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Jean VAN RYN

1\/)\', Li, ,
Avocat près la Cour d' Appel de Bruxelles 1
Agrégé de l'Enseignement Supérieur l')(;'C •' '
Assistant à l'Université de Bruxelles .
c ,__,,.,_ ,, .

RESPONSABILITE
AQUILIENNE
ET CONTRATS
-.,"
EN DROIT POSJTIF
;

Préface de M ..Ren/(.. , RCQ


Professeur à la Faculté/de.c oit


.

de l'Université de, Bi1)l(;Jfj's .


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LIBRAIRIE
DU
RECUEIL SIREY
Société Anonyme
22, RUE SOUFFLOT, PARIS V·
PRÉFACE

A l 'observateur snperficiel, la science du droit civil


semblait, au début de ce siècle, en déclin.
Sans doute, des travaux considérables enrichissaient
encore chaque année sa littérature ; pour ne parler que
des onvrages d' ensemble, i1 suffit de rappel er l'impres-
sion profonde produite, en 1899, par la publication de
la première édition du Traité élémentaire de droit civil
de Planiol, dont l 'influence allait être si grande sur l'en-
seignement et la pratique ; et, quelques années après,
le Line du Centenaire du Code civil traçait d'une ma-
nière parfaite et, pouvail-on croire, définifü•e, le tableau
de l'emprise du Code civil sur notre vie en société. De
nornbreuses monographies, parmi lesquelles d 'excel-
lentes, apportaient chaque jour des conlributions nou-
1•elles r'i l' étude de problèmes anciens.
Mais le Code civii, monument du droit privé, sem-
blait immuable; le temps pouvait rendre nécessaires des
modifications de détail ; mais ces bas-cotés laissaient
intacte la grande nef de cette cathédrale, dont ils de-
1,aien l d'ailleurs conserver le sfyle ; sur cette amvre
admirable, tout paraissait avoir été dit ; et les études
nouvelles s 'exposaient à la critique, parfois mérifée, de
ne différer que par la forme, de leurs devancières.
Et pourtant, la doctrine et la jurisprudence allaient
bientot montrer que le civiliste n 'est point simple-
ment un exégète s 'efforçant, par la dialecfique et l 'in-
terprétation, de redonner la vie à un texte mort ; qu 'au
10 PRÉFACE

contraire, adonné à l'étude d'une science sociale, l'évo-


lution politique, économique et sociale exige constam-
ment son observation aftenlive, et l' amène chaque jour
à s'inquiéter de problèmes qui semblaient résolus.
Il en fut ainsi du problème de la responsabilité. Réglé
par quelques articles du Code civil, on a pu croire qu'il
était sorti, depuis longtemps, du domaine du droit,
pour relever exclusivement du fait ; de nombreux pra-
ticiens ont, durant des rmnées, vécu dans une sécurit é
fallacieuse, confiants en quelques notions élémenfaires
qu'ils avaient retenues de l' école et qu'ils appliquaient
aux « espèces » avec un empirisme d' ailleurs conscien-
rieux. Or, la responsabilité re-ste aujourd'hui un pro-
blème d' ordre juridique, et des plus délicats ; sa diffi-
culté est même telle qu 'elle atlire l' attention des juristes
les plus avertis ; et l 'on peut dire que dans les divers
pays qui subissent, directement ou indirectement, l' em-
pire du Code Napoléon, c 'est ce problème surtout qui
inquiète actuellement les esprits les plus pénétrants ;
ils nous ont, dans des travaux déjà nombreux et sou-
vent remarquables, livré les résultafs de leurs patientes
observations.
Le livre que j'ai l'honneur de présenter au public me
paraît digne, en tous points, de se placer à cóté d' eux.
Il l' est par son sujet : l.' e.1:clusion de la responsabilité
aquilienne entre personnes unies par nn conlrat est l'un
de ces principes que l'on a, pendant longtemps, érigé
en dogmes, sans e.x:amen critique suffisant ; notre Cour
de Cassation lui avait porfé, pourtant, de mdes
afteintes, sans ébranler le respect que lui gardaif la
majorité, je dirai même la presque unanirnité de la doc-
trine; cette opposition de la jurisprudence belge et de la
doctrine méritait d' autant plus une étude attentive, que
la question ne présente point seulement un intérêl
d' école, mais aussi une importance pratique considé-
rable; M. Jean Van Ryn la fait apparaîfre très claire-
ment.
/tJ'.,.,
/\ie, •
ffl.G.

INDEX DES ABIUtVIATIONS

Ann. de dr. comm. Annales de droil commercial.


B. A. ou ·R. Ass. Bulletii1 (belgé) des assurances.
B. J. Belgique judiciaire.
D. ou D. P. Dalloz, Recueil périodique de jurispru•
rlence.
D. ll. Dalloz, Recueil hebdomadaire de juris-
prudence.
G. P. Gazelle du Palais.
G. T. Gazette des Tribunau-x.
Giur. it. Giurisprudenza italiana.
J. A. Turisprudence du Port d 'Anvers .
J. c. B. ou Jur. c. Rrux. .Turisprudence commerciale de Bruxelles.
J. c. F. ou Jur. c. FI. .Jurisprudence commerciale des Flandres.
J. J. P. Journal des Juges de Paix.
Jur. Liège lurisprudence de Liège.
J. T. Journal <les Tribunaux.
Pand. b. Pandectes belges. Encyclopédie de rlo,-
trine, de législation et de jurispru-
clence.
Pand. f. 011 P. f. Panrlcctes françaises.
P. P. Pandectes périodiqnes. Recueil (beige)
de jurisprudencc et rle législaÜon.
Pas. Pasinisie belge.
Rec. per. ass. Recueil périodique des Assura11ccs.
Rec. Somm. Recueil (français) des sommaires de ju-
risprurlence.
Rev. acc. trav. Revue (belge) des accidents du travail.
Rev. crit. Revue critique de législation et de juris-
prudence.
Rev. dr. beige Revue de droit beige.
Rev. dr. pén. Revue (beige) de droit pénal.
Rev. faill. Revue des faillites (hel ge).
R. P. N. ou Rev. prat. not. Revue pratique du notariat (helge).
Rev. prat. soc. Revue pratique des sociétés (helge).
Rev. gén. ass. resp. Revue générale des assurances et des res-
ponsabilités (helge).
Rev. trim . . Revue trimeslrielle de droit civil.
Riv. dir. cit•. B.ivista di diritto civile.
Riv. dir. comm. Rivista di diritto commerciale.
s. Recueil général des lois et des arrêts
(Recueil Sirey).
Sem. jur. Semaine juridique.
PRÉFACE 11

Il en est digne par les qualités qu 'il révèle : à cc sujcl


difficile, M. Jean Van Ryn a consacré plusieurs années
de recherches consciencieuses, d'observafion attentive,.
de méditation profonde ; ii ces matériaux, patiemmenl
assemblés, il, a appliqué un sens ]uridir1ue déjà aiguisé,
une lo_qir1ue rigoureuse et une sagacité peu commune ;
la clarté de son exposé, la vigueur de sa démonstration,
sa probité scientifique sont particulièrement sédui-
santes.
Ses conclusions seront assurément discutées ; cc sera
pour elles une heureuse forlune, et bien méritée. Peut-
être tous les lecteurs de ce 1.ivre ne seront point con-
uaincus par lui ; mais tous penseront, comme moi, que
eet ouvrage d'un jeune juriste est parmi les meilleurs
de ces derniers temps et qu'il permet à la science juri-
diqne belge de fonder sur son auteur, les plus belles
espérances.
En décernant à M. Jean Van Ryn le grade d'agrégé
de l 'enseignement supérieur, la Faculté de droit de
l'Uni1Jersité de Bruxelles a donné 11 cette étude la con-
sécration qu' elle méritait.

René MARCQ,
Professeur de Droit civil
,l l'Université de Bruxelles.
Responsabilité ·aquilienne et G-ontrats

INTRODUCTION

1. L 'intervention de la responsabilité
délictuelle entre contractants. - 2. Son
importance croissante depuis la rédaction
du Code Civil. - 3. Opposition entre la
doctrine française et la jurisprudence de
la Cour de Cassation de Belgique. - 4. But
de la présente étude. - 5. Position du
problème à résoudre. - 6. Justification de
la méthorle adoptée.

l. Les articles 1382 à 1386 du Code Ci1 il sont sans 1

application à la matière des contrats; il ne peut y avoir de


f aute aquilienne qu 'entre personnes demeurées étrangères
l'une à l'autre: de telles affirmations se rencontrent, avec
quelques variantes, sous la plume de nombreux auteurs et
dans maintes dérisions judiciaires.
Et cependant, les plaideurs ne cessent de soumettre à
nouveau la question aux trihunaux: les acheteurs d 'une
arme à feu 1 , d 'une bicyclette 2 , d 'une chaudière •, victimes
d 'un accident provoqué par un défaut de la chose vendue,
invoquent l'article 1382 à l'appui de leur action en dom-
mages et intérêts contre Ie verrdeur; un animal chargé dans
un wagon de chemin de fer est blessé en cours de route :
l'expéditeur se prévaut de l'article 1382 pour réclamer répa-
ration au transporteur' ; une terrasse s'écroule, blesse Ie
locataire du bàtiment et endommage son mobilier : Ie loca-
1
Aix, 4 janv. 1872, D. 1873, 2, 55; v. l'étude de M DEMOGUE, Rev.
trim., 1923, p. 646.
2
Bourges, 27 juin 1893, D., 1894, 2, 573.
3
. Civ., 16 juin 1879, D. 1880, J, 36 .
. • Cass., 13 fév. 1930, Rev. gén. ass. resp., n° 590.
2 RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS

taire intente au bailleur une action en dommages et intérêts


basée sur l'article 1386 1 •
Ont-ils ce droit? Problème classique, qui jouit de la
redoutable réputation d 'être l 'un des plus obscurs et des plus
complexes parmi ceux qui retiennent l 'attention des
civilistes.
2. Il serait vain d 'en chercher la solution dans la loi
elle-même : les rédacteur<; du Code Civil, non seulement
n'ont point résolu le problème, mais paraissent même ne
l'avoir pas aperçu : les effets des contrats et ceux des délits
et quasi délits font l'objet de deux réglementations paral-
lèles, indépendantes l'une de l'autre ; leur combinaison ou
leur application simultanée n'ont à aucun moment attiré
l 'attention du législateur. Le silence gardé sur ce point
en 1804 était-il une condamnation? Il serait certes témé-
raire de l 'affirmer) et personne ne le soutient plus guère
aujourd 'hui, bien que les premiers commentateurs du Code
Civil, aient paru l'admettre. C'est bien plutot sur Ie terrain
des principes généraux du droit que la discussion doit être
portée.
Pendant longtemps, il est vrai, l'application des articles
1382 à 1386 entre rnntractants est demeurée une pure ques-
tion d 'école. Mais vers la fin du XIX" siècle, l'évolution éco-
nomique, Ie développement des activités industrielles, et
d 'une façon plus générale l 'énorme accroissement des risques
d 'accidents ou de pertes, ont donné au problème une impor-
tance pratique grandissante : l'apparition des clauses d'exo-.
nération dans les contrats, la nécessité d'assurer la protection
efficace du public et d 'obliger les professionnels et les tech-
niciens, (industriels, transporteurs, etc.) à une vigilance
incessante, ont successivement attiré l'attention sur le pro-
blème de l 'intervention de la responsabilité délictuelle entre
contractants. C'est à partir de cette époque que les plaideurs
l'ont soumis aux tribunaux: ils cherchaient précisément à

1 Bruxelles, 5 avril 1930, Rev. gén. ass. resfJ., 11° 852.


RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS 3

obtenir par la voie d'actions en dommages et intérêts fon-


dées sur les articles 1382 à 1386, dispositions tout à fait
générales, une protection que Ie contrat ne pouvait pas tou-
jours leur procurer. Prétention dont la jurisprudence a sou-
·vent consacré la légitimité, en faisant droit aux actions ainsi
intentées.
3. Mais la doctrine, surtout en France, n'a pas accueilli
avec faveur l 'intervention de la responsabilité délictuelle
entre contractants. De savants auteurs l'ont condamnée en
termes sévères, et à l 'heure actuelle elle fait figure d 'hérésie.
Il ne peut être question, dit-on, d 'appliquer les arti-
cles 1382 à 1386, lorsque la victime dispose d'une action
contractuelle lui perrnettant d 'obtenir réparation du dom-
mage dont elle se plaint ; car les règ1es rle la responsabilité
<lélictuelle sont purement « supplétives n : elles sont insti-
tuées « à titre subsidiaire n et « en prévision de ! 'absence
d'arrangements pris par les intéressés >> 1 • Si même la vic-
time ne dispose d 'aucune action contractuelle en dommages
et intérêts, l'existence du contrat, à elle seule, suffit Ie plus
souvent 2 à empêcher Ie recours aux articles 1382 à 1386,
car, ajoute-t-on, Ie contrat « chasse » la responsabilité dé-
lictuelle • et se substitue à elle pour régir les rapports juri-
diques des parties : ou la victime aura une action contrac-
tuelle, ou elle n'aura rien.
L'application des articles 1382 à 1386 entre contrac-
tants mérite-t-elle les anathèmes qu'on lui a jetés ?
La Cour de Cassation de Belgique ne l'a jamais cru,
bien que les règles organiques de la responsahilité civile et
les principes généraux du droit civil soient les mêmes en
Belgique et en France : par divers arrêts dont Ie premier
1
JossERA'iD, note au D. 1927, I, 105.
2
Il n'en est autrement que pour les actes dommageables ne pré-
sentant avec l 'exécution du contrat qu'un Iien purement occasionnel,
voy. A. BRUN, Rapports et domaines des responsabilités contractuelle
et délictuelle, thèse Lyon 1931, n° 348.
3
TossERAND, Cours de dr. civ., t. II, n° 482. Voyez également los.
RUTsAERT, De l'exclusion de la responsabilité délictuelle entre contrac-
tants (Belg. Jud., 1932, col. 289).
4 RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS

remonte au 28 mars 1889 1 , et le dernier au 13 février 1930 2 ,


la Cour suprême a résolument pris parti en faveur de la
solution condamnée par les auteurs français : suivant ces
arrêts, l 'article 1382, loin d 'être destiné à régir les tiers
seuls, s'impose en principe à tous et en toutes circonstances;
l'existence d'un contrat ne fait pas obstacle à la persistance
d 'une responsabilité délictuelle entre les parties ; rien ne
s'oppose même à ce que la victime d'un dommage dispose
d 'un choix entre l 'action issue de la responsabilité contrac-
tuelle et l 'action fondée sur la responsabilité délictuelle.
4. En présence d'une opposition aussi irréductible, on
ne saurait se contenter d'affirmations et de démentis. Seule
une étude approfondie peut permettre de résoudre le con-
flit des opinions.
Sans vouloir anticiper sur les conclusions de cette étude,
disons immédiatement que c'est la Cour de Cassation de
Belgique qui nous paraît avoir adopté la solution la plus con-
forme aux principes du droit civil belge et français ; la doc-
trine française, au contraire, malgré son apparence logique
et cohérente, est, dans son ensemble, entachée d'un dogma-
tisme arbitraire qu'il est indispensable de démasquer.
Toutefois, la Cour de Cassation de Delgique n'a pas eu
jusqu 'à présent l 'occasion de préciser les conséquences de la
solution adoptée par elle, ni, surtout, d 'indiquer les limites
qui doivent nécessairement être assignées à l 'intervention de
la responsabilité délictuelle entre contractants pour que cette
intervention demeure légitime.
En d'autres termes, la jurisprudence de la Cour suprême
contient seulement des directives générales, sans qu 'on
puisse en dégager une doctrine complète et détaillée. '
Nous avons tenté d'esquisser cette doctrine dans la pré-
sente étude après avoir tout d'abord justifié la solution de
principe consacrée par la Cour de Cassation de Belgique ; le
pöint de vue que nous y défendons s 'écarte clone de celui
1
1
B. J., 1889, col. 934.
2
Rev. gén. ass. et resp., n° 590.
RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS 5

qu 'adoptent la plu part des auteurs qui ont approfondi la


question, et c'est ce qui excusera peut-être cette contribu-
tion nouvelle à un sujet maintes fois débattu.
5. Précisons immédiatement, afin d 'éviter toute équi-
voque, les termes du problème.
Les individus sont soumis les uns envers les autres à des
obligations légales : les unes sont consacrées implicitement
par les articles 1382 à 1386 du Code Civil ( obligation de se
conduire avec diligence et prudence, obligation d 'éviter que
les personnes que l 'on a sous sa dépendance et les choses
que l'on a sous sa garde, ne causent préjudice à autrui), les
autres sont édictées par des dispositions légales particulières.
Leur sanction à toutes 1 est édictée par les articles 1382 à
1386 : c '.est la responsabilité civile du contre,enant ; on lui
réserve Ie nom de responsabilité « aquilienne n, par allu-
sion à son origine historique ; on la dénomme également :
responsahi]ité délictue1le ou quasi délictuelle.
Par ailleurs Ie Code Civil contient ( art. 1146 à 1155)
di,ersrs règles destinées à sanctionner ] 'inexécution des ohli-
gations conventionnelles, règles que l 'on désigne générale-
ment par l 'expression « responsabilité contractuelle n, et qui
diffèrent de la responsahilité aquilienne.
App]iquer aux conséquences d'une fautc contractuelle
les règles de la responsabilité aqui]ienne serait évidemment
contraire à la loi: ce serait méconnaître d 'une façon flagrante
les articles 1146 à 1155 Mais ce n 'est pas là ce que veulent
2

dire ceux qui affirment que les contractants peuvent invo-


quer l'un contre ] 'autre les artic1es 1382 et suivants. Trop
soment on se méprend sur ce point, et il est aisé de critiquer
ensuite une opinion inexactement rapportée.
Le prohlèmc doit au contraire être posé comme suit :
les ob1igations légales et la responsabilité aquilienne qui les

1 Dans <livers cas, des <lispositio11s spéciales atlachent il l'incxécu-

tion de certaines obligations légales des conséquences particulii'>res :


voyez injra, n° 34.
2
C'est en vain que M. Gran<lmoulin, dans sa thèse sur L'Unité de
la responsabilité (thèse Ren nes, 1892), s'était insurgé contre cctte donnée
irré<luctible du droit positif.
6 RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS

sanctionne subsistent-elles lorsqu 'un contrat est intervenu


entre les parties ? Non, répondent les auteurs français dont
nous avons rapporté }'opinion. En principe, oui, répond la
jurisprudence des arrêts de la Cour de Cassation de Belgique.
6. On a généralement soin de préciser, au seuil de toute
étude du problème qui nous occupe, que deux questions doi-
vent successivement être examinées : tout d'abord, la déter-
mination du domaine d 'application respectif des deux res-
ponsabilités ( aquilienne et contractuelle) ; ensuite, leur
concours éventuel à raison d 'un même fait ou d 'un même
dommage 1 •
La nécessité de cette méthode d'exposition se comprend,
si l'on admet que l'existence de la responsahilité contrac-
tuelle exclut celle de la responsabilité aquilienne : la déter-
mination rigoureuse du domaine d'application de la respon-
sabilité contractuelle présente dans ce système une impor-
tance capitale : elle devient en quelque sorte Ie centre même
du sujet.
Mais si l'on démontre, comme nous nous proposons de
Ie faire, que l'existence de la responsabilité contractuelle ne
fait nullement par elle-même obstacle à l 'intervention de la
responsabilité aquilienne, qui peut concourir avec la pre-
mière, la méthode traditionnelle ne s 'iinpose plus. Le centre
du sujet est alors au contraire la possibilité du concours des
responsabilités, et c'est précisément ce concours qui retien-
dra tout spécialement notre attention.
Il nous a paru dès lors inutile de consacrer une étude
spéciale au domaine de la responsabilité contractuelle. Rap-
pelons seulement ici, pour n 'y plus revenir dans la suite, que
la responsabilité contractuelle sanctionne uniquement les
obligations nées d 'un contrat. EIJe implique donc l'existence
d'un contrat valable entre les parties, et l'inexécution de ce
contrat par l'une d'elles. En !'absence de l'une de ces con-
ditions, seule la responsabilité aquilienne pourrait, !e cas
échéant, entrer en jeu.
1
Voy. A. BRuN, Rapports et domaines des responsabilités contrac-
tuelle et délictuelle, 1931, Tntrorluction.
PREMIERE PARTIE

ÉTUDE COMPARATIVE
DES RESPONSABILITÉS DÉLICTUELLE
ET CONTRACTUELLE
'
7. Nécessité de cette étude. 8. Unitil
ou dualité des :responsabilités contractuelle
et délictuelle.

7. Avant d'étudier l'intervention des articles 1382 et


suivants au cours de l'exécution d 'un contrat, une recherche
liminaire s 'impose : est-il exact que la responsabilité qui
dérive de l 'inexécution d 'un contrat est régie par des règles
différentes de celles qui s 'appliquent à la responsabilité délic-
tuelle ou quasi-délictuelle ?
L 'intérèt qui s 'attache au problème de l 'intervention
des articles 1382 et suivants entre contractants, dépend en
effet dans une large mesure de la réponse qui doit être faite
à cette question préalable.
Il n'en dépend point absolument et entièrement, car
dans l'hypothèse mème ou les deux responsabilités seraient
soumises à un régime identique, encore serait-il nécessaire
de rechercher si Ie créancier, lorsqu 'il ne peut relever à
charge de sofi débiteur aucun manquement au contrat, n 'a
pas du moins la ressource de lui intenter un procès en res-
ponsabilité délictuelle fondé sur un délit ou un quasi-délit,
c 'est-à-dire sur un manquement à des devoirs qui s 'imposent
à chacun indépendamment de tout contrat.
8 RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET C0NTRATS

Mais si Ie régime de chacune des deux responsabilités


est différent, si, notamment, les règles de la responsabilité
délictuelle sont, dans }'ensemble, plus favorables à la vic-
time que celles de la responsabilité contractuelle, l 'intérêt
du prob]ème de l 'intervention des articles 1382 et suivants
entre contractants s'en trouvera considérablement accru,
puisque la faculté d 'intenter éventuellement une action délic-
tuelle serait utile même dans les cas, ou le créancier dispose
contre son débiteur d'une action en dommages et intérêts
contractuelle.
8. Les rédacteurs du Gode Civil, qui ont fort peu innové
en matière de responsabilité civile, ont adopté une division
bipartite qui était devenue traditionnelle déjà dans }'ancien
droit : la responsabilité contractuelle est réglée par un cha-
pitre spécial du titre llI ; la responsabilité délictuelle fait
l'objet d'un chapitre spécial du titre IV.
Mais certains commentateurs du Code Civil au
XIX" siècle ont donné à cette division bipartite, qui n'était
qu'un simple procédé d'exposition, une_ portée tout à fait
nouvelle et, en quelque sorte, fonnamentale : responsahilité
délictuelle et responsabilité contractue1le seraient des institu-
tions essentiellement différentes 1 , à la fois par leur nature,
par les conditions requises pour leur application respective,
et par leurs effets, au point que l 'on a même proposé de
réserver Ie mot responsabilité à la seule responsabilité délic-
tuelle, et de remplacer la dénomination responsabilité con-
tractuelle par celle de garantie 2 •
Bien que les partisans de ·cette · terminologie nouvelle
aient cru pouvoir tirer argument en sa faveur des textes du
Code Civil même, leur système ne remporta guère de succès.
Il suscita au contraire, par réaction ", une théorie nouvelle

1
LAURENT, t. XX, n° 463 ; Huc, t. VII, n° 95, t. VIlT, n° 424 ;
LrnoMBIÈRE, Obligations, art. 1382, n° 8 ; AuBRY et RAu, t. VI, pp. 352
et s. ; BAuDRY LACANTINERIE et BARDE, Oblig., t. I, n° 356.
2
V. l'ouvrage de SAINPTELETTE, De la responsabilité et de la garantie.
3
Sur cette évolution, · voy. Ie remarquable exposé de M. DANJO!'., Dr.
marit., t. TJ, n°• 851) à 852.
' , ,
RESPONSABILITE' AQUILIENNE ET· CONTRATS 9

et diamétralement opposée : celle de l 'unité complète et par-


faite des deux domaines traditionnellement séparés dans Ie
êhamp de la responsabilité civile 1 •
Pour les partisans de cette nouvelle théorie, non seule-
ment la classification adoptée par Ie code est dénuée de toute
signification, mais les différences qui existent en droit positif
entre l 'organisation de la responsabilité délictuelle et celle
de la responsahilité contractuelle seraient pul'ement appa-
rentes.
Cette nouvelle théorie, non moins excessive que la pré-
cédente, et fort difficile à concilier avec les dispositions
légales e:q. vigueur, n 'a pas davantage obtenu l' adhésion de
la doctrine, et il semble actuellement que l'accord se fasse
sur une opinion moyenne 2 , à laquelle nous nous rallions
également. On peut la résumer comme suit :
1° Il n 'existe point de différence de nature entre la res-
ponsabilité dite délictuelle prévue par les articles 1382 et
suivants, et la responsabilité dite contractuelle: elles exigent
toutes deux, pour leur application, l'existence d'une faute
(c'est-à-dire d'un manquement à un devoir juridique)8,

1 Lmnmvnn, Responsabilité délictuelle et responsabilité conl:racf11ellc,

Rev. cri/., 1886, p. 485 ; GRAND~IOULn, Nature délictuelle de la rcspon-


sabilité po11r 11iolation des obligations contractuelles, thèse Rennes,
1892 ; ArBI:--, lh/>se Bordeaux, 1897 ; PLA"IJOJ,, t. IT, n°' 873 et s. ; DE
HAE;-.;E, Flanrlrc judiciaire, 10 avril 1901.
2
En ce sens MAzEAUD, Traité, I, n° 102 ; PLANIOL et R1PERT, t. VI,
n°• 488 à 490; ÎOSSERAND, Cours de dr. civ., U, n° 481 ; DE,roGUE, Oblig.,
t. V, n° 1238.
3
Il est impossible rle concevoir la foute, en droit civil, autrement
que comme un manquement à un devoir jurirlique (En ce sens :
FnoMAGEOT, De la faute comme source de la responsabilité en droit privé,
Paris, 1891, pp. 2 et 8 ; DnMOGUE, Oblig., t. III, p. 367, n. 3 ; PLA;-(IOL,
t. II, n° 863 ; OumNoT, rlans TnALLER, Vie j11ridiq11e du Français, t. IT,
p. 66; LÉGAL, thèse, pp. 80 et 81 ; Pr.A;-.;Hn, et füPERT, t. VII, n° 477;
CARNllLUTTI, Sulla distinzione tra colpa contrattuall' e colpa extracon-
trattuale (Riv. del Diritlo commerc. e del rliritto generale delle obbli
gazioni, 1912, 2° partie, pp. 744 et 745. V. sur ce point un intéressant
arrêt de la Cour de Cassation : 6 mars 1913, J. Comm. Bruxelles, 1913,
p. 386.)
Quels sont les devoirs jurirliques <les indivirlus il C'est 111 une tout
autre qnestion, indépenrlante rle la définition rle la fante elle-rnême. Il
est rlonc bien vain rle nier, comme Ie font rlivers auteurs (voy. notam-
10 RESPONSABILITÉ. AQUILIENNE _ET CONTRATS

d 'un préjudice, et d 'un lien de cause à effet entre le préjudice


et la faute. Que ce devoir juridique soit issu de la convention
ou qu'il résulte directement de la loi, il n'importe. Ce n'est
point là une différence essentielle et l 'on peut affirmer que
la responsabilité délictuelle et la responsabilité contractuelle
sont deux institutions en quelque sorte parallèles placées sur
Ie même plan ;
2° Mais il y avait une part de vérité dans la thèse dite
" de la dualité des responsabilités » : lorsque la responsa-
bilité naît de l 'inexécution d 'un contrat, elle est soumise à
certaines règles spéciales, différentes de celles qui régissent
la responsabilité délictuelle ; la plupart de ces règles sont
consacrées par la loi, et elles sont justifiées, soit par la
tradition, soit par le respect de la volonté des contractants.
La première partie de notre travail aura pour objet de
démontrer successivement ces deux propositions.

ment : A. BRuN, thèse n° 19) que la faute soit « une violation d'un
devoir juridique ,, sous prétexte que ce devoir n'est pas indiqué dans
la définition.
CHAPITRE PREMIER

ldentité
des principes fondamentaux de la responsabilité délictuelle
et de la responsabilité contractuelle

SECTION I. REJET DU CARACTÈRE D'oRDRE PUBLIC


DE LA RESPONSABILITÉ DÉLICTUELLE

9. La doctrine traditionnelle et ses con-


séquences. - 10. Réfutation. - ll. Con-
clusions.

9. Le trait essentie! par lequel la responsabilité délic-


tuelle se distingue de la responsabilité contractuelle est, aux
yeux de beaucoup d'auteurs, Ie caractère d'ordre public qui
devrait, suivant eux, lui être reconnu_
Alors que les contrats et la responsabilité contractuelle
naissent de la volonté, expresse ou tacite, des parties, et que
celles-ci peuvent, en conséquence, en élargir ou en res-
treindre les limites à leur guise, la responsabilité délictuelle
naît de la loi et serait au contraire intangible : elle a pour
fonction, dit Sainctelette 1 , « d 'assurer Ie respect des lois, ·
ceuvre de la volonté publique ».
Toute question qui s 'y rapporte cc est donc affaire d 'ordre
public et ne peut être résolue que conformément aux lois » 2 •
L 'article 1382, « grande loi de la sociabilité humaine », ainsi
que Ie disait Demolombe, échappe à ] 'action des volontés

1
Op. cit., pp. 15 et s.
2
Id.
12 RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS

individuelles. « Les devoirs légaux que sanctionne l'article


1382 sont d 'ordre public », dit M. Planiol 1 •
En un mot, les règles de conduite que la loi impose aux
individus, et la sanction qu 'elle y attache, ne peuvent être ni
modifiées ni supprimées par des conventions particulières.
Si elle était vraie, cette doctrine devrait donner immé-
diatement, semble-t-il, la solution du problème qui fait
l'objet principal de notre étude ; plus exactement, ce pro-
hlème ne se poserait plus : une fois admis le caractère impé-
ratif absolu des obligations ]égales et de la responsabilité
délictuelle qui les sanctionne, on doit logiquement en déduire
que l'existence ou l'absence d'un contrat ne peuvent exercer
aucune influence sur elles. Telle est hien, semble-t-il, la con-
2
C;lusion à laquelle aboutit M. Bonnecase •

La plupart des auteurs qui admettent le caractère


d 'ordre public de la responsabilité délictuelle, écartent cepen-
dant cette solution trop simple, et se prononcent au contraire
en faveur de l 'exclusion complète, et a priori, de toute
application de la responsabilité délictuelle entre contractants
malgré Ie caradère d 'ordre public qui lui est attaché. Sui-
vant ces auteurs, la responsabilité délictuelle n'existe que
pour les individus qui sont demeurés étrangers l'un à l'autre.
Mais ce n 'est ]à qu 'un postulat dépourvu de justification, et
dont nous démontrerons l 'inexactitude dans la suite 3 •
10. Quoi qu 'il en soit, Ie caractère impératif ou
d'ordre public de la responsabilité délictuelle est, pour une
bonne part, illusoire. La société est certainement intéressée

1 T. II, n° 882. V. dans Ie même sens : SouRDAT, I, n° 662 septies ;


BimnAXT et CAPITAI\T, Ann. Univ. Grenoble, 1906, n° 100 ; BAUDRY-LACAN-
TINERIE, Oblig., IV, n° 2869 ; Bol'iNECASE, Supplément au Traité de Bau-
dry-Lacantinerie, II, n°• 522 et 538 ; LALou, La responsabilité civile,
n° 203.
• Loc. cit.
3
Voyez infra, n° 76. M. Bol\XET (Rev. crit., 1912, p. 434) admet un
système hybride, suivant lequel la responsabilité délictuelle serait d 'ordre
public dans les rapports extracontractuels, mais ne Ie serait plus dans
les relations de deux contractants. Il n 'est pas nécessaire d 'in sister sur
Ie caractère arhitraire de cette rlistinction.
RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS 13

à ce que soient inscrites dans nos lois des règles prescrivant


aux individus la conduite qu'ils doivent observer, et astrei-
gnant ceux qui ne s 'y conforment pas à réparer Ie préjudice
qu 'ils ont causé.
Mais, ainsi qu'on l'a fait observer, la société n'est pas
également intéressée à ce que ces règles reçoivent toujours
et malgré tout leur application, à ce qu'elles régissent les
rapports de deux indi'vidus déterminés contrairement à leur
volonté bien établie 1 •
Certes, parmi les obligations légales, il en est dont Ie
respect intéresse à la fois la société et les particuliers : tel est
Ie cas de l 'obligation de s 'abstenir des faits réprimés par la
loi pénale\ ou de l 'obligà-tion de ne pas nuire volontairement
êt sciemment à autrui a ; un jugement récent a également
décidé que « les banquiers et agents de change ne peuvent
pas s 'affranchir de l 'accomplissement des obligations que
la loi impose à chacun d'eux dans l'intérêt général ni de la
responsabilité qui en résulte pour eux » •. Se dégager de ces
obligations serait heurter la conscience publique ; stipuler
que l'on ne devra aucune indemnité ou une indemnité
réduite si on ne les respecte pas, ne serait pas rnoins cho-
quant car ce serait se réserver par une voie indirecte la
liherté de les méconnaître impunément, ou à bon compte.

1 JossEHAND, Transports, n° 627 ; Cours de dr. civ., II, nvs 470,


474, 475.
2
BRux, thèse, p. 95. On pourrait se demander si, quand Ie délit
implique dans sa définition !'absence de consentement de la victime,
les parties ne peuvent, par convention particulière, détruire eet élé-
ment constitutif de l'infraction, et, par voie de conséquence, supprimer
l'infraction elle-même. Plusieurs décisions ont refusé d'admettre que Ie
transporteur bénévole ait pu être tacitement exonéré, même partielle
ment, de la responsabilité dérivant de l 'articlc 1382, en cas d 'homicide
ou de blessures par imprudence, pour Ie motif que les parliculiers ne
peuvent s'exonérer à !'avance des conséquences d'une infraction pénale :
Correct. Liége, 25 oct. 1928, B. ass., 1929, p. 286 ; Liége, 30 janv. 1929,
J T., 1929, col. 382; Bruxelles, 16 avril 1930, Rev. gén. ass. et resp.,
n° 661.
3
1VlAzEAUD, II, 11° 2574 ; füPERT, Règle morale, n° 28, p. 59.
4
Comm. Bruxelles, 30 avril 1932, B. J., 1932, col. 503.
14 RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS

Ces devoirs-là et la responsabilité qui les sanctionne, intéres-


sent incontestablement l 'ordre public 1 •
Mais ils form ent l 'exception. Dans son ensemble, la
responsabilité civile a pour objet essentie!, ainsi que l 'a
2
décidé la Cour de Cassation de Belgique Ie règlement d 'in-
,

térêts privés : son hut immédiat est la réparation des dom-


mages éprouvés par les particuliers. Il n'y a, à eet égard,
aucune différence foncière entre elle et la responsabilité
contractuelle : << Ie dommage causé à un tiers n'est pas plus
immoral ni antisocial que celui causé à un co-contractant
par la violation du contrat n •.
11. Les particuliers peuvent donc, par leurs conven-
tions et dans les limites indiquées ci-dessus, préciser, modi-
fier, atténuer, voire même supprimer les obligations que la
loi imposait à chacun d'eux envers l'autre, ou la responsa-
bilité délictuelle qui sanctionne leur inobservation '.
La doctrine paraît d 'ailleurs admettre de plus en plus
volontiers la validité des clauses d'exonération de la respon-

1
Beaucoup d'auteurs y ajoutent les devoirs qui concernent Ie
respect de l 'intégrité physique, de l 'honneur, etc., sous prétexte que
Ie droit à l'intégrité physique ou à l'honneur sont choses hors com-
merce : JossERAND, Transports, n° 627 ; Cours de Dr. Civ., II, n° 475 ;
Huc, t. VIII, n° 431 ; LABBÉ, Ann. de Dr. Comm., 1886-87, p. 187 et
note au S., 1885, 1, 409; DE HARVEN, Rev. Dr. beige, 1928, pp 242
et suiv. ; LALou, op. cit., n° 608 ; MAZEAUD, Traité, II, n° 2575.
M. Soenens a réfuté ce raisonnement et démontré qu'il repose sur
une confusion entre deux choses très différentes : l'aliénation de ces
droits - que la loi prohibe - et la renonciation à réclamer une
indemnité pécuniaire en cas de lésion fautive de ces mêmes droits
(B. J., 1929, col. 548). La jurisprudence bel ge admet d 'ai!leurs qu 'il
est permis de s'exonérer de la responsabilité des dommages corporels :
v. à ce sujet notre étude sur les clauses cle non-responsabilité, Rev.
gén. des ass. et des resp., n° 703, ndB 6 à 9 ; Bruxelles, 12 mars 1910,
B. J., 1910, col. 449 ; P. DuRAND, Des conventions d'irresponsabilité,
p. 460.
2
21 févr. 1907, Pas., 1907, 1, 135 ; cléjà antérieurement la Cour
suprême s'était prononcée en ce sens : v. 27 cléc. 1877, Pas., 1878, 1, 35
et 12 nov. 1885, B. J., 1886, col. 135. V. aussi Civ. Mons, 13 févr. 1914,
B. J., 1914, col. 825.
3
DANJON, Dr. Mar., t. II, 11°• 854 et suiv.
4
Comp. Bruxelles, 5 avril 1930, Rev. gén. ass. et resp. 852, et la
note cl 'observations sous eet arrêt.
RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS 15

sabilité délictuelle 1 ; la jurisprudence, après avoir plu-


sieurs fois décidé qu 'il est permis de stipuler dans un contrat
qu 'une autre personne se substituera à celle qui serait léga-
2
lement responsable reconnaît à son tour qu'il est permis
,

de s 'exonérer de la responsabilité délictuelle ".


Le caractère d 'ordre public de la responsabilité délic-
tuelle doit donc être rejeté. et cette conclusion restitu,e tout
son intérêt au problème del 'intervention de la responsabilité
délictuelle entre contractants : dans quelle mesure sera-t-elle
affectée par les conventions particulières ? dans quelle
mesure subsiste-t-elle ? peut-elle concourir avec la respon-
sabilité contractuelle elle-même?
Telles sont les questions que nous aurons à résoudre
au cours de ce travail.

SECTION II. LE FONDEMENT


DES RESPONSABILITÉS DÉLICTUELLE ET CONTRACTUELLE
LA FAUTE

12. Théorie de la « responsabilité contrac-


tuelle pour simple fait n. - 13. Réfutation.
- 14. Distinction des obligations de résul-
tat et de moyens. - 15. Application en
matière contractuelle. - A. Obligations con-
tractuelles de résultat. - 16. B. Obligations
contractuelles de moyens. - 17. Applica-
tion en matière délictuelle. - 18. Conclu-
sion.

12. Les plus radicaux parmi les partisans du dualisme


foncier des responsahilités contractuelle et délictuelle, sou-

1
MAZEAUD, Il, n° 2571 ; DEMOGUE, t. V, n°• 1198 et 1199 ; BoUTAun,
Les clanses de non-responsabililé, n° 132 ; JossERAND, Cours de Dr. Civ.,
n° 8 474 et 475 ; füPERT, La règle morale, n° 132.
2
Louvain, 4 avril 1908, P. P., 1908, 594 ; Mons, 24 juill. 1911,
P. P., 1912, 353; 13 févr. 1914, B. J., 19]4, 825; Paix Mons, 4 juin 1930,
Rev. gén. ass. et resp., 743. Bien entendu, le cas de dol ou de faute
lourde n'est pas en question.
3
Civ. Charleroi, 8 mai 1930, Rev. gén. ass. et resp., 742, et notre
note d'observations. Contra: Bruxelles, 5 avril 1930, précité. Pour la
jurisprurlence française, v. BRUN, thè·se, n° 80.
16 RESPO~SAB~LITij AQUfLIENNE ET CONTRA'l;S

tiennent que la notion de faute, base essentielle de la seconde,


serait au contraire étrangère à la première : la responsabilité
contractuelle serait, suivant la terminologie employée par
ces auteurs, une responsabilité pour simple fait, c'est-à-dire
plus rigoureuse que la responsabilité délictuelle.
A l'appui de cette opinion, on invoque l'article 1147
du Code Civil, suivant lequel Ie debiteur contractuel doit des
dommages et intérêts en cas d 'inexécution « toutes les fois
qu 'il ne justifie pas que l 'inexécution provient d 'une cause
étrangère qui ne peut lui être imputée n: la responsabilité
paraît ainsi être attachée par la loi au fait matériel, extérieur,
de l 'inexécuiion du contrat, puisque, dit-on, Ie débiteur res-
terait responsable, même s'il prouvait qu'il s'est comporté
en bon père de famille, c'est-à-dire qu'il n'a commis aucune
faute '.
13. Ce raisonnement ne résiste guère à !'examen et il
est aisé de montrer qu 'il repose sur une insuffisante anal)·se
de la notion de faute.
En disant que Ie débiteur demeure responsable même
s'il prouve n'avoir commis aucune faute, on entend impli-
citement par faute une négligence ou une imprudence 2 •
Mais cette définition implicite est manifestement
inexacte : être en faute, c'est manquer aux devoirs d'un bon
père de famille, ou d 'un homme avisé, et ces devoirs com-
prennent non seulement celui de se conduire avec prudence,
mais celui d 'exécuter toutes les obligations particulières que
la loi prescrit. Or, « s'il est certain qu 'un bon père de
famille se conforme aux règles qui lui sont tracées par Ie
législateur, à plus forte raison doit-il se soumettre à ceJles

1 En ce sens : MmG'IIÉ, thèse, pp. 26 et suiv., notamment, p. 30;


CoLMET DE SANTERRE, Oblig., V, p. 486 ; REcQuÉ, Rev. trim. de dr. civ.,
1914, p. 285 ; TossERAND, Cours de dr. civ., Tl, n°• 611 et suiv. ; P. Du-
RA'ID, Des conventions d'irresponsabilité, thèse, Paris, 1932, p. 106.
2
" Le débiteur ne peut pas demander à prouver qu'il n'a commis
aucune faute, qn'il a accompli toutes les diligences, dit M. Meigné (op.
cit., n° 30) ; M. Josserand paraît commettre la même erreur : op. cit.,
n° 613.
RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS 17

qu'il s'est tracées à lui-même dans un contrat » 1 En


d'autres termes, prouver l'inexécution du contrat, c'est pré-
2
cisément prouver la faute contractuelle du débiteur et dès ,

lors l'article 1147 ne consacre nullement l'abandon de la


notion de faute en matière contractuelle. Les travaux pré-
paratoires du Code Civil révèlent d 'ailleurs que ses rédac-
teurs n'ont jamais eu l'intention de modifier sur ce point
3
la tradition de l' ancien droit •

Au surplus, si la thèse que nous combattons était exacte,


et si la responsabilité contractuelle était rattachée au simple
fait de l 'inexécution du contrat, il importerait peu que Ie
débiteur eût été ou non conscient de ses actes au moment de
l'inexécution. Or, il est admis au contraire que Ie débiteur
qui a perdu la raison, n'est pas plus'responsable s'il viole un
contrat conclu par lui, que si dans son égarement il provoque
un accident •. La notion de faute subjective demeure donc
sans aucun doute à la base tant de la responsabilité contrac-
tuelle que de la responsahilité délictue11e.

1
MAZEAUD, Traité, I, p. 504.
2
,, L'inexécution d'une obligation contractuelle constitue une faute

déjà réalisée, et toute prouvée ", disait SALEILLES (Théor. gén. de l'oblig.,
pp. 436-437) .' En ce sens : CoLIN et CAPITANT, 6° éd., t. II, p. 6 ; BAuDRY-
LAcANTINERIE et BARDE, Oblig., t. IV, n° 2865 ; MAZEAUD, Traité, I,
pp. 504 et 505. V. également DEMOGUE, Oblig., V, n° 1233 ; A. BRuN,
th/>se, n° 25. - Comp. Civ. Anvers, 25 juin 1931, Rechtskundig Week-
blad, 1931-32, col. 317.
3
MAZEAUD, Traité, I, n° 53. - L'argument que M Meigné croit
trouver dans divers articles du Code Civil qui déclarent un débiteur res-
ponsable de cc son fait" (art. 1245, 1850, 1933), est sans portée, puisque
Ie fait même de l 'inexécution constilue une faute.
4
Pand. belges, v° Faute, section I : De la faute civile en général,
n° 1 : cc Un simple fait dégagé d'imputabilité ne suffit jamais pour cons-
tituer la faute " ; DEMOGUE ; Obligations, t. V, n° 1233 ; « On ne con-
damnerait pas Je débiteur contractuel si, devenant aliéné, il violait son
obligation » ; v. aussi t. IV, n° 802 ; BRuN, thèse, n° 24 ; Rev. trim.,
1925, p. 109 ; 1929, p. 124 ; 1930, p. 192.
Labbé s'est prononcé dans Ie même sens (note au S., 1870, 1, 97,
§ 111), mais en assimilant - à tort - l 'insanité d 'esprit à un cas fortuit.
On a décidé que Ie défaut de payement d'une prime d'assurance à
son échéance, ne peut entraîner la résiliation de la police, si c'est parce
que l'assuré est devenu aliéné et a été interné que l'obligation n'est
pas exécutée (Seine, 17 juin 1915, Gaz. Trib., 1916, 2, 228, Rev. trim.,
1917, p. 143).
18 RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS

14. Ce qui a pu faire croire que la notion de faute est


étrangère à la responsabilité contractuelle, c 'est que son
role et son utilité y sont beaucoup rnoins l.mportants que
dans la responsabilité délictuelle. Pour Ie démontrer, il est
nécessaire de recourir à une distinction aperçue par
M. Demogue 1 , que quelques auteurs allemands paraissent
2
également avoir dégagée et qui semble s 'accréditer de plus
,

3
en plus en doctrine l'ohjet des obligations contractuelles
:

peut être extrêmement différent : tantöt l'obligation a pour


objet un fait, un résultat, tantöt elle contraint celui qui y
est soumis, non point à procurer un résultat, mais seulement
à faire montre de diligence en vue de l 'obtenir •.
Très utile pour dissiper de nombreuses confusions qui
subsistent dans la théorie de la responsabilité civile, la dis-
tinction de l'obligation de résultat et de l'obligation de
moyens révèle notamment que Ie röle de la notion de faute
dans les raisonnements du juge saisi d 'une question de
responsabi]ité, n'est pas toujours identique.
15. La plupart des obligations contractuelles astrei-
gnent Ie débiteur à procurer un résultat désiré par Ie créan-
cier ( aliquid fieri); il se porte fort, en quelque sorte, de
l'obtention de ce résultat, il en fait son affaire : l'obligation
est nette et précise, son contenu est clairement indiqué par
Ie contrat lui-même.
Les contrats les plus usuels donnent naissance à des
ohligations de ce genre : toutes les dettes de somme, les

1
Oblig., V, n° 1237.
2
Comp. Heinrich SrnER, Zur Th!'Orie von Schuld und IIaftung nach
Reichsrecht, (Jherings Jahrbücher, t. 50, pp. 55 et s.)
3
PLANIOL et fürERT, t. VI, n° 377, p. 522 ; n. Dallant au D. P.,
J929, l, 90 ; P. DFRA"-D, thèse, pp. 153 et suiv.
4
La distinction se retrouve, à l'état latent, en quelque sorte, dans
un article de M. PLANIOL (Rev. crit., 1888, pp. 279 et s.). Comp. aussi
G. Roarn, thèse, pp. 54 et s., p. 58. - DoMAT (Lois civ., livre UI,
titre V, sect. Il, n° 10) signalait déjà que la faute (au sens d'une
"négligence ))) n'était pas toujours requise pour que des dommages
et in térêts contractuels fussent dus : " Il y a des cas ou il est dû des
dommages et intérêts sans qu'aucune faute y ait donné lieu, mais par
le simple effet d 'un engagement. ))
RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS 19

conventions de garantie (gage, cautionnement), la garantie


d'éviction en matière de vente et de louage, la garantie des
vices due par Ie bailleur 1 , la garantie due par Ie déposant
au dépositaire pour toutes les pertes que Ie dépot peut lui
avoir occasionnées (art. 1947), constituent autant d'obli-
g·ations de résultat ; l 'entrepreneur, obligé de suivre les pres-
criptions précises du cahier des charges, est tenu d'une
2
obligation de résultat telle est ég·alement la situation de
;

tous les débiteurs astreints à assurer la « sécurité n de leur


co-contractant, suivant l'interprétation que la jurisprudence
française donne à de nombreux contrats (transport, contrat
d'enseignement, d'hotellerie, etc.).
Dans tous ces cas, le role du juge est extrêmernent
simp]e : pour savoir si le débiteur a rnanqué aux devoirs d 'un
bon père de fami1le, point n 'est besoin d 'une longue recher-
che : il a prornis un résultat, il devait tenir parole à tout prix.
ll suffit de constater que le résultat n 'est pas obtenu pour
constater du même coup la faute contractuelle. Le recours
au critère du cc bon père de famille n est donc, pratiquement,
sans grande utilité pour déterminer si la responsahilité est
engagée : l'examen du contrat suffit.
Il n'en faudrait point conclure cependant que la notion
de faute serait étranp;ère à la responsabilité contractuelle,
car une analyse attentive révèle que le débiteur d \me obli-
gation de résultat commet une véritab]e faute en ne procu-
rant pas à son créancier le résultat promis : manquer de
pa rol~ n 'est point le fait d 'un bon père de fa mille.
16. D'autre part, la notion de faute apparaît claire-
ment, et ;joue un role essentiel, dans tous les cas ou les obli-
gations contractuelles sont des obligations de moyens, par
1 La garantie des vices cachés dans la vente ne constitue pas une

obligation de résultat à charge du vendeur, car l 'existence de pareils


vices n'engage pas nécessairement la responsabilité du ven<leur : il ne
doit des dommages et intérêts qu'en cas de dol (art. 1645); dans les
autres cas, l'existence d'un vice caché donne seulement à l'acheteur Ie
droit de faire modifier Ie prix ou de demander la résolution du con-
trat ( art. 1643).
2
Comm. Anvers, 14 juill. 1902, J. A ., 1902, 1, 341.
20 RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRA TS

lesquelles Ie débiteur promet de consacrer à un résultat


déterminé son activité, ses efforts, sa diligence. Telle est
l'obligation de garde dont l'article 1137 indique l'étendue.
M. Demogue 1 donne de nombreux autres exemples
d'obligations de ce genre. La jurisprudence en offre égale-
ment : l'obligation assumée par un architecte de « diriger
2
les travaux n est une obligation de moyens avant la loi du
;

25 août 1891, la jurisprudence décidait que Ie transporteur


devait apporter aux choses transportées toutes les précau-
tions que comporte leur sécurité 3 ; !'engagement pris par
un armateur au sujet de la date d'arrivée d'un navire affrété,
ne constitue en son chef qu 'une obligation de moyens •. La
Cour d 'Appel de Paris a donné à la notion d' « obligation de
moyens n une consécration officielle en attribuant in terminis
ce caractère à l 'obligation assumée par un médecin de « pré-
senter un de ses confrères à ses malades et de faire toutes
démarches utiles pour lui faire acquérir ou conserver sa
clientèle en lui conférant Ie titre de successeur n • ; enfin,
parmi les contrats dont les effets sont réglés par la loi, il en
est qui par leur nature même comportent la création d'obli-
gations << de moyens n : Ie contrat de ]ouage d'industrie, Ie
mandat •.

1 T. V, n° 1237.
2
Bruxelles, 8 juin 1892, J. T., 1893, 102.
3
Civ. Bruxelles, 13 févr. 1892, Pas., 1892, 3, 138 ; 10 juill. 1893,
Pas., 1893, 3, 381.
4
Gand, 22 nov. 1892, Pas., 1893, 2, 316 ; Comm. Anvers, 23 juin
1898, J. T., 1898, 902.
5
Paris, 16 nov. 1927, Sem. jurid., 1928, p. 53 ; v. aussi deux arrêts
de la Cour de Riom : 18 juillet 1928, G. P., 1928, 2, 784, avec les con-
clusions de M. l 'avocat général Cavarroc, et 5 févr. 1929, G. P., 1929,
1, 649.
6
Lorsq'ue les plaideurs proposent au juge deux qualifications dif •
férentes du contrat Iitigieux, l'intérêt de la contestation réside souvent
en ce que, suivant la qualification adoptée, les obligations du débiteur
seront des obligations de moyens ou de résultat, ces dernières étant évi-
demment plus onéreuses : la solution diffère à eet égard suivant que
Ie contrat constitue un louage d'industrie ou un contrat de transport
(v. à propos du contrat de remorquage : Comm. Liège, 19 mai 1930,
Jur. Liége, 1930, p. 182), un mnndat ou un d{>pöt (Y. à propos des
commissionnaires expéditeurs : Comm. Anvers, 15 janv. 1930, J. A.
RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS 21

Lorsque l 'obligation violée est une obligation de


moyens, Ie juge saisi d'une action en responsabilité doit
procéder à un travail d'appréciation souvent délicat : il
devra comparer la conduite du débiteur (par exemple un
administrateur de société) a vee celle qu 'aurait eue un
homme normalement diligent, un cc hon père de famille »,
engagé dans les liens d 'un contrat semblable 1 • Le débiteur
ne sera responsable que si cette comparaison lui est défa-
vorable ; Ie juge ne se borne donc pas à constater l 'existence
de la faute, il doit apprécier si elle existe.
17. Le recours au critère du bon père de famille »,
«
rarement utile pour déterminer l'existence d'une faute con-
tractuelle, est au contraire Ie plus souvent nécessaire pour
étahlir la faute délictuelle. Car la principale obligation légale
dont l'article 1382 constitue la sanction est celle de se con-
duire en toute circonstance avec la prudence et la diligence
que l'on peut attendre d'un homme avisé : c'est, de toute
évidence, une obligation de moyens dont Ie contenu précis
2
devra être déterminé par Ie juge dans chaque espèce en ,

tenant compte des usages de la vie sociale, extrêmement


variahles suivant les circonstances de lieu et de temps a.
Toutefois, la responsabilité délictuelle e11e-même ne
repose- pas toujours sur la violation d'une ohligation de
moyens : l'article 1382 sanctionne en effet, non point seu-
lement la règle générale cle prudence dont l 'article 1383

1930, p. 28 ; Bruxelles, 22 févr. 1930, J. A., 1930, p. 61), un dépót ou


un louage de choses (Y. à propos de la remise d'une auto dans 11n
garage : Comm. Bruxelles, 4- déc. 1929, Jur. comm. Brux., 1930. p. 106 ·
J. P., Anderlecht, 15 juin 1929, Rev. gén. ass. et resp., 1930, 592).
1 " Pour juger la nature fautive d'un acte de gestion, dit un juge-

ment du tribunal de Commerce d'Anvers (6 jnin 1908, P. P., 1908,


n° 1052), il y a à tenir compte d 'abonl des intcntions des maîtres de
la chose, ensuite des circonstances dans lesquelles les mandataires se
meuvent, enfin, des éléments intrinsèques de l'acte dans scs relations
avec Ie fait d'un bon père de famille. r,
2
On a même pu dire qn'en pareille hypothèse, c'est Ie juge qui
proclame dans son jugement à la fois Ie devoir et sa vioiation :
H RoLIN, QuelqHes remarques sur les engagemenfs ré.rnltanf des délils
OH quasi-délits (Rev. gén. ass. et resp., n° 110, p. 3).
3
DEMOGUE, Oblig., ITJ, n° 2!i5.
22 RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS

impose implicitement l'observation, mais aussi toutes les


obligations légales particulières 1 : c'est toujours une faute
délictuelle que de ne pas observer la loi. Or, les obligations
légales ont très souvent un contenu précis, qui permet de
les considérer comme des obligations de résultat : les faits
que la loi défend (infractions pénales, interdictions prévues
par les règlements de police) ou qu 'elle ordonne ( règle-
ments sur la bàtisse, règlement relatif aux im asions d 'in-
sectes, etc.) sont généralement déterminés avec netteté par
la loi elle-même, et ne laissent guère au juge un pouvoir
2
d 'appréciation quelconque •

Mais les obligations légales de résultat les plus impor-


tantes sont taciternent prévues par les articles 1384 à 1386
qui en sanctionnent l'exécution : les maîtres et commettants
doivent répondre des domestiques et préposés qu 'ils em-
ploient ; chacun répond aussi des défauts dont sont enta-
chées les choses qu 'il a sous sa garde, des animaux dont i]
se sert, des défauts et du rnauvais entretien des bàtiments
dont il est propriétaire : obligations rigoureuses, qui astrei-
gnent ceux qui y sont soumis, non point seulement à sur-
veiller leurs préposés ou leurs hiens, mais à assurer la sécu-
rité d 'autrui •.
La multiplication des ohligations légales particulières,
et l 'interprétation sans cesse extensive donnée aux articJes
1384 à 1386, ont même donné peu à peu à la responsabilité
délictue11e une physionomie nouvelle, qui la rapproche de

1
AuBnY et RAr, t. VT, p. 329, n° 9. V. infra, n° 92.
• Saleilles distingue très nettement la « faute laissée à l 'apprécia-
tion du juge)) et la "faute définie par Ia loi " : Rev. trim., 1907, p. 740;
cf. PLAXIOL, Traifé élém., IJ, p. 292, n. 1.
• En revanche, I'ohligation du père de surveiller ses enfants, comme
celle des instituteurs et artisans de surveiller leurs élèves et apprentis,
paraissen I n 'être que des ohligations de moyens. La loi édicte, il est
vrai, à charge de ces personnes, et pour Ie cas oû un dommage serait
causé par un enfant, un élève ou un apprenti, une présomption de
défaut de surveillance : mais la présomption peut être renversée par la
preuve que le fait incriminé n'a pu être empi"ché (v. Ie texte de l'arti-
cle 1384). Au contraire, drms les au tres hypothèses envisag!'es par les
articles 1384 à 1386, senle la preuve du cas fortuit libfre la personne
responsable.
RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS 23

la responsabilité contractuelle. La notion classique de la


faute tend à s 'objectiver progressivement : à l 'obligation de
diligence et de prudence se sont adjoints de nombreux
devoirs particuliers et de rigoureuses obligations de sécu-
rité 1 • Le juge qui, jadis, devait apprécier la conduite du
défendeur avant de pouvoir Ie déclarer en faute, n'a bien
sou vent aujourd 'hui qu 'à constater la contravention à une
ohligation légale précise.
18. Le fondement des responsabilités contractuelle et
délictuelle a donc toujours été et demeure encore identique :
2
elles deposent toutes deux sur la notion de faute Tantot •

la faute reprochée au défendeur est simplement constatée


par Ie juge, tantot elle traduit Ie résultat d 'une appréciation
portée par lui sur la conduite du défendeur.

' SECTJON lll. lnE~TITÉ DE LA FAUTE COl'ffRACTlJELLE


ET DE LA FAUTE DÉLICTUELLE

19. Théorie tradilionnelle de l'apprécia-


tion différente des deux fautes. - 20. Ré-
futation. A. Obligations de résultat. -
20. B. Obligations de moyens. L'adage :
In lege Aquilia et culpa levissima venit.
- 22. Jurisprudence. - 23. Identité du
crilère appliqué par Ie juge.
19. Mais est-il exact, comme la doctrine classique Ie
prétend, que la faute contractuelle et la faute délictuelle ne
1
Rappelons ici l'audacieuse interprét.tlion des articles 1382 et 1383
proposée par M. le Procureur Général Paul Leclerrq, et qui tend à faire
admettre que ces dispositions sanctionnent une véritable obligation de
résultat : celle de respecter Ja propriélé et l 'intégrité physique d 'au trui
(Conclusions précédant Cass. 4 juillet 1929, Pas., 1929, 1, 277).
2
V. MAzEAun, Traité, I, n° 1415. Dès lors on n'aperçoit point la
raison de décider comme le font certains auteurs (AnmY et RAu, t. IV,
§ 308, note 31) que c'est seulement en maliPre délictuelle que la faute
cmnmise par Ie créancier atténue la responsahilité de ]'auteur du fait
dommageahle. Cette différence injustifiée est d 'ailleurs rejetée par la
jurisprudence, qui admet notamment que la faute du voyageur atténue
la responsabilité contractuelle de ] 'hotelier : Comm. Bruxelles, 19 déc.
1913, Jur. c. Brux., 1914, p. 114; 1er juin 1922, iri., 1922, p. 285 ; Civ.
Dinant, 4 mars 1929, Jur. Liège, 1930, p. ll5. En France, v. Rev. trim.,
1923, p. 501 ; 1926, pp. 142 et 425 ; 1929, p. 142. Dans le m/lme sens :
MAZEAUD, Traité, II, n° 1457 ; DEMOGFE, t. VI, p. 375.
24 RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS

s 'apprécient pas de- la même manière, qu 'il existe entre elles


une différence de degré?
Suivant une opinion traditionnelle, pour que la respon-
sabilité délictuel1e soit engagée, il suffit d 'une faute quel-
conque, si légère soit-elle : la moindre défaillance de con-
duite peut être retenue. Tel est Ie sens, dit-on, de !'ancien
adage : In lege Aquilia et culpa levissima venit.
En revanche, la responsabilité contractuelle d'un débi-
teur ne serait engagée que si ] 'on relevait à sa charge une
faute présentant un certain caractère de gravité. Telle serait
la portée de l 'article 1137 du Code Civil, ·qui dis pose que Ie
débiteur n 'est obligé d 'apporter à l 'exécution de son obliga-
tion que les soins d 'un bon père de famille. L 'article 1137
ne vise, in terminis, que l'obligation de vei1ler à la conser-
vation d'une chose (qui, suivant l'article 1136, est une con-
séquence de toute obligation de donner) ; mais eet article
doit, suivant la doctrine classique, être étendu à toutes Jes
autres ohligations conventionnelles 1 •
Pour résumer la différence qui séparerait, en ce qui con-
cerne l 'appréciation de Ja faute, les deux responsabilités, on
dit parfois que vis-à-vis de son co-contractant Ie débiteur
doit se conduire en bon père de famille (bonus pater fami-
lias) tandis que vis-à-vis des tiers il doit se comporter en
2
excellent père de famille ( optimus parterfamilias) •

La victime d'un dommage aurait donc un intérêt mani-


feste à porter Ie débat sur Ie plan délictuel puisque la con-
duite du défendeur serait dans ce cas appréciée avec une
sévérité plus grande.

1
BAunRY et BARDE, Oblig., t. I, n° 355; BEUDANT, Contrats et oblig.,
n° 402.
2
LAURENT, XVI, n° 230 ; BAUDRY et BARDE, Oblig., IV, n° 2868 ;
BEUDA"IT, n° 1167 ; H1;c, t. VII, n° 95, t. VIII, n° 467 in fine ; CHENE-
VIER, Responsabilité contractuelle et responsabilité délictuelle, thèse
Nancy, 1899, p. 18; Bm,NlIT, op. cit., p. 428; BEUDANT et CAPITANT,
Annales de l'Université de Grenoble, 1906, n° 24 ; Emm. LÉVY, Rev.
crit., 1899, p. 389 ; BETTREMIEUX, thf'se, n°• 37 et s. ; JossERAND, Cours
de dr. civ., t. II, n° 427. - Contra: MAZEAUD, t. I, n°• 427 et 428, 687
à 691.
RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS 25

20. Mais l 'opposition est-elle réelle?


Nous ne le pensons pas. Elle est d'ailleurs restée
presque purement théorique car la jurisprudence. ainsi
qu'on l'a fait observer d'ailleurs, ne l'a guère utilisée 1 •
Quelques décisions paraissent, il est vrai, s 'y être réfé-
rées expressément 2 ou tacitemeni 3 • Mais dans }'ensemble,
la distinction demeure lettre morte.
La distinction traditionnelle est même véritablement
dépourvue de signification toutes les fois que le débiteur
(soit contractuel, soit délictuel) est tenu d'une obligation de
résultat. Pour savoir s'il est en faute, point n 'est besoin de
rechercher comment il aurait dû se comporter pour agir en
bon père de famille ou en excellent père de famille. Il suffit,
nous l'avons vu, de constater que l'obligation telle qu'elle
est précisée par la loi ou par le contrat, n 'a pas été remplie.
21. C'est seulement lorsque Ie débiteur est tenu d'une
obligation de moyens que Ie juge doit examiner avec atten-
tion les circonstances de la cause pour émettre sur la con-
duite du débiteur une véritable appréciation qui lui permet-
tra de décider ensuite s'il s 'est ou non comporté comme il
Ie devait. Doit-il se montrer plus sévère s'il s'agit d'une
faute extra-contractuelle que s'il s 'agit de la mauvaise exé-
cution d 'un contrat? La négative paraît certaine.

1
Cou"I' et CAPITANT, t. II, p. 380 ; LALOU, op. cit., n° 163 ;
J C. ScRIMDT, Faute civile et faute pénale, thèse Paris, 1928, p. 20.
2
Comm. Anvers, 30 oct. 1897, J. A., 1898, p. 297 ; Civ. Bruxelles,
21 mars 1894, B . .l., 1894, 1563 ; 14 nov. 1894, Pas., 1895, 3, 115. Ces
deux dernières décisions sont rendues à une époque oi1 la nécessité
d 'assurer la réparation des accidents du travail est particulièrement
urgente. - On cite également à l 'appui de la distinction traditionnelle
deux arrêts de la Cour de Cassation de France (Civ. 11 janv. 1922,
D., 1922, 1, 16; Req., 21 janv. 1890, D., 91, 1, 380). Mais on a fait
observer très justement que ces arrêts n'ont nullement jugé dans leurs
rlispositifs que tout acte quelconque qui aurait pu être évité entraîne
responsabilité, en matière dèlictuelle : V. PLANIOL, füPERT et EsMll!N,
t. VJ, n° 489.
3
Seine, 5 juin 1917, G. T., 1917, 2, 541. - Ce jugement déclare
responsable sur la base de l'article 1382 un propriétaire qui avait refusé
Ie placement d 'un appareil de sûreté destiné à parer à des accidents
extrêmement rares.
26 RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS

La distinction traditionnelle repose en effet s-ur une


interprétation inexacte de l'adage In lege Aquilia et culpa
levissima venit.
On a cru pouvoir déduire de cette maxime que toute
défaillance de conduite, si légère fût-elle, constituait une
faute aquilienne. Telle n 'était pas cependant la conception
que se faisaient de la culpa les jurisconsultes romains : la
faute aqui)ienne, pour eux, c'est la faute légère in abstracto,
c'est-à-dire la faute que n'aurait pas commise un homme
d 'une prudence moyenne, un bonus paferfamilias. Les déci-
sions d 'espèce rapportées au Digeste attestent en effet que
l 'omission de soins extraordinairement attentifs ne cons-
tituait pas une faute 1 • C 'est donc une erreur que de donner
à 1'expression levissima culpa un sens rigoureusement lit-
téral ; ainsi que l 'a fait obsener Van Wetter, Ie superlatif a
ici, comme c'est souvent Ie cas en latin, Ie sens d'un simple
positif.
Telle était également !'opinion des auteurs de l'ancien
droit : Pothier précise que la faute aquilienne donnant lieu
à responsabilité est la négligence ou l 'imprudence inexcu-
sable<;, et non la faute au sens absolu, la défaillance de co::1-
2
duite considérée en elle-même •

22. Les auteurs du Code Civil n'ont pas manifesté la


volonté d 'écarter ces principes et la jurisprudence postérieure
au Code Civil s'en est maintes fois inspirée ; son étude révèle
que les fautes qui engagent la responsabilité aquilienne sont
seulement celles qu 'un homme normalement diligent n 'au-
rait pas commises, parce qu 'elles sont contraires soit à
la prudence usuelle ", soit aux règles techniques en

' Sur tous ces points, v. VAN Wm,ER, Pandectes, t. IV, p. 376.
2
V. à ce sujet Ie discours de M. Ie Procureur Général Meyers,
Bruxelles, Larcier, 1922.
3
Le notaire n'est responsable de l'insolvabilité de l'adjudicataire
d 'un immeuble que si cette insolvabilité était notoire : Bruxelles, 4 dé-
cembre 1929, B. J., 1930, col. 68. - Le propriétaire d'une action de
société qui s 'adresse tous les ans, pour la perception des coupons, à un
in termédiaire professionnel oblig-é de vérifier si Ie titre n 'est pas frappé
d'opposilion, ne commet pas une faute en s'abstenant de procéder lui-
RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS 27
2
vigueur ', soit enfin aux usages On n'exige pas des indi-

vidus un effort illimité pour éYiter tout dommage a, surtout


lorsque l 'effort serait disproportionné •.
Pareille exigence serait d 'ailleurs peu raisonnable et heur-
terait les principes fondamentaux de la responsabilité sub-
jective : il serait absurde de reprocher aux individus de
n 'avoir pas déployé des efforts surhumains pour éviter de
léser leurs semblables. Les rendre responsables des consé-
quences dommageables d 'accidents qu 'ils étaient impuis-
sants à é,iter, serait répartir les préjudices et les pertes
d 'une manière absolument arbitraire.
23. La distinction traditionnelle doit donc être reJe-
tée : la faute s'apprécie toujours suivant une méthode iden-
tiquc, qu'il s'agisse d'un manquement à un contrat ou d'un
manquement à la loi "'. Dans .les deux cas, Ie juge compare
la conduite de ! 'individu à celle qu 'aurait été celle d 'un
homme d'une prudence ordinaire, normale, usuelle, placé
dans ïa même situation objective que !'auteur du dommage.
S'il s 'agit d 'un accident causé par un joueur, par
exemple, il faut rechercher ce qu'et1t fait un joueur norma-
lement diligent, placé dans la même situation. De même,
ml1me à une nouvelle vérification : Comm. Bruxelles, 30 avril 1932,
B. J., 1932, col. 503.
1
Le propriétaire ne doit prendre que les " précautions d 'usage n
pour évilfff les accidents : Amiens, 4 mai 1854, D., 1859, 2, 147;
Bruvelles, 7 févr. 1883, Pas., 1883, 2, 174.
" Les notaires sont obligés de connaître les lois existantes, mais
non fle se tenir au courant de la préparation des lois nouvelles (Rennes,
13 juin 1928, S., 1929, 2, 30, note). L'hötelier n'est pas tenu de vérifier
l'exactitude des déclarations faites par les clients (Comm. Gand, 29 mai
1928, Jur. comm. Fl., 1928, p. 156). Le fait d'un conducteur d'~voir
fait obliquer son camion pour remettre ses chevaux au trot est une
manrouvrc usuelle, et, partant, non fautiYe : Comm. Gand, 21 jan-
vier 1900, P. P., 1900, 1196. V. au surplus DEMOGUE, Oblig., t. lil,
n° 255, et les nombreuses références citées.
3
L'Etat ne doit pas bouleverser les installations de ses gares
pour réaliser une réforme, désirable cependant, et adoptée ailleurs, en
élevant les quais au niveau des planchers des voitures : Civ. Bruxelles,
7 déc. 1900, Pas., 1901, 3, 309 ; comp. Correclionnel Huy, 11 mai 1929,
Re1,. gén. ass. et resp., 1930, p. 577.
1
· Anvers, 5 août 1871, J. A., 1871, 1, 293.
5
CHrno:-.1, Colpa contrattuale, pp. 15 et s.
28 RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS

s'il s 'agit du manquement à un contrat, il faudra détermi-


ner ce qu'eût fait un homme normalement diligent engagé
dans les liens du contrat dont il s 'agit.
Dans l'application de cette méthode, Ie juge jouit, il
est vrai, d 'une grande liberté. Il s 'inspire notamment de
l 'utilité sociale qui s 'attache à ce que certaines initiatives
soient favorisées il reconnaîtra, par exemple, que l'em-
L :

ploi d'engins dangereux, même inusité, ne constitue pas en


soi une faute, car eet emploi est parfois nécessaire pour obte-
nir certains résultats socialement utiles. Il décidera aussi que
l 'erreur de diagnostic ou de traitement c·ommise par un
médecin ne constitue pas nécessairement une faute enga-
geant sa responsabilité, car il ne faut pas que la crainte d 'une
responsabilité ruineuse paralyse l 'initiative des praticiens de
2
la médecine •

Le juge peut donc reculer à son gré, suivant les cir-


constances de chaque espèce, les limites de la diligence nor-
male au delà de laquelle ne peuvent .exister que des fautes
théoriques sans conséquences juridiques •. Il pent également
étendre ces limites, lorsque la nécessité d'assurer la sécurité
des tiers lui paraît l 'emporter : dans ce cas, il exigera une
cliligence particulièrement rigoureuse.
Mais on n'aperçoit aucun motif, ni juridique ni ration-

1
" Toutes les fois que nous exerçons notre activité au profit d'autrui,

la loi et la jurisprudence considèrent que la faute et qup Ie risque sont


choses normales ; elles estiment que notre activité est naturellement
fai!lible et ainsi, en principe, elles ne font point retomber sur nous les
conséquences de la faute légère ; elles la traitent comme cas fortuit,
cela d'ailleurs, soit qu'il y ait, soit qu'il n'y ait pas contrat n : E. LÉvY,
Rev. Grit., 1899, p. 390.
2
On exprime généralement cette dernière règle en disant que Ie
médecin n'est tenu que de ses fautes lourdes. En réalité, Ie juge ne
considère comme fautes véritables, c'est-à-dire inexcusables, que ce!les
qui _ne peuvent se justifier par l 'incertitude de l 'état de la science sur
la question : V. Req., 21 juill. 1919, Gaz. Trib., 1919, p. 127 et la note ;
comp . .TossERAND, Dr. Civ., t. II, n° 427. En ce sens: DEMOGFE, Oblig.,
t. III, n° 256 ; GABBA, Nuove Quest., I, pp. 216 et s.; RoBI:\", thèse, p. 22 ;
LiicAL, thèse, p. l 05 ( eet auteur admet cependant, à tort selon nous,
qu'« il faut être plus scrupuleux envers les tiers »).
3
AumN, thèse, p. 58.
RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS 29

nel 1 , pour inviter le juge, a priori, et dans tous les cas, à


une mansuétude plus grande à raison du seul fait que la
2
responsabilité engagée est d'origine contractuelle Le cri- •

tère auquel se réfère Ie juge reste donc théoriquement Ie


même dans tous les cas, sous réserve de la faculté tout à
fait générale que possède Ie juge d'en assouplir l'application
en s 'inspirant tant de l 'équité que de l 'utilité générale.
La victime ne peut donc pas espérer que !'auteur du
dommage sera nécessairement traité avec une sévérité plus
grande si Ie procès en responsabilité est porté sur Ie terrain
délictuel : la nature de la responsabilité engagée est, à eet
égard, indifférente.

SECTION IV. LA CAPACITÉ REQUISE EN MATIÈRE


DE RESPONSABILITÉ

24. Différence généralement admise et


réfutation.

24. Suivant certains auteurs, seuls peuvent encourir la


responsabilité contractuelle ceux qui jouissent d'une capa-
cité juridique complète. En revanche, cette condition n 'est
point requise en matière de responsabi]ité dé]ictuelle : il
suffit d 'être capable de discernement •.
La différence ainsi relevée entre les deux responsabi-
lités paraît cependant reposer sur une confusion certaine. La
responsabilité contractuelle ne saurait exister sans un con-
trat et il n 'y a point de contrat valable si Ie débiteur n 'était
point capable de s 'obliger: en ce sens, il est vrai de dire que

1
Certains auteurs ont cru pouvoir justifier la <listinction tradi-
tionnelle en faisant ohserver que les fautes qui engagent la responsa-
0hilité <lélictuelle sont toujours des " manquements à une ohligation de
ne pas faire "· L 'inexactitude de cette affirmation est évidente :
v. LALOU, op. cit., n° 164.
2
En ce sens : PLANIOL et RrPERT, t. VI, n° 489.
3
JossERAND, Cours de Dr. Civ., t. IJ, n°• 455 et 481 ; LALou, La res-
ponsabilité civile, n° 256 ; PLA'.\'IOL et RrPERT, t. VI, n° 490 ; MmGNIÉ,
thèse, pp. 47 à 49.
30 RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS

l 'incapacité du débiteur forme obstacle à la naissance d 'une


responsabilité contractuelle. Mais, comme on le voit, c'est
seulement par un détour.
Par contre, lorsqu'un incapable s'est fait habiliter con-
formément à la loi, ses engagements sont valables, comme
le seraient ceux d 'une personne capable, et il est certain qu'il
ne pourrait impunément les méconnaître : le mineur qui,
représenté par son tuteur, a donné un immeuble à bail, est
personnellement tenu <l'en procurer la jouïssance au loca-
taire ; s'il ne le fait point, il commet une faute contrac-
tuelle et il ne pourrait assurément pas, en invoquant son
incapacité, échapper aux conséquences de pareille faute.
Décider Ie contraire serait confondre les obligations qui
résultent du contrat lui-même, avec celles - bien diffé-
rentes - qui naissent de l'inexécution des premières.
En d'autres termes, l'incapacité de contracter n'entraîne
nullement l 'inaptitude à être déclaré responsable 1 • Pour que
la responsabilité juridique d 'un individu puisse être enga-
gée, il faut, mais il suffit, qu 'il soit doué d 'une volonté
libre et capable de discernement 2 : que la responsabilité
engagée soit délictuelle ou contractuelle, la solution est à
eet égard identique.

SECTION V. PREUVE DE LA F AUTE

25. Théorie de la « présomption de


faute " en matière contractuelle. Ses consé-
quences. - 26. Réfutation. - 27. Preuve
de la faute contractuelle par les présomp•
tions de l 'homme. - 28. La preuve con-
traire. - 29. Extension des mêmes rè-
gles à la faute délictuelle. - 30. Confu-
sions provoquées par la théorie tradition-
nelle. - 31. Conclusions.

25. Parmi les différences que l'on relève entre les deux·
régimes de responsabilité, on signale souvent en tout pre-
mier lieu celle qui a trait au fardeau de la preuve.

' En ce sens : A. BRUN, thèse, n° 152.


2
V. Supra, n° 13, in fine.
RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS 31

Si la victime se place sur Ie terrain contractuel, dit-on


ordinairement, la preuve qu'ellc doit rapporter pour que
son action en dommages-intérêts soit accueillie, est beaucoup
moins difficile que si elle avait fondé son action sur les arti-
cles 1382 et suivants. La victime, dans cette hypothèse, n'a
qu 'une seule chose à prouver : Ie contrat <lont elle se prévaut.
Ne doit-elle pas en outre prouver que Ie débiteur a commis
une faute ou a manqué à ses obligations? Nullement : car
l'article 1315, paragraphe 2, dispose que c'est celui qui se
prétend libéré qui doit justifier Ie paiement ou Ie fait qui a
produit l'extinction de son obligation. Dès lors, Ie contrat
une fois prouvé, Ie fardeau de la preuve passe au défendeur :
pour échapper à une condamnation à des dommag·es et inté-
rêts, Je défendeur devra démontrer, soit que les obligations
que lui imposait Ie contrat ont été exécutées, soit que leur
inexécution est due à une cause étrangère qui ne peut lui
être imputée (articles 1147 et 1302, paragraphe 3, du Code
Gvil) 1 •
Au contraire, si Ie demandeur invoque la responsahilité
délictuelle de son adversaire. il doit rapporter la preuve com-
plète de la faute délictuelle qu'il lui reproche, car c'est pré-
cisément cette faute qui est la source de l'obligation du
défendeur 2 • Or, suivant l'article 1315, paragraphe 1, celui
qui réclame l'exécution d'une obligation doit tout d'ahord
prouver qu 'elle existe.
On résume sou vent l 'antithèse entre les deux situations
en disant : La faute contractuelle est présumée, la faute
délictuelle doit être prouvée •.
Si la différence était réelle, elle serait très importante,
car Ie sort d'un procès est Je plus souvent lié à l'administra-

1
H. LALOU, op. cit., n° 175 ; Mmr.,rÉ, thèse, p. 97 ; BAUDRY LACAN-
TINERIE, Oblig., t. 1, n° 356 ; Huc, t. Vil, n° 95 ; CoLIN et CAPITANT,
5° éd., II, p. 380.
2 V. Conclusions Sarrut, Sirey, 1913, 1, 177; CoL11rnT DE SANTERRE,
t. V, n° 256 bis, III, ; LALOU, op. cit., n° 176 ; MEIG'.'lll\ thèse, p. 97.
3
MAZEAUD, Traité, I, n°• 694 et 696.
32 RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS

tion des preuves par celui qui en a le fardeau. En plaçant


le débat sur le terrain contractuel, la victime échapperait à
la charge de la preuve, et accroîtrait donc sensiblement les
chances de réussite du procès.
Mais il n'en est rien : la différence signalée n 'est qu 'une
apparence aisée à démasquer : les règles du fardeau de la
preuve ne varient nullement suivant la nature contractuelle
ou délictuelle de la responsabilité, ams1 que nous nous
efforcerons de le démontrer.
26. La théorie c1assique repose sur une application
inexacte de l 'article 1315 du Code Civil. En exigeant du
demandeur qu 'il établisse Ie fondement de sa demande, la
loi l 'oblige à prouver que toutes les conditions auxquelles
est subordonné l 'exercice du droit qu 'il invoque sont
réunies 1 •
Dès lors, prouver l'existence du contrat suffit, lorsque
le créancier se borne à demander que Ie débiteur soit con-
damné à l'exécuter. Mais il en est autrernent s'il lui réclame
des dornrnages et intérêts, car l 'obligation de payer des
dornmages et intérêts dérive, non pas du contrat lui-même,
mais de son inexécution consornmée 2 ou d'un refus d'exé-
cution qui y soit équivalent. Aussi longtemps que l 'inexécu-
tion n'est pas effective, Ie droit à des dommages et intérêts
demeure purement virtuel, et la jurisprudence décide même
qu'un plaideur ne peut pas conclure directement à l'alloca-
aon de dommages et intérêts lorsque l 'exécution est encore
possible : dans cette hypothèse, l'actiou en dommages et
intérêts ne peut être présentée qu'accessoirernent à une
action en exécution forcée ou en résolution 3 •

1 Si, par exemple, l 'obligation du défendeur est soumise à une


condition suspensive, il incombe au créancier de prouver quE- la con-
dition est réalisée : Cassation, 18 février 1926, Pas., 1926, 1, 255 ;
LAROMBIÈRE, article 1179, n° 5; TouLLIER, t. VJ, n° 649.
2
Le retard dans l'cxécution constituc évidemment une inexécu-
tion partielle définitivement réalisée.
3 Civ. Bruxelles, 20 juill. 1876, Pas., 1876, 3, 307 ; Civ. Huy,
28 nov. 1901, Pas., 1902, 3, 114; Appel Gand, 26 juill. 1902, J. C. Fl.,
RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS 33

Ce que Ie créancier doit prouver, c'est l'inexécution du


contrat -- en d 'autres termes : la faute contractuelle com-
mise par le débiteur 1 : aucune différence n 'existe donc, en
principe, entre les deux régimes de responsabilité, en ce qui
concerne la charge de la preuve : Ie demandeur doit tou-
jours établir l 'existence de la f aute sur laquelle il fonde son
2
action en dommages et intérêts •

Le débiteur est-il, comme on Ie dit souvent, présumé en


faute? Nous venons de voir que l'application de l'article 1315
ne conduit nullement à cette conclusion. Comme, d'autre
part, aucune disposition légale ne consacre l'existence de
cette prétendue présomption, clle doit être complètement
repoussée 3 • Le créancier n'est donc pas dispensé de rap-
porter la preme de la faute du débiteur qui, suivant le droit
commun, lui incombe.
Telle est la doctrine à laquelle, par son arrêt du 8 jan-

1902, p. 369 ; Trib. Cand, 16 mars 1878, Pas., 1879, 3, 181 ; Comm.
Gand, 28 mai 1902, J. C. Fl., 1902, p. 267 ; 8 juill. 1908, id., 1909, p. 25 ;
28 juin 1913, id., 1913, p. 264 ; Comm. Liège, 1,ir avril 1909, Pand. pér.,
1909" 520.
1
V. à eet éganl l'étude remarquable que M. Carnelutti a consacrée
l1 cette question (Rivista del diritto commerc. e del diritto generale delle
obbligazioni, 1912, 2° partie, p. 743). L'auteur démontre qu 'en matiè're
contractuelle aussi bien qu 'en matière clélictuelle, c 'est rle la foute que
naît la responsabilité : " En matii•re contractuelle, dit-il, l 'obligation
ayant pour objet la réparation du dommage, ne préexiste pas non plus
à la faute ; il ne faut pas confondre l'obligation originaire avec l 'obli-
gation qui se substitue à elle ; la première est une condition préalable
de la faute, la seconde est la conséquence de la faute. Aussi, pour obte-
nir réparation, le créancier, suivant l'article 1312 du Corle Civil (cor-
respondant à l'article 1315 du Code Napoléon) ne peut se borner à
prouver l 'obligation originaire, il doit prouver, en outre, tout au moins
le fait rle l 'inexécution de cette obligation. " Et plus loin : « La preuve
de l 'obligation ne sert qu 'à en obtenir l 'exécution en justice ; si ! 'on
réclame en outre l 'exécution d 'une obligation différente qui naît seule-
ment de la violation de la première, il faut prouver également cette
obligation-là, c'est-à-dire avant tout la violation de la première obliga-
tion. >>
2
En ce sens : AuBJN, thèse, pp. 68 et suiv. ; ÜUDI"!OT, La responsabi-
lité ( Vie juridique du Français, t. 11, p. 66) ; PLANJOL et füPERT, t. VI,
n° 377 ; DEMOGUE, Oblig., V, n° 1237 ; camp. JossERAND, Cours de Dr.
Civ., II, n° 617 ; BRUN, thèse, n° 48.
" CAssvAN, Des clauses de non-responsabilité, thèse Paris, 1929, p. 10.
34 RESPONSABILITE AQUILIENNE ET CONTRATS

vier 1886 ', la Cour de Cassation de Belgique a expressément


donné son approbation en décidant que, suivant les arti-
cle8 1315, paragraphe 1 et 1147 du Code Civil, c'est au
créancier qui impute à son co-contractant de n'avoir pas
exécuté Ie contrat à en fournir la preuve.
27. Mais l'inexécution d'un contrat, étant un simple
fait, peut être prouvée par toutes Yoies de droit, et notam-
2
ment par présomptions dès lors Ie juge jouit, pour l 'ad-
:

ministration de cette preuve, d'un pouvoir d'appréciation


presque illimité, qui lui permet de donner à l'application
de l'article 1315 une élasticité très grande. Il peut se con-
tenter d'une présomption unique, si elle lui paraît de nature
à entraîner la conviction •. D'autre part, deux directives -
quine sont certes pas des règles juridiques, mais <le simples
indications du bon sens - président au travail d 'apprécia-
ciation auquel Ie juge doit se livrer : « il faut toujours pré-
sumer Ie plus probable, Ie plus normal >> (id quod plerum-
que fit)• ; et : « c 'est à cel ui des plaideurs qui est Ie mieux
à même d'apporter une preuve qu'il faut la réclamer » •.
Ces directives ne permettent assurément pas au juge
d 'intervertir complètement la charge de la preuve, mais il
est incontestable que cette charge - lorsque les modes de
preuve ne sont pas imposés par la loi, - est bien plus une
question de fait qu 'une question de droit.
Ainsi comprend-on que Ie créancier qui rédame des
1
Pas., 1886, I, 38.
2
Voy. H. LALou, op. cit., n° 196; Civ., 27 nov. 1929, D. ll., 1930,
p. 68. Il s'agit évidemment des présomptions de l'homme que la loi
( art. 1353) abandonne « aux lumières et à la prudence du magistrat »,
et non point d'une présomption légale ou de droit.
• Cass., 23 avril 1914, Jur. Comm. Fl., 1914, p. 245
• DEMOGUE, Oblig., t. 111, p. 446; Notions fondament. en dr. pr.,
p. 550. On a dit que l 'article 1315 était lui-même une application de
cette règle, et qu'il imposait seulement au créancier l'obligation d'éta-
blir Ie premier la probabilité des faits servant de base à sa prétention :
THÉVENEL, Essai d'une théorie de la charge de la preuve, Thèse, Lyon
1921, p. 88 ; MAZEAUD, Traité, I, n° 701 ; voyez cependant en sens con-
traire : AuBRY et RAu, t. VIII, par. 749.
• Voy. notamment DEMOGUE, Rev. Trim., 1917, p. 148; Trib. Bor-
deaux, 22 févr. 1916, Gaz. Trib., 1916, 2, 585.
RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS 35

dommages et intérêts au débiteur, puisse se contenter de


rapporter la preuve du contrat : Ie juge peut toujours esti-
mer que cette preuve incomplète de la faute du débiteur, est
confirmée en fait par l'absence de toute preuve contraire.
Un pareil raisonnement n'est cependant pas toujours
légitime, et il faut distinguer à eet égard suivant qu'il s'agit
d 'obligations de résultat ou d 'obligations de moyens.
Le débiteur qui s'engage à procurer un certain résul-
tat, s 'oblige à déployer dans ce but tous les efforts néces-
saires ; d'autre part, en s'obligeant de la sorte, il reconnaît
implicitement qu 'il est en mesure de procurer le résultat
promis ; enfin, il lui sera, en général, facile d'établir que
la prestation précise qu 'il avait promise a été réalisée : qu 'il
a payé la somme due, livré l'objet vendu, transporté l'objet
expédié. S'il ne Ie fait pas, et s'il n'apporte pas la preuve
d'un cas fortuit qui l'a libéré, il est probable qu'il a manqué
à sa parole : Ie demandeur peut donc lui réclamer des dom-
mages et intérêts.
Tout autre est la situation du débiteur, lorsque l'ohli-
gation qu 'il a contractée est une ob]igation de moyens, aux
contours imprécis : comme il ne peut répondre sans diffi-
culté qu'à des griefs bien déterminés, il appartient au créan-
cier d 'établir, non seulement l 'existence du contrat. mais
quels sont exactement les faits qui constituent d'après lui des
actes d'inexécution, en quoi Ie débiteur a manqué à la dili-
gence d 'un bon père de famille. Il doit donc apporter seul et
en premier lieu, une preuve beaucoup plus complète que
dans Ie premier cas : Ie mandant doit prouver, outre l'exis-
tence du mandat, les actes de mauvaise gestion qu 'il repro-
che à son mandataire, avant de pouvoir exiger que ce derniel'
se disculpe.
Les règles relati,es à la preuve en matière de respon-
sabilité contractuelle, peuvent donc être résumées comme
suit : c'est au créancier qu 'incombe, en principe, la preuve
de la faute contractuelle du débiteur. Mais cette preuve peut
se faire par toutes voies de droit ; en fait, elle est très facile

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36 RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRA TS

à a<lministrer lorsque Jes obligations du déLiteur sant des


obligations de résultat ; elle est plus difficile lorsqu'il s'agit
d'obligations de illO)ens.
28. La distinction entre obligations de résultat et de
moyens nous fournira également la solution du problème de
la prcr.we contraire, gràce à laquelle Ie débiteur pourra échap-
per à la responsabilité. lei encore, la doctrine et Ja jurispru-
dence sont peu cohérentes. Certains auteurs, se fondant
implicitement sur l 'article 1137, admettent que Ie débiteur
peut écarter l'action en dommages et intérêts en prouvant,
soit l'existence d'un cas fortuit, soit l'accomplissement par
lui de tous Jes deYüirs d 'un bon père de famille 1 • La juris-
prudence, s'en tenant aux termes de l'article 1147, décide
parfois que Ie débiteur contractuel ne peut se libérer que
2
par la preuve d'un cas fortuit précis et déterminé D'autres •

décisions, se ralliant en principe à cette thèse, mais pressen-


tant son inadéquation à la réaJité des faits, admettent que
la preuve du cas fortuit peut être faite indirectement par
Ja démonstration que Ie débiteur s 'est eomporté en hornrne
diligent •.
La distinction que nous faisons permet de résoudre la
question sans <lifficultés. S'agit-il d'une obligation de
movons, Je déhiteur pourra tout d 'ahord établir que, con-
trairemont aux apparences, il a exécuté ses obligations, en
démontrant qu 'il a apporté dans la garde de la chose ou
dans Ja gestion de ! 'affaire tous les soins qu-'une diligence
normale exi_ç.reait ; il pourrait aussi échapper à sa responsa-

1 BRUN, thèse, n° 49.


2 Cass. Fr., 12 mars 1929, D. H., 1929, p. 234 ; Cass. Fr, 18 mars 1930,
D. H., 1930, p. 283; Comm. Verviers, 21 mai 1908, Pa,s., 1909, 3, 89;
Bruxelles, 1•r juin 1892, Pns., 1892, 2, 409 ; Civ. Bruxelles, 25 juin 1883,
Pas., 1883, 3, 297.
3 Comm. Gand, 4 mars 1899, P. P., 1900, 621 ; Comm. Bruxelle1-

27 déc. 1928, Jur. Comm. Bruxelles, 1929, p. 114 ; v. Pa.nd. Belg., V0


Transport (Garantie), n°• 14 et suiv. ; comp. DEMOGUE, Rev. Trim., 1915,
p. 189. La Cour de Cassation elle-même a paru adopter fa mêrne opinion
(25 jan v. 1912, Pns., 1912, 1, 96), mais en précisant que la preuve indi-
recte du cas fortuit doit résulter d 'un ensemble de circonstances
excluant la possibilité de loute faute de la p:1rt du débiteur.
RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS 37

bilité en justifiant d 'un cas fort uit précis qui l 'aurait empê-
ché d'exécuter ses obligations : sa situation est donc relati-
vement favorable.
S'agit-il au contraire d'une obligation de résultat?
Scule la prcuve positive et directe d 'une cause étrangère qui
nc peut lui être imputée permettrait au débiteur d 'éviter sa
rnndamnation. Démontrer qu'il a apporté à l'exécution tous
les soins normaux serait inutile, car de deux choses l'une :
ou bien l 'obstacle qui a empêché l 'exécution pouvait être
surmonté et Ie débiteur est en faute s'il y a renoncé, puisque
par hypothèse, il avait promis de procurer Ie résultat à tout
prix ; ou bien l 'obstacle était insurmontable et constituait
un cas fortuit. Si la cause de l 'inexécution demeure douteuse
ou inconnue, Ie débiteur sera condamné 1 • Sa situation est
donc beaucoup plus défavorable.
29. Ainsi s'évanouit la différence que l'on a cru décou-
Ynr entre les deux responsabilités en ce qui concerne la
charge de la preuve, car Ie problème se pose exactement de
la même manière sur Ie terrain délictuel : la faute délictuelle,
rappelons-le, est un manquernent à une obligation légale,
et les obligations légales se répartissent également en obli-
gations de mo~ens et obligations de résultat.
Si la victime cl 'un dommage base son action en respon-
sabilité sur une imprudence commise par Je défendeur, sur
1m manquement au devoir général de prudence ( ohligation
de moyens) que sanctionne l'article 1382, elle devra prouver
avec précision Ja faute qu'elle allègue. Si, au contraire, elle
se fonde sur l'inexécution de l'une des obligations de sécurité
imposées par les articles 1384 et suivants ( obligations de
résultat) il lui suffira de prouver le dommage et un lien de
causalité entre ce dommage et l'acte d'un animal. d'un
mineur, d'un préposé, etc.: cette preuve faite, Ie défendeur,
à moins qu'il n'étabiisse que Ie dommage est Ie résultat d'un

1 Comm. Liége, 5 mai 1902, Jur. Liége, 1902, p. 207 ; THÉVENEJ,


thèse, p. ]71, n. 1.
38 RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRA TS

cas fortuit, sera déclaré responsable pour avoir manqué à


son obligation légale de sécurité.
Aucune différence, non plus, n'existe entre les deux res-
ponsabilités en ce qui concerne la preuve contraire : Ie défen-
deur à. qui l'on reproche une négligence, pourra se disculper
soit en démontrant qu'il s'est au contraire comporté comme
un homme avisé, soit en justifiant d 'un cas fortuit qui l 'a
empêché d'agir comme il aurait dû Ie faire. Le dommage
a-t-il été provoqué par un animal, par une chose vicieuse,
par un bàtiment mal entretenu ? Le propriétaire, tenu d 'une
obligation de résultat, ne pourra échapper à sa responsabi-
lité que par la preuve d 'un cas fortuit qui aurait causé Ie
dommage 1 •
Que la responsabilité soit délictuelle ou contractuelle, la
preuve que doit rapporter Ie demandeur est donc identique :
il doit établir la faute du défendeur. En pratique, la facilité
de cette preuve varie ; mais il importe peu, à eet égard, que
la faute soit contractuelle ou délictuelle : la difficulté de la
preuve dépend uniquement du contenu, de la nature de
l'obligation violée : aisée lorsqu'i] s'agit d'obligations de
résultat elle est relativement difficile lorsqu'il s'agit d'ohli-
gations de moyens •.
1
Le commettant ne pourrait même pas recourir à cette preuve,
mais c'est parce que les conditions requises par la loi pour que sa res-
ponsabilité soit engagée (lien de préposition, faute du préposé) sont
par elles-mêmes exclusives de tout cas fortuit.
• Nous nous rallions ainsi au système exposé par M. DEMOGUE
(Obligat., V, n° 1237 ; v. dans Ie même sens P. DuRAND, thèse, n° 55).
D'autres auteurs avaient déjà reconnu antérieurement que la charge
de la preuve dépend de la nature de l 'obligation violée et non rle
son origine contractuelle ou délictuelle. Mais ils avaient tenté rle
démontrer qu'il fallait uniquement rechercher s'il s'agissait d'une
obligation positive (faire ou donner) on rl 'une obligation négative (ne
pas faire). M. Planiol explique que rlans ce denier cas, " la preuve
du fait contraventionnel est la condition nécessaire de toute con-
damnation contre Ie débiteur ; en ! 'absence de ce fait, Ie créancier ne
peut rien exiger de lui, tandis que Ie créancier d 'une obligation de faire
peut en demander l 'exécution en vertu de son titre "· (Traité élém.,
t. II, n° 889. V. dans Ie même sens, avec quelques varianles: GRANDMOFJIN,
thèse, pp. 55 et suiv. ; AuBIN, thèse, p. 67 ; CoRBEsco, thèse, pp. 50 à
52 ; BARTIN sur AuBRY et RAu, t. VI, p. 353, note 9 undecies ; BEUDANT,
n° 1196 ; OumNOT, Vie jurid. du Français, t. II, p. 69). Cette explication
RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS 39

Il est exact que parrni les obligations légales, les obliga-


tions de rnoyens sont beaucoup plus nornbreuses que les obli-
gations de résultat, et qu 'inversernent, les contrats donnent
naissance plus souvent à des obligations de résultat qu'à des
obligations de rnoyens. Ainsi s 'explique que les auteurs
aient pu, s'en tenant au plerumque fit, opposer la faute
contractuelle qui se présume à la faute délictuelle qui doit
être prouvée. Mais une doctrine saine ne peut se contenter
d 'une pareille approxirnation. Maints auteurs reconnaissent
d'ailleurs aujourd'hui que le créancier, en rnatière contrac-
tuelle, doit rapporter la preuve cornplète de la faute du débi-
teur, toutes les fois que le contrat mettait à sa charge des
obligations de moyens '. D'autre part, en présence de l'ex-
tension sans cesse donnée aux obligations légales de garde
(art. 1384 et suiv.), il n'est plus vrai de dire qu'en rnatière
délictuelle le demandeur seul a la charge de la preuve 2 : s'il
prouve par exernple, que Ie dornmage est dû à un anirnal
<lont Ie défendeur avait la garde, il ohtiendra gain de cause
de plano, à rnoins que Ie défendeur ne puisse exciper d'un
cas fortuit •.
30. L 'opposition traditionnelle entre la faute contrac-
tuelle qui se présume et la faute délictuelle qui doit être
prouvée, a été la source d 'étranges confusions. C 'est à elle
qu 'il faut attrihuer la ten dance incoercihle de la jurispru-
dence à reconnaître à la responsabilité du rnédecin ', de l'ar-

ne peut /ltre aélmise, car elle repose sur la confnsion, que nous avons
éléjà signalée, entre la élemande d 'exécution forcée de l 'obligation elle-
même, et la demande de dommages et intérêts ; le créancier d'une ohli-
gation positive, s'il réclame des élommages et intérêts, devra aussi bien
que le créancier d'une obligation négative, prouver l'inexécution de
l'obligation : la Yictime d'un accident ne peut se borner à prouver
l 'obligation légale pour les usagers de la route de tenir leur droite,
bien que cette obl igation soit positive ; elle devra établir en out re l 'inexé-
cution de cette obligation par l 'auteur de l 'accident (v. MAZEAFn, Traité,
I, n° 698).
1 PLANIOL et RIPERT, t. VT, p. 522.
2
JossERAND, Cours de Dr. Civ., Il, n°• 468 et 617.
3
Cass. 23 juin 1932, Pas., 1932, I, 200.
• LALOU, op. cit., n°• 167 et suiv. ; AuBRY et RAu, VT, p. 373 ; DEMO-
J.OMBE, Des Contrats, t. VUi, p. 469. Contra : L-\URENT, t. XX, p. 516.
40 RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS

1
chitecte ( dans certains cas) , du notaire 2 , un caractère
exclusivement délictuel : médecin, architecte, notaire,
assument par contrat diverses obligations de moyens. Le
dient qui leur réclame des dommages et intérêts deua donc
établir avec précision les faits d 'inexécution qu 'il leur repro-
che, faire la preuve complète de la << faute >> qu 'ils ont com-
mise. Mais la jurisprudence en conclut aussitót - puisque
Ie demandeur doit prouver la fau.te - que la responsabilité
3
engagée est exclusivement la responsabilité délictuelle •

Solution injustifiable, ainsi qu'on l'a d'ailleurs fait obser-


ver, puisque les fautes dont il s'agit constituent l'inexécu-
tion d 'un contrat ; mais elle révèle l 'identification complète,
traditionnellement admise, entre responsabilité contractuelle
et resoonsabilité qui ne requiert pas la rreuve d'une faide.
Beaucoup d'auteurs ont même paru croire qu'il suffisait
de décider que la responsabilité mise à charge de l 'auteur
d 'un dommage était contractuelle, pour que Ia victime fût,
ipso facto, dispensée de rapporter la preuve d 'une faute. Telle
fut! 'origine du système juridique préconisé par Sainctelette
avant la loi de 1903 pour faciliter les recours en responsa-
bilité auxquels donnaient lieu les accidents du travail : si
l 'on reconnaît, disait Sainctelette, que c 'est de l 'inexécution
du contrat de trarnil que dérive Ja r0spons:=ihilité du patron,

1
LALOU,op. cit., n° 193.
2
LALOU,op. cit., n° 171.
• La responsahilité <les höteliers a donné l ieu à une <loctrine plus
étrange encore : on sait que les höteliers sont responsahles <le plein <lroit
(comme dépositaires) des effets apportés par Ie voyageur, mais seule-
ment à concurrence rle 1.000 francs (Co<le Civil, art. 19.52 et 19.53) ; pour
ce qui excède cette valeur, les hóteliers n'en répondent que si leur
négligence est prouvée. L'obligation de l'hötelier est donc une obliga-
tion <le résultat à concurrence de fr. 1.000 et une obligation <le moyens
pour Ie surplus ( comp. LALOF, op. cit., n° 201). Mais il va de soi que ce
sont là des obligations nées du contrat d'hötellerie, et, partant, sanc-
tionnées par les règles de la responsahilité contractuelle. La jurispru<lence
en rlécirle autrement (v. A. RmJN, thèse. n° 247bis) : sous prétexte que,
pour ce qui excède la valeur <le fr. 1.000, la responsahiiité de l 'hötelier
est suhordonnée à la preuve de sa négiigenre, elle <lécirle généralement
que Ia responsahilité dérive de I'article 1382. (Vo}·ez Pn ce sens : AuBnY
et RAu, t. VJ, p. 144). - v. cepenrlant, in/ra, n° 146.
RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS 41

l 'ouuier sera dispensé de prouver la faute commise. Singu-


lière illusion, que la Cour de Cassation de Belgique n'a pas
eu de peine à dissiper : elle a fait observer 1 que la preuve
que doit rapporter l 'ouuier dépend de l 'étendue des obli-
gations du patron, et non point de leur caractère délictuel
ou contractuel : s 'agit-il d 'une obligation absolue de sécu-
rité? Sainctelette a raison : la preuve de l 'accident suffit
pour engager la responsabilité. S 'agit-il au contraire. - et
la Cour adopte cette interprétation, - cl 'une obligation de
prendre les précautions propres à protéger l'ouvrier contre
le <langer? L'ouvrier devra, en principe, démontrer la négli-
gence commise.
La même illusion paraît avoir eu cours à l 'époque ou
la Cour de Cassation de France a reconnu un caractère con-
tractuel à la responsabilité du transporteur emers les voya-
geurs : ce n 'est évi<lemment pas pa ree que le transporteur
est déclaré responsahle << en vertu du contrat n que la vic-
time est dispensée de toute preuve d \me négligence ou d \me
2
imprudence la raison véritable de cette dispense de preuve
;

est que la jurisprudence reconnaît, par une interprétation


d'ailleurs contestahle de la volonté des parties, une ohli_çra-
tion contractuelle de sécurité abso7ue dans Ie chef du trans-
porteur.
31. L 'erreur doit être définitivement dissipée : que la
victime place Ie cléhat sur Ie terrain contractuel ou sur Ie ter-
rain délictueI, Ie régime des preuves est identique et la pré-
tendue présomption de faute qui pèse sur Ie débiteur contrac-
tue] n'existe point.
A ce point de vue, il n 'y a clone aucun intérêt à choisir
l'une des voie de recours plutot que l'autre.

1
8 jan v. 1886, Pns., 1886, I, 38.
2
V. cepenclant H. LA LOU, op. cil., p. 119.
42 RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS

SECTIO!'\" Vl. LA RESPONSABILITÉ DU FAIT D 'AUTRUI

32. Différence généralement admise et


réfutation.

32. De nombreux auteurs établissent un parallèle entre


la responsabilité délicluelle du fait d'autrui et la responsabi-
lité contractuelle du fait d 'au trui. Cette étude les con duit
généralement à reconnaître sur ce point l 'existence d 'une
importante différence entre les deux régimes de responsa-
bilité 1 •
Il nous semble cependant qu'un parallèle de ce genre
repose sur une singulière illusion. Le débiteur contractuel
est certes responsable lorsque l 'inexécution ou la mauvaise
exécution du contrat sont Ie fait de I' aide ou de l 'auxiliaire
au service desquels il avait recouru. Mais il s 'agit là d 'une
responsabilité personnelle du débiteur, et non d 'une respon-
sabilité pour autrui : sa responsabilité personnelJe étant
engagée par Ie fait rnême de l 'inexécution, Ie déhiteur ne
saurait y échapper en invoquant Ie fait d 'autrui, car Ie fait
d 'un aide ou d 'un auxiliaire qu 'il a volontairement associé à
l 'exécution du contrat ne constitue point à son égard une
cause étrangère ou un cas fortuit qui seuls, aux termes des
2
articles 1147 et 1148, pourraient l'exonérer •

Lorsque }'aide ou }'auxiliaire exécute mal Ie contrat, la


situation du déhiteur est donc identique à ce qu 'elle serait
si la mauvaise exécution lui était personnellement imputable.

1
V. A. BRUN, thèse, n°• 32 et s. ; MEIGNIÉ, thèse, pp. 50 et s.
2
'felle est la jnstification adoptée par M. Becqué (Rev. trim. de dr.
civ., 1914, pp. 251 et s.) Le même raisonnement explique que Ie <lébi-
teur soit parfois responsahle lorsque c'est un tiers qui a causé l 'inexé-
cution du contrat, même si ce tiers n'avait pas été chargé par Ie débiteur
de l'exécuter : ainsi, Ie locataire répond des dégradations causées par les
personnes de sa maison ( art. 1735), l 'auhergiste répond du vol ou du
dommage <les effets du voyageur, même lorsque Ie vol 011 Ie dommage
sont Ie fait d'étrangers allant et Yenant dans l'hótellerie (art. 1953),
parce que Ie fait de ces personnes ne constitue pas à leur égard une
cause étrangère qui ne leur est pas imputahle. Comp. MAzEAUD, Traifé,
I, n° 975.
RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS 43

En d'autres terrnes, il répond du fait de ses aides et aux1-


liaires comme de son fait personnel 1 •
Tout autre est la situation en matière délictuelle : les
maîtres et commettants réponclent du fait de leurs préposés,
non point comme de leur fait personnel, mais comme des
garants : la loi met effecti,•ement à leur charge la respon-
sahilité des actes d'autrui 2, soit à raison d'une faute person-
nelle qu 'ils ont commise dans Ie choix ou la suneillance des
préposés •, soit - suivant certains auteurs - en contrepartie
des profits qu 'ils recueillent •.
Il faut donc reconnaître qu 'il n 'e:x:iste pas, à proprement
parler, de responsabilité conlractuelle du fait d'autmi : la
responsahilité désignée par cette expression se confond en
réalité a,ec la responsabilité personnelle du débiteur '.
Dès lors, il n 'apparaît g-uère utile de consacrer une
étude spéciale à ce cas particulier; il va de soi que la respon-
sabilité du déhiteur, lorsqu 'elle est engagée par Ie fait de ses
aides ou auxiliaires, est soumise allx règles de la responsa-
bilité contractnelle en général, auxqnelles i] suffit de
renvoyer.
Vn senl point mfrite de retenir un instant l'attention ·
Ie débiteur contractue] réponcl comme de ]ui-rnême de toutes
les personnes imlistincten~ent à qui il confie l'exécdion totale
ou partielle fh' contrat, et non point seu]ement de celles dont
chacun doit répondre en vertu de l'article 1384 : l'énumé-

1
Comp. l\f UEArn, Trait é, I, n° 8\J2.
2
PLA'-IOL,Traité élém., t. II, n° 911. Suirnnt MW. '>fazeau<l, la res-
ponsabilité dé/iel 11elle prévue par l 'article 1384 du Code Ci-il reposerait
sur l 'idée de la représentation du commettant par Je préposé, mais l 'on
reconnaît plus volonticrs que la responsrtbilité des commettants les rend
en quelque sm te cautions, à l 'égard des tiers, des faits de leurs prépo-
sés: RrPERT, Rè_qle morale, n° 126; BFsSON, note au D., 1928, 2, 13.
V. !'avis de M. l'Avocat général Soenens précérlant Ganrl, 2 févr. 1929,
B. J., 1929, col. 548.
3
BAUDRY et BARDE, t. IV, 11° 2911 ; LAURENT, XX, 11°• · 570 et s.
4
DEMOGUE, V, n° 882 ; .TossER~\n, Co11rs de Dr. Civ., t. IJ, n° 513 :
rtvis de M. l'Avornt général Soenens précédant Gand. 28 févr. 1929, B . .T.,
1929, col. 54.8 ; Civ. Liége, 5 mars 1931, B. Ass., 1931, p. 592.
5
Camp. P. DuRA\D, Des conventions d'irresponsabilité, p. 328, note 8.
44 RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS

ration faite par cette dernière disposition est rigoureusement


limitative, mais elle concerne seulernent la responsabilité du
fait <l'autrui proprernent dite 1 • Cette observation, utile pour
é,iter une rnéprise grave, ne traduit cependant pas, contrai-
rernent à l 'opinion de rnaints auteurs, une différence entre
la « responsabilité délictuelle du fait d 'autrui n et la « res-
ponsabilité contractuelle d 'autrui >> pnisque, à proprement
pader, cette dernière n 'existe point.
CHAPlTHE 11

lfücts diff érents de la responsabilité délictuelle


et de la responsabilité contractuelle

I. La réparation du préjudice

33. Complexité du problè,ne. - 34. Exa-


men du droit positif : dualité des règles rela-
tives à la réparation.

33. A quelle réparation la ,ictime d'un dommage a-


t-elle droit?
Problème complexe, car Lien solnent une faute entraîne
à sa suite une série de préjudices qui déri,ent les uns des
autres : Ie lien qui les rattache à la faute originairc s 'affai-
hlit à mesure que la « chaîne n ou la « cascade n des préju-
dices se prolonge. Ainsi se pose une première question :
l'auteur de la faute deua-t-il répondre des conséquences
mêmes les plus lointaines de son acte? Ce serait lui imposer
une charge excessive. Il faudra donc fixer une limite au delà
de laquelle la responsabilité cessera d 'exister.
D'autre part, les dommages subis par la victime peuvent
être de nature diverse : tantot Ie préjudice est matériel
( atteinte aux biens, à la personne), tantot il est immatériel
( souffrance morale, atteinte à l 'honneur) : donne~ont-ils
lieu indistinctement à réparation?
Sous quelle forme la réparation du dommage sera-t-elle
effectuée? Le plus souvent, Ie dommage ne pourra être
réparé en nature : Ja ,ictime devra se contenter d 'un équi-
valent. En quoi consistera-t-il?
46 RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS

Quelles seront enfin les garanties qui assureront l 'exé-


cution des condamnations prononcées?
Telles sont les principales questions que soulève le pro-
blème de la réparation du préjudice.
Le droit positif ne leur donne pas une solution géné-
rale et uniforme : les règles à appliquer diffèrent suivant
que Ja foute commise par l'auteur du dommage était une
faute c:ontractuelle ou une foute délictuelle.
L'étude de ces différences, qui seront examinées ei-
après d'une manière détaillée, révèle que la réparation à
laquelle a droit la victime d 'une foute délictuelle est en géné-
ral plus étendue, plus complète que celle à laquelle a droit
la victime d 'une foute contractuelle.
Dès lors la victime d 'un dommage a un intérêt évident
à porter Ie débat sur Ie terrain de la responsabilité délictuelle
toutes les fois que la chose est possible : peut-elle Ie faire lors-
qu 'elle est engagée dans les liens d 'un contrat avec l'auteur
du dommage et, dans l'affirmati,e, à quelles conditions?
Tel est le problème qui constitue l'ohjet principal de notre
étude ; !'exposé qm précède indique son irnportance
pratique.
34. Les auteurs du Code Ci,il n 'ont guère examiné Ie
problème de la réparation du préjudice lorsqu'ils ont for-
mulé les règles de la responsabilité extra-contractuelle ;
l'article 1382 est muet à eet égard : son texte révèle seule-
ment que le dommage dont réparation est due est celui qui
a été causé par la foute. Mais les questions importantes que
nous avons rappelées ci-dessus n 'ont reçu du législateur
aucune solution expresse. Les travaux préparatoires n 'ap-
portent pas non plus les précisions nécessaires ; ils paraissent
1
indiquer seulement que la réparation doit être complète •
L~s lois postérieures au Code Civil n 'ont pas davan-
tage précisé les règles <lont Ie juge devrait s 'inspirer pour
fixer l'indemnité due à la victime.

'MAzEAUD, IT, n° 1669 et note 2 ; BON:\'ET, Rev. crit., 1912, p. 426.


RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS 47

Seules quelques dispositions tout à fait spéciales pré-


voient dans certaines hypothèses dé~erminées un minimum
au-dessous duquel l 'indemnité due ne peut être abaissée ;
il en est ainsi dans Ie cas d 'infraction aux dispositions du
2
code forestier ', du code rural de la loi sur la chasse ', et
,

dans les cas de responsabilité des communes prévus par Ie


décret du 10 vendémiaire, an 1v•.
La situation est toute différente en matière de respon-
sabilité contractuelle. La loi et la jurisprudence soumettent
la réparation du dommage né d 'une faute contractuelle à
une série de règles qui présentent un caractère nettement
restrictif.
· Ces règles constituent-elle Ie droit commun applicable
à tous les cas de responsabilité, et leur insertion par les
auteurs du Code Civil, dans le Titre III est-elle seulement
Ie résultat d 'un défaut de rédaction • ? S'il fallait adapter
cette opinion, le problème de l'option entre les deux respon-
sabilités perdrait une grande partie de son intérêt.
Il n'en est rien cependant, car la plupart des règles res-
trictives actuellement en vigueur sont propres à la respon-
sabilité née de l'inexécution des contrats : en matière extra-
contractuelle, le juge dispose d'un large pouvoir d'apprécia-
tion pour arbitrer la réparation due, et celle-ci doit effacer
aussi parfaitement que possible Ie préjudice souffert.

1 ART. 172 : << Les dommages et intérêts ne pourront, y compris la

valeur des objets restitués en nature, être inférieurs à l'amende simple


prononcée par le jugement. »
2
ART. 93 : même disposition que l 'article 172 du code forestier.
• ART. 7bis : L'indemnité sera égale au double du préjudice subi.
• Titre 5, Art. 1 : L 'indemnité sera du double de la valeur des choses
pillées on enlevées.
ART. 6 : Elle ne sera jamais inférieure à la valeur entière des objets
pilli\s.
5
V. en ce sens: BETTREMIEUX, thèse, p. 118, qui cite à l'appui de
son opinion celle de Saleilles ; RoBIN, thèse, pp. 137 et suiv. ; Bruxelles,
7 août 1878, Pas., 1879, 2, 134. Contra: Cass. 3 mai 1861, Pas., 1861, T.
:397.
48 RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS

SECTJON l. - NATURE DE LA RÉPARATION

35. - Indemnilé pécuniaire en malière


contractuelle.

35. D'après une opinion généralement sunre, la répa-


ration du préju<lice causé par une faule contractuelle doit
obligatoirement consister en une indemnité pécunaire. C 'est
là, dit-on, une règle traditionnelle, que le Code Civil n'a
pas forrnellernent exprimée, mais dont plusieurs de ses dis'-
positions consacrent implicitement le maintien Carticle 1142
notamment) 1 •
L 'opinion traditionnelle ne rallie plus à présent l'una-
2
nimité, et certains auteurs la rejettent complètement Sans •

vouloir prernlre parti dans la controverse, nous nous borne-


rons à constater que nul n'a jamais prétendu étendre à la
responsabilité extra-contractuelle la restriction dont il s 'agit:
Ja Joi étant muette, le juge peut choisir librement Ie mode de
réparation qui lui paraît Ie mieux approprié à la nature du
préjudice • : au lieu d 'allouer une indemnité pécuniaire, il
pourra ordonner la publication du jugement •, prescrire Ie
rétahlissement des choses en leur premier état •, prononcer
la nullité <l 'un acte •.
La situation de la victime est clone plus avantageuse sur
Je terrain délictuel, en ce qui concerne la forme de la répa-
ration.

1 V. ]'exposé de la thèse dassique dans PLA:'iJOr. et RrPERT, t. VII,

n° 822. En ce sens : Cass. Fr., Civ., 4 juin 1924, D., 1927, I, 136; Mm-
GNIÉ, op. cit., p. 109.
2
MAZEAUD, Traité, II, n° 2317.
8 Bruxelles, 29 juin 1904, Pas., 1905, 2, 17. V. en ce sens : GoRPHE,

Notion de la bonne foi, p. 97; BAUDRY LACA\'TINERm et BARDE, Oblig.,


t III, n° 2877 ; PLANIOL, RrPF.RT et Es~rnrN, t. VI, n° 680; DEMOGUF.,
Oblig., t. IV, p. 160 ; note BouncART, S., 1906, 2, 242 ; METGNJÉ, op. cit.,
pp. 110 et 111.
• Pour réparer, par exemple, Je dommage causé par des actes de
concurrence illicite.
• Bruxelles, 29 juin 1904, précité.
• Nancy, 4 avril 1906, S., 1906, 2, 242, n. Bourcart. Voyez encore à
er sujet: Rev. trimestrielle, 1921, p. 253; Paris, 25 mars 1892, D.,
1892, 2, 263.
RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS. 49

SECTION Il. ETE'.\'DüE DE LA RÉPARATIOi'i

§ 1. llistorique
36. Origine hislorique des restrictions
imposécs aux dommagcs et intérêts con-
tracluels. - 37. A. Droit romain. - 38.
B. Les glossateurs et les auteurs de ! 'ancien
droit. - 39. Conclusions.

36. L'étendue de la réparation est également soumise,


en matière contractuelle, à diverses règles limitatives.
La plupart d'entre elles sont réunies dans la section IV
du Titre III du Code Civil, intitulée : cc Des dommages et
intérêts résultant de l'inexécution de l'oh]igation. i>
Pour déterminer si elles doivent recevoir également
application en matière délictuelle, il est utile d 'en recher-
cher tout d'abord l'origine historique : les auteurs du Code
Civil se sont en effet très largement inspirés des principes
del 'ancien droit dans la rédaction des artides de la section IV
du Titre III.
Mais l'ancien droit lui-même avait connu en ce domaine
une évolution qui trouve son point de départ dans Ie droit
romain, et dans les commentaires <les glossateurs du moyen
age.
37. En droit romain les règles relatives à Ja fixation
des dommages et intérêts ont beaurnup varié et les juris-
consultes classiques n'ont jamais formulé de principes géné-
raux en cette matière.
Il semble toutefois que l'évaluation de l'indemnité doive
généralement réparer tout le préjudice causé. sans distinc-
tion entre dommage médiat ou immédiat 1 ; mais il existe
cependant des actions ou, du moins à l'époque ancienne,
2
l 'indemnité était limitée à la vera rei aestimatio et cette ,

limitation, d'ailleurs exceptionnelle, a seni de base au tra-


vail des commentateurs du moyen àge. D'autre part. dans

1
GmARD, Droit Romain, pp. 686 et s. ; DER"'IBURG SoKOLOYSKY,
:System des Römischen Rechts, 8° érl., t. Il, pp. 641 et s.
2
Gm.mo, p. 687, n. 7
50 RESPONSABILITÉ AQUILIE1'NE ET CONTRATS

Ie cas de dol, l'indemnité était fixée par Ie demandeur lui-


même sous la foi du serment 1 •
Une constitution célèbre de Justinien a soumis la ma-
tière des dommages et intérêts à une réglementation com-
2
plète qui a été l 'origine de toutes les distinctions élaborées
,

dans la suite. Justinien sépare en deux catégories les cas


OLI il y a lieu de fixer une indemnité : d 'une part ceux qui

habent certam quantitatem t•el naturam, veluti in venditio-


nibus, et locationibus et omnibus contractilms, d 'autre part
alii, qui incerti esse videntur.
Dans les premiers cas, l'indemnité ne peut dépasser Ie
double de la Yaleur de la chose ou de la quantité ( non e.rce-
dere quantitatem dupli) ; dans les autres, les juges ne deuont
prendre en considération que Ie dommage quod re t•era
inducitur.
Les termes vagues et Ie caractère arbitraire de cette
constitution ont été maintes fois critiqués. La détermination
des casus certi et des casus incerti a en effet donné lieu à
d'infinies controverses. sur Jesquelles il serait fastidieux et
inuti]e de revenir.
Nous nous bornerons à trois observations :
1° La limitation de l'indemnité au double de la valeur
de la chose est l 'orig'Ïne de la règle restrictive actuellement
formulée par l 'article 1150 du Code Civil, suivant laquelle
les dommag·es prévisibles seuls doivent être pris en consi-
dération.
Ces deux limitations procèdent en effet d 'un même
souci : éviter la condamnation d 'un déhiteur à des dom-
mages-intérêts d'une importance inattendue, exceptionnelle.
La sphère d 'application de ces deux règles restrictives
est d 'ailleurs à peu près Ja même 3 : la règle justinienne
s'applique en effet à tous les contrats, sauf à ceux -- fort

1
D., 12, :1. ,3; GmAno, loc. ei/.
Corle 7, 47.
3
V. MmrnsEN, Beitriige, II, pp. 235 et s.
RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS 51

rares en droit roniain - qui non habent certam quanütatem


11el naturani '.
2° Dans tous les cas ou la restriction del 'indenmité « au
double n ne s 'applique pas ( ce qui correspond à peu près
au domaine de la responsabilité extra-contractuelle), Justi-
nien confirme la nécessité d 'un lien de causalité entre Ie fait
et le dommage.
11 J apporte toutefois une restriction suscitée, semble-t-il,
par des abus antérieurement constatés : Ie dommage doit
être une conséquence réelle de l'acte reproché au cléfendeur.
Nous ,errons dans la suite que c'est à ces dommages-là
que les auteurs del 'ancien droit résenaient la clénomination
de dom mag es directs.
3° La constitution ne prévoyait pas expressément le cas
du dol commis par un débiteur contractuel ; mais les corn-
IlH'Iltatcurs ont fini par reconnaîtrc que la limitation de l 'in-
demnité au double ne s 'appliquait pas aux conséquences du
dol, qui demeuraient soumises au droit commun de la répa-
2
ration intégrale •

38. Les g]ossateurs • introduisirent clans la matière une


distinction nouvelle entre les dornrnages circa rem ou intrin-
sèques, et extra rem, ou extrinsèques 4 • Mais i]s donnèrent
à la distinction dég-agée par eux une portée à la fois très
<-troite et tout à fait arbitraire •.
Durnouli n reprit à son compte la distinction élaborée
par les glossateurs, mais la fit entrer dans la classification
antérieurement établie par la constitution de Justinien.
Du texte assez confus de Dumoulin paraissent se déga-
ger les directives suivantes : il faut distinguer d 'une part
l 'inexécution d 'obligations contractuelles, d 'autre part les
délits et l 'inexécution dolosive d 'un contrat.

1
V. BRINZ, Lehrbuch der Pandekten, t. II, p. 357, n. 22.
2
MoMMSE'>, loc. cit.
3
V. MoMMSEN, op. cit., t. II, paragraphe 24.
4
Nous négligeons les variantes de terminologie et les sous-distine-
tions étahlies par eertains auteurs. V. à eet égard MoMMSE"I, loc. cit.
-' V. i1 eet égard MoMMSE'\:, loc. cit. et notamment pp. 278 et 279.
52 RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS

Dans Ie premier cas, une double limitation doit être


appliquée à l 'indemnité due au créancier : elle doit réparer
seulement les dommages intrinsèques ( c 'est-à-dire : sub is
dans la chose même qui fait l'objet de l'obligation); Durnou-
lin précise que, s'il en est ainsi, c'est parce que Ie débiteur
ne doit être tenu que du dommage qu 'il a pu raisonnable-
ment envisager (prospicere) en contractant 1 • En outre,
l'indemnité ne peut, en aucun cas, excéder Ie double de la
valeur de la chose due.
Dans tous les autres cas, l 'indemnité doit réparer, sans
restriction, tous les dommages qui ont véritablement pour
cause Ic fait ou I'omission reprochés au défendeur.
On aperçoit déjà I'esquisse du système actuellement en
vigueur.
Domat n'a guère fait que suivre Dumoulin, mais sa
doctrine manque également d 'assurance. Il paraît cepen-
dant avoir distingué assez nettement les « pertes qui ont
pour cause unique Ie fait de celui à qui Ie dédommagement
en est demandé » et « les pertes qui ne sont que des suites
2
éloignées de ce fait et qui ont d 'autres causes » Toutefois,

il ne se prononce pas sur la portée de cette distinction.


Pothier a assez clairemcnt systématisé les classifications
antérieures, mais - obsenation importante - il s'est uni-
quement préoccupé des domrnages et intérêts qui sont dus
à raison de l'inexécution d'un contrat : Ie calcul des dom-
mages et intérêts extracontractuels est complètement négligé
par lui. Nous verrons quelles conséquences on peut déduire
de cette omission en ce qui concerne notamment la portée
d'application de la règle exprimée par l'article 1151.
On retrouve chcz Pothier, plus nettement affirmée, la
limitation d~s dommages et intérêts contractueis aux dom-
mages qui ont pu être prévus lors du contrat •. Ordinaire-

1 N° 178. Si, au n° 13, Dumoulin avait rejeté Ia distinction entre

dommages intrinsèques et extrinsèques, c'était uniquement à propos du


calcul de la limitation au double, dont il est question dans Ie texte.
2
Livre III, titre V, section II, n° 6.
3
T. II, n° 160.
RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS 53

ment, ces dommages prévus seront les dommages intrinsè-


ques 1 ; mais les dommages extrinsèques seront également
pris en considération, s'il résulte du contrat qu'ils ont été
2
prévus ou auraient dû }'être •

Pothier, se séparant ici de }'opinion de Dumoulin,


rejette la limitation au double « sans valeur en France »,
mais il obsene « que la pensée qui l'a inspirée est égale-
ment que le débiteur est censé n'avoir entendu s'obliger que
jusqu 'à la somme à laquelle il a pu vraisemblablement pré-
voir que pourraient monter au plus les dommages ». 11 en
conclut que Ie juge pourra toujours modérer les dommages
3
et intérêts lorsque leur montant dépassera les pró,isions •

Enfin Pothier fait obsener que les limitations qui pré-


cèdent sont sans application lorsque c 'est Ie dol du débiteur
qui a donné lieu aux dommages et intfrêts. La seule limi-
tution dans ce cas est que « l 'on ne doit pas comprendre
dans les dommages et intérêts dont un débiteur est tenu
pour raison de son dol, ceux qui non seulement n'en sont
qu 'une suite éloignée, mais qui n'en sont pas une suite néces-
saire, et q_ui pem'ent avoir d'autres causes » •. Toutefois il
ajoute que même dans ce cas Ie juge consene un pouvoir
modérateur 5 •
39. La hrèrn recherche historique qui prócède révèle
que trois idées se sont progressivement dégagées : la pre-
mière est celle, très :2·énérale, de la nécessité, dans tous les
cas de responsabilité, <l 'un rapport de causalité suffisam-
ment étroit entre Ie fait et Ie dommage ; la seconde, parti-
culière à la responsabi]ité contractuelle, est celle de la limi-
tation des dommages et intérêts dus par Ie débiteur au pré-
judice qui était prévu ou prévisible lors du contrat ; la
troisièrne enfin : lorsque Ie débiteur contractuel est coupable

1
N° 161.
~o 162.
2

3
N° 164. On sait que les rédacteurs du Corle civil n 'ont pas admis
ce pouYoir n1odérateur.
4
N° 166.
5 _\'O 167.
54 RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS

de dol, les dommages-intérêts sont calculés, non point sui-


vant les règ-Ies avantageuses de la responsabilité contrac-
tuelle, mais suivant les règles qui régissent la responsabilité
extracontractuelle.
Nous pouvons à présent aborder ! 'examen des disposi-
tions du Code Civil relatives à cette matière et déterminer
sur quels points Ie régime consacré par Ie Code est différent
suivant qu 'il s 'agit d 'une responsabilité contractuelle ou
délictuelle.

§ 2. 1Vature du préjudice donnant lieu à réparation

40. L'article 1149 du Code civil : lucrum


cessans et damnum emergens. - 41. Le
préjudice moral.

40. L 'artide 1149 indique au juge les éléments qui doi-


vcnt être pris en considération pour fixer la réparation due :
« les dommages et intérêts dus au créancier sont, en général,
de la perte qu 'il a faite et du gain <lont il a été privé, sauf les
exceptions et modifications ei-après >>.
On s 'accorde généralement à reconnaître que cette
règle n'est pas obligatoire f'u matière extra-contractuelle,
et que Ie juge y conserve au contraire une liberté d 'appré-
ciation plus complète '. L 'obsenation paraît, à première
vue, purement théorique, car en fait Ie juge s 'inspire Ie
plus souvent d 'une directive analogue à la règle consacrée
in terminis par l 'article 1149 2 •

41. Mais la question présente néanmoins une impor-


tance pratique certaine, car de nombreux auteurs et une
partie de la jurisprudence ont cru pouvoir déduire du texte
de l 'art iele 1149 une limitation très importante : en parlant
de perte et de gain, l'article 1149 limiterait implicitement
Ie domaine de la réparation pécuniaire aux dommages pafri-
1
BmJN, thèse, n° 58, 1°; LALOF, op. ei/., n° 27; Cassation helgc,
11 juillet 1895, Pas., ]895, ], 247. Contra: MAzFAFD, IT, n° 2361.
2
En re sens : DllMOGUE, t. IV, n° 45.'lbis.
RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS 55

moniaux : ne donneraient point lieu à indemnité les dom-


mages n'entraînant aucune diminution du patrimoine, que
l'on appelle généralement dommages moraux '.
La jurisprudence a cependant souvent repoussé cette
2
interprétation donnée à l 'article 1149 et de nombreux
auteurs l 'ont également abandonnée 3 • La question demeure
toutefois con troversée.
En revanche, la possibilité d 'octroyer une indemnité
en réparation d'un dommage moral n'est plus contestée en
matière délictuelle depuis de nombreuses années • : la Cour
de Cassation de Belgique s 'est, dans un arrêt déjà ancien,
prononcée nettement en ce sens •.
Il est donc indiscutahle qu 'en droit positif la réparation
due par l 'auteur cl 'une faute est plus complète en matière
délictuelle qu 'en matière contractuelle, puisque la victime
est assurée d'ohtenir réparation du préjudice moral si elle
base le procès sur une faute délictuelle, alors qu'elle ne l'est
point si elle se fondc sur une faute contractuclle.

"§ 3. Limitation des dommages et intérêts contracfuels au


rréfudice prét•u on pré1 isible Tors du rontrat ( art. 1150
1

du Code Cii,il).
42. La règle de J'article ll50 est propre
à la responsahilité contraduelle. - 43.
Tnterprétation extensive de la notion du
« dommage prévu n. - 44. Conclus!on.

42. c< Le déhiteur >>, dit l'article 1150 du Code Civil,


1
Telle est l 'opinion de LffRF'\T (t. XVI, n° 281) ; de Huc (1. VTT,
n° 147), rle BAliDRY LACANTI'IEHJE (Oblig., t. T, n° 481), de M. MEY:\'IAL
(Revue pratique de droit françnis, 1884, p. 440). V. Paris, 27 mars 1873,
sous Cass., 17 fénier 1874, D., 1874, I, 360. Comp. RirERT, Ln rèql<' mo-
rale, n°• 181 et suiv. Cette opinion étail aussi admise dans ]'ancien droit
français : MAzEAno, T, n° 299.
2
V. notamment Comm. Bruxelles, 25 juillet 1910, P. P., 1911,
· n° 414, avec note et références. En France : v. la jurisprurlence ritée
par MAZEAUD, I, no- 334.
" PLANIOL t. II, n° 252 ; JossERP,o, Dr. Civ., t. IT, n° 629 ; PLANTOL et
R1PERT, t. VII, n° 857 ; MAZEAUD, t. I, n°• 329 et suiv.
• Pu,;JOL et RrrERT, t. VI, n°• 546 et suiv. et les r{,férences citées.
5
17 mars 1881, B . .T., 1881, rol. 561 ; comp. Bruxelles 14 nov. 1928,
B . .T., 1929, col. 99 et la note rl 'ohservations sous ret nrrH.
56 RBSPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS

« n 'est tenu que des dommages et intérêts qui ont été prévus
ou qu'on a pu prévoir lors du contrat, lorsque ce n'est point
par son dol que l' obligation n 'est point exécutée ».
Nous avons précédemment indiqué que la distinction
entre les dommages prévus et imprévus remontait à l'ancîen
droit 1 ; or, dans !'ancien droit, elle était exclusivement
applicable à la responsabilité née de l 'inexécution d 'un con-
2
trat Son origine historique suffirait donc à démontrer

qu'elle ne peut aucunement être considérée comme un rappel


du droit commun en matière de responsahilité et que, par-
tant, elle est sans application dans Ie domaine extracon-
tractuel.
D'ailleurs, la limitation des dommages et intérêts aux
domm_ages prévus ou prévisibles, s'explique par des raisons
spécifiquement propres à la matière des contrats : les obli-
gations contractuelles sont l 'ceuvre de la volonté commune
des parties : les contractants ne sont obligés que dans la
mesure ou i]s y ont consenti : s 'ils ne se sont pas complè-
tement expliqués au sujet de la portée ou de l'étendue de
leurs engagements respectifs, l 'interprète doit rechercher
leur volonté probable. En limitant la responsabilité contrac-
tuelle aux dommages prévus Ie législateur a voulu seulement
faire application de cette règle d'interprétation: les parties
n'ont pas pu raisonnablement vouloir s'engager au delà de
ce qu 1.èlles pouvaient prévoir au moment de leur convention.
Si elles avaient réglé elles-mêmes les conséquences de l'inexé-
cution de leur convention, elles n'auraient pris en considé-
ration que les conséquences prévisibles au moment de
! 'échange des consentements. L 'article 1150 n 'a d 'autre but
que d'interpréter en ce sens leur volonté tacite ·.
L 'auteur d 'une faute délictuelle est au contraire obligé
malgré lui, et par Ie seul effet de la loi, à réparer les con-

1
V. supra, n°' 36 à 39.
2
V. supra, n°• 36 à 39.
• Telle est la justification qui a de tout temps été donnée à l 'ar-
ticle 1150 : cf. PLA:\IOL, II, n° 896.
RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS 57

séquences de son acte : sa volonté est indifférente, et il


importe peu, dès lors, de savoir s'il a prévu ou non les dom-
mages soufferts par la victime.
· La plupart des auteurs 1 reconnaissent que la distinction
exprimée par l'article 1150 est sans application en matière de
responsabilité délictuelle.
Ll! Cour de Cassation de Belgique l 'avait également
2
décidé en 1861 certaines juridictions de fond se sont
;

cependant prononcées en sens contraire •, mais la Cour de


Cassation a confirmé récemment sa jurisprudence anté-
rieure • et la question peut donc êtr.e considérée comme défi-
nitivement résolue.
L 'opposition est donc complète entre les deux régimes
de responsabilité, et elle révèle que pour ohtenir une répa-
ration intégrale, la victime doit se placer sur le terrain
délictuel.
43. Il ne faudrait point toutefois exagérer l'impor-
tance pratique de la différence consacrée par l 'article 1150
entre les deux rógimes de responsabilité. La jurisprudence
donne en effet à la notion de « dommage prévu ou prévi-
siblc n une interprétation de nature à accroître singulière-
ment l'importa!lce des indemnités auxquelles peut être con-
damné un débiteur contractuel.
Elle décide tout d'abord que Ie dommage visé par
l 'article 1150 n 'est pas Ie dommage que le débiteur a pu

1 V. à cc sujet unc notc de M. Jean FoNTEY:'>E,Rev. gén. des ass. el


des responsabilités, 1927, n° 168. En ce sens : AUBRY et RAu, t. V, p. 750 ;
DEMOLOMBE, t. XV, n° 686 ; LAROMBIÈHll, arl. 1150, n° 14 ; BAüDIW LACA'I-
TII\ERIE et BARDE, t. IV, n° 2879 ; BErDA:-.T, t. IV, n° 1236 ; PLA''HOL, t. Il,
n° 897 ; DEMOGUE, Oblig., t. IV, n° 460; HUGUENEY, L'idée de peine pri-
vée, pp. 249 et suiv. ; BoNNET, op. cit., p. 426 ; LALOU, op. cit., n° 27 ,
MAZEAUD, t. II, n°• 2370 et 2377. En sens contraire : PLA'.'IIOL et füPF.RT,
Tmité, t. VI, n° 681 ; RoBIN, thèse, pp. 137 et suiv. ; GRANDMOULIN, thèse.
t. II, pp. 58 à 60 ; fünTREMrnux, thèse, n° 62.
2
3 mai 1861, Pas., 1861, 1, 397.
3
Bruxelles 7 aofit 1878, Pas. 1879, 2, 184 ; 22 juin 1927, Rev. gén.
ass. et resp., 1927, 11° 168. ' .
• 17 janYier 1929, Pos., 1929, T, 63.
58 RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS

réellement prévoir, mais celui que pouvait préYOir un bon


père de famille, placé dans les mêmes circonstances 1 ; Ie
transporteur - pour ne citer qu 'un exemple - , doit prévoir
que parmi les nombreux voyageurs qui contractent avec lui,
certains jouissent d'une situation brillante : ces voyageurs
ne devront donc pas, en cas de procès après un accident,
prou,er que Ie transporteur a eu effecth·ement connaissance
2
de leur situation personnelle En d'autres termes, la prévi-

sibilité du dommage doit s 'apprécier in abstracto 3


D'autre part, ce qui doit avoir été prévisible c'est uni-


quement la nature du. dommage dont la réparation est
réclamée : peu importe que la qnotité de ce dommage ait
dépassé les prévisions des parties : Ie wndeur sait que s'il
ne livre pas les marchandises qu 'il promet, son co-contrac-
tant sera contraint de se fournir ailleurs et de payer éven-
tuf'llement un prix plus élevé : un dommage de cette nature
est manifestement prévisihle au moment de la vente, et dès
lors il rlonnera lieu, Ie cas échéant, à réparation - sans qu 'il
faille rechercher si son importance pécuniaire n'a pas été
accrue par une hausse exceptionnelle et imprévue des cours.
Telle est la solution consacrée en Belgique, depuis
qu 'un arrêt de Cassation 4 a tranché en ce sens la contro-
wrse que poursuivaient depuis longtemps les auteurs.
Quelques auteurs ont été jusqu 'à prétendre que la
notion de dommage prévu ne répond à aucune réalité. Elle
se confondrait avec la notion de dommage direct •, et la dis-

1 nruxclles, 11 jan der 1929, Pas., 1929, 2, 67 ; Trih. Bruxelles,


7 avr. JR99, .T. T., 1899, 901 : DEMOGUE, Rei•. trim., 1913, p. 8ll.
2
Bnnelles, 22 mars 1900, Pas., 1900, 2, 282 ; Angers, 13 mai 1929,
G. P., 1929, 2, 3] 5 ; Panrl. R., V0 Transports par Chemins de Fer, n° 131 ;
JossERANo, Transporfs, n° 903.
3
MAZF-AUD, t. IT, n° 2382.
• 23 février 1928, Pas., 1928, T, 85. V. Ie commentaire rle eet arrêt
par M. René PrnJIT, .Turispr. comm. rle Rrn:reîles, juillet 1930. En France,
c'est la solution contraire qui a prévalu : 7 juillet 1924, S., 1925, 1,
321, n. Lescot et Civ. 27 juin 1928, G. P., 1928, 2, 520.
• .1 APIOT, Fondement de la dette des rlépens (R~v. trim., 1914, p. 546,
n 1) ; DE HAENE, Flandre jurliciaire, 10 avril 1901 ; GARnA, l\'11ove Quest.,
J, pp. 217 et suiv. ; suivant eet auteur la distinction entre dommages
RESPONSABILITÉ AQUILIENNÈ ET CONTRATS 59

tinction faite par l'article 1150 serait dépourvue de toute


portée pratique, puisqu'e1le se confondrait avec celle, que
contient l'article 1151, entre dommages directs et indi-
rects.
Cette opinion nous paraît erronée : Ie dommage direct,
ainsi que nous Ie verrons, est cel ui qui a véritablement pour
<< cause n la faute commise. Or, s'il est exact quf' très ·souvent

<< un dommage est d 'autant plus susceptible d 'être prévu qu 'il

se relie à la faute par un lien de cause à effet plus in time >> 1 ,


tel n 'est cependant pas toujours Ie cas, et il , a de soi que
les notions de prévisihilité et de causalité ne Sf' confondent
2
point l 'assimilation tentée est clone injustifiée.
;

44. Qu'en pratique les dommages prévus se confondent


parfois avec les dommag-es directs, que même la distinction
faite par l 'article 1150 demeure parfois sans effet à cause
des pouvoirs souverains du juge pour évaluer Ie montant
d 'un préjudicc, tout cela est sans aucune relevance : la dis-
tinction est inscrite dans la loi, et elle doit <lès lors être
observée ; la décision qui la méconnaîtrait encourrait la
3
Cassation. •

L 'article 1150 consacre donc en droit positif une diffé-


rence entre les deux régimes de responsahilité qui, sans être
considérable, 1-)St cependant certaine • ; un déhitcur pourra

prévisihles et impréYisihles ne pourrait être faite, en pral iquc, que si


le contrnt anil pom objet la prestation d'une chose matérielle ou d'uri
travail à effectuer sur une chose matfrielle. Dans tous les autres cns,
Jes dommages pn,,·us se confonrlraient avcc les dommages directs.
1 J APIOT, loc. cit.
2
C'est ce que répondit l\l, VAN BnmvuIT (Flanrlre Judiciaire,
19 juin 1901) à M. De Haene, lors de la controverse qui se rléroula
entre les deux éminents juristes en 1901. Voy. en ce sens également:
l\LmrnAu, thèse, pp. 214 et s.
3
BARTIN sur AuBRY et RAu, t. VI, § 445, n 9 undecies ; PLA:";J<>L et
füPERT, VII, n° 864. •
• M. Planiol, qui s'efforce de démontrer que les différences d'orga-
nisation traditionnellement admises sont purement apparentes, est
néanmoins obligé de reconnaître que 1'article 1150 consacre une diffé-
rence réelle entre les deux systèmes de réparation : t. Tl, n° 897. La
jurisprudenre fnit d 'ailleurs application de la distinclion, et repousse
ccrtaines actions en dommages-intérêts à raison du caractère imprévU
60 RESPONSABILITÉ AQLILIEJ'\i\E ET COl\TRATS

échapper à l 'action en responsabUité contractuelle s'il


démontre Ie caractère imprév11 du préjudice <lont se plaint
Ie créancier, et ce dernier n 'aura alors d 'autre ressource que
de placer Ie débat - s'il Ie peut - sur Ie terrain délictuel.

§ 4. Les dommages et inlérêts moratoires pour les dettes


de sommes ( art. 1153 du Code Civil).

45. La règle de l 'article 1153 ne s'applique


pas en matière délictuelle.

45. La loi a prévu expressément, en matière contrac-


tuelle, une espèce pqrticulière de <lommage : celui qui résulte
du retard dans l'exécution d'une obligation ayant pour objet
Ie payement d'une certaine somme : dans ce cas, les dom-
rnages-intérêts ne consistent jarnais, aux_ termes de l'arti-
de 1153, que dans les intérêts lég-aux, sauf les exceptions
établies par la loi : nouvelle restriction au principe de Ja
réparation intégrale du préjudice 1 •
Elle n 'est pas applicable en matière extracontractuelle,
2
ainsi que Ie font observer plusieurs auteurs Si la loi ••

impose. à titre d'ohligation Jégale, Ie paiernent d'une somme


déterminée, Ie débiteur qui tarderait à en effectuer Ie paie-
rnent, comrnettrait une faute délictuelle, dont il devrait
réparer intégralement les conséquences •.
De rnême, si le déhiteur d(,lictuel condarnné à des dom-
rnages-intérêts compensatoires, tarde à en effectuer Ie règle-
ment, il devra réparer complètement Ie préjudice que ce
4
retard a entraîné •

<111 préiuclice: Gancl, 3 föuier 1927, Jur. Gom. Fl., 1927, 244 et la note,
Ch-. Huy, 23 janv. 1918, Pas., 1918, 3, 139 ; Anvers, 22 décemhre 1880,
J. A., 1881, I, 236.
1
Compensée, il est uai, par la• dispense accordée au créancier de
justifier d 'aucune perte ( art. ll 53, § 2).
2
DEMOGUE, t. TV, n° 468, t. V, n° 1234; BRU'\', thPse, n° 59; LALou,
op. cit., n° 27 ; MAzEAUD, t. II, n° 2336 ; AuBRY et RAu, t. VI, p. 352.
·' Certaines divergences paraissent cependant exister sur ce point en
jurisprudence : voy. ÜEMOGUE, t. VI, n° 371, et les références citées.
• MAZEAUD, loc. cit. ·
RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS 61

§ 5. Distinction des dommages directs


et indirects (art. 1151 du Code Civil).

46. La dislinction faite par l 'article 1151


doit-elle être étendue à la responsabilité
délictuelle ? Etat de la doctrine et de la
jurisprudence. - 47. Opinion adoptée.

46. L'article 1151 du Code Civil dispose que << dans le


cas même ou l'inexécution de la convention résulte du dol
du débiteur, les dommages et intérêts ne doivent com-
prendre, à l 'égard de la perte éprouvée par le créancier et
du gain <lont il a été privé, que ce qui est une suite immé-
. diate et directe de l'inexécution de la convention >>.
Cette disposition consacre-t-elle une différence entre les
dommages et intérêts dus pour une faute délictuelle et ceux
qui sont la conséquence d \me faute contractuelle ? Rien ne
permet apriori de l'affirmer car, ainsi que nous l'avons vu,
la loi n'a pas rég·]é expressément les conséquences pécu-
niaires des fautes délictuelles : on chercherait vainement
dans Ie Code Civil un texte d'ou il résulterait que l'auteur
d'une faute délictuelle est tenu des conséquences même indi-
rectes de cette faute.
Aussi comprend-on que la question ait fait l'objet
d 'une contrm erse qui ne para'lt pas encore close à l 'heure
actuelle.
La majorité de la doctrine paraît toutefois admettre
à présent que l'article 1151 formule seulement à propos
d 'un cas particulier un principe très général applicable à tous
les cas de responsabilité, quelle qu 'en soit l 'origine 1 •
En revanche, la jurisprudence helge 2 semble plus

1 BAUDRY LACANTINERIE, Oblig., t. IV, n° 2880 ; LAROMBIÈRE, art. 1151,

n° 4 ; DEMOLOMBE, t. XV, n° 687 ; SOFRDAT, l, n°• 32, 105, ll0 et 447 ;


PLANIOL, t. Il, n° 869bis ; JossERAND, Cours de dr. civ., t. U, n° 449 ;
ME1GN1É, thèse, p. 113; MAzEAun, H, n° 1670; GABBA, Nuoi•e Quest., J,
pp. 226 s. Admettent au contraire qu'en matière délictuelle la réparn-
tion doit comprendre même 1e préjudice indirect : AuBRY et RAu, t. VI,
p. 352; DEMOGUE, t. IV, n° 460; LAB!lll, n. au S., 1879, 2, 193; A. Bnu!'I,
thèse, n° 61.
2
Rejettent la règle prévue par J'article 1151 en matière délictuelle :
62 RESPONSABILITÉ AQl_-ILIE~-"E ET CONTRA TS

,olontiers considérer que la distinction contenue daus


l'article 1151 est propre à la responsabilité contractuelle et
que dans tous les autres cas l 'on est tenu de toutes les con-
séquences même médiates ou indirectes de la faute que l'on
a commise.
Telle est notamment !'opinion ~l laquelle s'était ralliée
la Cour de Cassation de Belgique, dans un arrêt déjà ancien',
mais qu'elle paraît avoir confirmée récemment 2

4 7. La controverse semble être nfo d 'une interprétation


inexacte de l'article 1151 et de la méconnaissance de l'ori-
gine historique de cette disposition. t'.ne étude plus atten-
tiYe de cette origine historique permet de résumer comme
snit la porté0 de l 'article ll 51 :
1° L 'article 1151 vise un cas particulier de délit ei vil
sanctionné, comme tous les autres délits civils. par la res-
ponsahillité rlélictuelle ;

Brnxclles. 2G mars 1913, P. P., 1914, 646: 2 mai 1931. J. A., 1931, 209:
Liége, 18 juillct 1883, n., 1885, 2, 79; 2 avril 1931. B. Ass., 1931, p. 906;
Anvers, 6 sent. 1894, .T. ·t., 1895, l. 19: 12 mai 1896, .T. A" 1896, 1, 385,
10 <lér. 1901, J. A., 1901, l, !l11; 3 mars 1906: P. P., Hl06, 212:
31 mai 1912, P. P., 1912. 1235; Nivelles, 6 févr. 1889, J. T., 1889, 464:
Ch. Lifoe, 25 mai 1895, p,,s., 1895, 3, 2SG; Correct. Liége, 6 février 1932,
Rei•. qén. ass. r<'sp., n° 980. - Exdnent, au contraire, la réparation rlu
rlommaQ"e inrlirect, même en mntière rlélicluelle : Bruxelles, 23 _ian-
viers 1884. Pas" 1884, 2, 313; LiéQ"e, 18 janv. 1882, Pas., 1882, 2, 140;
Amers, 28 juillet 1898, J. T., 1899, 217 ; 5 rlér. 1907, J. A., 1908, 1,
69; Corr. Liége, 18 mni 1929, R. Ass., 1929, 443. - La jurisprudence
française est plus favornble à la limitntion des rlommages et intérêts
délictuels au préjurlice direct seul : v. P;iris, 5 rlér. 1925, D., 1929, 2,
97, n. Dallant; Montpellier, 21 févr. 19:Jl, n. TT., 1931, 199. V. DEMcra_'E,
t. IV, n° 461.
1
:J mai 1861, Pas., 1, 397.
2
17 janv. 1929, Pas., 1929, 1, 63: 13 juin 1932, Pas., 1932, 1,
189. Bien rru'un arrêt eût dans l'inlervalle arlopté l;i même
rlortrine pour les suites d'une infraction pénale (20 m~i 1913, P. P., 1?.,J
0
ZSj
1914, ll 189), un second arrêt intermédiaire avait paru annoncer un
revirernent rle jurisprurlence (27 octobre 1927, Pas., 1927, 1. 316: v
il re sujet not.re note à 'observations, B. J., 1932, col. 83). La Cour rlA
Cassation <Ie France s'est prononcée en sens opposé (aucune réparntion
pour Ie préjurlice inrlirect) : Civ. 8 oct. 1926, D., 1927, 1, 101, n. Rouast:
21 févr. l 912, n., 1913, 1, 292. En Italie ( oi1 les textes léiraux sont sem-
blables), la Cour rle Cassation rle Palerme s 'est rani:rée à la m~me opi-
nion rrue la Cour rle Cassation rle France : 31 déc. 1918, Giur. it., 1919,
1, 463.
RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET UONTl\A TS 63

2° L'article 1151 applique d'ailleurs au délit civil que


constitue Ie dol dans l'exócution d'un contrat, une règle
qui trouve son application dans tous les cas de responsabilité
extra-contractuelle, bien que Ie Code ne l'ait pas formelle-
ment expriméc- : les dornrnages indirects que, suivant
l'article 1151, Ie débiteur coupahle de dol ne doit pas répa-
rer, sont ceux quine présentent plus avec la faute une rela-
tion nécessaire de cause à effet et qui, pour ce motif, ne
donnent jamais lieu à réparation.
Il est aisé de fournir la dérnonstration de ces deux pro-
positions .

.\. Le dol dans l'eréwtion d'un co11lrat conslilue


un délit civil.

48. Argument tiré de !'ancien droit. -


49. Tustification rationnelle - 511. Les
lrnrnux préparntoircs du Code Ch-il.

48. Les auteurs de !'ancien droit français 011t to:1jonrs


considéré que le débiteur contractuel qui, par dol, refuse
d'exécuter le contrat, se rend coupable d'un défü civil : c'est,
à leurs yeux, du dol lui-même qne résulte l'obligation d 'in-
demniser Ie f'réancier et non du contrat.
Dumoulin était à eet égard tout à fait formel : il a-rnit
commencé par poser Ie principe que tout fait de dol consti-
tue un délit civil : nolus malus studiose adhibitus semper
in jure est delict urn 1 • Parlant en suite du dol commis par un
débiteur dans l 'exécution du contrat, il caractérise comme
suit la situation juridique qui en résulte : Tum e.T hujusmodi
dolo, ut ex delicto separato oritur nova et separata obligatio
ad omne interesse resarciendum, quae est una separala et
2
principalis obligatio incerta •

49. Le bon sens indique d'ailleurs que lorsqu'un déhi-


1
De eo q11orl interest, n° 15G.
2
Id., n° 179.
64 RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTBATS

teur contractue] se rend coupable de dol, il n 'est plus possible


de donner aux d~mmages et intérêts qui lui sont réclamés de
ce chef la cause ordinairement reconnue aux dommages et
intérêts contractuels, à savoir une clause tacite et subsidiaire
de la convention.
De nomhreux auteurs l'ont reconnu : les uns font
observer qu 'il n 'est pas possible de supposer une clause par
laquelle les parties, prévoyant le dol de l'une d'elles, auraient
voulu restreindre la responsabilité qui devait résulter de son
acte frauduleux 1 • D 'autres ajoutent qu 'à supposer même que
pareille clause fût entrée dans les prévisions des parties, elle
2
serait nulle Mais ces auteurs auraient dû pousser leur rai-

sonnement jusqu 'à son terme final. Si la sanction du dol


ne déri,e pas du contrat lui-même et échappe même à la
volonté des parti es, c 'est qu 'elle résulte de la loi. Or, ainsi
que nous l'avons vu, la sanction que la loi attache à un acte
qu 'elle prohibe, c 'est la responsabilité délictuelle. On est
ainsi nécessairement amené à reconnaître que Ie dol dans
l 'exécution d 'un contrat constitue un délit ei vil.
3
Plusieurs auteurs n'ont pas hésité à l'adrnettre Mais •

l'unanimité est loin d'être faite sur la question. Laurent•


avait très nettement affirmé que si « la mauvaise foi »
aggrave la faute contractuelle, elle ne change cependant pas
la nature de la responsabilité, et MM. Mazeaud • critiquent
également l 'opinion suivant laquelle l 'hypothèse visée par
l'article 1151 serait un cas de responsabilité délictuelle.
50. La discussion s'est concentrée sur un passage de
l 'exposé des motifs de Bigot Préameneu • qui a été invoqué
dans les sens les plus divers, bien qu'à notre avis le passage
en question ne puisse fournir aucun argument sérieux ni
1
DEMOLOMBE, t. XXIV, n°598.
• BAUDRY LACANTINERIE, Oblig., I,
n° 488.
• VmrÉ, Cours de dr. civ., t. II, n° 1271 ; JossERAND, en note au D.,
1927, 1, 105.
4
T. XXVI, n° 64 ; v. aussi LABBÉ, n-0te au S., 1885, 1, 1 ; MmcN1É,
op. cit., p. 255 ; BONNET, op. cit., p. 433.
5
Traité, I, n° 205.
6
FmmT, XIII, p. 232.
RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS 65

dans un sens ni dans l'autre, à raison de l'erreur manifeste


dans laquelle a versé son auteur.
c< Le dol, dit Bigot Préameneu, établit contre celui qui
le commet, une nouvelle obligation, différente de celle qui
résulte du contrat ; cette nouvelle obligation n'est remplie
qu 'en réparant tout Ie tort que Ie dol a causé. »
Les auteurs qui voient dans l 'hypothèse prévue par
l 'article 1151 un cas de responsabilité délictuelle ont aussitot
invoqué cette phrase ; ils omettent toutefois de citer la suite
du même passage, dont MM. Mazeaud 1 se prévalent au con-
traire victorieusement pour démontrer que la responsabilité
du déhiteur demeure con tractuelle, même s'il s 'est ren du
coupahle de dol : << Mais dans ce cas-là même, ajoutait
Bigot Préameneu. les dornmages et intérêts n'en ont pas
moins leur cause dans l 'inexécution de la convention ; il
ne serait donc pas juste de les étendre à des pertes ou à des
gains qui ne seraient pas une suite immédiate et directe de
cette inexécution. Ainsi on ne doit avoir égard qu'aux dom-
mages soufferts par rapport à la chose ou au fait qui était
l'objet de l'ohligation, et non à ceux que l'exécution de cette
obligation aurait occasionnés au créancier dans ses autres
affaires ou dans ses autres biens. n
Certes ce second passage met à n6ant !'argument que
l'on prétendait tirer du précédent. Mais c'est à tort, croyons-
nous, que MM. Mazeaud, s'en tenant uniquement à la pre-
mière phrase de ce second passage, prétendent en déduire
l'exactitude de leur thèse. Il faut en effet prendre !'opinion
de Bigot Préameneu dans son ensemble : l'on constatera
alors qu 'elle ne reflète aucunement la volonté du législateur,
car elle va directement à l'encontre de l'article 1150 du
Code Civil. Bigot Préameneu, croyant définir les« dommages
directs n définit par erreur les cc dommages prévus » : si
l'on s'en tenait à la définition qu'il donne des dommages
directs dans son commentaire de l'article 1151, le débiteur

1 Loc. cit.
66 RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS

coupable de dol serait tenu exactement de la même manière


que le débiteur de bonne foi, c'est-à-dire qu'il devrait ré-
pondre seulement des dommages intrinsèques soufferts
« par rapport à la chose ou au fait qui était l'objet de l'obli-
gation n 1 , ce qui est évidemment inadmissible, puisque
l'article 1150 prescrit expressément que le débiteur est tenu
ser lement des dommages et intérêts qui ont été prévus lors
du contrat, lorsque ce n'est point par son dol que l'obliga-
tion n 'est point exécutée.
La confusion. commise par Bigot Préarneneu a d'ail-
2
leurs été signalée par Baudry Lacantinerie Elle ernpêche•

que Ie texte de l 'exposé des motifs puisse être considéré


comme une interprétation authentique de l'article 1151.
Dès lors, il n'y a aucune raison d'admettre que cette dispo-
sition, qui traduit Ie principe admis dans }'ancien droit,
aurait une portée différente de ce même principe. En con-
séquence, aussi bien sous Ie régime du Code Civil que sous
l'ancien droit, Ie débiteur contractuel qui se rend coupable
d 'un dol, commet un délit civil et encourt une responsabilité
délictuelle.

B Les dommages indirects sont ceux qui ne donnent jamais


lieu c't réparation.

51. Notion du dommage indirect. -


52. Les dommages indirects ne donnaient
jamais lieu à réparation en droit romain
ni dans ! 'ancien droit. - 53. Le Code
Civil n'a pas modifié la tradition. - 54.
lnterprétation inexacte de l'article 1151 au
XIX 0 siècle. - 55. Conséquences inadmis-
sibles de la limitation de la règle posée par
l 'article 1151 au seul cas de dol dans
l'exécution du contrat. - 56. Conclusions.

51. Que faut-il entenclre par dommages indirects?


L 'expression paraît avoir été emplo_vée pour la première
foit- par Domat. Il en donne la définition suivante : « sont
1
Voy, supra, pp, 52 et 53,
2
Oblig,, t, I, n° 487, p. 521, n, 3,
RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS 67

i,1directs les dommages qui ont d'autres causes que le fait


incriminé » '. Plus loin, il reproduit sa définition sous une
autre forme : cc un dommage qui a pour cause unique le fait
2
incriminé ne sera jamais réputé indirect » •

On retrouve chez Pothier • une définition analogue : les


dommages indirects sont ceux qui ne sont qu 'une suite éloi-
gnée d 'un fait, mais qui n'en sont pas une suite nécessaire
et qui peuvent a,oir d'autres causes.
Les rédacteurs du C:ode Civil se faisaient-ils une con-
ception différen te des dommages in directs? Leur silence à
ce sujet, joint au fait que l'article 1151, ou il est question des
dommages indirects, est manifesternent inspiré par la doc-
trine de Pothier, perm et d 'affirmer que les dommages indi-
rects sont restés ce qu 'ils étaient dans l 'ancien droit : les
dommages qui peuvent avoir d 'autrcs causes que Ie fait incri-
• , 4
mine .
52. Mais les dommages qui peuvent avoir d'autres
causes que la faute commise ne donnent jamais lieu à répa-
ration.
En droit romain déjà la nécessité d'un lien de causalité
suffisarnment étroit entre la faute et Ie dommage avait été
mise en lumière, et la Constitution de Justinien l'avait con-
sacrée en ordonnant au juge de ne tenir compte que du
dommage « qui résulte véritablement de la faute n, sauf dans
les cas ou l'indemnité devait être plus réduite encore, et ne
point excéder la valeur du double de la chose endommagée •.
La règle apparaît donc, en droit romain, dans toute
sa ~.rénéralité : aucune indemnité pour le dommage indirect.
Les auteurs de J'ancien droit ont également reconnu
que dans la série des p,réjudices qui se produisent success1-

1
Loix civiles, livre 111, titre V, sect. II, n° 6.
2
Id., n° 10.
3
Oblig., n° 167.
4
Tel est d'ailleurs Ie sens que certaines décisions donnent à
l'expression : Montpellier, 21 févr. 1931, D. H., 1931, 199 ; Corr. Liége,
18 mai ]929, B. Ass., 1929, 443 ; v. MAZEAUD, Traité, Il, n° 1675.
• V. supra, n° 36.
68 RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS

vement à la suite d 'une même faute initiale, arrive un


moment oi'1 l'on ne peut plus affirmer avec certitude que
sans la faute Ie dommage ne se serait pas produit : Ie lien
de causalité devenant alors incertain, il serait injuste d'obli-
ger !'auteur de la faute à réparer un préjudice qui se serait
peut-être produit sans elle. Et c'est précisément pour tra-
duire cette distinction entre les dommages qui ont pour cause
la faute incriminée et ceux qui n'en sont qu 'une suite
incertaine et trop éloignée, que les auteurs de !'ancien droit
ont employé l'expression dommage direct ou dommage
indirect.
Mais au lieu d'en souligner Ie caractère général, ils ne
l 'ont formulée qu 'à propos d 'un cas particulier ; cel ui d 'un
débiteur contractuel coupable de dol.
Ils n'ont fait, en cela qu'imiter Dumoulin. Ce dernier
auteur, dont Ie traité était l 'ouvrage essentie} en matière de
dommages et intérêts, man que singulièrement de méthode;
il s 'est borné à commenter, d 'une manière assez désordonnée
d'ailleurs, la constitution de Justinien. C'est ainsi qu'il fut
amené à se demander si Ie débiteur contractuel peut encore
bénéficier de la restriction de l 'indemnité au double de la
valeur de la chose lorsqu'il s'est rendu coupable de dol : tel
serait Ie cas d 'un locataire qui mettrait volontairement Ie
feu à 1'immeuble loué. Sa réponse, contrairement à celle de
nombreux romanistes antérieurs, est négative, mais il
s'empresse d'ajouter que la responsabilité du locataire ne
serait pas cependant indéfinie. Il doit réparer seulement
omne detrimentum hinc datum et proxime ex igne secutum,
non aut em damnum postea succedens e.r novo casu et
occasione dictae combustionis 1 •
Faut-il penser que la règle suivant laquelle les dom-
mages qui peuvent avoir d 'autres causes que la faute incri-
minée ne donnent point lieu à indemnité, aurait cessé, dans
l'ancien droit. d'~tre générale et ne s'appliquerait plus qu'au

1
De eo quod interest, n° 179.
RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS 69

seul cas expressément ,isé par Dumoulin? Ce serait donner


à une erreur de méthode une portée assurément excessive.
Le cas cité par Dumoulin n'était qu'un exemple, etil pourrait
être étendu à tous les. cas de dol, qui, pour Dumoulin, sant
soumis à un régime uniforme, qu 'ils se produisent ou non
dans l 'exécution d 'un contrat ' : la solution eût donc été la
même si s 'était un tiers, et non Ie locataire, qui avait mis Ie
feu à l 'immeuble loué.
Domat a d 'ailleurs rendu à la règle son ancienne portée
générale : quand Ie débiteur contractuel ne bénéficie pas
de la réduction au double, dit-il en suhstance, encore faut-il
ne retenir à sa charge que Ie préjudice qui est une suite véri-
table de la faute. Mais, d 'après Domat, la même règle doit
être appliquée en matière de responsabilité extra-contrac-
tuelle. Domat ne Ie dit pas expressément parce que dam
l 'ancien droit la distinction entre les deux responsahilités
n 'aYait' pas Ie caractère tranché qu 'elle a pris depuis Ie
XIXe siècle ; mais sa pensée sur ce point ne fait aucun doute,
car <lans Ie titre consacré aux délits et aux quasi-délits, il
prend soin de rC'n,oyer, une fois pour toutes, sans aucune
rf'sene, pour ce qui concerne Ie calcul des domrnages et
intérêts. aux règles qu'il expose au sujet des dommages et
2
intérêts contractuels •

53. Pourquoi les rédacteurs du Code Civil n'ont-ils pas


décidé à leur tour que les dommages indirects ne donnent
jamais lieu à réparation, et pourquoi se sont-ils au contraire
bornés à exprimer la règle à propos du cas particulier d 'un
débiteur contractuel coupable de dol ?
C'est qu'ils ont pris pour modèle l'exposé de Pothier.
Or ce dernier qui, comme ses prédécesseurs, développe la
théorie des clommages et intérêts à propos des contrats, a
omis de donner aucune indication au sujet de l 'évaluation
<les <lommages et intérêts en matière <le <lélits ou de quasi-
clélits ; il n'a même pas renvoyé, comme Ie faisait expressé-

1
v. surra, n° 48.
2
Line IT, titre VIT, préambule.
70 RESPONSABILITÉ AQUILIENNE. ET CONTRATS

ment Domat, aux règles exposées par lui à propos des


contrats.
Sans doute n'est-ce là qu'une simple inadvertance. Mais
les rédacteurs du Code Civil n 'ont point comhlé cette lacune :
les règles relati ves aux dommages et intérêts sont to11tes
insérées dans Ie titre des contrats ( comme dans Ie Traité des
Obligations de Pothier) et Ie Code Ci vil ne donne aucune
indication, même sous la forme d'un simple renvoi, en ce
qui concerne les dommages-intérêts extra-contractuels.
54. La méthode d 'interprétation fréquemment adoptée
par les commentateurs du Code C:ivil allait malheureusement
faire produire à la lacune que nous venons de signaler, des
conséquences imprévues.
La répartition des matières, plus systématique dans Ie
Code Civil qtie dans les ouvrages de doctrine dont s 'étaient
inspirés ses rédacteurs, suggérait volontiers l 'idée d 'une
opposition entre responsa hilité contractuelle d 'une part et
responsahilité dC,lictuelle d 'autre part. Aussi comprend-on
que certains commentateurs et une partie de la jurisprudence
aient pu considérer que si l 'on voulait connaître les règles
de l'évaluation des clomma§2·es et intérêts en dehors des con-
trats - règles que' Ie C:ode Civil n'a pas formellement
exT>rimées - il svffisait <le prendre le contre-pied des règles
étahlies par Ie Code au titre des Contrats.
Cette méthode d'interprétation, appliquée à l'article
1151, fit décider que débiteur contractuel, même coupable de
dol, n'est responsahle que des dommages directs, mais qu'en
rennche }'auteur <l'un quasi-délit est toujours responsahle
de tovs les dommaa:es, même indirects, qui en sont résultés :
il doit, clit-on, réparer dans son intégralité Ie préjudice causé.
55. Raisonner de la sorte n'est pas seulement com-
mettre un contresens historique, c'est aussi consacrer une
solution paradoxale : il faudrait admettre alors que }'auteur
d \me faute quasi-délictuelle, peut-être légère, serait chargé
d 'une responsabilité infiniment plus lourde - puisqu 'elle
RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS 71

engloberait même les conséquences indirectes de sa faute -


que le débiteur contractuel coupable de dol ou de mauvaise
foi. Conséquence assurément choquante, et que l'on n'a pas
manqué de souligner 1 •
La thèse suivant laquelle l'auteur d'un quasi-délit
serait tenu des conséquences mêmes indirectes de son acte
fait naître en outre des problèmes dont la solution apparaît
impossible : ira-t-on jusqu'à dire que l'auteur d 'un délit ou
d 'un quasi-délit sera responsable à l 'infini de toutes les
suites de son acte, quelque lointaines qu 'elles soient et
quelque nomhreux que soient les facteurs dont l 'interven-
tion conihinée les a rendues possihles P C.e serait évidemment
inadmissihle. Mais comment désormais fixer la limite ? Au
lieu de la distinction à deux branches ( dommages directs,
dommages indirects) qui existait seule dans l'ancien droit,
nous sommes en présence d 'une distinction à trois branches
( domma~·es directs, dommages indirects, dommages ne
donnant pas lieu à réparation à raison de l'ahsence d'un
lien de causalité suffisant avec Je fait incriminé). Dans
] 'ancien droit ces deux dernières catégories se confondaient,
et le sens de l 'expression dommages indirects était relative-
ment clair. Mais leur dissociation, amvre des commentateurs
du XIX siède, oblige logiquement ceux qui l 'adoptent à
0

donner du dommage indirect une définition nouvelle, qui


permette dele différencier à la fois, d 'une part, du dommage
direct. d 'autre part, du dommage trop éloigné qui résulte
2
d 'autres causes •

Non seulement cette définition n 'a jamais été donnée,


mais les auteurs qui ont étudié la question et qui se sont
efforcés de distinguer Ie dommage indirect du dommage qui
n 'a plus pour cause véritahle le fait incriminé, sont arrivés

1 MAZEAUD, Traité, II, n° 1670, p. 158.

• Un jugement du tribunal de commerce d'Anvers (31 mai 1912.


.P P., 1912, 1235), après avoir décidé que l'auteur d'un quasi-délit doit
réparer les conséquences même indirectes de son acte, ajoute que néan-
moins, le lien de causalité entre le fait et le dommage doit ~tre « cer-
tain et établi "·
72 RESPONS'.>\BILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS

à la conclusion que, cette dissociation est impossible, et que Ie


dommage indirect tel que doivent Ie concevoir les auteurs
du XIX" siècle ne répond à aucune réalité spécifique 1 •
Dès lors il faut restituer aux expressions dommages
directs et indirects Ie sens qu 'elles avaient dans ! 'ancien
droit, entendre par dommage indirect celui dont Ie fait cul-
peux n'a été que !'occasion ou qui résulte d'autres causes,
et décider que même en matière extra-contractuelle il n'est
2
jamais dû réparation d 'un pareil dommage •

56. L 'opinion contraire, adoptée par certains auteurs,


est en opposition avec une tradition séculaire que les auteurs
du Code Civil n'ont pas voulu rompre. Elle n'a d'ailleurs eu
aucune influence sur les constructions techniques du droit
positif, puisqu 'ellen 'a pas réussi à élaborer une notion nou-
velle du dommage indirect, et dès lors la controverse soule-
vée par l 'artide 1151 devrait être close une fois pour toutes.

SEGTION UI. GARANTIES


ASSURANT TA RÉPARATION

57. Différences secondaires entre les deux


responsabilités : A) Les garanties person-
nelles ou réelles prévues par Ie contrat. -
58. B) Règles spéciales, plus rigoureuses,
propres à la responsabilité délictuelle :
1° Contrainte par corps ; 2° Exécution sur
les biens insaisissables.

57. Selon que la responsabilité est contractuelle ou


délictuelle, les moyens dont dispose Ie créancier pour exé-
cuter la condamnation au paiement de dommages et intérêts
varient.
Le principe, il est vrai. est Ie même : Ie débiteur est

1
MARTEAU, thèse, pp. 214 et s.; DEMOGUE, Oblig., t. IV, n° 462.
2
En ce sens : MAzEAun, Traité, IJ, n° 1675.
RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS 73

tenu cl' exécuter sur tous ses biens, tant les obligations cléri-
vant de la loi que celles qui sont nées d'un contrat oude son
inexécution. Mais sur deux points importants la situation de
la victime diffère d 'après la nature de la responsabilité
engagée.
1 ° Les garanties personnelles ou réelles prévues par les
parties clans leur convention et destinées à assurer l 'exécu-
tion de celle-ci, peuvent être utilisées par le créancier pour
assurer le recouvrement des dommages et intérêts qui lui
sont dus à raison de l 'inexécution ou de l 'exécution défec-
tueuse du contrat.
Expressément formulée par de nombreux auteurs à
propos du cautionnement 1 , cette règle, qui repose sur une
interprétation raisonnable de l 'intention des contractants,
doit être étendue à toutes les autres sûretés affectées à la
2
garantie d 'un contrat •

Par contre, si Ie créancier se prévaut d'une faute délic-


tuelle, il ne saurait invoquer à son profit des garanties excep-
tionnel1es que les parties avaient prévues dans le seul but
cl'assurer l'exécution de leurs conventions.
58. 2° Mais cl 'autre part, la réparation du dommage
causé par les délits ou les quasi-délits est soumise à certaines
règles rigoureuses qui leur sont propres.
a) L 'exécution de la condamnation peut, dans certains
cas, être obtenue par la voie de la contrainte par corps. Lors-
que le fait illicite constitue une infraction pénale, le juge
répressif doit prononcer la contrainte par corps pour assurer
le recouvrement des dommages et intérêts toutes les fois que
la partie civile le demande. En matière civile ou commer-
ciale, il a la faculté de la prononcer, lorsqu'elle lui est deman-
_dée par la victime, non point seulement si le fait domma-
geable est réprimé par la loi pénale, mais également lorsque

1
PLANIOL, Traité élém., t. Il, n° 2327 ; Répert. de dr. belge, V° Cau-
tionnement, n° 20, et les références citées.
2
En ce sens : MAZEAUD, Traité, JI, n° 2467 ; MmGNIÉ, th/>se, p. 119 ;
Bm;N, thèse, n° 65.
74 RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS

le fait, sans constituer une infract_ion, a été commis mécham-


ment ou de mauvaise foi '.
L 'inexécution d 'un contrat ne pourrait au contraire
2
jamais justifier l'application de la contrainte par corps ;

b) L 'indisponibilité ou l 'insaisissabilité de certains


biens, qui empêche les créanciers contractuels de faire valoir
leurs droits sur eux, ne forme pas toujours obstacle à
l'exécution forcée d'une condamnation à des dommages et
intérêts délictuels.
Tel est Ie cas, par exemple, pour l 'indisponibilité de la
dot de la femme mariée : elle empêche les créanciers person-
nels de la femme de se payer sur les biens dotaux ; mais si
la créance invoquée résulte d 'un délit ou d 'un quasi-délit,
elle peut être exécutée sur ces mêmes biens a.
L'insaisissabilité créée par Ja volonté de l'homme n'est
pas non plus opposable au créancier délictuel, et les biens
légués ou donnés avec stipulation d 'insaisissahilité demeu-
rent néanmoins affectés à la garantie des ohligations délic-
tuelles de leur nouveau propriétaire •-
Il faudrait même, d 'après divers auteurs, généraliser
la règle à tous les cas ou l'insaisissabilité, instituée par la
loi, est établie non point dans un intérêt public, mais pour
la protection d 'un intérêt privé. Une telle insaisissabilité,
opposable à celui qui a consenti volontairement à devenir
créancier de la personne protégée, ne Ie serait pas quand
la créance est née par l 'effet de la loi s.
1
Loi du 27 juill. 1871, articles 2 et 3 ; Répert. prat. de dr. belge,
V° Contrainte par corps, n°• 9, et s. La situation est différente en France :
v. MEIGNIÉ, thèse, p. 120, note l.
• Si l 'inexécution est dolosive, la responsabilité du débiteur est
délictuelle : v. supra, n°• 48 à 50.
3
Répert. prat. de dr. belge, V° Contrat de mariage n° 1150 ; Huy,
31 juill. 1913, Pas., 1913, 3, 315. - Dans Ie même sens : PLANJOL et
füPERT, t. IX, n°• 1160 à 1165 ; MAzEAUD, Traité, Il, n° 2476 ; BRUN,
thèse, n° 66 et les références citées. Il convient d'observer cependant
qu 'en aucun cas les créanciers personnels de la femme ne peuvent
porter atteinte au droit de jouïssance du mari sur les biens dotaux :
V. MAzRAUD, loc. cit.
• MAzEAUD, loc. cit.
4
MAzEAun, loc. cit.; DEMOGUE, t. IV, n°• 479 et 480.
RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS 75

Quoi qu'il en soit, il demeure certain que l'insaisissa-


bilité, tant conventionnelle que légale, est toujours opposable
aux créanciers contractuels, mais ne l'est pas toujours aux
créanciers délictuels.
§ 2.

59. Les dommages et intérêts dus par


plusieurs débiteurs. Hypothè~es envisagée~.
- 60. Règles appliquées à la responsabi-
lité délictuelle. - 61. Règles appliquées en
matière contractuelle. · - 62. Conclusion.

59. Reste encore à étudier la situation de la victime


lorsqu 'elle se trouve en présence de plusieurs débiteurs, soit
que la faute - contractuelle ou délictuelle - ait été com-
mise par plusieurs personnes, soit que le préjudice pro-
vienne d 'une faute de chacun des coobligés qui a concouru
à produire l'entier dommage. Suivant }'opinion générale-
ment admise, les garanties dont la victime dispose en pareil
cas dépendent de la nature de la responsabilité 1 •
60. Les co-auteurs d'une faute délictuelle ne sont point,
en principe, des débiteurs solidaires : pour qu 'il en fût autre-
ment, il faudrait une disposition expresse de la loi. Pareille
disposition n'existe que pour les faits réprimés par la loi
2
pénale •

Mais l'article 1382 obligeant celui qui cause un dom-


mage à Ie réparer, doctrine et jurisprudence en concluent
généralement que les co-auteurs d 'une même faute ou ceux
qui ont concourru à la production de l'en tier dommage sont
obligés chacun d 'en réparer intégralement les conséquences
ils sont tenus in solidum •.

1 Si plusieurs fautes distinctes ont concouru, chacune dans une

mesure déterminée, à produire le dommage, il y a toujours lieu de


répartir la responsabilité en proportion de la gravité des fautes : comp.
supra, n° 18.
2 Article 50 du Code Pénal.

3 PLANIOL et R1PERT, t. VII, n° 1070. MAZEAUD, Traité, II, n°• 1639

et 1944 ; Gand, 16 nov. 1929, Jur. Comm. des Flandres, 1929, p. 327 ;
Bruxelles, 31 mai 1929, Rev. gén. ass. et resp., 1929, n° 477 ; 18 jan-
76 RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS

61. En matière contractuelle, on applique souvent à la.


dette de dommages et intérêts Ie principe que l 'article 1202
exprime pour les obligations conventionnelles elles-mêmes :
la solidarité n'existe que si elle est expressément stipulée 1 •
En l 'absence de pareille stipulation, la victime doit di viser
son recours. Encore convient-il de rappeler la jurisprudence
suivant laquelle, en matière commerciale, la solidarité résulte
d 'une convention tacite ou d 'un usage.
Mais l'application de l'article 1202 à la dette de
dommages et interêts prête Ie flanc à la critique : l'arti-
cle 1202 concerne les obligations conventionnelles propre-
ment dites, et il ne doit pas être étendu aux dettes nées de
la faute commise par Ie débiteur envers Ie créancier. Il paraît
plus Iogique d'appliquer aux conséquences de la faute con-
tractuelle, Iorsque Ie préjudice a été causé par plusieurs
personnes, les mêmes règles qu'en matière délictuelle : si
la faute a été commise par plusieurs, ou si plusieurs per-
sonnes ont commis chacune une faute contractuelle qui a
concouru à produire l'entier dommage, elles sont tenues
in solidum d 'en réparer les conséquences 2 • La jurisprudence
paraît d 'ailleurs orientée en ce sens. Déjà en 1864 la Cour de
Cassation de Belgique, saisie d'un pourvoi contre un arrêt
qui avait condamné solidairement plusieurs mandataires à
des dommages et intérêts envers leur mandant, l'a rejeté en
décidant que « la faute commune et identique, qui n'admet
point l 'idée d 'une imputabilité partielle, entraîne la respon-

vier 1930, Rev. Dr. Pénal, 1930, p. 383. Voy. l'étude de M. J. REY, B. J.,
1926, 5] 4. - La jurisprudence française récente admet même l 'existence
d 'une solidarité véritable entre coauteurs d 'un quasi-délit : PLANIOL et
füPERT, t. VII, n° -1069, in fine. Il convient par contre de rappeler que
l 'article 251 de la loi maritime institue en matière d 'abordage un régime
particulier, moins favorable à la victime, pour Ie cas de faute commune.
1
Bruxelles, 19 janv. 1895, Pas., 1895, 2, 333 ; MAzEAUD, Traité, II,
n° 8 1638 et 1940 ; JossERANn, Cours de Dr. Civ., II, n° 481 ; BRUN, thèse,
n° 65 ; MEIGNIÉ, thèse, ·p. 119 ; LALou, op. cit., n° 37 ; SouRDAT, op. cit.,
t. I, n° 475 ; BONNET, Rev. crit., 1912, p. 427.
2
En ce sens : PLANIOL et R1PERT, t. VII, n° 1071 ; DEMOGUE, t. VI,
n° 307. - Pour la responsabilité « in solidum » de ! 'architecte et de
! 'entrepreneur : Rép. prat. de ri.r. beige, V0 Devis et Marchés, n° 322.
.RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS 77

sabilité entière de chacun de ceux qui, par leur concours, en


ont amené la perpétration » 1 • La jurisprudence française
paraît s 'engager également dans cette voie 2 •
62. Nous pouvons donc conclure de ce qui précède
1° Que suivant une certaine doctrine, la situation de la
victime, lorsqu'elle a plusieurs débiteurs responsables, est
plus favorable quand Ie débat se meut sur Ie terrain de la
responsabilité délictuelle ;
2° Que cependant la jurisprudence tend à assimiler à
eet égard les oblig·ations délictuelles et contractuelles, et à
reconnaître dans les <leux ras l'existencc d'une responsabilité
in solidum.

IL L' action en responsabilité

SEcnoN I. C:oMPihENCE

63. Différences relatives à la compétence


d 'attribution. - 64. Différences relatives
à la compétence ratione loci.

63. Les tribunaux compétents pour connaître d'une


action en responsabilité contractuelle ne sont pas nécessai-
rement les mêmes que ceux auxquels peut être soumise une
action délictuelle : à eet égard Ie demandeur aura donc sou-
vent intérêt à déterminer avec soin la base juridique qu'il
donne à son action.
Les règles générales de la compétence d'attribution
sont, il est vrai, les mêmes dans les deux cas : les obligations

1
17 mars 1864, Pas., 1864, 1, 217.
• V. notamment Cass. Fr., 3 juin 1902, Pas., 1903, 4, 41 ; Req.,
27 déc. 1921, D., 1922, 1, 109. - Toutefois, par un arrêt du 6 avril 1927
(S., 1927, 1, 201, note H. Mazeaud), la Chambre civile a cassé une
décision qui avait admis la solidarilé entre mandataires en foute vis-
à-vis de leur mandant. Sur eet arrêt et sur la jurisprudence française
en général, v. PLA'!IOL et RIPERT, t. VIT, n° 1071 ; v. également DEMOGUE,
t. VI, n° 307.
78 RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS

délictuelles sont, comme les obligations contractuelles, de


la compétence du juge de paix si Ie montant de la demande
n'excède pas 2.500 francs ; de la compétence du tribunal de
commerce, si Ie délit ou Ie quasi-délit ont été commis par
un commerçant, à moins que l'acte ne soit étranger au com-
merce 1 ; de la compétence du tribunal civil dans tous les
autres cas.
Mais les règles sont parfois différentes quand la compé-
tence dérive d 'une attribution spéciale de juridiction : les
tribunaux répressifs connaissent des actions civiles en répa-
ration du préjudice causé par des infractions, mais non des
actions en responsabilité fondées sur l'inexécution des con-
trats. Par contre, les conseils de prud 'hommes connaissent
eniquement des contestations qui trouvent leur source direc-
tement dans Ie contrat de louage de tranil : l'action fondée
sur un délit ou un quasi-délit, même commis à l 'occasion
des rapports qu'engendre l'exécution du contrat, échappe à
2
leur compétence Le juge de paix, qui connaît des contes-

tations relatives aux engagements respectifs des gens de tra-


vail et de ceux qui les emploient (loi du 25 mars 1876, art. 3,
5°) et des contestations relatives aux ventes de semences,
d 'engrais et de substances destinées à la nourriture des ani-
maux (id., art. 3, 13°), ne serait pas non plus compétent si
l 'action était fondée sur une faute délictuelle •.
Dans tous ces cas, les actions en responsabilité délic-
tuelle demeurent soumises au droit commun 4 •

' Répert. de dr. belge, V° Commerce-Commerçant, n°• 374 à 422.


En France : v. H. LALOU, op. cit., n° 241.
2
Répert. prat. de dr. belge, V° Conseil de Prud'hommes, n° 201.
V. Prud'hommes Verviers, 17 juin 1931, Jur. Liége, 1931, p. 212 : Ie con-
seil de prud'hommes ne peut connaître d'une demande de dommages
et intérêts pour " congé donné dans des termes outrageants n.
" Comp. Répert. prat. de dr. beige, V° Compétence en mat. civ. et
comm., n°• 303 et 379.
• Par contre Ia compétence du tribunal de commerce pour les con-
testations entre administrateurs et associés pour raison de la société
(art. 12, 2° de la loi du 25 mars 1876) et pour les contestations relatives
aux services confiés à la poste ( art. 50 de la loi du 30 mai 1879) existe
aussi bien pour les actions fondées sur des délits ou des quasi-délits
que pour les actions ·contractuelles (Répert, prat, de dr. beige, V0 cit.,
RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS 79

64. Les actions en dommages et intérêts étant de nature


mobilière, elles sont régies, en ce qui concerne la compé-
tence territoriale, par les articles 39 et 42 de la loi sur la
1
comp~tence : elles peuvent être portées, soit devant le juge
du dornicile du défendeur soit <levant Ie juge du lieu dans
lequel l'obligation est née ou dans lequel elle doit être ou
2
a été exécutée •

Mais, suivant que la responsabilité est contractuelle ou


d01ictuelle, l'application de ces règles conduira à des résul-
tats différents, car Ie lieu ou na'Ît l 'obligation de réparer le
préjudice At le lieu ou cette obligation doit être exécutée ne
sont pas nécessairement les mêrnes dans les deux cas : l'obli-
gati:m de réparer le préjudice causé par une faute contrac-
tuelle naît toujours et doit être exécutée au lieu ou la faute
est rnmmise •; il n'en est pas de même de l 'obligation de
réparer les conséquences d 'une faute délictuelle : elle prend
naissance au lieu ou Ie préjudice apparaît •.
Souvent d 'ailleurs, les contrats contiennent, soit une
élection de domicile, soit une clause attrihutive de compé-

n°8 519, 567 et 568). La compétence du juge de paix pour les dommages
momentanés causés par Ie gibier (loi du 25 mars 1876, art. 3, 8°)
existe même si l'action se meut entre propriétaire et fermier de chasse,
et se fonde sur une clause du bail de chasse (Répert. prat. de dr. belge,
eod. V0 , n° 331). L'interdiction, pour les tribunaux de commerce, de
connaître des contestations ayant pour objet la réparation d 'un dom-
mage corporel (art. 1 de la loi du 27 mars 1891) reçoit application sans
distinguer si l'action a pour cause une obligation contractuelle ou une
obligation délictuelle (Réperl. prat. de clr. belge, V0 cit., n° 640).
1
L'article 42 s'applique aussi bien aux obligations délictuelles ou
quasi-délictuelles qu'aux autres : Rép. de dr. belge, V° Compét. civ.,
n° 1522; DE PAEPE, I, p. 134; Comm. Conrtrai, 10 mai 1930, J. Comm.
Fl., 1930, p. 87.
2
Tl n 'y aurait d 'exception que pour les demandes accessoires de
dommnges et intérêts, jointes à une action en revendication, et qui
devraient être portées, avec cette dernière, <levant le juge de Ja situation
de l ïmmeuble (art. 46, parag. 2).
1
· llruxelles, 28 act. 1911, Pas., 1912, 2, 19; Comm. Garni, 22 fé-
vrier 1902, Pas., 1902, 3, 237.
4
Répert. prat. de clr. belge, V0 cit., n°• 1548 et 1549. La question
est toutefois controversée, et ] 'on admet parfois que l'obligation naît
au lieu ou !'acte illicite est commis : Bruxelle, 27 janvier, 1910, P. P.,
1910, 286.
80 RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS

tence, qui défèrent la connaissance des actions en respon-


sabilité nées du contrat à un tribunal choisi par les parties.
Ce tribunal ne pourrait pas connaître des actions fondées sur
des délits ou des quasi-délits, qui demeurent soumises au
droit commun 1 •
Enfin les contestations auxquelles donnent lieu certains
contrats déterminés sont soumises, en ce qui concerne la
compétence territoriale, à des règles spéciales : ainsi les
litiges en matière d'assurances doivent toujours être portés
<levant Ie juge du lieu ou se trouvent, suivant les cas, les
choses assurées ou Ie domicile de l'assuré (art. 43bis de la
loi sur la compétence) : une action délictuelle échapperait à
ces règles exceptionnelles 2 •

SECTION Il. PRESCRIPTION

65. Prescriptions abrégées et déchéances


en matière contractuelle. - 66. En ma-
tière délictuelle. - 67. Conclusion.

65. La durée de la prescription des actions en respon-


sabilité contractuelle est, en règle générale, identique à celle
des actions délictuelles : trente ans.
Mais la règle comporte beaucoup d'exceptions: de nom-
breuses dispositions légales ont institué, pour la prescription
de certaines actions contractuelles déterminées. un terme
infiniment plus bref. Bornons-nous à en citer quelques-uns,
à titre d'exemple : dix ans pour la garantie due par les archi-
tectes et les entrepreneurs au cas de perte totale ou partielle
de l 'édifice par suite de vices de construction ou du sol ( art.
1792 et 2270); 6 mois pour les actions nées du contrat de

1 BRuN, thèse, n° 42.

• En France et en Italie, les différences qui séparent les deux actions


en responsabilité au point de vue de la compétence sont plus impor-
tantes : les règles propres aux actions contractuelles sont plus nom-
breuses (v. BRuN, thèse, n°• 41 et 42) et, en !talie, les commerçants ne
sont pas justiciables des tribunaux de commerce si l 'action est fondée
sur une obligation délictuelle.
RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS 81

travail (art. 6 de la loi du 10 mars 1900); 1 an pour les


actions nées du contrat d 'emploi ( art. 28 de la loi du
'
7 août 1922); 3 ans pour les actions dérivant d'une police
d'assurance terrestre, à compter de l'événement qui y donne
ouverture (art. 32 de la loi du 11 juin 1874); 6 mois pour
les actions nées du contrat de transport de choses ( un an
s'il s'agit d'un transport international); un an pour les
actions nées du contrat de transport terrestre de personnes
( art. 9 de la loi du 25 août 1891) ; un an pour l' action en
responsabilité pour pertes et dommages dirigée contre Ie
transporteur maritime (loi maritime, art. 91, A, par. 111,
6° et 266).
Le créancier qui réclame des dommages et intérêts à
son débiteur, et qui a laissé passer la courte prescription de
son action contractuelle, a Ie plus grand intérêt à placer Ie
débat, s'il Ie peut, sur Ie terrain de la responsabilité délic-
tuelle : l'expéditeur d'une marchandise qui a attendu plus de
six mois avant d 'intenter une action en dommages et inté-
rêts, s'efforcera de démontrer que la perte ou l'avarie dont
il se plaint sont imputables à un délit ou à un quasi-délit du
transporteur '.
Il en est de même quand Ie créancier a laissé jouer contre
lui une des déchéances particulières qui frappent souvent
les actions contractuelles : est par exemple déchu de son
droit contre Ie transporteur Ie destinataire qui reçoit les mar-
chandises sans formuler ses résenes dans les formes pres-
crites par la loi ( art. 7 de la loi du 25 août 1891).
66. Mais parfois la situation est exactement inverse
c 'est l 'action délictuelle qui se prescrit rapidement, et la
victime a tout intérêt à fonder son action, si elle Ie peut,
sur la violation d 'un contrat. Les dérogations légales à la
prescription trentenaire, sont cependant rares en matière de
2
responsabilité délictnelle Mais l \me d 'entre elles est d 'une

1 Cf. Paris, 4 mars 1925, G. T., 26 mars 1925.

• On ne peut guère citer que la prescription de deux ans pour les


actions en réparation des dommages causés par un ahordage (loi mari-
time, art. 270).
82 LA RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS

importance capitale : si Ie délit civil constitue en même


Lemps une infraction pénale, l 'action en dommages et inté-
rêts de la victime est soumise à la même prescrition que
l'action publique (10 ans, 3 ans, 6 mois, suivant qu'il s'agit
d'un crime, d'un délit ou d'une contravention)1. ·
Si elle était engagée dans les liens d 'un contrat avec Ie
coupable, la victime conservera encore la ressource d 'inten-
ter l'action civile en responsabilité qui dérive de l'inexécu-
tion du contrat : la victime d 'un abus de confiance peut
même après 3 ans, se prévaloir de l 'inexécution du contrat
2
de dépot Encore faut-il que les faits matériels constituant

l 'inexécution ne coïncident pas avec ceux qui sont érigés en


infraction pénale, car l 'abréviation de la prescription s 'appli-
que à toute action en dommages et intérêts quelconque fon-
dée sur les faits constitutifs d'infraction, quelle que soit la
qualificatiou juridique qui leur est donnée •.
67. En présence de la diversité extrême des dispositions
qui règlent la prescription ou la déchéance des actions en
dommages et intérêts, l 'intérêt de la victime sera tour à
tour de maintenir Ie débat sur Ie terrain contractuel ou de
Ie transporter sur Ie terrain délictuel.

1 Loi 17 avril 1878, articles 21 à 23.


2
Répert. de dr. belge, V0 Action Civ., n° 369, ncte J. VAN RYN,
Rev. gén. des assur. et resp., n° 870 ; MAZEAUD, II, n° 2138. La victime
aura plus souvent intérêt à maintenir Ie débat sur Ie terrain délictuel,
mais en fondant son action sur les articles 1384 et suivants, et non sur
l 'article 1382 : v. notre note précitée ; BRuN, thèse, p. 239.
• Cass., 1er mars 1894, B. J., 1894. col. 641 ; v. notre note p1écitée ;
r:ontra : MAzEAUD, loc. cit.
RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS 83

SEcTION lil. ExcEPTIONs ET oÉFENSES


OPPOSABLES .?\ L 'ACTION CONTRACTUELLE SEULE

68. A. Exception tirée de la nullité du


contrat. - 69. Exception non adimpleti
contractus. - 70. Clauses limitatives et
élisives de la responsabilité. - 71. B. Excep-
tion déduite de }'absence de mise en de-
meure. Portée de l'article 1139 du Code
Civil. - 72. lnapplicabilité de l 'article 1139
à la responsabilité délictuelle.

68. A. En se basant sur Ja faute contractuelle dè son


adn,rsaire, Ja victime se verra souvent opposer des excep-
tions qui, suivant le droit commun, ne pourraient pas tenir
en échec une action délictuelle.
Le débiteur poursuivi par son créancier à raison de
l 'inexécution du contrat, peut, le cas échéant, en solliciter
par voie d'exception l'annulation, soit pour incapacité, soit
pour vice de consentement, soit pour lésion 1 • Cette excep-
tion ferait nécessairement échouer l'action intentée, car la
responsabilité contractuelle implique l 'existence d 'un con-
trat valable : elle n'est elle-même qu'une suite de la con-
vention, et repose, comme les clauses principales, sur
l 'accord des volontés, dont elle a pour but d 'assurer Ie res-
pect. Si Ie contrat est annulé, la responsabilité contractuelle
n'a plus de raison d'être et disparaît inévitablement avec
lui 2 •
S'il se croit exposé à une exception de ce genre, Ie
demandeur agira prudemment en fondant son action, quand
la chose est possible, sur une faute délictuelle de son
<lébitenr.
69. Quand Ie contrat est synallagmatique, Ie débiteur
dispose d'un moyen de défense propre à cette catégorie de
conventions : l'exception non adimpleti contractus ".
1 Il pourrait aussi en faire constater la nullité absolue, notamment

en cas d 'absence complète de consentement. L 'acheteur pourrait oppo-


ser la nullité de la vente, si l'objet vendu était la propriété d'un tiers.
2
MAzEAUD, I, n°• 130 et 134.
3
V. à ce sujet : PLANIOL et RIPERT, t. VI, n°• 438 à 461.
84 RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS

Ainsi, lorsqu'un locataire se plaint du mauvais entretien


de l 'immeuble, qui lui a causé préjudice, Ie bailleur pourra
faire rejeter la demande de dommages et intérêts, s'il établit
que Ie locataire restait en défaut de payer les loyers : en pareil
cas Ie défaut d'entretien de l'immeuble cesse de constituer
une faute contractuelle dans Ie chef du bailleur, car les obli-
gations d 'un contrat synallagmatique doivent s 'exécuter
trait pour trait.
Mais Ie locataire ne peut-il pas se placer sur Ie terrain
déliétuel et invoquer contre Ie bailleur, comme Ie pourrait
toute autre personne, l'article 1386 du Code Civil, qui rend
le propriétaire d 'un immeuble de plein droit responsable du
dommage causé par un mauvais entretien ou un vice de cons-
truction 1 ? On aperçoit immédiatement l 'intérêt pratique de
la question.
70. Le défendeur peut opposer à l'action en dommages
et intérêts qui lui est intentée les clauses spéciales de la con-
vention elle-même, par lesquelles les parties dérogent sou-
vent au droit commun de la responsabilité contractuelle :
soit qu'elles aient fixé de commun accord Ie taux des dom-
mages et intérêts à une somme minime ( art. 1152 du Code
Civil), soit qu'elles aient stipulé qu'aucune indemnité ne
2
serait due soit enfin qu 'elles ai ent soumis I' exercice du
,

recours en dommages et intérêts, à peine de déchéance, à


des conditions particulièrement rigoureuses ( délai, forma-
lités préalables, etc.)
Ces clauses sont de plus en plus fréquentes actuellement,
et la tentation est forte, pour Ie créancier, d 'y échapper en
donnant à son action une autre base juridique. Y réussira-
t-il s'il relève dans Ie chef du débiteur, outre un manque-
ment au contrat, une faute délictuelle et s'il intente un procès

1 Bruxelles, 5 avril 1930, Rev. gén. ass. et resp., 852, et la note

d 'observations.
• La validité des clauses d'exonération de la responsabilité contrac-
tuelle, réserve faite du cas de dol et de faute lourde, n'est plus à présent
discutée : v. notre étude sur ces clauses, Rev. gén. ass. et resp., 703 :
MAZEAUD, Traité, Il, n°• 2519 et s.
RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS 85

en responsabilité délictuelle? N 'est-ce pas méconnaître la


volonté commune des parties? Beaucoup d'auteurs l'ont
pensé, et pour ce motif ont prononcé contre l 'intervention
de la responsabilité délictuelle entre contractants une exclu-
sive générale et absolue 1 •
71. B. Le défendeur pourra enfin, Ie cas échéant, objec-
ter à l'action contractuelle l'absence de mise en demeure, car
suivant l'article 1146 du Code Civil, « les dommages et inté-
rêts ne sont dus que lorsque Ie débiteur est en demeure de
remplir son obligation », et la mise en demeure s 'opère en
principe par une sommation ou par un autre acte équiva-
lent ( art. 1139). Cette défense pourrait être présentée en
tout état de cause, car elle touche Ie fond du litige 2 •
La mise en demeure préalable n'est pas, il est vrai, une
condition nécessaire pour qu \me action en responsabilité
contractuelle soit recevable •; elle n 'est même pas toujours
nécessaire pour que la responsabilité contraduelle soit enga-
gée, hien que les termes trop absolus de l 'article 1146 aient
pu faire croire Ie contraire •.
Mais elle est incontestablement requise toutes les fois
que Ie préjudice <lont Ie créancier demande réparation a pour

1
V. infra, n°• 241 à 247.
• Bruxelles, 14 nov. 1884, Pas., 85, 2, 42.
• Les articles 1145 et 1146 in fine prévoient eux-mêmes divers cas
dans lesquels la mise en demeure est inutile : lorsqu'il y a violation
rl 'une obligation de ne pas faire, lorsque l 'obligation de faire ou de
rlonner ne pouvait être accomplie que dans un certain temps que Ie
rlébiteur a laissé passer.
"' Sur l 'évolution de la rloctrine, à eet égard, v. MmGNrÉ, thèse,
pp. 69 et s. Il est généralement admis à présent que la mise en demeurc
n'est pas requise lorsque Ie créancier se prévaut d'une inexécution défi-
nitive de la convention ou d'un refus catégorique d'exécution, et non •,"--
rl'un simple retard : v. PLANIOL et RrPERT, t. VI, n° 489; MAzEAun, II,
n° 2276; Cass. 9 févr. 1922, Pas., 1922, l, 155; Bruxelles, 16 janv. 1920,
Pas., 1920, 2, 10; 29 nov. 1929, Pas., 1930, 2, 131 ; 5 avril 1930, Rei•.
gén. ass. et resp., n° 852 ; Comm. Anvers, 23 janv. 1871, J. A., 1871,
1, 91 ; 4 mai 1891, Id., 1893, 1, 206; 29 avril 1903, ld., 1903, p. 231 ,
Charleroi, 24 mars 1883, Pas., 1883, 3, 291 ; Comm. Bruxelles,
ier mars 1906, Jur. Comm. Bruxelles, 1906, p. 470 ; 21 mars 1924, Id.,
1924, p. 294. Contra : Bruxelles, 14 nov. 1884, Pas., ] 885, 2, 42.
86 RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS

cause un retard dans l'exécution 1, car le retard dans l'exé-


cution ne constitue une faute contractuelle que s'il a eu lieu
contre Je gré du créancier ; or, Ie débiteur, s'il n'a reçu
aucune réclamation du créancier, pouvait légitimement
croire que celui-ci n 'avait pas besoin d 'une exécution immé-
diate : Ie silence du créancier vaut, en d'autres termes, pro-
2
rogation tacite du terme •

Pour établir que Ie retard dans l'exécution est culpeux,


le créancier doit donc démontrer qu'il avait exigé l'exécu-
tion, c'est-à-dire qu 'il avait mis Je débiteur en demeure.
S'il ne l'a point fait, il ne pourra_réclamer réparation
du préjudice que ce retard lui a causé ~ dommages et intérêts
moratoires). Il serait même privé de son droit à des dom-
mages et intérêts compensatoires, si la prolongation du
retard avait finalement rendu la prestation impossible •.
Une mise en demeure est également nécessaire pour
obtenir réparation du préjudice que subit Ie créancier, lors-
que Ie débiteur tarde à lui payer les dommages et intérêts
compensatoires destinés à réparer Ie préjudice provoqué par
l'inexécution du contrat ; du fait que Ie vendeur ne verse
pas à l'acheteur, au jour ou il devait s'exécuter, une somme
suffisante pour l 'indemniser de l 'inexécution du contrat, il
lui cause un second préjudice, mais r.omme ce préjudice a
pour origine un retard, il ne peut donner lieu à réparation
qu 'à partir du moment 011 Ie débiteur a été mis en demeure
de s 'exécuter '.
72. En revanche, l 'ahsence de mise en demeure ne fera
jamais obstacle à l'allocation de dommages-intérêts en ma-
W,re rlélictuelle : les obligations légales doivent toujours

1 En ce sens : Mmc;,.;rÉ, thèse, pp. 72 à 74 ; PLANIOL et RrPERT, t. VI,

n° 489 et t. VII, n° 828. Il faut mettre à part quelques cas exception-


nels oû, par dérogation au principe de l'article 1146, des dommages et
intérêts moratoires sont dus sans mise en demeure : v. MAzEATTD, II,
n°• 2278 à 2284.
2
PLANIOL, Traité élémentaire, Il, n° 226.
• Tel serait Ie cas notamrnent si la chose due avait péri dans l'inter-
valle, par cas fortuit : v. PLANIOL, t. II, n° 227, p. 87.
• MAZE.~un, Il, n° 2277.
RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS 87

être exécutées, même si personne n 'a invité Ie <lébiteur à


faire ce qu'il doit, et Ie préjudice qui résulte de leur inexé-
cution ou du retard dans leur exécution doit toujours être
intégralement réparé 1 • L'accord est complet, d'ailleurs, aussi
2
bien en doctrine qu 'en jurisprudence •, pour reconnaître
,

qu 'une mise en demeure n 'est j amais requise pour que des


dommages et intérêts délictuels soient dus : si un particu-
lier tarde à faire procéder aux réparations nécessaires à sa
propriété et qu 'un passant soit blessé par une pierre détachée
de la façade, la responsabilité déliduelle du propriétaire est
engagée, bien qu'aucune mise en demeure ne lui ait été
adressée, alors qu'au contraire I'entrepreneur de tra,aux
qui se serait engagé par contrat à effectuer ces travaux
ne serait responsable des conséquences du retard que s'il
avait été mis en demeure •.
Si l'auteur d'un délit ou d'un quasi-délit tarde à régler
l'indemnité due à la -victime, celle-ci a droit à des dommages
et intérêts pour Ie nouveau préjudice que lui cause ce retard
et ces dommages et intérêts moratoires pren,dront cours au
jour même du dommage, car Ie préjudice doit toujours être
intégralement réparé, sans que la ,ictime doive manifester
sa volonté à eet égard, par exemple par une mise en demeure
de payer les indemnités dues •.
Lorsqu 'un déhiteur tarde à s 'exécuter, Ie créancier a
donc tout intérêt, s'il n'a pas notifié de mise en demeure

1
Tel est Ie cas pour l 'obligation de l 'Etat, en cas de réquisition
militaire, de payer la valeur de la chose réquisitionnée : Cass.,
11 mai 1923, Pas., 1923, 1, 303.
2
MAZEAUD, t. 11, n° 2296 ; PLANIOL et füPERT, t. VI, n° 489 et t. VII,
n° 828; CoLIN et CAPITANT, t. II, p. 17; MEIGNIÉ, thèse, pp. 75 et s.;
DEMOGllE, t. IV, n°• 465 à 468 ; AuRRY et RAu, t. VI, parag. 445, p. 352
et note 9 undecies ; BAuDRY LACANTJNERIE, t. IV, n° 2878 ; LAL<W, op. cit.,
n° 30; Pand. B., V0 Resp. Civ., n° 1234.
3
Req., 14 févr. 1868, D., 1868, 1, 271 ; Civ., 2 mars 1875, S., 1875,
1, 292; Req., 10 avril 1922, S., 1924, 1, 153, note Esmein. En Belgiquc:
Comm. Anvers, 11 mars 1895, J. A., 1895, 460 ; 9 mai 1895, Id., p. 299 ;
25 avril 1896, Id., 1896, 1, 347 ; 23 mars 1899, Pand. Pér., 1901, n° 1160 ;
Arlon, 19 mars 1902, P. P., 1905, n° 1380.
• MEIGNIÉ, thèse, p. 76.
5
MAZEAUD, Tl, n°' 2297 et 2323.
88 RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS

en temps utile, à placer Ie débat sur Ie terrain délictuel : il


pourrait Ie faire, par exemple, s'il réussissait à démontret
que Ie retard provient d 'une mauvaise volonté constituant
un véritable dol : Ie préjudice causé par Ie retard résulterait
alors d 'un délit civil, et Ie créancier pourrait en obtenir répa-
ration sans que }'absence de mise en demeure pût lui être
objectée 1 •

SECTION IV. CoNFLITS DE LOIS

73. Différence entre les deux responsabi-


lités.
73. Quand les parties au procès ne sont pas de la même
nationalité, quand la faute qui sert de base à l 'action en
responsabilité a été commise à l 'étranger, ou encore lorsque
Ie préjudice <lont il est réclamé réparation s'est réalisé dans
1m autre pays, se pose la question de Ia loi applicable au
litige.
La solution diffère, suivant que la responsabilité enga-
gée est délictuelle ou contractuelle, et l 'intérêt de la victime
diffèrera grandement d'une espèce à l'autre : elle s'efforcera,
cela va sans dire, de faire reconnaître à la responsabilité le
caractère qui permettra l 'application de la loi la plus
favorabJe.
Si la responsabilité est contractuelle. la loi qui Ja régit
est celle qui détermine l 'ensemble des effets du contrat •,
et dans l 'état actuel de la jurisprudence, cette loi est celle que
les parties ont expressément on tacitement adoptée • ; en
1 La Cour de Cassation de France a rejeté un pourvoi fondé sur

}'absence de mise en demeure en décidant que Ie demandeur avait été


condamné, non point à des intérêts moratoires, mais à des dommages
et intérêts à raison d'un quasi-délit commis par lui envers son co-con-
tractant; dès lors une mise en demeure n'était pas nécessaire : Req.,
25 févr. 1930, D. H., 1930, p. 211 ; v. également Req, 2 juill. 1929,
D. ll., 1929, 413: Ia mise en demeure était inutile lorsqu'il est démon-
tré que l'acheteur s'est dérobé par fraude à l'exécution de ses obligations.
• Répert. de dr. b., V° Contrat, n°• 850 et suiv.
• PouLLEr, Manuel de dr. intern. privé, n° 298. En France égale-
rnent, la responsabi!ité contractuelle est soumise à la loi choisie par les
parties : v. MAZEAUD, II, n° 2243.
RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS 89

!'absence de toute intention discernable, le juge se réfèrera


1
à la lex loci contractus •
Certaines décisions admettent toutefois que l 'exécution
du contrat et, par voie de conséquence, la responsabilité
contractuelle, sont régies par la lex loci solutionis 2 •
Conformément aux principes généraux du droit inter-
national privé, la loi étrangère ne pourra toutefois être appli-
quée que dans la mesure ou el1e ne heurte pas l'ordre public
international belge.
Si la responsabilité est délictuelle, elle est régie par la
loi du lieu ou Ie fait dommageable s'est produit. Qu'il
s 'agisse de rechercher si ce fait est susceptible d 'engendrer
une responsabilité quelconque, ou de déterminer l 'étendue
et les conditions de la réparation due, c 'est toujours à la loi
du lieu ou Ie fait a été accompli qu 'il faut se référer 1 •

' PouLLET, op. cit., n° 299 et les références citées. Certaines décisions
ont expressément reconnu que c'est la lex loci contractus qui régit les
dommages et intérêts contractuels : Comm. Bruxelles, 10 juin 1924,
J. C. B., 1924, p. 209 ; Anvers, 14 mai 1926, J. A., 1926, p. 132.
2
Bruxelles, 29 juin 1907, B. J., 1908, col. 277.
• PouLLET, op. cit., n°• 317 et suiv.; Liége, 8 janv. 1931, Pas., 1931,
2, 90. En France : PLANIOL et R1PERT, t. VI, n° 557, et les références citées ;
contra : MAzEAUD, II, n° 2241.
CONCLUSIONS

74. Arrivés au terme de cette longue étude compara-


tive, nous pouvons en résumer brièvement les conclusions :
I. Les responsabilités délictuelle et contractuelle sont
fondées sur les mêmes principes, et les prétendues différences
fondamentales relevées entre elles par les civilistes du
XIXe siècle reposent sur une série de postulats traditionnels
qui ne résistent pas à un examen approfondi.
1. Les règles qui organisent les deux responsabilités ne
sont nullement hors de l 'atteinte des conventions particu-
lières, car elles sont toutes deux des institutions d 'intérêt
privé.
2. Leur source commune est Ia faute, et celle-ci ne dif-
fère aucunement de nature suivant qu'elle se concrétise en
un manquement à la loi ou en une infraction aux conven-
tions des parties.
3. Les différences que I 'on relève généralement entre
les deux responsabilités, en ce qui concerne la charge de la
preuve et la capacité requise pour pouvoir être déclaré res-
ponsable, sont dépourvues de fondement en droit positif :
la faute doit toujours être prouvée par celui qui l'allègue ;
d 'autre part, la capacité juridique n'est point nécessaire,
même en matière contractuelle, pour que puisse naître une
obligation valable d 'indemniser la victime : Ie discernement
suffit.
II. Mais Ie Iégislateur a réglementé différemment les
RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS 91

conséquences de la faute en matière délictuelle et en matière


contractuelle.
1. Les règles qui régissent la demande de dommages
et intérêts, sous Ie rapport de la compétence, de la prescrip-
tion, des moyens de défense, du conflit de lois - varient
suivant l 'origine de la responsabilité engagée. /
2. D 'autre part, la réparation du préjudice est ég·ale-
ment soumise à un régime différent : Ie juge conserve en
matière délictuelle Ie pouvoir d'approprier ]e mieux possible
la réparation à la nature et à l'étendue du dommage ; en
matière contractuelle, ce pouvoir est restreint par diverses
règles particulières qui font à la victime un sort moins favo-
rable, tant à l'égard de l'importance de la réparation qu'à
l '{>gard des garanties qui en assurent Ie recouvrement.
DEUXIÈME PARTIE

ÉTUDE DE L 'INTERVENTION
DE LA RESPONSABILITÉ DÉLICTUELLE
ENTRECONTRACTANTS

I. Démonstration de la possibilité théorique


de cette intervention
75. Nécessité de cette étude théorique.

75. Beaucoup d'auteurs, tant au siècle dernier qu'à


l 'époque actuelle ont considéré qu 'il existe en quelque sorte
une incompatibilité foncière entre la mise en jeu de la res-
ponsabilité délictuelle et l 'existence de rapports contractuels
entre les parties 1 , tout au moins dès qu'il s'agit d'un dom-
mage dont l 'exécution du contrat a été la cause ou
2
l 'occasion •

De nombreuses décisions ont rejeté, pour ce motif, des


actions fondées sur les articles 1382 et suivants, lorsque
les parties se trouvaient engagées dans les liens d 'un
contrat •.

1
LABBÉ, note au S., 1886, 2, 97 : "Nous croyons fermement que
des contractants n 'encourent l 'un en vers l 'autre que la responsabilité
des fautes qui découlent de leur contrat, que les articles 1382 et sui-
vants se trouvent écartés de leurs rapports mutuels. n
2
Personne n'a jamais soutenu, évidemment, que l'action délic-
tuelle devrait être refusée au vendeur qui, se promenant dans la rue.
a été blessé par l 'automobile de son acheteur : comp. MAzEAUD, op. cit.,
I, n° 175; CHrno:-ir, Colpa extracontr., n° 18.
• C'est notamment la doctrine constamment adoptée par le Tri-
94 RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS

Si ce principe était fondé, Ie problème que nous nous


proposons d 'examiner ne se poserait plus.
Aussi devons-nous démontrer en premier lieu que ce
principe, qui n'est point inscrit dans la loi, nc repose sur
aucun fondement sérieux, et qu 'il faut, au contraire, en
renverser les termes.
Les auteurs qui rejettent, d'une manière plus ou moins
ahsolue. l 'intenention de la responsabilité délictuelle entre
contractants, fondent la règle de l'incompatibilité sur deux
ax10mes dont nous démontrerons successivement l 'inexac-
titude.
Le premier de ces axiomes concerne la nature intrin-
sèque de la responsahilité délfrtuelle. Pour certains auteurs
elJe constitue par sa nature même une responsabilité entre
tiers 1 ; elle est essentiellement suppTétive et destinée à pal-
lier ! 'absence de conventions entre les particuliers 2 ; d 'autres

bun al de commerce d 'An vers : 30 oct. 1897, J. A., 1898, 297 ; 22 octo-
bre 1898, J. A., 1899, 142; 21 mai 1898, J. A., 1898, I, 326; 30 sept. 1912,
P. Pér., 1913, 500. V. dans Ie même sens : Louvain, 22 mai 1886, B. .T.,
1886, 1083; Bruxelles, 12 oct. 1887, Pas., 1888, 2, 419; Liége, 16 mars 1910,
Pas., 1911, 2, 44; Liége, 8 janv. 1913, P. P., 1913, 1203; Comm. Bruxelles,
21 fév. 1922 . .Jur. comm. Brux., 1922, 200 ; Civ. Brux., 27 nov. 1929,
Rombaut c. S. N. des Ch. de Fer Vicinaux (inédit); 10 juill. 1931, Pas.,
1932, 3, 51, Civ. Anvers, ier mars 1929, B. Ass., 1929, p. 438 ; J. P.
Liége, 3 janv. 1927, J. J. P., 1927, 191. - Contra: Liége, 13 déc. 1868,
Pas., 1869, 2, 121 ; 27 fév. 1893, Pas., 1893, 2, 351; Gand, 7 nov. 1912,
Pas., 1912, 2, 321 ; 18 juin 1913, P. P., 1914, n° 919.
A I 'époque ou Ia théorie de « I 'obligation contractuelle de sécurité "
du patron envers ses ouvriers remportait quelque succès dans Ia juris-
prudence belge, les industriels se sont efforcés de démontrer, pour
l'écarter, que seule une responsabilité délictuelle impliquant Ia preuve
d 'une faute pourrait être retenue à leur charge. Pour réfuter cctte
argumentation les tribunaux ont à cette occasion invoqué Ie prétendu
principe suivant lequel " dès que Ia faute peut se rattacher à I 'exécu-
tion d 'un contrat, il ne saurait y avoir faule aquilienne >> ; voyez par
exemple, Civ. Brux., 25 avril 1885, Pas., 1885, 3, 175; Termonde,
2 déc. 1886, Pas., 1887, 3, 160.
En France, voyez par exemple, Paris, 18 mars 1924, D., 1924, 2, 125 et
Ia note ; Poitiers, 14 janv. 1925, S., 1925, 2, 25, n. Hugueney ; Colmar,
29 avril 1930, Rev. Als. Lor., 1930, 377 : les articles 1382 et suivants se
trouvent écartés " partout oi'I il existe un lien conventionnel entre les
deux personnes demanderesse et défenderesse en indemnité "·
1
CmRoNr, note dans la Giur. It., 1917, I, pp. 1011 et s.
2
V. JossERAND, note au D., 1927, I, 105 : " Le système de respon-
RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS 95

soulignent qu 'elle figure parmi les règles légales extracon-


tractuelles 1 •
Le second axiom-e concerne la nature des contrats eux-
mêmes : ils seraient incompatibles, apriori, avec la mise en
jeu d 'une responsabilité délictuelle ; la conclusion d 'un con-
trat aurait pour effet nécessaire de refouler la responsabilité
délictuelle •.
Ce sont là de pures affirmations, mais elles furent éle-
vées au rang de dogmes par de nombreux civilistes. Il est
cependant aisé de démontrer qu 'il n 'y a aucune raison de
reconnaître a priori de telles propriétés ni à la responsahilité
délictuelle ni aux contrats, et cette démonstration justifiera
du même coup la possibilité de l 'intervention de la respon-
sabilité délictuelle entre contractants.

sabilité aménagé dans les articles 1382 et suivants a été institué à titre
subsidiaire et en prévision rle ! 'absence d 'arrangements pris par les
intéressés. " Pour GmLLERY (Des sociélés comm. en Belgique, t. II,
n° 679), l'article 1382 est « fait uniquement pour régler la répnration
du dommage entre personnes dont les devoirs réciproqucs ne sont réglés
par aucun contrat "·
1
Certains auteurs se contentent de motifs purement verbaux que
nous ne croyons pas nécessaire de réfuter spécialement. C'est ainsi que
PROUDHO:'i (Usu/ruit, t. Hl, n°' 1514 et s.), rcjcttc l 'intervention <Ie
l'article 1382 entre contracta11ls, pour Ie motif que rette disposition
traite des déiits et des qunsi-rlélits, qui sont rlcs faits illicites en eux-
mêmes, ce qui n'est pas Ie cas pour les " fautes simpies "· Cette pré-
tendue gradation entre " fautes sim pies " et déli ts et quasi-délits paraît
reposer sur Ie postulat implicite que l'article 1382 sanctionne des faits
définis avec précision par la loi, ce qui est évidemment une erreur
absolue.
D'autre part, beaucoup d'auteurs déàuisent l'intention du législa-
teur d 'écarter la responsabilité délictnelle entre contractants de la pré-
tendue différence de « degré" entre les deux fautcs : ils semblent
admettre qu'entre contractants seules les fautes « légères n engagent la
responsnbilité ; les fautes rlélictucllcs, qui peuvent i'tre « très légères ",
ne peuYcnt clone se concevoir entre contractants : voycz notamment
BmJTAun, op. cit., n° 132. Nous avons réfuté antérieurement les confu-
sions qu 'implique un raisonnement de ce genre. Voyez supra, n° 19.
2
Voyez infra, n° 106.
CHAPITRE PREMIER

La responsabilité délictuelle n'est pas seulement


une responsabilité entre tiers

SECTION I. EXAMEN DES TEXTES LÉGAUX


ET DE LEUR ORIGINE

76. Les articles 1382 et suivants et la


lex Aquilia.

76. Il est vraiment étrange que d'éminents auteurs 1

aient cru pouvoir affirmer que la responsabilité délictuelle


organisées par les articles 1382 et suivants a été destinée par
Ie législateur de 1804 à régir exclusivement les rapports
entre les tiers.
Ohservons tout d 'abord que cette interprétation restric-
tive ne trouve aucun appui dans les travaux préparatoires
2
du Code Civil L 'on en est réduit à invoquer en sa faveur

l'intitulé du titre IV ou ces dispositions figurent ( cc Des enga-


gements qui se forment sans convention »)". L'argument
est bien faible : il prouve seulement qu 'un tiers peut invo-
quer ces articles, mais non qu'un contractant ne pourrait
pas, comme un tiers, s'en prévaloir, et la question de savoir

1 Voyez notamment TossERA;-.o, Transports, n° 628 : ,, Les articles


1382 et suivants du Code Civil constituent Ia charte des relations extra-
contractuelles. " ; CAsTIER, thèse, pp. 67 et s.
2
" Aucune disposition du Code Civil n 'apporte un obstacle absolu

à la coexistence des deux responsabilités ", dit un jugement du tribunal


de Lyon (21 déc. 1929, cité par BR1JN, thèse, p. 378).
3
En ce sens : note LALOU. Gaz. Trib .. 1929. 1. 88.
RESPONSABlLITÉ AQUILmNNE ET CONTRATS 97

s1 l 'article 1382 peut jouer entre contractants <lemeure


entière 1 •
Par contre, si l'on s'en tient aux textes, on remarquera
que la formule adoptée par Ie Code Civil ne comporte aucune
restriction et sanctionne tous les faits domrnageahles quel-
conques.
En réalité, et c'est là le point essentie!, le législateur
de 1804 s'est horné à formuler, en matière de responsahi-
lité civile les principes qui étaient app1iqués <lans l'ancien
droit français, sans arnir maHifesté l 'intention de mo<lifier
la sphère de leur application.
Or, ces principes, ainsi que n011s Ie montrerons briève-
ment, étaient depuis plusieurs siècles <léjà, cem: <le la loi
2
aquiiienne •

Dans Ie très ancien droit coutumier, la matière de la


responsabilité était soumise aux règles grossières des cou-
tumes franques •; les faits dommageables étaient sanction-
nés par des peines tarifées, sans rapport avec Ie préjudice
réel, au profit de la victime ; aucune distinction n'était faite
entre l 'inexécution d 'une convention et tout autre acte dom-
mageahle ; si bien qu'on a pu dire qu'à cette époque, il
n'existait qu'une seule source d'ohligation : Ie délit •.
Mais ce stade rudimentaire n 'a pas persisté longtemps
et l'influence du droit romain est devenue bil'ntot prépondé-
rante en matière de responsahilité.
Dans Ie très ancien droit, l 'inexécution d 'une com en-
tion constituait un délit sans qu 'il _v et1t lieu de rechercher
l 'intention du coupahle, ou la ca11Se de 1'inexécution ( celle-ci
ft",t-elle même un cas fortuit) . A ce système primitif s 'est peu
à peu substituée la théorie romaine de la prestation des

1
Labbé lui-même. cependant hostile 11 nolre thèse, a reronnu la
faiblesse de eet argument de texte : voyez sa note au S., 1886, 2, 97.
2
Cette filiation a rl 'ailleurs été reconnue par la Cour de Cassation
beige : voyez 25 mars 1889, B. J., 1889, 934; 13 féu. 1930, Rev. gén.
QSS. et resp., 1930, 590.
a GLASSO:'i, Histoire du droit et des inslilutions de la France, t. VIT,
pp. 688 et s.
• BnrssAuo, Ilistoire du droil français, pp. 397 et s.: 502 et s.
98 RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS

fautes, ce qui a donné à la responsabilité contractuellè une


ph_ysionomie propre 1 • D'autre part, pour tous les autres
« torts n causés à autrui, la responsabilité a cessé d 'être fon-
<lée sur le lieu objectif de causalité entre un individu et le
dommage, et l'institution <les amendes tarifées a fait place
2
aux principes <le la lex A quilia C 'est elle qu 'adoptent les

coutumiers des époques postérieures 3 ; c 'est à elle que les


jurisconsultes renvoient lorsqu 'ils traitent des délits civils ou
des <lommages donnant lien à réparation 4 •
A la veille du Code Civil, le droit romain élait donc
appliqué depuis longtemps en matière de responsabilité
c-ivile. Le législateur de 1804 n'a pas institué <le principes
nouveaux ou différents. Mettant à profit le travail de perfec-
tionnement anquel les auteurs français (Domat tout spéria-
lement •) s 'étaient livrés sur les textes de la lex A quilia, il a
réussi à en exprimer Ie principe par une formule ( celle de
l 'articlc 1382) à la fois plus brève et plus compréhensive
que celJes des jurisconsultes romains •. Mais rien ne per-
met de dire qu'il aurait voulu en changer la nature, et en
limiter l'appliration aux seuls rapports entre les tiers -
contrairement à l 'opinion certaine des jurisconsultes romains
sur ce point 1 •
A la vérité, la question de l'intervention de la respon-
sahilité délictuelle entre rontractants n 'a pas attiré l'atten-

' Voyez au sujet de eette évolution, BmsRAuo, op. cit., pp. 398 ets.
2
GLASSON, op. cit., p. 690.
3
Pour Ie lort causé à autrui, les anciennes coutumes d'Anjou et
du Maine consacrent la théorie de la lex Aquilia. Voye1. GLASSO'I, loc. cit.
• Voyez, par exemple, Ie Répertoire de jurisprudence de Guyot,
Paris, 1784, t. VI, V0 Dommage; BovnrnN, Le droit commun de la
France, 1724, t. Il, p. 494 (]'auteur qualifie Ia lex Aquilia " disposition
de rlroit commun ").
• Loix civ., liv. II, titre VUT, sect. lV, parag. l.
6
Le Code civil a abandonné la dislinction entre diverses espèces de
rlélits privés, que faisaient les Institutes ; au xvm 0 siècle, PnÉvoT DB LA
ÎA'l"iÈS (Les principes de la Jurisprudence française, 1777-1780, t. II,
p. 354), rlistinguait encore Jes actions en rlommages et intérêt.s, les
actions en restitution de choses volées et les actions en réparations
rl 'injures. L'évolution vers 1'unification avait cepenrlan I rléjà commencé
en rlroit romain (voyez infra, n° 77).
' Y. infra : section II.
RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS 99

tion des auteurs du Code. Elle s 'était posée som ent en droit
romain, mais elle ne paraît guère avoir été envisagée par la
pratique de !'ancien droit. C 'est au XIX" siècle qu 'elle est
devenue d \me actualité parfois brûlante.
Le silence du législateur de 1804 sur ce point particulier
nous permet du moins d 'affirmer que la responsabilité de
l'article 1382 est demenrée ce qu'était la responsabilité aqui-
lienne à Rome, c'est-à-dire, ainsi que nous allons le démon-
trer dans un chapitre spécial 1, une responsabilité qui, par sa
nature, est susceptible de s 'appliquer en toute circonstance,
aussi bien aux individus engagés dans les liens d'un con-
trat qu 'aux au tres. Les limitations que la présence de pareil
lien contractuel pourra apporter à l 'application de la respon-
sahilité de l'article 1382 seront, en droit français comme
en droit romain, purement occasionnelles.

~ECTION II. L\ (( LEX AQUILIA )) ET SON INTERVENTION


ENTRE CO~TRACTANTS

~ 1. Concours des responsabilités en droit romain

77. Extension de la lex .4quilia.


78. Exemples de concours avec les actions
contractuelles. - 79. Conséquences.

77. La responsabilité instaurée par la lex Aquilia,était


limitée à l 'origine à quelques cas précis 2 ; mais le préteur en a
élargi considérablement l 'application par l 'octroi d'actions
utiles et d'une action in factum•. Alors que, primitivement,
seuls donnaient lieu à l'actio legis Aquiliae le damnum cor-
pori et corpore datum, que seul le propriétaire de la chose
lésée disposait de l'action, et que les dégàts aux immeuhles
étaient exclus du domaine d'application de la loi, ces
conditions restrictives ont pratiquement disparu, si bien que

1 V. infra : section Il.


2
V. CoRNIL, Droit rom., p. 361.
3
V. par exemple, Dig., IX, 2, 7, 6; IX, 2, 9, pr. ; lX, 2, 33, l.
100 RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS

tous les dommages injustemenl causés ont fir1alerneut auto-


risé Ie recours à l'action aquilienne 1 • Le droit romain, même
dans sa dernière période, n 'a cependant jaruais donné à la
loi aquiliennc une portée aussi compréhensi,e que celle de
l 'article 1382, car les Institutes continuent à distinguer, à
coté du damnum injuria datum, et comme constituant des
délits particuliers munis d \me sanction propre : le furtum,
la rapina, 1'injuria 2 3 •
78. (;e qui importe à notre démonstration, c'est que
cette responsabilité instaurée par Ja lex Aquilia, et qui a fait
l 'objet d 'une interprétation constarnment extensi,e, a tou-
jours été susceptible de jouer entre contractants et à propos
de I 'exécution du contrat. De nombreux textes du Digeste
font allusion au concours de I 'action aquiJienne a,ec I 'action
du contrat, à raison d 'un même fait dommageahle : elle
conrnurt par exemple avec l'action contractuelle lorsque la
chose remise en gage, en prêt ou en dépót est détériorée par
celui qui I'avait reçue •; de même, Ulpien, se ralliant à }'opi-
nion des auteurs plus anciens, décide que si un associé
endomrnage Ja chose commune, il tombe sous l'application
de la le.x A quilia, et Paul ajoute que l 'action pro socio peut
également être intentée contre lui •. Celui qui blesse un

1 Th. MoMMSEN, Droit pénal romain, p. 147.

• Inst., IV, I, pr.


3 De nombreux délits privés, spéciaux à I 'origine, furen t dnns la
suite " résorbés >> en quelque sorte dans Ia sphère d 'application de plus
en plus étendue de Ia lex A quilia : voyez MoMMSEN, op. cil., pp. 155 et s.
" Sive autem pignus, sive commodata res, sive deposito deterior ab
4

eo, qui acceperit, facta sit, non solum istae sunl actiones, de quibus
loquimur, verum eliam legis Aquiliae », Dig., 13, 6, 18, 1. Voyez <fans ]P,
même sens, pour Ie cas d'un esclave donné en gage : Dig 9, 2, 18.
PAuL admet également que si celui qui a emprunté des vêtements les
rléchire, Ie prêteur dispose contre lui à la fois rle ! 'actio commodati et
de ! 'actio legis A quiliae ; il ajoute : << utraeque cnim actiones rei per-
secutionem continent », Dig., 44, 7, 34, 2.
•"Si damnum in re communi socius dedit, Aquilia teneri l'Um, et
Celsus, et Julianus, et Pomponius scrib1mt », dit ULPIEN (Dig., 17, 2,
47. 1), et PAUL ajoute : « sed nihilominus et pro .~ocio tenetur » (Dig.,
17, 2, 48). Voyez, par exemple, Ie cas d 'un esclave appartenant à plusieurs
associés et blessé par l'un rl'eux: D., 9, 2, 19.
RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS 101

esclaw qu 'il avait pris en location est tenu à la fois par


l 'action aquilienne et par l 'action du contrat de louage 1 • Il
en est de même de celui qui écrase sous un fardeau excessif
2
les mules qu 'il avait prises en location Le médecin qui

commet une faute dans les soins qu'il donne à un esclave,


est passihlc soit de l'action ex locato soit de l'action aqui-
3
lic·nne Le dépositaire à qui a été confié un titre destiné à

faire la prcme d'un droit quelconque, est exposé à la fois


à l 'actio depositi et à l 'actio legis A quiliae s'il Ie détériore
et notamment si par sa négligence il a rendu l 'écrit illisible 4 •
Dans tous les cas que nous venons de rele, er, il ~· a un
,éritahlo concours d'actions, c'est-à-dirc que les deux actions
sont également possibles : l'acte dommageable emisagé
constitue d'une part une infraction au contrat, et réunit
d'autre part les conditions requiscs pour constituer le
damnum in_iuria datum sanctionné> par la le.r Aquilia.
79. L'intérêt de ce concours d'actions réside en ce que
l 'action aquilienne perm et il' ohtenir parfois une indemnité
plus importante que cclle qui aurait fait l 'ohjet de l 'action
contractuelle : l 'auteur cl 'un damnum injuria datum devait
Pil effel pa~-er au dominus la plus haute valeur que la chose
avait eue au cours clC's trente derniers jours, ou, s'il s 'agis-
sait d'un escla,e ou de bétail, la plus haute valeur qu'ils
avaient eue au cours de l 'année précédente •, alors que les
clommages et intérêts contractuels étaient invariablement
proportionnés au damnum emergens réellement éprouvé par

' " Si vulneraveris servum tibi locatum, eiusdem vulneris nomine


leyis Aquiliae et ex locato actio est. n Dig., 19, 2, 43.
2 « Qui mulas ad certum pondus oneris locaret, quum maiorc onere

conductor eas rupisset consulebat de actione; respondit, vel lege A qui-


/ia, vel ex locato eum recte agere. " Dig., 19, 2, 30, 2.
3
" Proculus ait, si medicus servum imperite secucrit, vel ex locato
1·el e.r lege Aqllil.ia competere actionem." Dig., 9, 2, 7, 8.
4 Qui tabulas testamenti depositas, aut alicuius rei instrument11m

ita delevit, ut legi non possit, depositi actione, et ad- exhibendum


fenetur, quia corruptam rem restituerit, aut exhibuerit. Legis quoque
1 quilice actio ex eadem causa competit, corrnpisse enim tabulas recfe
dicitur et qui eas interleverit. " Dig. 9, 2, 42.
5
CoRXIL, Droit romain, p. 361.
102 RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS

Ie créancier. D 'autre part, l 'action tendait au double, lorsque


Ie défendeur niait les faits ( crescit in duplum adversus
infitiantem).
En présence des textes très nets rapportés ci-dessus, les
commentateurs du Digeste, notamment les romanistes alle-
mands, ont reconnu que ce concours d'actions est en prin-
cipe possible : un fait ne cesse pas d 'être un délit ( au sens
de la lex Aquilia) lorsqu'il est en outre interdit par une con-
vention 1 , et la sphère d'application de la lex Aquilia n'est
nullement limitée aux rapports de droit extracontractuels ~ :
l' absence de rapport contractuel enfre les parties n 'est donc
pas une condition nécessaire pour la mise en jeu de la res-
ponsabilité aquilienne •.

~ 2. Influence des contrats sur l'application


de la lex Aquilia.

80. Dérogations conventionnelles à la lex


Aquilia. - 81. Dérogat'ons expresses :
clauses d'irresponsabilité. - 82. Déroga-
tions implicites. - 83. Les trois opinions
suscitées par les dérogat:ons implicites.

80. Est-ce à dire que l'existence d'une convention


demeure sans aucune influence sur l 'application de la lex
Aquilia il Nullement, mais cette influence est purement
accidentelle, et ne porte aucune atteinte au principe que
nous venons de dégager, à savoir que la lex Aquilia est appli-
cable aussi bien entre contractants qu 'entre tiers dès ! 'ins-
tant ot'i sont réunies les conditions intrinsèques de son appli-

1 Sic : AccARIAs, loc. cit.


2
Par contre, toute infraction au contrat n 'est pas ipso facto une
injuria sanctionnée par la lex Aquilia: celle-ci ne frappe en effet, que
les actes positifs, les fautes in committendo.
• PERNICE, Zur Lehre von den Sachbèschädigungen nach römischen
Rechte, p. 78 ; VANGEROW, Lehrbuch der Pandekten, 7e éd. 1869, JTJ,
§ 681, p. 588, Anmerkung 3, § I; MAY'IZ, Dr. rom., 5° éd., § 271, Obser-
vation II, p. 469; AccARJAs, Précis de dr. romain, 4° é'<l., IJ, G82a :
GmARD, Dr. rom. p. 700.
RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS 103

cation ( dommage, faute consistant en un acte positif). Nous


allons examiner de plus près en quoi consiste, en droit
romain, cette influence accidentelle, car nous verrons dans
la suite que Ie problème se pose en droit français dans des
termes tout à fait semb]ables.
L'existence d'un contrat peut influer sur l'application
de la lex Aquilia parce qu 'il est permis de déroger à cette
dernière. Les pactes contraires aux lois sont, il est vrai pro-
hibés 1 ; mais Ulpien, généralisant une distinction déjà faite
antérieurement par Labéon, précise que les prescriptions
légales auxquelles i] n'est point permis de déroger par con-
vention, sont celles qui préviennent une publica laesio ; au
contraire, il est permis de déroger anx lois qui concernent
2
seulement la res familiaris des particuliers La lex Aquilia

rentre incontestablement dans cette dernière catégorie ; au


surplus. ainsi que nous allons le voir dans un instant, la
possibilité de dérogations conventionnelles à la Ze.r Aquilia a
été en fait reconnue dans certaines espèces rapportées au
Digeste.
Les dérogations conventionnelles à la lex A quilia ont, à
vrai <lire. ~té peu étudiées par les juristes romains eux-
mêmes ; elles ont par contre retenu fréquemment l 'atten-
tion des romanistes des temps modernes, et la question de
savoir quelle est l'influence de l'existence d'un lien contrac-
tuel entre les parti es sur l 'exercîce de l 'actio legis A quiliae,
est de celles qui ont suscité ]es plus vives controverses.
81. Les dérogations à la Ze.r A quilia sont tantót
expresses, tantot implicites, et i] importe de distinguer les
deux hypothèses.
Les parties dérogent e.rpressément à l'application de la
ler A quilia lorsqu 'elles insèrent dans leur convention une
<< clause de non-responsabilité n: par cette clause, elles s 'inter-
<lisent aussi bien l'action aqui1ienne que l'.action du contrat.

1
Di_q., II, 14, 7, 7.
2
Dig. U, 14, 7, 14 ; comp. LABB~, Ann. dr. comm. 1886-87, pp.
JR/5 et ~-
104 RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS

Telle est la solution donnée par Ulpien dans un texte célè-


1
Lre : cc Si calicem diatretum faciendum dedisti, si quidem
imperitia fregit, damni injuria tenebitur ; si vero non
imperitia fregit, sed rimas habebat vitiosas, potest esse
excusatus, et ideo plerumque artifices convenire solent,
quum eiusmodi materias dantur, non periculo suo se façere ;
quae res ex locato tollit actionem et Aquiliae. n
Ce texte d 'Ulpien a été fréquemment commenté, et invo-
qué dans des buts très divers. Dans la discussion célèbre que
Labbé et Thaller poursuivirent en 1886 au sujet de la vali-
dité des clauses d'exonération, Thaller soutenait que la con-
vention des parties, capable d'écarter la responsahilité con-
tractuelle, était impuissante à écarter la responsabilité délic-
tuelle ; celle-ci doublait tout au moins partiellement la pre-
mière, et pouvait, suivant Thaller, être encourue nonohstant
les clauses d 'exonération insérées dans la com ention. Il invo-
quait à l'appui de son opinion, les textes du Di:!2·este que
nous avons rapportés et qui permettent au créancicr Ic choix
entre l'action contractuelle et l'action aquilienne. Lahbé lui
opposa Je texte d'Ulpien reproduit ci-dessus. La réponse était
péremptoire, car ]'opinion de Thaller, sans qu 'il s'en aperçlÎt,
reposait en réalité sur deux postulats : Je premier, que le
concours des deux responsabilités était possihle en droit
romain ; il n 'avait point de peine à Ie démontrer, textes à
J'appui, et Labbé fnt obligé d'en convenir ; Ie second, que
la lex Aquilia était une loi impérative, dont l'application
échappait entièrement à la volonté des parties : ce second
postulat était contredit par Ie texte d 'Ulpien reproduit ci-
dessus, et ThalJer, dans la suite de la discussion, n 'y put
opposer que de bien faihles arguments, en s'efforçant de
minimiser l'importance du passage en question.
C'est à tort toutefois que des auteurs ont voulu trouver
dans ce même passage Ia preuve que Ja responsabilité ::iqni-
1ienne était en droit romain sans application aux personnes
unies par un lien contractuel. Pareille déduction confère

1 Dig. IX, 2, 27, 29


H.ESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS 105

à l 'opinion émise par Ulpien une portée qui dépasse de loin


les termes dont il s 'est servi et méconnaît Ie caractère excep-
tionnel de l'espèce envisagée par lui ; e1le est au surplus
contredite par les nombreux passages ou il est fait allusion
au concours des deux actions.
82. Les dérogations à la le.r: Aquilia peuvent par ailleurs
n 'être qu'implicitement ,,oulues par les parties. Cette hypo-
thèse est assurément d 'un examen plus délicat.
Voici comment se pose la question : par leur c01nention,
les parties déterminent parfois avec précision les obligations
du débiteur, et spécialement les soins qu 'il devra apporter
pour éviter d'endommager la chose du créancier, mise à sa
disposition par la convention (gage, dépot, prêt, loration):
s11irnnt les cas, en effet, Ie débiteur est tenu de 1a diligentia
boni patrisfamilias, de la diligentia quam suis, ou seulement
de s'abstcnir de tout dol 1 • Par contre, il est de tradition,
qu'en matière de responsahilité aquilienne, et levissima culpa
2
1•enit Lorsque Ie déhiteur, par un acte qui n'est pas asse.z

grave pour constituer une infraction à la diligence requise


par Ie conlrat, endommage la chose de son créancier, celui-ci
dispose-t-il de l'adio legis Aquiliae ? En d'autres termes,
lorsque l 'acti.on contractue1le n 'est pas possible, peut-on, Je
cas échéant. y suppléer par l' actio legis Aquiliae, ou faut-il
admettre que les parties ont implicitement dérogé à cette loi,
0t se sont interdit d 'intenter l 'action aquiliennc ?
Question obscure et complexe, sur laquelle les sources
ne fournissent aucune indication ; toutes les hypothèses exa-
minées par elles se rapportent à des espèces ou les deux
actions existent simultanément. Le cas ou l'action contrac-
tuelle n 'est pas possible est cependant incidemment ,,isé au
Di.geste, mais la solution donnée est incertaine •.

1
GonNIL, Dr. romain, pp. 260 et s.
2
La « levissima culpa " dont il est question se confond avec la
faute que n'aurait pas commise un bon père de famille : voy. supra,
n° 21.
3
IX, 2, 5, 3, et IX, 2, 6. Ulpien examine l'espèce suivante : " Sutor ...
puero discenti, ingenuo, filiofamilias, parum bene facienti quad de-
106 RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS

83. Les romanistes modernes, qui ont longuement exa-


miné Ie problème, se sont rangés à diverses opinions. Les
uns sont d 'avis, d 'une part que la responsabilité aquilienne
s'applique à toutes les faiites, et d'autre part, que Ie contrat
n 'exerce aucune influem:e sur l'appréciation de la faute
aquilienne ; suivant eux Ie débiteur en faute, lorsqu'il
échappe à l'action contractuelle parce que la faute commise
n'est pas assez grave pour constituer une infraction au con-
trat, n'échappe pas pour cela à l'action aquilienne. Cocceius
Ie premier émit cette opinion 1 ; elle fut adoptée notamment
par Muhlenbruch 2 et plus tard par Windscheid •.
D 'autres auteurs tiennent compte de l 'opinion émise
par Ulpien au sujet du cas m) Ie contrat contient une clause
de non-responsabilité, mais se refusent à en étendre la
portée : à leur avis, Ie contrat ne permet à un contractant

monsfrm•erit, forma calcei cervicem perc11ssif, uf oculus puero per-


f11nderef11r; dicit igitur .T11lianus, injuriarum quidem actionem non
compeferr, quia non faciendae injuriae causa percusserit, sed monendi
ef dorrndi causa; an ex locato, dubitat, quia levis dumtaxat castigatio
concessa est docenti. Sed lege Aquilia passe aqi non dubito "· Et Pnul
11jonte : « Praeceptoris enim nimia saevitia c11lpae assiqnafur n.
1 Jur. civ. contro1•., De Leg. aa., qu. 4.

' Docfrina Pandectarum, 1831, t. JJ, § 353 s. : " A fq1rn /t qui/ia


quidem culpa, ut nunc fere dici solef, omnimodo praestanda est, etiam
ab ro qui alioq11in non nisi propter lafam culpam tenetru- (9, 2, 42 ;
13, 6, 18, 1), hac tarnen utique servata differentia, quad is, cui vel leviter
neqligenti damna .rnscipienda sant, ea actione, quae ex obligatione
descendif, com•eniri potrsf, ut et /t quiliam culpam et neglegentiam
praestet (D. Comm., div. 10, pr.) ; quad contra fit si is, qui culpae
reus arguitur, ob eam tantum neqligentiam, quae dolo proxima est,
fenetur. n
3
Lehrbuch der Pandekten. II, § 455, n. 12 ; « Dadurch, dass der
Beschädigende zll dem Beschiidigten in einem besonderen Rechtsver-
hältnis sfeht, welches ihn nur znr Verhaflllnq wegens Arglist verp-
flichtet, lïört er nicht auf, aus der Beschädigung, als solcher aucli
wegen Nachliisûqkeit zu haften. ,, Certains auteurs prennent soin rle
préciser, suivant. en cela l;i thforie dnssique rle la responsabilité aqui-
lienne, -que seuls les 11ctes posilifs sont susceptihles rle const.ituer nes
fautes aquiliennes : moyennant cette restrict.ion, ils se rallient à la thèse
de Cocceius ; voyez par exemple, GLücK, A usführliche Erlaüterunq der
Pandekten nach Hellfeld, Commentar 1809, t. X., S 699 et les réfé-
rences qu 'il cite. Aj. BUTTENBERG, Diss. inaugurale, à l 'Université rl 'Er-
langen, Magrlebourg, 1896; MAYNZ, 5e édition, § 271, observation TT,
p. 469, <lont ! 'opinion paraît empreinte rle certaines contradictions.
RESPO:\'SABILITÉ AQulLIE:\NE ET CONT:H.ATS 107
d'échappcr, en cas de faute, à la lex A.quilia, que dans la seule
hypothèse oû par une clause expresse, il a déclaré qu'il ne
serait pas responsahle de certaines fautes déterminées, par
exernple, de ses fautes légères. Telle est notarnment l'opinion
de Rasse '.
La première opinion repose sur le postulat que la res-
ponsa bilité aquilienne est, en quelque sorte, d 'ordre public,
en dehors du champ contractuel. Postulat non démontré,
et, nous l'avons vu, contraire à !'opinion d'Ulpien. L'opinion
de Rasse, d 'autre part, est peu logique : si une dérogation
expresse est recmmue valable, pourquoi une dérogation
tacite ne serait-elle pas ég-alement admissible, à la condition
qu 'elle soit certainc ?
La troisièrne opinion paraît plus raisonnable ; elle peut
s 'énoncer comme suit : lorsqu 'il existe un rapport contrac-
tuel entre Jes parties, Ja diligence dont cloit faire preuve Ie
débiteur, à peine de responsabilité. est celle qui est fixée
par la convention ; s'il y manque, il sera passihle cl 'une
action contractuelle et, Ie cas échéant, de l'actio legis A.qni-
liae; mais les dé[auts de diligence dont, aux termes du con-
trat, il ne doit pas répondre, ne peuvent jarnais sf'nir de
hasf' à l'actio legis A.quiliae, rar ils ne constituent pas des
ades confraires au droit ; en un mot, la faute aq11ilienne se
modèle sur la fa11te contractuelle : la mesure de toutes deux
est la même.
f::e s~stème fut proposé par Hagemeister 2, il fut ensuite

1
SrRYCK, cilé par Gr,ücK, loc. cil. ; HAssE, Die C11lpa des Rümi-
schen Rechts, Kiel, 1815, § 36, note 6: cc Freilich kann zwar wohl
ein ausdrücklicher pactum co,wenfum so gut auf die obligatio ex
deliclo mit welcher es die lex A quilia zu thun hal, als auf die obli-
gatio ex contractu Einfluss hanen, und die praestatio der culpa ZJ-
gleich bei iedem andern, ohne dass daraus gefolgert werden könnte,
die beiden obligationes hätten rrnch ohne dieses mediirm beständigen
Einfluss auf einander. ,,
2
Welchen Einflus,ç hal das zwischen dern Beschêi<liqten und dem
Beschädiger vorhanclene Obligalionsverhiiltniss a11f clie Zulässigkeit
der Klage aus der L. A quilia, dans le Maga:in für Reclitswissenschafl
11nil GeselzgPbung, de GR0D1A:-. et V,,:-. LöHR, p. li3G.
108 RESPONSABILITÉ AQüILIENNE ET CONTRATS

adopté par Pernice 1 et paraît actuellement l'emporter sur


2
les deux autres •

Mais une observation essentielle s 'impose ici : ce sont


seulement les acles autorisés ( expressément ou tacitement)
par la convention qui ne pement senir de base à l'actio
legis A quiliae ; il faut y ajouter les actes qui, sans être pré-
cisément autorisés de-vraient cependant, suivant l 'intention
certaine des parties, demeurer sans conséquence juridique :
par exemple, pour un dépositaire, les négligences dont il
s'est rendu coupable aussi bien dans la garde de sa propre
chose que dans la garde de l 'objet déposé : en vertu du
contrat, en effet, Ie dépositaire n'est tenu qu'à la diligentia
quam suis.
Par contre, s'il n'est pas certain que ]'acte domma-
g·eahle commis par Je déliiteur a été autorisé ou toléré par
la convention •, et notamment s'il s'agit d'actes domma-
geahles que les parties n'ont pas emisag-és lors de leur con-
vention, au sujet desquels cllcs n 'ont maHifesté aucune inten-
tion, même tacite ou implicite - l 'action aquilienne de-
meure possible, sans qu 'il y ait lieu d' avoir égard à la cir-
constance que le méme fait ne sau.rait donner lieu à une
action conlracluelle. Pl11siePrs partisans de la troisième opi-
nion prennent soin de formuler cette importante réserve.
L'exclusion de la lex Aquilia par une comention existant
entre les parties conserve donc un caractère e.rceptionnel •.
1 Zur Lehre van den Sachbeschiirlig11nqen nach römischen Rechte,
p. 86 : « Bei einem zwischen den Parfeien /Jpsf Phenden Obli_q11lio11s-
1•<·rhiiltnisse rlie A quilische Klage nrrr ouf Gmnrl <frr in diesPm Obliga-
tionsverhältnisse zu prästierenden culpa zr1liissig ist. n
2
V. VA:\' Wv.rrnn, Pandecfes TV, p. :174; AccARIAs, ll. n° 682a;
LAHBÉ, Ann. dr. comm., 1886-87, p. 185.
3
Voyez un exemple rlonné par AccAHTAS, loc. ei/. •
• V. HAGEMEISTER, op. cit., p. 173 ; « Kann, in deni Falie einer besle-
henden Obligatio nur alsdann die actio ex lege A (]. angestellt werden
wenn die actio ex contractu d11rch rlie 1•orgefalle11en positiven Scha-
densz11fügungen begrünrlet ist; ader tritt sie auch in solchen Fällen
ein, wo rine, durch rlas eingenthümliche rler Verhiiltn;ssen nicht beson-
rlers gerechtferfigt, aher nach der Nat11r des Contractes nicht zu Yer-
trelende Schadenszufügu11g statt gefunrlen hat " Tn diesrm lef.zieren
Sim, habe ich friiherhin bel11111ptPI dass rlie /Jestehenrle obligatio keine
Rinflusse habe ouf <!ie actio e:r lege Aq., " etc. V. de même P1m1'i1c.F.,
RESPO:.\'SABILJTI~ AQCILIEN'.',E ET CONTRATS 109

§ 3. Conclusio11s

84. Nous pouvons à prC>scnt formulcr les condusions


(le ce bref aperçu de droit romain.
1. - L 'absence de lien contractne] entre les partics
n'est pas une condition cle l'application dè la le;r Aquilia.
2. - Dien plus, un même fait dommageahle pent don-
ner lieu simultanément à une action contractuelle et à
] 'actio legis A quiliae, sous la réserve que Ie préjudicié ne
peut se faire indemniser deux fois du mêmc dommagc '.
3. - Tontefois, l'app1ication de la lex Aquilia dépend,
dans une certaine mesure, de la volonté des parties : elles
peuvent. par leur convention, autoriser - expressément ou
non - des actes qui sans cela eussent été interdils ; elles
peuvent aussi conyenir qne certains actes n'entra'Îneront
aucune responsahilité pour ]eur auteur. Dès lors, ces actes
perdent Ie caracfrre d'injnriae 2, d'actes contraires au droit,

op. cit., p. 86: "Die Besfimrrrnngen ilber Priistatio der culpa können sich
nafilr1ich nur anf oie besonderen Ohliegenheiten, beziehen, welche mis
der Obligation entspringen, nicht aber auch auf solche wclclie man
so zu sagen als Mensch dem Mensch schuldig ist. - Voyez cepenoant
VAN WETTER, op. cit., TV, p. 375 - VA'(GEROW, Lehrb11ch der Panrfokten.
1869, Hl, § 689, pp. 590 et s., est d 'avis que la conYenl ion n 'cxclul
l'application oe la lex Aquilia que pour les aclcs qu'elle a11torise (h
manipulation oe la chose <1 'an trui, par excmple) pa ree que ces act es
cessent dès lors o 'être culpeux ; par contre, la simple circonstance
qu 'unP faute ne présentc pas la gravité suffis<1nte pour justifiPr 111w
action contractuelle n'exclut jamais I'aciio legis Aq11iliae, sninmt
VA'lr.Enow, car cette circonstance n 'enlève pas i't l ·actr son raracti•re
c11lpeux : il oemeure nn acte contraire au rlroit. Cette solulion par.dl
choquante, car elle autorise les créanciers à mfron naître Ie contrat et n
ren<lre responsable Ie oéhiteur pour des acles donl, suiYanl ln conven-
tion, il ne <levait pas répondre. Elle est an surplus, peu logirp1e : VAM,E-
R0W ne conteste pas en effet, la possihilité dr o(,rogat:ons expresses il la
le.'.C Aq11ilia; pourquoi pareille <lérogation ne pourrait-Plle être lacite
dès ! 'instant 011 les circonstances la rendent certaine? V. supra, p. 105.
' Dig., De reg. jur., 1, 58: cc Rona fides non pafit11r 11/ bis idem
e.'.Cigatur "·
2
La <lisparilio11, à raison oe rertaines rirconstances oe fait, rln
carartère i11,iuste oe l 'acte dommageable n 'a rien <1 'exrrptionnel : Y0YPZ
des exemples ril(,s par 1\ImrnrnEx, op. cif., pp. 150 et sniv. (ororc rle
l 'aulorité, légi time rléfonsP, état rlr nrcessi 11", consen temrnt oe In vir-
time).
110 RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS

et ne peuvent senir de base à l' actio legis A quiliae, qui .


suppose un damnum injuria datum. Les parties ne peuvent
méconnaître, en exerçant l'actio legis Aquiliae, le jus, l\;tat
de droit valahlement institué entre elles par leur convention.

§ 4. Les solutions admises en droif romain sont-elles dues


à des rnuses propres à cc droit :>

85. Nécessité de eet examen. - A. Le


caracti•re pénal de I 'actio leg is A quiliae. -
86. Portée de l'argument qu'on en tire.
- 87. Evolution des actions pénales. Les
actions mixtes. - 88. lndifférence du ca-
ractère pénal conservé par !'actio legis
Aquiliae. - 89. B. Théorie rle Lahhé. -
90. Réfutation.

85. Nos ad,·ersaires ont saisi l 'importance de l 'argu-


rnent que fournissent à notre thèse ces précédents histori-
qnes.
Sans nier la filiation directe qui relie à la responsabilité
aquilienne les principes posés par les articles 1382 et sui-
,ants, ils s 'efforcent de rattacl1er à des causes propres au
droit romain l 'intervention de l 'actio legis A quiliae entre
personues liées par un contrat. de manière à empêcher
tontc comparaison avec le droit moderne 1 •

A. Le caractère pénal de l'actio legis Aquiliae.


86. Ils ont tout d'abord souligné que l'ndio legis Aqui-
2
liae est en droit romain une action pénale et suivant eux,
,

c 'est èe caractère spécial de l 'act ion qui seul expliquerait son


intervention entre contractants. L 'argument est rarement
développé davantage ; son sens doit cependant être précisé.
S'il sig-nifie que la Ze.r Aquilia est une règle impérative dont
1
M. Bonnet, notammenl. se contente de dire : " Une pareille liberté,
reçue à Rome pour des motifs <JUÏ échappent, mais qui ont disparu,
est à rejeter de nos jours, comme difficilcment conciliable avec les
principes généraux du droit. " (Op. cit., p. 437.)
2
CnmoNr, Giur. lt., 1917, 1, p. 1022; BoLCHI'-1, note dans la Rii•.
di diritto commerc. 1903, p. 105 ; voyez également l 'étude de M. DF
HARVE'-, Rev. gén. des assur. et des resp., n° 899.
RESPONSABILITÉ AQUlLIENNE ET CONTRATS 111

l 'applicabilité ne pouvait dépendre de la volonté des parties


parce que, à raison de son caractère pénal elle intéresse
l 'ordre public, c 'est là une erreur ; nous a vons déjà démon-
tré qu'il est parfaiternent possible de déroger à l'application
de la lex Aquilia. En outre, ce serait méconnaître la distinc-
tion, fondamentale en droit romain et encore rappelée par
les auteurs de l'ancien droit, entre les délits privés et les
délits pub lies, ces derniers seuls intéressant l 'Etat, et don-
nant lieu à des peines corporelles ou à des peines pécuniaires
( mn ltae) au profit de la collectivité.
Aussi est-il plus probable qu 'en imoquant le caractère
pénal del' actio legis A quiliae, les auteurs précités entendent
souligner que cette action avait un objet, un but différent
par nature de l 'objet ou du but de l 'action contractuelle en
responsabilité. Cette dernière, action réipersécutoire, tend
à l 'obtention d \me indemnité équivalente à la ·valeur des
choses ou des droits perdus par la faute du défendeur
à l'action. L'actio leyis Aquiliae, action pénale, tend au con-
traire au payement à la victime d 'une cc amende n, d 'une
cc peine n à raison de ce même fait. Ce serait la différence de
leur objet qui expliquerait notamment la possibilité du con-
cours des deux actions.
Un examen plus attentif de l'origine, des caractères
et de l'évolution des diverses actions en responsabilité révèle
la faib]esse de cette explication.
87. Les actions cc pénales sont, en droit rornain, les
)>

plus anciennes actions en responsabilité 1 : elles sont ron-


temporaines des toutes premières interventions de l 'auto-
rité dans les conflits entre les particuliers. A }'origine, on le
sait, la victime avait le droit d'infliger au coupahle (ou à son
1,rroupe) un dommage équivalent à cel ui qu 'elk avait subi
elle-même ; la première réaction suscitée par l' acte domma-
geahle est clone puniti1 1e : c 'est ]e droit pour la victirne d 'in-

1
Dans tout l'aperçu historique qui va suiue, nous nous sommes
inspiré du Cours de Droit romain des obligations donné par M. le pro-
f0sse11r r~llinet à la Facullé ,1- T)r" :+ de Par;-
1'12 RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS

fliger un chàtiment au coupable. Cependant, avant même


que le recours aux tribunaux etit été rendu obligatoire, la vic-
time et le coupable, suivant un usage progressivement étabJi,
mettaient fin à leur conflit par une transaction. Moyennant
Ie paiement d 'une somme ou la remise de certains objets à
Ja victime, le coupable rachetait son corps, sa vie : ainsi est
apparue la notion de la poena. A l'origine, elle n'est pas
équivalente au préjudice éprouvé par Ja victime ; elle cons-
titue uniquement le prix déterminé par les négociations <les
parties, par l 'usage, et plus tard tarifé par la loi des
XII Tahles, moyennant lequel la victime renonce à son
droit de vengeance 1 • Lorsque le recours aux tribunaux fut
imposr à tous les justiciables la victime fut toujours ohligée
de se contenter de la poena, l'exercice direct de la vengeance
privée étant désorrnais prohibé ; pour l 'obtenir, elle devait
intenter contre Ie coupahle une action pénale.
Prise à son origine et, en quelque sorte, dans toute sa
pureté, la notion de poena est totalernent étrangère à l 'idée
<l 'une in<lemnité destinée à réparer Ie préjudirf' subi. Mais
il s'en faut que les actions pénales sanrtionnant les divers
délits privés successivcment reconnns par Ie droit romain,
ai ent conservé leur caractère primitif.
Le domaine des délits privés s 'est progressivement
rétrfri : d 'une part la répression proprement dite a cessé
d 'être affaire privée : eJle a de plus en plus été assurée par
l 'Etat, et les délits privés ont fait place peu à peu à des déJits
publics. D'autre part, et par voic de conséquenre, les actions
pénales dont disposaient les particuliers ont cessé d 'être
des succédanés de la vengeance privée ; à la fin de la Répu-
blique, la poena aHit perdu sa signifiration originaire, et
l 'idée apparaît que l'amende privée sert à assurer la répara-
tion du préjudice, et non pas à racheter Ie droit de ven-
geance. Lf's artions pénales se sont ainsi peu à peu rappro-

1 L 'étendue du préjudice c:msé sert souvent de base à l 'évaiuation

de Ja poena, mais Ic montant cle celle-ci est alors Ie double, Ie triple


ou Ie quadruple du préjndice récl.
RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS 113

chées des actions réipersécutoires. Ces actions, on Ie sait,


ont pour objet rem persequi c'est-à-dire la réclamation d 'une
chose ( dans la revendication par exemple) ou de sa contre-
. valeur en argent ( telles sont la plupart des actions nées des
contrats et des quasi-contrats) .
Dès lors, il n'y a plus de différence véritable entre la
poena et les dommages-intérêts de notre droit moderne 1 •
Seul est différent Ie mode d' évaluation de la somme à payer
par !'auteur de l'acte dommageab]e. Dans notre droit, cette
évaluation est mieux adaptée au but poursuivi : l 'indemnité
se mesure en principe à l 'étendue du préjudice souffert.
Cependant, même en droit actuel, les dommages et intérêts
n'ont pas un hut exclusi,ement indemnitaire, car pour
déterminer le préjudice qui servira de mesure à la réparation
due, Ie juge doit tenir compte de Ja culpabilité de !'auteur
du fait dommageable : c 'est ainsi que l 'article 1151 du Code
Civil aggrave la responsahilité du déhiteur lorsqu 'il est
coupable de dol : il est tenu des suites même imprévues de
son acte. Et si la loi ne consacre pas, en matière extracon-
tractuelle, la règle de la proportionnalité de l'indemnité à la
gravité de la faute, la jurisprudencc s'en inspire plus d 'une
2
fois en fait, et de nombreux Codes étrangers la formulent
c>xpressément. L 'idée de répression n 'est donc pas entière-
ment bannie du domaine de la responsabilité civi]e, même
aujourd 'hui, bien que l 'idée d 'indemnisation soit devenue
prépondérante •.
La situation était analogue, dans le droit romain évolué,
avec cette différence que les indemnités allouées aux victimes
d 'actes dommageables sont calculées suivant des règles
moins logiques, plus arbitraires qu'aujourd'hui, parce que
la proportionnalité de l'indemnité au dommage n'est pas

1
C'est ce que fait ohserver AccARIAS, op. cit., Tl, n° 492
2
V. PLANIOJ. et RIPERT, t. VT, n° 684.
3
Cette survivance n'a rien de surprenant, car l'idée ile répression est
1iée intimement au caractère subjectif que conserve encore actuellemcnt
1a responsabilité : l 'idée ile « faute n évoque spontanément celle ile
« répression n.
114 RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS

encore de,enue la règle essentielle, en matière extra-con-


tractuelle. Si la poena a <lésormais une fonction indemni-
faire, si elle n'est plus, comme jadis, le rachat du droit de
vengeance par Ie coupahle, mais a pour but la compensation
du dommage lui-même, cependant elle conlinue à être éva-
luée comme l'était l'antique poena de l'époque primitine:
suivant un tarif. Mode de calcul assurément peu rationnel,
puisqu 'il n 'assure guère la réparation exacte du dommage
subi, mais qui s 'expliqüe historiquement, ainsi que nous
l'avons vu : l'idée de répression, qui a cessé d'être à la base
des actions pénalcs nées des délits privés, n 'a pas encore
cessé d 'inspirer Je calcul de l 'indemnité due.
Ainsi s 'explique que Gaius ait cru pom oir mettre à part
une troisième catégoric d'actions - les actions mixtes -
quae tam poenae quam rei persequendae comparatae sunt 1 •
Cette troisième subdivision révèle l 'évolution accomplie : il
est certain que les actions que Gaius consi<lère comme
2
mixtes ont été à !'origine purement pénales c'est-à-dire
qu 'elles a-vaient pour ob;jet, non Je payement <le Ja contre-
nleur de la cl1ose <létruite par Ie coupable, mais Ie payement
du rachat du <lroit de vengeance. Gaius considère cepen<lant
que J'action aquilienne, par exemple, est réipersécutoire en
t:mt cru'elle a pour o 1ijet la valeur de la chose. mais demeure
pénale, pour le surrlus ". Historiquement, c'est un non-sens,
mais la conception de Gaius se comprend parfaitement si l 'on
considère que la fonction de la pnena a changé ( elle a désor ·
mais un but indemnitaire comme dans les actions réipersé-
cutoires) tan<lis que son mode de calcul est demeuré inspiré

1 Tnst. IV, 6, 18.

• Les Institutes rle Justinien (IV, 6, 19, et ~-) en citent plusieurs,


notamment : l'actio vi bonorum raptorum, /'actio depositi institu<'e par
Ie pri1teur en cas rle ciépöt nécessaire, et ! 'actio legis A q11iliae.
' Tnst. IV, 6, 19 : « ,'kd et legis Aquiliae actio de damno injuriae
mixta est, non solum si adversus infitiantem in dnplum agatur, sed
interdum et si in simpl11m q11isque agit: veluti si quis hominem
cla11rl 11m au/ lusc11m occiderit, qui in eo anno integer et maqni prefii
fuerit ; ta11fi enim damnatur, quanti is homo in eo anno plurimi fuerit"
sec11ndum jam traditam divisionem. »
RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS 115

par sa fonction primitive. En créant la catégorie des ~tions


mixtes, Gaius a tenté de donner une apparence logique à
cette contradiction, simple effet, en réalité, d'une évolution
encore incomplète de certaines actions pénales vers leur
assimilation aux actions réipersécutoires.
88. Le caractère pénal de l'actio legis Aquiliae n'était
donc plus, en droit classique, qu'une survivance 1 •
Du caractère pénal qu'elle avait possédé à l'origine,
l'acfio legis Aquiliae, il est vrai, conservait certains traits
2
caractéristiques Mais son intervention entre contractants,

et plus spécialement, son concours avec les actions nées du


contrat. n'en dépendaient nullement, car la solution admise
en droit romain, loin d'être commandée par }'aspect pénal
de l'action aquilienne, eût été identique si cette action avait
eu un caractère parement réipersécutoire, et il est aisé de
lc démontrer. lj-.t·'·':,~·; ·:'.,';.,
Lorsque la victime d 'un dommage disp6se à la fois d 'une
action pénale et d'une action réipersécutoire, elle peut les
intenter toutes les deux cumulativement " : ainsi, l'actio
furti - action demeurée purement pénale - peut être exer-
cée en mêrne ternps, Ie cas échéant, que l' actio depositi par
exemple : pareille solution, admise en droit classique, révèle
qu 'à cette époque les deux actions ( actio furti, action con-
tractuelle née du dépot) tendent encore à des buts différents,
l'un répressif, l'autre indemnitaire.
Par cont:çe, si le demandeur dispose de deux actions
réipersécutoires, il ne peut pas en cumuler Ie bénéfice : l 'on
ne peut réclamer par l'action pro socio ce que l'on a déjà
ohtenu antérieurernent par l 'action communi àividundo.
Non point que le fait d 'in ten ter l 'une des actions enlève le
droit d'intenter l'autre, mais l'on ne pourra réclamer par la

' Voyez en ce sens note Pacchioni sous Cass., Rome, 27 sept. 1904,
niv. Dir. Comm. 1905, 2e p., p. 258. Pacchioni invoque il l'appui de
son opinion l 'autorité de von Thur.
2
CoRNJr., op. cit., p. 357.
·' Voyez sur ce point AccARIAs, TT, n° 856.
116 RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS •

deuxième que le surplus, c'esl-à-dire autrc chose que ce


qui a rnit été obtenu par la première 1 •
Or. la solution est identique lorsque c'est l'actio legis
Aquiliae qui se trouve en concours avec une action réipersé-
cutoire : elles ne peuvent pas être exercées cumulativement :
la victime doit opter entre les deux actions, avec cette résene
que si elle a choisi l'action la moins avantageuse, elle pourra
encore exercer en suite l' autre pour tout le surplus qu 'elle
2
lui permet d'obtenir •

L'actio legis Aquiliae était donc déjà traitée, en cas de


concours d'actions, comme une action réipersécutoire : son
intervention entre contractants est dès lors sans relation avec
le caractère pénal qu'elle avait eu à l'origine, et l'objection
que l'on prétend parfois déduire de ce caractère pénal -
qui n'était d'ailleurs qu'une survivance - est dès lors sans
aucune portée.

B. Théorie de Labbé.
89. Labbé s'est aussi efforcé d'expliquer l'intenen-
3

tion de l 'actio legis A quiliae entre contractants par des rai,


sons historiques purement accidentelles et propres au droit
romain, ce qui lui permet de dire que logiquement la règle
eût dû être différente ' et qu 'en droit moderne elle doit être
différente. D'après Ie savant arrêtiste, la lex Aquilia est cc très
probablement » antérieure aux contrats non solennels munis
d 'une action de bonne foi, cc dans lesquels ! 'office du juge sert
et suffit à la réparation des fautes ». Dès lors l 'intervention de

1 Dig. 17, 2, 43: « Si actum sit communi dividundi, non tollitur

pro socio actio, quoniam pro socio et nominum rationem habet, et adju-
dicationem non admittit ; sed si postea pro socio agatur, hoc minus ex
ea actione consequitur, quam ex prima actione consec11tus est. »
Même sofütion lorsque Ie demandeur intente l 'action pro ~och,
après avoir intenté la condictio furtiva, Dig., 17, 2, 47, pr. : Sed si ex
causa furtiva condixero, cessabit pro socio actio, nisi si pluris mea
intersit. Voyez AccARIAS, loc. cit.
• Dig. 44, 7, 34, 2. et 13, 6, 7, 1. : concours avec }'actio commodafi ;;
47, 1, 2, 3 : concours avec la condictio furtiva ; AccARIAS, loc. cit.
• Ann. de dr. coinm. 1886-1887, p. 252.
• Voyez également en ce sens Ro111''II, thèse, p. 29
RESPO~SA.J3ILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS 117

la responsahilité aquilienne entre contractants se justifiait à


l'origine par Ie fait que l'action contractuelle, dans les con-
trats de droit strict, ne permettait pas d'assurer la sanction
de toU5 les actes dommageables ; mais dans la suite cette
intenention n 'était plus rationnellement justifiable et ne
serait plus qu'une sunivance. Labbé conclut : « Si les
actions contractuelles de bonne foi avaîent existé de tout
temps, les Romains auraient, selon la uaisemblance, can-
tonné ( ce que nous devons faire en droit moderne) la loi
Aquilia dans le domaine des relations entre les tiers. n
90. L 'explication est assurément ingénieuse, bien que
conjecturale. Mais nous ne pensons pas qu 'elle puisse former
une objection valable contre notre argumentation. Si l'exer-
cice de ]'actio legis Aquiliae par un contractant contre l'autre
était uniquement et exclusivement une anomalie, vestige
d'une époque archaïque relativement lointaine, on s'étonne-
rait tout d 'abord des innombrables exemples que les textes
nous en fournissent ; on serait éga lement surpris à hon droit
que les compilateurs du Dig·este, tout au moins, ne 1'aient
point fait disparaître. Mais ce qui nous paraît décisif, c'est
que, loin de la faire disparaître, ils ont au contraire renforcé
l 'intenention de la responsahilité aquilienne entre contra<>
tants 1 : en droit classique, le créancier qui avait opté pour
l'action contractuelle ne pouvait en aucun cas exercer ensuite
l 'action aquilienne. Justinien décide, au contraire, qu 'il lui
sera loisible cle l 'intenter pour obtenir Je suppl{>ment d 'in-
2
demnité auquel elle lui <lonne droit •

Dès lors,. aucun doute ne subsiste : l'existence de la


responsabi]ité aquilienne entre contractants, loin d 'appa-

1 Pacchioni, note précitée.


2
V. GrnARD, p. 700, note. PAuL (Dig., 44, 7, 34, 2) refusait l'action
pour Ie surplus d 'indemnité, parce que ce .surplus n 'était que ! 'acces-
soire de l 'indemnité elle-même, et ne pouvait former seul l'objet
de l'action. Les compilateurs ont au contraire admis que l'action aqui-
lienne demeurait possible (" sed verius est remanere "! mais ont laissé
subsister dans Ie texte les motifs que Paul donnait pbür justifier }'opi-
nion inverse.
118 RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRÁTS

raître aux jurisconsultes romains illogique ou irrationnelle_,


découle au contraire, à leurs yeux, del 'applicahilité naturelle
de Ia lex Aquilia, qui n 'est nullement réservée, par. nature,
aux rapports entre personnes étrangères I'une à I'autre.

SECTION III. PussAscE DE RAYONNEMEL\T

DE LA RESPOl\'SABILITé DÉLICTUELLE

91. But de !'exposé.

91. Nous nous sommes attachés jusqu 'à présent à


l 'étude des textes qui régissent la responsabilité délictuelle,
et nous avons recherché dans I 'ancien droit et en droit
romain les directives qui conduisent à interpréter la volonté
prohable des rédacü•urs du Code Civil dans un sens favo-
rahle à I 'in ten ention de la responsahilité délictueJle entre
contractants.
Nom, nous proposons à présent de démontrer qu 'en fait,
dans son application par la jurisprudence, la responsabilité
dflictuelle apparaît comme une institution juridique extrê-
mernent sonple. susceptihle d 'intervenir en toute circons-
tance, douée en un mot d'une puissance de rayonnement
considérable. lI n 'y a rien de surprenant, dès lors, à ce
qu 'elle régisse égalernent - dans une mesure que nous dé-
terminerons ultérieurement - des individus entre Iesquefa
existent déjà des Iiens contractuels.

~ 1. La responsabilité délictuelle est la responsabilité


de droit commun.

92. La puissance de rayonnement de la responsabilité


délictuelle s 'atteste tout d 'ahord à l 'intérieur du domaine de
Ia responsabilité civile : les règles délictuelles y constituent Ie
droit commun.
Précisons brièvement la portée de cette affirmation.
RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS 119

Dans tous les cas ou la loi parle d'une faute, sans autre-
ment la déterminer, c 'est aux articles 1382 et 1383 qu 'il faut
se référer pour connaître en quoi elle consiste 1 • D'autre
part, l'étendue des dommages intérêts auxquels donne lieu
la violation d 'une ohligation, se détermine suivant les règles
de la responsahilité délictuelle, dans tous les cas ou la loi n 'a
point établi de base particulière pour leur évaluation.
Rappelons à eet égard que si le Code Ci,il rernnnaît
1 'existence de quatre espèces d 'obligations ( délictuellcs,
légales, quasi-contractudles rt contractuelles) , par contre
il n'organise la responsabilité qui sanctionne leur inexécu-
tion qu'à deux reprises: à propos de la première et de la der-
2
nière catégorie 11 fallait clone étendre l 'un de ces deux

régimes aux catég'Ories d 'obligations qui n'étaient point


pourvurs d 'tme sanction propre.
Certains auteurs a,aient affirm{> qur c 'étaient les règles
de la responsabilité contractuelle qui devaient être considé-
rées comme étant le droit commun, ou que ces règles
devaient tout au moins être étendnes à la matière des obli-
gations quasi-contractuelles •.
Nous n 'entreprendrons pas de réfuter ces opinions.
Nous nous contenterons de constater qu'elles n'ont jamais
été unanimement admises ', et qu 'à présent elles sont géné-
ralement rejetées •. Ce sont les règles de la responsahilité

1
Comp. SALF.ILLES, nrv. trim. 1907, p. 740: voyez Bruxelles. 5 mars
1930. J. A ., 1930, 128, à propos rlc l 'nrt. 251 rle la loi maritime (faute en
matière rl'abordage).
2
MAZPArn, op. cil., 1, n° 103.
3
Voir les références citécs par MuEAFn, loc. cit. ; LAURE'-T, t. XVI,
n° 232.
' Voyez cepentlant Bruxelles 22 février 1921, P. P., 1921, n° 407.
La Cour applique Ja règle rle l 'article 1153 sur les intérêts jurliciaires
dans le cas d'un paiement indi'1 reçn rle bonne foi : ces intérêts ne
courent donc qu'à dater de la rlemanrle.
5
MAzEAun, loc. cit. ; GALOPIN, Conrs de pr. notnrial, p. 819, texte,
el note I, BoNNECASE, Supplément au Traifé de Raurlry-Lacanfinerie, IT,
n°• 511 et s. ; Dm,rnGUE, t. IlI, n° 3 (à propos des riuasi-contrats. Dans
un autre passage, !'auteur paraît se rallier à la thèse opposée : t. III,
n° 38). Comp. BAUDRY-LACANTJ"(ERJE (I, n°• 358 et s.) : ces auteurs
n'admeltent que l'extension des principes contractuels relatifs à l'appré-
120 RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS

délictuelle qu 'il faut appliquer aux tuteurs, aux curateurs . , \- 1é'i \_


de faillite, aux séquestres judiciaires, au negotiorum gestor1" 1 't--.
et au maître dans la gestion d'affaires, lorsqu'ils manquent
à leurs obligations.
Il importe peu que pour certains d 'entre eux la loi ait
déterminé l 'étendue de leurs obligations par un critère qui
se rapproclie de celui que prévoit l'article 1137 0n rnatière
d 'obligations contractuelles ( celui de la conduite d 'un bon
père de famille : voyez par exemple, pour le tuteur, l 'article
450 du Code Civil). Car précisément, nous l'avons démon-
tré, la « faute », en matière délictuelJe, se détermine par
référence à un critère analogue ; et Ja différence tradition-
nelJe entre la conduite du bon père de famille et celle de
! 'excellent père de famille doit être rejetée 1 •
D'autre part, les règles particulières édictées par la loi
en matière de responsabilité contractuelle (notamment celles
qui concernent l 'étendue de Ja réparation) se justifient
toutes par l 'interprétation de la voJonté commune des par-
ties : eîles impliquent I' existence d 'une convention ; lors-
qu 'il n'en existe point, leur raison d'être disparaît, et leur
extension au domaine extra-contractuel ne se justifie aucu-
nement.

~ 2. Le role complémentaire de la responsabilité délictuelle

93. Définition du röle complémentaire.


- 94. Exemples : A. Responsabilité des
fondateurs de sociétés an0nymes. - 95. B.
Autres exemples.

93. Les règles de la responsabilité délictuelle ne servent


pas seulement de sanction à toutes les obli:!lations extracon-
tractuelles.
La responsabilité délictuelle apporte en outre un im-
portant complément aux diverses sanctions organisées par la
loi dans certains cas particuliers.
ciation de la faute. Or nous avons démontré que ces principes ne sont
pas différents des principes délictuels. Voyez supra, n°• 19 à 23.
1
Voyez supra, n°• 19 à 23.
RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS 121

Tantot elle s 'ajoute à une responsabilité spéciale prévue


par la loi et assure ainsi ,une réparation plus complète à la
victime ; tantot elle concourt avec une nullité que la loi com-
mine et permet ainsi de protéger plus efficacement celui en
faveur de qui la nullité était édictée 1 •
Nous donnerons à eet égard quelques exemples particu-
lièrement suggestifs. / r. 1 _ ~
e_,,'( c.lO
94. La loi sur les sociétés commercial,es institue
( art. 35) une responsabilité particulière à charge des fon-
dateurs de sociétés anonymes : cette responsahilité sanc-
tionne certaines irrégularités qui pourraient être commises
dans la constitution de la société, et que la loi énumère ; e1le
n'a donc qu'une sphère d'application assez limitée ; par
contre e1le est particulièrement rigoureuse, puisque les fon-
dateurs en sont toujours passibles solidairement. L 'ar-
ticle 35, d 'autre part, détermine aussi l 'étendue de la répa-
rati011 due dans les diverses hypothèses qu'il envisage.
On a soutenu parfois que la loi avait institué de la sorte
la « charte n de la responsabilité des fondateurs de sociétés
anonymes, et considéré que ces derniers ne pouvaient encou-
rir d 'autre responsabilité que celle, d 'une physionomie un
peu particulière, qu'organise l'article 35.
ll n'en est rien cependant : « Cette responsabilité, dit
2
Wauwermans ne porte point préjudice à l'obligation
,

de réparer pouvant dériver à charge des fondateurs ou


d'autres aute\1Fê, de dommages à raison ·aë ces mêmes faits
par application des principes généraux du droit (C. C.,
art. 1382) ou d'autres dispositions légales. >>
La jurispr11dence décide que des fondateurs peuvent

1
Parfois aussi les principes de la responsabilité délictuelle servent
à interpréter une règle légale : ainsi, l'article 1178 du Code Civil édicte
que la condition est réputée accomplie lorsque c'est Ie débiteur qui en
a empêché l'accomplissement. Mais cette disposition ne s'applique que
pour autant que Ie débiteur ait commis une faute au sens de l 'article
1382 : v. BAUDRY LACANTI'.'<ERIE, t. XIII, n° 803, qui citent d 'autres exem-
ples.
2
Manuel pratique des sociétés anonymes, n° 122.
122 RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS

être responsables, sur pied de l'article 1382, dans d 'autres


cas que ceux de l 'article 35 : par exemple lorsqu 'ils ont
affirmé dans les statuts l'existence de !'apport d'une con-
cession. alors que les décisions adrninistratives nécessaires
,,011r l'existence de cette dernière n'avaient pas été rendues :
la société étant nulle à raison de l 'impossibilité de son 0bjet,
les foncfateurs ont été condamnés à indenrniser les préjudi-
ciés '. Ce ras de resp,msahilité n 'était cependaut pas prövu
par l 'article 35.
La Cour de Cassation, à son tour, a consacré la rnême
opinion en décidant expressément que « la responsabilité
particulière, quant à sa base et à son étendue, établie à
charg·e des fondateurs d 'une société anonyme par l 'ar-
ticle 35 de la loi, ne crée pas en leur faveur une immunité à
l 'égara du droit commun ; elle ne dérog-c pas à l 'application
é,entuelle de l'article 1382 du Code Ci,il, si les conditions
2
requises par cette disposition se trouvent réunies )) •

95. Un autre exemple nous est fourni par l 'application


jurisprudentielle de J'artide 1382 en ma1ière de divorce. La
Joi a organisé la réparation du préjudi,e qui résulte, pour
l'épo11x innocent, de la rupture du lien conjug·al par Ja faute
de l'époux: coupable : la pension alimentaire que l'article 301
perm et an juge d 'allouer à l 'époux innocent est unanime-
nwnt considérée, non point comme la conséquence du main-
tien entre les époux, maJgré Ie divorce, du dmoir de secours,
mais au contraire comme une indemnité destinée à réparer
le préjudice résultant de sa disparition •. Doctrine 4 et juris-
pruden,e • s'accordent ceperidant à reconnaître que Ie juge
peut. par application de l'article 1382, allouer à l'époux

' Comm. Bruxelles, 18 janv. 1909, B. J. 1909, col. 4-91. Voyez éga-
lement Comm. Bruxelles, 8 fév. 1906; P. P. 1906, 211.
2
10 janv. 1929, Pas. 1929, 1, 57.
3
Cass. 27 oct. 1927, Pas., 1927, 1, 316
• G. füPF:RT, Chron. au D. hebrl. 1927, p. 55 ; PLA\"JOL et füPFRT,
t Il, La Famill.e, n° 643 ; PrÉRARD, Divorce et Séparation rle Corps, t. JT,
n° 633.
6
Cass. fr., 21 juin 1927, D. H. 1927, 3f}8 ; Civ. Liège, 9 avril ]930.
Pag_ 1930, 3, 54 et les décisions rapportées par les auteurs précités.
RESPONSABILJTÉ AQUILIE:\NE ET CONTRATS 123

innocent, outre la pension alimentaire de l'article 301, une


indemnité distincte, en réparation du dommage que la rup-
ture du lien conjugal a pu lui causer indépendamrnent de
celui qui résulte de la disparition du devoir de secours (par
f'xemple, l'atteinte à l'honneur de l'époux innocent qui résul-
terait des motifs pour lesquels Je dirnrce a dt1 être prononcé;
plus généralement, les souffrances physiques ou morales que
l 'époux coupable a, ait imposées à son conjoint) 1 •
Les règ:les particulièrrs de la responsahilité 11otariale
peuvent également être complétées par l'application des
2
principes de la responsahilité du droit commun •

Il en est de même de la responsabilité des arcl,itectes et


entrepreneurs. La loi les astreint à une res-ponsahilité par-
ticulière en cc qui concerne la solidité et la bonne e"Xfrution
des tra-vaux ( art. 1792 et 2270). Mais ils sont en outre, con-
formlçmcnt aux articles 1382 et 1383, responsal)les emers
Je proprié>taire et enYers les voisins, des dommaQ·es qui pour-

1 Ainsi que Ie font obsener 11:\1. PLA:\mL et RiPERT (lor. cit.), il n 'est
pas qnestion <1 'accorder des rlommages-intérêts pour élevcr le chiffre de
la pension tel que Je rlétermine l 'article 301, car le préjudice spécial qui
consisle dans la rlisparition du <lroi t de secours ne peut recevoir d 'autre
réparat.ion qnP celle que pn\voit l'arlicle 301. En d'antres termes, la res-
ponsahilité rlél'ctuelle fln droit comrnun pt>11l rumpléler la loi. mais non
point senir i, en tour11er lPs dispositions.
2 Civ. Tournai, 2 rléc. 1908. P. P. 1904. 11° 1268 : la Conr de Cassa-

lion de France a ren,111 ~ ce sujet u11 arrêt partic11lii•remenl intfressilnt


(Req. 2R déc. 1910, D. 1911, 1. 451):" Atte11d11 qu·e11 rlehor, des respon-
sabilités spéé-iales qui leur sont irnposées par l'article 68 de la loi du
25 Yentose iln TJ, les nolilires sont soumis aux règles du droit commun
et doiven t répondre des faut es par pux commises dans 1'exercire de
leur profession conformément anx artirles 1882 et 1888 C. Civ. ; qu'ainsi
d 'une part leur responsahilité peut se trouver engagée envers toute
personne à qui leur foute a causé un préjmlice et que d'autre part,
cette foute résulle aux lermes de l'article 1388 non seulement de leur
fait, mais encore de leur négli~ence ou rle ll'ur irnprudence; Attendu
que c'esl à bon droit, di·s lors, que la Cour d'Appel a consifléré comme
conslitutif d \me faute Je fait par le notaire r1 ·,IYoir 11égligé de me11-
tionner inlégralement les comlitions toutes spéciales dans lesquellcs
devait s'opérer la r{>partitio11 de la llarantie hypothécri;re consentie au
profit de la créance de Deschamps flont Lequetn est dewnu concesion-
naire, que cctte ornission a en ponr résultat d 'induire en eHeur re
dernier, qui n'aurail pas co11trnctr\ s'il avait connu la clause sus{>noncée
et qui n'a pas été rcproduite. » Vo,ez en sens contrnire : Saint-Malo.
11 mai 1907, nc1·. trim., 1907, p. 604, awc les critiques rle M. Demogue_
124 RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS

raient résulter de l 'inobservation des règlements relatifs aux


constructions dont ils se sont chargés, ou de toute autre
faute quelconque étrangère à la garantie de la bonne cxécu-
tioa et de la solidité des travaux 1 •
Si l 'annulation d 'une com ention pour vice du consen-
tement ne sauvegarde pas intégralement les intérêts de celui
qui l'a sollicitée, l'article 1382 lui fournira Ie complément
de protection nécessaire : s'il établi t une faute clans Ie chef
de son co-contractant, il pourra solliciter l' allocation de dorn-
mages-intérêts sur la base de l 'article 1382 à raison du pré-
judice subi par lui et que l 'annulation du contrat n 'aurait
2
pas réparé Le dol ou la ,iolence exercés par un contrar-

tant enrnrs l'autre sont en eux-mêmes des fautes délictuelles,


et, en cas d 'aunulation du contrat Ie contractant qui en a été
victime obtiendra facilement la réparation du préjudice qui
lui a été causé •. Si Ie contrat était annulé pour cause
d 'erreur, Ie demandeur pourrait également obtenir des
dommages-intérêts en démontrant que l'erreur était impu-
tahle à une faute de l'autre partie •.

~ 3. Le rdle régulateur de la responsabilité délictuelle

96. Définition du röle ré!!"ulateur. -


97. Exemples <lans Ic domaine extra con-
tractuel. - 98. La responsabilité rlélic-
tuelle en ras de contrat manqué ou de nul-
lité du contrat. - 99. 1° Conlrats manqués.
- 100. 2° Contrats nuls.

96. La responsabilité délic-tuelle remplit également dans


notre droit une fonction régulatrice très importante, cai:
son application modifie parfois profondément les effets habi-
1
Voyez AFBRY et IlAu, 5° érl., V, pp._ 677 et s., ainsi que les réfé-
rpnres citées.
2
Voyez DEMOGUE, t. T, n° 375. L'arrêt de la Cour de Cassation de
France (Req. 10 aotlt 1880, S., 1882, I, 311) auquel renvoie M. Demogue,
n 'envisage cependant pas Ie cas a 'une convention annulée pour dol ; il
s'agissait d 'une action en dommages-intérêts dirigée contre un tiers
dont les manamvres dolosives avaient déterminé Ie demandeur à
souscrire des titres de sociétés.
3
PLANIOL et füPERT, t. VI, Oblig., n°' 198 et 208
4 PLANIOL et füPF:RT, op. cit.' n° 189.
RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS 125

tuels ou normaux de di, erses règles de <lroit a vee lesquelles


elle se combine.
97. La théorie de l 'abus des droits, par la généralité de
son domaine d 'application, constitue la manifestation la plus
remarquable du role régulatcur de la responsabilité délic-
tuelle. L'article 1382, en effet, est la seule base que cette
théorie trome actuellement dans le droit positif belge ou
français 1 : l 'acte abusif constitue un acte illicite, ou, plus
2
précisément une faute (au sens ou l'entend l'article 1382):
tous les cas d 'abus de droit admis par la jurisprudence, qu 'il
s'agisse de l'exercice d'un droit dans une intention ma]i-
cieuse, de l'usage d'un droit pour un motif i1légitime ou
pour une fin contraire à sa destination économique, rentrent
dans la sphère d'application de l'article 1382 •.
La théorie de l 'apparence • trouve parfois également
son fondement dans l 'article 1382 : tel est Ie cas pour la res-
ponsabilité du mandant à raison des actes accomplis en son
nom par un mandataire apparent •. L 'opposahilité des actes
accomplis par l 'héritier apparent à l 'héritier véritable a été
églement présentée par certains auteurs comme une consé-
quence de la nég]igence que ce dernier avait apportée à éta-
blir sa qua]ité et à revendiquer ses droits •.
Mais le role régulateur de la responsabilité dé]ictuelle
se manifeste également dans de multiples hypothèsf's parti-
culières.

1
Certains auteurs la jugent d'ailleurs suffisante : DEMOGUE, t. lV,
n° 686; CAMPJON, thèsc, n°8 413, 432; JossERA'\D, De !'esprit des droits,
n°8 324 s. D'autres, il est uai, soulignent plus volontiers que « l'abus
des droits vient renforcer les articles 1382 et suivants en permettant
d 'atteindre des agissements qui leur échap11ent n Bo">NECASE, Sup-
plém., t. m, p. 467.
2
PLA',JOr, et RIPERT, t. VI, n° 578.
3
Campion, qui donne à la théorie <le l'abus des droits une exten-
sion encore plus grande, persiste à lui tronver un appui en droit
positif dans l'article 1382: op. cit., n° 433.
• Sur la responsabilité envers les tiers de ceux qui ont créé une
situation apparente contraire à la réalité, voyez DEMOGUE, UI, n° 238.
5
Voyez .JossERAND, Cours de droit ci1•il, t. IT, n° 1418.
• Cou'\ et CAPITA'<'T, t. I, p. 973.
126 RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS

Elle intenient notammcnt dans l'application de l'ar-


ticle 2279 du Code Civil : Ie possesseur d'une chose mo:ü-
lière se tromera parfois cmpêché, par l'effet d'une respon-
sabilité délictuelle encourue par lui, d 'écarter la revendica-
tion d'un tiers.
Tont d'abord ceux qui possèdent une chose mobilière
par suite d'un quasi-délit ne peuvent se pré,aloir de l'ar-
ticle 2279 1 • Même en dehors de ce cas, si Ie possesseur s 'est
abstenu de toute recherche, même élémentaire, pour s'assu-
rer que cel ui qui lui remellait l 'objet en gage ou à titre de
propriété, en était bien propriétaire, il comrnet une faute
dont il doit réparation ; l 'indemnisation la plus appropriée
à Ja nature du préjudice, consiste à refuser au possesseur Ie
2
hénéfice de l'article 2279 C'est ce que fait la jurispru-

3
dcnce •

Certains auteurs en donnent une autre explication :


Ie possessour en faute de n 'a,oir pas pris les précautions
{•Jprncntaires que lui imposaient les conditions mêmes dans
losquelles il a traité. doit être considéré comme étant de mau-
vaise foi •. ,rais cette interprétation nous paraît moins satis-
faisante : si Ie possesseur a fait preuve d 'imprudence en
s 'ahstenant d' érlairer sa honne foi, cette circonstance ne fait
pas de lui un possesseur de mauvaise foi. La bonne foi con-
siste en effet dans la croyance oü a été Ie possesseur que

1 BAUDRY LACANTI'iERIE, Prescription, n° 837 ; AcBRY et RAu, IT,


p. 156.
2
Nous avons rappelé antérieurement que la répnration du pré-
jrnlice ne doit pas nécessairement consister en l 'allocation d 'une somme
d'argent: v. supra, n° 35.
3
Seine, 4 juin 1907, G. T., 27 juillet 1907: " Celui qui achète à
b,1s prix un nombre considérable de titres de nature spéciale, et fait
ainsi une opération sortant du cadre des affaires courantes de l I banque
à laquelle il s'adresse, commet, en s'abstenant de s'enquérir du nom
du venrleur, de ! 'origine des titres, des motifs qui pouvaient déterminer
leur propriétaire à s'en défaire dans ces conditions anormales, une
fante qui ne lui permet pas d'invoquer l'article 2279 du Code Civil. »
Voyez en ce qui concerne une automohile reçue en g,1ge sans aucune
Yérification préalahle du droit du remettant: Cour d 'Alexandrie, 18
j11in 1929, Rev. trim., 1930, p. 191. Voyez Ammv et RAU, § 183; Comp.
Civ. Brnxelles, 6 mars 1930, J. J. P. 1930, 145.
4
PLA'iIOL et füPERT, TTI, Lrs Biens, n° 381 in fine.
RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS 127

celui qui lui a remis la chose en était le légitime propriétaire:


la fautc commise n 'exclut pas nécessairement cette croyance,
et, dans le doute, la mauvaise foi ne peut être présumée.
Le principe aux termes duquel la partie qui succomhe
doit être condamnée aux dépens, (C. Pr. civ., art. 130) est
également dominé par celui de l 'article 1382 du Code Civil.
Ainsi, Ie juge, tout en accueillant un déclinatoire, peut
cependant condamner aux dépens celui qui l 'oppose, s'il
estime que ce dernier aurait pu éviter au demandeur les frais
qu 'il a exposés '; plus généralement, Ie plaideur qui triomphe
peut néanmoins être condamné à tout ou partie des dépens
2
lorsque c 'est par sa faute qu 'ils ont dû être exposés dans :

ce cas, la règle posée par l'article 130 du C. Pr. civ. se trou-


vera en quelque sorte paralysée.
L'indemnité due par l'expropriant au propriétaire
exproprié doit faire entrer dans Ie patrimoine de ce dernier
une valeur susceptible rle remplacer intégralement celle du
bien dont il est privé. Néanmoins, si Ie pouvoir expropriant
commet au cours de la procédure une faute dommai!,reable,
il sera passible en raison de ce fait, de dommages-intérêts
supplómentaires destinés à réparer Ie préjudice particulier
qui en est résulté pour l'exproprié • : nouvelle intervention
des principes de la responsabilité délictuelle dans des rap-
ports juridiques spécialement organisés par la loi.
Les conséquences légales d 'une cession de créance
peuvent aussi être altérées par l'application des principes de
la responsabilité délictuelle : suivant Ie droit commun, le
débiteur cédé peut opposer au cessionnaire toutes les excep-
tions qu'il aurait pu opposer au cédant. Néanmoins, il ne
pourrait pas lui opposer l 'exception déduite du caradère

1
Comm. Bruxelles, 5 nov. 1930, J. c. B. 1930, p. 405.
2
Comm Anvers, 11 juillet 1910, J. 4. 1910, 1, 337; J. P. Roche-
fort, 26 amît 1916, J. J. P. 1917, p. 220; Tournai, 27 mars 1924, Pas.
1924, 3, 148. La Cour <le Cassation <le France a nettement affirmé le
principe : 4 fév. 1907, Pas. 1907, 4, 153, et 30 janv. 1912, Pas. 1914,
4, 78. C.omn. Bruxelles 18 avril 1917, Pas. 1919, 2, 10, et Huy 20 fév.
]!)l :i, Pas. 1913. 3, 132.
3
Cass. ::9 aHil 1920, Pns. 1920, 1, 127.
128 RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS

simulé de la dette 1 : c'est la sanction de l'imprudence qu'il


a commise en consentant à se reconnaître débiteur dans de
2
parei.lles conditions •.

98. La fonction régulatrice de la responsabilité délic-


tuellc se révèle aussi dans Ie domaine des contrats eux-
mêrnes. Parfois les rapports juridiques contractuels que les
parties ont voulu instituer entre elles ne sont pas venus à
l 'existence, ou disparaissent dans la suite rétroactivement :
Ie contrat est manqué, ou il est nul.
Les parti es, dans ces hypothèses ne demeurent pas
nécessairement étrangères l'une à l'autre. L'échec d'un con-
trat, ou son annulation entraînent souvent des dommages,
dont il y a lieu d'assurer la réparation. Mais les parties ne
trouvent évidemment pas dans Ie contrat qu'elles avaient
envisagé le moyen d 'y pourvoir : ce sont les règles de la res-
ponsabilité délictuelle qui doivent en ce cas intervenir : elles
remédient à l'impuissance du rnntrat. En outre, elle altèrent
assez profondément les principes établis par le Code à l'égard
des nullités : les conditions légales de la nullité et ses effets
légaux doivent être combinés avec l'article 1382.
Le role de la responsabilité délictuelle en ce domaine
exige quelques développements.

J. - Contrats manqués
99. Le contrat n'existe qu'à la suite du concours con-
scient des consentements des parties. Aussi longtemps que

1 Cour d'Alexandrie, 7 fév. 1929, ,Rev. trim. 1930, p. 195.

• On pourrait multiplier les exemples : Ie créancier qui renonce


aux sûretés remises par l'un de ses co-débiteurs solidaires, ne conserve
pas son recours contre les autres lorsque sa renonciation était motivée
par un but de pure spéculation : AuBRY et R.rn, t. IV, § 298ter in fine;
comp. PLANIOL et füPERT, VII, Oblig., p. 447, note 2. Voyez AuBRY et
RAu, 5° éd., t. VI, p. 329, note 9; voyez pour la responsabilité d'un
donneur d'aval, s'il a rendu possible par sa faute une majoration frau-
duleuse du montant de la traite : Paris, 13 juin 1913, G. P., 1913, 2•
sem., 2, 387.
RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS 129

l'offre n'a pas été acceptée, il n'y a pas de contrat, et l'offre


peut en principe être retirée sans que ce retrait puisse être
considéré comme un refus d'exécuter le contrat - sans donc
que la responsahilité contractuelle puisse être encourue.
Mais Ic retrait de l'offre peut, à raison des circonstances
dans lesquelles il a lieu, constituer une faute dé]ictuelle, s'il
n'est pas fondé sur un motif valable; car le destinataire a pu
très légitimement, avant de l'accepter, la prendre en con-
sidération, et engager dès ce moment certaines opérations,
renoncer à d'autres ', etc ... Le retrait inconsidéré de l'offre
déçoit alors sa confiance légitime et constitue un acte
illicite.
Le refus de contracter peut entraîner pour l 'autre
partie un préjudice plus ou moins grave : dépenses faites en
vue du contrat, perte des avantag·es qu 'il devait procurer ;
occasion de conclure avec un tiers un contrat avantageux
et que la considération de la comention que l 'on croyait
devoir SC' réaliser a fait négliger.
Dans ce cas, Ie pollicitant en faute est responsable, et sa
responsabilitr est fondée sur l'article 1382 du Code Civil.
Telle est la solution adoptéc par la majorité de la doctrine "
et de la jurisprudence ".
Von .Thering voulait faire reconnaître à la responsabilité,
dans ce cas, un fondement contractuel, et à cette fin, avait
échafaudé l 'ingénieuse théorie de la culpa in contrahendo.
Au cours des pourparlers se formerait entre les parti es une
première convention ( d' ailleurs tacite) par laquelle elles
s 'engageraient à prester l'une en vers l 'autre la dili_qentia

0
1 PLAliIOL et RrPERT, op. cit., t. VI, !l 131.
2 Bnr"', n° 132; MAZEAUD, n° 5 117 et 118; DFMOGUE, t. I, n° 35; Mnn,11~,
op. cit., pp. 123 s. ; AmmY et RAu, lV, p. 483; DEl\lOLmIBE, 2+, n° 71 ;
PoTH11m, Oblig., n° ]9; Cnmo:-.1, Colpa extrac" n° 426 (voyez repenrlant
Col pa contr., pp. 12 à 19).
3 Liège, 11 janvier 1902, Rec. gén. 1902, 111 : Civ. Brux., 5 ja11v. 1929,

P. P. ]929, n° 56 ; 20 oct. 1929, Rei•. qén. ass. resp. 1929, n° 511 ; Comm.
Bruxelles, 28 fév. 1923, J. c. R., 1923, p. 222: Rennes, 8 juillet 1929,
D. ll. 1929. p. 548.
130 RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS

in contrahendo c'est-à-dire à ne pas rompre les négociatio,ns


sans raison valable '.
On a, à bon droit, reproché à ce système son caractère
2
factice Il est au surplus, parfaitement inutile : il suffit de

reconnaître que la situation des parties pendant les pour-


parlers crée des obligations spéciales de prudence, comme
Ie fait qu 'une rue est à un certain moment encomhrée im-
pose des obligations particulières aux conducteurs de véhi-
cules qui y circulent 3 • Le cas du pollicitant et de l 'acceptant
rentre donc parfaitement dans Ie cadre des situations que
l'article 1382 régit constamment. Dès lors, en dehors de
l 'hypothèse ou l 'offre était accompagnée d 'une promesse
expresse de la maintenir et ou cette promesse a été acceptée,
les parties, pendant Jes pourparlers, sont régies par les
règles de la responsabilité délictuelle.
Les rnnséquences de ce principe sont importantes: puis-

1
La théorie de von Jhering a été adoptée par certains auteurs: RA TTDRY
LACA!\TJXERIE, Oblig., t. I, n°' 68 et 362; PLANIOL, Traité élém., t. Il, n° 983;
LAFmf.:, notes au S. 1882, 2, 249, S. 1886, I, I,; SALEILLES, Oblig., pp. 176-
177.Von Jhering dispensait même Ie demandeur en dommages-intérêts
de prouver Ie caracti•re fautif du retrait de l 'offre ; mais Pr,ANIOL et
RIPERT (t. VI, n° 131) tout en admettimt Ie caractère contractuel de la
responsahilité, soulignent que ce caractère n'entraîne pas nécessairement
une responsahilité pour simple fait et de plein droit.
Certains auteurs rattachent la responsahilité de l 'offrant à un enga-
gement unilatéral qui aecompagnerait nécessairement toute offre de con-
tracter. Non moins factice que la théorie de von Jheriné'., cette théorie se
heurte en outrc à des ohjections fort graves : voyez MAzEAUD, I, n° 119 ;
PLANIOL et RrPimT, loc. cit.
On distingue parfois l'offre proprement nite des simples proposi-
tions : la première seule présenternit par elle-même un caractèrc obli-
gatoire (PLANror, et füPERT, t. VT, 11° l 33î. La théorie ne la rcsponsabilité
délictuelle se passe aisément ne ces distinctions : voyez à eet égard la
théorie de M. Fagella, qui repose en droit positif sur l 'article 1382 ( ,ma-
lysée par SALEILLES, Rev. trim. 1907, p. 697).
2
Le " contrat tacite " de von Jhering est une fiction que rien ne
justifie: il arrive fréquemment que deux individus agissent au su l'un
de l 'autrc et pourraient se grner mutuellcment : va-t-on supposer pour
cela qu'ils conrluent tacitemcnt une convention an sujet de la prudence
donl ils rlevront tous deux faire preuve ~ (Voyez SALEILLEs, Rev. trim ..
1907. p. 697.) Contra: PLANIOL et füPERT, t. VI, n° 131.
• DEMOGUE, 1, n° 35.
RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS 131

que le retrait inconsidéré de l 'offre constitüe ûn quasi-délit,


l'incapacité de l'offrant ne fait pas obstacle en principe à
l 'action en responsabilité dirigée contre lui ( C. Civ., art.
1310) ' ; la preuve à faire par le demandeur, est celle d'un
simple fait : elle pourra donc être adrninistrée par toute voie
de droit, et non pas sui\ant les modes requis pour la preuve
2
des contrats ou des actes juridiques en général •

Enfin l'étendue de la réparation sera également réglée


par les principes de la responsabilité délictuelle : elle com-
prendra tout le préjudice certain qui est la conséquence di-
recte du retrait fautif de l'offre; notamment, les dépenses et
les dérangements causés par la promesse imprudemment reti-
rée •. La réparation du dommage soulève une question déli-
cate : le juge n 'étant pas obligé d 'adopter un mode de répa-
ration pécuniaire, ne peut-il pas condamner l'offrant, à titre
de dommages-intérêts, à exé,uter Ie contrat, dans Ie cas ou
il est possible de l 'y contraindre? Certains auteurs n 'hésitent
pas à l'affirmer• mais l'unanimité n'est point faite"; la juris-
prudence condamne implicitement cette thèse, puisqu 'elle
refuse d'allouer au préjudicié aurnne indemnité pour Ie béné-
fice que lui aurait procuré le contrat s'il s 'était réalisé : ce
serait reconna'Ître que le contrat existe et Ie juge n'a point

1 Cette conséquence paraît choquante à plus d'un auteur, parce que

l'incapable n'aurait jamais été tenu par le contrat s'il avait été conclu.
Mais cette circonstance aura sculement en fait une double conséquence :
d'une part, le demandeur en dommages-intérêts pourra, le cas échéant,
se voir opposer la faute personnelle qu'il a commise en engageant des
pourparlers avec un incapable ; rl 'autre part, Ie fait que la convention
qu 'il croyait pouvoir conclure eC1 t été annulable devra être pris en con-
sidération dans l'évaluation des dommages-intérêts (v. en ce sens
MAzEAUn, op. eit., I, n° 121î. - C'est donc hien à tort que MM. PJ.A:"'i'OL
et RrPERT ( op. cit., n° 131) adoptent la thèse rle la responsabilité contrac-
tuelle dans Ie seul hut de faire échapper à tout recours l'incapable.
2
Rennes, 8 juillet 1929, D. IT. 1929, p. 548.
' Rennes, 8 juillet 1929, précité. Cf. A. Rnu"-, op. ei/., n° 137.
4 MAZEAUD, op. ei/. I, n° 120; PLA'-IOL et füPERT, VI, n° 132, qui ne

l'admettent que dans rles cas exceptionnels et lorsque Ic préjudice est


eonsidérahle.
·' Rn•"\om, Propriélé el con/rol, p. 604; v . .hIETil"-G admet seule-
ment l'allocation de ce qu'il appelle Ie Negative Vertragsinleresse ; cornp.
DEMOGUE, 1, n° 36.
132 RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS

Ie droit de l'admettre lorsqu'il constate d'autre part que l'élé-


ment essentie!, Ie concours de volontés, n'est pas réalisé 1 •

Il. - Contrats nuls

100. A. La nullité absolue d'un contrat, pour défaut de


cause ou surtout pour défaut d 'objet, peut entraîner la res-
ponsabilité d 'un contractant, s'il connaissait, ou devait con-
naître, la cause de nullité au moment de la comention 2

Mais l 'intervention de la responsabilité délictuelle à


titre de facteur régulateur est particulièrement remarquable
dans les cas ou un contrat est entaché d 'une nullité relative
pour vice du consentement ( dol, erreur, violence).
1° Tout d 'abord, lorsque Ie contractant qui se plaint
d 'avoir été victime d 'une erreur, d 'un dol, ou de violence,
est lui-même en faute, Ie juge peut refuser de prononcer la
nullité.
Ainsi. lorsque la partie qui reçoit des offres a traité
de bonne foi en considération des chiffres et faits erronés
que lui indiquait l'autre partie, celle-ci ne peut obtenir l'an-
nulation du contrat en invoquant l'erreur qu'elle a com-
mise : car chacun doit suhir les conséquences de ses propres
négligences 3 •
Le dol ne vicie pas les contrats, même s'il est un dolus
causam dans contractui, s'il n 'a pu avoir d 'effet qu 'à raison
d'une faute commise par l'autre partie : par exemplc, si
l'acheteur a été trompé par des affirmations du vendeur que
par légèreté il a néglig·ó de vérifier, il ne pourra obtenir la
nullité du contrat, hien qu 'il ait été victime d 'une manmuvre
dolosive 4 ;
2° Si cependant Ie juge prononce la nulJité malgré que
l 'erreur ait été Ie résultat d 'une négligence ou d 'une
1
Rennes, 8 juillet 1929, précité. Cf. A. BRU\', op. ei/., n° 137.
2
Voyez AR'iTZ, III, n° 94-5; LAURENT xxrv, n° 92.
3
PLANIOL et RrPERT, t. VT. n° 190 ; DEMomm, 1. T, n° 245. C'est Ic cas
dit de l'erreur unilatérale.
4
DEMOGUE, I, n° 360 ; Bm::!i, Of!. ei/., n° 150.
RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET UONTRATS 133

légè1 eté ', le co-contractant pourra se fonder alors sur la


faute commise par le demandeur en nullité, et qui a entraîné
la disparition du contrat, pour réclamer des dommages-
intérêts qui diminueront parfois sérieusement le bénéfice que
2

l 'annulation avait' procuré à cel ui qui l 'avait obtenue •

3° Dans les cas ou le vice du consenternent allégué ne


présente pas les caractères indispensables pour constituer
une cause de nullité ( si l 'erreur ne portait que sur une qua-
lité non substantielle, si le dol ou la ,iolence n 'étaient
qu' « incidents n c 'est-à-dire n 'ont pas déterminé à contrac-
ter mais seulement à accepter certaines conditions), celui
qui s'en prévaut pourra du moins ohtenir une réparation pé-
cuniaire du préjudice qu'il subit: la responsabilité délictm::-lle
3

comble ainsi les lacunes de la théorie des nullités qui,


capable de faire tornher le contrat, ne donne pas le rno)en
de le corriger.
Certains auteurs admettent même que la réparation
pourrait être allouée sous une forme autre que celle <l 'une
indenmité, et consister en la suppression des clauses qui
n 'auraient pas été acceptfrs sans l'erreur, 1c dol ou la
violence •. Cette solution nous paraît cependant difficile à
approuver puisqu 'elle perm et au juge de suhstituer dans un
contrat sa propre volonté à celle des contractants.
La responsahilité délictuelle intervient don, constam-
ment dans la mise en ceuvre df's règles sur la n11llité des
contrats, et en rnodifie parfois profond<'rne11t les réper-
cuss1ons.
11 . .Jherinp- arnit, il est uai, fait également application
de la théorie <le la culra in confrahcndo aux cas df' respon-
sahilité pour nullité du ,ontrat, et rfo rares dé.isions s \ sont
ralliées •. Suivant lui, les parti es s 'étaient en;2w.rées à faire

0
' DEMOGUE, I, pp. 400 et s. ; Bnr'\, op. ril., Jl 139, p. 157.
;J B1wx, loc. cit. ; Cm.,, et CAPTTA,T, t. ll. p. 282.
3 A. RnuN, op. cit., p. 156.
·1 Pour la violence : DEMOGl'E, I, n°·' 325 cl 327 ; pour Je <lol : Tn.,
n° 377.
3 Yoyez par exemple Comm. (;and, 28 ocl. 1908, Pas., 1910. 3. 212:

Trib. Milan, 14 février ]910, Ri11. dir. civ. 1910, 83G, n. Asroli.
134 RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS

toute diligence pour que leur convention fût valable : Ie


simple fait de son annulation suffirait à prouver que cette
obligation n'est pas remplie et entraînerait la responsabilité
du demandeur en nullité.
Le caractère factice de cette méthode est ici moins sen-
sible que dans l 'hypothèse du contrat manqué, puisqu 'il y
avait cette fois incontestablement un accord de volontés : si
Ie but véritable du contrat, disait von Jhering 1 , (à sarnir ;
la production d'une obJig·ation d'exécuter une certaine pres-
tation) est manqué, Ie contrat n'est pas cependant radica-
lement inefficace et il a pu produire des obligations d 'une
autre espèce.
Néanmoins, cette argurnentation, plus ingénieuse et
subtile que convaincante, n'a guère rencontré d'adhésions 2 •

Elle ne traduit d'ailleurs pas la situation réelle, car les


effets dommageables de l 'annulation d 'un contrat ne sont
pas les effets de l'inexécution d'une obligation créée par
Ie contrat, mais résultent au contraire d 'actes antérienrs
à l 'existence de tout rapport obligatoire a.
La thèse de la responsabilité contractuelle est d 'ailleurs
inutile, car l 'application de l 'artide 1382 suffit à expliquer
très simplement les solutions admises •, ainsi que la doc-
trine • et la jurisprudence •, dans leur ensemble, persistent
à l 'affirmer.

C. Les principes de la responsabilité délictueJle sont


appJiqués intégralement dans ces hypothèses : la réparation
s 'étf:mdra à toutes les conséquences de la faute commise, car
1
Culpa in contrahendo, n° 12.
2
S4.LF.ILLF.S, Oblig., n° 161 ; RATTDRY LACAYl'TNF.nIF., Obliq., t. J, pp.
107 et 407; LARRÉ, note au S., 1882. 2. 150; voyez J'exposé rle leurs opi-
nions flans A. Bnu", op. cit., n° 142.
3

4
Note Asroli, Riv. dir. civ. 1910, 836; comp. A. BnuN, op. cit., p. 161.
Si von TherinQ" cherchait une base contrnctuel!e à la responsilbilité,
c'était pour justifier la solution qu'arlmettait Ic rlroit romain : v. PLANJOL
et füPRRT, VI, n° 324.
5
DRMOGUE, I, n° 245; MAZEAHD, op. cit., I, n° 130 ; MBIG'-IÉ, op. cif.,
p. 148; A. RRFl\, n° 143; AuRRY et RAu IV, p. 497; DPMOLOMHE, t. 24.
n° 151
6
; RnF:-.orn, p. 608 in fine; fü:nQuÉ, Rev. trim., 1914, p. 258.
Voyez par exemple Anvcrs J 3 jan v. 1896, R . .T. 1898, p. 111.
RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS 135

la jurisprudence n'admet pas la théorie du negative vertrags-


interesse, dans le cas d'annulation d'un contrat 1 • Au con-
traire, pour assurer une réparation plus adéquate et plus
complète, elle admet parfois à titre de sanction le maintien
du contrat.
L'incapable est passible de dommages et intérêts, puis-
qu'ils sont la conséquence d'un quasi-délit. Toutefois, le juge
ne pourrait en aucun cas lui refuser le bénéfice de l'annu-
lation, car ce serait porter atteinte à la protection de l'inca-
2
pable, qui intéresse l'ordre public •

§ 4. C onclusions

101. Notre étude nous a ainsi permis de faire di,erses


conslatations importantes, qui éclairent le caractère que
revêt la responsabilité aquilienne dans notre droit actuel.
J. - La sanction ordinaire de toutes les obligations
légales est la resp~msabilité délictuelle; leur violation cons-
titue une faute au sens de l'article 1382 et entraîne les con-
séquences que les fautes de ce genre comportent.
II. - Dans le cas même ou certains faits dommageables
sont sanctionnés par des dispositions légales particulières, le
juge peut toujours, s'il aperçoit une faute au sens de l 'ar-
ticle 1382, allouer des dommag-es-intérêts sur la base de cette
disposition, pour :r.éparer un préjudice que les sanctions par-
ticulières organisées par la loi ne répareraient pas.
III. - Enfin, l'étude du role ré.9ulateur de la respon-
sabilité délictuelle nous a révélé tout d 'abord que 1'appli-
cation des règles légales est généralement subordonnée à la
condition que celui qui en réclame le bénéfice ne soit pas
coupable de faute : sinon, à titre de sanction ( de nature
délictuelle) Ie bénéfice de ces dispositions lui est refusé, ou
ne lui est accordé qu 'à charge de dommages et intérêts.

1
A. BRU'i, n° 150.
2 MEJGNIÉ, p. 156.
136 RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS

D'autre part, la responsabilité délictuelle intervient fréquem-


ment entre des personnes liées déjà par des rapports juri-
diques spéciaux dont elle altère ou même supprime les effets
norniaux.
Il est permis de penser dès lors que Ie caractère très
général de la rosponsabilité aquilienne, la possihilité de son
application en toute circonstance, ne sont pas seulement
l'effet d'une survivance ou d'une tradition. En fait, les
articles 1382 et suivants constituent des principes essentiels
de notre organisation juridique, dont la fonction est de don-
ner satisfaction à l 'équité dans tous les cas ou Ie jeu des
autres règles de droit pourrait y porter atteinte. Rien ne
permet d'affirmer apriori que cette institution ne peut rem-
plir son role qu 'entre des tiers ; ce serait arbitrairement en
limiter les effets, ajouter sans raison à la loi une condition
que ni son texte ni son esprit n 'imposent à l 'interprète.

SEcTIOl\' IV. CoMPARAISON


AVEC LES AUTRES RÈGLES EXTRA-CO."ITRACTUELLES
HÉU'\"IES DANS LE LIVRE III, TITRE IV ou CoDE C1v1L

§ 1. Bul de la comparazson

102. Peut-on tirer argument de ce que les principes


de la responsabilité dólictuelle sont rangés dans Ie Code
non seulement sous la rubrique des (( engagements qui se
forment sans convention », mais auprès d'autres règles
( celles des quasi-contrats) dont l 'application requiert
comme condition préalable, suivant divers auteurs, !'absence
de lien contractuel entre les parties en causeil L 'ensemble
des règles de cptte section constituerait en quelque sorte Ie
(( statut » des tiers, par opposition au « statut » des con-
tractants.
L 'argument. à supposer que son point de départ soit
exact, est d 'une faihle portée, pvisqu 'il repose sur une
simple analogie. Mais en réalité, il manque totalement de
RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS 137

base, car les obligations quasi-contractuelles sont parfaite-


ment susceptibles d'exister entre parties liées par un contrat
et à propos de l'exécution de ce contrat.
L 'opinion contraire est assez souvent adoptée, mais elle
procède, suirnnt nous et suivant les auteurs les plus récents,
d 'une insuffisante analyse des données de la jurisprudence
en la matière.
Précisérnent, nous voudrions serrer de plus près la ques-
tion, et déterrniner les conditions auxquelles est soumise
1'existence d 'oh liga tions quasi-col_ltractuelles entre contrac-
tants : eet examen rentre parfaitement dans le cadre de
notre étude ; nous constaterons, en effet, ultérieurement
que 1'intervention des règles de la responsahilité délictuelle
est sournise à des conditions tout à fait analogues.

§ 2. L' existence d' obligations quasi-contraduelles


entre contracf ants

103. Paiement indû et gestion (!'affaires.


- 104. Enrichissement sans cause.

103. Nous n'insisterons pas sur le cas de la répétition


de l'indû, dont l'intcrvention entre contractants se conçoit
aisément, et qui pourra être exercée notarnment lorsque
l'un des contractants avait effectué une prestation à laquelle
il se croyait erronément obligé en verlu du contrat.
L 'action de in rem 1 erso ( dont l 'action en répétition
1

de l 'indlî est un cas particulier) et l 'action de gestion d 'af-


1
faires peuvent égalemcnt trou-ver place entre contractants •
Sous la double réserve que voici : 1° il faut que les conditions
requises par chacune d 'elles se trournnt véritahlement réu-
nies ; 2° il faut que leur intentement n 'aille pas à l'encontre
de la volonté des rnntractants telle qu 'elle résultc de la con-
vention et des dispositions supplétives de la loi, on à l'en-
contre de la ,olonté impérative de la loi.

1 V. Dn,mmrn, ITT, n° 26.


138 RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS

Les exemples de gestion d 'affaires entre personnes


liées par un contrat sont relativement nombreux '; Ie man-
dataire est sou vent amené à dépasser sa mission, dans l 'inté-
rêt même du mandant, et se constitue ainsi Ie gérant
d 'affaires de ce dernier 2; plus généralement, Ie contractant
qui, pour éviter une perte à son co-contractant, fait plus
qu 'il n 'était obligé de faire en vertu du contrat, dis pose de
l 'action de gestion d 'affaires : il en est ainsi du remorqueur
qui prête au remorqué un secours exceptionnel ne rentrant
pas dans les opérations habituelles du remorquage • : cette
solution est même consacrée par la loi en Belgique •.
Les solutions opposées données par certaines décisions
s'expliquent aisément : tantot l'acte de prétendue gestion
constituait un acte imposé par Je contrat, et dès lors Ie fon-
dement même de la gestion d'affaires (c'est-à-dire Ie service
volontairement rendu à autrui) faisait défaut •; tantot au
contraire l'acte avait été formellement interdit par Ie co-
contractant •; tantot enfin, l'action intentée par Ie pseudo-
gérant n'avait pour hut que d'échapper à l'application d'une
7
disposition légale •

104. Aucun obstacle de principe n'empêche l'action de


in rem verso a'être intentée par un contractant à l'autre •.
1
V. DF.MOGUF., III, 11° 26; en Belgique, voyez par exemple Anvers,
10 mars 1891, J. A. 1892, 1, 146; Namur 21 déc. 1908, B. J. 1909, 703;
v une espèce particulièrement intéressante : Gand 9 juin 1927, B. J.
1928, 555 ( contrat de report).
2
Répert. prat. Dalloz, V0 Quasi-conlrat, 11° 15.
3
Req. 20 mars 1928, S. 1929, 1, 25.
4
Loi mnrit., ;irt. 259, voycz Pand. b., V0 Traine, n°' 602 et suiv.
5
Voyez PLANIOL el füPERT, t. VII, n° 727 ; Paris, 26 juin 1899, D.,
1900, 2, 154. Dans l'arr/lt précité dn 9 juin 1927, la Cour de Gand disait:
« Atlendu que la nature des rapports contractuels existant entre parties
n'excluait pas la possibilité de relations quasi contractuelles comme etît
pu Ie faire I 'existence d 'un contrat de mandat prescrivant ou réglant les
actes qui ont été accomplis à titre de gestion d'affaires. ,,
• Bruxelles, 30 déc. 1904, B. J. 1905, 113.
7
Par exemple I 'article 1793 du Code Civil qui interdit à un architecte
de réclamer une augmentation de prix sans consentement écrit du pro-
priétaire, Bruxelles, 23 juin 1902, Pas., 1903, 2, 17].
' V. notamment note Naquet au S. 1918-19, 1, 41. Comp. DEMor.uE
III, 11° ]4,5.
RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS 139

L'action pour enrichissement sans cause sera, il est vrai,


cantonnée dans des limites étroites, car elle ne pourrait
permettre à un contractant d'obtenir indirectement une
rescision pour lésion, ni de rompre l'équilibre des presta-
tions contractuelles tel que les parties l 'avaient fixé oonven-
tionnellement 1 •
Plusieurs auteurs out même estimé que l'in rem versio
était entièrement incompatible avec l'existence d'un lien
contractuel, à raison du caractère subsidiaire reconnu géné-
ralement à l'action d'enrid1issement injuste, suivant !'opi-
2
nion d'Aubry et Rau D'après ces derniers auteurs, l'action

de in rem ·verso existe seulement dans le cas ou l'appauvri


ne jouit, pour ohtenir ce qui lui est dû, d 'aucune adion nais-
sant d'un contrat, d'un quasi-contrat, d'nn délit ou d'un
quasi-délit. La Cour de Cassation de France a adopté sans
réserve cette opinion •.
Mais, ainsi que le fait très exactement ohserver
M. Naquet 4, il ne faudrait pas en conclure que « l'action
ne peut pas se souder, se rattacher à un contrat qui, sans
être la cause directe de l'action, peut en être la cause indi-
recte n. Il fait oh server ensuite que le Code lui-mêrne con-
sacre le principP ilP l 'enrichissement injuste dans des dispo-
sitions <lestinées à régler les droits de personnes liées par un
5
contrat ( art. 1312, 1241, 1864 ).

1 V. DEMOGlTE, TTI, n° 144; PLANIOL et RIPFRT, t. VII, n°• 763 s.


2
AmmY et RAe, t. IX, p. 362. Voyez snr cette question, Dm,mGPE, ITI,
n° 175
3
Req. 12 mai 1914 ; S. 1918-19, 1, 41, n. Naquet. - Le principe
est d 'ailleurs fréquemment contesté, et il ne faudrait pas lui accorder une
valeur absolue: voyez DFMOGUE, loc. cit. et le commentaire de M. Bartin
sous le passage d 'Aubry et Rau précité.
• Note précitée.
5
Lorsque les mineurs, les interdits ou les femmes marii\es sont
arlmis, en ces qualités, à se faire restituer contre leurs engágements,
le remboursement de ce qui aurait été, en conséquence de ces engage-
ments, payé pendant la minorité, l 'interdiction ou le mariage, ne peut
en être exigé à mains qu'il ne soit prouvé que ce qui a été payé a
tonrné à lenr profit (art. 1312).
Le payement fait au créancier n'est point valable s'il était incapable
140 HESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS

Si 1'existence d 'un contrat fait parfois obstacle à l 'action


de in rem verso de l'appauvri, c'est parce que cette action
constitue un recours extraordinaire, fondé uniquement sur
l 'équité, et que ce recour.s n 'a pas de raison d 'être lorsque
l'équité n'exige point de redressement, et notamrnent quand
l 'appauvri dispose d 'une autre action '.
Ce serait, cl 'autre part, détourner l 'action de in rem
1•erso de son but que de lui laisser bouleverser l 'orclre juridi-
que : << l'a~tion de in rem verso doit compléter, pour Ie
rendre plus juste, l 'ordre juridique étahli, mais non Ie
refaire • >> •
Mais ces résenes faites, il n 'y a point d 'incompatibilité
entre in rem versio et contrat, et il convient de n'accorder
au caractère subsidiaire reconnu à ] 'action <l 'enrichissement
3
injuste qu 'une portée limitée •

La jurisprudence helge a admis souvent le recours de


in rem verso entre contractants •. Les applications les plus
remarquahles en ont été faites à l 'occasion des indemnités
<lues au fermier sortant •, et les so]utions données par les
tribunaux ont actuelJement reçu en ce domaine la consécra-
tion ]égislative •. 1 •

de le recevoir, à moins que Ie débiteur ne prouve que Ia chose payée a


tourné au profit <lu créancier (art. 1241).
La sti pulntion que 1'ohligation est contractée pour Ie compte <le Ia
socirlr 11e lie que l'associ/i contractant et non les autres, à moins que
ceux-ci nc lui aient <lonné pouvoir ou que Ia chose n 'ait tourné au profit
de la sociétcl (art. 1864).
' Note Naquet précitée.
PLA'IJOL el R1PRRT, t. VII, n° 763.
2

'Inem.
' V. Lit·ge 20 nov. 1929, Jur. Liège 1930, I.
·' Voyez les références <lans Dr-:~rnmm, ITT, n° 145.
" Article 1778, § 1, mo<lifié par la loi du 7 mars 1929. Désorma1s ces
indcmnités sont une conséquence du hail : la loi, par interpréfation <le
la rnlonté des parties, en a fait l 'ohjcl <l 'ohligations contractuclles.
7
La Cour de Cassation, dans un arrêt rfrcnt (17 juillet 1925, Pas.
l925, l, 364) mais peu motivé, <lfride que Ia negotiorum gestio comme
!'in rem versio, " pn'supposen I l 'a hsence d 'une convention préalable
entre les parties ». Sans aucun <l01Jte cette affirmation, prise en son sens
littéral, est trop ahsolue : elle présen Ic sous la forme <l 'une règle générale
re qui n'est en réalité qu'trn ras particulier; l'existenre d'une convention
peut, nous l'avons vu, exclure la possibilité de relations quasi contrac-
RESPO~SABILITÉ AQVILIENNE ET CONTRATS 111

§ 3. Conclusion.

105. De ce qui précède nous pom,ons conclure que les


situations de fait qui engendrent les engagements qui se
forment sans convenlion pement en principe se réaliser aussi
bien entre personnes liées par un contrat et à l'occasion de
l'exécution de ce contrat, qu'en toute autre circonstance.
11 n 'y a rien là que de naturel : « Les rapports extracon-
tractuels, dit M. Demogue 1 , sont établis en considération
de la réalité des faits pour atteindre certains buts : conser-
vation des biens, encouragement à l'activité. lls n'ont rieu
d'incompatible avec les rapports contractuels, pourvu que la
volontl~ des parties n'apparaisse pas comme ayant eu préci-
sément ponr hut d 'exclure les rapports extracontractuels >>.
2
Le même auteur ajoute encore cc Les faits enfermés dans
:

le moule juridique contractuel à titre d'acte d'exécution


ou d'inexécution. n'en sont pas moins des faits pouvant
engendrer d'autres obligations, sauf les exceptions impli-
quécs par les règles fondamentales du contrat, comme l'équi-
lihre présumé des prestations. n
On ne pourrait affirmer plus nettement quel est le
principe (possibilité de l'intervention des règles extra-con-
tractuelles entre contractants) et quelle est l 'exception ( la
volonté contraire des parties).
Rien d 'étonnant dès lors à ce que le même principe
puisse être posé en ce qui concerne les obligations délic-
tuelles, et l 'argument qui nous était opposé se révèle aimi au
contraire tout à fait favorable à la thèse que nous défendons.

tuelles, mais il ne s·agit poinl là d '11n effct en <1nelque sorlP mécanicp1e


<le l'existencc clu contra!. Ainsi que nous le wrrons d'ailleurs, la Cour clc
Cnssation s 'est exprirnée en des term es beaurou p plus adéqnats à propos
cle l'existencc d 'obligalions délictuelles cntrP conlractants. Voyez infra.
ll 08 121 à 127.
1
T. III, p. 47.
2
T. IJl, p. 24-ti.
CHAl-'ITRE Il

Les contrats sont en prindpe compatibles avec l'existence


d'une responsabilité délictuelle. - Réfutation du principe
du « refoulement de la responsabilité délictuelle »

106. La théorie de « refoulement " de


la responsabilité délictuelle par Ie contrat.
107. Origine et conséquences du prin-
cipe. - 108. Réfutation. - 109. Conclu-
sion.

106. Les auteurs qui rejettent l 'intervention de la res-


ponsabilité délictuelle entre contractants l 'expliquent sou-
vent par une sorte de propriété naturelle des contrats eux-
mêmes. Suivant eux, Ie contrat refoule la responsabilité
délictuelle ' ; ou encore : l 'existence d 'un contrat fait suhir
à la responsabilité une sorte de nmiation qui la transpose
entièrement sur un plan différent, celui de la responsabilité
2
contractuelle •

1
LABBÉ, Sirey 1885, 4, 25 ; J ossERAND, Transports, n° 628, et surtout :
Cours de droit civ., II, n° 482 : « La responsabilité contractuelle chasse
de plein droit la responsabilité délictuelle. " Bouvier Bangillon, note sous
Cass. fr., 20 janv. 1902, Pand. franc. 1903, 1, 5: « La responsabilité
délictuelle est écartée, entre persónnes tenues en vertu d'un contrat, par
une clause implicite d'irresponsabililé : les parties sont censées, par Ie
fait qu'elles ont contracté, avoir renoncé iJ la théoric du droit commun
de la responsabilité délictuelle " ; Huc, t. VIII, n° 424 : « L'existence
d 'un contrat entre ! 'auteur et la victime d 'un dommage exclut l 'applica-
tion de l'article 1382 " ; DE HARVEN, Des conventions tendanl à libérer
de la responsabilité (Rev. de dr. beige, 1928, p. 238) : " Par Ie fait même
du contrat, la responsabilité délictuelle se trouve éliminée. ,, Comp.
Perrond, note S. 1913, 2, 209.
2
En ce sens, n. F. G1~NY, S., 1928, 1, 355, § 2, II ; RoBI,, thÈ'se, p. 29 :
RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS 143

Pour. ces auteurs, la responsabilité entre contractants


et à propos de 1; exécu~ion du contrat, ne peut trouver sa
source que dans le contrat 1 , « elle se mesure au contrat 2 »,
tant pour l'appréciation des fautes que pour l'étendue et les
conditions de l 'indemnité due.
Pareil refoulement, ajoutent les mêrnes auteurs, èst par-
faitement équitab]e : la conclusion d'un contrat, mettant
deux individus en rapports étroits, crée entre eux de multi-
ples occasions de nuire qui n'auraient pas existé à défaut
de convention. Il est donc légitime que les recours éventuels
d 'un contractant envers l 'autre soient régis exclusivement
par les règles de la responsabilité contractuelle et non par
les principes plus sévères du droit commun •.

cc Il est antijuriclique de ne pas substituer la responsabilité du contrat à


celle de la loi " ; c~sTrnR, thèse, pp. 65 et s.
1 LABHI\ 11. S., 1886, 2, 97 : cc Nous croyons ferJTlement que des con-

tractants n 'encourent l 'un envers l'autre que la responsabilité des fautes


qui découlent de leur contrat, que les articles 1382 et suivants se trouvent
écartés de leurs rnpports mutuels ,, ; P. KAYsFR, La snlirfarité en cas
de faute, Rev. crit., 1931, pp. 218 et s. ; C11mo,1, Cnlpa exlraconfrattuale,
II, n° 18 ; GAHBA, N11ove quesfioni, pp. 284 s. : cc Le dommage qui arrive
par le contrat (il rlanno incidente nel contrntto) est pour moi, comme
pour d'autres jurisconsultes, contractuel el seulement contractuel, èt il
n'est pas possible de le détacher du contrat et de le considérer à part
pour fonder l'action à laquelle il donne lie11 sur le titre rlu rlélit cl pour
faire profiler ainsi lc demandeur des avantages propres de l'aclion en
indemnité ex delicto ... "
' V. BFcQm\ loc. cit., Civ. Seine-Inf. (section de Rouen), 27 juin
1928, n. H. 1928, p. 570: ce jugement reprend textuellement les termes
employés par les auteurs précités.
3
V. LAHBil, note au S. 188,5, 4, 26: cc Le contractant est mis par le
contrat dans une situation nouvelle, en dehors des prévisions du droit
commun, d 'après lequel chacun reste chez soi, dans son domaine, et ne
peut porter atteinte aux choses d'autrui qu'en sortant sans excuse de
son cercle d'activité; le contrat met le débiteur en rapport, en contact
avec la chose qui en est l'objet, con\i1ct qui l'expose à détériorer celte
chose, contact qui n'existerait pas s'il était demeuré dans la pure sil.ua-
tion d'un tiers. Vous avez mis cette chose entre mes mains pour la garder,
la travailler, l'utiliser, je suis placé par Yous-même en <langer de la
dét{,riorer. En }'absence de r,e contrat spécial. je n'aurais pas été chez
vous l'enrlmnmager, je ne l'aurais pas rcncontréc sur n10n passage. Il
m 'élait hien faci Ic ,le nc pas Y011s causrr un préjudice ; j 'ai (,t(, bien phis
expo~é à vous nuire à raison dn contact intervenu. Arrière donc l'ar-
ticle 1382, ne m'en parlez pas. ,, Voyez dans le rnPme sens : nm:~ET, op.
144 RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS

107. Avant de réfuter Ie principe du refoulement, il est


intéressant de rechercher les raisons qui en ont provoqué la
construction et les conséquences qui en sont déduites.
Sainctelette avait exprimé Ie postulat d 'ou dérive l 'idée
du refoulement : la distinction absolue, complète entre les
deux systèmes de responsahilité : contractuelle et délictuelle.
Sainctelette n'en déduisait pas cependant que ces responsa-
bilités ne pouvaient jamais exister concurremment à raison
d 'un même fait ou pour assurer la réparation d 'un même
dornmage.
Le principe n 'a été formulé que dans la suite, et à l'occa-
sion de deux problèmes qui ont sollicité l'attention des
juristes à Ia fin du XIXe siècle.
Tout d'ahord, Ie conflit soulevé par la question de la
validité des clauses de non-responsabilité. Les adversaires de
ces clauses faisaient valoir en effet que si même elles pou-
vaient supprimer Ia responsahilité contractuelle, elles lais-
saient subsister entre les parties la responsabilité délic-
tuelle du droit commun ; parei1Ie argumentation impliquait
donc que les ohligations contractuelles étaient sanctionnées
par une double responsahilité.
Nous n'entreprendrons pas de réfuter ici cette thèse
hien connue, à Iaquelle on a à bon droit reproché son carac-
tère arbitraire ; sa réfutation n'a plus guère d'intérêt aujour-
d'hui. f:e qui nous importe, c'est que Ie principe du refou-
lement apparaît comme une réaction contre elle 1 : si,
comme l 'admettent ses partisans, la conclusion d 'un contrat
exclut a priori la responsabilité délictuelle entre les parties,
cit., p. 435; Dr:MoGUE, Obligntions, V. n° 1244: et surto11t Ren. trim.,
1923, p. 651 : « Il faut tenir compte de ce que Ie contrat qui, dnns son
hut social est 11nc collaboration. amène forcément ,les contacts fréquents
avec la chose d 'autrui et par suite des occasions de lui n11ire. On ronçoit
dorre qu'il soit dans l'intention des partics et dans la volonti1 <le la Ioi
de rlire que ces occasions de dommages nc vont pas trop étendre la res-
ponsabilité du débitcur, et cette clausc dr Iimitation de responsabilité
nc pilraît pns dépasser les frontirres onl innires /1 I 'intfricur dcsquclles
on les déclare nilahles. "
1
La d iscussion pours11iYie pnr Thaller et Labbé e, 1886, sur In
valirlilé des cfauses d'exonération est, à eet égard, tout à fait cnrnctéris-
tiqne : Ann. de dr. commerc., 188G-]887, pp. 185, 188, 251 et 255.
RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS 145

il n 'est plus possible de prétendre qu 'elle « double n en quel-


que sorte la ·responsabilité contractuelle 1 •
La réaction était sans aucun doute excessive : il suffisait
en effet, pour répondre à l'objection combattue, d'établir
que la dause de non-responsabilité avait pu valablement
écarter entre les parties toute responsabilité quelconque,
2
même délictuelle parce que cette dernière n'est pas, con-
,

trairement à ce que postulaient implicitement les adversaires


des clauses d'exonération, soustraite à la volonté des parties:
elle n 'est pas d 'ordre public.
Le principe du reïoulement était donc à son origine
une arme de combat destinée à la fois à empêcher l'envahis-
sement du domaine du contrat par la responsabilité légale
des articles 1382 à 1386 et à faciliter les exonérations con-
ventionnelles de responsabilité.
Dans la suite, deux nouveaux problèmes allaient valoir
à la théorie du refoulement une fortune plus durable en
France : celui de la responsabilité des accidents du travail, et,
ensuite, celui des accident<; survenus au cours du transport
de personnes. Cette fois, la théorie du refoulement avait au
contraire pour but de renforcer la protection des victimes.
En affirmant qu'entre parties liées par un contrat, toute res-
ponsabilité doit être contractuelle, les auteurs cherchaient à
inclnre dans le contrat, par la voie d'une prétendue inter-
prétation de la volonté des parties, des obligations plus
sévèrcs que celles du droit commun ; ]e but à atteindre était
la substitution d 'une obligation de résultat ( assurer la sécu-
rité du co-contractant) à l'ob]igation de prudence sanction-
née par l'article 1382, et qui n 'est qu'une obligation de
moyens.
Plus précisément, le but poursuivi était de faciliter la
preuve dont la victime avait la charge •.
On sait que les efforts de la doctrine ne purent déter-
miner la j urisprudence en ce qui concerne les accidents du
1
Voycz l'exposé de la discussion fait par DA,.1rn-.·, Droit mnrit., t. U,
n°• 849 et 850.
2
LYON C.u::-. et RENAULT. Dr. comm., 4° éd., t. III, n° ö26his.
3 Voyez supra, n°• 25 et suiY.
146 RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS

travail ·: les tribunaux, dans leur ensemble, n 'ont pas admis


l'obligation contractuelle de sécurité du patron envers
l'ouvrier. Seule une loi a pu donner une solution au
problème.
La jurisprudence belge n'a pas davantage admis l'obli-
gation contractuelle de sécurité dans Ie oontrat de transport
de personnes. La loi du 25 août 1891 l'a cependant adoptée,
mais sans nullement consacrer Ie principe du refoulement,
puisqu 'i] résulte au contraire des travaux préparatoires que
Ie légis]ateur belge de 18~1 ronsidérait Ie concours éven-
tuel de deux responsabilités comme parfaitement possible '.
Depuis lors, en Belgique, aucun problème urgent n'a attiré
2
l 'attention sur les obligations contractuelles de sécurité •

En France, au contraire, ces obligations se sont prodi-


gieusement multipliées: la Cour de Cassation a consacré leur
existence dans Ie contrat de transport, et la jurisprudence,
toujours dans Ie hut de renforcer la situation des victimes
d'aceidents, et enconragée par !'attitude prise par la Cour

.,
varies .
.
suprême, en a reconnu l'existence dans les contrats les plus

Nous n'avons pas à nous prononcer ici sur la valeur


de cette construction jurisprudentielle, qui retient l'attention
de nomhreux auteurs français ; nous nous contenterons
d'ohserver que les décisions qui l'adoptent et les auteurs qui
l 'approuvent, s 'inspirent, implicitement ou non, du principe
du refoulement : entre contractants ne peut exister qu 'une
seule responsabilité : Ia responsabilité contractuelle.
l 08. La thèse du refoulement est foncièrement inexacte

1 Voyez infra, n° 143.


2
Le tribunal ei vil d' An vers a cepernfant reconnu l 'existence d 'une
obligation de sécurité à charge de ! 'exploitant d 'un manège forain :
2,5 juin 1931, F!Pchlslrnnrliq Weelfblarl, 1931-32, col. 517
3 Voy. MAZFAun, T, n°• ]51 et s. En Pelgique Ie législatcur était
intervenn rlepuis longtemps rlans la rnatii•re 011 l 'utilité des " obliga-
ti011s rnntractuelles rle sécurité " était In plus granrle : celle r!Ps
transports. C'est la raison qui cxplique que la j11risprurlence belge n 'a
guère songé à user rle re procédé technique, si abonrlamment employé
en France.
RESPO:'>/SABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS 147

et n'aurait pas dû survivre aux controverses qui lui avaient


donné naissance.
Les mots « refoulement >> ou « novation » indiquent
une action mécanique du contrat sur la responsabilité délic-
tuelle ; ils incitent à penser que la conclusion du contrat la
fait « fuir >> <levant la responsabilité contractuelle.
La thèse du refoulement conduit ainsi à donner au
domaine de la responsabilité contractuelle une extension
véritablement extraordinaire : la responsabilité contrac-
tuelle, destinée à sanctionner les obligations nouvelles créées
par le contrat, déborderait en quelque sorte au delà de ces
limites naturelles : elle s 'étendrait à toutes les autres rela-
tions juridiqucs entre les contractants. En effet, la respon-
sabilité aquilienne étant « refou]ée » entre parties par l 'effet
du rnntrat, c 'est la responsabilité conlractuelle qui prend
sa place : « Par Ie fait de la convention intervenue, dit
M. Gény ', Ie principe de la responsahilité se trome en quel-
que sorte « nmé »; il est passé du plan délictuel au plan
contractuel. » C 'est la responsabilité contractuelle qui régi-
rait seule tous les rapports <lont Ie contrat pourrait être
l 'occasion. La thèse du refoulement étend donc les effets du
contrat au delà du champ contractuel : ses effets dépasse-
raien t l'objet que les contractants eux-mêmes avaient en vue.
Est-il possihle de donner une justification valable de ce
système? La négative est certaine.
Rappelons tout d'abord que l'on ne saurait se conten-
ter d 'affirmer que la responsabilité délictuelle disparaît dès
}'instant ou les parties ont cessé d 'être des tiers l'une à
l'égard de l'autre : nous avons longuement démontré que
les articles 1382 à 1386 sont susceptibles de s 'appliquer en
toutes circonstances, et non point seulement entre per-
sonnes demeurées étrangères l'une à l'autre.
Le refoulement de la responsabilité délictuelle ne pour-
rait donc constituer qu 'un effet du contrat lui-même.
Or, les effets des contrats sont déterminés par l 'ar-
ticle 1135 du Code Civil. Suivant cette disposition, << les con-

1
Note au S., 1928, 1, 355, § ll.
148 RESPONSABILITÉ AQUILIEl'fNE ET CONTRATS

ventions obligent non seulement à ce qui y est exprimé, mais


encore à toutes les suites que J'équité, l 'usage ou la loi don-
nent à l'obligation d'après sa nature. »
Aucune disposition légale n'attribue au contrat eet
effet spécial de refouler Ia responsabilité délictuelle prévue
par les articles 1382 à 1386. Personne n 'a jamais prétendu
d'autre part, justifier ce refoulement par un « usage ». Le
refoulement serait plutot, d'après ses partisans, un effet de
I 'équité : Ie contrat multipliant les occasions de porter
atteinte aux biens ou à l'intégrité personnelle du créancier,
il ne serait pas juste que Ie débiteur demeuràt soumis envers
Ie créancier aux règles de la responsabilité délictuelle.
Mais les partisans du refoulement perdent de vue ce fait
essentie! que les occasions de dommages se multiplient aussi
bien pour la victime (Ie créancier) que pour !'agent (Ie débi-
teur) . Dès lors, il serait injuste de décider que la victime
devrait à la fois accepter cette multiplication des risques et
en même temps se voir privée de la protection légale de sa
personne et de ses biens.
Ainsi, l'équité. loin de commander Ie refoulement de
la responsabilité délictuelle, Ie comlamne au contraire abso-
Iument.
Le refoulement de Ia responsabilité délictuelle n'est
donc, à aucun titre, un effet que Ia loi donne au contrat,
et les auteurs dont nous critiquons l'opinion sont nécessai-
rement oblig-és de chercher la raison déterminante du « re-
foulement » dans Ia volonté des contractants eux-mêmes.
Mais Ia thèse du refoulement est alors complètement
transformée. La responsabilité contractuelle ne déborde plus
cette fois Ie champ contractuel ; c 'est au contraire Ie champ
contractuel qui, si Ie refoulement était réellement voulu par
les parties, se trouverait considérablement étendu, au point
d'englober toutes les obligations susceptibles d'exister entre
Jes contractants à }'occasion du contrat 1 : Ia volonté des

1
V. TossERA'iD, note au D. P., 1927, 1, 105: les partiPs rr suhsti-
tuent à un statut confectionné, au statut passe-partout nes ~rticles 1282
et suivants. un statut fait sur mesure et à leur convenanrC' ,,.
RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS 149

parties. dans ce système, supprimerait les obligations délic-


tuelles, pour y substituer un réseau d 'obligations de nature
contractuelle 1 • Mais sous cette forme nouvelle, la théorie
du refoulernent iml)lique la démonstration que les contrac-
tants ont toujours la volonté d 'écarter entre eux les obliga-
tions délictuelles, et c 'est là que gît l 'obstacle insurmon-
table.
L 'existence d 'une volonté expresse est évidemment
exclue par hypothèse même.
Le refoulement ne pourrait donc résulter que d'une
volonté tacite. Or, prétendre que les parties ont voulu
supprimer entre elles l'application des articles 1382 et sui-
vants, revient à dire que les parties, en contractant, renon-
cent tacitement au bénéfice de ces dispositions. Pour qu 'une
pareille renonciation tacite fût admissible, il faudrait établir
qu 'elle a dû nécessairement être voulue par les parties.
Pareille démonstration est impossible. Certes, il se pourra
que les clauses particulières d'une convention dérogent
implicitement à l'application des articles 1382 à 1386. '1"ais

1 Soulignons le caractère artificiel de cetle inlcrprétation de la


volonté des parties. Les contractants, loin de vouloir instituer entre
eux un règlement cmnplet et exhaustif de leurs rapports réciproques,
n 'ont g-énérnlcment en vue que le règlement de certai.ns intérêts pré-
cis et déterminPs. S'il admet le principe du refoulement, le jugc sera
obligé de recherchcr l'intention probable des parties au sujet oc situa-
ti.ons qu'clles n 'ont en réa\ité jamais envisagées et qu 'eUes n 'ont jmnais
eu la volonté de régir par leur convention. Pareille recherche ahoutit
forcément à des solutions arbitraires ou mêmes ahsuroes. Nous n'en
<lonnerolls qu ·un sen\ cxcmple : Tl pnraît diff'cile de faire appel à
l'ohligation contractuellc de sécnrilé incluse dans Je contrat de lr:ms-
port, lorsqu'un a,:cidcnt s'csl protluit à un moment ou Ie voyageur,
s'étant endormi, n,,1it dép,iss<- la station pour laquelle il avait pris
son hillet, puisquc norm,tlemcnt Ie contrnt de tra11sport cesse ses cffets
à l 'arrivée du voyageur à la desti nat ion co11vem1e : les jue:es avaient
pu, dans un cas de ce genre, reconnaîtrc an YO) ngeur u n recours fondé
sur 1 'article 1382, en ajoutant que ln fan te p<'rso11nelle rlu voyageur
n'était pas la cause de l'acci<lent (Toulouse, G d,;r_ 1893, S., 1894., 2,
57, n. Labhé;. Labbé bli\me cettr solu\ion et s'effon-e r1·i-1r,irter, m/lme
<lans cc cas, la responsahilité dflictuellc, sous pn;tcxtc que les parties
é1aient engagécs clans les liens rl'uu contra! : il faut a,lrnettre, dit-il,
qu'il y avait promesse tacite de pa~·er m1 supp1é111e11t. On se demande
quan<l cetle prorncsse a été arceptfr, et snrtout commp11l im homme
en<lormi peut être présumé faire une promesse I P:trci 'le nbsunlité
n'.y/•le la fausseté <lu principe a,lop1é.
'150 RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATB

Ie seul fait de contracter n 'implique évidemment par lui-


même aucune renonciation de ce genre : bien au contraire,
lorsque des particuliers s'imposent des obligations par con-
vention, ils entendent en principe augmenter leurs droits,
ajouter quelque chose aux avantages qui leur appartiennent
suivant Ie droit commun, et non pas y renoncer.
Tel est Ie point de vue développé par M. Pacchioni dam
une note remarquable sous un arrêt de la Cour de Cassation
de Rome qui avait décidé que la responsabilité du transpor-
teur en cas d 'accident de personne ne pourrait être délic-
tuelfo, étant donné sa << connexité n avec les rapports con-
tractuels existant entre les parties : « Le voyageur dit-il, par
Ie contrat de transport, veut sans doute s'assurer un avan-
tage positif (à savoir Ie transfert d'un lieu à un autre), et,
à l'égard de eet avantage spécial, il s'en remet aux règles
du contrat, mais néanmoins, il n'a jamais pensé, même de
loin, que par là il aurait diminué sa sécurité personnelle et
ses droits personnels fon<lés sur la loi. n
109. Les règles de la responsabilité délictuelle sont donc
maintenues, en principe, entre contractants, et leur pré-
tendu « refoulement >> par Je contrat n'est qu'uneimagetrom-
peuse ne répon<lant à aucune réalité 1 : les articles 1382 à
1386 ne cessent d 'être applicahles que lorsqu 'il est démontré
que les parties ont voulu les écarter, et dans cette mesure
seulf'ment.
1
Les partisans de la théorie du refoulernent eux-mêmes y apportent
d 'ailleurs diverses atténuations. Tont d 'ahorrl, ils rcronn.iissen 1 (Jltf'
les con tractants rlemeurent régis par Ie rlroit rommun ponr tous les
faits rlommageahles étrangers au contrat, 011 ne prt'sentant avec son
exécution qu'un lien accirlentel (Voy. A. BnFN, op. cit., n°• 201 et
202; rny. in/ra, n°' 203 et s. ; cf. GARRA, op. ei!., p. 286; P. Dnuxo,
Thèsr, pp. 383 et 384). D'autre part, certains rl'entrr enx" se résignent"
parfois à arlmettre que Ia responsahilitr délict nelle existe, à titre excep-
tionnel, entre contrartants et pour rles faits rl'inexérution d'un ron-
rat : lorsque Ie fait est ronstitutif rl 'un d61it pénal, ou de rlol (JossE-
R·\XD, n. au D., 1927, l, 105), ou rle faute lourrle ; ces exceptions sont
cependant loin d'être uuanimement a,lmises, ceux-mêmes qui les
adoptent les considèrent comme illogiques (BnTTx, Thèse, n° 350), et
Ia majori té rle Ia doctrine françnise <lemeure en principe hostile au
concours <les respons~hilitPs qu 'elle juge, hien lt tort, antijurirlique et
irrationnel.
CHAPlTRE IJl

L'intervention de la responsabilité délictuelle


entre contractants

SECTION 1. RÈGLES GÉNÉRALES

llO. Conclusion de !'exposé précéden L


- 111. Etat de la doctrine

110. Il nous reste à présent à dégager les conclusion:-


de notre étude.
Rappelons-en tout d 'abord les résultats :
1. - La responsabilité délictuelle établie par les arti-
cles 1382 et suivants du Code Civil est susceptible de jouer
en toute circonstance 1 , et nous avons mis en relief que dans
l 'application de nombreuses règles juridiques il faut tenir
2
compte de son intervention éventuelle •

2. - Elle n'est cependant pas d'ordre public, car elle


ne conrerne que des intérêts privés. Aucun obstacle a priori
n 'empêr he deux parti culi ers de l 'écarter ou d 'en modifier les
effets •.
3. - Mais rien ne permet d 'affirmer que par Je seul
fait que deux personnes ont condu entre elles un contrat,
elles aient voulu se soustraire aux règles de la responsabilité
délictuelle 4 •
Dès lors, nous exprimerons sans difficulté la règle qui
nous servira de guide dans nos recherches ultérieures : Les
1
V. supra, n°• 76 à 90.
2
V. supra, n°• 91 et s.
3
V. supra, n°" 9 à ll.
4
V. supra, n°• ]08 et 109.
152 RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS

obligations délictuelles et la responsabilité qui est leur


sanction subsistent en principe entre contractants. Elles ne
disparaissenl que si les parties ont manifesté la volonté de
les exclure et dans la mesure seulement ou elles ont voulu
y renon-cer. Si elles n 'onl exprimé aucune volonté à eet égard,
ou si leur volonté est douteuse, on ne peut présumer une
renonciation de leur part, et il faut admettre que les obliga-
tions délictuelles et leur sanction subsistent.
11 l. 'felle est l'opinion à laquelle se rallient en France
M. Bartin 1 et, avec moins de netteté, M. Ripert 2 • M. Bon-
necase, partisan de l'intervention de la responsabilité
délictuelle entre contractants • la justifie cependant d 'une
façon différente : il paraît admettre l 'impuissance absolue
de la volonté des parties à l'égard de la responsabilité ;
cette opinion est certainement excessive et confère arhitrai-
rement à l'organisation de la responsabilité un caractère
cl'ordre public, sous prétexte que l'article 1382 est un
1
Dans AuRRY et RAu, 5e éd., t. VI, p. 371, note 7. << Il n'y a pas
de raison, dit M. Bartin, de traiter Ie débiteur d 'une obligation conven-
tionnelle qui a commis sur l 'objet dtî un délit civil de droit commun,
plus favorablement qu'un tiers qui ne serait conventionnellement tenu
à rien. " II n'en serait autrement que << si Ie débiteur délinquant parve-
nait à établir spécialement, en fait, que Ie contrat qui Ie liait envers Ie
créancier victime de sa faute, comportait dans Ia pensée des parties,
Iimitation conventionnelle de Ia responsabililé du premier envers Ie
second, quelle que flit ! 'origine de cette rcsponsabilité, au préjudice
direct seulement. >> Pour M. Bartin, seule Ia volonté des parties peut
donc dans certains cas particuliers écartcr les règles délictuelles.
2
Note au D., 1926, I, 5 : M. Ripert n ·exprime son opinion que d 'une
manière négative : Ie créancier contractuel << ne peut user de l 'arti-
cle 1382 du Code Civil qu 'autant que Ie con trat n 'a pas réglé à la fois
Ia responsabilité délictuelle et la responsabilité contractuelle, ou que Ie
contrat n 'est pas valable en tant qu'il a réglé ln responsabilité délic-
tuelle "·
3
Supplém. au Traité de Baudry Lacantinerie, t. IT. Pour eet auteur,
Ie principe général de la responsabilité a son fondement dans les
11rticles 1382 et suivants, << l'organisation de la responsabilité contrac-
tuelle étant un dérivé et une adaptation part:culière de la responsabilité
délictuelle. Celle-ci est donc susceptible à tout instant d'intervenir »
(n° 506, p. 621). << La responsabilité contractuelle baigne, en quelque
sorte, dans la responsabilité délictuelle ; c'est pourquoi celle-ci intervient
quand, sous Ie couvert du contrat, une atteinte aux droits d'autrui s'est
réalisée, qui, aux yeux de la raison et de Ia conscience sociale dépasse les
prévisions normales des contractants " (n° 514, p. 633)
RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS 153

principe fondamental de notre organisation sociale. Ainsi


que l'a fait observer M. Josserand, il n'en résulte nullement
que ce principe doive être appliqué toujours et en toute
circonstance 1 •
Nous nous séparons par contre nettement d 'un grand
2
nombre d'auteurs français qui ont examiné la question •

Ces auteurs adoptent, parfois implicitement, la règle


inverse : la responsabilité délictuelle est en principe sans
application entre contractants ; c'est dans Ie contrat qu'il
faut chercher les causes éventuelles de responsabilité, c'est
suivant les règles organiques de la responsabilité contrac-
tuelle qu 'il faut toujours apprécier son étendue •.
Le point de vue adopté par MM. Mazeaud est à eet
égard tout à fait caractéristique. Ils affirment, et nous
sommes parfaitement d'accord avec eux, que Ie problème
de l 'intervention de la responsabilité délictuelle entre
contractants, spécialement celui du cumul des responsabi-
lités, se ramène à une recherche d'intention' ; mais en
même temps ils admettent que si les parties n'ont pas voulu
la faire intervenir, la responsabilité délictuelle ne s 'appli-
quera pas " ; il faudrait donc qu 'elles se l 'approprient en
1 TossEnA,n, Transports. 11° 627 ; YO)·. suprn, 11°8 9 à ll.
2
Voyez les références citées supra, 11° 75.
3
Certes, il existe des actes dommageables dont le contrat est seu-
lement l 'occasion, et qui demeurent en dehors du domaine de la res-
ponsabilité contractuelle. Mais les auteurs fran,ais en restreignent au-
tant que possible le nombre et cherchent plus volontiers, dans ces cas,
au prix de fictions souvent peu admissihles, la cause de Ja responsabilité
dans la violation d'une obligation contrnctnelle. Voyez pour plus de
détails sur ce point, infrn, n 08 204 et s.
4
Op. cit., I, n° 8 175 et 192.
5
Op. cit., T, n° 192 in fine : " Reste à savoir si les parties, en con-
tractant, ont voulu que les r/>gles de la responsahilité délictuelle jouent
à cöté des règles contractuelles ", voycz aussi n° 200 : " Le créancier
dont le débiteur n'a pas exécuté son obligation ne peut pas, sanf con-
vention contraire expresse, intenter l 'action en responsabilité rlélic-
tuelle. " Dans leurs conclusions (n° 207). MM. Mazeaud paraissent, il
est vrai, poser une ri•gle inYerse : en prinripP, disent-ils, la viclime
d 'un dommage peut toujours se placer sur le terrain délictuel ; elle n'en
a pas le droit chaque fois que, dans le contrat, les parties ont entendu
interdire tout recours aux articles 1382 et suivants. Mais il faut rappro-
cher cette conclusion de l'exposé qui précède et au cours duquel
MM. l\fazermrl avaient appliqué un principe diamétralement opposé.
154 RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS

quelque sorte dans leur convention. Pareille opinion, nous


l'avons démontré antérieuremènt, méconnaît complètement
la nature de la responsabilité délictuelle, qui dérive unique-
ment de la loi et s 'applique en toute circonstance.
Le système de M. André Brun n'est pas moins remar-
quabJe. M. André Brun ' prend comme point de départ cette
2
affirmation ( <lont nous avons démontré l'inexactitude que )

la responsabilité délictuelle ne peut jouer qu'entre tiers.


Pour corriger les conséquences excessives de ce principe, il
est obligé aussitot d 'admettre que parfois un contractant
« troque sa quaJité de contractant contre celle de tiers » et
encourt alors une responsabilité délictuelle. Par ce moyen,
il justifie Ie caractère délictuel de la responsabilité non
seulement en cas d'infraction pénale ou de dol, mais même
en cas de faute professionnelle.
Nous n 'insistons pas sur Ie caractère obscur de cette
conception juridique, qui ne nous paraît reposer sur aucun
fondement. Elle révèle la fausseté de son point de départ :
M. Brun n 'aurait point dû imaginer ce « troc » assurément
inattendu, s'il avait rejeté sans hésiter les postulats arbi-
traires <lont il n'a pas su se dégager, et s'il avait reconnu que
rien n'empêche, a priori, la responsabilité délictuelle de
recevoir application entre personnes liées par un contrat.
Nous avons longuement démontré l 'inanité des objec-
tions que l 'on oppose à ce principe, et nous Ie considérerons
désormais comme définitivement établi.

SECTION II. CONCOURS DES DEC-X RESPONSABILITÉS


À RAISON D 'uN MÊME FAIT DO1\fMAGEABLE

§ 1. Cas dans lesquels ce concours a lieu

112. Puisque les ohligations délictuelles subsistent


entre contractants concurremment aYec les obligations con-

1
Op. cit., n° 356.
2
Voy. s11pra, n° 8 76 et s.
RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS 155

tractuelles, un même fait dommageable donnera parfois


naissance à deux actions en responsabilité au profit de la
même personne.
La coexistence de ces deux actions donne lieu à de très
vives critiques de la part de heaucoup d 'auteurs, qui la
déclarent inadmissible.
Elle n 'est cependant qu 'une conséquence fort naturelle
des principes que nous avons dégagés ; les <léveloppements
qui sui-vent Ie démontreront aisément.
Très souvent, l 'objet des obligations contractuelles
coïncide. tout au moins en partie, avec celui des obligations
délictuelles, car les contractants insèrent fréquemment dans
leur convention des obligations qui existaient déjà aupara-
vant entre elles, dans une certaine mesnre, à titre d'obliga-
tions légales.
Les obligations délictuelles, en effet, imposent essen-
tiellement l 'observation de règles de prudence pro pres à
éviter toute atteinte aux biens ou à la personne d'autrui. Or,
les conventions imposent sou vent aux parties ou à I \me
d'elles des obligations tendant au même hut.
L 'analyse d 'un contrat quelconque fournit aisément la
preuve de ce qui précède : si Ie propriétaire d 'un anima! Ie
prête, l'empruntenr assume sans aucun doute <les devoirs
nouveaux envers Ie prêteur : nourrir l'animal, l'entretenir ;
s'il y manque, il ne sera responsable qu'ex-contractu. Mais
son obligation de « garde n englobe aussi les ohligations
auxquelles tout tiers aurait été soumis à l'égard de la chose
d 'autrui en vertu des règles générales de prudence que sanc-
tionne l 'article 1382 : si, en passant près de 1'animal, i] le
blesse par un geste maladroit, il sera certes responsahle con-
tractve11ement pour n 'avoir pas apporté à Ja garde de l'ani-
mal les soins d 'un bon père de famille - mais un tiers quel-
conque qui, passant près de l'animal, aurait fait Ie même
geste maladroit, aurait été déclaré responsable sur la base
de l'artic]e 1382 : Ie même fait constitue clone à la fois une
faute délictuelle et une faute contractuelle. Je manquement
156 RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS

à l'obligation contractuelle de garde et à l'obligation délic-


tuelle de se conduire avec prudence.
Certes, la coïncidence entre les obligations contrac-
tuelles et délictuelles est presque toujours partielle, car
l'obligation contractuelle de garde, par exemple, impose des
devoirs plus nombrel)x que l'obligation légale de respecter
la chose d'autrui.
A cause de cela la coïncidence est en général peu
apparente.
Dans certains cas cependant, elle apparaît nettement :
par exemple, lorsque Ie contrat vient à être annulé (pour
inca pa cité ou vice du consentement).
Les obligations contractuelles disparaissent alors rétro-
activement, et anssit6t Jes obligations délictuelles qui les
<< doublaient » partiellement, et que l 'annulation du con-

trat n'a pu atteindre, se révèlent nettement.


Voici un incapable qui a fait annuler Ie bail conclu par
lui : il n 'est certes pas tenu d 'entretenir l 'immeuble en bon
état, car cette obligation contractuelle a été anéantie avec Ie
contrat lui-mêrne ; il ne pourrait donc être responsable pour
avoir négligé les réparations locatives. Mais si par une
imprudence il dégrade I 'immeuble loué, il peut demeurer
responsable délictuellement en vers Ie propriétaire. Il s 'agit
Ià d 'une faute constituant un manquement à I 'obligation
générale de prudence : tout individu qui, pénétrant dans
I'immeuble à un titre quelconque, aurait wmmis le même
acte eût été responsable, abstraction faite de tout contrat ;
dans Ie cas que nous envisageons, le contrat a seulement
fourni l 'occasion de commettre I 'acte dommageahle 1 • Et
cependant, si Ie contrat avait été valable, cette même
imprudence aurait constitué, en outre, un manquement à
l'obligation contractuelle que prévoit l'article 1732 du Code
Civil (responsahilité du preneur pour les dégradations dues
à sa faute).
La même situation se présentait dans l'espèce suivante
1
Comp. DEMOGUE, Oblig., t. V, n° J 242.
RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS 157

que rapporte M. André Brun 1 : un enfant mineur avait été


blessé au cours d'un voyage en chemin de fer ; la Compa-
gnie des Chemins de fer, à qui le père de l'enfant réclamait
des dommages-intérêts, opposa la nullité du contrat de trans-
port, l'enfant ayant voyagé avec un billet de demi-tarif sans
y avoir droit, et Ie consentement de la Compagnie ayant été
surpris par dol. Le tribunal civil de la Seine accueillit l'excep-
tion de nullité et écarta toute responsabilité contractuelle,
mais il examina ensuite la responsabilité délictuelle que le
transporteur pomait néanmoins encourir 2 ; si le deman-
deur succomba sur ce terrain ce fut pour n'avoir pas rap-
porté la preuve d'une faute commise par la Compagnie•
Domat avait déjà envisagé la responsabilité délictuelle
que pouvait encourir l'incapable malgré l'annulation du
contrat conclu par lui ; il ne la mettait pas en doute : << Le
mineur qui aura trompé quelqu'un ou causé quelque dom-
mage, ne sera pas relevé, par sa minorité, pour être déchargé
de réparer Ie tort qu 'il aura fait. Ainsi un mineur qui endom-
mage une chose qu 'il a empruntée ou qu 'il tient en dépöt,
1
Op. cit., p. 358 (CiY. Seine, 26 juillet 1929) ; comp. une espèce
analogue : Civ. Saint-Brieuc, 18 nov. 1926, R. J., 1929, 229.
2
En Belgique aussi, lorsque le voyageur n'était pas muni d'un
billct régulier, la Société des Chemins de Fer peut encourir envers lui;
en cas d'accident, une responsabilité de nature quasi délictuelle : Pond.
b., V0 Transports par chemins de fer, n° 129 et les références ; Arlon,
9 juin 1892, CLOES et BoNJEAN, XLI, p. 140 ; Liége, 27 déc. 1893, Pas.,
1894, 2, 289 et Cassation, 25 oct. 1894, Pos., 1894, 1, 312.
' Par contre, nous ne croyons pas correcte la solution donnée par
la Cour de Besançon (9 déc. 1920, D., 1921, 2, 72), i\ l'espèce sui van te :
un voyageur avait fait enregistrer comme « bagages " des colis que les
règlements ne permetlent pas de faire voyager de cette manière. Les
colis furent perdus, mais la Compagnie opposa à l'action de l 'expédi-
teur la nullité du contrat pour cause rl 'erreur substantielle. Elle fui
cependant condamnée sur la base de l 'article 1382 pour le motif pen
convaincant que le fait de « ne rien représenter " à l 'exp_éditeur consti-
tuait une faute délictuelle. Tl semble au contraire que Ja Compagnie
n'était temie 11 restitution qu'en vcrtu du contrat ; celui-ci ét:mt nul,
elle n 'avait aucune obligation, et n 'encourait partant aucune respon-
sahilité. Seule une action en re,enctir.1tion 011 pour Pnrir,hissernent
inj ustr demrurait possible : ayant reçu l 'ohiet, 1n Compagnir pouvail être
présumée le détenir encore ou tout au moins en avoir profité. On pour-
rait songcr aussi i1 reconnaîtrc l'existence, malgré l'annulation du con-
tra! de transport, a 'un contrat de ctépöt enp-enarant Je cas éohéant une
responsabilité contractnelle : v. Ren. /;rim., 1929, p. 1115.
158 RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS

ne sera pas restitué pour être quitte du dommage qu 'il aura


, 1
cause . >>
Si, dans les hypothèses que nous venons d 'examiner Ie
contrat avait été valable, l'action contractuelle serait venue
s'ajouter à l'action délictuelle et les deux actions en respon-
sabilité auxquelles Ie fait dommageable donnait lieu auraient
en principe existé simultanément dans Ie patrimoine d 'un
même créancier.
Y a-t-il une raison quelconque de lui refuser l 'exercice
de l'une d'entre elles, et plus spécialement de l'action délic-
tuelleil Nous n'en apercevons aucune. ·

§ 2. Etat de la doctrine et de la jurisprudence


113. Cette fois encore, la question a été agitée en doc-
trine à propos de la responsabilité des accidents du travail
et des accidents de chemin de fer, ainsi qu 'à l 'occasion dn
débat sur la validité des clauses d 'irresponsabilité.
Beaucoup d 'auteurs refusent d 'admettre la coexis-
tence de deux actions en responsabilité à la suite d 'un même
acte dommageable. Mais ils ne donnent guère de raisons à
l 'appui de cette opinion.
Jls se bornent à affirmer comme une vérité d'évidence,
(< qu'un acte dommageable déterminé ne peut s'analyser
qu'on un manquement ou au contrat ou à la loi, ces deux
concepts irréductibles qui gouvernent les rapports juridi-
ques. Par suite, la faute ne saurait être que contractuelle ou
délictuelle, mais non point contractuelle et délictuellf~ ?:t 1::i
fois, ce qui constituerait un véritable hermaphrodisme
2
juridique » •

M. Josserand s'exprime en termes plus énergiques


encore : « La coexistence sur les mêmes têtes et pour un
même rapport de droit, des deux qualités de tiers et de con-
1 Loix civ., I, livre IV, titre VI, sect. TT, n. ll. Jl semhle que Ia

solution ait été Ia même en droit romain : voyez sur ce point DESCHAMPS,
th0se, pp. 216 et suiY.
2
A. BRuN, n° 104. L'auteur se rallie personnellement à ce principe .
comp. op. cit., p. 378, § JU, in fine et n° 350.
RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS 159

tractant est un défi au sens commun 1 • n Labbé 2 se ralliait


également à cette opinion, pour des motifs d'ailleurs assez
obscurs : « On comprendrait, dit-il d'abord, que les causes
d 'obligation délictuelles concourussent avec les causes d 'obli-
gation contractuelles pour la plus grande sécurité des per-
sonnes atteintes de dommages. Il n'y a pas entre ces causes
d'engagernent incompatibilité absolue, pour ainsi dire maté-
rielle. n Il ajoute alors : « Non, mais il y a incompatibilité
morale ou juridique », et la suite du texte révèle que d'après
lui cette incompatibilité a pour cause le fait que c'est le
contrat, reuvre de la volonté commune, qui a exposé le débi-
teur à causer le dommage, et que dès lors, sa responsabilité
doit se mesurer au contrat. Nous avons déjà montré la fai-
blesse de cette argumentation •.
L 'influence de Labbé paraît rester prépondérante en
France, et l'opinion de M. Josserand exerce une influence
très grande sur la jurisprudence.
Divers auteurs, (Aubin 4, Thaller °, Bartin •, Danjon 1 )
ont cependant reconnu que la thèse dogmatique développée
encore actuellernent par M. .Tosserand n'est guère justifiable.
En Belgique d'ailleurs, à part Laurent, la doctrine
paraît admettre sans difficulté qu 'un même fait puisse cons-
tituer à la fois un quasi-délit et une faute contractuelle • et
1
Note au D., 1927, I, 105.
2
Note au S., 1886, 2, 97.
" Supra, n° 108.
·' Th0se, p. 159 : cc Quant à nous, nous ne comprenons pas
comment la violalion de la loi peut cesser d'être un délit parce qu'elle
est devenue une violation du contrat. Il n'y a pas antinomie de nature
i:intre la loi et le contrat ; bien plus, la volonté individuelle vient ren-
forcer la volonté colleclive. Nous dirions volontiers que l'auteur de l'acte
illicite est rloublement coupable, coupable d 'avoir violé la loi, coupable
d'avoir violé sa promesse. ,,
5
.1 nn. de droil commerc., 1886-87, pp. J 88, 255 s.
• Da11s AuBRY et. RAu, 5° éd., t. VI, § 446, p. 371, note 7.
7
Droi/ maritime, t. Tl, n° 851. Voyez en oulre, Dalloz, n(:fl. prol.,
V0 Hesponsabilité, n° :is; t·ornp. R. MAzE.u-n, note au S., 1927, T, 201
(à cette époque, M. Mazeaud ronsidérait la queslion du cc cumul "
comme " fort douteuse ") ; comp. DEMOGUE, t. V, n° 1244 (l'auteur ne
se prononce pas nettement).
8
Pand. bel ges, V0 Garantie (contrat de transport), n° 5 8 et 9 ;
SAncTELE'I-rE, op. cit., pp. 85, 108, 178; DESEURE, Responsabilité des
160 RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS

la jurisprudence a consacré cette idée à maintes reprises ainsi


que nous l'indiquerons dans la suite. Toutefois, Ie tribunal
de commerce d'Anvers a, à plusieurs reprises, consacré la
thèse de l 'incompatibilité, en décidant que « lorsqu 'un fait
constitue la violation d 'une obligation contractuelle de don-
ner, faire ou ne pas faire, il ne saurait constituer en même
temps la faute aquilienne frappée par l'article 1382 » 1 •
La question a été vivement discutée par les auteurs
italiens, qui sont assez enclins à suivre la doctrine française.
Mais la jurisprudence, bien qu 'elle subisse parfois l 'influence
d'auteurs aussi éminents que M. Chironi, est cependant plus
favorable à la thèse du concours qu 'à la thèse ad verse 2 •
En droit allemand, la contravention à une obligation
contractuelle donne lieu à action délictuelle lorsque cette
contravention consiste en un acte qui mérite la qualification
2
de délit au sens de l'article 823 du B. G. B •

§ 3. Réfutation de la thèse de l'impossibilité du concours


des deux responsabilités à raison d'un même fait.
114. Prétendue transformation des obli-
gations délictuelles en obligations contrac-
tuelles. - 11.'i. Doctrine de M. Ie Procureur
Général Mesdach de ter Kiele.

l H. Partant du principe qu'une faute doit nécessaire-


mcmt être délictuelle ou contrartuelle, les partisans de la
théorie du refoulement refusent à la victime, dans les cas
administrateurs et des commissaires, n° 27. Contra: note W. M., J. A.,
1928, 395. L'influence de la doctrine frnnçaise paraît s'/ltre récemment
développée en Belgique. Voy. en fave11r de !'opinion de M. Tosserand .
Rm·sAERT, De l'excl11sion de la responsabilité rlélicf.11rlle entre contrnc-
tants, B. J., 1932, 289 ; DE HARVEN, A propos du concours des responsa-
bilités délicl11elle et contractuelle, Rev. gén. ass. resp., n° 899.
1
30 oct. 1897, J. A., 1898, p. 297; 22 oct. 1898, ib., 1899, p. 142:
21 mai ]898, ib., p. 326.
2
Voyez Cass. Turin, 21 nov. 1916 et 3 mars 1917, Giur. It., 1917,
I, pp. 1011 et sui v .• avec notc en sens contraire de M. Chironi ; Cass.,
10 févr. 1926, Giur. It., 1926, J, 1, 289; camp. Ie commentaire de
P. PERETTJ GRivA, Rev. trim. de dr. cin., 1930, pp. 506 et s. ; GABBA,
Nuove q11est., pp. 277 et s. - Contre Ie concours : Appel Bologne.
7 décemhre 1914, Giur. Il., 19]5, T, 1, 63.
3
Vn, Lrsz-r, Die De/U:tsobligationen, pp. l 2 et s.
RESPO~S-\BILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS 161

analogues à celui que nous avons analysé ci-dessus 1 l'action


délicluel1e : pour ces auteurs, les ohligations délictuelles se
sont transformées en obligations contractuelles, dans la
mesure ou les parties les ont reprises dans leur convention :
2
seule une action contractuelle demeure possible •

L 'explication est certainement insuffisante. En effet,


ainsi que nous l'avons vu précédemment, la responsabilité
délictuelle ne disparaît, entre contractants, que dans les cas
ou les parties ont voulu l 'exclure. Ont-elles manifesté la
volonté d 'exclure de leurs relations les obliµ:ations délic-
tuelles ( ou du moins certaines d 'entre elles) par Ie seul fait
qu'elles ont introduit dans leur convention des obligations
contractuelles d 'un ohjet identique il
3
Parcille interprétation ne peut être admise la simple :

coïncidence entre l'ohjet des obligations nées du contrat et


celui des oblig·ations légales préexistantes ne permet pas, à
elle seule, de présumer que le créancier ait voulu renoncer
au recours << délictuel » qu'il tenait de la loi. Bien au con-
traire, ainsi que nous l'avons souligné, lorsque des parti-
culiers s 'imposent des obligations par convention, ils enten-
dent en principe augmenter leurs droits, et non les dimi-
1111lir. L'ohligation contractuelle, loin d'absorber l'ohliga-

tion délictuelle, s'ajoute au contraire à elle •. Tl n'y a donc


aucune << transformation n, ni aucune << suhstitution »,
mais seulcmpnt création d 'ohligations nouvel1es par Ie
contrat.
1
Voyez 11° 112.
2
Voycz M. \ZEA1..m, op. cH., T, n° 178; l'LA"\TOL d HIPFRT, t. YT.
n° 492. Logiquement ces auteurs <levront donc refuser toute action
délictuelle contre un emprunteur incapable, par exemple, qui aurail
endommagé la chose prêtée et ferait ensuite annuler Ie contrat. Comp.
AumN, thèse citée, p. 159.
3
Voyez cepen<lant PLA;,;wr. et R1PERT, t. VT, n° 492.
4
Comp. PACCHIONI, loc. cit. : « Dire que dans ces cas la responsabilité
-contractuelle absorbe la responsabilité délictuelle parce qu 'elle constitue
un règlement complet et exhaustif (dans ses limites et suivant ses moda-
lités particulières) de ce qui constitue le but de cette dernière, à savoir
la réparation <lu dommage, c'est tomber dans un cercle vicieux, puisqm·
précisément la discussion porte sur Ie point <lc savoir si Ie contrat impli-
quait renonciation à se prévaloir <le In proleclion a, l 'articlc 1151. "
{Cet article corresponrl à l'article 1382 <ln Co<le '\'apoléon.)
162 RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS

Pour en décider autrement, il faudrait a<lmettre uue


incompa 1ibilité de principe entre l 'existence d 'ohligations
délictuelles et celle d'un contrat entre les parties. Or, nous
l'avons démontré, aucune incompatibilité de ce g·enre
n'existe.
Le respect de la volonté des parties conduit donc néces-
sairernent à rejeter la thèse de M. Josserand.
Aussi ne pouvons-nous approuver M. Planiol qui, tout
en proclamant en termes fort nets qu 'il ne suffit nullement
qu'une obligation légale soit insérée dans une convention
pour qu'elle cesse d'exister, se déclare cependant adversaire
du « concours des responsabilités » 1 •
Il y a là, semble-t-il quelque contradiction. Si, comme
l'affirme M. Planiol, l'obligation est restée « légale » malgré
son insertion dans Ie contrat, et a conservé sa sancti on c< délic-
tuelle », il faut bien reconnaître, cependant, que Ie concours
des volontés des parties n 'est pas sans portée : il a donné
naissance à une obligation contractuelle, qui existe désormais
parallèlement à l'obligation légale, et qui jouit de sa sanc-
tion propre : dès lors, les deux responsabilités co-existent.
2
115. M. Ie procureur général Mesdach de ter Kiele
avait esquissé une théorie diamétralement opposée à celle
des partisans du cc refoulement » de la responsabilité délic-
tuelle, mais quine nous paraît pas non plus défendable.
Du moment, disait à peu près l'éminent magistrat,
ou l'on constate qu 'une action en responsahilité extra-con-
tractuelle existe ( c 'est-à-dire si, même en I 'absence de toute
convention, la responsabilité eût été engagée à l'égard d'un
tiers lésé dans des circonstances de fait semblables) - il
n 'y a plus de place pour la responsabilité contractuelle •.

1
D., 1907, 2, 97. " L'on ne peut », rlit-il, " faire jouer en même
lemps, à raison rl'un même fait, pour les mêmes personnes, les rleux
responsabilités ».
2
Conclusions précédant Cass. 5 oei. 1893, Pas., 1893, 1, 321.
3
Il s 'agissait dans l 'espèce d 'un accident ayant entrainé des lésions
c·orporelles ; la responsabilité pénale était engagée. Mais ! 'exposé du
Procureur Général a une portée beaucoup plus vaste : il est tout entier
RESPONSABILlTÉ AQUILIENNE ET CONTRATS 163

C 'est donc l'action contractuelle qui doit être refusée à la vic-


time, lorsqu 'elle dis pose d 'une action délictuelle 1 •
11 est impossible, dit-il, qu 'une obligation 16gale de-
Pienne contractuelle, parce que la responsabilité délictuelle
est d'ordre public, et que dès lors le contrat est cc impuis-
sant n à son égard.
L 'erreur qui est à la base de ce raisonnement est
frappante. M. Mesdach d,3 ter Kiele déclare impossible la
transformation <1 'une obligation délictue11e en obligation
contractuelle. Mais les parties n 'ont nullement eu 1'intention
d'opérer une transformation de ce genre : elles ont voulu
seulement créer une obligation nouvelle, sans exprimer
l 'intention de porter une atteinte quelconque aux obligations
délictuelles qui pouvaient exister entre elles, et dès lors
l 'argumentation de l 'honorable magistrat porte à faux. En
effet, en admettant même - contrairement à notre propre
2
opinion sur cc point que la responsahilité délictuelle
-

soit d 'ordre public, il en résulterait seulernent que les par-


ties ne pourraient l 'affaiblir par leur con,ention ; en ce sens,
la convention serait, il est uai, impuissante. Mais ce carac-
tère d'ordre public n'empêcherait nu1lement les particuliers
de créer. en marg·e des obligations délictuelles demeurées
intactes, des obligations contractue1les ayant le même objet :
cc La protection que les particuliers peuvent trouver dans des
lois d'ordre public, dit Sainctelette, ne leur est pas accordée
à condition de renoncer à la protection du contrat, au droit
de défendre personnellement Rvec le contrat leur personne
et leurs hiens >>.

fondé sur " l'abîme qui sépare l 'action ex delicto aut quasi delicto et
l 'aclion ex contractu "·
1
Ces idées ont également été exposées par M. Le Jeune, ministre
rle la Justice, au cours de la discussion à la Chambre de la loi du
2/5 août 1891 (Comment législ., n° 191). Elles ont été formellement
rejetées par le législateur, car il a été proclamé ensuite au cours des
rlébats que l'article 4 de la loi reconnaît l'existence d'une action con-
tractuelle dans Je chef du voyageur Yictime rl'un accident (Ib., n•0 252
et 254).
2
Voyez à eet égard supra, n°' 9 à ll.
164 RESPONSABILITÉ AQCILIENNE ET CONTRATS

§ 4. Possibilité du co11cours de deu;x: actions


nées d'un même fait

116. Position du prohlème. - II7.


Exemples de situations analogues : A. Paie-
ment avec suhrogation. - ll8. B. In rem
versio. - 119. C. Revendication. - 120.
Conclusion.

Il6. Il nous n·stc à démontrcr rnaintenant, pour ache-


ver la réfutation de la thèse dogmatique rapportée ci-dessus,
que la coexistence, dans les hypothèses que nous avons indi-
quées, de deux actions en responsahilité, nées d 'un même
fait dornmageable, non seulement répond à l'intention des
parties mais est en outre d 'tme correction juridique incon-
testah]e et ne présente rien d 'exceptionnel dans notre droit.
(Ju 'un fait unique de sa nature donne ouverture à deux
actions n 'a rien qui puisse surprendre, car si lc fait qui a
causé le dommage est en lui-rnême unique, c'est seu]ement
en tant que fait matériel ; mais il ne constitue un fait juri-
dique que quand on Ie considère par rapport à un droit
]ésé, et dès lors on conçoit parfaitement qu'il puisse se dé-
douhler suivant qu'il y a un seul ou deux droits lésés : quand
par un même acte une personne a en même temps ,·iolé ses
devoirs contractuels envers un tiers et porté atteinte aux
droits qui appartenaient à ce tiers indépendamment du con-
trat, il .Y a juridiquement deux fautes, et, partant, deu:x
actions en responsabilité ', même si, matfriellement, il n'y
a qu 'un seul dommage et qu 'un seul acte dommageable.
Les spécialistes de la procédure civile reconnaissent par-
faitement qu 'un même fait peut ronférer à une personne
2
plusieurs actions entre lesquelles elle a la faculté de choisir •
Le seul point en contestation est le suivant : ce même
fait juridique donne-t-il naissance à plusieurs droits dont

Telle est l'argumentaion développée par M. PACCH10:x1, loc. cit.


1

Rép. de dr. beige, V0 Action n° 37 ; Rép. prat. Dalloz, V0 Action


2

n° 118 ; GLASSON et TrssmR, I, n° 174 ; G,msoNNIIT, T, n° 436.


RESPONSABILlTÉ AQUILIENNE ET CONTRATS '165

cl1acun est rnuni d'une action, ou à un clroit unique pour la


poursuite ou la défense duquel plusieurs actions sont ou-
vertes1 ? Les auteurs parlent de concours d'actions dans Ie
2
premier cas, de cumul d 'actions dans Ie second •

Dans l'hypothèse que nous exarninons, il paraît certain


que la victime possède deux droits à la réparation du dom-
mage, cngendrés l 'un par l 'artide 1382 du Code Civil
l'autre par les articles 1134 et suirnnts, car ces dispositions
constituent deux titres juridiques ahsolunu·nt clistincts.
Il s'agit donc d'un concours d'actions.
117, L 'on rencontre dans cl' au tres domaincs du droit
ciül des situations tout à fait semblabies.
Le mécanisme du pa_,cment avec subroiration en four-
nit un exemple.
« Le fait du paiement pour Ie compte d 'autrui fait
naître en la personne de cel ui qui l 'a accompli, disent
MM. Planiol et Ripert' une action spéciaie, qui est I'action
dr mandat ou l'action de gestion d'affaires ... Cette action
est personnelJe au tiers payeur, elle prend naissance direc-
trment dans son patrimoine et elle est purernent chiro-
g-raphairc. >>
Mais si le tiers pa~eur a pris soin, lors du pa)ernent de
se faire sub rog-er au créancier dési ntéressé, il acquiert une
dcuxième action : cellc du créancier, tout en clisposant en
même temps de son action personnclle.
Certains auteurs avaient soutenu jadis, il est uai, qu'il
n '~ avait point translation de la créance oude I'action, mais
1

,eulement transmission des garanties accessoires qui appar-


tenaicnt à ]'ancien créancier, et q11i désormais se trmnaient

1
GARscr,-.1<.,, loc. cit. Cet auteur avait cependant antérieurement
déclaré ( op. cit., n° 353) qu 'il ne peut y avoir qu 'une seule action
ponr un même droit, sans d 'ailleurs justifier celte opinion.
2
GARSONNRT, loc. cit. ; Rép. prat. Dalloz, loc. cit.
T. VII, Oblig11tions, n° 1219. La Cour de Cassation de France a
3

reconnu l 'existence de ce recours personnel du tiers payeur : sa nature


varie, dit h Co11r 1 suivant que le liers était ou non intéressé au payc-
ment : voyez Cass. 12 févr. 1929, D. H., ]929, p. 18û
166 RESPONSABILITE AQUILIENNE ET CONTRATS

attachées à l 'action personnelle du tiers contre Ie débiteur.


Mais cette opinion est à présent rejetée ', et il est certaiu
que Ie tiers dispose de deux actions, tendant toutes les deux
à la même fin : Ie recomrement de la somme déboursée par
lui. Son action personnelle l 'expose à l 'insolvabilité du déhi-
teur, alors que I 'action qu 'il tient du créancier payc~ lui pro-
curera au co11traire fréquemment divers avantages (par
exemple un titre exécutoire, ou Ie caractère commercial de
Ia <lette) ou diverses garanties acrnssoires (gage, hypo-
thèque, action en résolution) 2

ll8. L 'act ion de in rem verso existe aussi très souvent


en concurrence avec d'autres actions nées d'un contrat, d'un
quasi-contrat ou d 'un délit, et dans cette hypothèse égale-
ment, une personne dispose de plusieurs actions qu 'elle peut
faire valoir indifféremment 3

l J9. Dans les cxemples que nous a vons cités, les deux
actions prennent leur source, il est ,rai, dans des faits par-
tiellement distincts : les deux actions du tiers qui paie à Ia
Ja décharge du débiteur proviemwnt l 'une du fait mêrne du
payement, I 'autre du fait du payement et de la suhrogation.
De même, I 'action de in rem verso prend sa source dans Ie
fait de I 'enrichissement injuste, alors que les autres actions
dont disposerait la même personne proviennent soit de I 'in-
exécution d 'un contrat, soit d 'un fait constituant un quasi-
délit.
Mais dans d'autres cas, les actions dont dispose l 'inté>-
r0ssé prennent véritablement leur source dans Ie même fait
matériel et !'analogie avec l'hypothèse d'une double action
en responsahilité est encore plus frappante.
Le prêteur ou Ie déposant d 'une chose mobilière dis-
pose de deux actions oontre son débiteur, Iorsque celui-ci
refuse de la lui restituer : l 'action née du contrat, purement
1
Voyez PLANIOL, Traité élém., t. IT, n° 507, qui en expose les rai-
sons.
l PLANIOL et RrPERT, t. VII, n°• 1219 et 1235.
3
Cou:-i et CAPITANT, 4• éd., t. II, p. 417. Voyez ci-dessus, n° l04.
RESPONSABILITÉ AQUILIE'.\'NE ET CONTRATS 167

personnelle, et la re,endication que lui confère son droit de


propriété. Les mêmes faits (la <létention et le défaut de res-
titution) donnent ainsi ouverture à deux actions.
11 n 'y a aucune raison de priver le créancier de l'une
d 'entre elles ; la loi elle-même consacre implicitement leur
coexistence, en matière de dépot, puisqu'elle décide que « si
Ie dépot a été fait par une personne capable à une personne
quine l'est pas, la personne qui a fait le dépöt n'a que l'ac-
tion en revendication de la chose déposée, tant qu 'elle existe
dans les mains du dépositaire » (C. Civ., art. 1926). Et les
auteurs, loin de contester le principe de la coexistence des
deux actions 1 , énumèrent au contraire les avantages que Ie
2
créancier peut se résen,er en choisissant l 'une ou l 'autre :

la revendication permet d 'exercer à 1' cncontre des créan-


ciers du débiteur un droit de préférence, elle permet d'autre
part d 'échapper à telles exceptions que Ie débiteur pourrait
opposer à ] 'action née du contrat ( incapacité, vice du con-
sentement). Par contre, le choix de l 'action contractuellc
s 'imposerait, toutes les fois que le déhiteur ne se trouve plus
en possession de la chose réclamée.
120. La coexistence des deux actions issues de la res-
ponsabilité contractuelle et de la responsabilill' délictuelle
ne heurte donc aucunement les principes généraux du droit,
et ainsi disparaît la dernière ohjection théorique que 1'on
oppose au concours des responsabilités. Après avoir prouvé
que notre argumentation est celle qui inspire la Cour de
Cassation de Belgique, il nous restera à étudier Ie concours
des responsabilités dans les faits, et à démontrer ainsi son
11tilité pratique.

1
Voyez cepenrlant AuBRY et RAu, II, § 183, 'texte et note 26.
2
PLANIOL et füPERT, t. UI, Les Biens, n° 378 ; Cou;,i et CAPITANT,
t. T, p. 923.
CHAPlTH~ IV

Etude de la jurisprudence de la Cour de Cassation de Belgique

121. Objet du chapitre. - 122. Principe


de l 'intervention de la responsabilité entre
contractants : Arrêt du 28 mars 1889. -
123. Arrêts du 2 mars 1922 et du 17 oc-
tobre 1907. - 124. Possibilité de déroga-
tions conYentio11nelles aux articles 1382 et
suivants. - 125. L'arrêt du 16 octobre 1902.
- 126. L 'arrêt du J 3 février 1930. - 127.
Conclusion.

121. Les principes que nous avons exposés et tenté de


justifier dans les chapitres précédents, ont été consacrés à
diverses reprises par la Cour de Cassation de Belgique, en
des arrêts qui s'échelonnent de 1875 environ jusqu'à 1930.
122. L'arrêt du 28 mars 1889 1 avait proclamé avec une
grande netteté que la responsabilité délictuelle n 'est nulle-
ment destinée à régir seulement les tiers : « Tous les faits
culpeux peuvent sans distinction, dit la Cour, servir de base
à I'action aquilienne. ii La Cour en rnnduait qu'il importe
peu de savoir si Ie contrat de travail comporte ou non une
obligation contractuelle de sécurité envers l'ouvrier : quelle
que soit la réponse à cette question, l 'ouvrier n'en conserve
pas moins Ie droit d 'invoquer contre Ie patron I' artide 1382
du C.ode Civil •.

1
B. J., 1889, col. 934.
2
Dans l'espèce soumise à la Cour Suprême, les ayants cause d'un
ouvrier victime d 'un accident de travail présen tai ent Ie système juri-
dique suivant : selon eux Ie contrat de louage de services, en vertu
d'une clause tacite, obligeait Ie patron à tenir l 'ouvrier indemne de
RESPO~SABILITÉ AQUILIEN~E ET CONTHATS 169

Mais l'arrêt llu 28 mars 1889 avait sans aucun doute


exagéré les conséquences du principe ainsi proclamé ; , oici
en effet comment il s'exprimail : << Attendu que quand une
personne assume conventionnellement l'obligation de pres-
ter certains soins auxquels, sans cette convention, elle n'au-
rait pas été tenue, et qu'elle les néglige ou les omet, elJc
peut si le cas y échet, être poursuivie, soit par l'action déri-
vant du contrat, soit par l'action aquilienne (Dig. Ad. le.9.
aq., 30.3); attendu que cette décision des jurisconsultes
romains a consené toute son autorité en droit moderne. »

tout dommage subi au cours de son travail : en cas d'accident, le


patron encourrait donc une responsabilité contractuelle. Dès lors, con-
cluait l 'auteur du pourvoi, il ne peut être question d 'appliquer au
litige, comme l'avait fait la Cour d'Appel, l'article 1382 du Code Civil,
cette disposition étant sans npplication en matière contractuellc. La
queslion pos(>c était donc bien celle de savoir si la ,ict ime d 'un dom-
mage, lorsqu ·ene rlispose d 'nne action en dommnges et intérêts con-
tracluelle, peut néanmoins se prévaloir de l'article 1382. L'A,ocal Géné-
ral BoscH y répondit affirmativement, apr/>s pvoir réfuté comme suit
la thèse du pounoi : « Nous sommes en droit, disait-il, de demander
à !'auteur rlu pourvoi si par hasard les obligations que la loi étahlit
entre tous les hommes, même en }'absence de contrat, viennent i1
disparaîlre Ie jour oü un contrat se forme entre deux ou plusieurs
cl 'entre enx. 11 faut tenir pour certain que lorsqu 'une faute, dans Ie
sens général du terme, est en même temps l 'inexécution d 'un con-
tral, la victirne de la foute a tout à la fois rnntre son auteur une
act ion hasée sur l 'article 1382 et une action basée sur Ie con trat "· Et
la Cour de Cassation, après avoir résumé l'argumentation présentée
par Ie pourvoi, arlopta la thèse de l'Avocat Général : « Attcndu que ce
moyen signale en premier lieu la fausse i\pplication et, partant, la
,iolation des art icles 1382 à 1386 du Code Civil en ce que l'arrêf atta-
qué a erronément appliqué au contral de lonage de gens de lrm•ail
les règles énoncées au livre ITI, titre IV du Code Civil relatif aux enga-
gemen/s qui se forment sans convention ; attendu que quanrl une
personne assume conventionnellement l 'obligation de prester certains
soins auxquels, sans cette ohligation, elle n 'aurait pas été tenue, et
qu'elle les néglige ou les omet, elle pe11t, si le cas échet, /\tre poursuivie,
soit par l 'action dérivant du contral, soit par l 'action aquilienne
(Digeste, Ad Legem aquiliam, 30, 3) ; attendu que cette décision des
jurisconsultes romains a conservé foute son antorité en droit mo-
rlerne. "
Nous ne pouvons dès lors nous rallier i\ l 'analyse que donne dP
eet arrêt M. DE HARVE"I (Rev. Gén. des assurances et des responsabililés,
n° 899. A propos du conco11rs des rPsponsabililés contracl.uelle et quasi-
délictuellcî, analyse r1 '01'1 l 'auteur ronclut que la question rlu curn111
des responsahilités ne se posait pas. C'est, en effet, seulement nprè:;
170 RESPONSABILITÉ AQlJILIEN:'IE ET CONTRATS

Cette formule était certainement excessive.


1
« Il est impossihle, disait Labbé, à propos de eet arrêt ,
de tirer de l'article 1382 l'ohligation pour une personne de
prendre activement des soins dans l'intérêt d'autrui : I'ohli-
gation d 'une pareille activité ne peut dériver que d 'un con-
trat. » D'autre part, accorder dans tous les cas et sans aucune
réserve l 'action aquilienne au dépositaire, au mandataire,
au transporteur, à raison d'un défaut de soin dans l'exécu-
tion du contrat conclu par eux, c 'est réduire à néant toutes
les règles particulières de la responsabilité contractuelle,
puisque les partie~· auraient toujours la faculté de les igno-
rer. Les jurisconsultes romains, dont ]'arrêt invoque !'opi-
nion, n 'avaient d 'ailleurs jamais adopté une solution aussi
2
générale et aussi absolue •

Tel qu 'il était formulé dans ] 'arrêt du 28 mars 188ij Je


principe du concours des responsabilités prêtait donc Ie flanc
à toutes les critiques dont il a été l 'oh jet fÎE' la part de certains
auteurs.
Hàtons-nous cl'ajouter que Ja Cour n'a pas maîntenu
dans la suite les termes un peu imprudents de eet arrêt '.
123. Un arrêt plus récent (2 mars 1922)4 clémontre
encore que les obligations légales sanctionnées par l'article
1382 suhsistent entre contractants : « Attendu que c'est dans

avoir réfuté l'argumentation juridiq11e du pourvoi que la Cour Su-


prême constate, ainsi que Ie souligne M. de Harven, que d 'ailleurs
Ic moyen manquc rle base parce que, d'une part, la Cour d'appel
n 'avait point fait application au litige de l 'article 1382 et que, d 'autre
part, Ie contrat de louage de services ne comporte pas l 'obligation
conventionnelle d'assurer la sécurité de l 'ouvrier. Certes, la Cour de
Cassation aurait pu, dans res conditions, se contenter de constater
que Ie moyen qui lui était soumis manquait de base en fait et se dis-
penser de In sorte d'examiner la question de droit. Généralemenl,
c'est ainsi que la Cour en use. Mais dans l'espèce visée par l'arr/lt du
28 mars 1889, la Cour Suprême a tranché expressément la question
de droit qui lui était soumisc et son arrêt a d/\s lors toute la valeur
d 'un arr/lt de principe.
1
Sirey ref., 1889, p. 91.
' Voyez supra, n°" 80 à 83.
" Voyez ! 'arrêt du ]4- février 1930, commenté infra, n° ] 2G lc't
! 'arrêt du 16 octobre 1902, infra, n° 125.
4
Pas., 1922, l, 183.
RESPO~SABILITÉ AQliILIENNE ET CONTRATS 171

Ie devoir général, inromhant à chacun, de respecter Ie hien


d 'autrui, que prend sa source l 'obligation pour Ie locataire
de la chasse d 'empêcher que la surabondance du gibier ne
devienne pour Ie bailleur une cause de dommage ; que la
sanction de cette ohligation se trouve dans les articles 1882
et suivants du Cock Civil. n
La Cour a, d'autre part, reconnu à diverscs reprises que
l'article 7bis rlc la loi du 4 anil 1900 sur la ,hasse, quine
constitue qu 'une application particulière de I 'articlc 1882 1 ,
« ne s 'arrête pas aux relations juridiques qui cxisteraient ou
non entre la victime et }'auteur responsahle du dommag-e ;
il importf' donc peu que J'une soit locataire du droit <le
2
chasse sur la propriété de l 'autre n •

124. l\1ais la responsahilité délictuelle n 'est pas d 'ordre


public, suivant la f:our de Cassation helge, rnr elle ne con-
enne que les intérêts privés des particuliers 3; ceux-ci peu-
wnt clone en modifier les effets ou la supprirner par leur
comcntion (sous réserve du cas de dol) : tel est Ie rns,
notarnment, lorsqu 'ils ont inséré dans un contrat des clauses
<l'exonération ou de limitation de la responsahilité. Après
avoir un instant proclamé la nullit{> elf' ces clauses à l 'époql,e
ou elles cornmençaient à apparaîtrf' • et s 'être ensuite arrê-
tée au système du renversement du fardeau de la preu \ e s,
la Cour a, en effet. par une série cl' arrêts dont Ie premier
remonte à 1877 ", admis leur pleine validité sauf en ce cp1i
concerne le dol ou la faute lounle. Et elle en a aussitot con-
du que c'est en vain que Ie créancier se prévaudrait, pour
faire échec à la clause, d'une faute pr01wée à chaq:te du déhi-

1
Cass. 3 <léc. 1903, Pns., 1904, I, 71. Celle clisposition se borne il
porter au <louhle les <lommages-intérêts <lus par celui qui a néglig<;
rle <létruire les lap ins sur les terres qu 'il posst•<le ou qu 'il a loures p,11"
bail <le chasse.
2
17 octohre 1907, Pas., 1907, I, 371 ; 2 mars 1922, précité.
" 21 février 1907, Pas., 1907, T, 135; voyez supra, 11°• 9 11 ll
4
4 février 18ï0, Pas., 1870, I, 199.
" 7 mai 1874, Pns., 1874, I, 148.
• 26 octobre 187ï, H. J.. 1878, ml. :371.
172 RESPONSABILITÉ AQLJLJENNE ET Cüi\TR\TS

1
teur • Pareilles clauses suppriment clone aussi bien la res-
ponsabilité déJictueJle que la responsabilité contractuelle.
La Cour reconnut encore ( a ton trario et cl 'une façon
2
purement incidente) dans un arrêt du 8 octobre 1903 que ,

l'application de la responsabilité d{>lictuelle peut faire l'objet


de dérogations conventionnelles : « Attendu que Ie défen-
deur, dit l'arrêt, sans prétendre tenir du bail un droit per-
sonnel qui etît annihilé ou modifié le principe en uertu du-
quel il était recherché (l'article 1382), s'est uniqm•ment
attacl1é à se dis::-ulpn en fait du quasi-dé>lit ... n
Toutefois, le fait seul de con cl ure un cou Lrat n 'implique
nullement la rnlonté d 'écarter l 'application (le 1'article 1882.
La f:our a égalernent exarniné Je problèrne sous eet asper:t
dans Ie derniPr arrêt que nous avons cité. Le litige portait
sur la compétence du juge de paix en matière de dommages
momentan0s aux champs, fruits et récoltes ; or, cette com-
pétence disparaît si l'action est fondée sur la violation d'obli-
g-ations contractuelles. Mais, dit la Cour, la seule circons-
tance que Ie procès se meut entre une propriétaire et son
fermier de chasse ne suffit pas à exclure toute responsahilité
2
délictuelle et, partant, à rendre Ie juge de paix incompétent •

125. Ln arrêt du 16 octobre 1902 • a précisé à la fois


que les parties peuvent, dans leun: conventions, disposer
à leur gré des ohlig·ations que les articles 1382 et suivants
leur imposent, mais que leur volonté d 'y renonçer doit être
certaine, et que l 'existence seule clu contrat n 'a pas par elle-
même la vertn de les supprimer.
La (JllPstion posée dans cc procès était la suivante : un
préposé, charg·é d'atteler Pt de conduire un cheYal pendant
qu 'il halait des hateaux sur un canal, peut-il, en cas d 'acci-

' 19 ani! 1877. Pas., 1877, J, 2RG; 18 oct. 1877, Pas., 1877, I. ::!99 ;
27 déc. 1877, Pas., l 878, I, 35 : rrs premiers arr/\ts concern ent de~
cla11Ses limitant la responsabililé à u11r somme déterminée.
2
Pas., 1904, J. 2G.
" Comp. aussi 17 oei. 1907, précitc\.
4
f'11s., 1902, J, 350; SirrY, 1906, 4, 2,j, n. Wahl.
RESPONSABlLIT(; AQLILIEi\NE ET CONTRATS 173

<leut provoqué par l'animal, imoquer l'article 1385 du Code


Civil à l'encontre de son patron:l La Cour de Cassation y a
répondu affirmativement, car << le contrat de louage de ser-
vices n 'a pas porté sur les quasi-délits clont 1\1. aurait pu être
victime en s'acquiltant de ses fonctions, et n'irnpliquait
du chef du montaut de son salaire, aucune renonciation à
l'application des principes de responsabilité du droit com-
mun et du contrat de louage; ... suivant les principes géné-
raux, l'existence cl 'un contrat de louage de senices n'a pas
nécessairement pour conséquence de faire disparaître la faute
aquilienne; ... l'article 1385 est général et ne distingue pas
entre le domrnage subi par un tiers, étranger au propriétaire
de l'anirnal, et celui inflig·(, à des personries qui ont a-,ec le
propriétaire des relation:- contractuel1es. n
126. Le prohlème de l 'intervention de la responsahilité
délictuelle entre contractants fut une nouveUe fois soumis à
la C:our Suprême en 1930, à ]'occasion d'une espèce qui rnet-
tait en jeu -la responsabilité contractueUe du transporteur.
L'action, dirig·ée contre l'Adrninistration des Chernins de
Fer par l 'expéditeur d 'un cheval, tendait à ohtenir réparation
du préjudice résultant de ce que, au cours des manceuvres
précPdant Ie départ du wagon ou il était enfermé, l 'animal
s 'était blessé et avait dt1 être ahattu. L 'expéditeur disposait
incontestablement d 'une action en responsahi.lité contrac-
tuelle fondée sur le contrat de transport. Mais croyant que
cette action contractueUe 1w lui procurerait pas une répara-
tion intéwale, à raison de certaines clauses pénales qui lui
seraien t uaisemblablement opposées. l 'expéditeur intenta
Ie procès sur la base cle l'artirle 1382, et la C:our cl'Appel
avait accueilli 1'action ainsi intentée.
L 'expéditeur avait-il Ie droit de se placer sur Ie terrain
délictuel malgré l 'existence d 'une action contractuelle?
C'était bien là Ie prohlème de l'option.
Dans son arrêt du 13 février 1930 1 • la Cour de Cassa-
1
ncv gén. nss. et resp., 1930, n° 590. avec note rl'ohservalions :
Hr1•. trim., 1931, p. 704.
174 RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS

tion a prodamé à nouveau, en termes particulièrement nets,


les principes qui a, aient été consacrés par sa jurisprudence
antérieure :
« Attendu qu'aux dires du pourrni, l'artidc 1382 du
Code Civil est inapplicable à la matière des contrats ; qu 'iJ
~· a lieu pour apprécier la responsabilité cles parties en ma-
tière de contrat et fixer Ie chiffre des dommages et intérêts
de recourir aux articles 1134, 1142, j150 et suivants du
Code Civil ;
>> Attendu cependant qu'en prescrivant la réparation

par diacun de tout dommage causé à la personne d'autrui ou


à ses biens, l 'article 1382 du Code Civil a édicté une règle
dont l 'ohservation s 'impose en principe à tous et en toute
circonstance ;
» Attendu que la règle ne cesse pas de trouver son appli-
catiun dès qu'un contrat a été }'occasion du dommage ;
" Attendu que Ie fait de s 'engager dans un contrat à
, eiller tout spécialement aux biens ou à la personne d 'un
rontractant n'enlève pas par lui-même à ce dernier l'action
délictuelle pour lui réserver seulement en cas de dommage
l'artion née du rnntrat ;
n Attendu que la roexistence de deux actions, nées de
rapports de droits différents, se rnnçoit quand ces deux
actions tendent à la même fin ; qu 'un contractant peut
recourir à l 'action délictuelle quand il poursuit la réparation
du dommage causé à son bien, comme il peut recourir à
l 'action revendicatoire quand il rédame la restitution à cel ui
qui Ie détient en vertu du contrat ;
n Attendu qu'il n'y a pas lieu de croire que Ie législa-
teur du Code Civil ait voulu s 'écarter de ces principes admis
déjà par Ie droit romain. n
La Cour a ainsi très heureusement modifié la formule
emplo~ ée dans l 'arrêt du 25 mars 18B9, et qui pouvait faire
0

penser, contrairement à ce qu'avaient cependant décidé de


nombreux autres arrêts, que Ia responsabilité délictuelle
« douhlait n nécessairement et en toute circonstance la res-
RESPONSABILlTÉ AQuILIENNE ET CONTRATS 175
ponsabilité contractuelle dès que la preme d 'un fait cul-
peux était rapportée.
L 'arrêt du 13 février 1930 résume en quelque sorte tous
les arrêts qui l 'ont précédé : il rappelle le caractère tr?>s
général de la responsabilité délictuelle ; il reconnaît toute-
fois implicitement que la convention des parties pourrait
l'écarter ; il préc-ise à nouveau que l'existence d'un contrat
ne l 'écarte cependant pas i.pso facto.
Tout cela, les arrêts antérieurs nous l'avaient déjà
appr1s.
Mais }'arrêt du 13 février 1930 apporte à la doctrine
élahorée par les décisions précédentes deux éléments très
importants :
I. - Non seulement le simple fait de contracter
n'écarte pas la responsahilité délictlle1le, mais même « Ie
fait de s'engager dans un contrat à veiller tout spécialement
aux hiens ou à la personne d'un contractant n'enlève pas
par lui-même à ce dernier 1'action délictuelle ».
La Cour consacre donc -in terminis la thèse que nous
avons exposée antérieurement au sujet de 1'insertion dans
nne convention d'ohligations ayant, au moins en partie, le
mêmc ohjet que des obligations légales préexistantes. Elle
condamne au contraire la thèse de la « transformation » des
ohligations légales en obli~ations contractuelles, qu 'ont
1
défern:hw Lahhé et .Tosserand •
IJ. ~ La Cour se prononce à nouveau très nettement
en faveur de la possibilité de la coexistence de deux actions
en responsahilité tendant à la réparation d'un même dom-
mage 2 • Elle confirme l'arrêt de 1889 sur ce point, qu'elle
1 Voyez supra, n° 114.
2 Suivant M. de Harven, au contraire (loc. cit. supra), l'autorité
de l'arrêt du 13 février 1930 en ce qui concerne la possihilité du con-
cours de deux actions en re spon sa hilité serait considérahlemcnt dimi-
nuée à raison de ce que Je ponrvoi qui déféra le litige à la Cour de
Cassation était rédigé en termes trop vagues, en manière telle que le
prohlème de l 'option entre les deux actions n'était pas soumis à la
Cour Su pr/lrne. Il est exact que le pourvoi se hornait à <lemander à h
Cour de casser ] 'arrêt parce que celui-ci « toul en reconnaissant qu'u11
contra! de tnnsport était intervenu entre Ie demamleur Botte et l'Etat
hel::re, ... décirle cependant qu'il incomhe à son contractant d "étahlir
176 RESPO~SABILITI:<: AQUILIENNE ET CONTRATS

11 'arnit
plus eu }'occasion d 'examiner clepuis lors. Elle con-
sidère donc comme parfaitement correcte une opinion que
maints auteurs français repoussent avec énergie 1 •
127. La jurisprudence de la Cour de Cassation helge
apporte ainsi une rnufirmation complète aux conclusions
thforiques auxquelles nous avions abouti précédemment : la
n·sponsabilité clélictuelle s'applique en principe entre con-
trartants, sans que ceux-ci aient à exprimer une volonté
qudconque tl eet effet, et elle peut même exister concurrem-
2
ment a ,ec la responsabilité contractuelle •

qu'il esl responsable en vertu do l'article 1382 du Code Civil, alors que
cotte disposition ne règle que la responsabilité rlélictuelle "· Le pourvoi
se bornait donc, dit M. de Harven, à demanrler à la Cour de Cassation
de proclamer une sorte d 'incompatibilité de principe entre l 'application
de l 'article 1382 et 1'existence d 'un contrat et, d 'après M. de Harven,
l'arrêt se serait horné à répoudre à cettc demande d'une portée res-
treinte. Tel n 'est pas notre avis. Rappelons tout d 'abord que lorsqu 'un
moyen de cassation est libellé en termes lrop vagues, il appartient à la
Cour <l'en préciser la portée véritable, en s'aidant notamment des déve-
loppements contenus dans Ie pourvoi lui-même (Cass , 4 juillet 1929,
Pas. 1929, 1, 261 ; 27 janv. 1930, Pas. 1930, 1, 79). Or, une lecture atten-
tiYe de ! 'arrêt révèle que, sous ce moyen rle cassation rédigé en termes
quelque peu imprécis, c'était bien la question de l 'option qui était
soumiso à la Cour Suprême et que celle-ci a exposée dans Ie préambule
de son arrN, ava1it de la trancher. Voici en effet comment l'arrêt résume
l'argmnentalio11 du demandeur : « Attendu qu'aux <lires du pourvoi
l 'articlo 1382 du Code Civil est inapplicable à la matière des contrats :
qu 'il )' a lieu, pour apprécier la responsabilité rles parti es en matièrc
rle contra/. et fixer le chiffre des dommages et intérêfs rle recourir au;r,
arficles 1134, 1142, 1150 et suivants du Code Civil. n Ainsi rlonc, la ques-
tion que l 'arrPl va résoudre est la sui van te: est-il nai qu 'un contractan1
doive se contenter des actions en dommagcs et intérêts qu 'il peut fonder
sur les ri•gles rle la responsabilité contractuelle, ou peut-il, en outrc,
Ie cas échéant, se préYaloir de la responsahilité délictuelle a C'est hien
la question de l 'option et la Cour y a répondu en <lécirl.mt que rien ne
s'oppose en principe à l'option entre deux actions en responsabilité,
l 'unp née de la violation rlu contrat, l 'aulre d'une faute délictuelle,
pour assurer la réparation d 'un même dornmage.
La signification et l 'autorité de l 'arrêt du 13 février 1930, aussi bien
que celles de }'arrêt du 28 mars 1889, ne peun•nt dès lors prêter à aucune
rontestation.
1 Voyez supra, n° ll3.
2
La jurisprudence rle la Cour de Cassation de France ne présente
pas la même cohésion que celle de la Cour de Cassation belge, et ;'1
cause de cela son i11terprétation embarrasse quelque peu les auteurs.
Bien qu 'il soit difficilo rle les comparer entre elles, parce que Jes
RESPO!'.SABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS 177

D'autre part la Cour reconnaît, d'une façon 1l uai dire


assez implicite, que les conventions particulières peuvent
déroger à la responsabilité délictuelle. Sur la nature, l'éten-
due, les conditions de ces dérogations, les arrêts de la Cour
ne nous ont cependant fourni aucune précision.
Seule l 'étude des décisions rendues par les juridictions
de fond nous permettra de déterminer quelle peut être l'in-
fluence de la conclusion d 'un contrat sur la responsabilité
délictue1le.

espèces tranchées leur ont présenté Ie problème sous des aspects très
différents, il semble que les doctrines des deux Cours suprêmes forment
contraste : la Cour de Cassation de France a proclamé en termes fort
nets à diverses reprises que cc les arlicles 1382 et suivants sont sans appli-
cation lorsqu'il s'agit d'une faute commise dans l'inexécution d'une
obligation résultant d'un contrat" (Req., 21 janvier 1890, D., 1891, 1,
380; Civ., 11 janv. 1922, S., 1924, 1, 105, n. Demogue; Civ., 6 avr. 1927,
S., 1927, 1, 201, n. H. Mazeaud; voyez sur ces arrêts, MAZEAUD, op. cit.,
1, n° 189 et infra, n° 200). Ces arrêts n'ont cependant pas une portée aussi
absolue qu'on pourrait le croire (voy. infra, n° 198). Suivant un autre arrêt,
plus récent, les articles 1382 et suivants sont d'application entre con-
tractants si Ie contrat ne règle pas la question de responsabilité : solu-
tion qui se rapproche davantage de celle de la Cour de Cassation belge
(Civ., 27 février 1929, D., 1929, 1, 129, n. Ripert; S., 29, 1, 297, n.
Hugueney) ; mais eet arrêt prohibe encore, tout au moins implicitement,
le concours des responsabilités, car la Cour paraît admettre qu'une
responsabilité ne peut être à la fois délictuelle et contractuelle (voyez
sur l 'interprétation de l'arrêt : PLANIOL et RIPERT, t. VI, n° 493).
Seul un arrêt de la Chambre des Requêtes, qui ne paraît guère
avoir formé jurisprudence, a admis le concours des responsabilités sans
d'ailleurs examiner le problème dans son ensemble (Req., 14 déc. 1926,
D., 1927, 1, 105, note .Tosserand, S., 1927, 1, 105. n. Esmein.).
II. La jurisprudence
et l 'intervention de la responsabilité délictuelle
au cours de l 'exécution des contrats

128. But de cette étucle. - 129. Principes


qui Ia guicleront.

128. Les pages qui précèdent a,aient pour objet de


démontrer que la technique juridique de notre droit ne
s 'oppose nullement à l 'intervention de Ja responsabilité
délictuelle entre contractants.
Il nous reste à présent à étudier les faits, tels que les
ré"èle la jurisprudence, afin de déferminer si cette interven-
tion est une réalité, si elle existe effecfrrnment. La réponse
C'st, ainsi que nous Ie verrons, nettement affirmative. Certes,
la jurisprudence est loin d'être unanime ; elle est souvent
influencée, surtout en France, par }'opinion quî domine en
doctrine, et que nous avons critiquée, suivant laquelle la
responsabilité délictuelle est incompatible aYec l 'existence
d 'un contrat. Néanmoins de très nombreuses décisions ont
fait appJication des articles 1382 et suivants à des personnes
liées par un contrat, dans les circonstances les plus diverses.
Elles démontrent clairement que la thèse que nous défendons
n 'est pas seulement correcte au point de vue théorique, mais
qu 'e lle répond à des nécessités pratiques indiscutables.
129. Etrn liC'r les cas cl 'intenention de la responsa bilité
clélictuelle entre personnes liées par un contrat, c'est en
réalité rechercher quelles sont Jes obligations légales dont
les parti es demeurent tenues I \me en vers l 'autre, inclépen-
rlamment des ohlii:rations contractuelles nées du concours de
leurs volontés.
RESPOXSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS 179

Ces obligations légales sont les mêmes que celles qm


s'imposent à tout citoyen envers les autres.
Mais il n 'est pas possible d 'en donner une énumération
complète, car elles dépendent essentiellement des circons-
tances. Elles se ramènent, dans leur ensemble, au devoir de
conformer sa conduite, en toutes circonstances, à celle d 'un
bon père de farnille. Ce n'est là toutefois qu'une indication
donnée au juge, et pour l'appliquer, Ie juge dispose d'un
pomoir d'appréciation souvent très étendu.
L 'on peut néanmoins tracer en quelques lignes géné-
rales le cadre à l'intérieur duquel se meut nécessairement la
conduite du bon père de famille. Si l 'on ne peut déterminer
avec précision ce qu'un bon père de famille doit faire dans
chaque circonstance de la ,ie, il est possible cepcndant de
délimitcr les actes dont il doit toujours s'abstenir, et les
directi,es qui doivent toujours inspirer sa conduite :
1° Ln bon père de famille s'abstiendra de tous actes
destinés à tromper autrui, ou accomplis dans Ie hut de lui
nuire ( interdiction clu dol et cle la fraude) ;
2° De nornbreuses prescriptions règlementaires précises
et détaillées indiquent à chacun la conduite à observer dans
les circonstances que la loi détermine : un bon père de
familk· s 'y conformera exactement ;
3° ün bon père de famille doit, en toute circonstance,
se comporter à l'égard de la personne et des choses d'autrui,
avpc prudence, de manière à ne leur causer aucun dommage.
4 ° Un hon père de famillc s 'abstiendra d 'exercer d 'une
rnanière abusive les droits qui lui appartiennent;
5° La loi impose I1 chacun l 'obligation d 'assurer la sécu-
rité des tiers contre les dommages qui pourraient leur être
causés par certaines pcrsonnes dont on doit légalement ré-
pondre, ou par certaines choses que l'on a sous sa garde.
Toutes les obligations légales brièvement rappelées
ó-dessus subsistent en principe entre contractants. C 'est
ce que nous allons démontrer en reprenant successivement
chacune d'entre elles.
CHAPITRE PREMIER

Responsabilité personnelle (art. 1382)

SECTION I. lNTERDICTION
DE NlèIRE VOLONTAIREMENT À AUTRUI

§ 1. Le dol dans l' exécution du contrat

130. Définition générale du dol. Sa sanc-


tion : la responsabilité délictuelle. - 131.
Le dol dans l 'exécution des contrats. -
132. Critère du dol. - 133. Application :
I. Intention de nuire. - 134. II. Mauvaise
foi assimilée au dol.

130. Parmi les actes sanctionnés par l'article 1382,


figurent en premier lieu les fautes intentionnelles, générale-
ment appelées délits ( civils) par opposition aux fautes non
intentionnelles, auxqurlles on réserve la dé>nomination de
quasi-délits 1 •
Ainsi que Ie font observer MM. Mazeaud 2 , Ie mot délit,
en droit moderne, désigne ce que les jurisconsultes latins
nommaient dolus : les délits civils sont tous des actes de dol,
et réciproquement tout acte de dol constitue un délit civil,
sanctionné par 1'article 1382 •.
1
Sont évidemment exclus de la catégorie des délits civils, même s'ils
nuisent à autrui, les actes autorisés par la loi, par exemple les actes
normaux de concurrence commerciale : pareils actes ne sont pas cons-
titutifs de cc faute "·
• Traité, I, n° 406.
3
La loi édicte, pour certains actes doleux, des sanctions particu-
lières en vue d'approprier la réparation à la nature du préjmlire causé :
RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS 181

La responsabilité imposée à !'auteur d 'un délit civil


révèle que la loi donne à chaque citoyen le droit d'exiger des
autres une conduite exempte de dol ou de fraude.
Ce droit, conféré par la loi elle-même, subsiste entre
contractants, avec la responsabilité délictuelle qui en cons-
titue la sanction.
En effet, ainsi que nous l'a,ons démontré, la conclusion
d 'un contrat ne supprime pas les obligations légales qui exis-
taient préalablement entre les parties : loin de former à lui
seul le statut, la charte complète des relatîons entre les
parties, il a un objet limité et les obligations auxquelles il
donne naissance s 'ajoutent aux obligations légales préexis-
tantes.
Aussi ne partageons-nous pas l'opinion de certains
auteurs. suivant lesquels les contractants auraient tacitement
stipulé l'un de l'autre que chacun d'eux s'abstiendrait de
dol ou de fraude, et substitué ainsi une obligation conven-
tionnelle à l' obligation légale 1 • Pareille interprétation nous
paraît artificielle, inutile et contraire à la vraisemblance.
(; 'est la loi qui protège les particuliers contre le dol et la.
fraude, et c'est sur cette protection légale que comptent les
2
parties lorsqu'elles concluent une convention •

C 'était d'ailleurs la solution de l'ancien droit français et


du droit romain, qui reconnaissaient expressément que Ie dol
commis par Ie débiteur dans I'exécution d'un contrat cons-
titue un déiit civil sanctionné par la responsabilité aqui-
lienne •.
Je dol dans la conclusion des contrals, le dol concerté au préjudice des
crêanciers (fraude paulienne) entraînent la nullité des actes ou con-
ventions qui portent atteinte aux intérêts légitimes du co-contractant
ou de ses créanciers. Cette nullité est imposée à titre de réparation et
les auteurs reconnaissent que les dispositions légales qui la comminent
ne sont que des cas d 'application du principe de responsabilité inscrit
dans l'article 1382. La meilleure preuve en est d'ailleurs que des dom-
mages-intérêts pécuniaires peuvent toujours être alloués à la victime
en vertu de l 'article 1382, lorsque l 'annulation de l 'acte frauduleux ne
procure pas la réparation complète du préjudice subi : v. supra, n° 95.
1
MAZEAUD, Traité, l, n° 205.
2
En ce sens, A. BRu:-;, op. cit., n° 222.
• Voyez supra,, n• 48.
182 RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CUNTRATS

Le Code Ci ,il ne s 'est pas écarté de l 'ancien droit à eet


égard, et les dommages-intérêts prévus par l 'article 1151
pour Ie eas d 'inexéeutiou dolosive d 'un contrat sont préci-
sément ceux auxquels donnent droit tous les délits et quasi-
délits ei vils 1 • La jurisprudenee applique également, en
pareillc hypothèse. les autres règ·les propres à la responsa-
2
bilité délictuclle •

131. Le eas ou Ie déhitenr contractuel se reud eoupahle


d 'un dol fournit dès lors un exemple particulièrement inté-
ressant d 'intervention de la responsabilité clélietuelle entre
eontractants.
\ rnnt d 'en examiner en détail Ja portée et les consé-
quences, il est indispensable de préeiser en quoi con siste Ie
« dol commis clans l'exécution d'un contrat ».
La définition du dol la plus généralement admise en
droit moderne est celle que Labéon avait exprimée en une
formule soment citée : omnem calliditatem, fallaciam,
machi,wtionem ad cirrnmveniendum, fallendum, decipien-
dum alterum ad}dbitam. Elle englobe toutes espèces d'arti-
fices dont quelqu 'un se sert pour circonvenir, tromper ou
déce,oir autrui ; son essence est l 'intention mauvaise qui
inspire !'auteur de !'acte.
La notion du dol telle qu 'elle est définie ci-dessus est
extrêmernent génfrale et est susr:eptible de recevoir appli-
cation dans les domaines les plus dhers.
Dans la matière des contrats, elle peut recevoir deux
applications qu'il importe de ne pas confondre : Ie dol dans
la conclusion du contrat et Ie dol dans l 'exéeution sont choses
di sti net es •.
Le dol dans la conclusion du rnntrat consiste à tromper
l 'intelligence d 'au trui de manière à lui faire prendre une
résolution qu 'il n 'eût pas prise sans cette man~uvre : c 'est
Ie dol auquel se réfère l'article 1116 du Code Civil.
Le dol dans l 'exécution du contrat que prévoit l 'arti-
1 Voyez supra, n° 50.

• Voyez infra, n° 135.


• Voyez à eet égard l 'étude de M. PLANroL, Dol civil et dol criminel
(Rev. Grit., 1893, p. 545).
RESPO~SAlHLITÉ AQC:ILIEi'i'\E ET CONTRATS 183

cle 1151 du Code Civil ne consiste point à influencer l'intel-


ligence ou la volonté d 'autrui, mais à frustrer le créancier
des droits qui lui appartiennent, à tromper son attente 1 •
Les auteurs qui ont commenté l'article 1151 ne se sont
guère préoccupés de rechercher les conditions requises pour
que l 'inexécution d 'un contrat puisse être considérée comme
dolosive. La question est pourtant essentielle pour savoir s'il
y a lieu ou non à responsabilité délictuelle.

132. Une observation préalahle s 'impose : pour qu 'il


~- ait inexécution dolosive du contrat, il ne suffit pas que le
déhiteur ait eu pleinement conscience de violer ses ohliga-
tions contractnelles : le clol ne s 'idcntifie jamais avec l 'inexé-
cution, celle-ci ffit-elle même colorée par un état psycholo-
gique défavorable de l 'agent 2 •
Admettre la solution contraire aho11tirait à considérer
comme des cas de dol tous les cas d 'inex{>cution cl' ohligations
contractuf'lles, à peu d'exceptions près. Aucune décision de
jurisprudence n'a consacré une solution aussi choquante ;
au contraire, 1'application de l'artic]e 1151 est relativement
peu fréqucnte.

1
Plusieurs auteurs résencnt à cclle rlernière hypolhèse la rléno-
mination <ie frnn<ie. (DnrnI.OMBE, t. XXIV, n° 169 ; · LAROMBIÈRE, art.
1116, n° 4; Ji.n:nnY-LACA:-STI'IERIE, Ob1ig. l, n° 488 ; PLA"ITOL, B.ev. Cri/.
1893, pp. 545 et 6491. Toutefois la <iistinction entre " dol >> et " fraude ,,
est extrêmement <iélicate et ces mots reçoivent les interprétations les
plus diverses suivant les auteurs qui les emploient : vovez JossERAND,
Les mobiles dans les actes juricliques, n° 8 171 et suiv. ; d 'après ,r. .Tosse-
ranrl la " fraude n ne saurait être conunise qu'à l'encontre des tiers
( op. cit., n° 186).
2
La Cour de Cassation beige l 'a reconnu à propos rle ] 'art.iele
1153 C. C., qui n 'est qu 'une application particulière aux dettes de
sommes des principes consacrés 11ar les articles 1150 et 1151 : la Cour
décirle que l'allocation rle rlommages-intérêts supérieurs «ux intérêts
légaux suppose la preuve d'un <lol antre que 1a vio1ation dr !'engage-
ment contractuel (23 ocl. 1913, P. P., 1914. 738).
C'est ainsi que nous expliquerons la solution suiYatlt laquelle
« l'inexécution même de mauvaise foi d'un engagement contractuel de
la femme mariée n 'autorise pas Ie créancier à saisir les biens dotaux ,,
(Voyez note Guénée au D., 1912, l, 273): il n'y a pas de "dol n rlans ce
cas. MM. MAZEAUD (op. ei/., l, n° 205) paraissenl confonrlre inexécution
volontaire et inexécution rlolosive : c'cst ]à une erreur certaine, qui vicie
le raisonnement de ces auteurs.
184 RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS

Cependant, dans la pratique judiciaire, les plaideurs


opposent souvent Ie débiteur de bonne foi au débiteur de
mauvaise foi, et cette opposition est censée traduire la dis-
tinction faite par les articles 1150 et 1151.
Ce sont là des termes impropres : la plupart des débi-
teurs qui laissent en souffrance leurs obligations contrac-
tuelles sont de mauvaise foi en ce sens qu 'ils se rendent par-
faitement compte de la portée de leurs actes ou de leur abs-
tention et des conséquences préjudiciables qui en résultent
pour leurs créanciers. Ils ne sont cependant pas coupables
ipso facto du dol prévu par l 'article 1151 et n 'encourent pas
nécessairement la responsabilité étendue que prévoit cette
disposition.
En un mot la connaissance plus ou moins grande que
Ie débiteur a eu des conséquences de ses actes est à elle seule
insuffisante pour déterminer s'il est coupable de dol ou
non 1 •
Le critère du dol est ailleurs : c'est Ie bul poursuivi par
Ie cléhitf>ur qui révèlera s'il commet un dol. ou une simple
faute.
Dans les hJpothèses que nous avons considérées jusqu 'à
présent. tantot l 'inexécution est Ie résultat d 'une simple
négligence, d 'une inattention, tantot elle est _consciente ;
mais dans tous les cas, la seule fin que recherche Ie débiteur
est d'échapper aux charges que la convention lui impose.
Il ne veut rien de plus.
Parfois, au contraire, Ie débiteur, en se refusant à exé-
cuter la oonvention, poursuit un but plus éloigné : l'inexé-
cution ne trouve pas, dans ce cas, sa fin en elle-même ; elle
n'est qu'un moyen. Tel est Ie signe du dol, de la manamvre,
de l 'artifice.

1
Voyez en ce sens DEMOGUE, Rev. Trim., 1925, p. 350 : ({ Nous croi-
rions volontiers qu'à !'inverse du droit pénal Ie fait rl'avoir pu prévoir
les conséquences de la violation du contrat n 'est pas un dol. Car tout
débiteur sait qu'il va nuire gravement à son créancier dès qu'il viole
Ie contrat. ,,
RESPONSABILITÉ AQUILIENNE E".r t;VNTRATS 185

L 'opinion que nous exprimons est également celle des


rares auteurs qui aient approfondi la question 1 •
133. Le dol ainsi caractérisé se présente en pratique
dans deux séries d 'hypothèses :
a) Le débiteur refuse d'exécuter le contrat dans le but
de nuire à son co-contractant. Tel serait Ie cas, pour ne citer
qu'un seul exemple, si des employés concertaient un départ
irnmédiat, simultané et collectif pour désorganiser l'entre-
prise de leur patron 2 •
On réserve parfois à cette première h~ pothèse la déno-
rnination de dol proprement dit.
Elle appelle deux observations :
l° L'intention de nuire, étant un simple fait, pourra
être prou vée par toutes voies de droit et notamment par des
présornptions. La jurisprudence n'hésite pas à recourir ici
au raisonnement par induction : l 'intention de nuire sera
par exemple suffisamrnent révélée par ! 'absence manifeste
d 'intérêt personnel du débiteur à l'inexécution : ce cas
paraît avoir été envisagé déjà par les jurisconsultes romains •;
l'intention de nuire pourra également résulter de la mau-
vaise foi dont témoigne le déhiteur dans les explications
qu'il donne de l'inexécution •.

1 TouLLIER, III, 2, 224. "Il y a dol toutes les fois que l'une des parties

n'a point exécuté ou a retardé d'exécuter l'obligation dans le dessein de


nuire à l'autre (« Ad dolum req11iril11r proposit11m laedendi n, TH<1MA-
sms, Dissert. de usu practica doctrinae, de culparnm pra.estatione in con-
tractibus). Il y a mauvaise foi lorsque sans avoir précisément le dessein
de nuire, le débiteur manque à ses engagements pour se procurer un
bénéfice plus considérable ; comme lorsqu 'un entrepreneur ahandonne
Ie marché qu'il avait fait, ponr en contracter u11 plus avanlageux ... ,,
L'opinion de Toullier a été adoptée par les rédacteurs des Pandectes
françaises, V0 Obligation, n° 1706.
2
Prudh. Charleroi, 5 mars 1928, Pas., 1929, 3, 83.
3
« Do!o facere videtur qui id quod potest restituere non restituit »
(ULPIEN, D., 17, 1, 8, 9). La Cour de Cassation de Florence a reconnu
que le refus volontaire et systématique, par une compagnie rle Chemins
de fer, rle délivrer la marchandise expédiée, constituerait un acte illicite
distinct d'une simple inexéc11tion du contrat : 29 janv. 1903, RilJ. di
dir. comm., 1903, p. 105.
6 Anvers, 14 janv. 1881, J. A., 1881, 1, 233. (cas d'un créancier qui

a venrlu sans ohserver les formes légales des titres qui lui avaient été
186 RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTR\TS

2° L 'observation qui précède permet de cornprendre


d 'autre part que la jurisprudence utilise parfois en cette ma-
tière la traditionnelle assimilation de la faute lourde au dol :
un débiteur peut comrnettre une faute tellement inexplicable,
tellcment grossière, qu 'elle fasse invinciblement croir·,:!
qu \me intention méchante a inspiré à son auteur 1 : pratique-
ment, do~ et faute lourde se manifestent par les mêntPS
2
signcs extérieurs •

3
l\.insi la Cour d 'Appel de Bordeaux a décidé que la res-
ponsabilité délictuelle cl 'une compagnie de Chemins de fer
était engagée, lorsque pour dissirnuler la perte d 'un colis,
elle recourt à des agissements coupables et prétend fausse-
ment que l'expéditieur a,ait commis une erreur d'adresse;
par un arrêt du même jour, la Cour retenait également la
responsabilit(, délictuelle de la Compagnie, dans une autre
espèce, parce qu 'elle avait remis, par une inattention irnpar-
<lonnahle, à un concurrent du destinataire des modèles dont
ce dernier entendait se réserver Ie monopole •. Dans les deux
espèces, la compétence ou I'incompé>tence du Trihunal
<lépendaient du caractère délictuel ou contractuel de la res-
ronsahi]ité.
134. b) Le déhiiC'tJr refuse d'exécuter Ie contrat parce
que c'est pour lui Ie moyen, non seulement d'échapper à
une charge. mais en ontre de se procurer u.n avantage aux
<lépens du créancier : c 'C'st I · hypothèse que certains auteurs
<lésig·nent sous Ie nom de« mauvaise foi assimilahle au dol ».

remis en gal!e) ; Req., 2 juill. 1929, n. Tl., 1929, p. 413 (le débiteur qui
invoque " 1m mauvais moyen " pour refuser les marchandises achetées,
se dérohe par fraude à l'exécution rle ses obligntionsî ; voyez aussi :
CHrnnmr, Traité du dol et rle la fraude, 1828, n° 148.
1
II en serait ainsi par exemple si un propriétaire affermait un rlo-
maine avec des hestia11x infectés d 'nne maladie contagieuse (PoTHJE.R,
Louage, n° ll8î.
2 LÉGAL, th. cit., p. 50; JossERANn, D11 l'esprit des droils, 11°" 59 et

281 ; MAZEAUD, Traite, T, n° 414.


a 8 juillet 1909, n., 1912, 2, 49, n. Chéron, S., 1911, 2, 233.
• Loc. ei/. La Cour de Cassation a, il est vrai, cassé ces deux arrêts
(14 jan v. 1918, S., 1920, l, 75), mais pour des motifs qui ne condamnent
nullement la qualification donnée à la responsabilité : V. BnuN, thèse,
p 245.
RESPONSABlLlTÉ AQUILlE;\;\E ET CO~TRATS 187

La jurisprudence en offre des exemplcs : lorsqu'un capitaine


de navire refuse de se renclre au port de chargeffent unique-
ment parce qu'il trouve aiJleurs plus facilement le moyen
1
de compléter sa cargaison. il est coupable de dol ; lors-
qu 'un mandataire chargé de poursuiue en justice un tiers,
dissimule que cc ticrs est son clit'nt, et s 'efforce ensuite de
2
Je ménager autant qn'il le peut la mauvaise exécution du
,

contrat n 'est alors qu 'un mo~ en pour Je mandataire, de se


concilier la reconnaissance de celui qu 'il était chargé de
poursuivre, et elle constitue un acte de dol.
L 'a, anlaµ:e recherché consistera parfois simplement à
retarder volontairement l'exécution du contrat jusqu'au
moment ou la prestation à effectuer sera susceptible, à rai-
son des circonstances du moment, de procurer au débiteur
un hénéfice plus considérahle •.

§ 2. Concours de l'action délictriclle


ef de 1.' adion confrarfuelle

135. E:xistcncc du concours. ~ 136. Scs


effels.

135. Bien qul' le dol de son déliiteur pC'rmette au


créancier de lui intenter une action en responsahilité délic-
tuelle, l'action contractuelle suhsiste cependant : Ie cr~an-
cier peut renonct'r ä faire la preu,'e du dol ou refuser de
l 'invoqeer l't, en se hasant sur le seul fait de l'inexécution
du contrat, se prénloir contrc son cléhitenr de la responsa-
bilité contractuelle 4 • l1 jouit clone de deux actions dont

1 Amcrs, 11 mai 18î2, J. \., 1872, 1, 114 : " AUendu qu'en foulant
ainsi aux piecls la loi nu contra!, il s'est renrlu coupahle de mauvnise
foi 011 tout nu rnoins a commis une faute tellement graYe qu'elle doit
être nssimilée ;m dol sous lr rapport des domrnnges-intérfls. "
2 Req., 30 jam. 1929, S. 1929. 1, 191.

3 Brux., 2 déc. 1901, PaR., 1903, 2, 241 ; Yoyez en oulre : Comm.


Bruxelles, 31 ,iuill. 1912, P. Pér. 1913, 62, et les exemples citPs par
CHARnoN, O/J. cit., n°• :114 et suh·., 330 et suiv., 353 et suiY.
4 En cc sens ; S.ff,CTELETTE, op. ei/., chnp. U, n° 24 ; Civ. Seine-
lnférieure, 27 juin Hl28, D. IJ., 1928, p. 570.
188 RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET COi\'TRATS

l 'objet coïncide tont· au moius en partie, mais qui sont sou-


mises à des règles distinctes 1 •
Certains auteurs prétendent cependant que Ie dol trans-
forme la responsabilité et substilue à l 'action contractuelle
mw action délictuelle. Telle est notamment }'opinion de
2
M. Josserand Comment justifier toutejois la disparition

de 1'acLion contractuelle, puisque toutes les conditions


qu 'elle requiert sont réunies P La co-existence des deux
actions doit nécessairement être admise dès ! 'instant ou
l 'on admet que l 'inexécution dolosive du contrat constitue
un délit cidl. 1\1. Josserand, qui adopte cette dernière opi-
nion, ne pourrait se refuser, semble-t-il, à en déduire la con-
séquence logique qui en dérive ; s'il ne Ie fait point, c'est
uaisemblablement à raison de ce que la coexistence des deux
responsahilités lui paraît apriori, et bien à tort, impossible.
136. L'exerrice de .l'action délictuelle procurera au
créancier de nombreux avantages <lont il serait privé s'il
s'en tenait à l'action contractuelle.
Son action sera recevable même après l 'expiration de la
prPsc-ription de l'action contractuelle •, et sans qu'on puisse
lui objecter }'absence de mise en demeure 4 • Elle lui per-
mettra <l 'obtenir la réparation de tout le dommage qu 'il a
suhi' d 'obtenir une condamnation solidaire à charge de ses
<lébiteurs s 'ils sont plusieurs •, d 'assurer Ie paiement des
domrnages-intérêts mêrne par la saisie des biens dotaux de
sa <lébitrice 1 •

1 Voyez supra, n° 112. Sur les effets de re concours, voyez infra,

n°s 190 et suiv.


2
Note au D. P., 1927, J, 105. Dans Ie m?me sens : GABBA, Nuo1•e
Quest., p. 287.
• Comm. Anvers, 13 fév. 1904, J. ,1., 1904, 1, 176. - Il faut cepen-
dant faire une réserve en ce qui concerne les cas oiI la prescription
serait applicahle à toutes actions dont Ie contrat pourrait être ! 'occasion.
Voyez infra, n° 245.
4
Req., 2 juill. 1929, D. fl., 1929, 413.
• Id.
• Req., 20 janv. 1902, D., 1904, 1, 141.
7
~ote Guénée au D., 1912, 1, 273, a conlrario. Sur tous ces points,
voyez en sens contraire H. MAZEAl!n, loc. fit.
RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS 189

Néanmoins, les deux actions en responsabilité demeu-


rent distinctes : elles ont leur cause et leurs caractère~
propres ; le créancier peut choisir entre elles ou les exercer
successivement sous la réserve qu 'il ne peut être indem-
nisé deux fois du mème dommage, mais il ne peut intenter
une action bàtarde cumulant les . avantages de chacune
d 'elles. La possibilité d 'exercer un choix est donc la se'ule
prérogative <lu créancier 1 • Elle est d 'ailleurs essentielle 2 .

~ECTION Il. ÛBLIGATION DE SE CONFORMEH


AUX PRESCRIPTIONS LÉGALES

§ 1. Principe et applications diPerses

137. Les contractants doivent se conformer, dans leurs


rapports entre eux, aux prescriptions légales, lorsque les
rnnditions prévues par celles-ci pour leur application se trou-
vent réunies.
Telle est la solution admise par plusienrs décisions de
jurisprudence.
La loi sur la chasse impose au titulaire du droit de
chasse l 'obli~·ation de détruire les lapins de manière à main-

1
Voyez injra, n° 194.
2 Suivant M. JossERA',D (Note au D., 1927, 1, 105), l'action fondée
sur la fraude du débiteur, hien que de nature délictuelle, porterait ii
divers égards la trace de son « origine contractuelle n. Nous ne croyons
pas qu'il en soit ainsi, et il nous paraît aisé d'expliquer les particula-
rités relevées dans eet ordre d 'idées par l 'éminent professeur. Elles son 1
au nombre de trois : tout d'abord, la limitation de la réparation aux
dommagcs « directs n seuls ; nous avons longuement démontré f!lH'
c'était là une règle générale en matière de responsabilité; ensuite,
l'insaisissabilité de la dot de la femme mariée : les espèces citées par
M. Josserand s 'expliquent toutes par ia circonstance que les faits arti-
culés étaient insuffisants pour constituer un véritable qunsi-délit ; enfin,
rlit M. Josserand, « Ie refus de l'action contractuelle cntraîne Ie refos
de l'action délictuelle l>: dans l'espèce qu'il rapporte à l'appui de cette
affirmation, 1'exercice de 1'action délirtuelle tenrlait 11 violer indirecte-
ment une prohibition cl 'ordre public (le refus d 'action en paiemen:t dn
joueur contre son partenaire), ce qui expliqne son échec et démontre
en même temps le caractère exceptionnel oe l 'hypothèse envisagée.
190 RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS

tenir lf'ur nomhre dans une limite normale 1 • Or la Cour


'
de Cassation a maintes fois décidé que Ie titulaire du droit
de chasse était tf'11u de cette obligation légale aussi bien
vis-à-vis du hailleur arnc qui il a contracté que vis-à-vis des
2
tiers •

Le , oyagcur , ictime d 'un accident de transport, peut


intenter à la Compagnie de Chemin de Fer une action en
dommages-intérèts de nature délictuellf', si la C:ompagnie
s'est abstenue de dénoncer !'accident an parquet, comme
la loi l 'y oh ligeait a.
L 'architecte qui contrmient aux lois et règlements sur
les hàtisses et construit un immeuble hors de l 'alignement
ou au delà de la hauteur réglementaire, encourt de ce chef
f'nvers Ie maître de l 'omrage une responsahilit(. à laquelle
les auteurs reconnaissent à juste titre un caractère délictuel,
puisqu 'ellf' l'St fondée sur la violation d 'une ohligation
légale •.
On pourrait multiplier les exemples. car les obligations
particulières que la loi impose deviennent de plus en plus
nombreuses ", et- ainsi que nous l'avons déjà indiqué • -
il est généralement admis aujourd 'hui que ce sont les règles
de la responsabilit{' <lélictuelle qui doivent être appliquées
aux conséquencf's de l 'inexécution d 'une obligation légale,
à moins que le l{,!.rislate11r n'en ait disposé autrement.
1
Cette obligation est consacrée imrlicitement par l 'article 7bis rle
l,, loi qui la sanctionne par une rcsponsahilité partirulièrement rigou-
rense (les dommages-intérêts seront portés an rlouhle du dommage).
2
Voir les arrêts cités supra, n° 12:i.
3
Grenohle, 2 déc. 1929, D., 1930, 2, 23. Un vo,vageur aYait été
blessp Pn chemin de fer par une bou teille jetéc rl 'un antre compartiment.
L 'art ion rontractuelle du voyageur fut repoussée parce que ! 'accident
c\fait rl,î au fait d'un tiers. Le voyageur invoqm1 alors la responsahilité
rltllirtnclle rlc la Compagnie basée sur ce que la Compa/rnie s'était ahs-
lc1111e de rlénoncer ]'accident au Procureur de la République, comme fa
loi l 'y ohligeait, ce qui avait empêché de découvrir ] 'auteur responsable.
Sans rnnlesler la recevahilité de cette action, la Cour In repousse parcc'
qn'il n'esl. pas cerlain qu'on et,t relrouvé Ie coupable.
• Vovez Répert. prat. rle rlr. beige, V0 DeYis et Marchés, n° 375, el
les références citées.
5
V. MAZEAl'D, Traité, T, n° 94.
6
V. supra, n° 92 ; MAZEArn, T, n° 103.
RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRA TS 191

~ 2. Prescriptions léyales sanctionnées par une peine.

Ia8. Le concours des responsab:lités. Posi-


tion du problème. 139. Infractions
intentionnelles. - 140. Infractions non
in ten tion nelles.

138. Très souvent, l'inobservation de ces obligations


légales est érigée en infraction et sanctionnée par une peine.
Les infractions pénales donnent incontestablement à
celui qui en est victime une action en responsahilité délic-
tuelle contre Ie coupable 1 • L 'article 3 de la loi du
17 auil 1878 en consacre expressérnent l'existence, et
di, erses lois particulières l 'ont également reconnue.
La circonstance que l 'infraction est commise par un
contractant envers l'autrP, est en principe indifférente à
l'égard de l'existence et des conditions de cette responsa-
bilité délictuelle : si Ie transporteur vole ou injurie le
voyageur, ce dernier pourra, aussi bien qu 'un tiers quel-
conque, lui réclamer sur la base de l 'article 3 de la loi du
17 avril 1878 et de l'articie 1382 dn f:ode Civil, réparation
intégrale du dommage qu 'il a suhi.
Sur ce point, il n 'existe guère de discussion en doctriue.
Mais Ie Msaccord apparalt dans les cas ou le fait défendu
par la loi pénale. constitue en même temps ( ou tout au
moins : implique nécessairement) l 'inexécntion d 'une obli-
gation contractuelle : le dépositaire qui détourne l'objet
qui lui est confié, le locataire qui met le fen à l 'immeuhle
loué, manquent à la fois à leurs ohligations h\rales et à leurs
obligations contractuelles.
Dans ce cas. les deux responsabilités entrent parallè-
lement en jeu ; la victime pourra à son choix se préYaloir
de l 'inexécution du contrat on de l 'infraction pénale. Les
conséq11cnces de cette sitliation seront examinées plus loin ;
les avantages de chacune des deux voies ouvertes à la victime
ont déjà été étndiés précédemment : la faculté d 'exercer

1
PLANIOL et RIPERT, VI. n° 485.
192 RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS

l 'action délictuelle sera notamment utile à la victime lorsque


l 'action contractuelle est paralysée par une déchéance 1 •
L 'existence simultanée des deux actions, reconnue par
la j urisprudence 2, l 'est également - chose plus remarqua-
ble - par une grande partie de la doctrine ; parmi les ad,er-
saires les plus décidés de l 'intervention de la responsabilité
délictuelle entre contractants, nombreux sont ceux qui
admettent une exception pour Ie cas ou Ie débiteur s 'est
rendu coupable, en même temps que d'une faute contrac-
tuelle, d 'une infraction pénale •.
Cependant, MM. Mazeaud ', poussant à !'extrême la
théorie de la séparation absolue des domaines d'application
des deux respoIJsabilités ci,iles, soutiennent que même dans
ce cas, la responsabilité contractuelle « absorbe » la respon-
sahilité délictuelle. M~f. Mazeaud sont ainsi obligés de pré-
tendre que l'action que la victime peut porter <levant la juri-
diction répressive est l'action contractuelle. Cette opinion est
en contradiction formelle avec Ja loi, qui accorde à la vic-
time une action civile fondée .mr l 'infraction et qui n 'attribue
compétence aux tribunaux répressifs que pour cette action
seule •.
Le caractère « contractuel >> de l 'action de la partie

1
Civ. Espalion, 2 mars 1926, G. P., 1926, 2, 65.
2
Cass. fr., 27 août 1867, D., 1867, 1, 489; 8 juin 1885, D., 1886, 1,
104- ; 5 aoM 1895, D., 1896, 1, 157.
3 LAROMBIÈRE, art. 1382, n°• 9 et 49 : « La partie lésée aura ... une

action en dommages-intérêts qu 'elle fondera à son choix soit sur l 'inexé-


cution nes engagements conventionnels, d'après les articles 1146 et
suivants, soit sur l 'existence d'un préjudice causé par un délit ou un
quasi-délit, d 'après les articles 1382 et 1383 » ; LAURENT, t. XX, n° 463 ;
SArNCTELEITE, p. 36 ; AuBRY et RAu, t. VI, p. 371, note 7 ; DEMOGUE, t. V,
n° 1244 ; LALOTT, n° 266.
LABBÉ, par contre, qui considère également que l 'existence simul-
tanée des deux responsabilités est en principe impossible, affirme que
lorsque Ie débiteur est coupable rl 'une infraction pénale, la responsa-
bilité délictuelle qu'il encourt de cc chef absorbe et supprime la respon-
sabilité contractuelle (v. note au S., 1886, 1, 1 : voyez la critique du
système de Labbé par M. Bonnecase, Supplément au Traité rle Baurlry
Lacantinerie, t. II, n° 495, et par M. BRuN, op. cit., n° 210).
• Traité, I, n° 202.
5
En ce sens, Bnul'i, thèse, n° 209.
H.ESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS 193

civile pourrait d 'autant moins être admis que généralement


l'infraction ne suppose pas l 'existence d 'un contrat valable :
ainsi l 'abus de confiance existe si l 'objet avait été remis à
la condition d'en faire un usage déterminé (C. P. art. 491),
mais il importe peu que le contrat en vertu duquel il a été
remis soit annulable 1 • Le juge prend dorre le contrat en
considération pour établir l'existence de l'infraction, mais
ce ne sont pas les obligations contractuelles qui sont proté-
gées par la loi, puisque la sanction pénale joue mème en cas
de nullité du contrat.
139. La plupart des infractions pénales impliquent
dans le chef du coupable une intention doleuse. Or, nous
avons vu que tous faits de dol ou de fraude, quels qu'ils
soient, sont interdits par la loi civile elle-mème : l'obligation
de s 'abstenir de toute fraude est l 'une de celles que sanc-
tionne au point de vue civil, l'article 1382. Dès lors, mème
en l'ahsence des dispositions pénales qui attachent à certains
de ces faits - à raison de leur particulière gravité au point
de vue social - une sanction punitive, ces mèmes faits don-
neraient ouverture à la responsabilité délictuelle par appli-
cation des principes du droit commun.
La défense comminée par l& loi pénale n 'est donc pas
ici la véritable source de la responsabilité ( civile) délictuelle;
par contre. elle exerce une influence sur l'action en respon-
sabilité civile. à laquelle elle attache diverses modalités parti-
2
culières •

140. Mais pour d'autres infractions, la loi pénale


n 'exige pas, dans Ie chef de leur auteur, une intention
doleuse ; il existe des infractions << non intentionnelles ».
Elh,s donnent lieu également, au profit de la victime, et
par application de 1'articlc 3 de la loi du 17 avril 1878 et de
l'article 1382 du Code Civil, à une action en responsabilité
délictuelle, et cette action peut être intentée au coupahle

' Voyez Rép. prat. de dr. beige, V0 Abus de confiance, n°• 50 et 56.
2 Voyez supra, 11° 66.
194 RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS

aussi bien par son co-contractant que par un tiers quelcon-


que ; il importe peu que l 'infraction soit commise dans
l'exécution du contrat, ou même que cette infraction com-
porte la violation des obligations contractuelles elles-mèmes:
dans cette dernière hypothèse, la victime dispose de deux
actions 1 •
La jurisprudence a consacré ces principes : Ie trans-
porteur encourt, en cas d 'accident dont est victime Ie voya-
geur, aussi bien l 'action délictuelle fondée sur Ie délit de
blessures par imprudence, que l 'action contractuelle née
du contrat de transport 2 •
Le marchand de denrées alimentaires qui livre à un
acheteur un produit non comestible, encourt envers lui
non seulement une responsabilité contractuelle, mais en
outre la responsabilité délictuelle qui dérive de l 'infraction
pénale consistant à mettre en circulation des produits non
comestibles •.
La loi et les règlements de police imposent pour la
circulation des navires dans les fleuves ou en mer, des
règles de navigation précises, sanctionnées par des peines :
lorsqu 'un capitaine, ayant contrevenu à ces règles, pro-
voque un abordage au cours duquel la cargaison de son
navire est endommagée, l'expédite11r ou Ie destinataire dis-
posent d 'une action en responsabilité délictuelle " - particu-
lièrement utile dans cette matière ou l 'action contractuelle
est soumise à une brève prescription et à des conditions
assez ngoureuses.
Les auteurs se prononcent dans Ie même sens, mais
cependant les divergences sont plus nombreuses que dans
l 'hypothèse des délits intentionnels •.

1
Voyez supra, n° 138.
2
V. BRuN, n° 2llbis; Req., 27 juill. 1925, D., 1926, J, 5.
' Cass. Florence, 21 mai ] 912, Giur. it., 1912, T, ] , 664.
• Pand. Belges, V0 Transport par eaux intér., n° 3382. Contra :
Anvers, 30 sept. 1912, P. Pér., 1913, 500.
5
BRUN, op. cit., n° 212; LALOU, op. cif., n° 267. Contra: DEMOGUE,
Sirey, 1924, I, 105.
Il y a cependan t un cas exceptionnel 011 la loi elle-même interdit
RESPONSABÎLITÉ. AQUILIENNE ET CONTRATS 195

SECTION Ill. ÛBLIGATION D 'OBSERVER EN TOUTE CIRCONSTANCE


LA PRUDENCE ET LA DILIGENCE QUE L'üN PEUT ATTENDRE
D ' UN HOMME AVISE,

141. Plan.

141. Il n 'est pas possible d 'énumérer les précautions


qu 'un bon père de famille est tenu de prendre pour éviter
de causer aucun dommage à autrui, car ces précautions
dépendent essentiellement des circonstances de chaque
espèce.
Les précautions que doit prendre un bon père de famille
en toute circonstance, ont la plupart du temps pour but
d 'assurer Ie respect de la propriété ou de la personne
d'autrui.
D 'autre part certains individus, à raison de leurs con-
naissances spéciales ou de la fonction qu 'ils ont assumée,
sont tenus envers Ie public à des obligations particulières
que l 'on qualifie souvent d' cc ohligations professionnelles. »
Cette observation expliquera la classification que nous
avons adoptée, dans l'exposé qui va suivre et qui n'a aucu-
nement, soulignons-le, la prétention d 'être une nomencla-
ture complète et scientifique de~ obligations d 'un bon père
de famille.

§ 1. Respect de la propfiété d' au trui

142. Principe. - 143. Application au con-


trat <le transport de choses. Consécration
législative du principe en Belgique. -
144. Jurisprudence : A. France. - 145.
B. Belgique. - 146. Application aux autres
contrats.

142. L'existence d'une convention ne dispense pas les


parties de l'obligation légale de se comporter de manière à

à la victime d'intenter à !'auteur d'une infraction une action en res-


ponsabilité délictuelle : lorsqu'il s'agit d'un accident de travail.
196 RESPONSABILIT~ AQUILIENNE ET CONTRATS

ne causer aucun dommage au bien d'autrui : au contraire,


elles en demeurent, en principe, tenues l 'une envers l 'autre.
Hien ne s 'oppose en conséquence à ce qu 'un contrac-
tant recoure à l 'action délictuelle quand il pours uit la répa-
ration du dommage causé à son bien.
Telle est la doctrine adoptée par la Cour de Cassation
de Belgique 1 •
De nombreuses décisions de jurisprudence ont fait
application de ces principes.
L'exécution du contrat de transport, notamment, donne
lien fréquemment à l'application de l'article 1382 entre les
contractants.
143. Lorsque des objets confiés à un transporteur ont
été détériorés, se sont perdus ou ont été volés au cours du
voyage, Ie transporteur, cela va de soi, encourt vis-à-vis de
son co-contractant. une responsabilité de nature contrac-
tuclle fondée sur l 'inexécution de l 'obligation de résultat
(restituer à destination la chose transportée) qu'il avait
conventionnellement assumée ; il n 'y échappera que s'il
réussit à établir que la perte ou l 'avarie sont dues à une cause
étrangère qui ne peut lui être imputée. Mais l 'expéditeur ( ou
Ie destinataire) peut également, s'il Ie préfäre, intenter an
transporteur une action en responsabilité délictuelle fondée
sur l 'article 1382 - à condition de rapporter cl 'une part la
preuve d 'un droit réel ( c'esi-à-dire : opposahle à tous) sur
la chose perdue. volée, ou endommagée, cl 'autre part la
preuve que la perte ou l'avarie est imputable à une négli-
gence, à une erreur de conduite, telle que l 'on puisse dire
que Ie transporteur n 'a pas fait preuve de la aili gence qu 'un
bon père de famille doit déployer en toute circonstance, et
indépendamment de toute convention, à l'égard du bien
d'autrui.
Invoqner la responsabilité déiictuelle permettra à l 'expé-
di1 eur, soit d 'ohtenir une réparation plus complète que celle

1
13 février 1930 : voyez supra. n° 126.
RESPO:\'SABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS 197

que lui procurerait l 'actiou en responsabilité contractuelle,


soit d 'échapper aux fins de non rece,oir qui pourraient tenir
cette action en échec ( courte prescription, exception non
adimplefi contrnctus, clause attrihuti,e de compétence).
Le législateur belge a consacré, -- les tra,aux prépara-
toires de la loi du 25 août 1891 sur le contrat de transport
Ie démontrent, - l'existence de la responsahilité délictuelle
du transporteur envers son co-contractant. Au cours de la
discussion à la Chambre de l 'article 4 de la loi, qui déter-
mine la responsabilité contractuelle du transporteur,
M. Olin, ,rinistre des Travaux Publics, souligna en termes
fort nets dans quelles conditions l 'article 1382 est suscep-
tible cl 'être appliqué entre les parties au contrat de trans-
port : « La faute que visent les articles 1149 et suivants n 'est
pas autre chose que le manquement à une obligation con-
tractnclle, c'est-à-dire à un devoir qni n'existe qu'en vertu
de la comention. Telle est, par exemple, la stipulation de
transporter la persorme ou les choses dans un délai déter-
miné : supprimez cette clause, et vous supprimez du coup
l 'indemnité pour cause de retard. Il en est autrement lors-
qn 'à l 'occasion d 'une convention, l 'une des parties contre-
,ient à une obligation qui pèse sur elle indépendamment
de tout accord particulier, en vertu du droit commun ...
Lorsque le .,oiturier blesse ou tue un voyageur par son irn-
prudence, il ne vi.ole pas seulement les obligations qui déri-
vent du contrat de transport, il contrevient au devoir qui,
en vertu de la 1oi commune, pèse sur Jes cito~ens, indépen-
damment de tout lien contractuel, et qui 7arantit la sécurité
de chacnn contre notre imprévoyance et nos maladresses '. n
L 'opinion de ~I. Olin, émise à l 'issue d 'une discussrnn
fort longue, a paru être approuvée par la Chambre. M. Olin,
il est vrai, ne visait, in terminis, que les transport des per-
sonnes. Mais Ie rapporteur. M. Dupont, a repris ensuite les
principes exposés par Ie l\finistre, en ajoutant : « On est

1
DtYO:\T et TART, Comment. Législ., ire Discuss. ;'\ h Chamhre,
11° 3-!. Voyez anssi 11°• 35 et 38.
198 RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS

bien près de reconnaître qu 'il faut appliquer les mêmes


principes quand il s'agit de pertes ou d'avaries de choses 1 • »
La doctrine beige, dans son ensemble, reconnaît aussi
que Ie transporteur peut encourir, Ie cas échéant, une
double responsabilité envers son co-contractant 2 •
144. Mais c'est surtout la jurisprudence, tant en
France qu 'en Belgique, qui apporte en ce domaine un
démenti formel à Ia théorie de I 'incompatibilité des deux
responsabilités.
L 'espèce Ia plus remarquable à eet égard est celle qui
a fait l'objet de l'arrêt de Ia Chambre Civile du
3
27 juin 1904 Il s'agissait du transport par chemin de fer

d 'un certain nomhre d 'oiseaux en cage. A leur arrivée à la


gare d 'Austerlitz, un préposé des chemins de fer, croyant à
tort que Ia capture et Ia détention de ces oiseaux sont pro-
hibées par un arrêté préfectoral, signale leur présence à un
officier de police, qui ordonne de libérer les oiseaux. Le
destinataire disposait contre Ia compagnie de Chemins de
fer d 'une action en responsabilité contractuelle, puisque
l 'objet transporté ne lui avait pas été délivré ; mais il négli-
gea de I 'exercer en temps utile et Iaissa expirer Ia prescrip-
tion d 'un an établie par I 'article 108 du Code de Commerce
français. Il intenta alors une action en responsabilité délic-
tueJle fondée sur la dénonciation intempestive faite par Je
préposé du transporteur, et qui avait été Ia eau se de Ia perte
des oiseanx. Cette action fut accueillie ; Je pourvoi intro-
duit contre Ie jullement du Trihunal de Bordeaux, et qui
invoquait Ia violation de I'article 108, fut rejeté, I'action
intentée étant fondée non sur I 'inexécution du contrat,
mais sur un quasi-délit.
Parfois Je destinataire, ayant suhi un préjudice impor-

1
DuPm, et TART', Com ment. Ll!gisl., F 0 Discussion à Ia Chambre,
n° 41.
2
SAJ'iCTELETTE. op. cit., chap. III, n° 22, p. 85 ; Pandecfes Belges.
V0 Garantie (Contrat de Transport) n° 8 ; CATITER, J. T., 1891, col. 521
et suiv. (;onfra : STEVENS et HE'INING, Le Contrat de Transport, n° 771.
' n., 1906, T, 112, S., 1907, T, 189, ,ivec note.
RESPONSABlLITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS 199

tant" s'efforce d'obtenir, par Ja voie d'une action délic-


tuelle, une indemnité supérieure à la somme forfaitaire
prévue par une clause pénale, ou d'échapper à une clause
conventionnelle d 'irresponsabilité. Il s 'efforcera par exem-
ple d 'établir que la perte de la marchandise transportée est
due à ce que la compagnie de Chemin de fer ne s'est déci-
dée que tardivement à faire les recherches nécessaires pour
la retrouver : faute grave qui justifie l 'allocation d 'une
indemnité supérieure à celle conventionnellement arrêtée 1 •
La Cour de Cassation de France a décidé à plusieurs
reprises que Ie voiturier qui fait vendre la marchandise
refusée par le destinataire dans des conditions de fait cons-
tituant une faute dommageable •, et notamment sans obser-
ver Jes formalités prescrites par 1'article 106 du Code de
Commerce français 3, en est responsable envers l'expéditeur
sur la base de l'article 1382 '.
145. Telle est également la solution admise en Belgi-
que par un arrêt de la Cour d'appel de Gand, qui, d'autre
part, énonce en termes particulièrement nets Ie principe du
concours des deux responsabilités, et les conditions aux-

1
Cass. 25 mai 1925, Gaz. Pal., 1925, 2, 239 (Cette décision se
justifie plutöt suivant nous, par Ie fait que Ie dommage était d1'1 à une
faute lourrle assimilahle au dol). Voyez de même : Civ. 14 janv. 1918,
S., 1920, I, 75 (arrêts <lits « des colis postaux ") : la Cour reconnaît
dans les motifs de son arrêt que les « tergiversations " provoquées à tort
par la Compagnie des Chemins de Fer après la livraison du colis endom-
magé, peuvent présenter « le caractère d 'une faute se détachant de
l 'exécution du contrat "· En l'espèce, c'était sans intérH, la contestation
soulevée au sujet de la compétence <levant en toute hypoth/>se recevoir
la. ml\me solntion, quel que füt Je fondement reconm1 1l l•action.
Cf. Cassation Florence, 29 janv. 1903, Riv. rii Diritto r:omm., 1903, p. 105,
note Bolchini.
2
Civ. 16 nov. 1881, D., 1882, I, 160, note. Voyez la notc parue an
D., 1901, I, 556. Il en est de même lorsque la Compagnie des Chemins
rle Fer, au lieu de livrer les matériaux transporlé, ;in dcstinataire, les ;i,
par erreur ou pour toute autre cause, utilisés 1l son profit : Req., 21
déc. 1926, G. P., 1927, I, 4-26 (l'arrêt se fonde, 1l tort, suivant nous, sur
Ie principe de l 'enrichissement injuste).
3
Civ. 25 févr., 1896, D., 1896, I, 502.
4
L 'on pourrait certes prétendre que ce fait entraîne également la
responsahilité contrnctuelle du transporteur envers l 'expéditeur.
200 RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS

quelles ,I 'existence de l 'action en responsabilité délictuelle


est subordonnée 1 : « Attendu qu 'il résulte des éléments de
la cause que l'appelant s'est eng-agé envers l'intimé à faire
transporter d 'An vers à Deynze par Ie batelier D 'Hertog une
quantité de tourteaux de cocotiers; qu 'arrivé à Deynze, Ie
chargement, au lieu d 'y être délivré au destinataire, a, par
suite d 'un accident sur les circonstances duquel les parti es
ne sont pas d'accord, été dirigé vers Vive-Saint-Eloi, puis
ramené à Deynze, ou il fut entreposé dans un magasin parti-
culier et finalement vendu à un tiers, sans Ie consentement
et malgré les protestations de l'intimé et sans l 'observation
des formalités Iégales ; attendu qu 'en admettant qu 'il eût
été plus normal de la part de l 'intimé agissant pour Ia répres-
sion d'une semblable voie de fait, de recourir à l'action ex
contractu plutot qu'à celle ex quasi delicto, l'option de cette
dernière ne saurait cependant point être condamnée en prin-
cipe, alors qu'elle est fondée comme dans l'espèce, sur
l'atteinte à un droit de propriété enYisagée indépendamrneut
des ohligations nées du contrat de transport, lesquelles ne
sont invoquées que pour caractériser les agissements illicites;
que Ie droit romain reconnaissait la possibilité de ce con-
cours alternatif, malgré Ie formalisme qui présidait à l'in-
tentement des actions et qui n 'est pas compatible avec
!'esprit de la procédure actuellement en vigueur ... n
Rappelons enfin que c 'est à l 'occasion d 'une action
en responsabilité dirigée par un expéditeur contre un trans-
porteur, que la Cour de Cassation de Belgique a récemment
confirmé sa jurisprudence antérieure, et admis la possibi-
2
lité du concours des deux responsabilités •

146. Que Ie contrat existant entre !'auteur du dom-


mage et la vidime soit un contrat de transport ou tout autre
contrat. les règles à suivre sont les mêmes : toutes les fois
que la victime rapporte la preuve d 'une faute précise, et

1 18 iuin 1913, Pas., ]913, 2, 359.


2
Arrêt du 13 février l 930. Voyez wpra, n° 126.
RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS 201

d'une nature telle qu'elle eût entraîné la responsabilité de


son auteur envers un tiers quelconque, la victime dispose
contre son co-contractant d 'une action fondée sur l 'arti-
cle 1382. Nous n'en donnerons que deux exemples.
Un jugement récent du Tribunal civil de Namur 1 a
décidé que Ie bailleur, s'il étab]it que l 'incendie de l'im-
meuble loué est dû à une faute précise du locataire peut
réclamer, en fondant son action sur l'article 1382, non seu-
lement la valeur de l'immeuble au jour de l'incendie, mais
en outre la somme complémentaire qu'a exigée sa recons-
truction, alors que, suivant Ie Tribunal, cette indemnité com-
plérnentaire n'eût pas pu être cornprise dans les dommages-
intérêts contractuels que Ie bailleur pouvait réclamer en se
hasant sur l 'article 1733 du Code Civil.
L 'hotelier est responsable ex delicfo en vers ses clients,
2
ainsi que Ie dit M. Jean Fonteyne lorsque la ranse prouvée
,

flu vol on du dommage réside dans une faute personnelle


de }'hotelier cc étrangère à tout lien contractuel >>. Les tra-
vaux préparatoircs de la loi française et de la loi belge qui
ont modifié l'articJe 1953 du Code Civil, révèlent d'ailleurs
que le législateur considérait comme un principe certain
que la responsahilité rlélictuelle subsiste, entre contractants,
3
si une faute est prouvée Dans ce cas, }'hotelier ne pour-

rait se pré, aloir de la Jimitation de sa responsabilité à une


somme de mille francs prévue par l 'article 1953 du Code
f:ivil •.

1 4 juillet 1928, Bull. Ass., 1929, p. 87.


2
Rev. gén. ass. et resp., 1927, u 0 1.
·1 Cf. J. FoNTEYNE, loc. cit.
1
Paris, 19 juill. 1928, B. J., 1929, col. G27.
202 H.ESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS

§ 2. Respect de l'intégrité physique d' autrui


1. 147. Principe. - 148. Application au
contrat de transport de personnes : A. En
France. - 149. B. En Belgique. - 150.
C. En !talie.
Il. 151. Extension exceptionnelle donnée
à la protection Iégale de l'intégrité phy-
sique. - 152. Jurisprudence qui la con-
sacre. - 153. Justification doctrinale pro-
posée.

147. Le respect de l'intégrité physique d'autrui est


une des obligations les plus impérieuses que sanctionne
l'article 1382' ; Ie bon père de famille s'abstient rigoureu-
sement de tous les actes qui pourraient porter atteinte à Ia
personne d'autrui ; il n'a pas seulement pour devoir de
s'abstenir de pareils actes, il doit en outre, au cours de son
activité, veiller à ce que celle-ci ne puisse pas entraîner des
lésions corporelles pour les tiers ; il doit en conséquence
prendre des précautions actives dans ce hut : ainsi !'entre-
preneur qui procède à la démolition d 'un immeuble est
astreint à prendre toutes les mesures propres à éviter la
chute des matériaux sur les passants.
Ces obligations que la loi impose dans l'intérêt géné-
ral, ne cessent pas de trouver place entre contractants ; la
jurisprudence a maintes fois reconnu que l'on est tenu aussi
bien vis-à-vis d'un co-contractant que vis-à-vis des tiers, de
prendre toutes précautions utiles pour éviter les << acci-
dents » de personnes •.
148. Tel est Ie cas, notamment, du transporteur à
l'égard des voyageurs.
La jurisprudence belge reconnaît au voyageur victime
d'un accident, Ie droit de réclamer des dommages-intérêts
3
au transporteur sur Ia base de l 'article 1382 dans ce cas
;

Cass., 22 octobre 1925, Pas., 1926, l, 23.


1

Rennes, 20 mars 1893, S., 1894, 2, 36; Bordeaux, 9 nov. 1892,


2
S.,
1893, 2, 148.
3
La coexistence de deux actions au profit du voyageur blessé a été
formellernent reconnue au cours des travaux préparatoires de la Ioi du
25 août 1891 : voyez notamment Ie discours de M. Olin, ministre des
RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS 203

il ne bénéficie pas de la présomption de responsabilité prévue


par l'article 4 de la loi du 25 août 1891; il doit au contraire...,
rapporter la preuve d'une faute précise commise par le
transporteur et qui a été la cause de !'accident ; en revanche,
la victime peut ainsi échapper à la courte prescription que
la loi assigne aux actions nées du contrat de transport
( art. 9). « La prescription annale prévue par la loi », dit
un arrêt de la Cour d'appel de Bruxelles 1 , « ne s'applique
qu'à l'action en garantie dérivant, pour le voyageur, du con-
trat de transport de personnes, et régie au point de vue du
fardeau de la preuve par l'article 4. Lorsque l 'action inten-
tée est conçue en termes généraux n'excluant pas, comme
fondement, la responsahilité des articles 1382 et suivants,
cette action est régie par le droit commun, tant au point de
vue de la prescription qu'à celui du fardeau de la preuve. En
conséquence, si cette action est formée plus d'un an 2 après
!'accident qui y a donné naissance, elle vaudra comme action
aquilienne, mais ce sera alors au voyageur à prouver la
faute ».
La Cour d'appel de Liége, reconnaissant que le trans-
porteur reste soumis à la règle posée par l'article 1382 à
l 'égard de ceux qu 'il transporte, en a conclu qu 'il était
« sans intérêt de rechercher si une faute contractuelle à rai-
son d 'un prétendu contrat de transport gratuit coexiste avec
la faute quasi-délictuelle » •.
149. En France, la jurisprudence a déjà à diverses

Travaux publics, au cours de la 1re discussion à la Chambre (Comment.


législ., n° 38), et le discours de M. De Sadeleer. (Ibid., n° 252).
1
10 jam. 1917, Pas., 1917, 2, 154; voyez aussi Gand, 3 janv. 1931,
Jur. comm. Fl., 1931, p. 208 ; Bruxelles, 30 déc. 1910, Pas., 1911, 2, 301
(l'action délictuelle fut repoussée parce que Ie demandeur n'avait pas
réussi à rapporter la preuve d 'une faute) ; Gand, 6 juill. 1909, B. J.,
1909, col. 1100 (sol. impl.). Contra : Civ. Bruxelles (13° ch.),
27 nov. 1929 (Rombaut c. Société Nationale des Chemins de Fer Vici-
naux), inédit ; STEVENS et HENNING, Contrat de Transport, n° 899.
2
Encore faut-il que l'action soit intentée avant l'expiration du
délai de trois ans qui met fin à l 'action publique née du délit de bles-
sures par imprudence.
3
8 nov. 1930, Pas., 1931, 2, 91.
204 RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRA TS

rPpri1'ies reconnu. que les compagnies de chemin de fer


.. sont délictuellement responsables, en cas de faute prouvée,
en, ers les personnes transportées 1 •
Ainsi Ie voyageur blessé par I'explosion d'une Iampe due
à Ia négligence de Ia compagnie, dispose contre Ie trans-
porteur à la fois d 'une action contractuelle et d 'une action
délictuelle ; en exerçant cette dernière, il obtienara répara-
2
tion de tout Ie préjudice, même imprévu, qu 'il a subi •

3
Dans uu arrêt récent la Chamhre des Requêtes l'a
,

confirmé. implicitement il est vrai, mais d 'une manière non


douteuse, dans I'espèce suivante : un voyageur, victime d'un
attentat commis pendant Ie passage du train sous un tunnel,
réclamait des clommages-intérêts au transporteur, à la fois
sur la base du contrat et en vertu de I 'article 1382 du Code
Civil ; à I 'appui de ce dernier soutènement, il exposait que
I'attentat n'a,ait pu être perpétré qu'à raison de I'obscurité
qui régnait dans Ie tunnel, Ia compagnie ayant négligé de
Ie faire éclairer. La Cour d'appel avait écarté Ia responsabi-
Iitó contractuelle, parce que c'était par Ie fait d'un tiers
quf' Ic transporteur avait été empêché d 'exécuter son ohliga-
tion contractuelle d'amener Ie voyageur sain et sauf à desti-
nation ; elle repoussait ensuite Ia responsabilité délictuelle,
Ie défaut d 'éclairage du tunnel n 'étant pas étahli. Le pour-
voi formé contre I 'arrêt 6tait fondé notamment sur la vio-
Iation de l'article 1382, et invoquait que I'agression avait
été Ja conséquence du défaut d 'éclairage du tunnel. La Cour
de Cassation a rejeté Ie pourvoi non point parce que l 'ar-
ticle 1382 serait inapplicahle à l'espèce, mais parce que Ia
faute alléguée n 'était pas prouvée - motif qui implique,
semble-t-il, Ja reconnaissance de la recevabilité de l'action
de la victimo basée sur l'article 1382.

1 Voyez à eet égarn, n. Chavegrin au S., 1896, 2, 228, et les réfé-

rences citées.
2
Civ. Seine, 12 nov. 1913, Gaz. Trib., 1913, 2, 2, 431, avec note.
Le voyageur souffrait d'une fatigue cardiaque que l 'émotion causée par
l 'explosion avait fortement aggravée : préjudice imprévu qui ne pou-
vait donner lieu à réparation en matière de responsabili1é contractuelle.
" 1er août 1929, D., 1930, T, 25, n. Tosserann.
RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRA TS 205

150. La jurisprudence italienne, enfin, reconnaît égale-


ment le droit du voyageur, victime d 'un accident, d 'invo-
quer à l'encontre du transporteur les principes de la respon-
sabilité délictuelle : « Si le caractère culpeux du fait », dit
un arrêt de la Cour de Cassation de Palerme ', « ne découle
pas seulement de ce qu'il est une contravention à des obli-
gations dérivant d'un contrat, mais aussi de ce qu'en même
temps ont été violées des règles relatives à un ordre supé-
rieur de rapports ( ad un ordine superiore di rapporti),
comme celles établies pour la protection de la sûreté du
public, la faute revêt deux aspects différents, et l'action
pour la réparation du dommage a, partant, le double titre
2
de la faute contractuelle et de la faute aquilienne, sanf à
voir quelles conséquences pratiques penvent dans chaque
cas être tirées de ce concours. »
151. La protection du droit à l 'inté~-rité physique pré-
sente un intérêt social incontestable : en <léfendant la vie et
la santé de ses memhres, la société se défend en quelque
sorte elle-même. On peut dès lors affirmer qu'ici l'intérêt
individuel et l 'intérêt social se confondent.
Ainsi s 'expJique l 'extension toute particulière, exor-
bitante du droit commun, que la jurisprudence a parfois
donnée à la protection légale de l 'intégrité physique entre
personnes ]iées par contrat, et qui exige quelques développe-
ments particuliers.
De nomhreux contrats ont pour effet que l 'une des par-
ties confie sa personne à l'autre. Le débiteur - par exemple
Ie voiturier, le directeur d'un hàpital ou d'un asile, Ie patron
propriétaire d'une usine - assume, en vertu de la conven-
tion, certaines obligations en vue de sauvegarder la sécurité
de ses co-contractants. Ces obligations sont créées par le
contrat, ülles n'existeraient pas sans lui : elles rentrent dans

1
31 <léc. 1918, Giur. Tt., 1919, 1, 463.
2
Rappelons qu'en <lroit italien, 1'ob1igalion contractuelle <lu trans-
porteur est seulement 11 ne ohligation de moyens.
206 RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS

Ia catégorie des obligations cc purement contractuelles >> que


sanctionne la responsabilité contractuelle 1 •
Nfanmoins, l 'étude de la jurisprudence révèle que l'in-
exécution de pareilJes obligations, c'est-à-dire la faute con-
sistant à négliger les soins ou les précautions promis par
contrat, peut, suivant certaines décisions, entraîner la res-
ponsabilité délictuelle du débiteur- solution quelque peu
choquante au premier aspect, et qui mérite un examen
attentif.
152. La Chambre des Requêtes de la Cour de Cassation
de France a consacré in terminis l'existence de cette respon-
sabilité par un arrêt 2 qui a suscité chez les auteurs français
des critiqucs presque unanimes •, bien que, suivant nous,
tout à fait injustifiées •.
Le procès était intenté par une personne hébergée dans
une maison de santé contre Je directeur de cette dernière.
En vertu du contrat intervenu entre les parties, Ie directeur
de I' établissement assumait l 'obligation de surveiller la
malade et même, à raison de I'état de santé de celle-ci, l'obli-
gation de la protég·er en quelque sorte contre elle-même. Il
va de soi qu'en !'absence de convention, Ie directeur n'était
point tenu de pareille obligation envers la malade : il s'agit
donc d 'une obligation purement contractuelle.
Faute de surveillance, la malade s'était échappée de la
maison de santé ; elle fut retrouvée peu après, épuisée de
faim et de froid, et il fallut lui amputer un pied, Ie membre
ayant été complètement gelé. Pour échapper aux dom-
mages-intérêts importants qui lui étaient réclamés de ce
chef, Ie défendeur avait allégué que Je préjudice était im-
prévu et que partant il n'était point tenu de Ie réparer, la

1
V. infra, n° 196.
• 14 déc. 1926, D., 1927, I, 105, n. Tosserand; S., 1927, 1, 105,
r1. Esmein.
• A. BRuN, op. cit., n° 254 ; PLANIOL, RrPERT et EsMF.IN, t. VI,
pp. 684 et suiv. ; voyez aussi les notes critiques préritées de MM. Jos-
serand et Esmein.
4
Voyez infra, n° 153.
RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS 207

responsabilité qu 'il encourait étant de nature contractuelle


et, en conséquence, régie par l 'article 1150 du Code Civil.
La Cour d'appel écarta ce moyen, déclara le directeur cou-
pable d 'une faute à la fois contractuelle et délictuelle, et le
condamna à réparer entièrement le dommage qui en était
résulté.
Le pourvoi fut rejeté, parce que la Cour d'appel, en déci-
dant que la négligence commise était la cause directe de la
mutilation imposée à la victime, cc et en relevant ainsi en
même temps que l 'inexécution d 'une obligation contrac-
tuelle de surveillance, une faute délictuelle, a par là même
écarté toute possihilité d'appliquer l'article 1150 ».
La même tendance apparaît, avec moins de netteté tou-
tefois, en matière de transport de personnes : un arrêt de la
Cour d'appel d'Alger 1 reconnaît expressément que !'acci-
dent survenu au cours du transport donne au voyageur à la
fois une action contractuelle et une action délictuelle - celle-
ci échappant à la courte prescription qui frappe la première.
Cependant, les obligations contractuelles du transpor-
teur envers la personne des voyageurs ne se prêtent guère
à l'application de l'article 1382, parce que ce sont des obli-
gations de résultat. Or, l'article 1382 impose Ie respect d'une
règle de conduite ,c 'est-à-dire d'une ohligation de moyens.
Telle est, pensons-nous la raison pour laquelle la doctrine
consacrée par }'arrêt du 14 décembre 1926 n'a guère été
étendue à la matière des transports, ni, en général, aux cas
dans lesquels la jurisprudence française a reconnu l'exis-
tence d 'une obligation contractuelle de sécurité absolue.
Par contre, toutes les fois qu'une personne assume par
contrat l'obligation de prendre certaines précautions de
nature à assurer la sécurité de son co-contractant, - c'est-
à-dire une obligationde moyens- l'existence d\me respon-
sahilité délictuelle parallèle à la responsabilité contractuelle
peut se concevoir - sous réserve des objections que nous
examinerons ei-après.

1
9 janv. 1924, G. P., 1924, T, 587.
208 RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS

La Cour de Cassation beige l'avait admis à propos des


obligations que Ie contrat de louage de services implique, à
charge du patron, envers la personne de son ouvrier : la
Cour reconnaît en effet dans son arrêt du 28 mars 1889 1 que
si Ie patron néglige de prendre les précautions auxquelles il
est conventionnellement tenu pour sauvegarder l 'intégrité
physique de son ouvrier, il peut être poursuivi aussi bien par
l 'action aquilienne que par l 'action dérivant du contrat.
En d 'autres termes, la jurisprudence considère que Ie
débiteur est tenu d 'exécuter ses engagements au double titre
du contrat et de la loi. La loi impose à chacun, emers la per-
sonne d'autrui, non seulement l'observation des règles ordi-
naires de la prudence telles qu 'elles s 'imposent à chacun,
mais en outre l 'observation des devoirs assumés par contrat.
M. Aubin paraît avoir exprimé exactement l 'idée qui
inspire Ia jurisprudence, sans que toutefois celle-ci l 'ait
jamais elle-même formulée : « Si l 'obligation de prendre
soin porte, non pas sur un objet quelconque, mais sur la
personne humaine, cette obligation, même contractuelle,
s 'impose au déhiteur sans qu 'il puisse se décharger de ses
imprudences ou de ses ouhlis. Le devoir de prendre soin est
biPn contractuel, puisqu 'il dépena des parti es de ne pas Ie
faire naître, mais une fois qu'elles créent ce devoir, il doit
exister dans toute sa rigueur, avec toute l'étendue de res-
2
ponsabilité qu 'il comporte et que la loi y attache » •

En doublant ainsi la sanction contractuelle qui s'attache


à ces devoirs, d'une sanction déliduelle, la jurisprudence
1
V. supra, n° 122.
2
Thèse citée, p. 103.
M. Ripert paraît égaiement se ranger à eet avis ; dans une note
récente, il s 'exprime comme suit : " L 'ohligation de sécurité ne sau-
rait être Iaissée à Ia discrétion des parties, car son observation inté-
resse essentiellement Ie bon ordre et la police de la société. Si une
telle ohligation existe, elle est d'ordre public et ne pent être rrglée par
Ie contrnt. " (Note au D., 1929, I, 129.) Cependant, dans une note
antérieurc, M. Ripert avait très nettement affirmé que fa clause de
non-responsahililé inscrite sur Ie billet ,ie passage délivré par une
compagnie de navigation rloit recevoir son plein effet, qui est de con-
férer à la compagnie Ie droit de ne pas répondre du capitaine ou de
l'équipagc, ni contractuellement, ni délictuellement : note sous Cass.
RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS 209

fortifie singulièrement la situation de la victime : l 'exercice


de l'action délictuelle permettra à cette dernière, tantot
d'obtenir réparation <l'un préjudice imprévu (tel était Ie cas
de l'espèce tranchée par l'arrêt de la Chambre des Requêtes
du 14 décembre 1926) , tantot d 'échapper à la prescription
de l'action contractuelle, tantot enfin d'échapper aux con-
séquenccs fàcheuses qui résulteraient de la nullité du
contrat.
153. Cette jurisprudence est-elle légitime?
Certes, elle ne pourrait être généralisée, car elle sup-
planterait entièrement la responsabilité contractuelle <lont
les règles propres demeureraient lettre morte. Mais cette
conséquence inadmissible condamne seulement la générali-
sation à toutes les obligations contractuelles, des règles de
la responsabilité délictuelle 1 •
Par contre, rien ne s 'op pose à ce que Ie juge recon-
naisse que la loi oblige Ie débiteur à respecter les obligations
qu'il a assumées par contrat lorsque, comme c'est Ie cas
dans les hypothèses que nous examinons, l'objet de ces obli-
gations intéresse la société elle-même. Les obligations légales
<lont l 'article 1382 sanctionne l'inexécution ne sont pas déli-
mitées par la loi : Ie role du juge est de dégager leurs limites
et leur contenu dans les espèces qui lui sont soumises. Dès
1ors, en reconnaissant que Ie respect des obligations assu-
" mées par contrat en vers la personne d' autrui, est imposé en
outre par la loi, la jurisprudence ne nous paraît pas être
sortie du role qui est Ie sien dans l'application de l 'ar-
ticle 1382 du Code Civil 2 •
27 juill. 1925, D., 1926, I, 5. N'y a-t-i1 pas quelqne contradiction entre
les demc opinions successivement émises par l 'éminrnt professenr P
1
C'est pour cette raison que nous avons critiqué les motifs, trop
ab,olus à notrc avis, de l 'arri\t de la Cour de Cassation belge prérap-
pelée du 28 mars 1889 : v. supra, n° 122.
2
Comp. sur ce point SALEILLES, Etude sur la théorie générale de
l'obligation d'après le projet de Code Civil allemancl, pp. 425 et s. La
jurisprudence examinée au texte cst-elle opportune? C'est là nne
autrc question ; il semble que celtc jurisprudence s'inspire du principe
que les obligations qui concernent la personne d'autrui sont d 'ordre
public. Nous avons critiqué cc principe qui nous paraît rlonner à la
210 RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS

~ 3. Obligations légales des professionnels


J. 154. Devoirs particuliers des profession-
nels. - 155. Principe de leur maintien à
1·égard des con tractants.
II. Responsabilité professi-0nnelle des fa-
hricants et marchands. - 156. Principe.
Utilité de l 'aclion délictuelle. - 157. Juris-
prudence française. - 158. Utilité de l 'ac-
tion délictuelle lorqu 'il n'y a pas de vice
rédhibi toire.
III. Responsabilité professionnelle des
médecins. 159. Devoirs légaux des
médecins. Maintien entre COll lractants. -
160. Rareté de l 'action contractuelle. Motifs.
IV. Devoirs des autres professionnels. -
16!. Généralité de la règle du mailltien de
ces devoirs entre conlractants. - 162.
Exemples divers. - 163. Les agences de
renseignements. - 164. Architectes et entre-
preneurs.

154. L'exercice d'une profession impose à celui qui s'y


livre des devoirs particuliers envers Ie public.
Celui qui assume un role déterminé dans la société, qui
se charge ainsi, en quelque sorte, de remplir une certaine
<< fonction sociale n, s 'oblige par cela même à posséder toutes

les connaissances requises pour ] 'exercice normal de cette


1
fonction •

Les professionnels, en d 'autres termes, doivent possé-


der les règles de leur art : toute erreur de technique consti-
tue, dans leur chef, une « faute n susceptible d 'engager
leur responsahilité. << Il faut mettre au nombre des dom-
mages causés par des fautes )) , disait Domat, << ceux qui
arrivent par l 'ignorance des choses que l 'on doit savoir.
Ainsi, lorsqu 'un artisan, pour ne pas saYoir ce qui est de
sa profession, fait une faute qui cause quelque dommage, il
2
f'O sera tenu )) • Et l'avocat général Dupin , commentant
3

protection de l'intégrité physique, qui intéresse certes la socicltr, une


extension injustifiée et d 'ailleurs inconciliable avec eert ai nes décisions
relatives aux clauses <l 'exonération (v. supra, n°• 9 à 11).
1
Cf. RRU'(, op. cit., n° 245.
2
Loix civiles, line Tl, sect. IV, n° 5.
3
Conclusions précédant !'arrêt de la Chambre des Requ/ltes du
18 juin 1835, S., 1835, I, 401.
RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS 211

ce passage, ajoutait : « Ce principe exerce sa puissance, non


seulement sur les actes et sur les faits accidentels de la vie
privée, mais encore sur ceux qui se rattachent à l'exercice
des diverses professions, ou même à celui des fonctions
puLliques. »
Le droit romain l 'avait reconnu, et mentionnait la
« faute professionnelle )) parrni les cas d 'application de la
le:x: Aguilia : lmueritia culpae adnumeretur.
L'adage n'a point cessé d'être uai ; bien au contraire,
}'examen de la jurisprudencc contemporaine en matière de
responsabilité révèle que les règles de la technique profes-
sionnelle s 'imposent à titre d 'obligations légales aux spécia-
listes de chaque profession : « Personne, dit Laurent, ne
doit exercer publiquement un art s'il n 'a toutes les connais-
sances nécessaires po11r le hien exerccr n 1 •
Assumer une fonction, exercer 11ne profession, n'oblige
pas sculement à en posséder les règles: le professionnel est
tenu, en cette qualité, à d'autres devoirs encore envers les
profanes, c'est-à-dire envers le public. Il doit, en principe,
s 'abstenir de mettre en circulation des objets dangereux, on
d'effectuer des travaux de nature à créer un péril pour les
tiers ; tout au moins il doit veiller à ce que les tiers soient
avertis du danger et les mettre en mesure de se prémunir
2
contre lui •

155. Etudier de manière approfondie les obligations


légales, sanctionnées par la responsahilité délictuelle, qui
s 'imposent ainsi aux professionnels - sortirait du cadre de
ce travail.
Ce que nous voulons souligner, c'est que la jurispru-
dence reconnaît que ces obligations légales existent aussi

1
T. 24, n° 295. Voyez également, en ce qui concerne les obligations
spéciales qui incombent aux " professionnels " : DEl\!OGUE, Rev. Trim.,
1923, p. 648; Obli_q., L. lTT, n° 283bis.
2
Ainsi, Ie fabricant de cartouches qui n'avertit pas les tiers de
la sensibililé très grande de ces engins, est respons'lble c1wers celui
qui a été Yictime rle leur explosion imprévue : Req. 5 mai 1924, D. II.,
1924, p. 433.
212 RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS

bien vis-à-vis des personnes engagées dans les liens d'un


contrat conclu par elles avec Ie professionnel, que vis-à-vis
des étrangers proprement dits.
Lorsque Ie professionnel ne les a pas remplies, il engage
sa responsabilité - et celle-ci est régie par les règles de la
responsabilité délictuelle.
Le maintien, en droit positif, de ces obligations légales
et de la responsabilité délictuelle qui en sanctionne l 'inexé-
cution, malgré l'existence d'une convention entre les parties,
et indépendamment des obligations contractuelles que cette
convention leur impose, constitue un cas tout à fait remar-
quable d 'intervention de la responsabilité délictuelle entre
contractants.
Les deux responsabi]ités se trouveront même en con-
cours toutes les fois que Ie contrat-qui existe entre les parties
aura précisément pour ohjet la prestation, par Ie profession-
nel, de ses services techniques.
En pareille hypothèse, Ie professionnel est tenu d 'oh-
server les règles de son métier ou de son office, à la fois en
vertu de la loi et en vertu du contrat 1 .
1
M. GABBA (Nuove Qneslioni, pp. 289 et s.) considère que dans
tous les cas oi'r un professionnel promet ses senices par contrat, les
obligations qui lui incombent ne sont pas proprement contractuelles :
Ie contrat a seulement -pour objet, suivant eet auteur, fle conférer au
professionnel la faculté fl'user de Ia chose ou de la personne fl'autrui
en vue d 'un résultnt déterminé. L 'auteur en défluit que Ie manquement
aux règles professionnelles donne lieu exclusivemcnt à une action en
responsabilité délictuelle, même entre contractants. Cette analvse nous
paraît quelque peu arbitraire ; il semble certain que Ie malade qui se
confie au médecin, Ie maître qui charge l 'entreprenrur de lui construin~
une maisor,, entendent exiger, en échange du prix qu 'ils promettent,
que les prestations de ces professionnels soient exécutées dans les règles
de !'art. L'obligation d'observer ces rrgles est un effet naturel du
contrat. L'opinion de Gabba résultc Yraisemblahlement du point de vue
adopté par !'auteur à l'égard du concours des responsabilités : ce con-
cours lui paraît impossible ( op. cit., pp. 277 à 282) ; contraint cepen-
dant de reconnaître que les obligations légales fles professionnels sub-
sistent entre contractants, Gabba en est réduit à prétendre, pour
exclure toute possibilité du concours des f!eux responsabilités, que Je
contrat ne crée aucune obligation conventionnelle relative à l'observa-
tion des règles professionnelles.
L'opinion de Gabba est généralement critiquée en doctrine :
RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS 213

156. II. L'industriel qui a fabriqué un objet ou un appa-


reil défectueux, commet une faute délictuelle en les mettant
en circulation dans Ie public. 11 en est de même du mar-
chand qui met en circulation des objets <lont il n'a pas
vérifié la provenance, ou qui n 'a pas vei1lé à mettre leurs
clétenteurs ultérieurs à l'abri du <langer que l'objet pouvait
leur faire courir.
La victime d 'un accident provoqué par une chose
vicieuse peut en conséquence réclamer des dommages-inté-
rêts au fabricant ou au marchand, à raison de la faute pro-
fessionnellc commise par eux.
Mais en est-il de même si la victime est le co-contractant
du fabr-icant ou du rnarchand il L 'acheteur peut-il exercer
contre son vendeur une action en responsabilité fondée sur
l'article 1382, à raison de la faute professionnelle commise
par luiil
A plusieurs reprises la jurisprudence a donné à cette
question une réponse affirmative. Elle a reconnu que l'exis-
tence du contrat de vente ne privait pas l'acheteur de la
protection dont jouit le puhlic en général.
Certes, l'acheteur puise dans Ie oontrat de vente lui-
même Ie droit de réclamer des dommages-intérêts au ven-
deur, à raison des vices ou défauts de la chose vendue
( articles 1641 et suivants du Code Civil). Mais ce droit est
soumis à diverses restrictions qui en diminuent sérieusement
l 'efficacité : donnent seuls lieu à garantie les défauts cachés,
et qui renclent la chose vendue impropre à l 'usage auquel
on la destine, ou qui dirninuent considérahlernent sa valeur
(art 1641 et 1642). L'acheteur ne peut réclarner répara-
tion du préjudice subi par lui que lorsque Ie vendeur con-
naissait les vices de la chose ; dans les autres cas, l 'acheteur
a droit seulernent à la restitution du prix et au rembourse-
ment des frais occasionnés par la ven te ( art. 1645 et 1646).

V A. BRU'i, op. cit., n° 245; Y. cependant l'opinion d'Ar1m.Y et RAu,


t. IY, p. 533.
214 RESPOè\SABILITÉ AQUILIE'.\'NE ET CONTRATS

Enfin l 'action en garantie doit être intentée « dans un bref


délai n ( art. 1648).
La jurisprudence, il est vrai, a considérablement étendu
la portée d'application des articles 1645 et 1646. Elle a
tout d 'abord admis que Ie vendeur, lorsqu 'il est en même
temps Ie fabricant de la chose vendue, doit être réputé en
avoir connu les vices, et encourt la responsabilité prévue par
l'article 1645 '. Elle a d'autre part donné aux mots frais
occasionnés par la vente, dans J'article 1646, une significa-
tion tellement large, qu'en fait Je vendeur qui a ignoré les
vices de la chose se trouve obligé de pa~er des dommag·es-
intérêts presque aussi étendus que s-,il a,ait connu les ,ices- 2•

Néanmoins, dans diverses hypothèses, l'action contrac-


tuelle demeure impuissante à protéger l 'acheteur qui a subi
un préjudice à raison des vices ou défauts de la chose. Ainsi
la jurisprudence a été amenée à reconnaître à diverses
reprises l 'existence d 'une responsabilité délictuelle, parallèle
à la responsabilité contractuelle, et fondée sur la faute pro-
fessionnelle commise par Ie fabricant ou Ie marchand de la
chose.
En s'en prérnlant, la victime édiappera, soit à la courte
prescription de J 'action contractuelle, soit à la nécessité de

1
Gancl, 12 juill. 1899, Pas., 1900, 2, 75 ; Comm. Gan<l 13 juin 1908,
Jur. C. Fl., 190.'3, 11° 26.52: A11<Jp11arnp 16 juin 190,5, P. P., 1907, n° 881:
Comm. Bruxelles 21 mars 1907, J. Comm. Brux. 1907, 336 ; Comm.
Mons, 6 àéc. 1921, P. P., 1922, n° 121 ; Comm. Garni, 8 fpvr. 1930,
Jur. Ani•., 1930, p. 49: Pand. Relgrs, V0 Vente (Garantie), n°• 997 et
SlliY.
En France: Req. 10 mai ~909, D., 1912, J, 16, el Ia note; BAVDRY
L~C\\TI\EIHE, Cant.rat de Venl:e, 11° 4:35; notc ,lnssEn-nn, n. P., 1926,
I, 9.
2
\'o~·cz notamment les nombreux arrêts àe la Cour <le Cassation
<le France renrlus sur cette question : 29 juin 1847, D., 1848. I, 187:
4 jall\·. 18,59, D., 18.59, J, 212; 26 avril 1870, D., 1871, J, 11. La Cour
appu ie son interprétation extensiYe rle l 'article 1646 sur ! 'opinion de
Loyseau, suivant lequel Ie vendeur de bonne foi est tenu d'inrlemniser
son achetcur <Ie toutes les pertes que lui cause la résoJution rlu contra!
(Garantie rll's ventes, chap. Tl, n° 5). Voyez 11 eet égard: Req.
21 oct. 1925, D ., 1925, I, 9 et Je rapport de M. Je Conseiller C:éJice. Cel IP
jurisprurlence est critiquée par rliYers auteurs : Yoyez la note de M. Jos-
seramJ sous l 'arn~t précité dn 21 octobre 1925.
I\ESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS 215

prouver l 'existence des conditions spééiales qu 'elle requiert,


soit enfin à la limitation des dommages-intérêts au préjudice
prévisible lors du contrat ( art. 1150 du Code Civil).
157. L'existence de la responsabilité délictuelle du ,en-
deur à raison de ses fautes professio1melles a été particuliè-
rement mise en lumière par un arrêt de la Cour de Cassation
de France déjà ancien 1 , mais dont la doctrine n'a jamais
été contredite. L 'espèce était Ja suivante : deux ans après la
vente d 'un bateau à rnpeur par l 'industriel qui l'avait cons-
trnit, la chaudière du hateau fit explosion. L 'acheteur lui
réclama des dommages-intérêts pour Ie préjudice matériel
que !'accident avait provoqué ; son action était basée à la
fois, d 'une part sur les artides 1641 et suhants du C:ode
C:ivil, d'autre part sur l'articJe 1382. La Cour d 'appel de
Lyon, après avoir formulé très nettement les différences qui
existent entre les deux systèmes juridiques présentés, jugea
l 'action contractuelle non recevable, Ie « bref délai >> prévu
par l'artide 1648 étant écoulé depuis lonp:temps, mais dé-
clara Ie constructeur responsahle, sur la base de l 'ar-
ticle 1382, de la faute professionnelle qu'il avait commise,
en construisant une chaudière dont les parois n 'avaient
pas l 'épaisseur ni les armatures prescrites par les règle-
ments en vigueur. La Cour de Cassation rejeta Ie pour-
voi formé contre l 'arrêt, en décidant que « Ie vice de cons-
truction, cause immédiate de l'explosion, constitue de la part
de F., constructeur de ce bateau, une faute qui, aux termes
de l'article 1382, Ie rend responsable du préjudice occa-
sionné par cette explosion ; ... que l'obligation de garantie
contractée par F. en vendant ce bateau à H. , n 'a pu avoir
pour effet de Ie soustraire aux conséquences de la faute délic-
tueuse qu'il a commise en construisant ce hateau. n La
Cour Suprême consacre clone, en termes exprès, l'existence
dans Ie chef du professionnel, d 'une double responsabilité
envers son co-contractant.

1
Civ. 16 juin 1Rî9. D., 1880, T, 36.
216 RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS

Un arrêt de la Cour d'appel d'Aix 1 avait adopté déjà


antérieurement la même doctrine : une arme vendue par un
armurier de profession avait fait explosion par suite de la
mnuvaise qualité du métal dont elle était faite. L'armurier
prétendait échapper à la responsabilité contractuelle sous
prétexte qu 'il ignorait l'existence du vice caché dont la chose
vendue était affectée.
La Cour Ie déclara néanmoins responsable envers l'ache-
teur, par application de I'article 1382, à raison de la faute
professionnelle qu 'il a commise en livrant à l' acheteur, sans
l 'avoir préalablement éprouvée d 'une manière rigoureuse,
une arme d'une provenance qui devait faire douter de sa
honne fabrication.
La Cour d 'appel de Bourges a fait également applica-
tion de ces principes 2 : un cycliste avait été victime d 'un
accident provoqué par la rupture du tube de direction de
sa hic:vdette - rupture due à un défaut invisible de ce tube.
La victime intenta une action en responsabilité contre son
vendeur et contre Ie représentant de commerce par l 'inter-
médiaire duquel la vente avait été conclue. Les défendeurs
objectaient que ! 'accident n 'avait été rendu possible que
parce que la victime avait surélevé à l'excès Ie guidon de la
bicyclette. La Cour les déclara néanmoins responsables de la
faute professionnelle qu 'ils avaient commise en négligeant
d'expliquer à l'acheteur la manceuvre du guidon ; Ie carac-
tère délictuel de la responsabilité permit à la Cour de pro-
noncer une condamnation solidaire.
158. Très souvent, l'acheteur est amené à baser son
action en responsabilité sur l 'article 1382, parce qu 'il ne
lui est pas possible de rapporter la preuve d 'un vice de la
chose présentant les caractères requis par les articles 1641
et suivants du Code Civil. Le vice qui a causé Ie dommage
n'est pas toujours d'une nature telle qu'il rende la chose
irnpropre à son usage : certains fusils de chasse, par exemple,
1
4 janvier 1872, D., 1873, 2, 55.
2
27 juin 1893, D., ] 894, 2, 573.
RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS 217

comportent un dispositif perfectionné qui a pour hut de per-


mettre un chargement plus rapide ; par contre, ce dispositif
rend l'usage de l'arme beaucoup plus dangereux. Il ne s'agit
point là d'un vice rédhibitoire ; mais en cas d'accident,
l'acheteur d'une arme de ce genre pourra intenter au fabri-
cant qui la lui a vendue une action délictuelle fondée sur la
faute professionnelle commisc par le fabricant en mettant
en circulation des armes semblahles sans prémunir le public
contre les dangers qu'elles présentent 1 •
Il n 'y a point non plus de vice rédhibitoire donnant lieu
à responsabilité contractuelle si le charbon livré par l'exploi-
tant d'une mine contient un détonateur qui fait explosion
et cause ainsi un accident. Mais l'on peut relever à charge
du vendeur une faute professionnelle qui engage sa respon-
sabilité délictuelle : il <levait veiller à l 'enlèvement préalable
2
de l'engin dangereux contenu dans le charbon •

Parfois la chose vendue, sans être affectée d 'un véri-


table défaut, est inapte à l'usage auquel elle était destinée. Si
Ie vendeur connaissait eet usage, il aurait dû s'abstenir de
livrer la chose ; en la livrant néanmoins, il commet une
faute professionnelle qui engage sa responsabilité délictuelle
s'il en est résulté un dommage •.
Parfois, enfin, l 'acheteur demeure en défaut d'établir
avec certitude que le vice dont il se plaint existait déjà lors
de la vente. Le vendeur échappe dès lors à la garantie con-
tractuelle. Mais il peut dans certains cas être déclaré respon-
sable de sa faute professionnelle.
Tel fut Ie cas dans une espèce curieuse soumise à la
Cour d'appel de Bruxelles• : l'acheteur <l'une vache inten-
tait à l'éleveur qui la lui avait vendue, unc action en résilia-
1 Cour suprême du Canarla, 11 octobre 1921, Reports of the Su-
preme Court of Canada, 1922, p. 393. La (lécision est reprorluite en
partie dans la thèse de M. Meignié, p. 204, et a été longuement com-
mentéc par M. Demogue rlans un article de la Rei•ue trimestrielle de
droit civil (1923, p. 646').
2
Req. 11 févr. 1924, G. P., 9 mai 1924.
1
· Voyez Cass. 10 déc. 1895, D., 96, I, 401.

' 5 décembre 1911, P. P., 1912, 1044. Comp. Civ. Dijon 31 décem-
hre 1901, D., 1902, 2, 401. n. Percerou.
218 RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRA TS

tion de la vente et en dommages-intérêts, l'animal étant


malade. L'action rédhibitoire fut repoussée parce que
l'acheteur ne démontrait pas que la vache était déjà malade
au moment de la vente. Mais, Ie vendeur fut déclaré respon-
sable, à raison de sa faute professionnelle et en vertu de l'ar-
ticle 1382, parce qu 'il devait se douter qu 'un foyer d 'infec-
tion existait chez lui, et connaître ainsi Ie danger auquel il
exposait l'acheteur.
159. III. Les devoirs professionnels du médecin sont
multiples et divers : il doit donner ses soins lorsqu 'il en est
requis, et apporter dans Ie traiternent des malades la science,
la diligence et la prudence que l'on est en droit d'attendre
d 'un médecin « normal » 1 ; il doit veiller à I 'exactitude de
ses ordonnances, des mentions de ses certificats, des indi-
cations con tenues dans les livres de médecine qu 'il publie.
Ces devoirs s'irnposent au médecin en toute circons-
tance : ils dérivent de sa profession même, et c'est la loi
qui leur confère Ie caractère d'obligations juridiques sanc-
tionnées, en cas d 'inexécution, par une responsabilité
ei vile 2 •
Mais, Ie plus sou vent, Ie rnédecin n 'apporte ses soins
à un malade que sur la demande de celui-ci; il existe dès Iors
entre eux un contrat, en vertu duquel Ie médecin s'oblige
à soigner son client, et ce dernier, s'engage à payer les
honoraires du médecin ; l'existence de ce contrat est d'ail-
leurs reconnue par la jurisprudence.
Cette convention ne fait pas disparaître cependant les
obligations professionnelles légales du médecin : la jurispru-
dence a reconnu constamment que Ie client possède contre
Ie médecin, en cas de faute de ce dernier, une action en res-
ponsabilité délictuelle fondée sur l 'article 1382 du Code
3
Civil •

' Req. 18 juin 1835, S., 1835, I, 401, avec les conch1sions de I 'avo-
cat général Dupin.
~ Conclusions de I 'avocal général Dupin, précitées.
3
Civ. Liége, 12 janv. 1931, Pas. 1931, 3, 86; Civ. Malines, 1°• juin 1931,
RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS 219

Le client dispose également, cela ne fait aucun doute,


d'une action en responsabilité contractuelle, si son médecin
le soigne mal, car il ne s'est obligé à payer les honoraires
que moyennant la promesse, expresse ou tacite, du médecin,
d 'apporter au traitement les soins d'un bon père de
famille.
160. Chose étrange, la lecture des recueils de jurispru-
dence semble révéler que l'action contractuelle n'est
jamais intentée : toutes les décisions rendues en la matière
sant fondées sur 1'article 1382.
La raison en est double, suivant nous : tout d'abord,
il n'y a aucun avantage appréciable à intenter l'une action
plutot que l'autre, attendu que l'obligation contractuelle
du médecin est une obligation dr rno~ens. clont le contenu
coïnciae précisément avec celui de son ohligation profession-
nelle légale 1 • L 'action contractue11e aurait par contre Ie
désavantage d'obliger la victime à se contenter de la répara-
tion du préjudice qui a pu être pré,u lors du contrat.
D 'autre part. une tradition s 'est formée pour admettre
que la responsabilité du médecin est fondée sur l'arti-
cle 1382. Tradition due sans doute au fait que la responsa-
bilité dn médecin implique la preuve d'une faute, au sens
vulgairr <lu mot. et que le juge est invinciblement enclin à
se référer en pareille hypothèse à l'article 1382. Cette ten-
dance {,tait surtout marqnée, à l'époque ou l'opposition de

Bull. Ass., 1932, p. 84 : Avis dP M. le S11bslitut <lu Procureur G-énfral


Leperre, R . .T., 1930, 594. C.iss. Fr. 21 ,iuillet 1862, S" 1862, 1. 818:
Req. 21 juill. 1919, D. P" 1920, l, :m. note L. Denisse. Il en est rle
même pour l.i responsahilité rles vélfrinaires : Req. 26 jnin 1925, D. IT.,
1925, 556.
Telle est également \'opinion rle M. BRl·,, op. cit., n° 24-3bis. Divers
auteurs français, considérant le ronrours des responsabilités comme
impossihle, préconisent une distinction : si la faute est commise dans
les soins donnés à un client, la rrsponsahilité est contractuelle ·; elle
est rlélictuelle dans tous les autres cas : v. en ce sens, note Denisse
précitée; MAzEAUD, Traité, l, n° 508; H. LALOU, op. ei/., n° 167.
1 Il est, évirlemment, impossible d'a<lrnettre n charge du rné<lecin

une ohligation contractuelle de résultat.


220 RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRA TS

la faute délictuelJe, qui doit être prouvée, et de la faute con-


tractuelle, qui se présume, était encore admise sans contesta-
tion ni vérification '.
Quoi q.u'il en soit, la jurisprudence relative à la respon-
sabilité médicale atteste une fois de plus qu 'en droit positif,
la mise en jeu de la responsabilité délictuelle n 'apparaît aucu-
nement incompatible avec l'existence d 'un contrat, ni avec
l 'existence concomitante d 'une responsabilité contractuelle.
161. IV. Les situations que nous avons examinées
précédemment méritaient une étude distincte à raison de
la jurisprudence abondante à laquelle elles ont donné lieu.
Mais les mêmes règles et les mêmes observations peu-
,ent être formulées à }'occasion des professions les plus
diwrses.
2
162. La Cour de Cassation de France a rejeté un
pounoi formé contre un arrêt de la Cour d 'Alger qui avait
décidé que Ie concessionnaire d 'un entrepot public est tenu
de veiller à la conservation des marchandises qui lui sont
remises, tant en vertu des règles du contrat de dépot ( arti-
cles 1927 et 1928 du Code C:ivil) qu'en vertu de l'article 1382
du Code Civil.
Le chef d 'institution qui ne veille pas chez un élève à
l 'apparition d 'une mala die, ne le fait pas soigner et ne pré-
vient pas ses parents, est responsable du dommage résultant
de cette faute, en vertu de l 'article 1382 : te1le est la solu~
tion adrnise par un arrêt de Ja Cour d 'appel de Pa ris •.
Les parents de l'élève auraient pu également intenter
contrn Ie chef d 'institution une action basée sur le contrat
qui le liait envers eux, car la surveillance des élèves, les
soins à leur donner figurent manifestement parmi les pres-
tatiom <lues en échange du prix payé •.

1
Voyez supra, n° 30.
' fü,q. 21 juillet 1879, D .. 1880, T, 881.
' 10 mai 1898, n., 1900, 2, 405.
• Voyez la note sous ]';irrH précité.
RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS 221

163. Les agences de renseignements peuvent aussi


encourir, en leur qualité de cc professionnels », une res-
ponsabililté délictuelle envers les clients qui recourent à
leurs services. Il n 'est pas douteux, cependant, qu 'elles sont
également passibles d'une responsabilité contractuelle, car
en échange du prix stipulé par elles, les agences de rensei-
gnements s 'obligent conventionnellement à fournir les
indications qui leur sont demandées 1 •
Néanmoins, l'action contractuelle est rarement inten-
tée : la plupart des décisions rendues en cette matière sont
2
fondées sur les articles 1382 et suivants Sans doute peut-on

l 'expliquer, comme nous l'avons fait déjà à propos de la


responsabilité des médecins, par l'identité de nature des
obligations contractuelles et légales des agences : quelle que
soit leur source, ces obligations sont toujours des obligations
de mo_yens, et non de résnltat.
D'autre part, la préférence accordée à l'action délic-
tuelle se comprend aisément : ]es recours contractuels se
heurteraient souvent, en effet, à de nombreuses clauses res-
trictives insérées dans la convention. Le moyen Ie plus aisé
de les éviter est de placer Ie débat sur le terrain de la res-
ponsabilité délictuelle •.
En outre, les procès intentés aux agences de renseigne-
ments sont fondés le plus souvent sur une faute lourde qui
leur est reprochée : pareille faute, assimi]able au dol, cons-

1
La situation est toute différente lorsque celui qui donne les
renseignements Ie fait par simple obligeance et gratuitement : en pa-
reil cas, il n 'y a point de contrat, et seule la responsabilité délictuelle
pourrait, Je cas échéant, être encourue : Voyez Rev. trim., 1931, pp. 870
et 1040.
2
Voyez SFMIEN, Rssai sur la responsabilité des agences de rensei-
gnements commercianx, 1899, p. 17.
3
Sur l 'influence des clauses reslrictivcs du contrat sur la res-
ponsahilité <lélictuelle, voyez infra, n° 8 241 ets. Un arri'-t de la Cour de Cacn
(8 juillet 1865, S., 1866, 2, 59), affirme que " l'ohligation de donner
des renscignements exacts découle, non d'une convention mais des
principes généranx qui nc veulent pas qu'on trompe sciemment antrui "
(cf. SuMIE"I, op. cit., pp. 17 et suiv.).
222 RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRA TS

titue en soi un quasi-délit qui entraîne Ia responsabilité


délictuelle de son auteur.
164. Les architectes et entrepreneurs sont soum1s à
des obligations professionnelles particulièrement Iourdes à
raison de Ia complexité des règles de leur art. Rien ne
s 'oppose à ce que ces obligations professionnelles soient in-
voquées par les maîtres pour lesquels ils travaillent en vertu
d'un contrat, à l'appui d'une action en responsabilité délic-
tuelle.
En Belgique, toutefois, pareille action ne présente
guère d'intérêt, car l'interprétation qu'y reçoivent les arti-
cles 1792 et 2270 du Code Civil donne au maître de l'ou-
vrage une garantie contractuelle particu]ièrement efficace :
les entrepreneurs répondent, en effet, de tous les vices
graves, y compris les malfaçons, qui affectent les gros
ouvrages et qui mettent en péril leur solidité 1 , qu 'il s 'agisse
2
d 'un marché à prix fait ou d 'un marché sur devis •

En France, au contraire, Ia jurisprudence subordonne


l 'existence d 'une action contractuelle en garantie à la réunion
de plusieurs conditions : il faut qu 'il y ait perte totale ou
partieile d 'un édifice, que Ie contrat ait eu pour ohjet la
construction d'un édifice entier, et qu'il s'agisse d'un
marché à prix fait •.
Dès que l'une de ces conditions fait défaut, Ie maître
de ] 'ouvrage est privé de tout recours contractuel. Il pourra
seulernent exercer contre l 'entrepreneur une action délic-
tuelle s'il réussit à prouver dans son chef un manquement
aux règles professionnelles •.
1
Répert. prat. de dr. belge, V0 Devis et Marchés, n° 284.
2
!bid., n° 295. La garantie contractuelle ne couvre pas, il est nai,
les vices apparents ou les travaux .igréés (Ibid., n°• 286 et suiv.) ;
d'autre p.irt, elle prend fin après dix années (art. 1792 et 2270). Mais
ces lirnitations 'seraient égalernent opposables à l 'action délictuelle fon-
dée sur une faule professionnelle (rnyez in/ra, n°• 243 et s.). Seule
l 'action dél icluPlle fondée sur Ie dol de ! 'entrepreneur échapperait à ces
lirnitations : voycz infm, n° 247.
·' A. Drw:'I', O/J. cit., n° 236 ; H. LALOU, n° 193.
·' Vo,vez A. nnu'-, loc. ei!., et les références citées ; Cass.,
16 mai 1904, D., 1905, I, 352.
RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS 223

Cette jurisprudence fait l'objet de vives critiques en


dochine 1 • Logiquement, il est vrai, le contrat d 'entreprise
devrait donner lieu à la responsabilité contractuelle de
!'entrepreneur quels que soient Ie mode de rémunération et
l 'étendue des travaux. Mais en revanche la jurisprudence
française nous paraît à !'abri de la critique, en tant qu'elle
reconnaît au maître de l 'ouvrage Ie droit d 'invoquer contra
l 'entrepreneur la responsabilité délictuelle qui dérive des
fautes professionnelles commises par lui : la jurisprudence
nous paraît faire ainsi à la matière des entreprises de cons-
truction une application parfaitement correcte d 'un prin-
cipe appliqué, ainsi que nous l 'avons démontré, à la respon-
sabilité d 'autres professionnels.

SECTIO", lV. ÛBLIGATION DE NE PAS EXERCER


LES DROITS D ' UNE MANIERE
' ABUSIVE

165. L'ahus des rlroits. Sa sanction: la


responsabilité délictuelle. Maintien entre
contractants. - 166. Jurisprudence. - 167.
Caractèrc délictucl de la responsabilité. -
168. Conclusion.

165. Le développement progressif de la théorie de


l'abus des droits a omert lm domaine nouveau à l'applica-
tion de la responsabilité aquilienne : l 'exercice d 'un droit
subjectif, s'il est inspiré par Ie dessein de nuire, malhabile,
dénué d'intérêt légitime, ou encore - suivant certains
auteurs - contraire à la fonction sociale du droit exercé,
constitue dans Ie chef du titulaire du droit une faute sanc-
2
tionnée par l'article 1382 •

En d 'autres term es, jurisprudence et doctrine ont pro-


gressi vement dégagé unc nouvelle et importante obligation

1
\ . Bnu's, op. cit., n° 237.
2 Voyez .JossERAND, De !'esprit des droits, pp. 339 et suiv., pp. 405
et sniv. ; CAMPION, Théorie de l'abus rles droils, n°s 4~1 11 434 ; MAzEAUD,
Truilé, I, n°s 576 et suiv.
224 RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS

légale qui s 'ajoute à celles <lont l'article 1382 consacre


implicitement l'existence : celle d'exercer les droits sub-
jectifs suivant leur esprit, et de ne pas les détourner de leur
fonction naturelle.
L'obligation légale de ne pas abuser des droits s'impose
également entre contractants et pour les droits que chacun
d'eux puise dans Ie contrat. Personne ne l'a jamais con-
testé 1 , et de nombreux auteurs, parmi lesquels nous cite-
rons surtout M. Lucien Campion, ont au contraire spéciale-
ment étudié l 'ahus de droit en matière contractuelle. Il serait
vain de reprendre ici cette étude qui constitue un simple
chapitre de la théorie générale de l'abus des droits, et il
suffit d 'en rappel er les traits essentiels.
166. Certains actes, bien que conformes aux clauses
d 'un contrat, peuvent néanmoins constituer des abus de
droit, à raison du mobile qui les a inspirés. Dès 1902, la
2
Cour de Cassation de France avait consacré Je principe en
décidant qu 'une compagnie de chemins de fer peut être
condamnée à des dommages-intérêts si, dûment avertie, elJe
épuise néanmoins systématiquement les délais qui lui sont
contractueUement accordés pour la fourniture des wagons.
Mais les contrats les plus divers ont fourni à la juris-
prudence }'occasion <l'appliquer la théorie de l'abus, ainsi
qu'un href examen Ie démontrera.
L'acheteur qui s'est réservé Ie droit de refuser d'agréer
les marchandises livrées ne peut pas cependant exércer ce
droit par pur caprice ou par mauvais vouloir systématique •.
Le hailleur qui s 'est réservé Ie droit d 'agréer Ie sous-
locataire ou Ie cessionnaire du bail proposé par Ie preneur,
4
ne peut toutefois refuser son approhation sans motif •

1 Voyez à ce sujet l'étude de M . .TossERAND : La thèse de l'abus de

droit appliquée à l'interprétation des clauses particulières d'un con-


trat (Reu. gén. ass. et resp., n° 472).
° Civ. 7 mai 1902, D., 1904, 1, 276.
3 Bruxelles, 16 mars 1910 (Pas., 1910, 2, 239) ; CAMPION, op. cit.,

11° 224.
4
CnrPIO'\', op. cit .. n° 8 209 ~ 218 ; M ~ZEAUD, Traité, T, n° 586 ; Tos-
SERA'<D, op. cit., n°' ]2!) et suiv.
RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRA TS 225

T,As pouvoirs souverains qui appartiennent à l 'assemblée


générale d 'une société anonyme ne permettent cependant
pas à la majoritó des actionnaires d 'imposer aux autres une
décision prise uniquement dans leur intérêt peronnel 1 •
Beauooup de contrats réservent aux parties ou à l 'une
d 'elles Ie droit de résilier unilatéralement la comention.
L 'exercice de cette faculté ne peut pas néanmoins dégénérer
2
en abus : la ;jurisprudence exige que l'emplo)eur Ie man- ,

3
dant !'associé•, Ie vendeur", qui mettent fin à la con-
,

vention qu'ils ont conclue, ne Ie fassent pas sans motif


sérieux ni d 'une manière intempestive.
167. L'ahus de droit ne change pas de nature suivant
qu'il a lieu entre deux individus étrangers l'un à l'autre, ou
entre contractants : l 'abus d 'un droit contractuel constitue
une faute aquilienne aussi bien que l 'abus du droit de pro-
priété, et la sanction qui les frappe est la mêrne : è 'est la
responsabilité délictuelle prévue par l 'article 1382 G.
Personne n 'a jamais prétendu que l 'alms d 'un droit
contractuel entraînàt la responsabilité contractuelle de son
auteur, et on Ie conçoit aisément, puisque, par hypothèse,
l'on ne peut reprocher à l'auteur de l'acte aucune contraven-
tion aux clauses du contrat : le mandant qui révoque son
mandataire exerce un droit que lui confère Ie contrat de
rnandat. Le préjudice que cette révocation pourrait entraî-
1
nf'r aurait pour cause, comme Ie disent MM. Mazeaud ,
non point l 'inexécution du contrat, condition indispensable
pour qu 'il y ait responsabilité contraduelle, mais son exé-
cution même •.

• C\MPlü'I, op. cit., n°• 222 et 223; ÎOSSERAND, op ei/ .. n°' 132 !'l
suiv. ; MAzEAun, Traité, 1, n° 587.
2
CAMPION, op. cit., n°• 265 et suiv. ; JosSERAND, op. cil., n°• 141 .il
suiv. ; MAZE-\UD, I, n° 584.
3 CAMPION, op. cit., n°• 259 el suiv. ; .lossERA',D, op. ril., n°• 137

et suiv.
• CA,1P10:x, op. ei/., n° 8 262 el suiv. ; Jossi-:nA,n, op. cit . n° 140.
5
MAZEAUD, I, 11° 585.
6
Bn11N, op. cil., n° 181.
Trnité, I, n° 559.
• L'on pourrait songer à prt\tcnilrc, pour ilonner à l:i rcsponsahilit,i
226 RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS

168. L'application de la théorie de l'abus des droits


<lans I' exécution des contrats constitue donc un cas d 'inter-
vention de la responsabilité délictueUe entre contractants :
Ie recours à la responsabilité délictuelle en cas d 'abus de droit
assure en effet aux contractants une protection que Ie contrat
lui-même serait impuissant à leur procurer.

lilt caractère contractuel, que les contractanls s'engagent tacitemenl


i1 ne pas ahuser de leurs droits. Mais pareille explication serait aussi
arbitraire el se heurterait aux mêmes objections que Ia prélendue pro-
messe tacite de s'abslenir de tout acte frauduleux (Yoyez s111n·a, n° mm.
CHAPTTRE IT

Responsabilités complexes (art. 1384 à 1386)

SECTION I. RESPONSABILITÉ DÉLICTUELLE

DU FAIT o'AUTRUI (ART. 1384, § 2 À 5)

169. Responsabilité des commettants.


Principe. - 170. Jurisprurlence. - 171.
Opinions doctrinales. - 172. Extension du
principe aux autres cas de responsabilité
pour autrui.

169. L 'oblig-ation de répon<lre du fait d'autrui, pré-vue


par l 'article 1384 du Code Civil, existe, en principe, aussi
hien entre personnes liées par un contrat qu 'entre tiers.
Lorsque le préposé de l'un des contractants porte
atteinte soit aux biens, soit à la personne de l'autre, à !'occa-
sion de l 'exécution du contrat ou encore dans cette exécution
même, le maître doit en répondre envers son co-contrac-
tant aussi bien qu'envers toute autre personne.
De nomhreuses décisions de jurisprudence l'ont
reconnu.
170. Si les agents d 'tme compagnie de chemins de
fer volent les colis appartenant à un voyageur, ou les mar-
cha ndises confiées au chemin de fer par l'expéditeur, le
transporteur en est responsahle sur la base de l 'article 1384
du Code Ci,il. L'exercice de l'action délictuelle permet à la
virtirne du dommage d'échapper aux fins de non recevoir
qui paralyseraient l 'action contractuelle : tel serait Ie cas
228 RESPONSABILITÉ AQlJILIENNE ET CONTRATS

lorsque Ie ,opgeur a omis de déclarer les valeurs qu'il avait


placfos dans Ie colis, alors que les règlements administratifs
( tacitcment intégrés dans Ie contrat de transport) prescri-
1
vaient pareille déclaration ; tel serait Ie cas aussi lorsque
Ie demanch,ur a pris réception sans résenes ou a laissé 2

s'écouler la courle prescription qui met fin à l'action con-


trnctuelle ·1

Si Ie transporteur échappe alors à la responsaLilité con-


tractuelle qui pesait sur lui de plein droit et par le fait seul de
l 'impossihilit(, de représenter Ie colis disparu, il demeure
par conlre responsahlC' en ,ertu de ] 'article 1384, § 3 si Ie
demandeur rapporte la preuve d 'un délit ou d 'un quasi-
dé]it commis par ses préposés.
Le voyageur victime d 'un accident, pourrait rendre Ic
transporteur responsable de celui-ci sur la base de l'arti-
cle 1384, dans Je cas ou il établirait que ] 'accident a pour
cause l 'imprmlenre on la nég-lifrenèe d 'un préposé du
transportC'ur •.
LC' hailleur d 'un immeuhle peut invoquer contre son
locataire l 'artide 1384, § 3 du Code Civil, s'il prouve que
1'ineen cl ie del 'immeub]e a pour ranse une imprudence com-
mise par un domestique du locataire au cours de l 'exerrire
de' ses fonctions •.

1
Req. 1er janv. 1907, S., 1907, I, 37, Rei•. trim., 1907, p. 407.
" Cass. fr., 6 m;ii 1872, D., 1872, T, 168; Ci,. 11 mars 1874, n.,
1874, I, 336.
3
Cass. fr. 16 mars 1859, S., 1859, I, 4Gl ; 26 anil 1859, S., 1859,
1, 454; 18 ;ivril 1848, S., 1848, I, 399; Comm. Bruxelles, 25 ani! ]914,
J. C. Brux., 1914, p. 325.
L 'article 9 de la loi sur le contrat de transport exrlut rl 'aillenrs
de son applicatiou « les actions résultant rl 'un fait qu.1lifié par In
loi pénale " et nu cours des travaux prép,tratoires, il 11 Pté reronnu qup
la loi régissait seulement les actions néPs du contrat de transport, ?i.
1 'exclusion rle celles qui rnnt fondées soit sur une infraction pénale,
soit sur un quasi-rlélit ( déclaration de M. Paul .fan s011, DTTPO\T et TART,
pe discuss. à la Chambre, n" 149).
4
Ch. Bruxelles, 10• Chambre, 4 mai 1928 (Gyina c. Steens et
Société Nationale des Chemins rle Fer Vicinaux, inédit) ; Gand,
3 .ianv. 1931, Jur. Comm. Pl., 1931, p. 208.
Req., 5 rlécemhre 1923, D. ll., 1924, p. 49. L 'action a été repoussée
RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS 229

Réciproquement, le locataire peut rendre le bailleur res-


ponsable, sur la base de l'ariide 1384, § 3 du Code Civil,
de la faute commise par le concierge, préposé du bailleur,
en refusant d'accepter Jes pneumatiques destinés au loca-
taire : le caractère délictuel de la responsabilité permet au
locataire de réclamer des dommages-intérêts sans mise en
demeure préalable 1 •
2
La Cour d'Appel de Dijon a décidé que la commission
administrative d 'un hûpital encourt en vers un malade entré
au service payant la responsabilité édictée par l'article 1384
§ 3 du Code Civil, si le médecin dont elle est le commettant
nég-lige pendant plusieurs jours de donner ses soins au
3
malade •

La Cour de Pau a également dédaré responsahle une


compagnie de cl1emin de fer, à raison de la faute commise
par un médecin qui était son préposé, dans les circonstances
suivantes : ce médecin s 'était cngagé à donner des soins,
le cas écliéant, aux employés ; il a vait cependant nég]igé
de se rendre auprès d 'un employé qui ]ui avai t été> indiqué
par la compagnie ; ce]le-ci fut déclarée responsahle de cette
négligence, sur pied de l'article 1384, § 3 •.
Le propriétaire <l 'un grand magasin de détail est res-
ponsable envers un acheteur des fautes commises par ses
préposés. Un jui:rement du Tribunal de Cornnwrce de la
SeinE' C'.O a déridé ai nsi dans l 'espèce que voici : Je préposé

parce qu'il ét:üt co11staté que le rlomestique avait agi en dehors de


1'exercice de ses fonctions.
1
CiY. Seine, 4 fénier mm, n. lf., 1981, p. 188.
2
18 mars 1903, .',., 1906, 2, 17, n. Perreau.
3
Happelons que les obligations des médccins sont généralemm1t
considérPes comme élant des obligations légales, sanl'tionnées par unc
responsah'lité délictnelle : la Commission administratiYe devait donc
rc•ponrlre, sur la hase de l 'artide 1384, § 3, de la faulP délictuelle du
mé•lecin, celui-ci f'lant considéré par l'arr/ll comme préposé. L'arrêt
retie11t en oulre il charge de la Commission une responsahilité con-
tractnelle dériYant de l 'inexécution rle l'obligation assumée par elle,
conlre pa'ement, <le faire <lonner au malarle les soins requis par son
èla1.
• Pau, :~o jui11 1913, n. P., 1915, 2, 4\l.
230 RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS

à la vente avait oublié d'estampiller l'étiquette de l'objet


vendu, omission qui eut pour conséquence d'attirer l'atten-
tion des suneillants sur l 'acheteuse, de la faire appréhender
et de prmoquer ainsi un scandale de nature à lui causer un
préjudice mora! appréciable : Ie propriétairc en C'St respon-
sahle en sa qualité de commf'ttant 1 •
L 'hotelier qui a reçu en dépot une caisse con tenant des
. valeurs est responsable en-rnrs Ie déposant sur la base de
l 'article 1384 du Code Civil, lorsque la caisse est volée par
un membre du personnel de !'hotel : << Attendu, dit Ie juge-
ment du Tribunal de Commerce rle Bruxelles, rendu dans
cette espèce, que la responsabili té contractuelle ne peut exo-
nérer les défendeurs de celle qui résulterait de l 'article 1384
du Code Civil, qui est indépendante rle tout lien contrac-
tuel ; que si l 'on ne peut imai:ri ner entre deux co-contrac-
tants une responsabilit(> quasi-rlélictuelle à raison de
« fautes )) commisf's par l 'un dC's contractants dans l 'exé-
cution même du contrat, Ie fait de donner son consentement
à une convention l 'ohligeant à des prestations particulières
n 'enlèYC' pas à ce co-contractant la responsabilité du com-
mettant pour des délits ou des quasi-délits commis par ses
préposés et qui ont eu pour effet accidentel d 'entraîner une
2
inexécution des obli:!,!ations contractuelles • ))

Les quelques exernples rapport<"s ci-dessus dérnontrent


clairement que la jurisprudPnce reconnaît Ie principe énoncé
3
au début de cette section la responsabilité du fait d 'autrui
:

édictée par l 'acticle 1384, § 1, tromf' place, en principe,


aussi bien entre contractants qu 'entre tiers ; elle peut mêrne
se trouver en concours avec la responsabilité contractuefü•
pom· assurer la réparation du mêrne rlornrnage.
171. La doctrine, d'autre part, arlmet aussi, en général,
l 'application de ] 'article 1384, § 3 à 5, entre personnes

Comm. Seine 30 nov. 1906, Gaz. Trib., 21 avril 1907.


1

2
19 déc. 1913, Jur. comm. Br., 1914, 114.
3 Telle est aussi Ia conclusion à laqueJle aboutit M. BnF:-., op. ei/.,

n° 260.
RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS 231

liées par un contrat. Chose étrange, les objections de


prmc1pc dont nous ::ivons démontré le caractère arbi-
traire et, en quelque sorte, dogmatique - qui font écarter
par de nombreux auteurs l 'intervention de l 'article 1382
entre contractants, ne sont guère invoquées pour repousser
l 'app]ication de l 'article 1384. Seul M. Becqué s 'est pro-
noncé nettement en faveur de l'exclusion apriori de la res-
ponsabilité délictuelle du fait d 'autrui entre personnes liées
par un contrat 1 • M. Demogue, sans émettre d'opinion per-
sonnelle, rappelle que les auteurs font souvent allusion à
l'article 1384 dans des cas ou les préposés de l'un des con-
2
tractants eau sent préjudice à l'antre MM. P]aniol et Ripert,

3
dans le Traité pratique de droit ri1,il français indiqnent que
,

la présomption de faute édictée par l 'article 1384 peut être


invoquée par toute personne injustement lésée par le pré-
posé, et notamment par un autre préposé du même patron,
malgré l 'existence <l 'un contrat <le louage de senices ou <lc
mandat entre la ,ictime et le patron. M. Danjon admet éga-
lement en termes fort nets que l'article 1384 joue aussi hien
entre contractants qu'entre tiers •.
M. Jean Fontevne, dans une étmle sur Ja responsabilité
des hoteliers •, indique que ces derniers encourent à l'égard
de leurs clients une responsabilit6 déJictuelle Jorsque Je vol
ou Je dommage ont pour cause une faute prouvée d 'un pré-
posé <le l 'hotel.

1 Rev. trim., 1914, pp. 251 et suiv. Citons également, en ce sens,

}'opinion de M. H. LALOP, op. cit., 11° 523.


2 Oblig., t. V, n° 927. Voy. DEMOLOMBE, XXIV, n° 558 ; AFBRY et

RAu, t. IV, p. 167, n. 33; BAUDRY et BARDE, I, n° 455 in fine; Hnc, VII,
n° 143.
Dans une note au 8., 1924, I, 106, M. Demogue se prononce rn
faveur de l'exclusion de l 'article 1384, parce qn' « il est plus satisfai-
sant que Ie débiteur réponde de ceux qui l'en tourent comme de lui-
même, avec plus ou moins rle sévérité suivant les conlrals "· Pareil
motif pourrait justifier certaines restrictions (que nous examinerons) 1,
l'application rle J'article 1384, mais non point nne exclnsion absolue rle
cette application.
3
T. VI, n° 651 .
4
Dr. marit., 1. Tl, n° 851.
5
Rel'. gén. des assur. et ries resp" 1927, n° 1.
232 RESPONSABILITÉ AQUILIE:\'NE ET CONTRATS

MM. Mazeaud ', fort hostiles, en général, à la pénétra-


tion des principes de Ja responsabilité délictuelle dans Ie
domaine contractuel, admettent cependant l 'intervention
de la responsabilité délictuelle du fait des préposés entre
personnes liées par un contrat, en concours avec la respon-
sabilité contractuelle. Pareil concours a lieu notamment,
suivant ces auteurs, lorsque Ie préposé brise un ohjet que
Ie commettant avait reçu en dépc)t : Je déposant peut intenter
à son choix l'action contractuelle fondée sur les articles 1927
et suivants du Code Civil, ou l 'action délictuelle basée sur
l'article 1384, § 3.
172. Le principe appliqué par la jurisprudence et admis
par la doctrine, en ce qui concerne la responsabilité du fait
des préposés, doit être étendu, pour Jes mêmes raisons, à la
responsahilité du fait des enfants, des apprentis et des
élèYes.
En pratique, 1'intenention de cette responsabilité à
I 'égard d 'un co-contractant se présente rarement. Mais rien
2
n 'y fait ohstacle en principe •

' Trailé, T, 11° 143.


2
En ce se11s : DEMOGUE, Oblig., t. V, n° 830 (responsabilité des
père et mère) et 11° 857 (responsabililé des instiluteurs) Contra :
MAzEAUD, op. cit., I, n° 143, n. 2: MM. Mazeaud écartent dans ces hypo-
lhèses l'article 1384, parce que la responsabilité qu'il édicte à charge
des père et mère, des artisans et des instituteurs, serail fondée sur une
faute personnelle qu'ils auraient commise, et qu' « un contractant
qui reproche à l 'autre partie une faute personnelle ayant trait à l 'incxé-
cution du contrat, ne peut illvoquer que les seuls principes de la
responsabilité contractuelle ». En d 'autres terrnes, MM Mazeaud invo-
quent une fois de plus la règle arbitraire en vertu de laquelle entre
contractants la responsaliilité délictuelle serail exclue en principe. Sur
In critique de cette règle, rnyez supra, n°• 75 il 109. La rlistinction faite
par MM. Mazeaurl entre Ie cas don! s'agit et celui de la responsabilitt\
des maîtres et commettanls parait, au surplus, arbitraire.
RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS 233

SECTIO_\ 11. HESPONSABILlT1'~ DÉLICTUELLE


DL, FAIT DES CHOSES (ART. 1384, § 1)

173. Applicalion dans 1·exécu tion des


contrats. Jurisprudence. - 174. Concours
des responsabilités. - 175. Arrêt de la
Chambre civile du 27 février 1929. - 176.
lurisprudence belge.

173. De nombreuses décisions françaises font applica-


tion de la responsabi]ité du fait des choses édictée par
l 'article 1384, § 1, à des personnes liées par un contrat :
l'existence d'une convention entre les parties est donc en
principe indifférente pour l 'application de cette disposition '.
Les Compagnies de chemins de fer ont été maintes fois
déclarées responsables, en vers les voyageurs victimes d 'un
2
acciclen t, sur la base de l 'article 1384, § 1 •

Avant l'introduction d'un régime spécial pour les acci-


dents du travail, Ie patron encourait envers ses ouvriers
une responsabilité délictuelle en cas d 'accident causé par Ie
matériel dont il avait la garde •, et tel est encore Ie cas à
présent dans les hypothèses, devenues fort rares, ou la légis-
lation spéciale relative aux accidents du travail n'est pas
applicable •.
Les entrepreneurs de battage sont responsab]es, envers
Ie fermier auque] i]s prêtent leurs services, de 1'incendie
provoqué par les machines dont ils se servent 5 •

1 La doclri ne est partagée : ei lons, en fawur de ! 'aµplicabilité ,le

l'article 1384-, § 1 : DEMOGUE, Oblig., V, n° ]133; Toss1mvrn, Co11rs de


Dr. Cit•., t. 1T, n° 552. Contra : MM. MAZEAFD, Traité, T, n° 8 1290, 1394
et sui\·. ; H. L,\LOU, OJJ. cit., 11° Gl9, note au D., 1927, 2, 25; cf. Bin,:-.,
op cit., n°• 273 et suiY.
2
Par is, 9 no,. 1909, D., ] 91 l, 2, :357 ; Besançou, 15 <léc. 1909, -"·.
1910, 2, l 74 ; Pau, 4 déc. 19ll, G. P., 1912, l, 85. Le reconrs à l 'article
1384, § 1 est devenu inutile aprrs les arrêts de la Cour de Cassation
qui ont reconnu l 'existence, clans le chef du transporteur, cl 'une ohli-
gation contractuelle de sécurité envers les voyageurs.
3
Civ., 16 juin 1896, S., 1897, I, 17, n. Esmein.
4
Civ., 27 févr. 1929, S., 1929, l, 296, 11. Hugueney; n., 1929, T.
130, ll. Ripert; Req., 25 nov. 1924, S., 1926. T. 129 (responsahilité 1111
maître envers son domesliflue).
5
Bourge~, 7 fén. 1895. n .. 1900, 2, 289; Agen, 17 mars 18flï, D.,
2~4 RESPO'\TSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS

Le propriétaire d 'attractions foraines a été également


déclaré responsahle, sur Ia base de I'article 1384, § 1, emers
les clients victimes d 'un accident sunenu au cours du fonc-
tionncment de ses appareils '.
L'hotelier répond de }'accident provoqué par l'ascenseur
dont il a Ia garde, en vertu de I 'article 1384, § 1, rnême
2
emers les clients qui circulent dans l'hotC'l •

174, Le recours à l 'article 1384, § 1, perm et parfoi s


à la ,ictime d'obtenir par la voie d'unc action délictuelle
une indemnité qu'elle ne pourrait obtenir en imoqnant
seulement Ia responsabilité contractuelle.
L'espèce tranchée par un jugement du Trihunal de la
Seine du 31 mars 1919 a en fournit un exemple : le proprié-
taire d 'mie usine de hlanchisserie avait mis celle-ci gratuite-
ment à la disposition d 'un indnstriel qui y installa une fabri-
qne de gaz asph~xiants. Des rnpeurs émanant de certaim
liquides inflammaliles utilisés par I'industriel, se répandi-
rC'Ill près à'un calorifère et prornquèrent une explosion. Le
Tribunal décide que l'induslriel était ohligé, en ,ertu du
co11trat, de veiller en bon père de famille à la garde de l'im-
meuhle qui lui a, ait été prêté, puis ,·on state en fait que cette
obligation contractuC'lle a été exécutée : aucune indemnit(,
ne pomait donc être rfrlamée en ,ertu du contrat. Mais Ie
Tribunal rC'tient ensuite à charge de ] 'industrie} la respon-

1900, 2, 289, n. Josseraml; Paris, 16 _juill. 1921, Rec. pér. ass., 1921,
p 439 ; Bordeaux, 13 jam·. 1926, Jbirl., 1926, p. 3G7 ; Bruxelles, 14 _juil-
lel 1932, Derumier c. Cultivateurs réunis, inéàit.
1 Douai, 4 mars 1929, Rec. pér. ass., 1930, p. 170; Paris, 5 avril 1913,

R. J., 1914, 313. Un arrêt de la Cour de Rouen (17 mai 1924, D., 1927.
2, 25) proclame anssi, dans une espèce analogue, que I 'existence d 'nn
contrat n 'exclut nullement a priori 1'application de l 'article 1384, § 1,
] 'arrêt repousse néanmoins l'action intentée, mais seulement parce qu'il
y avait eu rlans l'cspèce a renonciation implicite " au hénéfice de la
disposition précil/\e (voyez à ce sujet: in/ra, n° 232). D'aulres décisions
consacrent la respo11sahilité du tenancier sur la base de 1 'ohligation con-
tractuelle de sécurité qu 'il aurait ass11rnée en vers Je clien 1 : Paris, 22 fé.
vrier 1926, D., 1927, 2. 25.
2 Req. 6 mars 1928, S., 1928, T, 225, 11. Hugneney.

• D., 1922, 2, 12.


RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS 235

sabilité délictuelle prévue par l'article 1384, § 1, à raison


du dommage causé par une cliose dont il a rnit la garde '.
La Cour d 'Appel de Riom " a déclaré responsahle le loca-
taire d 'un immeuble en vers le hailleur, à la fois sur la base
de l 'article 1732 ( responsabilité contractuelle) et sur la base
de l'article 1384, § 1 (responsahilité délictuelle), à raison
de l'éclatement, flans l'immeuhle loué, d'un ]essiveur que
3
le locataire y a, ait introduit. La Cour de Lyon dans une ,

espèce analogue (explosion prmoquée par Ie gaz d'éclairage)


avait également reconnu que le locataire encourait en,ers
le bailleur tant la responsahi]ité délictuelle du fait des choses
qu 'il avait sous sa garde, que la responsahilité contrac-
tuelle fondée sur Ie contrat de bail.
175. La Cour de Cassation (k France a sanctionné
expressément le principe que les décisions rapportées ci-
dessus ont appliqué dans les domaines les plus divers. Dans
son arrêt du 27 février 1929 •, la Chamhre Civile s 'exprirne
en effet comme suit : cc La ]oi, pour l'application de la pré-
somption qu'elle édicte, ne distingue pas suinnt que la
, ictime est un tiers on 11ne personne liée avec Ie g·ardien de
la chose par un contrat. )) La Cour ajoute, il est ,rai : cc si
1 Le jugement a élé réformé par la Cour d 'appel de Paris (20 jan-

vier 1921) non point pour avoir faussement appliqué l'article 1384, § 1,
mais seulement pour avoir statué nllm retifa, le demandeur n ·ayant pas
fondé son action sur l'article 1384.
2
25 mars 1903, D., 1904, 2, 257, avec note approbative de M. los-
serand.
' Arrêl publié sous lleq. 3 juin 1904, D., 1907, T, 177, n. Tosserancl.
Cit011s encore deux autres décisions qui ont formellement reconnu la
possibilité de mettre en jeu l'article 1384, § 1, entre contractants : Civ.
Seine, 28 janv. 1903, D., 1904, 2, 257 (responsabilité du commodant
e11vers le commodataire) et Comm. Dunkerquc, 26 mars ]928, G. P.,
1928, 2, 79 (responsabilité rle l 'expéditeur envcrs le transporteur). Cc
dernier jugement écarte, en fait, l'article 1384, § 1, mais seulcmenl
parce que l'cxpéditeur n'avait pas la garde des ffits confiés par lui an
transporteur (voyez à eet égard : in/m, n° 222) ; le Tribm1al de h
Seine, dans l 'espèce précitée, aurait <li't en cl1\ci<ler de mf.mc, attendu
que le commodant, déclaril à tort responsable, 11 ·arnit pas 11011 11lus la
garde de la chose confiée au commo<lataire (rnyez : in/rn, 11° 222). Ces
critiques laissent néamnoins enti1\rc la rnleur de principe de ces deu'i:
décisions.
• D" 1929, T, l:l0. précité.
236 RESPONSABILITÉ AQliILIE~NE ET CONTRATS

cc coutrat ne règfo pas la question de responsabilité », mais


Ia portéc de cette restriction prête à discussion '; quoi qu 'il
en soit, il importe de ne pas renverser les termes de cette
importante décision de principe, et de ne pas considérer
comme règle générale Ie cas particulier que Ia Cour se borne
à résener in fine.

176. La jurisprudence belge ne paraît guère s 'être


préoccupée de Ia question. Sans doute peut-on l'expliquer
par la faihle utilité que présente en Belgique Ie recours à
l'article 1384, ~ 1, à raison des conditious rigoureuses aux-
quelles Ia Cour de Cassation de Belg-ique suhordonne I'ap-
plication de cette disposition.
Rien ne s'opposerait cependant, en l'état actuel de Ia
jurisprudence helge, à ce que Ie vo_ya1,,reur victime d 'un
accident de transport, intentàt au transporteur une action
fondée sur les articles 1382 à 1386 2

SECTIO!\' III. HESPONSABILITÉ DÉLICTUELLE

DU FAIT DES ANJMALIX ( ART. 1385)

177. Principe. Son application au con-


lrnt de Iouage de services. - 178. Evolution
de Ia .iurisprudence française.

177. L'obligatiou légale imposée par l'article 1385 au


gardien d 'un animal de répondre du dommag·e causé par Ie
fait de celui-ci, subsiste en principe entre personnes Iiées par
un contrat.
Une jurisprudence extrênwment abondante et qui paraît
soli clement établie aussi hien en Fran<'e ·' qu 'en Belgique •,
1
Voyez à cc sujet : in/ra, n° 240.
0
Voyez STEVENS et HENNJNG, op. cit .. n° 934-. C::omp loulefois C::i,.
}fons, :~ sept. 1929, B. Ass., 1930, p. 162.
3
Civ. 9 mars 1886, S., 1886, T, 244; Civ., 11 mars 1902, S., 1902,
T, 309 ; Req., 23 juillet 1902, D., 1902, I, 431 ; Civ., 28 nov. 1904, D ..
1905, I, 253; C::ass. 25 jnin 1914, S., 1916, I, 50; Req., Jer rléc. 1914,
n., 191G, T, 192.
Voye:r les références cilées par M. DEMoGrE, V, p. 239, note 3.
• Cass., lG ort. 1902, Pas., 1902, T, 350; Bruxelles, 5 juill. 1910,
Pas., 1910, 2, .370: Liég-e, 17 <lfr. 1921, Pas., 192.3, 2, ï8.
RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS 237

décide en cffet que le propriétaire d 'un animal répoud du


dommage causé par celui-ci à ses préposés, sans que l'exis-
tence d'un contrat de louage de senices J fasse aucunement
obstacle. Le propriétaire d'un animal est aussi responsable
sur la base de l'article 1385 emers l'aubergistc à qui l'animal
a causé un accident 1 , ou envers Ie maréchal-ferrant qui a
2
Né bless<- par l 'animal •

Ja mais l'existencc d 'un contrat n 'a paru farmer obstacle


à l'application de l'article 1385 dans les espèces rappelC-es
ci-dessus. La seule question en litige {,fait le plus souvent
celle de savoir si le contrat n 'a,ait pas eu pour effet de trans-
férer au co-contractant du propriétaire de l'animal la garde
de ce dernier. En pa reil cas, l 'urn' de" conditions d 'appli-
cation de l 'article 1385 faisant défaut, il ne pourrait plus
être d'aucun secours à la ,ictimP. La jurisprudencc admet
toutefois que c'est le patron ou ]e commettant qui conserve
la garde de ] 'aninrnL même lorsque celui-ci se trouve sous
Ja diredion matérielle du préposé ; en conséquence, le pré-
posé consene contre Ie patron le recours en responsahilité
du droit commnn, fondé 1':ur l 'artic1e 1385 '.
Certes, 1'introdudion d l' extension progressive du
rC-gime légal cxceptionnel des accidents du travail a enle,é
à ,ette jnrisprmlence 1me grande partie de son intérêt prati-
que. Mais elJe conserve toute sa signification théorique : elle
démontrc que, contrairement à ] 'opinion de plusieurs

1 Rourges, 19 nov. 1900, S., 1901, 2, G.


2
Cf. Paris, 23 mars 1912, D., 1912, 2, 33G.
3
La société d 'alimentation qui confie des trtcs rle bétail il un gar-
îlien el lui paie une redevance journalière ponr la stirveillance et l 'entre-
tien de ce bétail, en conserve néanmoins « l 'nsage " pour elle-même :
on ne peut assimiler Ie garélien à « celui qui se sert de l'animal ,,_ En
consc-quence, la société d 'alimentation est responsable, sur la base rlP
l 'article 1385, si les animaux rlont elle est propriétairc, ont contaminé
ceux du gardien : Liége, 17 déc. 1921, précité.
Dans d'autres hypothèscs (animal confié à un anhergiste, à u11
maröchal-fcrrant), la question de savoir à qui apparlient la garde de
1 'ani 1nal est plus complexe : voyez s11r ce poi11 t in/rn, 11° 219.
>
238 RESPONSABILITE AQUILJENI\"E ET CONTRA TS

auteurs', }'absence de contrat entre la ,iclime de !'accident


et Ie gardien de l 'anima} n 'est nullernent une condition de
l'application rle l'article 1385.
2
Aussi ne pouvons-nous suivre] 'opinion de M.H. Lalou ,

lorsqu 'il dénie toute signification à la jurisprudence rappor-


tée ci-dessus, sous prétexte que la seule question discutée
était généralement celle de savoir si Ie préposé était, ou non,
Ie gardien de l 'anirnal.
Le fait même que l 'applicabilité de I 'article 1385 n 'était
pas apriori contestée, ni par les parties, ni par les tribunaux
saisis, confirme que cette disposition est d 'application tout
à fait générale.
De nombreux auteurs Ie reconnaissent d 'ailleurs et
approuvent expressément Ie princ,ipe de l 'intenention entre
contractants de l 'article 1385 ".
178. La jurisprudence n'offre cependant point d'exem-
ple, à notre connaissance, d'un cas ou la victime d'un
accident aurait disposé concurremment d 'une action con-
tractuefü, 0t de l 'action délictuelle basée sur l 'article 1385.
En France, l 'influence de la théorie dogrnatique de l 'incompa-
tihilitf entre les deux responsabilitfs, combinée avec l 'exten-
sion incessante de la théorie des cc o11ligations contractuelles
de sénirité n, a conrluit certaines juridictions à repousser
l'application de l'article 1385 dans des hypothèses ou elle
et1t sans doute été admise vingt-cinq ans auparavant. Ainsi,
la Cour de Lyon • a décidé que la responsahilité d 'un maître
de manège quant aux domma7es causés à ses élèves par les
d1evaux mis à leur disposition, est engagée à raison de
l 'irwxécution de l 'ohligation contractuelle tacite de sécurité

1
Voyez notamment: LALOU, op. cit., n° 539; MAZEAUD, Traité, T,
n° Jl2:-l; cf. LABBÉ, note au S., 188G, 2, 97.
2
Loc. cit.
' Voyez BRt:N, op. cit., n° 292 ; WILLEMS, Rev. gén. de droit, 1895.
p 5] 3 ; .JossERAND, Droit Civ., II, n° 523 ; In., Transports, n° 875, p. 901
LAROMRII:RE, t. VII, p. 653 ; SouRDAT, t. JI, n° 1434.
4
l er auil 1922, .D, 1924, 2, 51.
RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS 239

dont la Cour admet l'existence entre parties, et non point


sur la base de l'article 1385.
Pareille solution, visiblement inspirée par la doctrine
que nous avons critiquée, nous paraît moins juridique que
celle qui était consacrée par la jurisprudence antérieure aux
lois sur les accidents du travail.

SECTlON IV. RESPONSAHILITÉ OÉLICTUELLE


Dl] PROPRIÉTAIRE o'uN BÀTIMENT (ART. 1386)

179. Principe. - 180. Applicalion au


contrat de louage de services. - 181. Appli-
cation au contrat de bail. - 1. Turispru-
dence helge. - 182. IT. Concours de respon-
sabilités. Ses avantages. - 183. Til. Exem-
ples jurisprudentiels. - 184. IV. Jurispru-
dencp italienne. - 185. V. Evolution doc-
trinale et jurisprudentielle en France.

179. Les propriétairc,; de bàtiments sont tenus en prin-


cipe aussi hien en vers leurs co-contractants qu 'en vers toute
autre personne, de l 'obligation légale de garantie que leur
impose l'article 1386 du Code Ci,•il, à raison du dommage
qui serait pr°'oqué par la ruine dE' leur bàtiment par suite
dE' ,ice de construction oude défaut <l'entretien.
180. Le propriétairE' est responsable, notamment
envers ses employés ou préposés, nonobstant le contrat de
louage de services qui existe entre eux et lui : la jurispru-
<lence française l'avait à diverses reprises reconnu avant
l 'instauration du régime spécial des accidents du travail '.
Dans un arrêt plus récent, la Cour o'Appel dè Caen 2
l 'a confirrné dans l 'espèce .suivante : une servante avait été
tuée par l 'effondremmt d 'un plafond, provoqué par la rup-
ture d 'une poutrE' qui, faute d'entretien, était pourrie par
des infiltrations d 'eau provenant de la toiture. Pour
1
Civ., 19 avril 1887. D., 1888, I, 27 ; Nancy, 21 mars 1896, 2, 235 :
voyez les références citées par M. FoRGE, De la responsabilité du fait il lf
bàtiment, thèse, Paris, 1909, p. 106; MAZVAl-o, t. I, 11° 1047.
2 2.5 juin 1924, Rec. des mT~ts de la Cour de Caen, 1924, p. 188.
240 RESPONS.\BILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS

échapper à l 'application de l 'article 1386, le propriétaire


objectait aux héritiers de la ,ictime que c'était par pure
hienveiIJance, en vertu d 'un commodat, que celle-ci était
autorisée à loger chez lui ; il prétendait en déduire que la
responsabilité était exclusivement régie par l'article 1891 du
Code Civil, aux termes duquel le prêteur ne répond des
défauts de la chose prêtée que s'il les a connus 1 •
La Cour écarte cette argumentation : elle constate en
fait que la victime receYait des gages du propriétaire et que,
si elle était hébergée par lui, c'était donc à raison d'un con-
trat dP louage de services ; la Cour applique ensuite au litige
l 'article 1386, Ie propriétaire ne justifiant d 'aucune déroga-
tion con ventionnelle à cette disposition Iégale.
181. Le locataire de l 'immeuble peut égak,ment se pré-
,aloir de l'articJe 1386 à l'encontre du bailleur.
Tefü~ est !'opinion adoptée par un jug·ement déjà ancien
2
du Tribunal Civil <le Bruxelles « Attendu qu'en vain on
:

soutient que ces deux articles (1384 et 1386), se trouvant


compris sous Ie titre des engagements qui se forment sans
convention, ne sauraient être invoqués dans Ie cas ou il
f'xiste une convention, telle qu 'un contrat de Iouage comme
dans l 'espèce ; Attendu que les termes généraux de l'arti-
ck· 1386 ne permettent pas de faire cette distinction ; que Ie
législafeur ,eut que fo dommage soit réparé par Ie proprié-
taire, quelles que soient les personnes qui en ont souffert ;
que par suite, les Iocataires et sous-locataires habitant la
maison écroulée ont droit à des dommages-intérêts. >>
182. Le Iocataire dispose clone, en principe, de deux
actions, lorsqu 'il est victime d 'un accident imputahle à un
vice de construction on à nn défa ut d 'entretien : d 'une part,
l'action délictuelle fondée sur J'article 1386, d'autre part
l 'action rnntractuelle basée snr J 'inexécution par Ie bailleur

1
Sur rette queslion, Yoyez infra, n° 240.
2
15 Mrembre, 1876, Pas., 1877, 3, 220.
RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS 241

des obligations dérivant du bail et indiquées par les arti-


cles 1719 et suivants du Code ,Civil.
Chacune des deux actions possède ses avantages
propres : tout défaut d 'entretien 1 , tout vice de l 'immeuble
- à condition qu'iJ empêche l'usage de la chose louée (arti-
cle 1721) 2 - , peuvent servir de base à 1'action contrac-
tuelle, alors que les vices de l'immeuble ou les défauts d'en-
tretien ne donnent ouverture à 1'action délictuelle que s 'iJs
ont entraîné l 'écroulement total ou part iel de 1'immeuble ;
s'il s'agit d'un vice de l'immeuhle, il faut en outre qu'il
présente Ie caractère d 'un vice de construction.
En revanche, dès que ie vice de construction ou Ie défaut
d'entretien sont établis, peu importent au regard de
l'article 1386, Ie moment ou ils se sont produits, et Ja dili-
gence dont a fait preuve Ie propriétaire. Au contraire, les
vices de l'immeuhle postérieurs à Ja conclusion du contrat
n 'engagent la responsahilité du hailleur que s 'ils résultent
d'une négligence prouvée ".
D'autre part J'action délictuelle permet d'échapper à
diverses fins de non-recevoir propres à l'action contractuelle
et à la limitation des dommages-intérêts aux seuls préjudices
prévisihles lors du contrat (C. Civ. art. 1150).
183. Aussi Ie locataire a-t-il fréquemment intérêt à
placer Ie déhat sur Ie terrain de la responsabilité délictuelle.
Le jugement <léjà ancien du Tribunal civil de Bruxelles rap-
portlç ci-<lessPs avait reconnu ce droit à un locataire blessé
par l 'écroulement d 'un plancher en état de pourriture. En
optant pour l'action délictuelle, Ie locataire a pu échapper
à l'exception tirée par le bailleur du fait qu'il n'avait jamais

1 A moins qu'il ne s'agisse de réparations locatives qui incombent

au preneur.
2
Sont seuls exclus : 1° les vices apparents : 2° les vices postr-
rieurs à la conclusion du contrat, à moins qu 'ils ne soient imputables
à une faute démontrée du bailleur : voyez Répert. pratique de dr. beige,
V0 Bail, n°' 87 à 91 et 100.
3
Rép. prat. de dr. belge, V0 Bail, n° 100. En [ 'absence de fauie
prouvée du bailleur, Ie preneur peut senlement demander la résiliation
<lu bail.
24~ RESPONSABILITÉ AQVILIE'\''fä ET CONTRATS

été mis en demeure d 'effectuer les réparations nécessaires.


« L 'on est toujours en demeure », dit Ie Tribunal, << de pré-
venir les quasi-délits >>. En vain également Ie bailleur allégua
Ie caractère imprérn du préjudice subi : Ie locataire lui
répondit victorieusernent que l 'auteur d 'un quasi-délit est
tenu d'en réparer toutes les suites directes ou immédiates.
Un arrêt récent de la Cour d'Appel de Bruxelles s'est
prononcé dans Ie même sens dans une espèce analogue 1 :
la Cour écarte également l'exception tirée du défaut de mise
en derneure ; elle écarte ensuite l 'exception non adimpleti
rnnfractus fondée sur Ie défaut de paiement de loyers : ces
deux mo~-ens, par leur nature même, ne peuvent être opposés
que par un contractant à son co-contractant, et ont pour
unique effet de paralyser une action née d 'un contrat. Jls ne
2
peuven t faire óchec à la responsahilité du droit commun •

184. En Jtalie, la Cour de Cassation de Turin, par un


arrêt longuement et judicieusement motivé, a formellement
admis lü locataire à se prévaloir rnntre Ie bailleur de l 'arti-
cle 1155 du Code Civil italien ( correspondant à l 'article 1386
du Code Napoléon)".
185. Un rmirement complet s'est manifesté dans la
doctrine à propos de cette question au cours du XIX• siècle.
Toullier, invoquant 1e caractère général des termes
t~mplo~ és dans l'article 1386 •, avait tout d'ahord fait pré-
0

1
5 auil 1930, Rev. gén. ass. el resp., n° 852, nole .J. Van Ryn. Cel
arrût, rlans certains de ses attendus, paraît à tort limiter l 'appliration
rle l 'article 1386 aux seuls cas rle dommages corporels : voyez à eet égarrl
not re note rl 'observations précitée.
2
Un arrêt rle la Cour de Liége (8 janv. 1913, P. P., 1913, n° 1203).
inspiré par la jurisprurlence française, a décirlé au contraire que l 'appl i-
cillion de l 'article 1386 était exclue entre bailleur et pre11eur
'Tur-in, 21 nov. 1916, Giur. It., 1917, T, 1001, note Chironi contra.
"\pri•s avoir souligné que Ia garantie conve,1tionnelle visc seulemenl les
vices qui affectent l 'utilité ou l 'usage de la chose. l 'arrM en conclut que
1e contra!. est rlesliné à intensifier la responsabilité du propriétaire, car
1'on ne comprendrail pas que Je locataire, par l 'effet rl 'un contrnt qui
rlevait lui procurer une protection plus complète, se trouvernit au con-
l rair<' rlans une condition pire que les tiers.
·
1
T. XT, 11° :117 : « Sa rlisposition est générale : elle rend le pro-
RESPONSABILlTÉ AQUlLIENNE ET CONTRATS 243

, aloir la thèse de son applicabilité entre bailleur et, loca-


1
taire •

Mais Larornbière, faisant intervenir une fois de plus


la théorie de l 'exclusion de la responsabilité délictue1le entre
contractants, adopta !'opinion opposée : il affirrna que la
protection du lorataire déri-ve exclusivement du contrat de
2 3
liail La doctrine s'est à peu près entièrement ralliée à lui
• •

M. Planiol seul s'était nettement prononcé en faveur de la


5
thèse de Toullier •, mais il n'a guère été suivi •

La jurisprudence française ne paraît pas avoir eu !'oc-


casion de se prononcer sur la question avant Ie revirement de
doctrine que nous venons de signaler. Elle a suivi !'opinion
de Laromhière, et la tentative de réactiou faite par M. Planiol
en 1907 paraît n'avoir eu aucun succès auprès d'elle ; plu-
sieurs arrêts récents indiquent qu 'elle est définitivement
orientée dans un sens diamétralement opposé à celui des déci-
sions heli;res rapportées ci-dessus •.

priétairc de l 'étlifice tombé en ruïnes responsable envers tous ceux qui


ont souffert rlu rlommage ; il en répond rlonc envers ses locatairês dont
les meubles ont été détruits ou enrlommagés. ,,
' Voyez Dalloz, Hépert., V 0 Responsab. n° 755 ; Supplilment, eori.
1' 0 , n° 964- ; Comp. SoFRDAT, n° 8 1181 et 1458.
2
LAROl\lBJÈRJ.:, 1. VTT, art. 1386, n° 3.
3
L~vRE"T, 1. XX, n° 64-4-; Al,BHY et RAu, t. VI, p. 4-32, n. 14-:
BAunnY LACAl\'TI'-Tmm, Oblig., t. III, n° 2958; DEMOGUE, Rev. trim., 1905,
p. 647; EsMmN, no.te au S., 1898, T, 65; CmRONI, Colpa extra,c., JT,
n° 387, et 11ote dans Ginr. It., 1917, p. 1011 ; H. LALOU, n°• 549 à 552;
Fonrrn, thèse citée ; Panri. Be/ges, V0 Responsabilité de la ruine d'un
bàtiment, n°• 79 et s11iv.
4
'/ote au D., 1907, 2, 97 ; Trailé élém., 1. Tl, n° 1857.
5
Voyez cepcndant TossERANn, Transports, n° 870, p. 899 ; comp.
DEMOGFE, t. V, n° 1103. Des auteurs récents admettent que l'applicatio11
de l 'article 1386 est excluc entre contractants seulement lorsque « le
contrat comportait des obligations relatives à la sécurité de la personnc
ou des biens rle la Yictime n. M.u:EAFD, Traité, U, n° 1047 ; BnuN, op. cit.,
n° 286 ; lel est le cas pour Ie contra! de bail : MAZEAUD, loc. cit.
6
Paris, 17 janv. 1905, D., 1907, 2, 97, n. Pfaniol contra; Lyon,
2;{ oct. 1925, Rec. Somm., 1926, n° 1696; Civ. Seine-Inf., 27 juin 1928,
D lfebd., 1928, p. 570; Nîmes, 2 jüill. 1929, Sem. jur., 1929, p. 1216;
ï.olmar, 29 auil 1930, ne". ,! Is -T,nrr., Hl30. p. 377.
En sens contraire: .'fancy, 11 avril 1907, Rec. rie ,Vancy, 1906-1907,
p 154-.
244 RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS

Sans doute faut-il y voir l 'influence de la théorie, lon-


guement critiquée par nous, de l'incompatibilité entre la
responsabilité délictuelle et la responsabilité oontractuelle.
La jurisprudence récemment confirrnée par la Cour d'appel
de Bruxelles nous paraît reposer sur un fondement juridiquc
beaucoup plus solide.
III. Étude de l 'option entre les deux actions
en responsabilité

CH APITRE PREMlEH

Recherche cles c·as ou l'option existe


186. Quand l 'option existe-t-elle? 187.
Violation de de11x obligations ayant un oh-
jet différent. - 188. Violation de deux obli-
gations aya11t un objet i<lentique. - 189.
Conséq11ences.

186. Le créancier qui intente à son débiteur une action
t>n responsabilité délictuelle est parfois contraint de placer
Ie litige sur ce terrain pa ree qu 'aucun manquement du débi-
teur à ses obligations contractuelles ne peut être relevé : dès
lors, le créancier n 'a pas le choix : l 'action délictuelle est la
seule qu'il puisse intenter 1 • Tel est le cas, par exemple, lors-
qu'au moment ou survient un accident, les obligations con-
tractuelles du transporteur avaient pris fin, ou n'avaient
pas encore commencé 2 •
Mais parfois, au contraire, le créancier victime d'un
<lommage causé par son <lébiteur, peut à son choix se pla-
cer sur Ie terrain contractuel ou sur le terrain délictuel : il
peut opter entre deux voies de recours qui présentent cha-
cune des avantages et des inconvénients propres, mais qui
toutes de11x ont pour ohjet la réparation du préjudice subi :
1
Voyez MAzEAUD, Traité, I, n° 174; voyez des exemples rle l'hypo-
thi'se envisagée au texte supra, n° 166.
• L;exécution du cu11l1ctt de transport commence nn _moment on Ie
voyageur monte dans le train et finit au moment oi1 il en dcsceml :
Trib. Liége, 13 juill. 1931, Pas., 31, 3, 207.
246 RESPONSABILITÉ AQUTLlENNE ET CONTRATS

l 'action en responsabilité contractuelle, l 'action en respon-


sa bilité délictuelle.

187. L 'option se rencontre en pratique sous deux


1
aspects :

A) L 'option résulte parfois de la circonstance que Ie


débiteur a violé deux obligations, l'tme contractuelle, l 'autre
délictuclle, aya,d chawne un objet disfinct : les faits qui ser-
vent de hase aux deux actions en responsahilité sont alors
différents.
Un exemple éclairera la situation que nous envisageons:
si Ie locataire d 'un animal Ie tue par son imprudence, ce
fait peut donner lieu à une action en responsabilité délic-
tuelle basée sur l 'article 1382 ; mais Ic hailJeur dispose aussi
cl 'une action contractuelle, et pour la faire triompher, il
deua seulement rapporter la preuve du contrat et de l 'inexé-
cution par Ie débiteur de I 'obligation de restituer ] 'anima!
2
loué il ne devra pas prouver in concreto ! 'acte imprudent
:

commis par Ie Iocataire.


La solution sera la même toutf's les fois que Je déhiteur
est astreint en vertu du contrat, à unc obligation de résultat:
cette ohligation a nécessairement un objet différent de I'ohii-
gation de se conduire avec prudence quf' sanctionne I'ar-
tidc 1382, et qui n'est qu'une obligation de moyens 3

Lorsque Ie créancier relève à charge de son débiteur,


d'nne part I'inexécution du contrat, d'autre part une con-
travention à la règie Iég·ale qui int0rdit de comm0ttre des
actrs de dol ou de fraude, les deux actions en responsabilité
dont il dispose sont également fondées sur l 'inexécution
d 'ohlig-ations dont I 'ohjet est différent.
Enfin I 'objet des obiigations légales de g·arantie impo-
sées par lf's articles 1384 à 1386 ne coïncide généralement

1
Un mème fait peul parfois <lon11er lieu i1 deux responsahilités
mais entre personnes différentes. Cette hypoth/\se est évi<lemment
étrangère à notre sujet.
La situation était ideutique en droit romnin : Yoyez Swm:>iv, nr.
2

Rom., V, p. 221, note A.


3
Voyez un exemple Sllpra, 11° 144.
RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS 247

pas non plus avec celui des obligations contractuelles du


1
débiteur •

188. B) Parfois au contraire, le débiteur a contrevenu


à la fois à une obligation légale et à une obligation contrac-
tuelle, mais l'objet, le « contenu n de ces obligations était
2
identique Dès lors, les deux actions en respomabilité

seront fondées sur les mêmes faits matériels : seule la quali-


fication juridique des faits les différenciera l'une de l'autre.
Tel est le cas lorsque le débiteur a commis un acte dom-
mageable contraire à la prudence que lui cornmandait aussi
bien le contrat conclu par lui que le principe général sanc-
tionné par l 'article 1382.
« Dans l 'hypothèse n, dit un arrêt de la Cour de Cas-
3
sation de Rome « ou Ie fait par leqm'l 1'ohligation <léri-
,

vant du contrat deme1J re inexécutée est cl 'nne nature telle


que la ,ictime, rnêrne si cette oblig-ation n'avait pas existé,
même si aucun rapport obligatoire n 'avait été créé ( con,en-
tionnellement), aurail néanmoins toujonrs en le droit de
réclamer réparation du domrnage à raison cl 'un délit on
d'un quasi-délit, l'action en dommag·cs-intérêts peut, à son
choix, être fondée aussi bien sur la faute contractuelle que
sur la faute aquilienne. n
189. L'existence d'une option entre les deux respon-
sabilités perm et au créancier de choisir l 'action qui lui est
la plus favorable. Mais, dans certains cas, il lui est même loi-
sible de les exercer toutes les deux.
Les quelques obscrvations qui suivent préciseront les
conséquences juridiques de ccttc situation.
1 M.\ZEAPD, Traité, I, n° 143 : " Voici un commeltant qui a reçu

un oh.iel en dépot; son préposé, qui n'était pas chargé de s'occupcr


de eet ob_jet, le brise. Le déposant a alors le choix entre la responsabilité
contractuelle et la responsahilité délictuelle. 11 peut se placer sur Ic
terrain de la responsahilité contractuelle en constatanl que le rléposi-
taire n'exécute pas son contrat. Mais il peul également invoquer les
principes de la responsabilité délictuelle en actionnant le dépositairr
non pas comme précédemment en cette qualité, mais en tanl que res-
ponsable du fait de son préposé (art. 1384, § 3, Corle Civil). n
2
Sur cette situation, voy. supra, n° 112. La coïncirlence entre l'ob-
jet des deux obligations est souvent part.ielle.
• 17 aof1t 1912, Giur. it. 1912, 1, 1, 1258.
CHAPlTRE II

J<iffets de l'option

I. 190. Les deux actions demeurent dis-


tinctes. Conséquences.
II. 191. Intentement successif des deux
actions. - 192. L'adage Elec/a una via non
datur recursus ad alteram. - 193. L'auto-
rité de la chose jugée.
111. 194. La question du cumul des dom-
mages et iutérêts délictuels et contractuels.

190. I. - Les deux actions derneurent distinctes : leur


cause est en effet toujours différente, ainsi que nous Ie dé-
rnontrerons plus amplement ei-dessous.
En conséquence, si l 'action est intentée sur la base du
contrat, Ie demandeur ue pourrait formuler en cours d'in-
stance des prétentions fondées sur des quasi-délits : ce serait
introdnire une demande nouvelle '.
Le créancier ne peut pas non plus confondre les deux
actions en une seule, de manière à se réserver les avantages
2
propres à drnwne d 'elle si Ie Tribunal est compétent
:

' Trih. Bruxelles, 25 mars 1896, B. J. 1896, 575 ; Req. 18 févr. 1929,
G. T. ]929, l, 821. Réciproquement, une action basée en première ins-
tance sur l 'article 1382, ne peut être fondée en appel sur un contrat de
transport : Bruxelles, 12 mai 1884, Pas., 1884, 2, 370. Toutefois une
(lCtion ex quasi delicto peut se muer valablement en action basée sur
la faute contractuclle quand cette morlification a été formulée dans les
premières conclusions et n 'a provoqué ni protestation ni réserve : Gand,
18 janv. 1905, Pas. 1905, 2, 347.
2
En ce sens, Cass. Turin, 20 juill. 1904, Giur. il., 1904, 1, 1, 237;
Ch. Bruxelles, 27 nov. 1929 (Rombaut c. Soc. Nat. des Chemins de fer
Vicinaux), inédit ; ce principe est parfois méconnu : voyez DEMOGUE,
Oblig., 1. V, p. 556 (en ce qui concerne la compétence) ; Sainctelette,
tout ee reconnaissant que Ie voyageur blessé au cours du transport
RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS 249

seulement pour connaître de l'action contractuelle, le créan-


cier ne pourrait pas invoquer dans l 'instance Je quasi-délit
commis par son débiteur pour obtenir des dommages-inté-
rêts plus étendus que les domrnages-intérêts contractuels
réglés par l'article 1150 du Code Civil.
La jurisprudence a parfois même imposé au deman-
deur l 'obligation de préciser dans l 'exploit introductif
d 'instance si l 'action qu 'il intente est fondée sur les prin-
cipes de la responsabilité dé]ictuelle ou sur ceux de la res-
ponsabilité contractuelJe 1 •
En revanche. rien n 'empêche le créancier d 'intenter en
même temps les deux actions, l'une à titre principal, l'autre
2
à titre subsidiaire •

191. U. -Rienne s'oppose à ce que Ie créancier intente


successivement les deux actions <lont il dispose : soit qHe la
3
première ait échoué soit qu 'elJe ne lui ait pas procur<- la
,

réparation intégra]e du préjudice qu 'il a souffert.


Deux objections pmirraient, il est vrai, paraître faire
obstacle à l 'exercice successif des <leux actions : d 'une part,
l'adage Electa una 11ia, non datur recursw; ad alteram ;
d'autre part, l'autorité de la chose jug-ée.
192. L 'adage Electa una 11ia... est certainernent sans
application dans l 'hypothèse que nous examinons. Ce c< pro-
verbe juri<lique n, qui nous ,ient <lu <lroit romain ou les
auteurs de l 'ancien droit français 1'avaient repris 4, repose

dispose de deux actions en responsabilité, prétend cependant que si Ie


voyageur a choisi l'action aquilienne, il ne peut demander d'autres
dommages-intérêts que ceux qui pouvaient être prévus lors du contrat
(Op. cit., chap. TV," n° 20, p. 108). C,'est appliquer les règles du contra!
à un engagement qui ne résulte pas d \me wnvention ; voyez dans
notre sens : note Pas., 1885, 3, 175.
1 Civ. Liége, 2 mars 19.'H, Rei•. 9én. ass. el resr., n° 755, et note

Olivier Maller. Contra: Bruxelles, 2G Me. 191.'l, P. Pér. 1914, 11° 992,
avec avis contraire de M. De Beys.
2
Civ. Bruxelles, 27 nov. 1929, précité.
• Tel serait Ie cas lorsque Ie dépositaire infidèle ayant été acquitté,
Ie déposant aurait été déhouté de son action civile par la juridiction
répressive.
• Voyez à eet égard : E. H. PERREAl', Technique de la jurispnulence
en droit privé, t. T, pp. 187 et suiv.
250 RESPONSABlLITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS

sur une présomption fort discutable : en intentant 1'une


des actions dont il dispose, Je demandeur renonce, prétend-
on, aux autres '. La portée de la règle en droit rornain est
vi vement discutée : s 'appliquait-elle à toutes les actions
civiles [1 N 'a-t-elle pas seulement pour hut d 'empêcher Ie
dernandeur d 'intenter plusieurs actions sinrnltanénwnt f't en
2
une seule instance ? Autant de questiom: que nous n 'a ,ons
pas la prétention de résoudre.
Jl nous suffit de constater que la jurisprudence posté-
rieure au f:ode Ci,il a constamment limité l'application de
la maxime Electa una via ... aux actions nées d'une infrac-
tion pénalf'. Par contre, ellc a toujours refusé cl'accorder
un effet définitif à l 'option entre actions purement civiles ",
malgré l'opposition d'une partie de la doctrine• ; à la
maxime traditionnelle, la jurisprudence oppose avec raison
la règle sui,ant laquelle les renonciations ne se présument
5
pas •

Si même Ie fait qui donne omerture à la responsahilité


délictuelle constitue une infraction pénale, l'action contrac-
tuelle peut cependant être exercée malg-ré l'échec ou la dis-
parition cle l 'act ion ci,ilc délictuell0, car il n 'y a pas entre
les <leux actions identité de eau se •, ce qui est une condition
indispensahle pour l 'applicatioh de la maxime Elecfa 11na
• 7
1 11(1. . . .

1
" La raisoJ1 en pst "· dil Ic Présirlent Fahrc dans ses Rationalia
(à propos <le la loi cle tributoria acl iune), " que Je demancleur en optant
1\me rles actions qui lui so11t rléffrres, renonce nécessairement anx
au tres, et qu 'il n 'est plus permis ;'1 cel ui qui a renonrr à ses actions,
de reYenir sur ses pas "·
2
« Quolil's concurrunt. plures actiones ejusrlerri rei nomine, unn
quis experiri debet » : Dig., De reg11lis joris, 43, T.
• E. H. PERREAU, loc. cit.
• Voyez les références citées p;ir M. Perreau, et notamment M1mJIN,
Questions de rlroil, V0 Option, § l ; cf. ]'opinion mitig(1e (le Tm:L-
LrF.R, t. X, n°• 170 et suiv.
5
Bruxelles, 29 _jam. 1851, B. J. l 851, 469 ; Répert. de dr. beige,
0
V Act ion, n° 38 ; Brnc1m, Diction. de Procérl ure, V 0 Action, n° 88 ;
GLASSO'i et TrssrnR, t. r, n° 174.
6
LAROMBIÈRE, Oblig., art. 1382, n° 49.
7
Civ. Bruxelles, 21 février 1930, Rl'u. dr. pén., 1931, p. 395 ; Rép.
prat. de dr. belge, V0 Action civile, n° 76.
RESPONSABILITÉ AQUILIE\'\NE ET CONTRATS 25'1

Dès lors, 1'adag-e ne trouvera d'application en aucun


cas.
193, Pourrait-on opposer à la deuxième action intentée
l 'autorité de la chose jug·ée qui s 'attache au jug·ement rendu
dans la première?
La réponse exige une distinction préalable :
1° Si la deuxième action tend à obtenir réparation d 'un
pré;judice qui n 'avait pas été inrnqué dans la première, l'ex-
ception de chose jugée serait a priori repoussée à raison de
la différence dans l'ohjet de l'action;
2° Si Je préjudice dont il est réclamé réparation dans la
deuxième action coïncide, fût-ce même partiellement, avec
celui qui était allég-ué dans la première, il y a identité d'objet.
tout au moins dans la mesure ou la coïncidence existe.
Mais l'exception de chose jugée n'en sera pas moins
écartée, à notre avis, à raison de la différence entre les eaus es
de chacune des actions La jurisprudence a maintes fois
reconnu que l'action fondée sur l'inexécution d'un contrat
et 1'action fondée sur un délit ou un quasi-dé]it, rnêrne si
e1les ont un ohjet semhlahle, diffèrent quant i\ leur cause '.
Faudrait-il en décider autrement si les faits matériels
2
in\o,p16s à l'appui de la demande étaient idenliques ? Nous
ne Ie pensons pas ; car la cause d 'une action en justice com-
prencl deux élérnents ég-akment essentiels : 1° un ensemble
de faits matfriels ; 2° unP disposition de droit ohjectif qui
donne à ces faits une portée juridique, celle de former Ie
3
titre d 'tme prétention en justice •

Pour que ces deux actions aient la même cause, il ne


s11ffit donc pas que les faits imoqués à l'appui de chacune
cl'elles soient identiques ; il faut en outre que le fondement

1
Bruxelles, 12 mai 1883, Pas. 1883. 2, :l70; Paris, 20 avril 1921.
D. 1922, 2, 12.
2
Voyez supra, 11° 188.
3
Telle esl la définition do1111ée par M. Andr;I Le Paige, à la sui1e
d'une élude approfonrlie de la ,inrisprudence : note so11~ Cass. 18 sept.
1930, R . .T. 1932, col. 67.
252 RESPONSABILITÉ AQLILIESNE ET CONTRATS

juridique des deux actions soit Ie mêrne' : tel n'est évidem-


ment pas Ie cas dans l 'hypotl1èse envisagée.
194. III. - Il ,a de soi que jamais l'exercice des deux
actions ne permettra à la victime de réclamer deux fois répa-
ration du même domrnage 2

Le cumul des condamnations pécuniaires était admis


dans }'ancien droit romain, à raison du caractère exclusive-
ment pénal de l'actio legis Aquiliae à son origine mais en 3
,

droit moderne toutes les actions en responsahilité ont un hut


indemnitaire. Dès lors, si Ie demandeur avait déjà obtenu
réparation du dommage par la première action qu 'il avait
intentée, la seconde act ion serait repoussée à défaut d 'intérêt.
En revanche, toutes les fois que les dommages-intérêts
obtenus par I 'action contractuelle étaient insuffisants, la
victime pourrait rédamer une indemnité supplémentaire
pour Ie préjudice non encore réparé •.

1
Voyez à ce sujet: A. LE PAIGE et J. \A:'i Hn, Les demandes fun-
dées sur les art. 1382 et 1384 § 1, ont-elles la même cause ? (Rev. gén.
ass. et resp., n° 849, tout spécialement les n°• 7 et suiv. de cette éturle).
2
Cass. Turin, 20 juillet 1904, précité.
3
Voyez supra, n° 87. En <lroit classique, d'ailleurs, Ie cumul des
inrlemnités u'était plus artmis : s11pra, n° 88.
• Cass. Florence, 29 jam·. 1903, Riv. di dirilto commerciale, 1903,
p. 105, 11. Bolchini.
Comp. la rlistinclion faite par MM. MAZRAro: Traité, T, n° 174,
ll. 2.
TROISlÈ\il E PARTlE

LIMITES DE L 'INTERVENTION
DE LA RESPONSABILITÉ DÉLICTUELLE
ENTRE CONTRACTANTS
195. Nécessité de cette étude.

195. Examen tbéorique et analyse de la jurisprudence


nous ont permis de démontrer que la responsabilité délic-
tuelle subsiste entre contractants et que son intervention
pr6sente un intérêt pratique considérable.
Mais notre tra,ail serait incomplet si nom: n 'y ajou-
tions une étude qui constituera en quelque sortf' la contre-
éprem e de la dérnontration qui prfrède : cellf' cles cas b1)
11n contractant 11e uent pas invoquer contre l'autrt:> partie

les règles de la responsaliiliLé délictuelle.


Etude essentielle, car l 'intervention illimitée et sans
réserve de la responsnliilit(, délictuelle entre contractants
rendrait illusoires les règ-les de la responsahilité contrac-
tuelle et fausserait sans cesse l 'équilihre des prestations tel
que les partit:>s l 'on étahli.
Etude d'autant plus nécessaire que la Cour de Cassation
de Bdg-ique, qui a expressérnenl consacré les principes clont
nous avons tenté de dérnontrer la parfaite rectitucle juri-
dique, n 'a pas, jusqu 'à présent, eu ! 'occasion de préciser
lf's limites indispensaliles de leur application.
Trois motifs sont de nature à ernpêcher l 'intenention
de la responsahilit{, rlélictuelle entre contractants :
254 HESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS

1° Le caractèro purement contractuel de I 'obiigation


vioiée par Ie déhiteur ;
2° La supprcssion par Ie contrat des conditions néces-
saires pour I'appiication des articles 1382 à 1386 :
3° La Yoionté des parties - expresse ou tacite, clirecte
ou indirecte - d 'écarter entre elles J'appiication des règles
de la responsabilité délictuelle.
CHAPlTHE PREMIER

Les obligations purement contraetuPlles

196. Les ohl igations nouvelles creces par


les contrats. - 197. Impossibilité rle les
sanctionner par la responsabilité délic-
tuelle.

196. Les contrats ont principalernent pour objet de


créer entre les parties des obligalions 11om elles : le contrat
1

de transport impose au voiturier 1'ohliµ:ation de transporter


Ie colis que lui confie l'expéditeur, l'acheteur s'engage à
payer le prix cle la chose vendue. Il Pst inutile de multiplier
les exemples.
Ces obligations nouvelles trouvent dans le contrat une
base suffisante, nécessaire et unique : sans lui, elles n'exis-
teraient point, car l'on chercherait en vain une base légale,
abstraction faite de la convention, à l'oblig·ation du ,emleur
de livrer la chose vendue, pour ne citer qu'un seul exemplc.
A ces obligations nées du contrat f't de lui seul, nous
réservons la qualification d' obligafions purement contrac-
tuelles 1 •
Elles trouvent lf'ur sanction naturelle dans les règles
de la responsabilité contrach1elle. que le lég-islateur a édic-

' Cetle nolion a été ,nise partirulii•remen1 en lumière par


M. MFIG'\IÉ, O/J. cit., p. 277. Elle avait également été fort clairemenl
exposée par M. Olin, ministre des Travaux pnblics, au cours <les trn-
vaux préparaloires rle la Joi dn 2,5 aofit 1891 (Comment. législ.. p. 17.5).
256 RESPOl'\/SABILITÉ AQUILIE'\':\"E ET CONTRATS

tées pour sanctionner les ohligations contractuelles en géné-


ral et' qui traduisent d 'ailleurs la ~olonté présumée des
parties.
197. La responsabilité délictuelle peut-elle également
sanctionner l 'inexécution d 'obligations purement contrac-
tuelles? En d'autres termes, cette inexécution ne peut-elle
pas être considérée comme un délit ou un quasi-délit torn-
bant sous l' application des articles 1382 et 1383)}
L 'affirmative a été soutenue. Méconnaître une obliga-
tion contractuelle, disent certains auteurs, est un acte illicite,
un délit, aussi bien que méconnaître une obligation légale;
la nature, }'origine de l'obligation violée sont indifférentes;
dès lors, il n 'y a aucune raison d 'écarter dans ce cas les
règles fondamentales de la responsabilité civile. qui sanc-
tionnent tous les actes dommageahles contraires au droit 1 •
Certains renforcent l'argumentation, en faisant obser-
wr que toutes les oblig·ations dérivent de Ia loi, même celles
qui paraisseot à première nie prendre leur source dans Ie
2
contrat. L'acte juridique, dit M. Bonnecase tout comme ,

Ie fait juridique, n'est que Ie « moteur de la loi )), source


suprême de toutes les obligations.
Nous ne ponvons nous ra1Iier à cette thèse. Nous n'en-
trerons pas dans la discussion à Jaquelle pourrait donner ·
lieu Ie système rl<> M. Bonnecase, ce qui comporterait notam-
ment l 'examen de Ja nature exacte de la force obligatoire
des contrats, et nous éJoignerait du sujet de notre étude.
Il nous suffit de constater que ce système .est inconciliahJe
awc Ie droit positif helge et fr:rnçais en matière de respm1-
sabilité.
En édictant Jes règles particulières constituant ce que
l 'on appelle la responsabilité contractuelle, Ie législateur a
clairPment maoifesté sa volonté de ctonner aux ohligatious

1 Tel est Ie point rle vue arlopté par M. GRANDMOULIN, De l'Unité de


la responsabilité, thèse Rennes 1892 ; c'est également I 'opinion qu'émet
i11cirlemment M. P. Durand, thèse, p. 394.
2
Supplément au Traité de BAFDRY LACANTINERIE, t. Tl, p. 621.
RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS 257

contractuelles une sanction propre, distincte de celle


qu 'organisent les articles 1382 ei suivants. Violer une obli-
gation contractuelle et violer une obligation légale ne sont
pas, il est vrai, choses foncièrement dissemblables; mais Ie
législateur a réglé différemment les conséquences de cha-
cune de ces violations ; admettre l 'intervention de la res-
ponsabilité délictuelle pour sanctionner les obligations créées
par un contrat, serait rendre stériles, sans objet, les règles
particulières de la responsabilité contractuelle.
La conclusion d'un contrat ouvre donc à la responsa-
bilité, par la création d 'ohlig·ations nouvelles, un champ
d 'app lication nouveau, d 'ou la responsahilité délictuelle est
exclue, et qui constitue Ie domaine propre et exclusif de la
responsabilité contractuelk 1 •

SEcTIOS ll. - En DE nE L.\ Jl HISPHl nENCE

198. Intérêt que présente cette étude.


- 199. Exemples d 'obligations purement
contractuelles. - 200. Les arrêts de la
Cour de Cassation de France des 21 jan-
vier 1890, 11 janvier 1922 et 6 avril 1927.
- 201. Turisprudence italienne : les arrêts
Vitali c. Alvisi. -- Conclusion.

198, La notion d 'obligations pmement contractuelles


permel d 'ex pliquer de nombreuses décisions qui rejettent
l 'action délictuelle intentée par un contractant à un autre.
Souvent, en effet, un contractant, soit par inadvertance,
soit pour échapper à certaines difficultés de procédure ou
à certaines exceptions auxquelles l 'exposerait l 'action con-
tractuelle, présente sous la forme d 'un quasi-délit un fait
qui constituait en réalité l 'inexécution d 'une obligation
purernent et cxclusi,ement contractuelle. Pareille action
doit nécessairement être repoussée, et les Trihunaux la rejet-
tent presque toujours. Mais ils donncnt souvcnt à leurs
décisions des motifs très généraux - trop vastes, en réalité,

1
En ce sens, MmGNIÉ, op. cit., p. 277.
258 RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS

et qui dépassent Ie but à atteindre. On y lit par exemple


que « l 'article 1382 est inapplicable entre contractants », ou
d'autres formules analogues. Ainsi s'est formée une juris-
prudence abondante, hostile en ap'parence à l'intervention
de la responsabilité délictuelle entre contractants en géné-
ral, mais absolument dépourvue d 'autorité, puisque la solu-
tion des espèces tranchées n 'obligeait nullement Ie juge à
envisager dans son ensemble cette controverse de principe 1 •
L 'examen de ces cas de jurisprudence présente un
grand intérêt : il concrétise utilement ce qu 'il faut entendre
par << obligations purement contractuelles », et il révèle en
rnêrne temps les raisons multiples qui déterminent les plai-
deurs à placer Ie débat tantot sur Ie terrain contractuel,
tantot sur Ie terrain délictuel.
Nous indiquerons brièvement les décisions les plns
frappantes à eet égard.
199. L'envoi tardif pa.r l'administration des chemins de
fer du bulletin d'avis de l'arrivée d'une rnarchandise, cons-
titue un retard dans l 'exécution du contrat de transport,
c'est-à-dire uniquement une faute contractuelle, et non un
quasi-délit donnant lieu à I 'application de l 'article 1382 :
c 'est en vain que Ie destinataire essayerait par ce moyen
d 'écarter Ia dause pénalc trop peu sévère insérée dans Ie
2
contrat •

Il en est de même du retard dans la délivrance de la


chose vendue 3 , ou du défaut de fourniture du courant par
une société d'électricité •.
La fourniture, par Ie vendeur, d'un pont qui ne pré-
sPnte pas la résistance prévue au contrat, ne peut être pré-

1
On ne trourn rl 'ailleurs, dans ces décisions, que de simples affir-
mations sans la moindre justification.
2
Termonrle, 24 déc. 1881, Pas. 1882, 3, 49.
" Comm. Osternlc, 12 avr. 1883, J. A. 1883, p. 53. Voyez, pour Ie
retarcl dans la remise des marchandises transportées : Cassat. Florence,
29 janv. 1903, Riv. di riirillo commerc. 1903, 105, note Bolchini ; voyez
également Ie discours de M. Olin au cours des travaux préparatoires de
la loi du 25 août 1891, Commcnl. législ., p. 175, n° 35.
4
Sent. arb., 30 avril 1931, B. J. 1931, col. 540.
RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS 259

sentée comme constitutive d'un quasi-délit, · et l'acheteur


nc peut échapper par ce moyen à l 'exception tirée de l 'P.xpi-
ration du délai d 'un an prévu par la convention comme
terme extrême pour la recevabilité des réclamations 1 •
Le contractant qui a consenti à la résiliation pure et
simple d'une con,ention, ne peut pas intenter dans la suite
une action en dommages intérêts en présentant sous la forme
de quasi-délits les faits constituaut uniquement une exécu-
tion défectueuse des obligations nées du contrat antérieure-
ment résilié 2 •
Le fait seul d'un « manquant » constaté à l'arrivée des
marchandises transportées ne permet pas de prétendre que
Ie batelier a commis une faute quasi-délictuelle et ne rend
pas applicable l' article 1384 du Code Civil 3 •
Le capitaine qui, contrairement aux clauses du connais-
sement, refuse de dé]ivrf'r la marchandise autrement que par
élévateurs, commet sirnplement une faute contractuelle : on
ne peut y voir un quasi-délit qui l 'obligerait à réparer toutes
les conséquences quelconques qui sont résultées de ce fait ~.
Lorsqu 'une compagnie de navigation délivre un colis,
non point contre remise du connaissement, mais moyennant
unc garantie bancaire inférieure à la valeur du colis, elle
l'ommet une faute purement contractuelle à l'égard du por-
teur du connaissement, et la prcscription de l'action con-
5
tractuelle doit seule être appliquée •

Si les vcndeurs d 'un immeuble ne parviennent pas à


assurer à l'acheteur, à la date convenue, la jouïssance du
rez-de-chaussée de eet immeub le ( qu 'un locataire continue
à occuper) , il n 'y a là que l 'inexécution d \me obligation
contractuelle, et non un quasi-délit : en conséquence, Ie

1
Liége, 28 mars 1900, Panel pér. 1900, n° 1442 ; voyez, pour la
mauvaise exécution d'un contrat d'entreprise : Arlon, 19 juin 1879,
CLoEs et BoNJEAN, t. 28, p. 645.
Civ. Huy, 28 nov. 1901, Pas. 1902, 3, 114.
" Comm. Anvers, 29 mars 1909, Garlinck c. Batelier Van der Hey-
den, rapporlé aux Panel. b., V0 Transport par eaux intérieures, n° 1176.
4
Comm. Anvers, 26 juill. 1912, P. P. 1913, n° 992.
5
Paris, 4 mars 1925, G. Trib. 1925, 25 mars.
260 RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS

demandeur n 'est pas fondé à postuler la condamnation soli-


daire des défendeurs 1 •
200. La notion d' ,, obligations purement contrac-
tuelles >> permet de cornprendre la portée exacte de plusieurs
2
arrêts de la Cour de Cassation de France dont se prévalent,
,

bien à tort, les adversaires de la responsabilité délictuelle


3
entre contractants •

Ces arrêts décident que « les articles 1382 et suivants


sont sans application lorsqu 'il s 'agit d 'une faute commise
dans l 'inexécution d 'une obligation résultant d 'un contrat n.
La Cour a manifestement ,isé par ces mots les obliga-
tions dont Ie contrat seul est la source, et que la loi n'im-
posait aucunement 4 • L'examen des espèces tranchées Ie
révèle sans laisser place au doute.
Dans les de11x premières espèces, un mandant repro-
chait à son mandataire de n'avoir pas rempli sa mission avec
assez de soin ; la Cour, à juste titre, refuse de considérer
cette prétendue faute comme un quasi-délit : l 'obligation
violée, à la supposer existante, ne pomait être imposée que
par un contrat ; c'était donc une obligation purement con-
tractuelle. Sur Ie terrain de la responsabilité contractuelle,
l 'action fut repoussée parce qu 'il était constaté en fait que
Ie mandataire avait rempli les obligations que Ie mandat
lui imposait.
Dans la troisième espèce, Ie demandeur avait intenté
une action on dommai:res intérêts à deux liquidateurs de
société, à qui il reprochait d'a,,oir mal rempli leur mandat
en laissant échapper }'occasion de réaliser à bon prix un
navire faisant partie du fonds social ; cherchant à écarter

1 Civ. Bruxelles, 23 juin 1925, Pand. pér. 1926, n° 116. Voyez en

outre un cas ou une action fondée sur l 'article 1382 est rejetée alors que
si elle avait été basée sur l'article 1728 elle eût été accueillie, ainsi que
l'a reconnu Ie juge : Comm: Alost, 19 juin 1928, J. comm. Fl., 1928,
p. 238.
2
Req. 21 janv. 1890, D. 1890, 1, 380; Civ. 11 janv. 1922, S. 1924,
1, 105, n. Demogue, 6 avril 1927, S. 1927, 1, 201, n. Mazeaud.
3 Voyez MAZEAUD, op.cit., I, n°• 179 et 190; A. BRuN, op. cit., n° 224.

• En ce sens, Hugueney, note au S. 1929, 1, 297.


RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS 261

l'article 1997 du Code Civil, il réclamait leur condamna-


iiun solidaire, en prétendant qu 'ils étaiPnt les co-auteurs
d 'un q uasi-délit. La Cour rejette sa prétention en décidant
ql:e le fait ainsi retenu ne pouvait constituer qu 'un man-
quement à une obligation contractrn,Ue née du mandat, et
non un quasi-d0lit.
L'examen attentif de ces arrêts révèle clone qu'ils n'ap-
porLPnt qu 'un appui purement apparent à la théorie de
MM . .Tosseranc1 et Mazeaud.
201. La notion d' obligations purement contractuel-
«
les >> a été dégagée avec une grande netteté par la juris-
prudence italienne, et }'examen de cette jurisprudence est
particulièrcment intéressant, p11isque, comme nous l'avons
<l{>jà indiqué. les cours et trilrnnaux italiens se sont fré-
quemment prononcés en faveur du concours des responsa-
hilités.
Le prohlème fnt posé au cours d 'un procès mémorable
(Vitali c. Alvisi). qui fut porté à deux reprises devant la
f.our c1e Cassation de Rome et dura ph1s de cinq ans ( de 1908
à 1913).
Unc action en dommages et intérêts avait été intentée
par les héritiers de la dame Natalie Alvisi au docteur Vitali,
dirf'cteur de la maison de santé ou cette personne, atteinte
de ncnrasthónie aiguë avec propension au suïcide, était en
traitcment. L 'action était fondée snr ce que l 'infirmière
spécialement drnrgée de soii:rner cette malade, et dont le
directeur de l'établissement devait réporn1re, avait commis
l'imprudence de l'ahandonner seule en laissant auprès
d 'elle une bougie allumée. Cetle bougie, vraiscmblahle-
ment maniée par la dame Alvisi, avait communiqué le feu
à la litf'ric, et la mala de était morte carhoniséc.
Le Trihunal de 13olo:!l·nc. sans examiner k fondement
juridique de l'action, avait accordé aux demandeurs une
indemnit{> en róparation clu préjuclire moral 1 •

1
011 imagine rlifficilemenl r1ue Ic préjudice moral allégué soit
celui qu'aurait rprouYé la mala<le elle-m!'-me ; mais s'il s'agit nu pré-
262 RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS

Devant la Cour d'appel de Bologne, Ie directeur s'ef-


força de démontrer que sa responsahilité ne pouvait être
fondée que sur l'inexécution des obligations contractuelles
qu'il avait assumées en accueillant la malade dans sa mai-
son de santé. Or, en matière de responsabilité contrac-
tuelle, ajoutait-il, il n 'y a pas lieu de tenir compte dans la
fixation de l 'indemnité, du préjudice moral allégué par Ie
crfancier. Il concluait à la réformation du jugement.
La Cour n 'accueillit pas ce raisonnement 1 • Elle décida
que Ie directeur avait à la fois manqué à ses obligations con-
tractuelles et aux obligations que la loi lui imposait. L 'arrêt
rappelle tbut d 'abord qu 'en droit romain Ie médecin qui
avait fait preme d'impéritie en soignant un esclave, s'ex-
2
posait à la fois à l 'actio lorati et à l 'actio legis A quiliae •

La Cour constate ensuite qu'en l'espèce il y a ey contra-


vention inexcusable à l'obligation de neminem laedere impo-
sée à tous les citoyens pour des motifs d 'ordre public et indé-
pendamment d 'aucun accord privé, obligation <lont la viola-
tion entraîne sans autre condition la responsabilité pour
délit ou qnasi-délit. Lorsqu 'un fait viole à la fois Ie contrat
et la loi, k demandeur a Ie choix entre deux actions, et peut
modifier en cours d 'in stance Ie systèrne adopté par lui, afin
d 'ohtenir l 'Pntière réparation du domrna,~e.
Cet arrêt fut cassé par la Cour de Cassation de Rome
3
le 5 avril 1909 La Cour de Cassation décide qu'il y avait

<< rcsponsahilité contrartuelle du fait d 'autrui ,, mais non

responsabilité aquilienne. Il est certain, dit ! 'arrêt, qu 'un


même fait peut engendrer les de,1x responsabilités, mais ce
fait ne peut donner lieu à la responsabilité délictuelle que
si l 'ohligation de ne Ie point comrnettre est imposée par Ia
loi et existe ind<'pf'ndarnment de tout rapport contraetuel

judice mora! personnellement éprouvé par les demandeurs, l 'action


qu 'ils intentaient de ce chef en leur nom personnel, ne pouvait être
qu 'une action délictuelle. Cette question ne paraît cependant pas avoir
été soulevée.
1
Arrêt du 16 mars 1908, Giur. it. 1908, pe partie, section 2, 384.
2
D. 9, 2, 7, 8.
" Gi11r. it. 1909. 626 (lre partie, sect. l').
RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS 263

quelconque. Dans l'espèce il eût fallu démontrer que, même


sans tenir compte du contrat, i 'infirrnière devait nc pas
abandonner la démente, ne pas laisser brûler une bougie
auprès d'elle sans surveillance, ni laisser d'autres bougies
à sa disposition. Or, ce sont' là toutes obligations purement
contractuelles. Pour prouver un manquement à la règle
neminem laedere, les demandeurs auraient dû établir
d'autres faits, ce qu'ils ne faisaient point.

L 'étude de la jurisprudence nous a permis de consta-


ter que la notion d' « obligation purement contractuelle »
donne la clé de bien des difficultés imparfaitement résolues
par les jugements et arrêts.
Il nous reste à présent à étudier deux problèmes que
cette notion soulève et dont la solution est extrêmement
importante : les obligations purement contractuelles tacites,
et les obli12·ations imposées par la loi aux contractants.

SECTION Jil. ~ ÛRLIGATIONS PCREME'.'l'T CONTRACTUELLES


TACITES

202. Jmportance de leur examen. Exem-


ples. - 203. Faits dommageables dont le
conlrat a été l'occasion. Problème qu'ils
soulèvent. - 204. Examen critique des
solutions proposées en doctrine. A. Cri-
tères subjectifs. - 205. B. Critères objec-
tifs. - 206. Analyse de la jurisprudence. -
207. Opinion adoptée : intervention de la
responsabilité délictuelle.

202. Les obligations purement contractuelles peuvent


être tacites : les contrats, en effet, n'obligent pas seule-
ment à ce qui y est exprimé, mais en outre à toutes les
suites que leur donnent l'équité, l'usage ou la loi (art. 1135
du C. Civ.).
L'observation est importante, car il arrive que des plai-
deurs présentent sous l'aspect d'un quasi-délit un fait qui
constitue en réalité la violation d \me obligation dérivant
facitement mais uniquement du contrat ; c'est le résultat
264 RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS

tantot d 'une 11égligen(ile du plaideur, tantot d 'un calcul inté-


ressé - l 'action délictuelle offrant plus d 'avantages que
l 'action contractuelle, ou celle-ci se lieurtant à quelque fin
de non-recevoir qui lui est propre.
La circonstance que Ie contrat n 'avait pas expressément
créé cette obligation rend l 'erreur juridique commise moins
visible que dans les espèces précédemment examinées 1 •
Mais les tribunaux ont eu maintes fois l 'occasion de la déce-
ler et ils n 'y manquent pas.
Ils ont reconnu Ie caractère purement contractuel de
la responsabilité encourue par une société coloniale qui
envoie un de ses employés en mission dans une région dan-
gereuse sans lui donner les moyens de protection suffisants 2

Il en est de même de la responsahilité de I' « agent com-


mercial >> qui a compromis les intérêts de la maison qu 'il
représente en négligeant de << s 'établir dans un local pré-
sentant Ie deco mm n (sic) suffisant pour I' exercice du com-
merce faisant l 'objet de la concession 3 •
Est aussi purement contractuelle la responsabilité du
transporteur qui néglige d 'avertir l 'expéditeur lorsque la
chose transportée vient à périr ou à s'égarer •, ainsi que
celle du vendeur d 'un fonds de commerce qui fait ensuite
concurrence à son acheteur •, ou du courtier d 'assurances
qui ne respecte pas les contrats qu 'il a passés pour son
ancien patron •.
Parfois cependant Ie juge est induit en erreur par la
différence que la théorie classique établit entre les deux res-
ponsabilités en ce qui concerne la preuve, la faute devant
être prouvée dans un cas, étant présumée dans l'autre 7
;

1
Voyez supra, n° 199.
• Bruxelles, 20 mai 1911, Pand. pér. l911, n° 1397 ; voyez dans Ie
même sens : note anonyme sous Req. 25 févr. 1929, G. Trib. 1929, 1, 3.
' Comm. Bruxelles, 30 déc. 1924, Pand. pér. 1925, n° 144, note P. D
4
Comm. Bruxelles, 6 avr. 1914, Pand. pér. 1914, n° 1321. Rabat,
25 mars 1930, Rev. trim. 1930, p. 1173.
·' Voyez Coux et CAPITA"IT, t. IT, p. 310.
• Cf. Rei•. trim. 1930, p. 1072.
7
Sur la réfutation de cette opinion, voyez supra, n° 8 25 11 31.
RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS 265

inconsciemment, l 'assimilation se fait dès lors dans l 'esprit


-.
au .
3uge ' h •1 •+, f '
eiuni « respûnsau1,i.c pour aute prouvee n et « res-

ponsabilité délictuelle n. Quand un demandeur se prévaut


d 'une « faute n sensu stricto ( négligence, imprudence)
c 'est l 'article 1382 qui est aussitöt invoqué. Ainsi fut par
exemple considérée à tort comme exclusivement délictuelle
l'action intentée par un batelier à un chargeur, et fondée
sur ce que la chute des bal1es de marchandises au cours de
leur chargement avait causé divers dégàts au hateau 1 •
Certes, il est exact que ces erreurs prO\ iennent par-
2
fois, comme Ie font remarqner MM. Mazeaud de ce que la
qualification de la responsahilité demeure sans conséquence
pratique. 11 arri-rn aussi, <l 'autre part, qu 'el1es soient en
quelque sorte volontaires et destinées à assurer une répara-
tion plus complète, jngée conforme à l'équité. Mais il n'en
demeure pas moins certain que des ohligations purement
contractuel1es peuvent être tacites, et qu 'il n 'est point pos-
siblc, dans la rigueur des principes, d 'en faire la base d 'une
action en responsahilité délictnel1e.
203. La question est parfois plus complexe. Il arrive
que le fait dommageable commis par un contractant puisse
cl \me part être envisagé à la rigueur comme constituant
l 'inobservation par lui d 'un devoir que la prndence aurait
imposé à toute autre personne même non liée par le contrat,
mais que cl' autre part il soit (·ependant difficile de concevoir
que ce même acte ait pu être accompli si Ie contrat n'en
a,ait fourni }'occasion. S'agit-il alors d'une ohligation con-
tractuP11e pure, tacitement incluse dans le contrat et que
seule la responsabilité contractuelle pourrait sanctionner •?
La question se pose. par exemple, lorsqu'il s'agit de
détermi ner quelle est la nature de la responsabilité encourue
par Ie titulaire d 'un clroit de chasse en vers le propriétaire
des terres, lorsqu'il n'a pas veillé h éviter la multiplication
1 Comm. Anvers, 23 avr. 1891, Pand. b., V0 Transport par C'ilUX
intérieures, n° 1833.
2
Op. cit., I, n°• 104 et 189.
3
Voyez sur cette question, PLA"IIOL et RIPFRT, t. VI, p. 682.
266 RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRA TS

excessive des lapins. Il ne s'agit pas d'une discussion théo-


rique : selon l 'opinion adoptée, Ie litige sera ou non de la
compétence du juge de paix. La Cour de Cassation de
France 1 considère qu 'il s 'agit là d 'une obligation virtuel-
lement incluse dans l'obligation de jouir en bon père de
famille, que Ie bail impose au cc locataire >> ( art. 1728). La
Cour de Cassation belge décide au contraire qu 'il s 'agit
d'une responsabilité fondée sur l'article 1382 2 , car l'omis-
sion qui sert de base à l 'action ne constitue pas la violation
d 'une ohligation du contrat.
La même difficulté se présente, lorsque Ie Iocataire
d 'un appartement est blessé par suite d 'un accident d 'ascen-
seur. M. Demogue estime que Ie propiétaire encourt une
responsabilité contractuelle envers Ie locataire : << Ayant
traité avec lui, Ie bailleur encourt à son égard une respon-
sabilité contractuelle s'il ne lui assure qu 'un accès dange-
reux à son appartement 3 • »
204. Les opinions les plus diverses ont été défendues
au sujet de la nature de la responsabilité à laquelle donnent
lieu les faits dommageables qui se produisent ainsi à l'occa-
sion de l'exécution d'un contrat •.
Les auteurs recherchent généralement, dans des cas de
ce genre, si la responsabilité est contractuelle ou délic-
tuelle • : c'est là une conséquence du principe ordinairement
admis de la séparation absolue qui existe entre les domaines
d 'application des deux responsabilités, et de l 'impossibilité
de leur coexistence.
Dans ces conditions, la solution du problème acquiert
une grande importance pour la victime : elle n 'a point Ie
1
Req. 10 nov. 1915, G. T. 1915, 1, 51.
2
2 mars 1922, Pas. 1922, 1, 183.
·' Rev. trim. 1918, p. 108.
4
La Cour de Cassation de France, dans son arrêt du 21 novembre
1911 (D. 1913, 1, 249) paraît se prononcer en principe en faveur de Ia
responsabilité contractuelle ; I 'arrêt décide en effet qu 'il n 'y a point de
quasi-délit Iorsque « il est constaté que c 'est au cours de [I '] exécution
[ du contrat] et dans des circonstances s 'y rattachant que ! 'accident
s'est produit ».
5
Voyez par exemple DEMOGUE, Oblig., V, n° 1243.
RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS 267

choix entre deux actions, elle ne dis pose que d 'une seule :
il lui faudra rechercher avec le plus grand soin si c'est l'ac-
tion ,contractuelle ou l'action délictuelle.
Divers moyens ont été proposés pour résoudre Ie pro-
blème ainsi posé.
Les uns se rallient à un critère d 'ordre subjectif : c 'est
ainsi que M. Ramella 1 soutient que si }'auteur du fait dom-
mageable avait agi « comme pour exécuter Ie contrat n, sa
responsabilité serait contractuelle ; mais c 'est là une carac-
téristique qui ne sera évidemment d 'aucun secours dans la
plupart des cas, !'auteur du fait n'ayant eu aucune intention
quelconque.
2
M. Meignié dans le même ordre d'idées, propose de
,

rechercher uniquement ce que les parties ont effectivement


prévu lors du contrat ; il restreint de la sorte à l 'extrême
Ie domaine des obligations contractuelles tacites, et, par
voie de conséquence, exclut toute responsabilité contrac-
tuelle à raison de faits dommageables dont l 'exécution du
contrat a seulement été 1'occasion.
Nous ne pouvons nous rallier à ce point de vue ; les
effets d 'un contrat ne sont point seulement ceux que les
parties ont prévus in concreto : l'article 1135 du Code
Civil et le pouvoir d 'interprétation reconnu aux juges en
sont la preuve ; d'autre part, il nous paraît inexact, contrai-
rement à ce qu'affirme M. Meignié • que les obligations nées
d 'un contrat soient les mêmes dans tous les contrats de la
même catégorie, par exemple dans toutes les ventes. Au
contraire, Ie caractère purement consensuel des contrats
dans notre droit ohlige Ie juge à rechercher dans chaque
espèce quels sont les effets du contrat qui lui est soumis : les
dispositions suppl~tives du Corle Civil ne fournissent à ce
travail d'interprétation qu'un canevas, qui doit être com-
plété par l 'étude des circonstances particulières de la cause :
la nature de l 'objet vendu, la qualité des parti es ( profession-
1
Cité par M. DEMOGUE, Oblig. V, n° 1243.
2
Op. cit., pp. 207 et 208.
0
P. 208.
268 RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS

nel ou profane) exercent sans conteste une incidence ori-


ginale sur les effets du contrat de ,ente, pour ne citer qu 'un
seul exemple.
Les critères subjectifs proposés paraissent donc mani-
festement insuffisants.

205, Un auteur italien, M. Bolchini ', s'est efforcé


d 'établir un critère plus objectif : il faut rechercher, dit-il,
Ia nature intime et Ie but de l'action intentée ; l'action con-
tractuelle en dommages-intérêts, dit eet auteur, est conçue
par la Ioi comme un « succédané », un cc équivalent n de I 'ac-
tion contractuelle en exécution forcée. Le recours en res-
ponsabilité ne sera donc de nature contractuelle que dans
les seuls cas ou I 'indemnité postulée peut être considérée
comme remplaçant J 'exécution non réalisée du contrat. Dans
les autres cas, même si Ia demande de dommages-intérêts
se produit à I 'occasion d 'un contrat, l 'action sera délictuelle.
Ce critère nous semble reposer sur une pétition de principe :
la difficnlté róside dans la recherche des obligations tacite-
ment induses dans Ie contrat, et M. Bolchini ne nous donne
aucunement Jp moyen de Ia résoudre 2 •
M. Demogue • se contente d 'une directive plus géné-
ralc : il faudrait, suivant lui, englober Je plus de cas possi-
bles dans la rcsponsabilité contractuelle, qui comporte une
charge moins lourde. C 'est un peu trop simplifier Ia ques-
tion : car, ainsi que nous l'avons vu, la différence entre les
effets des deux responsahilités ne se ramène pas uniquement
à celJe qup consacre l'article 1150 : il n 'est pas possible de
déterminer a priori laquelle des deux sera, dans chaque
cspèce, la plns onéreuse. Au surplus, en vertu de quel prin-

1 7\loto sous Cass. Florence, 29 janv. 1903, Riv. di diritto comm.


1903, p. 105.
2
7\lous ferions fa même objection au raisonnement de M. André
RnuN ( op. cit., p. 225), qui suppose ad mis que " ! 'analyse du contrat
ne révèle pas l 'existence d 'une obligation à laquelle Ie fait <lommageable
pourrait être rattaché "·
3
Noto au S. 1924, 1, 105; M. DAN.JON (nr. marit., t. TT, n° 851)
pnraît se rnllier /i Ia mêmo opinion.
RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRA TS 269

c1pe dm rions-nous admettre qu 'il faut restreindre autant


que possiiile la charge de 1a respm1sabilitó ~ On pourrait
affirmer tout aussi exactement que l'intérêt général exige
que la réparation des dommages et des pertes soit assurée
dans torte la mcsure que permettent les règles légales.
Le point de vue de l 'éminent professeur nous paraît
d 'ailleurs renfermer une certaine part d 'illusion : c 'est une
erreur de croire qu 'en réduisant les risqucs de cel ui qui
s'engage, l'on encourage les initiatives et l'activité écono-
mique ; car la réduction des risques du débiteur a pour cor-
rélatif l'aggrantion des risques du créancier, et l'obstacle
que l 'on a voulu écarter est seulement déplacé.
M. Demogue paraît d 'ailleurs avoir lui-rnêmc aban-
donné, dans la suite, la directive qu'il avait proposée 1 •
206. 11 est plus intéressant de rechercher l 'orientation
de la jurisprudence ; la tàche est toutefois assez malaisée,
étant donné le nombre restreint des décisions publiées, et
l 'imprécision de leurs motifs.
De leur exame:p., et de leur confrontation avec l'opinion
des auteurs, se dégagent les conclusions suivantes :
1° line action en responsabilité contractuelle sera
admise lorsqu 'il est établi en fait que le contrat compor-
tait dans l'intention des parties l'obligation d'éviter des
dommages du genre de celui qui s'est produit : ainsi, le
locataire atteint du typhus pour avoir bu l'eau contaminée
d'nn puits loué avec l'irnmeuble, disposera d'une action
contractuelle s'il prouve qu'en fait la potabilité de l'eau avait
été garantie 2 •
11 existe, à eet égard, une disposition de caractère
exceptionnel en matière de mandat : c'est l'artic1e 2000 du
Code Civil, aux termes duquel <c le mandant doit indemniser

1
Obli;J., V, n° 1243.
" Voyez RIPERT, 1/ev. crit. 1914, p. 200, Examen cloctrinal, à propos
d'un arrêt de la Cour de Rouen clu 4 juin 1910, S. 1913, 2, 145, note
Charmont. Comp. Trih. HautP-Vien11e. 18 avril 1929, n. 1930. 2. 12.
n. Lalou et Rev. trim. 1930, p. 404.
270 RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS

Ie man<lataire des pertes que ceiui-ci a essuyées lt l'occasion


de sa gestion, sans imprudence qui lui soit imputabie ».
Il résulte de cc texte qu'un simp]e Iien occasionneI entre
Ie dommagc éprouvé et l 'exécution du man<lat suffit à
entraîner la responsabilité du mandant sans que soit requise
aucune condition de faute dans Ie chef de ce dernier. Il y a
là une véritable obligation de « garantie », attachée à ce
contrat dès Ie droit romain 1 • On l 'explique traditionnelle-
ment par Ie caractère de c< contrat de bienfaisance » attribué
2
au mandat • Même dans Ie mandat salarié, cette obligation
se conçoit parfaitement : Ie mandant conservant pour lui les
résultats favorables de I 'exécution du man dat, il est logique
et équitable qu 'il supporte également les risques de perte que
cctte exécution comporte.
Il va sans <lire que ce texte n 'est pas susceptibie d 'exten-
sion. L 'on ne pourrait certes pas en déduire que la notion
de faute est étrangère à Ia responsabilité contractuelle •,
mais I 'on ne pourrait pas non plus en conclure d 'une façon
g-énérale que tous les dommages <lont l 'exécution d 'un
contrat est }'occasion, même s'ils résult{lnt d'une faute, doi-
vent nécessairement engendrer une responsabilité contrac-
tueJle •.
2° L 'action contractuelle est aussi accueillie quand Ie
dommage résulte de l 'omission par Ie contractant de cer-
taines précautions.
En effet, en matiörc délictuelle, l'obligation positive
d 'agir dans l 'intérêt d 'autrui demeure exceptionnelle : en
dehors des cas ou Ie fait omis était ordonné par la Ioi, il n 'y
a de responsabilité pour omission que si l 'obligation d 'agir

1
Dig., De jurtis, 61.5.
" Voyez Ie rapport rle Tarrihlc au Trihunat, Frnu:T, XIV, p. 601.
" Opinion défendue par M. MF.mN1Ê, op. cit., pp. 24 et suiv.
1
Voyez à eet égard Ie rapport de M. Je conseiller Denis, sous Req.
28 oct. 1907, D. 1908, 1, 481. Si Ie contrat nont il s'agissait dans l'espèce
avait été non un mandat, mais un louage de services, c'est seulement
sur Ie fondement de l 'article 1382 que Ie " mandataire » aurait pu
ohtenir réparation du préjudice subi par lui. Voyez toutefois Bruxelles,
20 mai 1911, P. P. 1911, n° 1397, rapporté .rnpm, p. 264.
RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS 271

peut être consi<lérée comme la suite nécessaire d 'un fait posi-


tif de l'auteur 1 • Tl est dès lors naturel de rattacher cette
obligation d'agir au. contrat antérieurement consenti par
}'auteur du dommage, lorsque c'est au cours de l'exécution
de ce contrat que la question se pose : c 'est Ie cas lorsqu 'une
faute par omission est établie à charge du patron dans ]e
contrat de travail 2 , du transporteur •, du voyageur 4 •
Par contre, l'action contractuelle est repoussée, toutes
les fois que Ie ]ien entre l'acte dommageable et l'exécution
du contrat est purement fortuit, lorsque cette exécution n 'a
été pour sa réalisation qu'une occasion parmi d'autres qui
eussent égalernent été possibles • : si un ouvrier chargé de
clouer des tentures provoque un incendie en jetant impru-
demment un hout de cigarette mal éteint, il paraît difficile
d 'accorder au maître une action en rcsponsahilité contrac-
tuelle •.
L 'espèce suivante, qui fut sonmisc au Tribunal de Com-
merce d 'Anvers 1 fournit un exemple de pareille situation :
pendant qu'un batelier décharge des marchandises Ie long
du chantier d 'un moulin appartenant au destinataire, un

1
CABOUAT, Acc. du trav., p. 96 n° 1 ; voyez CAMPJON, Notion d'assis-
tance en droit privé, n°• 10 el suiv.
2
Nous envisageons la question telle qu 'ellc se posait avant la loi
de 1903.
3
Cf., avant la loi de 1891, nrux., 28 novembre 1882, Pas. 82, 2,
136 : en France : Cass. 21 noY. 1911, D. 1913, 1, 249.
4
Civ. Bruxelles, 20 nov. 1926, Rev. gén. ass. et resp., 1927, 30. Tou-
tefois la faute du voyageur dont il s'agit en l'espèce était seulement de
nature à écarter la responsabilitcl c\u transporteur.
5
PLANIOL et RIPFRT, t. VI, p. 682. Comp. CnmoNI, Colpa extrac. ll,
n° 18 : Perche fra i conlraenli esiste un vincolo obbligatorio, non è
detto che ogni rap porto rli dan 11 o al rpiale uno di essa pos sa dar eau sa
debba esser regolato rlalla legge del contratto : questa si estende a
quanta ne tocca 1'rsccn zione, r al rli lnori rli essa le part.i rimangono
come se nessuna obbliqazione intercedrsse fra loro, onde il danno dato
in tale circostanza toqlierebbe ginrirlicamente la veste di quasi delitto.
0
Mais si un ouvrier, avant de s0 servir d'un chalumeau, néglige
d'écarter ou rle faire écarter les rirlcaux placés à proximité, la faute
.::ommise est puremenl. contractuellc : Comm. Brnges, 14 juillet 1931,
Rechtskundig \l'cekblad, 19:11-1932, n° 21, col. 367. On voit combien
le problème est rlélicat et sr prête mal aux solutions absolues.
7
!) fén. J914, .T. A., 1914, 117.
272 RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS

incendie éclate dans ce moulin et se communique au bateau


le tribunal a reconnu que le batelier ne pouvait exercer contre
Ie propriétaire du moulin qu'une action délictuelle 1 •
Il faut reconnaître enfin que la jurisprudence ne s 'ins-
pire pas uniquement de ces considérations juridiques pure-
ment objectives. Il arrive que le raisonnement du juge soit
téléologique, et s'il reconnaît un caractère délictuel à l 'ac-
tion, ce sera parfois parce que, ainsi qualifiée, l'action per-
met à la victime d 'ohtenir une indemnité plus étendue :
2
ainsi par exemple, la Cour d 'Appel de Paris a reconnu que
Ie maître qui abandonne son domestique dans une région
envahie par l'ennemi, alors qu'il lui était possible de l'em-
mener avec lui, commet une faute délictuelJe ; certes, il
est possible de considérer eet acte comme un manquement
au « devoir d 'assistance » dont on peut à la rigueur trouver
3
la consécration implicite dans J'article 1382 mais seule,

la présence de rapports contractuellement créés entre maître


et domestique expliquaient l 'existence de ce devoir dans
l'espèce, et dès lors, dans Ia rigueur du droit. il eût fallu
reconnaître à l'action un caractère contractuel •. Si la Cour
a adopté la solution contraire, c 'est qu 'elle lui a paru néces-
saire pour pouvoir allouer à la victime, comme elle le jugeait
équitable, une indemnité plus importante que la somme for-
faitaire, relativement minime, à laquelle donnait droit la
faute rontractuelle.

1 Voyez également App. Bologne, 7 déc. 1914, Giur. it., 1915, 1, I,


163 : Ccrto se la lesionc non fosse in diretta relazione con l'esecuzione del
contratto, ma in rapporto meramente occasionale, si potrebbe ricorrere
all' azione aquiliana malgrado la preesistenza fra le parti di un vincolo
di obbligazione. De même, est délictuelle la responsabilité du vendeur
qui a entraîné l'acheteur à lui intenter un procès onéreux, et lui a
ainsi causé un préjurlice important : Cass. fr. 26 avril 1870, D. 1871,
1, ll.
' 2 janv. 1919, Pas., 1921, 2, 173.
3
Cf. CAMPIO'I, La notion d'assistance en droit privé, n° 20.
4
Comp. Avignon, 20 avril 1904, Pas., 1905, 4, 19 : Ie maître est
obligé de surveiller la conduite de sa domestique mineure. Le tribu-
nal ne se prononce cepenrlant pas formellement au sujet rlu c<1ractère
de cette responsabilité.
RESPON!':ABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS 273

207. Notre position à l 'égard de ce problème délicat


est extrêmement simple. Nous nous sommes efforcé de
démontrer qu'aucun obstacle ne s'oppose à ce qu'un même
fait confère à la victime d 'un dommage à la fois un recours
contractuel et un recours délictuel, et que la victime d 'un
dommage n'est privée de la protection du droit commun
que dans les cas ou il est certain qu 'elle y a renoncé. Dès
lors la solution du problème est tout indiquée : la circons-
tance que l'exécution d'un contrat a fourni !'occasion de
commettre une imprudence ou une négligence, n'empêche
aucunement le maintien de la responsabilité délictuelle qui,
suivant le droit commun, en est la sanction. Si même le juge
peut également considérer l 'acte dommageable comme la
violation d 'une ohligation tacite constituant une suite équi-
table du contrat, cette interprétation n'implique pas davan-
tage la suppression de la responsabilité délictuelle 1 ; la seule
conséquence en sera que la victime disposera de deux
actions, les parties ayant inséré dans leur contrat une obli-
gation que la loi elle-même imposait au débiteur 2 •

1 Ainsi 1a Cour d 'Appel de Bruxelles a décidé que si le maître de

l 'ouvrage apporte à l 'énifice des modifications de nature à atteinnre


la réputation de !'architecte, celui-ci pourrait en demander réparation en
se fondant sur la responsabilité quasi-délictuelle : 15 déc. 1930, B. J.,
1931, col. 140.
2
Aussi ne pouvons-nous approuver la solution donnée au pro-
blème par Je tribunal civil de la Seine (20 nov. 1925, G. P., 1926, 1,
253, note) dans l'espèrn suh,mte : Un accirlent était survenu à la cana-
lisalion du chauffage centra! rl 'un imme11bl.c loué, accident provoqué
par la négligence du préposé, chargé par le propriétaire d 'assurer le
fonctionnement du chauffage. La vapeur d'eau qui s'était répanrlue dans
le salon du locataire, avait gravement ernlommagé b collection rle ta-
bleaux de prix qui s'y trouvait. Voulant obtenir la réparation inlégrale
de ce préjudice importa11t, sans que l 'article 1150 du Code Chil pfil
lui être opposé, le localaire intenta à la fois une action contractuelle et
une action fondée sur l 'article 1382. Le tribunal, tout en reconnaissant
que l'article 1382 co11sacre un principe conçu en lermes généraux et
applicahle, à première vue, à toutes les hypothèses, en repo11sse cepen-
rlant l'application dans la cause, pour les molifs suivants: « Atternlu
que Je propriétaire ne saurail être tenu, en vertu de l'article 1382, à la
réparation intégralc dn rlommage causé par le fait <le son préposé,
qu'autant que celui-ci aurait commis, m/lme dans l'cxercicr rle ~es fonc-
tions, 1m acle préjndiciable à un locataire mais ne se rapportant pas à
l'accomplisscmcnt rl'une des clauses du contrat <le hail ; qu'm1 con-
274 RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS

En <l 'autres termes, l 'action délictuelle est toujours


possible ; l'existence de l'action contractuelle, au contraire,
dépend de l 'interprétation que Ie juge donnera au contrat.
La victime agira dès lors prudemment en basant son action
plutot sur les articles 1382 et. suivants.

Il existe donc, autour des obligations creees par les


parties, une cc zone n d 'obligations contractuelles implicites,
qui ne se révèleront que lorsqu 'une responsabilité sera mise
en jeu par leur inexécution '.
Mais ce ne sont point toujours là des ohligations con-
tractuelles pures : dès lors, quand Ie débiteur ) contrevient,
rien ne s 'op pose à ce qu 'une responsabilité délictuelle existe
parallèlement à la responsabilité contractuelle, quand les
conditions d 'application des articles 1382 et suivants 2 sont
traire l'article 1150 est seul applicable toutes les fois que !'acte, cause du
préjudice, a pour but d 'assurer, mr1 mc dans des condi tions défectucuses,
une des obligations mises expressément à la charge du bailleur par Ie
contrat, charge dont cc dernier a entendu assumer les risques dans les
conditions de ce contrat. " Le trihu11al, considéranl que la faute com-
misc constituait une coutravention à l'ohligation de chauffer ]'apparte-
ment, incluse dans Je bail, écarta l 'application de l 'article 1382. Le rai-
sonnement sur lequel il se fonde nous parnît entièrement justifié lors-
qu 'il s'agit de l'inexécution d'une obligation puremcnt contractuelle,
et celle de chanffer ] 'appartement rentre incontcstablcment dans cette
catégorie ; si donc Ie dommage était dû à la température insuffisante
de la pièce, il n 'eût donné lieu qu 'à un recours contractuel et seul Ie
locataire pourrait l 'exercer. Mnis en réalité lc dommage provenait d 'une
faute bien différente : une négligence dans l 'entretien des appareils
de chauffage. Or toute personne est tenue de veiller à ce que les engins
dont elle se sert, ne nuisent point à autrui (lorsque l 'engin est infecté
d'nn vice, cette seule circonstance suffit même pour engager la res-
ponsabilité) ; cetle obligation existe aussi bien envcrs les tiers qu'envers
un locataire : si un étranger s 'était trom é clans ] 'appartement et avait
été blessé par un jet de vapeur, il eî1t indubitablemcnt pu exercer un
recours contre le propriétaire de l 'immcuble. En admettant même que
cette obligation ait été également insérée tacitcmcnt dans Ie contrat
de bail et que celui-ci ait exposé tout particulièrement Je locataire à
subir les conséquences dommageables de son inexécution éven tuelle,
encore n 'est-ce point là une raison suffisante pour présumer dans Ie
chef du locataire une renonciation aux garanties que Je droit commun
accorde à tous les citoyens. L'action délictuelle aurait donc dû, selon
nous, /\tre accueillie par Je tribunal.
1
Voyez Bo1\xET, /lei•. cril., 1912, p. 420 ..
2
Il importe de ne pas per<lrc de vue la nature exacte de l'h}·poth/,sc
envisagée. Nous snpposons établi que ] 'acte dommngeable est d 'une
RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS 275

réunies , en manière telle que Ie créancier disposera d 'une


option entre les deux actions en dommages et intérêts.

SECTION IV. -- LES OHLIGATIO?\S IMPOSÉES PAR LA LOi


AUX CONTRACTANTS À RAISO~ DE L 'E-"ISTK'\CE Du CONTRAT

208. - Position du problème : ces obli-


gations rentrent-elles dans la catégorie des
obligations purement contractuelles? -
209. Règles légales supplétives. - 210.
Règles légales impératives. Leur multipli-
cation à ! 'époque actuelle. Grave difficulté
qu'elles soulèvent. - 211. Impossibilité
d 'assimiler les obligations imposées par la
loi aux obligations conlractuelles. - 212.
Nature hybride de h responsahilité qui
sanctionne ces obligations.

208. Le Code CiYil et les lois postérieures contiennent


de nombreuses dispositions qui déterminent les effets de tel
ou tel contrat. Les obligations des parties l'une envers
l'autre paraissent dès lors être réglées par le légis]ateur lui-
rnême ; mais elles n 'existent que si les parties ont conclu
entre elles la con, ention dont la loi organise les conséquences:
bien que prévues par la loi, elles s'apparentent donc étroi-
tement aux ohligations purement contractuelles créées par
la cmnention eJle-même : comme eJles, elles ne se conce-
vraient pas entre personnes demeurées étrangères l'une à
l'autre.
Doivent-elles leur être assimilées entièrement, et doit-
on admettre que leur inexécution est sanctionnée unique-
ment par les règles de la responsabilité contractuelle?
La question est complexe, et sa solution exige tout
d'abord une distinction essentielle parmi les dispositions
légales qui déterminent Jes effets cles contrats.

nature telle qu'il pourrait engager la responsabilité de son auteur


abstraction faite du contrat. Si cette condition fait défaut, nous retom-
bons dans l'hypothèse, examinée précédemment, d'une cbligation pure-
ment contractuelle (tacite), que la responsahilité contrncluelle pourrait
feule sanctionner : voyez la note sous Req. 25 fév. 1929, G. T., 1929,
1, 3 ; PLANIOL et füPERT, t. VI, n° 492, p. 682.
276 RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS

209. La solution est aisée en ce qui concerne un pre-


mier groupe de règles légales : celles que l 'on appelle
<< règles supplétives n. Presque toutes les dispositions ins-

crites dans les titres VI à XVI du livre III du Code Civil


rentrent dans cette catégorie. Elles ont pour but de combler
les lacunes des conventions, de suppléer à leur caractère
habituellement incomplet. Les parties, en effet, se conten-
tent Ie plus souvent de déterminer les clauses essentielles
de leur accord. Mais la loi n'a point abandonné au juge Ie
soin de les compléter : ellc a édicté elle-même les règles que
Ie jugc devra appliquer en pareille hypothèse.
Les obligations qui r<'sultent de ces dispositions sup-
plétives, trouvent cependant leur source véritable dans la
volonté des parties. Celles-ei ont toujours, en effet, la faculté
d 'y déroger, et si elles n'en usent point, on peut légitime-
ment déduire de leur silence qu'elles se sont référées au droit
commun, qu'ellcs ont ainsi tadtement accepté.
Dans ce premier groupe de cas, il s 'ag-it donc, en dépit
des apparences, d 'obligations purement contractuelles, et la
responsabilité contractuelle constituera la sanction naturelle
de leur inexécution. Cette solution n 'a d 'ailleurs jamais été
mise en doute '.

210. Mais l'intervention de la loi dans Ie règlement des


rapports contractuels n 'a pas toujours ce caractèrc subsi-
diaire : Ie législateur attache à certains contrats des con-
séquences qui s 'imposent aux parties « nonohstant toute
cJause contraire » ; ses dispositions sont alors, suivant la
terminologie habituelle, « impératives >).
Depuis une cinquantaine d 'années, les dispositions
légales de ce genre sont devenues sans cesse plus norn-
breuses.
Certes, la liberté de contracter n 'a jamais été complète :
en 1804 déjà, la loi sanctionnait par la nullité, soit la con-
vention, soit la clause, qui contrevenait à ses dispositions.

1
RRuN, op. cit., n° 177. H. et L. MAzEAUD, Traité. I, n° 170.
RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS 277

Mais le fait nouveau, c'est l'ingérence en quelque sorte


active du législateur dans les rapports contractuels : il ne se
contente plus à présent de frapper d 'iuefficacité la volonté
des parties lorsq u 'elle est en opposition avec la sienne ; il
entend réglementer lui-même les obligations des parties
l'une en,·ers l'autre, il se snhstitue en quelque sorte à elles.
Le Code Civil n 'offrait guère qu 'un seul exemple d 'une
disposition de ce genre : les artides 1792 et 2270 règlent
impérativement la garantie due par les architectes et les
entrepreneurs pour les vices de construction et les vices
du sol ; encore Ie texte de la loi ne révèle-t-il pas son carac-
tère impératif : c 'est la jurisprmlence qui le lui a attribué 1 •
Mais les exemples foisonnent à partir de la fin du
x1x· siècle.
La loi de 1873 sur les sociétés anomrnes contenait
(léjà diverses dispositions déterminant impérativement cer-
taines ohligations des associés, on des administrateurs char-
2
gés par eux de gérer la société •

La loi du 25 aoi'it 1891. sur Ie contrat de transport, a


imposé au transporteur par chemin de fer un minimum de
prestations <lont il ne lui est pas permis de se décharger 3 •
Mais ce sont surtout les lois sur le contrat de travail •,
sur les accidents du travail ' et sur Ie contrat cl 'emploi • qui

1
Rérert. prnl. rie dr. h., v0 Dcvis et Marchés, n°0 297 cl 298;
PLA'llfH,et RrPERT, t. Xl. n° 957.
2
Voyez par exemple les articles :î5 (responsahililr des fondateurs),
515 (1nandat rles administrnteurs) ; i58 ( cautionnement des adminis-
trnteurs), 70 h 74 (rlélihérntion de l'assemhlée générale), 102 et 103
(dissolution). Par contre, la loi dn ll juin 1874 sur les assurances est
encore emprcinte du souci de rrscrver aux con lractants 1n liberté de
régler leurs ohligations c01nme elles l 'entendent. Une compnraison de
cette loi nvec celle qui a rrglemcnté 1n matiÀre en Franc,e en 1930,
serail extrr~mement suggestive et ferait apparnltrp l'évolution accomplie.
" Voyez les articles 17 et 37 de la lcii.
' Loi fln 10 mars 1900 : art ic les 11 ( obliga l ion de veiller à la sécu-
rité de l'ouvrier) ; 13 (obligation de veiller à la comervation des outils
appartenant à l"ouvrier). Voyez aussi la loi dn 14 jni11 1921 sur la durée
du tnn,1il, article 2.
' Loi du 24 décembre 19o:3, article 23.
" Loi du 7 aoi'1t 1922 : articles 6 (rescision si la rémnnération est
inférieure de plus de moitié à cclle riui est en usage); 9 et 12 (indPm-
278 RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS

ont imposé aux contractants de multiples obligations


« nonobstant toute clacse contraire >>.
Le contrat de bail à ferme a également fait l 'ohjet d 'une
lég-islation impérati-ve qui a notaLlement réduit la liberté des
contractants, notamment en ce qui concerne les congés et
Ie droit pour Je fermirr de faire certains tra-rnux sur Ie bien
loué 1 •
Enfin la loi récente du 28 nowmbre 1928 sur les con-
2
naissements a étendu à une nouvelle catégorie de contrats
Ie régime impératif qui de plus en plus se suhstitrc au
régimc théorique de }'autonomie de la volonté.
La nature exacte ck• ces obligations prête à de viYes
discussions et soulève de grnrns difficnltés. La responsahilité
qui en sanctionne l 'inexécution est-elle la responsahilité con-
tractuelle il Sont-rlles au contraire des obligations légales,
sanctionnfrs en cette qualité•, par la responsahilitó délic-
tuelle ~
Nous avons vu, dans la première partie de cette étude,
tout l 'intfrêt que présente u nr discussion de ce genre. Par-
fois il disparaît en partie, à raison de ce que la loi elle-mêrne
a soumis à des règles particulières la responsahilité sanc-
tionnant l 'inobsenation <le ses dispositions impératives.
Mais il n'en est pas toujours ainsi ; Ie plus som ent d'ail-
Jlités en cas rle résiliation) ; 13 (droit rle l'ernployé de s'absenter rleux
fois par semaine penrlant le rlélai de préavis) ; 18 (obligation rle rlélivrer
un certificat) ; 24- (respon~abilité rlu commis voyageur du chef de
l'insolvabilité du client) ; 26 (rlépót du cautionnement remis par !'em-
ployé). Voyez égalrment la loi rlu 5 juin 1928 sur Je c-ontrat d'engagement
maritime (article 23). On peut y ajouler encore la loi du 14 juillet
1930 rclative à l 'nssuranc-e obligntoire en vue rle la vieillesse et du
décès prématuré des employés.
U n mouwment se dessine m/lme ac!uellement pour obtenir la
fixation par la loi rl 'un salaire minimum pour l 'employé et l 'institu-
tion r1 'un réidme légal de vacances ; Ie c-ongrès tenu à Bruxelles en
décembrc 19,'31 par Ie Synrlicat Général rles employés rle Belgique a
volé une rrsolution en ce sens.
1
Loi rlu 7 mars 1929, art. 7 et 9, § 1. Rappelons, pour mémoire,
les lois temporaires relatives à la prorogation des baux et à la limitation
des loyers.
2
Voyez les articles 1, A, par. IJJ, 1° à 8° ( ohligations imposées au
transporteur) ; ] , A, par. IV, 5° (fixation r1 'une somme minima ponr
les clauses r1 'rYaluation forfaitaire des dommages-inlérêts).
RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS 279

leurs, cette réglementation particulière est incomplète, et


dès lors les difficultés subsistent : pour tous les points non
expressément prévus, est-ce au régime de la responsabilité
contractuelle qu 'il faut se référer, ou au régime de la res-
ponsabilité délictuelle?
La doctrine est profondément di-,isée.
Pour certains auteurs. le caractère impératif des obli-
gations édictées par la loi n 'est pas de nature à leur enlever
le caractère d'obligations contractuelles. « Peu importe »,
dit M. Demogue ', « que les parti es, dès qu 'elles ont youlu le
contrat, 1'aient par leur silence, ou malgré elles, coulé dans
le moule légal ». Pour MM. Mazeaud, toute autre opinion
serait peu logique : « Il serait étrange, disent-ils, que le
lógislateur, en plaçant impérativement une ohligation dans
2
le cercle du contrat, l'en fasse du même coup sortir • » Et
M. Perroud, recherchant la nature de la responsabilité à
laquelle l'inexécution de pareilles ohligations donne lieu,
n 'hésite pas à déclarer qu' « une responsabilité entre deux
personnes, qui ne peut exister que s'il y a entre ces per-
3
sonnes un contrat, est contractuelle et non délictuelle » ,

1
Reu. trim. clc dr. civ., 1923, 11. 657.
2
Traiié, I. n° 171.
3
Note au S., 1911, 1, 105. Telle est également la solution à laquellc
finirent par se rallier la Cour ne Cassation et lri Cour d'appel de Rome
dans le célèbre procès Vita li c. Ahisi, nont nous avons déjà rapporté
les premitires péripéties (voir rnrra, n° 201). La Cour d 'appel ne Rome,
statuant sur rcnvoi après l'arrêt fin 5 avril 1909 qui avait cassé !'arrêt
de la Cour rle Bologne, maintinl la solntion qu'avait anoptée !'arrêt
cassé, mais en la motivan t nifféremment : la responsabilité nu docteur
Vitali est nélictuelle, flit l'arn1 t, parce qu'il y a eu da11s l'espèce viola-
tion de la loi nu 14 fc\vrier 1904, qui institue la responsabilité des direc-
teurs n 'asile, et de l 'nrticle 34 flu ri'>glement qui enjoint nux infirmiers
sous fa nirection cles médecins, de surveiller les malanes (18-
31 mars 1910, Giur. lt., 1911, 3, 221). Cet arrêt fut égnlement cassé par
l;:, Cour de Cassntion ne Rome (21 janv. 1911, Giur. It., 1911, 3, 221).
La Cour précise cetle fois que pour que la violation d'une obligation
entraîne mie responsabilité délictuclle, il faut que cette ohligation
existe par la seule disposition de la loi. Telles ne sont point les obliga-
tions que la loi rattache à un contrat : elles n'existent qu'à raison nu
contrat, ne son l pas imposées par fo loi « à chacun en vers chacun »,
mais seulement à l'un des contractants envers l'autre. L'interniction
de déroger à ces obligations, quann elle existe, est sans importance :
280 RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS

211. Raisonner de la sorte, c'est se payer de mots.


En effet, les obligations contractuelles, par définition
même, sont l'amvre de la volonté des parties : c'est « ce
qu 'elles ont voulu créer ». Si les dispositions supplétives de
la loi font partie intégrante du contenu du contrat, c'est
uniquement parce qn'elles sont présumées être l'expression
de la volonté des parties ; mais dès que cette présomption
est contredite par la manifestation d 'une volonté différente,
les dispositions légales supplétives sont écartées.
L 'hypothèse que nous examinons actuellement est
entièrement différente : les obligations prévues par la loi
s 'imposent aux parties, non point par interpétation de leur
volonté prohahle, mais au mépris même de leur volonté la
plus certaine, puisquc toute clause contraire à la loi est
sans valeur. Peut-on alléguer tout au moins une accepta-
tion cc résignée », une soumission volontaire à l 'inévitable,
et par ce détour, maintenir aux ohligations impératives leur
caractère contractuel P Ce serait un procédé fort tortueux.
Mais il ne rendrait mêmc pas compte de la réalité; il demeu-
rerait inefficace dans tous les cas ou les contractants on t
rnanifesté leur refus d 'accepter la loi en insérant dans leur
rnnvention des clauses prohibées, et dans tous les cas ou la
loi impérative est promulguée postérieurement au contrat
et y attache des conséquences nouvelles. L'on ne peut, en
f'ffet, parler d 'acceptation cc implicite » ou « forcée >>, lors-
que les parties étaient dans l 'impossibilité absolue de con-

dès ! 'instant ou seul un contractant a Ie droi I d'en rédamer l 'exécution,


leur violation constitue toujours une foute contractucllc et non délic-
tuelle. En l'espèce, les dispositions légales invoqu{>es ne suffisaient point,
suivant la Cour suprême, à justifier la décision de la Cour d 'appel de
Rome ; celle-ci aurait dû démontrer que les obligations, que ces dis-
positions instituent pour les directeurs d 'asiles, existent même en vers
les aliénés étrangers à leur établissement et avec lesquels ils ne seraient
liés par aucun contr:Jt. La Cour d'appel de Rome, statuant en Chambres
réunies, se soumit h la doctrine de la Cour de Cassation et rendit Ie
12 avril 1913 ]'arrêt qui mit fin à ce mémorable procès (Giur. lt., 1913,
1, 553) : elle décide que les dispositions légales invoquécs snpposent
l'existence d'un contrat et que la contravention aux obligations qu'elles
créent n 'engendre qu 'une act ion en responsabilité contractuclle.
RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS 281

naître les obligations auxquelles on voudraii prétendre


qu 'elles ont adhéré.
Maints auteurs l'on reconnu '. Dès 1912, M. Gounot,
examinant la nature des obligations que des lois récentes
avaient imposées aux chefs d 'entreprise envers leurs ou-
vriers, reconnaissait qu'il est erroné d'y voir des obligations
contractuel1es : << Ces obligations sont imposées par la loi
à raison du contrat, mais elles ne procèdent pas du contrat ;
et le but du législateur n'est pas d'interpréter des volontés
in<lividuelles, mais de définir et de sanctionner au nom du
2
bien commun, les exigences positives de la justice sociale n •

Les obligations impérativement imposées par le légis-


lateur sont donc des obligations lég:ales, et non des obliga-
tions contractuelles, parce qn'elles onl leur source dans la
loi.
212. Faut-il en conclure que leur sanction sera celle
qui s 'attache en principe à 1'inexécution des obligations
li5gales, c 'est-à-<lire la responsabilité délictuelle ?
Pm1r M. Brun • l'affirmatiw ne paraît point douteuse.
Nous croyons, quant à nous, que la question est plus
complexe.
Si les ohlig-ations impératives dérivent de la loi, il ne
faudrait point cepen<lant, par une réaction excessive, perdre
de vue que le législateur les a imposées seulement aux per-
sonnes liées entre elles par un contrat.
En promulg-uant des lois de' ce genre, le législateur
étend considérahlement Ie role qu 'il jouait à l'époque du
Code Civil ; il assume en effet une mission tutélaire à
1'égard de certains contractants, jugés trop faihles : il inter-

1
Voyez A. BRU"-, op. cit., n°• 178 et 179 ; Rounmn, Les con/lits de
lois dans le temps, t. I, p. 595 : « P1rler de contrat tacite lorsque Je
législateur procède par voie d 'autorité, est un non-sens. n
2
Le principe de !'autonomie de la volonté en droit privé, th/_•se
Dijon, 1912, p. 283. On a pu dire aussi que « la volonté vraie a cessé
de jouer un röle essenliel n (MAY'\"AU, Les fictions de contral.s, pp. 32 à
34).
' Loc. ei/.
282 RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRA TS

vient pour éviter d'écrasement d'une partie par l'autre, pour


rétablir l 'équilibre que Ie jeu des négociations privées ne
créait plus.
Cette intervention protectrice de la loi, que l 'évolution
économique et sociale a rendue indispensable, entraîne
nécessairement une dénaturation de la notion du contrat
telle que la concevaient les auteurs du Code Ci-vil ; il n 'est
plus vrai de <lire que les contrats sont l'crmre de la volonté
des parties. « Ils sont Ie résultat d'une véritable colh1_boration
de la volonté et de la loi. De plus en plus, la société semhle
se considérer dans tout contrat comme partie intéressée ; et
elle s 'attrilme la haute mais difficile mission de protéger
les faihles, d 'imposer d 'autorité la justice, de promouvoir
Ie hien public '. >>
Ces quelques obsenalions font comprendre que l'orga-
nisation technique de la responsabilité civile n 'est plus
adaptée à la situation actuelle.
Le développernent de l'activité législative a fait appa-
raître une catég·orie nouvelle d'ohligations, d'origine légale,
mais destinées à jouer exclushement entre parties liées par
un contrat et au cours de l'exécution de ce contrat. Aucun
des deux régimes de responsahilité prévus par Ie Code Ci,il
n 'est parfaitement adapté à des ohligations de cette espèce.
C 'est au législateur qu 'il appartiendrait de réglernenter leur
sanction, et il est souhaitable que cette qucstion reticnne son
attention s'il procède à une revision du Code Napoléon.
Pour résoudre la difficulté dans l 'état actuel de la légis-
Iation, nous en somrnes réduits à rechercher quelle a été
J'intention tacite du législateur dans chacune des lois par-
ticulières qui ont irnposé des obligations irnpératives aux
contractants.
Il n 'est point térnéraire d 'affirmer que Ie législateur a
vouiu Ie plus soment soumettre les obiigations qu'iI impo-
sait aux contractants au même régime que les obligations

1
Gou:,;oT, op. cit., p. 4-35.
RESPONSAUlLITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS 283

contractuelles proprement dites '. Son intenention a pour


but de redresser ou de compléter l 'reuvre des parti es, mais
non point d'y substituer une ré§.rlementation purement
légale.
La fin poursmv1e par le législateur n 'exige donc pas
que les parties soient soustraites au régime auquel elles sont
2
normalement soumises en leur qualité de contractants On •

n'aperçoit aucune raison, notamment de déroger, pour les


ohligations que la loi insère d 'autorité dans le c-ontrat, aux
rögles limitatives des dommages-intérêts c-ontractuels.
En principe donc, et à moins que la loi n'en dispose el1e-
même autrement, lf's règ·les de la responsahilité contrac-
tuelle détermineront l'étendne des clommages-intérêts, la
cl11rée pendant laquelle l'action en responsahilité demeure
omerte, ]e tribunal appelé à en connaître, etc ...
Mais d'autre part, l'intenention du législateur révèle
que l'intfrêt général exige que les obligations qu'il impose
aux contractants soient exécutées. Or, eet intfrêt serait fré-
quemment sacrifié, si le déhiteur pouvait librement opposer
à son co-contractant tous les mo~ens de défense qui lui
appartiendraient suivant le droit commun des contrats,
( exception non adimrleti contractus, défaut de mise en
demenre, etc.). Il serait choquant et manifestement con-

1 Nous aboulissons ainsi, mais par nne analyse qui nous paraît
plus exacte, à une conclusion analogue à celle rle M. Perrou<l.
2
La volonté du législateur ressort nettement, à eet égard, des
travaux préparatoires de la loi du 25 août 1891 sur le cmitrat de
transport. L 'examen de ces travaux révèle que le législateur a voulu
fixer lui-même les conclitions du contrat ile transport par chemin rle
fer, à raison du monopole qui appartient aux exploitants des réseaux.
Le législateur n 'a pas aperçu combi en la not ion cte " clanses contrac-
tuelles imposées par la loi " est peu compatible avec ] 'essence mêmc
du contrat : cette question purement juridique n 'a pas attiré l 'attention
rles parlementaires. Mais les discussions et surtout Ie rapport de
M. Dupont, (Gommen/. législ., pp. 163 et s.), révèlent que le légis-
lateur n 'a pas voulu, en imposant ctiverses obligations au transporteur,
déroger au " ctroit commun " de la responsabilité, et que le droit
commun dont il s 'agit, ce sont les règles de la responsabilité contrac-
tuelle exprimées par les articles 1147 et suivants. Ces règles " demeu-
rent " dorre (] 'on clirait plus exactement " deviennent ") la sanction
des obligalions imposées par la loi au transporteur par chemin de fer.
284 RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS

traire à la volonté de la loi que Ie patron pût refuser à son


ouvrier, en cas d 'accident, les premiers secours, sous pré-
texte que eet ouvrier aurait désobéi aux ordres qui lui étaient
donnés ; de même, Je patron ne pourrait refuser un certifi-
cat à son employé sous prétexte que celui-ci aurait, pendant
Ie cours du contrat, divulgué des secrets d 'affaires.
En d'autres termes, les règles de la responsabilité con-
tractuelle s'appliquent en principe; mais il en est autrement,
et l 'application des règles particulières de la responsabilité
contractuellc doit être écartée, toutes les fois que leur
application, en dispensant Ie débiteur de s'exécuter, ou en
lui assurant l 'impunité en cas d 'inexécution ( clauses d 'exo-
nération de responsabi]ité) , ferait échec au caractère
d 'ordre public que Je législateur a imprimé à l' obligation
imposée aux contrRctants.
CHAPlTRE IT

Suppression par un contrat des conditions nécessaires pour


l'application des articles 1382 à 1386

SECTION I. ~ RESPONSABlLITÉ DU FAlT PERSOl'iNEL


(Art. 1382)

213. Les contrals enlèvent à certains


actes le caractère de " faute » qui leur se-
rait attaché en ! 'absence de toute conven-
tion.

213. Les droits que la convention confère aux parties


sont parfois tels qu 'ils impliquent par leur nature même la
suppression de certaines des obligations délictnelles sanc-
tionnées par l 'artide 1382 ; la comention rend parfois
licites, voire mêrne obligatoires, certains actes q11i sans elle
eussent été illicites, eussent mérité la qualification de
« fautes >, '.
Dans ces cas, l'exclusion de la responsabilité délic-
tuelle sanctionnant pareils actes ne saurait être mise en
doute, car son maintien méconnaîtrait l'existence même du
contrat.
Il est aisé de donner des exemples de pareilles situatiom.
En l'ahsence de to11t contrat, l'appréhension, la rnani-
pulation ou l 'utilisation d \me chose appartenant à autrui
constituerait en soit une faute, qui engagerait la responsa-
bilité de son auteur à raison du dommage qui en serait éven-
1 Comp. l 'arrèt de la Cour de Cassation du 8 octobrc 1903, rap-

porté supra, n° 124.


286 RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS

tuellement résulté (bris, détérioration de la chose). Mais Ie


locataire, l'emprunteur, le transporteur, peuvent -- cela va
de soi - appréhender les choses louées, empruntées ou des-
tinées au transport, sans commettre aucune faute.
Point n'est besoin d'insister sur une vérité aussi évi-
dente, <lont l 'intérêt pratique est d 'ailleurs assez faible 1 •
Mais il faut se gard er d 'en déduire des conséquences
excessives. Si le fait d'appréhender la chose d'autrui cesse
de constituer en lui-même un acte fautif, par contre, les
autres règles que commande Ia prudence subsistent, et elles
r,ontinuent tl s 'imposer aux contractants aussi bien qu 'à toute
autre personne.
Si après avoir pris possession de la chose prêtée, l'em-
prunteur la lirise par un geste maladroit, rien ne s 'oppose
à ce qu'il soit responsable ex delicto en même temps qu'ex
contractu, tont comme un tiers quelconque serait respon-
2
sable s'il avait fait le même geste et causé Ie même accident •

Nous avons déjà rencontré des situations analogues en


droit romain •, et nous avons conclu de leur étude que les

1 Le Tribunal de Commerce d'Anvers a cepenrlant eu !'occasion


rl 'en faire application, en rlécidant que h) fait rle placer une marchan-
dise, même par simple erreur, dans un bateau, à l'insu du batelier,
constitue, en !'absence de tout contrat, une faute délictuelle, (17 janv.
1889, P. P., 1889, n° 807), alors que l'existence rl'un contrat de trans-
port aurait -au contraire rendu obligatoire la mise à bord de la mar-
chanrlisc.
Huc (t. VIT, n° 95) donne également un exemple de la situation
commentée au texte : « Celui qui, voyant chez autrui une pendule
arrêtée, veut la faire marcher quoique personne ne l'en ait chargé ...
aura beau s 'entourer de toutes les précautions voulues, sans en négli-
ger aucune, il sera responsable en cas d 'accident. Il n ';wait, en effet,
qu'à s'abstenir. .. Au contraire, dans la même hypothèse, celui qui
aura agi en exécution cl 'un contrat, qui aura voulu faire marcher la
pendule parce qu'il en avait été chargé n'encourra a11cune responsa-
hilité en cas d'accident s'il a pris toutes les précaution~ réclamées par
les circonstances. "
2
Nous no pournns donc nous rallier à !'opinion de Huc, lorsqu'il
conclut de l'exemple reprorluit à la note précédente : " Reconnaissons
donc que la conclusion d'un contrat a pour effet de remplacer la res-
ponsabilité qu 'on pourrait appeler naturelle par une resporisabilité
jurirlique, ordinairement quelque pen atténuée, sauf clause contraire. n
Sur la réfutation de cette opinion, voy. supra, n° 108.
" Voy. supra, n°• 80 à 84.
RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS 287

parti es enlèvent parfois à certains actes, par l 'effet de con-


ventious conclues entre elles, 1e carartèrn d 'actes << con-
traircs au droit n, si bien que dans ces hypothèses la lex
Aquilia cessait de trouver son application à raison de l'ab-
sence de l 'un des éléments (l 'injurz'.a) que cette application
requiert.
Traduisant cette conclusion en langage moderne, nous
pouvons dire que les contrats enlèvent parfois à certains
actes Ie caractère de faute qui leur serait attaché en l'absence
de toute convention. L 'élément objectif 1 de la faute n 'existe
pas, lorsque l'acte posé était autorisé, ou même rendu obli-
gatoire, par une convention conclue entre les parties.

SEr,T1ox ll. -- REsPONSA_BILITÉ oir FAIT o'AuTHta


(Art. 1384)

214. Déplacement du fardeau de la res-


ponsabilité. - 215. A. Responsabilité des
père et mère. - 216. B. Responsabilité des
maîtres et commettants. Transport conven-
tionnel de l'autorité et de la surveillance.
Conditions requises.

214. L 'influence des contrats sur les conditions d'exis-


tence de la responsabilité délict11elle est beaucoup plus sen-
sible en ce qui concerne les responsabilités que l'on qualifie
parfois << complexes n : responsabilité du fait d 'autrui, ou
du fait des choses.
Dans ce domaine, ] 'influence des contrats présente un
intérêt pratique souvent considérable, car ]c fardeau de ]a
responsabilité se trouve fréquemment dép]acé, par Ie jeu de
la cou-,ention, d'un contractant sur l'autrc.
Le déplacement, par une convention, des conditions
d'existence de la responsabilité délictue11e du fait d'autrni
ne se conçoit guère en ce qui concerne la responsahilité des
instituteurs et des artisans. Possible en principe pour la res-
ponsahilité des père et mère, il est très fréquent pour la
1
Voy. sur l'élément ob,ieclif de la faule : DrMDGPE, O!J/iç/., t. ITI,
11° 1 226 et s.
288 RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRA TS

responsabilité des maîtres et commettants, et c'est cette der-


nière hypothèse qui retiendra surtout notre attention.
215. A. La personne à qui le père d'un enfant mineur 1
confie ce dernier pendant ses études ou pendant ses vacances,
ne pourrait évidemment, dans le cas ou eet enfant lui cau-
serait préjudice par une imprudence ou un acte de mau-
vais gré, en rendre le père responsable sur la base de l'ar-
ticle 1384, § 2, puisque suivant eet article la responsabilité
n'existe que si !'enfant habite chez ses parents : l'exécution
du contrat entraîne dans ce cas la disparition des conditions
d'application de l'article 1384, § ·2 2

216. B. Lorsqu'un contrat prévoit, expressément ou


non, que les préposés de l 'une des parties passeront tempo-
rairement sous l'autorité et la surveillance de l'autre, cette
dernière ne pourrait plus, au cas ou un préposé lui causerait
préjudice, se prévaloir contre son co-contractant de l'ar-
ticle 1384, § 3 a : Ie commettant originaire aurait. dans ce
cas, perdu cette qualité par l 'effet même du contrat.
La pratique offre des exemples assez nomhreux de
pareille situation. Parfois. la question de savoir si Ie pré-
posé a passé sous l 'autorité du co-contractant de son patron
originaire, est assez délicate. Nous examinerons brièvement
les di,erses hypothèsPs qui peuvent se présenter.
IJ ne suffit point que Ie préposé rende des services à ce
co-contractant pour que la qualité de commettant soit ipso
facto déplacée •, car ces services n'impliquent pas nécessai-
rement la subordination du préposé, élément essentie! pour
l 'existence du rapport de préposition. Ainsi la Cour de Cas-
sation a décidé • que si Ie maître d 'un véhicule Ie loue avec
1
Comp. sur ces situations, H. et L . .\IAzEAun, op. rit., I, n° 760.
2
Très souvent d 'ailleurs, Ic cocontnctant du pi·re sera 1111 a ins-
tituteur " (maître de pension, par cxemple) snr lequel pPsera désor-
mais la responsahilité édictée par l'article ]384-, § 4.
3
Cass. fr., 26 janv. 1901, P. fr., 1903, l, 104; 18 juin 1928, D. H.,
1928, p. 478.
' Voyez à eet égarrl H. LALou, op. cil., n° 508 ; JossEnA:\D, Dr. civ.,
II, n° 512, 2°.
5
1.5 déc. ï924, Pas., 1925, 1, 75. Dans le m/lme sens Comm. Bru-
RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS 289

son conducteur à un tiers, il peut néanmoins demeurer res-


ponsable comme commettant des fautes commises par le1
conducteur dans la conduite du véhicule. La Cour de Gand
a admis, dans le même sens, que l'existence d'up contrat
de transport à titre gratuit, n'entraînait pas le déplacement
de la qualité de commettant du chauffeur dans Je chef du
transporté.
Le louage ou le prêt d'un instrument de transport avec
son conducteur ne sont pas les seuls cas ou un commettant
met ses préposés à la disposition de son cocontractant.
L'hotelier, en exécution du contrat complexe que l'on a
dénommé « contrat d 'hotellerie », envoie habituellement
dans les gares de chcmin de fer des préposés chargés de
prendre soin des bagages des clients de l'hotel à leur arri-
vée ou à lellr départ ; mais il ne cesse pas d'être leur 2

commettant, car ils persistent à être soumis à ses ordres •

De même, le « kraanman n attaché par la ville d 'Anvers


à la manO:'uvre des grues hydrauliques et mis avec celles-ci
à la disposition <les chargeurs qui les prennent en location,
ne devicnt pas lc préposé des chargeurs, mais reste celui de
3
la ,ille. qui en répond •

Pour que la r1ualité de commettant soit tranférée d'un


contractant à l 'autre, il faut que le contrat comporte une
abdication, tout au moins temporaire, de son autorité par le
commettant originaire au profit de son co-contractant ;
dans ce cas, l'article 1384, § 3 cesse de jouer contre lui :
ainsi le contrat de location qui a pour ohjet la jouissance
prolongée d 'un autobus et des services de son conducteur,
transporte la qualité de commettant de ce conducteur du
bailleur au prenenr 4 , car ce dernier acquiert une véritable

xelles, 24 déc, 1916, Jur. com. Brux., 1920. ]28; Comm. Ainers, 2 mars
1920, Pas., 1922, 3, 135.
1
17 juin 1929, B. J., 1929, 618. L;i Cour justifie toutefois sa déci-
sion par des circon,tances p~rticulières à l'espèce.
2 Comm. Bruxelles, 21 .ïnin 1911. Pand. pér-., 1912, ]44.

3 Bruxelles, 15 nov. 1912, Pas., 1913, 2, 139.


• Gomm. Bruxelles, 30 juin 1930, Jur. comm. Bruxelles, 1930, 351 ;
Comm. Liége, 12 avril 1922, Jnr. Li.égc. ] 922, 222. Yoyez flans le même
290 RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS

autorité sur le préposé. De même Ie bailleur d 'un cirque ne


répond pas du dommage causé au locataire par des préposés
fournis par lui à ce dernier 1 • Pendant Ie temps ou un remor-
queur assiste un navire, Ie capitaine du remorqueur joue
2
le role d 'un préposé du commandant du navire •

Il est cependant parfois fort délicat de déterminer si en


mettant ses préposés à la disposition de son co-contractant
une personne a voulu lui transférer son autorité sur eux, ou
si elle a entendu les maintenir sous ses ordres.
La question se complique encore davantage, dans les
cas ou Ie transfert d 'autorité est seulement partiel, et ou Ie
préposé se trouve placé, par] 'effet d 'un contrat, sous l'auto-
rité simultanée des deux contractants 3 •
Certaines décisions en ont conclu que les deux com-
mettants étaient responsables in solidum à l'égard des tiers •.
Il ne peut toutefois en être ainsi que lorsque les commettants
exercent unc autorité égale et de même étendue sur Ie même
préposé ; g·énéralement leur autorité s' exercera dans des
domaines distincts ; même s'il n'en est pas ainsi, encore la
double autorité des deux commettants ne s 'exercera-t-elle
pas toujours en même temps 5 • La responsabilité pèsera dans
ce cas sur celui des commettants qui exerçait en fait l'auto-
rité sur Ie préposé au moment de I'acte dommageable •.
Les questions que nous venons d'examiner se posent
Ie plus souvent, en pratique, à !'occasion de Ia responsabilité
à I' égard des tiers. Mais elles peuvent se présenter aussi, et
dans les mêmes termes, dans les rapports entre Ie commet-

sens, GÉRARD, Acc. pers., n° 79; en France, H. LALon, op. cit., n° 507;
JossERAND, op. cit., t. II, n° 512, 3°.
1 Comm. Liége, 10 juill. 1922, Jur. Liége, 1922, 285.
2
Comm. Le Havre, 1er avril 1932, G. P., 1932, 2, 29, Rev. trim.,
1932, p. 762.
3
Voyez un exemple dans GÉRARD, op. cit., n° 70 ; voyez également
DEMOGUE, Oblig., V, p. 105.
4
Bruxelles, 18 mars 1912. Pand. pér., 1913, n° 1093 ; GÉRARD, op.
cit., n° 71.
" Cf. Gand, 23 nov. 1904, Pand. Pér., 1904, n° 794.
• En ce sens, LALOU, op. cit., n° 510, qui admet même que la
responsabilité ne saurait jamais peser simultanément sur plusieurs
commettants.
RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS 291

tant primitif et ceh1i il qui il a transmis par convention son


autorité sur le préposé, puisque, comme nous· 1•avons
démontré antérieurement, les règles de la responsabilité
délictuelle trouvent en principe leur application aussi bien
entre contractants qu 'entre tiers 1 •

SECTION Ill. - RESPONSABILITÉ DU FAIT DES ANIMAUX


(Art. 1385)
217. Transfert de 1·usage de l'animal par
l'effet de la convention. - 218. L' « usage »
de l'animal est transféré: 1° A celui qui
s'en sert à son profit. - 219. 2° A ceux qui
gardent l'animal pour l'exercice lucratif de
leur profession.

217. Le dornmage causé par un animal entra'ine, sui-


rnnt l'article 1385 du Code Civil, la responsabilité du pro-
priétaire de l'animal oude celui qui s'en sert.
Un premier point est hors de contestation : l'existence
de relations contractuelles entre la victime du dommage et
Je propriétaire de l'animal ou celui qui s'en sert, n'exclut
nullement l'application de l'artide 1385 : la Cour de Cas-
sation a expressément affirmé le caractère général de l'ar-
2
tide 1385 dans son arrêt du 16 octobre 1902 •

Mais d'autre part, il est unanimement admis aujour-


d'hui que Ja responsabilité prévue par l'article 1385 à charge
du propriétaire d'un animal on de celui qui s'en sert, est
alternative et non cumulative • ; le juge déooute fréquem-
ment Ja victime d 'un accident provoqué par un animal, de
son action contre le propriétaire de celui-ci, lorsqu'au mo-
mfmt des faits une autre personne avait l'usage de l'animal.
1
Voy. supra, n°• 169 à 172.
2
Pas., 1902, 1, 350, S., 1906, 4, 25, n. Wahl. (Voy. supra, n°• 177
et 178). La Cour de Cassation cle France se rallie également à cette
solution, en principe, malgré sa ten<lance habituelle à rejeter l 'appli-
cation des règles <lélictuelles entre contractants : Civ. 11 mars et
29 mai 1902. D., 1902, 1, 614; voyez sur ce point JossERANo, t. II,.
n°• 518 et 519; Contra : H. et L. MAzEAun, I, op. cit., 11° 1123 ; Lyon,
]" avril et 21 oct. 1922, D. P., 1924, 2, 51, note H. L.
3
TossERAND, Dr. civ., t. II, n° 517 ; LALOU, op. cit., n° 530 ; PLANIOL,.
füPERT et EsMEIN, t. VT, n° 593; H. et L. MAZEAUD, op. cit., I, n° 1081 ~
Gfc'RARD, op. cit., n° 145.
292 RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS

A fortiori en sera-t-il de même si la victime de l'accident


était précisément la personne qui arnit à ce moment l'usage
de l 'animal.
Ainsi donc, lorsqu 'un contrat confère à une personne
Ie droit de se servir d 'un anima} appartenant à une autre
et en fait en quelque sorte le gardien de eet animal, le pro-
priétaire cesse d'encourir, aussi bien vis-à-vis de son co-
contractant que vis-à-vis des tiers, la responsabilité édictée
par l'article 1385 1 •
218. Mais il ne suffit pas, pour que l'art1c1e 1385 soit
écarté entre les parties, que Je propriétaire transmette la
déterdion matérielle de l 'animal à sou co-contractant ;
pareille détention matérielle n 'implique pas toujours le
droit d'user de l'animal, au sens ou ce terme doit être
entendu dans l 'article 1385. La Cour de Cassation, dans son
arrêt du 16 octobre 1902 précité, a en effet précisé que
« celui qui se sert n de l'animal, c'est seulement celui qui
2
en a la jouïssance, l'usage à, son profit propre •

Ainsi, Iorsqu 'un préposé se sert d 'un animal apparte-


nant à son patron, pour exécuter Ie travail <lont ce dernier
l'a chargé, Ie patron demeure responsable, sur la base de
l'article 1385, du dommage causé par l'animal tant au pré-
posé qu 'aux tiers ". Car Ie préposé ne se sert pas de l 'anima!
4
à son profit personnel •
1
Voyez PLANIOL, RrPERT et ESMEIN, t. VI, n° 593 in fine. Tl se
pourrait même que l 'usager cte l 'animal en ffi t responsable enYers Ie
propriétaire Ju i-même, sur pier! cte I 'article 1385, au cas ou Ie proprié-
taire serait Yictime ct 'un accident causé par ! 'anima! pendant Ie temps
que l'usager I'employait. Rappelons par contre que I'impossibilité d'un
recours basé sur l'article 1385 n'empêcherait nullement la victime cte
se prévaloir de I'article 1382 en cas de faute prouvée ctu propriétaire.
Fréquemment d'ailleurs, la victime trouvera dans I'ohligntion contrac-
tuelle de garantie (voyez par exemplc pour le commorlnt I'article 1891
du C. Civ.) la base d'une action en rcsponsabilité contre Ie proprié-
taire de l 'animal.
'" Gelui qui retire un profit ou un agrément rle I 'emploi ou rle Ia
détention de l'animal », dit un arrêt de la Cour de Liége rlu 30 noYem-
bre 1907, P. P., 1908, 1144.
3
La même solution est admise par Ia jurispructence française ·
voyez les références citées par Pr.A'\'IOJ,, t. IJ, n° 919bis.
' GÉRARD, op. cit., n° 8 141, 143, 145 et 146 ; CiY. Bruxelles, 23 mars
RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS 293

Dans l'espèce tranchéc par l'arrêt du 16 octobre 1902,


un batelier, propriétairc d 'un rhe,al q111 halait son bateau,
avait chargé un préposé de soigner 1'anirnal, de le harna-
cher, l'atteler et le conduire pendant le halage. Le préposé
ayant été blessé par le cheval, le juge du fond a,ait déclaré
le batelier responsable et la Cour de Cassation rejeta le
pounoi formé par lui.
La même solution s 'appliquera au charretier, au domes-
tique, au cocher, au berger, et, en général, à tous ceux qui
ont engagé leurs services et qui au cours de leur travail
sont blessés par un anima} appartenant à leur commet-
tant 1 et 2.
Mais en revanche, Ie locataire • ou l'emprunteur • d 'un
animal ne pement invoquer l'artic1e 1385 à l'encontre du
propriétaire qui le leur a confié, car ils en usent dans leur
intérêt personnel : la jurisprudence reconnaît qu 'ils doivent
dès lors répondre personnellement envers Jes tiers des dom-
rnages que l'animal pourrait causer •; a fortiori devront-ils
supporter seuls les domma1;res qu 'ils suhiraient eux-mêmes.
Leur responsahilité comrnence dès }'instant ou l 'ani-

1910, P. P., 1910, n° 459; Liége, 30 novemhrc 1907, P. P., 1908, 1144;
Com.rn.. Brux., 1cr févricr 1900, P. P., 1901, 465 ; Contra: Brux. 31 mai
1902, P. P. 1903, 455; Civ. Anvcrs, 25 a\T. 1900, P. P., 1902, 102.
1
La question ne présente pl ns gu<'·re d 'intérêt prntique depuis
que la législation relatiYe aux accidents du travail a été étendue ,mx
employés, domestiq ues et g-en~ de maison (loi du 18 juin 1930), puisque
cette réglemcnt.ition spéciale interdit en principe à ln victime de se
prévaloir des r1ispositions dn d.roit commun ( art. 21).
2
11 a été jugé égalemen t qn 'un jockey peut se prévaloir de l 'arli-
cle 1:385 contre le propriétairc rlu chcval qu'il montait : Brux., 5 iuill.
1910, P. P., 1911. n.0 1017. Conlrn : Poitiers, rn juill. 1914, n. P., 1917,
2. 80 , responsabilité en vers les tiers).
3
Par exemple le fermier ou Je métaycr: rny. Di_jon, 10 déc. 1896,
D., 97, 2, 484; _Limoges, 18 féY. 1904, Pand. fr., 190.5, 2, 104.
4
Bruxelles, 31 mars 1902, P. P., 1903, n° 455; Paris, 8 juill. l9l:1,
D., 1914, 2, 206; Comm. Bruxelles, ]er fén. 1900 précité (motifs).
" Voyez les références dans PLA:'iIOL, t. 11, n ° 919 ; H. et L. MAzEA uo,
op. cil., n. 0 1102. C'est ainsi que nous expliquerons aussi riue lc com-
mis voyageur à qui un commerçant confie s011 cheYal pour <1Ps tournées
<levant se prolo11gcr longtemps et dont 1'itinéraire restait lihre, d.oit
réponrlre des accid.ents causés par Je cheval (d. H. L,u r. op. cit.,
H 0 5331.
294 RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS

mal est remis en leur possession et ne cesse qu'au moment


de sa restitution 1 •
219. La solution, fort simple dans les cas que nous
venons d 'indiquer, sera au contraire beaucoup plus délicate
lorsque Ie propriétaire d'un animal l'a confié à une autre
personrie, sans que celle-ci puisse l 'utiliser à son profit per-
sonnel et sans qu'elle doive cependant s'en servir au profit
du propriétaire.
Tel est Ie cas de l'aubergiste qui met son écurie à la dis-
position de ses clients, du gardien de voitures qui se charge
de surveiller des voitures attelées laissées par leur proprié-
taire sur la voie publique : ce sont de simples dépositaires.
Tel est aussi Ie cas du vétérinaire chargé de soigner un
animal, du propriétaire de taureaux auquel on confie des
vaches pour la saillie, du maréchal-ferrant oude l'entraîneur
auquel Ie propriétaire d 'un cheval a momentanément confié
cel ui-ei. Tel est également le cas du voiturier auquel un
animal est remis uniquement en vue d 'un transport déter-
miné.
A première vue, il semble que dans tous ces cas, Ie pro-
priétaire demeure responsable, puisqu'il n'a conféré à per-
sonne Ie droit de << :-:f' senir n de I'anirnal qui lui appartient.
-Telle est en effet ] 'opinion exprimée par Baudry Lacanti-
• 2
nene .
Mais Ia jurisprudence se prononce généralement en sens
3
contraire L 'opinion de Baudry Lacantinerie est basée sur

1 Voyez PLAI\JOL, RrPERT et ERMF.11\', t. VJ, p. 815, n° 3.


2 Oblig., t. III, n° 2942 ; Huc, t. VIII, n° 450 ; DEMOGUE, t. V,
n° 1005.
3
Aubergiste : Civ. Bruxelles, 9 nov. 1881, Pas., 1882, 3. 15; Poi-
tiers, 7 déc. 1903, S., 1904, 2, 99 ; Dunkerque, 16 juill. 1930, G. P.,
1930, 2, 928 ; Lavnl, 13 nov. 1930, G_ P., 1931, 1, 116. Encore faut-il
vérifier, eu égard aux circonstances rle fait et notamment à la dispo-
sition des lieux, si l 'aubergiste a consenti à devenir dépositaire.
Maréchal-ferrant: Civ., 3 déc. 1872, D. P., 1873, l, 337; Troyes,
17 déc. 1918, G. P., 1919, 2, 47; Montluçon, 17 févr. 1928, S., 1928, 2.
145, n. H. Mazeaud ; Yoyez Rev. trim., 1931, p. 877.
Propriétaire de taureaux: Caen, 17 janv. 1928, S., 1928, 2, 17.
Garrlien de voitures : Paris, 13 janv. 1892, D., 1892, 2, 411.
Entraîneur d'un cheval de course: Req_, 10 noY. 1924, D. P., 1924"
RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATB 295

une interprétation littérale et restrictive de l 'artide 1385


que rien ne justifie. S 'attacher au sens grammatica! des
mots « se servir » conduirait à rendre les préposés respon-
sables du fait de l'animal appartenant à leur commettant.
Or, la Cour de Cassation a condamné cette solution en se
fondant sur l 'idée de jouïssance et de profit qui est à la
base de l'artic1e 1385. Mais un raisonnement analogue nous
permet d'affirmer que ceux qui cc se servent » d'un animal
ne sont pas seulement ceux qui, par eux-mêmes ou par
leurs préposés, lui font accomplir à leur profit le travail
auquel il est destiné, mais aussi ceux qui, sans l 'utiliser
directement, le gardent pour l 'exercice lucratif de leur pro-
fession : en ce sens Ie vétérinaire, l'aubergiste font indirec-
tement cc usage », pour leur propre compte, des anirnaux
qui leur sont confiés. Telle est !'opinion adoptée par la
Cour de Cassation de France 1 et elle nous paraît également
conforme à l 'esprit qui a inspiré l 'arrêt de la Cour de
2
Cassation de Belgique du 16 octobre 1902 •

La discussion porte en général sur la responsahilité

1, 49, n. Savatier ; Civ. Hasselt, 28 mars 1902, P. P., 1902, 501 ; Rev.
trim. 1932, p. 158.
Entrepreneur de débarquement chargé de la conduite des hestiaux
d'une gare à un marché: Civ., 2 mai 1911, D. P., 1911, 1, 367. Voyez
GÉRARD, op. cit., n° 142. - Comp. cependant PLANIOL, RrPERT et EsMEI'-,
t. VI, n° 594.
1
Civ., 2 mai 1911, D. P., 1911, 1, 367; Req., 10 nov. 1924, D. P.,
1925, 1, 49, n. Savatier : Ie gardien est << celui qui, par lui-m/lme ou par
ses préposés, fait de l'animal l'usage que comporte l'exercice de sa pro-
fession "· Voyez PLANIOI., t. II, n° 919bis et note 3. La Cour supérieure
de justice de Luxembourg a adopté également la formule <le la Cour de
Cassation de France : 24 déc. 1929, Pas., 1930, 2, 186.
2
Il nous paraît inutile rl 'exiger en outre, comme le font certains
auteurs français, que celui qui se sert de l'animal dispose d'un << droit
de direction " sur lui. Cette condition supplémentaire, assez confuse
en elle 0 même, conduit à des distinctions subtiles et à des solutions qui
heurtent Ie principe d'équité qui sert de fondement à l'article 1385 :
suivant que Ie propriétaire assiste ou non au ferrage de son cheval, :e
maréchal-ferrant sera ou ne sera pas responsahle ... Voyez cependant sur
oe point H. et L. MAZEAUD, op. cit., l, n° 8 1097 el 1107. La Cour de Cas-
sation de France ne fait pas mention de cette condition dans la défi-
nition qu'elle donne du gardien de l'anirnal : voyez lPs arrêts citrs à
la note 1 ci-dessus.
296 RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS

en vers les tiers ; mais il va de soi que si l 'aubergiste 1 , Ie


maréchal-ferrant, Ie vétérinaire sont tenus envers les tien,
sur pied de l'article 1385, a fortiori ne pourraient-ils eux-
mêmes rendre Ie propriétaire de l 'anima} responsable de
plein droit en cas d 'accident <lont ils seraient victimes.

~EGTION IV. ~ HESPONSABILITÉ DU FAIT DES CHOSES


(Art. 1384, § 1)
220. Transfert de la garde. - 221. Notion
de la garde juridique. - 222. Cas ou le
transfert de la garde a lieu par I 'effet
d'une convention. - 223. Conclusion. Atté-
nuations nécessaires.

220. La responsabilité à raison du dommage causé


2
par les vices d 'une chose incombe à cel ui qui l 'a sous sa
,

3
garde •

Or, les contrats ont très souvent pour effet de trans-


férer à l 'une des parti es la garde d 'une chose <lont l 'autre
est propriétaire.
En pareil cas, Ie propriétaire cessc d 'être responsable
sur la base de l'article 1384, § 1. La jurisprudence l'a
reconnu en ce qui concerne la responsabilité à l 'égard des
tiers '. A fortiori en est-il de même pour la responsabilité
envers Ie co-contractant.
Pour déterminer dans quels cas un contrat transfère la
garde d'une chose, il est indispensable de préciser au préa-
lab1c la notion de « garde n elle-même.
221. La question de savoir qnel est Ie gardien d'une
chose a donné lieu à de nombreuses discussions en France;

1
Voyez cependant: Douai, 27 avril 1931, G. T., 1932, 15 m:ii :
suivant eet arrêt, l 'aubergiste ne devient pas Ie gardien i!P "anim,1)
qui lui est confié.
2
Rappelons ici que si la preuve d 'un « ,ire " de la chose n'est plus
exigée par la jurisprudence française, elle demeure par conlre une
condition indispensable pour I'application de l'article 1384, § 1°r, en
Belgique.
3
Voyez le texte de l'article 1384, § 1 ; cf. Bruxelles, 19 jnnY. 1912,
Pas., 1912, 2, 146.
4
V. Anvers, 4 mai 1910, P. P., 1911, n° 283 : « La responsabilité
du gardien exclut celle du propriétaire. »
RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS 297

par contre, elle ne paraît guère a,oir été approfondie en


Belgique.
L'examen de la jurisprudence belge révèle seulement
que le gardien est, en principe, lc propriétaire de la chose 1 •
Mais la responsabilité n 'est cependant pas attachée à la pro-
priété de la chose : pareille opinion serait à la fois en oppo-
sition avec Ie texte de l 'article 1384, avec les arrêts de prin-
cipe de la Cour de Cassation et a,ec les décisions des juri-
dfrtions de fond.
Le gardien n 'est pas non plus nécessairement le déten-
teur de la chose, celui qui exerce sur elle un pouvoir de fait 2 •
La majorité des auteurs français, ainsi que de nom-
breuses décisions françaises, ont adopté, en effet, pour
l'application de l'article 1384, § 1, une distinction entre la
garde matérielle et la garde juridique. Seul celui qui a la
garde juridique d'une chose, peut encourir la responsabilité
prévue par l 'article 1384, § 1 •.
Les textes légaux eux-rnêrnes fournissent le moyen de
déterminer ce qu 'il faut entendre par la « garde juridique »
d 'nne chose. Dans l 'esprit des rédacteurs du Code Civil,
en effet, l'article 1384, § 1 était seulement une introduction
aux alinéas suivants de l'article 1384 et à l'article 1385.
C 'est donc dans l'article 1385 qu'il faut chercher la défi-
nition du « gardien n. En d 'autres term es, les précisions
données par le législateur dans l'article 1385 au sujet de
la détermination des personnes responsables du fait des
animaux. peuvent légitimement être étendues à la déter-

. ,
n1mees .
.
mination des personnes rcsponsahles dn fait des choses ina-

1
La Cour de Cassation de France pandt également admettre qu'en
principe le propriétaire est réputé avoir la garde de sa chose : Req.,
12 janvier 1927, D., 1927, 1, 145, n. Savatier; DEMOGUE, t. V, n° 1132;
PLANIOL, II, n° 931.
2
H. et L. MAZEAUD, Traité, l, n° ll59.
3
Comp. Civ. Bruxelles, 9 mars 1922, Pas., 1924, 3, -51 : ce jugement
parle de la « garde légale " de ht chose.
4 Voyez à eet égard H. et L. MAZEAUD, Trnil.é, I, n° 8 1075, 1076 et snr-

tout 1157 ; H. LALOU, op. cit., n° 537 ; DEMOGFE, t. V, n° 1128.


298 RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS

Le gardien d'une chose, dès lors, c'est celui qui s'en


sert, qui en a l 'usage. Mais ces mots doivent être compris
dans Ie sens précisé par l'arrêt de la Cour de Cassation du
16 octobre 1902 : est gardien d'une chose, non pas celui
qui la détient et l'utilise en quelque sorte matériellement,
mais celui qui en a la jouïssance, l'usage à son profit propre.
Telle est effectivement la définition adoptée · par un
jugement soigneusement motivé du Tribunal civil d'An-
vers 1 - la seule décision beJge qui, à notre connaissance,
ait examiné Je problème dans son ensemble.
D.eaucoup d 'auteurs français admettent au contraire
que Ie gardien est celui qui dispose d 'un droit de direction
sur la chose. Mais l'on a fait ohserver à juste titre que Je con-
trole qui appartient au gardien de la chose apparaît beaucoup
moins comme Ie principe de sa responsabilité que comme la
conséquence de cette responsabilité 2 • D'ailleurs la loi ne fait
aucune allusion à la nécessité d 'un droit de controle ou de
direction, et la Cour de Cassation de France s'est abstenue
également d 'y faire appel ; on Ie comprend aisément : l 'ap-
plication pratique du critérium proposé se heurte en effet
à des difficultés presque insurmontables, car très souvent
la « direction >> d 'tme chose appartient pour partie à son
propriétaire, et pour partie à une autre personne •.
222. Les règles que nous avons dégagées précédem-
ment à l 'occasion de l 'article 1385 trouveront clone égale-
ment ici leur application :
l° Lorsqu'en vertu d'un contrat, Ie propriétaire d'une
chose inanimée confie celle-ó à un préposé ou à nn ouvrier,

1
4 mai 1910, P. P., 1911, n° 283 ; voyez aussi GÉRARD. op. cit.,
n° 163.
• Savatier, note au D. P., 1931, 1, 49. Ainsi s'explique également
que Ie tribunal d'Anvers, dans Ie jugement prérappelé a pu décider
que Ie gardien est (< celui qui retire les avantages de Ja possession de
la chose et qui doit personnellement pourvoir à sa surveillance et à son
entretien. ,,
3
Voyez sur ces difficultés et sur les solutions ronfuses qui leur
sont données : H. et L. MAzRAUD, I, n°• 1178 et s.
RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS ' 299

avec la mission de l 'utiliser au profit du propriétaire lui-


même, <l'en faire au profit du maître l'usage qu'il pourrait
en faire lui-même -. il ne transfère pas à ce préposé la garde
juridique de cette chose : il en conserve en effet lui-même
la jouïssance « par l 'intermédiaire de ses préposés ».
Telle est la solution admise par la jurisprudence en ce
qui concerne la responsabilité à l 'égard des tiers ' ; mais les
mêmes motifs feront évidemment reconnaître que le pro-
priétaire demeure gardien de la chose à l 'égard de son pré-
posé, et sera éventuellement responsable envers lui sur la
2
base de l'article 1384, § 1 •

Par application de la règle ci-dessus, la jurisprudence


décide que le mécanicien qui accompagne un automobiliste
pendant un voyage et s 'est engagé à procéder en cours de
route aux réparations qui pourraient devenir nécessaires,
n'est pas le cc gardien n de la voiture. au sens de l'ar-
ticle 1384, § 1 •. De même, le chauffeur d'automobile au
service du propriétaire de celle-ci, n'en devient pas Ie gar-
dien, car c< il emploie l'auto an service du patron et pour son
utilité n 4 • Le gardien d'un navire n'est pas Ie capitaine que
l'armateur a préposé à son exploitation, mais l'armateur
lui-même •.
2° Par contre, ceux qui ont ohtenu, par convention avec
Ie propriétaire d 'une chose inanimée, Ie droit de faire usage
cle eelt<' chose à leur profit personnel, en cleviennent les
gnrdiens.

1 Ponr la jurisprudence française, voyez les références citées par


H. et L. MAZF.ATTD, Traité, I, n° 1175, et par Pr.A"iJOr., R1PF.rlT et EsMF.JX,
t. VI. n° 614.
• En ce sens : PLA:i-lIOL, RIPERT et Es,rm"', t. VI, n° 614.
• Civ. Bruxelles, 9 mars 1922, Pa.s., 1924, 3, 51. Cette décision révèle
d'une façon particulièrement frappante que ce n'est pas Ie contröle rle
la chose, mais sa joui.çsance qui doit être prise en considération pour
déterminer qui en est Ie gardien.
4 Liége, 12 nov. 1929, B. Ass., 1929, 312 ; Paris, 17 juill. 1930, G. P.,

1930, 2, 674 ; Savatier, n. au D., 1931, 1, 49 ; Contra : Comm. Gand,


3 août 1912, J. Comm. Fl., 1912, 339, qui décide à tort que Ie conducteur
d 'un camion en est Ie gardien.
• Civ. Anvers, 4 mai 1910, P. P., 1911, n° 283. Contra : H. et L.
MAZEAl,n, Trailé, I, n° 1182.
300 RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS

Il en est Ó\idemment ainsi lorsque, par l'effet d'une


ven te par exemple, une personne devient propriétaire d 'une
chose inanimée 1 • Mais d'autres contrats, par exemple le
louage ou Ie commodat, transfèrent la garde d 'une chose
sans en transférer la propriété.
La jurisprudence décide que le locataire ne dispose pas
d 'une action en responsabilité fondée sur l 'article 1384, § 1
2
contre le bailleur de même ]e commodataire devient le
;

3
gardien de la chose prêtée •

Lorsque Ie débat se meut entre prêteur et commoda-


taire la jurisprudence perd souvent de vue que ce dernier
ne peut pas invoquer l'article 1384, § 1 pour la raison très
simple qu 'il est lui-même Ie gardien de la chose prêtée pen-
5
dant la durée du prêt •. Ainsi le Tribunal de la Seine a
rnndamné le (< prêteur » d 'un immeuble à des dommages-
intér êts erners l 'industriel à la disposition duquel il avait

1
llappclons toutefois que l'acheteur rlispose d'une action contrac-
tuelle en garantie contre Ie vendeur si la chose vendue était affectée de
vices cachés.
2
Le fermier qui prenrl /1 bail une machine agricole en devient Ie
gardien : Liége, 7 mai 1915, Jur. Liége, 1919, p. 6. En France : Req.,
'1 juin 1904, D., 1907, l, lîî, n. Joss1mAND; 19 janv. 1914, D., 1914, 1,
303 ; voyez H. et L. MAZEArD, Traité, I, n° 1179; PLANIOL, RrPERT et
EsMEI:\, t. VI, n° 613; TossERAND, Droil civ., H, n° 544. - Voyez cepcn-
dant la rlistinction failc par H. et L. MAzJ,AUD en ce qui concerne la
location rl 'une automobile : Trnité, T, n° ll80 : cette distinction nous
parait inarlmissible, puisque nous repoussons l'idée rle " direction »
dans l'interprétation de l'article 1384, § J. Le locataire rle l'automobile
est, suivant nous, Je gardien de la voiture, mais il dispose contre Ie
bailleur des actions contractuellcs fonrlées sur la garantie des vices
cachés.
3
Comm. Gand, 3 août 1912, Jur. Comm. Fl., 1912, 339 : si Je pro-
priétaire d'un camion prête celui-ci à lm entrepreneur de trnnsports,
il cesse d'en être Ic « gardien ». En France : Req., 15 déc. 1930, D. H.
1931, p. 36; Seine, 23 juill. 1928, G. P., 1928, 2, 446; Paris, 17 juill.
1930, G. P., 1930, 2, 674; Rev. Trim., 1931, p. 119.
• Par contre Ie commodataire, devenu gardien de la chose prêtée,
pourrait parfaitement encourir envers Ie prêteur la responsabilit.é édic-
tée par l 'article 1384, § 1 : Seine, 31 mars 1919, D., 1922, 2, 12. Sur cette
situation, voyez s1111ra, n°' 173 et s.
5
Civ. Seine, 23 ja1nier 1903, n., 1904, 2, 257. Voyez égaJement
Riorn, 25 mars 1908 rt Civ. Lyon, 15 nov. 1901, D., 1904, 2, 257,
n fosserand.
RESPONSABILITé AQUILIENNE ET CONTRATS 301

mis le<lit immeuble, à raison d'un accident prmoqué par


un défaut du bàtiment ; le tribunal base sa décision sur
l 'article 1384, § 1, l 'action contractuelle n 'étant pas rece-
vable, aux termes de l'article 1891 du Code Civil lorsque,
comme c'était le cas, le prêteur ignore les défauts de la
chose prêtée. Nous ne pouvons approuver cette décision :
l'action du commodataire, en tant que fondée sur les vices
de la chose, était dénuée de fondement aussi bien sur le
terrain délictuel que sur lt terrain contractuel 1 •
3° Ceux qui par contrat ont ohtenu la détention d'une
chose, non point pour en faire à leur profit l'usage auquel
elle est destinée, mais seulernent pour l'exercice lucratif de
leur profession, deviennent également les << gardiens >> de
cette chose et ne pourraient dès lors intenter à leur cocon-
tractant une action basée sur l 'article 1384, § 1 2 •
Tel est le cas du dépositaire salarié : le garagiste qui
fait profession d'assurer la garde des autos qui lui sont con-
fiées, en a la garde juridique pendant le temps qu'elles se
trouvent d.ans son établissement •. Le transporteur d 'une
chose en est également le gardien •.
La jnrisprudence fait application du même principe
dans les espèces les plus diverses : }'entrepreneur de déchar-
gement est le gardien des marchandises pendant les opéra-
tions de déchargement 5 , 1'arrimeur est le gardien du cro-
chet au moyen duquel ]e màt de charge est attaché à la
muraille du vapeur déchargé O •
223. Nous pouvons donc dégager de eet exposé la con-
1
Cette décision est généralement critiquée par les auteurs français,
·mais uniquement parce qu'elle méconnaît Ie principe, admis par eux,
de l'inapplicabilité de la responsabilité délicturlle entre contractants.
2
Voy. supra, n° 219.
3
Civ. Anvers, 28 févr. 1929, R. Ass., 1929, 312.
• Voyez les nomhreuses références citées par H. et L. MAzEAUD,
Traité, I, n° 1179, n° 2. Lr trnnsporteur conserve la garde de la mnr-
chandise jusqn'nu moment de la livroison : Ibid., n° 1179. Voy. ;111,,i
DEMOGDll, V, p. 374.
5
Comm. Anvers, 26 juillet 1907, .T. A., 1907, 1, 305. Voyez Rouen,
31 déc. 1930, Rev. trim., 1932, p. 163.
• Bruxelles, 24 févr. 1928, B. Ass" 1928, 823.
302 RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS

dusion suivante : toutes les fois qu'en vertu d'un contrat


une personne acquiert la détention d 'une chose pour en
tirer profit pour elle-même, elle en devient Ie gardien ;
dans tous ces cas, Ie contrat fait disparaître dans Ie chef du
propriétaire la qualité nécessaire pour qu 'il puisse encourir
la responsabilité prévue par l'article 1384, § 1, tant envers
son co-contractant qu 'en vers les tiers.
Mais l 'application de ce principe ne laisse pas d 'être
parfois fort délicate. C 'est Ie propriétaire d 'une chose, en
effet, qui est présumé en être Ie gardien : c'est lui qui, en
vertu même de son droit de propriété, retire normalement de
la chose tous les avantages qu'elle peut procurer. Il ne suffit
pas dès lors qu 'il en concède l 'usage matériel pour qu 'il
ces se d 'en être Ie gardien. si c 'est là pour lui un moyen
parmi d 'autres de « faire usage >> de sa chose. Deux exem-
pJes vont préciser la portée de cette observation.
Lorsque Ie propriétaire d 'une automobile, ou son pré-
posé, laisse un apprenti chauffeur en prendre Ie volant et
lui donne une << leçon de conduite )) , c 'est Ie propriétaire, et
non l'élève, qui fait usage de la voiture, qui s'en sert pour
les hesoins de sa profession : la détention matérielle de la
rniture par l'élè-rn est, à eet égard, indifférente: il n'en
est pas lo g·ardien 1 •
Le vendeur qui confie la chose dont il est enrore pro-
oriétaire, à un acheteur éventuel afin de lui permettre de
l'essayer, ne lui transmet pas non plus la jouïssance de cette
chose : l'acheteur éventuel n'en a l'usage que pour un
temps fort bref, et seulement pour l'éprouver, non point ad
2
fruendum. Le vendeur en demeure dès lors Ie gardien •

Toutefois, les circonstances les plus diverses exercent


leur influenre sur I'application des principes, et il faudrait
se garder de vouloir donner a priori une solution générale
et 11niforme : si J'essai d \me chose à vendre comporte un
1 Voyez les références citées par H. et L. MAZEAUD, I, n° 1176, notes
3 et 4.
2 Voyez à eet égard, DEMOGUE, t. V, n° 1013 (à propos du dommage
causé par un anima!).
RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS 303

usage prolongé par l'acheteur éventuel, - usage équivalent


en fait à une jouissance, à une exploitation provisoire de
la chose à son profit - le vendeur cesserait, pendant la
durée de l'essai, d'en être le gardien.
Mais ces nuances ne portent aucune atteinte au prin-
cipe que nous avons dégagé : est Ie gardien d'une chose
celui qui s'en sert à son profit.

SECTION V. -RESPONSABILITÉ
DU PROPRIÉTAIRE n \JN IMMEUBLE ( art. 1386)

224. Indifférence des conventions trans-


latives de la garde.

224. La responsabilité édictée par l'article 1386 pèse


sur le propriétaire de l 'immeuble. Seules les conventions
translatives de propriété sont donc susceptibles d'exercer
une influence sur les conditions d 'existence de cette res-
ponsabilité : le transfert de la garde est ici sans aucune
importance 1 • La question de savoir si la circonstance que
Ie propriétaire s 'est déchargé sur au trui de l 'entretien du
batiment, met fin à la responsabilité que f'article 1386 lui
2
impose, est vivement discutée Elle nous semble devoir

être résolue par la négative, car la responsabilité est expres-


sément attachée par la loi à la qualité de propriétaire.

1
Voyez H. et L. MAzEAun, op. cit., 1, n° 1032. C'est à tort, pensons-
nous, que le tribunal d 'An vers a décidé que la présomption de l'article
1386 ne peut être appliquée à charge du propriétaire, lorsque des tra-
vaux sont effectués dans l'immeuble, sous prétexte que l'immeuble se
trouverait sous la garde de ! 'entrepreneur des travaux (10 juin 1922,
J. A., 1923, 64). Voyez aussi Xamur, 14 févr. 1911, P. P., 1911, 451. Si
l'article 1386 est écarté en pareille hypothèse, c'est bien plutöt par la
volonté tacite des parties, voyez infra, n° 230.
2
Voyez notamment : Rev. trim., 1932, p. 765.
CHAPlTHE ll1

Exclusion de la responsabilité délictuelle par la volonté


des parties

SECTION l. - PRINCIPES DIRECTEliRS DE CETTE ÉTCDE

225. Position du problème. - 226. Pos-


sibilité de déroger à l 'application des ar-
ticles 1382 à 1386. Nécessité d 'une volonté
certaine pour que cette dérogation soit
admise. - 227. La volonté d'exclure la res-
ponsabilité délictuelle ne peut résulter que
de l 'incompatibilité entre son application et
les clauses du contrat. - 228. Portée de
cette règle d'interprétation.

225. 1'"ous avons vu dans un chapitre précédent que la


conclusion d 'un contrat a généralement pour objet la créa-
tion d'obligations nouvelles, que celles-ci sont nécessaire-
ment en dehors du domaine de la responsabilité délictuelle,
et ont seulement pour sanction, en cas d 'inexécution, la res-
ponsabilité conf ractuelle.
Mais les conventions n 'ont pas seulement pour effet de
créer ainsi un champ de responsabilité nouveau.
Elles exercent également leur influence sur Ie champ
d 'application de la responsabilité délictuelle elle-même :
parfois, nous I'avons vu, elles l'empêchent de jouer, en fai-
sant disparaître les conditions requises pour son interven-
tion. Parfois aussi la responsabilité délictuelle est écartée par
la volonté des parties.
226. S'il est vrai, comme nous l'avons démontré pré-
RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS 305

cédemment, que la conclusion d'un contrat ne soustrait pas


de plein droit les parties à l'application des articles 1382 et
suivants pour tous les faits dommageables auxquels l'exécu-
tion du contrat peut donner lieu, néanmoins, dans certains
cas, et dans une mesure variable suivant les dispositions
qu 'elles contiennent, les conventions ont pour effet de sup-
primer ou d'atténuer les obligations délictuelles, c'est-à-dire
de restreindre Ie champ d 'application de la responsabilité
délictuelle.
Avant de déterminer dans le présent chapitre les
diverses hypothèses dans lesquelles la suppression des obli-
gations délictuelles par un contrat se réalise, il est indis-
pensable de préciser les directives qui devront présider à
cette recherche, et qui dérivent des principes que nous avons
antérieurement dégagés.
Rappelons encore une fois que la responsabilité délic-
tuelle est, en principe, applicable en toute circonstance,
aussi hien entre contractants qu'entre tiers. Par contre, les
obligations délictuelles n 'intéressent pas l' ordre public 1, et
en conséquence, les parties sont libres de les supprimer ou
<l'en modifier l'étendue par leurs conventions.
Mais encore faut-il que leur volonté à eet égard soit
certaine, car, ainsi que nous l'avons déjà souligné précé-
demment, les particuliers qui concluent un contrat, veulent,
en règle générale, augmenter leurs droits respectifs, et non
pas les diminuer 2 • Il faut présumer que les parties ont connu
Ie droit commun ; elles y demeurent donc l'une et l'autre
soumises du moment qu 'elles n 'y ont pas forme1lement
renoncé •.
Cette règle d 'interprétation, quoique fort simple, ne
laisse pas d 'être d 'une application assez délicate, car il est
exceptionnel que les parties manifestent la volonté expresse
de modifier, de réduire ou de supprimer Ie jeu de la

1 Sanf clans les hypothè'ses que nous avons inàiqnées supra, n°" 9
à 11,
" V, suprn, n° 108,
3
V, MArnAun, Traité de la responsabilité civile, L I, n° 176,
306 RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS

responsabilité délictuelle du droit commun, et la recherche


de leur volonté tacite est souvent fort malaisée.
227. L 'interprète doit principalement s 'inspirer, dans
sa recherche, de la règle suivant laquelle les renonciations
ne se présument pas.
Le fait de l 'existence d 'un contrat ne pourrait dès lors,
jamais être retenu à lui seul comme constituant la preuve
de cette renonciation 1 • La circonstance que Ie contrat
impose aux parti es ou à l 'une d 'elles des obligations <lont Ie
contenu est semblable, en tout ou en partie, à celui des
obligations que Ie droit commun impose à tous les citoyens
les uns envers les autres, serait également dénuée de force
2
probante, ainsi que nous l'avons déjà signalé •

La volonté d 'exclure la responsabilité délictuelle résul-


tera seuJement de 1'incompatibilité qui existerait entre les
claus es d' un contrat ou cerlaines de ces claus es, avec l' ap-
plication de la responsabilité délictuelle •.

228. Tel est bien, en fait, Ie principe qui inspire la doc-


trine et la jurisprudence. Mais beaucoup d'auteurs consi-
dèrent a priori que toute application quelconque de la res-
ponsabilité délictuelle entre contractants serait incompatible
avec Je respect de Ja volonté des parti es telle qu 'elle résulte
de leur convention, sous prétexte que pareille application
leur imposerait une responsabilité « qu 'elles n 'ont pas pré-
vue n. Ce serait cc étendre, contre leur gré, Ie cercle du
contrat • n.
C 'est là une erreur certaine. La responsabilité délic•

1
Liége, 13 déc. 1868, Pas., 1869, 2, 121. Voyez supra, n°' 106 et suiv.
2
Voyez sur ces points: supra, n°• 112 et suiv. ; DA'I.JON, Droit marit.,
Il, n° 851. - Certains auteurs admettent au contrairP, que l 'application
des articles 1382 et suivants est exclue dans la mesure 011 les rapports
entre les parties sont fixées par leur convention : TossERAND, Transports,
n° 628. Mais aucune justification n'est donnée à l'appui de cette affir-
mation.
3
C'est ce qui est admis en Allemagne : voye7, vo:, L1szT, Die Dclikl.s-
obligationen, pp. 12 et suiv.
4
H. et L. l\iAzEAUD, Traité, t. I, n° 180, p. 168 ; A. Brn::-, lhf'se,
n° 344. Voyez Civ. Brux., 10 juill. 1931, Pas., 32, 3, 51.
•IESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS 307

tuelle est destinée, en effet, à sanctionner l'exécution des


ohligations légales, qui s 'imposent à tous les individus, et
ces obligations, ainsi que nous l'avons démontré précédem-
ment 1 existent aussi bien entre contractants qu'entre tiers;
elles constituent Ie droit cornmun régissant les rapports des
particuliers entre eux. Or, ce droit commun dérive de la
loi, et non du consentement préalable des intéressés : s'il
s 'applique à des individus engagés dans les ]iens d 'un con-
trat, ce n'est pas, comme on paraît Ie croire souvent, en
vertu d 'nne interprétation arbitraire de ce contrat, mais en
Pertu de la loi elle-même.
Il n'est donc pas question <( d'étendre Ie cercle du con-
trat contre le gré des partirs n, puisque les ob]igations <lont
il s'agit ont une origine e.rtra-contracfuelle. Telle est l'erreur
fofülarnentale, pensons-nous, de MM. Mazeaucl et de
M. Brun. Le système de ces auteurs ne serait exact que s 'ils
démontraient que les particuliers qui concluent un contrat
,eulent toujours et nécessairement modifier ou supprimer
2
leurs obligations extra-contractuelles respectives Une telle

d{>monstration est impossible ; en droit, elle se heurte au


principe suivant lequel les renonciations ne se présument
pas ; en fait, elle est inadmissible : Ie créancier ne peut être
censé avoir renoncé à la protection que lui accorde la loi,
puisque Ie contrat, rendant les contacts entre les parties plus
fréquents, rend précisément cette protection plus nécessaire
que jamais.
L 'incompatibilité entre la mise en jeu de la responsa-
bilité délictuelle et le respect du contrat est aès lors excep-
tionnelle : la suppression de la responsabi1ité délictuelle ne
cloit être admise que lorsque I 'intention des parties est cer-
taine et dans cette mesure seulement, car les renonciations
ne sont pas susceptibles d'une interprétation extensive. Dans
Jr doute, le ju,ze se prononcera en faveur de l'application
du droit commun et admettra la recevabilité d 'un recours

1
Voyez supra, n°• 76 à 105.
2
Voyez supra. n°• 106 à 109.
308 RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS

de nature délictueJle dirigé par l 'un des contractants contre


l'autre.

SEcTION Il. -- ExcLUSION DIRECTE


DE LA RESPONSABILITÉ DÉLICTUELLE

229. Validité de cette exclusion. - 230.


Exclusion tacite : A. Offre et acceptation
d 'un service gratuit. Transport bénévole.
Autres exemples. - 231. B. Renonciatiou
déduite de la conduite de Ia victime elle-
même. - 232. C. Acceptation d'un risqu~
dangereux. - 233. Appréciation de Ia juris-
prudence relative aux clauses tacites d 'exo-
nération. - 234. Cas oi'1 l 'exonération n 'a
pas lieu.

229. Il ne saurait exister Ie moindre doute sur l'in-


tention des parties lorsque l 'accord des volontés a eu pré-
cisément pour objet d 'écarter entre Jes parties I'application
des articles 1382 et suivants.
Une convention de ce genre est, en principe, valable,
sauf si elle tend à exonérer les parties ou l'une d'elles des
conséquences du dol ou de la faute lourde, ou si, d 'une
façon plus générale, elle a pour effet de supprimer une obli-
gation légale intéressant l 'ordre public 1 •
L 'exonération de la responsabilité délictuelle fait rare-
ment, il est vrai, l'objet d'une convention expresse entre
les intéressés, mais la jurisprudence déduit parfois des cir-
constances de la cause l 'existence d 'un accord tacite à ce
sujet
230. Les décisions rendues en matière de transport
bénévole en fournissent un intéressant exemple. Cette épi-
neuse question divise profondément, on Ie sait, la jurispru-
dence : tantot elle reconnaît l'existence entre transporteur
et transporté d'un contrat innommé, qui impose au trans-
porteur des obligations plus légères que ce1les qui dériwmt

1
V. supra, n°• 9 à ll.
RESPONSABILITÉ AQUJLIENNE ET CONTRA TS 309

du contrat de transport à titre onéreux 1 ; tantöt elle décide


au contraire que les parties demeurent soumises exclusive-
ment aux règles ordinaires de la responsabilité délictuelle •.
Une troisième opinion - la seule qui nous intéresse ici --
sans admettre l 'existence d 'un contrat innommé engendrant
l'ohligation d'effectuer le transport, de prendre certaines
précautions, etc., reconnaît cependant que l'offre et l'ac-
ceptation d 'un transport gratuit •, impliquent dans le chef
des parties l'intention commune de déroger, en ce qui con-
cerne le transporteur, aux principes ordinaires de la res-
ponsabilité délictuelle : les parties auraient tacitement
écarté, à raison même de la gratuité du service rendu, la
responsahilité qui, suivant le droit cornmun, dérive d 'tme
imprudence ou d'une négligence, et n'amaient laissé sub-
sister, à charge du transporteur, que la responsabilité du
dol oude la faute lourde 4 : l'accord de volontés a donc pour
upique objet, suivant ces décisions, 1'exonération partielle
de la responsabilité dérivant de l'article 1382 du Code Civil.
Certaines décisions, il est vrai, se hornen t à a ffirmer
quf' Ie caractère gratuit du transport atténue la responsa-

V. infra, n° 237.
2
Bruxelles, 6 juillet 1927, R. Ass., 1927, p. 485; 1G a\Til 1930, Rev.
gé11. nss. et rrsp., n° 661 ; Civ. Brnxclles, 23 mars 1928, R. gén. nss.
resp., n° 351 ; 11 a\Til 1929, ibid., n° 493; Liége, 31 jam. 1929, J. T.,
1929, 382 ; 21 noY. 1930, 13. Ass., mm, p. 72 ; Corr. Liéµ-c, 2/5 oct. 1928,
B. Ass., 1929, p. 286; Corr. Tongres, 10 j1nv. 1930, J11r. Li,1ge, ]930,
p 44.
3
Encore fout-il préciser ce qu 'on doit entendre par un transport
" gratuit " : voyez à ce sujet une note de M. Esmein, R., 1929, T, 249 ;
Rev. trim., 1932, p. 766.
4
En ce sens : Gand, 9 janv. 1930, R. Ass., 1930, p. 358; Liége,
4 juill. 1928, Rev. nee. trav., 1929, p. 44; 4 mai 1931, B. Ass., 1931,
p. 368 ; Civ. Courtrai, 17 juin 1927, Re11. _qén. ass. et resp., n° 352 ;
CiY. Anvers, 10 jmw. 1929, R. nss., J929, p. 267 ; ld., 25 mars 1931,
B. Ass., 1931, p. 600; C:orr. Liége, 10 mai 1928, B. nss., 1928, p. 898 ;
Hasselt., 30 janv. 1929, B. Ass., 1931, p. 72; en France: voyez Rev. trim.,
1928, p. 899 ; contra: Ripert, n. D., J928, l, 145, § II. Certaines déci-
sions repoussent l'idée d'nne clause tncite, parce que la responsabilité
édictée par l'article 1382 intéresse l'ordre pnhlir, tout au moins dans
la mesure ou elle protègc le droit à l 'intégrité physique : Bruxelles,
6 juillet 192ï, R. Ass., 1927, p. 485; Garni, 17 juin 1929, R . .J .. ]929,
col. 618; CiY. Anwrs, 3 mars 1930, B. 11ss., 1930, p. 560. Vo)ez à eet
égard supra, n°' 9 à 11.
310 RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS

bilité du transporteur, ou que seule une faute lourde peut


être retenue à sa charge, sans autre justification et sans faire
allusion à une clausc tacite d 'exonération. Mais, plus sou-
vent, Ie juge précise- que Ie transporté a tacitement accepté
les risques normaux du transport, et comme Ie juge en con-
dut que seule une faute lourde commise par Ie transporteur
pourrait être retenue, il révèle que cette acceptation des
risques normaux implique notamment - l'on pourrait
même dire principalement - la renonciation au droit d 'in-
voquer contre Ie transporteur les fautes légères qu 'il pour-
rait commettre.
Les clauses d'exonération tacite reconnues par la juris-
prudence ont parfois aussi pour hut d'écarter l'application
des articles 1384 à 1386.
Ainsi, l 'acceptation des risques par celui qui bénéficie
d 'un transport gratuit n 'implique point seulement une
dérogation partielle à l 'article 1382, mais aussi, suivant cer-
taines décisions, renonciation à invoquer la responsabilité
du fait des choses prévue par l'article 1384 1, ou la respon-
2
sabilité du fait des animaux (art. 1385) D'autre part un •

arrêt de la Cour d 'Appel de Caen a ad mis que Ie fait, par


un propriétaire, d 'héberger deux personnes par pure bien-
veillance, impliquerait de la part des hénéficiaires de ce ser-
vice gratuit une renonciation tacite à imoquer l'article 1386
contre Ie propriétaire ; si, par contre, Ie propriétaire rece-
vait une rémunération, quelle qu'en soit la forme, en
échange de la jouïssance accordée par lui, on ne pourrait
admettre que les parties aient tacitement dérogé à l 'ar-
ticle 1386 •.

1
La jurisprn<len,r française admet même que c'est l 'arlicle 1384- seul
qui doit être (>carlt' dans Ie cas du transport bénévole, l 'artirle 1382
demeuranl inf(>Q"ra]cment applicahle. En ce sens : Ch. 27 mars 1928,
S., 1928, J, 353, et la note de M. Grny; Req. 9 juin 1928, n .. 1928,
I, 153, n. Savatier; 7 janv. 1929, S., 1929, T, 276, n. Esmein ; 22 juil-
let 1929 ; G. P., 1929, 588; 1er aof1t 1930, G. P., 1930, 2, 572. Voyez
M.1:\FAro, Traité, I, n° 1278.
2
Req. 11 mai 1931, D. TT., 1931, 381.
3
25 jnin 1924-, Rl'c. tlrs arrêts rle la Cour rlr Caen, 1924, pp. 188.
RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS 311

231. Le fait de recevoir un service gratuit n'est pas


Ie seul que retienne la jurisprudehce pour en déduire l 'exis-
tence d 'une clause tacite d 'exonération 1 : très souvent la
conduite même de la victime atteste qu 'elle avait renoncé
d 'avance à invoquer à son profit les règles délictuelles. C 'est
ce qu'a reconnu la Cour de Cassation de France, dans un
2
arrêt déjà ancien souvent invoqué pour démontrer que les
,

règles de la responsabilité délictuelle ne sont pas d 'ordre


public. L 'espèce était Ja suivante : clans certaines régions
de France, il est d 'usage de mettre les bestiaux au pacage
dans des prés communs, pour ~ rester nuit et jour sans
aucune garde. Les j uridictions de fond ont plusieurs fois
décidé, qu'en faisant participer leurs bestiaux à ce pacage
en commun, les propriétaires s'affranchissent mutuellement
de toute responsabilité en ce qui concerne les accidents
qui pourraient en résulter, et, en conséquence, ne peuvent
plus invoquer, l 'un contre l 'autre, la responsabilité pré-
vue par l'article 1385. La Cour de Cassation a sanctionné
cette interprétation de la volonté des parties, tout en pré-
cisant que la responsahilité des propriétaires demeurait
engagée, si une faute personnelJe était prouvée à leur
charge ". Elle a confirmé récemment encore • la doctrine de
1'arrêt de 1851, en rejetant le pourvoi dirigé contre un
arrêt qui avait décidé que << les propriétaires qui aban-

1
La gratuité nu service rennu est parfois même sans influence
sur la responsabilité : la jurisprudence considère générnlement que celui
qui nonne gratuitement des renseignements sur un tiers, nemeure res-
ponsahle de sa faute simple en vertu ne l'article 1382: Req. 1•r juil-
let 1909, G. P., 1909, 2, 153 et 14 nov. 1910, G. P., 1910, 2, 571 ; cf. Rev.
trim., 1931, p. 870.
2
Civ. 2 juillet 1851, D., 1851, I, 189.
' Vo~•ez cependant l'interprétation que nonne de eet arrêt M. P. Du-
rand (thèse, n° 27). L'arrêt récemment rendu par la Cour de Cassation
dans une espèce semhlahle (voyez infra, n. 4), nous paraît rnnfirmer
qu 'il existe, suivant la Cour Suprême, et contrairement à l 'avis de
M. Du rand, une véritable clause tacite d 'exonération. En revanche, la
Cour de Rouen a refusé d 'anmettre que les propr:étaires de chevaux
engagés dans une même course, se seraient tacitement exonérés entre
eux de la responsabilité délictuelle : Rouen, 8 aoflt 1903, S., 1904, 2.
282.
4
Req. 16 nov. 1931, D. H., 1931, p. 555.
312 RESPONSABILITÊ AQUILIENNE ET CONTRATS

donnent leurs animaux dans un pacage commun ... s'affran-


chissent de la responsabilité édictée par l 'article 1385, mais
demeurent responsables si une faute est relevée à leur
charge,>. -
Ainsi Ie Tribunal de Liége a pu également décider que
}'entrepreneur qui accepte de réparer une toiture, assume
par cela même tous les risques de eet ouvrage, puisqu'il s'en
réserve la direction ; pareilJe acceptation des risques impli-
que nécessairement la volonté d 'exonérer Ie propriétaire de
l 'immeuble de la responsabilité dérivant de l 'article 1386,
en cas d'accident causé par Ie défaut d'entretien ou par un
vice de construction 1 •
Le moniteur qui accepte, même à titre gracieux, d'ap-
prendre à un profane à conduire une automobile, doit nor-
malement prévoir les erreurs et imprudences que l 'élève
pourra commettre, et renonce par cela même à lui deman-
2
der réparation du préjudice qui pourrait en résulter •

232. Lorsqu 'il est très difficile d 'éviter les accidents


que peut entraîner l'emploi d'un engin, on peut légitime-
ment admettre que celui qui sollicite l 'utilisation de eet
engin à son égard, renonce tacitement à se prévaloir de
l'article 1384, § 1 contre celui qui en a la garde : Ie dient
atteint de radiodermite ne peut invoquer l 'article 1384, § 1
contre Ie médecin qu 'il avait prié d 'appliquer un traitement
par Ie radium •.
233. En admettant ainsi, par voie de simple interpré-
tation, des clauses tacites d 'exonération, la jurisprudence
s 'est attirée de nombreuses critiques en doctrine. Elles se
sont fait jour, principalement, au cours des discussions sus-
1 Civ. Liége, 8 nov. 1930, B. A., 1931, 118.

• Telle est, suivant nous, l 'explication de la solution consacrée par


un arrêt de la Cour de Dijon, 6 avril 1932, D. H., 1932, p. 354, bien que
! 'arrêt paraisse - à tort, semhle-t-il - se fonder plutöt sur la " faute n
prétendûment commise par Ie moniteur en acceptant de se charger de
donner une leçon.
3
Seine, 3 janv. 1930, G. P., 1930, I, 433. La question ne présente
guère d'intérêt en Belgique, Ie recours à l'article 1384, § 1 n'étant ouvert
que si la chose était entachée rl 'un vice.
RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS 313

citées par Ie problème du transport bénévole, et elles se


ramènent toutes à un reproche unique : Ie càractère pure-
ment divinatoire de l'interprétation adoptée. Nous n'avons
point, dans ce travail, à prendre parti dans Ie débat, qui
n'a pas encore pris fin. Il nous suffira de constater, d'une
part, que Ie procédé critiqué n 'a rien d 'insolite, si l 'on
songe que la jurisprudence française n 'hésite pas à
admettre à charge de débiteurs contractuels, de plus en plus
nombreux, de_ rigonreuses obligations « de sécurité », par
simple interprétation de la volonté des parties ; que d 'autre
part, l 'interprétation adoptée par la jurisprudence, si elle
peut paraître hardie dans certains cas, est par contre fort
raisonnable dans d'autres, et qu'une condamnation absolue
des dauses tacites d'exonération ne saurait être légitime.
Il ne suffirait certes pas, pour justifier pareille condamna-
tion, de faire valoir que les parties n 'ont point « songé >> à
l'article 1382 ou à l'article 1384, car il n'est point néces-
saire de connaître la loi pour s 'obliger valablement : Ie
role du juge consiste précisément à donner à la volonté des
parties, telle qu'elle lui paraît se dégager des faits, la signi-
fication juridique qu 'elle comporte.
234. ll faut toutefois se garder de toute exagération,
et à eet égard, deux observations importantes trouvent ici
leur place :
1° Le seul fait de s 'exposer vo]ontairement à un risque
n 'implique pas nécessairement la volonté <le renoncer à
tout recours si Ie risque se réalise. Ce n'est là d'ailleurs
qu 'une vérité d 'évidence, facile à controler : Ie plus sou-
vent, en effet, cel ui qui s 'ex pose à un ris que stipule en
même temps de son co-contractant l 'obligation de Ie pro-
téger ; Ie voyageur qui s 'expose aux risques d 'un voyage
en chemin de fer, Ie malade qui se confie à un chirurgien
pour une opération, entendent évidemment, en échange du
prix qu'ils payent, être protégés contre les risques auxquels
ils s 'exposent. Seules des rirconstances particulières ren-
314 RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS

dent légitime l'idée d'une exonération tacite' : soit la gra-


tuité du service rendu, soit encore !'extrême diffièülté
d 'obtenir la protection nécessaire, soit enfin Ie caractère
réciproque de l'exonération • ;
2° Notre deuxième observation se rattache à la pre-
mière, mais concerne plus spécialement l'article 1384, § 1
du Code Civil. Le seul fait de participer à l 'usage d 'une
chose n 'implique nullement l 'intention d 'exonérer de toute
responsabilité celui qui en conserve la garde • : on Ie
comprend aisément, car celui qui achète Ie droit de parti-
ciper à l'usage de la chose, entend presque toujours acquérir
en même temps Ie droit d 'être protégé contre ses dangers :
la participation à l 'usage de la chose est simplement, pour
Ie contractant, un droit ou une obligation nés du contrat •.
Rienne s'oppose, dès lors, à l'application de l'article 1384,
§ 1, qui est parfaitement susceptible d 'être appliqué, par
exemple, entre les parties au contrat de transport à titre
, 5
onereux .

' Pour éviter toute confusion, il convient de signaler ici l'hypo-


thèse ou Ie juge refuse à la victime toute action délictuelle, ou ! 'oblige à
supporter elle-même une partie du dommage, non point parce qu'elle a
tacitement renoncé à invoquer les règles délictuelles, mais parce qu'elle
a commis une faute en s'exposant sciemment et sans nécessité à un
<langer : Civ. Namur, 12 mai 1925, Pàs., 1930, 3, 158 ; Civ. Bruxelles,
22 janv. 1931, J. T., 1931, col. 226; comp. Civ. Charleroi, 15 avril 1931,
J. T., 1931, col. 316. •
2
Telle est, nous semble-t-il, Ia justification de la clause tacite d 'exo-
nération admise entre les propriétaires qui mettent Ieurs bestiaux au
pacage en commun ; voyez supra, n° 231.
3
V. n. Esmein, S., 1929, I, 249.
4
Voyez en ce sens : n. Ripert, D., 1928, I, 145
" Voyez supra, n° 173.
RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS 315

SECTION Ill. - ExcLUSION INDIRECTE


DE LA RESPONSABILITÉ DÉLICTUELLE

235. Position du problème. Clauses d'exo-


nération de la responsabilité contractuelle
et clauses écartant du contrat certaines obli-
gations.
T. Influence de la délimitation
des obligations contractuelles.
236. Position du problème. Règle d'inter-
prétation de la volonté des parties. - 237.
Limitation des obligations contracluelles de
moyens. - 238. Limitation des obligations
contr.:ctuelles de résultnt. - 239. Influence
de la limitation des obligations contrac-
tuelles sur l 'applicalion des articles 1384 à
1386 : A. Responsahilité du fait d'autrui.
- 240. B. Responsabilité rlu fait des choses.
JJ. Tnfluence des cla11ses d'exonéralion et de
limifation de la respon.rnbilité
contracf11elle.
1. Clauses d 'exonération.
· 241. Leurs effets. Théorie du maintien
entre les partics de la responsabilité délic-
tuelle. Critique. - 242. Principe proposé et
applications diverses.
§ 2. Clanses limitatives de la responsabi-
lité.
243. - Objet de ces clauses. - 244.
Clauses limitant les dommages et intérêts.
- 245. Clanses limitant le délai enrlrans
lequel l 'aclion doit être intentée.
§ 3. Limites de l 'influence des clauses
d'exonération ou de limitation de la respon-
sabilité contractuelle.
246. Clauses sans valeur 11 l 'égard de la
responsabilité contractuelle. Conséquences.
- 247. Maintien des ohligations délictuelles
qui intéressent l 'ordrc public.

235. Il est rare, nous l'a,ons vu, que les parties sup-
priment directement, par une convention particulière,
l'application entre elles de la responsahilité délictuelle.
Le plus souvent ce n'est qu'indirectement que les
règles délictuelles sont écartées : en limitant étroitement
leurs obligations contractuelles, les parties restreignent
316 RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS

nécessairement, dans la même mesure, et sans qu'elle


doivent exprimer leur intention à eet égard, les obligations
délictuelles qui existaient entre ellles.
L 'étude de ces dérogations indirectes est assurément
fort délicate. Pour les analyser clairement, une distinction
préalable s 'impose entre deux opérations juridiques dis-
tinctes : les conventions écartant du contrat une obligation
déterminée, et les clauses de non-responsabilité.
Lorsqu'un débiteur désire limiter ou alléger la charge
qu'il assume à l'égard de son co-contractant, il dispose à
cette fin de plusieurs moyens : il peut en premier lieu s 'cxo-
nérer, partiellement ou intégralernent, de la responsabilité
que deuait entraîner normalement l 'inexécution de ses obli-
gations. En pareil cas, il n'altère pas les obligations elles-
mêmes telles que les déterminent la convention, les usages
et les dispositions supplétives de la loi : Ie débiteur, disent
MM. Mazeaud 1 « s'engage à donner, à faire ou ne pas faire;
mais il ajoute que s'il ne remplit pas son obligation. il ne
pourra pas être inquiété. sa responsabilité ne sera pas
engagée. »
Mais Ie débiteur peut aussi recourir à une autre voie :
il peut écarter du contrat une ohligation qui normalement
aurait dtî peser sur lui. Dans ce cas les obligations elles-
mêmes sont modifiées : tandis que la clause d 'exonération
laissait subsister, au moins théoriquement, les obligations
du débiteur, la convention que nous anal)sons à présent
supprime ou limite certaines d 'entre eJles : tel est le cas
du vendeur qui stipule qu 'il n 'assume pas la garantie
d'éviction.
Plusieurs auteurs ont attiré récemment l'attention sur
la distinction qui précède, et ils y attacl1ent une impor-
tance considérable 2 • Nous croyons cependant que sa valeur
est toute théorique ; car nous n 'aperccrnns g-uère de diffé-
rence entre l 'absence d 'obligation et l 'existence d 'une obli-
1
Traité, IT, n° 2519.
2 Voyez MAZEAUD, loc. cit. ; Pu:-,;ror, et RrPERT, t. VI, n° 402 ; P. Du-
RA'iD, thrse, n°• 4, 62 et 119.
HESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS 317

gation sans sanction. La Cour de Cassation de Belgique a


d 'ailleurs parfaitement reconnu, dans son arrêt de principe
sur la validité des clauses d'exonération 1 , que ces der-
nières pouvaient toujours s 'analyser en une restriction des
obligations du débiteur. Dans l'espèce qui lui fut soumise,
la clause arguée de nullité était insérée dans un contrat de
transport : l 'Etat avait stipulé dans les conditions régle-
mentaires qui constituaient les clauses du contrat, que cc les
produits chimiques sont transportés sans aucune garan-
tie» : c'était là line clause d'e.ronération proprement dite,
car le transporteur, sans modifier expressément l'obliga-
tion de garde qui, suivant l 'article 1782, dérive du contrat
de transport, se contentait de stipuler, qu 'il ne devrait
point cc garantir n le destinataire en cas de perte ou
d'avarie. La Cour Suprême, en proclamant la validité de 1a
clause, a cependant parfaitement reconnu que l 'exonéra-
tion se ramenait pratiquement à une limitation des obliga-
tions du débiteur : cc Considérant que cette clause de non-
garantie, en tant qu 'elle n 'a pas pour objet d 'affranchir
l'administration des conséquences de son dol, n 'a rien
d'illicite ; qu'il est permis en effet de convenir qu'un débi-
teur sera tenu de plus ou moins de soins que n'en exige
en général la nature du contrat, et que les faits entachés
de mauvaise foi sont les seuls dont les parties ne pourraient
sans blesser la morale décliner d'avance la responsahi-
lité.. . . >>
Sous le bénéfice des observations qui précèdent nous
adopterons la distinction proposée, mais uniquement pour
la clarté de notre exposé.

I. Tnfluence de la délimifation des obligations contractuelles

236. L'étendue des obligations que les parties s'im-


posent l 'une à l 'autre par leur convention, est déterminée
soit par les clauses du contrat ]ui-même, soit par les dispo-

1
26 octobre 1877. Pas., 1877, I. 406.
318 RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS

sitions supplétives de la loi, soit encore par leur intention


tacite telle que Ie juge la dégage des circonstances de la
cause.
Or, la charge ainsi précisée par Ie contrat est parfois
moins lourde que celle qui est imposée par les articles 1382
et suivants. Ainsi, Ie dépositaire gratuit, en vertu de l'arti-
cle 1927 du Code Civil, doit seulement cc apporter, dans la
garde de Ia chose déposée, les mêmes soins qu'il apporte
dans la garde des choses qui lui appartiennent n. La dili-
gence qui lui est imposée est donc moins grande que celle
qui est exigée par l'article 1382 du Code Civil.
Si Ic dépositaire, par une néglig·ence légère, endom-
rnage ou détruit à la fois les choses déposées et d 'autres
ohjets dont il ótait lui-même propriétaire, sa responsabilité
contractuelle n 'est point engagée ; Ie contrat I 'obligeait
seulement à ne pas prendre moins de soins de la chose
déposée que de la sicnne propre. Le déposant pourrait-il
alors se prévaloir de l'article 1382 ?
S'il pouvait se faire indemniser par ce moyen, les
limites assignées par les parties aux obligations du déposi-
taire seraient som ent sans portée.
Pareille consóqucnce démontre immédiatement Ia
rnlonté des parti es d 'ex cl ure la responsabilité délictuelle 1 ;
Ie contrat de dépot implique nécessairement renonciation à
se prévaloir de I 'article 1382 quand son intervention abou-
tirait à pareil résultat.
Est-cc à dire que dans les cas de ce genre, dans celui
du dépot par exemple, l'intervention des articles 1382 et
suivants soit entièrement exclue ?
Pour l'admettre, il faudrait donner à Ia renonciation
impliquée par Ie contrat une extension tout à fait arbitraire.
Il n'y a de renonciation en effet, que dans la mesure ou le
maintien des ohligations délictuelles contredirait la volonté
des parfies : mais la renonciation s 'arrête là ou s 'arrête
I 'incompatibilité e1Ie-même.

1
Comp. sur cette situation : A. BRu:-, n° 204.
RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS 319

Le choix n 'existe pas, en effet, entre d 'une part Ie


maintien intégral des obligations délictuelles, et d 'autre
part leur suppression complète : Ie contrat peut atténuer
irnplicitement certaines d 'entre elles, sans pour cela les
faire disparaître entièrement.
Le dépositaire reste donc tenu d 'observer les règles de
la prudence <lont l 'article 1382 impose l'observation, dans
tous les cas ou Ie contrat ne l 'autorisait pas à se contenter
d 'une diligence moins rigoureuse : toutes les fois notam-
ment qu 'il a traité avec moins de soin la chose déposée que
ses choses propres. Le déposant peut alors invoquer contre
lui l'article 1382, si l'imprudence commise est d'une nature
telle qu'elle contrevient à la diligence que l'article 1382
impose à tous les individus, en l 'absence même de tout
engagement contractuel, et si cette imprudence a porté
atteinte à la propriété du déposant 1 •
Nous pomons à présent formuler une première règle
d 'interprétation de la volonté des parties : En délimitant
les obligations qu 'elles assument en vertu du contrat, les
parties suppriment tacitement les obligations délictuelles
dans la mesure ou ces dernières leur imposeraient des pres-
tations plus étendues que cellrs que prescrit le contrat lui-
même.
Dans les paragraphes sui,ants, nous étudierons quel-
ques hypothèses dans lesque]Jes la règle susdite trouve son
application. 11 est évidemment impossible de les indiquer
toutes, car la délimitation des ob]igations contractuelles,
2
est susceptible de revêtir les form es les plus diverses •
Nous nous bornerons donc à l 'examen des cas ou cette déli-
mitation a été pr{'vue par la loi elle-même dans ses dispo-
sitions supplétives.
237. Beaucoup de contrats. (vente. louage, prêt,
gage, etc ... ) imposent au débiteur l 'obligation de veiller à
la conservation d \me chose appartenant au créancier: dans

1
Voyez supra, n° 112.
2
Voyez DnRAo'ID, thèse, pp. 108 et s.
320 RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS

tous ces cas peut se poser la question de savoir si Ia dili-


gence ainsi imposée par Ie contrat comporte, dans Ie chef
du créancier, une renonciation au bénéfice de l'arti-
cle 1382 1 •
En règle générale, et en 1'absence de clauses particu-
Iières, la diligence requise par Ie contrat est fixée par
I 'article 1137 du Code Civil : Ie débiteur doit prester les
soins d 'un bon père de familie. L 'article 1137, placé par
les rédacteurs du Code dans Ie Titre cc Des obligations con-
ventiönnelles en général n énonce en effet, suivant }'opi-
nion de la doctrine, une règle applicable à tous les contrats,
2
sauf dérogation expresse •

De nombreuses dispositions supplétives des titres VI


et suivants du Livre III y renvoient d'ailleurs expressément
ou en reprennent les term es : sont tenus des soins d 'un
bon père de famille : Ie ven deur ( art. 1624) et I' échan-
giste ( art. 1707) , pendant que la chose vendue ou échan-
gée demeure en leur possession ; Ie locataire ( art. 1728,
1766, 1806); Ie commodataire (art. 1880); Ie créancier
· gagiste fart. 2080) .
Or, la délimitation assignée par I 'article 1137 aux
obligations de moyens d 'un débiteur contractuel n 'implique
aucune restriction à la diligence prescrite par l 'article 1382.
Nous avons démontré antérieurement, en effet, que la dili-
gence imposée par la Joi doit s 'apprécier par référence à la
conduite qu-'aurait ene un homme cc normalement pru-
dent ,, , placé dans les mêmes circonstances, et il n 'y a au-
cune différence spécifique entre la conduite d 'un homme
normalement prudent et celle d 'un bon père de famille •.
Dès lors, dans tous ces contrats, Ie créancier ne
renonce en rien aux garanties du droit commun et Ie débi-

1 Les autres ohligations contrnctuelles de moyens, par exemple cellPs

d'un mandataire, sont sans intérêt pour l'étude à laquelle nous procé-
dons : ce sont en effet des obligations purement contractuelles, dénuées
de toute influence sur la responsahilité délirt11elle : voy. supra, n° 197.
2
Voyez supra, n° 19.
" DEMrlGUE, Obli_q., JIJ, n° 256.
RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS 321

teur qui détfriore o'.1 détruil la chose dont il a eu la garde,


en sera responsable, non seulement en vertu du contrat,
mais aussi sur la base de l'article 1382, toutes les fois que
le mêrne acte dornmageahle, commis par un tiers, aurait
cntraîné la responsaliilité délictuelle de ce dernier.
Par contre, si, par uue clause expresse du contrat ou
par référence à des dispositions légales particulières, les par-
ties dérogent à l'article 1137 et déterminent avec moins de
rigueur que eet article la diligence requise du débiteur, elles
ont, sans aucun doute, voulu réduire dans une mesnre iden-
tique les ohligations délictuellcs de ce débiteur.
D'une façon générale, il est permis d'affirrner que
lorsque l 'une des parti es promct à l 'autre un service pour
lequel clle ne reçoit aucune rémunération, la diligence dont
elle est tenue s 'apprécie avec une moindre rigueur 1 • Tel est
le principf' qui a inspiré les dispositions supplftives clu Code
Civil relati, es a11 commodat, an dépot ~ contrats gratuits ;
et la jurisprudence en a fait à son tour l'application : le
meilleur exemple que l'on puisse en donner est, encore une
fois, cclui du transport hénévole : si l'on reconnaît avec une
partie de la rloctrine et de la jurisprudencc, qu'il existe unc
convention tacite entre le ,oyageur et cclui qui l'accueille
dans son auto, encore faut-il admettre qu'à raison de la
gratuité du service rendu, la dilig.-,nce à laquclle le tram,•
2
porteur est astreint, doit être appréciée awc modération ;

il n 'est responsahle. en vers son cocontractant, quf' de son

1 Voyez P. D1•RAND, thèse, n° 63 in fine.

• En ce sens : Bruxelles, 7 oct. 1927, Pas., 1928, 2, 59 ; Giv. Liége.


14 nov. 1926, B. Ass., 1927, p. 513; Civ. Mons, 30 noY. 1928, Pas., 1929.
3. 145; Dijon, 9 ort. 1928, G. P., ]928, 2, 885; 30 juill. 1929, D. Ir..
1929, p. 483. Certaines décisions refusent rependant de s'arrêter a11
caractère gratuit du contrat, et assimilent en fait - à tort, selon nous -
la situation du transporteur hénévole à celle d II transporteur ~ titre on{>-
reux, tous deux étant tenus d'une obligation de résultat (amener Ie
voyageur sain et sauf à destination) : Civ. Mons 3 sept. 1929, B. Ass.,
1930, p. 162, Gand, 24 nov. 1927. Rei•. gén. ass. et resp., n° 264, avec
note en sens contraire. Un arrêt de la Cour de Bruxelles, unanimement
critiqué, avait arbitrairement limité la responsahilitP clu transporteur,
à la somme pour laq11elle il était assuré : 29 juin 1928, R . .T., 1928,
col. 492.
322 RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS

dol et de ses fautes lourdes, et Ie transporté ne pourrait mé~


connaître la limitation tacitement apportée aux obligatiom,
légales du transporteur en se basant sur l'article 1382 1 •
238. Les ohligations qui rentrent dans la catégorie des
2
<< ob]igations de résultat >> impliquent par leur nature
,

même la prestation d'une maxima diligentia en vue de réa1i-


ser Je résultat promis. Le contractant qui irnpose à l 'autre
des obligations aussi rigoureuses, n'entend certainemeut pas
renoncer aux garanties du droit commun, notamment au
hénéfice de l 'article 1382.
Un doute pourrait néanrnoins suqrir dans certains cas.
Les obligations contractuelles de résultat sont principale-
ment les obligations cc de garantie ii contractuellement
imposées au vendeur, au bailleur. au transporteur. Or, cette
garantie est souwnt limitée par Ie contrat à certains cas dé-
terminés : Ie vendeur ne doit garantie qu(' des vices cachés
( art. 1641) ; Ie baillcur n 'est tenu que des ,ices qui empê-
chent l 'usage <le Ja chose louée ( art. 1721) ; Ie transporteur
ne répond pas des a rnries <lues à un ,ice propre de la chose
3
transportée •

Faisant état de cette délimitatinn de l'ohligation de


résPltat, des auteurs ont cru pouvoir en déduire une renon-
ciation au hénéfic(' de l'article 1382. TeJle est notamment
l 'opinion de MM. Ma:,;eaud •. Mais leur exposé nous paraît
sur ce point singu]ièrernent équivoque : cc Quand on dit : Ie
vendmir n 'est responsable que des vices cachés, cela signifie
évidernment qu 'il ne peut, en aucune manière, être tenu du

1 Si cerlains arrêts ont pu adopter une autre solution (voyez par

exemple, Gand, 17 juin 1929, B. J., 1929, col. 618), c'est à raison du
caractère d 'ordre public qui est parfois reconnu à la responsabilité délic-
tuelle dans la mesure ou elle assure Ie respect rle l 'intégrité physique.
Nous avons critiqué cette opinion: voyez supra, n°• 9 à ll.
• Voyez supra, n°• 14 et suiv.
3
L 'art iele 1891 paraît imposer égalemen t une garantie des vices
de la chose au prl'leur. Mais comme cette garantie ne joue que si le
prNeur arnit connu Ie vice et ne l'avait pas signalé, l'obligation du pri'-
teur se ram/>ne en réalité à une obligation de moyens : celle de mettre
l 'cmprunteur au courant des défauts ou particularités de la chose pré'téE'
4
Op. ei/., T, n° 180.
RESPO;\'SABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS 323

dommage que subit l'acheteur du fait que la chose vendue


présente un vice apparent. Par suite, donner à l'acheteur
l 'action délictuelle serait violer la volonté des parti es, éten-
dre, contre leur gré, Ie cercle du contrat. n Mais si Ie ven-
deur ne peut être tenu en vertu de l'article 1382 dn dom-
mage résultant d 'un vice apparent de la chose, c 'est unique-
ment parce que la faute, requise par l'article 1382, n'est
nullement établie par la seule existence de ce vice. La situa-
tion serait toute différente si une faute était véritablement
prouvée à charge du vendeur, par exemple celle qui consiste,
pour un professionnel, à fabrique~ ou à mettre en vente
une chose dangereuse 1 • MM. Mazeaud reconnaissent d'ail-
2
leurs eux-mêmes mais à regret semble-t-il, que la limita-
,

tion de la garantie contractuelle aux vices cachés demeure-


rait sans aucune influence sur la responsabilité qui résu1te-
rait de fautes semhlables.
La règle est donc claire : 1'étendue et les modalités des
ohligations de ré.mltat imposées par Ie contrat demeurent
en principe sans influenc'e sm l'application de l'article 1382.
Que Ie vendeur assume purement et simplement l'oblig·a-
tion de délivrer l'ohjet vendu, ou qu'il stipule expressément
soit une clause de non-garantie de la contenance, soit un
délai de livraison indéterminé, ou toute autre danse restric-
tive. peu importe ; ces restrictions n 'impliquent par elles-
mêmes aucnne dérogation à l 'ohligation de se conduire en
homme avisé. Elles n'affectent qne l'obligation de résultat
elle-même -- obligation entièrement nouvelle, imposée par
le contrat, et totalement étrangère aux devoirs qui s 'impo-
sent à chacun en dehors de toute convention.
239. Il arrive rarement que la limitation des obliga-
tions conventionnelles comporte une dérogation aux arti-
clès 1384 à 1386 ; on comprend aisément, en effet, que ]es
Pngagements personnels assumés par Ie déhiteur, même
s 'i.ls sont très limités, soient parfaitement compatibles avec

1
Voy. supra, n°• 156 et suiv.
2
Traité, I, n° 181.
324 RESPO~SABILITI~ AQULIENNE ET CO!\TRATS

Je de, oir légal de répondre de personnes que l 'on a sous sa


dépendance ou des cl1oses que l 'on a sous sa garde 1 • Il n'en
est autrement que dans les cas ou le contrat institue, expres-
sément ou tacitement, en ce qui concerne la gara11tie du fait
d'autrui ou du fait des choses, des règles diffC,rentes. et
moins rigoureuses, que celles des artides 1384 :, 1386.
Ces cas se présentent raremenL, et nous examinerons
brièvement les plus intéressants d 'entre eux.
A) Lorsqu'un contrat, délimitant les obligations du
débiteur, lui impose seulement la prestation d 'une diligence
inférieure à celle que l 'ohligation hçgale de prndence impose
à tous les individus, pareille restriction implique néces:-;ai-
rement la volonté de déroger à cette obligation légale dans
la mesure ou elle imposerait au débiteur une diligence dont
il est contractuellement dispensé. Mais elle implique égale-
ment. pour les mêmes motifs et dans la même mesure, une
restriction à la responsahilité délictuelle du déhiteur à rai-
son des faits de ses préposés telle qu'elle e:-;t organisée par
l 'artide 1384.
Reprenons en effet l'exemple du dépositaire, tenu seu-
lement, en vertu de l'article 1927 du C:ode Civil, d'appor-
ter dans la garde de la chose déposée les mêmes soins qu 'il
apporte dans la garde des choses qui lui appartiennent.
Si Ie dépositaire confie la garde et' la surveillance de
la chose déposée à ses préposés ( si par exemple Je proprié-
taire d 'un garage fait surveiller par son personnel Jes voi-
2
tures qu 'y sont déposées ses clients demeure-t-il soumis
)

intégralement à la responsabilité édictée par l 'article 1384


§ 3 P La preuve d 'une imprudence commise par un préposé
au cours de Ia surveillance suffira-t-elle toujours à mettre
en jeu cette responsabilité P

1
Rappelons toutefois que les contrals peuvent exercer une influence
sur l 'application des articles 1384 et 1386 en supprimant les conditions
requises pour que leur intervention soit possible : voyez supra, n°• 213
r, 224.
2
Encore faut-il, pour que Ie déposant puisse inYoquer l'article 1927,
que Ie dépöt soit gratuit (comp. art. 1928).
RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS 325

Admettre l'affirmative serait méconnaître la ,olonté


des contractants. En effet, si le débiteur répond, en vertu
dl's obligations portées au contrat, des personnes qui le
rPprésentent dans l 'exécution de cc contrat, lorsque ces
représentants ne l'exécutent pas ou l 'exécutent mal, il est
certain que pour déterminer s'il ~ a inexécution ou mauvaise
exécution, il faut nécessairement se reporter au contrat lui-
même : la responsabilité du débiteur n 'est donc engagée en
aucune manière si ses représentants ont fait prelne éle la
diligence imposée par le contrat '.
La situation du transporteur à titre gratuit est analo-
gue à celle du dépositaire, si du moins l'on admet qu'il est
tenu seulcment de ses fautes lourdes. Dans le cas ou Je trans-
port gratuit a lieu par l'intermédiaire <l'un próposé (par
exemple un chauffeur d 'automobile) , le commettant ( dans
l'espèce, ll' patron du chauffeur) ne sera responsable du fait
<le ce préposé que dans la mesure ou il serait responsable lui-
rnême. c'est-à-dire sculement si le préposé a commis une
faute lourde. Permcttre à la vidime de réclamer des dom-
maw~s et intérêts en vertu de l'article 1384, ~ 3 du Code
Civil, sans tenir compte du contrat intervenu, serait mécon-
naître arhitrairement la volonté des parties.
Mais C'n pratique les dérogations tacites à la rt'sponsa-
bi.litl' <lélictudle du fait des préposés sont rares. La raison
en est fort simple : les conventions <lont l' exécution requiert
l'assistance d'anxiliaires ou lc concours de teclmiciens,
imposent la plupart du temps au déhiteur des obligations de
résultat, très rigoureuses, et qui n'impliquent aucune res-
triction aux obligations délictuelles <ln droit commun ( con-
trat d 'entreprise, contrat d 'hotellerie, contrat de transport
à titre onéreux) .

1 Nous supposons bien entendu que Ie déhiteur a,ait, suhant


l'intenlion des parties ou la nature du contrat, le droil de s'adjoindre
rles auxiliaires ou de substituer à sa place une au tre personne. S'il 11 'en
était pas ainsi, Ie seul fait de n 'avoir pas exécuté lui-même Ie contrat
constituerait un manquement au contrat, engageant la responsabilité
personnelle du débiteur. Voyez MAzEAUD, Traité, l, n° 968.
326 RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS

240. B) L'existence d'une contradiction entre les obli-


gations contractuelles et l 'article 1384, § 1 n 'est pas ahsolu-
ment exclue.
Les contrats comporteiit souvent, en effet, I 'ohligation
pour l'une des parties de garantir I 'autre contre les dom-
mages pouvant résulter du fait des choses : garantie des
vices de Ia chose vcndue ( art. 164f) , Iouée ( art. 1721) , prê-
tée ( art. 1891), et la garantie contractuelle est généralement
moins 6tendue que celle prévue par I'article 1384, § 1 :
Ie , en deur est tenu seulernent des v1ces cachés, Ie prêteur
n 'est responsablc que <les défauts qu 'il connaissait et n 'a
pas signalés.
Dans la mesure OlI l'intervention de l'article 1384
~ 1 mettrait à charge du ven<leur, du bailleur ou du prêteur
une garantie supérieure à celle qu'impose Ie contrat, pareille
intervention serait en contradiction avec l 'intention des
parties et devrait donc être écartée. Qui dicit de uno, negat
de altero : en déclarant Ie vendeur responsable des vices
cachés, l 'article 1641 Ie libère évidemment de toute garantie
quelconque des vices apparents 1 •
Toutefois cette observation n 'aura Ie plus souvent
qu 'une ,,aJeur théorique. En effet, l'application de l'article
1384, § 1 au vendeur, au bailleur ou au prêteur est fréquem-
ment exclue a priori, par Ie fait que l'exécution du contrat
leur ote la garde de la chose ou de l 'anirnal vendu, loué ou
2
prêté •

S'il fallait en croiro divers auteurs français l 'intenen-


1
En revanche pareille Iimitation de fa garantie contractuelle est
indifférente pour l'application de l'article 1382: voyez supra, n° 239.
2
Voyez supra, n° 220. Plusieurs décisions françaises ont déclaré res-
ponsable, sur la base de I 'article 1384, S l, Ie prêteur d 'un objet mohi-
lier dans les cas oû l'emprunteur ne pouvait se prévaloir d'une respon-
sabilité contractuelle, faute de pouvoir démontrer que Ie prêteur con-
naissait les défauts de Ia chose prêtée (art. 1891) : voyez A. BRF'i, op. cit..,
n° 276. Ces décisions nous paraissent doublement critiqunbles :
l'article 1384, § 1, ne pouvait entrer en jeu, puisque Ie prêteur n 'avait
plus Ia garde de Ia chose ; à supposer même qu 'on pût en décider
autrement, encore les parties, en se référant tacitement à l'nrticle 1891 du
Code Civil, avaient-elles dérogé de façon non douteuse il l 'arl iele 1384.
s 1.
RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS 327

tion de l 'article 1384, § 1 devrait être écartée toutes les


fois que la ,ictime dispose d 'une action contractuelle en
responsabilité. Tel est le cas, par exemple, du bailleur dont
l'immeuble a été endommagé par l'explosion cl'un objet
appartenant au locataire 1 ou du vo~~ageur blcssé dans un
2
accident causé par le matériel défectueux du transporteur •

Pareille opinion nous paraît inadmissible. Elle cléri,e


en effet d 'un postulat arbitraire, que nous avons longue-
ment réfuté, suivant lequel il est impossib]e que la victime
d'un dommage dispose à la fois d'une action contractuelle
et d \me action délictuelle pour en assurer la réparation •.
La Cour de Cassation de France semble toutefois avoir
été fortement influcncée par la doctrine. Elle dénie au
voyageur blessé au cours d 'un accident de transport le droit
d'invoquer contre le transporteur l'article 1384, § 1 4 • Les
juridictions de fond repoussent également l 'intervention
de l'articJe 1384, § 1 dans les cas ou existe entre les parties
un des nombreux contrats d 'ou dérive prétendûment une
(( ohligation de sécurité » à charge de l'un des contractants
envers l'autre ( contrats <lits « de jeux forains », par
exemple). La Cour de Cassation de France motive ses déci-
sions en déclarant que l'article 1384, § 1 ne peut recevoir
application lorsque la victime trouve « sa protection dans les
obli~·ations imposées au transporteur par les stipulations
expresses ou implicites du contrat )) •.
Et cependant, a,ant les arrêts de principe qui ont
consacré l'existence, dans le chef du transporteur de per-
sonnes, d'une obligation contractnelle de sécurité, et à
l 'époque ou le transporteur était tenu seulement, suivant
la jurisprudence, d 'une obligation de diligence simple
( ohligation de moyens), la jurisprudence française admet-

1
H. et L. MAZEAUD, I, n° 1412.
2 H. et L. MAZEATJD, I, n° 1409 (transport de personnes)
3
Voy. supra, n°• 112 à 120.
• Civ. 27 mars 1928, S., 1928. I, 353, n. Gény : 24 juillet 1930, D. H.,
1930, p. 523; v. MAZEAUD, Traité, T, n° 1291.
5
Civ. 27 mars 1928, précité.
328 RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS

tait que la ,ictime d'un accident SP prérnltît de l'arti-


1
cle 1384, § 1 • D'autre part, par un arrêt récent, la Cour
dP Cassation de France elle-même a encore reconnu ce droit
à la "ictime d 'un accident du trarnil dans une espèce qui,
2
(

pour des raisons de fait, ne tombait pas sous l 'application


de la législation spéciale de 1898). Le contrat de tra,ail com-
porte pourtant pour Ie patron l 'oLligation tacite de prendre
les précautions normales pour é,iter les accidents.
Mais la Cour de Cassation adopte cette fois une argu-
mentation différente. « La loi, pour l'application de la pré-
somption qu 'elle édicte, ne distingue pas suivant que la
victime est un tiers ou une personne liée avec Ie gardien
de la chose par un contrat, si ce contrat ne règle pas la
guestion de respor,sabilité. »
Les derniers mots de eet attendu doivent vraisembla-
blement, dans la pensée des rédacteurs de l'arrêt, permettre
de concilier la solution qu 'ils adrnettent avec celle de }'arrêt
du 27 mars 1928. L 'expression « régler par la question de
responsabilité >> est toutefois fort confuse : dans son sens
ob,ie, elle paraît signifier : <( contenir des clauses détermi-
nant la responsabilité des parties n. Or, on aperçoit imrné-
diatement que Ie contrat de louage de services aussi hien
que Ie contrat de transport de personnes, remplit cette con-
dition : Ie patron, en vertu du contrat, s 'oblige au rnoins
taciternent à prendre les précautions nécessaires pour éviter
les accidents •, et la Cour de Cassation de France ne dis-
tingue pas, à bon droit rl'ailleurs, entre les clauses expresses
et les clauses tacites. Dès Iors, les solutions opposées que
donne la Cour suirnnt qu 'il s 'agit de l 'un ou de l 'autre de
ces contrats, demm1rent logiquement inconciliahles.
En fait, il est vrai, l 'article 1384, § 1 ne sera guère

1
Paris, 9 nov. 1909, D., 1911, 2, 357; Besançon, 15 déc. 1909, S.,
1910, 2, 174. Dans Ie même sens : JosSERAND : Transport.~; n°• 881 et 882.
• Civ. 27 févr. 1929, S., 1929, I, 200, n. Hugueney; n. P., 1929, 1,
130, n. Ripert.
3
Cf. la loi beige du 10 mars 1900, art. 2.
RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS 329

utile au voyageur blessé, qui trome dans lc contrat de trans-


port, gràce à l'obligation de sécurité qu'il comporte, la base
d'une action en responsabilité aisée à faire triompher.
L 'article 1384, § 1 est au contraire d 'un grand secours à
l'onvrier, dans Ie cas ou il ne peut hénéficier de la loi sur
les accidents du travail, c;ar il ne pourrait triompher sur le
terrain contractuel qu'en prouvant que le patron a manqué
de diligence 1 •
Mais il nous paraît malaisé de justifier juridiquement
une solution différente dans l'un et l'autre cas. '1lieux vau-
drait assurément reconnaître que les obligations délictuelles
subsistent entre contractants, à moins qu'elles ne soient
incompatibles avec la volonté des parties : or, les obliga-
tions du transporteur, pas plus que celles du chef d'entre-
prise, ne sont incompatibles avec l 'application <les règles
de la responsahilité délictuelle.

II. lnfluence des dauses d'exonération


et de limitation de la responsabilité contractuelle

§ 1. Clauses d' exonération

241. Les effets d'une clause d'exonération de la res-


ponsahilité contractuelle ont donné lieu - surtout en
France - à de sérieuses controverses. Les partisans de leur
nullité complète deviennent cependant de plus en plus rares,
et la Cour de Cassation de Relgique a reconnu leur validité
de principe par des arrêts nomhreux dont les premiers
2
remontent à 1877 •

Mais plusieurs auteurs ont soulevé la question de savoir


si les clauses d'exonération, dont le but immédiat est de
supprimer la responsabilité contractuel1e, ne laissaient point
subsister entre parties la responsabilité délictuelle. Pour
soutenir l 'affirmati,e, l 'on invoque la jurisprurlence cons-

1 Voyez la loi belgc, article précité.


2
Voyez: supra, n° 124
330 RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS

tante et unanime de la Cour de Cassation de France : en de


nombreux arrêts 1 , la Cour suprême décide que la clause
d'exonération a pour seul effet de « renverser Ie fardeau de
la preme », ·de faire disparaître la << présomption de faute »
qui pèse sur Ie débiteur contractuel : en conséquence, si Ie
créancier rapporte la preuve d 'une faute déterminée com-
mise par sou débiteur, celui-ci demeure responsable malgré
l 'existence de la clause d 'exonération.
Pareille situation ne peut s 'expliquer, a;joute-t-on sou-
vent, quP par la suhsistanre entre les parties, des règles de
2
la responsahilité délictuelle Toutefois, jamais la Cour de

Cassation de France elle-rnême n 'a invoqué l 'article 1382


à l'appui de ses décisions, et de nomhreux auteurs critiquent
3
à présent l 'explication traditionnelle Lè plus sou vent

d 'ailleurs eet te explication ne répondrait pas à la réalité,


car la faute <lont Ie créanóer rapporte la preuve et qui lui
permet d 'échapper à la clause d 'exonération, est une faute
purement contractuelle, c'est-à-dire un manquement à une
ohli~ration qui ne saurait exister en }'absence de com·ention;
il s'agit presque toujours d'une faute dans l'exécution du
contrat et non d'urw faute telle qu'un tiers aurait pu la
eommettre et en être responsahle. Dès lors, peut-être serre-
rait-on la réalité de plus près en considérant que Ia Cour de
f:assation de France donne aux clauses d 'exonération eet
effet limité de transformer les obligations du débiteur en
obligation de moyens • : au lieu d'être tenu d'assurer l'arri-
vée à destination des colis qui lui sont confiés, Ie transpor-
teur qui a stipulé à sou profit une clause d 'exonération
demenre seulement soumis à une obligation << de diligence n:

1 Voyez notamment Civ. 4 févr. 1874, D., 1874, J, 305 ; 31 déc. 1900,

S., 1901, I, 401, n. Perreau; 6 janv. 1904, D., 1906; 1, 287; 9 nov. ]915,
D., 1921, T, 23. Voyez sur cette jnrisprudenee Ia thèse de M. P. Dti,rand,
n°• 132 et s.
2
BEUDANT et CAPITAl\'T, n° 101 ; THALLER, Ann. de dr. comm., 1886-
1887, pp. 189 ets., 256 ets. ; RIPERT, Dr. maril., t. II, n°• lî72 et 1774.
note au D., 1926, J, 5; note Perreau, S., 1901, I, 401 ; MllIGNif;, thèse,
p. 241 ; LALOU, op. çit., n° 232.
3
PLANIOL et R1PERT, t. VI, n° 400 ; P. DURAND, thèse, n°" 149 el s.
' Cf. A1 1 BJN, thèse, p. 109. Comp. P. DuRAND, thèse, p. 373.
RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS 331

il doit apporter au transport les soins d 'un bon père de


famille ; or, nous l'avons vu précédemment 1 , le créancier
d'une oblig-ation de moyens, à la différence du créancier
d 'uue ohfü,ation
L'l
de résultat,. doit to11iours
d
rapporter
_._ _._
la
preuve complète de l 'inexécution de l 'oh]igation, ce qui
explique le renversement apparent du fardeau de la prem·e.
Le caractère arbitraire de cette jurisprudcnce saute
aux ycux. quelle que soit l 'explication technique qu 'on lui
donne : elle comporte une aUeiute indéniahle à la liberté
des conrnntions, puisqu 'e11e restreint la portée cl 'une danse
claire et précise, contrairement à la volonté ccrtaine des
contractants. Dira-t-on que l 'ordre public est intéressé à re
que les débiteurs ne réduisent pas à l'excès leur responsabi-
lité? La réponse est aisée : jamais l 'ordre public n 'a parn
faire obstacle à ce que les parties délirnitent et restreignent
leurs ohligations réciproques ; or, l 'effet d 'une claus0
d'exonération est, pratiquement, le même : il s 'agit là de
deux procédés différents pour aboutir à un résultat iden-
2
tique condamner l'un et admettre l'autre paraît clone
;

tout }l fait illogiqur


Quoi qu 'il en soit, la jurisprudence française relatiw
aux effets des clauses d 'exonération - à supposer mêrne
qu 'elle dût être apprOlnée -- ne permettrait pas cl 'affirmer
que la clause d'exonération laisse intégralement suhsister
entre parties la responsal1ilité Mlictuelle, puisque cette
jurisprudence peut être justifiée sans qu 'il soit hesoin de
faire interwnir les articles 1382 à 1386.
242. Pour connaître l 'influence <les clauses comen-
tionnelles <l'exonération sur la responsahilité délictuelle, on
doit, une fois de plus, rechercher si Ie maintien intégral de
cette responsabilité ne serait pas incomratible avec l'inten-
tion des parties telle qu'elle ressort des clauses <le leur con-
wntion.
L 'inrnmpatihilité est évi<lente, et nous pourrions repro-
1
Voyez snrra, ll 0 27.
2
Vo~·ez s11pra, n° 235.
332 RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS

rluire 1c1 I 'argurnentation exposée précédemrnent à propos


de clausf's délirnitaiit les obligations contractuelles ' : la
clause cl' exonéra tion, qui ,isf' Pxpressément les ohligations
coutractnelles, ,ise nécessairement les ohligations délic-
t11f'lles clans la mesurc ou leur contenu coïncide a,ec celui
df's premières : en dé>cider autrement serait faire éd1ec à Ia
,olonté des parties, boule,erser l 'économie de leurs presta-
tions réciproques. Lorsqu 'un transporteur a déclaré qu 'il ne
de, ait aucuns dornrnages et intrrêts pour les a, aries sune-
nues en cours de route, le destinataire ne pourrait se targuer
cl \me faute délictuelle commise pendant le transport : il a
renoncé clairenwnt à exiger la remise cl 'un colis en bon
état, et il ne peut rewnir sur ,ette renonciation même
indirectement.
Îf'lle est la solutiou que dicte le respect de I 'intention
des part.ies. Tel est hien aussi Ie sens des arrêts de la Cour
de Cassation de Belgique, qui, s 'opposant sur ce point à Ia
jurisprmJence de la Cour de Cassation de France, ont cons-
tamment décidé que la preuve d 'unc (( faute n nc permettait
pas d 'échapper aux conséquences d 'une ~ause d 'f'xonération
- hormis Ie cas de dol ou de faute lourde ".
Encore faut-il se garder d'étendre à l'excès lf's effets de
I'exonération contractuelle. Une juste interprétation des
clanses d 'exonération conduit ~l reconnaître qu 'elles n 'af-
fectmt point nécessairement les obligations délictuelles
étrangères au contrat, qui ne se confondent point avec les
obligations contractuelles elles-mêmes. Telle est la conclu-
sion qui se d{-p:age notamment d 'un arrêt de Ia Cour de
Cassation de France a : appelée à interpréter une clause
cl 'exonération insérée dans des conditions de transport par
chemin de fer, Ia Cour s 'est !Zardée de lui donner une portée
illimit{>e : (( Si, aux termes de I'arrêté du 7 juin 1915, la
Compag·nie des Chemins de Fer du Nord n 'encourt aucune
responsabilité en cas de pertP ou d'a,arie pour Jes transports
1
Voyez sllpra, n°' 236 et s.
2
Voyez notamment Cass. 22 févr. 1900, B . .T., 1900. col. G25.
a Req. 21 dfr. 192G, G. P .. 1927, J, 4~ö.
RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS 333

exécutés sur son réseau dans la partic délimitée par eet


arrêté, il cesse d'en être ainsi quand l'action du demandeur
est fondée sur nn fait qui f 1e1.d se détacher complètement de
1 -l- -1- 1 -1 f
1'
L execuiion
" ,.
au cotîiïai Cte ,ranspor..,. ;,
Pour qu'il en soit autrerncnt, il faudrait que la volonté
des parties füt certaine. Un jugement du Trihunal de la
Seine 1 fouroil un intéressant exemple de clause d'exoné-
ration à portée très étendue : L'exploitant d'un lavoir avait
affirlié un règlement indiquant qn 'il ne répondait pas de la
disparition du linge après le lavage ; le propriétaire du linge
avait cependant confié celui-ci à un employé de l'exp]oitant
pour Ie reporter chez lui et eet employé l'avait laissr ,oler.
Le pwpriétaire tenta d 'échapper à la clause d 'exonération
en intentant à 1'exploitant du 1avoir nne action hasée snr
la responsabilité nes rnmmettants. Mais il fut clébouté, car
la clause d 'exonération faisait incontestablement ohstade à
toute responsabilité quekonque à raison clc la disparition du
]inge.
Résumant en peu de mots la directive à suivre, l'on pent
affirmer que les clauses d' e.ronération suppriment anssi bien
la responsabilité délictnelle que la responsabilité contrac-
tuelle pour tow; les faits dommageables et pour toutes les
rauses de préj11dire auxquels res clauses s'appliquent .mi-
1•ant leurs fermcs ef suÏ7•ant leur esprit.

§ 2. Clcwscs limitati1•es de la responsnbilifé

243. Très souvC'nt les parties se contentent <le 1.imiter,


par des clauses partirnlières, la responsabilité contractuelle,
sans aller jrn-qu'à la supprimer. La variété des clauses ]imi-
tatives est infinie, mais elles ont principalement pour objet,
soit de fixer une limite aux dommages et intérêts, soit
d 'abréger le délai pcn<lant lequel les reconrs peuvent être
exercés.

1 28 fén. 1925, G. T., 1925, 2, 527; M. Demogne approuve cette flér1-


sion : Rev. trim., 1925, p. 898.
331 RESPONSABILITÉ AQUILIEl\l\E ET CONTRATS

244. Divers contrats comportent normalement des


clauses de ce genre : Ie dépót d 'hotellerie, (limitation à
1.000 francs dans certains cas, de la responsabjlité de )'ho-
telier ') , Ie contrat de transport maritime, lorsqu 'il est cons-
taté par un connaissement nép:ociahle (limitation de la res-
ponsabilité en cas de perte ou dommage à un maximum de
17,500 francs par colis)'. D'autre part, la loi autorise
expressément les parties à fixer d'avance Ie moutant des
dommages et intérêts auxquels donnerait lieu l'inexécution
de la convention. par une clause pénale : l 'utilisation des
clauses pénales permet également au débiteur de limiter sa
responsahilité en fixant à une somme minime 1'indemnité
qui pourrait éventuellernent lui être réclamée. Toutefois la
clause pénale se djstingue toujours nettement des autres
claus es restrictiws par son caractère forf ai tai re et par la
dispense qu 'elle cornporte, pour Ie cr{>ancier, de rapporter
la preuve d'un préjudice quelconque.
La ,olonté des parties d'écarter ou cle limiter la res-
ponsabilité délictuelle n 'est pas toujours aussi certaine lors-
qu 'elles se sont contentées de ljmiter les dommages et inté-
rêts contractuels que lorsqu 'elles les ont supprimés.
Parfois cependant leur intention est claire : en énumé-
rant les seuls dommages qui pourront éwntuellernent être
pris en considération pour calculer les dommag~s et inté-
rêts, Ie débiteur exclut nécessairement tout droit à indem-
nité pour d'autres préjudices dont l'exécution du contrat
pourrait être! 'occasion, et dès lors, il importe peu de recher-
cher si la responsabilité découle d'une faute délictuelle ou
d 'une faute contractuelle •.
Il se conçoit dès lors que la Cour de Cassation de Belgique
ait éf(·alement reconnu une portée générale aux clauses limita-
tives de la responsabilité contractuelle lorsque leur validité fut
1
C. Civ., art. 1953.
2
Loi du 28 novembre 1928, art. 1••, A, § IV, 5°.
3
Civ. 15 janv. 1918, S., 1920, I, 75 (clause relatirn au transport des
colis posl11ux par les compagnies de chemin de fer).
RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS 335

sournise à son appréciation : c'est en vain, disent plusieurs


arrêts, que le créancier s'efforce d'écarter la clause en rap-
portant la preuve d 'une faute comrnise par le débiteur, car
ce sont précisément les conséquences domrnageables des
fautes du débiteur, quelles qu'elles soient, qne Jes parties
ont eues en vue en adoptant la clause de limitation '.
245. Parfois les parties se sont bornées à fixer -- soit
expressément, soit par référence tacite aux règles supplé-
ti ves de la loi - un délai pour l 'intenternent des actions en
responsabilité contractuelle.
Une clause de ce genre a souvcnt pour hut de rncttre
Ie débiteur à l'abri, une fois le délai écoulé, de toute action
quekonque du créancier à propos del 'exécution du contrat,
et dès lors les actions délictuelles auxquelles cette ex('cution
ponvait donner lieu sont frappées de déchéance aussi bien
que les actions contractuelles.
Tel est, suivant un ;j11gement du trilrnnal de commerce
2
de Bruxelles l'effet de la prescription établie par l 'ar-
,

ticle 169 des lois coordonnées sur les sociétés : suivant cette
disposition, cc sont prescrites par cinq ans toutes actions
contre les gérants, administrateurs, commissaires. liquida-
teurs, pour faits de leur fondion, à partir de ces faits ou,
s 'ils ont été celés par dol. à partir de la découverte de ces
faits n. Les termes généraux de cettc disposition out permis
de décider qu 'elle concerne tous les actes accomplis au cours
des fonctions, même s'il y a en négligence ou défaut de sur-

1
Cass., 19 avril 1877, Pas., 1877, T, 286; 18 oct. 1877, Pas., 1877,
T. 399; 27 déc. 1877, Pas., 1878, I, 35; 26 févr. 1885, Pas., 188/5, T, 85.
Comparez cependant Arlon 23 déc. 1880, Cwlls et BoNJ., XXX, 911. En
matière de transport par chemin de fer, la Joi du 25 août 1891 a instauré
un régime assez rigide : les clauses limitatives sont permises dans cer-
tains cas seulement (art. 42) et elles cessent toujours d 'êtrP applirables
en cas de faute prouvée (art. 45). Au contraire, les clauses limitatives
prévues par la loi du 28 novembre 1928 sur les connaissements sont
imposécs impérativement aux ronfractants (voyez supra; n° 210î et l'on
peut croire qu'à raison rlu raractè-re rl'ordrp publir qui s'attachc /t cette
réglementalion, la preuYe rl\me faute délictuelle ne ferait pas P,hec i1
Ja limitatio11 rles dommages PI intérNs.
2
Comm. Bruxelles, 20 avril 1893, Pas., 1893, 3, 190.
336 RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS

,cillance - ce qui paraît englober aussi bien les fautes délic-


tuclles que les fautcs purement contractuelles.
Mais la jurisprudence hésite parfois à donner une portée
aussi étendue aux clauses abrégeant Ie délai imparti pour
l 'intcntement des actions en responsabilité : sui,ant une
opinion généralement admise, Ja prescription des actions
nfrs du contrat de transport ne doit pas être appliquée aux
actions basées sur les articles 1382 à 1384 1 ; de même Ie
délai de 10 ans prén1 par les articles 1792 et 2270 du Code
Civil pour la garantie des travaux de construction, con-
cerne seulement l 'inexécution des obligations assumées par
Ie contrat ; <lès lors une action basée sur l'artide 1382 pour-
rait, conformément au droit commun, être intentée pen-
2
dant m1 délai de trente ans •

Il flSt difficile de justifier ces solutions différentes. Le


respect de l 'intention des parties paraît cependant n 'avoir
ici qu 'une influence affaihlie, car les <lispositions légales qui
édictf'nt la dnrée de la prescription sont loin d 'être pure-
ment supplétives : la jurisprudence, si e1le reconnaît la vali-
dité des dauses abréviati, es de la prescription considère par
contre comme illicites les clauses a, ant pour objet d 'allonger
le Japs de temps fixé par la loi •. Dès lors, pour déterminer
quelles sont les actions frappées par la prescription, il faut
rf'chercher plutot Je but que Je législateur a eu en vue : a-t-iJ
,oulu dans un intérêt général, mettre fin à toute une caté-
gorie de procès? On admettra volontiers que les actions
cl' origine <lélictuelle sont frappées aussi bien que les autres;
ainsi, l'article 169 des lois coor<lonnées sur les sociétés est
destiné à Pmpêcher que la liquidation des sociétés commer-

1 Bruxelles, 10 jan v. 1917, Pas., 1917, 2, l 54 ; Civ. Verviers,


12 févr. 1930, Jur. Liége, 1930, 174; voyez Novm,LEs, t. 1, Contrat dl'
Transport, n° 691. Encore faut-il que la faute alléguée constitue un
véritable quasi-délit, et non une faute purement contractuelle (voyez
supra, n° 199) : dans ce dernier cas, l 'action doit évidemment être
repoussée : voyez Paris, 18 mnrs 1924, D., 1924, 2, 125.
2
An vers, 25 août 1890, B . .T., 1890, vol. 1453 ; camp. cependnn 1
Liége, 13 juill. 1891, Pas., 1891, 2, 402.
3
Voyez PLA'VIOL et RrPERT, t. VII, n°• 1349 et 1350.
RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS 337

ciales ne se prolonge indéfiniment et l'înterprétation exten-


sive qui lui a été donnée apparaît légitime. En re-vanche
quand la loi a entendu protéger seulement les intérêts du
débiteur, en limitant la durée des actious fondées sur lc
contrat, l'interprétation extensive du texte légal semhle
beaucoup plus délicate, car elle impose au créancier mie
renonciation ou un sacrifice sans son consentement et sans
que la volonté du législateur soit certaine. Aussi comprend-
on que la jurisprudence ait limité aux actions contractuelles
seules l'application de la prescription abrégée <lont bénéfi-
cient le transporteur, l 'architecte et l 'entrepreneur 1 •

§ 3. Limites de l'influen1·e des clauses d'e.ronération


ou de limitation de la respnnsabilité contractuelle

246. 1. Pour que les clauses modifiant la responsabilité


contractuelle puissent exercer indirectement sur la respon-
sabilité délictuelle l'influence que nous avons analysée,
encore faut-il - et cela se comprend de soi~même - que
ces clauses soient juridiquement efficaces.
Nous ne faisons pas seulement allusion, en exprirnant
cette résene, à l'hypothèse ou la clause d'exonération ou
de limitation n'aurait pas été valablement consentie ; car
d'autres motifs encore conduisent parfois la jurisprudence
à les tenir, soit entièrement, soit partiellement, pour non
écrites. Peu à peu s-'est dégagée cette idée, que dans tout
contrat doit subsister à charge du débiteur un minimum
d'ohligations que les parties ne . peuvent abaissér, sans rui-
ner le contrat lui-même. S 'obliger, mais limiter ensuite par
des clauses particulières son obligation à une prestation
infime, ou en énerver l'efficacité juriclique par des clauses
d'exonération d'un caractère radical. c'est faire ceuvre con-
tradictoire.
La contradiction est tout particulièrement frappante,

1
Comp. MAZEAUD, Traité, U, n° 2124. Ces auteurs se prononcent
également en faveur d'une interprétation restrictive <les prescriptions
abrégées.
338 RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS

lorsqu 'un professionnel conclut un contrat par lequel il pro-


met, moyennant rémunération, ses services techniques, son
activité personnelle à son co-contractant, mais stipule ensuite
des clauses de non garantie ou d 'exonération telies, que son
co-contractant ne peut pl11s cornpter sur les soins qu 'il
attendait précisément en s 'adressant à un spécialiste, parti-
culièrement cornpétent ou particulièrement outillé pour en
~·arantir l'obtention. Que reste-t-il, par exernple, de l'obli-
gation assumée, contre payement d 'un prix, par une agence
de renseignements, lorsqu'elle stipule, comme c'est généra
Iement Ie cas, qu'elle ne garantit pas l'exactitude des ren-
seignements qu 'elle donne, et s 'exonère des conséquences
des fautes que pourraient commettre ses organes ou ses
préposés?
Usant de leur pouvoir d 'interpréter les rlauses d 'un con-
trat les unes par les autres, Jes Juges tiennent souvent pour
non écrites des clauses de ce genre, qui contredisent en fait
l'ohligation contractée, ou, tout au moins, ils en limitent les
effets dans la mesure nécessaire pour éviter la contra-
diction 1 •
Il va sans dire que lorsque les clauses contractuelles sont
ainsi privées d'efficacité juridique, elles ne sauraient affecter
la responsabilité délictuelle, <lont les règles demeurent, en
principe, applicahles aux contractants dans les conditions
que nous avons indiquées.
247. TJ. Quelle que soit leur étendue, les clauses d 'exo-
11ération ou de limitation de responsabilité ne penvent
jamais supprimer les ohligations légales qui intéressent

1
Trib. Liége, 9 oct. 1895, Pas., 1896, 3, 6; Comm. Bruxelles,
26 jan v. 1900, B. J., 1900, 1007 ; An vers, 10 jan vier 1907, Pas., 1908, 3,
310; Comm. Bruxelles, 14 avril 1913, J. c. Brux., 1913, 3, 21 ; Comm.
Courtrai, 9 juin 1928, Jur. comm. Fl., 1928, p. 192 ; Comm. Brux.
18 juill. 1930, Rev. gén. resp., 1930, n°• 654 et 676. Comp. P. Dun.~,n.
thèse, n° 64 ; avis de M. Soenens, B. J., 1929, 547. Les parties ne pour-
raient pas réduire la durée de la responsabilité des entrepreneurs et
architectes à un délai tellement bref, qu 'il ne permettrait pas au maîlrc
de l 'ouvrage de se rendre compte des malfaçons évenl11elles : PLAXJnL el
HrPIHT, Trailé rle rlr. civ., t. XT, Contrats civils, p. 208.
RESPO'XSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS 339

l 'ordre public, parmi lesquelles figurent en tout premier


lieu celle de s 'abstenir de tous actes de dol ou de rnauvaise
foi : l 'expiration d 'un délai de dix ans, si elle met fin à la
responsabilité contractuelle des architectes, ne saurait en
revanche faire échec à une action en dommages et intérêtf<
basée sur des faits de dol ou de mauvaise foi 1 •

1
BAUDRY et WAHL, t. XXI, n° 3947 ; GmLLOUARD, Louage, t. IJ,
n° 794; Paris, 6 juin 1894, S., 1895, 2, 7; Comm. Anvers, 13 ff-
vrier 1904, J. T., 1904, 464. Contra : LAURENT, t. XXVI, n° 64 ; Réperl.
prat. de dr. belge, V 0 Devis et Marchés, n° 313 ; Comm. Bruxelles,
20 avril 1893, Pas., 1893, 3, 190. Rappelons en outre que, suivant unc
partie de la doctrine et de la jurisprudence, les obligations qui ont pour
objet d'assurer l'intégrité physique intéressent également l'ordre public
supra, n°8 9 à ll.
CONCLUSlONS

248. Nous pouYons, à présent, résumer brièvement les


conclusions de notre étude.
I. C 'est la Cour de Cassation de Belgique qui a posé
elle-même les principes essentiels 1 : les règles de la respon-
sabilité délictuelle s 'appliquent à tous et en toutes circons-
tances, sans que l 'existence d 'un contrat y forme obstacle ;
rien ne s 'op pose même à la co-existence de deux actions en
responsabilité. ~ contractuelle et délictuelle - entre les
mêmes personnes et pour la réparation d'un même dom-
2
mage .
En d'autres terrnes, les obligations que la loi impose
aux citoyens les uns envers les autres et la responsabilité
délictuelle qui les sanctionne, subsistent entre les individus
Pngagés dans les liens d'un contrat.
a) De ces principes, nous avons trouvé une première
confirmation en étudiant !'origine des articles 1382 à 1386
du Code Civil •. Le législateur de 1804 a voulu conserver,
en matière de responsabilité civile, les règles consacrées par
l'ancien droit français. Ces règles se confondaient avec celles
du droit romain, et se ramènent essentiellement à la lex
Aquilia telle qu'elle était comprise après l'extension que
lui avaient donnée la jurisprudence prétorienne et les com-
mentaires des jurisconsuJtes classiques. Or, la lex Aquilia,

1
Voy. n° 8 121 11 127.
2
Voy. n°• 112 à 120; pour les conséquences de l'option : n°• 187
à 195.
8
Voy. n°• 76 à 90.
342 RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS

en droit rornain, a toujours été appliquée aussi bien entre


contractants qu'entre tiers. Comme les auteurs du Code
Civil, en adoptant à leur tour les principes admis à l 'époque
précédente, n 'ont aucunement manifesté la volontó de leur
donner une signification nouvelle ou de modifier leur sphère
d 'application antérieure, l 'interprète est nécessairement
conduit à reconnaître que la responsabilité délictuelle du
droit moderne est restée ce qu 'était la lex Aquilia en droit
romain : une institution susceptible de produire ses effets en
toute circonstance, aussi bien entre contractants qu 'entre
tiers.
b) Mais une deuxième confirmation, tout à fait déci-
sive, nous est fournie par l'étude du role que jouent effec-
tivement, dans notre organisation juridique actuelle, les
règJes inscrites dans les articles 1382 à 1386 du Code Civil.
Institution d 'une souplesse remarquable, Ja responsahilité
délictuelle a un domaine d'application extrêrnement étendu
et une fonction tout à fait fondamentale : elle intervient, à
titre de complément ou d 'éJément modérateur, dans tous
les cas ou l 'application rigoureuse des autres règles juridi-
ques conduirait à des solutions injustes, ou derneurerait
insuffisante pour assurer la protection d 'intérêts légitimes.
Dès lors. l'intervention des articles 1382 à 1386 entre con-
tractants, loin d 'être seulement une sunivance· ou un ana-
chronisme, apparaît au contraire comme une manifestation
particulière de Ja fonction normale qui lui est dévolue dans
notre droit 1 •
c) Au surplus, en dehors du dornaine de la responsa-
bilité, les autres règles légales qui irnposent des oblig·ations
aux particuliers les uns envers les autres (règles de la ges-
tion d'affaires, de l'enrichissement injuste) ne sant nulle-
rnent écartées par l'existence d'un Iien contractuel, et cette
constatation confirme encore que 1'application des arti-
cles 1382 à 1386 entre contractants ne présente rien d 'exor-
bitant ni d 'exceptionnel 2 •
1
Voy. n°• 91 à 101.
2
Voy. n°• 102 à 105.
RESPONSABILITÉ AQLILIENNE ET CONTRATS 343

11. L 'intenention de la responsaLilité délictuelle entre


contractants n 'est pas seulement irréprochaLle en droit ;
elle existe dans les faits, car elle répond à une nécessité pro-
fonde : elle est indispensable dans la pratique pour obtenir
certains résultats socialement utiles. L 'étude de la jurispru-
dence nous a permis de Ie démontrer : pour sanctionner les
actes frauduleux ', pour assurer la protection efficace de
2
l 'intégrité physique et patrimoniale des particuliers pour ,

imposer aux professionnels et aux techniciens l 'observation


des règles de leur art s, pour réprimer l 'abus des droits •,
c 'est à la responsabilité délictuelle que Ie juge doit presque
toujours faire appel, mème lorsque le débat se meut entre
contractants et à !'occasion de l'exécution du contrat.
111. Nous avons aussi, chemin faisant, démontré l'ina-
nité des objections dogmatiques que heaucoup d'auteurs
opposent à l 'intenention des règles délictuelles entre con-
tractants : l' << incompatibilité entre l'existence d'une con-
5
vention et la mise en jeu de la responsahilité délictuelle >> ,

le << refoulement de la responsabilité délictuelle par le con-


trat n •, l' << impossibilité de la coexistence des deux respon-
sabilités n 1 - autant d'axiomes injustifiés, de préjugés
arbitraires, quine résistent pas à l'anal:vse et se révèlent sans
fondement en droit positif.
IV. Est-ce à dire que les partÎt'S peuwnt toujours faire
abstraction de leur convention, et placer le déhat sur Je ter-
rain des articles 1382 à 1386 du Code Civil toutes les fois
qu 'elles y ont intérèt, mème lorsque le recours à ces dispo-
sitions aboutit à ruiner l'économie du contrat? Assurément,
non ; et c 'est précisément cette conséquence choquante qui
indique la limite nécessaire de 1'intenention des règles

1
Voy. n° 8 130 à 13G.
2
Voy. n°' 137 à 153, el 169 à 18,5.
3
Voy. n°• 154 à 164.
4
Voy. n°' 165 à 168.
5
Voy. n°• 84, 101, 105, 110, 111, 228.
6
Voy. n°• 106 à 109.
7
Voy. n°• 114 à 120.
344 RESPONSABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS

délictuelles entre contractants. La responsabilité aquilienne


ne peut pas sanctionner les obligations purement contrac-
tuelles '. Elle ne peut pas jouer non plus lorsque Ie contrat
2
a supprimé les conditions indispensables de sou application •

Elle est aussi écartée toutes les fois que sou intervention
serait incompatible avec la volonté des parties - expresse
ou tacite - telle qu 'elle résulte de leur convention •, car la
responsabilité déiictuelle n 'est pas, en général, d 'ordre
4
public •

V. Mais ces restrictions ne doivent pas faire perdrede vue


Ie principe : Ia possibiiité de l 'intenention demeure Ia règle,
l 'exclusion reste au contraire exceptionnelle.
Il ne faut nullement démontrer dans chaque cas parti-
culier que les parties ont voulu que les règies délictuelles
s 'appiiquent dans leurs rapports réciproques, car cette appii-
cation a lieu de plein droit, par l'effet de la loi. C'est au con-
traire pour écarter la responsabiiité délictuelle que la voionté
des parties est indispensabie, et l'existence de cette volonté,
dérogatoire au droit commun, doit toujours être démontrée
par ceiui qui l' allègue •.

Telles sont les solutions que dictent Ie caractère général


et !'extrême souplesse d'application qui s'attachent aux
principes organiques de Ia responsabilité déiictuelle en droit
contemporain. En retirer Ie bénéfice aux personnes entre
lesquelles existe un lien contractuel, c 'est ajouter à la loi
une restriction qu'elle ne comporte pas ; c'est enlever arbi-
trairement aux contractants les garanties que la loi accorde
à tous les citoyens, sans distinction, pour la protection de
Jeurs intérêts privés.

1 Voy. sur cette notion : n°• 196 à 212.


2
Voy. n°• 213 à 224.
1
• Voy. n°• 225 à 247.
• Voy. n°• 9 à ll.
3
Voy. n°• 225 à 228.
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346 ~RESPO~SABILITÉ AQUILIENNE ET CONTRATS

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ADDE\'DUM

Page 9, note 2, ajouter : BERGER-VAcno:-., Du dol des incapables dans


la conclus.ion et dans l'exécution des contra/ s (Rei•. crit., 1931,
pp. 471 et 472).
Page 75, note 3, ajouter: Cass. h. 26 janv. 1922, Pas., 1922, 1, 143;
24 janv. 1924, Id., 1, 159.
Page 124, 4e ligne, ajouter : Le röle complémentaire de la responsabi-
lité délictuelle ressort également de l 'applicatioll qu'elle reçoit
entre Ie porteur légitime d'un chèque et le tiré, lorsque ce dernier
a payé sans vérifier la signature ou sans aperceYoir l'altératio11
du chèque: voy. Répert. de dr. b., V0 chèque, n°• 118 et s. :
.J LÉvY-MORELLE, De la responsabilité délictuelle 011 quasi clélic-
tuelle en matière de chèques et de In théorie des risques profes-
sionnels (R. J., 1925, col. 65).
Page 140, note 3, ajouter : Bruxelles, 30 déc. 1931, B. J., 1932, col. 246.
Page 181, note 2, ajouter BimcER-VAcnoN, op. cit., Rev. crit., p. 251.
Page 188, note 2, ajouter : BEnmm-VAcHox, op. cit., Rev. crit., pp. 475
à 478.
Page 188, note 7, ajouler: BEnGER-VAcuoN, op. cil., Rev. crit., p. 468.
Page 260, ligue 2 : Est ::mssi purement contractuelle, suivant certairn;
auteurs, la responsabilité encourue en vers Ie porteur d ·un c:hèqur
par le banquier qui en refuse le payement sans raison Yalable :
toutefois cette opinion implique que l 'émission d 'mi cheque com-
porterait une stipulation pour autrui faite au profit du porteur
par le tireur. - ce qui est extrêmement contestable : voy. Rép. de
dr. beige, V0 chèque, 11° 122, et les références citées.
Table des Matières
Introduction l
1. L'intervention de la responsabilité délictuclle
entre contractants. - 2. Son importance croissantc
depuis la rédaction du Code Ci,il. - 3. Opposition
entre la doctrine française et la jnrisprrnlcncc de la
Cour rle Cassation <le Belgiq ue. - 4. Bul <lc la pré-
sente étude. - 5. Position clu probli•rne /1 rc'so1Hlrc.
- 6. Justification de la méthode acloptéc.

PB.EMTÈHE PAHTIE

Etude comparative des responsabilités


délictuelle et contractuelle
7. Nécessité rle celte éturle. - 8. Uuité ou clualité
des responsahilités contractuellc et délictuelle.

Chapitre prémier. - ldentité des principes fondamentaux de la


responsabilité délictuelle et de la responsabilité contractuelle 11
SEcnoN I. - Rejet, du caracti:re d'ordre public de la responsabi-
lité délictuclle 11
fl. La rlodrine traditionnclle et ses conséquences.
- 10 Iléfutation. - ll. Conclusions.
SECTIO:\' II. - Le fondemenl des responsabililés délicluelle el. con-
traclucllc : la fanfe 15
12. Théorie de la ,, responsabilité contractnelle pour
simple fait "· - 13. Réfntation. - 14. Distinction
des obligations cle résultat et cle moyens. - 15. Appli-
cation en matière contractuelle. A. Obligations con-
tractuelles de résultal. - 16. B. Obligations contrac-
tue11es de moyens. - lï. Application en malière délic-
tuelle. - 18. Conclusion.
SECTION IIJ. - Identité de la faute conlrnclllelle et de la faute
délictuelle . 23
19. ThéoriE, tracl itionnelle de l 'appréciation diffé-
rente des deux fau les. - 20. fléfl!tation. A. Obliga-
tions cle résultat. - 21. B. Ohligations de moyens
L'adage : In lege Aquilia et culpa levissima venit.
- 22. Jurisprudence. - 23. Identilé du critère appli-
qué par Je juge.
354 TABLE DES MATIÈRES

SEcTION IV. - La capacilé requise en matière de respo11sabililé 29


24. Différe11ce généralement admise et réfutation.
SECTION V. - Preuve de la faut.e . 30
25. Théorie de la « présomplion de faute » en rna-
tière coutractuelle. Ses conséfjuences. - 26. Réfuta-
tion. - 27. Prel!Ye de la faute contracluelle par les
présomptions de l'homrne. -- 28. La preuve contraire.
- 29. Extension des rnêmes ri·gles it la faute délictuelle.
- 30. Confusions proYOfJUPes par la lhforie tradition-
nelle. - 31. Conclusions.
SECTION VI. - La responsabililé du /ai/ 1Ca11/rni 42
32. Différence gé11éraleme11 t ndm ise et réfu tation.

Chapitre Il. - Effets différents de Ia responsabilité délictuelle


et de Ia responsabilité contractuelle 45
I. LA RÉPARATION DU PRÉTUDICE . 45
33. Complexité du probli--me. - 34. Examen dn rlroit
positif: dualité des règles relatiYes it la n 1 paration.
SEcTmN T. - Nalure de la réparation . 48
35. Indemnité pécuniaire en rnatière rnntrnclucllc.
SECTION TJ. - Etendue de la réparation 49
§ I. Historifjue
36. Origine historifjue des restrictions imposées
aux dommages PI intérèls contractuels. 37. A.
Droil romain. - 88. R. Les glossateurs et les auteurs
de ]'ancien droit. - :19. Conclusion.
§ 2. Nature du préjuclice do1111ant lieu à réparation . 54
40. L 'art iele 1149 d 11 Code CiYil : lucrum cessans
et damnum emerqens. - 41. Le préjudice moral.
§ 3. Limitation des dommages el intérêts contracluels au pré-
judice prén1 ou prclYisihle lors du con tra! ( art. 1150 du
Corle Civil)
42. La règle de I 'article 1150 esl pro pre à la respon-
sabilité con lractnelle. - 4:l. J II lerprétar on extensive
de Ia notion du " clornmagc prcln1 n. - 44-. Conclu-
~ion.
§ 4. Les donurn1ges et intér/\ts moratoircs potir les dcttes rlc
somrnes (art. 1153 du Code Civil) . 60
45. La règle cle l'articlc 1153 ne s'appliq11e pas en
matière délictuelle.
§ 5. Distinction des dommages clirects et i11rl irects ( nrl. 1151
clu Code Civil) 61
46. La distinction faite par I'article 1151 doit-elle
être étenrlne à la responsabilité délictuelle? Etat de la
doctrine et de la jurisprmlence. - 47. Opinion adop-
tée.
A. Le clol dans l'exéculion d'un contrat constitue un délit civil 63
48. Argumènt tiré de ! 'ancien droit. - 49. Justifica-
tion ralionnelle. - 50. Les traYaux préparatoires du
Code Civil.
TABLE DES MATIÈRES 355

B. Les dommages indirects sont ceux qui ne donnent jamais


lieu à réparation 66
51. Notion du dommage indirect. - 52. Les dom-
mages indirects ne donnaient jamais lieu à réparation
en droit romain ni dans !'ancien droit. - 53. Le Code
Civil n'a pas modifié la tradition. - 54. Interprétation
inexacte de l'article 1151 au XIX 6 siècle. - 55. Con-
séquences inadmissibles de la limitation de la règle
posée par l'article 1151 au seul cas de dol <lans l'exé-
cution du contrat. - 56. Conclusio-n.
SEGTION 111. - Garanties assuranl la réparation 72
si n
57. Différences secondaires entre les deux respon-
sabilités : A. Les garanties personnelles ou réelles
prévues par Ie contrat. - 58. B. Règles spéciales, plus
rigoureuses, propres à la responsabilité délictuelle :
1° Contrainte par corps ; 2° Exécution sur les biens
insaisissables.
75
S 2
59. Les dommages et intérêts dus par plusieurs
débiteurs. Hypothèses envisagées. - 60. Règles appli-
quées à la responsabilité délictuelle. 61. Règles
appliquées en matière contractuelle. 62. C0n-
clusion.

IJ. L'ACTION EN RESPONSABJLlTÉ 77


SECTJON I. - Compétence 77
63. Différences relatives à la compétence <l 'attribu-
tion. - 64. Différences relatives à la compétence ra-
tione loci.
SECTION Il. - Prescription 80
65. Prescriptions abrégées et déchéances en matière
contractuelle. - 66. En matière délictuelle. - 67.
Conclusion.
SECTION 111. - E.rceptions et défenses opposables à l'action con-
tractuelle seule 83
A. 68. Exception tirée de la nullité du contrat. -
69. Exception non adimpleti contractus. - 70. Clauses
limitatives ou élisives de la responsabilité.
B. Exception déduite de l 'absence de mise en
demeure.
71. Portée de l'article 1139 du Code Civil. - 72.
Inapplicahilité de l 'article 1139 à la responsahilité
délictuelle.
SECTION IV. - Conflils de lois . 88
73. Différences entre les deux responsabilités.
CONCLUSIONS (n° 74) . 90
356 TABLE DES MATIÈRES

DEUXIÈME PARTTE

Etude de l'intervention de Ia responsabilité


délictuelle entre contractants

I. DÉMONSTRATION DE LA POSSTBTLJTÉ THJ~ORIQUE DE CETTE


INTERVENTTON 93
75. Nrcessité de cette rtude théorique.

Chapitre premier. - La responsabilité délictuelle n'est pas


exclusivement une responsabilité entre tiers. . 96
SECTION I. - Examen des tex/es légaux et de leur origine . 96
76. Les articles 1382 et snivants et la loi aquilienne.
SECTIO:-. II. - La lex Aquilia et son interuenlion entre contractants 99
§ 1. - Concours des responsahilités e!1 droit romain . 99
77. Extension de Ia le:x: Aquilia. - 78. Exemples
de concours a,ec les actions contractuelles. 79.
Conséquences.
§ 2. Tnflueme des conlrats sur I'application de Ia lex Aquilia 102
80. Dérogations conventionnelles à Ia lex Aquilia.
- 81. Dérogations expresses : clauses d 'irresponsabi-
lité. - 82. Dérogations implicites. - 83. Les trois opi-
nions suscitées par les dérogations implicites.
§ :3. Conclusions (84) 109
4. Les solutions admises· en droit romain sont-elles dues
à des causes propres il ce droit ? ll0
85. ~écessit(> de eet examen.
A. Le caractère pénal de l'aclio legis Aquiliae ll0
86. Portée de !'argument qu'on en tire. - 87. Evo-
Iution des aclions pénales. Les actions mixtes. - 88.
Jndifférence du caractère pénal conservé par l 'actio
leg is A quiliae.
B. Théorie de Labbé 116
89. Sysli•me de Labbé. 90. Réfutation.
SECTION JIJ. - Puissance de ra_vonnement rle la respunsabilité
délictuelle ll8
91. Bul de I 'exposé.
l. La responsahilité délictuelle es! la responsabililé de droit
commun (92) 118
2. Le róle « complémentaire " de la responsabilité délic-
tuelle 120
9:3. Définition du róle complémentaire. 94.
Exemples A. Responsabilité des fondateurs de
sociélés anonymes. - 95. B. Autres exemples.
§ 3. Le róle " régulateur " de la responsahili té dc\lictuelle 124
96. Définition rlu rûle régulateur. - 97. Exemples
dans Je domaine extracontract11el. - 98. La respon-
sahilité délicluelle en cas de contra!. manqué ou de
nullilé du con lrnt. - 99. 1° Conlrats manqués. -
100. 2° Contrats nuls.
§ 4. Conclusions (101) 135
TABLE DES MATIÈRES 357

SECTION IV. - Comparaison a11ec les autres règles extracontrac-


tuelles réunies dans le livre III, titre IV du Code Ci11il . 136
§ 1. But rle Ia comparaison (102) . 136
§ 2. L'existence d'obligations quasi-contractuclles entre con-
tractants 137
103. Paiement indû et gestion d 'affaires. - 104.
Enrichissement sans cause.
§ 3. Conclusion (105) 141
Chapitre Il. - Les contrats sont en principe compatibles avec
l'existence d'une responsabilité délictuelle. - Réfut.ation du
principe du " refoulement de la résponsabilité délictuelle " 142
106. La théorie du « refoulement " ·de Ja respon-
sabilité délictuelle par le contra!. - 107. Origine et
conséq11ences du principe. - 108. Héfutation. - 109.
Concl nsion.
Chapitre 111. - L'intervention de la responsabilité délictuelle
entre contractants 151
SECTIO'- I. - Uègle yénérale . 151
110. Conclusions de J'cxposé prfrPdenL - 111. Etat
de la rloclrinc.
SEcno1, IJ. - Concours r/es deux· responsnbi1ilés ,, raison d'un
même fail rlommageable 154
§ 1. Cas flans lesqucls ce r01H·ours a lien (112) 154
§ 2. Elat de Ja doctrine (113) 158
§ 3. La thl•se de l'impossihilitP rlu rnnconrs des deux respon-
sabilités à raison d ·u11 mème fait. Réfutation . 160
114. Préten<lne trans forma tion des obligations délic-
tuclles en ohligations contr:ictuelles. - 115. Système
de M. le Prorurenr Gc1néral Mcsdach de ter Kiele.
4. Possibilité du rnncours de riem.: actions nées d'un mt>me
fait 164-
ll6. Posilion du probl/>me. - 117. Exemples de
situations analogues : A. Paiernent avec suhrogation.
118. B. In rem 1·ersio. - 119. C. Rcvemlication.
- 120. Conclusion.
Chapitre IV. - Etude de la jurisprudence de la Cour de Cassation
de Belgique 168
121. Objet d n chapitre. - 122. PriucipP de 1'inter-
venliou de Ja rPsponsahililé entre rnntrnrt;mts : Arrêt
rlu 28 mars 1889. - 12:i. Arrêts du 2 rnars 1922 et
du 17 ortobre 1907. - 124. Possibilité de rlfrogations
conventio1rnelles aux art icles l 382 et sui van ts. - 125.
L'arri\t du 16 octobre 1902. 12G. L'arrêt rlu
13 février 1930. - 127. Conclusion.

II. LA JURISPRUDENCE ET LT\TERYENTTOl\' DE LA RESPON-


SABILITÉ DÉLICTUELLE AU COuRS DE L T\.ÉCGTIO:\'
DES CONTRATS 178
128. But de rette étude. - 129. Principes qui la
guideront.
358 TABLE DES MATIÈRES

Chapitre premier. Responsabilité personnelle 180


SECTION I. - Interdiction de nuire volontairement à autrui 180
1. Le dol dans l'exécution du contrat .
§ 180
130. Définition générale du dol. Sa sanction la
responsabilité délictuelle. - 131. Le dol dans l 'exé-
cution des contrats. - 132. Critère du dol. - 133.
Applications : I. Intention de nuire. - 134. II. Mau-
vaise foi assimilée au dol.
§ 2. Concours de l 'action délictuelle et de l 'action contrac-
tuelle : 187
135. Existence du concours. - 136. Ses effets.
SECTION II - Obligation de se conformer aux prescriptions légales 189
§ 1. Principe et applications diverses (107) . 189
§ 2. Prescriptions légales sanctionnées par une peine 191
138. Le concours des responsabilités. Position du
problème. - 139. Infractions intentionnelles. - 140.
Infractions non intentionnelles.
SECTION III. - Obligation d'observer en toute circonstance la pru-
dence et la diligence que l'on peut attendre d'un homme
~~ ~
141. Plan.
S 1. Respect de la propriété d'autrui 195
142. Principe. - 143. Application au contrat de
transport de choses. Consécration législative du prin-
cipe en Belgique. - 144. Jurisprudence : A. France.
- 145. B. Belgique. - 146. Application aux autres
contrats.
§ 2. Respect de l'intégrité physique d'autrui 202
J. 147. Principe. - 148. Application au contrat de
transport de personnes : A. En Belgique. - 149. B.
En France. - 150. C. En Italie.
II. 151. Extension exceptionnelle donnée à la pro-
tection Iégale de l'intégrité physique. - 152. Juris-
prudence qui la consacrc. - 153. Justification doc-
trinalc proposée.
§ 3. Obligations légales des professionnels 210
T. 154. Devoirs particuliers des professionnels. -
155. Principe de leur maintien à l 'égard des contrac-
tants.
II. Responsabilité professionnelle des fabricants et
marchands. - 156. Principe. Utilité de l'action délic-
tuelle. - 157. Jurisprudence française. - 158. Utilité
de l 'action délictuelle lorsqu 'il n 'y a pas de vice rédhi-
bitoire.
IIT. Responsabilité professionnelle des médecins. -
159. Devoirs Iégaux des médecins. Maintien entre con-
tractants. - 160. Rareté de l 'action contractuelle.
Motifs.
IV. Devoirs des autres profcssionnels. - 161. Géné-
ralité de Ia règle du maintien de ces devoirs entre
contractants. - 162. Exemples divers. - 163. Les
TABLE DES MATIÈRES 359

agences de renseignements. - 164. Architectes et


entrepreneurs.
§ 4. Obligation de ne pas exercer les droits d'une manière
abusive 223
165. L'abus rles droits. Sa sanction : la responsabi-
lité délictuelle. Maintien entre contractants. - 166.
Jurisprudence. - 167. Caractère délictuel de la res-
ponsabilité. - 168. Conclusion.

Chapitre II. - Responsabilités complexes (art. 1384 à 1386) . 227

SECTION I. - Responsabilité délictuelle du fait d'autrui (art. 1384,


paragr. 2 à 5) 227
169. Responsabilité des commettants. - Principe.
170. Jurisprudence. - 171. Opinions doctrinales. -
172. Extension du principe aux autres cas de respon-
sabilité pour autrui.
SECTION Il. - Responsabilité délictue1le du fait des choses. (Art.
1384, § 1) 233
173. Applications dans 1·exécution des contrats. Juris-
prudence. - 174. Concours des responsabilités. - 175.
Arrêt de la Chambre civilc du 27 février 1929. - 176.
J urispnidence bel ge.
SECTION III. - Responsabilité délictuelle du fait des animaux
(Art. 1385) 236
177. Principe. Son application au contrat de louage
de services. - 178. Evolution de la jurisprudence fran-
çaise.
SECTION IV. - Responsabilité déliciuelle rl!i propriétaire d'un béiti-
ment (art. 1386) 239
179. Principe. - 180. Application au contrat de
Jouage de services. - 181. Application au contrat de
bail : 1. Turisprudence beige. - 182. II. Concours de
responsabilités. Ses avantages. - 183. UI. Exemples
jurisprudentiels. - 184. IV. Turisprudence italienne.
185. V. Evolntion rloctrinale et jurisprudentielle
en France.

III. ÉTUDE DE L'OPTJON E:Yl'llE LES DEUX ACTTONS EN


RESPONSABTLITÉ . 245
Chapitre premier. - Recherche des cas ou l'option existe 245
186. Quand l 'option exisle-t-elle -~ - 187. Violation
de deux obligations ayant un objet rlifférenl. - 188.
Violation de deux obligations ayant un ohjet irlentique.
- 189. Conséquences.
Chapitre Il. - Effets de l'option . 248
1. 190. Les deux actions demeurent rlistinctes. Con-
séquences.
Il. 191. lntentement successif des deux actions. - 192.
360 TABLE DES MATIÈRES

L'adage Electa una via, non dalur recursus ad alteram.


- 193. L 'autorité de la chose jugée.
III. 194. La queslion du cumul des dommages et
intérêts rlélictuels el contractuels.

TROISI 1::ME P ARTIE

Limites de l'intervention de la responsabilité


délictuelle entre contractants
195. Nécessité rle cc tic él urlc.

Chapitre premier. - Les obligations puremènt contractuelles .


SECTIO'\' I. - Notion
255
196. Les ohligations no11velles créées par les con-
trats. - 197. Impossibilité rle les sandionner par la
respon sahilité rlélictuel!e.
SECTION II. - Etude de la juris11rurlence 257
198. Intérêt que présente cetle élurle. 199.
Exernples rl 'ohligations purernent con lractue]ll's.
200. Les arrêts rle la Cour de Cassation rle France des
21 janvier 1890, 1l .irnvier l 922 et 6 auil 1927. -
201. .1 urisprurlence italienne : les arrêts Vitali c/ Alvisi.
- Co11clusio11.
SEG1"ION III. - Obligations puremenl conlractuelles taci/es . 263
202. Trnporlance rle leur examen. Exernples. - 203.
Faits rlorrnnageahles rlon I Ie contrat a été 1 'occasion.
Prohlè-rne qu 'ils soulh·ent. - 204. Examen crilique des
solutions proposées en rloctri11e. A. Critè-res suhjectifs.
- 205. B. Crilc\res oh,ieclifs. - 20G. Analyse de la juris-
prudence. - 207. Opinion arloplée : intervention rle la
responsahilité rl{>Jirtuellc.
SECTIO:\' IV. - Les obliqations im11osé!'s (Jnr la loi aux contrac-
tants à raison !Ie l'exislence du contra/
278
208. Position rlu prohlè·mc : cc, ohligalio'ls rcnlrent-
elles dans la calégoric des obligalions purement con-
tractuelles ." - 209. Règles légales supplétives. - 210.
Hrgles légales impéralives: leur mullipliralion à
1'époque actuel!e. - Grave diffirnlté qu 'el!es sou!Pvent.
\
\ - 211. Impossibilité d'assirniler les obligations impo-
sées par la loi aux obligations contracluelles . - 212.
Nature hybrirle rle la responsabilité qui sanclion11e ces
ohligations.

Chapitre II. Suppression par un contrat des conditions


nécessaires pour I'application des articlês t.382 à f386 281
SEcTroN T. - Rcs1wn.rnbilité rlu fait perso,inel (art. rn82) 281
213. Les contrats enlèYcnt à certains actes Ie rarac-
tère rle " faute » qui leur serail attaché en ! 'absence
de toute convention.
SEGTION IT. - Res(ionsabilité du fait d'a11trui (art. 1384) . 287
214. Drplarernent rlu farrleau rle la responsabilité.
TABLE DES MATlÈRES 361

- 215. A. Responsabilité des père et mère. - 216.


B. Responsabilité des maîtres et commettants : trans-
fert conventionnel de l'autorité et de la surveillance.
Conditions requises.
SECTION III. - Responsabilité du fait des animaux ( art. 1385) . 291'
217. Transfert de l 'usage de ! 'anima! par l 'effet de
la convention. - 218. L' « usage » de !'anima! est
transfén\: 1° A celui qui s'en sert à son profit. -
219. 2° A ceux qui gnrdenl l'nnimal pour l 'exercice
lucratif de leur profession.
SECT'ION IV. - Responsabilité du fait des choses (art. 1384 § 1) 296
220. Transfert de la gnrde. - 221. Notion de la garde
juridique. - 222. Cas oü Ie transfert de la garde a lieu
par l'effet d'une convention. - 223. Conclusion. Atté-
nuations nécessaires.
SECTION V. - Responsabilité du propriétairc d'un immeuble
(art. 1386) 303
22+. Ill(liffércucc des convcutions translalives cle la
garde.

Chapitre 111. - Exclusion de la responsabilité délictuelle par la


volonté des parties 304
SECT10N 1. - Principes directeurs de cette étude 304
225. Posilion clu proh\('>me. - 226. Possibilité de
déroger à l 'application des articles 1382 à 1386. Néces-
sité d'une volonté certaine pour que cette dérogation
soit aclmise. - 227. La volonlé d'exclure la responsa-
bilité délictuelle ne peut résulter que de l'incompati-
bilité entre son application et les clauses du contrat.
-· 228. Portée cle cette règle d 'interprétation.
SECTION II. - Exclusion directe <Ie la responsabilité délictuelle 308
229. Validité de cette exclusion. - 230. Exclusion
tncite : A. Offrc et ncceptatiou d 'un service gratuit.
Tra11sport hénévole. Au tres excmplcs. - 231. B. Re-
nonciation dérluile de la conduite rlc la victime elle-
même. - 232. C. Acceptat ion cl 'un risque dangereux.
- 233. Appréciation de la jurisprudence relative aux
clauses tacites d'exonération. - 234. Cas 011 l'exonéra-
tion n'a pas lieu.
SECTION III. - Exel usion indirecte rle In re.çJJOnsabili lé rlélicluelle 315
235. Position du problème. Clauses cl 'exonération
de la responsabilité contracluelle el clauses écartant
du contrat certaines ohligations.

I. Influence de la délimilation des obligations contraclnellcs 317


236. Position du problème. Règle cl 'interprélation
de la volonté cles pi!rties. - 237. Limitation des obli-
gations coutractuelles de moyens. - 238. Limitation
des obligalions contractuelles de résultat. 239.
Influence de la limitation des ohligations contrac-
362 TABLE DES MATIÈRES

tuelles sur l'application des articles l 384 à 1386.


A. Responsabilité du fait d'autrui. - 240. B. Respon-
sabilité du fait des choses.

Il. Jnfluence des clauses d'exonération et de limitation de la


responsabilité contractuelle 329
S 1. Clauses d'exonération . 315
241. Leurs effets. Théorie du maintien entre les
parties rle la responsabilité délictuelle. Critique. -
242. Principe proposé et applications diverses.
S 2. Clauses limitatives de la responsabilité . 315
243. Objet de ces clauses. - 244. Clauses limitant
les dommages et intérêts. - 245. Clauses limitant Ie
délai endéans lequel l'action doit être intentée.
S 3. Limites de l 'influence des clauses d 'exonération ou de
limitation de la responsabilité contractuellc 315
246. Clauses sans valeur à l 'égard de la responsabi-
lité contractuelle. Conséquences. - 247. Maintien des
obligations délictuelles qui intéressent l 'ordre public.

Conclusions 340
248. Résumé de la doctrine proposée.

Imp. G. Thorie, Liège {Belglque) 12-32


ERRATA

Page 2:3, ligue 11, lire : rc1Josc11/, au lieu de ,lcposcttl


Page :3G, nole 2: Les deux premières d{>l'isions rapporll'f'S co11cenH•11I
la rcsponsabilité basée sur 1·arl iele l ;334 dn C:rnlr Ch il.
l'agc 7.3, ligne 21, lire COHCOll/'11, illl lieu rt,, COflf()((/'f'((_

Pagl' 188, ligue 6, lire loulefois. au li011 de /ou/cjois.

Page 209, note 1, ligue 8, lire : 11rérrqJpelé, au licu de prémt>f>clée.


Page 221, ligne :3, lire : res1wnw\Hlilé, au li,,,1 de resJ,onsa/Jili/lé.
Page 25:3, ligue 7, lire dé111011s/rnlio11, au'licu de tlhnon/ru/ion.

Page 29:l, note 1 La loi du 18 j11i11 rn:io (art. 1) a {>IP1Ld11 la n<_ulc-


111c11 L• tien spéciale ;111x ,1t-cideu ls cl II l.raYail aux apprcn1is, mèmP
non salarié.;, aux enqilO}l'S assujellis ;\ la loi du ï aofit 1922 relatiw
au contra[ d'cn1ploi, ainsi qu'a11x do111csl.iq11es cl servan1es dP
ferme, même lorstiue leur co11trnt de tr,nail n'esl pas régi par la
loi du 10 1nars 1900. L'cxlension de la ,rn1 rne n\glcrnP1dalion a,ix
domestiquès el gr·ns de maison fait 1'ohjel d 'u n projcl de loi actnpJ-
lemcnt sournis ;'1 la Chambre des l\epn;sentanls (rny. l/cchlsk111ufi!J
IVeekbla<l, 12 mars 1983, col. 472i.

Pw;, ,llb, ligne l, lire : el/es, au lieu de clle.


Page 328, ligue 18, lire : rèyler la (JllCs/i011, au lien de rèyler par let
qucslion.

Pnge 860, rectifier les numéros des pages comme s11il : û5. au lie11
. de 278 ; 285, au licu rle 281.
Page 8G2, reclificr les numéros des pages comme suil : 319 au lit'll
de 315 ; 383, au lieu de 315 ; 337, au lieu de 315, cl 841, au lieu
de 340 . .

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