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CRFPA 2021

LIBERTÉS
PUBLIQUES ET
DROITS
FONDAMENTAUX

• Sources et protection des libertés fondamentales (Tome 1)

• Les libertés fondamentales en fiches (Tome 2)


PROPOS INTRODUCTIFS

Le présent fascicule, regroupant deux tomes, est conçu sous la forme de fiches afin de faciliter votre travail de
révision en vous présentant de façon synthétique le vaste programme que recouvre cette matière.

Le premier tome a pour objet de vous présenter tout d’abord un historique des libertés publiques. Sont ensuite
exposés les sources de ces libertés et droits fondamentaux, ainsi que les différents organes et garanties
procédurales qui permettent d’en assurer le respect et la protection.

Le second tome a pour vocation d’approfondir, par thème, les différents droits et libertés. Vous trouverez, à la
fin de ce tome, des tableaux reprenant de façon synthétique les sources textuelles et jurisprudentielles ainsi que
les actualités pour chaque fiche.

L’apport théorique de cette matière est donc considérable.

Quel que soit le sujet que vous aurez à traiter, il conviendra davantage de chercher à défendre un point de vue,
d’argumenter une position, que de se lancer dans une restitution laborieuse et plate de connaissances.

Vous trouverez ci-dessous des conseils méthodologiques qui vous permettront de mieux appréhender l’épreuve
du Grand Oral.

Présentation de l’épreuve

Conformément à l’arrêté du 17 octobre 2016, l’épreuve orale d’admission au CRFPA se déroule de la manière
suivante : « les épreuves orales d’admission comprennent (…) un exposé de quinze minutes, après une
préparation d’une heure, suivi d’un entretien de trente minutes avec le jury, sur un sujet relatif à la protection
des libertés et des droits fondamentaux permettant d’apprécier les connaissances du candidat, la culture
juridique, son aptitude à l’argumentation et à l’expression orale ».

Le cœur de l’oral est donc constitué d’un sujet relatif à la protection des libertés et des droits fondamentaux. La
tâche semble donc a priori immense. Plus qu’un sujet sur les droits et libertés, l’oral doit s’appréhender comme
une épreuve de synthèse, permettant à un jury d’apprécier la capacité du candidat à maîtriser un raisonnement
et à mobiliser ses connaissances afin de répondre à une question ou éclairer un sujet.

L’enjeu de cet oral n’est donc pas de recruter un excellent étudiant (qui aura bien tout appris) mais plutôt un
futur bon professionnel avec de bonnes qualités de raisonnement et de démonstration.

L’exposé de quinze minutes devra donc naturellement répondre au sujet posé. En d’autres termes, il ne s’agit
pas d’essayer de replacer toutes vos connaissances et encore moins de réciter une fiche qui, de près ou de loin,
ressemblerait quelque peu au sujet qui vous est soumis.

Encore une fois, il convient d’agir en professionnel et de traiter le sujet comme un cas d’espèce. Ne traitez que
le sujet, rien que le sujet et tout le sujet. Soyez en mesure de développer une approche personnelle et
argumentée. Plus votre démonstration sera étayée et argumentée et plus elle sera appréciée.

Sur le fond et de façon accessoire, votre exposé peut également être l’occasion de mettre en valeur des
connaissances « connexes » au sujet. Vous pouvez, par exemple, en introduction puis dans le développement,
utiliser des exemples tirés de l’histoire constitutionnelle française ou du droit comparé (constitutions étrangères
par exemple).

Contrairement à l’exposé, l’entretien de trente minutes renvoie plus à une figure libre dans laquelle vous serez
amené à répondre aux questions du jury. Les questions peuvent soit porter sur l’exposé que vous venez de faire,
soit sur des sujets juridiques extérieurs au thème que vous venez de traiter.

Une fois encore, l’approche systémique et globale de la matière est à favoriser par rapport à une récitation de
connaissances. Il s’agit, dès que possible, de répondre aux questions en proposant aux membres du jury une
mise en perspective, un dépassement ou un exemple. En d’autres termes, tout élément permettant de témoigner
de votre maîtrise du raisonnement juridique.
Le Grand Oral n’est pas une épreuve encyclopédique

Comme nous l’avons souligné, l’épreuve de Grand Oral n’a pas vocation à évaluer vos connaissances avec
exhaustivité. Il s’agit pour le jury de déterminer le potentiel chez un candidat et de mesurer sa capacité à incarner
la profession d’avocat.

Ce potentiel se mesure notamment par l’aptitude à prendre de la hauteur et à mobiliser rationnellement et


sereinement des connaissances diverses. Le bon candidat est celui qui raisonnera largement, avec hauteur de
vue et bon sens.

En conséquence, au-delà du fait de mobiliser des compétences académiques élémentaires, le candidat doit être
capable de s’adapter aux questions qui lui seront posées. C’est cette faculté d’adaptation qui sera attendue par
le jury.

Par ailleurs, il convient de bien comprendre que le jury s’apparente à un jury de recrutement. Au-delà de
l’épreuve universitaire, les membres qui composent le jury recherchent un futur professionnel de la justice et
non un étudiant brillant. Gardez cela à l’esprit au cours de la préparation. Dites-vous que vous êtes un avocat, et
pas un étudiant cherchant à réussir un concours !

Composition du jury

Le jury est composé de trois membres : un magistrat, un universitaire (un professeur des universités ou un maître
de conférences) et un avocat.

Il ressort de cette composition un constat évident : les trois membres n’ont pas le même rapport à la matière
juridique. C’est ce qui fait la richesse mais également la difficulté de l’épreuve. Il est d’ailleurs tout à fait possible
qu’un membre du jury évoque avec vous une expérience, un cas qu’il a eu à traiter d’un point de vue
professionnel et vous demande ce que vous auriez fait à sa place.

À ce titre, restez toujours professionnel : conservez une approche juridique des questions qui vous sont posées,
ne proposez pas de jugement de valeur - sauf si on vous le demande expressément. Par ailleurs, n’hésitez pas à
apporter des éléments de réserve si vous hésitez sur une réponse.

Programme

Le programme de l’épreuve du Grand oral renvoie aux thématiques suivantes :


1. Culture juridique générale
2. Origine et sources des droits et libertés fondamentaux
3. Régime juridique des droits et libertés fondamentaux
4. Les principales libertés et les principaux droits fondamentaux
Globalement, le programme couvre l’intégralité de ce qui fait le droit car les libertés et les droits fondamentaux
innervent tout le droit. Ils sont présents dans toutes les matières enseignées.

Cela implique de votre part, de toujours trouver dans le sujet posé la dimension droits/libertés fondamentaux.
Si cette dimension n’apparaît pas de prime abord, il vous incombe de la trouver et de la mettre en valeur car
votre réussite à l’épreuve en dépend.

Par ailleurs, cette attitude devra également être adoptée lors de l’entretien avec le jury. Qu’importent les
questions posées ou les sujets abordés, vous prendrez soin de toujours développer un axe en rapport avec la
nature de l’épreuve, c’est-à-dire les droits et libertés fondamentaux.

Méthodologie

La qualité première pour réussir cette épreuve demeure la maîtrise générale et élémentaire de la matière
juridique, c’est-à-dire du droit dans son ensemble.

Aucun des sujets qui vous seront proposés, ou aucune des questions posées ne relèveront que de la connaissance
effective et complète d’un seul code ou une seule source. Au contraire, c’est votre capacité à tisser des liens
entre les différents droits qui vous permettra de faire la différence. Il est donc indispensable d’avoir une
approche décloisonnée et de ne jamais considérer qu’un sujet est réductible à un compartiment.
Par ailleurs, aucun jury n’attend une connaissance encyclopédique de la part du candidat. La prime est à la
capacité à retenir les grands textes et les jurisprudences fondamentaux, les quelques débats doctrinaux, les
grandes oppositions classiques entre les libertés et les conciliations retenues par la jurisprudence.

C’est donc bien la capacité de synthèse qui est recherchée. Efforcez-vous de faire des liens entre les matières,
les jurisprudences ou encore les débats doctrinaux. N’hésitez pas non plus, ponctuellement, et si vous le pouvez,
à raccrocher certaines questions juridiques à des débats plus philosophiques, sans pour autant perdre de vue la
nature de l’épreuve.

Il est également indispensable de s’arrêter quelque peu sur l’aspect « expression orale » que vise l’arrêté. Vous
devez faire preuve d’éloquence. Ce sera peut-être le dernier rempart pour masquer un manque de
connaissances ou une incapacité à répondre à une question. Restez maître de l’entretien sans être
présomptueux, soyez sûr de vous sans être caricatural. Corrigez vos éventuels tics de langages et modulez votre
voix afin de capter l’attention de votre auditoire.

Mais le point le plus important est sans doute la maîtrise du temps. Vous devez impérativement respecter le
temps imparti. Évitez de lire vos notes en menant un monologue dynamique. N’oubliez pas que ne pas avoir le
temps de finir est extrêmement dommageable, et que finir en avance laisse un sentiment d’incomplétude.

D’une manière plus formelle, durant l’heure de préparation, vous devez parvenir à établir un plan consolidé par
divers éléments théoriques et pratiques qui viennent appuyer votre démonstration.

L’heure de préparation

L’heure de préparation commence à partir du moment où vous êtes en possession du sujet. Il s’agit d’un temps
assez particulier car il semble long et pourtant il s’avère en réalité très court.

Il convient cependant d’aborder cette heure sereinement. Pour ce faire, évitez de rechercher l’exhaustivité et
soyez en mesure de laisser de côté des aspects pour lesquels les connaissances vous manquent.

Assumez également le fait, le cas échéant, de ne pas être en mesure de traiter un aspect du sujet et concentrez-
vous sur le reste. Vous ne devez pas être dans une situation de blocage car cela vous fera perdre du temps et
vous placera dans une attitude négative qui vous bloquera dans la poursuite du traitement de votre sujet.

Prenez du temps pour bien analyser le sujet. Recopiez-le sur une feuille afin de mieux le visualiser et de porter
attention à tous les termes qui le composent. Prenez un temps pour noter tout ce que vous évoque le sujet.
Raisonnez par analogies et par antagonismes (« a contrario, qu’est-ce qui ne relève pas de ce sujet ? ») afin de
cerner au mieux le sujet.

Lors de votre prise de notes, nous vous incitons à n’utiliser que le verso de vos feuilles et à numéroter de manière
visible les pages. Cette technique vous permettra de ne pas vous perdre dans vos notes devant le jury.

La rédaction de l’introduction

En une heure, vous n’êtes pas en mesure de rédiger l’intégralité de votre développement. En revanche, il est
conseillé de rédiger l’introduction de manière détaillée.

Effectivement, vous jouez la réussite de votre épreuve dans les premières minutes. C’est sur ce temps que le jury
se fait, à tort ou à raison, une opinion sur votre travail. Opinion qui change rarement par la suite. Nous vous
conseillons donc de miser dans la mesure du possible et de vos connaissances sur une introduction riche en
éléments de droit comparé et d’histoire constitutionnelle ou juridique afin de capter rapidement l’attention du
jury.

Rédiger une trame

Pour le reste du devoir, vous vous contenterez d’un plan détaillé. En effet, il ne s’agit pas d’une épreuve de
dissertation. Et, au surplus, rédiger de manière trop détaillée vous inciterait à lire vos notes ce qui nuirait à votre
expression orale.

Vous devez donc rédiger les titres et, à l’intérieur des parties, vous pouvez recourir aux mots-clés, abréviations,
tirets. Par ailleurs, n’hésitez pas à vous servir de stylos de couleur ou autres surligneurs. Tout ce qui vous permet
de gagner en clarté et en précision doit être utilisé.
Documents autorisés

L’article 11 de l’arrêté du 11 septembre 2003 prévoit que « lors des épreuves, les candidats peuvent utiliser les
codes et recueils de lois et décrets annotés, à l’exclusion des codes commentés. Ils peuvent également se servir
de codes ou recueils de lois et décrets ne contenant aucune indication de doctrine ou de jurisprudence sans autres
notes que des références à des textes législatifs ou réglementaires ».

Sauf indication contraire de votre IEJ, pour l’épreuve du Grand Oral, vous avez le droit de vous aider des Codes,
Constitution et recueils de textes normatifs (comme le fameux recueil Oberdorff, par exemple), à condition qu’ils
ne soient pas annotés (que ces annotations soient de doctrine, de jurisprudence ou personnelles).

Traitement du sujet

Sur l’introduction : cette dernière doit de préférence être entièrement rédigée. Elle est, paradoxalement, le
cœur de votre argumentation. Le jury saura dès l’introduction si le sujet est maîtrisé et si les enjeux sont compris.

Structurellement, l’introduction se décompose de la manière suivante : accroche, ancrage spatio-temporel,


définition adaptée des termes du sujet, problématique et annonce de plan.

Sur l’accroche : évitez de vous référer à un élément journalistique. Préférez une citation ou une jurisprudence
significative. Vous devez à ce moment capter l’attention du jury.

Ensuite, l’étape fondamentale consiste en l’ancrage spatio-temporel du sujet. Il s’agit de dire au jury dans quel
espace et dans quelle période vous traitez le sujet. C’est cette étape qui vous permettra de limiter les risques de
hors sujet.

Prenons, par exemple, un sujet du type « la protection constitutionnelle des droits fondamentaux ». Il est bien
évident que rien ne justifie de prime abord de le traiter à l’aune du droit en vigueur sous la V ème République. Il
peut se traiter sous l’angle du droit allemand ou même du droit français de la IV ème République. Naturellement,
vous le traiterez sous la France de la Vème République, mais vous devez impérativement justifier ce choix, sinon
rien ne prouve au jury que vous n’avez pas oublié de traiter un pan du sujet. Ne négligez pas cette étape lors de
votre présentation.

Vient ensuite la définition des termes du sujet. Cette étape incontournable doit déjà laisser présager le sens de
la problématique que vous avez choisie. Il ne s’agit aucunement de donner une définition encyclopédique et
plate des termes du sujet. La définition doit être problématisée. Soyez ingénieux et donnez une définition des
termes du sujet qui laisse entrevoir les grands axes de votre développement. Cela vous permet de donner une
impression de maîtrise et de cohérence.

Ensuite, et tout à fait naturellement, vient le moment de proposer une problématique. Cette dernière a pour
objectif de montrer au jury que vous avez bien compris que le sujet proposé soulève un certain nombre de
questions et de problèmes.

C’est lors de cette étape que vous pouvez faire des liens entre différents droits, codes, jurisprudences ou autres.
La problématique ne doit pas forcément se matérialiser sous la forme d’une question. Elle peut, au contraire,
être une simple mise en valeur d’une opposition centrale qui traverse le sujet. En toute hypothèse, évitez
absolument deux écueils.

Le premier consiste en une simple reformulation du sujet sous une forme interrogative. Le second consiste en
une question basique et scolaire du type « dans quelle mesure (…) » ou « peut-on considérer que (…) ».

Enfin, l’annonce du plan découle de tout ce qui précède. Il convient d’annoncer clairement et distinctement au
jury quels sont les deux axes principaux sur lesquels vous allez appuyer votre démonstration. À l’inverse de la
problématique, ne cherchez pas la subtilité et annoncez clairement vos parties.

Sur le plan : il est impératif que le plan soit construit en deux parties étayées par deux sous-parties. Ce plan
logique reprend les canons de la dissertation juridique. N’oubliez pas, à l’image de la note de synthèse, que le
raisonnement juridique peut se décliner en plans types : principe | exception, droit interne | droit international,
objet | effets, conditions | effets, causes | conséquences etc.
À l’oral, il est difficile de matérialiser les changements de parties et de sous parties. N’hésitez donc pas à annoncer
au jury lorsque vous terminez une partie et que vous en entamez une autre. Cela permet de faire une pause et
de ne pas perdre l’attention de votre auditoire. De plus, cela donne le sentiment d’une construction solide du
sujet et donc d’une maîtrise évidente.

Aucun critère particulier n’est à mentionner sur la rédaction des titres. Soyez toujours vigilant à ce que vos titres
ne soient pas trop descriptifs.

Attention : vos titres doivent être inévitablement argumentatifs. N’hésitez pas, encore une fois, à enrichir votre
démonstration par des références à l’histoire et au droit comparé. Votre exposé n’en sera que valorisé.

S’il n’est pas nécessaire de faire une conclusion stricto sensu, il est en revanche souhaitable de marquer la fin de
votre démonstration. Une petite phrase conclusive est suffisante.

Entretien avec le jury

Le temps de discussion avec le jury est sans doute le moment le moins cadré et le plus libre de l’épreuve. Cette
conversation doit donc être menée sereinement et avec détermination. Il s’agit de bien faire valoir votre point
de vue sans vous montrer arrogant ni agressif avec le jury. Restez dans une attitude de modération mais n’hésitez
pas à vous montrer ferme. Il n’y a rien de pire que de voir un candidat qui hésite lorsqu’on lui demande quel est
son avis sur tel ou tel sujet.

Type de questions

En la matière, l’exercice est assez libre. Les questions peuvent concerner directement le sujet ou en être très
éloignées. Il est raisonnable de penser qu’elles ne concerneront que le Droit et que l’épreuve ne se transformera
pas en quizz de culture générale. Mais, il est indéniable que les questions seront variées. Pour autant, la maîtrise
des grands concepts doctrinaux et de l’actualité récente permet de répondre aux questions ou, au moins, de
rebondir sur un autre thème lié à la question – ce qui est un moindre mal.

Il est néanmoins possible de regrouper les questions sous forme de typologie indicative :
1. Des demandes de précisions ou de renseignements complémentaires sur des éléments que vous
auriez évoqués pendant votre exposé ;
2. Des questions objection par lesquelles le jury va venir vous contredire sur des points énoncés par
vous pendant l’exposé. Elles sont, pour vous, l’occasion de vous corriger, de préciser votre pensée,
ou de la conforter avec des éléments nouveaux ;
3. Des questions de connaissance ou d’actualité.

Ne pas être en mesure de répondre à une question

Il est possible que vous soyez dans l’impossibilité de répondre à une question. Dans ce cas, évitez de tout de suite
dire au jury que vous ne savez pas répondre. Il est possible d’utiliser plusieurs techniques :
1. Soit, vous avez un trou de mémoire et vous connaissez la réponse, auquel cas il vous suffit de
demander au jury de reposer la question ou bien de la reformuler vous-même. Cela vous permet
d’éviter les longs silences et de gagner du temps pour répondre.
2. Soit, vous ne connaissez pas la réponse et là encore, ne le dites pas ! Réagissez comme un avocat
ou comme tout autre professionnel. Dans ce cas précis, il est nécessaire de « se raccrocher aux
branches ». Si vous n’êtes pas en mesure de répondre à une question, le jury le comprendra très
rapidement. Faites alors preuve de bon sens et développez un thème connexe ou approchant. Le
jury saura que vous n’étiez pas en mesure de répondre, mais vous aurez fait montre de sang-froid
et de capacité d’adaptation.

L’application de ces conseils couplée à un travail de fond vous permettra de réussir cette épreuve. Gardez
toujours le recul nécessaire pour appréhender sereinement le sujet. Conservez une hauteur de vue suffisante et
faites-vous confiance !
TOME 1

SOURCES ET PROTECTION DES LIBERTÉS


FONDAMENTALES

1
2
TOME 1
CHAPITRE 1 : INTRODUCTION .................................................................................................... 5
FICHE N°1 : LA NOTION DE LIBERTÉ FONDAMENTALE ET DE DROITS FONDAMENTAUX ....................... 5
I. LA NOTION DE LIBERTÉ ................................................................................................................. 5
II. LA DISTINCTION ENTRE DROITS DE L’HOMME, LIBERTÉS PUBLIQUES ET DROITS ET LIBERTÉS
FONDAMENTAUX .................................................................................................................................. 5
III. LES CATÉGORIES DE DROITS ET LIBERTÉS FONDAMENTAUX ........................................................ 7
FICHE N°2 : LE SUJET DE DROIT ............................................................................................................ 9
I. L’AFFIRMATION D’UN SUJET DE DROIT LIBRE ET RATIONNEL ...................................................... 9
II. LA DÉCONSTRUCTION DE L'IDÉE DE SUJET DE DROIT ................................................................. 10
FICHE N°3 : LE RÔLE ET LA PLACE DES DROITS FONDAMENTAUX ....................................................... 14
I. LE RÔLE DES DROITS FONDAMENTAUX DANS L’ORGANISATION POLITIQUE DES SOCIÉTÉS ..... 14
II. LA LÉGITIMITÉ DES POUVOIRS DONNÉS AU JUGE DANS LA RECONNAISSANCE DES DROITS
FONDAMENTAUX ................................................................................................................................ 17
FICHE N°4 : DROITS FONDAMENTAUX, LIBERTÉS ET CIRCONSTANCES EXCEPTIONNELLES .................. 21
I. L’ARTICLE 16 DE LA CONSTITUTION ............................................................................................ 21
II. L’ÉTAT DE SIÈGE .......................................................................................................................... 22
III. L’ÉTAT D’URGENCE ..................................................................................................................... 22
IV. L’ÉTAT D’URGENCE SANITAIRE ................................................................................................... 30
CHAPITRE 2 : LES SOURCES DES DROITS ET LIBERTÉS FONDAMENTAUX ................................ 47
FICHE N°5 : LES SOURCES CONSTITUTIONNELLES ............................................................................... 47
I. LE CONTENU DU « BLOC DE CONSTITUTIONNALITÉ » ................................................................ 48
II. LA SUPÉRIORITÉ DU « BLOC DE CONSTITUTIONNALITÉ » ........................................................... 55
FICHE N°6 : LES SOURCES INTERNATIONALES ..................................................................................... 57
I. LA CHARTE INTERNATIONALE DES DROITS DE L’HOMME .......................................................... 57
II. LES CONVENTIONS SECTORIELLES .............................................................................................. 60
III. LA RÉCEPTION DES RÈGLES INTERNATIONALES PAR LES JURIDICTIONS INTERNES .................... 63
FICHE N°7 : LES SOURCES EUROPÉENNES ........................................................................................... 66
I. LE DROIT DE LA CONVENTION EUROPÉENNE DE SAUVEGARDE DES DROITS DE L’HOMME ET
DES LIBERTÉS FONDAMENTALES (CESDH) ........................................................................................... 66
II. LE DROIT DE L’UNION EUROPÉENNE .......................................................................................... 69
CHAPITRE 3 : LA PROTECTION DES DROITS ET LIBERTÉS FONDAMENTAUX ............................ 74
SECTION 1 : PAR LES ORGANES INTERNES ........................................................................................................ 74
PARAGRAPHE 1 : LES ORGANES JURIDICTIONNELS ...................................................................................... 74
FICHE N°8 : L’AUTORITÉ JUDICIAIRE ................................................................................................... 74
I. L’ARTICLE 66 DE LA CONSTITUTION ............................................................................................ 74
II. LES EXCEPTIONS AU PARTAGE DES COMPÉTENCES ENTRE JUGE JUDICIAIRE ET JUGE
ADMINISTRATIF ................................................................................................................................... 75
FICHE N°9 : LE JUGE ADMINISTRATIF ................................................................................................. 80
I. LA PLACE DU JUGE ADMINISTRATIF DANS LA DÉFENSE DES DROITS ET LIBERTÉS
FONDAMENTAUX ................................................................................................................................ 80

3
II. LES VOIES DE DROIT .................................................................................................................... 81
III. LA JUSTICIABILITÉ DES ACTES...................................................................................................... 83
IV. LA CONCURRENCE ENTRE LIBERTÉS ET PROTECTION DE L’ORDRE PUBLIC ................................ 85
FICHE N°10 : LE JUGE CONSTITUTIONNEL ........................................................................................... 91
I. LA COMPÉTENCE DU CONSEIL CONSTITUTIONNEL EN MATIÈRE ÉLECTORALE .......................... 94
II. LA COMPÉTENCE DU CONSEIL CONSTITUTIONNEL EN MATIÈRE DE CONTRÔLE DE
CONSTITUTIONNALITÉ DES LOIS .......................................................................................................... 94
III. LA DÉCISION DU CONSEIL CONSTITUTIONNEL ............................................................................ 99
FICHE N°11 : L’EFFICACITÉ DE LA PROTECTION JURIDICTIONNELLE FRANÇAISE ................................ 102
I. L'EFFICACITÉ DE LA RECONNAISSANCE DE LA VIOLATION ........................................................ 102
II. L'EFFICACITÉ DE LA PRÉVENTION DE LA VIOLATION ................................................................. 104
III. L'EFFICACITÉ DE LA CESSATION DE LA VIOLATION ................................................................... 104
PARAGRAPHE 2 : LES ORGANES NON-JURIDICTIONNELS ........................................................................... 107
FICHE N°12 : LES AUTORITÉS ADMINISTRATIVES ET PUBLIQUES INDÉPENDANTES ........................... 107
I. LA COMPOSITION DES AUTORITÉS ADMINISTRATIVES INDÉPENDANTES ................................ 108
II. LE FONCTIONNEMENT DES AUTORITÉS ADMINISTRATIVES INDÉPENDANTES ......................... 108
III. LE CONTRÔLE DES AUTORITÉS ADMINISTRATIVES INDÉPENDANTES ....................................... 109
IV. L’EXEMPLE DU DÉFENSEUR DES DROITS ................................................................................... 110
FICHE N°13 : LES AUTRES MOYENS DE PROTECTION NON JURIDICTIONNELS ................................... 111
I. LA PROTECTION DIRECTE PAR LES CITOYENS ........................................................................... 111
II. LA PROTECTION POLITIQUE ...................................................................................................... 113
III. LA PROTECTION ADMINISTRATIVE ........................................................................................... 114
IV. LE RÔLE DU POUVOIR LÉGISLATIF ............................................................................................. 114
SECTION 2 : PAR LES ORGANES EXTERNES ..................................................................................................... 123
FICHE N°14 : LES JURIDICTIONS PÉNALES INTERNATIONALES ........................................................... 123
I. LES JURIDICTIONS AD HOC ........................................................................................................ 123
II. LA COUR PÉNALE INTERNATIONALE ......................................................................................... 125
FICHE N°15 : LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME ...................................................... 128
I. LA DISTINCTION AVEC D’AUTRES COURS .................................................................................. 128
II. LA SAISINE DE LA COUR ............................................................................................................ 131
III. LA PROCÉDURE DE LA COUR ..................................................................................................... 132
IV. LA DÉCISION .............................................................................................................................. 133
V. ACTUALITÉS ............................................................................................................................... 134
CHAPITRE 4 : LES PRINCIPES PROCÉDURAUX DES DROITS ET LIBERTÉS FONDAMENTAUX... 137
FICHE N°16 : LE DROIT AU PROCÈS ÉQUITABLE ................................................................................ 137
I. LE CHAMP D’APPLICATION ....................................................................................................... 137
II. LES GARANTIES DU DROIT À UN PROCÈS ÉQUITABLE............................................................... 141

TOME 2…………………………………………………………………………………………………..…………….………………………………147

4
CHAPITRE 1 : INTRODUCTION
FICHE N°1 : LA NOTION DE LIBERTÉ FONDAMENTALE ET DE DROITS
FONDAMENTAUX

La terminologie utilisée pour se référer aux droits fondamentaux est variée. On parle aussi bien de « droits de
l’Homme », « de libertés publiques », que de « droits fondamentaux ». Cette diversité est notamment la
conséquence de choix politiques opérés à certains moments de l’histoire. Aujourd’hui, on utilise le terme de
« droits fondamentaux », sans doute sous l’influence du droit allemand.

Il convient donc de revenir tout d’abord sur la notion de liberté (I), pour ensuite pouvoir appréhender les diverses
terminologies employées au cours de l’Histoire (II), ainsi que les catégories des droits et libertés
fondamentaux (III).

I. LA NOTION DE LIBERTÉ

La liberté comme notion philosophique doit être distinguée de la liberté dans un sens juridique du terme.

Dans un sens philosophique, la liberté est singulière, elle est unique. Il s’agit de l’idée d’un sujet de droit
autonome. Dans cette conception, l'individu est à la fois la source de ses propres droits et la finalité même des
institutions sociales.

Dans un sens juridique, les libertés sont plurielles. Il s’agit de libertés concrètes, reconnues et sanctionnées par
le droit. Les libertés dans le droit sont toujours, fondamentalement et nécessairement limitées.

II. LA DISTINCTION ENTRE DROITS DE L’HOMME, LIBERTÉS PUBLIQUES ET DROITS


ET LIBERTÉS FONDAMENTAUX

L’expression « droits de l’Homme » relève d’un vocabulaire historique qui renvoie aux grandes déclarations des
droits du XVIIIe siècle, mais également d’un vocabulaire politique puisqu’il renvoie aux révolutions (A). L’emploi
des termes « libertés publiques » (B) et « droits fondamentaux » (C) s’inscrit dans un registre qui relève du droit
positif. On s’intéresse moins à la symbolique qu’à l’étude des mécanismes qui tendent à garantir ces droits.

A. Droits de l’Homme
Il s’agit d’une formule universelle qui traduit un concept de philosophie politique emprunté à l’école moderne
du droit naturel.

Cette école était notamment composée par Grotius, Hobbes, Locke et Rousseau et suppose des Hommes vivant
dans l’état de nature. Dans cet état de nature, les Hommes sont libres. Par sa seule qualité d’être humain,
l’Homme dispose de droits subjectifs universels et inaliénables, auxquels il ne saurait renoncer. Cependant, ces
Hommes libres vont décider, par un contrat social, d'abandonner leur liberté naturelle pour s'obliger
mutuellement dans un état de société. Dans la société, le droit positif va être utile à la protection des individus,
mais il va aussi constituer une limitation de leur liberté. Il ne sera alors considéré comme légitime que dans la
mesure où il est conforme au droit naturel.

L’enseignement fondamental de cette école est que le pouvoir est né d’un contrat. Les Hommes ont consenti à
abandonner leur liberté naturelle afin de disposer d'un certain nombre de droits reconnus dans la société. Il
existe ainsi des droits inhérents à la personne humaine, des droits qui sont antérieurs et supérieurs à l'État.

La déclaration d’indépendance des États-Unis du 4 juillet 1776 est le premier texte consacrant ce courant de
pensée. Elle proclame l’existence de droits reconnus à l’ensemble des Hommes. Les dix premiers amendements
à la Constitution américaine forment le « Bill of Rights ». On insiste alors sur la garantie des droits, ce qui traduit
une défiance par rapport au pouvoir. À cela s’ajoute la protection judiciaire des droits, avec notamment la

5
possibilité pour la Cour suprême américaine de censurer une loi qui serait contraire à la Constitution (CS, 24
février 1803, 5 U.S. 137, Marbury v. Madison).

En France, l’expression « droits de l’Homme » manifeste l’opposition à l’absolutisme. En ce sens, le préambule


de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen du 26 août 1789 (DDHC) dispose que « les représentants
du peuple français, constitués en Assemblée nationale, considérant que l'ignorance, l'oubli ou le mépris des droits
de l'homme sont les seules causes des malheurs publics et de la corruption des gouvernements, ont résolu
d'exposer, dans une déclaration solennelle, les droits naturels, inaliénables et sacrés de l'homme, afin que cette
déclaration, constamment présente à tous les membres du corps social, leur rappelle sans cesse leurs droits et
leurs devoirs (…) ».

Par cette disposition, les révolutionnaires rappellent l’existence des droits naturels oubliés par la Monarchie.
Malheureusement, cette seule consécration ne sera pas un obstacle à la méconnaissance des droits de l’Homme.
Progressivement, le droit positif viendra pallier cette insuffisance en imposant l’expression « libertés publiques »,
considérée comme plus juridique que la notion de « droits de l’Homme », essentiellement philosophique.

B. Libertés publiques
La notion de « libertés publiques » traduit un concept de droit français, contrairement à celle de « droits de
l'Homme », laquelle met en exergue un concept universel.

Au XIXème siècle, on utilise l’expression « droit public des français » pour parler de liberté. La IIIème République va
rompre avec cette tradition et ses débuts seront marqués par le vote de grandes lois républicaines qui vont
marquer de leur empreinte tout le droit du XXème siècle et dont la plupart sont encore en vigueur aujourd’hui :
les lois relatives à la liberté d'association, à la liberté de la presse, à la liberté syndicale, à la liberté de culte. Ces
lois aménagent un régime de libertés précis.

L’importance de ces lois est telle qu’en 1946, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, le pouvoir
constituant les consacrera dans le préambule de la nouvelle Constitution, à travers l’expression « principes
fondamentaux reconnus par les lois de la République » (PFRLR). La négation des droits fondamentaux de la
personne humaine pendant la guerre conduit aussi le constituant à réaffirmer les droits de 1789 et à consacrer
de nouveaux droits économiques et sociaux.

Avec l’adoption de ces dispositions, les libertés publiques deviennent du droit positif. Or, il se trouve que ce
régime de liberté est entièrement fixé par des lois de la République. Les libertés publiques sont donc des normes
de valeur législative qui s’imposent essentiellement à l’administration, ce qui justifie leur développement dans
le contentieux administratif.

En effet, jusqu’en 1971, les libertés sont uniquement consacrées par des normes à valeur législative. Il faudra
attendre l’introduction du contrôle de constitutionnalité des lois et la consécration jurisprudentielle de la valeur
juridique de la DDHC et du Préambule de la Constitution de 1946, pour que les libertés soient protégées au
niveau constitutionnel.

C. Libertés ou droits fondamentaux


La notion de « droits fondamentaux » est d'origine allemande. Elle est apparue au lendemain de la Seconde
Guerre mondiale, avec la Déclaration universelle des droits de l’homme (DUDH) et le mouvement qui s’en est
suivi. Il s’agit de l'idée selon laquelle certains droits ou libertés seraient des droits essentiels, des droits de
premier rang, des droits absolument indérogeables.

Cette notion est née des traumatismes de la Seconde Guerre mondiale et plus particulièrement des crimes de
guerre et des crimes contre l'humanité commis à cette occasion. Jusqu’en 1940, la plupart des juristes
considéraient que le dogme rousseauiste fonctionnait. Selon ce dogme, la loi ne pouvait mal faire, elle
recherchait nécessairement le bien des individus et protégeait les libertés. Pourtant, le régime nazi est le produit
d’une démocratie. Les lois nazies ont été votées par un parlement allemand, supposé représenter la volonté
générale. Le dogme a donc perdu en crédibilité.

À partir de 1945, les juristes souhaitent alors rappeler solennellement l'existence de droits inhérents à la
personne humaine, droits auxquels le législateur lui-même ne saurait porter atteinte. Ils entendent protéger
certains droits y compris de l’intervention du législateur.

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Dans ce contexte, apparaît l'expression « droits fondamentaux ». L’utilisation du qualificatif « fondamental »
tend à souligner leur importance. Ce qui est fondamental est au fondement, à la base. Ils sont fondamentaux car
les pouvoirs publics n’y sauraient porter atteinte. L’on est désormais sceptique à l’égard des lois.

Parallèlement, on remarque un regain de confiance à l'égard des juges pour protéger les droits et les libertés. Il
faut alors prévoir un mécanisme de sanction permettant de protéger ces droits supérieurs de l’atteinte du
législateur. Cela sera effectif par l’introduction du contrôle de constitutionnalité des lois fondé sur la
prééminence des droits fondamentaux.

En France, par la décision « liberté d’association » (C.C., 16 juillet 1971, déc. 71-44 DC, Loi complétant les
dispositions des articles 5 et 7 de la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d'association), le Conseil
constitutionnel accepte de vérifier la conformité des lois non seulement par rapport au corps de la Constitution,
mais aussi par rapport à son préambule. Désormais, le Conseil constitutionnel est en mesure de protéger les
droits et libertés reconnus par la Constitution à l’encontre du législateur. Il s’agit de la consécration de l’État de
droit.

Cette « fondamentalisation » des libertés s’effectue aussi au niveau international avec le développement du
contrôle de conventionnalité des lois et la possibilité conséquente pour les juges ordinaires de contrôler la
conformité des lois aux traités internationaux et notamment la Convention de sauvegarde des droits de
l’homme et des libertés fondamentales (CESDH).

Ainsi, ce qui distingue les libertés publiques des libertés fondamentales est leur place dans la hiérarchie des
normes.

Remarque : la loi n°2000-597 du 30 juin 2000 a introduit dans le droit français le référé-liberté (article L. 521-3
du code de justice administrative) qui permet de sanctionner les atteintes graves et manifestement illégales aux
libertés fondamentales. Ces libertés fondamentales « au sens du référé-liberté » ne sont pas synonymes des
libertés fondamentales consacrées constitutionnellement.

III. LES CATÉGORIES DE DROITS ET LIBERTÉS FONDAMENTAUX

Plusieurs modalités de catégorisation des droits et libertés fondamentaux peuvent être mises en exergue, parmi
lesquelles celle distinguant les différentes générations de droits (A) et celle prenant en considération l’aspect
procédural des droits (B).

A. La catégorisation générationnelle
La classification par génération permet de mettre en lumière l’évolution dans le temps des droits et libertés
fondamentaux :

• 1ère génération : il s’agit de la consécration de la philosophie libérale, avec une conception individualiste
et naturaliste des droits. Ce sont des droits qui existent avant l’État et qui s’imposent à lui. Tout homme,
parce qu’il est né, a le droit d’en jouir.

Ces droits sont attachés à la personne humaine, ce sont des droits de l’individu. On les retrouve
notamment dans la DDHC ou encore dans les Pactes onusiens de 1966 et dans la CESDH. Exemples :
liberté d’expression, droit de propriété, liberté d’entreprendre.

• 2ème génération : il s’agit des droits économiques et sociaux. Leur consécration s’effectue notamment
au travers des principes particulièrement nécessaires à notre temps (PPNT). Ce sont des normes
politiques, positives, volontaristes.

Les droits sont sociaux, des droits de créance, en opposition aux droits-libertés. Ils nécessitent
l’intervention de l’État, ce qui rend leur effectivité plus difficile à établir. Ils ne se rattachent pas à
l’Homme, mais à l’Homme « situé », appartenant à un groupe social. Exemples : droit de grève, droit
syndical, droit à la santé.

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• 3ème génération : elle consacre l’émergence des droits collectifs ou des droits de solidarité. Il en va ainsi
par exemple du droit à l’environnement, du droit au développement ou encore du droit au logement. Il
s’agit d’une catégorie contestable de droits et libertés fondamentaux. En effet, certains s’interrogent
sur leur qualification en tant que droits fondamentaux. Cela est justifié par la difficulté de savoir qui doit
garantir ces droits et qui en sont les titulaires.

• 4ème génération : il s’agit des droits technologiques, scientifiques, tournant autour de la bioéthique, de
la biotechnologie, du numérique. Ils existent car les besoins sont nouveaux.

Cette classification fait bien évidemment l’objet de débats.

Tout d’abord, la question se pose de savoir s’il s’agit d’une catégorisation hiérarchique, auquel cas les droits et
libertés de première génération seraient supérieurs aux autres.

Le Conseil constitutionnel ne semble pas établir de hiérarchie entre les droits consacrés dans le Préambule de la
Constitution de 1958. En application de la décision « Loi de nationalisation » (C.C., 16 janvier 1982, déc. 81-132
DC, Loi de nationalisation), tous les éléments du « bloc de constitutionnalité » ont valeur constitutionnelle.

Cela n’exclut bien évidemment pas leur nécessaire conciliation. Ainsi, selon le Conseil constitutionnel, « la liberté
d’entreprendre n’est ni générale ni absolue ; (…) il est loisible au législateur d’y apporter des limitations exigées
par l’intérêt général [en particulier les exigences de la protection de la santé publique, qui ont valeur
constitutionnelle] à la condition que celles-ci n’aient pas pour conséquence d’en dénaturer la portée » (C.C, 8
janvier 1991, déc. 90-283 DC, Loi relative à la lutte contre le tabagisme).

Aussi, dans une décision du 25 juillet 1979, le Conseil constitutionnel a été appelé à se prononcer sur la
conciliation entre le droit de grève et la continuité des services publics (C.C., 25 juillet 1979, déc. 79-105 DC, Loi
modifiant les dispositions de la loi n° 74-696 du 7 août 1974 relatives à la continuité du service public de la radio
et de la télévision en cas de cessation concertée du travail).

Dans ce travail de conciliation, la jurisprudence laisse apparaître des choix politiques, consistant notamment à
privilégier certains droits et libertés sur d’autres. Il en va ainsi de la liberté d’entreprendre, laquelle est
généralement préférée (C.C, 12 janvier 2002, déc. 2001-455 DC, Loi de modernisation sociale).

Ensuite, ces catégories peuvent être recoupées. Ainsi, on peut considérer que le droit de grève ne nécessite pas
l’intervention de l’État, tandis que ce dernier doit intervenir pour organiser les élections et ainsi permettre
l’expression du droit de vote.

Enfin, la CESDH établit une identité entre ces différentes catégories, dans un objectif d’effectivité. La Cour
européenne des droits de l’homme (CEDH), distingue plutôt les obligations positives (protection des
bénéficiaires des droits), des obligations négatives (abstention de l’État).

B. La classification procédurale
Il s’agit de distinguer d’une part les droits substantiels et, d’autre part, les droits garantis. Autrement dit, il
s’agit d’opposer la matière, de l’aspect processuel. Les droits garantis supposent l’intervention du juge. D’où
l’importance du droit à un procès équitable (article 6 de la CESDH).

SUJETS DE RÉFLEXION

• Les droits de l’homme sont-ils universels ?

• Existe-t-il une hiérarchie des droits et des libertés en droit français ?

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FICHE N°2 : LE SUJET DE DROIT

La question du sujet de droit est appréhendée de manière différente par trois courants philosophiques.
Historiquement, ces courants coexistent, mais ils n’acquièrent pas la même force.

Il convient d’envisager d’une part l’affirmation d’un sujet de droit libre et rationnel (I) et, d’autre part, la
déconstruction de l’idée de sujet de droit (II).

I. L’AFFIRMATION D’UN SUJET DE DROIT LIBRE ET RATIONNEL

On retrouve dans ce courant une convergence entre les philosophies d'aspiration chrétienne et les philosophies
d'aspiration rationaliste. L'idée qu'il existe un sujet de droit libre, conscient, s'est construite à partir du
christianisme. Des théologiens ont mis l’individu au centre de la préoccupation de la cité. Cela a été effectué en
réaction à la philosophie païenne à laquelle ils étaient confrontés à l'époque.

En effet, le paganisme – terme générique employé depuis le VIème siècle par les chrétiens pour désigner la religion
de ceux qui ne sont ni chrétiens ni juifs – mettait en exergue le groupe et faisait de l'individu un élément du
collectif, au service du groupe, de la communauté. L’individu pouvait alors être sacrifié si les dieux le
demandaient afin d'assurer la survie de la communauté. Ce qui importait était la communauté, laquelle était
fondée autour de ces dieux. Les individus de cette communauté n’avaient pas d’importance.

Le christianisme va s'inscrire en opposition par rapport à cette conception, en mettant l'individu au centre. Les
individus sont créés par Dieu. Par conséquent, respecter l'individu, c'est respecter la créature de Dieu. Il convient
donc, avec la religion chrétienne, de rompre avec la conception païenne du groupe, pour mettre en avant la
dignité de la personne humaine, dignité qu'elle tient du fait d'être la créature de Dieu. La finalité politique doit
être le bonheur de la personne humaine et la collectivité doit se mettre au service de l'Homme. L'Homme est le
centre, l'Homme est la finalité.

Au moment de sa construction, cette conception est directement dépendante de la croyance de l'Homme en


tant que créature de Dieu. À ce moment, il y a donc une inversion de conception. La montée en puissance du
christianisme a correspondu avec la montée de l'individu et de la société ; cette dernière étant conçue comme
respectant l'individu, construite autour de l'individu.

Cette rupture va conduire les théologiens à progressivement détacher cette respectabilité de la personne
humaine de toute référence obligée à Dieu. Le philosophe qui va le mieux marquer ce glissement est Guillaume
d'Ockham, qui avec beaucoup de précaution va détacher la personne humaine de son lien avec Dieu. Il va donner
naissance à un courant philosophique qu'on appelle le « nominalisme ».

Le nominalisme est une doctrine philosophique qui considère que les concepts sont des constructions humaines
et que les noms qui s'y rapportent ne sont que conventions de langage. Les êtres ne sont pas intrinsèquement
porteurs des concepts par lesquels nous les appréhendons.

Ainsi, pour Guillaume d’Ockham, même si l'Homme est créé par Dieu, on constate que l'Homme nomme les
choses. Et c'est à partir de cette nomination des choses par les Hommes que s'organise la vie de la cité.

Guillaume d'Ockham fait donc de l'Homme l'auteur, le responsable de la nomination des choses de la cité, avec
l’idée que les choses n'existent que lorsqu'elles sont nommées et uniquement si elles sont nommées. Autrement
dit, les choses n'existent pas en dehors du nom que leur donnent les Hommes. Tant qu'elle n’est pas nommée
par les Hommes, une chose n'existe pas. C'est à partir de cette nomination des faits par les Hommes que les
relations entre les Hommes vont se construire.

Guillaume d'Ockham ne coupe pas toute relation avec Dieu, beaucoup plus pour des raisons de précaution de
vie que pour les besoins de sa propre théorie. Cette théorie va conduire notamment chez Descartes à
l'affirmation « je pense, donc je suis ». Il s’agit de l’idée qu'il faut douter de tout, mais à une limite. La seule chose
dont je ne peux pas douter, c'est que je doute. Donc le « je » existe. L'individu existe. Cette montée en puissance
de l'individu, du « je », conscient, avec l’idée d’un sujet libre qui va agir en fonction de sa qualité d'être pensant,
va évidemment faire la jonction avec la philosophie des lumières, avec le rationalisme, et notamment Kant.

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Kant va opérer ce qu'on appelle une révolution copernicienne, c'est-à-dire un renversement total en mettant
non plus dans les objets, mais dans les sujets, toutes nos pensées, toutes nos actions, tous nos comportements.

Selon Kant, l'Homme ne peut pas être considéré comme un moyen, mais comme une fin, parce qu’il est un être
de raison et non pas parce qu'il est créé par Dieu comme diraient les chrétiens. Cette qualité d'être de raison,
fonde sa dignité. C'est en ce sens que l'Homme est respectable, non pas parce qu'il est créature de Dieu, mais
parce qu'il est capable de se poser comme un être de raison.

Le renversement copernicien, effectué par Kant, postule que les jugements renvoient toujours à l'Homme. En ce
qui concerne l'esthétique par exemple, il considère que la beauté n'est pas dans l'objet, mais dans la faculté de
juger d'un sujet. Ainsi, un tableau n'est pas beau, mais « je trouve ce tableau beau ».

Le droit va réceptionner cette philosophie du sujet rationnel, libre, conscient. Il va le réceptionner dans les
différentes branches du droit. En droit constitutionnel, la figure du sujet libre de raison est constituée par le
citoyen qui observe la vie politique, lit le programme des partis politiques et, par sa raison, choisit le candidat qui
défend le mieux l'intérêt général. Tout le droit a réceptionné cette idée construite par la philosophie que le sujet
est un être libre.

L’un des exemples est le contrat social de Rousseau : parce que nous sommes des personnes raisonnables, nous
sommes amenés à discuter. Selon Rousseau, l'Homme reste libre car en obéissant à la loi dont il est auteur, il
ne fait qu'obéir à lui- même. L'Homme est auteur et destinataire du droit. Si on pense qu'il est soumis au droit,
cela ne pose pas de difficultés car il est auteur du droit. Par conséquent, il est soumis à lui-même.

Cette philosophie rationaliste qui coupe les racines théologiques, aboutit donc à l’idée que le sujet existe, qu'il
est l'auteur du droit et par conséquent, il va être le fondement possible d'une construction d'une pensée
juridique des droits fondamentaux.

II. LA DÉCONSTRUCTION DE L'IDÉE DE SUJET DE DROIT

Alors que progressivement, l’individu est reconnu comme titulaire de droits fondamentaux (A), les philosophes
du soupçon vont mettre en doute l’existence même du sujet (B). Cela conduira, en réaction, à une tentative de
réhabilitation du sujet (C).

A. L’affirmation progressive de l’individu, sujet et titulaire de droits fondamentaux

Cette affirmation s’effectuera notamment au travers des théories de Michel Villey (1) et de Charles Taylor (2).

1. Michel Villey
Michel Villey a construit toute sa philosophie sur la négation de l'individu comme sujet de droit sur un plan
juridique. Pour lui, le malheur des ordres juridiques repose sur cette prétention prométhéenne des individus
d'avoir cru pouvoir repenser le monde à partir de leur raison, à partir de leur subjectivité. Michel Villey ne nie
pas que l'Homme soit respectable, mais dans le cadre d'une philosophie morale.

En revanche, dans le cadre d'une pensée juridique, la morale ne peut pas être présente. La subjectivité kantienne
doit être exclue. Pour construire l'ordre juridique, il faut se référer non pas à la subjectivité des Hommes mais
à l'objectivité de la nature.

Le droit, pour être précisément droit, ne peut pas dépendre de l'Histoire, car cette dernière évolue. Il ne peut
pas dépendre non plus de la volonté des Hommes dans la mesure où cette volonté est erratique. Pour être droit,
le droit doit être indépendant de la volonté humaine et indépendant de l'Histoire. Il s’agit d’une critique du
subjectivisme kantien et de l’historicisme.

Ainsi, le lieu où il est possible de mettre à l'écart le subjectivisme est la nature. L'ordre naturel des choses est la
référence du droit qui va être objectif, puisque tiré de l'objet nature.

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Sur le plan juridique, l'Homme n'a pas des droits mais des devoirs, le devoir de respecter la part de droit que la
nature lui accorde. Donc ce n'est pas l'Homme, sujet de droit, qui est auteur des droits mais la nature qui
distribue les droits entre les individus. Or, la nature ne peut le faire que de manière objective puisqu'elle ne
dépend pas de la volonté des Hommes et n'est pas soumise au caprice de l'Histoire.

Par conséquent, les Hommes ont pour devoir de respecter la distribution naturelle des droits, des parts, des
biens que la nature accorde à chacun. Michel Villey va être à l'origine de la philosophie du droit objectif, qui est
tirée de la nature.

Pour Villey, la nature est saisie au sens grec du terme, le cosmos. Il y a un ordre cosmique et le travail du juriste
est de respecter cet ordre cosmique de distribution des biens et droits. Il en résulte qu’il ne peut y avoir de
pensée juridique des droits fondamentaux, mais uniquement une pensée politique, puisqu'il n'y a pas de sujet
de droit capable de créer les droits fondamentaux.

2. Charles Taylor
Dans la même lignée, dans Le malaise dans la modernité, Charles Taylor compare le monde des oiseaux avec le
monde humain. Il y a d’une part le moineau et, d’autre part, l'aigle, le roi des oiseaux. Taylor considère que dans
la nature il y a le moineau et l'aigle : l'aigle est le roi et il ne viendrait pas à l'esprit du moineau de prendre la
place de l'aigle. C’est la loi de la nature.

Il affirme qu’il en va de même pour les Hommes, chacun a sa place. Le malheur vient le jour où les Hommes
souhaitent modifier l'ordre naturel des choses, recréer le monde à partir de leur propre subjectivité.

B. Les critiques par les philosophes du soupçon : Marx, Nietzsche et Freud


Ces trois philosophes mettent en doute l'existence même d'un sujet. Ils considèrent que le « je » est une illusion.
L'idée qu'il existerait un sujet conscient, libre, rationnel, se déterminant librement n’existe pas. Leurs théories
(1) ont été sources de plusieurs apports (2).

1. Les théories
Marx (a), Nietzsche (b) et Freud (c) mettent en doute la philosophie cartésienne du « je pense, donc je suis ».

a) Marx
Pour Marx, le « je » est une illusion en raison des structures économiques et sociales. L'individu n'est pas un
acteur, mais un agent. Il est influencé, voire déterminé par la structure dans laquelle il est. Par conséquent, l'idée
qu'il puisse y avoir un sujet libre, conscient, volontaire est une illusion. Il met en exergue l’impact déterminant
de la structure économique sur la libre conscience des individus.

b) Nietzsche
Nietzsche va quant à lui, mettre en doute la maîtrise du langage par l'Homme en montrant qu’au contraire, c'est
le langage qui maîtrise l'Homme. L'Homme ne pense qu'à travers une grammaire qui s'impose à lui, au travers
du langage. C'est le langage qui parle à travers l'Homme, qui exprime ses pensées sous la contrainte du
vocabulaire qui existe au moment où il parle. Pour cette raison, selon Nietzsche, les véritables révolutionnaires
sont ceux qui font éclater le vocabulaire. Il met en avant la structure du langage.

c) Freud
Freud va complètement faire éclater le « moi » en affirmant que ce n’est pas le « je » qui pense, mais
l'inconscient. Tous les comportements et actes peuvent être rapportés à ce qu'on a vécu dans la petite enfance
et c'est l'inconscient qui parle. Il met en exergue la structure psychique. Lacan considérait par exemple qu’il ne
faut pas dire « je pense » mais « ça pense en moi ».

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2. Les apports
Ces trois philosophes mettent en doute l’idée même de « sujet » et cela emporte des conséquences dans le
domaine du droit, dans la mesure où tout le droit est fondé sur cette idée de sujet. Le sujet est jusqu’à présent
le support des droits fondamentaux. S'il n'y a plus de sujet, comme l’a dit Foucault, « l'Homme est mort ».

Comment reconnaître que les droits fondamentaux existent alors qu’ils ne semblent être qu’une illusion ?
Comment les concevoir en dehors de ces structures ? Cela pourrait conduire à un retour à une socialisation du
droit naturel. Cette idée de disparition du sujet a aussi des répercussions en dehors du domaine du droit. Cela
conduit à désenchanter le monde, car tout finit par se comprendre en dehors du sujet. Ainsi, ce n’est pas Pierre
qui tombe amoureux de Marie. C’est parce qu’ils étaient ensemble au lycée, c’est la structure les gouvernant qui
permet cela.

L’on note donc une disparition du sujet qui se fait par exemple au travers des formulations employées. On affirme
que le Conseil constitutionnel a déclaré une loi inconstitutionnelle, alors qu’en réalité, ce sont les membres du
Conseil constitutionnel qui l’ont fait. Par ce vocabulaire, il y a un mode de représentation des relations sociales.

Ces trois philosophies sont aussi appelées « philosophies de la déconstruction ». L’un des grands représentants
de cette philosophie est Jacques Derrida, lequel est une sorte de descendant des trois précédentes théories.

Il y a donc une déstabilisation du droit par ces philosophies dans les années 1950. Il s’agit de la grande période
du structuralisme, qui donnera de l'importance aux sciences sociales et humaines, mais en conduisant au
déclin du droit, lequel met en avant le sujet. Cela aura lieu jusqu'à ce qu'un autre courant intervienne, dans
l’objectif de réhabiliter l'idée de sujet.

C. Les tentatives de réhabilitation du sujet

Dans la tentative de réhabilitation du sujet, il y a la volonté de ne pas revenir à la conception d'avant la période
« déconstructioniste ». Cet effort consiste à penser l'individu en intégrant la critique faite par les philosophies du
soupçon. Ce qui va distinguer la conception d'aujourd'hui avec la conception de l'individu d’autrefois est l'idée
d'intersubjectivité.

La première conception de l'individu saisit ce dernier seul dans un rapport avec Dieu, avec la nature, avec la
raison. Cet individu seul a été l'objet de la critique des philosophes du soupçon. Désormais, on va repenser
l'individu comme relié aux autres, donc un individu intersubjectif, ou un individu pluriel. C’est une manière
différente de prendre en compte la relation individu/structure.

Interviennent en ce sens, deux auteurs, Edgar Morin (1) avec l’idée de poly-identité et Michael Walzer (2) avec
sa théorie sur les sphères de justice.

1. Edgar Morin
Edgar Morin est un sociologue, philosophe, historien, qui a beaucoup travaillé sur la notion de « pensée
complexe ». Selon lui, ce n'est pas le sujet ou la structure qui doivent être pris en considération, mais l'un et
l'autre. Dans cette grille de la pensée, Morin considère que la construction du sujet se fait de manière continue
en passant par différents groupes d'appartenance. Cela conduit donc à la présence de poly-identités.

Il y a bien un « je », mais ce « je » n'est pas une donnée. Il s’agit d’une construction permanente qui se fait par
le passage du « je », du sujet, dans différents groupes d'appartenance (famille, école, amis, travail, etc.). La
construction du « je » est le résultat jamais achevé du passage d'un individu dans ces différentes structures.
L'identité d'un sujet est la manière dont on articule les différentes manières dont on se comporte dans ces
différents groupes. Les comportements sont différents en fonction des groupes où l’on se trouve (par exemple,
il n’est pas nécessaire de lever le doigt pour parler dans un repas de famille).

La conclusion pour Morin est de reconnaître le rôle des groupes dans la formation du « je ». Il faut également
reconnaître au groupe le statut de matrice de formation de l'identité du sujet auquel on confiera des droits.

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2. Michael Walzer
Walzer propose de concevoir la société comme étant un ensemble de sphères qu'il appelle les « sphères de
justice » (sphère de l'économie, de l'éducation, du religieux, de la famille, etc.). Il affirme que chacune de ces
sphères dispose d’un principe qui la fait fonctionner ; principe différent pour chaque sphère, lequel assure
l'autonomie et l'indépendance de chacune d’entre elles.

Ainsi, par exemple, concernant la sphère de l’économie, le principe qui la fait fonctionner est le profit. Pour celle
de l'éducation, il s’agit du savoir. Pour la religion, c'est la générosité. Pour la famille, il s’agit de la solidarité.
Walzer considère que l'Homme est pluriel en ce sens qu'un même Homme appartient à une pluralité de
sphères.

Pour assurer la liberté de l'individu qui passe d'une sphère à l'autre, il est nécessaire que les mécanismes
juridiques garantissent l'autonomie institutionnelle de chacune de ces sphères. Concrètement, cette autonomie
est faite pour éviter que le principe d'une sphère devienne le principe d'une autre sphère car nous serions alors
dans un système de confusion des sphères qui conduirait à rendre l'individu dépendant, à réduire l'identité du
sujet à une seule sphère.

Ce qui est dangereux dans la situation actuelle est que le principe de la sphère de l'économie, le profit, devient
progressivement le principe qui anime la sphère de l'éducation, la sphère familiale et qu'au lieu d'avoir un
Homme pluriel, on n'ait plus qu'un Homme economicus. Pourtant, la liberté des droits fondamentaux, la liberté
de la démocratie, impliquent de reconnaître l'autonomie de ces sphères, donc de reconnaître à l'individu les
droits attenants à ces sphères.

Par conséquent, pour Walzer, lorsqu'un des principes d'une sphère s'impose à une autre sphère, la démocratie
et la liberté politique sont en danger. Il ne critique pas le fait que le principe de la sphère économie soit le profit,
mais que celui-ci soit le principe agissant dans les autres structures.

SUJET DE RÉFLEXION

• L’homme est-il un sujet de droit ou un sujet du droit ?

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FICHE N°3 : LE RÔLE ET LA PLACE DES DROITS FONDAMENTAUX

La question du rôle et de la place des droits fondamentaux recoupe deux questions, à savoir celle du rôle
fondateur des droits fondamentaux dans la société ou au contraire, du rôle destructeur de la démocratie. Existe-
t-il un rôle politique des droits fondamentaux ? Est-ce que ce rôle est fondateur de la démocratie ou est-ce qu’il
la met en danger ? Les droits fondamentaux ont-ils pour conséquence de donner au juge un pouvoir exorbitant
dans l’organisation des sociétés politiques ?

Le rôle des droits fondamentaux dans l’organisation politique des sociétés peut être envisagé (I) avant l’analyse
de la légitimité des pouvoirs donnés au juge dans la reconnaissance des droits fondamentaux (II).

I. LE RÔLE DES DROITS FONDAMENTAUX DANS L’ORGANISATION POLITIQUE DES


SOCIÉTÉS

Plusieurs thèses s'affrontent ici dans une controverse ouverte par Marcel Gauchet dans L'avènement de la
démocratie. Sa thèse repose sur une représentation des sociétés politiques reposant sur trois piliers constitutifs :

• Le politique : cadre à l'intérieur duquel une communauté humaine inscrit son destin. Traduit en termes
juridiques, le politique consiste en l'État ;

• Le droit : ensemble des discours qui donnent au politique sa légitimité, sa justification ;

• L'histoire : c'est-à-dire le sens, l'avenir, le futur, le sens qu'une communauté humaine donne au cadre
politique dans lequel elle est inscrite.

Toute société est faite de ces trois éléments pour Gauchet. Sur cette base, il affirme que l'équilibre d'une société
politique dépend de l'équilibre qui s'instaure entre ces trois éléments. Il est nécessaire qu'il y ait une relation
équilibrée entre ces trois éléments pour produire une société politique équilibrée. Chaque fois que l'un des
éléments l'emporte sur les deux autres, les sociétés politiques connaissent une crise, un dysfonctionnement.
Gauchet distingue deux moments de crise dus à un déséquilibre.

Le premier moment de crise de la société démocratique se situe au début du XXème siècle, dans les années 1920
où l'élément politique va l'emporter sur les deux autres. Il appelle cette crise la « crise du libéralisme », par la
domination de l'élément politique (État) sur les deux autres éléments. L'État va écraser l'élément droit
(dictature, Hitler, Mussolini...). L'État va devenir l'élément central et il va se présenter comme la fin de l'histoire.
Ainsi, pour Gauchet, cette domination de l'État a provoqué une crise du libéralisme parce qu'un des éléments l'a
emporté sur les deux autres.

La deuxième crise apparaît dans les années 2000. C’est la « crise de la démocratie » : l'élément droit l'emporte
sur les deux autres. On observe une multiplication des droits fondamentaux, des discours sur les droits de
l'Homme, une promotion accrue des droits fondamentaux. Cela écrase l'État et l'Histoire. L'État est écrasé dans
la mesure où la revendication des droits fondamentaux conduit les sociétés à être ingouvernables. L’Histoire est
écrasée car les droits de l'Homme se présentent comme étant l'avènement de l'universalisme, le triomphe du
droit naturel de l'Homme et par conséquent la fin de l'Histoire.

Gauchet considère que cette domination de l'élément droit produit un déséquilibre et explique les crises des
sociétés actuelles. Il y aurait trop de droits fondamentaux. Par conséquent, les droits fondamentaux ne peuvent
pas être au fondement de la démocratie. Ils sont un danger pour la démocratie dans la mesure où cette dernière
a besoin d'être gouvernée. Il est alors nécessaire de faire primer l'intérêt général, l'intérêt du bien commun, sur
les intérêts particuliers tels qu'exprimés dans le droit des individus. Les droits fondamentaux empêchent
l'émergence de l'intérêt général.

Cette analyse de Gauchet rejoint les analyses produites à la même période par certains juristes civilistes et
publicistes. Jean Carbonnier notait, dans les années 1980, que la multiplication des droits fondamentaux fait
éclater le droit. Il donne comme exemple le droit de la famille où désormais on ne parle plus du droit de la famille
mais du droit des membres de la famille. Cette multiplication des droits fondamentaux individuels remet en
cause la gouvernementalité de la famille.

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Les publicistes font la même observation sur la difficulté pour un gouvernement de mener à bien une réforme,
chaque politique provoquant une manifestation au nom d'un droit fondamental qui s’en trouverait limité. Les
juristes avaient donc préalablement montré en quoi la multiplication des droits fondamentaux était venue diluer
le cadre collectif.

Les hommes politiques eux-mêmes tenaient ce même langage, avec une dénonciation de la trop grande
importance des droits de l'Homme qui venaient gêner la détermination des politiques publiques.

La conclusion de Gauchet est que les droits de l'Homme ne peuvent pas constituer une politique. Ils ne peuvent
être au fondement de la cité, des sociétés car, dans ce cas, ces sociétés sont ingouvernables. Il est nécessaire
que les droits fondamentaux soient limités, encadrés par le politique et l'histoire. C'est dans l'équilibre des trois
éléments que la cité peut trouver son mode de fonctionnement démocratique.

Cette thèse de Gauchet a pu être discutée par Dominique Rousseau d’un point de vue interne et externe.

Le point de vue interne signifie qu’on se place à l'intérieur de la pensée de Gauchet. On discute l'argumentation
de l'équilibre entre les trois éléments. L'opposition avancée par Dominique Rousseau est que les droits
fondamentaux ne conduisent ni à la fin du politique ni à la fin de l'histoire.

Il n’y a pas de fin du politique parce que le propre des droits fondamentaux est de mettre les individus en
relation les uns avec les autres, ne serait-ce que pour concourir à l'expression de la volonté générale. Donc les
droits fondamentaux ouvrent sur du politique. Ils n'ouvrent pas nécessairement sur la politique étatique, mais
sur un espace public de discussion, de délibération. Ils fondent en ce sens le débat politique.

Les droits fondamentaux sont le code de la communication politique. En ce sens, ils n'épuisent pas, n'étouffent
pas le politique. En revanche, ils déplacent le lieu politique de l'État vers l'espace public. Cela implique une
révolution conceptuelle, puisque désormais, l'intérêt général n'est pas donné a priori par une institution qui
serait l'État, mais il serait désormais construit par cet échange issu des droits fondamentaux, pour découvrir la
règle de vie qui à un moment donné exprime l'intérêt de la communauté. Par conséquent, on change de
conception de l'intérêt général, qui n'est plus dans l'État, mais qui se construit par un échange entre les individus
sur la règle générale.

Ensuite, les droits fondamentaux n'étouffent pas l'Histoire dans la mesure où le propre des droits fondamentaux
est précisément de n'être jamais réalisés et d'ouvrir sur l'Histoire, d'ouvrir sur l'action des Hommes, notamment
politique, pour faire en sorte que les droits qu'ils énoncent deviennent réalité. Comme l’affirmait Antoine
Garapon, les droits fondamentaux sont des promesses.

Les droits fondamentaux sont des énoncés qui fixent à une communauté sa direction, son sens et qui l'obligent
à agir pour aller vers ce sens, sans que jamais les droits fondamentaux soient définitivement réalisés.

Ainsi, par exemple, le principe d'égalité a été énoncé en 1789, mais ce principe n'est pas derrière nous. Il reste
un principe qui est devant nous, qui appelle de l'histoire, de l'action de la part des communautés humaines.

Par conséquent, en se mettant à l’intérieur même de l’argumentation de Gauchet, on peut la contester, en disant
qu’au contraire, les droits fondamentaux ouvrent sur le politique car ils amènent à discuter et, partant, sont
sources d’historicité. Les droits fondamentaux ouvrent un espace public de discussion sur la base duquel se
construit une autre configuration que la configuration étatique.

En ce qui concerne la critique selon un point de vue externe, il faut se demander si tout peut devenir droit
fondamental. Est-ce qu’il y a effectivement une multiplication incontrôlée des droits fondamentaux ou bien au
contraire, est-ce qu’il y a des conditions pour qu’un élément soit reconnu comme droit fondamental ?

Plusieurs solutions sont possibles. Quant au critère de la « fondamentalité » d’un droit, si on s’appuie sur les
travaux de Charles Chaumont, tels que réactualisés par Monique Chemillier-Gendreau, on peut retenir comme
critère de « fondamentalité » d’un droit, un processus composé de trois étapes :

1. La prise de conscience qu’une contradiction sociale peut mettre en cause l’existence même de la
société : toute société est faite de contradictions, d’oppositions, de conflits d’intérêts. Certains ne sont
pas dangereux pour l’existence de la société et peuvent être réglés pacifiquement par le compromis.
Il arrive, en revanche, que d’autres contradictions prennent à un certain moment et dans certaines
circonstances, un poids tel, qu’à les laisser prospérer elles pourraient faire éclater la société.

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Ces contradictions sont à l’origine de revendications, de demandes, de souhaits, lorsqu’elles arrivent à
un point où elles mettent en cause l’existence de la société. C’est la première étape pour la faire passer
de l’état prénormatif à l’état normatif. Cette première étape est importante et elle varie selon les
sociétés, selon les moments historiques, selon l’état moral ou psychologique d’une société.

Par exemple, la prise de conscience progressive des sociétés du risque pour l’environnement du
nucléaire conduit progressivement à ce que, ce qu’étaient des simples souhaits, passent à l’état
normatif et qu’on commence à voir émerger un droit de l’environnement.

2. Il faut que cette revendication puisse être arrimée au système de droit existant : le passage de l’état
prénormatif à normatif doit être légitimé par la démonstration que le passage est cohérent avec le
système normatif existant et qu’il vient le compléter, l’enrichir.

Par exemple, le droit de l’environnement peut être en relation logique et cohérente avec le droit à la
santé publique qui existe déjà. Il peut en découler le droit à un environnement sain à mettre en place.
Donc la démonstration que l’arrivée à l’état normatif s’ajoute harmonieusement au système déjà
existant doit être faite.

3. Il faut qu’il y ait un phénomène de traduction dans le droit : ce qui s’exprimait dans le langage
revendicatif, doit donner lieu à une traduction sémantique et il faut que la revendication s’exprime dans
les mots du droit. Il est nécessaire que la revendication ait été linguistiquement transformée pour
s’exprimer dans le vocabulaire du droit et par conséquent être reçue dans le monde du droit et dans
l’étage normatif auquel elle aspire.

Ce processus à trois étages conditionne la « fondamentalisation » d’un droit. Un droit ne peut être fondamental
que dans la mesure où il a passé ces trois étapes. Ce processus de « fondamentalisation » doit évidemment être
nuancé en fonction de la qualité des opérations intellectuelles faites dans chacune de ces étapes.

Dans la première, tout dépend de la conscience qu’ont les acteurs de la gravité ou non d’une contradiction,
puisque de cette contradiction dépend la prise de conscience de la nécessité ou non de faire passer un droit de
l’état prénormatif à l’état normatif. Tout dépend du travail que les juristes vont opérer ou ne pas vouloir opérer
pour changer le vocabulaire de la revendication. Par exemple, pour certains juristes, les droits culturels ne sont
pas des droits fondamentaux.

Cette nuance a un effet sur la qualité du droit qui va être reconnu : un droit fondamental peut être proclamé.
Cela signifie qu’il a pu réussir à passer les différentes étapes, mais il en reste à l’état de droit « proclamatoire » :
il ne devient pas un droit exécutoire.

Il s’agit du cas où la contradiction à la base de sa « fondamentalisation » a été suffisamment forte pour le faire
passer de l’état prénormatif à l’état normatif, mais insuffisamment forte pour conduire la société à prendre les
moyens permettant de rendre ce droit exécutoire. On est passé du non droit au droit proclamatoire, mais non
exécutoire, car dans chaque étape, le travail de transformation a été contrecarré ou limité, empêchant d’aller
jusqu’au bout de la transformation.

Parmi les obstacles qui rendent difficiles ou plus lent le passage de la proclamation à l’exécution, il y a notamment
le travail ou l’absence de travail des différents acteurs (juges, universitaires, avocats, etc.). Il y a aussi le fait que
l’entrée dans la « fondamentalité » d’un droit provoque des contradictions avec le système de droits
fondamentaux existant.

Par exemple, la prise de conscience en matière d’environnement conduit à faire entrer comme droit fondamental
le droit de chacun à un environnement sain. Mais l’entrée de ce droit dans le système des droits fondamentaux
fait rentrer en conflit ce droit avec d’autres droits (liberté d’entreprendre, liberté de la recherche, etc.). Cela
provoque un nécessaire arbitrage qui peut ralentir le passage d’un droit proclamé à un droit exécuté.

Ce qui est au cœur du système de reconnaissance de la fondamentalité d’un droit est l’idée de contradiction,
puisque c’est de son existence, de sa prise de conscience, de son importance, que dépend le passage du
prénormatif au normatif et que dépend également au sein du normatif, le passage du proclamatoire à
l’exécutoire.

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Dans ces différents passages, le juge et les juristes en général ont un rôle capital : tout repose sur leur saisie du
prénormatif, sur leur réception des contradictions, sur la transformation qu’ils opèrent de ces contradictions en
norme, et de la portée effective ou non qu’ils font peser en cas de méconnaissance de ces normes.

Ce ne sont pas les seuls acteurs de ces passages mais leur rôle est capital, quel que soit leur métier. Il en va ainsi
par exemple du rôle des avocats dans la reconnaissance des infractions écologiques, des magistrats qui ont reçu
ou non les plaintes, du rôle de la doctrine qui critique ou renforce la légitimité du droit.

Il existe bien entendu d’autres régimes d’intelligibilité, de compréhension, de la « fondamentalité » d’un droit.
Le régime proposé part du postulat que la « fondamentalité » ne dépend pas de l’essence du droit, mais bien de
l’existence au sein de la société de contradictions considérées à un moment donné, comme devant être
traitées par le droit pour éviter que l’être social éclate.

II. LA LÉGITIMITÉ DES POUVOIRS DONNÉS AU JUGE DANS LA RECONNAISSANCE DES


DROITS FONDAMENTAUX

Ce pouvoir est-il légitime ? L’étendue et la réalité du pouvoir du juge dans la reconnaissance des droits
fondamentaux (A) doivent être vérifiées avant l’analyse de la légitimité de ces derniers (B).

A. L’étendue et la réalité du pouvoir du juge dans la reconnaissance des droits


fondamentaux
Le travail de reconnaissance du juge peut être subdivisé en un travail de reconnaissance faible (1) ou fort (2).

1. Le travail de reconnaissance faible


Le travail de reconnaissance faible est présent lorsqu'on considère que le juge ne fait que reconnaître une
« fondamentalité » déjà présente dans le droit parce que cette « fondamentalité », soit y a été déposée par une
autorité objective, supérieure et extérieure au juge, soit parce que la « fondamentalité » est une propriété
intrinsèque, ontologique du droit en question.

Dans cette hypothèse, le juge fait un travail de reconnaissance mais considéré comme faible car il ne fait que
reconnaître quelque chose qui est déjà là, posé. Il est aussi possible que la « fondamentalité » du droit ne soit
pas posée par le juge, mais par le constituant, par exemple qui a déclaré tel droit fondamental que le juge ne fait
que reconnaître. Il peut aussi s’agir de la nature, de Dieu, mais il est nécessaire que ce soit quelqu'un d’extérieur
à la subjectivité du juge. La « fondamentalité » peut aussi être l'essence même du droit en question.

2. Le travail de reconnaissance fort


Le travail de reconnaissance fort intervient dans l’hypothèse où le juge reconnaît une « fondamentalité » à un
droit, par un travail personnel de reconnaissance de l'intérêt porté à un moment donné par les sociétés à tel ou
tel droit.

Il s’agit d’un travail de reconnaissance « fort », en ce sens que le droit n'a pas en lui-même la « fondamentalité »,
ou aucune autorité n'a donné une « fondamentalité » à ce droit. C'est le juge qui, en interprétant l'évolution de
la société, des croyances collectives, se fait mi-sociologue, mi-historien, et reconnaît à un droit son caractère
fondamental.

Cette reconnaissance créatrice du juge peut donner lieu à une échelle de créations différentes.

En effet, il peut tout d’abord s’agir d’un travail d'interprétation consistant dans la découverte du juge, où la
reconnaissance porte sur l'évolution de la société. Dans ce cas, on est près du positivisme sociologique de
Duguit : le juge est perçu comme un capteur des droits que la société produit elle-même.

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Les règles de la vie émergent de la société et il appartient au juge de faire advenir dans le monde du droit les
règles sociales. Ou au contraire, le pouvoir peut être plus fort lorsque c'est le juge lui-même qui, par un acte de
volonté, affirme la « fondamentalité » d'un droit. Là on est près des théories réalistes de l'interprétation, qui
reconnaissent un pouvoir créateur arbitraire au juge.

Une autre grille de lecture possible découle de la décision du Conseil constitutionnel, C.C., 14 octobre 2010, déc.
n° 2010-52 QPC, Compagnie agricole de la Crau [Imposition due par une société agricole].

En l’espèce, il s'agissait de savoir si l'expression « disposition législative applicable » pour apprécier la recevabilité
d'une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) devait s'entendre comme la disposition législative votée
par le Parlement, ou bien la disposition législative telle qu'interprétée par les juges judiciaires et administratifs
depuis que cette loi avait été votée.

La réponse du Conseil constitutionnel est la suivante :

« Considérant que l'article 61-1 de la Constitution reconnaît à tout justiciable le droit de voir examiner, à sa
demande, le moyen tiré de ce qu'une disposition législative méconnaît les droits et libertés que la Constitution
garantit ; que les articles 23-2 et 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée fixent les conditions dans
lesquelles la question prioritaire de constitutionnalité doit être transmise par la juridiction au Conseil d'État ou à
la Cour de cassation et renvoyée au Conseil constitutionnel ; que ces dispositions prévoient notamment que la
disposition législative contestée doit être « applicable au litige ou à la procédure » ; qu'en posant une question
prioritaire de constitutionnalité, tout justiciable a le droit de contester la constitutionnalité de la portée effective
qu'une interprétation jurisprudentielle constante confère à cette disposition ; ».

Selon le Conseil constitutionnel, il s’agit donc de la disposition législative telle qu'interprétée et appliquée par
les juges, parce que c'est l'interprétation des juges qui donne leur portée effective aux dispositions législatives.

Autrement dit, une disposition législative non interprétée n'a pas de portée. C'est l'interprétation du juge qui
donne sa portée effective, qui donne un effet de droit, donc qui la transforme en norme.

Cette décision donne corps aux présupposés de toutes les théories réalistes de l'interprétation qui est le
découplage entre énoncé et normes. Ce qu’affirme le Conseil constitutionnel est qu'une disposition législative
n'est pas une norme. Il s’agit d’un énoncé juridique. Cet énoncé juridique ne devient une norme que lorsque le
juge lui a donné sa signification.

C'est la raison pour laquelle la QPC ne peut porter que sur l'interprétation de la disposition législative, puisque
c'est elle qui est considérée par le requérant comme portant atteinte à tels ou tels droits fondamentaux.

Il en va ainsi par exemple, du point de départ du délai de prescription des abus des biens sociaux. Aux termes de
la loi, ils sont prescrits au bout de trois ans. Le juge a pourtant considéré que le point de départ du délit n'est pas
le moment où il est commis, mais le moment où il est découvert.

Le juge a donc donné par son interprétation, une portée effective qui n'était pas dans la loi. C'est donc ce « droit
vivant » tel qu'appliqué réellement par le juge dans les affaires, que le justiciable conteste.

Cette deuxième grille signifie que pour les droits fondamentaux, c'est la manière dont le juge va interpréter
l'énoncé « droit de propriété », « liberté de la presse », « liberté d'expression », qui va donner à ce droit sa
portée effective.

Par exemple, la liberté de la presse est-elle un droit fondamental ? Cette question peut être saisie de deux
manières. Soit on la voit du point de vue des entreprises de presse, donc on l'analyse à partir de la liberté
d'entreprendre, et dans ce cas on attribue une liberté de concentration d'entreprises de presse ; soit on la voit
du point de vue des lecteurs, droit aux lecteurs d'avoir une presse pluraliste et, dans ce cas, on conclut à une
limitation de la concentration d'entreprises de presse. Ce qui va donner la portée effective de la liberté de la
presse est le choix du juge entre ces deux compréhensions possibles.

La part du juge dans la reconnaissance de la « fondamentalité » d'un droit, quelle que soit la grille d'analyse prise,
montre à l'évidence que le juge est un acteur déterminant de la « fondamentalité » d'un droit.

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B. La légitimité du pouvoir
La part du juge dans la détermination de la « fondamentalité » du droit est évidemment régulièrement critiquée
comme étant l'expression d'une usurpation de pouvoir et notamment du pouvoir constituant, du souverain, du
politique. Les écrits sont nombreux aussi bien en philosophie, qu'en droit ou en sciences politiques pour critiquer
cette part prise par le juge.

Pierre Brunet considère que cette part du juge conduit non pas à un régime démocratique mais aristocratique.
Les politistes affirment que la seule légitimité démocratique est l'élection et vu que les juges ne sont pas élus, ils
ne peuvent reconnaître la « fondamentalité » d'un droit.

Quels éléments peuvent fonder la légitimité du juge à la reconnaissance de la « fondamentalité » d’un droit ?

Selon Dominique Rousseau, l’une des justifications est la définition donnée de la loi.

La loi votée n'est l'expression de la volonté générale que dans le respect de la Constitution. Cette définition de
la loi s'est substituée ou coexiste avec la définition classique selon laquelle « la loi est l'expression de la volonté
générale ».

Cette définition implique la participation légitime d'au moins deux institutions : le parlement pour voter la loi, le
juge pour vérifier qu'elle respecte la Constitution. Autrement dit, notre système juridique actuel légitime deux
institutions dans la fabrication de la « fondamentalité », le parlement et le juge.

Sur le plan juridique, cette conception nouvelle du processus de fabrication de la loi débouche sur une autre
conception de la légitimité démocratique : la légitimité démocratique d'une institution, la légitimité
démocratique d'une décision, ne repose plus uniquement sur son origine, c'est-à-dire l'élection, mais sur la
manière dont elle est produite, sur la manière dont le pouvoir est exercé.

Donc la légitimité démocratique ne repose pas sur l'origine du pouvoir, mais sur l'exercice du pouvoir. L'origine
électorale ne suffit pas. La légitimité démocratique dépend de la manière dont est exercé le pouvoir. Ce sont ces
deux éléments qui aujourd'hui construisent la légitimité d'une institution.

La seconde justification se réfère aux éléments constitutifs de la légitimité : lorsqu’on dit que le juge n'est pas
légitime à intervenir, que signifie « légitime » ?

Pour Weber par exemple, la tradition et le charisme sont les ressorts de la légitimité. Mais il y a aussi d'autres
éléments constitutifs de la légitimité qui font qu'une société considère légitime une institution qui participe à la
production des règles : l'impartialité, la proximité, la réflexibilité.

Ces trois éléments constitueraient la substance de la légitimité et produiraient l'adhésion des sociétés aux
institutions qui rempliraient ces éléments constitutifs, participant ainsi à la reconnaissance de la
« fondamentalité » :

• Impartialité : il s’agit d’un signe que l'institution, ou les décisions prises par l'institution, ont fait droit à
l'écoute de tous les arguments qui pouvaient être produits sur tel ou tel sujet. L’impartialité garantit
qu'aucun argument ne soit oublié, que tous les arguments soient entendus lors de la production de la
décision ;

• Proximité : il s’agit de la prise en charge des circonstances particulières de chaque situation pour
adapter la décision aux circonstances de l'espèce ;

• Réflexibilité : signifie qu'on arrive à articuler le temps court de l'émotion, au temps long de la réflexion.

Ce seraient ces trois éléments qui constitueraient aujourd'hui la substance de la légitimité démocratique. Cette
légitimité démocratique expliquerait le succès d'un certain nombre d'institutions qui, à tort ou à raison,
paraissent remplir ces trois éléments.

Il en va ainsi des autorités administratives indépendantes, qui seraient plus impartiales que l’État pour gérer la
communication, la concurrence, etc. On considère que ces autorités administratives indépendantes seraient plus
impartiales, plus proches de la réalité des choses et plus réflexives que l’État.

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Cela expliquerait aussi la montée en puissance des juges dans nos sociétés puisque la justice correspondrait à
cette scène de la représentation qui respecte l'impartialité, qui remplit la proximité (rendent des normes pour le
cas d'espèce) et qui ont comme normes de référence les grands principes du « vivre ensemble ».

Il y a donc un déplacement des éléments constitutifs de la légitimité démocratique, de l'origine des pouvoirs,
vers le mode d'exercice des pouvoirs, qui provoquerait un glissement de la croyance collective vers des
institutions qui sont plus en adéquation avec les sociétés.

La participation des juges dans la détermination de la « fondamentalité » des droits est une anomalie
démocratique au regard de la légitimité classique qui fait de l'origine le seul élément de légitimité.

Mais la reconnaissance par les juges est démocratique si on accepte le changement de paradigme de la légitimité,
et que l'on considère que les trois critères sont au même titre que l'origine électorale, les éléments constitutifs
de la légitimité démocratique d'aujourd'hui.

Pour Dominique Rousseau, il convient de repenser la légitimité démocratique. Il considère légitime la


participation des juges à la reconnaissance de la « fondamentalité » des droits, sous réserve d'accepter de
repenser la légitimité démocratique qui jusqu'à présent, est fondée sur le paradigme du XIXème, la découverte du
suffrage universel. Sous cette réserve, la part du juge dans la reconnaissance de la « fondamentalité » ne
remettrait pas en cause les principes de l'exigence démocratique.

SUJET DE RÉFLEXION

• La reconnaissance d’un droit fondamental.

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FICHE N°4 : DROITS FONDAMENTAUX, LIBERTÉS ET CIRCONSTANCES
EXCEPTIONNELLES

Les différents pouvoirs de crise sont des procédés destinés à faire face à des situations d’exception de caractère
national ou local, qui se traduisent par un assouplissement ou une mise à l’écart pour une durée plus ou moins
longue de la légalité ordinaire.

La principale question à se poser concernant ces régimes est celle de leur portée et notamment le fait de savoir
si la garantie des libertés est effective pendant cette période. En effet, pendant ces situations spécifiques, il peut
s’avérer nécessaire de mettre en œuvre un régime moins favorable aux libertés publiques.

Il faut ici envisager l’application de l’article 16 de la Constitution (I), de l’état de siège (II), de l’état d’urgence (III),
ainsi que de l’état d’urgence sanitaire (IV).

I. L’ARTICLE 16 DE LA CONSTITUTION

L'article 16 de la Constitution est relatif au pouvoir exceptionnel du président de la République en tant que chef
de l’État. Il dispose que, lorsque les institutions de la République, l’indépendance de la Nation, l’intégrité de son
territoire ou l’exécution de ses engagements internationaux sont menacées d’une manière grave et immédiate
et que le fonctionnement régulier des pouvoirs publics est interrompu, il revient au président de la République
de prendre les mesures exigées par ces circonstances.

Cet article avait été mis en place dans la Constitution de 1958 sur demande du général de Gaulle et à cause de la
délégation du pouvoir au Maréchal Pétain par l'assemblée en 1940. Les rédacteurs de la Constitution ont eu alors
l'idée de prévoir quelle autorité aurait exceptionnellement une extension de pouvoir en cas de crise politique
majeure. Il a été décidé que c'est le président de la République qui se trouverait investi de ces pouvoirs
exceptionnels.

L’article 16 de la Constitution comporte des éléments sur les raisons qui permettent sa mise en application et
sur ses conséquences. S’agissant des raisons, il faut qu'il y ait une interruption des pouvoirs publics
constitutionnels et qu'il y ait aussi un autre élément, comme l'atteinte aux institutions, l'atteinte à la
souveraineté de la nation, ou l'atteinte à l'intégrité du territoire.

Pour les conséquences, il est uniquement précisé que le président de la République prend les mesures exigées
par les circonstances.

Cette formule a été considérée par ceux qui critiquaient l'article 16 comme étant trop large. Elle laisse, en effet,
place à une large interprétation. Il est certain que le président de la République peut non seulement prendre des
mesures relevant de son pouvoir réglementaire, mais aussi empiéter sur le domaine législatif. Il est aussi en
mesure d’imposer son interprétation des faits justifiant l’application de l’article 16 et de décider d’exercer ses
pouvoirs exceptionnels.

Afin de contrebalancer cette liberté laissée au chef de l’État, il est prévu qu’il doive consulter officiellement le
Premier ministre, les présidents des deux assemblées et le Conseil constitutionnel.

Malgré cette obligation formelle, l’article 16 peut être perçu comme dangereux, d’autant plus qu’il s’agit d’un
acte de gouvernement et que le Conseil d’État ne pourra donc pas se prononcer sur sa légalité (C.E., 2 mars
1962, Rubin de Servens).

Dès son élaboration, l’article 16 a été contesté par la gauche, et notamment par François Mitterrand dans son
livre Le Coup d'État permanent. La logique du coup d'État permanent telle qu'elle est décrite par Mitterrand est
celle qui consiste, pour le président de la République, à proclamer trop souvent qu'il y a une crise dans l’unique
but d'étendre au maximum ses pouvoirs.

La seule application de l'article 16 de la Constitution a fait l’objet d’importantes critiques. Elle a eu lieu en 1961,
lors du putsch des généraux (tentative de coup d’État). Sa mise en application a duré quatre mois, ce que les
observateurs ont considéré comme bien trop long, dans la mesure où le fonctionnement des pouvoirs publics en
Algérie était rétabli au bout d'une semaine.

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En réalité, les quatre mois ont servi à organiser notamment des tribunaux militaires spéciaux pour condamner
les individus qui s'étaient révoltés en Algérie au sein de l'armée.

Afin d’éviter de tels abus, la révision de juillet 2008 a entraîné un ajout à l'article 16, selon lequel au bout de
trente jours d'application de l'article 16, le Conseil constitutionnel peut être consulté sur la validité de son
maintien. Ceux qui saisissent le Conseil constitutionnel sont les mêmes que pour la saisine de l'article 61 en
matière de contrôle constitutionnel des lois.

En vertu de ses pouvoirs, le président de la République a donc la possibilité de restreindre ou suspendre


l’exercice ou la garantie des droits fondamentaux.

Il en va ainsi de certaines décisions adoptées en 1961 comme l’extension du délai de garde à vue à quinze jours
dans les départements algériens ou encore l’habilitation du ministre de l’Intérieur à décider des mesures
restrictives ou privatives de liberté ainsi qu’à interdire certains écrits considérés comme subversifs ou
divulgateurs d’informations secrètes.

Mais, si la décision de mettre en œuvre l’article 16 constitue un acte de gouvernement, les décisions du
président de la République qui définissent les mesures exceptionnelles peuvent faire l’objet d’un contrôle
juridictionnel.

Ainsi, les décisions présidentielles législatives (portant sur une des matières dont l’article 34 de la Constitution
réserve la fixation des règles ou la détermination des principes fondamentaux à la loi) pourront faire l’objet d’un
contrôle de conventionnalité par les juges ordinaires ou d’une question prioritaire de constitutionnalité.

Enfin, le Conseil d’État a reconnu sa compétence pour contrôler les actes relevant du domaine du pouvoir
réglementaire et adoptés par le président de la République (C.E., 19 octobre 1962, Canal).

II. L’ÉTAT DE SIÈGE

Il s’agit d’un régime exceptionnel de police déclaré « en cas de péril imminent, résultant d’une
guerre étrangère ou d’une insurrection armée » - Article L. 2121-1 du code de la défense. Il consiste à confier le
maintien de l’ordre à une autorité militaire revêtue de pouvoirs de police aggravés.

Conformément à l’article 36 de la Constitution, l'état de siège est décrété en Conseil des ministres. Sa
prorogation au-delà de douze jours ne peut être autorisée que par le Parlement.

Le juge administratif a reconnu sa compétence pour contrôler la légalité du décret portant déclaration de l’état
de siège (C.E., 23 octobre 1953, Huckel).

La déclaration de l’état de siège a pour conséquence l’attribution à l’autorité militaire de certains pouvoirs
exorbitants, dont notamment la possibilité de perquisitionner à domicile de jour et de nuit, d’éloigner les repris
de justice et les non-domiciliés des lieux soumis à l’état de siège, d’ordonner la remise des armes et des
munitions, ainsi que d’interdire les publications et réunions susceptibles d’exciter ou d’entretenir le désordre.

Les mesures individuelles adoptées par les autorités militaires sur le fondement de l’état de siège sont soumises
au régime juridique des décisions administratives.

La procédure de l’état de siège n’a jamais été utilisée sous la Vème République.

III. L’ÉTAT D’URGENCE

Il est nécessaire de définir l’état d’urgence (A), avant d’envisager sa procédure (B) et ses conséquences (C). Une
partie des pouvoirs de l’état d’urgence a été introduite dans le droit commun (D), mais son application demeure
contrôlée (E). Nombreuses ont été les déclarations d’état d’urgence depuis 1955 (F).

22
A. Définition
Il s’agit d’un régime exceptionnel de police déclaré soit en cas de péril imminent résultant d'atteintes graves à
l'ordre public (par exemple en cas d’attentat terroriste), soit en cas d'événements présentant, par leur nature
et leur gravité, le caractère de calamité publique (catastrophe naturelle par exemple).

Il n’est pas prévu par la Constitution, mais par la loi n° 55-385 du 3 avril 1955, laquelle a été déclarée
constitutionnelle par le Conseil constitutionnel dans la décision C.C., 25 janvier 1985, déc. 85-187 DC, Loi relative
à l’état d’urgence en Nouvelle-Calédonie et dépendances.

En effet, le Conseil constitutionnel a été saisi de la question de savoir si le législateur pouvait instituer des
législations d’exception en dehors des cas prévus par la Constitution.

Il affirme que : « Considérant que, si la Constitution, dans son article 36, vise expressément l'état de siège, elle
n'a pas pour autant exclu la possibilité pour le législateur de prévoir un régime d'état d'urgence pour concilier,
comme il vient d'être dit, les exigences de la liberté et la sauvegarde de l'ordre public ; qu'ainsi, la Constitution
du 4 octobre 1958 n'a pas eu pour effet d'abroger la loi du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence, qui, d'ailleurs,
a été modifiée sous son empire ».

Le Conseil d’État a emboité le pas en considérant qu’« il n'y a pas entre le régime de l'état d'urgence issu de la loi
du 3 avril 1955 et la Constitution du 4 octobre 1958 une incompatibilité de principe qui conduirait à regarder cette
loi comme ayant été abrogée par le texte constitutionnel » (C.E., 21 novembre 2005, Boisvert).

S’est aussi posée la question de la conventionnalité de l’état d’urgence.

Selon le Conseil d’État, le régime de l’état d’urgence est conforme à la CESDH (C.E., 24 mars 2006, Rolin).

La loi du 3 avril 1955 a été modifiée par la loi du 7 août 1955. Puis, une réforme du 4 février 1960 est intervenue
par voie d’habilitation législative. En vertu de cette réforme, l’état d’urgence peut être déclaré par le président
de la République et non plus par le législateur. D’autres modifications sont par la suite intervenues, afin
d’adapter le régime de l’état d’urgence.

La question de la constitutionnalisation de l’état d’urgence s’est pourtant posée, tout d’abord en 1992, puis en
2015. En effet, à la suite des attentats, un projet de loi constitutionnelle prévoyait l’introduction de l’état
d’urgence dans un article 36-1. Le projet n’a cependant pas abouti, en raison des objections relatives à la
deuxième mesure de la réforme portant sur la déchéance de nationalité.

L’intérêt de la constitutionnalisation de l’état d’urgence serait de permettre au législateur de proroger l’état


d’urgence, sans toutefois le modifier (ce qu’il est en mesure de faire, en l’absence de constitutionnalisation).

La déclaration de l’état d’urgence permet d’accroître les compétences de l’autorité civile et particulièrement le
pouvoir de police des préfets et du ministre de l’Intérieur. Pendant cette période, la légalité ordinaire est alors
mise entre parenthèses.

B. Procédure
La déclaration de l’état d’urgence (1) peut faire l’objet d’une prorogation (2). Son application géographique peut
être variable (3).

1. La déclaration
L’état d’urgence est déclaré par le président de la République par décret en Conseil des ministres, après
information du secrétaire général du Conseil de l’Europe.

Le décret, soumis à contreseing, détermine-la ou les circonscriptions territoriales à l’intérieur desquelles l’état
d’urgence entre en vigueur. Ce dernier est déclaré pour une durée initiale de douze jours.

23
2. La prorogation
L’extension de la durée de douze jours est soumise à l’adoption d’une loi. À l’occasion de cette prorogation de
l’état d’urgence, le législateur peut aussi modifier son régime.

Une particularité concernant la prorogation peut être remarquée. En effet, en 1961, lorsque l’état d’urgence a
été déclaré, le général de Gaulle a aussi mis en œuvre l’article 16 de la Constitution. Sur le fondement de ses
pouvoirs exceptionnels, il a alors décidé de proroger l’état d’urgence.

3. L’application géographique
Selon l’article 1er de la loi du 3 avril 1955, « L'état d'urgence peut être déclaré sur tout ou partie du territoire
métropolitain, des départements d'outre-mer, des collectivités d'outre-mer régies par l'article 74 de la
Constitution et en Nouvelle-Calédonie (…) ».

L’article 2 quant à lui, dispose que « L'état d'urgence est déclaré par décret en Conseil des ministres. Ce décret
détermine la ou les circonscriptions territoriales à l'intérieur desquelles il entre en vigueur. / Dans la limite de ces
circonscriptions, les zones où l'état d'urgence recevra application seront fixées par décret (…) ».

Une fois ces circonscriptions déterminées, plusieurs décrets simples fixent les zones où l’état d’urgence recevra
application dans la limite des circonscriptions.

Ainsi, l’état d’urgence ne s’applique pas de manière uniforme sur le territoire. Par conséquent, la déclaration
de l’état d’urgence emporte l’application de l’état d’urgence simple, tandis que son application (décret dans les
zones) peut conduire l’exécutif à établir un état d’urgence aggravé.

C. Conséquences
En vertu de la loi du 3 avril 1955, la déclaration de l'état d'urgence confère des pouvoirs considérables au ministre
de l’Intérieur et aux préfets (1). Elle permet de restreindre les libertés publiques ou individuelles jusqu’à la fin
de l’état d’urgence (2).

1. Les mesures pouvant être adoptées


Il peut être envisagé d’une part les mesures pouvant être adoptées dans le cadre de la déclaration (a) et d’autre
part dans le cadre des zones (b).

a. Dans le cadre de la déclaration

En application de l’article 5 de la loi du 3 avril 1955 :

« La déclaration de l'état d'urgence donne pouvoir au préfet dont le département se trouve en tout ou partie
compris dans une circonscription prévue à l'article 2, dans le but de prévenir des troubles à la sécurité et à l'ordre
publics :

1° D'interdire la circulation des personnes ou des véhicules dans les lieux et aux heures fixés par arrêté ;

2° (Abrogé) ;

3° D'interdire le séjour dans tout ou partie du département à toute personne à l'égard de laquelle il existe des
raisons sérieuses de penser que son comportement constitue une menace pour la sécurité et l'ordre publics.
L'arrêté énonce la durée, limitée dans le temps, de la mesure, les circonstances précises de fait et de lieu qui la
motivent, ainsi que le territoire sur lequel elle s'applique, qui ne peut inclure le domicile de la personne intéressée.

Ces mesures tiennent compte de la vie familiale et professionnelle des personnes susceptibles d'être concernées ».

Le 2° de cette disposition, donnait pouvoir au préfet d’instituer des zones de protection ou de sécurité dans
lesquelles le séjour est réglementé.

24
Cependant, le Conseil constitutionnel a déclaré cette disposition contraire à la Constitution au motif qu’elle
n’était assortie d’aucune précision sur sa mise en œuvre (C.C., 11 janvier 2018, déc. 2017-684 QPC, Associations
La cabane juridique / Legal Shelter et autre [Zones de protection ou de sécurité dans le cadre de l'état d'urgence]).

Au-delà de cet article 5, l’article 9 de la loi régule la remise des armes, tandis que l’article 10 traite de la possibilité
de recourir à des réquisitions de biens et de personnes.

b. Dans le cadre des zones

Les mesures susceptibles d’être adoptées dans les zones, sont plus rigoureuses :

• Assignations à résidence (article 6 de la loi de 1955) : le ministre de l’Intérieur peut prononcer


l’assignation à résidence de toute personne à l’égard de laquelle il existe des raisons sérieuses de penser
que son comportement constitue une menace pour la sécurité et l’ordre publics.

• Mesures relatives au droit de réunion (article 8 de la loi de 1955) : le préfet peut ordonner la fermeture
provisoire des salles de spectacle, des débits de boissons, des lieux de réunion de toute nature (et
notamment de culte). Le Conseil constitutionnel a été saisi et a déclaré la disposition conforme à la
Constitution (C.C., 19 février 2016, déc. 2016-535 QPC, Ligue des droits de l'homme [Police des réunions
et des lieux publics dans le cadre de l'état d'urgence]).

• La fouille des bagages et véhicules (article 8-1 de la loi de 1955) : attention, cela n’est plus possible à la
suite d’une décision du Conseil constitutionnel (C.C, 1er décembre 2017, déc. 2017-677 QPC, Ligue des
droits de l'Homme [Contrôles d'identité, fouilles de bagages et visites de véhicules dans le cadre de l'état
d'urgence]). Selon le Conseil constitutionnel, cette disposition est contraire notamment à la liberté
d’aller et venir et au droit au respect de la vie privée, car elle n’est pas suffisamment précise.

• Les perquisitions administratives (article 11 de la loi de 1955) : le préfet peut ordonner des perquisitions
en tout lieu, y compris un domicile, sauf un lieu affecté à l’exercice d’un mandat parlementaire ou à
l’activité professionnelle des avocats, des magistrats ou des journalistes, lorsqu’il existe des raisons
sérieuses de penser que ce lieu est fréquenté par une personne dont le comportement constitue une
menace pour la sécurité ou l’ordre publics. Pour que cette mesure puisse être mise en œuvre, il faut
que le décret déclarant l’état d’urgence ou la loi le prorogeant contienne une disposition expresse en
ce sens. Selon le Conseil constitutionnel, cette disposition ne porte pas atteinte à la liberté individuelle,
ni à l’inviolabilité du domicile. Cependant, la saisie des données informatiques porte atteinte au respect
à la vie privée (C.C., 19 février 2016, déc. 2016-535 QPC, Ligue des droits de l'homme [Police des réunions
et des lieux publics dans le cadre de l'état d'urgence]).

2. La fin de l’état d’urgence


Selon l’article 3 de la loi de 1955, « La loi autorisant la prorogation au-delà de douze jours de l'état d'urgence
fixe sa durée définitive ». En l’absence de prorogation, il est mis fin à l’état d’urgence.

L’autre possibilité relève de la caducité. En effet, l’article 4 de la loi de 1955 prévoit que « La loi portant
prorogation de l'état d'urgence est caduque à l'issue d'un délai de quinze jours francs suivant la date de démission
du Gouvernement ou de dissolution de l'Assemblée nationale ».

D. L’intégration d’une partie des pouvoirs de l’état d’urgence dans le droit commun
L’intégration d’une partie des pouvoirs de l’état d’urgence dans le droit commun était au cœur du projet de loi
renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme. Selon les motifs du texte déposé le 22 juin 2017 :

« L’état d’urgence est un régime temporaire, activé dans des circonstances exceptionnelles pour faire face à un
péril imminent et justifiant, pour cette raison et pour une durée limitée, de renforcer les pouvoirs confiés à
l’autorité administrative pour garantir l’ordre et la sécurité publics, en limitant de manière proportionnée
l’exercice de certaines libertés publiques.

25
Si le péril imminent prend un caractère durable, en particulier avec le développement de nouvelles formes de
terrorisme, il devient nécessaire, pour tenir compte de cette appréciation de la menace, de doter l’État de
nouveaux instruments permanents de prévention et de lutte contre le terrorisme, en réservant les outils de l’état
d’urgence à une situation exceptionnelle.

[D]es lois ont utilement renforcé les moyens de droit commun de lutte contre le terrorisme, que ce soit dans sa
dimension pénale ou par la prévention des actes de terrorisme ; cependant la permanence et l’évolution des
modes d’action utilisés lors des derniers attentats perpétrés sur le sol national conduisent à devoir adapter les
réponses qui peuvent y être apportées. »

La loi a été adoptée le 30 novembre 2017 et a inséré de nouvelles dispositions dans le Code de la sécurité
intérieure en étendant les prérogatives de l’administration afin de prévenir les actes de terrorisme. Par exemple,
elle permet notamment que :

- le préfet instaure des périmètres de protection dans lesquels le préfet peut réglementer l’accès, la circulation
et le stationnement des personnes ;

- le préfet procède à la fermeture administrative, pour une durée de 6 mois maximum, des lieux de culte pour
apologie ou provocation au terrorisme ;

- le préfet procède à une visite de tout lieu pour lequel il existe des raisons sérieuses de penser qu’il est fréquenté
par une personne suspectée de terrorisme ;

- le ministre adopte des mesures individuelles de contrôle et de surveillance.

Les dispositions de la loi du 30 octobre 2017 ont donné lieu à une décision du Conseil constitutionnel du 29 mars
2018 (C.C., 29 mars 2018, déc. 2017-695, M. Rouchdi B. et autre [Mesures administratives de lutte contre le
terrorisme]).

Les premières dispositions contestées étaient celles permettant au préfet d'instituer un périmètre de protection.
Le Conseil constitutionnel a jugé ces dispositions conformes à la Constitution sous trois réserves
d'interprétation :

• Tout d’abord, s'il a permis d'associer des personnes privées à l'exercice de missions de surveillance
générale de la voie publique, le législateur a prévu que ces personnes ne peuvent qu'assister les agents
de police judiciaire et sont « placées sous l'autorité d'un officier de police judiciaire ». Ainsi, par une
première réserve d'interprétation, le Conseil constitutionnel juge qu'il appartient aux autorités
publiques de prendre les dispositions afin de s'assurer que soit continûment garantie l'effectivité du
contrôle exercé sur ces personnes par les officiers de police judiciaire.

• Ensuite, en produisant une seconde réserve d’interprétation, il considère que s'il était loisible au
législateur de ne pas fixer les critères en fonction desquels sont mises en œuvre, au sein des périmètres
de protection, les opérations de contrôle de l'accès et de la circulation, de palpations de sécurité,
d'inspection et de fouille des bagages et de visite de véhicules, la mise en œuvre de ces vérifications ne
saurait s'opérer qu'en se fondant exclusivement sur des critères excluant toute discrimination de
quelque nature que ce soit entre les personnes.

• Enfin, par la troisième réserve d’interprétation, il juge que si le renouvellement d'un périmètre de
protection est subordonné à la nécessité d'assurer la sécurité du lieu ou de l'événement et à la condition
qu'il demeure exposé à un risque d'actes de terrorisme, à raison de sa nature et de l'ampleur de sa
fréquentation, ce renouvellement ne saurait, sans méconnaître la liberté d'aller et de venir et le droit
au respect de la vie privée, être décidé par le préfet sans que celui-ci établisse la persistance du risque.

Concernant les dispositions autorisant le préfet à fermer provisoirement des lieux de culte pour prévenir la
commission d'actes de terrorisme, à raison de certains propos, idées, théories ou activités qui s'y tiennent, le
Conseil constitutionnel considère que le législateur a assuré une conciliation qui n'est pas manifestement
déséquilibrée entre, d'une part, l'objectif de valeur constitutionnelle de prévention des atteintes à l'ordre
public et, d'autre part, la liberté de conscience et le libre exercice des cultes.

26
Il relève notamment que lorsque la justification de la mesure de fermeture d'un lieu de culte repose sur la
provocation à la violence, à la haine ou à la discrimination, il appartient au préfet d'établir que cette provocation
est bien en lien avec le risque de commission d'actes de terrorisme.

En autorisant la fermeture provisoire d'un lieu de culte, le législateur a ainsi poursuivi l'objectif de lutte contre le
terrorisme, qui participe de l'objectif de valeur constitutionnelle de prévention des atteintes à l'ordre public.

En outre, le Conseil constitutionnel a souligné l'existence de plusieurs garanties : le législateur a limité à six mois
la durée de la mesure et n'a pas prévu qu'elle puisse être renouvelée. L'adoption ultérieure d'une nouvelle
mesure de fermeture ne peut reposer que sur des faits intervenus après la réouverture du lieu de culte.

La fermeture du lieu de culte doit être justifiée et proportionnée, notamment dans sa durée, aux raisons l'ayant
motivée.

Enfin, elle peut faire l'objet d'un recours en référé devant le juge administratif. Elle est alors suspendue jusqu'à
la décision du juge de tenir ou non une audience publique. S'il décide de tenir cette audience, la suspension de
la mesure se prolonge jusqu'à sa décision sur le référé, qui doit intervenir dans les quarante-huit heures.

Quant aux dispositions relatives aux mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance
susceptibles d'être prononcées par le ministre de l'intérieur aux fins de prévenir la commission d'un acte de
terrorisme et, en particulier, l'interdiction de fréquenter certaines personnes, le Conseil constitutionnel a jugé
qu'il n'y avait pas lieu pour lui à statuer sur les dispositions de l'article L. 228-2 du code de la sécurité intérieure
qu'il avait déjà spécialement examinées dans sa décision n° 2017-691 QPC du 16 février 2018 (C.C., 26 février
2018, déc. 2017-691 QPC, M. Farouk B. [Mesure administrative d'assignation à résidence aux fins de lutte contre
le terrorisme]). Il considère en outre que les conditions de recours à ces mesures, fixées à l'article L. 228-1 du
code de la sécurité intérieure, sont suffisamment précises.

S'agissant de la mesure d'interdiction de fréquenter certaines personnes, le Conseil constitutionnel relève que,
en l'instaurant, le législateur a poursuivi l'objectif de lutte contre le terrorisme et qu'il en a limité le champ
d'application aux personnes soupçonnées de présenter une menace d'une particulière gravité pour l'ordre
public.

Il juge que la menace présentée par les personnes nommément désignées, dont la fréquentation est interdite,
doit être en lien avec le risque de commission d'actes de terrorisme.

Le Conseil constitutionnel produit, là aussi, trois réserves d’interprétation. Il souligne qu'il appartient au ministre
de l’Intérieur de tenir compte, dans la détermination des personnes dont la fréquentation est interdite, des liens
familiaux de l'intéressé et de s'assurer en particulier que l'interdiction de fréquentation ne porte pas une atteinte
disproportionnée à son droit de mener une vie familiale normale.

Puis, à propos de l'assignation à résidence, le Conseil constitutionnel indique que, compte tenu de sa rigueur,
l'interdiction de fréquenter ne saurait, sans méconnaître les exigences constitutionnelles précitées, excéder,
de manière continue ou non, une durée totale cumulée de douze mois.

Enfin, comme dans la décision du 16 février 2018, le Conseil constitutionnel censure, pour méconnaissance du
droit à un recours juridictionnel effectif, la disposition prévoyant que le juge administratif doit statuer sur les
recours pour excès de pouvoir dirigés contre ces mesures dans un délai de quatre mois, en jugeant que le droit
à un recours juridictionnel effectif impose que le juge administratif soit tenu de statuer sur la demande
d'annulation de la mesure dans de brefs délais.

En outre, il censure pour le même motif la disposition permettant que la mesure contestée soit renouvelée au-
delà de trois mois sans qu'un juge ait préalablement statué, à la demande de la personne en cause, sur la
régularité et le bien-fondé de la décision de renouvellement.

Compte tenu des conséquences manifestement excessives qu'aurait l'application immédiate de la censure sur
ce point, le Conseil constitutionnel juge que, afin de permettre au législateur de remédier à l'inconstitutionnalité
constatée, il y a lieu de reporter au 1er octobre 2018 la date de l'abrogation correspondante.

Le dernier ensemble de dispositions contestées concerne celles instituant un régime de visites et de saisies à des
fins de prévention du terrorisme.

27
Le Conseil constitutionnel juge que le législateur, qui a à la fois strictement borné le champ d'application de la
mesure qu'il a instaurée et apporté les garanties nécessaires, a assuré une conciliation qui n'est pas
manifestement déséquilibrée entre, d'une part, l'objectif de valeur constitutionnelle de prévention des
atteintes à l'ordre public et, d'autre part, le droit au respect de la vie privée, l'inviolabilité du domicile et la
liberté d'aller et de venir.

Il relève notamment à cet égard que, en adoptant les dispositions contestées, le législateur a poursuivi l'objectif
de lutte contre le terrorisme, qui participe de l'objectif de valeur constitutionnelle de prévention des atteintes à
l'ordre public.

Le législateur a énoncé un ensemble de garanties propres à limiter l'atteinte, notamment en définissant avec
précision les conditions de recours aux visites et saisies et limité leur champ d'application à des personnes
soupçonnées de présenter une menace d'une particulière gravité pour l'ordre public.

Il a soumis toute visite et saisie à l'autorisation préalable du juge des libertés et de la détention, qui doit être
saisi par une requête motivée du préfet et statuer par une ordonnance écrite et motivée, après avis du procureur
de la République.

Les visites et saisies ne peuvent concerner les lieux affectés à l'exercice d'un mandat parlementaire ou à l'activité
professionnelle des avocats, des magistrats ou des journalistes et les domiciles de ces personnes. La visite doit
être effectuée en présence de l'occupant des lieux ou de son représentant et il lui est permis de se faire assister
d'un conseil de son choix. En l'absence de l'occupant, les agents ne peuvent procéder à la visite qu'en présence
de deux témoins qui ne sont pas placés sous leur autorité.

En revanche, le Conseil constitutionnel relève que les dispositions contestées permettent la saisie, au cours de
la visite, non seulement de données et des systèmes informatiques et équipements terminaux qui en sont le
support, mais aussi de documents et d'objets.

Toutefois, à la différence du régime qu'il a défini pour les données et les supports, le législateur n'a fixé aucune
règle encadrant l'exploitation, la conservation et la restitution des documents et objets saisis au cours de la visite.

Ces dispositions relatives à la saisie de documents et d'objets méconnaissent donc le droit de propriété et sont
déclarées contraires à la Constitution.

E. Contrôle
D’une part le contrôle parlementaire (1), d’autre part, le contrôle juridictionnel (2).

1. Parlementaire
La loi n° 2015-1501 du 20 novembre 2015 a inséré un article 4-1 à la loi de 1955, lequel a été modifié par la loi
n° 2016-987 du 21 juillet 2016.

Conformément à cette disposition, « L'Assemblée nationale et le Sénat sont informés sans délai des mesures
prises par le Gouvernement pendant l'état d'urgence. Les autorités administratives leur transmettent sans délai
copie de tous les actes qu'elles prennent en application de la présente loi. L'Assemblée nationale et le Sénat
peuvent requérir toute information complémentaire dans le cadre du contrôle et de l'évaluation de ces mesures ».

2. Juridictionnel
En application de la décision C.E., 24 mars 2006, Rolin, le Conseil d’État est compétent pour contrôler la légalité
du décret déclarant l’état d’urgence avant la prorogation de l’état d’urgence par voie législative. Il ne s’agit donc
pas d’un acte de gouvernement, mais d’une décision administrative, susceptible d’un recours en annulation
devant le Conseil d’État statuant au contentieux.

Le juge administratif s’assure alors que les mesures de police adoptées sur le fondement de l’état d’urgence sont
nécessaires, adaptées et proportionnées, tout en reconnaissant que le président de la République dispose d’un
pouvoir d’appréciation étendu lorsqu’il décide de déclarer l’état d’urgence.

28
Il n’en va pas de même après prorogation. En effet, le Conseil d’État considère que la prorogation par le
législateur a pour effet de ratifier la décision adoptée par décret. Dès lors, la légalité du décret ne peut plus être
discutée par la voie contentieuse.

Cette nuance est aussi valable lorsque le juge des référés est saisi d’une demande de suspension de la déclaration
de l’état d’urgence : C.E., ord., 26 janvier 2016, Ligue des droits de l’homme.

En l’espèce, le juge des référés était appelé à se prononcer sur une décision relative au maintien de l’état
d’urgence. La Ligue des droits de l’homme avait demandé au juge des référés de suspendre l’état d’urgence et à
défaut, d’ordonner au président de la République d’y mettre fin.

Le Conseil d’État considère que, concernant la demande de suspension, la prorogation de l’état d’urgence a été
opérée par la loi. Le juge n’est donc pas compétent pour le suspendre.

Il refuse, en outre, de prononcer une injonction à l’égard du président de la République, en estimant que le péril
imminent justifiant l’état d’urgence n’avait pas disparu compte tenu du maintien de la menace terroriste et du
risque d’attentats.

L’acceptation par le juge des référés de contrôler la demande d’injonction implique que le décret mettant fin à
l’état d’urgence n’a pas le caractère d’un acte de gouvernement.

Le Conseil d’État a précisé le régime des perquisitions administratives dans un avis contentieux rendu par
l’assemblée du contentieux (C.E., avis, 6 juillet 2016, n°398234) :

• Les perquisitions administratives ne sont justifiées que s’il y a de sérieuses raisons de penser qu’un lieu
est fréquenté par une personne menaçant la sécurité publique ;

• Le juge administratif contrôle les ordres de perquisitions, qui doivent être motivés ;

• Les personnes visées par une perquisition seront indemnisées soit si la perquisition était illégale, soit si
des fautes ont été commises dans sa conduite ;

• Les autres personnes seront indemnisées si la perquisition leur cause un dommage, y compris en
l’absence de faute des services de l’État ;

• Le juge administratif s’assure que les mesures de police prises au titre de l’état d’urgence sont
nécessaires, adaptées et proportionnées.

Le Conseil constitutionnel a jugé globalement conformes à la Constitution les dispositions de la loi du 3 avril 1955
qui concernent :

• Les assignations à résidence : C.C., 22 décembre 2015, déc. 2015-527 QPC, M. Cédric D. [Assignations à
résidence dans le cadre de l'état d'urgence] ;

• La possibilité pour le ministre de l’Intérieur ou le préfet d’ordonner la fermeture provisoire des salles de
spectacles, débits de boissons et lieux de réunion de toute nature dans les zones où est institué l’état
d’urgence, ainsi que d’interdire, à titre général ou particulier, les réunions de nature à provoquer ou à
entretenir le désordre : C.C., 19 février 2016, déc. 2016-535 QPC, Ligue des droits de l'homme [Police
des réunions et des lieux publics dans le cadre de l'état d'urgence] ;

• Le régime des perquisitions et des saisies administratives dans le cadre de l’état d’urgence, à l’exception
des dispositions relatives aux données informatiques copiées à l’occasion d’une perquisition : C.C, 19
février 2016, déc. 2016-536 QPC, Ligue des droits de l'homme [Perquisitions et saisies administratives
dans le cadre de l'état d'urgence].

29
F. Les déclarations d’état d’urgence depuis 1955

Depuis la promulgation de la loi du 3 avril 1955, l’état d’urgence a été déclaré six fois :

• En 1955, concernant les départements qui formaient l’Algérie française ;

• En 1958, à la suite des événements du 13 mai 1958 à Alger ;

• En 1961, après le putsch des généraux à Alger. Il a été renouvelé jusqu’au 31 mai 1963 sur la totalité du
territoire métropolitain ;

• En 1984, en Nouvelle-Calédonie lors des violences opposant indépendantistes et partisans du maintien


de l’île au sein de la République française ;

• En 2005, à l’occasion des émeutes dans les banlieues dans 25 départements, incluant l’Île-de-France.
L’état d’urgence a pris fin le 4 janvier 2006 ;

• Le 14 novembre 2015, à la suite des attentats commis le 13 novembre 2015 à Paris. L’état d’urgence a
été déclaré sur tout le territoire métropolitain et une partie de l’outre-mer et a été prorogé à six reprises
par les lois du 20 novembre 2015, du 19 février 2016, du 20 mai 2016, du 21 juillet 2016, du 19
décembre 2016 et du 11 juillet 2017.

Par ailleurs, la loi du 20 novembre 2015 a modifié le régime de l’état d’urgence en introduisant une sorte de
contrôle politique par le Parlement (l’Assemblée nationale et le Sénat sont informés sans délai des mesures
prises par le Gouvernement), en autorisant la dissolution en Conseil des ministres, d’associations ou
groupements de fait qui participent, facilitent ou incitent à des actes portant gravement atteinte à l’ordre public,
en modifiant les règles de l’assignation à résidence, en autorisant les autorités administratives à ordonner la
remise des armes et munitions acquises légalement, en supprimant le contrôle de la presse et en autorisant le
ministre de l’Intérieur à prendre toute mesure pour bloquer des sites internet pour apologie ou incitation au
terrorisme.

En outre, le ministre de l’Intérieur et les préfets pourront ordonner des perquisitions en tout lieu, de jour et de
nuit, sauf dans un lieu affecté à l’exercice d’un mandat parlementaire ou à l’activité professionnelle des avocats,
des magistrats ou des journalistes, lorsqu’il existe des raisons sérieuses de penser que ce lieu est fréquenté par
une personne dont le comportement constitue une menace à l’ordre public.

La loi du 21 juillet 2016 modifie elle aussi le régime de l’état d’urgence. Elle rend possible la fermeture de lieux
de culte dans lesquels des propos constituant une provocation à la haine ou à la violence ou une provocation à
la commission d’actes de terrorisme ou faisant leur apologie sont tenus. Le préfet pourra aussi autoriser les
officiers de police judiciaire, sans instruction du procureur, à procéder à des contrôles d’identité, à l’inspection
visuelle et à la fouille des bagages et véhicules présents sur la voie publique (qui n’est plus possible depuis la
décision C. C. du 1er décembre 2017, cf. supra). Enfin, elle autorise la saisie de données informatiques.

IV. L’ÉTAT D’URGENCE SANITAIRE

La loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de Covid-19 institue, dans le cadre du
Code de la santé publique, un nouveau régime d'exception : l'état d'urgence sanitaire.

Selon l'exposé des motifs du projet de loi d'urgence et l'étude d'impact qui l'accompagne, la crise sanitaire du
Covid-19, « sans précédent depuis un siècle, fait apparaître la nécessité de développer les moyens à la disposition
des autorités exécutives pour faire face à l'urgence » et à raison de son « ampleur jamais imaginée jusqu'ici »,
appelle une réponse « d'une ampleur qui n'a pu elle-même être envisagée lorsque les dispositions législatives et
réglementaires existantes ont été conçues ».

30
Pour cette raison, le législateur était appelé à instituer un régime d'exception nouveau et spécifique. Désormais,
il résulte des articles L. 3131-12 et L. 3131-13 du code de la santé publique que « l'état d'urgence sanitaire peut
être déclaré (…) en cas de catastrophe sanitaire mettant en péril, par sa nature et sa gravité, la santé de la
population », « par décret en conseil des ministres pris sur le rapport du ministre chargé de la santé » et sur la
base de « données scientifiques » qui « sont rendues publiques ».

Si l’état d’urgence sanitaire est inspiré du régime de l’état d’urgence prévu par la loi du 3 avril 1955, il en diffère
sur certains points.

L’état d’urgence sanitaire peut être déclaré sur tout ou partie du territoire.

Contrairement à l’état d’urgence ou à l’état de siège, il peut être appliqué pendant un mois sur la seule base du
décret qui l'aura déclaré avant que le législateur doive intervenir pour autoriser, si besoin, sa prorogation.
Remarquons que conformément à l’article 4 de la loi du 23 mars 2020, par dérogation, « l’état d’urgence
sanitaire est déclaré pour une durée de deux mois à compter de l’entrée en vigueur de la présente loi ».

L’article L. 3131-15 du code de la santé prévoit une liste de dix séries de mesures restrictives de libertés que le
Premier ministre peut adopter « par décret réglementaire pris sur le rapport du ministre ». Ces mesures prescrites
doivent être « strictement proportionnées aux risques sanitaires encourus et appropriées aux circonstances de
temps et de lieu ».

Pour sa part, le ministre chargé de la Santé est, aux termes de l'article L. 3131-16, compétent pour « prescrire,
par arrêté motivé, toute mesure réglementaire relative à l'organisation et au fonctionnement du dispositif de
santé » ainsi que « toute mesure individuelle nécessaire à l'application des mesures prescrites par le Premier
ministre ».

À cet égard, l'état d'urgence sanitaire diffère de l'état d'urgence, puisque le pouvoir de décision est pour
l'essentiel entre les mains du Premier ministre et, accessoirement, du ministre chargé de la Santé, tandis que le
représentant de l'État dans le département n'intervient que sur habilitation de l'un ou de l'autre.

Mais, comme dans l’état d’urgence issu de la loi de 1955, les autorités exécutives sont soumises à la fois à un
contrôle politique et juridictionnel.

En ce qui concerne le contrôle politique, l’article L. 3131-13, dispose que l'Assemblée nationale et le Sénat « sont
informés sans délai des mesures prises » et « peuvent requérir toute information complémentaire dans le cadre
du contrôle et de l'évaluation de ces mesures ».

Pour le contrôle juridictionnel, l’article L. 3131-18, prévoit que les mesures prises dans le cadre de l’état
d’urgence sanitaire seront examinées grâce aux procédures de référé-suspension et de référé-liberté.

En outre, et il s’agit d’une distinction majeure par rapport aux régimes d’exception précédents, une instance de
conseil et de veille dénommée « comité de scientifiques » est introduite.

Conformément à l’article L. 3131-19, « En cas de déclaration de l'état d'urgence sanitaire, il est réuni sans délai
un comité de scientifiques. Son président est nommé par décret du président de la République. Ce comité
comprend deux personnalités qualifiées respectivement nommées par le président de l'Assemblée nationale et le
président du Sénat ainsi que des personnalités qualifiées nommées par décret. Le comité rend périodiquement
des avis sur l'état de la catastrophe sanitaire, les connaissances scientifiques qui s'y rapportent et les mesures
propres à y mettre un terme, y compris celles relevant des articles L. 3131-15 à L. 3131-17, ainsi que sur la durée
de leur application. Dès leur adoption, ces avis sont communiqués simultanément au Premier ministre, au
président de l'Assemblée nationale et au président du Sénat par le président du comité. Ils sont rendus publics
sans délai. Le comité est dissous lorsque prend fin l'état d'urgence sanitaire ».

Le Conseil constitutionnel a été saisi de la loi n° 2020-546, prorogeant l’état d’urgence sanitaire et complétant
ses dispositions et a rendu une décision le 11 mai 2020 (C.C, 11 mai 2020, déc. n° 2020-800 DC, Loi prorogeant
l'état d'urgence sanitaire et complétant ses dispositions).

S’agissant du contrôle de la mise en quarantaine et du placement en isolement, le Conseil constitutionnel a


rappelé que la liberté individuelle ne peut être tenue pour sauvegarder que si le juge intervient dans les plus
brefs délais.

31
Pourtant, le cinquième alinéa du paragraphe II de l’article L. 3131-17 du code de la santé publique dispose que
« Lorsque la mesure interdit toute sortie de l'intéressé hors du lieu où la quarantaine ou l'isolement se déroule,
elle ne peut se poursuivre au-delà d'un délai de quatorze jours sans que le juge des libertés et de la détention,
préalablement saisi par le représentant de l'État dans le département, ait autorisé cette prolongation ».

Le Conseil constitutionnel, par une réserve d’interprétation, considère alors que ces dispositions ne sauraient,
sans méconnaître les exigences de l'article 66 de la Constitution, permettre la prolongation des mesures de mise
en quarantaine ou de placement en isolement imposant à l'intéressé de demeurer à son domicile ou dans son
lieu d'hébergement pendant une plage horaire de plus de douze heures par jour sans l'autorisation du juge
judiciaire.

En outre, le Conseil constitutionnel a estimé que l’article 13 de la loi déférée méconnaissait la liberté individuelle,
car il avait pour effet, à compter de l'entrée en vigueur de la loi déférée, de laisser subsister, au plus tard jusqu'au
1er juin 2020, le régime juridique en vigueur des mesures de mise en quarantaine et de placement et maintien à
l'isolement en cas d'état d'urgence sanitaire.

Il a, en effet, jugé que, si le dernier alinéa de l'article L. 3131-15 du code de la santé publique prévoit que ces
mesures doivent être strictement proportionnées aux risques sanitaires encourus et appropriées aux
circonstances de temps et de lieu et qu'il y est mis fin sans délai lorsqu'elles ne sont plus nécessaires, le législateur
n'a assorti leur mise en œuvre d'aucune autre garantie, notamment quant aux obligations pouvant être
imposées aux personnes y étant soumises, à leur durée maximale et au contrôle de ces mesures par le juge
judiciaire dans l'hypothèse où elles seraient privatives de liberté.

Concernant le système d'information destiné à permettre le traitement de données destinées au « traçage » des
personnes atteintes par le Covid-19 et de celles ayant été en contact avec ces dernières, le Conseil constitutionnel
a rappelé qu'il résulte du droit constitutionnel au respect de la vie privée que la collecte, l'enregistrement, la
conservation, la consultation et la communication de données à caractère personnel doivent être justifiés par
un motif d'intérêt général et mis en œuvre de manière adéquate et proportionnée à cet objectif.

Il a en outre jugé, pour la première fois, que lorsque sont en cause des données à caractère personnel de nature
médicale une particulière vigilance doit être observée dans la conduite de ces opérations et la détermination de
leurs modalités.

Ainsi, les dispositions contestées autorisant le traitement et le partage, sans le consentement des intéressés, de
données à caractère personnel relatives à la santé des personnes atteintes par la maladie du Covid-19 et des
personnes en contact avec elles, dans le cadre d'un système d'information ad hoc ainsi que dans le cadre d'une
adaptation des systèmes d'information relatifs aux données de santé déjà existants, portent atteinte au droit au
respect de la vie privée.

Cependant, le Conseil considère qu’en adoptant les dispositions contestées, le législateur a entendu renforcer
les moyens de la lutte contre l'épidémie de Covid-19, par l'identification des chaînes de contamination. Il a ainsi
poursuivi l'objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé.

Pour se prononcer sur l'adéquation et la proportionnalité des dispositions contestées au regard de l'objectif
poursuivi, le Conseil a relevé que la collecte, le traitement et le partage des données personnelles précitées ne
peuvent être mis en œuvre que dans la mesure strictement nécessaire à quatre finalités déterminées.

En outre, le champ des données de santé à caractère personnel susceptibles de faire l'objet de la collecte, du
traitement et du partage en cause, a été restreint par le législateur aux seules données relatives au statut
virologique ou sérologique des personnes à l'égard de la maladie Covid-19 ou aux éléments probants de
diagnostic clinique et d'imagerie médicale précisés par décret en Conseil d'État pris après avis du Haut Conseil
de la santé publique.

Mais par une première réserve d'interprétation, il juge que, sauf à méconnaître le droit au respect de la vie
privée, l'exigence de suppression des noms et prénoms des intéressés, de leur numéro d'inscription au répertoire
national d'identification des personnes physiques et de leur adresse, dans les parties de ces traitements ayant
pour finalité la surveillance épidémiologique et la recherche contre le virus, doit également s'étendre aux
coordonnées de contact téléphonique ou électronique des intéressés.

32
S'agissant du champ des personnes susceptibles d'avoir accès à ces données à caractère personnel, sans le
consentement de l'intéressé, il a jugé que si la liste en est particulièrement étendue, cette extension est rendue
nécessaire par la masse des démarches à entreprendre pour organiser la collecte des informations nécessaires à
la lutte contre le développement de l'épidémie.

En revanche, il a censuré comme méconnaissant le droit au respect de la vie privée la deuxième phrase du
paragraphe III de l'article 11 incluant dans ce champ les organismes qui assurent l'accompagnement social des
intéressés. Il a, en effet, relevé que, s'agissant d'un accompagnement social qui ne relève pas directement de la
lutte contre l'épidémie, rien ne justifie que l'accès aux données à caractère personnel traitées dans le système
d'information ne soit pas subordonné au recueil du consentement des intéressés.

Par une deuxième réserve d'interprétation, il a jugé qu'il appartiendra au pouvoir réglementaire de définir des
modalités de collecte, de traitement et de partage des informations assurant leur stricte confidentialité et,
notamment, l'habilitation spécifique des agents chargés, au sein de chaque organisme, de participer à la mise en
œuvre du système d'information ainsi que la traçabilité des accès à ce système d'information.

Puis, par une troisième réserve d'interprétation, il a jugé que si le législateur a autorisé les organismes concourant
au dispositif à recourir, pour l'exercice de leur mission dans le cadre du dispositif examiné, à des organismes
sous-traitants, ces sous-traitants agissent pour leur compte et sous leur responsabilité. Pour respecter le droit
au respect de la vie privée, ce recours aux sous-traitants doit s'effectuer en conformité avec les exigences de
nécessité et de confidentialité mentionnée par la présente décision.

Le Conseil constitutionnel a également pris en compte le choix du législateur de prévoir que ce dispositif ne peut
s'appliquer au-delà du temps strictement nécessaire à la lutte contre la propagation de l'épidémie de Covid-19
ou, au plus tard, au-delà de six mois après la fin de l'état d'urgence sanitaire déclaré par la loi du 23 mars 2020.
D'autre part, les données à caractère personnel collectées, qu'elles soient ou non médicales, doivent, quant à
elles, être supprimées trois mois après leur collecte.

Par l'ensemble de ces motifs et sous les réserves qui viennent d'être présentées, le Conseil constitutionnel a jugé
que les paragraphes I et II et le reste des paragraphes III et V de l'article 11 ne méconnaissent pas le droit au
respect de la vie privée.

POUR ALLER PLUS LOIN

Sont reproduites ici des décisions de justice liées à la crise sanitaire.

Crise sanitaire et liberté d’aller et venir :

CE, réf., 6 mai 2021, n° 451455

« (…) Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative,
même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une
demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses
effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un
doute sérieux quant à la légalité de la décision ".

2. La circulation du virus de la Covid-19 demeure élevée sur le territoire et continue d'exiger des mesures de
lutte contre cette diffusion au regard de sa dangerosité. La pression sur les services de santé, et
particulièrement sur les capacités hospitalières, reste forte et, étant demeurée telle depuis plus d'un an, a
dégradé la capacité globale du système à faire face à de nouveaux à-coups. Si la campagne de vaccination, qui
porte prioritairement sur les catégories les plus vulnérables, contribue à diminuer la pression sur le système
de soins, son effet, comme l'illustre le taux très élevé d'occupation de lits de réanimation par des patients
atteints de la Covid-19 est encore limité et ne s'accroîtra que progressivement.

33
3. Les signes indiquant une relative maîtrise de la troisième vague de diffusion du virus demeurent fragiles, au
regard de la menace que font peser les variants du virus, dont la capacité de diffusion, la létalité, et la
sensibilité aux vaccins existants demeurent pour certains d'entre eux empreintes d'incertitude. Le stade
d'immunité collective de la population est en tout état de cause très loin d'être atteint.

4. Les données scientifiques disponibles semblent toutefois désormais indiquer que les personnes ayant
bénéficié de la vaccination complète sont susceptibles, au terme de la période nécessaire à la pleine efficacité
du vaccin, soit en règle générale 15 jours après la dernière injection, d'être porteuses du virus dans des
proportions bien moindres que les personnes non vaccinées.

5. M. Djian en déduit que, à l'égard de ces personnes, les mesures de confinement et de couvre-feu ne sont
plus justifiées et demande, en conséquence, au juge des référés agissant sur le fondement de l'article L. 521-
1 du code de justice administrative, la suspension des dispositions du décret du 29 octobre 2020 les ayant
instituées aux termes de sa modification par le décret du 2 avril 2021.
(…)

Sur les conclusions dirigées contre les mesures de couvre-feu :

8. Ne demeure en vigueur que l'interdiction de circuler, sauf exceptions, de 19 heures à 6 heures du matin,
dont le gouvernement a indiqué qu'il entendait la restreindre à une période de 21 heures à six heures à
compter du 19 mai 2021. À la date de la présente ordonnance, ces mesures doivent prendre fin dans leur
totalité le 2 juin 2021, terme assigné par la loi du 15 février 2021 prorogeant l'état d'urgence sanitaire.

9. À supposer que la contribution des personnes vaccinées ou ayant été atteintes par le virus à la diffusion du
virus, dont elles ne pourraient plus être porteuses que dans de faibles proportions puissent conduire à estimer
que les interdictions de déplacement nocturne à leur encontre portent une atteinte devenue
disproportionnée à la liberté d'aller et de venir, la suspension d'une telle mesure de police sanitaire ne peut
intervenir qu'en tenant compte de l'intérêt général qui s'attache à ce qu'elle se déroule dans des conditions
ne portant pas une atteinte excessive à l'efficacité de leur mise en oeuvre pour le reste de la population, alors
que, jusqu'à ce que la politique de vaccination ait permis d'assurer une maîtrise collective générale du risque
épidémique, elle demeure le seul outil de sécurité sanitaire efficace à la disposition des pouvoirs publics.

10. À cet égard, les conséquences d'une levée partielle des contraintes en vigueur pour une fraction de la
population, qui devrait être individuellement identifiée, supposent que les pouvoirs publics soient en mesure
de s'assurer à tout instant que seules les personnes complètement vaccinées disposent d'un moyen de l'établir
pratique, personnel, infalsifiable, accessible à toute personne, conforme aux exigences de traitement des
informations personnelles à caractère médical, et aisément contrôlable. Il a sur ce point été indiqué à
l'audience que le gouvernement a entrepris des travaux à cet effet qui, à supposer qu'ils n'exigent pas qu'un
fondement législatif leur soit donné, ne seront en tout état de cause pas achevés avant l'été. Au regard de
l'attrait de cette levée de contraintes, les pouvoirs publics devraient aussi s'assurer d'être en mesure de faire
face à l'afflux potentiel de demande de vaccination, et de reconnaissance du statut personnel en découlant,
et qu'ainsi l'approvisionnement nécessaire comme les capacités matérielles d'administrer les vaccins
nécessaires sont à la disposition de la population. À défaut de réunir ces conditions, le désordre que créerait
la levée immédiate des contraintes pourrait solliciter à l'excès les forces de l'ordre pour assurer aux horaires
nocturnes imposés des contrôles dont l'inefficacité conduirait rapidement à une perte totale de l'effectivité
des outils de politique sanitaire. Il résulte des débats qu'il est peu vraisemblable que, dans les quatre semaines
à venir, ces conditions puissent être réunies.

11. Au regard des incertitudes qui demeurent quant à la contagiosité réelle des vaccinés susceptibles d'être
porteurs sains du virus, notamment au regard de la diffusion des variants et de l'ampleur des conséquences
négatives pour la santé publique d'une levée sans délai des contraintes qui, à ce stade, progressivement
réduites, cesseront d'être en vigueur le 2 juin 2021, il n'y a pas matière, en l'espèce, pour le juge des référés
à user des pouvoirs qui sont les siens.
(…) ».

34
CE, réf., 30 avr. 2020, n° 440179, Fédération française des usagers de la bicyclette

« Considérant ce qui suit :

Sur le cadre du litige :

1. Aux termes de l’article L. 521-2 du code de justice administrative : « Saisi d'une demande en ce sens justifiée
par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté
fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la
gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et
manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures ». La liberté
d'aller et venir et le droit de chacun au respect de sa liberté personnelle, qui implique en particulier qu’il ne
puisse subir de contraintes excédant celles qu’imposent la sauvegarde de l’ordre public ou le respect des
droits d’autrui, constituent des libertés fondamentales au sens de cet article.

(…)

3. L’article L. 3131-15 du code de la santé publique, introduit dans ce code par la loi du 23 mars 2020 d'urgence
pour faire face à l'épidémie de covid-19 dispose que, dans les circonscriptions territoriales où l'état d'urgence
sanitaire est déclaré, le Premier ministre peut notamment : « 1° Restreindre ou interdire la circulation des
personnes et des véhicules dans les lieux et aux heures fixés par décret ; 2° Interdire aux personnes de sortir
de leur domicile, sous réserve des déplacements strictement indispensables aux besoins familiaux ou de santé
; (…) Les mesures prescrites en application des 1° à 10° du présent article sont strictement proportionnées aux
risques sanitaires encourus et appropriées aux circonstances de temps et de lieu (…) ». L’article L. 3136-1 du
même code prévoit les sanctions pénales encourues en cas de violation des interdictions édictées en
application de l’article L. 3131-15 et dispose que l’application de ces sanctions pénales ne fait pas obstacle à
l’exécution d’office, par l’autorité administrative, des mesures prescrites en application de ces mêmes
interdictions.

4. Sur le fondement des dispositions citées ci-dessus, l’article 3 du décret du 23 mars 2013 prescrivant les
mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid‑19 dans le cadre de l'état d'urgence
sanitaire, modifié et complété à plusieurs reprises, interdit, en dernier lieu jusqu’au 11 mai 2020, tout
déplacement de personne hors de son domicile, à l'exception de certains déplacements obéissant aux motifs
qu’il énumère. Au nombre de ceux-ci figurent notamment, au 5° de cet article, les « déplacements brefs, dans
la limite d’une heure quotidienne et dans un rayon maximal d’un kilomètre autour du domicile, liés soit à
l’activité physique individuelle des personnes, à l’exclusion de toute pratique sportive collective et de toute
proximité avec d’autres personnes, soit à la promenade avec les seules personnes regroupées dans un même
domicile, soit aux besoins des animaux de compagnie ». Il résulte des termes mêmes de cet article 3 que
l’usage, pour un déplacement qu’il autorise, d’un moyen de déplacement particulier, notamment d’une
bicyclette, ne saurait, à lui seul, caractériser une violation de l’interdiction qu’il édicte.

5. La fédération requérante soutient toutefois que certaines autorités ministérielles, préfectorales ou


d’administration centrale ont, dans l’interprétation de ces dispositions qu’elles ont rendues publiques,
expressément exclu que les déplacements autorisés puissent, en particulier dans le cas de l’activité physique
individuelle prévu au 5° de l’article 3, s’effectuer à bicyclette. Elle soutient également que si d’autres autorités
de l’État ont publiquement indiqué que les moyens de déplacement restent libres, l’existence de prises de
position contradictoires et l’absence de clarification entre ces interprétations divergentes est à l’origine de
nombreux procès-verbaux de contravention dressés à l’encontre de cyclistes qui respectaient pourtant les
dispositions en question, ainsi que de plusieurs décisions de maires ou de préfets interdisant, sans autre
fondement qu’une interprétation erronée de l’article 3 du décret du 23 mars 2020, l’accès à certaines pistes
cyclables.

35
Sur les conclusions de la requête :

En ce qui concerne l’information générale sur l’usage de la bicyclette :

6. Il résulte de l’instruction, notamment de l’information apportée, au cours de l’audience publique, par le


représentant du ministre de l’intérieur, quant à l’existence et au contenu d’un relevé de décision du 24 avril
2020 de la cellule interministérielle de crise placée auprès du Premier ministre, que l’interprétation des
dispositions de l’article 3 du décret du 23 mars 2020 retenue par le gouvernement et devant être diffusée à
l’ensemble des agents chargés de leur application est, en premier lieu que « ne sont réglementés que les
motifs de déplacement et non les moyens de ces déplacements qui restent libres. La bicyclette est donc
autorisée à ce titre comme tout autre moyen de déplacement, et quel que soit le motif du déplacement », en
deuxième lieu que « les verbalisations résultant de la seule utilisation d’une bicyclette, à l’occasion d’un
déplacement autorisé, sont injustifiées » et, en troisième lieu, que les restrictions de temps et de distance
imposées par les dispositions du 5° de l’article 3 privent en principe d’intérêt l’usage de la bicyclette pour un
déplacement exclusivement motivé par l’activité physique individuelle et que, dans un tel cas, le risque plus
important de commission d’une infraction liée au dépassement de la distance autorisée doit conduire, tout
en en rappelant la possibilité juridique d’utiliser la bicyclette pour tout motif de déplacement, à « en dissuader
l’usage au titre de l’activité physique ».

7. Toutefois, il résulte également de l’instruction que, malgré l’existence de cette position de principe, dont la
légalité n’est pas contestée par la fédération requérante, plusieurs autorités de l’État continuent de diffuser
sur les réseaux sociaux ou dans des réponses à des « foires aux questions », l’information selon laquelle la
pratique de la bicyclette est interdite dans le cadre des loisirs et de l’activité physique individuelle « à
l’exception des promenades pour aérer les enfants où il est toléré que ceux-ci se déplacent à vélo, si l’adulte
accompagnant est à pied », ainsi qu’un pictogramme exprimant cette même interdiction.

8. Or, d’une part, la faculté de se déplacer en utilisant un moyen de locomotion dont l’usage est autorisé
constitue, au titre de la liberté d'aller et venir et du droit de chacun au respect de sa liberté personnelle,
une liberté fondamentale au sens des dispositions de l’article L. 521-2 du code de justice administrative.

9. D’autre part, si les cyclistes qui s’estiment verbalisés à tort peuvent, devant le juge judiciaire, contester
l’infraction qui leur est reprochée, la faculté reconnue à l’administration, en vertu des dispositions rappelées
au point 3, d’exécuter d’office les mesures prescrites en application du décret du 23 mars 2020 est de nature
à conduire, en cas d’interdiction de déplacement opposée, à tort, à raison du seul usage d’une bicyclette, à ce
que le cycliste contrôlé soit tenu de descendre de son véhicule et de poursuivre son trajet à pied.

10. Dans ces conditions, compte tenu de l’incertitude qui s’est installée, à raison des contradictions relevées
dans la communication de plusieurs autorités publiques, sur la portée des dispositions de l’article 3 du décret
du 23 mars 2020, particulièrement en ce qui concerne l’activité physique, quant à l’usage de la bicyclette et
des conséquences de cette incertitude pour les personnes qui utilisent la bicyclette pour leurs déplacements
autorisés, l’absence de diffusion publique de la position gouvernementale mentionnée au point 6 doit être
regardée, en l’espèce, comme portant une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté
fondamentale justifiant que le juge du référé-liberté fasse usage des pouvoirs qu’il tient de l’article L. 521-
2 du code de justice administrative et enjoigne au Premier ministre de rendre publique, sous vingt-quatre
heures, par un moyen de communication à large diffusion, la position en question (…) ».

36
Crise sanitaire et liberté de manifestation :

CE, ref., 13 juin 2020, n° 440856, Ligue des droits de l'homme

« (…) Sur l’office du juge des référés et la liberté fondamentale en jeu :

7. L’article L. 511-1 du code de justice administrative dispose que : « Le juge des référés statue par des
mesures qui présentent un caractère provisoire. Il n’est pas saisi du principal et se prononce dans les meilleurs
délais. Aux termes de l’article L. 521-2 du même code : « Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence,
le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à
laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service
public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge
des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures. ».

8. Dans l’actuelle période d’état d’urgence sanitaire, il appartient aux différentes autorités compétentes de
prendre, en vue de sauvegarder la santé de la population, toutes dispositions de nature à prévenir ou à limiter
les effets de l’épidémie. Ces mesures, qui peuvent limiter l’exercice des droits et libertés fondamentaux
doivent, dans cette mesure, être nécessaires, adaptées et proportionnées à l’objectif de sauvegarde de la
santé publique qu’elles poursuivent.

9. Il résulte de la combinaison des dispositions des articles L. 511-1 et L. 521‑2 du code de justice administrative
qu'il appartient au juge des référés, lorsqu'il est saisi sur le fondement de l'article L. 521-2 et qu'il constate
une atteinte grave et manifestement illégale portée par une personne morale de droit public à une liberté
fondamentale, résultant de l’action ou de la carence de cette personne publique, de prescrire les mesures qui
sont de nature à faire disparaître les effets de cette atteinte, dès lors qu’existe une situation d’urgence
caractérisée justifiant le prononcé de mesures de sauvegarde à très bref délai et qu’il est possible de prendre
utilement de telles mesures. Celles-ci doivent, en principe, présenter un caractère provisoire, sauf
lorsqu’aucune mesure de cette nature n'est susceptible de sauvegarder l'exercice effectif de la liberté
fondamentale à laquelle il est porté atteinte.

10. La liberté d’expression et de communication, garantie par la Constitution et par les articles 10 et 11 de la
convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et dont découle
le droit d’expression collective des idées et des opinions, constitue une liberté fondamentale au sens de
l’article L. 521-2 du code de justice administrative. Son exercice, notamment par la liberté de manifester ou
de se réunir, est une condition de la démocratie et l’une des garanties du respect d’autres droits et libertés
constituant également des libertés fondamentales au sens de cet article, tels que la liberté syndicale. Il doit
cependant être concilié avec le respect de l'objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé et
avec le maintien de l’ordre public.

Sur la demande en référé :


(…)

13. Il n’est, en premier lieu, pas contesté que la situation sanitaire continue de justifier des mesures de
prévention, au nombre desquelles figurent les mesures dites « barrières », imposées depuis le décret du 11
mai 2020 et maintenues par le décret du 31 mai 2020, notamment lors des rassemblements qui ne sont pas
interdits en vertu de ce décret. Il n’est pas davantage contesté que l’organisation de manifestations sur la voie
publique dans des conditions de nature à permettre le respect de ces « mesures barrières » présente une
complexité particulière, compte tenu de la difficulté d’en contrôler les accès ou la participation, des
déplacements ou mouvements de foule auxquelles elles peuvent donner lieu, ainsi que, le cas échéant, des
mesures de maintien de l’ordre qu’elles peuvent appeler.

37
14. Il ne résulte toutefois pas de l’instruction qu’une telle organisation serait impossible en toutes
circonstances, sur l’ensemble du territoire de la République et pour toute manifestation, quelle qu’en soit
la forme, alors d’ailleurs que des exceptions à l’interdiction posée sont déjà admises pour les activités
mentionnées au point 4. En outre, s’il résulte des recommandations du Haut Conseil de la santé publique du
24 avril 2020, dont se prévaut l’administration, qu’il est préconisé de faire dépendre le nombre de personnes
en milieu extérieur de la distance et de l’espace, aucune restriction de principe, autre que celle du respect des
mesures « barrières », n’est posée à la liberté d’aller et venir sur la voie publique. Enfin, l’avis du conseil
scientifique du 8 juin 2020, sollicité en prévision du scrutin du 28 juin 2020 et rendu public sur le site internet
du ministère des solidarités et de la santé, indique que les indicateurs épidémiologiques rassemblés à la date
du 5 juin 2020 par Santé Publique France se situent sur l’ensemble du territoire à un niveau bas et ne
témoignent pas d’une reprise de l’épidémie, cette évolution s’inscrivant dans un contexte de baisse de la
circulation du virus en France depuis plus de neuf semaines. L’interdiction des manifestations sur la voie
publique mettant en présence de manière simultanée plus de dix personnes ne peut, dès lors, sauf
circonstances particulières, être regardée comme strictement proportionnée aux risques sanitaires
désormais encourus et appropriée aux circonstances de temps et de lieu, ainsi que l’imposent les dispositions
de l’article L. 3131-15 du code de la santé publique en application desquelles cette interdiction a été prise,
que lorsqu’il apparaît que les mesures « barrières » ou l’interdiction de tout événement réunissant plus de 5
000 personnes ne pourront y être respectées.

(…)

17. Par suite, l’interdiction posée au I de l’article 3 du décret du 31 mai 2020, dont il résulte de ce qui a été dit
précédemment qu’elle doit être regardée comme présentant un caractère général et absolu à l’égard des
manifestations sur la voie publique, ne peut, à ce jour, être regardée comme une mesure nécessaire et
adaptée, et, ce faisant, proportionnée à l’objectif de préservation de la santé publique qu’elle poursuit en
ce qu’elle s’applique à ces rassemblements soumis par ailleurs à l’obligation d’une déclaration préalable en
vertu de l’article L. 211-1 du code de la sécurité intérieure, que l’autorité investie des pouvoirs de police et le
représentant de l’État demeurent en droit d’interdire dans les conditions mentionnées au point précédent,
sous le contrôle du juge administratif, y compris le cas échéant saisi sur le fondement du livre V du code de
justice administrative.

18. Il résulte de tout ce qui précède que les requérants sont fondés à soutenir que l’exécution de l’article 3 du
décret du 31 mai 2020 porte à ce jour une atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales
mentionnées au point 10 en tant que l’interdiction qu’il prévoit en son I s’applique aux manifestations sur la
voie publique soumises à l’obligation d’une déclaration préalable en vertu de l’article L. 211-1 du code de la
sécurité intérieure. La condition d’urgence devant être également regardée comme remplie, eu égard à
l’imminence de plusieurs des manifestations prévues dont les requérants se prévalent, il y a lieu de faire droit
à leurs conclusions tendant à ce que soit ordonnée dans cette mesure la suspension de l’exécution de ces
dispositions, sans qu’il y ait lieu d’assortir cette suspension d’une injonction (…) ».

Crise sanitaire et liberté de culte

CE, réf., 29 novembre 2020, n° 446930

« (…) Considérant ce qui suit :

1. L'article L. 511-1 du code de justice administrative dispose que : " Le juge des référés statue par des mesures
qui présentent un caractère provisoire. Il n'est pas saisi du principal et se prononce dans les meilleurs délais
". Aux termes de l'article L. 521-2 du même code : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le
juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à
laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service
public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge
des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures ".

(…)

38
Sur la liberté de culte :

8. Aux termes de l'article 10 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : " Nul ne doit être
inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public
établi par la loi ". Aux termes de l'article 9 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme
et des libertés fondamentales : " 1 - Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion
; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa
religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte,
l'enseignement, les pratiques et l'accomplissement des rites. / 2 - La liberté de manifester sa religion ou ses
convictions ne peut faire l'objet d'autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures
nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l'ordre, de la santé ou
de la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

9. Aux termes de l'article 1er de la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l'État : "
La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules
restrictions édictées ci-après dans l'intérêt de l'ordre public ". Aux termes de l'article 25 de la même loi : " Les
réunions pour la célébration d'un culte tenues dans les locaux appartenant à une association cultuelle ou mis
à sa disposition sont publiques. Elles sont dispensées des formalités de l'article 8 de la loi du 30 juin 1881,
mais restent placées sous la surveillance des autorités dans l'intérêt de l'ordre public. ".

10. Aux termes de l'article 1er de la convention passée à Paris le 26 messidor an IX, entre le Pape et le
gouvernement français, qui est applicable aux catholiques d'Alsace et de Moselle, dès lors que la convention
a été promulguée et rendu exécutoire, avec ses articles organiques, comme lois de la République par la loi du
18 germinal an X relative à l'organisation des cultes, puis est restée applicable, dans les départements
concernés, à la suite, notamment de la loi du 17 octobre 1919 relative au régime transitoire de l'Alsace et de
la Lorraine et de la loi du 1er juin 1924 mettant en vigueur la législation civile française dans les départements
du Bas Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle : " La religion catholique, apostolique et romaine, sera librement
exercée en France. Son culte sera public, en se conformant aux règlements de police que le Gouvernement
jugera nécessaires pour la tranquillité publique ". Aux termes de l'article organique IX de cette convention : "
Le culte catholique sera exercé sous la direction des archevêques et évêques dans leurs diocèses, et sous celle
des curés dans leurs paroisses ".

11. La liberté du culte présente le caractère d'une liberté fondamentale. Telle qu'elle est régie par la loi,
cette liberté ne se limite pas au droit de tout individu d'exprimer les convictions religieuses de son choix
dans le respect de l'ordre public. Elle comporte également, parmi ses composantes essentielles, le droit de
participer collectivement, sous la même réserve, à des cérémonies, en particulier dans les lieux de culte. La
liberté du culte doit, cependant, être conciliée avec l'objectif de valeur constitutionnelle de protection de
la santé.

Sur les demandes de référé :

En ce qui concerne les dispositions applicables :

12. Par le décret du 27 novembre 2020 mentionné au point 7, le Premier ministre a, pour l'essentiel, modifié
le décret du 29 octobre 2020, d'une part, en étendant, à l'article 4 de celui-ci, les exceptions à l'interdiction
de tout déplacement hors du lieu de résidence, communément appelée " confinement ", pour permettre, en
particulier, non plus seulement les achats de première nécessité mais également tous les autres achats qui ne
pouvaient, jusqu'alors, faire l'objet que de retraits de commande, et d'autre part, en autorisant, à l'article 37,
l'accueil des clients dans les magasins de vente et les centres commerciaux, à la seule condition que soient
réservée à chacun d'eux une surface de 8 m2, laquelle fait l'objet, au regard du " protocole sanitaire renforcé
des commerces " établi par le ministre chargé des petites et moyennes entreprises, d'une tolérance
conduisant à compter pour un unique client les personnes d'une même famille. Aucun nombre maximum de
clients par type d'établissement n'est fixé par le décret. En revanche, le dernier alinéa du I de son article 37
prévoit que " Lorsque les circonstances locales l'exigent, le préfet de département peut limiter le nombre
maximum de clients pouvant être accueillis dans les établissements mentionnés au présent article ".

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13. Par le même décret, le Premier ministre a également modifié l'article 47 du décret du 29 octobre 2020,
portant sur les lieux de culte. Il a supprimé la précision selon laquelle les seules cérémonies religieuses qui y
sont autorisées devaient avoir un caractère funéraire. Toutefois, ces dispositions prévoient de manière
inchangée que les cérémonies ne peuvent se tenir que " dans la limite de trente personnes ".

En ce qui concerne l'urgence :

14. Il résulte de l'instruction que, depuis l'entrée en vigueur de l'article 47 du décret du 29 octobre 2020, les
lieux de culte sont restés ouverts et les fidèles peuvent s'y rendre individuellement. Toutefois, les cérémonies
religieuses sont désormais limitées, ainsi qu'il a été dit, à trente personnes, ce qui va conduire, dans de
nombreux lieux, à ce que les fidèles ne puissent y participer le jour de la semaine où se déroulent les
principales d'entre elles, en dépit de l'augmentation du nombre de ces dernières. Par suite et eu égard à
l'amélioration de la situation sanitaire ayant justifié l'allègement précité du confinement, la condition
d'urgence caractérisée, qui est prévue par les dispositions précitées, doit être regardée, ce que ne conteste
d'ailleurs pas le ministre de l'Intérieur, comme remplie.

En ce qui concerne l'existence d'une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale dans
les établissements de culte :

S'agissant de la nécessité :

15. Les cérémonies religieuses exposent les participants à un risque de contamination qui est d'autant plus
élevé qu'elles ont lieu dans un espace clos, de taille restreinte, pendant une durée importante, avec un grand
nombre de personnes, qu'elles s'accompagnent de prières récitées à haute voix ou de chants, de gestes rituels
impliquant des contacts, de déplacements, ou encore d'échanges entre les participants, y compris en marge
des cérémonies elles-mêmes et, enfin, que les règles de sécurité appliquées sont insuffisantes.

16. S'il ressort du point épidémiologique réalisé le 26 novembre 2020 par Santé publique France qu'au cours
de la semaine précédente, le nombre de nouveaux cas confirmés de contamination par le virus à l'origine de
la covid-19 était en baisse de 38 %, le nombre de passage aux urgences pour cette maladie avait diminué de
37 %, confirmant la baisse déjà intervenue la semaine précédente, tandis que les nouvelles hospitalisations
avaient diminué de 22 % et les admissions en réanimation de 25 %, il n'est pas contesté que le nombre toujours
élevé des patients hospitalisés et en réanimation, respectivement 28 648 et 3883 à la date du 27 novembre
2020, continue à mettre en tension l'ensemble du système de santé.

17. Par suite, la nécessité de réglementer, en application de l'article L. 3131-15 du code de la santé publique,
dans un objectif de santé publique, les conditions d'accès et de présence dans les établissements de culte est
établie, en particulier en ce début d'allègement du confinement, sans que les requérants ne puissent
utilement se prévaloir des dispositions de l'article 5 de la loi du 2 janvier 1907 concernant l'exercice public des
cultes, relatives à la compétence des ministres du Culte en matière de pratique de leur religion. Il y a lieu, au
contraire, de rappeler à cet égard, d'une part, qu'il incombe à chaque gestionnaire de lieu de culte de veiller
au respect de la réglementation sanitaire, y compris lors de l'entrée et de la sortie de l'édifice, et d'autre part,
que le préfet du département peut, après mise en demeure restée sans suite, interdire l'accueil du public dans
cet établissement, en application du IV de l'article 47 du décret du 29 octobre 2020, si les conditions de leur
organisation ainsi que les contrôles mis en place ne sont pas de nature à garantir le respect de cette
réglementation.

S'agissant de la proportionnalité :

18. D'une part, il ne résulte pas de l'instruction que l'interdiction absolue et générale de toute cérémonie
religieuse de plus de trente personnes, alors qu'aucune autre activité autorisée n'est soumise à une telle
limitation fixée indépendamment de la superficie des locaux en cause, serait justifiée par les risques qui sont
propres à ces cérémonies et qui ont déjà conduit à l'obligation de port d'un masque de protection pour toute
personne de plus de onze ans, imposée par le II de l'article 47 du décret du 29 octobre 2020 à la seule
exception des moments précis où l'accomplissement d'un rite le nécessite. L'article 29 de ce décret habilite,
en outre, le préfet de département à restreindre, par des mesures réglementaires, les activités qui ne sont

40
pas interdites dans les établissements recevant du public et l'autoriserait ainsi, si cela était nécessaire pour
les édifices les plus importants, notamment au regard de leurs conditions d'accès, à fixer un plafond dérogeant
à une jauge qui reste à fixer, au niveau national, en fonction du nombre de mètres carrés par personne ou
d'un pourcentage de la capacité d'accueil des lieux de culte.

19. D'autre part, si, durant la phase actuelle de l'allègement du confinement, les rassemblements et réunions
sont interdits, ainsi que le relève le ministre de l'Intérieur, au-delà de six personnes, sauf exception, sur la voie
publique et dans les lieux ouverts au public, et si certains établissements recevant du public autres que les
lieux de culte restent fermés, les activités qui y sont exercées ne sont pas de même nature et les libertés
fondamentales qui sont en jeu ne sont pas les mêmes. Le ministre ne peut, en outre, utilement se prévaloir
de ce que les cérémonies religieuses seraient interdites ou soumises à une limitation en valeur absolue du
nombre de participants dans plusieurs pays européens.

20. Dans ces conditions, les requérants sont fondés à soutenir, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur leurs
autres moyens, que l'interdiction précitée présente, en l'état de l'instruction et alors même qu'elle serait
susceptible d'être modifiée à partir du 15 décembre prochain, un caractère disproportionné au regard de
l'objectif de préservation de la santé publique et constitue ainsi, eu égard au caractère essentiel de la
composante en cause de la liberté de culte, une atteinte grave et manifestement illégale à cette dernière.

21. Dès lors qu'il n'est pas possible, dans la présente instance, de se prononcer sur les différents protocoles
sanitaires qui ont été proposés par les représentants de tous les principaux cultes, dans le cadre de la
concertation mentionnée dans les ordonnances susvisées du juge des référés du Conseil d'État des 18 mai et
7 novembre 2020, il y a lieu, en l'absence d'alternative pour sauvegarder la liberté de culte, d'enjoindre au
Premier ministre de modifier, en application de l'article L. 3131-15 du code de la santé publique, les
dispositions du I de l'article 47 du décret n° 2020-1310 du 29 octobre 2020, en prenant les mesures strictement
proportionnées d'encadrement des rassemblements et réunions dans les établissements de culte, et ce dans
un délai de trois jours à compter de la notification de la présente ordonnance (…) ».

CE, réf., 18 mai 2020, n° 440366

« (…) Sur l’office du juge des référé et la liberté fondamentale en jeu :

6. Dans l’actuelle période d’état d’urgence sanitaire, il appartient aux différentes autorités compétentes de
prendre, en vue de sauvegarder la santé de la population, toutes dispositions de nature à prévenir ou à limiter
les effets de l’épidémie. Ces mesures, qui peuvent limiter l’exercice des droits et libertés fondamentaux
doivent, dans cette mesure, être nécessaires, adaptées et proportionnées à l’objectif de sauvegarde de la
santé publique qu’elles poursuivent.
(…)
11. La liberté du culte présente le caractère d’une liberté fondamentale. Telle qu’elle est régie par la loi, cette
liberté ne se limite pas au droit de tout individu d’exprimer les convictions religieuses de son choix dans le
respect de l’ordre public. Elle comporte également, parmi ses composantes essentielles, le droit de participer
collectivement, sous la même réserve, à des cérémonies, en particulier dans les lieux de culte. La liberté du
culte doit, cependant, être conciliée avec l'objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé.

(…)

Sur les conclusions dirigées contre le décret n° 2020-548 du 11 mai 2020 :

(…)
En ce qui concerne l’existence d’une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale dans
les établissements de culte :
25. Les requérants soutiennent, notamment, que les circonstances propres à chaque lieu de culte impliquent,
certes, le respect de règles de sécurité mais que l’interdiction des célébrations religieuses sur l’ensemble du
territoire national, à l’exception des cérémonies funéraires dans la limite de vingt personnes, est, en dépit du
caractère progressif du plan dit de « déconfinement », disproportionnée au regard de l’objectif recherché de
sécurité sanitaire, en particulier si on compare cette interdiction avec les régimes applicables à d’autres
activités, tout particulièrement dans les départements les moins touchés par la maladie dite covid-19.

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26. Il apparaît que dès lors que le coronavirus, qui provoque la maladie dite covid-19, se transmet par voie
respiratoire, le risque de contamination est plus élevé dans un espace clos qu’ouvert, si les personnes ont des
contacts proches et prolongés et lorsque les intéressés émettent davantage de gouttelettes. S’il est possible
d’être également contaminé par le biais des surfaces sur lesquelles le virus s’est déposé, les rassemblements
et réunions sont la principale cause de propagation de celui-ci. Les effets des facteurs risque précités peuvent,
toutefois, être atténués par les règles de sécurité qui sont appliquées au cours des rassemblements et
réunions.

27. Par suite, les cérémonies de culte qui constituent des rassemblements ou des réunions au sens des
dispositions contestées, exposent les participants à un risque de contamination, lequel est d’autant plus élevé
qu’elles ont lieu dans un espace clos, de taille restreinte, pendant une durée importante, avec un grand
nombre de personnes, qu’elles s’accompagnent de prières récitées à haute voix ou de chants, de gestes rituels
impliquant des contacts, de déplacements, ou encore d’échanges entre les participants, y compris en marge
des cérémonies elles-mêmes et, enfin, que les règles de sécurité appliquées sont insuffisantes.

28. La circonstance, mise en avant par le ministre de l’Intérieur pour justifier les dispositions contestées, qu’un
rassemblement religieux réunissant plus d’un millier de participants venus de toute la France entre le 17 et le
24 février 2020 près de Mulhouse, c’est‑à‑dire un mois environ avant le début de la période dite de «
confinement », ait provoqué un nombre important de contaminations qui ont, elles-mêmes, contribué à la
diffusion massive du virus, dans la région Grand-Est et au-delà, illustre l’importance du risque précité, non
seulement pour les fidèles mais également pour l’ensemble de la population.

29. Par suite, la nécessité de réglementer, en application de l’article L. 3131-15 du code de la santé publique,
dans un objectif de santé publique, les conditions d’accès et de présence dans les établissements de culte,
lesquels ne peuvent être regardés comme assurant l’accès à des biens et services de première nécessité au
sens de ces dispositions, est établie, en particulier au début de la période dite de « déconfinement ».

30. Toutefois, il n’est pas contesté, en premier lieu, que le rassemblement mentionné au point 28 n’est pas
représentatif de l’ensemble des cérémonies de culte, qu’il a cumulé un grand nombre des facteurs de risque
précités et qu’il s’est tenu à une date à laquelle n’étaient appliquées ni même recommandées de règles de
sécurité particulières en matière de contamination par le coronavirus et à laquelle, s’agissant des chaînes
ultérieures de contaminations, le dispositif, notamment en matière de dépistage, était sans commune mesure
avec ce qu’il est devenu.

31. En deuxième lieu, le décret du 11 mai 2020 dont les dispositions sont contestées, prévoit, pour de
nombreuses activités qui ne présentent pas nécessairement de risque équivalent à celui des cérémonies de
culte mais pour lesquels ce risque repose aussi sur les facteurs exposés au point 25, des régimes moins
restrictifs pour l’accès du public, notamment :

- les services de transport des voyageurs, qui ne sont pas soumis, eu égard aux contraintes économiques de
leur exploitation, à la limitation à dix personnes de tout rassemblement et réunion sur la voie publique ou
dans un lieu public alors que de tels rassemblements et réunions ne peuvent pas se tenir dans les
établissements de culte, même dans cette limite, en dehors des cérémonies funéraires ;

- et les magasins de vente et centres commerciaux, les établissements d'enseignement ainsi que les
bibliothèques qui peuvent, au regard de motifs économiques, éducatifs et culturels, accueillir du public dans
le respect des dispositions qui leur sont applicables et dans des conditions de nature à permettre le respect
des dispositions de l'article 1er, lesquelles impliquent, à la lumière de l’avis du Haut conseil de la santé
publique du 24 avril 2020, un espace sans contact d’environ 4 m2 par personne.

32. En troisième lieu, si, durant la première phase du « déconfinement », les rassemblements et réunions ne
sont pas autorisés dans d’autres établissements recevant du public que les lieux de culte, en application du 1°
du I de l’article 10 du décret contesté, les activités qui y sont exercées ne sont pas de même nature et les
libertés fondamentales qui sont en jeu ne sont pas les mêmes.

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33. En quatrième et dernier lieu, il résulte de l’instruction, et notamment des déclarations faites à l’audience
par l’administration, que l’interdiction de tout rassemblement ou réunion dans les établissements de culte, à
la seule exception des cérémonies funéraires regroupant moins de vingt personnes, a été essentiellement
motivée par la volonté de limiter, durant une première phase du « déconfinement », les activités présentant,
en elles-mêmes, un risque plus élevé de contamination et qu’elle ne l’a, en revanche, été ni par une éventuelle
difficulté à élaborer des règles de sécurité adaptées aux activités en cause - certaines institutions religieuses
ayant présenté des propositions en la matière depuis plusieurs semaines – ni par le risque que les responsables
des établissements de culte ne puissent en faire assurer le respect ou que les autorités de l’État ne puissent
exercer un contrôle effectif en la matière, ni encore par l’insuffisante disponibilité, durant cette première
phase, du dispositif de traitement des chaînes de contamination.

34. Dans ces conditions, les requérants sont fondés à soutenir, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur leurs
autres moyens, que l’interdiction générale et absolue imposée par le III de l’article 10 du décret contesté,
de tout rassemblement ou réunion dans les établissements de culte, sous la seule réserve des cérémonies
funéraires pour lesquels la présence de vingt personnes est admise, présente, en l’état de l’instruction, alors
que des mesures d’encadrement moins strictes sont possibles, notamment au regard de la tolérance des
rassemblements de moins de 10 personnes dans les lieux publics, un caractère disproportionné au regard
de l’objectif de préservation de la santé publique et constitue ainsi, eu égard au caractère essentiel de cette
composante de la liberté de culte, une atteinte grave et manifestement illégale à cette dernière.

35. Il résulte de l’instruction, et notamment des déclarations faites à l’audience par le représentant du ministre
de l’Intérieur que des mesures complémentaires pourraient s’avérer nécessaires si les dispositions contestées
étaient suspendues, aux fins d’adapter les règles générales prévues par le décret, notamment en son article
1er et en son annexe I, aux particularités des activités religieuses.

36. Par suite, les requérants sont recevables, en l’absence d’alternative pour sauvegarder la liberté de culte,
et fondés à demander à ce qu’il soit enjoint au Premier ministre de modifier, en application de l’article L. 3131-
15 du code de la santé publique, les dispositions du III de l’article 10 du décret n° 2020-548 du 11 mai 2020,
en prenant les mesures strictement proportionnées aux risques sanitaires encourus et appropriées aux
circonstances de temps et de lieu applicables en ce début de « déconfinement », pour encadrer les
rassemblements et réunions dans les établissements de culte. Eu égard à la concertation requise avec les
représentants des principaux cultes, il y a lieu de fixer, dans les circonstances de l’espèce, un délai de huit
jours à compter de la notification de la présente ordonnance (…) ».

Crise sanitaire et droit au respect de la vie :

CE, réf., 4 avr. 2020, n° 439904, Centre hospitalier universitaire de La Guadeloupe

« (…) Sur l’office du juge des référés et les libertés fondamentales en jeu :

(…)

4. Pour l’application de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, le droit au respect de la vie
constitue une liberté fondamentale au sens des dispositions de cet article. En outre, une carence
caractérisée d’une autorité administrative dans l’usage des pouvoirs que lui confère la loi pour mettre en
œuvre le droit de toute personne de recevoir, sous réserve de son consentement libre et éclairé, les
traitements et les soins appropriés à son état de santé, tels qu’appréciés par le médecin, peut faire apparaître,
pour l’application de ces dispositions, une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale
lorsqu’elle risque d’entraîner une altération grave de l’état de santé de la personne intéressée. En revanche,
si l’autorité administrative est en droit, lorsque des incertitudes subsistent quant à l’existence ou à la portée
de risques pour la santé des personnes, de prendre des mesures de protection sans avoir à attendre que la
réalité et la gravité de ces risques soient pleinement démontrées, l’existence de telles incertitudes fait, en
principe, obstacle à ce que soit reconnue une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté
fondamentale, justifiant que le juge des référés fasse usage des pouvoirs qu’il tient de l’article L. 521-2 du
code de justice administrative.

(…)

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Sur le traitement des patients atteints de covid-19 et les commandes d’hydroxychloroquine et
d’azithromycine :

10. D’une part, aux termes du second alinéa du I de l’article L. 5121-12-1 du code de la santé publique : « En
l'absence de recommandation temporaire d'utilisation dans l'indication ou les conditions d'utilisation
considérées, une spécialité pharmaceutique ne peut faire l'objet d'une prescription non conforme à son
autorisation de mise sur le marché qu'en l'absence d'alternative médicamenteuse appropriée disposant d'une
autorisation de mise sur le marché ou d'une autorisation temporaire d'utilisation et sous réserve que le
prescripteur juge indispensable, au regard des données acquises de la science, le recours à cette spécialité
pour améliorer ou stabiliser l'état clinique de son patient ».

11. D’autre part, aux termes de l’article L. 3131-15 du code de la santé publique, applicable, en vertu de
l’article 4 de la loi du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19, pendant une durée de
deux mois à compter du 24 mars 2020 : « Dans les circonscriptions territoriales où l'état d'urgence sanitaire
est déclaré, le Premier ministre peut, par décret réglementaire pris sur le rapport du ministre chargé de la
santé, aux seules fins de garantir la santé publique : (…) / 9° En tant que de besoin, prendre toute mesure
permettant la mise à la disposition des patients de médicaments appropriés pour l'éradication de la
catastrophe sanitaire (…). / Les mesures prescrites en application des 1° à 10° du présent article sont
strictement proportionnées aux risques sanitaires encourus et appropriées aux circonstances de temps et de
lieu. Il y est mis fin sans délai lorsqu'elles ne sont plus nécessaires. (…) ».

12. À la suite des premiers résultats d’une étude observationnelle menée à l’institut hospitalo-universitaire
Méditerranée infection du 5 au 16 mars 2020, portant sur vingt‑six patients, qui a permis de constater une
diminution ou une disparition de la charge virale pour treize patients après six jours de traitement par
hydroxychloroquine seul ou en association avec l’azithromycine, la direction générale de la santé a sollicité
l’avis du Haut Conseil de la santé publique. Celui-ci, dans un avis le 23 mars 2020, a estimé que les résultats
de cette étude devaient être considérés avec prudence en raison de certaines de ses faiblesses
méthodologiques et justifiaient, du fait de son très faible niveau de preuve, la poursuite de la recherche
clinique. Le 22 mars 2020 a été lancé un essai clinique européen « Discovery » pour tester l’efficacité et la
sécurité de cinq molécules, dont l’hydroxychloroquine, dans le traitement du covid-19, qui doit inclure 3 200
patients européens et dont les premiers résultats doivent être connus dans les prochains jours. Par un décret
du 25 mars 2020 pris sur le fondement des dispositions de l’article L. 3131-15 du code de la santé publique,
modifié par un décret du lendemain 26 mars, le Premier ministre a complété par un article 12-2 le décret du
23 mars 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid-19 dans le
cadre de l'état d'urgence sanitaire, pour autoriser, par dérogation aux dispositions du code de la santé
publique relatives aux autorisations de mise sur le marché, la prescription, la dispensation et l’administration
de l’hydroxychloroquine aux patients atteints par le covid-19, dans les établissements de santé qui les
prennent en charge, ainsi que, pour la poursuite de leur traitement si leur état le permet et sur autorisation
du prescripteur initial, à domicile. Il précise que ces prescriptions interviennent, après décision collégiale, dans
le respect des recommandations du Haut Conseil de la santé publique tenant, en particulier, à son utilisation
en cas de pneumonie oxygéno-requérante ou de défaillance d'organe. En outre, il interdit l’exportation par
les grossistes-répartiteurs du Plaquenil, spécialité pharmaceutique à base d’hydroxychloroquine ayant une
autorisation de mise sur le marché pour d’autres indications. Enfin, le 1er avril 2020 a démarré un nouvel essai
clinique, mis en place par le centre hospitalier universitaire d’Angers, pour évaluer l’efficacité, par rapport à
un placebo, de l’hydroxychloroquine chez des patients atteints d’une forme non grave d’infection à covid-19
mais présentant un risque élevé d’évolution défavorable.

13. S’agissant de la Guadeloupe, il résulte de l’instruction qu’une vingtaine de patients du centre hospitalier
universitaire se sont vu administrer de l’hydroxychloroquine et que, le 31 mars 2020, lors d’une vidéo-
conférence organisée avec l’agence régionale de santé à destination des professionnels libéraux, le chef du
service d’infectiologie de l’établissement a proposé aux médecins libéraux repérant des patients présentant
un risque élevé d’évolution défavorable de les adresser à celui-ci pour qu’ils puissent faire l’objet d’une prise
en charge hospitalière et, le cas échéant, se voir administrer de l’hydroxychloroquine. Cette administration,
qui peut avoir lieu dans le cadre des dispositions de l’article 12-2 du décret du 23 mars 2020 ou dans celui de
l’un des essais cliniques autorisés, a été confirmée à l’audience et n’est aucunement contestée ni par le centre
hospitalier universitaire de la Guadeloupe ni par le ministre des Solidarités et de la Santé.

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14. Il résulte des éléments fournis par le centre hospitalier universitaire que sa pharmacie à usage intérieur
dispose à ce jour de stocks suffisants pour assurer le traitement des patients auxquels sont administrés de
l’hydroxychloroquine et de l’azithromycine dans les conditions mentionnées ci-dessus. Cet établissement a,
en outre, passé commande de 9 000 comprimés de Plaquenil et de 600 comprimés de Zithromax, spécialité à
base d’azithromycine, auprès des laboratoires Sanofi et Pfizer, qui commercialisent ces spécialités, permettant
de traiter, en fonction de la durée du traitement, de deux à quatre cents nouveaux patients. Il résulte
également de l’instruction que l’agence régionale de santé de la Guadeloupe, agissant sur le fondement de
l’article L. 1431-2 du code de la santé publique, a recensé, à partir du 18 mars 2020, les stocks de ces
médicaments dont disposaient les grossistes-répartiteurs, les a alertés sur le cadre de leur emploi pour le
traitement du covid-19 et a apporté une aide logistique aux établissements de santé pour que les
médicaments commandés puissent être livrés dans des délais raisonnables. L’Union générale des travailleurs
de Guadeloupe ne conteste pas ces éléments mais soutenait, devant le juge des référés du tribunal
administratif, que des commandes devaient être passées de façon à disposer de stocks d’hydroxychloroquine
et d’azithromycine permettant d’assurer le traitement de 20 000 patients atteints de covid-19. Alors qu’un tel
traitement, eu égard à son encadrement, ne peut être administré qu’à un nombre limité de patients et que
plusieurs autres molécules font l’objet d’essais cliniques dont les résultats sont attendus prochainement, il ne
peut être reproché au centre hospitalier universitaire et à l’agence régionale de santé de carence caractérisée,
dans l’usage des pouvoirs dont ils disposent, constitutive d’une atteinte grave et manifestement illégale à une
liberté fondamentale.

Sur les commandes de tests de dépistage du covid-19 :

15. Les autorités nationales ont fait le choix, compte tenu des capacités alors existantes, d’établir des priorités
pour la réalisation de « tests PCR » de diagnostic virologique, en suivant les critères proposés par le Haut
Conseil de la santé publique, en dernier lieu dans un avis provisoire du 10 mars 2020. Ainsi que l’a annoncé le
ministre des Solidarités et de la santé le 21 mars 2020, pour être en mesure d’éviter de nouvelles contagions
à l’issue du confinement, elles prennent toutefois les dispositions nécessaires pour accroître les capacités de
dépistage, notamment par le développement de tests sérologiques, reposant sur la recherche d’anticorps,
dont la fiabilité doit cependant encore faire l’objet d’évaluations. Cette stratégie est en cours d’élaboration
avec l’éclairage du comité de scientifiques constitué au titre de l'état d'urgence sanitaire déclaré pour faire
face à l'épidémie de covid-19.

16. Il résulte des éléments fournis par le centre hospitalier universitaire de la Guadeloupe que celui-ci recourt,
pour les patients hospitalisés en son sein, à l’institut Pasteur de Guadeloupe, qui réalise chaque jour une
centaine de « tests PCR », dispose d’un stock de réactifs pour accomplir 1 500 tests et a commandé récemment
4 000 lots supplémentaires. Le centre hospitalier universitaire a en outre passé commande d’un équipement
de PCR rapide qui permettra d’augmenter la capacité de 180 tests par jour. Enfin, tant ce centre que l’institut
Pasteur de Guadeloupe et le centre hospitalier Maurice Selbonne, en lien avec l’agence régionale de santé de
la Guadeloupe, ont passé commande de 200 tests sérologiques chacun, auprès de fournisseurs différents,
pour en évaluer la fiabilité. Si ces commandes ne couvrent pas les besoins à venir de l’ensemble de la
population de la Guadeloupe, tels qu’ils pourront être appréciés dans la perspective de la fin du confinement,
il ne résulte pas de l’instruction qu’en l’état de la situation à ce jour, alors que, ainsi qu’il a été indiqué, la
fiabilité des tests, très récemment mis au point, doit encore être évaluée, le centre hospitalier universitaire et
l’agence régionale de santé auraient porté, par une carence caractérisée, une atteinte grave et manifestement
illégale à une liberté fondamentale.

17. Il résulte de ce qui précède que, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens des requêtes, le centre
hospitalier universitaire de la Guadeloupe et le ministre des solidarités et de la santé sont fondés à soutenir
que c’est à tort que, par l’article 2 de son ordonnance du 27 mars 2020, le juge des référés du tribunal
administratif de la Guadeloupe a enjoint à ce centre et à l’agence régionale de santé de passer commande des
doses nécessaires au traitement des patients atteints de covid-19 par hydroxychloroquine et azithromycine
et de tests de dépistage du covid-19 en nombre suffisant pour couvrir les besoins présents et à venir de la
population de l’archipel guadeloupéen (…) ».

45
SUJETS DE RÉFLEXION

• Les contrôles des mesures prises par application de la loi sur l’état d’urgence sont-ils satisfaisants ?

• Sous l’état d’urgence, l’autorité administrative peut-elle ordonner des perquisitions domiciliaires ?

• Les assignations à résidence dans le cadre de l’état d’urgence se déroulent-elles sous le contrôle des
juges ?

• La distinction entre droit commun et droit d’exception a-t-elle encore un sens ?

• L’introduction de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 dans le droit français était-elle nécessaire ?

• L’existence de régimes dérogatoires est-elle compatible avec la protection des libertés


fondamentales ?

46
CHAPITRE 2 : LES SOURCES DES DROITS ET LIBERTÉS
FONDAMENTAUX

FICHE N°5 : LES SOURCES CONSTITUTIONNELLES

Selon Maurice Hauriou, tout le droit constitutionnel permet la protection des libertés. De fait, les Constitutions
écrites apparaissent aux États-Unis, puis en France avec les premières déclarations de droits qui en sont le plus
souvent les textes introductifs. Cependant, la garantie des droits n'est pas nécessairement liée à l'existence des
Constitutions écrites.

La Grande-Bretagne qui n’a pas de Constitution écrite, connaît un très haut niveau de protection des droits dans
le cadre juridique très différent de la Common law. Cela étant, les garanties des droits y compris en Grande-
Bretagne se trouvent dans des textes écrits : la Grande Charte de 1215, l'Habeas Corpus, le Bill of Rights.

Dans la tradition continentale, le pouvoir constituant intervient à double titre vis-à-vis des libertés. D'abord, il
proclame les libertés. Ensuite, il place les libertés en position suprême dans la hiérarchie des normes. Il y a donc
tout d'abord une fonction de proclamation, puis une mise en ordre hiérarchique des règles ainsi proclamées.

Conformément au préambule de la DDHC de 1789, ses auteurs souhaitaient « annuler l'ignorance, l'oubli ou le
mépris des droits de l'Homme ». Cette déclaration entend rappeler aux Hommes l'existence de leurs droits. Dès
que l’on quitte la période révolutionnaire, on observe que les régimes autoritaires (notamment les deux Empires)
ou les régimes non-révolutionnaires (monarchies constitutionnelles) ont évité soigneusement une telle
proclamation des droits.

Curieusement, les lois constitutionnelles de 1875 qui fondent la IIIème République ne comportent pas de
Déclaration des droits de l'Homme, bien que la III ème République se rattache à la tradition révolutionnaire et
qu’elle fut le régime fondateur des libertés françaises contemporaines.

Certains juristes de la IIIème République considéraient que cette déclaration des droits n'énonçait que des
principes vagues, exclusifs de la précision qui doit s'attacher à des règles juridiques positives. Il en allait ainsi de
Carré de Malberg qui, conformément à la théorie positiviste, considérait que l’ordre constitutionnel était limité
par les trois lois constitutionnelles, lesquelles ne mentionnent nullement la DDHC. Autrement, Hauriou et Duguit
étaient favorables à ce que les juges intègrent la DDHC dans la Constitution. Cette opposition a permis de
comprendre que le but initial d'une proclamation est aussi de rappeler aux gouvernants quels sont leurs devoirs
vis-à-vis des libertés.

Dans la plupart des cas, le pouvoir constituant originaire est à l’origine de la proclamation des droits. C’était
notamment le cas en 1789 ou en 1848 après la chute de la monarchie de Juillet. Il est rare que le pouvoir
constituant dérivé intervienne, tout simplement parce que la valeur symbolique d'un texte originaire est
suffisamment forte pour que le constituant dérivé ne puisse intervenir pour corriger ou modifier ce qui a été
voulu initialement par le peuple constituant.

De fait, on voit rarement en France des cas de modifications des déclarations de droits ou de préambule.
L’exception est justement dans la Constitution de 1958. Son préambule a fait l'objet d'une adjonction. En effet,
les préoccupations écologiques qui sont devenues de plus en plus aiguës avec le temps, ont amené les pouvoirs
publics à rédiger une Charte de l'Environnement qui a été intégrée dans le préambule de la Constitution de 1958
par la loi constitutionnelle du 1er mars 2005.

Cela étant, en réalité, les proclamations de droits évoluent par le biais de l'interprétation jurisprudentielle des
textes proclamant les droits fondamentaux. Toute interprétation d'un texte, surtout s'il est ancien, vague, obscur
est dans une certaine mesure créatrice.

Sous la Vème République, le Conseil constitutionnel a évidemment les moyens de l'interprétation avec les
différents éléments du « bloc de constitutionnalité » (I), lequel occupe la place suprême dans la hiérarchie des
normes (II).

47
I. LE CONTENU DU « BLOC DE CONSTITUTIONNALITÉ »

« Chien de garde » de l’exécutif à son origine, le Conseil constitutionnel est aujourd’hui l’un des principaux
acteurs de la défense des droits et libertés fondamentaux, grâce notamment, à une jurisprudence qui a façonné
le contentieux constitutionnel et donc sa compétence.

Il en va ainsi de la décision C.C., 26 janvier 1962, déc. n° 62-18 L, Nature juridique des dispositions de l'article 31
(alinéa 2) de la loi n° 60-808 du 5 août 1960 d'orientation agricole, par laquelle il considère que l'autorité de ses
décisions s'attache non seulement aux dispositifs de ses décisions, mais aussi aux motifs qui en sont le soutien
nécessaire et qui en constituent le fondement même.

Il en va de même de la décision C.C., 6 novembre 1962, déc. n° 62-20 DC, Loi relative à l'élection du président de
la République au suffrage universel direct, adoptée par le référendum du 28 octobre 1962 où il affirme qu'il ne
peut pas contrôler les lois qui sont l'expression directe de la souveraineté nationale ; ou encore de la décision
C.C., 15 janvier 1975, déc. n° 74-54 DC, Loi relative à l'interruption volontaire de la grossesse, par laquelle il refuse
d'effectuer un contrôle de conventionnalité des lois, en transférant cette compétence au juge ordinaire.

Cependant, son attitude parfois créatrice interroge sur sa légitimité. L’on peut penser par exemple à la décision
portant sur la loi sur le pacte civil de solidarité, ayant fait l’objet de multiples critiques au regard de la « réécriture
» de la loi par le Conseil constitutionnel (C.C., 9 novembre 1999, déc. n° 99-419 DC, Loi relative au pacte civil de
solidarité).

Par sa jurisprudence créatrice, le Conseil constitutionnel va participer à la constitution de ce que la doctrine


qualifie de « bloc de constitutionnalité ». Le « bloc de constitutionnalité » est constitué par un ensemble de
normes composé notamment de la Constitution de 1958 (A), du préambule de la Constitution de 1946 (B), de
la DDHC (C), de la Charte de l’environnement (D), des principes à valeur constitutionnelle (E) et des objectifs à
valeur constitutionnelle (F).

A. La Constitution de 1958
Peu de droits et libertés sont présents dans le corps même de la Constitution du 4 octobre 1958. On peut tout
de même relever certains articles qui régulent la matière :

• L’article 1 consacre notamment l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de
race ou de religion, et l'égalité entre les sexes dans les fonctions électives professionnelles et sociales ;

• L’article 2 rappelle la forme démocratique du régime, et la devise « Liberté, Égalité, Fraternité ». Le


principe de fraternité a été reconnu comme étant un principe constitutionnel dans la décision C.C., 6
juillet 2018, déc. n° 2018-717/718 QPC, M. Cédric H. et autre [Délit d'aide à l'entrée, à la circulation ou
au séjour irréguliers d'un étranger].

• L’article 3 dispose que le suffrage est universel, égal et secret ;

• L’article 4 consacre le pluralisme et la liberté des partis politiques ;

• L’article 16 prévoit les pouvoirs du président de la République en cas de circonstances exceptionnelles


(voir fiche sur libertés fondamentales et circonstances exceptionnelles) ;

• L’article 34 détermine le domaine de la loi en disposant que la loi fixe les règles concernant « les droits
civiques et les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice des libertés
fondamentales, la liberté, le pluralisme et l'indépendance des médias », ainsi que dans d'autres
domaines intéressant indirectement les libertés fondamentales (droit pénal, magistrature, etc.) ;

• L’article 53-2 : « La République peut reconnaître la juridiction de la Cour pénale internationale dans les
conditions prévues par le traité signé le 18 juillet 1998 » ;

• L’article 61-1 introduit la question prioritaire de constitutionnalité permettant à un justiciable de


soutenir qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit ;

48
• L’article 64 consacre l'indépendance des magistrats ;

• L’article 66 : « Nul ne peut être arbitrairement détenu. / L'autorité judiciaire, gardienne de la liberté
individuelle, assure le respect de ce principe dans les conditions prévues par la loi » ;

• L’article 66-1 constitutionnalise l'abolition de la peine de mort.

En outre, la Constitution de 1958 met en place un contrôle de constitutionnalité dans l’objectif de diminuer la
place occupée par le parlement dans les institutions. On n'instaure pas un contrôle pour défendre les droits et
les libertés du citoyen mais pour placer le parlement sous le regard critique du Conseil constitutionnel.

On parle, en 1958, du contrôle de constitutionnalité comme d'un canon tourné vers le pouvoir législatif ou
comme un « chien de garde » du pouvoir législatif au service du pouvoir exécutif. L'idée principale des rédacteurs
de la Constitution de 1958 est de forcer le Parlement à rester dans le domaine législatif prévu par l'article 34 de
la Constitution.

Suivant cet article, il y a certaines matières réservées au pouvoir législatif, et l'article 37, par opposition,
détermine les matières réservées au pouvoir réglementaire.

Ainsi, le contrôle de constitutionnalité effectué par le Conseil constitutionnel a été instauré non pas parce qu'il
paraissait important de protéger les droits et les libertés des citoyens, mais surtout pour mettre le pouvoir
législatif sous l'influence du pouvoir exécutif.

On rejoint là d'ailleurs toute la logique de la Constitution de 1958 qui valorisait à l'extrême le pouvoir exécutif
et plaçait le pouvoir législatif dans une position inférieure.

Le Conseil constitutionnel a pourtant parcouru un long chemin entre 1959 et aujourd'hui. Il a fait preuve d'une
remarquable action créatrice et traite désormais de matières relevant de plusieurs domaines du droit :
parlementaire, administratif, fiscal, civil, économique, le droit du travail, etc.

La décision C.C., 16 juillet 1971, déc. n°71-44 DC, Loi complétant les dispositions des articles 5 et 7 de la loi du
1er juillet 1901 relative au contrat d'association, connue sous le nom « Liberté d'association » est la décision la
plus créatrice du Conseil constitutionnel. C'est par cette décision qu’il fait entrer les droits et libertés
fondamentaux dans le champ constitutionnel.

Il faut attendre cette décision pour que le Conseil constitutionnel exerce un contrôle sur le fond, sur le contenu
de la loi, et non plus seulement sur la répartition des compétences normatives.

De plus elle ouvre le contrôle de la loi à d’autres normes constitutionnelles. En effet, le Conseil constitutionnel
déclare la disposition contraire à un principe fondamental reconnu par les lois de la République (PFRLR) présent
dans le préambule de la Constitution de 1946 auquel renvoie le préambule de la Constitution de 1958.

Or, le préambule de la Constitution de 1958 renvoie aussi à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen,
tandis que le préambule de la Constitution de 1946 prévoit non seulement les PFRLR, mais aussi les principes
particulièrement nécessaires à notre temps (PPNT).

B. Le préambule de la Constitution de 1946


Le préambule de la Constitution de 1946 affiche un certain nombre de valeurs (PFRLR) (1) et les alinéas suivants
posent les principes particulièrement nécessaires à notre temps (PPNT) (2).

49
1. Les PFRLR
Le juge constitutionnel a, pour la première fois, utilisé la notion de PFRLR le 16 juillet 1971, en considérant que
le principe de liberté d'association reconnu par la loi de 1901 avait une valeur constitutionnelle et était de ce fait,
incompatible avec un régime d'autorisation préalable (C.C., 16 juillet 1971, déc. n°71-44 DC, Loi complétant les
dispositions des articles 5 et 7 de la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d'association). Dans ce cadre, le
caractère actif du travail du juge constitutionnel est indéniable.

En effet, ce n'est pas la totalité d'une loi républicaine qui acquiert le caractère constitutionnel mais seulement
les principes fondamentaux que cette loi contient. Il y a donc nécessairement une liberté laissée aux membres
du Conseil constitutionnel.

Au fur et à mesure de son activité, le Conseil constitutionnel est devenu de plus en plus rigoureux à l'égard de
l'invention de ces principes fondamentaux, afin de ne pas susciter une critique de « gouvernement des juges ».

Alors que dans un premier temps, il était assez peu méthodique, en évoquant des principes fondamentaux sans
s’appuyer sur des textes précis, à partir de 1988, il a choisi de préciser les conditions de reconnaissance d'un
PFRLR.

La première règle qu'il s'est fixée est que seules les lois républicaines antérieures à 1946 peuvent être prises en
considération.

Autrement dit, les lois qui sont devenues des lois de la République sous la IV ème et Vème Républiques ne peuvent
pas être élevées au rang de PFRLR. Ensuite, le principe doit avoir été proclamé sans aucune exception, par les
lois républicaines.

Il appartient alors au juge de reconnaître les PFRLR à partir de trois critères cumulatifs :

1. Pour être « fondamental », le principe doit énoncer une règle suffisamment importante, avoir un degré
suffisant de généralité et intéresser des domaines essentiels pour la vie de la nation, comme les libertés
fondamentales, la souveraineté nationale ou l’organisation des pouvoirs publics (C.C., 14 janvier 1999,
déc. n° 98-407 DC, Loi relative au mode d'élection des conseillers régionaux et des conseillers à
l'Assemblée de Corse et au fonctionnement des Conseils régionaux) ;

2. Le principe doit trouver une base textuelle dans une ou plusieurs lois intervenues sous un régime
républicain antérieur à 1946 (C.C., 23 janvier 1987, déc. n° 86-224 DC, Loi transférant à la juridiction
judiciaire le contentieux des décisions du Conseil de la concurrence) ;

3. Le principe doit avoir fait l’objet d’une application continue. Aucune dérogation au principe, par une loi
républicaine antérieure à l’entrée en vigueur de la Constitution de 1946, ne peut être acceptée (C.C., 20
juillet 1988, déc. n° 88-244 DC, Loi portant amnistie).

Plusieurs PFRLR ont été dégagés par le Conseil constitutionnel :

• La liberté d’association (C.C, 16 juillet 1971, déc. n° 71-44 DC, Loi complétant les dispositions des articles
5 et 7 de la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d'association) ;

• Le respect des droits de la défense (C.C., 2 décembre 1976, déc. n° 76-70 DC, Loi relative au
développement de la prévention des accidents du travail) ;

• La liberté individuelle (C.C., 12 janvier 1977, déc. n° 76-75 DC, Loi autorisant la visite des véhicules en
vue de la recherche et de la prévention des infractions pénales) ;

• La liberté de conscience et la liberté d’enseignement (C.C., 23 novembre 1977, déc. n° 77-87 DC, Loi
complémentaire à la loi n° 59-1557 du 31 décembre 1959 modifiée par la loi n° 71-400 du 1er juin 1971
et relative à la liberté de l'enseignement) ;

• L’indépendance de la juridiction administrative (C.C, 22 juillet 1980, déc. n° 80-119 DC, Loi portant
validation d'actes administratifs) ;

50
• La garantie de l’indépendance des professeurs d’université (C.C., 20 janvier 1984, déc. n° 83-165 DC, Loi
relative à l'enseignement supérieur) ;

• La compétence exclusive de la juridiction administrative pour l’annulation des actes de la puissance


publique (C.C, 23 janv. 1987, déc. n° 86-224 DC, Loi transférant à la juridiction judiciaire le contentieux
des décisions du Conseil de la concurrence) ;

• La compétence de l'autorité judiciaire en matière de protection de la propriété immobilière privée (C.C.,


25 juillet 1989, déc. n° 89-256 DC, Loi portant dispositions diverses en matière d'urbanisme et
d'agglomérations nouvelles) ;

• La recherche du relèvement éducatif et moral des enfants délinquants par des mesures adaptées (C.C,
29 août 2002, déc. n° 2002-461 DC, Loi d'orientation et de programmation pour la justice) ;

• Le maintien de la législation des départements d’Alsace et de Moselle tant qu’elle n’est pas remplacée
(C.C., 5 août 2011, déc. n° 2011-157 QPC, Société SOMODIA [Interdiction du travail le dimanche en
Alsace-Moselle]).

Le Conseil d'État et la Cour de cassation utilisent eux aussi les PFRLR.

Le Conseil d’État a notamment dégagé un PFRLR selon lequel l’État doit refuser d’extrader un étranger dans un
but politique (C.E., 3 juillet 1996, Koné).

2. Les principes particulièrement nécessaires à notre temps (PPNT)


Le Préambule proclame, comme particulièrement nécessaires à notre temps, des principes politiques,
économiques et sociaux qui sont limitativement énumérés.

Schématiquement, il est possible de considérer qu'il y a une première génération des droits de l'Homme
constituée par les droits et libertés qui supposent l'abstention de l'État (liberté d’aller et venir par exemple). On
peut distinguer cette catégorie de celle des « droits-créances » qui constituent la deuxième génération des droits
et qui supposent, au contraire, l'intervention de l'État. L'État doit intervenir pour assurer la créance des individus
du fait de cette proclamation. C'est notamment le cas des droits à la santé ou à la sécurité sociale, à la retraite,
c’est-à-dire des droits économiques et sociaux.

Le préambule de la Constitution de 1946 contient de nombreux droits économiques et sociaux (liberté syndicale,
droit de grève) dont beaucoup sont constitués par les « droits-créances » (droit à la retraite, droit à la santé).

Ainsi, dans la décision C.C, 15 janvier 1975, déc. n° 74-54 DC, Loi relative à l'interruption volontaire de la
grossesse, le Conseil constitutionnel affirme : « Considérant qu'aucune des dérogations prévues par cette loi
n'est, en l'état, contraire à l'un des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République ni ne méconnaît
le principe énoncé dans le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, selon lequel la nation garantit à
l'enfant la protection de la santé, non plus qu'aucune des autres dispositions ayant valeur constitutionnelle
édictées par le même texte ; ». Il s’agit de la première décision dans laquelle le Conseil constitutionnel vérifie la
conformité des dispositions déférées à un PPNT. Il reconnaît donc la portée normative des PPNT en conformité
avec sa décision C.C., 16 juillet 1971, déc. n°71-44 DC, « Liberté d'association ».

Sont des PPNT :


• L’égalité entre sexes ;

• Le droit d'asile pour tout homme « persécuté en raison de son action en faveur de la liberté » ;

• Le droit au travail et à l'emploi ;

• Le droit à la non-discrimination dans le travail ;

• Le droit à l'action syndicale ;

51
• Le droit de grève ;

• Le droit à la participation à la détermination collective des conditions de travail ;

• La possibilité des expropriations pour cause d'utilité publique ;

• Le droit à obtenir de la collectivité les moyens nécessaires au développement de l'individu et de la


famille ;

• Le droit à la protection de la santé, à la santé matérielle, à la solidarité pour ceux qui ne peuvent
travailler ;

• Le principe de solidarité devant les catastrophes nationales ;

• Le droit à l'instruction (au travers d'une obligation de mettre en place un enseignement public gratuit
et laïc à tous les degrés), à la formation professionnelle et à la culture ;

• Le principe du respect du droit international, et de l'abstention de l'usage agressif de la force ;

• Le principe d'égalité des droits et des devoirs, sans distinction « de race ni de religion » ;

• Les divers principes destinés à humaniser la colonisation.

C. La DDHC
En ce qui concerne la DDHC, sa valeur constitutionnelle est expressément affirmée par la décision C.C., 27
décembre 1973, déc. n° 73-51 DC, Loi de finances pour 1974 dite décision « Taxation d’office ».

En effet, conformément au considérant n°2 de cette décision, « la dernière disposition de l'alinéa ajouté à l'article
180 du code général des impôts par l'article 62 de la loi de finances pour 1974, tend à instituer une discrimination
entre les citoyens au regard de la possibilité d'apporter une preuve contraire à une décision de taxation d'office
de l'administration les concernant ; qu'ainsi ladite disposition porte atteinte au principe de l'égalité devant la
loi contenu dans la Déclaration des Droits de l'Homme de 1789 et solennellement réaffirmé par le préambule
de la Constitution ».

Chaque article de la déclaration a donc valeur constitutionnelle et le Conseil constitutionnel a accepté de statuer
sur tous les moyens tirés de la violation d’un article de la Déclaration, quel qu’il soit.

D. La Charte de l’Environnement
La Charte de l’environnement a été introduite dans le préambule de la Constitution en vertu de la révision
constitutionnelle du 1er mars 2005.

Conformément au premier alinéa du préambule de la Constitution de 1958, « Le peuple français proclame


solennellement son attachement aux Droits de l'homme et aux principes de la souveraineté nationale tels qu'ils
ont été définis par la Déclaration de 1789, confirmée et complétée par le préambule de la Constitution de 1946,
ainsi qu'aux droits et devoirs définis dans la Charte de l'environnement de 2004 ». La Charte introduit des
principes, droits et devoirs devant être respectés à l’occasion de l’adoption des lois.

L’article 5 de la Charte dispose que « Lorsque la réalisation d'un dommage, bien qu'incertaine en l'état des
connaissances scientifiques, pourrait affecter de manière grave et irréversible l'environnement, les autorités
publiques veillent, par application du principe de précaution et dans leurs domaines d'attributions, à la mise en
œuvre de procédures d'évaluation des risques et à l'adoption de mesures provisoires et proportionnées afin de
parer à la réalisation du dommage ». La consécration du principe de précaution a suscité de vifs débats, car
certains ont craint que cette disposition ne constitue un frein à l’innovation.

52
La Charte consacre aussi le « droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé » (article
1). Par conséquent, toute personne a le droit d’accéder aux informations sur l’environnement détenues par les
autorités publiques et de participer à l’élaboration des décisions publiques ayant des conséquences sur
l’environnement (article 7).

À ces droits s’ajoutent des devoirs et notamment l’obligation de chacun de participer à la préservation et à
l’amélioration de l’environnement (article 2), de prévenir ou limiter les conséquences des atteintes qu’il peut
porter à l’environnement (article 3), et de contribuer à leur réparation (article 4).

Enfin, la Charte consacre également le développement durable comme objectif des politiques publiques (article
6), l’environnement étant désormais reconnu « comme le patrimoine commun de tous les êtres humains ».

La valeur constitutionnelle de la Charte a été affirmée par le Conseil constitutionnel dans sa décision C.C., 28
avril 2005, déc. n° 2005-514 DC, Loi relative à la création du registre international français. Il y indique que «
l'ensemble de droits et devoirs définis dans la Charte de l'environnement, ont valeur constitutionnelle ».
Néanmoins, il a considéré que l’article 6 de la Charte de l’environnement « n’institue pas un droit ou une liberté
que la Constitution garantit » (C.C., 23 novembre 2012, déc. n° 2012-283 QPC, M. Antoine de M. [Classement et
déclassement de sites]).

E. Les principes à valeur constitutionnelle


Alors que le Conseil fait déjà l’objet de vives critiques au regard de son intervention dans le domaine de
compétences du législateur ordinaire, il lui arrive en outre de produire des normes constitutionnelles à la place
du constituant.

Il en va ainsi de la création des principes à valeur constitutionnelle, conduisant à la possible qualification du


Conseil constitutionnel en tant que « gouvernement des juges ».

Il a par exemple consacré le principe constitutionnel de fraternité dans la décision C.C., 6 juillet 2018, déc. n°
2018-717/718 QPC, M. Cédric H. et autre [Délit d'aide à l'entrée, à la circulation ou au séjour irréguliers d'un
étranger].

De même, conformément au premier alinéa du préambule de la Constitution de 1946, « au lendemain de la


victoire remportée par les peuples libres sur les régimes qui ont tenté d'asservir et de dégrader la personne
humaine, le peuple français proclame à nouveau que tout être humain, sans distinction de race, de religion ni de
croyance, possède des droits inaliénables et sacrés ».

Le Conseil constitutionnel a alors considéré que « la sauvegarde de la dignité de la personne contre toute forme
d'asservissement et de dégradation est au nombre de ces droits et constitue un principe à valeur constitutionnelle
» (C.C., 27 juillet 1994, déc. n° 94-343/344 DC, Loi relative au respect du corps humain et loi relative au don et à
l'utilisation des éléments et produits du corps humain, à l'assistance médicale à la procréation et au diagnostic
prénatal et C.C., 2 juin 2017, déc. n° 2017-632 QPC, Union nationale des associations de familles de traumatisés
crâniens et de cérébro-lésés [Procédure collégiale préalable à la décision de limitation ou d'arrêt des traitements
d'une personne hors d'état d'exprimer sa volonté]).

Parmi les principes à valeur constitutionnelle, on trouve :


• La continuité de l'État et du service public (C.C., 25 juillet 1979, déc. n° 79-105 DC, Loi modifiant les
dispositions de la loi n° 74-696 du 7 août 1974 relatives à la continuité du service public de la radio et de
la télévision en cas de cessation concertée du travail) ;

• La liberté d'entreprendre (C.C., 16 janvier 1982, déc. n° 81-132 DC, Loi de nationalisation) ;

• La liberté d'aller et de venir (C.C., 12 juillet 1979, déc. n° 79-107 DC, Loi relative à certains ouvrages
reliant les voies nationales ou départementales) ;

• La liberté personnelle du salarié (C.C., 25 juillet 1989, déc. n° 89-257 DC, Loi modifiant le Code du travail
et relative à la prévention du licenciement économique et au droit à la conversion) ;

53
• La sauvegarde de la dignité de la personne humaine contre toute forme d'asservissement et de
dégradation (C.C., 27 juillet 1994, déc. n° 94-343/344 DC, Loi relative au respect du corps humain et loi
relative au don et à l'utilisation des éléments et produits du corps humain, à l'assistance médicale à la
procréation et au diagnostic prénatal) ;

• L'inamovibilité des magistrats du siège (C.C., 9 juillet 1970, déc. n° 70-40 DC, Loi organique relative au
statut des magistrats) ;

• Le principe pollueur-payeur (C.C, 29 décembre 1999, déc.n° 99-424 DC, Loi de finances pour 2000) ;

• La fraternité (C.C., 6 juillet 2018, déc. n° 2018-717/718 QPC, M. Cédric H. et autre [Délit d'aide à l'entrée,
à la circulation ou au séjour irréguliers d'un étranger]).

F. Les objectifs à valeur constitutionnelle


Le Conseil constitutionnel a consacré explicitement les « objectifs de valeur constitutionnelle » (OVC) dans la
décision C.C., 27 juillet 1982, déc. n° 82-141 DC, Loi sur la communication audiovisuelle.

Il affirme qu'« il appartient au législateur de concilier […] l'exercice de la liberté de communication telle qu'elle
résulte de l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme, avec […] les objectifs de valeur constitutionnelle
que sont la sauvegarde de l'ordre public, le respect de la liberté d'autrui et la préservation du caractère
pluraliste des courants d'expression socioculturels ».

Comme son appellation l’indique, il s’agit d’objectifs, c’est-à-dire d’orientations. Les OVC n’ont donc pas de
portée normative. Pour cette raison, le Conseil constitutionnel considère que les OVC ne constituent pas en eux-
mêmes, des droits et libertés au sens de l’article 61-1 de la Constitution, permettant de fonder une question
prioritaire de constitutionnalité.

Tandis que certains OVC limitent les droits et libertés (bonne administration de la justice, protection des deniers
publics, préservation de l’ordre public), d’autres les rendent plus effectifs (parité entre les hommes et les
femmes).

Le Conseil constitutionnel rattache parfois textuellement ces objectifs à des dispositions constitutionnelles, mais
il n’en est pas toujours ainsi. Il ne s’agit pas de droits, mais d’orientations générales dégagées par le Conseil
constitutionnel à destination du législateur. Ils permettent de limiter certains principes constitutionnels dans le
but de rendre certains autres droits constitutionnels effectifs, c’est-à-dire d’opérer une conciliation entre les
principes constitutionnels.

Cependant, les objectifs à valeur constitutionnelle ne doivent pas porter une atteinte excessive aux droits
constitutionnels.

Ainsi, dans sa décision C.C., 29 juillet 1998, déc. n° 98-403 DC, Loi d'orientation relative à la lutte contre les
exclusions, le Conseil constitutionnel considère que « s'il appartient au législateur de mettre en œuvre
l'objectif à valeur constitutionnelle que constitue la possibilité pour toute personne de disposer d'un logement
décent, et s'il lui est loisible, à cette fin, d'apporter au droit de propriété les limitations qu'il estime nécessaires,
c'est à la condition que celles-ci n'aient pas un caractère de gravité tel que le sens et la portée de ce droit en
soient dénaturés ; que doit aussi être sauvegardée la liberté individuelle […]».

Ont été consacrés comme objectifs à valeur constitutionnelle :

• Le maintien de l'ordre public (C.C., 27 juillet 1982, déc. n° 82-141 DC, Loi sur la communication
audiovisuelle) ;

• La possibilité pour toute personne de disposer d'un logement décent (C.C., 19 janvier 1995, déc. n°
94-359 DC, Loi relative à la diversité de l'habitat) ;

• L’accessibilité et l'intelligibilité du droit (C.C., 16 décembre 1999, déc. n° 99-421 DC, Loi portant
habilitation du Gouvernement à procéder, par ordonnances, à l'adoption de la partie législative de
certains codes) ;

54
• La lutte contre la fraude fiscale (C.C., 29 décembre 1999, déc. n° 99-424 DC, Loi de finances pour 2000) ;

• Le bon usage ou le bon emploi des deniers publics (C.C., 26 juin 2003, déc. n° 2003-473 DC, Loi
habilitant le Gouvernement à simplifier le droit) ;

• La recherche des auteurs d'infractions (C.C., 16 juillet 1996, déc. n° 96-377 DC, Loi tendant à renforcer
la répression du terrorisme et des atteintes aux personnes dépositaires de l'autorité publique ou
chargées d'une mission de service public et comportant des dispositions relatives à la police judiciaire) ;

• Le pluralisme et l'indépendance des médias (C.C., 3 mars 2009, déc. n° 2009-577 DC, Loi relative à la
communication audiovisuelle et au nouveau service public de la télévision) ;

• La bonne administration de la justice (C.C., 3 décembre 2009, déc. n° 2009-595 DC, Loi organique
relative à l'application de l'article 61-1 de la Constitution) ;

• La protection de la santé (C.C., 16 mai 2012, déc. n° 2012-248 QPC, M. Mathieu E. [Accès aux origines
personnelles]).

Les OVC représentent aussi une forme de garantie pour les droits fondamentaux dans la mesure où ils
assurent l’équilibre du système social et juridique.

II. LA SUPÉRIORITÉ DU « BLOC DE CONSTITUTIONNALITÉ »

Habituellement, on définit la Constitution comme la norme la plus haute dans la hiérarchie des normes. Elle est
supérieure et donc suprême. On indique alors que la Constitution est un ensemble de normes suprêmes fondant
l'autorité étatique, donnant des compétences à ses institutions.

Le doyen Georges Vedel définissait la Constitution, dans son manuel de Droit constitutionnel, comme étant
« l'ensemble des règles les plus importantes pour l'État, c'est à dire celles qui déterminent la forme même de
l'État, la forme de son gouvernement ».

Néanmoins, ces définitions de la « suprématie » ou de la « Constitution » sont contestables. Intuitivement, on


dira que la Constitution est l'ensemble des normes fondatrices d'un système, celles qui sont les plus importantes.

Le problème de cette définition serait d'identifier un critère de l'importance qui ne soit pas purement subjectif.
La plupart des définitions de la Constitution sont subjectives, et ne permettent pas de saisir clairement un objet,
une structure précise et déterminée.

En réalité, il peut être considéré que dans un système juridique est plus important ce qui permet de produire
autre chose. En ce sens, en France par exemple, la Constitution est supérieure aux conventions internationales
(C.E., 30 octobre 1998, M. Sarran, M. Levacher et autres ; Cass., ass. plén., 2 juin 2000, Melle Fraisse).

L’obligation de respecter les conventions internationales, résulte d’une part du préambule de la Constitution de
1946 qui dispose que « La République française, fidèle à ses traditions, se conforme aux règles du droit public
international » (or, on sait que ce préambule fait partie du « bloc de constitutionnalité ») et, d’autre part, de
l’article 55 qui dispose que « Les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication,
une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve, pour chaque accord ou traité, de son application par l’autre
partie ».

Selon le Conseil d’État, cette disposition vise aussi bien les lois ordinaires que les lois organiques et les lois
référendaires de l’article 11 de la Constitution. Mais les lois constitutionnelles sont exclues puisque la
Constitution prime sur les traités.

55
En effet, conformément à la décision C.E., 30 octobre 1998, M. Sarran, M. Levacher et autres, « Considérant que
si l'article 55 de la Constitution dispose que ‘les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès
leur publication, une autorité supérieure à celle des lois sous réserve, pour chaque accord ou traité, de son
application par l'autre partie’, la suprématie ainsi conférée aux engagements internationaux ne s'applique pas,
dans l'ordre interne, aux dispositions de nature constitutionnelle ».

Le Conseil d’État estime donc que les dispositions constitutionnelles sont, par nature, supérieures aux traités.
La Constitution a la qualité de norme suprême de l'ordre juridique français. Cette position du juge confirme la
solution qui était implicitement contenue dans la décision C.E., 3 juillet 1996, Koné.

Les conventions internationales sont aussi supérieures à la loi, qui elle-même est supérieure aux règlements, les
règlements sont supérieurs aux circulaires, etc.

Ainsi, la Constitution détermine les modalités de production des normes qui lui sont inférieures, idem pour la
loi, idem pour le règlement, etc. La suprématie de la Constitution signifie alors que c'est la norme limite d'un
système. C'est d'elle que résultent toutes les autres normes.

Cela implique que les divers actes juridiques doivent lui être conformes. La doctrine a malencontreusement défini
le système juridique en prenant en compte cette caractéristique de la Constitution sous la forme du terme de
« pyramide des normes ».

En fait, il ne s'agit pas tant d'une pyramide. Lorsque Hans Kelsen a développé sa théorie de la « hiérarchie des
normes », il parlait d'une structure en escalier :

• Soit la norme supérieure (selon l'ordre de production) N ;

• Cette norme N définit les conditions de production de la norme qui lui est directement inférieure N-1 ;

• Cette norme N-1 définira les conditions de production d'une norme N-2 et ainsi de suite ;

• Il se peut toutefois que la norme N-2 ne respecte pas toutes les conditions nécessaires à sa production.

C’est cette suprématie qui justifie notamment le contrôle de la constitutionnalité des lois, c’est-à-dire la
vérification de la conformité d’une loi à la Constitution. L'objectif est d'anéantir ces défauts qui peuvent
survenir lors de la production d'une norme.

SUJETS DE RÉFLEXION

• La devise de la République « Liberté, Égalité, Fraternité »

• Le principe de fraternité a-t-il une portée illimitée ?

• La Constitution française et la protection des libertés.

• Les droits fondamentaux économiques et sociaux visés par le préambule de la Constitution du 27


octobre 1946.

• La fraternité, droit fondamental ?

56
FICHE N°6 : LES SOURCES INTERNATIONALES

« Qu’il s’agisse de rétablissement de la paix, d’édification des nations, de démocratisation ou d’interventions en


cas de catastrophe naturelle ou autre, nous avons tous pu constater que même les plus forts d’entre nous ne
peuvent réussir seuls… C’est pourquoi il est vital que l’Organisation des Nations unies soit vigoureuse et efficace.
Utilisée à bon escient, elle peut, comme nulle autre institution, aider à conjuguer pouvoir et principes dans l’intérêt
de tous les peuples du monde » - Kofi Annan, discours au Sommet mondial de 2005, le 14 septembre 2005.

Protéger internationalement les droits de l'Homme est une tâche délicate puisqu’il s’agit d’une forme de
limitation de la souveraineté des États. En effet, le droit international tente d'imposer aux États des principes
protecteurs des libertés, avec la difficulté que la société internationale est une société composée d'États
également souverains.

Se pose donc la question de l'opposabilité de ces règles internationales à des États souverains.

Malgré cette interrogation, il convient de noter qu’il existe bien un droit international des droits de l'homme qui
se manifeste sur le plan universel avec :

• La Déclaration universelle des droits de l’Homme de 1948 (DUDH) ;

• Les deux grands Pactes onusiens de 1966 : le Pacte international relatif aux droits civils et politiques
et le Pacte international relatif aux droits économiques et sociaux.

En droit international des droits de l'Homme, il faut distinguer la réalité des règles de droit de leur effectivité.
En effet, énoncer solennellement des principes internationaux en y faisant adhérer des États souverains est
différent d’assurer l'effectivité de ces règles et d'en sanctionner les violations.

De ce point de vue, la protection des libertés dans le cadre onusien présente de nombreuses insuffisances. Il
convient d’envisager le contenu de la Charte internationale des droits de l’homme (I), avant d’observer
l’existence de certaines conventions sectorielles (II), puis la réception de ces textes par les juridictions (III).

I. LA CHARTE INTERNATIONALE DES DROITS DE L’HOMME

La dénomination « Charte internationale des droits de l’homme » renvoie au corpus juridique formé par la
Déclaration universelle des droits de l’homme (A), le Pacte international relatif aux droits civils et politiques
(B), complété par ses deux protocoles, et le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et
culturels (C).

A. La Déclaration universelle des droits de l’homme (DUDH)


Il convient d’envisager son adoption (1), son contenu (2) et sa portée (3).

1. L’adoption
L'Organisation internationale des Nations Unies a été fondée en 1945, après la Seconde Guerre mondiale, par 51
pays déterminés à maintenir la paix et la sécurité internationales, à développer des relations amicales entre les
nations, à promouvoir le progrès social, à instaurer de meilleures conditions de vie et à accroître le respect des
droits de l'homme. Elle cherche à établir une coopération internationale pour faire respecter les libertés
fondamentales.

Dans ce cadre, et à l’initiative de Eleanor Roosevelt, militante progressiste engagée pour le droit des femmes,
l’Assemblée générale des Nations unies a adopté sans opposition (mais l'URSS et les pays de l'Est s'abstenant) la
Déclaration universelle des droits de l’Homme. Datée du le 10 décembre 1948, elle renforce sur le plan
international, la protection des droits de l’Homme. Pour la première fois, un texte de droit international met en
place un catalogue des droits conférés aux individus à l'encontre des autorités publiques.

57
2. Le contenu de la DUDH
L’idée fondamentale est que chacun peut vivre librement à condition de respecter la liberté d’autrui et de ne
pas lui nuire. Inspiré de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, le texte de 1948 précise et
ajoute certains droits. Elle crée également pour chaque individu des devoirs de solidarité vis-à-vis de son
prochain.

30 droits et libertés inhérents à tous les humains et dont personne ne peut les priver sont définis. Les droits et
libertés énoncés comprennent le droit de ne pas être soumis à la torture, le droit à la liberté d’expression, le
droit à l’éducation et le droit de solliciter asile.

La DUDH prévoit des droits civils et politiques, comme le droit à la vie, le droit à la liberté et le droit à la vie
privée, ainsi que des droits économiques, sociaux et culturels, comme le droit à la sécurité sociale, à la santé et
à un logement convenable.

3. L’absence de portée obligatoire


Lors de son discours au Palais de Chaillot, le 18 décembre 1948 devant 58 États, Eleanor Roosevelt rappelle le
« caractère fondamental » de la DUDH : la déclaration des principes fondamentaux doit servir comme un idéal
commun, par tous les peuples et nations.

La Déclaration consacre l’homme en tant que sujet autonome du droit universel, en établissant des droits
supranationaux indépendamment de toute immixtion étatique.

L’application des règles de droit international dépend en général de la volonté des États, de leur capacité à
s'autolimiter. Or, il est assez rare que les États acceptent cette autolimitation. La protection des droits de l'Homme
dans la société internationale hésite alors entre deux solutions : l'approche diplomatique et l'approche juridique
d'une protection.

Dans le cadre des Nations Unies, les plus grands progrès ont porté sur la proclamation du droit. Cependant, les
engagements internationaux restent peu contraignants et les mécanismes de contrôle et de sanction mis en
place dans les conventions internationales restent notoirement insuffisants.

Il faut donc faire confiance aux États et particulièrement à leur système judiciaire pour assurer une plus grande
efficacité des règles internationales.

Ainsi, malgré l’importance symbolique et politique de la DUDH, elle est dépourvue de caractère juridiquement
obligatoire. Il restait donc aux États à inscrire les droits prévus, ou tout au moins certains d'entre eux, soit dans
des traités, soit dans des actes dont les dispositions engagent juridiquement les États.

Le Conseil d’État a confirmé l’absence de contrainte, en considérant qu’il ne s’agit pas d’un traité introduit dans
l’ordre juridique français, faute de ratification (C.E., 18 avril 1951, Élections de Nolay ; C.E., 23 novembre 1984,
Roujansky). Son contenu a alors été repris à travers les pactes de New York de 1966 (droits civils et politiques,
droits économiques, sociaux et culturels). Malgré sa portée uniquement symbolique, la Déclaration universelle
des droits de l’homme a irradié l’ensemble des textes internationaux destinés à la protection des droits de
l’homme.

B. Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP)


Seront envisagés son adoption (1), son contenu (2) et sa portée (3).

1. Adoption
Le PIDCP a été adopté en 1966 et est entré en vigueur le 23 mars 1976.

Les 167 États parties s’engagent à respecter et à garantir à tous les individus se trouvant sur leur territoire, les
droits reconnus dans le Pacte, ainsi qu’à présenter à intervalles réguliers des rapports sur les mesures adoptées
et les progrès réalisés dans la jouissance de ces droits.

58
Il a été complété par deux protocoles :

• Le premier Protocole facultatif prévoit un mécanisme de plaintes individuelles et a été ratifié par 114
États ;
• Le deuxième Protocole facultatif, entré en vigueur en 1991, vise l’abolition de la peine de mort et a été
ratifié par 74 États.

2. Contenu
Il reconnaît essentiellement des droits de première génération. Le PIDCP dispose notamment que :

• Article 2 : les États parties au Pacte s’engagent à garantir que toute personne dont les droits et libertés
reconnus dans le présent Pacte auront été violés disposera d’un recours utile, alors même que la
violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles ;

• Article 3 : les États parties au Pacte s’engagent à assurer le droit égal qu’ont l’homme et la femme au
bénéfice de tous les droits qui sont énumérés dans le Pacte ;

• Article 6 : toute personne a droit à la vie ;

• Article 7 : nul ne sera soumis à la torture, ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou
dégradants ;

• Article 8 : nul ne sera tenu en esclavage ni en servitude ;

• Article 9 : tout individu a droit à la liberté et à la sûreté de sa personne. Nul ne peut être arrêté ou
détenu arbitrairement ;

• Article 11 : nul ne doit être emprisonné pour la seule raison qu’il n’est pas en mesure de payer une
dette ;

• Article 12 : toute personne a le droit de circuler librement dans tout pays, de le quitter et d’y revenir
librement ;

• Article 14 : toutes les personnes sont égales entre elles devant la loi. Toute personne a le droit à un
procès équitable. Toute personne est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité soit prouvée ;

• Article 17 : chacun a droit à la protection de sa vie privée ;

• Article 18 : toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ;

• Article 19 : toute personne a droit à la liberté d’opinion et d’expression ;

• Article 22 : toute personne a le droit d’association ;

• Article 26 : toutes les personnes sont égales entre elles devant la loi et ont droit à une même protection
par la loi, sans discrimination aucune ;
• Article 27 : les personnes appartenant à des minorités ethniques, religieuses ou linguistiques ne
peuvent être privées du droit d’avoir leur vie culturelle, de pratiquer leur religion et d’employer leur
langue.

3. Portée
Le Pacte est juridiquement contraignant. Le Comité des droits de l’homme, établi en vertu de l’article 28 et
composé de 18 experts indépendants, se charge du suivi de son application.

59
C. Le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC)
Il est nécessaire aussi d’envisager son adoption (1), son contenu (2) et sa portée (3).

1. Adoption
Le PIDESC est entré en vigueur le 3 janvier 1976 et a été ratifié par 160 États qui se sont engagés « à assurer
progressivement le plein exercice des droits reconnus dans le Pacte », et à présenter des rapports sur les mesures
adoptées et les progrès accomplis. Il reconnaît essentiellement des droits de deuxième génération.

Un protocole facultatif au Pacte a été adopté par l’Assemblée générale des Nations unies le 10 décembre 1998
et est entré en vigueur le 5 mai 2013. Il permet aux individus de soumettre des plaintes au Comité des droits
économiques, sociaux et culturels.

2. Contenu
Le PIDESC protège notamment :

• Article 6 : le droit au travail ;

• Article 11 : le droit à un niveau de vie suffisant ;

• Article 12 : le droit de jouir d’un bon état de santé ;

• Article 13 : le droit à l’éducation ;

• Article 14 : la gratuité de l’enseignement primaire ;

• Article 15 : les droits culturels.

3. Portée
Le Conseil Économique et Social des Nations Unies (chargé par le PIDESC du contrôle de sa mise en œuvre,) dans
sa résolution 1985/17 du 28 mai 1985, a créé le Comité des droits économiques sociaux et culturels afin que ce
dernier vérifie le respect de la mise en œuvre du PIDESC par les États parties.

Le Comité est composé de 18 experts indépendants et tient à Genève deux sessions par an. Tout comme pour le
Comité des droits de l’homme, les États parties sont tenus de lui transmettre des rapports périodiques (environ
tous les 5 ans), ainsi qu’un rapport initial dans les deux ans suivant leur adhésion au pacte. Il peut également
formuler des observations générales.

II. LES CONVENTIONS SECTORIELLES

Plusieurs exemples d’instruments de protection des droits de l’homme adoptés sous l’égide de l’ONU peuvent
être mis en exergue, comme la Convention relative au statut des apatrides (A), la Convention sur
l'imprescriptibilité des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité (B), la Convention internationale sur
l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale (C), la Convention internationale pour la protection
de toutes les personnes contre les disparitions forcées (D), la Convention relative aux droits de l'enfant (E), la
Convention relative aux droits des personnes handicapées (F), la Convention internationale sur la protection
des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille (G), ou encore la Convention sur
l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes (H).

60
A. La Convention relative au statut des apatrides
Adoptée le 28 septembre 1954 et entrée et vigueur le 6 juin 1960, elle définit l’apatride comme étant une
personne « qu’aucun État ne considère comme son ressortissant par application de sa législation ».

Elle repose sur le principe qu’aucun apatride ne doit se voir infliger un traitement plus défavorable que celui
accordé à tout étranger possédant une nationalité. En outre, la Convention reconnaît que les apatrides sont
plus vulnérables que les autres étrangers. Par conséquent, elle prévoit des mesures spéciales en leur faveur,
comme le droit à des pièces d’identité et à des titres de voyage et les autorise à bénéficier de la dispense de
réciprocité.

B. La Convention sur l'imprescriptibilité des crimes de guerre et des crimes contre


l'humanité
Elle a été adoptée le 26 novembre 1968 et est entrée en vigueur le 11 novembre 1970. La Convention définit de
façon précise les crimes qui sont couverts par l’imprescriptibilité. Il s’agit des crimes de guerre et crimes contre
l’humanité tels qu’ils ont été précisés dans le statut du tribunal de Nuremberg, ainsi que les infractions graves
définies par les quatre Conventions de Genève de 1949.

C. La Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination


raciale
Elle a été adoptée le 21 décembre 1965 par l’Assemblée Générale des Nations Unies, et est entrée en vigueur le
4 janvier 1969. Elle pose l’obligation pour les États signataires de modifier leur droit interne afin de le rendre
conforme aux buts dictés par la Convention, tout en créant un Comité pour l'élimination de la discrimination
raciale chargé de la surveillance de l’égalité et de la non-discrimination raciales. La Convention instaure aussi la
possibilité pour des individus ou groupes d’individus de se plaindre de la violation des droits qu’elle garantit.

Conformément à son article 1er, la discrimination raciale consiste en « toute distinction, exclusion, restriction ou
préférence fondée sur la race, la couleur, l’ascendance ou l’origine nationale ou ethnique, qui a pour but ou pour
effet de détruire ou de compromettre la reconnaissance, la jouissance, ou l’exercice, dans des conditions d’égalité,
des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans les domaines politique, économique, social et culturel
ou dans tout autre domaine de la vie publique ».

D. La Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les


disparitions forcées
Le 6 février 2007, 57 États réunis à Paris ont signé la Convention pour la protection de toutes les personnes contre
les disparitions forcées. Ce texte a été préparé et adopté par l’Assemblée générale de l’ONU en décembre 2006.
Son adoption était justifiée par l’expansion de cette pratique.

Née en Amérique Latine, la pratique des disparitions forcées s’est largement étendue à d’autres régions,
notamment dans le cadre des guerres civiles. L’ONU estimait que 50 000 personnes avaient disparu en 20 ans.

L’essentiel de ce traité est d’affirmer que faire disparaître des personnes constitue un crime spécifique du droit
international et que, si la pratique des disparitions forcées est généralisée ou systématique, cela peut être un
crime contre l’humanité. Le statut de la Cour pénale internationale mentionne les disparitions forcées parmi un
cas des crimes contre l’humanité.

La Convention définit la disparition forcée comme « l'arrestation, la détention, l'enlèvement ou toute autre forme
de privation de liberté par des agents de l'État ou par des personnes ou des groupes de personnes qui agissent
avec l'autorisation, l'appui ou l'acquiescement de l'État, suivi du déni de la reconnaissance de la privation de
liberté ou de la dissimulation du sort réservé à la personne disparue ou du lieu où elle se trouve, la soustrayant à
la protection de la loi ».

61
E. La Convention relative aux droits de l'enfant
Elle a été adoptée le 20 novembre 1989 et est entrée en vigueur le 2 septembre 1990. Conformément à ses
dispositions, les États parties s’engagent à défendre et à garantir les droits de tous les enfants sans distinction et
à répondre de ces engagements devant les Nations Unies.

La Convention instaure un Comité des droits de l’enfant des Nations Unies, composé d’experts indépendants,
chargé de contrôler la mise en œuvre de la convention et d’examiner les rapports que les États s’engagent à
publier régulièrement dès lors qu’ils ont ratifié le traité.

Quatre principes fondamentaux sont mis en exergue dans la Convention :


• La non-discrimination ;

• L’intérêt supérieur de l’enfant ;

• Le droit de vivre, survivre et se développer ;

• Le respect des opinions de l’enfant.

La Convention est accompagnée de trois protocoles facultatifs. Le premier vise à protéger les enfants contre le
recrutement dans les conflits armés, le second concerne la vente d’enfants, la prostitution ainsi que la
pornographie infantile. Le troisième définit la procédure internationale permettant à tout enfant de déposer une
plainte pour violation de ses droits, directement auprès du Comité des droits de l’enfant des Nations unies,
lorsque tous les recours ont été épuisés au niveau national.

F. La Convention relative aux droits des personnes handicapées


La Convention relative aux droits des personnes handicapées et le Protocole facultatif se rapportant à la
Convention ont été adoptés à l’unanimité par l’Assemblée générale des Nations Unies le 13 décembre 2006.

Elle a pour objet de promouvoir, protéger et assurer la pleine et égale jouissance de tous les droits de l’homme
et de toutes les libertés fondamentales des personnes handicapées sur un pied d’égalité avec les autres (article
1er). Le Protocole facultatif se rapportant à la Convention a pour objet, quant à lui, de permettre à des particuliers
ou groupes de particuliers qui s’estiment victimes d’une violation des dispositions de la Convention de saisir, sous
certaines conditions, le Comité des droits des personnes handicapées des Nations Unies.

La Convention consacre le handicap comme une question de droits de l’homme. Elle impose à toutes les parties
prenantes de la société de passer d’une approche du handicap fondée sur l’assistance à une approche fondée sur
les droits de l’homme : la personne handicapée n’est pas un objet de soins, la personne handicapée est un sujet
de droits.

G. La Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs


migrants et des membres de leur famille
La Convention a été adoptée par l'Assemblée générale le 18 décembre 1990 et est entrée en vigueur le 1er juillet
2003. Cette convention :

• Oblige les États parties à garantir à tous les travailleurs migrants sans discrimination les droits humains
contenus dans la Convention ;

• Énumère les droits appartenant aux travailleurs migrants ;

• Précise les droits supplémentaires pour les travailleurs migrants qui sont en situation régulière et affirme
leur droit à une égalité de traitement avec les ressortissants ;

62
• Prévoit des stipulations qui s’appliquent à des catégories particulières de travailleurs migrants, tels que
les travailleurs saisonniers ou les frontaliers ;

• Contient des dispositions concernant les travailleurs migrants qui se trouvent en situation irrégulière.

La Convention met aussi en place un Comité d’experts indépendants pour la protection des droits de tous les
travailleurs migrants et des membres de leur famille. Les États parties s’engagent à remettre régulièrement au
Comité un rapport concernant les mesures législatives, judiciaires, administratives qu’ils ont adoptées pour
donner effet aux dispositions de la présente Convention, sur les progrès réalisés, et sur les difficultés rencontrées.

H. La Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des


femmes
La Convention a été adoptée le 18 décembre 1979 et est entrée en vigueur le 3 septembre 1981. Elle oblige les
États parties à utiliser immédiatement tous les moyens appropriés afin d’éliminer les discriminations à l’égard
des femmes.

Conformément à ses dispositions une discrimination à l’égard des femmes est constituée par «toute distinction,
exclusion ou restriction fondée sur le sexe qui a pour effet ou pour but de compromettre ou de détruire la
reconnaissance, la jouissance ou l’exercice par les femmes, quel que soit leur état matrimonial, sur la base de
l’égalité de l’homme et de la femme, des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans les domaines
politique, économique, social, culturel et civil ou dans tout autre domaine».

Les États parties à la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes
doivent régulièrement présenter un rapport au Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des
femmes concernant les mesures qu’ils ont adoptées pour donner effet aux dispositions de la présente
Convention, sur les progrès réalisés et sur les difficultés rencontrées.

III. LA RÉCEPTION DES RÈGLES INTERNATIONALES PAR LES JURIDICTIONS INTERNES

Le droit international a tout d’abord pour fonction de proclamer des droits (A). Cette proclamation a peu à peu
obtenu une portée contraignante (B) dont le contrôle n’est toujours pas satisfaisant (C), malgré la diffusion du
droit international dans le droit interne (D).

A. La fonction de proclamation du droit international


La fonction essentielle du droit international est une fonction de proclamation. À cet égard, la Déclaration
universelle des droits de l’homme de 1948 est exemplaire. Elle est sur le plan juridique une simple déclaration,
elle n'est pas un traité international, elle n'a donc pas de valeur juridique contraignante.

En pratique, la Déclaration universelle des droits de l’homme a constitué et continue de constituer, la base de
l'énonciation des droits que l'on va retrouver de façon positive dans des conventions multilatérales générales. Il
en va ainsi dans les deux Pactes onusiens, qui eux, sont de vrais traités internationaux. La DUDH et les deux pactes
constituent aujourd'hui encore, l'unité idéologique et la valeur commune des États membres de l'ONU.

B. L’introduction progressive d’une portée contraignante


Parallèlement à ces textes, un très grand nombre de conventions particulières complètent la protection des droits
de l'Homme. Il en va ainsi par exemple de la Convention sur la prévention et la répression des crimes de génocide
de 1950, de la Convention sur l'élimination de toutes discriminations raciales de 1965, de la Convention contre
la torture de 1984, ou encore de la Convention sur les droits de l'enfant 1989 (cf. supra).

Toutes ces conventions ainsi que les deux Pactes onusiens engagent la responsabilité internationale des États
qu'y ont adhéré, lorsque ces États manquent à leurs obligations conventionnelles.

63
C. La faiblesse des mécanismes de contrôle
Cela étant, il faut relever la faiblesse des mécanismes de contrôle et de sanction du droit international des droits
de l'Homme. Ces mécanismes de contrôle et de sanction sont notoirement insuffisants. La société internationale
postule que les États sont souverains, et au nom de cette souveraineté elle refuse de mettre en œuvre de tels
mécanismes.

En effet, au niveau universel, le contrôle sur la bonne application des traités n'est jamais juridictionnel, le
contrôle est purement et simplement diplomatique et institutionnel. Ce sont les États qui envoient un rapport
annuel sur la façon dont ils appliquent eux-mêmes les traités.

Ce rapport est ensuite examiné par des commissions et in fine le Comité des droits de l'Homme est saisi pour
faire des observations, des recommandations. Dans cette mesure-là, la portée de la garantie internationale est
limitée à la bonne volonté des États.

D. La diffusion du droit international dans le droit interne


Reste alors la possibilité de rattrapage par la réception par les ordres de juridiction interne des règles
internationales. C'est en effet une question très importante en pratique. En droit français, les traités
internationaux sont en second plan dans la hiérarchie des règles de droit, après la Constitution.

La Cour de cassation et le Conseil d’État ont confirmé la suprématie de la Constitution sur les traités
internationaux. On les place entre la Constitution et la loi.

En effet, l'article 55 de la Constitution précise que les traités régulièrement approuvés ont une autorité supérieure
à celle des lois sous la réserve de la réciprocité des engagements internationaux.

La conclusion des traités est subordonnée à plusieurs phases. Ils sont d’abord négociés par les autorités habilitées
à représenter l’État. Une fois le texte adopté, il est soumis à la signature des représentants des États. La signature
donne un caractère définitif au texte, mais ne crée pas de lien juridique entre les parties, sauf accords simplifiés
ne nécessitant pas de ratification.

En réalité, c’est la ratification du traité qui va juridiquement engager l’État. Ratification qui peut s’accompagner
de réserves, c’est-à-dire de déclarations unilatérales d’un État visant à modifier les effets juridiques de certaines
dispositions du traité à son égard.

Ainsi, sur le plan théorique, le traité est supérieur à la loi, sous conditions :

• Le traité doit avoir été ratifié : il s'agit de s'assurer que le traité existe, qu'il est bien entré dans l'ordre
interne.

• Une application réciproque du traité doit avoir lieu : l'idée générale est que le traité est un contrat.
L'État n'est engagé pour le traité que pour autant l'autre partie exécute sa part. Cela étant, cette logique
de réciprocité vaut essentiellement dans les traités bilatéraux, parce que la notion même d'engagement
réciproque est évidente dans les traités bilatéraux. Il n’en va pas de même pour les traités multilatéraux.
Or, en matière de droit international des droits de l'Homme ce sont des traités multilatéraux qui sont en
cause. L’on considère alors que la réciprocité ne pose pas de difficultés à l'égard de la garantie
internationale des droits de l'Homme, de sorte que dès que le traité est ratifié, il entre dans le système
juridique en tant que véritable règle de droit.

Le juge ordinaire a eu quelques difficultés à admettre qu'il faille faire prévaloir la règle internationale sur les lois
postérieures. Cela a été admis par la Cour de cassation dans l'arrêt Jacques Vabre (Cass., 24 mai 1975, Jacques
Vabre) et par le Conseil d’État dans l'arrêt Nicolo (C.E., 20 octobre 1989, Nicolo).

Il n'y avait dès lors plus aucun obstacle juridique à ce que le juge ordinaire fasse prévaloir les règles internationales
sur les règles de droit interne y compris sur les lois postérieures.

64
Le juge ordinaire s'est donc emparé de cette question de la prévalence du traité international sur la loi interne à
travers le contrôle de la conventionnalité des lois, amorcé par la décision C.C., 15 janvier 1975, déc. n° 74-54 DC,
Loi relative à l'interruption volontaire de la grossesse.

Désormais, un juge peut faire prévaloir une disposition d'un traité international sur la loi. Or, la France a ratifié
un grand nombre de conventions internationales de sorte qu'il y a là un potentiel très important de conflits et
une source supplémentaire de protection des droits des droits et libertés fondamentaux.

C'est aussi ce qui a conduit le système juridique français à réagir et à introduire la QPC. L’objectif était alors
d’opérer un recentrage sur le droit constitutionnel. De telle sorte, dans le cadre du contrôle de conformité des
normes, les questions de constitutionnalité seront prioritaires sur les questions de conventionnalité (voir fiche
sur le juge constitutionnel).

SUJETS DE RÉFLEXION

• La protection internationale des droits de l’homme.

• Le droit international protège-t-il de manière efficace les droits et les libertés ?

65
FICHE N°7 : LES SOURCES EUROPÉENNES

Les sources européennes des droits de l’homme sont composées d’une multitude de normes et institutions
chargées de protéger les droits et libertés sur le continent. Il en va ainsi, par exemple, de l’Organisation pour la
sécurité et la coopération en Europe.

Cependant, les principales sources européennes qui contribuent à leur défense sont, d’une part, le droit de la
Convention européenne de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (I) et, d’autre
part, le droit de l’Union européenne (II).

I. LE DROIT DE LA CONVENTION EUROPÉENNE DE SAUVEGARDE DES DROITS DE


L’HOMME ET DES LIBERTÉS FONDAMENTALES (CESDH)

La CESDH a été signée dans le cadre du Conseil de l’Europe, organisation européenne créée par le Traité de
Londres du 5 mai 1949, qui entend promouvoir les droits de l’Homme, la démocratie et la prééminence du droit
sur tout le Continent. Avant de s’attacher aux normes produites (B), il convient de faire un rappel sur l’institution
(A).

A. Le Conseil de l’Europe
En marge des autres institutions plus axées sur la sécurité ou la coopération économique, le Conseil de l’Europe
a souvent été considéré comme « l’antichambre » de l’Union européenne, accordant un « Label démocratique »
aux futurs États membres de l’UE.

Le Conseil de l’Europe comprend :

• Un secrétaire général élu par l’Assemblée parlementaire, sur recommandation du Comité des Ministres,
pour une période de cinq ans. Il a pour attributions générales la gestion stratégique de l'Organisation.
Le Secrétariat général est composé de quelque 1 800 fonctionnaires issus des 47 États membres ;

• Un comité des ministres, organe de décision de l’Organisation, composé de 47 ministres des Affaires
étrangères ou de leurs Délégués, ayant rang d’ambassadeurs et siégeant en permanence à Strasbourg.
Il s’agit de l’instance statutaire de décision du Conseil de l’Europe. Le Comité se réunit une fois par an
au niveau ministériel et une fois par semaine au niveau des Délégués (Représentants permanents auprès
du Conseil de l’Europe). Les Délégués des Ministres sont assistés par un Bureau, des Groupes de
Rapporteurs, des Coordinateurs thématiques et des Groupes de travail ad hoc ;

• Une Assemblée parlementaire, composée de représentants de chaque État membre et son président,
est élue chaque année parmi ces membres pour une période maximale de deux sessions. L'Assemblée
peut notamment demander l'adoption de mesures aux 47 gouvernements européens, qui sont tenus
d'apporter une réponse commune, enquêter pour révéler des faits nouveaux concernant des violations
des droits de l'homme, poser des questions aux chefs d'État ou de gouvernement sur tout sujet de son
choix, négocier les modalités d'adhésion des États au Conseil de l'Europe, contribuer à renforcer
l'arsenal législatif des pays en faisant des propositions et en donnant son avis sur les traités, ou encore,
sanctionner un État membre en recommandant son exclusion ou sa suspension ;

• Une Cour européenne des droits de l’homme que nous aborderons de manière approfondie. Il s’agit
de l’organe judiciaire permanent garantissant à tous les européens les droits inscrits dans la CESDH. La
Cour peut être saisie par les États ou les individus, indépendamment de leur nationalité ;

• Un Congrès des pouvoirs locaux et régionaux, porte-parole des régions et des municipalités d’Europe.
Ce Congrès illustre la reconnaissance unanime par les gouvernements de la démocratie locale en tant
que pierre angulaire de l’édifice démocratique.

66
Plusieurs conventions ont été élaborées par le Conseil de l’Europe, comme la Convention européenne pour la
répression du terrorisme (1977), la Convention pour la prévention de la torture et des peines ou traitements
inhumains ou dégradants (1987), la Convention sur les droits de l’homme et la biomédecine (1997) ou encore
la Convention du Conseil de l’Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains (2008).

Cela étant, le texte le plus important adopté est la CESDH.

B. La CESDH
Il convient d’envisager son adoption (1), son contenu (2), ainsi que sa portée (3).

1. Adoption

Ne pas confondre :

La Déclaration universelle des droits de l’Homme est un texte adopté par l’ONU en 1948 afin de renforcer sur
le plan international, la protection des droits de l’Homme.
La Charte sur les droits fondamentaux est un texte de l’UE sur les droits de l’Homme et les droits
fondamentaux, adopté en 2000.
La CESDH est un traité international en vertu duquel les États membres du Conseil de l’Europe garantissent les
droits fondamentaux, civils et politiques, non seulement à leurs ressortissants, mais aussi à toutes les
personnes relevant de leur juridiction.

Signée le 4 novembre 1950 à Rome, la CESDH est entrée en vigueur le 3 septembre 1953. Elle est accompagnée
de 16 protocoles additionnels. Elle considère que l’un des moyens d’atteindre une union entre ses membres est
la sauvegarde et le développement des droits de l’homme et des libertés fondamentales, « qui constituent les
assises mêmes de la justice et de la paix dans le monde ». La CESDH est donc distincte de l’Union européenne,
même si le Traité sur l’Union européenne dans son article 6 §2 y fait clairement référence.

Principalement, deux catégories de Protocoles additionnels à la CESDH l’amendent ou la complètent. Certains ont
un caractère procédural, tendant à l’amélioration du contrôle. Cependant, l’entrée en vigueur du Protocole n°11
qui révise la Convention, fait perdre tout intérêt à ces Protocoles.

Restent alors six autres Protocoles additionnels qui complètent la liste des droits garantis dans la Convention
(nos 1,4,6,7,12 et 13). Ils n’engagent que les États qui les ont ratifiés.

Cette Convention a établi un mécanisme de contrôle juridictionnel de ces engagements et confie ce contrôle à
la Cour européenne des droits de l’Homme. Contrairement aux traités internationaux classiques, elle confère
directement aux particuliers des droits effectifs, sans subordonner leur application à la condition de réciprocité.

2. La protection de la CESDH
La CESDH impose des obligations aux États à l’égard des individus.

La Convention garantit notamment :

• Article 2 : le droit à la vie (CEDH, 27 septembre 1996, Mac Cann c. Royaume-Uni) ;

• Article 8 : le droit au respect de la vie privée et familiale (CEDH, 26 mars 1985, X. c. Pays-Bas ; CEDH,
18 janvier 2001, Chapman c. Royaume-Uni) ;

• Article 10 : la liberté d’expression (CEDH, 7 décembre 1976, Handyside c. Royaume-Uni ; CEDH, 27


mars 1996, Goodwin c. Royaume-Uni) ;

67
• Article 9 : la liberté de pensée, de conscience et de religion (CEDH, 25 mai 1993, Kokkinakis c. Grèce ;
CEDH, 20 septembre 1994, Otto Preminger Institut c. Autriche ; CEDH, 4 décembre 2008, Dogru c. France
et Kervanci c. France) ;

• Article 12 : le droit au mariage (CEDH, 28 mai 1985, Abdulaziz, Cabales, et Balkandali c. Royaume-Uni).

Elle interdit notamment :

• Article 4 §1 : la torture, l’esclavage ou le travail forcé (CEDH, 9 juillet 1980, Van Droogenbroeck; CEDH,
26 juillet 2005, Siliadin c. France) ;

• Article 3 : la torture et les peines ou traitements inhumains ou dégradants (CEDH, 7 juillet 1989,
Soering c. Royaume-Uni). Cette interdiction ne souffre aucune exception. Il s’agit d’une valeur
fondamentale de toute société démocratique.

• Article 14 : les discriminations dans la jouissance des droits et libertés reconnus par la Convention
(CEDH, 28 novembre 1984, Rasmussen c. Danemark).

À l’exception de la liberté syndicale et de l’interdiction du travail forcé, lesquels ont une dimension sociale, puis
du droit au respect des biens, dont la portée est économique, la CESDH et ses protocoles ne protègent que des
droits civils et politiques, qui correspondent pour l’essentiel à ceux qui sont énoncés dans la Déclaration
universelle des droits de l’homme et dans le Pacte international sur les droits civils et politiques. Les droits
sociaux sont énoncés par la Charte sociale européenne, autre instrument du Conseil de l’Europe.

3. La portée en droit interne


La Convention doit d’abord être mise en œuvre par les autorités internes. Subsidiairement, le contrôle au niveau
européen pourra être appliqué (voir fiche sur la Cour européenne des droits de l’homme).

Le 4 novembre 1950, Robert Schuman a signé la CESDH pour la France. Sa ratification a pourtant été tardive. La
première ratification est intervenue le 3 mai 1974 et contenait des réserves tenant notamment aux pouvoirs
spéciaux du président de la République issus de l’article 16 de la Constitution. Étaient aussi exclus les recours
individuels, conduisant à ce que la CEDH ne puisse être saisie que par un État contre un autre.

Il a fallu attendre le 9 octobre 1981 pour que soit ratifié le droit de recours individuel devant la Commission
européenne des droits de l’homme (article 25), de la compétence de la Cour européenne (article 46) et du
Protocole additionnel 2.

Désormais intégrés dans l’ordre juridique interne français, les individus peuvent l’invoquer directement devant
le juge national, sans que des mesures internes soient nécessaires pour son application. D’une autorité supra-
législative, les juges français peuvent écarter l’application d’une loi nationale contraire à la CESDH.

Le contrôle de conventionnalité a été instauré à l’initiative du Conseil constitutionnel, lequel a refusé, par une
décision « IVG » d’apprécier la conformité d’une loi à la CESDH, sur le fondement de l’article 61 de la Constitution
(C.C., 15 janvier 1975, déc. n° 74-54 DC, Loi relative à l'interruption volontaire de la grossesse). Cette solution a
été réaffirmée, notamment dans une décision du 13 août 1993, dans laquelle le Conseil constitutionnel considère
que « l’appréciation de la constitutionnalité des dispositions que le législateur estime devoir prendre ne saurait
être tirée […] de la conformité de la loi avec les stipulations des conventions internationales mais résulte de la
confrontation de celles-ci avec les seules exigences de caractère constitutionnel » (C.C., 13 août 1993, déc. n° 93-
325 DC, Loi relative à la maîtrise de l'immigration et aux conditions d'entrée, d'accueil et de séjour des étrangers
en France).

Par sa jurisprudence, le Conseil constitutionnel lançait donc un appel au juge ordinaire, afin que ce dernier se
charge du contrôle de la conformité des lois avec les traités.

68
Cet appel a été rapidement accepté par la Cour de cassation, mais plus tardivement par le Conseil d’État. Dans
son célèbre arrêt Cass., 24 mai 1975, Jacques Vabre, la Cour de cassation considère qu’il appartient au juge
judiciaire de vérifier la conformité des lois nationales aux conventions internationales et à faire prévaloir ces
dernières sur les premières. Concernant la CESDH, la Cour de cassation a reconnu son autorité supérieure à la loi
dans un arrêt du 3 juin 1975 (Cass., 3 juin 1975, Respino).

Quant au Conseil d’État, depuis l’arrêt C.E., 20 octobre 1989, Nicolo, il fait prévaloir les traités sur les lois
nationales y compris postérieures.

Ainsi, la CESDH est d’effet direct (a) et présente un caractère de primauté (b).

a. Effet direct

La CESDH est d’effet direct, conformément à son article 1er : « les Hautes parties contractantes reconnaissent à
toute personne relevant de leur juridiction les droits et libertés définies dans la Convention ».

Ainsi, tout particulier peut opposer la CESDH aux normes nationales. Il n’est par ailleurs nul besoin de normes
de transposition ou d’exécution pour qu’elle ait des effets.

b. Primauté

La CESDH s’impose à toute instance, même suprême. Par conséquent, les Cours suprêmes doivent aussi juger
dans un délai raisonnable et selon les règles d’équité et de droits de la défense.

Au fond, la CEDH veille à ce que l’interprétation que les juges donnent de la Constitution reste compatible avec
la CESDH.

Ainsi par exemple, la France a été condamnée, la CEDH ayant considéré que l’interprétation du Conseil
constitutionnel dans l’une de ses décisions était trop laxiste en matière de validations législatives (CEDH, 28
octobre 1997, Zielinski et Pradal et Gonzalez et a, c. France : il appartient au juge de rechercher un juste équilibre
entre la sauvegarde du droit au procès équitable et les motifs d’intérêt général représentés par la loi de validation,
ce que le Conseil constitutionnel n’a pas fait pour la loi en litige).

II. LE DROIT DE L’UNION EUROPÉENNE

Le développement des instances européennes appelle une protection accrue des droits de l’individu. Le rapport
que le droit de l’Union entretient avec les droits fondamentaux s’est donc renforcé depuis sa genèse (A), jusqu’à
la consécration de sa propre Charte des droits fondamentaux, désormais intégrée au droit primaire par la
ratification du traité de Lisbonne (B). L’invocation du contenu la Charte (C) demeure toutefois insuffisante (D).

A. La genèse
Lorsqu’on examine l'histoire de la protection des droits fondamentaux dans l'univers européen, deux temps
peuvent être distingués, celui de la création (1) et celui de la consolidation (2).

1. La genèse jurisprudentielle
En ce qui concerne la création, un catalogue des droits fondamentaux est né, tout d’abord grâce à la
jurisprudence des Cours constitutionnelles italienne et allemande. En effet, la protection des droits
fondamentaux au sein de l’Union européenne est née de la résistance de ces Cours constitutionnelles.

Cette résistance se matérialise par le fait que ces Cours se sont reconnues le droit exceptionnel, dans l’hypothèse
où un acte communautaire dérivé violerait ou entrerait en contradiction avec une disposition qui consacre un
droit fondamental tel que protégé dans leurs Constitutions respectives, de ne pas appliquer sur leur territoire
l’acte de droit dérivé en question.

69
En effet, l’histoire de ces deux États qui ont dû subir la dictature a conduit à l’adoption de Constitutions
respectueuses des droits fondamentaux, avec l’intégration de catalogues de droits fondamentaux et de
mécanismes juridictionnels permettant de les protéger.

Face à cette résistance, la Cour de justice est entrée dans une phase de dialogue, laquelle conduira à
l’élaboration d’un catalogue jurisprudentiel des droits fondamentaux, notamment par l’adoption de quatre
arrêts essentiels :

• CJCE, 12 novembre 1969, Stauder : selon la CJCE, « Les droits fondamentaux sont compris dans les
principes généraux du droit communautaire dont la Cour assure le respect ». Or, dans la mesure où c’est
la CJCE elle-même qui crée les principes généraux du droit, elle va pouvoir dégager des droits
fondamentaux ;

• CJCE, 17 décembre 1970, Internationale Handelsgesellschaft : les droits fondamentaux font partie
intégrante des PGD du droit communautaire. Ils s’inspirent des traditions constitutionnelles communes,
mais leur sauvegarde doit être assurée dans le cadre de la structure et des objectifs de la Communauté
européenne. La Cour considère donc que les droits fondamentaux sont dégagés en se fondant
notamment sur les Constitutions des États membres ;

• CJCE, 14 mai 1974, Nold c. Commission : les droits fondamentaux s’inspirent des « instruments
internationaux concernant la protection des droits de l’homme ». Après s’être tournée vers le droit
constitutionnel des États membres, la CJCE se tourne vers les traités internationaux ;

• CJCE, 28 octobre 1975, Rutili c. ministre de l’Intérieur : les droits fondamentaux s’inspirent, de façon
privilégiée, de la CESDH.

À partir de 1975, le Parlement européen dans une résolution du 6 août 1975 a indiqué vouloir adopter une Charte
des droits des citoyens de la Communauté européenne afin que ses citoyens aient « le sentiment de leur
communauté de destin ». Cette volonté aboutira à l’adoption de la Charte des droits fondamentaux.

2. La consolidation textuelle

Après l’adoption de ces jurisprudences, s’ensuivra un processus de textualisation des acquis.

D’une part, l’article 6 du TUE (traité de Lisbonne) résume la méthodologie d’adoption des principes généraux du
droit et, d’autre part, est adoptée la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, dont l’article 6 §2
prévoit que l'Union adhère à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés
fondamentales.

La Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne est le principal instrument de protection des droits
fondamentaux de l’Union. Elle regroupe à la fois des droits civils ou politiques et des droits économiques et
sociaux.

L'idée de doter l'Union d'un catalogue propre de droits fondamentaux est concrétisée lors du sommet européen
de Cologne, durant lequel les chefs d'États et de gouvernements adoptent une décision concernant l'élaboration
d'une Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.

L’objectif n’était pas alors de développer de nouveaux droits. Son contenu devait donc être inspiré des principes
généraux du droit déjà utilisés par la Cour.

Selon le Conseil européen, la Charte devait ancrer l’importance exceptionnelle des droits fondamentaux et leur
portée de manière visible pour les citoyens de l’Union.

L’élaboration de la Charte des droits fondamentaux est originale. On rencontre une mixité des niveaux de pouvoir
et des pouvoirs en tant que tels, avec des représentants des parlements européens, nationaux et des exécutifs
nationaux et européens.

70
B. La force juridique

La Charte a été adoptée le 7 décembre 2000, mais tout d’abord de façon déclaratoire. Au sein de l’UE, entre
2000 et 2006, la Charte est ignorée. De 2006 à 2010, elle va être prise en considération, mais de manière timide.
Cela s’effectue notamment grâce à la jurisprudence de la CJCE qui dans un arrêt CJCE, 27 juin 2006, Parlement
c/ Conseil cite subsidiairement la Charte.

D’abord déclarative (1), la Charte aura par la suite une portée contraignante (2).

1. Une Charte initialement déclarative


La rédaction de la Charte a été menée de sorte qu’elle puisse obtenir ultérieurement une force juridique
contraignante, même si l’on savait qu’elle en serait dépourvue dans un premier temps. L’absence de contrainte
a facilité l’obtention d’un consensus, notamment en matière de droits économiques et sociaux à propos desquels
de profondes divergences entre les États existaient.

Ainsi, lors de sa proclamation en décembre 2000, la Charte était dépourvue de force juridique. Le Conseil
européen souhaitait toutefois que la Charte reçoive la diffusion le plus large possible auprès des citoyens de
l’Union.

Progressivement, les institutions politiques et les juridictions de l’Union vont essayer de renforcer la portée
normative de la Charte.

2. L’acquisition d’une portée contraignante


Dans l’entreprise de renforcement de la portée normative de la Charte, la Commission et le Parlement vont la
promouvoir dans leurs activités respectives. Ainsi, le 13 mars 2001, la Commission annonce que toutes ses
propositions législatives devront être compatibles avec la Charte.

Conformément à ce souhait, le 30 mai 2001, le règlement n° 1049/2001 relatif à l’accès du public aux documents
du Parlement européen, du Conseil et de la Commission, disposera dans son second considérant : « La
transparence contribue à renforcer les principes de la démocratie et le respect des droits fondamentaux tels qu’ils
sont définis à l’article 6 du traité UE et dans la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ».

Cela renforce donc la visibilité de la Charte, conduisant certains requérants, dès le 18 décembre 2000, à
l’invoquer à l’appui de leurs recours (TPICE, 20 février 2001, Mannesmannröhren-Werke c. Comm). La
jurisprudence des juridictions de l’Union est alors hésitante au regard de l’absence de force juridique
contraignante de la Charte.

L’obtention de cette force devait être acquise avec l’adoption de la Constitution européenne, dont la Charte était
censée constituer la deuxième partie. Cependant, avec l’échec de sa ratification, ce n’est finalement qu’avec
l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne que la Charte se voit reconnaître une force juridique contraignante le
1er décembre 2009.

Ainsi, après l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, la Charte des droits fondamentaux est érigée au rang de
droit primaire et elle va devenir un outil de contrôle de légalité du droit européen.

L’article 6 du TUE dispose :

« 1. L'Union reconnaît les droits, les libertés et les principes énoncés dans la Charte des
droits fondamentaux de l'Union européenne du 7 décembre 2000, telle qu'adaptée le 12 décembre 2007 à
Strasbourg, laquelle a la même valeur juridique que les traités. Les dispositions de la Charte n'étendent en aucune
manière les compétences de l'Union telles que définies dans les traités.

Les droits, les libertés et les principes énoncés dans la Charte sont interprétés conformément aux dispositions
générales du titre VII de la Charte régissant l'interprétation et l'application de celle-ci et en prenant dûment en
considération les explications visées dans la Charte, qui indiquent les sources de ces dispositions.

71
2. L'Union adhère à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des
libertés fondamentales. Cette adhésion ne modifie pas les compétences de l'Union telles qu'elles sont définies
dans les traités.

3. Les droits fondamentaux, tels qu'ils sont garantis par la Convention européenne de
sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales et tels qu'ils résultent des
traditions constitutionnelles communes aux États membres, font partie du droit de l'Union en tant que principes
généraux ».

C. Le contenu de la Charte
Le préambule de la Charte rappelle les valeurs « indivisibles et universelles de dignité humaine, de liberté,
d’égalité et de solidarité » ainsi que les principes « de la démocratie et […]de l’État de droit » sur lesquels se fonde
l’Union.

Ensuite la présentation des droits se fait par chapitres, avec des noms symboliques : dignité, libertés, égalité,
solidarité, citoyenneté, justice.
Depuis l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne, la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne fait
l'objet d'une utilisation croissante, mais toujours timide.

D. L’utilisation de la Charte
L’utilisation de la Charte par la CJUE (1) et par les juridictions françaises (2) ne s’effectue pas avec la même
intensité.

1. Par la CJUE
La CJUE se réfère de plus en plus à la Charte des droits fondamentaux. Elle a ainsi invalidé plusieurs actes
de droit dérivé, particulièrement en matière de droit à la protection des données personnelles (CJUE, 9
novembre 2010, Volker und Markus Schecke et Eifert), mais aussi, en matière de mandat d'arrêt européen (CJUE,
5 avril 2016, Aranyosi et Căldăraru).

La question du droit de vote des prisonniers, des conditions d'accueil des demandeurs d'asile, de la
discrimination à l'égard des Roms ou à l'égard des homosexuels en matière de don du sang ont également fait
l'objet d'appréciation de la Cour sur son fondement.

Par ailleurs, dans la mesure où la Charte fait partie du droit primaire, elle peut être invoquée dans toutes les
voies de droit existantes en droit de l’Union. Elle l’a été dans le cadre de recours en annulation, du recours en
responsabilité extracontractuelle ou encore dans le cadre de renvois préjudiciels en interprétation ou
appréciation de validité.

La Charte rend donc visibles les droits et principes consacrés et facilite leur diffusion dans l’ordre juridique de
l’Union. Cependant, elle a eu peu d’influence sur le standard de protection des droits fondamentaux. La CJUE
prend d’ailleurs des précautions en évitant de dépasser le standard déterminé dans la Charte. Peut-être qu’elle
adoptera dans le futur une position plus audacieuse, sans toutefois égaler l’office de la Cour européenne des
droits de l’homme.

2. Par les juges ordinaires français


Le Conseil d’État français a dans un premier temps considéré que la « Charte proclamée » ne pouvait pas être
invoquée devant les juridictions nationales (C.E., 5 janv. 2005, Deprez et Baillard).

Depuis l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne, il a tiré les conséquences de l'intégration de la Charte au droit
primaire et accueille naturellement les moyens fondés sur la Charte lorsque le litige en cause relève du champ
d'application du droit de l'Union.

72
Il en va ainsi par exemple dans la décision C.E., 4 juin 2014, Halifa à propos du respect du droit à une bonne
administration, ou encore de la décision C.E., 23 déc. 2016, n° 394819 s'agissant des conditions d'octroi de
l'allocation financière aux demandeurs d'asile.

Cela étant, la Charte est généralement invoquée à l’appui d’autres textes.

Ainsi, dans la décision C.E., 30 décembre 2015, n° 385019, la référence à la Charte a été accompagnée de
l’invocation de la CESDH.

Le juge judiciaire a été rapidement conduit à se prononcer sur l'application de la Charte au regard de la nature
des litiges qui lui sont soumis.

La chambre sociale fait ainsi application de la directive 2000/78/CE telle qu'interprétée « à la lumière de l'article
21 § 1 de la Charte » pour se prononcer sur le respect du droit à la non-discrimination en raison de l'âge dans le
contentieux opposant salarié et employeur (Cass. soc., 25 juin 2014, n° 13-14.224). Comme pour le juge
administratif, l'invocation de la Charte s'accompagne de références à nombre d'autres instruments de
protection.

SUJETS DE RÉFLEXION

• Les droits politiques dans la CESDH.

• Le juge français est-il le juge de droit commun de la Convention européenne des droits de l’homme ?

• Protection constitutionnelle et protection européenne des droits fondamentaux.

• La Cour de cassation est-elle tenue d'appliquer les normes européennes ?

• Le droit européen protège-t-il de manière efficace les droits et les libertés ?

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CHAPITRE 3 : LA PROTECTION DES DROITS ET LIBERTÉS
FONDAMENTAUX

SECTION 1 : PAR LES ORGANES INTERNES

PARAGRAPHE 1 : LES ORGANES JURIDICTIONNELS

FICHE N°8 : L’AUTORITÉ JUDICIAIRE

Le rôle joué par l’autorité judiciaire dans la protection des droits et libertés fondamentaux peut être saisi à travers
l’analyse de l’article 66 de la Constitution (I) : « Nul ne peut être arbitrairement détenu. / L'autorité judiciaire,
gardienne de la liberté individuelle, assure le respect de ce principe dans les conditions prévues par la loi ».
Cependant, si en principe le juge judiciaire est le juge des libertés individuelles, des exceptions au partage de
compétences entre juge judiciaire et juge administratif peuvent être remarquées (II).

I. L’ARTICLE 66 DE LA CONSTITUTION

L’article 66 de la Constitution fait écho à l’article 136 du code de procédure pénale lequel dispose que
« l’inobservation des formalités prescrites pour les mandats de comparution, d’amener, de dépôt, d’arrêt et de
recherche peut donner lieu à des sanctions disciplinaires […]. /Ces dispositions sont étendues, […] à toute violation
des mesures protectrices de la liberté individuelle prescrites par les articles 56, 57, 59, 96, 97, 138 et 139. Dans
les cas visés aux deux alinéas précédents et dans tous les cas d’atteintes à la liberté individuelle, le conflit ne peut
jamais être élevé par l’autorité administrative et les tribunaux de l’ordre judiciaire sont toujours exclusivement
compétents. Il en est de même dans toute instance civile fondée sur des faits constitutifs d’une atteinte à la liberté
individuelle ou à l’inviolabilité du domicile prévue par les articles 432-4 à 432-6 et 432-8 du code pénal, qu’elle
soit dirigée contre la collectivité publique ou contre ses agents ».

L’autorité judiciaire est composée de l’ensemble des institutions dont la fonction est de faire appliquer la loi en
tranchant les litiges, dans le respect du principe de séparation des autorités administratives et judiciaires, comme
les magistrats, les juridictions et les organes concourant à l’exercice du pouvoir de juger dans l’ordre judiciaire.
Ainsi, au sens de la Constitution, l’autorité judiciaire inclut les membres du parquet.

Cependant, la portée de l’article 66 de la Constitution n’a cessé de diminuer.

L’intervention du juge judiciaire n’est finalement requise que pour les mesures privatives de liberté comme la
garde à vue, la détention, la rétention ou l’hospitalisation sans consentement. Cela se limite au champ du droit
à la sûreté.

La première difficulté est alors de savoir quel juge saisir. La loi des 16-24 août 1790 a déterminé la séparation
de l'ordre judiciaire et de l'ordre administratif. Alors que l'idéal du libéralisme politique était d'assimiler au
maximum l’administration à un simple particulier du point de vue de la protection des libertés, pour le soumettre
au juge de droit commun, la solution française marque au contraire, une profonde résistance à cette tentative
libérale d'assimilation.

Contrairement à ce que souhaitaient les libéraux, la protection des libertés est assurée conjointement par le
juge administratif et par le juge judiciaire, ce qui pose le problème du partage des compétences. Lorsqu’il s’agit
de libertés, le partage des compétences n'est pas aussi limpide qu'il peut l'être dans les autres domaines du droit.

Dans les autres domaines du droit, la logique induite par la loi des 16-24 août 1790 était que la compétence était
confiée au juge administratif pour les conflits impliquant l'administration et au juge judiciaire pour les conflits
impliquant les seuls particuliers.

Ce n’est pas aussi simple pour le cas des libertés parce que la tradition libérale fait peser une méfiance à l’égard
du juge administratif.

74
À l'origine de notre Constitution française d’aujourd’hui, ce souci libéral de soumettre la question des libertés au
juge judiciaire se manifeste de façon claire : l'autorité judiciaire doit demeurer indépendante pour être à même
d'assurer le respect des libertés essentielles telles qu'elles sont définies par le préambule de la Constitution de
1946 et par la DDHC à laquelle elle se réfère.

Ainsi, le juge judiciaire conserve une compétence a priori en ce qui concerne la protection des libertés. Il n'en
reste pas moins que ce partage entre les deux juridictions demeure conflictuel et le juge administratif manifeste
depuis plus d'un siècle sa résistance voire son exaspération à être dessaisi de son contrôle sur l'administration.

En définitive et schématiquement, le partage se définit de la manière suivante : tout d'abord, en vertu du principe
de séparation, le juge répressif est exclusivement compétent pour prononcer une sanction pénale quel que
soit l'auteur présumé de l'infraction, qu'il s’agisse d'un particulier ou d'un agent de la collectivité publique.

Cette exclusivité du juge pénal est suffisamment forte pour emporter exception au principe selon lequel le juge
administratif est seul compétent pour contrôler la légalité et pour interpréter les actes de l'administration.

Le juge judiciaire non répressif quant à lui, est compétent pour tout ce qui concerne la violation des libertés par
les particuliers entre eux.

Quant au juge administratif, il dispose d'une quasi-exclusivité de la connaissance des atteintes aux libertés
commises par l'administration à l'encontre des administrés. Dans ce cadre, le juge administratif remplit une
mission qui est essentielle, et qui s'épanouit dans trois directions.

Tout d'abord le juge administratif contrôle les décisions de l'administration lorsque celle-ci applique la loi.

Ensuite, le juge administratif encadre la compétence discrétionnaire dont l'administration dispose.

Enfin, le juge administratif a pour tâche de contrôler le pouvoir exercé par les autorités de police, tout
particulièrement lorsque celles-ci prennent des mesures d'interdiction.

Le Conseil d’État au fil du temps a parfaitement défini le rôle qui était le sien dans le cadre de ce contrôle de
l'exercice du pouvoir de police. Il a soumis d'abord le pouvoir de police à un contrôle maximum (C.E., 19 mai
1933, Benjamin).

L'autorité de police n'est fondée à intervenir qu'en cas de trouble à l’ordre public impossible à contenir. Il faut
que la mesure soit nécessaire pour prévenir un trouble à l'ordre public.

II. LES EXCEPTIONS AU PARTAGE DES COMPÉTENCES ENTRE JUGE JUDICIAIRE ET


JUGE ADMINISTRATIF

Il existe deux exceptions classiques au partage ordinaire des compétences, qui se recoupent en partie et dont
l'origine est d'ordre idéologique. Ces exceptions expriment la méfiance libérale à l'égard du juge administratif,
donc expriment aussi la préférence pour une unité de juridiction en ce qui concerne les libertés.

Parmi ces exceptions, il convient de noter que le juge judiciaire est le gardien des libertés individuelles (A). Il est
aussi compétent en matière de voie de fait (B). Dans le sillage de la nouvelle définition de la voie de fait, se situe
le revirement jurisprudentiel concernant l’emprise irrégulière (C).

A. Le juge judiciaire constitutionnellement garant des libertés individuelles


Dans une décision C.C., 12 janvier 1977, déc. n° 76-75 DC, Loi autorisant la visite des véhicules en vue de la
recherche et de la prévention des infractions pénales, le Conseil constitutionnel a confirmé le principe et réaffirme
de façon très claire que la liberté individuelle est un des principes fondamentaux reconnus par les lois de la
République et que la liberté individuelle relève exclusivement du juge judiciaire.

Cette réaffirmation par le Conseil constitutionnel est toutefois limitée en pratique et dans ses applications par
deux considérations fondamentales.

75
D'abord, le champ d'application de l'article 66 de la Constitution a été limité à la seule liberté individuelle. Pour
le Conseil constitutionnel, la liberté individuelle conformément à l’article 66 de la Constitution est relative à la
sûreté, à la liberté d'aller et de venir, à l'inviolabilité du domicile, au secret de la vie privée, ou bien encore, à
la liberté du mariage.

Il a pu être déduit de la jurisprudence du Conseil constitutionnel une conception large de la liberté individuelle
au sens de l’article 66 de la Constitution incluant des libertés dérivées de celle-ci. Il a ensuite adopté une tendance
plus restrictive de la liberté individuelle, afin de ne pas étendre de façon démesurée la compétence de l’autorité
judiciaire au détriment des juridictions administratives.

Ensuite, le Conseil constitutionnel ne donne plus une priorité absolue à la compétence du juge judiciaire en
matière de liberté individuelle. À partir de 1987, le Conseil constitutionnel va reconnaître le principe de
séparation des autorités administrative et judiciaire comme un PFRLR (C.C., 23 janvier 1987, déc. n° 86-224 DC,
Loi transférant à la juridiction judiciaire le contentieux des décisions du Conseil de la concurrence. Il fait ainsi de
ce principe un principe constitutionnel.

Dès lors, il va reconnaître la nécessité de concilier deux principes d'égale valeur constitutionnelle. D'un côté,
certes, l'article 66 de la Constitution attribue la compétence à l’autorité judiciaire, mais cet article est
contrebalancé par un principe fondamental de séparation des autorités administratives et judiciaires, de sorte
qu'il y a lieu, dans certaines hypothèses, à conciliation entre les deux principes.

C'est ainsi que le Conseil constitutionnel a accepté qu'une autorité administrative puisse placer en détention des
étrangers en instance de refoulement pendant un délai de 48h avant l'intervention du juge judiciaire, dans un
objectif de bonne administration de la justice (C.C., 9 janvier 1980, déc. n° 79-109 DC, Loi relative à la prévention
de l'immigration clandestine et portant modification de l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945 relative
aux conditions d'entrée et de séjour en France des étrangers et portant création de l'office national
d'immigration).

Le Conseil constitutionnel a décidé également que la rétention d'une personne dans un local de police en vue
d'un contrôle d'identité sans intervention préalable d'une autorité judiciaire n'est pas contraire à la Constitution,
donc au principe de l'article 66, dès lors que cette rétention est entourée de garanties rigoureuses (C.C., 20
janvier 1981, déc. n° 80-127 DC, Loi renforçant la sécurité et protégeant la liberté des personnes).

Pareillement, le Conseil constitutionnel a accepté de considérer que le recours juridictionnel devant un tribunal
administratif en ce qui concerne les décisions de renvoi d'un étranger en situation irrégulière n'est pas contraire
aux exigences de l'article 66 de la Constitution. Cette décision C.C., 3 septembre 1986, déc. n° 86-216 DC, Loi
relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers en France est capitale et elle signifie que l'essentiel
aux yeux du juge constitutionnel est qu'une personne dispose toujours d'un recours juridictionnel quelle que
soit la nature de la juridiction.

Finalement, l'essentiel est d'avoir droit à un juge. Le Conseil constitutionnel atténue donc lui-même la portée de
cet article 66 de la Constitution. Depuis les années 1980 le juge administratif a gagné une véritable
reconnaissance en matière de protection des libertés et la méfiance libérale à l'égard de ce juge est sans doute
totalement dépassée aujourd'hui compte tenu des incontestables progrès de la juridiction administrative en
matière de défense des droits et libertés.

Il n'en reste pas moins que le principe de l’article 66 de la Constitution demeure d'actualité pour ce qu'on
qualifierait de « noyau dur » de la liberté individuelle. Tout ce qui relève des opérations de police judiciaire,
fouille, perquisition, garde à vue, demeure placé sous l'exclusive protection du juge judiciaire.

B. La voie de fait
Il existe ensuite une deuxième exception qui concerne la voie de fait. Cette théorie a été reconnue par l’arrêt
T.C., 8 avril 1935, Action française. Conformément à l’ancienne jurisprudence T.C., 23 octobre 2000, Préfet de
police c/ M. Boussadar, il y avait voie de fait lorsque l'administration portait gravement atteinte au droit de
propriété ou à une liberté fondamentale soit i) par l'exécution forcée, dans des conditions irrégulières, d'une
décision, même régulière, soit ii) par l’édiction d’une décision manifestement insusceptible d'être rattachée à un
pouvoir appartenant à l'autorité administrative.

76
Ainsi, traditionnellement, une voie de fait est une illégalité commise par l'administration d'une telle gravité
qu'elle est « manifestement insusceptible de se rattacher à un pouvoir légal de l'administration ».

C'était la première condition de la voie de fait. Cette définition avait un avantage considérable puisqu'elle
permettait de conférer la compétence au juge judiciaire tout en préservant le principe de séparation des
pouvoirs.

En effet, l'idée générale est la suivante : lorsque l'administration commet des actes tellement graves qu'ils ne
peuvent en aucune façon être rattachés à un pouvoir que cette administration détient, on peut alors
considérer que cet acte de l'administration n'est plus un acte administratif. Il y a dénaturation, ce qui signifie
que l'administration n'a pas agi comme une administration et doit donc être traitée comme une personne privée.
Elle perd son privilège de juridiction.

Par exemple, l’administration ne saurait procéder d’office à la destruction d’immeubles en état de péril après le
passage d’un cyclone (T.C., 22 juin 1998, Préfet de la Guadeloupe) ou encore saisir des documents dans une
affaire où le requérant, qui avait critiqué les travaux de restauration de la cathédrale de Chartes, s’était vu
confisquer par un commissaire de police les clichés photographiques qu’il venait de prendre pour étayer son
argumentation (C.E., 18 novembre 1949, Carlier).

La seconde condition était que l'atteinte en question doit être une atteinte grave à la liberté individuelle ou à la
propriété. Lorsque la voie de fait était reconnue, le juge judiciaire était compétent au détriment du juge
administratif qui ne pouvait que constater la voie de fait. Seule l'autorité judiciaire était compétente pour réparer
les conséquences de la voie de fait ou pour faire cesser cette voie de fait.

Cette théorie jurisprudentielle s'est développée afin de parer un inconvénient majeur du contentieux
administratif : l'absence d'injonction et d'astreinte et des mécanismes de référé largement insuffisants.

Le juge judiciaire dispose de moyens très efficaces pour faire cesser les violations et pour les réparer : le pouvoir
d'injonction et le pouvoir d'astreinte. L'efficacité du juge judiciaire trouve ainsi dans la voie de fait un champ
d'application particulièrement appréciable.

La difficulté est que cette notion de voie de fait n'a pas la clarté que l'on souhaiterait. Plus exactement, on
observe, depuis une décennie, un mouvement de recul de la notion de voie de fait. Ce recul se manifeste de
façon évidente dans une décision T.C., 12 mai 1997, Préfet de police c/ TGI de Paris.

Cette décision du tribunal des conflits infirme l'ordonnance de référé d'un juge judiciaire qui avait qualifié de
voie de fait la consignation à bord d'un navire, de deux passagers clandestins au lieu de les placer en zone
d'attente. De façon très contestable, le tribunal des conflits note que l'administration dispose du pouvoir de
procéder à l'exécution forcée des décisions de refus d'entrer sur le territoire, de sorte que les mesures de
consignation sur un navire, bien que totalement illégales, ne sont pas de nature à être constitutives d'une voie
de fait. Elle n'était pas manifestement insusceptible de se rattacher à un pouvoir de l'administration.

Avec une telle définition extensive, rien n'est susceptible d'être non rattachable à l'exercice d'un pouvoir de
l'administration. Cette décision pouvait laisser croire à une fin programmée de la notion de voie de fait. Il faut
dire qu'en effet, cette construction jurisprudentielle a perdu ensuite une partie de sa raison d'être avec la loi du
30 juin 2000 qui a créé le référé-liberté devant le juge administratif.

Avec cette loi du 30 juin 2000, saisi d'une demande justifiée par l'urgence, le juge administratif des référés peut
ordonner toute mesure nécessaire à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale
de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté dans
l'exercice de ses pouvoirs une atteinte grave et manifestement illégale (article L. 521-2 du code de justice
administrative).

Cette procédure concurrence désormais la procédure de référé classique devant le juge judiciaire. C'est ainsi que
de nombreux commentateurs avaient prévu la disparition pure et simple de la voie de fait. Aujourd’hui, certes la
voie de fait dispose d’un champ d'application plus réduit, mais elle demeure de droit positif.

D'ailleurs, les praticiens ont plutôt tendance à saisir le juge judiciaire que le juge administratif en matière de
violation grave des libertés fondamentales ou de la propriété privée dans la mesure même où le juge judiciaire
est réputé plus généreux que le juge administratif lequel conserve un lien traditionnel avec l'administration.

77
En 2013, le Conseil d’État a revendiqué de passer outre cette théorie en admettant que les juridictions
administratives puissent être compétentes et prononcer des mesures d’injonctions à l’égard de l’administration
« même en cas de voie de fait » (C.E., ord. réf., 23 janvier 2013, Commune de Chirongui).

Il a été suivi par le Tribunal des conflits qui a infléchi la définition de la voie de fait : « il n’y a voie de fait de la
part de l’administration, justifiant, par exception au principe de séparation des autorités administratives et
judiciaires, la compétence des juridictions de l’ordre judiciaire pour en ordonner la cessation ou la réparation, que
dans la mesure où l’administration soit, a procédé à l’exécution forcée, dans des conditions irrégulières, d’une
décision, même régulière, portant atteinte à la liberté individuelle ou aboutissant à l’extinction d’un droit de
propriété, soit a pris une décision qui a les mêmes effets d’atteinte à la liberté individuelle ou d’extinction du
droit de propriété et qui est manifestement insusceptible d’être rattachée à un pouvoir appartenant à
l’autorité administrative » (T.C., 17 juin 2013, M. Bergoend c. Société ERDF Annecy Léman).

Cet arrêt opère alors une réduction des hypothèses de voie de fait en passant des « libertés fondamentales » à
la seule « liberté individuelle », puis, en évoquant l’« extinction » de la propriété privée par opposition à
« limitation ».

Désormais, les actes administratifs portant atteinte à une liberté fondamentale (autre que la liberté individuelle
ou l’extinction du droit de propriété) relèvent systématiquement et exclusivement de la compétence du juge
administratif quand bien même ils sont manifestement insusceptibles de se rattacher à une compétence
détenue par l’administration ou constituent une exécution forcée irrégulière. Dans un sens contraire
d’extension de la notion de voie de fait, le critère de « gravité » de l’atteinte disparaît.

La Cour de cassation a ainsi considéré qu’en l’absence d’extinction du droit de propriété, des travaux
d’aménagement réalisés par une commune qui ont, d’une part, supprimé les signes distinctifs de la limite entre
une propriété privée et le domaine public, entraînant ainsi une occupation irrégulière de la propriété privée par
les automobilistes et, d’autre part, créé trois points d’ancrage supplémentaires sur la façade pour l’éclairage
public, ne constituent pas une voie de fait (Cass. 1ère civ., 13 mai 2017, Commune d’Uzerche).

Quoiqu’il en soit, le juge judiciaire a plénitude de compétence pour statuer en cas de voie de fait : allocation de
dommages et intérêts, injonctions adressées à l’administration pour qu’elle mette un terme à la voie de fait,
appréciation de la légalité de l’acte administratif, quel qu’il soit.

Par dérogation au principe de l’intangibilité des ouvrages publics, il peut même ordonner la destruction d’un
ouvrage public lorsqu’aucune procédure de régularisation appropriée n'a été engagée : TC, 6 mai 2002, Époux
Binet c/ Électricité de France ; Cass. 3ème civ. 30 avril 2003, Mourareau et autres c/ Commune de Verdun-sur-
Ariège.

Toutefois, la compétence judiciaire n’exclut pas que l’on puisse former devant le juge administratif un recours
en déclaration d’inexistence : TC, 27 juin 1966, Guigon ; CE, 4 mai 1988, ministre des Relations extérieures c/ M.
Plante.

Par conséquent, il y a bien un affrontement entre les deux ordres de juridiction sur l'attribution de la
connaissance des atteintes de la liberté. Cet affrontement est difficile à surmonter dès lors qu'il existe deux
ordres de juridictions.

Il est en revanche permis de s'interroger de façon concrète, sur l'efficacité de la dualité de juridictions pour
protéger les libertés. De sorte que la question posée en 1933 demeure d'actualité : ne faudrait-il pas transférer
toutes les questions de liberté au juge judiciaire ? Il y aurait un gain d'efficacité de la protection des libertés en
France.

C. La propriété privée
Le contrôle de toute privation irrégulière de propriété appartient au juge judiciaire, ainsi que le soin de fixer le
prix de cette privation. Dans le sillage de la nouvelle définition de la voie de fait, se situe le revirement
jurisprudentiel concernant l’emprise irrégulière.

L’emprise est l’occupation ou la dépossession temporaire ou définitive, partielle ou totale, d'une propriété
immobilière privée, effectuée par une personne publique ou un entrepreneur de travaux publics.

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Dans l’ancienne jurisprudence, les juridictions administratives étaient compétentes pour se prononcer sur la
régularité de l'emprise tandis que les tribunaux judiciaires l’étaient pour réparer l'ensemble des préjudices même
mobiliers, même accessoires d'une emprise irrégulière (C.E., 23 juillet 2010, Pellet ; T.C., 17 mars 1949, Société
« Hôtel du Vieux Beffroi »).

Désormais, le Tribunal des conflits estime que la juridiction administrative est compétente pour se prononcer à
la fois sur la régularité de l'emprise l'irrégulière et sur la réparation du préjudice qui en résulte, sauf dans le cas
où elle aurait pour effet l'extinction du droit de propriété (T.C. 9 décembre 2013, M. et Mme P. c/ Commune de
Saint-Palais-sur-Mer). Les juridictions judiciaires se cantonnent à l’indemnisation.

Le Conseil constitutionnel a confirmé cet état de la répartition des compétences (C.C., 20 janvier 2011, déc.
n° 2010-624 DC, Loi portant réforme de la représentation devant les cours d'appel ; C.C., 21 janvier 2011, déc.
n° 2010-87 QPC, M. Jacques S. [Réparation du préjudice résultant de l'expropriation]).

SUJETS DE RÉFLEXION

• Le juge judiciaire est-il le juge le plus protecteur des libertés ?

• Quelles sont les armes du juge judiciaire dans la protection des droits et libertés ?

79
FICHE N°9 : LE JUGE ADMINISTRATIF

Selon Bertrand Louvel, ancien premier président de la Cour de cassation, personne ne discute plus sérieusement
que le juge administratif réalise une défense des droits fondamentaux aussi protectrice de l’individu face à
l’intérêt général que celle offerte par le juge judiciaire.

Le système juridictionnel français est caractérisé par deux ensembles hiérarchisés et autonomes de juridictions.
L’ordre juridictionnel administratif est chapeauté par le Conseil d’État et réunit toutes les juridictions
administratives, dont les Tribunaux administratifs et les Cours administratives d’appel. La Cour de cassation est
quant à elle, la Cour suprême dans l’ordre judiciaire.

La distance entre ces deux ordres juridictionnels a longtemps été affirmée. L’adoption de la loi des 16 et 24 août
1790 était déjà un signe de la différence de conception entre ce qui relève du privé ou ce qui relève du public, et
de l’existence d’un périmètre d’intervention propre au juge judiciaire. La création du Conseil d’État par la
Constitution du 22 frimaire an VIII et la consécration de l’existence d’un droit administratif par le Tribunal des
conflits en 1873 dans l’arrêt Blanco en sont d’autres illustrations.

Les spécificités de la « sphère privée » justifient l’existence de l’article 66 de la Constitution française de 1958
qui confie à l’autorité judiciaire la protection de la liberté individuelle (voir fiche sur l’autorité judiciaire).

S’interroger sur la défense des droits et libertés fondamentaux par le juge administratif est une remise en cause
de la spécificité de ces deux juges, qui ne seraient finalement pas si éloignés. Le Conseil constitutionnel l’a
admis à partir des années 2000 en reconnaissant le juge administratif comme garant des libertés personnelles
au même titre que le juge judiciaire.

La défense des droits et libertés fondamentaux par le juge administratif semble donc être favorisée, notamment
par l’absence d’obligation de la présence d’un avocat en première instance, ou encore l’admission d’une large
recevabilité des recours.

Cependant, la conciliation de principes qui semblent pourtant a priori inconciliables, comme celle du principe de
légalité avec la sécurité juridique ou encore de la protection des droits individuels avec la promotion de l’ordre
public interroge sur la suffisance de cette protection.

La place du juge administratif dans la défense des droits et libertés fondamentaux (I) doit être envisagée avant
d’analyser les voies de droit par lesquelles ce juge protège les droits et libertés (II), les actes pouvant être
contestés (III) et la concurrence existante entre protection des libertés et protection de l’ordre public (IV).

I. LA PLACE DU JUGE ADMINISTRATIF DANS LA DÉFENSE DES DROITS ET LIBERTÉS


FONDAMENTAUX

Le juge judiciaire dispose de compétences réservées en matière de défense des droits et libertés fondamentaux
et est aussi habilité à apprécier la légalité des décisions administratives ou encore de constater une voie de fait.

Cependant, le juge administratif est le seul à pouvoir annuler une décision administrative illégale, notamment
lorsqu’elle porte atteinte à une liberté légalement reconnue.

En exerçant ses pouvoirs de police administrative, tendant à préserver l’ordre public et à en prévenir les atteintes,
l’administration est amenée à adopter des actes juridiques qui peuvent restreindre les droits et libertés
fondamentaux.

En la matière, le juge administratif a considéré que seul le législateur était compétent pour instituer un
mécanisme d’autorisation préalable, afin que puissent être conciliés les intérêts en présence ou les libertés (C.E.,
22 juin 1951, Daudignac).

Cela étant, il est possible que des manifestations soient interdites si leur déroulement risque de porter atteinte
au bon ordre, à la sécurité, ou à la salubrité publique, de même que le droit de grève peut être limité en vue
d’éviter un usage abusif ou contraire aux nécessités de l’ordre public (C.E., 7 juillet 1950, Dehaene).

80
Conformément à la jurisprudence du Conseil d’État, les limitations de libertés doivent être nécessaires (en
relation avec le temps et le lieu) et proportionnelles (pas d’interdiction générale et absolue).

Le rôle du juge administratif en matière de défense des droits et libertés fondamentaux s’illustre aussi avec le
développement des principes généraux du droit dégagés à partir de sources législatives, réglementaires ou
conventionnelles. Il en va ainsi par exemple de :

• La liberté d’aller et venir (C.E., 20 décembre 1995, Madame Vedel) ;

• La liberté de la presse (C.E., 23 novembre 1951, Société nouvelle d’imprimerie, d’édition et de publicité) ;

• La liberté du commerce et de l’industrie (C.E., 20 décembre 1935, Établissements Vézia) ;

• Le droit à une vie familiale normale (C.E., 8 décembre 1978, Gisti et autres).

Selon le Conseil constitutionnel, seul le législateur est compétent pour mettre en cause ces principes généraux
du droit (C.C., 26 juin 1969, déc. n° 69-55 L, Nature juridique de certaines dispositions modifiées, des articles 4, 9
et 12 de la loi du 2 mai 1930 relative à la protection des monuments naturels et des sites de caractère, historique,
scientifique, légendaire ou pittoresque, des articles 2 et 13 bis de la loi du 31 décembre 1913 sur les monuments
historiques et de l'article 98-1 du code de l'urbanisme et de l'habitation ; C.C., 19 décembre 1991, déc. n° 91-167
L, Nature juridique des dispositions des articles 48, 48 bis et 60, pour partie, de la loi n° 68-978 du 12 novembre
1968 modifiée et concernant l'organisation des concours d'internat en médecine et en pharmacie).

Enfin, c’est par la voie procédurale que la défense des droits et libertés fondamentaux peut être observée. Ainsi,
l’introduction du référé-liberté et de la question prioritaire de constitutionnalité ont apporté de nouvelles
perspectives de défense.

II. LES VOIES DE DROIT

Les principaux recours par lesquels le juge administratif peut être amené à défendre les droits et libertés
fondamentaux sont le recours pour excès de pouvoir (A), le référé-suspension (B), le référé-liberté (C) et la
question prioritaire de constitutionnalité (D).

A. Le recours pour excès de pouvoir (REP)


Le REP est un recours ouvert même sans texte contre tout acte administratif et qui a pour effet d’assurer,
conformément aux principes généraux du droit, le respect de la légalité (C.E. 17 février 1950, Dame Lamotte).

Selon la formule de Laferrière, le recours pour excès de pouvoir est un recours objectif qui amène le juge à
décider du sort de l’acte attaqué au regard de la seule légalité. Le REP a ainsi pour fonction première d’obtenir
de l’administration le respect de la légalité ainsi que l’indique expressément le Conseil d’État dans sa décision
Dame Lamotte.

Le commissaire du gouvernement Pichat indique, quant à lui, dans ses conclusions sur C.E., 8 mars 1912, Lafage,
que ce recours est un « instrument mis à la portée de tous pour la défense de la légalité méconnue ».

Le REP peut être introduit dans un délai de deux mois à compter de la publication ou de la notification de l’acte.
L’acte contesté doit être un acte administratif faisant grief. Le requérant doit avoir la capacité d’ester en justice
et démontrer un intérêt à agir ce qui signifie que l’acte attaqué doit affecter ses intérêts de façon suffisamment
directe.

En cas d’annulation de l’acte, pour un motif de légalité externe (compétence, règles de forme ou de procédure)
ou de légalité interne (but de l’acte, objet de l’acte, motifs de l’acte), il sera réputé n’être jamais intervenu.

L’acte disparaît rétroactivement de l’ordonnancement juridique.

81
Cependant, dans la mesure où ce caractère rétroactif est susceptible d’affecter la sécurité juridique, le juge
administratif au travers la jurisprudence C.E., 11 mai 2004, AC ! a reconnu la possibilité de moduler dans le temps
les effets d’une annulation et de décider que cette dernière ne prendra effet qu’à partir d’une certaine date.

Dans ce cas, le juge effectuera un bilan « coût/avantage » en comparant les effets potentiellement négatifs pour
les intérêts publics et privés d’une annulation rétroactive, et les inconvénients que présenterait une limitation
dans le temps des effets de l’annulation, au regard du principe de légalité et du droit des justiciables à un recours
effectif.

B. Le référé-suspension
Le référé-suspension est une procédure substituée au sursis à exécution par la loi n° 2000-
597 du 30 juin 2000 relative au référé devant les juridictions administratives (article L. 521-1 du code
de justice administrative).

Il permet d'obtenir d'un juge, en principe statuant seul, la suspension provisoire de l'exécution d'une décision
administrative, même de rejet, faisant l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, à condition que
l'urgence le justifie et qu'il soit fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux
quant à la légalité de ladite décision.

Selon le Conseil d’État, « […] la condition d'urgence à laquelle est subordonné le prononcé d'une mesure de
suspension doit être regardée comme remplie lorsque la décision administrative contestée préjudicie de manière
suffisamment grave et immédiate à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu'il entend
défendre […] » (C.E., 19 janvier 2001, Confédération nationale des radios libres).

L’urgence s’apprécie « concrètement » et « objectivement » au regard des « justifications fournies par le


requérant » et de « l'ensemble des circonstances de chaque espèce » (C.E., 19
janvier 2001, Préfet des Alpes-Maritimes et Société Sud-Est Assainissement).

Lorsque la suspension est prononcée, il est statué sur la requête en annulation ou en réformation de la décision
dans les meilleurs délais. En effet, la recevabilité du référé-suspension est subordonnée à l’introduction
préalable d’un recours pour excès de pouvoir. La suspension prend fin au plus tard lorsqu'il est statué sur la
requête en annulation ou en réformation de la décision.

Le juge statue en premier et dernier ressort sur la demande de suspension. L’ordonnance peut uniquement faire
l’objet d’un pourvoi en cassation devant le Conseil d’État.

Dans la mesure où dans la procédure administrative contentieuse les recours n’ont pas d’effet suspensif,
l’introduction du référé-suspension a été une grande avancée en matière de défense des droits et libertés
fondamentaux.

C. Le référé-liberté
Par la loi du 30 juin 2000, a aussi été introduit dans le code de justice administrative, l’article L. 521-2 selon
lequel :

« Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures
nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un
organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs,
une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit
heures. »

Le référé-liberté peut donc être utilisé par un justiciable, sans ministère d’avocat (article R. 522-5 du code de
justice administrative) si une décision prise à son encontre par une administration porte une atteinte grave et
manifestement illégale à l'une de ses libertés fondamentales.

Le juge se prononce dans un délai de 48 heures sans préjudice des pouvoirs que le juge judiciaire détient en
matière de voie de fait. Dans le référé-liberté, l’urgence s’apprécie au regard du critère « finaliste » : c’est
l’urgence qu’il y a à prendre la mesure dans les 48h (C.E., 28 février 2003, Commune de Pertuis).

82
Contrairement au référé-suspension, la recevabilité du référé-liberté n’est pas subordonnée à l’introduction
préalable d’un recours pour excès de pouvoir.

En outre, l’ordonnance rendue par le tribunal administratif dans le cadre d’un référé-liberté est en principe
susceptible d'appel devant le président de la section du contentieux du Conseil d’État qui doit se prononcer sous
48 heures.

Il n’en va pas de même lorsque la demande a fait l'objet d'un rejet sans contradictoire ni audience publique, en
application de l'article L. 522-3 du code de justice administrative. Dans ce cas, la voie de l'appel n'est pas ouverte
et le requérant peut seulement se pourvoir en cassation.

Les notions de « liberté fondamentale », d’ « atteinte grave et manifestement illégale » et d’ « urgence » sont
très larges. Ainsi, le juge administratif a accepté d’examiner des atteintes :

• À la liberté d’aller et venir (C.E., réf., 9 janvier 2001, Deperthes ; C.E., réf, 21 mars 2001, Rahal ; C.E.,
réf., 27 mars 2001, Min. de l’Intérieur c. Djalout) ;

• À la liberté d’opinion (C.E., 28 février 2001, Casanovas) ;

• À la liberté d’association (TA Rennes, réf., 21 février 2002, Assoc.locale pour le culte des témoins de
Jéhovah de Lorient) ;

• À la liberté de réunion (C.E., réf., 19 août 2002, Front National) ;

• À la liberté personnelle (C.E., réf., 2 avril 2001, Min. de l’Intérieur c. Cts Marcel) ;

• Au droit à la sûreté (C.E., réf., 20 juillet 2001, Commune de Mandelieu-La Napoule) ;

• Au droit d’asile (C.E., réf., 12 janvier 2001, Hyacinthe) ;

• Au droit à une vie familiale normale (C.E., 30 octobre 2001, Tliba) ;

• Au droit, pour un patient majeur de donner, lorsqu’il se trouve en état de l’exprimer, son
consentement à un traitement médical (C.E., réf., 16 août 2002, F.c. CHU de Saint-Étienne) ;

• À la libre expression du suffrage (C.E., réf., 3 mars 2001, Dauphine) ;

• Au libre accès des riverains à la voie publique (C.E., réf., 31 mai 2001, Commune d’Hyères-les-
Palmiers) ;

• Au pluralisme de l’expression des courants de pensée et d’opinion (C.E., réf., 24 février 2001, Tiberi).

D. La question prioritaire de constitutionnalité

Voir fiche sur le juge constitutionnel.

III. LA JUSTICIABILITÉ DES ACTES

Le prétoire du juge administratif s’ouvre de manière constante. Cependant, certains actes demeurent
inattaquables. Il en va ainsi des mesures d’ordre intérieur (A), des actes préparatoires (B) et des actes de droit
souple (C).

83
A. Les mesures d’ordre intérieur
Les mesures d’ordre intérieur sont une catégorie jurisprudentielle composée de décisions prises par
l’administration dans le cadre de l’organisation et du fonctionnement de ses services qui, bien que pouvant
avoir un effet sur la situation de l’administré ou d’un agent public, sont insusceptibles de recours pour excès
de pouvoir devant le juge administratif. L’objectif de la formulation de cette catégorie est de préserver l’autorité
hiérarchique au sein de l’administration en évitant la multiplication des recours par les agents contre des
décisions considérées comme de faibles portées ou peu contraignantes.

Elle est aussi applicable à l’égard des recours des usagers de certains services publics, service pénitentiaire et
service public de l’éducation notamment, l’objectif étant là aussi d’éviter que la multiplication des recours ne
sape les prérogatives de direction des autorités administratives.

Cependant, l’on peut remarquer une tendance du juge administratif à admettre de plus en plus l’accès à son
prétoire. Ainsi, en matière de fonction publique civile le Conseil d’État a considéré dans une décision C.E., 15
avril 2015, Pôle emploi / Castrot, qu’une mesure ne portant atteinte ni aux perspectives de carrière ni à la
rémunération de l'intéressée est néanmoins susceptible de recours dès lors qu’elle est entachée d’un motif
discriminatoire.

De même dans une décision C.E., 25 septembre 2015, Boujolly, le Conseil d’Etat affirme que dès lors qu’une
décision modifiant les tâches ou l’affectation d’un agent affecte l’exercice de ses droits et libertés
fondamentaux, elle est susceptible de recours.

En matière pénitentiaire, la catégorie des mesures d’ordre intérieur connaît aussi un recul. Les principes
applicables résultent de l’arrêt d’assemblée C.E., 17 février 1995, Marie. Il en résulte que la recevabilité du
recours s’apprécie « eu égard à la nature et à la gravité » de la décision.

Par conséquent, ne constitue pas une mesure d’ordre intérieur la décision qui, soit affecte la situation juridique
ou administrative du détenu, soit aggrave de manière importante ses conditions matérielles de détention.

B. Les actes préparatoires


Les différentes étapes de l’édiction d’un acte administratif unilatéral ou de la conclusion d’un contrat se
traduisent par la mise en œuvre de mesures d’instruction et l’émission de prises de position successives de la
part de l’autorité décisionnaire ou d’autres acteurs.

Ces prises de position peuvent prendre la forme de propositions, recommandations, mises en demeure, avis,
rapports, délibérations, demandes d’information, etc. Certaines d’entre elles sont de véritables actes décisoires.

Toutefois, elles sont en principe considérées comme des mesures préparatoires et à ce titre, elles sont
insusceptibles de recours pour excès de pouvoir. Leur contestation ne peut intervenir que par voie d’exception
à l’occasion du recours contre l’acte final.

Cela étant, toutes les mesures d’instruction et prises de position ne constituent pas des mesures préparatoires
au sens du contentieux administratif. Ainsi par exemple, le juge accepte de se prononcer sur les recours formés
contre certaines mesures eu égard à l’importance de leurs effets propres et à la nécessité de ne pas laisser
perdurer une illégalité jusqu’à l’adoption de la décision finale. Il en est ainsi de la délibération d’un conseil
municipal qui décide de consulter les électeurs d’une commune sur un projet de décision (C.E., 16 décembre
1994, Commune d’Avrillé).

C. Les actes de droit souple


Ce qu’on entend ici par « droit souple » recouvre une diversité d’actes de dénominations variables qui ne se
présentent pas formellement comme des actes décisoires (qui obligent, habilitent notamment) mais qui ne sont
pas sans influence concrète sur leurs destinataires. Ils ont une portée générale ou individuelle.

L’une des questions essentielles est celle de la recevabilité du REP contre ces actes. En principe, elle est
subordonnée au caractère décisoire de l’acte querellé. Le traitement contentieux de ces actes a progressivement
évolué.

84
En premier lieu à l’égard des actes de nature générale, le Conseil d’Etat a d’abord jugé qu’une recommandation
générale peut faire l’objet d’un REP dans deux hypothèses :

• Lorsqu’elle est rédigée de manière impérative et a une portée générale ;

• Lorsque, en pratique, ses destinataires se considèrent comme liés par elle compte tenu du contexte
dans lequel elle intervient.

Une nouvelle étape a été franchie avec deux arrêts (C.E., 21 mars 2016, Soc. Fairvesta international GMBH ; C.E.
Ass., 21 mars 2016, Société NC Numericable).

Le Conseil d’État va juger que « les avis, recommandations, mises en garde et prises de position adoptés par les
autorités de régulation dans l'exercice des missions dont elles sont investies, peuvent être déférés au juge de
l'excès de pouvoir lorsqu'ils revêtent le caractère de dispositions générales et impératives ou lorsqu'ils énoncent
des prescriptions individuelles dont ces autorités pourraient ultérieurement censurer la méconnaissance ; que
ces actes peuvent également faire l'objet d'un tel recours, introduit par un requérant justifiant d'un intérêt direct
et certain à leur annulation, lorsqu'ils sont de nature à produire des effets notables, notamment de nature
économique, ou ont pour objet d'influer de manière significative sur les comportements des personnes
auxquelles ils s'adressent ; que, dans ce dernier cas, il appartient au juge, saisi de moyens en ce sens, d'examiner
les vices susceptibles d'affecter la légalité de ces actes en tenant compte de leur nature et de leurs
caractéristiques, ainsi que du pouvoir d'appréciation dont dispose l'autorité de régulation ».

Le Conseil d’État est allé encore plus loin récemment. En effet, avec sa décision C.E., 12 juin 2020, Gisti, il ouvre
encore plus son prétoire en admettant que :

« (…) 1. Les documents de portée générale émanant d'autorités publiques, matérialisés ou non, tels que les
circulaires, instructions, recommandations, notes, présentations ou interprétations du droit positif peuvent être
déférés au juge de l'excès de pouvoir lorsqu'ils sont susceptibles d'avoir des effets notables sur les droits ou la
situation d'autres personnes que les agents chargés, le cas échéant, de les mettre en œuvre. Ont notamment de
tels effets ceux de ces documents qui ont un caractère impératif ou présentent le caractère de lignes directrices.

2. Il appartient au juge d'examiner les vices susceptibles d'affecter la légalité du document en tenant compte de
la nature et des caractéristiques de celui-ci ainsi que du pouvoir d'appréciation dont dispose l'autorité dont il
émane. Le recours formé à son encontre doit être accueilli notamment s'il fixe une règle nouvelle entachée
d'incompétence, si l'interprétation du droit positif qu'il comporte en méconnaît le sens et la portée ou s'il est pris
en vue de la mise en œuvre d'une règle contraire à une norme juridique supérieure. (…) ».

Par conséquent, cet arrêt élargit encore un peu plus l’ouverture du prétoire dans le sens déjà amorcé par la
jurisprudence C.E., 2016, Fairvesta.

De manière générale, il reconnaît que sont susceptibles de recours pour excès de pouvoir l’ensemble des
documents de portée générale émanant d’autorités publiques susceptibles d'avoir des effets notables sur les
droits ou la situation d'autres personnes que les agents chargés, le cas échéant, de les mettre en œuvre (cela
inclut les circulaires impératives et les lignes directrices).

IV. LA CONCURRENCE ENTRE LIBERTÉS ET PROTECTION DE L’ORDRE PUBLIC

Selon l’ancien Commissaire au gouvernement Corneille, sous l’arrêt Baldy de 1917 : « La liberté est la règle et la
restriction de police l’exception ».

Cela pourrait laisser penser à l’existence d’une opposition entre liberté et ordre. Cependant le droit positif ne
retient pas cette opposition. Ainsi, selon le Conseil constitutionnel, il appartient au législateur d’assurer la
conciliation entre d’une part la sauvegarde de l’ordre public et la recherche des auteurs d’infractions, toutes
deux nécessaires à la protection des principes et droits de valeur constitutionnelle et d’autre part le respect
de la vie privée, des autres droits et libertés.

Il convient d’envisager le contenu de l’ordre public (A), avant de mettre en exergue les acteurs chargés de la
protection de l’ordre public (B), puis d’étudier les modalités du contrôle des mesures de police (C).

85
A. Le contenu de l’ordre public
La police administrative est une activité qui vise à assurer le maintien de l'ordre public, sans tendre à la
recherche ou à l'arrestation des auteurs d'une infraction déterminée.

L'ordre public comprend plusieurs éléments. De l’article L. 2212-2 du Code général des collectivités territoriales
(CGCT) se dégagent trois composantes principales de l'ordre public : la sécurité publique, la tranquillité publique
et la salubrité publique. Ce sont donc les buts primaires de la police administrative.

Mais on a cherché à admettre que la police administrative poursuivait des buts secondaires, notamment en
essayant de comprendre ce que signifie « le bon ordre » de l'article L. 2212-2 du CGCT. On évoque en ce sens,
par exemple, la protection de la moralité publique et le respect de la dignité de la personne humaine.

Préserver la moralité publique constitue aussi un but de police administrative. Mais en principe, il s’agit d’un
pouvoir de police propre au ministre de la Culture. La question s’est posée de savoir si les autres autorités de
police administrative dite générale pouvaient, également, agir en vue de la moralité publique.

La décision C.E., 18 décembre, 1959, Société « Les films, Lutetia » incitait à croire que les autorités de police
administrative générale pouvaient agir en vue de la moralité publique.

En l’espèce, le Conseil d’État affirme que la projection d’un film peut être interdite « en raison du caractère
immoral dudit film et de circonstances locales ». La référence aux circonstances locales témoigne d’un caractère
relatif : ce qui est immoral dans telle commune peut ne pas l’être ailleurs, en raison justement des
particularismes locaux.

Malgré cette décision, certains ont pu nier que la moralité publique était un but de police administrative
générale.

Pourtant, l’article L. 2212-2 du CGCT vise bien la morale publique. En effet, il dispose que la police municipale
comprend notamment : « 6° Le soin de prendre provisoirement les mesures nécessaires contre les personnes
atteintes de troubles mentaux dont l'état pourrait compromettre la morale publique, la sécurité des personnes
ou la conservation des propriétés ».

La controverse devait prendre fin avec la décision C.E., 27 octobre 1995, Commune de Morsang-sur-Orge.

La question posée au Conseil d’État était celle de savoir si un maire a le droit d'interdire l'attraction dénommée
« lancer de nain » et qui consiste à faire lancer un nain par des spectateurs. Le Conseil d’État considère qu’un
maire a le droit d'interdire un tel spectacle.

En application de cette décision, il est confirmé que la dignité de la personne humaine est une des composantes
de l'ordre public, mais elle ne se confond pas avec la moralité publique. En toutes hypothèses, il en résulte que
l’ordre public comporte donc une dimension morale.

Le Conseil d’État a tout de même tendance à retenir la moralité publique en l’associant avec d’autres éléments
jugés plus objectifs de l’ordre public (sécurité ou sûreté, salubrité et tranquillité publiques). Ainsi, la moralité
publique constitue un but secondaire de la police administrative.

Dans l’affaire Dieudonné, le Conseil d’État a réaffirmé que le respect de la dignité de la personne humaine était
un élément de l’ordre public.

Par une ordonnance du juge des référés datée du 9 janvier 2014, le Conseil d’État confirme :

• Que le respect de la dignité de la personne humaine, principe de valeur constitutionnelle, est un


élément de l’ordre public dont la méconnaissance peut être retenue comme motif par l’autorité
administrative pour justifier une mesure d’interdiction ;

• Que les mesures de police portant atteinte à une liberté fondamentale et motivées par les exigences
de l’ordre sont légales si elles sont nécessaires, adaptées et proportionnées (voir infra).

86
B. Les acteurs chargés de la protection de l’ordre public
Il s’agit du législateur (1) et des autorités de police administrative et judiciaire (2).

1. Le législateur
Le législateur peut intervenir afin de maintenir l’ordre public. C’est ainsi par exemple que la loi n° 2019-290 du
10 avril 2019 visant à renforcer et garantir le maintien de l'ordre public lors des manifestations, connue sous
l’appellation « loi anticasseurs » a été adoptée.

Cette loi a donné lieu à une décision C.C., 4 avril 2019, déc. n° 2019-780 DC, Loi visant à renforcer et garantir le
maintien de l'ordre public lors des manifestations, par laquelle le Conseil constitutionnel valide les dispositions
permettant en cas de manifestations certains contrôles et fouilles sur réquisition judiciaire, ainsi que la
répression pénale de la dissimulation volontaire du visage. Mais il censure, faute de garanties suffisantes, celles
relatives au prononcé d'interdictions administratives individuelles de manifester.

Le législateur intervient aussi de manière prononcée à l’occasion de la mise en vigueur d’un régime d’exception,
par exemple dans la lutte contre le terrorisme (voir fiche sur droits et libertés fondamentaux et circonstances
exceptionnelles).

2. La police administrative et la police judiciaire


La distinction entre police administrative et police judiciaire ne se situe pas uniquement dans la différence entre
prévention et répression. Certes, la police administrative tend à avoir un caractère préventif, mais elle permet
parfois de faire cesser des troubles existants. De même, la police judiciaire peut avoir un caractère préventif,
même si elle est surtout répressive.

Conformément à la décision C.E., 11 mai 1951, Consorts Baud, le critère de distinction est le but de l'activité.

Si l’opération consiste à constater une infraction déterminée ou à en rechercher les auteurs, il s’agit d’une
opération de police judiciaire. Dans le cas contraire, on a affaire à une opération de police administrative.

Souvent, les mêmes organes agissent dans le cadre de la police administrative et dans le cadre de la police
judiciaire. Ainsi, un gendarme peut aussi bien agir au nom de la police administrative que de la police judiciaire.

Cela peut donc conduire à des difficultés quant à la détermination du juge compétent, puisque, selon la manière
dont les organes interviennent, la mesure de police peut être qualifiée d’administrative ou de judiciaire.

Cela explique que les contrôles d’identité peuvent être qualifiés de judiciaire, dans l’hypothèse où l’on intervient
car on pense qu’un délit sera commis, ou administratif, dans une perspective de contrôle général tendant au
maintien de l’ordre public.

La distinction entre les deux est pourtant importante. En effet, la Constitution exige que les mesures de police
judiciaire soient placées sous la surveillance ou la direction de l’autorité judiciaire, gardienne de la liberté
individuelle.

C. Le contrôle des mesures de police


Le contrôle du pouvoir de police résulte d’un compromis entre la nécessité de maintenir l’ordre public et la
nécessité de ne pas porter atteinte aux droits et libertés fondamentaux.

L’autorité administrative a l’obligation de prendre des mesures initiales de police administrative si :

• Il existe un péril grave « résultant d’une situation particulièrement dangereuse » pour l’ordre public ;

• Les mesures de police administrative sont nécessaires pour mettre un terme à ce péril ou à ce danger.

Puis, l’autorité administrative a l’obligation de prendre des mesures en vue d’appliquer des mesures initiales de
police administrative.

87
En toutes hypothèses, que l’autorité administrative soit dans l’obligation ou non d’agir, le juge administratif
effectuera un contrôle des mesures de police adaptées, afin de s’assurer qu’elles ne portent pas une atteinte
trop intense aux droits et libertés fondamentaux.

Le juge contrôle plus particulièrement quatre éléments :

• Les motifs : ce sont les raisons de fait et de droit qui ont incité l’autorité administrative à prendre une
mesure de police. Ces raisons doivent correspondre à une menace pesant sur l’ordre public.

• Le but poursuivi : le juge censure toute mesure de police qui n’a pas pour but le maintien ou le
rétablissement de la sécurité, de la tranquillité, de la salubrité ou de la moralité publique.

• Les moyens, le contenu ou l’objet de la mesure de police.

• La nécessité de la mesure de police : une mesure de police est susceptible, par sa nature même, de
porter atteinte aux libertés. Ainsi, pour qu’une mesure de police soit légale, il faut qu’elle soit nécessaire
au maintien de l’ordre public (C.E., 19 mai 1933, Benjamin). Cela signifie que l'ordre public n'aurait pas
pu être maintenu si cette mesure de police n’avait pas été prise et que donc une mesure de police moins
contraignante n’aurait pas permis d’assurer le maintien de l’ordre public. Le juge s’assure qu’il n’y a pas
de disproportion entre la menace à l’ordre public et l’objet de la mesure de police. Il censure souvent
les interdictions trop générales ou absolues (C.E., 22 juin 1951, Daudignac).

Un tel contrôle a été effectué par le Conseil d’État, notamment dans le cadre de ce que la presse a appelé
« l’affaire du burkini ». En l’espèce, une fête privée devait être organisée. Celle-ci aurait été réservée aux
femmes vêtues d’un burkini et aux enfants. Plusieurs élus ont alors dénoncé le caractère « communautariste »
de cette initiative, ce qui a conduit à l’annulation de la fête, mais surtout à l’adoption d’arrêtés d’interdiction par
une trentaine de maires.

L’interdiction du port du burkini est limitée à la fois dans l’espace et le temps. En effet, d’une part, elle ne
concerne que l’accès aux plages municipales, notamment pour la baignade, et d’autre part, sa durée
d’application débute à la mi-août pour s’achever à la mi-septembre.

Presque tous les arrêtés interdisant le port du burkini ont fait l’objet de demandes de suspension (sur le
fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative) adressées aux juges des référés des tribunaux
administratifs notamment par la Ligue des droits de l’homme.

Selon le C.E., réf., 26 août 2016, Ligue des droits de l'homme et autres :

• Le maire doit concilier l’accomplissement de sa mission avec le respect des libertés garanties par les
lois. Il en résulte que les mesures de police que le maire d’une commune du littoral édicte en vue de
réglementer l’accès à la plage et la pratique de la baignade doivent être adaptées, nécessaires et
proportionnées au regard des seules nécessités de l’ordre public ;

• Il n’appartient pas au maire de se fonder sur d’autres considérations et les restrictions qu’il apporte
aux libertés doivent être justifiées par des risques avérés d’atteinte à l’ordre public ;

• Il ne ressort pas de l’instruction que des risques de trouble à l’ordre public aient résulté, sur les plages
de la commune concernée, de la tenue adoptée en vue de la baignade par certaines personnes.

En somme, l’interdiction du port du burkini n’est ni absolument légale, ni absolument illégale. Sa légalité doit
s’apprécier au cas par cas. Si le port du burkini crée des risques avérés de trouble à l’ordre public, son interdiction
peut être jugée légale.

Le Conseil constitutionnel vérifie aussi la constitutionnalité des lois en appliquant un tel contrôle. Ainsi par
exemple, dans une décision C.C., 10 février 2017, déc. n° 2016-611 QPC, M. David P. [Délit de consultation
habituelle de sites internet terroristes], le Conseil constitutionnel s’est prononcé sur la conformité aux droits et
libertés que la Constitution garantit de l'article 421-2-5-2 du Code pénal, dans sa rédaction issue de la loi n°2016-
731 du 3 juin 2016 renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant
l'efficacité et les garanties de la procédure pénale.

88
Cet article réprime de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 euros d'amende le fait de consulter
habituellement un service de communication au public en ligne mettant à disposition des messages, images ou
représentations soit provoquant directement à la commission d'actes de terrorisme, soit faisant l'apologie de ces
actes lorsque, à cette fin, ce service comporte des images ou représentations montrant la commission de tels
actes consistant en des atteintes volontaires à la vie.

Cette incrimination, selon l'article contesté, n'est pas applicable lorsque la consultation est effectuée de bonne
foi, résulte de l'exercice normal d'une profession ayant pour objet d'informer le public, intervient dans le cadre
de recherches scientifiques ou est réalisée afin de servir de preuve en justice.

Le Conseil constitutionnel a examiné la constitutionnalité de ces dispositions au regard de sa jurisprudence


exigeante en matière de liberté de communication. En application de cette jurisprudence, le législateur ne peut
porter atteinte à cette liberté que par des dispositions qui présentent un triple caractère nécessaire, adapté
et proportionné.

Au regard de l'exigence de nécessité de l'atteinte portée à la liberté de communication, le Conseil constitutionnel


a notamment relevé que la législation existante comprend un ensemble d'infractions pénales autres que celle
prévue par l'article 421-2-5-2 du Code pénal et de dispositions procédurales pénales spécifiques ayant pour objet
de prévenir la commission d'actes de terrorisme. Ainsi, la loi pénale française comporte de nombreux
instruments conçus pour lutter contre le terrorisme.

Appliquant les trois critères fixés par sa jurisprudence, le Conseil constitutionnel a alors jugé, compte tenu de
l'ensemble des éléments rappelés dans sa décision, et en particulier de la législation préventive et répressive qui
demeure à la disposition des autorités administrative et judiciaire pour lutter contre l'incitation et la provocation
au terrorisme sur les sites internet, que les dispositions contestées portent à l'exercice de la liberté de
communication une atteinte qui n'est pas nécessaire, adaptée et proportionnée.

Le Conseil constitutionnel a aussi effectué un tel contrôle dans le cadre de sa décision C.C., 4 avril 2019, déc. n°
2019-780 DC, Loi visant à renforcer et garantir le maintien de l'ordre public lors des manifestations. Pour statuer
sur la conformité à la Constitution des dispositions contestées, le Conseil constitutionnel a en particulier rappelé,
sur la base de l'article 11 de la Déclaration de 1789, que la liberté d'expression et de communication, dont
découle le droit d'expression collective des idées et des opinions, est d'autant plus précieuse que son exercice
est une condition de la démocratie et l'une des garanties du respect des autres droits et libertés. Il s'ensuit que
les atteintes portées à l'exercice de cette liberté et de ce droit doivent être nécessaires, adaptées et
proportionnées à l'objectif poursuivi.

Concernant l’article 2 de la loi déférée par exemple, permettant, sous certaines conditions, à des officiers et,
sous leur responsabilité, à des agents de police judiciaire, de procéder, sur les lieux d'une manifestation et à ses
abords immédiats, à l'inspection visuelle et à la fouille de bagages ainsi qu'à la visite des véhicules circulant,
arrêtés ou stationnant sur la voie publique ou dans des lieux accessibles au public, le Conseil constitutionnel a
relevé que ces opérations d'inspection visuelle et de fouille de bagages ainsi que de visite de véhicules ne peuvent
être réalisées que pour la recherche et la poursuite de l'infraction de participation à une manifestation ou à
une réunion publique en étant porteur d'une arme.

Elles poursuivent donc un objectif de recherche des auteurs d'une infraction de nature à troubler gravement le
déroulement d'une manifestation. Ces opérations sont placées sous le contrôle d'un magistrat judiciaire qui en
précise, dans sa réquisition, le lieu et la durée en fonction de ceux de la manifestation attendue.

Ainsi, ces opérations ne peuvent viser que des lieux déterminés et des périodes de temps limitées. Enfin, ces
dispositions ne peuvent conduire à une immobilisation de l'intéressé que le temps strictement nécessaire à leur
réalisation. Elles n'ont donc pas, par elles-mêmes, pour effet de restreindre l'accès à une manifestation ni d'en
empêcher le déroulement.

Le Conseil constitutionnel en déduit que le législateur a procédé à une conciliation qui n'est pas déséquilibrée
entre les exigences constitutionnelles rappelées plus haut et n'a pas porté au droit d'expression collective des
idées et des opinions une atteinte qui ne serait pas nécessaire, adaptée et proportionnée.

89
SUJETS DE RÉFLEXION

• Le rôle du juge administratif dans la garantie des droits et libertés fondamentales.

• Faut-il mieux encadrer les contrôles d’identité pour lutter contre la discrimination ?

• La liberté individuelle exige-t-elle que l’on puisse porter n’importe quel vêtement dans l’espace
public ?

• La police administrative peut-elle avoir des missions répressives ?

• Soutenez que la liberté de réunion est garantie sous le contrôle du juge.

• Les signes religieux dans l’espace public.

90
FICHE N°10 : LE JUGE CONSTITUTIONNEL
L'instauration du Conseil constitutionnel français est l'aboutissement d'un long processus historique durant
lequel la force de la tradition légicentriste a progressivement perdu en importance. À la fin du XVIIIème siècle,
selon la conception philosophique révolutionnaire et rousseauiste prégnante, la loi est l'expression de la volonté
générale, elle ne peut mal faire. Ce postulat justifie l'impossibilité de la soumettre à un contrôle juridictionnel.

Pourtant, des ancêtres du Conseil constitutionnel sont très tôt envisagés ; comme l’illustrent la proposition de
Sieyès de mettre en place un « jury constitutionnaire » ou encore celle d’attribuer une compétence de contrôle
de constitutionnalité des lois au Sénat avancée sous le Consulat de l'an VIII et sous le Second Empire.

Puis, alors que la Constitution de la IIIème République est silencieuse sur la question, celle de 1946 instaure un
« Comité constitutionnel » ayant pour compétence la vérification de la conformité de la loi à la Constitution.

Toutefois, conformément à la position légicentriste encore forte à cette époque, en cas de non-conformité, ce
n'est pas la loi qui est infléchie mais la Constitution qui doit être révisée. Finalement, avec des prérogatives
limitées et des conditions de saisine excessivement contraignantes, le Comité constitutionnel n'a pas exercé le
rôle voulu par ses concepteurs.

Ce n'est qu'en 1958, sous la Vème République, que le Conseil constitutionnel est mis en place. La Constitution
française alors votée, toujours en vigueur, contient dans un titre VII des dispositions relatives à ce Conseil
constitutionnel. Elles présentent sa composition, ses compétences et l'effet de ses décisions.

Si la Constitution de 1958 met en place un contrôle, cela est justifié par la volonté très claire de diminuer la place
occupée par le parlement dans les institutions. On n'instaure pas un contrôle pour défendre les droits et les
libertés du citoyen mais pour placer le Parlement sous le regard critique du Conseil constitutionnel.

On parle en 1958 du contrôle de constitutionnalité comme d'un canon tourné vers le pouvoir législatif ou comme
un chien de garde du pouvoir législatif au service du pouvoir exécutif. L'idée principale des rédacteurs de la
Constitution de 1958 est de forcer le Parlement à rester dans le domaine législatif prévu par l'article 34 de la
Constitution.

Suivant cet article 34, certaines matières sont réservées au pouvoir législatif, et l'article 37, par opposition,
détermine les matières réservées au pouvoir réglementaire. Ainsi, le contrôle de constitutionnalité a été instauré
non pas parce qu'il paraissait important de protéger les droits et les libertés des citoyens, mais surtout pour
mettre le pouvoir législatif sous l'influence du pouvoir exécutif.

On rejoint là d'ailleurs, toute la logique de la Constitution de 1958 qui valorisait à l'extrême le pouvoir exécutif et
plaçait le pouvoir législatif dans une position inférieure.

À ses débuts donc, on l’a relevé, il n'était pourtant pas question qu’il procède à des contrôles de conformité des
actes législatifs par rapport aux droits fondamentaux. C'est avec la décision du 16 juillet 1971, Liberté
d'association (C.C., 16 juillet 1971, déc. n° 71-44 DC, Loi complétant les dispositions des articles 5 et 7 de la loi du
1er juillet 1901 relative au contrat d'association), que se produit une rupture conceptuelle s’agissant de l'office
du Conseil constitutionnel.

Par cette décision, ce dernier fait entrer les droits et libertés fondamentaux dans le champ du contrôle. Depuis
lors, le contrôle s'effectue aussi sur le fond, sur le contenu de la loi, et non plus seulement au regard de la
répartition de compétences normatives.

De plus, ont été érigés au rang de norme constitutionnelle, la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen
de 1789 ainsi que le Préambule de la Constitution de 1946 ; formant alors ce que la doctrine qualifiera de « bloc
de constitutionnalité » qui sera enrichi a posteriori (voir fiche sur les sources constitutionnelles).

91
En ce qui concerne la composition du Conseil constitutionnel, l'article 56 de la Constitution de 1958 dispose
que « Le Conseil constitutionnel comprend neuf membres, dont le mandat dure neuf ans et n'est pas renouvelable.
Le Conseil constitutionnel se renouvelle par tiers tous les trois ans. Trois des membres sont nommés par le
président de la République, trois par le président de l'Assemblée nationale, trois par le président du Sénat. (…) En
sus des neuf membres prévus ci-dessus, font de droit partie à vie du Conseil constitutionnel les anciens présidents
de la République ». Si cette composition fait souvent l'objet de critiques, c'est surtout l'existence de membres de
droit qui pose difficulté.

Ses compétences peuvent être regroupées en deux catégories : consultatives et juridictionnelles.

Les compétences consultatives sont principalement celles mises en œuvre sur le fondement de l'article 16 de la
Constitution. Toutefois, le Gouvernement est aussi en mesure de consulter le Conseil constitutionnel sur des
textes relatifs à l'organisation du scrutin pour l'élection du président de la République et en cas de référendum.
Enfin, il est susceptible de proposer toutes mesures susceptibles d'améliorer le déroulement des élections
parlementaire et présidentielle.

Les compétences juridictionnelles peuvent être classées en deux sous-catégories : le contentieux électoral et
référendaire ; le contentieux normatif.

En ce qui concerne le contentieux électoral et référendaire, il appartient au Conseil constitutionnel de veiller à


la régularité de l'élection du président de la République et des opérations de référendum, il vérifie également la
régularité des élections parlementaires et la présence éventuelle d'une incompatibilité.

Quant au contentieux normatif, il est confié à un organe chargé spécifiquement de l’effectuer au regard de la
Constitution. Le contrôle est donc concentré, en ce sens qu'il est exercé exclusivement par le Conseil et que les
requérants sont limités.

Entre 1958 et 2008, le Conseil était compétent a posteriori uniquement en matière de vérification du respect de
la répartition des compétences entre la loi et le règlement tandis que le contrôle de constitutionnalité des lois ne
s'effectuait qu'a priori, par voie d'action. Dans ce dernier type de procédure, seules des autorités politiques
déterminées sont compétentes pour saisir le Conseil, à l'exclusion des citoyens.

Le Conseil constitutionnel est habilité à réaliser un contrôle obligatoire des lois organiques et des règlements des
Assemblées, ainsi qu’un contrôle facultatif des lois ordinaires et des engagements internationaux.

La révision introduite par la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008 a cependant intégré l'article 61-1 à la
Constitution et modifié l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil
constitutionnel afin d'instaurer un contrôle a posteriori des lois. Le juge du fond doit désormais, sous certaines
conditions, renvoyer au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité soulevée par les
parties au litige qu’il doit résoudre.

Le Conseil demeure toutefois le seul organe compétent pour déclarer une norme législative contraire aux droits
et libertés que la Constitution garantit.

Plusieurs décisions mettent en exergue le rôle créateur du Conseil constitutionnel :

• C.C., 16 janvier 1962, déc. n° 62-18 L, Nature juridique des dispositions de l'article 31 (alinéa 2) de la loi
n° 60-808 du 5 août 1960 d'orientation agricole : cette décision porte sur l’autorité des décisions du
Conseil. Le Conseil précise alors la portée de l'article 62 alinéa 3 de la Constitution en considérant que
l'autorité de ses décisions s'attache non seulement aux dispositifs de ses décisions, mais aussi aux motifs
qui en sont le soutien nécessaire et qui en constituent le fondement même ;

• C.C., 6 novembre 1962, déc. n° 62-20 DC, Loi relative à l'élection du président de la République au
suffrage universel direct, adoptée par le référendum du 28 octobre 1962 : par cette décision le Conseil
constitutionnel considère qu'il ne peut pas contrôler les lois qui sont l'expression directe de la
souveraineté nationale, le Conseil fixe de manière créatrice les limites de ses compétences ;

92
• C.C., 16 juillet 1971, déc. n° 71-44 DC, Loi complétant les dispositions des articles 5 et 7 de la loi du 1er
juillet 1901 relative au contrat d'association : c'est la décision la plus créatrice du Conseil
constitutionnel. C'est par cette décision que le Conseil constitutionnel fait entrer les droits et libertés
fondamentaux dans le champ constitutionnel. Il faut attendre cette décision pour que le Conseil
constitutionnel exerce un contrôle sur le fond, sur le contenu de la loi, et non plus seulement sur la
répartition des compétences normatives. De plus, elle ouvre le contrôle de la loi à d’autres normes
constitutionnelles que la loi : à la Déclaration de 1789, et au Préambule de la Constitution de 1946. On
voit ainsi dans cette décision, le visa, qui se réfère à la Constitution « et notamment son préambule » ;

• C.C., 15 janvier 1975, déc. n° 74-54 DC, Loi relative à l'interruption volontaire de la grossesse : dans cette
décision, le Conseil refuse d'effectuer un contrôle de conventionnalité des lois, en transférant cette
compétence au juge ordinaire.

Par cette mutation, le contrôle exercé par le Conseil constitutionnel s’est transformé en un contrôle du respect
par le législateur des droits et libertés garantis par les textes fondamentaux de la République. Il a ainsi assuré
la protection de :

• La liberté de l’enseignement (C.C., 23 novembre 1977, déc. n° 77-87 DC, Loi complémentaire à la loi
n° 59-1557 du 31 décembre 1959 modifiée par la loi n° 71-400 du 1er juin 1971 et relative à la liberté de
l'enseignement) ;

• La non-rétroactivité de la loi (C.C., 22 juillet 1980, déc. n° 80-119 DC, Loi portant validation d'actes
administratifs).

Il a réaffirmé la valeur constitutionnelle de la liberté d’expression sous toutes ses formes :

• Liberté de la presse et le pluralisme des médias (C.C., 11 octobre 1984, déc. n° 84-181 DC, Loi visant à
limiter la concentration et à assurer la transparence financière et le pluralisme des entreprises de
presse) ;

• Liberté d’accéder à internet (C.C., 10 juin 2009, déc. n° 2009-580 DC du 10 juin 2009, Loi favorisant la
diffusion et la protection de la création sur internet).

Il a également considéré comme étant des principes constitutionnels :

• Le droit de mener une vie familiale normale et la liberté de se marier (C.C., 13 août, 1993, déc. n° 93-
325 DC, Loi relative à la maîtrise de l'immigration et aux conditions d'entrée, d'accueil et de séjour des
étrangers en France) ;

• Le droit à la protection de la vie privée (C.C., 18 janvier 1995, déc. n° 94-352 DC du 18 janvier 1995, Loi
d'orientation et de programmation relative à la sécurité) ;

• La laïcité (C.C., 19 novembre 2004, déc. n° 2004-505 DC du 19 novembre 2004, Traité établissant une
Constitution pour l'Europe) ;

• La présomption d’innocence (C.C., 10 juin 2009, déc. n° 2009-580 DC du 10 juin 2009, Loi favorisant la
diffusion et la protection de la création sur internet) ;

• L’égalité devant la loi et l’impôt (C.C., 29 décembre 2009, déc. n° 2009-599 DC, Loi de finances pour
2010).

Concernant l’office du Conseil constitutionnel, il convient de circonscrire l’analyse à son rôle en matière
électorale (I) et en matière de contrôle de constitutionnalité des lois (II), avant d’envisager les décisions qu’il
peut adopter (III).

93
I. LA COMPÉTENCE DU CONSEIL CONSTITUTIONNEL EN MATIÈRE ÉLECTORALE

Dans ce domaine, le Conseil constitutionnel intervient pour trois types d'élections.

Pour les présidentielles, le Conseil est saisi des recours contre les irrégularités qui peuvent se produire pendant
les élections. C'est aussi le Conseil qui proclame les résultats et proclame donc l'élection du nouveau président.

Pour les élections des députés et des sénateurs, le Conseil est saisi de toutes les irrégularités, fraudes et il va,
dans certains cas, invalider les élections de certains députés ou de certains sénateurs.

En matière de référendum, concernant le référendum législatif, le Conseil constitutionnel agit sur le fondement
de l'article 11 de la Constitution. Le Conseil a toujours refusé de contrôler les opérations de référendum quand
il s'agit de réviser la Constitution.

II. LA COMPÉTENCE DU CONSEIL CONSTITUTIONNEL EN MATIÈRE DE CONTRÔLE DE


CONSTITUTIONNALITÉ DES LOIS

Le contrôle de constitutionnalité des lois peut s’effectuer a priori (A), avant promulgation de la loi, ou a posteriori
(B), après promulgation.

A. Dans le cadre du contrôle a priori

Aux termes de l’article 61 de la Constitution :


« Les lois organiques, avant leur promulgation, les propositions de loi mentionnées à l'article 11 avant qu'elles
ne soient soumises au référendum, et les règlements des assemblées parlementaires, avant leur mise en
application, doivent être soumis au Conseil constitutionnel, qui se prononce sur leur conformité à la Constitution.
Aux mêmes fins, les lois peuvent être déférées au Conseil constitutionnel, avant leur promulgation, par le
président de la République, le Premier ministre, le président de l'Assemblée nationale, le président du Sénat ou
soixante députés ou soixante sénateurs.
Dans les cas prévus aux deux alinéas précédents, le Conseil constitutionnel doit statuer dans le délai d'un mois.
Toutefois, à la demande du Gouvernement, s'il y a urgence, ce délai est ramené à huit jours.
Dans ces mêmes cas, la saisine du Conseil constitutionnel suspend le délai de promulgation ».
Ainsi, en application de cet article, le Conseil constitutionnel est obligatoirement saisi des lois organiques et des
règlements des assemblées parlementaires, avant la promulgation des premières et l'entrée en vigueur des
seconds.
Il peut être saisi d'un engagement international avant sa ratification ou son approbation. Pour les lois ordinaires,
le Conseil peut être saisi d'une loi avant sa promulgation.
Depuis 1999, le Conseil constitutionnel peut également examiner la conformité à la Constitution des lois du pays
adoptées par le congrès de la Nouvelle-Calédonie.
Jusqu'à la loi constitutionnelle du 29 octobre 1974, seules les quatre plus hautes autorités de l'État avaient le
droit de déférer au Conseil, avant sa promulgation, une loi définitivement adoptée par le Parlement : le président
de la République, le Premier ministre, le président de l'Assemblée nationale et le président du Sénat.

La réforme de 1974 a ouvert la saisine à 60 députés ou 60 sénateurs, c’est-à-dire à une minorité de députés ou
de sénateurs. Cette modification constitutionnelle a conduit à une saisine presque systématique du Conseil pour
les lois faisant l’objet d’une opposition politique forte.

94
B. Dans le cadre du contrôle a posteriori

La réforme constitutionnelle du 23 juillet 2008 a introduit la question prioritaire de constitutionnalité (QPC).

Cette réforme se situe dans le prolongement de l’ouverture de la saisine du Conseil. Désormais, l’article 61-1 de
la Constitution dispose que « Lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu
qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil
constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'État ou de la Cour de cassation qui se
prononce dans un délai déterminé (…) ».

La QPC reconnaît donc le droit à toute personne qui est partie à un procès ou à une instance juridictionnelle de
soutenir qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit.

Avant que le Conseil constitutionnel soit effectivement saisi d’une QPC, cette dernière doit passer le « filtre » du
Conseil d’État dans l’ordre juridictionnel administratif et de la Cour de cassation dans l’ordre judiciaire.

Les conditions justifiant le renvoi sont déterminées par les articles 23-2 et 23-4 de l’ordonnance organique
précitée :

• La disposition contestée doit être applicable au litige ou à la procédure, ou constituer le fondement


des poursuites ;

• Elle ne doit pas avoir déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une
décision du Conseil constitutionnel, sauf changement de circonstances ;

• La question doit être nouvelle ou présenter un caractère sérieux.

Si les conditions de recevabilité de la question sont réunies, il appartient au Conseil constitutionnel, saisi par le
Conseil d’État ou la Cour de cassation, de se prononcer dans un délai maximum de trois mois et le cas échéant
d’abroger la disposition législative contestée.

La QPC peut être soulevée devant tout tribunal relevant soit de l’ordre administratif, soit de l’ordre judiciaire.
Seule la Cour d’assises ne peut en être saisie. Toutefois en matière criminelle, la question peut être posée soit
avant le début du procès, devant le juge d’instruction, soit après la fin du procès, à l’occasion d’un appel ou d’un
pourvoi en cassation.

Si la juridiction devant laquelle comparaît le justiciable ne nécessite pas de recourir à un avocat, alors le justiciable
peut poser lui-même la QPC.

Dans l’hypothèse où le tribunal saisi de la QPC considère que les conditions de saisine du Conseil constitutionnel
sont réunies, il transmet la question au Conseil d’État ou à la Cour de cassation, lesquels disposent d’un délai
de trois mois pour décider de saisir ou non le Conseil constitutionnel.

La QPC est une question prioritaire (1), dans laquelle s’appliquent les principes de publicité (2), du caractère
contradictoire (3) et impartial (4) de la procédure.

1. Une question prioritaire


La QPC est une question posée à l’occasion d’un procès en cours devant une juridiction, qui relève soit du Conseil
d’État, soit de la Cour de cassation. La question est posée par un justiciable.

Elle permet une ouverture de la saisine, laquelle ne va pas jusqu’aux citoyens. Les requérants peuvent être divers
et variés, la nationalité française n’étant pas une condition nécessaire. Cependant, il ne s’agit pas d’une action
populaire. Uniquement les justiciables, aussi bien devant les juridictions de fond que devant les juridictions de
cassation peuvent poser la question, sans pour autant qu’ils puissent saisir directement le Conseil constitutionnel.

95
En effet, la question posée par les justiciables est d’abord examinée par la juridiction de fond, puis dans un
second temps et de manière obligatoire, par les juridictions sommitales.

La QPC est prioritaire par rapport au contrôle de conventionnalité. La CESDH et le droit de l’Union, qui a intégré
la Charte des droits fondamentaux, contiennent des catalogues de droits fondamentaux qui sont proches de ceux
contenus dans le « bloc de constitutionnalité ». Mais si ces catalogues sont proches, ils ne sont pas équivalents.

Ainsi, les terminologies, les mots, les dénominations des droits et libertés ne sont pas nécessairement les mêmes.
Par exemple, la DDHC se réfère à la liberté de communication dans son article 11, alors que la CESDH dans son
article 10 se réfère à la liberté d’expression.

Selon la jurisprudence de l’ancienne CJCE, toute juridiction de l’État a l’obligation d’appliquer le droit de l’Union
mais également de le faire prévaloir sur le droit national y compris sur les normes constitutionnelles (CJCE, 9 mars
1978, Simmenthal).

Il y a donc une possibilité pour les juridictions d’écarter la loi nationale dans l’hypothèse où elle est contraire au
droit de l’Union. En cas de difficultés, la juridiction peut aussi poser une question préjudicielle à la Cour de justice.

Si l’on appliquait totalement ces exigences tirées du droit européen, avec l’équivalence des protections, la QPC
aurait peu d’intérêt. Or, le constituant en 2008 a souhaité assurer la primauté de la Constitution en tant que
norme nationale. Il a voulu privilégier le contrôle de constitutionnalité par rapport aux normes internationales.

Pour autant, les effets de ces deux types de contrôle ne sont pas les mêmes :

• Dans le cadre du contrôle de conventionalité, la loi n’est qu’écartée ;

• Alors que dans le cadre du contrôle de constitutionnalité, la loi peut être abrogée.

La loi organique du 10 décembre 2009 a donc voulu prioriser le contrôle de constitutionnalité. Cette priorité
s’impose aussi bien aux juridictions du fond qu’au Conseil d’État et à la Cour de cassation. Ainsi, « En tout état de
cause, la juridiction doit, lorsqu’elle est saisie de moyens contestant la conformité d’une disposition législative
d’une part aux droits et libertés garantis par la Constitution et d’autre part aux engagements internationaux de
la France, se prononcer par priorité sur la transmission de la question de constitutionnalité au Conseil d’État ou
à la Cour de cassation ».

2. La publicité de la procédure

L’article 8 du règlement intérieur sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions
prioritaires de constitutionnalité dispose : « Le président assure la police de l’audience. Il veille à son bon
déroulement et dirige les débats. L’audience fait l’objet d’une retransmission audiovisuelle diffusée en direct dans
une salle ouverte au public dans l’enceinte du Conseil constitutionnel. Le président peut, à la demande d’une partie
ou d’office, restreindre la publicité de l’audience dans l’intérêt de l’ordre public ou lorsque les intérêts des mineurs
ou la protection de la vie privée des personnes l’exigent. Il ne peut ordonner le huis clos des débats qu’à titre
exceptionnel et pour ces seuls motifs. »

Aux termes de l’article 23-10 de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le
Conseil constitutionnel : « L’audience est publique, sauf dans les cas exceptionnels définis par le règlement
intérieur du Conseil constitutionnel. »

L’audience publique introduite par la QPC est une innovation pour le Conseil constitutionnel qui siégeait depuis
1959 à « huis clos » et qui n’acceptait les observations orales qu’à titre exceptionnel.

L’article 8 du règlement reprend le principe du caractère public de l’audience posé à l’article 23-10. Les parties
et leurs représentants sont présents dans la salle d’audience. L’exiguïté de celle-ci conduit à ce que le public puisse
assister à l’audience au moyen de sa retransmission audiovisuelle diffusée en direct dans une salle ouverte à cet
effet au rez-de-chaussée du Conseil.

96
3. Le caractère contradictoire de la procédure

L’article 3 du règlement intérieur sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions
prioritaires de constitutionnalité dispose : « Au cours de l’instruction, les actes et pièces de procédure ainsi que
les avertissements ou convocations sont notifiés par voie électronique. Ils font l’objet d’un avis de réception
également adressé par voie électronique. À cette fin, toute partie communique au secrétariat général du Conseil
constitutionnel l’adresse électronique à laquelle ces notifications lui sont valablement faites. / En tant que de
besoin et pour garantir le caractère contradictoire de la procédure, le secrétariat général du Conseil
constitutionnel peut recourir à tout autre moyen de communication. / Lorsqu’une partie a chargé une personne
de la représenter ces notifications sont faites à son représentant ».

La brièveté du délai de jugement de trois mois souligne l’impératif d’efficacité dans l’instruction des QPC devant
le Conseil constitutionnel. À cet effet l’article 3 du règlement pose en règle la dématérialisation des échanges
avec le Conseil d’État et la Cour de cassation, les parties et les plus hautes autorités de l’État. De même, les parties
peuvent adresser mémoires et répliques par voie dématérialisée. En tant que de besoin et pour garantir le
caractère contradictoire de la procédure, le secrétariat général du Conseil constitutionnel peut, par exception,
recourir à tout autre moyen de communication que la voie électronique. Ceci recouvre, par exemple, l’hypothèse
dans laquelle une partie, qui n’est pas représentée, ne dispose pas d’adresse électronique.

L’article 7 du règlement de procédure précise que les griefs susceptibles d’être soulevés d’office par le Conseil
sont communiqués aux parties, mais aussi aux autorités qui peuvent faire des observations. De même ces parties
sont invitées à répondre dans un certain délai fixé par le Conseil constitutionnel.

4. Le caractère impartial de la procédure

Le caractère impartial de la procédure est inspiré de l’article 6 §1 de la CESDH. L’impartialité vise le fait qu’un
membre de la juridiction ait pu avoir une connaissance préalable du dossier, parce qu’il a pu avoir des fonctions
antérieures au Conseil constitutionnel.

La conduite, même personnelle du membre de la juridiction, est un élément de partialité subjective. On sait que
la CEDH est relativement attachée aux apparences de l’impartialité. Même si la partialité n’est pas réelle,
l’apparence de partialité peut être sanctionnée.

Ainsi, aux termes de l’article 4 du règlement intérieur sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel
pour les questions prioritaires de constitutionnalité « Tout membre du Conseil constitutionnel qui estime devoir
s’abstenir de siéger en informe le président. / Une partie ou son représentant muni à cette fin d’un pouvoir spécial
peut demander la récusation d’un membre du Conseil constitutionnel par un écrit spécialement motivé
accompagné des pièces propres à la justifier. La demande n’est recevable que si elle est enregistrée au secrétariat
général du Conseil constitutionnel avant la date fixée pour la réception des premières observations. / La demande
est communiquée au membre du Conseil constitutionnel qui en fait l’objet. Ce dernier fait connaître s’il acquiesce
à la récusation. Dans le cas contraire, la demande est examinée sans la participation de celui des membres dont
la récusation est demandée. / Le seul fait qu’un membre du Conseil constitutionnel a participé à l’élaboration de
la disposition législative faisant l’objet de la question de constitutionnalité ne constitue pas en lui-même une cause
de récusation ».

La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme est aujourd’hui bien fixée sur le principe
d’impartialité. Elle distingue l’impartialité subjective et l’impartialité objective.

L’impartialité subjective renvoie à la conception personnelle du juge : aucun des membres de la juridiction ne
doit manifester de parti pris ou de préjugé personnel. Selon la Cour, l’impartialité personnelle se présume jusqu’à
preuve du contraire (CEDH, 23 avril 1996, Remli c. France).

L’impartialité objective consiste à se demander si, « indépendamment de la conduite personnelle du juge, certains
faits vérifiables autorisent à suspecter l’impartialité de ce dernier. En la matière, même les apparences peuvent
revêtir de l’importance » (CEDH, 27 août 2002, Didier c. France).

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La juridiction doit offrir des garanties suffisantes pour exclure à cet égard tout doute légitime, le doute pouvant
provenir soit des conditions d’organisation de l’institution juridictionnelle (critère organique), c’est-à-dire des
conditions d’accès aux fonctions et de la séparation des fonctions (elle se rapproche alors de l’appréciation de
l’indépendance des juges), soit des conditions d’intervention des juges qui composent la juridiction eu égard aux
interventions antérieures qui ont pu leur donner une certaine connaissance de l’affaire.

S’agissant de l’hypothèse où les juges ont déjà eu à connaître de l’affaire à l’occasion d’autres fonctions ou d’un
litige antérieur, la jurisprudence est fixée par la décision de la CEDH, 6 juin 2000, Morel c. France. La Cour juge
qu’en matière civile, le simple fait, pour un juge, d’avoir déjà pris des décisions avant le procès ne peut passer
pour justifier en soi des appréhensions relativement à son impartialité. Ce qui compte est l’étendue des mesures
adoptées par le juge avant le procès.

De même, la connaissance approfondie du dossier par le juge n’implique pas un préjugé empêchant de le
considérer comme impartial au moment du jugement sur le fond. Enfin, l’appréciation préliminaire des données
disponibles ne saurait non plus passer comme préjugeant l’appréciation finale. Il importe que cette appréciation
intervienne avec le jugement et s’appuie sur les éléments produits et débattus à l’audience.

Le Conseil n’ayant jamais à apprécier la culpabilité d’une personne, c’est cette jurisprudence « en matière civile »
qui est opérante en matière de QPC. Cette jurisprudence tend à retenir que le seul fait d’avoir participé à
l’élaboration de la norme contestée ne constitue pas en soi une cause de récusation. Il ne devrait en aller
autrement que si les actes accomplis impliquent que leur auteur a porté une appréciation sur la constitutionnalité
de cette norme.

Pour les magistrats de l’ordre judiciaire, les codes énumèrent des cas de récusation dont la liste était, à l’origine,
limitative. Cependant la Cour de cassation, inspirée par la convention européenne, juge depuis 1998 que ces cas
« n’épuisent pas l’exigence d’impartialité requise de toute juridiction » (Cass. Civ. 1ère 28 avril 1998, bull. n° I
n° 155). Ces cas constituent désormais non une liste limitative mais une liste de cas où la présomption de
partialité est infrangible.

À l’occasion de l’affaire Remli précitée, la Cour européenne a précisé que l’article 6 §1 de la Convention impliquait
« pour toute juridiction nationale l’obligation de vérifier si, par sa composition, elle constitue un ‘tribunal
impartial’ au sens de cette disposition lorsque [...] surgit, sur ce point, une contestation qui n’apparaît pas
d’emblée manifestement dépourvue de sérieux ».

La Cour a, en outre, prévu qu’un « requérant ne saurait prétendre avoir eu des motifs légitimes de douter de
l’impartialité du tribunal qui l’a jugé alors qu’il pouvait en récuser la composition mais s’en est abstenu » (CEDH,
22 février 1996, Bulut c. Autriche).

Dès lors que la possibilité de former une demande de récusation est précisément prévue, elle constitue en droit
interne un recours effectif préalable destiné à prévenir la violation de l’article 6 §1 de la CEDH. La mise en œuvre
préalable de cette procédure constitue par conséquent une voie de recours interne dont « l’épuisement »
conditionne, en application de l’article 35 §1 de la Convention européenne, la recevabilité de la saisine de la Cour.

Le Conseil constitutionnel ne statuant que dans sa formation plénière, il ne sera pas confronté à la question de la
date à compter de laquelle les parties ont connaissance de la composition de la formation de jugement qui
statuera sur leur affaire. Il est donc possible de fixer un délai pendant lequel les parties ont le droit de récuser un
membre du Conseil constitutionnel. C’est l’option retenue par l’article 4 du règlement.

L’article 4 prévoit expressément la possibilité de former une demande de récusation à l’encontre d’un membre.
Cette demande doit être motivée et accompagnée des pièces propres à la justifier. Elle doit être présentée avant
la date fixée pour la réception des premières observations.

Cette demande de récusation sera présentée en premier lieu au membre du Conseil qui en fait l’objet. Celui-ci
pourra la refuser ou non. L’option particulière que connaît la procédure pénale et qui interdit au juge d’acquiescer
à la demande, n’a en effet aucune justification devant le Conseil constitutionnel. En cas de refus, il reviendra au
Conseil constitutionnel, hors la participation du membre dont la récusation est demandée, de se prononcer.

98
L’article 4 prévoit également en son dernier alinéa que le seul fait qu’un membre a participé à l’élaboration de la
disposition législative faisant l’objet de la QPC ne constitue pas à lui seul une cause de récusation. Cette
disposition reprend, à la suite de la jurisprudence de la CEDH rappelée ci-dessus, l’article 101 de la loi spéciale du
6 janvier 1989 modifiée sur la cour d’arbitrage de Belgique.

III. LA DÉCISION DU CONSEIL CONSTITUTIONNEL

Les différents types de décisions du Conseil constitutionnel sont identifiables par des lettres placées après le
numéro d'enregistrement de la saisine. Les décisions relatives au contrôle de constitutionnalité a priori sont
classées DC (décision de conformité) ou LP pour les lois du pays de Nouvelle-Calédonie, alors que les décisions
relatives aux questions prioritaires de constitutionnalité qui sont classées QPC.

Aux termes de l’article 62 de la Constitution, « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de
l'article 61 ne peut être promulguée ni mise en application. / Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le
fondement de l'article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou
d'une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans
lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause. / Les décisions du Conseil
constitutionnel ne sont susceptibles d'aucun recours. Elles s'imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités
administratives et juridictionnelles ».

Les décisions de conformité concernant les lois organiques ou ordinaires peuvent conduire à la censure totale ou
partielle de la loi, mais non à son annulation puisqu'elles sont prononcées avant la promulgation de celle-ci, acte
juridique qui en assure l'application. Les dispositions déclarées inconstitutionnelles d'un règlement d'une
assemblée parlementaire ne peuvent être mises en application.
Si le Conseil constitutionnel estime qu'un engagement international comporte une clause contraire à la
Constitution, l'autorisation de ratifier ou d'approuver cet engagement international ne peut intervenir qu'après
révision de la Constitution.
Lorsque, saisi d'une QPC, le Conseil constitutionnel déclare une disposition inconstitutionnelle, cette dernière est
abrogée à compter de la publication de la décision ou d'une date ultérieure fixée par celle-ci. Le Conseil peut,
en application de l'article 62 de la Constitution, déterminer les conditions et limites dans lesquelles les effets
que la disposition inconstitutionnelle a produits peuvent être remis en cause.

Depuis trois arrêts rendus par le Conseil d’État le 24 décembre 2019, la responsabilité de l’État peut être engagée
en raison d’une loi déclarée contraire à la Constitution. Si des personnes ont subi des dommages – pertes
financières, préjudices – directement du fait de l’application de cette loi avant son abrogation, elles pourront en
obtenir réparation en saisissant le juge administratif (CE, 24 décembre 2019, Société Paris Clichy, Société Hôtelière
Paris Eiffel Suffren, M. Laillat, n° 425981, n° 425983, n° 428162).

Plus généralement, le Conseil constitutionnel peut déclarer la conformité des dispositions à la Constitution (A),
leur non-conformité totale (B) ou partielle (C). De plus en plus, il produit aussi des réserves d’interprétation (D).

A. Les déclarations de conformité


Lorsque le Conseil constitutionnel estime que le texte est conforme à la Constitution, l'article 21 de l'ordonnance
organique de 1958 précise que la publication d'une déclaration du Conseil constitutionnel constatant qu'une
disposition n'est pas contraire à la Constitution met fin à la suspension du délai de promulgation. Dans le cadre
a posteriori, la loi restera en vigueur et sera appliquée au litige.

B. Les décisions de non-conformité totale


Il s'agit de l'hypothèse où le Conseil constitutionnel a déclaré la non-conformité totale du texte à la Constitution,
soit parce que c'est tout le texte qui est contraire, soit parce que l'une de ses dispositions est non conforme mais
aussi jugée inséparable du reste du texte. S'agissant de l'hypothèse où la censure est totale parce que la
disposition est inséparable du reste de la loi, le Conseil constitutionnel doit se prononcer expressément sur le
caractère inséparable de la disposition.

99
C. Les déclarations d'inconstitutionnalité partielle

Cette hypothèse est la plus fréquente. Sur ce point il faut distinguer trois questions : les suites de la censure, le
contrôle à double détente, la réécriture partielle de la loi par le Conseil constitutionnel.

Le Conseil constitutionnel déclare que certaines dispositions de la loi ne sont pas conformes, mais il ne les juge
pas inséparables du reste du texte : c'est l'article 23 alinéa 1er de l'ordonnance organique qui prévoit que le
président de la République peut soit promulguer la loi à l'exception de cette disposition, soit demander aux
chambres une nouvelle lecture.

Ce que dit le Conseil implique donc que le président de la République peut avoir recours à la seconde lecture de
la loi qui ne peut se faire qu'avec l'objectif de corriger l'inconstitutionnalité du texte. Ce qui implique que cette
seconde lecture ne peut pas se faire pour des raisons de simple opportunité.

Une décision de censure partielle peut être suivie d'un nouveau texte, le gouvernement peut vouloir faire un
deuxième texte, qui peut donner lieu à une nouvelle saisine, qui donne lieu à un contrôle de double détente.

Concernant la réécriture très partielle de la loi par le Conseil constitutionnel, il arrive dans quelques décisions
que le Conseil constitutionnel soit amené dans le dispositif de ses décisions à réécrire certains articles de la loi
simplement pour tenir compte de ses propres censures.

Par exemple, lorsqu'un article fait référence à un autre article au sein d'une même loi. Si cet article deuxième est
censuré par le Conseil, la rédaction de l'article qui faisait renvoi devient inefficace. Il est donc arrivé que le Conseil
rédige dans le dispositif la disposition en question pour tenir compte de sa décision.

D. Les réserves d'interprétation


Il s’agit d'une situation parfaitement jurisprudentielle, puisqu’aucune disposition constitutionnelle n'ouvre la
possibilité au Conseil constitutionnel d'utiliser cette technique. La doctrine est partagée sur la question de savoir
s'il s'agit d'une voie décisionnelle ou d'une modalité d'interprétation.

En effet, il arrive que le Conseil constitutionnel rende des décisions qui déclarent une loi conforme à la
Constitution, mais sous la condition de respecter un certain nombre de conditions que le Conseil indique lui-
même dans la décision.

Ces réserves sont exprimées et expliquées dans l'exposé des motifs, et elles sont aussi rappelées dans le dispositif.
Cette technique apparaît dès la décision C.C., 24 juin 1959, déc. n° 59-2 DC, Règlement de l'Assemblée nationale.
Le Conseil a censuré certaines dispositions du règlement des assemblées et a émis des réserves d'interprétation.
Cette technique s'est surtout développée à partir des années 1980 et notamment dans une décision C.C., 20
janvier 1981, déc. n° 80-127 DC, Loi renforçant la sécurité et protégeant la liberté des personnes.

Cette technique des réserves permet de sauver la loi, c'est-à-dire d'éviter la censure, parce que le Conseil ne veut
pas censurer une loi en question, mais il va l'assortir de très nombreuses réserves au point d'enfermer
l'application de la loi dans un cadre extrêmement strict. Dans la décision du PACS on a un exemple célèbre de
réserve d'interprétation, la loi est sauvée au fond, mais la décision est truffée de réserves d'interprétation, au
point qu'on dise que le Conseil a en partie corrigé la loi tout en la sauvant (C.C., 9 novembre 1999, déc. n° 99-
419 DC, Loi relative au pacte civil de solidarité).

La doctrine a essayé de voir dans les réserves, plusieurs catégories de réserves d'interprétation, dont la plus
connue est celle de Louis Favoreu.

100
Il distingue :

• Les réserves directives : par lesquelles le Conseil indique comment la loi doit être appliquée.
Ces réserves comportent une prescription à l’égard du législateur ou d’une autorité de l’État
chargée de l’application de la loi ;

• Les réserves neutralisantes (ou minorantes) : il s'agit de réduire la portée du texte, à minorer
par exemple le champ d'application de la loi. Ces réserves éliminent des interprétations
possibles du texte qui seraient contraires à la Constitution ;

• Les réserves constructives : lorsque le Conseil ajoute à la loi pour la rendre conforme à la
Constitution.

Les systèmes de justice constitutionnelle tendent à évoluer d’une juridiction centrée sur la loi vers une juridiction
centrée sur la protection des droits. La protection des droits fondamentaux devient de plus en plus un
argument servant de fondement à l'émission de réserves d’interprétation.

Ces dernières seraient, pour certains, le meilleur remède aux discriminations infondées. Ce serait un type de
décision avec une efficacité plus immédiate pour la sensibilité collective et plus proche des valeurs
fondamentales à défendre. La Cour constitutionnelle agirait de la sorte pour obtenir un « maximum de justice
sociale ».

L’une des difficultés de ce procédé est qu’il conduit à une subjectivisation et à une insécurité exacerbée des
décisions juridictionnelles.

SUJETS DE RÉFLEXION

• L’introduction de la QPC en droit français a-t-elle permis de renforcer la protection des droits
fondamentaux ?

• Le Conseil constitutionnel : gardien des libertés.

101
FICHE N°11 : L’EFFICACITÉ DE LA PROTECTION JURIDICTIONNELLE
FRANÇAISE
La question se pose de savoir si un partage de compétences entre deux, voire trois ordres de juridiction si l’on
considère l’ordre constitutionnel, lesquels ne sont pas forcément coordonnés entre eux, est bénéfique au regard
de la protection des libertés.

Les réponses à cette question peuvent être idéologiques, techniques ou simplement pragmatiques.

Sur le plan idéologique, les libéraux ne voyaient de protection efficace que dans l'unité de juridiction en faveur
du juge judiciaire. Il ne faut pas oublier l’hostilité traditionnelle des libéraux à l'égard des juges ad hoc et
notamment la méfiance à l'égard du juge administratif.

Cette critique idéologique du modèle français se double d'une critique d'ordre technique. En effet,
techniquement, une unité plus complète entre les ordres judiciaire, administratif et constitutionnel, serait
parfaitement possible, soit sur le modèle américain d'un ordre juridictionnel unique, soit sous la forme atténuée,
d'une Cour Suprême unique et commune aux différents types de recours aux juridictions. C'est ce qui a été
longtemps défendu en France par un certain nombre de professeurs. La logique juridique et la sécurité juridique
y gagneraient.

Sur le plan pragmatique, l'actuel système français n'est pas issu d'une pensée politique ou technique. Il est issu
d'une construction historique. C'est la raison pour laquelle ce système ne peut trouver qu'une justification
pragmatique.

On ne peut pas justifier cette situation d'un dualisme de juridiction sur le plan des idées politiques ou sur le plan
technique, on peut simplement le justifier par l'histoire et en se demandant si en matière de protection des
libertés ce système est ou non aussi performant que dans les autres démocraties modernes.

Sur le terrain de l'efficacité de la protection des libertés on est obligé de convenir que notre système actuel
soutient une comparaison tout à fait honorable avec les autres démocraties libérales qui ont mis en place des
mécanismes juridictionnels différents et souvent plus logiques.

Cette efficacité peut être examinée sous trois aspects : la reconnaissance de la violation (I), la prévention (II) et
la sanction (III). Étant entendu que pour protéger les libertés fondamentales, il faut repérer les atteintes, voire
parfois les prévenir ; ensuite, pour que le droit positif soit effectif, il faut un mécanisme de sanction.

I. L'EFFICACITÉ DE LA RECONNAISSANCE DE LA VIOLATION

La première fonction du juge est de constater l'atteinte à la liberté, pour autant qu’il ait été préalablement saisi.
Ce qui pose la question fondamentale de la saisine du juge. Cette question ne pose pas de problème devant le
juge judiciaire. La vraie problématique est la saisine du juge contre des actes de l'État qui peuvent porter atteinte
aux droits et libertés. Cette saisine est-elle satisfaisante en France ? Est-elle aussi largement ouverte aux citoyens
que pour les atteintes causées par des personnes privées ?

Il n'existe plus aujourd'hui en France, d'acte ou de fait dont le citoyen ne puisse demander des comptes devant
l'une ou l'autre juridiction. Depuis la réforme constitutionnelle de 2008, le justiciable peut désormais contester
directement une loi qui paraîtrait violer ses libertés. Ainsi, on ne peut plus opposer au citoyen la perfection de la
loi. Jusqu'en 2008 c'était tout de même une limite importante que d'interdire la saisine d'un ordre juridictionnel
contre une loi.

En ce qui concerne les actes de l'administration, ils n'échappent pas non plus au contrôle juridictionnel. Il y a un
immense progrès en faveur des libertés depuis le XIXème siècle. D'abord, le principe d'un contrôle des actes de
l'administration ne connaît plus d'exception de nature politique. En effet, la théorie des actes de haute politique
qui était encore invoquée au milieu du XIXème siècle pour refuser de connaître de certains actes en raison de leur
nature politique, a été abandonnée dès l'aube de la IIIème République (C.E.,19 février 1875, Prince Napoléon).

102
Quant à la théorie des actes de gouvernement telle qu'elle subsiste encore, cette théorie ne relève plus d'une
crainte du juge d'entrer dans le domaine politique. Elle relève plutôt de l'application rigoureuse du principe de
séparation des pouvoirs qui interdit au juge de connaître des actes concernant les rapports entre le
gouvernement et le parlement, ainsi que des actes relatifs à la conduite des relations internationales.

Il faut être capable de distinguer l'activité administrative du gouvernement qui est évidemment soumise au
contrôle du juge et l'activité gouvernementale qui n'en dépend pas. La décision prise par le chef d'État de
recourir à l'article 16 de la Constitution est une question délicate. Cette décision est un acte de gouvernement
dont le Conseil d’État se refuse à apprécier la légalité ou à contrôler la durée (C.E., 2 mars 1962, Rubin de Servens).

Cela étant, il semblerait que le Conseil d’État refuse parfois de contrôler la légalité d'un acte non pas parce que
cet acte échapperait par nature à ce contrôle, mais parce que le Conseil d’État craint de se confronter au pouvoir
en place. Il en va ainsi notamment de la jurisprudence C.E., 29 septembre 1995, Association Green Peace France.

En l’espèce, le président de la République, fraîchement élu, a décidé de reprendre les essais nucléaires en
Polynésie française, pour pouvoir ensuite faire des essais virtuels. L'association Green Peace France a alors décidé
de saisir le Conseil d’État d'un recours en annulation. Ce dernier va répondre que cette décision de reprise des
essais nucléaires est un acte de gouvernement parce qu'elle se rattache à la conduite des relations
internationales de la France, dans la mesure où la France a intégré un traité de non-prolifération des armes
nucléaires.

Quoi qu’il en soit, la saisine contre les actes de l'État s'est de plus en plus élargie, ce qui est hautement favorable
à la protection des libertés en France.

Une fois qu'il est saisi, l’efficacité du juge se mesure à son aptitude à déclarer la violation. Il va le faire sur le plan
technique en interprétant le droit en vigueur et en qualifiant les faits ou les actes juridiques. Si on procède à
l'examen du rôle que joue le juge français en ce qui concerne la reconnaissance d'une violation, le système
français apparaît comme largement efficace.

En particulier, si l'on examine le rôle du juge administratif en matière de protection des libertés, on doit constater
que la méfiance libérale à son égard n'a plus aucune raison de subsister. En effet, toute la construction
jurisprudentielle du droit administratif après 1873, va dans le sens de la soumission progressive de
l'administration à la légalité. Cette construction par étapes est si évidente qu'elle est apparue pour un grand
nombre d'observateurs comme « un véritable miracle ».

Quelques grands arrêts témoignent de l'avancée de la soumission de l'administration au principe de la légalité.

Il y a tout d'abord le rappel par le juge, que l'administration ne peut pas procéder à l'exécution forcée d'une
décision administrative (T.C., 2 décembre 1902, Société immobilière de Saint-Just). Il en va de même de la décision
C.E., 28 février 1919, Dames Dol et Laurent, laquelle précise qu'il existe un contrôle de la légalité même en cas
de circonstances exceptionnelles (la légalité est juste atténuée, les exigences du juge sont moindres).

Ensuite, le juge administratif soumet au contrôle de légalité, les pouvoirs de police. En ce sens, il contrôle les
pouvoirs de l’autorité administrative en matière de liberté de circulation (C.E., 8 août 1919, Labonne), de liberté
des cultes (C.E. 19 février 1909, Abbé Olivier), de liberté de réunion (C.E., 19 mai 1933, Benjamin) ou encore de
la liberté de la presse (T.C., 8 avril 1935, Action française).

Toute la théorie de l'ordre public est une construction du juge administratif. Ainsi, en contrôlant le pouvoir de
police, le juge administratif est parvenu à réaliser un équilibre entre les exigences de l'ordre public et le respect
des libertés.

Cet équilibre profite à la liberté, puisque dès que le pouvoir de police s'exerce à propos de libertés fondamentales
(expression, réunion, association, etc.), le contrôle du juge administratif est un contrôle maximum. Il vérifie
concrètement (in concreto) que la mesure de police est nécessaire pour prévenir un trouble à l'ordre public.

103
II. L'EFFICACITÉ DE LA PRÉVENTION DE LA VIOLATION

Par définition, le juge ne statue qu'a posteriori. Il ne peut pas être saisi d'une plainte avant la survenance des faits
de sorte qu'il est beaucoup plus facile pour le juge de faire cesser une atteinte et de la réparer que de l'anticiper.
La difficulté est que certains dommages qui peuvent résulter d'une interdiction du pouvoir de police, ou d'une
action matérielle sur le terrain, sont concrètement difficilement réparables.

Certaines violations peuvent laisser des traces durables de sorte que du strict point de vue des libertés, la plus
grande efficacité attendue du juge est qu'il intervienne pour cesser l'atteinte ou au moins qu'il l'anticipe. C'est
précisément pour ce type de situation qu'il existe en droit français devant le juge judiciaire la procédure de référé.

Ainsi, aux termes de l’article 873 du code de procédure civile, « Le président peut, dans les mêmes limites, et
même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en
état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement
illicite. / Dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, il peut accorder une
provision au créancier, ou ordonner l'exécution de l'obligation même s'il s'agit d'une obligation de faire ».

Cette disposition met en place un instrument juridique très satisfaisant pour anticiper et faire cesser une atteinte
grave aux libertés.

De la même sorte, selon l’article 9 du Code civil, « Chacun a droit au respect de sa vie privée. / Les juges peuvent,
sans préjudice de la réparation du dommage subi, prescrire toutes mesures, telles que séquestre, saisie et autres,
propres à empêcher ou faire cesser une atteinte à l'intimité de la vie privée : ces mesures peuvent, s'il y a urgence,
être ordonnées en référé ».

Le champ préventif est par excellence celui du juge judiciaire. Le juge administratif quant à lui, est dérangé dans
une éventuelle action préventive par les principes fondamentaux du droit administratif fondés sur la meilleure
efficacité possible de l'action administrative. Ces principes sont le privilège du préalable (quand l'administration
prend une décision, elle est présumée légale et présumée s'exécuter tout de suite), et l’absence de caractère
suspensif des procédures d’appel.

La volonté de ne pas entraver l'action de l'État ou des collectivités territoriales, marque donc les positions du juge
administratif dans cette matière. Ce dernier a toujours été réticent d’adresser à l'administration des injonctions
ou des astreintes. Depuis la réforme de 2000 relative aux procédures d'urgence, le handicap du juge administratif
a été partiellement comblé. Il n'en reste pas moins que le juge du référé par excellence, celui qui est le plus
capable de prévenir un dommage imminent, de mettre fin à un trouble illicite, demeure le juge judiciaire.

III. L'EFFICACITÉ DE LA CESSATION DE LA VIOLATION

Il s’agit de l'office du juge par excellence. L'efficacité du juge en ce qui concerne la cessation des violations se
mesure à la rapidité avec laquelle le juge peut prononcer ces décisions. Elle se mesure également au pouvoir qu'a
le juge de faire exécuter ces décisions.

Devant le juge judiciaire, il existe les voies d'exécution qui sont efficaces et permettent une exécution des
décisions assez rapide, notamment en matière des décisions de protection des libertés. En droit administratif les
choses sont un peu différentes. Encore faut-il distinguer le contentieux de l'annulation des décisions du plein
contentieux.

Sur le terrain de l'annulation (contentieux du recours pour excès de pouvoir) les décisions sont efficaces par
nature, lorsque le juge annule la décision, elle disparaît purement et simplement de l'ordonnancement juridique.
Le problème tient aux moyens dont dispose le juge pour conférer à ces décisions un effet pratique. La portée
concrète d'une annulation se mesure à l'ampleur des moyens employés par lui, sanction ou injonction sous
astreinte.

104
De ce point de vue, le juge administratif s'est longtemps distingué du juge judiciaire, puisque le Conseil d’État
considérait de façon jurisprudentielle, qu'il n'avait pas qualité pour adresser des injonctions à l'administration.
D'où cette situation étonnante que les décisions du juge administratif et par conséquent l'exécution de jugements
ou d'arrêts ayant autorité de chose jugée, dépendaient de la bonne volonté de l'administration. Il arrivait que
l'administration refuse d’exécuter les décisions du juge.

Pour cette raison, depuis la loi n° 80-539 du 16 juillet 1980 relative aux astreintes prononcées en matière
administrative et à l'exécution des jugements par les personnes morales de droit public, le juge peut prononcer
des astreintes à la demande d'un justiciable, dès lors qu'une décision de justice favorable n'a pas été exécutée
dans un délai de six mois.

Cependant, le juge n'a pas fait de cette loi, l'usage qui pouvait être attendu. C'est la raison pour laquelle la loi du
8 février 1995 a fait évoluer la situation du juge administratif. Le législateur a en effet confié au juge administratif
un pouvoir d'injonction assorti d'un délai d'exécution, mais également un pouvoir d'astreinte, et ce, afin de
contraindre toute personne morale de droit public ou tout organisme chargé de la gestion d'un service public
à cette exécution. Il y a donc un très net progrès en matière d'efficacité de la cessation de la violation, et de la
réparation de la violation.

Plus généralement, sur le terrain de la protection juridictionnelle, on attend du juge une efficacité qui dépend de
considérations très générales. On attend en effet d'un juge, particulièrement dans un État de droit, qu'il soit
indépendant et impartial.

Or, de ce point de vue, la situation française, plus particulièrement en ce qui concerne l'ordre de juridiction
administratif, est marquée par un important particularisme qui peut heurter l'observateur extérieur comme la
Cour européenne des droits de l’Homme. C'est ainsi par exemple, que sur le plan strictement organique, les
membres du Conseil d’État ont souhaité conserver leur statut réglementaire napoléonien du début du XIXème
siècle, de sorte qu'ils demeurent des fonctionnaires et non des magistrats.

Les quelques juges composant les tribunaux et cours administratives d’appel forment, depuis une loi de 1987, un
corps unique. Leur carrière se déroule indifféremment dans l’un ou l’autre des deux degrés de juridiction. Ils
bénéficient d’une garantie d’inamovibilité inscrite dans la loi du 6 janvier 1986.

La gestion de leur carrière et les procédures disciplinaires sont assurées par un Conseil supérieur des tribunaux
administratifs et cours administratives d’appel, sur le modèle du Conseil supérieur de la magistrature. Ils
disposent d’un statut qui garantit leur indépendance.

Au-delà de l'indépendance, s'est posée la question de l'impartialité des magistrats de l'ordre administratif. La
Cour européenne des droits de l’homme s'est d’ailleurs vue saisie de questions portant sur l'impartialité des
décisions prises par le juge administratif. Se posait notamment la question de la participation du commissaire du
gouvernement aux délibérés.

En effet, par tradition, le commissaire du gouvernement assistait à la délibération des juges. Cependant, dans un
arrêt CEDH, 7 juin 2001, Kress c. France, la CEDH a considéré que la présence du commissaire du gouvernement
pendant les délibérés méconnaissait le principe d’impartialité et violait l'art 6 §1 de la CESDH. Ainsi, désormais,
celui qu’on appelle le rapporteur public, n'assiste ni ne participe aux délibérés de formation de jugement.

Enfin, la dernière difficulté relative aux juridictions administratives est que lorsqu’elles sont saisies au fond, elles
mettent entre deux et trois ans pour rendre une décision. Cette difficulté a été intensifiée par le contentieux des
étrangers qui constitue plus de 40% du contentieux administratif. Se pose ainsi la question de la nécessité de
créer une juridiction spécialisée dans le contentieux des étrangers.

105
SUJETS DE RÉFLEXION

• Le dualisme juridictionnel, chance ou handicap pour la protection des libertés ?

• Existe-t-il un risque de gouvernement des juges ?

• Soutenez qu’il est nécessaire qu’un juge contrôle la conformité des normes aux droits et libertés.

106
PARAGRAPHE 2 : LES ORGANES NON-JURIDICTIONNELS

FICHE N°12 : LES AUTORITÉS ADMINISTRATIVES ET PUBLIQUES


INDÉPENDANTES

Depuis les années 1970, les débats autour de cet « oxymore juridique » sont constants. Ces controverses ont été
renforcées depuis l’adoption des lois du 20 janvier 2017 relatives aux autorités administratives indépendantes
et aux autorités publiques indépendantes.

L’indépendance des autorités administratives indépendantes est une caractéristique ontologique de ces
dernières : elles ont été spécifiquement créées pour donner plus de liberté et d’indépendance à certains
services des administrations centrales de l’État du fait qu’ils ont la responsabilité de secteurs sensibles : ceux
relatifs aux droits et libertés des individus et citoyens.

Au sens juridique du terme, l’indépendance correspond à la situation d’un organe public auquel son statut
assure la possibilité de prendre ses décisions en toute liberté et à l’abri de toutes instructions et pressions,
alors que l’autonomie concerne la vie interne d’une institution, l’indépendance se rapporte davantage à sa vie
externe.

Cependant, les autorités administratives indépendantes, le sont au sens où elles ne dépendent pas du
gouvernement. La compétence de prendre des actes administratifs exécutoires se trouve soustraite à tout
pouvoir hiérarchique ou de tutelle de la part d’une autre autorité administrative.

La définition des autorités administratives indépendantes est controversée. Paul Sabourin les cernait comme
des organes représentant d’une personne morale de droit public d’abord, puis probablement de droit privé dès
l’instant qu’elles ont reçu du législateur ou de l’exécutif la charge d’accomplir une mission de service public et, à
cet effet, l’octroi de prérogatives de puissance publique.

Pour le Conseil d’État, il ressort de son rapport public pour 2001, qu’il s’agit d’autorités qui agissent au nom de
l’État, sans être subordonnées au gouvernement, et qui bénéficient, pour le bon exercice de leurs missions, de
garanties qui leur permettent d’agir en pleine autonomie, sans que leur action puisse être orientée ou
censurée, si ce n’est par le juge.

La création des autorités administratives indépendantes relève tant du hasard que de la nécessité. On les fait
remonter généralement à des conclusions de commissaire du gouvernement, fin 1968. Mais le Conseil d’État les
fait remonter à la Commission de contrôle des banques en 1941.

Les autorités administratives indépendantes ont puisé leur source d’exemple dans le droit américain, où depuis
1887, existent des agences ou commissions indépendantes à caractère réglementaire. Elles ont été créées pour
juguler les abus les plus flagrants du développement économique, éviter les dérèglements des institutions
capitalistes en corrigeant les imperfections du marché.

En Grande-Bretagne existent les QUANGOS (Quasi- Autonomous Non Governmental Organizations), qui sont des
organismes aux attributions variées d’information, de contrôle, de réglementation sectorielle, de répartition et
d'assignation de fonds publics, de contrôle des subventions, de résolution de litiges. Leur seul élément commun
est le fait que leur responsabilité vis-à-vis des autorités politiques est indirecte et limitée.

Les autorités administratives indépendantes font l’objet de critiques constantes. En 2006, le sénateur Patrice
Gélard a procédé à un premier bilan critique de ces « objets juridiques non identifiés ».

En 2010, MM. René Dosière et Christian Vanneste ont présenté, au nom du comité d'évaluation et de contrôle
des politiques publiques de l'Assemblée nationale, un rapport d'information recommandant une réforme
d'ampleur des autorités administratives indépendantes, puis est intervenu fin 2015 le rapport fait au nom de la
commission d'enquête sur le bilan et le contrôle de la création, de l'organisation, de l'activité et de la gestion des
autorités administratives indépendantes qui inspirera fortement les propositions de lois dont résulte la réforme
législative de 2017.

107
Ainsi, les lois organiques et ordinaires du 20 janvier 2017 ont adopté un statut général des autorités
administratives indépendantes et autorités publiques indépendances, en fixant une liste fiable des entités
appartenant à ces catégories.

Ces autorités disposent de pouvoirs quasi-législatifs, quasi-exécutifs et quasi-juridictionnels, ce qui pourrait


porter atteinte au principe de séparation des pouvoirs et à l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme
et du citoyen. Dans le système juridique français, l’administration est subordonnée au Gouvernement et au
Parlement.

Cette subordination issue de l’article 20 alinéa 2 de la Constitution est ce qui qualifie le régime de
« parlementaire ». Les autorités administratives indépendantes étant soustraites au pouvoir hiérarchique et au
contrôle de tutelle, elles sont dans un statut d’irresponsabilité.

L’étude de ces autorités peut se faire au travers de l’analyse de leur composition (I), de leur fonctionnement (II)
et de leur contrôle (III). L’une de ces autorités les plus présentes en matière de défense des libertés est le
défenseur des droits (IV).

I. LA COMPOSITION DES AUTORITÉS ADMINISTRATIVES INDÉPENDANTES

L’indépendance des autorités administratives indépendantes est assurée grâce à l’indépendance des membres.

Pour cela, des règles d’incompatibilités ont été mises en place. Ainsi, l’article 8 de la loi du 20 janvier 2017
dispose que « Nul ne peut être membre de plusieurs autorités administratives indépendantes ou autorités
publiques indépendantes. Toutefois, lorsque la loi prévoit qu'une de ces autorités est représentée au sein d'une
autre de ces autorités ou qu'elle en désigne un des membres, elle peut désigner ce représentant ou ce membre
parmi ses propres membres. / Le mandat de membre d'une autorité administrative indépendante ou d'une
autorité publique indépendante est incompatible avec les fonctions au sein des services d'une de ces autorités. /
Au sein d'une autorité administrative indépendante ou d'une autorité publique indépendante, le mandat de
membre du collège est incompatible avec celui de membre d'une commission des sanctions ou de règlement des
différends et des sanctions. / Au sein du collège d'une autorité administrative indépendante ou d'une autorité
publique indépendante, certains membres peuvent faire partie d'une formation restreinte, seule compétente pour
prononcer des sanctions. Dans ce cas, ils ne peuvent pas participer aux délibérations du collège qui engagent les
poursuites ».

Ensuite, aux termes de l’article 10, « I. - À l'exception des députés et sénateurs, le mandat de membre d'une
autorité administrative indépendante ou d'une autorité publique indépendante est incompatible avec : 1° La
fonction de maire ; (…) ».

L’indépendance des membres est ensuite assurée par leur irrévocabilité, en application de l’article 6 de la loi, et
leur impartialité. En ce sens, l’article 9 de la loi prévoit le secret des délibérations. Puis, existe aussi une
interdiction de communication inter administrative au moyen d’instructions.

II. LE FONCTIONNEMENT DES AUTORITÉS ADMINISTRATIVES INDÉPENDANTES

Les autorités administratives indépendantes et les autorités publiques indépendantes se distinguent par le fait
que les secondes ont une personnalité morale (article 2 de la loi n° 2017-55 du 20 janvier 2017).

Par conséquent, elles ont la capacité juridique et disposent d’un patrimoine propre. Leur indépendance est donc
renforcée. En effet, la personnalité morale permet la jouissance d'un patrimoine, d'être dotée de droits et
d'obligations et de pouvoir les défendre en justice.

La loi précise des moyens aux mains des autorités administratives indépendantes pour mieux garantir leur
autonomie de fonctionnement.

108
Tout d’abord elles disposent d’un règlement interne. Aux termes de l’article 14 de la loi du 20 janvier 2017, « Un
règlement intérieur, adopté par le collège sur proposition de son président, précise les règles d'organisation, de
fonctionnement et de déontologie au sein de chaque autorité administrative indépendante ou autorité publique
indépendante. Il est publié au Journal officiel ».

Ensuite, elles disposent de moyens humains. Toute autorité administrative indépendante ou autorité publique
indépendante dispose de services placés sous l'autorité de son président. De même, toute autorité
administrative indépendante ou autorité publique indépendante peut employer des fonctionnaires civils et
militaires, des fonctionnaires des assemblées parlementaires et des magistrats placés auprès d'elle dans une
position conforme à leur statut et recruter des agents contractuels.

En ce qui concerne les autorités publiques indépendantes, elles ont un budget propre en application de l’article
19 de la loi. Ce budget est arrêté par le collège sur proposition de son président. Puis, aux termes de l’article 20,
leurs biens immobiliers sont soumis aux dispositions du code général de la propriété des personnes publiques
applicables aux établissements publics de l'État.

La présence de compétences définies permet aussi de sauvegarder cette indépendance. Le doyen Gélard avait
bien perçu cette particularité lorsqu'il indiquait que l'exigence de compétence contribue autant à l'indépendance
de l'autorité qu'à sa légitimité.

L’intérêt des autorités administratives indépendantes est qu’elles peuvent notamment prendre des actes
décisoires consistant à encadrer le développement d’un secteur. Elles ont la compétence de prendre des actes
administratifs exécutoires et certaines ont des pouvoirs à la fois réglementaires et répressifs.

La question se pose de savoir si cela n’est pas contraire au principe de la séparation de pouvoirs, dans la mesure
où il y a un cumul de quatre fonctions : administrative, exécutive, législative et judiciaire. C’est particulièrement
le cas pour le CSA, qui a amené le Professeur Dominique Rousseau à le qualifier de « monstre juridique ».

Pourtant, le « principe de séparation des pouvoirs » ne doit pas être observé comme un concept strict. En réalité,
les autorités disposent de compétences et tant que la répartition des compétences respecte les dispositions
constitutionnelles, la production normative et la sanction de la méconnaissance de ces normes par une même
autorité, peut être possible.

En outre, certes, l’indépendance va à l’encontre des principes traditionnels de l’administration. Mais aucune
norme constitutionnelle n’interdit cette dévolution de compétences. Les articles 20 et 21 de la Constitution ne
sont pas méconnus, puisque cette indépendance n’est pas absolue.

III. LE CONTRÔLE DES AUTORITÉS ADMINISTRATIVES INDÉPENDANTES

Les règles relatives au contrôle des autorités administratives indépendantes et autorités publiques
indépendantes figurent au titre IV de la loi. Ces règles visent le rapport annuel présenté par ces dernières,
l'audition devant les commissions parlementaires et les avis rendus sur des projets de loi et enfin l'annexe
budgétaire sur leur gestion.

Ainsi, malgré l’indépendance, il y a un contrôle minimum par les pouvoirs publics. Tout d’abord avec
l’établissement d’un rapport annuel avec un volet sur la gestion financière et une recherche d’optimisation. Aux
termes de l’article 21 de la loi, « Toute autorité administrative indépendante ou autorité publique indépendante
adresse chaque année, avant le 1er juin, au Gouvernement et au Parlement un rapport d'activité rendant compte
de l'exercice de ses missions et de ses moyens. Il comporte un schéma pluriannuel d'optimisation de ses dépenses
qui évalue l'impact prévisionnel sur ses effectifs et sur chaque catégorie de dépenses des mesures de
mutualisation de ses services avec les services d'autres autorités administratives indépendantes ou autorités
publiques indépendantes ou avec ceux d'un ministère. Le rapport d'activité est rendu public ».

Ensuite, un contrôle parlementaire est aussi possible puisque, à la demande des commissions permanentes
compétentes de l'Assemblée nationale et du Sénat, toute autorité administrative indépendante ou autorité
publique indépendante rend compte annuellement de son activité devant elles.

109
De même, l’indépendance est aussi contrebalancée par le contrôle du juge. Pourtant, le fait que certaines
d’entre elles disposent de pouvoirs de sanction, remet en cause ce contrôle : présentées habituellement comme
des organismes sous contrôle du juge en dernier ressort, elles pourraient plutôt être entendues comme des
autorités dont l’action empiète sur la sphère des compétences du juge. Cela étant, des recours contre leurs
décisions peuvent être effectués devant le juge de cassation. Au regard de leurs compétences en matière de
sanction, le Conseil constitutionnel, dans une décision C.C., 12 octobre 2012, déc. n° 2012-280 QPC, Société
Groupe Canal Plus et autre [Autorité de la concurrence : organisation et pouvoir de sanction] a, pour la première
fois, transposé à leur pouvoir de sanction, les principes et garanties applicables aux décisions des autorités
juridictionnelles.

Enfin, les autorités administratives indépendantes ne sont pas indépendantes à l’égard de la loi : le législateur
est compétent en vertu de l’article 34 de la Constitution, de fixer les règles relatives aux garanties fondamentales
accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés.

IV. L’EXEMPLE DU DÉFENSEUR DES DROITS

Aux termes de l’article 71-1 de la Constitution, « Le Défenseur des droits veille au respect des droits et libertés
par les administrations de l'État, les collectivités territoriales, les établissements publics, ainsi que par tout
organisme investi d'une mission de service public, ou à l'égard duquel la loi organique lui attribue des
compétences. / Il peut être saisi, dans les conditions prévues par la loi organique, par toute personne s'estimant
lésée par le fonctionnement d'un service public ou d'un organisme visé au premier alinéa. Il peut se saisir d'office.
/ La loi organique définit les attributions et les modalités d'intervention du Défenseur des droits. Elle détermine
les conditions dans lesquelles il peut être assisté par un collège pour l'exercice de certaines de ses attributions. /
Le Défenseur des droits est nommé par le président de la République pour un mandat de six ans non renouvelable,
après application de la procédure prévue au dernier alinéa de l'article 13. Ses fonctions sont incompatibles avec
celles de membre du Gouvernement et de membre du Parlement. Les autres incompatibilités sont fixées par la loi
organique. / Le Défenseur des droits rend compte de son activité au président de la République et au Parlement ».

Le défenseur des droits a des compétences assez larges. Il s’agit d’une seule personne, mais qui a un statut
d’autorité administrative indépendante. Il est compétent dans des matières comme les droits et libertés en
relation avec les administrations, la lutte contre les discriminations, la protection des droits de l’enfant, la
déontologie, etc. Il peut être saisi de manière assez large et notamment par des personnes privées, morales et
par des associations. Il n’a pas de pouvoir de sanction, mais peut émettre des recommandations à l’égard de
l’autorité concernée. Il peut également engager une procédure de médiation ou proposer une transaction aux
parties.

Depuis le 22 juillet 2020, le défenseur des droits est Claire Hédon.

SUJETS DE RÉFLEXION

• AAI et sanctions.

• La mise en place du défenseur des droits est-elle utile ?

110
FICHE N°13 : LES AUTRES MOYENS DE PROTECTION NON JURIDICTIONNELS

Plusieurs autres moyens de protection des droits et libertés fondamentaux, non-juridictionnels, peuvent être
envisagés. Ainsi, la protection peut être le fait des citoyens (I). Il peut aussi s’agir d’une protection politique (II),
administrative (III), du fait du législateur (IV) ou du pouvoir exécutif (V).

I. LA PROTECTION DIRECTE PAR LES CITOYENS

La philosophie du libéralisme politique qui anime profondément la théorie des droits de l’homme distingue l’État
de la société civile. Conformément à cette philosophie, l’individu est suffisamment autonome pour pouvoir
résister ou réagir face à la méconnaissance des libertés par l’État. L’idée est que l’individu demeure le meilleur
défenseur de ses intérêts et donc de ses libertés.

L’action des individus recouvre deux modalités principales. Soit, dans le cadre d’un État libéral l’individu agit dans
le cadre de la légalité étatique, c’est-à-dire que le citoyen fait usage de ses libertés pour en défendre d’autres
(A), soit, l’État méconnaît si profondément les droits, que l’individu doit alors se révolter contre cet État (B).

A. La défense des libertés par la liberté


Selon Maurice Hauriou, la liberté se protège elle-même. Cela signifie que les citoyens peuvent tirer un bénéfice
de l'usage des libertés qui leur sont reconnues. En effet, sous la III ème République, les premières grandes libertés
qui ont été reconnues (liberté de réunion, liberté de manifestation) ont été le moyen de conquérir les libertés
suivantes (liberté syndicale, droit de vote des femmes) ou de préserver d’autres libertés lorsque ces libertés
étaient menacées (liberté religieuse, liberté de l'enseignement).

En réalité, la force de l'action des citoyens vient toujours de son caractère collectif. Il s'exprime par conséquent
essentiellement par la liberté d'association, la liberté de manifestation et la liberté de réunion.

La capacité de s'associer qui permet de grouper durablement les Hommes autour d'un idéal, d'un intérêt
commun, est certainement la liberté la plus importante. La République française a longtemps craint d'accorder
cette liberté de se grouper.

Plus exactement, la loi Le Chapelier du 14 juin 1791, a anéanti toute possibilité de corporation et a fermé la porte
à la liberté d'association. En effet, la Révolution française veut en finir avec l'Ancien Régime. Or, ce dernier se
définit par un ensemble très complexe de corporations. Il faudra attendre 1901 pour que la République française
reconnaisse pleinement la liberté d'association. Mais cette loi de 1901 exclut les congrégations religieuses par
crainte de la puissance qu'on aurait pu ainsi conférer à des forces qui apparaissaient à cette époque comme
hostiles à la République.

Ainsi, ces libertés sont efficaces pour se protéger elles-mêmes, mutuellement, dans la mesure où elles constituent
un moyen de publicité, de mobilisation et de protestation. De sorte que le caractère protecteur de la liberté par
la liberté ne peut venir que d'un appel constant à l'opinion publique. Aujourd'hui, la manifestation et la réunion
publique sont les deux principales formes organisées permettant de saisir ou d'alerter l'opinion. C'est la raison
pour laquelle ces libertés doivent faire l'objet d'un soin particulier dans un État libéral.

La France du XIXème siècle distinguait très mal la manifestation de l'attroupement, qui était perçu comme le
prélude de l'émeute et donc comme un signe précurseur d'une révolution possible. L'évolution des mœurs
politiques au XXème siècle a permis de conférer à la manifestation un régime juridique très favorable. La mise en
œuvre de ce régime juridique suppose des techniques de police qui permettent d'éviter des débordements, mais
aussi confrontations.

Les réunions publiques permettent également de mobiliser les forces de protestation. C'est à propos du régime
juridique de ces réunions que le Conseil d’État a rendu l’un de ses plus grands arrêts en matière de contrôle des
motifs des mesures de police (C.E., 19 mai 1933, Benjamin).

111
Cette liberté qui se protège elle-même est essentielle dans un État démocratique. Une démocratie libérale ne
subsiste effectivement, que si les membres de cette démocratie sont attachés à leur liberté. À cet égard, les
libertés d'association, de manifestation, de réunion, sont essentielles, parce qu'elles nourrissent le débat
démocratique.

Aujourd’hui, certains dispositifs aussi permettent aux citoyens de défendre leurs libertés par les libertés. Il en va
ainsi par exemple de la loi n°2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la
corruption et la modernisation de la vie économique, dite « Sapin 2 », laquelle a créé un régime général pour la
protection des lanceurs d’alerte. Selon cette loi, « Un lanceur d’alerte est une personne physique qui révèle ou
signale, de manière désintéressée et de bonne foi, un crime ou un délit, une violation grave et manifeste d’un
engagement international régulièrement ratifié ou approuvé par la France, d’un acte unilatéral d’une
organisation internationale pris sur le fondement d’un tel engagement, de la loi ou du règlement, ou une menace
ou un préjudice graves pour l’intérêt général, dont elle a eu personnellement connaissance. Les faits, informations
ou documents, quel que soit leur forme ou leur support, couverts par le secret de la défense nationale, le secret
médical ou le secret des relations entre un avocat et son client sont exclus du régime de l’alerte ».

La protection garantie par le statut général du lanceur d’alerte selon la loi Sapin 2 (articles 6-15) est la suivante :
• Nullité des représailles (pour tous) avec aménagement de la charge de la preuve et réintégration dans
l’emploi (pour l’agent public, civil ou militaire, ou le salarié) ;

• Irresponsabilité pénale ;

• Garantie de confidentialité de l’identité du lanceur d’alerte ;

• Sanctions pénales et civiles.

Cette loi ne s’applique pas au secret de la défense nationale, au secret médical et au secret des relations entre
un avocat et son client.

Un autre dispositif est la possibilité de recourir à la pétition. Il est prévu aussi bien en droit français qu’en droit
européen. La pétition va permettre de solliciter la modification ou l’abrogation d’une loi ou la mise en place
d’une politique publique.

B. La résistance à l'oppression
Aux termes de l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, « Le but de toute association
politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l'Homme. Ces droits sont la liberté, la
propriété, la sûreté, et la résistance à l'oppression ».

La question de la résistance à l'oppression et du droit d'insurrection est dans l'optique du droit, totalement
paradoxale. Le droit constitutionnel français ne connaît la mention de la résistance à l'oppression qu'en 1789
dans la DDHC et en 1793 dans la Constitution de la Ière République. Lorsqu’en 1789 les constituants inscrivent
parmi les droits naturels et imprescriptibles de l'Homme la résistance à l'oppression, la conjoncture politique de
l'époque n'est évidemment pas sans influence.

La résistance à l'oppression est alors un principe révolutionnaire d'action pour renverser un régime ayant
oublié ou méprisé les droits de l'Homme. Par ailleurs, en 1789, l'exemple américain, la révolution américaine,
illustrait parfaitement la façon dont des hommes pouvaient concrètement sortir d'une société oppressive par la
révolte et former une autre société selon le droit naturel.

Cette résistance à l'oppression est un droit révolutionnaire. Mais très rapidement, après le moment
révolutionnaire, l'inscription d'un tel droit dans le système juridique positif va poser difficulté. En 1793, lors de la
rédaction de la Constitution de la Ière République, les Girondins vont interpréter la notion de « résistance à
l'oppression » à la façon moderne et strictement pacifique d'un contrôle de la légalité des actes de
l'administration.

112
Les montagnards quant à eux, qui sont les gardiens de l'héritage révolutionnaire, vont opposer aux Girondins une
interprétation proprement révolutionnaire, qui triomphe dans l'article 35 de cette Constitution : « Quand le
gouvernement viole les droits du peuple, l'insurrection est, pour le peuple et pour chaque portion du peuple, le
plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs ».

Il s’agit de la théorie de la révolution permanente, qui correspond aux méthodes politiques de l'époque. Cette
Constitution de la Ière République avait posé dans le corps même de la Constitution le principe de la résistance à
l'oppression. Le problème est que cette Constitution n'a jamais été appliquée en tant que telle.

Des modérés vont reprendre le pouvoir et vont en 1795 proposer une nouvelle Constitution. Ils souhaitent
contenir les ardeurs révolutionnaires. En 1795 au moment des débats constitutionnels, la question de la
résistance à l'oppression est à nouveau posée.

Le 23 juin 1795, Boissy d’Anglas prononce un discours sur le projet de Constitution, dans lequel il affirme : « Nous
avons cru de notre devoir de changer la rédaction de plusieurs articles de la déclaration des droits de l’homme,
en substituant des définitions claires à des tournures vagues, obscures et captieuses, qui ne pouvaient qu’égarer.
Cette déclaration n’est pas une loi, et il est bon de le répéter, mais elle doit être le recueil de tous les principes sur
lesquels repose l’organisation sociale ; c’est le préambule nécessaire de toute constitution libre et juste ; c’est le
guide des législateurs. Nous en avons banni avec soin tous ces axiomes anarchiques recueillis par la tyrannie qui
voulait tout bouleverser, afin de tout asservir ; ces détestables maximes, la violation de tous les principes et le
renversement de tous les droits, qui semblent autoriser chaque individu coupable à attaquer la société tout
entière, et donner à une minorité turbulente et factieuse le privilège de troubler les résolutions paisibles et justes
de la majorité du peuple, qui seule doit être souveraine ».

Dans ce discours préliminaire, Boissy d’Anglas a une position juridique et politique à la fois. Il proclame qu'il est
impossible d'énoncer les cas où l'insurrection est légitime et devient un droit. Il dégage pourtant un critère de
légitimité qui met fin à cette difficulté, en distinguant l'insurrection générale de l'insurrection partielle. Pour
lui, ou bien l'insurrection est générale et elle se passe d'apologie, ou bien elle est partielle et elle est toujours
condamnable.

Deux mois plus tard, le député Mailhe affirme : « On a dit que la déclaration des droits n’était pas une loi, mais
un exposé de principes. Si ce n’est pas une loi, il est inutile d’en faire une, car nous trouverons toujours les principes
qu’elle renferme dans les ouvrages de nos philosophes ; ils seront beaucoup moins dangereux là qu’en tête de la
constitution, dont ils pourraient amener la chute, car les écrits de nos sages n’exciteront jamais de guerres civiles.
Cependant, si vous voulez absolument une déclaration des droits dont, je le répète, je ne vois pas l’utilité, ne
mettez pas dans cette déclaration, qui n’est point une loi, des principes contraires à ce que renferme la constitution
qui est une loi, ou bien vous fournissez à tous les ignorants, à tous les factieux, à tous les turbulents les moyens
de la renverser ».

C’en était donc fini du droit de résistance dans le droit positif français. Il reste cependant un élément qui peut
être rattaché à l’idée de résistance à l'oppression, à savoir l’obligation pour un fonctionnaire, civil ou militaire, de
ne pas appliquer un ordre manifestement illégal. Cela suppose que le fonctionnaire soit en mesure de dire à
l'autorité hiérarchique que l'ordre est manifestement illégal. Cette obligation a été réactivée dans la décision C.E.,
10 novembre 1944, Sieur Langneur.

II. LA PROTECTION POLITIQUE

Il en existe un certain nombre d’instruments, notamment internationaux, qui mettent en œuvre une garantie
politique des droits et libertés fondamentaux. Il en va ainsi par exemple du Comité des droits de l’Homme. Il
s’agit d’un organe composé d’experts indépendants qui surveille la mise en œuvre du Pacte international relatif
aux droits civils et politiques par les États parties.

Tous les États parties sont tenus de présenter au Comité, à intervalles réguliers, des rapports sur la mise en
œuvre des droits consacrés par le Pacte. Le Comité examine chaque rapport et fait part de ses préoccupations
et de ses recommandations à l’État partie sous la forme d’« observations finales».

113
En outre, le premier Protocole facultatif se rapportant au Pacte permet au Comité d’examiner des plaintes
individuelles émanant de particuliers qui se disent victimes d’une violation des droits reconnus dans le Pacte.

Ces comités ne sont pas des juridictions. Ils ne rendent pas des décisions ayant autorité de la chose jugée, mais
rédigent des rapports et émettent des recommandations, lesquels n’ont pas de force juridique contraignante.

III. LA PROTECTION ADMINISTRATIVE

Au-delà des autorités administratives indépendantes, la défense administrative des droits des libertés
fondamentales peut s’effectuer grâce au médiateur européen par exemple. Il s’agit d’un organe indépendant et
impartial qui peut demander des comptes aux institutions et aux agences de l’Union européenne, et qui promeut
la bonne administration.

Le médiateur européen aide les personnes, les entreprises et les organisations qui rencontrent des problèmes
avec l’administration de l’Union européenne en enquêtant sur des plaintes relatives à des cas de mauvaise
administration de la part des institutions et organes de l’Union européenne, ainsi qu’en examinant, de sa propre
initiative, des questions systémiques plus larges. Le médiateur européen est donc l’équivalent du défenseur des
droits au niveau de l’Union européenne.

Il est aussi possible d’évoquer le rôle joué par le contrôleur général des lieux de privation de liberté. Il veille à
ce que les personnes privées de liberté soient traitées avec humanité et dans le respect de la dignité inhérente
à la personne humaine.

En effet, à l’exclusion de leur liberté d’aller et venir, les personnes privées de liberté demeurent titulaires des
droits fondamentaux tels que définis par les textes internationaux et nationaux. La mission du Contrôleur général
est alors de :

• S’assurer que les droits intangibles inhérents à la dignité humaine sont respectés ;

• S’assurer qu’un juste équilibre entre le respect des droits fondamentaux des personnes privées de
liberté et les considérations d’ordre public et de sécurité est établi ;

• Mais aussi et surtout, prévenir toute violation de leurs droits fondamentaux.

Dans le cadre de sa mission, le Contrôleur général s’attache en particulier aux conditions de détention, de
rétention ou d’hospitalisation mais aussi aux conditions de travail des personnels et des différents intervenants
en ce qu’elles impactent nécessairement le fonctionnement de l’établissement et la nature des relations avec les
personnes privées de liberté. Comme le défenseur des droits, il n’a pas de pouvoir de sanction. Au mieux, il peut
adopter des recommandations.

IV. LE RÔLE DU POUVOIR LÉGISLATIF

La proclamation constitutionnelle des droits et libertés fondamentaux ne permet pas de régler leur exercice
concret. Dès 1789, le législateur qui a été désigné comme autorité compétente pour déterminer les conditions
détaillées de l’exercice des libertés.

L’intervention du législateur est ambiguë. Sous la IIIème République, le parlementaire était considéré comme le
délégué de la liberté face au pouvoir. Puis, aux termes de l’article 5 de la DDHC : « La loi n'a le droit de défendre
que les actions nuisibles à la société. Tout ce qui n'est pas défendu par la loi ne peut être empêché, et nul ne peut
être contraint à faire ce qu'elle n'ordonne pas ». Cette disposition pose donc une présomption selon laquelle
dans le silence de la loi, la liberté s’applique.

Ainsi, dans l’idéal révolutionnaire, l’intervention de la loi ne se justifiait que dans la mesure où elle permettait de
défendre des actions nuisibles à la société. Autrement dit, les libertés naturelles se suffisaient à elles-mêmes. Il
suffisait de quelques lois pour empêcher les actions nuisibles.

114
Cependant, en réalité, aucun fait social stable ne peut se passer d’un statut juridique. En l’absence de règle
juridique précise, la liberté a un statut précaire. L’organisation des libertés est donc nécessaire. C’est donc à ce
titre que le législateur intervient.

Ainsi, sous la IIIème République on a souhaité organiser ces libertés, en adoptant la loi du 29 juillet 1881 sur la
liberté de la presse, la loi du 21 mars 1884 relative à la création des syndicats professionnels, laquelle consacre
la liberté syndicale, la loi du 30 juin 1881 sur la liberté de réunion, la loi la loi du 1er juillet 1901 relative au
contrat d'association, ou encore la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l'État.

L’intervention législative paraît protectrice d’une part en raison de ses qualités formelles (A) et, d’autre part, de
ses qualités matérielles (B).

A. La protection formelle
La protection formelle des droits et libertés par la loi s’effectue par le biais de ses conditions d’édiction. Aux
termes de l’article 4 de la DDHC, « La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui. Ainsi,
l'exercice des droits naturels de chaque homme n'a de bornes que celles qui assurent aux autres membres de la
société la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la loi ».

En effet, la loi est l’expression de la liberté générale ce qui la rend légitime dans la détermination des conditions
d’exercice des libertés. Par ailleurs, l’intervention de la loi offre des garanties, car elle est le résultat d’un dialogue
politique.

Le législateur dispose d’un domaine réservé (1), en vertu duquel il peut protéger les droits et libertés (2).

1. Le domaine réservé au législateur


L’article 34 de la Constitution dispose que :

« La loi fixe les règles concernant :

- les droits civiques et les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice des libertés publiques
; la liberté, le pluralisme et l'indépendance des médias ; les sujétions imposées par la Défense nationale aux
citoyens en leur personne et en leurs biens ;

- la nationalité, l'état et la capacité des personnes, les régimes matrimoniaux, les successions et libéralités ;

- la détermination des crimes et délits ainsi que les peines qui leur sont applicables ; la procédure pénale ;
l'amnistie ; la création de nouveaux ordres de juridiction et le statut des magistrats ;

- l'assiette, le taux et les modalités de recouvrement des impositions de toutes natures ; le régime d'émission de
la monnaie. (…) ».

En outre, le Conseil constitutionnel a donné une interprétation favorable au parlement de ces compétences
législatives et tout particulièrement en ce qui concerne les libertés. Au travers du « bloc de constitutionnalité »,
les compétences du parlement ont pu être accrues.

L’interprétation favorable et protectrice de l’action du parlement, aboutit cependant à ce que ce dernier fasse
l’objet de sanctions, particulièrement lorsque le législateur n’exerce pas toute la compétence qu’il détient de la
Constitution et qu’il délègue la détermination de certains aspects fondamentaux d’une liberté à d’autres
autorités et particulièrement au pouvoir réglementaire. Il s’agit d’un cas d’incompétence négative.

L'incompétence négative est à l'origine une notion de droit administratif et elle est généralement définie, bien
que la notion ait évolué depuis son apparition dans les écrits de Laferrière, comme le fait, pour l'autorité
compétente, de n'avoir pas utilisé pleinement les pouvoirs que les textes lui ont attribués.

115
Le Conseil constitutionnel lui-même, a pu mettre en exergue « à la une » de son site internet que « La
Constitution fixe, notamment en son article 34, le domaine de la loi. Le Conseil constitutionnel est attentif à ce
que le législateur ne reporte pas sur une autorité administrative, notamment le pouvoir réglementaire, ou sur
une autorité juridictionnelle le soin de fixer des règles ou des principes dont la détermination n’a été confiée
qu’à la loi. Pour ne pas se placer en situation d’incompétence négative, le législateur doit déterminer avec une
précision suffisante les conditions dans lesquelles est mis en œuvre le principe ou la règle qu’il vient de poser. Il
incombe, par exemple, au législateur d’assortir un dispositif mettant en œuvre un principe constitutionnel des
garanties légales suffisantes. De même l’incompétence négative est également caractérisée si le législateur
élabore une loi trop imprécise ou ambiguë. De même encore, le législateur ne peut pas renvoyer au pouvoir
réglementaire de façon trop générale ou imprécise ».

La première décision sanctionnant une incompétence négative portait sur des dispositions de procédure pénale
qui confiaient au président du tribunal de grande instance un pouvoir discrétionnaire pour décider si les délits
seraient jugés par une formation collégiale du tribunal ou par un juge unique (C.C., 23 juillet 1975, déc. n° 75-56
DC, Loi modifiant et complétant certaines dispositions de procédure pénale spécialement le texte modifiant les
articles 398 et 398-1 du code de procédure pénale).

Depuis cette décision, le Conseil constitutionnel exerce son contrôle de l'incompétence négative dans les
différentes rubriques de l'article 34 de la Constitution. Ainsi, dans sa décision C.C., 19 juin 2008, déc. n° 2008-
564 DC, Loi relative aux organismes génétiquement modifiés, le Conseil a estimé qu'en se bornant à renvoyer de
manière générale au pouvoir réglementaire le soin de fixer la liste des informations relatives aux organismes
génétiquement modifiés qui ne peuvent en aucun cas demeurer confidentielles, le législateur a méconnu
l'étendue de sa compétence eu égard à l'atteinte ainsi portée aux secrets protégés.

Dans le contentieux de la QPC, le Conseil constitutionnel considère « que la méconnaissance par le législateur de
sa propre compétence ne peut être invoquée à l'appui d'une question prioritaire de constitutionnalité que dans
le cas où cette méconnaissance affecte par elle-même un droit ou une liberté que la Constitution garantit »
(C.C., 18 juin 2012, déc. n° 2012-254 QPC, Fédération de l'énergie et des mines - Force ouvrière FNEM FO [Régimes
spéciaux de sécurité sociale]).

Le Conseil a déjà considéré que l'incompétence négative du législateur pouvait affecter notamment :

• La libre administration des collectivités territoriales (C.C., 5 octobre 2012, déc. n° 2012-277 QPC,
Syndicat des transports ²d'Île-de-France [Rémunération du transfert de matériels roulants de la Société
du Grand Paris au Syndicat des transports d'Île-de-France]) ;

• Le droit au recours juridictionnel effectif (C.C., 28 mars 2013, déc. n° 2012-298 QPC, SARL Majestic
Champagne [Taxe additionnelle à la contribution sur la valeur ajoutée des entreprises - Modalités de
recouvrement]) ;

• La liberté d'entreprendre (C.C., 1er août 2013, déc. n° 2013-336 QPC, Société Natixis Asset Management
[Participation des salariés aux résultats de l'entreprise dans les entreprises publiques]) ;

• Le droit de propriété (C.C., 27 septembre 2013, déc. n° 2013-343 QPC, Époux L. [Détermination du taux
d'intérêt majorant les sommes indûment perçues à l'occasion d'un changement d'exploitant agricole]) ;

• La liberté de communication des pensées et des opinions (C.C., 31 janvier 2014, déc. n° 2013-364 QPC,
Coopérative GIPHAR-SOGIPHAR et autre [Publicité en faveur des officines de pharmacie]) ;

• La liberté individuelle, la liberté d'aller et venir et le respect de la vie privée (C.C., 14 février 2014, déc.
n° 2013-367 QPC du 14 février 2014, Consorts L. [Prise en charge en unité pour malades difficiles des
personnes hospitalisées sans leur consentement]).

Par conséquent, la méconnaissance par le législateur de sa propre compétence est une erreur de droit. Le Conseil
constitutionnel sera alors amené à censurer la loi.

116
Ainsi, dans une décision C.C., 13 janvier 1994, déc. n° 93-329 DC, Loi relative aux conditions de l'aide aux
investissements des établissements d'enseignement privés par les collectivités territoriales, il affirme :

« Considérant qu'il résulte des dispositions et principes à valeur constitutionnelle ci-dessus rappelés que le
législateur peut prévoir l'octroi d'une aide des collectivités publiques aux établissements d'enseignement privés
selon la nature et l'importance de leur contribution à l'accomplissement de missions d'enseignement ; que si le
principe de libre administration des collectivités locales a valeur constitutionnelle, les dispositions que le
législateur édicte ne sauraient conduire à ce que les conditions essentielles d'application d'une loi relative à
l'exercice de la liberté de l'enseignement dépendent de décisions des collectivités territoriales et, ainsi, puissent
ne pas être les mêmes sur l'ensemble du territoire ; que les aides allouées doivent, pour être conformes aux
principes d'égalité et de liberté, obéir à des critères objectifs ; qu'il incombe au législateur, en vertu de l'article
34 de la Constitution, de définir les conditions de mise en œuvre de ces dispositions et principes à valeur
constitutionnelle ; qu'il doit notamment prévoir les garanties nécessaires pour prémunir les établissements
d'enseignement public contre des ruptures d'égalité à leur détriment au regard des obligations particulières que
ces établissements assument ».

Autrement dit, la liberté de l’enseignement est si importante que l’on ne saurait porter atteinte aux conditions
essentielles d’application sur l’ensemble du territoire.

Il en résulte que le parlement a un domaine réservé, ce qui permet de protéger les droits et libertés
fondamentaux. Mais il s’agit en outre d’une obligation faite au parlement d’exercer sa propre compétence.

2. La valeur protectrice de l’intervention législative


La question qui se pose ici est celle de savoir pourquoi la détermination des conditions d’exercice des droits et
libertés fondamentaux est réservée au législateur.

Aux termes de l’article 6 de la DDHC, « La Loi est l'expression de la volonté générale. Tous les Citoyens ont droit
de concourir personnellement, ou par leurs Représentants, à sa formation. Elle doit être la même pour tous, soit
qu'elle protège, soit qu'elle punisse. Tous les Citoyens étant égaux à ses yeux sont également admissibles à toutes
dignités, places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de
leurs talents ».

Ainsi, dès 1789 les auteurs de la DDHC conçoivent deux modes de formation de la volonté générale : d’une part
le référendum, d’autre part, le parlement.

Le référendum a uniquement été prévu dans les Constitutions de 1793 et 1958. Conformément à l’article 11 de
cette dernière « Le président de la République, sur proposition du Gouvernement pendant la durée des sessions
ou sur proposition conjointe des deux assemblées, publiées au Journal officiel, peut soumettre au référendum tout
projet de loi portant sur l'organisation des pouvoirs publics, sur des réformes relatives à la politique économique,
sociale ou environnementale de la nation et aux services publics qui y concourent, ou tendant à autoriser la
ratification d'un traité qui, sans être contraire à la Constitution, aurait des incidences sur le fonctionnement des
institutions (…) ».

Par conséquent, il ne concerne pas le domaine des libertés. Cela se justifie par le fait que la procédure devant
le parlement offre deux volets de garantie aux citoyens.

Tout d’abord, une garantie politique consistant dans l’intervention de représentants de la nation qui vont fixer
un régime juridique des libertés.

Ensuite, une garantie technique par l’existence d’une discussion au sein du parlement.

La procédure parlementaire, avec le dépôt de projets ou proposition, la discussion en commissions et en séance,


la possibilité de proposer des amendements, la navette parlementaire, régit un processus de discussion. Cette
dernière est fondamentale, car elle ouvre le débat.

117
B. La protection matérielle
Au-delà de la définition formelle de la loi selon laquelle il s’agit d’un texte voté par le parlement, la loi se définit
aussi matériellement. La garantie matérielle des droits et libertés fondamentaux par la loi, signifie que le
législateur intervient pour réglementer une activité humaine en lui conférant un statut juridique.

Les caractères matériels de la loi sont constitués par sa généralité, par son impersonnalité, ainsi que par sa non-
rétroactivité.

En ce qui concerne la généralité, selon Jean-Jacques Rousseau, la matière de la loi est générale, elle considère
les actions de façon abstraite. Grâce à sa généralité, elle est aussi impartiale et permet d’assurer la sécurité
juridique des citoyens. Il s’agit d’une garantie du caractère raisonnable de la loi, car elle exclut les particularités
qui, selon Rousseau, sont le fruit de la passion humaine.

Quant à son caractère impersonnel, l’article 6 de la DDHC dispose que la loi « (…) doit être la même pour tous,
soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse (…) ». Cela signifie donc que la loi est sourde aux distinctions autres que
celles des vertus et des talents.

Enfin, aux termes de l’article 8 de la DDHC, « La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment
nécessaires, et nul ne peut être puni qu'en vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et
légalement appliquée ». Si cette disposition prévoit la non-rétroactivité de la loi en matière pénale, en réalité ce
principe vaut pour l’ensemble du droit. Il s’agit de l’une des conditions de la sécurité juridique, sans laquelle il
n’y a pas de liberté.

Lorsque ces qualités matérielles de la loi sont réunies, elles produisent un effet de définition des libertés. L’article
5 de la DDHC prévoit que, « La loi n'a le droit de défendre que les actions nuisibles à la société. Tout ce qui n'est
pas défendu par la loi ne peut être empêché, et nul ne peut être contraint à faire ce qu'elle n'ordonne pas ». Il
pose donc un principe de présomption de liberté, puisque conformément à ces dispositions la liberté apparaît
comme un principe et l’intervention législative comme l’exception.

Par conséquent, il faut que le législateur intervienne avec prudence, particulièrement en matière de libertés.

Cependant, l’article 5 de la DDHC ne prend pas en considération le fait que dans une société complexe, on ne
peut se contenter d’une liberté naturelle. Les activités sociales et les libertés essentielles doivent être organisées.
En effet, donner un statut législatif à une liberté ne signifie pas simplement que des limites seront déterminées
pour son exercice, mais surtout que son déploiement pourra être effectif.

Dans l’hypothèse où le législateur n’intervient pas, l’organisation de la coexistence des libertés est conférée aux
autorités de police, sous le contrôle du juge. Or, il est préférable d’avoir un statut juridique des libertés.

Plus généralement, loi permet de conférer à une liberté, un régime juridique précis. Ainsi, aux termes de l’article
11 de la DDHC, « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de
l'homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de cette liberté
dans les cas déterminés par la loi ».

Il s’agit d’une disposition générale pour laquelle l’absence d’une concrétisation pourrait conduire à une absence
de liberté effective. Ainsi, la loi sur la liberté de la presse par exemple, permet de préciser et de déployer cette
liberté.

C. Le rôle du pouvoir exécutif


Le pourvoir réglementaire ne se distingue pas du pouvoir législatif par son aspect matériel. En effet, dans ces
deux hypothèses, il s’agit d’édicter des textes généraux, permanents et impersonnels. Cela étant, le pouvoir
réglementaire est hiérarchiquement et juridiquement inférieur au pouvoir législatif.

À ce titre, il est préférable que le pouvoir réglementaire n’intervienne pas dans l’organisation des libertés, sauf
au titre de l’exécution de la loi. Il pourra alors intervenir afin de suppléer la loi (1) ou afin de protéger l’ordre
public (2).

118
1. Suppléer la loi
Premièrement, le pouvoir réglementaire intervient effectivement pour suppléer la loi. Dans le cadre des libertés,
cette fonction doit cependant être exceptionnelle. Elle pourra exister sous condition d’autorisation législative
explicite ou implicite.

En ce qui concerne l’autorisation implicite, le pouvoir réglementaire peut intervenir dans le silence de la loi pour
réglementer les libertés. Il en allait ainsi dans la décision C.E., 8 août 1919, Labonne.

Conformément à cette décision : « Considérant que, si les autorités départementales et municipales sont
chargées par les lois, notamment par celle des 22 décembre 1789-janvier 1790 et celle du 5 avril 1884, de veiller
à la conservation des voies publiques et à la sécurité de la circulation, il appartient au Chef de l'État, en dehors
de toute délégation législative et en vertu de ses pouvoirs propres, de déterminer celles des mesures de police
qui doivent en tout état de cause être appliquées dans l'ensemble du territoire, étant bien entendu que les
autorités susmentionnées conservent, chacune en ce qui la concerne, compétence pleine et entière pour ajouter
à la réglementation générale édictée par le Chef de l'État toutes les prescriptions réglementaires supplémentaires
que l'intérêt public peut commander dans la localité ».

Cette décision se fonde donc sur une conception large de la notion d’exécution des lois, qui avait été acquise
plus tôt dans la décision C.E., 28 juin 1918, Heyriès. Dans la décision Labonne, le pouvoir réglementaire, en
l’occurrence le président de la République, se voit reconnaître une compétence qu’il ne tient pas du législateur,
une compétence propre. Cette compétence propre s’épanouit dans le domaine particulier de la police
administrative, car sa seule justification est la nécessité d’assurer l’ordre public.

Il arrive aussi que le Conseil d’État reconnaisse au pouvoir réglementaire une compétence pour intervenir dans
le domaine des libertés, lorsque le législateur n’a pas rempli la mission que lui a confié le pouvoir constituant.
Dans cette hypothèse, le Conseil d’État reconnaît une mission générale du gouvernement chargé du maintien
de l’ordre public et du bon fonctionnement du service public. Cette mission générale lui permet de prendre les
mesures nécessaires pour opérer la conciliation de l’intérêt général et de l’exercice des libertés individuelles.
C’est notamment ce que prévoit la décision C.E., 7 juillet 1950, Dehaene :

« (…) Considérant qu'en indiquant, dans le préambule de la Constitution, que "le droit de grève s'exerce dans le
cadre des lois qui le réglementent", l'assemblée constituante a entendu inviter le législateur à opérer la
conciliation nécessaire entre la défense des intérêts professionnels, dont la grève constitue l'une des modalités,
et la sauvegarde de l'intérêt général auquel elle peut être de nature à porter atteinte ;

Considérant que les lois des 27 décembre 1947 et 28 septembre 1948, qui se sont bornées à soumettre les
personnels des compagnies républicaines de sécurité et de la police à un statut spécial et à les priver, en cas de
cessation concertée du service, des garanties disciplinaires, ne sauraient être regardées, à elles seules, comme
constituant, en ce qui concerne les services publics, la réglementation du droit de grève annoncée par la
Constitution ;

Considérant qu'en l'absence de cette réglementation, la reconnaissance du droit de grève ne saurait avoir pour
conséquence d'exclure les limitations qui doivent être apportées à ce droit, comme à tout autre, en vue d'en éviter
un usage abusif ou contraire aux nécessités de l'ordre public ; qu'en l'état actuel de la législation il appartient au
gouvernement, responsable du bon fonctionnement des services publics, de fixer lui-même, sous le contrôle du
juge, en ce qui concerne ces services, la nature et l'étendue desdites limitations ;

Considérant qu'une grève qui, quel qu'en soit le motif, aurait pour effet de compromettre dans ses attributions
essentielles l'exercice de la fonction préfectorale porterait une atteinte grave à l'ordre public ; que dès lors le
gouvernement a pu légalement faire interdire et réprimer la participation des chefs de bureau de préfecture à la
grève de juillet 1948 ; (…) ».

Deuxièmement, le pouvoir réglementaire peut intervenir dans le domaine des libertés en vertu d’une délégation
expresse de la Constitution ou de la loi.

En ce qui concerne la délégation constitutionnelle, elle a lieu dans deux hypothèses.

Tout d’abord, lorsque les circonstances mettent en danger la survie de la nation. En période exceptionnelle, le
président de la République peut prendre des mesures nécessaires. En effet, aux termes de l’article 16 de la
Constitution :

119
« Lorsque les institutions de la République, l'indépendance de la Nation, l'intégrité de son territoire ou l'exécution
de ses engagements internationaux sont menacées d'une manière grave et immédiate et que le fonctionnement
régulier des pouvoirs publics constitutionnels est interrompu, le président de la République prend les mesures
exigées par ces circonstances, après consultation officielle du Premier ministre, des présidents des Assemblées
ainsi que du Conseil constitutionnel. / Il en informe la Nation par un message. / Ces mesures doivent être inspirées
par la volonté d'assurer aux pouvoirs publics constitutionnels, dans les moindres délais, les moyens d'accomplir
leur mission. Le Conseil constitutionnel est consulté à leur sujet. / Le Parlement se réunit de plein droit. /
L'Assemblée nationale ne peut être dissoute pendant l'exercice des pouvoirs exceptionnels. / Après trente jours
d'exercice des pouvoirs exceptionnels, le Conseil constitutionnel peut être saisi par le président de l'Assemblée
nationale, le président du Sénat, soixante députés ou soixante sénateurs, aux fins d'examiner si les conditions
énoncées au premier alinéa demeurent réunies. Il se prononce dans les délais les plus brefs par un avis public. Il
procède de plein droit à cet examen et se prononce dans les mêmes conditions au terme de soixante jours
d'exercice des pouvoirs exceptionnels et à tout moment au-delà de cette durée ».

Ainsi, dans la décision C.E., 2 mars 1962, Rubin de Servens le Conseil d’État affirme : « Considérant que, par
décision en date du 23 avril 1961, prise après consultation officielle du Premier Ministre et des présidents des
Assemblées et après avis du Conseil constitutionnel, le président de la République a mis en application l'article 16
de la Constitution du 4 octobre 1958 ; que cette décision présente le caractère d'un acte de gouvernement dont
il n'appartient au Conseil d'État ni d'apprécier la légalité, ni de contrôler la durée d'application ; que ladite
décision a eu pour effet d'habiliter le président de la République à prendre toutes les mesures exigées par les
circonstances qui l'ont motivée et, notamment, à exercer dans les matières énumérées à l'article 34 de la
Constitution le pouvoir législatif et dans les matières prévues à l'article 37 le pouvoir réglementaire ;

Considérant qu'aux termes de l'article 34 de la Constitution, "la loi fixe les règles concernant ... la procédure
pénale, ... la création de nouveaux ordres de juridiction" ; que la décision attaquée en date du 3 mai 1961,
intervenue après consultation du Conseil constitutionnel, tend d'une part à instituer un tribunal militaire à
compétence spéciale et à créer ainsi un ordre de juridiction au sens de l'article 34 précité, et, d'autre part, à fixer
les règles de procédure pénale à suivre devant ce tribunal ; qu'il s'ensuit que ladite décision, qui porte sur des
matières législatives et qui a été prise par le président de la République pendant la période d'application des
pouvoirs exceptionnels, présente le caractère d'un acte législatif dont il n'appartient pas au juge administratif de
connaître ».

Par conséquent, le Conseil d’État considère que l’article 16 de la Constitution transfère l’exercice du pouvoir
législatif au président de la République, de sorte que les actes du chef de l’État pris dans ce domaine, conservent
leur nature législative, même lorsque l’on revient en période normale.

Ensuite, la délégation constitutionnelle a eu lieu en application de l’article 92 de la Constitution, aux termes


duquel « Les mesures législatives nécessaires à la mise en place des institutions et, jusqu'à cette mise en place,
au fonctionnement des pouvoirs publics seront prises en conseil des ministres, après avis du Conseil d'État, par
ordonnance ayant force de loi. / Pendant le délai prévu à l'alinéa 1er de l'article 91, le Gouvernement est autorisé
à fixer par ordonnances ayant force de loi et prises en la même forme le régime électoral des assemblées prévues
par la Constitution. / Pendant le même délai et dans les mêmes conditions, le Gouvernement pourra également
prendre en toutes matières les mesures qu'il jugera nécessaires à la vie de la nation, à la protection des citoyens
ou à la sauvegarde des libertés. / La présente loi sera exécutée comme Constitution de la République et de la
Communauté ».

Lorsque le régime de la Vème République a été mis en place, le Général de Gaulle a demandé les pleins pouvoirs
législatifs pour assurer la continuité de l’État pendant quatre mois. Ainsi, le président de la République a pu
intervenir par ordonnance dans le domaine de la loi.

Quant à la délégation législative, l’article 38 de la Constitution prévoit que « Le Gouvernement peut, pour
l'exécution de son programme, demander au Parlement l'autorisation de prendre par ordonnances, pendant un
délai limité, des mesures qui sont normalement du domaine de la loi. / Les ordonnances sont prises en Conseil des
ministres après avis du Conseil d'État. Elles entrent en vigueur dès leur publication mais deviennent caduques si
le projet de loi de ratification n'est pas déposé devant le Parlement avant la date fixée par la loi d'habilitation.
Elles ne peuvent être ratifiées que de manière expresse. / A l'expiration du délai mentionné au premier alinéa du

120
présent article, les ordonnances ne peuvent plus être modifiées que par la loi dans les matières qui sont du
domaine législatif ».

Dans cette hypothèse, le pouvoir exécutif reçoit par délégation une compétence précise et limitée pour
intervenir dans le domaine législatif. Les ordonnances de l’article 38 de la Constitution conservent une nature
réglementaire tant qu’elles n’ont pas été ratifiées.

La jurisprudence du Conseil d’État apporte une précision en ce sens. Tant qu’elles ne sont pas ratifiées, elles
demeurent de nature réglementaire et donc soumises au contrôle du juge administratif. La décision C.E., 19
octobre 1962, Canal constitue un exemple en la matière. En l’espèce, par le référendum du 8 avril 1962, le peuple
souverain approuva massivement les accords d'Evian qui mettaient fin à la guerre d'Algérie.

La loi soumise à référendum autorisait également le président de la République à prendre par ordonnance ou
par décret en conseil des ministres « toutes mesures législatives ou réglementaires relatives à l'application » de
ces accords. Sur le fondement de cette habilitation, le général de Gaulle avait institué, par une ordonnance du
1er juin 1962 une juridiction spéciale, la Cour militaire de justice, chargée de juger, suivant une procédure spéciale
et sans recours possible, les auteurs et complices de certaines infractions en relation avec les événements
algériens. Condamnés à mort par cette cour, MM. Canal, Robin et Godot saisirent le Conseil d'État d'un recours
en annulation dirigé contre l'ordonnance l'ayant instituée.

Le Conseil d'État leur donna raison et prononça l'annulation de l'ordonnance en considérant que « eu égard à
l'importance et à la gravité des atteintes que l'ordonnance attaquée apporte aux principes généraux du droit
pénal, en ce qui concerne, notamment, la procédure qui y est prévue et l'exclusion de toute voie de recours », la
création d'une telle juridiction d'exception ne pouvait pas être décidée sur le fondement de l'habilitation donnée
au président de la République pour la mise en application des accords d'Evian par la loi référendaire.

Pour parvenir à cette solution, le Conseil d'État a dû tout d’abord envisager la recevabilité d'un recours dirigé
contre une ordonnance prise sur le fondement d'une habilitation accordée directement par le peuple souverain,
et qui présentait une valeur législative.

Le Conseil d'État a jugé que la loi référendaire « a eu pour objet, non d'habiliter le président de la République à
exercer le pouvoir législatif lui-même, mais seulement de l'autoriser à user exceptionnellement, dans le cadre et
dans les limites qui y sont précisées, de son pouvoir réglementaire, pour prendre, par ordonnance, des mesures
qui normalement relèvent de la loi ».

Ainsi, bien que pouvant modifier des textes législatifs, l'ordonnance conservait donc la nature réglementaire que
lui confère son auteur.

2. Maintien de l’ordre public


Aux termes de l’article 10 de la DDHC, « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu
que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public établi par la loi ».

Par conséquent, l’ordre public constitue une limite objective aux libertés. La notion d’ordre public est
indispensable dans un système juridique. Il est possible de la saisir au travers notamment de la liberté d’autrui.

En effet, notre liberté s’arrête où commence celle d’autrui. Dans un espace social, il est nécessaire de préserver
l’égale liberté d’autrui et cela est notamment possible en vertu de l’ordre public.

Le contenu matériel traditionnel de l’ordre public est exprimé par les idées de tranquillité, de sécurité et de
salubrité publiques, qui sont les composantes du pouvoir de police administrative général. À ces composantes
s’ajoute la dignité de la personne humaine notamment au travers de la décision C.E., 27 octobre 1995, Commune
de Morsang-sur-Orge.

Le maintien de l’ordre public s’exerce au moyen de prescriptions de police. Il s’agit de règles de droit qui visent à
interdire un comportement. Les autorités de police n’ont pas le choix à l’égard des mesures à prendre : soit les
autorités de police laissent un espace maximal à la liberté, soit elles interdisent un comportement précis.

Le juge administratif considère qu’une autorité de police doit prendre ses responsabilités, interdire certains
comportements, mais la liberté demeure la règle.

121
En effet, seul le législateur peut mettre une liberté sous le régime d’une autorisation.

Le maintien de l’ordre public s’exerce aussi par des opérations matérielles sur le terrain. Cette mission
appartenant à l’exécutif est placée sous le contrôle du juge administratif.

Par conséquent, les autorités de l’État disposent d’un rôle de protection des libertés. Le pouvoir réglementaire
joue un rôle secondaire, mais essentiel, d’appliquer la loi et de protéger l’ordre public.

SUJET DE RÉFLEXION

• Le juge est-il le gardien des libertés ?

122
SECTION 2 : PAR LES ORGANES EXTERNES

FICHE N°14 : LES JURIDICTIONS PÉNALES INTERNATIONALES

Sur la question de la répression pénale au niveau international, il y a eu une première ébauche du droit
international avec le Traité de Versailles du 28 juin 1919. En effet, la partie VII de ce traité accusait publiquement
l’ex-Kaiser Guillaume II d’avoir offensé la morale internationale et l’autorité sacrée des traités. L’article 227 du
traité proposait alors de constituer un tribunal spécial pour juger cet accusé d’envergure, lequel était au sens du
traité, coupable d'offenses suprêmes à la morale internationale et à l'autorité des traités. Le tribunal spécial n’a
pourtant jamais été réuni.

À la fin de la Seconde Guerre Mondiale, les crimes commis par l'Allemagne nazie et le Japon impérial, justifiaient
une répression par les juridictions internationales. Deux tribunaux spécifiques ont alors été créés : le tribunal
militaire international de Nuremberg (tribunal de Nuremberg) et le tribunal militaire international pour
l’Extrême Orient (tribunal de Tokyo).

L'effectivité du droit international va devenir urgente à la suite de la chute du mur de Berlin. Seront alors mis en
place des tribunaux pénaux internationaux. Les plus célèbres sont le tribunal pénal international créé par le
conseil de sécurité des Nations unies dans une résolution du 22 février 1993, pour connaître des violations graves
du droit humanitaire commises sur le territoire de l'ex-Yougoslavie depuis 1991. Par ailleurs sera aussi créé par
une résolution du conseil de sécurité du 8 novembre 1994, le tribunal international pénal pour le Rwanda.

Enfin, le 17 juillet 1998, avec une entrée en vigueur le 1er juillet 2002, la Cour pénale internationale a été mise
en œuvre. Il s’agit d’une juridiction permanente qui vise à la répression des crimes les plus graves qui touchent
l'ensemble de la communauté internationale : génocide, crimes contre l'humanité, crimes de guerre.

Il est donc possible d’envisager certaines juridictions ad hoc (I), avant d’étudier plus longuement la Cour pénale
internationale (II).

I. LES JURIDICTIONS AD HOC

Les exemples du tribunal militaire international de Nuremberg (A), du tribunal militaire international pour
l’Extrême-Orient (B), du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (C), ainsi que du tribunal pénal
international pour le Rwanda (D), peuvent être mis en exergue.

A. Le tribunal militaire international de Nuremberg

Le procès des principaux responsables allemands devant le Tribunal militaire international (TMI), le plus connu
des procès pour crimes de guerre après la Seconde Guerre mondiale, s'ouvrit officiellement à Nuremberg, en
Allemagne, le 20 novembre 1945, six mois et demi seulement après la capitulation de l'Allemagne. Le 18 octobre,
les chefs du parquet du TMI avaient lu les actes d'accusation contre les 24 principaux responsables allemands.

Les quatre chefs d'accusation étaient les suivants :

1. Conspiration pour commettre des crimes contre la paix, crimes de guerre et crimes contre l'humanité ;

2. Crimes contre la paix : c'est-à-dire la direction, la préparation, le déclenchement ou la poursuite d'une guerre
d'agression, ou d'une guerre en violation des traités, assurances ou accords internationaux, ou la participation à
un plan concerté ou à un complot pour l'accomplissement de l'un quelconque des actes qui précèdent ;

3. Crimes de guerre : c'est-à-dire les violations des lois et coutumes de la guerre. Ces violations comprennent,
sans y être limitées, l'assassinat, les mauvais traitements et la déportation pour des travaux forcés ou pour tout
autre but, des populations civiles dans les territoires occupés, l'assassinat ou les mauvais traitements des
prisonniers de guerre ou des personnes en mer, l'exécution des otages, le pillage des biens publics ou privés, la
destruction sans motif des villes et des villages ou la dévastation que ne justifient pas les exigences militaires ;

123
4. Crimes contre l'humanité : c'est-à-dire l'assassinat, l'extermination, la réduction en esclavage, la déportation,
et tout autre acte inhumain commis contre toutes populations civiles, avant ou pendant la guerre, ou bien les
persécutions pour des motifs politiques, raciaux ou religieux, lorsque ces actes ou persécutions, qu'ils aient
constitué ou non une violation du droit interne du pays où ils ont été perpétrés, ont été commis à la suite de tout
crime rentrant dans la compétence du Tribunal, ou en liaison avec ce crime.

Chacune des quatre nations alliées (États-Unis, Grande-Bretagne, Union soviétique, France) mit un juge et une
équipe de procureurs à disposition. Le juge britannique Geoffrey Lawrence présidait le tribunal. Les règles du
procès étaient le résultat de délicates conciliations entre les systèmes juridiques européen et anglo-américain.

B. Le tribunal militaire international pour l’Extrême-Orient


Le Tribunal international de Tokyo fut mis en place de 1946 à 1948, sur le modèle du tribunal de Nuremberg, en
Allemagne, pour juger les responsables japonais de crimes de guerre et crimes contre l'humanité.

Il a été institué par la proclamation spéciale du Commandant suprême des Forces alliées en Extrême-Orient en
date du 19 janvier 1946 pour « le juste et prompt châtiment des grands criminels de guerre d’Extrême-Orient ».

Il était composé de onze juges nommés par le Commandant en chef à partir d’une liste préparée par la
Commission pour l’Extrême-Orient (article 2 du Statut) et d’un Ministère public dirigé par un Procureur général
(américain) assisté par dix Procureurs adjoints possédant la nationalité des autres membres de la Commission.

La définition du crime contre l’humanité prévue dans le statut différait de celle du statut du Tribunal de
Nuremberg en ce que la référence à « toutes populations civiles » ne figurait pas dans le statut du Tribunal de
Tokyo. Les crimes contre l’humanité ne comprenaient pas non plus les persécutions pour des motifs religieux.

En outre, le statut ne contenait pas de disposition concernant le caractère criminel de certaines organisations
(article 9 du Statut du Tribunal militaire international de Nuremberg).

C. Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie


Le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) était une instance judiciaire de l’Organisation des
Nations Unies chargée de juger les auteurs de crimes de guerre commis pendant les conflits des années 90 dans
les Balkans.

Au cours de son mandat, de 1993 à 2017, le TPIY a irréversiblement transformé le paysage du droit international
humanitaire. Il a permis aux victimes de mettre des mots sur les horreurs dont elles ont été témoins. Bien que
le TPIY et les juridictions nationales aient compétence concurrente pour juger les violations graves du droit
international humanitaire commises en ex-Yougoslavie, le Tribunal peut faire valoir sa primauté et demander
aux instances nationales de se dessaisir en sa faveur d’une enquête ou d’une procédure menée par ces dernières,
à tout moment, dès lors qu’il en va de l’intérêt de la justice.

Le Tribunal peut aussi renvoyer les affaires dont il est saisi devant les autorités nationales compétentes de l’ex-
Yougoslavie.

Conformément à l’article 1 du Statut du TPIY, le Tribunal est compétent pour juger les personnes présumées
responsables de violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire de l’ex-
Yougoslavie depuis 1991.

Le Statut du TPIY précise aussi que la qualité officielle d’un accusé, soit comme chef d’État ou de gouvernement,
soit comme haut fonctionnaire, ne l’exonère pas de sa responsabilité pénale et n’est pas un motif de diminution
de la peine.

Aux termes de l’article 2 du Statut du TPIY, « Le Tribunal international est habilité à poursuivre les personnes qui
commettent ou donnent l’ordre de commettre des infractions graves aux Conventions de Genève du 12 août 1949,
à savoir les actes suivants dirigés contre des personnes ou des biens protégés aux termes des dispositions de la
Convention de Genève pertinente :

a. l’homicide intentionnel ;

b. la torture ou les traitements inhumains, y compris les expériences biologiques ;

124
c. le fait de causer intentionnellement de grandes souffrances ou de porter des atteintes graves à l’intégrité
physique ou à la santé ;

d. la destruction et l’appropriation de biens non justifiées par des nécessités militaires et exécutées sur une grande
échelle de façon illicite et arbitraire ;

e. le fait de contraindre un prisonnier de guerre ou un civil à servir dans les forces armées de la puissance ennemie
;

f. le fait de priver un prisonnier de guerre ou un civil de son droit d’être jugé régulièrement et impartialement ;

g. l’expulsion ou le transfert illégal d’un civil ou sa détention illégale ;

h. la prise de civils en otages ».

D. Le tribunal pénal international pour le Rwanda


Le TPIR a été le premier tribunal international à rendre des jugements contre les personnes responsables de
génocide. Le TPIR a également été la première institution à reconnaître le viol comme un moyen de perpétrer
le génocide.

Il a été créé pour juger les personnes présumées responsables d’actes de génocide ou d’autres violations graves
du Droit international humanitaire commis sur le territoire du Rwanda et sur les territoires d’États voisins entre
le 1er janvier 1994 et 31 décembre 1994. Depuis son ouverture en 1995, le Tribunal a mis en accusation 93
personnes considérées comme responsables des violations graves du Droit international humanitaire commises
au Rwanda en 1994.

II. LA COUR PÉNALE INTERNATIONALE

Il est opportun d’envisager sa création (A), sa compétence (B) et ses modalités de saisine (C).

A. Création
La Cour pénale internationale est une cour internationale permanente, qui a été créée en vue d’ouvrir des
enquêtes, de poursuivre et de juger des personnes accusées d’avoir commis les crimes les plus graves touchant
l’ensemble de la communauté internationale, à savoir le crime de génocide, les crimes contre l’humanité, les
crimes de guerre et le crime d’agression.

Le 17 juillet 1998, une conférence de 160 États a créé, sur la base d’un traité, cette première cour pénale
internationale permanente. Le traité, adopté lors de cette conférence, est connu sous le nom de « Statut de
Rome ».
Le Statut définit, entre autres, les crimes relevant de la compétence de la Cour, les règles de procédure et les
mécanismes de coopération entre les États et la Cour. Les pays qui ont accepté ces règles sont dénommés « États
parties » et sont représentés au sein de l’Assemblée des États parties.
L’Assemblée des États parties, qui se réunit au moins une fois par an, fixe les orientations générales qui
s’appliquent à l’administration de la Cour et délibère sur son activité. Au cours de ces réunions, les États parties
examinent l’activité des groupes de travail créés par les États et toute autre question d’importance pour la Cour,
débattent de nouveaux projets et adoptent le budget annuel de la CPI.
La CPI est une juridiction autonome, alors que les tribunaux spéciaux pour l’ex-Yougoslavie et le Rwanda, de
même que d’autres tribunaux du même type, créés dans le cadre de l’Organisation des Nations Unies pour
connaître de situations particulières, ne disposent que d’un mandat et d’une compétence limités.

La CPI, qui juge des personnes, se distingue également de la Cour internationale de Justice, l’organe judiciaire
principal de l’ONU, qui est chargée de régler les différends entre États.

Dans le préambule de la CPI, il est énoncé quelles ont été les raisons qui ont amené à l’instauration de la CPI.
Certains des crimes les plus odieux ont été commis au cours des conflits qui ont émaillé le XX ème siècle. Nombre
de ces violations du droit international sont, malheureusement, restées impunies.

125
Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, ont été institués les tribunaux de Nuremberg et de Tokyo. En
1948, lors de l’adoption de la Convention pour la prévention et la répression du crime de Génocide, l’Assemblée
générale des Nations Unies a reconnu la nécessité de créer une cour internationale permanente, appelée à se
prononcer sur des atrocités semblables à celles qui venaient d’être commises.
Le projet d’instituer un système de justice pénale internationale est réapparu, après la fin de la guerre froide.
Alors que les négociations sur le Statut de la CPI suivaient leur cours au sein de l’Organisation des Nations Unies,
le monde était témoin de crimes odieux sur le territoire de l’ex-Yougoslavie et au Rwanda. Le Conseil de sécurité
des Nations Unies a réagi à ces atrocités en procédant, dans les deux cas, à la création d’un tribunal ad hoc (voir
supra).

Ces événements n’ont pas manqué de peser, de façon déterminante, sur la décision de convoquer à Rome,
durant l’été 1998, la conférence qui a institué la CPI.

Le 4 octobre 2004, la CPI et l’ONU ont conclu un accord régissant leurs relations institutionnelles. Ceci est
confirmé par l’article 2 du Statut intitulé « Lien de la Cour avec les Nations Unies ». Il est disposé que « La Cour
est liée aux Nations Unies par un accord qui doit être approuvé par l'Assemblée des États Parties au présent Statut,
puis conclu par le président de la Cour au nom de celle-ci ».

B. Compétence
La Cour pénale internationale a son siège à La Haye, aux Pays-Bas. Le Statut de Rome prévoit que la Cour peut
siéger ailleurs si les juges l’estiment souhaitable. Elle a créé également des bureaux dans les zones où elle mène
des enquêtes. Elle a pour mandat de juger des personnes et d’obliger ces personnes à rendre des comptes pour
les crimes les plus graves touchant l’ensemble de la communauté internationale, à savoir le crime de génocide,
les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité et le crime d’agression.
Selon la définition qu’en donne le Statut de Rome, on entend par génocide les actes listés ci-dessous lorsqu’ils
sont commis dans l’intention de détruire, en tout ou partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux,
comme tel :
a) meurtre de membres du groupe ;
b) atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale de membres du groupe ;
c) soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique
totale ou partielle ;
d) mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe ;
e) transfert forcé d’enfants du groupe à un autre groupe.

Les crimes contre l’humanité incluent des actes commis dans le cadre d’une attaque généralisée ou
systématique lancée contre toute population civile et en connaissance de cette attaque. La liste de ces actes
recouvre, entre autres, les pratiques suivantes :
a) meurtre ;
b) extermination ;
c) réduction en esclavage ;
d) déportation ou transfert forcé de population ;
e) emprisonnement ;
f) torture ;
g) viol, esclavage sexuel, prostitution forcée, grossesse forcée, stérilisation forcée ou toute autre forme de
violence sexuelle de gravité comparable ;
h) persécution d’un groupe identifiable pour des motifs d’ordre politique, racial, national, ethnique, culturel,
religieux ou sexiste ;
i) disparition forcée de personnes ;
j) crime d’apartheid ;

126
k) autres actes inhumains de caractère analogue causant intentionnellement de grandes souffrances ou des
atteintes graves à l’intégrité physique ou mentale.

Par crimes de guerre, on vise les infractions graves aux Conventions de Genève ainsi que d’autres violations
graves des lois et coutumes applicables aux conflits armés internationaux et aux conflits « ne présentant pas un
caractère international », telles qu’énoncées dans le Statut de Rome, lorsque ces crimes s’inscrivent dans le cadre
d’un plan ou d’une politique ou sont commis sur une grande échelle.

Les Conventions des Genève sont celles qui régissent la protection des personnes dans le domaine du droit
international humanitaire. On peut citer, entre autres, parmi les actes prohibés :
a) le meurtre ;
b) les mutilations, les traitements cruels et la torture ;
c) la prise d’otages ;
d) le fait de diriger intentionnellement des attaques contre la population civile ;
e) le fait de diriger intentionnellement des attaques contre des bâtiments consacrés à la religion, à
l’enseignement, à l’art, à la science ou à l’action caritative, des monuments historiques ou des hôpitaux ;
f) le pillage ;
g) le viol, l’esclavage sexuel, la grossesse forcée ou toute autre forme de violence sexuelle ;
h) le fait de procéder à la conscription ou à l’enrôlement d’enfants de moins de 15 ans dans les forces armées ou
dans des groupes armés ou de les faire participer à des hostilités.

Tel que défini par l’Assemblée des États parties réunie à Kampala (Ouganda) entre le 31 Juin et le 11 mai 2010
pour la Conférence de révision du Statut de Rome, le crime d’agression s’entend de la planification, la
préparation, le déclenchement ou la commission d’un acte consistant pour un État à employer la force armée
contre la souveraineté, l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique d’un autre État.

Les actes d’agression comprennent notamment l’invasion, l’occupation militaire ou l’annexion par le recours à
la force et le blocus des ports ou des côtes, si par leur caractère, leur gravité et leur ampleur, ces actes sont
considérés comme des violations manifestes de la Charte des Nations Unies.
L’auteur de l’acte d’agression est une personne qui est effectivement en mesure de contrôler ou de diriger
l’action politique ou militaire d’un État.

C. Saisine

Tout État partie au Statut de Rome peut demander au Procureur d’ouvrir une enquête. Un État qui n’est pas
partie au Statut peut aussi accepter la compétence de la Cour pour des crimes commis sur son territoire ou par
l’un de ses ressortissants et demander au Procureur de mener une enquête. Le Conseil de sécurité des Nations
Unies peut également renvoyer une situation devant la Cour.
Le Procureur peut de sa propre initiative décider d’ouvrir une enquête lorsqu’il dispose d’informations fiables
sur des crimes mettant en cause des ressortissants d’un État partie ou d’un État qui a accepté la compétence de
la Cour, ou des actes commis sur le territoire d’un de ces États, et s’il conclut qu’il existe une base raisonnable
pour ouvrir une enquête. Ces informations peuvent provenir de particuliers, d’organisations
intergouvernementales ou non gouvernementales ou de toute autre source fiable. Le Procureur doit cependant
recevoir l’autorisation des juges de la Chambre préliminaire avant d’entamer proprio motu une enquête.

SUJET DE RÉFLEXION

• La Cour pénale internationale est-elle une juridiction indépendante ?

127
FICHE N°15 : LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME

À l'origine, la CEDH prétendait se rattacher aux modalités traditionnelles du droit international et les États en
étaient par conséquent les principaux vecteurs. Le mécanisme de contrôle cumulait des organes politiques et
des organes proprement juridictionnels. Simplement, ce mécanisme de contrôle a connu une pratique et une
jurisprudence qui ont considérablement développé les virtualités, ce qui a permis de développer une véritable
théorie du contrôle juridictionnel des États par la CEDH.

C'est un point qu'il faut souligner, car par rapport aux autres mécanismes de protection internationale, la
protection européenne est la plus aboutie, dans la mesure où elle a réussi à mettre en place un mécanisme de
nature juridictionnelle.

En effet, la protection européenne des droits de l'Homme repose sur un organisme juridictionnel, la CEDH, qui
se trouve à Strasbourg. Ce caractère très largement juridictionnel des mécanismes de protection est
exceptionnel en droit international des droits de l'Homme. En 1950, à l'origine, la saisine de la Cour par les États
et par les individus dépendait d'une clause facultative des traités.

En réalité, de facto, la totalité des États ont d'emblée accepté la compétence de la Cour, ils ont également admis
le droit de requête individuelle.

La CEDH dont la position est quasiment inédite en droit international des droits de l'Homme a élaboré de façon
très précise les conditions dans lesquelles son contrôle sur les États s'effectue. L'enjeu est fondamental, car les
gouvernements sont évidemment très prompts à accuser de gouvernement des juges un tribunal, a fortiori un
tribunal international.

Dans ce rapport nécessairement conflictuel qui va s'instaurer entre le juge international et les pouvoirs
nationaux, rapport qui n'est lui-même que le reflet entre les exigences de la liberté et celle du maintien de l'ordre
public, le juge européen, a tracé le cadre d'un équilibre entre la part qui doit nécessairement revenir à la libre
appréciation des États, et ce qui est nécessaire pour que le contrôle juridictionnel qu'il effectue ne soit pas vidé
de toute substance.

Il convient de distinguer la CEDH d’autres juridictions (I), avant de l’envisager plus précisément. Seront alors
étudiées sa saisine (II), la procédure (III) et les décisions pouvant être adoptées (IV). Quelques jurisprudences
d’actualité seront aussi mises en exergue (V).

I. LA DISTINCTION AVEC D’AUTRES COURS

Il est nécessaire de faire la distinction entre plusieurs organes qui ne doivent pas être confondus. Ainsi, il ne faut
pas confondre la Cour européenne des droits de l’Homme avec la CJUE et avec la CIJ. La CJUE siège à Luxembourg
et assure le respect du droit de l’UE, l’interprétation et l’application des traités instituant l’UE. La Cour de justice
interprète la législation de l’Union de manière à garantir une application uniforme du droit dans tous les pays de
l'UE. Elle statue également sur les différends opposant les gouvernements des États membres et les institutions
de l'UE. Des particuliers, entreprises ou organisations peuvent également saisir la Cour de justice s'ils estiment
qu'une institution de l'UE n'a pas respecté leurs droits.

La CIJ est l’organe judiciaire des Nations Unies, elle siège à la Haye. C’est le seul des six organes principaux des
Nations Unies à ne pas avoir son siège à New York (États-Unis d’Amérique). La mission de la Cour est de régler,
conformément au droit international, les différends d’ordre juridique qui lui sont soumis par les États et de donner
des avis consultatifs sur les questions juridiques que peuvent lui poser les organes et les institutions spécialisées
de l’Organisation des Nations Unies autorisés à le faire.

Instituée en 1959, la Cour européenne des droits de l’homme est une juridiction internationale compétente pour
statuer sur des requêtes individuelles ou étatiques alléguant des violations des droits civils et politiques énoncés
par la CESDH. Elle est composée d’un nombre de juges égal à celui des États contractants.

128
Les juges sont élus par l’Assemblée parlementaire à la majorité des voix exprimées, sur une liste de trois candidats
présentés par chaque État contractant. Initialement élus pour six ans, le Protocole n°14 dispose désormais qu’ils
ont un mandat de neuf ans non renouvelables.

Ils siègent à titre individuel et ne représentent aucun État, raison pour laquelle il n’existe aucune restriction quant
au nombre de juges possédant la même nationalité. Elle peut siéger selon quatre formations principales :

• La recevabilité peut être examinée par un juge unique en cas de requêtes manifestement irrecevables ;

• Un comité de trois juges peut déclarer irrecevable une requête individuelle et statuer sur le fond d’une
affaire qui a fait l’objet d’une jurisprudence bien établie de la CEDH ;

• Une chambre de sept juges peut statuer sur la recevabilité et le fond d’une affaire ;

• Une formation de dix-sept juges, appelée la Grande Chambre permet d’examiner les affaires qui lui sont
déférées, soit lorsqu’une affaire lui a été renvoyée par les parties, soit à la suite du dessaisissement d’une
chambre, eu égard à la présence d’une question de grande importance relative à l’interprétation de la
CESDH, ou en raison d’un risque e contradiction avec un arrêt antérieur.

Les juges peuvent joindre leurs opinions à la décision, en application de l’article 46 de la CESDH. Depuis 1998, la
Cour siège en permanence et peut être saisie directement par les particuliers.

En près d’un demi-siècle, la Cour a rendu plus de 10 000 arrêts. Ses arrêts, qui sont obligatoires pour les États
concernés, conduisent les gouvernements à modifier leur législation et leur pratique administrative dans de
nombreux domaines. La jurisprudence de la Cour fait de la Convention un instrument dynamique et puissant
pour relever les nouveaux défis et consolider l’État de droit et la démocratie en Europe.

L’encombrement de la Cour européenne des droits de l’homme a conduit à l’adoption du Protocole n° 11, lequel
réforme le mécanisme de contrôle créé par la Convention. L’objectif était de raccourcir la procédure, tout en
renforçant le caractère judiciaire du système. Ce Protocole est entré en vigueur le 1er novembre 1998 et a
remplacé les anciennes Cour et Commission qui fonctionnaient à temps partiel par une Cour unique permanente.

Le nombre de recours demeurant trop important, un Protocole n°14 le 13 mai 2004 et entré en vigueur le 1 er juin
2010 a été adopté, tendant à modifier la procédure devant la CEDH. En effet, 95% des requêtes qui lui étaient
adressées étaient irrecevables.

Le Protocole n°14 introduit plusieurs modifications :

• Il modifie l’article 59 de la Convention pour prévoir l’adhésion de l’Union européenne à la CESDH ;

• Il met en place des nouvelles formations juridictionnelles chargées des affaires peu complexes. Alors
qu’antérieurement, les décisions d’irrecevabilité étaient prises par un comité de trois juges, elles le sont
désormais par un juge unique, assisté de rapporteurs non membres des organes judiciaires. En outre
lorsque l’affaire fait partie d’une série d’affaires, conséquence d’une même déficience structurelle au
niveau national (affaires répétitives), elle est déclarée recevable et tranchée par un comité de trois juges
au lieu d’une chambre de sept juges antérieurement ;

• Il prévoit que les requêtes ne sont recevables qu’à condition que le requérant puisse justifier d’un
« préjudice important ». La CEDH a ainsi considéré qu’un préjudice de 150 euros n’est pas
important (CEDH, 19 octobre 2010, Rinck c. France). Puis, elle estime qu’une violation de la Convention
peut concerner une question de principe et causer un préjudice important, sans avoir une incidence
patrimoniale (CEDH, 27 juillet 2010, Korolev c. Russie ; CEDH, 28 juin 2010, Adrian Mihai Ionescu c.
Roumanie) ;

• Il prévoit que le Comité des Ministres peut introduire une action en manquement devant la Cour contre
un État qui refuserait de se conformer à un arrêt. Le Comité des Ministres peut aussi demander à la
CEDH de préciser l’interprétation d’un arrêt.

129
L’une des caractéristiques de la Cour est que pour garantir l’effectivité des droits et libertés garantis par la
Convention ainsi que l’uniformité de sa mise en œuvre, les notions dégagées par la Cour sont des notions
autonomes : l’interprétation qui est faite des droits et libertés fondamentaux est propre à la Cour et se fait
donc indépendamment de l’interprétation qui peut être faite d’une même liberté fondamentale à l’échelle
nationale.

Cependant, cela ne signifie pas que la CEDH détermine le sens des termes ex nihilo. En effet, elle va se livrer à un
exercice de droit comparé, en analysant plusieurs droits, afin de déterminer si un consensus peut se dégager. Il
en va ainsi par exemple dans l’arrêt CEDH, 15 novembre 2018, Navalnyy c. Russie : il s’agissait d’une personne
ayant fait l’objet de très nombreuses arrestations. Plusieurs points sont abordés, dont celui qui concerne la liberté
de réunion, de manifestation. Effectivement, dans cet arrêt, la Cour va s’intéresser à l’article 11 de la Convention
qui porte sur le droit de réunion et va dégager une nouvelle notion autonome, celle de « réunion pacifique ».

La Russie sera alors condamnée, car la Cour a mis en évidence que la Russie empêchait des personnes de
manifester. Or, la liberté de manifestation est une liberté fondamentale dans les sociétés démocratiques. En
reconnaissant cette notion de réunion pacifique, la CEDH renforce la portée de la liberté de réunion.

Un élément important, concerne le principe de subsidiarité qui dirige l’action de la CEDH. Ce principe permet
une plus grande effectivité du contrôle, car la Cour a dû faire face à une augmentation très importante du
nombre de saisines et grâce au renforcement du principe de subsidiarité, la Cour s’est donné le moyen de
résorber le nombre d’affaires en attente.

La CEDH a en effet rappelé le caractère subsidiaire du mécanisme européen de garanties des droits de l'Homme
et qu’ainsi, à ses yeux, les États sont les instruments prioritaires de protection des droits reconnus par la
Convention. Cela signifie qu'il y a une CESDH signée et ratifiée par les États et c'est à eux qu'il appartient en
priorité de mettre en œuvre ces droits.

Dans une affaire CEDH, 7 décembre 1977, Handyside c. Royaume-Uni, la Cour précise que la Convention confie
en premier lieu à chacun des États contractants le soin d'assurer la jouissance des droits et libertés qu'elle
consacre. Les institutions créées par elle (dont la CEDH) y contribuent de leur côté par le jeu de la voie
contentieuse et après épuisement des voies de recours interne.

Il en résulte une priorité de l'État dans la mise en œuvre de la liberté ou d'un droit garanti par la Convention.
L'État dispose ainsi d'un pouvoir d'initiative et d'une liberté dans le choix des moyens.

La CEDH reconnaît le rôle de l'État par rapport à celui du juge européen. Elle établit le plus clairement possible la
distinction entre la mission de politique et celle de l'ordre juridictionnel européen. C'est la raison pour laquelle
la CEDH ne cesse de rappeler dans ses décisions que les États disposent dans la mise en œuvre des droits garantis
par la convention d'une marge d'appréciation.

Du point de vue juridictionnel, il s'agit de reconnaître la priorité de l'appréciation locale sur celle que le juge
international peut porter a posteriori. La reconnaissance de ce pouvoir discrétionnaire des États, c'est-à-dire de
cette marge nationale d'appréciation ne signifie bien évidemment pas que la Cour abandonne son pouvoir de
contrôle. Simplement ce pouvoir de contrôle est un pouvoir qui apparaît comme subsidiaire, c'est-à-dire un
contrôle qui n'intervient qu'en dernier lieu, lorsqu'il apparaît à la Cour qu'il y a eu violation.

L'autre aspect de cette subsidiarité est le refus par la Cour d'exercer sur les règles de droit interne un contrôle
in abstracto. Cela signifie que le juge européen se refuse à émettre une appréciation sur la règle de droit elle-
même. Le juge européen n'entend bien juger que in concreto, dans les circonstances concrètes de l'affaire. En
réalité, il se borne à constater que tel ou tel État a placé le requérant dans une situation concrète incompatible
avec la Convention.

Ce contrôle qui est subsidiaire est également un contrôle étendu. En effet, le caractère subsidiaire du mécanisme
de contrôle et le respect de la marge d'appréciation des États n'ont pas pour effet de réduire le pouvoir de
contrôle de la Cour.

130
En réalité, ce pouvoir de contrôle de la Cour est très étendu et son extension ne dépend que de la capacité de la
Cour de s'autolimiter. En effet, si on lit le texte de la CESDH on voit qu'il précise que les restrictions à ces droits
et ces libertés doivent, pour être justifiées, être nécessaires dans une société démocratique.

Donc le juge européen devient le juge de la nécessité des mesures prises par les États. On a virtuellement un
contrôle qui est un contrôle de la proportionnalité des mesures prises par l'État, ce qui donne au juge européen
un pouvoir remarquable.

L’autolimitation de la Cour explique que l'intensité du contrôle soit inégale selon les différentes libertés en cause
et selon les situations. En fonction de la précision des textes, en fonction des finalités légitimes qui peuvent
autoriser une limitation des libertés, le contrôle est plus ou moins exigeant, plus ou moins étendu.

La nature du droit en cause joue également. Ainsi par exemple, le caractère emblématique de la liberté
d'expression dans une démocratie rend le juge européen bien plus vigilent que pour d'autres aspects des droits
de l'Homme.

Le juge européen se montre également sensible dans ses appréciations à l'existence ou non d'un dénominateur
commun dans les différents droits nationaux. L'idée est que les règles seront d'autant plus contraignantes qu'il
y aura une large communauté de vue parmi les États membres. Ainsi, à propos d'un certain nombre d'affaires,
le juge européen ne sanctionne qu'à l'appui d'un large dénominateur commun parmi les États européens. Ainsi
par exemple, faute d'un consensus européen sur la question du mariage homosexuel, la CEDH reconnaît une large
marge d'appréciation en ce qui concerne le champ d'application de l'article 12 de la CESDH sur le droit au
mariage.

Le contrôle du juge européen est aussi étendu parce que la Cour reste entièrement maîtresse de l'interprétation
de la règle, c'est-à-dire des stipulations de la CESDH. Dans un arrêt CEDH, 6 novembre 1980, Guzzardi c. Italie, la
Cour précise que la CESDH s'interprète à la lumière des conceptions prévalant de nos jours, dans les États
démocratiques.

Cette méthode d'interprétation implique une interprétation évolutive de la Convention, parce que les règles de
la démocratie évoluent avec le temps. Cette méthode de l'interprétation a particulièrement triomphé au sujet de
l'article 8 de la Convention qui garantit le respect de la vie privée. C'est en effet à propos de cet article 8 que la
Cour a développé pour la première fois la théorie des obligations positives des États.

Cette théorie est la base essentielle de l'interprétation extensive de certains droits garantis. Comme elle le
souligne dans un arrêt CEDH, 13 juin 1979, Marckx c. Belgique, à cet engagement plutôt négatif, peuvent s'ajouter
des obligations positives inhérentes à un respect effectif de la vie familiale. Cet arrêt est un tournant dans
l'histoire de la Cour européenne, car à partir de lui, la Cour ne va pas se contenter de constater des violations
fondées sur une ingérence excessive, elle va rechercher l'effectivité d'un droit, et cette recherche de l'effectivité
du droit est le motif essentiel du dynamisme de cette jurisprudence. Cette interprétation dynamique permet
d'aller au-delà de ce que les États souverains avaient accepté au moment de la rédaction de la Convention.

Cette approche manifeste le caractère « vivant » de la Convention, dans le sens où l’interprétation de la


Convention est évolutive. En effet, il peut être constaté que le catalogue des droits et libertés fondamentaux
augmente avec le temps, avec les protocoles additionnels. En outre, la Cour peut faire évoluer sa jurisprudence
lorsqu’un nouveau consensus entre les États apparaît.

II. LA SAISINE DE LA COUR

La Convention distingue deux types de requêtes : les requêtes individuelles, introduites par un individu, un
groupe d’individus ou une organisation non gouvernementale estimant que leurs droits ont été violés, et les
requêtes interétatiques, introduites par un État contre un autre État.

Sur ce second point, l’article 33 prévoit que « toute Haute Partie contractante peut saisir la Cour de tout
manquement aux dispositions de la Convention et de ses Protocoles qu’elle croira pouvoir être imputée à une
autre Haute Partie contractante ».

131
L’article 47 dispose quant à lui que la CEDH peut, « à la demande du Conseil des ministres, donner des avis
consultatifs sur des questions juridiques concernant l’interprétation de la Convention et de ses Protocoles ». En
application de cette disposition, deux avis portant sur des questions relatives aux listes de candidats présentées
en vue de l’élection des juges de la CEDH ont été rendus (CEDH, GC, 12 février 2008 et 22 janvier 2010).

En réalité, depuis sa création, la quasi-totalité des requêtes a été introduite par des particuliers, qui ont saisi
directement la Cour en alléguant une ou plusieurs violations de la Convention. Toute personne physique, toute
organisation non gouvernementale ou tout groupe de particuliers qui se prétend victime d’une violation des
droits reconnus dans la CESDH et dans ses Protocoles a la faculté de présenter une requête individuelle en
application de l’article 34 de la CESDH. Les requêtes doivent nécessairement être introduites contre un ou
plusieurs États ayant ratifié la Convention.

Toute requête qui serait dirigée contre un autre État ou contre un particulier, par exemple, sera déclarée
irrecevable.

Par ailleurs, les recours devant la CEDH sont subsidiaires. L’intéressé doit d’abord saisi les instances nationales,
même non juridictionnelles (article 13). Les recours internes doivent avoir été épuisés pour que la saisine de la
CEDH soit admise (article 35 ; CEDH, 7 mars 1994, Whiteside c. Royaume-Uni).

Pour que le recours soit recevable, le requérant doit invoquer une violation par un État contractant de l’un des
droits garantis par la Convention.

L’acte ou les actes contestés doivent émaner d’une autorité publique de cet État (par exemple un tribunal ou
une administration publique). Elle ne peut pas se prononcer sur les plaintes dirigées contre des particuliers ou
des institutions privées.

Conformément à l’article 35 §1 CESDH, la Cour ne peut être saisie qu’après l’épuisement des voies de recours
internes, tel qu’il est entendu selon les principes de droit international généralement reconnus, et dans un délai
de six mois à partir de la date de la décision interne définitive.

Par conséquent, avant de saisir la Cour, le requérant doit avoir utilisé tous les recours judiciaires présents dans
l’État en cause ou démontrer que ces recours ne pouvaient être efficaces.

III. LA PROCÉDURE DE LA COUR

La procédure est écrite. La personne qui a saisi la Cour, sera informée par écrit de toute décision prise par la Cour.
L’audience est publique à moins que la Cour n’en décide autrement en raison de circonstances exceptionnelles.
La Cour examine l’affaire de façon contradictoire avec les représentants des parties. L’examen du dossier est
gratuit. Bien que la présence d’un avocat ne soit pas nécessaire au début de la procédure, cette obligation
s’impose dès que la requête est notifiée au gouvernement. Cependant, dans la grande majorité des cas, les
requêtes sont déclarées irrecevables avant d’être notifiées au gouvernement.

Le saisissant n’a à supporter que ses propres frais (tels les honoraires d’avocat ou les frais de recherche et de
correspondance). Après l’introduction de la requête, le requérant peut demander à bénéficier d’une assistance
judiciaire. Cette assistance, qui n’est pas automatique, n’est pas accordée immédiatement mais seulement à un
stade ultérieur de la procédure.

À tout moment de la procédure, la Cour peut se mettre à la disposition des intéressés en vue de parvenir à un
règlement amiable de l’affaire s’inspirant du respect des droits de l’homme tels que les reconnaissent la
Convention et ses protocoles.

L’action est dirigée contre l’État partie à qui incombe l’obligation de respecter les droits de l’homme (article 1er).
Conformément à l’article 36 §2, le président de la Cour peut demander à toute autre partie de présenter des
observations écrites ou de prendre part aux audiences, dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice.

132
IV. LA DÉCISION

Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses protocoles, et si le droit interne de l’État
concerné ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie
lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable.

Les décisions de la Cour sont recouvertes par l’autorité de la chose jugée (A), ainsi que de la chose interprétée
(B).

A. Autorité de la chose jugée


Les arrêts, ainsi que les décisions déclarant des requêtes recevables ou irrecevables, sont motivés. Si l’arrêt
n’exprime pas en tout ou en partie l’opinion unanime des juges, tout juge a le droit d’y joindre l’exposé de son
opinion séparée.

Les arrêts de violation sont obligatoires pour les États condamnés qui sont tenus de les exécuter (article 46 §1
CESDH). Le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe veille à ce que les arrêts soient exécutés (article 46 §2
CESDH).

Ce contrôle consiste à vérifier que :

• Toute satisfaction équitable octroyée par la CEDH est payée telle qu’ordonnée par la Cour. En effet, si la
Cour constate une violation, elle peut accorder une « satisfaction équitable », qui consiste en une
compensation financière de certains préjudices. La Cour peut également exiger que l’État concerné vous
rembourse les frais que vous avez engagés pour faire valoir vos droits. Si la Cour ne constate pas de
violation, vous ne devrez payer aucun frais supplémentaires (notamment les frais engagés par l’État
défendeur) ;

• Des mesures individuelles sont prises, si nécessaire, afin d’assurer que la partie lésée soit remise dans
la même situation qu’avant la violation de la CESDH (ex : réouverture de procédures judiciaires
nationales, octroi d’un permis de séjour, etc.) ;

• Des mesures générales sont prises, si nécessaire, afin d’éviter de nouvelles violations similaires de la
CESDH (ex : amendements constitutionnels, législatifs ou réglementaires, revirement jurisprudentiel)

Il faut noter la Cour n’a pas compétence pour annuler les décisions ou les lois nationales. Ses arrêts ont un
caractère déclaratoire lorsqu’ils constatent une violation d’un droit protégé par la Convention, puisqu’ils ne vont
pas faire cesser par eux-mêmes cette violation (CEDH, 13 juin 1979, Marckx c. Belgique).

Ainsi, dans les arrêts Kemmache du 3 février 1993 et Saidi du 4 mai 1994, la Cour de cassation a considéré qu’un
arrêt de la CEDH constatant le non-respect d’un des droits garantis par la Convention permettait à celui qui s’en
prévalait de demander réparation, mais restait sans incidence sur la validité des procédures relevant du droit
interne.

Cela étant, le caractère obligatoire des arrêts de la CEDH oblige, en principe, l’État à modifier la norme litigieuse,
en la mettant en conformité avec les dispositions de la CESDH. L’exécution des arrêts ne relève pas de la Cour,
même si dans un arrêt Vermeire du 29 novembre 1991, elle a considéré qu’un État qui n’applique pas les principes
dégagés dans un précédent arrêt aux nouvelles affaires risque un nouveau constat de violation de la Convention.

Dès que la CEDH a rendu son arrêt, celui-ci passe sous la responsabilité du Comité des Ministres du Conseil de
l’Europe qui est chargé de contrôler son application et de veiller au versement des éventuelles réparations
financières. Le Protocole n°14 a ajouté deux nouvelles procédures relatives à l’exécution des arrêts de la Cour.

Ainsi, en application de l’article 46 §2, le Comité des ministres a la possibilité, lorsque saisi par vote aux deux tiers
de ses membres, de demander à la Cour de clarifier le sens d’un arrêt, en cas de difficultés d’interprétation.
L’article 46 §3 permet au Comité des ministres de demander à la Cour par un vote à la majorité des deux tiers,
de dire si un État a correctement exécuté un arrêt rendu contre celui-ci.

133
B. Autorité de la chose interprétée
Il s’agit de l’autorité de la jurisprudence de la Cour. Elle a le monopole de l’interprétation des articles de la
Convention. De ce fait, la portée des arrêts de la CEDH dépasse celle des jugements simplement déclaratoires.
En effet, si la solution de la Cour dans une affaire n’est ni imprécise ni incomplète, le juge national doit appliquer
la solution de la Cour dans les affaires similaires.

De plus, la portée s’étend à tous les États parties à la Convention. L’État ne peut pas ignorer l’arrêt de la Cour et
doit veiller à faire disparaître les dispositions similaires de son droit national sous peine d’être ultérieurement
condamné pour violation de la Convention.

Les condamnations de la France ont conduit assez souvent à des modifications législatives ou à des revirements
jurisprudentiels. Ainsi par exemple en ce qui concerne l’arrêt CEDH, 1er février 2000, Mazurek c. France.

V. ACTUALITÉS

Dans son rapport annuel, dont le dernier date de 2020, la Cour donne les affaires phares de l’année. En 2020, il
y a eu quatre arrêts phares concernant la France :

• CEDH, 2 juillet 2020, N.H. et autres c. France : sur les conditions de vie de demandeurs d’asile adultes
se trouvant dans l’impossibilité de bénéficier d’un hébergement et de conditions de vie décentes. La
Cour estime que les autorités françaises ont manqué à leurs obligations prévues par le droit interne et
qu’elles « doivent être tenues pour responsables des conditions dans lesquelles [les requérants] se sont
trouvés pendant des mois, vivant dans la rue, sans ressources, sans accès à des sanitaires, ne disposant
d’aucun moyen de subvenir à leurs besoins essentiels et dans l’angoisse permanente d’être attaqués et
volés. ». Selon la Cour, cette situation est constitutive « d’un traitement dégradant témoignant d’un
manque de respect pour leur dignité » et « a, sans aucun doute, suscité chez eux des sentiments de
peur, d’angoisse ou d’infériorité propres à conduire au désespoir ». Elle conclut que « de telles
conditions d’existence, combinées avec l’absence de réponse adéquate des autorités qu’ils ont alertées
à maintes reprises sur leur impossibilité de jouir en pratique de leurs droits et donc de pourvoir à leurs
besoins essentiels, et le fait que les juridictions internes leur ont systématiquement opposé le manque
de moyens dont disposaient les instances compétentes au regard de leurs conditions de jeunes majeurs
isolés, en bonne santé et sans charge de famille » sont contraires à l’article 3 de la Convention.

• CEDH, 25 juin 2020, Ghoumid et autres c. France : la Cour européenne des droits de l’homme dit, à
l’unanimité, qu’il y a eu non-violation de l’article 8 (droit à la vie privée) de la CESDH. L’affaire concerne
cinq binationaux qui furent condamnés pour participation à une association de malfaiteurs dans un
contexte terroriste, libérés en 2009 et 2010 puis déchus de leur nationalité française en octobre 2015.
La Cour rappelle, comme elle l’a souligné à plusieurs reprises, que la violence terroriste constitue en
elle-même une grave menace pour les droits de l’homme. Les requérants ayant tous une autre
nationalité, la décision de les déchoir de la nationalité française n’a pas eu pour conséquence de les
rendre apatrides. De plus, la perte de la nationalité française n’emporte pas automatiquement
éloignement du territoire, et si une décision ayant cette conséquence devait être prise en leurs causes,
les requérants disposeraient de recours dans le cadre desquels ils pourraient faire valoir leurs droits.
Enfin, la Cour observe que la déchéance de nationalité prévue par l’article 25 du code civil n’est pas une
punition pénale, au sens de l’article 4 du Protocole n° 7 et que cette disposition n’est donc pas
applicable.

• CEDH, 11 juin 2020, Baldassi et autres c. France : la Cour européenne des droits de l’homme dit qu’il y
a eu à la majorité, non-violation de l’article 7 (pas de peine sans loi) de la CESDH, et, à l’unanimité,
violation de l’article 10 (liberté d’expression) de la Convention. Ces affaires concernent la plainte de
militants de la cause palestinienne pour leur condamnation pénale pour incitation à la discrimination
économique, en raison de leur participation à des actions appelant à boycotter les produits importés
d’Israël dans le cadre de la campagne BDS « Boycott, Désinvestissement et Sanctions ». La Cour observe
qu’en l’état de la jurisprudence à l’époque des faits, les requérants pouvaient savoir qu’ils risquaient
d’être condamnés sur le fondement de l’article 24, alinéa 8, de la loi du 29 juillet 1881 en raison de
l’appel à boycott des produits importés d’Israël. La Cour constate que les actions et les propos reprochés

134
aux requérants relevaient de l’expression politique et militante et concernaient un sujet d’intérêt
général. La Cour a souligné à de nombreuses reprises que l’article 10 §2 ne laisse guère de place pour
des restrictions à la liberté d’expression dans le domaine du discours politique ou de questions d’intérêt
général. Par nature, le discours politique est souvent virulent et source de polémiques. Il n’en demeure
pas moins d’intérêt public, sauf s’il dégénère en un appel à la violence, à la haine ou à l’intolérance. La
Cour considère que la condamnation des requérants n’a pas reposé pas sur des motifs pertinents et
suffisants. Elle n’est pas convaincue que le juge interne ait appliqué des règles conformes aux principes
consacrés à l’article 10 et se soit fondé sur une appréciation acceptable des faits.

• CEDH, 8 octobre 2020, Ayoub et autres c. France : la Cour dit à l’unanimité, qu’il y a eu non-violation
de l’article 11 (liberté de réunion et d’association) de la CESDH, lu à la lumière de l’article 10 (liberté
d’expression). Les affaires concernent les dissolutions administratives d’un groupement de fait
(l’association Troisième Voie et son service d’ordre) et de deux associations (l’Œuvre française et les
Jeunesses nationalistes) d’extrême-droite. La Cour considère que la mesure de dissolution de
l’association Troisième Voie et de son service d’ordre, les Jeunesses nationalistes révolutionnaires, visait
à la protection de la sûreté publique et des droits d’autrui et à la défense de l’ordre, tous buts légitimes
aux fins de l’article 11 §2 de la Convention. Compte tenu des éléments du dossier et du contexte – le
décès, le 5 juin 2013, de C.M., étudiant à Sciences po et membre de la mouvance antifasciste, dans une
rixe avec à des skinheads – la Cour admet que les autorités ont pu considérer qu’il existait des motifs
pertinents et suffisants pour démontrer un « besoin social impérieux » d’imposer la dissolution de ces
associations pour prévenir les troubles à l’ordre public et y mettre fin. La Cour observe que les
associations l’Œuvre française et les Jeunesses nationalistes ainsi que leurs dirigeants poursuivaient des
buts prohibés par l’article 17 de la Convention et avaient abusé de leur liberté d’association, en
contradiction avec les valeurs de tolérance, de paix sociale et de non-discrimination qui sous-tendent la
Convention.

Par ailleurs, dans un arrêt CEDH, 22 juillet 2021, la Cour dit, à l’unanimité, qu’il y a eu non-violation de l’article 3
(interdiction de la torture et des traitements inhumains et dégradants) de la CESDH, et non-violation de l’article
13 (droit à un recours effectif) combiné avec l’article 3 de la Convention.

L’affaire concerne le renvoi vers le Maroc d’un requérant qui invoquait le risque d’être exposé à des
traitements contraires à l’article 3 en raison de son origine sahraouie et de son militantisme en faveur de cette
cause.

Sur un plan général, la Cour juge que les ressortissants marocains militant en faveur de l’indépendance du Sahara
occidental et de la cause sahraouie constituent un groupe particulièrement à risque.

Dans le cas particulier, la Cour partage, au vu de l’ensemble des circonstances de l’espèce, la conclusion à laquelle
sont arrivés l’Office français de protection des réfugiés et des apatrides (OFPRA), la Cour nationale du droit d’asile
(CNDA) et les tribunaux administratifs de Paris et de Melun qui se sont prononcés dans des décisions dûment
motivées, compte tenu de l’absence d’éléments précis au dossier étayant les allégations du requérant tenant à
ses craintes liées à son engagement pour la cause sahraouie et aux recherches menées par les autorités
marocaines pour le poursuivre et le retrouver.

La Cour relève par ailleurs que l’intéressé d’autre part n’a présenté devant elle aucun document ni élément
autres que ceux qu’il avait déjà produits devant les autorités nationales et en déduit qu’il ne ressort pas des
pièces du dossier qu’il existerait des motifs sérieux et avérés de croire que le renvoi du requérant au Maroc l’a
exposé à un risque réel d’être soumis à un traitement contraire à l’article 3 de la Convention.

En ce qui concerne l’effectivité des recours mis à la disposition du requérant dans l’ordre interne, la Cour constate
que celui-ci a bénéficié à quatre reprises de recours suspensifs de l’exécution de son renvoi vers le Maroc.

Dans le cadre de ces différents recours, il a été entendu à quatre reprises et il a été mis à même, en dépit de la
brièveté des délais, de faire valoir utilement ses prétentions grâce aux garanties – assistance d’un interprète,
accompagnement par une association conventionnée, désignation d’un avocat au titre de l’aide juridictionnelle
– dont il a effectivement bénéficié.

135
Au terme d’une appréciation globale de la procédure, la Cour en déduit que les voies de recours exercées par le
requérant, considérées ensemble, ont revêtu, dans les circonstances particulières de l’espèce, un caractère
effectif.

Il n’y a donc pas eu violation de l’article 13 combiné avec l’article 3 de la Convention.

SUJETS DE RÉFLEXION

• La saisine de la CEDH.

• L'influence de la Cour européenne des droits de l'homme sur la jurisprudence de la Cour de cassation
et du Conseil d'État.

136
CHAPITRE 4 : LES PRINCIPES PROCÉDURAUX DES DROITS ET LIBERTÉS
FONDAMENTAUX

FICHE N°16 : LE DROIT AU PROCÈS ÉQUITABLE

Aux termes de l’article 6 §1 de la CESDH, « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement,
publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera,
soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en
matière pénale dirigée contre elle. Le jugement doit être rendu publiquement, mais l'accès de la salle d'audience
peut être interdit à la presse et au public pendant la totalité ou une partie du procès dans l'intérêt de la moralité,
de l'ordre public ou de la sécurité nationale dans une société démocratique, lorsque les intérêts des mineurs ou la
protection de la vie privée des parties au procès l'exigent, ou dans la mesure jugée strictement nécessaire par le
tribunal, lorsque dans des circonstances spéciales la publicité serait de nature à porter atteinte aux intérêts de la
justice ».

Il est opportun d’envisager le champ d’application de cette disposition (I), avant d’envisager les garanties du droit
à un procès équitable (II).

I. LE CHAMP D’APPLICATION

En matière procédurale, la CESDH a reconnu le droit à un procès équitable dans son article 6 §1 (CEDH, 9 octobre
1979, Airey c. Irlande ; CEDH, 13 mai 1980, Artico c. Italie). Il en va ainsi notamment du droit de tout accusé à
être effectivement défendu par un avocat (CEDH, 24 novembre 1993, Imbrioscia c. Suisse ; CEDH, 14 octobre
2010, Brusco c. France) et à un double degré de juridiction en matière pénale (Protocole additionnel n°1).

La notion de « droit à un procès équitable » fait l’objet d’une internationalisation, laquelle transparaît
notamment par l’article 14-1 du Pacte relatif aux droits civils et politiques du 16 décembre 1966 et par l’article
47 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne du 7 novembre 2000.

En effet, selon le Pacte, « 1. Tous sont égaux devant les tribunaux et les cours de justice. Toute personne a droit
à ce que sa cause soit entendue équitablement et publiquement par un tribunal compétent, indépendant et
impartial, établi par la loi, qui décidera soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre
elle, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil. (…) ».

La Charte quant à elle, dispose que « Toute personne dont les droits et libertés garantis par le droit de l'Union ont
été violés a droit à un recours effectif devant un tribunal dans le respect des conditions prévues au présent article.
Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable
par un tribunal indépendant et impartial, établi préalablement par la loi. Toute personne a la possibilité de se
faire conseiller, défendre et représenter. Une aide juridictionnelle est accordée à ceux qui ne disposent pas de
ressources suffisantes, dans la mesure où cette aide serait nécessaire pour assurer l'effectivité de l'accès à la
justice ».

Le droit au procès équitable est saisi différemment en matière civile (A) ou pénale (B). Des spécificités doivent
aussi être soulevées concernant les contentieux administratif (C) et constitutionnel (D).

A. Le droit au procès équitable en matière civile


L’article 6 §1 est applicable à toutes les procédures dans lesquelles existe une contestation sur des droits et
obligations à caractère civil. Il convient de remarquer que la conception du droit civil dans la CESDH est plus
large qu’en droit français, puisqu’elle englobe des matières qui relèvent du droit public en France, notamment
en matière disciplinaire ou l’accès des professions réglementées (CEDH, 23 juin 1981, Le Compte c. Belgique).

137
Selon la CEDH, « l'esprit de la convention commande de ne pas prendre ce terme – ‘contestation’ – dans une
acception trop technique et d'en donner une définition matérielle plutôt que formelle ». La contestation peut
porter aussi bien sur l'existence même d'un droit que sur son étendue ou ses modalités d'exercice.

En outre, elle peut porter aussi bien sur des points de fait que sur des questions juridiques. Cela suppose, en
plus de l’existence d’un contrôle de pleine juridiction permettant de corriger les erreurs de fait, que l’objet de
la contestation relève des fonctions du juge.

Enfin, la contestation doit avoir un caractère réel et sérieux (CEDH, 23 septembre 1982, Lönnroth c/ Suède), ce
qui implique que la demande ne soit pas totalement dépourvue de chance de succès en droit interne et renvoie
au deuxième critère d'applicabilité.

Quant à l’existence de droits et obligations, il faut qu’ils aient leur source dans le droit interne de l'État
défendeur. Selon la Cour, ils doivent être « au moins de manière défendable, reconnus en droit interne » (CEDH,
21 février 1986, James et a. c/ Royaume-Uni). Ainsi, la Cour ne se reconnaît pas le droit de créer « un droit
matériel n'ayant aucune base légale dans l'État concerné » (CEDH, 3 avril 2012, Boulois c/ Luxembourg) mais se
limite, dans la détermination de l’existence d’un droit, à vérifier si le « droit » a une base légale en droit interne,
tel qu'il est interprété par les juridictions nationales.

Cependant, la Cour ne s'arrête pas à la qualification de droit ou d'obligation donnée par le droit interne en cause
et elle fait parfois abstraction du droit interne pour affirmer que la notion de « droit » est une « notion
autonome » au sens de l'article 6.

En ce qui concerne le caractère civil, la Cour européenne a estimé, dans son arrêt CEDH, 16 juillet 1971, Ringeisen
que « les termes français ‘contestations sur des droits’ et ‘obligations de caractère civil’ couvrent toute procédure
dont l'issue est déterminante pour des droits et obligations de caractère privé ».

Par conséquent, peu importe la nature de la loi (civile, commerciale, administrative...) suivant laquelle la
contestation doit être tranchée et celle de l'autorité compétente en la matière (juridiction, de quelque ordre
qu'elle soit, organe administratif, autre).

Malgré l’extension de la notion de « droits et obligations de caractère civil », certaines zones demeurent exclues
du procès équitable. La Cour entend d’ailleurs mettre en place des limites à l’extension du champ d’application
« civil » de l’article 6 (CEDH, 12 juillet 2001, Ferrazzini c/ Italie).

Tout d’abord, il en va ainsi des procédures qualifiées par le juge européen « de nature administrative et
discrétionnaire », lesquelles impliquent l'exercice de prérogatives de puissance publique. Ainsi par exemple,
l'article 6 est inapplicable aux procédures relatives aux taxations fiscales (CEDH, 9 décembre 1994, Shouten et
Meldrum c/ Pays-Bas).

Le Conseil d'État se prononce dans le même sens, considérant que « le juge de l'impôt ne statue ni sur des
contestations relatives à des droits et obligations de caractère civil, ni sur des accusations en matière pénale »
(C.E., 2 juin 1989, Bussoz).

L’exclusion vaut aussi en matière de police des étrangers, concernant les procédures d’octroi de l’asile politique
ou d’éloignement du territoire. Il en va de même pour une procédure en relèvement d'interdiction du territoire
français.

Ensuite, la Cour européenne considère que l'article 6 est inapplicable au contentieux électoral (CEDH, 21 octobre
1997, Pierre-Bloch c/ France).

B. Le droit au procès équitable en matière pénale

En matière pénale, l'article 6 §1 de la CESDH vise le « bien-fondé de toute accusation en matière pénale ». Ainsi,
pour appliquer cette disposition, il est nécessaire qu’existe une « accusation », en « matière pénale ». Ces deux
expressions ont des acceptions autonomes.

La notion d’accusation se définit comme « la notification officielle, émanant de l'autorité compétente, du


reproche d'avoir accompli une infraction pénale » (CEDH, 27 février 1980, Deweer).

138
Par conséquent, « l'arrestation, l'inculpation, l'ouverture des enquêtes préliminaires peuvent être considérées
comme des accusations au sens de l'article 6, paragraphe 1, puisque ces opérations portent sur une infraction
pénale » (CEDH, 27 juin 1968, Wemhoff).

Cependant, l’article 6 §1 ne s'applique pas en principe aux procédures qui ne portent pas sur le bien-fondé de
l'accusation et ne déterminent ni la culpabilité ni la peine.

En ce qui concerne la « matière pénale », la Cour européenne a défini cette notion dans sa décision Engel et
autres du 8 juin 1976 par trois critères.

Tout d’abord, la qualification donnée par le droit interne de l'État en cause n'a qu'une valeur relative. Si les
dispositions nationales prévoient que l’infraction est pénale, la Cour va retenir cette qualification sans analyser
d’autres critères. En revanche, si ce n’est pas le cas, si le droit interne n’est pas clair, les autres critères entrent
en ligne de compte.

Ensuite, le second critère est relatif à la nature même de l'infraction. La Cour va s’intéresser à l’objectif, au but
de l’infraction (punitif, dissuasif…).

Enfin, le troisième critère concerne la gravité de la sanction encourue. La Cour s’intéresse à la sanction maximale
prévue et non pas à la sanction réellement infligée.

Les deux derniers critères sont en principe alternatifs et non cumulatifs, ainsi que le rappelle l'arrêt CEDH, 22
février 1996, Putz c/ Autriche.

Ainsi, si un critère est rempli, l’ensemble des garanties issues du droit au procès équitable doivent être
appliquées à la procédure. Toutefois, la Cour ne s'interdit pas, si l'analyse de chaque critère ne permet pas
d'aboutir à une conclusion claire, de procéder à une approche cumulative (CEDH, 24 février 1994, Bendenoun c/
France).

C. Le droit au procès équitable dans le contentieux administratif


Au sein de l’ordre juridictionnel administratif, le Conseil d’État assure une double fonction : d’une part, il gère
les carrières des membres des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel et, d’autre part, il
juge leurs décisions.

Selon le Conseil d’État, cette dualité de fonctions ne méconnaît ni le principe constitutionnel d'indépendance
des membres de ces juridictions, ni le droit à un procès équitable garanti par la convention européenne de
sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (C.E., 26 mai 2010, M. Marc-Antoine et
autres).

Il a depuis longtemps consacré le droit d'accès aux tribunaux, notamment en érigeant en principe général du
droit applicable même en l'absence de texte, la possibilité de former un recours en cassation contre les décisions
des juridictions administratives statuant en dernier ressort (C.E., 7 février 1947, D'Aillières) ou des juridictions
de toute nature statuant en dernier ressort (C.E., 12 juill. 1969, L'Étang).

De même, l'arrêt ministre de l’Agriculture c/ Dame Lamotte (C.E., 17 février 1950) a érigé en principe général du
droit applicable sans texte la possibilité de former un recours pour excès de pouvoir contre tout acte administratif
unilatéral.

Se pose la question de savoir s'il peut exister des immunités juridictionnelles qui dérogent au droit d'accès aux
tribunaux, sans enfreindre donc l'article 6 §1 de la CESDH. Selon la CEDH, de telles immunités sont admissibles
et concernent surtout les États et les organisations internationales.

Mais il peut exister aussi des immunités qui ne relèvent pas du droit international. Il peut être observé dans la
jurisprudence administrative française certaines hypothèses de refus d'accès à un tribunal. Il en va ainsi par
exemple concernant l'impossibilité de contester les mesures d'ordre intérieur. Il en va de même en ce qui
concerne les actes de gouvernement, lesquels concernent les rapports des pouvoirs publics entre eux ou les
relations de la France avec d'autres États ou avec des organisations internationales (voir fiche sur le juge
administratif).

139
D. Le droit au procès équitable dans le contentieux constitutionnel
La tendance de juridictionnalisation du Conseil constitutionnel conduit à remodeler la procédure pour le contrôle
des lois. Il faut distinguer deux phases dans le contrôle de constitutionnalité des lois pour l'applicabilité de
l'article 6 §1 de la CESDH concernant les exigences d'un procès équitable. D'un côté, il y a le contrôle a priori des
lois et de l'autre le contrôle a posteriori des lois.

Le contrôle a priori des lois, contrôle abstrait et préventif, tend à l'annulation d'une loi par le juge avant sa
promulgation. Il ne porte pas sur des droits subjectifs et ne se rapporte pas à une contestation civile ou à une
accusation pénale. Il ne convient pas de parler à propos de ce contrôle de « procès » car il n'y a pas véritablement
de parties. Or, l'article 6 §1 de la CESDH ne s'applique qu'aux Cours constitutionnelles dotées du pouvoir de
remédier aux violations constatées, en annulant les normes controversées ou les décisions rendues par les
tribunaux inférieurs ou en tirant du constat de la violation, d'autres conséquences juridiques.

Il convient de rajouter qu'avant la réforme de la question prioritaire de constitutionnalité, le Conseil


constitutionnel était le seul juge en Europe à avoir été exempté de l'application de cet article à la procédure du
fait notamment du caractère particulier de la saisine. Olivier Dutheillet de Lamothe et Marc Guillaume ont
souligné dans plusieurs articles la non-applicabilité de l'article 6 §1 au contrôle a priori de constitutionnalité des
lois.

Depuis la réforme du contrôle a posteriori des lois, se pose la question de l'applicabilité de l'article 6 §1 CESDH.
Cette question reste en suspens alors même que l'on se trouverait en présence d'un litige entre deux parties et
que le caractère objectif du « procès » reste palpable. Pour invoquer l'applicabilité de cet article, cela ne sera
possible qu'en avançant l'une des deux conditions : la contestation civile ou l'accusation pénale.

Le Conseil constitutionnel est aujourd'hui conscient de l'enjeu de la nécessité de respecter les principes de
l'article 6 §1 CESDH comme il a pu le démontrer dans sa décision du 4 février 2010 portant sur le règlement
intérieur de la procédure suivie par la question prioritaire de constitutionnalité en vue de la garantie des droits
lors de son contrôle a posteriori.

Des principes sont intégrés dans la procédure a posteriori du contrôle de constitutionnalité de lois comme le
respect du contradictoire ou de l'égalité des armes permettant un juste équilibre entre les parties.

Il convient d'évoquer d'autres principes découlant de l'interprétation de l'article 6 §1 de la CESDH devant le


Conseil constitutionnel, comme le délai raisonnable de trois mois pour statuer ou les garanties d'indépendance
et d'impartialité du tribunal. On peut citer comme exemple l’application de l'article 4 du règlement intérieur de
la procédure suivie pour la question prioritaire de constitutionnalité, concernant l'impartialité, puisque le Conseil
constitutionnel permet aux membres de s'abstenir de siéger lorsque ces derniers ont pu, au préalable, participer
à l'élaboration, à la promulgation ou la critique de la disposition contestée.

En intégrant le respect de ces principes dans la procédure devant le Conseil constitutionnel pour le contrôle a
posteriori des lois, il convient de souligner la prise en compte de la qualité des requérants par le Conseil
constitutionnel qu'il considère, pour le type de procédure, comme de véritables parties. Cela va véritablement
dans le sens d'une « juridictionnalisation de la procédure » : les requérants sont considérés comme des parties,
et le Conseil constitutionnel respecte leurs droits garantis par l'article 6 §1 de la CESDH.

L'applicabilité de cet article permet donc une avancée dans le sens de l'approfondissement du respect du droit
et la légitimation du Conseil constitutionnel en tant que juridiction dans sa fonction de juger.

Cependant, même si le Conseil Constitutionnel applique aujourd'hui les grands principes de l'article 6 §1 à la
procédure, la Cour européenne des droits de l'Homme reste moins contraignante dans l'application du respect
de sa Convention à la procédure que les autres juridictions ordinaires. Elle accepte de prendre en compte la
spécificité des missions du juge constitutionnel. Avec l'intégration des principes de la CESDH dans sa procédure,
le Conseil constitutionnel tend à s'impliquer dans un processus juridictionnel.

Malgré les garanties accordées dans la procédure a posteriori dans le contrôle des lois, celle-ci n'est pas parfaite
et le contrôle a priori reste extrêmement déficitaire de garantie des droits. La volonté de conserver ces
spécificités a souvent été contredite et plusieurs propositions ont été avancées pour améliorer la procédure.

Concernant le caractère contradictoire de la procédure, cette contradiction impose à la juridiction l’obligation


de mettre les parties à même de discuter les différents moyens et arguments soulevés à l’occasion de l’instance.

140
La Cour européenne des droits de l’Homme a d’ailleurs rappelé cette exigence de contradictoire et son caractère
primordial, y compris devant le juge constitutionnel, dans un arrêt CEDH, 23 juin 1993, Ruiz Mateos c. Espagne.

Jean-Claude Colliard, ancien membre du Conseil constitutionnel, soulignait cette exigence de contradictoire dans
le cadre du contrôle a priori des lois en affirmant, dans les Cahiers du conseil constitutionnel qu’il continue à «
trouver impensable que les parlementaires qui ont voté la loi ne viennent pas la défendre lorsqu’elle est contestée
». C’est en effet le secrétariat général du gouvernement qui le fait.

On peut cependant voir une évolution avec différents moyens tendant à rendre la procédure plus contradictoire.
Le rôle du rapporteur se voit ainsi de plus en plus accru puisqu'il reçoit des notes écrites de la part du Secrétariat
général du gouvernement et peut organiser des réunions de travail avec divers intervenants.

Cela étant, c’est surtout la mise en place de la QPC qui montre une nouvelle fois, la véritable évolution tendant
à la mise en place d’une véritable procédure contradictoire devant le Conseil constitutionnel. En effet, il ne
peut y avoir juridiction que dans la contradiction, puisque des parties sont indirectement impliquées dans cette
procédure comme nous l’avons vu auparavant.

En ce sens, le règlement intérieur du Conseil constitutionnel définit une procédure pleinement contradictoire
dans le cadre de ce contrôle a posteriori, qui s’articule en deux temps, avec une instruction écrite et une
audience publique. Ces différentes pratiques montrent l’instauration d’un véritable procès constitutionnel dans
le cadre du contrôle a posteriori tout du moins.

On doit ainsi se réjouir de ce changement, puisque ce principe du contradictoire, comme le souligne Jean-Louis
Debré, ne doit pas être vécu par le juge comme une contrainte juridique car l’expérience prouve l’efficacité d’une
telle procédure.

II. LES GARANTIES DU DROIT À UN PROCÈS ÉQUITABLE

Le droit à un procès équitable se décline en droit à un tribunal (A), indépendant et impartial (B), avec une
procédure publique (C) et une décision rendue dans un délai raisonnable (D).

A. Le droit à un tribunal
Le droit à un tribunal doit être effectif (1), mais cette obligation n’est pas sans limites (2).

1. Les exigences
Le droit à un tribunal est un droit inhérent au droit à un procès équitable. Il implique d'une manière générale, le
droit d'avoir un accès concret et effectif à un tribunal. Il s’agit de l'une des garanties du procès équitable et non
d’une condition d'applicabilité de l'article 6 de la CESDH. Ce droit n'est pas absolu et peut faire l'objet de
limitations spécifiques.

Le droit à un tribunal ne signifie pas nécessairement la possibilité de recours devant une juridiction
« classique ». Ainsi, la notion de « tribunal » reçoit une acception autonome au sens de la convention (CEDH, 27
août 2002, Didier c. France).

Le tribunal se caractérise par sa fonction juridictionnelle : « Trancher, sur la base de normes de droit et à l'issue
d'une procédure organisée, toute question relevant de sa compétence » (CEDH, 22 octobre 1984, Sramek).

Cela suppose un organe judiciaire de pleine juridiction. C’est-à-dire que le contrôle du juge ne doit pas être trop
limité, sous peine de vider le droit au tribunal de sa substance. Un contrôle restreint à l'examen de la motivation
des faits et au détournement de la procédure ne suffit pas. Il s'ensuit que la compétence de décider, et plus
précisément le pouvoir de rendre « une décision obligatoire, qu'une autorité non judiciaire n'aurait pas le
pouvoir de modifier », est inhérente à la notion même de tribunal.

141
En matière pénale le droit d’accès à un tribunal signifie que l’accusé a droit à ce que la décision relative au bien-
fondé de l’accusation en fait et en droit soit prise par un tribunal qui remplit les garanties de l’article 6 (CEDH, 27
février 1980, Deweer c. Belgique).

Les États membres peuvent cependant avoir une marge d’appréciation. Ainsi, des restrictions à ce droit au
tribunal peuvent être apportées, dès lors qu’elles ont un but légitime et proportionné.

2. Les restrictions
Les restrictions peuvent être d’ordre procédural (a), mais il est aussi possible que certains actes fassent l’objet
d’une immunité de juridiction (b).

a. Règles procédurales

Les restrictions peuvent être tout d’abord d’ordre procédural. Ainsi, les règles procédurales de droit interne
relatives aux formalités et aux délais à respecter pour former un recours visent à assurer la bonne
administration de la justice et le respect du principe de sécurité juridique, mais elles ne sauraient restreindre
l'accès à un tribunal de manière à ce que le droit à un tribunal soit atteint dans sa substance même.

La CEDH a notamment validé l’existence d’un délai de prescription, car l’objectif est de préserver la sécurité
juridique (CEDH, 11 mars 2014, Howarldmoore c. Suisse).

D'une manière générale, une interprétation déraisonnable par le juge interne d'une règle de procédure ou d'une
formalité ayant entraîné l'irrecevabilité d'un recours, constitue une violation du droit d'accès à un tribunal (CEDH,
25 janvier 2000, Miragall Escolano c. Espagne).

Dans l'esprit de la jurisprudence européenne, la Cour de cassation a notamment jugé que le bref délai dans lequel
l'action en garantie des vices cachés doit s'inscrire en vertu de l'article 1648 du Code civil ne constitue pas une
restriction inadmissible au droit d'agir (Cass. 1ère civ., 21 mars 2000, Le Collinet), ou encore qu’une erreur de pure
forme dans la désignation de l'intimé ne doit pas être sanctionnée par l'irrecevabilité définitive de l'appel car
cela serait contraire au droit d'accès à un tribunal garanti par l'article 6 (Cass. ass. plén., 6 décémbre 2004, Banco
di Sicilia).

b. Immunités de juridiction

Cela concerne tout d’abord les organisations internationales. Leur immunité est destinée à assurer le bon
fonctionnement de ces organisations. Il s’agit d’une limitation du droit d'accès à un tribunal compatible avec
l'article 6 dès lors que les requérants disposent en droit interne d'autres voies de droit pour protéger leurs
droits garantis par la Convention (CEDH, 18 février 1999, Beer et Regan c/ Allemagne).

La Cour de cassation juge dans le même sens. Elle a ainsi jugé que l'immunité d'exécution d'une organisation
internationale n'est pas incompatible avec l'article 6 §1 dès lors que le justiciable dispose « d'une voie de droit
propre à rendre effectif son droit d'accès à un tribunal » (Cass. 1ère civ., 25 mai 2016, n° 15-18.646).

Il en va de même en ce qui concerne les États. La règle de l'immunité de juridiction des États, ne saurait passer
pour disproportionnée, puisqu'elle reflète « des principes de droit international généralement reconnus »
destinés à favoriser la courtoisie et les bonnes relations entre États (CEDH, 21 novembre 2001, Al-Adsani c/
Royaume-Uni). Cependant, le juge européen renonce ici à l'exercice de son contrôle sur l'existence d'une voie de
recours alternative.

De plus, la Cour considère que l'immunité de l'État offre en principe aux agents de l'État, à raison des actes
accomplis pour le compte de ce dernier, la même protection que celle accordée à l'État lui-même.

En droit interne, peut être relevée l’existence d’une immunité parlementaire. Cela favorise la liberté d’expression
pour les représentants du peuple et évite leur poursuite. Mais ces immunités doivent être encadrées. L’immunité
doit être liée à leur exercice stricto sensu.

142
B. Tribunal indépendant et impartial
L’indépendance (1) et l’impartialité (2) du tribunal peuvent être envisagées séparément.

1. L’indépendance
Les tribunaux doivent être indépendants à l’égard des parties et surtout à l’égard du pouvoir exécutif.

L'indépendance du tribunal s'apprécie au regard de critères objectifs tenant :

• Au statut du juge
• Au mode de désignation et à la durée du mandat
• À l’inamovibilité ou quasi-inamovibilité de celui-ci
• À l’impossibilité juridique de lui donner des instructions dans l'exercice de ses fonctions
• À l’existence d'une protection contre les pressions extérieures

Ainsi, l'intervention d'une autorité indépendante des pouvoirs exécutif et législatif pour toute décision touchant
à la cessation du mandat d'un juge est une garantie de l'indépendance judiciaire de même que le principe de
l'inamovibilité des juges est « un élément crucial pour la préservation de l'indépendance de la justice » (CEDH, 23
juin 2016, Baka c. Hongrie).

L'indépendance s'apprécie aussi au regard d'un critère subjectif tenant à l’ « apparence d'indépendance » aux
yeux du justiciable (CEDH, 25 février 1997, Findlay c. Royaume-Uni). En effet, la Cour européenne accorde une
importance variable aux « apparences ». C'est sur le fondement des « apparences » qu'elle constate le défaut
d'indépendance de la section du contentieux du Conseil d'État du fait que l'un de ses membres, ayant siégé lors
du délibéré d'un arrêt rendu dans le cadre d'une procédure dirigée contre le ministère de l'Économie et des
Finances, ait été nommé un mois plus tard secrétaire général de ce ministère.

Par ailleurs, le pouvoir législatif ne peut pas commettre une quelconque ingérence dans les procédures en
cours. Ainsi, par exemple, le législateur ne peut pas légiférer simplement parce qu’il y a une affaire pénale en
cours et qu’il souhaite répondre à une infraction commise.

Dans sa décision n° 80-119 du 22 juillet 1980, Loi portant validation d'actes administratifs, le Conseil
constitutionnel affirme : « Considérant qu'il résulte des dispositions de l'article 64 de la Constitution en ce qui
concerne l'autorité judiciaire et des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République en ce qui
concerne, depuis la loi du 24 mai 1872, la juridiction administrative, que l'indépendance des juridictions est
garantie ainsi que le caractère spécifique de leurs fonctions sur lesquelles ne peuvent empiéter ni le législateur
ni le Gouvernement ; qu'ainsi, il n'appartient ni au législateur ni au Gouvernement de censurer les décisions des
juridictions, d'adresser à celles-ci des injonctions et de se substituer à elles dans le jugement des litiges relevant
de leur compétence ». Ainsi, il n’appartient ni au législateur ni au gouvernement de censurer les décisions,
d’adresser une injonction ou de se substituer à l’autorité judiciaire dans les litiges relevant de leur compétence.

2. L’impartialité
Derrière la notion d’impartialité, il y a celle de confiance que doivent inspirer les tribunaux. La CEDH met en
exergue l’impartialité sous deux angles.

Tout d’abord l’impartialité subjective s’intéresse au for intérieur du juge. Est posée une présomption réfragable
selon laquelle les magistrats jugent sans préjugés.

Dans un arrêt Cass. civ 2ème, 24 juin 2004, n° 0214509, la Cour de cassation affirme l’existence d’une présomption
simple d’impartialité personnelle du président d’un tribunal qui adhérait à un syndicat de magistrat et devait
connaître d’un litige civil qui concernait un parti politique.

Dans un arrêt Civ 2ème, 14 septembre 2006, n° 0420524, la Cour de cassation considère que viole l’article 6 §1 de
la CESDH le juge de proximité qui statue dans son jugement dans des termes injurieux et manifestement
incompatibles avec l’exigence d’impartialité. En effet, pour condamner Mme X., le jugement retient notamment
« la piètre dimension de la défenderesse qui voudrait rivaliser avec les plus grands escrocs, ce qui ne constitue
nullement un but louable en soi sauf pour certains personnages pétris de malhonnêteté comme ici Mme X... dotée

143
d'un quotient intellectuel aussi restreint que la surface habitable de sa caravane, ses préoccupations
manifestement strictement financières et dont la cupidité le dispute à la fourberie, le fait qu'elle acculait ainsi
sans état d'âme et avec l'expérience de l'impunité ses futurs locataires et qu'elle était sortie du domaine virtuel
où elle prétendait sévir impunément du moins jusqu'à ce jour, les agissements frauduleux ou crapuleux perpétrés
par elle nécessitant la mise en œuvre d'investigations de nature à la neutraliser définitivement ».

Ensuite, l’impartialité objective consiste à se demander si, indépendamment de la conduite personnelle du juge,
certains faits vérifiables autorisent à suspecter l'impartialité de ce dernier. Il s’agit notamment du cas où l’un des
membres ou les membres ont déjà eu à connaître de l’affaire. L’idée est qu’un juge ne peut intervenir deux fois
dans la même affaire lorsque sa première intervention lui a fait prendre position ou émettre une appréciation
qui apparaît objectivement comme pouvant avoir une influence sur sa seconde intervention (Civ 2ème, 4
décembre 2003, n°0116420).

C. Publicité
La publicité est un principe fondamental. Il s’agit d’un moyen de protection des justiciables contre une injustice
complète et elle constitue l’un des moyens permettant de préserver la confiance dans la justice (CEDH, 26
septembre 1995, Diennet c. France). Afin de vérifier le respect de cette garantie, il convient de regarder
l’ensemble du procès mené dans l’ordre juridique interne tout en prenant en considération les particularités
de l’instance. Ainsi, dès lors qu’une autorité administrative est qualifiée de tribunal, le droit à une audience
publique doit être respecté.

En application de l’article 6 §1 de la CESDH, le principe de publicité se démembre en publicité des débats et


publicité du prononcé du jugement.

En premier lieu, la publicité des débats est le droit d’être entendu publiquement, ce qui implique le droit à une
audience, sauf circonstances exceptionnelles. L’exigence est plus souple en appel et en cassation. Dans la mesure
où les débats publics ont eu lieu en premier ressort, « leur absence au deuxième ou au troisième degré peut se
justifier par les caractéristiques de la procédure dont il s'agit » (CEDH, 29 octobre 1991, Andersson c. Suède).

L’appréciation de l’exigence de publicité s’effectue in globo, c’est-à-dire au regard de l’ensemble de la procédure.


Par conséquent, l’absence de publicité en premier ressort ou en appel peut être compensée par des débats
publics pendant une autre phase de la procédure. Ainsi, l'absence d'audience publique devant une autorité
administrative indépendante dotée de pouvoirs répressifs ne méconnaît pas l'article 6 dès lors que les décisions
de cette autorité sont soumises au contrôle d'un tribunal doté de la compétence de pleine juridiction (CEDH, 13
mars 2012, Sté Bouygues Telecom).

La publicité des débats peut faire l’objet de restrictions justifiées par l’intérêt général. En effet, si l’article 6 §1
prévoit la publicité des débats, l’accès à la salle d’audience peut être interdit à la presse et au public pendant la
totalité ou une partie du procès. La CEDH prévoit quatre hypothèses :

• Interdiction totale ou partielle de la publicité dans l’intérêt de la moralité, de l’ordre public ou de la


sécurité nationale dans une société démocratique. Ex. : procédure disciplinaire concernant un avocat
en chambre du conseil (huis clos) pour préserver la moralité de la profession des avocats ;
• Dans l’intérêt des mineurs : par exemple, la procédure relative à la garde d’un enfant, afin que la vie
privée de ce dernier soit protégée (CEDH, 29 avril 2001, B. c/ Royaume-Uni et P. c/ Royaume-Uni) ;
• Pour protéger la vie privée des parties. Ex. : procédure de divorce ;
• Lorsque dans des circonstances spéciales, la publicité serait de nature à porter atteinte aux intérêts
de la justice.

Dans une décision C.E. 4 octobre 1974, Dame David, le Conseil d’État a consacré un principe général du droit
tenant à la publicité des débats du procès civil français.

En second lieu, la publicité du prononcé du jugement signifie que toute personne doit pouvoir avoir accès
intégral au texte de la décision, par exemple par dépôt au greffe ou encore par la publication de la décision au
recueil officiel.

144
D. Délai raisonnable
Le principe du délai raisonnable favorise la bonne administration de la justice. Un délai excessif peut conduire à
un déni de justice. Afin d’apprécier ce délai raisonnable, la CEDH prend en considération quatre critères :

• La complexité de l’affaire : la CEDH examine une série de facteurs comme le nombre de témoins, le
nombre d’accusés, la tenue de deux procédures pénales en parallèle, etc. ;

• L’attitude du requérant : un État ne peut pas être sanctionné si le requérant a un comportement


dilatoire ou s’il était malade ;

• Le comportement des autorités étatiques : c’est le critère le plus important. De jurisprudence


constante, la Cour européenne juge que les États parties ont l'obligation d' « organiser leurs juridictions
de manière à leur permettre de répondre aux exigences de l'article 6, paragraphe 1, notamment quant
au délai raisonnable » (CEDH, 6 mai 1981, Buccholz c. RFA). Cependant, un ralentissement passager de
la procédure n’engage pas systématiquement la responsabilité de l’État. Autrement, s’il s’agit d’un
ralentissement chronique et qu’aucune justification valable ne peut être mise en exergue, l’État peut
être condamné. Ainsi, dans l’arrêt CEDH, 8 février 2018, Gotchi c. France, la France a été condamnée
pour dépassement du délai raisonnable. En effet plus de sept ans se sont écoulés entre le placement en
garde à vue et l’ordonnance de non-lieu ;

• L’enjeu de l’affaire pour le requérant : dans certaines affaires, les autorités étatiques doivent faire
preuve de diligence accrue. Ex : affaires de sang contaminé où les autorités doivent se prononcer avant
le décès, garde des enfants, rupture du contrat de travail, etc.

Aucun de ces critères n'est décisif. Le juge européen essaye de trouver un juste équilibre entre l'exigence de
célérité des procédures judiciaires et le principe général d'une bonne administration de la justice, que consacre
aussi l'article 6 (CEDH, 12 octobre 1992, Boddaert c/ Belgique).

La question se pose de savoir quelle est la période à prendre en considération dans la vérification de l’existence
d’un délai raisonnable.

En matière civile, le délai pris en compte a pour point de départ la date de la saisine de la juridiction
compétente. En cas de recours préalable obligatoire, ce dernier est aussi pris en considération. En matière de
successions, il comprend la durée de la procédure de liquidation de la succession devant le notaire.

En ce qui concerne le début de la procédure, en matière pénale, il s’agit du moment où le requérant se trouve
accusé au sens de la Convention. Il en va ainsi de la notification officielle des charges. Cependant, il est aussi
possible de prendre en considération un moment où la vie du requérant a basculé au regard de l’importance
qu’un acte de procédure a eu sur lui, alors même qu’il n’a pour l’instant qu’un statut de suspect. C’est le cas
notamment dans les hypothèses d’arrestation, de mise en examen ou d’enquête préliminaire.

Ainsi dans un arrêt CEDH, 5 octobre 2017, Kalleya c. Lettonie, la CEDH a pris comme point de départ de la
procédure, le premier interrogatoire comme témoin, car pendant sept ans, l’intéressé a été entendu en tant que
témoin à plusieurs reprises et avec de faibles garanties.

Quant à la fin de la procédure, il s’agit du moment où une décision définitive a été rendue. La période relative
à l’exécution de la peine n’est pas prise en compte.

145
SUJETS DE RÉFLEXION

• Secret des affaires versus droits et libertés fondamentaux.

• Le secret des sources et le secret de l’instruction.

• Les principes du procès équitable.

• L’indépendance et l’impartialité des magistrats.

• L’existence d’un droit à un second degré de juridiction.

• Soutenez que le principe du contradictoire peut s’appliquer hors du procès.

• Droit d’accès au juge : droit absolu ?

146
TOME 2

LES LIBERTÉS FONDAMENTALES EN FICHES

1
2
PARTIE 1 : LA PROTECTION DES DROITS ET LIBERTÉS INDIVIDUELS .........................7

T HÈ M E 1 : LE D ROIT À LA VIE ............................................................................................... 7


FICHE N°1 : DÉFINITION ET PORTÉE DU DROIT À LA VIE ..................................................................................... 7
I. CONSÉCRATION DU DROIT À LA VIE COMME DROIT SUPRÊME DE L’ÊTRE HUMAIN ........................................... 8

II. LES DÉCLINAISONS DU DROIT À LA VIE FACE À LA PUISSANCE PUBLIQUE ......................................................... 12


FICHE N°2 : LA NOTION DE CRIME CONTRE L’HUMANITÉ ................................................................................. 15
I. L’UNIVERSALISME DE LA NOTION DE CRIME CONTRE L’HUMANITÉ.................................................................. 16

II. LE PARTICULARISME FRANÇAIS : DES CRIMES CONTRE L’HUMANITÉ AUX CRIMES CONTRE L’ESPÈCE
HUMAINE........................................................................................................................................................... 20
FICHE N°3 : L’INTÉGRITÉ DE LA PERSONNE ...................................................................................................... 25
I. LA PROTECTION DE L’INTÉGRITÉ DE LA PERSONNE COMME COROLLAIRE DU DROIT À LA VIE ......................... 26

II. LE DROIT D’ÊTRE TRAITÉ HUMAINEMENT ......................................................................................................... 27

T HÈ M E 2 : LA P R O T E C T I O N DE LA VIE ............................................................................. 34
FICHE N°4 : LA PROTECTION DE LA VIE FACE À L’AUTORITÉ PUBLIQUE ............................................................ 34
I. LES LIMITES À L’EXERCICE DES DROITS FONDAMENTAUX ................................................................................. 35

II. LA JUSTIFICATION DE L’ENCADREMENT DES LIBERTÉS : L’INTÉRÊT GÉNÉRAL ET L’ORDRE PUBLIC .................. 36

III. LA PLURALITÉ DES CONTRÔLES JURIDICTIONNELS EN MATIÈRE DE POLICE ...................................................... 40


FICHE N°5 : L’ÉTAT D’URGENCE ....................................................................................................................... 43
I. UN RÉGIME EXCEPTIONNEL ET PROVISOIRE ...................................................................................................... 44

II. UNE MODIFICATION DE L’ÉQUILIBRE DES POUVOIRS, AU NOM DE L’EFFICACITÉ ............................................. 46


FICHE N°6 : L’ÉTAT D’URGENCE SANITAIRE ...................................................................................................... 52
I. L’OPPORTUNITÉ DE LA CRÉATION D’UN NOUVEAU RÉGIME JURIDIQUE D’EXCEPTION .................................... 53

II. LE CONTRÔLE LIMITÉ DE L’ÉTAT D’URGENCE SANITAIRE ................................................................................... 57

III. LE DROIT À LA VIE L’EMPORTANT SUR LES AUTRES LIBERTÉS FONDAMENTALES ? ........................................... 59
FICHE N°7 : LA PROTECTION DU DÉTENU ......................................................................................................... 62
I. LES PRINCIPES ESSENTIELS DU SYSTÈME PÉNITENTIAIRE FRANÇAIS .................................................................. 63

II. LES DROITS SUBSTANTIELS ET PROCÉDURAUX DES DÉTENUS ........................................................................... 66

III. LE SORT DES PERSONNES DÉTENUES PENDANT LA CRISE SANITAIRE ................................................................ 70

TH ÈM E 3 : LES D R O I T S DE LA P E R S O N N E SUR SON C ORP S .................................... 73


FICHE N°8 : LA PROTECTION DU CORPS HUMAIN ............................................................................................ 73
I. LE CLONAGE....................................................................................................................................................... 74

II. LES RECHERCHES IMPLIQUANT LA PERSONNE HUMAINE (« RECHERCHES BIOMÉDICALES ») .......................... 75

III. L’UTILISATION DES ÉLÉMENTS DU CORPS HUMAIN .......................................................................................... 78

IV. L’ASSISTANCE MÉDICALE À LA PROCRÉATION (AMP / PMA) ............................................................................. 79

V. LA STÉRILISATION À VISÉE CONTRACEPTIVE ET L’INTERRUPTION VOLONTAIRE DE GROSSESSE (IVG) 84


FICHE N°9 : LES DROITS DES PERSONNES MALADES ......................................................................................... 86
I. LE DROIT À L’INFORMATION SUR SON ÉTAT DE SANTÉ ..................................................................................... 87

II. LE CONSENTEMENT AUX SOINS ......................................................................................................................... 89


3
III. LES ATTEINTES À L’INTÉGRITÉ PHYSIQUE........................................................................................................... 90

IV. LES HOSPITALISATIONS SANS CONSENTEMENT ................................................................................................ 91


FICHE N°10 : LA MORT VOLONTAIRE ............................................................................................................... 94
I. LE SUICIDE ......................................................................................................................................................... 95

II. L’EUTHANASIE ................................................................................................................................................... 99

T HÈ M E 4 : LA LIB E R T É I N D I V I D U E L L E : SÛRE T É ET VIE P RIV É E .......................... 102


FICHE N°11 : LES MESURES DE SÛRETÉ .......................................................................................................... 102
I. LES PRINCIPES PROTECTEURS DE LA SÛRETÉ INDIVIDUELLE ............................................................................ 104

II. LES GARANTIES PROCÉDURALES...................................................................................................................... 105


FICHE N°12 : LA VIE PRIVÉE ET LA PROTECTION DE L’INTIMITÉ ...................................................................... 110
I. L’ÉLARGISSEMENT CONTINU DE LA NOTION DE « VIE PRIVÉE », GARANT DE LA PROTECTION
CONTEMPORAINE DES INDIVIDUS ................................................................................................................... 111

II. LES ÉMANATIONS DE LA PROTECTION DE LA VIE PRIVÉE ................................................................................ 112


FICHE N°13 : LA VIE PRIVÉE ET LA LIBERTÉ RELATIONNELLE ........................................................................... 117
I. LA LIBERTÉ DE LA VIE SEXUELLE ....................................................................................................................... 118

II. LA LIBERTÉ DU MARIAGE ................................................................................................................................. 123

III. LA VIE FAMILIALE ............................................................................................................................................. 124

TH ÈM E 5 : L’ ÉG A L I T É ET LA DI G NI T É ............................................................................. 127
FICHE N°14 : LA PORTÉE DU PRINCIPE D’ÉGALITÉ .......................................................................................... 127
I. LA CONSÉCRATION JURIDIQUE DU PRINCIPE D’ÉGALITÉ ................................................................................. 129

II. LE CONTENU DU PRINCIPE D’ÉGALITÉ ............................................................................................................. 132


FICHE N°15 : LA DIGNITÉ ................................................................................................................................ 135
I. LE PRINCIPE DE DIGNITÉ, PRINCIPE MATRICIEL DE DÉFENSE DES DROITSFONDAMENTAUX .......................... 136

II. LA PROTECTION DE LA DIGNITÉ ....................................................................................................................... 139

PARTIE 2 : LA PROTECTION DES DROITS ET LIBERTÉS RELATIONNELS ...................... 147

T HÈ M E 1 : LA LIBE R T É DE SE D É P LACE R ....................................................................... 147


FICHE N°16 : LA LIBERTÉ D’ALLER ET VENIR ................................................................................................... 147
I. LE RÉGIME DE LA LIBERTÉ D’ALLER ET VENIR .................................................................................................. 148

II. LES RESTRICTIONS À LA LIBERTÉ D’ALLER ET VENIR ......................................................................................... 150


FICHE N°17 : L’ENTRÉE ET LE SÉJOUR DES ÉTRANGERS SUR LE TERRITOIRE .................................................... 157
FICHE N°18 : LES MESURES D’ÉLOIGNEMENT DES ÉTRANGERS ...................................................................... 166
I. LES OBLIGATIONS DE QUITTER LE TERRITOIRE (OQTF) .................................................................................... 167

II. L’EXPULSION .................................................................................................................................................... 173

III. LES AUTRES MESURES DE DÉPART FORCÉ ....................................................................................................... 174

4
T HÈ M E 2 : LES D ROI T S É C O N OM I Q U E S ......................................................................... 176
FICHE N°19 : LA LIBERTÉ DU COMMERCE ET DE L’INDUSTRIE ......................................................................... 176
I. L’AFFIRMATION ET LA PORTÉE DU PRINCIPE DE LA LIBERTÉ DU COMMERCE ET DE L’INDUSTRIE ................ 178

II. LES LIMITES AU PRINCIPE DE LA LIBERTÉ DU COMMERCE ET DE L’INDUSTRIE ................................................ 183


FICHE N°20 : LE DROIT DE PROPRIÉTÉ ............................................................................................................ 187
I. LE PRINCIPE DE LA PROTECTION DU DROIT DE PROPRIÉTÉ ............................................................................. 189

II. LES ATTEINTES AU DROIT DE PROPRIÉTÉ ......................................................................................................... 193

T HÈ M E 3 : LA C O N SC I E N C E ................................................................................................ 197
FICHE N°21 : LA LIBERTÉ DE PENSÉE, DE CONSCIENCE ET D'OPINION ............................................................. 197
I. LA PROTECTION JURIDIQUE DU FOR INTÉRIEUR.............................................................................................. 198

II. LA PROTECTION JURIDIQUE DU FOR EXTÉRIEUR ............................................................................................. 201


FICHE N°22 : LA LIBERTÉ DE RELIGION ET DE LAÏCITÉ ..................................................................................... 203
I. LA GARANTIE DE LA LIBERTÉ DU CULTE DANS L’ESPACE PRIVÉ ET L’ESPACE PUBLIC....................................... 204

II. LA LUTTE CONTRE LES DÉRIVES SECTAIRES...................................................................................................... 207


FICHE N°23 : LE DROIT À L’INSTRUCTION ET LA LIBERTÉ DE L’ENSEIGNEMENT ............................................... 211
I. L’ENSEIGNEMENT PRIMAIRE ET SECONDAIRE ................................................................................................. 213

II. L’ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR ET L A FORMATION PROFESSIONNELLE TOUT AU LONG DE LAVIE .............. 216

T HÈ M E 4 : L’ E XP R E SS I O N .................................................................................................... 220
FICHE N°24 : LA LIBERTÉ D’EXPRESSION ......................................................................................................... 220
I. LIBERTÉ D’EXPRESSION ET DÉMOCRATIE ......................................................................................................... 222

II. LES RESTRICTIONS À LA LIBERTÉ D’EXPRESSION .............................................................................................. 225

PARTIE 3 : LA PROTECTION DES DROITS ET LIBERTÉS COLLECTIFS............ 229

T HÈ M E 1 : LA LIB E R T É DE SE GR OUP E R ........................................................................ 229


FICHE N°25 : LA LIBERTÉ DE RÉUNION ET DE MANIFESTATION ...................................................................... 229
I. LA LIBERTÉ DE RÉUNION .................................................................................................................................. 230

II. LA LIBERTÉ DE MANIFESTATION ...................................................................................................................... 232

III. LES ATTROUPEMENTS ..................................................................................................................................... 235


FICHE N°26 : LA LIBERTÉ D’ASSOCIATION ...................................................................................................... 237
I. LIBERTÉ D’ASSOCIATION ET DÉMOCRATIE....................................................................................................... 239

II. LES DIFFÉRENTES CATÉGORIES D’ASSOCIATIONS ............................................................................................ 242

III. LE RÉGIME DE L’ASSOCIATION ......................................................................................................................... 243


FICHE N°27 : LA LIBERTÉ SYNDICALE ET LE DROIT DE GRÈVE .......................................................................... 247
I. LA CONSÉCRATION DE DEUX DROITS SOCIAUX ESSENTIELS DANS UN ÉTAT DÉMOCRATIQUE ............... 248

II. LA DIMENSION PARTICULIÈRE DE LA LIBERTÉ SYNDICALE ET DU DROIT DE GRÈVE DONT L’EXERCICE


RESTE NÉANMOINS ENCADRÉ ......................................................................................................................... 251

5
TH ÈM E 2 : L’ I N T É G R I T É DES P O P U L A T I O N S ................................................................ 257
FICHE N°28 : LE DROIT À UN ENVIRONNEMENT SAIN .................................................................................... 257
I. LA LENTE ÉMERGENCE D’UN DROIT DE L’ENVIRONNEMENT........................................................................... 259

II. LA RECONNAISSANCE DU DROIT À UN ENVIRONNEMENT SAIN COMME DROITFONDAMENTAL ................... 261

III. LA PORTÉE DE LA CHARTE DE L’ENVIRONNEMENT .......................................................................................... 262


FICHE N°29 : LE DROIT DES MINORITÉS ......................................................................................................... 265
I. LE DROIT DES MINORITÉS NATIONALES, ETHNIQUES, RELIGIEUSES ET LINGUISTIQUES .................................. 266

II. LES DROITS DES POPULATIONS AUTOCHTONES .............................................................................................. 267


FICHE N°30 : LES CONCEPTS DE SOLIDARITÉ ET DE CONFRATERNITÉ .............................................................. 271
I. FRATERNITÉ ET SOLIDARITÉ : DES CONCEPTS INDISSOCIABLES L’UN DE L’AUTRE ........................................... 272

II. FRATERNITÉ ET SOLIDARITÉ : DES CONCEPTS JURIDIQUES INVOCABLES SÉPARÉMENT .................................. 276

Tableaux synthétiques par fiche .............................................................................. 281

6
PARTIE 1 : LA PROTECTION DES DROITS ET LIBERTÉS INDIVIDUELS

THÈME 1 : LE DROIT À LA VIE

FICHE N°1 : DÉFINITION ET PORTÉE DU DROIT À LA VIE

Résumé :

Le droit à la vie a une valeur suprême dans l’échelle des droits fondamentaux alors qu’il n’est pas explicitement
reconnu dans la Constitution française. Il est un droit indérogeable, pour autant il peut être limité et doit se
concilier avec les impératifs de la vie en société (respect des autres droits fondamentaux et protection de l’ordre
ou de la santé publique). De ce droit à la vie découlent des obligations positives et négatives pesant sur l’État ; le
recours à la force par l’État est encadré, et les citoyens bénéficient d’un droit à voir leurs vies protégées par la
puissance publique.

Notions abordées dans la fiche :

- Obligations positives et négatives


- Effet horizontal
- Peine de mort
- Avortement
- Fin de vie
- Violences policières
- Contrôle de proportionnalité
- Critère de nécessité
- Protection de la vie par l’État
- Droit à la santé
- Protection des détenus

7
I. CONSÉCRATION DU DROIT À LA VIE COMME DROIT SUPRÊME DE L’ÊTRE HUMAIN

A. La consécration progressive du droit à la vie

D’après la Cour européenne des droits de l’homme, le droit à la vie dispose d’une « valeur suprême dans l'échelle
des droits de l'homme au plan international » (CEDH 22 mars 2001, Streletz, Kessler et Krenz c/ Allemagne, req.
no 34044/96).

Pour le Comité des droits de l’homme de l’Organisation des Nations Unies le droit à la vie est « le droit suprême
de l'être humain » (Décis. CDH no 146/1983, 4 avr. 1985, Baboeram c /Surinam, A/40/40, § 697).

ATTENTION : Le droit à la vie est un droit indérogeable ; c’est-à-dire non susceptible de dérogation.

Note : La dérogation se distingue de la limitation :

- La limitation d’un droit fondamental peut avoir lieu en temps de paix et doit être proportionnelle
à l’objectif poursuivi qui peut être la défense de l’ordre public, de la santé publique ou des droits
fondamentaux des autres personnes composant la société ;

- La dérogation est une suspension du droit, qui ne peut avoir lieu qu’en temps de « danger
exceptionnel menaçant la vie de la nation ». Cette technique de la dérogation est prévue par
l’article 15 de la Convention européenne des droits de l’homme et l’article 4 du Pacte
international relatif aux droits civils et politiques de l’Organisation des Nations Unies. Certains
droits ne seront jamais susceptibles de dérogation ; il s’agit du « noyau dur » des droits de
l’homme. Le droit à la vie en fait partie.

1. La consécration nationale du droit à la vie

À la différence de la Loi Fondamentale allemande (Article 2, alinéa 2d : « Chacun a droit à la vie et à l’intégrité
physique » ; Article 79 al. 3 : protège le droit à la vie en tant que droit indérogeable), ou de la Constitution
portugaise du 2 avril 1976 (Article 24 : « la vie humaine est inviolable »), la Constitution française reste muette
sur le droit à la vie.

C’est le Conseil constitutionnel qui reconnaît ce droit comme faisant partie des corollaires du principe
constitutionnel de sauvegarde de la dignité de la personne humaine par sa décision Bioéthique de 1994 (Décision
n°94-343/344 du 27 juillet 1994).

2. La consécration internationale du droit à la vie

a) Au niveau global
La Déclaration universelle des droits de l’homme le consacre par son article 3 selon lequel « tout individu a
droit à la vie ».

Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966 reconnaît ce droit à l’article 6 : « Le droit à la
vie est inhérent à la personne humaine. Ce droit doit être protégé par la loi. Nul nepeut être arbitrairement
privé de la vie ».

Ce droit a également été reconnu au sein de conventions à portée spécifique comme la Convention relative aux
droits de l’enfant de 1989 (Article 6 al. 1 : « tout enfant a un droit inhérent à sa vie »).

8
b) Au niveau du Conseil de l’Europe
La Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales le reconnaît en
son article 2 :

« Le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi. La mort ne peut être infligée à quiconque
intentionnellement, sauf en exécution d'une sentence capitale prononcée par un tribunal au cas où le délit est puni
de cette peine par la loi ».

De plus, la Convention protège le droit à la vie en tant que droit intangible par son article 15.

La Cour européenne a jugé que le droit à la vie consacre « l’une des valeurs fondamentales des sociétés
démocratiques qui forment le Conseil de l’Europe » (CEDH, 27 septembre 1995, Mac Cann c/ Royaume-Uni) et
qu’il est un attribut inaliénable de la personne humaine qui jouit alors d’une « prééminence » parmi les
stipulations de la Convention (CEDH 29 avril 2002 Pretty c/ Royaume-Uni).

c) Au niveau de l’Union européenne


La Charte des droits fondamentaux de 2000 a reconnu en son article 2, alinéa 1, que « toute personne a droit à
la vie ».

B. La portée du droit à la vie

Le cadre temporel du droit à la vie n’est pas clairement défini.

1. Quand commence la vie?

Cette question du début de la vie s’est posée avec le problème de la conciliation du droit à la vie de l’enfant à
naître et le droit à la vie et à la santé de la mère. La question qui se pose est de savoir si les embryons sont ou
non des sujets de droits susceptibles de bénéficier de droits comme le droit à la vie, opposable alors à la libre
disposition de son corps par la femme qui le porte.

a) En France

Par la décision n°94-343/344 DC du 27 juillet 1994 (Décision Bioéthique) le Conseil constitutionnel a clairement
écarté les arguments relatifs à l’atteinte au droit à la vie de l’embryon et à une rupture d’égalité entre les
embryons utilisés pour la fécondation in vitro et ceux surnuméraires en considérant qu’ « au regard des
connaissances scientifiques et techniques, le législateur est libre de fixer le champ d’application du principe du
respect de l’être humain dès le commencement de savie ».

Le Conseil considère ici qu’il existe un principe de respect de la dignité de la personne humaine « dès le
commencement de sa vie », mais qu’il n’est pas applicable aux embryons qui ne sont pas des sujetsde droit. Donc,
l’aménagement par le législateur ordinaire du champ d’application de ce principe constitutionnel (dignité) peut
être concilié avec la liberté d’avortement de la mère, qui découle de la liberté corporelle de la femme reconnue
par l’article 2 de la Déclaration de 1789 (Décision n°2001- 446 DC du 27 juin 2001, Décision IVG II).

Note d’actualité : à la suite d’un rapport réalisé au nom de la délégation aux droits des femmes de l’Assemblée
nationale, qui recommande de traiter l'avortement comme un « droit effectif », le 25 août 2020 une proposition
de loi visant à renforcer le droit à l’avortement a été déposée, tendant notamment à allonger de 12 à 14 semaines
de grossesse, le délai de recours à l'interruption volontaire de grossesse.

9
b) En Europe
La Commission européenne des droits de l’homme ne s’est pas prononcée sur la question de savoir si le fœtus
relevait ou non du champ d’application de l’article 2 de la Convention de 1950 (Commission EDH, 19 mai 1992
H. c/Norvège).

Par la suite, la Cour européenne a mis l’accent sur la nécessité de protéger le fœtus mais a laissé le législateur
national libre d’en établir la portée à l’aune de la liberté de recourir à l’avortement qu’il peut reconnaître au
profit de la mère (CEDH, 5 sept 2002, Boso c/ Italie).

En 2004 la Cour a considéré qu’il n’était « ni souhaitable ni même possible actuellement de répondre dans
l’abstrait à la question de savoir si l’enfant à naître est une « personne » au sens de l’article 2 de la Convention »
(CEDH, Gr. Ch. 8 juillet 2004, Vo c/ France).

Finalement, en 2007, la Cour européenne a énoncé que l’embryon ne peut se prévaloir du droit à la vie (CEDH,
GR. Ch. 10 avril 2007 Evas c. Royaume-Uni).

Finalement, les juges européens laissent aux autorités étatiques une large marge d’appréciation pour légiférer
sur le droit à l’avortement et donc, pour moduler la définition du commencement de la vie.

2. Vers une protection de la fin de vie ?

Le droit à la vie n’a pas comme corollaire le droit à la mort, d’après la Cour européenne des droits de l’homme :

« [La Cour] n’est pas persuadée que le « droit à la vie » garanti par l’article 2 de la Convention puisse s’interpréter
comme comportant un aspect négatif de « droit à mourir, que ce soit de la main d’un tiers ou avec l’assistance
d’une autorité » (CEDH 29 avril 2002, Pretty contre Royaume-Uni).

En France, la « Loi Leonetti » relative aux droits des malades et à la fin de vie a modifié le Code de la santé
publique afin d’inviter les équipes hospitalières à accompagner les personnes en fin de vie tout en s’abstenant
d’un quelconque geste d’homicide.

Autrement dit, un individu ne peut demander à mourir, mais il peut demander de renoncer aux thérapies vaines,
aux soins trop douloureux, et à tout traitement lorsqu’il est en pleine possession de ses facultés mentales.
Lorsqu’il ne l’est pas, le Code de la Santé publique en son article L. 110-5 al. 2 prévoit que le médecin ne peut
limiter ou arrêter le traitement que dans le seul cas où celui-ci constitue une « obstination raisonnable ».

FOCUS : L’AFFAIRE LAMBERT

À la suite d'un grave accident de la circulation survenu en 2008, Vincent Lambert plonge dans un état végétatif
chronique. Dix ans plus tard, le centre hospitalier universitaire de Reims et le médecin en charge de M. Lambert
décident, dans le cadre d’une procédure collégiale, d’arrêter les soins.

L’Assemblée du contentieux du Conseil d’État est saisie de la question de la légalité de cette décision et décide le
24 juin 2014 de laisser exécuter la décision médicale d’arrêter les soins en relevant notamment qu’il résulte des
dispositions législatives que « toute personne doit recevoir les soins les plus appropriés à son état de santé, sans
que les actes de prévention, d’investigation et de soins qui sont pratiqués lui fassent courir des risques
disproportionnés par rapport au bénéfice escompté ; que ces actes ne doivent toutefois pas être poursuivis par une
obstination déraisonnable et qu’ils peuvent être suspendus ou ne pas être entrepris lorsqu’ils apparaissent inutiles
ou disproportionnés ou n’ayant d’autre effet que le seul maintien artificiel de la vie, que la personne malade soit
ou non en fin de vie ».Autrement dit, le Conseil d’État a jugé que la décision ne méconnaissait pas les dispositions
de la loi du 22 avril 2005 et a consacré au passage une nouvelle liberté fondamentale : le droit de ne pas subir
un traitement qui serait le résultat d’une obstination déraisonnable.

10
La Cour européenne des droits de l’homme a jugé en grande chambre un an plus tard (CEDH, Gr. Ch., 5 juin 2015,
Lambert et autres c/France), que la mise en œuvre de la décision du 24 juin 2014 rendue par le Conseil d’État ne
violait pas l’article 2 de la Convention.

La Cour en a profité pour insister sur le fait qu’il n’existe pas de consensus entre les États membres du Conseil de
l’Europe pour permettre l’arrêt d’un traitement maintenant artificiellement la vie, de telle sorte que dans ce
domaine qui touche à la fin de vie, il y a lieu d’accorder une marge d’appréciation aux États, à qui il revient de
vérifier la légalité, lato sensu, d’une décision d’arrêt des traitements au droit interne et à la Convention
européenne.

L’affaire est revenue devant le Conseil d’État qui a jugé, le 24 avril 2019, régulière la décision d’arrêt des soins,
tandis que la Cour européenne des droits de l’homme rejette la demande de suspension de la décision d’arrêt des
soins soumise par les parents de M. Vincent Lambert (le 30 avril 2019).

Par la suite, le 3 mai 2019, le Comité des droits des personnes handicapées de l’Organisation des Nations Unies,
saisi par ses parents, donne, dans le cadre de la Convention relative aux droits des personnes handicapées (CIDPH),
six mois à la France pour présenter ses observations. Il sollicite parallèlement, à titre conservatoire, la suspension
de la décision d’arrêt des soins dans l’attente de l’examen de sa réponse.

Pour autant, l’État français répond au Comité ne pas être en mesure de faire droit à la demande de suspension
conservatoire. Le 17 mai 2019, le tribunal de grande instance de Paris, saisi en référé par les parents de M. Vincent
Lambert, se déclare incompétent pour ordonner à l’État de prendre les mesures demandées par le Comité de
l’ONU.

Contrairement au tribunal de grande instance, la Cour d’Appel de Paris, sur appel interjeté par les parents de M.
Lambert et par arrêt infirmatif, se déclare compétente pour en connaître, sur le fondement de la voie de fait
(décision du 20 mai 2019). Elle enjoint à l’État français de prendre les mesures provisoires demandées par le
CDPH, soit le maintien des soins.

« En l’espèce, en se dispensant d’exécuter les mesures provisoires demandées par le Comité [international des
personnes handicapées], l’État français a pris une décision insusceptible de se rattacher à ses prérogatives
puisqu’elle porte atteinte à l’exercice d’un droit dont la privation a des conséquences irréversibles en ce qu’elle
attrait au droit à la vie, consacré par l’article 2 de la Convention européenne des droits de l’homme, qui constitue
un attribut inaliénable de la personne humaine et forme la valeur suprême dans l’échelle des droits de l’homme,
et donc dans celle des libertés individuelles. […] En l’état de cette violation d’une liberté individuelle, le juge des
référés a le pouvoir de contraindre l’État français à exécuter les mesures provisoires préconisées par le Comité
le 3 mai 2019. La décision entreprise sera dès lors infirmée. »

La Cour de cassation signe, par son arrêt d’assemblée plénière du 28 juin 2019, le dernier rebondissement de «
l’affaire Vincent Lambert » en cassant et annulant l’arrêt d’appel sans renvoi, palliant ainsi le risque de remise en
cause « de l’ordonnancement juridique » : « En refusant d’ordonner le maintien des soins demandé par le comité
de l’ONU, l’État n’a pas pris une décision qui dépasse manifestement les pouvoirs lui appartenant ».

Le 2 juillet 2019, à la suite de la décision de la Cour de cassation, le médecin de Vincent Lambert annonce la
poursuite de la procédure d'arrêt des traitements. Le 11 juillet 2019, l'arrêt des fonctions vitales est constaté à 8
h 24. Vincent Lambert meurt à l'âge de 42 ans, après onze années passées en état végétatif.

11
II. LES DÉCLINAISONS DU DROIT À LA VIE FACE À LA PUISSANCE PUBLIQUE
Le droit à la vie a initialement été conçu comme emportant des obligations négatives pour les États : l’obligation
de « ne pas tuer » (A). Il a ensuite été enrichi d’obligations positives qui démontrent l’engagement de la puissance
publique dans la protection de la vie (B).

A. Obligations négatives découlant du droit à la vie

Les obligations négatives découlant du droit à la vie peuvent se résumer comme suit : l’obligation de ne pas tuer.
Comment concilier ce principe avec la peine capitale ou l’utilisation de la force par l’État ?

1. Le droit à la vie et la peine de mort

La lettre des textes internationaux de protection du droit à la vie n’emporte pas une interdiction de la peine de
mort, cette question étant considérée comme relevant principalement de la souveraineté étatique.

Ainsi l’article 2 de la Convention européenne des droits de l’homme se lit comme permettant la peine de mort
sous certaines conditions :

« La mort ne peut être infligée à quiconque intentionnellement, sauf en exécution d'une sentence capitale
prononcée par un tribunal au cas où le délit est puni de cette peine par la loi ».

Pourtant, des protocoles successifs sont venus accompagner le mouvement de condamnation et de rejet de la
peine de mort exprimé au sein de la population civile.

D’abord, le Protocole additionnel n°6 à la Convention européenne des droits de l’homme du 28 avril 1983
interdisait la peine de mort en temps de paix mais la peine de mort en temps de guerre restait licite. Ensuite, le
Protocole additionnel n° 13 à la Convention du 2 mai 2002 étend l’interdiction de la peine capitale « en toutes
circonstances ».

Tous les États du Conseil de l’Europe ne sont pas parties à ce Protocole numéro 13. Néanmoins, la jurisprudence
de la Cour européenne des droits de l’homme a également évolué sur ce point, et son interprétation lie tous les
États membres du Conseil de l’Europe.

Dans l’affaire Soering (CEDH, 7 juillet 1989, Soering c. Royaume-Uni, n°14038/88), la Cour a affirmé que la peine
de mort devait être jugée comme ne cadrant plus « avec les normes régionales de justice ».

Après l’entrée en vigueur du Protocole n°6, la Cour s’est fondée sur « l’accord entre des États contractants pour
abroger, ou du moins modifier l’article 2§1 que ce protocole révèle », et affirme que « la peine de mort en temps
de paix en est venue à être considérée comme une forme de sanction inacceptable (…) qui n’est plus autorisée
» (CEDH, Gr. Ch., 12 mai 2005, Ocalan c. Turquie).

En 2005 l’expulsion d’un étranger vers un pays où il risque la peine de mort est considérée comme une violation
du droit à la vie (CEDH, 8 novembre 2005, Bader c. Suède).

C’est en 2010 que la Cour affirme l’incompatibilité ente la peine de mort et la Convention européenne en toutes
circonstances et pour tous les États par son arrêt du 2 mars 2020 : Al Sadounet Mufdhi c. Royaume-Uni.

De même les alinéas 2, 4, 5 et 6 de l’article 6 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques ne font
qu’encadrer la peine de mort, sans l’interdire. Le Protocole numéro 2 du Pacte du 15 décembre 1989 a ensuite
posé l’interdiction de la peine de mort (Attention : tous les États parties au Pacte ne sont pas parties à ce
protocole).

12
En France, la dernière exécution a eu lieu en 1977 et la peine de mort fut abolie à l’initiative de Robert Badinter
par la loi L. n°81-908 du 9 octobre 1981.

Aujourd’hui, l’article 66-1 de la Constitution dispose que « nul ne peut être condamné à la peine de mort », et la
France est partie au 2ème protocole du PIDCP et au 13ème protocole à la Convention européenne.

2. Le droit à la vie et le recours à la force par l’autorité publique : la


question des violences policières
Dans sa définition même, donnée par l’article 2 de la Convention, le droit à la vie renvoie aux restrictions qu’il
est possible de lui apporter : en effet, bien qu’il soit indérogeable, le droit à la vie peut être limité par les
nécessités de l’État de maintenir l’ordre ou de se défendre en cas de guerre.

La Cour européenne des droits de l’homme exerce un contrôle strict des hypothèses conventionnelles dans
lesquelles le recours à la force peut s’avérer meurtrier sans enfreindre l’article 2.

Pour cela, l’État doit prouver une nécessité absolue du recours à la force et une stricte proportionnalité
de l’utilisation de la force à la menace.

La loi n°2017-258 du 28 février 2017 relative à la sécurité publique rappelle les standards d’absolue nécessité et
d’exigence de stricte proportionnalité, et élargit les conditions dans lesquelles il est possible pour les forces de
l’ordre de tirer, en permettant d’ouvrir le feu après sommations pour contraindre un fugitif à s’arrêter (CSI, art.
L-435-1). La légitime défense est élargie aux délits de fuite, lorsqu’un suspect est susceptible de perpétrer des
atteintes à la vie ou à l’intégrité physique (le « périple meurtrier »).

La Cour européenne des droits de l’homme a condamné la France pour violation de l’article 2 en raison de la
mort par balle du passager d’une voiture prise en chasse par la police, voiture dans laquelle les passagers étaient
suspectés d’atteintes aux biens et non aux personnes et n’étaient nullement soupçonnés d’avoir commis une
infraction à caractère violent (CEDH 7 juin 2018, Toubache c. France, n°19510/15). Même lorsque le recours à la
force est considéré comme légitime, des procédures d’enquête rapides et effectives doivent offrir des garanties
aux victimes (CEDH, 23 mai 2019, Chébab c. France, n°542/13).

Quid des violences policières en dehors de l’utilisation d’armes à feu ?

En France, le Conseil d’État a validé le recours de la police nationale au pistolet à impulsion électrique (taser)
(CE, 2 septembre 2009, Réseau Alerte et Intervention pour les droits de l’homme, n°318534) mais aussi au
lanceur de balles de défense (LBD, ou Flashball : CE, 1er février 2019, n°427418) ou encore aux grenades
lacrymogènes à effet de souffle (CE, 17 mai 2019, n°429738).

La commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe a demandé à la France de suspendre l’usage du
LBD (Memorandum sur le maintien de l’ordre et la liberté de réunion dans le contexte du mouvement des « gilets
jaunes » en France, 26 février 2019).

B. Obligations positives découlant du droit à la vie

À l’obligation négative de ne pas infliger intentionnellement la mort, s’est ajoutée l’affirmationd’obligations


positives imposant de protéger la vie.

Le droit à la vie « est protégé par la loi ». La Cour européenne et le Comité des droits de l'homme s'accordent
pour considérer que cette formulation conventionnelle fait peser sur l'État l'obligation de protéger la vie de toute
personne relevant de sa juridiction (CEDH, 9 juin 1998, L.C.B c/ Royaume- Uni, req. no 23413/94, Comité des
Droits de l’Homme, no 859/1999, 25 mars 2002, Jimenez Vaca c/ Colombie).

13
Ici l’œuvre de la Cour européenne des droits de l’homme est indéniable. Pour certains auteurs, la Cour a
procédé à une « réécriture » de l’article (F. Sudre).

L’arrêt LCB c. Royaume-Uni du 9 juin 1998 peut être retenu comme point de départ de ce mouvement
jurisprudentiel : c’est en effet dans cet arrêt que la Cour souligne l’obligation de l’État de « prendre les mesures
nécessaires à la protection de la vie des personnes relevant de sa juridiction », en sus des traditionnelles
obligations négatives.

Dans ce cadre, la Cour européenne a considéré que les États avaient l’obligation de prévenir des catastrophes
naturelles (CEDH, 20 mars 2008, Boudaieva c. Russie n°15339/02 : coulée de boue) ou de risques industriels
(CEDH, Gr. Ch. 30 nov. 2004, Oneryildiz c. Turquie, n°48939/99 : stockage de déchets).

L'obligation positive mise à la charge de l'État inclut également une obligation de protection de la santé des
personnes détenues ou placées en garde à vue, ce qui implique de dispenser avecdiligence des soins médicaux
lorsque l'état de santé de la personne le nécessite, afin de prévenir une issue fatale (CEDH, 1er mars 2001,
Berktay c/ Turquie, req. no 22493/93).

L’obligation de protéger la vie s’étend à l’obligation de protéger les victimes de violences conjugales (CEDH 23
février 2016 Civek c. Turquie) ou la prévention des risques sanitaires (CEDH, 17 janvier 2002, Calvelli c. Italie,
n°32967/96).

Plus largement, la Cour européenne rattache au droit à la vie une obligation générale de sécuritédes
personnes. Par exemple, la Cour a condamné la Turquie pour l’absence de mesures de sécurité destinées à
empêcher l’accès à une zone où étaient posées des mines anti-personnel (CEDH, 1er déc. 2006, Pasa Erkan Erol
c. Turquie) et a affirmé que l’État devait garantir la sécurité des personnes dans les espaces publics (CEDH, 14
juin 2011 Ciechonska c. Pologne).

En France, la jurisprudence européenne semble avoir influencé la jurisprudence administrative. Le Conseil d’État
a ainsi considéré que la carence de l’autorité administrative devant les attaques de requins sur le littoral de la
Réunion porte atteinte au droit au respect de la vie (CE, ord. 13 août 2013, Commune de Saint-Lieu, n°370902).

Également, le droit à la vie a évolué au point de s’appliquer aujourd’hui aux relations interindividuelles (on
parle de l’effet horizontal). Le droit à la vie ne protège pas simplement l’individu contre la puissance publique.
L’État doit également assurer une protection des personnes contre les personnes privées.

Selon la Cour européenne : « nul ne conteste que l’obligation de l’État à cet égard va au-delà du devoir primordial
d’assurer le droit à la vie en mettant en place une législation pénale concrète dissuadant de commettre des
atteintes contre les personnes et s’appuyant sur un mécanisme d’application conçu pour en prévenir, réprimer
et sanctionner les violations » (CEDH, Gr. Ch. 28 octobre 1998, Osman c. Royaume-Uni). Non seulement les
États, par le biais de la loi pénale, doiventassurer une fonction juridique de protection de la vie mais ils doivent
également prendre des mesures d’ordre pratique pour protéger la vie des individus contre les menaces dont
elle peut fairel’objet. Ainsi, le manque de diligence des autorités policières peut être sanctionné par le biais de
l’article 2 (CEDH, 9 juin 2009, Opuz c. Turquie, n°33401/02).

ATTENTION : dans tous les cas il s’agit d’obligations de moyens et non de résultat. Seules descirconstances tout
à fait exceptionnelles sont susceptibles d’entraîner la responsabilité de l’État (CEDH Gr. CH. 19 décembre 2017,
Lopes de Sousa Fernandez c. Portugal).

La Cour refuse encore d’étendre la protection du droit à la vie à l’assurance de droits sociaux ; ainsi elle énonce
clairement que le droit à la vie ne garantit pas « le droit à une certaine qualité de vie » (CEDH, 29 avril 2003,
Dremlyuga c. Lettonie, n°66729/01).

14
FICHE N°2 : LA NOTION DE CRIME CONTRE L’HUMANITÉ

Résumé :

Le crime contre l’humanité a d’abord été pensé au niveau international avant de trouver traduction au niveau
national. Le crime contre l’humanité sanctionne un cas de violation massive de droits de l’homme, même en
dehors de l’hypothèse d’un conflit armé.

Notions abordées dans la fiche :

- Crimes de guerre
- Clonage
- Eugénisme
- Crimes contre l’espèce humaine
- Juridiction universelle
- Imprescriptibilité
- Droit international
- Tribunaux pénaux internationaux (Nuremberg ; TPIY ; TPIR ; CPI)

15
I. L’UNIVERSALISME DE LA NOTION DE CRIME CONTRE L’HUMANITÉ

A. La consécration progressive de la notion en droit international

Le crime contre l’humanité est d’abord apparu en droit international.

Le concept est né avant la formalisation juridique. On le retrouve dès le XIXème siècle, notammentau sein de la
clause dite « Martens » insérée dans les Conventions de La Haye du 1899 et de 1907 relatives aux lois et coutumes
de la guerre sur terre :

« En attendant qu’un code plus complet des lois de la guerre puisse être édicté […] les populations et les
belligérants restent sous la sauvegarde et sous l’empire des principes du droit des gens, tels qu’ils résultent des
usages établis entre nations civilisées, des lois de l’humanité et des exigences de la conscience publique ».

Plus tard, les gouvernements français, britannique et russe qualifiaient, par une déclaration publique du 28 mai
1915, les massacres d’Arméniens en Turquie de « crime de lèse-humanité ». C’est après la Seconde Guerre
mondiale que pour la première fois le crime contre l’humanité trouve définition juridique et engage la
responsabilité des individus.

Le tribunal de Nuremberg marque un véritable tournant dans le droit international classique. Jusqu’alors, l’État
agissait comme un écran entre l’individu et le droit international. Avec les tribunaux de l’après-guerre, pour la
première fois les individus peuvent être condamnés pour un crime issu directement du droit international. Le
jugement du Tribunal de Nuremberg a affirmé dans une formule demeurée célèbre que « ce sont des hommes,
et non des entités abstraites [comprendre : “les États”] qui commettent des crimes dont la répression s’impose,
comme sanctionde droit international »1.

Sa première définition juridique est à chercher à l’article 6.c. du la Charte du Tribunal de Nuremberg.

Le crime contre l’humanité a été créé sur mesure pour répondre aux atrocités perpétrées pendant la Seconde
Guerre mondiale, principalement parce que la qualification de « crimes de guerre » préexistante était soumise à
des conditions liées à la nationalité des victimes du crime, ce qui avait pour conséquence d’exclure les crimes
commis par les nazis contre la population allemande ou contre celle de pays alliés à l’Allemagne.

Se posa la question du respect du principe de légalité puisque la notion de crime contre l’humanité n’existait pas
en tant que qualification juridique au moment des faits.

Le crime contre l’humanité tel que défini dans la Charte du Tribunal de Nuremberg désignait les actes « commis
contre toutes populations civiles, avant ou pendant la guerre, ou bien les persécutions pour des motifs
politiques, raciaux ou religieux, lorsque ces actes ou persécutions, qu’ils aient constitué ou non une violation du
droit interne du pays où ils ont été perpétrés, ont été commis à la suite de tout crime rentrant dans la compétence
du Tribunal, ou en liaison avec ce crime ».

Cette définition exigeait ainsi tout à la fois l’existence d’un conflit armé et un lien entre la commission du crime
contre l’humanité et l’un des deux autres crimes prévus par l’article 6 duStatut : les crimes contre la paix (art.
6 a) ou les crimes de guerre (art. 6 b). Le lien avec l’un desautres crimes visait à limiter l’atteinte au principe
de légalité pour les poursuites fondées sur le chef de crime contre l’humanité.

Pour autant, les critiques adressées au jugement du Tribunal de Nuremberg furent très vives, tant en ce qu’on
l’a considéré comme instaurant une « justice des vainqueurs », que parce qu’il méconnaissait le principe
fondamental de la légalité pénale.

1Procès des grands criminels de guerre devant le Tribunal militaire international, Nuremberg, 14 novembre 1945-1er octobre 1946, Nuremberg,
1947, p. 234

16
Après la Charte du tribunal de Nuremberg, certaines conventions internationales revinrent sur l’expression
consacrée de crime contre l’humanité.

Ainsi la Convention sur l’élimination et la répression du crime d’apartheid (1973) consacre le crime d’apartheid
comme crime contre l’humanité en son article 1er ; les conventions sur l’imprescriptibilité des crimes de guerre
(ONU, 1968 et Conseil de l’Europe, 1974) consacrent la valeur imprescriptible du crime contre l’humanité.

Ensuite, le crime contre l’humanité fut défini de manière légèrement différente au sein des statuts pour le TPIR
(Tribunal Pénal international pour le Rwanda) et le TPIY (Tribunal Pénal International pour l’ex-Yougoslavie),
avant d’être finalement consacré au sein du Statut de Rome instituant la Cour Pénale Internationale.

B. La définition actuelle du crime contre l’humanité en droit international

En droit international, la définition retenue aujourd’hui du crime contre l’humanité est celle de l’article 7 du
Statut de Rome instituant la Cour Pénale Internationale, qui intègre les précisions apportées par la jurisprudence
des tribunaux pénaux internationaux.

L’acte constitutif du crime contre l’humanité peut être :


a) le meurtre ;
b) l’extermination ;
c) la réduction en esclavage ;
d) la déportation ou le transfert forcé de population ;
e) l’emprisonnement ou toute autre forme de privation grave de liberté physique ;
f) la torture ;
g) les crimes de nature sexuelle : tels que le viol ; l’esclavage sexuel ; la prostitution forcée ; la grossesse
forcée ; la stérilisation forcée ; ou « toute autre forme de violence sexuelle de gravité comparable » ;

17
h) la persécution de tout groupe ou de toute collectivité identifiable pour des motifs d’ordre politique,
racial, national, ethnique, culturel, religieux ou sexiste ou d’autres critères universellement reconnus
comme inadmissibles en droit international ;
i) les disparitions forcées de personnes ;
j) le crime d’apartheid ;
k) « Autres actes inhumains de caractère analogue causant intentionnellement de grandessouffrances
ou des atteintes graves à l’intégrité physique ou à la santé physique ou mentale ».

La liste des crimes susceptibles de constituer des crimes contre l’humanité n’est ainsi pas présentée comme
limitative.

Un des actes susmentionnés doit répondre à trois conditions pour constituer un crime contre l’humanité.

Ces conditions sont les suivantes :


1. L’acte est commis dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique ;
2. Cette attaque est dirigée contre une population civile ;
3. L’auteur a agi intentionnellement et en connaissance de l’attaque dans laquelle s’inscrit son crime.

Les deux premiers éléments peuvent être envisagés conjointement sous l’angle de l’élément matériel
du crime contre l’humanité et le troisième sous l’angle de son élément moral.

1. Élément matériel

Le contexte du crime contre l’humanité : « une attaque généralisée ou systématique dirigée contre toute
population civile ». La Cour pénale internationale a récemment rappelé qu’elle exige « un comportement qui
consiste en la commission multiple d’actes », sans nécessairement être de nature militaire, et qu’elle se définit
comme « une campagne ou […] une opération dirigée contre la population civile » (CPI, Le Procureur c/ Jean-
Pierre Bemba, Jugement, 21 mars 2016, ICC-01/05-01/08-3343-tFRA, § 149).

Les crimes sous-jacents commis par l’accusé doivent avoir été perpétrés « dans le cadre de cette attaque » –
autrement dit, ces actes doivent faire partie intégrante de l’attaque. Ce lien de connexitéentre les actes prohibés
et l’attaque exclut en principe les actes isolés commis à titre individuel.

Néanmoins, un lien seulement indirect est admis : pour être considérés comme s’inscrivant dans l’attaque, les
actes ne doivent pas nécessairement être décisifs pour l’attaque ou se produire géographiquement au cœur de
celle-ci.

L’attaque doit enfin être dirigée contre la population civile. Selon la jurisprudence du TPIY, l’« emploi du terme
“population” ne signifie pas que toute la population de l’entité géographique dans laquelle s’est déroulée
l’attaque doit y avoir été soumise.

Il suffit de démontrer qu’un nombre suffisant d’individus a été pris pour cible au cours de l’attaque, ou qu’ils
l’ont été d’une manière telle que la Chambre soit convaincue que l’attaque était effectivement dirigée contre
une “population civile”, plutôt que contre un nombre limité d’individus choisis au hasard » (Arrêt Kunarac,
op. cit., § 90).

En outre, il faut entendre la formulation « dirigée contre » comme signifiant qu’une population civile, quelle
qu’elle soit, doit être la cible principale de cette attaque (Arrêt Blaskic, op. cit., § 103).

18
La jurisprudence des TPI, sur le fondement de l’article 50 du Protocole additionnel I aux Conventions de Genève,
a défini la population civile par la négative. Ainsi sont exclus de la qualité de « personnes civiles » les membres
des forces armées et les membres des milices et des corps de volontaires faisant partie des forces armées.

2. Élément psychologique

Cet élément signifie que les actes doivent être commis avec intention et connaissance du contexte plus large
de l’attaque. L’article 30 du Statut de Rome, conformément à un principe général du droit pénal, prévoit : « Sauf
disposition contraire, nul n’est pénalement responsable et ne peut être puni à raison d’un crime relevant de la
compétence de la Cour que si l’élément matériel du crime est commis avec intention et connaissance ».

L’élément psychologique requiert ainsi deux éléments cumulatifs. L’intention est caractérisée lorsqu’une
personne « entend adopter un comportement », ou « entend causer cette conséquence ou est consciente que
celle-ci adviendra dans le cours normal des événements ».

La connaissance se définit, quant à elle, « lorsqu’une personne est consciente qu’une circonstance existe ou
qu’une conséquence adviendra dans le cours normal des événements ». Cet élément psychologique est requis
pour tout crime relevant de la compétence de la Cour.

En ce qui concerne le crime contre l’humanité, il est ainsi d’abord nécessaire d’établir que l’accusé était animé
de l’intention de commettre l’infraction sous-jacente (meurtre, torture, viol, etc.) qui lui est reprochée.

Il faudra également démontrer que l’auteur avait eu connaissance que son acte s’inscrivait dans le cadre d’une
attaque généralisée ou systématique. Il est ainsi nécessaire de prouver que l’accusé savait que la population
civile faisait l’objet d’une attaque et que ses actes s’inscrivaient dans le cadre de cette attaque (Arrêt Tadic, §
248) ; ou, tout au moins, qu’il avait eu conscience du risque que son acte participe à l’attaque et qu’il a accepté
ce risque (JugementBlaskic, § 251).
Enfin, la qualification de « crime contre l’humanité » emporte, en vertu du droit international, certaines
conséquences juridiques spécifiques :
- L’interdiction des mesures d’amnistie pour les auteurs de crimes contre l’humanité (Rapport du
Secrétaire général sur l’établissement d’un Tribunal spécial pour la Sierra Leone, S/2000/915, 4 octobre
2000).
- Les crimes contre l’humanité sont reconnus en vertu du droit international conventionnel et coutumier
comme imprescriptible (art. 29 du Statut de Rome)
- Les crimes contre l’humanité emportent une limitation des immunités internationales : il estdésormais
acquis que les immunités, même des dirigeants en exercice, sont sans effet devant les juridictions
pénales internationales (art. 27 du Statut de Rome).
- Le crime contre l’humanité se caractérise par la dualité des niveaux de jugement possibles, en ce sens
qu’il relève, comme les autres crimes supranationaux, de la compétence concurrente des juridictions
pénales internationales et internes. La compétence de la Cour Pénale Internationale n’est que
complémentaire des juridictions pénales internes qui conservent un rôle premier dans le jugement des
crimes internationaux.
- Enfin, le droit international coutumier reconnaît une compétence universelle subsidiaire et facultative
à tous les États pour juger les crimes contre l’humanité. Autrement dit, tout État, même s’il n’a aucun
lien avec ledit crime, a le droit d’en juger l’auteur présumé quels que soient sa nationalité, celle de ses
victimes ou le lieu de commission du crime, pour peu qu’il se trouve sur son territoire.

Tout cela démontre la complexité de la réception en droit interne de la définition internationale du crime
contre l’humanité.

19
II. LE PARTICULARISME FRANÇAIS : DES CRIMES CONTRE L’HUMANITÉ AUX
CRIMES CONTRE L’ESPÈCE HUMAINE

A. Les crimes contre l’humanité dans le droit français

Trois lois (1964, 1995 et 1996) étendent la compétence des tribunaux français pour juger de « crimes contre
l’humanité » en renvoyant aux définitions données par les différents instruments nationaux (Charte du Tribunal
de Nuremberg, puis celle du TPIY puis celle du TPIR).

La définition du crime contre l’humanité est désormais fixée par les articles 211-1 et suivants du Code pénal
(entré en vigueur le 1er mars 1994, L. no 93-913 du 19 juill. 1993, D. 1993. 394).

C’est donc en 1994 que les crimes contre l'humanité sont entrés de façon générale dans le droit français (et non
plus de manière exceptionnelle, en réponse à des atrocités passées). Le législateur prend conscience, à la lumière
de la guerre dans les Balkans, que les suites juridiques des crimes dela Seconde Guerre mondiale sont l'un
« des premiers moments d'un droit applicable aux plus hauts responsables des États en exercice sinon aux États
eux-mêmes »2. Il décide alors de faire des crimes contre l'humanité des infractions « ordinaires » au sens juridique
du terme.

Les textes ont ensuite été réformés, surtout par les lois no 2010-930 du 9 août 2010 et no 2013-711 du 5 août
2013.

Plusieurs conditions sont requises pour qualifier un crime contre l’humanité en droit français :

• Un premier élément commun concerne l'existence d'un plan concerté. Le droit français exige « l'exécution
d'un plan concerté » pour constituer soit un génocide, s'il tend à ladestruction totale ou partielle d'un
groupe humain déterminé à partir d'un critère arbitraire quelconque (art. 211-1 du Code pénal) ; soit un
crime contre l’humanité s'il est dirigé à l'encontre d'un groupe de population civile ou d'opposants
idéologiques attaqué généralement ou systématiquement (C. pén., art. 212-1 et-2) ;

• Un second élément commun, les victimes sont des personnes et jamais des biens. Cette
considération distingue le crime contre l’humanité du crime de guerre.

1. Crime de génocide

Le génocide est visé à l'article 211-1 du Code pénal. Le crime peut être commis en tout temps, de paix, de
guerre extérieure, ou de guerre civile.

Éléments contextuels :
- Le Code pénal exige que le génocide intervienne « en exécution d'un plan concerté » (art. 211-1). En
effet, « le génocide est le produit d'un système criminel »3.
- S'agissant de la qualité des victimes, sont visés par le plan concerté les membres d'un groupe déterminé.
Il y a rupture de l'égalité entre les Hommes : un groupe a décidé qu'un autre groupe devait être détruit/
Ce critère de choix est nécessairement arbitraire, comme l'exige l'article 211-1, puisque contraire aux
articles 1 et 3 de la Déclaration universelle des droits del'Homme. Le texte cite à titre d'exemple les cas
d'un groupe national, ethnique, racial ou religieux. Mais d'autres hypothèses pourraient se présenter
comme des motifs politiques ou philosophiques… C'est pourquoi la loi prend le soin de bien préciser
que le groupe peut être « déterminé à partir de tout autre critère arbitraire » c'est-à-dire reconnu
universellement comme inadmissible.

2 M. MASSÉ, Les moments d'un droit, in H. PAULIAT, S. GABORIAU, M. MASSÉ et C. JORDA, La Justice pénale internationale, op. cit., 2002, PULIM,
p. 11-14.
3
ASCENSIO, Une entrée mesurée dans la modernité du droit international pénal : À propos de la loi du 9 août 2010, JCP 2009, no 910, § 10, p. 1694.

20
- Il n'est pas nécessaire que la destruction poursuivie soit totale, entraînant l'élimination du groupe. Elle
peut n'être que partielle tout en étant significative, la tentative étant d'ailleurs punissable. Il n'est pas
davantage exigé que le but soit atteint : il suffit que le plan tende à la destruction, ce qui évoque une
infraction formelle.

Éléments matériels :
La loi précise que « constitue un génocide le fait […] de commettre ou de faire commettre, àl'encontre de
membres de ce groupe [déterminé à partir d'un critère arbitraire quelconque], l'un des actes suivants » (C. pén.,
art. 211-1, al. 1er) :
a) L’atteinte volontaire à la vie ;
b) L’atteinte grave à l'intégrité physique ou psychique ;
c) La soumission à des conditions d'existence de nature à entraîner la destruction totale ou partielle du groupe
est également un crime. Est ainsi pris en compte un élément que la Seconde Guerre mondiale a particulièrement
développé au travers de l'enfermement dans des camps, l'obligation d'accomplir des travaux pénibles avec une
nourriture et des soins insuffisants ou encore des brimades telles qu'elles revenaient à nier l'appartenance
pourtant évidente de leurs victimes au genre humain ;
d) Les mesures visant à entraver les naissances, à savoir l'avortement, la stérilisation, la séparation des adultes
des deux sexes en état de procréer ;
e) Est enfin considéré comme entrant dans la définition du génocide le transfert forcé d'enfants, afin qu'ils soient
séparés de leur groupe d'origine et qu'ils perdent ainsi leurs racines.

Élément moral :
L'élément moral pris en compte est double. Les actes matériels doivent évidemment être accomplis
intentionnellement. Mais les mobiles sont aussi pris en considération. L'auteur ou le complice doit avoir
conscience d'agir en exécution d'un plan concerté visant à la destruction totale ou partielle d'un groupe. Il n'est
pas nécessaire qu'il ait participé à l'élaboration du plan, mais il doit en connaître l'existence.

C'est en fait par l'étude de l'idéologie qui sous-tend ce plan concerté et par la preuve de l'adhésion de l'auteur à
l'objectif poursuivi spécialement que seront établis les mobiles de l'auteur. Laconstatation de cette condition
préalable revient donc souvent en pratique à établir le dol spécial. Le dol spécial consiste donc à vouloir atteindre
non seulement la victime, mais encore, à travers elle, le groupe auquel l'auteur ou le complice sait ou croit savoir
qu'elle appartient. L'agent doit alorspoursuivre l'objectif de parvenir à la destruction, l'élimination, l'extinction
ou l'éradication de ce groupe.

2. « Autres crimes contre l'humanité »

Les crimes de l'article 212-1 du Code pénal visent des actions autres que le génocide et qui ont pour objectif et
résultat de confiner des Hommes dans une situation d'infériorité portant gravement atteinte à leur dignité.
Comme le génocide, qui tend à la destruction d'un groupe, ces crimes peuventêtre commis indifféremment aussi
bien en temps de guerre qu'en temps de paix. Ils supposent l'exécution « d'un plan concerté [commis] à l'encontre
d'un groupe de population civile dans le cadre d'une attaque généralisée ou systématique ».

Élément matériel :
a) La deportation ;
b) La réduction en esclavage ;
c) La pratique massive et systématique d'exécutions sommaires. À la différence du génocide, n'estpas prise
en considération l'appartenance des victimes à un même groupe ;
d) La pratique massive et systématique d'enlèvements de personnes suivis de leur disparition entredans la
définition des crimes visés ;
e) La pratique massive et systématique de la torture ou d'actes inhumains ;
f) L'atteinte volontaire à la vie ;
g) L'extermination ;
h) L'emprisonnement ou toute autre forme de privation grave de liberté physique en violation des dispositions
fondamentales du droit international ;

21
i) Le viol, la prostitution forcée, la grossesse forcée, la stérilisation forcée ou toute autre forme de violence
sexuelle de gravité comparable ;
j) La persécution de tout groupe ou de toute collectivité identifiable pour des motifs d'ordrepolitique, racial,
national, ethnique, culturel, religieux ou sexiste ou en fonction d'autres critères universellement reconnus
comme inadmissibles en droit international ;
k) L'arrestation, la détention ou l'enlèvement de personnes, suivis de leur disparition etaccompagnés du déni
de la reconnaissance de la privation de liberté ou de la dissimulation du sort qui leur est réservé ou de
l'endroit où elles se trouvent dans l'intention de les soustraire à la protection de la loi pendant une période
prolongée ;
l) Les actes de ségrégation commis dans le cadre d'un régime institutionnalisé d'oppression systématique et
de domination d'un groupe racial sur tout autre groupe racial ou tous autres groupes raciaux et dans
l'intention de maintenir ce régime c'est-à-dire l'apartheid même si le terme n'existe pas dans la langue
juridique française ;
m) Les autres actes inhumains de caractère analogue causant intentionnellement de grandes souffrances ou
des atteintes graves à l'intégrité physique ou psychique ». Le législateur a donc souhaité une catégorie
ouverte et susceptible d'être complétée par la jurisprudence tant que le caractère de gravité est comparable.

Élément moral :
L'élément moral consiste dans l'intention de commettre les actes, mais avec, à nouveau, la prise en compte du
mobile. Les auteurs doivent être animés spécialement par l'intention de causer dessouffrances grandes ou des
atteintes graves à l'intégrité des membres du groupe qu'ils entendent persécuter. C'est d'ailleurs précisément
cette intention qui leur inspire un plan concerté consistant à attaquer une population civile de façon généralisée
ou systématique.

B. Les crimes contre l’espèce humaine

En France, le législateur a introduit un jeu de nuances assez subtil qui articule ensemble sous le titre 1er du Code
pénal d’abord la répression des crimes contre l’humanité (C. pén., art. 211-1 à 212-3) puis celle des crimes
contre l’espèce humaine (C. pén., art. 214-1 à 215-4). Sans vraiment justifier cette distinction le législateur
distingue donc entre humanité et espèce humaine, accentuant tantôt le caractère culturel et tantôt le caractère
biologique du groupe humain protégé.

Les crimes contre l’espèce humaine répriment l’eugénisme et le clonage reproductif (C. pén., art. 214-1 à
214-4). Ils protègent ainsi « l’appartenance de chaque individu à l’humanité ». D’autres infractions cherchent
plus loin dans le Code pénal à assurer « la protection de l'espèce humaine » (C. pén., art. 511-1 à 511-1-2).

Les crimes contre l’humanité revêtent une portée plus large, ils ne visent pas l’individu dans son essence
biologique, mais principalement au contraire dans son identité collective.

1. Le crime d’eugénisme

D’un point de vue juridique, dans un premier temps c’est la loi du 29 juillet 1994 relative au respect du corps
humain qui est venue sanctionner « le fait de mettre en œuvre une pratique eugénique tendant à l’organisation
de la sélection des personnes » (ancien art. 511-1 du Code pénal) en le punissant de « vingt ans de réclusion
criminelle ». En parallèle, la même loi a fait entrer l’interdiction d’une telle pratique dans le Code civil (art. 16-4
al. 2). Dans un second temps, la loi du 6 août 2004 relative à la bioéthique a aggravé la sanction d’un tel
comportement en la portant à « trente ans de réclusion criminelle et 7 500 000 € d’amende » (art. 214-1 du Code
pénal). Aujourd’hui, le crime d’eugénisme est l’espèce du genre plus général du crime contre l’espèce humaine.

Le domaine d’application du crime d’eugénisme est particulièrement étendu et permet de sanctionner plusieurs
formes d’eugénisme.

22
D’une part, il s’agit de réprimer l’eugénisme négatif qui consiste à rejeter en dehors de l’humanité les individus
regardés comme inférieurs d’un point de vue racial, ethnique ou génétique. Ces individus sont alors perçus
comme relevant d’une « sous-humanité ». À l’avenir, la menace pourrait concerner d’éventuels hybrides
humains/non-humain (chimères homme-animal) ou humain/machine.

Dans sa matérialité, le crime d’eugénisme négatif serait constitué en cas d’extermination de groupes humains en
raison de leurs caractéristiques génétiques – autrement dit, de « génocide génétique ». Ilen irait de même en cas
d’organisation de pratiques discriminatoires, sorte d’apartheid génétique, comme l’exclusion systématique de
personnes présentant des prédispositions génétiques à des maladies graves pour l’accès à certains emplois ou à
l’assurance-vie.

D’autre part, le crime de l’article 214-1 du Code pénal peut prendre la forme d’un eugénisme positif. Celui-ci
consisterait à créer des individus, perçus comme supérieurs en raison de certaines caractéristiques, notamment
génétiques. Ces individus relèveraient alors d’une « surhumanité ». Dès lors, le crime d’eugénisme serait
constitué en cas de recours à des techniques de modification du génome humain destinées non pas à soigner,
mais à améliorer les performances physiques ouintellectuelles des êtres humains.

Le Code pénal français rejoint alors la Convention sur les droits de l’homme et la biomédecine signée à Oviedo
le 4 avril 1997 et dont l’article 13 dispose : « Une intervention ayant pour objet de modifier le génome humain ne
peut être entreprise que pour des raisons préventives, diagnostiques ou thérapeutiques et seulement si elle n’a
pas pour but d’introduire une modification dans le génome de la descendance. »

Dans le même sens, l’article 3, 2o de la Charte des droits fondamentaux adoptée à Nice par les États membres
de l’Union européennele 7 décembre 2000 pose comme principe que, « dans le cadre de la médecine et de la
biologie, doi[t]notamment être respecté[e] […] l’interdiction des pratiques eugéniques, notamment celles qui ont
pour but la sélection des personnes ».

Dans tous les cas, la propagande ou la publicité, quel qu’en soit le mode, en faveur de l’eugénisme est un délit
puni de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 € d’amende (art. 511-1-2, al. 2 du Code pénal).

2. Le crime de clonage reproductif

La loi de 2004 relative à la bioéthique incrimine « le fait de procéder à une intervention ayant pour but de faire
naître un enfant génétiquement identique à une autre personne vivante ou décédée » (art. 214-2 du Code pénal).
Le crime de clonage reproductif est puni de « trente ans de réclusion criminelle et de 7 500 000 € d’amende ».
Cette disposition fait écho à l’article 16-4, alinéa 3 du Code civil, lui aussi issu de la loi de 2004, qui pose le principe
de l’interdiction du clonage reproductif.

D’un point de vue scientifique, le clonage consiste à produire plusieurs organismes génétiquement identiques.
Cette technique a été pratiquée sur des mammifères. Elle a notamment permis la naissance de la brebis Dolly en
1996. À la suite de quoi, on s’est interrogé sur la transposition de cette technologie à l’être humain. Des
chercheurs ainsi que des mouvements sectaires se sontdéclarés prêts à franchir ce pas. Cela a conduit les
législateurs nationaux et internationaux à réagir.Le plus souvent, cette réaction a varié suivant la finalité visée
par le recours à la technique de clonage.

En ce qui concerne le clonage thérapeutique, il s’agit de créer un embryon humain cloné et de l’utiliser pour des
expérimentations ayant un but thérapeutique à plus ou moins long terme ou bien pour la croissance de tissus
destinés à être greffés chez des individus malades. Quant au clonage reproductif, il vise à faire naître des individus
génétiquement identiques, afin de faire revivre un être cher décédé ou bien pour créer son égal génétique.

23
Le Code pénal français sanctionne aussi bien le clonage thérapeutique que le clonage reproductif, àla différence
de droits étrangers (notamment Grande-Bretagne, États-Unis, Suède, Australie) qui autorisent le clonage
thérapeutique. Pour autant, en France, seul le clonage reproductif est qualifié de crime contre l’espèce humaine.

En effet, la loi de 2004 relative à la bioéthique a seulement incriminé le clonage thérapeutique comme un délit
en matière d’éthique médicale en le punissant desept ans d’emprisonnement et de 100 000 € d’amende (art.
511-18-1 du Code pénal).

Une telle différence de traitement pénal entre les deux formes de clonage montre que le législateur français a
voulu faire dépendre la gravité des infractions de clonage, non pas de la technique scientifique utilisée puisqu’elle
est identique dans les deux cas, mais de la finalité poursuivie par les utilisateursde ce procédé. Dès lors, sur le
plan éthique, pour le législateur, il est moins grave de concevoir un embryon humain par clonage à des fins
d’expérimentation ou de soin, que de le concevoir aux fins de faire naître un enfant génétiquement identique à
une autre personne.

Au-delà de la responsabilité pénale, la naissance clonée ne pourrait-elle pas s’analyser comme un préjudice
réparable sur le fondement de la responsabilité civile ? Ainsi, alors que l’article L. 114-5 du Code de l’action
sociale et des familles interdit à quiconque de « se prévaloir d’un préjudice du seul fait de sa naissance »,
contrairement à ce qu’avait retenu la Cour de cassation dans le célèbre arrêt Perruche (Ass. plén., 17 novembre
2000), l’enfant cloné ne naîtrait pas à la suite d’un acte naturel etil pourrait donc subir un préjudice parce que «
fabriqué […] dans des conditions qu’il estime dommageables pour lui ». Dans ce cas, le préjudice subi par l’enfant
consisterait dans la lésion de sonintérêt à ne pas naître.

À la lecture de l’article 214-2 du Code pénal, le crime de clonage reproductif s’analyse comme une infraction
formelle, consommée par le seul accomplissement de l’acte incriminé, indépendamment de la réalisation d’un
dommage. On parle aussi d’infraction de moyens, puisque l’obtention effective d’une naissance d’enfant cloné
n’est pas exigée pour qualifier le fait de criminel.

En effet, il est question de « procéder à une intervention ayant pour but de faire naître » et non pas à une
intervention ayant abouti à faire naître « un enfant génétiquement identique à une autre personne ». Comme
en matière d’eugénisme, la propagande ou la publicité en faveur du clonage reproductif est un délit sanctionné
par une peine de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 € d’amende (art. 511-1-2 du Code pénal).

La répression du clonage reproductif dans notre ordre juridique au titre des crimes contre l’espèce humaine est
d’importance quand on sait que les textes internationaux se contentent de poserl’interdiction de cette technique
de clonage, sans en punir la transgression (Déclaration universelle sur le génome humain et les droits de l’homme
du 11 novembre 1997 (art. 11) ; Protocole additionnel à la Convention d’Oviedo sur les droits de l’homme et la
biomédecine, portant interdiction du clonage des êtres humains du 12 janvier 1998 ; la Déclaration des Nations
Unies sur leclonage des êtres humains du 23 mars 2005 ; ou encore la Déclaration universelle sur la bioéthique
adoptée par l’Unesco le 19 octobre 2005 qui, sans poser d’interdits, vise la « protection des générations futures
» eu égard à l’incidence des sciences de la vie (art. 16)).

24
FICHE N°3 : L’INTÉGRITÉ DE LA PERSONNE

Résumé :

La protection de l’intégrité de la personne se décline en des obligations positives (protéger) et négatives (ne pas
torturer ni soumettre à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ; ne pas réduire en esclavage) à la
charge de l’État, et se traduit par la prohibition de la torture et des peines et traitements inhumains et
dégradants, ainsi que l’interdiction de l’esclavage en droit international.

Notions abordées dans la fiche :

- Dignité
- Peine de mort
- Torture
- Peine et traitements inhumains et dégradants
- Esclavage
- Servitude
- Travail forcé

25
En France, le Conseil constitutionnel a consacré la valeur constitutionnelle du principe de dignité par sa décision
DC n°94-343/344, 27 juillet 1994, Bioéthique, duquel découle la protection de la vie et notamment la protection
de l’intégrité de la personne.

La protection de l’intégrité est prévue au sein du titre II du livre II du Code pénal qui prévoit notamment
l’interdiction de la torture, la répression des agressions sexuelles et du harcèlement moral.

Les textes internationaux protégeant le droit à la vie et l’interdiction de la torture, l’abolition de l’esclavage et la
prohibition de la servitude sont nombreux et semblent avoir porté les plus grandes avancées en matière de
protection juridique de l’intégrité de la personne.

I. LA PROTECTION DE L’INTÉGRITÉ DE LA PERSONNE COMME COROLLAIRE DU


DROIT À LA VIE
Le droit à la vie protège au sens large l'intégrité des personnes en garantissant un statut protecteur du corps
humain.

Pour la Cour européenne, ce droit signifie que l'État doit s'abstenir de provoquer la mort de manière volontaire
et irrégulière mais aussi prendre les mesures nécessaires à la protection de la vie des personnes relevant de sa
juridiction (CEDH, 9 juin 1998, LCB c/ Royaume-Uni).

A. L’obligation de protéger

Il est possible de distinguer trois types de protection de l’intégrité de la personne :

1. La protection de l'intégrité de la personne contre l'État

Le droit à la vie fait peser sur l'État et ses agents l'obligation de ne pas porter atteinte, intentionnellement ou
non, à l’intégrité physique des personnes relevant de sa juridiction lorsqu’ils font usage de la force publique.

Néanmoins, au nom de la vie en société, l’État pourra porter atteinte à l’intégrité physique des personnes
relevant de sa juridiction lorsqu’il fait usage de la force publique, lorsque tel acte se justifie par la protection de
l’ordre public ou de la santé publique, mais alors cet usage doit être nécessaire est strictement proportionné à
l’objectif légitime poursuivi.

2. La protection de l’intégrité de la personne contre les particuliers

Le droit à la vie suppose une obligation pour les autorités nationales de prendre des mesures positives afin
d’assurer la protection de la vie de toute personne placée sous sa juridiction dans le cadre des relations entre
individus.

Une exigence positive pèse sur l’État de mettre en place une répression pénale efficace et complète : CEDH, 28
octobre 1998, Osman contre Royaume-Uni.

3. La protection de l’intégrité de la personne contre elle-même

Le droit à la vie suppose que l’État puisse punir une personne pour la protéger d’elle-même.

Dans certaines circonstances, l’État doit limiter la maîtrise par l’homme de la libre disposition de son corps, et
veiller à ce que des conditions de travail, par exemple, ne portent pas atteinte à sa dignité sur le fondement du
principe de l’indisponibilité du corps humain.

26
Le Conseil d’État a rendu deux arrêts à propos d’arrêtés municipaux qui interdisaient des spectacles de « lancer
de nains » en donnant une dimension objective à la dignité de la personne humaine (Conseil d’État, Assemblée,
27 octobre 1995, ville d’Aix-en-Provence et commune de Morsang-sur- Orge). Le comité des droits de l’homme
des Nations unies a suivi cette même approche d’objectivisation de la dignité de la personne humaine (CDH,
Décision du 26 juillet 2002, Wackenheim c. France).

Quid de la prostitution ? La loi du 13 avril 1946 laisse entendre que la prostitution est une activité économique
fondée sur l’échange d’une rémunération contre un service à caractère sexuel. Cette approche est confortée par
la jurisprudence des cours européennes (CJUE 20 novembre 2001 Aldona Malgorzata cJany et autres c/ Pays-
Bas ; CEDH, 11 septembre 2007, Tremblay c/ France).

B. L’obligation de ne pas tuer : l’abolition de la peine de mort

En France la peine de mort a été interdite par la loi du 9 octobre 1981. La France a dès lors influencé le reste de
l’Europe. Suite à la décision DC n° 2005–524/525 du 13 octobre 2005 (Abolition de lapeine de mort), la loi
constitutionnelle numéro 2007–239 du 23 février 2007 a inséré l’article 66–1 àla Constitution française de 1958.
Il est expressément indiqué : « nul ne peut être condamné à la peine de mort ».

Le Conseil Constitutionnel estime que le respect de cette disposition est garanti en lien avec le respect du principe
de la dignité humaine (QPC n°2010-79 17 décembre 2010, M. Kamel Daoudi).

Ni la Convention européenne des droits de l’homme ni le Pacte international des droits civils et politiques
de 1966 de l'ONU n'interdisaient la peine de mort.

Les États membres du Conseil de l’Europe ont décidé d’adopter le 28 avril 1983 le Protocole additionnel
n° 6 posant l’interdiction de la peine de mort en temps de paix.

La lettre de l'article premier du Protocole numéro six à la Convention européenne a été reprise parun protocole
facultatif du 15 décembre 1989 au Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

Par la suite fut adopté au sein du conseil de l'Europe le protocole numéro 13, adopté le 2 mai 2002, abolissant
la peine de mort en toutes circonstances. La Cour européenne des droits de l’homme a semblé affirmer que
cette abolition s’imposait à tous les États, y compris ceux n’ayant pas ratifié le protocole (CEDH, 2 mars 2010, Al-
Saadoon et al. c. Royaume-Uni).

À toutes les échelles, la protection de l’intégrité de la personne a entraîné petit à petit une condamnation de la
peine de mort au sein de la scène juridique.

II. LE DROIT D’ÊTRE TRAITÉ HUMAINEMENT


Ce droit comporte deux déclinaisons : le droit de ne pas subir de torture ni de traitements inhumains ou
dégradants (A) ; et celui de ne pas être soumis à l’esclavage, à la servitude ou au travail forcé et obligatoire (B).

Tout comme le droit à la vie, la protection contre la torture et contre l’esclavage sont des droits auxquels
on ne peut pas déroger, s’insérant dans le « noyau dur » des droits de l’homme.

A. L’interdiction de la torture et des traitements inhumains et dégradants

L’interdiction de la torture et des traitements inhumains et dégradants est la formulation en droitinternational


du principe national de la protection contre les atteintes à l’intégrité physique.

27
1. La consécration supranationale de la protection

Au niveau international, l'interdiction de la torture et des traitements inhumains ou dégradants a été proclamée
par l'article 5 de la Déclaration universelle des droits de l’homme au terme duquel : « nul ne sera soumis à la
torture, ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ».

Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966 a confirmé ce principe en posant à l’article 7
que « nul ne sera soumis à la torture ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. En
particulier, il est interdit de soumettre une personne sans son libre consentement à une expérience médicale ou
scientifique ».

L’article 4§2 du Pacte (les dérogations en situations exceptionnelles) en fait une interdiction indérogeable,
intangible.

Nous retrouvons également cette consécration au sein de plusieurs Convention spécialisées. Par exemple, la
Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels inhumains ou dégradants adoptée le 10
décembre 1984 et entrée en vigueur le 26 juin 1987 (dite « Convention de NY ») ; et son protocole facultatif
adopté le 18 décembre 2002 et entré en vigueur le 23 juin 2006 établissant un système préventif d’inspection
des lieux de détention.

Au niveau du Conseil de l’Europe, l’article 3 de la Convention européenne prévoit que « nul ne peut être soumis
à la torture ni à des peines inhumains ou dégradants ».

L’article 15 (dérogations en situations exceptionnelles) en fait un droit indérogeable, intangible.

La Cour européenne estime que le droit de ne pas subir de torture et de traitements inhumains et dégradants
est une des valeurs fondamentales des sociétés démocratiques qui forment le Conseil de l’Europe (CEDH 7 juillet
1989 Soering c/ RU) et qu’il est devenu une règle impérative du droit international (CEDH, Al-Adsani contre
Royaume-Uni du 21 novembre 2000).

La consécration de cette interdiction se retrouve également au sein de la Convention européenne pour la


prévention de la torture adoptée le 26 novembre 1987 et entrée en vigueur en 1989 pour compléter la
protection qui découle de la Convention du 4 novembre 1950.

Au niveau de l’Union européenne, l’article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l’UE prévoit que nul ne
peut être soumis à la torture, ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants.

Le Conseil d’État a reconnu comme liberté fondamentale au sens de l’article L. 521–2 du Code de justice
administrative le droit protégé à l’article 3 de la Convention européenne de ne pas être soumis à des traitements
inhumains ou dégradants (CE, ordonnance des référés, 22 décembre 2012, Section française de l’observatoire
international des prisons et autres ; Conseil d’État, 10 avril 2013,
M. Moussaoui, n°367343).

2. La qualification des mauvais traitements

• Le traitement inhumain est le traitement qui provoque volontairement ou non des souffrances
mentales ou physiques d’une intensité particulière (CEDH, 25 avril 1978 Tyrer c/ Royaume-Uni ; CEDH
28 novembre 2017, Corneanu c/ Roumanie)
• Le traitement dégradant est celui qui « humilie l’individu grossièrement devant autrui ou le pousse agir
contre sa volonté ou sa conscience » ou qui « abaisse l’individu à ses propresyeux » (CEDH, 25 avril
1978, Tyrer c/ Royaume-Uni).

28
• La torture est en traitement inhumain délibéré « provoquant de fort graves et cruelles souffrances »
(CEDH, 18 janvier 1978, Irlande contre Royaume-Uni).
La Convention sur la torture et autres traitements cruels, inhumains ou dégradants de 1984 définit la
torture comme : « un acte par lequel des souffrances aiguës, physique ou mentale sont
intentionnellement infligées à une personne par un agent de la fonction publique, ou à son instigation,
dans un but déterminé »

La gravité d’un mauvais traitement est relative et s’apprécie in concreto (CEDH, 18 janvier 1978, Irlande contre
Royaume-Uni).

Les traitements interdits sont de plus en plus largement entendus ; ainsi par l’arrêt Moldovan et autres c/
Roumanie du 12 juillet 2005 la Cour européenne des droits de l’homme a considéré que les discriminations
raciales pouvaient équivaloir à des traitements inhumains ou dégradants.

Également, les menaces de traitements inhumains ou dégradants sont par nature contraires à l’article 3
de la Convention européenne (CEDH, gr. Ch. 1er juin 2010 Gafgen c/ Allemagne).

Depuis l’arrêt Tomasi c/ France, le juge européen a procédé à un renversement de la charge de la preuve, de
telle sorte que les allégations du requérant valent sauf preuve contraire apportée par les autorités nationales
mises en cause.

3. La protection contre les mauvais traitements

La protection contre les mauvais traitements revient à mettre à la charge de l’État partie l’obligation de prendre
des mesures propres à éviter, punir ou réparer la violation de l’intégrité physique et morale d’une personne par
les autorités nationales ou par des tiers.

a) La protection contre les mauvais traitements infligés par l’État


L’interdiction générale et absolue posée à l’article 3 de la Convention européenne fait peser sur l’Étatdeux types
d’obligation :
- D’abord une obligation négative de ne pas soumettre les personnes qui relèvent de sajuridiction à des
conditions constitutives d’un mauvais traitement prohibé (CEDH, 25 avril 2002, Pretty contre Royaume-
Uni).
- Ensuite, une obligation positive d’adopter des mesures propres à garantir la réalisationeffective du droit
garanti par l’article 3 de la Convention.
Par exemple l’État doit procéder à une enquête approfondie pour permettre l’identification et la
punition des responsables d’une violation de la Convention à la matière (CEDH, 28 octobre 1998,
Assenov contre Bulgarie). L’État doit garantir des conditions de détention digne (CEDH, 12 juin 2007,
Frérot contre France). Un État doit également veiller à la satisfaction de conditions matérielles
d’accueil satisfaisantes pour les demandeurs d’asileafin de ne pas manquer de respect à la dignité
d’une personne sollicitant ce type de protection (CEDH, Gr. Ch., 21 janvier 2011, MSS contre Belgique
et Grèce).

Le juge administratif français estime que « les autorités titulaires du pouvoir de police générale »sont « garantes
du respect du principe constitutionnel de sauvegarde de la dignité humaine et à ce titre elles doivent veiller entre
autres à ce que le droit de toute personne à ne pas être soumise à des traitements inhumains ou dégradants soit
garanti » (CE, ordonnance des référés, 23 novembre 2015,ministre de l’intérieur et commune de Calais).

Qu’en est-il du traitement des prisonniers ?

Par une interprétation constructive, la Cour européenne a procédé à une extension du champ d’application de
l’article 3 de la Convention afin de combler certaines failles du texte de 1950 qui ne réserve pas de protection
spécifique aux détenus - alors que le Pacte International relatif aux droits civils et politiques prévoit pour ces
derniers une protection spécifique à l’article 10 paragraphe 1.

29
Fut consacré le droit de tout prisonnier à être « détenu dans des conditions qui sont compatibles avec le respect
de la dignité humaine » (CEDH, grande chambre, 26 octobre 2000). La Cour a également estimé que lorsqu’un
détenu dispose de moins de 3m2 d’espace personnel, il existe alors une forte présomption de traitement
inhumain ou dégradant (CEDH, 8 janvier 2013, Torreggiani et autres c/ Italie).

Récemment, par un arrêt du 5 décembre 2019, la Cour européenne des droits de l'homme a estimé qu'un détenu
a subi, la veille d'un transfert d'établissement et au cours de celui-ci, des traitements inhumains et dégradants
contraires à l'article 3 de la Convention et n'a pas bénéficié d'une enquête effective (CEDH, 5 décembre 2019,
J.M. c/ France)

En France, on retrouve dans la loi pénitentiaire n°2009–1436 du 24 novembre 2009, le droit de toute personne
détenue au respect de sa dignité (article 22).

b) La protection contre les mauvais traitements infligés par les


particuliers
L’État a l’obligation de prendre des mesures positives afin d’assurer la protection de toute personne sous sa
juridiction dans le cadre particulier des relations entre individus (CEDH, 23 septembre 1998, c/ Royaume-Uni).

Ainsi, l’État doit réprimer des cas de maltraitance commis sur les enfants par leurs proches (CEDH, 10mai 2001,
Z et autres c/ Royaume-Uni), ou bien ceux commis sur les détenus par d’autres détenus (CEDH, 3 juin 2003,
Pantea c/ Roumanie).

A. L’interdiction de l’esclavage, de la servitude et du travail forcé obligatoire

1. La consécration supranationale de la protection

Au niveau international, cette interdiction figure tout d'abord à l'article 4 de la Déclaration universelle des droits
de l’homme aux termes duquel « nul ne sera tenu en esclavage ni en servitude, l'esclavage et la traite des esclaves
sont interdits sous toutes leurs formes ».

L'article 8 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966 prévoit : « nul ne sera tenu en
esclavage, l’esclavage et la traite des esclaves, sous toutes leurs formes, sont interdits » entre (§1) et ajoute que
« nul ne sera tenu en servitude » (§2) et que « nul ne sera astreint à accomplir un travail forcé ou obligatoire »
(§3). L’article 4§2 rend ce droit intangible, non-susceptible de dérogations.

La Convention relative à l’esclavage (signée à Genève le 25 septembre 1926 et entrée en vigueur le 9 mars 1927)
ainsi que la Convention pour la répression de la traite des êtres humains et de l’exploitation de la prostitution
d’autrui (du 21 mars 1950 et entrée en vigueur le 25 juillet 1951) ainsi que les Conventions de l'Organisation
Internationale du Travail numéro 29 (adoptée le 28 juin 1930 et entrée en vigueur le 1er mai 1932), et numéro
105 (adoptée le 25 juin 1957 et entrée en vigueur le 17 janvier 1959) encadrent au niveau international ces
interdictions.

Au niveau du Conseil de l’Europe, l’article 4 de la Convention européenne prévoit que « nul ne peut être tenu en
esclavage ni en servitude » (§1) et que « nul ne peut être restreint à accomplir un travail forcé ou obligatoire »
(§2).

Seule la prohibition de l’esclavage et de la servitude est considérée comme absolue car l’interdiction du travail
forcé ou obligatoire peut faire l’objet d’exception pour des raisons d’intérêt général ou de solidarité nationale.

La Cour européenne a considéré que cette interdiction de l’esclavage, de la servitude, et du travail forcé est une
valeur fondamentale des sociétés démocratiques (CEDH, 26 juillet 2005, Siliadin contre France).

Au niveau de l’Union européenne, l’article 5 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne prévoit
que « nul ne peut être tenu en esclavage ni en servitude » (§1) « nul ne peut être astreint à accomplir un travail
forcé obligatoire » (§2) et « la traite des êtres humains est interdite. » (§3).

30
2. La protection contre les traitements d’asservissements

- Le travail forcé ou obligatoire est défini comme « travail ou service exigé d'un individu sous la menace
d'une peine quelconque et pour laquelle ledit individu ne s'est pas offert de pleingré » (Convention
numéro 29 de l'Organisation I nternationale du Travail du 28 juin 1930).

Cette définition est reprise par la Cour européenne des droits de l’homme dans son arrêt du 3
novembre 1983 Van Der Mussele c/ Belgique. Relève de cette catégorie la traite des êtres humains :
CEDH, 7 janvier 2010, Rantsev c/ Chypre et Russie.

- La servitude est « une obligation de prêter ses services sous l’empire de la contrainte » (CEDH, 7 mars
2000, Seguin contre France).
- L'esclavage est « l’état ou condition d'un individu sur lequel s'exercent les attributs du droit depropriété
ou certains d'entre eux » (Art. 1, §1, convention relative à l'esclavage signée à Genève le 25 septembre
1926 et entrée en vigueur le 9 mars 1927).

Ces trois notions ne sont pas toujours évidentes à distinguer. Il faut retenir dans les notions de servitude et de
travail forcé qu’elles correspondent à ce que certains qualifient d’esclavage contemporain, par opposition à
l’esclavage au sens traditionnel.

Si le travail forcé ou obligatoire est expressément interdit dans toutes ses formes, les Conventions internationales
prévoient souvent des exceptions telles que le service militaire, le travail pénitentiaire, ou des cas de
circonstances exceptionnelles comme les guerres ou les incendies.

La Cour européenne a pu considérer que « l'élément fondamental qui distingue la servitude du travail forcé ou
obligatoire, au sens de l'article 4 de la Convention, consiste dans le sentiment des victimes que leur condition est
immuable et que la situation n'est pas susceptible d'évoluer » (CEDH, 11 octobre 2012, CN et V. contre France :
la Cour avait considéré que la France avait manqué à l’obligation positive de mettre en place un cadre législatif
et administratif permettant de lutter efficacement contre la servitude et le travail forcé).

La Cour européenne des droits de l’homme voit également des obligations positives à la charge des
États pour assurer la protection contre la servitude.

Elle a déjà affirmé que l'article 4 imposait aux États membres « l'obligation positive spécifique de pénaliser et de
poursuivre effectivement tout acte visant à réduire un individu en esclavage ou en servitude ou à le soumettre
au travail forcé ou obligatoire. Pour s’acquitter de cette obligation, les États membres doivent mettre en place
un cadre législatif et administratif interdisant et réprimant la traite ». Par ce biais, la Cour sanctionne la
complaisance des systèmes juridiques à l'égard de réseau mafieux de prostitution (CEDH, 7 janvier 2010, Rantsev
contre Chypre et Russie).

En droit français il existe différentes incriminations pour lutter contre l'esclavage, la servitude et la traite sexuelle.
Ces textes ont souvent été adoptés sous l’impulsion des juridictions ou organisations internationales. D'abord le
droit sanctionne la réduction en esclavage d'une personne (Code pénal, article 224–1 A) comme étant « le fait
d'exercer à l'encontre d'une personne l'un des attributs du droit de propriété ». Le Code pénal sanctionne
également l'exploitation économique ou sexuelle d’une personne réduite en esclavage (Code pénal, article 224–
1 B).

L’infraction générale de traite fut intégrée à l’article 225–4-1 du Code pénal qui dispose que « constitue
le délit de traite d’être humain l’exploitation d’une personne entendu comme le fait demettre la victime à sa
disposition ou à la disposition d’un tiers, même non identifié, afin soit de permettre la commission contre la
victime des infractions de proxénétisme, d’agression ou d'atteinte sexuelle, de réduction en esclavage, de
soumission à du travail ou à des services forcés, de réduction en servitude, de prélèvement de l'un de ses organes,
d'exploitation de la mendicité, de conditions de travail ou d'hébergement contraire à sa dignité, ou de contraindre
la victime à commettre tout crime ou délit ».

31
La Cour de cassation a considéré qu’un mariage arrangé pouvait tomber sous la qualification detraite d’être
humain dès lors que « l'achat de la mineure avait pour finalité de la contraindre à commettre des vols » (Chambre
criminelle, 16 décembre 2015, n° 14–85.900).

Le Code pénal réprime également la mise en servitude d'une personne vulnérable ou dépendante (article 225–
14–2).

Parallèlement il existe des incriminations spécifiques à l’exploitation de la prostitution (Code pénal, articles 225–
12–1 à 225–12–4) ou de la mendicité (Code pénal, article 225– 12–5 à deux cents 25–12–7) et la vente à la
sauvette (Code pénal, article 225–12–8 à 225-12-10).

La Cour de cassation a posé le principe d’un droit à réparation intégrale des victimes du fait du préjudice tant
moral qu’économique subi par les victimes. (Chambre sociale, 3 avril 2019, numéro 16–20.490).

FOCUS : CONTRAINTE ÉCONOMIQUE OU TRAVAIL FORCÉ ?

La Cour européenne se refuse à poser une équivalence entre situation de contrainte économique et vice du
consentement qui permettrait de qualifier une situation de travail forcé.

Elle a ainsi considéré qu’une requérante prostituée et poursuivie pour défaut de paiement de cotisations sociales
au titre de ses revenus, n’était pas « contrainte » par l’État de continuer à se prostituer pour payer ses dettes et
pouvait donc se prétendre victime d’une violation de l’article 4 de la Convention (CEDH, 11 septembre 2007,
Tremblay c. France).

Pour autant, les juges ont admis pour des migrants travaillant dans des exploitations agricoles que
« lorsqu’un employeur abuse de son pouvoir ou tire profit de la situation de vulnérabilité de ses ouvriers afin de
les exploiter, ceux-ci n’offrent pas leur travail de plein gré. Le consentement préalable de la victime n’est pas
suffisant pour exclure de qualifier un travail de travail forcé ». (CEDH, 30 mars 2017, Chowdury e autres c. Grèce).

FOCUS : TRAVAIL DES PRISONNIERS ?

Dès 1971, la Cour européenne considérait que l’obligation faite à des vagabonds de travailler dans des centres
de réinsertion n’était pas contraire à la Convention (CEDH 1971, De Wilde, Ooms et Versyp c. Belgique).

Pour la CEDH, le fait qu’un détenu ne soit pas rémunéré pour son travail ne s’érige pas en barrière à la
qualification de celui-ci comme un « travail normalement requis d’une personne soumise à la détention » (CEDH
9 octobre 2012, Zhelyazkov c. Bulgarie).

De même, il n’existe pas d’obligation d’affiliation des détenus à un régime de protection sociale (CEDH, GC 7 juill.
2011, Stummer c. Autriche).

Pour le Conseil d’État, un travail requis de prisonnier n’est pas contraire à l’article 4 lorsque la condamnation est
prononcée en application d’un texte de portée générale, que le travail à accomplir n’excède pas ce qui est
normalement requis d’une personne condamnée et qu’il procède à la réinsertion du condamné (CE, 17 avril
2015, n°385866).

Quant au Conseil constitutionnel, il considère que les règles juridiques relatives au travail des détenus, bien que
largement dérogatoires au droit du travail (absence de contrat, absence de salaire minimal…) ne méconnaissent
pas les dispositions de la Constitution protectrices des droits des salariés (Cons. Const. 14 juin 2013, décision
n°2013-320/321 QPC). Le détenu se retrouve donc en dehors de la protection du droit social.

32
Est donc soulevée la délicate question de la frontière entre forme légale du travail et exploitation illicite. Sur
celle-ci, rappelons la considération d’Alain Supiot ; pour lui, le travail est « depuis la disparition de l’esclavage et
du servage, au point de rencontre de la servitude et de la liberté. Car même entre des hommes libres et égaux, le
travail implique l’organisation d’une hiérarchie, la soumission des uns au pouvoir des autres » (Critique du droit
du travail, 1994, PUF, coll. Quadrige, 2002, p. 9).

33
THÈME 2 : LA PROTECTION DE LA VIE

FICHE N°4 : LA PROTECTION DE LA VIE FACE À L’AUTORITÉ PUBLIQUE

Résumé :

La protection de la vie et des libertés fondamentales qui lui sont rattachées doit se faire dans le respect de l’ordre
public et de l’intérêt général. Le législateur est le garant de la conciliation entre libertés et ordre public. Le juge,
administratif et constitutionnel, apparaît comme un garant supplémentaire de cette conciliation, en recourant à
un contrôle de proportionnalité entre la restriction posée à une liberté fondamentale et le respect de celle-ci.

Notions abordées dans la fiche :

- Ordre public
- Contrôle de proportionnalité
- Dignité
- Mesures de police administrative
- Réserve d’interprétation
- Régime répressif et régime préventif
- Principe de légalité des délits et des peines
- Objectifs à valeur constitutionnelle

34
S’interroger sur la protection de la vie face à l’autorité publique revient à s’interroger sur les limites posées à
l’exercice des droits et libertés fondamentales par l’autorité publique.

« Pour déterminer l’étendue du pouvoir de police dans un cas particulier, il faut tout de suite se rappeler que les
pouvoirs de police sont toujours des restrictions aux libertés des particuliers, que le point de départ de notre
droit public est l’ensemble des libertés des citoyens, que la Déclaration des droits de l’homme est implicitement
ou explicitement au frontispice des constitutions républicaines, et que toute controverse de droit public doit,
pour se calquer sur les principes généraux, partir de ce point de vue que la liberté est la règle et la restriction de
police l’exception ». Intervention du Commissaire au gouvernement Corneille dans l’arrêt Baldy du Conseil
d'État (n°59855), du 10 août 1917.

I. LES LIMITES À L’EXERCICE DES DROITS FONDAMENTAUX


Dans le cadre des limites des droits fondamentaux, la doctrine distingue le régime répressif et lerégime
préventif.

A. Le régime répressif

Sous le régime répressif, l’exercice d’une liberté n’est limité que par les restrictions qui sont déterminées par les
lois pénales dont la sanction est assurée par le juge a posteriori.

Le régime répressif est le plus favorable aux libertés. Il postule que la liberté première est que l’individu use à
son gré de la liberté qui lui est reconnue sauf à s'exposer à des sanctions en casd'abus dans l'exercice de
cette liberté. Les sanctions sont en principe infligées par le juge pénal ou certaines autorités administratives.

Son fondement se trouve dans la conception libérale classique exprimée par la Déclaration des droits de
l’homme de 1789 : la liberté consiste à pouvoir faire tout cequi ne nuit pas à autrui.

Dès lors l’exercice de la liberté est possible sans autorisation préalable. L’individu agit librement, informé des
limites à ne pas franchir et des sanctions auxquelles il s’expose en cas de franchissement. C’est le sens profond
du principe libéral de la légalité des délits et des peines.

Le régime répressif demeure indissociable de l’idée de proportionnalité et de contrôle judiciaire. En effet, un tel
contrôle implique la prise en compte de la nature réelle de la liberté. Elle est postulée comme première, et dans
le même temps elle est partagée en autant de membres qui composentla société.

B. Le régime préventif

Dans le cadre du régime préventif, la liberté est soumise à l’intervention préalable de l’administration. Elle peut
prendre des formes plus ou moins contraignantes : l’autorisation, l’interdiction, et la déclaration.

Le régime préventif vise à empêcher préventivement que l'abus ne soit effectué. Dès lors n'est permis que ce
qui est autorisé ou n'est pas interdit : il s'agit d'un contrôle a priori de l'exercice des libertés.

Les autorités administratives interviennent en amont pour autoriser ou interdire l’exercice des libertés sur la
base du maintien de l’ordre public. Les décisions administratives intervenant au cas par cas et pouvant différer
selon les lieux, il existe une incertitude pour les individus et un risque de rupture du principe d’égalité.

Le régime préventif est donc moins généreux pour les libertés. Il dénote la volonté des autorités de contrôler
plus intensément et plus effectivement certaines activités. Dans un État de droit libéral il ne peut demeurer que
de manière exceptionnelle.

35
CC, Décision n° 71-44 DC du 16 juillet 1971, Liberté d’association : « 2. Considérant qu'au nombre des principes
fondamentaux reconnus par les lois de la République et solennellement réaffirmés par le préambule de la
Constitution il y a lieu de ranger le principe de la liberté d'association ; que ce principe est à la base des
dispositions générales de la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d'association ; qu'en vertu de ce principe
les associations se constituent librement et peuvent être rendues publiques sous la seule réserve du dépôt d'une
déclaration préalable ; qu'ainsi, à l'exception des mesures susceptibles d'être prises à l'égard de catégories
particulières d'associations, la constitution d'associations, alors même qu'elles paraîtraient entachées de nullité
ou auraient un objet illicite, ne peut être soumise pour sa validité à l'intervention préalable de l'autorité
administrative ou même de l'autorité judiciaire ».

II. LA JUSTIFICATION DE L’ENCADREMENT DES LIBERTÉS : L’INTÉRÊT GÉNÉRAL ET


L’ORDRE PUBLIC

A. Intérêt général et ordre public : une distinction poreuse

L’encadrement des libertés est justifié par deux motifs : l’intérêt général (auquel l’ordre public peut être rattaché)
d’une part, et les libertés et droits fondamentaux d’autrui d’autre part. Mais la frontière entre les deux est
perméable. Par exemple, le respect de la dignité de la personne humaine peut justifier des restrictions à
l’exercice d’une liberté qu’il soit invoqué à travers un droit subjectifou comme composante de l’ordre public.
Ce schéma binaire des motifs s’est fragilisé avec le développement de l’opposabilité des libertés et droits
fondamentaux dans les rapports entre personnes privées.

Dans tous les cas, les limites à l’exercice des libertés doivent être prévues par la loi.

La Cour européenne des droits de l’homme a interprété de manière large l’expression « prévue par la loi ». Elle
désigne l’ensemble du droit en vigueur : législatif, réglementaire voire jurisprudentiel.

Dans une décision du 28 juillet 1995, CGT, le Conseil d’État a jugé que « les mots prévus par la loi doivent
s’entendre des mesures prises en conformité avec les articles 34 et 37 de la Constitution à savoir les mesures
législatives et réglementaires ». Le fait qu’une restriction soit « prévue par la loi » signifie deux choses :
• D’abord que le destinataire de la norme puisse disposer de renseignements suffisants dans les
circonstances de la cause, sur les normes juridiques applicables à un cas donné,
• Que la norme soit suffisamment précise pour permettre au citoyen de régler sa conduite : en
s’entourant au besoin de conseils éclairés et que celui-ci « doit être à même de prévoir, à un degré
raisonnable dans les circonstances de la cause, les conséquences de nature à dériver d’un acte
déterminé ».

Si la notion d’ordre public présente un lien de parenté assez fort avec celle d’intérêt général, le Conseil
constitutionnel distingue nettement l’une et l’autre dans ses décisions.

B. L’ordre public nécessaire à la sauvegarde des libertés fondamentales

1. La notion d’ordre public et ses composantes

a) Une définition nécessairement souple


L’ordre public constitue une norme juridique dont la finalité est d’assurer, lorsque et dans la mesure où les
circonstances l’exigent, le maintien des conditions essentielles – matérielles ou juridiques – de la vie sociale et
de l’exercice des droits fondamentaux. Il est l’instrument juridique dont la fonction est de garantir l’ordre
juridique dans ses conditions essentielles d’existence (étant admis que c’est l’ordre juridique qui permet
l’exercice des droits fondamentaux de chacun).

36
Ceci explique que la construction d’un ordre juridique entraîne par elle-même l’émergence d’unordre public qui
lui correspond. Par exemple, le droit européen a formellement reconnu l’existence d’un « ordre public européen
», la Convention EDH étant désignée par la Cour comme un « instrument constitutionnel de l’ordre public
européen » (CEDH, Loizidou c/ Turquie, 23 mars 1995).

La détermination de l’ordre public est tributaire des circonstances, lesquelles ne peuvent être toutesprédéfinies
ni prévues à l’avance. Il en résulte que plus le niveau normatif est élevé, moins la précision du contenu de l’ordre
public n’est possible, car l’on s’éloigne alors des circonstances elles- mêmes.

A l’inverse, plus les circonstances l’exigent ponctuellement, plus les restrictions d’ordre public peuvent être
sévères et précises (v. par ex. la jurisprudence Benjamin sur le pouvoir du maire de limiter une liberté pourtant
garantie par la loi).

En d’autres termes, la définition de l’ordre public oscille constamment entre une norme générale et abstraite qui
ne peut qu’être vague et imprécise dans son contenu, et des mesures précises d’ordre public qui sont en principe
relativement particulières et donc cantonnées à telles ou telles circonstances.

Pour autant, tout ceci ne fait pas de l’ordre public une notion qui serait toute puissante. Il n’y a pas d’autonomie
de l’ordre public, au sens strict du terme : l’ordre public ne se donne pas à lui-mêmeses propres normes, sa
propre raison. L’ordre public est ordonné à une fin qui est la garantie des droits fondamentaux, et en particulier
de cet ordre, qui est public en tant qu’il est nécessaire à la jouissance des droits privés.

Il faut enfin préciser que l’ordre public traduit un choix en valeur : c’est parce que le Droit est perçu comme
essentiel que l’ordre public, en tant que garantie du Droit, est lui-même aussi essentiel et qu’il peut justifier des
limitations certes ponctuelles mais importantes aux droits fondamentaux, le cas échéant en passant outre les
normes formelles. La nécessité que véhicule l’ordre public est conditionnée par la reconnaissance, dans une
société donnée, de la nécessité de préserver la cohésion de l’ordre juridique.

Si l’ordre juridique apparaît au contraire comme illégitime, si les sujets de droit ne lui font plus suffisamment de
crédit, au point que l’ordre juridique lui-même se fissure, alors l’ordre public ne pourra pas s’imposer « en tout
état de cause ».

Cela explique les difficultésque rencontre l’ordre public lorsque la valeur du Droit – ou de tel Droit en
particulier – n’est plus reconnue : alors l’ordre public lui-même n’est plus opératoire, car il n’a plus d’autre sens
que la pure violence, un pouvoir de fait dépourvu de toute légitimité et donc dépourvu de toute normativité
juridique. C’est parce que tel ordre juridique fait l’objet d’une adhésion que l’on peut concevoir, en droit, une
justification aux limitations fondées sur l’ordre public.

b) L’appréciation de l’ordre public

L’ordre public n’est explicitement mentionné qu’une seule fois dans nos textes constitutionnels. C‘est l’article
11 de la Déclaration de 1789 : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur
manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi ».

L’ordre public résulte donc d’une construction jurisprudentielle tendant à assurer la garantie effective de droits
et principes constitutionnels. Il convient de préciser que la notion d’ordre public n’est pas entendue de la même
manière devant le Conseil constitutionnel que devant le Conseil d’État. Les deux notions sont très proches, mais
pas parfaitement assimilables.

La définition donnée de l’ordre public par le Conseil constitutionnel recouvre « le bon ordre, la sécurité, la
salubrité et la tranquillité publique ». En revanche, elle n’englobe pas, comme en matière administrative, « la
dignité de la personne humaine », pour la raison que ce principe dispose d’un fondement spécifique dans le
Préambule de la Constitution de 1946.

37
Devant le Conseil Constitutionnel, il s’agit de la notion stricte d’ordre public (et non d’un ordre publicplus large,
tel que l’ordre public social, sanitaire, écologique). Le « cœur » de cet ordre public (au sensstrict du terme)
semble être le principe de la « sûreté » garantie par la Déclaration de 1789 : il n’est pas de liberté possible
dans une société où les individus craignent pour la sécurité de leur personne.

Le Conseil a donné un statut juridique à cette notion traditionnelle d’ordre public en faisant de sasauvegarde
un objectif de valeur constitutionnelle.

Les objectifs de valeur constitutionnelle sont des impératifs liés à la vie en société qui doivent guider l’action
normative. Ils permettent en outre de prendre en compte des considérations d’intérêtgénéral en vue d’atténuer
la portée de certaines règles constitutionnelles, y compris des droits ou libertés.

L’ordre public a été l’un des premiers objectifs dégagés par le Conseil constitutionnel. Il a ainsi jugé, en 1981, que
la liberté individuelle et celle d’aller et venir doivent être conciliées avec « ce qui est nécessaire pour la
sauvegarde des fins d’intérêt général ayant valeur constitutionnelle » comme le maintien de l’ordre public
(décision des 19 et 20 janvier 1981 sur la loi sécurité et liberté).

Cette philosophie se retrouve dans la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés
fondamentales. En effet, certaines libertés qui y sont proclamées peuvent faire l’objet de restrictions lorsque ces
dernières « constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à
l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection
de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, pour empêcher la divulgation
d’informations confidentielles ou pourgarantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire. »

C’est le cas, par exemple, de la liberté d’expression proclamée par l’article 11 de la Convention de sauvegarde
des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

c) Ordre public matériel ou immatériel ?

Doyen Hauriou : « l’ordre que les administrations publiques ont pour but de maintenir est l’ordre matériel. Les
autorités administratives pourchassent le désordre dans des ses manifestations extérieures, dans la rue, dans les
lieux publics, mais elles ne peuvent prétendre réaliser l’ordre moral, l’ordre à l’intérieur des consciences.

Elles sont pour cela radicalement incompétentes, car, ne disposant pour le maintien de l’ordre que de moyens
matériels, si elles les mettaient en œuvre contre les consciences, elles verseraient dans l’inquisition et dans
l’oppression ».

Dans la première moitié du XXème siècle, le CE a tenté d’inclure la notion de moralité publique dans l’ordre public
(arrêt Lutétia : « la restriction des libertés poursuivant un objectif de préservation de la moralité publique ne peut
se justifier qu’au regard de circonstances locales particulières »).

Il serait désormais admis que les droits puissent être restreints au nom d’un vivre ensemble, composé de
valeurs communes. On parle alors d’ordre public immatériel, qui s’incarne au travers des notions comme la
dignité de la personne humaine, ou encore dans des valeurs liées à l’exigence démocratique comme l’égalité ou
la non-discrimination.

Le débat sur l’ordre public immatériel est revenu sur le devant de la scène juridique à l’occasion du célèbre arrêt
« Morsang-sur-Orge » (l’arrêt dit du « lancer de nain »), la loi sur la Burqa, et les affaires Dieudonné.

• Conseil d’État, 27 octobre 1995 - Commune de Morsang-sur-Orge : dans cette décision, le Conseil d’État
a jugé que le principe de dignité humaine était une composante de l’ordre public et pouvait valablement
fonder, même en l’absence de circonstances locales particulières, des arrêtés municipaux interdisant ce
type d’attraction.

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• Conseil Constitutionnel, DC n° 2010-613 DC, 7 octobre 2010, Loi interdisant la dissimulationdu visage
dans l'espace public : « le législateur a estimé que de telles pratiques peuvent constituer un danger pour
la sécurité publique et méconnaissent les exigences minimales dela vie en société ; qu'il a également
estimé que les femmes dissimulant leur visage, volontairement ou non, se trouvent placées dans une
situation d'exclusion et d'infériorité manifestement incompatible avec les principes constitutionnels de
liberté et d'égalité ; qu'en adoptant les dispositions déférées, le législateur a ainsi complété et généralisé
des règles jusque-là réservées à des situations ponctuelles à des fins de protection de l'ordre public ». Il
aformulé une réserve d’interprétation et jugé pour le surplus cette loi conforme à la Constitution.

• Cour européenne des droits de l’homme, 1er juillet 2014, SAS c. France : la Cour européenne a jugé que
ni les principes de dignité humaine, de l’égalité des sexes ou de sécurité ne pouvaient justifier
l’interdiction du port de voile. Elle a toutefois accepté la notion de vivre ensemble en le rattachant aux
droits et libertés d’autrui.

L’affaire Dieudonné, a également suscité des interrogations quant à l’existence d’un ordre public immatériel. Il a été
condamné à plusieurs reprises pour injure ou diffamation à caractère raciste et provocation à la haine raciale
pour des propos tenus sur scène ou sur internet.

En janvier 2014, les maires de plusieurs communes interdirent la tenue du spectacle « Le Mur » dans lequel le
comédien tenait des propos antisémites, tournant en dérision les victimes des camps de concentration. Tant le cadre
général de ces interdictions (les circulaires Valls rappelant aux autorités administratives l’étendue de leur pouvoir
de police) que les arrêtés municipaux ont été contestés. Des procédures sur le fondement du référé- liberté ont été
engagées.

• Conseil d’État, Ordonnance du 10 janvier 2014, SARL Les Productions de la Plume et M. Dieudonné
M’Bala M’Bala « Le juge des référés de première instance a pu estimer, à bon droit, qu’au regard du
spectacle prévu, (…) les allégations selon lesquelles les propos pénalement répréhensibles, de nature à
porter de graves atteintes au respect de valeurs et principes tels que la dignité de la personne humaine
et à provoquer à la haine et la discrimination raciales, relevés lors des séances tenues à Paris, ne seraient
pas repris à Tours ne suffisent pas pour écarter le risque sérieux que le spectacle prévu constitue lui-
même une menace d’une telle nature à l’ordre public (…). Dès lors que la réalité d’un tel risque est
suffisamment établie, au vu des éléments soumis au juge des référés, et alors que la mise en place de
forces de police ne peut suffire à prévenir des atteintes à l’ordre public de la nature de celles, en cause
en l’espèce, qui consistent à provoquer à la haine et la discrimination raciales, le maire ne peut être
regardé comme ayant commis une illégalité manifeste dans l’exercice de ses pouvoirs de police
administrative en prononçant l’interdiction contestée ; que, dans ces conditions, le moyen tiré de ce
que le maire aurait, ce faisant, obéi aux consignes du ministre de l’intérieur et ainsi entaché sa décision
de détournement de pouvoir ne peut qu’être écarté ».

• CE, 9 novembre 2015, n°376107 : « Qu'il appartient à l'autorité investie du pouvoir de police
administrative de prendre les mesures nécessaires, adaptées et proportionnées pour prévenir la
commission des infractions pénales susceptibles de constituer un trouble à l'ordre public sans porter
d'atteinte excessive à l'exercice par les citoyens de leurs libertés fondamentales ; que, dans cette
hypothèse, la nécessité de prendre des mesures de police administrative et la teneur de ces mesures
s'apprécient en tenant compte du caractère suffisamment certain et de l'imminence de la commission
de ces infractions ainsi que de la nature et de la gravité des troubles à l'ordre public qui pourraient en
résulter ». Ici le CE élargit la notion d’ordre public en y intégrant « la commission des infractions pénales
».

2. La conciliation entre les libertés et l’ordre public

La limitation des droits fondamentaux que permet l’ordre public a elle-même pour limite la garantie de la
coexistence de ces droits fondamentaux. Le principe de proportionnalité se retrouve ici, fort logiquement : dans
un ordre juridique fondé sur la liberté, la restriction ponctuelle de la liberté ne peut être admissible que si elle
est nécessaire pour garantir globalement la liberté. En ce sens, l’ordrepublic n’est pas vraiment subordonné aux
droits fondamentaux : il leur est consubstantiel.

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Ainsi l’ordre public obéit à une double fonction : il est une limite des droits fondamentaux, ce qui permet en ce
sens de construire un ordre (sous cet angle, une liberté n’est jamais indépendante des exigences de l’ordre
public), mais dans le même temps il assure la protection de ceux-ci (une liberté est, en ce sens, vraiment
autonome par rapport à l’ordre public, qui ne peut en définir le contenu mais simplement en préserver les
conditions d’exercice). L’ordre public est à la fois conservation et réalisation des droits fondamentaux.

a) L’ordre public nécessaire à l’exercice des libertés


Pour le Conseil constitutionnel, l’ordre public se présente comme une nécessité démocratique. Ainsi, l’ordre
public n’est pas forcément une limite à l’exercice d’une liberté mais plutôt une de sescomposantes.

Conseil constitutionnel, 1981, Décision relative à la loi dite “sécurité et liberté” : le Conseil juge que « la
recherche des auteurs d’infractions et la prévention d’atteintes à l’ordre public, notamment d’atteintes à la
sécurité des personnes et des biens, sont nécessaires à la mise en œuvre de principes et de droits ayant valeur
constitutionnelle ».

Conseil constitutionnel, 1985, Décision relative à la loi mettant en place l’état d’urgence en Nouvelle-Calédonie :
« II appartient au législateur d’opérer la conciliation nécessaire entre le respect deslibertés et la sauvegarde de
l’ordre public sans lequel l’exercice des libertés ne saurait être assuré ».

Conseil constitutionnel, Décision n° 2003-467 DC du 13 mars 2003, Loi pour la sécurité intérieure : « La prévention
des atteintes à l'ordre public est nécessaire à la sauvegarde de droits de valeur constitutionnelle » On voit l’idée
de l’ordre public comme « bouclier » de certaines libertés fondamentales.

Le maintien de l’ordre public étant une nécessité pour l’exercice des libertés, il en découle que, dans certaines
circonstances, les libertés peuvent être limitées pour sauvegarder l’ordre public.

b) La limitation des libertés légitimée par la sauvegarde de l’ordre


public
Ce pouvoir de limitation appartient au législateur dès lors que l’article 34 de la Constitution dispose que la loi
fixe les règles concernant les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés
publiques.
Conseil constitutionnel, Décision n° 2003-467 DC du 13 mars 2003, Loi pour la sécurité intérieure : il appartient
au législateur d’assurer la conciliation entre, d’une part, la prévention des atteintes à l’ordre public et la
recherche des auteurs d’infractions, toutes deux nécessaires à la sauvegarde de droits et de principes de valeur
constitutionnelle, et, d’autre part, l’exercice des libertés constitutionnellement garanties, au nombre desquelles
figurent le respect de la vie privée (protégé par l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du
citoyen de 1789), la liberté d’aller et venir (protégée par l’article 4 de la Déclaration), ainsi que la liberté
individuelle, que l’article 66 de la Constitution (en vertu duquel « Nul ne peut être arbitrairement détenu ») place
sous la surveillance del’autorité judiciaire.

De même, les mesures de police administrative susceptibles d’affecter l’exercice des libertés
constitutionnellement garanties doivent être justifiées par une menace réelle pour l’ordre public, cette menace
devant reposer sur des circonstances particulières caractérisant le risque de trouble à l’ordre public dans chaque
espèce.

III. LA PLURALITÉ DES CONTRÔLES JURIDICTIONNELS EN MATIÈRE DE POLICE

A. Le contrôle des mesures de police

Le contrôle de la mesure de police revient au juge administratif. Même lorsqu'elle dispose d'un pouvoir
discrétionnaire, l'administration est soumise au contrôle du juge, qui a posé des grands principes.

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Le fait qu'une liberté soit organisée par la loi ne fait pas obstacle à ce qu'une autorité administrative vienne la
limiter ou l'interdire pour des nécessités de maintien de l'ordre. Toutefois, l'autorité administrative doit alors
concilier l'exercice de ses pouvoirs avec le respect de la liberté : la liberté est la règle et la restriction l'exception.

Les interdictions générales et absolues sont donc en principe prohibées.

Dès lors, la mesure de police prise par l'autorité administrative doit être proportionnée à la nature du trouble
qu'elle entend prévenir ou faire cesser. Le juge exerce un contrôle étroit pour sanctionner la disproportion de la
mesure (CE, 18 mai 1933, Benjamin). Bien évidemment, l'étendue des pouvoirs depolice varie en fonction de la
nature de l'activité visée : ils sont plus limités à l'égard des libertés protégées et définies par la loi qu'à l'égard
des activités et libertés non définies par le législateur.

La légalité de la mesure de police s’apprécie enfin de manière relative et dépend des circonstancesde temps
et de lieu. L'interdiction d'une liberté peut être jugée légale à un endroit donné et à un moment donné parce
qu'il y a risque de troubles à l'ordre public, mais être illégale à un autre endroit et un autre moment. C’est le cas
notamment de la possibilité de l’interdiction de la projection d’un film pour cause d’immoralité : le juge apprécie
cette immoralité en fonction des circonstances locales particulières (CE, 18 décembre 1959, Sté des films
Lutétia).

Un type de mesure de police échappe à cette appréciation des circonstances locales d'après la doctrine : il s'agit
des mesures édictées pour la protection de l'ordre public immatériel dans sa dimension protectrice de la
dignité humaine. En effet, une atteinte à la dignité de l'homme ne peut pas se concevoir de façon relative : elle
est essentielle, elle est ou n'est pas. Il n'est, a priori, pas besoin de faire la démonstration de circonstances
locales particulières dans ce cas-là.

B. Le principe de proportionnalité

Le contrôle de proportionnalité utilisé notamment par le juge administratif, le juge constitutionnel et le juge
européen constitue un instrument éminemment libéral. En effet, un tel contrôle implique la prise en compte de
la nature réelle de la liberté. Celle-ci est postulée comme première. Mais en tant qu’elle est partagée en autant
de membres que comporte la société, la liberté doit être conciliée.

Toutefois, cette limitation ne doit jamais excéder ce qui est nécessaire. Comme l’affirme le Commissaire du
gouvernement Corneille, dans un régime libéral, « la liberté est la règle, la restriction de police l’exception »
(1917).

Si le contrôle a d’abord pu apparaître comme un contrôle de nécessité, c'est-à-dire un contrôle du rapport entre
le but visé et les moyens employés (CE, 18 mai 1933, Benjamin), les différentes juridictions se sont inspirées des
techniques des juridictions allemandes pour développer ce contrôle.

Ainsi, on peut distinguer trois stades dans le plein contrôle de proportionnalité, explicités dans la décision
du Conseil constitutionnel du 21 février 2008. On parle à cet égard de triple test de proportionnalité :

1) L’adéquation : les moyens employés sont-ils de nature à poursuivre la fin visée ?


2) La nécessité : n’existe-t-il pas de moyens moins rigoureux à la poursuite de la fin visée ?
3) La proportionnalité stricto-sensu : les avantages emportent-ils vraiment sur les coûts ?

Confier au juge le soin de réprimer les infractions en cas d'abus de liberté est un gage de sécurité pour l’individu,
le juge étant statutairement indépendant et son intervention étant entourée de garanties pour le justiciable. Un
risque d'atteinte aux libertés publiques subsiste pourtant si l'infraction est formulée en termes vagues par la loi
ou le règlement, car le juge a alors un large pouvoir d'interprétation, et le justiciable ne sait plus si l'acte qu'il
envisage de faire est ou non autorisé. Le système répressif est donc d'autant plus libéral qu'il limite la part de
subjectivité de celui qui inflige la sanction.

41
C. La technique des « réserves d’interprétation » dans la conciliation entre
libertés et ordre public
En vertu de l’article 62 de la Constitution : « les décisions du Conseil constitutionnel ne sont susceptibles d’aucun
recours. Elles s’imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles ». Cette
autorité s’attache au dispositif des décisions, ainsi qu’aux motifs qui en constituent le soutien nécessaire.

S’agissant des dispositions effectivement examinées par le Conseil, la décision du Conseil a une double
autorité :
• L’autorité morale qui s’attache à sa jurisprudence, d’abord ;
• L’autorité juridique qui s’attache, en vertu de l’article 62 de la Constitution, au dispositif de ses
décisions ainsi qu’aux motifs qui en sont le soutien nécessaire.

Sur ce dernier point, la question des « réserves d’interprétation » mérite une attention particulière. Les réserves
d’interprétation traduisent ce fait que « les normes ne sont pas telles qu’elles apparaissent fixées dans l’abstrait,
mais telles qu’elles sont appliquées... ». Bien souvent en effet, la conformité d’une disposition législative aux
principes constitutionnels n’est ni acquise, ni exclue par avance. Tout dépendra de la manière dont ce “droit
en instance” dont seul est saisi le Conseil s’inscrira dans la réalité (décrets d’application, pratiques
administratives, jurisprudence...).

Le recours aux réserves procède des contraintes du contrôle abstrait et préalable. II permet au juge de s’évader
de l’alternative conforme/non conforme en déclarant une disposition conforme à condition qu’elle soit
interprétée (ou appliquée) de la façon qu’il a indiquée.

Dans chaque décision où le Conseil formule des réserves, le dispositif rappelle que les dispositions de la loi
déclarées conformes à la Constitution ne le sont que « sous les réserves énoncées aux considérants » dont les
numéros sont cités dans un but d’efficacité et de sécurité juridique.

Cette mention souligne que les réserves bénéficient d’une autorité absolue. Elles constituent en effet le soutien
nécessaire d’une décision rendue dans le cadre d’un contrôle de constitutionnalité « abstrait », c’est-à-dire
indépendant de tout litige concret né, entre particuliers, de l’application de la loi en cause.

Le juge chargé de l’application de la loi doit avoir présent à l’esprit que, si le Conseil n’avait pas émis telle réserve
sur une disposition législative, il n’aurait pas permis sa promulgation.

La réserve s’incorpore donc à la loi. Une disposition législative ayant fait l’objet d’une réserve d’interprétation
du Conseil n’existe dans l’ordre juridique que pour autant que la réserve est suivie d’effets.

Exemple : Décision n° 94-352 PC du 22 avril 1997 sur la loi interdisait la délivrance d’une carte de séjour
temporaire aux étrangers vivant dans un état de polygamie. Le Conseil constitutionnel a précisé que cela ne
concernait que les étrangers qui vivaient en France dans cet état. Un étranger à qui on aura refusé un titre de
séjour pour ce motif pourra invoquer cette réserve et établir qu’il n‘a qu’une épouse vivant avec lui en France.

42
FICHE N°5 : L’ÉTAT D’URGENCE

Résumé :

La législation sur l'état d'urgence a été instituée à l'occasion de la guerre d'Algérie et appliquée six fois entre
1955 et 2015. L’état d’urgence, organisé par la loi du 3 avril 1955 (modifiée notamment par l'ordonnance n° 60-
372 du 15 avril 1960 et profondément remaniée par la loi n° 2015-1501 du 20 novembre 2015) est un régime
d’exception, c’est-à-dire un ensemble normatif exceptionnel et provisoire destiné à répondre à une situation de
crise.

Notions abordées dans la fiche :

- Assignation à résidence
- Perquisition administrative
- Fermeture des lieux de culte
- QPC
- Référé-liberté et référé-suspension

43
I. UN RÉGIME EXCEPTIONNEL ET PROVISOIRE

A. Les régimes d’exception

Dans toutes les démocraties, il existe des mécanismes permettant de mettre en place des régimesattentatoires,
dérogatoires aux libertés et cela pour une période donnée.

1. Les régimes d’exception constitutionnels et prétoriens

Certains régimes dérogatoires aux libertés ont une origine jurisprudentielle. Le Conseil d’État a élaboré une
théorie appelée la théorie jurisprudentielle de l’urgence : l’urgence peut justifier l’exécution d’office des actes
administratifs unilatéraux (Tribunal des conflits du 2 décembre 1902, Société immobilière Saint Just).

Le Conseil d’État a également développé la théorie des circonstances exceptionnelles. Dans ces circonstances,
l’administration acquiert, au nom de la nécessité, des pouvoirs importants, essentiellement en matière de police,
même si cela peut concerner aussi le fonctionnement d’autres services publics, sous réserve de respecter deux
conditions : (i) les circonstances présentent un caractère de gravité, d’anormalité et d’imprévisibilité (cas des
guerres, d’émeutes ou de cataclysmes naturels) ; et (ii) ces circonstances rendent inenvisageable le respect de la
légalité normale.

Un régime d’exception peut également être constitutionnel. Ainsi, l’article 16 de la Constitution dispose que :
« Lorsque les institutions de la République, l'indépendance de la nation, l'intégrité de son territoire ou l'exécution
de ses engagements internationaux sont menacées d'une manière grave et immédiate et que le fonctionnement
régulier des pouvoirs publics constitutionnels estinterrompu, le Président de la République prend les mesures
exigées par ces circonstances, après consultation officielle du Premier ministre, des présidents des assemblées
ainsi que du Conseilconstitutionnel. ».

L’article est rédigé en des termes très larges qui sont susceptibles de s’adapter à des circonstances extrêmement
variées ; il fut par exemple appliqué en avril 1961 lorsque les généraux qui commandaient le corps
expéditionnaire d’Algérie ont cessé d’obéir aux ordres de Paris et ont créé à Alger un gouvernement
insurrectionnel pour protester contre les négociations engagées avec les chefs du mouvement nationaliste
algérien.

Également, l’article 36 de la Constitution prévoit l’état de siège : « L'état de siège est décrété en Conseil des
ministres. Sa prorogation au-delà de douze jours ne peut être autorisée que par le Parlement ». Il est mis en
œuvre par l’application des articles L 2121-1 et suivant du Code de la défense - par lequel l’autorité civile
transfère ses pouvoirs en matière d’ordre public à l’autorité militaire en cas de conflit armé. Il a été institué en
1848.

Finalement, les régimes d’exception peuvent être législatifs ; c’est le cas de la législation sur l’état d’urgence en
France.

2. La loi sur l’état d’urgence : de 1955 à 2017, une évolution aggravante des
restrictions aux libertés fondamentales
L’état d’urgence est un régime dérogatoire aux libertés fondamentales institué par la loi n°55-385 du 3 avril 1955
dans le contexte de la guerre d’Algérie. Sous la IVème République, la loi fut appliquée de nouveau en 1958 afin
de prévenir la survenance d’un coup d’état par les partisans de l’Algérie française (pour 15 jours seulement).

Sous la Vème république, l’état d’urgence n’a pas de fondement explicite dans la Constitution du 4 octobre 1958
(à la différence de l’état de siège ou des pouvoirs exceptionnels de l’article 16), pour autant la loi fut considérée
comme étant toujours en vigueur.

La loi a pour objectif de répondre « à un péril imminent résultat d’atteintes graves à l’ordre public » par une
aggravation des pouvoirs de police. Celui-ci se distingue de l’état de siège puisque les pouvoirs de polices ne sont
pas transférés au pouvoir militaire.

44
L’état d’urgence fut appliqué en 1960 en Algérie, de 1961 à 1963 sur tout le territoire, du 12 janvier au 30 juin
1985 en Nouvelle Calédonie (affrontement entre partisans et opposants à l’indépendance), du 29 au 30 octobre
1986 (sur les iles Wallis et Futuna), du 24 octobre 1987 au 5 novembre 1987 en Polynésie française, et en 2005
à la suite de violences urbaines nées du décès de deux mineurs tentant d’échapper aux forces de police.

Dans une décision du 25 janvier 1985, État d’urgence en Nouvelle-Calédonie, le Conseil constitutionnel ne s’est
pas prononcé sur la constitutionnalité de la loi de 1955 mais a affirmé que la Constitution de 1958 n’avait pas
exclu la possibilité pour le législateur de prévoir un régime d’état d’urgence.

Le 14 novembre 2015, suite aux attaques terroristes du 13 novembre 2015, l’état d’urgence a été déclaré par le
décret 2015-1475. Celui-ci a fait l’objet d’une prorogation par une loi du 20 novembre 2015, qui amende
largement la loi de 1955. Six lois ont été adoptées postérieurement. Deux d’entre elles, les lois du 21 juillet 2016
et 19 décembre 2016 modifient l’état d’urgence. Ces modifications vont toutes vers une aggravation de la rigueur
de ce régime au regard des libertés.

B. Un régime provisoire ? De l’inscription dans le droit commun des mesures


exceptionnelles
La loi du 30 octobre 2017 (loi de sécurité intérieure et de lutte contre le terrorisme) a intégré dans le droit
commun nombre des dispositions prévues et mises en place au titre de l’état d’urgence.

L’article 1er de cette loi permet la fouille des véhicules par la police nationale et la gendarmerie ; l’article 2 permet
la fermeture des lieux de cultes, l’article 3 prévoit plusieurs mesures individuelles de surveillance (dont
l’interdiction de se déplacer hors d’un périmètre géographique déterminé, l’obligation de se présenter
périodiquement aux services de police ou aux unités de gendarmeries), et l’article 4 prévoit des perquisitions
administratives similaires à celle prévues dans l’article 11 de la loi de 1955 relative à l’état d’urgence. Elles
permettent à l’administration de procéder à des visites domiciliaires et à des saisies à des fins de prévention
d’actes de terrorisme, en dehors du cadre définipar le Code de procédure pénale.

Il a pu être avancé que « la création hors état d’urgence de mesures de perquisition administrative répondant
à des finalités de lutte contre le terrorisme est la mesure la plus emblématique de la logique d’acclimatation
de l’état d’urgence au droit commun »4.

Ces perquisitions ne peuvent avoir lieu qu’après l’autorisation du juge des libertés de la détention du tribunal de
grande instance de Paris – un magistrat du siège – après avis du procureur de la République. Ces perquisitions
posent tout de même un problème en ce qu’elles servent une finalité préventive, ce qui constitue une violation
du principe constitutionnel et conventionnel de l’inviolabilité du domicile.

En 19835, le Conseil constitutionnel avait censuré des dispositions d’une loi qui permettait des perquisitions
administratives avec pourtant une autorisation préalable du juge judiciaire en ce que ces dispositions
« n’assignent pas de façon explicite au juge ayant le pouvoir d’autoriser les investigations des agents de
l’administration mission de vérifier de façon concrète le bien-fondé de la demande qui lui est soumise ».

Aujourd’hui, l’article 229-1 du CSI comporte la même omission sur la mission et les moyens dont disposera le juge
judiciaire pour apprécier le bien-fondé de la demande de perquisition du préfet, et pourtant le Conseil
constitutionnel a considéré que le législateur « a assuré une conciliation qui n’est pas manifestement
déséquilibrée entre, d’une part, l’objectif de valeur constitutionnelle de prévention des atteintes à l’ordre public
et, d’autre part, le droit au respect de lavie privée, l’inviolabilité du domicile et la liberté d’aller et de venir »
(Conseil Constitutionnel, 29 mars 2018, n°2017-695 QPC).

4 Code de la Sécurité Intérieure 2020, Commenté et annoté, Coll. Dalloz, Commentaire sous l’article L. 229-1.
5
Conseil Constitutionnel, 29 décembre 1983, Décision n°83-164 DC.

45
II. UNE MODIFICATION DE L’ÉQUILIBRE DES POUVOIRS, AU NOM DE L’EFFICACITÉ

A. Le renforcement des pouvoirs de l’exécutif

1. La mise en place et la cessation de l’état d’urgence

L’état d’urgence doit être déclaré par un décret en Conseil des ministres, sur tout ou partie du territoire, en cas
de péril imminent résultant d'atteintes graves à l'ordre public ou d'événements présentant, par leur nature et
leur gravité, le caractère de calamité publique. La prorogation de l’état d’urgence au-delà de douze jours est
autorisée par la loi qui fixe sa durée définitive.

C'est ainsi que l’état d’urgence a déclaré le 14 novembre 2015 fut prorogé jusqu'au 1er novembre 2017 (Décr.
n° 2015-1475 du 14 nov. 2015 ; L. n° 2015-1501 du 20 nov. 2015 ; L. n° 2016-162 du 19 févr. 2016 ; L. n° 2016-
629 du 20 mai 2016; L. n° 2016-987 du 21 juill. 2016 ; L. n° 2016-1767 du 19 déc. 2016 ; L. n° 2017-1154 du
11 juill. 2017).

L’état d’urgence prend fin :

- À l'expiration du délai prescrit par le texte qui l'a proclamé ;


- À la suite d'une démission du Gouvernement ;
- À la suite de la dissolution de l'Assemblée nationale ;
- Si la loi autorisant sa prorogation dispose qu'il peut être mis fin à l’état d’urgence par décret en Conseil
des ministres avant l'expiration du délai prescrit.

Les mesures prises en application de la loi du 3 avril 1955 cessent d'avoir effet en même temps que prend fin
l’état d’urgence (L. du 3 avr. 1955, art. 14).

Cons. const. 22 déc. 2015, no 2015-527 QPC : le Conseil constitutionnel a précisé qu'en cas de prolongation de
l’état d’urgence par le législateur, cela n'emporte pas automatiquement prolongation des mesures prises sur son
fondement. Par exemple, les assignations à résidence ne peuvent être prolongées que si elles sont renouvelées.

2. Les mesures prises au titre de l’état d’urgence

Les mesures prises au titre de l’état d’urgence mettent au premier rang le préfet et le ministre de l’Intérieur, qui
sont dès lors habilités à prendre des mesures exceptionnelles, restrictives des libertés fondamentales
normalement accordées, et cela souvent sans l’intervention préalable du juge.

• Dissolution des associations et des groupements de fait (article 6-1)

La loi du 20 novembre 2015 a inséré un article 6-1 à la loi du 3 avril 1955 permettant au pouvoir exécutif par
décret en conseil des ministres de dissoudre les associations ou groupements de fait qui participent à la
commission d'actes portant une atteinte grave à l'ordre public ou dont les activités facilitent cette commission
ou y incitent.

L'article 212-2 du Code de la sécurité intérieure prévoit un pouvoir de dissolution comparable àl'encontre des
associations et des groupements de fait qui notamment se livrent sur territoire français ou à partir de ce
territoire à des agissements en vue de provoquer des actes de terrorisme en France ou à l'étranger.

C'est d'ailleurs sur le fondement de cette disposition et non de l'article 6-1 de la loi du 3 avril 1955 qu'un décret
du 14 janvier 2016 a prononcé la dissolution des associations « Retour aux sources », « Le retour aux sources
musulmanes » et « Association des musulmans de Lagny-sur-Marne ».

46
• Saisie d'armes (article 9)

Le ministre de l'Intérieur (pour l'ensemble du territoire), et le préfet (dans le département), peuvent ordonner
la remise des armes et des munitions, détenues ou acquises légalement relevant des catégories A à C, définies à
l'article L. 311-2 du code de la sécurité intérieure. Un récépissé devra être délivré lors de la remise de ces armes
de cinquième catégorie, lesquelles seront rendues à leur propriétaire en l'état où elles étaient lors de leur dépôt,
lorsque l’état d’urgence sera levé.

• L’interdiction de circulation (article 5, 1°)

Personnes et véhicules : le préfet peut interdire la circulation des personnes ou des véhicules dans les lieux et
aux heures déterminés (L. du 3 avr. 1955, article 5, 1°). Il a été fait application de ce couvre-feu à l'automne 2005
et à partir de novembre 2015. Par exemple, le préfet de l'Yonne a interdit la circulation piétonne et routière dans
le quartier de Champs-Plaisants à Sens entre 22h et 6h du 20 au 23 novembre 2015.

Séjour : le préfet peut également interdire le séjour dans tout ou partie du département à toute personne
cherchant à entraver, de quelque manière que ce soit, l'action des pouvoirs publics (L. du 3 avr. 1955, art. 5, 3°).
L'arrêté pris sur le fondement de cette disposition constitue « une mesure qui a pour objet de prévenir les risques
pour l'ordre public provenant de ces agissements, et non de sanctionner la méconnaissance d'une décision
administrative », il s'agit donc d'une mesure de police administrative (CE 25 juill. 1985, Mme Dagostini). Depuis
la loi du 20 novembre 2015, les arrêtés d'interdiction de séjour sont soumis au droit commun du contentieux
administratif : recours pour excès de pouvoir, référé-liberté ou référé-suspension.

Cons. const. 9 juill. 2017, no 2017-635, QPC : l'interdiction de séjour a été déclarée contraire à la Constitution
parce qu'elle peut être instituée par le préfet sans qu'un motif tenant à une atteinte à l'ordre public ne la justifie.
Jugeant que cette mesure était nécessaire au maintien de l'ordre public,le législateur a suivi les exigences
posées par le juge constitutionnel et la loi de prorogation du 11 juillet 2017 a complété l'article 5, 3°. Désormais,
l'interdiction de séjour ne peut concerner que la personne à l'égard de laquelle il existe des raisons sérieuses de
penser que son comportement constitue une menace pour la sécurité et l'ordre publics. L'arrêté d'interdiction
de séjour doit préciser sa durée, les circonstances précises de fait et de lieu qui la motive, ainsi que le territoire
sur lequel elle s'applique sous réserve que le domicile de la personne concernée n'y figure pas. Lamesure
doit tenir compte de la vie familiale et professionnelle des personnes susceptibles d'être concernées.

• L’institution des zones de protection et de sécurité (article 5, 2°)

Le préfet peut instituer des zones de protection ou de sécurité où le séjour des personnes est réglementé (L. du
3 avr. 1955, art. 5, 2°).

Cons. const. 11 janv. 2018, no 2017-684 QPC : saisi d'une question prioritaire de constitutionnalité par renvoi du
Conseil d'État (CE, 6 oct. 2017, req. no 412407), le Conseil constitutionnel a déclaré inconstitutionnelle cette
disposition avec effet immédiat au motif qu'elle n'est assortie d'aucune précision quant à son institution et aux
mesures susceptibles d'être prises dans le cadre de sa mise en œuvre. L’état d’urgence ayant cessé le 1er
novembre 2017, aucune loi de prorogation n'est venuecompléter le dispositif afin de le rendre conforme aux
exigences constitutionnelles, de sorte que l'article 5, 2°, est désormais abrogé.

• Les assignations à résidence (article 6)

Le ministre de l'Intérieur peut prononcer l'assignation à résidence dans le lieu qu'il fixe de toute personne dont
l'activité s'avère dangereuse pour la sécurité et l'ordre publics (L. du 3 avr. 1955, art. 6). L'assignation à résidence
doit permettre à ceux qui en sont l'objet de résider dans une agglomération ou à proximité immédiate d'une
agglomération. En aucun cas l'assignation à résidencene pourra avoir pour effet la création de camps où
seraient détenues ces personnes6. Le ministre doit veiller à prendre toutes dispositions pour assurer la
subsistance des personnes astreintes à résidence, ainsi que celle de leur famille.

6
Or, en Algérie, de nombreux camps d'internement ont été créés en raison de l'importance du nombre de personnes assignées à résidence.

47
La première loi de prorogation du 20 novembre 2015 autorise le ministre à astreindre l'assigné à demeurer dans
les lieux pendant une plage horaire (fixée dans une limite de 12 heures par 24 heures), à se présenter
périodiquement aux services de police ou aux unités de gendarmerie (sans dépasser la fréquence de 3 fois par
jour y compris les dimanches, jours fériés et chômés) et à ne pas entrer en relation avec les personnes désignées
par le ministre lorsqu'il existe de sérieuses raisons depenser que leur comportement constitue une menace pour
la sécurité et l'ordre publics.

Cons. const. 22 déc. 2015, no 2015-527 QPC : Les assignations à résidence prévues par l'article 6 dela loi de
1955 dans sa rédaction issue de la loi du 20 novembre 2015 ne constituent pas une mesure de privation de la
liberté individuelle au sens de l'article 66 de la Constitution, ce qui conduit à la compétence du juge administratif
pour en examiner la légalité. En revanche, comme elles constituent une atteinte à la liberté d'aller et venir
(également dans ce sens : CEDH, 20 avr. 2010, Medvedyev c/ France), ces mesures de police administrative
doivent être nécessaires, justifiées et proportionnées « aux raisons ayant motivé la mesure dans les circonstances
particulières ayant conduit à la déclaration de l’état d’urgence ». Il incombe alors au juge administratif, dans le
cadre de son contrôle de veiller à ce que les assignations soient adaptées, nécessaires et proportionnées à la
finalité qu'elles poursuivent

La loi de prorogation du 19 décembre 2016 a précisé que la décision d'assignation à résidence devait être
renouvelée à l'issue d'une période de prorogation de l’état d’urgence pour continuer de produire ses effets (ce
qui signifie que la fin de l’état d’urgence emporte la fin de l'assignation à résidence) et que l’assignation ne
pouvait dépasser douze mois au total.

Cons. const. 16 mars 2017, no 2017-624 QPC : si le ministre de l'Intérieur prolonge au-delà de 12 mois
l'assignation à résidence, ce n'est qu'au motif que le comportement de la personne en cause constitue une
menace d'une particulière gravité pour la sécurité et l'ordre publics et que l'autorité administrative produise des
éléments nouveaux et complémentaires. Il appartient au jugeadministratif de veiller au respect de ces exigences
(CE, 25 avr. 2017, M. B., req. no 409677).

• Les atteintes au droit de réunion (article 8)

Le préfet peut ordonner la fermeture provisoire des salles de spectacle, débits de boissons et lieux de réunion de
toute nature y compris les lieux de culte (CE 25 févr. 2016, M. A. et autres, req. no 397153). À cet égard, la loi de
prorogation du 21 juillet 2016 a précisé que seuls les lieux de culte « au sein desquels sont tenus des propos
constituant une provocation à la haine ou à la violence ou une provocation à la commission d'actes de terrorisme
ou faisant l'apologie de tels actes » pouvaient être fermés.

Le préfet peut également interdire, à titre général ou particulier, les réunions de nature à provoquer ou à
entretenir le désordre (L. du 3 avr. 1955, art. 8).

Cons. const. 19 févr. 2016, no 2016-535 QPC : saisi par le Conseil d'État d'une question prioritaire de
constitutionnalité (CE 15 janv. 2016, Ligue des droits de l'homme, req. no 395091), le Conseil constitutionnel a
considéré que ces pouvoirs du préfet ne sont pas contraires à la Constitution dès lors qu’ils ne s’appliquent qu’à
des lieux situés dans les zones où l’état d’urgence trouve application, et que les mesures de fermeture provisoire
et leur durée doivent être justifiées et proportionnéesaux nécessités de préservation de l'ordre public ayant
motivé une telle fermeture.

• La possibilité momentanée d'une fouille des bagages et des véhicules (article 8-1)

La loi de prorogation du 21 juillet 2016 avait inséré un article 8-1 à la loi du 3 avril 1955 qui autorisele préfet à
ordonner, par décision motivée, des contrôles d'identités, à l'inspection visuelle et à la fouille des bagages ainsi
qu'à la visite des véhicules circulant, arrêtés ou stationnant sur la voie publique ou dans des lieux accessibles au
public.

48
Cons. const. 1er déc. 2017, no 2017-677 QPC : dès lors que ces mesures peuvent être autorisées en tout lieu
dans les zones où l’état d’urgence sans qu'elles soient nécessairement justifiées par des circonstances
particulières établissant le risque d'atteinte à l'ordre public dans les lieux en cause, le Conseil constitutionnel a
jugé que le législateur n'avait pas assuré une conciliation équilibrée entre l'objectif de valeur constitutionnelle
de sauvegarde de l'ordre public et la liberté d'aller et de venir et le droit au respect de la vie privée. Elles ont
donc été déclarées contraires à la Constitution avec effetau 30 juin 2018.

• Les perquisitions administratives (article 11-I)

L'article 11-I de la loi de 1955 prévoit la possibilité pour le ministre de l'Intérieur ou le préfet dans les zones
définies par le décret instituant l’état d’urgence d'ordonner des perquisitions, sous réserveque ce même
décret l'ait expressément prévu. Le dernier état du texte, dans sa rédaction issue de la loi du 28 février 2017, ne
les permet plus entre 21 heures et six heures « sauf motivation spéciale de la décision de perquisition fondée sur
l'urgence ou les nécessités de l'opération ».

La perquisition doit être réalisée en la présence d'un officier de police judiciaire et le procureur de la République
en est informé. Comme elle est menée dans un lieu fréquenté par une personne dont le comportement constitue
une menace pour la sécurité et l'ordre publics, la perquisition révèle une nature préventive. En cela, il s'agit d'une
perquisition administrative.

À cette occasion, les autorités ont accès aux données stockées dans un système informatique ou un équipement
terminal (smartphone, tablette, disque dur, etc.) présent sur les lieux et celles-ci peuvent faire l'objet d'une copie
ou les équipements peuvent être saisis s'il s'avère que la perquisition révèle l'existence d'éléments relatifs à la
menace que constitue pour la sécurité et l'ordre publics le comportement de la personne chez qui la perquisition
est réalisée.

Depuis la loi de prorogation du 21 juillet 2016, les données informatiques dont elles sont issues ne peuvent
désormais être exploitées que sous réserve d'une autorisation accordée par le juge administratif des référés qui
doit statuer dans un délai de 48 heures au vu des éléments révélés parla perquisition et, dans cette attente,
elles sont placées sous la responsabilité du chef de service ayant procédé à la perquisition.

Au vu des éléments révélés par la perquisition, celui-ci va vérifier la régularité de la procédure de saisie et si les
éléments en cause sont relatifs à la menace queconstitue pour la sécurité et l'ordre publics le comportement de
la personne concernée. Cela fut le cas d'un téléphone portable comportant des vidéos salafistes, susceptibles
d'établir une pratique radicalisée de sa religion par l'intéressé (CE, 5 août 2016, ministre de l'Intérieur c/ M. B.,
req. no 402139) ou d'un ordinateur qui comprenant des vidéos de propagande terroriste (CE, 23 sept. 2016,
M. B., req. no 403675). A l’inverse, le refus d'exploiter les données est fondé lorsqu’il ne s’agit que de fichiers
d’images, de sons et d’écrits en langue arabe sans que les autorités de police ne précisent le lien possible avec
une menace à la sécurité et l’ordre public (CE, 5 sept. 2016, req. no 403026).

Cons. const. 2 déc. 2016, no 2016-600 QPC : saisi par une question prioritaire de constitutionnalité adressée par
le Conseil d'État (CE, 16 sept. 2016, req. no 402941), le Conseil Constitutionnel a jugé le dispositif conforme à la
Constitution, mais a considéré contraire à la Constitution la conservationsans limitation de durée des données
qui caractérisent une menace à la sécurité et à l'ordre publics sans conduire à la constatation d'une infraction,
alors que lorsque c'est le cas, elles peuvent être conservées selon les règles applicables en matière de procédure
pénale.

La loi du 21 juillet 2016 a également introduit la possibilité de procéder à la perquisition d'un autre lieu lorsqu'il
ressort de la perquisition initialement organisée que ce nouveau lieu est également fréquenté par la personne
dont le comportement constitue une menace.

Les autorités de police ont massivement recouru aux perquisitions : entre le 14 novembre 2015 et le 3 février
2016, plus de 3 000 perquisitions ont été ordonnées.

49
B. La répartition des contentieux de l’état d’urgence

1. Le contrôle (limité) du juge constitutionnel

En décembre 2015 pour la première fois le Conseil Constitutionnel a pu se prononcer sur la constitutionnalité
des mesures prises au titre de l’état d’urgence par voie de la QPC (questionprioritaire de constitutionnalité – art.
61-1 de la Constitution) - aucune des lois de prorogations ne lui avait été soumise au titre du contrôle de
constitutionnalité a priori.

L'apport du Conseil constitutionnel au régime de l’état d’urgence fut essentiel. Il a rappelé aux pouvoirs publics
que si la Constitution n'interdit pas au législateur d'instituer une législation d'exception telle l’état d’urgence,
c'est à la condition qu'il opère une conciliation entre la prévention des atteintes à l'ordre public et le respect des
droits et libertés reconnus par la Constitution (Cons. const. 1er déc. 2017, no 2017-677 QPC).

2. Le contrôle du juge ordinaire ; le renforcement du rôle du juge


administratif au détriment du juge judiciaire

a) Le juge administratif au cœur du contrôle des mesures de


l’état d’urgence
Référé-liberté

La loi du 20 novembre 2015 a inséré un article 14-1 dans la loi du 3 avril 1955 faisant du juge administratif le juge
de droit commun des mesures prises sur le fondement de l’état d’urgence – à l'exception notable des peines
prévues à l'article 13. Le juge administratif peut contrôler ces mesures au titre du livre V du Code de justice
administrative, prévoyant les référés.

Aussi, très rapidement après l'instauration de l’état d’urgence en 2015, le juge administratif du référé-liberté fut
très largement sollicité pour examiner si les premières assignations à résidence ordonnées par les autorités de
police portaient une atteinte grave et immédiate aux droits et libertés garantis par la Constitution, en particulier
à la liberté d'aller et venir des assignés, et d'en prononcer la suspension (par ex., TA de Paris, 27 nov. 2015, M.
A., req. no 1519030). Au même titre, la procédure de référé liberté a permis les fameuses « notes blanches » sur
la base desquelles les autorités de police prirent plusieurs mesures relevant de l’état d’urgence.

Par la mesure du référé-liberté, il s'agit de s'assurer que l'autorité administrative opère une conciliation
nécessaire entre le respect des libertés et la sauvegarde de l'ordre public dans son appréciation de la menace
que constitue le comportement de la personne assignée à résidence compte tenu de la situation ayant conduit
à la déclaration de l'état d’urgence ou dans la détermination des modalités de l'assignation.

Le juge des référés peut suspendre l'exécution de l'assignation à résidence lorsqu'il constate que les motifs pour
lesquelles l'assignation a été ordonnéeétaient infondés (CE, 22 janv. 2016, M. B., req. no 396116 ) ou lorsque
l'administration refuse de lui fournir « sans motif » une pièce dont elle se prévaut à l'audience et sur laquelle
elle s'est fondée pour ordonner l'assignation (CE, 9 févr. 2016, M. C., req. no 396570 ).

Par sept décisions de novembre 2015, le Conseil d'État a jugé que les décisions d'assignation à résidence portent
en principe et par elle-même une atteinte grave et immédiate à la situation des assignés de nature à créer une
situation d'urgence justifiant que des mesures provisoires et conservatoires de sauvegarde soient prises si les
autres conditions posées par l'article L. 521-2 du code de justice administrative sont remplies (CE, sect., 11 déc.
2015, M. J. Domenjoud, req. no 394989).

Il y a dès lors une « présomption » que la condition d’urgence, requise pour permettre l’application du référé-
liberté, est remplie en matière d’assignations à résidence prises dans le cadre de l’état d’urgence.

50
Référé-suspension

La procédure de référé suspension, prévue à l’article L 521-1 du Code de justice administrative a permis au juge
d'ordonner la suspension d'une décision d'un proviseur de permettre aux élèves d'un lycée de fumer dans la cour
de l'établissement qui invoquait la nécessité de renforcer la sécurité des élèves aux abords de l'établissement en
limitant leurs regroupements extérieurs lors des récréations (TA Cergy-Pontoise, 21 avr. 2016, Assoc. Comité
national contre le Tabagisme et autres).

Recours pour excès de pouvoir

À la différence du déclenchement de l'article 16 de la Constitution qui est un acte de gouvernement insusceptible


de faire l'objet d'un recours juridictionnel (CE, ass., 2 mars 1962, Rubin de Servens), la décision par laquelle est
institué l’état d’urgence peut faire l'objet d'un recours pour excès depouvoir sous réserve que le requérant
réside habituellement à l'intérieur de la zone géographique d'application des mesures prises dans le cadre du
décret déclarant l’état d’urgence (CE, ass., 24 mars 2006, req. nos 286834 et 287218, MM. Rolin et Boisvert).

Néanmoins, si l’état d’urgence a déjà fait l’objet d’une prorogation au moment du dépôt du recours, le Conseil
d'État estime que la légalité du décret n'est plus susceptible d'être discutée par la voie contentieuse (CE, 23 déc.
2016, Ligue des droits de l'homme, req. no 395091). De la même manière, les décisions ordonnant les
perquisitions sont qualifiées de mesures de police administrative, elles sont donc susceptibles de faire l'objet
d'un recours pour excès de pouvoir (CE, avis, 6 juill. 2017, Napol et autres, req. no 398234).

b) Le rôle marginal du juge judiciaire dans le contrôle des mesures de l’état


d’urgence
Le juge judiciaire a été largement écarté des contrôles juridictionnels des mesures prises au titre de l’état
d’urgence.

Il est d’abord compétent lorsque les mesures prises dans le cadre l’état d’urgence conduisent à une privation de
liberté. Or, le Conseil d’État a considéré que cela n’était le cas que pour les assignations à résidence dépassant
douze heures par jour (Cons. const. 22 déc. 2015, no 2015-527 QPC).

Ensuite, la compétence du juge judiciaire s'étend également aux assignations à résidence lorsqu'il estconstaté la
violation de l'obligation de résidence (Crim., 3 mai 2017, no 16-86.155).

Sur le fondement de l'article 111-5 du code pénal qui prévoit que « les juridictions pénales sont compétentes
pour interpréter les actes administratifs réglementaires ou individuels et pour en apprécier la légalité lorsque
de cet examen dépend la solution du procès qui leur est soumis », lejuge judiciaire, en l'occurrence le juge
pénal, peut exercer un contrôle, par la voie de l'exception d'illégalité, de l'ordre de perquisition.

Si ces dernières ne fondent pas les poursuites pénales elles déterminent néanmoins la régularité de la procédure
(Crim., 13 déc. 2016, no 16-84.794). C'est ainsile cas lorsque, à l'occasion d'une perquisition, sont découverts
des armes de catégorie C non déclarées et plusieurs grammes de résine de cannabis (Crim., 28 mars 2017, no 16-
85.073). S'il les estime insuffisamment motivées, plutôt que d'annuler les perquisitions, le juge pénal doit
solliciter leministère public afin qu'il obtienne de l'autorité de police les éléments factuels les justifiant (Crim., 28
mars 2017.).

51
FICHE N°6 : L’ÉTAT D’URGENCE SANITAIRE

Résumé :

Face à la pandémie de la COVID-19 en 2020, le gouvernement a choisi de créer un nouveau régime d’exception ;
l’état d’urgence sanitaire. Cet état d’urgence sanitaire offre de larges pouvoirs restreignant les libertés
fondamentales au Premier ministre et aux autorités déconcentrées.

Notions abordées dans la fiche :

- Confinement
- Fermeture des frontières
- Suspension des procédures juridiques
- Référé-liberté
- Contraventions
- Autorités décentralisées

52
I. L’OPPORTUNITÉ DE LA CRÉATION D’UN NOUVEAU RÉGIME JURIDIQUE
D’EXCEPTION
La loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 institue un nouveau régime d’exception pour lutter contre la pandémie de
la COVID-19. Les premiers débats se sont cristallisés autour de l’opportunité de la création d’un nouveau régime
d’exception alors que l’ensemble normatif français prévoit déjà plusieurs régimes d’exception. L’étude d’impact
de la loi du 23 mars 2020 a permis d’interroger la compatibilité des régimes d’exception français possiblement
applicable à la gestion de la crise sanitaire (A). Le résultat de cette étude d’impact est qu’il est plus opportun,
dans un souci d’efficacité des mesures, d’adopter une nouvelle législation propre à l’état d’urgence (B).

A. Les régimes de crise à l’épreuve de circonstances sanitaires exceptionnelles

1. La police spéciale sanitaire

La loi n° 2004-806 du 9 août 2004, remanié par la loi n°2007-294 du 5 mars 2007 et codifiée aux articles L3131-
1 et suivants du Code de la santé publique, donne compétence au ministre de la Santé pour prendre plusieurs
mesures spéciales afin de protéger la santé publique : le ministre de la Santé peut « prescrire dans l’intérêt de la
santé publique toute mesure proportionnée aux risques courus et appropriée aux circonstances de temps et de
lieu afin de prévenir et de limiter les conséquences des menaces possibles sur la santé de la population en cas de
menace sanitaire grave appelant des mesures d’urgence, notamment en cas de menace d’épidémie ». Notons
que cette loi necomporte pas de précisions sur les mesures susceptibles d’être prises sur son fondement, ni de
garanties pour les personnes concernées.

Ce régime a servi de base juridique pour l’édiction de certaines mesures dans le cadre de la préparation contre
la grippe A (H1N1) en 2009.

Face à la crise de la COVID-19, ce régime a fondé les premières mesures de contraintes, dont la mise en
quarantaine des personnes en provenance de Wuhan et l’interdiction des rassemblements et des réunions
rassemblant un nombre défini de personnes, la fermeture des établissements recevant du public et la suspension
de l’activité des établissements d’enseignement.

Il a néanmoins semblé que ce régime juridique n’était pas adéquat face à l’ampleur de la pandémie en ce que les
mesures prises semblaient dépasser, par leur nature et leur portée, le champ des compétences et des capacités
opérationnelles du ministre de la Santé.

Certains auteurs ont également souligné un problème de légitimité du ministre de la Santé pour imposer de
telles restrictions à l’ensemble de la population (X. Dupré de Boulois, D. Truchet). De plus, l’imprécision sur la
nature des mesures pouvant être prises sur la base de ce régime juridique, l’absence de garanties offertes au
particulier, et l’absence d’un contrôle de constitutionnalité de cette loi ont fait naître des doutes sur la
constitutionnalité de ce régime.

2. Les théories jurisprudentielles

Depuis l’arrêt Labonne (CE, 18 août 1919), il est reconnu au Premier ministre (initialement au président de la
République) un pouvoir de police générale « en dehors de toute délégation législative » lui permettant
d’édicter des mesures de police applicables à l’ensemble du territoire(ex : CE, 5 juillet 2013, n°361441). Au
vu de l’exorbitance des mesures nécessaires pour lutter contre la pandémie, et de l’imprévisibilité de la situation,
la mise en œuvre de ce pouvoir de police générale devait être combinée avec la théorie des circonstances
exceptionnelles.

La théorie des circonstances exceptionnelles repose sur deux arrêts du Conseil d’État intervenus à l’occasion de
la première guerre mondiale (CE 28 juin 1918, Heyriès ; CE 28 février 1919, Dol et Laurent) par lesquels le juge
administratif a considéré que l’administration pouvait se défaire du strict respect des règles qui s’imposent à elle
afin de répondre à des circonstances exceptionnelles qui s’imposent à elle (guerre, insurrection ou catastrophe
naturelle).

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Dans tous les cas, les mesures de police doivent répondre aux impératifs de la protection de l’ordre public ;
elles doivent être adaptées, nécessaires et proportionnées.

Il convient de souligner que ces théories sont souvent utilisées avec parcimonie, au cas par cas, afin de pouvoir
régulariser a posteriori l’action de l’administration face à une situation précise. Il semblait compliqué d’utiliser
de telles constructions prétoriennes pour fonder l’entièreté d’un nouveau régime juridique aussi vaste que l’état
d’urgence sanitaire.

Ces théories permettent d’effacer a posteriori l’illicéité d’un acte de l’administration. Les choisir comme
fondement juridique aux mesures exceptionnelles de l’urgence sanitaire aurait mener à transformer ces théories
en régime d’exception à part entière permettant a priori l’adoption de mesures réglementant l’exercice des
libertés.

3. La loi du 3 avril 1955

Finalement, une autre base juridique envisagée fut la loi du 3 avril 1955 portant création de l’état d’urgence.
Son article 1 prévoit son application « en cas d’événements présentant, par leur nature et leur gravité, le caractère
de calamité publique ». La première question qui se présentait était de savoir si la pandémie pouvait être
qualifiée de « calamité publique » ?

Dans tous les cas, un second problème apparaissait ; l’aspect « sécuritaire » de la loi de 1955. En effet, l’article 5
de la loi de 1955 permet des mesures d’interdiction de circulation de personnes et de véhicules, et des
interdictions de séjour, dans un but de « prévention des troubles à la sécurité et à l’ordre public ».

Les mesures d’assignation à résidence (article 6) ne peuvent être imposées qu’à l’égard des personnes pour
lesquelles « il existe des raisons sérieuses de penser que [leur comportement] constitue une menace pour la
sécurité et l’ordre publics ». L’utilisation de la loi de 1955 pour la gestion de la crise sanitaire aurait donc nécessité
un remaniement du régime juridique de l’état d’urgence afin de pouvoir le fairecorrespondre aux problématiques
posées par un état d’urgence sanitaire. Finalement, il a donc été décidé de créer un nouvel état d’urgence : l’état
d’urgence sanitaire.

B. La loi de l’état d’urgence sanitaire

Le titre 1er de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 crée un nouveau régime législatif d’exception.

1. Les conditions de mise en œuvre, prorogation, et cessation de l’état


d’urgence

a) La déclaration de l’état d’urgence sanitaire


Le nouveau dispositif ne remplace pas la police de l’urgence sanitaire définie à l’article L. 3131-1 du Code de
la Santé Publique. Il a vocation à être activé en plus ou en marge de celle-ci lorsque la menace sanitaire
visée par l’article L. 3131-1 est devenue une « catastrophe mettant en péril, par sa nature et sa gravité, la santé
de la population » (CSP, art. L. 3131-12).

L’état d’urgence sanitaire est déclaré par décret en conseil des ministres (signé par le Chef de l’État). Le décret
doit être pris sur rapport du ministre de la Santé ; il doit être motivé et, en outre, « les données scientifiques
disponibles sur la situation sanitaire qui ont motivé la décision » doivent être « rendues publiques ».

Conformément à la logique de la proportionnalité, l’état d’urgence sanitaire doit être adapté à l'étendue spatiale
de la catastrophe et peut donc être déclaré sur tout ou partie du territoire.

b) La prorogation
La prorogation de l’état d’urgence doit être autorisée par la loi (pour une durée qu'elle détermine), non pas
au-delà de 12 jours, mais au-delà d’un mois.
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Alors que le projet de loi adopté en Conseil des ministres le 18 mars 2020 prévoyait une prorogation législative
au-delà de 12 jours, le Conseil d’État a recommandé (avis n° 399873), de substituer au délai de douze jours (délai
retenu dans la loi de 1955 et l’article 36 de la Constitution relatif à l’étatde siège), un délai d’un mois prévu
pour l’intervention du Parlement « eu égard à la nature d’une catastrophe sanitaire ».

Pourtant, le Parlement a pu fonctionner pendant la pandémie ; ainsi lasemaine du 16 mars a permis la réunion
en urgence du Parlement pour que soient discutées (et adoptées) des dispositions législatives de première
importance : une loi organique d’urgence pour faire face à l’épidémie de COVID-19, une loi ordinaire du même
nom qui offre au Gouvernement une très large habilitation pour intervenir dans le domaine de la loi, et une loi
de finances rectificative pour 2020.

c) La cessation de l’état d’urgence sanitaire


Il peut être mis fin à l’état d’urgence sanitaire comme à l'état d'urgence, par un décret en Conseil des ministres,
« avant l'expiration du délai fixé par la loi le prorogeant » (CSP, art. L. 3131-14).

C’est également sur les recommandations du Conseil d’État qu’a disparu le mécanisme de caducité de la loi de
prorogation en cas de crise politique, celle-ci étant remplacée par une disposition qui, par exception aux règles
élémentaires de la hiérarchie des normes, prévoit qu’un décret en Conseil des ministres – acte réglementaire –
peut, sans habilitation législative spéciale, mettre fin à l’état d’urgence avant la date prévue par le législateur.

2. Les mesures prises au titre de l’état d’urgence sanitaire

Le texte, dont l’objectif est de donner à la puissance publique des moyens d’action à la mesure de la pandémie,
offre au Premier ministre des pouvoirs de police d’une ampleur inégalée depuis la loi de police sanitaire du 3
mars 1822 adoptée pour parer l’épidémie de fièvre jaune.

Comme pour l’état d’urgence « sécuritaire », les dispositifs de l’état d’urgence sanitaire permettent
essentiellement une extension des pouvoirs de police administrative impliquant pour certaines libertés, des
restrictions qui seraient illicites en temps « normal ».

La loi prévoit 3 catégories de mesures relevant de trois autorités différentes. Malgré sa naturesanitaire, les
pouvoirs de ce régime d’exception relèvent, au plan national du Premier ministre (et non du ministre de la
Santé) et au plan local des préfets ou des maires (et non de l’agence régionale de la santé, qui n’a qu’un rôle
consultatif).

Cela s’explique par le fait qu’il s’agit de pouvoirs de police et donc de restrictions des libertés au nom de la
santé publique (un élément de l’ordre public général, dont le chef du gouvernement et le préfet ont, avec le
maire, la charge). La police de l’urgence sanitaire est une police spéciale que les autorités cumulent avec leur
pouvoir de police générale. Le maire peut aggraver les mesures nationales, de manière proportionnelle aux
nécessités locales.

L’article L. 3131-15 du CSP, prévoit que :

« I.- Dans les circonscriptions territoriales où l'état d'urgence sanitaire est déclaré, le Premier ministre peut, par
décret réglementaire pris sur le rapport du ministre chargé de la santé, aux seules fins de garantir la santé
publique :

1° Réglementer ou interdire la circulation des personnes et des véhicules et réglementer l'accès aux moyens de
transport et les conditions de leur usage ;

2° Interdire aux personnes de sortir de leur domicile, sous réserve des déplacements strictement indispensables
aux besoins familiaux ou de santé ;

3° Ordonner des mesures ayant pour objet la mise en quarantaine, au sens de l'article 1er du règlement sanitaire
international de 2005, des personnes susceptibles d'être affectées ;

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4° Ordonner des mesures de placement et de maintien en isolement, au sens du même article 1er, à leur domicile
ou tout autre lieu d'hébergement adapté, des personnes affectées ;

5° Ordonner la fermeture provisoire et réglementer l'ouverture, y compris les conditions d'accès et de présence,
d'une ou plusieurs catégories d'établissements recevant du public ainsi que des lieux de réunion, en garantissant
l'accès des personnes aux biens et services de première nécessité ;

6° Limiter ou interdire les rassemblements sur la voie publique ou dans un lieu ouvert au public ainsi que les
réunions de toute nature, à l'exclusion de toute réglementation des conditions de présence ou d'accès aux locaux
à usage d'habitation ;

7° Ordonner la réquisition de toute personne et de tous biens et services nécessaires à la lutte contre la
catastrophe sanitaire. L'indemnisation de ces réquisitions est régie par le code de la défense ;

8° (abrogé)

9° En tant que de besoin, prendre toute mesure permettant la mise à la disposition des patients de médicaments
appropriés pour l'éradication de la catastrophe sanitaire ;

10° En tant que de besoin, prendre par décret toute autre mesure réglementaire limitant la liberté d'entreprendre,
dans la seule finalité de mettre fin à la catastrophe sanitaire mentionnée à l'article L. 3131-12 du présent code.

(…)

III.- Les mesures prescrites en application du présent article sont strictement proportionnées aux risques sanitaires
encourus et appropriées aux circonstances de temps et de lieu. Il y est mis fin sans délai lorsqu'elles ne sont plus
nécessaires ».

Suivant les articles L. 3131-16 et L. 3131-17 du CSP, de telles réglementations n’empêchent pas l’intervention de
mesures complémentaires adoptées par le ministre chargé de la santé ou lesautorités déconcentrées (les préfets
et éventuellement les maires).

Le ministre de la Santé dispose, dans les circonscriptions territoriales où l’état d’urgence sanitaire est déclaré, du
pouvoir de prescrire toute autre mesure réglementaire relative à l’organisation et au fonctionnement du
dispositif de santé ainsi que toute mesure individuelle nécessaire à l’application des règlements adoptés par le
Premier ministre (CSP, art. L. 3131-16).

Les autorités déconcentrées peuvent être habilitées, soit par le Premier ministre, soit par le ministre chargé de
la Santé, à prendre toutes les mesures générales ou individuelles utiles à l’application des décisions nationales
(CSP, art. L. 3131-17). Dans l’hypothèse où l’EUS n’intéresserait qu’un champ territorial restreint n’excédant pas
le territoire d’un département, le préfet peut même être habilitéà intervenir à titre initial pour prendre, sur avis
du directeur de l’ARS, l’une, l’autre ou l’ensemble des mesures listées aux 1°, 2° et 5° à 9° de l’article L. 3131-15
du CSP.

Toutes ces mesures (qu’elles relèvent de la compétence du chef du gouvernement, du ministre de la Santé ou
des autorités déconcentrées) doivent répondre aux mêmes conditions de fond quant à leur édiction, leur
adoption et les contrôles dont elles peuvent faire l’objet.

Les conditions de fond sont celles auxquelles, de manière générale, la validité de toute restriction des libertés
fondamentales est subordonnée : une finalité légitime et la proportionnalité.

Toutes ces mesures doivent poursuivre la finalité de protection de la santé publique. Les décisions qui relèvent
de la compétence du ministre de la santé et certaines de celles qui entrent dans les attributions du Premier
ministre doivent viser « à mettre fin à la catastrophe sanitaire » qui a motivé la déclaration de l'état d'urgence.

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L'exigence de proportionnalité est énoncée par la loi, en termes énergiques (« strictement »), la proportionnalité
s'entendant « par rapport aux risques encourus ». La réalité, plus complexe, tient dans l'application du triple test
de proportionnalité qui doit normalement conduire le juge à vérifier que la mesure est adaptée, nécessaire et
proportionnée (stricto sensu).

La loi précise d'ailleurs la portée de l'exigence de proportionnalité dans ses dimensions spatiale et temporelle
(adaptation aux circonstances de temps et de lieu, obligation de mettre fin aux mesures prises sans délai quand
elles ne sont plus nécessaires, disparition automatique en même temps que prend fin l’état d’urgence sanitaire).

Sur le terrain procédural, toutes ces mesures, que la loi dédie aux seules fins de protection de la santé publique
et de lutte contre les risques sanitaires, devaient initialement faire l’objet d’un avis, régulièrement rendu public,
émanant d’un comité scientifique ad hoc, composé de personnalités qualifiées désignées par le Président de la
République, le Premier ministre et les Présidents des assemblées.

La rédaction finale de l’article L. 3131-19 du CSP ne fait plus apparaitre cette mission d’évaluation des mesures
adoptées, mais se borne à indiquer que le comité rend périodiquement des avis rendus publics « sur l’état de la
catastrophe sanitaire, les connaissances scientifiques qui s’y rapportent et les mesures propres à y mettre un
terme […] ainsi que sur la durée de leur application ».

II. LE CONTRÔLE LIMITÉ DE L’ÉTAT D’URGENCE SANITAIRE

A. Le contrôle institutionnel des mesures prises au titre de l’état d’urgence sanitaire

1. Un contrôle parlementaire limité

Le Parlement n’est invité à se prononcer sur la prolongation de l’état d’urgence sanitaire qu’au bout d’un mois,
même si ses assemblées peuvent, à leur demande, obtenir toute information complémentaire dans leur mission
de contrôle de l’action du gouvernement (CSP, art. L. 3131-13).

Il n’est par ailleurs prévu aucun contrôle par une instance indépendante.

Il est fait obligation au gouvernement d'informer sans délai les assemblées des mesures qu'il prend au titre de
l’état d’urgence sanitaire.

2. Le contrôle juridictionnel des mesures prises au titre de l’état


d’urgence sanitaire

a) Le contrôle constitutionnel
Le Conseil constitutionnel ne s’est pas prononcé sur l’état d’urgence sanitaire, mais a simplement validé la loi
organique qui suspend les délais d’examen des questions prioritaires de constitutionnalité.

b) Le contrôle par le juge ordinaire


i) Le juge administratif

Le contrôle de la mise en place de l’état d’urgence : en 2005 et en 2016, le Conseil d’État a admis la recevabilité
des recours dirigés contre le décret déclarant l’état d’urgence, qu’il a donc écarté du champ des actes de
gouvernement. Il y a tout lieu de croire que la même position serait prise pour la déclaration de l’état d’urgence
sanitaire. Cette recevabilité est toutefois limitée dans le temps, les recours ne pouvant plus prospérer dès lors
que l’état d’urgence a été confirmé la loi (CE, ord. réf. 14 novembre 2005, Rolin ; CE, ord., 27 janv. 2016, Ligue
des droits de l’homme, n° 396220).

Le contrôle des mesures prises au titre de l’état d’urgence : la loi du 23 mars 2020, prenant exemple sur le régime
de l'état d'urgence (art. 14-1 de la loi du 3 avr. 1955), a rappelé que les mesures prises au titre de l’état d’urgence
sanitaire peuvent faire l'objet, devant le juge administratif, d'un référé- suspension et d'un référé-liberté.

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ii) Le juge judiciaire

Les mesures de quarantaine peuvent être contestées à tout moment devant le juge des libertés et de la
détention qui statue dans 72h. La mise en quarantaine dure 14 jours, et sa prolongation doit intervenir après
saisie du juge des libertés et de la détention par le préfet, avec une limite totale d’un mois.

B. Le droit répressif à l’épreuve de l’épidémie de COVID-19

Aux termes de l’article L. 3136-1 du CSP dans sa version issue de la loi n°2021-689 du 31 mai 2021 relative à la
gestion de la sortie de crise sanitaire :

« Le fait de ne pas respecter les mesures prescrites par l'autorité requérante prévues aux articles L. 3131-8 et L.
3131-9 est puni de six mois d'emprisonnement et de 10 000 Euros d'amende.

Le fait de ne pas respecter les réquisitions prévues aux articles L. 3131-15 à L. 3131-17 est puni de six mois
d'emprisonnement et de 10 000 € d'amende.

La violation des autres interdictions ou obligations édictées en application des articles L. 3131-1 et L. 3131-15 à
L. 3131-17 est punie de l'amende prévue pour les contraventions de la quatrième classe, y compris le fait par toute
personne de se rendre dans un établissement recevant du public en méconnaissance d'une mesure édictée sur le
fondement du 5° du I de l'article L. 3131-15, et de l'amende prévue pour les contraventions de la cinquième classe
s'agissant de la violation par l'exploitant d'un établissement recevant du public des mesures édictées sur le
fondement du 5° du I de l'article L. 3131-15 et s'agissant de la violation des mesures de mise en quarantaine et
des mesures de placement et de maintien en isolement édictées sur le fondement des 3° et 4° du I de ce même
article ou des 1° et 2° du I de l'article L. 3131-1 du même code. Cette contravention peut faire l'objet de la
procédure de l'amende forfaitaire prévue à l'article 529 du code de procédure pénale. Si cette violation est
constatée à nouveau dans un délai de quinze jours, l'amende est celle prévue pour les contraventions de la
cinquième classe.

Si les violations prévues au troisième alinéa du présent article sont verbalisées à plus de trois reprises dans un
délai de trente jours, les faits sont punis de six mois d'emprisonnement et de 3 750 € d'amende ainsi que de la
peine complémentaire de travail d'intérêt général, selon les modalités prévues à l'article 131-8 du code pénal et
selon les conditions prévues aux articles 131-22 à 131-24 du même code, et de la peine complémentaire de
suspension, pour une durée de trois ans au plus, du permis de conduire lorsque l'infraction a été commise à l'aide
d'un véhicule.

Les agents mentionnés aux 1°, 1° bis et 1° ter de l'article 21 du code de procédure pénale et les agents des douanes
peuvent constater par procès-verbaux les contraventions prévues au troisième alinéa du présent article
lorsqu'elles ne nécessitent pas de leur part d'actes d'enquête.

Les agents mentionnés aux articles L. 511-1, L. 521-1, L. 531-1 et L. 532-1 du code de la sécurité intérieure peuvent
constater par procès-verbaux les contraventions prévues au troisième alinéa du présent article lorsqu'elles sont
commises respectivement sur le territoire communal, sur le territoire pour lequel ils sont assermentés ou sur le
territoire de la Ville de Paris et qu'elles ne nécessitent pas de leur part d'actes d'enquête.

Les agents mentionnés aux 4° et 5° du I de l'article L. 2241-1 du code des transports peuvent également constater
par procès-verbaux les contraventions prévues au troisième alinéa du présent article consistant en la violation
des interdictions ou obligations édictées en application du 1° du I de l'article L. 3131-15 du présent code en matière
d'usage des services de transport ferroviaire ou guidé et de transport public routier de personnes, lorsqu'elles sont
commises dans les véhicules et emprises immobilières de ces services. Les articles L. 2241-2, L. 2241-6 et L. 2241-
7 du code des transports sont applicables.

Les agents mentionnés au II de l'article L. 450-1 du code de commerce sont habilités à rechercher et constater les
infractions aux mesures prises en application des 5° et 10° du I de l'article L. 3131-15 du présent code dans les
conditions prévues au livre IV du code de commerce.
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Les personnes mentionnées au 11° de l'article L. 5222-1 du code des transports peuvent également constater par
procès-verbaux les contraventions prévues au troisième alinéa du présent article consistant en la violation des
interdictions ou obligations édictées en application du 1° du I de l'article L. 3131-15 du présent code en matière de
transport maritime, lorsqu'elles sont commises par un passager à bord d'un navire.

L'application de sanctions pénales ne fait pas obstacle à l'exécution d'office, par l'autorité administrative, des
mesures prescrites en application des articles L. 3131-1 et L. 3131-15 à L. 3131-17 du présent code ».

III. LE DROIT À LA VIE L’EMPORTANT SUR LES AUTRES LIBERTÉS FONDAMENTALES ?


La protection de la santé publique a servi de fondement pour de nombreuses restrictions à plusieursdroits et
libertés fondamentales.

- Libertés individuelles :
o Port du masque obligatoire
o Restrictions des libertés des mineurs : de nombreuses mesures restreignant les libertés des
mineurs ont été adoptées pendant l'état d'urgence sanitaire. Sans audition des parties peuvent
être ainsi décidées une prorogation ou une suppression des mesures d’assistance éducative,
une suspension ou une modification du droit de visite et d’hébergement d’un mineur, une
prorogation des mesures de placement de mineurs délinquants…

- Liberté de circulation :
o Restriction totale des déplacements
o Restriction des déplacements à plus de 100 km
o Restrictions locales de déplacement
o Fermeture des frontières
o Interdiction des navires de croisière dans les eaux françaises
o Interdiction des déplacements aériens pour les habitants des outre-mer
o Mise en quatorzaine des personnes arrivant de l’étranger et de l’outre-mer
o Accès limité aux plages, plans d’eau, jardins, parcs et autres espaces

- Droit au juge :

La Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme a considéré que l'état d'urgence sanitaire avait
entraîné une quasi-cessation d'activité de l'institution judiciaire : « C'est à ce titre que lechoix a été fait d'éluder
l'essentiel du contrôle du juge dans la prolongation de la détention, de restreindre l'exercice des droits de la
défense et d'interdire, de fait, tout contentieux devant le Conseil de prud'hommes ».
o Prolongation des délais de détention provisoire ou d’assignation à résidence
o Procès sans audience en matière civile
o Procès dématérialisés au pénal
o Prolongation des gardes à vue sans présentation à un juge
o Délais de recours non suspendus contre certaines mesures prises à l’encontre des étrangers
o Prorogation des mesures de tutelle ou curatelle

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- Liberté de réunion et de manifestation :
o Restrictions des rassemblements

- Liberté de culte :
o Interdiction des cérémonies dans les lieux de culte
o Interdiction des soins et de la toilette mortuaire

- Droit du travail :
o Dérogation à la durée du travail dans certains secteurs
o Fixation par l’employeur des jours de congé et de repos

- Liberté économique :
o Réquisition de biens, services ou personnes
o Contrôle du prix de certains biens
o Interdiction de recevoir du public

Où en sommes-nous ?

Depuis le 2 juin 2021, et à l’exception de la Guyane, de la Martinique, de la Réunion, de la Guadeloupe, de


Saint-Barthélemy et de Saint-Martin, la France n’est plus en état d’urgence sanitaire. Cela ne signifie pas
pour autant un retour à la normale. En effet, il convient de se rappeler qu’un régime transitoire, conférant
des pouvoirs similaires à l’exécutif est en place jusqu’au 30 septembre 2021 (en 2020, le régime transitoire
avait conduit non pas sur un retour à la normale, mais sur un rétablissement de l’état d’urgence sanitaire).

Rappel chronologique :

- du 22 mars 2020 au 10 juillet 2020 : État d’urgence sanitaire


- du 11 juillet 2020 au 16 octobre 2020 : Régime transitoire de « sortie de l’état d’urgence sanitaire »
- du 17 octobre 2020 au 1er juin 2021 : État d’urgence sanitaire
- du 2 juin 2021 au 30 septembre 2021 : Régime transitoire

FOCUS SUR L’HYPOTHÈSE DU TRACKING :

Afin de contrôler la propagation du virus, autrement que par le biais du confinement, de nombreux États ont mis
en place des dispositifs comme les applications de géolocalisation, pour suivre tous les individus en temps réel,
ou de contact tracing, fonctionnant à l’aide d’un Bluetooth pour identifier les individus étant rentrés en contact
avec des malades, les systèmes de captation d’images comme les drones et les « caméras intelligentes »
permettant in fine l’usage de la technique de la reconnaissance faciale afin de contrôler le respect des gestes
barrières et le port du masque par les individus et enfin la mise à disposition massive des données de bornage
par les opérateurs téléphoniques, toujours dans le même but : tracer numériquement la circulation du virus et
surveiller le respect des consignes étatiques pour éviter sa propagation.

Entre l’application StopCovid (puis TousAntiCovid), l’utilisation des drones et des « caméras intelligentes »
installées dans le métro parisien, l’avenir du droit à la vie privée semble brumeux.

De telles applications permettent d'automatiser l'identification des individus qui ont été en contact avec une
personne testée positive au COVID-19 et repose sur le « contact tracing ».

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Il s’agit d’utiliser les données GPS présentes dans les smartphones pour traquer leurs déplacements et identifier
les personnes avec lesquelles elles ont pu être en contact et seraient donc potentiellement infectées. Plusieurs
pays comme la Chine, la Corée du Sud, Singapour ou encore Israël ont recours à ces pratiques.

Des étapes peuvent être identifiées :


- L'identification des individus : l'application a pour but de garder la trace des personnes que l'utilisateur a
croisées (et qui ont également téléchargé l'application), via la technologie Bluetooth. Le téléphone de l'utilisateur
enregistre les traces pseudonymes des autres utilisateurs dans son historique lorsque ces personnes se croisent
« pendant une certaine durée et à distance rapprochée » ;
- L'information des individus : les personnes qui ont été au contact de la personne testée positive au COVID-
19 seront informées « de manière automatique ».

L'objectif de ce projet est de « limiter la diffusion du virus en identifiant les chaînes de transmission ». Les
membres du gouvernement ont précisé que cet outil reposait sur le volontariat et pourrait être désinstallé « à
tout moment.

Le 26 avril et le 25 mai 2020 la Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés (CNIL) s’est prononcée
sur la conformité de l’application au droit. La CNIL a rappelé que le fait d’instituer un dispositif qui enregistre
automatiquement les cas contacts de ses utilisateurs constitue une atteinte à la vie privée qui n’est admissible
qu’à certaines conditions. Par ailleurs, des données à caractère personnel concernant la santé seront traitées.
Elle a constaté que l’application StopCovid ne conduira pas à créer une liste des personnes contaminées mais
simplement une liste de contacts, pour lesquels toutes les données sont pseudonymisées. Elle respecte ainsi le
concept de protection des données dès la conception.

Elle recommande au gouvernement :


o L’absence de conséquence juridique négative attachée au choix de ne pas recourir à
l’application, La mise en œuvre de certaines mesures techniques de sécurité,
o L’amélioration de l’information fournie aux utilisateurs, en particulier s’agissant des conditions
d’utilisation de l’application et des modalités d’effacement des données personnelles,
o La nécessité de délivrer une information spécifique pour les mineurs et les parents des mineurs,
o La confirmation dans le décret à venir d’un droit d’opposition et d’un droit à l’effacement des
données pseudonymies enregistrées,
o Le libre accès à l’intégralité du code source de l’application mobile et du serveur.

La Commission européenne a publié le 16 avril 2020 des orientations relatives à la protection des données dans
le cadre du développement de nouvelles applications, ainsi qu'une « boîte à outils » visant à adopter une
approche européenne commune sur les applications de traçage des contacts dans le cadre de la lutte contre le
COVID-19.

La Commission européenne affirme notamment dans ses orientations que si les données de proximité des
utilisateurs de l'application doivent être partagées avec les autorités sanitaires, elles ne devraient l'être qu'après
confirmation que la personne concernée est infectée par le virus COVID-19 et « à condition qu'elle choisisse de
le faire ».

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FICHE N°7 : LA PROTECTION DU DÉTENU

Résumé :

Longtemps, les détenus ont été maintenus dans une situation d’enfermement normatif. Peu de textes leur
consacraient des droits fondamentaux, et le droit pénitentiaire peinait à se développer, l’administration
pénitentiaire ayant longtemps été le terrain d’élection des mesures d’ordre d’intérieur et mesures
d’administration judiciaires, qui permettent de soustraire au contrôle du juge certains actes relatifs aux détenus.
Aujourd’hui, il est admis que les détenus continuent de jouir de l’ensemble de leurs droits fondamentaux
pendant la durée de leur incarcération. Certaines restrictions peuvent être apportées à ces droits en raison des
impératifs propres à l’institutionpénitentiaire. Il reste que, dans les faits, ces droits sont peu effectifs, notamment
en raison des insuffisances de l’administration pénitentiaire.

Notions abordées dans la fiche :

- Peine privative de liberté


- Détention provisoire
- Procès équitable
- Dignité humaine
- Droit de vote
- Droit à la vie privée et familiale
- Droit à la sécurité
- Droit à la santé
- Liberté religieuse
- Droits sociaux

62
Introduction

« Une société se juge à l’état de ses prisons » - Albert Camus

Longtemps, le détenu n’a été vu que comme un citoyen diminué au profit duquel il serait difficile de reconnaître
de véritables droits fondamentaux. En accord avec les doctrines humanistes, et avec la nouvelle fonction de
réinsertion et d’amendement du détenu, des droits fondamentaux ont été progressivement reconnus aux
détenus.

Ainsi, à côté des nombreux traités consacrant des droits protégeant les personnes détenues, la loi pénitentiaire
du 24 novembre 2009 est venue préciser le régime de l’exécution et de l’application des peines et consacrer
certains droits au profit des détenus. En pratique, toutefois, la mise en œuvre de certains de ces droits reste
compliquée en raison des insuffisances du système pénitentiaire français et des difficultés inhérentes à
l’incarcération.

I. LES PRINCIPES ESSENTIELS DU SYSTÈME PÉNITENTIAIRE FRANÇAIS

A. La prison et les peines privatives de liberté

Histoire et définition des peines privatives de liberté. Sous l’Ancien Régime, les peines privatives de liberté
n’existaient pas, les sanctions pénales ayant, jusqu’à cette époque, vocation à atteindre le corps, le patrimoine,
le statut du condamné, mais pas sa liberté. Les prisons ne constituaient pas des lieux d’exécution des peines mais
des lieux de sûreté, dans lesquels les individus étaient enfermés en attente de l’exécution de leur peine de mort
ou de leur châtiment corporel, ou encore pour des raisons prophylactiques (mendicité, vagabondage,
prostitution).

A partir de la Révolution, et sous l’influence de la pensée de Beccaria, la peine va progressivement se détacher


du corps de l’individu, afin de l’atteindre dans sa liberté. En particulier, le Code pénal de 1791 généralise la peine
privative de liberté afin de la substituer, aux châtiments corporels de l’Ancien Régime.

Aujourd’hui, il existe différents types de peines privatives de liberté : l’emprisonnement correctionnel, la


réclusion criminelle à perpétuité, ou à temps, la détention criminelle à perpétuité ou à temps. Ces peines ont en
commun de conduire à l’incarcération de la personne condamnée. Il reste que la prison peut accueillir des
personnes n’exécutant pas une peine à proprement parler, notamment les individus placés en détention
provisoire à titre de mesure de sûreté dans l’attente d’une condamnation définitive.

Les fonctions de la peine privative de liberté. Traditionnellement, la peine privative de liberté obéità une
fonction de neutralisation et rétribution : il s’agit de protéger la société et d’infliger une souffrance. Il est
désormais admis qu’au-delà de ces buts, la peine privative de liberté doit permettre l’amendement et la
réinsertion du détenu. Le Conseil constitutionnel a ainsi affirmé que « l'exécution des peines privatives de liberté
en matière correctionnelle et criminelle a été conçue, nonseulement pour protéger la société et assurer la punition
du condamné, mais aussi pour favoriser l'amendement de celui-ci et préparer son éventuelle réinsertion » (Cons.
const., 20 janvier 1994, n°93-334 DC).

Ces objectifs ont ensuite été consacrés de manière plus générale dans l’article 2 de la loi pénitentiaire du 24
novembre 2009, aux termes de laquelle « Le service public pénitentiaire (…) contribue à l'insertion ou à la
réinsertion des personnes qui lui sont confiées par l'autorité judiciaire, à la prévention de la récidive et à la
sécurité publique dans le respect des intérêts de la société, des droits des victimes et des droits des personnes
détenues (…) ».

Les différents lieux d’exécution de la peine privative de liberté. Il existe deux catégories d’établissements
pénitentiaires : les maisons d’arrêt et les établissements pour peine. En principe, les maisons d’arrêt
n’accueillent que les personnes en attente de jugement. À titre exceptionnel, peuvent y être placées les
personnes condamnées à une peine d’emprisonnement d’une durée inférieure à deux ans ou celles auxquelles
il reste à effectuer une peine inférieure à un an (art. 717 al 2 CPP, D. 70).

63
On notera qu’en pratique, l’incarcération des condamnés en maison d’arrêt est tout sauf exceptionnelle, la
plupart des personnes condamnées à des peines d’emprisonnement inférieures à deux ans étant écrouées dans
des maisons d’arrêt. Les établissements pour peine ont, quant à eux, vocation à accueillir les personnes
définitivement condamnées à des peines longues. On distingue au sein de cette catégorie des centres de
détention, les maisons centrales, les centres de semi-liberté, les établissements pour mineurs, les centres pour
peine aménagées, et les centres pénitentiaires.

Situation du système pénitentiaire français : le problème de la surpopulation carcérale. De manièrechronique,


la France fait face à un phénomène de surpopulation de ses prisons. Selon les statistiques publiées par le
ministère de la Justice, au 1er janvier 2020, les prisons françaises accueillaient 70 651 détenus pour 61 080, ce
qui signifie que la densité carcérale atteignait 115,7%.

La crise sanitaire a conduit à une réduction sensible de la population carcérale, puisqu’à la fin du mois de
juin 2020, 13.500 détenus ont été remis en liberté, selon des modalités variables. Cependant, après l’accalmie
du premier confinement, une augmentation continue. Au premier juin 2021, 66.591 personnes étaient
incarcérées sur le territoire français, soit une augmentation de 1,8% en un mois (14,6% en un an). En outre, les
détenus sont inégalement répartis sur l’ensemble des établissements pénitentiaires, les taux d’occupation étant
extrêmement variables d’un établissement à un autre.

À retenir :

Cette situation est fréquemment dénoncée et sanctionnée par la Cour européenne des droits de l’homme.
Récemment, après avoir noté que la France figurait en troisième position parmi la liste des huit pays rencontrant
de graves problèmes de surpopulation carcérale, la Cour a condamné la France, estimant que la situation
chronique de surpopulation carcérale, ainsi que les autres insuffisances des prisons française en terme d’hygiène
et de sécurité, étaient constitutives d’une violation de l’article 3 de la Convention européenne, c’est-à-dire, que
par leur état, les prisons françaises exposent les détenus à des traitements inhumains et dégradants (CEDH, 30
janv. 2020, J.M.B. et autres c. France, n° 9671/15 et 31 autres).

À la suite de cette condamnation par la CEDH, par une décision n° 2021-898 QPC du 16 avril 2021, le Conseil
constitutionnel juge qu'il incombe au législateur de garantir aux personnes condamnées la possibilité de saisir le
juge de conditions de détention contraires à la dignité de la personne humaine, afin qu'il y soit mis fin.

Cette décision confirme, à propos des détenus condamnés, la QPC rendue le 2 octobre 2020 au sujet des
personnes en détention provisoire (Cons. const., 2 oct. 2020, n° 2020-858/859 QPC). Dans cette décision de non-
conformité, le Conseil constitutionnel avait en effet déjà dégagé l'obligation pesant sur le législateur de garantir
aux personnes placées en détention provisoire la possibilité de saisir le juge pour qu'il soit mis un terme à des
conditions de détention indignes.

D'un point de vue pratique, il faut relever que les dispositions déclarées contraires à la Constitution ne sont plus
en vigueur. Les mesures prises en application de ces dispositions ne peuvent donc pas être contestées sur le
fondement de cette inconstitutionnalité. En effet, le 9 avril 2021, la loi tendant à garantir le droit au respect de
la dignité en prison a été publiée.

Ce texte a modifié l'article 707 du code de procédure pénale. Cette loi offre désormais aux détenus la possibilité
de saisir un juge lorsqu'ils estiment que leurs conditions d'incarcération sont contraires au respect de leur dignité.

Dans son article unique, le texte énonce en effet que « toute personne détenue dans un établissement
pénitentiaire qui considère que ses conditions de détention sont contraires à la dignité de la personne humaine
peut saisir le juge des libertés et de la détention, si elle est en détention provisoire, ou le juge de l'application
des peines, si elle est condamnée et incarcérée en exécution d'une peine privative de liberté, afin qu'il soit mis
fin à ces conditions de détention indignes ».

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B. L’accès au juge en matière pénitentiaire

Le système pénitentiaire est organisé autour d’une Administration composite, dépendant du ministère de la
Justice au niveau central, et implantée localement dans différents services déconcentrés et établissements
pénitentiaires qualités d’établissements publics administratifs. Assurée en grande partie par des agents publics
ou des fonctionnaires, la mission de garde des détenus est une fonction régalienne essentiellement
administrative. Elle a longtemps été conçue comme une activité discrétionnaire, de sorte que l’administration
des détenus a longtemps échappéau contrôle du juge.

La juridictionnalisation de l’exécution et de l’application des peines. La matière pénitentiaire a longtemps


échappé au contrôle du juge administratif, la majorité des mesures prises par l’Administration pénitentiaire à
l’égard du détenu étant alors qualifiée de « mesure d’ordre intérieur ». Pour rappel, il s’agit des actes
administratifs unilatéraux soustraits au contrôle du juge administratif.

Quant aux mesures prises par le juge de l’application des peines, elles étaient qualifiées de « mesures
d’administration judiciaire », et échappaient également à tout recours contentieux, si ce n’est à l’initiative du
Procureur de la République. Le détenu subissait une situation « d’enfermement normatif » (M. Herzog-Evans),
qui était peu compatible avec le droit à un procès équitable et le recours effectif consacrés aux articles 6 et
13 de la Convention européenne desauvegarde des droits de l’homme. Cet état du droit va sensiblement
évoluer au tournant du XXIe siècle, ce qui donnera lieu à l’apparition d’un véritable droit pénitentiaire et de
l’application des peines.

Premièrement, les mesures prises à l’encontre des détenus sont progressivement sorties du champ des mesures
d’ordre intérieur. Le Conseil d’État a ainsi admis la recevabilité du recours d’un détenu contre la sanction de
mise en cellule de punition pour une durée de huit jours avec sursis (CE, Ass.,17 fév. 1995, Marie).

A l’occasion de trois affaires portées devant lui, le Conseil d’État a, par la suite, précisé quels types de mesures
prises à l’encontre du détenu étaient susceptibles de recours. Sans donner une définition claire, il a posé le
principe selon lequel certains actes sont susceptibles de recours en raison de leur nature et de l’importance de
leurs effets sur la situation des détenus (CE, Ass., 14 déc. 2007, Boussouar, Planchenault, Payet).

Tel est le cas d’une décision de changement d’affectation d’une maison centrale en maison d’arrêt, ou d’une
sanction disciplinaire. Certaines mesures, alors même qu’elles appartiendraient à la catégorie des actes
insusceptibles de recours, peuvent exceptionnellement être déférées au juge lorsqu’elles mettent en cause les
droits et libertésfondamentaux du détenu, tel le droit à la santé et à l’accès à un médecin.

Par ailleurs, une autre évolution majeure a été entamée à partir des années 2000 pour ce qui concerne
l’application des peines. Alors que le juge de l’application des peines (JAP) rendait des décisions insusceptibles
de recours par leur destinataire, prises sans débat contradictoire ni motivation, la loi du 15 juin 2000 renforçant
la présomption d’innocence a conféré une nature juridictionnelle aux décisions prises par ce juge. Cette loi a
institué l’obligation de motivation, de respect d’une procédure contradictoire et a ouvert des voies de recours
contre les décisions du JAP.

Toutefois, un certain nombre de décisions continuaient de recevoir la qualification de mesuresd’administration


judiciaire, telles celles relatives à la réduction de peine, aux permissions de sortie, ou aux autorisations de sortie
sous escorte. La loi Perben II du 9 mars 2004 viendra remédier à cette situation en généralisant la nature
juridictionnelle des décisions prises par le JAP et créera deux juridictions de l’application des peines : le tribunal
de l’application des peines (TAP) et la chambre de l’application des peines, le premier étant compétent pour les
peines les plus longues, et la seconde connaissant des appels contre les décisions du JAP et du TAP.

Le dualisme juridictionnel en matière pénitentiaire. Les litiges relatifs à la détention sont partagés entre les deux
ordres de juridiction en raison de la spécificité du milieu pénitentiaire : le détenu y est perçu comme un usager
du service public pénitentiaire, mais son incarcération procède d’une décision pénale rendue par le juge
judiciaire. Cette ambivalence explique que les lignes de partage entre le contentieux relevant du juge
administratif et celui relevant du juge judiciaire ait dû faire l’objet de clarification.

65
En application de la jurisprudence du Tribunal des conflits, les litiges relatifs aux actes et agissements non
détachables des services judiciaires relèvent du juge judiciaire (TC, 27 nov. 1952, Préfet de la Guyane).

Il en va ainsi des actes relatifs à l’octroi ou le retrait d’une libération conditionnelle, aux permissions de sortie ou
mesures de réduction de peine. En revanche, les recours formés contre tous les actes touchant au
fonctionnement administratif du service pénitentiaire.

Actualité :

La loi n° 2021-403 du 8 avril 2021 tendant à garantir le droit au respect de la dignité en détention,
permet désormais à un détenu, incarcéré dans des conditions indignes de saisir le juge judiciaire (JLD
pour une personne en détention provisoire ou JAP pour une personne condamnée) pour qu’il y mette
un terme. Ce dernier peut, si l’administration pénitentiaire n’y remédie pas, ordonner le transfèrement
du détenu, sa mise en liberté ou un aménagement de peine.

II. LES DROITS SUBSTANTIELS ET PROCÉDURAUX DES DÉTENUS


Les droits fondamentaux des détenus se sont progressivement développés à la fin du XX e siècle, et trouvent leur
source dans un corpus de textes hétérogène. En droit interne, la protection des droits fondamentaux des
détenus, si elle peut être rattachée à certaines dispositions de la Constitution, découle pour l’essentiel de la loi
pénitentiaire du 24 novembre 2009. Les articles 22 et suivants de cette loi consacrent les droits fondamentaux
des personnes détenues, au premier rang desquels figurent le droit de toute personne d’être détenue dans
le respect de sa dignité et de ses droits(art. 22), et le droit au respect de l’intégrité physique (art. 44).

Toutefois, en raison des impératifsde maintien de l’ordre propres à l’institution pénitentiaire, l’administration
peut apporter des restrictions aux droits du détenu. L’article 22 de la loi du 24 novembre 2009 dispose ainsi :
« L'administration pénitentiaire garantit à toute personne détenue le respect de sa dignité et de ses droits.
L'exercice de ceux-ci ne peut faire l'objet d'autres restrictions que celles résultant des contraintes inhérentes à la
détention, du maintien de la sécurité et du bon ordre des établissements, de la prévention de la récidive et de la
protection de l'intérêt des victimes. Ces restrictions tiennent compte de l'âge, de l'état de santé, du handicap et
de la personnalité de la personne détenue ».

D’autres normes conventionnelles jouent un rôle important dans la protection des détenus. Enparticulier, le
Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) reconnaît à son article 10 que « Le régime
pénitentiaire comporte un traitement des condamnés dont le but essentiel est leur amendement et leur
reclassement social », texte progressiste puisqu’il fait primer l’objectif de réinsertion sur le but répressif de
l’incarcération.

La Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme (CESDH) ne contient aucune disposition
directement consacrée aux détenus. En revanche, la jurisprudence de la Cour a permis de dégager certains droits
fondamentaux des personnes détenues et celle-ci a posé le principe selon lequel « les détenus en général
continuent dejouir de tous les droits et libertés fondamentaux garantis par la Convention, à l’exception du droit
à la liberté lorsqu’une détention régulière entre expressément dans le champ d’application de l’article 5de la
Convention » (CEDH, gr. Ch., 6 oct. 2005, Hirst c/ Royaume-Unis).

Enfin, des règles pénitentiaires européennes ont été édictées en 1973, puis révisées en 1987 et 2006, et ont
pour but d’harmoniser les pratiques pénitentiaires dans l’ensemble des pays du Conseil de l’Europe, sans pour
autant avoir une valeur contraignante.

66
A. Les droits civiques des détenus

Le droit de vote est inhérent à la qualité de citoyen, dont les individus ne peuvent être privés qu’à raison de l’âge,
de l’incapacité, de la nationalité, ou pour une raison tendant à préserver la liberté de l’électeur ou l’indépendance
de l’élu (Cons. const., 18 nov. 1982, n°82-146 DC Loi modifiant le code électoral). Aujourd’hui, en l’absence de
condamnation à une peine complémentaire d’interdiction des droits civiques, les détenus disposent du droit
de vote.

Les fondements et contrôles. Les droits civiques des individus découlent de l’article 6 de la Déclaration des droits
de l’Homme et du citoyen de 1789, au terme duquel « La loi est l'expression dela volonté générale. Tous les
citoyens ont droit de concourir personnellement ou par leurs représentants à sa formation. Elle doit être la même
pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ».

Le droit de vote et d’éligibilité est également consacré à l’article 25 du Pacte international relatif aux droits civils
et politiques. La Convention ESDH, quant à elle, ne contient aucune dispositiongarantissant formellement ces
droits. Toutefois, depuis un arrêt Hirst c. Royaume Uni (CEDH, grde. ch., Hirst c/ Royaume Uni, 6 oct. 2005,
n°74025/01), elle estime que le droit de vote et d’éligibilité découle de l’article 3 du Protocole n°1 additionnel
faisant obligation aux États « d’organiser, à des intervalles raisonnables, des élections libres au scrutin secret,
dans les conditions qui assurent la libre expression de l’opinion du peuple sur le choix du corps législatif ».

Si les droits de vote et d’éligibilité constituent bien des droits fondamentaux au sens de la Convention, ils n’ont
pas une portée absolue. La Cour admet que des restrictions y soient apportées, les États parties ayant une large
marge d’appréciation dans la mise en œuvre de ce droit, sous réserve que les restrictions poursuivent un but
légitime et qu’elles soient proportionnées. L’exigence de proportionnalité de la restriction conduit la Cour à
censurer régulièrement les interdictions générales et automatiques des droits civiques des détenus.

Ainsi, dans l’arrêt Hirst, la Cour a-t-elle condamné le Royaume-Uni en estimant que la législation britannique
introduisait une « restriction générale, automatique et indifférenciée à un droit consacré par la Convention et
revêtant une importance cruciale » ce qui « outrepasse une marge d’appréciation acceptable, aussi large soit-
elle, et est incompatible avec l’article 3 du Protocole n°1 ».

L’état du droit interne. Jusqu’à l’adoption du nouveau Code pénal en 1994, les détenus étaient exposés
systématiquement à la perte de leurs droits civiques, du seul fait de leur condamnation. La dégradation civique,
c’est-à-dire, la perte du droit de vote, d’élection, d’éligibilité, et de tous les droits civiques et politiques, et du
droit de porter une décoration (art. 28 anc. C. pén), était prononcée systématiquement dès lors qu’un individu
faisait l’objet d’une condamnation pour une infraction pénale passible de plus de cinq ans d’emprisonnement.

Cette perte des droits civiques était particulièrement vigoureuse, puisqu’elle pouvait durer 10 ans pour les
condamnations délictuelles et était perpétuelle pour les condamnations en matière criminelle.

Aujourd’hui, l’article 132-21 prohibe désormais toute privation des droits civiques de plein droit ; celle-ci est
devenue une peine complémentaire devant être prononcée par le juge et devant être bornée dans le temps, la
durée maximale étant de dix ans pour un crime et cinq ans pour un délit.

Par ailleurs, les personnes ayant été privées de leurs droits civiques peuvent toujours demander à ce que leurs
droits civiques soient relevés ou réhabilités, soit en application de la procédure de relèvement (art. 702-1 et s
CPP), soit de celle de réhabilitation (art. 769 et s CPP).

Il reste que ces nouvelles dispositions n’ont pas été reconnues d’effet rétroactif : les personnes ayant fait l’objet
d’une condamnation passée en force de chose jugée avant l’entrée en vigueur du Code pénal n’en bénéficient
pas.

Ainsi, de nombreux détenus condamnés en matière criminelle avant 1994 sont encore privés de leurs droits
civiques de manière perpétuelle. Saisie d’une question préjudicielle, la CJUE a estimé que cet état du droit n’était
pas contraire à la Charte des droits fondamentaux consacrant le droit de vote (art. 39), dès lors que les détenus
définitivement condamnés disposent toujours de la possibilité de demander le relèvement de leur peine (CJUE,
6 oct. 2015, Thierry Delvigne c/Commune de Lesparre Médoc et préfet de la Gironde, C-650/13).

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Des droits civiques virtuels ? Le cas du vote en prison. En dépit de sa consécration dans différents textes, le droit
de vote des détenus français reste largement ineffectif. Aux dernières élections présidentielles, en 2017, seules
2% des personnes détenues françaises se sont rendues aux urnes. Ce faible taux de participation s’explique
principalement par la complexité de la procédure à suivre pour voter.

En effet, les détenus doivent obtenir une permission de sortir ou une procuration, mais ces deux démarches sont
assez lourdes et complexes. De nombreuses personnalités et associations recommandent l’installation de
bureaux de vote directement dans les enceintes des prisons, ce qui permettrait, selon elles d’augmenter
significativement le taux de participation.

À titre d’exemple, la Pologne, qui installe des bureaux de vote en prison, enregistre un taux de participation des
détenus supérieur à 50%. D’autres raisons expliquent également l’ineffectivité de ce droit : l’insuffisante
information des détenus quant à leurs droits, le désintérêt croissant envers les affaires publiques, la faible
visibilité des intérêts des personnes détenues dans les programmes politiques.

B. Le droit à la vie privée et familiale

Bien que la détention affecte nécessairement la vie privée des détenus, les personnes incarcérées continuent
de bénéficier du droit à la vie privée et familiale. Toutefois, pour des raisons tenant à la protection de l’ordre
en prison, certaines restrictions peuvent y être apportées.

Fondements. Le droit à la vie privée et familiale, sans être expressément consacré dans la Constitution, est
rattaché à l’article 66 de la Constitution et l’article 2 de la Déclaration de 1789, relatifs à la liberté personnelle.
L’article 23§1 du PIDCP énonce que « la famille est l’élément naturel et fondamental de la société et a droit à la
protection de la société et de l’État ». C’est surtout l’article 8§1 de la Convention ESDH qui consacre ce droit : «
Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance » (v. Fiche
relative à la vie privée et familiale).

En matière pénitentiaire, le droit à la vie privée et familiale des détenus est également protégé. Aux plans
international et européen, cette protection découle de l’article 8§1 de la CESDH et de l’article 25§1 du PIDCP.
Sur le fondement de l’article 8§1 de la CESDH, la Cour européenne des droits de l’homme impose ainsi à
l’administration pénitentiaire d’assurer le maintien des liens familiaux des détenus, dans un objectif de
réinsertion (CEDH, 28 sept. 2000, Messina c/ Italie).

Elle prohibe, à ce titre, les interdictions totales des contacts familiaux prononcés à titre disciplinaire (CEDH, 20
mai 2008, Gulmez c/ Turquie). Sur le plan interne, cette protection découle pour l’essentiel de la loi pénitentiaire
de 2009, dont les articles 34 et suivants déclinent les différents droits des détenus en matière de vie privée et
familiale. Le Conseil d’État a, par ailleurs, reconnu le droit de conserver une vie familiale en détention et l’a
qualifié de liberté fondamentale (CE, ord. ref., 19 janv. 2005, n°276562).

Portée en droit interne. Dans le milieu pénitentiaire, le droit à la vie privée et familiale implique que le détenu
puisse obtenir des visites de sa famille et puisse entretenir des correspondances. L’article 34 prévoit le droit au
rapprochement familial des prévenus jusqu’à leur comparution devant la juridiction de jugement. L’article 35 de
la loi pénitentiaire reconnaît le droit des détenus à maintenir les relations avec les membres de leur famille par
l’exercice de visites et par les permissions de sortie.

Les prévenus peuvent être visités au moins trois fois par semaine et les condamnés au moins une fois par
semaine. Par ailleurs, l’article 39 prévoit que « Les personnes détenues ont le droit de téléphoner aux membres
de leur famille. Elles peuvent être autorisées à téléphoner à d'autrespersonnes pour préparer leur réinsertion ».
Enfin, l’article 40 encadre le droit d’avoir une correspondance avec toute personne de son choix.

Les limites au droit à la vie privée et familiale. Plusieurs dispositions de la loi pénitentiaire permettent à
l’autorité administrative de limiter les droits des détenus pour des motifs liés au maintien du bon ordre et de la
sécurité ou à la prévention des infractions.

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C’est ainsi que le droit àla protection des correspondances est encadré et que les courriers reçus et envoyés par
les détenus le sont sous pli ouvert. L’article 40 de la loi prévoit également que « Le courrier adressé ou reçu par
les personnes détenues peut être contrôlé et retenu par l'administration pénitentiaire lorsque cette
correspondance paraît compromettre gravement leur réinsertion ou le maintien du bon ordre et la sécurité. En
outre, le courrier adressé ou reçu par les prévenus est communiqué à l'autorité judiciaire selon les modalités
qu'elle détermine ».

Toutefois, l’administration ne peut contrôler les correspondances des détenus avec leurs défenseurs, les
autorités administratives et judiciaires françaises et internationales et les aumôniers agréés. De même, s’agissant
des visites, l’autorité administrative peut refuser la délivrance du permis de visite pour les raisons tenant à
l’ordre publicet les motifs susmentionnés. Elle peut également s’opposer à délivrer ce permis à des personnes
autres que les membres de la famille s’il apparait que les visites font obstacle à la réinsertion du condamné. Ces
visites sont fortement encadrées, puisque le détenu subit des fouilles avant et après le parloir et qu’un
surveillant y assiste.

À retenir : le cas de la vidéo-surveillance continue de Salah Abdeslam

Seul survivant des attentats du 13 novembre 2015, Salah Abdeslam est écroué depuis avril 2016 dans une cellule
de 9m2 à la prison de Fleury-Mérogis où il a été placé sous surveillance permanente, une demi-douzaine de
caméras assurant cette surveillance. Le Conseil d’État a été saisi à plusieurs reprises de ce dispositif
particulièrement attentatoire à la vie privée et familiale. Dans une ordonnance du 28 juillet 2016 (CE, ord. réf.,
28 juil. 2016, n°401800), il a rejeté le recours formé devant lui, estimant que la décision de soumettre Salah
Abdeslam à une surveillance permanente ne portait pas une atteinte manifestement illégale à l’article 8§1
CESDH.

Il a notamment estimé que « tant le caractère exceptionnel des faits pour lesquels M. A. est poursuivi, qui ont
porté à l'ordre public un trouble d'une particulière gravité, que le contexte actuel de poursuite de ces actes de
violence terroriste, font, à la date de la présente décision, obligation à l'administration pénitentiaire de prévenir,
avec un niveau degarantie aussi élevé que possible, toute tentative d'évasion ou de suicide de l'intéressé ; qu'eu
égard àla forte présomption selon laquelle ce dernier peut bénéficier du soutien d'une organisation terroriste
internationale disposant de moyens importants, et alors même qu'il n'aurait pas manifesté à ce jour de tendance
suicidaire, sa surveillance très étroite, allant au-delà de son seul placement à l'isolement, revêt ainsi, à la date de
la présente décision, un caractère nécessaire ».

C. Les autres droits des détenus

Le droit à la sécurité et à la santé. L’administration pénitentiaire doit veiller à la sécurité et à la santédes détenus.
Outre les prestations classiques de la protection de la santé dues au détenu, l’administration pénitentiaire doit
particulièrement veiller à prévenir le suicide en prison.

Ainsi, la responsabilité de l’administration peut être retenue en cas de suicide d’un détenu, dès lors que celui-ci
est imputable à une faute, tel qu’un défaut de surveillance ou de vigilance des services pénitentiaires.

Il appartiendra toutefois au requérant de prouver la carence de l’administration à prendre, compte tenu des
informations dont elle disposait, les mesures que l’on pouvait raisonnablement attendre pour prévenir ce trouble
(CE, 28 déc. 2017, n°400560). De même, la responsabilité de l’administration peut être recherchée en cas de
décès d’un détenu sur le fondement du droit à la sécurité, une faute simple suffisant désormais à engager la
responsabilité de la puissance publique (CE, Sect., 17 déc. 2008, n°292088).

La liberté religieuse. L’article 26 de la loi pénitentiaire reconnaît la liberté de choix du culte du détenu et prévoit
qu’il s’exerce selon les conditions adaptées à l’organisation des lieux, sans autres limites que celles imposées par
la sécurité et le bon ordre de l’établissement. L’administrationpénitentiaire doit également favoriser cette liberté
de culte, et doit, notamment tenir compte des convictions religieuses des pensionnaires dans le choix de
l’alimentation (art 9 CPP, art R. 57-6-18).

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Les droits du détenu-travailleur. Le droit commun du travail ne s’applique pas aux détenus exerçant des activités
professionnelles en prison, à l’exception des règles relatives à l’hygiène, la sécurité et la durée du travail. Cela
implique que les détenus travailleurs ne bénéficient pas d’un contrat de travail mais d’un acte d’engagement.
Ils ne bénéficient pas davantage du SMIC, l’administration élaborant elle-même un salaire minimum de
rémunération (SMR), dont le montant varie entre 20 et 45% du SMIC selon l’emploi exercé.

Récemment, le Conseil d’État a été saisi de cette question et a estimé que le SMR ne constituait pas un minimum
individuel pour chaque détenu, mais seulement une rémunération minimale devant être appréciée en minimum
collectif, ce qui conduisait à évincer la question de la suffisance de la rémunération (CE, 12 mars 2014, n°349683).

Le ministre de la Justice, Eric Dupond-Moretti, a annoncé en mars 2021, qu’il souhaite mettre en place un contrat
de travail pour les détenus, afin qu’ils puissent bénéficier du droit au chômage et du droit à la retraite.

III. LE SORT DES PERSONNES DÉTENUES PENDANT LA CRISE SANITAIRE


La crise sanitaire de la COVID19 et le confinement de la population à partir du 17 mars 2020 ont eu un impact
sensible sur le sort des personnes détenues. Outre le fait que les administrations pénitentiaires ont suspendu les
parloirs et autres activités impliquant des intervenants extérieurs, les détenus ont été, de surcroit, exposés au
risque sanitaire de manière particulièrement vive – un détenu étant mort de la COVID19 dans la maison d’arrêt
de Fresnes le 17 mars 2020.

Dans les prisons, où les populations sont habituellement confinées dans une grande promiscuité du fait de la
surpopulation carcérale, et où la dégradation des conditions sanitaires est fréquemment dénoncée,le risque
épidémique était particulièrement fort. Il a donc fallu, pour les pouvoirs publics, désengorger les prisons afin de
permettre une meilleure protection de la santé des personnesdétenues.

Toute la difficulté a alors consisté à concilier cet objectif de désengorgement des prisons avec le ralentissement
de l’activité des juridictions pénales et l’adaptation de la procédure pénale.

A. Les mesures prises pour désengorger les prisons

Prise sur habilitation de la loi du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de COVID19, l’ordonnance
n°2020-303 du 25 mars 2020 portant adaptation de règles de procédure pénale est venue simplifier la procédure
pénale et prévoir des mécanismes permettant de réduire la population carcérale. Le cadre mis en place tend à
réduire les mises à l’écrou pendant cette période et à libérer les personnes détenues.

En premier lieu, les juridictions pénales sont incitées à ne pas prononcer de courtes peines d’emprisonnement,
mais de leur préférer des peines de travaux d’intérêt général. En second lieu, différents mécanismes sont prévus
pour libérer des détenus. L’article 28 de l’ordonnance permet ainsi au Procureur de la République, sur
proposition du directeur du service pénitentiaire d'insertion et de probation, de prononcer une assignation à
domicile de fin de peine les personnes condamnéesà une ou plusieurs peines d’emprisonnement d’une durée
totale inférieure à cinq ans et dont le reliquat est inférieur ou égal à deux mois.

L’article 17 de l’ordonnance crée une réduction de peine d’un quantum maximal de deux mois concernant
l’ensemble des personnes détenues, indépendamment du quantum de leur peine. Toutefois, sont écartées du
bénéfice de ces deux mesures les personnes emprisonnées pour des faits de terrorisme, de violences conjugales,
d’infractions sexuelles sur mineur de 15 ans, ou de participation à un mouvement collectif violent en détention.

En pratique, les politiques pénales des parquets et des JAP ont été hétérogènes : certaines ont faitle choix
d’inciter les détenus à demander des demandes de libérations conditionnelles, d’autres ont choisi de faire cesser
les audiences et débats contradictoires pendant la période de crise, et certainesont repoussé toutes les mesures
de placement sous surveillance électronique et de semi-liberté à l’après crise. Il reste que 14% des détenus ont
été libérés selon des modalités diverses, ramenant les prisons françaises à un taux d’occupation
historiquement bas.

70
B. Les prolongations de plein droit des détentions provisoires

Afin de faire face aux conséquences de la crise de la COVID19, l’ordonnance précitée du 25 mars 2020 a prévu
en son article 16 une prolongation de plein droit « des délais maximums de détention provisoire » et des
assignations à résidence sous surveillance électronique.

Une circulaire du 26 mars 2020 ainsi qu’un courrier électronique du 27 mars 2020 sont venus préciser que cette
disposition devait être interprétée comme conduisant à une prolongation de la durée et non du délai de la
détention, celle-ci ayant lieu de plein droit, sans l’intervention d’un juge, et étant encourue, alors même que la
détention provisoire peut toujours être renouvelée légalement.

Saisi en référé, le Conseil d’État a d’abord rejeté les recours formés devant lui contre la circulaire du 26 mars
2020, estimant que celle-ci ne portait pas une atteinte manifestement illégale à une liberté fondamentale (CE,
ord., 3 avr. 2020, n° 439894, 439877, 439887, 439890, 439898).

Parallèlement, la Cour de cassation a été saisie par deux personnes dont la prolongation de la détention
provisoire avait été constatée sur le fondement de l’article 16 de l’ordonnance (Cass. crim.,26 mai 2020, n°20-
81.971 ; n°20-81.910).

Premièrement, elle a renvoyé au Conseil constitutionnel une QPC à l’encontre de l’article 11 de la loi du 23 mars
2020 d’urgence, estimant que celle-ci était sérieuse. Elle a toutefois examiné les deux affaires dont elle était
saisie, estimant qu’elle n’était pas dans l’obligation de sursoir à statuer dans l’hypothèse où « l’intéressé est privé
de liberté à raison de l’instance et que la loi prévoit que la Cour de cassation statue dans un délai déterminé ».

Elle a alors estimé que la prolongation de plein droit des détentions provisoires instituée par l’article 16 de
l’ordonnance n’était pas compatible avec l’article 5 de la Convention EDH, puisque cette dispositionimplique
que « lorsque la loi prévoit, au-delà de la durée initiale qu’elle détermine pour chaque titre concerné, la
prolongation d’une mesure de détention provisoire, l’intervention du juge judiciaire est nécessaire comme
garantie contre l’arbitraire ».

Le caractère automatique des prolongations constatées et l’absence d’examen systématique de la nécessité de


maintenir la détention ne permettent pas d’estimer que les détentions provisoires font l’objet d’un contrôle
effectif, quand bien même la juridiction compétente pourrait ordonner lamainlevée de la mesure sur demande
de l’intéressé, du ministère public, ou d’office.

A l’issue de ce contrôle conventionnel, la Cour de cassation n’a pas choisi de déclarer l’article 16 contraire à
l’article 5 de la Convention EDH mais en a fait une interprétation conforme : cette disposition peut trouver à
s’appliquer seulement dans la mesure où la juridiction compétente « rend, dans un délai rapproché courant à
compter de la date d’expiration du titre ayant été prolongé de plein droit, une décision par laquelle elle se
prononce sur le bien-fondé du maintien en détention », ce délai étant d’un mois en matière délictuelle et de trois
mois en matière criminelle. Elle a également estimé que les détentions prolongées sans qu’un contrôle soit
intervenu dans ces délais étaient caduques, de sorte que les intéressés devaient être immédiatement remis en
liberté.

Enfin, si la loi du 11 mai 2020 est venue clarifier l’état du droit et insérer un article 16-1 dans l’ordonnance du
23 mars 2020 en prévoyant une procédure judiciaire pour les prolongations des détentions provisoires, le
Conseil constitutionnel a statué sur la QPC que la Cour de cassation lui avait transmise. Il a jugé que les
dispositions étaient conformes à la Constitution, et notamment à l’article 66 prohibant les détentions arbitraires,
dès lors qu’elles « n’excluent pas toute intervention d’un juge lors de la prolongation d’un titre de détention
provisoire venant à l’expiration durant la période d’application de l’état d’urgence sanitaire » (Cons. const.., 3 juil.
2020, n°2020-851/852 QPC).

71
Plus récemment, dans une décision n° 2020-878/879 QPC du 29 janvier 2021, le Conseil constitutionnel a jugé
inconstitutionnelles les dispositions qui permettaient, au début de l’état d’urgence sanitaire, de prolonger
automatiquement des détentions provisoires arrivant à expiration, sans imposer l’intervention systématique
d’un juge pour se prononcer sur la nécessité d’une telle prolongation.

Les dispositions contestées sont celles de l’ordonnance du 25 mars 2020, prises lors du premier état d’urgence
(lesquelles ont été modifiées en vertu de la loi du 11 mai 2020 précitée).

Néanmoins, le Conseil prévoit que cette inconstitutionnalité ne pourra pas être soulevée par les personnes qui
ont vu leur détention provisoire prolongée de manière automatique sur la base de ces dispositions, car cela aurait
des conséquences manifestement excessives et méconnaîtrait les objectifs de valeur constitutionnelle de
sauvegarde de l’ordre public et de recherche des auteurs d’infractions.

72
THÈME 3 : LES DROITS DE LA PERSONNE SUR SON C ORPS

FICHE N°8 : LA PROTECTION DU CORPS HUMAIN

Résumé :

Le principe de dignité de la personne humaine (ainsi que ses corollaires : le droit au respect de son corps,
l’intégrité du corps humain, l’inviolabilité et la non-patrimonialité du corps humain) déterminele droit français
relatif à la protection du corps humain. Le droit positif témoigne de la difficulté à concilier protection de la
personne, d’une part, et progrès et recherches scientifiques, d’autre part. Un tel tiraillement est particulièrement
apparent lorsque l’on prend connaissance du droit positif s’agissant du clonage (I), des recherches impliquant la
personne humaine (II), de l’utilisation du corpshumain (III), de l’accès à la procréation médicalement assistée (IV)
ou encore de la stérilisation contraceptive et de l’interruption volontaire de grossesse (V).

Définition :

La protection du corps humain comprend l’ensemble des dispositions légales visant à protéger celui- ci-contre
les atteintes des tiers, mais aussi contre les atteintes que la personne peut elle-même s’infliger.

Notions abordées dans la fiche :

- Dignité de la personne humaine


- Intégrité du corps humain
- Interdiction du clonage
- Recherches impliquant la personne humaine
- Utilisation des éléments du corps humain (dont : prélèvement et greffe d’organes)
- Assistance médicale à la procréation (AMP/PMA)
- Stérilisation à visée contraceptive et interruption volontaire grossesse (IVG)

73
Éléments introductifs

Le corps humain est « un assemblage de cellules, de tissus et d'organes dont la permanence et l'harmonie des
fonctions caractérisent la vie » (E. Terrier, Corps humain – Bioéthique, Rép. Droit civ., 2019, §1). Sa protection
est inscrite dans la loi depuis finalement assez peu de temps : ce sont les trois lois dites « lois bioéthiques » du
1er juillet (une loi) et du 29 juillet (deux lois) 1994 qui ont consacré les principes éminents de ce thème, dans le
Code civil (art. 16 et s.) et dans le Code de la santé publique ; l’on peut parler, à cet égard, d’un véritable « statut
juridique du corps humain » (J.-R. Binet, Protection de la personne – Le corps humain, JCl Civil code, fasc. 12,
2016, §3).

À cet égard, l’article 16 du Code civil contient une proclamation de principe extrêmement importante : « La loi
assure la primauté de la personne, interdit toute atteinte à la dignité de celle-ci et garantit le respect de l'être
humain dès le commencement de sa vie ». La dignité de la personne humaine a acquis une valeur
constitutionnelle à travers la décision n°94-343/344 du Conseil constitutionnel en date du 27 juillet 1994.

Les corollaires de ces principes sont assez marqués : il s’agit du droit au respect du corps humain(art. 16-1,
al. 1 Code civil : « Chacun a droit au respect de son corps »), de l’inviolabilité du corps humain (art. 16-1, al. 2
Code civil : « Le corps humain est inviolable ») et de la non-patrimonialité du corps humain (art. 16-1, al. 3 Code
civil : « Le corps humain, ses éléments et ses produits ne peuvent faire l’objet d’un droit patrimonial » ; J.-R. Binet,
fasc. 12, préc., §8).

Cela témoigne d’un équilibre toujours plus délicat à trouver entre respect dû au corps humain, d’un côté, et
recherches et progrès scientifiques, de l’autre.

I. LE CLONAGE
Le « clonage est une intervention qui consiste à dupliquer un organisme vivant ou une lignée cellulaire
constitutive d'un tissu ou d'un organe » (J.-R. Binet, Respect et protection du corps humain – La génétique
humaine – L’espèce, JCl. Civil code, fasc. 32, 2014, §63).

Il existe deux types de clonage : le clonage dit « reproductif » (A) et le clonage dit « thérapeutique » (B). Les deux
types de clonage sont formellement interdits, de peur de modifier le patrimoine génétique de l’espèce humaine
et, surtout, que cela ouvre la voie à un processus de sélection des hommes par l’homme lui-même.

A. Le clonage reproductif
Le clonage reproductif consiste à créer un être humain identique, en termes génétiques, à une personne déjà
décédée ou bien vivante (C. Kurek, Corps humain et bioéthique, Rép. droit pénal et proc. pénale, oct. 2019, §7).

C’est l’article 16-4 du Code civil (3ème alinéa) qui pose, en France, l’interdiction de toute pratique dont l’objectif
serait de faire naître un enfant partageant une génétique identique à celle d’une personne toujours en vie ou
bien dont le décès a été constaté : « Est interdite toute intervention ayant pour but de faire naître un enfant
génétiquement identique à une autre personne vivante ou décédée » [Alinéa ajouté par l’article 21 de la loi n°
2004-800 du 6 août 2004].

Pour sa part, le Code pénal incrimine les pratiques de clonage reproductif, les intégrant dans un sous-titre
consacré aux crimes contre l’espèce humaine (art. 214-1 à 215-4), mais également, depuis la loi précitée du 6
août 2004, dans un titre relatif aux infractions en matière de santé publique, plus spécifiquement dans un
chapitre dédié à l’éthique biomédicale (art. 511-1, 511-1-1 et 511-1-2).

À cet égard, il est tout à fait indifférent pour le juge pénal que la pratique ait atteint son objectif, à savoir réussir
le clonage reproductif à travers la naissance d’un bébé cloné, ou ait échoué ; c’est la seule réalisation de
l’opération, même à une phase extrêmement sommaire, qui suffira à constituerle crime (C. Kurek, Corps humain
et bioéthique, préc., §28).

74
Quant au délai de prescription, il est fixé par le Code de procédure pénale à trente années (article 7, alinéa 2).
En cas de succès de la pratique de clonage reproductif, le délai de prescription court seulement à compter de
l’atteinte de la majorité légale, c’est-à-dire 18 ans, par la personne néed’une pratique de clonage (article 9-
1 du Code de procédure pénale ; J.-R. Binet, fasc. 32, préc., §78).

Enfin, le Code de la santé publique (ci-après : « CSP ») reprend en son article L. 2151-1, en le citant
explicitement, le contenu du troisième alinéa de l’article 16-4 du Code civil.

Le clonage reproductif est également incriminé lorsqu’il est réalisé de manière passive, c’est-à-direà des fins
de mettre à disposition des éléments de son patrimoine génétique dans le cadre d’une opération visant à réaliser
un clonage reproductif (art. 511-1 du Code pénal).

B. Le clonage thérapeutique
Le débat est plus ouvert, semble-t-il, concernant le clonage thérapeutique dans la mesure où celui-ci consiste en
la reproduction, à partir des cellules, des organes et autres éléments du corps humain d’une personne humaine
afin de la soigner voire de la sauver (par exemple reproduire un second organe en cas de défaillance du premier),
le tout en évitant les risques liés au rejet de la greffe (J.-R. Binet, fasc. 32, préc., §71).

C’est l’article L. 2151-4 du CSP qui interdit expressément les pratiques relatives au clonage thérapeutique. En
matière pénale, se livrer à des pratiques de clonage thérapeutique est un délit, sanctionné par l’article 511-18-
1 du Code pénal (condamnation pouvant aller jusqu’à 7 années d’emprisonnement ferme et une amende égale
à 100.000 euros).

II. LES RECHERCHES IMPLIQUANT LA PERSONNE HUMAINE (« RECHERCHES


BIOMÉDICALES »)

Les recherches médicales sur la personne humaine, dites auparavant « recherches biomédicales » (Lamy Droit
de la responsabilité, étude 395, La responsabilité du fait des recherches impliquant la personne humaine, 2019,
§395-5), sont définies de façon très générale par l’article L. 1121-1 du CSP :il s’agit des « recherches organisées
pratiquées sur l’être humain en vue du développement des connaissances biologiques ou médicales ». Ces
recherches sont principalement encadrées par le CSP(art. L. 1121-1 à L. 1126-11 et art. R. 1121-1 à 1125-13).

Il peut s’agir de recherches relatives à un médicament ou à un dispositif médical plus large (E. Terrier,préc., §72).
D’après l’article R. 1121-1-1 du CSP, « les recherches impliquant la personne humaine portant sur un médicament
sont entendues comme tout essai clinique d'un ou plusieurs médicaments visant à déterminer ou à confirmer
leurs effets cliniques, pharmacologiques et les autres effetspharmacodynamiques ou à mettre en évidence tout
effet indésirable, ou à en étudier l'absorption, la distribution, le métabolisme et l'élimination, dans le but de
s'assurer de leur innocuité ou de leur efficacité. » Selon le même article, les « recherches impliquant la personne
humaine portant sur un dispositif médical sont entendues comme toute investigation clinique d'un ou plusieurs
dispositifs médicaux visant à déterminer ou à confirmer leurs performances ou à mettre en évidence leurs effets
indésirables et à évaluer si ceux-ci constituent des risques au regard des performances assignées au dispositif ».

Il conviendra d’étudier successivement le cadre juridique général régissant les recherches impliquantla personne
humaine (A) avant de s’intéresser aux conditions de leur réalisation (B). Enfin, il conviendra d’étudier la
responsabilité civile (C).

75
A. Le cadre juridique général
Après un mouvement législatif en France et au sein des institutions européennes dès la fin desannées
1980, la loi « Jardé » du 5 mars 2012 (loi n° 2012-300) a souhaité créer une nomenclature regroupant l'ensemble
des recherches sur la personne humaine, opérant alors un classement en trois catégories de recherches en
fonction du niveau de risque encouru par les personnes qui s'y prêtent et du caractère plus ou moins intrusif
des démarches (E. Terrier, préc., §71), ceci à l’article L. 1121-1 du CSP :
- Les recherches interventionnelles comportant une intervention sur la personne non justifiéepar sa
prise en charge habituelle ;
- Les recherches interventionnelles ne portant pas sur des médicaments et ne comportant quedes
risques et des contraintes minimes ;
- Les recherches non interventionnelles dans lesquelles aucune procédure supplémentaire de
diagnostic, de traitement ou de surveillance n'est pratiquée.

Au niveau européen, le règlement (UE) n° 536/2014 du Parlement européen et du Conseil relatif aux essais
cliniques de médicaments à usage humain, a été adopté le 16 avril 2014 dans le but de réaliser une
harmonisation des réglementations nationales relatives aux essais sur les médicaments (B. Bévière-Boyer,
Respect et protection du corps humain – Recherches impliquant la personnehumaine – Présentation, définitions,
intervenants, institutions, JCl Civil code, fasc. 60, 2018, §2).

Les décrets d’application qui auraient dû être adoptés en France afin de mettre en œuvre la loi « Jardé »
de 2012 n’ont jamais été pris, en raison de la préparation du règlement européenn° 536/2014 précité.
Finalement, le cadre français a été précisé par l’ordonnance n° 2016-800 du 16 juin 2016 relative aux recherches
impliquant la personne humaine, en ce qui concerne les recherches non interventionnelles (E. Terrier, préc.,
§71 ; B. Bevière-Boyer, préc., §3).

L’article 1121-11 du CSP prévoit que les personnes ne peuvent recevoir aucune contrepartie, qu’elle soit
directe ou indirecte, du fait qu’elles se soient prêtées à des telles recherches (ce qui n’exclut pas, en revanche,
la perception d’une indemnité, comme cela sera vu infra en 2.b.iii). Par ailleurs, la loi « Jardé » du 5 mars 2012 a
inséré dans le CSP un chapitre relatif à « l’information de la personne qui se prête à une recherche impliquant la
personne humaine » et au « recueil de son consentement » (art. L. 1122-1 et suivants).

L’article 1122-1 du CSP fixe le régime de l’information qui doit être transmise, dans un premier temps, à la
personne se prêtant à une recherche impliquant la personne humaine. Dans un second temps le recueil de
consentement, fixé par l’article L. 1122-1-1 du Code la santé publique, suit la nomenclature relative aux trois
types de recherches énoncés dans l’article L. 1121-1 du même Code :
- Pour les recherches interventionnelles comportant une intervention sur la personne non justifiée par sa
prise en charge habituelle : il est nécessaire de prouver un consentement libre et éclairé, recueilli par
écrit, après présentation de l’information de l’article 1121-2 du CSP ;
- Pour les recherches interventionnelles ne portant pas sur des médicaments et necomportant que des
risques et des contraintes minimes : nécessité d’un consentement libre,éclairé et exprès ;
- Enfin, pour les recherches non interventionnelles dans lesquelles aucune procédure supplémentaire de
diagnostic, de traitement ou de surveillance n'est pratiquée : il suffit simplement que la personne qui
se prête à la recherche ne s’y soit pas opposée.

B. Le déroulement des recherches impliquant la personne humaine


De façon assez classique sont envisagés, successivement, les intervenants (ou « acteurs ») (1), l’autorisation
préalable (2) et, enfin, l’indemnisation (3) des recherches impliquant la personne humaine (Les recherches
impliquant la personne humaine, fiches d’orientation Dalloz, 2019).

76
1. Les intervenants

Il existe en premier lieu le « promoteur », c’est-à-dire « la personne physique ou la personne morale qui est
responsable d'une recherche impliquant la personne humaine, en assure la gestion et vérifie que son
financement est prévu » (art. L. 1121-1, 3ème alinéa, CSP).

Généralement, il s’agit d’établissements de recherche (qu’ils soient privés ou bien publics), de firmes
pharmaceutiques, de fabricants de matériel médical (Lamy Droit de la responsabilité, étude 395, préc., §395-15).

L’on retrouve ensuite la figure des « investigateurs » : ce sont les « personnes physiques qui dirigent et surveillent
la réalisation de la recherche sur un lieu » (art. L. 1121-1, 4ème alinéa, CSP). Les investigateurs doivent témoigner
des compétences nécessaires pour mener de telles recherches, compétences fixées en fonction du domaine
dans lequel sont réalisées lesdites recherches (art.L. 1121-3, CSP ; B. Bévière-Boyer, préc., §20).

Enfin, le promoteur peut charger une ou plusieurs personnes d’un contrôle de qualité (B. Bévière- Boyer, préc.,
§23).
2. L’autorisation préalable

De nouveau, la nomenclature des recherches médicales telle qu’établie par la loi du 5 mars 2012 est reprise en
ce qui concerne l’autorisation qui est nécessaire à la réalisation des recherches impliquant la personne humaine.

Tout d’abord, les recherches interventionnelles comportant une intervention sur la personne non justifiée par sa
prise en charge habituelle (art. L. 1121-1 1° CSP) nécessitent un avis favorable contraignant du comité de
protection des personnes (« CPP », art. L. 1123-1 CSP).

Les membres qui composent les CPP sont nommés par les directeurs généraux des agences régionales de santé
dans leressort pertinent. Leurs compétences doivent être diverses et ils doivent faire preuve d’indépendance
(art. L. 1123-2 CSP). Dans un second temps, l’Agence nationale de sécurité du médicament et produits de santé
(ANSM) doit donner son autorisation (art. L. 1121-4 CSP ; v. B. Bévière-Boyer, préc., §101 et s.).

En ce qui concerne, d’une part, les recherches interventionnelles ne portant pas sur des médicaments et ne
comportant que des risques et des contraintes minimes (art. L. 1121-1 2° CSP) et, d’autre part, les recherches
non interventionnelles dans lesquelles aucune procédure supplémentaire de diagnostic, de traitement ou de
surveillance n'est pratiquée (art. L. 1121-1 3° CSP), le CSP prévoit que le CPP doit donner un avis favorable et
l’ANSM doit recevoir une copie dudit avis favorable, ainsi que d’un résumé de la recherche (art. L. 1121-4 CSP ;
« Les recherches impliquant la personne humaine », fiches d’orientation Dalloz, préc.)

3. L’indemnisation

L’article L. 1211-11 CSP prévoit que les personnes qui se prêtent aux recherches peuvent obtenir « le
remboursement des frais exposés et, le cas échéant, l'indemnité en compensation des contraintes subies versée
par le promoteur. Le montant total des indemnités qu'une personne peut percevoir au cours d'une même année
est limité à un maximum fixé par le ministre chargé de la santé ».

C. La responsabilité civile
La responsabilité civile du promoteur, qui repose sur une présomption de faute, peut être engagée. Il n’est
donc pas nécessaire de prouver une faute dudit promoteur ; le promoteur devra indemniser la personne qui
s’est prêtée aux recherches, ou ses ayant-droits, des conséquences dommageables liées à celles-ci. En revanche,
le promoteur peut renverser cette présomption en prouvant qu’il n’a pas commis de faute. Il s’agit donc d’un
régime spécial de responsabilité (B. Bévière-Boyer, Respect et protection du corps humain – Recherches
impliquant la personne humaine – Mise en œuvre de la recherche, JCl Civil code, fasc. 62, 2018, §119 et s. ; E.
Terrier, préc., §143 et s. ; Lamy Droit de la responsabilité, étude 395, préc., §395-30). D’après la Cour d’appel de
Paris, en revanche, la victime doit démontrer que le dommage est bien imputable à la faute du promoteur (CA
Paris, pôle 2, ch. 2,16 sept. 2011, n° 09/07216 ; B. Bévière-Boyer, fasc. 62, §121).

77
Ce régime spécifique de responsabilité justifie que le promoteur doive recourir à une assurance de responsabilité
civile avant le début de toute recherche impliquant la personne humaine.

Bien que cela ne concerne pas la question de la responsabilité civile, il est à noter que le législateur a prévu des
sanctions pénales à l’encontre du promoteur lorsque, par exemple, celui-ci n’a pas souscrit d’assurance (art. L.
1126-6 CSP), lorsque le consentement de la personne se prêtant à la recherche n’a pas été obtenu ou bien a été
retiré (E. Terrier, préc., §117) ou, encore, en cas de violation du respect du secret médical (ibid., §123).

III. L’UTILISATION DES ÉLÉMENTS DU CORPS HUMAIN


La question de l’utilisation des éléments du corps humain nécessite de maîtriser les principes généraux (A), avant
de se pencher sur l’encadrement du prélèvement et de la greffe d’organes (B) et d’étudier brièvement la
question des tissus, cellules, produits du corps humain et leurs dérivés (C).

A. Le cadre général
Comme évoqué supra, le statut du corps humain est généralement fixé par les articles 16 et s. du Code civil. Ces
articles prévoient les règles relatives à l’utilisation des éléments du corps humain, c’est-à-dire le don de ces
éléments, la greffe et le prélèvement d’organes.

Ce corps de règles est précisé dans les articles L. 1211-1 à L. 1211-9 du Code de la santé publique, depuis la loi
n°94-654 du29 juillet 1994 relative au don et à l’utilisation des éléments et produits du corps humain, actualisée
par la loi du 6 août 2004, par celle du 7 juillet 2011 relative à la bioéthique, par la loi n°2016-41 du 26 janvier
2016 dite « de modernisation de notre système de santé », laquelle précise le régime du consentement du
donneur d’organes, puis, récemment, par celle du 2 août 2021.

La protection du corps humain et l’encadrement de l’utilisation de ses éléments par le législateur révèle une
double approche : il s’agit de protéger le corps humain, perçu comme le prolongementde la personne humaine
(J.-R. Binet, Respect et protection du corps humain – Eléments et produits du corps humain, JCl Civil code, fasc.
20, 2015, §3), contre les atteintes qui pourraient être réalisées par les tiers, mais aussi contre celles effectuées
par la personne contre elle-même (on parle alors d’indisponibilité du corps humain ; Lamy Droit des personnes
et de la famille, Etude 212, §212-47, préc.).

De la même manière, tous les actes relatifs à l’utilisation des éléments du corps humain doivent poursuivre un
objectif qui serait soit médical, soit scientifique, soit dans le cadre de procédures judiciaires (art. L. 1211-1 du
CSP), après avoir obtenu auparavant le consentement de la personne opérant le don (art. 16-3 du Code civil et
art. L. 1211-2 CSP), ceci en respectant scrupuleusement les principes de sécurité sanitaire, de gratuité et
d'anonymat (les deux derniers principes étant fixés parle Code civil en ses articles 16-6 et 16-8, ainsi que par
le Code de la santé publique aux articles L. 1211-4, et L. 1211-5 ; Fiches d’orientation Dalloz, La greffe et le
prélèvement d’organes, 2019).

Le principe de gratuité émane du principe de non-patrimonialisation du corps humain (J.-R. Binet, préc., fasc.
20, 2015, §97). S’agissant du principe d’anonymat, le donneur ne peut connaître l’identité du receveur, et
inversement.

L’article L. 1211-8, par exception, exclut du régime relatif à la cession et à l’utilisation des éléments du corps
humain les poils, les cheveux, les ongles et les dents.

B. Le prélèvement et la greffe d’organes


C’est le Code de la santé publique qui fixe les conditions du prélèvement des organes, ceux-ci étant définis
comme « une partie du corps destinée à remplir une fonction nécessaire à la vie » (J.-R. Binet, préc.,
fasc. 20, §46). Le prélèvement doit poursuivre des fins thérapeutiques lorsque le donneur de l’organe est vivant
(art. L. 1231-1 CSP), ou bien à des fins thérapeutiques ou scientifiques lorsque le donneur est décédé (art. L.
1232-1 CSP ; E. Terrier, préc., §161).

78
Seuls certains établissements de santé, dûment autorisés au préalable par le directeur de l’Agence régionale de
Santé, peuvent recourir à des prélèvements d’organes à des fins thérapeutiques (art. L. 1233-1 CSP).

Par principe, s’agissant d’un prélèvement sur une personne vivante, l’article L. 1231-1 du Code de la santé
publique prévoit que le donneur de l’organe doit être le père ou la mère du receveur, auquel cas le
consentement exigé par le législateur est, par principe, un consentement simple exprimé auprès d’un magistrat,
après avoir reçu une information sur les conséquences physiques et psychologiques d’un tel don.

Par dérogation, ce même article prévoit, depuis la loi du 7 juillet 2011 relative à la bioéthique, que « peuvent
être autorisés à se prêter à un prélèvement d'organe dans l'intérêt thérapeutique direct d'un receveur son
conjoint, ses frères ou sœurs, ses fils ou filles, ses grands-parents, ses oncles ou tantes, ses cousins germains et
cousines germaines ainsi que le conjoint de son père ou de sa mère. Le donneur peut également être toute
personne apportant la preuve d'une vie commune d'au moins deux ans avec le receveur ». Dans ce cas de
figure et sauf urgence, un comité d’experts doit êtreréuni pour vérifier le consentement (art. L. 1231-1, al. 5
CSP ; E. Terrier, préc. §175).

Lorsque le donneur est décédé, le principe est celui d’une présomption de consentement à un don d’organes,
c’est-à-dire que tout individu majeur capable décédé est présumé avoir accepté que ses organes puissent, après
son décès, faire l’objet d’un don ; pour que cette présomption soit renversée, il est nécessaire que l’individu
majeur capable s’y soit opposé de son vivant, cette opposition devant être enregistrée avant le décès auprès
d’un registre national prévu à cet effet (E. Terrier, préc., §184). Des conditions particulières, quant au
consentement, s’appliquent concernant les mineurs et les majeurs protégés (art. L. 1232-2 CSP).

Quant à elle, la greffe d’organes ne peut être réalisée que dans des établissements de santé ayantfait l’objet
d’une autorisation à cet effet. Aucune rémunération complémentaire ou extraordinaire par rapport au salaire ne
peut être perçue par le personnel médical réalisant l’opération.

Dans le but d'améliorer l'accès à la greffe, le don croisé d'organes prélevés sur personnes vivantes est facilité par
la loi du 2 août 2021. Les possibilités de dons de moelle osseuse de la part d'un mineur ou d'un majeur protégé
au profit de ses parents sont aussi élargies.

C. Les tissus, les cellules, les produits du corps humain et leurs dérivés
Ainsi que le relève le Professeur Binet, « la distinction des tissus et des cellules n'apparaît pas (…) clairement
puisque de toute façon un tissu est un ensemble de cellules. Peau, os, cornée sont ainsi classiquement identifiés
comme des tissus » (J.-R. Binet, préc., fasc. 20, §48).

Le prélèvement des tissus, cellules et produits du corps humain, qui est un acte médical, est encadré par les
articles L. 1241-1 à L. 1245-8 du Code de la santé publique.

De nouveau, le Code de la santé publique distingue selon que le donneur soit vivant ou bien décédé. Des
modalités concernant le consentement du donneur sont également prévues.

IV. L’ASSISTANCE MÉDICALE À LA PROCRÉATION (AMP / PMA)


L’article L. 2141-1 du Code de la santé publique définit l’assistance médicale à la procréation comme l’ensemble
des « pratiques cliniques et biologiques permettant la conception in vitro, la conservationdes gamètes, des tissus
germinaux et des embryons, le transfert d'embryons et l'insémination artificielle ».

Le cadre général concernant l’AMP est fixé par le Code de la santé publique (A). Il est tout à fait possible, d’avoir
recours à un donneur extérieur au couple dans le cadre de l’AMP (B).

79
A. Les conditions générales d’accès à l’AMP
En vertu de la loi n° 2021-1017 du 2 août 2021 relative à la bioéthique, l’article L. 2141-2 CSP dispose désormais
que :

« L'assistance médicale à la procréation est destinée à répondre à un projet parental. Tout couple formé d'un
homme et d'une femme ou de deux femmes ou toute femme non mariée ont accès à l'assistance médicale à la
procréation après les entretiens particuliers des demandeurs avec les membres de l'équipe médicale
clinicobiologique pluridisciplinaire effectués selon les modalités prévues à l'article L. 2141-10. »

Cet accès ne peut faire l'objet d'aucune différence de traitement, notamment au regard du statut matrimonial
ou de l'orientation sexuelle des demandeurs.

Les deux membres du couple ou la femme non mariée doivent consentir préalablement à l'insémination
artificielle ou au transfert des embryons.

Lorsqu'il s'agit d'un couple, font obstacle à l'insémination ou au transfert des embryons :
• Le décès d'un des membres du couple ;
• L'introduction d'une demande en divorce ;
• L'introduction d'une demande en séparation de corps ;
• La signature d'une convention de divorce ou de séparation de corps par consentement mutuel selon les
modalités prévues à l'article 229-1 du code civil ;
• La cessation de la communauté de vie ;
• La révocation par écrit du consentement prévu au troisième alinéa du présent article par l'un ou l'autre
des membres du couple auprès du médecin chargé de mettre en œuvre l'assistance médicale à la
procréation.

Une étude de suivi est proposée au couple receveur ou à la femme receveuse, qui y consent par écrit.

Les conditions d'âge requises pour bénéficier d'une assistance médicale à la procréation sont fixées par décret
en Conseil d'Etat, pris après avis de l'Agence de la biomédecine. Elles prennent en compte les risques médicaux
de la procréation liés à l'âge ainsi que l'intérêt de l'enfant à naître.

Lorsqu'un recueil d'ovocytes par ponction a lieu dans le cadre d'une procédure d'assistance médicale à la
procréation, il peut être proposé de réaliser dans le même temps une autoconservation ovocytaire ».

La loi élargit donc l'accès à l'assistance médicale à la procréation dite procréation médicalement assistée (PMA)
aux couples de femmes et aux femmes célibataires. Le remboursement par l'assurance maladie de la PMA est
ouvert à ces femmes.

Jusqu'à présent, la PMA était uniquement accessible aux couples hétérosexuels sur indication médicale.

En outre, un nouveau droit d'accès aux origines des enfants nés d'une PMA est posé. Ces enfants pourront à leur
majorité accéder à des données non identifiantes du donneur (âge, caractères physiques...) ou à l'identité du
donneur. Tout donneur devra consentir à la communication de ces données avant de procéder au don. Un
amendement parlementaire s'est intéressé au sort des personnes nées d'une PMA avant la promulgation de la
loi. Ces dernières vont pouvoir saisir la nouvelle Commission d’accès aux données non identifiantes et à l’identité
du tiers donneur pour qu'elle contacte leur donneur et l'interroge sur son souhait de communiquer ses
informations personnelles.

80
Un nouveau mode de filiation est mis en place pour les enfants nés par PMA de couples de femmes. Les femmes
concernées devront établir devant notaire une reconnaissance conjointe de l'enfant avant sa naissance. En outre,
un amendement des députés permet aux couples de femmes qui ont eu recours à une PMA à l'étranger avant la
publication de la loi de faire, pendant un délai de trois ans, une reconnaissance conjointe pour établir la filiation.

Afin qu'ils puissent plus tard recourir personnellement à une PMA, l'autoconservation des gamètes en dehors de
tout motif médical, devient possible pour les femmes et pour les hommes. Jusqu'ici une femme ne pouvait avoir
recours à la congélation de ses propres ovocytes, sauf nécessité médicale.

La réforme est encadrée. Des bornes d'âge seront posées par décret. L'activité est en principe réservée aux
établissements de santé publics et privés à but non lucratif. Les actes liés au recueil ou au prélèvement des
gamètes seront remboursés mais pas le coût de la conservation. Pour éviter toute pression sur les salariés,
notamment les femmes, pour les conduire à différer un projet de maternité, les parlementaires ont prévu
l'interdiction pour les employeurs ou les autres personnes avec laquelle l'intéressé est dans une situation de
dépendance économique de proposer la prise en charge des frais d'autoconservation de gamètes.

Enfin, le recueil du consentement du conjoint du donneur de gamètes est supprimé.

L’AMP ne peut être réalisée qu’au sein d’un établissement de santé (art. L. 2142-1 CSP).

Il est à savoir que les deux membres du couple (ou la femme non mariée) sont consultés, chaque année, afin de
savoir s’ils maintiennent leur projet parental (art. L. 2141-4 CSP) ; dans certaines conditions fixées par le Code
de la santé publique, le couple peut, s’il renonce à son projet de procréation médicalement assistée, consentir à
ce que l’embryon soit transféré à un autre couple (de même en cas de décès de l’un des membres du couple).

Actualité
Par sa décision n° 2021-821 DC du 29 juillet 2021, le Conseil constitutionnel s'est prononcé sur plusieurs
dispositions de la loi relative à la bioéthique, dont il avait été saisi par plus de soixante députés.

Au nombre des dispositions critiquées par les députés requérants figuraient celles de l'article 20 de la loi
déférée réformant le régime juridique des recherches sur l'embryon humain et les cellules souches
embryonnaires, afin de prévoir notamment que des recherches portant sur l'embryon humain ou sur les
cellules souches embryonnaires peuvent désormais être menées non seulement à des fins médicales, mais
aussi en vue d'« améliorer la connaissance de la biologie humaine ».

Les auteurs du recours faisaient valoir, en particulier, que le législateur aurait méconnu l'étendue de sa
compétence faute d'avoir défini cette finalité nouvelle ainsi que la notion d'embryon humain. Ils
soutenaient par ailleurs qu'en ne fixant « aucune limite opératoire » à ces recherches, le législateur n'aurait
pas garanti la prohibition de l'eugénisme.

Le Conseil constitutionnel juge que, en se référant à « l'embryon humain », comme le prévoyait déjà la
législation antérieure, le législateur a retenu des termes qui ne sont pas imprécis. D'autre part, en
prévoyant que les recherches portant sur l'embryon humain ou les cellules souches embryonnaires
pourront être, selon les cas, autorisées ou soumises à déclaration auprès de l'Agence de la biomédecine
lorsqu'elles visent à « améliorer la connaissance de la biologie humaine », le législateur a entendu
permettre que de telles recherches puissent être entreprises y compris lorsqu'elles ne présentent pas un
intérêt médical immédiat. Ce faisant, le législateur n'a pas méconnu l'étendue de sa compétence.

Le Conseil constitutionnel rappelle en outre que le Préambule de la Constitution de 1946 a réaffirmé et


proclamé des droits, libertés et principes constitutionnels en soulignant d'emblée que : « Au lendemain de
la victoire remportée par les peuples libres sur les régimes qui ont tenté d'asservir et de dégrader la
personne humaine, le peuple français proclame à nouveau que tout être humain, sans distinction de race,
de religion ni de croyance, possède des droits inaliénables et sacrés ». Il en ressort que la sauvegarde de la
dignité de la personne humaine contre toute forme d'asservissement et de dégradation est un principe à
valeur constitutionnelle.

81
A cette aune, il juge que, en prévoyant une nouvelle finalité de recherche, les dispositions contestées ne
dérogent pas à l'interdiction des pratiques eugéniques visant à l'organisation de la sélection des personnes,
interdiction qui, prévue par l'article 16-4 du code civil, tend à assurer le respect du principe de sauvegarde
de la dignité de la personne humaine et à laquelle les articles L. 2151-5 et L. 2151-6 du code de la santé
publique soumettent toute recherche portant sur l'embryon humain ou sur les cellules souches
embryonnaires.

Était également critiqué par les députés requérants l'article 23 de la loi déférée, qui réécrit le second alinéa
de l'article L. 2151-2 du code de la santé publique relatif à la recherche sur l'embryon humain selon lequel
« La création d'embryons transgéniques ou chimériques est interdite », afin de le remplacer par un alinéa
ainsi rédigé : « La modification d'un embryon humain par adjonction de cellules provenant d'autres espèces
est interdite ».

Les députés requérants reprochaient à ces dispositions de supprimer l'interdiction de la création


d'embryons transgéniques sans fixer d'objectifs et de limites à ce procédé. Il en résultait selon eux une
méconnaissance de l'intégrité de l'embryon et du patrimoine génétique de l'espèce humaine ainsi que du
principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine. En outre, en substituant à l'interdiction de
la création d'embryons chimériques une interdiction limitée à la modification d'un embryon humain par
adjonction de cellules provenant d'autres espèces, ces dispositions autoriseraient désormais la
modification d'un embryon animal par l'adjonction de cellules humaines. Selon eux, un tel procédé, qui
porterait atteinte à la distinction entre l'homme et l'animal, méconnaîtrait l'objectif de valeur
constitutionnelle de protection de l'environnement, le principe de précaution, la diversité biologique
garantie par le cinquième alinéa du Préambule de la Charte de l'environnement ainsi que le principe de
sauvegarde de la dignité de la personne humaine.

Le Conseil constitutionnel rappelle qu'il est à tout moment loisible au législateur, statuant dans le domaine
de sa compétence, d'adopter des dispositions nouvelles dont il lui appartient d'apprécier l'opportunité et
de modifier des textes antérieurs ou d'abroger ceux-ci en leur substituant, le cas échéant, d'autres
dispositions, dès lors que, dans l'exercice de ce pouvoir, il ne prive pas de garanties légales des exigences
constitutionnelles au nombre desquelles figure, en particulier, le respect du principe constitutionnel de
sauvegarde de la dignité de la personne humaine.

Il juge que les dispositions contestées mettent fin à l'interdiction de créer des embryons transgéniques,
c'est-à-dire des embryons dans le génome desquels une ou plusieurs séquences d'ADN exogène ont été
ajoutées. Elles prévoient également que l'adjonction à l'embryon humain de cellules provenant d'autres
espèces est interdite.

Il relève que, en premier lieu, il résulte du paragraphe I de l'article L. 2151-5 du code de la santé publique,
d'une part, qu'aucune recherche sur l'embryon humain ne peut être entreprise sans une autorisation
délivrée par l'Agence de la biomédecine et, d'autre part, que cette autorisation ne peut être délivrée
qu'après qu'elle a vérifié que la pertinence scientifique de la recherche est établie, qu'elle s'inscrit dans
une finalité médicale ou vise à améliorer la connaissance de la biologie humaine et qu'elle ne peut être
menée, en l'état des connaissances scientifiques, sans recourir à des embryons humains. Le projet et les
conditions de mise en œuvre du protocole de recherche doivent également respecter, en particulier, les
principes fondamentaux énoncés aux articles 16 à 16-8 du code civil.

En application du paragraphe II du même article L. 2151-5, l'Agence de la biomédecine s'assure que la


recherche est menée à partir d'embryons conçus in vitro dans le cadre d'une assistance médicale à la
procréation qui ne font plus l'objet d'un projet parental et qui sont proposés à la recherche par le couple,
le membre survivant du couple ou la femme dont ils sont issus. Son paragraphe III prévoit que les ministres
chargés de la santé et de la recherche, destinataires des décisions de l'Agence de la biomédecine, peuvent
demander à cet établissement un nouvel examen du dossier, notamment en cas de doute sur le respect
des principes fondamentaux prévus par le code civil.

Le paragraphe IV dispose que les embryons sur lesquels une recherche a été conduite ne peuvent être
transférés à des fins de gestation et qu'il est mis fin à leur développement in vitro au plus tard le
quatorzième jour qui suit leur constitution.

82
Ainsi, les dispositions contestées ne permettent la création d'embryons transgéniques que dans le cadre
de recherches sur l'embryon entourées de garanties effectives.

En second lieu, il ressort des travaux préparatoires de la loi déférée que les dispositions contestées, qui
portent uniquement sur la recherche sur l'embryon humain, n'ont pas pour objet de modifier le régime
juridique applicable à l'insertion de cellules humaines dans un embryon animal, qui est par ailleurs défini
par les articles 20 et 21 de la loi déférée.

Le Conseil constitutionnel déduit de tout ce qui précède que le grief tiré de la méconnaissance du principe
de sauvegarde de la dignité de la personne humaine doit être écarté.

Le Conseil constitutionnel écarte également des critiques contre les dispositions de l'article 25 de la loi
déférée, relatives aux conditions d'information de la femme enceinte et, le cas échéant, de l'autre membre
du couple, lors de la réalisation d'examens prénataux.

Les députés requérants soutenaient que, en subordonnant à l'accord de la femme enceinte l'information
de l'autre membre du couple sur les résultats d'examens prénataux et en renvoyant la fixation des
modalités d'information de ce dernier au pouvoir réglementaire, ces dispositions auraient méconnu le
principe d'égalité et porté atteinte à la liberté personnelle, au droit de mener une vie familiale normale et
au droit au mariage.

Le Conseil constitutionnel juge que ces dispositions ont pour objet d'organiser la communication de
résultats d'examens médicaux prénataux. Or, la femme enceinte se trouve, à cet égard, dans une situation
différente de celle de l'autre membre du couple. Ce faisant, la différence de traitement résultant des
dispositions contestées, qui repose sur une différence de situation, est en rapport direct avec l'objet de la
loi. Il écarte par ces motifs le grief tiré de la méconnaissance du principe d'égalité et juge que ces
dispositions, qui ne méconnaissent pas non plus la liberté personnelle, le droit de mener une vie familiale
normale ou le droit au mariage, ni aucune autre exigence constitutionnelle, sont conformes à la
Constitution.

B. Le recours à un donneur extérieur au couple (« tiers-donneur »)


Le don de gamètes consiste, d’après le Code de la santé publique, en l’apport « par un tiers de spermatozoïdes
ou d’ovocytes en vue d’une assistance médicale à la procréation » (art. L. 1244-1 CSP).

Les gynécologues, pour les femmes, et les médecins traitants, pour les hommes, doivent informer régulièrement
leurs patients à propos des possibilités de dons de gamètes (art. L. 1244-1-1 et
L. 1244-1-2 CSP, respectivement).

Aux termes du nouvel article 16-8-1 du Code civil, introduit par la loi du 2 août 2021 :

« Dans le cas d'un don de gamètes ou d'un accueil d'embryon, les receveurs sont les personnes qui ont donné
leur consentement à l'assistance médicale à la procréation.

Le principe d'anonymat du don ne fait pas obstacle à l'accès de la personne majeure née d'une assistance
médicale à la procréation avec tiers donneur, sur sa demande, à des données non identifiantes ou à l'identité
du tiers donneur, dans les conditions prévues au chapitre III du titre IV du livre Ier de la deuxième partie du code
de la santé publique ».

Un chapitre V, intitulé « De l'assistance médicale à la procréation avec tiers donneur » a aussi été introduit, lequel
définit dans les articles R. 342-9 à R. 342-13, les conditions de recours à l'assistance médicale à la procréation
nécessitant l'intervention d'un tiers donneur.

83
V. LA STÉRILISATION À VISÉE CONTRACEPTIVE ET L’INTERRUPTION VOLONTAIRE
DE GROSSESSE (IVG)
Le présent sous-thème, comprenant la stérilisation à visée contraceptive (A.) et l’IVG (B.) particulièrement
sensible, suscite de très vives controverses sur le plan des convictions personnelles, religieuses et morales.

A. La stérilisation à visée contraceptive


La stérilisation à visée contraceptive est légale en France depuis l’adoption de la loi n° 2001-588 du 4 juillet
2001, après de vastes débats éthiques et philosophiques, car cette pratique était considérée, en-dehors de toute
fin thérapeutique, comme contraire au principe posé par l’article 16-3 du Code civil en sa rédaction antérieure
(J.-R. Binet, fasc. 12, préc., §85).

L’article L. 2123-1 du Code de la santé publique en fixe les principes généraux : « La ligature des trompes ou des
canaux déférents à visée contraceptive ne peut être pratiquée sur une personne mineure. Elle ne peut être
pratiquée que si la personne majeure intéressée a exprimé une volonté libre, motivée et délibérée en
considération d'une information claire et complète sur ses conséquences. Cet acte chirurgical ne peut être
pratiqué que dans un établissement de santé etaprès une consultation auprès d'un médecin ». Le même
article prévoit un délai de quatre mois entre la première consultation médicale au sujet de la stérilisation à visée
contraceptive et l’expression par écrit du consentement à la réalisation de l’opération chirurgicale, réalisation
qui aura lieu dans un établissement de santé.

Pour des personnes placées sous un régime de protection légale (par exemple les adultes dont les facultés
mentales sont altérées au point de constituer un handicap, entraînant des mesures de curatelle voire de tutelle),
il est possible de recourir à une stérilisation contraceptive dans des conditions bien spécifiques ; il conviendra
de démontrer l’existence d’une « contre-indication médicale absolue aux méthodes de contraception ou une
impossibilité avérée de les mettre en œuvre efficacement » (art. L. 2321-2 CSP), ce qui n’était pas sans susciter
des débats houleux (J.-R. Binet, fasc. 12, préc., §104 et s.). Des modalités spécifiques de recueil du consentement
sont mises en placeà cet égard.

La stérilisation à visée contraceptive est interdite s’agissant des personnes mineures et ce sans aucune
exception, témoignant de la compatibilité du droit interne avec la position retenue par la Cour européenne des
droits de l’homme (Cour EDH, 12 juin 2012, requête n° 29518/10, citée par E. Terrier, préc., §400).

B. L’interruption volontaire de grossesse (IVG)


L’IVG peut se définir comme « un acte médical destiné à mettre fin à une grossesse en procédant à l'expulsion
prématurée de l'embryon ou du fœtus » (Fiches d’orientation Dalloz, L’IVG, 2019).

La question de l’IVG a toujours suscité de très vifs débats, en raison des droits et libertés fondamentaux
concernés : « le droit de l'enfant à la vie, les droits de la société et les valeurs éthiques, les droits de la mère
de l'enfant » (Lamy Droit des personnes et de la famille, Etude 220 Les libertés individuelles, §220-76
L’interruption volontaire de grossesse, 2015, citant Fr. Dekeuwer- Défossez, Rép. droit pén., 1996 ; v. aussi P.
Mistretta, Interruption volontaire de grossesse, Rép. dr. pén., 2019, spéc. §4).

L’IVG est autorisée, sous certaines conditions, depuis la loi n°75-17 du 17 janvier 1975, dite également « loi
Simone Veil ». L’époque était alors marquée, principalement, par les considérations liées aux valeurs éthiques
et au droit de l’enfant à la vie, ce dernier étant consacré dans l’article 1erde la loi Simone Veil (Lamy Droit des
personnes et de la famille, Etude 220, préc.). C’est la loi n°2001- 588, en date du 4 juillet 2001, qui a consacré
l’IVG comme, avant tout, une liberté de la femme (ibid.).

Il existe deux types d’IVG : celle à la discrétion de la femme et qui doit être réalisée dans un délai de
12 semaines après l’acte procréatif (1) et celle liée à un motif médical (2).

84
1. L’IVG au sens strict
L’article L. 2212-1 du Code de la santé publique prévoit que : « La femme enceinte qui ne veut pas poursuivre
une grossesse peut demander à un médecin ou à une sage-femme l'interruption de sa grossesse ». Des
dispositions protectrices existent en ce qui concerne les femmes mineures non- émancipées (art. L. 2212-4 et
art. L. 2212-7 CSP, not.). Cela doit être demandé par la femme dans un délai de 12 semaines en ce qui concerne
la France. L’IVG ne peut avoir lieu, par principe, qu’au sein d’un établissement de santé, qu’il s’agisse d’un
établissement public comme d’un établissementprivé (art. L. 2212-2 CSP).

Il n’existe plus, depuis 2014, la condition qui limitait la possibilité de recourir à l’IVG dans les seuls cas dans
lesquels la femme enceinte se trouverait « dans une situation de détresse » (Lamy Droit des personnes et de la
famille, Etude 220, préc., §220-76).

Le consentement de la femme souhaitant avoir recours à l’IVG est exigé, sous peine de sanction pénale à
l’encontre du praticien (art. L. 2222-1 CSP, reproduisant expressis verbis l’art. 223-10 du Code pénal ; sur
l’appréhension de l’IVG par le droit pénal, v. P. Mistretta, préc. ; il existe, parexemple, un délit d’interruption
illégale de grossesse et un délit d’entrave à l’IVG).

Les « méthodes médicales et chirurgicales d’interruption de grossesse et des risques et des effets secondaires
potentiels » doivent être indiquées par le médecin ou la sage-femme à la femme qui souhaite procéder à une
IVG, et ce dès la première visite (art. L. 2212-3 CSP).

Si, après les consultations prévues aux articles L. 2212-3 et L.2212-4 CSP (proposition d'un entretien avec
un conseiller conjugal ou avec une personne qualifiée dans un établissementd’information, art. L. 2212-4
CSP ; il s’agit d’une faculté), la femme maintient sa demande, le médecin ou la sage-femme doit demander
une confirmation par écrit de cette volonté (art. L. 2212-5 CSP). Cette confirmation ne peut intervenir qu'après
l'expiration d'un délai de deux jours suivant l'entretien prévu à l'article L.2212-4.

Pour les professionnels de santé qui ne souhaiteraient pas procéder à une IVG, il existe la « clause de conscience
», prévue par le Code de la santé publique (art. L. 2212-8) et jugée conforme au bloc de constitutionnalité par
le Conseil constitutionnel, estimant qu’ainsi serait « sauvegardée sa liberté [NDA : du médecin], laquelle relève
de sa conscience personnelle » (Conseil constitutionnel, décision n°2001-446 DC, 27 juin 2001, Loi relative à
l'interruption volontaire de grossesse et à la contraception, spéc. §15 ; E. Terrier, préc., §421 et s.).

2. L’IVG pour motif médical


L’article L. 2213-1 du Code de la santé publique prévoit l’IVG pour un motif médical. Il peut être recouru à l’IVG
pour motif médical selon qu’il s’agisse de protéger la mère ou bien de protéger l’enfant. Il peut s’agir, dans le
premier cas de figure, de préserver la santé de la mère et, auquel cas, ilest nécessaire que deux médecins
membres d’une équipe pluridisciplinaire vérifient que la « poursuite de la grosse met gravement en
péril la santé de la mère », qu’il s’agisse de la santé physique ou psychique de cette dernière (Lamy Droit des
personnes et de la famille, Etude 220, préc., §220-76). Il, peut en outre, être recouru à l’IVG pour motif médical
dès lors qu’« il existe une forte probabilité que l'enfant à naître soit atteint d'une affection d'une particulière
gravité reconnue comme incurable au moment du diagnostic ».

85
FICHE N°9 : LES DROITS DES PERSONNES MALADES

Résumé :

Les droits des personnes malades englobent un corps de règles codifiées pour la première fois en 2002 et
intimement liées à l’idéal de sauvegarde de la dignité de la personne humaine, d’intégrité du corps humain, ainsi
qu’à la protection de la vie privée et familiale. L’ordre juridique français prévoit ainsi un droit à l’information
médicale pour la personne malade, droit qui est particulièrementcorrélé à l’exigence de consentement aux
soins et aux traitements, le principe étant, par ailleurs, la volonté de la personne malade. La personne malade
jouit de la protection apportée contre les atteintes à l’intégrité physique et psychique. En revanche, dans des cas
exceptionnels, il est envisageable de procéder à l’hospitalisation sans consentement de la personne malade.

Définition :

Les droits de la personne malade comprennent l’ensemble des garanties juridiques s’appliquant à l’usager du
système de santé et, dans certaines conditions, à sa famille et à ses proches, dans le respect des principes de
sauvegarde de la dignité de la personne humaine, de protection de l’intégrité du corps humain et de respect de
la vie privée et familiale.

Notions abordées dans la fiche :

- Droit à l’information sur son état de santé


- Droit au secret médical
- Accès au dossier médical
- Protection des données de santé par le RGPD
- Consentement aux soins
- Atteintes à l’intégrité physique (excision, incitation au suicide, agressions sexuelles et viols)
- Hospitalisation sans consentement

86
Éléments introductifs

C’est la loi n°2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé qui a
permis de codifier et donc de regrouper les règles concernant la personne malade et, pluslargement, les usagers
du système de santé (notion particulièrement large puisqu’elle peut concerner les « utilisateurs potentiels » du
système de santé, ainsi que les proches et la famille de lapersonne malade ; J. Saison-Demars, JCl Admin., Fasc.
229-50, Droit des personnes malades et autresusagers du système de santé, 2014, spéc. §1).

Un fondement constitutionnel peut être trouvé dans le préambule de la Constitution de la IV ème République
(Constitution du 27 octobre 1946), prévoyant, à la charge de la Nation, un droit de chacun « à la santé » et dont
découleraient les droits des personnes malades. Le préambule de la Constitution de la IVème République
appartient au « bloc de constitutionnalité », c’est-à-dire à l’ensemble des normes de valeur constitutionnelle
auxquelles la loi votée par le Parlement doit être conforme sous peine de censure ou d’abrogation par le Conseil
constitutionnel.

Les droits de la personne malade sont intimement liés, par ailleurs, à l’idéal de sauvegarde de la dignité de
la personne humaine, mais aussi à la protection de la vie privée et familiale.

Doivent ainsi être successivement envisagés le droit de la personne malade à l’information sur son état de santé
(I), l’exigence de consentement aux soins (II), la répression des atteintes à l’intégrité physique (III) et, enfin, les
situations exceptionnelles de soins psychiatriques sans consentement (IV).

I. LE DROIT À L’INFORMATION SUR SON ÉTAT DE SANTÉ


Le droit des personnes à l’information médicale, lié par une jurisprudence établie au « principe constitutionnel
de sauvegarde de la dignité de la personne humaine » (Cass., civ. 1ère, 9 oct. 2001, n°00-14564), a été consacré
par la loi n°2002-303 du 4 mars 2002 ; l’on parle désormais de « droit de la personne malade à l’information sur
son état de santé », étant précisé que le Code de la santé publique ne définit pas la « personne malade » et
qu’il faut donc se contenter d’une définition issue d’un dictionnaire courant. Le Larousse définissait le malade
comme la personne « dont la santé est altérée » (Lamy Droit de la santé, Etude 280 : Personne malade, de
l’embryon au mourant, 2002, spéc. §280-5).

C’est l’article L. 1111-2 du Code de la santé publique (alinéa 1er ; ci-après : « le CSP »), dans sa version issue de
la loi n°2016-41 du 26 janvier 2016 dite « de modernisation de notre système de santé », qui prévoit le droit de
toute personne à l’information sur son état de santé :

« Toute personne a le droit d'être informée sur son état de santé. Cette information porte sur les différentes
investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs
conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu'ils comportent ainsi que sur les
autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus.

Elle est également informée de la possibilité de recevoir, lorsque son état de santé le permet, notamment
lorsqu'elle relève de soins palliatifs au sens de l'article L. 1110-10, les soins sous forme ambulatoire ou à
domicile. ».

Ce droit, consacré de manière particulièrement forte par le législateur, s’accompagne d’une précision
de ce qu’est l’information concernant sa santé à l’article L. 1111-7 CSP :

« Toute personne a accès à l'ensemble des informations concernant sa santé détenues, à quelque titre que ce
soit, par des professionnels de santé, par des établissements de santé par des centres de santé, par le service de
santé des armées ou par l'Institution nationale des invalides qui sont formalisées ou ont fait l'objet d'échanges
écrits entre professionnels de santé, notamment des résultats d'examen, comptes rendus de consultation,
d'intervention, d'exploration ou d'hospitalisation, des protocoles et prescriptions thérapeutiques mis en
œuvre, feuilles de surveillance, correspondances entre professionnels de santé, à l'exception des informations
mentionnant qu'elles ont été recueillies auprès de tiers n'intervenant pas dans la prise en charge thérapeutique
ou concernant un tel tiers.

87
Elle peut accéder à ces informations directement ou par l'intermédiaire d'un médecin qu'elle désigne et en
obtenir communication, dans des conditions définies par voie réglementaire au plus tard dans les huit jours
suivant sa demande et au plus tôt après qu'un délai de réflexion de quarante-huit heures aura été observé. »

Les informations concernant l’état de santé de la personne malade sont donc particulièrement larges et
dépassent les seules informations médicales ; il peut s’agir des informations relatives aux pratiques
alimentaires, à la pratique sportive ou encore aux addictions (M. Dupont, JCl FM Droit médical et hospitalier,
fasc. 9-20, Dossier médical – Généralités – Communication, 2016, §11).

Il s’agit également d’un devoir envers les patients et lié à la déontologie médicale, le CSP prévoyant que le
médecin « doit à la personne qu'il examine, qu'il soigne ou qu'il conseille une information loyale, claire et
appropriée sur son état, les investigations et les soins qu'il lui propose. Tout au long de la maladie, il tient compte
de la personnalité du patient dans ses explications et veille à leur compréhension » (art. R. 4127-35 CSP).

En cas de litige, il appartient au professionnel ou à l'établissement de santé d'apporter la preuve que


l'information a été délivrée à l'intéressé. Cette preuve peut être apportée par tout moyen(art. L. 1111-
2 CSP).

Le défaut d'information sur les risques médicaux peut faire l’objet d’une indemnisation par les tribunaux, qui
considèrent, de manière constante, qu’il s’agit, le cas échéant, d’une perte de chance de ne pas les subir (I.
Gallmeister, « Responsabilité médicale : identification de la faute distincte du manquement à l'obligation
d'information », Dalloz actualité, 11 févr. 2010).

Le droit à l’information sur son état de santé a notamment pour corollaires le droit au secret médical (A) et le
droit d’accès au dossier médical (B). Par ailleurs, le Règlement général sur la protection des données (« RGPD »),
entré en application en 2018, protège les données relatives à l’état de santé despersonnes (C).

A. Le droit au secret médical


L’article L. 1110-4 CSP prévoit, pour la personne malade, le droit au secret médical et au respect desa vie
privée. Un tel droit au secret médical s’accompagne d’une obligation de confidentialité faite par le législateur
aux établissements de santé, qu’ils soient publics ou privés (art. L. 1112-1, al. 5 CSP).

Violer un tel secret professionnel est interdit par le Code pénal et passible d’un an d’emprisonnement et de
15.000 euros d’amende (art. 226-13 Code pénal). De la même manière, le CSP sanctionne l’obtention ou la
tentative d’obtention des informations médicales, la sanction pénale étant la même que celle relative au viol
du secret professionnel (art. L. 1110-4 CSP, V ; C. Bergoignan Esper, JCl FM Droit médical et hospitalier, fasc. 14,
Secret médical – Particularités en établissements publics de santé, 2019, spéc. §4).

B. Le droit d’accès au dossier médical


Ce droit de toute personne à l’information sur son état de santé s’accompagne d’un droit d’accès à celle-ci,
caractérisé en pratique par la communication du dossier médical à la personne malade et àsa conservation (M.
Dupont, préc., §13 et s.) : tout établissement de santé, sollicité à cet égard par la personne malade soignée ou
en passe d’être soignée, doit respecter une obligation de communication de ce dossier médical (ibid., §13).

Parallèlement, le CSP prévoit, en son article R. 4127-73, un droit à la confidentialité des informations contenues
dans le dossier médical, informations ne devant ainsi pas être accessibles par des tiers ; il s’agit d’une obligation
à la charge du médecin, qui doit alors veiller à préserver cette confidentialitéet à ce que l’identification de la
personne malade soit impossible lorsqu’il exploite les données dansle cadre d’une recherche scientifique publiée
ou dans le cadre d’un enseignement (ibid., §13 ; v. supra, à propos du droit au secret médical).

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C. La protection des données concernant la santé par le Règlement général sur
laprotection des données (« RGPD »)

L’article 4.15 RGPD (Règl. UE n°2016/679 du 27 avril 2016) prévoit la protection des « données concernant la
santé », qu’il définit comme « les données à caractère personnel relatives à la santé physique ou mentale d'une
personne physique, y compris la prestation de services de soins de santé, qui révèlent des informations sur l'état
de santé de cette personne ».

Sont ainsi concernées, ainsi que le précise le considérant préliminaire n°35 du RGPD :

« Les données à caractère personnel concernant la santé devraient comprendre l'ensemble des données se
rapportant à l'état de santé d'une personne concernée qui révèlent des informations sur l'état de santé physique
ou mentale passé, présent ou futur de la personne concernée. Cela comprend des informations sur la personne
physique collectées lors de l'inscription de cette personne physique en vue de bénéficier de services de soins de
santé ou lors de la prestation de ces services au sens de la directive 2011/24/UE du Parlement européen et du
Conseil au bénéfice de cette personne physique; un numéro, un symbole ou un élément spécifique attribué à
une personne physique pour l'identifier de manière unique à des fins de santé; des informations obtenues lors
du test ou de l'examen d'une partie du corps ou d'une substance corporelle, y compris à partir de données
génétiques et d'échantillons biologiques; et toute information concernant, par exemple, une maladie, un
handicap, un risque de maladie, les antécédents médicaux, un traitement cliniqueou l'état physiologique ou
biomédical de la personne concernée, indépendamment de sa source, qu'elle provienne par exemple d'un
médecin ou d'un autre professionnel de la santé, d'un hôpital,d'un dispositif médical ou d'un test de diagnostic
in vitro ».

II. LE CONSENTEMENT AUX SOINS


C’est l’article L. 1111-4 CSP, inséré par la loi n°2002-403 du 4 mars 2002 et modifié par la loi n° 2016- 87 du 2
février 2016 créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie, qui prévoit en son
quatrième alinéa le principe du consentement aux soins : « Aucun acte médicalni aucun traitement ne peut
être pratiqué sans le consentement libre et éclairé de la personne et ce consentement peut être retiré à tout
moment ».

La jurisprudence relie le consentement aux soins à l’exigence d’une information médicale adéquate : un médecin
qui ne délivrerait pas une telle information médicale risquerait de priver le patient « dela faculté de donner un
consentement éclairé » au traitement ou aux soins (arrêt Lamblin, Cass., civ. 1ère, 12 juin 2012, n°11-18.327), ceci
à l’aune des principes constitutionnels de dignité de la personne humaine et d’intégrité du corps humain
(principes consacrés par la décision n°94-343/344 DC du Conseil constitutionnel en date du 27 juillet 1994, Lois
bioéthiques ; v. P. Sargos, FM Litec Droit médical et hospitalier, fasc. 9, Principes communs – Information du
patient et consentement aux soins, 2017, spéc. §1).

Servant aussi bien de support à l’information du malade qu’à la preuve du consentement de ce dernier, les fiches
d’information remises par les médecins et établissements de santé, élaborées par des sociétés et associations
de médecins et de praticiens, peuvent servir utilement de preuve au cours d’une contestation judiciaire. De
même pour le dossier médical (P. Sargos, préc., spéc. §16).

Le principe du consentement aux soins n’entraîne pas, toutefois, de droit au choix du traitement ; c’est ce qu’a
décidé le Conseil d’État, saisi en référé en 2017 (CE, ord. réf., 26 juillet 2017, n°412618). En conséquence, toute
personne a le droit de recevoir les traitements et les soins les plus appropriés,sous réserve de son consentement
libre et éclairé, mais cela ne crée pas de « droit de choisir son traitement » (A. Dionisi-Peyrusse, « Actualités de
la bioéthique », AJ Famille, 2017, p. 435).

En matière de consentement s’est également posée la question du refus, par la personne malade, de certains
soins ou traitements, ceci en vertu de l’alinéa 1er de l’article 1111-4 CSP, qui prévoit que « toute personne
prend, avec le professionnel de santé et compte tenu des informations et des préconisations qu'il lui fournit, les
décisions concernant sa santé ».

89
Ainsi, si le patient souhaite mettre un terme aux soins ou aux traitements, le médecin (compris généralement)
doit déployer tous les efforts possibles pour emporter la conviction de la personne malade en faveur d’une
reprise de ceux-ci (J. Saison-Demars, préc., spéc. §28). Lorsque le malade, en état d'exprimer sa volonté, refuse
les investigations ou le traitement proposés, le médecin « doit respecter ce refus après avoir informé le malade
de ses conséquences » (art. R. 4127-36 CSP).

III. LES ATTEINTES À L’INTÉGRITÉ PHYSIQUE


C’est l’article 16-3 du Code civil qui pose les principes de base :

« Il ne peut être porté atteinte à l'intégrité du corps humain qu'en cas de nécessité médicale pour lapersonne
ou à titre exceptionnel dans l'intérêt thérapeutique d'autrui.

Le consentement de l'intéressé doit être recueilli préalablement hors le cas où son état rend nécessaire une
intervention thérapeutique à laquelle il n'est pas à même de consentir. »

Il ne faut pas négliger, à côté de l’atteinte à l’intégrité physique ou jointe à elle, la question de l’atteinte à
l’intégrité psychique. La Cour européenne des droits de l’Homme rattache par ailleurs les atteintes à l’intégrité
physique et psychique à l’article 8 de la Convention, protégeant le droit au respect de la vie privée et familiale
(sans oublier les actes médicaux ou « pseudo-médicaux »,comme l’excision, pouvant être considérés comme
des actes de torture en vertu de l’article 3 de ladite Convention ; v. infra sur ce point).

La question des atteintes à l’intégrité physique des personnes malades se pose surtout à propos de l’excision (A)
ou alors lorsqu’une personne malade, ayant besoin de soutien psychiatrique, est incitée au suicide (B). Enfin,
certaines agressions sexuelles ou viols ont pu avoir lieu dans l’enceinte d’établissement de santé et/ou commis
par des médecins (C).

Il est à noter que lorsque le médecin est, non pas dans une position d’acteur, mais dans celle de la personne
opérant un constat, il est en mesure de prescrire une interruption totale de travail (« ITT ») lorsqu’il remarque
une atteinte à l’intégrité physique et/ou psychique d’un patient.

A. L’excision
La jurisprudence a déjà eu l’occasion de se prononcer sur l’excision, définie par le Larousse comme une «
mutilation qui consiste en une ablation rituelle du clitoris et parfois des petites lèvres », incriminée en France, au
titre des actes de torture et de barbarie (Code pénal, art. 222-1).

Cette mutilation est formellement contraire au principe d’intégrité du corps humain, en plus de créer des
souffrances particulièrement fortes, d’ordre aussi bien physique que psychique et, selon les conditions de
l’opération, des maladies ou infections pouvant aller jusqu’à causer la mort de la victime (Lamy Droit de la santé,
Etude 540 Responsabilité pénale de droit commun, §540-100 l’exemple de l’excision, 2018).

De telles pratiques ont été considérées, d’ailleurs, comme relevant de l’article 3 de la Convention européenne
de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales interdisant la torture et les actes cruels et
dégradants (TA Lyon, 12 juin 1996, RUDH 1996, p. 695, note M. Levinet, cité par : Lamy Droit de la santé, Etude
540, §540-100, préc.).

De la même manière, afin de faciliter la détection de la pratique de l’excision, « celui qui informe les autorités
judiciaires, médicales ou administratives de privations ou de sévices, y compris lorsqu'ils'agit d'atteintes ou
mutilations sexuelles, dont il a eu connaissance et qui ont été infligées à un mineur ou à une personne qui n'est
pas en mesure de se protéger en raison de son âge ou de son incapacité physique ou psychique », est exonéré de
responsabilité pénale (art. 226-14 du Code pénal ; ibid.).

90
B. La question de l’incitation au suicide
Le débat a également eu lieu en doctrine en ce qui concerne l’incitation au suicide. L’incitation au suicide, dite
également provocation au suicide au sens strict, est un délit depuis la loi n o 87-1133 du 31 décembre 1987 (art.
223-13 du Code pénal), de même pour la propagande ou la publicité en faveur du suicide (art. 223-14, Code pén.
; E. Terrier, Corps humain – Bioéthique, Rép. Droit civ., 2019, spéc. §449). Il n’est donc pas impossible que soit
condamné le médecin qui incite au suicide, par exemple en fournissant le « mode d’emploi » (v. la fiche sur
la mort volontaire). Il est en revanche particulièrement improbable qu’un professionnel de santé commette un
tel acte.

La responsabilité d’un médecin a déjà été engagée, et retenue, lorsque celui-ci n’avait pas prévenu un
établissement de santé du risque suicidaire d’un patient, risque qui était cette fois bien connu dumédecin (Cass.,
civ. 1ère, 20 janvier 1982, n°80-17.229).

C. Les agressions sexuelles


Les articles 222-22 et 222-23 du Code pénal définissent, respectivement, l’agression sexuelle et le viol. Il a pu
arriver que tels actes aient été commis par des médecins (l’expression « médecins » étant ici, de nouveau,
exploitée au sens large).

Sont ainsi réprimées les pratiques médicales qui, pratiquées d’une certaine manière, deviendraient une
agression sexuelle ou un viol. La Cour de cassation a ainsi estimé, par exemple, qu’était un viol le fait que le
gynécologue « pratiquait des touchers vaginaux d'une durée particulièrement longue, pouvant durer jusqu'à un
quart d'heure, accompagnés d'excitation du clitoris, de mouvements de vaet vient du praticien et pour certaines
d'entre elles de mouvements du bassin de la patiente sur demande du médecin gynécologue, de positions de la
patiente parfois non nécessitées par la nature de l'examen, de propos à caractère sexuel de la part du praticien,
qui, en outre, à quelques reprises, avait une réaction physique anormale (excitation, visage rouge), et parfois ne
portait pas de gant durant l'examen » (Cass., crim., 17 mars 2010, n°09-88674, cité par le Lamy Santé, préc., §540-
130).

L’abus d’autorité liée aux fonctions est une circonstance aggravante du viol, en vertu de l’article 222-24 du Code
pénal. La Cour de cassation veille toutefois à ne pas confondre la contrainte, élément constitutif de l’infraction,
et l’autorité, circonstance aggravante de l’infraction (ibid.).

IV. LES HOSPITALISATIONS SANS CONSENTEMENT


C’est la loi n°2011-803 du 5 juillet 2011 relative aux droits et à la protection des personnes faisant l’objet de
soins psychiatriques et aux modalités de leur prise en charge qui a fixé le droit positif en ce qui concerne les
hospitalisations sans consentement.

Les soins psychiatriques sans consentement représentent une exception, le système étant davantage
basé sur la volonté de la personne malade d’accepter de recourir à des soins.

L’on compte trois procédures d’hospitalisation sans consentement : les soins psychiatriques sur décision du
représentant de l’État, les soins psychiatriques à la demande d’un tiers et, enfin, les soinspsychiatriques en cas
de péril imminent (cette dernière procédure ayant été créée par la loi précitée du 5 juillet 2011 ; J.-P. Besson et
L. Amouroux, « Agent judiciaire de l’État », Rép. proc. civ., avr. 2020, spéc. §141 ; v. aussi, en cas de besoin, sur
l’ensemble de la question : M. Couturier, JCl Civil annexes, fasc. 10, Soins psychiatriques sans consentement,
prise en charge de la maladie et des troubles mentaux, soins de santé mentale, 2020).

Il existait, avant la loi du 5 juillet 2011, un certain dualisme juridictionnel en ce qui concerne les différentes
procédures d’hospitalisation sans consentement ; la loi précitée y a mis un terme, en prévoyant que, pour toute
action introduite après le 1er janvier 2013, ce sont les juridictions judiciaires qui sont presque intégralement
compétentes (ibid., spéc. §142 et 143), plus précisément le juge des libertés et de la détention (JLD ; art. L.
3111-12 CSP).

91
Cela a fait suite à la condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l’homme en 2005 (CEDH
27 oct. 2005, Mathieu c/ France, req. n°68673/01), en raison de la complexité des procédures et des délais induits
par un tel dualisme juridictionnel (ibid., §143 ; art. 3216-1 CSP).

Il convient de noter que les décisions de soins psychiatriques sans consentement doivent être dûment notifiées
aux personnes concernées.

Des arrêts importants sont intervenus en 2018, rendus par la première Chambre civile de la Cour de cassation,
en ce qui concerne les régimes d’indemnisation en cas de procédures de soins psychiatriques en l’absence de
consentement de la personne malade : Cass., civ. 1ère, 28 février 2018,n° 17-11.362 ( … ) ; Cass., civ. 1ère 11 mai
2018, n° 18-10.724 et 5 juill. 2018, n° 18-50.042 (arrêts cités par : S. Gargoullaud, in : C. Barel et al., « Chronique
de jurisprudence de la Cour de cassation », Rec. Dalloz, 2018, p. 2039 et s., spéc. §6) :

• Responsabilité de l’État du fait des conséquences dommageables résultant de la décision d'admission


sans consentement dans un établissement psychiatrique : « par un arrêt du 28 février 2018 (n° 17-
11.362), la première chambre civile retient que l'action en réparation des conséquences dommageables
résultant d'une décision administrative d'admission en soins sans consentement est soumise à la
prescription quadriennale applicable en matière deresponsabilité de l'État, telle que prévue par la loi du
31 décembre 1968. (…) Cette action ne relève pas de la responsabilité médicale, elle ne saurait être
soumise à la prescription prévueà l'article L. 1142-28 du code de la santé publique. Cette jurisprudence
unifie le régime de l'ensemble des actions indemnitaires engagées en raison de décisions administratives
d'admissions en soins psychiatriques sans consentement, que celles-ci soient prises par le préfet ou le
directeur d'un établissement psychiatrique » (S. Gargoullaud, in : C. Barel et al., préc.)
• En ce qui concerne la notification des décisions du JLD :
o La première chambre civile a retenu que la notification de la décision du JLD prolongeant une
mesure d'hospitalisation complète, qui peut être effectuée par tout moyen permettant d'en
établir la réception, est valable lorsqu'elle résulte de lamention signée par deux professionnels
de l'établissement d'accueil certifiant avoir remis une copie de la décision au patient qui refuse
de signer (n° 18-10.724).
La souplesse des règles de preuve n'a cependant pas pour finalité d'atténuer l'obligation d'information
du patient. Sur ce point, la première chambre civile a rappelé que le retard dans la notification d'une
décision administrative d'admission est de nature à causer une atteinte aux droits du patient,
notamment en ce qu'elle le prive d'un droit au recours. Une telle appréciation relève du pouvoir
souverain des juges du fond (n° 18-50.042) (S. Gargoullaud, in : C. Barel et al., préc.).

A. Les soins psychiatriques sur décision du représentant de l’État


L’article L. 3213-1 CSP présente la procédure des soins psychiatriques sur décision du représentant de l’État,
c’est-à-dire le préfet :

« Le représentant de l'État dans le département prononce par arrêté, au vu d'un certificat médicalcirconstancié
ne pouvant émaner d'un psychiatre exerçant dans l'établissement d'accueil, l'admission en soins psychiatriques
des personnes dont les troubles mentaux nécessitent des soins et compromettent la sûreté des personnes ou
portent atteinte, de façon grave, à l'ordre public. Les arrêtés préfectoraux sont motivés et énoncent avec
précision les circonstances qui ont rendu l'admission en soins nécessaire. Ils désignent l'établissement
mentionné à l'article L. 3222-1 qui assure la prise en charge de la personne malade. »

Dans le cadre d’un recours judiciaire contre la décision adoptée par le représentant de l’État et si celle-ci est
jugée non-fondée (en raison par exemple d’une mauvaise appréciation des faits par le préfet), le juge va pouvoir
indemniser la personne ayant fait l’objet de la procédure. L’indemnisation peut couvrir un préjudice aussi bien
moral que matériel (ou les deux, ensemble ; J.-P. Besson et L.Amouroux, préc., spéc. §147). La jurisprudence
admet également que les proches de la personne peuvent solliciter une indemnisation (ibid., les auteurs citant :
TGI Lille, 12 mai 2005, inédit et TGI Paris, 6 novembre 2000, inédit).

92
Aucune mesure pénale particulière n’a, semble-t-il, été créée par le législateur en ce qui concerne un potentiel
manquement, par le Préfet, aux règles de forme énoncées ci-dessus (en ce sens : E. Bonis, Troubles
psychiques – Malades mentaux – Personne atteinte d’un trouble psychique, victime d’une infraction pénale,
Rép. dr. pén. et proc. pén., 2018, spéc. §153 ; l’auteur suppose, en revanche, « que le représentant de l'État dans
le département qui ordonnerait de façon injustifiée l'admission en soins psychiatriques d'une personne
commettrait le délit ou le crime d'atteinte à la liberté individuelle défini à l'article 432-4 du Code pénal »).

B. Les soins psychiatriques à la demande d’un tiers ou en cas de péril imminent


Un chapitre du CSP traite conjointement la question des soins psychiatriques à la demande d’un tiers (1) et celle
des soins psychiatriques en cas de péril imminent (2) (art. L. 1312-1 et s. CSP).

1. Les soins psychiatriques à la demande d’un tiers

S’agissant des soins psychiatriques à la demande d’un tiers, l’article L. 1312-1 1° CSP prévoit qu’un membre de
la famille de la personne malade, ou qu’une « personne justifiant de l'existence de relations avec le malade
antérieures à la demande de soins et lui donnant qualité pour agir dans l'intérêt de celui-ci », peut faire une telle
démarche auprès du directeur de l’établissement médical.

La démarche doit, en outre, comprendre deux certificats médicaux, circonstanciés, datant de moins de quinze
jours. Le premier certificat médical, réalisé par un médecin extérieur à l’établissement,doit constater « l'état
mental de la personne malade », mais aussi indiquer « les caractéristiques desa maladie et la nécessité de
recevoir des soins ».

Le second certificat médical peut, quant à lui, émaner d’un médecin membre de l’établissement au sein duquel
l’hospitalisation sans consentement est envisagée, qui doit alors confirmer le premier certificat. Divers garde-
fous sont prévus par le même article pour préserver la liberté de la personne malade (absence de liens de famille
des médecins entre eux, par exemple).

Il existe une procédure d’urgence, prévue par l’article L. 3212-3 CSP ; en ce cas, deux conditions sont à remplir :
l’urgence, évidemment, mais aussi un risque grave d'atteinte à l'intégrité du malade. Le directeur de
l’établissement peut « à titre exceptionnel, prononcer à la demande d'un tiers l'admission en soins
psychiatriques d'une personne malade au vu d'un seul certificat médical émanant, le cas échéant, d'un médecin
exerçant dans l'établissement ».

Dans le cadre de la procédure de soins psychiatriques à la demande d’un tiers, le directeur de l’établissement
encourt jusqu’à six mois d’emprisonnement et 7.500 euros d’amende en l’absence d’une demande d’admission
par un tiers et des deux certificats médicaux précitées (art. L. 3215-2 CSP).

2. Les soins psychiatriques en cas de péril imminent

Les soins psychiatriques en cas de péril imminent sont caractérisés de procédure subsidiaire par rapport aux
soins psychiatriques à la demande d’un tiers (E. Bonis, préc., spéc. §147). En effet, d’après le Code de la santé
publique, les soins psychiatriques en cas de péril imminent ne sont possibles que lorsqu'il s'avère impossible
d'obtenir une demande formulée par un tiers suffisamment proche de la personne malade (c’est-à-dire
l’impossibilité d’obtenir une demande émanant d’un tiers selon les conditions relatives aux soins psychiatriques
à la demande d’un tiers comme évoquée ci-dessus) et qu'il existe, à la date d'admission, un péril imminent pour
la santé dela personne, dûment constaté par un certificat médical.

Ce certificat constate l'état mental de la personne malade, indique les caractéristiques de sa maladie et la
nécessité de recevoir des soins. Le médecin qui établit ce certificat ne peut exercer dans l'établissement
accueillant la personne malade ; il ne peut en outre être parent ou allié, jusqu'au quatrième degré inclusivement,
ni avec le directeur de cet établissement ni avec la personne malade (art. L. 3212-1 CSP).

Là encore, le directeur de l’établissement encourt jusqu’à six mois d’emprisonnement et 7.500 euros d’amende
en cas de soins psychiatriques en cas de péril imminent en l’absence du certificat médical cité supra (art. L. 3215-
2 CSP).
93
FICHE N°10 : LA MORT VOLONTAIRE

Résumé :

Le droit à la vie, consacré de manière éclatante par l’article 2 de la Convention européenne de sauvegarde des
droits de l’homme et des libertés fondamentales ainsi que par l’article 16 du Code civil français, entraîne-t-il pour
l’individu un droit à choisir sa mort ? Telle est la question, dépassant bien sûr la seule sphère juridique, qui se
pose derrière le vocable « la mort volontaire », qui nécessite de se pencher sur le suicide et l’euthanasie.

L’on comprendra, à travers cette fiche, que le suicide, en tant qu’acte individuel, n’est plus un crime ni un délit
en France depuis 1810 et qu’il est donc impossible de condamner une quelconque complicité à cet acte. En
revanche sont incriminés les comportements qui incitent au suicide ou opèrent la publicité ou encore la
propagande de cette pratique. S’agissant de l’euthanasie active, celle-ci est toujours un crime en France.

Toutefois, le droit français prévoit, depuis le début du XXIème siècle, un dispositif pour encadrer la fin de vie.

Définition :

La mort volontaire, appréhendée sous l’angle juridique, concerne l’acceptation ou, à tout le moins, la tolérance
par le droit positif de la possibilité de définir le moment et la manière de mourir. Le droit positif ne va pas, en
France, en ce sens.

Notions abordées dans la fiche :

- Non-existence d’un droit à la mort


- Droit de se détruire soi-même
- Suicide et incitation au suicide
- Euthanasie active
- Fin de vie
- Euthanasie passive

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Éléments introductifs

Créé par la loi n° 94-653 du 29 juillet 1994 relative au respect du corps humain, l’article 16 du Code civil dispose
que « la loi assure la primauté de la personne, interdit toute atteinte à la dignité de celle-ci et garantit le respect
de l'être humain dès le commencement de sa vie ». Parallèlement, l’article 2 de la Convention européenne des
droits de l’homme prévoit que « le droit de toutepersonne à la vie est protégé par la loi ».

Ainsi, le droit protège la vie, mais qu’en est-il de la mort ? Pour cela, il faut avant tout savoir que le Code de la
santé publique ne fixe les éléments caractéristiques de la mort de la personne humaine que dans la partie relative
au prélèvement d’organes sur une personne décédée. Ainsi, si la personne présente un arrêt cardiaque et
respiratoire persistant, il convient, dans un second temps, de vérifier la réunion de trois conditions cumulatives
: d’abord l’absence totale de conscience et d’activité motrice spontanée, ensuite l’abolition de tous les réflexes
du tronc cérébral et, enfin, l’absence totale de ventilation spontanée (art. R. 1232-1 CSP).

La mort volontaire, quant à elle, concerne les situations dans lesquelles la personne humaine souhaite mettre
un terme à ses jours. Force est de constater que le droit français ne crée pas, aujourd’hui, un droit à la mort (E.
Terrier, « La personne humaine, vie et mort », in : R. Cabrillac (dir.), Libertés et droits fondamentaux, Dalloz, 26ème
éd., 2020, p. 168 et s., spéc. p. 175).

Une partie de la doctrine n’hésite pas à traiter, dans des rubriques relatives à la mort volontaire, du « droit de
se détruire soi-même », par exemple en ce qui concerne la consommation excessive de substances légales
comme les boissons alcoolisées ou les produits à base de tabac (P. Wachsmann, Libertés publiques, Dalloz, 2017,
spéc. p. 568, §421).

De telles pratiques, si elles doivent faire l’objet d’informations et d’avertissements publiés régulièrement par les
autorités publiques, ne peuvent être interdites dans une démocratie libérale comme la France en ce qui concerne
l’individu isolément(ibid., p. 569) ; il n’est donc pas envisageable que l’État interdise à tel ou tel individu de fumer
ou de consommer des boissons alcoolisées chez lui.

En revanche, l’État peut très bien interdire de telles consommations dès lors que sont en jeu des interactions
sociales et des dangers sur les autres individus, par exemple en ce qui concerne l’interdiction stricte de conduire
après le dépassement d’un certain seuil d’alcoolémie ou encore l’interdiction de fumer dans les lieux publics tels
que les restaurants et établissements en espace clos (ibid.).

Pour autant, le législateur a pu imposer le port de la ceinture de la sécurité au sein du véhicule individuel. De la
même manière, en ce qui concerne les stupéfiants, leur consommation « fait l’objet d’une répression qui revient
à interdire de s’auto-détruire par ce même moyen » (ibid., p. 570, §423).

Il sera nécessaire de comprendre que, si le droit français n’autorise pas un droit à la mort (ou, sans doute plus
exactement, un « droit à choisir sa propre mort »), il n’en demeure pas moins qu’il existe un certain nombre de
dispositions visant à encadrer le suicide dans ses aspects dépassant la seule personne commettant l’acte (I) et
à interdire l’euthanasie (II).

I. LE SUICIDE
Il n’existe plus, depuis 1810 et l’entrée en vigueur du Code pénal napoléonien, de crime ou de délit de suicide
ou de tentative de suicide. Cela existait auparavant et notamment sous l’Ancien Régime, selon une conception
imprégnée d’un caractère religieux (E. Terrier, préc., §221, p. 175) ; avaient alors lieu des procès post-mortem
faits au cadavre ou à la mémoire du défunt (P. Wachsmann, préc., p. 571, §424).

Toutefois, l’on ne peut pas, à proprement parler, dire qu’il existe un droit au suicide. Le suicide nepeut pas
dépasser, dans l’ordre juridique français, un acte strictement individuel et personnel.

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Ainsi, le Conseil d’État, se basant sur le motif du défaut de vigilance, a déjà sanctionné un établissement
carcéral suite au suicide d’un détenu (CE, 9 juillet 2007, AJDA 2007, p. 2094, note H. Arbousset, cité par E.
Terrier, préc., p. 176).

La Cour de cassation, quant à elle, a déjà retenu la qualification d’« accident de travail » en ce qui concerne un
suicide réalisé sur le lieu de travail, celui-ci étant provoqué par les conditions particulièrement difficiles de
travail, notamment sur le plan psychologique (Cass., civ. 2ème, 10 mai 2007, Rec. Dalloz 2007, p. 1599, également
cité par E. Terrier, ibid. ; v. aussi, P. Adam, « Harcèlement moral – Réparation du préjudice subi par la victime du
harcèlement », Rép. dr. trav., 2020, spéc. §542et s.).

Enfin, un arrêt rendu en section par le Conseil d’État a clarifié la jurisprudence concernant le suicide imputable
au service (dans l’administration, en l’espèce dans la fonction publique territoriale) :

« Un accident survenu sur le lieu et dans le temps du service, dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice par un
fonctionnaire de ses fonctions ou d'une activité qui en constitue le prolongement normal présente, en l'absence
de faute personnelle ou de toute autre circonstance particulièredétachant cet évènement du service, le
caractère d'un accident de service.

Il en va ainsi lorsqu'un suicide ou une tentative de suicide intervient sur le lieu et dans le temps du service, en
l'absence de circonstances particulières le détachant du service. Il en va également ainsi, en dehors de ces
hypothèses, si le suicide ou la tentative de suicide présente un lien direct avec le service. » (CE, Sect., 16 juillet
2014, n°361820, AJDA 2014, p. 1706 ; cité par : F. Séners et F. Roussel, « Préjudice réparable – Caractère direct,
personnel et certain du préjudice », Rép. resp. puiss. publ., 2019, spéc. §159).

Quant à la Cour européenne des droits de l’homme, dans sa mission d’application et d’interprétation de l’article
2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, elle fait
peser sur les États parties une obligation de prendre des mesures pour protéger les personnes, dans des
situations comme la détention ou le service militaire (ibid.). Elle ne consacre pas, en tant que tel, un droit subjectif
à la mort qui serait le pendant du droit à la vie.

En effet, dans l’arrêt majeur Pretty c. Royaume-Uni, la Cour européenne des droits de l’homme a estimé que : «
(l)'article 2 ne saurait, sans distorsion de langage, être interprété comme conférant un droit diamétralement
opposé, à savoir un droit à mourir ; il ne saurait davantage créer un droit à l'autodétermination en ce sens qu'il
donnerait à tout individu le droit de choisir la mort plutôt que la vie » (Cour EDH, Pretty c. Royaume-Uni, 29 avril
2002, req. n°2346/02).

Il est nécessaire de se pencher sur la provocation au suicide (A) avant de se pencher, plusbrièvement, sur la
grève de la faim pouvant constituer un suicide progressif (B).

A. La provocation au suicide

Il n’est pas possible de retenir la complicité à l’acte de suicide (1). De ce fait, en 1987, le législateur a créé deux
infractions distinctes : la provocation au suicide proprement dite (2) et la publicité et la propagande en faveur du
suicide (3).

1. L’inadéquation de la complicité à l’acte de suicide


Il ne pouvait y avoir de complicité en matière de suicide, puisqu'il n'y avait pas d'infraction principale
punissable ; le suicide n’est plus, en effet, dans l’ordre juridique français, un délit et encore moins un crime
depuis 1810 (E. Terrier, 2019, préc., §449 ; P. Wachsmann, préc., p. 571, §424).

Toutefois, un fondement de condamnation d’une personne ayant assisté le suicide avait été trouvé par la Cour
de cassation en se basant sur l’abstention de porter secours à une personne en danger.

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Ceci a été retenu dans une affaire, désormais ancienne, où une personne avait demandépar écrit à une
seconde personne des conseils pour se suicider, chose faite par le deuxième acteur qui avait la particularité
d’avoir écrit un ouvrage contenant des « modes de réalisation » des actes de suicide (Cass., crim., 29 avril
1988, n°87-82011, Le Bonniec, aff. citée par P. Wachsmann, préc.,p. 572) :

« une intervention immédiate était nécessaire pour prévenir un péril mortel constant et imminent couru par
Michel Y [première personne] dont l'état de détresse et la fragilité psychique étaient connus d'Yves X [seconde
personne]. (…) Il était possible à X. soit d'user de l'influence qu'il pouvait avoir sur cet être faible pour le dissuader,
soit d'alerter une association de prévention ; que non seulement il s'est abstenu de provoquer toute aide et de
tenter de conjurer le péril mais encore en fournissant au désespéré les renseignements demandés, il lui a permis
de mettre son projet à exécution ; qu'un tel comportement témoigne de sa volonté de ne pas porter assistance
à une personne qu'il savait en danger ».

Cette affaire du « livre de recettes » pour se suicider a appelé une réponse du législateur en fin d’année
1987, comprenant une incrimination de la provocation au suicide stricto sensu (ou « provocation au
suicide d’autrui proprement dite », d’une part, et de la propagande ou la publicité du suicide, d’autre part (sur
lesquelles : Ch. Claverie-Rousset, JCl Pénal code, Fasc. 20 : Provocation au suicide, 2016, spéc. point clef n°1 ; 3.).

2. La provocation au suicide proprement dite


Pour combler un vide juridique, le législateur est intervenu en fin d’année 1987 ; l’incitation au suicide ou
provocation au suicide proprement dite est devenue un délit depuis la loi n°87-1133 du 31 décembre 1987.

L’art. 223-13 du Code pénal, dans sa version actuelle, dispose que le « fait de provoquer au suicide d'autrui est
puni de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende lorsque la provocation a été suivie du suicide
ou d'une tentative de suicide ». Il est donc indifférent, à cet égard, que la tentative ait « réussi ».

Le délit de provocation au suicide d’autrui proprement dite comporte un élément matériel (a) et un élément
moral (b) (v. Ch. Claverie-Rousset, préc., §10).

a) L’élément matériel
L’élément matériel de la provocation au suicide proprement dite suppose la réunion de trois critères cumulatifs,
à savoir l’acte de provocation, le fait que l’acte de provocation ait entraîné une tentative de suicide et, enfin, un
lien entre l’acte de provocation et la tentative (Ch. Claverie-Rousset, préc., §11) :

• L’acte de provocation : il s’agit de provoquer des personnes spécialement déterminées (par exemple
une provocation au suicide auprès d’un individu ou auprès d’un groupe d’individus précisément ciblé).
Dans le cadre de la provocation au suicide, un acte positif devra être prouvé, par exemple l’envoi de
messages ou d’écrits divers, des paroles, un comportement hostile, un ou plusieurs tweets ou messages
sur les réseaux sociaux (Ch. Claverie-Rousset, préc., §11 et 12). La jurisprudence a déjà retenu la
culpabilité d’un fils qui, prétextant vouloir se suicider, a poussé, de manière volontaire et stratégique,
sa propre mère, particulièrement âgée, à le faire (CA Angers, ch. corr., 13 oct. 2011, n°11/00377, arrêt
cité par Ch. Claverie- Rousset, préc., §13).

• L’effet de la provocation : la provocation au suicide est réprimée si elle a entraîné le passage


à l’acte, c’est-à-dire une tentative de suicide, peu importe que la tentative ait « réussi » ou non.
La difficulté concernant la « tentative de suicide » est la détermination, forcément casuistique, de ce
qui constitue ou ne constitue pas une tentative de suicide(Ch. Claverie-Rousset, préc., §21).

• Le lien de causalité : la tentative de suicide doit être la conséquence de la provocation préalable. Ce


lien de causalité est particulièrement délicat à prouver en pratique (Ch. Claverie-Rousset, préc., §24).

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b) L’élément moral
« La provocation au suicide d'autrui est un délit intentionnel (…), ce qui signifie que l'acte qui le constitue doit
être volontaire et accompli en connaissance de cause, avec la conscience du caractère répréhensible dudit acte
» (Ch. Claverie-Rousset, préc., §27).

La preuve de l’intention est à apporter par la partie qui s’en prévaut, à savoir le ministère public et, s’il y en a,
les parties civiles au cours du procès pénal. Là encore, cet élément est délicat à prouver, sauf en la présence de
messages écrits, par exemple sur des applications ou forums, de vidéos, etc.

3. La publicité ou la propagande en faveur du suicide


De la même manière, la répression de la propagande et de la publicité en faveur du suicide trouve ses origines
dans la loi précitée du 31 décembre 1987. L’article 223-14 du Code pénal, dans sa version actuelle, dispose que
la « propagande ou la publicité, quel qu'en soit le mode, en faveur de produits, d'objets ou de méthodes
préconisés comme moyens de se donner la mort est punie de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 euros
d'amende » (v., à cet égard : E. Terrier, Corps humain – Bioéthique, Rép. Droit civ., 2019, spéc. §449).

La communication doit porter sur les moyens de se donner la mort. Ainsi, la Cour d’appel de Paris a retenu, à
propos d’une publicité relative à un ouvrage conférant des « modes d’emploi du suicide », que la « motivation de
celui qui acquiert l'ouvrage étant nécessairement de s'informer sur les techniques de suicide, la publicité en faveur
de l'ouvrage se confond avec la publicité en faveur de produits, objets ou méthodes préconisés comme moyens
de se donner la mort » (CA Paris, 18 janv. 2001, Dr. pénal 2001, p. 84, obs. M. Véron, arrêt confirmé par la chambre
criminelle de la Cour de cassation : Cass., crim., 13 nov. 2001, no 01-81.418).

Là encore, il est nécessaire de réunir un élément matériel (a) et un élément moral (b).

a) L’élément matériel
Contrairement à la provocation au suicide proprement dite, il n’est pas nécessaire, cette fois, qu’il y ait eu une
tentative de suicide.

L’élément matériel de la propagande ou de la publicité du suicide suppose une action, visible, perceptible, qui
vise à convaincre un public, par exemple en vantant le suicide, étant à noter que ce public n’est pas toujours
identifié ou identifiable (il ne s’agit pas d’un individu ou d’un groupe d’individus forcément identifiable, par
exemple lorsque la publicité ou la propagande a lieu sur les réseaux sociaux, dans un journal ou dans un ouvrage
que, par définition, tout le monde peut acheter, consulter ou dont tout le monde peut entendre parler ; Ch.
Claverie- Rousset, préc., §30 à 40).

b) L’élément moral
Il est nécessaire de prouver l’intention de l’auteur de la publicité ou de la propagande du suicide. C’est ainsi
qu’une revue scientifique en toxicologie ne sera pas reconnue coupable de propagande ou de publicité au suicide
(Ch. Claverie-Rousset, préc., §44).

B. La grève de la faim

L’article D. 364 du Code de procédure pénale dispose que « (s)i un détenu se livre à une grève de la faim
prolongée, il ne peut être traité sans son consentement, sauf lorsque son état de santé s'altère gravement et
seulement sur décision et sous surveillance médicales », ce qui semble révéler une interdiction d’un suicide
progressif et lent (le Professeur Wachsmann parle de « modalités d’exécution étalées dans le temps » : Libertés
publiques, préc., p. 571, §424).

L’indication du terme « sauf » dans cet article permet de montrer une limite, posée par le pouvoir exécutif, à la
volonté de la personne entamant une grève de la faim et, in fine, à ce qui pourrait être un suicide particulièrement
progressif.

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II. L’EUTHANASIE
L’euthanasie se définit comme « (l)’acte consistant à procurer la mort à un malade dont le mal est sans issue afin
d'abréger ses souffrances » (Lamy Droit de la santé, étude 345, L’euthanasie, 2017, spéc. §345-5).

Par nature, l’euthanasie vise à ne pas retarder voire à avancer le moment de la mort de la personne malade, par
opposition aux soins palliatifs qui visent à l’accompagnement, autant que faire se peut, du malade en fin de vie
(M. Dupont, « Lutte contre la douleur et soins palliatifs », JCl FM Droit médical et hospitalier, fasc. 36, 2020, spéc.
§41).

Forcément au cœur de controverses éthiques, morales et philosophiques, la question de l’euthanasie est


particulièrement discutée. Juridiquement, le dilemme est de trouver l’équilibre entre les droits et la volonté du
patient, d’une part, et les obligations des médecins (le terme « médecins » étant compris ici de manière
particulièrement large ; E. Terrier, « La personne humaine, vie et mort », in : R. Cabrillac (dir.), Libertés et droits
fondamentaux, préc., p. 181, §226).

Il convient de distinguer l’euthanasie active et la fin de vie (A) de l’euthanasie passive (B).

A. L’euthanasie active et la fin de vie


L’euthanasie active, définie assez largement, est celle qui est provoquée par le soignant (au sens large ; Lamy
Droit de la santé, étude 345, préc., spéc. §345-20). Il s’agit donc de la « mort procurée aumalade dans le but
d’abréger ses souffrances » (Lamy Droit de la santé, étude 540, spéc. §540-90).

Elle est toujours interdite en France et réprimée, constituant un crime de meurtre (art. 221-1 du Code pénal) ou
d’assassinat (c’est-à-dire un meurtre commis avec préméditation ou guet-apens, art.221-3 du Code pénal), selon
les circonstances (ibid.).

En revanche, le législateur a prévu, depuis les années 2000 et par un mouvement législatif enplusieurs étapes,
un certain nombre de dispositions concernant la personne qui deviendrait malade au point de ne plus pouvoir
indiquer sa volonté sur sa fin de vie. Il s’agit ainsi d’étudier les directives anticipées (1), la personne de confiance
(2) et l’exigence de collégialité de la décision médicale danscertaines situations (3).

1. Les directives anticipées

Les directives anticipées « expriment la volonté de la personne relative à sa fin de vie en ce qui concerne les
conditions de la poursuite, de la limitation, de l’arrêt ou du refus de traitement ou d’acte médicaux » (art. L.
1111-11 CSP, tel que modifié par la loi n°2016-87 du 2 février 2016).

Elles sont « révisables et révocables » à tout moment, et ce par tout moyen (al. 2).

Les directives anticipées « s'imposent au médecin pour toute décision d'investigation, d'intervention ou de
traitement » (al. 3).

Lorsqu’une personne se trouve en phase avancée ou terminale d’une affection grave et incurable et est « hors
d’état d’exprimer sa volonté, le médecin a l’obligation de s’enquérir de la volonté exprimée par le patient » dans
ses directives anticipées.

A défaut de directives anticipées, le médecin devra recueillir « le témoignage de la personne de confiance ou, à
défaut, tout autre témoignage de la famille ou des proches » (art. L. 1111-12 CSP ; v. infra à propos de la personne
de confiance).

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2. La personne de confiance

Les articles L. 1111-6 à L. 1111-12 CSP prévoient les règles relatives à la personne de confiance ;issues de
la loi n°2002-303 du 4 mars 2002, ces règles ont été précisées par la loi n°2016-87 créant denouveaux droits en
faveur des malades et des personnes en fin de vie et, bien plus modestement,par l’ordonnance n°2018-20 du
17 janvier 2018.

L’article L. 1111-6 CSP prévoit le principe de la désignation, par tout individu, d’une personne de confiance, ainsi
que les modalités d’une telle désignation. Cette personne de confiance « peut être un parent, un proche ou le
médecin traitant » et « sera consultée au cas où elle-même [la personne désignant la personne de confiance]
serait hors d’état d’exprimer sa volonté et de recevoir l’information nécessaire à cette fin ».

La mission de la personne de confiance est, en l’absence de directives anticipées de la personne, de rendre


compte de la volonté de la personne qui l’a désignée. Le législateur indique, toujours dans la même disposition,
que le témoignage de la personne de confiance « prévaut sur tout autre témoignage ». La personne de confiance
peut accompagner la personne qui l’a ainsi désignée dans ses rendez-vous médicaux, si cette dernière le désire.

On l’a vu (fiche relative aux droits de la personne malade), le droit français fixe le principe du consentement aux
soins (art. L. 1111-4 CSP) ; or, il est malheureusement des situations dans lesquelles la personne est dans
l’impossibilité de faire connaître ses intentions concernant les traitements ou les soins ; dans ce cas de figure,
« aucune intervention ou investigation ne peut être réalisée, sauf urgence ou impossibilité, sans que la personne
de confiance (…), ou la famille, ou à défaut, un de ses proches ait été consulté » (art. L. 1111-4 CSP, al. 5).

Comme on l’a vu supra à propos des directives anticipées, quand celles-ci n’existent pas et en l’absence de
personne de confiance, le soignant est dans l’obligation de « recueillir tout autre témoignage » de la famille et,
à défaut encore, des proches (M. Dupont, « Lutte contre la douleur et soins palliatifs », préc., spéc. §49-1).

Dans les situations au sein desquelles la personne malade se trouve en phase avancée ou terminale d'une
affection grave et incurable et est hors d'état d'exprimer sa volonté, l’absence de directives anticipées et de
personne de confiance pose un réel problème.

A cet égard, dans l’« affaire Lambert », un arrêt d’assemblée du Conseil d'État, rendu en 2014, a alors indiqué
au médecin la marche à suivre dans une telle situation : ce dernier « doit accorder une importance toute
particulière à la volonté que le patient peut avoir, le cas échéant, antérieurement exprimée, « quels qu'en soient
la forme et le sens » » (M. Dupont, « Lutte contre la douleur et soins palliatifs », préc., spéc. §49-1, citant : CE
Ass. 24 juin 2014, n° 375081, 375090 et 37509).

Un arrêt rendu par la Grande chambre de la Cour européenne des droits de l’Homme a alors estimé que le
Conseil d’État avait « pu valablement estimer que les témoignages soumis étaient suffisamment précis pour
établir quels étaient les souhaits de M. L. quant à l’arrêt ou au maintien de son traitement » (M. Dupont, « Lutte
contre la douleur et soins palliatifs », préc., spéc. §49-1, citant : Cour EDH (Gr. ch.), 5 juin 2015, req. n° 46043/14,
Lambert et aut. c/ France ; dans cet arrêt, la Cour EDH avait d’ailleurs rattaché les problématiques liées à la fin
de vie à l’article 8 de la Convention protégeant le droit au respect de la vie privée et familiale ; à propos,
enfin, du dernier arrêt del’ « affaire Lambert » autorisant de nouveau l’arrêt des soins : Cass., Ass. plén., 28 juin
2019, n°19- 17.330, 19-17.342 ; ibid., §42).

3. La collégialité de la décision

La loi n°2016-87 créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie a modifié
quelques dispositions relatives à la collégialité de la décision (la décision doit alors être prise par plusieurs
médecins ; c’est l’article L. 1110-5-1 CSP qui prévoit les conditions de cette collégialité) :
• L’article L. 1111-4 CSP prévoit une telle collégialité lorsque « la personne est hors d’état d’exprimer sa
volonté » et que « la limitation ou l’arrêt de traitement » est « susceptible d’entraîner son décès » (art.
également cité supra, en ce qui concerne la personne de confiance).

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• De la même manière, « à la demande du patient d’éviter toute souffrance et de ne pas subir
d’obstination déraisonnable » et lorsqu’une « sédation profonde et continue » provoque « une
altération de la conscience continue jusqu’au décès », la décision doit être collégiale (notamment
lorsque le patient « est atteint d’une affection grave et incurable et dont le pronostic vital est engagé à
court terme présente une souffrance réfractaire aux traitements » ; art. L. 1110-5-2 CSP).
• Dernièrement, sera collégiale la décision lorsque « la décision de refus d’application des directives
anticipées, jugées par le médecin manifestement inappropriées ou non conformes à la situation
médicale du patient ». Cela doit être inscrit dans le dossier médical du patientet la décision « portée à
la connaissance de la personne de confiance » (ou, à défaut, de la famille ou des proches) (art. L. 1111-
11 CSP ; M. Dupont, « Lutte contre la douleur et soins palliatifs », préc., spéc. §49-1).

B. L’euthanasie passive
L’euthanasie dite « passive » se définit comme une abstention de soins. Elle serait plus tolérable que l’euthanasie
active car, cette fois, ce n’est pas le comportement du médecin (ou, plus largement, du soignant) qui est la cause
principale du décès de la personne malade (Lamy Droit de la santé, préc., spéc. §345-20).

Il a toutefois été vu, par exemple concernant le suicide, que l’abstention pouvait être pénalement réprimée.
Une certaine casuistique est donc nécessaire afin d’étudier le comportement plus ou moins actif, dans cette
démarche, des tiers et, en premier lieu, du soignant (Lamy Droit de la santé, ibid. ; v. ci-dessous).

Comme on l’a vu précédemment, l’euthanasie passive est une abstention de soins. En revanche et bien qu’en
pratique la distinction, selon les situations, puisse être délicate à mener, il ne faut pas la confondre avec l’arrêt
de soins et le refus de soins (ibid., §345-21) :
• L’arrêt de soins signifie l’interruption de ceux-ci et de tout traitement, caractérisée par un acte positif,
tel le débranchement de l’appareil ayant pour fonction de maintenir la personne malade en vie (ibid.).
• En ce qui concerne le refus de soins : cette fois, c’est la personne malade qui refuse, de manière
insistante et répétée en pratique, d’être soignée. Il n’y a donc plus de consentement de la personne qui
nécessite des traitements ou soins (ibid. ; v. également la fiche consacrée aux droits des personnes
malades). Il est tout à fait possible, depuis la loi Léonetti de 2005,de prévoir des directives anticipées
qui pourront contenir en leur sein le refus, exprimé par avance donc, de soins (ibid.). Cette loi de 2005
a été précisée par une loi en 2016 (v. à proposdes directives anticipées dans la présente fiche).

L’abstention de la part du soignant peut être pénalement réprimée. Ainsi, afin que la responsabilité pénale du
soignant ne soit pas engagée dans le cadre d’une euthanasie passive, il faut vérifier que le soignant a bien
respecté l’obligation de porter assistance à personne en péril imminent (art. 223-6 Code pénal ; ibid., §345-22
et 345-23) : les médecins, autant que faire se peut, doivent dissuader la personne malade de provoquer ou de
rapprocher son décès.

La difficulté est d’identifier le péril imminent. En outre, d’après l’article R. 4127-38 CSP, « le médecin doit
accompagner le mourant jusqu'à ses derniers moments, assurer par des soins et mesures appropriés la qualité
d'une vie qui prend fin, sauvegarder la dignité du malade et réconforter son entourage » ; le médecin n'a « pas le
droit de provoquer délibérément la mort ».

L’obligation d’assistance à la charge du soignant révèle un juste équilibre à trouver, dans chaque espèce, entre
l’interdiction pour le médecin de s’abstenir de soigner, d’un côté et, de l’autre côté, l’interdiction de l’obstination
déraisonnable du médecin (telle que prévue par la loi n°2016-87 du 2 février 2016, modifiant l'article L. 1110-5-
1 CSP ; Lamy droit de la santé, étude 345, préc., spéc. §345- 23).

Il faut ainsi que l’abstention du médecin soit justifiée, par exemple en cas de refus obstiné et répété voire «
agressif » du patient de se soigner (Cass., crim. 3 janv. 1973, Rec. Dalloz 1973, p. 591, note Levasseur, arrêt cité
par : E. Terrier, Rép. droit civil, préc., spéc. §449, à propos du suicide mais transposable, selon la doctrine, à la
situation de l’euthanasie passive). La doctrine recommande, par ailleurs, de distinguer un refus de soins du
patient en pleine conscience, d’une part et un refus du patient lié à une dépression, d’autre part (Lamy droit de
la santé, étude 345, préc., spéc. §345-23).

101
THÈME 4 : LA LIBERTÉ INDIVIDUELLE : SÛRETÉ ET VIE
PRIVÉE

FICHE N°11 : LES MESURES DE SÛRETÉ

Résumé :

Pour garantir la sûreté individuelle dans l’action de l’État par des mesures restrictives de libertés, il existe des
principes juridiques et des garanties procédurales qui s’imposent à l’administration publique.

Notions abordées dans la fiche :

- Sécurité
- Sûreté
- Principe de légalité des peines
- Principe de non-rétroactivité de la loi pénale
- Garde à vue
- Détention provisoire
- Contrôle d’identité

102
« Comment concilier la sûreté de l’État avec la sûreté de la personne ? » - Montesquieu, De l’esprit des lois
(1748)

La sûreté, initialement pensée comme la sûreté de la personne et de ses biens (art. 2, 7 et 8 de la DDHC), est peu
à peu devenue sûreté de l’État (art. 7 de la Constitution de l’an VIII « Le gouvernement pourvoit à la sûreté
intérieure de l’État »).

La sûreté de l’individu, dans son sens philosophique pensé par les Lumières, nécessite un encadrement du
pouvoir de l’État pour garantir les droits et libertés individuels. La sûreté de l’État, qui ressemble plutôt à la «
sécurité » de l’État tend au contraire à limiter les droits et libertés afin d’assurer cette sécurité intérieure.

En droit pénal, il faut à la fois protéger la société contre les auteurs d’infractions et protéger les libertés
individuelles des personnes mises en cause. Chaque étape de la procédure pénale porte intrinsèquement en elle
un aspect privatif de liberté.

Il convient avant toute chose de distinguer les peines des mesures de sûreté.

La distinction entre la peine et la mesure de sûreté, héritage de l’époque positiviste, tient à leur but respectif :
tandis que la peine tend à punir l’auteur d’une infraction, la sûreté, tournée vers l’avenir, vise à prémunir la
société contre la dangerosité de certains individus à travers diverses mesures, privatives ou restrictives de liberté.

La différence de nature entre la peine et la mesure de sûreté a été consacrée par le Conseil constitutionnel dans
sa décision du 21 février 2008 sur la base des critères suivants : « la rétention n'est pas décidée par la cour
d'assises lors du prononcé de la peine mais, à l'expiration de celle-ci, par la juridiction régionale de la rétention
de sûreté (…) elle repose non sur la culpabilité de la personne condamnée par la cour d'assises, mais sur sa
particulière dangerosité appréciée par la juridiction régionale à la date de sa décision (…) elle n'est mise en œuvre
qu'après l'accomplissement de la peine par le condamné (…) elle a pour but d'empêcher et de prévenir la récidive
par des personnes souffrantd'un trouble grave de la personnalité (…) ainsi, la rétention de sûreté n'est ni une
peine, ni une sanction ayant le caractère d'une punition (…) la surveillance de sûreté ne l'est pas davantage (…)
dès lors, les griefs tirés de la méconnaissance de l'article 8 de la Déclaration de 1789 sont inopérants ».

Les mesures de sûreté doivent être prévues par la loi car elles concernent les garanties fondamentales accordées
aux citoyens pour l'exercice des libertés publiques.

La mesure de sûreté vise à répondre à différents risques :

- Criminologique, lié au risque que la personne commette ou réitère des crimes ou des délits : surveillance
ou rétention de sûreté (art. L. 706-53- 13 et suivants du CPP), inscription au fichier judiciaire national
automatisé des auteurs d'infractions sexuelles ou violentes (FIJAIS, aux art. 706-53-1 et suivants du CPP)
ou au FIJAIT (art. 706-25-3 et suivants du CPP), mesures individuelles de contrôle administratif et de
surveillance (art. L. 228-1 et suivants du code de la sécurité intérieure), assignations à résidence de la
loi de du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence ;
- Psychiatrique : hospitalisation sous contrainte administrative (art. L. 3211-1 et suivants du Code de
la santé publique) ou judiciaire (art. 706-135 du CPP) ;
- Sanitaire : placement à l’isolement ou mise en quarantaine (art. L. 3131-1 et L. 3131-17 du Code de
la santé publique).

Les mesures peuvent être judiciaires ou administratives.

Les mesures administratives privatives de liberté doivent être placées sous le contrôle de l'autorité judiciaire
(Conseil constitutionnel, décisions n° 2010-71 QPC du 26 novembre 2010, n° 2015-527 QPCdu 22 décembre 2015
et n° 2020-800 DC du 11 mai 2020) en application de l’article 66 de la Constitution.

103
Les mesures de sûreté recouvrent un large champ de mesures telles que la rétention de sûreté, l’hospitalisation
sous contrainte, ou encore l’obligation de déclarer son domicile auprès de l’autorité compétente en passant par
des déclarations, les restrictions ou interdictions très diverses portant sur des activités, des fréquentations, ou
des déplacements.

Les mesures de sûreté qui visent à protéger la société contre des personnes présentant le risque de commettre
des crimes et des délits graves se heurtent à une possibilité d’appréciation arbitraire. Pour autant, en elles-
mêmes, elles ne sont pas prohibées par la Constitution (Conseil constitutionnel décision n° 2008-562 DC du 21
février 2008 et décision n° 2017-691 QPC du 16 février 2018).

Ces mesures participent à l’objectif constitutionnel de « prévention des atteintes à l'ordre public nécessaire à la
sauvegarde de droits et principes de valeur constitutionnelle » (Conseil constitutionnel, décision n° 2008-562 DC
du 21 février 2008). De la même manière, elles ne sont pas en, en elles-mêmes, prohibées par la Convention
européenne (Gardel c. France, n° 16428/05, CEDH, 17 décembre 2009).

La répression pénale est organisée autour de grands principes (I) déclinables entre autres à certaines mesures
de sûreté spécifiques (II).

I. LES PRINCIPES PROTECTEURS DE LA SÛRETÉ INDIVIDUELLE

A. Le principe de la légalité des délits et des peines


Ce principe est vu comme une garantie contre l’arbitraire étatique en matière pénale.

Il impose que soient clairement distinguées les actions permises des actions interdites. Ce principe est tiré de
l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 « Nul ne peut êtrepuni qu’en vertu d’une
loi établie et promulguée antérieurement au délit et légalement appliquée » etde l’article 34 de la Constitution
de 1958 (« La loi fixe (…) la détermination des crimes et délits ainsi que les peines qui leurs sont applicables »).

Ce principe implique d’abord la présence d’un texte (« pas de poursuite sans texte ») mais surtout la clarté du
texte.

Le Conseil constitutionnel souligne « la nécessité pour le législateur de définir les infractions en termes
suffisamment clairs et précis pour exclure l’arbitraire » (CC 20 janvier 1981, décision n°80-127DC, Sécurité et
liberté).

B. Le principe de la non-rétroactivité de la loi pénale


Ce principe se retrouve à l’article 9 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 :

« Nul ne peut être puni qu’en vertu d’une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement
appliquée » et l’article 7 de la Convention européenne « nul ne peut être condamné pour une action ou une
omission qui, au moment où elle a été commise, ne constituait pas une infraction d’après le droit national ou
international ».

L’exigence ne vaut que pour les lois de fond car les lois de procédure pénale sont d’application immédiate.

Ce principe connaît une exception : il est possible d’appliquer rétroactivement une loi pénale plus douce.

104
C. Le principe de proportionnalité et de nécessité des sanctions

Ce principe est également tiré de l’article 9 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : « La
loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires ».

Lorsque le législateur détermine la peine attachée à une incrimination, son choix ne fait l’objet que d’un contrôle
restreint : en France, le Conseil Constitutionnel estime « qu’il ne lui appartient pas de substituer sa propre
appréciation à celle du législateur en ce qui concerne la nécessité des peines attachées aux infractions définies
par celui-ci » mais se réserve la capacité de censurer des « dispositions législatives prévoyant des peines
manifestement disproportionnées par rapport aux faits reprochés » (CC, Décision DC n°80-127, 20 janvier 1981,
Sécurité et liberté).

Cette double exigence est également applicable au moment du prononcé de la peine, lorsque le juge pénal fixe
la peine : le Code pénal fixe des sanctions maximales que le juge doit moduler en fonction des circonstances de
l’espèce.

Au-delà de ces principes, le droit organise des garanties procédurales pour assurer la protection de la sûreté.

II. LES GARANTIES PROCÉDURALES

A. Les contrôles et vérifications d’identité


Le contrôle d'identité consiste pour un agent de la force publique (des fonctionnaires civils de police aux
militaires de la gendarmerie) de demander à une personne de justifier de son identité civile.

Cet acte est réalisé sous la responsabilité d’un officier de police judiciaire.

Cette opération peut être opérée par tout agent de police judiciaire. Dès lors, les policiers municipaux
ou les adjoints de sécurité ne peuvent procéder qu’à des relevés d’identité.

Une opération de relevé d’identité ne permet pas l’usage de la force coercitive en cas de refus de la personne
(Conseil Constitutionnel, 10 mars 2011, DC n°2011-625 DC, LOPPSI 2).

Le champ d’application matériel des contrôles d’identité s’est élargi avec le temps. Le contrôle d’identité était
d’abord réservé aux infractions flagrantes. Le champ d’application matériel fut élargi pour dédoubler cet aspect.

On distingue aujourd’hui les contrôles à caractère répressif et les contrôles à caractère préventif.

1. Les contrôles à caractère répressif


Les contrôles de police judiciaire à caractère répressif sont ceux visant le contrôle de l'identité d'une personne à
l'égard de laquelle il existe « une ou plusieurs raisons plausible de soupçonner qu'elle a commis ou tenté de
commettre une infraction, qu’elle se prépare à commettre un crime ou un délit, qu’elle est susceptible de fournir
des renseignements utiles à l’enquête en cas de crime ou de délit ou qu’elle a fait l’objet de recherche ordonnée
par l’autorité judiciaire » (Code de procédure pénale, article 78–2).

Cette possibilité a été étendue en 1993 : depuis cette date, le procureur de la République peut également, sur
réquisition écrite, ordonner des contrôles d’identité pour la recherche et la poursuite de certaines infractions
dans un lieu et un temps qu’il précise (Code de procédure pénale, article 78– 2 alinéa 6).

C’est notamment sur cette base que sont organisées des opérations de contrôle dans des lieux de
rassemblements comme les gares ou les stations de métro.

105
Ces opérations sont constitutionnelles d’après une décision « Contrôle et vérification d’identité » du 5 août 1993
du Conseil Constitutionnel. Le Conseil constitutionnel s’est fondé sur la qualité de magistrat du procureur de la
République pour justifier la constitutionnalité de ces mesures.

Le défenseur des droits critique ce type de contrôle au motif qu’il s’enchaîne souvent systématiquement et
aboutit à la généralisation dans certaines zones de la pratique de contrôle d’identité discrétionnaire.

Le Conseil constitutionnel a précisé que les contrôles d’identité de l’article 78–6 alinéas 6 du Code de procédure
pénale ne peuvent se transformer en cumul de réquisitions portant sur des lieux ou des périodes différents
caractérisant ainsi une pratique de contrôle d’identité généralisés (Cons const., 24janv. 2017, décision n°2016-
606/607 QPC).

Dans ce cadre, la Cour de cassation établit que des autorisations données pour des périodes limitées de 8 à 12h
qui sont espacées entre elles de plus de 24 heures échappent à cette qualification de contrôle généralisé
(Décision de la première chambre civile, 5 septembre 2018, n° 17–22. 07).

2. Les contrôles à caractère préventif


Les contrôles de police administrative ont un caractère préventif. Le but est de prévenir une atteinte à l’ordre
public, notamment une atteinte à la sécurité des personnes et des biens (Code de procédure pénale, article 78–
2 alinéa 7).

Cette forme de contrôle d’identité instauré en 1993 a suscité une réserve d’interprétation de la part du Conseil
constitutionnel face à l’imprécision de la disposition législative : « s’il est loisible au législateur de prévoir que le
contrôle d’identité d’une personne peut ne pas être lié à son comportement, il demeure que l’autorité concernée
doit justifier, dans tous les cas, des circonstances particulières établissant le risque d’atteinte à l’ordre public qui
a motivé le contrôle ; (…) Ce n’est que sous cette réserve d’interprétation que le législateur peut être regardé
comme ayant pas privé de garantie légale l’existence de libertés constitutionnellement garanties » ; notamment
car « la pratique de contrôle d'identité généralisée et discrétionnaire serait incompatible avec le respect de la
liberté individuelle » (Conseil constitutionnel, 5 août 1993, décision numéro 93–323, contrôle et vérification
d'identité).

3. Les contrôles spécifiques


À ces hypothèses générales s’ajoutent des contrôles spécifiques qui peuvent être réalisés :
- Dans certaines zones géographiques telles que les frontières ou certaines portions du territoire
de Guyane d’après l’article 78–2 al. 10 du Code de procédure pénale ;
- Ou à l’égard de catégories spécifiques de personnes comme les conducteurs de véhicules automobiles
ou les étrangers qui doivent toujours pouvoir justifier de la régularité de leur séjour sur le territoire
français d’après le Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile à l’article L. 611–1.

Certains contrôles administratifs spécifiques ont été élargis par la Loi sécurité intérieure et lutte contre le
terrorisme, n° 2017–15 10 du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme.

Ces contrôles administratifs sont désormais permis en bord de ports, aéroports et gares ferroviaires ou routières
ouvertes au trafic international pendant des durées pouvant aller jusqu’à 12 heures successives. Ces contrôles
sont permis également dans un rayon de 10 km maximum autour de ports et aéroports constituant des points
de passage frontaliers. L’arrêté du 18 du 28 décembre 2018 liste les ports concernés. Pour certains d’entre eux,
les contrôles sont permis sur la totalité ou la quasi- totalité de la ville correspondante (par exemple Roscoff). Cet
aspect législatif fut justifié au nom de lalutte contre le terrorisme. De facto, ces conditions permettent un plus
large contrôle des flux migratoires…

De manière générale, si la personne contrôlée refuse de justifier son identité, ou bien se retrouve dans
l’impossibilité de le faire, l’officier de police judiciaire procède à une vérification d’identité avec rétention
inférieure à 4h.

106
La vérification d’identité constitue un début de contrainte par corps ; et donc entraîne un renforcement des
droits de la personne particulièrement si la procédure débouche sur une garde à vue.

Les opérations de contrôle d’identité suscitent plusieurs débats autour des pratiques discriminatoires auxquelles
elles peuvent donner lieu. Une étude de 2009 (par les Centre de recherche sociologique sur le droit et les
institutions pénales et CNRS : « police et minorités visibles : les contrôles d’identitéà Paris ») démontre que les
jeunes arabes ou noirs ont deux à 15 fois plus de chance d’être contrôlés qu’un jeune blanc dans les espaces
publics. Certaines pistes existent pour lutter contre ces pratiques discriminatoires comme par exemple le décret
n° 2017–636 du 25 avril 2017 qui impose dans certaines villes l’activation de la caméra piétonne de l’officier à
chaque contrôle d’identité.

La Cour de cassation a pu établir qu’il y avait une faute lourde de l’État « lorsqu’il est établi qu’un contrôle
d’identité présente un caractère discriminatoire ». La Cour a précisé que « tel est le cas notamment, d’un contrôle
d’identité réalisé selon des critères tirés des caractéristiques physiques associé à une origine, réelle ou supposée,
sans aucune justification objective préalable » (Cour de cass., Ch. crim., 9 novembre 2016, n° 15–25.873).

Par la suite le Conseil constitutionnel a précisé le cadre des contrôles sur réquisition du procureur par des
réserves d'interprétation. Il a ainsi prévu la nécessité pour le procureur de retenir des lieux et périodes en lien
avec la recherche des infractions visées dans ces réquisitions.

Le Conseil a également précisé que « la mise en œuvre des contrôles ainsi confiée par la loi à des autorités de
police judiciaire doit s'opérer en se fondant exclusivement sur des critères excluant toute discrimination de
quelque nature que ce soit entre les personnes » (CC, 24 janvier 2017, décision n°2016-606/6°7 QPC, Contrôle
d’identité sur réquisition du Procureur).

Alors le problème majeur sera celui des éléments de preuve.

La Cour de cassation a organisé un revirement de la charge de la preuve : « il appartient à celui qui se prétend
victime d'apporter des éléments de faits de nature à traduire une différence de traitement laissant présumer
l’existence d’une discrimination, et le cas échéant, à l’administration de démontrer soit l’absence de différence
de traitement, soit que celle-ci est justifiée par des éléments objectifs, étrons étrangers à toute discrimination »
: (Cour de Cass., Ch. crim., 9 novembre 2016, n° 15–25. 873).

Concernant les étrangers, l’article L812-2 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile dans
sa version en vigueur depuis le 1er mai 2021 (ancien article L611-1) autorise les services de police, à la suite un
contrôle d’identité, à requérir la présentation des documents sous le couvert desquels une personne de
nationalité étrangère est autorisée à circuler ou séjourner en France.

Ces contrôles sont subordonnés à la constatation préalable de la qualité d’étranger, cette dernière devant se
traduire par « des éléments objectifs extérieurs à la personne même de l’intéressé et ne saurait résulter de la
couleur de la peau ainsi le fait d’être né à l’étranger et ne pas répondre aux questions relatives à sa date de
naissance ne constitue pas un élément objectif d’étude des circonstances extérieures de la personne susceptible
de présumer la qualité d’étranger » (Cour de Cass., Civ. 1ère , 28 mars 2012, n°11-11.099)

B. La garde à vue
La garde à vue est une mesure de privation de liberté prise par un officier de police judiciaire pour maintenir à la
disposition des enquêteurs une personne soupçonnée d'avoir commis un crime ou un délit. La procédure est
encadrée par l'article 62–2 du Code de procédure pénale.

La durée de la garde à vue est posée à 24 heures en principe.Elle peut être prolongée :
- Jusqu’à 48 heures par le procureur de la république si la peine encourue et d'au moins un an
d'emprisonnement ;
- Jusqu’à 72 heures pour les affaires particulièrement complexes grave ;
- Jusqu’à 96 ou 120 heures en cas de risque terroriste.
107
La prolongation est décidée par le juge des libertés de la détention ou le juge d'instruction. En tant que mesures
coercitives, la garde à vue doit être employée exceptionnellement.

L’article 62–2 du Code de procédure pénale indique que la garde à vue « doit constituer l’unique moyen » de
parvenir à certains objectifs, comme celui d’empêcher que la personne ne modifie les preuves, ne fuie ou ne
consulte ses complices. Les statistiques traduisent une forte augmentation du nombre de gardes à vue passant
de 300.000 par an en 2001 à plus de 800 000 par an en 2009 !

Ces données peuvent s'expliquer par la qualification du nombre de garde à vue comme des indices de
performance des commissariats, ce qui aurait poussé les forces de l'ordre à les multiplier.

La procédure de garde à vue était utilisée dans le cadre des procédures de reconduite à la frontière d’étrangers
en situation irrégulière, avant que la Cour de justice de l’Union européenne et la Cour de cassation ne déclarent
cette pratique illégale (Arrêt de la CJUE du 28 avril 2011, El Dridi ; Avis de la Ch. Crim de la Cour de cass. du 5
juin 2012). Depuis 2011, les chiffres sont retombés aux environs de 350 000 gardes à vue annuelles.

La garde à vue a commencé à être réglementée en 1958, son régime fut modifié en 1993 et refondé en 2011.
Ces modifications sont intervenues à la suite de condamnations de la France par la Cour européenne des droits
de l’homme. Progressivement des droits ont été reconnus pour les personnes gardées à vue : elles ont le droit
de garder le silence, la possibilité de téléphoner, de consulter un médecin, ou de bénéficier d’un interprète.

La question du droit à un avocat est aujourd’hui réglée, à l’issue de plusieurs décisions européennes et
constitutionnelles.

En 1992, la France s’est fait condamné par la Cour européenne des droits de l’homme pour le risque de
manipulations, voire de sévices qui peuvent avoir lieu dans un espace clos sans avocat (CEDH, 26 juin 1992,
Tomasi contre France). Ensuite la Cour a considéré que « l’équité de la procédure requiert que l’accusé puisse
obtenir toute la vaste gamme d’interventions qui sont propres au conseil. À cet égard, la discussion de l’affaire,
l’organisation de la défense, la recherche des preuves favorables à l’accusé, la préparation des interrogatoires, le
soutien de l’accusé en détresse et le contrôle des conditions de détention sans des éléments fondamentaux de la
défense que l’avocat doit librement exercer » (CEDH, 14 octobre 2010 Brusco contre France).

Le Conseil constitutionnel a considéré en 2010 la censure de certaines dispositions du régime de la garde à


vue. En visant l’article 9 (« tout homme étant présumé innocent jusqu'à ce qu'ils ait été déclaré coupable, s'il est
jugé indispensable de l'arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s'assurer de sa personne doit être
sévèrement réprimée par la loi ») et l'article 16 de la Déclaration de 1789 duquel le Conseil a déduit la garantie
des droits de la défense, il a considéré que la garde à vue impliquait le droit à l’assistance effective d’un avocat
ainsi que le droit à garder le silence. (Décision QPC, Garde à vue, 30 juillet 2010, n° 2010–14/22).

Enfin la Cour de cassation a affirmé en Assemblée plénière que « pour que le droit un procès équitable consacré
par l’article 6 §1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales soit effectif
et concret, il faut, en règle générale, que la personne placée en garde à vue puisse bénéficier de l’assistance d’un
avocat dès le début de la mesure et pendant ses interrogatoires » (Cour de cassation, Ass., 15 avril 2011, numéro
10–17.049).

Ces décisions ont conduit à l'adoption de la loi portant réforme de la garde à vue en 2011 suivie par une Loi de
2014 portant transposition de la directive 2012/13/IE du 22 mai 2012 relative au droit à l'information dans le
cadre des procédures pénales.

Aujourd’hui les article 63–1 et suivants du Code de procédure pénale précisent que « dès le début de la garde à
vue la personne peut demander à être assisté par un avocat » qui sera éventuellement commis d'office.

108
Alors sont soulevées de nouvelles questions.

D'abord celle de l'effectivité des droits de la défense en garde à vue. L’avocat n’aura pas accès à l’ensemble des
documents nécessaires à la préparation de la défense. Cette restriction ou exceptiona été validée par le Conseil
constitutionnel (QPC, Garde à vue II, 18 novembre 2011, n°2011-191) etla Cour de cassation (Crim, 19 septembre
2012, n°11-881111).

Une autre critique porte sur l’exclusion des juges du siège de la procédure de garde à vue : cette mesure privative
de liberté, d’une durée assez longue, est entièrement placée sous le contrôle du procureur de la République
d’après l’article 62–3 du Code de procédure pénale. C’est le Procureurqui apprécie la nécessité de la mesure
et « assure la sauvegarde des droits reconnus par la loi à la personne gardée à vue ».

Or, cet aspect semble aller contre la protection due au titre de la Convention européenne. En effet, l’article 5 de
la Convention européenne dispose que « toute personne arrêtée (…) doit être aussitôt traduite devant un juge »
; supposant que « le magistrat qui contrôle la légalité de la privation de liberté doit présenter les garanties
requises d’indépendance à l’égard de l’exécutif et des parties cequi exclut notamment qu’il puisse agir par la
suite contre le requérant dans la procédure pénale à l’instar du ministère public » (CEDH , 29 mars 2010
Medvedyev et autres contre France).

C. La détention provisoire
La détention provisoire est vue par certains auteurs comme le « summum de l'atteinte à la sûreté »(Stéphane
Hennette Vauchez, Diane Roman).

Par définition elle concerne une personne innocente privée de liberté parfois pendant des mois dans l'attente de
son jugement.

Cette situation a suscité en 2000 la création d’un juge spécifique : le juge des libertés de la détention créé par
la loi L. n°2000–516 du 15 juin 2000 relative à la présomption d’innocence et aux droits des victimes.

Ce juge décide du placement en détention provisoire dans des conditions limitative énumérées à l’article
144 du code de procédure pénale.

Elle ne peut intervenir qu’en dernier ressort si d’autres mesures moins coercitives comme le placement sous
contrôle judiciaire ou l’assignation à résidence avec surveillance électronique ne sont pas envisageables, et
dans certains cas précis tels que :
- La conservation des preuves ;
- La protection des témoins aux victimes ;
- la protection de la personne mise en examen de certaines mesures de rétorsion ;
- Le risque de fuite ;
- En matière criminelle, lorsqu’il s’agit de « mettre fin au trouble exceptionnel et persistant à l’ordre
public provoquée par la gravité de l’infraction, les circonstances de sa commission ou l’importance du
préjudice qu’elle a causé » - toutefois la loi ajoute que ce trouble « ne peut résulter du seul
retentissement médiatique de l’affaire ».

Bien que supposément exceptionnelle, la détention provisoire est un mécanisme largement répandu.En effet,
on estime que 25% des personnes incarcérées sont en détention provisoire.

109
FICHE N°12 : LA VIE PRIVÉE ET LA PROTECTION DE L’INTIMITÉ

Résumé :

La notion de vie privée est largement bousculée par le développement technologique ; entre l’enchevêtrement
des niveaux de protection de la vie privée (droit national, européen, international) et la porosité de la frontière
entre les informations publiques et privées, il convient de réaffirmer les bases juridiques de la protection de la
vie privée de manière contemporaine, scientifique et raisonnée.

Notions abordées dans la fiche :

- Inviolabilité du domicile
- Protection des données personnelles
- Secret des correspondances
- RGPD
- Droit à l’image
- Internet

110
Au niveau international, le droit à la vie privée est consacré à l'article 12 de la Déclaration universelle des droits
de l’homme, l'article 17 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, l'article 8 de la Convention
européenne des droits de l’homme, l'article 7 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et
l’article 11 de la Convention interaméricaine des droits de l’homme.

En droit français, l’article 9 du Code civil prévoit depuis 1970 que « chacun a droit au respect de sa vie privée ».
Notons qu’aucun texte du bloc de constitutionnalité n’affirme la valeur constitutionnelle du droit à la vie privée.
Le Conseil constitutionnel déduit cette valeur de l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen,
et fait de la vie privée une composante de la liberté personnelle (Décision numéro 94–352 du 18 janvier 1995,
Sécurité ; Décision numéro 99–419 du 9 novembre 1999, Pacs).

I. L’ÉLARGISSEMENT CONTINU DE LA NOTION DE « VIE PRIVÉE », GARANT DE


LA PROTECTION CONTEMPORAINE DES INDIVIDUS

A. La protection de la vie privée


Selon l'expression du doyen Carbonnier, la protection de l'intimité de la personne révèle une « sphère
secrète de vie d'où il aura le pouvoir d'écarter les tiers »

La vie privée peut d'abord être entendue comme l'intimité. Au fur et à mesure et sous l'influence de la
jurisprudence européenne ont été incluses la liberté relationnelle de la personne, la protection des choix de vie,
ainsi que de l'identité de la personne.

La protection de la vie privée s’applique à toute personne :

« [T]oute personne, quel que soit son rang, sa naissance, sa fortune, ses fonctions présentes ou à venir, a droit
au respect de sa vie privée » (Cour de cassation, Chambre civile première, 23 octobre 1990, numéro 89–13. 163).

La mort n’interrompt pas le respect dû à la personne ; le droit prévoit le respect des « dernières volontés »
pouvant porter sur les biens (le testament) ou le devenir de la dépouille mortelle (la liberté des funérailles). Le
Code pénal ainsi que les principes déontologiques fondamentaux (Conseil d’État, assemblée, 2 juillet 1993,
Milhaud) commandent le respect dû au cadavre. Pour autant, le droit d’action lié au respect de la vie privée
s’arrête au décès : « le droit d'agir pour le respect de la vie privée s’éteint au décès de la personne concernée,
seul le titulaire de ce droit » (Cour de cassation, Première chambre civile, 14 décembre 1999 ; CEDH, 15 mai
2006, Mortensen contre Danemark).

Si « est illicite tout immixtion arbitraire dans la vie privée d'autrui » (Cour de Cass., 1ère Ch. Civ., 6 mars 1996
numéro 94–11.273), le droit au respect de la vie privée n'est pas un droit absolu. Le droit prévoit des ingérences
justifiées au nom, par exemple, de la liberté d’expression et d’information, de la protection des tiers ou de la
lutte contre la criminalité et le terrorisme. Il convient toujours de rechercher un équilibre entre les différentes
libertés mises en jeu.

B. Le contenu de la vie privée


La Cour européenne des droits de l’homme a pu énoncer dans son arrêt Pretty contre Royaume-Uni du 29 avril
2002 que la notion de vie privée est « large, non susceptible d'une définition exhaustive ».

Les juges européens en ont une conception extensive ; allant des éléments composant l’intimitéjusqu’aux
éléments composant la faculté de chaque personne d’orienter sa vie comme elle l’entend.

111
Le droit à la vie privé englobe :

- L’intégrité physique et morale de la personne (CEDH, 26 mars 1985, X et Y c/ Pays-Bas) qui permet de
protéger les atteintes à l’intégrité de la personne qui ne relève pas de l’article 3de la Convention
européenne en raison de leur faible gravité. Par exemple, les fouilles personnelles approfondies sur la
voie publique.

- La liberté de la vie sexuelle (26 mars 1985, X et Y c/ Pays-Bas) qui comprend la liberté de chacun d'avoir
les relations sexuelles de son choix. Dès lors est interdite la répression pénale de l'homosexualité (CEDH,
22 octobre 1981, Dadju contre Royaume-Uni) ou l'adoption de mesures discriminatoires en raison du
sexe ou fondée sur l’orientation sexuelle (CEDH, 21 décembre 1999 Salgueiro da silva mouta c/
Portugal). Est autorisé le changement d’identité sexuelle d’une personne (CEDH, 10 mars 2015, Y. Y
contre Turquie). Néanmoins, les pratiques sexuelles qui pourraient aboutir à de graves lésions ou
blessures peuvent être condamnées par des poursuites pénales (CEDH, 19 février 1997, Iaskey, Jaggard
et Brown c/ Royaume- Uni).

- Le droit au secret médical (CJCE, 8 avril 1992, Commission c/ RFA) et son corollaire, le droit de tenir son
état de santé secret (CJCE, 5 octobre 1994 X c/ Commission).

- Le droit pour l’individu de nouer et de développer des relations avec ses semblables ce qui couvre
notamment les relations de travail et les relations de société (CEDH, 16 décembre 1992, Niemietz c/
Allemagne).

- Le droit à l’identité (CEDH, 2 février 1994 Burghartz c/ Suisse). Ce droit se décline en un droit à l’identité
personnelle (dont le droit au nom (CEDH 22 février 1994 Burghartz c/ Suisse), le droit au prénom (CEDH
24 octobre 1996, Guillot c/ France), et le droit à l’établissement d’un lien de filiation pour tout enfant
(CEDH 24 juin 2015 Ménmesson et Labassée c/. France)) et un droit à l’identité sexuelle (CEDH Gr Ch 11
juillet 2002 Christine Goodwin c/ Royaume-Uni) qui garantit le droit à l’autodétermination sexuelle
(CEDH, 12 Juin 2004, An Kock c/ Allemagne) et impose aux autorités publiques de respecter le choix des
personnes souhaitant changer de sexe en modifiant par exemple leur état civil après une opération
ayant cet objet (CEDH, 25 mars 2002, Botella c/ France).

- Le droit à un environnement sain (CEDH, 9 décembre 1994, Lopez Ostra c/ Espagne).

- Le droit à l’autonomie personnelle (CEDH, 29 avril 2002, Pretty contre Royaume-Uni).

De manière générale, la notion de « vie privée » s’est sans cesse élargie. Le droit sur ce point s’adapte aux
évolutions de la société. Il n’est pas possible d’arrêter une liste précise. Outre les composantes citées ci-dessous,
nous pouvons nous concentrer sur certaines hypothèses spécifiques.

II. LES ÉMANATIONS DE LA PROTECTION DE LA VIE PRIVÉE

A. La protection du domicile

« Domicile. Absolument inviolable. Cependant, la justice et la police y pénètrent quand elles leveulent » - G.
Flaubert, Dictionnaire des idées reçues.

D’après l’article 102 du Code civil, le domicile est le lieu où la personne a son principal établissement.Au sein de
la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, il est le lieu privilégié de l’intimité (CEDH, 24
novembre 1986, Gillow contre Royaume-Uni), un espace physiquement déterminé où se développe la vie
privée et familiale (CEDH, 16 novembre 2004 Moreno Gomezcontre Espagne), et mérite une protection
particulière que traduit le principe de l’inviolabilité du domicile.

112
L’inviolabilité du domicile ne se limite pas au domicile légal entendu comme le lieu de vie effectif d’une
personne. La protection bénéficie également au véhicule personnel (Décision du Conseil constitutionnel du 12
janvier 1977, Fouilles de véhicules ; CE, 2 décembre 1983 Ville de Lille c/ Ackerman), au domicile principal (CC, n°
83–164 du 29 décembre 1983, loi de finances pour 1984), à la résidence secondaire, au domicile professionnel
des personnes physiques (CEDH, 16 décembre 1992, Niemietz contre Allemagne) ou des personnes morales
(CEDH, 16 avril 2002 Sociétés Colas Est et autres c/ France).

Ce principe connaît des aménagements pratiques pour composer avec les nécessités de la répression pénale.
Ainsi des ingérences des pouvoirs publics telles que les fouilles de véhicules ou les perquisitions domiciliaires
peuvent être jugées nécessaires dans une société démocratique (CEDH, 28 octobre 1994, Murray contre
Royaume-Uni).

Dans un tel cas, pour que l’ingérence ne soit pas constitutive d’une atteinte au respect du domicile, elle ne doit
pas être disproportionnée par rapport au but légitime poursuivi et doit être entourée de garanties suffisantes
(CEDH, 25 février 1993, Funke, Crémieux et Miailhe c/ France), et doit être autorisée et contrôlée dans son
déroulement par l’autorité judiciaire dans le respect des droits du requérant (CEDH, 30 mars 1989, Chapell.
contre Royaume-Uni).

Le libre usage du domicile est en principe hors de portée du pouvoir de réglementation des autoritésde police
administrative tant qu'il n'a pas de répercussion sur le maintien de l'ordre public. Le respect du domicile interdit
également à toute personne d’y pénétrer sans le consentement de celui qui l’habite ou le possède.

Il s'agit d'un principe absolu à l'égard des particuliers qui fait donc peser sur les autorités publiques l'obligation
positive de prendre les mesures nécessaires pour protéger la liberté du domicile dans les rapports entre
personnes de droit privé sous peine de sanctions (CEDH, 20 avril 2004, Surugiu contre Roumanie). Secret
professionnel ?

Certaines professions bénéficient de garanties supplémentaires afin d’assurer le secret professionnel ; c’est le
cas des avocats, des notaires, des huissiers et des médecins pour qui les perquisitions doivent répondre à des
conditions plus strictes (cf. Code de procédure pénale, article 56).

La protection de l’hospitalité du domicile ?

Pour certains auteurs l'encadrement des nuisances environnementales et des troubles du voisinage démontre
une tendance à la protection de l'hospitalité du domicile.

La Cour européenne des droits de l’homme lie le respect du domicile et la protection contre les nuisances
qu’elles soient le fait d’ingérences matérielles ou immatérielles comme les bruits, les émissions, les odeurs et
autres. Dès qu’elles atteignent un certain seuil de gravité, la Cour peut considérer qu’elles entravent la
jouissance du domicile (CEDH, Moreno Gomez c/ Espagne, 16 novembre 2004).

Cette protection existe lorsqu’un domicile existe. Elle n’englobe pas encore un « droit au logement ».

B. L’inviolabilité des correspondances

Tout ingérence dans les correspondances d’un individu constitue une immixtion dans son intimité, qui recouvre
ses échanges épistolaires comme téléphoniques ou électroniques.

Ce principe est consacré de manière expresse à l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme.

La protection de la vie privée vaut pour la correspondance quel que soit son support dans un mondecaractérisé
par le développement des modes de communication.

113
Sont protégés les correspondances orales, surtout téléphoniques (CEDH, 2 août 1984, Malone c/ Royaume-Uni),
et les correspondances écrites, sur papier ou électronique (la loi du 10 juillet 1991 sur le secret des
correspondances émises par voie de communication électronique a fait suite à la condamnation de la France par
la Cour européenne dans les arrêts Kruslin et Huvig du 24 avril 1990).

La protection des correspondances est relative. Le droit au secret des correspondances est particulièrement
protégé dans les relations nouées par les avocats et leurs clients - voir dans ce sens la loi française du 31
décembre 1971. Il est possible de considérer que la vie privée intègre de plus en plus le droit au secret
professionnel (Conseil d’État, 10 avril 2008, Conseil national des barreaux). A l’inverse, le droit au secret des
correspondances est relativement plus faible dans le cas des détenus pour qui, pour des motifs de sécurité,
l’administration pénitentiaire peut intercepter les communications.

Le droit au respect de la correspondance garantit l'interdiction des interceptions de conversations échangées


entre personnes à moins que les exigences de la répression pénale ou de la prévention justifient des exceptions,
dans le cadre particulier d'une enquête judiciaire visant à confondre les auteurs d'infractions, ou d'une opération
avalisée par le Premier ministre visant à recueillir des renseignements intéressant la sécurité nationale, la
sauvegarde des éléments essentiels du potentiel scientifique et économique de la France, ou la prévention du
terrorisme (Art. 4 de la loi de 1991). De telles interceptions judiciaires, pour qu’elles ne constituent pas des
ingérences illégales dans le droit au respect de la correspondance, doivent être prévues par la loi, elles doivent
poursuivre un but légitime et nécessaire dans une société démocratique (CEDH, 6 septembre 1978 Klass contre
Allemagne).

Au-delà de cette obligation négative de ne pas porter atteinte au droit au respect de la correspondance, pèse
sur l'État l'obligation positive de prendre les mesures nécessaires pour faire respecter ce droit dans le cadre des
relations interindividuelles (CEDH, 17 juillet 2003, Craxi contre Italie), cadre dans lequel les écoutes sont
strictement illégales et se présentent comme des ingérences dans le droit au respect de la vie privée.

C. Le droit à l’image

L’image d’une personne est le reflet de son intimité et bénéficie d’une protection aussi ancienne que les procédés
de captation de l’image.

Le développement des médias a entraîné une évolution jurisprudentielle. Le juge civil français,comme la Cour
européenne des droits de l’homme, affirme que « la publication de photographie représentant une personne
pour illustrer des développements attentatoires à sa vie privée porte nécessairement atteinte à son droit au
respect de son image » (Cour de Cass., Ch. Civ. 1ère, 16 mai 2012 numéro 11–18.449).

Les atteintes au droit à l’image sont sanctionnées par voie pénale (Code pénal, article 226–1).

Cette protection justifie l’interdiction de la diffusion dans la presse de photos des compagnes successives d’un
Président de la République (TGI Paris, 4 septembre 2012, V Trierweiler c. VSD ; Trib. Corr. Nanterre, 2 septembre
2014, J Gayet c/ Closer) mais également la protection des anonymes (une société a pu être condamnée
pour avoir exploité une photographie représentant une ancienne salariée sans son accord : TGI Nanterre, 24
novembre 2011, S. Smoun contre Homebox SA).

Le droit à l'image doit être concilié avec le droit à l'information du public. La Cour européenne et la Cour de
cassation estiment que « les droits au respect de la vie privée et à la liberté d'expression revêtant, eu égard aux
articles 8 et 10 de la Convention européenne et 9 du Code civil, une identique valeur normative, imposent le devoir
au juge saisi de rechercher leur équilibre et, le cas échéant, de privilégier la solution la plus protectrice de l’intérêt
le plus légitime » (Cour de cassation, Première chambre civile, 9 juillet 2003, numéro 00–20.289).

D. Le droit à la vie privée face au numérique

L’Habeas Data à la française, ou la loi informatique et libertés du 6 janvier 1978, prévoit en son article premier
que « l’informatique doit être au service de chaque citoyen, porter atteinte ni à l’identité humaine, ni aux droits
de l’homme, ni à leur vie privée ni aux libertés individuelles ou publiques ».
114
Cette loi inspira la Convention 108 du Conseil de l’Europe pour la protection des personnes à l’égard du
traitement automatisé des données à caractère personnel du 29 janvier 1981 qui constitue l’instrument
de référence du Conseil de l’Europe en la matière. La jurisprudence européenne l’a souvent repris (e.g.
CEDH, 4 déc. 2008, S et Marper c. RU).

En France aujourd’hui le texte de référence de 1978 fut largement revisité par trois lois ; en 2004 (Loi n°2004-575
pour la confiance dans l’économie numérique), en 2016 (loi numéro 2016–1003 cents 21 du 7 octobre 2016 pour
une république numérique) et en 2018 (loi numéro 2018–493 relative à la protection des données personnelles).
Ces textes furent complétés par l’ordonnance n° 2008–11 25 du 13 décembre 2018 transposant le règlement
numéro 2016/679 générale relatif à la protection des données – le RGPD.

Le RGPD pose le principe de la licéité des traitements de données personnelles (fichiers) dès lors que les
personnes y ont consenti, qu’ils sont nécessaires et ne portent pas sur des données en principe interdites.

L’article 9 prévoit : « le traitement des données à caractère personnel qui révèle l’origine raciale ou ethnique, les
opinions politiques, les convictions religieuses ou philosophiques ou l’appartenance syndicale, ainsi que le
traitement des données génétiques, des données biométriques au fin d’identifier une personne physique de
manière unique, des données concernant la santé ou des données concernant la vie sexuelle ou l’orientation
sexuelle d’une personne physique sont interdits ».

Le RGPD définit ce que sont les données à caractère personnel : toute information permettant d’identifier une
personne physique « directement ou indirectement notamment par référence à un identifiant, tel qu’un nom, un
numéro identification, des données de localisation, un identifiant en ligne, ou à un ou plusieurs éléments
spécifiques propres à son identité physique, physiologique, génétique, psychique, économique, culturel ou social »
(Art. 4).

Le RGPD reconnaît différents droits des personnes en matière de protection de données : la transparence,
l’information, la rectification, l’opposition, et le droit au recours.

E. Internet et la surveillance des individus

Avec la généralisation d’accès à Internet et la banalisation de ses usages, un nombre impressionnant


d’informations est involontairement laissé par les utilisateurs : smartphone, GPS intégré, cookies sur les disque
dur, logiciel utilisant la biométrie, usage de multiples réseaux sociaux, utilisation de logiciels utilisant les fonctions
de reconnaissance sophistiquées telles que la reconnaissance faciale, etc…. La liste est longue des innovations
technologiques permettant de tracer les personnes.

La traçabilité des internautes s'explique d'abord par le fait qu'ils sont sans cesse invités à indiquerleur âge,
profession, statut, etc.

Il n'est pas toujours clairement indiqué - ou compréhensible - la manière dont ces informations peuvent être
conservées, échangées ou partagées par les sites qui les recueillent.

De fait, Internet est un espace public, où la vie privée entre en concurrence avec des enjeux économiques et
sécuritaires. On note dans la position de la Cour européenne un certain fatalisme face à l’utilisation par les
justiciables d’Internet : une fois connecté à Internet, il est difficile pour un individu de prétendre jouir d’une
protection effective de sa vie privée (CEDH, 13 novembre 2007 Muscio c/ Italie).

L'utilisation d'Internet s'inscrit dans un certain paradoxe dans lequel les citoyens s'opposent à une utilisation
commerciale de leurs données personnelles dans le même temps qu’ils recourent toujours plus abondamment
au service de réseaux sociaux gratuits, au service de publicité ciblée, et à l’utilisation de logiciels intrusifs de leur
vie privée. Si dans ce paradoxe l’internaute est un client, la moindre des garanties qui pourrait lui être donnée
est celle de pouvoir retirer ses informations lorsqu’il le souhaitera, ce qui n’est pas toujours, à l’heure actuelle,
possible.

115
F. La surveillance des informations sur internet intéresse les pouvoirs publics

D’abord pour la question de la répression de la cybercriminalité (fraude à la carte bancaire, mise en péril des
mineurs, attaque à la propriété intellectuelle… voir notamment la loi numéro 2011–267 du 14 mars 2011, LOPPSI
2).

Ensuite pour celle de la lutte contre la fraude fiscale ; par exemple, l’article 154 de la loi de finances pour 2020
permet aux services fiscaux et douaniers de collecter et scanner les données des contribuables français sur les
réseaux sociaux et les plates-formes de commerce en ligne afin de déceler certaines fraudes au moyen de
programmes informatiques de surveillance généralisée.

Sur ce point, la CNIL avait rendu un avis négatif mettant en garde contre ce système intrusif et peu efficace en
septembre 2019. Pourtant, le Conseil constitutionnel a validé ce procédé par la décision numéro 2019–796 du
27 décembre 2019.

G. La protection des données personnelles en situation de crise sanitaire


exceptionnelle
Avec le développement des moyens de communication, il est apparu nécessaire de formuler des droits
individuels contre les usages numériques qui peuvent être faits de leur identité, adresse, photographie, données
biométriques, informations de déplacement ou de consommation, etc.

Dans les années 1970, des droits ont été reconnus de manière segmentée : droit à l’information,droit
d’accès et de rectification aux données contenues dans les fichiers, etc. Aujourd’hui, ces droitssont englobés
sous le « droit à la protection des données personnelles » : « toute personne a droit àla protection des données
à caractère personnel la concernant » (Charte des droits fondamentaux de l’UE, art. 8).

La loi du 6 janvier 1978 fut adoptée en vue de protéger « les droits de la personne face au danger résultant des
fichiers manuels été traitement automatisé de données nominatives ». Elle a confié à une autorité administrative
indépendante, la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL), le soin d’assurer la sécurité
des traitements automatisés, de contrôler la constitution des fichiers et surtout de garantir la confidentialité des
informations à caractère nominatif.

Les données, dès lors qu’elles ne permettent pas l’identification des personnes, échappent au champ
d’application de la loi. Ce point fut confirmé par le Conseil constitutionnel dans sa décision « Couverture Maladie
Universelle » du 23 juillet 1999. L’utilisation des données personnelles dans le cadre de la lutte contre une
pandémie n’est pas prohibée dès lors qu’elle respecte le cadre légal préalablement posé : les lois européennes
et françaises. D’après la lettre du RGPD, le traitement des données dites « sensibles » est en principe interdit
(considérants 51 et art. 9.1).

Les données de santé sont des données dites « sensibles ». Néanmoins, il est à noter qu’il existe des exceptions
à cette interdiction de principe ; par le consentement explicite de la personne concernée, ou par la prévalence
d’intérêts supérieurs tels que l’intérêt public, notamment dans le domaine de la santé publique (cons. 54). Le
RGPD admet explicitement la licéité d’un traitement mis en œuvre « pour suivre des épidémies et leur
propagation » (cons. 46).

D’après la loi d’urgence de 2020, le Premier ministre peut « ordonner des mesures ayant pour objetla mise en
quarantaine (…) des personnes susceptibles d’êtes affectées » ainsi que d’« ordonner la réquisition de tous biens
et services nécessaires à la lutte contre la catastrophe sanitaire ».

Ces actions doivent toujours garantir la santé publique et être strictement proportionnées aux risques sanitaires
encourus et appropriées aux circonstances de temps et de lieu et il doit y être mis fin sans délai lorsqu’elles ne
sont plus nécessaires (Code de la santé publique, art. L 3131-15, III).

Dès lors, le traitement des données personnelles est certes modifié, mais toujours protégé, dans le cadre d’une
crise sanitaire exceptionnelle.

116
FICHE N°13 : LA VIE PRIVÉE ET LA LIBERTÉ RELATIONNELLE

Résumé :

La vie privée est une notion large, qui comprend le droit pour tout individu de nouer et développer des relations
avec ses pairs. La liberté relationnelle peut être définie comme « le droit d’établir et entretenir des rapports avec
d’autres êtres humains et le monde extérieur » (CEDH, arrêt du 29 avril 2002, affaire Pretty c. Royaume-Uni, req.
n°2346/02), ce qui implique notamment de pouvoir nouer des relations sexuelles, d’être libre de se marier ou
encore de développer des relations familiales.

Notions abordées dans la fiche :

- Orientation et identité sexuelles


- Consentement
- Obligations positives
- Pratiques sexuelles
- Liberté sexuelle des mineurs
- Droit au mariage
- Liberté de divorcer
- Filiation
- PMA et GPA

117
I. LA LIBERTÉ DE LA VIE SEXUELLE
La liberté sexuelle n’est pas expressément consacrée, ni par les textes français, ni par les textes européens.
Toutefois, la liberté sexuelle a fait l’objet d’une importante création prétorienne. Récemment, le tribunal de
grande instance de Bordeaux a énoncé que « la vie sexuelle fait incontestablement partie de la sphère privée
» (TGI Bordeaux, 1ère ch. Civ., 27 juill. 2004 ; confirmé par CA Bordeaux, 6ème ch. Civ., 19 avril 2005). Ainsi, la
vie sexuelle relève de la sphère de l’intime etde l’autodétermination des personnes.

Cette notion de vie sexuelle renvoie à la fois à la faculté d’entretenir des relations intimes consenties (A) mais
aussi, depuis plus récemment et sous l’influence de la jurisprudence européenne, à la liberté de choisir son genre
(B).

A. La faculté d’entretenir des relations intimes consenties


L’État se tient dans une position de retrait quant à la sexualité de ses citoyens, tant qu’est préservé leur
consentement dans l’exercice de cette liberté. Si l’État n’a pas vocation à intervenir dans cet aspect de la vie
privée des individus (1), il peut toutefois intervenir en cas d’abus de cette liberté (2).

1. Le principe de la non-intervention de l’État


Par principe, l’État n’a vocation à intervenir ni quant à l’orientation sexuelle des individus (a) ni quant à leurs
pratiques sexuelles (b).

a) L’orientation sexuelle
Dans l’affaire Dudgeon c. Royaume-Uni, la Cour européenne des droits de l’homme (ci-après, « CEDH ») a fourni
le cadre dans lequel allait désormais s’inscrire l’homosexualité. Dans cet arrêt de 1981, la Cour énonçait ainsi que
« l’accomplissement d’actes homosexuels par autrui et en privé peut […] heurter, choquer ou inquiéter des
personnes qui trouvent l’homosexualité immorale, mais cela seulne saurait autoriser le recours à des sanctions
pénales quand les partenaires sont des adultes consentants » (CEDH, arrêt du 22 oct. 1981, affaire Dudgeon c.
Royaume-Uni, §60).

De même, le droit français est peu à peu devenu indifférent à l’orientation sexuelle des individus. Ainsi,
l’homosexualité a fait l’objet d’une dépénalisation progressive en France – il faut attendre la loi n°82-683 du 4
août 1982 pour l’abrogation de l’article 331 al. 2 du Code pénal, selon lequel la majorité sexuelle était fixée à 15
ans pour les relations hétérosexuelles et 18 ans pour les relations homosexuelles.

Cette évolution s’inscrit en conformité avec l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de
l’homme et des libertés fondamentales (ci-après, « Conv. EDH »), selon lequel l’État ne saurait en principe
s’ingérer dans la vie privée des individus.

Toutefois, l’indifférence de l’État peut devenir insuffisante à la protection des droits des personnes concernées.
Lui incombe alors l’obligation positive de prendre des mesures assurant l’effectivité des droits garantis par la
convention.

Il s’agit ici de consacrer objectivement les relations homosexuelles protégées au titre de l’article 8 de la Conv.
EDH, en leur garantissant un accès à des institutions déjà accessibles aux couples hétérosexuels, comme le
mariage, ce dans le respect du principe d’égalité. La loi du 17 mai 2013 constitue un pas important en ce sens.

118
FOCUS : LA LIBERTÉ DE CONSCIENCE DES OFFICIERS D’ÉTAT CIVIL ET LA LOI DU 17 MAI 2013

À la suite de la loi du 17 mai 2013 ouvrant le mariage aux couples homosexuels, des officiers d’état civil refusèrent
de célébrer le mariage de personnes homosexuelles, en se prévalant de leur liberté de conscience. Le Conseil
constitutionnel a rapidement invalidé ce raisonnement : le fait de célébrer un mariage homosexuel ne saurait causer
d’atteinte à la liberté de conscience des officiers d’état civil (Cons. const., 18 octobre 2013, n°2013-353 QPC).

Il est intéressant de noter que la CEDH a adopté un raisonnement différent en la matière. Selon elle, le fait d’imposer
à un officier d’état civil d’enregistrer un partenariat civil porte atteinte à la liberté de conscience garantie par l’article
9 de la Conv. EDH, mais cette atteinte est justifiée, notamment par le besoin de reconnaissance juridique des couples
homosexuels (CEDH, arrêt du 15 janvier 2013, affaire Ladele c. Royaume-Uni).

b) Les pratiques sexuelles


En matière de pratiques sexuelles, la jurisprudence révèle des tensions entre la nécessaire protection des
libertés individuelles et une certaine coloration morale du sujet. Ainsi, le paradigme libéral voulant que la liberté
de chacun n’ait d’autres bornes que la liberté d’autrui – et les exigences impérieuses de la société - atteindrait
ses limites au seuil des pratiques érotiques (D. LOCHAK, La liberté sexuelle, une liberté (pas) comme les autres, in
D. Borillo et D. Lochak (dir.), La liberté sexuelle,PUF, 2005).

A titre d’exemple, la Cour européenne des droits de l’homme a, dans un premier temps, retenu une solution
sévère quant aux pratiques sexuelles violentes. Dans une affaire britannique, la Cour a jugé que « toute pratique
sexuelle menée à huis clos ne relève pas nécessairement du domaine de l’article 8 » : par là-même, la Cour a
soustrait du champ d’application de l’article 8 des pratiques sadomasochistes (CEDH, arrêt du 19 février 1997,
affaire Laskey et al. c. RU, req. N°°21627/93 ; 21628/93 ; 21974/93).

Plus tard, la Cour a toutefois admis que des pratiques sexuelles violentes pouvaient relever du champ
d’application de l’article 8. De telles pratiques doivent cependant respecter « la volonté de la victime » (CEDH
arrêt du 17 févr. 2005, K. A. et A. D. c. Belgique, n° 42758/98 et 45558/99).

2. Les limites à la non-intervention de l’État


Dans le prolongement de l’approche consensualiste de la liberté sexuelle, l’État regagne sa légitimité à intervenir
lorsque des pratiques sexuelles sont dépouillées du consentement, soit qu’il ait été ravi (a), soit qu’il soit
impossible (b). Le cas de la prostitution appelle un développement particulier (c).

a) Le consentement ravi
La caractérisation d’un viol suppose que soit établi le défaut de consentement. Selon l’article 222-23 al. 1er du
Code pénal, le défaut de consentement peut résulter de la violence, la contrainte, la menace ou la surprise.
Dès lors que le défaut de consentement ne peut être caractérisé selon ces hypothèses, le viol n’est pas
matériellement constitué.

La définition du viol a été progressivement précisée et élargie. La précision selon laquelle le viol peut désigner
un acte de pénétration sexuelle sur la personne de l’auteur a été récemment ajoutée par la loi n°2018-703 du 3
août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes.

119
FOCUS : LE PROCÈS DE 1978, DIT « PROCÈS DU VIOL »

Au travers du « procès du viol », Maître Gisèle Halimi, décédée le 28 juillet 2020, a œuvré pour la
reconnaissance du viol comme constituant un crime.

La nuit du 21 août 1974, deux jeunes femmes sont battues et violées par trois hommes. A cette date, le viol est bien
réprimé par l’article 331 du code pénal, mais il n’est pas reconnu comme un crime.

Au cours du procès, ouvert le 2 mai 1978, Maître Halimi cherchera à faire entendre des personnalités politiques et
intellectuelles afin de faire évoluer la définition légale du viol. Au terme de deux jours d’audience, un des prévenus
est condamné à six ans de prison pour viol, les deux autres à quatre ans de prison pour tentative de viol.

En juin 1978, sont présentées deux propositions de loi comprenant une réelle définition du crime de viol. Le 23
décembre 1980, la nouvelle loi est finalement promulguée. Elle définit alors le viol comme : « tout acte de
pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, commis sur la personne d’autrui par violence, contrainte ou
surprise » (loi n°80-1041 du 23 décembre 1980).

b) Le consentement impossible
Afin de protéger ceux qui n’ont pas la faculté de consentir, le droit déclare comme imposées certaines relations
sexuelles.

Le droit pénal punit ainsi la relation du majeur avec un mineur. Dans cette hypothèse, le défaut de
consentement du mineur n’a pas besoin d’être établi, contrairement aux infractions prévues par les articles
222-22 et suivants du Code pénal. On parle alors d’atteinte sexuelle sur mineur, et non pas d’agression sexuelle.

La loi distingue entre les mineurs moins de 15 ans (dits mineurs de 15 ans) et les mineurs de plus de 15 ans :

✓ Mineurs de 15 ans : toute relation sexuelle entre un mineur de 15 ans et un majeur est punie au
titre de l’incrimination des atteintes sexuelles (art. 227-25 du Code pénal) ;

✓ Mineurs de plus de 15 ans : le législateur considère que le mineur de plus de quinze ans a atteint un
certain discernement. Toutefois, sa liberté sexuelle n’est pas absolue. Le mineurde plus de 15 ans ne
saurait avoir de relations sexuelles avec certains majeurs, désignés par l’article 227-27 du Code pénal :
o Un ascendant ou toute autre personne ayant sur la victime une autorité de droit ou de fait ;
o Une personne qui abuse de l’autorité que lui confèrent ses fonctions.

120
FOCUS : LOI DU 3 AOÛT 2018 RENFORÇANT LA LUTTE CONTRE LES VIOLENCES
SEXUELLES ET SEXISTES

La loi n°2018-703 du 3 août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes, dite loi Schiappa,
prévoit quatre types de mesures :

(1) L’allongement de 10 ans du délai de prescription pour les crimes sexuels commis sur
mineurs ;

(2) Le renforcement de l’arsenal juridique permettant de punir les viols et agressions sexuelles
commis sur des mineurs de 15 ans ;
(3) L’élargissement de la définition du harcèlement en ligne ;
(4) La création d’une nouvelle infraction : l’outrage sexiste.

Au moment du vote de cette loi, l’idée d’une présomption irréfragable de non-consentement des mineurs,
et plus spécifiquement de l’instauration d’un seuil d’âge, avait fait l’objet de vifs débats.

Le Conseil d’État avait toutefois souligné qu’une telle mesure pourrait s’avérer contraire à la présomption
d’innocence et encourait donc la censure du Conseil constitutionnel (Conseil d’État, avis du 15 mars 2018
portant sur un projet de loi renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes commises contre les
mineurs et les majeurs).

Au titre du consentement impossible, il convient également de relever que le fait pour un individu d’avoir une
relation sexuelle avec un animal, à travers un acte de pénétration sexuelle, est puni au titre de l’article 521-1 du
Code pénal depuis la loi n°2004-204 du 9 mars 2004 (Crim. 4 septembre 2007, n°06-82.785).

c) Le cas particulier de la prostitution


La prostitution fait l’objet d’un blâme moral certain. Pour autant, elle ne constitue pas une infraction pénale. Le
principe de liberté en matière de liberté sexuelle s’applique donc aux relations sexuelles tarifées.

Toutefois, plusieurs infractions pénales sanctionnent le prolongement du fait prostitutionnel, dont notamment
le proxénétisme (art. 225-5 et suivants du Code pénal).

B. La liberté de choisir son genre


Sous l’influence de la jurisprudence européenne, la liberté sexuelle a été étendue jusqu’à la libertéde choisir
son identité sexuelle au travers de plusieurs affaires concernant les droits des personnes transsexuelles.

Le transsexualisme peut être défini comme le « sentiment profond et inébranlable d’appartenir au sexe opposé,
malgré une conformation sans ambiguïté en rapport avec le sexe chromosomique », une nouvelle réalité
médicale qui fit l’objet d’une réception prudente par le droit français (S. PARICARD, « Transsexualisme : maintenir
ou assouplir les conditions de changement de sexe ? », in La Revue des droits de l’homme, 2015).

La CEDH a joué un rôle précurseur pour la reconnaissance juridique des personnes transgenres parles États
parties à la Conv. EDH (1) et pour le respect de leur intégrité physique et morale (2).

121
3. La reconnaissance juridique des personnes transgenres
Les personnes transgenres ont, dans les États parties à la Conv. EDH, acquis la possibilité de bénéficier d’une
conversion physique, c’est-à-dire une opération ou un traitement entraînant une transformation physique ou
physiologique définitive.

Une fois la conversion physique opérée, le droit au respect de la vie privée garanti par l’article 8 de la Conv. EDH
ne saurait être pleinement protégé sans que le droit prenne en compte les situations des personnes concernées,
ce qui implique la modification de la mention du genre à l’état civil.

a) La modification de la mention du genre à l’état civil


Dans l’arrêt de Grande Chambre Christine Goodwin c. Royaume-Uni, la requérante, déclarée de sexe masculin à
la naissance, avait subi une opération de conversion sexuelle et se plaignait de la non- reconnaissance juridique
de son nouveau sexe.

La Cour jugea que le refus de modifier la mention du sexe de la requérante à l’état civil n’était pas justifié par
l’intérêt général. Ainsi, l’atteinte portée au droit au respect de la vie privée de Madame Goodwin n’était pas
justifiée. La Cour concluait à une violation de l’article 8 de la Conv. EDH (CEDH, arrêt du 11 juillet 2002, affaire
Christine Goodwin c. Royaume-Uni, req. n°28957/95).

Il est intéressant de noter que la France avait déjà été condamnée dans une affaire similaire, dans lequel la CEDH
avait jugé que le refus de modifier l’état de la requérante la plaçait quotidiennement dans une « situation
globale incompatible avec le respect dû à sa vie privée » (CEDH, arrêt du 25 mars 1992, affaire B. c. France, req.
n°13343/87).

b) Le mariage
La reconnaissance juridique des personnes transsexuelles semble toutefois heurter ses limites au seuil de
l’institution matrimoniale. Dans une affaire récente, la CEDH a eu à juger de la compatibilité de limitations à la
liberté de mariage des personnes transsexuelles.

La CEDH a jugé que la condition préalable à la reconnaissance juridique d’un changement de sexe selon laquelle
le mariage doit être transformé en partenariat enregistré n’était pas disproportionnée. En effet, le partenariat
enregistré offre aux couples de même sexe une protection juridique pratiquement identique à celle du mariage.
La Cour concluait à une non-violation de l’article 8 (CEDH, arrêt du 16 juillet 2014, affaire Hämäläinen c. Finlande,
req. n°37359/09).

Ainsi, les personnes transsexuelles n’auraient pas accès à l’institution matrimoniale, sans que cela soit
incompatible avec l’article 8 de la Conv. EDH. Une telle solution pourrait toutefois être remise en cause par
l’ouverture du mariage aux personnes de même sexe (cf. infra).

4. Le respect de l’intégrité physique et morale des personnes transgenres


Dès l’affaire Rees c. Royaume-Uni, la CEDH a encouragé la prise en charge par les États parties des frais des
interventions chirurgicales et autres soins médicaux liés à la conversion sexuelle (CEDH,arrêt du 17 octobre
1986, affaire Rees c. Royaume-Uni, req. n°9532/81).

Dans un arrêt rendu en 2017, le juge de Strasbourg précisait toutefois qu’une opération ou traitement de
conversion sexuelle ne saurait être imposé à une personne transgenre. Il en va du respect de son intégrité
physique. Dès lors, le changement de mention du sexe à l’état civil ne saurait être subordonné à une
transformation irréversible de l’apparence de la personne transgenre (CEDH, arrêt du 6 avril 2017, Affaire A.P.,
Garçon et Nicot c. France, req. n°°79885/12 ; 52471/13 ; 52596/13).

Il s’en déduit que les personnes transsexuelles n’ont pas seulement le droit de subir une opération de
conversion sexuelle, elles ont aussi le droit de ne pas en subir.
122
Actualité

CEDH, X et Y c. Roumanie, 19 janvier 2021 : La CEDH rappelle qu’un Etat ne peut pas refuser de changer
le sexe d’une personne à l’état civil au motif qu’elle n’aurait pas subi d’opération chirurgicale de
changement de sexe. La Cour condamne ainsi la Roumanie pour violation du droit à la vie privée, en ce
qu’elle subordonnait le changement de la mention du sexe à l’état civil à la réalisation d’une opération de
conversion sexuelle.

II. LA LIBERTÉ DU MARIAGE


Au niveau interne, le droit au mariage n’était formellement reconnu par aucun texte de valeur constitutionnelle.
Néanmoins, le Conseil constitutionnel en a fait un principe fondamental reconnu par les lois de la République
(Conseil constitutionnel, 13 août 1993, n°93-325 DC, cons. 107).

Au niveau international, le droit international est protégé par plusieurs textes. Il est ainsi garanti par l’article 23
du PIDCP, l’article 12 de la Conv. EDH et l’article 9 de la Charte des droits fondamentauxde l’Union européenne.

Afin de bien saisir la liberté du mariage, il convient d’envisager successivement la liberté de se marier (A) et la
liberté de ne pas se marier (B).

A. La liberté de se marier

1. Une liberté individuelle

Le juge constitutionnel a associé le droit au mariage à la liberté personnelle, au visa des articles 2 et 4 de la
Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (Cons. Const., 20 novembre 2003, n°2003- 484 DC, cons. 94) .

Le mariage résulte de la rencontre de deux volontés individuelles. Ainsi, selon l’article 146 du Code civil, « il n’y
a point de mariage lorsqu’il n’y a point de consentement ».

L’importance donnée au consentement est illustrée par le régime des fiançailles : la promesse de mariage est
nulle en soi comme portant atteinte à la liberté illimitée qui doit régner dans les mariages et subsister jusqu’à la
célébration de cet acte solennel. Dès lors, les fiançailles sont dépourvues de force obligatoire (Cass. Civ. 30 mai
1838, Bouvier).
2. Une liberté limitée

Le Conseil constitutionnel a précisé que le droit au mariage pouvait être limité (29 juin 2012, n°2012-260 QPC,
cons. 4).

Dans une décision QPC de 2011, le Conseil constitutionnel avait déjà jugé que le législateur pouvait fixer les
conditions du mariage, dans la mesure où il ne priverait pas de garanties légales des exigences de caractère
constitutionnel (28 janvier 2011, n°2010-92 QPC). Ainsi, le législateur est compétent pour prendre des mesures
qui atteindraient la liberté de mariage, tant que celle-ci n’estpas atteinte dans sa substance.

On relèvera ici la condition légale d’exogamie, qui transcrit l’interdit de l’inceste dans l’institution matrimoniale.
Ainsi, le mariage est interdit entre parents en ligne directe ou au sein de la fratrie (articles 161 et 162 du code
civil). L’interdit est sanctionné par la nullité, ouverte dans les 30 ans de lacélébration du mariage aux époux, à
tout intéressé et au ministère public (article 184 du Code civil).

La compatibilité de cet interdit avec l’article 12 de la Conv. EDH pose question, la CEDH ayant déjà jugé que
l’interdiction du mariage entre alliés en ligne direct était incompatible avec la Convention (CEDH, 13 septembre
2005, B.L. c. Royaume-Uni, n°36536/02).

123
Dans un arrêt de 2013, la Cour de cassation a d’ailleurs semblé tempérer l’interdit de l’inceste dans le mariage :
dans cette affaire, la Cour a écarté la nullité d’un mariage contracté entre un homme et son ex-belle fille, au
motif que la nullité de ce mariage, déjà vieux de 20 ans, aurait causé une ingérence injustifiée dans le droit au
respect de la vie privée et familiale des époux (Civ. 1ère, 4 décembre 2013, n°12-26.066).

Enfin, il convient de faire observer que le mariage fait lui-même naître des devoirs, de telle sorte que la liberté
individuelle des époux s’en trouve, en principe, limitée. Les époux ont l’un envers l’autre des devoirs de fidélité
et de vie commune, ce qui restreint leur liberté sexuelle et leur droit au respect de la vie privée.

Pour autant, ces devoirs sont de moins en moins sanctionnés et leur contenu diminue (D. FENOUILLET, La vie
familiale, in Libertés et droits fondamentaux, 2019, 25ème édition, Dalloz, pp. 275 et s.).

B. La liberté de ne pas se marier


La liberté du mariage peut être liée à la liberté de divorcer (1) et la liberté de choisir d’autres modes de vie
conjugaux (2).

1. La liberté de divorcer

La CEDH a refusé, dans l’affaire Johnston c. Irlande, de déduire du droit au mariage un droit au divorce (CEDH,
arrêt du 18 septembre 1986, affaire Johnston c. Irlande). Pour autant, il résulte de sa jurisprudence que les États
parties doivent offrir un moyen aux époux de ne plus vivre ensemble (CEDH, arrêt du 9 oct. 1979, affaire Airey c
. Irlande).

Dans une décision récente, le juge constitutionnel a reconnu une liberté de divorcer, à laquelle le législateur
peut toutefois apporter des restrictions (Cons. Const., 29 juillet 2016). D’ailleurs, les textes civils relatifs au
divorce énumèrent toujours limitativement les cas de divorce (article 229 du Code civil).

2. La liberté de choisir d’autres modes de vie conjugaux

Parallèlement au mariage, le Pacte civil de solidarité (ci-après, « PACS ») et le concubinage permettent également
d’entretenir une vie conjugale. Le PACS entraîne des effets de droit, même s’ils sont limités par rapport à ceux
offerts par le mariage (articles 515-1 et s. du Code civil). Au contraire, le concubinage demeure une pure situation
de fait (articles 515-8 et s. du code civil).

En tout état de cause, l’ensemble des couples, quel que soit leur statut, seront protégés par le droit au respect
de la vie familiale garantie par l’article 8 de la Conv. EDH.

III. LA VIE FAMILIALE


Le droit au respect de la vie familiale, garanti par l’article 8 de la Conv. EDH, implique le droit de vivreensemble
de sorte que des relations familiales puissent se développer normalement. Le droit au respect de la vie familiale
présuppose l’existence d’une famille (CEDH, arrêt du 13 juin 1979, affaire Marckx c. Belgique, req. n°6833/74).

Le droit au respect de la vie familiale comprend plusieurs aspects intimement liés à la relation entre parent et
enfant, dont l’établissement de la filiation (A) et la reconnaissance de l’égalité des enfants au sein de la famille
(B).

A. L’établissement de la filiation
Il s’agit ici particulièrement d’appréhender les situations issues des méthodes de procréation médicalement
assistée et de gestation pour autrui (ci-après, « GPA »). Ces situations nouvelles ont fait l’objet d’arrêts
importants de la part de la CEDH, dans l’affaire Mennesson c. France notamment.

124
FOCUS : L’AFFAIRE MENNESSON C. FRANCE

Dans cette affaire, un couple marié avait eu recours au procédé de GPA en Californie, dont naquirent deux
jumelles. Leur acte de naissance fut enregistré à l’état civil américain. La transcription de cet acte de
naissance sur les registres de l’état civil français fut refusée, le procédé de GPA étant contraire au principe
de l’indisponibilité des personnes tel qu’il est consacré en droit français (solution validée par laCour de
cassation, Civ. 1ère, 6 avril 2011, n°09-66.486 ; 10-19.053 ; 09617.130).

Dans une décision de 2014, la CEDH condamna la France pour violation de l’article 8 de la Conv. EDH,
jugeant que cette disposition « implique que chacun puisse établir la substance de son identité, y compris
sa filiation », ce qui n’était pas garanti par la France aux enfants Mennesson – la CEDH ne constatait une
violation de la Conv. EDH que pour les enfants, et non pas pour les parents (CEDH, arrêt du 26 septembre
2014, affaire Mennesson c. France, req. n°65192/11).

La Cour de cassation eut ensuite à réexaminer l’affaire Mennesson. Elle jugea alors que l’existence d’une
convention de GPA ne faisait pas en soi obstacle à la transcription d’un acte de naissance établi àl’étranger
(Ass. plén. 3 juillet 2015, n°14-21.323 et 15-50.002). Cette dernière décision ne suffisait pas toutefois à
résoudre l’ensemble des questions posées par la GPA : alors qu’elle ouvrait la voie à la transcription de la
paternité biologique, elle n’apportait pas de réponse à la question de la maternité d’intention. Ainsi, le
lien entre Madame Mennesson et ses filles ne faisait l’objet d’aucune reconnaissance juridique.

Par avis consultatif du 10 avril 2019, la CEDH réunie en Grande chambre énonçait à cet égard que le droit
interne devait offrir une « possibilité de reconnaissance d’un lien de filiation » entre la mère d’intention et
l’enfant issu d’une GPA réalisée à l’étranger. Elle a toutefois précisé que les Étatsdisposaient d’une marge
d’appréciation pour permettre cette reconnaissance (CEDH, avis consultatif du 10 avril 2019).

Dans un arrêt du 4 octobre 2019, la Cour de cassation reconnaissait finalement que la GPA réalisée à
l’étranger ne fait pas, à elle seule, obstacle à la reconnaissance d’un lien de filiation avec la mère d’intention.
Dans l’affaire Mennesson, la Cour juge de plus que seule la transcription des actes de naissance étrangers
permet de reconnaître ce lien (Cass., Ass. plén., 4 octobre 2019, n°10-19.053).

Dans certaines situations, des parents peuvent également préférer ne pas établir leur lien de parenté
envers leur enfant.

Conformément aux article 326 et L. 222-6 du Code de l’action sociale et des familles, toute mère peut, lors
de son accouchement, demander le secret de son admission et de son identité. Le droit de l’enfant à une
filiation se heurte alors au droit à la vie privée de la mère. La CEDH a eu l’occasion de valider ce dispositif,
dans lequel la volonté de la mère est prépondérante (CEDH, arrêt du 13 février 2003, affaire Odièvre c.
France, req. n°42326/98).

125
FOCUS : LA LOI BIOÉTHIQUE DE 2021

La loi bioéthique a été promulguée le 2 août 2021. Cette loi comporte plusieurs mesures importantes en matière
de droit au respect de la vie familiale :

- La reconnaissance d’un nouveau droit d’accès aux origines pour les enfants conçus par la PMA, qui peuvent, à leur
majorité, accéder à des données non identifiantes du donneur ou à l’identité du donneur ;

- Pour les enfants nés de GPA, la transcription d'un acte d'état civil étranger est limitée au seul parent biologique
(le second parent dit « d'intention » devra passer par une procédure d'adoption).

B. L’égalité des enfants au sein de la famille


La CEDH a consacré l’égalité des enfants au sein de la fratrie, à travers le cas du domaine du droit des successions.
En effet, la Cour a jugé que les droits patrimoniaux constituent un aspect non négligeable de la vie familiale.

Dès lors, le fait de distinguer entre « enfant naturel » et « enfant légitime » lors d’une succession est incompatible
avec le respect des articles 8 et 14 combinés de la Conv. EDH (CEDH, arrêt du 13 juin 1979, affaire Marckx c.
Belgique, préc.).

Cette jurisprudence de la CEDH a mené à une modification du droit français. La loi du 3 décembre 2001, relative
aux droits du conjoint survivant et des enfants adultérins, a abrogé les dispositions discriminatoires de droit
successoral dont faisait l’objet l’enfant dit « adultérin », c’est-à-dire né horsmariage. Par là-même, le législateur
français a consacré la pleine égalité successorale entre tous les enfants.

Ce principe est désormais inscrit à l’article 310 du Code civil.

126
THÈME 5 : L’ ÉGALITÉ ET LA DIGNITÉ

FICHE N°14 : LA PORTÉE DU PRINCIPE D’ÉGALITÉ

Résumé :

L’égalité est assurément le droit fondamental-tuteur, un principe matriciel qui conditionne l’exercicedes autres
droits fondamentaux, et sans lequel ces derniers auraient une portée toute relative. Toute la philosophie des
droits de l’homme repose sur la reconnaissance de la dignité de chaque être humain et sous-tend le principe
d’égalité entre eux. Ce principe a été consacré par la quasi-totalité des normes relatives aux droits humains, et
parait donc incontestable et universel. Il n’en n’est pas moins protéiforme, sujet à des interprétations
contradictoires qui évoluent sensiblement avec la réalisation de plus en plus vive que de fortes inégalités
continuent de structurer nos sociétés.

Notions abordées dans la fiche :

- Principe d’égalité
- Principe de non-discrimination
- Discriminations positives

127
« Si l’on recherche en quoi consiste précisément le plus grand bien de tous, qui doit être la fin detout système
de législation, on trouvera qu’il se réduit à ces deux objets principaux, la liberté et l’égalité, la liberté parce que
toute dépendance particulière est autant de force ôtée au corps del’État ; la liberté parce que l’égalité ne
peut subsister sans elle » - Jean-Jacques Rousseau, Le Contrat social, II, 11.

Introduction

L’égalité est assurément le droit fondamental-tuteur, un principe matriciel qui conditionne l’exercicedes autres
droits fondamentaux, et sans lequel ces derniers auraient une portée toute relative. Il imprègne toute la
philosophie des droits de l’homme et est au cœur des systèmes juridiques modernes.

Le principe d’égalité, condition d’exercice des droits fondamentaux. Le principe d’égalité, comme on l’a vu, est
un principe matriciel des droits fondamentaux, un « droit fondamental-tuteur ». Il conditionne autant qu’il limite
les autres droits et libertés des individus. Ainsi, ces derniers nepeuvent-ils jouir de leur liberté que dans la mesure
où ils ne nuisent pas à autrui (art. 4 DDHC), car une telle atteinte reviendrait à nier l’égalité entre les individus.

L’égalité entretient également des liens intimes avec le droit au suffrage et la démocratie, comme l’exprime
l’article 3 de la Constitution de 1958, qui énonce que le suffrage est « universel, égal et secret ». En ce sens,
l’égalité est sous- tendue par l’ensemble de la philosophie des droits humains, et peut également être vue
comme le fondement philosophique des démocraties modernes.

Le principe d’égalité et État de droit. La dimension matricielle du principe d’égalité s’exprime également dans le
rapport entre cette notion et l’État de droit. En effet, le principe d’égalité revêt une importance particulière dans
les systèmes juridiques modernes, tant il participe de la réalisation de l’État de droit.

Hans Kelsen, théoricien de la hiérarchie des normes et de l’État de droit, a longuement traité de l’égalité dans
son célèbre ouvrage, la Théorie pure du droit. On lui doit notamment d’avoir distingué l’égalité devant la loi et
l’égalité dans la loi – dytique auquel la théorie moderne rajoutera l’égalité par la loi.

L’égalité devant la loi, selon lui, implique que « les organes d’application du droit n’ont le droit de prendre en
considération que les distinctions qui sont faites dans les lois à appliquer elles-mêmes ». Comme il l’explique,
cela revient à affirmer tout simplement « le principe de la régularité de l’application du droit en général, principe
qui est immanent à tout ordre juridique ».

Ainsi, le principe d’égalité et le principe de légalité entretiennent des liens tenus, puisque l’égalité ne se trouve
assurée que par le strict respect de la hiérarchie inhérente au principe de légalité. Il implique que les organes
d’application de la loi – hiérarchiquement inférieurs au législateur- ne peuvent faire intervenir leur subjectivité
et leurs choix là où le législateur a tranché.

C’est un principe de respect de la volonté du législateur, purement formel. Le principe d’égalité dans la loi, quant
à lui, interdit au législateur, au moment de la confection de la loi, « de fonder une différence de traitement sur
certaines distinctions très déterminés telles que celles qui ont trait à la race, à la religion, à la classe sociale, ou à
la fortune ». Il s’agit donc d’un principe davantage substantiel qui détermine le contenu-même de la loi.

Le principe d’égalité : un principe évanescent ?

Au cœur des systèmes juridiques modernes, le principe d’égalité a pour spécificité d’avoir un contenu
particulièrement riche. En effet, ce principe renferme des potentialités différentes, selon que l’on considère
l’égalité en droit ou l’égalité en fait. L’égalité devant la loi est réputée exprimée la première hypothèse, l’égalité
par la loi, tend à réaliser la seconde. La portée du principe est contingente, et les interprétations auxquelles il est
sujetreflètent les idées dominantes à une époque donnée, dans une société donnée.

Ainsi s’explique-t-on que le droit américain fasse une place plus forte à l’égalité en fait, et admette avec plus
d’aisance les discriminations positives, que le droit français, attaché à l’universalité et au caractère abstrait des
droits. En réalité, l’égalité envisagée en tant que concept philosophique a une part d’insaisissable, elle est «
une intuition (…) contradictoire et énigmatique » (G. Vedel).

128
Le principe d’égalité a été consacré dans de nombreuses normes de protection des droits humains, tant sur le
plan du droit interne que du droit international et européen (I). Son contenu varie en fonction des traditions et
interprétations auxquelles se livrent les juges, comme en témoignent notamment le cas des discriminations
positives (II).

I. LA CONSÉCRATION JURIDIQUE DU PRINCIPE D’ÉGALITÉ


Le principe d’égalité trouve sa place dans l’essentiel des textes relatifs aux droits humains, qu’il s’agisse
des normes de droit interne (A), ou des normes conventionnelles (B).

A. En droit interne
Le principe d’égalité est reconnu dans de nombreux textes de droit interne (1), et les juges l’ont consacré
assez précocement dans leur jurisprudence (2).

1. Les sources du principe d’égalité

Le principe d’égalité et la Déclaration de 1789. Le premier texte à consacrer l’égalité est assurément la
Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. En effet, l’article 1 er de la Déclaration énonce que : «
Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées
que sur l'utilité commune ».

Cette maxime, parmi les plus célèbres du droit français, avait vocation à exprimer une rupture politico-juridique
: les révolutionnaires entendaient sanctuariser l’abolition des privilèges et poser les fondements d’un nouveau
système politique rompant avec les traditions de l’Ancien Régime.

Le principe d’égalité irrigue l’ensemble de la Déclaration, notamment par le truchement du principe de légalité
reconnu en son article 6 : « La loi est l'expression de la volonté générale. Tous les citoyens ont droit de concourir
personnellement, ou par leurs représentants, à sa formation. Elle doit être la même pour tous, soit qu'elle
protège, soit qu'elle punisse (…) ». Ainsi, aux yeux des rédacteurs de la Déclaration, l’égalité se réalise par la loi,
celle-ci étant générale, impersonnelle et abstraite, et par là-même, apte à conjurer les inégalités.

De même, l’article 13 de la Déclaration pose le principe d’égalité devant les charges publiques, selon lequel «
Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est
indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ».

Le Préambule de la Constitution de 1946. Bien que la Déclaration des droits de l’homme n’ait longtemps pas eu
de valeur juridique, le principe d’égalité a été reconnu par la quasi-totalité des constitutions françaises, et est
aujourd’hui repris dans de nombreux textes composant le bloc de constitutionnalité.

En particulier, le Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 contient de nombreuses dispositions


reconnaissant des principes d’égalité « spéciaux » (O. Jouanjouan). En tout, ce texte consacre le principe de non-
discrimination (alinéa 1er), le principe d’égalité entre les hommes et les femmes, le principe d’égalité dans la
protection de la santé (alinéa 11), celui d’égalité devant les charges résultant de calamités nationales (alinéa 12),
d’égalité d’accès à l’instruction (alinéa 13), d’égalité avec les peuples d’outre-mer (alinéa 16), et l’égalité dans
l’accès aux fonctions publiques pour les peuples d’outre-mer (alinéa 18).

La Constitution du 4 octobre 1958. Le principe d’égalité est consacré dès l’article 1er de la Constitution de 1958,
aux termes duquel « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l'égalité
devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion (…) ».

Suite à une décision jugeant contraire à la Constitution l’introduction du système paritaire dans les élections
(Cons. const., 18 novembre 1982, n°82-146 DC Quotas de sexe), le pouvoir constituant est venu introduire en
2000 puis en 2008 une disposition reconnaissant expressément que « La loi favorise l'égal accès des femmes et
des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives, ainsi qu'aux responsabilités professionnelles et
sociales » (alinéa 2 art. 1er Constitution). Le principe d’égalité est également repris dans la devise de la République
(art. 2 Constitution), et l’article 3 reconnaît le principe d’égalité dans le suffrage.
129
Principes d’égalité généraux et spéciaux. Parmi les dispositions consacrant le principe d’égalité, certaines
peuvent se rattacher à un principe général d’égalité, d’autres, à un principe spécial d’égalité. Le principe général
d’égalité, que l’on retrouve dans l’article 6 de la Déclaration de 1789, ou encore à l’article 1er de la Constitution
de 1958, imposent aux pouvoirs publics de ne point procéder à des discriminations fondées sur des critères, tels
que la race, le sexe, les origines, la religion de l’individu.

Ce principe est général, puisqu’il s’applique à toutes les sphères de l’action publique, et bénéficie à tous les
individus de manière objective. Les principes d’égalité « spéciaux » sont ceux qui s’appliquent dans un champ
donné : il en va ainsi du principe d’égalité d’accès à la fonction publique, d’égalité électorale, ou fiscale.

2. La consécration du principe d’égalité par les juges

Consacré par une Déclaration longtemps dépourvue de valeur juridique, le principe d’égalité, alors qu’il aurait
pu être pensé comme une simple maxime philosophique, a assez rapidement été reconnu sur le plan juridique,
notamment dans la jurisprudence du Conseil d’État.

Une reconnaissance précoce dans la jurisprudence administrative. Dès le XIXe siècle, le juge administratif fait
référence au principe d’égalité qu’il applique, dès un avis du 4 nivôse an VIII. Certes,à cette époque, dans la
jurisprudence administrative le principe d’égalité et de légalité au sens strict se confondent largement.

Il reste que dans un arrêt Roubeau de 1913, le Conseil d’État pose le « principe d’égalité de tous les citoyens
devant les règlements » afin de contrôler la légalité d’un acte règlementaire qui lui été déféré. Le Conseil d’État
érige donc le principe d’égalité, dont la force normative était incertaine, en principe juridique s’imposant à
l’administration dans son action. Tout au long du XXe siècle, la jurisprudence administrative va enrichir le contenu
du principe d’égalité.

Ainsi, la Haute juridiction administrative consacrera le principe d’égalité des citoyens devant les charges
publiques (CE, 30 nov. 1923, Couitéas ; CE, Ass., 14 janv. 1938, La Fleurette). Il a ensuite reconnu le principe de
l’égalité des usagers du service public (CE, Ass., 1er avr. 1938, Sté L’Alcool dénaturé), puis le principe d’égalité
dans l’utilisation du domaine public (CE, Sect., 2 nov. 1956, Biberon), l’égalité des sexes (CE, Ass., 3 juill. 1936,
Delle Bobard), etc.

La valeur du principe d’égalité dans la jurisprudence administrative. Le Conseil d’État attache une importance
particulière au principe d’égalité, puisqu’il a qualifié celui-ci de principe général du droit (CE., Sect., 9 mars 1951,
Sté des concerts du Conservatoire). Il s’agit d’une « norme formulée par le juge administratif, le plus souvent sans
aucune référence textuelle, et qui s’impose à l’administration lorsqu’elle agit » (P. Wachsmann).

La consécration dans la jurisprudence constitutionnelle. Dans une célèbre décision Taxation d’office, le Conseil
constitutionnel, fonde son contrôle pour la première fois sur la Déclaration de 1789, pour relever que la loi qui
lui est déférée est contraire au principe constitutionnel d’égalité (Cons. const., 27 déc. 1973, n°73-51 DC). Depuis
lors, le principe d’égalité est devenu le premier motif d’inconstitutionnalité dans le contrôle des lois. Il est estimé
que le juge en fait application dans plus de 40% des décisions DC ou QPC qu’il rend.

L’égalité déterminée dans le contrôle du Conseil constitutionnel. Lorsqu’il est confronté à un moyen
d’inconstitutionnalité fondé sur le principe d’égalité, le Conseil constitutionnel exerce son contrôle en se fondant
expressément sur des normes de référence (égalité déterminée), ou bien il peut se passer d’un rattachement
textuel explicité (égalité indéterminée).

Dans le premier des cas, le Conseil contrôle la loi au regard du principe d’égalité en mobilisant les textes
consacrant le principe d’égalité,notamment les articles 6 et 13 de la Déclaration de 1789, ou les articles 1er et 3
alinéa 3 de la Constitution de 1958 (égalité dans le suffrage et non-discrimination). À noter que, depuis peu, le
Conseil constitutionnel accepte de fonder son contrôle sur une disposition longtemps demeurée platonique,
l’article 1er de la Déclaration de 1789, selon lequel « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits.
Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune » (v. Cons. const., 16 mars 2006,
n°2006-533 DC).

130
Certains auteurs estiment que cette disposition renferme des potentialités inexploitées pour justifier les
dérogations au principe d’égalité, puisqu’elle fait référence à la notion d’ « utilité commune » (F. Mélin-
Soucramanien).

L’égalité indéterminée dans le contrôle du Conseil constitutionnel. À côté des principes textuels d’égalité, le
Conseil constitutionnel a dégagé un principe général d’égalité, un « principe constitutionnel d’égalité » (ex : Cons.
const, 17 janv. 1989, n°88-248 DC, CSA).

Ce principe constitutionnel d’égalité a été défini dans une décision Mutualisation de la Caisse nationale de crédit
agricole « Le principe d’égalité ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations
différentes, ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général pourvu que, dans l’un et l’autre cas,
la différence de traitement qui en résulte soit en rapport avec l’objet de la loi qui l’établit » (Cons. const., 7 janv.
1988, RJC I-317).

Depuis 1996, il faut que la différence de traitement soit « en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit »
(Cons., const., 9 avr. 1996, Diverses dispositions d’ordre économique et financier). En matière fiscale, la
formulation du principe d’égalité est plus finaliste et laisse une importante marge au législateur qui, s’il peut
décider « de favoriser par l’octroi d’avantages fiscaux (une activité déterminée), c’est à la condition que celui-ci
fonde son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu’il se propose ». Dans ce cas,
le Conseil ne contrôle que la cohérence globale de la loi.

Le degré de contrôle exercé par le Conseil constitutionnel. Lorsqu’il est appelé à contrôler la loi au regard du
principe d’égalité, le Conseil constitutionnel n’exerce pas systématiquement le même degré de contrôle. Celui-
ci exercerait un contrôle strict lorsqu’il examine des discriminations expressément interdites par la Constitution,
ou des discriminations ayant pour effet de remettre en cause l’exercice des droits fondamentaux.

Il exercerait un contrôle normal lorsqu’il est saisi de simples différences de traitement entre situations de droit
ou de fait. En matière d’actes administratifs, le contrôle du juge administratif varierait de la même manière. Le
Conseil d’État se montre, toutefois, plus strict au sujet du principe général d’égalité, puisqu’il estime qu’à la
différencedes discriminations inspirées de certains motifs, qui peuvent constituer des atteintes à une liberté
fondamentale au sens du référé-liberté, « la méconnaissance du principe d’égalité ne relève pas,par elle-
même d’une telle atteinte » (CE, ord. réf., 26 juin 2003, Conseil départemental de parents d’élèves de Meurthe
et Moselle).

B. En droit international et européen


Le principe d’égalité est consacré dans de nombreux traités internationaux et conventions, tant au plan
international qu’européen.

Au niveau international. La Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 le reconnaît en son article 2
« Chacun peut se prévaloir de tous les droits et de toutes les libertés proclamés dans la présente Déclaration,
sans distinction aucune, notamment de race, de couleur, de sexe, de langue,de religion, d'opinion politique
ou de tout autre opinion, d'origine nationale ou sociale, de fortune,de naissance ou de toute autre situation.

De plus, il ne sera fait aucune distinction fondée sur lestatut politique, juridique ou international du pays ou
du territoire dont une personne est ressortissante, que ce pays ou ce territoire soit indépendant, sous tutelle,
non autonome ou soumis àune limitation quelconque de souveraineté ».

L’article 1er alinéa 3 de la Charte des Nations unies énonce que le but de cette organisation est de « réaliser
la coopération internationale en résolvant les problèmes internationaux d'ordre économique, social, intellectuel
ou humanitaire, en développant et en encourageant le respect des droits de l'homme et des libertés
fondamentales pour tous, sans distinctions de race, de sexe, de langue ou de religion ».

Par ailleurs, d’autres conventions consacrent le principe d’égalité, notamment le Pacte international relatif aux
droits civils et politique de 1966 (art. 26 PIDCP), la Convention internationale sur l’élimination de toutes les
formes de discrimination raciale de 1966, la Convention sur l’éliminationde toute forme de discrimination à
l’égard des femmes de 1979, et la Convention relative aux droits des personnes handicapées de 2006.
131
Au niveau européen. Dans le cadre du Conseil de l’Europe, la Convention européenne des droits de l’homme
reconnait un principe général selon lequel les droits et libertés qu’elle consacre doivent être assurés « sans
distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques
ou toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la
naissance ou toute autre situation » (art. 14 CESDH).

Quant à l’Union européenne, elle est particulièrement attachée au principe d’égalité qui constitue un principe
structurel pour elle. Premièrement, elle prohibe les discriminations en raison de la nationalité (art. 18 TFUE).

Secondement, elle prévoit une procédure spéciale pour que le Conseil combatte les discriminations (art. 19
TFUE). La Charte des droits fondamentaux de l’Union protège également le principe d’égalité en ses articles 20
et 21.

II. LE CONTENU DU PRINCIPE D’ÉGALITÉ


Le principe d’égalité a pour particularité d’avoir un contenu particulièrement riche et extensible. Inspiré de la
notion de justice proportionnelle aristotélicienne, le principe d’égalité implique traditionnellement de traiter de
la même manière les situations similaires (A). S’il est possible d’estimer que de ce principe découle l’obligation
de traiter différemment les situations dissemblables, tel n’est pas le choix du juge français (B). De même, la
question des discriminations positives varie sensiblement selon le pays considéré (C).

A. Le traitement similaire de situations semblables


De manière générale, le principe d’égalité devant la loi implique que des personnes placées dans une situation
semblable soient traitées de manière semblable. Il découle de l’article 6 de la Déclaration de 1789, selon lequel
« La loi doit être la même pour tous ». A contrario, le principe ne s’oppose pas à ce que des situations
objectivement différentes soient traitées de manière différenciée.

Principe. Le Conseil d’État, le premier, a reconnu que des situations objectivement différentes fassent l’objet
de différences de traitement, notamment dans le cadre du service public (CE, Sect.,10 mai 1974, Denoyez et
Chorques). Cette solution sera reprise par le Conseil constitutionnel, lequel estime que « le principe d’égalité
devant la loi implique qu’à situations semblables, il soit fait application de solutions semblables » (Cons. const.,
12 juil. 1979, Pont à Péage).

Ainsi, le juge admet que des discriminations tarifaires en fonction des ressources soient instituées dans le
domaine du service public, lorsque le service public en cause poursuit une finalité sociale et que la composition
de la population de la commune le justifie (ex : CE, Sect., 29 déc. 1997, Commune de Gennevilliers).

Par la suite, le juge administratif consacrera le principe selon lequel « le principe d’égalité (…) ne s’oppose pas à
ce que l’autorité investie du pouvoir règlementaire règle de façon différente des situations différentes ni à ce
qu’elle déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général, pourvu que,dans l’un comme l’autre cas, la différence
de traitement qui en résulte soit en rapport avec l’objet de la norme qui l’établit et ne soit pas manifestement
disproportionnée au regard des motifs susceptibles de la justifier » (CE, Ass., 12 avr. 2012, GISTI).

En d’autres termes, traiter différemment des situations différentes ne constitue pas une dérogation au principe
d’égalité, mais une application de celui-ci.

De même, une raison d’intérêt général peut motiver des dérogations au principe d’égalité : des personnes qui
ne sont pas placées dans une situation objectivement différente peuvent se voir appliquer des règles
différentes s’il existe un motif d’intérêt général le justifiant.

132
B. Le traitement différencié de situations différentes
La logique du principe d’égalité pourrait impliquer d’imposer aux pouvoirs publics de traiter différemment
les situations différentes.

Un principe reconnu en droit européen et communautaire. La Cour européenne des droits de l’homme, et la
Cour de justice de l’Union européenne, se rattachent toutes deux à ce courant puisqu’elles estiment que « le
principe d’égalité veut que des situations comparables ne soient pas traitées de manière différente et des
situations différentes ne soient pas traitées de manière égales » (CJCE, 13 nov. 1984, Racke ; CEDH, 6 avr.
2000, Thlimennos c/Grèce).

Sur la base de ce principe, elles estiment que les pouvoirs publics ont une obligation de prévoir des dispositifs
d’adaptation du droit et de différenciation lorsque la situation le commande.

Sur ce point, le droit interne se sépare des droits européens et communautaires, puisque le juge administratif
estime que « le principe d’égalité n’implique pas que des (personnes) se trouvant dans des situations différentes
doivent être soumises à des régimes différents » (CE, 28 mars 1997, Sté Baxter).

C. Les discriminations positives


Définition. Les discriminations positives peuvent être décrites comme les programmes de distribution
différencié et préférentiel de certains biens, prestations ou emplois au profit des membres d’une minorité ou
d’un groupe social défavorisé, en vue de corriger les inégalités de fait déjà existantes. Il s’agit, par le droit, de
corriger une inégalité de fait.

La notion de discrimination positive se rapproche fortement des affirmative actions, lesquelles « visent à
accroitre la place et le nombre des Noirs et autres minorités dans les différentes professions, en leur accordant
une forme depréférence s’agissant du recrutement, de la promotion et de l’admission dans les collèges et écoles
professionnelles » (R. Dworkin).

Un concept d’origine américaine. Les programmes d’affirmative action ont commencé à se développer aux
États-Unis, dans les années 1960, après que la ségrégation raciale fut déclarée contraire à la Constitution. Ces
programmes, qui avaient notamment pour but de corriger le retard pris par les populations touchées par la
ségrégation, ont toujours été considérés comme transitoires et comme devant disparaitre à long terme, une fois
que l’égalité des chances effectives sera établie.

Dans un arrêt University of California Regents vs. Bakke de 1978, la Cour Suprême a estimé que les
discriminations positives étaient conformes à la Constitution dès lors qu’elles sont justifiées par un « intérêt
public impérieux » et qu’elles ne donnent pas un rôle excessif à la notion de race.

La difficile introduction des discriminations positives en France. Le principe d’égalité, en France, est
traditionnellement conçu comme prônant une égalité abstraite et universelle entre les individus. Du fait de cette
approche « universaliste », les groupes, minorités, et autres formes d’appartenances s’effacent devant la notion
d’individu et de citoyen.

Cette approche a été soutenue par le Conseil constitutionnel, dans sa décision Quotas de sexe, dans laquelle il a
condamné le dispositif de mise en place de quotas dans les élections municipales, en estimant que les articles 6
de la DDHC et 3 de la Constitution (principe d’égalité dans le suffrage) « s’opposent à toute division par catégorie
des électeurs ou des éligibles » (Cons. const., 18 nov. 1982, n°82-146 DC, Quotas de sexe).

En conséquence, il a longtemps été difficile d’admettre que des discriminations, aussi positives soient- elles,
soient fondées sur des critères d’appartenance à un groupe social ou une minorité. Finalement, les juges vont
progressivement admettre les dispositifs de discriminations positives mais les soumettre à des conditions de
légalité strictes.

133
La notion française de discrimination positive. Selon le Conseil d’État, la discrimination positive constitue « une
catégorie particulière de discrimination justifiée, mise en œuvre par une politique volontariste et dont l’objectif
est la réduction d’une inégalité » (Rapport annuel, 1996).

Du fait de la particularité du concept français d’égalité, les discriminations positives ne sont autorisées que de
manière exceptionnelle, notamment dans le secteur de l’accès à l’emploi et de la réduction des inégalités
territoriales.

La légalité de ces discriminations positives est toutefois soumise à des conditions strictes : elles doivent prendre
appui sur une inégalité de fait préexistante et identifiée, et ne peuvent se fonder sur des critères de distinctions
expressément interdits par la Constitution, telle la race ou la religion.

La discrimination doit résulter de la volonté du législateur et doit avoir un effet compensateur d’une inégalité de
fait, effet dont l’effet dans le temps doit être borné. Enfin, les discriminations positives ne sont pas autorisées
dans tous les domaines, et elles sont admises essentiellement en matière économique et social, et en matière
d’emploi public.

Une révision constitutionnelle nécessaire ? Par un décret du 9 avril 2008, le Comité de réflexion sur le préambule
de la Constitution a été institué, avec pour mission de réfléchir à l’introduction de nouveaux droits et principes
fondamentaux dans le Préambule de la Constitution.

A cette occasion, leComité s’est notamment interrogé sur l’opportunité d’introduire une disposition relative aux
discriminations positives.

Dans son rapport de décembre 2008, le Comité de réflexion sur le préambule de la Constitution présidé par
Simone Veil a estimé qu’une révision constitutionnelle tendant à introduire une disposition reconnaissant la
possibilité pour le législateur d’instituer des mécanismes de discriminations positives n’était pas nécessaire.

Une telle disposition a été jugée superfétatoire, le Conseil constitutionnel et le Conseil d’État ayant déjà admis
les discriminations positives sur le fondement du principe d’égalité.

134
FICHE N°15 : LA DIGNITÉ

Résumé :

Le principe de la dignité de la personne humaine peut être vu comme la base de tout l'édifice juridique français
européen et international élaboré pour protéger et garantir la primauté de la personne.

Notions abordées dans la fiche :

- Conditions de détention
- Dignité objective et dignité subjective
- Conditions de vie sociale
- Droit au logement
- Euthanasie
- Autonomie personnelle
- Protection de l’intégrité corporelle
- IVG

135
I. LE PRINCIPE DE DIGNITÉ, PRINCIPE MATRICIEL DE DÉFENSE DES DROITS
FONDAMENTAUX
On peut s’interroger sur le fait de savoir si l’unanimité autour de cette notion de dignité (A) n’est pas le reflet de
l'absence de définition (B). Bertrand Mathieu a ainsi pu souligner qu'il existe un paradoxe à considérer à la fois
que le principe de dignité est un principe cardinal en matière de droits fondamentaux et qu’il n'a pas de
signification préétablie.

A. Une consécration unanime

Au niveau international, la Déclaration universelle des droits de l’homme affirme dès son Préambuleque « la
reconnaissance de la dignité inhérente à tous les membres de la famille humaine et de leurs droits égaux et
inaliénables constitue le fondement de la liberté, de la justice et de la paix dans le monde ». Son article premier
énonce que « tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Ils sont doués de raison et
de conscience et doivent agir les uns envers les autres dansun esprit de fraternité ».

De son côté, la Déclaration de Philadelphie (adoptée en 1944) insiste sur les conditions socio- économiques de
la vie humaine et affirme notamment que « tous les êtres humains, quelles que soient leur race, leur croyance ou
leur sexe, ont le droit de poursuivre leur progrès matériel et leur développement spirituel dans la liberté et la
dignité, dans la sécurité économique et avec des chances égales ». Elle précise que « la pauvreté, où qu'elle existe,
constitue un danger pour la prospérité de tous » et que « la lutte contre le besoin doit être menée avec une
inlassable énergie au sein de chaquenation et par un effort international continu et concerté ».

Dans le droit de l’Union européenne, la Charte des droits fondamentaux mentionne dans son Préambule la
dignité : « consciente de son patrimoine spirituel et moral, l’Union se fonde sur les valeurs indivisibles et
universelles de dignité humaine, de liberté, d’égalité et de solidarité ». La Charte consacre son Chapitre 1 à la
dignité.

L’article 2 du Traité sur l’UE (issu du Traité de Lisbonne) inscrit le « respect de la dignité humaine » dans les
valeurs de l’Union.

La Cour a consacré le « droit fondamental à la dignité humaine et à l’intégrité de la personne » (CJCE, 9 octobre
2001, Royaume des Pays-Bas), puis a admis que la dignité humaine puisse faire obstacle à une liberté
fondamentale garantie par le traité (CJCE, 14 octobre 2004, Omega GmbH, C36/02).

Concernant le droit européen, le texte de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés
fondamentales ne mentionne pas explicitement la dignité mais la jurisprudence de la Cour deStrasbourg en a
consacré l’importance, en interprétant plusieurs articles (notamment les art. 2 sur le droit à la vie, 3 sur
l’interdiction de la torture, 8 sur le respect de la vie privée et familiale). Selon la Cour, il est clair qu’il existe des
« objectifs fondamentaux de la Convention dont l’essence même est le respect de la dignité et de la liberté
humaine » (CEDH, 22 novembre 1995, C.R. c. Royaume-Uni). Elle ajoute désormais que « la tolérance et le respect
de l’égale dignité de tous les êtres humains constituent le fondement d’une société démocratique et pluraliste »
(CEDH, 4 décembre 2003, Gündüz c. Turquie, n°35071/91, §40).

En droit français, le principe de dignité a été reconnu comme norme constitutionnelle par le Conseil
constitutionnel (déc. n° 94-343/344 DC, 27 juillet 1994, Loi relative au respect du corps humain et loi relative au
don et à l'utilisation des éléments et produits du corps humain, à l'assistance médicale à laprocréation et au
diagnostic prénatal), sur le fondement du Préambule de 1946 (en particulier son prologue qui débute par ces
mots : « au lendemain de la victoire remportée par les peuples libres sur les régimes qui ont tenté d’asservir et de
dégrader la personne humaine... »).

Le Conseil examinait alors la constitutionnalité de la loi (n° 94-653) du 29 juillet 1994 relative au respect du corps
humain, qui ajoutait au Code civil un article 16 : « la loi assure la primauté de la personne, interdit toute atteinte
à la dignité de celle-ci et garantit le respect de l'être humain dès le commencement de sa vie
».

136
Le Conseil d’État a intégré la dignité humaine comme composante de l’ordre public général et a admis qu’elle
pouvait justifier une mesure de police « même en l’absence de circonstances particulières » (CE, Ass., 27 octobre
1995, Commune de Morsang-sur-Orge, GAJA).

B. Les difficultés de la définition de la dignité

Le terme de « dignité » est apparu au XIIème siècle, à partir du latin dignitas (fait de mériter), lui- même issu par
une traduction des Romains au grec axia (valeur, qui donnera l’axiome, le principe premier). Avec la judéo-
chrétienneté, la dignitas a désigné la prééminence d’une institution ou une fonction par rapport à son titulaire,
en particulier la dignité du souverain comme l’illustre l’adage dignitas non moritur, qui donnera un autre adage :
Le roi ne meurt pas.

Elle a peu à peu désigné la « valeur » de la personne en tant que telle. D’où le fait que la dignité humaine ait
désormais le sens d’une respectabilité ou d’une qualité intrinsèque, attachée à la personne humaine.

Le principe de dignité compris en ce dernier sens pose un certain nombre de difficultés de définition. Dans la
mesure où il irrigue l’ensemble du droit, toutes les normes juridiques existantes peuvent être réinterprétées de
façon à les rattacher à la dignité humaine : celle-ci est « le substrat et le point de départ à partir duquel tous les
droits de l’homme se sont développés et différenciés ; simultanément, [...] elle est le point de fuite vers lequel ils
convergent et par rapport auquel ils doivent être compris et interprétés ».

Il existe alors un risque de perte de sens du principe, en particulier parce que ce principe exprime l’idée –
logiquement indémontrable – que l’être humain doit être traité humainement, c’est-à-dire comme un être
humain.

Il ne s’agit pas tant de prescrire le respect d’une humanité dont le contenu serait défini par une norme (fort
heureusement, le droit ne définit pas l’Homme), mais la dignité n’en sous-entend pas moins une certaine
définition de l’espèce humaine, ou de certaines convenances en la matière. Si elle inspire en valeur tout l’édifice
juridique, la dignité pose problème en droit dans la mesure où elle impose une définition sinon précise, du moins
techniquement opératoire.

Il n’en reste pas moins que la dignité comme principe juridique met en évidence la dimension anthropologique
du droit, c’est-à-dire l’assignation au droit d’une finalité humaine voire humaniste ; l’idée que le droit est aux
prises avec « l’irréductible humain » (Mireille Delmas-Marty).

Selon la plupart des analyses – outre le premier sens relatif à la dignité d’une fonction ou d’un office, le principe
juridique de dignité de la personne humaine aurait deux sens distincts :
a) Un principe de dignité « qui pourrait être opposé par l’homme aux tiers », dont l’homme pourrait
revendiquer le respect ; en ce sens, la dignité est la condition de la liberté de l’individu et de «
l’autonomie personnelle » (notion promue dans la jurisprudence de la CEDH) ; nul ne peut exercer sa
liberté sans bénéficier du respect de sa dignité ;
b) Un principe de dignité « qui pourrait être opposé par des tiers à l’homme », au nom d’une conception
plus objective des exigences découlant de la commune humanité et susceptible, le cas échéant, de
limiter la liberté individuelle (ou telle définition subjective de la dignité). En ce sens, le droit à la dignité
humaine participe notamment de l’ordre public qui peut venir restreindre la volonté ou s’opposer au
consentement d’un individu, par exemple pour interdire toute réification de sa personne.

Dans le même sens, dans son rapport sur l’interdiction du port du voile intégral, le Conseil d’État a relevé
l’existence de « deux conceptions de la dignité qui peuvent potentiellement s’opposer ou se limiter
mutuellement : celle de l’exigence morale collective de la sauvegarde de la dignité, le cas échéant, aux dépens
du libre-arbitre de la personne (qui trouve une traduction jurisprudentielle dans la décision Commune de
Morsang- sur-Orge) et celle de la protection du libre arbitre comme élément consubstantiel de la personne
humaine ».

137
Il ajoute : « quant à l’hypothèse selon laquelle [la dissimulation intégrale du visage] serait en elle-même
attentatoire à la dignité de la personne humaine, elle est discutée et soulève la difficile question de savoir si une
personne peut légalement, de son propre gré, adopter un comportement contraire à sa propre dignité dans une
société comme la nôtre ».

Pour autant, il est contestable d’opposer en soi le sens « subjectif » (ou privé ou individuel) et le sens « objectif
» (ou public ou social) de la dignité. En droit, il n’est pas admissible qu’un concept (s’il est opératoire) ne relève
que de la détermination de tel ou tel individu, car le droit régit les rapports entre individus et doit pouvoir borner
objectivement les prétentions des sujets de droit lorsque cela apparaît nécessaire. Il n’y a pas d’exercice possible
de la liberté privée, sans un droit public qui en offre la garantie pour chacun.

La dignité, en ce sens, apparaît bien à la fois comme une garantie du libre-arbitre et comme une limite du libre-
arbitre. C’est à la fois ce qui fait la singularité d’un être humain, et ce qui relie cet être humain à une commune
humanité. Cela explique que la dignité autorise les justifications de prétentions contradictoires (euthanasie,
affaire du lancer de nains, voile intégral, etc.).

La doctrine s’interroge notamment sur la place du consentement : le consentement est-il tout- puissant (car
expression de la dignité même de celui qui l’exprime) ou peut-il être limité par la nécessité d’un consentement
qualifié (raisonnable, véritable, universalisable, digne...) ? Par exemple,un individu peut-il consentir à une action
qui serait pour lui dommageable ?

La dignité paraît imposer de respecter ce choix subjectif, si l’on considère qu’une limitation du consentement
serait une atteinte à la dignité. Mais la dignité peut aussi bien s’opposer à ce consentement, au nom de l’idée
selon laquelle on ne saurait consentir à tout ou dans n’importe quelles conditions. La doctrine kantienne est
parfois convoquée pour justifier une limitation au consentement : on considère alors qu’« un être autonome ne
peut vouloir rationnellement un comportement qui ne serait pas universalisable ».

De son côté, la psychanalyse permettrait de mettre en doute l’idée d’une universalité en la matière : sans doute
un sujet peut-il s’aveugler à son propre compte, mais « vouloir le bien d’autrui » peut être également dangereux.
Historiquement, l’eugénisme a pu reposer sur un argument tiré de la dignité...

Pour Stéphanie Hennette-Vauchez, avec ce principe de dignité, « on a changé de cadre ; on a quitté celui des
droits de l’homme » car « l’Humanité [est devenue] la nouvelle institution ». Pourtant, l’auteur sous-entend que
l’idée même d’institution serait problématique. Or les droits de l’Homme n’ont jamais été pensés sans
institution (c’est tout le Droit qui, sinon, disparaît !) : la Déclaration de 1789 consacre certes les droits et libertés
privés, mais toujours sous la condition du respect d’un ordre public.

Le problème de la dignité n’est donc pas qu’elle participe d’une institution juridique, mais que son sens puisse
radicalement modifier les institutions juridiques existantes, en devenant le fondement potentiel de toutes les
limitations apportées aux droits et libertés privés. Ce risque n’est effectivement pas exclu, tant le concept de
dignité reste vague.

C’est sur ce terrain précis qu’il faut raisonner la dignité : la dignité « publique » (en tant quecommune humanité)
peut-elle s’imposer sans remettre en cause la dignité « privée » (en tantqu’humanité éminemment singulière) ?

Pour certains, la réponse est clairement négative. La dignité entendue comme protection de l’individu contre
lui-même apparaît inadmissible : « on ne peut protéger l’homme contre lui-même, d’une part parce que l’homme
est libre, donc responsable, d’autre part parce qu’il n’y aurait pas de limites à l’atteinte portée à ses droits »7. En
imposant sa propre dignité à un sujet de droit, « quel moyen a-t-on de démontrer, sans nécessairement contrarier
le principe d’égalité entre les hommes, que ce regard soi-disant “objectif” est bel et bien moins subjectif que celui
de l’intéressé ? »8.

7 Jean-Philippe FELDMAN, « Faut-il protéger l’homme contre lui-même ? La dignité, l’individu et la personne humaine », Droits, n° 48, 2009, p. 104
8 Olivier CAYLA, « Le droit de se plaindre », in Oliver CAYLA et Yan THOMAS, Du droit de ne pas naître, Gallimard, Coll. Le Débat, 2002, p. 57.

138
Pour d’autres au contraire, les risques que présente la dignité ne doivent pas conduire à son exclusion pure et
simple ; la dignité permet de rappeler l’individu social à un certain sens des limites.

C’est alors la détermination de ces limites (et non pas le principe même de limites) qui est le véritable enjeu,
car cette détermination engage une façon de concevoir les rapports sociaux.

Il s’agirait par exemple de contenir le principe de façon à ne le faire jouer qu’en dernier recours, lorsque les
autres normes juridiques sont prises en défaut, face notamment à une réification manifeste d’un sujet de droit
ou du corps humain.

II. LA PROTECTION DE LA DIGNITÉ


Pour exposer les manifestations principales de la dignité en droit positif, il est possible de retenir ladéfinition
de M. Fabre-Magnan, qui identifie deux composantes principales (qui se recoupent parfois) du principe
de dignité : l’exigence de « ne pas traiter la personne humaine comme un moyen » (A) et celle « d’assurer les
besoins vitaux de la personne humaine » (B).

A. L’exigence de « ne pas traiter la personne humaine comme un moyen »

• Crime contre l’humanité

En matière de crime contre l’humanité, la dignité peut apparaître à la fois comme une revendication des
personnes atteintes dans leur dignité – par exemple les victimes d’exactions –, mais aussi commeune exigence
plus générale et objective de respect de l’humanité en tant que telle.

Comme son nom l’indique, un crime contre l’humanité est à la fois un crime contre telles ou telles personnes
humaines (ou telle population) niée(s) dans leur humanité, mais aussi, et par là même, un affront à l’Humanité
elle-même : le crime contre l’humanité « transcende l’individu, puisqu’en attaquant l’homme, l’humanité se
trouve visée et niée » (J.-Ph. FELDMAN).

Dans un important avis contentieux du 16 février 2009, le Conseil d’État affirme que les « persécutions
antisémites » ont été commises « en rupture absolue avec les valeurs et principes, notamment de dignité de la
personne humaine, consacrés par la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et par la tradition
républicaine » (CE, avis contentieux, Ass., 16 février 2009, Hoffman- Glemane).

• Liberté de communication

En vue du respect de l’article 1 de la loi du 30 septembre 1986 (modifiée sur ce point par la loi du 17 janvier
1989), le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) peut prendre des mesures de recommandation ou sanction
(contrôlées par le Conseil d’État) afin de mettre en demeure une chaîne de radio « de ne plus diffuser de propos
susceptibles de nuire gravement à l’épanouissement physique, mental ou moral des mineurs, ni de propos
susceptibles de porter atteinte à la dignité humaine de la personne humaine ou à la sauvegarde de l’ordre public
» (CSA, décision du 21 octobre 2003, Association Tropic FM, 2003-571).

Le Conseil d’État a pu admettre la suspension d’une émission de radio dont l’animateur « s’est [...] réjoui à quatre
reprises de cette nouvelle [la mort d’un policier tuée lors d’une fusillade avec des malfaiteurs] en tenant des
propos qui constituent une atteinte à la dignité humaine et à la sauvegarde de l’ordre public » (CE, 20 mai 1996,
Société Vortex, n°167694).

Dans une autre affaire, il a confirmé une décision du CSA sanctionnant après mise en demeure une association,
au motif que «dans la nuit du 21 au 22 mars 1994, lors d'une émission dite d'"antenne libre", diffusée par
l'association requérante, des auditeurs, intervenant à l'antenne, ont, à plusieurs reprises, proféré des propos
racistes et antisémites » et que « de tels propos étaient, en l'espèce, attentatoires à la dignité de la personne
humaine » (CE, 9 octobre 1996, Association Ici et maintenant, n°173073).

139
Également, le Conseil d’État a précisé que « les animateurs [d’une] émission, informés par les auditeurs de la
découverte des corps d'un enfant puis d'une femme dont les noms ont été révélés à l'antenne, ont incité les
auditeurs à multiplier les témoignages sur l'état des cadavres découverts et les ont encouragés à donner des
détails particulièrement choquants ; que l'attitude des animateurs de l'émission en cause, qui n'avaient pas pour
objectif l'information du public mais qui cherchaient à accroître l'audience de cette émission par l'étalage de
faits morbides, a constitué une atteinte à la dignité de la personne humaine ».

Le Conseil ajoute « qu'au cours de la même émission, les animateurs ont complaisamment laissé se répandre à
l'antenne des rumeurs, qui se sont d'ailleurs toutes révélées infondées, sur les circonstances de la mort de cet
enfant, ainsi que des appels à la vengeance populaire contre le prétendu violeur et meurtrier de celui-ci ; qu'un
tel comportementdes animateurs de l'émission a constitué, dans les circonstances de l'espèce, une atteinte à
l'ordre public» (CE, 30 août 2006, Association Free Dom, n°276866).

La Cour de cassation considère, à propos de la publication d’une photographie du préfet Erignac, « qu’ayant
retenu que la photographie publiée représentait distinctement le corps et le visage du préfet assassiné, gisant
sur la chaussée d'une rue de J., la cour d'appel a pu juger, dès lors que cette image était attentatoire à la dignité
de la personne humaine, qu'une telle publication était illicite, sa décision se trouvant ainsi légalement justifiée
au regard des exigences tant de l'art. 10 de la Convention européenne que de l'art. 16 » du Code civil (Cass., civ.,
1ère , 20 décembre 2000).

Dans le même ordre d’idées, la Cour de cassation estime que «la publication [d’une photographie représentant
un individu soumis à la torture], qui dénotait une recherche de sensationnel, n'était nullement justifiée par les
nécessités de l'information » et approuve le juge d’appel d’en avoir « justement déduit que, contraire à la
dignité humaine, elle constituait une atteinte à la mémoire ou au respect dû au mort et dès lors à la vie privée
des proches, justifiant ainsi que soit apportée une telle restriction à la liberté d'expression et d'information »
(Cass., civ. 1ère , 1er juillet 2010, n°09- 15479).

Cela dit, « le principe de la liberté de la presse implique le libre choix des illustrations d'un débat général de
phénomène de société sous la seule réserve du respect de la dignité de la personne humaine ». Il appartient au
juge de vérifier si l’information des lecteurs d’un journal peut justifierune publication et si cette publication
n’est pas de nature à porter atteinte à la dignité de la victime (Cass., civ. 2ème, 4 novembre 2004).

Le Conseil d’État a pu confirmer le refus du ministre de l’Intérieur d’interdire la mise en vente des ouvrages de «
littérature libertine » en complément du journal Le Monde, estimant que « les ouvrages proposés de Sade
contiennent des passages décrivant des sévices et des abus sexuels et font une large place à la violence et à
l'atteinte à la dignité des personnes et spécialement des femmes ; que toutefois, il s'agit d'auteurs reconnus de la
littérature française publiés légalement depuis plusieurs dizaines d'années » (CE, ord., 15 juillet 2010).

• Usages par la science, la médecine, le commerce

C’est à propos des avancées de la science, sur le fondement de l’alinéa 1er du Préambule de 1946,que le
principe de la sauvegarde de la dignité de la personne humaine « contre toute forme d’asservissement et de
dégradation » a été consacré par le Conseil constitutionnel.

L’article 16 du Code civil (issu de la loi n°94-653 du 29 juillet 1994) dispose que « la loi assure la primauté de la
personne, interdit toute atteinte à la dignité de celle-ci et garantit le respect de l’être humain dès le
commencement de sa vie ».

Selon le Conseil constitutionnel, le principe constitutionnel de dignité de la personne humaine comprend


plusieurs exigences corollaires: «la primauté de la personne humaine, le respect de l'être humain dès le
commencement de sa vie, l'inviolabilité, l'intégrité et l'absence de caractère patrimonial du corps humain ainsi
que l'intégrité de l'espèce humaine » (déc. n° 94-343/344 du 27 juillet 1994, Loi relative au respect du corps
humain et loi relative au don et à l'utilisation des éléments et produits du corps humain, à l'assistance médicale
à la procréation et au diagnostic prénatal, §18).

140
Concernant le système de santé, l’importante loi du 4 mars 2002 (relative aux droits des malades et à la qualité
du système de santé) a posé le principe général selon lequel « la personne malade a droit au respect de sa
dignité » (art. L. 1110-2 du Code de la santé publique).

Le principe de dignité participe aujourd’hui du droit de la bioéthique. Le législateur est intervenu en cette
matière par trois lois en 1994 (n° 94-548 ; n° 94-653 ; n° 94-654) puis par une loi du 6 août 2004 (n° 2004-800) et
récemment, par la loi du 2 août 2021 (n° 2021-1017).

• Interruption volontaire de grossesse

Selon le Conseil constitutionnel, « en portant de dix à douze semaines le délai pendant lequel peut être pratiquée
une interruption volontaire de grossesse lorsque la femme enceinte se trouve, du fait de son état, dans une
situation de détresse, la loi n'a pas, en l'état des connaissances et des techniques, rompu l'équilibre que le
respect de la Constitution impose entre, d'une part, la sauvegarde de la dignité de la personne humaine contre
toute forme de dégradation et, d'autre part,la liberté de la femme qui découle de l'article 2 de la Déclaration des
droits de l'homme et du citoyen» (déc. n° 2001-446 DC du 27 juin 2001, Loi relative à l'interruption volontaire de
grossesse et à la contraception ).

• Absence de responsabilité pour une trisomie ne résultant pas d’une amniocentèse

Commet une erreur de droit la Cour administrative d’appel qui décide « qu'il existait un lien de causalité directe
entre la faute commise par le Centre hospitalier régional de Nice à l'occasion de l'amniocentèse et le préjudice
résultant pour le jeune Mathieu de la trisomie dont il est atteint, alors qu'il n'est pas établi par les pièces du
dossier soumis aux juges du fond que l'infirmité dont souffre l'enfant et qui est inhérente à son patrimoine
génétique, aurait été consécutive à cette amniocentèse» (CE, Sect., 14 février 1997, Centre hospitalier régional
de Nice).

• Nul ne peut se prévaloir d’un préjudice du seul fait de sa naissance

Dans son célèbre arrêt « Perruche » de 2000, la Cour de cassation avait estimé que « si un être humain est
titulaire de droits dès sa conception, il n'en possède pas pour autant celui de naître ou de ne pas naître, de vivre
ou de ne pas vivre ; qu'ainsi, sa naissance ou la suppression de sa vie ne peut être considérée comme une chance
ou comme une malchance dont il peut tirer des conséquences juridiques » (Cass., Ass. Plén. 17 novembre 2000).

Un an plus tard, la Cour avait considéré que « l'enfant né handicapé peut demander la réparation du préjudice
résultant de son handicap si ce dernier est en relation de causalité directe avec les fautes commises par le
médecin dans l'exécution du contrat formé avec sa mère et qui ont empêché celle-ci d'exercer son choix
d'interrompre sa grossesse » (Cass., Ass. Plén., 13 juillet 2001).

La loi du 4 mars 2002 (art. 1er), aujourd’hui codifiée à l’article L. 114-5 du Code de l’action sociale et des familles
dispose désormais que « nul ne peut se prévaloir d'un préjudice du seul fait de sa naissance. La personne née avec
un handicap dû à une faute médicale peut obtenir la réparation de son préjudice lorsque l'acte fautif a provoqué
directement le handicap ou l'a aggravé, ou n'a pas permis de prendre les mesures susceptibles de l'atténuer.
Lorsque la responsabilité d'un professionnel ou d'un établissement de santé est engagée vis-à-vis des parents
d'un enfant né avec un handicapnon décelé pendant la grossesse à la suite d'une faute caractérisée, les
parents peuvent demander une indemnité au titre de leur seul préjudice. Ce préjudice ne saurait inclure les
charges particulières découlant, tout au long de la vie de l'enfant, de ce handicap. La compensation de ce dernier
relève de la solidarité nationale ».

Saisi d’une QPC, le Conseil constitutionnel n’a pas censuré le principe de cette disposition, mais sanctionne
simplement la rétroactivité prévue par le législateur pour les procédures introduites antérieurement à l’entrée
en vigueur de la loi (déc. n°2010-2 QPC du 11 juin 2010). Il a repris la solution des autres juridictions, tant
européennes (CEDH, 6 octobre 2005) qu’internes.

141
• Refus de soins et limites de la volonté du patient

Une transfusion sanguine avait été effectuée par un hôpital alors qu’en dépit de son état critique, l’époux de la
requérante avait manifesté par écrit et par oral son refus catégorique de subir des transfusions sanguines, en
raison de ses convictions religieuses. Selon le commissaire du gouvernement, la question était : « le droit de toute
personne de refuser un acte médical subsiste-t-il lorsque la vie de cette personne se trouve immédiatement
menacée ? ».

L’obligation de soins des médecins peut-elle prévaloir en tout état de cause ?

Selon l’article 16-3 du Code civil, « il ne peut être porté atteinte à l'intégrité du corps humain qu'en cas de
nécessité médicale pour la personne. Le consentement de l'intéressé doit être recueilli préalablement hors le
cas où son état rend nécessaire une intervention thérapeutique à laquelle il n'est pas à même de consentir ».

En vertu de l’art. L. 1111-2 du Code de la santé publique, « la personne malade peut s'opposer àtoute
investigation ou thérapeutique ». Cependant, comme le notait le commissaire du gouvernement, cette exigence
du consentement n’a jamais fait obstacle à des « considérations tenant à la sécurité des tiers et à la
préservation de l’ordre public » (personnes toxicomanes, alcooliques, aliénées, etc.).

En revanche, « lorsque la santé du patient est seule en jeu », le refus du malade s’oppose à toute forme de
traitement forcé si en dépit de ses efforts l’équipe médicale ne réussit pas à le convaincre. Le délit de non-
assistance à personne en danger n’est pas constitué lorsqu’un médecin « après avoir préconisé un traitement,
[a] expliqué sa nécessité au patient et suffisamment insisté pour qu'il l'accepte » mais se heurte à un refus formel.

Contre les conclusions du commissaire du gouvernement, le Conseil d’État considère néanmoins que la cour
administrative d’appel a commis une erreur de droit en faisant « prévaloir de façon générale l'obligation pour le
médecin de sauver la vie sur celle de respecter la volonté du malade ».

Jugeant l’affaire au fond, il estime pour autant que « compte tenu de la situation extrême dans laquelle M. S. se
trouvait, les médecins qui le soignaient ont choisi, dans le seul but de tenter de le sauver, d'accomplir un acte
indispensable à sa survie et proportionné à son état ».

Il ajoute que « dans ces conditions, et quelle que fût par ailleurs leur obligation de respecter sa volonté fondée
sur ses convictions religieuses, ils n'ont pas commis de faute de nature à engager la responsabilité de l'Assistance
Publique-Hôpitaux de Paris ».

Enfin, selon le juge, « il résulte de l'instruction, et notamment du rapport de l'expert désigné par ordonnance du
président de la Cour administrative d'appel de Paris, qu'en raison de la gravité de l'anémie dont souffrait M.
Senanayake, le recours aux transfusions sanguines s'est imposé comme le seul traitement susceptible de
sauvegarder la vie du malade » (CE, Ass., 26 octobre 2001, Mme Catherine S., concl. contraires Chauvaux, RFDA,
2002, p. 146).

• Interdiction de l’euthanasie

L’article 38 du Code de déontologie médicale dispose que « le médecin doit accompagner le mourant jusqu’à ses
derniers moments, assurer par des soins et des mesures appropriées la qualité d’une vie qui prend fin,
sauvegarder la dignité du malade et réconforter son entourage.

Il n’a pas le droit de provoquer délibérément la mort ». L’article 221-1 du Code pénal punit de trente ans de
réclusion criminelle le meurtre, c’est-à-dire « le fait de donner volontairement la mort à autrui ».

Dans l’arrêt Pretty, la Cour EDH considère que l’interdiction du « suicide assisté » n’est pas contraire à la
Convention (CEDH, 29 avril 2002, Pretty c. Royaume-Uni).

142
Le principe de l’interdiction demeure en droit français.

Toutefois, l’article L. 1110-5 du Code de la santé publique dispose que « toute personne a, compte tenu de son
état de santé et de l'urgence des interventions que celui-ci requiert, le droit de recevoir les soins les plus appropriés
et de bénéficier des thérapeutiques dont l'efficacité est reconnue et qui garantissent la meilleure sécurité sanitaire
au regard des connaissances médicales avérées. Les actes de prévention, d'investigation ou de soins ne doivent
pas, en l'état des connaissances médicales, lui faire courir de risques disproportionnés par rapport au bénéfice
escompté. Ces actes ne doivent pas être poursuivis par une obstination déraisonnable. Lorsqu'ils apparaissent
inutiles, disproportionnés ou n'ayant d'autre effet que le seul maintien artificiel de la vie, ils peuvent être
suspendus ou ne pas être entrepris. Dans ce cas, le médecin sauvegarde la dignité du mourant et assure la qualité
de sa vie en dispensant les soins visésà l'article L. 1110-10 » et poursuit : « les professionnels de santé mettent
en œuvre tous les moyens à leur disposition pour assurer à chacun une vie digne jusqu'à la mort. Si le médecin
constate qu'il ne peut soulager la souffrance d'une personne, en phase avancée ou terminale d'une affection
grave et incurable, quelle qu'en soit la cause, qu'en lui appliquant un traitement qui peut avoir pour effet
secondaire d'abréger sa vie, il doit en informer le malade, sans préjudice des dispositions du quatrième alinéa de
l'article L. 1111-2, la personne de confiance visée à l'article L. 1111-6, la famille ou, à défaut, un des proches. La
procédure suivie est inscrite dans le dossier médical ».

• Respect des morts

La jurisprudence administrative avait précisé que « les principes déontologiques fondamentaux relatifs au
respect de la personne humaine, qui s'imposent au médecin dans ses rapports avec son patient ne cessent pas
de s'appliquer avec la mort de celui-ci » (CE, Ass., 2 juillet 1993, Milhaud).

Le Code pénal atteste du lien opéré par le droit positif entre la dignité et le respect dû aux morts : le chapitre V
du Code pénal, intitulé « des atteintes à la dignité de la personne humaine », contient une section 4 consacrée
aux « atteintes au respect dû aux morts ».

L’article 225-17 de ce Code punit notamment la violation de sépulture et la profanation, « par quelque moyen
que ce soit, de tombeaux, de sépultures, d'urnes cinéraires ou de monuments édifiés à la mémoire des morts »
d'un an d'emprisonnement et de 15000 euros d'amende.

Le nouvel article 16-1-1 du Code civil (issu de la loi du 19 décembre 2008) dispose que « le respect dû au corps
humain ne cesse pas avec la mort ». Il en découle un principe de non-patrimonialité ducorps humain, c’est-
à-dire l’interdiction de commercialisation ou de paiement de produits humains.

Selon la Cour de cassation (dans la première application de cet article par le juge), « l’exposition decadavres
à des fins commerciales méconnaît [l’exigence selon laquelle les restes des personnesdécédées doivent
être traitées avec respect, dignité et décence] » (Cass., 1ère civ., 16 septembre2010, à propos de l’exposition
« Our Body »).

Le Tribunal de Grande Instance de Lille a pu estimer que « la dépouille mortelle fait l’objet d’un droit de propriété
familiale et demeure objet de respect dont le caractère sacré est rappelé » par l’art. 16-1-1 du Code civil (TGI
Lille, 6 janvier 2011).

B. L’exigence d’« assurer les besoins vitaux de la personne humaine »

• Conditions de détention

La Cour européenne des droits de l’homme impose aux États parties l’obligation positive de veiller au respect
de conditions de détention qui soient « compatibles avec le respect de la dignité humaine », en application de
l’art. 3 (CEDH, Kudla c/ Pologne). Ainsi, « l’article 3 impose à l’État de s’assurer que tout prisonnier est détenu
dans des conditions qui sont compatibles avec le respect de la dignité humaine » et « consacre l’une des valeurs
fondamentales des sociétés démocratiques. Même dans les circonstances les plus difficiles, telle la lutte contre le
terrorisme et le crime organisé, la Convention prohibe en termes absolus la torture et les peines ou traitements
inhumains ou dégradants » (CEDH, gr. ch., Ramirez Sanchez c. France, 4 juillet 2006, req. 59450/00).

143
L’article 2 impose de prévenir les risques de suicide des détenus (CEDH, 16 novembre 2000, Tanribilir c. Turquie,
n° 21422/93, §70 ; CEDH, 16 octobre 2008, Renolde c. France), ainsi que les risques d’automutilation (CEDH, 3
avril 2001, Keenan c/ Royaume-Uni, n° 27229/95, §91). De plus, la Cour a pu condamner la France pour torture à
l’encontre d’un gardé-à-vue (CEDH, 27 août 1992, Tomasi c. France).

La jurisprudence considère que « la pratique des fouilles à corps hebdomadaires, qui fut imposée au requérant
pendant une période d’environ trois ans et demi, alors qu’il n’y avait [...] aucun impératif de sécurité convaincant,
a porté atteinte à sa dignité humaine et a dû provoquer chez lui des sentiments d’angoisse et d’infériorité de
nature à l’humilier et à le rabaisser » (CEDH, 4 février 2003, Van Der Ven c. Pays-Bas ; v. aussi CEDH, 12 juin 2007,
Frérot c. France).

La Cour de Strasbourg a condamné la Grèce en des termes particulièrement sévères, estimant que « les
conditions de détention au centre de Pagani, notamment en ce qui concerne l’hébergement, l’hygiène et
l’infrastructure étaient si graves qu’elles portaient atteinte au sens même de la dignité humaine. Par conséquent,
elles s’analysaient, en elles-mêmes et sans prendre en considération la durée de la détention, en un
traitement dégradant contraire à l’article 3 » (CEDH, 5 avril 2011, Rahimi c. Grèce, n° 8687/08).

Le Conseil constitutionnel a été saisi le 27 janvier 2021 par le Conseil d'État d'une question prioritaire de
constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des articles 707, 720-
1, 720-1-1, 723-1, 723-7 et 729 du Code de procédure pénale.

La section française de l'observatoire international des prisons, à l'origine de cette question prioritaire de
constitutionnalité, faisait grief au législateur d'avoir méconnu le principe de sauvegarde de la dignité de la
personne humaine, celui de prohibition des traitements inhumains et dégradants ainsi que le droit à un recours
juridictionnel effectif en n'ayant pas imposé au juge, dans les dispositions contestées, de faire cesser des
conditions de détention contraires à la dignité de la personne humaine auxquelles seraient exposées des
personnes condamnées.

Or, il appartient au législateur de veiller à ce que tout le monde bénéficie « de l'exercice de recours assurant la
garantie de ces droits et libertés ». Par une décision n° 2021-898 QPC du 16 avril 2021, le Conseil constitutionnel
juge qu'il incombe au législateur de garantir aux personnes condamnées la possibilité de saisir le juge de
conditions de détention contraires à la dignité de la personne humaine, afin qu'il y soit mis fin.

Cette décision qui est la conséquence de la condamnation de la France par la CEDH le 30 janvier 2020, confirme,
à propos des détenus condamnés, la QPC rendue le 2 octobre 2020 au sujet des personnes en détention
provisoire (voir fiche sur la protection des détenus).

• Conditions de vie sociale

Le droit au logement a été consacré comme « fondamental » par la loi du 22 juin 1982 (« droit à l’habitat
», cette disposition ayant été abrogée en 1986).

Sur le fondement des alinéas 10 et 11 du Préambule de 1946 – ainsi que, dans sa jurisprudence ancienne, son
prologue (qui consacre la dignité) –, le Conseil constitutionnel a fait de « la possibilité de disposer d’un logement
décent » un objectif de valeur constitutionnelle (décision n° 94-359 DC du 19 janvier 1995, Loi relative à la
diversité de l’habitat).

Selon le Conseil d’État, le droit au logement n’est pas une liberté fondamentale au sens de l’article L. 521-2 du
Code de justice administrative (référé-liberté) (CE, ordonnance du 3 mai 2002).

La loi du 5 mars 2007 (DALO) institue un « droit à un logement décent et indépendant [... qui] est garanti par
l'État à toute personne qui, résidant sur le territoire français de façon régulière et dans des conditions de
permanence définies par décret en Conseil d'État, n'est pas en mesure d'y accéder par ses propres moyens ou
de s'y maintenir » (art. L. 300-1 du Code de la construction et de l’habitation).

144
Le Conseil Constitutionnel a déjà censuré une disposition législative qui permettait « de procéder dans l’urgence,
à toute époque de l’année, à l’évacuation, sans considération de la situation personnelle ou familiale, de
personnes défavorisées et ne disposant pas d’un logement décent », ce qui n’opérait pas une conciliation
suffisamment équilibrée entre la nécessité de préserver l’ordre public et les droits et libertés
constitutionnellement garantis (déc. n° 2011-625 DC du 10 mars 2011, Loi d’orientation et de programmation
pour la performance de la sécurité intérieure [LOPPSI 2]).

Dans le même ordre d’idées, le Conseil d’État avait affirmé que « toute décision de justice ayant force exécutoire
peut donner lieu à une exécution forcée, la force publique devant, si elle est requise, prêter main forte à cette
exécution ; que, toutefois, des considérations impérieuses tenant à la sauvegarde de l'ordre public ou à la
survenance de circonstances postérieures à la décision judiciaire d'expulsion telles que l'exécution de celle-ci
serait susceptible d'attenter à la dignité de la personne humaine, peuvent légalement justifier, sans qu'il soit
porté atteinte au principe de la séparation des pouvoirs, le refus de prêter le concours de la force publique » (CE,
30 juin 2010, req. n°332259).

La Cour de cassation a pu approuver un juge d’appel d’avoir considéré que « le logement occupé par les époux
Z. à Montgeron (Essonne), pour un loyer mensuel de 3 200 francs, contrevient aux dispositions du règlement
sanitaire départemental relatives, notamment, à la surface minimale des pièces, à la hauteur sous plafond, à
l'écoulement des eaux pluviales, à l'épaisseur et à l'isolation des murs, ainsi qu'aux normes afférentes aux
installations électriques », étant donné que « ce local, dont la superficie totale n'excédait pas 20 m2, était occupé
par trois personnes, dont un enfant et une femme enceinte ; [dont la santé] était mise en péril par l'humidité et
les conditions de chauffage, qui ont été à l'origine d'une intoxication oxycarbonée ».

Enfin les juges constatent que « Mamady Z., étranger en situation irrégulière, a été contraint d'accepter l'offre
de Régine X... pour pouvoir s'installer en région parisienne et y travailler ». Il en résulte une « incompatibilité
des conditions d'hébergement avec la dignité humaine [d'où] il résulte que la prévenue a abusé de la situation
de dépendance du locataire » (Cass., crim., 11 février 1998).

Le principe de dignité produit également des effets considérables en matière de conditions detravail. Ainsi la
Cour européenne condamne toute prostitution comme « incompatible avec les droits et la dignité de la personne
humaine dès lors qu’elle est contrainte » (CEDH, 11 décembre 2007, Tremblay c. France). Au demeurant, écrit
Bernard Edelman, cela sous-entend que « ce n’est pas la prostitution en soi qui est indigne » : « la dignité se
définit, alors, comme le droit fondamental de percevoir les revenus de l'exploitation de son corps » (B. EDELMAN,
« La Cour européenne des droits de l'homme et l'homme du marché », D., 2011, p. 897).

La Cour de cassation a récemment rappelé que « tout travail forcé est incompatible avec la dignité humaine »,
conformément à l'article 225-14 du Code pénal. Dans cette affaire, « Marthe S., dont [laprévenue] Affiba K. avait
conservé le passeport, avait été chargée par celle-ci d'exécuter, en permanence, sans bénéficier de congés, des
tâches domestiques, rétribuées par quelque argent de poche ou envoi de subsides en Côte-d'Ivoire », son pays
d’origine (Cass., crim., 13 janvier 2009, N° C08- 80.787).

La Cour condamne aujourd’hui le harcèlement par le management : des « méthodes de gestion mises en œuvre
par un supérieur hiérarchique, dès lors qu'elles se manifestent pour un salarié déterminé par des agissements
répétés ayant pour objet ou pour effet d'entraîner une dégradation des conditions de travail susceptibles de
porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir
professionnel » peuvent être qualifiées de harcèlement moral (Cass. Soc. 10 novembre 2009, Association Salon
vacances loisirs c/ M. Marquis, n° 07-45.321 et n° 08-41.497).

• Limites de l’« autonomie personnelle »

Dans un arrêt célèbre KA et AD contre Belgique, la Cour de Strasbourg a considéré que les ingérences d’un État
ne sont pas justifiées dans le domaine de pratiques sexuelles consenties, sauf s’il existe des « raisons
particulièrement graves » justifiant une intervention de l’État, en application de l’article 8 de la Convention
(CEDH, 17 février 2005, KA et AD contre Belgique). La Belgique avait condamné pénalement les requérants au
motif qu’ils s’étaient rendus coupables de coups et blessures dans le cadre de pratiques sadomasochistes, au
détriment de leur « victime » (qui ne s’était pas constituée partie civile).

145
1°) La Belgique avait-elle méconnu l’article 7, prescrivant la légalité des délits et des peines, en condamnant
les requérants ? En défense, les requérants estimaient que « la fin du vingtième siècle se caractériserait par un
important individualisme et par un grand libéralisme ou une grande tolérance, y compris envers certains actes de
violence pouvant théoriquement être qualifiés de coups et blessures, de tels actes faisant partie du
sadomasochisme ». La Cour estime ici que « les requérantsne pouvaient ignorer le risque de poursuites pour coups
et blessures auxquels ils s’exposaient » etnote que « les requérants sont respectivement professionnels du droit
et de l’art de guérir » (§58).

2°) La Belgique pouvait-elle intervenir sans méconnaître les exigences de l’article 8 de la Convention, imposant
notamment le respect de la vie privée et familiale ? La Cour rappelle sa jurisprudence selon laquelle « une
ingérence dans l’exercice d’un droit garanti par l’article 8 doit être prévue par la loi, inspirée par un ou des buts
légitimes [...] et nécessaire, dans une société démocratique, à la poursuite de ce ou ces buts » (§79).

Elle constate que l’ingérence était bien inspirée par des buts légitimes, tenant ici à la protection des droits et
libertés d’autrui. Elle concentre donc son attention sur la question de savoir si cette ingérence était nécessaire
dans une société démocratique pour atteindre ces buts. Selon la Cour, l’article 8 « protège le droit à
l’épanouissement personnel, que ce soit sous la forme du développement personnel [...] ou sous l’aspect de
l’autonomie personnelle ». Cela inclut le « droit d’opérer des choix concernant son propre corps ».

Il en résulte que « le droit pénal ne peut, en principe, intervenir dans le domaine des pratiques sexuelles
consenties qui relèvent du libre arbitre des individus ». Seules des « raisons particulièrement graves » peuvent
justifier une ingérence, ce qui était précisément le cas en l’espèce.

146
PARTIE 2 : LA PROTECTION DES DROITS ET LIBERTÉS RELATIONNELS

THÈME 1 : LA LIBERTÉ DE SE DÉPLACER

FICHE N°16 : LA LIBERTÉ D’ALLER ET VENIR

Résumé :

La liberté d’aller et venir s’entend de la liberté de se déplacer ou de s’établir. Le principe est que la liberté d’aller
et venir peut s’exercer librement, sans besoin d’autorisation préalable. Les seules restrictions qui peuvent lui
être apportées doivent être proportionnelles à la défense d’autres libertés de même valeur ou à la préservation
de l’ordre public.

Notions abordées dans la fiche :

- Mesures de police
- Liberté de circulation
- Liberté de stationnement
- Confinement
- Ordre public
- Contrôle de proportionnalité
- Liberté de manifester
- Passe sanitaire
- Droit d’entrer et de sortir du territoire

147
I. LE RÉGIME DE LA LIBERTÉ D’ALLER ET VENIR

A. Encadrement

La liberté d’aller et venir peut se définir comme la liberté de se déplacer ou de s’établir. L’ensemble des règles,
limitations et restrictions applicables à ce droit sont liées à la question du déplacement ou de l’établissement de
l’individu. Le Conseil constitutionnel reconnaît que la liberté d’aller et venir est la règle qui « doit s’entendre non
seulement de la liberté de circuler sur le territoire mais égalementdu droit de le quitter » (CC, 12-13 aout 1993,
n°93-325 DC, Maitrise de l’immigration).

La liberté d’aller et venir est liée à la liberté individuelle et est protégée par le bloc de constitutionnalité. Elle fut
rattachée aux articles 1, 2 et 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen qui consacre le principe
général de liberté.

Le Conseil constitutionnel lui a reconnu la valeur de principe à valeur constitutionnelle par la décision Ponts à
péage du 12 juillet 1979.

Au niveau international, la liberté d’aller et venir est protégée par l’article 12 du Pacte des Nations unies relatif
aux droits civils et politiques de 1966 ; l’article 5 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de
l’homme et des libertés fondamentales et l’article 2 du Protocole additionnel 4 à la Convention européenne.

Au niveau européen, la liberté d’aller et venir à une place particulière dans l’architecture de l’Union
européenne.

Le Traité de Rome proclamait le 25 mars 1957 la libre circulation des personnes (article 39, ex-article 48) et la
liberté d’établissement (article 43, ex-article 52) qui représentent le noyau dur de la liberté d’aller et venir.

Avec les Traités de Maastricht et d’Amsterdam, fut reconnu le droit pour tout citoyen de l’Union de circuler et
de séjourner librement dans les États membres (article 18, ex-article 8-A).

Les accords de Schengen ont institué la suppression des contrôles aux frontières à l’intérieur de l’Union
européenne.

Enfin, la Charte des droits fondamentaux à laquelle le Traité de Lisbonne donne valeur juridique, reconnaît en
son article 45 la liberté de circulation et de séjour des citoyens de l’Union sur le territoire des États membres.

Si les textes internationaux et constitutionnels permettent la protection de la liberté de circulation, il convient


d’observer le droit national pour comprendre le contenu et les aménagements de cette liberté.

Le législateur doit garantir la liberté individuelle tout en assurant la compatibilité de celle-ci avec les autres droits
et libertés de même valeur ; il s’agit là d’un impératif constitutionnel. Selon l’adage « la liberté est la règle et la
restriction l’exception » ; il s’agit donc pour le législateur de ne limiter la législation que pour assurer le respect
des autres droits et libertés, ou pour préserver l’ordre public.

La liberté de circulation n’est pas garantie de la même manière à toutes les personnes présentes sur le territoire
français ; ainsi les personnes détenues, les étrangers, les sans-domicile fixe, les malades, ne connaissent pas des
mêmes modalités d’exercice de cette liberté. Par exemple, la liberté d’aller et venir est réglementée pour l’entrée
et le séjour des étrangers, soumis à un régime spécifique.

Ces différences sont parfois dans le sens d’une plus grande protection pour une catégorie de personnes ; ainsi
l’article R. 111-4 du Code de la construction et de l’habitation impose de prévoir des dispositifs spécifiques
d’accès pour les personnes handicapées dans les lieux ouverts au public.

Exemple : le cas particulier des personnes sans domicile fixe.

148
Le régime des personnes sans domicile fixe (forains, nomades, etc.) repose sur les lois du 3 janvier 1969 et du 26
mai 1977 qui exigent un livret de circulation pour ceux qui ne disposent pas de résidence ni de domicile fixe. Un
décret du 12 octobre 1994 a institué un système permettant la délivrance de la carte nationale d’identité au
profit de ces personnes en les rattachant à leur centre d’accueil, facilitant ainsi les démarches auxquelles peut
être assujettie une personne sans domicile fixe.

La loi Besson n°90-449 du 31 mars 1990 a créé par son article 28 une obligation d’accueil des gens duvoyage dans
les communes de plus de 5000 habitants. Cette obligation ne se limite pas à un accueil formel des gens du voyage
mais comprend également l’obligation de leur offrir des conditionsdécentes de séjour, sous peine d’engager la
responsabilité de la collectivité publique.

Le Conseil Constitutionnel fut saisi d’une QPC portant sur certaines dispositions de la loi du 5 juillet 2000 relative
à l’accueil et à l’habitat des gens du voyage, prévoyant notamment, sous certaines conditions et garanties,
l’évacuation forcée des résidences mobiles. Les requérants y voyaient une rupture du principe d’égalité.

Le Conseil Constitutionnel a pris en compte la particularité des personnes susceptibles d’être concernées par de
telles mesures et a estimé que la distinction opérée par les dispositions législatives reposait sur des critères
rationnels et objectifs en lien avec l’objet de la loi, écartant ainsi le moyen avancé de la rupture d’égalité.

En 2012, le Conseil Constitutionnel a déclaré conforme le principe du livret de circulation à la liberté tout en
estimant que les sanctions prévues en cas de circulation sans livret portaient une atteinte disproportionnée à la
liberté d’aller et venir. Par la même décision, il a validé l’obligation derattachement à une commune imposée
aux personnes sans résidence fixe depuis plus de 6 mois (CC, 5 octobre 2012, n°2012-279 QPC M Jean-Claude P.
(régime de circulation des gens du voyages.).

Pour autant la loi relative à l’égalité et la citoyenneté du 27 janvier 2017 (loi L n° 20177-86 27 janvier 2017 relative
à l’égalité et la citoyenneté entrée en vigueur le 29 janvier 2017) est venue abroger ce régime (livret de circulation
et commune de rattachement) :

La liberté d’aller et venir se voit appliquer le régime juridique le plus favorable aux libertés fondamentales :
l’absence de réglementation. Normalement la liberté d’aller et venir s’exerce sans conditions particulières. Elle
ne peut donc faire l’objet de restrictions que représentent la déclarationou l’autorisation préalable – cf. le cas
d’une réglementation préfectorale interdisant aux prostituées de stationner de manière prolongée aux abords
de certains lieux (Crim, 1er février 1956 Flavien D.)

Les mesures qui restreignent l’exercice de la liberté d’aller et de venir sont suspectes d’illégalité, comme si par
présomption la liberté devait être protégée et que toute restriction consisterait en une atteinte. Dès lors, la
réglementation de cette liberté doit être justifiée et doit procéder d’une habilitation législative (au moins
indirecte). Un décret peut organiser les manifestations automobiles et motocyclistes sur la voie publique tout en
les soumettant à certaines restrictions si les conditions d’exercice de ces libertés visent à trouver un équilibre
entre la liberté d’organiser de telles manifestations et la sécurité des autres usagers (CE 7 mai 2008 Association
Collectif pour la Défense des Loisirs Verts, req. n° 298836). La restriction reste toujours soumise au contrôle du
juge et doit respecter le principe de proportionnalité.

B. Contrôle juridictionnel

Liberté individuelle, la liberté d’aller et venir peut néanmoins être contrôlée ou protégée également par le juge
administratif lorsqu’il statue sur des actes administratifs mettant en cause la liberté individuelle de façon
immédiate.

Le contrôle juridictionnel des atteintes à la liberté d’aller et venir se partage entre le juge judiciaire (gardien des
atteintes à la liberté constituant des atteintes à la sûreté) et le juge administratif (amené à se prononcer sur les
mesures générales restreignant la liberté de circulation des individus).

Dans tous les cas, le contrôle juridictionnel comporte un contrôle de proportionnalité : l’atteinte à la liberté doit
s’effectuer de manière proportionnelle à la gravité de la menace.

149
1. La répartition du contentieux

Pendant longtemps, la liberté d’aller et venir était intégrée dans l’article 66 de la Constitution. Par application de
la théorie de la voie de fait, le juge judiciaire était compétent (cette théorie permet de donner compétence au
juge judiciaire en cas de mesures administratives irrégulières manifestement insusceptibles de se rattacher à un
pouvoir de l’administration et portant gravement atteinte à une liberté fondamentale).

Néanmoins, une mesure de police affectant la liberté d’aller et venir afin de prévenir un trouble à l’ordre public
relève du juge administratif, et une atteinte effective à la liberté d’aller et venir relève du juge judiciaire.

Il en résulte aujourd’hui une compétence partagée de la protection de la liberté d’aller et venir bien que le juge
judiciaire reste le gardien constitutionnel de principe.

Depuis l’introduction de la QPC, le juge constitutionnel a joué un rôle important dans la protection de la liberté
d’aller et venir ; notamment sur les questions de garde à vue, d’expulsion des gens du voyage, et de mesures
d’assignation à résidence. À plusieurs occasions, il a renvoyé à la compétence du juge administratif la protection
de la liberté d’aller et venir dans le cadre de mesures de police administrative.

2. Le contrôle de proportionnalité

Il s’agit pour le juge de vérifier la cohérence interne d’un acte entre les moyens employés, les mesures prises et
la finalité poursuivie (par ex. CEDH, 2 décembre 2014, Battista c/ Italie, req. N°43978/09).

Ainsi, le Conseil constitutionnel a énoncé que la limitation de la liberté de mouvement des étrangers pour des
motifs d’ordre public devait être strictement proportionnée au but poursuivi (CC, 22 avril 1997, n° 97-389 DC
Certificats d’hébergement).

II. LES RESTRICTIONS À LA LIBERTÉ D’ALLER ET VENIR


Le principe étant la liberté, la restriction à celle-ci devra toujours être proportionnée au but poursuivi. La liberté
d’aller et venir peut ainsi être limitée pour deux raisons : la protection d’autres droits de même valeur, et la
protection de l’ordre public.

A. Les limites tenant au maintien de l’ordre public

L’ordre public au sens traditionnel du terme comprend la tranquillité, la sécurité et la salubrité publiques. Sa
sauvegarde se fait par réglementation de police.

• La détention (emprisonnement, mesures d’interdiction de séjour, mesure de contrôle judiciaire)

Ces mesures, consubstantielles à la procédure pénale, constituent une condition d’efficacité de la procédure
pénale, ou de la peine pénale. L’atteinte devra ici toujours être proportionnée à la finalité poursuivie ou à
la gravité des faits reprochés.

• La police de circulation

Que ce soit par air, mer ou terre, la liberté de circulation représente l’emblème le plus visible de la liberté d’aller
et de venir. Le piéton se voit imposer des restrictions minimes, là où les personnes utilisant un moyen de
déplacement seront soumises à davantage de restrictions. La mise en œuvre de certaines dispositions du code
de la route fonde des restrictions de fait à la liberté. Les professionnels de la route ne peuvent circuler que
dans certains lieux et à certains horaires (CE 5nov. 1980, Fédération nat. des transporteurs routiers).

La liberté de stationnement est incluse dans la liberté d’aller et venir (CE 22 février 1961 Lagoutte).

150
Le Conseil Constitutionnel s’est fondé sur l’ordre public pour justifier l’imposition aux conducteurs d’une voiture
de transport avec chauffeur de retourner dès la fin de leur prestation au lieu d’établissement de l’exploitant ou
dans un lieu où le stationnement est autorisé (CC, 22 mai 2015 Société UBER France SAS et autres, n°2015-
468/469/472 QPC « le législateur, poursuivant des objectifs d’ordre public, notamment de police de la circulation
et du stationnement sur la voie publique, a ainsi entendu garantir le monopole légal des taxis qui en découle »).

• Perturbation du service public

Le Conseil d’État a validé l’interdiction par arrêté du président d’université faite à un étudiant d’accéder aux
locaux de l’université au sein de laquelle il est inscrit et réside, pour une durée de trente (30) jours, sans
méconnaitre sa liberté d’aller et venir, dès lors que ce dernier s’est rendu coupable de blocages importants des
locaux de cette université et a engendré une importante perturbation du service public universitaire (CE, ord.
Réf. 18 janvier 2019, M.A.B.).

• Délivrance de passeport

La liberté d’aller et venir s’entend du droit de quitter et rentrer sur le territoire national (CE, 26 avril2005 Said L
Mamali, req. N°279842). La délivrance du passeport est intimement liée à cette liberté.

Le principe en la matière est la liberté et l’octroi inconditionné du passeport dès lors qu’aucun motif relatif à la
sécurité nationale ou à l’ordre public ne peut être avancé pour refuser la demande. De plus, le Conseil
constitutionnel a estimé que le retrait du passeport à un étranger ne saurait faire obstacle à l’exercice par
l’étranger du droit de quitter le territoire national, et de ses autres libertéset droits fondamentaux (CC, 22 avril
1997, Certificats d’hébergement).

Le retrait ou le refus non justifié d’octroi du passeport méconnait la liberté d’aller et de venir et doit être
considéré comme contraire aux articles 2 de la DDHC et 66 de la Constitution de 1958.

Le Conseil d’État avait pu par le passé annuler une décision administrative de refus de délivrance d’un passeport
français motivé par le refus de la requérante de produire des photos d’identités la représentant tête nue.

Le Conseil d’État avait considéré qu’au vu de l’absence de prescriptions de ce type dans le texte relatif aux
conditions de délivrance des passeports il n’y avait aucune nécessité à exiger cela pour maintenir la sécurité ou
l’ordre public (CE, 9 juin 1999, Mlle Bouayad).

B. Les limites tenant au respect d’autres droits et libertés

Des limites à la liberté d’aller et venir pourront être justifiées par la protection d’autres droits à valeur
égale, il s’agit là d’un impératif à valeur constitutionnel.

• Le principe d’égalité

Le principe d’égalité justifie les limites à la liberté d’aller et venir en matière de stationnement (limites
temporelles ou stationnement payant).

• La liberté de manifestation

Parfois deux expressions de la liberté d’aller et venir peuvent se trouver en confrontation ; c’est lecas entre
la liberté de manifester et la liberté de circuler. Une manifestation permet de donner corps aux libertés
d’expression et d’aller et venir des manifestants dans le même temps qu’elle limite la liberté d’aller et de venir
de ceux qui ne manifestent pas. En découle l’existence d’un régime juridique qui tente d’organiser cette liberté
d’une manière permettant d’assurer les expressions de cette liberté.

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• La liberté de conscience, religion ou expression

Comment concilier la liberté d’aller et venir avec le principe constitutionnel de la liberté de conscience,
religion ou expression ?

Le Conseil constitutionnel fut saisi le 14 septembre 2010 de la loi visant à interdire la dissimulationdu visage
dans l’espace public (CC, 7 octobre 2010, n°2010-613 DC, Loi interdisant la dissimulation duvisage dans l’espace
public).

Le Conseil a estimé que le législateur avait adopté des dispositions qui assuraient une conciliation non
manifestement disproportionnée entre la sauvegarde de l’ordrepublic et les droits constitutionnels concernés,
en s’appuyant sur l’article 4 de la DDHC.

Le Conseil d’État a dû se prononcer sur les arrêtés « anti-burkini » (CE, 26 août 2016, Ligue des droits de l’homme
et autres – association de défense des droits de l’homme collectif contre l’islamophobie en France, req.
N°402742) : les arrêtés en question visaient à interdire le port du burkini sur les plages de la commune de
Villeneuve-Loubet.

Le Conseil d’État a considéré que ces arrêtés portaient atteinte à la liberté d’aller et de venir, en se fondant sur
l’absence de risque réel d’atteinte à l’ordre public résultant de la tenue. Le CE souligne que « l’émotion et les
inquiétudes résultant des attentats terroristes, et notamment de celui commis à Nice le 14 juillet dernier, ne
sauraient suffire à justifier légalement la mesure d’interdiction contestée ».

C. La liberté d’aller et venir en état d’urgence

1. La liberté d’aller et venir et l’état d’urgence sécuritaire : les assignations


à résidence
Concernant les assignations à résidence dans le cadre de l’état d’urgence, leur régime a été largement modifié
par la loi du 20 novembre 2015 portant modification de la loi du 3 avril 1955 qui élargit considérablement les
pouvoirs du ministre de l’Intérieur en matière d’assignation à résidence : ce dernier peut faire conduire la
personne assignée à résidence par les services de police ou les unités de gendarmerie sur les lieux de
l’assignation ; astreindre les personnes assignées à résidence à demeurer dans leur lieu d’habitation pendant la
plage horaire qu’il fixe dans la limite de 12 heures par 24 heures ; prescrire à la personne assignée à résidence
l’obligation de se présenter périodiquement aux services de police ou aux unités de gendarmerie, ainsi que de
remettre son passeport ou tout document justificatif de son identité ; interdire à la personne assignée de se
trouver en relation directe ou indirecte avec certaines personnes.

A l’occasion de son avis préalable à l’adoption de la loi, le Conseil d’État dit s’être « assuré de ce que les
contraintes nouvelles assortissant l’assignation à résidence seraient réservées aux personnes à l’égard desquelles
il existe des raisons sérieuses de penser que leur comportement constitue une menace ; tempérées par des
garanties » (CE, avis 17 novembre 2015, n°390786).

La mesure d’assignation à résidence peut faire l’objet d’un référé. Le Conseil d’État a considéré qu’unréféré en
vue de faire suspendre l’application d’une assignation à résidence présente, en principe, un caractère d’urgence
et qu’il appartient au juge administratif de déterminer s’il existe une atteinte grave et manifestement illicite à
une liberté fondamentale. Le CE a ainsi posé une présomption du caractère de l’urgence requis pour une
demande en référé (CE, 11 décembre 2015, M.H.X.)

Le Conseil Constitutionnel s’est prononcé par voie d’une QPC sur la conformité de plusieurs points relatifs à l’état
d’urgence, dont le régime relatif aux assignations à résidence (article 6 de la loi de 1955). Il a considéré ce dernier
comme conforme à la Constitution et a exclu que la mesure d’assignation soit qualifiée de mesure privative de
liberté ! (CC, 22 déc. 2015 Cédric D., n°2015-527 QPC). Dès lors cette mesure ne relève plus du juge judiciaire
mais simplement du contrôle du juge administratif.

152
Ainsi, le Conseil d’État statuant en tant que juge d’appel des référés a suspendu une assignation à résidence. Il a
estimé qu’au regard des éléments de l’instruction en l’état, il n’existait pas de raisons sérieuses de penser que
l’individu présentait une menace pour la sécurité et l’ordre public (CE, 22 janvier 2016 M.A.B., req. N° 396116).
L’adoption de la loi LSI du 30 octobre 2017 a mené le CC à se prononcer sur le « nouveau » régime commun de
l’assignation ; le CC a encadré cette loi en fixant certaines barrières.

Ainsi, il a considéré que les assignations à résidence prononcées dans le cadre de la lutte contre le terrorisme ne
peuventprévoir, une durée totale, continue ou non supérieure à 12 mois sans méconnaitre la liberté d’aller et
venir (il s’agit d’une réserve d’interprétation) (CC, 16 février 2018 n°20187-691 QPC M Farouk B).

Dans la même idée, le CC a considéré que le renouvellement de l’établissement d’un périmètre de protection
par le préfet en prévision d’un événement ou d’une manifestation doit, pour ne pas méconnaitre la liberté d’aller
et venir, s’établir après l’évaluation et l’établissement préalable du risque par le préfet (CC, 29 mars 2018,
n° 2017-695 QPC M Rouchdi B et autres (mesures administratives de lutte contre le terrorisme) (réserve
d’interprétation).

2. La liberté d’aller et venir face à la COVID-19

La crise sanitaire de la COVID-19 a emporté avec elle une restriction phénoménale à la liberté d’aller et venir.
Quel impact le confinement a-t-il eu sur la liberté d’aller et venir ?

o Restriction totale des déplacements : du 17 mars au 11 mai, il a été interdit de se déplacer hors
de son domicile, sauf exceptions (achats de première nécessité, activité professionnelle, motif
de santé, motif familial, etc.), et avec attestation. Il était permis de se déplacer dans la limite
d'une heure et d'un kilomètre autour de son domicile.
o Restriction des déplacements à plus de 100 km : les déplacements ont été limités à 100
kilomètres (ou aux frontières du département) entre le 11 mai et le 2 juin, avec justificatif de
domicile datant de moins d'un an. Des exceptions étaient prévues mais avec une attestation.
o Restrictions locales de déplacement : en Ile-de-France, les habitants ont été invités à limiter
leurs déplacements au strict nécessaire. L'accès aux transports en commun pendant les heures
de pointe est réservé aux personnes disposant d’une attestation de leur employeur ou ayant
un motif impérieux de se déplacer. Les déplacements entre métropole et outre-mer restent
soumis aux motifs impérieux d'ordre sanitaire, familial ou professionnel, avec des mesures
spécifiques de couvre-feu qui persistent pour Mayotte et la Guyane.
o Fermeture des frontières : l’accès au territoire français est interdit à tous les ressortissants
étrangers de pays non-membres de l'Union européenne, de l'espace Schengen ou du Royaume-
Uni qui n'ont pas de raison impérative de se rendre en Europe et en France.
o Interdiction des navires de croisière dans les eaux françaises
o Interdiction des déplacements aériens pour les habitants des outre-mer : sauf exception, les
déplacements aériens étaient interdits depuis le 24 mars au départ du territoire hexagonal et
à destination des territoires ultramarins et entre ces collectivités.
o Mise en quatorzaine des personnes arrivant de l’étranger et de l’outre-mer : depuis le 30 mars,
une quatorzaine stricte avait été mise en place à l'arrivée dans lesterritoires ultramarins – une
mesure censurée par le Conseil constitutionnel le 11 mai comme privative de liberté.
o Accès limité aux plages, plans d’eau, jardins, parcs et autres espaces.

Le Conseil d’État s’est prononcé le 22 mars 2020 suite à une demande en référé-liberté déposée par le syndicat
Jeunes médecins de prononcer un confinement total de la population.

De l’avis du syndicat, les transports en commun devaient s’arrêter, de même que les activités professionnelles
non vitales ; une interdiction absolue de sortie, sauf motif médical, devait être décidée et un ravitaillement de la
population instauré. Pour les jeunes médecins, en s’abstenant de prendre de telles mesures, l’État portait
atteinte au droit à la vie et à la santé de la population, en particulier du personnel soignant.
153
Le référé-liberté permet au juge d’ordonner, dans les 48 heures, « toutes mesures nécessaires à la sauvegarde
d’une liberté fondamentale ». En d’autres termes, la demande se traduisait par une hiérarchisation de deux
libertés fondamentales ; la liberté d’aller et venir face au droit à la vie.

Pour le Conseil d’État, « le droit à la vie » est aussi une « liberté » au sens du référé - notion qu’il entend
largement ; il est donc possible de recourir à cette procédure pour protéger la vie, enparticulier en cas de carence
de l’autorité publique (au nom des « obligations positives »).

Dans ce contexte, deux types de droits fondamentaux sont en conflit : d’une part, les droits à la vie et à la santé,
et d’autre part, les libertés de circulation et de réunion. Sur un plan international, ces deux types de droits ne
sont pas tout à fait sur un pied d’égalité : alors qu’il est possible de déroger à la liberté de circulation en cas d’état
d’urgence, le droit à la vie est, quant à lui, intangible : les privations arbitraires de la vie sont interdites en toutes
circonstances (Art. 4 PIRDCP, 15 CEDH, 27 CADH).

Confronté à ce conflit, le Conseil d’État fait preuve d’une grande prudence. Il refuse d’ordonner un confinement
total, mais enjoint le gouvernement de « réexaminer le maintien de la dérogation « pour déplacements
brefs, à proximité du domicile » compte tenu des enjeux majeurs de santé publique » et de « préciser la portée de
la dérogation au confinement pour raison de santé ». Dès le lendemain de l’ordonnance du Conseil d’État, le 23
mars, la loi n°2020-290 du 23 mars 2020 est adoptée.

Les principales mesures restrictives de liberté susceptibles d’être adoptées dans le cadre de l’état d’urgence
sanitaire ressortent de l’article L. 3131-15 du CSP.

Ce texte permet au Premier ministre, dans les circonscriptions territoriales où l’état d’urgence sanitaire est
déclaré, agissant par décret réglementaire pris sur le rapport du ministre chargé des Solidarités et de la Santé,
aux seules fins de garantir la santé publique, notamment :
• De restreindre ou interdire la circulation des personnes et des véhicules dans les lieux et aux heures
fixés par décret ; d’interdire aux personnes de sortir de leur domicile, sous réserve des déplacements
strictement indispensables aux besoins familiaux ou de santé ;
• D’ordonner des mesures ayant pour objet la mise en quarantaine ou de placement et de maintien en
isolement ;
• D’ordonner la fermeture provisoire d’une ou plusieurs catégories d’établissements recevant du public ;
• De limiter ou interdire les rassemblements sur la voie publique et les réunions de toute nature ;
• D’ordonner la réquisition de tous biens et services nécessaires à la lutte contre la catastrophe sanitaire.

Ces mesures doivent, en tout état de cause, être strictement proportionnées aux risques sanitaires encourus et
appropriées aux circonstances de temps et de lieu. Il doit y être mis fin sans délai lorsqu’elles ne sont plus
nécessaires.

En application de ces dispositions, l’article 3 du décret du 23 mars 2020 interdit tout déplacement de personne
hors de son domicile, sauf exceptions et sous réserve d’éviter tout regroupement de personnes.

De ces exceptions participent les trajets domicile-travail, ceux effectués pour les achats de première nécessité,
pour raison de santé, pour motif familial impérieux ou, dans la limite d’une heure quotidienne et dans un
rayon maximal d’un kilomètre autour du domicile, les déplacements liés à l’activité physique individuelle, à la
promenade avec les seules personnes regroupées dans un même domicile, ou aux besoins des animaux de
compagnie. Ceci alors que les personnes souhaitant réaliser de tels déplacements doivent être munies d’un
document leur permettant de justifier que leur déplacement participe d’une de ces exceptions.

154
3. La liberté d’aller et venir et le passe sanitaire

Par sa décision n° 2021-824 DC du 5 août 2021, tout en admettant la conformité à la Constitution de dispositions
concernant le « passe sanitaire », le Conseil constitutionnel censure les dispositions de la loi relative à la gestion
de la crise sanitaire organisant la rupture anticipée de certains contrats de travail et le placement
« automatique » à l'isolement, qu'il juge contraires à la Constitution.

Au nombre des dispositions critiquées figuraient, au sein de l'article 1er de la loi déférée, celles subordonnant
l'accès à certains lieux, établissements, services ou événements à la présentation d'un « passe sanitaire »

Il était notamment reproché à ces dispositions de subordonner l'accès aux grands magasins et centres
commerciaux et aux transports publics à la présentation d'un « passe sanitaire », ce qui n'aurait pas d'intérêt
dans la lutte contre l'épidémie.

Il était soutenu qu'en outre, ces dispositions emporteraient des effets disproportionnés au regard de l'objectif
poursuivi, ce dont il résulterait une méconnaissance de liberté d'aller et de venir, du droit au respect de la vie
privée et du droit d'expression collective des idées et des opinions.

Par sa décision, le Conseil constitutionnel rappelle qu'il appartient au législateur d'assurer la conciliation entre
l'objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé et le respect des droits et libertés
constitutionnellement garantis.

Parmi ces droits et libertés figurent la liberté d'aller et de venir, composante de la liberté personnelle protégée
par les articles 2 et 4 de la Déclaration de 1789, le droit au respect de la vie privée garanti par cet article 2, ainsi
que le droit d'expression collective des idées et des opinions résultant de l'article 11 de cette déclaration.

A cette aune, le Conseil constitutionnel relève que les dispositions contestées prévoient que le Premier ministre
peut subordonner l'accès du public à certains lieux, établissements, services ou événements où se déroulent
certaines activités, à la présentation soit du résultat d'un examen de dépistage virologique ne concluant pas à
une contamination par la covid-19, soit d'un justificatif de statut vaccinal concernant la covid-19, soit d'un
certificat de rétablissement à la suite d'une contamination par la covid-19. Elles prévoient également que, à
compter du 30 août 2021, une telle mesure peut être rendue applicable aux personnes qui interviennent dans
ces lieux, établissements, services ou événements.

Le Conseil constitutionnel juge que ces dispositions, qui sont susceptibles de limiter l'accès à certains lieux,
portent atteinte à la liberté d'aller et de venir et, en ce qu'elles sont de nature à restreindre la liberté de se
réunir, au droit d'expression collective des idées et des opinions.

Toutefois, en premier lieu, le législateur a estimé que, en l'état des connaissances scientifiques dont il disposait,
les risques de circulation du virus de la covid-19 sont fortement réduits entre des personnes vaccinées, rétablies
ou venant de réaliser un test de dépistage dont le résultat est négatif. En adoptant les dispositions contestées,
le législateur a entendu permettre aux pouvoirs publics de prendre des mesures visant à limiter la propagation
de l'épidémie de covid-19. Il a ainsi poursuivi l'objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé.

En deuxième lieu, ces mesures ne peuvent être prononcées que pour la période, allant de l'entrée en vigueur de
la loi déférée au 15 novembre 2021, période durant laquelle le législateur a estimé qu'un risque important de
propagation de l'épidémie existait en raison de l'apparition de nouveaux variants du virus plus contagieux.

En troisième lieu, le législateur a circonscrit leur application à des lieux dans lesquels l'activité exercée présente,
par sa nature même, un risque particulier de diffusion du virus. En outre, il a entouré de plusieurs garanties
l'application de ces mesures.

Ainsi, s'agissant de leur application aux services et établissements de santé, sociaux et médico-sociaux, le
législateur a réservé l'exigence de présentation d'un « passe sanitaire » aux seules personnes accompagnant ou
rendant visite aux personnes accueillies dans ces services et établissements, ainsi qu'à celles qui y sont accueillies
pour des soins programmés.

155
Ainsi, cette mesure, qui s'applique sous réserve des cas d'urgence, n'a pas pour effet de limiter l'accès aux soins.
S'agissant de leur application aux grands magasins et centres commerciaux, il a prévu qu'elles devaient garantir
l'accès des personnes aux biens et services de première nécessité ainsi qu'aux moyens de transport accessibles
dans l'enceinte de ces magasins et centres.

S'agissant des déplacements de longue distance par transports publics interrégionaux, le législateur a exclu que
ces mesures s'appliquent « en cas d'urgence faisant obstacle à l'obtention du justificatif requis ». En outre, la
notion « d'activité de loisirs » exclut notamment une activité politique, syndicale ou cultuelle. Les mesures
contestées doivent être strictement proportionnées aux risques sanitaires encourus et appropriées aux
circonstances de temps et de lieu. Il y est mis fin sans délai lorsqu'elles ne sont plus nécessaires.

En quatrième lieu, les dispositions contestées prévoient que les obligations imposées au public peuvent être
satisfaites par la présentation aussi bien d'un justificatif de statut vaccinal, du résultat d'un examen de dépistage
virologique ne concluant pas à une contamination ou d'un certificat de rétablissement à la suite d'une
contamination.

Ainsi, ces dispositions n'instaurent, en tout état de cause, ni obligation de soin ni obligation de vaccination. En
outre, le législateur a prévu la détermination par un décret, pris après avis de la Haute autorité de santé, des cas
de contre-indication médicale faisant obstacle à la vaccination et la délivrance aux personnes concernés d'un
document pouvant être présenté dans les lieux, services ou établissements où sera exigée la présentation d'un
« passe sanitaire ».

En cinquième lieu, le contrôle de la détention d'un des documents nécessaires pour accéder à un lieu,
établissement, service ou événement ne peut être réalisé que par les forces de l'ordre ou par les exploitants de
ces lieux, établissements, services ou événements. En outre, la présentation de ces documents est réalisée sous
une forme ne permettant pas de connaître « la nature du document détenu » et ne s'accompagne d'une
présentation de documents d'identité que lorsque ceux-ci sont exigés par des agents des forces de l'ordre.

De l'ensemble de ces motifs, le Conseil constitutionnel déduit que les dispositions contestées opèrent une
conciliation équilibrée entre les exigences constitutionnelles précitées.

156
FICHE N°17 : L’ENTRÉE ET LE SÉJOUR DES ÉTRANGERS SUR LE
TERRITOIRE

Résumé :

Les textes internationaux ne reconnaissent pas aux étrangers le droit d'entrer et de séjourner librement dans
n'importe quel État, puisqu'ils réservent un tel droit aux nationaux. L’entrée des étrangers en France est en
principe subordonnée à la délivrance d’une autorisation, c’est-à-dire d’un visa. Ce document est nécessaire, mais
n’est pas suffisant : l’étranger peut se voir opposer un refus d’entrée malgré l’obtention de son visa. En outre,
si le visa permet d’entrer sur le territoire, le titrede séjour permet d’y demeurer. Il faut donc bien distinguer
ces deux objets, qui ne sont pas forcément liés.

Définition :

La liberté d'aller et venir garantit le droit d'aller d'un endroit à un autre. En ce sens, elle est attachée à la
personne humaine en tant que personne physique. Il s’agit d’une composante de la liberté personnelle protégée
par les articles 2 et 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et elle constitue une liberté
fondamentale au sens de l'article L. 521-2 du code de justice administrative.

Elle s'exerce, en ce qui concerne le franchissement des frontières, dans les limites découlant de la souveraineté
de l'État et des accords internationaux et n'ouvre pas aux étrangers un droit général et absolu d'accès sur le
territoire français. Celui-ci est en effet subordonné au respect tant de la législation et de la réglementation en
vigueur que des règles qui résultent des engagements européens et internationaux de la France.

Notions abordées dans la fiche :

- Liberté d’aller et venir


- Visa
- Carte de séjour
- Refus d’entrée
- Zone d’attente

157
L’obtention d’un visa est un préalable nécessaire à l’entrée sur le territoire (A). Plusieurs types devisa existent
(B) et en l’absence des documents requis, l’entrée pourra être refusée (C). L’attribution (D) comme le retrait des
titres de séjour (E) font l’objet d’un encadrement strict.

A. Généralités

Aux termes de l’article L. 311-1 du CESEDA : « Pour entrer en France, tout étranger doit être muni :
1° Sauf s'il est exempté de cette obligation, des visas exigés par les conventions internationales et par l'article 6,
paragraphe 1, points a et b, du règlement (UE) 2016/399 du Parlement européen et du Conseil du 9 mars 2016
concernant un code de l'Union relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes (code
frontières Schengen) ;
2° Sous réserve des conventions internationales, et de l'article 6, paragraphe 1, point c, du code frontières
Schengen, du justificatif d'hébergement prévu à l'article L. 313-1, s'il est requis, et des autres documents prévus
par décret en Conseil d'Etat relatifs à l'objet et aux conditions de son séjour et à ses moyens d'existence, à la
prise en charge par un opérateur d'assurance agréé des dépenses médicales et hospitalières, y compris d'aide
sociale, résultant de soins qu'il pourrait engager en France, ainsi qu'aux garanties de son rapatriement ;
3° Des documents nécessaires à l'exercice d'une activité professionnelle s'il se propose d'en exercer une ».

Il ressort de cette disposition que, sauf exception, tout étranger doit être muni :
• D’un passeport ;
• D’un visa ;
• De justificatifs (justificatif d’hébergement, documents établissant l’objet et les conditions de séjour en
France, documents justifiant des moyens d’existence pendant le séjour, attestation de prise en charge
par une assurance des dépenses médicales et hospitalières qui pourraient avoir lieu en France, des
garanties de rapatriement, le cas échéant, les documents nécessaires à l’exercice d’une activité
professionnelle).

Par conséquent, il n’existe pas un droit d’entrée inconditionnel. Cela a notamment été rappelé parle Conseil
constitutionnel dans sa décision CONS. CONST., 13 août 1993, déc. n° 93-325 DC, Loi relative à la maîtrise de
l’immigration et aux conditions d’entrée, d’accueil et de séjour des étrangers en France : «aucun principe non plus
qu'aucune règle de valeur constitutionnelle n'assure aux étrangers des droits de caractère général et absolu
d'accès et de séjour sur le territoire national ». Il affirme aussi que si la liberté d'aller et venir est reconnue aux
étrangers elle ne concerne que ceux qui résident sur le territoire.

Il en va de même de la Cour européenne des droits de l’homme dans un arrêt CEDH, 28 mai 1985, Abdulaziz et
a. c/ Royaume-Uni : en vertu d'un principe de droit international bien établi, il incombe aux États de contrôler
l'entrée des étrangers.

B. L’obligation de visa

Selon la durée de présence sur le territoire français, l’étranger devra faire une demande de visa court séjour (1)
ou de visa long séjour (2).

1. Le visa court séjour

Il existe une politique commune de visas court séjour sur le territoire européen, qui s’est traduite par l'adoption
d'un Code des visas. L’adoption de ce code a été effectuée par le biais du règlement n° 810/2009 du Parlement
européen et du Conseil. Ce règlement fixe les procédures et les conditionsde délivrance des visas de court séjour
pour les transits ou les séjours sur le territoire des pays de l'UE. Il dresse aussi la liste des pays hors UE dont les
ressortissants sont soumis à l’obligation de visa de transit aéroportuaire pour passer par la zone internationale
de transit des aéroports de l'UE et arrête les procédures et conditions de délivrance de ce type de visas.

158
Le droit européen définit le visa de court séjour comme « une autorisation accordée par un État membre en vue
du transit ou du séjour pour une durée totale n'excédant pas 90 jours sur toute période de 180 jours » ou en vue
« du passage par la zone internationale de transit des aéroports desÉtats membres » (règlement n° 810/2009).

Ce visa peut être obtenu auprès des autorités consulaires françaises du pays d'origine, sauf conjoints de Français.
Mais il ne confère pas un droit d'entrée irrévocable.

En cas de refus de délivrance de ce visa, un recours administratif préalable obligatoire (RAPO) doit être réalisé
devant la commission de recours contre les décisions de refus de visa d’entrée en France (CRRV), afin de lier le
contentieux. Ce dernier relève de la compétence exclusive du Tribunal administratif de Nantes.

2. Le visa long séjour

Aux termes de l’article L. 312-2 CESEDA : « Tout étranger souhaitant entrer en France en vue d'y séjourner pour
une durée supérieure à trois mois doit solliciter auprès des autorités diplomatiques et consulaires françaises un
visa de long séjour dont la durée de validité ne peut être supérieure à un an.

Ce visa peut autoriser un séjour de plus de trois mois à caractère familial, en qualité de visiteur, d'étudiant, de
stagiaire ou au titre d'une activité professionnelle, et plus généralement tout type de séjour d'une durée
supérieure à trois mois conférant à son titulaire les droits attachés à une carte de séjour temporaire ou à la carte
de séjour pluriannuelle prévue aux articles L. 421-9 à L. 421-11 et L. 421-13 à L. 421-24 ».

Le visa long séjour permet donc à l’étranger de séjourner en France pendant une période comprise entre quatre
mois et un an. Ce visa est accordé par les autorités consulaires françaises. Il est délivré le plus souvent pour les
études, le travail ou des raisons familiales. Plusieurs types de visas long séjour existent en fonction du motif
du séjour, de sa durée et de l'intention de demander un titre de séjour pour s'installer durablement en France.

Ainsi, par exemple, le visa long séjour mentionnant « carte de séjour à solliciter dans les deux mois suivant
l’arrivée » permet à l'étranger de demander un titre de séjour à son arrivée en France dans les deux mois de son
entrée en France.

Le visa de long séjour valant titre de séjour (VLS-TS) dispense de la demande de carte de séjour temporaire
pendant la durée de validité du visa. Il permet à leur titulaire de séjourner en France. Avec ce visa, les étrangers
sont dispensés de produire les justificatifs de séjour, de moyens d'existence et de rapatriement normalement
requis pour l’entrée sur le territoire. Sont notamment concernés par ce visa, les catégories d’étrangers suivants :
étudiant, salarié titulaire d’un contrat à durée indéterminée, ou encore les époux de français.

C. Le refus d’entrée

L'entrée sur le territoire français peut être refusée si l’étranger ne dispose pas des documents prévus par les
textes (passeport, visa, justificatifs de séjour et de ressources, etc.), s’il se propose d’occuper une activité
professionnelle sans être titulaire des documents nécessaires à l’exercice de celle-ci, si saprésence est susceptible
de constituer une menace pour l’ordre public, s’il fait l’objet d’un interdiction judiciaire du territoire, d’un arrêté
d’expulsion, d’une interdiction de retour sur le territoire français, d’une interdiction de circulation sur le territoire
français ou d’un interdiction administrative du territoire.

Toutefois, si l'étranger demande à entrer en France au titre de l'asile, l'entrée ne peut lui être refusée que si
l'examen de sa demande d'asile ne relève pas de la compétence de la France en application du règlement Dublin
III, si sa demande est irrecevable ou si la demande d'asile est une demande de réexamen qui ne repose sur aucun
élément nouveau.

Il est possible de contester la décision de refus d’entrée par un recours pour excès de pouvoir dans les deux
mois suivant sa notification tout en effectuant parallèlement un référé-suspension ou un référé-liberté.

159
En ce qui concerne les demandeurs d’asile, ils disposent d’un recours spécifique devant le président du tribunal
administratif, lequel doit être effectué dans les quarante-huit heures de la notification du refus d'entrée.

Certaines catégories d’étrangers (les non-admis, ceux qui sollicitent l’asile à la frontière ou ceux en transit
interrompu) arrivant en France depuis un pays extérieur à l'espace Schengen, à qui l'entrée du territoire a été
refusée, peuvent être placés en « zone d'attente ». Le placement en zone d'attente est prononcé pour quatre
jours au plus durant lesquels un recours est ouvert devant le tribunal administratif (article L. 341-2 CESEDA).

Passé quatre jours, le maintien ne peut être prolongé que par le juge des libertés et de la détention, pour une
période de huit jours, renouvelable exceptionnellement en cas de volonté délibérée de l'étranger de faire échec
à son départ, pour une nouvelle période de huit jours au plus. Si l'étranger placé en zone d'attente dépose
une demande d'asile dans les six derniers jours de cette nouvelle période, celle-ci est prorogée d'office de six
joursà compter du jour de la demande.

La décision de maintien en zone d'attente peut aussi faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir, mais ce
recours n'a pas d’effet suspensif. Par conséquent, le requérant reste en zone d'attente et peut même être
renvoyé vers son pays d'origine. Il convient donc d’assortir le recours d'une demande de suspension devant le
juge des référés (référé-suspension).

D. L’attribution d’un titre de séjour

Plusieurs conditions sont requises pour prétendre à l’obtention d’un titre de séjour (1). Ce dernier peut être
de plusieurs sortes (2).

1. Les conditions générales

Pour obtenir un titre de séjour, en principe, l’étranger doit justifier d’un visa long séjour (a). En outre, il ne doit
pas constituer un trouble à l’ordre public (b).

a) Le visa long séjour


Sont soumis à l’obligation de produire un visa long séjour les étrangers sollicitant :
• Une première carte de séjour temporaire portant une mention autre que « vie privée et familiale » :
« étudiant », « stagiaire », « salarié », « travailleur temporaire », « visiteur », etc. ;
• Une première carte de séjour pluriannuelle « passeport talent », « passeport talent (famille) ;
», « travailleur saisonnier », « salarié détaché ICT », « salarié détaché ICT (famille) » ;
• Une première carte de séjour temporaire portant la mention « vie privée et familiale » en tant que
membre de famille d'un étranger établi en France ou conjoint d'un ressortissant français ;
• Une carte de résident de plein droit en tant qu'enfant ou ascendant à charge d'un ressortissant français
ou de son conjoint (article L. 423-11 et L. 423-12 CESEDA).

b) L’absence de trouble à l’ordre public


La carte de séjour temporaire, la carte de séjour pluriannuelle ou encore la carte de résident peuvent être
refusées à tout étranger dont la présence constitue une menace pour l'ordre public.

Ainsi, aux termes des articles L. 432-1 et L. 432-1 du CESEDA, la carte de séjour temporaire ou la carte de séjour
pluriannuelle peut, par une décision motivée, être refusée à tout étranger dont la présence en France constitue
une menace à l’ordre public.

La menace à l'ordre public s'apprécie au regard de l'ensemble des éléments de fait et de droit caractérisant le
comportement personnel de l'étranger en cause. Il n'est donc ni nécessaire, nisuffisant que l'étranger ait fait
l'objet de condamnations pénales.

160
L'existence de celles-ci constitue cependant un élément d'appréciation au même titre que d'autres éléments tels
que la nature,l'ancienneté ou la gravité de faits reprochés à la personne ou encore son comportement habituel
(Circulaire 8 février 1994, NOR : INTD9400050C).

Le contrôle exercé par le juge sur l’appréciation de la menace à l’ordre public est un contrôle normal (C.E., 17
octobre 2003, n° 249183).

A ainsi été jugé comme étant constitutif d'une menace à l'ordre public le comportement de l'étranger qui a été
condamné à deux reprises pour trafic de stupéfiants et usurpation d'identité (C.E., 17 octobre 2003, n° 249183),
ou de l’étranger coupable d'escroqueries, de falsification de chèques et autres délits de même nature pour
lesquels il avait été condamné à dix mois d'emprisonnement avec sursis (CAA Lyon, 12 octobre 2006,
n° 02LY00441), ou encore de l’étranger qui a pris part à la préparation du génocide rwandais (C.E., 5 juin 2013,
n° 366219).

Cependant, l’existence d’une condamnation pénale ne suffit pas à justifier le refus de renouvellement d’un titre
de séjour : CAA Paris, 6 avril 2017, n° 16PA02093, CAA Paris, 31 janvier 2017, n° 16PA02342, CAA Paris, 6 juin
2016, 15PA02619.

Par ailleurs, il convient de mettre en balance la menace à l’ordre public avec le droit au respect de la vie privée
et familiale protégé par l’article 8 de la CESDH. Le juge est alors amené à effectuer un contrôle de
proportionnalité.

Sur ce fondement, il a par exemple annulé le refus de séjour à un ressortissant algérien né en France et y ayant
toujours vécu avec ses parents, dont plusieurs frères et sœurs avaient la nationalité française et qui était lui-
même père de deux enfants français, bien qu'il ait été condamné à cinq ans de réclusion criminelle pour tentative
de vol avec port d'arme (C.E., 2 avril 1997, n° 158910), ou encore à un étranger condamné en 1994 à deux ans
d'emprisonnement dont dix-huit mois avec sursis pour vol et escroquerie, alors qu'il était marié avec une
françaisedepuis 1991 et que le couple avait un enfant, de nationalité française, né en 1993 (C.E., 22 octobre 1999,
n° 172162).

2. Les catégories de titre de séjour

Les cartes de séjour temporaires peuvent être envisagées (a) avant d’envisager les autres possibilités d’obtention
d’un titre de séjour (b).

a) Les cartes de séjour temporaires pour ressortissants des pays tiers


Les principales CST sont les suivantes :

• La CST « visiteur »

Article L. 426-20 CESEDA : « L'étranger qui apporte la preuve qu'il peut vivre de ses seules ressources, dont le
montant doit être au moins égal au salaire minimum de croissance net annuel, indépendamment de l'allocation
aux adultes handicapés mentionnée à l'article L. 821-1 du code de la sécurité sociale et de l'allocation
supplémentaire mentionnée à l'article L. 815-24 du même code, se voit délivrer une carte de séjour temporaire
portant la mention « visiteur » d'une durée d'un an.

Il doit en outre justifier de la possession d'une assurance maladie couvrant la durée de son séjour et prendre
l'engagement de n'exercer en France aucune activité professionnelle.

Par dérogation à l'article L. 414-10, cette carte n'autorise pas l'exercice d'une activité professionnelle.

Les conditions d'application du présent article sont précisées par décret en Conseil d'Etat ».

Le montant des ressources exigé doit être au moins égal au SMIC net annuel, indépendamment des prestations
familiales, du RSA et des allocations de chômage du régime de solidarité.

161
Toutefois, lorsque les ressources du demandeur ne sont pas suffisantes, une décision favorable peut être prise
si le demandeur justifie être propriétaire de son logement ou en jouir à titre gratuit.

• La CST « étudiant »

Articles L. 422-1 CESEDA : « L'étranger qui établit qu'il suit un enseignement en France ou qu'il y fait des études
et qui justifie disposer de moyens d'existence suffisants se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant
la mention « étudiant » d'une durée inférieure ou égale à un an.

En cas de nécessité liée au déroulement des études ou lorsque l'étranger a suivi sans interruption une scolarité
en France depuis l'âge de seize ans et y poursuit des études supérieures, l'autorité administrative peut accorder
cette carte de séjour sous réserve d'une entrée régulière en France et sans que soit opposable la condition prévue
à l'article L. 412-1.

Cette carte donne droit à l'exercice, à titre accessoire, d'une activité professionnelle salariée dans la limite de
60 % de la durée de travail annuelle.».

Concernant les moyens d’existence suffisants, l’étranger doit justifier qu'il dispose de moyens d'existence,
correspondant au moins au montant de l'allocation d'entretien mensuelle de base versée, au titre de l'année
universitaire écoulée, aux boursiers du Gouvernement français.

Cette allocation d'entretien mensuelle de base est de 700 €/mois. Les avantages matériels divers (logement
gratuit chez un parent) sont pris en compte. Si l’étudiant est boursier d'un gouvernement étranger ou
bénéficiaire d'un programme européen comme Erasmus, il est regardé comme disposant de ressources
suffisantes.

Pour la délivrance de ce titre de séjour, le préfet sera amené à vérifier la réalité et le sérieux des études. Ainsi
par exemple, le refus fondé sur ce que l'intéressé ne pouvait plus être considéré comme ayant la qualité
d'étudiant en l'absence de motifs susceptibles d'expliquer ses échecs universitaires répétés est légal (C.E., 26
juin 1996, Chraibi).

De même, il appartient à l'administration saisie d'une demande de renouvellement d'une carte de séjour «
étudiant » de rechercher, à partirde l'ensemble du dossier, si l'intéressé peut être raisonnablement regardé
comme poursuivant effectivement des études (C.E., 16 mai 2003, Maltseva).

Par un arrêt du 1er juillet 2020, le Conseil d'État a rejeté la demande d’annulation de l’arrêté du 19 avril 2019,
qui prévoit une hausse substantielle des frais d’inscription à l’université principalement pour les étudiants
étrangers ressortissants de pays tiers à l’Union européenne.

Pour rejeter cerecours, le Conseil d’État souligne que « Eu égard aux objectifs poursuivis par le service public de
l’enseignement supérieur, parmi lesquels figure celui de former les individus susceptibles de contribuer à la vie
économique, sociale, scientifique et culturelle de la nation et à son développement, il était loisible aux ministres
de fixer les montants des frais d’inscription applicables aux étudiants inscrits dans les établissements publics
d’enseignement supérieur en vue de la préparation d’un diplôme national ou d’un titre d’ingénieur diplômé en
distinguant la situation, d’une part, des étudiants ayant, quelle que soit leur origine géographique, vocation à
être durablement établis sur le territoire national, et d’autre part, des étudiants venus en France spécialement
pour s’y former. La différence de traitement qui en résulte concernant les montants de frais d’inscription esten
rapport avec cette différence de situation et n’est pas manifestement disproportionnée au regard de l’objectif
poursuivi de formation de la population appelée à contribuer à la vie économique, sociale, scientifique et
culturelle de la Nation et à son développement ».

• La CST autorisant l’exercice d’une activité professionnelle

Les CST autorisant l’exercice d’une activité professionnelle regroupe notamment la CST mention « salarié » pour
l’exercice d’une activité salariée sous CDI (article L. 421-1 du CESEDA) et la CST mention « travailleur temporaire
» pour l’exercice d’une activité salariée sous CDD (article L. 421-3 du CESEDA) ;

162
• La CST « vie privée et familiale »

Le CESEDA prévoit plusieurs catégories d’étrangers pouvant bénéficier de plein droit de la CST portant la mention
« vie privée et familiale » (L. 423-1 et s. CESEDA).

Il en va ainsi des jeunes majeurs ayant été autorisés à séjourner au titre du regroupement familial et des enfants
ou conjoints d’étrangers en situation régulière, de ceux justifiant avoir résidé en France depuis l’âge de 13 ans
au plus et de ceux confiés à l’ASE depuis l’âge de 16 ans au plus. Il en va de même des conjoints de français, des
parents d’enfants français, ou encore des étrangers malades.

La carte délivrée pour motif familial donne droit à l'exercice d'une activité professionnelle.

• L’admission exceptionnelle au séjour (L. 435-1 CESEDA)

Aux termes de l’article L. 435-1 CESEDA : « L'étranger ne vivant pas en état de polygamie dont l'admission au
séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu'il fait valoir
peut se voir délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " salarié ", " travailleur temporaire " ou
" vie privée et familiale ", sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1.

Lorsqu'elle envisage de refuser la demande d'admission exceptionnelle au séjour formée par un étranger qui
justifie par tout moyen résider habituellement en France depuis plus de dix ans, l'autorité administrative est
tenue de soumettre cette demande pour avis à la commission du titre de séjour prévue à l'article L. 432-14.

Les modalités d'application du présent article sont définies par décret en Conseil d'Etat ».

Selon un avis C.E., 8 juin 2010, Sacko , en présence d'une demande de régularisation présentée sur le
fondement de l'article L. 313-14 (ancienne numérotation de l’article L. 435-1 du CESEDA), l'autorité
administrative doit d'abord vérifier si des considérations humanitaires ou des motifs exceptionnels justifient la
délivrance d'une carte portant la mention « vie privée et familiale », ensuite, en cas de motifs exceptionnels, si
la délivranced'une carte de séjour temporaire portant la mention « salarié » ou « travailleur temporaire » est
envisageable.

Le juge opère un contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation : C.E., 28 novembre 2007, ZHU.

L’article L. 435-1 ne peut pas être invoqué par les Algériens, les Tunisiens ou les Marocains qui sollicitent leur
régularisation exceptionnelle par le travail. Ainsi, conformément à l’avis C.E., mars 2010, Djilali Saou, dès lors
que l’accord Franco-Algérien régit de manière exclusive les conditions de délivrance d’un titre de séjour au titre
de la vie privée et familiale comme de l’emploi salarié, l’articleL. 435-1 n’est pas applicable aux ressortissants
algériens. Cela n’interdit pas, toutefois, au préfet d’user en leur faveur de son pouvoir général de régularisation
d’étrangers en situation irrégulière.

Un nouveau cas d’admission exceptionnelle au séjour a été introduit par la loi du 10 septembre 2018. Il concerne
l’étranger accueilli par un organisme d’accueil communautaire et d’activités solidaires (communautés Emmaüs,
par exemple) visé à l’article L. 265-1 du Code de l’action sociale et des familles, dès lors qu'il justifie de trois
années d’activité ininterrompue au sein de cet organisme, du caractère réel et sérieux de cette activité et de
ses perspectives d’intégration (articleL. 435-2 CESEDA).

b) Autres titres de séjour


Peuvent être envisagés successivement la carte de séjour pluriannuelle (i), puis la possibilité d’obtenir un titre
de séjour par le regroupement familial (ii) ou en vertu du pouvoir de régularisation du préfet (iii).

163
i. Les carte de séjour pluriannuelles pour ressortissants des pays tiers

• La carte de séjour pluriannuelle portant la mention « passeport talent » : articles L.421-7 à L. 421-25
du CESEDA

Sa durée de validité est de quatre ans au maximum. L'étranger doit présenter un visa de long séjour. Dans
certains cas, l'activité professionnelle salariée exercée n'est pas subordonnée à la délivrance d'une autorisation
de travail. Il en va ainsi des étrangers occupant un emploi hautement qualifié, des chercheurs, des artistes
interprètes ou d’un étranger de renommée nationale ou internationale.

• La carte de séjour pluriannuelle portant la mention « travailleur saisonnier » : article L. 421-34 du


CESEDA

Elle est délivrée aux étrangers sur présentation d'un contrat de travail d'au moins trois mois et qui s'engagent à
maintenir leur résidence habituelle hors de France. Elle permet l'exercice de travaux saisonniers pour une durée
n'excédant pas six mois par an et est accordée pour une durée maximale de trois ans renouvelables.

• La carte de séjour pluriannuelle portant la mention « salarié détaché ICT » (Intra corporatetransfer) :
articles L. 421-26 à L. 421-33 du CESEDA

Elle est délivrée à l'étranger qui vient en France pour occuper un poste d'encadrement supérieur ou pour
apporter une expertise dans un établissement ou une entreprise du groupe qui l'emploie, et à la condition qu’il
justifie d'une ancienneté professionnelle d'au moins trois mois dans celui-ci.

ii. Le regroupement familial

Article L. 434-2 du CESEDA : « L'étranger qui séjourne régulièrement en France depuis au moins dix-huit mois,
sous couvert d'un des titres d'une durée de validité d'au moins un an prévus par le présent code ou par des
conventions internationales, peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre du regroupement
familial :
1. Par son conjoint, si ce dernier est âgé d'au moins dix-huit ans ;
2. Et par les enfants du couple mineurs de dix-huit ans. ».

Aucun délai n’est exigé pour demander le bénéfice du regroupement familial. Ainsi, la circonstance qu’un
ressortissant étranger n’ait présenté une demande de regroupement familial que de nombreuses années après
son entrée en France ne figure pas parmi les motifs de refus des demandes de regroupement familial (C.E., 25
juillet 2008, Dkhichi).

L’article L. 434-7 du CESEDA prévoit les conditions matérielles au regroupement familial. Ainsi, le regroupement
familial ne peut être refusé que pour l'un des motifs suivants : le demandeur ne justifie pas de ressources stables
et suffisantes pour subvenir aux besoins de sa famille, le demandeur ne dispose pas ou ne disposera pas à la
date d'arrivée de sa famille en France d'un logement considéré comme normal pour une famille comparable
vivant dans la même région géographique ou le demandeur ne se conforme pas aux principes essentiels qui,
conformément aux lois de la République, régissent la vie familiale en France.

Le demandeur du regroupement familial dont les membres de la famille peuvent obtenir le même titre de séjour
est exempté de la condition de ressources. Il en va de même des personnes qui perçoivent l’allocation pour
adulte handicapé (AAH).

164
iii. Le pouvoir de régularisation du préfet

Conformément à l’arrêt C.E., 6 décembre 2013, Ndong, le préfet, dès lors qu'il ne se trouve pas en situation de
compétence liée, peut, lorsqu'il est saisi d'une demande de titre de séjour, examiner d'office si l'étranger peut
prétendre à un titre sur le fondement d'une autre disposition, s'il remplitles conditions qu'elle prévoit ou lui
délivrer, dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire de régularisation et compte tenu de l'ensemble de sa
situation personnelle, le titre qu'il demande ou unautre titre.

Par conséquent, l’administration dispose de la faculté, dans le cadre de son pouvoir discrétionnaire, d’accorder
un titre de séjour à l’étranger qui ne remplit pas les conditions légales et réglementaires pour l’obtenir (C.E., avis,
22 août 1996, n° 359622).

Ainsi, sous réserve des hypothèses où le demandeur peut faire valoir le droit à une vie familiale normale ou
lorsqu'une mesure d'éloignement aurait des conséquences d'une gravité exceptionnelle sur la situation
personnelle de celui-ci l'administration n'a l'obligation ni de rejeter une demande de régularisation, ni de
l'accueillir.

E. Le retrait des titres de séjour

Le retrait des titres de séjour peut être effectué dès lors que l’étranger constitue une menace àl’ordre public
(1) ou qu’il a commis une fraude (2).

1. La menace à l’ordre public

La carte de séjour temporaire ou la carte de séjour pluriannuelle de l'étranger qui constitue une menace à
l'ordre public peut être retirée (article L. 432-4 CESEDA).

2. La fraude

Il existe un pouvoir général de retrait de tout acte obtenu par fraude. Ainsi, conformément à l’arrêt C.E., 29
novembre 2002, Assistance Publique-Hôpitaux de Marseille, un acte administratif obtenu par fraude ne crée
pas de droits. L'autorité compétente pour le prendre peut en conséquence le retirer ou l'abroger alors même
que le délai de retrait de droit commun serait expiré.

Selon un arrêt C.E., 11 mars 2013, Mme Berouaken, en l’absence de stipulations expresses prévues sur ce point
par l’accord franco-algérien précité, le préfet de police peut légalement faire usage du pouvoir général qu’il
détient, même en l’absence de texte, pour retirer une décision individuelle créatrice de droits obtenue par
fraude. L’administration doit cependant rapporter la preuve de la fraude, et non la requérante, dont la bonne foi
se présume.

Enfin, les articles L. 432-2, L. 432-5 et L. 433-1 CESEDA prévoient que l'étranger titulaire d'une carte de séjour
temporaire ou d'une carte de séjour pluriannuelle doit être en mesure de justifier qu'il continue de remplir les
conditions requises pour la délivrance de cette carte. L'autorité administrative peut procéder aux vérifications
utiles pour s'assurer du maintien du droit au séjour de l'intéressé et, à cette fin, convoquer celui-ci à un ou
plusieurs entretiens.

Si l'étranger cesse de remplir l'une des conditions exigées pour la délivrance de la carte de séjour dont il est
titulaire, fait obstacle aux contrôles ou ne défère pas aux convocations, la carte de séjour peut lui être retirée
ou son renouvellement refusépar une décision motivée. La décision de retrait ne peut intervenir qu'après que
l'intéressé a été mis à même de présenter ses observations dans les conditions prévues aux articles L. 121-1 et
L. 121-2 du Code des relations entre le public et l'administration. N'est pas regardé comme ayant cessé de
remplir la condition d'activité prévue aux articles L. 421-1, L. 421-9 à L. 421-11 et L. 421-13 à L. 421-21 l'étranger
involontairement privé d'emploi au sens de ces mêmes articles.

165
FICHE N°18 : LES MESURES D’ÉLOIGNEMENT DES ÉTRANGERS

Résumé :

Tout ressortissant étranger en situation irrégulière, c’est-à-dire qui ne peut justifier être en possession de l’un
des titres de séjour prévus par le CESEDA, peut faire l’objet d’une mesure d’éloignement à destination de son
pays d’origine ou de tout autre pays dans lequel il est légalement admissible.

Le CESEDA distingue différentes mesures d’éloignement parmi lesquelles l’expulsion, l’interdiction du territoire
français ou encore l’obligation de quitter le territoire français.

Définition :

En application de la liberté d’aller et venir, alors que les textes internationaux et nationaux conduisent à faire
une distinction entre les citoyens d'un État et les étrangers, notamment pour pénétrer sur le sol national, en
Europe, le droit communautaire tend à différencier le statut des citoyens européens de celui des autres
étrangers, pour le rapprocher de celui des ressortissants de l'État membre d'accueil.

Ainsi, sous réserve de l'exception applicable aux citoyens européens dans l'Union européenne, les États, qui
restent souverains à cet égard, n'ont en principe pas l'obligation d'accepter un étranger sur leur sol. Dans
l’hypothèse où l’étranger ne satisfait pas aux conditions de séjour sur le territoire, des mesures pourront être
prises, comme une obligation de quitter le territoire (OQTF) prise par le préfet de département ou encore un
arrêté préfectoral de reconduite à la frontière (article L. 610-1 et s. CESEDA).

Notions abordées dans la fiche :

- Obligation de quitter le territoire


- Expulsion
- Rétention
- Extradition
- Interdiction de territoire

166
I. LES OBLIGATIONS DE QUITTER LE TERRITOIRE (OQTF)

En cas de situation irrégulière, l’étranger pourra faire l’objet d’une obligation de quitter le territoire français,
avec ou sans délai de départ volontaire, avec ou sans interdiction de retour sur le territoire (I). En toutes
hypothèses, ces décisions pourront être contestées devant le juge administratif (II).

A. LE RÉGIME DES OBLIGATIONS DE QUITTER LE TERRITOIRE FRANÇAIS

Il convient de distinguer le cas des OQTF prononcées à l’égard des étrangers non-ressortissants de l’UE (A), de
ceux qui le sont (B). L’administration dispose de certains moyens pour procéder à l’exécution d’office d’une
mesure d’éloignement (C). Pourtant, certains étrangers sont protégéscontre les OQTF (D), lesquelles doivent être
proportionnées (E). Lorsqu’une OQTF est adoptée, le préfet détermine aussi le pays à destination duquel
l’étranger sera renvoyé (F).

1. Le cas des étrangers non-ressortissants de l’UE

Un arrêté portant obligation de quitter le territoire français (1) peut être accompagné d’une décision de refus de
délai de départ volontaire (2), ainsi que d’une interdiction de retour sur le territoire français (3).

a) Le domaine d’application

Le CESEDA distingue plusieurs cas dans lesquels l’étranger non ressortissant de l’UE peut faire l’objet d’une
OQTF. Il en va ainsi en cas d’entrée irrégulière (a), de maintien irrégulier sur le territoire (b), de refus de
délivrance d’un titre de séjour (c), de refus de la qualité de réfugié (d), de menace à l’ordre public (e) ou de travail
illégal (f).
• L’entrée irrégulière

L’alinéa 1° de l’article L. 611-1 du CESEDA prévoit la possibilité d’adopter une OQTF si l'étranger ne peut justifier
être entré régulièrement sur le territoire français, à moins qu'il ne soit titulaire d'un titre de séjour en cours de
validité.
• Le maintien irrégulier sur le territoire

Aux termes de l’alinéa 2° de l’article L. 611-1 du CESEDA, l’adoption d’une OQTF est possible si l'étranger
s'est maintenu sur le territoire français au-delà de la durée de validité de son visa ou, s'il n'est pas soumis à
l'obligation du visa, à l'expiration d'un délai de trois mois à compter de son entrée sur le territoire sans être
titulaire d'un premier titre de séjour régulièrement délivré.

Il en va de même, si l'étranger n'a pas demandé le renouvellement de son titre de séjour temporaire ou
pluriannuel et s'est maintenu sur le territoire français à l'expiration de ce titre.

• Le refus de délivrance d’un titre de séjour

L’alinéa 3 de l’article L. 611-1 du CESEDA admet les OQTF si la délivrance ou le renouvellement d'untitre de
séjour a été refusé à l'étranger ou si le titre de séjour qui lui avait été délivré lui a été retiré.

Il s’agit de l’hypothèse la plus classique : un même arrêté refuse un titre de séjour à l’étranger et assortit
son refus d’une OQTF.

Dans ce cas, le refus de titre est la base légale de l’OQTF. La légalité de l’OQTF suivra celle du refus dedélivrance
d’un titre de séjour. Si le refus de délivrance est annulé, l’OQTF est également annulée par voie de conséquence.

Puis cet alinéa admet les OQTF si le récépissé de la demande de cartede séjour ou l'autorisation provisoire de
séjour qui avait été délivrée à l'étranger lui a été retirée ou sile renouvellement de ces documents lui a été refusé.

Les décisions prises sur ces fondements ne doivent pas nécessairement faire l’objet d’une motivation distincte
de celle relative au séjour.
167
• Les demandeurs d’asile déboutés
C’est l’alinéa 4° de l’article L. 611-1 du CESEDA qui admet une OQTF si la reconnaissance de la qualité de réfugié
ou le bénéfice de la protection subsidiaire a été définitivement refusé à l'étranger ou si l'étranger ne bénéficie
plus du droit de se maintenir sur le territoire français en application des articles L. 542-1 et L. 542-2 à moins qu'il
ne soit titulaire d'un titre de séjour en cours de validité.

Pour l’application de cette disposition, le refus doit être définitif. Ainsi, si la mesure est prise avant l’écoulement
du délai pour former un pourvoi contre l’arrêt de la Cour nationale du droit d’asile (CNDA), elle encourt
l’annulation.

• La menace à l’ordre public


L’alinéa 5° de l’article L. 611-1 du CESEDA prévoit qu’une OQTF peut être adoptée si le comportement de
l'étranger qui ne réside pas régulièrement en France depuis plus de trois mois constitue une menace à l'ordre
public.

Il y a donc une double condition qui est posée :


• La résidence irrégulière ;
• Un comportement constituant une menace à l’ordre public.

La caractérisation de la menace à l’ordre public est contrôlée par le juge administratif.

• Le travail illégal

Conformément à l’alinéa 6° de l’article L. 611-1 du CESEDA, l’autorité administrative peut adopter une OQTF, si
l'étranger qui ne réside pas régulièrement en France depuis plus de trois mois a méconnu l'article L. 5221-5 du
Code du travail.

Cette disposition vise spécifiquement les étrangers en situation irrégulière contrôlés sur leur lieu de travail alors
qu’ils ne disposaient d’aucune autorisation de travail.

b) Le refus de délai de départ volontaire (DDV)

En application de l’article L. 612-1 du CESEDA, en principe, l’étranger faisant l’objet d’un OQTF dispose d’un délai
de 30 jours pour organiser son départ. Théoriquement, il peut faire valoir des circonstances particulières pour
demander un allongement de ce délai, mais en pratique cela est peu demandé et encore moins accordé.

L’administration peut, dans trois hypothèses, refuser l’octroi d’un délai de départ volontaire (DDV) :
• Si le comportement de l'étranger constitue une menace pour l'ordre public ;
• Si l'étranger s'est vu refuser la délivrance ou le renouvellement de son titre de séjour, de son récépissé
de demande de carte de séjour ou de son autorisation provisoire de séjour au motif que sa demande
était ou manifestement infondée ou frauduleuse ;
• S'il existe un risque que l'étranger se soustraie à cette obligation.

Cette hypothèse correspond au cas le plus fréquent et il convient par conséquent de la développer davantage.
Le CESEDA distingue là encore huit cas dans lesquels l’administration pourra considérer lerisque de soustraction
à l’exécution de la mesure comme étant établi, toujours sauf circonstances particulières (article L. 612-3 du
CESEDA). On peut distinguer quatre situations.

• L’étranger n’ayant pas demandé un titre de séjour ou son renouvellement

Les trois premiers cas prévus concernent l’étranger entré ou s’étant maintenu irrégulièrement en France et
n’ayant pas sollicité un titre de séjour ou son renouvellement. Un tel fondement ne pourra pas être retenu si par
exemple l’étranger dispose d’une attestation de dépôt d’une demande de titre de séjour.
168
Pour cette raison, il est important de solliciter dès que possible (si les éléments du dossier le permettent) un
titre de séjour en préfecture et de soumettre sa demande de renouvellementavant l’expiration du titre en
cours de validité.

• Des éléments « objectifs » rendent plausibles une inexécution

Ce risque est établi dès lors que l’étranger a déjà fait l’objet d’une OQTF qu’il n’a pas exécuté spontanément. Il
convient de vérifier toutefois que cette précédente mesure n’a pas été annulée par le tribunal administratif ou
que cette dernière ne fait pas l’objet d’un recours en cours d’instruction.

Dans le même ordre d’idées, le risque est établi si l’étranger a fait l’objet d’une mesure d’éloignement exécutoire
prise par un autre État Schengen.

Il en va de même si l’étranger a explicitement déclaré (notamment lors de l’audition précédant la notification


de la mesure) son intention de ne pas se conformer à son OQTF.

• L’étranger possédant ou faisant usage d’un titre falsifié ou appartenant à une autre personne

Cette hypothèse vise potentiellement beaucoup d’étrangers obligés de recourir à des titres falsifiés ou
appartenant à d’autres personnes pour travailler.

• L’étranger ne présente pas de garanties de représentation suffisantes

Cette absence de garanties de représentation est caractérisée notamment en cas de :


o Absence de passeport ou titre d’identité en cours de validité ;
o Refus de communiquer les informations permettant d’établir son identité ;
o Refus de se soumettre à un relevé d’empreintes digitales ;
o Absence de justificatifs d’une résidence effective et permanente dans un locald’habitation ;
o Soustraction à une précédente mesure d’exécution d’une mesure d’éloignement.

Le refus de délai de départ volontaire doit être motivé et entraîne des conséquences majeures entermes de
procédure (notamment les délais de recours).

c) L’interdiction de retour sur le territoire français (IRTF)

Le CESEDA, dans ses articles L. 612-6 et suivants, prévoit la possibilité ou l’obligation pour l’autorité
administrative d’adopter, concomitamment avec l’OQTF, une décision d’interdiction de retour sur le territoire
français.

Ainsi, lorsqu’il prend une OQTF sans délai, le préfet doit assortir cette obligation d’une IRTF d’une durée
maximale de 3 ans. La durée varie en fonction de la nature et de l’ancienneté des liens avec la France, de
l’existence ou non d’une précédente OQTF et de la menace éventuelle à l’ordre public.

Dans l’hypothèse d’une OQTF avec délai, le préfet peut assortir cette obligation d’une IRTF d’une durée
maximale de 2 ans.

La durée de l’IRTF commence à courir à compter de l’exécution de la mesure d’éloignement. En pratique, l’IRTF
est quasiment systématiquement prononcée (sauf circonstances humanitaires).

Il est possible de demander l’abrogation de l’IRTF mais cette demande n’est recevable que si l’étranger, au
moment où il fait sa demande, réside hors de France ou à défaut est incarcéré ou fait l’objet d’une assignation à
résidence.

169
2. Le cas des ressortissants de l’UE

Aux termes de l’article L. 251-1 du CESEDA, « L'autorité administrative compétente peut, par décision motivée,
obliger les étrangers dont la situation est régie par le présent livre, à quitter le territoire français lorsqu'elle
constate les situations suivantes :
1° Ils ne justifient plus d'aucun droit au séjour tel que prévu par les articles L. 232-1, L. 233-1, L. 233-2 ou L. 233-
3;
2° Leur comportement personnel constitue, du point de vue de l'ordre public ou de la sécurité publique, une
menace réelle, actuelle et suffisamment grave à l'encontre d'un intérêt fondamental de la société ;
3° Leur séjour est constitutif d'un abus de droit.

Constitue un abus de droit le fait de renouveler des séjours de moins de trois mois dans le but de se maintenir
sur le territoire alors que les conditions requises pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois ne sont pas
remplies, ainsi que le séjour en France dans le but essentiel de bénéficier du système d'assistance sociale.

L'autorité administrative compétente tient compte de l'ensemble des circonstances relatives à leur situation,
notamment la durée du séjour des intéressés en France, leur âge, leur état de santé, leur situation familiale et
économique, leur intégration sociale et culturelle en France, et l'intensité des liens avec leur pays d'origine ».

L'autorité administrative peut, par décision motivée, assortir la décision portant obligation de quitter le territoire
français édictée sur le fondement des 2° ou 3° de l'article L. 251-1 d'une interdiction de circulation sur le territoire
français d'une durée maximale de trois ans.

3. L’exécution des OQTF

L’administration dispose de deux moyens pour procéder à l’exécution d’office d’une mesure d’éloignement :
• Le placement en rétention administrative : cela consiste à enfermer l’étranger dans un centre de
rétention pour une durée initiale de 48h prolongeable jusqu’à 90 jours maximum et sous réserve de
l’autorisation du JLD (qui est saisi par le préfet). Le but est d’organiser le départ vers le pays de renvoi
(obtention d’une autorisation consulaire, programmation d’un vol, etc.) ;
• L’assignation à résidence : l’étranger peut également être assigné à résidence pendant une durée de 45
jours (renouvelable dans certains cas une fois).

4. Les étrangers protégés contre les OQTF

L’article L. 611-3 du CESEDA prévoit plusieurs cas dans lesquels l’étrangers ne peut faire l’objet d’une
OQTF.

Il en va ainsi par exemple de :


• L'étranger mineur de dix-huit ans ;
• L'étranger qui justifie par tous moyens résider habituellement en France depuis qu'il a atteint au plus
l'âge de treize ans ;
• L'étranger qui réside régulièrement en France depuis plus de dix ans, sauf s'il a été, pendant toute cette
période, titulaire d'une carte de séjour temporaire ou pluriannuelle portant la mention « étudiant » ;
• L'étranger qui réside régulièrement en France depuis plus de vingt ans ;
• L'étranger ne vivant pas en état de polygamie qui est père ou mère d'un enfant français mineur résidant
en France, à condition qu'il établisse contribuer effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant
dans les conditions prévues par l'article 371-2 du Code civil depuis la naissance de celui-ci ou depuis au
moins deux ans ;
170
• L'étranger marié depuis au moins trois ans avec un conjoint de nationalité française, à condition que la
communauté de vie n'ait pas cessé depuis le mariage et que le conjoint ait conservé la nationalité
française ;
• L'étranger titulaire d'une rente d'accident du travail ou de maladie professionnelle servie par un
organisme français et dont le taux d'incapacité permanente est égal ou supérieur à 20 % ;
• L'étranger résidant habituellement en France si son état de santé nécessite une prise en charge médicale
dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à
l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé du pays de renvoi, il ne pourrait pas y
bénéficier effectivement d'un traitement approprié.

5. La nécessité et la proportionnalité de la mesure

Comme toute mesure de police administrative, l’OQTF doit être nécessaire et proportionnée. Cela implique que
le préfet ait procédé à un examen sérieux de la situation de l’intéressé. À défaut, le moyen tiré du défaut
d’examen sérieux de la situation de l’intéressé pourra être retenu.

En outre, le moyen tiré de la violation de l’article 8 de la CESDH est fréquemment retenu par le juge administratif
pour annuler l’OQTF (atteinte disproportionnée au droit de mener une vie privée et familiale normale).

6. La fixation du pays de destination

La mesure d’éloignement fixe le pays de destination. En cas de contestation d’un arrêté portant obligation de
quitter le territoire français, il est parfois opportun de soulever le moyen tiré de la violation des stipulations de
l’article 3 de la CESDH lorsque le renvoi dans le pays de destination expose le requérant à un risque de traitement
inhumain et dégradant (exemple : renvoi vers la Syrie).

La décision encourt alors l’annulation partielle (uniquement sur le pays de destination), mais en pratique
la mesure d’éloignement devient inexécutable.

B. LA CONTESTATION DES OQTF

Les dispositions de référence en la matière, sont les articles L. 614-1 et s. du CESEDA. Peuvent être étudiés le
régime du recours contentieux (A), la contestation des OQTF avec délai de départ volontaire (B), sans délai de
départ volontaire (C), avant d’envisager les possibilités de procédure en appel (D) et de mettre en exergue
certaines remarques sur le contentieux (E).

1. Le régime des recours contentieux

Ce sont les fondements légaux sur lesquels l’OQTF a été prise dans la mesure qui permettent de déterminer
le régime du recours contentieux. Or, ce régime n’est pas unifié s’agissant des OQTF avec délai de départ
volontaire.

Les OQTF sans délai sont quant à elles soumises à des délais de recours extrêmement brefs et insusceptibles
d’être prorogés. Le recours contentieux suspend l’exécution de l’OQTF.

Si juridiquement, le juge administratif a trois mois pour statuer, sauf hypothèse d’un placement en rétention ou
d’une assignation à résidence, en réalité, ce délai est peu respecté.

Le 4 juin 2014, le Conseil d’État s’est prononcé sur la légalité de la procédure française d’éloignement confrontée
au droit d’être entendu dans toute procédure consacrée par l’art. 41 de la Charte des droits fondamentaux de
l’Union européenne.

171
Il considère que « dans le cas prévu au 3° du I de l’article L511-1 du CESEDA ancienne numérotation, où la
décision faisant obligation de quitter le territoire français est prise concomitamment au refus de délivrance d’un
titre de séjour, l’obligation de quitter le territoire français découle nécessairement du refus de titre de séjour ;
que le droit d’être entendu n’implique alors pas que l’administration ait l’obligation de mettre l’intéressé à
même de présenter ses observations de façon spécifique sur la décision l’obligeant à quitter le territoire français,
dès lors qu’il a pu être entendu avant que n’intervienne la décision refusant de lui délivrer un titre de séjour »
(C.E., 4 juin 2014, n° 370515).

2. La contestation des OQTF avec DDV

Lorsque la décision portant obligation de quitter le territoire français prise en application des 3°, 5° ou 6° de
l'article L. 611-1 est assortie d'un délai de départ volontaire, le tribunal administratif est saisi dans le délai de
trente jours suivant la notification de la décision.

L'étranger peut demander le bénéfice de l'aide juridictionnelle au plus tard lors de l'introduction de sa requête
en annulation.

Le tribunal administratif statue dans un délai de trois mois à compter de sa saisine. Dans cette hypothèse, la
demande d’aide juridictionnelle suspend le délai de recours. L’audience sera collégiale, le rapporteur public se
prononcera (sauf dispense par le président du tribunal) et le tribunal statue, en principe, dans les trois mois.

Lorsque la décision portant obligation de quitter le territoire français prise en application des 1°, 2° ou 4° de
l'article L. 611-1 est assortie d'un délai de départ volontaire, le président du tribunal administratif peut être saisi
dans le délai de quinze jours suivant la notification de la décision. La demande d’aide juridictionnelle ne suspend
pas le délai de recours et la juridiction statue à juge unique dans un délai de 3 mois. Dans ce cas, le rapporteur
public ne se prononce pas.

3. La contestation des OQTF sans délai

La contestation des OQTF sans délai se fait en application de l’article L. 614-6 du CESEDA. Dans ce cas, le délai
de recours est de 48 heures suivant la notification de la décision par voie administrative. La demande d’aide
juridictionnelle ne suspend pas le délai.

En pratique, le tribunal peut être saisi avec une requête sommaire, laquelle sera complétée ensuite par un
mémoire complémentaire ou par des observations orales à l’audience. Comme pour les OQTF avec délai, le juge
a 3 mois pour statuer.

4. L’appel

Les jugements du tribunal administratif relatifs aux OQTF sont susceptibles d’appel devant la Cour
administrative d’appel. Toutefois, l’appel n’est pas suspensif ce qui signifie que l’étranger pourra faire l’objet
d’uneexpulsion du territoire malgré l’instruction de sa requête en appel. En cas d’annulation, l’État peut être
condamné à réacheminer à ses frais l’étranger en France.

5. Remarques sur le contentieux

Compte tenu du caractère suspensif du recours contentieux, l’étranger a toujours intérêt à saisir le tribunal
administratif.

Toutefois, s’il ne peut être expulsé avant que le tribunal n’ait statué, il peut en revanche faire l’objet d’un
placement en rétention administrative. Seule l’exécution d’office est impossible (expulsion du territoire). L’OQTF
peut toujours servir de fondement légal au placement en rétention.

Si la mesure d’éloignement est annulée, les mesures privatives de liberté (placement en rétention administrative
ou assignation à résidence le cas échéant) cessent immédiatement. En cas de rétention notamment, l’étranger
est alors libéré sur le champ.
172
II. L’EXPULSION

L’expulsion est la mesure prise par le ministre de l’Intérieur ou le préfet qui oblige un étranger à quitter le
territoire français parce que sa présence constitue une menace plus ou moins grave pour l’ordre public.

L’expulsion est entourée d’un certain nombre de garanties procédurales, qui disparaissent en cas d’urgence
absolue. Certaines catégories d’étrangers bénéficient d’une protection de principe contre l’expulsion.

En pratique, l'expulsion est fréquemment prononcée contre un étranger qui a été condamné pour crime ou délit,
l'arrêté d'expulsion étant exécuté dès sa sortie de prison.

Certains étrangers sont protégés relativement ou absolument contre l’expulsion. L'article L. 631-2 du CESEDA
énumère plusieurs catégories d'étrangers qui ne peuvent faire l'objet d'un arrêté d'expulsion pour « menace
grave pour l'ordre public », mais qui peuvent être expulsés en cas de « nécessité impérieuse pour la sûreté de
l'État et la sécurité publique ».

Il s'agit par exemple de l'étranger marié depuis au moins trois ans avec un conjoint de nationalité française, à
condition que la communauté de vie n'ait pas cessée depuis le mariage et que le conjoint ait conservé la
nationalité française. Seul l'étranger mineur de dix-huit ans bénéficie d'une protection absolue contre l'expulsion,
qui ne peut être prononcée à son encontre en aucun cas (article L. 631-4 du CESEDA).

L’expulsion fait intervenir une commission composée du président du tribunal judiciaire du chef-lieu du
département (ou de son représentant), d'un magistrat désigné par l'assemblée générale du tribunal de grande
instance du chef-lieu du département et d'un conseiller du tribunal administratif. S’il ne s’agit pas d’une expulsion
en urgence absolue, l’étranger visé par l’expulsion reçoit une notification lui signifiant le début de la procédure,
et le convoquant devant cette commission.

L’arrêté d’expulsion est un acte administratif pouvant être contesté devant le juge administratif dans les deux
mois suivant son adoption. Il peut être contesté soit par voie d’excès de pouvoir, soit par référé, suspension ou
liberté fondamentale. Depuis l’arrêt C.E., 19 avril 1991, Belgacem, le juge s’assure que l’expulsion ne porte pas
une atteinte disproportionnée au respect de la vie familiale.

De manière générale, il opère un contrôle de proportionnalité entre la menace à l’ordre public et le trouble à la
situation individuelle de l’étranger. En outre, l’État ne peut pas renvoyer l’étranger dans un pays lorsqu’il y a «
des sérieuses raisons de croire qu’il peut y craindre pour sa vie, sa liberté ou encore d’être soumis à des traitements
inhumains et dégradants » (CEDH, 20mars 1991, Cruz-Varas et autres c./ Suède).

À noter que l’arrêté d’expulsion doit être réexaminé tous les cinq ans, et éventuellement abrogé s’il n’a plus lieu
d’être.

L'arrêté d'expulsion peut aussi, à tout moment, être abrogé, à la demande de l'étranger, par l'autorité
compétente pour le prendre. Le rejet de la demande d'abrogation, exprès ou implicite, peut être déféré au
tribunal administratif dans les mêmes conditions que l'arrêté d'expulsion lui-même.

173
III. LES AUTRES MESURES DE DÉPART FORCÉ

Il convient d’envisager l’interdiction de territoire (I), l’extradition (II) et la rétention (III).

A. L’INTERDICTION DE TERRITOIRE

Aux termes de l’article 131-30 du Code pénal, lorsqu'elle est prévue par la loi, une peine d'interdiction du
territoire français peut être prononcée, à titre définitif ou pour une durée de dix ans au plus, à l'encontre de
tout étranger coupable d'un crime ou d'un délit.

L'interdiction du territoire entraîne de plein droit la reconduite du condamné à la frontière, le cas échéant, à
l'expiration de sa peine d'emprisonnement ou de réclusion.

Lorsque l'interdiction du territoire accompagne une peine privative de liberté sans sursis, son application est
suspendue pendant le délai d'exécution de la peine. Elle reprend, pour la durée fixée par la décision de
condamnation, à compter du jour où la privation de liberté a pris fin.

L'interdiction du territoire français prononcée en même temps qu'une peine d'emprisonnement ne fait pas
obstacle à ce que cette peine fasse l'objet, aux fins de préparation d'une demande en relèvement, de mesures
de semi-liberté, de placement à l'extérieur, de placement sous surveillance électronique ou de permissions de
sortir.

Ainsi, le Code pénal et le CESEDA (article L. 641-1 CESEDA) prévoient une peine complémentaire
d’interdiction du territoire français. Une fois la peine purgée, l’étranger doit quitter le territoire.

Pourtant, le CESEDA prévoit une liste d’étrangers qui ne peuvent pas faire l’objet d’une telle peine
complémentaire. Il en va ainsi par exemple de l’étranger qui justifie par tous moyens résider en France
habituellement depuis qu'il a atteint au plus l'âge de treize ans,ou encore de l’étranger qui réside régulièrement
en France depuis plus de vingt ans.

B. L’EXTRADITION

L’extradition entraîne le départ forcé de l’étranger. Elle est prononcée dans la situation où unétranger a commis
des faits répréhensibles dans le pays ayant demandé une extradition. En effet, l'extradition fait suite à une
demande de remise d'une personne en vue de la juger ou de lui faire exécuter une peine.

Elle concerne les étrangers mais aussi les apatrides (C.E., 11 juin 2010, n° 334454). Cependant, les mineurs et les
réfugiés ne peuvent être extradés (C.E., 1er avril 1988,Bereciartua-Echarri). Généralement, l’extradition fait suite
à un mandat d’arrêt européen ou à un décret du Premier ministre.

Alors qu'elle présentait autrefois une dimension à la fois judiciaire et diplomatique, le juge administratif l'a
supprimée de la liste des actes de Gouvernement.

La Cour de cassation opère un contrôle formel sur l’avis de la chambre d’instruction, alors que le Conseil d’État
opère un contrôle sur le fond, portant sur la légalité du décret d’extradition. Même en présence d’infractions
réprimées, l’extradition n’est pas permise lorsque le pays ne respecte pas les droits et libertés fondamentaux de
la personne (CEDH, 7 juillet 1989, Soering c. Royaume-Uni).

174
C. LA RÉTENTION

La rétention administrative est une modalité d'exécution d'une mesure d'éloignement (OQTF et expulsion
principalement), destinée à permettre à l'administration de s'assurer de la personne de l'étranger en attendant
qu'il soit en mesure de quitter le territoire français. Elle consiste à placer l'intéressé, pendant une durée limitée,
« dans des locaux ne relevant pas de l'administration pénitentiaire » et qui sont soit des centres de rétention,
soit des locaux de rétention.

Le placement en rétention est prononcé par le préfet et, à Paris, par le préfet de police. Il est régi par les articles
L. 741-1 et s. du CESEDA.

Le placement en rétention est prononcé pour une durée maximum de quarante-huit heures. Si, à l'expiration, de
ce délai, l'étranger n'a pas quitté la France, « le juge des libertés et de la détention est saisi aux fins de
prolongation de la rétention ». La durée de la rétention doit être limitée au temps strictement nécessaire au
départ de l’intéressé.

Dans un arrêt CEDH, 19 janvier 2012, Popov c. France, la Cour européenne des droits de l’homme a jugé que les
autorités françaises doivent mettre en œuvre tous les moyens nécessaires afin de limiterla rétention de familles
accompagnées d’enfants et préserver effectivement le droit à une vie familiale.

175
THÈME 2 : LES DROITS ÉCONOMIQUES

FICHE N°19 : LA LIBERTÉ DU COMMERCE ET DE L’INDUSTRIE

Résumé :

Il est si difficile de délimiter la liberté du commerce et de l’industrie que certains auteurs préfèrent insister sur
les restrictions et limites de celle-ci plutôt que de développer en profondeur l’ensemble de ses composantes.
Liée à la Révolution française, la liberté du commerce et de l’industrie comprend principalement l’accès aux
professions, leur libre-exercice et la libre-gestion de l’entreprise.

Ses liens avec la liberté d’entreprendre ne sont pas toujours très clairs ; c’est ainsi que leConseil d’État considère
que la liberté du commerce et de l’industrie appartient à un ensemble plus grand qui serait la liberté
d’entreprendre. Quoi qu’il en soit, la liberté du commerce et de l’industrie a refait surface récemment, à
l’occasion de la crise sanitaire liée au virus dit « Covid-19 » et aux fermetures d’établissement qui en ont découlé.

Par ailleurs, et comme pour l’ensemble des droits et libertés fondamentaux, la liberté du commerce et de
l’industrie fait l’objet de restrictions de la part des pouvoirs publics (par exemple pour encadrer l’accès à
certaines professions et/ou leur exercice ou encore pour préserver l’ordre public). Par ailleurs, la liberté du
commerce et de l’industrie peut faire l’objet de restrictions, là encore proportionnées, par les acteurs privés
(avec l’exemple de la clause de non-concurrence). L’on attirera également l’attention du lecteur sur la
jurisprudence récente du Conseil constitutionnel qui a consacré un objectif à valeur constitutionnelle de
protection de l’environnement qui doit être concilié avec la liberté d’entreprendre.

Définition :

La liberté du commerce et de l’industrie « permet (…) aux opérateurs économiques d'exercer une activité de
commerce, de pratiquer une entreprise industrielle et, plus largement, de mener toutes actions économiques
dans le respect, évidemment, des bornes fixées par le droit » (G. Clamour et P.-Y. Gahdoun, « Commerce et
industrie », Rép. dr. comm., 2019, spéc. §1). Liée à la liberté d’entreprendre, elle comprend surtout la liberté
d’accès aux professions et leur libre-exercice, ainsi que le principe de la libre-gestion de l’entreprise.

Notions abordées dans la fiche :

- Lien entre liberté du commerce et de l’industrie et liberté d’entreprendre


- Liberté d’exercice d’une profession
- Libre-gestion de l’entreprise
- Lien avec le droit de propriété
- Liberté du commerce et de l’industrie et Covid-19
- Professions réglementées ; protection de l’ordre public
- Clause de non-concurrence et autres restrictions contractuelles
- Conciliation avec l’objectif à valeur constitutionnelle de protection de l’environnement

176
Éléments introductifs

« Les mots « commerce » et « industrie » désignent traditionnellement les activités économiques consistant en
la production, la distribution, l'achat et la vente de marchandises ou la prestation de services en vue de satisfaire
les innombrables besoins des sociétés humaines » (G. Clamour et P.-Y. Gahdoun, « Commerce et industrie »,
Rép. dr. comm., 2019, spéc. §1).

Il faut remonter à la fin de l’Ancien régime afin de trouver les premiers fondements de la liberté du commerce
et de l’industrie en France. Les bases ont en effet été posées dès 1776 par l’Edit de Turgot, qui prévoyait
notamment que « toutes personnes françaises ou étrangères sont libres d'embrasser et d'exercer dans tout notre
royaume et notamment dans notre bonne ville de Paris, telle espèce de commerce et telle profession d'arts et
métiers qui bon leur semblera et même d'en réunir plusieurs » (cité par : Lamy Droit public des affaires, part. 1,
chap. 1, sect. 1, §1, pt. 2, juin 2020, ci- après : « Lamy DPA »).

Juste après la Révolution française, le décret d’Allarde des 2 et 17 mars 1791 a offert une place essentielle à la
liberté du commerce et de l’industrie en son article 7, toujours en vigueur de nos jours : « il sera libre à toute
personne de faire tel négoce ou d’exercer telle profession, art ou métier qu’elle trouvera bon (…) ».

Enfin, la loi Le Chapelier des 14 et 17 juin 1791 viendra supprimer les corporations et valider le principe
de l’accès de chacun aux professions.

L’expérience de l’ouverture des professions à chacun a vite tourné court. En effet, qui pourrait imaginer que l’on
exerce la profession d’avocat ou de médecin sans en avoir les diplômes et qualifications requis ?

C’est pour cela que le législateur et, dans une moindre mesure, le pouvoir réglementaire sont en mesure de
réglementer l’accès à certaines professions et leur exercice (d’où leterme de « professions réglementées » ;
Code constitutionnel et des droits fondamentaux, DDHC,art. 4, commentaire, I C, Dalloz 2020), à condition à
chaque fois que cela respecte le principe de proportionnalité afin que l’atteinte à la liberté du commerce et de
l’industrie ne soit pas excessive.

Quant à la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, elle ne mentionne pas expressément la liberté
du commerce et de l’industrie.

Quant au Conseil constitutionnel, il finira par rattacher la liberté d’entreprendre à l’article 4 de la DDHC : « que
la liberté qui, aux termes de l'article 4 de la Déclaration, consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui,
ne saurait elle-même être préservée si des restrictions arbitraires ouabusives étaient apportées à la liberté
d'entreprendre » (Conseil constitutionnel, 16 janvier 1982, décision n° 81-132 DC, Loi de nationalisation).

On le remarque, le Conseil constitutionnel n’a pas conféré explicitement de valeur constitutionnelle àla liberté
du commerce et de l’industrie (Cons. const., 31 octobre 1981, décision n° 81-129 DC, Loi portant dérogation au
monopole d'État de la radiodiffusion, spéc. cons. 16 et s.), mais seulement à la liberté d’entreprendre. Quelle est
donc l’articulation entre ces deux libertés ?

Une partie de la doctrine considère que la liberté du commerce et de l’industrie comprend deux branches : d’une
part, la liberté d’entreprendre et, d’autre part, la liberté de la concurrence (Code constitutionnel et des droits
fondamentaux, préc., I A).

A l’inverse, le Conseil d’État considère depuis 2001 que la liberté du commerce et de l’industrie est une branche
de la liberté d’entreprendre (CE, ord. réf., 12 novembre 2001, Commune de Montreuil-Bellay, n° 233840), ce qu’il
a confirmé par la suite et notamment dans un arrêt de 2013 (CE, 22 mai 2013, ASL REMANA, n° 366750 : « les
dispositions contestées ne méconnaissent ni le principe constitutionnel de la liberté d'entreprendre, garanti par
l'article 4 de la Déclaration des droitsde l'homme et du citoyen de 1789, ni celui de la liberté du commerce et de
l'industrie qui en découle » ; à l’inverse : CE, 20 octobre 2011, n° 353419).

177
Le débat a toute son importance. Estimant comme le Conseil d’État en 2001 et 2013 que la liberté ducommerce
et de l’industrie est une branche de la liberté d’entreprendre, une doctrine autorisée estime qu’il faudrait, dans
un second temps, également lui reconnaître en pratique une valeurconstitutionnelle. Ainsi, même si le législateur
pourra apporter des restrictions à la liberté du commerce et de l’industrie (ce que nous verrons dans cette fiche),
il devra le faire sous le contrôle attentif du Conseil constitutionnel (ibid.).

L’on rappellera ainsi que le Conseil constitutionnel n’a jamais apporté de réponse explicite à la question du lien
entre la liberté d’entreprendre et la liberté du commerce et de l’industrie.

L’on peut toutefois penser que, implicitement, le Conseil constitutionnel inclut la liberté du commerce et de
l’industrie au sein de la liberté d’entreprendre. C’est ce qu’il est permis de croire à la lecture de la décision n°
2016-535 QPC du 19 février 2016. Saisi par une association requérante qui estimait que les dispositions de la loi
sur l’état d’urgence du 3 avril 1955 qui permettent au ministre de l’Intérieur de prendre des mesures de
fermeture des « salles de spectacles, débits de boissons et lieux de réunion » étaient contraires à la liberté du
commerce et de l’industrie et à la liberté d’entreprendre (notamment).

Le Conseil constitutionnel, ayant examiné ce grief, a finalement estiméque les dispositions de la loi de 1955 ne
méconnaissaient pas la seule liberté d’entreprendre, sans même citer la liberté du commerce et de l’industrie
(décision précitée, spéc. §11 à 13).

Quant à l’actualité, la crise sanitaire liée à l’épidémie de covid-19 a entraîné des mesures de fermeture des
entreprises et commerces, ce qui a pu entraîner un contentieux devant les juridictions administratives et le
Conseil constitutionnel (v. les éléments d’actualité, partie 1 de la fiche).

En outre, le Conseil constitutionnel, dans une décision particulièrement remarquée n° 2019-823 QPC du 31
janvier 2020, a indiqué qu’il fallait assurer une conciliation entre la liberté d’entreprendre, d’une part, et l’objectif
à valeur constitutionnelle de protection de l’environnement, d’autre part (v. éléments d’actualité, partie 2 de la
fiche).

Nous étudierons l’affirmation et la portée du principe de la liberté du commerce et de l’industrie (I) avant de
prendre connaissance de ses limites (II).

I. L’AFFIRMATION ET LA PORTÉE DU PRINCIPE DE LA LIBERTÉ DU COMMERCE ET


DE L’INDUSTRIE
Au-delà des difficultés à cerner le concept et en attendant une clarification jurisprudentielle quiserait à tout le
moins la bienvenue, on peut brosser à grands traits le profil de la liberté du commerce et de l’industrie.

Celle-ci est avant tout la liberté d’exercice d’une profession (A) et la liberté de gérer son entreprise (B). L’on
mentionnera le fait que la liberté d’entreprendre, cette fois, est particulièrement liée au droit de propriété (C),
avant de réaliser un focus sur l’état d’urgence sanitaire et les premierscontentieux jurisprudentiels à propos des
restrictions à la liberté du commerce et de l’industrie (éléments d’actualité).

A. La liberté d’exercice d’une profession

Lorsque l’on parle de la liberté d’exercice d’une profession, encore faut-il pouvoir y accéder. Le principe, pour la
grande majorité des professions, est celle de la liberté d’accès (X. Dupré de Boulois, Droit des libertés
fondamentales, PUF, 2018, §634, p. 411).

La question s’est récemment posée en jurisprudence à propos des VTC (« voitures de transport avec chauffeur
»). En effet, l’article L. 3121-10 du Code des transports prévoyait que l’exercice de l’activité de chauffeur de taxi
était incompatible avec celui de chauffeur de VTC. Saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité, le Conseil
constitutionnel a fait droit à la demande des requérants, qui invoquaient une violation de leur liberté
d’entreprendre.

178
Le Conseil constitutionnel s’est penché sur les justifications de la loi (lutter contre la fraude, notamment) et a
estimé que « le législateur a porté à la liberté d'entreprendre une atteinte qui n'est justifiée ni par les objectifs
qu'il s'est assignés ni par aucun autre motif d'intérêt général » (Cons. const., 15 janvier 2016, décision n° 2015-
516, M. Robert M. et autres [Incompatibilité de l'exercice de l'activité de conducteur de taxi avec celle de
conducteur de VTC], §7 ; décision citée par X. Dupré de Boulois, préc.). Le Conseil constitutionnel a ainsi décidé
de l’abrogation de la disposition qui prévoyait l’incompatibilité entre l’activité de chauffeur de taxi et celle de
chauffeur de VTC, en protégeant la liberté d’entreprendre.

L’on verra, dans la seconde partie de cette fiche consacrée aux restrictions à la libertéd’entreprendre, que le
législateur et, dans une moindre mesure, le pouvoir réglementaire, peuvent adopter des normes pour restreindre
l’accès à certaines professions.

C’est ainsi que le Conseil constitutionnel, lorsqu’il cherche à préserver la liberté d’entreprendre (et non la liberté
du commerce et de l’industrie, comme on l’a vu), indique que « s’il est loisible au législateur d’apporterà la
liberté d’entreprendre (…), qui découl(e) de l’article 4 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, des
limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l’intérêt général », cela doit se faire à « la
condition qu’il n’en résulte pas d’atteintes disproportionnées au regard de l’objectif poursuivi » (par ex., dans une
affaire particulièrement récente relative à la délivrance d’autorisations d’exploitation commerciale : Cons. const.,
12 mars 2020, décision n° 2019-830 QPC).

Une fois l’accès à la profession établi, encore faut-il pouvoir l’exercer librement (X. Dupré de Boulois, préc.).

Selon le Conseil constitutionnel, « la liberté d'entreprendre comprend non seulement la liberté d'accéder à une
profession ou à une activité économique mais également la liberté dans l'exercice de cette profession ou de
cette activité » (Cons. const., 30 novembre 2012, décision n° 2012-285 QPC, M. Christian S., spéc. §7 ; G.
Clamour et P.-Y. Gahdoun, 2019, préc., §73).

C’est par exemple pour garantir le « principe fondamental du libre-exercice d’une activité professionnelle »
que la Cour de cassation a indiqué « qu'une clause de non-concurrence n'est licite que si elle est indispensable à
la protection des intérêts légitimes de l'entreprise, limitée dans le temps et dans l'espace, qu'elle tient compte
des spécificités de l'emploi du salarié et comporte l'obligation pour l'employeur de verser au salarié une
contrepartie financière, ces conditions étant cumulatives » (Cass., soc., 10 juillet 2002, n° 00-45135 ; l’on
reviendra dans la deuxième partie de la fiche sur les restrictions conventionnelles à la liberté du commerce et de
l’industrie).

B. La liberté de gérer son entreprise

La liberté du commerce et de l’industrie « implique la reconnaissance d’une liberté du chef d’entreprise dans la
gestion économique, administrative et salariale de son entreprise » (X. Dupré de Boulois, préc., p. 413).

Ainsi, la loi et le pouvoir réglementaire doivent respecter l’autonomie de gestion de l’entreprise (ibid., §639).
Une doctrine particulièrement autorisée relie l’autonomie de gestion de l’entreprise à la censure opérée par le
Conseil constitutionnel de la loi dite « Florange », portée par la précédente majorité socialiste en 2014 qui
souhaitait garantir les emplois et permettre le maintien de l’activité économique en rendant plus facile la reprise
des entreprises en péril :

« L’obligation d'accepter une offre de reprise sérieuse en l'absence de motif légitime et la compétence confiée
à la juridiction commerciale pour réprimer la violation de cette obligation font peser sur les choix
économiques de l'entreprise, notamment relatifs à l'aliénation de certains biens, et sur sa gestion des
contraintes qui portent tant au droit de propriété qu'à la liberté d'entreprendre une atteinte manifestement
disproportionnée au regard de l'objectif poursuivi » (Cons. const., 27 mars 2014, décision n° 2014-692 DC, Loi
visant à reconquérir l’économie réelle, spéc. §21, citée par : Dupré de Boulois, préc., §639 ; v. aussi en cas de
besoin : G. Clamour et P.-Y. Gahdoun, 2019, préc., §153).

179
C. Le lien entre liberté d’entreprendre et droit de propriété

Une partie de la doctrine n’hésite pas à indiquer que la liberté d’entreprendre est une déclinaison du droit de
propriété (par ex. : S. Hennette-Vaucher et D. Roman, Droits de l’Homme et libertés fondamentales, Dalloz,
Hypercours, 2020, spéc. §971, p. 706).

Deux auteurs vont plus loin : « (c)ette liberté [NDA : d’entreprendre] apparaît en effet comme un corollaire du
droit de propriété. Certes, elle découle de l'article 4 de la Déclaration de 1789, et non des articles relatifs au droit
de propriété, mais, en régime économique libéral, la liberté d'entreprendre est le complément nécessaire du
droit de propriété. D'ailleurs, ce n'est pas un hasard si la valeur constitutionnelle de la liberté d'entreprendre a
été dégagée lors de la décision Nationalisation qui fixe le statut constitutionnel du droit de propriété » (J.
Trémeau et A. Bachert, « Propriété – Fondement constitutionnel de la propriété », JCl Civil code, art. 544, fasc.
20, 2018, spéc. §13).

D’ailleurs, le droit de propriété et la liberté d’entreprendre sont souvent invoquées conjointement par les
requérants devant le Conseil constitutionnel (v. par ex. récemment, Cons. const., 24 janvier 2020, décision
n° 2019-821 QPC ; Cons. const., 07 janvier 2020, n° 2019-819 QPC).

Éléments d’actualité – Liberté du commerce et de l’industrie et crise du virus Covid-19

Il n’aura échappé à personne que les années 2020 et 2021 ont été marquées par les événements liés à l’épidémie
mondiale de coronavirus.

Avec les diverses mesures adoptées par les pouvoirs publics, de nombreux droits et libertés fondamentaux ont
pu être affectés afin de préserver la santé, de contenir l’épidémie et de permettreun fonctionnement optimal
des hôpitaux et, plus généralement, du système de santé ; l’on pense évidemment en premier lieu à la liberté
d’aller et venir de chacune et de chacun, fortement limitée durant la période du confinement (déplacement
quotidien d’une heure maximum dans un rayon d’un kilomètre autour du domicile) puis durant la phase de
déconfinement (avec la mise en place d’une limitation des déplacements à 100 kilomètres du domicile).

La liberté du commerce et de l’industrie a, forcément, été mise à rude épreuve durant cette crise sanitaire, ce
qui a donné lieu à du contentieux devant les juridictions administratives et notamment celles du premier degré
de juridiction (les tribunaux administratifs, saisis en référé).

1. Ainsi et par exemple, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise s’est prononcé, en référé, le 24 avril 2020,
sur la légalité d’un arrêté préfectoral qui avait prononcé la fermeture administrative d’un fast-food jusqu’à la
date du 11 mai 2020 (date du début du déconfinement progressif).

Cette affaire a été commentée par le Professeur Pastor en les termes suivants : « Après avoir cessé toute activité
le 16 mars, la société Burger House 92, société de restauration rapide installée à Colombes, a décidé de reprendre
une activité de vente à emporter et de livraison à compter du 5 avril. À la suite d'un contrôle de police constatant
le non-respect des mesures barrières, le préfet des Hauts-de-Seine a, par arrêté du 9 avril, prononcé la fermeture
du lieu jusqu'au 11 mai.

La société Burger House 92 a saisi le juge des référés, statuant sur le fondement des dispositions de l'article L.
521-2 du Code de justice administrative [NDA : procédure de référé-liberté, ce qui suppose qu’une liberté
fondamentale soit concernée], aux fins d'ordonner la suspension de l'exécution de cette décision.

Le préfet des Hauts-de-Seine a motivé son arrêté par les circonstances qu'« aucun dispositif dedistanciation
sociale et aucun marquage au sol ne sont présents » et que « les clients étaient sans attestation valable et ont
été à ce titre verbalisés ». Toutefois, il ressort de constats d'huissier produits par la société requérante, établis à
partir du visionnage des enregistrements du système de vidéosurveillance, qu'un marquage au sol a bien été
apposé dans l'établissement, sous forme d'adhésif de couleur, afin que les clients respectent les règles de
distanciation sociale et que des chaises ont été placées devant le comptoir afin de garantir la distance minimale
entre le client et l'employé de l'établissement.

180
Ainsi, selon le juge des référés, « la matérialité des faits fondant la mesure de fermeture de l'établissement n'est
pas établie, alors que le second motif, tiré de l'absence de possession par les clients d'une attestation dérogatoire
valable ne saurait être opposé à l'établissement qui n'est pas en droit de les contrôler ».

Dès lors, l'arrêté du préfet des Hauts-de-Seine portant fermeture de l'établissement Burger House 92 portait une
atteinte grave et manifestement illégale à la liberté d'entreprendre et à la liberté du commerce et de l'industrie. »
(J.-M. Pastor, « Contrôle effectif de la fermeture d’un fast-food pour cause de covid-19 », Dalloz actu., 4 mai
2020, à propos de : TA Cergy-Pontoise, ord. réf., 24 avril 2020, n° 2004143).

2. Le contentieux devant le juge administratif a également eu lieu à la suite de la sortie du confinement, avec
l’adoption de la loi n° 2020-546 du 11 mai 2020 prorogeant l’état d’urgence sanitaire et complétant ses
dispositions (M.-A. Renaux, « Procédure de référé liberté et seuil des 40 000 m2 - Covid-19 : Quand le juge des
référés liberté vient au secours des centres commerciaux », Lexis 360, Construction-Urbanisme, n°7-8, juill. 2020,
comm. 77).

Cette loi prévoit la possibilité pour le Premier ministre d’adopter un décret réglementant l’accès et l’usage des
transports mais aussi des établissements recevant du public (vie-publique.fr).

Un tel décret a été adopté dès le 11 mai 2020, prévoyant la possibilité pour le préfet de département d’interdire
« l’ouverture (…) d’un centre commercial dont la surface commerciale utile est supérieureou égale à quarante
mille mètres carrés et qui, du fait notamment de la taille du bassin de population où il est implanté et de la
proximité de moyens de transport, favorise des déplacements significatifs de population ».

Des arrêtés préfectoraux ont été adoptés sur la base de ce décret pour maintenir la fermeture de centres
commerciaux dont la taille utile était supérieure ou égale à quarante mille mètres carrés jusqu’au 10 juillet 2020
(M.-A. Renaux, préc.).

Les requérants, dont les gérants des centres commerciaux Beaugrenelle ou Vélizy 2 (ibid.) se sont opposés à
ces arrêtés par le biais d’un référé-liberté, estiment que ces derniers portaient une « atteinte grave et
manifestement illégale » (selon les termes de l’article L. 521-2 du Code de justice administrative) à la liberté
d’entreprendre et à la liberté du commerce et de l’industrie.

Le débat s’est notamment porté devant le tribunal administratif de Versailles sur la seconde partiede l’article
pertinent du décret du 11 mai 2020 (cf. l’interdiction d’ouverture du centre commercial « du fait notamment
de la taille du bassin de population où il est implanté et de la proximité de moyens de transport, favorise des
déplacements significatifs de population » ; M.-A. Renaux, préc.).

D’après l’avocat Me A Rigaux qui relate et commente les affaires, le tribunal administratif de Versailles « a retenu
une argumentation plus subjective, fondée sur les mesures concrètes prises par les requérants (formation du
personnel aux règles d'hygiène et de distanciation sociale, port du masque, mise à disposition de gel hydro-
alcoolique, ou encore comptage automatisé des visiteurs permettant de contrôler la fréquentation du centre...)
et sur la variation de la fréquentation des centres commerciaux, selon les jours de la semaine.

Ces circonstances l'ont conduit à considérer également « qu'une mesure d'interdiction générale et absolue de
tous les commerces ... porte une atteinte grave et manifestement illégale au droit de propriété, à la liberté
d'entreprendre et à la liberté du commerce et de l'industrie » (M.-A. Renaux, préc. ; TA Versailles, ord. réf., 28
mai 2020, n° 2003065 et 2003066, ord. citée par l’auteur).

Il faut noter que le décret du 11 mai 2020 a alors été modifié à la fin du mois de mai 2020,notamment pour se
mettre en conformité avec les décisions du tribunal administratif.

3. Le Conseil constitutionnel s’est prononcé sur la loi prorogeant l’état d’urgence sanitaire et complétant ses
dispositions, ceci dans la décision n° 2020-800 DC rendue le 11 mai 2020.

181
Une partie des dispositions de la loi précitée permettait au Premier ministre « dans les circonscriptions
territoriales où l'état d'urgence sanitaire est déclaré, de prendre certaines mesures de réglementation des
transports, des établissements recevant du public et des lieux de réunion et d'ordonner des réquisitions » (§14).
Les sénateurs ayant saisi le Conseil constitutionnel estimaient que ces dispositions étaient contraires à la liberté
d’entreprendre, notamment (§15).

Le Conseil constitutionnel a d’abord rappelé que « (l)a Constitution n'exclut pas la possibilité pour le législateur
de prévoir un régime d'état d'urgence sanitaire. Il lui appartient, dans ce cadre, d'assurerla conciliation entre
l'objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé et le respect des droits et libertés reconnus à tous
ceux qui résident sur le territoire de la République.

Parmi ces droits et libertés figurent la liberté d'aller et de venir, composante de la liberté personnelle, protégée
par les articles 2 et 4 de la Déclaration de 1789, le droit au respect de la vie privée garanti par cet article 2, la
liberté d'entreprendre qui découle de cet article 4, ainsi que le droit d'expression collective des idées et des
opinions résultant de l'article 11 de cette déclaration » (§17).

Tranchant ainsi la question, les Sages ont alors estimé que le législateur avait « procédé à une conciliation
équilibrée entre les exigences constitutionnelles précitées » (§23).

4. Plus récemment, le TA Nice, dans une ordonnance du 8 février 2021, n° 2100601 a considéré que le maire de
Nice n'a pas démontré que l'interdiction des locations saisonnières dans sa ville était indispensable pour limiter
les risques d'aggravation de l'épidémie de covid-19. Saisi par une association de promotion de la location
touristique, le juge rappelle les limites du pouvoir du maire pour lutter contre la crise sanitaire. En l'espèce, il
relève que la situation sanitaire dans le département n'a pas conduit le préfet à prendre des mesures
supplémentaires d'interdiction de déplacement ou de limitation des locations saisonnières. Le risque d'un afflux
massif de touristes sur la Côte d'Azur n'est pas démontré.

Le fait que l'arrêté ne vise pas l'hôtellerie « relève d'une rupture d'égalité entre les différents acteurs du tourisme
». Le juge souligne que les maires des communes limitrophes, pas plus que ceux des autres communes littorales
de France, n'ont pas pris de mesures similaires. Enfin, la commune ne démontre pas que les mesures qu'elle a
décidées « qui comportent des exceptions jugées difficilement compréhensibles par les acteurs économiques
locaux et qui ont des incidences dans de nombreux domaines autres que sanitaires, seraient actuellement
indispensables à Nice alors que la responsabilisation civique de citoyens suivant librement les recommandations
sanitaires qui leur paraissent justifiées et légitimes est actuellement prônée au niveau national. »

Par conséquent, « en tant qu'il n'est pas justifié par un risque propre à la commune de Nice, qui ne pourrait être
surmonté que par sa seule mise en œuvre, l'arrêté du 25 janvier 2021 porte une atteinte grave et manifestement
illégale au droit de propriété et à la liberté du commerce et de l'industrie.

5. Enfin, à la suite de l’adoption de la loi relative à la gestion de la crise sanitaire, laquelle a mis en place le « passe
sanitaire », le Conseil constitutionnel a été saisi, afin qu’il se prononce sur la constitutionnalité de la loi.

Étaient notamment contestées les dispositions de l'article 1er de la loi déférée relatives aux obligations de
contrôle imposées aux exploitants et aux professionnels et aux sanctions encourues par ceux-ci en cas de
méconnaissance de ces obligations.

Il leur était reproché par les députés et sénateurs requérants de méconnaître la liberté d'entreprendre en faisant
peser sur les acteurs économiques l'obligation de contrôler l'accès aux lieux qu'ils exploitent, ce qui serait de
nature à nécessiter la mobilisation de moyens humains et matériels importants.

Le Conseil constitutionnel rappelle qu'il est loisible au législateur d'apporter à la liberté d'entreprendre, qui
découle de l'article 4 de la Déclaration de 1789, des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou
justifiées par l'intérêt général, à la condition qu'il n'en résulte pas d'atteinte disproportionnée au regard de
l'objectif poursuivi.

182
A cette aune, il juge que, en autorisant le Premier ministre à subordonner l'accès de certains lieux,
établissements, services ou événements à la présentation d'un « passe sanitaire », le législateur a entendu
permettre aux pouvoirs publics de prendre des mesures visant à limiter la propagation de l'épidémie de covid-
19 et à assurer un contrôle effectif de leur respect. Il a ainsi poursuivi l'objectif de valeur constitutionnelle de
protection de la santé.

En outre, les dispositions contestées se limitent à imposer à l'exploitant d'un lieu ou d'un établissement ou au
professionnel responsable d'un événement de contrôler la détention par ses clients d'un « passe sanitaire », sous
format papier ou numérique. S'il peut en résulter une charge supplémentaire pour les exploitants, la vérification
de la situation de chaque client peut être mise en œuvre en un temps bref (décision n° 2021-824 DC du 5 août
2021).

II. LES LIMITES AU PRINCIPE DE LA LIBERTÉ DU COMMERCE ET DE L’INDUSTRIE


Nous l’avons déjà remarqué au cours de l’examen des autres droits et libertés fondamentaux : il n’existe pas de
liberté fondamentale qui serait illimitée. Les droits et libertés fondamentaux font, chacun, l’objet de restrictions
proportionnées justifiées par un ou plusieurs intérêts légitimes.

Ainsi,la liberté du commerce et de l’industrie subit certaines restrictions. On est donc loin d’un néolibéralisme
débridé ou de la « main invisible » d’Adam Smith, mais l’on s’inscrit plutôt dans l’idée d’une économie sociale de
marché régulée par les pouvoirs publics.

La liberté du commerce et de l’industrie peut être limitée temporairement, par exemple en cas de crise sanitaire
(v. l’encart relatif à la crise liée au virus covid-19) ou en raison de craintes pour l’ordre public, tout ceci sous le
contrôle du juge qui vérifiera qu’une atteinte disproportionnée n’y sera pas portée.

Lorsque le Conseil constitutionnel vérifie la conformité d’une loi à la Constitution, il indique que « s’il est loisible
au législateur d’apporter à la liberté d’entreprendre (…), qui découle de l’article 4 de la Déclaration des Droits
de l’Homme et du Citoyen, des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l’intérêt
général », cela doit se faire à « la condition qu’il n’en résulte pas d’atteintes disproportionnées au regard de
l’objectif poursuivi » (Cons. const., 12 mars 2020, décision précitée n° 2019-830 QPC, à propos de la liberté
d’entreprendre).

Pour conserver le format synthétique des fiches, il conviendra d’étudier, parmi ces restrictions, les professions
réglementées (A). Mais les pouvoirs publics ne sont pas les seuls à pouvoir restreindrela liberté du commerce
et de l’industrie ; un pouvoir, limité bien sûr, est en effet réservé auxindividus pour restreindre, par le biais des
conventions, cette liberté (B).

A. Les professions réglementées

Il s’agit donc d’organiser la vie économique au sein du pays, mais aussi de limiter les risques pour le
consommateur de se retrouver confronté à des « entrepreneurs indélicats ou inaptes » (D. Ferrier et N. Ferrier,
« La liberté du commerce et de l’industrie », in : Libertés et droits fondamentaux, R. Cabrillac (dir.),
Dalloz, 26ème éd., 2020, p. 849 et s., spéc. p. 859).

La liberté du commerce et de l’industrie connaît une atténuation en ce sens que le législateur dispose d’une
compétence pour organiser le régime de certaines professions (les « professions réglementées ») en vertu de
l’article 34 de la Constitution, la liberté du commerce et de l’industrie étant une liberté publique.

Par ailleurs et soumis au respect du principe de légalité, le pouvoir réglementaire dispose d’une compétence
pour encadrer la liberté du commerce et de l’industrie dans un but de police (au sens du droit administratif ; O.
Renard-Payen, « Professions réglementées », JCl admin., fasc. 261, 2019, spéc. §2). Ainsi, lorsque le pouvoir
réglementaire apporte des restrictions à la liberté du commerce et de l’industrie, il doit bien sûr le faire en
respectant les règles posées par le législateur (CE, Ass., 16 décembre 1988, n° 75544).

183
Au-delà des simples termes « commerce et industrie », un certain nombre de professions sont réglementées ;
l’on pense en premier lieu aux diverses professions juridiques libérales (avocats, notaires, huissiers, etc.),
médicales (médecins, vétérinaires, spécialistes, etc.) et à certaines professions artisanales et commerciales
(ibid., §3 ; par exemple en ce qui concerne le débit de boissons ou, dans un tout autre domaine, les activités
bancaires et assurantielles).

En général, l’encadrement de ces professions répond aux préoccupations suivantes : la protection de la santé et
de la sécurité publiques, l’exigence d’un niveau suffisant de qualification, le maintien de la libre-concurrence,
l’intervention des acteurs publics ou, encore, l’adaptation au droit de l’Union européenne (ibid., §4).

L’on étudiera seulement les grands principes entourant la réglementation de l’accès aux professions (1) et de
leur exercice (2).

1. La réglementation de l’accès à la profession

Des manifestations de la réglementation de l’accès à telle ou telle profession sont les incompatibilités (a) et les
interdictions (b).

a) Les incompatibilités
« Certaines catégories de personnes se voient interdire tout exercice d'une profession commerciale en raison de
leur état ou de leur profession » : il s’agit des incompatibilités, qui empêchent l’accès à telle ou telle profession,
notamment dans l’idée de préserver l’indépendance de la personne et/ou d’éviter les conflits d’intérêts (O.
Renard-Payen, « Réglementation des professions commerciales », JCl admin., fasc. 260, 2019, spéc. §9).

Les incompatibilités frappent par exemple les élus au Parlement.

Une loi de 1983, modifiée en 2019, prévoit le principe selon lequel chaque fonctionnaire, qu’il appartienne à la
fonction publique d’État, territoriale ou hospitalière, doit consacrer « l'intégralité de son activité professionnelle
aux tâches qui lui sont confiées. Il ne peut exercer, à titre professionnel, une activité privée lucrative de quelque
nature que ce soit » (loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, dite « loi Le
Pors », art. 25 septies modifié par la loi n° 2019- 828 du 6 août 2019 ; O. Renard-Payen, fasc. 260, préc., §10).

Par ailleurs, les professions libérales ne peuvent pas, par principe, exercer une activité commerciale (avocats,
médecins, pharmaciens, géomètres, etc. ; v. O. Renard-Payen, fasc. 260, §13 et s.).

b) Les interdictions
Il s’agit cette fois, principalement, de la compétence accordée au maire ou bien au préfet pour interdire une
activité commerciale, respectivement sur le territoire de la commune ou du département (ibid., §19). La
compétence, exercée localement, doit être proportionnée aux circonstances.

Plus rarement, l’interdiction peut être prononcée par le législateur, par exemple s’agissant de l’interdiction pour
des personnes condamnées d’exercer une activité commerciale en raison decertaines condamnations pénales
préalables et/ou de mesures de déchéance professionnelles (ibid., §21), ce qui fait l’objet d’une étude au cas
par cas par le juge (ibid.).

2. La réglementation de l’exercice de la profession

Les mêmes considérations s’appliquent s’agissant de la réglementation de l’exercice de la profession.

Ainsi, il est loisible au législateur d’interdire l’exercice de certaines professions, par exemple en interdisant la
prostitution ou les activités tenant à la contrebande (D. Ferrier et N. Ferrier, préc.,p. 859).

Par ailleurs, un régime de protection est mis en place s’agissant des personnes mineures et des majeurs
protégés (majeurs sous curatelle et sous tutelle ; ibid., p. 859).

184
Auparavant, des restrictions à la liberté du commerce et de l’industrie étaient largement tolérées en droit interne
afin de préserver ou d’instaurer des monopoles publics. Avec l’essor du droit de la concurrence et la volonté
de placer les acteurs économiques sur un pied d’égalité en favorisant unecompétition pour offrir les tarifs les
plus bas aux consommateurs, les monopoles publics sont de plus en plus démantelés et deviennent presque
inexistants (ce qui, évidemment, n’interdit pas l’activité économique des personnes publiques dans leurs
domaines de compétence).

B. Les limitations conventionnelles à la liberté du commerce et de l’industrie


Il n’y a pas que les pouvoirs publics qui se trouvent en mesure d’apporter des restrictions, limitées et
proportionnées, à la liberté du commerce et de l’industrie. De longue date, il est en effet admis que les
particuliers peuvent, dans leurs relations, stipuler des clauses permettant la limitation de cette liberté
fondamentale.

L’exemple le plus emblématique de stipulations contractuelles pouvant porter atteinte à la liberté du commerce
et de l’industrie est la clause de non-concurrence (même si parfois les tribunaux judiciaires sont confrontés à
des clauses de non-réaffiliation ou des clauses de non-réinstallation, ou encore à des clauses dans les statuts
de copropriété interdisant l’exercice d’activités commerciales ou artisanales ; X. Dupré de Boulois, préc., §642,
p. 416).

La clause de non-concurrence peut se définir comme une « clause du contrat de travail par laquellele salarié
s'engage à ne pas exercer, pendant une période déterminée à partir de la cessation de la relation de travail, une
activité concurrente à celle de son employeur, pour son propre compte ou celui d'un autre employeur » (« Clause
de non-concurrence », Dalloz fiches d’orientation, 2019).

Une jurisprudence particulièrement marquée de la Cour de cassation opère un contrôle de proportionnalité


entre, d’une part, la protection des intérêts légitimes de l’entreprise qui inclut dans ses contrats de travail des
clauses de non-concurrence et, d’autre part, la restriction que celle-ci peutapporter à la liberté du commerce et
de l’industrie (ou à la liberté d’entreprendre, selon la terminologie choisie) : la clause de non-concurrence doit
être « limitée dans les lieux et dans l’espace » (Cass., soc., 1er juillet 2003, n° 02-11381, arrêt cité par G. Clamour
et P.-Y. Gahdoun, préc., §74), doit permettre de protéger les intérêts légitimes de l’entreprise qui l’a
imposée dans les relations contractuelles et, enfin, être proportionnée à l’objectif poursuivi.

Comme indiqué supra, la Cour de cassation a précisé dès 2002 « qu'une clause de non-concurrence n'est licite
que si elle est indispensable à la protection des intérêts légitimes de l'entreprise, limitée dans le temps et dans
l'espace, qu'elle tient compte des spécificités de l'emploi du salarié et comporte l'obligation pour l'employeur de
verser au salarié une contrepartie financière, ces conditions étant cumulatives » (Cass., soc., 10 juillet 2002, n°
00-45135 ; v. par ex. plus réc. : Cass., comm., 11 mai 2017, n° 15-12872, ne mentionnant pas toutefois l’exigence
de versement d’une contrepartie financière, par opposition à ce qu’exige la Chambre sociale de la Cour de
cassation).

Enfin, « la non-concurrence imposée au salarié ne doit pas l'empêcher de retrouver un emploi qui corresponde
à sa formation et à son expérience professionnelle. (…) Le salarié doit pouvoir exercer une activité conforme à
sa formation et à son expérience » (« Clause de non-concurrence », Dalloz f.o., préc.).

185
Éléments d’actualité – Le Conseil constitutionnel, la liberté d’entreprendre et l’objectif à valeur
constitutionnelle de protection de l’environnement

Dans une décision particulièrement remarquée, le Conseil constitutionnel a indiqué qu’il fallait assurer une
conciliation entre la liberté d’entreprendre, d’une part, et l’objectif à valeurconstitutionnelle de protection de
l’environnement et celui de protection de la santé, d’autre part (Décision n° 2019-823 QPC du 31 janvier 2020,
Union des industries de la protection des plantes [Interdiction de la production, du stockage et de la circulation
de certains produits phytopharmaceutiques], §6, 10 et 12 not.).

Il s’agit de la première fois que le Conseil constitutionnel consacre la protection de l’environnement, ce dernier
étant décrit comme le « patrimoine commun des êtres humains », comme objectif de valeur constitutionnelle,
ceci à partir du Préambule de la Charte de l’Environnement de 2004.

Selon les requérants devant le Conseil constitutionnel, « l'interdiction d'exportation, instaurée par cesdispositions
[NDA : le paragraphe IV de l'article L. 253-8 du code rural et de la pêche maritime, dans sa rédaction résultant
de la loi EGALIM du 30 octobre 2018], de certains produits phytopharmaceutiques contenant des substances
actives non approuvées par l'Union européenne serait, par la gravité de ses conséquences pour les entreprises
productrices ou exportatrices, contraireà la liberté d'entreprendre » (déc., §2).

Le Conseil constitutionnel a retenu qu’ « en faisant ainsi obstacle à ce que des entreprises établies en France
participent à la vente de tels produits partout dans le monde et donc, indirectement, aux atteintes qui peuvent
en résulter pour la santé humaine et l'environnement et quand bien même, en dehors de l'Union européenne,
la production et la commercialisation de tels produits seraient susceptibles d'être autorisées, le législateur a
porté à la liberté d'entreprendre une atteinte qui est bien en lien avec les objectifs de valeur constitutionnelle
de protection de la santé et de l'environnement poursuivis » (déc. préc., §10).

186
FICHE N°20 : LE DROIT DE PROPRIÉTÉ

Résumé :

Le débat philosophique sur la qualification du droit de propriété en qualité de droit fondamental a été
particulièrement nourri. En ce qui concerne le droit positif, le Conseil constitutionnel a accordéen 1982 valeur
constitutionnelle au droit de propriété, tandis que le Code civil napoléonien de 1804 lui consacrait une place
essentielle, retenant une vision individualiste (relation d’exclusivisme entrela personne et sa « chose »). D’abord
timide et marquée par la frilosité des États ayant entendu protéger le « droit au respect de ses biens » dans le
premier protocole additionnel à la Convention en 1952, la Cour européenne des droits de l’homme a
progressivement raffermi sa jurisprudence et protège encore aujourd’hui de larges catégories de biens.
Toutefois, le droit de propriété n’est pas perçu comme illimité et doit parfois être concilié avec d’autres
impératifs.

Définition :

Le droit de propriété est « le droit de son titulaire de jouir, de disposer et d’utiliser un bien de manière exclusive
» (X. Dupré de Boulois, Droit des libertés fondamentales, PUF, 2018, p. 400)

Notions abordées dans la fiche :

- Origine et consécration du droit de propriété


- Vision exclusiviste du droit de propriété en droit civil français
- Valeur constitutionnelle du droit de propriété
- Valeur mobilières et immobilières, corporelles et incorporelles concernées
- Droit de propriété sur les données personnelles
- Protection par la Cour européenne des droits de l’homme du droit au respect de ses biens
- Limitations du droit de propriété en droit interne
- Limitations du droit au respect de ses biens

187
Éléments introductifs

Le droit de propriété a fait l’objet d’une consécration dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen
de 1789 d’autant plus originale qu’elle a eu lieu à deux articles distincts.

L’article 2 de la DDHC dispose ainsi que : « le but de toute association politique est la conservation des droits
naturels et imprescriptibles de l'Homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté, et la résistance à
l'oppression ».

Quant à lui, l’article 17 de la DDHC prévoit que « la propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en
être privé, si ce n'est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l'exige évidemment, et sous la
condition d'une juste et préalable indemnité ».

Depuis 1971 et la décision Liberté d’association (Cons. const., décision n° 71-44 DC, 16 juillet 1971, Liberté
d’association), le Conseil constitutionnel vérifie que la loi votée par le Parlement français respecte les droits et
libertés fondamentaux contenus dans la DDHC, la sanction en cas de non-respect étant la censure de la loi (dans
le cadre du contrôle de constitutionnalité a priori) ou bien l’abrogation de la loi (pour la question prioritaire de
constitutionnalité, qui constitue le contrôle a posteriori depuis la révision constitutionnelle menée à l’initiative
du Président N. Sarkozy en 2008).

Parallèlement, le Code civil napoléonien de 1804 a défendu une vision que l’on qualifie d’absolue de la propriété,
en son article 544 : « la propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu
qu'on n'en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par lesrèglements ». Cet article a traversé les années jusqu’à
nos jours.

A l’inverse, la consécration du droit de propriété aux niveaux européen et international a été bien plus délicate.

Au niveau européen, tout d’abord, les États parties au Conseil de l’Europe ne sont pas parvenus à s’accorder sur
l’insertion du droit de propriété dans la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des
Libertés fondamentales en 1950. C’est à partir de 1952, à l’occasion de la finalisation du Premier protocole
additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme, que sera protégé le droit au respect de ses
biens (X. Dupré de Boulois, Droit des libertés fondamentales, PUF, 2018, spéc. §619, p. 400).

L’on aura l’occasion de prendre conscience de la jurisprudence particulièrement audacieuse et ambitieuse de


la Cour de Strasbourg, assurant une protection particulièrement étendue du droit au respect de ses biens qui
a sans doute permis de pallier les réticences initiales des États parties au Conseil de l’Europe.

Quant à l’Union européenne, c’est la Charte des droits fondamentaux (CDFUE) qui protège le principe de la
propriété en son article 17 ; il est à noter que la CDFUE a valeur contraignante depuis l’entrée en vigueur du
Traité de Lisbonne en 2009 dans l’ensemble des matières au sein desquelles l’Union européenne dispose d’une
compétence.

Dépourvue de valeur juridique contraignante, la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948
(DUDH) prévoit la protection du droit de propriété en son article 17.

Par ailleurs, aucun des deux pactes des Nations-Unies de 1966 ne protège explicitement le droit de propriété (à
propos de l’état du droit positif concernant le droit de propriété, v. en cas de besoin : X. Dupré de Boulois, préc.,
spéc. §619, p. 400 ; R. Libchaber, « La propriété, droit fondamental », in : Libertés et droitsfondamentaux 2020,
R. Cabrillac (dir.), Dalloz, 2020, 26ème éd., p. 800 et s., spéc. §976, pp. 801-802).

Au-delà de la consécration (ou de l’absence de consécration) textuelle, il est vrai qu’inclure le droitde propriété
dans un fascicule ou un ouvrage relatif aux libertés fondamentales peut laisser songeur. Un auteur consacrant
une étude au droit de propriété rappelle, avec détails et citations, le débat philosophique concernant le droit de
propriété et son apport à l’être humain et à la société.

188
Ainsi, alors que J.-J. Rousseau se méfiait de l’idée de propriété privée, J. Locke y voyait lui un droit naturel pour
l’être humain, notamment lorsque celui-ci travaille et fait bonifier, ou « fructifier », son bien (R. Libchaber,
préc., §980, p. 803-804).

Quoiqu’il en soit, l’on peut relier l’existence du droit depropriété à la vie en société. Benjamin Constant écrivait
en son temps que « la propriété n’est point indépendante de la société, car un état social, à la vérité très
misérable, peut être conçu sanspropriété tandis qu’on ne peut imaginer de propriété sans état social » (cité par
R. Libchaber, préc., §975, p. 800).

Quant à Portalis, le rédacteur principal du Code civil à l’époque napoléonienne, le droit de propriété est le « droit
fondamental sur lequel toutes les institutions reposent » (cité par S. Hennette-Vaucher et D. Roman, Droits de
l’Homme et libertés fondamentales, Dalloz, Hypercours, 2020, spéc. §972, p. 706).

Aujourd’hui, le droit de propriété est protégé par la plupart des États au monde, ceci allant de pair avec la
consécration d’une logique de droits individuels (ou droits subjectifs) et étant lié à la quasi-disparition du
modèle communiste (ibid., §976, p. 801-802). Cela n’empêche pas, toutefois, une réflexion renouvelée, par
exemple concernant la propriété des données à caractère personnel (ou « données personnelles ») liées au
numérique.

Il conviendra de découvrir la protection du droit de propriété (I) avant de se pencher sur les atteintes au droit de
propriété (II).

I. LE PRINCIPE DE LA PROTECTION DU DROIT DE PROPRIÉTÉ


Pour comprendre l’étendue et la portée du droit de propriété, il faudra se pencher sur le droit positif en France
(A) avant d’étudier la position de la Cour européenne des droits de l’homme (B).

A. Le droit positif en France

Il aura fallu attendre 1982 pour que la valeur constitutionnelle soit reconnue au droit de propriété par le Conseil
constitutionnel (2), une consécration dont il faudra mesurer l’étendue (3), tandis que la France s’est distinguée
dès l’époque Napoléonienne par une conception spécifique de la propriétéen droit civil (1).

1. Le droit civil de la propriété

La Révolution française puis le Code civil napoléonien aux articles 544 et suivants ont consacré unevision de
la propriété selon laquelle « une personne peut assouvir le désir qu’elle a d’un bien » et constitue ainsi « le
lien le plus étroit qui puisse unir une personne à bien » (R. Libchaber, préc., §983,p. 805).

Il s’agit du fameux triptyque usus (droit d’user de la chose), abusus (droit de disposer de la chose) et fructus (droit
de percevoir les fruits de la chose), bien connu de tous les étudiants ayant suivi en Licence un cours de droit des
biens.

En droit civil, la propriété renvoie surtout à l’idée d’exclusivisme, particulièrement perceptible en ce qui concerne
la jouissance, aussi bien dans le cadre de la relation personne-chose que dans la relation entre la personne et
autrui concernant ladite chose : « dans la relation à la chose, la propriété exclusive est liberté de faire ce que
l’on veut d’une chose pour autant que cela ne soit pas interdit ; dans la relation aux autres, la propriété est
encore exclusive au sens où le propriétaire peut exclure les tiers de la jouissance de sa chose, ce qui garantit
juridiquement l’efficacité de sa propriété » (R. Libchaber, préc., §983, p. 806 ; v. égal. S. Hennette-Vaucher et
D. Roman, préc., spéc. §975, p. 707).

189
2. La valeur constitutionnelle du droit de propriété

Le Conseil constitutionnel a reconnu valeur constitutionnelle au droit de propriété en 1982, se prononçant sur
les nationalisations réalisées après l’élection de F. Mitterrand à la présidence de la République :

« Considérant que, si postérieurement à 1789 et jusqu'à nos jours, les finalités et les conditions d'exercice du
droit de propriété ont subi une évolution caractérisée à la fois par une notable extension de son champ
d'application à des domaines individuels nouveaux et par des limitations exigées par l'intérêt général, les
principes mêmes énoncés par la Déclaration des droits de l'homme ont pleine valeur constitutionnelle tant
en ce qui concerne le caractère fondamentaldu droit de propriété dont la conservation constitue l'un des buts
de la société politique et qui est mis au même rang que la liberté, la sûreté et la résistance à l'oppression, qu'en
ce qui concerne les garanties données aux titulaires de ce droit et les prérogatives de la puissance publique »
(Conseil constitutionnel, 16 janvier 1982, décision n° 81-132 DC, Loi de nationalisation, spéc. §16 ; pour une
réaffirmation de la valeur constitutionnelle des articles 2 et 17 de la DDHC dans le cadre de la question prioritaire
de constitutionnalité, v. par ex. : Cons. const., 12 novembre 2010, décision n° 2010-60 QPC, Pierre B.).

Il faut avoir conscience du fait que le Conseil constitutionnel retient le droit de propriété comme un droit
fondamental individuel, au bénéfice du propriétaire, cette conception n’étant pas partagée par tous les États
européens qui, pour leur part, en retiennent parfois une vision sociale (par exemple en Espagne, en Italie ou
encore en Allemagne : « La propriété oblige. Son usage doit en même temps contribuer au bien public » (article
14, alinéa 2 de la Constitution all.) ; J. Trémeau et A. Bachert, « Propriété – Fondement constitutionnel de
la propriété », JCl Civil code, art. 544, fasc. 20, 2018,spéc. §9).

Le droit de propriété n’est pas seulement réservé aux personnes privées : il est également un droit des personnes
publiques.

Le Conseil constitutionnel juge régulièrement, depuis 1986, que « la protection du droit de propriété, qui ne
concerne pas seulement la propriété privée des particuliers mais aussi la propriété de l'État et des autres
personnes publiques » résulte des articles 2 et 17 de la DDHC (par ex., Cons. const., 23 janvier 2014, décision n°
2013-687 DC, Loi de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles (MAPTAM),
spéc. considérant 52 ; J. Trémeau et A. Bachert, préc., §30 et s., spéc. §30). Sont concernés les biens des
personnes publiques qui se trouvent dans le domaine public mais aussi ceux qui se trouvent dans le domaine
privé (ibid., §32).

Dans le cadre d’une procédure de référé-liberté, le Conseil d’État a déjà estimé que le droit de propriété des
personnes publiques constituait une liberté fondamentale au sens de l’article L. 521-2 du Code de justice
administrative (CE, ord. réf., 09 octobre 2015, n° 393895, Commune de Chambourcy, Rec. Lebon, spéc. §1, cité
par J. Trémeau et A. Bachert, préc., §33).

3. L’étendue de la protection du droit de propriété

En droit interne, la valeur constitutionnelle du droit de propriété a été affirmée qu’il s’agisse de couvrir les biens
immeubles comme les biens meubles, les biens immatériels comme les biens physiques ou corporels (J.
Trémeau et A. Bachert, préc., §37 et s., spéc. §37).

Le Conseil constitutionnel opère une distinction selon que la loi en question se contente de réglementer
l’exercice du droit de propriété (auquel cas, il se base sur l’article 2 de la DDHC) ou bien aboutisse à une privation
du droit de propriété (dans ce cas de figure, le Conseil constitutionnel se fonde sur l’article 17 DDHC ; X. Dupré
de Boulois, préc., spéc. §623, p. 404).

Il est parfois nécessaire de concilier le droit de propriété avec d’autres libertés et droits fondamentaux (v. par
exemple la conciliation opérée entre droit de propriété, d’une part, et droit au respect du domicile de l’occupant
du terrain, d’autre part, s’agissant de gens du voyage installés sur des terrains de la mairie d’Aix-en-Provence et
dont l’exclusion, selon la Cour de cassation, constituait le seul moyen de recouvrir la plénitude du droit de
propriété : Cass., civ. 3ème, 28 novembre 2019,n° 17-22.810).

190
Il est à noter que, s’inspirant de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, la Cour de
cassation mène souvent un contrôle de proportionnalité pour vérifier si l’ingérence au droit de propriété est
acceptable ou non.

Élément d’actualité – Un droit de propriété sur ses données personnelles ?

Selon le célèbre avocat Alain Bensoussan, spécialiste des nouvelles technologies et des réseaux sociaux
(notamment), il devrait à court-terme exister un droit de propriété accordé à chaque individu pour les données
à caractère personnel.

Dans un post sur un blog du Figaro en 2018, l’avocat rappelle qu’à de très nombreuses occasions, les internautes
fournissent aux différents sites internet et/ou applications pour smartphones un certain nombre d’informations,
dépassant leurs simples coordonnées et révélant leurs goûts, leurs envies et permettant ainsi un certain
profilage, ceci à l’occasion d’achats, de consultations de pages ou de jeux en ligne

L’on peut aisément imaginer qu’avec le confinement lié à la crise du coronavirus et le surplus d’activité
numérique pour des usages professionnels ou personnels, de telles données personnelles ont encore gagné en
valeur, plaidant pour un droit de propriété de l’individu sur elles.

Cette position est toutefois contestée, notamment par le Conseil d’État qui, dans son étude annuelleen 2014, a
souhaité écarter l’introduction d’une quelconque logique patrimoniale dans le droit de laprotection des données
personnelles, envisageant plutôt la protection de celles-ci comme un(contestable) droit à l’autodétermination
informationnelle qui consisterait en « la capacité del’individu à décider de la communication et de l’utilisation
de ses données à caractère personnel »(citant le droit constitutionnel allemand ; Conseil d’État, étude annuelle
2014, Le numérique et lesdroits fondamentaux, p. 265 et s.).

B. La protection du droit au respect de ses biens par la Cour européenne des


droits de l’homme
Faute de consensus entre les États parties au Conseil de l’Europe dans le cadre de la rédaction de la Convention
européenne de sauvegarde des droits de l’homme, il aura fallu attendre 1952 et le premier protocole additionnel
à la Convention pour que soit protégé le « droit au respect de ses biens », protocole dont l’article 1er dispose :
« 1. Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété
que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit
international.
2. Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les États de mettre en vigueur les
lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour
assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes. ».
L’on peut alors estimer que le texte de l’article 1er du premier protocole additionnel à la Convention manquait
un peu d’ambition (ce qui sera toutefois, par la suite, démenti par une jurisprudence particulièrement ambitieuse
de la Cour de Strasbourg). Tout d’abord, l’article 1er du premier protocole additionnel permettait aux États
signataires de la Convention européenne des droits de l’homme de faire le choix de ne pas ratifier le protocole
additionnel. En outre, il s’agissait deprotéger la jouissance des biens que l’individu a déjà en sa possession, sans
offrir de protection par rapport à l’accession à la propriété.

Enfin, la rédaction de cet article 1er du protocole additionnel reconnaît que les États ont un droit à « mettre en
vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général » :
il s’agit donc bien d’une appréciation laissée à l’État, ce qui, au moins en théorie, tranche foncièrement avec la
rédaction retenue pour les articles 9 (liberté de conscience, de pensée et de religion), 10 (liberté d’expression)
et 11 (liberté d’association) de la Convention qui, eux, évoquent des limitations « nécessaires, dans une société
démocratique » placées sous un contrôle forcément plus marqué de la Cour de Strasbourg (Code constitutionnel
et des droits fondamentaux, Appendice – Protocole additionnel du 20 mars 1952, commentaire de l’article 1er,
Dalloz, 2020).

191
Il aura fallu attendre l’arrêt Marckx c. Belgique, rendu par la Cour européenne des droits de l’homme (plénière)
en 1979 pour que soit reconnu en des termes particulièrement clairs le lien entre « droit au respect de ses
biens » et « droit de propriété » :

« En reconnaissant à chacun le droit au respect de ses biens, l’article 1 (P1-1) garantit en substancele droit de
propriété. Les mots "biens", "propriété", "usage des biens", en anglais "possessions" et "use of property", le
donnent nettement à penser ; de leur côté, les travaux préparatoires le confirment sans équivoque : les
rédacteurs n’ont cessé de parler de "droit de propriété" pour désigner la matière des projets successifs d’où est
sorti l’actuel article 1 (P1-1).

Or le droit de disposer de ses biens constitue un élément traditionnel fondamental du droit de propriété »
(Cour EDH Plén., 13 juin 1979, Marckx c. Belgique, requête n° 6833/74, spéc. §63).

C’est, par ailleurs, en 1982 dans l’arrêt Sporrong et Lönnroth c. Suède que la Cour de Strasbourg va préciser son
interprétation globale de l’article 1er du premier protocole additionnel, mentionnant l’existence du principe du
respect de la propriété et, dans un second temps, les limitations qui peuvent y être apportées :

« Celui-ci [NDA : l’article 1er du premier protocole additionnel] contient trois normes distinctes. La première,
d’ordre général, énonce le principe du respect de la propriété ; elle s’exprime dans la première phrase du
premier alinéa. La deuxième vise la privation de propriété et la soumet à certaines conditions ; elle figure dans
la seconde phrase du même alinéa. Quant à la troisième elle reconnaît aux États le pouvoir, entre autres, de
réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général et en mettant en vigueur les lois qu’ils jugent
nécessaires à cette fin ; elle ressort du deuxième alinéa » (Cour EDH Plén., 23 septembre 1982, Sporrong et
Lönnroth c. Suède, req.n° 7151/75 et 7152/75, spéc. §61 ; cette grille de lecture est appliquée de manière
constante et réaffirmée avec force par la Grande chambre, par ex. : Cour EDH (Gr. ch.), 25 octobre 2012,
Perepjolkins c. Lettonie, req. n° 72143/01, spéc. §93 ; arrêts cités par la Cour EDH, Guide on Article 1 of Protocol
No. 1 to the European Convention on Human Rights, 30 avril 2020, accessible en ligne, ci- après : « Guide article
1er »).

En général, la Cour européenne des droits de l’homme se contente de vérifier que l’interférence avec le
droit au respect de ses biens n’était pas prévue par la loi interne ou bien ne poursuivait pas un objectif d’intérêt
général. Ainsi, dans la grande majorité des affaires, la Cour se contente de cette constatation afin d’estimer que
l’article 1er du premier protocole additionnel a été violé (guideart. 11, préc., §72, p. 17). Plus rarement, la
Cour de Strasbourg va mener un contrôle de proportionnalité (ibid., §73).

Dans le cadre de la présente fiche thématique, il sera indiqué que la Cour de Strasbourg mène une interprétation
autonome de la notion de biens (1), ce qui a conduit à la protection d’une grande variété de biens (2).

1. L’interprétation autonome de la notion de biens

La Cour de Strasbourg ne s’estime pas liée par les définitions et qualifications issues du droit national ; bien au
contraire, elle a estimé que la notion de biens devait être interprétée de manière autonome :

« La notion de « bien » évoquée à la première partie de l’article 1 du Protocole n°1 a une portée autonome qui
ne se limite pas à la propriété de biens corporels et qui est indépendante par rapport aux qualifications formelles
du droit interne : certains autres droits et intérêts constituant des actifs peuvent aussi passer pour des « droits
patrimoniaux » et donc des « biens » aux fins de cette disposition. Dans chaque affaire, il importe d’examiner
si les circonstances, considérées dans leur ensemble, ont rendu le requérant titulaire d’un intérêt substantiel
protégé par l’article 1 du Protocole no 1 » (Cour EDH Gr. ch., 11 janvier 2007, Anheuser-Busch c. Portugal,
arrêt, req. n° 73049/01, spéc. §63, cité par le guide art. 1er, p. 7).

On le constate, la Cour de Strasbourg a estimé que la protection offerte par l’article 1 er du premier protocole
additionnel à la Convention ne portait pas seulement sur les biens physiques, mais également sur les
possessions immatérielles et/ou intellectuelles, par exemple des actifs ou des créances (v. ci-dessous à propos
de la grande diversité des biens protégés).

192
Par ailleurs, la Cour européenne des droits de l’homme a déjà condamné un État qui avait adopté une loi ayant
pour effet, rétroactivement, d’annihiler un droit à indemnisation (Cour EDH (Gr. ch.), 06 octobre 2005, Draon c.
France, req. n° 1513/03 et Maurice c. France, req. n° 11810/03, arrêts ; v. par ex. S. Hennette-Vaucher et D.
Roman, préc., §987, p. 711).

La Cour vérifie l’ensemble des circonstances dans chaque affaire afin de déterminer si le requérant était titulaire
d’un intérêt substantiel protégé dans le cadre du droit au respect de ses biens (récemment : Cour EDH, 24 mars
2020, Elik Kizil c. Turquie, req. n° 4601/06, spéc. §61, cité par guide art. 1er, p. 7).

Le recours à une interprétation autonome de la notion de « biens » a en outre permis à la Cour d’englober des
intérêts qui ne sont pas constitutifs de possessions pouvant être protégées par les droits internes trouvant à
s’appliquer à chaque espèce.

Le principe a été posé dans l’arrêt Depalle c. France, par un arrêt de Grande chambre rendu le 29 mars 2010 :

« La Cour rappelle que le fait pour les lois internes d’un État de ne pas reconnaître un intérêt particulier comme
« droit », voire comme « droit de propriété », ne s’oppose pas à ce que l’intérêt en question puisse néanmoins,
dans certaines circonstances, passer pour un « bien » au sens de l’article 1 du Protocole no 1 » (Cour EDH (Gr.
ch.), 29 mars 2010, Depalle c. France, req. n° 34044/02, §68, cité par guide art. 1er, p. 7, à propos de l’occupation
précaire du domaine public maritime, en raison de l’écoulement du temps durant lequel celle-ci a eu lieu : « le
temps écoulé a fait naître l’existence d’un intérêt patrimonial du requérant à jouir de la maison, lequel était
suffisamment reconnu et important pour constituer un « bien » au sens de la norme exprimée dans la première
phrase de l’article 1 du Protocole no 1, laquelle est donc applicable quant au grief examiné », ibid.).

2. La grande variété des biens protégés par la Cour de Strasbourg (bref


panorama)
Il faut se référer à l’arrêt Kopecky c. Slovaquie du 28 septembre 2004, rendu en Grande chambre, pour
comprendre quels sont les biens qui font l’objet d’une protection par la Cour européenne des Droits de
l’Homme : « La notion de « biens » peut recouvrir tant des « biens actuels » que des valeurs patrimoniales, y
compris des créances, en vertu desquelles le requérant peut prétendre avoir au moins une « espérance légitime
» d’obtenir la jouissance effective d’un droit de propriété.

En revanche, l’espoir de voir reconnaître un droit de propriété que l’on est dans l’impossibilité d’exercer
effectivement ne peut être considéré comme un « bien » au sens de l’article 1 du Protocole no 1, et il en va de
même d’une créance conditionnelle s’éteignant du fait de la non-réalisation de la condition » (Cour EDH (Gr.
ch.), 28 septembre 2004, Kopecky c. Slovaquie, req. n° 44912/98, arrêt, spéc. §35).

La Cour de Strasbourg a ainsi protégé sur le fondement de l’article 1er du premier protocole additionnel des
créances fiscales, des droits d’exploitation (par exemple une licence pour le débit deboissons alcooliques ou un
droit de pêche professionnelle ; guide art. 1er, p. 8), des droits de propriété intellectuelle, d’une clientèle
professionnelle, des prestations sociales mais également la protection d’une habitation de fortune dans un
bidonville construit sur une décharge en Turquie etsoufflée par une explosion de méthane (CEDH (Gr. ch.), 30
novembre 2004, Oneryildiz c. Turquie, req. n° 48939/99).

II. LES ATTEINTES AU DROIT DE PROPRIÉTÉ


Comme l’ensemble des droits et libertés fondamentaux reconnus à chaque citoyen, le droit depropriété
n’est pas illimité.

Cette solution est d’ailleurs mise en avant dans le corps même de l’article 544 du Code civil (cf. « (l)a propriété
est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu'onn'en fasse pas un usage
prohibé par les lois ou par les règlements ») et dans celui de l’article 1er du premier protocole additionnel à la
Convention européenne des droits de l’homme (v., plus haut dansla fiche, à propos de la lecture que mène la
Cour de cette disposition depuis l’arrêt Sporrong et Lönnroth).

193
L’on étudiera successivement les atteintes au droit de propriété en droit interne (A) et en droit de la Convention
européenne des Droits de l’Homme (B).

A. Les atteintes au droit de propriété en droit interne

Le droit interne prévoit l’existence de limitations au droit de propriété. En raison du format du présent document,
il n’est pas possible de se pencher sur l’intégralité de la jurisprudence des juridictions suprêmes ; il convient ainsi
de se consacrer à l’étude de la position du Conseil constitutionnel.

Comme indiqué dans la première partie de la fiche, le Conseil constitutionnel opère une distinction selon que la
loi en question se contente de réglementer l’exercice du droit de propriété (auquel cas,il se base sur l’article 2
de la DDHC ; 1.) ou bien, mais cela est – heureusement ! – bien plus rare, aboutisse à une privation du droit de
propriété (dans ce cas de figure, le Conseil constitutionnel se fonde sur l’article 17 DDHC).

1. La limitation du droit de propriété

Dans son ouvrage consacré aux libertés fondamentales, le Professeur X. Dupré de Boulois indiqueque les
simples limitations ou restrictions au droit de propriété (par opposition aux privations de ce même droit) peuvent
avoir des origines particulièrement diverses, à savoir la loi, les contrats, les actes administratifs unilatéraux voire
l’acte réalisé par une personne (X. Dupré de Boulois, préc., §629, p. 407).

Le Conseil constitutionnel estime, pour sa part, que tout ce qui ne relève pas de la privation pure du droit de
propriété appartient à la catégorie des limitations du droit de propriété et, au sujet de ces dernières, se fonde
sur l’article 2 de la DDHC (J. Trémeau et A. Bachert, préc., §56).

Afin de valider une atteinte au droit de propriété, le Conseil constitutionnel indique que « les limites apportées
à son exercice doivent être justifiées par un motif d'intérêt général et proportionnées à l'objectif poursuivi »
(Cons. const., 12 novembre 2010, décision 2010-60 QPC, Pierre B., spéc. cons. 3 ; J. Trémeau et A. Bachert,
préc., §57) afin de ne pas « dénaturer le sens et la portée » du droit de propriété (ibid., cons. 6).

Ce contrôle, auparavant limité, s’est progressivement renforcé.

2. La privation du droit de propriété

Lorsqu’il s’agit de sanctionner une tentative par le législateur de privation du droit de propriété, le Conseil
constitutionnel se réfère à l’article 17 DDHC. La privation et, par conséquent, le transfert de propriété doivent
être justifiés par « l'existence d'une nécessité publique légalement constatée »(J. Trémeau et A. Bachert, préc.,
§73) et faire l’objet d’une juste et préalable indemnité.

Nous étudierons successivement les nationalisations et privatisations (a), ainsi que l’expropriation pour cause
d’utilité publique (b).

a. Les nationalisations et privatisations


Le Conseil constitutionnel a déjà eu à se baser sur l’article 17 DDHC en ce qui concerne le transfert d’au moins la
majorité du capital d’une entreprise du secteur privé vers le secteur public (les nationalisations ; Cons. const.,
16 janvier 1982, décision 81-132 DC, Loi de nationalisation) ou, à l’inverse, en cas de transfert d’au moins la
majorité du capital d’une entreprise du secteur public vers le secteur privé (les privatisations ; Cons. const., 26
juin 1986, décision 86-207 DC, Loi autorisant le Gouvernement à prendre diverses mesures d'ordre économique
et social (ou « loi privatisations ») ; v. par ex., J. Trémeau et A. Bachert, préc., §50 et s.).

S’agissant de la nécessité publique, condition nécessaire à la réalisation de la privation et du transfert


subséquent de la propriété, le Conseil constitutionnel a laissé une large latitude au législateur pour déterminer
la nécessité publique de procéder à des nationalisations ou, à l’inverse,à des privatisations (J. Trémeau et A.
Bachert, préc., §74).

194
Quant à elle, l’indemnité doit être calculée sur la pleine valeur pécuniaire du bien (v. par exemple, récemment,
avec la privatisation d’Aéroports de Paris : Cons. const., 16 mai 2019, décision n° 2019-781 DC, Loi PACTE, spéc.
§58 à 65). En revanche, le Conseil constitutionnel a déjà refusé d’indemniser un préjudice moral.

b. L’expropriation pour cause d’utilité publique


L’on peut également se pencher sur la question de l’expropriation pour cause d’utilité publique, c’est-à-dire la
« procédure qui conduit à la cession forcée d’un bien immobilier appartenant à une personne publique ou privée
moyennant indemnisation » (X. Dupré de Boulois, préc., §625, p. 405).

Le principe de base est fixé par l’article L. 1 du Code de l’expropriation pour cause d’utilité publique,
particulièrement récent puisqu’il a été créé par une ordonnance en 2014 :

« L'expropriation, en tout ou partie, d'immeubles ou de droits réels immobiliers ne peut être prononcée qu'à la
condition qu'elle réponde à une utilité publique préalablement et formellement constatée à la suite d'une
enquête et qu'il ait été procédé, contradictoirement, à la détermination des parcelles à exproprier ainsi qu'à la
recherche des propriétaires, des titulaires de droits réels etdes autres personnes intéressées.

Elle donne lieu à une juste et préalable indemnité. »

Les expropriations pour cause d’utilité publique sont des décisions administratives, soumises au principe de
légalité, dont le contrôle est cette fois opéré par les juridictions administratives et en particulier le Conseil d’État,
en vertu de la jurisprudence dite « du bilan » née en 1971 dans sa décision d’assemblée Ville Nouvelle-Est (CE,
Ass., 28 mai 1971, n° 78825 ; pour un exemple d’application de la jurisprudence « du bilan » et de refus par le
juge de l’expropriation en raison d’un bilan négatif : CE, 11 décembre 2019, n° 419760, note S. Gilbert, AJDI 2020,
p. 263).

Ceci fait dire à une doctrine particulièrement autorisée qu’il appartient au Conseil d’État « de contrôler
successivement qu'elle répond [NDA : l’opération] à un objectif d'intérêt général ; que l'expropriant n'était pas
en mesure de réaliser l'opération dans des conditions équivalentes sans recourir à l'expropriation, notamment
en utilisant des biens se trouvant dans son patrimoine ; que les atteintes à la propriété privée, le coût financier
et le cas échéant, les inconvénients d'ordre social ou économique que comporte l'opération ne sont pas
excessifs eu égard à l'intérêt qu'elle présente » (P. Delvolvé et al., Les grands arrêts de la jurisprudence
administrative (GAJA), éd. 2017, Dalloz, p. 450, cités par : J. Trémeau et A. Bachert, préc., §83).

Le même principe s’applique pour l’indemnisation : l’indemnité doit être « juste et préalable » et couvrir la
valeur vénale du bien, sans que l’on puisse demander la réparation d’un quelconque préjudice moral.

B. Les limitations apportées par la Cour européenne des droits de l’Homme au


droit au respect de ses biens
En premier lieu, la Cour ne procède pas non plus à une extension illimitée du domaine des « biens » qui doivent
être protégés en vertu de l’article 1er du premier protocole additionnel à la Convention. C’est ainsi que la Cour
a récemment rejeté la qualification de « bien » pour un embryon, solution ilest vrai difficilement contestable
(Cour EDH (Gr. ch.), 27 août 2015, Parrillo c. Italie, req. 46470/11, spéc. §215), en raison de « la portée
économique et pécuniaire de l’article 1er ».

Tel qu’interprété par la Cour européenne des droits de l’homme depuis l’arrêt pionnier Sporrong et Lönnroth c.
Suède, l’article 1er comprend deux possibilités pour limiter le droit de chacun au respect de ses biens.

Pour rappel, il s’agit en premier lieu d’une limitation du droit de propriété dans le cadre de l’utilité publique et
à condition que cela soit réalisé par la loi ou en respectant les principes généraux dudroit international
(deuxième partie du premier alinéa de l’article 1er).

195
En second lieu, il s’agit de la réglementation de l’usage des biens en raison de l’intérêt général et les États
signataires peuvent, pour ce faire, mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires (second alinéa de l’article
1er).

Les atteintes portées au droit au respect de son bien sont toutefois particulièrement encadrées, comme en
témoigne l’interprétation ample du principe de légalité par la Cour :

« L’existence d’une base légale en droit interne ne suffit pas, en tant que telle, à satisfaire au principe de légalité.
Il faut, en plus, que cette base légale présente une certaine qualité, celle d’être compatible avec la prééminence
du droit et celle d’offrir des garanties contre l’arbitraire » (Cour EDH Gr. ch., 25 octobre 2012, Perepjolkins c.
Lettonie, préc., §96).

Par ailleurs, le « principe de légalité signifie également l'existence de normes de droit interne suffisamment
accessibles, précises et prévisibles » d’après la Cour (Cour EDH (Gr. ch.), 05 janvier 2000, Beyeler c. Italie, req. n°
33202/96, spéc. §109).

S’agissant de l’utilité publique et de l’intérêt général, la Cour de Strasbourg a déjà donné raison à des États
signataires en ce qui concerne la restriction du droit au respect de ses biens à des fins d’accès au logement des
personnes en situation de précarité, de lutte contre l’évasion fiscale, le trafic de drogue ou la consommation
excessive de boissons alcoolisées, de contrôle de l’origine des véhicules mis en circulation dans l’État ou encore
de certains plans d’aménagement de la ville et de l’urbanisme (v. guide art. 1er, spéc. p. 24), sans oublier la
protection de l’environnement qui, mêmesi elle n’était pas explicitement prévue par la Convention européenne
des droits de l’homme et ses protocoles additionnels, fait l’objet d’une protection de plus en plus marquée par
la Cour (v. par ex., Cour EDH, 27 nov. 2007, Hamer c. Belgique, req. 21861/03, §79 ; plus récemment : Cour EDH
(Gr. ch.), 28 juin 2018, G.I.E.M. S.R.L. c. Italie, req. n° 1828/06, 34163/07 et 19029/11, spéc. §295, arrêts et
thèmes cités par guide art. 11, p. 24).

196
THÈME 3 : LA CONSCIENCE

FICHE N°21 : LA LIBERTÉ DE PENSÉE, DE CONSCIENCE ET D'OPINION

Résumé :

Les libertés de pensée, d’expression et d’opinion sont fondatrices de nos sociétés libérales. Ces principes
généraux sont inscrits en tête de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de1789 et repris dans
la Déclaration universelle des droits de l’homme. Néanmoins, leur exercice nedoit pas être abusif ou contraire
à l’ordre public. La marge est étroite pour le législateur lorsqu’il veut fixer des limites afin d’éviter certaines
dérives, telles que le recueil de données sensibles ou le droit d’expression artistique, tout en préservant les droits
constitutionnels. La Commission européenne des droits de l’homme et le Conseil constitutionnel qui fait figure
de gardien des libertés jouent un rôle important de censeur. Et les juges dans leur ensemble veillent à ce que ces
restrictions soient nécessaires et proportionnées.

Notions abordées dans la fiche :

- La liberté de conscience et la neutralité de l’État


- L’objection de conscience
- La protection de la conscience et des opinions

197
Actualité

La loi du 24 juin 2020 visant à lutter contre les contenus haineux sur internet, dite loi Avia, a été vidée de sa
substance par la censure du Conseil constitutionnel. Les dispositions centrales de la loi étaient jugées non
compatibles avec les exigences de liberté d'expression et d’opinion. L’exercice est délicat car ainsi, à titre
d’exemple, la loi allemande pour une meilleure application du droit sur les réseaux
(Netzwerkdurchsetzungsgesetz - NetzDG) promulguée en avril 2017 a été considérée a contrario conforme à la
Constitution.

Nicole Belloubet, le 29 janvier 2020, a réagi à la polémique autour des propos tenu par Mila, une lycéenne de 16
ans, qui a tenu sur Instagram des propos violents contre la religion et plus particulièrement l'Islam, en disant sur
Europe 1 que cela constituait « évidemment une atteinte à la liberté de conscience ». Une ministre de la Justice
peut-elle s'exprimer sur une affaire en cours ? L'atteinte à la liberté de conscience des croyants doit-elle
supplanter celle des athées ?

Introduction

Le droit de penser en toute liberté a beau nous paraître comme la chose la plus naturelle du monde, force est de
constater que sa reconnaissance n'est que récente, localisée et limitée. Une société qui considère l’autonomie
des individus comme le principe qui préside à toutes les autres doit nécessairement, pour ne pas se contredire,
reconnaître le droit de croire ou de ne pas croire, de forger ses opinions et de défendre ses convictions.

Les libertés de pensée, d'opinion, de conviction, de conscience, de croyance et de conception religieuse,


philosophique et scientifique sont, selon les auteurs et les juridictions, prises dans un sens plus ou moins
synonymes. A priori, la valorisation et la communication des idées sont protégées quelles que soient leur
intensité, leur force et leur nature.

Mais, n’y a-t-il pas une hiérarchie entredes idées profondes et superficielles, familières ou fugitives ? On peut
mourir pour un idéal. On peut parler pour ne rien dire. Doit-on regarder de manière indifférenciée l'expression
des goûts et des couleurs, le jugement sur la validité d'une démonstration, les affirmations sur le divin, la
politique,sur l’existence ?

Une chose est sûre : nous sommes les héritiers d'une culture qui se reconnaît dans la parole d'Aristote, le logos
(λόγος) est le propre de l’homme. Nous sommes essentiellement des animaux qui font usage de leur raison et
qui dialoguent.

Ainsi, le droit de penser doit nécessairement se comprendre comme le droit de penser avec les autres. Il convient
donc d'étudier, d'une part, la garantie juridique du respect de l'inviolabilité du for intérieur des individus (I) et,
d'autre part, le droitde partager ses idées et faire part de ses sentiments (II).

I. LA PROTECTION JURIDIQUE DU FOR INTÉRIEUR


Nos démocraties libérales présupposent la tolérance envers les doutes et les certitudes d’autrui (A)et d’agir en
accord avec ses propres convictions (B).

A. La tolérance comme condition nécessaire à la libre pensée

1. La consécration juridique d’un devoir de tolérance

« Nul à la vérité ne peut, sans danger pour le droit du souverain, agir contre son décret, mais il peut avec une
entière liberté opiner et juger et en conséquence aussi parler, pour qu'il n'aille pas au-delà de la simple parole
ou de l'enseignement, et qu'il défende son opinion par la raison seule, non par la ruse, la colère ou la haine. »

198
Par ces mots tirés du Traité théologico-politique (1670), Spinoza préfigure une série de textes influents comme
De la Tolérance, Commentaire philosophique sur les paroles de Jésus-Christ (1686) de Pierre Bayle, La Lettre sur
la tolérance (1689) de John Locke ou encore Le Traité sur la tolérance de Voltaire publié en 1763.

Il faut attendre le 26 août 1789, pour que soit consacrée de manière générale et absolue la liberté de penser.
La Déclaration des droits de l'homme et du citoyen en proclamant que nul ne peut être inquiété pour ses
opinions, même religieuses (article 10) et que la libre communication des pensées et des opinions est un des
droits les plus précieux de l'Homme (article 11), vise à la protéger de la manière la plus absolue.

Mais, ces articles précisent qu'il ne faut pas que son exercice soit abusif ou qu'elle ait pour effet de troubler
l'ordre public établi par la Loi. L'esprit de la Déclaration est libéral ausens où, comme l'indiquent plusieurs articles,
la liberté est en principe absolue. Elle n'est limitée que par exception. De la même manière, l'exigence de
respecter les convictions de chacun se retrouve dans divers textes comme la Déclaration universelle des droits
de l'homme à l’article 19.

La réputation d’une France méfiante à l'égard du spirituel pourrait laisser croire que son droit cherche à
l'étouffer. Il n'en est rien. On en veut pour preuve l’article premier de la loi du 9 décembre 1905 qui déclare que
la République assure la liberté de conscience. Cette liberté sera consacrée parle Conseil constitutionnel dans sa
décision du 27 juin 2002, comme étant l'un des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République.
Bien au contraire, diverses branches du droit cherchent à lutter spécifiquement contre la discrimination que des
individus pourraient subir en raison de leurs croyances au sens large.

Ainsi, le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 dispose que nul ne peut être lésé, dans son travail ou
son emploi, en raison de ses origines, de ses opinions ou de ses croyances. Concrètement, l'administration viole
le principe de l'égalité d'accès de tous les Français aux emplois et fonctions publics inscrit dans la Déclaration des
droits de l'homme et du citoyen de 1789, si elle se fonde exclusivement sur les opinions politiques d’un candidat
(Conseil d'État, 28 mai 1954, Barel). Dans le monde de l'entreprise, il est également interdit de licencier ou de
discriminer directement ou indirectement une personne en saison de ses convictions et de ses engagements (art
L1132-1 code du travail).

2. Le droit de ne pas révéler ses opinions

Le principe selon lequel chacun à la liberté de s'exprimer sur tous les sujets s'accompagne d’une composante
négative, celle de garder le silence ou de mentir. Fort heureusement, le temps des chasses aux sorcières est
révolu et la torture n'est plus employée pour faire avouer les suspects.

Sur le fondement de l'article 6§1 de la Convention, la Cour européenne des droits de l'homme a jugé, dans un
arrêt du 25 février 1993, Funke c. France, qu’il existe un droit de ne pas s’accuser. Il ne peut néanmoins être
déduit de ce qui précède qu’il existe un droit de se taire.

En effet, dans sa décision n° 2018-696 QPC du 21 mars 2018, le Conseil constitutionnel a déclaré conforme à la
Constitution le premier alinéa de l’article 434-15-2 du Code pénal qui punit la personne qui refuse de
communiquer la convention secrète de déchiffrement d'un moyen de cryptologie susceptible d'avoir été utilisé
pour préparer, faciliter ou commettre un crime ou un délit.

Même si, dans sa lutte contre la corruption et les conflits d'intérêt, le droit semble exiger des individus d'être
toujours plus transparents, cet objectif se heurte parfois à d'autres droits légitimes comme la protection de la
vie privée. Cela est d'autant plus vrai lorsque l’exigence de dire la vérité poursuit des fins contestables.

En 1943, la Conseil d'État a eu l'occasion de condamner, pour méconnaissance du principe de proportionnalité,


un arrêté préfectoral qui impose aux hôtels de se renseigner sur la confession religieuse de leurs clients. Pour le
doyen Carbonnier, la liberté deconscience doit être protégée non seulement contre les pressions, mais contre
les indiscrétions. Il écrit dans son commentaire que dans un pareil cas, c'est le secret de la conscience qui doit
être préservé.

199
La Cour européenne des droits de l’homme défend la même position lorsqu'elle considère, dans une décision
Dimitras et autres c. Grèce (3 juin 2010, req. n° 42837/06 ), que la liberté de manifester ses convictions religieuses
comporte également un aspect négatif, à savoir le droit pour l'individu de ne pas être obligé de manifester sa
confession ou ses convictions religieuses et de nepas être obligé d'agir en sorte qu'on puisse tirer comme
conclusion qu'il a - ou n'a pas - de telles convictions.

Le traumatisme de la Seconde Guerre mondiale, où les individus considérés comme nuisibles étaient non
seulement fichés et parfois affublés d’un signe distinctif, et les nouvelles possibilités permises par les
technologies de l'information, ont conduit le législateur en 1978 à instituer une autorité administrative
indépendante, la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL).

Elle veille à l'application du règlement n° 2016/679, dit règlement général sur la protection des données
(RGPD) qui impose des mesures strictes concernant les données dites sensibles, à savoir, selon l’article 9, celles
qui révèlent l'origine raciale ou ethnique, les opinions politiques, les convictions religieuses ou philosophiques
ou l'appartenance syndicale, ainsi que le traitement des données génétiques, des données biométriques aux fins
d'identifier une personne physique de manière unique, des données concernant la santé ou des données
concernant la vie sexuelle ou l'orientation sexuelle d'une personne physique.

B. Le droit d'agir en son âme et conscience

1. Les objecteurs de conscience

Peut-on refuser de servir sous les drapeaux en raison de ses convictions pacifiques ? La question avait une
toute autre actualité lors du service militaire obligatoire. Mais, la question mérite d'être posée pour comprendre
notre histoire, pour comprendre les droits étrangers, et, peut-être pour prévenir le futur, car rien ne garantit que
la conscription ne soit jamais rétablie.

En France, il faut attendre une loi du 21 décembre 1963, modifiée le 8 juillet 1983, pour qu'un premier pas se
fasse en faveur d'un droit à être objecteur de conscience. Les candidats à ce statut devaient convaincre une
commission juridictionnelle de la sincérité et de l'incompatibilité de leur conviction philosophique ou religieuse
avec la réalisation du service militaire.

La loi parle de l'opposition, en son article premier, en toutes circonstances à l'usage personnel des armes.
L’objecteur devait, alors, réaliser un service civil deux fois plus long que celui du service militaire. La
professionnalisation de l'armée a permis de mettre un terme en 2002 au service militaire obligatoire.

La Cour de Strasbourg a, d'abord, jugé que les États étaient libres de reconnaître ou non le statut d’objecteur de
conscience (Comm. EDH, 7 mars 1977, Groupe d'objecteurs de conscience c. Danemark, n° 7565/76). Mais,
depuis 2011, plusieurs arrêts sont venus réduire la marge laissée aux États dans ce domaine.

Par un arrêt de grande chambre en date du 7 juillet 2011 (Bayatyan c. Arménie), la Cour a conclu à la violation
de l'article 9 de la Convention, car elle a estimé que la conscience d'une personne ou ses convictions sincères et
profondes, de nature religieuse ou autre, constitue une conviction atteignant un degré suffisant de force, de
sérieux, de cohérence et d'importance.

2. La clause de conscience

La clause de conscience est le droit reconnu à un professionnel de refuser d'accomplir certains actes contraires
à ses convictions. Ainsi, l'article L2212-8 du Code de la santé publique dispose que nul n'est tenu de pratiquer
ou de concourir à une interruption volontaire de grossesse.

Dans la QPC du 18 octobre 2013, le Conseil constitutionnel refuse le bénéfice d'une clause de conscience au
maire et ses adjoints qui refuseraient, en raison de convictions personnelles, de célébrer le mariage de couples
de même sexe. À ce sujet, signalons une décision de la Cour suprême des États-Unis Masterpiece Cakeshop v.
Colorado Civil Rights Commission de 2018 qui a fait grand bruit.

200
Sur le fondement du premier amendement de la Constitution des États-Unis, un boulanger- pâtissier a eu le droit
de refuser de confectionner un gâteau de mariage pour un couple homosexuel car cela allait à l'encontre de ses
convictions.

II. LA PROTECTION JURIDIQUE DU FOR EXTÉRIEUR


La liberté d'exprimer ses pensées et ses opinions est un principe juridique fondamental. Il permet l'existence
d'un marché libre des idées (A). Mais, un régime plus contraignant s'applique aux fonctionnaires (B).

A. La protection juridique du marché des idées

La théorie du marché des idées renvoie à une vision de la démocratie comme un espace d'échanges d'idées et
de points de vue. La libre circulation des idées et des arguments doit alors enrichir l’ensemble des participants.
Les juges français (1) et européen (2) ont eu l'occasion de préciser les règles de ce marché des idées.

1. En droit interne

La liberté d'opinion ne prend pleinement effet que lorsqu'il s'accompagne du droit de les exprimer. L’article 11
de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 dispose que la libre communication des
pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'homme : tout citoyen peut donc parler, écrire,
imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi.

Il est, par exemple, tout à fait permis de distribuer des tracts dans la rue pour inciter les passants à se joindre à
leurs écoles de pensée ou leurs causes politiques. Pour une illustration récente, citons la décision du Conseil
constitutionnel n° 2019-780 DC du 4 avril 2019, portant sur loi visant à renforcer et garantir le maintien de l'ordre
public lors des manifestations, où il rappelle que toute atteinte au droit d'expression collective des idées et des
opinions doit être adaptée, nécessaire et proportionnée.

Contrairement à d'autres pays européens, le droit français ne connaît ni le délit d'opinion, ni le blasphème.
L'actualité témoigne d’actions violentes en réaction à des œuvres artistiques par des individus blessés dans leurs
convictions.

L’article 431-1 du Code pénal, modifié par la loi n° 2016-925 du 7 juillet 2016 relative à la liberté de création, à
l'architecture et au patrimoine (JO 8 juill. 2016), instaure un délit d'entrave de la liberté d’expression. Pour
une illustration jurisprudentielle récente, il est possible de se référer à un arrêt de la chambre criminelle de
la Cour de cassation (28 juin 2017, n° 16-83.680) où un spectateur a été condamné pour avoir perturbé un
spectacle.

Si les idées sont de libres parcours, l'usage des œuvres qui les incarnent est contrôlé. Le Code de la propriété
intellectuelle débute au premier alinéa de l’article L 111-1 par déclarer que l'auteur d'une œuvre de l'esprit jouit
sur cette œuvre, du seul fait de sa création, d'un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous. Il
n'est donc pas possible de s’approprier une œuvre protégée par le droit d’auteur. Ce monopole d'exploitation
permet un retour sur investissement consacré et donc à l'existence même de l’œuvre.

2. En droit européen

La Cour de Strasbourg dans un arrêt Handyside c. Royaume-Uni, du 7 décembre 1976, maintes fois cité, déclare
que la liberté d'expression doit être vue comme l'un des fondements de la société démocratique. Les idées et les
informations n'ont pas besoin d'être consensuelles pour être librement diffusées. La liberté de communiquer
concerne également les idées qui heurtent, choquent ou inquiètent l'État ou une fraction quelconque de la
population.

En 1993, dans une affaire Kokkinakis, la Cour condamne la Grèce pour avoir de manière excessive cherché à
empêcher un témoin de Jéhovah qui cherchait à convertir à ses croyances. En ce sens, la Cour affirme que le
prosélytisme ne doit pas être vu en soi comme une menace dans une société démocratique.

201
B. Les modalités spécifiques de l'expression des fonctionnaires

Le fonctionnaire est soumis à un devoir de neutralité (1), de réserve et de loyauté (2).

1. Le devoir de neutralité

L'article 25 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, dite loi Le Pors,
modifiée par la loi n° 2016-483 du 20 avril 2016 relative à la déontologie et aux droits et obligations des
fonctionnaires dispose que le fonctionnaire exerce ses fonctions avec dignité, impartialité, intégrité et probité.
Dans l'exercice de ses fonctions, il est tenu à l'obligation de neutralité. Ce devoir a l'avantage de participer à la
confiance que les citoyens peuvent avoir envers leservice public.

Deux principes peuvent être invoqués pour fonder ce devoir de neutralité : le principe d'égalité et la laïcité. Dans
une décision du 18 septembre 1986, Liberté de communication, le Conseil constitutionnel considère que le
principe de neutralité du service est le corollaire du principe d’égalité.

Pour ce qui concerne des croyances religieuses, le Conseil d'État a dans un avis du 3 mai 2000, Mademoiselle
Marteaux (req. n° 217017), évoqué le principe de laïcité pour justifier la limitation du droit de manifester leurs
convictions au sein d'un service public. Cette obligation de neutralité s'exprime de diverses manières, l'attitude
du fonctionnaire, ses propos, la manière de s'habiller.

Des précisions peuvent être apportées par les différents ministères. Par exemple, la circulaire du 2 février 2005
relative à la laïcité dans les établissements de santé demande au personnel hospitalier de soigner les patients de
façon impartiale et respecter leur liberté de conscience. Ils doivent être neutres par rapport aux usagers et ne
pas montrer leurs propres convictions religieuses.

2. Le devoir de loyauté et de réserve

À l'exception de certains postes à haute responsabilité, les fonctionnaires conservent leurs postes malgré les
évolutions politiques. Dans l'intérêt du bon fonctionnement du service, il est alors attendu que les fonctionnaires
soient loyaux. Le Conseil d'État, dans un grand arrêt du 11 janvier 1935, Bouzanquet, a prétoriennement déclaré
l'existence d'un devoir de réserve, qui doit être entendu comme une obligation de s'exprimer avec
circonspection.

Cela concerne en particulier les fonctionnaires remplissant une fonction d'autorité comme les militaires, les
policiers et les gendarmes. Comme l'indique l’article L4121-2 du Code de la défense, les opinions ou croyances,
notamment philosophiques, religieuses ou politiques, sont libres. Elles ne peuvent cependant être exprimées
qu'en dehors du service et avec la réserve exigée par l'état militaire. Cette règle s'applique à tous les moyens
d'expression. S'exprimer sous un pseudonyme ne suffit pas à se libérer de cette obligation (arrêt CE, 27 juin 2018,
M. A. B., n° 412541).

La position française est compatible avec le droit européen et le droit de l'Union européenne. En effet, la Cour
de Strasbourg a reconnu le droit pour un État de révoquer un fonctionnaire pour manque de loyauté (Vogt c/
Allemagne du 26 septembre 1995). Quant à la Cour de Luxembourg, il a été jugé dans un arrêt du 6 mars 2001,
M. Connolly c/ Commission, qu'un haut fonctionnaire de la Commission avait méconnu son devoir de loyauté en
écrivant un ouvrage très sévère contre le projet de monnaie unique.

202
FICHE N°22 : LA LIBERTÉ DE RELIGION ET DE LAÏCITÉ

Résumé :

La liberté de religion et la laïcité sont reconnues comme droit fondamental dans la constitution française. La loi
du 9 décembre 1905 est un des actes fondateurs codifiant la laïcité. Celle-ci est la notion cardinale pour
comprendre le rapport entre l’État français et les croyances religieuses. Si toutes les croyances et tous les cultes
sont a priori protégés, la France cherche à lutter à travers son dispositif juridique contre les dérives sectaires.

Notions abordées dans la fiche :

- L’aménagement de la liberté de religion


- La portée du principe de laïcité
- Dérive sectaire

203
Introduction

Quelle importance a la religion dans l’identité des Françaises et des Français ? De génération en génération, le
religieux semble perdre de son influence. Si les dirigeants politiques ne fondent plus leur légitimité en invoquant
une volonté divine et si les cloches des églises ne rythment plus la vie de la plupart d’entre nous, notre système
juridique ne peut rester indifférent face au fait religieux et aux différentes formes de spiritualité.

La France reconnaît le droit fondamental d’embrasser et d’exercer la religion de son choix et cela va de pair avec
une impartialité à l’égard de l’ensemble des opinions et croyances. Pour autant, elle se pense indépendamment
de toute confession religieuse.

Contrairement à de nombreux pays qui font référence à Dieu dans leur constitution, le premier alinéa du premier
article de la Constitutionfrançaise dispose que la France est une République indivisible, laïque, démocratique et
sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle
respecte toutes les croyances. Son organisation est décentralisée.

La loi concernant la séparation des Églises et de l'État du 9 décembre 1905 incarne la conception française de la
laïcité, c’est-à-dire une forme de séparation entre le temporel et le spirituel.

Il est surprenant de constater la proximité entre cette loi, dont le premier article garantit le libre exercice des
cultes et le second qui affirme que la République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte, et le
discours de l’abbé Grégoire du 21 décembre 1794 : « Le gouvernement ne doit adopter, encore moins salarier,
aucun culte, quoiqu'il reconnaisse dans chaque individu le droit d'avoir le sien. Le gouvernement ne peut donc,
sans injustice, refuser protection, ni accorder préférence à aucun.(...)Il faudrait pourtant proscrire une religion
persécutrice, une religion qui n'admettrait pas la souveraineté nationale, l'égalité, la liberté, la fraternité dans
toute leur étendue ; mais dès qu'il constate qu'un culte ne les blesse pas, et que tous ceux qui en sont sectateurs
jurent fidélité aux dogmes politiques, qu'un individu soit baptisé ou circoncis, qu'il crie Allah ou Jéhovah, toutcela
est hors du domaine de la politique. Si même il était un homme assez insensé pour vouloir, comme dans l'ancienne
Égypte, adorer un légume et lui ériger un autel, on n'a pas droit d'y mettre obstacle ; car ce qui n'est pas défendu
par la loi est permis. Et certes, je me garderais bien de troubler un juif dans sa synagogue, un musulman dans sa
mosquée, un hindou dans sa pagode ; ce seraitvioler un des plus beaux de leurs droits, celui d'adorer Dieu à leur
manière. »

La laïcité est la notion cardinale pour comprendre le rapport entre l’État français et les croyances religieuses (I).
Si toutes les croyances et tous les cultes sont a priori protégés, la France cherche à lutter à travers son dispositif
juridique contre les dérives sectaires (II).

I. LA GARANTIE DE LA LIBERTÉ DU CULTE DANS L’ESPACE PRIVÉ ET L’ESPACE PUBLIC


La cohérence du droit français à l’égard de la liberté de culte est distincte selon que l’on considère la sphère
privée (A) ou publique (B).

A. La liberté de religion au sein de l’espace privé

1. L’intervention et la souplesse de l’État pour garantir la liberté de culte

En raison d’une rupture entre le France et le Vatican, la possibilité offerte par la loi de 1905 de constituer des
associations cultuelles a été délaissée par l’épiscopat français. Cela a eu pour conséquence un transfert des
édifices religieux existant dans le patrimoine des personnes publiques. Le rétablissement des relations
diplomatiques en 1921 a conduit la création d’une nouvelle forme organisationnelle, les diocésaines dont une
qualité est de respecter la structure hiérarchique de l’Église catholique.

Alors que l’article 2 de la loi dispose que la République ne peut ni salarier, ni financer aucun culte, l’État participe,
en quelque sorte indirectement. Il peut, par exemple, mettre à disposition des espaces ou offrir des avantages
fiscaux. C’est ainsi que l’article 200 1 ° e) du Code général des impôts permet à ceux qui font des dons aux
associations cultuelles de bénéficier d'une réduction d'impôt surle revenu égale à 66 %.

204
Mais, au risque de violer l’article 9 de la Convention européenne des droitsde l’homme, des mouvements
religieux ne peuvent être exclus du dispositif. C’est l’enseignement de l’arrêt du 5 juillet 2012, Association
Témoins de Jéhovah c. France, n° 8916/ 05 dans lequel la France est condamnée pour avoir refusé aux Témoins
de Jéhovah le bénéficie des facilités fiscales reconnuesaux associations cultuelles.

Par ailleurs, des subventions peuvent être attribuées pour l’établissement ou la restauration de lieux de culte.
Par exemple, la grande mosquée de Paris a pu bénéficier de subventions publiques en 1920.

Enfin, dans le but d’assurer le libre exercice des cultes dans des lieux publics fermés comme les hôpitaux ou les
prisons, un service d’aumônerie est prévu par la loi de 1905. De plus, des aumôneries militaires catholiques,
israélites, protestantes et musulmanes sont également instituées.

Le gouvernement peut parfois concilier l’égal respect des croyances et traditions religieuses avec d’autres
objectifs légalement constatés sans que cela ne contrevienne au principe de laïcité. Par exemple, dans un arrêt
du 5 juillet 2013, Œuvre d'assistance aux bêtes d'abattoirs, n° 361441, le Conseil d’État a validé un règlement qui
prévoit la faculté de déroger à l'obligation d’étourdissement de moutons pour réaliser un abattage rituel. La loi
funéraire du 19 décembre 2008 est venueencadrer de nouvelles pratiques comme la crémation. L’article 16 de
la loi dispose que les cendres peuvent être dispersées dans un espace aménagé ou en pleine nature. Il n ’est pas
permis de les disperser sur les voies publiques.

Malgré la diligence de l’État pour permettre à la population de pratiquer les rites correspondant à sescroyances,
la liberté de religion n’implique pas que tous les modes de sépulture soient autorisés. Ainsi, dans un arrêt du 6
janvier 2006 Monsieur Rémy Martinot, n° 260307, le Conseil d’État a refusé de faire droit à une demande
cryogénisation. Par ailleurs, la Commission plénière de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) n’a
pas donné droit à l’Ordre séculaire des druides dans son exigence de pratiquer une cérémonie au site de
Stonehenge (Chappell c. Royaume-Uni, 14 juill. 1987, n° 12587/86).

Enfin, les convictions religieuses permettent de justifier des demandes auprès de l’administration.

2. La prépondérance de la liberté contractuelle sur la liberté du culte

L’Assemblée plénière de la Cour de cassation, dans l’affaire dite Baby-Loup du 25 juin 2014, reconnaît la
possibilité pour un règlement intérieur précis, justifié et proportionné au but recherché de restreindre la liberté
pour une employée de manifester sa religion.

Ne pouvant le jour du Shabbat toucher au digicode de leur immeuble, les pratiquants demandaient que soit mis
en place une ouverture manuelle. La 3ème chambre civile de la Cour de cassation le 18 décembre 2002 les a
déboutés de leur demande au motif que les pratiques dictées par les convictions religieuses des preneurs,
n’entrent pas, sauf convention expresse, dans le champ contractuel du bail et ne font naître à la charge du
bailleur aucune obligation spécifique.

De même, il a été jugé dans l’affaire dite « des cabanes » (Civ. 3ème, 8 juin 2006, 05-14.774), que le règlement de
copropriété ne pouvait être remis en cause au nom du droit de pratiquer sa religion. Il s ’agissait en l’espèce de
l’édification provisoire sur un balcon d’une cabane pour la fête juive de Souccot.

B. La liberté de religion au sein de l’espace public

1. Le principe

Les manifestations collectives extérieures d’un culte sont, dès lors qu’elles ne troublent pas l’ordre public,
autorisées. Mais quelle est la marge d’appréciation laissée à un maire ?

205
Dans son arrêt du 19 février 1909, abbé Olivier, le Conseil d’État a censuré l’interdiction des convois funèbres
dans la ville de Sens, au motif qu’il résulte des travaux préparatoires de la loi du 9 décembre1905 et de ceux de
laloi du 28 décembre 1904 sur les pompes funèbres que l’intention manifeste du législateur a été, spécialement
en ce qui concerne les funérailles, de respecter autant que possible les habitudes et les traditions locales et de
n’y porter atteinte que dans la mesure strictement nécessaire au maintien de l’ordre.

Ainsi, le maire a outrepassé ses pouvoirs de police en interdisant aux membres du clergé, revêtus de leurs habits
sacerdotaux, d’accompagner à pied ces convois conformément à la tradition locale. Pour autant, d’autres
décisions sont venues confirmer que le maire pouvait effectuer un véritable contrôle. Il peut notamment imposer
un itinéraire ou un espace à ces manifestationsreligieuses pour des raisons de sécurité ou des impératifs de
circulation (CE, 21 janv. 1966, n° 61692).

Les dimensions culturelle et cultuelle se confondent fréquemment. Ainsi, des pratiques religieuses sont
protégées au titre de l’héritage culturel qu’elles constituent.

La question des minorités culturelles semble être posée avec une acuité toute particulière au niveau
international, car les États peuvent inversement rechercher à mettre l’accent sur l’unité du pays. Il convient de
faire référence à l’article 27 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques qui a été adopté à New
York le 16 décembre 1966 : « dans les États où il existe des minorités ethniques, religieuses ou linguistiques, les
personnes appartenant à ces minorités ne peuvent être privées du droit d’avoir, en commun avec les autres
membres de leur groupe, leur propre vie culturelle, de professer et de pratiquer leur propre religion, ou d’employer
leur propre langue ». Le Comité des droits de l'homme, par les avis et les recommandations qu'il rend, veille à la
mise en œuvre de ce Pacte.

Mais, une autre organisation onusienne a un rôle à jouer dans ce domaine, il s’agit de l’Organisation des Nations
Unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO). Deux de ses conventions méritent, ici, d’être évoquées
: la convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel (2003) et la convention sur la protection et
la promotion de la diversité des expressions culturelles (2005).

Une controverse juridique a concerné l'installation de crèches de Noël par des personnes publiques. De telles
installations ne contreviennent-elles pas au principe de neutralité ? Le Conseil d’État a été amené à répondre à
cette épineuse question dans une décision en date du 9 novembre 2016.

La Nativité est l'une des fêtes religieuses les plus importantes de l'année liturgique chrétienne. La représentation
de la naissance du Christ manifestant la reconnaissance d’un culte ou marquant une préférence religieuse
contrevient à la neutralité des personnes publiques à l’égard des cultes.

Mais, le Conseil d’État tempère son jugement en ajoutant que l’installation temporaire à l’initiative d’une
personne publique, dans un emplacement public, est légale si elle présente un caractère culturel, artistique ou
festif. Ainsi, selon les circonstances particulières du cas, il sera permis d’installer ou non une crèche. Pour être
légale, l’installation ne doit être perçue, ni comme acte de prosélytisme, ni comme une revendication d’une
opinion religieuse.

Les plages du sud de la France ont été le théâtre d'une polémique juridique en été 2016. Des maires ont édicté
des arrêtés interdisant le port du Burkini, maillot de bain destiné aux femmes musulmanes couvrant une grande
partie du corps et les cheveux, sur les plages de leur communeafin de répondre à des objectifs de sécurité,
d'hygiène et de décence.

Or, le Conseil d’État dans son ordonnance du 26 août 2016 (LDH et autres, n° 402742) juge qu'il n'appartient pas
au maire de se fonder sur d'autres considérations et les restrictions qu'il apporte aux libertés doivent être
justifiées par des risques avérés d'atteinte à l'ordre public.

2. Une exception notable : la loi du 11 octobre 2010

Depuis la promulgation de la loi n° 2010-1192 du 11 octobre 2010, on peut retrouver des affiches accolées où
est inscrit ce message au-dessus du buste de Marianne, allégorie de la République française : « La République se
vit à visage découvert dans les lieux communs : voies publiques, transports en commun, commerces et centres
commerciaux, établissements scolaires, bureaux de poste, hôpitaux, tribunaux, administrations »

206
Dans son article premier, la loi déclare que nul ne peut, dans l'espace public, porter une tenue destinée à
dissimuler son visage.

Cette loi est parfois présentée, non comme une modalité du principe de laïcité, mais comme étant fondée sur la
sécurité publique et les exigences minimales de la vie en société. Pourtant, la lecture des débats parlementaires
montre clairement que l’objectif de la loi était d’interdire de porter une burqa. Le voile intégral est interprété
comme un devoir religieux par certains mouvements musulmans.

Or, il est vu par d’autres comme une immixtion nuisible du religieux dans l’espace public.La possibilité faite à
l’article 3 de la loi de substituer la contravention de la deuxième classe par l’accomplissement d’un stage
de citoyenneté corrobore cette analyse. Dans sa décision n° 2010-613 DC du 7 octobre 2010, le Conseil
constitutionnel déclare la loi conforme à la Constitution.

La CEDH a eu à se prononcer sur la loi. Le 1er juillet 2014, dans son arrêt portant sur l’affaire S.A.S. c. France, (n°
43835/11), la Cour rejette plusieurs arguments qui plaident en faveur de la conventionnalité de la loi. Ainsi,
l’argument selon lequel l’interdiction du voile intégral permet de lutter contre la fraude identitaire et les
atteintes à la sécurité des personnes et des biens ne passepas le test de la proportionnalité.

En revanche, il est possible d’arguer que le voile intégral remet fondamentalement en cause la possibilité de
relations interpersonnelles ouvertes. C’est en ce que la loi participe à la constitution d’un espace de sociabilité
facilitant le vivre ensemble que la Cour décidede laisser une ample marge d’appréciation dans l’opportunité de
ce choix de société.

II. LA LUTTE CONTRE LES DÉRIVES SECTAIRES


Le danger du fanatisme et de l’endoctrinement inquiète. Polymorphe et insidieux, différentes réponses
juridiques ont été apportées. Un symbole de cette lutte est la création, par décret du 28 novembre 2002, de la
Miviludes (Mission Interministérielle de Vigilance et de Lutte contre les Dérives Sectaires).

Elle établit des rapports, sans que cela ne contrevienne au principe de neutralité de l'État (Cour administrative
d'appel, Paris, Chambre 1, 4 septembre 2012 - n° 10PA01534).

Le choix de la terminologie dérives sectaires a l’avantage de souligner que les mouvements spirituels qui sont
nouveaux et minoritaires ne sont pas en eux-mêmes condamnables. Inversement, desagissements au sein de
mouvements intellectuels, politiques et religieux peuvent être qualifiés de sectaires. Il convient de distinguer
selon que ces agissements portent préjudices (B) aux membres du groupe considéré ou à son environnement
(A).

A. La lutte contre la violence extériorisée

1. La protection de l’ordre public et républicain

Les extrémistes politiques et religieux se rejoignent en ce qu’ils justifient les pires crimes au nom de leur idéal.
L'attentat au gaz sarin perpétré par la secte Aum à Tokyo, les lynchages de suprémacistes blancs aux États-Unis,
la reprise du mouvement völkisch par le nazisme, les assassinats perpétrés au cri d’Allahu akbar, Dieu est le plus
grand, démontrent que la haine et la terreur, quels que soient les époques et les milieux, se nourrissent d’idées
radicales.

Une multitude de règles peuvent permettre de garantir l’ordre républicain. La fermeture, la dissolution de
l’organisation et la confiscation de ses moyens d’actions sont des méthodes efficaces pour neutraliser les agents
dangereux. Nous illustrons par la description de la fermeture de lamosquée de Lagny-sur-Marne.

Sur le fondement de l'article 8 de la loi du 3 avril 1955, le préfet de Seine-et-Marne pris deux arrêtés pour
ordonner la fermeture administrative provisoire de la salle de prière dite « Mosquée de Lagny-sur-Marne » pour
avoir prêché un Islam radical et avoir fait l’apologie du djihad. Ces arrêtés préfectoraux sont validés par le
tribunal administratif de Melun du 30 Septembre 2016.

207
L’histoire a montré que le schisme au sein d’une religion s’accompagnait souvent de violence, voire de
persécution. Les groupes religieux doivent faire preuve de tolérance les uns envers les autres.

La CEDH a eu l’occasion de se prononcer à ce sujet en condamnant l’État géorgien pour n’avoir pas pris les
mesures nécessaires pour qu’un groupe d’extrémistes orthodoxes fasse preuve de tolérance envers une autre
communauté religieuse et permette de ce fait un exercice libre de leurs droits à la liberté de religion (CEDH,
Membres de la Congrégation des témoins de Jéhovah de Gldani et autres c. Géorgie, du 3 mai 2007, req. n°
71156/01).

2. Le renseignement et la gendarmerie nationale

Lors d’actions violentes perpétrées par des extrémistes qui n’ont pu être identifiés et empêchés à temps,
l’opinion publique a tendance à blâmer les renseignements généraux pour leur incompétence. Mais,
inversement, l’opinion publique critique le sacrifice de notre vie privée sur l’autel de la lutte contre le terrorisme.
L’équilibre est délicat à trouver.

L’arrêt de la CEDH Big Brother Watch et autres c. Royaume-Uni, 13 septembre 2018 est à ce sujet intéressant. Si
la Cour valide le principe de la surveillance de masse, elle encadre étroitement ses modalités.

Le régime de la surveillance est principalement exposé au livre VIII du Code de la sécurité intérieure. L'article
L801-1 du code commence par poser que le respect de la vie privée, dans toutes sescomposantes, notamment
le secret des correspondances, la protection des données à caractère personnel et l'inviolabilité du domicile, est
garanti par la loi. L'autorité publique ne peut y porter atteinte que dans les seuls cas de nécessité d'intérêt public
prévus par la loi, dans les limites fixées par celle-ci et dans le respect du principe de proportionnalité.

L'article se termine en indiquant que laCommission nationale de contrôle des techniques de renseignement veille
à ce que les conditions autorisant la surveillance sont respectées et que le Conseil d'État statue sur les recours
formés contre les décisions relatives à l'autorisation et à la mise en œuvre de ces techniques et ceux portant sur
la conservation des renseignements collectés.

La Commission nationale consultative des droits de l'homme a, en assemblée plénière le 18 mai 2017,
communiquée un avis sur la prévention de la radicalisation. Elle considère au point neuf de l’avis que les réponses
institutionnelles apportées à la détection des personnes radicalisées varient en fonction du degré de
radicalisation constatée.

D'un côté, les politiques dites de contre- radicalisation visent à faire sortir d'une idéologie, sans qu'il y ait eu
nécessairement de passage à l'acte, au risque de favoriser un glissement vers une police des pensées et un
traitement stigmatisant, voire discriminatoire à l'égard des musulmans.

D'un autre côté, la notion de radicalisation a également des répercussions parfois inquiétantes sur la police
administrative et le droit pénal. En s'attachant à lutter contre des convictions idéologiques ou religieuses, les
pouvoirs publics s'engagent dans le champ des limites aux libertés de conscience ou de religion.

B. La lutte contre la violence internalisée

1. Les violences psychologiques

La loi n° 2001-504 du 12 juin 2001 tendant à renforcer la prévention et la répression des mouvements sectaires
portant atteinte aux droits de l'homme et aux libertés fondamentales propose plusieurs stratégies pour mettre
les groupements hors d’état de nuire.

L’article premier énonce qu’il est possible de dissoudre toute personne morale, quels qu'en soient la forme
juridique ou l'objet, quipoursuit des activités ayant pour but ou pour effet de créer, de maintenir ou d'exploiter
la sujétion psychologique ou physique des personnes qui participent à ces activités.

208
Cet article fait référence à des infractions codifiées dans le droit pénal comme l’atteinte volontaire ou
involontaire à la vie ou à l'intégrité physique ou psychique de la personne, la mise en danger de la personne,
l'atteinte aux libertés de la personne, l'atteinte à la dignité de la personne, l'atteinte à la personnalité, la mise en
péril des mineurs ou l'atteinte aux biens, mais également l’infraction d'exercice illégal de la médecine ou de la
pharmacie (articles L. 4161-5 et L. 4223-1 du Code de la santé publique) ou l’infraction de publicité mensongère,
de fraude ou de falsification (articles L. 121-6 et L. 213-1 à L. 213-4 du Code de la consommation).

L’abus de faiblesse (article 223-15-2 du Code pénal) est le fait d’assujettir psychologiquement ou physiquement
une personne, en exploitant, sans l'avoir créée, une vulnérabilité, provenant par exemple de son âge, d’un
handicap ou d’une maladie. Il s’agit d’un mécanisme souvent usité contre les dérives sectaires.

C’est notamment le cas dans un arrêt de la Chambre criminelle de la Cour de cassation (26 octobre 2016, 15-
85.956) où il a été jugé que les victimes avaient été mis dans un état d'enfermement physique et psychique, les
rendant totalement dépendantes. Dans un arrêt concernant une secte vaudou, il a été affirmé que « nul ne peut
se prévaloir de ses croyances religieuses pour s'affranchir des règles communes édictées par la loi pénale ».

Le droit de religion de l’article 9 de la CEDH proclame le droit de pouvoir changer de religion. Les groupes sectaires
peuvent par des pressions psychologiques contraindre les membres de rester. Le harcèlement est condamné à
l’article 222-33-2 du Code pénal.

Il dispose que le fait de harceler autrui par des propos ou comportements répétés ayant pour objet ou pour
effet une dégradationdes conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer
sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel, est puni de deux ans
d'emprisonnement et de 30 000 € d'amende.

De même, nul ne peut être contraint à adhérer à un groupe ou une courant de pensée. L’interdiction de la
conversion forcée peut être fondée au nom de la protection du libre arbitre et de l'intégrité du consentement de
la personne.

2. Les violences physiques et d’ordre matériel

L’excision est une mutilation génitale pratiquée dans différentes communautés religieuses, aussi bien chrétiennes
que musulmanes et autres. Elle consiste en une ablation rituelle du clitoris, et parfois despetites lèvres, pratiquée
chez certains peuples sur les petites filles et jeunes femmes.

Sur le plan international, la Convention d'Istanbul de 2013 est le premier instrument juridiquement contraignant
visant à lutter contre la violence à l'égard des femmes. Sa transcription en France par la loi du 5 août 2013 a été
l’occasion d’ajouter aux articles 222-9 et 222-10 du Code pénal qui répriment les violences ayant entraîné une
mutilation ou une infirmité permanente, un article 227‑24‑1 qui pénalisel’incitation à subir ou à commettre une
mutilation sexuelle féminine sur une mineure.

Certaines sectes poussent leurs membres au suicide. Dans les années 1990, plusieurs suicides collectifs ont eu
lieu au sein de l’ordre du Temple solaire.

Le droit français punit le fait de provoquer au suicide d’autrui de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 €
d’amende lorsque la provocation a été suivie du suicide ou d’une tentative de suicide. Les peines sont portées
à cinq ans d’emprisonnement et à 75 000 € d’amende lorsque la victime de l’infraction définie à l’alinéa
précédent est un mineur de quinze ans (article 223- 13 du Code pénal).

Certaines sectes cherchent à s’approprier les richesses de ses membres ou personnes assimilées. Elles peuvent
être condamnées pour divers chefs d’inculpation dont celui d’escroquerie en bande organisée.

L'escroquerie est le fait, soit par l'usage d'un faux nom ou d'une fausse qualité, soit par l'abus d'une qualité vraie,
soit par l'emploi de manœuvres frauduleuses, de tromper une personne physique ou morale et de la déterminer
ainsi, à son préjudice ou au préjudice d'un tiers, à remettre des fonds, des valeurs ou un bien quelconque, à
fournir un service ou à consentir un acte opérant obligation ou décharge. L'escroquerie est punie de cinq ans
d'emprisonnement et de 375 000 euros d'amende (article 313-1).

209
Un arrêt condamnant la Scientologie énonce que les manœuvres frauduleuses ont consisté à proposer à ces
personnes « un test de personnalité » sans aucune valeur scientifique, conçu pour donner de mauvais résultats
dont la communication était suivie de propositions de cours, de ventes de services et d'ouvrages censés résoudre
les difficultés ainsidécelées ; que les victimes étaient incitées, par des pratiques commerciales particulièrement
offensives, à remettre, dans de brefs délais, des sommes importantes, sans aucune mesure avecleurs
ressources réelles, ce qui a entraîné de graves conséquences sur leur situation personnelle ; que les juges
mentionnent, en outre, l'absence d'intérêt des victimes pour le caractère religieux des prestations (Cour de
cassation, Chambre criminelle, 16 octobre 2013, 03-83.910 05 ; 82.121 12-81.532).

210
FICHE N°23 : LE DROIT À L’INSTRUCTION ET LA LIBERTÉ DE L’ENSEIGNEMENT

Résumé :

Le droit à l’éducation doit être compris au sens large comme intégrant aussi bien l’enseignement délivré aux
écoliers, collégiens, lycéens et étudiants ainsi qu’aux adultes dans le cadre de la formation professionnelle tout
au long de la vie. C’est un droit fondamental consacré par la Révolution française et inscrite dans la Constitution.
L’instruction vise la transmission des connaissances et la formation intellectuelles. Elle est obligatoire et gratuite.
Ces grands principes sont déclinés dans l’organisation de l’enseignement primaire, secondaire et supérieur.

Notions abordées dans la fiche :

- L’enseignement privé
- La laïcité
- La gratuite de l’enseignement
- L’accès à la formation

211
Actualité

Présentation de l’arrêt du Tribunal administratif de Paris (N°2007394/1-3) du 5 juin 2020.

En raison des perturbations créées par la Covid 19, le contrôle des connaissances a dû être réalisé à distance. La
Commission de la formation et de la vie universitaire (CFVU) du conseil académique de l’université Paris I
Panthéon Sorbonne a choisi, en raison des circonstances exceptionnelles, devalider automatiquement le second
semestre. Par une ordonnance du 20 mai 2020, le juge des référés reconnaît la compétence du CFVU.

Le recteur de la région académique d’Île-de-France, recteur de l’académie de Paris, chancelier des universités de
Paris, demande au tribunal administratif de Paris de constater l’irrégularité des règles relatives aux examens et
les règles d’évaluation des enseignements et d’annuler, de ce fait, les délibérations attaquées. Le recteur estime
que ces modalités d’évaluation en ce qu’elles généralisent les dispenses, violent les dispositions du deuxième
alinéa de l’article L. 613-1 du Code de l’éducation qui prévoient que les diplômes nationaux délivrés par les
établissements ne peuvent l’être qu’au vu des résultats du contrôle des connaissances et des aptitudes.

Le juge administratif y répond favorablement et juge que la CFVU a méconnu le principe du contrôle des
connaissances et des aptitudes et commis un excès de pouvoir.

Si l’on regarde les grands textes de droits fondamentaux du XVIIIème et du XIXème siècle, la libertéd’enseignement
semble être un droit absent. Or, en réalité, l’éducation de tous les citoyens est une priorité absolue des
révolutionnaires. On peut lire à l’article 22 de la Constitution du 24 juin 1793 que l’instruction est le besoin de
tous. La société doit favoriser de tout son pouvoir les progrès de la raison publique et mettre l'instruction à la
portée de tous les citoyens. Cette proclamation est précédée, à l’article 21, par ces mots : les secours publics
sont une dette sacrée. La société doit la subsistance aux citoyens malheureux, soit en leur procurant du travail,
soit en assurant les moyens d'exister à ceux qui sont hors d'état de travailler. Voici deux devoirs sacrés de la
Nation, nourrir et instruire. Rien d’étonnant que Danton déclame dans son Discours sur l’Éducation, le 13 août
1793 qu’après le pain, l’éducation est le premier besoin d’un peuple.

L’importance critique de l’éducation est, bien évidemment, au fondement de ce mouvement intellectuel qui a
pris le nom de Lumières. La France du XXIème siècle aime y voir les racines intellectuelles de la Révolution et les
siennes propres. Notons qu’il est écrit au sein de la Constitution de 1791 qu’il sera créé et organisé une
instruction publique commune à tous les citoyens, gratuite à l'égard des parties, d'enseignement indispensables
pour tous les hommes et dont les établissements seront distribués graduellement, dans un rapport combiné avec
la division du royaume. Il faudra attendre la IIIe République pour que ce programme soit mise en œuvre.

Force est de constater que ce consensus sur la liberté d’enseignement, d’instruction et d’éducation n’est
qu’apparent. Cela s’explique par le fait que cette liberté est habitée par des paradoxes. D’un côté, elle promeut
une méritocratie, et de l’autre la diffusion entière et égalitaire des connaissances. Or, faut-il offrir une
éducation unifiée pour combattre les égalités de fait ou favoriser le pluralisme au risque de ne pas offrir aux
enfants l’environnement pour qu’ils développent leur esprit critique ?

Quant à l’objet de cette liberté, indiquons que les droits à l’instruction, à l’enseignement et à l’éducation ne sont
pas toujours pris pour synonyme. Dans un arrêt Campbell et Cosans c. Royaume- Uni (25 février 1982), la CEDH
distingue l’éducation de l’enseignement en ces termes : l’éducation des enfants est la somme des procédés par
lesquels, dans toute société, les adultes tentent d’inculquer aux plus jeunes leurs croyances, coutumes et autres
valeurs, tandis que l’enseignement ou l’instruction visent, notamment, la transmission des connaissances et la
formation intellectuelle. Par ailleurs, ces droits se focalisent selon les cas sur les individus ou les institutions, et
parfois sur le droit de recevoir ou de donner une éducation.

Dans le Code de l’éducation, le mot éducation est ici pris dans un sens large. Il concerne tantl’enseignement
scolaire, du premier et du second degré public comme privé, enseignement, vie scolaire et administration
scolaire que l’enseignement supérieur. Il fait également référence à la formation professionnelle des adultes. Il
nous semble judicieux de distinguer le droit de l’enseignement destiné aux enfants (I) et celui destiné aux adultes
(II).

212
I. L’ENSEIGNEMENT PRIMAIRE ET SECONDAIRE
L’enseignement est obligatoire. Mais si la majorité des écoliers, collégiens et des lycéens vont dans des
établissements publics (A), certains parents font le choix d’un enseignement privé (B) pour leur enfant.

A. L’enseignement public

1. La gratuité de l’enseignement public

L’origine de la gratuité de l’enseignement se trouve dans une loi du 16 juin 1881 qui déclare la gratuité absolue
de l'enseignement primaire dans les écoles publiques. Ce droit est rappelé et accentué dans le Préambule de la
Constitution de 1946 : l'organisation de l'enseignement public gratuit et laïc à tous les degrés est un devoir de
l'État.

Cette gratuité peut légitimement être comprise comme le préalable logique de l’obligation d’enseignement. La
majorité des enfants travaillent au XIXème siècle et les familles n’ont souvent pas les moyens de payer
l’instruction de leur enfant. La loi du 28 mars 1882 en son quatrième article dispose que l’instruction primaire
est obligatoire pour les enfants des deux sexes âgés de six ans révolus à treize ans révolus. Cet article précise que
le père de famille choisit la manière de remplir cette obligation.

Au niveau international, l’exigence de gratuité est exprimée à l’article 13 2. du Pacte international relatif aux
droits économiques, sociaux et culturels du 16 décembre 1966. Nous le reproduisons ici :

« Les États parties au présent Pacte reconnaissent qu'en vue d'assurer le plein exercice de ce droit :
a) L'enseignement primaire doit être obligatoire et accessible gratuitement à tous ;
b) L'enseignement secondaire, sous ses différentes formes, y compris l'enseignement secondaire technique et
professionnel, doit être généralisé et rendu accessible à tous par tous les moyens appropriés et notamment par
l'instauration progressive de la gratuité. »

L’article 2 du Protocole additionnel n°1 à la CEDH voit l’instruction avant tout comme un droit à l’instruction.
Mais, l’État a le choix dans les cours qu’il dispense. Dans un arrêt important, CEDH 23 juill. 1968, Affaire
linguistique belge, n°1464/ 62, la Cour expliquait qu’il n’y avait pas un droit à l'instruction qui oblige les pouvoirs
publics à organiser à leurs frais ou à subventionner un enseignement d'une forme ou à un échelon déterminé.

Enfin, notons que le droit à l’éducation a pu être considéré comme une liberté fondamentale permettant de
recourir au référé liberté de l’article L. 521- 2 du Code de justice administrative (TA Paris, ord., 30 janv. 2001,
Mme Ben Ayed : DA 2001, no 102- 3. TA Versailles, 18 mars 2006, Univ. de Paris X- Nanterre, n°0602618.)

2. Le caractère laïc de l’enseignement public

Divers textes reconnaissent un droit à recevoir une éducation conforme à ses croyances. Ainsi, la seconde phrase
de l’article 2 du Protocole n°1 fait obligation à l’État de respecter le « droit des parents d’assurer cette éducation
et cet enseignement conformément à leurs convictions religieuses et philosophiques ».

Mais, cela ne signifie pas qu’il doit, lui-même, proposer cette instruction. Dans un arrêt Gtzelak c. Pologne, no
7710/02, du 15 juin 2010, la Cour de Strasbourg a considéré que l’article 2 du Protocole ne fait pas obligation à
l’État d’organiser des cours de morale en cas de dispense. L’école publique en France est laïque depuis 1882.
Mais le principe de laïcité, tel qu’il est compris par la France, n’entre pas en contradiction avec la liberté religieuse
de l’enfant. En effet, la neutralité de l'État et la volonté de ne reconnaître aucun culte n’empêche pas l’enfant de
suivre une éducation religieuse en dehors de l’école.

La question des signes religieux à l’école a fait couler beaucoup d’encre. Commençons par dire que la Cour
européenne des droits de l’homme adopte la même position que celle de la Convention de New York du 20
novembre 1989 qui affirme le droit de l’enfant à la liberté de pensée, de conscience et de religion dans son article
14 §1.

213
Les mineurs bénéficient de la liberté de religion et d’expression de leurs convictions, également dans la
dimension de manifestation extérieure dans le potentiel but de convertir autrui et ainsi d’être un sujet actif du
prosélytisme. Le port de signes religieux est indéniablement une forme de prosélytisme.

Mais, alors que dans un avis de 1989, le Conseil d'État concilie le principe de la laïcité de l'enseignement public
et la liberté de jeunes filles de porter le voileislamique, la loi du 15 mars 2004 est venue interdire le port de signes
religieux ostensibles dans les écoles, collèges et lycées publics.

Le Tribunal administratif de Caen a d'ailleurs donné une portée stricte à la loi, notamment codifiée à l’article L.
141-5-1 du Code de l’éducation en considérant qu'un bonnet noir était la marque substitutive et la manifestation
ostensible de son appartenance à la religion musulmane » ce qui est interdit (TA, Caen, 07.06.2005, M. et Mme
K., n° 0500301).

De même, le Conseil d’État a eu l’occasion de confirmer que le port d'un bandana ou d'un turban sikh dans un
établissement scolaire pouvait être interdit : si les élèves des écoles, collèges et lycées publics peuvent porter
des signes religieux discrets, sont en revanche interdits, d'une part, les signes ou tenues, tels notamment un voile
ou un foulard islamique, une kippa ou une grande croix, dont le port, par lui-même, manifeste ostensiblement
une appartenance religieuse, d'autre part, ceux dont le port ne manifeste ostensiblement une appartenance
religieuse qu'en raison du comportement de l'élève ( CE 5 décembre 2007, M. et Mme Ghazal, req. N° 295671,
M. Singh et autres, req. N° 285394).

La jurisprudence de la CEDH semble compatible avec l’approche française. Le 10 novembre 2005, dans une
affaire Leyla Şahin c. Turquie, la Cour de Strasbourg a reconnu à la Turquie le droit d’interdire à une étudiante de
porter le voile au sein de l’université.

Il faut terminer l’exposé du caractère laïc des écoles, des collèges et des lycées publics en évoquant le cas
particulier de l’Alsace-Moselle. Ces territoires ont été annexés par l’Allemagne lors de l’armistice franco-
allemand de 1871. Après la Première Guerre mondiale, il a été décidé qu’ils conserveraient des particularités,
dont celle d’offrir des cours de religion ou de morale dans les établissements publics.

De plus, l’étude des travaux préparatoires de la Constitution du 27 octobre 1946 révèle, selon l’interprétation
qu’en fait le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2012-297 QPC du 21 février 2013, que la proclamation
du principe de laïcité ne signifie pas que la Constitution ait voulu remettre en cause les dispositions législatives
ou règlementaires particulières applicables dans plusieurs parties du territoire de la République relatives à
l'organisation de certains cultes et, notamment, à la rémunération de ministres du culte.

B. L’enseignement privé

1. L’effectivité de la liberté

Afin de rendre effectif le pluralisme éducatif, l’État ne peut, non seulement, avoir le monopole de l’instruction,
mais il doit également aider à l’ouverture d’établissements d'enseignement privé dont le contenu ou les
méthodes pédagogiques peuvent différer de celui du public. En pratique, les institutions privées sont souvent
religieuses. Cela facilite le respect des rites et l’acquisition de connaissances supplémentaires.

Mais, la lecture d’un arrêt de la CEDH enseigne que les élèves ont également un droit de ne pas apprendre
certaines choses. Dans un arrêt de Grande chambre, Folgero et autres c. Norvège, du 29 juin 2007, req.
n° 15472/02, la CEDH considère que le refus d’accorder aux requérants une dispense totale du cours de
christianisme, de religion et de philosophie pour leurs enfants a emporté violation de cette disposition car
l’État défendeur n’a pas suffisammentveillé à ce que les informations et connaissances figurant au programme
de ce cours soient diffusées de manière objective, critique et pluraliste pour satisfaire aux exigences de
l’article 2 du Protocole n°1.

La liberté d’enseignement laisse la possibilité de créer des établissements d'enseignement privé et donne droit
aux pouvoirs publics de les subventionner.

214
Cette liberté a été reconnue comme un principe fondamental inscrit dans les lois de la République, par une
décision du Conseil constitutionnel de 1977 (Décis. no 77- 87 DC du 23 nov. 1977) en se référant à l’article 91 de
la loi de finances du 31 mars 1931 et au Préambule de la Constitution de 1946 (« 13. La Nation garantit l'égal
accès de l'enfant et de l'adulte à l'instruction, à la formation professionnelle et à la culture. L'organisation de
l'enseignement public gratuit et laïc à tous les degrés est un devoir de l'État »).

Le régime, complexe, des dépenses en faveur de l’enseignement privé varie selon les différents ordres
d’enseignement, selon qu’il s’agit d’aides à l’investissement ou d’aides au fonctionnement, selon, enfin, que les
établissements sont ou non sous contrat. Certaines dépenses sont obligatoires, certaines sont interdites,
certaines sont facultatives ; parmi ces dernières, certaines sont libres, d’autres encadrées.

Par exemple, pour l’enseignement secondaire général, des règles spécifiques s’appliquent selon que nous
sommes en présence de subvention de fonctionnement ou de subvention d’investissement, alors que la liberté
de subventionnement est entière pour l’enseignement technique industriel et commercial (voir notamment
CE, 25 octobre 1991, Syndicat national de l’enseignement chrétien, CFTC et autres, N° 68523 68526 68529
68577 68642 68643 68803).

La seconde phrase de l’article 2 du Protocole n° 1 n’interdit pas à l’État d’organiser la scolarisation obligatoire
des enfants, que ce soit dans le cadre d’établissements publics ou par le biais d’institutions privées dont la qualité
répond à ses exigences de qualité sans offrir l’opportunité aux parents d’assurer eux-mêmes l’éducation de leurs
enfants à leur domicile. C’est ce qu’a jugé la Cour européenne des droits de l’homme dans un arrêt Konrad et
autres c. Allemagne, n° 35504/03 du 11 septembre 2006. Mais, la France reconnaît cette possibilité.

Enfin, l’État ne doit pas, en principe, s’immiscer, dans l’organisation des enseignements. Ceci amène la Cour de
cassation à juger que le caractère propre du fonctionnement des établissements privés permet de licencier une
enseignante divorcée et remariée (Ass. plén. 19 mai 1978, Dame Roy).

Par ailleurs, le Conseil constitutionnel a considéré que la liberté d'enseignement interdisait que le gouvernement
soit habilité à instituer un régime d'autorisation des établissements privés d'enseignement scolaire, sans que le
législateur en ait précisé les finalités (Décis. no 2016- 745 DC du 26 janv. 2017, loi relative à l'égalité et à la
citoyenneté).

2. Les limites de la liberté

La loi Debré de 1959 est la loi principale dans l’instauration du rapport entre l’État et les établissements privés.
Plus l’établissement respecte des conditions quant au programme de la formation et aux modes
d’enseignements, plus il pourra bénéficier d’aides financières et de reconnaissance des examens et des diplômes
délivrés.

Par exemple, l’article L442-1 du Code de l’éducation dispose que dans les établissements privés qui ont passé un
des contrats prévus aux articles L. 442-5 et L. 442-12, l'enseignement placé sous le régime du contrat est soumis
au contrôle de l'État. L'établissement, tout en conservant son caractère propre, doit donner cet enseignement
dans le respect total de la liberté de conscience. Tous les enfants sans distinction d'origine, d'opinion ou de
croyances, y ont accès. Cela permet, par exemple à un musulman d’intégrer une école catholique qui est sous ce
régime. Cela a l’avantage d’inciter à la mixité.

Ensuite, il peut être judicieux d’interpréter le contenu de l’instruction à l’aune de la première partie de l’article
13 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels de 1966 : « LesÉtats parties au
présent Pacte reconnaissent le droit de toute personne à l'éducation.

Ils conviennentque l'éducation doit viser au plein épanouissement de la personnalité humaine et du sens de sa
dignité et renforcer le respect des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Ils conviennent en outre que
l'éducation doit mettre toute personne en mesure de jouer un rôle utile dans une société libre, favoriser la
compréhension, la tolérance et l'amitié entre toutes les nations et tous les groupes raciaux, ethniques ou
religieux et encourager le développement des activités des Nations Unies pour le maintien de la paix. »

215
Ou encore, veiller à ce que l’enseignement dispensé réponde bien au droit de l'enfant à l'instruction a pour objet
de lui garantir, d'une part, l'acquisition des instruments fondamentaux du savoir, des connaissances de base, des
éléments de la culture générale et, selon les choix, de la formation professionnelle et technique et, d'autre part,
l'éducation lui permettant de développer sa personnalité, son sens moral et son esprit critique, d'élever son
niveau de formation initiale et continue, de s'insérer dans la vie sociale et professionnelle, de partager les
valeurs de la République et d'exercer sa citoyenneté.

Cet article L.131-1-1 du Code de l’Éducation se termine en posant que cette instruction obligatoire est assurée
prioritairement dans les établissements d’enseignement.

L'instruction peut donc être dispensée par les parents, ou par l'un d'entre eux, ou par toute personne de leur
choix. Mais, des démarches doivent être accomplies par la famille en application de l'article L. 131-5 du Code de
l'éducation et selon l’article L. 131-10 du même, la mairie doit mener une enquête sur les enfants qui reçoivent
l'instruction dans la famille sur le territoire de la commune.

Le contrôle porte notamment sur la réalité de l'instruction dispensée, sur les acquisitions de l'enfant ainsi que
sur sa progression.

II. L’ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR ET LA FORMATION PROFESSIONNELLE TOUT AU


LONG DE LA VIE
La formation professionnelle tout au long de la vie constitue une obligation nationale (article L. 6111-1 du Code
du travail).

Cela entre généralement dans le cadre de la formation professionnelle continue et se manifesteconcrètement


par des formations ponctuelles.

Le droit à la validation des acquis de son expérience (VAE) permet de faciliter les évolutionsprofessionnelles.

A. Du point de vue des destinataires de la formation

1. L’accessibilité aux études supérieures

Pour des raisons évidentes de réalisme, l’accès aux études supérieures désirées est soumis à une sélection. Si les
jurys de sélection gardent le secret des délibérés, leur pouvoir discrétionnaire n’est pas illimité. Le célèbre arrêt
du Conseil d’Etat de 1954 où il est refusé à cinq intéressés, dont monsieur Barel, le concours d'entrée à l'École
nationale d'administration car ils sont communistes, est là pour le rappeler. Plus récemment, l’utilisation
d’algorithmes dans la sélection des candidats aux formations de l'éducation supérieure a fait polémique.

Dans une question prioritaire de constitutionnalité rendue le 3 avril 2020 (décision n° 2020-834), le Conseil
constitutionnel a pu confirmer la constitutionnalité du dispositif d'accès à l'enseignement supérieur Parcoursup.
Mais il reconnaît expressément aux candidats le droit d’avoir accès aux critères généraux encadrant l'examen
des candidatures par les commissions d'examen des vœux.

De plus, il considère que les documents administratifs relatifs à ces connaissances et compétences attendues et
à ces critères généraux peuvent être communiqués aux personnes qui en font la demande, dans les conditions
de droit commun prévues par le Code des relations entre le public et l'administration.

L’accessibilité à une formation dépend logiquement de son coût. Comme le rappelle notamment l'article 13 c)
du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, l’enseignement supérieur doit être
rendu accessible à tous en pleine égalité, en fonction des capacités de chacun, par tous les moyens appropriés
et notamment par l'instauration progressive de la gratuité.

216
Concrètement, cela passe par des inscriptions à un prix abordable, dégressif selon la situation sociale, voire
par l’octroi de bourse. Remarquons que ce choix de société n’est pas suivi sur l’ensemble du globe. Les frais
universitaires dans des pays comme les États-Unis ou le Japon sont, parexemple, extrêmement élevés.

La récente décision qui a conduit à augmenter sensiblement les frais universitaires pour les personnes non
ressortissantes de l’Union européenne, a donné l’occasion au Conseil d'État de s’exprimer, le 1er juillet 2020, sur
la validité de l’arrêté fixant les frais d’inscription dans l’enseignement supérieur. Elle indique que le caractère
modique des frais d’inscription exigés doit être apprécié, au regard du coût de ces formations, compte tenu des
aides et exonérations disponibles, de telle sorte que ces frais ne fassent pas obstacle à l'égal accès à l'instruction.

Les politiques américaines d’affirmative action (discrimination positive), entendu comme le fait de privilégier
l’accès à l’université à des personnes sur des critères non académiques comme l’origine sociale, ethnique ou le
sexe, ont influencé des institutions françaises.

La Cour suprême des États-Unis a eu l’occasion à de multiples reprises de se prononcer sur la validité des
dispositifs juridiques de mise en œuvre de ces politiques. Nous retiendrons la décision controversée Schuette c.
Callition to Defend Affirmative Action, 572 U.S. 291 de 2014. La Cour suprême a considéré comme conforme à
laConstitution une loi qui promulguait des interdictions dans la pratique de la discrimination positiveau sein
d’établissements publics.

Le Conseil constitutionnel a eu l’occasion de se prononcer lors de sa décision n° 2001-450 DC du 11 juillet 2001.

Le Conseil devait apprécier la constitutionnalité de la loi n° 2001-624 portant diverses dispositions d’ordre social,
éducatif et culturel, et ce notamment en ce qu’elle prévoit un mécanisme de diversification des filières
d'admission à l'Institut d'études politiques de Paris.

La loi est jugée conforme à la Constitution sous réserve que le conseil de direction de l'Institut fixe les modalités
de cette diversification dans le respect du principe constitutionnel d'égal accès à l'instruction.

2. Le principe du droit à une formation professionnelle et continue

L’article 14 de la Charte des droits fondamentaux de l’UE porte sur le droit à l’éducation et énonce en point 1
que : « Toute personne a droit à l'éducation, ainsi qu'à l'accès à la formation professionnelle et continue ».

Mais, sur le plan international, la Charte sociale européenne révisée en 1996 fait figure d’exception parmi ces
textes, en consacrant deux articles spécifiques à la formation professionnelle, dans sa partie I :
– art. 9 : « Toute personne a droit à des moyens appropriés d’orientation professionnelle, en vue de l’aider
à choisir une profession conformément à ses aptitudes personnelles et à ses intérêts » ;
– art. 10 : « Toute personne a droit à des moyens appropriés de formation professionnelle ».

Il existe, à ce propos, une obligation d'adaptation à la charge de l’employeur et de l’employé. En effet, avant de
procéder à un licenciement économique d'un ou plusieurs salariés, l'employeur doit réaliser des actions
d'adaptation nécessaires à l'évolution de leur emploi. Il doit proposer au salarié une formation complémentaire.
La formation est de courte durée. Elle doit permettre une adaptation rapide du salarié à un autre poste dans
l'entreprise ou dans les autres entreprises du groupe dont l'entreprise fait partie (article L1233-4 du code du
travail). Mais, un employé qui aurait refusé de suivre des formations ne pourrait se prévaloir de l’indemnisation
pour licenciement injustifié.

Enfin, la formation professionnelle a récemment été rénovée. La loi n° 2018-771 du 5 septembre 2018 pose dans
son intitulé le principe qu’elle cherche à réaliser : loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel. À travers
une monétisation de ce qui s’appelle dorénavant le compte personnel de formation (CPF), les bénéficiaires de
la loi sont invités à plus d’autonomie. Les nouvelles mesures se sont adaptées à ceux qui changent de statut ou
les cumulent au cours de leur vie professionnelle. De nouveaux concepts sont apparus comme la mobilité
protégée, la gestion des transitions ou la portabilité des droits.

217
Alors que dans la formation professionnelle, le principe d’égalité de traitement est le principe, certaines
exceptions méritent d’être présentées. Ainsi, l’article L6112-2 du Code du travail prend en considération la
situation spécifique des femmes et autorise l’exécution, à titre transitoire, par voie réglementaire ou
conventionnelle, de mesures prises à leur seul bénéfice en vue d'établir l'égalité des chances entre les femmes
et les hommes en matière de formation. L’objectif poursuivi est de corriger les déséquilibres constatés au
détriment des femmes dans la répartition des femmes et des hommes dans les actions de formation et à favoriser
l'accès à la formation des femmes souhaitant reprendre une activité professionnelle interrompue pour des motifs
familiaux. De même, la loi prévoit des spécificités en faveur des personnes handicapées et assimilées.

B. Du point de vue de l’offre de formation

La liberté d’enseignement pour le supérieur concerne les organisations d’enseignement (1) et les enseignants
(2).

1. La perspective des organisations d’enseignement

a) Le service public de l’enseignement supérieur


« Le service public de l’enseignement supérieur s’attache à développer et à valoriser toutes les disciplines et,
notamment, les sciences humaines et sociales, la recherche fondamentale, la recherche appliquée et la
technologie. » (art. L. 123- 5 du Code de l’éducation).

Le service public de l’enseignement supérieur a pour mission le développement de la culture et la diffusion des
connaissances et des résultats de la recherche. Il favorise l’innovation, la création individuelle et collective dans
le domaine des arts, des lettres, des sciences et des techniques. Il assure le développement de l’activité physique
et sportive et des formations qui s’y rapportent.

Il veille à la promotion et à l’enrichissement de la langue française et des langues et cultures régionales. Il


participe à l’étude et à la mise en valeur des éléments du patrimoine national et régional. Il assure la
conservation et l’enrichissement des collections confiées aux établissements(art. L. 123- 6).

Le service public de l’enseignement supérieur contribue, au sein de la communauté scientifique et culturelle


internationale, au débat des idées, au progrès de la recherche et à la rencontre des cultures (art. L. 123- 7).

b) L’enseignement supérieur privé


C’est dans la loi du 12 juillet 1875 relative à la liberté de l'enseignement supérieur (loi Laboulaye) que naît le
principe de l'enseignement supérieur libre. Mais, l’État conserve le monopole de la collation des grades
universitaires. Cela se déduit des lois de la République et notamment de la loi du 18 mars 1880.

Ainsi, les établissements privés d'enseignement supérieur libres ne peuvent délivrer de diplômes nationaux.
D’autres catégories d’établissements d'enseignement supérieur privés existent comme les lycées privés
proposant des sections de techniciens supérieurs (S.T.S.), des classes préparatoires aux grandes écoles (C.P.G.E.)
ou les établissements privés d'enseignement supérieur technique regroupant notamment les écoles d'ingénieurs
et les écoles de commerce et de gestion.

2. La perspective des enseignants

Contrairement à d’autres pays, comme l’Allemagne, il a fallu attendre que la liberté académique soit
expressément proclamée dans la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne signée à Nice. Il faut
attendre l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne, le 1er décembre 2009, pour qu’elle soit juridiquement
contraignante et qu’elle obtienne la même valeur juridique que celle des traités. Selon les termes de son article
13, les arts et la recherche scientifique sont libres. La liberté académique obligatoire.

Si les principes fondamentaux de l’enseignement et de la liberté d’expression s’appliquent depuis longtemps, il


faut attendre la loi du 12 novembre 1968 d'orientation de l'enseignement supérieur, dite loi Faure (n°68-978),
pour que soit textuellement proclamée l’indépendance des enseignants- chercheurs.

218
Selon son article, ils jouissent d'une pleine indépendance et d'une entière liberté d'expression dans l'exercice de
leurs fonctions d'enseignement et de leurs activités de recherche, sous les réserves que leur imposent,
conformément aux traditions universitaires et aux dispositions de la présente loi, les principes d'objectivité et de
tolérance. Le contenu de cette loi a été remanié en2000 lors de la promulgation du Code de l’éducation.

On peut notamment lire à l’article L. 123- 9 qu’àl’égard des enseignants- chercheurs, des enseignants et des
chercheurs, les universités et les établissements d’enseignement supérieur doivent assurer les moyens d’exercer
leur activité d’enseignement et de recherche dans les conditions d’indépendance et de sérénité indispensables
à la réflexion et à la création intellectuelle.

Le Conseil constitutionnel a, par la suite, admis le principe d’indépendance des seuls professeurs de
l’enseignement supérieur : « par leur nature même, les fonctions d’enseignement et de recherche non seulement
permettent mais demandent, dans l’intérêt même du service, que la libre expression et l’indépendance des
personnels soient garantis par les dispositions qui leur sont applicables » (Cons. const. 20 janv. 1984, no 83- 165
DC).

Le principe de liberté académique n’implique pas que l’évaluation des enseignements soit interdite. Ainsi, les
conseils d’administration des universités sont fondés à organiser des procédures d’évaluation des enseignants.
Cela résulte du respect de l’autonomie des universités (CE 13 mars 1996, Gohin). Si les enseignants peuvent être
évalués par leurs pairs, ils ne peuvent, en revanche, au nom du respect de leur indépendance être évalués par
les étudiants (CE, sect., 5 avr. 1974, Leroy).

Selon l’avis du commissaire du gouvernement qui s’est prononcé dans cette affaire, les professeurs n’ont pas à
enseigner aux élèves ou aux étudiants ce que ceux-ci souhaitent entendre, ils ont la charge de leur dire ce qu’ils
estiment indispensables à leur éducation ou à leur formation.

219
THÈME 4 : L’ EXPRESSION

FICHE N°24 : LA LIBERTÉ D’EXPRESSION

Résumé :

La liberté d’expression, droit fondamental caractéristique des régimes démocratiques, est largement consacrée
en droit interne français et par la Convention européenne des droits de l’homme. La liberté d’expression est l’un
des droits les plus directement et rapidement menacé par les régimes dictatoriaux et totalitaires.

Toutefois, il ne s’agit pas d’une prérogative illimitée et elle fait l’objet de restrictions (contrôlées par les
juridictions) dans des domaines aussi nombreux que le droit administratif (afin de préserver l’ordre public), le
droit civil et le droit pénal.

Définition :

« La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'Homme : tout
Citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de cette liberté dans les cas
déterminés par la Loi » (art. 11 Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, 1789).

Notions abordées dans la fiche :

- Lien avec l’idéal démocratique ; liberté d’expression au sein de l’entreprise


- Les lanceurs d’alerte ; protection par l’article 10 de la Convention EDH (discours de haine ; accès à
Internet ; protection des sources journalistiques)
- Limitations à la liberté d’expression (vie privée, diffamation, protection de l’ordre public)
- Limitations et rejets de la protection de la Convention EDH (dont abus de droit)

220
Éléments introductifs

L’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, dispose que la « libre communication
des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'Homme : tout Citoyen peut donc parler, écrire,
imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la Loi ».

La liberté d’expression est en effet l’un des droits les plus élémentaires dans une démocratie et l’une des
valeurs les plus menacées par les régimes dictatoriaux et totalitaires. Un éminent auteur, spécialiste de la
question, mentionne à cet égard les restrictions de la liberté d’expression sous les régimes nazi et stalinien et à
dresse un parallèle avec l’attentat commis à l’encontre de la rédaction de Charlie Hebdo faisant suite à la
publication réitérée de caricatures représentant le Prophète Mahomet (P. Wachsmann, Libertés publiques,
Dalloz, 2017, 8èmeéd., spéc. §475, p. 718).

Dès 1984, dans le cadre du contrôle a priori de la constitutionnalité d’une loi, le Conseil constitutionnel a estimé
que l’exercice « du droit de libre communication et de la liberté de parler, écrire et imprimer », compris
globalement comme la liberté d’expression, était une liberté fondamentale ayant valeur constitutionnelle. Le
Conseil constitutionnel, dans la même décision, a ensuite précisé que « son exercice est l'une des garanties
essentielles du respect des autres droits etlibertés et de la souveraineté nationale » (Conseil constitutionnel,
décision n° 84-181 DC du 11 octobre 1984, Loi visant à limiter la concentration et à assurer la transparence
financière et le pluralisme des entreprises de presse, spéc. §36 et 37).

Plus récemment, le Conseil constitutionnel a fait l’usage de la formule suivante : « La liberté d'expression et de
communication, (…), est d'autant plus précieuse que son exercice est une condition de la démocratie et l'une des
garanties du respect des autres droits et libertés » (Cons. const., décision n° 2019-780 DC du 4 avril 2019, Loi
visant à renforcer et garantir le maintien de l'ordre public lors des manifestations, spéc. §8 ; v. également : Cons.
const., décision n° 2018-706 QPC du 18 mai 2018, M. Jean-Marc R. [Délit d'apologie d'actes de terrorisme],
spéc. §19, décision citée par : A. Lepage, « Synthèse – Liberté d’expression », JCl. Comm., juin 2020, spéc. §13).

On retrouve des illustrations du principe de la liberté d’expression dans des très nombreusesmatières, qu’il
s’agisse du droit administratif ou constitutionnel, du droit social et même du droit civil, sans oublier bien sûr le
droit pénal (A. Lepage, préc., spéc. §1). Il ne s’agit pas, en revanche, d’undroit dépourvu de limites. Celles-ci ont
été précisées par la jurisprudence au fil du temps et des espèces.

L’article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme dispose, dans un premier
paragraphe (au sein duquel l’on remarque déjà des limites), que :

« Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir
ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et
sans considération de frontière. Le présent article n’empêche pas les Étatsde soumettre les entreprises de
radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régimed’autorisations »

Ces limites au principe sont, de la même manière, particulièrement marquées dans le second paragraphe
de l’article 10 de la Convention :

« L’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités,
conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société
démocratique, à la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et
à la prévention du crime, à la protection de la santéou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits
d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou pour garantir l’autorité et l’impartialité
du pouvoir judiciaire ».

Il nous reviendra la charge de révéler le lien entre liberté d’expression et démocratie (I) avant de mettre en
avant les limitations que celle-ci subit (II).

221
I. LIBERTÉ D’EXPRESSION ET DÉMOCRATIE
Les juridictions françaises et la Cour européenne des droits de l’homme relient, dans leurs décisions
fondamentales, la liberté d’expression à la démocratie, la première étant une composante essentielle et même
indispensable de la seconde.

Pour en témoigner, il faudra étudier l’état de la jurisprudence en France (A) avant de prendreconnaissance
de la protection offerte par la Convention et la Cour européenne des droits de l’homme (B).

A. L’état de la jurisprudence en France

Comme évoqué dans les éléments introductifs, la liberté d’expression a, en France, une pleine valeur
constitutionnelle et, de ce fait, le législateur ainsi que l’administration y sont soumis. Le juge constitutionnel
relie pleinement le principe de la liberté d’expression à l’idéal démocratique ou, à tout le moins, à l’établissement
d’un régime au sein duquel les libertés individuelles inhérentes à tout régime démocratique sont assurées.

Les problématiques relatives à la liberté d’expression peuvent se révéler dans toutes les matières du droit
interne. Par souci de synthèse, nous étudierons successivement l’influence de la liberté d’expression en droit
social (1) et les lanceurs d’alerte (2).

1. L’exemple du droit social

D’après l’article 5 du Préambule de la Constitution de 1946, partie intégrante du bloc de constitutionnalité, « nul
ne peut être lésé, dans son travail ou son emploi, en raison (…) de ses opinions ». Par ailleurs, l’article L. 2281-1
du Code du Travail, dispose que « les salariés bénéficient d'un droit à l'expression directe et collective sur le
contenu, les conditions d'exercice et l'organisation de leur travail ».

Le droit social distingue traditionnellement entre l’expression qui est collective, d’une part, et celle qui est
individuelle, d’autre part :
• La liberté d’expression collective concerne les représentants du personnel et les syndicats (A. Lepage,
préc., §16). Par exemple, l’article L. 2142-6 du Code du travail, dans sa rédaction issue d’une loi du 8
août 2016, prévoit que les organisations syndicales, sous certaines conditions, « peuvent mettre à
disposition des publications et tracts sur un site syndical accessible à partir de l'intranet de l'entreprise
». De tels envois ne doivent pas, toutefois, « avoir des conséquences préjudiciables sur la bonne
marche de l’entreprise » et doivent laisser le choix à chaque salarié de recevoir ou bien de ne pas recevoir
les messages. La communication numérique peut s’ajouter à celle, plus traditionnelle, d’affichage dans
les locaux réservés au personnel dans les entreprises. En revanche, la liberté d’expression collective en
droit social ne prévaut pas sur le droit pénal pertinent : elle ne permet ni l’injure, ni la diffamation, par
exemple.

• La liberté d’expression individuelle concerne tout salarié, mais aussi tout employeur oudirigeant d’une
entreprise. Là encore, il s’agit d’un droit à faire entendre son point de vue surles conditions de travail et
cela ne doit pas constituer une infraction pénale (A. Lepage, préc., §17).

2. Les lanceurs d’alerte

L’article 6 de la loi dite « Sapin 2 » n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre
la corruption et à la modernisation de la vie économique définit le lanceur d’alerte comme :

« Une personne physique qui révèle ou signale, de manière désintéressée et de bonne foi, un crime ou un délit,
une violation grave et manifeste d'un engagement international régulièrement ratifié ou approuvé par la France,
d'un acte unilatéral d'une organisation internationale pris sur le fondement d'un tel engagement, de la loi ou du
règlement, ou une menace ou un préjudice grave pour l'intérêt général, dont elle a eu personnellement
connaissance. ».

Bien que cela ne soit pas systématiquement le cas, dans de bien nombreuses situations un lanceur d’alerte se
trouve être un salarié voire un dirigeant d’une entreprise ou d’une collectivité.
222
Platon écrivait déjà, en son temps : « si le dénonciateur est de condition libre, la récompense de son action sera
la gloire de passer pour homme de bien ; et s'il manque à dénoncer le coupable, il sera réputé méchant » (Platon,
Les lois (trad. A. Saisset), Charpentier, 1863, Livre XI, p. 245, cité par : Pitras, « Le lanceur d’alerte », RTD
Eur. 2020, p. 181 et s., spéc. p. 181, §1).

Une distinction entre le délateur, d’un côté, et le lanceur d’alerte, de l’autre, est proposée en ce sens que le
lanceur d’alerte poursuit les intérêts collectifs et généraux (A. Pitras, ibid.) Il a fallu protéger les lanceurs
d’alerte, aussi bien en droit civil qu’en droit pénal, car l’expression publique des informations dont ils disposaient
les exposait à des poursuites pour violation de certains secrets (par exemple pour violation du secret des affaires ;
A. Pitras, préc., §2).

L’auteur d’une étude particulièrement récente en droit de l’Union européenne nous indique que «
l'élaboration d'un régime juridique propre au lanceur d'alerte n'est pas chose aisée. En effet, le lanceur d'alerte
est sous tension ; le droit qui s'en saisit l'est donc tout autant. Doivent être ainsi conciliés, à la fois l'intérêt du
lanceur d'alerte, exposé aux représailles de la part du contrevenant, l'intérêt de ce dernier, dont la réputation
pourrait être abîmée par la dénonciation publique d'une fraude non encore jugée, et enfin l'intérêt général,
touché par la commission d'une éventuelle infraction jusqu'alors impunie » (ibid., §3).

En droit français, le lanceur d’alerte est protégé dans l’ensemble des domaines depuis la loi dite « Sapin 2
». Il existe alors un statut commun du lanceur d’alerte (v. à cet égard : P. Pailler, « Le nouveau statut de lanceur
d’alerte », RDBF janvier 2017, n°1, comm. 41), mais cela ne doit pas faire obstacle, toutefois, au secret médical,
au secret de la défense nationale ni au secret de la correspondance entre l’avocat et son client (art. 6 §2, loi «
Sapin 2 » préc.).

Différentes étapes du signalement, prévues par l’article 8 de la loi Sapin 2 et précisées, le cas échéant,
par décret, doivent être respectées par le lanceur d’alerte.

En droit de l’Union européenne, la directive (UE) 2019/1937 sur la protection des personnes vient poser les
grandes lignes d’un régime juridique harmonisé pour l’ensemble des États membres, car seuls dix d’entre eux
disposaient de bases juridiques relatives aux lanceurs d’alerte (A. Pitras, préc., spéc. §4).

B. La protection par la Cour européenne des droits de l’homme

L’arrêt de principe en la matière est celui rendu par la Cour de Strasbourg le 7 décembre 1976, dans l’affaire
Handyside c. Royaume-Uni (Cour plén., req. n° 5493/72) :

« La liberté d’expression constitue l’un des fondements essentiels [d’une] société [démocratique], l’une des
conditions primordiales de son progrès et de l’épanouissement de chacun. Sous réserve du paragraphe 2 de
l’article 10 [de la Convention européenne des droits de l’homme], elle vaut non seulement pour les
“informations” ou “idées” accueillies avec faveur ou considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi
pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent l’État ou une fraction quelconque de la population. Ainsi le
veulent le pluralisme, la tolérance et l’esprit d’ouverture sans lesquels il n’est pas de “société démocratique” »
(§49 ; v. fiche thématique « Discours de haine », Cour EDH, Unité de la presse, juin 2020, accessible en ligne sur
le site de la Cour ; ci-après : « f.t. discours »).

La Cour européenne des droits de l’homme a donné une interprétation particulièrement libérale et large de
l’article 10 qui protège la liberté d’expression (P. Wachsmann, « La liberté d’expression »,in R. Cabrillac (dir.),
Libertés et droits fondamentaux 2020, 26ème éd., Dalloz, 2020, p. 490 et s., spéc. §600, p. 496 : A. Lepage, préc.,
§11 et §19).

Ainsi, si la formulation de l’article 10 de la Convention apparaît comme particulièrement restrictive, avec des
limites clairement indiquées à la liberté d’expression, la Cour de Strasbourg est parvenue à faire primer le
principe et à l’interpréter largement (ibid ; dans le même sens : A. Lepage, préc., spéc. §10). C’est ainsi, par
exemple, que la Cour européenne des droits de l’homme a inclus les œuvres d’art et les messages publicitaires
au sein des informations et idées protégées (P. Wachsmann, Libertés publiques, préc., spéc. §478, p. 722).

223
On peut ainsi étudier la jurisprudence de la Cour européenne des Droits de l’Homme en ce qui concerne, d’abord,
les discours haineux (1), ensuite, l’accès à Internet et la liberté de recevoir et de communiquer des informations
(2) et, enfin, la protection des sources journalistiques (3).

1. Les discours haineux

Outre l’arrêt Handyside c. Royaume-Uni précité, la Cour européenne des droits de l’homme a eu l’occasion
de préciser sa position dans l’affaire Erbakan c. Turquie, jugée le 6 juillet 2006 :
« (…) La tolérance et le respect de l’égale dignité de tous les êtres humains constituent le fondement d’une
société démocratique et pluraliste. Il en résulte qu’en principe on peut juger nécessaire, dans les sociétés
démocratiques, de sanctionner, voire de prévenir, toutes les formes d’expression qui propagent, incitent à,
promeuvent ou justifient la haine fondée sur l’intolérance (…), si l’on veille à ce que les “formalités”,
“conditions”, “restrictions” ou “sanctions” imposées soient proportionnéesau but légitime poursuivi. » (Req.
n° 59405/00, §56 ; égal. cité f.t. discours, préc.).

2. L’accès à Internet et la liberté de recevoir et de communiquer des


informations
Il s’agit de l’une des illustrations de l’interprétation large, par la Cour de Strasbourg, de l’article 10 et du principe
de la liberté d’expression (A. Lepage, préc., spéc. §11).

C’est l’arrêt Cengiz c. Turquie de 2015 qui a donné l’occasion à la Cour de Strasbourg d’indiquer, dans des
considérants particulièrement éloquents, que :

« L’Internet est aujourd’hui devenu l’un des principaux moyens d’exercice par les individus de leur droit à la
liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées : on y trouve des outils essentiels de
participation aux activités et débats relatifs à des questions politiques ou d’intérêt public. (...) Par ailleurs, en ce
qui concerne l’importance des sites internet dans l’exercice de la liberté d’expression, (...) “grâce à leur
accessibilité ainsi qu’à leur capacité à conserver et à diffuser de grandes quantités de données, les sites internet
contribuent grandement à améliorer l’accès du public à l’actualité et, de manière générale, à faciliter la
communication de l’information” (...) La possibilité pour les individus de s’exprimer sur Internet constitue un
outil sans précédent d’exercice de la liberté d’expression. » (Cengiz et autres c. Turquie, req. n° 48226/10 et
14027/11, arrêt du 1er décembre 2015, §§ 49 and 52, cité par : fiche thématique, « Accès à Internet et liberté de
recevoir et de communiquer des informations », Cour EDH, Unité de la presse, juin 2020, accessible en ligne sur
le site de la Cour, ci-après : « f.t. internet »).

La Cour européenne des droits de l’homme veille ainsi à ce que les États ne mènent pas de blocages trop larges
ou excessifs de sites Internet (v., par ex., les affaires Vladimir Kharitonov c. Russie, Flavus et autres c. Russie,
Bulgakov c. Russie et Engels c. Russie, arrêts de la Cour du 23 juin 2020, cités par f.t. internet) ou encore
n’empêchent pas l’accès à certains sites Internet pour des détenus, sites qui pourraient leur permettre de
préparer leur défense à l’occasion de diverses procédures administratives ou judiciaires (ingérence dans le droit
de l’intéressé à recevoir des informations, non justifiée par des considérations de sécurité, par exemple :
Kalda c. Estonie, 19 janvier 2016, req. n° 17429/10, égal. cité par f.t. internet).

3. La protection des sources journalistiques

L’arrêt de référence s’agissant de la protection des sources journalistiques est l’arrêt Goodwin c. Royaume-Uni
rendu par la Cour européenne des droits de l’homme le 27 mars 1996, là encore en des termes particulièrement
éloquents :

« La protection des sources journalistiques est l’une des pierres angulaires de la liberté de la presse (...). L’absence
d’une telle protection pourrait dissuader les sources journalistiques d’aider la presse à informer le public sur des
questions d’intérêt général. En conséquence, la presse pourrait être moins à même de jouer son rôle
indispensable de « chien de garde » et son aptitude à fournir des informations précises et fiables pourrait s’en
trouver amoindrie (...) Une ordonnance de divulgation (...) ne saurait se concilier avec l’article 10 de la Convention
que si elle se justifie par un impératif prépondérant d’intérêt public. » (Goodwin c. Royaume-Uni, req. n°
17488/90, 27 mars 1996, §39, cité par : fiche thématique, « La protection des sources journalistiques », Cour
EDH, Unité de la presse, février 2019, accessible en ligne sur le site de la Cour).
224
II. LES RESTRICTIONS À LA LIBERTÉ D’EXPRESSION

Comme nous avons déjà eu l’occasion de l’indiquer, la liberté d’expression, si elle est un droit fondamental et
caractéristique des démocraties, elle ne peut être illimitée. Une conciliation doitalors s’opérer avec d’autres
droits et libertés fondamentaux, comme cela est prévu aussi bien en droit interne français (A) qu’en droit
européen (au sens, ici, de droit produit par les organes du Conseil de l’Europe, dont principalement la Cour
européenne des droits de l’homme) (B).

A. Les limites en droit français

En France, le Conseil constitutionnel indique, après avoir rappelé l’importance et le caractère précieux de la
liberté d’expression, que « les atteintes portées [NDA : par le législateur] à l'exercice de cette liberté et de ce
droit doivent être nécessaires, adaptées et proportionnées à l'objectif poursuivi » (Cons. const., décision n°
2019-780 DC du 4 avril 2019, préc., spéc. §8).

Auparavant, le Conseil constitutionnel avait estimé, à propos de l'exercice du droit de libre communication et de
la liberté de parler, écrire et imprimer, que : « la loi ne peut en réglementer l'exercice qu'en vue de le rendre
plus effectif ou de le concilier avec celui d'autres règles ouprincipes de valeur constitutionnelle » (Conseil
constitutionnel, décision n° 84-181 DC du 11 octobre 1984, préc., spéc. §37).

Il convient ainsi d’étudier la protection de la vie privée (1), les interactions avec le droit pénal, par exemple en ce
qui concerne la diffamation (2) mais également les problématiques relatives aumaintien de l’ordre public suite à
l’affaire Dieudonné (3), étant précisé qu’il ne s’agit pas, bien évidemment, des seuls domaines dans lesquels
l’ordre juridique interne limite la liberté d’expression.

1. Le droit au respect de la vie privée

L’article 9, al. 1er du Code civil dispose que « chacun a droit au respect de sa vie privée ».

La Cour de cassation, dans un arrêt rendu par la Première chambre civile le 11 mars 2020 concernant la
publication de la virée aux États-Unis de deux anciens ministres quelques jours après leur démission du
gouvernement, a indiqué que :

« Le droit au respect dû à la vie privée et à l'image d'une personne et le droit à la liberté d'expression ayant la
même valeur normative, il appartient au juge saisi de rechercher un équilibre entre ces droits et, le cas échéant,
de privilégier la solution la plus protectrice de l'intérêt le plus légitime. Pour effectuer cette mise en balance des
droits en présence, il doit prendre en considération la contribution de la publication incriminée à un débat
d'intérêt général, la notoriété de la personne visée, l'objet du reportage, le comportement antérieur de la
personne concernée, le contenu, la forme et les répercussions de ladite publication, ainsi que les circonstances
de la prise des photographies, et procéder, de façon concrète, à l'examen de chacun de ces critères » (Cass.,
civ. 1ère, 11 mars 2020, n° B 19-13.716, spéc. §5).

Il est à noter que cette jurisprudence est très inspirée de celle de la Cour européenne des droits de l’homme,
d’ailleurs explicitement citée par la Cour de cassation (par ex., §6).

2. Les limites fixées par le droit pénal interne, l’exemple de la diffamation

L’expression de propos diffamatoires est considérée par le Code pénal français comme un délit et ce depuis
l’adoption de la loi du 29 juillet 1881 relative à la liberté de la presse (à ce sujet : E. Dreyer, « Presse et
communication – Diffamation et injures publiques », JCl lois pén. spéc., fasc. 80, mis à jourle 1er juin 2020, spéc.
§1).

La diffamation publique est parfois basée sur un support de communication, en général un écrit, mais aussi par
des images ou des affiches et pancartes (art. 23, loi préc. du 29 juillet 1881 ; E. Dreyer, préc., §2). Le plus souvent,
la diffamation publique sera effectuée de manière directe, par exemple dans un discours tenu devant un public
(ibid.).

225
Sera constitutive de diffamation publique « (t)oute allégation ou imputation d'un fait qui porte atteinte à
l'honneur ou à la considération » (art. 29, al. 1er, loi du 29 juillet 1881).

Pour que le message soit considéré comme un message public, quelle que soit sa forme et quel que soit son
support, il doit avoir été délivré auprès d’une collectivité qui n’est pas liée par une communauté d’intérêts (par
exemple, n’est pas public le message adressé par un directeur d’établissement scolaire à deux personnels de
l’académie et/ou du rectorat pertinent : Cass. crim.,22 janv. 2019, n° 18-82.612 et n° 18-82.614, cités par E.
Dreyer, préc., spéc. §2).

Par ailleurs, la poursuite de l’action publique peut être accompagnée de poursuites au civil, pour obtenir
réparation du préjudice subi (E. Dreyer, préc., spéc. §7).

Le juge va vérifier cinq éléments caractéristiques afin de déterminer l’existence ou non d’un fait diffamatoire : la
forme du reproche doit être une allégation ou une imputation ; l’objet du reproche doit être un fait déterminé
et précis ; le reproche doit consister en une atteinte à l’honneur ou à la considération ; le destinataire du reproche
doit être une personne ou bien un corps ; enfin, l’auteur doit avoir eu conscience du reproche, ce qui témoigne
d’une mauvaise foi (E. Dreyer, ibid.).

3. La préservation de l’ordre public

Le contentieux administratif a été particulièrement marqué en 2014 et 2015 par ce que l’on a pu appeler l’«
affaire Dieudonné », du nom de l’humoriste controversé Dieudonné M’Bala M’Bala, dont le spectacle menaçait
l’ordre public .

Des préfets et des maires avaient interdit, par la voie d’arrêté, la production du spectacle de Dieudonné, déjà
condamné sur le plan pénal pour les propos tenus à l’occasion de représentations précédentes.

Ainsi que le relève le Conseil d’État dans son ordonnance rendue en référé le 9 janvier 2014, le préfet de Loire-
Atlantique ayant interdit la tenue du spectacle avait considéré « que ce spectacle, tel qu'il (était) conçu,
(contenait) des propos de caractère antisémite, qui (incitaient) à la haine raciale, et (faisaient), en
méconnaissance de la dignité de la personne humaine, l'apologie des discriminations, persécutions et
exterminations perpétrées au cours de la Seconde Guerre mondiale » (CE, ord. réf., 9 janvier 2014, n° 374508,
spéc. pt. 6).

Le Conseil d’État a ainsi estimé qu’il était bien dans les pouvoirs du préfet d’interdire la tenue d’un tel
spectacle, en raison du « risque sérieux que soient de nouveau portées de graves atteintes au respect des valeurs
et principes, notamment de dignité de la personne humaine, consacrés par la Déclaration des droits de l'homme
et du citoyen et par la tradition républicaine ».

Il n’y avait donc pas d’atteinte grave, manifeste et illégale à la liberté d’expression de M. Dieudonné et, en
conséquence, pas de possibilité pour ce dernier d’agir en référé-liberté (v. P. Wachsmann, 2020, préc., spéc.
§605, p. 506).

B. Les limites posées par la Convention et la Cour européennes des droits de


l’homme
Comme on l’a déjà indiqué et comme l’avaient prévu les négociateurs de la Convention européenne de
sauvegarde des droits de l’homme, la liberté d’expression protégée par l’article 10 connaît de nombreuses
limites.

Ce sont, en premier lieu, les limites qui sont contenues elles-mêmes dans l’article 10, dans le second paragraphe
(« L’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines
formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans
une société démocratique, à la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense
de l’ordre et à la prévention du crime, à la protectionde la santé ou de la morale, à la protection de la réputation
ou des droits d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou pour garantir l’autorité et
l’impartialité du pouvoirjudiciaire »).
226
Il existe ainsi des situations dans lesquelles la Cour de Strasbourg limite la protection de la Convention (1) ; dans
d’autres situations, dans lesquelles le requérant porte atteinte aux valeurs fondamentales défendues par la
Convention, la Cour refuse et exclut tout simplement la protection que celle-ci pourrait offrir (2).

1. La limitation de la protection de la Convention

Dans le cadre de l’examen du second paragraphe de l’article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des
droits de l’homme, la Cour de Strasbourg va étudier, consécutivement, trois points : d’abord l’existence d’une
ingérence dans la liberté d’expression, ensuite la vérification que cette ingérence est prévue par la loi de l’État
partie et qu’elle poursuit bien un ou plusieurs buts légitimes et, enfin, le caractère de nécessité de cette
mesure dans le cadre d’une société démocratique (f.t. discours, préc.).

Une illustration récente est celle de l’affaire Altıntaş c. Turquie du 10 mars 2020 (req. n° 50495/08). Le rédacteur
en chef d’une revue avait qualifié les auteurs d’un enlèvement puis de l’exécution de trois collaborateurs
Britanniques de l’OTAN (Organisation du Traité de l’Atlantique Nord) d’« idoles de la jeunesse », avant de faire
l’objet d’une amende judiciaire (condamnation pénale en Turquie) en raison de ces agissements. Le requérant a
donc contesté sa condamnation pénale survenue en Turquie, à l’aune du principe de la liberté d’expression
protégé par l’article 10 de la Convention.

Or, la Cour de Strasbourg ne l’a pas entendu ainsi et a alors appliqué la grille de lecture, en trois étapes
successives, indiquée ci-dessus, concluant à la non-violation de l’article 10. La Cour de Strasbourg a considéré
que de tels écrits pouvaient revêtir la qualification de justification de la violence voire d’apologie de la violence.
Selon les juges, les écrits du rédacteur en chef pourraient « encourager ou pousser certains jeunes, notamment
les membres ou sympathisants de certaines organisations illégales, à la commission d’actes violents similaires
dans le but de devenir, eux aussi, ‘’les idoles de la jeunesse’’ » (ibid.).

De la même manière, un internaute qui avait publié des messages à connotation homophobe dans les
commentaires d’un article publié sur Internet avait contesté sa condamnation en Islande. Arguant une violation
de sa liberté d’expression, le requérant a vu sa demande rejetée par la Cour de Strasbourg, car irrecevable.

La Cour de Strasbourg avait remarqué que la Cour suprême islandaise avait mis en balance la liberté d’expression
et les droits des minorités sexuelles avant de valider la condamnation du requérant (Lilliendahl c. Islande, req.
n° 29297/18, 12 mai 2020, décision sur la recevabilité).

Par ailleurs, la Convention européenne des droits de l’Homme indique expressément, parmi d’autres, la
protection de la réputation de la personne comme limitation à la liberté d’expression (article 10, paragraphe
2). L’arrêt de principe en la matière est celui rendu dans l’affaire Axel Springer AG c. Allemagne du 7 février
2012 :

« Le droit à la protection de la réputation est un droit qui relève, en tant qu’élément de la vie privée, de l’article
8 de la Convention (…). Cependant, pour que l’article 8 entre en ligne de compte, l’attaque à la réputation
personnelle doit atteindre un certain niveau de gravité et avoir été effectuée de manière à causer un préjudice
à la jouissance personnelle du droit au respect de la vieprivée (…). La Cour a jugé par ailleurs qu’on ne saurait
invoquer l’article 8 pour se plaindre d’une atteinte à sa réputation qui résulterait de manière prévisible de ses
propres actions, telle une infraction pénale (…).

Lors de l’examen de la nécessité de l’ingérence dans une société démocratique en vue de la “protection de la
réputation ou des droits d’autrui”, la Cour peut être amenée à vérifier si les autorités nationales ont ménagé
un juste équilibre dans la protection de deux valeurs garantiespar la Convention et qui peuvent apparaître
en conflit dans certaines affaires : à savoir, d’une part, la liberté d’expression telle que protégée par l’article
10 et, d’autre part, le droit au respect de la vie privée tel que garanti par les dispositions de l’article 8 (…). »
(Axel Springer AG c. Allemagne, arrêt (Gr. ch.) du 7 février 2012, §§ 83-84, cité par : fiche thématique, « Protection
de la réputation »,Cour EDH, Unité de la presse, mai 2020, accessible en ligne).

227
2. L’exclusion de la protection de la Convention

Au-delà de la simple lecture de cet article, la Cour de Strasbourg n’a pas hésité à exploiter l’article 17de la
Convention, qui condamne l’abus de droit, pour refuser d’accorder la protection de la Convention à un
requérant lorsque son propos (ou, plus généralement, son acte) est haineux et constitue une atteinte aux valeurs
fondamentales défendues par la Convention (f.t. discours, préc.).

C’est ainsi que la Cour européenne des droits de l’homme a pu sanctionner des propos négationnistes et
révisionnistes, dans une affaire Garaudy c. France (Cour EDH, 24 juin 2003, n° 65831/01, décision sur la
recevabilité, f.t. discours, préc.). Contestant les crimes contre l’humanité commis à l’encontre des populations
juives d’Europe durant la seconde guerre mondiale et incitant à la haine envers ces dernières dans un ouvrage,
le requérant souhaitait bénéficier de l’article 10 et du principe de la liberté d’expression. La Cour a alors estimé
qu’il s’agissait d’un abus de droit et avait considéré la requête comme irrecevable.

La Cour a eu de nouveau l’occasion de se prononcer dans l’affaire Dieudonné M’Bala M’Bala c. France. En
l’espèce, l’humoriste controversé Dieudonné avait organisé un spectacle dans lequel il faisait intervenir
l’universitaire révisionniste Robert Faurisson et au cours duquel un figurant arborait les tenues rayées des
déportés de la seconde guerre mondiale ainsi qu’une étoile jaune.

La Cour européenne des droits de l’homme a estimé la requête irrecevable, s’appuyant sur l’article 17 de la
Convention condamnant l’abus de droit ; cette dernière a en effet considéré que la représentation n’était plus
une œuvre de divertissement, mais une façon d’organiser un meeting politique véhiculant des idées contraires
aux valeurs fondamentales prônées par la Convention (Cour EDH, 20 oct. 2015, décision sur la recevabilité, req.
n° 25239/13, M’Bala M’Bala c. France ; f.t. discours ; v. aussi, par ex., Pastörs c. Allemagne, req. n° 55225/14, 3
octobre 2019, à propos de la condamnation d’un député régional en Allemagne, celui-ci ayant nié l’existence
et la réalisation de l’Holocauste, requête déclarée irrecevable pour défaut de fondement, ibid.).

L’ancienne Commission européenne des Droits de l’Homme retenait la même solution en ce qui concerne la
haine raciale, par exemple dans une affaire où des personnes aux Pays-Bas distribuaient des documents
s’adressant aux « personnes de race blanche » et enjoignant à toutes les personnes qui ne correspondraient pas
à une telle catégorie de quitter le sol hollandais. La demande des requérants a été déclarée irrecevable en raison
d’actes tendant à la propagation de la discrimination raciale (Comm. EDH, 11 oct. 1979, req. n° 8348/78 et
8406/78, Glimmerveen et Hagenbeek c. Pays- Bas ; f.t. discours, préc.).

De la même manière, ne peut se prévaloir de la protection de la Convention le rédacteur en chef d’un quotidien
estimant que les Juifs étaient la cause des soucis rencontrés par les habitants en Russie, dont la demande a été
jugée irrecevable pour incitation à la haine ethnique (« une attaque aussi générale et véhémente dirigée contre
un groupe ethnique va à l’encontre des valeurs qui sous- tendent la Convention, notamment la tolérance, la paix
sociale et la non-discrimination », Pavel Ivanov c. Russie, 20 février 2007, req. n° 35222/04, décision sur la
recevabilité). Des solutions similaires sont retenues en matière de haine religieuse, mais aussi d’incitation à la
violence et de soutien aux activités terroristes (f.t. discours, préc.).

228
PARTIE 3 : LA PROTECTION DES DROITS ET LIBERTÉS
COLLECTIFS

THÈME 1 : LA LIBERTÉ DE SE GROUPER

FICHE N°25 : LA LIBERTÉ DE RÉUNION ET DE MANIFESTATION

Résumé :

La liberté de réunion et la liberté de manifestation sont des libertés collectives, qui reconnaissent aux
personnes le pouvoir d’agir et de s’organiser ensemble à cette fin. La liberté de réunion concerne simplement
les rassemblements momentanés de personnes, alors que la liberté de manifestation se double d’un objet
revendicatif et implique une occupation momentanée du domaine public. Les libertés de réunion et de
manifestation font l’objet d’un régime libéral, mais peuvent connaître des limitations. Il est essentiel de noter
que, là où l’organisation d’une réunion ne suppose aucune autorisation ni déclaration préalable, l’organisation
d’une manifestation suppose une déclaration préalable.

Notions abordées dans la fiche :

- Liberté d’expression ;
- Régime répressif ;
- Protection de l’ordre public ;
- Circonstances exceptionnelles ;
- Caractère pacifique d’un rassemblement ;
- Obligation de déclaration préalable ;
- Manifestations interdites ;
- Attroupements.

229
I. LA LIBERTÉ DE RÉUNION
La liberté de réunion peut être définie comme un rassemblement momentané de personnes, non permanent
et non périodique (CE, 6 août 1915, Delmotte et Senmartin). Il convient d’envisager d’abord le cadre normatif de
la liberté de réunion (A), puis son régime (B).

A. Cadre normatif

1. Sources internes

La liberté de réunion est légalement garantie depuis l’adoption de la loi du 30 juin 1881. Sa protection a ensuite
été encore renforcée par la loi du 28 mars 1907.

Comme l’indique la proximité de la loi du 30 juin 1881 avec la loi du 29 juillet 1881, la liberté de réunion est
intimement liée à la liberté d’expression. Le juge constitutionnel a ainsi pu contrôler le respect de la liberté de
réunion sur le fondement de l’article 11 de la DDHC (Cons. Const. 19 février 2016, Ligue des droits de l’homme,
n°2016-535 QPC).

Il convient enfin de souligner que le juge administratif a qualifié la liberté de réunion de liberté fondamentale
(CE, ord. référés, 19 août 2002, n°2002-064227 : la liberté de réunion est une liberté fondamentale impliquant le
droit pour un parti politique légalement constitué de tenir des réunions ).

2. Sources internationales

La liberté de réunion est garantie par plusieurs instruments internationaux :


- L’article 20 de la Déclaration universelle des droits de l’homme ;
- L’article 2ème du Pacte international des droits civils et politiques ;
- L’article 11 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés
fondamentales (ci-après, « Conv. EDH »).

Les dispositions de l’article 11 ont vocation à s’appliquer à tous les rassemblements (CEDH, arrêt du 5juillet 2016,
Affaire Eğitim Ve Bilim Emekçileri Sendikasi et autres c. Turquie, req. n°20347/07). Dès lors, l’article 11 de la Conv.
EDH s’applique également à la liberté de manifestation et les attroupements (cf. infra).

Cette solution s’explique par l’esprit de l’article 11 : c’est une disposition transversale, conçue pour assurer la
compatibilité des législations nationales avec toutes les libertés s’exerçant dans un cadre collectif.

B. Régime de la liberté de réunion

1. Principe : un régime libéral

a) Le champ de la liberté de réunion


Avant toute chose, il convient de souligner que le champ d’application de la liberté de réunion connaît des limites.
En effet, la liberté de réunion ne garantit que la réunion pacifique et sans armes.Il incombe aux autorités qui se
prévaudraient des intentions violentes des organisateurs d’une réunion d’en apporter la preuve, sans quoi
l’application des garanties de l’article 11 ne saurait être écartée (CEDH, arrêt du 9 avril 2000, Affaire Cissé c.
France, req. n°51346/99).

b) Le régime de la liberté de réunion


La liberté de réunion est caractérisée par un régime libéral. Par application de l’article 1 er de la loi du 30 juin
1881, les réunions publiques se tiennent sans autorisation préalable et sans déclaration préalable.

230
Toutefois, si les dispositions de la loi du 30 juin 1881 étaient enfreintes, ou si des infractions étaient commises
au cours d’une réunion, ces infractions seraient ultérieurement poursuivies. Il s’agit donc d’un régime répressif
et non d’un régime préventif.

A la marge, certaines réunions sont soumises à une obligation de déclaration préalable :


- Les réunions réunissant plus de 1.500 personnes (décret n°97-646 du 31 mai 1997, art. 1er) ;
- Certains rassemblements festifs à caractère musical (les « rave parties »).

2. Atteintes à la liberté de réunion

Il résulte de l’article 11§2 de la Conv. EDH que la liberté de réunion peut faire l’objet de restrictions lorsque
celles-ci sont strictement justifiées. Les atteintes à la liberté de réunion peuvent être justifiées par la nécessaire
protection de l’ordre public (a) et par la caractérisation de circonstances exceptionnelles (b).

a) La protection de l’ordre public


Dans l’important arrêt Benjamin, le Conseil d’État a posé les fondations de la conciliation entre liberté de réunion
et protection de l’ordre public. Les faits de l’arrêt sont les suivants : M. Benjamin devait donner à Nevers une
conférence littéraire. Les instituteurs syndiqués firent toutefois savoir au maire de Nevers qu’ils s’opposeraient
par tous moyens à cette conférence. Face à leur mobilisation, celui-ci procéda à l’interdiction de l’évènement.

Le juge administratif annula toutefois cette décision d’interdiction, au motif que l’éventualité de troubles ne
présentait pas un degré de gravité tel que le maire n’aurait pu, sans interdire la conférence, maintenir l’ordre en
prenant des mesures de police moins attentatoires aux libertés individuelles. Ainsi, le maire doit concilier
l’exercice de ses pouvoirs avec la liberté de réunion (CE, 19 mai 1933, Benjamin).

Grâce à cette décision, le Conseil d’État a précisé les modalités du contrôle du juge de l’interdiction : le juge
administratif contrôle la proportionnalité des mesures restrictives de la liberté de réunion.

b) Les circonstances exceptionnelles


Dans un État de droit, les circonstances exceptionnelles sont gouvernées par des règles particulières
(Constitution, art. 16 et 36 ; loi du 3 avril 1955) dont la mise en œuvre a des incidences sur la liberté de réunion
et de manifestation. Ces circonstances exceptionnelles comprennent notamment l’état d’urgence, fondé sur la
loi du 4 avril 1955.

L’état d’urgence a récemment été mis en œuvre, à la suite des évènements terroristes de 2015, avec des
incidences sur la liberté de réunion. Dans une décision du 19 février 2016, le Conseil constitutionnel a par
exemple jugé que, dans le cadre de l’état d’urgence, la fermeture des salles de spectacle, des débits de boissons
et des lieux de réunion de toute nature était justifiée (Cons. Const. 19 février 2016, Ligue des droits de l’homme,
préc).

Il est important de noter que, depuis l’adoption de la loi n°2017-1510 du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité
intérieure et luttant contre le terrorisme, les préfets peuvent accomplir, en dehors de l’urgence, des mesures
anciennement tirées de la loi du 3 avril 1955. Toutefois, la possibilité de fermer des salles de spectacle, débits
de boissons et lieux de réunion ne figure pas dans cette nouvelle loi.

231
FOCUS : LIBERTÉ DE RÉUNION ET ÉTAT D’URGENCE SANITAIRE

L’état d’urgence sanitaire, créé par la loi du 23 mars 2020, est un régime juridique spécial applicable en cas
de catastrophe sanitaire mettant en péril la santé de la population. Il s’agit d’un régime juridique temporaire.
L’article L. 3131-5 du Code de la santé publique liste dix domaines dans lesquels des mesures restrictives de
libertés peuvent être prises, lorsque l’état d’urgence sanitaire a été déclaré et dans le seul but de garantir la
santé publique. À ce titre, le Premier ministre peut notamment :

- Ordonner des mesures de placement et de maintien et en isolement des personnesaffectées ;


- Ordonner la fermeture provisoire et réglementer l’ouverture d’une ou plusieurs catégories
d’établissements recevant du public ainsi que des lieux de réunion ;
- Limiter ou interdire les rassemblements sur la voie publique ainsi que les réunions detoute
nature.

La loi prend garde de préciser que ces mesures doivent être strictement proportionnées aux risques sanitaires
et appropriées aux circonstances de temps et de lieu.

II. LA LIBERTÉ DE MANIFESTATION


La Cour de cassation a défini la manifestation, au visa de l’article 431-9 du Code pénal, comme « tout
rassemblement, statique ou mobile, sur la voie publique d’un groupe organisé de personnes aux fins d’exprimer
collectivement et publiquement une opinion ou une volonté commune » (Crim. 9 février 2016, n°14-82234).

Comme la réunion publique, la manifestation est une forme d’expression collective momentanée. La
manifestation se distingue toutefois de la réunion par deux aspects. Premièrement, la manifestation implique
une occupation provisoire du domaine public. Deuxièmement, elle a un but revendicatif.

Il conviendra ici de préciser le cadre normatif dans lequel s’inscrit la liberté de manifestation (A)avant d’en
examiner le régime (B).

A. Cadre normatif

1. Sources internes

La liberté de manifestation n’est pas reconnue en tant que telle comme étant une liberté fondamentale.
Toutefois, le juge constitutionnel assure la garantie de la liberté de manifestation, en se référant à des libertés
fondamentales corollaires, dont notamment la liberté d’expression collective.

Ainsi, il a été jugé qu’une mesure permettant l’interdiction temporaire de manifester dans certains lieux pour
une personne condamnée n’était pas de nature à méconnaître « les exigences de la liberté individuelle, de la
liberté d’aller et venir et du droit d’expression collective des idées et des opinions » (Cons. Const. 18 janvier
1995, Loi d’orientation sur la sécurité n°94-352).

2. Sources internationales

La liberté de manifester n’est pas consacrée en tant que telle par la DUDH ni par la CDFUE. Elle n’est pas non
plus explicitement consacrée par la Conv. EDH.

Toutefois, la liberté de manifestation peut être rattachée à l’article 11 de la Conv. EDH (cf. supra). C’est sur ce
fondement que sont examinées par la CEDH les affaires relatives à la liberté de manifester (voir notamment :
CEDH, arrêt du 5 mars 2009, affaire Barraco c. France, req. n°31684/05).

232
B. Régime de la liberté de manifestation

1. Manifestations pacifiques sur la voie publique

a) La définition de la manifestation pacifique


Pour bénéficier du régime de la liberté de manifestation, un rassemblement doit être pacifique. L’adjectif «
pacifique » n’a pas été défini, ni par les textes internes ni par les textes internationaux, mais sa portée a été
précisée en jurisprudence.

Selon la CEDH, n’est pas considérée comme pacifique la manifestation susceptible de troubler l’ordre public ou
dont les organisateurs et les participants ont des intentions violentes (CEDH, arrêt du 1 er décembre 2011, affaire
Schwabe et MG c. Allemagne, 8080/08 et 8577/08, §103).

La CEDH est attentive à la garantie effective du respect de la liberté de manifestation, à laquelle la liberté
d’expression, essentielle dans une société démocratique, est intimement liée. Ainsi, la Cour veille à ne pas
restreindre excessivement le champ de la liberté de manifestation : elle distingue bien les manifestations
engendrant des violences (non pacifiques) et les manifestations au cours desquelles des violences naissent de
facteurs extérieurs (manifestations pacifiques).

Ainsi, la Cour considère que la manifestation qui susciterait des contre-manifestations, même violentes, ne
perdrait pas son caractère pacifique (CEDH, arrêt du 21 juin 1988, affaire Plattform
« Ärzte für das Leben » c. Autriche, req. n°10126/82).

b) Le régime de la manifestation pacifique sur la voie publique


Selon l’article L.211-1 al. 1er du Code de la sécurité intérieure, toute manifestation sur la voie publique est
soumise à l’obligation de déclaration préalable. Cette obligation revêt deux aspects importants.

(1) Simplicité de la procédure : l’obligation de déclaration préalable est plus légère qu’une obligation
d’autorisation préalable. L’obligation de déclaration impose aux organisateurs de la manifestation d’indiquer aux
autorités de police un certain nombre d’informations (notamment le but, le lieu, la date et l’heure du
rassemblement). Dès que les autorités de police reçoivent cette déclaration, elles en délivrent simplement
récépissé.

(2) Possibilité d’une interdiction : l’obligation de déclaration préalable permet aux autorités de policed’évaluer
les risques de trouble que pourrait causer la manifestation. Dans l’hypothèse où la manifestation risquerait de
causer un trouble à l’ordre public, l’autorité de police pourrait procéderà l’interdiction de la manifestation.

En toute hypothèse, la tenue d’une manifestation suppose donc l’accord tacite des autorités de police (DE
LA ROSA et DUFFAR, Les libertés collectives, in Le Grand Oral, Gazette du Palais, 2019).

La CEDH a déjà jugé que le pouvoir d’interdire des manifestations ne saurait être considéré comme incompatible
avec l’article 11 de la Conv. EDH. En effet, il suffit que le pouvoir d’autorisation que détiendraient les autorités
présente des qualités de clarté et de prévisibilité, remparts contre l’arbitraire (CEDH, 12 juillet 2005, affaire
Güneri et autres c. Turquie, req. n°42853/98).

233
FOCUS : LIBERTE DE PARTICIPER A UNE MANIFESTATION ET LOI DITE « ANTICASSEURS »

En plus de la liberté d’organiser une manifestation, la liberté de manifestation implique nécessairement la liberté
de participer à une manifestation. Dans la jurisprudence de la CEDH, les manifestants semblent d’ailleurs être les
principaux titulaires du droit garanti par l’article 11 de la Convention.

Ainsi, dans une affaire portant sur la participation d’un avocat à une manifestation, la CEDH a jugé quela liberté
de participer à une réunion pacifique revêt une telle importance qu’elle ne peut subir une quelconque limitation,
dans la mesure où l’intéressé ne commet lui-même à cette occasion aucun acte répréhensible (CEDH, arrêt du
26 avril 1991, affaire Ezelin c. France, req. n°11800/85, §53).

La liberté de participer à une manifestation pourrait entrer en conflit direct avec certaines dispositions françaises,
et notamment la loi n°2019-290 du 10 avril 2019 visant à renforcer et à garantir le maintien de l’ordre public lors
des manifestations, dite loi anticasseurs.

Originellement, cette loi permettait à un préfet d’interdire à un individu de participer à une manifestation.
Toutefois, par une décision du 4 avril 2019, le juge constitutionnel a censuré cette disposition, au motif qu’elle
laissait à l’autorité administrative une latitude excessive dans l’appréciation des motifs susceptibles de justifier
l’interdiction, et que, dès lors, l’atteinte portée au droit d’expression collective des idées et des opinions n’était
pas adaptée, nécessaire et proportionnée (Décision n°2019-780 DC 4 avril 2019, Loi visant à garantir le maintien
de l’ordre public lors des manifestations, cons. 26).

Par là-même, le juge constitutionnel a donc censuré une partie de la loi. Toutefois, il en validé les autres
dispositions, et notamment la peine d’interdiction de participer à des manifestations sur la voie publique,
désormais inscrite à l’article 131-32-1 du Code pénal. Ainsi, l’interdiction de participer àune réunion a été censurée
lorsqu’elle était prononcée à titre préventif, mais validée à titre répressif.

2. Manifestations publiques illicites

a) Manifestations non-déclarées
Selon l’article 431-9 du Code pénal, le fait d’avoir organisé une manifestation sans respecter les conditions
légalement prévues est puni de 6 mois d’emprisonnement et 7.500 euros d’amende. En pratique cependant, ces
sanctions sont rarement mises en œuvre.

b) Manifestations interdites
Aux termes de l’article L.211-4 al. 1er du code de la sécurité intérieure, l’autorité de police peut interdire une
manifestation projetée lorsqu’elle estime que celle-ci est de nature à troubler l’ordre public. L’autorité de police
notifie immédiatement l’arrêté d’interdiction aux signataires de la déclaration préalable de la manifestation.

L’interdiction d’une manifestation projetée n’est légale que tant qu’elle est nécessaire et proportionnée.

Le juge administratif exerce un contrôle rigoureux sur le respect de ces critères, en s’assurant de la réalité du
risque d’atteinte à l’ordre public allégué (CE 12 novembre 1997, Ministère de l’intérieur c. Association «
Communauté tibétaine en France », n°169295).

234
FOCUS : LIBERTE DE MANIFESTATION ET ÉTAT D’URGENCE SANITAIRE

La liberté de manifestation, à l’instar de la liberté de réunion, peut faire l’objet de restrictions liées à des
circonstances exceptionnelles. Néanmoins, comme cela a été récemment illustré dans le contexte de l’état
d’urgence sanitaire, de telles atteintes doivent être justifiées.

(1) CE, ord. Référé, 13 juin 2016, n°440846 : suspend le décret du 31 mai 2020 qui interdisait toute manifestation
sur la voie publique. Le caractère général et absolu de l’interdiction ne pouvait être considéré comme proportionné
à l’objectif de préservation de la santé publique. Le lendemain, le décret n°2020-724 supprimait l’interdiction
absolue des manifestations, mais soumettait celles-ci à autorisation.

(2) CE, ord. Référé, 6 juillet 2020, n°441257 : suspend cette nouvelle restriction. Les dispositions du CSI ouvrent
déjà au préfet le droit d’interdire une manifestation dont il apparaîtrait qu’elle créerait un risque sanitaire excessif.
La mesure litigieuse n’est donc ni nécessaire, ni adaptée, ni proportionnée. À noter que, en revanche, le juge des
référés a refusé de suspendre l’interdiction des rassemblements de plus de 5.000 personnes.

III. LES ATTROUPEMENTS


L’attroupement est défini par l’article 431-3 al. 1er du Code pénal comme « tout rassemblement de personnes
sur la voie publique ou dans un lieu public susceptible de troubler l’ordre public ». A la différence d’une
manifestation qui serait, elle aussi, susceptible de troubler l’ordre public, l’attroupement constitue un
rassemblement spontané.

Selon l’article 431-3 al. 2nd du Code pénal, les autorités ne peuvent disperser un attroupement qu’après avoir
émis deux sommations de se disperser, selon les modalités prévues par l’article L.211-9 du Code de la sécurité
intérieure. Lorsque ces sommations préalables n’ont pas été suivies d’effet, les autorités peuvent légalement
faire usage de la force publique.

Conformément à l’article 9 du décret n°86-592 du 18 mars 1986 portant code de déontologie de la police
nationale, un fonctionnaire de police autorisé par la loi à utiliser la force ne peut en faire qu’un usage
strictement nécessaire et proportionné au but à atteindre.

235
FOCUS : LA FORCE PUBLIQUE EN QUESTION : L’USAGE DES LBD

Le 14 février 2019, trois experts indépendants du Comité des droits de l’homme de l’Office des Nations Unies
(Genève) dénonçaient « un usage disproportionné d’armes dites non létales telles que les lanceurs de balle de
défense » (ci-après, « LBD »).

Le 30 janvier 2019, le Défenseur des droits demandait la suspension des LBD en raison de leur dangerosité
(Défenseur des droits, décision 2019-029 du 30 janvier 2019 relative à la suspension des décisions permettant
l’utilisation des lanceurs des balles de défense dans le cadre des opérations de maintien de l’ordre, ainsi qu’au
prononcé de toute mesure propre à interdire leur utilisation dans les manifestations à venir).

Par une ordonnance controversée du 1er février 2019, le Conseil d’État jugeait toutefois que l’usage du LBD ne
pouvait être regardé comme une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté de manifester (CE, ord. 1er
février 2019, n°°427386 et 427390). Par là-même, la haute juridiction administrative refusait d’interdire l’usage du
LBD.

Lorsque des attroupements causent des dommages corporels et matériels, l’État est civilement responsable : il
engage sa responsabilité sans faute (Loi n°83-8 du 7 janvier 1983, art. 92 relatif aux attroupements et aux
rassemblements). Toutefois, la responsabilité sans faute de l’État ne saurait être engagée lorsque des actes ont
été commis à l’occasion d’un attroupement mais avec préméditation (CE, 26 mars 2004).

236
FICHE N°26 : LA LIBERTÉ D’ASSOCIATION

Résumé :

La liberté d’association est une prérogative fondamentalement liée à l’idée même de démocratie. Il est en effet
inimaginable de qualifier de démocratie un État au sein duquel la liberté d’association des citoyens serait réduite
comme peau de chagrin. La liberté d’association est ainsi une liberté politique de premier plan, offerte à chaque
individu en tant que tel mais aussi à un collectif d’individus. Il s’agit d’une liberté fondamentale dont l’influence
est vérifiable dans l’ensemble des grandes branches du droit (on la retrouve d’ailleurs aussi bien en droit public
qu’en droit privé). Disposant d’une valeur constitutionnelle en France, la liberté d’association a été protégée de
manière particulièrement rigoureuse par la Cour européenne des droits de l’homme, qui n’hésite pas à rappeler
son lien avec l’idéal démocratique. La France reconnaît, quant à elle, plusieurs types d’associations, lesquelles
jouissent en pratique d’un certain nombre de libertés, par exemple en ce qui concerne leur constitution, leur
objet et leur fonctionnement, sans oublier le droit individuel de chacun d’adhérer àune association ou bien de
ne pas y adhérer.

Définition :

« L'association est la convention par laquelle deux ou plusieurs personnes mettent en commun, d'une façon
permanente, leurs connaissances ou leur activité dans un but autre que de partager des bénéfices » (Art. 1er, loi
du 1er juillet 1901 relative à la liberté d’association)

Notions abordées dans la fiche :

- Lien entre liberté d’association et démocratie


- Protection large par la Cour européenne des droits de l’homme
- Importance des partis politiques et des associations syndicales
- Différentes catégories d’associations
- Le régime des associations (liberté d’adhérer et liberté de ne pas adhérer, objet, fonctionnement, gestion)

237
Éléments introductifs

Il faut bien avoir conscience du domaine particulièrement vaste qui se cache derrière le vocable
traditionnellement utilisé de « liberté d’association », l’association pouvant être définie comme « un
regroupement de deux ou plusieurs personnes qui mettent en commun leurs connaissances ou leur activité
dans un but autre que celui de partager des bénéfices » (Dalloz, fiche d’orientation « Association », sept.
2019).

En effet, la liberté d’association est avant tout un droit de nature politique, tributaire du contexteet du type
de régime dans lequel l’individu évolue (E. Alfandari, « La liberté d’association », in : Libertés et droits
fondamentaux, R. Cabrillac (dir.), 26ème éd., Dalloz, 2020, p. 532 et s., spéc. p. 532). Ilsuffit de jeter un rapide coup
d’œil sur l’organisation politique des pays où sévissent encore aujourd’hui des régimes dictatoriaux (ou
assimilables à de tels régimes) pour constater que la liberté d’association est l’un des droits les plus menacés
lorsque la démocratie, malheureusement, est en recul.

Comme la liberté d’expression, la liberté d’association (et ses composantes) est un droit pour lequel les
philosophes des Lumières se sont battus, car elle était perçue comme consubstantielle à la vie dans un régime
démocratique. Pourtant, la liberté d’association ne sera consacrée explicitement que bien plus tard en France,
par la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d’association (d’où le vocable parfois employé d’« association
loi 1901 »). Grâce à cette loi, une association peut se créeret ceci sans autorisation préalable délivrée par les
pouvoirs publics (à l’exception notable des congrégations ; E. Alfandari, préc., p. 534).

En revanche, ni la Constitution de 1946, ni celle de 1958 n’inscrivent explicitement la liberté d’association dans
leur corps ; c’est alors la célèbre décision Liberté d’association rendue par le Conseil constitutionnel le 16 juillet
1971, créatrice du « bloc de constitutionnalité », qui va en consacrer la valeur constitutionnelle (Conseil
constitutionnel, décision n° 71-44 DC, 16 juillet 1971, Liberté d’association ; E. Alfandari, préc., §633, p. 535).

Cependant, la Convention européenne des droits de l’homme a consacré dès 1950 la liberté d’association
en son article 11, celui-ci disposant :

« 1. Toute personne a droit à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’association, y comprisle droit de
fonder avec d’autres des syndicats et de s’affilier à des syndicats pour la défense de ses intérêts.
2. L’exercice de ces droits ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent
des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à la sûreté publique, à la
défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des
droits et libertés d’autrui. Le présent article n’interdit pas que des restrictions légitimes soient imposées à
l’exercice de ces droits par les membres des forces armées, de la police ou de l’administration de l’État. »

A la facette politique s’ajoute naturellement la coloration juridique de la liberté d’association. On retrouve la


liberté d’association en droit public, bien sûr, puisqu’elle est avant tout une liberté fondamentale, mais
également en droit privé, car ses liens avec la pratique contractuelle sontparticulièrement marqués (v. par
exemple les statuts des associations ou l’idée de « contrat d’association » ; la Cour de cassation a d’ailleurs
rappelé en 2019 le caractère contractuel de l’association et de ses statuts : Cass., civ. 1ère, 15 mai 2019, n°
18-18167, arrêt cité par D. Hiez, « Association – Contrat d’association », Rép. dt civ., 2016, mis à jour en
déc. 2019, spéc. §98 s.).Enfin, l’on peut y voir une certaine pratique en droit économique, dans la sphère
publique comme dans la sphère privée, avec l’exercice par certaines associations de compétences économiques,
étant donné que la figure de l’association n’est pas réservée à des œuvres sociales, caritatives ou humanitaires
(E. Alfandari, préc., spéc. p. 532-533).

On l’a déjà brièvement indiqué, la liberté d’association est un principe fondamental de la démocratie qui revêt à
la fois un aspect individuel et collectif. Sur le plan individuel, chacun est libre, sous réserve du respect des
valeurs fondamentales du pays et de l’ordre public, de rejoindre une association et ses relations avec les autres
membres de l’association seront alors encadrées.

238
Sur le plan collectif, chaque association est libre vis-à-vis des tiers, mais également de l’État ou des collectivités
publiques (E. Alfandari, préc., spéc. §636, p. 535-536).

Il sera nécessaire de comprendre le lien très fort entre liberté d’association et démocratie (I), avant de se pencher
sur les différentes catégories d’associations en droit français (II) et d’étudier leur régime juridique (III).

I. LIBERTÉ D’ASSOCIATION ET DÉMOCRATIE


On l’a déjà indiqué, le lien entre liberté d’association et démocratie est essentiel. La liberté d’association est
consubstantielle à la démocratie. D’ailleurs, la Grande chambre de la Cour européenne des droits de l’homme
n’a pas hésité à consacrer ce lien dans l’arrêt Gorzelik et autres c. Pologne en date du 17 février 2004, en des
termes particulièrement parlants :

« En fait, l'état de la démocratie dans le pays dont il s'agit peut se mesurer à la manière dont la législation
nationale consacre cette liberté [d’association] et dont les autorités l'appliquent dans la pratique (…). Dans sa
jurisprudence, la Cour a confirmé à de nombreuses reprises la relation directe entre la démocratie, le pluralisme
et la liberté d'association et a établi le principe selon lequel seules des raisons convaincantes et impératives
peuvent justifier des restrictions à cette liberté. L'ensemble de ces restrictions sont soumises à un contrôle
rigoureux de la Cour » (Cour EDH (Gr. ch.), 17 février 2004, Gorzelik et autres c. Pologne, req. n° 44158/98, spéc.
§88).

Quelques années auparavant, la Cour de Strasbourg avait déjà indiqué dans un considérant deprincipe que :
« Le droit d’établir une association constitue un élément inhérent au droit qu’énonce l’article 11, même si ce
dernier ne proclame en termes exprès que le droit de fonder des syndicats.

La possibilité pour les citoyens de former une personne morale afin d’agir collectivement dans un domaine de
leur intérêt constitue un des aspects les plus importants du droit à la liberté d’association, sans quoi ce droit
se trouverait dépourvu de tout sens. La manière dont la législation nationale consacre cette liberté et
l’application de celle-ci par les autorités dans la pratique sont révélatrices de l’état de la démocratie dans le
pays dont il s’agit.

Assurément les États disposent d’un droit de regard sur la conformité du but et des activités d’une association
avec les règles fixées par la législation, mais ils doivent en user d’une manière conciliable avec leurs obligations
au titre de la Convention et sous réserve du contrôle des organes de celle-ci. » (Cour EDH, 10 juillet 1998,
Sidiropoulos et autres c. Grèce, arrêt, n° 57/1997/841/1047, spéc. §40, cité par : Cour EDH, « Guide sur l’article
11 de la Convention européenne des Droits de l’Homme – Liberté de réunion et d’association », 1ère éd., 2019,
accessible en ligne sur le site de la Cour, spéc. p. 22 ; ci-après : « Guide sur l’art. 11 »).

Ainsi et bien que le lien entre démocratie et liberté d’association soit surtout rendu explicite par la Cour
européenne des droits de l’homme, l’étude de sa jurisprudence (B) sera précédée par celle de la position
retenue par les juridictions françaises (A).

A. L’état de la jurisprudence en France

C’est l’Assemblée du contentieux du Conseil d’État qui a reconnu en premier la valeur constitutionnelle de la
liberté d’association, dans l’affaire Amicale des Annamites de Paris (CE, Ass., 1956, n° 26638, cité par J.-M.
Sauvé, « Le Conseil d’État et la Constitution », intervention au Cercle des constitutionnalistes, 25 avril 2017, note
de bas de page 15, texte accessible en ligne).

Il aura fallu attendre 1971 et la célèbre décision Liberté d’association pour que le Conseil constitutionnel
reconnaisse à son tour valeur constitutionnelle à celle-ci, également en tant que principe fondamental reconnu
par les lois de la République (pour rappel, les « PFRLR » sont « (c)ités au Préambule de la Constitution de 1946
auquel renvoie le Préambule de la Constitution de 1958 » mais « ne bénéficient pas d'une définition précise. Ces
principes constitutionnels sont dégagés par le Conseil constitutionnel mais également le Conseil d'État » d’après
: Dalloz, Fiche d’orientation, PFRLR,juin 2020 ; en l’espèce : décision n° 71-44 DC, 16 juillet 1971, préc. ; v. E.
Alfandari, préc., spéc. §633, p. 535).

239
Il est vrai qu’en France le contentieux porte davantage sur divers aspects de la vie de l’association, c’est-à-dire
sur les « conditions de formation du contrat d’association, capacité à agir en justice, fonctionnement,
responsabilité et disparition de l’association » (C. Laronde-Clérac, « Synthèse – Associations », JCl Sociétés –
Traité, 2020, intro.) et que la protection des valeurs démocratiques est surtout au cœur du contentieux devant
la Cour européenne des droits de l’homme.

Une affaire récente, toutefois, a permis d’invoquer la liberté d’association. Le ministre de l’Intérieur avait en effet
interdit le déplacement individuel et collectif de supporters du Football Club de Nantes vers la ville de Reims,
durant une journée entière.

Saisi en référé, le Conseil d’État a indiqué qu’il « [appartenait] aux autorités de l'État d'assurer la préservation
de l'ordre public et sa conciliation avec les libertés fondamentales que sont notamment la liberté d'aller et venir,
la liberté de réunion et la liberté d'expression » et que, en l’espèce, les supporters à même d’effectuer le
déplacement s’étaient déjà distingués, notamment, par des rixes et l’ « usage d’engins pyrotechniques, en
adoptant des comportements parfois violents », sans négliger le contexte de la lutte anti-terroriste qui
mobilisait un certain nombre d’agents de forces de l’ordre.

Le Conseil d’État a ainsi estimé que la liberté d’aller et venir des supporters et leur liberté de réunion (que l’on
peut considérer comme unecomposante et/ou comme une manifestation de la liberté d’association) n’avaient
pas subi d’atteinte manifestement illégale (CE, ord. réf., 16 mars 2019, n° 428893, Association nationale des
supporters, arrêt cité par C. Laronde-Clérac, préc., §24).

B. La protection par la Cour européenne des droits de l’homme

Comme l’indique la Cour européenne des droits de l’homme dans son guide relatif à l’article 11 de la Convention,
la « notion de liberté d’association a trait au droit de former un groupement ou une organisation poursuivant
des objectifs particuliers, ou de s’y affilier. Elle ne concerne pas le droit de partager la compagnie des autres ou
d’avoir des activités sociales avec d’autres personnes » (guide sur l’art. 11, préc., spéc. §114, s’appuyant sur la
jurisprudence de la Commission EDH (plén.), McFeeley c. Royaume-Uni, 15 mai 1980, déc. sur la recevabilité, req.
8317/78 ; en cas de besoin d’éléments complémentaires sur l’interprétation de l’article 11 de la Convention par
la Cour européenne des droits de l’homme, v. par ex. P. Wachsmann, « Libertés de la pensée – Libertés
d’expression, de réunion et d’association », JCl Eur. Traité, fasc. 6522-2, 2016, spéc. §46 et s.).

La Cour de Strasbourg mène une interprétation autonome de la notion d’association, c’est-à-dire qu’elle en
définit elle-même les contours de celle-ci sans se référer aux droits nationaux ; elle estime qu’il doit s’agir d’une
entité de droit privé (Cour EDH (Gr. ch.), 29 avril 1999, Chassagnou c. France, arrêt, req. n° 25008/94, 28331/95
et 28443/95, égal. cité par guide art. 11).

Par ailleurs, les extraits précités des arrêts Gorzelik et autres c. Pologne et Sidiropoulos et autres c. Grèce
ont déjà témoigné de l’importance accordée par la Cour de Strasbourg à la libertéd’association.

Nous évoquerons consécutivement les droits en matière syndicale (1) et la protection de l’engagement au sein
d’un parti ou d’une association politique (2) avant de constater que la protection de la Cour englobe des
domaines particulièrement vastes de la vie démocratique (3), sans oublier le fait qu’il ne s’agit pas, toutefois,
d’une protection illimitée (4).

1. La protection des droits syndicaux

C’est dans l’arrêt Syndicat national de la police belge c. Belgique en date du 27 octobre 1975 que la Cour
européenne des droits de l’homme a fixé les grandes lignes de la protection des droits en matière syndicale.
Selon la Cour, l’article 11 garantit « le droit de fonder un syndicat et d’adhérer à un syndicat de son choix, le
droit d’être entendu », mais également « la liberté de défendre les intérêts professionnels des adhérents d’un
syndicat par l’action collective de celui-ci, action dont lesÉtats contractants doivent à la fois autoriser et rendre
possibles la conduite et le développement » (Cour EDH (plén.), 27 octobre 1975, req. n° 4464/70, arrêt cité par
: Cour EDH, Unité de la presse, fiche thématique Droits en matière syndicale, déc. 2018, accessible en ligne, ci-
après : « f.t. syndicats »).

240
Le droit de se syndiquer a pour corollaire le droit de ne pas se syndiquer. C’est ce qu’a décidé la Courà propos
de l’obligation, préalable à l’embauche, d’adhérer à un syndicat (accords de monopole syndical). La Cour avait
alors estimé que l’État partie, le Danemark, n’avait pas respecté le droit syndical négatif, c’est-à-dire la liberté
de ne pas s’affilier à un syndicat (Cour EDH (Gr. ch.), 11janvier 2006, Sorensen et Rasmussen c. Danemark, n°
52562/99 et 52620/99, arrêt cité par f.t. syndicats).

La Cour européenne des droits de l’homme a déjà eu à se prononcer, il y a quelques années, sur l’impossibilité
pour les militaires français d’appartenir à un syndicat. Il s’agissait alors de vérifier la conformité du dispositif
français vis-à-vis de l’article 11 de la Convention. Implicitement, la Cour a jugé inconventionnel le régime français
(en ce sens : D. Hiez, préc., spéc. §120 à 123). En effet, la Cour a estimé que le caractère particulier des fonctions
des forces armées impliquait une modulationde l’activité syndicale. Ainsi, les États parties sont libres d’apporter
des restrictions importantes à l’organisation, au fonctionnement et à l’expression publique de syndicats dans les
forces armées.

En revanche, la Cour de Strasbourg a estimé qu’il ne fallait pas « priver les militaires et leurs syndicats dudroit
général d’association pour la défense de leurs intérêts professionnels et moraux » (Cour EDH, 02 octobre 2014,
Matelly c. France, req. n° 10609/10, arrêt, spéc. § 71, cité par le guide sur l’art. 11, §286), avant de conclure
que l’interdiction « pure et simple pour les militaires de constituer un syndicat ou d’y adhérer porte à l’essence
même de leur liberté d’association une atteinte prohibée par la Convention » (Matelly c. France, §75 ; guide sur
l’art. 11, spéc. §287).

2. La protection des associations et partis politiques

Il faut se référer à l’arrêt Refah partisi (Parti de la prospérité) c. Turquie rendu par la Grande chambre de la Cour
européenne des droits de l’homme le 13 février 2003 pour constater l’importance conférée par cette dernière à
la protection des associations et partis politiques.

La Cour a aussi confirmé à plusieurs reprises le rôle primordial que jouent les partis politiques dans un régime
démocratique en bénéficiant des libertés et droits reconnus par l’article 11 ainsi que par l’article 10 de la
Convention [NDA : liberté d’expression].

Toujours dans l’arrêt Parti communiste unifié de Turquie et autres, elle a indiqué qu’elle attachait du poids, plus
encore qu’au libellé de l’article 11, au fait « que les partis politiques représentaient une forme d’association
essentielle au bon fonctionnement de la démocratie (…). Eu égard en effet au rôle des partis politiques, toute
mesure prise à leur encontre affecte à la fois la liberté d’association et, partant, l’état de la démocratie dans le
pays dont il s’agit (…) » (Cour EDH (Gr. ch.), 13 février 2003, Refah partisi (Parti de la prospérité) c. Turquie, req.
n° 41340/98, 41342/98 et 41344/98).

Là encore, il ne s’agit pas d’une liberté illimitée, car « un État contractant à la Convention, en se fondant sur ses
obligations positives, peut imposer aux partis politiques, formations destinées à accéder au pouvoir et à diriger
une part importante de l’appareil étatique, le devoir de respecter et de sauvegarder les droits et libertés
garantis par la Convention ainsi que l’obligation de ne pas proposer un programme politique en contradiction
avec les principes fondamentaux de la démocratie » (à propos de la volonté d’un parti politique d’instaurer la
Charia, Refah partisi c.Turquie, préc., §103, cité par : guide art. 11, p. 30).

3. Une protection dépassant le droit syndical et l’affiliation à un parti


politique
La protection accordée par la Cour à la liberté d’association n’est pas seulement relative aux partis ou
associations politiques, mais est beaucoup plus large. C’est ainsi que la Cour de Strasbourg a très largement
conçu son office en la matière :

« Si, dans le contexte de l’article 11, la Cour a souvent mentionné le rôle essentiel joué par les partis politiques
pour le maintien du pluralisme et de la démocratie, les associations créées à d’autres fins, notamment la
protection du patrimoine culturel ou spirituel, la poursuite de divers buts sociaux ou économiques, la
proclamation et l’enseignement d’une religion, la recherche d’une identité ethnique ou l’affirmation d’une
conscience minoritaire, sont également importantes pour le bon fonctionnement de la démocratie.

241
En effet, le pluralisme repose aussi sur la reconnaissance et le respect véritables de la diversité et de la
dynamique des traditions culturelles, des identités ethniques et culturelles, des convictions religieuses, et des
idées et concepts artistiques, littéraires et socio-économiques.

Une interaction harmonieuse entre personnes et groupes ayant des identités différentes est essentielle à la
cohésion sociale. Il est tout naturel, lorsqu’une société civile fonctionne correctement, que les citoyens
participent dans une large mesure au processus démocratique par le biais d’associations au sein desquelles ils
peuvent se rassembler avec d’autres etpoursuivre de concert des buts communs. » (Cour EDH (Gr. ch.), 17 février
2004, Gorzelik et autres c.Pologne, préc., spéc. §92, cité par le guide sur l’art. 11, spéc. §106).

Par ailleurs, et toujours dans cet arrêt majeur Gorzelik c. Pologne, la Cour de Strasbourg a eu l’occasion d’insister
sur l’importance de la liberté d’association pour les personnes appartenant à des minorités. Selon la Cour, la
promotion de telle ou telle minorité permet de défendre ses droits face à de potentielles atteintes venant de
l’extérieur (§93, égal. cité par le guide sur l’art. 11, §108).

4. Les limites à la protection offerte par la Convention

En revanche, la protection de la liberté d’association n’est pas illimitée.

D’abord, l’article 11 paragraphe 2 comprend lui-même les limites inhérentes à la liberté d’association, afin de
garantir certains intérêts de l’État : ce sont les « mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité
nationale, à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou
de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui ». Ces conditions font l’objet d’un examen
particulièrement rigoureux de la part dela Cour de Strasbourg (v. par ex. P. Wachsmann, « Libertés de la pensée
– Libertés d’expression, de réunion et d’association », JCl Eur. Traité, fasc. 6522-2, 2016).

Ensuite, la Cour de Strasbourg a déjà refusé la protection offerte par la Convention européenne des droits de
l’homme à une association dont les statuts fondateurs contenaient des écritures à connotation antisémite (Cour
EDH, 2 septembre 2004, WP c. Pologne, déc., req. n° 42264/98) ou encore à une association islamiste prônant
l’emploi de la violence (Cour EDH, 12 juin 2012, Hizb Ut- Tahrir c. Allemagne, déc., req. n° 31098/08 ; arrêts cités
par le guide sur l’art. 11, §109). Pour ce faire,la Cour s’est notamment basée sur l’article 17 de la Convention
européenne de sauvegarde des droits de l’homme, sanctionnant l’abus de droit, comme elle le fait pour d’autres
libertés (v. par exemple la fiche sur la liberté d’expression).

II. LES DIFFÉRENTES CATÉGORIES D’ASSOCIATIONS


Il existe en France un vivier particulièrement important d’associations : 1,3 million d’associations, agissant dans
des domaines assez divers, en premier lieu desquels la culture, le sport, le jeu, l’éducation et la solidarité (C.
Laronde-Clérac, « Associations – Généralités », JCl Civil annexes, fasc. 10, 2020, spéc. §1). Ces associations se
répartissent en trois catégories.

En premier lieu, il y a les associations non-déclarées, c’est-à-dire qui n’ont pas fait l’objet d’une déclaration
auprès des services préfectoraux ; ce sont des associations qui n’ont pas de personnalité juridique.

À côté, il y a les associations déclarées, c’est-à-dire celles qui ont reçu un agrément préfectoral, à la suite de
l’envoi de leurs statuts auprès des services de la préfecture pertinente, dont l’existence est publique et qui
disposent d’une personnalité juridique presque complète (les associations déclarées subissent en effet quelques
restrictions). C’est l’article 5 de la loi du 1er juillet 1901 qui fixe l’obligation de déclaration en préfecture pour
obtenir la personnalité morale.

Enfin, il convient de mentionner les associations reconnues d’utilité publique, qui ont une pleine capacité
juridique (C. Laronde-Clérac, fasc. 10, préc., spéc. §18) mais subissent des contraintes souvent plus marquées de
la part des autorités publiques (D. Hiez, préc., §46).

Depuis une loi de 1981, il n’existe plus de régime spécial concernant les associations étrangères (ibid.).

242
Par ailleurs, les congrégations sont, elles, toujours soumises à un régime juridique particulier (ibid.). Une
congrégation peut être qualifiée d’association, mais elle se distingue en général par trois éléments : les membres
se soumettent à l’autorité religieuse et poursuivent un objectif ou la réalisation d’une vie de piété ; leurs besoins
matériels sont assurés par la congrégation ; enfin, la congrégation dispose d’une organisation hiérarchique
particulièrement marquée (C. Laronde-Clérac, fasc. 10, préc., §39).

La personnalité morale des congrégations est accordée par décret, sur avis conforme du Conseil d’État (ibid.).

Il est également nécessaire de mentionner les associations cultuelles, créées par la loi du 9 décembre 1905 sur
la séparation des Églises et de l’État (D. Hiez, préc., §39).

III. LE RÉGIME DE L’ASSOCIATION


Le régime juridique encadrant l’association en France consiste en la reconnaissance d’une liberté individuelle
d’adhérer et de son corollaire, à savoir la liberté de ne pas adhérer (A) et du principe collectif de libre-constitution
(B), étant précisé que l’association doit se doter d’un objet (C) et bénéficie par principe de la liberté de
fonctionnement (D).

A. La liberté individuelle d’adhérer et la liberté de ne pas adhérer

Cela a déjà été évoqué à propos de la possibilité d’adhérer à un syndicat mais également son pendant
négatif, c’est-à-dire la faculté de ne pas adhérer à un syndicat en vertu de l’article 11 de la Convention
européenne des droits de l’homme (jurisprudence Sorensen et Magnussen de la Cour EDH, 2006, préc.).

Il y a donc dans la liberté d’association un pendant positif (la liberté d’adhérer) et un pendant négatif (la liberté
de ne pas adhérer et la liberté de ne pas rester membre d’une association).

En droit interne, c’est l’Assemblée plénière de la Cour de cassation qui a reconnu le pendant négatif de la liberté
d’adhérer à une association en retenant, dans un arrêt rendu le 9 février 2001, que « hormis les cas où la
loi en décide autrement, nul n'est tenu d'adhérer à une association régie par la loi du 1 juillet 1901 ou, y ayant
adhéré, d'en demeurer membre » (Cass., ass. plén., 9 février 2001,n° 99-17.642, arrêt cité par C. Laronde-
Clérac, fasc. 10, préc., spéc. §25).

Il convient ainsi de se pencher sur l’adhésion à l’association (1) avant de comprendre les possibilités de ne pas
adhérer ou de quitter une association (2).

1. L’adhésion à l’association

Il ne faut pas oublier qu’à l’origine, une association est un contrat, qui unit ses membres (c’est le contrat
d’association). Ainsi, une association peut poser des conditions d’adhésion dans ses textes statutaires et est libre
de vérifier que celles-ci sont respectées : « le contrat de droit privé l’emporte sur la liberté publique » (E. Alfandari,
préc., §638, p. 538).

L’association doit, naturellement, ne pas opérer de discriminations dans la sélection de ses adhérents, au risque
de se rendre coupable d’un délit (art. 225-2, C. pén. ; E. Alfandari, ibid.).

Deux régimes spécifiques sont à noter :

• Pour les personnes malades, une loi de 2002 (déjà étudiée dans la fiche thématique relative aux droits
des personnes malades) prévoit que ceux-ci pourront constituer une associationde personnes malades
afin d’assurer la défense de leurs droits et prérogatives au sein de l’établissement de santé (E. Alfandari,
ibid.).

243
• Pour les personnes mineures, la loi du 28 juillet 2011 a porté modification de l’article 2 de la loi du 1er
juillet 1901, en y insérant un article 2 bis qui dispose que « les mineurs de seize ans révolus peuvent
librement constituer une association. Sous réserve d'un accord écrit préalable de leur représentant légal,
ils peuvent accomplir tous les actes utiles à son administration, à l'exception des actes de disposition »
(Loi n° 2011-893 du 28 juillet 2011 pour le développement de l'alternance et la sécurisation des parcours
professionnels ; ibid., p. 540).

2. La non-adhésion et le retrait de l’association

Comme indiqué supra, la Cour de cassation dans un arrêt rendu par l’Assemblée plénière le 9 février 2001 a
expressément consacré le droit de ne pas adhérer à une association ou de pouvoir en sortir. C’est, finalement,
une interprétation logique de l’article 4 de la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d’association.

Modifié par la loi n°2012-387 du 22 mars 2012 (article 125), l’article 4 de la loi du 1er juillet 1901 prévoit désormais
que « (t)out membre d'une association peut s'en retirer en tout temps, après paiement des cotisations échues
et de l'année courante, nonobstant toute clause contraire ».

Très rares sont les cas dans lesquels il est obligatoire d’adhérer ou de rester dans une association. La loi peut le
prévoir, pour des raisons d’intérêt général (par exemple l’obligation d’assurer son véhicule, ceci dans un but
évident de sécurité publique ; ibid., §639, p. 540). La Cour de cassation a ainsi estimé en 2001 que l’adhésion
obligatoire au Caisse nationale des barreaux français était conforme au principe de la liberté d’association
protégé par l’article 11 de la Convention européennedes droits de l’homme, en raison de la mutualisation des
risques (Cass., civ. 1ère, 19 juin 2001, arrêt cité par E. Alfandari, préc., §639 et ndbdp 37, p. 541).

Par ailleurs, le départ d’une association est, en principe, volontaire, libre. Cela peut se faire par la voie de la
démission, car nul n’est tenu de rester dans une association, ou bien tout simplement automatique par le non-
renouvellement de l’adhésion ou le non-paiement des cotisations (ibid., §640, p. 542).

B. Le principe de libre-constitution de l’association

C’est l’article 2 de la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d’association qui dispose que « (l)es associations
de personnes pourront se former librement sans autorisation ni déclaration préalable », précisant toutefois
que la capacité juridique s’obtenait par la déclaration en préfecture prévue par l’article 5.

Dans sa décision Liberté d’association rendue le 16 juillet 1971, le Conseil constitutionnel a censuré la loi qui
prévoyait un contrôle administratif préalable pour les associations dont l’Administration pouvait estimer qu’elles
auraient pu menacer l’ordre public (E. Alfandari, préc., §642, p. 543).

La condition principale et dirimante est celle selon laquelle l’association doit être un contrat unissant plusieurs
fondateurs. Il ne peut exister en droit français d’associations constituées par une seule personne, la
jurisprudence pouvant estimer alors qu’il s’agit d’une association fictive. Le contrôle a lieu a posteriori et peut
donner lieu à des actions devant les juridictions civiles ou administratives, selon les cas de figure, voire devant
le juge pénal (le juge pénal pourra alors choisir d’appliquer les diverses sanctions prévues par l’art. 131-39 du
Code pénal dans sa rédaction envigueur, issue d’une réforme en 2014 ; E. Alfandari, préc., §643, p. 544).

Il est à noter qu’un régime spécial prévoyant une possibilité de dissolution administrative (réalisée par voie de
décret) existe depuis 1936 en ce qui concerne les « milices privées, les groupes de combat et associations
provoquant à la haine raciale », mais également, depuis 2006, les « associations de supporters
sportifs, dont les membres ont commis des actes portant atteinte à l’ordre public » (E. Alfandari, préc., §643,
p. 544-545).

244
C. L’objet de l’association

Il ne faut pas oublier le fait que l’association est avant tout un contrat (le « contrat d’association ») etque, ainsi,
le principe de la liberté contractuelle trouve à s’appliquer en la matière. Il est ainsi loisibleaux fondateurs de
l’association de rédiger des statuts plus ou moins longs et plus ou moins précis concernant les modalités
d’organisation, de fonctionnement et de gestion, d’autant plus qu’il existe en droit français le principe de libre-
fonctionnement de l’association.

Il est toutefois recommandé aux créateurs de ne pas se contenter de récupérer des modèles de statuts (ou «
statuts-types ») qui seraient trop généraux et/ou inadaptés à l’objet de l’association (Lamy Associations, étude
111, Le contrat d’association, §1, spéc. §111-3, 2014).

En tout état de cause et comme cela est prévu par la définition retenue par l’article 1 er de la loi de 1901,
l’association ne doit pas avoir pour objet de retirer un bénéfice pour ses membres ; auquel cas, il n’est pas
impossible que les juridictions requalifient la structure associative de société de fait (E. Alfandari, préc., §644, p.
545).

Par exception, des mentions doivent vraisemblablement figurer dans les statuts de l’association ;ce sont
toutes les mentions exigées pour l’acceptation de la déclaration en préfecture : « titre exactet complet de
l'association, objet ou buts qu'elle se propose, adresse du siège social et éventuellement des autres
établissements » (Lamy Associations, préc.).

Concernant l’objet proprement dit de l’association, celui-ci revêt une certaine importance car il « exprime
le projet associatif lui-même » (D. Hiez, préc., §132). Souvent, cet objet confond les objectifs et buts de
l’association, d’une part, et les moyens de réalisation de l’activité de l’association, d’autre part (ibid.), ce qui ne
soulève pas réellement de difficultés en pratique.

Ainsi, les statuts d’une association ne peuvent pas ne pas contenir l’objet de celle-ci : il s’agit donc d’une condition
de validité du contrat d’association (en ce sens : D. Hiez, préc., §135). En revanche, dès lors que cet objet figure
dans les statuts, le juge ne peut qu’en prendre acte (sous les réserves d’atteinte à l’ordre public, d’atteinte aux
bonnes mœurs ou aux lois ; ibid., §133 et 143 et suivants).

D. Le libre-fonctionnement de l’association

Le droit français reconnaît le principe de la liberté du fonctionnement (ou du libre-fonctionnement) de


l’association.

Il revient aux rédacteurs des statuts de l’association (et, par la suite, à ou aux organes habilités à modifier les
statuts) de prévoir les modalités de fonctionnement, d’organisation et de gestion de l’association.

La loi du 1er juillet 1901 ne prévoit pas, ainsi, d’organes obligatoires ou systématiques concernant les associations,
ce qui explique la diversité de l’organisation de ces structures.

Chaque association peut donc avoir son organisation propre, avec un ou plusieurs organes de décision, un ou
plusieurs organes délibérants (E. Alfandari, préc., §646, p. 547), ou encore prévoir dans ses statuts des relations
avec d’autres associations.

Par ailleurs, chaque association peut tout à fait créer en son sein différents statuts, qui donneront, lecas échéant,
accès à différentes prestations ou à diverses prérogatives en son sein. Une association est donc parfaitement
libre de prévoir, d’une part, les modalités de convocation à l’assembléegénérale et, d’autre part, de restreindre
ou non l’accès à cette dernière.

245
L’on retrouve alors dans un certain nombre de dispositions statutaires une différence entre les membres actifs
au sein de l’association, qui seront vraisemblablement admis à participer à l’assemblée générale et/ou aux
organes de direction le cas échéant, et les « simples » membres adhérents qui, par opposition, pourraient ne pas
participer ou appartenir à de tels organes (en ce sens : Lamy Associations, étude 212 assemblées générales, spéc.
§212-10Liberté statutaire, principes, 2018).

Comme pour toute liberté, il existe des limites. Parmi ces limites, l’on se contentera de mentionner l’interdiction
d’opérer une distinction entre les membres de l’association selon des critères discriminatoires (interdiction de
la discrimination) et, plus largement, l’obligation de respecter « les principes généraux du droit applicables aux
contrats et obligations » (art. 1er, loi 1901 ; Lamy Associations, étude 212 assemblées générales, préc.).

L’on mentionnera enfin que toute association jouit du principe d’autonomie patrimoniale (sur laquelle, v. par
ex. : D. Hiez, préc., §371 et s.).

246
FICHE N°27 : LA LIBERTÉ SYNDICALE ET LE DROIT DE GRÈVE

Résumé :

La liberté syndicale et le droit de grève constituent des modes légaux d'expression des conflits sociaux et leur
réglementation engage en cela le choix d'un modèle d'État social. Il est possible d’affirmer qu’il existe une genèse
commune : la tradition, relativement moderne, de la liberté d’association et d’organisation ainsi que les
négociations collectives et le droit (ou du moins la « liberté ») de déclencher une action industrielle afin de
défendre des intérêts collectifs. L'articulation entre les dimensions individuelle et collective de ces droits peut
se révéler délicate et leur exercice (celui du droit de grève en particulier) confronté au mécontentement du
reste du corps social. Leur exercice est alors confronté à de nouveaux défis, qu'il s'agisse de la volonté du
législateur d'atténuer l'impact « nuisible » des grèves ou de mieux asseoir la légitimité de l'action syndicale dont
l’absence de représentativité est souvent décriée. C’est pourquoi des régimes d'interdiction perdurent, validés
quant à leur principe par le Conseil constitutionnel dont le rôle est de garantir le respect des droits d'action
collective des travailleurs tout en délimitant leur cadre.

Notions abordées dans la fiche :

- Liberté individuelle et action collective


- Droit du travail et défense des droits et intérêts des travailleurs
- Régulation des conflits
- Conventions collectives
- Agents publics et salariés
- Réglementation et interdiction
- Liberté syndicale et droit de grève dans la fonction publique
- Continuité du service public

247
I. LA CONSÉCRATION DE DEUX DROITS SOCIAUX ESSENTIELS DANS UN ÉTAT
DÉMOCRATIQUE

A. La consécration de la liberté syndicale

1. Au niveau national

Alors que la loi Le Chapelier des 14 et 17 juin 1791 avait prohibé tout groupement professionnel, la loi du 21
mars 1884 de Waldeck-Rousseau relative à la création des syndicats professionnels reconnaît expressément la
liberté syndicale. La loi du 21 mars 1884 affirme que les syndicats « pourront se constituer librement sans
l'autorisation du Gouvernement ».

Celle-ci fut pleinement consacrée par la suite par l’alinéa 6 du Préambule de la Constitution de 1946 qui énonce
que « tout homme peut défendre ses droits et ses intérêts par l’action syndicale et adhère au syndicat de son
choix ». Le Conseil constitutionnel lui a conféré valeur constitutionnelle en intégrant le Préambule de la
Constitution de 1946 au bloc de constitutionnalité dans sa décision du16 juillet 1971, Liberté d’association
(Décision n° 71-44 DC du 16 juillet 1971).

En France, un syndicat professionnel (salarié, patronal ou catégoriel sauf étudiant) est une organisation
professionnelle ou catégorielle à caractère privé qui a pour but d'assurer la défense des intérêts matériels et
moraux de ses membres, régie par le livre Ier de la deuxième partie (article L. 2111-1 et suivants) du Code du
travail.

Dans les pays démocratiques, ces organisations sont indépendantes de l'État (mais reconnues par celui-ci) et
régies par un ensemble de lois qui précisent leur statut, les modalités, les garanties et les limites de leur exercice.
Ce type d'organisation peut regrouper des salariés (syndicat de salariés) ou des membres du patronat
(organisation patronale).

Les revendications des syndicats de salariés portent principalement sur les salaires et les conditions de travail et,
lors de restructurations au sein des entreprises, qui peuvent conduire à des licenciements, sur le maintien
d'emplois ou l'obtention d'indemnités de licenciement plus élevées.

En France, sont reconnues représentatives au niveau national et interprofessionnel les organisations syndicales
suivantes : la Confédération française démocratique du travail (CFDT) ; la Confédération générale du travail
(CGT) ; la Confédération générale du travail-Force ouvrière (CGT-FO) ; la Confédération française de
l'encadrement-Confédération générale des cadres (CFE-CGC) ; la Confédération française des travailleurs
chrétiens (CFTC) (art. 1 de l’arrêté du 22 juin 2017 fixant la liste des organisations syndicales reconnues
représentatives au niveau national et interprofessionnel).

Les syndicats dits « représentatifs » disposent de pouvoirs plus étendus que les autres. Seuls ces syndicats sont
habilités à : négocier et conclure des accords collectifs d'entreprise à travers leurs délégués syndicaux ; à désigner
lesdits délégués syndicaux ; et, dans le cas particulier des services publics, à déclencher les grèves.

Les syndicats disposent de plusieurs moyens d’actions : la négociation avec l’État ou les employeurs afin de
défendre les droits et les intérêts de leurs adhérents (accords nationaux interprofessionnels ou de branche
d’activité, accords au niveau de l’entreprise ou d’un regroupement de petits établissements), la manifestation,
le droit de réunir les salariés, le droit à l’affichage de documents etde tracts syndicaux.

Le Conseil constitutionnel a protégé dans un premier temps le droit syndical (Décision n° 80-127 DC du 20 janvier
1981, Décision n°82-144 DC du 22 octobre 1982), puis dans un second temps, plus directement, la « liberté
syndicale » par référence expresse au Préambule de 1946 (en vertu de l’alinéa 8 : Décision n° 83-162 DC du 20
juillet 1983, en vertu de l’alinéa 6 : Décision n° 89-257 DC du 25 juillet 1989).

La notion de « droit syndical » est désormais soulevée lorsqu'il s'agit de déterminer les principes fondamentaux
du régime de la liberté syndicale.

248
La liberté syndicale vise d’abord la liberté de constitution et de fonctionnement des organisations
professionnelles.

La liberté de créer un syndicat est caractérisée par une grande souplesse quant à ses formalités.Les pouvoirs
publics n’opèrent aucun contrôle a priori sur sa création (régime de la déclaration préalable). Le syndicat peut
être créé par des personnes exerçant une profession identique, similaire ou connexe. Le syndicat doit avoir un
objet et une cause licite. L’article L2131-1 du Code du travail énonce que « les syndicats professionnels ont
exclusivement pour objet l’étude et la défense desdroits ainsi que des intérêts matériels et moraux, tant
collectifs qu’individuels, des personnes mentionnées dans leurs statuts. ». Il est par conséquent interdit aux
syndicats d’avoir des activités politiques ou commerciales.

Selon une circulaire de la Direction des Relations du Travail datée du 30 novembre 1984, « Bien quela loi
n'impose aucune formalité en l'espèce et afin d'éviter toute contestation ultérieure, il paraît cependant
souhaitable que les organisations syndicales informent l'employeur, par lettre recommandée avec accusé de
réception, de la constitution dans son entreprise d'un syndicat ou d'une section syndicale, et en adressent un
exemplaire à l'inspecteur du travail ».

Les statuts du syndicat et la liste des dirigeants doivent être déposés à la mairie. L’accomplissement de ses
formalités conditionne l’accès du syndicat à la personnalité morale, lui permettant notamment d’agir en justice
pour la défense de l’intérêt collectif de la profession et de ses membres.

Les syndicats ayant un intérêt commun peuvent former une union ou une fédération syndicale.

La liberté syndicale vise également le droit d'adhérer ou non à un syndicat, de choisir son syndicat ainsi que la
liberté de dissoudre volontairement un syndicat. La dissolution peut être prononcée par l’arrivée du terme prévu
dans les statuts ou bien décidée par un vote d’assemblée à l’unanimité. La dissolution peut aussi intervenir en
raison d’une illicéité des dispositions statutaires ou d’une faute commise par les dirigeants, elle est alors
prononcée par le juge judiciaire saisi par le procureur de la République.

2. Au niveau international

La liberté syndicale fait également l’objet d’une protection internationale, tant au niveau de l’Organisation
internationale du travail (OIT) qu’au plan européen.

La Convention de l’OIT n°87 du 9 juillet 1948 consacre la liberté syndicale (Partie I) et le droit syndical(Partie II)
dans ses deux dimensions, individuelle et collective.

L’article 2 de la Convention sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948 (N° 87) reconnaît à
tous les travailleurs et les employeurs, « sans distinction d'aucune sorte, (ont) le droit, sans autorisation préalable,
de constituer des organisations de leur choix, ainsi que celui de s'affilier à ces organisations, à la seule condition
de se conformer aux statuts de ces dernières ».

L’article 3.1 dispose que « les organisations de travailleurs et d'employeurs ont le droit d'élaborer leurs statuts
et règlements administratifs, d'élire librement leurs représentants, d'organiser leur gestion et leur activité, et de
formuler leur programme d'action. » L’article 3.2 poursuit en précisant que les « autorités publiques doivent
s'abstenir de toute intervention de nature à limiter ce droit ou à en entraver l'exercice légal ».

L’exercice du droit syndical est protégé par l’article 11 en vertu duquel « Tout Membre de l'Organisation
Internationale du Travail pour lequel la présente convention est en vigueur s'engage à prendre toutes mesures
nécessaires et appropriées en vue d'assurer aux travailleurs et aux employeurs le libre exercice du droit
syndical ».

En 1951, l’OIT institue un Comité de la liberté syndicale chargé d’examiner les plaintes déposées par les
organisations syndicales contre un État membre.

249
Au plan européen, la liberté syndicale est proclamée par la Convention européenne de sauvegarde des droits de
l’homme dans son article 11 alinéa 1 : « Toute personne a droit à la liberté de réunion pacifique et à la liberté
d’association, y compris le droit de fonder avec d’autres des syndicats et de s’affilier à des syndicats pour la
défense de ses intérêts. ».

L’article 11 présente la liberté syndicale comme une forme ou un aspect particulier de la liberté d’association,
non comme un droit indépendant (CEDH, 16 juin 2015, Manole et « Les Cultivateurs Directs de Roumanie » c.
Roumanie).

L’article 11 garantit le droit de fonder un syndicat et d’adhérer à un syndicat de son choix, le droit d’être entendu
et « la liberté de défendre les intérêts professionnels des adhérents d’un syndicat parl’action collectivité de celui-
ci, action dont les États contractants doivent à la fois autoriser et rendre possible la conduite et le développement
» (CEDH, 27 oct. 1975, Synd. Natonal de la police c. Belgique).

Pour la Cour européenne, la possibilité pour les citoyens de former une personne morale afin d’agir
collectivement dans un domaine d’intérêt commun constitue un des aspects les plus importants du droit à la
liberté d’association, sans lequel ce droit se trouverait dépourvu de toute signification (CEDH, 17 février
2004, Gorzelik et autres c. Pologne).

Le droit syndical inclut pour la Cour les éléments essentiels suivants : le droit de former un syndicat ou de s’y
affilier, l’interdiction des accords de monopole syndical, le droit pour un syndicat de chercher à persuader
l’employeur d’écouter ce qu’il a à dire au nom de ses membres et, en principe, le droit de mener des négociations
collectives avec lui (CEDH, Demir et Baykara c.Turquie, 12 nov. 2008). Cette liste n’est pas exhaustive mais a au
contraire vocation à évoluer en fonction des développements caractérisant le monde du travail.

Enfin, la liberté syndicale est posée par l’article 5 de la Charte sociale européenne du 18 octobre 1961 et par
l’article 11 de la Charte communautaire des droits sociaux fondamentaux des travailleurs du 9 décembre 1989.

B. La consécration du droit de grève

1. Au niveau national

Souvent, une confusion est opérée entre le droit de manifester et le droit de faire grève même si la grève
s’accompagne généralement d’une manifestation destinée à faire connaître à l’opinion les motivations du conflit.
Mais des manifestations existent également hors des périodes de grèves (ex : défilé traditionnel du 1er mai).

La « nature particulière » du droit de grève, qui est consacré au septième alinéa du Préambule de 1946, a été
affirmée par une décision du Conseil constitutionnel de 2007 (Cons. const., 16 août 2007,n° 2007-556 DC, Loi
sur le dialogue social et la continuité du service public dans les transports terrestres réguliers de voyageurs,
cons. 13).

La formule fait spontanément penser à la définition de ce droit comme un pouvoir de nuisance qui « vient
contrarier, bousculer, contredire les autres droits » (P.-Y. Gahdoun, « Les aléas du droit de grève dans la
Constitution », Dr. soc., 2014, p. 349).

La particularité du droit de grève tient à la formulation même de l’alinéa 7 du Préambule selon laquelle il
« s’exerce dans le cadre des lois qui le réglementent ».

Le renvoi à la loi est sans équivalent dans le Préambule de 1946 même si, en pratique, le droit commun des droits
fondamentaux renvoie ou permet aux autorités normatives de réglementer leur exercice.

250
Appliqué pour la première fois par le Conseil constitutionnel en 1979 (Cons. const., 25 juillet 1979, n° 79-105 DC,
Droit de grève à la radio et à la télévision) l’alinéa 7 apparaît dans plusieurs décisions (Cons. const., 19 et 20
janvier 1981, n° 80-127 DC, Sécurité et liberté ; Cons. const., 22 octobre 1982, n° 82-144 DC, Irresponsabilité pour
faits de grève ; Cons. const., 28 avril 2005, n° 2005-514 DC, Loi relative à la création du registre international
français ; Cons. const., 16 août 2007, n° 2007-556 DC, préc. ; Cons. const., 7 août 2008, n° 2008-569 DC, Loi
instituant un droit d’accueil pour les élèves des écoles maternelles et élémentaires pendant le temps scolaire
; Cons. const., 14 juin 2013, n° 2013-320/321 QPC, M. Yacine T. et a.) de façon conjointe avec l’alinéa 6 sur la
liberté syndicale.

Cette combinaison des normes n’a évidemment rien pour surprendre : la grève est souvent initiée, encadrée, par
les syndicats et demeure l’une des principales actions collectives à leur disposition pour défendre les droits et
intérêts des travailleurs. C’est le moyen d’action collective le plus visibleet le plus controversé, mais il est
souvent l’ultime recours pour les organisations de travailleurs pour faire entendre leurs voix dans le cadre d’un
conflit du travail.

2. Au niveau international

Le droit de grève est reconnu par les organes de contrôle de l’OIT comme le corollaire indissociable du droit
d’association syndicale protégé par la Convention sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948
(n° 87).

Le droit pour les organisations de travailleurs de formuler leur programme d’action pour promouvoir et défendre
les intérêts économiques et sociaux de leurs membres inclut le droit de grève.

Le droit de grève est également reconnu dans d’autres instruments internationaux. Citons parmi eux,le Pacte
international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (art. 8.1.d) ; la Chartesociale européenne
de 1961 (art. 6) ou encore la Convention européenne des droits de l’homme.

La grève est protégée par l’article 11 de la Convention européenne des droits de l’homme et représente pour la
Cour européenne des droits de l’homme un des moyens les plus importants au travers desquels l’État peut
assurer la liberté pour un syndicat de protéger les intérêts professionnels de ses membres (CEDH, 6 févr. 1976,
Schmidt et Dahlström c. Suède, §36 ; 2 juill. 2020, Wilson, National Union of Journalists et autres c. Royaume-
Uni, §45).

L’interdiction d’une grève est dès lors considérée comme une limitation au pouvoir du syndicat de protéger les
intérêts de ses membres, et révèle en conséquence pour la Cour de Strasbourg une restriction à la liberté
d’association (CEDH, Hrvatski liječnički sindikat c. Croatie, 27 nov. 1974).

II. LA DIMENSION PARTICULIÈRE DE LA LIBERTÉ SYNDICALE ET DU DROIT DE GRÈVE


DONT L’EXERCICE RESTE NÉANMOINS ENCADRÉ

A. La liberté syndicale et le droit de grève : entre liberté individuelle, universelle


et action collective
Selon le sixième alinéa du Préambule de 1946, la liberté syndicale est garantie à « tout homme ». Quant au
septième alinéa relatif au droit de grève, il ne comporte en définitive aucune restriction expresse. On retrouve
également l’absence de toute restriction dans le statut général de la fonction publique (art. 10 « Les
fonctionnaires exercent le droit de grève dans le cadre des lois qui le réglementent » (Loi n° 83-634 du 13 juillet
1983 portant droits et obligations des fonctionnaires)).

Les deux libertés sociales ont donc bien vocation à l’universalité.

251
Pas plus qu’il ne définit le droit de grève, le Préambule de la Constitution de 1946 ne désigne pas davantage ses
titulaires. Si l’on s’accorde généralement pour dire que la grève ne concerne que les travailleurs, la question est
débattue de savoir si le droit de grève est réservé aux seuls travailleurs subordonnés ou s’il doit être reconnu aux
travailleurs indépendants.

Relevons à cet égard que l’article L. 7342-5 du Code du travail consacre, sans le nommer, unemanière de droit
de grève aux travailleurs indépendants utilisant une plateforme numérique de mise en relation avec leurs
clients.

Le texte prévoit que « les mouvements de refus concerté de fournirleurs services organisés par les travailleurs
(…) en vue de défendre leurs revendications professionnelles ne peuvent, sauf abus, ni engager leur responsabilité
contractuelle, ni constituer un motif de rupture de leurs relations avec les plateformes, ni justifier de mesures les
pénalisant dans l'exercice de leur activité ».

La grève des avocats a démontré que l’exercice du droit de grève allait bien au-delà des seuls travailleurs salariés
ou subordonnés.

Par exemple, dans le cadre de la QPC, le Conseil constitutionnel a appliqué l’alinéa 6 aux professionnels de santé
exerçant à titre libéral (Cons. const., 19 nov. 2010, n° 2010-68 QPC, Syndicatdes médecins d’Aix et région).

De même, « le droit syndical est garanti aux fonctionnaires. Les intéressés peuvent librement créer des
organisations syndicales, y adhérer et y exercer des mandats ».

Toutefois, la conception des droits constitutionnels des travailleurs comme étant d’abord des libertés
individuelles débouchant sur une action collective reste bien ancrée en France.

S’agissant de la liberté syndicale, son exercice aboutit à faire coexister deux acteurs : le travailleur, syndiqué ou
non, puis le syndicat lui-même, qui va être doté de prérogatives propres. Une décisionde 1983 abordait déjà
l’articulation entre ces deux dimensions, lors de l’examen d’une disposition prévoyant une négociation
d’entreprise sur les conditions dans lesquelles pourrait être facilitée la collecte des cotisations syndicales. Le
Conseil avait précisé qu’une telle disposition « ne saurait permettre que soit imposé, en droit ou en fait,
directement ou indirectement, l’adhésion ou le maintien de l’adhésion des salariés d’une entreprise à une
organisation syndicale » (Cons. const., 19 et 20 juillet 1983, n° 83-162 DC, Démocratisation du secteur public,
cons. 85 ; le Conseil complétait sa réserve en ajoutant « qu’il appartiendrait à la direction des entreprises
intéressées de refuser de souscrire à toute clause tendant à un tel résultat et, le cas échéant, aux juridictions
compétentes, d’enprononcer l’annulation ou d’en interdire l’application »).

On a considéré à juste titre qu’une telle réserve visait à préserver la dimension négative de la liberté individuelle
syndicale (Th. S. Renoux et M. de Villiers (dir.), Code constitutionnel, Lexis-Nexis, 5e éd., 2013, p. 331) consistant
dans le fait de ne pas adhérer à un syndicat ou de s’en retirer. Autrement dit, les facilités accordées à un syndicat,
favorables à la dimension collective de la liberté, ne doivent pas aboutir à méconnaître sa dimension individuelle,
en l’occurrence négative.

Dans le prolongement de ce qui précède, le Conseil constitutionnel a dû se prononcer sur le rôle reconnu aux
syndicats dans le déclenchement de la grève dans le service public. Le refus « d’une conception organique de la
grève », et son affirmation corrélative comme un droit individuel, ont pu être décrits comme une « singularité
du droit français » (J. Savatier, « La distinction de la grève et de l’action syndicale », Dr. soc., 1984, p. 53).

Comme on le sait, à partir de 1963, la loi a néanmoins prévu que, dans les services publics, la grève est précédée
d’un préavis émanant d’une organisation syndicale représentative (ces dispositions sont codifiées à l’article
L. 2512-2 du code du travail : « Lorsque les personnels mentionnés à l’article L. 2512-1 exercent le droit de grève,
la cessation concertée du travail est précédée d’un préavis. Le préavis émane d’une organisation syndicale
représentative au niveau national, dans la catégorie professionnelle ou dans l’entreprise, l’organisme ou le service
intéressé. »).

252
La loi de 2007 sur la continuité du service public dans les transports terrestres réguliers de voyageurs a
subordonné le dépôt du préavis dans le secteur à une négociation préalable entre l’employeur et les
organisations syndicales représentatives qui envisagent ce dépôt ; pour favoriser la négociation,le délai entre
l’information sur l’intention de faire grève et le début d’un éventuel mouvement estpar ailleurs porté de 5 à
13 jours.

C’est à cette occasion que le Conseil constitutionnel a affirmé « la nature particulière du droit de grève », qui
autorise le législateur à confier aux syndicats représentatifs « des prérogatives particulières relatives au
déclenchement de la grève » (Cons. const.,16 août 2007, n° 2007-556 DC, préc., cons. 13).

Ces prérogatives s’analysent en l’occurrence comme une faculté exclusive de déclencher la grève, la Haute
juridiction ouvrant donc la porte à une définition en partie organique de celle-ci. En effet, pourautant que le
législateur le prévoit, la cessation de travail ne peut pas intervenir à l’initiative de travailleurs hors du cadre
syndical. Le caractère individuel du droit de grève est alors préservé par le fait (et réduit au fait) que ce rôle
syndical « laisse entière la liberté de chaque salarié de décider personnellement de participer ou non à celle-ci »
(Cons. const., 16 août 2007, n° 2007-556 DC, préc., cons. 13).

On signalera que la loi de 2008 instituant un droit d’accueil pour les élèves des écoles maternelles et élémentaires
a institué un mécanisme similaire avec, comme dans les transports terrestres, une obligation de déclaration
préalable à l’employeur, par les travailleurs, de leur intention de participerà la grève. Une nouveauté dans le
texte de 2008 est qu’il permet à l’État et aux organisations représentatives, au cours de la négociation préalable
à la grève, de « s’entendre sur les modalités selon lesquelles ces déclarations préalables sont portées à la
connaissance de l’autorité administrative ».

Le Conseil a précisé qu’un tel accord « ne saurait conduire à ce que la transmission de ces déclarations soit assurée
par les organisations syndicales ni avoir pour effet d’entraver la liberté de chaque enseignant de décider
personnellement de participer ou non à la grève » (Cons. const., 7 août 2008, n° 2008-569 DC, cons. 17).

Cette réserve vise à l’évidence à éviter les pressions syndicales sur les travailleurs. Elle témoigneaussi de ce
que l’acceptation du rôle syndical dans le déclenchement de la grève, pour ouvrir à une conception plus
organique de celle-ci, n’en consacre en rien l’exclusivité. Le juge constitutionnel entend que soit sauvegardée la
liberté de chacun de se joindre ou non au mouvement.
À travers ces différentes décisions abordant l’articulation entre les dimensions individuelle et collective des
droits, la ligne de démarcation suivante semble se dégager. Qu’il s’agisse d’adhérer àun syndicat ou pas, de
participer à mouvement collectif ou pas, c’est un choix individuel qui est en cause, soit la liberté d’opinion qui
préside à l’exercice même par l’individu de ses droits de travailleur ; le Conseil proscrit alors toute restriction,
directe ou indirecte, qui pourrait l’affecter.
Quant au dépôt du préavis, il relève des modalités d’exercice de la grève et cet exercice – particularité de la
matière – est nécessairement collectif : ce constat a sans doute paru justifier, pour la Haute juridiction, de confier
le dépôt du préavis à un collectif, le syndicat représentatif. Si l’on peut y voir une entorse à la conception
traditionnelle de la grève en France, la Haute juridiction aura jugé qu’une telle conception ne ressort pas avec
clarté du Préambule et ne peut donc être imposée au législateur.
En effet, même si droit de grève et liberté syndicale ont valeur constitutionnelle et doivent donc être respectés
par le législateur, ils se situent au cœur de politiques de régulation des relations et conflits sociaux, dont on sait
qu’elles varient fortement d’un pays à l’autre. Dans la détermination de leur régime, le juge constitutionnel est
donc confronté à la question de savoir de quelle liberté le législateur dispose pour modeler les politiques en
cause sans porter atteinte à la Constitution.

B. Des libertés essentielles dont l’exercice peut être entravé

L’exercice de ces deux libertés peut être entravé non seulement par les pouvoirs publics, comme l’a longtemps
illustré la répression pénale des coalitions, mais aussi par l’employeur.

253
La matière implique donc une relation triangulaire État-travailleur-employeur (quand ce dernier n’est pas l’État
lui-même), qui en fait un des domaines privilégiés de l’effet direct des droits fondamentaux ou, plus exactement,
des obligations d’aménagement et de protection de l’État : ce dernier doit non seulement aménager les
modalités d’exercice du droit de grève et de la liberté syndicale mais aussi en protéger l’exercice contre des
atteintes par les tiers.

Toutefois, malgré les liens unissant les deux principes, les questions suscitées par leur aménagement législatif
diffèrent assez largement.

1. L’aménagement à la liberté syndicale

L’article 11§2 de la Convention européenne des droits de l’homme autorise à imposer des restrictions légitimes
à l’exercice de la liberté de réunion et d’association : « L’exercice de ces droitsne peut faire l’objet d’autres
restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique,
à la sécurité nationale, à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de
la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. Le présent article n’interdit pas que des
restrictions légitimes soient imposées à l’exercice de ces droits par les membres des forces armées, de la police
ou de l’administration de l’État. »

L’adjectif « légitime » figurant dans la dernière phrase de l’article 11§2, outre la conformité avec le droit interne,
implique des exigences qualitatives en droit interne telles que la prévisibilité et, de manière générale, l’absence
d’arbitraire.

Les restrictions pouvant être imposées aux trois groupes de personnes cités par l’article 11 appellent une
interprétation stricte et doivent dès lors se limiter à l’« exercice» des droits en question. Elles ne doivent pas
porter atteinte à l’essence même du droit de s’organiser (Demir et Baykara c.Turquie §97 et §119).

19 des 42 États membres du Conseil de l'Europe dotés de forces armées ne garantissent pas le droit d'association
à leur personnel militaire et 35 ne garantissent pas le droit de négociation collective. Or, le 2 octobre 2014 la
Cour européenne des droits de l'homme conclut à l'unanimité quel'interdiction des syndicats au sein de l'armée
française viole l'article 11 de la Convention européenne des droits de l'homme (CEDH, 2 oct. 2014, Matelly c.
France et ADEFDROMIL c/ France).

Les affaires Matelly c. France et ADEFDROMIL c. France concernent l’interdiction des syndicats au sein de l’armée
française.

La Cour européenne rappelle tout d’abord que si les dispositions de l’article 11 n’excluent aucune profession ou
fonction de son domaine, le § 2 prévoit que des « restrictions légitimes » peuvent être apportées par les États
membres aux forces armées. Néanmoins, pour être conformes à la Convention, ces restrictions doivent se limiter
à l’« exercice » des droits en question, sans porter atteinte à l’essence même du droit de s’organiser. La Cour
s’attache donc à vérifier, de manière classique que celles-ci ont une base légale, poursuivent un but légitime et
sont proportionnées.

Les deux premières conditions ne posaient pas de difficultés en l’espèce. L’ingérence était bien prévue par la loi,
puisque le Code de la défense distingue précisément l’adhésion à de simples associations, permise, et l’adhésion
à des groupements professionnels, interdite. Cette interdiction poursuit un but légitime de préservation de
l’ordre et de la discipline nécessaire aux forces armées (dont la gendarmerie fait partie).

Si la Cour reconnaît que la spécificité des missions de l’armée exige une adaptation de l’activité syndicale et
autorise des restrictions, mêmes significatives, celle-ci ne doit pas priver les militaires du droit général
d’association pour la défense de leurs intérêts professionnels et moraux.

La Cour conclut que, si l’exercice de la liberté d’association des militaires peut faire l’objet de restrictions
légitimes, l’interdiction pure et simple de constituer un syndicat ou d’y adhérer porte à l’essence même de cette
liberté, une atteinte prohibée par la Convention.

254
Une interdiction absolue de fonder des syndicats appliquée aux fonctionnaires n’est donc pas compatible avec
l’article11 (CEDH, Tüm Haber Sen et Çınar c. Turquie, §36 et §40 ; Demir et Baykara c.Turquie, § 120).

De même, si le principe de la liberté syndicale peut être compatible avec l’interdiction du droit de grève de
certaines catégories de fonctionnaires, cette restriction ne peut s’étendre aux fonctionnaires en général ou aux
travailleurs publics des entreprises commerciales ou industrielles de l’État (CEDH, Enerji Yapı-Yol Senc.Turquie,
§32 ; Junta Rectora Del Ertzainen Nazional Elkartasuna (ER.N.E.) c. Espagne, § 33).

Pour se conformer à la jurisprudence européenne, l’article L. 4121-4 du Code de la défense a été modifié par la
loi n°2015-917 du 28 juillet 2015 afin de reconnaître aux militaires la liberté de « créer une association
professionnelle nationale de militaires régie par le chapitre VI du présent titre, y adhérer et y exercer des
responsabilités. ».

À noter tout de même que la spécificité des missions incombant aux forces armées, récemment réaffirmée par
le Conseil constitutionnel (Cons. const., 28 nov. 2014, no 2014-432 QPC), justifie les restrictions apportées aux
modes d’action et d’expression de ces associations et des militaires qui y adhérent. Elles concernent entre autres
le droit de grève, de manifestation ou de retrait, ainsi que les actions qui seraient menées par des militaires
engagés dans des opérations, notamment extérieures.

S’agissant des policiers, compte tenu de leur rôle primordial qui consiste à assurer l’ordre et la sécurité sur le
territoire national et à combattre le crime, les devoirs et responsabilités inhérents à leur poste et à leur fonction
justifient l’adoption de modalités particulières pour l’exercice de leurs droits syndicaux. Il est légitime d’imposer
aux policiers de faire preuve d’impartialité lorsqu’ils expriment leur opinion en public, afin qu’ils conservent leur
fiabilité et la confiance du public. Les sanctions imposées à des adhérents à un syndicat aux fins d’atteindre ce
but répond à un « besoin social impérieux » (CEDH, Syndicat de police de la République slovaque et autres c.
Slovaquie, §§67-70).

2. L’aménagement au droit de grève

En premier lieu, le droit de grève n'est pas absolu. La grève elle-même peut être jugée abusive ou illicite.

La grève est notamment considérée illicite si elle ne porte aucune revendication professionnelle, et en particulier
si elle porte exclusivement des revendications politiques. Concernant une grève aux revendications mixtes
(professionnelles et politiques), la Chambre sociale de la Cour de cassation, selon son arrêt du 10 mars 1961,
considère qu'elle est licite seulement si les revendications politiques sont accessoires ; de son côté, la Chambre
criminelle considère qu'elle est licite si elle contient, notamment, des revendications précises de nature
professionnelle ou sociale (arrêt du 23 octobre 1969). Par un arrêt du 15 février 2006, la Chambre sociale de la
Cour de cassation a considéréque le soutien d'un mot d'ordre national visant la défense des retraites était bien
une revendicationà caractère professionnel, et donc licite (pourvoi 04-45738 du 15 février 2006).

La grève du 24 avril 1961, faisant suite au putsch des généraux et à l'appel du président de la République Charles
de Gaulle, soutenu par les organisations syndicales et ouvrières, a néanmoins faitexception : dans son arrêt du
19 juin 1963, la Cour de cassation n’évoque pas le terme de « grève », mais un « arrêt général de travail organisé
par toutes les organisations syndicales en réponse à un appel du chef de l’État pour protester contre le
mouvement insurrectionnel d’Alger » ; elle considère que le mouvement auquel avait participé le salarié incriminé
correspondait, dans ces conditions, « à un sentiment élevé du devoir », et qu'il ne pouvait donc être sanctionné.

En deuxième lieu, le Conseil d’État a rapidement suppléé à la carence du législateur. En l’absence de la


réglementation du droit de grève annoncée par le Préambule de la Constitution de 1946, ilappartient, pour le
Conseil d’État, au gouvernement, responsable du bon fonctionnement des services publics, de fixer lui-même,
sous le contrôle du juge, en ce qui concerne ces services, la nature et l’étendue desdites limitations (CE, ass.,
7 juill. 1950, Dehaene, n° 01645).

255
Surtout, l’exercice du droit de grève est limité sinon interdit pour certains agents de l’État français. Ainsi, les
personnels de police, des compagnies républicaines de sécurité (CRS) et des administrations pénitentiaires
(gardiens de prison et agents du service pénitentiaire d’insertion et de probation), ceux des transmissions
du ministère de l’Intérieur, les soldats et gendarmes et les magistrats judiciaires sont privés du droit de faire
grève en raison des statuts spéciaux auxquels ils sont soumis, conformément à une loi de 1983.

C’est en contrepartie de cette interdiction qu’est créée en 1958, par un décret ministériel, la prime ISSP
(indemnité de sujétions spéciales de police), également appelée prime de risque, versée mensuellement aux
personnels de police et de gendarmerie ; elle correspond à 26 % du traitement mensuel brut et varie donc selon
le grade des agents.

S’agissant des policiers, c’est une loi de 1948 qui précise cette interdiction : en « raison du caractère particulier
de leurs fonctions et des responsabilités exceptionnelles qu’ils assument, […] toute cessation concertée du
service, tout acte collectif d’indiscipline caractérisée pourra être sanctionné en dehors des garanties
disciplinaires ».

Les fonctionnaires de police ont toutefois le droit de manifester sur la voie publique, comme l’ont rappelé les
magistrats dans une décision du tribunal administratif de Montpellier en 2001. Ils doivent cependant l’exercer
en dehors de leur service et veiller à ne pas outrepasser les limites de leur liberté d’expression, établie sur le
respect du secret professionnel et la loyauté à l’égard des institutions de la République.

Enfin, le Conseil constitutionnel a validé le délai maximal de 13 jours avant le déclenchement d’une grève,
compte tenu de l’obligation d’une négociation préalable. Il a relevé qu’il s’agissait de laisser du temps pour une
négociation effective d’une part, et en cas d’échec, pour que l’autoritéadministrative s’organise d’autre part
(Cons. const., 16 août 2007, n° 2007-556 DC, cons. 11 ; Cons. const., 7 août 2008, n° 2008-569 DC, cons. 9). Plus
délicate était sans doute l’obligation de déclaration préalable à l’employeur.

On a craint en effet qu’elle n’ouvre la porte à des pressions sur les futurs grévistes. Le Conseil l’a cependant
validée en relevant qu’elle ne concerne pas l’ensemble des personnels et que les sanctions qui peuvent
accompagner sa méconnaissance n’ont pas d’incidence sur le caractère licite de la grève (Cons. const., 16 août
2007, n° 2007-556 DC, cons. 29 ; Cons. const., 15 mars 2012, n° 2012-650 DC, Loi relative à l’organisation du
service et à l’information des passagers dans les entreprises de transport aérien de passagers, cons. 7 et 9).

Il a souligné que cette obligation de déclaration préalable « ne s’oppose pas à ce qu’un salarié rejoigne un
mouvement de grève déjà engagé et auquel il n’avait pas initialement l’intention de participer, ou auquel il aurait
cessé de participer, dès lors qu’il en informe son employeur au plus tard 48 heures à l’avance » (Cons. const.,
16 août 2007, n° 2007-556 DC, cons. 29 ; Cons. const., 15 mars 2012, n° 2012-650 DC, cons. 9).

Sans constituer formellement une réserve, cette précision importait car elle indique l’interprétation de la loi la
plus respectueuse de la liberté de choix du travailleur. En application de la loi de 2007, la RATP avait adopté un
texte ayant au contraire pour effet d’obliger ses employés à choisir de se joindre ou non à un mouvement dès
son commencement ; le Conseil d’État l’a donc annulé (CE, 19 mai 2008, Syndicat Sud-RATP, publié).

La commission des affaires sociales du Sénat a adopté le 29 janvier 2020 la proposition de loi composée de 8
articles du sénateur LR Bruno Retailleau visant à garantir la continuité du service public des transports en cas de
grève. Toutefois la commission des affaires sociales a réécrit l’article3 en confiant aux autorités organisatrices
de transport, la responsabilité de définir le niveau minimal de service permettant de couvrir les besoins
essentiels de la population. Après un délai de carence de trois jours, l’entreprise de transport pourra requérir
des travailleurs grévistes pour assurer ce niveau minimal.

Le texte de la commission a aussi introduit des dispositions pour limiter ce qu’elle considère être « des abus
du droit de grève » ou des « grèves surprises ». Un amendement prévoit de rendre caducs au bout de 5 jours, les
préavis de grève s’ils ne sont suivis par aucun salarié.

Enfin le texte prévoit plusieurs modalités pour faciliter le remboursement des usagers pénalisés parla grève,
comme le remboursement automatique dans les 7 jours pour les usagers qui ont pris leur billet par voie
dématérialisée.
256
THÈME 2 : L’ INTÉGRITÉ DES POPULATIONS

FICHE N°28 : LE DROIT À UN ENVIRONNEMENT SAIN

Résumé :

La protection du droit à un environnement sain doit s’effectuer dans le cadre de la Constitution, des textes
internationaux, européens et législatifs. Toutes ces normes s’articulent entre elles afin de construire un droit
fondamental effectif, de nouvelle génération, au sommet duquel se trouve la Charte de l’environnement. Le droit
à un environnement sain et plus généralement le droit de l’environnement est un droit ambitieux, en pleine
construction.

Notions abordées dans la fiche :

- Consécration d’un droit à l’environnement


- Développement durable
- Droit à un environnement sain, droit à la santé
- Charte de l’environnement du 4 mars 2005
- Action en responsabilité pour dommage écologique
- Ordre public écologique.

257
FOCUS : L’affaire du siècle

Par son jugement du 3 février 2021, le tribunal administratif de Paris reconnaît la carence partielle de l'État à
respecter les objectifs qu'il s'est fixés en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre, mais il
écarte les conclusions des associations requérantes tendant à la réparation pécuniaire de ce préjudice.

Les quatre mêmes associations intervenantes dans l'affaire Grande-Synthe (CE 19 nov. 2020, n° 427301) sont
également à l'origine d'un recours visant, de façon assez large, à enjoindre aux autorités compétentes de
mettre un terme à l'ensemble des manquements de l'État à ses obligations en matière de lutte contre le
changement climatique.

Le TA de Paris reconnaît l'existence du préjudice écologique en s'appuyant sur les travaux du Groupe d'experts
intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) : l'augmentation constante de la température globale
moyenne de la Terre est due principalement aux émissions de gaz à effet de serre d'origine anthropique ; une
limitation de ce réchauffement nécessite de réduire, d'ici à 2030, les émissions de gaz à effet de serre de 45
% par rapport à 2010 et d'atteindre la neutralité carbone au plus tard en 2050. L'Etat français, qui a reconnu
l'existence d'une « urgence » à lutter contre le dérèglement climatique et sa capacité à agir effectivement sur
ce phénomène, « a choisi de souscrire à des engagements internationaux et, à l'échelle nationale, d'exercer
son pouvoir de réglementation, notamment en menant une politique publique de réduction des émissions de
gaz à effet de serre émis depuis le territoire national, par laquelle il s'est engagé à atteindre, à des échéances
précises et successives, un certain nombre d'objectifs dans ce domaine ».

L'Etat doit être regardé comme responsable d'une partie de ce préjudice car les objectifs qu'il s'est fixés en
matière d'amélioration de l'efficacité énergétique « n'ont pas été respectés et cette carence a contribué à ce
que l'objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre [...] ne soit pas atteint ». La circonstance que
l'Etat pourrait atteindre les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre de 40 % en 2030 par
rapport à leur niveau de 1990 et de neutralité carbone à l'horizon 2050 « n'est pas de nature à l'exonérer de
sa responsabilité dès lors que le non-respect de la trajectoire qu'il s'est fixée pour atteindre ces objectifs
engendre des émissions supplémentaires de gaz à effet de serre, qui se cumuleront avec les précédentes et
produiront des effets pendant toute la durée de vie de ces gaz dans l'atmosphère, soit environ 100 ans,
aggravant ainsi le préjudice écologique invoqué ».

Le jugement rappelle, aux termes de l'article 1249 du code civil, que la réparation du préjudice écologique,
qui est un préjudice non personnel, s'effectue par priorité en nature et « que ce n'est qu'en cas d'impossibilité
ou d'insuffisance des mesures de réparation que le juge condamne la personne responsable à verser des
dommages et intérêts au demandeur, ceux-ci étant affectés à la réparation de l'environnement ». Or, pour le
tribunal, les associations requérantes ne démontrent pas que l'Etat serait dans l'impossibilité de réparer en
nature le préjudice écologique dont le présent jugement le reconnaît responsable. Il rejette la demande de
versement d'un euro symbolique en réparation du préjudice écologique, « sans lien avec l'importance de celui-
ci ».

En revanche, les associations requérantes sont bien fondées à demander la réparation en nature du préjudice
écologique causé par le non-respect des objectifs fixés par la France en matière de réduction des émissions
de gaz à effet de serre. Toutefois, l'état de l'instruction ne permet pas au TA de déterminer avec précision les
mesures qui doivent être ordonnées à l'Etat à cette fin. En conséquence, il est ordonné, avant-dire droit, « un
supplément d'instruction afin de communiquer à l'ensemble des parties les observations non communiquées
des ministres compétents, qui avaient été sollicitées par le tribunal le 29 octobre 2020 dans le délai d'un mois,
et n'ont été transmises à celui-ci que le 8 janvier 2021. Il y a lieu de fixer pour ce faire un délai de deux mois à
compter de la notification du présent jugement ».

Enfin, le tribunal a estimé que les carences fautives de l'État dans le respect de ses engagements en matière
de lutte contre le réchauffement climatique portaient atteinte aux intérêts collectifs défendus par chacune
des associations requérantes. L'État devra verser à chacune la somme d'un euro en réparation de leur
préjudice moral.

258
Selon la résolution A/RES/45/94 de l'Assemblée générale des Nations Unies, chacun a le droit de vivre dans un
environnement propre à assurer sa santé et son bien-être.

Aussi, s’interroger sur le droit à un environnement sain revient à s’interroger sur les limites posées par les
différents dispositifs constitutionnels, internationaux, européens, législatifs et juridictionnels pour ériger ce
nouveau droit fondamental en droit effectif.

I. LA LENTE ÉMERGENCE D’UN DROIT DE L’ENVIRONNEMENT


C’est à partir des années 1970 que l’environnement occupe une place de plus en plus centrale dansles relations
tant entre les citoyens qu’entre les États.

Cette consécration progressive de l’environnement au niveau national (B) a fortement été inspirée des
principes issus du droit international et européen (A).

A. L’émergence internationale et européenne progressive d’un droit de


l’environnement

1. Au niveau international

C’est au cours des années 1970 que la préoccupation environnementale apparaît au sein de la communauté
internationale.

À cette époque, et dans pratiquement tous les pays du monde, lorsque la Constitution a été révisée ou
remplacée, a été éprouvé le besoin d'y insérer le droit à l'environnement, comme nouveau droit de l’homme.

La plus célèbre déclaration consacrant un droit de l’homme à l’environnement est la Déclaration adoptée à la
suite de la conférence des Nations-Unies sur l’environnement qui s’est tenue à Stockholm en 1972.

Il s’agit du premier acte international de mobilisation sur les questions de développement et


d’environnement.

Elle érige en son article 1 le principe selon lequel « la liberté est un droit fondamental pour l’homme, l’égalité et
des conditions de vie satisfaisantes, dans un environnement dont la qualité lui permette de vivre dans la dignité
et le bien-être. Il a le devoir de protéger et d’améliorer l’environnement pour les générations présentes et futures
».

Afin de poursuivre l’approfondissement du droit à l’environnement, diverses instances internationales se sont


dotées de chartes ou protocoles, comme la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples adoptée à
Nairobi, le 28 juin 1981, qui proclame en son article 24 : « Tous les peuples ont droit à un environnement
satisfaisant et global, propice à leur développement. ».

De même, le Protocole de San Salvador du 17 novembre 1988, additionnel à la Convention américaine relative
aux droits de l'homme en fait un droit individuel en son article 11-1 : « Toute personne a le droit de vivre dans un
environnement salubre ».

Quant à la Déclaration de Rio en date du 3-14 juin 1992, elle rappelle au sein de l’ONU que les êtres humains «
ont droit à une vie saine et productive en harmonie avec la nature ».

Par ailleurs, et de plus en plus conscients de la nécessité de protéger l’environnement, par la réduction des gaz
à effet de serre, les États ont adopté en 1992 la Convention-cadre des Nations Unies sur les Changements
climatiques (CCNUCC), qui a été ratifiée par la France en 1994, où l’engagement de « stabiliser, (…), les
concentrations de gaz à effet de serre dans l’atmosphère à un niveau qui empêche toute perturbation
anthropique dangereuse du système climatique. » a été pris.

259
Le Protocole de Kyoto de 1997 qui est entré en vigueur le 16 février 2005 a défini les premiers objectifs chiffrés
en matière de gaz à effet de serre.

Enfin, l’Accord de Paris du 12 décembre 2015, ratifié par la France et entré en vigueur le 4 novembre 2016, s’est
concentré sur l’objectif de contenir : « l’élévation de la température moyenne de la planète nettement en
dessous de 2°C par rapport aux niveaux préindustriels » et ainsi contenir le changement climatique.

2. Au niveau du Conseil de l’Europe

Si la Conférence européenne sur la conservation de la nature organisée à Strasbourg en 1970 par le Conseil de
l'Europe a proposé l'élaboration d'un protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme
garantissant à chacun le droit de jouir d'un environnement sain et non dégradé, aucun acte normatif ou
déclaration n’a été ajouté au corpus du Conseil de l’Europe.

Ainsi, c’est la Cour européenne des droits de l’homme qui a construit de manière prétorienne le droit à
l’environnement s’appuyant pour cela notamment sur les articles 2 et 8 de la CESDH.

3. Au niveau de l’Union européenne

Il sera indiqué qu’à la conclusion des traités instaurant la Communauté européenne, la protection de
l’environnement ne figurait pas encore parmi les objectifs des traités.

Ce n’est que tardivement que l’Union européenne a inclus spécifiquement à l’article 37 de la Charte des droits
fondamentaux de l’Union européenne du 7 décembre 2000 une référence à la protectionde l’environnement
dans le cadre des objectifs de développement durable.

En outre, l’article 191 du TFUE indique que :


« La politique de l'Union dans le domaine de l'environnement contribue à la poursuite des objectifssuivants :
- La préservation, la protection et l'amélioration de la qualité de l'environnement,
- La protection de la santé des personnes,
- L’utilisation prudente et rationnelle des ressources naturelles,
- La promotion, sur le plan international, de mesures destinées à faire face aux problèmesrégionaux ou
planétaires de l'environnement, et en particulier la lutte contre le changement climatique. »

B. La création d’un droit à l’environnement national

La reconnaissance d'un droit objectif à l'environnement au même niveau qu'une liberté fondamentale a été
suggérée dès le 11 mai 1970 par le rapport L. Armand. Ce dernier indiquant que « L'heure est peut-être venue
d'établir une déclaration des droits de l'homme à un bon environnement. Un pays doit, en tout cas, poser à
certains moments de son histoire les principes généraux qui doivent guider son action. »

Aussi, dès 1968, le Conseil d’État a pris en compte des éléments relatifs à l'environnement pour apprécier la
légalité d'une expropriation (CE, 15 mars 1968, Commune de Cassis, Rec., p. 189).

Au travers de l’article 1er de la loi du 7 janvier 1983 est consacré dans la loi, le principe de la protection
de l’environnement et l’amélioration du cadre de vie.

D’ailleurs, de la protection de l’environnement, le Conseil d’État crée un véritable ordre public écologique en
admettant qu'une mesure de police municipale soit prise en raison des menaces résultant de la pollution des
eaux (CE, 28 nov. 1980, Commune d'Ardres, Rec., p. 449), mais également en matière de nuisances sonores et
de la qualité de l'air (CE, 21 juin 1999, commune de la Courneuve, Rec.p.208).

260
Si différentes lois sont venues édifier le droit à l’environnement depuis les années 1970, la reconnaissance de ce
droit fondamental est pleinement intervenue lors de l’inscription au préambule de la Constitution du 4 octobre
1958 « des droits et devoirs tels que définis dans la Charte de l’environnement de 2004 » à la suite de la loi
constitutionnelle n°2005-204 du 1er mars 2005.

En définitive, le droit européen comme le droit interne imposent aux autorités publiques d’adopter les mesures
nécessaires et adéquates pour protéger les droits des individus en garantissant la protection de l’environnement
et de la santé humaine.

Le respect de cette obligation suppose, notamment, la mise en place d’un cadre législatif et réglementaire
contraignant ainsi que des mesures effectives, permettant de prévenir efficacement la réalisation des risques
d’atteintes à l’environnement et à la santé humaine.

II. LA RECONNAISSANCE DU DROIT À UN ENVIRONNEMENT SAIN COMME DROIT


FONDAMENTAL
Cette reconnaissance est intervenue tant au niveau européen (A) qu’au niveau national (B),permettant de
protéger efficacement à la fois la santé des êtres humains et l’environnement.

A. La reconnaissance européenne du droit de vivre dans un environnement sain


Le droit de l’environnement et tout particulièrement le droit de vivre dans un environnement sain a été consacré
de manière prétorienne par la Cour européenne des droits de l’homme et la Cour de justice des Communautés
européennes, permettant d’ériger le droit à l’environnement en droit fondamental.

À cet égard, la Cour a souligné que la jouissance effective des droits compris dans la Convention dépend
notamment d’un environnement de qualité, calme et sain, propre à assurer le bien-être.

Aussi, si la Convention européenne des droits de l’homme de 1948 ne protège pas expressément le droit à
l’environnement, c’est sur le fondement de l’article article 2§1 en vertu duquel « le droit de toute personne à la
vie est protégé par la loi. » que la Cour européenne des droits de l’homme a créé une jurisprudence astreignant
les États à « prendre les mesures nécessaires à la protection de la vie des personnes relevant de [leur] juridiction
» (Cour EDH, 9 juin 1998, L.C.B. c. Royaume-Uni, aff. n° 23413/94, § 36 ; Paul et Andrew Edwards c. Royaume-
Uni, Cour EDH, arrêt du 14 mars 2002, § 54) et que cette obligation a été étendue aux risques environnementaux
(Cour EDH, 30 novembre 2004, Öneryıldız c. Turquie, aff. n° 48939/99, § 89 et suiv.), ainsi que pour « toute activité,
publique ou non, susceptible de mettre en jeu le droit à la vie »(Cour EDH, 20 mars 2008, Boudaïeva c. Russie, aff.
n° 15339/02, 21166/02, 20058/02, 11673/02 et 15343/02)

Par ailleurs, sur le fondement de l’article 8§1 de la CEDH (Droit à la vie privée), la Cour a jugé que les États ont
l’obligation positive de prendre toutes les mesures raisonnables et adéquates pour protéger les droits des
individus lorsque sont en cause des atteintes à l’environnement, dès lors que « des atteintes graves à
l’environnement peuvent affecter le bien-être d’une personne et la priver dela jouissance de son domicile de
manière à nuire à sa vie privée et familiale, sans pour autant mettre en grave danger la santé de l’intéressée »
(Cour EDH, 9 décembre 1994, López Ostra c. Espagne, aff.n° 16798/90, § 51).

En ce sens, elle considère que : « L’article 8 peut donc trouver à s’appliquer dans les affairesd’environnement,
que la pollution soit directement causée par l’État ou que la responsabilité de ce dernier découle de l’absence
d’une réglementation adéquate de l’activité du secteur privé. Si l’article 8 a essentiellement pour objet de
prémunir l’individu contre des ingérences arbitraires des pouvoirs publics, il ne se contente pas d’astreindre l’État
à s’abstenir de pareilles ingérences. [...] ».

L’obligation positive de prendre toutes les mesures raisonnables et adéquates pour protéger les droits que les
requérants puisent dans le paragraphe 1 de l’article 8 implique, avant tout, pour les États, le devoir primordial
de mettre en place un cadre législatif et administratif visant à une prévention efficace des dommages à
l’environnement et à la santé humaine » (Budayeva c. Russie, nos 15339/02, 21166/02, 20058/02, 11673/02 et
15343/02, §§ 129-132, 20 mars 2008).
261
Quant à la Cour de Justice, elle affirme classiquement que la protection de l’environnement constitue l’un « des
objectifs essentiels de la Communauté » et la qualifie « d’intérêt général » (CJCE n°C- 240/83 Procureur de la
République c. ABDHU du 7 février 1985).

B. La reconnaissance du droit de vivre dans un environnement sain en droit français


Bien avant l’entrée en vigueur de la Charte de l’environnement du 4 mars 2005, le législateur français a souhaité
protéger le droit de vivre dans un environnement sain en offrant le cadre juridique le plus large possible en
regroupant, notamment, la réduction des émissions de gaz à effet de serre, la lutte contre la pollution, la
protection de la qualité de l’eau et de l’air, mais également en promouvant le respect de la biodiversité.

Le législateur rattache à cet égard le droit de vivre dans un environnement sain à la notion d’intérêt général,
quand le Conseil d’État juge classiquement que « la protection de la nature est l'un des aspects de la protection
de la salubrité publique », (CE, 13 janv. 1988, Synd. nat. de la production autonome d'électricité, RJE, 1988.3, p.
346).

Le législateur a par ailleurs progressivement mis en place un large arsenal législatif, dans la perspective selon
laquelle « Les lois et règlements organisent le droit de chacun à un environnement sain » (article L110-2 du Code
de l’environnement) en y incluant également les espèces animales et végétales et ce afin de créer un ordre public
écologique.

Afin de remplir ces objectifs ambitieux, a notamment été mise en place une hiérarchie dans le traitement des
déchets, privilégiant les traitements responsables et durables desdits déchets dans la loi Grenelle II du 12 juillet
2010.

La transposition des directives 2004/107 et 2008/50/CE a permis de définir les normes sanitaires à respecter
ainsi que d’imposer la surveillance de la qualité de l’air.

De surcroît et dans une perspective de développement du droit à un environnement sain, est inclus dans notre
corpus juridique l’obligation d’organiser une information relative à l’environnement, notamment en matière de
qualité de l’air, ainsi que de ses effets sur la santé et sur l’environnement (articles L124-4 et L221-6 du Code de
l’environnement).

En outre, pour que le droit de vivre dans un environnement sain trouve une application concrète, de nombreux
règlements et directives de l’Union européenne sont également fréquemment invoqués devant le juge
administratif, qui vérifie la conformité des actes administratifs avec les directives et notamment la directive
92/43/CEE du 21 mai 1992 dite « Habitats » qui concerne la conservation deshabitats naturels ainsi que de la
faune et de la flore sauvages (Conseil d’État, 9 mai 2006, Fédération transpyrénéenne des éleveurs de
montagne et autres, n° 292398) afin de vérifier s’ils sont conformes au droit de vivre dans un environnement
sain.

Enfin, les juges constitutionnel et administratif rendent opposable le droit de vivre dans un environnement sain
et équilibré, conformément à l’article 1er de la Charte (CC décision n° 2011-116 QPC du 8 avril 2011, M. Michel
Z. et autre - Troubles du voisinage et environnement ; CE Ordonnance du 11 mai 2007, Association
Interdépartementale et intercommunale pour la protection du lac de Sainte-Croix, sites et villages du Verdon,
req. N°305427 ; CE, 26 février 2014, Association Ban Asbestos France et autres, n° 351514).

III. LA PORTÉE DE LA CHARTE DE L’ENVIRONNEMENT


Si la Charte de l’environnement a créé une nouvelle génération de droits et libertés fondamentaux à l’ambition
affichée (A), elle ne doit toutefois pas masquer le fait que son application directe a, malheureusement, une
portée limitée (B).

262
A. La création d’une nouvelle génération de droits et libertés fondamentaux…
Qualifiée par la Doctrine de droit de troisième génération, la Charte de l’environnement de 2005 renvoie à des
considérations scientifiques sur le lien entre l’humanité et son environnement, tel que le « patrimoine commun
» des êtres humains que sont l’environnement, les générations futures, l’écosystème ou la biodiversité.

En la plaçant au même niveau que les droits de l’homme et du citoyen de 1789 et que les droits économiques et
sociaux du préambule de 1946, la Charte réaffirme sa vocation à l’universalité, en apportant une dimension
nouvelle et autonome à la protection de l’environnement comme protection des droits fondamentaux, même si
une simple référence aurait pu être intégrée dans la Constitution comme c’est le cas dans la plupart des
constitutions européennes.
Ces considérants conduisent ensuite de manière plus concrète à la proclamation des droits et des devoirs, mais
également à une dimension plus universelle et collective, avec la volonté de travailler ensemble pour le bien-
être de chacun.

De fait, l’entrée en vigueur de la Charte le 4 mars 2005, présente pour le juge constitutionnel et le juge
administratif un formidable vivier jurisprudentiel permettant de protéger l’environnement comme droit
fondamental.

D’ailleurs, si initialement, la valeur juridique de la Charte était incertaine (Décision n°2005-516 DC du 28 avril
2005 « Loi relative à la création du registre international français »), le Conseil Constitutionnel, par une décision
du 19 juin 2008 lors de l’examen de la loi relative aux organismes génétiquement modifiés, a affirmé la pleine
valeur constitutionnelle de la Charte de l’environnement (Cons. const., 19 juin 2008, décision n° 2008-564 DC.).

Quant à la jurisprudence administrative, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne, dans son


ordonnance rendue le 29 avril 2005, a reconnu, deux mois seulement après son entrée en vigueur, que le droit
de l'homme à l'environnement défini à l'article 1er de la Charte était une liberté fondamentale au sens des
dispositions de l'article L521-2 du Code de justice administrative et était donc susceptible d'être invoqué dans le
cadre d'un référé liberté.

Par conséquent, les conséquences juridiques attachées à la Charte permettent d’envisager un contrôle de
l’environnementalité des lois par le Conseil Constitutionnel, de la compétence du juge judiciaire pour les atteintes
à l’environnement constitutives de voie de fait, de la compétence du juge administratif au titre des mesures
d’urgence du référé liberté et d’une action en responsabilité facilitée pour dommage écologique.

Ces différents dispositifs permettront ainsi de renforcer l’effectivité de la Charte dans notre corpus
hiérarchique.

B. …à la portée effective limitée


Pourtant, alors même que la Charte est inscrite au préambule de la Constitution du 4 octobre 1958, qu’elle fait
partie du bloc constitutionnel, qu’elle porte en elle l’approfondissement de la prise en compte de
l’environnement au titre des exigences d’intérêt général, et qu’elle dispose de différents dispositifs pour être
parfaitement effective, force est de constater qu’elle a malheureusement une portée limitée.

En effet, tout d’abord, il convient de rappeler qu’en matière de ratification des accords internationaux, les
dispositions de l’article 54 de la Constitution imposent au Président de la République de modifier la constitution
lorsque ledit traité est contraire aux dispositions de cette dernière.

Aussi, si tout traité international ou européen comporte une disposition contraire à la Charte -qui faitpourtant
partie intégrante du bloc de constitutionnalité- et que l’État veut poursuivre la ratification dudit traité, une
modification de la constitution devra intervenir, reléguant ainsi la Charte au second plan, qui s’écarte face à
d’autres intérêts jugés plus stratégiques.

263
Par ailleurs, afin de laisser le législateur libre des modalités à mettre en œuvre pour respecter les dispositions de
la Charte, le juge constitutionnel renvoie au législateur le soin de définir les conditions dans lesquelles une action
en responsabilité peut être engagée contre le pollueur sur le fondement de la violation de cette obligation de
vigilance environnementale (CC décision n° 2011- 116 QPC du 8 avril 2011, M. Michel Z. et autre - Troubles du
voisinage et environnement).

Quant au Conseil d’État, ce dernier souligne clairement que la légalité des décisions administratives s'apprécie
par rapport aux dispositions législatives prises pour assurer la mise en œuvre des principes énoncés aux articles
de la Charte « sous réserve, s'agissant de dispositions législatives antérieures à l'entrée en vigueur de la Charte
de l'Environnement, qu'elles ne soient pas incompatibles avec les exigences qui découlent de cette Charte ». (CE
19 juin 2006 "Association Eau et rivières de Bretagne" Req. n°282456 et dans celle en date du 26 octobre 2007
"Mr Serge F. et autres " Req. n°299883)

Par conséquent, si l’applicabilité directe des articles 1 à 4 de la Charte ne fait plus débat tant pour le juge
constitutionnel que le juge administratif, force est de constater que l’importante marge de manœuvre laissée au
législateur ou aux pouvoirs publics dans l’interprétation des normes à la lueur de la Charte ne peut qu’en
relativiser sa portée.

264
FICHE N°29 : LE DROIT DES MINORITÉS

Résumé :

Les protections des minorités et des peuples autochtones s’articulent autour du principe de non- discrimination.
La tradition juridique française donnant une importance particulière au principe d’égalité, il convient de se
tourner vers le droit international pour comprendre les enjeux de protection des minorités.

Notions abordées dans la fiche :

- Principe de non-discrimination
- Titularité des droits
- Droits collectifs et individuels
- Droit de propriétés collectifs
- Libre disposition des ressources naturelles
- Droit à la participation
- Auto-identification
- Droit à l’auto-détermination

265
I. LE DROIT DES MINORITÉS NATIONALES, ETHNIQUES, RELIGIEUSES ET
LINGUISTIQUES
La minorité peut être définie comme un groupe de personnes, en position non dominante, ressortissantes d’un
État au sein duquel elles se distinguent de la majorité de la population par des caractéristiques propres, qu’elles
entendent préserver en tant que communauté. Les minorités sont définies plus précisément par rapport à leurs
caractéristiques identitaire (nationalité, ethnie, couleur,race, sexe, langue, religion...).

Il n’existe pas de définition au niveau international qui permette de déterminer quels groupesconstituent des
minorités. Toute définition doit tenir compte à la fois de facteurs objectifs (existence d’une ethnicité, langue ou
religion commune) et de facteurs subjectifs (les individus concernés doivent s’identifier eux-mêmes comme
membres d’une minorité). La difficulté de parvenir à une définition est due à la diversité des situations que
connaissent les minorités.

A. La spécificité française

La Constitution adopte un principe de « cécité volontaire » : elle est aveugle à la « diversité » pour des raisons
substantielles et délibérées, tenant à la représentation politique unitaire et à la notion decitoyenneté.

La France unitaire et indivisible ignore le concept de minorité : elle s’interdit de prendre en compte l’existence
de minorités quelconques. Ce n’est pas pour autant que la République nierait l’existence de telles ou telles
minorités ou la diversité sociale : ce n’est pas un problème pour elle, parce qu’elle estime avoir résolu ce
problème en construisant un corps politique abstrait égalitaire.

Il en résulte par exemple, selon le Conseil constitutionnel, que « la mention faite par le législateur du "peuple
corse, composante du peuple français" est contraire à la Constitution, laquelle ne connaît que le peuple français,
composé de tous les citoyens français sans distinction d'origine, de race ou dereligion » (déc. 91-290 DC du 9 mai
1991, Statut de la Corse).

Le peuple français n’est pas une réalité sociale, et n’a jamais prétendu l’être : le peuple français est un concept
juridique ; il est une abstraction. Cette vision se veut essentiellement universaliste.

Notons sur ce point la décision du Conseil Constitutionnel du 15 juin 1999 sur la Charte européenne des langues
régionales ou minoritaires : la République interdit « que soient reconnus des droits collectifs à quelque groupe
que ce soit, défini par une communauté d’origine, de culture, de langue ou de croyance ».

B. La protection internationale des minorités organisée autour du principe de


non-discrimination
Le droit des minorités s’inscrit dans le droit international des droits de l’homme dans la mesure où tous les
grandes déclarations et textes de protection des droits consacrent le principe d’égalité ou du moins réservent
une place au principe de non-discrimination.

Ainsi en est-il de l’article 7 de la Déclaration universelle des droits de l’homme et des articles 26 et 27 du
Pacte relatif aux droits civils et politiques de 1966, lesquels posent le principe d’égale protection de la
loi et de non-discrimination. Par ailleurs, le Comité des droits de l’homme semble soutenir l’idée que
l’application des droits sans discrimination relèverait de la catégorie des droits intangibles.

Toutefois, même s’il existe un lien très étroit entre principe d’égalité et non-discrimination, il estévident
que le passage de l’un à l’autre témoigne d’un changement de perspective.

L’égalité repose sur un principe d’universalité et d’abstraction ; la non-discrimination reposedavantage sur


une analyse catégorielle et concrète.

266
Il s’agit de protéger de manière concrète et effective des groupes particuliers ou des individus entant qu’ils
appartiennent à ces groupes, sans nier toutefois les différences qui les distinguent et les caractérisent.

Le principe de non-discrimination exclut toute distinction, exclusion, restriction ou préférence qui a pour but ou
pour effet de détruire ou de compromettre la reconnaissance, la jouissance ou l’exercice, dans des conditions
d’égalité, de tous les droits de l’homme et de toutes les libertés fondamentales.

Une telle discrimination n’est pas nécessairement intentionnelle. L’expression « qui a pour but ou pour effet »
englobe toute loi ou politique dont le texte lui-même peut être neutre mais qui est interprétée d’une manière
qui aboutit à une discrimination. Le droit international des droits de l’homme interdit la discrimination directe
comme la discrimination indirecte.

La Convention relative à l’élimination de toutes formes de discrimination raciale de 1965 est entrée en vigueur
en 1969. Elle instaure un Comité pour l’élimination de la discrimination raciale chargé dela surveillance de
l’application du traité par les États parties.

La Convention condamne solennellement le colonialisme, la ségrégation et l’apartheid, ce dernier étant encore


en vigueur à l’époque en Afrique du Sud. De manière générale, la Convention s’adresse essentiellement aux États
en énonçant des obligations positives pesant sur eux.

Ensuite, le droit international a renforcé cette protection des minorités en promouvant les différences ethniques,
culturelles, religieuses ou linguistiques. Relevons dans cette dimension laDéclaration des Nations Unies des droits
des personnes appartenant à des minorités de 1992 et la Convention-cadre pour la protection des minorités
nationales, adoptée par le Conseil de l’Europe en 1994.

II. LES DROITS DES POPULATIONS AUTOCHTONES

A. Le principe de l’auto-identification des peuples autochtones

Dans ses travaux, l’ONU applique à l’égard des peuples et des minorités autochtones le principe de l’auto-
identification. Il s’agit pour l’individu, afin de faire valoir ses droits, de s’identifier à un « peuple
autochtone » et d’être reconnu par les autorités coutumières. Il s’agit également pour legroupe de s’identifier
comme un peuple autochtone ; c’est la « conscience de groupe » et la « conscience de l’autochtonie ».

La qualification d’un peuple autochtone est fondamentale en ce qu’elle déclenche l’arsenal normatif spécifique
à ces groupes. Néanmoins, ces groupes étaient initialement écartés des réalités de la production des normes de
droit international public, ils se sont montrés réticents à une définition figée (notamment celle de la première
convention de l’OIT relatives aux populations indigènes et tribales, la Convention 107, aujourd’hui remplacée par
la Convention 169).

Les peuples autochtones, en fonction de leur emplacement géographique et de leurs traditions, présentent des
caractéristiques différentes. Dès lors, la mise au point d’une définition universelle semble impossible. De plus,
cette qualification fait face aux réticences étatiques. C’est pourquoi la qualification de « peuples autochtones »
en droit international ne relève pas d’une qualification étatique. Le juge aura recours à un ensemble de critères
objectifs et subjectifs pour vérifier si un groupe de personnes répond aux caractéristiques d’un peuple
autochtone, pour, le cas échant, lui appliquer la protection spéciale.

La définition d’un « peuple autochtone » généralement admise en doctrine est celle du rapporteur spécial M.
Cobo mettant en exergue l’ensemble des critère objectifs et subjectifs, et soulignant principalement trois
dimensions à l’existence d’un peuple autochtone : politique ; juridique ; et linguistique :

« Des peuples et nations qui présentent une continuité historique avec les sociétés précédant la conquête et la
colonisation de leurs territoires, qui se considèrent comme distincts des autres secteurs de la société dominant
aujourd’hui ces territoires ou qui en sont partie.

267
Ils constituent aujourd’hui, des secteurs non dominants de la société et sont déterminés à préserver, développer
et transmettre aux générations futures leurs territoires ancestraux et leur identité ethnique, sur la base de leur
existence continue en tant que peuple, en accord avec leurs propres systèmes culturels, leurs systèmes légaux
et leurs institutions sociales ».

Notons que la Déclaration des droits des peuples autochtones de 2007 adoptée par l’Assemblée Générale
des Nations Unies ne contient aucune définition.

La qualification se fera donc au cas par cas, selon un ensemble de critères indicatifs. Ces critères sont objectifs
et subjectifs. Les critères pris en compte sont des critères ouverts ; l’idée est de ne pas figer les critères afin de
pouvoir s’adapter à la spécificité de chacune des situations.

Critères objectifs :
- L’implantation historique;
- L’occupation et l’utilisation d’un territoire spécifique ;
- L’accès à leur espace traditionnel et à ses ressources naturelles comme caractéristique de la survie de
leurs modes de vie ;
- La distinction culturelle par rapport au modèle dominant ;
- Le phénomène d’assujettissement, de marginalisation, de dépossession, d’exclusion ou de
discrimination.

Critères subjectifs :
- L’attachement spécial à la terre;
- Le maintien volontaire d’une culture distincte (langage, organisation social, religion, valeurs
spirituelles, modes de productions, normes et institutions) ;
- L’auto-identification comme collectivité distinctive, ainsi que la reconnaissance par d’autres groupes.

B. La protection internationale des populations autochtones : un attachement


spécial à la terre reconnu par le droit
Du fait même de leur existence, les groupes autochtones ont le droit de vivre librement sur leur territoire ; les
liens étroits des peuples autochtones avec la terre doivent être reconnus et compris comme constituant la base
de leurs cultures, de leur vie spirituelle, de leur intégrité et de leur survie économique. Concrètement,
l’empiétement sur les terres traditionnelles de peuples autochtones ou l’évacuation forcée de ces peuples de
leurs terres, en particulier aux fins d’exploitation des ressources naturelles est une violation de ce droit.

Le lien spécial à la terre peut prendre différentes formes ; la présence ou l’usage traditionnel de cette terre, le
développement de rites et tradition sur cette terre, l’utilisation de la terre et des ressources naturelles comme
moyen de subsistance et de perpétuation des us et coutumes.

Le rapport à la terre est protégé aux travers de différents droits :

- Droit à la participation : pour pouvoir assurer une protection de leurs intérêts, liés au territoire, les
peuples autochtones se voient reconnaître un droit de participation à la vie politique et aux décisions
touchant à leurs territoires.

- Droit à l’autodétermination : il s’agit du droit de chaque peuple de choisir librement la forme du


gouvernement qu'il désire. Appliqué aux peuples dépendants, il désigne leur droit de déterminer
librement et sans ingérence extérieure leur statut politique et de poursuivre leur développement
économique, social et culturel. Le droit à l’autodétermination implique la liberté de déterminer leur
développement économique, social et culturel, qui passe par l’utilisation et l’occupation de leurs terres
ancestrales. `
268
o Art. 1 commun au PIDESC et au PIDCP prévoit :
« 1. Tous les peuples ont le droit de disposer d’eux-mêmes. En vertu de ce droit, ils déterminent
librement leur statut politique et assurent librement leur développement économique, social et
culturel.
2. Pour atteindre leurs fins, tous les peuples peuvent disposer librement de leurs richesses et de leurs
ressources naturelles, sans préjudice des obligations qui découlent de la coopération économique
internationale, fondée sur le principe de l’intérêt mutuel, et du droit international. En aucun cas, un
peuple ne pourra être privé de ses propres moyens desubsistance. »
o Interprétation du Comité des droits de l’homme de l’article 27 du PIDCP (Observation
Générale 23): « l'un ou l'autre des droits consacrés dans cet article - par exemple, le
droit d'avoir sa propre vie culturelle -- peut consister en un mode de vie étroitement
associé au territoire et à l'utilisation de ses ressources. Cela peut être vrai en
particulier des membres de communautés autochtones constituant une minorité »

- Droit de propriété : le droit de propriété collectif diffère de la vision occidentale traditionnelle du droit
de propriété individuel. Ce droit de propriété collectif est reconnu au groupe. D’autres droits découlent
du droit de propriété collectif afin de le protéger ; c’est le cas du droit à la consultation, et du droit à la
juste indemnisation en cas de restriction portée au droit de propriété.

o Droit à la consultation : le droit de propriété est protégé par le droit à la consultation des
peuples autochtones sur toute décision affectant leur capacité de jouir de leur territoire. Cette
consultation devra être préalable, effectuée de bonne foi, appropriée, accessible, et éclairée
(notamment par l’obligation de fournir une étude d’impact environnemental et social) : « Le
droit à être consulté en vue d’obtenir leur consentement donné librement et en connaissance
de cause, avant l’approbation de tout projet ayant des incidences sur leurs terres ou territoires
et autres ressources, notamment en ce qui concerne la mise en valeur, l’utilisation ou
l’exploitation des ressources minérales, hydriques ou autres » (Assemblée Générale des Nations
Unies, Résolution 61/295, Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples
autochtones, 2007, art. 32)

o Droit à la juste indemnisation en cas de restriction portée au droit de propriété : parce que le
droit de propriété, même collectif, n’est pas un droit absolu, un État pourra porter atteinte à
ce droit mais devra alors respecter l’obligation d’information et d’indemnisation.

- Libre disposition des ressources naturelles : aspect économique du droit à l’autodétermination.


Reconnu à l’article 21 de la Charte Africaine, et à l’article 1 commun aux Pactes de l’ONU. Ce droit
équivaut à la souveraineté sur les ressources naturelles. Il implique la récupération des biens,
l’indemnisation adéquate en cas de spoliation et engage les États parties à éliminer toutes les formes
d’exploitation économique étrangère.

- Droit au développement : :« 1. Le droit au développement est un droit inaliénable de l'homme en vertu


duquel toute personne humaine et tous les peuples ont le droit de participer et de contribuer à un
développement économique, social, culturel et politique dans lequel tous les droits de l'homme et
toutes les libertés fondamentales puissent être pleinement réalisés, et de bénéficier de ce
développement. Le droit de l'homme au développement suppose aussi la pleine réalisation du droit des
peuples à disposer d'eux- mêmes, qui comprend, sous réserve des dispositions pertinentes des deux
Pactes internationaux relatifs aux droits de l'homme, l'exercice de leur droit inaliénable à la pleine
souveraineté sur toutes leurs richesses et leurs ressources naturelles. » (Déclaration sur le droit au
développement, adoptée par l’Assemblée Générale dans sa résolution 41/128 du 4 décembre 1986, Art.
1).

- Droits culturels : les spécificités culturelles des peuples autochtones étant liées à leursterritoires, la
protection du territoire des peuples autochtones est liée au respect de leurs droits culturels. Une
éviction de leurs terres par l’État ou une détérioration de leur environnement ou ressources naturelles
pourra entrainer violation de leurs droits culturels.

269
FOCUS : LA TITULARITÉ DES DROITS

Les droits individuels sont des droits inhérents à l'individualité d'une personne en tant qu'être ou entité libre et
autonome. Ils s'opposent alors aux droits collectifs qui sont intrinsèques au groupe auquel l'individu appartient.
De manière générale, les droits collectifs sous-tendent l'idée d'une acquisition ou extinction de certains droits
individuels. Les droits individuels sont généralement des droits civils et politiques, alors que les droits collectifs
sont d'ordre économique, social et culturel.

Ainsi, un droit de propriété peut être individuel ou collectif. La conception occidentale de la propriété se fonde
sur l’idée de titres de propriété individuels prévus par la loi. Les systèmes fonciers traditionnels, qui peuvent être
écrits ou non, reposent souvent sur la propriété collective. Les systèmes de droit écrit peuvent également choisir
de reconnaitre la propriété coutumière et de délivrer destitres de propriété collectifs ou de donner au chef
d’une communauté un titre individuel de propriété qu’il conserve par la suite au nom de la communauté.

Les droits de l’homme s’adressent d’abord et essentiellement à l’individu.

Mais un « groupe » peut-il être directement titulaire de droits ?

Le développement du droit penal international avec le crime de « génocide », punit le crime « commis dans
l’intention de détruire (...)un groupe national, racial, ethnique ou religieux » (Convention de 1948, article 2). Par
ailleurs, le droit international reconnaît le principe « des droits des peuples à disposer d’eux-mêmes ». Surtout,
commencent à se développer en doctrine les droits de troisième génération, dits « de solidarité », qui s’intéressent
aux groupes et aux minorités en tant que tels.

Devant le Comité des droits de l’homme de l’ONU, seuls des individus peuvent déposer une plainte (Comité des
droits de l’Homme, Jouni E. Länsman et al. v. Finland, 28 août 1995).

Devant la Cour européenne des droits de l’homme, ce sont les organisations non-gouvernementales et les individus
qui peuvent déposer une requête individuelle en application de l’article 34 de la Convention.

Dans le système africain de protection des droits de l’homme, la personnalité juridique et donc la qualité à agir est
reconnue aux peuples (African Court on Human and Peoples’ Rights, African Commission on Human and Peoples’
Rights v. Republic of Kenya (« Affaire du Peuple Ogiek »), 26 may 2017).

De la même manière, la Cour interaméricaine des droits de l’homme reconnaît des droits collectifs comme
appartenant à un groupe en tant que bénéficiaire, et exige des États qu’ils reconnaissent une personnalité juridique
aux peuples autochtones (CIADH Saramaka c. Suriname, 28 novembre 2007)

Pour une partie de la doctrine (par exemple, F. Sudre), en l’absence de définition claire et précise des « groupes »
ou des « collectivités », il semble préférable de rejeter la notion de « droits collectifs », les droits de l’homme
demeurant essentiellement et exclusivement des droits individuels.

Pour une autre partie de la doctrine internationaliste, il existe bien aujourd’hui des droits collectifs qui peuvent
être réclamés au nom du groupe ; c’est notamment le cas du droit de propriété collectif. Sur ce point, il est
intéressant de noter des différences d’approches substantielles entre la conception européenne et les conceptions
sud-américaines et africaines. Ainsi, la Cour européenne des droits de l’homme reconnaît des droits au groupe
mais dont l’exercice appartient à chacun des individus le composant, là où les Cours africaines ou interaméricaines
des droits de l’homme reconnaissent une titularité des droits collectifs au groupe en tant qu’entité à part entière.

270
FICHE N°30 : LES CONCEPTS DE SOLIDARITÉ ET DE CONFRATERNITÉ

Résumé :

D’abord valeur religieuse puis idéal philosophique, le concept de fraternité est posé par les révolutionnaires de
1789 comme un principe général d’action politique, au nom duquel sont instaurés les premiers droits sociaux.
Si la solidarité qui le supplante ensuite constitue le fondement direct de la protection sociale, la fraternité, remise
à l’honneur à la Libération et aujourd’hui constitutionnalisée, elle est le principe qui la légitime et lui apporte sa
dimension humaine. En ce sens les deux concepts de solidarité et de fraternité sont indissociables l’un de
l’autre même s’ils peuventêtre invoqués séparément en tant que principes juridiques à portée normative.

Notions abordées dans la fiche :

- Révolution française
- Délit de solidarité
- Immigration et lutte contre l’immigration irrégulière
- Code de l’entrée et du séjour des étrangers en France
- QPC
- Arrêté anti-mendicité

271
I. FRATERNITÉ ET SOLIDARITÉ : DES CONCEPTS INDISSOCIABLES L’UN DE L’AUTRE

A. L’existence d’une union ancienne entre les concepts de solidarité et de


confraternité

1. Des notions de solidarité et de confraternité autonomes

Le terme « solidarité » est issu du vocabulaire du droit.

L’étymologie renvoie au latin « solidus », entier, consistant, lien unissant entre eux les débiteurs d'une somme.

La solidarité est le sentiment de responsabilité et de dépendance réciproque au sein d'un groupe de personnes
qui sont moralement obligées les unes par rapport aux autres. Ainsi les problèmes rencontrés par l'un ou
plusieurs de ses membres concernent l'ensemble du groupe.

En matière juridique (ce qui est l'origine première du mot solidaire), lorsque la solidarité est prononcée,
notamment pour des créances, chacun des membres du groupe est engagé, en termes de dette et de
responsabilité, pour la totalité. La dette ne peut alors être divisée et répartie entre les individus.
Cette acception est toujours en vigueur, au moins pour certaines formes de solidarités institutionnalisées. Ainsi,
par exemple, les époux sont solidaires, selon des modalités différentes en fonction des contrats qui les unissent
: les décisions de l’un engagent la responsabilité de l’autre. Dans un même ordre d’idée, le PACS, soit le Pacte
civil de solidarité, organise juridiquement le lien de dépendance entre deux adultes. Plus largement, la solidarité
nationale organise, par exemple par le paiement de l’impôt, l’effort de chacun au profit de l’ensemble. En ce
sens, « le concept de solidarité est d’abord un concept juridique de droit social » (Irène Théry dans PAUGAM 2007,
p. 153).

Le Code civil reconnaît expressément l’obligation solidaire (articles 1310 et ss.).

La solidarité doit être distinguée de l'altruisme qui conduit à aider son prochain, par simple engagement moral,
sans qu'il y ait nécessité de réciprocité, ainsi que de la coopération où chacun travaille dans un esprit d'intérêt
général pour l'ensemble.

Emile Durkheim (1858-1917), a montré que la solidarité pouvait prendre des formes différentes :
- La solidarité mécanique, fondée sur la similarité des individus dans les sociétéstraditionnelles à
forte conscience collective ;
- La solidarité organique, liée aux interdépendances dans les sociétés modernes en raison dela
division du travail et l'individualisme.

Le sociologue fait de la solidarité une attitude primitivement sociale et non le résultat de l'action morale
individuelle.

Pour d’autres auteurs, il est possible de distinguer quatre formes de solidarités dont les fondements, non‐
exclusifs les uns des autres, varient (Ludovic Viévard, « Les fondements théoriques de la solidarité et leurs
mécanismes contemporains », Mars 2012, GrandLyon) :
- Une solidarité dite « naturelle » : elle renvoie généralement aux solidarités familiales qui ont longtemps
été pensées sur le mode naturel, parce que le groupe à l’intérieur duquel elle s’exerce est perçu comme
une donnée biologique et non pas comme une donnée socialement construite. Toutefois, les
sociologues de la famille ne manqueront pas de déconstruire cette idée lorsqu’ils décriront la famille
comme une communauté sociale.
- Une solidarité « universaliste » : cette forme de solidarité assigne à chaque individu une responsabilité
face à l’ensemble du groupe humain. Elle trouve ses valeurs dans les religions universalistes ou dans
l’humanisme. Si les moteurs en sont ainsi radicalement différents, elle porte les mêmes engagements
d’abord missionnaires puis humanitaires.

272
- Une solidarité « nationale » socialement construite qui s’incarne dans l’action de l’État‐
providence.
- Les solidarités « corporatistes » et « associatives » : dans le premier groupe on trouvera les formes de
solidarités syndicales ou fondées sur des associations de défense d’intérêts particuliers qui ont pour
caractéristiques de limiter leur action à un groupe circonscrit à une identité donnée (les travailleurs, les
ressortissants de tels ou tels pays, etc.). Dans le second, on placera les solidarités « faibles », liées au
partage de pratiques particulières (faire de la moto, etc.), qui nous font entrer dans des communautés.

Exemples connus d'organisations fondées sur la valeur positive de solidarité : les syndicats, les organisations non
gouvernementales (ONG) ou encore les associations.

Étymologiquement, le mot fraternité vient quant à lui du latin fraternitas, relations entre frères, entre peuples,
lui-même dérivant de frater, frère.

Dans un sens restrictif, la fraternité désigne le lien existant entre les membres d'une même organisation, entre
ceux qui partagent un même idéal ou qui ont combattu ou combattent pour une même cause.

La fraternité est l'une des trois composantes de la devise de la République française : « Liberté, égalité, fraternité
».

La fraternité est une valeur de l'humanité, comme en témoigne l'article 1 de la Déclaration universelle des droits
de l'homme : « Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Ils sont doués de raison et
de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité. ».

La fraternité se distingue de la solidarité par la dimension affective de la relation humaine liée au sentiment
d'appartenance à la même espèce, l'humanité, ce qui lui donne un caractère plus universel.

Cantonnée initialement, à la suite des révélations juive et chrétienne, dans la sphère religieuse avant d’investir,
dans le sillage de la sécularisation des idées à partir du XVIIème siècle, la sphère philosophique, l’idée de fraternité
émerge dans le champ politique français à la fin du siècle suivant.

Reprise à leur compte par un grand nombre de philosophes, lesquels font valoir qu’elle ne saurait prendre corps
que là où la Patrie garantit la liberté et l’égalité, elle devient, dès le déclenchement de la Révolution, l’une des
idées forces du nouveau discours dominant : chacun, désormais, étant posé comme le frère de l’Autre, à la fois
parce qu’en étant tous libres et égaux, chacun est censé posséder une Patrie et parce qu’en formant tous une
Nation, chacun est censé faire partie intégrante du pouvoir souverain.

Après la chute de Robespierre, observe Michel Borgetto, l’idée de fraternité tombe très vite en discrédit (« Le
concept de fraternité et la protection sociale », CAIRN.INFO, 2018/1 n° 196-197, pages 16 à 26).

Associée à la fois à la Terreur et à la République, au suffrage universel et aux droits sociaux, elle fait l’objet,
pendant plusieurs décennies, d’un rejet massif de la part des nouveaux gouvernants. Mais au cours des années
1830 et surtout 1840, une période marquée par la réhabilitation de l’œuvrerévolutionnaire, le regain de faveur
de l’idée républicaine et l’essor des doctrines socialistes, elle est peu à peu récupérée par tous ceux qui
s’opposent au pouvoir en place (Michel Borgetto, « Leconcept de fraternité et la protection sociale », Ibid.).

Redevenue l’une des idées forces du langage politique et social, elle connaît, dans les années qui précèdent et
les mois qui suivent la Révolution de 1848, un nouvel « âge d’or ».

Formant, avec la liberté et l’égalité, le dernier terme d’un triptyque désormais promu au rang de devise officielle
de la République, elle est invoquée à l’appui d’un certain nombre de droits sociaux et/ou de solutions
protectrices.

273
Ainsi définis respectivement, il ne semble exister aucune corrélation entre la mise en œuvre d’une politique de
solidarité et l’affirmation d’un quelconque principe de fraternité.

Pourtant, s’il est vrai que l’idée de solidarité ne postule nullement, de manière nécessaire, le concept de fraternité
(je peux être solidaire de l’Autre sans me penser forcément comme son frère), l’inverse, en revanche, est
beaucoup moins vrai : à l’évidence, le concept de fraternité implique nécessairement, sauf à être vidé d’une
grande partie de son contenu, un minimum de solidarité envers celui que l’on considère comme son frère.

2. L’existence en France de liens forts anciens entre les concepts de solidarité


et de confraternité
La fraternité est le lien fraternel et naturel ainsi que le sentiment de solidarité voire d'amitié qui unissent ou
devraient unir les membres de la même famille que représente l'espèce humaine. Elle implique la tolérance et le
respect mutuel des différences, contribuant ainsi à la paix.

Ce lien est confirmé par les définitions données par les dictionnaires, lesquels n’hésitent pas à inclurel’idée même
de solidarité dans le concept de fraternité : celui-ci étant généralement défini comme « union intime, solidarité
entre les hommes, entre les membres d’une société » (Larousse universel, mot « Fraternité », 2 vol., 1922) ou
encore comme « sentiment de solidarité et d’amitié envers l’Autre » (Trésor de la langue française, mot «
Fraternité », Ed. du CNRS, 1980).

Les liens en France entre les concepts de confraternité et de solidarité sont en réalité fort anciens.

De la Révolution française jusqu’à la première moitié du XXème siècle, les deux idées de fraternité et de solidarité
entretiennent des liens étroits marqués par la primauté donnée successivement à chacun d’eux.

Dans un premier temps, les hommes au pouvoir (les révolutionnaires de 1789-1793 et les républicains de 1848)
font primer le dernier terme de la devise : ils partent en effet de la fraternité pour légitimer, entre autres choses,
la mise en œuvre d’une politique de solidarité.

Dans un second temps toutefois, il est procédé à un renversement radical du schéma théorique jusqu’alors
dominant : les hommes de la IIIème République s’attachant à partir non plus de la fraternité pour légitimer la
solidarité mais au contraire du fait et du principe de solidarité pour réaliser et atteindre éventuellement la
fraternité.

Témoignage du lien établi entre l’idée de fraternité et la mise en œuvre d’une politique de solidarité, l'adoption,
au nom et en vertu du principe de fraternité, de diverses dispositions tendent notamment à consacrer un
minimum de solidarité entre les membres du corps social : proclamation du droit à l'assistance dans les textes
constitutionnels (1793) et législatifs (1793-1794) au profit des enfants trouvés ou orphelins, des personnes
malades, handicapées, âgées.

Le principe de confraternité aurait deux faces : l’une, de dimension collective, fondée sur l’exigence de solidarité
; l’autre, de dimension individuelle (ou plus précisément interindividuelle), fondée sur l’exigence de tolérance à
l’égard, par exemple, des formes d’entraide apportées à des personnes en détresse en dépit de leur caractère
délictueux.

Cette double face nous la retrouvons dans la jurisprudence même du Conseil constitutionnel où le principe de
fraternité comprend deux grands volets. L'un renvoie à tout ce qui concerne l'exigence de solidarité découlant de
la proclamation de l'article 1er de la Constitution « La France est une République (···) sociale », l'autre à la mise
en œuvre des valeurs démocratiques de tolérance, du respect de l'autre et de la lutte contre les exclusions. Si on
admet cette compréhension large du principe de fraternité, il est alors fondateur d'une part considérable de la
jurisprudence du juge constitutionnel français.

274
B. L’existence d’une union pérenne entre les concepts de solidarité et de confraternité

Le Conseil constitutionnel a reconnu la valeur constitutionnelle du principe de fraternité dans sa décision du 6


juillet 2018 à l’occasion d’une QPC portant sur le délit d’aide à l’entrée, à la circulation ou au séjour irrégulier,
souvent appelé « délit de solidarité » (Décision n° 2018-717/718 QPC du 6 juillet 2018).

Il est donc intéressant et remarquable de souligner que le concept de fraternité a été appréhendé sous l’angle
de la solidarité humaine pour être consacré.

La QPC renvoyée par la Cour de cassation portait sur deux articles du Code de l’entrée et du séjour des
étrangers et du droit d'asile :

- L’article L. 622-1 qui, dans son alinéa 1er, mentionne que le fait d'aider directement ou indirectement un
étranger à entrer, circuler ou séjourner irrégulièrement en France est un délit puni de cinq ans
d'emprisonnement et de 30 000 euros d'amende.

- L’article L. 622-4 qui prévoit plusieurs cas d'exemption pénale en faveur des personnes mises en cause sur
le fondement du délit prévu à l’article L. 622-1. Plus précisément, le 3° de l’article L. 622-4 permet une immunité
pénale à toute personne physique ou morale ayant apporté une telle aide à unétranger lorsque cet acte « n'a
donné lieu à aucune contrepartie directe ou indirecte et consistait à fournir des conseils juridiques ou des
prestations de restauration, d'hébergement ou de soins médicaux destinées à assurer des conditions de vie dignes
et décentes à l'étranger, ou bien toute autre aide visant à préserver la dignité ou l'intégrité physique de celui-ci
».

Il était notamment reproché à ces dispositions de méconnaître le principe de fraternité pour deux raisons :

L'immunité prévue par le 3° de l'article L. 622-4 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile
s'applique uniquement lorsque la personne est mise en cause pour aide au séjour irrégulier, et non pour aide à
l'entrée et à la circulation d'un étranger en situation irrégulière sur le territoire français.

Il n’est pas prévu d’immunité en cas d'aide au séjour irrégulier pour tout acte purement humanitaire n'ayant
donné lieu à aucune contrepartie directe ou indirecte.

Selon le Conseil constitutionnel, la question prioritaire de constitutionnalité portait donc sur les mots « au séjour
irrégulier » figurant au premier alinéa de l'article L. 622-4 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du
droit d'asile, ainsi que sur le 3° de ce même article.

La consécration par le Conseil constitutionnel de la fraternité en tant que principe à valeur constitutionnelle, lui
permet d’en tirer la conséquence suivante : « il découle du principe de fraternité la liberté d'aider autrui, dans
un but humanitaire, sans considération de la régularité de son séjour sur le territoire national ».

Si le Conseil constitutionnel n’a pas supprimé le délit de solidarité, inscrit aux articles L. 622-1 à L. 622-3 du Code
de l’entrée et du séjour des étrangers en France et punissant de cinq ans d’emprisonnement et de 3 000 euros
d’amende l'aide à l'entrée, à la circulation et au séjour irréguliers d'un étranger en France, et dont la Cour de
cassation a pu à plusieurs reprises affirmer la conformité à la Constitution, il a en revanche doublement élargi le
champ des exemptions au délit réprimé par les articles L. 622-1 à L. 622-3.

D’une part, il a étendu au délit d’aide à la circulation des étrangers en situation irrégulière les exemptions
applicables au 6 juillet 2018 au seul délit d’aide au séjour de ces étrangers : il a en ce sens décidé que « les mots
‘au séjour irrégulier’ figurant au premier alinéa de l'article L. 622-4, dans sa rédaction résultant de la loi n°
2012-1560 du 31 décembre 2012 relative à la retenue pour vérification du droit au séjour et modifiant le délit
d'aide au séjour irrégulier pour en exclure les actions humanitaires et désintéressées, sont contraires à la
Constitution ».

275
D’autre part, il a interprété les exemptions de solidarité à ce délit comme devant inclure les actes
désintéressés et à but humanitaire.

Il s’ensuit que la reconnaissance du principe de fraternité implique, en l’espèce, que tous les actes d’aides
apportés à des fins humanitaires doivent bénéficier de l’exemption pénale.

Cette exemption doit s’appliquer aux actes facilitant ou tentant de faciliter le séjour en France d’un étranger en
situation irrégulière ou facilitant ou tentant de faciliter sa circulation quand elle constitue « l’accessoire de l’aide
au séjour de l’étranger ».

Toutefois, il peut parfois être difficile de définir exactement la notion « d’actes d’aides apportés à des fins
humanitaires », il appartiendra donc au législateur et à la jurisprudence d’en apprécier lescontours.

II. FRATERNITÉ ET SOLIDARITÉ : DES CONCEPTS JURIDIQUES INVOCABLES


SÉPARÉMENT

A. L’invocabilité directe du principe de fraternité et ses applications

À la différence de la solidarité, le principe de fraternité s’est vu reconnaître une valeur


constitutionnelle (Décision n° 2018-717/718 QPC du 06 juillet 2018 M. Cédric H. et autres).

La décision du 6 juillet 2018 fait pour la première fois une application positive de la notion constitutionnelle de
fraternité, laquelle implique « la liberté d’aider autrui dans un but humanitaire, sans considération de la
régularité de son séjour sur le territoire national ». Il est exceptionnel, écrit le Professeur Paul CASSIA, que le
Conseil constitutionnel statue au regard d’un « nouveau » paradigme constitutionnel, alors surtout que la
fraternité est connue de tous puisqu’elle figure dans la devise républicaine inscrite à l’article 2 de la Constitution.

Mais, poursuit cet auteur, « il n’est pas tout à fait exact de dire que le Conseil constitutionnel a « consacré » la
fraternité : c’est la Constitution de 1958 qui la consacre formellement, en la mentionnant à trois reprises. En
revanche, l'intérêt théorique majeur de la décision du 6 juillet 2018 est d'admettre l’invocabilité en justice de
la fraternité, qualifiée de « principe » et non seulement « d'exigence » ou « d'objectif ».

Cette qualification fait entrer la fraternité au nombre des droits ou libertés que la Constitution garantit au sens
de l'article 61-1 de la Constitution, susceptible en tant que principe d'être soulevée par tout justiciable dans le
cadre d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) dirigée contre une disposition législative.

Si le contenu du principe de fraternité est encore très mystérieux, on peut penser qu'il constitue un miroir du
principe constitutionnel de dignité de la personne humaine : la fraternité constitutionnelle légitime voire
encourage des actions matérielles accomplies de manière désintéressée et altruiste par une personne
physique ou morale pour sauvegarder la dignité d'un tiers en situation de vulnérabilité.

Les ancrages du principe de fraternité dans la Constitution du 4 octobre 1958, avant la consécration par le Conseil
constitutionnel dans sa décision du 06 juillet 2018, sont les suivants :

Le préambule de la Constitution : « Le peuple français proclame solennellement son attachement aux Droits de
l'homme et aux principes de la souveraineté nationale tels qu'ils ont été définis par la Déclaration de 1789,
confirmée et complétée par le préambule de la Constitution de 1946, ainsi qu'aux droits et devoirs définis dans
la Charte de l'environnement de 2004. »

« En vertu de ces principes et de celui de la libre détermination des peuples, la République offre aux territoires
d'outre-mer qui manifestent la volonté d'y adhérer des institutions nouvelles fondées sur l'idéal commun de
liberté, d'égalité et de fraternité et conçues en vue de leur évolution démocratique. »

276
- L’alinéa 4 de l’article 2 de la Constitution : « La devise de la République est « Liberté, Égalité,
Fraternité » »

L’article 2 de la Constitution de 1958 constitutionnalise donc la devise de la République et son Préambule


consacre parmi les principes particulièrement nécessaires à notre temps des dispositions qui d'un point de vue
matériel s'analysent comme des applications ou des traductions juridiques du principe de fraternité, égalité de
la femme, droit d'asile, droit au travail, liberté syndicale, droit au développement de l'individu et de la famille,
droit à la protection sociale, au repos et au loisir, droit àla retraite, droit à l'instruction, etc.

- L’alinéa 1er de l’article 72-3 de la Constitution enfin : « La République reconnaît, au sein du peuple
français, les populations d'outre-mer, dans un idéal commun de liberté, d'égalité etde fraternité. ».

Force est donc de constater que l'idée selon laquelle la fraternité se révèlerait incapable de légitimer et de fonder
des droits et obligations juridiquement contraignants est démentie aussi bien parl'analyse historique que par la
théorie juridique (Michel Borgetto, La notion de fraternité en droit public français, LGDJ, Paris, 1993).

La fraternité a été utilisée au cours des deux derniers siècles comme un principe justificatif ou un fondement
direct de dispositions adoptées en matière civile, politique et sociale tels que l'accueil et la protection des
étrangers, la suppression à leur égard de toute discrimination, l'affirmation du droit à l'assistance, au travail ou
à l'instruction.

Du point de vue de la théorie juridique, rien n'interdit au constituant ou au législateur, s'ils le décident, de
s'appuyer sur la fraternité pour justifier les dispositions qu'ils jugeraient utiles deprendre. Ce qui établit la pleine
capacité de la fraternité à produire des normes concrètes applicables à la société et en conséquence, à
fonctionner comme un véritable principe juridique ou un fondement du droit, au même titre que les principes
de liberté et d'égalité.

Tel fut par exemple le cas de l'institution en 1988 (loi n° 88-1088 du 1er décembre 1988) du revenu minimum
d'insertion et du revenu de solidarité active introduit par la loi du 21 août 2007 (Loi du 21 août 2007 en faveur
du travail, de l'emploi et du pouvoir d'achat, abrégée « loi TEPA ») et généralisé en 2008 (Loi n° 2008-1249 du 1er
décembre 2008 généralisant le revenu de solidarité active et réformant les politiques d'insertion).

En instituant ces régimes sociaux, le législateur s'est concrètement référé au principe de fraternité.

Le troisième terme de la devise, à l'instar des deux autres, est pleinement introduit dans la hiérarchiedes normes
et est un principe actif, qui inspire, guide et encadre l'élaboration de la loi.

Pour autant, à l’instar de presque tous les principes constitutionnels, celui de fraternité n’est pas absolu et
doit être contrebalancé par d’autres dispositions de même valeur juridique.

Dans l’affaire M. Cédric H. et autres dont il était saisi dans le cadre d’une QPC rendue le 6 juillet 2018, le Conseil
constitutionnel a confronté la législation relative au délit d’aide à l’entrée, au séjour et à la circulation irréguliers
d’étrangers à deux normes constitutionnelles, qui ont pour point commun d'être floues quant à ce qu'elles
recouvrent : l’une protectrice de la liberté individuelle, la notion de fraternité, qui est inscrite dans le Préambule,
l’article 2 et l’article 72-3 de la Constitutionet que le Conseil constitutionnel qualifie de principe invocable en
QPC ; l’autre venant poser des limites à cette liberté, l’objectif de préservation de l’ordre public inventé par le
Conseil constitutionnel en 1982 sans fondement textuel précis (v. CC déc. 82-141 DC du 27 juillet 1982, cons. 5),
auquel le Conseil constitutionnel rattache « l’objectif de lutte contre l’immigration irrégulière » qu’il a consacré
bien avant d’appliquer le principe de fraternité (CC 9 juin 2011, n° 2011-631 DC, considérant 64) et qui n'est pas
un droit ou une liberté pouvant être soulevé à l'appui d'une QPC (CC 17 octobre 2014, n° 2014-422 QPC,
considérant 12).

277
Il est à relever que l’existence même de cet objectif constitutionnel de lutte contre l’immigration irrégulière est
contestable dans la mesure où, à la différence de la fraternité, une telle lutte ne figure aucunement dans le texte
de la Constitution de 1958, pas plus que la préservation de l’ordre public dont il découle (l’article 12 de la
Déclaration de 1789 évoque une force publique pour garantir les droits de l’homme et du citoyen, et non pour
les limiter).

Enfin, le principe de fraternité a fait l’objet d’une première application après la décision du Conseil de 2018.
Dans une ordonnance du 28 août, le juge des référés du tribunal administratif de Besançona identifié une
nouvelle liberté fondamentale au sens de l’article L. 521-2 du Code de justice administrative : celle « d’aider
autrui dans un but humanitaire » (TA Besançon, ord., 28 août 2018, n°1801454). Le juge était saisi par un militant
associatif d’un recours contre un arrêté du maire interdisant, notamment, dans le centre de la ville la mendicité,
en invoquant le principe constitutionnel de fraternité.

Le juge estime que de ce principe « découle la liberté fondamentale d’aider autrui dans un but humanitaire ». En
revanche, il rejette l’idée d’une quelconque liberté fondamentale de mendier. L’ordonnance admet qu’en
édictant l’arrêté contesté, qui a pour effet d’éloigner du centre-ville certaines personnes particulièrement
vulnérables, « le maire de la commune de Besançon a, indirectement mais nécessairement, porté atteinte à la
liberté d’aider autrui, laquelle ne prend, parfois, spontanément corps qu’à la vue de personnes dans le besoin.
Pour être effective, la liberté d’aider requiert en effet d’avoir conscience de l’opportunité d’en faire usage ».

La liberté d’aider autrui « ne revêt toutefois pas un caractère général et absolu et doit être conciliée, notamment,
avec l’objectif de préservation de l’ordre public ».

Or l’arrêté municipal est limité dans letemps et dans l’espace. Par ailleurs, il n’est pas démontré qu’il entrave
l’action des associations d’aide aux plus démunis ni qu’il prive les particuliers de leur liberté d’aider les
personnes en détresse.

En revanche, les pièces du dossier attestent de la réalité des troubles à l’ordre public auxquels l’arrêté veut
répondre. La mesure étant ainsi proportionnée, le recours est rejeté.

B. La juridicité « élargie » du principe de solidarité et ses applications

Si la notion de solidarité est présente dans la Constitution à travers la notion de solidarité gouvernementale,
essentielle au sein de tout régime parlementaire, pour le reste il est frappant de remarquer une pauvreté du
texte constitutionnel français à ce sujet.
Seul l’alinéa 12 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 fait en effet référence à la notion de
solidarité : « La nation proclame la solidarité et l'égalité de tous les Français devant les charges qui résultent des
calamités nationales ». La tentation a ainsi été de rechercher une trace dela solidarité ailleurs que dans le seul
alinéa 12 précité. Et les exemples ne manquent pas.

D’aucuns ont pu s’appuyer sur l’article 1er de la Constitution pour dégager de l’affirmation du caractère social de
la République un fondement de la solidarité voire pour considérer que la solidarité serait « l’un des principes qui
constituent l’essence même de la notion de république sociale » (B. MATHIEU, « La république sociale », B.
MATHIEU et M. VERPEAUX (sous la dir. de), La République en droit français, Paris, Economica, 1996, p. 183).

D’autres ont pu voir dans l’article 2 alinéa 4 de la Constitution, qui énonce la devise de la République, un
fondement de la solidarité, affirmant que « la Fraternité postule aussi la Solidarité » (S. ARNE, « Existe-t-il
des normes supra-constitutionnelles ? Contribution à l’étude des droits fondamentaux et de la constitutionnalité
», RDP, 1993, p. 475).

D’autres encore ont pu dégager de nouvelles traces de la solidarité, de nouvelles formes de la solidarité à travers
par exemple la Charte de l’environnement (En ce sens voir par exemple Pierre- Henri PRELOT, Droit des libertés
fondamentales, Paris, Hachette, 2007, p. 59, no 131. Il déclare, à propos du considérant qui précède les articles
de la charte de l’environnement, que : « Le principe desolidarité de tous les Français devant les charges résultant
des calamités nationales se complète ainsi d’une solidarité environnementale des générations et des peuples »).

278
Il s’agit cependant ici d’une approche très extensive et qui ne permet pas de rendre compte de la
constitutionnalisation réelle de ce principe. Dans la mesure où le Conseil constitutionnel a reconnu la valeur
constitutionnelle du Préambule de la Constitution de 1946 dans sa décision IVG du 15 janvier 1975, les
différentes dispositions de ce texte et donc l’alinéa 12 ont par la nature même valeur constitutionnelle
(Décision no 74-54 DC du 15 janvier 1975, IVG).

Une référence à la solidarité apparaît pour la première fois dans la décision 85-200 DC du 16 janvier 1986 selon
laquelle « en vertu de l’article 34 de la Constitution, la loi définit les principes fondamentaux du droit du travail
et de la Sécurité sociale ; [à] ce titre il lui revient d’organiser la solidarité entre personnes en activité, personnes
sans emploi et retraités » (Décision no 85-200 DC du 16 janvier 1986, Cumul emploi-retraite, cons. 7).

Dans la décision 86-207 DC des 25 et 26 juin 1986 la solidarité apparaît également, mais seulementau titre du
rappel des griefs formulés par les requérants et sans que soit expressément cité l’alinéa 12, alors même que le
contenu de ce dernier est partiellement repris (Décision no 86-207 DC des 25 et 26 juin 1986, Privatisations,
cons. 19).

C’est seulement avec la décision 87-237 DC du 30 décembre 1987 que sera véritablement consacré ce principe,
le Conseil constitutionnel affirmant « qu'il incombe au législateur, lorsqu'il met en œuvre le principe de solidarité
nationale, de veiller à ce que la diversité des régimes d'indemnisationinstitués par lui n'entraîne pas de rupture
caractérisée de l'égalité de tous devant les charges publiques » (Décision no 87-237 DC du 30 décembre 1987,
Loi de finances 1988, cons. 22).

Contrairement à la jurisprudence constitutionnelle qui a facilement reconnu la valeur constitutionnelle du


principe de solidarité nationale, la jurisprudence administrative a fait preuve d’une certaine réticence, et ce,
malgré la reconnaissance de la juridicité du Préambule de la Constitution de 1946 (CE Ass., 7 juillet 1950,
Dehaene, Rec. p. 426).

Le Conseil d’État a en effet eu l’occasion à quelques reprises de faire référence à l’alinéa 12 du Préambule de
la Constitution de 1946 mais il a initialement considéré que celui-ci n’était pas directement applicable en
l’absencede loi permettant sa mise en œuvre.

Cette position, indiquant une application limitée de la solidarité dans la jurisprudence administrative,est apparue
avec l’arrêt du 10 décembre 1962, Société indochinoise de constructions électriques et mécaniques (CE, 10
décembre 1962, Sté indochinoise de constructions électriques et mécaniques, Rec., 676) et a été réaffirmée
peu après dans un arrêt (CE, 29 novembre 1968, Sieur Tallagrand, Rec. 606) dans lequel le Conseil d’État a
déclaré en évoquant expressément l’alinéa 12 du Préambule de la Constitution de 1946 que « le principe ainsi
posé, en l’absence de disposition législative précise en assurant l’application, ne peut servir de base à une action
contentieuse en indemnité ». Cette solutiona encore été confirmée dans un arrêt qui est venu indiquer que le
principe posé à l’alinéa 12 du Préambule de la Constitution de 1946, « ne s'impose au pouvoir réglementaire que
dans les conditions et limites fixées par les dispositions législatives prises pour en assurer l’application » (CE,
22 janvier 1997, Société hôtelière de l’anse heureuse, req. no 175215).

Au terme de différentes évolutions la jurisprudence administrative a toutefois fini par se rapprocher de celle du
Conseil constitutionnel. De fait, le juge administratif n’éprouve plus lui non plus le besoin de faire
systématiquement référence au Préambule de la Constitution de 1946 pour évoquer la solidarité nationale. Il se
réfère parfois directement à un principe législatif tel que par exemple le « principe de solidarité nationale
énoncé à l'article L. 1 du code de la sécurité sociale » (CE, 8 juillet 1994, Sté Moore Paragon, req. no 96257).

Il semble par ailleurs avoir également dégagé un principe général de solidarité nationale (CE, 27 novembre 2000,
M. et Mme Robert Y., req. no 211088).

Si la juridicité du principe de solidarité est évidente, la reconnaissance de ce principe de solidarité nationale s’est
aussi accompagnée de la consécration, plus surprenante elle, d’exigences constitutionnelles de solidarité par le
Conseil constitutionnel (Nathalie Jacquinot, « La constitutionnalisation de la solidarité », in Recherches sur la soft
law en droit public français, Presses de l’Université Toulouse 1 Capitole, 2013, p. 101-117).

279
De manière inattendue le Conseil constitutionnel, quelques années après avoir dégagé un principe de solidarité
nationale non expressément rattaché à l’alinéa 12 du Préambule de 1946, a consacré des exigences de solidarité
qu’il fait découler d’autres alinéas de ce même texte.

De fait, à partir de la décision 96-387 DC du 21 janvier 1997 relative à la prestation d’autonomie pour les
personnes âgées dépendantes (Décision 96-387 DC du 21 janvier 1997, Prestation dépendance), le Conseil
constitutionnel commence à utiliser l’expression « exigence de solidarité nationale ».

Cette référence à une exigence de solidarité nationale traduit un « approfondissement dans la juridicisation de
la solidarité nationale par une démarche constructive et hardie » (J.-P. HOUNIEU, La solidarité nationale en droit
public français, thèse Bordeaux 2003, microfichée, p. 297) que va préciser la jurisprudence ultérieure car
apparaît expressément dans la décision 97-393 DC du 18 décembre 1997 l’expression « exigence
constitutionnelle de solidarité nationale » (Décision 97-393 DC du 18 décembre 1997, Allocations familiales, RJC
I-726, cons. 41).

Cette expression sera ensuite reprise à l’identique dans la décision 98-405 DC du 29 décembre 1998 (Décision
98-405 DC du 29 décembre 1998, Loi de finances rectificative pour 1998, Rec. p. 340, cons. 12).

Par une sorte de raccourcissement des deux expressions, le Conseil constitutionnel en est finalement venu à
évoquer aujourd’hui tout simplement « les exigences de solidarité découlant des dixième et onzième alinéas du
Préambule de 1946 » (Décision 2007-553 DC du 3 mars 2007, Loi relative à la prévention de la délinquance, JO
du 7 mars 2007, p. 4356, cons. 5 et 7), lesquelles constituent pleinement des exigences constitutionnelles
puisqu’il est question en l’espèce de la conciliation qui doit être opérée entre ces dernières et le respect de la vie
privée.

Le Conseil constitutionnel a confirmé cette démarche audacieuse en étendant cette jurisprudence à l’alinéa 13
du Préambule de la Constitution de 1946 relatif notamment à l’égal accès de l’enfant et de l’adulte à l’instruction,
à la formation professionnelle et à la culture. Une telle extension avaitd’ailleurs été invoquée par les requérants
dans le cadre du contrôle de la loi portant diversesdispositions relatives au sport professionnel (Décision 2004-
507 DC 9 décembre 2004, Loi portant diverses dispositions relatives au sport professionnel, Rec. 219, cons. 17).

Au fil des décisions du Conseil constitutionnel, on y retrouve l'alinéa 5 qui garantit le droit au travail, l'alinéa 10
qui protège le droit au développement de l'individu et de la famille, l'alinéa 11 qui consacre le droit à la
protection de la santé ou encore l'alinéa 13 qui traite du droit à l'instruction. Le lieu privilégié de ces applications
est et reste évidemment le domaine des régimes sociaux.

Ainsi, le Conseil constitutionnel (Décision n° 85-200 DC du 16 janvier 1986, Rec., p. 9, cons. 7) a jugé, à propos
de la Sécurité sociale, qu'il revenait au législateur d'organiser la solidarité entre personnes en activité, personnes
sans emploi et retraités en même temps que de maintenir l'équilibre financier permettant à l'ensemble des
institutions de Sécurité sociale de remplir leur rôle. Il en a déduit que rien ne s'opposait à des transferts de
ressources d'un régime vers l'autre, afin de financer des régimes d'assurances vieillesse déficitaires,
particulièrement défavorisés en raison de la situationéconomique et sociale.

280
Tableaux synthétiques par fiche

281
Fiche 1 : DÉFINITION ET PORTÉE DU DROIT À LA VIE
LES SOURCES TEXTUELLES LES SOURCES JURISPRUDENTIELLES
(classées en fonction ACTUALITÉ
(classées en fonction de leur force normative)
des hiérarchies des normes)
Charte des droits fondamentaux Comité des droits de l’homme de l’ONU Un référé-liberté a été déposé devant le
de l’Union Européenne de 2000 Conseil d’État par le collectif « Jeunes méde-
Req. no 859/1999, 25 mars 2002, Jimenez Vaca c/ Colombie
cins » le 19 mars 2020.
Convention internationale relative Req. no 146/1983, 4 avr. 1985, Baboeram c/ Surinam, A/40/40, § 697
aux droits de l’enfant de 1989 Le syndicat demandait au CE, sur le fondement
Cour Européenne des droits de l’homme de l’article L 221-5 du Code de Justice Admi-
Pacte international relatif aux droits civils 2 mars 2020, Al Sadoun et Mufdhi c/ Royaume-Uni. nistrative d’enjoindre au gouvernement de
et politiques de 1966, article 6 23 mai 2019, Chébab c/ France, n°542/13 prendre des mesures plus restrictives, dont
un « confinement total » au nom du « droit à
7 juin 2018, Toubache c/ France, n°19510/15
Convention Européenne de sauvegarde des la vie ».
Gr. CH. 19 décembre 2017, Lopes de Sousa Fernandez c/ Portugal
droits de l’homme et des libertés fondamen-
23 février 2016, Civek c/ Turquie Le 22 mars 2020, le Conseil d’État a rejeté la
tales, et ses Protocoles additionnels n°6 et 13
Gr. Ch., 5 juin 2015, Lambert et autres c/ France demande de confinement total par peur de
l’impact sur la santé mentale de la population,
Déclaration Universelle des droits de l’homme, 14 juin 2011, Ciechonska c/ Pologne
mais a demandé au gouvernement de revoir
art. 3 9 juin 2009, Opuz c/ Turquie, n°33401/02 certaines dérogations de déplacements pour
20 mars 2008, Boudaieva c/ Russie n°15339/02 assurer un confinement plus strict.
Déclaration des droits de l’homme de 1789,
art. 2 Gr. Ch. 10 avril 2007, Evas c/ Royaume- Uni
1er déc. 2006, Pasa Erkan Erol c. Turquie Gr. Ch., 12 mai 2005, Ocalan c/
Code de la Santé publique, article L. 110-5 al. 2 Turquie 8 novembre 2005, Bader c. Suède
Gr. Ch. 8 juillet 2004, Vo c/ France
Loi n°2017-258 du 28 février 2017 Gr. Ch. 30 nov. 2004, Oneryildiz c/ Turquie, n°48939/99
relative à la sécurité publique 29 avril 2003, Dremlyuga c/ Lettonie, n°66729/01
17 janvier 2002, Calvelli c/ Italie
Code de la Sécurité Intérieure, art. L-435-1
29 avril 2002, Pretty c/ Royuame-Uni)
5 sept 2002, Boso c/ Italie
22 mars 2001, Streletz, Kessler et Krenz c/ Allemagne, req. no 34044/96
9 juin 1998, L.C.B c/ Royaume-Uni, req. no 23413/94,
Gr. Ch. 28 octobre 1998, Osman c/ Royaume-Uni
27 septembre 1995, Mac Cann c/ Royaume-Uni
7 juillet 1989, Soering c/ Royaume-Uni, n°14038/88

Conseil constitutionnel
Décision n°94-343/344 du 27 juillet 1994, Décision Bioéthique
Décision n°2001-446 DC du 27 juin 2001, Décision IVG II

Conseil d’État
CE, 17 mai 2019, n°429738
CE, 1er février 2019, n°427418
CE, ord. 13 août 2013, Commune de Saint-Lieu, n°370902
CE, 2 septembre 2009, Réseau Alerte et Intervention pour les droits de
l’homme, n°318534
Fiche 2 : LA NOTION DE CRIME CONTRE L’HUMANITÉ
LES SOURCES TEXTUELLES LES SOURCES JURISPRUDENTIELLES
(classées en fonction ACTUALITÉ
(classées en fonction de leur force normative)
des hiérarchies des normes)
Conventions de La Haye du 1899 et de 1907 Tribunal Pénal International pour l’ex-Yougoslavie Cour Pénale Internationale - Ouverture d’une
Arrêts Kunarac ; Blaskic et Tadic enquête pour possible CCH en Afghanistan :
Charte de Nuremberg
Le 5 mars 2020 La Chambre d’appel de la Cour
Convention sur l’élimination et la répression pénale internationale a autorisé le Procureur
du crime d’apartheid de la Cour à enquêter sur la situation en Afgha-
Convention sur l’imprescriptibilité des crimes de guerre nistan pour des crimes contre l’humanité et
et crimes contre l’humanité des crimes de guerre commis depuis le 1er mai
2003 en lien avec le conflit armé afghan.
Statuts pour le TPIR (Tribunal Pénal international
pour le Rwanda) TPIY (Tribunal Pénal International
pour l’ex-Yougoslavie)

Statut de Rome instituant la Cour Pénale Internationale

Articles L-211-1 et L.511-1 et suivants du Code pénal


Fiche 3 : L’INTÉGRITÉ DE LA PERSONNE
LES SOURCES TEXTUELLES LES SOURCES JURISPRUDENTIELLES
(classées en fonction ACTUALITÉ
(classées en fonction de leur force normative)
des hiérarchies des normes)
Convention Européenne des Droits de l’Homme, Cour Européenne des droits de l’homme Le Comité européen pour la prévention de
Protocoles additionnels numéro 6 et 13 25 avril 1978 Tyrer c/ RU la torture et des peines ou traitements inhu-
3 novembre 1983 Van Der Mussele c/ Belgique mains ou dégradants (CPT) a rendu le 24 juin
PIDCP et son Protocole facultatif 2021, son rapport au gouvernement français.
7 juillet 1989 Soering c/ RU
du 15 décembre 1989 En vertu de l’article 7 de la Convention euro-
9 juin 1998, LCB c/ Royaume-Uni
Convention relative à L’esclavage 23 septembre 1998, A. c/ Royaume-Uni 28 octobre 1998, Assenov c/ péenne pour la prévention de la torture et des
Bulgarie, et Osman c/ Royaume-Uni. peines ou traitements inhumains ou dégra-
Convention pour la répression de la traite 7 mars 2000, Seguin c/ France dants, une délégation du Comité a réalisé une
des êtres humains et de l’exploitation 21 novembre 2000, Al-Adsani c. RU 10 mai 2001, Z et autres c/ RU visite en France dans dix-sept établissements
de la prostitution d’autrui 3 juin 2003, Pantea c/ Roumanie policiers, pénitentiaires et psychiatriques. Le
12 juillet 2005, Moldovan et al. c/ Roumanie Comité déplore les conditions matérielles de
Conventions de l’Organisation Internationale détention dans les locaux de police, la surpo-
26 juillet 2005, Siliadin c/ France
du Travail numéros 29 et 105. pulation carcérale, les conditions des trans-
12 juin 2007, Frérot c/ France
Convention européenne pour la prévention 11 septembre 2007, Tremblay c/ France ferts et des soins des personnes détenues en
de la torture 2 mars 2010, Al-Saadoon et al. c/ Royaume-Uni milieu hospitalier, et l’insuffisance des places
7 janvier 2010, Rantsev c/ Chypre et Russie en psychiatrie pour les personnes en soin sans
Charte des droits fondamentaux de l’UE 21 janvier 2011, MSS c/ Belgique et Grèce consentement.
7 juill. 2011, Stummer c/ Autriche 11 octobre 2012, CN et V. c/ France
Loi constitutionnelle numéro 2007–239
9 octobre 2012, Zhelyazkov c/ Bulgarie
du 23 février 2007
8 janvier 1013, Torreggiani et autres c/ Italie
Loi pénitentiaire numéro 2009–1436 30 mars 2017, Chowdury et autres c/ Grèce
du 24 novembre 2009 28 novembre 2017, Corneanu c/ Roumanie

Code Pénal, Livre II, Titre II Comité des droits de l’Homme


Décision du 26 juillet 2002, Wackenheim c/ France

CJUE
20 novembre 2001, Aldona Malgorzata Jany et autres c/ Pays-Bas

Conseil Constitutionnel
DC n°94-343/344, 27 juillet 1994, Bioéthique
DC n° 2005–524/525 du 13 octobre 2005, Abolition de la peine de mort
QPC n°2010-79, 17 décembre 2010, M. Kamel Daoudi
QPC n°2013-320/321, 14 juin 2013

Cour de Cassation
Chambre sociale, 3 avril 2019, n° 16–20.490
Chambre criminelle, 16 décembre 2015, n° 14–85.900

Conseil d’État
Assemblée, 27 octobre 1995, ville d’Aix- en-Provence et commune de
Morsang- sur-Orge
Ord. Réf., 22 décembre 2012, Section française de l’observatoire inter-
national des prisons et autres ;
Ord. Réf., 10 avril 2013, M. Moussaoui, n°367343
Ord. Réf., 23 novembre 2015, ministre de l’intérieur et commune
de Calais.
Fiche 4 : LA PROTECTION DE LA VIE FACE À L’ AUTORITÉ PUBLIQUE
LES SOURCES TEXTUELLES LES SOURCES JURISPRUDENTIELLES
(classées en fonction ACTUALITÉ
(classées en fonction de leur force normative)
des hiérarchies des normes)
Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, Conseil Constitutionnel Dans un arrêt du 18 février 2021, n° 630324, la
article 11 Décision DC n° 71-44, 16 juillet 1971, CEDH conclut, à l’unanimité, à la non-violation
par la France de l’article 3 de la Convention,
Préambule de la Constitution de 1946 Liberté d’association
tant d’un point de vue procédural que d’un
Décisions des 19 et 20 janvier 1981, Loi “sécurité et liberté” point de vue matériel, s’agissant de blessures
Constitution de 1958, articles 34, 37, 62 et 66
Décision DC, 1985, Loi mettant en place l’état d’urgence en Nouvelle- subies par deux jeunes hommes au cours de
Convention Européenne de sauvegarde des Calédonie Décision n° 94-352, 22 avril 1997, Loi interdisait la délivrance leur interpellation et de leur garde vue à Paris.
droits et libertés fondamentales, Article 11 d’une carte de séjour temporaire aux étrangers vivant dans un état
de polygamie
Décision DC n° 2003-467, 13 mars 2003, Loi pour la sécurité intérieure
Décision DC n° 2010-613 DC, 7 octobre 2010, Loi interdisant la dissimu-
lation du visage dans l’espace public

Conseil d’État
CE, 10 août 1917, arrêt Baldy
CE, 28 juillet 1995, CGT
CE, 27 octobre 1995 - Commune de Morsang-sur-Orge
CE, Ordonnance du 10 janvier 2014, SARL Les Productions de la Plume
et M. Dieudonné M’Bala M’Bala
CE, 9 novembre 2015, n°376107
CE, 18 mai 1933 Benjamin
CE, 18 décembre 1959, Sté des films Lutétia

Cour Européenne des droits de l’homme


CEDH, Loizidou c/ Turquie, 23 mars 1995
CEDH, SAS c. France, 1er juillet 2014
Fiche 5 : L’ÉTAT D’URGENCE
LES SOURCES TEXTUELLES LES SOURCES JURISPRUDENTIELLES
(classées en fonction ACTUALITÉ
(classées en fonction de leur force normative)
des hiérarchies des normes)
Constitution : articles 16, 36 et 61-1 Conseil Constitutionnel INTÉGRATION DANS LE DROIT COMMUN :
CC, 11 janv. 2018, n° 2017-684 QPC Nombreuses dispositions de la loi de l’état
Loi n°55-385 du 3 avril 1955
(et toutes les lois de prorogation : Décr. n° 2015- CC, 1er déc. 2017, n° 2017-677 QPC d’urgence « sécuritaire » telle que modifiée
1475 du 14 nov. 2015 ; L. n° 2015-1501 du 20 par les différentes lois de 2015 à 2017 sont
CC, 9 juill. 2017, n° 2017-635 QPC
nov. 2015 ; L. n° 2016-162 du 19 févr. 2016 ; L. n° aujourd’hui intégrées dans le droit commun
CC, 16 mars 2017, n° 2017-624 QPC par la loi du 30 octobre 2017 Loi de Sécurité
2016-629 du 20 mai 2016; L. n° 2016-987 du 21
juill. 2016 ; L. n° 2016-1767 du 19 déc. 2016 ; L. CC, 2 déc. 2016, n° 2016-600 QPC Intérieure et de lutte contre le terrorisme.
n° 2017-1154 du 11 juill. 2017) CC, 19 févr. 2016, n° 2016-535 QPC
INADÉQUATION DE LA LOI DE 1955 POUR
CC, 22 déc. 2015, n° 2015-527 QPC RÉPONDRE À LA CRISE SANITAIRE COVID-19 :
Loi du 30 octobre 2017 (loi de sécurité intérieure
et de lutte contre le terrorisme) Pour répondre à la crise sanitaire, une nouvelle
Conseil d’État
loi sur l’état d’urgence, indépendante de la loi
Art. L. 521-2 et L. 521-1 du code de justice CE, 25 avr. 2017, M. B., req. n° 409677
de 1955 a été établie. Nous pouvons considé-
administrative CE, 23 déc. 2016, Ligue des droits de l’homme, req. n° 395091 rer qu’il existe aujourd’hui deux législations de
Articles L. 2121-1 et suivant du Code CE, 23 sept. 2016, M. B., req. n° 403675 l’état d’urgence : l’état d’urgence sécuritaire
de la défense CE, 5 sept. 2016, req. n° 403026 (fiche 5) et l’état d’urgence sanitaire (fiche 6).

CE, 5 août 2016, ministre de l’Intérieur c/ M. B., req. n° 402139


CE, 25 févr. 2016, M. A. et autres, req. n° 397153
CE, 5 janv. 2016, Ligue des droits de l’homme, req. n° 395091
CE, 11 déc. 2015, M. J. Domenjoud, req. n° 394989 (section)
CE, 24 mars 2006, MM. Rolin et Boisvert, req. nos 286834 et 287218,
(assemblée)
CE, 25 juill. 1985, Mme Dagostini
Fiche 6 : L’ÉTAT D’URGENCE SANITAIRE
LES SOURCES TEXTUELLES LES SOURCES JURISPRUDENTIELLES
(classées en fonction ACTUALITÉ
(classées en fonction de leur force normative)
des hiérarchies des normes)
Loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 Conseil Constitutionnel Craignant une quatrième vague, l’exécutif a
Conseil constitutionnel, DC 2020-800 du 11 mai 2020 décidé de serrer la vis et présente un projet
Loi n° 2007-294 du 5 mars 2007 de loi de gestion de la crise sanitaire avec trois
Loi n° 2004-806 du 9 août 2004 Conseil d’État dispositions phares : l’extension du passe sani-
CE, 18 août 1919, Labonne taire, l’isolement obligatoire des cas positifs et
L3131-1 et suivants du Code de la santé publique l’obligation vaccinale de certains profession-
CE, 28 juin 1918, Heyriès nels. Le Gouvernement a engagé la procédure
Décret 2020-264 du 17 mars 2020 CE, 28 février 1919, Dol et Laurent CE, avis n° 399873 accélérée sur ce texte le 19 juillet 2021.
CE, ord. réf. 14 novembre 2005, Rolin Par une décision n° 2021-824 DC du 5 août
CE, ord., 27 janv. 2016, Ligue des droits de l’homme, avis n° 396220 2021, tout en admettant la conformité à la
CE, 18 mai 2020, Surveillance par drones Constitution de dispositions concernant le
« passe sanitaire », le Conseil constitutionnel
CE, 2 avril 2020, Act Up Paris
censure les dispositions de la loi relative à la
gestion de la crise sanitaire organisant la rup-
ture anticipée de certains contrats de travail
et le placement « automatique » à l’isolement,
qu’il juge contraires à la Constitution.
Fiche 7 : LA PROTECTION DU DÉTENU
LES SOURCES TEXTUELLES LES SOURCES JURISPRUDENTIELLES
(classées en fonction ACTUALITÉ
(classées en fonction de leur force normative)
des hiérarchies des normes)
Art. 66 Constitution Cour européenne des droits de l’homme La crise du Covid19 a permis de ramener la popula-
CEDH, 28 sept. 2000, Messina c/ Italie tion carcérale à un taux historiquement bas, 14% des
DDHC : articles 2 et 6 détenus ayant été libérés depuis le début de la crise.
CEDH, gr. Ch., 6 oct. 2005, Hirst c/ Royaume-Unis
PICDP : article 10, 23§1, 25§1 Les détentions provisoires prolongées de plein droit
CEDH, 20 mai 2008, Gulmez c/ Turquie
CESDH : articles 6§1, 8§1 sur le fondement de l’article 16 de l’ordonnance du
CEDH 30 janv. 2020, J.M.B. et autres c/ France, n° 9671/15 et 31 autres
et article 3 du Protocole n°1 CESDH 25 mars 2020 ont suscité un important contentieux.
La Cour de cassation a estimé que celles d’entre elles
Loi du 15 juin 2000 renforçant la présomption Cour de justice de l’Union européenne constatées sans l’intervention d’un juge dans un délai
d’innocence CJUE, 6 oct. 2015, Thierry Delvigne c/Commune de Lesparre Médoc et donné ne sont pas compatibles avec l’article 5 de la
préfet de la Gironde, C-650/13 CESDH.
Loi Perben II du 9 mars 2004
Saisi d’une QPC sur ce dispositif, le Conseil constitu-
Loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 Conseil constitutionnel
tionnel l’a estimé conforme à la Constitution au motif
Cons. const., 18 nov. 1982, n°82-146 DC Loi modifiant le code électoral que l’intervention d’un juge n’était pas impossible,
Art. 132-11 CPP
Cons. const., 20 janvier 1994, n°93-334 DC bien que non systématique.
Loi du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face Cons. const., 3 juil. 2020, n°2020- 851/852 QPC
à l’épidémie de Covid19 Par une ordonnance du 5 février 2021, Association
Conseil d’État Robin des Lois, le juge des référés du Conseil d’État
Ordonnance du 25 mars 2020 portant a refusé de faire droit à la demande de l’association
adaptation de règles de procédure pénale CE, Ass., 17 fév. 1995, Marie
Robin des lois d’inclure dans la première étape de la
CE, ord. ref., 19 janv. 2005, n°276562 campagne vaccinale contre la covid-19 l’ensemble
Loi du 11 mai 2020 prorogeant l’état d’urgence
CE, Ass. 14 déc. 2007, Boussouar, Planchenault, Payet des personnes détenues dans les établissements
CE, Sect., 17 déc. 2008, n°292088 pénitentiaires.
CE, 12 mars 2014, n°349683 Par une décision n° 2021-898 QPC du 16 avril 2021,
CE, ord. réf., 28 juil. 2016, n°401800 le Conseil constitutionnel juge qu’il incombe au légis-
lateur de garantir aux personnes condamnées la pos-
CE, 28 déc. 2017, n°400560
sibilité de saisir le juge de conditions de détention
CE, ord., 3 avr. 2020, n° 439894, 439877, 439887, 439890, 439898 contraires à la dignité de la personne humaine, afin
qu’il y soit mis fin.
Autres juridictions
TC, 27 nov. 1952 Préfet de la Guyane
Cass. crim., 26 mai 2020, n°20-81.971 ; n°20-81.910
Fiche 8 : LA PROTECTION DU CORPS HUMAIN
LES SOURCES TEXTUELLES LES SOURCES JURISPRUDENTIELLES
(classées en fonction ACTUALITÉ
(classées en fonction de leur force normative)
des hiérarchies des normes)
Articles 16 et suivants du Code civil Conseil constitutionnel Promulgation de la loi n° 2021-1017 du 2 août
Décision n° 74-54 DC du 15 janvier 1975 2021 relative à la bioéthique.
Code de la santé publique
Décision n° 94-343/344 DC du 27 juillet 1994
Décision n° 2001-446 DC du 27 juin 2001
Décision n° 2021-821 DC du 29 juillet 2021
Fiche 9 : LES DROITS DES PERSONNES MALADES
LES SOURCES TEXTUELLES LES SOURCES JURISPRUDENTIELLES
(classées en fonction ACTUALITÉ
(classées en fonction de leur force normative)
des hiérarchies des normes)
Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 pré- Conseil constitutionnel Protection par le RGPD des données de santé
voyant pour « tous (…) la protection de la santé » Décision n° 94-343/344 DC du 27 juillet 1994
Loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des
Cour de cassation
malades et à la protection du système de santé
Cass., civ. 1ère, 12 juin 2012, n°11- 18.327, Lamblin
Loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 dite « de modernisa-
tion de notre système de santé »

Articles 16 et suivants du Code civil


(not. art. 16-3 Code civil)

Code de la santé publique


Fiche 10 : LA MORT VOLONTAIRE
LES SOURCES TEXTUELLES LES SOURCES JURISPRUDENTIELLES
(classées en fonction ACTUALITÉ
(classées en fonction de leur force normative)
des hiérarchies des normes)
Article 16 du Code civil Code de la santé publique Cour Européenne des droits de l’homme Aucune actualité spécifique
Cour EDH, Pretty c. Royaume-Uni, 29 avril 2002, req. n° 2346/02
Articles 221-1, 221-3, 223-13 et 223-14 du Code pénal
Cour EDH (Gr. ch.), 5 juin 2015, req. n° 46043/14, Lambert et aut. c/
France

Conseil d’État
CE Ass. 24 juin 2014, n° 375081, 375090 et 37509, Vincent Lambert
Fiche 11 : LES MESURES DE SÛRETÉ
LES SOURCES TEXTUELLES LES SOURCES JURISPRUDENTIELLES
(classées en fonction ACTUALITÉ
(classées en fonction de leur force normative)
des hiérarchies des normes)
Convention Européenne de sauvegarde des Cour de Justice de l’Union Européenne Le 27 juillet 2020, fut adoptée une loi instau-
Droits de l’Homme et des libertés fondamentales 28 avril 2011, El Dridi rant des mesures de sûreté à l’encontre des
auteurs d’infractions terroristes à l’issue de
Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen Cour Européenne des droits de l’homme leur peine.
Code Procédure Pénale CESEDA 26 juin 1992, Tomasi c/France Cette loi crée un régime de sûreté spécifique
17 décembre 2009, Gardel c/ France pour les personnes condamnées pour terro-
Code de la Santé Publique
29 mars 2010, Medveydyev et autres c/France risme à leur sortie de prison. Elle vise à renfor-
Loi portant réforme de la garde à vue en 2011 cer leur suivi et à prévenir leur récidive.
14 octobre 2010, Brusco c/ France
Loi de 2014 portant transposition de la directive Cependant, par une décision n° 2020-805 DC
du 22 mai 2012 relative au droit à l’information Conseil constitutionnel du 7 août 2020, le Conseil constitutionnel a
dans le cadre des procédures pénales 20 janvier 1981, Décision n° 80-127 DC, Sécurité et liberté largement censuré les dispositions de la loi. La
5 août 1993, Contrôle et vérification d’identité loi promulguée contient un article unique (le
Loi sécurité intérieure et lutte contre le terro- seul non censuré par le Conseil constitution-
risme, n° 2017–15 10 du 30 octobre 2017 renfor- 21 février 2008, Décision n° 2008-562 nel) qui modifie le code pénal en précisant que
çant la sécurité intérieure et la lutte contre le 26 novembre 2010, n° 2010-71 QPC les personnes coupables d’actes terroristes
terrorisme 30 juillet 2010, QPC, Garde à vue, n° 2010–14/22 sont condamnées à un suivi socio-judiciaire
sauf si la juridiction décide, sur avis motivé, de
Décret n° 2017–636 du 25 avril 2017 18 novembre 2011, QPC, Garde à vue II, n° 2011-191
ne pas prononcer cette peine en considération
22 décembre 2015, n° 2015-527 des circonstances de l’infraction et de la per-
Arrêté du 18 du 28 décembre 2018
24 janvier 2017, décision n° 2016- 606/607 -QPC, Controle d’identité sur sonnalité de son acteur.
réquisition du Procureur
16 février 2018, n° 2017-691
11 mai 2020, n° 2020-800 DC
7 août 2020, n° 2020-805 DC

Cour de Cassation
Ass., 15 avril 2011, n° 10–17.049
Civ. 1ère, 28 mars 2012, n° 11-11.099 Crim, 19 septembre 2012, n° 11-
881111
Ch. Crim., 9 novembre 2016, n° 15–25.873
Civ. 1ère, 5 septembre 2018, n° 17–22.07
Fiche 12 : LA VIE PRIVÉE ET LA PROTECTION DE L’INTIMITÉ
LES SOURCES TEXTUELLES LES SOURCES JURISPRUDENTIELLES
(classées en fonction ACTUALITÉ
(classées en fonction de leur force normative)
des hiérarchies des normes)
Convention Européenne des Droits de l’Homme Cour Européenne des droits de l’homme Suite aux révélations d’Edward Snowden, Le
CEDH, 6 septembre 1978 Klass c/ Allemagne 13 septembre 2018 La Cour Européenne des
Déclaration Universelle des Droits de l’Homme droits de l’homme, par son arrêt Bureau of
CEDH, 2 août 1984, Malone c/ Royaume-Uni
Pacte International Relatif aux droits civils Investigative Journalism and Alice Ross c/ RU
CEDH, 24 novembre 1986, Gillow c/ Royaume-Uni a estimé que l’interception massive de don-
et politiques
CEDH, 30 mars 1989, Chapell c/ Royaume-Uni nées personnelles échangées par téléphone et
Code Civil CEDH, 16 décembre 1992, Niemietz c/ Allemagne internet ne comporte pas les garanties néces-
saires et emporte donc violation des articles 8
Code de la Santé Publique CEDH, 25 février 1993, Funke, Crémieux et Miailhe c/ France
et 10 de la Convention.
CEDH, 28 octobre 1994, Murray contre Royaume-Uni
Code de Procédure Pénale
CEDH, 16 avril 2002 Sociétés Colas Est et autres c/ France
Loi du 31 décembre 1971
CEDH, 17 juillet 2003, Craxi c/ Italie
Loi du 6 janvier 1978 CEDH, 20 avril 2004, Surugiu c/ Roumanie
Loi du 10 juillet 1991 sur le secret des corres- CEDH, 16 novembre 2004 Moreno Gomez c/ Espagne
pondances émises par voie de communication CEDH, 13 novembre 2007 Muscio c/ Italie
électronique
Conseil Constitutionnel
Loi numéro 2011–267 du 14 mars 2011,
Décision du Conseil constitutionnel du 12 janvier 1977, Fouilles de
LOPPSI 2.
véhicules
Décision numéro 94–352 du 18 janvier 1995, Sécurité
Décision numéro 99–419 du 9 novembre 1999, Pacs
Décision Couverture Maladie Universelle du 23 juillet 1999
Décision numéro 2019–796 du 27 décembre 2019

Conseil d’État
CE, 2 décembre 1983 Ville de Lille c/ Ackerman
CE, 10 avril 2008, Conseil national des barreaux
Fiche 13 : LA VIE PRIVÉE ET LA LIBERTÉ RELATIONNELLE
LES SOURCES TEXTUELLES LES SOURCES JURISPRUDENTIELLES
(classées en fonction ACTUALITÉ
(classées en fonction de leur force normative)
des hiérarchies des normes)
Pacte international relatif aux droits civils Cour Européenne des droits de l’homme Promulgation de la loi n° 2021-1710 du 2 août
et politiques de 1966, article 23 CEDH, arrêt du 6 avril 2017, Affaire A.P., Garçon et Nicot c/ France 2021 relative à la bioéthique
Charte des droits fondamentaux de l’Union CEDH, arrêt du 16 juillet 2014, affaire Hämäläinen c/ Finlande
européenne de 2000, article 9 CEDH, arrêt du 17 février 2005, K.A. et A.D. c/ Belgique
Convention européenne de sauvegarde des CEDH, arrêt du 11 juillet 2002, affaire Christine Goodwin c/ Royaume-Uni
droits de l’homme et des libertés fondamen- CEDH, arrêt du 22 oct. 1981, affaire Dudgeon c/ Royaume- Uni
tales, articles 8 et 12 CEDH, arrêt du 13 juin 1979, affaire Marckx c/ Belgique
Déclaration des droits de l’homme de 1789,
Conseil Constitutionnel
art. 2 et 4
Conseil constitutionnel, décision du 13 août 1993
Loi du 3 août 2018 Conseil constitutionnel, décision du 29 juin 2012
Loi du 17 mai 2013 Conseil constitutionnel, décision du 29 juillet 2021 (loi bioéthique)
Loi du 3 décembre 2001 TGI
Loi du 4 août 1982 Art. 146 du code civil TGI Bordeaux, 1ère ch. Civ. 27 juillet 2004
Fiche 14 : LA PORTÉE DU PRINCIPE D’ÉGALITÉ
LES SOURCES TEXTUELLES LES SOURCES JURISPRUDENTIELLES
(classées en fonction ACTUALITÉ
(classées en fonction de leur force normative)
des hiérarchies des normes)
Art. 1er, art. 3 de la Constitution de 1958 Cour européenne des droits de l’homme Dans son rapport de décembre 2008, le
CEDH, 6 avr. 2000, Thlimennos c/Grèce Comité de réflexion sur le préambule de la
Art 6, art. 13 Déclaration des droits de l’homme Constitution présidé par Simone Veil a estimé
et du citoyen de 1789 Cour de justice de l’Union européenne qu’une révision constitutionnelle tendant à
Art. 18, art. 19 TFUE CJUE, 13 nov. 1984, Racke introduire une disposition reconnaissant la
possibilité pour le législateur d’instituer des
Art. 20 et 21 Charte des droits fondamentaux Conseil constitutionnel mécanismes de discriminations positives
de l’Union européenne Cons. const., 27 déc. 1973, n° 73-51 DC n’était pas nécessaire. Une telle disposition a
été jugée superfétatoire, le Conseil constitu-
Art. 14 CESDH Cons. const., 12 juil. 1979, Pont à Péage
tionnel et le Conseil d’État ayant déjà admis
Cons. const., 7 janv. 1988, RJC I-317 les discriminations positives sur le fondement
Art. 2 Déclaration universelle des droits de
l’homme de 1948 Cons. const., 17 janv. 1989, n° 88-248 DC, CSA du principe d’égalité.
Cons. const., 9 avr. 1996, Diverses dispositions d’ordre économique
Art. 1 al. 3 de la Charte des Nations unies Saisi d’un référé-liberté contre les « sil-
et financier
houettes » sexistes reproduites sur des pan-
Art. 26 PIDCP Cons. const., 16 mars 2006, n° 2006-533 DC
neaux dans la commune de Dannemarie, le
Convention internationale sur l’élimination Conseil d’État Conseil d’État a récemment rappelé que le
de toutes les formes de discriminations raciales principe d’égalité ne constitue pas une liberté
CE, 30 nov. 1923, Couitéas fondamentale au sens de l’article 521-2 du
de 1966
CE, Ass., 14 janv. 1938, La Fleurette Code de Justice administrative (CE, ord. réf., 1er
Convention sur l’élimination de toute forme de sept. 2017, Dannemarie).
CE, Ass., 3 juill. 1936, Delle Bobard
discrimination à l’égard des femmes de 1979
CE., Sect., 9 mars 1951, Sté des concerts du Conservatoire
Convention relative aux droits des personnes CE, Sect., 10 mai 1974, Denoyez et Chorques
handicapées de 2006
CE, 28 mars 1997, Sté Baxter
CE, ord. réf., 26 juin 2003, Conseil départemental de parents d’élèves
de Meurthe et Moselle
CE, Ass., 12 avr. 2012, GISTI

Autres juridictions
Cour Suprême des États-Unis, 1978, University of California Regents
vs. Bakke
Fiche 15 : LA DIGNITÉ
LES SOURCES TEXTUELLES LES SOURCES JURISPRUDENTIELLES
(classées en fonction ACTUALITÉ
(classées en fonction de leur force normative)
des hiérarchies des normes)
Déclaration universelle des droits de l’homme Cour européenne des droits de l’homme Par une décision n° 2021-898 QPC du 16 avril
Déclaration de Philadelphie Convention EDH 27 août 1992, Tomasi c/ France 2021, le Conseil constitutionnel juge qu’il
22 novembre 1995, C.R. c/ Royaume-Uni incombe au législateur de garantir aux per-
Charte des Droits Fondamentaux sonnes condamnées la possibilité de saisir le
16 novembre 2000, Tanribilir c/ Turquie
Traité sur l’UE Code Civil Code Pénal juge de conditions de détention contraires à
3 avril 2001, Keenan c/ Royaume-Uni
la dignité de la personne humaine, afin qu’il y
Code de la Santé Publique Code de Justice 29 avril 2002, Pretty c/ Royaume-Uni
soit mis fin.
Administrative 4 février 2003, Van Der Ven c. Pays-Bas
4 décembre 2003, Gündüz c/ Turquie Le 9 avril 2021, la loi tendant à garantir le droit
Loi (n° 94-653) du 29 juillet 1994 relative au au respect de la dignité en prison a été publiée
4 juillet 2006, Ramirez Sanchez c. France
respect du corps humain (voir fiche sur la protection des détenus).
11 décembre 2007, Tremblay c/ France
Loi du 4 mars 2002 (relative aux droits des ma- 16 octobre 2008, Renolde c/ France
lades et à la qualité du système de santé) 5 avril 2011, Rahimi c/ Grèce,
Loi du 6 août 2004 (n° 2004-800) 30 janvier 2020, J.M.B c/France

Loi du 5 mars 2007 (DALO) CJCE / CJUE


9 octobre 2001, Royaume des Pays-Bas
Loi du 30 octobre 2007 14 octobre 2004, Omega GmbH, C36/02

Conseil Constitutionnel
Déc. n° 94-343/344 DC, 27 juillet 1994, Loi relative au respect du corps humain
et loi relative au don et à l’utilisation des éléments et produits du corps humain,
à l’assistance médicale à la procréation et au diagnostic prénatal
Déc. n° 94-359 DC du 19 janvier 1995, Loi relative à la diversité de l’habitat
Déc. n° 2001-446 DC du 27 juin 2001, Loi relative à l’interruption volontaire de
grossesse et à la contraception
Déc. n° 2009-593 DC du 19 novembre 2009
Déc. n° 2011-625 DC du 10 mars 2011, Loi d’orientation et de programmation
pour la performance de la sécurité intérieure [LOPPSI 2]).

Cour de Cassation
Ass. Plén., 17 novembre 2000
Ass. Plén., 13 juillet 2001
Civ. 2ème, 4 novembre 2004
Soc. 10 novembre 2009, Association Salon vacances loisirs c/ M. Marquis
Civ. 1ère, 1er juillet 2010, n°09-15479
Civ. 1ère, 16 septembre 2010, «Our Body»

Conseil d’État
CE, Ass., 2 juillet 1993, Milhaud
Ass., 27 octobre 1995, Commune de Morsang-sur-Orge
20 mai 1996, Société Vortex
Sect., 14 février 1997, Centre hospitalier régional de Nice
Avis contentieux, Ass., 16 février 2009, Hoffman- Glemane
30 août 2006, Association Free Dom,
9 octobre 1996, Association ‘Ici et maintenant’
Fiche 16 : LA LIBERTÉ D’ALLER ET VENIR
LES SOURCES TEXTUELLES LES SOURCES JURISPRUDENTIELLES
(classées en fonction ACTUALITÉ
(classées en fonction de leur force normative)
des hiérarchies des normes)
DDHC, articles 1, 2 et 4 Cour européenne des droits de l’homme Conseil constitutionnel, décision n° 2021-824
2 décembre 2014 Battista c/ France, req. N°43978/09 DC du 5 août 2021, loi relative à la gestion
PIRDCP, article 12 CESDH de la crise sanitaire : tout en admettant la
Charte des droits fondamentaux Conseil Constitutionnel conformité à la Constitution de dispositions
de l’Union Européenne concernant le « passe sanitaire », le Conseil
12 juillet 1979, Ponts à péage
constitutionnel censure les dispositions de
Loi du 3 janvier 1969 12-13 aout 1993, n° 93-325 DC, Maitrise de l’immigration la loi relative à la gestion de la crise sanitaire
22 avril 1997, n° 97-389 DC Certificats d’hébergement organisant la rupture anticipée de certains
Loi du 26 mai 1977 contrats de travail et le placement « auto-
5 octobre 2012, n° 2012-279, QPC M. Jean-Claude P. (régime de circula-
Loi Besson n°90-449 du 31 mars 1990 tion des gens du voyages.) matique » à l’isolement, qu’il juge contraires
à la Constitution.
Loi du 20 novembre 2015 portant modification 22 mai 2015, Société UBER France SAS et autres, n°2015-468/469/472 QPC
de la loi du 3 avril 1955 22 déc. 2015 Cédric D., n° 2015-527 QPC
Loi n° 2017-86, 27 janvier 2017 relative 16 février 2018 n° 20187-691 QPC M. Farouk B
à l’égalité et la citoyenneté 29 mars 2018, n° 2017-695 QPC M. Rouchdi B et autres

Loi n°2020-290 du 23 mars 2020 Conseil d’État


Art. R. 111-4 du Code de la Construction 22 février 1961, Lagoutte
et de l’habitation 5 nov. 1980, Fédération nat. Des transporteurs routiers
9 juin 1999, Mlle Bouayad
Traités de Rome, Maastricht, Amsterdam
26 avril 2005, Said L Mamali, req. N°279842
Décret du 12 octobre 1994
7 mai 2008, Association Collectif pour la Défense des Loisirs Verts, req.
N° 298836
Avis 17 novembre 2015, n°390786
11 décembre 2015, M.H.X.
22 janvier 2016, M.A.B., req. N° 396116
22 mars 2020, syndicat Jeunes médecin

Cour de Cassation
er
Crim, 1 février 1956, Flavien D.
Fiche 17 : L’ENTRÉE ET LE SÉJOUR DES ÉTRANGERS SUR LE TERRITOIRE
LES SOURCES TEXTUELLES LES SOURCES JURISPRUDENTIELLES
(classées en fonction ACTUALITÉ
(classées en fonction de leur force normative)
des hiérarchies des normes)
Article 8 de la CESDH Conseil Constitutionnel CEDH 2 juillet 2020, N.H. et autres c/ France :
13 août 1993, déc. n° 93-325 DC la France est condamnée pour son inertie à
Code de l’entrée et du séjour des étrangers l’égard des demandeurs d’asile à la rue.
et du droit d’asile
Cour européenne des droits de l’homme
Règlement (CE) n° 810/2009 du Parlement euro- 28 mai 1985, Abdulaziz et a. c/ Royaume-Uni Une nouvelle version du CESEDA, remaniée et
péen et du Conseil du 13 juillet 2009 renumérotée, est entrée en vigueur le 1er mai
2021.
Fiche 18 : LES MESURES D’ÉLOIGNEMENT DES ÉTRANGERS
LES SOURCES TEXTUELLES LES SOURCES JURISPRUDENTIELLES
(classées en fonction ACTUALITÉ
(classées en fonction de leur force normative)
des hiérarchies des normes)
Article 8 CESDH Cour Européenne des droits de l’homme CEDH, 25 juin 2020, Moustahi c/ France :
20 mars 1991, Cruz-Varas et autres c/ Suède La CEDH condamne l’expulsion de mineurs iso-
Article 3 CESDH
7 juillet 1989, Soering c/ Royaume-Uni lés à Mayotte.
Code de l’entrée et du séjour des étrangers
et du droit d’asile Conseil d’État CE, 6 novembre 2019, n° 431585 :
CE, 4 juin 2014, n° 370515 Lorsqu’une substitution de base légale s’avère
possible en matière d’obligation de quitter le
territoire, la formation collégiale peut y pro-
céder directement, tandis que le juge unique
doit, dans certains cas, renvoyer à la formation
collégiale.
Fiche 19 : LA LIBERTÉ DU COMMERCE ET DE L’INDUSTRIE
LES SOURCES TEXTUELLES LES SOURCES JURISPRUDENTIELLES
(classées en fonction ACTUALITÉ
(classées en fonction de leur force normative)
des hiérarchies des normes)
Article 4 Déclaration des droits de l’homme Conseil Constitutionnel Contentieux devant les juridictions administra-
et du citoyen (en ce qui concerne la liberté C.c., 16 janvier 1982, décision n° 81-132 DC, Loi de nationalisation tives s’agissant des mesures de fermeture des
d’entreprendre) commerces.
C.c., 31 janvier 2020, décision n° 2019- 823 QPC, Union des industries
Articles 2 et 17 DDHC (droit de propriété) de la protection des plantes
Consécration récente par le Conseil constitu-
C.c., 11 mai 2020, décision n° 2020-800 DC, Loi prorogeant l’état d’ur- tionnel de l’objectif à valeur constitutionnelle
gence sanitaire et complétant ses dispositions de protection de l’environnement.
Conseil d’État
CE, ord. réf., 12 novembre 2001, Commune de Montreuil-Bellay,
n° 233840

Cour de cassation
Cass., comm., 11 mai 2017, n° 15-12872
Fiche 20 : LE DROIT DE PROPRIÉTÉ
LES SOURCES TEXTUELLES LES SOURCES JURISPRUDENTIELLES
(classées en fonction ACTUALITÉ
(classées en fonction de leur force normative)
des hiérarchies des normes)
Articles 2 et 17 de la Déclaration des Droits de Conseil Constitutionnel Débat sur la propriété des données à caractère
l’Homme et du Citoyen de 1789 16 janvier 1982, décision n° 81-132 DC, Loi de nationalisation personnel.
Article Premier du premier protocole
Cour Européenne des droits de l’homme
additionnel à la Convention européenne
des Droits de l’Homme Cour EDH (Plén.), 23 septembre 1982, Sporrong et Lönnroth c/ Suède
Cour EDH (Gr. ch.), 28 septembre 2004, Kopecky c/ Slovaquie
Articles 544 et suivants du Code civil
Conseil d’État
CE, Ass., 28 mai 1971, n° 78825, Ville Nouvelle-Est
Fiche 21 : LA LIBERTÉ DE PENSÉE, DE CONSCIENCE ET D’OPINION
LES SOURCES TEXTUELLES LES SOURCES JURISPRUDENTIELLES
(classées en fonction ACTUALITÉ
(classées en fonction de leur force normative)
des hiérarchies des normes)
Déclaration universelle des droits de l’homme Commission Européenne des droits de l’homme Liberté d’expression sur internet :
(article 19) Censure par le Conseil constitutionnel le 18
Comm. EDH, 7 mars 1977, Groupe d’objecteurs de conscience c/ Dane-
Convention européenne des droits de l’homme mark, n° 7565/76 juin 2020 de la loi Avia contre la haine en ligne
(article 6§1)
Cour Européenne des droits de l’homme Liberté de conscience :
Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du
26 août 1789 (articles 10 et 11) CEDH, 25 février 1993, Funke c/ France Affaire Mila
CEDH 25 mai 1993, Kokkinakis c/ Grèce
Préambule de la constitution du 27 octobre 1946
CEDH, 26 septembre 1995, Vogt c/ Allemagne
Code de la défense (article L4121-2)
CEDH, 7 juillet 2011, Bayatyan c/ Arménie
Code du travail (article L1132-1) CEDH, 3 juin 2010, Dimitras et autres c/ Grèce
Code pénal (articles 431-1, 434-15-2)
Cour de justice européenne
Code de la santé publique (article L2212-8)
6 mars 2001, M. Connolly c/ Commission
Code de la propriété intellectuelle (article L111-1)
Conseil constitutionnel
Loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation
des Églises et de l’État (article 1) CC, 18 septembre 1986, n° 86-217
CC, 27 juin 2001, n° 2001-446 DC
Loi n° 63-1255 du 21 décembre 1963 relative à cer-
taines modalités d’accomplissement des obligations CC, 18 octobre 2013, QCP n° 2013-353
imposées par la loi sur le recrutement CC, 21 mars 2018, QCP n° 2018-696
Loi n° 83-605 du 8 juillet 1983 modifiant le code CC, 4 avril 2019, n° 2019-780 DC
du service national
Conseil d’État
Loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits
et obligations des fonctionnaires CE, 11 janvier 1935, Bouzanquet
CE, 28 mai 1954, Barel
Loi n° 2016-483 du 20 avril 2016 relative à la déonto-
logie aux droits et obligations des fonctionnaires CE, 27 juin 2018, M. A. B., n° 412541
CE, avis du 3 mai 2000, Mademoiselle Marteaux, req. n° 217017
Loi n° 2016-925 du 7 juillet 2016 relative à la liberté
de création, à l’architecture et au patrimoine
Cour suprême des États-Unis
Loi n° 2020-766 du 24 juin 2020 visant à lutter 4 juin 2018, Masterpiece Cakeshop v. Colorado Civil Rights Commission
contre les contenus haineux sur internet
Circulaire du 2 février 2005 relative à la laïcité dans
les établissements de santé
Traité théologico-politique, Spinoza
De la tolérance.
Commentaire philosophique, Pierre Balle
La lettre sur la tolérance, John Locke
Le traité sur la tolérance, Voltaire
Loi allemande du 1er septembre 2017 dite NetzDG
Fiche 22 : LA LIBERTÉ DE RELIGION ET DE LAÏCITÉ
LES SOURCES TEXTUELLES LES SOURCES JURISPRUDENTIELLES
(classées en fonction ACTUALITÉ
(classées en fonction de leur force normative)
des hiérarchies des normes)
Pacte international du 16 décembre 1966 Cour Européenne des droits de l’homme Décret n° 2020-548 du 11 mai 2020 prescri-
CEDH, 14 juillet 1987, Chapell c/ Royaume-Uni vant les mesures générales nécessaires pour
Conventions de 2003 et de 2005 de l’UNESCO
faire face à l’épidémie de covid-19 dans le
CEDH, 3 mai 2007 n° 71156/01, Membres de la Congrégation des té-
Convention d’Istanbul de 2013 cadre de l’état d’urgence sanitaire
moins de Jéhovah de Gldani et autres c/ Géorgie
Convention européenne des droits de l’homme : CEDH, 5 juillet 2012, Association Témoins de Jéhovah c/ France
article 9 CEDH, 1er juillet 2014 n° 43835/11, SAS c/ France
CEDH, 13 septembre 2016, Big Brother Watch et autres c/ Royaume-Uni
Constitution française Loi du 28 décembre 1904

Loi du 9 décembre 1905 Conseil constitutionnel


CC, 7 octobre 2010 n° 2010-613 DC
Loi n° 55-385 du 3 avril 1955

Loi n° 2001-504 du 12 juin 2001 Cour de cassation


CCass, 18 décembre 2002 chambre civile, 01-00.519
Loi n° 2008-1350 du 19 décembre 2008
CCass, 18 décembre 2002, chambre civile, affaire Baby- Loup, 25.06.14
Loi n° 2010-1192 du 11 octobre 2010 CCass, 8 juin 2006, chambre civile, 05-14.774, affaire dite « des cabanes »
Loi n° 2013-711 du 5 août 2013 CCass, 16 octobre 2016, chambre criminelle, 03-83.910, 05-82.121,
12-81.532
Code de la sécurité intérieure : livre VIII, articles CCass, 26 octobre 2016, chambre criminelle, 15-85.956
L801-1, 222- 9, 222-10, 222-33-2, 223-13, 223-15-2,
227-24-1, 313-1 Conseil d’État
Code du commerce CE, 19 février 1909, abbé Olivier
CE, 21 janvier 1966, n° 61692
Code de la santé publique : articles L4161-5, L4223-1
CE, 6 janvier 2006, M. Rémy Martinot, n° 260307
Code de la consommation : articles L121-6, L213-1 à CE, 5 juillet 2013, Œuvre d’assistance aux bêtes d’abattoirs, n° 361441
L213- 4
CE, 9 novembre 2016, Fédération départementale des libres penseurs de
Décret n° 2002-1392 du 28 novembre 2002 Seine-et-Marne, n° 395122
CE, 26 août 2017426, LDH et autres, n° 402
Décret n° 2020-548 du 11 mai 2020

Discours de l’Abbé Grégoire du 21 décembre 1794 Cour administrative d’appel


CCA, Paris, chambre 1, 4 septembre 2012, n° 10PA01543

Tribunal administratif
TA, Melun, 30 septembre 2016, « Mosquée de Lagny-sur-Marne »
Fiche 23 : LE DROIT À L’INSTRUCTION ET LA LIBERTÉ DE L’ENSEIGNEMENT
LES SOURCES TEXTUELLES LES SOURCES JURISPRUDENTIELLES
(classées en fonction ACTUALITÉ
(classées en fonction de leur force normative)
des hiérarchies des normes)
Pacte international relatif aux droits économiques, Cour Européenne des droits de l’homme Conseil constitutionnel, QPC, avril 2020 sur les
sociaux et culturels (article 13) conditions d’accès à l’enseignement supérieur
CEDH, 23 juillet 1968, affaire linguistique belge, n° 1464/62
« Parcoursup »
Traité de Lisbonne du 1er décembre 2009 (article 13) CEDH, 15 juin 2010, Gtzelak c. Pologne CEDH, 10 novembre 2005, Leyla
Sahin c/ Turquie
Protocole additionnel n°1 CEDH Tribunal administratif de Paris (N°2007394/1-
CEDH, 29 juin 2007, Folgero et autres c/ Norvège, n° 15472/02
3) du 5 juin 2020.
Charte des droits fondamentaux de l’Union euro- CEDH, 11 septembre 2006, Konrad et autres c/ Allemagne, n° 35504/03
péenne (article 14) CEDH, 25 février 1982, Campbell et Cosans c/ Royaume-Uni
Charte sociale européenne (articles 9 et 10)
Conseil constitutionnel
Préambule de la constitution du 27 octobre 1946 CC, 11 juillet 2001, n° 2001-450 DC
Constitution de 1791 CC, QPC, 3 avril 2020, n° 2020-834
CC, 20 janvier 1984, n° 83-165 DC
Constitution du 24 juin 1793 (article 22) CC, 23 novembre 1977, n° 77-87
Code du travail (article L1233-4, L6111-1, L6111-2) CC, 26 janvier 2017, n° 2016-745 DC

Code de l’éducation (articles L123-5, L123-6, L123-7, Conseil d’État


123-9, L442-1, L442-5, L442-12, L131-1-1, L131-5,
CE, 28 mai 1954, Barel
L131-10)
CE, 5 varil 1974, Leroy
Code de justice administrative (article L521-2) CE, 13 mars 1996, Gohin
CE, 1er juillet 2020, association UNEDESEP et autres
CE, 5 décembre 2007, M et Mme Ghazal, req. n° 295671, M Singh et
autres, req. n° 285394
CE, 25 octobre 1991, Syndicat national de l’enseignement chrétien,
CFTC et autres

Cour de Cassation
CCass, 19 mai 1978, dame Roy

Tribunal administratif
TA, Paris, 30 janvier 2001, Mme Ben Ayed, n° 102-3
TA Versailles, 18 mars 2006, Université Paris X Nanterre, n° 0602618
TA, Caen, 7 juin 2005, M et Mme K, n°0500301

Cour suprême des États-Unis


Schette c/ Callition to Défend Affirmative Action, 572 U.S. 291 de 2014
Fiche 24 : LA LIBERTÉ D’EXPRESSION
LES SOURCES TEXTUELLES LES SOURCES JURISPRUDENTIELLES
(classées en fonction ACTUALITÉ
(classées en fonction de leur force normative)
des hiérarchies des normes)
Article 11 Déclaration des droits de l’homme et Conseil Constitutionnel Élaboration récente (2019) d’un cadre juri-
du citoyen Conseil constit., décision n° 84-181 DC du 11 octobre 1984 dique en droit de l’Union européenne pour les
lanceurs d’alerte.
Article 10 Convention européenne de sauve- Conseil constit., décision n° 2019-780 DC du 4 avril 2019
garde des droits de l’homme et des libertés
fondamentales Cour Européenne des droits de l’homme
Loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse Cour EDH (Cour plén.), 7 déc. 1976, Handyside c/ Royaume-Uni, req. n°
5493/72
Art. 9 du Code civil (en ce qui concerne le droit à Cour EDH, 27 mars 1996, Goodwin c/ Royaume-Uni, req. n° 17488/90
l’image de la personne)
Fiche 25 : LA LIBERTÉ DE RÉUNION ET DE MANIFESTATION
LES SOURCES TEXTUELLES LES SOURCES JURISPRUDENTIELLES
(classées en fonction ACTUALITÉ
(classées en fonction de leur force normative)
des hiérarchies des normes)
Déclaration universelle des droits de l’homme, Cour Européenne des droits de l’homme L’état d’urgence sanitaire a eu pour consé-
article 20 quence de limiter la liberté de réunion et la
CEDH, arrêt du 9 avril 2000, Affaire Cissé c/ France
liberté de manifestation. Le juge administratif
Pacte international relatif aux droits civils et poli- CEDH, arrêt du 1er décembre 2011, affaire Schwabe et MG c/ Allemagne a exercé un contrôle rigoureux sur la justifica-
tiques de 1966, article 2 CEDH, 12 juillet 2005, affaire Güneri et autres c/ Turquie tion de ces atteintes.
Convention Européenne de sauvegarde des droits de CEDH, arrêt du 21 juin 1988, affaire Plattform « Ärzte für das Leben »
l’homme et des libertés fondamentales, article 11 c/ Autriche La loi dite « anticasseurs » du 10 avril 2019
a pour effet de limiter la liberté de manifes-
Déclaration des droits de l’homme de 1789, Conseil constitutionnel tation, en restreignant la liberté de participer
article 11 à une manifestation, ce qui pourrait sembler
Cons. const., 4 avril 2019, Loi visant à garantir le maintien de l’ordre lors incompatible avec l’article 11 de la Conv. EDH.
Loi du 10 avril 2019 des manifestations
Cons. const., 19 février 2016, Ligue des droits de l’homme, n° 2016-535 QPC L’usage des LBD, largement critiqué au
Loi du 7 janvier 1983
Cons. const., 18 janvier 1995, Loi d’orientation sur la sécurité moment des manifestations des « Gilets
Loi du 28 mars 1907 jaunes », a été validé par le juge administratif.
Conseil d’État
Loi du 30 juin 1881
CE 12 novembre 1997, Ministère de l’intérieur c/ Association « Commu-
nauté tibétaine en France »
CE, 6 août 1915, Delmotte et Senmartin
CE, 19 mai 1933, Benjamin
CE ord. référés, 19 août 2002
CE, ord. Référés, 13 juin 2016
CE, ord. Référés, 6 juillet 2020

Cour de Cassation
Crim. 9 février 2016
Fiche 26 : LA LIBERTÉ D’ASSOCIATION
LES SOURCES TEXTUELLES LES SOURCES JURISPRUDENTIELLES
(classées en fonction ACTUALITÉ
(classées en fonction de leur force normative)
des hiérarchies des normes)
Convention européenne des Droits Conseil Constitutionnel Aucune actualité particulière.
de l’Homme, article 11 Décision n° 71-44 DC, 16 juillet 1971, Liberté d’association
Loi du 1er juillet 1901 relative
Conseil d’État
au contrat d’association
CE, Ass., 1956, Amicale des Annamites de Paris, n° 26638

Cour Européenne des droits de l’homme


Cour EDH (Gr. Ch.), 17 février 2004, Gorzelik et autres c/ Pologne
Cour EDH, 2 octobre 2014, Matelly c/ France
Fiche 27 : LA LIBERTÉ SYNDICALE ET LE DROIT DE GRÈVE
LES SOURCES TEXTUELLES LES SOURCES JURISPRUDENTIELLES
(classées en fonction ACTUALITÉ
(classées en fonction de leur force normative)
des hiérarchies des normes)
Préambule de la Constitution de la IVe Répu- Cour européenne des droits de l’homme Une proposition de loi a été déposée le 02
blique (al. 6, 7 et 8) Junta Rectora Del Ertzainen Nazional Elkartasuna c. ESPAGNE, 21 avr. 2015 décembre 2019 devant le Sénat tendant à
assurer l’effectivité du droit au transport, à
C087 - Convention (no 87) sur la liberté syndi- MATELLY c/ France et ADEFDROMIL c/ France, 2 oct. 2014
améliorer les droits des usagers et à répondre
cale et la protection du droit syndical, 1948 Enerji Yapi-Yol Sen c/ TURQUIE, 1er avril 2009 aux besoins essentiels du pays en cas de grève.
Convention Européenne de sauvegarde des DEMIR et BAYKARA c/ TURQUIE, 12 nov. 2008
La proposition a été adoptée en 1ère lecture,
droits de l’homme et des libertés fondamentales Tüm Haber Sen et CINAR c/ TURQUIE, 21 févr. 2006 avec modifications, par le Sénat le 04 février
(art. 11) 2020. Elle a été déposée le 05 février 2020
Wilson et Union nationale des journalistes et autres c/ ROYAUME-UNI,
Charte sociale européenne du 18 octobre 1961 2 juillet 2002 à l’Assemblée Nationale et renvoyé(e) à la
(art. 5) SCHMIDT et DAHLSTRÖM c/ SUEDE, 6 févr. 1976 Commission du développement durable et
de l’aménagement du territoire (aucune nou-
Charte communautaire des droits sociaux fon- Syndicat National de la Police belge c/ BELGIQUE, 27 oct. 1975 veauté sur ce point au 10 août 2021).
damentaux des travailleurs du 9 décembre 1989
Conseil Constitutionnel
(art. 11)
Décision n° 71-44 DC du 16 juillet 1971
Déclaration Universelle des droits de l’homme
Décision n°79-105 DC du 25 juillet 1979
(art. 23)
Décision n° 80-127 DC du 20 janvier 1981
Loi du 21 mars 1884 dite Waldeck-Rousseau Décision n°82-144 DC du 22 octobre 1982
relative aux syndicats professionnels
Décision n° 2007-556 DC du 16 août 2007
Loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et Décision n° 2008-569 DC du 7 août 2008
obligations des fonctionnaires (art. 6, 8 et 10)
Conseil d’État
Loi n° 2007-1224 du 21 août 2007 sur le dia-
logue social et la continuité du service public Ass., 7 juill. 1950, Dehaene, n° 01645
dans les transports terrestres réguliers de Sect., 9 déc. 2003, n° 262186
voyageurs
CE, 19 mai 2008, Syndicat Sud-RATP
Code du Travail, articles L. 2511-1, L. 2512-1 à L.
2512-5 (droit de grève) et articles L. 2141-1 et
ss. (Liberté syndicale)
Fiche 28 : LE DROIT À UN ENVIRONNEMENT SAIN
LES SOURCES TEXTUELLES LES SOURCES JURISPRUDENTIELLES
(classées en fonction ACTUALITÉ
(classées en fonction de leur force normative)
des hiérarchies des normes)
Préambule de la Constitution du 4 octobre 1958 Cour de Justice de l’union Européenne Le 14 mars 2019, plusieurs associations
CJCE n°C-240/83 Procureur de la République c/ ABDHU du 7 février (Oxfam, Green Peace, Fondation Nicolas Hulot
Charte de l’environnement du 4 mars 2005 :
1985 pour la nature et l’homme, et notre affaire
• Droit de vivre dans un environnement à tous) ont saisi le Tribunal administratif de
équilibré et respectueux de la santé Paris d’un recours en plein contentieux à la
(article 1er) Cour Européenne des droits de l’homme
suite du rejet par le Gouvernement de leur
• Devoir de prendre part à la protection, Cour EDH Affaire Hakansson et Sturesson c/ Suède du 23 janvier 1990 recours indemnitaire.
à la prévention et à l’amélioration de Cour EDH Affaire López Ostra c/ Espagne Arrêt du 9 décembre 1994 Ledit recours était fondé notamment sur le fait
l’environnement (articles 2 et 3) Cour EDH, 30 novembre 2004, Öneryıldız c/ Turquie, aff. n° 48939/99, que les différents rapports du GIEC (Groupe
• Le principe pollueur-payeur (article 4) § 89 et suiv. intergouvernemental des experts en matière
• Le principe de précaution (article 5) Cour EDH, 20 mars 2008, Boudaïeva c/ Russie, aff. n° 15339/02, de climat) font état d’une dégradation de la
21166/02, 20058/02, 11673/02 et 15343/02 qualité de l’air, ce qui favorise l’augmenta-
Article 37 de la Charte des droits fondamentaux de tion de la fréquence, de l’intensité et/ou de
l’Union Européenne du 7 décembre 2000 la durée des phénomènes météorologiques
Conseil constitutionnel
Article 191 du Traité sur le Fonctionnement de extrêmes tels que les canicules, les épisodes
Cons. const., 19 juin 2008, Loi relative aux organismes génétiquement de précipitations intenses et dans certaines
l’Union Européenne modifiés, déc. n° 2008-564 DC régions les sécheresses et les ouragans.
Articles 2 et 8 de la Convention Européenne de Cons. const., 29 décembre 2009, Loi de finances pour 2010, déc. La carence fautive de l’État est donc caractéri-
sauvegarde des droits de l’homme et des libertés n° 2009-599 DC sée au regard de ses engagements et objectifs
fondamentales Cons. const., 8 avril 2011, M. Michel Z. et autre, déc. n° 2011- 116 contraignants et spécifiques de lutte contre le
L’article L.229-1 du Code de l’environnement QPC, cons. 5. changement climatique.
prévoit que : « La lutte contre l’intensification L’État français dans un mémoire en défense
de l’effet de serre et la prévention des risques Jurisprudence administrative : réfute toute responsabilité dans le change-
liés au réchauffement climatique sont reconnues CE, Sect., 28 octobre 1977, req. n°95537 ment climatique, conteste toute obligation
priorités nationales. » générale de lutte contre le changement clima-
CE, Ass. 9 avril 1993, M. D., req. n° 138653, Lebon p. 110
tique et indique qu’il n’existe pas de lien entre
L’article L.100-4 du Code de l’énergie a pour objectif CE, 3 mars 2004, Ministre de l’emploi et de la solidarité c. Consorts le changement climatique et le droit à la vie.
de : « réduire les émissions de gaz à effet de serre de Botella, req. n° 241151, Lebon p. 125
40% entre 1990 et 2030 et d’atteindre la neutralité Le tribunal administratif de Paris a rendu
CE, Ass., 3 octobre 2009, Commune d’Annecy, req. n° 297931, Lebon son jugement le 3 février 2021, n° 1904967,
carbone à l’horizon 2050. »
p. 322 1904968, 1904972, 1904976/4-1. Il reconnaît
CE, 9 novembre 2016, Mme B., req. n° 393902 la carence partielle de l’État à respecter les
CAA Nantes, 2ème Ch., 1er décembre 2009, n°07NT03775 objectifs qu’il s’est fixés en matière de réduc-
tion des émissions de gaz à effet de serre.
CAA Marseille, 9ème ch., 13 mars 2018, n°17MA04122175
TA Châlons-en-Champagne, 29 avril 2005 -n°0500828
TA Toulouse, 6ème ch., 6 mars 2018, n°1501887, 1502320
TA Paris 3 février 2021, n° 1904967, 1904968, 1904972, 1904976/4-1
Fiche 29 : LE DROIT DES MINORITÉS
LES SOURCES TEXTUELLES LES SOURCES JURISPRUDENTIELLES
(classées en fonction ACTUALITÉ
(classées en fonction de leur force normative)
des hiérarchies des normes)
Pacte International relatif aux droits civils Comité des droits de l’Homme Le Rapporteur spécial des Nations Unies
et politiques, articles 17, 23, 27. Jouni E. Länsman et al. v. Finland, 28 août 1995 sur les droits des peuples autochtones, José
Francisco Cali Tzay, a exprimé de sérieuses
Convention Américaine relative aux droits Cour Africaine des droits de l’homme et des peuples inquiétudes quant à l’impact dévastateur
de l’Homme, articles 3, 21, 2. de la pandémie de Covid-19 sur les peuples
African Commission on Human and Peoples’ Rights v. Republic of Kenya
Charte Africaine des droits de l’Homme (« Affaire du Peuple Ogiek »), 26 mai 2017 autochtones, exhortant notamment les États
et des peuples, articles 19, 20, 22, 23, 24. à assurer un accès à l’information, dans les
Cour Interaméricaine des droits de l’Homme langues traditionnelles, et un accès aux soins,
Convention Européenne de sauvegarde des dans le respect des traditions culturelles des
Saramaka c. Suriname, 28 novembre 2007
droits de l’Homme et des libertés fondamen- peuples autochtones.
tales, Articles 1, 6 et 14. Conseil Constitutionnel
Convention-cadre pour la protection déc. n° 91-290 DC du 9 mai 1991, Statut de la Corse
des minorités nationales. déc. du 15 juin 1999 sur la Charte européenne des langues régionales
ou minoritaires
Déclaration des Nations Unies des droits des
personnes appartenant à des minorités de 1992.

Convention relative à l’élimination de toutes


formes de discrimination raciale.
Fiche 30 : LES CONCEPTS DE SOLIDARITÉ ET DE CONFRATERNITÉ
LES SOURCES TEXTUELLES LES SOURCES JURISPRUDENTIELLES
(classées en fonction ACTUALITÉ
(classées en fonction de leur force normative)
des hiérarchies des normes)
Constitution du 4 octobre 1958, Préambule, art. Conseil Constitutionnel Aucune actualité particulière.
2 et art. 72-3 Décision n° 2018-717/718 QPC du 6 juillet 2018
Préambule de la Constitution du 27 octobre Décision 2007-553 DC du 3 mars 2007, Loi relative à la prévention de la
1946, al. 12 délinquance

Déclaration Universelle des droits de l’Hommes Décision 98-405 DC du 29 décembre 1998, Loi de finances rectificative
du 10 décembre 1948, art. 1er pour 1998
Décision 96-387 DC du 21 janvier 1997, Prestation dépendance
Décision 97-393 DC du 18 décembre 1997, Allocations familiales
Décision no 87-237 DC du 30 décembre 1987, Loi de finances 1988
Décision no 85-200 DC du 16 janvier 1986, Cumul emploi-retraite
Décision no 86-207 DC des 25 et 26 juin 1986, Privatisations

Conseil d’État
CE Ass., 7 juillet 1950, Dehaene
CE, 10 décembre 1962, Sté indochinoise de constructions électriques et
mécaniques
CE, 29 novembre 1968, Sieur Tallagrand
CE, 22 janvier 1997, Société hôtelière de l’anse heureuse, req. no 175215

Tribunaux administratifs
TA Besançon, ord., 28 août 2018, n° 1801454

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