaines considérations sur les problèmes de
droit international privé. Les ouvrages suivants sont, dans ce chapitre, cités par le seul nom de
l'auteur: L. FREDERICQ, Traité de droit commercial (Gand, Rombaut-Fecheyr, 1946-1955), t. Ier, n°s 132
et s., 209 et s.; t. II, n ° 529; t. IV, n°s 167 et s., 273 et s., 369,506; t. V, n°s 1086 et s.; t. VI, n ° 1523;
t. IX, n ° 181; J. GUILLERY, Commentaire législatif de la loi du 18 mai 1873 sur les sociétés commerciales en
Belgique (Bruxelles, Bruylant, Christophe et Cie, 1878); F. PASSELECQ, « Les sociétés commerciales en
LES PERSONNES MORALES 967

général», Les Novelles (Bruxelles, Larcier, 1934), t. III, n°s 479, 639, 1283, 2924 et s., 4340, 5180-
5350, 5600; Ch. RESTEAU, Traité des sociétés anonymes (Bruxelles, P. Pée, 1933-1934), t. Ier, n°s 549 et
s.; t. III, n°s 1650 et s.; t. IV, n°s 2069, 2152 et s.; t. V, n° 2478; Io., v « Sociétés anonymes», Rép.
0

prat. droit belge, n°s 32 et s., n°s 168, 601, 3050-3117 ;J. VAN RYN, Principes de droit commercial (Bruxel-
les, Bruylant, 1954-1966), t. rer, n°s 164,171,378; t. II, n°s 1125 et s., 1059.

d) Rapprochement et transformation des personnes morales


J.-P. BLUMBERG, « Over het grensoverschrijdende associatieconcern, zetelverplaatsing en internatio-
nale fusie », T.P.R. (1992), 803-844; L. CERIONI, « The barriers to the international mobility of com-
panies within the European Community: A re-reading of the case law »,]. Bus. L. (1999), 59-79;
T. COLEMAN,« Transfer of a company's principal office», Rapports généraux au ve congrès international
de droit comparé (Bruxelles, Bruylant, 1960), 520 et s. ; R. DRURY, « Migrating companies », Eur. L.R.
(1999), 354-372; K. GEENS, « Over internationale zetelverplaatsing », Mélanges Bouckaert (Leuven
Univ. Press, 2000)); J. ERAUW, « Internationaal privaatrechtelijke aspecten van Joint-Ventures», La
coopération entre entreprises (Bruxelles, Bruylant, 1993), 357-380; FREDERICQ et DE SMET, « Le trans-
fert du siège social», Rev. dr. int. dr. camp. (1958), 147; P. REYMOND,« Les groupes de sociétés dans
quelques systèmes internationaux», Aspects du droit international des sociétés (Zürich, Schulthess,
1995); SPETH, « Le changement de nationalité des sociétés »,Ann. not. enr. (1967), 210 ;]. VAN RYN,
« Conséquences juridiques du transfert en Belgique du siège social d'une société étrangère et du
transfert à l'étranger du siège social d'une société belge», Rev. crit. jur. belge (1966), 399-410; G. VAN
SoLINGE, « Cross-border mergers: A private international law approach »,N.I.L.R. (1996), 187-210;
P. WAUTELET, « Patronaatsverklaring in het IntemationaaI Privaatrecht »,Jura Falconis (1996-1997),
317-342; M. WYCKAERT, « De toepasselijkheid van de artikelen 759 e.v. W. venn. bij grensoverschrij-
dende herstructureringen : het water mag nier langer te diep zijn voor Belgische juristen », T.R. V
(2001), 214-218. Adde les concl. av. gén. DUMON préc. Cass., 12 novembre 1965, Rev. prat. soc. (1966),
139.

e) Droit communautaire
T. BALLARINO, « Les règles de conflit sur les sociétés commerciales à l'épreuve du droit communau-
taire d'établissement. Remarques sur deux arrêts récents de la Cour de justice des Communautés
européennes», Revue (2003), 373-402; M. BENEDETTELLI, « Criteri di giurisdizione in materia socie-
taria e diritto comunitario », Riv. dir. int. priv. proc. (2002), 879-922 ; Io., « Liberta comunitarie di cir-
colazione e diritto internazionale privato delle societa », Riv. dir. int. priv. proc. (2001), 569-620;
J.-B. BLAISE, « Une cohabitation difficile: nationalité des sociétés et libre établissement dans la
Communauté européenne», Mélanges Kahn (Paris, Litec, 2000) ; J.-P. DEGUÉE, « Forum shopping,
usage ou abus de la liberté d'établissement», Rev. prat. soc. (2001), 42 et s.; J.-M. }ONET,« Sociétés
commerciales: La théorie du siège réel à l'épreuve de la liberté d'établissement»,]. T.D.E. (2003),
33-97; Y. LoussouARN, « Le rattachement des sociétés et la Communauté économique
européenne », Mélanges Teitgen (Paris, Pédone, 1984), 239-270; S. RAMMELOO, « The long and win-
ding road towards freedom of establishment for legal persons in Europe »,Maastricht.]. eur. camp. L.
(2003), 169-198; E. PATAUT, « De Bruxelles à La Haye», Mélanges Lagarde (Paris, Dalloz, 2005), 661-
695; W.-H. ROTH,« From Centras to Uberseering: Free movement of companies, private interna-
tional law and Community Law», I.C.L.Q. (2003), 177-208; H.-J. SONNENBERGER, « Europaïsche
Herausforderungen des Internationalen Gesellschafrsrechts », Mélanges Lagarde (Paris, Dalloz,
2005), 749-763; K. SoRENSEN et M. NEVJLLE, « Corporate migration in the European Union»,
Columbia]. eur. L. (2000), 181-208 ;]. WOUTERS, « Europees vestigingsrecht van venootschappen en
internationaal privaatrecht », NI.PR. (2000), 259-272 ; E. WYMEERSCH, « The transfer of the com-
pany's seat in European company law », C.M.L.R. (2003), 661-695.
Sur la société européenne, voy. notamment: G. BLANC,« La société européenne: la pluralité des rat-
tachements en question », D.S., Dr. aff (2002), 1052-1057; M. BoULOUKOS, « Le régime juridique de
la société européenne (SE)», Rev. dr. aff int. (2004), 489-517; C. CASTELEIN, « De Societas Europaea,
nuttig instrument of maat voor niets ? Bijdrage over een toekomstige vennootschapsvorm, met
bijzondere aandacht voor het IPR »,Jura Falconis (2002-2003), 41-76 ; V. MAGNIER, « La société euro-
péenne en question», Revue (2004), 555-588.
968 LES PERSONNES MORALES

16.2 - Présentation - La personne morale peut susciter en droit international privé des
problèmes très différents de ceux que soulève la personne physique. L'existence même de
celle-ci est indépendante de toute intervention législative, alors que celle-là ne peut pré-
tendre à la qualité de sujet de droit que si cette qualité lui a été conférée par un État déter-
miné - ou par l'ordre juridique international.
Aussi la personne morale nécessite-t-elle une règle de rattachement particulière, qui
permette de désigner le droit qui régit sa constitution, son fonctionnement et sa dissolu-
tion. Et ces questions appellent à leur tour des règles appropriées de conflit de juridic-
tions.
Mais comme la personne physique, la personne morale se prête encore à l'applica-
tion de textes dont les destinataires peuvent être tout sujet de droit, personne physique
ou morale. De tels textes peuvent utiliser, pour les besoins de leur application aux situa-
tions internationales, des facteurs de localisation tels que la nationalité ou le domicile,
sans définir nécessairement ces critères de manière particulière pour les personnes mora-
les. Dans une telle perspective, il y a lieu de s'attacher à une définition de la nationalité -
comme du domicile - d'une personne morale.
La détermination de la nationalité de la personne morale joue en particulier un rôle
lorsque la qualification d' « étrangère » a pour conséquence de la soumettre à un régime
discriminatoire analogue à celui qui peut frapper une personne physique étrangère. Elle
ne suscite pas moins des questions spécifiques, liées aux conditions de son existence par
l'effet de la loi, telle la question de la reconnaissance de la personnalité ou celle de l'assi-
milation à une personne physique.

Section 1
La condition de la personne morale étrangère
§ 1 LA DÉTERMINATION DE LA NATIONALITÉ
DE LA PERSONNE MORALE
16.3 - Fonctions de la nationalité d'une société - L'extension même du concept de
nationalité aux personnes morales n'a pas cessé de susciter des critiques, notamment de
Niboyet, reprenant certaines objections déjà formulées par Pillet et par de Vareilles-Som-
mières. L'une des difficultés tient à la détermination de la fonction attachée à la nationa-
lité d'une société.
1111 Sur la nationalité des sociétés, voy. dans la doctrine, notamment: BATIFFOL, « Observations sur
le problème de la nationalité des sociétés», Studi in memoria di A. Straffia (1962), t. I, 65-78; HAMEL,
« Faut-il parler de "nationalité" des sociétés commerciales?», Mélanges Gutzwiller, 365-371; Lorns-
LUCAS, « Remarques relatives à la détermination de la nationalité des sociétés »,].C.P. (1953), I, 104;
MAZEAUD,« De la nationalité des sociétés », Clunet (1928), 30; NmoYET, « Existe-t-il vraiment une
nationalité des sociétés ? », Revue (1927), 402; M. RAHMAN,« Determination of nationality of trans-
national corporations (TNCs): A functional approach », Indian]. Int. L. (1988), 222-235; A. PRUJI-
NER, « La personnalité morale et son rattachement en droit international privé», Cahiers de droit
(1990), 1049-1074; V. SIMONART, La personnalité morale en droit privé comparé (Bruxelles, Bruylant,
1995); TRAVERS,« La nationalité des sociétés commerciales», Recueil des cours (1930), vol. 33, 1 et s.;
J. VERHOEVEN, « Condition des étrangers, conflit de lois et sociétés offshores», Rev. crit. jur. belge
LA CONDITION DE LA PERSONNE MORALE ÉTRANGÈRE 969

(1997), 5 et s.; P. VLAS, « 'Apatride' associations: Aspects of private international law », N.I.L.R.
(1990), 37-70.
li!Voy. déjà l'emprunt fait à l'article 3, alinéa 3, du Code civil par: Cass., 12 avril 1888, Tant c.
Boutmy, Pas. (1888), !, 186.

Il est communément affirmé que le « rattachement » de la société est opéré par sa


« nationalité». Cette affirmation repose sur la difficulté de détacher l'existence d'une per-
sonne morale de l'ordre juridique sous lequel celle-ci s'est constituée: comment une
société ne pourrait-elle pas avoir la « nationalité » du pays dont le droit a permis la
création?
Le lien entre « rattachement » et « nationalité » est également présent dans la terminologie de la
li!
Cour de justice (voy. infra, n° 16.7).

Le constat de l'existence possible de cas de pluripatridie (voy. ci-dessous) conduit à


douter du lien nécessaire entre rattachement de la société et nationalité. Ceci ne revient
pas à nier toute nécessité de vérifier la« nationalité» d'une personne morale. Cette vérifi-
cation s'impose chaque fois que la loi utilise la qualité de « ressortissant», sans distinc-
tion entre personnes physique et morale, pour déterminer les conditions de jouissance
ou d'exercice d'un droit. En revanche, le recours au concept de nationalité ne s'impose
pas aux fins de déterminer le rattachement d'une société pour les besoins du droit inter-
national privé: la possibilité s'offre au législateur d'énoncer une règle particulière faisant
l'économie du facteur de nationalité.
Le Code de droit international privé ne définit la nationalité qu'à propos des personnes physi-
11111

ques, car ce concept y remplit la fonction d'un critère de compétence internationale ou d'un facteur
de rattachement à l'égard de ces personnes. En revanche, le concept n'y remplit aucun rôle pour les
personnes morales, ce qui explique l'absence de définition pour cette catégorie de sujets de droit.

Le Code belge des sociétés ne fait pas l'économie du facteur de nationalité pour les personnes
11111

morales. S'il n'utilise pas formellement l'expression « société belge », si ce n'est dans un intitulé, il
le fait pour une « société étrangère». Celle-ci n'est pas définie, mais la notion est mise en relation,
tantôt avec celle de société « constituée en pays étranger» (art. 58), tantôt avec celle de société
« relevant du droit d'un État [... ] » (art. 81 et 82). Le texte utilise aussi l'expression « succursale
belge d'une société étrangère» (art. 59).
Dans le système de ce Code, la société« non étrangère» se comprend comme celle qui est régie par
le droit belge, selon la règle de rattachement établie par le législateur (art. 56, remplacé par
l'art. 110 Codip, voy. infra, n ° 16.11). Il y a donc confusion entre« nationalité» et« rattachement»
de la société au droit belge.

Ill L'expression « société relevant du droit d'un État [... ] » puise au droit communautaire dérivé.
Voy. par exemple la directive 2004/25 du 21 avril 2004 concernant les offres publiques d'acquisi-
tion (J.O.C.E., 2004, L 142).

Il! Le droit belge connaît encore l'expression « société de droit belge». Voy. par exemple, à propos
de la réglementation des offres publiques d'acquisition de sociétés cotées en bourse, la loi du
2 mars 1989 (Monit., 24 mai 1989, art. 1er,§ 2), modifiée par la loi du 2 août 2002 (Monit., 22 août
2002). Cette expression renvoie au« rattachement» de la société au moyen de la règle de conflit de
lois qui régit son existence et son fonctionnement, à savoir l'article 110 du Code de droit inter-
national privé (Anvers, 13 avril 2000, TR. V, 2000, 236, note K. VANERHEYDEN et S. DEVISCH). Ce qui
n'empêche pas la Cour de cassation de lier l'expression à celle de « société belge» (Cass.,
22 novembre 2002, Rev. dr. comm. belge, 2003, 823, note B. DE Vos).
Voy. aussi la loi du 20 juillet 2004 relative à certaines formes de gestion collective de portefeuilles
d'investissement (Monit., 9 mars 2005), qui utilise l'expression « organisme belge» ou « de droit
belge».
970 LES PERSONNES MORALES

Il!Voy. encore, à propos des associations, l'assimilation entre nationalité et rattachement, infra,
n° 16.11.

16.4 - Méthodes de détermination de la nationalité d'une société - En droit comparé,


le rattachement par la nationalité a lieu selon deux procédés, qui reflètent la manière
dont la société acquiert sa personnification.
illlLes personnes morales relevant du droit public ne soulèvent pas la même difficulté. Quand un
État confère la personnalité juridique à l'un de ses organes ou à l'une de ses subdivisions territoria-
les (un département, une province, une commune) ou s'il crée des régies autonomes dotées de la
personnalité juridique, les personnes morales ainsi instituées ne sauraient avoir d'autre nationalité
que celle de l'État dont elles émanent.

Un premier groupe de systèmes subordonne l'octroi de la nationalité à l'accomplis-


sement d'une formalité administrative tandis que, selon un deuxième groupe, la person-
nalité morale est un effet de plein droit des actes juridiques privés faits par les parties
conformément à la loi.
!1111 L'exemple le plus connu du premier système est la formalité de l'enregistrement (en anglais:
incorporation) dont découle, en Angleterre et aux États-Unis, l'acquisition de la personnalité morale
par une société de capitaux.
Au contraire, dans la plupart des pays continentaux, et notamment en Belgique et en France, les
illl
associés obtiennent la personnalité juridique en constituant une société conformément à la loi et
en se conformant, le cas échéant, à la publicité requise, comme, en droit belge, le dépôt de l'expédi-
tion de l'acte de société au greffe du tribunal de commerce du siège social, suivi d'une inscription
au registre des personnes morales, « répertoire de la Banque-Carrefour des entreprises » (art. 67 C.
soc.).

De chacun de ces deux systèmes d'octroi de la personnalité juridique découle une


méthode de rattachement de la société, dont résulte la détermination de la nationalité.
Dans le premier groupe de pays, une personne morale a, nécessairement, la nationalité de
l'État où les formalités d'enregistrement (incorporation) ont été accomplies. Au contraire,
la plupart des droits continentaux déterminent la nationalité des personnes morales
selon le lieu du siège social ou du principal établissement.
Une définition commune du siège social en tant que« siège réel», ce qui le distingue du « siège
illl
statutaire», des personnes morales enregistrées, utilise le critère du lieu où« est établie (!')adminis-
tration centrale» de la personne morale, dans la Convention de La Haye du 1er juin 1956 concer-
nant la reconnaissance de la personnalité juridique des sociétés, associations et fondations
étrangères (art. 2, al. 3), et dans la Convention européenne du 29 février 1968 sur la reconnaissance
mutuelle des sociétés et personnes morales (art. 5).
Il!Le droit belge présente un système hybride, puisqu'il soumet au droit belge une société ayant
son établissement principal en Belgique (voy. infra, n° 16.11) tout en exigeant une formalité d'ins-
cription au registre des personnes morales.

16.5 - Solution du conflit de nationalités - En se référant à la problématique des con-


flits de nationalités relatifs aux personnes physiques, il convient de se demander si le cri-
tère de détermination de la nationalité des personnes morales a, au moins à l'égard des
États où il est admis, une portée universelle, ou si, par analogie avec la détermination de
la nationalité des personnes physiques, il appartient à chaque État d'arrêter les critères
selon lesquels une personne morale obtient sa nationalité.
Il!La Convention de La Haye du 12 avril 1930 (voy. supra, n° 5.34), qui entend porter« la codifica-
tion du droit international en matière de nationalité », couvre uniquement la nationalité des per-
sonnes physiques.
LA CONDITION DE LA PERSONNE MORALE ÉTRANGÈRE 971

Ill En droit international public, la détermination de la nationalité d'une personne morale est
nécessaire à la protection diplomatique.
La question a été longuement débattue devant la Cour internationale de Justice à propos de
l'affaire de la Barcelona Traction et, dans son arrêt du S février 1970, la Cour a affirmé que: « la règle
traditionnelle attribue le droit d'exercer la protection diplomatique d'une société à l'État sous les
lois duquel elle s'est constituée et sur le territoire duquel elle a son siège» (C.I.J. Rec. 1970, 42).
Cette affirmation contient deux règles. L'une concerne la détermination de la nationalité et désigne
le pays ayant conféré la personnalité juridique à la société. L'autre subordonne« le droit d'exercer la
protection diplomatique» à l'effectivité du lien entre la société et l'État qui agit en son nom, lien
concrétisé par la localisation du siège.
Pour une analyse de la jurisprudence internationale sur ce deuxième point, voy. notamment : P. DE
VISSCHER, « La protection diplomatique des personnes morales», Recueil des cours (1961), vol. 102,
446 et S.
Comp. supra, n° 5.46, l'arrêt Nottebohm, à propos de la détermination de la nationalité des person-
nes physiques pour les besoins de l'exercice de la protection diplomatique.
Le lien établi généralement entre le « rattachement » d'une société et sa « nationa-
lité » conduit à une confusion lors de la détermination de la nationalité de la société, en
empruntant à la méthode du rattachement une règle de nature universelle.
Dans les pays qui rattachent les personnes morales à la loi de leur siège social, la
solution dominante consiste à généraliser ce critère en déterminant la nationalité des
sociétés étrangères par le lieu du siège social, même si elles ont acquis la personnalité juri-
dique par leur enregistrement dans un autre pays. Cette solution est souvent motivée par
la nécessité de contraindre les sociétés à se conformer aux exigences de la loi du pays où
est situé leur siège réel, alors que le critère de l'enregistrement leur permet de soumettre
leurs statuts et leur fonctionnement à une loi n'offrant pas les mêmes garanties aux asso-
ciés et aux tiers (voy. notamment: BATIFFOL et LAGARDE, t. rer, n ° 193).
1111 Le critère de l'enregistrement n'est, par sa nature même, pas susceptible d'universalisation.
Comment saurait-on l'étendre aux sociétés ayant obtenu la personnalité juridique d'une loi qui ne
prévoit pas de formalité analogue?
La motivation d'une telle règle universelle confond deux problèmes différents : la
détermination de la nationalité d'une personne morale et la reconnaissance de sa person-
nalité par les États dont, suivant la solution donnée au premier problème, elle n'a pas la
nationalité.
Pour la détermination de la nationalité d'une personne morale de droit privé et sous
réserve des droits qui lui sont ensuite reconnus, il y a lieu d'élaborer une règle analogue à
celle qui s'applique aux personnes morales de droit public: une société ou une fondation
a la nationalité de l'État dont la loi lui a conféré la personnalité juridique. Il importe peu
à cet égard que la personnalité morale et la nationalité qui en découle soient obtenues
grâce à une formalité administrative particulière, tel l'enregistrement, par la seule opéra-
tion de la loi ou moyennant l'accomplissement de formes de publicité.
16.6 - Approche fonctionnelle du conflit de nationalités - Comme pour les personnes
physiques, le législateur peut, en des matières particulières, ajouter à la nationalité une
condition qui reflète un lien particulier avec un État déterminé.
Cette solution fonctionnelle a été pratiquée pour la définition des biens ennemis
après un conflit armé, aux fins de l'adoption de mesures de séquestre. La condition s'atta-
che à l'existence d'un « contrôle» de la société par les actionnaires, nationaux de l'État
ennem1.
972 LES PERSONNES MORALES

11!1 À propos de la liquidation de biens appartenant à des Allemands ennemis, l' Accord du
5 décembre 1947 sur la résolution des conflits portant sur les avoirs allemands ennemis (Monit.,
19 mars 1949) couvre route « entreprise organisée conformément aux lois d'un Gouvernement
signataire [... ] dans laquelle existaient, à la date de référence, des intérêts allemands ennemis,
directs ou indirects» (art. 11, A). Le « contrôle» allemand d'une entreprise se définit par la déten-
tion de 50 % au moins des actions avec droit de vote, ou par le contrôle de la gestion, de l'adminis-
tration ou du fonctionnement de l'entreprise, ou du vote des actionnaires, par des Allemands
ennemis (art. 11, B).
11!1Ont été tenues, en Belgique, pour ennemies au cours de deux guerres mondiales, bien qu'ayant
le statut juridique de l'État du for ou d'États tiers, les sociétés présentant d'autres attaches avec un
État ennemi: soit la nationalité des actionnaires (voy. l'arrêté-loi du 10 novembre 1918), soit la
nationalité des personnes physiques« contrôlant» la société (arrêté-loi du 23 août 1944).
Sur la théorie du contrôle, voy. notamment P. DE VrsscHER,
11!1 « La protection diplomatique des
personnes morales», Recueil des cours, vol. 102 (1961), 439-445.
L'existence d'un traité international peut également obliger l'État du for a retenir,
parmi plusieurs nationalités, celle du pays avec lequel cet État est lié. À moins que le
traité en dispose autrement, une condition supplémentaire d'effectivité ne saurait être
exigée : il suffit que la personne ait acquis la qualité de ressortissant en vertu de la loi
étrangère.
Ill Voy. une application classique de l'approche fonctionnelle à propos de l'invocation du privilège
de la caution judicatum solvi, inopposable en Belgique aux ressortissants du Liberia en vertu de la
convention conclue avec ce pays le 1er mai 1985, par: Cass., 15 décembre 1994, Indra Cy., Rev. crit.
jur. belge (1997), 5, note]. VERHOEVEN, TRV (1995), 411, note F. PETILLION.

16.7 - Approche communautaire de la nationalité - Le traité CE ne contient aucune


disposition permettant de déterminer la nationalité d'une société et tolère donc une dis-
parité des législations nationales quant à la fixation du « lien de rattachement imposé
aux sociétés constituées sous leur empire» (C.J.C.E., aff. 81/87, 27 septembre 1988, Daily
Mail, Rec., 1988, 5483). Mais plus précisément même, le critère du siège réel - ou princi-
pal établissement - reçoit pour portée de définir le rattachement de la société à l'instar
de la nationalité (C.J.C.E., aff. C-212/97, 9 mars 1999, Centras, Rec., 1999, I-1459, Rev. prat.
soc., 2000, 42, note J.-P. DEGUÉE; aff. C-311/97, 29 avril 1999, Royal Bank of Scotland, Rec.,
1999, I-2651).
L'article 48 CE est vu communément comme une disposition servant à fixer le ratta-
chement d'une société à l'ordre juridique d'un État comme la nationalité d'une personne
physique (C.J.C.E., aff. C-208/00, 4 novembre 2002, Überseering, Rec., 2002, I-9919, TR V.,
2003, 95, note J. MEEUSEN, Revue, 2003, 508, note P. LAGARDE). Cette disposition a pour
objet de définir, pour les personnes morales, la qualité de « ressortissant » d'un État
membre utilisée plus généralement par les articles 43 CE et 48 CE, organiques des liber-
tés d'établissement et de prestation de services. Elle évoque à cet égard les sociétés consti-
tuées « en conformité de la législation d'un État membre». Mais elle ajoute une
condition supplémentaire, formulée de manière alternative : la société doit avoir « [son]
siège statutaire, [son] administration centrale ou [son] principal établissement à l'inté-
rieur de la Communauté». De plus, lorsque seul le siège statutaire est dans la Commu-
nauté, un lien effectif est exigé (arrêt Überseering précité), exigence qui relève de la théorie
du contrôle.
Ill La liste des trois critères correspond à l'état du droit comparé des États membres en matière de
rattachement des sociétés. À la différence de la référence à la « constitution » conforme au droit
d'un tel État, ces critères servent, non pas à définir la nationalité comme donne à l'entendre la
LA CONDITION DE LA PERSONNE MORALE ÉTRANGÈRE 973

structure du texte, mais à définir la catégorie des sujets de droit bénéficiaires du traité CE. À cet
égard, elle relève davantage d'une règle sur la condition de l'étranger, en excluant de cette catégorie
les sociétés qui ne remplissent aucun de ces critères. La condition veille à une effectivité minimale
du lien entre la société et l'espace communautaire et présente à cet égard une analogie avec celle
observée à propos de la protection diplomatique.
Voy. une application de cette assimilation de la personne morale à un ressortissant d'un État
1111

membre, en droit belge, dans la loi du 4 décembre 1990 relative aux opérations financières et aux
marchés financiers (Monit., 22 décembre 1990), utilisant les critères précités pour distinguer une
société qui« relève » du droit d'un État membre de celle qui n'en relève pas.
L'article 35 de cette loi exige qu'une société de bourse « de droit belge» soit constituée sous la
forme d'une société commerciale de droit belge, mais cela n'exclut pas que la société ait son établis-
sement principal en Belgique tout en ayant été constituée par un acte passé à l'étranger (voy. infra,
n° 16.14).

1111Comp. la référence à une société « constituée» en Belgique apparaît pour définir la qualité de
« belge » lorsque la condition sert à définir les conditions du recours contre une sentence arbitrale
(art. 1717 C. jud.).
Voy. encore, l'arrêté royal du 5 octobre 1978 relatif à l'enregistrement d'un entrepreneur dans le
secteur de la construction, et: Civ. Bruxelles, 19 décembre 1991,].T. (1992), 498, établissant une
assimilation entre le critère de la constitution conformément au droit belge et la localisation du
siège réel en Belgique.
Comp. le Protocole belgo-zaïrois du 24 juillet 1983 (Monit., 8 février 1984) relatif au règlement
1111

de l'indemnisation des biens zaïrianisés ayant appartenu à des personnes morales belges n'ayant
pas pu obtenir un règlement d'indemnisation ou la rétrocession de leurs biens zaïrianisés, consi-
dère comme « personne morale belge » la société « constituée conformément au droit belge et
[ayant] son siège social en Belgique» (art. l", 3°).

Le droit dérivé réserve une place certaine au critère du siège réel (voy. infra, n ° 16.17).
Plusieurs actes du Conseil utilisent ce critère, tantôt pour délimiter dans l'espace la caté-
gorie des personnes morales visées, tantôt pour soumettre celles-ci à des obligations pré-
vues par le droit national.
1111Un groupement européen d'intérêt économique (règlement 1237/85 du 25 juillet 1985,].O.C.E.,
1985, L 199) doit avoir son siège dans la Communauté. Il s'agit du siège« fixé par le contrat de
groupement» (art. 2). Il doit être fixé par référence à« l'administration centrale », soit du groupe-
ment, soit de l'un de ses membres (art. 12). En outre, le groupement doit être immatriculé dans
l'État du siège.
En Belgique, la loi du 12 juillet 1989 (Monit., 22 août 1989) portant diverses mesures d'application
du règlement, confère la personnalité juridique au groupement « immatriculé » en Belgique, et
celui-ci est soumis à la loi belge sur le groupement économique. L'immatriculation a lieu au regis-
tre du greffe du tribunal de commerce dans le ressort territorial duquel le groupement a son siège.
Des dispositions analogues figurent dans le règlement 2157/2001 du 8 octobre 2001 relatif au
11111

statut de la société européenne (J.O.C.E., 2001, L 294), comme dans le règlement 1435/2003 du
22 juillet 2003 relatif au statut de la société coopérative européenne (J.O.C.E., 2003, L 207).
1111 Le préambule du règlement 1435/2003 précise que l'acte consacre la théorie du« siège réel».

Le critère du contrôle apparaît aussi dans certains actes communautaires.


IllAfin de protéger les intérêts des armateurs communautaires contre les pratiques déloyales
d'armateurs non communautaires, le règlement 4057/86 du 22 décembre 1986 (J.O.C.E., 1986, L
378) relatif aux pratiques tarifaires déloyales dans les transports maritimes, définit« l'armateur de
la Communauté» comme toute compagnie maritime « établie dans un État membre au sens du
traité», ou encore toutes compagnies établies hors de la Communauté mais « contrôlées par des
ressortissants d'un État membre si leurs navires sont immatriculés dans un État membre confor-
mément à sa législation » (art. 3, d).
974 LES PERSONNES MORALES

Ili À propos de l'accès à l'activité économique, le règlement 2343/90 du 24 juillet 1990 (J.O.C.E.,
1990, L 217) relatif aux services aériens réguliers, définit comme « transporteur aérien
communautaire» route entreprise localisée dans la Communauté par les critères cumulatifs
suivants: administration centrale, principal établissement, détention d'une participation majori-
taire par un État membre ou par des ressortissants d'un tel État et contrôle effectif par un tel État
ou par des ressortissants d'un tel État (art. 2, e).

§2 LA RECONNAISSANCE DES PERSONNES MORALES ÉTRANGÈRES


16.8 - Principe de reconnaissance en droit commun - La question de la « reconnais-
sance» d'une personne morale étrangère relève de la condition de l'étranger. C'est en rai-
son de sa qualité d'« étrangère» que la société subit, par rapport aux sociétés belges, une
différence de traitement dans l'accès à certaines activités.
De nombreuses dispositions relèvent des conditions d'accès aux activités économi-
ques et soumettent celles-ci à une formalité administrative particulière. En matière civile,
la question de la reconnaissance concerne essentiellement le droit de faire des opérations
sur le territoire et le droit d'ester en justice. La nature de cette question doit être bien
comprise. Elle revient à déterminer si la société, parce qu'étrangère, est privée ou non
d'un tel droit. Il revient au droit du for d'en décider. Autre est la question de la détermi-
nation des conditions d'exercice du droit subjectif. À cet égard, la loi de la société joue un
rôle déterminant (voy. infra, n° 16.14). Il en va de même de la question de l'existence
même de la personnalité juridique.
IliSur la soumission de l'existence de la personnalité au droit applicable à la constitution de la
société, voy. par exemple: T.P.I.C.E., aff. T-170/94, 25 septembre 1997, Shangai Bicycle Corp., Rec.
(1997), I-1383.

Le droit de faire des opérations en Belgique, d'y ester en justice et de s'établir par la
création d'une succursale, est reconnu aux « sociétés constituées en pays étranger et y
ayant leur siège réel» (art. 58, al. 1er, C. soc.).
1111La première intervention du législateur tendant à reconnaître la personnalité juridique étran-
gère est celle de la loi du 14 mars 1855 relative à la réciprocité internationale en matière de sociétés
anonymes, reconnaissant aux sociétés françaises poursuivant un but de lucre le droit d'« exercer
tous les droits et [d']ester en justice en Belgique», sous réserve de la réciprocité (art. 1er). L'article 2
de la même loi habilita le gouvernement à étendre ce régime aux sociétés de même nature existant
en tout autre pays.
Un régime plus libéral fut consacré par la loi du 18 mai 1873, qui reconnut de plein droit et sans
condition de réciprocité, « les sociétés anonymes et les autres associations commerciales, indus-
trielles ou financières constituées et ayant leur siège en pays étranger».

Toutefois, le droit d'agir en justice n'est reconnu à une société étrangère ayant créé
une succursale en Belgique ou y faisant appel public à l'épargne, que si l'acte constitutif a
été déposé au greffe du tribunal de commerce du ressort de la succursale ou, à défaut, de
Bruxelles, avec inscription au registre des personnes morales, répertoire de la Banque-
Carrefour des entreprises (al. 2).
IliLa succursale s'entend d'un local, siège de l'établissement secondaire que la société a fondé en
Belgique, où le public puisse rencontrer une personne ayant le pouvoir d'engager la société étran-
gère, un représentant de celle-ci (Cass., 18 décembre 1941, Pas., 1941, I, 467; F. RrGAUX, « La notion
de succursale d'une société étrangère en droit belge», Mélanges Fredericq, t. II, 815-827).

Les sociétés sont celles appartenant à l'une des catégories visées par le Code des socié-
tés (art. 2). Celui-ci couvre, outre les sociétés commerciales - qu'il dote de la personnalité
LA CONDITION DE LA PERSONNE MORALE ÉTRANGÈRE 975

juridique au jour du dépôt de l'acte constitutif au greffe du tribunal de commerce avec


inscription au registre des personnes morales -, la société civile agricole - également
dotée de la personnalité juridique -, ainsi que « la société de droit commun, la société
momentanée et la société interne», qui ne bénéficient pas de la personnalité juridique.
Selon la loi du 25 octobre 1919, les associations internationales qui poursuivent un
but philanthropique, religieux, scientifique, artistique ou pédagogique, ayant leur siège à
l'étranger et remplissant les conditions auxquelles elles sont reconnues,« peuvent exercer
en Belgique les droits qui résultent de leur statut national» (art. 8). Selon la loi du 2 mai
2002, qui a abrogé la loi de 1919, les associations« valablement constituées à l'étranger
conformément à la loi dont elles relèvent, peuvent ouvrir en Belgique un siège d'opéra-
tion» (art. 58).
Le principe de reconnaissance peut être étendu à toute association n'entrant dans
l'objet d'aucune des dispositions précitées, sous la limite relative à la détermination des
droits reconnus par la législation applicable (voy. infra, n ° 16.11).
Sur la reconnaissance du droit d'ester en justice dans des conditions non discriminatoires en
1!11
l'absence de route disposition légale contraire, voy. : C.A., 5 juillet 1990, Pressas Compania Naviera,
Rev. crit.jur. belge (1991), 621, note R. ERGEC. Comp. en France, comme une conséquence du prin-
cipe général d'égalité consacré par la Convention européenne de sauvegarde des droits de
l'homme: Cass. civ., 25 juin 1991, Revue (1991), 667, note KHAIRALLAH; 9 juillet 2003, Rép. Defr.
(2003), 1058, note R. CRÔNE.

La Cour de cassation a admis la capacité d'ester en justice d'une société civile dont une loi étran-
1!11
gère « a présidé à la naissance et fixé l'étendue de ses droits », se référant à la loi du « pays
d'origine» pour déterminer le droit d'ester en justice (Cass., 12 novembre 1935, Dewit, Pas., 1936, I,
48). Voy. aussi en ce sens: Cass., 28 juin 1968, The Scotch Whisky Association, Pas. (1968), I, 1239 ;
Bruxelles, 29 juin 1989,J.T. (1989), 749, note L. VAN BUNNEN.
Sur les hésitations des juridictions de fond, voy. : F. RIGAUX, « La protection de la personnalité en
droit international privé», Ann. dr. et sc. pal. (1959), 279-286.

Les établissements publics étrangers bénéficient de la personnalité civile conférée


par l'État étranger. La jurisprudence est constante sur ce point (voy. les références chez
PoULLET, 222, note 4).

La solution invoque un motif emprunté au droit des gens. Entretenant avec les États étrangers
1!11
des« relations d'amitié et d'affaires», le gouvernement belge ne saurait manquer de reconnaître les
personnes morales qui émanent de ces États.
Ayant reçu l'approbation d'une fraction de la doctrine belge (Rolin, De Paepe), cette motivation a
été vivement combattue par LAURENT (t. IV, 253) et par POULLET (n ° 206).

1!11 Voy. déjà, à une époque où une société anonyme légalement établie à l'étranger se voyait refuser
le droit d'ester en justice: Cass., 8 février 1849, Assur. gén. de Paris c. Ruelens, Pas. (1849), I, 221, au
motif que les « établissements administratifs » auxquels un État étranger a conféré la personnalité
civile devaient être reconnus en Belgique.

1111Voy. une reconnaissance implicite par, notamment: Comm. Bruxelles, 16 ocrobre 1990, J. T.
(1991), 482, note F. RIGAUX. Autre est la question de la recevabilité de la demande en raison de la
nature - ressortissant au droit public ou au droit privé - de son objet ou de sa cause, comme le
montre correctement le jugement.
À propos d'une demande de saisie sur des biens du domaine privé de l'État étranger au sujet d'une
dette d'une entreprise publique étrangère, voy. : Cass., 6 décembre 1996, Distrigaz, Rev. dr. comm.
belge (1997), 300, note B. DE GROOTE, soumettant la personnalité juridique à la loi étrangère de la
société. Voy. encore pour une reconnaissance explicite: Gand, 6 décembre 2001, TR.V (2002), 376.
976 LES PERSONNES MORALES

16.9 - Reconnaissance selon les traités bilatéraux - De nombreux traités d'établisse-


ment et de commerce prévoient la reconnaissance réciproque des sociétés relevant de
chacun des deux États. Certains, tel le traité franco-belge, soumettent au même régime
sociétés commerciales et sociétés civiles. D'autres se bornent à stipuler la reconnaissance
des sociétés à but lucratif.
La Convention franco-belge d'établissement, du 6 octobre 1927 (Pasin., 1927, 514),
permet aux« sociétés civiles, commerciales, industrielles, financières et d'assurances» de
chacun des deux États, d'exercer leur activité dans l'autre (art. 5). La légalité de la consti-
tution de ces sociétés et leur capacité d'agir en justice sont déterminées d'après leurs sta-
tuts et d'après la loi du pays où elles ont été constituées (art. 7).
La Cour de cassation a, par une interprétation stricte du mot « loi » dans l'article 7 précité,
1111

refusé de reconnaître une société civile constituée conformément aux articles 1832 et suivants du
Code civil français, et à laquelle, en droit interne, la jurisprudence française, mais non la jurispru-
dence belge, a reconnu la personnalité civile (Cass., 12 novembre 1935, Dewit, Pas., 1936, I, 48 ; voy.,
du même jour, l'arrêt D'Hoedt, ibid., 51).
1111La solution de ces arrêts est liée au refus d'appliquer la loi française avec l'interprétation que
celle-ci a reçue des tribunaux français, thèse aujourd'hui périmée (supra, n ° 6.57). Elle s'explique
aussi par l'influence de la théorie de la fiction : la personnification des êtres de raison ne saurait être
attribuée qu'à une expression formelle de volonté du législateur.
Alors que quelques auteurs se sont bornés à entériner cette solution (ABRAHAMS, op. cit., 97 et 98,
105 ; FREDERICQ, t. II, n ° 775 ; VAN RYN, t. II, n ° 1132), VAN DIEVOET (Le droit civil en Belgique et en Hol-
lande de 1800 à 1940, 1948, 350) et DE PAGE (Traité élémentaire de droit civil, t. 1er, 1962, 159, note 7)
l'ont vigoureusement critiquée. Voy. aussi: F. R.rGAUX, La nature du contrôle de la Cour de cassation,
n ° 84. On peut considérer aujourd'hui qu'elle est périmée.
1111D'après la Convention franco-belge du 8 juillet 1899 (supra, n ° 8.32), « toute société civile ou
commerciale de l'un des deux pays, qui établit une succursale dans l'autre, est réputée faire élection
de domicile, pour le jugement de toutes les contestations concernant les opérations de la succur-
sale, au lieu où celle-ci a son siège » (art. 3, § 2). Contrairement à ce qu'a affirmé la Cour de cassa-
tion, loin d'impliquer « d'une manière non douteuse, que toute société civile ou commerciale
établie dans l'un des deux pays a le droit d'ester en justice dans l'autre» (6 octobre 1904, Desier c.
Mutuelle de France et des colonies, Pas., 1904, I, 362), cette disposition énonce une règle de conflit de
juridictions pour le cas où, en vertu des dispositions compétentes, la société étrangère est reconnue
dans l'État du for.

16.10 - Une obligation de reconnaissance dans le contexte de l'Union européenne -


Le traité CE ne prévoit pas d'autre disposition relative aux personnes morales étrangères
que l'assimilation aux nationaux de l'article 48 CE. Toutefois, l'article 293 CE prévoit que
« les États membres engageront entre eux, pour autant que de besoin, des négociations
en vue d'assurer, en faveur de leurs ressortissants, [... ] la reconnaissance mutuelle des
sociétés au sens de l'article 48, deuxième alinéa[ ... ] ».
111 Sur la base de l'article 220 (devenu art. 293 CE), les États membres ont signé à Bruxelles, le
29 février 1968, une Convention sur la reconnaissance mutuelle des sociétés et personnes morales
(loi du 17 juillet 1970, Monit., 18 juin 1971), suivie d'un Protocole concernant l'interprétation de
cette Convention par la Cour de justice (3 juin 1971, loi du 18 juillet 1973, Monit., 6 août 1975). Ces
instruments ne sont pas entrés en vigueur.
Voy. également la Convention de La Haye du 1er juin 1956 concernant la reconnaissance de la
1111

personnalité juridique des sociétés, associations et fondations étrangères (signée et ratifiée par la
Belgique, mais non entrée en vigueur).
IllSur ces instruments, voy. notamment: U. DROBNIG, « La convenzione della CEE su! reciproco
riconoscimento delle società e persane giuridiche », Riv. dir. int. priv. proc. (1973), 513-551; B. GOLD-
LE CONFLIT DE LOIS 977

MAN,« The Convention between the Member States of the European Economie Community on the
mutual recognition of companies and legal persans», C.M.L.R (1968), 104-128; A. LEJUSTE, « Het
Verdrag van Brussel inzake de erkenning van vennootschappen en rechtspersonen », R. W ( 1970),
833-840 ; J. RENAULD, « La reconnaissance mutuelle des sociétés dans le marché commun», Rev.
prat. soc. (1968), 207-243.
La Convention européenne d'établissement, du 13 décembre 1955 (loi du 24 mars 1961, Monit.,
1111

24 août 1965), ne comporte aucune disposition propre aux personnes morales.


Selon l'interprétation que la Cour de justice a donnée des règles du traité CE sur la
liberté d'établissement, toute société remplissant les conditions de l'article 48 CE doit
être reconnue dans tout autre État membre, notamment pour l'exercice du droit d'ester
en justice. De fait, cette reconnaissance résulte de l'effet direct attribué à l'article 43 CE.
Dès lors que celui-ci offre le droit de créer une succursale à tout ressortissant d'un État
membre, tel que défini, pour les personnes morales, par l'article 48 CE, celui-ci puise
dans le traité CE le droit d'exercer, comme les nationaux, les prérogatives attachées à la
personnalité juridique qui résulte de sa constitution conformément au droit d'un État
membre. Dans cette perspective, l'adoption d'un instrument conventionnel spécifique,
comme la Convention de Bruxelles précitée, ne s'avère plus nécessaire (C.J.C.E., aff C-
208/00, 5 novembre 2002, Überseering, Rec., 2002, I-9919, TR V, 2003, 95, note J. MEEU-
SEN, Revue, 2003, 508, note P. LAGARDE).
1111Ainsi, lorsqu'une société constituée et initialement établie aux Pays-Bas déplace - involontaire-
ment - son siège par l'effet d'un rachat par des actionnaires établis en Allemagne, sans que les nou-
veaux actionnaires ne se soient conformés aux dispositions du droit allemand des sociétés, il
n'appartient pas à l'État d'accueil de refuser le droit d'ester en justice à cette société, dès lors que
celle-ci est toujours valable selon le droit de constitution (arrêt Überseering précité).
1111La reconnaissance de la société constituée valablement dans un autre État membre ne peut être
soumise à la condition du respect de règles impératives du for relatives aux conditions de création
de la société, celle l'exigence d'un capital minimal: C.].C.E., aff. C-167/01, 30 septembre 2003, Ins-
pire Art, Rec. (2003), I-10155, Rev. dr. comm. belge (2004), 91, note H. DE WULF, Revue (2004), 151,
note H. Mum WATT.
1111Pour un emprunt à la loi « régissant la constitution » de la société afin de déterminer sa
«capacité» en vue de l'examen de recevabilité d'une action en justice introduite contre une société
faillie, voy., invoquant l'arrêt Überseering: C.J.C.E., aff. C-294/02, 17 mars 2005, AMI Semiconductor
Belgium.

Section 2
Le conflit de lois
§1 L'EXISTENCE IT LE FONCTIONNEMENT DE LA PERSONNE MORALE

A. Droit commun
16.11 - Référence au lieu de l'établissement principal - Les personnes morales de droit
privé ont pour origine un acte juridique, soit un contrat s'il s'agit de sociétés, soit un acte
juridique unilatéral s'il s'agit de fondations. Qu'il soit contractuel ou unilatéral, cet acte
juridique n'est pas régi par la loi d'autonomie. Selon la doctrine belge traditionnelle, les
conditions d'existence de la personne morale relèvent de son« statut personnel», c'est-à-
dire d'une application impérative de la loi du siège social, entendu comme le lieu de l'éta-
blissement principal.
978 LES PERSONNES MORALES

Voy. notamment: PrRMEZ, rapport sur la loi du 18 mai 1873, reproduit par GUILLERY, n° 85; dis-
1111

cussions à la Chambre, séance du 22 février 1870, ibid., n ° 361 ; PASSELECQ, n°' 5216, 5223, 5227.
Ill Dans la jurisprudence, une référence au « principal établissement» figure dans: Cass.,
24 septembre 1963, Durand et Huguenin c. État belge, Pas. (1964), !, 86. Pour l'évocation du critère du
«siège», voy. déjà: Cass., 12 avril 1888, Tante. Boutmy, Pas. (1888), !, 186.
Parmi les juridictions de fond, voy. notamment: Liège, 27 mars 2001, Rev. dr. comm. belge (2003),
144, note N. WATTÉ et V. MARQUETTE.

Le Code de droit international privé confirme le principe du rattachement au droit


du pays de« l'établissement principal» de la société (art. 110). Le conflit mobile est tran-
ché par référence à la localisation « dès [la] constitution » de la société.
1111Cette règle remplace celle de l'article 56 du Code des sociétés, lequel reprenait la substance de
l'article 197 des lois coordonnées sur les sociétés commerciales. Selon cet article, « toute société
dont le principal établissement est en Belgique est soumise à la loi belge, bien que l'acte constitutif
ait été passé en pays étranger». L'article 56 du Code des sociétés a substitué aux termes« principal
établissement» ceux de« siège réel ».
En dépit de sa formulation unilatérale et de son objet limité(« les sociétés anonymes et les autres
associations commerciales, industrielles ou financières» visées à l'article 196 des mêmes lois), cette
disposition a toujours reçu une interprétation analogique et cela sur deux plans : le critère du prin-
cipal établissement ou du siège réel a servi à déterminer le rattachement de sociétés établies à
l'étranger, et ce critère a été étendu à d'autres personnes morales que celles qui poursuivent un but
lucratif.

Ce rattachement régit toute personne morale, à l'exclusion de celles qui font l'objet
d'une règle de conflit de lois spécifique dans une loi particulière, en vertu de la priorité
laissée par l'article 2 du Code. C'est formellement le cas pour« les associations sans but
lucratif, les associations internationales sans but lucratif et les fondations », visées par la
loi du 27 juin 1921 (Monit., 1er juillet 1921) telle que révisée par la loi du 2 mai 2002
(Monit., 18 octobre 2002). Celles-ci sont soumises à des règles spéciales d'applicabilité, de
nature unilatérale et formulées de manière variable, qui reviennent à identifier, comme
pour les sociétés, le lieu de l'établissement principal.
111 Pour l'association sans but lucratif« belge»,« le siège[ ... ] est situé en Belgique» (art. 1"), tandis
que l'association« étrangère» est celle qui est« valablement constituée à l'étranger conformément
à la loi de l'État dont elle relève» (art. 26octies). Cette expression circulaire dénote la confusion déjà
évoquée entre« nationalité »et« rattachement» de la personne morale (voy. supra, n ° 16.3).
Dans la jurisprudence antérieure, voy. une référence au critère de l'établissement principal par
opposition à celui du lieu de constitution, par: Bruxelles, 15 juillet 1998, Rev. gén. dr. civ. (2000),
268, note S. GILCART.
Pour la fondation, la règle d'applicabilité se laisse déduire de l'exigence que les statuts mention-
1111

nent« l'adresse du siège de la fondation, qui doit être situé en Belgique» (art. 28, 4°). Cette règle
confond une règle d'applicabilité avec une règle matérielle, sans dire ce qu'il en est du rattachement
d'une fondation étrangère, ni de l'exigence d'une mention de l'adresse d'une telle fondation.
111Pour l'association dite « internationale », la règle d'applicabilité se cache sous le couvert d'une
disposition octroyant« la personnalité juridique», par autorisation royale, à celle qui a son« siège
social en Belgique», tout en étant « ouverte aux Belges et aux étrangers» (art. 46). L'association
« valablement constituée à l'étranger conformément à la loi de l'État dont elle relève » peut ouvrir
en Belgique un siège d'opération (art. 58). La première disposition prend la forme, à la fois, d'une
règle sur la condition de l'étranger personne physique, admettant pour l'étranger la jouissance du
droit de créer une association ayant son siège en Belgique, et d'une règle matérielle sur l'existence
de la personnalité juridique d'une telle association. La seconde a la portée d'une règle sur la recon-
naissance d'une association étrangère, sans énoncer de manière positive à quel régime cette associa-
tion est soumise quant à son fonctionnement.
LE CONFLIT DE LOIS 979

Le régime antérieur des associations internationales de droit belge était établi par la loi du
25 octobre 1919 (Monit., 5 novembre 1919), dont la loi de 2002 a repris la substance.
Comp., en ce qui concerne la réglementation des marchés financiers, la définition du marché
1111

« belge» par référence aux sociétés dont le« siège social» est en Belgique, et l'évocation des sociétés
dont « le pays d'origine est un État membre de l'Espace économique européen », par la loi du
2 août 2002 relative à la surveillance du secteur financier et aux services financiers (Monit.,
4 septembre 2002).
De même, une société de gestion d'un OPCVM doit avoir son « siège statutaire» et son
« administration centrale» en Belgique (loi du 20 juillet 2004, Monit., 9 mars 2005).
!IllComp. la soumission à la loi du pays du« siège» d'un groupement local de coopération trans-
frontalière, par la Convention conclue avec la France le 16 septembre 2002 sur la coopération
transfrontalière entre les collectivités terriroriales et organismes publics locaux (loi du 25 avril
2004, Monit., 24 mai 2005).

L'association de fait peut jouir de la personnalité juridique en vertu du droit du pays


de son établissement principal. En effet, le rattachement précité détermine « l'existence
et la nature juridique de la personne morale» (art. 111, § 1er, 1 °). Lorsque ce droit
n'accorde pas la personnalité, d'autres questions relatives à la vie de l'association relèvent
du droit qui régit celle-ci en tant que contrat.
Ill Selon la jurisprudence antérieure, la détermination de la personnalité juridique d'une associa-
tion de fait étrangère relève de la loi nationale de cette association (Cass., 11 janvier 1979, Marine
Ins. c. Sabena,]. T., 1979, 464, Rev.gén. ass. resp., 1982, n° 10530, concl.J. VELU). Il en va de même pour
la détermination de la représentation de la société (Bruxelles, 11 février 1988,]. T. 1988, 606, qui
étend cependant à tort cette solution à la détermination du domicile au sens de l'article 703 du
Code judiciaire) ou pour sa capacité d'agir (Bruxelles, 29 juin 1989,].T., 1989, 749, note L. VAN
BUNNEN).

Le rattachement au droit du pays de l'établissement principal interdit que, soit en


contractant à l'étranger, soit en soumettant le contrat à une loi étrangère, les fondateurs
d'une société ayant en Belgique son établissement principal puissent soustraire celle-ci
au droit belge.
Ill Ce rattachement détermine notamment les effets de la nullité prononcée pour vice de constitu-
tion, telle la faculté, pour les tiers, de s'en prévaloir (Cass., 12 avril 1888, Tant c. Boutmy, Pas., 1888, !,
186).

16.12 - Désignation du droit du pays d'enregistrement - Lorsque le rattachement au


droit du pays de l'établissement principal désigne le droit belge, il revient pratiquement à
désigner en même temps le droit du pays de l'enregistrement de la société, pour celles
dont ce droit prévoit une inscription au registre des personnes morales. Il peut en aller de
même en cas de désignation d'un droit étranger qui exige la même formalité.
Lorsque le droit désigné ne connaît pas de système d'enregistrement, la règle de rat-
tachement ne suscite aucune difficulté, la désignation allant simplement au droit du
pays de l'établissement principal.
Il en va autrement lorsque ce droit fonde le rattachement sur le siège statutaire ou
sur le lieu d'enregistrement.
Par exemple, la société a son établissement principal au Royaume-Uni mais elle a été inscrite au
111!
registre néerlandais des sociétés.

Plutôt que d'appliquer le droit du siège réel dont les fondateurs peuvent ne pas avoir
tenu compte dans l'attente de l'application du droit du pays de l'enregistrement, le Code
de droit international privé désigne dans ce cas le droit du pays « en vertu duquel la per-
980 LES PERSONNES MORALES

sonne morale a été constituée» (art. 110, al. 2). Cette application, exceptionnelle, du ren-
voi s'explique par le souci de concilier la dualité des rattachements des personnes
morales constatée en droit comparé.
1111Voy. déjà, en ce sens: Anvers, 17 juin 2003, Dr. eur. transp. (2003), 496, qui, après avoir désigné le
droit suisse de l'établissement principal, accepte un renvoi du droit suisse vers le droit du pays
d'enregistrement, en l'espèce le Panama.
Cette conciliation n'a toutefois pas lieu lorsque la société a son établissement princi-
pal dans un pays alors qu'elle a été enregistrée dans un autre pays qui retient le rattache-
ment en fonction du lieu d'enregistrement: le législateur accorde en ce cas une priorité à
la localisation par l'établissement principal.
16.13 - Détermination de l'établissement principal - La terminologie retenue par le
Code de droit international privé tend à obtenir une concrétisation aussi précise que pos-
sible du facteur de rattachement. Cela explique l'abandon de l'expression« siège réel» et
a fortiori celle de« siège social».
L'établissement principal reçoit une définition pour les besoins de l'application du
Code. Il « se détermine en tenant compte, en particulier, du centre de direction, ainsi que
du centre des affaires ou des activités et, subsidiairement, du siège statutaire» (art. 4,
§ 3). Cette disposition permet d'éclaircir la relation entre le siège statutaire et le siège
réel : quoi que dise le droit applicable sur la nécessité d'une coïncidence des localisations,
elle donne au siège statutaire une portée limitée pour la détermination de l'établissement
principal. Cette portée est moindre que celle d'une présomption, puisque la loi n'y voit
qu'un indice, de nature subsidiaire. La règle exprime ainsi un objectif d'effectivité du rat-
tachement de la société.
L'élément déterminant est moins le centre des affaires, telle la localisation d'un siège important
1111

d'exploitation, que le lieu où sont prises les décisions de l'entreprise.


1111 Le critère du centre des « activités» couvre le cas des sociétés civiles, alors que le terme
« affaires » est approprié pour les sociétés commerciales.
111 Le critère du centre des décisions s'observe dans la Jurisprudence antérieure pour localiser le
« siège réel». Voy. par exemple: Comm. Hasselt, 22 avril 1998, Rev. dr. comm. belge ( 1998), 404, pour
les besoins de la localisation du domicile mais visant l'établissement principal au sens de
l'article 197 des lois coordonnées sur les sociétés commerciales; Anvers, 17 juin 2003, D.E. T
(2003), 496, idem, distinguant centre de direction (le lieu de réunion du conseil d'administration) et
centre des activités, tout en évoquant une coïncidence normale avec le siège statutaire ; Bruxelles,
15 juillet 1998, Rev. gén. dr. civ. (2000), 268, note S. GILCART, à propos d'une association sans but
lucratif.

16.14 - Domaine de la loi de la société - La loi qui régit la société détermine l'ensemble
des questions concernant son existence et son fonctionnement, sous certaines nuances
relatives à la capacité (art. 110 Codip).
Il en va ainsi du nombre des associés requis. La circonstance que la loi de la société se contente
1111

d'un seul associé n'a pas été jugée contraire à l'ordre public, à un moment où le droit belge ne con-
naissait pas cette forme de société (Cass., 13 janvier 1978, Anstalt Del Sol,J.T., 1978, 544).
11111 Il en va de même de l'existence de la personnalité, alors que la question de la reconnaissance de
cette personnalité relève du droit du for (voy. supra, n ° 16.8).
Cette règle s'étend aux formalités à accomplir en vue de l'obtention de la personna-
lité juridique. Aussi la matière des sociétés échappe-t-elle à la règle Locus regit actum qui
préside au rattachement de la forme des actes juridiques privés (voy. supra, n ° 3.29). En
LE CONFLIT DE LOIS 981

effet, l'exigence d'une solennité (tantôt un écrit sous seing privé, tantôt un instrument
notarié), le cas échéant accompagnée d'une inscription dans un registre public, appar-
tient aux conditions relatives à la constitution de la société et le législateur peut y avoir
attaché l'attribution de la personnalité civile.
Ill! La solution résultait clairement des termes de l'article 56 du Code des sociétés, décrétant
l'application de la loi du siège réel même lorsque « l'acte constitutif a été passé à l'étranger». La
précision ne figure pas dans le texte du Code de droit international privé, mais la solution découle
du terme« constitution» utilisé pour définir le domaine de la loi applicable (art. 110, § 1"", 3°).
1111La soumission des formalités à la loi de la société n'exclut pas que l'acte constitutif puisse être
passé à l'étranger alors que la société aura son établissement principal en Belgique dès sa constitu-
tion. Une chose est de désigner le droit applicable, autre chose de déterminer la forme de l'acte à
passer. Ainsi, dans le cas précité, le Code belge des sociétés détermine si un acte authentique est
nécessaire, mais cet acte peut être passé à l'étranger.
1111 Le rattachement de la forme a suscité un débat chez les anciens auteurs. D'après le rapport de
PIRMEZ (n° 85), la forme du contrat de société est soumise à la règle Locus re!J.t actum, solution
reprise par quelques auteurs (FREDERICQ, t. V, n ° 771 ; VAN RYN, t. II, n ° 1125, n ° 1128 ; PASSELECQ,
n ° 5215). Toutefois, Resteau, qui se rallie aussi à cette solution, précise, à propos de la société ano-
nyme, que « la société, même si elle a son principal établissement en Belgique, peut être constituée
en pays étranger par un acte passé dans les formes requises pour donner, dans ce pays, l'authenti-
cité aux actes» (t. IV, n ° 2153; Rép. prat. droit belge, v « Sociétés anonymes», n° 3051). Cette opi-
0

nion est renforcée par les commentaires doctrinaux de l'article 4 des lois coordonnées, exigeant la
rédaction d'un écrit et qualifié« règle de fond» (RESTEAU, t. IV, n ° 2153; VAN RYN, t. II, n ° 1128).
1111De même, aux termes de l'article 7, alinéa 1"', de la résolution de l'Institut de droit international
sur les sociétés anonymes en droit international privé, « la loi de la société régit les conditions de
forme et de fond de la constitution de la société » (Annuaire, 1965, vol. 51, t. 2, 265).

De même, la loi de la personne morale détermine l'étendue de sa capacité, les pou-


voirs de ses organes, les rapports internes, les droits attachés aux parts et actions ainsi
que leur exercice (art. 111, § 1er).
Ill!Voy. déjà: Cass., 12 avril 1888, Tante. Boutmy, Pas. (1888), I, 186, couvrant« les conditions cons-
titutives de [!']existence [des personnes morales] et l'étendue de leur capacité»; 24 septembre 1963,
Durand et Huguenin c. État belge, Pas. (1964), !, 86, visant« l'étendue des pouvoirs des organes légaux
ou statutaires», cependant« sous réserve de l'ordre public international belge».
1111 Sur l'application de la loi de la société à la capacité, voy. par exemple: Bruxelles, 18 février 1999,
Rev. prat. soc. (2000), 243; Gand, 6 décembre 2001, TR V. (2002), 376.
1111Sur l'application de la loi de la société à la représentation en justice, voy. par exemple: Civ.
Bruxelles, 20 septembre 2002, Rev. dr. comm. belge (2003), 170.
Il! Pour le droit applicable à une convention d'actionnaires, voy. : Comm. Bruxelles, 13 mai 1996,
TR V (1997), 177, Rev. rég. dr. (1996), 460, admettant la loi d'autonomie, mais l'exposé des motifs
(Doc. pari., Sénat, 2003-2004, n° 3-27/1) précise que l'admissibilité et les effets de la convention à
l'égard de la société relèvent de la loi de la société.
1111Sur l'application de la loi de la société aux relations entre l'actionnaire et la société suite à une
perte du titre, voy.: Bruxelles, 12 juin 1996, TRV (1997), 409, note P. VANDEPITIE.
1111Sur l'application de la loi de la société à l'étendue des pouvoirs des dirigeants, voy. : Liège,
27 mars 2001, Rev. dr. comm. belge (2003), 144, note N. WATIÉ et V. MARQUETTE; en France: Cass.
civ., 8 décembre 1998, General Accident, Revue (1999), 284, note M. MENJUCQ.
Ill!La loi de la société détermine aussi le régime de spécialité des personnes morales, à savoir la déli-
mitation du champ d'activité de la personne morale, comme la limite imposée à la propriété immo-
bilière de certaines associations. Les règles matérielles du droit belge n'affectent pas les personnes
morales qui ne sont pas rattachées au droit belge.
982 LES PERSONNES MORALES

D'après certains auteurs (voy. notamment PoULLET, n ° 217), le rattachement de la« capacité» des
personnes morales étrangères à leur statut personnel serait limité à la reconnaissance des seuls
droits privés dont jouissent les personnes morales belges de même nature. Par l'affirmation de
cette restriction, s'exprime la volonté d'étendre le régime de spécialité des personnes morales belges
aux personnes étrangères analogues.
Affirmé en termes aussi généraux, ce principe ne paraît pas acceptable. Les règles délimitant le
champ d'activité de la personne morale - comme d'ailleurs les limites qui lui sont imposées par le
contrat de société - font partie de son statut: quand la personne morale agit dans les relations
internationales, elle est astreinte aux limites fixées par la loi compétente, celle qui régit son statut
juridique. En droit international privé belge, par exemple, on ne saurait admettre qu'une associa-
tion sans but lucratif régie par la loi du 27 juin 1921 puisse, à l'étranger, enfreindre son statut légal
et conventionnel. Réciproquement, les règles de spécialité du droit étranger suivent en Belgique la
personne morale qui y est soumise. Cette solution appartient au règlement des conflits de lois, non
à la condition des étrangers.
Un rattachement territorial pourrait toutefois se déduire d'une qualification de « loi de police»
(sur cette notion, voy. supra, chap. 4) de certaines dispositions jugées d'application impérative
quelle que soit la loi qui régit la société, telle la limitation de la propriété immobilière guidée par la
prévention des abus de la mainmorte, ou encore la soumission à autorisation administrative de
l'efficacité d'une libéralité adressée à certaines personnes morales.
Voy. en ce sens, pour les libéralités en faveur d'une association sans but lucratif, l'article 26octies,
§ 3, al. 3, qui étend la limitation aux associations« étrangères ».
Ill!Au titre de la détermination de la capacité de la personne morale, la définition de la qualité
d'une association pour agir en justice dans l'intérêt collectif de ses membres relève du droit du pays
dont relève cette association, sans exclure l'applicabilité du droit du for pour la détermination de
l'intérêt à agir. Sur cette question délicate peu traitée en jurisprudence, voy. : M.-L. NrnoYET-HOEGY,
L'action en justice dans les rapports internationaux de droit privé (Paris, Economica, 1986), n° 5 282, 286,
670, 679 et S.

16.15 - Relations avec les tiers - Le droit des sociétés ne se réduit pas à un encadrement
destiné à stimuler la volonté créatrice des fondateurs. Il poursuit également un but de
protection des tiers avec lesquels l'entreprise, comme acteur économique sur le marché,
est en relation. Ce souci de protection se comprend d'autant mieux que la personnalité
morale peut ne pas apparaître clairement au tiers. De plus, la raison d'être même de la
personnalité morale, qui est de permettre au fondateur de limiter sa responsabilité au
capital qu'il engage dans la société, peut, si le législateur n'y prend garde, nuire aux inté-
rêts de tiers inconscients de limitations qui pourraient découler d'un droit étranger.
Le principe même du rattachement au droit du pays de l'établissement principal
peut être vu comme l'outil d'une telle politique, en faisant connaître aux tiers que la
société établie sur le territoire est régie par le droit de ce pays. De plus, il tend à soumettre
à un traitement égal l'ensemble des opérateurs économiques actifs sur un marché déter-
miné, tant du moins que le lieu de l'établissement principal peut être supposé coïncider
souvent avec le lieu des activités principales.
Ill!Cela explique comment certains pays utilisant le critère de l'enregistrement n'hésitent pas, en
cas d'enregistrement à l'étranger, à soumettre la société établie sur leur territoire à une série de dis-
positions impératives affectant la constitution même de la société, telle l'exigence d'un capital
minimal, dans un but de protection des tiers. Voy. par exemple le cas des Pays-Bas, rapporté par
l'affaire Inspire Art (C.].C.E., aff. C-167/01, 30 septembre 2003, Rec., 2003, 1-10155, Rev. dr. comm.
belge, 2004, 91, note H. DE WULF, Revue, 2004, 151, note H. Mum WATT).

Une première forme de protection résulte de l'obligation de soumettre à des formali-


tés de publicité les activités de certaines sociétés relevant d'un droit étranger, lorsqu'elles
sont liées à l'exploitation d'une succursale locale ou font un appel public à l'épargne
LE CONFLIT DE LOIS 983

locale. L'applicabilité territoriale des dispositions pertinentes du Code des sooetes


(art. 81 à 89) ne procède pas du rattachement à la loi de la société, mais d'une technique
propre aux règles spéciales d'applicabilité, typique des lois de police (voy. supra, n ° 4.14).
L'applicabilité particulière de certaines dispositions tendant à protéger les investis-
seurs à l'égard d'une société qui a fait un appel public à l'épargne peut aussi se compren-
dre dans un tel contexte. Ainsi, le porteur d'un titre est autorisé à faire valoir les droits
dérivant de l'émission publique de ceux-ci, soit selon le droit qui régit la personne
morale, soit selon le droit du lieu de l'émission publique (art. 114 Codip). Alors que la
première branche de l'alternative renvoie au domaine de la loi de la société, la seconde
confirme l'applicabilité territoriale de lois de police.
La disposition est inspirée de l'article 156 de la loi suisse de droit international privé (Revue,
Ill!
1988, 409), elle-même précédée d'une résolution en ce sens de l'Institut de droit international (ses-
sion de Varsovie, 1965).
91 La détermination du domaine matériel de cette règle spéciale est fonction de la loi dont l'appli-
cabilité est en cause. Cette loi peut être une réglementation belge ou étrangère. Dans le premier cas,
le terme« émission publique de titres» couvre toute réglementation ayant pour objet la protection
de l'investisseur en cas d'appel public à l'épargne, selon la définition donnée par cette réglementa-
tion.
Il en va de même de la définition des« droits qui dérivent» de l'émission. La règle ne concerne pas
toute question entre l'actionnaire et la société, liée à l'exercice des droits résultant de parts ou
actions et soumise à la loi de la société (art. 111, § 1", 8 °). Elle vise une demande liée directement à
l'émission même et relevant du droit privé. Il peut en être ainsi d'un vice du consentement résul-
tant d'une mauvaise information donnée par le prospectus d'émission, ou d'une action en respon-
sabilité civile en découlant. Ainsi, la disposition fournit une règle d'applicabilité particulière à
l'article 17 de la loi belge du 22 avril 2003 relative aux offres publiques (Monit., 27 mai 2003), con-
cernant la détermination des personnes responsables du contenu du prospectus.
91 Pour une présentation de cette disposition et de son interprétation, voy.: P. WAUTELET, « Le
nouveau droit international privé belge», Droit bancaire & financier (2005), 111-134, rapportant
notamment certaines critiques sur« l'absurdité» prétendue d'une disposition « consumériste » en
la matière. La règle peut aussi être vue, d'une part comme une clarification du rattachement de
l'action, d'autre part comme un outil de promotion du marché de la bourse par un encouragement
de l'investisseur.
IllComp. l'application de la loi du lieu où les faits ont été commis à une action en responsabilité
dérivant de l'inscription d'une augmentation de capital d'une société suisse : Anvers, 27 septembre
1999, TR.V. (2000), 249, note K. VANDERHEYDEN et S. DEVISCH, désignant la loi suisse, après avoir
énoncé que l'augmentation du capital d'une société suisse relève de la loi suisse.

L'activité des organes de la société peut également donner lieu à des rattachements
particuliers.
« Les personnes préposées à la gestion de la succursale belge d'une société étrangère
sont soumises à la même responsabilité envers les tiers que si elles géraient une société
belge» (art. 58 C. soc.). La portée exacte de cette disposition en termes de conflits de lois
reste délicate à établir.
D'après la doctrine, la règle ne vise que les actes accomplis en Belgique,« dans la ges-
tion des affaires de la succursale ou du siège d'opération belge» (FREDERICQ, t. V, n ° 778,
qui se réfère à RESTEAU, t. IV, n ° 2177. Voy. aussi VAN RYN, t. II, n ° 153). Ainsi limitée à la
responsabilité personnelle des préposés à la gestion de l'établissement belge d'une société
étrangère pour les actes qu'ils accomplissent en Belgique, la règle peut être vue comme
spécifiant l'applicabilité territoriale d'une loi de police.
984 LES PERSONNES MORALES

En revanche, la responsabilité de la personne morale même pour les dettes contrac-


tées par ses organes relève de la loi de la société (art. 111, § 1er, 10°, Codip). Cette solution
traditionnelle peut surprendre le tiers qui a contracté en ignorance du contenu de cette
loi. Aussi le Code introduit-il une limitation analogue à celle que contient la Convention
de Rome en matière de contrats (voy. supra, n ° 14.60, art. 11 ), en empêchant la société de
se prévaloir de restrictions du pouvoir de représentation de sa propre loi, lorsque de telles
restrictions sont inconnues du droit du pays où le tiers a contracté, pourvu que celui-ci
n'ait pu connaître une telle restriction (art. 111, § 2).
Ili Une disposition analogue figure à l'article 158 de la loi suisse sur le droit international privé.
Ili Comp. supra, n ° 14.138, plus généralement en matière de représentation volontaire, la référence
à la loi du pays où le représentant a agi (art. 108).

B. Droit de l'Union européenne


16.16 - Présentation - Le droit de l'Union européenne peut intéresser le rattachement
des sociétés à plus d'un titre.
D'un côté, le législateur communautaire peut adopter des actes visant au rapproche-
ment du droit des États membres en la matière, par l'établissement de règles matérielles
uniformes ou de règles de rattachement. Dans le premier cas, ces règles matérielles peu-
vent elles-mêmes être dotées d'une règle d'applicabilité particulière.
1111La plupart des directives d'harmonisation du droit matériel national des sociétés ne contien-
nent pas de règle d'applicabilité explicite. Alors que certaines citent la liste des types de sociétés
visés par pays, d'autres concernent les sociétés qui « relèvent du droit d'un État membre» (par ex.,
dir. 89/666 du 21 décembre 1989 sur la publicité des succursale, dite 11 e directive,J.O.C.E., 1989, L
395; dir. 2004/25 du 21 avril 2004 sur les offres publiques d'acquisition,J.O.C.E., 2004, L 142).
Cette technique revient à énoncer une règle de signalisation, laissant au droit national de détermi-
ner quand une société relève de ses propres dispositions.
D'un autre côté, le traité CE lui-même peut comporter des règles qui s'imposent aux
États membres en matière de rattachement des sociétés. Au vrai, il ne s'agit pas de règles
spécifiques, propres à la matière. Le traité comporte plutôt des dispositions de portée
générale, et néanmoins investies d'un effet direct, dont le principe s'impose aux droits
nationaux. Il en découle une limitation dans l'application du droit national chaque fois
que celle-ci est de nature à créer une entrave aux échanges prohibée par le traité.
Cet ouvrage général ne saurait détailler l'ensemble des règles communautaires de
droit international privé qui intéressent la constitution ou le fonctionnement des socié-
tés. Il suffit de s'arrêter à une question que l'application du droit communautaire n'a pas
manqué de susciter, à savoir si celui-ci amène les États à modifier le rattachement des
sociétés de manière à substituer le critère de l'enregistrement à celui du siège réel.
À cet égard, l'enseignement que l'on peut tirer de la pratique communautaire est
pour le moins complexe. En effet, selon le contexte dans lequel la règle est posée, celle-ci
exprime autant une référence à la loi du siège social qu'à celle du pays d'enregistrement.
16.17 - Références au droit du siège - Le rattachement de la société au droit du pays du
siège apparaît autant dans la jurisprudence de la Cour de justice que dans le droit dérivé
des sociétés.
Le rattachement à la loi du siège social apparaît à plusieurs reprises comme une péti-
tion de principe. Ainsi, « une société constituée et établie en Allemagne se trouve régie
LE CONFLIT DE LOIS 985

quant à son statut, à sa liquidation et à sa dissolution par les règles de droit national de
son siège social.» (C.J.C.E., aff. 18/57, 20 mars 1959, Nold, Rec., 1958-1959, 89). Ou
encore, lorsque la Cour de justice apprécie les termes de sa compétence basée sur une
clause compromissoire, elle apprécie la capacité juridique et la capacité d'ester en justice
en fonction du droit du pays du siège (aff. C-77/99, 11 octobre 2001, Oder-Plan Architek-
tur, Rec., 2001, I-7355).
La localisation en fonction du siège est également présente dans le droit dérivé.
Selon la directive 85/611 du 20 décembre 1985 sur les organismes de placement col-
lectif de valeurs mobilières (OPCVM) (J.O.C.E., 1985, L 375), la loi de transposition régit
une société « située » sur le territoire, ce qui couvre une société y ayant son « siège
statutaire», étant entendu que ce lieu doit se confondre avec celui de« l'administration
centrale» (art. 3).
Les sociétés «européennes», dont la création est prévue par plusieurs règlements,
obéissent à une règle analogue.
1111Plusieurs règlements instituent une forme strictement communautaire de société, distincte de
celles que continuent de prévoir les droits nationaux. Ces sociétés « européennes » sont le groupe-
ment européen d'intérêt économique (GEIE), institué par le règlement 2137/85 du 25 juillet 1985
(j.O.C.E., 1985, L 199), la société européenne (SE), instituée par le règlement 2157/2001 du
8 octobre 2001 (j.O.C.E., 2001, L 294) et la société coopérative européenne (SEC), instituée par le
règlement 1435/2003 du 22 juillet 2003 (j.O.C.E., 2003, L 207).

Pour pouvoir être constitué valablement, le GEIE ou la SE doit avoir son siège statu-
taire dans un État membre et faire l'objet d'un enregistrement dans cet État. De plus, le
siège statutaire doit être dans le même État que l'administration centrale. De même, la
SEC doit avoir son siège statutaire dans l'État membre de son administration centrale.
Ces textes évitent ainsi tout risque de fragmentation des rattachements, en exigeant la
concentration des trois éléments susceptibles de localiser une société - l'enregistrement,
le siège statutaire et le siège réel ou établissement principal explicité par l'administration
centrale. Néanmoins, la règle exprimant le rattachement de la société est formulée par
une référence au lieu du siège statutaire. L'enregistrement apparaît moins comme un fac-
teur de rattachement que comme une condition matérielle de la personnalité juridique.
Quant à l'administration centrale, elle est formulée comme une condition qui affecte le
siège statutaire. Cette condition tend à assurer une effectivité du rattachement de la
société, par l'assurance d'une intégration réelle dans un tissu économique déterminé,
davantage que ne pourrait le faire le seul siège statutaire.

16.18 - Références au droit du pays d'enregistrement - Une référence privilégiée au lieu


d'enregistrement de la société figure dans la jurisprudence de la Cour de justice relative au
marché intérieur. Elle y apparaît comme une implication de la liberté d'établissement.
Lorsque les fondateurs ont choisi de constituer leur société dans un pays d'enregis-
trement, tout en localisant l'établissement principal de la société dans un autre pays, le
cas échéant aussi un pays d'enregistrement, la question posée par le droit communau-
taire revient à savoir si l'État de l'établissement peut opposer à l'existence de la société
d'autres conditions que celles prévues par le droit du pays d'enregistrement. Elle a reçu
une réponse négative de la Cour de justice (aff. C-212/97, 9 mars 1999, Centras, Rec., 1999,
I-1459, Rev. prat. soc., 2000, 42, note J.-P. DEGUÉE; aff. C-167/01, 30 septembre 2003, Ins-
pire Art, Rec., 2003, I-10155, Rev. dr. comm. belge, 2004, 91, note H. DE WULF, Revue, 2004,
986 LES PERSONNES MORALES

151, note H. MurR WArr), tirée d'une application du régime général de la liberté d'établis-
sement. La création d'un établissement hors du pays d'enregistrement est vue comme un
établissement« à titre secondaire», ce qui suppose qu'un établissement à titre primaire
ait été constitué, fût-ce fictivement, dans le pays d'enregistrement. Dans cette perspec-
tive, l'applicabilité des règles impératives de l'État d'accueil - qui intervient selon la
méthode des lois de police - ne peut qu'être contestée. En effet, l'entrave qui en résulte
ne peut, selon le mode de raisonnement du régime général des entraves (voy. supra,
n ° 2.28), se justifier que par une raison d'intérêt général et sous le respect du principe de
proportionnalité. Or, si le souci de protection des créanciers constitue assurément une
raison légitime, le degré d'aptitude et de nécessité de la mesure peut être difficile à
établir: il faut prouver que la protection offerte par la loi de l'État d'accueil est effective-
ment assurée, qu'elle ne pourrait l'être par une mesure moins restrictive, et qu'elle
s'impose au regard d'une comparaison avec le degré de protection atteint par le pays
d'enregistrement. À cet égard, la Cour de justice a estimé que les diverses directives adop-
tées à ce jour aux fins de rapprocher les droits des États membres en matière de sociétés,
ont porté ces droits à un niveau d'équivalence suffisant à assurer cette protection mini-
male, notamment par l'imposition de normes de publicité destinées aux tiers.
Ill Sous l'angle du droit communautaire, l'approche de la Cour de justice apparaît comme ortho-
doxe, pourvu que l'on accepte la prémisse de l'applicabilité du régime de la liberté d'établissement,
et que l'on admette que ce régime ne se réduit plus, comme c'était le cas à l'origine, à une règle sou-
mettant l'étranger aux mêmes dispositions que les nationaux selon le droit de l'établissement...
L'hypothèse type de la liberté d'établissement est celle où un ressortissant d'un État membre, déjà
établi dans un tel État, cherche à s'établir ensuite dans un autre État: l'applicabilité même du
régime de liberté présuppose l'antériorité d'un établissement dans un État membre autre que l'État
d'accueil. Il apparaît donc artificiel de postuler que la simple inscription dans un registre du pays
d'enregistrement non accompagnée d'une permanence établissant un lien durable dans cet État,
vaut un établissement« à titre primaire». À moins de vider le concept de liberté d'établissement de
sa substance, l'installation d'un premier établissement dans l'État d'accueil ne peut être vue
comme un établissement« à titre secondaire».

Sans énoncer de règle positive de rattachement, la position de la Cour de justice


revient à affaiblir le rattachement en fonction de l'établissement principal. Celle-ci en est
certes consciente car, constatant la disparité des règles de conflit de lois en la matière, elle
fait appel au législateur communautaire pour y remédier (aff C-208/00, 5 novembre
2002, Überseering, Rec., 2002, I-9919, TR V, 2003, 95, note J. MEEUSEN, Revue, 2003, 508,
note P. LAGARDE). Mais on voit mal celui-ci prendre un chemin différent de celui
emprunté à propos des diverses sociétés« européennes». Dans l'attente, la Cour de jus-
tice est consciente de la liberté de choix qu'elle laisse aux particuliers: c'est explicitement
que les fondateurs disposent de la faculté de soumettre leur société à la loi la plus favora-
ble, ce qui ne surprend pas en fonction du postulat d'équivalence des législations des
États membres en la matière. Pour autant, l'État reste en mesure d'opposer aux fonda-
teurs l'objection de fraude à la loi (sur cette notion, voy. supra, n ° 5.73), mais celle-ci ne
peut servir de base à la formulation d'une règle de rattachement : elle appelle plutôt une
mise en œuvre au cas par cas, en fonction de l'espèce.
Ill La jurisprudence précitée n'oblige pas la Belgique à remplacer, dans l'article 110 du Code de droit
international privé, le rattachement selon l'établissement principal par une règle positive désignant
la loi du pays d'enregistrement. Elle peut être vue plutôt comme un élément de l'obligation de
« reconnaissance mutuelle », selon laquelle une entreprise ne peut pas se voir opposer l'application
de la loi de l'État d'accueil lorsque cette application est de narure à entraver sa liberté de circulation
LE CONFLIT DE LOIS 987

de manière incompatible avec l'une des libertés de circulation. Une telle obligation engendre plutôt
une «exception» de reconnaissance mutuelle, jouant de manière analogue à l'exception d'ordre
public (voy. supra, n° 7.45). Au demeurant, elle joue uniquement à l'égard d'une société dont l'admi-
nistration centrale ou le principal établissement est dans la Communauté, ou dont le siège statutaire
y est localisé lorsqu'elle est sous contrôle d'actionnaires de la Communauté (voy. supra, n° 16.7).
Ili Voy. l'analyse nuancée de l'arrêt Überseering par P. Lagarde: il revient à chaque État membre de
déterminer les conditions de constitution sur son territoire ; le critère du siège réel ne suscite pas de
difficulté s'il n'entrave pas l'établissement, par exemple en cas de transfert entre pays de siège réel ;
l'État d'établissement secondaire ne saurait imposer l'application de la loi du nouveau siège si la
société conserve sa personnalité selon la loi de constitution ; l'invocation de la loi la plus favorable
est possible devant tout juge d'un État autre que ceux du siège et de constitution.
Ill Le risque d'aboutir à un résultat incompatible avec le régime des entraves est réduit, dans le
Code, par la mise en œuvre du renvoi (voy. supra, n° 16.12). Il l'est aussi par la solution donnée au
conflit mobile, en cas de transfert de siège (voy. infra, n ° 16.21).
Ill Une assimilation entre la loi de constitution et l'existence de la société (arrêt Überseering, § 81,
évoquant un lien« consubstantiel») doit-elle conduire à une assimilation entre cette loi et le ratta-
chement de la société ? Une telle confusion est apparente dans l'arrêt AMI Semiconductor Belgium
(aff. C-294/02, 17 mars 2005), mais à propos de la question de la capacité d'ester, qui apparaît tra-
ditionnellement comme une question de« reconnaissance» (voy. supra, sect. 1).

§2 TRANSFORMATION ET EXTINCTION DES PERSONNES MORALES

A. Le groupement, la cession et la fusion de sociétés


16.19 - Application distributive des lois des sociétés concernées - Lorsque plusieurs
sociétés relevant d'États différents choisissent, soit de s'associer dans une formule de
groupement, soit de fusionner, il importe de définir adéquatement le facteur du siège de
la société, celui-ci pouvant être à la fois celui de chacune des sociétés intéressées et celui
du groupement ou de la société issu de la fusion.
Impliquant le statut même des différentes sociétés concernées, l'opération paraît
devoir être soumise, quant à son admissibilité, à l'application cumulative des lois régissant
respectivement la validité intrinsèque de chacune de ces sociétés, et quant aux conditions
et effets de l'opération, de manière distributive à la loi de chaque société concernée. Cette
solution est consacrée par le Code de droit international privé (art. 113).
Ill La loi suisse sur le droit international privé contient des règles propres à la fusion - applicables
aussi à la scission - depuis sa modification par la loi 3 octobre 2003. De ces dispositions complexes
présentant un écheveau de règles unilatérales (art. 163a à 164b), on peut déduire un principe de rat-
tachement à la loi de la société « reprenante ». Ce principe connaît des tempéraments, qui tendent
au respect de règles minimales de protection de la loi de la société « reprise», ce qui revient à une
forme de rattachement cumulatif. Le contrat de fusion fait l'objet d'un rattachement partiellement
spécifique (art. 163c): sans préjudice du respect des« dispositions impératives des droits des socié-
tés applicables aux sociétés qui fusionnent», la règle consacre l'autonomie de la volonté et fonde le
rattachement objectif sur une règle de proximité accompagnée d'une présomption en faveur de
« l'État dont l'ordre juridique régit la société reprenante ».
De plus, il y a lieu de tenir compte de règles impératives, notamment en vue de la
protection des actionnaires, comme celles relatives aux conditions de cession des parts de
capital d'une société, en vigueur au lieu de situation des titres (voy. supra, n ° 13.21 ).
Ill La prise de participations croisées fait l'objet d'une règle explicite d'applicabilité dans le Code
des sociétés: la règle matérielle de l'article 632 concerne des sociétés dont l'une au moins a son
« siège social » en Belgique.
988 LES PERSONNES MORALES

La cession par voie d'expropriation ou de nationalisation soulève des questions déli-


cates, liées à la mise en œuvre du principe de territorialité.
IlVoy. supra, n° 13.23, et notamment la référence à la décision de la House of Lords dans l'affaire
Rumasa v. Multinvest, admettant les effets de l'expropriation par le gouvernement espagnol d'une
société espagnole détentrice des parts d'une filiale anglaise.

16.20 - Groupement et fusions dans le droit de l'Union européenne - Le droit dérivé


comporte des dispositions sur la fusion des sociétés, mais surtout, il institutionnalise le
regroupement de sociétés par l'institution du Groupement européen d'intérêt économi-
que (GEIE), et introduit, pour les divers types de sociétés européennes, un rattachement
des opérations de fusion.
La directive 78/855 du 9 octobre 1978, dite Y directive (J.O.C.E., 1978, L 295), vise à
rapprocher les droits matériels nationaux, tout en se contentant d'y soumettre les socié-
tés qui « relèvent du droit» d'un État membre (art. 2), ce qui constitue une simple règle
de signalisation.
Une proposition de directive sur la fusion transfrontalière de sociétés anonymes (proposition
1111

de dixième directive, ].O.C.E., 1985, C 23) répartit les titres respectifs d'application des lois des
sociétés participantes ou des sociétés absorbante et absorbée, à l'opération de fusion.

Le GEIE (règlement 2137/85 du 25 juillet 1985,].0.C.E., 1985, L 199) relève de la loi


du siège, tant en ce qui concerne le contrat de groupement que le fonctionnement du
groupement (art. 2). De plus, une formalité d'immatriculation est requise, tant dans
l'État du siège (art. 6) que dans chaque État sur le territoire duquel le groupement pos-
sède un établissement (art. 10). Il appartient au droit du siège de déterminer si le groupe-
ment possède la personnalité juridique (art. 1er, § 3).
Ill Le siège du groupement doit se situer à l'intérieur de la Communauté. Il se définit par référence
au lieu de l'administration centrale, soit du groupement, soit de l'un de ses membres (art. 12). Voy.
supra, n° 16.7.

La société européenne (règlement 2157/2001, 8 octobre 2001,].O.C.E., 2001, L 294)


peut résulter d'une fusion de sociétés «nationales», ayant leur siège statutaire et leur
administration centrale dans un État membre (art. 2). La« constitution» de la société
relève du droit de l'État où elle fixe son siège statutaire (art. 15), et l'autorité compétente
pour le contrôle de la légalité de la fusion est celle de cet État (art. 26). Toutefois, un rat-
tachement distributif détermine la protection des intérêts des créanciers, des obligataires
et des porteurs de titres autres que des actions auxquels sont attachés des droits spéciaux,
de chaque société (art. 24), et la protection des actionnaires minoritaires de l'une des
sociétés peut faire l'objet de mesures dans l'État dont relève cette société(§ 2). Un tel rat-
tachement détermine aussi« le contrôle de la légalité de la fusion» (art. 25).
Des règles analogues figurent dans le règlement 1435/2003 du 22 juillet 2003
(J.O.C.E., 2003, L 207), mais une règle plus nette soumet distributivement chaque coopé-
rative au« droit de l'État membre dont elle relève» (art. 20).

B. Le transfert du siège d'un pays à un autre


16.21 - Principe de rattachement cumulatif- Le transfert de l'établissement principal
d'une personne morale d'un pays à un autre suscite deux types de questions. D'un côté, il
peut entraîner une modification du droit applicable à la société à partir de ce transfert :
cette question est une illustration classique du concept de conflit mobile (sur la notion,
LE CONFLIT DE LOIS 989

voy. supra, n ° 5.69). D'un autre côté, il peut entraîner la perte de la personnalité juridique,
ce qui empêche de parler d'un véritable transfert puisque la société existant après celui-ci
constitue une société nouvelle distincte de la précédente. Cette seconde question soulève
un problème délicat de rattachement, dont la solution est un préalable à celle du conflit
mobile.
Le Code de droit international privé consacre un rattachement de type cumulatif, en
posant que la continuation de la personnalité n'est acquise que si elle est reconnue par le
droit des deux États (art. 112, al. 1er).
Ill!La règle consolide la position de la Cour de cassation. Selon celle-ci, une société ayant
« valablement, suivant les règles du droit anglais, transféré son principal établissement en Belgique
[et n'ayant] pas cessé ainsi, d'après le droit anglais, d'être une personne juridique» n'a pas cessé,
« au regard de la loi belge, d'être une personne juridique» (12 novembre 1965, W Lamot c. soc.
Lamot, Pas., 1966, I, 336). Cette formulation exprime par une règle matérielle la nécessité de consul-
ter chacune des lois en présence, autre chose étant de savoir si celles-ci, dans leurs dispositions
matérielles, retiennent ou non le maintien de la personnalité.
Voy. aussi: Comm. Bruxelles, 10 août 1955, Rev. prat. soc. (1956), 236, conf. par: Bruxelles, 17 mars
1959, Pas. (1960), II, 148.
En d'autres termes, le transfert du siège social d'un pays à l'autre n'équivaut pas à la dissolution de
la personne morale, quand les deux lois compétentes admettent que cette personne a survécu au
transfert de son siège. Dans le cas d'espèce, cette solution était rendue plus aisée par la circonstance
que le transfert avait été fait d'un pays d'incorporation à un pays de siège social (sur cette distinc-
tion, voy. supra, n ° 16.4). Elle suppose aussi, comme le constate la Cour de cassation, que les statuts
de la société et la structure qu'elle tient de la loi du premier établissement soient compatibles, le cas
échéant après adaptation, avec la loi du nouveau siège social.
Comp., à propos du transfert du siège d'une société belge de personnes vers les Pays-Bas (C.E,
29 juin 1987, Pas., 1990, IV, 114, TR V., 1988, 110, note K. LENAERTS), la constatation de l'absence
de toute règle matérielle belge permettant de prendre acte de la dissolution. Contra la solution res-
trictive de la loi fiscale du 22 décembre 1989, qui assimile à une liquidation le transfert par des
sociétés belges « à l'étranger [de] leur siège social, leur principal établissement, ou leur siège de
direction ou d'administration » (art. 123, § 1er, 4 °, C.I.R.).
Le cas soumis au Conseil d'État était l'inverse de celui déféré à la Cour de cassation, puisque le
transfert prétendu avait eu lieu d'un pays de siège vers un pays d'incorporation. Comme le fait
remarquer l'annotateur, le résultat obtenu pouvait se concilier avec la thèse du rattachement
cumulatif par le détour de la théorie du renvoi, utilisée à cette époque.
IllVoy. déjà, pour un transfert de siège de Belgique vers la France mais jugé apparent, dans le con-
texte de l'application du règlement 1346/2000 en matière d'insolvabilité (voy. supra, n° 13.61):
Comm. Bruxelles, 8 décembre 2003, D.A.O.R. (2004), n ° 68, 96, note B. DE MooR, retenant la vali-
dité prima facie du transfert selon le droit belge sans perte de personnalité juridique et la soumis-
sion corrélative de la société au droit français après le transfert.
La loi suisse sur le droit international privé contient un principe de rattachement analogue,
Ill!
sous le couvert de règles unilatérales. L'analogie est la plus nette dans la règle concernant la
« soumission» d'une société suisse au droit étranger (art. 163) : le transfert peut avoir lieu sans
liquidation s'il est conforme au droit suisse et si la société « continue d'exister en vertu du droit
étranger». Dans le cas inverse, la soumission sans liquidation au droit suisse est autorisée si le
droit étranger« le permet» et à condition de« s'adapter à l'une des formes d'organisation du droit
suisse» (art. 161).
Le rattachement cumulatif semble ne régir que la question de l'existence - de la sur-
vivance - même de la société. D'autres dispositions légales, qui ne contiennent pas de
« condition substantielle pour la naissance d'une société» (arrêt précité de la Cour de
cassation), telle la détermination de sa durée, obéissent à un rattachement opérant de
manière distributive dans le temps : le conflit mobile suscité par le transfert du siège
990 LES PERSONNES MORALES

échappe ainsi au principe de l'unité de législation (voy. supra, n ° 7.26) pour donner lieu à
l'application immédiate de la loi désignée en fonction de la concrétisation actuelle du
facteur de rattachement pertinent (art. 112, al. 2, Codip ).
Ill!D'après l'arrêt précité de la Cour de cassation, quand la société est devenue belge au cours de
son existence, le délai de trente ans ne court qu'à dater du jour où la société a acquis cette nationa-
lité (solution critiquée par VAN RYN, Rev. crit. jur. belge, 1966, 404-406).

16.22 - Le transfert de siège selon le droit de l'Union européenne - La faculté ou non


pour une société commerciale de transférer son établissement principal d'un pays à un
autre s'analyse, en droit communautaire, comme un élément déterminant de la liberté
d'établissement, consacrée par l'article 43 CE. Aussi n'est-il pas étonnant que certaines
implications du droit primaire aient pu être dégagées, et que le législateur communau-
taire, de son côté, s'efforce de prévenir d'éventuelles entraves à cette liberté par un rap-
prochement des règles nationales de rattachement.
Lorsque le rattachement cumulatif entraîne une impossibilité de fait pour la société
de transférer son siège à l'étranger, il n'en résulte pas pour autant une entrave à la liberté
d'établissement qui soit incompatible avec le traité (voy. supra, n ° 16.10). Après avoir rap-
pelé que« contrairement aux personnes physiques, les sociétés sont des entités créées en
vertu d'un ordre juridique et, en l'état actuel du droit communautaire, d'un ordre juridi-
que national» et qu' « elles n'ont d'existence qu'à travers les différentes législations natio-
nales qui en déterminent la constitution et le fonctionnement», la Cour de justice des
Communautés européennes (aff. 81/87, 27 septembre 1987, Daily Mail, Rec., 1988, 5483)
a pu estimer que le traité a prévu, notamment par ses articles 48 et 293, le risque d'une
disparité de législations et a donc conditionné le droit au transfert par des travaux légis-
latifs ou conventionnels appropriés.
Pourtant, ce constat d'impuissance pourrait avoir été revu ultérieurement, par
l'arrêt Überseering (aff. C-208/00, 5 novembre 2002, Rec., 2002, I-9919, T.R V., 2003, 95,
note J. MEEUSEN, Revue, 2003, 508, note P. LAGARDE). À la différence de l'affaire Daily Mail
qui affectait une relation entre la société et son État d'origine dans le cas d'un transfert
volontaire, cette espèce concernait la relation avec l'État d'accueil suite à un transfert
involontaire, résultant de l'achat d'actions par des particuliers établis dans cet État. À
cette occasion, la Cour de justice donne une relecture de l'arrêt précédent, énonçant que
l'existence d'un transfert de siège est régie par la loi de constitution de la société et niant
au droit de l'État d'accueil la possibilité de déterminer si le transfert a eu lieu. Elle précise
que lorsque la société a conservé sa personnalité juridique selon la loi du premier État,
l'exigence de reconstitution selon la loi du second État revient à une négation de la
liberté d'établissement telle que définie par l'article 43 CE.
Ill!Appliqué à l'affaire Überseering, l'article 112 du Code de droit international privé semble con-
duire à un résultat satisfaisant au regard du droit communautaire, alors que l'application du cri-
tère du siège réel actuel selon le droit international privé allemand avait amené à considérer que la
société, après avoir transféré son siège en Allemagne, était dépourvue d'existence parce que n'ayant
pas respecté la loi allemande après le transfert. Selon le Code, si le transfert n'entraîne pas la perte
de la personnalité selon la loi d'origine mais qu'il a ce résultat selon la loi d'accueil, la société reste
nécessairement soumise à la loi de l'établissement d'origine. En effet, cette solution procède de
celle donnée au conflit mobile : dès sa constitution, la société est régie par la loi de son établisse-
ment à ce moment; cette loi continue donc de la régir tant qu'il n'y a pas eu de transfert en tant
que tel, ce transfert ne pouvant se comprendre que comme un déplacement effectué par une per-
sonnalité qui ne cesse pas d'exister.
LE CONFLIT DE LOIS 991

Le droit dérivé comporte également des dispositions sur le transfert de siège des
sociétés« européennes».
Le GEIE donne lieu à une règle matérielle. Il jouit d'un droit au transfert de siège, à
l'intérieur de la Communauté (art. 13). Un tel transfert n'opère pas de dissolution du
groupement. Des formalités doivent cependant être suivies lorsque le transfert provoque
un déplacement du siège dans un autre État membre, et l'autorité de l'État d'immatricu-
lation peut s'y opposer. Il résulte de cette disposition, interprétée a contrario, qu'un trans-
fert vers un État tiers provoque une dissolution du groupement. Il en résulte aussi que le
système juridique de l'État d'origine possède un certain titre, même limité, à s'opposer au
transfert.
Des règles analogues figurent dans le règlement sur la SE (art. 8).

16.23 - Transfert de siège et changement de souveraineté - En cas d'annexion comme


de sécession, le rattachement de la société subit une modification du fait d'un transfert
virtuel du siège, non dans l'espace, mais d'un système juridique à un autre: le conflit qui
en résulte relève davantage du droit transitoire que du droit international privé.
1111 En cas d'annexion, le statut de la société reste inchangé tant que l'État annexant n'a pas intro-
duit son droit privé sur le territoire annexé.
Sur les effets de l'annexion des cantons d'Eupen et de Malmédy par la Belgique, en ce qui concerne
les sociétés commerciales y ayant leur siège social, voy. W AUWERMANS, Manuel pratique des sociétés ano-
nymes (1933), n ° l098bis; PASSELECQ, n°' 5212 et 5213.
1111 Dans le cas d'une sécession, il appartient désormais au nouvel État de modifier le statut légal de
la société tombant sous sa propre loi.
Contra en France une jurisprudence selon laquelle une société dont le siège social était fixé en Algé-
rie au jour de l'indépendance et qui a, ultérieurement, transféré son siège social en France, n'a pas
cessé d'être française (Civ. Seine, 1"1 février 1967,].C.P., 1967, II, 15153, concl. FABRE; Paris, 17 mai
1967, Clunet, 1967, 874, note LoussoUARN). Ces décisions ont été critiquées par la doctrine fran-
çaise.

L'accession d'un pays à l'indépendance peut s'accompagner d'un mécanisme spécifi-


que de transfert du siège de sociétés établies dans la métropole vers le territoire du nouvel
État.
Ainsi, lors de l'accession du Congo à l'indépendance, le législateur belge a permis
aux sociétés de droit colonial qui avaient leur siège en Belgique d'acquérir la nationalité
congolaise en transférant leur siège au Congo avant la déclaration d'indépendance, c'est-
à-dire à une époque où le législateur belge concentrait encore la double compétence
législative : le déplacement du siège social avait lieu entre deux territoires juridiquement
distincts, mais sur lesquels s'exerçait une souveraineté unique (loi du 17 juin 1960 rela-
tive au statut des sociétés belges de droit colonial ayant leur principal établissement
administratif en Belgique, modifiée par les lois du 20 décembre 1961 et du 29 novembre
1962, art. 2, § 1er).
1111 Sur la loi du 17 juin 1960, voy. notamment: Doc. pari., Ch. repr., 9 juin 1960, n° 548-1, et rap-
port, n ° 548-2, de M. CouNSON ; Doc. pari., Sénat, projet de loi, n ° 340, du 25 mai 1960 et rapport,
n ° 379, du 8 juin 1960, de M. ADAM.
Pour un cas d'application voy.: Bruxelles, 5 décembre 1970,].T (1971), 275.
Voy. : GOLDSCHMIDT, « Le statut des sociétés belges ayant des sièges au Congo »,]. T. ( 1962), 89 ;
'T KINT, « La loi du 17 juin 1960 relative au statut des sociétés belges de droit colonial... », Rev. prat.
soc. (1960), 200-215.
992 LES PERSONNES MORALES

Comp. l'ordonnance-loi, n ° 66-341, du 7 juin 1966 (Moniteur congolais, 1966 n ° 14, p. 523), qui
ordonne aux sociétés dont le principal siège d'exploitation est situé au Congo d'y transférer leur
siège social et leur siège administratif Ce transfert« sera considéré comme n'ayant pas donné nais-
sance à une personne morale nouvelle» (art. 3).
111L'accession du Ruanda-Urundi à la pleine souveraineté a donné lieu à une loi similaire, du
14 juin 1962, relative au statut des sociétés belges de droit colonial constituées sous le régime de la
législation en vigueur au Ruanda-Urundi et ayant leur principal établissement administratif en
Belgique; le délai fixé par la loi a été prorogé par l'arrêté royal du 10 décembre 1963.
Comp. aussi la loi du Burundi du 21 septembre 1963 portant abrogation partielle de la loi belge du
14 juin 1962, publiée par affichage le 12 novembre 1963, en vigueur le 22 novembre 1963 (Rev. jur.
droit écrit et cout. du Rwanda et du Burundi, 1963, 176).

Section 3
Le conflit de juridictions
§1 COMPÉTENCE INTERNATIONALE

A. Droit de l'Union européenne


16.24 - Existence et fonctionnement de la personne morale - Selon le règlement« Bru-
xelles I » (voy. supra, chap. 8), les tribunaux de l'État membre de l'Union européenne sur
le territoire duquel une société ou une personne morale a son siège sont, sans considéra-
tion de domicile, exclusivement compétents « en matière de validité, de nullité ou de dis-
solution des sociétés ou personnes morales [... ] ou de validité des décisions de leurs
organes» (art. 22, 2°).
Cette règle s'applique indépendamment de la localisation du domicile du défendeur
dans un État membre ou dans un État tiers (voy. supra, n ° 8.22).
Elle revêt la nature d'une règle de compétence exclusive (voy. supra, n° 5 9.7 et 9.37), ce
qui a pour effet d'introduire un motif de refus de reconnaître toute décision étrangère
allant à l'encontre d'une telle règle (voy. infra, n ° 16.28).
La définition du siège fait l'objet d'une méthode particulière. Alors que le « domi-
cile» d'une personne morale donne lieu à une règle matérielle spécifique (art. 60, voy.
supra, n ° 9.29), qui se réfère à l'une ou l'autre forme de siège, le« siège» au sens du critère
de compétence exclusive est déterminé par le juge en application des « règles de son droit
international privé».
Ill Appliquée au droit international privé belge, cette définition renvoie normalement au siège tel
que défini pour les besoins de la compétence internationale, à savoir le« siège statutaire», qui tient
lieu de« domicile » pour les besoins du Code (art. 4, § 1er, 2 °). De fait, le domicile y remplit le rôle
d'un critère de compétence. Un renvoi ainsi limité devrait cependant être corrigé. En effet, les critè-
res de compétence internationale retenus par le Code en la matière sont l'établissement principal -
qui tient lieu de « résidence habituelle » - et le « siège statutaire » (voy. infra, n ° 16.26). L'utilisa-
tion du critère de l'établissement se justifie par un souci d'ajustement sur la compétence législative.
Il convient donc de comprendre le « siège» comme celui - ou ceux - qui, en droit commun, font
office de critère de compétence, en incluant l'établissement principal.
Ill Comp., dans le contexte de la Convention de Bruxelles où le domicile d'une personne morale se
définit par référence au droit international privé du for: Anvers, 17 juin 2003, D.E. T. (2003), 496, se
référant alors au critère de l'établissement principal qui servait de critère de rattachement selon les
lois coordonnées sur les sociétés commerciales.
LE CONFLIT DE JURIDICTIONS 993

Parmi les sociétés «européennes», la SEC donne lieu, pour les demandes concer-
nant la dissolution de la société, à une règle de compétence internationale désignant « le
tribunal ou toute autorité administrative compétente de l'État membre du siège »
(art. 73, règl. SEC).
Les règlements concernant la SE ou le GEIE ne contiennent pas d'autre disposition explicite
11111

que la compétence pour connaître d'une demande émanant d'une autorité lorsque l'activité de
l'entité affecte l'intérêt public : le critère est celui du siège.
Pourtant, sous le titre relatif à la dissolution ou à la liquidation, la SE est soumise aux dispositions
applicables aux sociétés anonymes constituées selon le droit de l'État membre du siège statutaire
(art. 63): cette assimilation semble couvrir les règles de compétence internationale.

16.25 - Actions auxquelles une personne morale est partie - Les demandes introduites
contre une personne morale tombent sous l'application des règles ordinaires de compé-
tence internationale du règlement « Bruxelles I ». Toutefois, celui-ci apporte certaines
précisions relatives à la définition du domicile ou à la présence d'une succursale ou
agence sur le territoire.
Les notions de matière contractuelle au sens de l'article 5, 1 °, et de clause attributive de juridic-
Ill!
tion au sens de l'article 23, ont donné lieu à une interprétation de la Cour de justice accentuant le
caractère contractuel des relations établies entre l'associé ou l'actionnaire et les organes de la
société (voy. supra, n° 5 14.5 et 14.12).

La définition du domicile (art. 60, supra, n ° 9.29) emprunte aux termes de l'article 48
CE, mais, utilisé dans le contexte spécifique de la détermination de la compétence, un tel
emprunt risque de conduire à un éclatement du contentieux, en permettant de localiser
le domicile en trois lieux - le siège statutaire, l'administration centrale ou l'établisse-
ment principal - alors que, dans le traité CE, il remplit la fonction distincte d'une règle
d'applicabilité (voy. supra, n ° 16.10).
La présence d'une succursale ou d'une agence sur le territoire de l'État du for peut
également fournir une base à la compétence.
La société ou la personne morale ayant son siège sur le territoire d'un État membre
peut être attraite, « s'il s'agit d'une contestation relative à l'exploitation d'une succursale,
d'une agence ou de tout autre établissement, devant le tribunal du lieu de leur situation »
(art. 5, 5 °).
Ill Les compétences prévues par l'article 5 s'ajoutent au principe fondamental de l'article 2,
alinéa 1er (voy. supra, n ° 9.30). Ainsi, le demandeur a le choix entre les tribunaux du pays du siège et
ceux du pays de la succursale.
Ill! Comp. une disposition analogue dans les conventions franco-belge et belgo-néerlandaise (voy.
supra, chap. 8), mais les tribunaux de la succursale y sont seuls compétents, à l'exclusion de ceux du
domicile de la société.

Le domaine de l'article 5, 5 °, s'étend à toute hypothèse où l'établissement, ayant


servi d'intermédiaire avec les tiers, a agi comme prolongement d'une autre société sans
être une succursale au sens propre. Même si cet établissement est juridiquement auto-
nome de la société défenderesse, les tiers peuvent s'arrêter légitimement à« l'apparence
créée» et à la manière dont les« deux entreprises se comportent dans la vie sociale».
Voy.: C.].C.E., aff. 218/86, 9 décembre 1987, Schotte c. Rothschild, Rec. (1987), 4905, Revue (1988),
Ill!
734, note G. DROZ, Clunet (1988), 544, note J.-M. BrscHOFF. Le vendeur allemand avait négocié le
contrat avec la société mère allemande d'une filiale française du même nom à laquelle les produits
étaient destinés. Dans des arrêts antérieurs, on trouvait déjà, outre le critère d'autonomie de l'éta-
994 LES PERSONNES MORALES

blissement, celui de la soumission à la direction et au contrôle d'une autre société (aff. 14/76,
6 octobre 1976, De Bloos, Rec., 1976, 1497; aff 33/78, 22 novembre 1978, Somafer, Rec., 1978, 2183).

Ill La confirmation des critères du prolongement et de l'apparence (déjà présents dans l'arrêt Soma-
fer) suggère que la question intéresse plus généralement les ventes par intermédiaire. Dans l'arrêt
Blanckaert (aff 139/80, 18 mars 1981, Rec., 1981, 819,]. T., 1981, 358), la Cour a refusé d'étendre la
notion d'établissement à un agent commercial indépendant agissant de manière autonome et sans
exclusivité, et sans participer à la négociation ou à l'exécution de l'opération litigieuse. À tout le
moins, la formulation de l'arrêt Schotte, qui a été largement critiquée, se limite au cas où l'intermé-
diaire a participé activement à l'opération contractuelle et donnait en outre l'apparence d'être un
établissement du défendeur. En même temps, cet établissement doit bénéficier d'une autonomie
effective, et non seulement apparente (arrêt Somafer), ce qui est le cas lorsqu'il s'agit d'une société-
mère.
L'arrêt Lloyd's Register of Shippinget Campenon (C.J.C.E., aff C-439/93, 6 avril 1995, Rec., 1995, 1-961,
Revue, 1995, 770, note G. DRoz), où l'on trouve inspiration de la définition donnée en droit com-
munautaire, retient le critère du centre durable disposant d'un pouvoir de négocier au nom de la
maison mère dont il est le prolongement.

IllPour une appréciation de la contestation relative à l'exploitation de l'établissement, voy. l'arrêt


Somafer, précité.

La matière de l'assurance (voy. supra, n ° 14.86) donne lieu à une extension analogue,
puisque les tribunaux de l'État membre sur le territoire duquel un assureur « possède
une succursale, une agence ou tout autre établissement » sont compétents « pour les
contestations relatives à leur exploitation», même si l'assureur n'a de domicile dans
aucun État membre, c'est-à-dire, quand il s'agit d'une personne morale, si elle a son siège
social dans un État tiers.
Le consommateur bénéficie d'une disposition analogue (art. 15, § 2).

B. Droit commun
16.26 - Alignement sur le règlement « Bruxelles I » - L'entrée en vigueur du Code de
droit international privé s'est traduite par l'insertion, en droit belge, de règles de compé-
tence internationale propres au contentieux en matière de sociétés.
1111 Auparavant, l'interprétation de l'article 635 du Code judiciaire était malaisée, puisque la dispo-

sition nécessitait une transposition des notions de domicile et de résidence, conduisant alors sou-
vent à un recoupement avec l'article 15 du Code civil, qui utilisait le critère de la nationalité du
défendeur.

Il Une élection de domicile de la société étrangère au lieu de sa succursale pour les opérations trai-
tées par celle-ci avait été énoncée par: Cass., 8 novembre 1968, Pas. (1969), I, 258.

IllL'article 628, 13°, du Code judiciaire est une règle de compétence territoriale interne (sur cette
notion, voy. supra, n ° 9 .5) qui attribue une compétence exclusive au « juge du siège social ou du
principal établissement de la société, lorsqu'il s'agit de contestations entre associés ou entre admi-
nistrateurs et associés [... ] ».

Les demandes concernant « la validité, le fonctionnement, la dissolution ou la


liquidation» d'une personne morale dont le siège statutaire ou l'établissement principal
est en Belgique, relèvent de la compétence des juridictions belges (art. 109). Cette compé-
tence internationale est exclusive (voy. infra, n ° 16.28).
La disposition reçoit une portée analogue à celle du règlement « Bruxelles I ». Des différences
1111

s'observent dans la définiti,:m des demandes et la précision apportée au critère du siège.


LE CONFLIT DE JURIDICTIONS 995

Les demandes de « liquidation » visent la liquidation volontaire, non celle qui découle d'une
1111

procédure d'insolvabilité, visée par des dispositions particulières (voy. supra, chap. 13). On aperçoit
cependant une convergence des critères de localisation.
1111La portée pratique de la règle est à première vue réduite en raison de l'existence de l'article 22 du
règlement« Bruxelles I ». En effet, dans les cas visés par l'article 109, la compétence sera fondée sur
le règlement, non sur le Code. Il faut voir plutôt dans la disposition une règle de délimitation de la
compétence. Elle signifie que les juridictions belges n'ont pas d'autre compétence que dans les cas
visés, pratiquement, par le règlement. Ainsi, elle exclut l'application des règles générales de compé-
tence.
Sur l'incompétence des tribunaux belges pour prononcer la nullité d'une société étrangère, voy.
1111

déjà: DE Vos, Commentaire pratique et critique de la loi du 18 mai 1873, t. IV (1886), n°s 46 et 47.

D'autres litiges impliquant une société font l'objet d'une extension de compétence
en fonction de la localisation d'une succursale ou d'un établissement secondaire (art. 5,
§ 2, Codip), en une disposition analogue à celle de l'article 5, 5 °, du règlement« Bruxelles
I ». Il est précisé que la demande doit« concerner l'exploitation» de l'établissement situé
en Belgique.
La justification de l'amendement n ° 14 (Doc. pari., Sénat, 2003-2004, n ° 3-27/3) ayant servi à
1111

introduire cette disposition sous l'article 5 - la déplaçant de l'article 109 où elle avait été malen-
contreusement placée dans la proposition de loi - précise que l'établissement doit être
« dépendant», ce qui exclut l'action d'un agent indépendant. Elle ajoute que l'établissement est
dépourvu de personnalité juridique, et que le terme «exploitation» doit s'entendre largement
comme couvrant non seulement des relations avec des tiers, mais également des relations internes,
comme une relation de travail.
111Dans la jurisprudence antérieure, la Cour de cassation exigeait aussi que les demandes concer-
nent des« opérations traitées par cette succursale» (Cass., 8 novembre 1968, Pas., 1969, I, 258).
Comp. Cass., 24 décembre 1903, Pas. (1904), I, 91, cet arrêt s'étant contenté d'observer l'existence
d'une « résidence» de la société défenderesse étrangère en Belgique, alors que le pourvoi n'indi-
quait pas clairement si la succursale belge avait été impliquée dans les opérations litigieuses.
111 À propos des contentieux qui ont opposé des compagnies aériennes étrangères à certains de
leurs pilotes, la jurisprudence belge a été partagée, une fraction exigeant l'existence d'un lien entre
la demande et les affaires traitées par la succursale. Voy. un état de la question par H. BORN et
M. FALLON,« Droit judiciaire international (1983-1985) »,].T. (1987), 483.
Pour l'exigence d'un lien avec l'exploitation, voy., à propos d'une action introduite par une
1111

société belge expropriée contre l'acquéreur zaïrois: Bruxelles, 16 mars 1989,].T. (1989), 548, conf.:
Comm. Bruxelles, 31 décembre 1986, Rev. dr. comm. belge (1989), 529, note N. WAITÉ; C. trav. Liège,
17 mai 1999, Cab. dr. soc. (2002), 333, définissant la succursale comme un bureau de l'employeur
consistant en une installation propre.
Voy. encore, retenant la localisation d'un siège d'exploitation en Belgique: Comm. Bruxelles,
1111

12 juin 1997, Rev. dr. comm. belge ( 1999), 617, note V. MARQUETTE, mais sans exiger de lien entre la
demande et l'exploitation de la succursale.

§2 CONDITION PROCÉDURALE
DES PERSONNES MORALES ÉTRANGÈRES
16.27 - Partage entre la loi de la société et la loi de procédure - Les diverses condi-
tions qui affectent l'accès à la justice d'un étranger personne physique, s'étendent aux
personnes morales (voy. supra, n ° 11.21 ). En raison de leur nature propre, celles-ci soulè-
vent toutefois des questions particulières, nécessitant un partage parfois délicat entre les
domaines respectifs de la loi de la personne morale et de la loi du for.
996 LES PERSONNES MORALES

La loi de la personne morale détermine, notamment :


- la question de savoir si le créancier d'une société en nom collectif peut agir direc-
tement contre un des associés, avant d'avoir pris jugement contre la société elle-même;
La disposition étrangère en vertu de laquelle les associés sont directement tenus envers les tiers
1111

des obligations contractées sous la raison sociale, n'est pas contraire à l'ordre public (Cass.,
29 septembre 1927, Soc. Handels-en Landbouwbank c. Peeters, Pas., 1927, I, 296).

- la détermination des organes compétents pour accomplir des actes de procédure


au nom de la personne morale, pour les besoins de l'application de l'article 703, alinéa 3,
du Code judiciaire (Cass., 24 septembre 1963, Durand et Huguenin, Pas., 1964, I, 86) ;
- la capacité d'ester, même en l'absence de personnalité juridique selon le droit
étranger (voy. supra, n ° 16.14; Comm. Hasselt, 2 octobre 1998, R W., 1999-2000, 614).
La loi belge s'applique, au titre de loi de procédure, aux questions suivantes :
- le mode de signification d'un acte: l'article 42 du Code judiciaire prévoit expres-
sément que les significations sont faites « aux sociétés étrangères ayant la personnalité
civile, à leur siège social, à leur succursale ou au siège d'opération qu'elles possèdent en
Belgique»;
- le contenu des actes de procédure : la personne morale étrangère qui agit en jus-
tice en Belgique doit se conformer aux dispositions de la loi belge relatives aux mentions
reqmses;
Voy. Bruxelles, 2 avril 1958, Pas. (1959), II, 40, et 17 octobre 1959, Pas. (1960), II, 217; 11 février
1111

1988,J. T. (1988), 606, renvoyant curieusement à la loi de la société (Grand Cayman) pour détermi-
ner la validité de l'indication du siège social. Toutefois, l'article 703 du Code judiciaire a diminué,
en droit interne, les exigences que la jurisprudence avait déduites de l'article 61, 1 °, du Code de
procédure civile : voy. le Rapport du commissaire royal VAN REEPINGHEN, t. l'", 276.

- la définition de l'intérêt à agir, particulièrement délicate à propos d'une action


introduite par un groupement (Bruxelles, 29 juin 1989, j.T., 1989, 749, note L. VAN
BUNNEN);

En revanche, la détermination de la qualité pour agir dans l'intérêt collectif, notamment l'obli-
1111

gation de bénéficier d'un titre, relève de la loi de l'association, alors que le droit applicable au fond
détermine le bien-fondé de la demande (voy. supra, chap. 11).
Une telle règle se laisse déduire, notamment, de la directive 98/27 du 19 mai 1998 relative aux
actions en cessation en matière de protection des intérêts des consommateurs U.O.C.E., 1998, L
166), supra, n° 11.10.
IllComp. cependant, à propos de l'action en cessation introduite par une association en matière
d'environnement, la loi du 12 janvier 1993 (Monit., 19 février 1993), limitant l'accès à une associa-
tion conforme à la loi belge sur les associations sans but lucratif.

- la faculté pour le national d'exiger le dépôt d'une caution par l'étranger deman-
deur (voy. supra, n ° 11.22) : les dispositions pertinentes valent également pour les person-
nes morales.
IllVoy. une illustration par: Comm. Bruxelles (réf.), 26 décembre 1984,J. T. (1985), 123; Bruxelles,
26 juin 1985, Pas. (1985), II, 166.
LE CONFLIT DE JURIDICTIONS 997

§3 RECONNAISSANCE DES JUGEMENTS ÉTRANGERS


16.28 - Préservation de la compétence exclusive des juridictions du for - Lorsque le
jugement étranger s'est prononcé sur une question qui relève de la compétence exclusive
des juridictions belges du fait de la localisation du « siège » de la société sur le territoire,
le juge belge requis d'en reconnaître ou d'en déclarer la force exécutoire ne peut y faire
droit, en vertu d'un motif de refus tiré d'une règle de compétence indirecte.
Une telle règle de compétence indirecte figure dans le règlement « Bruxelles I »
(art. 35, § 1er) autant que dans le droit commun (art. 115 Codip). Elle reflète le critère de
compétence directe posé par chacun de ces textes en matière de sociétés. Toutefois, le
Code est sensiblement plus souple, puisqu'il se contente de reprendre le critère de l'éta-
blissement principal, non celui du siège statutaire. La différence s'explique du fait de
l'importance que revêt le premier pour le rattachement de la personne morale. Le second
n'apparaît dans la règle de compétence directe que pour permettre aux juridictions bel-
ges de se prononcer au cas où la personne morale se présente comme ayant son siège sta-
tutaire en Belgique.
Inversement, il n'y a aucune objection à reconnaître en Belgique un jugement étran-
ger ayant prononcé la nullité d'une personne morale établie dans ce pays, même lorsque
le siège statutaire est en Belgique.
Ill Précédemment, ce résultat avait été obtenu par une assimilation des personnes morales aux per-
sonnes physiques. La reconnaissance fut admise aux conditions prévues pour les jugements ayant
statué sur l'état et la capacité des personnes (Cass., 12 avril 1888, Tante. Boutmy, Pas., 1888, I, 186).
L'arrêt et les conclusions du ministère public qui l'ont précédé révèlent les approximations concep-
tuelles alors dominantes à propos des jugements étrangers. Selon le procureur général Mesdagh de
ter Kiele, « les jugements s'identifient avec la loi, dont ils ne sont que l'expression vivante et la
continuation», justifiant ainsi, par l'article 3, alinéa 3, du Code civil, la reconnaissance des juge-
ments étrangers en matière d'état. L'arrêt trahit une qualification erronée de l'effet reconnu au
jugement étranger: « Attendu qu'en réalité l'arrêt de la Cour de Douai n'est pas invoqué comme
acte de puissance publique emportant l'autorité de la chose jugée, mais comme document probant
attestant une situation de fait qui affecte le statut personnel d'un individu et accompagne ce der-
nier partout où il se transporte».
TABLEAU SYNTHÉTIQUE
DU CODE BELGE DE DROIT
INTERNATIONAL PRIVÉ
Q.-Y. Carlier, Revue, 2005, p. 40, reproduit avec l'autorisation de l'éditeur)
...
0
COMPÉTENCE INTERNATIONALE DROIT APPLICABLE RECONNAISSANCE 0
0
1. Règles générales (G.) Art. Art. Art.
12 - D'office 15-17 - Système étranger 22 - De plein droit sans révision au fond
5 - Domicile ou résidence habituelle 16 - Exclusion du renvoi 25 - Motifs de refus :
du défendeur 18 - Fraude - Ordre public (1 °),
6 - Autonomie de la volonté ; 20-21 - Lois de police, ordre public - Droits de la défense (2°),
exceptions : 19 - Clause d'exception (Proximité) - Fraude (3°),
6§2 - aucun lien - Autorité de chose jugée (4°),
7 - jugement étranger pas reconnu - For exorbitant (8°),
11 - Attribution exceptionnelle - Compétence belge : inconcilia-
(Proximité) ble (5°), litispendance (6°),
9 - Connexité compétence exclusive (7°)
14 - Litispendence 30 - Légalisation
0
Il. Personnes physiques "'0
~
- État et capacité 32 - G.+ 34 - Nationalité (renvoi)
- Résidence habituelle en Belgique 35 - Résidence habituelle personne ~
- Nationalité belge protégée "'z
- Autorité parentale, 33 - Idem+ Subsidiairement: Nationalité ~
i5
tutelle, protection - Biens en Belgique, connexité ou droit belge z
~
avec le divorce ou urgence
- Nom, prénom 36 - G. + 37,38 - Nationalité 39 Motifs de refus en cas de changement "'<"'m,
- Résidence habituelle en Belgique - Choix, au moment du mariage, G.+
- Nationalité belge si une loi nationale le permet et - Nationalité belge
- Absence 40 - G. (sauf art. 5) + Nationalité belge pour l'époux de cette nationalité (sauf double nationalité U.E.)
ou Résidence habituelle en Belgique 41 - Nationalité (sauf provisoire) - Loi nationale ne reconnaît pas
de l'absent ou biens en Belgique.
N.B.:« G»signifie« règles générales».
COMPÉTENCE INTERNATIONALE DROIT APPLICABLE RECONNAISSANCE

Ill. Relations Art. Art. Art.


matrimoniales
Mariage, effets, régime 42 - G.+
matrimonial, divorce - 1 époux résidence habituelle en
Belgique (conjointe) (1 °)
- Dernière résidence habituelle en
Belgique - de 12 mois (2°) ;;i
- Résidence habituelle en Belgi-
"'r
~
C
que demandeur + de 12 mois
(30) ~
- Nationalité belge commune (4°) ~-
I

3
44 - Mariage : 1 : Belge, domicile ou C
m
résidence habituelle en Belgique C)
C
depuis + de 3 mois n
- Promesse mariage 45 - Résidence habituelle commune/ 0
C)
m
- Mariage Nationalité commune/belge.
- fond 46 - Nationalité (exception : même "'m
tim
sexe : ssi loi nationale ou de rési- C)
m
dence habituelle d'un le permet) C)

- forme 47 - Locus t)
=i
- effets 48 - Résidence habituelle commune/
Nationalité commune/belge ~
(exception immeuble) ~
~
- Régime matrimonial 49 - Autonomie de la volonté : Rési- i5
dence habituelle ou nationalité z
~
51 - Résidence habituelle commune/ "
~
Nationalité commune/locus ~
- Divorce 55 - Autonomie de la volonté : Loi 57 - Répudiation : Refus, sauf si G +
nationale commune ou loi belge. - Loi nationale et de résidence
- Résidence habituelle commune/ habituelle des deux époux con-
Dernière résidence habituelle naît la répudiation fil
commune si 1 réside/Nationalité - La femme a accepté
commune/belge. ...
0
...
0
COMPÉTENCE INTERNATIONALE DROIT APPLICABLE RECONNAISSANCE
...
0
0
N
IV. Relation de vie Art. Art. Art.
commune 59 - 42 60 Locus enregistrement
- résidence habituelle commune
en Belgique
V. Filiation
- biologique 61 - G.+ 62 - Nationalité parent
- Résidence habituelle en Belgi-
que enfant ou parent
- Nationalité commune
64-65 - Formalités et compétence
de reconnaissance
- adoptive 66 - Nationalité belge ou 67 - Nationalité commune adoptants/ 72 Code civil belge (enregistrement)
(! entrée en vigueur) - Résidence habituelle en Belgique Résidence habituelle commune
adoptant ou adopté adoptants/Belgique (exception :
intérêt adopté et proximité)
68 - Consentement adopté : Résidence
habituelle adopté (exception : si
pas: Belgique)
69 - Modalités : Code civil belge.
VI. Obligations
alimentaires 73 - G.+ 74 - Résidence habituelle créancier.
- Résidence habituelle - Nationalité commune
en Belgique du créancier ssi = Résidence habituelle
- Nationalité belge commune
- accessoire d'une action d'état 75 - Convention : Autonomie de la
volonté : Nationalité ou Résidence
habituelle sinon 74
COMPÉTENCE INTERNATIONALE DROIT APPLICABLE RECONNAISSANCE

VII. Successions Art. Art. Art.


77 - G.+ 79 - Autonomie de la volonté : Nationa-
- Dernière résidence habituelle lité ou Résidence habituelle
en Belgique (sauf réserve)
- Biens en Belgique 80 - meubles:
- Résidence habituelle
;:!
- immeubles : locus (sauf renvoi) "'r;;
VIII. Biens ►
C

85 87
~
Droits réels - G+ - Locus (liens étroits)
- Locus - Résidence habituelle partie consti-
- Domicile ou Résidence habituelle tuant ou cédant créance ~-
I


débiteur (droits réels sur une 88 - Transit : destination C
m
créance) 90,92 - Culturel et vol : Autonomie de la 0
C
volonté. : Origine ou locus n
0
(réserve: protection possesseur de 0
m
bonne foi) "'m
Propriété intellectuelle 86 - G. + Protection limitée en Belgique 91 - Titres : Registre= principal établis- 95 - Motifs refus cim
- Dérogation ; dépôt ou enregistre- sement - G. + 0
m
ment ssi demandé ou effectué 93 - Locus protection (proximité, droit - dépôt ou enregistrement 0

en Belgique. du contrat) demandé ou effectué en Belgique ô


=i
~
m
"'z
?:i
0
z

.,,r
"'<
m,

....
0
0
(,1,,)
COMPÉTENCE INTERNATIONALE DROIT APPLICABLE RECONNAISSANCE
...
0

IX. Obligations Art. Art. Art.


î
- Contrats 96, 1° - G. + née ou exécutée en Belgique. 98 - Rome (autonomie de la volonté
97 - Travail et consommation + proximité)
- idem+ Belgique est le lieu de - Genève (lettre change, billet à
résidence habituelle consomma- ordre)
teur
- Accomplissement d'actes
ou d'offre
- Prestation habituelle de travail.
- Autonomie de la volonté ssi après
litige
- Fait dommageable 96, 2° - G. + fait générateur ou dommage 101 - Autonomie de la volonté après nais-
en Belgique sance du différend
99 - Résidence habituelle commune/Fait
générateur !11 dommage/Proximité
- vie privée : Autonomie de la
volonté : Fait générateur
ou dommage
- concurrence déloyale : dommage
- environnement: dommage
- produit: résidence habituelle
du lésé
- roulage : La Haye 1971
100 - accessoire
- Autres obligations 96,3° - Quasi-contrat : G. + fait cause en 104 - Quasi-contrat : Proximité :
Belgique. Présomption : fait cause
105 - Déclaration unilatérale : Autonomie
de la volonté ou résidence habi-
tuelle
106 - Action directe contre l'assureur :
droit de l'obligation ou du contrat
107 - Subrogation créance - obligation
du tiers
108 - Représentation : résidence habi-
tuelle intermédiaire
COMPÉTENCE INTERNATIONALE DROIT APPLICABLE RECONNAISSANCE

X. Personnes morales Art. Art. Art.


109 - G. exclu (dérogation) 110 Établissement principal (+ renvoi) 115 Motif de refus
- ssi établissement principal ou siège 112 Transfert : Les 2 - G.+
statutaire en Belgique.(+ Bruxelles 1) 113 Fusion : Les lois avant fusion - Établissement principal
114 Émission publique : Autonomie de la en Belgique.
volonté: personne morale (établisse-
ment principal) ou locus émission
;;i
~
XI. Règlement collectif ~
C
de l'insolvabilité 118 - G. exclu (dérogation) 119 Droit belge (dérogations: droits réels 121 - G. État d'origine est :
- Règlement 1346/2000/CE (art. 3) des tiers, compensation, réserve de - Lieu principal établissement du ~
- Procédure principale : Domicile ou propriété, immeuble, marché financier, débiteur pour procédure princi-
I
~-
,0
principal établissement en Belgique travail, registre) pale C
m
- Procédure territoriale : Établisse- - Lieu d'un établissement du débi- 0
C
ment du débiteur en Belgique teur pour procédure territoriale
- Compétence interne : tribunal de si
0
m
commerce "'m
XII. Trust cim
123 - G.+ 124 - Autonomie de la volonté 0
m
0
- Administration ou bien en Belgique - Résidence habituelle trustee
()
- Autonomie de la volonté (réserve héritier) ~

,,mz~
~
ë5
z
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m,

...
0
0
u,
,
TABLE ALPHABETIQUE

A Effets, 12.132 et s., 12.141


Efficacité d'une adoption étrangère, 12.137 et s.
Abordage, 1.35, 14.157, 15.18, 15.27 et s.
Forme, 12.126, 12.140
Absence, 12.34 et s.
Homologation, 12.119, 12.120, 12.125, 12.127,
Accès à la justice, 11.19 et s.
12.130, 12.148
Compétence, 9.12, 9.33, 9.43
Loi applicable, 12.121 et s.
Droits intellectuels, 13.37
Révocation, 12.128, 12.136
Étranger privilégié, 5.61, 8.39, 11.21 Aéronef, 13.16 et s., 15.27 et s.
Voy. aussi Assimilation de l'étranger au national, Agence, Voy. Succursale et filiale.
Condition procédurale ( - del' étranger), Égalité.
Agents diplomatiques et consulaires, 1.37, 2.19,
Accident 3.35, 8.47, 9.11, 9.61, 12.19 et s., 12.49 et s.,
- aérien, 15.27et s. 12.111, 13.96
- de la circulation routière, 15.31 et s. Voy. aussi Immunité, Protection (-diplomatique).
- du travail, 12.55, 14.175 Aide sociale, 8.14, 12.175, 12.188
- maritime, 15.27 et s. Aliments, voy. Obligation alimentaire.
Act ofstate (acte de gouvernement), 9.19, 13.23 Annexion, voy. Changement territorial.
Acte de l'état civil, 8.42, 12.17 et s. Apatride, 5.47 et s., 5.52 et s., 5.63, 11.22, 12.9
Compétence des autorités, 12.18 et s Applicabilité de la règle de droit (notion), 1.35 et
Voy. aussi Efficacité des actes étrangers, Coopération s., 3.6, 4.33, 8.19
internationale. Voy. aussi Règle d'applicabilité.
Acte instrumentaire, 9.18, 10.3, 10.7 et s., 12.52 Application alternative, voy. Compétence
Acte juridique privé, 3.25, 3.29 et s., 7.41, 12.52 (- alternative), Règle de rattachement (-alternative).
Acte public, 3.25, 3.34 et s., 7.40, 10.3, 10.7, 10.20, Application cumulative, voy. Règle de rattachement
10.53 et S. (- cumulative).
Voy. aussi Efficacité des actes étrangers. Application d'office du droit, voy. Principe dispositif
Action collective, 11.9, 14.113, 15.4 Application dans le temps, voy. Conflit mobile, Con-
Action directe, 14.5, 14.85 et s., 15.6, 15.19, 15.25, flit transitoire, Droit transitoire.
15.38 et s. Application distributive des lois nationales,
Action en justice, voy. Assimilation del 'étranger au na- voy. Règle de rattachement (-distributive).
tional, Cause (- de la demande), Condition procédurale Application extraterritoriale du droit, voy. Extra-
(- de l'étranger), Objet (- de la demande), Personne territorialité, Territorialité.
morale (Condition procédurale de la-). Arbitrage
Action oblique, 14.62 Arbitrabilité, 14.21
Action paulienne, 13.5, 14.62, 15.5 Conflit de juridictions, 8.15, 9.35, 14.31
Action récursoire, 14.5, 14.123, 15.26 Convention d'-, 14.19 et s.
Actor sequitur forum rei, 8.12, 9.22, 9.33, 9.46, 10.18 Efficacité de la sentence, voy. Sentence arbitrale.
Adaptation, 5.5, 7.15, 7.22, 7.30, 12.130, 12.173 Loi applicable, 14.20 et s., 14.80 et s.
Adoption Procédure, 14.23
- boiteuse, 12.124, 12.134, 12.136, 12.147 Voy. aussi Ordre public.
Catégories d'adoption, 12.119, 12.122 et s., Armée (ou forces armées), 9.62, 13.94, 14.172, 15.12
12.128, 12.130 et s., 12.138 Assimilation de l'étranger au national, 1.11, 9.12,
Compétence, 12.118 et s. 9.33, 13.37, 13.55
Conditions de fond, 12.122 et s. Assimilation des personnes morales aux person-
1008 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ

nes physiques, 11.19, 16.2 et s. C


Assistance judiciaire, 11.23 et s.
Capacité, 3.18, 7.26, 11.9 et s., 13.3, 12.149 et s.
Association internationale, 16.8
Changement de nationalité, 6.36
Voy. aussi Personne morale.
Compétence internationale, 12.151, 12.154 et s.
Assurance (Contrat d'-), 14.84 et s.
Contrats, 14.60
- obligatoire, 14.94, 15.41
Convention d'arbitrage, 14.22
Auto, 15.38 et s.
Incapacité spéciale de donner et de recevoir,
Cession de contrat, 14.57 13.99
Compétence, 14.85 et s. Loi applicable (en général), 11.9 et s., 12.152
Loi applicable, 14.90 et s., 15.6 et S.
Non vie, 14.92 et s. Mariage, 12.40, 12.61, 12.64
Responsabilité civile, 15.6 Régime matrimonial, 12.73
Vie, 14.99 et s. Testament, 13.98 et s.
Voy. aussi Action directe. Voy. aussi Autorité parentale, Forme, Garde des en-
Astreinte, 9.17, 12.160 fants, Ordre public, Protection (- des incapables).
Auctor regit actum, 3.34, 9.61, 12.20, 12.48 et s., Catégorie de rattachement, 3.38 et s.
12.108 Voy. aussi Qualification.
Authenticité, voy. Acte public. Cause
Autonomie de la volonté, 3.15, 3.21 et s. - de la demande, 6.49, 7.19
Contrats, 3.21, 14.36 et s., 14.93, 14.169, 14.183 - du contrat, 14.78
Divorce, 12.99 Caution de l'étranger demandeur ou cautio judica-
Forme des actes, 3.30, 3.32 tum solvi, 8.39, 11.20 et s.
Libéralité, 14.191 et s. Cautionnement, 13.43, 14.5, 14.56, 14.57, 14.121
Régime matrimonial, 12.69 et s., 13.80 et s.
Cession
Responsabilité civile, 15.14
- de contrat, 14.57
Statut personnel, 3.22, 12.7
- de créance, 4.41, 14.55, 14.57, 14.146, 14.151
Succession, 13.80, 13.102
Changement territorial, 5.40 et s., 5.54, 6.6, 14.49,
Sûreté, 13.12
16.23
Trust, 13.29
Chèque, 13.21, 14.142 et s.
Voy. aussi Arbitrage, Clause attributive de juridic-
Citoyenneté (de l'Union européenne), voy. Nationa-
tion, Loi de police.
lité.
Autorité de la chose jugée, voy. Force obligatoire, Re- Clause attributive de juridiction, 9.14, 9.32, 9.53,
connaissance de plein droit. 14.11 et S.
Autorité parentale, 12.101, 12.154 et s. Concession exclusive, 14.188
Voy. aussi Garde des enfants. Connaissement, 14.148 et s.
Avantage matrimonial, 12.73 Contrat d'assurance, 14.88 et s.
Contrat de consommation, 14.107
Contrat de travail, 14.168
Règlement Bruxelles I, 8.21, 9.32, 14.11 et s.
Bail, 13.4 et s., 14.128 et s.
Droit commun (en général), 9.53, 14.16 et s.
Benelux, 4.31
Trust, 13.27
Droit intellectuels, 13.35 et s., 13.43 et s., 13.48,
Voy. aussi Arbitrage (Convention d'-).
13.53
Clause d'exception, 3.11, 3.17, 7.44, 14.42, 15.9
Loi uniforme relative au droit international
Voy. aussi Proximité.
privé, 2.30, 6.41, 15.2
Codification du droit international privé, 2.21 et
Biens, 13.1 et s.
s., 2.30 et S.
Biens culturels, 13.15, 14.77 Voy. aussi Uniformisation du droit.
Biens volés, 13.15 Coercition, voy. Contrainte.
Billet à ordre, 13.21, 14.142 et s. Comity,2.6
Billet de banque, 13.20 Commission rogatoire, 8.41, 11.17
Bipatridie, voy. Conflit de nationalités. Communauté européenne, voy. Union européenne.
Bonnes mœurs, voy. Ordre public. Communication des actes, 8.40, 10.20 et s., 11.24
Bretton Woods (accords de-), 14.66 et S.
Brevet, 13.36 et s. Compensation de créances, 9.30, 9.32, 14.159
TABLE ALPHABÉTIQUE 1009

Compétence Méthode, 3.3 et s.


- alternative, 9.7 Sources, 2.15 et s.
- basée sur la nationalité, voy. Nationalité (Critè- Terminologie, 2.14
re de compétence). Voy. aussi Compétence (-étatique), Norme primai-
- d'attribution, 9.5, 9.61 et s., 12.112, 12.120 re de droit international privé, Règle d'applicabili-
Voy. aussi Auctor regit actum. té, Règle de rattachement, Simulation (Technique
- des autorités extraterritoriales, 9.57 et s., de la -), Unilatéralisme.
12.49 Conflit de lois interne, 5.3, 6.7 et s.
- dérivée, 9.31, 9.52 Conflit de nationalités, 1.28, 5.52 et s., 12.13 et s.
- directe, 9.43 Effets, 5 .42 et s.
- étatique, 2 .16 et s. Conflit de qualifications, 7.6 et s.
- exclusive, 2.17 et s., 9.7, 9.42, 10.39, 13.51, Conflit de systèmes, 6.43
13.65, 13.75, 13.78, 16.24, 16.26 Conflit de traités, 4.34, 5.14, 8.26 et s.
- exorbitante, 9.11, 9.25, 9.33, 9.43 Conflit interpersonnel, 6.5 et s.
- gracieuse, 9.47, 9.58 Conflit interterritorial, 6.4 et s.
- indirecte, 10.12, 10.23, 10.36, 10.39, 13.7, Conflit mobile, 5.68 et s., 6.11, 7.26, 7.31
13.75, 14.108, 16.28 Adoption, 12.122 et s., 12.132
- internationale (en général), 8.1 et s., 9.3 et s. Aliments, 12.192
- interne, 9.3 et s., 9.57 et s.12.88 Biens, 13.14 et s., 13.21, 13.30
- territoriale, 9.60 Capacité et protection des incapables, 12.152,
Critères matériels, 9.16 et s. 12.159, 12.175
Critères spatiaux, 9 .48 et s. Contrat, 14.54, 14.111, 14.167
Déclinatoire de-, 9.37, 9.55 Filiation, 12.114
Lien avec reconnaissance, voy. compétence (- Mariage, 12.62
indirecte). Nom, 12.28
Vérification de la-, 9.37 et s. Personne morale, 16.11, 16.21 et s.
Sources, 8.1 et s. Voy. aussi Siège social (Transfert du-).
Voy. aussi Connexité, Clause attributive de juridic- Régime matrimonial, 12.71
tion, Forum (non) conveniens, Litispendance, Lo- Responsabilité civile, 15.9, 15.58
calisation (Critère de compétence), Simulation Succession, 13.79, 13.103
(Technique de la - ). Conflit transitoire, 2.21, 5.22 et s., 6.10 et s., 7.26
Concept préjudiciel, 7.27 et s. Aliments, 12.185
Concession de vente exclusive, 4.5 et s., 14.185 et s. Contrat, 14.35
Concubinage, voy. Vie commune. Divorce, 12.97
Concurrence déloyale, 15.42 et s. Filiation, 12.110
Condition des étrangers (notion), 1.28, 2.18 Mariage, 12.46
Condition procédurale Protection des incapables, 12.150
- de l'étranger, 8.39, 11.19 et s. Régime matrimonial, 12.67
- de la personne morale étrangère, 16.27 Règlement Bruxelles I, 8.30
- du droit étranger, voy. Droit étranger. Responsabilité civile, 15.8
Conférence de La Haye de droit international pri- Testament, 13.86
vé, 2.22 Connaissement, 14.147 et s.
Conflit d'annexion, voy. Changement de souveraineté. Connexité
Conflit d'autorités et de juridictions, 1.27, 2.19, Selon le droit commun, 9.52, 9.56
8.1 et S. Selon les règlements européens, 8.22, 9.27, 9.31
Renvoi, 6.23 et s., 9.39 et s., 12.83, 13.45 et s.
Voy. aussi Compétence, Efficacité des décisions Selon les traités internationaux, 8.33, 9.45
étrangères, Exequatur, Force exécutoire, Recon- Conseil de l'Europe, 1.10, 2.25, 5.38
naissance de plein droit. Consentement
Conflit d'injonctions, 9.9 Divorce par consentement mutuel, 12.101
Voy. aussi Injonction à l'autorité étrangère. Filiation, 12.116, 12.123, 12.127, 12.129
Conflit dans le temps, voy. Conflit mobile, Conflit Mariage, 12.40 et s.
transitoire. Régime matrimonial, 12.69
Conflit de lois Voy. aussi Autonomie de la volonté, Capacité,
Définition, 1.26 Clause attributive de juridiction.
1010 ÜROIT INTERNATIONAL PRIVÉ

Contrainte, 1.18, 1.36, 1.45, 2.19, 9.17, 10.6, 10.14, Créance, 13.18 et s., 14.62
13.3 Voy. aussi Aliments, Cession (- de créances), Com-
Contrat, 14.1 et s. pensation de créances.
Cause illicite, 14.77 et s. Cumul limitatif, voy. Règle de rattachement (-
Compétence, 14.2 et s. cumulative).
- à distance, 14.113
- entre époux, 12.65, 14.192
Q
- portant sur un droit réel, 13.3, 13.11, 13.12,
13.67, 14.61, 14.128 et S. Décision étrangère, voy. Efficacité des décisions étran-
- soustrait au droit étatique, voy. Contrat d'État. gères.
Forme, 3.29 et s., 14.56 Décolonisation, Voy. Changement territorial.
Fraude à la loi, 5.73 Défaut
Loi applicable (en général), 14.33 et s. - d'une partie, 9.37 et s., 10.20 et s., 10.39, 11.27
Ordre public, 14.77 et s. - de juridiction (Lack ofjurisdiction), 9.16 et s.
Qualification, 14.5 Délai, 11.11 et s.
Règle impérative, 14.74, 14.82, 14.113, 14.132, Voy. aussi Prescription.
14.137, 14.174 Délégation de sommes, 9.17, 12.59, 12.65 et s.
Voy. aussi Arbitrage, Capacité, Cession, Clause attri- Dénaturation, 6.60 et s., 6.64, 12.54, 14.50
butive de juridiction, Dépeçage, Forme, Loi de poli- Déni de justice, 1.15, 9.9, 9.15
ce, Méthode indiciaire. Dépeçage, 3.52, 12.69, 13.80, 14.47, 14.146
Contrat d'assurance, voy. Assurance. Dessin et modèle, 13.36 et s.
Contrat de bail, voy. Bail. Discrimination, voy. Égalité.
Contrat de change, 14.66 Divorce et séparation de corps, 12. 78 et s.
Contrat de consommation, 14.101 et s. Aliments, 12.79, 12.82, 12.101 et s., 12.177 et s.
Contrat de distribution, 14.185 et s. Compétence, 12.79 et s.
Contrat d'engagement maritime, 4.5, 14.171 Confessionnel, 12.87
Contrat d'État, 14.115 et s. Conversion de la séparation de corps en divor-
Contrat de garantie, 14.121 et s. ce, 12.82, 12.97
Voy. aussi Cautionnement, Sûreté. Droit de garde, 12.161
Contrat d'intermédiaire, 14.133 et s. Effets, 12.101
Contrat de mariage, 12.68 et s. Loi applicable, 12.97 et s.
Forme, 12.74 Mesures provisoires, 12.82, 12.86, 12.102
Contrat de transport, 14.152 et s. Prestation compensatoire, 12.101, 12.188
Voy. aussi Connaissement, Transport international. Séparation de corps, 12.101
Contrat de travail, 14.162 et s. Séparation prolongée, 12.97
Voy. aussi Armée, Contrat d'engagement maritime, Voy. aussi Répudiation.
Convention collective. Doctrine des droits acquis, voy. Droits acquis.
Contrat de vente, voy. Vente. Domicile et résidence
Contrat de voyage, 14.113 Critère d'applicabilité, 8.22
Voy. aussi Contrat de transport. Critère de compétence, 9.28 et s., 9.49 et s.,
Contrôle des changes, 14.66 13.27, 14.106
Convention collective, 14.177 Définition, 5.64 et s., 9.29, 9.50
Convention d'arbitrage, voy. Arbitrage. - de la personne morale, 9.29, 16.13
Coopération internationale, 2.27, 8.40 et s., 11.5, - et conflit de nationalités, 5.58, 5.62 et s.
11.17 et S. Élection de domicile, 10.29
Actes d'état civil, 8.42, 12.25 Facteur de rattachement, 3.19, 5.67, 12.5 et s.
Adoption, 12.138 Statut personnel, 12.5 et s.
Aliments, 8.41, 12.180, 12.184 Donation, 14.191 et s.
Biens culturels, 13.15 - entre époux, 12.65, 14.192
Incapacité et protection des incapables, 12.150, Forme, 3.32
12.162 et s., 12.170 Personne morale, 16.14
Cour de justice des Communautés européennes, Dot, 12 .41 et s.
6.48, 8.4 et s., 8.10 et s. Double renvoi, voy. Renvoi.
Coutume Droit antitrust, voy. Concurrence déloyale.
- internationale, 2.18, 5.44 et s. Droit canon, 1.17, 6.5, 12.47, 12.87
- transnationale, 4.32 Droit communautaire, voy. Union européenne.
TABLE ALPHABÉTIQUE 1011

Droit confessionnel, voy. Droit canon, Droit islami- Condition des étrangers, 13.37, 13.55
que. Loi applicable, 13.37 et s., 13.55 et s.
Droit d'auteur, 13.54 et s. Reconnaissance et exécution, 13.51 et s.
Droit d'ester en justice, voy. Accès à la justice, Condi-
tion procédurale. E
Droit de garde, voy. Garde des enfants.
Droit de prélèvement, 13.83 Échelle de Keyel, 3.19
Droit de visite, voy. Garde des enfants. École des statuts, 2 .4 et s.
Droit étranger École du droit naturel, 2.2 et s.
Application du-, 4.10, 7.1 et s. Effectivité, 1.6, 1.18, 1.21, 5.58
Application du droit international privé étran- Effet de commerce, voy. Billet à ordre, Lettre de chan-
ger, 6.13 et s., 6.36 et s., 6.39 et s., 6.45 ge, Titre.
Condition procédurale du -, 6.46 et s. Effet de fait, 10.5, 10.9, 10.47 et s., 10.57
Connaissance, 6.54 et s. Efficacité des actes étrangers, 8.46, 10.7, 10.53 et s.,
Définition, 1.25, 6.48 12.21 et S.
-, condition d'application d'une norme, 6.50 Voy. aussi Force exécutoire, Force obligatoire, Force
Interprétation, 6.57 probante.
Lois de police étrangères, 4.15, 14.75 et s. Efficacité des décisions étrangères, 8.31, 10.1 et s.,
Voy. aussi Conflit interpersonnel, Conflit interterri- 12.180 et S.
torial. - en matière de nationalité, 5.45 et s.
Droit fiscal, 1.26, 4.26, 5.27, 6.63 - pénales, 10.50 et s.
Droit international Jugement définitif, 10.6, 10.21, 10.39
- et ordre public, 7.42 Ordre public, voy. Conflit d'autorités et de juridic-
Rapports avec le droit international privé, 1.12 tions.
et S. Respect des règles de compétence, voy. Compé-
Rapports avec le droit interne, 2.16 et s. tence (- indirecte).
Terminologie, 2.13 et s. Respect des règles de conflit de lois, 10.13,
Droit international économique, 2.35 10.24 et S.
Droit interne (définition), 1.25 Voy. aussi Conflits d'autorités et de juridictions, Ef
Droit islamique, 1.38 et s., 7.47 fet de fait, Exequatur, Force exécutoire, Force obli-
Voy. aussi Mariage, Répudiation. gatoire, Force probante, Reconnaissance de plein
Droit maritime, 4.32, 14.152 et s., 15.48 droit, Révision au fond, Sentence arbitrale.
Droit matériel uniforme, voy. Uniformisation du Égalité
droit.
- des créanciers, 12.63
Droit naturel, 1.12, 1.36, 2.2 et s., 7.47
- des héritiers, 13.83
Droit patrimonial de la famille, voy. Donation, Régi-
- des sexes, 5.52, 12.5, 12.65 et s., 12.72, 12.95
me matrimonial, Succession.
et S.
Droit pénal, 1.26, 4.26, 5.27, 6.66, 10.51
- des races et des religions, 7.47, 12.45
Voy. aussi Efficacité des décisions étrangères (-
- du statut des enfants, 12.114 et s.
pénales).
- et nationalité, 3.15, 11.19, 12.8, 13.43
Droit public, 1.8, 1.26, 4.11, 4.14, 4.27, 12.11
Voy. aussi Assimilation de l'étranger au national,
- étranger, 1.26, 4.15, 6.66
Droits de l'homme, Condition des étrangers.
Droit réel, 3.20, 13.4 et s., 13.73, 14.61
Élection de domicile, voy. Domicile et résidence.
Voy. aussi Immeuble, Meuble, Sûretés, Trust.
Droit social, 1.26 Élection de for, voy. Clause attributive de juridiction.
Voy. aussi Contrat de travail. Enlèvement international d'enfants, 12.165 et s.
Droit sportif, 1.20, 1.22 Enregistrement
Droit transitoire, voy. Conflit transitoire. - des navires et aéronefs, 13.16
Droit transnational, voy. Ordre juridique - d'un brevet (dépôt), 13.34 et s., 13.43 et s.
(- transnational). - d'une adoption, 12.140 et s.
Droit uniforme, voy. Uniformisation du droit. - d'une relation de vie commune, 12.105 et s.
Droits acquis, 2.20, 3.11, 6.38 et s., 7.52 - d'une société (incorporation), 16.4 et s., 16.12
Droits de l'homme, 1.15, 7.48, 10.22, 10.39, 12.95 et S.
Droits de la défense, 6.56, 10.22, 10.39, 12.95 - d'un titre, 13.21
Droits intellectuels, 13.33 et s. Enrichissement sans cause, 15.59 et s.
Compétence, 13.44, 13.59 Entraide judiciaire, voy. Coopération internationale.
1012 ÜROIT INTERNATIONAL PRIVÉ

Établissement principal (d'une société), 16.11, Force exécutoire


16.13 - de plein droit, 10.14, 10.28, 12.162, 12.168,
État 13.53
Droit successoral del'-, 13.84 - des actes publics étrangers, 10.53 et s.
État fédéral, voy. Conflit interterritorial, Conflit de - des décisions judiciaires étrangères, 10.5 et s.,
lois interne. 10.28 et s., 10.38 et s.
Reconnaissance, 3.46 Voy. aussi Efficacité des décisions étrangères,
Voy. aussi Compétence (- étatique), Ordre juridique Exequatur, Sentence arbitrale.
(- étatique), Responsabilité (- del 'État). Force obligatoire
État civil, voy. Acte de l'état civil, Registres (- de l'état ci- - de la règle de droit, 1.33, 4.33, 8.19
vil). - des actes publics étrangers, 10.7, 10.53 et s.
Étranger, voy. Condition des étrangers. - des décisions judiciaires étrangères, 10.6,
Exception d'ordre public, voy. Ordre public. 10.26 et s., 10.38 et s.
Exécution forcée, voy. Contrainte, Faillite, Force exé- Voy. aussi Efficacité des décisions étrangères, Recon-
cutoire. naissance de plein droit.
Exequatur, 10.14, 10.28 et s., 10.40 et s., 10.53 et s. Force probante, 10.5, 10.8, 10.47 et s., 12.21
Voy. aussi Force exécutoire, Sentence arbitrale. - extrinsèque, 10.47
Expropriation, 2.18, 7.53, 9.9, 13.23 et s., 16.19, - intrinsèque, 10.48
16.26 Testament, 13.101
Extraterritorialité, 1.35, 9.9, 9.61 Voy. aussi Acte public, Forme.
Voy. aussi Territorialité. Forces armées, voy. Armée, Mercenaire (Engagement
de-) .
.!: Forme, 3.23 et s.
Acte privé, 3.29 et s.
Facteur d'applicabilité, 4.8, 5.2
Acte public, 3.34 et s.
Voy. aussi Domicile et résidence, Règle d'applicabi-
Clause de loi applicable, 12.69, 13.80, 14.43,
lité.
15.14
Facteur de rattachement, 3.14 et s., 3.41 et s., 5.25
Droits réels, 13.11, 13.29
ets.
- de la personne morale, 16.14
Voy. aussi Domicile et résidence, Nationalité, Règle
- de publicité, 3.26
de rattachement.
- du contrat, 14.56, 14.139, 14.145
Faillite, voy. Insolvabilité.
- du contrat de mariage, 12.74, 12.77
Fait du prince étranger, 7.40, 10.9, 14.79
- du testament, 13.86 et s.
Fiançailles, 12.104, 15.19
- du trust, 13.29 s.
Fichier de données, 4.45, 13.45, 13.54, 13.58
- en droit économique et social, 3.28
Filiale, voy. Succursale et filiale.
- habilitante, 3.26, 12.171, 12.176
Filiation, 12.109 et s.
Filiation, 12.116, 12.126
Compétence, 12.111 et s.
Locus regit actum, 3.29 et s., 13.89
Concept préjudiciel, 7.23, 7.27
Mariage, 12.47 et s.
Effets, 12.116, 12.123, 12.132 et s.
Procuration, 11.6, 13.12, 14.139
Établissement, 12.115
Voy. aussi Auctor regit actum, Autonomie de la vo-
- adoptive, voy. Adoption.
lonté, Preuve, Testament.
Légitimation, 12.15, 12.112 et s., 12.130
Forum (non) conveniens, voy. For inapproprié.
Loi applicable, 12.113 et s.
Forum shopping, 1.44, 6.43, 8.2
Ordre public, 7.37, 7.48, 12.117
Fraude à la loi, 5.46, 5.72 et s., 7.43, 10.39
Reconnaissance d'enfant naturel, 12.111 et s.
Recherche de-, 12.113 et s.
Foi due aux actes, 6.60, 14.41, 14.50
Fonds monétaire international, 14.63, 14.66, 14.77 Garde des enfants
For Compétence, 12.154 et s.
- de nécessité, 9.15, 9.48 Droit de visite, 12.154, 12.160, 12.163
- du raisonnement, 6.42 Litispendance, 12.155
- exorbitant, 6.43, 9.25, 9.33, 9.43, 9.49, 10.39 Loi applicable, 12.158 et s.
- inapproprié, 3.54, 9.15, 9.27, 9.46 Voy. aussi Autorité parentale, Divorce, Enlèvement
Voy aussi Clause attributive de juridiction, Compé- international d'enfants.
tence. Gestion d'affaires, 15.60
TABLE ALPHABÉTIQUE 1013

Groupement européen d'intérêt économique, Application subsidiaire de la-, 7.55


16.7, 16.17, 16.20 Notion, 1.25, 2.5
Qualification, 7.6, 7.11, 7.17
H Lex loci delicti, voy. Localisation du délit ou du quasi-dé-
lit, Responsabilité civile.
Homologation Lex mercatoria, 2.35, 4.32, 14.81, 14.119
Filiation, 12.112, 12.120, 12.125
Voy. aussi Usages commerciaux.
Régime matrimonial, 12.77
Lex rei sitae, 2.5
Répudiation, 12.95 et s.
Bien immeuble, 3.36, 13.3, 13.11 et s.
Voy. aussi Compétence.
Bien meuble, 6.11
Hypothèque, voy. Privilèges et hypothèques, Sûretés. Régime matrimonial, 12.68
Succession, 13.83
Libéralités entre vifs, voy. Donation.
Immatriculation Liberté d'établissement, 1.10, 9.29, 14.137, 16.10,
- des navires, 13.16 16.18, 16.22
- des sociétés, 16.20 Libre circulation, 2.28, 3.15, 7.45, 12.32, 14.76,
- des véhicules automobiles, 15.35 14.114
Voy. aussi Enregistrement, Registres. - des personnes et des biens, 1.16, 1.42, 3.15
Immeuble - des jugements, 8.10, 10.16 et s., 12.162
Compétence, 13.4 et s. Voy. aussi Union européenne.
Contrat, 13.67, 14.128 et s. Libre prestation de services, 1.10, 4.33, 8.25, 14.114
Loi applicable, 13.10 et s. Contrat d'assurance, 14.90, 14.98
Succession, 13.79 Contrat de travail, 14.176
Sûretés, 13.12 Personne morale, 16.7
Voy. aussi Bail, Lex rei sitae. Voy. aussi Union européenne.
Immunité, 9.18 et s. Litispendance, 9.39 et s., 9.45, 9.56, 12.83
Incapacité, voy. Capacité, Protection (- des incapables). Localisation
Incorporation, voy. Enregistrement. Critère de compétence, 9.10 et s.
Injonction à l'autorité étrangère, 1.27, 9.9, 9.17, Facteur de rattachement, 3.20, 3.41 et s., 5.25
9.55, 12.24 et S.
Inscription aux registres, voy. Registres. - du bien, 13.3, 13.18 et s., 13.22
Inscription de faux, 10.57, 13.101 - du contrat, 14.9, 14.37, 14.51 et s., 14.95,
Insolvabilité, 13.60 et s. 14.118, 14.135, 14.150, 14.169, 14.186
Intérêt de l'enfant, 3.14, 12.113 et s., 12.122, 12.158 - du créancier alimentaire, 12.187
Intérêt prépondérant, 3.14, 9.49 - du délit ou quasi-délit, 15.5, 15.9 et s.
Internet Locus regit actum, voy. Forme.
Contrat, 14.104, 14.180 Loi d'application immédiate, voy. Règle d'applicabi-
Propriété intellectuelle, 13.45, 13.59 lité, Règle d'application nécessaire.
Responsabilité, 15.15, 15.46, 15.53 et s. Loi d'autonomie, voy. Autonomie de la volonté.
Loi de blocage, 9.9
Loi du for, voy. Lex fori.
l Loi d'origine, 2.28, 3.15, 4.46, 6.43, 7.45, 7.49,
Jugement par défaut, voy. Défaut (- d'une partie). 13.56, 14.76
Jura novit curia, 6.49 et s. Loi de police (et de sûreté), 4.11 et s., 7.42
]urisdiction, 1.31, 1.35, 1.42, 9.16 Contrat (en général), 4.12, 14.1, 14.73 et s.
Voy. aussi Compétence, Défaut (- de juridiction). Contrat d'assurance, 14.98
Contrat de consommation, 14.112
.!S Contrat de transport,~
Cpntrat de travail, 14.175 et s.
Kafalah, 12.124, 12.127, 12.171
Droit communautaire, 4.16
Droit d'auteur, 13.57
!: Personne morale, 16.15
Légalisation, 8.43, 10.47 Responsabilité civile, 15.11
Légitimation, voy. Filiation. Statut personnel, 12.63 et s.
Lettre de change, 13.21, 14.142 et s. Loi impérative, voy. Loi de police, Règle impérative.
Lexfori Loi uniforme, voy. Uniformisation du droit.
1014 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ

M Nationalité
Certificat de-, 5.51
Mandat, voy. Représentation.
Citoyenneté européenne, 2.17, 5.36, 5.61
Mariage, 12.37 et s.
Compétence législative, 2.17, 5.44
Capacité, 12.40 et s., 12.63, 12.65, 12. 73
Contentieux de la - étrangère, 5.47 et s., 6.35
Compétence, 12.48 et s., 12.53, 12.59 et s.
et S.
Conclusion, 12.37 et s.
Critère de compétence, 5.44, 9.51
Condition de fond, 12.40 et s.
Détermination de la-, 5.32 et s., 12.13 et s.
Effets, 12.61 et s.
Effets, 5.45 et s.
- patrimoniaux, 12.64 et s. Facteur de rattachement, 1.11, 3.18, 5.33, 12.3
- personnels, 12.61 et s., 12.101, 12.188 et S.
Efficacité des décisions étrangères, 12.56 Loi belge, 5.43
Forme, 12.47 et s. - de la femme mariée, 5.37 et s., 5.52
- clandestin, 12.50 - effective, 5.58
- consulaire, 12.19, 12.49 et s. - fonctionnelle, 5.59 et s.
- de personnes de même sexe, 12.46, 12.48 Naturalisation, 5.46, 5.49 et s.
- polygamique, voy. Polygamie. Personne morale, voy. Personne morale.
- posthume, 7.52, 12.44 Preuve, 5.48
- putatif, 12.55 Service militaire, 5.42, 5.62
- religieux, 3.28, 3.31, 6.5, 7.19 et s., 12.47, Voy. aussi, Apatride, Conflit de nationalités, Chan-
12.50, 12.56 gement territorial.
- simulé, 12.42 Navire, 13.16 et s.
- solo consensu, 12.47 Nom, 12.26 et s., 12.101, 12.123
Nullité, 12.52 et s. Changement de-, 12.31 et s.
Preuve, 12.41 et s., 12.51 Norme indirecte, 3.5 et s.
Marin, Voy. Contrat d'engagement maritime. Voy. aussi Règle de rattachement.
Marque, 13.23, 13.36 et s., 15.42 et s. Norme primaire de droit international privé, 3.7,
Mercenaire (engagement de-), 7.47, 14.175 5.1
Ménage de fait, voy. Vie commune. Notaire, 3.34, 9.17
Mesures provisoires, 8.16, 8.22, 9.34 et s., 9.54, Voy. aussi Acte public, Testament.
12.82, 12.102, 13.46 et s., 13.106 Notary public, 9.24
Méthode indiciaire, 14.53 et s., 14.97 Nullité, 12.52 et s., 12.123, 14.55
Méthode multilatérale, voy. Règle de rattachement (-
multilatérale). 0
Méthode unilatéraliste, voy. Unilatéralisme.
Meuble Objectifs
Compétence, 13.8 - des règles de conflit de lois, 3.10 et s.
Loi applicable, 13.10 et s. - des règles de conflit de juridictions, 9.21 et s.
- en circulation, 13.14 et s. Objet (de la demande), 6.33, 6.49, 7.19, 8.16
Succession, 13. 78 et s. Obligations militaires, voy. Nationalité (Service mili-
Sûretés, 13.9, 13.12 taire).
Obligation alimentaire, 12.177 et s.
Voy. aussi Conflit mobile, Lex rei sitae.
Action non déclarative de filiation, 7.23, 12.115
Minorité, voy. Capacité, Protection (- des incapables).
Compétence, 12.178 et s.
Minorité prolongée, voy. Protection (- des incapa-
Contrat, 12.192
bles).
Efficacité des décisions étrangères, 12.180 et s.
Monnaie, 14.63 et s.
Loi applicable, 12.185 et s.
- de compte, 14.69 et s.
- entre époux, 12.188, 12.191
- de paiement, 14.71 et s.
- entre ex-époux, 12.188
Voy. aussi Taux de change.
- envers un enfant, 12.188, 12.190 et s.
Mutabilité du régime matrimonial, voy. Régime
Question préalable, 6.30 et s., 6.50
matrimonial.
Voy. aussi Coopération internationale, Service des
créances alimentaires.
Oeuvres d'art, voy. Biens culturels.
Nationalisation, voy. Expropriation Office européen des brevets, 13.50 et s.
TABLE ALPHABÉTIQUE 1015

Officier de l'état civil, 3.34, 10.3, 12.20 et s., 12.47 que, Siège social.
et S. Pluralisme juridique, 1.22
Officier public, 3.34, 10.3 Polygamie, 7.52, 12.43
Ordre juridique Pratique commerciale déloyale, 15.42 et s.
- étatique, 1.20, 3.46 Prescription, 7.7, 7.22, 11.11 et s., 14.55
- international,, 7.4 7 Preuve, 10.47, 11.15 et s.
- transnational, 1.17 et s., 2.35, 4.32, 14.46, - de la célébration du mariage, 12.51
14.115 - de la filiation, 12.113
Voy. aussi Droit transnational. - de la nationalité étrangère, 5.48
Ordre public, 4.14, 6.65, 7.32 et s. - des actes de procédure, 10.20, 10.47
Aliments, 12.189 - du contenu du droit étranger, 6.53, 9.49
Arbitrage, 14.21, 14.28 et s. - du domicile, 5.66 et s.
Capacité et protection des incapables, 12.158, Voy. aussi Droit étranger, Force probante, Forme.
12.175 Prévisibilité, 3.12, 3.17, 9.23
Clause d' - positif, 7.54, 12.46, 12.100, 12.122 Principal établissement ou siège social des per-
Compétence, 9.7, 9.8, 14.18, 14.21 sonnes morales, voy. Domicile et résidence (- de la
Contrats, 14.77 et s., 14.178 personne morale), Siège social.
Divorce, 12.92, 12.94 et s., 12.100 Principe dispositif, 6.42 et s., 7.23
Efficacité des décisions, 10.12, 10.24, 10.39 Principe du contradictoire, 6.49, 6.53 et s.
Expropriation et nationalisation, 13.23 et s. Privilèges et hypothèques, 13.12, 13.73
Filiation, 12.115 et s., 12.124 - maritimes et aériens, 13.17
Intensité du rattachement, 7.53, 12.45 Privilèges et immunités, voy. Immunité.
Mariage, 12.45 Procédure, 11.1 et s.
- contractuel, 7.41 Délai, voy. Prescription.
étranger, 7.50 Loi applicable, 9.36, 11.3 et s.
- judiciaire, 9 .8 Preuve, voy. Preuve.
Personne morale, 16.14, 16.27 - et qualification, 7.22
Responsabilité civile, 15.16 Règlements européens, 11.18, 11.28
Successions, 13.83 Voy. aussi Assistance judiciaire, Auctor regit actum,
Communication des actes, Compétence internatio-
p nale, Condition procédurale, Exequatur, Preuve.
Procuration
Paiement indu, 15.60
Forme de la-, 11.6, 13.12, 14.139
Paiement international, voy. Monnaie.
Mariage et divorce par-, 4.8, 12.50, 12.94
Partage
Propriété industrielle, 13.36 et s.
- de la succession, 13.111 et s.
Protection
- des biens, 13.6, 13.11
- diplomatique, 2.17, 5.46, 16.5 et s.
- du régime matrimonial, 12.73
Voy. aussi Agents diplomatiques et consulaires.
Partenariat, voy. Vie commune. - de l'incapable, 12.169 et s.
Pension de survie, 12.55, 12.101, 12.178, 12.188,
- des parties au procès, 9.22 et s.
12.192
- du contractant le plus faible, 14.73, 14.85,
Personnalité (des lois), 1.37, 3.16, 9.11
14.88, 14.102 et s., 14.111, 14.164 et s., 14.174
Personne morale, 16.1 et s.
- du logement familial, 12.59, 12.64, 12.66,
Condition procédurale de la personne morale
12.101
étrangère, 16.27
Proximité (notion), 3.13, 3.17, 9.23
Conflit de juridictions, 16.24 et s.
Voy. aussi Clause d'exception.
Conflit de lois, 16.11 et s.
Publicité, voy. Forme.
Domicile, voy. Domicile et résidence (- de la person-
ne morale).
Fusion de sociétés, 16.19 et s. Q
Nationalité, 16.3 et s. Qualification
Nullité, 16.11, 16.24, 16.26, 16.28 Conflit de qualifications, 7.5 et s.
Reconnaissance de la personne morale étrangè- Définition des concepts de droit interne, 5. 7 et
re, 16.8 et s. S., 7.27 et S.
Transformation et extinction, 16.19 et s. Lege causae, 7.12 et s.
Voy aussi Groupement européen d'intérêt économi- Lege fori, 7.6 et s.
1016 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ

- et catégorie de rattachement, 5.9 et s., 7.14, Règle d'application nécessaire (ou immédiate), 4.6
15.19 Règle de circulation et de sécurité, 15.37
Théorie des qualifications, 7.2 et s., 11.11 Règle de compétence, voy. Compétence.
Quasi-contrat, 15.59 et s. Règle de rattachement (notion), 3.1 et s.
Question préalable, 6.29 et s., 13.85, 15.22 Critère, 3.16 et s.
- de droit étranger, 6.32, 7.29 Méthode de la-, 3.4 et s.
- de droit national, 6.32 - alternative, 3.59 et s., 5.31
Question préjudicielle, 6.31, 6.48 Voy. aussi Testament.
- complexe, 3.54 et s.
R - conditionnelle, 3.54 et s.
- cumulative, 3.59 et s.
Rapport boiteux, 4.45, 12.10, 12.99, 12.107, 12.124 - disjonctive, 3.52
Réciprocité, 1.11, 2.6, 3.48, 13.74, 13.83, 13.93, - distributive, 3.57, 12.40
15.28 - exclusivement unilatérale, 3.45
Reconnaissance de plein droit, 10.15 et s., 10.26, - multilatérale, 3.44
10.41 et s., 12.91 et s., 12.139, 13.75 - subsidiaire, 3.53
Voy. aussi Autorité de la chose jugée. - uniforme, 3.48, 3.50
Reconnaissance mutuelle, 4.46, 7.45, 10.2, 10.54 Voy. aussi Assimilation de l'étranger au national,
Voy. aussi Libre circulation, Union européenne. Catégorie de rattachement, Facteur de rattache-
Référé, voy. Mesures provisoires. ment, Intérêtdel'enfant, Norme primaire, Règle
Réfugié, 2.24, 8.39, 12.9 d'applicabilité.
Régime matrimonial Règle de signalisation (notion), 4.41
Conflit de juridictions, 12.59 et s. Règle impérative, 3.31, 4.14
Droit applicable en l'absence de choix, 12.71 Voy. aussi Contrat, Loi de police.
et S. Règle matérielle de droit international privé (no-
Droit transitoire, 12.67 tion), 3.8 et s.
Autonomie de la volonté, 12.69 et s. Voy. aussi Testament.
Modification du régime matrimonial, 12.76 Règlement Bruxelles I, 8.6 et s., 9.27 et s., 10.17 et s.
et S. Règlement Bruxelles II et Ilbis, 12.79 et s., 12.154,
Opposabilité aux tiers, 12.75 12.162
Régime primaire, 12.64 Renvoi, 6.12 et s.
Registre (Inscription au - ) Contrat, 6.27, 14.42
Contrat de mariage, 12.75 Double-, 6.15
- des personnes morales, 16.4 et s. Droit patrimonial de la famille, 6.19, 12.72
- de la population, 5.65 et s., 9.50 Personne morale, 16.12
- de l'état civil, 12.22 - au premier degré, 6.14
Testament, 13.97 - au second degré, 6.14
Voy. aussi Enregistrement. - conditionnel, 6.16
Règle alternative, voy. Compétence (-alternative), Rè- - expédient, 6.18
gle de rattachement (-alternative). Responsabilité civile, 15.12, 15.34
Règle d'applicabilité, 4.1 et s. Statut personnel, 6.19, 12.40, 12.115, 12.127,
Contrat, 4.12 12.152
Méthode de la-, 3.6, 4.4, 4.30 Successions, 13.82
- du droit uniforme, 4.29 et s. Représentation, 11.9, 12.153, 12.176, 14.8, 14.133
- et adoption, 12.122 et s., 16.14
- et aliments, 12.175 Répudiation, 12.95 et s.
- et droit communautaire, 4.16, 4.31, 4.34, 4.42 Réserve
et s., 4.50, 13.58, 14.113, 14.137 - de propriété, 13.11, 13.67, 13.73, 14.61
- et loi de police, 4.11 et s. - héréditaire, 13.31, 13.83 et s., 13.100
- et mariage, 4.8 Résidence, voy. Domicile et résidence.
- étrangère, 4.10, 4.15 Responsabilité civile, 15.1 et s.
- et règle de droit matériel, 4.4 Conflit de juridictions, 15.3 et s., 15.39, 15.44,
- et règle de rattachement, 4.25 et s. 15.53
- unilatérale ou multilatérale, 4.9 Localisation du fait générateur, 15.5, 15.13
Voy. aussi Facteur d'applicabilité, Loi de police, Rè- Loi applicable, 15.8 et s.
gle d'application nécessaire. - contractuelle, voy. Contrat.
TABLE ALPHABÉTIQUE 1017

- et médias, 15.52 et s. - et qualification, 7.6


- de l'État, 15.21 Voy. aussi Droit de prélèvement, État (Droit succes-
- du fait des produits, 15.56 et s. soral del'-), Testament.
- et environnement, 15.47 et s. Succursale et filiale, 16.8 et s., 16.15, 16.25 et s.
Réparation, 15.19 et s. Sûreté, 13.12, 13.17, 14.121 et s.
Voy. aussi Accident, Action directe, Assurance. Voy. aussi Cautionnement, Privilèges et hypothè-
Révision au fond, 10.13, 10.15, 10.25, 10.39, 13.75 ques.
Voy. aussi Efficacité des décisions étrangères.
Rupture de fiançailles, voy. Fiançailles. T
Taux de change, 14.70 et s.
Temps, voy. Conflit mobile, Conflit transitoire, Droits
Saisie, voy. Mesures provisoires. acquis.
Sécurité sociale, 1.9, 8.15, 9.20, 14.163 Territorialité
Sécurité juridique (impératif de-), 3.12 Compétence, 9.13, 9.17, 13.3
Sentence arbitrale - au sens formel, 1.34 et s., 13.35
Annulation, 14.31 et s. - au sens matériel, 1.35, 11.3, 13.35
Efficacité, 8.38, 14.24 et s. - du droit international privé, 1.11, 2.3, 2.5
Nationalité, 14.23 et s. - et droits intellectuels, 13.42
Voy. aussi Arbitrage. Voy. aussi Loi de police.
Séparation de corps, voy. Divorce. Testament, 13.86 et s.
Service des créances alimentaires, 12.193 Capacité, 13.98 et s.
Siège social Conditions de fond, 13.98 et s.
Critère de compétence, 13.72, 16.25 et s. Conflit transitoire, 13.86
Critère de nationalité, 16.4 et s. Définition, 13.87
Facteur de rattachement, 5.73, 16.13, 16.17 Effets, 13 .103
Transfert du-, 16.21 et s. Forme, 13.88 et s.
Signification des actes, voy. Communication des actes. Inscription, voy. Registres.
Simulation (Technique de la-), 1.42 et s. Interprétation, 13.102
Société Loi applicable, 13.89 et s.
- civile, 16.8 et s. Pacte successoral, 13.100
- européenne, 16.20 Règle de rattachement alternative, 13.89 et s.
- d'une personne, 16.14 Règle matérielle de droit international privé,
Voy. aussi Personne morale, Siège social, Succursale 13.94
et filiale. - authentique, 13.101
Sources (du droit international privé), 2.15 et s. - conjonctif, 13.87
Souveraineté - consulaire, 13.87, 13.96
Changement de -, voy. Changement territorial. - international, 13.93
Principe de-, 3.13 - mystique, 13.110
Statut personnel, 12.1 et s. - olographe, 13.88, 13.110
- et nationalité, 3.18, 9.11, 12.13 et s. Timeshare, 13.11, 13.31, 14.110 et s., 14.131
Subrogation, 12.188, 14.58, 14.123, 15.24 Titre
Substitution - au porteur, 13.21
- et concept préjudiciel, 7.28 et s. - exécutoire européen, 10.14
- de la !ex fori, 7.55 - négociable, 14.140 et s.
- du droit uniforme, 4.35, 4.43 Traité international
Succession, 13.76 et s. Domaine d'application, 3.48, 4.33 et s., 5.23,
Acceptation, 13.80, 13.105 8.13 et S.
Administration, 13.104 et s. Nationalité, 5.34 et s.
Autonomie de la volonté, 13.80, 13.102 Ordre public, 7.38, 7.48 et s.
Compétence, 13.78 Primauté du traité sur le droit interne, 2.15
Droit de prélèvement, 13.83 Renvoi, 6.24, 6.26 et s.
Loi successorale, 13.79 et s. Voy. aussi Conflit de traités, Codification du droit in-
Liquidation, 13.104 et s. ternational privé, Uniformisation du droit, Union
Partage, voy. Partage (- de la succession). européenne.
Règlement du passif de la-, 13.107 et s. Transaction judiciaire, 8.18, 10.3, 10.17, 10.53,
1018 ÜROIT INTERNATIONAL PRIVÉ

10.56 Coopération judiciaire, 11.18, 11.28


Transcription, 10.46, 12.22, 12-50 Droits intellectuels, 13.36, 13.47, 13.50, 13.52
Transfert du siège social, voy. Personne morale. Insolvabilité, 13.63 et s.
Transport international, 13.14, 14.147 et s., 14.152 Interprétation du droit communautaire, 6.48,
et S. 8.10 et S.
Transposition (problème de la-), 7.31 Obligation alimentaire, 12.178, 12.181
Trust, 3.38, 13.25 et s. Ordre public, 7.45, 7.49
Compétence, 13.27 et s. Personnes morales, 16.7, 16.10, 16.16 et s.
Loi applicable, 13.29 et s. Règle de rattachement, 4.50, 5.21, 6.37
Reconnaissance, 13.32 Responsabilité civile, 15.3 et s.
Voy. aussi Autonomie de la volonté. Statut personnel, 12.32, 12.53, 12.60, 12.154,
Tutelle des incapables, 12.169 et s. 12.162, 12.178, 12.181
MENA, 12.169, 12.174, 12.175 Trust, 13.27
- et loi de police nationale, 4.16
u Voy. aussi, Liberté de circulation, Loi d'origine, Re-
connaissance mutuelle, Règle d'applicabilité, Rè-
Uniformisation du droit, 4.29 et s.
glement Bruxelles I, Règlement Bruxelles II et
Condition du droit uniforme, 6.48
!Ibis.
- des règles de conflit de lois, 3.48, 3.50, 4.48
Universalisme, 2.7 et s., 4.48
et S.
Usages commerciaux, 4.32, 14.13, 14.46, 14.81,
- matériel, 4.35 et s.
14.183
Voy. aussi Codification du droit international privé,
Traité international, Union européenne.
V
Unilatéralisme, 4.18 et s.
Union européenne, 1.16, 2.27 et s., 4.31, 7.49, 14.76 Vente
Contrat, 14.10, 14.67, 14.91, 14.113 et s. Contrat de-, 14.131, 14.179 et s.
Conflit d'autorités et de juridictions, 8.2 et s., - des biens d'un mineur, 12.176
9.26 et s., 10.17 et s. Vie commune, 12.48, 12.105 et s.
Conflit de nationalités, 5.36, 5.61, 12.32 Vie privée, 1.15, 4.45, 15.52 et s.
TABLE DES ARTICLES DU CODE BELGE
DE DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ

Art. 2: 1.9, 4.6, 15.21, 16.11 Art. 35: 12.153, 12.158, 12.159, 12.169, 12.171,
Art. 3: 5.35, 5.44, 5.57 et s., 5.63, 12.9, 12.53 12.175
Art. 4: 5.27, 5.30, 5.67, 9.50, 12.11, 12.69, 12.71, Art. 36: 9.49, 9.51, 12.18, 12.30, 12.33
12.95, 13.71, 13.79, 16.13, 16.24 Art. 37: 12.28
Art. S : 9.22, 9.49, 9.52, 12.30, 12.34, 12.52, 12.59, Art. 38: 12.3, 12.31
12.59, 12.111, 12.179, 13.28, 14.15, 16.26 Art. 39: 9.7, 10.39, 12.30, 12.33
Art. 6: 9.7, 9.14, 9.46, 9.53, 14.16 Art. 40: 9.49, 12.34
Art. 7: 9.7, 9.14, 9.53, 14.16 Art. 41: 12.36
Art. 8: 9.52, 12.86 Art. 42: 9.49, 9.51, 12.52, 12.53, 12.59, 12.85, 12.88,
Art. 9: 9.52, 9.56, 12.52, 12.86 12.96, 12.108
Art. 10: 9.54, 12.86, 12.157, 13.9 Art. 43: 9.17, 12.52, 12.59
Art. 11: 9.15, 9.48, 12.34, 12.52, 12.59, 12.86, 13.110 Art. 44: 12.18, 12.48
Art. 12: 9.7, 9.55, 12.86 Art. 45: 12.104
Art. 13: 9.5, 9.60, 12.18, 12.88, 12.111, 13.72 Art. 46: 3.57, 7.54, 12.10, 12.40, 12.41, 12.46, 12.71
Art. 14: 9.56, 12.86 Art. 47: 12.47, 12.50, 12.62
Art. 15: 6.54, 6.55, 6.57, 6.58 Art. 48: 12.61, 12.66, 12.65, 12.66, 12.73, 14.192
Art. 16: 6.20, 12.40, 12.152, 13.82, 14.42 Art. 49: 12.7, 12.76
Art. 17: 6.8, 6.9 Art. 50: 12.69, 12.76
Art. 18 : 5. 73, 13.112 Art. 51: 12.71
Art. 19: 3.11, 3.17, 6.41, 12.71, 12.106, 13.30, 14.42, Art. 52: 12.74, 12.77
15.35, 15.51, 15.58, 15.61 Art. 53: 12.69, 12.73, 12.76
Art. 20: 4.4, 4.6, 4.9, 4.10, 4.14, 4.28, 12.73, 12.96, Art. 54: 12.66, 12.107
12.116, 12.100, 12.122, 12.123, 12.175, 13.100, Art. SS: 3.38, 7.54, 12.7, 12.95, 12.96, 12.98 et s.
15.46, 15.51 Art. 56: 12.73, 12.101, 12.102, 12.161
Art. 21: 6.65, 7.39, 7.46, 7.55, 12.100, 12.117, 13.24, Art. 57: 7.50, 12.10, 12.95
13.83, 15.16 Art. 58: 12.106
Art. 22: 10.3, 10.6, 10.41, 10.42, 10.44, 10.51, Art. 59: 12.18, 12.106, 12.108
13.109, 13.110, 12.164 Art. 60: 7.30, 12.10, 12.106, 12.107
Art. 23: 10.40, 13.7, 13.75 Art. 61: 9.49, 9.51, 12.111
Art. 24: 12.51 Art. 62: 12.16, 12.114, 12.116, 12.176
Art. 25 : 9.7, 9.56, 10.13, 10.39, 10.45, 10.47, 12.22, Art. 63: 12.111, 12.116
12.94, 13.109, 15.29 Art. 64: 12.18, 12.116
Art. 26 : 10.8, 10.48 Art. 66: 9.49, 12.119
Art. 27: 8.45, 10.7, 10.55, 10.56, 12.23, 12.46, 13.12 Art. 67: 3.59, 7.54
Art. 28: 10.48, 10.57, 12.21, 12.23 Art. 68: 12.126, 12.176
Art. 29: 10.9, 10.49, 10.57 Art. 69: 12.120, 12.122, 12.123
Art. 30: 10.47, 10.57, 12.21 Art. 70: 12.123
Art. 31 : 8.46, 10.46, 12.22 Art. 71: 12.123
Art. 32: 9.49, 9.51, 12.18, 12.151 Art. 72: 12.110, 12.123, 12.137, 12.142
Art. 33: 9.49, 9.51, 12.157, 12.171 Art. 73: 9.49, 9.51, 12.179
Art. 34: 3.18, 6.20, 12.28, 12.73, 12.152, 13.98 Art. 74: 3.59, 12.186, 12.191
1020 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ

Art. 75: 12.185, 12.192, 12.193 Art. 106: 3.59, 15.2, 15.25
Art. 77: 9.23, 13.78, 13.110, 13.111 Art. 107: 14.58, 15.2, 15.24
Art. 78: 3.55, 6.16, 6.20, 6.27, 13.79 Art. 108: 3.41, 14.138
Art. 79: 5.70, 12.7, 13.31, 13.57, 13.80 Art. 109: 9.49, 16.26
Art. 80: 13.84, 13.99, 13.100, 13.105, 14.193 Art. 110: 3.55, 16.3, 16.11, 16.12, 16.14, 6.16, 16.18,
Art. 82: 13.11, 13.105, 13.109 6.20
Art. 83: 13.86, 13.87 Art. 111: 16.15
Art. 84: 13.102 Art. 112: 16.21, 16.22
Art. 85 : 13.6, 13.8 Art. 113: 16.19
Art. 86: 13.44, 13.49, 13.59 Art. 115: 9.7, 16.28
Art. 87: 13.8, 13.10, 13.14, 13.19, 13.20, 13.22, Art. 116: 13.61, 13.70
13.23, 13.82, 14.57
Art. 117: 13.61
Art. 88: 13.16
Art. 118: 9.49, 13.61, 13.65, 13.71, 13.72, 13.75
Art. 89: 13.16, 13.17
Art. 119: 13.61, 13.73
Art. 90: 13.15
Art. 120: 13.61, 13.74
Art. 91: 13.21, 14.151
Art. 121: 9.7, 13.61, 13.75
Art. 92: 13.15, 13.21
Art. 122: 5.10, 13.26
Art. 93: 9.7, 13.42, 13.57
Art. 123 : 13.28
Art. 94: 13.11, 13.12, 13.14
Art. 96: 13.45, 13.49, 14.15, 14.123, 14.135, 14.156, Art. 124: 13.29
15.7, 15.60 Art. 125 : 13.31
Art. 97: 9.49, 14.105 et s., 14.167, 14.168 Art. 126: 10.38, 12.150
Art. 98: 14.17, 14.20, 14.35, 14.143, 14.191, 15.2 Art. 127: 5.24, 12.46, 12.61, 12.67, 12.76, 12.110,
Art. 99: 3.55, 3.59, 13.45, 15.2, 15.9, 15.32, 15.51, 12.150, 12.185, 13.77, 15.8
15.54, 15.58 Art. 129 : 12.48
Art. 100: 12.65, 15.2, 15.19 Art. 130: 12.70, 12.122
Art. 101: 15.2, 15.14, 15.51, 15.58 Art. 134 : 8.45
Art. 102 : 15.2 Art. 135: 13.72
Art. 103: 15.2, 15.18 Art. 136: 13.71
Art. 104: 15.2, 15.60 Art.139: 8.45, 13.91, 12.49, 12.119, 12.123, 13.83
Art. 105: 15.2, 15.61 Art. 140: 12.110, 12.119
TABLE DES MATIÈRES

Sommaire .......................................................................................................................... s
Index des abréviations ................................................................................................. 7

Avant-propos ................................................................................................................ 1 s

TITRE 1
DÉFINITION DU DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ

CHAPITRE 1
L'OBJET DU DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ
Section 1
La situation privée configurée dans l'espace international
Section 2
Le droit international privé,
épicentre d'un conflit de systèmes juridiques
§ 1 LA PLURALITÉ DES ORDRES JURIDIQUES .•.•••••••••••.•••.•••••••••••.•••••••••.••..•••••••.••••.•••••••••.••• 25
A. Le droit international ......................................................................................... 27
B. La protection internationale des droits de l'homme . ... .. ... .. ... ... ... ... ... .. ... .. ... . ... ... .. 28
C. Le droit de l'Union européenne ........................................................................... 29
D. Les ordres juridiques transnationaux ................................................................... 29
§2 PLACE DU DROIT ÉTATIQUE PARMI LES AUTRES ORDONNANCEMENTS JURIDIQUES ••••••...•• 30

Section 3
Les divisions du droit international privé
Section 4
La méthode du droit international privé
§1 FORCE OBLIGATOIRE ET APPLICABILITÉ DE LA RÈGLE DE DROIT •••.••••.•••.••••••••••••••••••••••.•. 38
§2 MISE EN CEUVRE PROCESSUELLE DE LA RÈGLE DE DROIT ••••.•.••.•••••••.•..••.••••••••••••••••••••••• 41
A. Conflits suscités par l'exercice de compétences concurrentes ................................. 41
B. Technique de la simulation .. .. ... ... .. .. ... ... .. .. ... .. .. .... .. ... .. .. ... ... .. ... ... ... ... .. .. ... .. ... .. ... 43
1022 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ

CHAPITRE 2
ÉCOLES ET SOURCES DU DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ
Section 1
Les écoles
§1 L'ÉCOLE DU DROIT NATUREL ..................................................................................... 51
§2 L'ÉCOLE DES STATUTS ............................................................................................... 52

§3 UNIVERSALISME ET POSITIVISME ................................................................................. 54

§4 TERMINOLOGIE ........................................................................................................ 57

Section 2
Les sources
§1 LE DROIT INTERNATIONAL ......................................................................................... 58
A. Le droit international général . .. .. ... ... .. ... ... .. ... .. ... .. ... .. ... ... .. .. ... ... .. .. ... ... ... .. ... .. ... .. 59
B. La codification internationale . .. ... .. ... ... .. ... ... ... . ... ... .. .... .. .. ... .. .. ... ... .. ... ... .. ... ... .. .. .. 63
§2 LE DROIT DE L'UNION EUROPÉENNE .......................................................................... 65

§3 LE DROIT NATIONAL .................................................................................................. 68


§4 LE DROIT NON ÉTATIQUE .......................................................................................... 73

TITRE 2
MÉTHODES DE SOLUTION DES CONFLITS
DE LOIS - ANALYSE DESCRIPTIVE

CHAPITRE 3
LA RÈGLE DE RATTACHEMENT
Section 1
La méthode de solution des conflits de lois
§ 1 LA RÈGLE DE RATTACHEMENT COMME RÈGLE DE CONFLIT DE LOIS ................................ 80
§2 ÜBJECTIFS DE LA RÈGLE DE RATTACHEMENT ................................................................ 85

Section 2
Règles générales de rattachement
§1 CLAUSE GÉNÉRALE DE RATTACHEMENT ....................................................................... 92

§2 MATIÈRES DU STATUT PERSONNEL ............................................................................. 94

§3 MATIÈRES PATRIMONIALES ........................................................................................ 96


§4 RÉFÉRENCE À LA VOLONTÉ DES PARTIES ...................................................................... 97

§5 FORME EXTRINSÈQUE DES ACTES ................................................................................ 99


A. Présentation . ... .. .. .. ... ... .. .. ... .. .. ... .. ... .. .... .. .. ... ... .. .. ... ... ... .. ... .. .. ... .. ... ... ... .. ... .. ... .. . 1 00
B. Forme des actes privés ...................................................................................... 1 01
TABLE DES MATIÈRES 1023

C. Forme des actes publics .. ... .. ...... .. ... .. .. .. .. ... ... . ..... . ... ... ... .. .. ... .... .. .. ... ... .. .. ... .. ... ... 1 04

Section 3
Nature de la règle de rattachement
§1 ELÉMENTS CONSTITUTIFS DE LA RÈGLE DE RATTACHEMENT ......................................... 106
A. La catégorie de rattachement .. ... .. ... .. .. ... ... .. .. ... ... ... .. .. ... ... .. ... ... ... ... .. .. ... .. ... ... .. . 1 06
B. Le facteur de rattachement ... .. .... . ... .. ... .. ... .. ... .. ... ... .. .. ... ... ... .. .... ... .. ... .. ... .. .. ... ... . 1 09
C. L'ordre juridique désigné .................................................................................. 110
§2 FONCTION DE LA RÈGLE DE RATTACHEMENT ............................................................. 114
A. Règle universelle ou règle limitée . .. ... .. .. ... .. ... .. ... ... .. ... ... .. .. ... .... ... .. ... ... .. .. ... .. ... .. 114
B. Règle de répartition des compétences ou règle de localisation .. .... ... ... .. .. ... .. .. ... ... 11 6
§3 MODALITÉS DE LA RÈGLE DE RATTACHEMENT ........................................................... 117
A. Le rattachement disjonctif . ... ... ... .. .. ... .. .. ... ... . .... .. ... ... .. .. ... ... ... ... ... .. ... .. ... .. .. .... .. . 117
B. Le rattachement subsidiaire .. .. ... ... .. ... .. .. .. ... ... ... .. .. ... ... .. ... ... .. .. .. ... .. ... .. ... . ... ... ... . 118
C. Les rattachements complexes .. .. ... ... .. .. .. ... ... .. .. ... .... .. .. ... .. ... ... .... .. .. ... ... .. ... .. .. ... .. 118
D. Le rattachement distributif............................................................................... 1 20
E. Les rattachements de caractère substantiel ....................................................... 121

CHAPITRE4
LA RÈGLE D'APPLICABILITÉ
Section 1
L'applicabilité du droit national
§1 NOTION DE RÈGLE DIRECTE D'APPLICABILITÉ ............................................................. 129
A. Définition ........................................................................................................ 129
B. Configuration de la règle directe d'applicabilité .. ... .. .. ... ... .. ... .. ... . ... ... .. .. ... .. .. ... ... 131
C. Règles d'applicabilité et lois de police ................................................................ 136
§2 INTERACTION DES MÉTHODES DE SOLUTION DES CONFLITS DE LOIS ............................ 143
A. La méthode unilatéra/iste . .. ... .. ... ... .. .. ... ... .. .. ... ... .. ... .. ... .. ... ... .. .. .. .. ... .. ... .. ... .. ... ... 143
B. Critique de la théorie unilatéraliste ... .. .. ... .. .. ... ... ... ... .. .. ... ... ... ... .. ... ... .. .. ... .. ... .. ... 145
C. La complémentarité des méthodes .. .. .. .. ... ... .. .. ... ... ... .. .. ... ... ... .. ... ... ... ... .. .. .. .. ... ... 148
Section 2
L'applicabilité du droit uniforme
§1 NOTIONS ·········"·····"···································································"························ 151
A. Diversité des instruments .. ... .. .. .. . .. . .. .. ... .. .. ... ... ... ... .. .. ... ... .. ... .... .. ... .. ... .. .. ... .. ... .. 1 51
B. Détermination de l'applicabilité de l'instrument international ............................ 153
§2 LE DROIT MATÉRIEL UNIFORME ................................................................................ 156
A. Méthodes d'applicabilité du droit conventionnel ................................................ 156
B. Méthodes d'applicabilité du droit communautaire dérivé ................................... 160
§3 LES RÈGLES DE RATTACHEMENT UNIFORMES .............................................................. 166
1024 ÜROIT INTERNATIONAL PRIVÉ

TITRE 3
MÉTHODES DE SOLUTION DES CONFLITS
DE LOIS -ANALYSE FONCTIONNELLE

CHAPITRE 5
L'APPLICATION DE LA RÈGLE DE CONFLIT DE LOIS
Section 1
Les phases successives de l'application de la règle de conflit
Section 2
Le choix de la norme primaire de droit international privé
§1 L'INTRODUCTION SOUS LES CONCEPTS DU DROIT DU FOR DE SITUATIONS
CONFIGURÉES PAR UN SYSTÈME ÉTRANGER ................................................................ 173
A. L'application de la méthode conceptuelle aux situations purement internes ......... 173
B. Le postulat de perméabilité des ordres juridiques .............................................. 175
§2 LES CONFLITS DE NORMES PRIMAIRES DE DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ ....................... 178
A. Les conflits entre normes primaires simultanées . ... .. .. .... .. ... ... .. .. ... .. .. .. .. .. ... ... .. .. . 1 78
B. Le conflit transitoire de droit international privé ............................................... 181
Section 3
La concrétisation du facteur de localisation
§1 DIVERSITÉ DES MÉTHODES DE CONCRÉTISATION ........................................................ 183
§ 2 LA DÉTERMINATION DE LA NATIONALITÉ DE LA PERSONNE PHYSIQUE ........................... 188
A. Sources ............................................................................................................ 189
1. 189
TRAITÉS MULTILATÉRAUX •••••••••......•..•••••...........••••••.........••...•...............••••.•.....

a) Instruments en vigueur en Belgique ........................................................ 189


b) Instruments dépourvus de force obligatoire en Belgique .......................... 191
11. 192
TRAITÉS BILATÉRAUX •••••••••••••••·······•·••·•·········•••••••••····•··•·•••••••···•·••••••••·•·····••••
a) Prévention des conflits .......................................................................... 192
b) Suppression de certains effets du cumul de nationalités .......................... 193
111. SOURCES DE DROIT INTERNE •••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••• 194
B. Méthode de détermination de la nationalité ... ... .. .. .. .... ... .. ... .. ... .. ... .. ... .. ... ... .. ... .. 194
1. DÉSIGNATION DU DROIT DE L'ÉTAT COMPÉTENT •••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••• 194
11. CONTENTIEUX DE LA NATIONALITÉ ÉTRANGÈRE ••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••• 197
C. Méthodes de solution des conflits de nationalités ............................................... 200
1. ELÉMENTS CONSTITUTIFS DU CONFLIT ••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••.••••••••••••.••.. 200

Il. TECHNIQUES D'ÉVICTION DU CONFLIT ••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••.•.••••••••.•..... 201


Ill. TECHNIQUES DE NEUTRALISATION DU CONFLIT ••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••• 202
§ 3 LA LOCALISATION DU DOMICILE OU DE LA RÉSIDENCE ..................................•............. 209
§4 LE CONFLIT MOBILE ................................................................................................ 212
§ 5 LA NEUTRALISATION DE LA FRAUDE À LA LOI ...............................•....•........................ 215
TABLE DES MATIÈRES 1025

CHAPITRE 6
LA DÉTERMINATION ET LA CONDITION DU DROIT ÉTRANGER
Section 1
La désignation d'une règle de rattachement étrangère
§1 LE CONFLIT INTERNE DE DROIT ÉTRANGER ................................................................ 220
A. Types de conflits internes dans l'espace ............................................................. 221
B. Solution du conflit spatial de droit étranger ....................................................... 224
C. Solution du conflit transitoire de droit étranger ................................................. 226
§ 2 LA THÉORIE DU RENVOI ........................................................................................... 228
A. Présentation de la technique du renvoi .............................................................. 229
B. La technique du renvoi en droit positif ... .. .. ... .. ... ... .. ... .. ... .. .. ... .... ... ....... ....... .. ... . 233
C. Évaluation de la technique du renvoi ................................................................. 238
§ 3 LA DÉSIGNATION DE L'ORDRE JURIDIQUE DE RÉFÉRENCE ............................................ 244
A. La théorie de la question préalable .. .. .. .. ..... .. ... ... ..... .. .... .... ... ... ... .. ... .. ... .. ..... ... .. 245
1. PRÉSENTATION DE LA THÉORIE ••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••.•••••••••••••••••••••••••••••• 245
Il. ÉVALUATION DE LA THÉORIE ............................................................................ 246
Ill. APPLICATIONS PONCTUELLES DE LA THÉORIE ........................................................ 248
B. La théorie du respect des droits acquis .............................................................. 251
C. La théorie du for du raisonnement .................................................................... 254
D. La référence à la reconnaissance internationale du jugement .............................. 256
Section 2
La condition procédurale du droit étranger
§1 NOTIONS DE PROCÉDURE CIVILE .............................................................................. 259

§2 LE DROIT ÉTRANGER DEVANT LE JUGE DU FOND ........................................................ 263


A. L'application d'office de la règle de conflit de lois .............................................. 264
B. Détermination du contenu du droit étranger ..................................................... 267
C. Lacune ou ignorance du droit étranger .............................................................. 272
§3 LE DROIT ÉTRANGER DEVANT LA COUR DE CASSATION ............................................... 273
A. Fonctions de la Cour de cassation ..................................................................... 273
B. Étendue du contrôle de légalité ......................................................................... 274
C. Base juridique du contrôle de légalité ................................................................ 276
§4 LE DROIT PUBLIC ÉTRANGER DEVANT LE JUGE ............................................................ 279
1026 ÜROIT INTERNATIONAL PRIVÉ

CHAPITRE 7
L'APPLICATION DU DROIT ÉTRANGER
Section 1
La théorie des qualifications et la détermination
du concept préjudiciel
§ 1 LA THÉORIE DES QUALIFICATIONS ............................................................................. 281
A. Les méthodes conceptuelles de qualification ....................................................... 282
1. LES PARADIGMES DE LA THÉORIE TRADITIONNELLE ..............•......••••.•••••••.••••.•.••.•.••. 282
Il. CRITIQUE DE LA THÉORIE TRADITIONNELLE .•.••.••••.•.•••••..•.••••.•.•••••••••••••••.••••.•.••.•.• 285
111. VARIANTES DE LA MÉTHODE CONCEPTUELLE DE QUALIFICATION ...•..............••.•........•• 287
B. Approche fonctionnelle de la qualification par l'interprétation
de la norme primaire du for .............................................................................. 290
1. MÉTHODE CONCEPTUELLE ET APPROCHE FONCTIONNELLE .••.•••••••••.•.••••..••••.•..•.•.••.• 290
Il. MODES DE RÉPARTITION DES DOMAINES DES DROITS CONCURREMMENT COMPÉTENTS •• 293
Ill. L'APPROCHE FONCTIONNELLE ET LA CODIFICATION ....••..............•.•.......••.••.•.••••.•.•• 297
IV. L'APPROCHE FONCTIONNELLE ET LE CONFLIT MOBILE ........••.•.•..•.••••.•.•••••.••••.••••.•••• 298
§ 2 LA DÉTERMINATION DU CONCEPT PRÉJUDICIEL .......................................................... 300
A. Exposé du problème ......................................................................................... 300
B. Méthode de solution proposée .......................................................................... 302
Section 2
L'éviction du droit étranger par l'exception d'ordre public
§1 DÉFINITION DE L'EXCEPTION D'ORDRE PUBLIC .......................................................... 306
A. Objet de l'exception ......................................................................................... 306
B. Relation de l'exception avec d'autres concepts juridiques ................................... 311
§2 MISE EN ŒUVRE DE L'EXCEPTION D'ORDRE PUBLIC .................................................... 316
A. Détermination de l'ordre juridique de référence ................................................ 317
B. Critères d'appréciation de l'ordre public étatique .............................................. 322
C. Effet de l'éviction du droit étranger ................................................................... 326

TITRE 4
DROIT JUDICIAIRE INTERNATIONAL

CHAPITRE 8
SOURCES RELATIVES AUX CONFLITS D'AUTORITÉS
ET DEJURIDICTIONS
Section 1
Actes liés à l'Union européenne
§1 PRÉSENTATION DES ACTES« BRUXELLES 1 » ET DE LEURS COMPLÉMENTS .................... 331
TABLE DES MATIÈRES 1027

§2 INTERPRÉTATION DES INSTRUMENTS ......................................................................... 337


§3 DOMAINE DU RÈGLEMENT« BRUXELLES 1 » .............................................................. 340
A. Domaine matériel . .. .. ... .. ... .. .. ... ... ... .. .. ... . ... ... .. .... .. .. ... .. ... .. ... ... ... .. ... ... .. ... .. .. ... .. . 340
B. Applicabilité dans l'espace ................................................................................ 345
1. NOTION D'APPLICABILITÉ ••••••••••••••.••••••.••.•......••..•..................•.•.•••••••.•........•... 345
Il. LE LITIGE COMMUNAUTAIRE COMME CRITÈRE D'APPLICABILITÉ ........•.•.••.•.........•.•••... 347
C. Relations avec d'autres actes internationaux ..................................................... 352
D. Applicabilité dans le temps ............................................................................... 354
Section 2
Actes internationaux non liés à l'Union européenne
§1 CONVENTIONS BILATÉRALES DOUBLES ...................................................................... 355
§2 TRAITÉS CONCERNANT LA COMPÉTENCE INTERNATIONALE .......................................... 356
§3 TRAITÉS CONCERNANT L'EFFICACITÉ DES DÉCISIONS ET DES ACTES PUBLICS .................. 357
§4 TRAITÉS CONCERNANT LA PROCÉDURE INTERNATIONALE
OU LE FONCTIONNEMENT D'AUTORITÉS .................................................................... 358

Section 3
Droit commun
§1 DROIT JUDICIAIRE COMMUN .................................................................................... 361
§2 ACTES DE L'ÉTAT CIVIL ............................................................................................ 362
§3 FONCTIONS CONSULAIRES ....................................................................................... 363

CHAPITRE 9
RÈGLES GÉNÉRALES DE COMPÉTENCE INTERNATIONALE
Section 1
Notion de compétence internationale
§1 NATURE DE LA COMPÉTENCE INTERNATIONALE ......................................................... 366
A. Compétence internationale et compétence interne ............................................. 366
B. Caractéristiques de la règle de compétence internationale .................................. 368
§2 TYPOLOGIE DES CRITÈRES DE COMPÉTENCE INTERNATIONALE ..................................... 373
A. Critères tenant à la localisation du litige ........................................................... 373
B. Critères tenant à l'objet du litige ...................................................................... 378
§3 ÜBJECTIFS DU RÈGLEMENT DE LA COMPÉTENCE INTERNATIONALE ............................... 382

Section 2
Contenu des règles générales de compétence
§1 RÈGLES GÉNÉRALES DE « BRUXELLES 1 » ................................................................... 386
A. Règles de compétence ....................................................................................... 386
B. Régime des incidents de compétence ................................................................. 395
1028 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ

§2 RÈGLES GÉNÉRALES DES AUTRES INSTRUMENTS INTERNATIONAUX ••••••••••••.•••.•.••••••..•... 401


§3 RÈGLES GÉNÉRALES DU DROIT COMMUN •.•..••••.•.••.••••.•••••••••••..............•.....•..•.•.••••.••• 403
A. Présentation ... .. ... .... .. ... ..... .. ..... .. ..... ... ... .. .......... ..... ... ... .. .. ... ... .. .. ... ... ... .. ..... .. ... 403
B. La compétence internationale ... ..... .. .... ..... .. ....... ........ ...... .. ..... .. ..... ... ... .. ... ..... .. . 404
1. CRITÈRES SPATIAUX DE COMPÉTENCE •••••••••••••••••••••••••.••.••••••••.••••••••••••••••••••••••••• 404
Il. RÉGIME DES INCIDENTS DE COMPÉTENCE ............................................................ 410
C. La compétence interne ... ..... .. ... .. .. ..... .... .. .. ... .. ... .. ... .. ... ... .. ... .. .. ... .. ... ... .. ... ... .. .. ... 412
§4 COMPÉTENCE DES AUTORITÉS ET DES JURIDICTIONS EXTRATERRITORIALES 415

CHAPITRE 10
RÈGLES GÉNÉRALES SUR L'EFFICACITÉ DES DÉCISIONS
JUDICIAIRES ET DES ACTES PUBLICS ÉTRANGERS
Section 1
Notions
§1 ÜBJET DU CONCEPT D'EFFICACITÉ ............................................................................ 420
§2 CLASSIFICATION DES EFFETS ..................................................................................... 423
A. Classification sous l'angle du type d'effet .......................................................... 423
B. Classification sous l'angle des motifs de refus .................................................... 427
C. Classification sous l'angle de la procédure ......................................................... 429

Section 2
Efficacité des décisions judiciaires
§1 ACTES LIÉS À L'UNION EUROPÉENNE ........................................................................ 432

A. Présentation .................................................................................................... 432


B. Motifs de refus ................................................................................................. 435
1. CONDITIONS À VÉRIFIER SELON LE DROIT DE L'ÉTAT D'ORIGINE •••••••••••••••••••••••••••••••• 435
Il. CONDITIONS À VÉRIFIER SELON LES RÈGLES SUBSTANTIELLES COMMUNES •••••••••••••••••••• 437
Ill. CONDITIONS À VÉRIFIER SELON LE DROIT DE L'ÉTAT REQUIS .................................... 439
C. Formes de la reconnaissance . .. .. ... . .... ... .. ... .. .. ... ... .. .. .... .. ... .. .. ... .. .. ... ... ... .. .. ... ... .. . 441
D. Procédure de la mise à exécution . .. ... ... ... ... .. .. ... .. .. ... ... ... .. .. ... ... .. .. ... ... ... .. .. ... ... .. 442
§2 LES AUTRES INSTRUMENTS INTERNATIONAUX ............................................................. 447

A. Classification des traités internationaux en vigueur en Belgique ......................... 447


B. Traités bilatéraux avec la France, les Pays-Bas, la Grande-Bretagne et l'Italie . .. 448
C. Traités bilatéraux avec l'Allemagne, l'Autriche et la Suisse ................................ 449
§3 DROIT COMMUN .................................................................................................... 449

A. Force exécutoire et reconnaissance ... .. ... ... .. ... .. .. ... .. ... ... ... .. ... .. .. ... .. .. .. .. .. ... .. ... .. .. 449
1. MOTIFS DE REFUS • •• • •• • • ••• •• • • ••• •• •• • •• ••• • •• •• • • • •• • •• •• •• • •• ••• ••• •• • • ••• •• • • • •• •• • ••• •• • •• •• ••• •• • • • 450
Il. PROCÉDURE EN VUE DE LA RECONNAISSANCE OU DE LA FORCE EXÉCUTOIRE •••••••••••••••• 453
Ill. EFFETS DE LA DÉCISION ACCORDANT L'EXEQUATUR ............................................... 454
IV. EFFETS DE LA RECONNAISSANCE DE PLEIN DROIT •••••••••••••••••••••••••••••••••.••••••••••••••••• 455
TABLE DES MATIÈRES 1029

B. Force probante et effet de fait .......................................................................... 458

1. FORCE PROBANTE EXTRINSÈQUE ........................................................................ 458

Il. FORCE PROBANTE INTRINSÈQUE ........................................................................ 459

Ill. EFFET DE FAIT ............................................................................................... 459

C. Efficacité des décisions répressives étrangères en matière civile ........................... 459

Section 3
Efficacité des actes publics
§1 INSTRUMENTS INTERNATIONAUX .............................................................................. 461

A. Actes émanant d'un État de l'Union européenne ............................................... 461

B. Autres instruments internationaux ... .. ... . .. .. .. .. .. .. .. .. ... .. .. ... ... ... ... .. ... .. ... .. ... .. ... ... . 464

§2 LE DROIT COMMUN 464

CHAPITRE 11
LA PROCÉDURE DANS LE CONTENTIEUX TRANSFRONTIÈRE
Section 1
Délimitation de la procédure
§1 L'APPLICATION DU DROIT DU FOR ........................................................................... 469

§2 PRINCIPE DE DÉLIMITATION DES QUESTIONS PROCÉDURALES ...................................... 470

§3 APPLICATIONS DE LA MÉTHODE DE DÉLIMITATION ..................................................... 472

A. L'intérêt, la qualité et la capacité pour agir ....................................................... 472

B. La comparution par représentant devant une autorité publique ......................... 474

C. Le calcul des délais ........................................................................................... 474

D. La preuve des actes et des faits ......................................................................... 476

Section 2
La condition procédurale de l'étranger
§1 LA CAUTION DE L'ÉTRANGER DEMANDEUR ............................................................... 479
§2 L'ASSISTANCEJUDICIAIRE ......................................................................................... 481

Section 3
La communication des actes judiciaires à l'étranger
1030 ÜROIT INTERNATIONAL PRIVÉ

TITRES
RÈGLES SPÉCIALES

CHAPITRE 12
LA PERSONNE ET LES RAPPORTS DE FAMILLE
Section 1
Observations générales sur le statut personnel
§1 ETENDUE ET LIMITES DE L'APPLICATION DE LA LOI DE LA NATIONALITÉ ........................ 491
§2 EFFETS DE DROIT ADMINISTRATIF D'UNE RELATION D'ÉTAT ........................................ 496
A. Autonomie de la question d'état ....................................................................... 496
B. Détermination de la nationalité et statut personnel .... .. .. ... .. ... .. ... .. .... .. .. ... ... .. .. .. 498
1. ENONCÉ DU PROBLÈME .................................................................................. 498
11. LA SOLUTION DU DROIT BELGE ...•..•............•••..•....•••••.••••.•.•••••••.•.•.....•..•........... 500

Section 2
L'identification des personnes physiques
§1 LES ACTES DE L'ÉTAT CIVIL ....................................................................................... 501
A. Le fonctionnement des autorités belges ............................................................. 502
B. L'efficacité en Belgique des actes de l'état civil étrangers ................................... 503
C. Coopération internationale en matière d'état civil ............................................. 507
§2 L'IDENTITÉ, LE NOM ET LE PRÉNOM ......................................................................... 507
A. Détermination du nom et du prénom . .. .. .. .. .. . ... .. .. ... .. .... .. .. ... ... .. .. ... ... ... .. ... .. ... .. . 508
B. Changement de nom ou de prénom ................................................................... 510

§3 L'ABSENCE ············································································································· 512


A. Les conflits d'autorités et de juridictions ............................................................ 512
B. Le conflit de lois ............................................................................................... 513
Section 3
La formation du mariage
§1 LES CONDITIONS DE VALIDITÉ DU MARIAGE ............................................................... 515
A. Les conditions de fond ...................................................................................... 515
B. Les formalités de l'acte de célébration ............................................................... 523
§2 LES ACTIONS EN NULLITÉ DE MARIAGE ...................................................................... 529
A. Détermination de la compétence internationale ................................................. 529
B. Sanction de l'absence de validité ....................................................................... 531
§ 3 LA RECONNAISSANCE DES DÉCISIONS ÉTRANGÈRES AYANT STATUÉ SUR LA VALIDITÉ
D'UN MARIAGE ....................................................................................................... 532
TABLE DES MATIÈRES 1031

Section 4
Les rapports entre époux
§1 LE CONFLIT DE JURIDICTIONS ................................................................................... 535
§2 DROIT APPLICABLE AUX EFFETS PERSONNELS ET AU RÉGIME PRIMAIRE .......................... 536
A. Détermination de la loi des effets généraux du mariage ..................................... 536
B. Domaine de la loi des effets généraux du mariage ............................................. 539
§3 DROIT APPLICABLE AU RÉGIME MATRIMONIAL ........................................................... 542
A. Droit applicable en vertu d'un choix des époux .................................................. 543
B. Droit applicable en l'absence de choix ............................................................... 547
C. Droit applicable à la mutation de régime .......................................................... 552
Section 5
La dissolution et le relâchement du lien conjugal
§1 LES CONFLITS D'AUTORITÉS ET DE JURIDICTIONS ........................................................ 556
A. Compétence internationale ............................................................................... 556
1. LA COMPÉTENCE INTERNATIONALE SELON LE RÈGLEMENT« BRUXELLES IIB/5 » ............. 556
Il. LA COMPÉTENCE INTERNATIONALE SELON LE DROIT COMMUN ••••••••........................• 561
Ill. DÉTERMINATION DE LA COMPÉTENCE INTERNE ..................•.........••••••••••••••••••••••••• 562
B. Efficacité de la dissolution intervenue à l'étranger ............................................. 563
1. DISSOLUTION INTERVENUE DANS UN ÉTAT DE L'UNION EUROPÉENNE •••••••••••••••••••••••• 563
Il. RÈGLES DU DROIT COMMUN ••••••••••••••••••••••••••••••••••••••......••••••.••••.•.••...•...••.•••••• 565
§2 DROIT APPLICABLE À LA DISSOLUTION ET AU RELÂCHEMENT DU LIEN CONJUGAL .......... 572
A. Détermination de la loi du divorce ou de la séparation ...................................... 573
B. Domaine de la loi du divorce ou de la séparation ............................................... 575
Section 6
Les rapports de couple hors du mariage
§1 LES FIANÇAILLES ..................................................................................................... 579
§2 LES RELATIONS DE VIE COMMUNE 580

Section 7
La filiation
§ 1 LA FILIATION BIOLOGIQUE 586
A. Compétence internationale ............................................................................... 586
B. Droit applicable ............................................................................................... 589
§ 2 LA FILIATION ADOPTIVE ........................................................................................... 596
A. Compétence internationale . ... .. .. .. .. .. ... .. .. .. .. ... .. .... .. .. ... ... ... .. .. .... ... .. ... ... . ... ... .. ... . 596
B. Droit applicable ............................................................................................... 599
1. 600
DROIT APPLICABLE EN VERTU DU CODE DE DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ •••••••••••••••••...

11. 344 ET 344TER DU CODE CIVIL ..........••••• 603


DROIT APPLICABLE EN VERTU DES ARTICLES

a) Établissement de l'adoption d'une personne de plus de quinze ans .......... 605


b) Établissement de l'adoption d'un mineur de moins de quinze ans ........... 607
1032 ÜROIT INTERNATIONAL PRIVÉ

c) Choix entre l'adoption simple et l'adoption plénière ............................... 608


d) Droit applicable aux effets de l'adoption ................................................ 609
C. Reconnaissance des décisions et des actes publics étrangers
en matière d'adoption .. . ... .. .. ... .. ... .. .... .. ... .. ... .. ... .. .. .... ... .. ... .. .. ... .. .. .... .. ... ... .. .. ... . 61 3
1. RECONNAISSANCE DES DÉCISIONS RENDUES APRÈS L'ENTRÉE EN VIGUEUR
2003 ....................................................................................... 613
DE LA LOI DE

a) Décisions couvertes par la Convention de La Haye du 29 mai 1993 ......... 613


b) Droit commun ...................................................................................... 616
Il. RECONNAISSANCE DES DÉCISIONS RENDUES AVANT L'ENTRÉE EN VIGUEUR
DE LA LOI DE 2003 ....................................................................................... 618

Section 8
L'incapacité et la protection des incapables
§ 1 LA DÉTERMINATION DE L'INCAPACITÉ ....................................................................... 623
A. Compétence internationale ... .. .. ... .. .. .... .. ... ... .. .. ... .. ... .... .. .. ... ... . ... .. ... ... ... .. ... .. ... .. 623
B. Droit applicable ............................................................................................... 623
§2 L'AUTORITÉ PARENTALE ........................................................................................... 626
A. Compétence internationale ............................................................................... 626
B. Droit applicable ............................................................................................... 630
C. Efficacité des décisions étrangères ..................................................................... 632
D. Restitution d'enfants déplacés irrégulièrement ................................................... 635
§3 LES MESURES DE PROTECTION DE L'INCAPABLE .......................................................... 639
A. Présentation .................................................................................................... 639
B. Compétence internationale . ... .. ... .. .. ... ... .. ... ... .. ... .. .. .... ..... .. ... .. .. ... .. .... .. .. ... ... .. .. .. 642
C. Droit applicable .. .. ... .. ... .. ... .. .. ... .. ..... ... ... .. ... .. ... .. .. ... .... .. ... .. .. ... .. .. ... ... ... .. .. ... ... .. 645
Section 9
Les obligations alimentaires
§1 CONFLITS D'AUTORITÉS ET DE JURIDICTIONS ............................................................. 648
A. Compétence internationale ... .. .. ... .. .. .... .. ... .. ... .. ... .. .. .... .. ... .. .. ... ... . ... ... ... ... .. .. ... ... 648
B. Efficacité des décisions et des actes publics étrangers .. ... .. ... .. ... .. ... .. .... .. .. ... .. ... .. . 650
§2 CONFLITS DE LOIS ................................................................................................... 654
A. Règle générale de rattachement . .. .. ... .... .. ... .. .. ... .. .. ... .. .. .. ... .. .. ... .. .. ... .. . ... .. ... .. ... .. 654
B. Rattachements spéciaux ................................................................................... 659

CHAPITRE 13
LES BIENS
Section 1
Le régime général des droits sur un bien
§1 APPLICATION DU PRINCIPE DE TERRITORIALITÉ .......................................................•.. 668
A. Règles de conflit de juridictions . .. .. ... ...... .. .. ... .. ... .. ... ... ..... ... .. .. ... .. ... ... .. ... ... .. .. ... . 669
TABLE DES MATIÈRES 1033

1. CONTENTIEUX IMMOBILIER .............................................................................. 669

a) Compétence internationale dans le contexte de l'Union européenne ........ 669


b) Compétence internationale selon le droit commun ................................. 671
c) Reconnaissance et mise à exécution des décisions étrangères en Belgique 672
Il. COMPÉTENCE INTERNATIONALE EN MATIÈRE MOBILIÈRE .......................................... 672
B. Règles générales de conflit de lois ...................................................................... 673
1. DÉTERMINATION DE LA LOI RÉELLE .................................................................... 673
Il. DOMAINE DE LA LOI RÉELLE ............................................................................. 674
§2 LOCALISATION PROPRE À CERTAINS BIENS ................................................................. 677

A. Biens en circulation .......................................................................................... 677


B. Biens incorporels .... .. ... .. .. ... .. .. ... ... ... .. .. .. ... ... .. .. ... ... .. .. ... .. ... .. ... .... .. .. ... .. ... .. .. ... ... 684
C. Localisation d'un patrimoine .. .. .. .. .. .. ... .. .... ... .. .. .... .. .. .. .... .. .. ... .... ..... .. .. .... .. .. .. .... 689
§3 RÉGIME DES DROITS LIÉS À LA CONSTITUTION D'UN TRUST ......................................... 693
A. Compétence internationale .. .. ... .. ... ... .. .. ... .. .. ... .. ... ... .. ... .. .. ... ... ....... .. .. .. ... .. .. ... ... . 694
B. Droit applicable au trust .................................................................................. 695
Section 2
Les droits intellectuels
§1 PRÉDOMINANCE DU PRINCIPE DE TERRITORIALITÉ ...................................................... 700

§ 2 LA PROPRIÉTÉ INDUSTRIELLE .................................................................................... 701

A. Présentation des sources internationales ........................................................... 701


B. Condition des étrangers et conflits de lois .. .. .. .. .... .. ...... .. .. ...... .. ... ... .. .. ...... .. .. .. .... 703
1. ACTES INTERNATIONAUX ................................................................................. 703
Il. DROIT COMMUN .......................................................................................... 706
C. Règles de compétence internationale . ... .... ... .. ... .. ...... ... .. .. ...... .. .... .. .. ...... .. .. .. .. .... 707
1. COMPÉTENCE DES JURIDICTIONS NATIONALES ...................................................... 707
Il. ATTRIBUTION DE COMPÉTENCE À DES AUTORITÉS INTERNATIONALES .......................... 712
O. Reconnaissance et exécution des décisions étrangères ......................................... 713
§3 LE DROIT D'AUTEUR ................................................................................................ 714

A. Sources de droit international ........................................................................... 714


B. Condition des étrangers et conflit de lois ........................................................... 715
C. Compétence internationale ............................................................................... 720

Section 3
L'insolvabilité
§1 LES PROCÉDURES D'INSOLVABILITÉ DANS LE CONTEXTE DE L'UNION EUROPÉENNE 724
§2 LES PROCÉDURES D'INSOLVABILITÉ SELON LE DROIT COMMUN .................................... 731
A. Ouverture d'une procédure en Belgique ............................................................ 731
B. Reconnaissance des décisions étrangères ............................................................ 736
1034 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ

Section 4
Les successions
§ 1 LA DÉVOLUTION LÉGALE .....•.•.•.•.........................•......................•..•...•.•...........•........ 740
A. Compétence internationale ... .. ... .. ... .. .... .. .. ... ... .. .. ... .. .... .. .. ... ... .. .. ... ... ... .. ... .. ... .. .. 7 40
B. Droit applicable . .. ... .. ... .. ... .. ... .. .. ... .. .... .. ... .. ... .. ... .. .. .... .. .. ... ... .. ... .. ... ... .. ... .. ... ... .. 7 41
1. DÉSIGNATION DE LA LOI SUCCESSORALE •• •• • •• .• • •• •• . • • •• • . • • .• •• • •. • • • •• •• . • • • . • • • • •. • •• ••• •• •• . •• 7 41

11. DOMAINE DE LA LOI SUCCESSORALE •••••••••••••••••••••.•••••••••••••••.•.•••••••••••••••••••••••••• 7 46


§2 LES SUCCESSIONS TESTAMENTAIRES .......................................................................... 747
A. Droit applicable à la forme du testament .......................................................... 747
1. FORMES ORDINAIRES: LA CONVENTION DE LA HAYE DU 5 OCTOBRE 1961 ................ 747

a) Domaine de la Convention .................................................................... 747


b) Règles de conflit de lois de la Convention ............................................... 749
Il. FORME DU TESTAMENT INTERNATIONAL .............................................................. 750
Ill. FORMES EXCEPTIONNELLES .............................................................................. 751
B. Inscription du testament ................................................................................... 753
C. Validité intrinsèque du testament ..................................................................... 753
D. Interprétation du testament .............................................................................. 755
E. Effets du testament .......................................................................................... 756
§3 ADMINISTRATION, LIQUIDATION ET PARTAGE DES SUCCESSIONS ••.••••••.•••••••.••.••••.•.•••••• 756
A. Administration et transmission de la succession ................................................. 757
B. Partage des biens ............................................................................................. 761

CHAPITRE 14
LES CONTRATS
Section 1
Règles générales de conflit de juridictions
relatives aux contrats
§1 RÈGLES DE COMPÉTENCE PROPRES AUX CONTRATS
DANS LE RÈGLEMENT« BRUXELLES 1 » ...................................................................... 768
A. Critère du lieu d'exécution (art. 5, 1 °) ............................................................. 769
1. QUALIFICATION DE L'ACTION ........................................................................... 769
Il. DÉTERMINATION DE L'OBLIGATION À LOCALISER ................................................... 770
Ill. LOCALISATION DE L'EXÉCUTION DE L'OBLIGATION EN LITIGE ....•...•••....•••.•..•.•••••••••••• 771
B. Clauses de juridiction ( art. 23) ........................................................................ 773
§2 RÈGLES DE COMPÉTENCE DU DROIT COMMUN .......................................................... 776
A. For contractuel ................................................................................................ 776
B. Clauses de juridiction .. .. ... .. ... .. .. ... .. .. .. .. .. ... .. ... .. ... .. ... ... ... .. ... .. ... .. .. .... ... .. ... .. ... .. . 777
1. CLAUSES D'ÉLECTION DE FOR ........................................................................... 777

Il. CONVENTIONS D'ARBITRAGE •••••·•···········•••• ...................................................... 781


§3 EFFICACITÉ DES SENTENCES ARBITRALES .................................................................... 786
TABLE DES MATIÈRES 1035

A. Contentieux de l'efficacité d'une sentence arbitrale ............................................ 787


1. DROIT CONVENTIONNEL ••••••••••••••••••••••••••••••.....•........••••.••.••••••.....••..•••••••••••••• 787

Il. DROIT COMMUN •••••••••••••••••••••••••••••••·•··•·•••••••·•••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••·• 789


B. Contentieux de la nullité d'une sentence arbitrale 790

Section 2
Règles générales de conflit de lois relatives aux contrats
§1 PLURALISME DES SOURCES ET DES MÉTHODES ........................................................... 792
§2 DÉTERMINATION DE LA LOI DU CONTRAT ................................................................. 796
A. Le principe d'autonomie ................................................................................... 796
1. ÉVOLUTION DES SOLUTIONS • •• • • • ••• •• • •• •• • • . • • •. . . . .. •. . . . . .. • • • •• •• • •• • • • • • • •. . . . . •. . •• •• • •• •• ••• •• • • 796
Il. PORTÉE DU CHOIX EXPRIMÉ PAR LES PARTIES .•••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••.•.• 798
B. Modalités du choix du droit applicable .............................................................. 801
1. FORME DU CHOIX DE LA LOI CONTRACTUELLE •••••••••.•••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••• 801
Il. LIMITES DU CHOIX DE LA LOI CONTRACTUELLE •.........................••.•••.•..........••.•••••• 803
Ill. CONTRÔLE DE LA COUR DE CASSATION SUR LE CHOIX DE LA LOI CONTRACTUELLE •......• 806
C. Droit applicable à défaut de choix ... ... .. ..... .... .. ... ... ... .. ... .. ... ..... ... ... ..... ... .. ..... ... .. 807
1. FONCTION DE LA RÈGLE DE RATTACHEMENT SUBSIDIAIRE ..•...•••••••••...............•••••••••• 807
Il. ÉVOLUTION DES RÈGLES DE RATTACHEMENT SUBSIDIAIRES •••••••••.•••••••••••••••••••••.......• 808
§3 DOMAINE DE LA LOI CONTRACTUELLE ...................................................................... 810
A. Étendue du domaine de la loi contractuelle .... .. ... ... .......... ..... ....... ....... ... .. ..... .. .. 810
B. Détermination de la monnaie contractuelle ....................................................... 817
1. EFFICACITÉ DES MESURES NATIONALES DE PROTECTION •••••••••••••••••••••••••••••••••••••....• 818
Il. DÉTERMINATION DE LA MONNAIE DE COMPTE ••.•.••..••••••••••••••••••••...••.••.••••••••••••••• 819
Ill. DÉTERMINATION DE LA MONNAIE DE RÈGLEMENT ..........•.•••..•.....•.••.••..........••••••••• 821
§4 DÉROGATIONS À LA LOI D'AUTONOMIE .................................................................... 823
A. Les lois de police contractuelle .... ...... .. ..... .. ... .. .. .... .. ..... ... .. ......... .. ... ... .. ... .. ... .. ... 823
B. L'ordre public .................................................................................................. 827
§5 LE PRINCIPE D'AUTONOMIE DEVANT L'ARBITRE .......................................................... 830

Section 3
Règles propres à certains contrats
§1 LE CONTRAT D'ASSURANCE ...................................................................................... 833
A. Compétence internationale ... ... .. ... .. ... .. ..... .. ..... .. .... ....... ... ..... ..... .... ... .. ..... .. ..... .. 834
B. Droit applicable au contrat d'assurance ... .. .. ... .. .. .... .. ... ........ .. .... ..... ... .. ..... .. ... ... 838
1. L'ASSURANCE DIRECTE AUTRE QUE L'ASSURANCE SUR LA VIE ............••••••.••..•............ 839

a) Choix de la loi applicable par les parties ................................................. 840


b) Rattachement subsidiaire du contrat ..................................................... 842
c) Application des lois de police ................................................................ 843
Il. L'ASSURANCE DIRECTE SUR LA VIE ••••••••...•....................•............••••••••••••••.......••. 844
§2 LE CONTRAT DE CONSOMMATION ............................................................................ 846
A. Compétence internationale . .. ... .. ... ... .. ... .. .. ... .. .. ... ... .. ... .. ... ... .. ... .. . ... ... .. .. ... .. .. ... .. 848
1036 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ

B. Droit applicable au contrat de consommation .. ... .. .. ... ... ... ... . ... .. ... .. .. .... ... .. .. ... .. .. 854
§3 LE CONTRAT D'ÉTAT .............•................................................................................. 860
A. Échappatoire au droit étatique ......................................................................... 861
B. Application du droit étatique . .. ... ... .. ... ... .. .. ... .. ... ... .. ... ... .. ... .. ... .. .. .... .. ... .. .. ... ... .. . 863
§4 LE CONTRAT DE GARANTIE ...................................................................................... 864
A. Compétence internationale ... .. .. ... .. ... ... ... .. ... .. ... .. ... .. ... ... .. .. ... ... .. .. .... .. ... .. .. ... ... .. 865
B. Droit applicable au contrat de garantie .. .. ... ... . ... ... .. ... .. ... ... .. .. ... ... ... ... .. .. ... ... .. .. . 866
§5 LES OPÉRATIONS SUR IMMEUBLES ............................................................................. 868
A. Compétence internationale .. .. ... .. .. ... ... ... ... .. ... .. ... .. .. .... .. ... .. ... .. ... .. ... ... .. .. ... ... .. .. . 869
B. Droit applicable au contrat immobilier . ... ... .. .. ... .. ... ... .. ... ... .. .. ... .. .. .... .. ... ... .. .. ... . 869
§6 LE CONTRAT D'INTERMÉDIAIRE ...........................................•.................................... 871
A. La relation interne ........................................................................................... 871
B. La relation externe . ... ... .. .. .. ... .. ... .. ... ... ... .. .. ... ... .. .. ... ... .. ... ... .. ... .. ... ... .. ... .. ... .. .. ... . 873
§ 7 LA NÉGOCIATION DE TITRES .........................................................•........................... 874
A. Les effets de commerce et le chèque .................................................................. 875

1. SOURCES ••·••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••·••••·••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••• 875


Il. DROIT APPLICABLE ••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••. 876
B. Le connaissement .. .. .. ... .. .. ... .. .. ... ... .. .... .. .. ... ... .. .. ... .. .... ... . ... ... .. .. ... .. .... .. ... .. ... . ... . 878
1. COMPÉTENCE INTERNATIONALE ••••••••••••.••••.••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••.• 878
Il. DROIT APPLICABLE AU CONNAISSEMENT ••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••.••••••••••••••••• 880
§8 LE CONTRAT DE TRANSPORT ....................................•....................•....•..................... 881
A. Sources internationales ... ... .. ... .. .. ... ... ... .. ... ... .. .. .. ....... .. ..... ....... ..... .. .. .. .. ... .. .. ... .. . 882
B. Compétence internationale . .. ... .. ... .. .. .. .. .. ... ... .. .. ... .. .... .. .. ... ... .... ......... .... ... .. ... .. .. 883
C. Droit applicable au contrat de transport . ... .. .. ... ..... ... ..... ..... ..... .. ...... .. ... .. .. ... .. ... 885
1. APPLICABILITÉ DES RÈGLES MATÉRIELLES UNIFORMES ••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••.• 885
Il. APPLICABILITÉ DU DROIT MATÉRIEL NATIONAL •••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••• 886
§9 LE CONTRAT DE TRAVAIL ......................................................................................... 888
A. Compétence internationale . ... .. .. ... ... ... ... . ... ... .. .. ... ... ... ... .. .. ... ... .... ... ... ... .. .. .. ... .. .. 889
1. ACTES INTERNATIONAUX • ••• •• ••• • • •• ••• ••• . • . •• •• . •• • •• •• •• ••• ••• •• ••• ••• •• •• ••• •• ••• • •• •• • •• •• • • • •• ••• • 889
Il. DROIT COMMUN •••••••••••••••••·•·•••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••• 892
B. Droit applicable à la relation de travail ............................................................. 895
1. RATTACHEMENT CONTRACTUEL ••••••••••••••••••••••••.••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••• 895
Il. APPLICABILITÉ DES RÈGLES IMPÉRATIVES DE PROTECTION ••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••• 898
Ill. MISE EN CEUVRE DE L'EXCEPTION D'ORDRE PUBLIC ••••••••••••••••••••.••••••••••.•••••••••.•••••• 903
§ 10 LE CONTRAT DE VENTE ............................................................................................ 903
A. Droit applicable au contrat de vente ... .. ... .. .. ... .. .. ... .... .. ... .. ... .. ..... .. .... .. ... .. .. ... .. .. 905
B. Contrats de distribution .. ... .. .. ... ... . ... .... .. ... .. .. ... ... .. ... ... .. .. ... ... .. .. .. .... ... .. .. ... ... .. .. 909
1. COMPÉTENCE INTERNATIONALE ••••••••••••••••••••.•.••••.•••••.••••••••••••••••••••••.•••••••••.•.••• 910
Il. DROIT APPLICABLE AU CONTRAT DE DISTRIBUTION •••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••.•••••• 911
Ill. EFFICACITÉ D'UNE DÉCISION ÉTRANGÈRE ••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••• 913
TABLE DES MATIÈRES 1037

§ 11 LES LIBÉRALITÉS ENTRE VIFS ..................................................................................... 913


A. Application de la loi d'autonomie ...................................................................... 913
B. Limites à l'application de la loi d'autonomie ...................................................... 914

CHAPITRE 15
LES OBLIGATIONS NON CONTRACTUELLES
Section 1
Obligations dérivant d'un fait dommageable
§1 RÈGLES GÉNÉRALES DE CONFLIT DEJURIDICTIONS ...................................................... 919
A. Contexte de l'Union européenne ....................................................................... 919
B. Droit commun ................................................................................................. 922
§2 RÈGLES GÉNÉRALES DE CONFLIT DE LOIS ................................................................... 923
A. Détermination de la loi de la responsabilité ...................................................... 923
1. RATTACHEMENT DE PRINCIPE ••••••••••••••••••••••••••••••.•.•••••••••••••••••.•••••••••••••••••••••••• 923

a) Solutions actuelles ................................................................................ 923


b) Jurisprudence antérieure ........................................................................ 926
Il. EXCEPTIONS AU RATTACHEMENT •••••.•••.••••••.••.•.••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••• 929

B. Domaine de la loi de la responsabilité ............................................................... 931


1. QUESTIONS RELEVANT DE LA RESPONSABILITÉ ••••••••••.•••••••••.•..•.••••••••••••••••••••••••••••• 931
Il. QUESTIONS PRÉALABLES •••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••• 937
Ill. QUESTIONS CONNEXES AU STATUT DE LA RESPONSABILITÉ CIVILE ••••••••••••••••••.••••••••••• 937
§3 ÜÉLITS SPÉCIAUX .. .. ... ... . . .. .. . .. .. ... . . . . . .. . .. ... . . .. .. . . . .. .. . ... .. .. . .. .. .. . .. . .. .. . ... . .. .. . .. . . ... . . .. .. . .. . 940
A. Accidents aériens et maritimes . .. ... .. ... .. .. ... .. .. ... ... ... .. .. ... ... .. ... .. .... .. ... .. ... .. ... . ... .. 940
B. Accidents de la circulation routière . ... .. .. .. ... .. .. ... ... ... .. .. ... .. ... .. .... ... .. .. ... .. .. ... .. ... . 943
1. DROIT APPLICABLE AU RÉGIME DE RESPONSABILITÉ ••.••.••••.•.••.•••••••••••••••••••••••••••••••• 943
Il. CONTENTIEUX DE L'ASSURANCE DE RESPONSABILITÉ •••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••.•.•• 947
C. Pratiques commerciales déloyales ..................................................................... 951
D. Atteintes à l'environnement .............................................................................. 953
E. Dommages causés par des médias ..................................................................... 957
F. Responsabilité du fait des produits . .. .. ... .. .. ... .. .. ... ... ... .. .. ... ... .. .. .... ... .. ... .. .. ... .. .. ... 960
Section 2
Les autres obligations non contractuelles
§1 LES OBLIGATIONS QUASI CONTRACTUELLES ............................................................... 962
§2 L'ENGAGEMENT PAR ACTE UNILATÉRAL ..................................................................... 963
1038 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ

CHAPITRE 16
LES PERSONNES MORALES
Section 1
La condition de la personne morale étrangère
§ 1 LA DÉTERMINATION DE LA NATIONALITÉ DE LA PERSONNE MORALE ..•••..•....•.....•...••.•••• 968

§2 LA RECONNAISSANCE DES PERSONNES MORALES ÉTRANGÈRES 974

Section 2
Le conflit de lois
§1 L'EXISTENCE ET LE FONCTIONNEMENT DE LA PERSONNE MORALE .•.•..•.•..•.••.••.••••••.•..•.• 977
A. Droit commun ................................................................................................. 977
B. Droit de l'Union européenne ............................................................................ 984
§2 TRANSFORMATION ET EXTINCTION DES PERSONNES MORALES ••.••••.••••.•.••.•••••••.••••.••••. 987
A. Le groupement, la cession et la fusion de sociétés .............................................. 987
B. Le transfert du siège d'un pays à un autre .. .. .. ... .. ... ... .. ... ...... .. .. .. .. .. .. .. ... .. ... .. ... .. 988
Section 3
Le conflit de juridictions
§1 COMPÉTENCE INTERNATIONALE ............................................................................... 992
A. Droit de l'Union européenne ............................................................................ 992
B. Droit commun ................................................................................................. 994
§2 CONDITION PROCÉDURALE DES PERSONNES MORALES ÉTRANGÈRES ............................ 995
§3 RECONNAISSANCE DES JUGEMENTS ÉTRANGERS ......................................................... 997

Tableau synthétique du Code belge de droit international privé .......... 999

Table alphabétique ................................................................................................. 1007

Table des articles du Code belge de droit international privé............... 1019

Table des matières .................................................................................................. 1021

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