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Gaston Jèze

Les príncipes généraux


du droit administratif
Tome 3
Le fonctionnement
des Services publics

Préface de
Pascale Gonod
Professeur à 1’école de droit de la Sorbonne (Université Paris I)
Fabrice Melleray
Professeur à 1’Université Bordeaux IV

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Le pictogramme qui figure ci-contre mérite une expli-
cation. Son objet est d’alerter le lecteur sur la menace que
représente pour 1’avenir de 1’écrit, particulièrement dans le
domaine de 1’édition technique et universitaire, le dévelop-
pement massif du photocopillage.
Le Code de la propriété inrellecruelle du lcr juillet 1992
interdit en effet expressément la photocopie à usage collec-
tif sans autorisation des ayants droirs. Or, cette pratique s’est généralisée dans les établis-
sements d’enseignement supérieur, provoquant une baisse brutale des achats de livres et
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les et de les faire éditer correcrement est aujourd’hui menacée.
Nous rappelons donc que toute reproduction, partielle ou totale, de la présente publi-
cation est interdite sans autorisation de 1’auteur, de son éditeur ou du Centre français
d’exploitation du droit de copie (CFC - 20, rue des Grands-Augustins - 75006 Paris).

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donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la pro­
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© Éditions Dalloz -201]


ISBN 978-2-247-10745-2
GHAPITRE III

LA COLLÀBORATION VOLONTAIRE DES PARTICULIERS AU FONCTIONNE-


MENT DES SERVICES PUBLICS (tHBORIES PARTICULIEREs). — LES
CONTRATS ADM1NISTRATIFS

L — Les agents publicsont besoin, pourassurer le fonctionnement


des Services publics, que certaines choses matérielles, existantes ou
à fabriquer, à construire, soient mises à leur disposition. Lorsqu’il
s’agit de choses mobilières, il intervient un contrat qui porte ordi-
nairement le nom de marche de fournilures.
Par exemple, les administrations de la guerre, de la marine pas-
sent avec des industrieis, des commerçants des contrats en vue de
lafourniture d’aliments pour lestroupes, de drapspour levêtement
des soldats, de chaussures, de cuirs, de matériel d’armement
(canons, fusils, obus, navires de guerre, etc.).
Lorsqu’il s’agit de choses immobilières, il intervient le marche de
travaux publics. Ex. : construction de routes, de chemins de fer,
dune école, d’un hôpital, etc.
11. — Ces contrats ressemblent beaucoup à ceux que passe un par-
ticulier. Au premier abord, le regime juridique des contrats admi-
nistratifs semble devoir être exactement celui auquel sont soumis
les contrats des particuliers.
Ce n’est qu’une apparence. II y a un élément essentiel qui ne se
rencontre pas dans les rapports de particulier à particulier : ces
contrats sont conclus pour le fonctionnement d’un Service public.
II convient dèslors d’appliquer ici le principe fondamental du droit
public français.
Toutes les fois qu’il s’agit d’assurer le fonctionnement d’un Ser­
vice public, on n’applique pas nécessairement les textes mêmes du
Code Civil ou des lois de droit prive, qui régissent les rapports de
particulier à particulier dans des hypothèses analogues. Avant tout,
on s^inspire des idées gènérales qui justifient ces textes. On combine
ces textes avec les nécessités du fonctionnement régulier et continu
du Service public (i).

(1) Pour le développement de ce principe, voyez supra, pp. 161 et s.


298 COLLABORATION DES PARTICÜLIERS

III. — Les lois et règlements font très rarement, eux-mêmes,


1’application du príncipe fondamental. C’est la jurisprudence du
Conseil d’Etat qui, par ses arrêts d’espèce, a élaboré peu à peu et
continue d’élaborer, non sans contradictions, hésitations et obscu-
rités, le régime juridique applicable. C’est la théorie des contraís
administratifs.
On entend par là les contrats passés par 1’administration pour
assurer le fonctionnement d’un Service public, et qui sont régis par
des règles particulières autres que celles applicables aux rapports
des particuliers entre eux.
Les principales de ces règles spéciales sont rei atives :
Io à la forme des contrats ;
2o aux pouvoirs de 1’administration pour obtenir, par voie d’in-
jonctions unilatérales, 1’exécution fidèleet régulière de la prestation
convenue;
3o à certaines faciliiés données aux cocontractants de 1’adminis-
tration pour Texécution de leurs obligations contractuelles (théorie
de 1’imprévision);
4o à la compétence des tribunaux administratifs pour juger les
contestations qui s’élèvent entre 1’administration et les fournisseurs.
Ce ne sont pas les seules règles spéciales. Mais la plupart se
rattachent directement ou indirectement à ces quatre chefs prin-
cipaux.
IV. — Pour que ces règles spéciales s’appliquent, il ne sufílt pas
qu’un contrat soit passé par 1’administration avec un particulier
pour la prestation d’une chose ou d’un Service. II faut, de plus, que
le contrat ait pour objet d’assurer le fonctionnement d'un Service
public. Et inême ce nouvel élément ne suffit encore pas : il est indis-
pensable que les parties contractantes aient voulu se soumettre à
un régime juridique exorbitant du droit civil, au régime du droit
public.

Section I

Existence de contrats administratifs.

Dans le droit public français, il existe des contrats administratifs,


c’est-à-dire des contrats différents des contrats conclus entre particu­
liers par le régime juridique auquel ils sont soumis.
Cette proposition est admise sans contestation par le Conseil
LES CONTRATS ADMINISTRATIFS 299

d’Etat au oontentieux, mais elle est repoussée par certains juriscon-


sultes de haute autorité.
II convient donc d’en faire la démonstration précise.

I. — Théorie du professeur Duguit.

I. — D’après le professeur Duguit (1), « dans ses éléments intrinsè-


ques, un contrai a toujours les mêmes caractères. Le contrat est une
certaine catégorie juridique, et quand les éléments qui le constituent
sont réunis, il y a un contrat ayant toujours les mêmes caractères
et les mêmes effets. Par conséquent, s’iZ y a des contrais qui don-
nent lieu à la compétence des tribunaux administratifs, ce ne peut
être qdà raison du but en vue duquel ils sont faits. II y a quelque
chose danalogue à ce qui se passe pour les contrais commerciaux.
Quant au fond, il n’y a pas de différence entre un contrat civil et
un contrat commercial. Ce qui fait le contrat commercial et fonde
la compétence des tribunaux de commerce, c’est le but commercial
en vue duquel il est fait. — II ríy a pas de différence quant au fond,
entre un contrat civil et un contrat administratif. Ce qui donne à un
contrat le caraclère administratif et fonde la compétence des tribu­
naux administratifs, cesl le but de Service public en vue duquel il
est fait)?.
II. — Cette argumentation est en contradiction avec les faits. La
thèsedu prof. Duguit n’est pas celle du droit public français actuel.
La théorie juridique actuelle n’est pas celle de contrats administra-
tifs de la compétence des tribunaux administratifs à raison du but
de Service public en vue duquel ils sont faits.
Si les tribunaux administratifs sont compétents pour les contrats
administratifs, d est parce quil s' agil dappliquer un régime juridi­
que spécial; le caraclère essenliel des contrats administratifs est
quils sont soumis à un ensemble de règles spéciales. Toutes ces
règles spéciales se résument en ceci : les effets des contrats admi­
nistratifs ne sont pas les mêmes que les effets des contrats civils.
Celui qui conclut un contrat administratif prend lobligalion non
seulement de ne pas géner le fonelio nnement du Service public, mais
encore de faciliter le fonctionnement du service public. Les contrats
civils supposent deux contractants placés sur un pied de parfaite
égalité. Le contrat administratif proprement dit suppose essentiel-

(1) Traité de Droit constitutionnel, 2® édition, III, 1923 p. il.


300 COLLABORATION DES PARTICULIERS

lement deux contractants qui se reconnaissent placés sur un pied


d'inégalitè : l’un représente 1’intérêt général, le Service public ;
1’autre, l’intérêt prive du contractant. La notion de Service public
entraine 1’obligation, pour celui qui s’engage par un contrat admi-
nistratif, à faire passer le fonctionnement du Service public avant
ses intérêts propres, sauf indemnilé. Cette obligation a donc un
caractère extensif que n’a pas 4’obligation résultant des contrats
civils, même passés par 1’administration.
Les contrats administratifs sont de la compétence des tribunaux
administratifs, à Vheure actuelle, non parce que le contrat a pour
but d’assurer le fonctionnement d’un service public, mais parce
qu’il y a des règles spéciales pour la détermination des effets juri-
diques des contrats administratifs.
III. — Tout ce qui est vrai dans la théorie du professeur Duguit,
cest que les règles spéciales des contrats administratifs ont pour
but d’assurer le fonctionnement d’un service public.
Mais, dans le droit public français actuel, il est inexact de dire
qu’entre les contrats administratifs et les contrats civils, il n’y a
pas dedifférence de fond.

II. — Théorie du professeur Hauriou.

I. — Le professeur Hauriou (1) a une théorie plus proche de


celle qui prévaut aujourd’hui en jurisprudence.
A propos des marcbés de fournitures qui sont un des contrats
administratifs les plus fréquents, le prof. Hauriou écrit : « Les
marcbés de fournitures sont les contrats par lesquels les adminis-
trations publiques se procurent, par 1’intermédiaire d’un entrepre-
neur, des objets mobiliers, des denrées ou matières et même des
Services (par exemple, des Services de transports maritimes ou
même des Services de transports terrestres par autobus), le tout
par une opératlon qui s'analyse en une vente, ou qui, si elle s’ana-
lyse en un louage douvrage, n’a pas pour résultat la création d’un
ouvrage public ».
Le prof. Hauriou semble donc mettre sur la même ligne les mar-
chés de fournitures du droit public, les contrats de vente et les con­
trats de louage d’ouvrage. Ce serait la thèse du prof. Duguit. Mais
quelques lignes plus loin, le prof. Hauriou déclare: « II faut quil

(1) Précis de droit administratifs 9°édition, 1919, p. 905.


LES CONTRATS ADMINISTRATIFS 301

y ait contrai spécial avec cahier des charges. Un achat au comptant


ríestpas un marché de fournitures. Un transport exécuté par une com-
pagnie de chemins de fer ou de paquebots, lorsque l administration a
usé du moyen de transport dans les mémes conditions que le public,
ríest pas un marche de fournitures ».
II. — Ceei est, en grande parlie, la reproduetion des expressions
couramment employées au Conseil d'Etat au contentieux. Mais n’y
a-t-il pas contradiction entre les deux propositions ? Si le marché
de fournitures s’analyse en une vente ou en un louage douvrage, oíi
est la différence entre le contrai administratif, dit marché de four­
nitures, et le contrat civil de vente ou de louage d’ouvrage ?
En quoi y a-t il contrat spécial*! Quelleestla caractéristique de ce
contrat spécial, qui le difíerencie de Yachat au comptant, lequel
est un contrat de vente du droit civil, du transport par chemin de
fer ou par paquebots dans les mémes conditions que le public, lequel
est un contrat civil de louage?
C’est ce que ne dit pas le prof. Hauriou.

III. — Théorie de la jurisprudence.

I. — Etant admis, comme proposition fondamentale, que le droit


d’un pays donné à un moment donné est celui qui est eflectivement
appliqué par les tribunaux, il faut reconnattre qu’il existe, en droit
public français acluel, des contrats administratifs distincts des con­
traís civils.
A cet égard, on peut relever, depuis le début du xx’ siècle, les
déclarations les plus catégoriques des commissaires du gouverne-
ment près le Conseil d’Etat, et les arrêts les plus formeis.
II suffira, pourle moment, d’en citer queiques exemples. Dans Ia
suite de cette étude, il en sera présenté de très nombreux.
II. — Dans ses conclusions sur raflaire Terrier, 6 février 1903
(Rec., p. 97), M. llomieu, commissairedu gouvernement, distinguait
nettement les contrats administratifs des contraís civils : « II appar-
tient à la jurisprudence de déterminer... dans quels cas on se trouve
en présence d’un Service public fonctionnant avec ses règles propres
et son caractére administratif, ou, au contraire, dades qui, tout
en intéressant la communaulé, empruntent la forme de la gestion
privée et entendent se maintenir exclusivement sur le terrain des
rapports de particulier à particulier dans les conditions du droit
privé )>.
302 COLLABORATION DES PARTICULIERS

Dans ses conclusions sur KafTaire Société des granits de Lille


(21 juillet 1912) (1), lecommissairedugouvernement, M. LéonBlum,
afílrmait: « Quand il s’agit de contrat, il faut rechercher non en
vue de quel objet ce contrat est passé, mais ce qu'est ce contrat,
d’après sa nature méme... II ne suffit pas que la fourniture qui est
l’objet du contrat doive être ensuite utilisée pour un Service public;
il faut que ce contrat, par lui-même et par sa nature propre, soit de
ceux qu’une personne publique peut seule passer, qu’il soit, par sa
forme et sa contexture, un contrat administratif. »
Dans des conclusions prononcées le 3 décembre 1920 devant le
Conseil d’Etat, à Foccasion d’une affaire Fromassol (2), le commis-
sairedu gouvernement, M. Corneille, disait, à propos des contrats
administratifs : « En ce qui concerne les marchés afférents à des
Services publics, il y a une distinction primordiale à établir ; il y a
une gradation que vous avez établie suivant que ['enlrepreneur, le
fournisseur, collabore plus ou moins directement au Service public.
A ce point de vue, on remarque, tout en haut de 1’échelle, la conces-
sion. II y a, en situation intermédiaire, le marché de fournitures à
longue durée et à fournitures continues ou multiples, et, en bas de
1’échelle, le simple marché de fourniture isolée, unique, qui se rap-
proche, parfois, si bien du contrat privè, qui en a adopté si parfai-
tement les règles et les conditions, que vous le déclarez en dehors
de la compétence du juge administratif. Pour ces trois catégories
de contrats administratifs, vous avez dégagé quelques príncipes
essentiels, nuancés (Taprès la catégorie du contrat. »
En 1921, dans TafTaire jugée par le Conseil d’Etat (Société générale
^armements, 23 décembre 1921, R. D. P. 1922, p. 77), M. Rivet
disait: « Les personnes morales, lorsqu’elles contractent en vue de
la création ou de Yexécution d'un Service public, ont toujours en vue
Yinlérêt général. Cet intérêt général est plus ou moins accentué, il
est plus ou moins impératif, mais il existe toujours. S’ensuit-il que
tout contrat, intervenu dans ces conditions et à cette fin, relève
nécessairement de la compétence des tribunaux administratifs ? En
aucune façon. Ce qu’il est vrai de dire — nous laissons de côté le
cas ou, comme pour les marchés de fournitures de l’Etat, la com­
pétence administrative résulte de textes spéciaux — c’est que 1’inté-
rét général, en vue duquel la convention a été conclue, comporte

(1) R. D. P., 1914, p. 150 ets.; Rec., p. 909.


(2) R. D. P., 1921, p. 73 et s. ; p. 79 et s.
LES CONTRATS ADMINISTRATIFS 303

fréquemment des exigences particulières d’oü résultera félaboration


de clauses exorbitantes du droit commun qui excluront la compétence
de la juridiction civile. Mais si ces clauses exceptionnelles, ces clau­
ses de nature proprement administrative n’existent pas, s’il a pu
être satisfait aux besoins de 1’intérêt général en jeu par les stipula-
tions généralement en usage dans les contrats passés entre parti-
culiers, la juridiction ordinaire en matière de contrats, c’est-à-dire
la juridiction des tribunaux judiciaires sera naturellement compé-
tente (en ce sens, Sociêlè des Granils des Vosges, C. d’E. 31 juillet
1912). — II résulte de ce que nous venons de dire que le contraí passe
en vue de Vexécution d'un Service public — bien qu’il soit toujours ins-
piré par 1’intérêt général — ne ressortit pas nécessairement et de
plein droit à la juridiction administrative ; à plus forte raison, cette
compétence administrative ne s’impose-t-elle pas, lorsqu’on se
trouve en présence non plus de contrats conclus aux fins de création
ou d’exécution d’un service public, mais d’un contrat passé entre un
Service public déjà existant et un usager de ce service. Dans cette
seconde hypothèse 1’intérêt général pourra d’autant moins avoir
pour eífet de justifier à lui seul la compétence administrative, que
cet intérêt général s’éloigne en quelque sorte. II ne figure plus parmi
les motifs déterminants du contrat qui lie la personne morale,
exploitant le service public, et 1’usager ; il n’apparaft plus que
parmi les raisons lointaines, qui ont pu provoquer, en son temps,
la création du service lui-même. Si le souvenir de cette origine se
traduit par 1’insertion, dans les conventions particulières passées
entre la personne morale et 1’usager, de clauses de nature vraiment
administrative, Ia compétence du tribunal administratif pourra
encore s’ensuivre, mais Ia cbose sera, cette fois, tout à fait excep-
tionnelle ».
De mêrne, dans ses conclusions devant le Conseil d’Etat (23 mai
1924, Société les affréteurs réunis) (1), le commissaire du gouverne-
ment, M. Rivet, distingue, parmi les contrats passés pourlasatisfac-
tion d’un besoind’intérêt général, suivant la nature du servicepublic.
D’après M. Rivet, il faut distinguer : Io les Services « insusceptibles
d’être gérés par d’autres que 1'Etat ou les personnes morales qui en
sont détachées » : il y a « des règles propres »; 2o les monopoles,
« dont la marche n’implique généralement la mise en oeuvre d’«w-
cune règle exorbitante du droit commun » ; 3o « les Services indus-

(1) R. D. P., 1924, p. 387 et s.


304 COLLABORATION DES PARTICULIERS

triels gérés sans monopole » pour lesquels ordinairement il n’y a


pas de règles spéciales. »
Ces citations pourraient être multipliées.
III. — De tout ceci, il resulte qu’il y a des contraís administratifs
au seus précis, contrats distincts des contrats civils, et que le con-
trat administratif n’est pas tout contrat passé par 1’administration
en vue d"assurer le fonctionnement d'un Service public.
Ceci posé, la question à résoudre est celle de savoir à quoi 1’on
reconnatt le contrat administratif proprement dit, au sens technique
de cette expression dans le droit public français actuel.

Section II

A quoi reconnait-on un contrat administratif?

A 1’heure actuelle, il est possible de répondre à cette question


capitale. Pendant longtemps la jurisprudence du Conseil d’Etat n’a
pas été très précise. Elle a beaucoup évolué. On arrive maintenant
à trouver, dans les arrêts les plus récents du Conseil d’Etat, un crite-
rium plus clair, plus facile à appliquer.
Pour résoudre le problème, il faut rechercher les conditions dans
lesquelles il se pose.

Posilion de la question. Enumération des conditions.

I. — Un agent public demande à un individu de collaborer volon-


tairement au fonctionnement d’un service public par la prestation
dechoses matérielles ou de Services.
S’il ne s’agit pas du fonctionnement d’un service public, aucun
intérêt général essentiel n’est en cause. 11 n’y a pas à faire prévaloir
1’intérêt général sur 1’intérêt particulier. Dès lors, les règles du
droit privé, qui reposent sur le príncipe de 1’égalité des individus,
sont applicables purement et simplement.
Si, au contraire, la collaboration est demandée pour le fonctionne­
ment d’un service public, la notion du service public comporte-t-elle,
par elle-même, de plein droit, cette conséquence inévitable que
1’intérêt général du service devra prévaloir sur 1’intérêt privé du
LES CONTRATS ADMINISTRATIFS 305

cocontractant? La collaboration, niemevolontaire, à un service public


entratne-t-elle, pour tous les collaborateurs, quels qu’ils soient, l’obli-
gation cfassurer coute que coute le fonctionnement continu et régu-
lier du Service, sans qu’il soit besoin qu’une loi le dise expressé-
ment; sans même qu’il soit besoin qiTune clause spéciale du contrat
précise cette obligation ? Cette obligation découte-t-elle implicite-
ment et fatalement de la noíion de Service public"!
II. — Non, ceci n'est pas nécessaire, et ce serait trop grave. II
faut que le collaborateur volontaire ait consenti à cette conséquence
exorbitante du droit civil. II fautqu’il ait manifeste, d’une inanière
ou d’une autre, sa volonté sur ce point précis.
Dès lors, parmi les contrats conclus en vue d’assurer le fonction­
nement d’un service public, il y a deux catégories :
Io Ceux qui sont des contrats ordinaires, régis par le Code civil;
2o Ceux qui sont des contrats adminislralifs, soumis aux règles
spéciales du droit public, règles qui se résument toutes en cette for­
mule : le cocontractant n’est pas tenu seulement d’exécuter son obli­
gation comme le ferait un particulier vis-à-vis d'un autre particu-
lier; ses obligations devront être interprétées comme s’étendant à
tout ce qui est absolument nécessaire pour assurer le fonctionne­
ment régulier et continu du service public auquel il consent à
collaborer. De son còté, fadministration sera obligée de dédom-
mager le cocontractant pour le cas oíi 1’extension de ces obligations
lui causerait un préjudice anormal qifil ne pouvait pas raisonna-
blement prévoir en contractant.
III. — II est impossible d’énumérer par avance toutes les consé-
quences qui découlent de cette idée ; elles n’apparaissent qu’au fur
et à mesure des événements. En période normale, les contractants
peuvent connaítre la plupart de ces conséquences, d’après Ia juris-
prudence administrative. On croit même — à tort — qu’on les con-
nait toutes; on les a inscrites dans des documents (cahiersdes clauses
et conditions générales'). En réalité, on ne les connaft jamais toutes.
Qu’uno crise économique, politique, Internationale survienne.
Alors le service public exige, pour son fonctionnement continu et
régulier, de la part de tous les collaborateurs, même volontaires,
une application encore plus attenlive, des obligations auxquelles on
n’avait pas songé de manière précise. Le législateur ne les avait pas
prévues, ni déterminées à 1’avance. Les parties contractantes ne les
ont pas expressément inscrites dans le marcbé. Peu importe. L’admi-

Jèze. — Droit adm. III. 20


306 COLLABORATION DES PARTICULIERS

nistration pourra exiger de son cocontractant la prestation promise


et qui est indispensable au fonctionnement régulier et continu du
Service public. Le juge sera 1’arbitre pour apprécier si, pour le fonc­
tionnement du Service public, la prestation réclamée par 1’adminis-
tration n’est pas excessive, et si, au cas de Tafílrmative, il est équi-
table d’accorder une cornpensation au collaborateur volontaire, afin
que ce dernier ne subisse pas un préjudice qu’il n’a pas pu raison-
nablement prévoir en s’engageant par le contrat.
G’est la notion de Service publicdevant fonctionner régulièrement,
de manière continue, sans à coups, qui legitime, qui justifie cette
obligation spéciale qui nincombe pas à un contractant, lorsqu’il
s’agit de contrat entre particuliers ou même de contrat civil avec
1’administration. G’est en cela que consiste le contrat administra-

IV. — La détermination précise de ce qui peut être exigé du con­


tractant pour le fonctionnement du Service public suppose une
tournure d’esprit particulière et une longue expérience. Aussi le
droit public français actuel attribue-t-il la connaissance des litiges
soulevés par les contrats administratifs à des tribunaux spéciaux :
les tribunaux administratifs.
11 y a aujourd’hui un lien indissoluble entre ces idées : príncipe
du fonctionnement régulier et continu du Service public ; obligations
spéciales incombant à tous les collaborateurs, même volontaires, à
un Service public ; compétence des tribunaux administratifs.
II faut laisser de côté comme périmées les idées de souveraineté,
de puissance publique, de commandernent, d’autorité publique.
Les institutions démocratiques modernes sont à base purement
rationaliste et non pas mystique ou métaphysique.
Voilà comment le problème se pose.
V. — On est ainsi conduit à dire qu’il y a contrat administratif
proprenient dit, lorsque les conditions suivantes sont réunies :

(1) Tardibu, conclusions sous C. d’Etat 29 janvier 1909, Compagnie


des Messageries marilimes, Rec., p. 116: « Etant donné que les entre -
preneurs, fournisseurs ou concessionnaires de Services pnblics sont
chargés d’une mission qui presente un intérêt général, les tribunaux
administratifs ont le droit, à raison précisément de cet intérêt général
qui est enjeu, de se montrer plus sévères dans Vappréciation de la con-
duite de 1'entrepreneur, et d'exiger de lui plus cVefforts pour assurer
Véxécution de son contrat que les tribunaux judiciai?es rCen exige-
raient d'un entrepreneur prive ».
LES CONTRATS ADMINISTRATIFS 307

Io il faut un accord de volonlés entre 1’administration et un par-


ticulier ;
2o 1’accord de volontés a pour objet la création d’une obligalion
juridique de prestation de choses matérielles ou de Services personnels
moyennant une rémunération (en argenl ou autremení);
3o la prestation à fournir par 1’individu est destinée à assurer le
fonctionnement d'un Service public ;
4o les parties, par une clause expresse, par la forme même donnée
au contrat, par le genre de coopération demandéeau contractant, ou
par toute autre manifestation de volonté, ont entendu se soumettre
au régime spécial du droit public (1). D’une part, fadminislralion a
voulu ce régime juridique spécial. D’autre part, le fournisseur, en se
soumettant volonlairemenl à ce régime spécial, a renoncé à se pré-
valoir des règles du droit prive pour la détermination de sa situation
juridique (droits et obligations) (2).
VI. — De tout ceci, il résulte que les agents publics, pour faire
fonctionner un service public, c’est-à-dire pour assurer Ia satisfac-
tion des besoins d’intérêt général pour laquelle Ia législation orga-
nise un régime juridique spécial (service public proprement dit),
peuvent passer ou bien des contraís civils, régis par le droit civil, ou
bien des contrais administralifs, régis par le droit public. La notion
actuelle de service public ne signifie pas que les agents publics doi-
venl absolument se servir des procédés juridiques du droit public.
11 y a des cas ou il en est ainsi, ou le choix n’est pas possible, ou le
contrat administratif s'impose. Le plus souvent, les agents admi-
nistratifs peuvent user du contrat civil ou du contrat administratif,
selon ce qifils jugeront le plus utile.

(1) Le Conseil d’Etat, dans un arrêt du 19 juin 1918, Socièté des voiliers
français, fíec., p. 597, a souligsé avec soin la condition de Ia commune
intention des parties de conclure un contrat administratif: « L’art. 14
(du marche passé par l' Etal avec la Société des voiliers français)
prévoit que toutes les contestations seront jugées administrativement.
Si cette dernière clause ne pouvait ètre par elle-mêine attributive de
compétence, elle rien a pas moins pour effet d'indiquer la commune
intention des parties en ce qui concerne le caractère de la convention
intervenue entre elles. La dite convention est, par suite, un marche
administratif »
(2) Gpr. Max Réglade, De Vapplication aux marches de fournitures
du principe de la séparation des autorités judiciaire et administra-
tive, R. D. P. 1924, p. 139 et s.
308 COLLABORATION DES PARTÍCULIERS

Telle est la signification de cette proposition, que tout contrat


passé en vue d’un Service public n’est pas nécessairement un contrat
administratif.

| 2

Exposé de la jurisprudence.

II faut montrer maintenant que telle est bien la solution adoptée


par la jurisprudence française actuelle. 11 convient de préciser les
trois points suivants :
Io D’après la jurisprudence, 1’administration peut, en príncipe,
choisir, même pour la satisfaction d’un besoin d’intérêt commun
pour lequel les procédés du droit public peuvent être employés,
pour une mème prestation de chose mobilière ou de Services, entre
1’opération juridique du droit privé et 1’opération juridique du droit
public (contrat administratif proprement dit).
2o A quoi reconnait-on que Tadministration et le contractant ont
choisi le régime du droit public, le régime du marché adminis-
tralif?
3o Ce choix appartient-il à tous les agents publics ? est-il réservé
auxagents publics de VEíat? Les administrations départementales
ou communales ne l’ont-elles pas ?
II faut réunir les deux premières questions qui sont intimement
liées :

I. — Libre choix de Cadministration, et signes auxquels on reconnatt


qu'elle a choisi le contrat administratif.

I. — La jurisprudence du Conseil d’Etat et du Tribunal des Con­


flits ont eu à se prononcer trè.s nettement sur ces deux questions. La
jurisprudence les a résolues à propos d’un problème, secondaire
théoriquement, mais pratiquement primordial : celui de la compé-
tence administrative.
Comme, aujourd’hui, la compétence administrative existe s’il y a
un régime juridique de droit public à appliquer, le Conseil d’Etat
et le Tribunal des Conflits ont eu, à propos de la compétence, à
dégager les conditions pour qu’il y ait contrat administratif pro­
prement dit.
II. — Dans de nombreux arrêts récents, le Conseil d’Etat et leTri­
bunal des Conflits afíirment que 1’administration, méme pour assurer
LES CONTRATS ADMINISTRATIFS 309

le fonctionnement d'un Service public, n’est pas obligée de recourir


au contrat administratif; la jurisprudence décide que les litiges
sont alors de la compélence des tribunaux judiciaires.
Encore une fois, cela est très important; cela signifie que, pour
un même Service public, Fadministration a ordinairement le choix
entre deux opérations juridiques : celle de droit privé, celle de
droit public.
III. — D’après la jurisprudence la plus récente, on reconnait que
Fadministration a adopté 1’opération de droit public, le contrat
administratif, aux signes principaux suivants :
Io Souinission expresseà un cahier desclauses et conditionsgéné-
rales formulant la plupart des règles exorbitantes du droit privé.
C’est un cas de déclaration expresse que le contrat est un contrat
administratif.
2o Engagement de coopération personnelle active du fournisseur
au fonctionnement d’un Service public proprement dit : lecaractère
de contrat administratif résulte de cet engagement.
3o Contrat se rattachant au fonctionnement d’un Service public
tel que, par la nature même de ce Service public, le contrat impli­
que nécessairement le réginie du droit public.
4o Clause du contrat sournettant les litiges à la juridiction admi-
nistrative.
IV. — Voici les principaux arrêts, de date récente, dans lesquels
les idées précédentes ont été appliquées.
1° Dans 1’affaire Terrier, jugée par le Conseil d’Etat le 6 février
1903, Rec., p. 94, le commissaire du gouvernement, M. Romieu, a
très nettement posé la question des contrais administratifs, à pro-
pos de la question de compétence, et a formule quelques proposi-
tions relatives au critériuin des contrais administratifs (1): <i II faut

(1) C’est 1’affaire célèbre dite des chasseurs de vipères. U-n conseil gene­
ral de département avait organisé un Service public de destruetion des
vipères. II avait inscrit au budget departamental un crédit pour 1’alloca-
tion de primes aux chasseurs de vipères. La question s’est posée (mais
n’a pas été résolue par le Conseil d’Etat) de savoirsila promesse d’une
prime par tête de vipère détruite, étaitun contrat. M. Romieu ne résoud
pas cette question. En 4910, dans ses conclusions sur 1’affaire Thérond
(C. d’E. 4 mars 1910, Rec., p. 195), le commissaire du gouvernement,
Jl. Pichat, a déclaré qu’il y avait là un contrat administratif : « litige
relatif à un contrat de touage dê Service passe par un département
en vue de Fexécution d’un service public ». Cette solution est tout à
fait contestable.
310 COLLABORATION DES PARTICULIERS

réserver, pour les départements et les communes comme pour 1’Etat,


les circonstances ou 1' Administration doit être réputée agir dans les
mêmes conditions quun simple particulier et se trouve soumise aux
mêmes règles comme mêmesjuridictions. Cette distinction entre
ce qu’on a proposé d’appeler la gestion publique et la gestion pri­
vée peut se faire, soit à raison de la nature du Service qui est en cause,
soit à raison de iacte quil s'agit dapprécier. Le Service peut, en
effet, tout en intéressanl une personne publique, ne concerner que la
gestion de son domaine privé : on considère, dans ce cas, que la
personne publique agit comme une personne privée, comnie un pro-
priétaire ordinaire, dans les conditions du droit commun (Conflits
30 mai 1884, Linas, Rec., p. 436 ; 29 novembre 1884, Jacquinot,
Rec., p. 855; 21 mars 1891, Calien dAnvers, Rec., p. 252;
24 novembre 1894, Loiseleur, Rec., p. 631 ; Cassation, civ., 12 juin
1901, VElatc. Dessauer, S. 1906. 1. 41).
« Dautre part, il peutse faire que íadministration, tout en agis-
sant non commepersonneprivée, mais commepersonne publique, dans
1'intérêl dun Service public proprement dit, d invoque pas le bénéfice
de sa siluation de personne publique et se place volonlairenient dans
les conditions dupublic, soit en passant un de ces contrais de droit
commun d’un type nettement determine par le Code civil (location
d’un immeuble, par exemple, pour y installer les bureaux d’une
administration), quine suppose paslui-mème 1’application daucune
règle spèciale au fonctionnemenl des Services publics, soit en effec-
tuant une de ces opérations courantes que les particuliers font
journellement, qui supposent des rapports contracluels de droit
commun et pour lesquelles Fadministration est réputée entendu agir
comme un simple particulier (commande verbale chez un fournis-
seur, salaire à un journalier, expéditions par chemin de fer aux
tarifs du public, etc. C. d’E. 13 juillet 1883, Compagnie P.-L-
M., Rec., p. 658). II apparlienl à la j urisprudence de déterminer,
pour les personnes publiques locales, comme elle le faitpour 1’Etat,
dans quels cas on se trouve en présence dun Service public fonction-
nant avec ses règles propres et son caraclère administratif, ou, au
contraire, d’actes qui, tout en intéressanl la communauté, emprun-
tent la forme de la gestion privée et enlendent se maintenir exclu-
sivement sur le terrain des rapports de particulier à particulier dans
les conditions du droitprivé ».
2o Dans 1’affaire Thérond, jugée par le Conseil d’Etat le 4 mars
1910, Rec. p. 194, le commissaire du gouvernement, M. Pichat, a
LES CONTRATS ADMINISTRATIFS 311

repris la doctrine présentée par M, Romieu en 1903, mais avec une


terminologie très imprécise. II s’agissaitd’un contrat passé entre une
ville et un individu, par lequel 1’adjudicataire s’engageait à capturer
et à mettre en fourrière les chiens errants, à enterrer les bêtes mor­
tes dans les gares de chemins de fer, à 1’abattoir, sur la voie publi­
que ou au domicile des particuliers. « Quelle est, demandait
M. Picbat, la nature du contrai de concession, intervenu entre la
ville et le sieur T.? C’est une concession de Service public. Ellea,
en effet, pour objet 1’exécution du Service de la sécurité et dela
salubrité publiques (loi du 5 avril 1884, art. 97 ; loi du 21 juin
1898) ». —M. Picbat s’attache à montrer non pas les caracteres
essentiels qui en font un contrat administratif proprement dit, mais
à distinguer ce contrat du contrat de concession de travaux publics.
Pour lui, la nature de contrat administratif n’est pas douteuse;
c’est la catégorie de contrat public qui le préoccupe. II conclut par
cette formule critiquable. « Le contrat intervenu entre la ville et le
sieur T. est le louage de Service des arlicles 1710, 1779 et 1780 du
Code Civil, ayant pour objet Eexèculion d'un Service public et pré-
sentant le caractère d'une concession ».
La terminologie est incorrecte. Si le contrat était un contrat de
louage de Service du Code civil, ce ne serait pas un contrat adminis­
tratif, car un contrat civil n’est pas un contrat administratif, Ce
qu’il faut retenir, pour le criteriuni du contrat administratif, c’est
le fait que, par le contrat, Tadjudicataire se charge personnellement,
aclivement, dexècuter un Service public.
C'est ce caractère que souligne M. Picbat; cest aussi celui sur
lequel insiste le Conseil d’Etat dans son arrêt : « Le marche passé
entre la ville et le sieur T. avait pour objet la capture et la mise en
fourrière des chiens errants et 1’enlèvement des bêtes mortes... En
traitant dans les conditions ci-dessus rappelée avec le sieur T., la
ville a agi en vue de 1’hygiène et de la sécurité de la population et a
eu, dès lors, pour but d’nsòwrer un Service public » .. Le Conseil
d’Etat insiste aussi sur le mode de rèmunération du cocontractant
(taxes perçues sur le public) : «Ces taxes (prévuesau marché et per-
çues sur le public).., constituent la rèmunération qui est assurée par
le marché au concessionnairc ». Cest, en effet, l’une des caracté-
ristiques du contrat administratif de concession (V. infra),
3o Dans 1’affaire jugée par le Conseil d’Etat le 31 juillet 1912
(Socièlé des granits, Rec. p. 912, R. D. P. 1914, p. 145 ets.), il s’agis-
sait de la fourniture de pavés à une ville pour sa voirie. Pour savoir
312 C0LLAB0RAT10N DES PARTICÜLIERS

s’il y a contrat administratif, le commissaire du gouvernement,


M. Léon Blum, a recherché si le contrat contenait des clauses spé-
ciales, ou s’il faisait coopérer activement le fournisseur au Service
public de voirie. A cette occasion, M. Léon Blum a repris, en les pré-
cisant, les conclusions de M. Romieu de 1903. 11 disait : « Quand il
s’agit de contrai, il faut rechercher non pas en vue dc quel objet le
contrat est passé, mais ce quesl le contrat par sa nalure méme... 11
ne suffit pas quela fourniture, qui est 1’objetdu contrat, doive être
ensuite utilisée pour un Service public; il faut que ce contrat, par lui-
mème, et deparsa nature propre, soit de ceux quune personne publi­
que peut seule passer, qu’il soit, par sa forme et sa conlexture, un
contrat administratif... II sagit de rechercher non pas si la fourni­
ture sera ensuite destinée ou alfectée à un Service public, mais si le
marche, considéré en lui-méme, présente ou non les caracteres du
contrat administratif. Les caracteres du contrat administratif sonl
assez délicals à précíser. Cependant, en se référant à vos plus recentes
décisions (11 novembre 1910, déparlement du Maine-el-Loire, Rec.
p. 777 ; 26 janvier 1912, Paris, Rec., p. 101 : 17 mai 1912, Agence
nationale d'affichage, Rec., p. 579), on peut dire que le contrat admi-
nistralif est celui qui reste influencé et teinlé en quelque sorte par le
Servicepublic envue duquel ilest conclu, celui qui, par suite, crée et
organise un contact, quel qu’il soit, entre le cocontraclanl et le Ser­
vice public dans fintérêt duquel a été passé le contrat. Bien qu’un
marché de fournitures soit un contrat administratif, il faut donc quii
participe, si peu que ce soit, du marche de travaux publies ou du con­
trat de concession ; il faut qu’il élablisse des rapports précis et con-
stants du fournisseur ou de ses agents soit avec la commune (il s’agis-
sait dans 1’espèce d’un marché de fournitures commurial'), soit avec
lepublic. 11 faut qu ilassocie le fournisseur dans une mesurequelcon-
que à la geslion du Service. Mais lorsque, au contraire, la seule inter-
vention du fournisseur dans le Service public est la livraison elle-
même, lorsque le contactentre la commune et lui ne se prolonge pas
après cette livraison, lorsque le marché, en un mot, n’établit pas
entre la commune et le cocontractant des rapports différents de
ceux qui s’établissent entre un particulier quelconque et un mar-
chand quelconque, alors que le contrat sera passé dans les conditions
habiluelles du commerce, nous nous trouverons dans le cas oíi la
commune, ayant agi sclon le méme mode quun simple particulier,
« se trouve soumise aux mêmes règles ou aux mêmes juridictions ».
Dans 1’affaire jugéepar le Conseil d’Etat, — un contrat passé par
LES C0NTRATS ADMINISTRATIFS 313

la ville de Lille avec la Société des granits, — il s’agissait « du


règlement d'une facture. Gette facture a étédressée par le maire après
livraison des granits commandés par la ville pour le pavage de
ses rues ». « Peu importe, disait M. Léon Blum, que le contrai ail
élé passé par la commune et qu’une personne comrnunale soit inter-
venue au contrat; cette présence d’une personne communale n’inílue
pas sur la compétence. Peu importe également que les pavés com-
mandés à la société fussent destines au pavage des rues de Lille et
qu’ainsi le contrat ail élé passé en vue et dans 1'intérêl du Service public.
Ce qu’il faut examiner, c’est la naturedu contrat lui-même, indépen-
damment de la personne qui Va passé et de 1’objet en vue duquel il a élé
conclu. Or ce contrat prévoit simplement la livraison d’une fourniture.
Une fois cette fourniture livrée, tout rapport cesse entre la commune
et le cocontractant. Aucun contact, de quelque nature qu’il soit, ne
subsiste, une fois la marchandise livrée, entre le fournisseur qui l’a
livrée et le Service public qui 1’emploiera. Ni le fournisseur, ni ses
agents ne coopèrent le moins du monde à la geslion du Service public; le
contrat ne leur confère à cet égard aucune délégation ; il ne les asso­
cie pas à la geslion du Service; il ne crée pas de rapport entre le fournis­
seur et le public. Dans ces conditions, la commune doit ètre réputée
agir dans les mèmes conditions qu’un simple parliculier eífec-
tuant auprès d’un entrepreneur quelconque une commande de
matériaux pour son usage privé. Et, agissant dans les mèmes con­
ditions qu’un simple particulier, la commune « se trouve soumise
aux mèmes règles comme aux mèmes juridictions y>.
Telle est la solution consacrée par le Conseil d’Etat dans son
arrêt (31 juillet 1912) : « Le marcbé passé... était exclusif de tous
travaux à exéculer par la société, et avait pour objet unique des four-
nitures à livrer selon les règles et conditions des contrais intervenus entre
parliculiers ».
La formule du Conseil d’Etatsouligne, avecsoin, que les fournitu-
res devaient ètre « livrées selon les règles et conditions des contrais
intervenus entre parliculiers ». II faut en conclure que si les fournitu-
res avaient dô, d’après les convcntions des parties, ètre livrées suivant
des règles et conditions aulres que celles des contrais entre parliculiers, le
contrat aurait été un contrat administratif proprement dit.
En d’autres termes, 1’administration, pour Ia fourniture de pavés
en vue du Service public de Ia voirie, avait le choix entre un contrat
administratif et un contrat civil. Dans 1’espèce, elle a choisi le
contrat civil.
314 C0LLAB0RATI0N DES PARTICULIERS

4o C. d’E. 15 novembre 1922, Bocandé (Rec., p. 822 ; R. D. P.


1923, p. 43). Le Gonseil cTEtat ajugé, à propos de la cession de licence
d'un brevet d^nvention par 1'invenleur à l'administralion, que « aucune
disposition de ce contrai ne lui donne le caractère d'un marche dc fourni-
tures au sens du décret du 11 juin 1806. II s’agit donc... d’un contrat
de droit commuo... ».
Par cet arrêt, le Conseil d’Etat souligne que si, dans le contrat, les
parties contractantes avaient inscrit une clause spéciale déclarant
applicables telles ou telles règles exorbitantes du droit prive, il y aurait
contrat administratif proprement dit.
5o C. d’Etat 22 décembre 1922, Lassas (Rec. p. 984 ; R. D. P. 1923,
p. 427 avec les conclusions de M. Corneiile). L’administration mili-
taire vend à un individu des poteaux supportant des filsde conduite
de courant électrique, poteaux à abattrepar f acquéreur. L’administra-
tion passe le contrat dans les conditions du Code civil; elle nyinscrit dans
fade aucune clause soumettanl cette vente à un régime juridique spécial.
Dans ces conditions, le commissaire du gouvernement, M. Corneiile,
a déclar.é: « Le contrat en cause est une vente de matériel apparte-
nant à PEtat, vente opérée dans les formes et dans les conditions des ventes
entre simples particuliers... Puisqu’il s’agit d’une vente ordinaire », le
contrat est « de lacompétence de 1’autorité judiciaire ».
Le Conseil d’Etat a jugé : « La difíiculté soulevée... est relative à
1’exécution du contrat de droit civil intervenu entre l’administralion et
le sieur L... et dont Ia connaissance n’appartient qu’au juge de ce
contrat, c’est-à-dire à l'autoritc judiciaire. »
6o Conseil d’Etat, 7 mars 1923, Hellenic Transport Steamship C°
(Rec. p. 222; R. D. P. 1923, p. 431 et s.). Un contrat d’aífrètement
a étéconclu par 1’administration de la inarine marchande pour des
transports nécessités par le Service public de défense nationale.
L1armateur mettait à la disposition de PEtat des navires ; elle ne
participait, en aucune façon, de manière personnelle et active, au Ser­
vice public; part, le contrat était conclu dans les formes et
dans les conditions habituelles des contrats d’afTrètement entre par­
ticuliers. Le Conseil d’Etat a déclaré qu’il ne s’agissait pas d’un
contrat administratif. La compétence était donc celle des tribunaux
judiciaire*. L’arrêt porte : « La compagnie de navigation, en met-
tant àla disposition de PEtat français, pour une durée déterminée,
deux navires nommémenl désignés, munis de leur matériel et de leur
personnel, pour être employés par lui à tout usage légal, et en assu-
mant la charge des réparations, ne sengageait à effectuer ni des livrai-
LES CONTRATS ADMINISTRATIFS 315

sons de fournitures, ni des transports, ne participait d'aucune manière à


1'exécution d'un Service public \ elle concluait simplement deux con­
trais d’affrètement selon les rèrjles du droit maritime; de semblables
contrats, qui ne sont pas de ceux que prévoit le décret du 11 juin
1806 (marches de fournitures), ne relèvent pas, par eux-mêmes, de
la juridiction administrative... Les afrrètements étaient conclus
dans les conditions habituelles offertesàtoulaffrèteur} aucunedes deux
chartes-parlies ne contenait de clause exorbitante du droit commun sus-
ceplible d'imprimer à ces contrats uncaractère administratif ».
Le Conseil d’Etat, dans un arrêt du 19 juin 1918, Société des voi-
liers [rançais (Rec., p. 597), a bien marqué la différence entre le
contrat d’affrètement du droit commercial et le marche administratif:
« Les marchés passes par 1’Etat avec une compagnie maritime
pour les transports intéressant les diíTérentes administrations sont
régis par le décret du 11 juin 1806, qui édicte la compétence de la
juridiction administrative; les transports effectués pour le compte
de 1’Etat ne peuvent donc relever des tribunaux de l’ordre judiciaire
que dans le cas ou 1’Etat, en dehors detoutmarché contenant des clau-
ses spcciales, a entendu s’adresser au transporteur dans les niêmes con­
ditions que le public en général Ce qu’il y a d’intéressant dans cet
arrêt, c’est 1’indication, par le Conseil d’Etat, des signes auxquelson
peut reconnaitre qu’il s’agit bien d’un contrat administratif. Tout
d’abord, dit le Conseil d’Etat, il faut examiner « Vensemble des dispo-
sitions du traité passé entre le ministre stipulant au nom de 1’Etat et
la Société ». Un autre signe important, d’après le Conseil d’Etat,
c’est le fait que. par une clause du contrat, les parties ont « prévu
que toutes les contestations seront jugées adminislrativement ». Sans
doute, déclare le Conseil d’Etat, « cette dernière clause ne peut pas
être par elle-méme attributive de compétence » ; en efTet, les règles
de compétence ratione matéria sont d’ordre public; la convention
des parties ne peut pas y déroger. Mais a cette clause n’en a pas
moins pour eíTet à’indiquer la commune intention des parties en ce qui
concerne le caractère de la convention intervenue entre elles, La dite con­
vention est, par suite, un marche administratif ».
7o Tribunal des Conflits, 7 novembre 1922, Manon (JRec., p. 794 ;
R- D. P. 1923, p. 433 et s.).
Cette affaire est três importante; les tribunaux ont beaucoup
hésité.
II s’agissait d’un bateau qui, pendant la guerre,avait été mis sous
réquisition et qui, pendant la période de réquisition, avait été avarié.
316 COLLABORATION DES PARTICÜLIERS

Le tribunal civil de Bastia s’était déclaré incompétent pour statuer


sur 1’action en indemnité, « attendu que tout affrètement est acte
de commerce ». Le tribunal compétent était le tribunal de com­
merce.
La Cour de Bastia avait jugé que « le contrat d’affrètement passe
par Tadministration de la Marine... n’était pas un contrat commer-
cial; il avait étépassé dans le seulbut de ravitaillerunposte de dêfense...;
dès lors, le débat rentrait dans la compétence du tribunal civil ».
Devant le tribunal civil, le préfet maritime développa un déclina-
toire de compétence, pour le motif « que le contrat d’affrètement
dont il s’agit a pour objet la gestion d'zin Service public ; il est, dèslors,
un contrat administratif du domaine du contentieux administratif ».
Le tribunal civil se déclara alors incompétent pour le motif que
« le contrat d’affrètement passe avec le sieur M. constitue, dans les
circonstances ouil a été passe, un acte de puissance publique ».
La Cour d’appel, saisie de 1’aífaire, décida, sur le déclinatoire de
compétence du préfet, qu’il y avait lieu de surseoir à statuer jusqu’à
ce quele Tribunal des conflits eút prononcé.
Le Ministre de la marine déclara que « le contrat d’aíTrètement
passé par l’Etat ... avait le caractère d’un contrat administratif ».
Le Tribunal des conflits, par décision du 7 novembre 1922, a
jugé qu’il s’agissait bien d’un contrat administratif : « Les transports
effectuéspour le comptede 1’Etat ne peuvent relever des tribunaux de
1’ordre judiciaire que dans le cas ou radministration, en dehors de tout
marche, a entenda s'adresser au transporteur dans les mêmes conditions
que le public en général ». Le Tribunal des conflits relève les circon­
stances dans lesquellesapparait la volonté des parties contractantes de
conclure un contrat administratif. Si elles n’ont pas passé un marche
et si elles ont entenda contracter dans les mêmes conditions que le public
en général, il n’y a pas contrat administratif, même si le contrat a
pour but d'assar er le fonctionnement d'un Service public.
Dans 1’affaire en examen, le Tribunal des conflits relève que le
propriétaire du bateau s’est engagé à coopérer activement, personnel-
lement^n Service public. 11 «s’était engagé à assurer, à l’aide deson
bateau, le ravilaillemenl en hommes et en approvisionnements d'un poste
de défense ». Dans ces conditions, le Tribunal des conflits a vu là
non pas un contratd’affrètement ordinaire, maislaa coopération »
directe et active, la participation véritable et personnelle du proprié­
taire du bateau au fonctionnement d’un Service public. II y a donc
un contrat administratif. Gette décision est très claire, si on la rap-
LES CONTRATS ADMINISTRATIFS 317

proche de 1’arrêt du Conseil d’Etat du 7 mars 1923. Société Helle-


nic Transport Steamship C°, oü le Conseil d’Etat relève que « la
société ne s’engageait à efTectuer ni des livraisons de fournitures, ni
des transports participant d'aucune manière à 1'exécution d’un Service
public )>.
8o Conseil d’Etat, 23 décembre 1921, Société générdíe d'armements,
Rec., p. 1109, /?. Z). P. 1922, p. 74; 23 mai 1924, Société les Affré-
teurs reunis (R. D. P., 1924, p. 390). II s’agissait de contrais d'as$u-
rance, passés par les armateurs avec l’Etat, pendant la guerre, pour
les risques maritimes.
Touchant les risques maritimes pendant la guerre, il est iniervenu
deux lois : Io la loi du 10 avril 1915 ; 2o laloi du 19 avril 1917.
a) Pour les assurances passées en vertu de la loi de 1915, le Conseil
d’Etat au contentieux a déclaré que, pour le Service public d’assu-
rances créé en 1915, les contrats passés avec les usagers de ce Ser­
vice ne contenaient aucune marque distinctive de nature proprement
administrative. II s’est donc déclaré incompétent pour connaftre du
contentieux de ces contrats. Ce ne sont pas des contrats adminis-
tratifs. Voici 1’arrêt du Conseil d’Etat du 23 décembre 1921, Société
générale d’armemenls, Rec., p. 1109 : « Dans Iexploitation des Services
publics industrieis dont il croit devoir assumer la gestion, 1’Etat se
trouve, vis-à-vis des usagers, dans la même situation qu'un entrepre-
neur ordinaire, à inoins que la nature propre du Service ou des clauses
spéciales ne donnent aux accords individuels passés avec lesdits usagers le
caractère de véritables contrats administratifs. Si l’Etat, par les décrets
des 11 et 13 aoút 1914, ratiíiés par Ia loi du 10 avril 1915, en
vigueur lors de la passation du ditcontrat, a, dans lebut de faciliter
le ravitaillement du pays, créé un Service national d’assurance et
institué à cet effet une commission exécutive,il na pas entendugérer
ce Service dans des condilions juridiques différentes de celles oü fonction-
nent les entreprises d"assurances privées; les accords passés, par Vintermé-
diaire de cette commission, avec les assurés, n*ont pas le caractère admi-
nistratif, mais constituent des contrats de droit commtin ».
b) Quelques mois plus tard, lorsque la guerre sous-marine eut
exercé des ravages tels qu’aucun armateur ne voulait plus faire sor­
tir ses navires, la loi du 19 avril 1917 réorganisa 1’assurance d’Etat
contre les risques de guerre. L/assurance devint obligatoire; le
ministre fixait lui-même 1’importance de 1’assurance (laissant l’ar-
mateur libre de faire couvrir 1’excédent par une compagnie privée);
1’indemnité n’était payée, en cas de perte totale, que jusqu’à con-
318 COLLABORATION DES PARTICULIERS

currence de 75 0/0, et les 25 0/0 restants ne devaient être versés que


s’il y avait remploi des 75 0/0 versés, dans 1’achat ou la construc-
tion d’un nouveau navire agréé par le ministre.
Le commissaire du gouvernement, M. Rivet, disait : « Dans Ia
gestion d’un Service de nature nécessairement et exclusivement publique,
telle contestation relative à un achat de fournitures isolées, effectué
sans marché, relèvera naturellement des tribunaux civils » ; mais « le
Service industriei non monopolisé et fonctionnant habituellement
comme une entreprise parliculière, pourra, le cas échéant. donner
lieu à la passation d’un contrat de physionomie spéciale dont vous serez
amenés à retenir le contentieux. Oiaque espèce vous obligera, en définitive,
à un exarnen distinct ».
Ceei posé, M. Rivet, examinant le Service d’assurances contre les
risques de guerre depuis la loi de 1917, a déclaré que c’était là un
véritable Service public, et que le contrat intervientavec des clauses spé-
ciales (fixation d’autorité par le ministre de la valeur garantie, clause
de remploi); c’est un contrat administratif. « C’est bien là, disait
M. Rivet, le type même de la clause de nature proprement administra-
tive, de la clause que, seules, des considéralions puissanles d'intérêt géné-
ral, étrangères aux rapports de particuliers à particuliers, ont pu inspi-
rer, et, à moins de nier votre raison d:être, vous ne pouvez pas ne
pas admettre que \&présence d'une telle disposition dans le contrat inter-
venu exige que vous soyez le juge des diflerends qui se rattachent soit à la
passation, soit à 1’exécution de ce contrat » (Rapprochez les conclusions
de 1921, R. D. P. 1922, p. 75 et s. ; supra, p. 302 et s.).
Le Conseil d’Etat, adoptant cette manière de voir, a jugé (23 mai
1924) : « La loi du 19 avril 1917 a, dans 1’intérêt du ravitaillement
national, et pour parer aux difücultés de la guerre, transformé les
conditions juridiques dans lesquelles fonctionnait, sous Vempire de la légis-
lation antêrieure, le Service public d'assurances maritimes, d’une part,
en rendant obligatoire 1’assurance des navires contre les risques de
guerre, qui ifétait auparavant faite que facultativcment par 1’Etat,
d’autre part, en édictant certaines dispositions qui diíTérencient
désormais nettementle mode de fonctionnement de ce Service public
de celui des entreprises d’assurances privées, notamment en don-
nant au ministre... le pouvoir de déterminer ia valeur assurée, sur
laquelle porte la garantie de 1’Etat sans que Vintéressé puisse en contes-
ter rexactitude, et en décidant que la valeur assurée ne sera payée,
en cas de perte, que jusqu’à concurrence de 75 0/0, le complément
de 25 0/0 ne devant être versé qu’après remploi du montant de l’as-
LES C0NTRATS ADMINISTRATIFS 319

surance dans 1'achat ou la mise en chantier d’un autre navire agréé


par le ministre de la marine. Dans ces conditions, les contraispassés avec
l'Etat, par applicalion de la dite loi du 19 avril 1917, présenlenl le
caractère de véritables contraís administratifs ».
A mon avis, il n’y a pas contrai; il s’agit d’un usager auquel on
impose le fonctionnement d’un Service puhlic obligatoire.
9o Conseil d’Etat, 26 janvier 1923, Lafrégeyre (Rec., p. 67). Un
cas difficile à résoudre est celui de 1’accord de volontés, qui inter-
vient entre un individu et 1’administration, ayant pour objet de
conférer à 1’individu un emploi dans la gestion d’un Service public
industriei. Ex. : chemin de fer local.
Sur ce point, la jurisprudence a évolué.
Dans ses conclusions sur 1’aíTaire Lafrégeyre, jugée par le Conseil
d’Etat, le 26 janvier 1923 (fl. D. P. 1923, p. 237 et s.), le commis-
saire du gouvernement, M. Rivet, constatait :
« II y a quelques années, le problème n’existait pas : le Service
industriei gérépar une personne morale, qu’il soit ou non monopo-
lisé, par cela seul qu’il est un Service public, fait, des liens exis-
tant entre 1’unité administrative qui le dirige et ceux qui assument
son fonctionnement^ un domaine reserve, dont les tribunaux ordinaires
doivent s'interdire rigoureusement de connaitre ». En d’autres termes,
il y avait contrat administratif.
Le législateur porta une première atteinte à ces príncipes par le
vote de la loi du 21 mars 1905 : les tribunaux judiciaires ont été décla-
rés compétents pour statuer sur « les différends pouvanl sélever entre
Padminislration des chemins de fer de 1'Elal et ses employés à 1'occasion du
contrai de travail». Cela signifiait-il que la volonté du législateur était
que 1’accord de volontés fut un contrat civil et non un contrat admi­
nistratif ? La réponse négative est certaine. La loi de 1905 a été
motivée non par des considérations sur la nature juridique du con­
trat, mais par le désir de faire bénéficier les cheminots de 1’Etat de
la jurisprudence considérée plus libéraledes tribunaux judiciaires.
Aussi, jusqu’àces dernières années, le príncipe général était-il que
Vacte d’engager un individu à un service public industriei, tel qu’un
chemin de fer exploité par Fadministration, était un contrat admi­
nistratif régi par le droit public, sou mis à lacompétence administra­
tive. Le Conseil d’Etat disait qu’il y avait là un contrat administratif.
Toutefois, il n'en était plus ainsi et la jurisprudence décidait qu’il
y avait contrat civil, régi par le droit civil et de Ia compétence judi-
ciaire, lorsque le lien invoque nesl quun lien éphémère, lorsque l’in-
320 COLLABORATION DES PARTICULIERS

dividu engagé est un employéou un ouvrier non compris dans les cadres
et payé à lajournée.
Ceei posé, dans 1’affaire Lafrégeyre, jugée le 26 janvier 1923,
M. Rivet, examinantle problème en général, declare : « Lorsqu’une
personne publique entreprend 1’exploitation d’un Service industriei
ou commercial, en se bornant à une imitalion aussi complète que possible
de la gestion privée », la matière est non pas de droit public, mais
de droit prive. 11 y a conlrat civil. Mais c’est à une condition. « 11
faut que les dits Services fonctionnent dans les mêmes conditions que s’ils
élaient diriges par unparticulier, et, en ce qui concerne spécialement
les rapports des employés et du palron, que la personne publique se trouve,
vis-à-vis de ses agents et ouvriers, — abstraction faite de la question
sans importance décisive, de la forme matérielle dans laquelle elle
aura pu, par acte unilateral, arrêté ou autre, s’attacher leu rs Ser­
vices, — dans la même situaiion que se trouverail un industriei ordinaire
vis-à-vis du personnel recruté pour son exploitalion ».
11 suit de là que, si le Service public est investi d’un monopole de
droit, « 1’existence même du monopole écarte toute idée de compa-
raison possible avec 1’industrie privée ».
S’il y a monopole du fait, il faudra rechercher « si, à raison du
caractère indispensable du Service en cause et de 1’intérêt général
qui s’attacheà son fonclionnement régulier, 1’établissement public,
devenu chef d’entreprise, a cru devoir renforcer les liens lui assurant
le concours de son personnel, et a donné aux contrats de louage de Ser­
vices intervenus, par 1'insertion de clauses spéciales exorbitantes du droit
commun ou de Pusage courant, le caractère de véritables contrats admi-
nistratifs ».
Dans toutes les autres hypothèses (exploitation industrielle publi­
que sans monopole de droit ni de fait, sans clause spéciale),
M. Rivet propose de distinguer entre le personnel subalterne et le
personnel dirigeant: pour le premier, le contrat est un conlrat civil;
pour le deuxième, le contrat qui précède la nomination est adminis-
tratif. En eífet, « pour les membres dirigeants de cette administra-
tion », « le statut a été fixé par les textes organiques constitutifs du
service » ; « ils tiennent leur mandat — véritable mandat de fonction
publique — directement de FElat». « Cette distinction parait pouvoir
satisfaire votre préoccupation de ne laisser à 1’autorité judiciaire que
les litiges vraiment assimilables, en lous points, aux litiges prives, et de
réserver à la juridiction administrative toutes les contestations
susceptibles d’avoir sur 1’intérêt général une réelle répercussion ».
LES CONTRATS ADMINISTRATIFS 321

M. Rivet a proposé au Conseil d’Etat de s’inspirer de ces príncipes


généraux, « dans le travai! délicat de délimitation que son évolu-
tion va 1’amener à accomplir ».
Dans 1’espèce en examen, il s’agissait d’un Service autonome (che-
min de fer colonial) dont la direction (gouvernement général), se
trouvait en conílit avec un de ses employés (chef du Service de l'ex-
ploitation commercialé), à Poccasion du contrat d’engagement ayant
précédé la nomination. « C’est, en définitive, le gouverneur général
lui-même, agissant au nom de la colonie pour la mise en marche
d’un Service public, qui, par des procédés —dant nous dirions volon-
tiers que la complication même suffil à exclure toule idée de rapprochement
avec une organisation industrielle particulière, — recrute le personnel
à qui il confiera les postes dirigeants de 1’entreprise ».
Dans ces conditions, le contrat d’engagement précédant la nomi­
nation est un contrat administratif (V. infra, p. 4-30 et s.).
C’est ce qu’a décidé le Conseil d’Etat : « Eu égard au caractère des
fonctions de direction auxquelles le sieur L. a été appelé par arrêté
du gouverneur général de la colonie de Madagascar, les difficultés
soulevées entre la colonie et le requérant touchant les droits résul-
tant, pour ce dernier, du contrat qui le liait à la colonie sont de celles
sur lesquelles il apparlient à la juridiclion administrative de statuer
10° Tribunal des Conílits, 2 aotlt 1920, ville de Rennes, Rec.,
p. 799. II se peut que deux contrats, Tun administratif, 1’autre
civil, soient conclus successivement pour une même affaire. Dans ce
cas, il faudra appliquer distributivement les règles du droit public
et les règles du droit civil, et, touchant la compétence des tribu­
naux, aller tantòt devant les tribunaux administratifs, tantôt devant
les tribunaux judiciaires, suivant Ia nature des difücultés.
Un exemple est fourni par la jurisprudence du Tribunal des Con­
ílits, 2 aoüt 1920, ville de Rennes (Rec., p. 799). Voici 1’espèce :
Une caserne a été cédée à la ville de Rennes par 1’Etat à charge de
conserversa destination pour le Service militaire. Plus tard, Ia caserne est
démolie sur 1’ordre de 1’autorité militaire pour y édifier, à la place,
un atelier d’artillerie. La ville prétend que, par le fait de la démo-
lition, elle a acquis la pleine jouissance de 1’immeuble cédé.
Puis une convention est passée entre la ville et TEtat par laquelle
la ville cède à PEtat, à charge d'en payer leprix, tous les droits qui
pouvaient appartenir à la ville sur 1’immeuble. La ville actionne
PEtat en paiement du prix. L’Etat refuse, pour le motif que la con-

Jèze. —- Droit adm. III. 21


322 COLLABORATION DES PARTIOULIERS

dition inscrite au premier contrat (conservation de la destination


pour le Service militaire) n’est pas remplie.
II y a là, a jugé le Tribunal des conflits, deux contrais : le pre­
mier est certainement un contrat administratif donc soumis aux
règles du droit public et de Ia compétence des tribunaux adminis-
tratifs; le deuxième est un contrat civil, régi par les règles du droit
privé et de la compétence des tribunaux judiciaires.
Ceei posé, 1’action en paiement du prix de cession est une action
née du contrat de droit civil. Elle doit donc être portée devant le
tribunal civil qui appliquera les règles du droit civil. Mais le juge
civil se trouve tout de suite en présence d’une question préjudi-
cielle : la condition mise par le premier contrat à la propriété libre
de 1’immeuble est-elle réalisée ? Ceei est Fexécution du contrat
administratif. 11 faut appliquer les règles du droit public et la
compétence administrative.
II faut donc que le juge civil pose la question préjudicielle de
Tinterprétation du contrat administratif et renvoiecette question au
juge administratif.
Voici la décision du Tribunal des Conflits : « S’il appartient au
Tribunal civil de connaitre de Ia réclamation du prix des droits
immobiliers, dont la cession éventuelle a fait 1’objet de Ia conven-
tion sus-rappelée, comme d'interpréter, le cas échéant, cet accord,
lequel a le caractère d’un contrat de droit civil, le sort du litige dépend
nécessairement de la solution de la question contestée de savoir si
la condition à laquelle étaient subordonnées la cessation dela jouis-
sance que 1’Etat s’était réservée sur la caserne de 1’arsenal et la
remise corrélative de la ville nue propriétaire en possession de l’im-
meuble pour en avoir à Tavenir Ia libre jouissance se trouve ou non
remplie, et quel est, à ce point de vue, l’effet produit soit par la déci­
sion prise par Tadministration de la guerre de démolir les bâti-
ments de la caserne pour construire à leur place un atelier de fabrica-
tion de douilles, soit par la démolition même de la caserne, soit par
le refus... du ministre de Tarmement... d’abandonner fimmeuble à
la ville. Cette question préjudicielle ne peut être tranchée que par
l’interprétation des divers textes... d’oú résultent les droits respec-
tifs de 1’Etat et des communes sur les immeubles donnés à ces der-
nières à charge de maintenir, dans les conditions que ces textes
déterminent, leur affectation au service militaire, et par 1’apprécia-
tion de la portée des deux décisions administratives ci-dessus men-
tionnées. Elle est ainsi de la nature de celles dont la connaissance est
LES CONTRATS ADMINISTRATIFS 323

réservée à Vaulorité administrative, seule compétente pour les examiner


etles résoudre, nonobstanttoute convention contraire. II résultede ce
qui précède que, tout en retenant sa compétence sur le fond, le tribunal
civil... ríen devaitpas moins surseoir àstatuer jusquaprès le jugement,par
íautorité administrative, de la question préjudicielle ci-dessus définie ».

II. — Y a-t-il à distinguer entre les contrats adminislratifs de [Etal


et les contraís administratifs des départements, des communes et
autres organisations politiques ?

Aujourd’hui la jurisprudence est nettement orientée vers Yunité


de régime juridique. Jusqu en 1903, la jurisprudence traitait les
contrats des communes comme des contraís de droit privé (1). La
notion de Service public n’était pas encore nettement dégagée. On
ne comprenait pas Fimportance des Services publics communaux.
L’un des premiers, M. Romieu, dans ses célèbres conclusions de
1903 sur FafTaire Terrier, 6 février 1903 (Rec., p. 94-et s.), a préco-
nisé Funité de solution. « La théorie du contentieux des Services
publics communaux, disait-il, est, depuis une quinzaine dannées,
en pleine évolution ; la compétence administrative s’élargit de jour
en jour par Faction lente mais incessante de la jurisprudence ».
M. Romieu recherchait la base de la compétence administrative
(c^est-à-dire du régime juridique spécial) en ce qui concerne les Ser­
vices publics de FEtat. II concluait à une base rationnelleet non pas
à une décision arbitraire du législateur. « Le contentieux, disait-il,
est administratif, non par le fait de la loi, mais par sa nature pro-
pre. Si telle est la base de la compétence administrative en ce qui
concerne les Services publics de FEtat, on ne voit pas pourquoi elle
ne subsisterait pas pour les Services publics des départements, des
communes, des établissements publics qui ont au méme degré le
caractère administratif. Qu’il s’agisse des intérêts nationaux ou des
intérêts locaux, du moment qu’on est en présence de besoins collec-
tifs auxquels les personnes publiques sont tenues de pourvoir, la ges-
tion de ces intérêts ne saurait êlre considérée comme gouvernée néces-

(1) C. d’E., 28 mars 1888, commune de Saissac, Rec., p. 339 : a Aucune


disposition de loi n’attribue à 1’autorité administrative la connaissance
des contestations relatives à 1’exécutioo des contrats de louage d’ouvrage
ou de marchés de fournitures passés par les co?nmunes ». Voyez sur ce
point la note de M. Romieu dans la Revue gén. d’adm., 1888, II, p. 191.
324 COLLABORATION DES PARTICULIERS

sairemenl par les príncipes du droit civil qui rêgissent les intérêts
privés : elle a, au contraire, par elle-même, un caractère public ; elle
constitue une branche de 1’administration publique en général, et,
à cetitre, doit appartenir au contentieux administratif ». M. Romieu
concluait : « Tout ce qui concerne 1’organisation et le fonctionne-
rnent des Services publics proprement dits, généraux ou locaux, —
soit que l’administration agisse par voie de contrai, soit qiTelle pro-
cède par voie d’autorité, — constitue une opération administr ative,
qui est, par sa nalure, du domaine de la juridiction adininistrative.
... L’on arriverait ainsi à assimiler le contentieux départemenlal et
communal au contentieux dEtat et à unifier ... les règles de com-
pétence pour la gestion des intérêts collectifs par les personnes
publiques de toute nalure ».
« La vie des personnes publiques, disait encore M. Romieu, a ses
règles propres qui ne peuvent pas être toutes empruntées à la vie
des personnes privées : si les príncipes généraux du droit sont les
mêmes, les applications diflèrent. II y a certainement plus d’analo-
gie entre les contrais de 1’Etat et ceux des communes qu’entre les
contraís des communes et ceux des particuliers ».
Bien entendu, M. Romieu faisait, pour les contrats passés par les
communes, départements et établissements publics en vue du f?ac-
tionnement des Services publics, la distinction entre les contrats de
droit privé et les contrats administratifs (V. supra, p. 301 et s.).
En 1912, dans 1’afTaire Société des granits (C. d’E., 31 juillet
1912, Rec., p. 909), M. Léon Blum constatait la nouvelle doctrine
jurisprudentielle : « // est exact que la jurisprudence riadmet plus
aujourdhui Cancienne théorie daprès laquelle les communes
devaient être considérées comme despersonnesprivées... La jurispru­
dence actuelle afíirme la cornpétence administrative pour tous les
litiges nés de Forganisation ou du fonctionnement des Services
publics, que ces Services dépendent du pouvoir central ou se ratta-
chent aux pouvoirs locaux... On peut tenir aujourd’hui pour acquis
que toutes les actions relatives au jeu du service public lui-même,
que toutes les actions fondées sur le quasi-délit administratif sont
de la cornpétence du Conseil d’Etat, quil s agisse de 1'Etat, du
départemenl ou de la commune. Mais lorsquil s'agit du contrat et
non du quasi-délit, la jurisprudence est beaucoup moins extensive.
Elle n’admet plus, sans doute, que tous les contrats passés par les
communes sont, de plein droit, et à défaut de texte contraire,
comme il arrive pour les marchés de travaux publics, de la compé-
LES CONTRATS ADMINISTRATIFS 325

tence judicia ire. Mais elle maintient, en malière conlractuelle, la


distinction entre ce qu'on a appelé la gestion privêe et la gestion
publique. Elle reserve, pour les dèpartements et les communes ou
mime pour l'Etat, les circonstances oü... 1’administration doit être
réputée contracter dans les mêmes conditions qu’un simple parti-
culier, et se trouve soumise aux mêmes règles comme aux mêmes
juridictions » (1).

(1) Pourtant, encore en 1919, le professeur Hauhiou (Précis de Droit


administra tif, 9e édition) écrivait (p. 906) : « Les marchés de fourni-
tures de 1’Etat et des colonies sont seuls des contrats administratifs
(Décret 11 juin 1806, art. 13); ceux des dèpartements, des communes,
des établissements publics, sont des contrats prives ». « On peut se
demander néanmoins, ajoutait le prof. Uauriou, si, sur ce point, une évo-
lution de jurisprudence ne se prépare pas ». — Cette évolution estfaite.
CHAP1TRE IV

LES PR1NCIPAUX CONTRATS ADMINISTRATIFS

A 1’époque actuelle, il existe une très grande variété de contraís


administra tifs.
{° Les uns ont pour objet Ia livraison ou la confection d’une
chose matérielle mobilière. Ex. : matériel de guerre. Ce sont les
marchés de fournilures proprement dits.
2° Les autres ont pour objet la construction d’un ouvrage public
immobilier. Ce sont les marches de travaux publics.
3o Les autres ont pour objet de fournir des prestations autres que
des choses matérielles pour le fonctionnement d’un Service public.
Ex. : fourniture de transport. Ce sont les contraís administratifs de
transport.
4o Les autres ont pour objet d’assurer le fonctionnement même
(Tun Service public, C exploitation d'un Service public. C*est le contrai
de concession de Service public.
5o Les autres ont pour objet de procurer à 1’administration les
Services personnels de certains individus pour le fonctionnement
d’un Service public. C’est le contrat administralif de louage de Ser­
vices.
11 y en abeaucoup d’autres : contrat d’emprunt public, par exem­
ple (I). Ceux qui précèdent sont les plus importants et les plus
nombreux en pratique.
Analysons les principaux contrats administratifs.

(<) Voyez encore le contrat de concession de créments futurs, 1g


contrat de concession de sources minérales, le contrat de bail de bac et
passage d*eau, etc. Tous ces contrats seront étudiés plus loin.
MARCHÉ DE FOURNITURES 327

Section I

Marché de fournitures.

C’est un contrat administratif ayant pour objet la prestation


à.'objets mobiliers.

§ I

Eléments essentiels.

II y a quatre éléments essentiels :


Io C’est un contrat administratif;
2° prestation, fourniture, d’objets mobiliers;
3o rémunération en argent;
4o la fourniture est aux risques et périls du fournisseur.
1° Contrat administratif. — Cela suppose réunies toutes les
conditions exposées plus haut pour qu’il y ait contrat et contrat
administratif: accord de volontés, créateur de situation juridique
individuelle (1), en vue du fonctionnement d’un Service public, sou-
mission au regime du droit public (V. supra, p. 305 et s.).
2o Prestation, fourniture d'objets mobiliers. — C’est une carac-
téristique essentielle qui différencie le marché de fournitures du
marché de travauxpublics, du contrat de concession de Service public
ou du contrat de Services personnels.
3o Risques et périls du fournisseur. — C’est uq élément essentiel.
Le fournisseur, du point de vue économiquc, est un entrepreneur,
c’est-à-dire qu’il court les aléas de la fourniture. II y a là un prín­
cipe qui est constamment rappelé par les arrêts de jurisprudence.
Voici, en particulier, 1’arrèt du C. d’Etat, 8 février 1918, Société
d?éclairage de Poissy, R. D. P., 1918, p. 248, Rec., p. 121 :
« En príncipe, le marché de fournitures règle d'une manière défi-

(1) Pour la notion de contrat, distinct de Vaccord de volontés, voyez


supra, p. 156, et G. Jèze, Les Príncipes généraux du Droit adminis-
tratif, 3® édit., I, La technigue juridique du droit public, 1925, p. 39
et s.
328 COLLABORATION DES PARTICULIERS

nitive, jusqu’à son expiration, les obligations respectives dufournis-


seur et de 1’administration; le fournisseur est tenu d’exécuter son
contrat dans les conditions qui y sont précisées, et moyennant Ia
rémunération stipulée; la variation des prix des matières premiè-
res à raison des circonstances économiques constitue un aléa du
marché qui peut, suivant le cas, être favorable ou défavorable au
fournisseur, et demeure à ses risques et périls, chaque partie étant
réputée avoir tenu compte de cet aléa dans les calculs et prévisions
qu’ellea faits avant de s’engager ».
C’est ce qui diflérencie essentiellement le /ournisseur du règisseur.
Dans le marché de fournitures, le fournisseur est, économiquement,
1’entrepreneur, c'est-à-dire celui qui court les risques. Dans Vexécu-
lion en régie, 1’entrepreneur est 1’administration : c’est elle qui
court les risques ; elle charge des ouvriers ou un individu, le régis-
seur,te faire exécuter la fourniture aux risques de íadministration.
Le régisseur peut être un fonctionnaire, sans autre rémunération
que son traitement : c’est la régie simple; ce peut être un individu
non fonctionnaire, rémunéré par un tantième sur Ia dépense ou par
telle autre combinaison financière. La caractéristique est qu’il n’as-
sume aucun risque. Les risques sont entièrement à la charge de í ad­
ministration : celle-ci est /’entrepreneur, au sens économique du
terme (1).
Lorsqu’un fournisseur proprement dit, ayant assumé les risques,
demande à 1’administration un relèvement des prix du marché à
raison de la hausse des matières premières ou des salaires, il
méconnait l’un des caractères essentiels du marché de fournitu-
res : il demande, en réalité, la transformation du marché de fourni-
tures en régie. L'équité exige que cette demande soit repoussée.
Pour que la solution contraire puisse prévaloir, il faut des cir­
constances tout à fait exceptionnelles (théorie de Vimprévision.
V. infra).
& Rémunération en argenl(\). — Cette rémunération en argent
fait que le marché de fournitures ressemble beaucoup à une vente.
Ce n’est pas une vente, attendu qu’il s’agit d’un contrat adminis-
tratif c'est-à-dire d’une catégorie juridique différente de celle du
droit prive.

(1) Pour 1’appréciation critique (du point de vue financier et économi­


que) de ces modalités, voyez Gáston Jèze, Cours de Sc. des finances,
6e édition, Théorie générale des dépenses publiques, 4922, p. 174 et s
MARCHÉ DE FOURNITURES 329

Les exemples les plus importants sont donnés par les marchés de
fournitures d’armes, de munitions, de navires de guerre, d’appro-
visionnements de toute sorte (vètement, denrées, chaussures, etc.)
par les départements de la guerre et de la marine.
Le prix de la fourniture est :
tantôt un prix fixe (forfait, prix sur série de prix, prix par unité
de fourniture');
tantôt un prix variable (prix provisoire soumis à revision en cours
d’exécution ou après 1’exécution de la fourniture, eu tenant compte
du coôt de production ; prix ferme, mais avec promesse de reléve-
ment, sur justification d insuffisance par le fournisseur; prix ferme
avec clause de revision suivant formule ou à échelle);
tantôt le prix de revient majoré d’une certaine somme pour la
rémunération du fournisseur (somme fixe, ou pourcentagé).
Le prix fixe est le cas normal; Jes autres modalités sont tout à
fait exceptionnelles ; elles supposent une grande inslabililé desprix
et des salaires, de la monnaie, du change (guerre, crise économique
grave). Toutes les fois quel’administration s’écarte Au prix fixe, elle
atténue 1’un des caractères essentiels du marché de fornitures, celui
des risques ; elle se rapproche de la régie (1).

Í2

Classification des marchés de fournitures.

I. — Les marchés de fournitures se subdivisent (2), suivant la


durée d’exécution du marché, en :
1) marchés ayant pour objet une fourniture isolée unique. Ex. :
fourniture d’un navire de guerre, d’un certain nombre de canons,
d’obus, etc. On les a appelés parfois marchés de livraison (3);

(1) Pour 1’appréciation (au point de vue financier et économique) des


systèmes du marché de fournitures et de la régie, voyez Gaston Jèze,
Cours de Sc. des finances, 6° édition, Théorie générale des dépenses
publiques, 1922, p. 172 et s.
(2) Gaston Jèze, Le régime juridique des marchés de Service public,
R. D. P. 1918, p. 221 et s.
(3) Corneille, conclusions dans FaíTaire Société d'éclairage de Poissy,
C. d’E. 8 février 1918, R. D. P. 1918, p. 245 : « marchés de livraison,
marchés consistant dans une livraison accidentelle et unique ».
330 COLLABORATION DES PARTICULIERS

2) marchés ayant pour objet des fournitures multiples ou conti­


nues. Ex. : fourniture de denrées pendant plusieurs mois ou plu­
sieurs années \ fourniture de gaz, d’électricité, d’eau pour assurer,
pendant plusieurs années ou plusieurs mois, le fonctionnement d’un
établissement de 1’administration : lycée, école, caserne, prison,
arsenal, manufacture d’Etat; fourniture de force motrice à un
arsenal, à une poudrerie, etc.

II. — II est très important de distinguer entre ces deux sortes de


marchés de fournitures.
Io II est évident que le marché à fournitures continues ou multi­
ples associe le fournisseur plus étroitement au fonctionnement du
Service public : le fournisseur devient ordinairement un coopérateur
du Service public.
Or le Service public doit fonctionner de manière règulière et con­
tinue, sans à-coups. De ce chef, le rôle du fournisseur est très impor­
tant; ses obligations deviennent très strictes. On comptesur lui pour
sauvegarder la continuité et la régularité du fonctionnement du
Service public.
A cet égard, sa situation juridique est différente de celle du four­
nisseur unique.
2° D’autre part, toute fourniture multiple et continue suppose très
ordinairement rimmobilisation d’un gros capital ; des calculs très
délicats doivent être faits pour une fourniture multiple et continue.
Les aléas sont grands lorsque le marché s’étend sur plusieurs
années. Les circonstances économiques, le régime législatif peuvent
changerau cours dela période du marché. II faudra, dans le régime
juridique, tenir compte de ces aléas. On en fait ordinairement abs-
traction dans le marché de fourniture unique, isolée.
III. — On traduit parfois cette idée en disant que les marchés de
fournitures continues ou multiples sont essentiellement des contrats
de bonne foi, c’est-à-dire que les droits et obligations respectives
doivent être interprétés de bonne foi, de manière équitable, et non
pas seulement d’après la lettre du marché. II y a une parlie extra-
contractuelle considérable.
Dans les marchés de fourniture unique ou isolée, pour connaítre
les droits et les obligations, il faudra s’attacher, avant tout, à ce
qui a été formellement stipulé. La partie extracontractuelle est très
minime ou même absente.
MAROHÉS DE FOURNITÜRES 331

La distinction est très nettement faite au Conseil d’Etat (1).

Section II

Marchés de transports.

I. — Les marchés de transports sont très fréquents et très variés.


Le Service postal maritime de la Méditerranée, des mers des Indes,
de Chine et du Japon, d’Australie et de Nouvelle Calédonie, de la
côte orientale d’Afrique et de 1’Qcéan Indien, a fait l’objetd’un con-
trat avec la Compagnie des Messageries maritimes. II y a aussi des
contrais administratifs avec la Compagnie transatlantique, avec la
Société générale des transports maritimes à vapeur et avec Ia
Compagnie de navigation mixte pour le Service de transports par
paquebots à vapeur des dépêches, colis postaux, du personnel et
du matériel de l’Etat, entre la France et FAlgérie» la Tunisie, la
Tripolitaine et le Maroc.
Ces diverses compagnies reçoivent des subventions de l’Etat et
sont assujetties à un certain nombre de voyages dont 1’horaire est
fixé par le ministre. Des cahiers des charges règlent les condi-
tions dans lesquelles doivent se faire ces transports (2).
De même, pendant la guerre, TEtat a souvent passé avec des
armateurs ou des propriétaires de baleaux des contrats par lesquels
lesdits armateurs ou propriétaires s’engageaient à ravitailler un
poste maritime (3).
En temps de paix, il arrive fréquemment que le ministre des
colonies ou bien un gouverneur de colonie passe un contrat avec un
individu ou une société maritime pour assurer le ravitaillement
militaire (4).
II arrive encore que 1’Etat loue un navire pour des transports à

(1) Dans ses conclusions sur 1’affaire Société d'éclairage de Poissy,


8 févr. í918 (Rec. p. 121 ; R. D. P. 1918, p. 242 et s.), le commissaire du
gouvernement M. Corneille distingue, à ce point de vue, entre « les
marchés de fournitures continues et multiples passes par 1’Etat, oppo-
sés aux marchés de livraison, aux marchés consistant dans une
livraison accidentelle et unique ». V. infra, la théorie de íimprévision.
(2) Conseil d’Etat, 29 janvier 1909, Compagnie des messageries mari-
times, Rec., p. 111 et s. (avec les conclusions de M. Tardieu).
(3) Tribunal des conflits, 7 novembre 1922, Manon, Rec., p. 794.
R. D. P., 1923, p. 433 et s. Supra, p. 315 et s.
(4) C. d’Etat, 8 novembre 1911, Labeye, Rec., p. 987.
332 COLLABORATION DES PARTICULIERS

effectuer par 1’Etat; par exemple, location d’un navire en lime-


charter (1).
II. — Parfois, le marché de transport a pour objet des transports
terrestres. Par exemple, 1’administration des postes passe avec des
entrepreneurs des marchés pour le transport des dépèches par voi-
ture à traction animale, ou par voilures automobiles (2).
C’est ainsi que le ministre chargé du Service des postes et télé-
graphes a passé avec la Compagnie générale des automobiles pos-
tales un contrat pour le transport des dépèches postales dans
Paris. « Le marché passé entre l'Etat et la compagnie organisait un
transport quotidien, suivant des itinéraires et des horaires réglés
d’avance, combinés avec les horaires des trains » (3).
Des « contrats administratifs » de transport pourraient aussi inter-
venir entre 1’Etat et les compagnies de chemins de fer (4-).
III. — Dans toutes ces hypothèses, il y a marche de transport,
contrat administratif; s’il s’agit de transports maritimes, il n’y a
pas contrat d’aíTrètement du droit commercial maritime.

11
Caracteres essentiels du marché de transport.

I- — Ces caractères sont, au nombre de quatre, corame ceux des


marchés de fournitures (V. supra, p. 327) :

(1) C. d’Etat, 18 juin 1919, Compagnie des chargeurs français, Rec.,


p. 320 : « Contrat de location en time-charter du navire « 1’Anglet », inter-
venu entre 1’Etat et lo Compagnie, le 18 mars 1914, aux termes duquel
radministration de la marine louait ce navire pour une période de trois
années, moyennant un prix de 1 fr. 80 par tonne de. jauge et parjour ».
(2) C. d’E., 16 octobre 1918, Gouvernement général de /’Algérie, Rec.,
p. 895 : « Le contrat, passé... entre le gouverneur général de 1’Algérie et
les sieurs T. et G., et relatif au transport des dépèches ... est un marché
de transport, ayant pour but d’assurer un Service public d’Etat, et, par
suite, les contestations soulevées par les entrepreneucs au sujet de sa
résiliation sont, par application de 1’art. 14-2° du décret du 11 juin 1806,
de la compétence du Conseil d’Etat >.
(3) C. d’Etat, 20 juillet 1917, Compagnie générale des automobiles
postales, Rec., p. 586.
(4) C. d'E., 6 mai 1921, Compagnie P. L. M., R. D. P., 1921, p. 510
et s. avec les conclusions de M. Corneille. — A mon avis, il n’y a pas
contrat. II y a fonctionnement d’un Service public au profit de Fusager
Etat. Cpr. supra, p. 50 ets.
MARCHÉS DE TRANSPORTS 333

Io contrat administratif;
2o l’objet du contrat est un transport ou la mise dun navire à Ia
disposition de 1’Etat;
3o rémunèration en argent;
4o le transport ou le navire sont aux risques et périls de 1’entre-
preneur, de Tarmateur.
II n’y a guère qu’à reproduire les développements présentés pour
les marches de fournilures.
Voici toutefois quelques précisions d’après la jurisprudence la
plus récente du Conseil d’Etat.
II. — Les marches de transport ne sont des contrats administra-
tifs que s’ils sont passés par íadministration, en vzie dun Service
public et avec la volonté dappliquer le régime juridique du droit
public. Cette volonté résulte de 1’ensemble des clauses du contrat et,
en particulier, de la clause déclarant que les contestations seront
portées devantles tribunaux adininistratifs (1) (V. supra, p. 309).
III. — Vobjet du marché de transport est soit une obligation de
faire (transport), soit un louage de chose (location d’un navire).
Lorsqu’il y a obligation de faire (transport), les objets de Fobli-
gation de faire sont éoumérés avec précision. Dans le cas de trans-

(1) G. d’Etat, 19 juin 1918, Société des voiliers français, Rec., p. 597 :
« Les marches passés par VEtat avec une compagnie maritime, pour
les transports intéressant ses diverses administrations, sont régis par
le décret du 11 juin 1806, qui édicte la compétence de la juridiction
administrative. Les transports eífectués pour le compte de 1’Etat ne
peuvent donc relevei* des tribunaux de 1’ordre judiciaire que dans le cas
oü 1’Etat, en dehors de tout marché contenant des règles spéciales, a
entenda s’adresser au transportem* dans les mêmes conditions que le
public en généraL 11 résulte de 1’ensemble des dispositions du traité
passé, le 19 septembre 1906, entre le ministre de la inarine stipulant au
nom de 1’Etat et la Société des voiliers français, que ledit traité ne cons-
titue pas un simple contrat d’aíTrètement conclu dans les conditions
ordinaires du commerce. Notamment, 1’art. 2 se réfère d’une manière
expresse, en ce qui concerne les chargements, aux usages du départe-
ment de la marine. LFautre parí, 1’art. 14 prévoit que toutes les contes­
tations seront jugées administrativement. Si cette derniére clause ne
pouvait étre par elle-même attributive de compétence, elle nen a pas
moins pour effet d’indiquer la commune intention des parties en ce
qui concerne le caractère de la convention intervenue entre elles. La
dite convention est, par suite, un marché administratif ». — Voyez
aussi Tribunal des Conflits, 7 novembre 1922, Manon, Reç., p. 794 ;
D. R. P., 1923, p. 433 et s. V. supra, p. 315.
334 COLLABORATION DES PARTICULIERS

ports multiples, la convention prévoit très ordinairement deux hypo-


thèses : les transports normaux et les transports exceptionnels :
itinéraire, horaires, nombre de voitures, vitesse s’il s’agit de trans­
ports maritimes, etc.
La location d’un navire comprend très ordinairement aussi les
Services du capitaine et del’équipage. Ceei faitque, le plus souvent,
l’objet du marché de transport est une obligation de faire et non pas
un louage de chose.
IV. — Les procédés convenus pour la rémunération en argent sont
extrêmement variés. Ce n’est presque jamais un forfait. Les élé-
ments de calcul sont presque toujours compliqués : jours ouvrables,
nombre de kilomètres parcourus, nombre des voitures mises en Ser­
vice. Parfois, il y a un minimum garanti.
Pour les Services de transports maritimes, la diversité est très
grande, suivant qu’il s’agit d’un navire affrété ou qu’il s’agit de
transports. Dans ce dernier cas, la rémunération porte souvent le
nom de subvention.
V. — Risques. — Les risques sont à la charge de Ventrepreneur ;
cela signifie que si Fexécution du marché se traduit par une perte,
1’entrepreneur devra, en principe, la supporter.
Lorsqu’il s’agit de transports maritimes ou de location de navire,
il y a des risques spéciaux : les risques de mer et les risques de
guerre. La convention précisera toujours à la charge de qui sont
les risques. D’ordinaire, 1’Etat assume les risques de guerre et
laisse les risques de navigation à la charge de 1’armateur.
Au cas de silence, tous les risques sont à la charge de 1’entrepre-
neur (<).

(1) C. d’E., 26 avril 4918, Société française d'armement Frisck (Rec.t


p. 393) : Un vapeur a éte affrété par l’Etat pendant la guerre suivant con-
trat et mis à la complète disposition de 1’autorité maritime. II reçoit For-
dre de se rendre immédiatement dans tel port. Au cours de ce voyage, il
s’échoue et subit des avaries. L’accident ne résulte d’aucune manoeuvre
maladroite. 11 a été causé uniquement par Ferreur du capitaine sur la
position d'un nouveau feu d’un ílot. Cette erreur provient de ce que les
coordonnées du Livre des Phares, publié par le ministère de la marine,
étaient inexactes et plaçaient le feu à 1’extrémité sud-est de 1’ilot, alors
qu’il se trouve sur le côté nord. Ceei posé, le contrat porte que les ris­
ques de guerre sont supportés par 1’Etat, et que les risques de navigation
restent à la charge de 1’armement. Le risque couru est-il un risque de
guerre ou un risque de navigation ? Dans ce dernier cas, est-il un risque
MARCHÉS DE TRANSPORTS 335

II faut signaler que très souvent lorsque 1’Etat loue uu navire, il


assume les risques, afin cTobtenir des conditions pécuniaires plus
avantageuses. De plus, il ne s’assure pas. En effet, 1’Etat, qui eftec-
tue, pour ses Services publics, de nombreux transports, a intérêt à
ne pas s’assurer; les primes d^assurances qu’il économise ainsi
dépassent les pertes qu’il éprouve en fait.

! 2

Classificalion des marchés de transport.

I. — On peut classer ces marchés en deux grandes catégories :


ceux qui ont pour objet un transport unique;
ceux qui ont pour objet des Iransports multiples à effectuer dans
une période de lemps fixée au contrai.
Pour les premiers (transport unique), il arrivera très souvent que
le marché sera un contrat d’affrètement du droit commercial mari-
time et non un contrat administratif. Mais rien n’empêche qu’un
contrat de transport unique soit un contrat administratif.
Pour les seconds, ils sont loujours des contrais administratifs.

normal ou un risque exceptionnel ? Le C. d’E. a jugé : « Dans les condi­


tions oú il est survenu, l’échouement du vapeur... a été la conséquence
non d’un risque de guerre, qui devrait être supporté par l’Etat en vertu
de l’art. 14 du contrat d’affrètement passe entre Ia marine et la société...,
mais d’un risque de navigation, qui, d’après la même disposition, reste
en príncipe à la charge de 1’armement. A la vérit.é, la société... soutient
que Faccident ne se serait pas produit si le capitaine n’avait été trompé sur
la position exacte du feu du rocher... par des indications erronées con-
tenues au Livre des Phares^ document oíficiel publié par le ministère de
la Marine, et que 1’Etat serait tenu de réparer le do mm age qui aurait été
ainsi causé par la faute du Service public. Mais le Livre des Phares, éta-
bli par le Service hydrographique de la marine et mis dans le commerce
â la disposition des intéressés, ue constitue, en ce qui concerne les feux
étrangers, qu’un recueil de renseignements nautiques communiqués par
les divers pays et dont ledit service n’a pas les moyens de contròler ni
de garantir 1’exactitude... Sons qu’il soit besoin de recherchersi 1’échoue-
ment du vapeur provient... d'une inexactitude des renseignements repro-
duits par le Livre des Phares ou d’une erreur commise par le capitaine
dans 1’utilisation de ces renseignements, la Société... n'est pas fondée à
demander 1’annulation de la décision... par laquelle le ministre a refusé
de lui allouer une indemnité d.
336 COLLABORATION DE.S PARTICULIERS

II. — Entre le contrat admínistratif de transpor t unique et le


contrat admínistratif de transports multiples, il y a les mêmes diílé-
rences d’ordre économique (capital engagé, organisation matérielle
et personnel, etc.) que celles que nous avons relevées entre le mar-
ché de fournitures à prestation unique et le marché de fournitures
à prestations multiples (V. supra, p. 330). 11 faut avoir toujours
ces conditions économiques présentes à 1’esprit pour comprendre
le regime juridique applicable.
III. — La terminologie de la pratique n’est pas très précise. Dans
les deux cas on parle ordinairement à.'enlreprise de transport; dans
le deuxième cas, on parle aussi parfois de concessioii du Service de
transports (1).
En réalilé, il vaut mieux ne pas employer l’expression concession
du service de transports. L’entrepreneur n’est pas à proprement
parler un concessionnaire de service public. II n’est pas chargé
à.'exploiler, de faire fonctionner un servicepublic. 11 est simplement
coopérateur aclif à ce service public. C’est 1’administration qui
exploite le service, qui le fait fonctionner, avec l'aide, avec la colla-
boration de 1’entrepreneur de transports. La rémunéralion n’est pas
celle d’un concessionnaire de service public : 1’entrepreneur reçoit
une somme d’argent et non pas le pouvoir de percevoir, sur les usa-
gers du service, une redevance. A vrai dire, il n’est pas en relations
directes avec le public, avec les usagers.

(1) D’ailleurs, la terminologie n’est pas fixée. Ex. C. d’Etat, 29 jan-


vier 1909, Compagnie des messageries maritimes, Rec., p. 111 et s. II
s’agissait de transports postaux (collaboration au service postal exploité
par 1’Etat). Le commissaire du gouvernement M. Tardieu, parle de con­
cession : « La compagnie des messageries maritimes est concessionnaire
des Services maritimes postaux ». Le C. d’E. n’emploie pas cette
expression : « convention passée entre l’Etat et la Compagnie... pour
1'exécution des Services maritimes postaux ».
C. d’E., 8 novembre 1911, Labeye Hec., p. 987 : II s’agissait d’un con­
trat de transports multiples pour le ravitaillement militaire d’une colo-
nie. Le C. d’E. qualifie ce contrat « d’entreprise » : « Au moment de
1’adjudication dans la région desservie par l'entreprise ... La résiliation
de son entreprise ... ».
Le C. d’E., dans 1’arrôt du 20 juillet 1917, Compagnie génêrale des
automobiles postales, Rec.. p. 586, parle « d’entreprise d.
MARCHÉ DE TRAVAUX PUBLICS 337

Section III

Marché de travaux publics.

1. — Les éléments essentielsdu contrat administratif appelé mar­


che de travaux publics sont fixés depuis très longtemps. C’est même
le contrat administratif qui a servi de modèle à tous les autres.
C’est celui pour lequel la jurisprudence a formule, de très bonne
heure, les règles les plus précises.
II. — Le marché de travaux publics présente quatre éléments
essentiels :
Io Cest un contrat administratif (N. supra, p. 304 et s.);
2o 11 a pour objet 1’exécution d’un ouvrage immobilier ;
3o moyennant une rémunération en argent ou autrement;
les risques sont pour 1’entrepreneur (V. supra, p. 327).
III. — Le marché de travaux publics est un contrat administratif.
— II devrait donc présenter les trois caracteres suivants : d) accord
de volontés avec 1’administration en vue de créer une situation
juridique individuelle; ó) pour un Service public; c) adoption
volontaire par Tadministration du régime juridique du droit public,
exorbitant du droit civil.
La jurisprudence actuelle n’admet pas la deuxième condition et
n’est même pas orientée vers cette solution.
La notion de travail public et la notion de Service public sont
logiquement indissolubles (I). Pourtant, la solution rationnelle n’est
pas encore celle de la jurisprudence du Conseil d’Etat : « La notion
de travail public et celle de Service public ne se recouvrent pas
exactement », déclarait, en 1921, le commissaire du gouvernement
M. Corneille, dans 1’aflaire commune de Monségur (2). < Ce ne sont
pas seulement les travaux des Services publics qui peuvent se défi-
nir : travaux publics. La notion est plus large : après quelques

(1) Corneille, conclusions dans l'affaire Astruc, 1 avril 1916, R. D. P.,


4916, p. 374 : « La tbéorie particulière du travail public est... un dérivé
de la théorie plus générale du Service public ».
(2) C. d’E., 10 juin 1921, Rec., p. 573; R. D. P., 1921, p. 369, et ma
note. — Cpr. toutefois Taffaire Astruc, C. d’E., 7 avril 1916 (Rec., p.464 ;
P. D. P., 1916, p. 374) avec les conclusions de M. Corneille.
Jèze. — Droit adm. III. 22
338 COLLA.BORA.TION DES PARTICULIERS

tâtonnements dedoctrineet de jurisprudence, on est arrivé à la for­


mule suivante : est travail public tout travail agantune destination
dutilité gènèrale^ execute pour le compte d une personne morale
administrative ». « Un travail public, c’est un travail dutilité géné-
rale » (1).
En conséquence, déclarait M. Corneille, le Conseil d’Etat a jugé
que sont des travaux publics « des travaux faits à des salles com-
munales de sociétés de secours mutueis et de réunions publiques,
qui ne sont pas des salles de Services publics ». II a jugé aussi, en
1921, dans 1’afTaire de la commune de Monségur, à propos d’une
église communale, que « si, depuis la loi du 9 décembre 1905 sur la
séparation des églises et de TEtat, le Service du culte ne constitue
plus un service public, Fart. 5 de la loi du 2 janvier 1907 porte que
les édiíices affectés à Fexercice du culte continueront, sauf désafTec-
tation.. , à être laissés à la disposition des fidèles et des ministres du
culte pour la pratique de leur religion. 11 suit de là que les travaux
exécutés dans une église pour le compte d’une personne publique,
dans un but dutilité générale, conservent le caractère de travaux
publics ».
Cette jurisprudence n’est pas rationnelle. Elle n’a pas encore
subi la critique juridique pénétrante que les commissaires du gou-
vernement ont exercée sur les marchés de fournitures. Encore
aujourd’hui, comme cela avait lieu jusqu’à la fin du xixe siècle
pour les marchés de fournitures pour lesquels on s’appuyait sur le
Décret de 1806, le Conseil d’Etat applique non pas une théorie juri­
dique rationnelle, mais un lexte de loi (Fart. 4 de la loi de pluviôse
an VIII). Tôt ou tard, le Conseil d’Etat fera, pour les marchés de tra­
vaux publics, les distinctions qu’il a récemment faites pour les mar­
chés de fournitures. D’abord, il devra éliminer tous les contrats de
construction, de réparation ou d’entretien d’immeubles, qui ne se
ratlachent pas au fonclionnement dun service public. Ce sont des
contrats civils et non des contrats administratifs ; ils doivent être
régis par le droit civil et jugés par les tribunaux judiciaires. Puis, le
Conseil d’Etat devra distinguer, parmi les marchés de construction,
de réparation ou d’entretien d’immeubles, passés en vue du fonc-
tionnement dun service public, ceux dans lesquels 1’administration

(1) C. d’E., 7 avril 4916, Astruc (Rec., p. 164; R. D. P., 1916,


p. 374) : « Le Palais dont s’agit n’était pas destiné à assurer un service
public, ni à pourvoir à un objel dutilité publique ».
MARCHÉ DE TRAVAUX PUBLICS 339

entend appliquer le régime juridique de droit public, et ceux pour


lesquels 1’adminístration entend appliquer le régime juridique de
droit civil. N’est-il pas ralionnellement absurde de décider, avec la
jurisprudence actuelle, que la réparation d’un bénitier dans une
église communale est un travail public au sens technique du mot
(C. d’E. 10 juin 1921, commune de Monségur); que les travaux de
réparation faits dans une maison louée pour y installer une caserne
de gendarmerie sont des travaux publics (C. d’E. 20 février 1880,
ville de Can?ies). 11 faut dire aussi que la pose d’une vitre à une
fenêtre de 1’école primaire publique ou de la mairie est un travail
public. Quelle est 1’utilité, dans toutes ces hypothèses, d’un régime
juridique spécial de droit public ?
A mon avis, il faut reprendre toute cette jurisprudence etlarema-
nier de manièreà lui donner une base rationnelle. Les deux assises
fondamentales sont d’abord la nolion de Service public (1), et
ensuite Vadoption volonlaire, dans le cas particulier, du régime juri­
dique spécial du droit public.
IV. — Exéculion ou entrelien dun ouvrage immobilier. — Le
travail public est un travail d'exécution, ou à’entrelien portant sur
un immeuble (bàti ou non bâti). La construction d’un navire de
guerre n’est donc pas un travail public.
Exéculion. Exemple : construction d’une route, d’un bâtiment.
Entrelien. Exemple : un contrat pour la garde d’un cimetière,
lorsqu’il comporte des travaux d’entretien, estun marché de tra­
vaux publics (2).
La jurisprudence entend ceci largement. Elle range parmi les raar-

(1) C’est très justement qu’en 1916, le commissaire du gouvernement


M. Corneille (C. d’E., 7 avril 1916, Astruc, R. D. P., 1916, p. 374)
disait : « La théorie particulière du travail public... estun dérivé de la
théorie plus générale du Service public. II y a marché de travail public
quand il y a marché impliquant 1’idée de construction à faire et ayant
pour cause un Service public ». — Sur la jurisprudence du Conseil
d’Etat, voyez MarcNoel, Lanotion de travailpublic (Thèse Paris, 1924).
(2) C. d’E. 27 juillet 1906, Permanne, Rec., p. 700 : « L’entreprise dont
le sieur P. s’est rendu adjudicataire a, d’après le cahier des charges qui
la régit, pour objet, en même temps que la garde du cimetière, princi-
palement le service des inhumations, des exhumations et 1’exécution des
travaux d’entretien général du cimetière, qui constitue une dépendance
du domaine communal affecté à un service public. Ainsi le contrat passé
entre le requérant et la commune... a, dans son ensemble, le caractère
dun marché de travaux publics ».
340 COLLABORATION DES PARTICÜLIERS

chés de travaux publics les marchés par lesquels un individu assume


rentreprise du balayage et du nettoiement de Ia voie publique, l’en-
lèvement des boues et immondices : elle estime que ces travaux
contribuent à 1’entretien de la voie publique (I).
V. — Rémunération en argent ou autrement. — Le marché de
travaux publics comporte une rémunération qui, d’ordinaire, est
en argent. Elle est déterminée de plusieurs façons : forfait, sur série
de prix, à 1'unité de mesure.
Dans le forfait, i! y a une somme fixe unique, invariable, sans
qu’on ait à faire le mesurage des travaux exécutés. C’est assez peu
fréquent; c’est très dangereux pour les deux contractants, à cause
des erreurs que révèle, après coup, Texécution.
Dans le marché sur série de prix, le contrat indique le prix de
chaque catégorie d’ouvrages au mètre cube, au mètre carré, au
mètre linéaire. Ex. : terrassement, maçonnerie, déblaiement, pein-
ture, etc. Le travail terminé, on mesurera (métré) les travaux effec-
tués et on appliquera la série des prix. Le prix total sera la somme
de tous ces prix de détail. C’est peu usité, parce qu’on ne sait pas
à 1’avance quelle est la dépense totale exacle.
Dans le marché à \'unité de mesure, le contrat stipule la série
des prix, mais en même temps les quantités à exécuter, 1’adminis-
tration ayant d’ailleurs la faculté d'augmenter ou de diminuer les
quantités à exécuter dans une certaine proportion, par exemple 1 /4,
1/6, 1/10. C’est le cas le plus fréquent.
Parfois, 1’entrepreneur de travaux publics est rémunéré non pas
par une somme d'argent, mais par la promesse d' atlribution de ter-
rains à provenir des travaux publics (Ex. : concession de créments
futurs'} (2); — ou par la concession d' exploitation de 1'oitvrage public
qu’il a exécuté. Dans ce dernier cas, ce n’est plus le marché de
travaux publics pur et simple. Alors, il y a deux contrats qui sont
combinés : 1® un marché de travaux publics, et 2o une concession

(1) G. d’E. 10 janvier 1890, Lorin, Rec., p. 4 : Le conseil de préfec-


ture (juge des marchés de travaux publics) a été déclaré compétent pour
juger les difficultcs relatives à une entreprise de balayage des rues d’une
ville. — C. d’E. 20 mars 1891, ville de Rennes, Rec., p. 232 : Le conseil
de préfecture a été déclaré compétent pour juger les litiges soulevés par
des marchés chargeant une Société des eaux de 1’entretien et du curage
des égouts, de 1'arrosage des voies publiques, de Passainissement des
eaux d’égouts et du balayage des voies publiques.
(2) V. supra, p. 170 et infra, p. 482.
MARCHÉ DE TRAVAUX PUBLICS 341

cTexploitation de Service public, car 1’ouvrage public, une fois


exécuté et livré à 1’usage public, est, en réalité, un élément essentiel
d’un Service public. Exemple : chemin de fer, port. Ceei se rattache
à une nouvelle catégorie de contraís administratifs : les contraís de
concession de Service public (V. infra p. 341 et s.).
VI. — Risques et pèrils à la charge de l'entrepreneur. — Le mar-
ché de travaux publies met les risques à la charge de 1’entrepre-
neur. C'est ce qui distingue le marche de travaux publies de la régie
(simple ou intéresséè), qui met les risques et périls à la charge de
1’administration.
On appliquera donc le príncipe général formulé par Farrêt du
30 mars 1916, Sociélé du gaz de Bordeaux (Rec., p. 125 ; R. D. P.,
1916, p. 206, avec les conclusions de M. Chardenet). « En principe,
dirons-nous, le marché de travaux publies règle d’une façon défini-
tive jusqu’à son expiration les obligations respectives de 1'adminis-
tration et de 1’entrepreneur. L’entrepreneur est tenu d’exécuter le
travail public prévu dans les conditions précisées au marché et se
trouve rémunéré par le prix qui y est stipulé. La variation des prix
des matières premières à raison des circonstances économiques
constitue un aléa du marché qui peut, suivant le cas, être favorable
ou défavorable à l’entrepreneur et demeure à ses risques et périls,
chaque partie étant réputée avoir tenu compte de cet aléa dans
les calculs et prévisions qu’elle a faits avant de s’engager » (1).

Section IV

Contrat de concession de Service public.

Lorsque, pour la satisfaction d’un besoin d’intérêt général, il a


été créé une organisation publique, un Service public proprement
dit, la question se pose de savoir par qui sera faite 1’exploitation,
par qui sera assuré le fonctionnement du Service public. Le cas, de
plus en plus fréquent, est celui des Services publies industrieis.
Ex. : transports par chemin de fer, paromnibus, tramways, auto-
bus; distribution collective d’eau, de gaz, d’électricité, etc.
Lorsque Fadministration exploite elle-même le Service, lorsqu’elle

(1) Sur 1’application de ce principe général, voyez la théorie de Vim-


prêvision.
342 C0LLAB0RATI0N DES PARTICULIERS

fait fonctionner le Service par ses agents, on dit qu’il y a exploita-


tation en règie, ou plus simplement régie.
Si, au contraire, Tadministration cbarge un individu, une
société de faire fonctionner le Service public, de 1’exploiter, on dit
qu’il y a concession de Service public.

§ 1

Eléments essentiels du contrai de concession de Service public.

Cinq eléments sont essentiels :


Io Le contrat de concession de Service public est un contrat admi­
nistratif proprement dit.
2o II a pour objet Vexploitation cTun Service public, le fonctionne-
ment dun Service public.
3o L'exploitation a lieu aux risques et périls du concessionnaire.
4° La rémunération du concessionnaire consiste dans le droit qui
lui est conféré de percevoir, à son proíit, sur les usagers, sur le
public, une redevance (Jaxe), fixée par un larif, pendant toute la
durée de Ia concession (1).
5o La concession est faite pour une longue période de temps ; c’est
un contrat de longue durée.

L — Caractére administratif du contrat de concession de Service


public.

L — Le contrat qui intervient entre 1’administration et le con­


cessionnaire est un contrat administratif au sens précis du mot.
En efíel, le fonctionnement du Service industriei organisé en Service
public implique toujours Capplication de règles exorbitantes du droit
civil. 11 suit de là que tous les contrats de concession de Service
public sont des contrats administratifs.

(1) Chardenet, conclusions sous C. d’E., 30 mars 1916, Sociétédu gaz


de Bordeaux, Rec., p. 128 (R. D. P., 1916, p. 213) : k C'est le contrat
qui charge un particulier ou une société d’exécuter un ouvrage public ou
d'assurer un Service public. à ses frais, avec ou sans subvention, avec
ou sans garantie d’intérêt, et qui l’en rémunère en lui confiant Fexploi-
tation de 1’ouvrage public ou 1’exécution du Service public avec le droit de
percevoir des redevances sur les usagers de 1'ouvrage public ou sur ceux
qui bénéficient du Service public ».
CONTRAT DE CONCESSION DE SERVICE PUBLIC 343

Lorsque 1’administration créeune organisation pour Ia satisfac-


tion d’un besoin d’intérèt général et que la loi lui confere le pou-
voir d'en faire un Service public proprement dit, cela signifie que
Tadministration a des pouvoirs exorbitants du droil civil pour
exploiter le Service, c’est-à-dire pour assurer la satisfaction régu-
lière cl continue du besoin d’intérêt général.
Si Tadministration charge, par un contrat de concession, un indi-
vidu ou une société de 1’exploitation, naturellement 1’individu, la
société concessionnaire vont exercer les pouvoirs exorbitants recon-
nus à fadministration. Cela suffit pour que le contrat de concession
se différencie très nettement du contrat de louage de Service du
droit civil (1); le mode de rémunération (taxe) sufüraità lui seul
pour en faire un contrat administratif.
II. — Le contrat est donc un contraiadministratif au sens techni-
que(2). Sur ce point, il n’y a aucune contestation. La jurisprudence
du Conseil d’Etat est très nettement fixée en ce sens, quelle que soit
la forme extérieure du contrat de concession de Service public (3).

(1) C’est à tort que M. Pichat, conclusions dans 1’affaire Thérond,


C. d’E., 4 mars 1910 (Rec., p. 194), tout en reconnaissant qu’il y a con­
trat administratif, déclare : « Le contrat (de concession de service
public) est le louage de service des articks 1710, 1779 el 1786 du Code
civil, ayant pour objet 1’exécution d’un service public et présentant le
caractère d’une concession ». Pour la critique, voyez supra, p. 311.
(2) Chardenet, conclusions devant le Conseil d’Etat daos la célebre
afTaire de la Société du gaz de Bordeaux, jugée par le Conseil d’Etat
le 30 mars 1916 (Rec., p. 128) : « Le contrat de concession est un con­
trat d'ordre essentiellement administratif, qui ria pas d''ana togue
dans le droit civil ».
(3) C. d’E., 16 dêcenibre 1921, Sassey, Rec., p. 1062 : « Par lettre ...
le sieur S. a demandé au conseil municipal ... la concession d’un service
de transport de voyageurs à traction de chevaux de la gare ... à. la porte
d’Egleny à Auxerre. Par dêlibération du..., le Conseil municipal a
décidé qu’il y avait lieu de faire droit à la demande... sous certaines
conditions, lesquelles ont été reproduites dans 1’arrêté... par lequel le
maire a accordé 1’autorisation sollicitée. Le dit arrêtc, approuvé par le
préfet ., indique le parcours que devront suivre les voitures et en fixe les
points d’arrêts facultatifs et obligatoires. Indépendamment de disposi-
tions relativeszà 1’aménageinent du malériel el au prix des places, des
articles y stipulenl expressément que « le service sera unique dans la
direction générale indiquée aíiii d’éviter Tencombrement et la gêne qui
résulteraient du passage à peu près simultané de plusieurs voitures
avec mèmes facultés d'arrêls »; que <r 1’autorisalion est accordée pour
20 années, avec la reserve expresse que si un système de tramways avec
344 COLLABORATION DES PARTICULIERS

Aujourd’hui, la base rationnelle du contrat administratif de con-


cession du Service public est très nettement dégagée par la juris-
prudence. Mais pendant longtemps, à une époque oü la notion de
Service public n’était pas clairement précisée, le Conseil d’Etat,
qui comprenait 1’utilité desoustraire ces contrats au droit civil et de
les soumettre au droit public, avait imaginé de chercher des textes
législatifs pour obtenir ce résultat désirable. II faisait un raisonne-
ment fort contestable : il assirnilait les contrats de concession de
Service public aux marches de travaux publics entendus très large-
ment.
111. — Cette jurisprudence avec cette argumentation défectueuse
a été maintenue.
D’une part, dès qu’il y a concession de travaux publics, c’est-
à-dire combinaison du marché de travaux publics et du contrat de
concession du Service public, le Conseil d’Etat affirme que le cas
est prévu par l’art. 4 de la loi de pluviôse an VIII, consacrant la
juridiction administrative du conseil de préfecture pour juger les
contestations.
D’autre part, dès que le contrat de concession de Service public
interesse une dépendance du domaine public, c’est-à-dire d’un
ouvrage public, le Conseil d’Etat Tattribue encore, par extension, à
la juridiction administrative en vertu de 1’art. 4 de la loi de pluviôse
an VIII. Ex. : contrat de concession du Service d’eau, de gaz, de
tramways, etc. à cause des canalisations de la voie publique ; con­
trat de concession du balayage et du nettoiement de la voie publi­
que (1). On declare aussi que le marché de fournitures multiples
pour le Service des prisons (nourriture, habillement des détenus,

voie ferrée s’établit à Auxerre, quel qu’en soit le mode de traction, ladite
autorisation sera retirée de plein droit sans aucun dédommagement ni
indemnité » ; enfin, que « Pautorisation sera annulée en cas d’arrêt non
justifié d’une durée excédant un mois dans le fonctionnement du Ser­
vice ». Par les actes ainsi intervenus, Vexploitation d'un Service de
transports de voyageurs a été concédée au sieur S. II appartient à la
juridictioji administrative de statuer sur les difficultés relatives à
1’interprétation et à 1’exécution de ce contrat de Service public —
C. d’E., 27 juillet 1923, Gheusi, R. D. P., 1923, p. 560 : « Bien qu'il
revête Vapparence d'un acte de nomination , le contrat conclu par
1'Etat... présente le caractère d’un contrat de concession de Service
public ».
(1) C. d’E., 12 décembre 1924, ville de Dieppe, R. D. P., 1925, p. 64
et s.
CONTRAT DE CONCESSION DE SERVICE PUBLIC 345

travail des détenus) est un marché de travaux publics ou assimiles


parce que d’ordinaire 1’entrepreneur doit faire certains travaux
d entretien des bâtiments de la prison.
Enfin, Iorsqu’il n’y a aucun lien entre la concession de Service
public et le domaine public ou un ouvrage public, leConseil d’Etat
scrute encore plus attentivement les textes et en tire des arguments
tout à fait étranges pour obtenir la même solution, — d’ailleurs,
correcte, — à savoir la soumission au regime du droit public.
IV. — Le cas le plus remarquable est celui de la concession du
Service public des pompes funèbres. II est impossible de trouver
une relation quelconque entre ce contrai et un ouvrage public quel-
conque. Pourtant, c’est manifestement un contrat administratif,
soumis au régime du droit public et à Ia compétence des tribunaux
administratifs.
A une époque ou les juristes croyaient devoir appuyer leurs Solu­
tions non point sur des príncipes juridiques, mais sur des textes, le
Conseil d’Etat trouva, dans le décretdu 18 mai 1806, concernant le
Service dans les églises et les convois funèbres, un article 15 ainsi
con$u : « Les adjudications (dela concession du Service à un entre-
preneur) seront faites selon le mode établi par des lois et règlements
pour tous les travaux publics ». Ce texte a servi au Conseil d’Etat
pour aflirmer que le contrat de concession du Service public des
pompes funèbres est un contrat administratif assimilable au mar­
ché de travaux publics, de la compétence des conseils de préfecture.
C’est une base bien fragile (1).
V. — Aujourd’hui, avec le développement de la notion du Service
public, le Conseil d’Etat ne recourt plus, pour les cas nouveaux, à
ces arguments de texte. II s'appuie sur lanaturejuridique du contrat

(4) A la fin du xixe siècle, Laferrière, Juridiction admin. et rec. con-


tentieux, 2e éditioo, -1896, II, p. 124, eu faisait 1’aveu : « On doit recon-
naitre que le lien est parfois fragile entre 1’objet de ces marchés etPidée
de travail public; qu'en tout cas, ce n'est pas cette idée qui y tient le
plus de place. Oü en pourrait conclure quelorsquun contrat est mixle, il
n’est pas nécessaire que le marché de travaux publics y domine; il suffit
qu’il y apparaisse, même sous une forme três atténuêe^ pour que la com­
pétence du conseil de préfecture en resulte. La jiirisprudence a peut-ètre
ainsi donné à la loi de pluviôse an VIII une extension que n’avaient
pas prévue ses auteurs; mais elle n*en doit pas moins ètre tenue pour
acquise : le Tribunal des conflits et le Conseil dEtat 1 ont consacrée par
de nombreuses décisions ».
346 COLLABORATION DES PARTICULIERS

pour décider si le régime du droit public doit ètre appliqué et, par
voie de conséquence, la compétence des tribunaux administratifs.
Une conséquence curieuse de ce changement de base juridique,
cest que autrefois le tribunal administratif compétent était le con-
seil de préfecture, juge du contentieux des travaux publics (art. 4
loi de pluviôse an VIII). Aujourd’hui, c’est le Conseil d'Etat, juge
administratif de droit commun (1).
Si, aujourd’hui, se posait, pour la première fois, Ia question des
litiges soulevés par les contraís administratifs de concession du
Service public des pompes funèbres, elle serait résolue dans le sens
de la compétence du Conseil d’Etat en premier et dernier ressort.
Ces litiges restent de la compétence des conseils de préfecture en
lre instance et du Conseil d’Etat en appel, à cause de la vieille
jurisprudence que Ton n’a pas cru devoir changer. Cest une ano-
malie sans importance.

II. — Le contrat de concession de Service public a pour objet íex-


ploitation dun Service public, le fonctionnement dun Service
public.

I. — En fait, à 1’beure actuelle, il n’y a guère concession de ser


vice public que pour les Services d’ordre èconomique. C’est pour
cela qu’on les appelle Services publics industrieis. Mais aucun obsta-
cle juridique ne s’oppose à ce que la concession de Service public
soit employée pour d’autres Services publics : police, justice,
impòts (2). Les grandes compagnies de colonisation ont été naguère
concessionnaires des Services publics de police et de justice. La
concession du Service public de perception de 1’impôt communal
doclroi, appelée pratiquement la ferme de 1’octroi, et qui existe
encore aujourd’hui dans quelques communes, est une véritable
concession de Service public (Décret du 17 mai 1809 sur Toctroi,
art. 108 et s.).
II. — La concession de Service public, par son objet, se distingue
très nettement du marcbé de travaux publics. Elle n’a pas pour

(1) C. d’E. 4 mars 1910, Thérond, Recp. 194; R. D. P. 1910, p. 249


et s. avec les conclusions de M. Pichat. Cpr. supra, p. 310 et s.
(2) Duguit, De la situation des particuliers á Végard des Services
publics, dans R. D. P. 1907, p. 411 et s. et surtout p. 425 et s. ; —
Traité de Droit cont. 2* éd., II, 1923, p. 54 et s.
CONTRAT DE CONCESSION DE SERVICE PUBLIC 347

objet la construchon dtun ouvrage public, ni tentretien dun


ouvrage public.
D ailleurs, il peut arriver et il arrive le plus souvent que le con-
trat de concession de Service public s’ajoute à un marché de travaux
publics. Par exemple, le Service public concédé suppose la cons-
truction préalable d’un ouvrage public, ou bien Ventretien d’un
ouvrage public. Exemples : concession du Service public d’un mar-
ché couvert, d’un pont, d’un chemin de fer, d’un réseau de tramways,
d un chemin de fer métropolitain, de distribution (Veau, de gaz\
d électricité, de balagage et nettoiemenl de la voie publique, de Fen-
lévement des boues et immondices, etc.
Dans tous ces cas, la réunion des deux opérations juridiques :
marché de travaux publics (construction ou entretien d’un ouvrage
public), contrat de concession de Service public, porte, dans la pra­
tique, le nom de contrat de concession de travaux publics.
Un premier intérêt qu’il y a à blen distinguer le contrat de con­
cession de travaux publics, du contrat de concession de Service public,
est d’ordre tout à fait secondaire, mais très pratique : c’est la deter-
mination du tribunal compétent pour juger les litigcs soulevés par
le contrat. S’il s’agit du contrat de concession de travaux publics, le
tribunal compétent est celui du marché de travaux publics, àsavoir
le conseil de préfecture en lreinstance, le Conseil d’Etat en appel
(1. 28 pluviôse an VIII, art. 4). S'il s’agit d'un contrat de concession
d’un Service public, le tribunal compétent est, en premier etdernier
ressort, le Conseil dEtat, juge de droit com mu n en matière admi-
nistrative. Dans le premier cas, c’est la loi qui a fixé la compétence;
dans le deuxième cas, cette compétence résulte des príncipes géné-
raux du droit public français.
G’est là une règle d’importance pratique considérable, mais de
valeur juridique tout à fait secondaire.
Plus jiiridiquement est 1’observation suivante: Pour
résoudre les difficultés soulevées à 1’occasion d’un contrat de con­
cession de travaux publics, il faut appliquer distributivement les
règles du marché de travaux publics et celles du contrat de conces­
sion de Service public. En eflet, lorsqu’il s’agit d’une difficulté rela-
tive à Vexécution ou à Ventretien de Eouvrage public, la question à
résoudre n’est pas autre chose que Vexécution d un marché de ira-
vaux publics, et non pas celle d’un contrat de concession de Service
public.
UI. — Toutefois, il peut arriver que 1’élément concession de Service
348 COLLABORATION DES PARTICÜLIERS

public inílue sur Kélément marché de travaux publics. Cela appa-


rait bien dans la rémunération.
En tant qu’il s’agit seulement de Vexécution ou de V entre tien de
fouvrage public, i! y a marché de travaux publics véritable, mais
la rémunération de 1’entrepreneur consiste dans le droit conféré à ce
dernier, quiest aussi préposé au fonctionnement du service public,
de percevoir une redevance sur les usagers de 1’ouvrage public
(V. infrà, p. 353 et s.).
Les cas de concession de travaux publics sont pratiquement les
plus nombreux.
IV. — II existe aussi des contraís de concession de service public
sansmélange de marché de travail public. Cela a lieu toutes les fois
que le concessionnaire de service public n’est pas chargé de cons-
truire ou d’entretenir un ouvrage public.
Voici des exemples empruntés à la jurisprudence (1).
1° Conseil dEtal, Imars 1910, Thérond (Rec., p. 193). — Un
individu est déclaré adjudicataire, pour 10 ans, de la concession sur
tout le territoire d’une ville, de la capture et de la mise en four-
rière des chiens errants et de 1’enlèvement des bètes mortes dans
les gares de chemins de fer, à 1'abattoir, sur la voie publique ou au
domicile des particuliers. Le Conseil d’Etat a jugé : « ce contraí ne
saurait être assimile à un marché de travaux publics ».
En eflet, déclarait le commissaire du gouvernement M. Pichat
dans ses conclusions, a c’est une concession de service public ; elle
a pour objet 1’exécution du service de la sécurité et de la salubrité
publiques... Ce n’est pas une concession de travaux publics :
1) elle rí a pas pour objet la construclion d'ouvrages publics \ 2) elle
ne peut même pas être assimilée, en vertu de Ia jurisprudence
cependant très extensive, à un contrat de travaux publics. Car,
d’une part, elle ne comporte ni travaux dentretien douvrages
publics..., ni travaux publics accessoires, à la différence, par exem­
ple, des contrats de fournitures d’eau ou degaz passes par les com-
munes. II est vrai que le sieur T., d’après son cahier des charges,
doit établirune fourrière, un cios d’équarrissage et un local pour la
dénaturation des bêtes mortes. Mais il s'agit là douvrages dont le
concessionnaire doit rester propriétaire et non pas de travaux publics,

(1) II y en a d’autres : Théâtres nationaux ou municipaux (G. d’E.,


27 juillet 1923, Gheusi, R. D. P., 1923, p. 560 et s. ; infra, p. 402. —La
Banque de France n’est-elle pas un concessionnaire de service public?
CONTRAT DE CONCESSION DE SERVICE PUBLIC 349

c’est-à-dire d’ouvrages établis pour le compte de la personne morale


et destinés à devenir sa propriété. D’autre part, on ne peut voir,
dans le Service concédé au sieur T., un Service analogue à ceux du
balayage et du nettoiement de Ia voie publique, ou de 1’enlèvement
des boues et immondices, qui ont été rangés par la jurisprudence
dans la catégorie des travaux publics parce qu’ils contribuent à
1’entretien de la voie publique... En eflet, les opérations de capture
des chiens errants sur la voie publique et d’enlèvement des bêtes
mortes sur Ia voie publique se rattachent à 1’intérèt de Ia circula-
tion et non à celui de la conservation de 1'ouvrage ».
2o C. d? Etat, 16 dècembre 192Í, Sassey {Rec., p. 1062). — Un autre
exemple de contrat de concession de Service public, est celui de la
concession du Service de transport en commun de voyageurs (sans
marcbé de travaux publics combiné), à traction de chevaux ou à
traction automobile, sans travaux effectuès sur la voie publique (1).
Au contraire, la concession d’un Service public de tramways est un
contrat de concession de travaux publics (2) ; le concessionnaire est
chargé d’installer les rails dans la voie publique.
V. — Le Service public concédé reste un Service public. Ce n’est pas
une exploitation qui devient une entreprise privée. Sur ce point, la
jurisprudence du Conseil d’Etat est formelle.
La concession n’est qu’un mode de gestion d’un Service public.
L’idée essentielle qui est à la base du Service public reste intacte : il
s’agit de donner satisfaction à un besoin d’intérêt général, besoin
assez impérieux pour légitimer Temploi de procédés juridiques de
droit public (3). Dans ses conclusions de 1913, M. Helbronner

(1) C. d*Etat, 16 dècembre 1921, Sassey, Rec., p. 1062. V. supra,


p. 343, note 3.
(2) C. d’Etat, 21 dècembre 1906, Syndicat des propriétaires duquar-
tier Croi.x de Séguey-Tivoli. Rec., p. 961. Gpr. 1’étude du prof. Duguit,
dans R. D. P., 1907, p. 411 et s.
(3) Parmi les déclarations les plus catégoriques, il faut citer celle de
1’arrêt du C. d’E. du 18 juillet 1913, Syndicat national des chemins de
fer de France, Rec., p. 882 (avec les conclusions de M. Helbronner); R.
D. P., 1914, p. 176 (et ma note) (à propos des Chemins de fer de la Compa-
gnie du Nord, dont les agents s’étaient mis en grève) : « Le ministre a
entendu assurer la continuitc du Service des chemius de fer, dont le
fonctionnement régulier et ininterrompu est, à toute époque, indispen-
sable à la sécurité du territoire et à la défense nationale. Voy. aussi
G. Jèze, Principes généraux du droit adm., 2« édition, 1914, p. 283
et s.; p. 429 et s. — Düguit, R. D. P., 1907, p. 411 et s.
350 COLLABORATION DES PARTICULIERS

disait : « Lorsque 1’Etat, le département ou la commune organise


un Service public. soit qu’ils en assurent directement ie fonction
nement et 1’exploitation, soit quils les concèdent à des liers, c’est
pour procurer à la collectivité la satisfaction de besoins généraux,
auxquels 1’initiative privée ne pourrait assurer qu’une satisfaction
imparfaite et intermittente. Que le Service des transports par
chemins de fer soit un Service public, nul ne peut le contester (1) >.
Celte observation est de la plus haute importance.
VI. — 11 arrive très souvent que le Service public que le conces-
sionnaire est chargé de faire fonctionner soit organisé et régiementé
par 1’acte même de concession. La réunion, dans un même docu-
ment, du contraí de concession de Service public et des règles géné-
rales dorganisation du Service public concédé ne doit pas entratner
de confusion sur la nature juridique de ces deux actes, qui sont bien
dislincts. Le Service concédé restant un Service public, 1’acte d’or-
ganisation du Service est juridiquement une loi, c’est-à-dire un acte
créateur de situalion juridique générale, impersonnelle.
L’acte de concession d’exploitation du Service public ainsi orga­
nisé est un contrat, c’est-à-dire un acte créateur de situalion juridi­
que individuelle (2).
L’observation est capitale. Ge que le concessionnaire doit faire

(1) I) est étrange que, dans leur consultation de 1924 sur les effets de
1'amnistie, le professeur Berthélémy et les autres jurisconsultes aient
affirmé le contraire (R. D. P., 1924, p. 625 et s.) : « Les compagnies (de
chemins de fer) n’ont pas, comme concessionnaires de 1’Etat un caraclère
exceptionnel qui les soumettrait à un regime particulier. Elles sont des
sociétés commerciales, soumises au Code de commerce et à toutes les
dispositions qui s’y rattachent... Elles jouissent, pour remplir leurs
engagements, d*une libertédaction absolue que justifie la responsabi-
lité qu'elles ont vis-à-vis de CEtat et vis-à-vis des usagers, et qui n'est
et ne doit étre limitée que par les clauses contractuelles qu'elles ont
librement acceptées d. G’est là une erreur juridique certaine, qui a
été relevée, à la Chambre des deputes, le 15 décembre 1924, par
M. Léon Blum : « Les rapports de 1’Etat avec ses concessionaires...
sont des rapports de droit public. Toute la jurisprudence administra-
tive... lend à proclamer qu’un Service public, même concédé, quel que
soit son mode d’exploitation, ne perd jamais son caractère ». — Cpr. ma
note dans R. D. P., 1924, p. 634 et s. ; Gaston Jèze, Les príncipes géné­
raux du Droit administratif, 3® édition, I, La technique juridique,
1925, p. 415 et s.
(2) Gaston Jèze, Les príncipes généraux du droit administra ti f\
3e édition. I. La technique juridique, 1925, p. 60 ets. ; p. 199 et s.
CONTRAT DE CONCESSION DE SERVICE PUBLIC 351

fonctionner, c’est le Service public, non pas seulement tel qu’il est
organisé par 1’acte joint au contrat de concession, mais tel quil
pourra btre ultèrieurement modifié. En modifiant cette organisa-
tion, 1’autorité publique compétente ne viole pas le contrat de
concession; elle ne touche pas à ce contrat; elle modifie la loi
générale et impersonnelle d’organisation du Service public con-
cédé (1).
Cette distinclion, autrefois méconnue (2), est aujourd'hui admise
par la jurisprudence du Conseil d’Etat. Elle n’est plus contestée.
« L’administration, a jugé le Conseil d’Etat (3),... a le droit... de
prescrire les modifications et les additions nécessaires pour assurer,
dans fintérêt du public, la marche normale du Service... La circons-
tance que le préfet aurait... imposé (à la Compagnie de tramways
concessionnaire) un Service différent de celui prévu par les parties
contractantes, ne serait pas de nature à entrafner, à elle seule, dans
1’espèce, rannulation de Farrêté préfectoral » (4).

(1) Gaston Jèzb, Les príncipes généraux du droit administratif,


2e édition, 1914, p. 283 et s.; mes articles dans R. D. P., 1905, p. 346
et s. ; 1907, p. 682 et s.; 1908, p. 58 et s. ; 1910, p. 270 et s. ; — Duguit,
op. cit., R. D. P., 1907, p. 418 et s.; p. 426 : « Les actes constitutifs et
organiques d’un Service public concédé sont des lois au sens matériel,
comme ceux qui créent et organisent un Service public exploité direcle-
ment ».
(2) Conseil d'Etat, 23 jau vier 1903, Chemins de fer économiques dw
Nord (Rec., p. 62); 30 juin 1905, Compagnie des tramways de Paris
(Rec., p. 607).
(3) C. d’Etat, II mars 1910, Compagnie générale française des tram­
ways (Rec.y p. 216 et s., R. D. P., 1910, p. 274 et s. et ma note).
(4) Dans ses conclusions, le commissaire du Gouvernement, M. Léon
Blum, disait : « L’Etat ne peut pas se desinteressei’ du Service public...
une fois concédé. II est concédé, sans doute, mais il n’en demeure pas
moins un Service public. La concession représente une délégation, c’est-à-
dire qu’elle constitue un mode de gestion indirecte, elle n’équivaut pas à
un abandon, à un délaissement. L’Etat reste garant responsable de la
sécurité publique qu’une exécution inhabile du Service peut compromettre.
II reste responsable de 1’ordre public qu’une exécution incomplète ou mal-
adroite peut troubler. L’Etat interviendra donc nécessairement pour
imposer, le cas écbéant, au concessionnaire, une prestation supérieure à
celle qui était prévue strictement, pour forcer l’un des termes de cette
équation flnancière qui est, en un sens, toute concession, en usant non
plus des pouvoirs que lui confère la convenlion, mais du pouvoir qui lui
appartient en tant que puissance publique... La convenlion ne détermine
pas d’une façon immuable, ne varietur, les charges assuméespar le con-
352 COLLABORATION DES PARTICULTERS

III. — Le Service public est exploité aux risques et périls


du concessionnaire.

I. — Cette idée essentielle a été mise en plein relief par le Con-


seil d’Etat dans 1’arrêt célèbre du 30 mars 1916, Sociéíé du gaz de
Bordeaux (Rec., p. 128, R. D. P., 1916, p. 206 et s., avec les con-
clusions de M. Chardenet) : a En príncipe le contraí de concession
règle d’une manière définitive jusqu’à son expiration, les obligations
respectives du concessionnaire et du concédant; le concessionnaire
est tenu d’exécuter le Service prévu, dans les conditions précisées
au traité et se trouve rémunéré par la perception, sur les usagers,
des taxes qui y sont stipulées. La variation du prix des matières
premières à raison des circonslances économiques constitue un aléa
du marche, qui peut, suivant le cas, être favorable ou défavorable au
concessionnaire et demeure à ses risques et périls, chaque partie
étant réputée avoir tenu compte de cet aléa dans les calculs et pré-
visions qu’elle a faits avant de s’engager ».
II. — Toutefois, comme nous le verrons plus loin, la longue durée
de la concession exige que cet élément des risques soit apprécié avec
une grande souplesse (théorie de Limprévision).

cessionnaire... — Un príncipe... domine, selon nous, la matière, c’est-


à-dire que la responsabilité, et par suite 1’autorité de 1’Etat concédant quand
il s’agit d’un Service public, ne s’arrête pas au jour de la concession, et
du fait de la concession... La matière est réglementaire, non pas con-
tractuelle... Le droit de réglementation est indépendant du contrat,
puisqu’il a pour objet final d’assurer, quoiqu'il en ait été convenu, quoi-
qu*il arrive, Fexécution normale du Service public... L’intérêt d’un conces­
sionnaire n’est pas toujours d’organiser une exploitation intensive, ni
même une exploitation suffisante du Service qu‘il doit assurer. II peut
trouver plus de profit à une exploitation paresseuse... En somme, il y a
un double contentieux de la concession. Le contentieux de la régle­
mentation ou plutôt de la légalité de la réglementation, dont la forme
normale est le recours pour excès de pouvoir, et le contentieux du con­
trat, lequel comprend nécessairement 1’examen des répercussions que la
réglementation peut exercer sur l’économie du contrat. Le double conten­
tieux correspond au double aspect, à la double nature de la concession,
qui est, en un sens, un agencement financier à forme certaine, en un
autre sens le mode de gestion d’un Service public à besoins varia-
bles 9.
CONTRAT DE CONCESSION DE SERVICE PUBLIC 353

IV. — La rémunération consiste toujours dans le droil conféré par


Cadministration au concessionnaire de percevoir, à son profit,
sur les usagers, sur le public, une redevance, pendanl toute la
durée de la concession.

I. — Cette redevance a la nature juridique d’une taxe, au sens


technique du mot, c’est-à-dire d’un impôt spécial.
C’est là une caractéristique essentielle du contrat de concession
de Service public (1).
II faut insister sur Ia nature juridique de la redevance. II s’agit
d’une taxe au sens technique, c’est-à-dire d’un véritable impôt
spécial (2).
II. — Le caractère fiscal de la redevance a des conséquences très
importantes, dont voici les principales :

(1) Chardenet, Conclusions sous G. d’E., 30 mars 191G, Sociétédu gaz


de Bordeaux, Áec., p. 128, R. D. P., 1916, p. 213: « G’est le contrat
qui charge un particulier ou une société ... d’assurer un Service public,
à ses frais, avec ou sans subvention, avec ou sans garantie d’intérêt, et
qui l'en re'munère en lui confiant 1'exécution du service public avec
le droit de percevoir des redevances sur les usagers de rouvrage
public ou de ceux qui bénéficient du Service public. Lorsqu’il s’agira
de la concession d’un ouvrage public ou d’un service de transport, le
concessionnaire se trouvera subrogé aux droits qu’aurait ('administra*
tion de toucher un péage ou un prix de transport. Lorsqu’il s’agira de la
concession du service de Péclairage au gaz, le concessionnaire fera à ses
frais tous les travaux de canalisation et il fournira le gaz. II sera remu­
nere par le droit que la commune lui cède de percevoir, sur les particu-
liers, des redevances qui dépasseront le prix marchand du gaz fourni. Si
la commune avait exploité elle-même, elle aurait eu le droit de percevoir
ces redevances ; elle le cède à son entrepreneur en lui imposant un tarif
qui est destine à protéger le public contre les exigences abusives ou arbi-
traires du concessionnaire ».
(2) Laferrière, Jur. adm. et rec. cont., 1896, 2e édition, I, p. 605 :
« La rémunération du concessionnaire ne consiste pas ... dans un prix
déterminé, ni dans les subventions ou les garanties d’intérêt qui peuvent
lui être accordées, et qui n’ont jamais qu’un caractère accessoire ; elle
consiste essentiellement dans le droit qui lui est concédé de percevoir
une redevance sur ceux qui usent de 1’ouvrage public. Cette redevance
est une sorte d'impòt assimilable aux taxes indirectes ; 1’autorité
publique Tétablit par des tarifs et délègue au concessionnaire le droit de
la percevoir. La taxe imposée au public et la délégation du droit de
perception au concessionnaire exigent une double intervention de la
puissance publique et impriment au contrat de concession un caractère
administratif ».
Jèze. — Droit adm. III. 23
354 COLLABORATION DES PARTICULIERS

Io II ne peut être perçu de taxe qu’en vertu d’une loi du Parle-


ment. II faut donc qu’une loi ait prévu la taxe et conféré à une
autorité publique le pouvoir de 1’établir et d’en fixer le tarif. Par
exemple, pour les concessions de chemins de fer d’intérêt général,
ce sont des lois du Parlement qui ont donné au ministre des tra-
vaux publics le droit d’homologuer les tarifs (loi du 15 juillet 1845,
ordonnance du 15 novembre 1846; loi du 29 octobre 1921, art. 5,
et convention du 28 juin 1921, art 7, 9, 17, approuvée par la loi
du 29 octobre 1921).
2o D’ordinaire, le tarif sera soit proposé par le concessionnaire,
soit établi par 1’administration, mais après avis du concessionnaire.
Jamais, il ne pourra entrer en vigueur sans 1 approbation de /’au­
torité publique désignée par la loi.
L’intervention du concessionnaire est économiquement utile et
juridiquement nécessaire.
Économiquement, puisque le concessionnaire est un entrepreneur
courant les risques, il faut qu’il puisse faire connaitre par .quels
calculs il arrive à un certain tarif, nécessaire et suffisant pour
couvrir les dépenses de 1’exploitation et rémunérer convenablement
(ni trop, ni trop peu) les capitaux investis dans la concession.
Juridiquement, 1’intervention du concessionnaire n’est pas une
formalité sans importance. La décision administrative qui fixerait
le tarif sans Fintervention du concessionnaire serait nulle juridique­
ment.
Mais cela ne signifie pas du tout que le tarif est un acte émanant
du concessionnaire. Le tarif est un acte réglemenlaire (au sens pré-
cis du mot), accompli par 1'autorité publique. Lorsque 1’avis du
concessionnaire a élé demandé, le tarif est juridiquement obliga-
toire, pourvu que 1’administration ait donné à cet avis la valeur
juridique fixée par la loi. Par exemple, pour les chemins de fer
d’intérêt général, le ministre des travaux publics ne peut pas
établir un tarif auquel le concessionnaire s'oppose (1).
3o Le tarif, une fois flxé, ne pourra être modifié que par 1'auto-
rité publique compétente pour 1’établir, et sur la proposition ou
avec Favis du concessionnaire, comme dans le cas de premier éta-
blissement du tarif. Un tribunal, quel qu’il soit, n’a qualité ni pour
modifier le tarif, ni pour fixer le point de départ de sa mise en

(1) Gpr. supra, p. 57.


CONTRAT DE CONCESSION DE SERVICE PUBLIC 355

viguenr, ou la durée d'application (1). Les tribunaux n’ont pas le


pouvoir de faire des règlements pour le fonctionnement des Services
publics.
4o Le tarif peut ètre modifié à tout moment; il peut être aug-
menté, sans que les usagers puissent s y opposer ou s’y soustraire
en invoquant le bénéfice de 1’ancien tarif plus avanlageux. Le tarif
est, en effet, un règlement modifiable à tout instant par 1’autorité
publique compétente. L’usager ne pourrait pas invoquerun abon-
nement conclu à d’autres conditions. Le tarif est applicable immé-
diatemenl, de plein droit, nonobstant toute police d’abonnement
invoquée par un usager. Ceei s’applique aux usagers des chemins
de fer porteurs de cartes d’abonnement, aux usagers du Service de
distribution de gaz, d’eau, d’électricité, porteurs de polices d’abon-
nement, etc. (2). Le tarif n’est pas un prix contraditei-, c’est une
partie de Torganisation d’un Service public.

(1) Gaston Jèze, R. D. P. 4916, p. 233 et s. Le conscil de préfecture de


la Seine-Inférieure avait décidé le contraire, le 46 décembre 1915 : « La
Compagnie française d’éclairage et de chauffage par le gaz -est autorisée
à relever de 5 centimes par mètre cube... les prix fixés par le traité
intervenu entre elle et la ville... Gette décision aura son efTet à dater
du... La Compagnie... jouira de ce relèvement de prix jusqrià la signa-
ture de la paix ». Cet arrêté a été unanimement critique (R. D. P.
4916, p. 207 et 208).
(2) Gaston Jèze, R. D. P. 4916, p. 239 et s. Tribunal civil de la Seine
10 mai 1916, Delille, R. D. P. 1916, p. 240 : « Par traité... approuvé par
le préfet de la Seine.., la commune de Neuilly a concédé le Service public
de la distribution du gaz sur son territoire... à la Société d’éclairage...
La Société concessionnaire devait fournir le gaz à tout consommateur se
trouvant sur le parcours de la canalisation et se conformant aux pres-
criptions du traité ; 1'art. 51 fixait à 0.16 au maximum le prix du inètre
cube de gaz vendu aux particuliers. A la suite de ce traité, une police
type fut approuvée par la municipalité... dans laquelle il était dit que
le gaz était fourni au prix de 0.16 le mètre cube à tout consommateur,
que Vabonnement aurait une durée d'au moins 3 mois et que tout abon­
nement qui riétait pas forme llement limite à une durée de 3 mois se
continuerait après cette période primitive, sans quil soit besoin de
nouvelle eonvention... D., propriétaire à Neuilly.., a donné son adhé-
iion à cette police type pour une durée d'une année... Au cours de la
guerre.., un avenant au traité de concession primitif futsigné... entre la
commune... et la Société concessionnaire... et ratifié... par le préfet de
la Seine; il était dit... que le prix dugaz pour les particuliers serait... élevé
à0.201e mètre cube à partir du ler novembre 1915 jusqu’à la signature
de la paix... La Société concessionnaire informa par affiches les consom-
mateurs qu’à partir du ler novembre... le prix du gaz serait compté à
356 COLLABORATION DES PARTICULTERS

5o La taxe perçue par le concessionnaire sur les usagers est,


cTaprès la jurisprudence, une taxe assimilée aux impôts indirects.
II en résulte que les litiges soulevés par les usagers touchant 1'appli-
cation du tarif (questions de légalité ou d'interprélation du tarif des
taxes) sont de la compétence des tribunaux judiciaires. La juris­
prudence interprète en ce sens 1’art. 2 de la loi des 7-11 septembre
1790 (1).
Pourquoi les tribunaux judiciaires sont-ils compétents pour les
litiges soulevés par les contribuables à 1’occasion de 1’application
des íarifs des impôts indirects, alors que les tribunaux administra-

0.20 le mètre cube. D. continua à consommer du gaz sans dénoncer son


contrat d’abonnement, mais il refusa de payer les factures que lui pre­
sente la Société... La Société... Factionne devant le tribunal (civil de la
Seine) en paicment... des deux factures. D. resiste à la demande en invo-
quant les teimes de sa police d’abonnement, qui fixe à 0.16 le prix du
mètre cube de gaz, et il soutient qu’aux termes de Fart. 1134 du Code civil
les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont
faites; il n’appartient pas à 1’une des parties contractantes de modifier
les termes du contrat sans le consentement de 1’autre partie... La police
d' abonnement tout entière doit être considérée comme dominée par
Cart, /er (de ]a police, lequel dispose expressément que la Société est
tenue de fournir le gaz dans les conditions du cahier des charges).
II s’ensuit que le prix du gaz n’est fixé à 0.16 le mètre cube qtfautant
que le cahier de charges qui lie la commune concédante et la Société
concessionnaire maintient ce prix de 0.16; du jour, au contraire, oü
la commune et la Société tombent d'accord pour modifier le prix de
la foumiture du gaz, le nouveau prix se substitue à Cancien et s'im-
pose au signataire de la police comme une condition du cahier des
charges ».
La solution est exacte, bien que 1’argumentation manque quelque peu
de force. On voit que le tribunal civil n’est pas composé de juristes très
versés dans le droit administratif. — Cpr. sur le problème général, dans
le même sens, Mestre note sous Dijon, 17 mars 1913, S. 1917. 2. 105 et
R. D. P. 1919, p. 72.
(1) « Les actions civiles relatives à la perception des impôts indirects
seront jugées en premier et dernier ressort sur simples mémoires et sans
frais de procédure par les juges du district lesquels une fois ou deux fois
la semaine, selon les besoins du Service, se formeront en bureau ouvert
au public d’au moina trois juges, et prononceront après avoir entendu le
commissaire du roi. » Dans le même sens se sont prononcées : la loi des
26-29 aoüt 1790 titre 4, art. 3 {taxes postales); la loi du 5 ventôse
an VII, art. 88 (contributions indirectes); la loi du 22 frimaire an VII,
art. 65 (enregistrement) ; la loi du 2 vendémiaire an VIII, art. ler
(octroi).
CONTRAT DE CONCESSION DE SERVICE PUBLIC 357

tifs sont compétents lorsqu’il s'agit des tarifs d'impôts directs^ Pour
ma part, je n’en vois aucune raison valable (1).
Ce n’est pas á dire qu’on ne donne pas de motifs (2).

(4) II n’y a même pas de tradition historique en ce sens. Sous VAncien


régime, les litiges soulevés par tous les impòts échappaient aux tribunaux
ordinaires ; ils étaient soumis à des juridictions spéciales (cours des
aides, greniers à sei, juges des traites, intendants, conseil du roí). La
commission de V Assemblée constituante, chargée de rédiger le projet de
loi d’orgaoisation judiciaire, avait proposé de donoer tous ces litiges à un
tribunal d'administration que Pon créerait dans chaque département.
Laferrière, Jur. adm. et rec, contentieux, 2e édition, 1896, I, p. 190 et
191 ; p. 691. L’Assemblée repoussa cette proposition et Gt la distinction
entre les impôts directs et les impôts indirects.
(2) Laferrière (op. cit., I, p. 691) afíirme « qu’il y a une différence
entre les procédés d’assiette et de recouvrement applicables aux deux
grandes catégories d’impôts. Pour les impòts directs, la cote assignée à
chaque contribuable s’établit à la suite de diverses opérations administra-
tives destinées à recenser et à évaluer la matière imposable, à répartir
entre les contribuables les impòts de répartition demandes en bloc à
la commune (ceci n'existe pias depuis 1917), à immatriculer les per-
sonnes imposées, sur un rôle quun acte de puissance publique rend
exécutoire (ceci a été modifié récemment), et dont les extraits constiluent
de véritables décisions admiuistratives formant titre de perceplion. —
Rien de semblable pour les impôts indirects et pour toutes les taxes per-
çues au moyen de tarifs. Ces tarifs annexés à la loi ou au décret qui les
rend exécutoires visent des faits matériels de consommation, de fabrica-
tion, de transport, d’entrée ou de sortie de marchandises, etc. Sans
doute, toutes ces perceptions intéressent 1’adminisíration générale, mais
elles ne mettent en cause aucun acte de la puissance publique, sauf le
tarif qui est promulgue une fois pour toutes; elles ne comportent ni
rôles nominatifs, ni décisions administratives individuelles. — L’usage
ou 1’absence de rôles et de décisions administratives individuelles est
si bien le critérium des compétences, que 1’on voit la compétence admi-
nislrative apparaitre, même en matière de contributions indirectes, Jors-
que des dispositions exceptionnelles de la loi autorisent des actes ou
décisions de cette nature. » Ex. : contestation sur le taux et le recouvre­
ment de V abonnement destine à remplacer le droit de vente au détail :
Pabonnement exige une décision administrative, et le recouvrement
8’opère au moyen d’un rôle exécutoire (1. 18 avril 1816, art. 70 et 77).
Ceci est un bel exemple d’apologétique juridique, de justification à tout
prix de la règle existante. Le tarif est toujours un acte administratif.
Dans les impòts directs (commedans les impôts indirects), les faits d’as-
siette (propriété d’un immeuble, exercice d’une profession) ne sont pas
des actes administratifs. L’application du tarif à un contribuable, quel
qu’il soit, est toujours faite — quel que soit 1’impôt — par une autori te
administrative (agent des douanes, des contributions indirectes, rece-
veur de 1’enregistrement) et constitue une décision administrative.
358 C0LLAB0RATI0N DES PARTICULIERS

Quoi qu'il en soit, la règle est certaine. La compétence judiciaire


s’applique à toutes les taxes d’intérêt général ou Jocal qui sont per-
çues au moyen de tarifs par les concessionnaires de Services publics
ou par les concessionnaires de travaux publics. Ex. : droits de place
sur les halles et marchés, droits de tonnage perçus par les chambres
de commerce, péages payés sur les chemins de fer ou sur les ponts
à péage, etc. (1).
La jurisprudence est bien fixée en ce sens. Elle décide, par exem­
ple, que les questions d’interprétation ou de légalité des tarifs sont
de la compétence des tribunaux judiciaires, même si ces questions
se posent à propos des contrats administratifs visant le tarif.
Tel est le cas pour 1’interprétalion des tarifs de chemins de fer
appliqués par les compagnies concessionnaires; il n’y a pas là,
pour le tribunal judiciaire saisi, une question préjudicielle à ren-
voyer aux tribunaux administratifs (2).
De même, pour 1’interprétation des tarifs de tramways, appliqués
par une compagnie concessionnaire (3).

(1) Laferrière, op. cit., I, p. 692.


(2) C. d’E., 12 avril 1866, chemin de fer de Lyon, Rec., p. 381 (avec
la note) : « II resulte des lois des 7-11 septembre 1790 et 5 ventôse
an XII, que 1’autorité judiciaire est seule competente pour connaitre des
contestations auxque lies peut donner lieu le recouvrement des impôts
indireets entre les redevables et les administrations chargées du
recouvrement; dès lors, le litige ... ne présentait aucune question préju­
dicielle dont la connaissance pòt être revendiquée par 1’autorité admi-
nistrative ».
(3) Des usagers ayant contesté les tarifs de tramways, la Cour de Bor-
deanx (13 mars 1882, Jurie et Courtet, S. 1882. 2. 109) avait sursis à sta-
tuer jusqu’à ce que 1’autorité administrativo eút interprete la clause du
cahier des charges réglant les conditions du Service (droit des voyageurs
à la correspondance). La Cour de Bordeaux voyait là un contrat admi-
nistratif : « Le cahier des charges dont s’agit étant un acte administra-
tif, le tribunal doit renvoyerles parties, pour cette interprétation, devant
1’autorité compétente ». L’affaire d’interprétation du tarif ayant été
portée devant le Conseil d’Etat, celui-ci se déclara incompétent (15 février
1884, Jurieet Courtet, Rec., p. 140 et la note) : La clause contestée « n’a
pas, entre les requérants et la compagnie..., le caractère d’un acte ou
d’un contrat administratif. La requête portée devant le C. d’E. constitue
une demande d"interprétation d1une clause d'un tarif. Le jugement des
contestations relatives soit à Uapplication et à la perception, soit à
l interpreta tion des tarifs autorisés pour le transpor t des voyageurs
dans les tramways a lieu comme en matière de contributions indirec-
tes. Ainsi, aux termes des lois... des 7-11 septembre 1790 et du 5 ven-
CONTRAT DE CONCESSION DE SERVICE PUBLIC 359

La jurisprudence déclare, d’ailleurs, que la compétence judiciaire


touchant les tarifs est exceptionnelle; dès qu’on n’est plus dans les
termes des lois dela période révolutionnaire attribuant aux tribu-
naux judiciaires le contentieux des impôts indirects, les tribunaux

tôse an XII, la juridiction administrative n’est pas compétente pour en


connaítre
C. (FE., 17 janvier 1867, Chemin de fer de Lyon, Rec., p 87 (avec
les conciüsions de M. Belbeüf). 11 s’agissait de 1’application d’un tarif à
un exploitantde mines ; le tarif était inscrit dans une convention spé-
ciale passée enlre le ministre des travaux publics et une compagnie de
chemin de fer au sujet du transport des houilles sur les chemins de fer
d’embranchements de mines. Le Gonseil d’Etat s’est prononcé pour la
compétence judiciaire, du moment que la contestation s’élevait entre
Vusager et le concessionnaire : a La demande... à. 1’efTet de faire déci-
der que le tarif établi par la convention intervenue (entre notre Ministre
des Travaux publics et la compagnie (P.-L.-M.) était applicable au trans­
port des houilles sur le chemin de fer..., était fondée sur le désaccord
qui existe entre le ministre... et la dite compagnie sur le sens à donner
á la dite convention (compétence administrative)... En ce qui con­
cerne les difficultés qui pourraient s'élever entre la compagnie et les
particuliers sur V application des tarifs, c'est à Vautorité judiciaire
qu’il appartient d’y statuer aux termes de la loi des 7-11 septembre
1790...».
Voyez encore C. d’E., 20 juin 1874, Lacampagne, Rec., p. 603 avec
les conciüsions de M. David ; G. d’E., ler juin 1870, Voilquin (ponts à
péage), Rec , p. 690.
Cass. 30 mars 1863, chemin de fer de Lyon, S. 1863-1-252 : « L’ac-
tion... avait pour objet la réparation du préjudice résultant pour eux
d’une position exceptionnelle et de faveur faite par la Compagnie... à une
entreprise rivale, contrairement aux obligations dont cette compagnie
serait tenue envers tous les entrepreneurs de transportei au mépris de la
régle d’égalité écrite à 1’article 53 de son cahier des charges... La con­
testation portant... sur V interprétation et 1'application des disposi-
lions du cahier des charges qui règlent les droits et les devoirs de la
Compagnie envers les tiers, était de la compétence de Vautorité judi­
ciaire ». Contra, C. d’E. (sur conflit), 21 avril 1853, Dupont, Rec.,
p. 485.
Cass. 26 aoút 1874, Compagnie des Dombes, S. 1874-1-490 : « La
compagnie du Rhône... réclame simplement 1’application de son tarif
aux transports de diverses espèces qu’eíTectue sur sa ligne la Compagnie
des Dombes. II s’agit donc entre elles d’une question purement pécu-
niaire et d’intérêt privé. Le tarif, dont 1’application est demandée, fait
loi pour Ia Compagnie des Dombes comme pour un particulier, et on ne
trouve pas, dans la cause, une question d'interprétation d'un acte
administratif exigeant un renvoi préalable à Vautorité dont il
emane ».
360 COLLABORATION DES PARTICULIERS

administratifs sont compétents. C’est ce qui a lieu, lorsqu’il ne


s’agit plus de Ia perception des taxes prévues aux tarifs.
Voici trois applications remarquables de cette idée.
/er cas. — Des particuliers (usagers du Service concédé), des
industrieis, intentent contre uneCompagnie concessionnaíre de che-
min de fer une aclion en dommages-intérêts pour rèparalion du pré-
judice causé par Capplication de tarifs différentiels. Le Conseil
d’Etat (sur conílits) a jugé, en 1853 (1), que Ia compétence était
administralive : « Sous prétexte d'un dommage prétendu causé par
des modifications de tarif à des intérêts privés, 1’autorité judiciaire
ne saurait, sans méconnaitre le príncipe de la séparation des pou-
voirs, s’immiscer directement ou indirectement dans 1’application
d’actes de cette nature ou y porter atteinte » (2).
2e cas. — La contestation sur le tarif des taxes s’élève, non
pas entre un usager et le concessionnaíre, mais entre le concession-
naire et Cadministration. Le litige est de la compétence adminis-

(4) C. d’Etat (sur conflit) 21 avril 1853, Dupont, Rec., p. 485.


(2) Le Tribunal des Conílits, le 3 janvier 1851, Compagnie du ch. de
fer d'Amiens (Rec., p. 1 ets. avec les conclusions de M. Cornudet), avait
jugé le contraire : <l L’interprétation et 1’application de cette disposition
législative (art. 41 bis du cahier des charges annexé à la loi du 15 juil-
let 1845), invoquée cotnme constituant des droits particuliers et des obli-
gations déterminées, appartiennent au pouvoir judiciaire, seul compétent
pour statuer sur les demandes en dommages et intérêts réclamès á
raison de 1'atteinte prétendue portée pour le passe ou qui serait por­
tée à 1'avenir à ces droits particuliers par Uinexècution d'obliga-
tions légales. D’ailleurs, 1’homologation des tarifs reduits... n’a eu lieu
que sous reserve des droits des tiers. Pour 1’avenir, la demande n’a pas
pour objet de contester le droit d’homologation des tarifs, reserve par la
loi à Padministration. Ainsi, l'autorité judiciaire, dans Vexercice de
sa compétence, ne rencontre aucun obstacle tiré de Vexistence d'actes
administratifs qu'il s'agirait d'apprécier ».
Nonobstant 1’arrêt sur conflit de 4853, la Cour de Cass. a suivi, en 1857
et 4858, la solution du Trib. des Conílits de 4854. Cass. 28 décembre
4857, Vasse, S. 4858-4-231. La Cour de Cass. s’est déclarée compétente
pour juger les actions en dommages-intérèts formées par des usagers
contre les Compagnies de chemins de fer qui, par des traités particuliers
avec des entrepreneurs de transport ou expéditeurs, ont accordé, sous
certaínes conditions de chargement, des réduetions de tarif.
Même solution et même formule dans 1’arrêt de la Cour de Cass. du
22 février 1858, chemin de fer du Word, S. 4858-1-237. Laferrièhe (Jur.
adm. et rec. cont., I, p. 699, note 1), cite à tort ces arrêts comme affir-
mant la compétence administrative.
CONTRAT DE CONCESSION DE SERVICE PUBLIC 361

trative : c’est un procès touchant le sens et 1’exécution d’un contrai


adminislralif.
C’est ce qui a été jugé pour les fermiers des droils d'octroi (1), et
aussi pour les fermiers des droits de place dans les halles et mar-
chés (2). Les uns et les autres sont des concessionnaires de Service
public (V. supra, p. 346 et s.).
II faut signaler que s’il s'agit d’un concessionnaire de travaux
publics, le tribunal compétent sera le Conseil de préfecture (art. 4,
loi du 28 pluviôse an VIII) ; s’il s’agit d’un concessionnaire de Ser­
vice public, le tribunal compétent sera le Conseil d' Etat (V. supra,
p. 346) (3).
Quoi qu’il en soit, sur ce dernier point, les tribunaux adminis-
tratifs sont compétents pour toutes les contestations entre Tadmi-
nistration et un concessionnaire de travaux publics ou de Service
public relativement à des exemptions de taxe ou à des tarifs de
faveur, stipulés dans un but d’intérêt général (4).

(1) Décret du 17 mai 1809, art. 136 sur les octrois : « Les contesta­
tions qui pourront s’élever, pour 1’administratiou ou la perception des
octrois en régie intéressée, entre les com munes et les régisseurs...
seront déférées au préfet qui statuera en conseil de préfecture... sauf
le recours à notre Conseil d’Etat... II en sera demême des contestations
qui pourraient s’élever entre les communes et les fermiers des octrois,
sur le sens des clauses des baux. — Toutes autres contestations qui pour­
raient s’éJever entre les communes et les fermiers des octrois seront por-
tées devant les tribunaux ».
(2) Tribunal des conflits 4 aoüt 1877, commune de Langeac, Rec.,
p. 825 (et la note) : « Les droits de place perçus dans les halles et mar­
ches en vertu de tarifs réguliers sont des taxes indirectos de la mème
nature que les octrois municipaux ; par suite, les conventions entre les
communes et les fermiers qui entreprennent, moyennant le paiement
d’un prix annuel, la perception de ces droits, doivent ètre assimilêes aux
conventions par lesquelles les communes afferment le produit de leurs
octrois... Lorsque les contestations entre les communes et les fermiers
des droits de place dans les foires et marchés portent sur le sens des
baux, c’est à Vautorité administrative qu’il appartient, préalablement
au jugement du procès au fond, de fixer le sens et de déterminer Péten-
due des clauses contestées ».
Trib. des Conflits 15 mars 1879, Renaud, Rec., p. 229 : mème formule.
(3) Laferrière, Jur. adm. et rec, cont., 2e édition, 1896,1, p. 700.
(4) Laferrière, op. cit., I, p. 700 : « II importe peu que la clause débat-
tue entre Tadministration et le concessionnaire soit relative à des exemp­
tions de taxe ou à des tarifs de faveur stipulés dans un but d'intérêt
général; ces stipulations constituent des clauses de la concession ; les
362 COLLABORATION DES PARTICULIERS

3& cas. — La contestation s'èl'eve entre le concessionnaire et une


administralion publique touchant non pas 1’application du tarif
général, mais touchant un tarif spècialprévu pour certains trans­
ports de í administralion. Ex. : clauses du cahier des charges de la
concession de chemins de fer, relatives aux transports des letlres et
dèpéches, aux transports des corps de troupes ou des militaires voga-
geant isolément, de leurs chevaux et bagages, du matériel mililaire
ou naval, des prisonniers ou des gardes qui les conduisent, des agents
chargés de la surveillance des chemins de fer et des lignes tèlègraphi-
ques, etc. (1); — exemptions de taxes stipulées, dans une conces-
nion de pont à péage, en faveur des agents des postes, des gendar-
mes, à'enfants se rendanl à íécole.
La jurisprudence, dans tous ces cas, estime qu’il s'agit de contes-
tations sur le sens et 1’exécution de clauses d’un contrat adminis-
tratif.
De même encore, sont de la compétence administrative les contes-
tations entre 1’administration (usager d’un chemin de fer concédé)
et le concessionnaire, touchant le prix du transport, au cas ou le
transport est effectué non pas dans les conditions ordinaires faites au
public en génèral, mais en vertu d’un marché spécial de transport,
contrat administratif (V. supra, p. 332 et la note 4).
Ces cas mis de côté, la compétence judiciaire reparait si 1’admi-
nistration a usé du Service public concédé comme un usager ordi-
naire. Dans ce cas, 1’administration sera traitée comme un usager
ordinaire, qu’il s’agisse des règles de fond applicables ou de la
compétence des tribunaux (2). On revient à la règle posée plus haut
(V. supra, p. 356) (3).

ütiges auxquels elles donnentlieu se rattachent donc au contentieux du


marché de travaux publics, et non au contentieux des contributions indi-
rectes ».
(1) Laferrière, Traitê de lajur. adm. et du rec. cont., 2e édition,
1896, I, p. 700 et 701.
(2) Voyez supra, p. 356 et s. Jurisprudence constante. C. d’E., 13 juillet
1883, chemin de fer de Lyon9 Rec., p. 658 : Les liquidations opérées par
le ministre du commerce, touchant les frais de transports dans les con­
ditions des usagers ordinaires, « ne font pas obstacle à. ce que la compa-
gnie (concessionnaire) porte sa réclamation devant Vautoritê judiciaire,
seule competente pour connaítre des contestations relatives à l’appli~
cation des tarifs».
(3) Lafebrière, Jur. adm. et rec. cont., op. cit., I, p. 702, résume
comme suit toutes les Solutions relatives à la compétence : « 1° Le con-
C0NTRAT DE CONCESSION DE SERVICE PUBLIC 363

III. — II se peut que le montant du produit des redevances à per-


cevoir sur les usagers ne puisse pas être calculé de manière assez
certaine pour que le concessionnaire consente à courir les risques
de l’exploitation du Service public. D’autre part, il ne faut pas éta-
blir des tarifs trop élevés, qui pourraient écarler les usagers.
L’administration, dans ce cas, donnera au concessionnaire la garan-
tie qu’il ne subira pas de perte du fait de 1’exploitation du service
public concédé.
Mais il importe que 1’élément (Tenlreprise, c’est-à-dire de risques
pour le concessionnaire, ne disparaisse pas. La combinaison
financière adoptée sera soit la subvention, soit la garantie d'in~
térêt.
i° La subvention est un concours pécuniaire ferme, alloué quoi-
qitil arrive.
2o La garanlie d'intérêls est une promesse de concours pécu­
niaire, pour le cas ou les résultats Gnanciers de 1’exploitation n’at-
teindraient pas un certain minimum nécessaire pour rémunérer
convenablement les capitaux investis dans TafTaire.
Le danger de la garantie d’intérêts, pour les grandes concessions
à gestion nécessairement bureaucratique, est de transformer le con­
cessionnaire en régisseur, c’est-à-dire de faire disparaftre, en fait,
1’élément de risques.
C’est un problème financier et non juridique. Qu’il suffise de le
signaler (1).
La contrepartie de la garantie d’intéréts sera souvent une clause
de participation de 1’administration aux bénéüces de la conces-
sion, pour le cas oü les profits dépasseraient un certain maximum.

tentieux des contributions indirectes et des taxes assimilêes est uu con-


tentieux judiciaire entre 1'agent de perceplion et le redevable, même
quand ce redevable est PEtat usant des tarifs généraux ; 2o le contentieux
des concessions de travaux publics est administratif, entre 1'Etat et le
concessionnaire, même lorsque les clauses litigieuses stipulent desexemp-
tions ou des réductions de tarifs en vue de Services publics ou d'autres
intérêts généraux ».
(1) Pour la critique, à cet égard, des conventions de 1921, conclues
avec les grandes compagnies de cbemins de fer, voyez la protestation au
Sénat de M. Jeanneney (9 juillet 1921), et à la Chambre, de M. A. Meu-
nier et de M. Léon Blum (Iro séance du 28 octobre 1921). Gaston Jèze,
Cours de Sc. des finances, édition, 1922, Théorie générale des
dépenses publiques, p. 204 et s.
364 COLLABORATION DES PARTICULIERS

IV. — Toutes ces clauses (subvention, garantie d’intérêt, partage


des bénéüces) ont un caractère conlracluel. Ce sont des clauses essen-
tielles d’un contrat arfmtmsZra/i/’proprement dit. Elles sont le com-
plément de la clause relative à la taxe. Elles sont donc soumises
au régime juridique spécial du droit public; les litiges sont de la
compétence des tribunaux administratifs (1). Cette solution, après
hésitation (2), est aujourd’hui consacrée par Ia jurisprudence (3).
Sur le tribunal adininistratif compétent pour statuer sur les liti-

(1) Laferrière, Jur. adm. et rec. contentieux, édition, 1896, II,


p. 125 et s.
(2) Le C. d'Etat avait dabord hésité et n’avait pas reconnu le caractère
administratif : C. d’E., 20 mars 1862. Compagnie grenobloise, Rec.,
p. 243 : La réclamation « tend à faire établir la situation financière de
la Société (d’éclairage), à apprécier sa comptabilité intérieure et à régler
le partage des bénéfices, tant entre la ville et la Compagnie qifentre
cette dernière et les abonnés associés. Ces questions ne rentrent pas
dans la compétence du Conseil de préfecture ».
De même, Ia Cour de Cassation, Req. 24 juillet 1867, Compagnie gre­
nobloise, S. 1867-1-395 avait jugé : « Les contestations relatives soit à.
1’application, soit à Linterprétation de ces clauses (clauses du cahier des
charges ayant uniquement pour objet de régler les divers intérêts prives
engagés dans la Société grenobloise et, notamment, le inode d’amortisse-
ment), laissent complètement en dehors 1’intérèt public, au nom duquel
seul on pouvait en revendiquer Ja connaissance pour 1’autorité adminis-
trative; elles demeurent dans la compétence des tribunaux. Dans 1’espèce,
les clauses (à interpréter)... ne concernent que 1’intérêt privé de la ville
et celui des actionnaires et ne depassent pas le règlement du jeu de
1'amortissement entre eux. C’est donc à bon droit que les parties n’ont
pas demandé et que l’arrêt n’a pas ordonné le renvoi de 1’interprétation
de ces clauses à 1’autorité administrative ».
(3) Le Tribunal des Conflits (16 décembre 1876, ville de Lyon, Rec.,
p. 913 et la note) s’est prononcé pour le caractère administratif de ces
clauses contractuelles (en s’appuyant, d’ailleurs bien inutilement, sur
Kart. 4 de la loi du 28 pluviôse an VIII, relatif à la compétence des con-
seils de préfecture en matière de travaux publics) : « Cette disposition est
géncrale; elle attribue compétence à ía juridiction administrative à
üégard de toutes les contestations qui peuvent naitre à Uoccasion des
marches de travaux publics', 1’article du traité sur lequel est basée la
demande formée par la ville de Lyon est une clause du marché, conte-
nant stipulation, au profit de la ville, d’une participation éventuelle aux
bénéfices de 1’exploitation. Cette clause constitue une condition essen-
tielle de la prorogation de concession faite par la ville. II suit de là
que Vautorité administrative était seule competente pour fixer entre
les parties le sens de cette clause et les conditions de son application
G’est aussi aujourd’hui la solution de la Gour de Cassation, 2 mars
CONTRAT DE CONCESSION DE SERVICE PUBLIC 365

ges entre íadministralion et le concessionnaire soulevés par les clau-


ses financières d’un contrat de concession de Service public, il faut,
d’après la jurisprudence, faire des distinctions qui ne sont pas tou-
tes rationnelles.
d) Le tribunal administratif compétent sera le conseil de préfec-
ture, si la clause financière figure dans un contrat de concession de
travauxpublics ou dans un contrat de concession assimile par la
jurisprudence à un contrat de concession de travaux publics
(V. supra, p. 344 et 3G1).
b) La compétence sera celle du Conseil d’Etat, juge de droit com-
mun en matière administrative, dans les contrais de concession de
Service public.
Voilà les deux règles principales.
c) Toutefois, lorsqu’il s’agit des conventions financières de garan-
tie d’intérêt et de parlage des bénéfices passées avec des conces-
sionnaires de chemins de fer d’intérêt général, local, ou de tram-
ways, bien qu’il s’agisse là de concessions de travaux publics, Ia

1880, Compagnie Union des gaz, S. 1881-1-20 : « En droit, cette dispo-


sition (art. 4 loi du 28 pluviôse an VIII) est générale ; elle attribue à la
juridiction administrative toutes les contestations qui peuvent naltre
entre fadministration et les entrepreneurs de travaux publics sur le
sens et 1’exécution de leurs inarchés. Elle régit les traités ayant pour objet
1’éclairage d’une ville par le gaz, lesquels impliquent la nécessité d’établir
des travaux tant dans le sous-sol que sur la superfície desvoies publiques,
constituant de véritables inarchés de travaux publics. Elle ne comporte
aucune distinction, quant à la compétence qu’elle institue, entre les
clauses du traí té concernant la nature ou le inode d’exécution des tra­
vaux entrepris, et les clauses concernant le prix et les conditions
finayicières de Ventreprise. Le prix et les combinaisons qui s'y ratta-
chent sont les conditions essentielles du marche. On ne saurait séparer,
pour en composer autant de contrats de nature diíTérente, les éléments
constitutifs d’une convention synallagmatique, les engagements récipro-
ques qu’elle renferme. En fait, le litige... s’était élevé entre 1’adminis-
tration de la ville... et la compagnie...; il portait sur la question de savoir
si la ville avait ou non modiíié les conditions conventionnelles de 1’entre-
prise en surélevant, au cours de la concession, les tarifs d’octroi en vigueur
sur les houilles au moment de 1’adjudication, et si, par suite, la suréléva-
tion dont il s’agit constituait une violation des engagements contractés
par la ville envers la Compagnie concessionnaire et résultait de la sus-
dite adjudication. Un tel litige soulevait bien une contestation entre la
ville et Ja concession sur le sens et fexécution du marché passe pour
l’éclairage au gaz de la dite ville et, dès lors, il rentrait exclusivement
dans la compétence de Vautorité administrative d.
366 COLLABORATION DES PARTICULIERS

compétence est celle du Consei! d’Etat en premier etdernier ressort.


Gomment expliquer cette solution ?
Des règlements d’administration publique Pont consacrée. Tout
d’abord, cela s’est produit pour les chemins de fer d’intérêt géné-
ral : les règlements édictés en vertu de la loi du 11 juin 1859 ont
attribué compétence au Conseil cfElat (Décrets du 6 mai 1863,
art. 18 et s. ; Décret du 6 juin 1863, art. 19 et s.). Sans doute, une
attribution de compétence ratione materise ne peut pas résulter d’un
règlement. Mais la compétence administrative résulte de la nature
du contrat, et la compétence du conseil de préfecture, en cette
matière, n’était pas encore consacrée par la jurisprudence.
Lorsque la question s’est posée pour la première fois devant les
tribunaux, la jurisprudence n’était pas encore íixée sur le point de
savoir si Kart. 4 de la loi de pluviôse an VIII devait régir les litiges
soulevés par les conventions íinancières de compte de premier éta-
blissement, de garantie d’intérêt et de partage des bénéfices joints à
une concession de chemins de fer. Le Tribunal des Conflits n’a
répondu affirmativement qu’en 1876 (v. supra, p. 67). Mais, à ce
moment, le Conseil d’Etat avaitdéjà admis que la compétence admi­
nistrative (résultant de la nature du contrat) devait ètre celle du
Conseil d’Etat. Cette jurisprudence na pas été changée; on l’a
maintenue (1).
Tout ceci n’est pas très cohérent, mais c’est sans importance. La
solution correcte, résultant des príncipes, est celle de la compétence
administrative. (peu importe que ce soit celle du Conseil de préfec­
ture ou celle du Conseil d’Etat).

(1) Pour la garantie d'intérêt, C. d*Etat, It janvier 4895, Chemin de


fer du Midi et chemin de fer d'Orléans, Rec., p. 32. Dans ses conclu-
sions, M. Jagerschmidt disait: a Le litige est de la compétence du Conseil
d’Etat, car il s’agit d’un recours en matière de garantie d’intérêts, et, en
cette matière, le Conseil d’Etat est juge du premiei’ et du second degré
en vertu des textes spéciaux. » Le Conseil d’Etat, dans son arrèt, vise le
décret du 6 mai 1863. Voy. aussi C. d’E., 26 juillet 1912, Chemin de fer
d'Ortéans et du Midi, Rec., p. 889.
Pour le compte de premier établissement, C. d’E., 19 juillet 1912,
Compagnie du P.-O., Rec., p. 852 : « Les pourvois... sont dirigés contre
quatre arrêtés... par lesquels le ministre des travaux publics a arrêté le
compte d’établissement de la Compagnie du P.-O. au 31 décembre des
années 1894 et 1896 et fixé le compte des annuités dues par 1’Etat en
remboursement des avances faites par elle pendant lesdites années ». Le
C. d’E. a jugé directement ces recours, sans opposer la compétence du
Conseil de préfecture.
CONTRAT DE CONCESSION DE SERVICE PUBLIC 367

En tous cas, il n’y a aucun doute sur la nature administrativa des


conventions financières.
La mème solution (compétencedu Conseil d’Etat) a étéappliquée
aux conventions financières de garantie (Tinlérêt eí de partage des
òénéfices, des concessions de chemin de fer d'intérét local et de
tramways par l’art. 8 du décret du 20 mars 1882 rendu en exécu-
tion de Kart. 16 de la loi du 11 juin 1880 (Voyez aussi le décret du
23 décembre 1885).
D’ailleurs, le Conseil d’Etat a fait une place à la jurisprudence
du Tribunal des Conflits de 1876 : il reconnattia compétence du
Conseilde préfecture pour tou tes les conventions financières autres que
le compte de premier établissement y la garantie d'intérêt etlepartage
des bénéfices, en particulier pour les subventions et le rachat(\).
Tout ceci est d’une bien grande complication. Encore une fois,
1’essentiel est la compétence administrativo.

V. — La concession de Service public est toujours convenue


pour une longue période de temps.

I. — La concession du crédit public est essentiellement un con-


trat administratif à longue durée. On ne conçoit pas une concession
du service public faite pour quelques inois. C’est d’ordinaire pour
25, 30, 40, 50, 60, 75 ans que le contrat de concession est conclu. Le

(1) Laferrière, op. cit., II, p. 127. C. d'E., 8 février 4895, Chemin de
fei' de Lyon^ lr* espèce, Rec., p. 137 : « La contestation soulevée par le
pourvoi de la Compagnie des chemins de fer P.-L.-M. ne porte pas sur
le règlement d’un compte de premier établissement, de garantie d’inté-
rêts ou de partage de bénéfices mais a pour objet de faire détermi-
ner le sens et la portée de 1’engagement pris par 1’Etat, dans Kart. 4 de
la Gonvention du 26 mai 1883, de supporter la moitié de la valeur des
terrains acquis pour la construction de cette ligne. Aux termes de
1’art. 4 de la loi du 28 pluviôse an 8, c’est au conseil de préfecture qu’il
appartient de statuer en premier ressort, sur cette contestation d.
C. d’K., 8 février 1895, Compagnie de Lyon, 2e espèce, Rec.> p. 137 :
« La contestation soulevée par le pourvoi, relativement au partage entre
VEtat et la Compagnie du produit de l*échange de terrains acquis
pour rétablissement de la ligne ..., implique l’appréciation des droits
découlant respectivement pour les parties, du contrat contenu dans
l‘art. 4 de la convention du 26 mai 1883. Aux termes de 1’art. 4 de la
loi du 28 pluviôse ao VIII, c’est au Conseil de préfecture qu’il appar­
tient de statuer d’abord sur cette contestation ».
368 C0LLAB0RATI0N DES PARTICULIERS

besoin de stabilité est éprouvé par Vadministration, par le public,


par le concessionnaire.
D’une part, en eíTet, il ne peut y avoir un fonctionnement régu-
lier et continu du Service public, si le inode d’exploitation ou le
concessionnaire changent souvent. II y a des habitudes à prendre
pour arriver à une exploitation satisfaisante.
D’autre part, la concession suppose souvent de gros capitaux
investis pour 1’exploitation du service concédé. Ex. : chemins de fer,
tramways, omnibus, gaz, eau, électricité, etc. Ce capital ne sera
obtenu que s’il y a de la stabilité. On ne trouvera pas d’actionnai-
res, on ne trouvera pas d’obligataires pour les grandes concessions,
si celles-ci n’ont pas une très longue durée. D’ailleurs, ces capitaux
ne sont rémunérés qu’avec une longue période de temps. Lorsqu’il
s’agit à'obligations, il y a un tableau d’amortissement pour ces det-
tes. Plus 1’amortissement est lent, plus la charge en est faible. Or
il importe aux usagers que la charge de 1’amortissement soit fai­
ble, parce que les taxes seront plus réduites (1).
II. — La longue durée de la concession est donc un élément qui
doit iníluer beaucoup sur le régime juridique du contrat adminis-
tratif de concession. Je me bornerai, pour le moment, à signaler les
deux points suivants.
Io Etant donné la longue durée du contrat, le concessionnaire est
très étroitement lié au fonctionnement du service public. II doit,
coute que coute, le faire fonclionner, mêrne si cela est onéreux pour
lui. L’administration et le public comptent absolument sur lui pour
ce fonctionnement (2). On ne peut pas, du soir au lendemain, mettre

(1) Dans 1’afíaire Société du gaz de Bordeaux^ jugée par le Conseil


d’Etat le 30 mars 1916 (Rec., p. 128, R. D. P., 1916, p. 213 et s.), M. Char-
denet opposait la situation du concessionnaire à celle de 1’entrepreneur ou
du fournisseur. 11 déclarait: a Le concessionnaire de service public devra
engager des capitaux importants, qui seront immobilisés pour long-
temps, et ce ne sera qu’tzu bout de bien des années qu’il percevra une
somme représentant pour lui la rémunération des travaux exécutés et
exploités ou du service public assuré. Au contraire, 1’entrepreneur de
travaux publics ou le fournisseur sont payés lorsque le travail à exécu-
ter ou la fourniture à livrer ont été achevés et reçus définitivement, sans
parler des acomptes qu’ils peuvent recevoir au cours de 1’exécution de
leur marché. Pour eux, pas d’immobilisation de capitaux pendant de
longues années, pas de risques à courir dans 1’exploitation d’un ouvrage
public ou d’un service public ».
(2) Chardenet, conclusions dans Faffaire Société du gaz de Bordeaux
CONTRAT DE CONCESSION DE SERVICE PUBLIC 369

sur pied une nouvelle organisation. Le concessionnaire doit faire


fonctionner le Service existant, sauf à remanier, s’il y a lieu, les
combinaisons financières primitivement établies.
C’est ce qui a été mis en plein relief par le commissaire du gou-
vernement, M. Chardenet, dans 1’aíTaire jugée par le Conseil d’Etat
le 30 mars 1916 (Société du gaz de Bordeaux, Rec., p. 132): « 11 faut
que le Service public continue à être assuré, qu’il le soit sans inter-
ruption, sans à-coups, et pour cela il est nécessaire que l’on dis-
pose de toos les moyens matériels de production, des usines, des
matières premières, du personnel, etc.; 1’intérêt public l’exige. Dès
lors, le concessionnaire doit coniinuer à assurer le Service; ilnepeut
pas se refuser à le faire ; le lien cpntracluel doit subsister... Lors-
qu’on se trouve en présence d^vénements qui viennent troubler
profondément Féconomie du contrat, qui mettent le concessionnaire
dans 1’impossibilité d’exécuter son marché dans les conditions ou
ce marché a été passé et existe, il faut faire face à cette situation
nouvelle que les parties n'avaient pu prévoir; il faut y faire face tant
qifelle subsiste, les nécessités du Servicepublic íexigent. C’est alors
à la puissance publique, à qui incombe, à 1’égard de tous, la respon-
sabilité du Service, d’intervenir et de prendre les mesures indispen-
sables pour surmonter les difíicultés exceptionnelles rencontrées
momentanément... La puissance publique, le concédant exigera du
concessionnaire Cexécution du Service, à laquelle il est tenu par son
contrat; mais la puissance publique aura à tenir compte au conces­
sionnaire, — soit en lui allouant des indemnités, soit en restreignanl
certaines des obligalions dont il est tenu, soit pour tout autre arran-
gement, — elle aura à lui tenir compte de 1’excédent de charges
dépassant le maximum des difíicultés ou le maximum de 1’ampli-
tude des variations économiques, dont laprévision était possible au

(C. d’E., 30 mars 1916, Rec., p. 126, R. D. P., 1916, p. 212) : « Tout Ser­
vice public doit être organisé dans des conditions qui permettent de comp-
ter sur so?i fonctionnement d’une manière régulière, sans interruption,
même momentanée, sans à-coups..., et qui en raême temps seront de
nature à donner pleine satisfaction à ceux ayant à faire au Service public,
qui a été créé pour eux, fonctionne régulièrement à leur égard... II faut
également, et cela dans l'intérêt general, que le Service public soit à
1’abri d’incessantes ou de trop fréquentes modifications qui, le plus sou-
vent, apporteraient des troubles dans le fonctionnement ou la marche du
service. Par suite, le Service public doit être organisé pour un certain
nombre d'années, reserve faite bien entendo, des perfectionnements qui
pourraient y être apportés ».
Jèze. — Droit adm. III. 24
370 COLLABORATION DES PARTICULIERS

moment ou Fon avait contracté. La puissance publique est tenue de


le faire, puisque, au delà du maximum des difQcultés qu’on pouvait
prévoir, le concessionnaire ne serait pas obligé d’assurer le Service
en vertu de son contrat, à raison des événements qui se sout pro-
duits... Ce n’est pas là enrichir le concessionnaire, ce n’est pas le
inettre à Fabri de tous les risques. C'est seulement le mettre en élat
cie conlinuer à assurer le Service pubhc dont le fonctionnement se
trouve menacé à raison des faits que les parties ne pouvaient en
rien prévoir et qui ont porté une grave alteinte à Fexécution nor-
male du contrat x>.
Le Conseil d’Etat, dans son arrêt du 31 mars 1916 (Rec., p. 146;
R. D. P. 1916, p. 213 et s.) dit, de son côté : « II importe de recher-
cher, pour mettre fin à des difficultés temporaires, une solution qui
tienne compte tout à la fois de Fintérêt général, lequel exige la con-
linuation du Service par la compagnie à l'aide de tous ses moyens
de production, et des conditions spéciales qui ne permettent pas au
contrat de recevoir son application normale. A cet eíTet, il convient
de décider, d'une part, que la Compagnie est tenue dassurer le Ser­
vice concédé, sauf « indemnité à laquelle la compagnie a droit à
raison des circonslances extracontractuelles dans lesquelles elle aura
à assurer le Service pendant la période envisagée ».
2o Le contrat de concession est essentiellement un contrat de
bonne foi. Lorsqu’on Fa conclu il y a eu une équation financiére.
L’équité veut qu’elle soit maintenue en faisant varier certains élé-
ments favorables au concessionnaire si, sur d’autres éléments défa-
vorables, il y a des modifications non prévues.
Le principe de 1’équation financière a très bien été dégagé par les
commissaires du gouvernement près le Conseil d'Etat.
M. Léon BI um, dans Faílaire Compagnie générale française des
lramways,]\igéepwr le Conseil d’Etat le 11 mars 1910 (Rec., p. 218),
disait: «II est dans la nature d’une concession detramways, et il esl
dans l'essence méme de tout contrat de concession de rechercher et de
réaliser dans la mesure du possible un équilibre entre les avantayes
qui sont accordés au concessionnaire et les charges qui lui sont impo-
sées. L’exploitation d’un Service public peut ètre conçue à prion
comme onéreuse ou comrne rémunératrice. Les avantages consentis
au concessionnaire et les charges qui lui sont imposées doivent se
balancer de façon à former la contre-partie des bénéfices probables et
des pertes prévues. Dans tout contrat de concession esl aiissi implir
quée, comme un calcul, íèquivalence honnéte entre ce qui est accordk
CONTRAT DE CONCESSION DE SERVICE PUBLIC 371

au concessionnaire et ce qui est exigé de lui. Et ce calcul cCéquiva-


lence est essentiel au contrai, bien qu?il soit étranger à sa constitu-
tion juridique et qu’il n’en modifie pas la nature, par la raison qu’i7
est la base, le fondement même, de iaccord, du consentemenl.
« D’autre part, il est évident que les besoins auxquels un Service
public de cette nature doit satisfaire, et, par suite, les nécessités de
son exploitation, n’ont pas un caractère invariable. Ces contrais de
concession sont conclus pour des périodes de lemps forcémenl éten-
dues, puisque le concessionnaire doit, en général, pouvoir amortir,
pendant cette période, ses dépenses de premier établissement. Si
judicieuses qu’aient été les prévisions premières du contrat, elles
peuvent être, elles sont presque toujours dépassées ou surprises par
les faits qui se produiront au cours de cette longue suite cTannées.
Et comme /’obligation primordiale du concessionnaire est, avant tout,
dlassurer au Service public concédé une exécution suffisante, il s’en-
suit que les charges initiales du concessionnaire pourront s’accrot-
tre avec les besoins de ce Service.
« Cette extension des charges du concessionnaire au delà du for-
fait contractuel peut être prévue par le contrat lui-même. Elle peut
— et c’est une première hypothèse— être posée comme un aléa que
le concessionnaire aura dú envisager, dont il aura dú faire entrer
dans ses calculs, avant de conclure, la probabilité, l’imminence,
1’importance, et qui ne comportera pour lui aucune rémunération
supplémentaire. A còté d’éléments certains, le contrat comprenait
des éléments aléatoires, il comportai t un risque pour 1’avenir, ris­
que que le concessionnaire a connu et qu’il n’a couru que parce
qu’il voulait le courir. Ou bien — et c’est la seconde hypothèse —
la sujétion nouvelle qu’imposera le développement du Service, bien
que prévue par le contrat, n’est pas rémunérée d’avance par lui. Et,
dans ce cas, 1’aggravation des charges initiales ouvrira, au profit
du concessionnaire, dans des conditions variables suivant chaque
eapèce, un droit à indemnité, ou, plus exactement, le droit de récla-
mer un supplément de rémunération.
« Ainsi, le contrat lui-même peut prévo ir que les besoins du Ser­
vice public excéderont un jour les bases de faccord financier, de
téquivalence financière et commerciale qu’il a consacré. Mais si le
contrat ne le prévoit pas, il faudra bien que Tintervention de l’Etat
vienne suppléer à son silence. L’Etat ne peut pas se désintéresser
du service public de transports une fois concédé. II est concédé,
aans doute, mais il n’en demeure pas moins un service public. La
372 C0LLAB0RATI0N DES PARTICULIERS

concession représente une délégation, c’est-à-dire qu’elle constitue


un mode de gestion indirecte, elle n’équivaut pas à un abandon, à
un délaissement. L’Etat reste garant de 1’exécution du Service vis-à-
vis de Funiversalité des citoyens. II reste responsable de la sécurité
publique qu’une exécution inhabile du Service peut compromettre.
II reste responsable de 1’ordre public qu’une exécution incomplète
ou maladroite peut troubler. L’Etat interviendra donc nécessaire-
ment pour imposer, le cas échéant, au concessionnaire, une pres-
tation supérieure à celle qui était prévue strictement, pour forcer
l'un des termes de cette équation financière qiiest, en un sens, touíe
concession, en usant non plus des pouvoirs que lui confère la con-
vention, mais du pouvoir qui lui appartient en tant que puissance
publique. Et quand il s’agit de Services publics de transports, ce
pouvoir n'est pas seulement le commandement vague, général,
indéterminé, variable suivant les cas et les nécessités qu’on appelle
le pouvoir de police ».

i 2

Classification des contraís de concession de Service public.

Le Service public, objet de la concession, peut être constitué en


monopole de droit, en monopole de fait ou sans aucun monopole.
Les contrats de concession du Service public doivent donc être clas-
sés en quatre grandes catégories :
Io contrats de concession de Service public avec monopole de droil\
2° contrats de concession de Service public avec monopole de pur
fait;
3o contrats de concession de Service public avec monopole de fait
(concessions à titre exclusif);
4o contrats de concession de Service public non monopolisé.

Concession dun Service public monopolisé.

I. — Pour qu’il y ait monopole de droit, il faut qu’une loi propre-


ment dite, votée par le Parlement (ou 1’autorité législative) fait éta-
bli. En effet, le monopole est contraire à la règle fondamentale de la
CONCESSION DE SERVICE PUBLIC MONOPOLISÉ 373

liberté du commerce et de 1'industrie proclamée par la Révolution


française (loi des 2-17 mars 1791). Seule Pautorité législative, le Par-
lement, a le pouvoir de faire échec à ce príncipe. Dans ce cas, la
prestation nc peut être fournie aux usagers que par le Service
public, par le concessionnaire.
Par exemple, le Service public des téléphones est constitué en
monopole legal (argument tiré du décret-loi du 27 décembre 1851,
art. ler). Dès lors, à 1’époque ou ce Service public était concédéà
des particuliers (de 1879 à 1889), il était légalement impossible à un
entrepreneur non concessíonnaZre d’organiser un Service téléphoni-
que faisant concurrence aux lignes téléphoniques concédées. La
sanction était la mêmeque celle qui protege le monopole du Service
public télégraphique : 1’emprisonnement de 1 mois à 1 an et
Tamende de 1.000 à 10.000 francs.
II. — Les cas de concessions de Services publics monopolisés de
droit sont de plus en plus rares en France.
II y en avait récemment quelques-uns. En dehors du Servicepublic
concede du tèléphone, il y a eu, de 1872 à 1889, la concession du
monopole de droit de la fabrication des allumettes. La loi du 2 aoüt
1872 a créé le monopole de fabrication des allumettes. Immédiate-
ment on concéda le service à une société, Ia Compagnie des allu­
mettes (cahier des charges du 5 septembre 1872). Mais les inconvé-
nients de ce mode d’exploitation du monopole furent ressentis tout
de suite par le public. Les lois du 15 mars 1873 et du 28 juillet 1875
avaientreconnu auxagentsdu concessionnaire le pouvoir defairedes
visites dans Pintérieur des habitations chez les particuliers soup-
çonnés de fraude. L’usage rigoureux que fit de ce pouvoir la com­
pagnie concessionnaire révolta 1’opinion publique. D’autre part, on
était convaincu que Ia Compagnie concessionnaire réalisait de gros
bénéfices, qu’il im portai t de donner au Trésor public par 1’organi-
sation de 1'exploitation en régie. Aussi, usant de la faculte inscrite
dans la loi de 1872, le gouvernement, par décret du 30 décembre
1889, supprima la concession. Le monopole est aujourd’hui exploité
en régie.
111. — Aujourd’hui, le principal [sinon 1’unique (1)] service
public monopolisé concédé est celui des pompes fúnebres. La loi du

(1) Ex. : bacs et passages d'eau exploités par un fermier (V. infra,
p. 494 et s.). — La Banque de France n’est-elle pas concessionnaire
du service public monopolisé de 1’émission de la monnaie de papier ?

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