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Numéro 6
Second semestre 2019

Directeur : Prof. Gérard PEKASSA NDAM ISSN 2510-1994 Editions Scidev Afrique
Rafip n°6 – 2nd semestre 2019

REVUE AFRICAINE DE FINANCES


PUBLIQUES (RAFIP)

Co-fondateurs :
Prof. LEKENE DONFACK E. C.
Prof. PEKASSA NDAM Gérard

Conseil Scientifique
Président :
Prof. LEKENE DONFACK E.C., Université de Yaoundé II (Cameroun)

Membres :
1. ABANE ENGOLO Patrick, Professeur à l’Université de Yaoundé II (Cameroun)
2. ALBERT Jean-Luc, Professeur à Aix Marseille Université (France)
3. BIAKAN Jacques, Professeur à l’Université de Yaoundé II (Cameroun)
4. BILOUNGA Stève Thiery, Professeur à l’Université de Ngaoundéré (Cameroun)
5. CABANNES Xavier, Professeur à l’Université Paris Descartes (France)
6. CASTAGNEDE Bernard, Professeur Emérite à l’Université Panthéon-Sorbonne (France)
7. DUPRAT Jean-Pierre, Professeur Emérite à l’Université de Bordeaux (France)
8. ESSONO OVONO Alexis, Professeur à l’Université Omar Bongo (Gabon)
9. HERTZOG Robert, Professeur Emérite à l’IEP de Strasbourg (France)
10. KOUEVI Amavi, Maître de Conférences à l’Université Panthéon-Sorbonne (France)
11. KWUIMO Jacques, Professeur à l’Université de Yaoundé II (Cameroun)
12. MEDE ZINSOU Nicaise, Professeur à l’Université d’Abomey-Calavi (Bénin)
13. NGUELE ABADA Marcelin, Professeur à Université de Yaoundé II (Cameroun)
14. ONANA Janvier, Professeur à l’Université de Douala (Cameroun)
15. ONDOUA Alain Franklin, Professeur à l’Université de Yaoundé II (Cameroun)
16. PEKASSA NDAM Gérard, Professeur à l’Université de Yaoundé II (Cameroun)
17. SIETCHOUA D. Célestin, Professeur à l’Université de Dschang (Cameroun)
18. TANO Félix, Professeur à l’Université de Bouaké (Côte d’Ivoire)
19. YONABA Salif, Professeur à l’Université Ouaga II (Burkina Faso)

Directeur de Publication
Prof. PEKASSA NDAM Gérard
Rédacteur en chef
Prof. ESSONO OVONO Alexis

Secrétariat de rédaction
Dr. MEBENGA Mathieu ; Dr. NGAVANGA Nicaise ; Dr. MOULIOM Ibrahim ; Dr.
NJOYA Oumarou ; Dr. SIMO KOUAM F. Ampère.

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SOMMAIRE

ETUDES
Répression des gestionnaires de crédits publics et nouveau code pénal
camerounais
Par GUESSELE ISSEME Lionel Pierre……………………..................9
La substitution du parlement en droit budgétaire des Etats d’Afrique noire
francophone
Par François ABENG MESSI………………………………………..37
Le régime financier des organismes de régulation au Cameroun
Par Jean-Luc ENGOUTOU…………………………………………87
La protection juridique de la qualité d’ordonnateur communal en finances
locales au Cameroun
Par TENKEU Victor Aurélien……………………………………...121

ECLAIRAGE
Dynamique normative comparée du secteur des hydrocarbures au Sénégal
et au Cameroun : une approche relationiste
Par Stéphane ESSAGA………………………………………..159
CHRONIQUES DE LEGISLATION
La consolidation de la budgétisation en mode programme au niveau local
en droit camerounais. Regard sur le code général des collectivités
territoriales décentralisées
Par Cédric NJOYA YONE.………………………………………..191
LEGISLATION, BIBLIOGRAPHIE ET INFORMATIONS
Bibliographie critique………………………………………...213
1- Long Christ P. NKOUAYEP, Les pouvoirs parlementaires
d’autorisation budgétaire en droit camerounais, Thèse de doctorat/Ph. D
en Droit public, Université de Yaoundé II, 2019, 284 p.
2- Janvier FERMOSE, Le juge fiscal : contribution à l’étude des
caractéristiques du juge fiscal en droit camerounais , Thèse de
Doctorat/Ph. D en Droit public, Université de Ngaoundéré, 2019, 564 pages
3- Guy Arsène NYANGOE, Le financement des budgets des personnes
publiques par les titres publics en zones CEMAC et UEMOA, Thèse de
Doctorat/Ph. D en Droit public, Université de Yaoundé II, 2019, 352 pages.

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ÉTUDES

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Rafip n°6 – 2nd semestre 2019

REPRESSION DES GESTIONNAIRES DE CREDITS


PUBLICS ET NOUVEAU CODE PENAL CAMEROUNAIS
Par
GUESSELE ISSEME Lionel Pierre
Agrégé de droit public
Maître de Conférences
Université de Yaoundé 2-FSJP (Cameroun)

Introduction
La répression pénale s’est étendue au cours de l’histoire à
divers domaines. Longtemps confinée au droit pénal général1, celle-
ci a trouvé un terrain d’expression en droit de la comptabilité
publique. Cette rencontre met côte à côte les grands principes du
droit pénal général et du droit des finances publiques. La recherche
de « l’intérêt général de la société qui veut la juste et prompte répression des
délits »2 associée « aux actes attentatoires aux ressources publiques »3 conduit
à la responsabilité des ordonnateurs et comptables publics au
Cameroun. Ce faisant, à la responsabilisation des gestionnaires des
crédits publics, doit correspondre une responsabilité structurée.
Celle-ci s’impose comme moyen particulier de précaution dans le
maniement des fonds publics perçu du contribuable par la voie de
l’impôt et des autres prélèvements obligatoires. D’où l’institution de
la responsabilité pénale et partant la répression pénale des
ordonnateurs.
Distincte de la répression administrative4, la répression
pénale des ordonnateurs et comptables publics renvoie à l’« action
d’infliger une pénalité »5 aux autorités chargées de l’exécution des
recettes et des dépenses budgétaires en droit public financier ; « C’est
le droit de punir à l’état dynamique, et c’est toujours sous ce second aspect que se

1 F. HÉLIE, Traité de l’instruction criminelle ou théorie du Code d’instruction criminelle,


Paris, Plon, t. 1, 2ème éd., 1866.
2 Idem, p. 4.
3 M.-B. AKAKPO, Démocratie financière en Afrique occidentale francophone, Cotonou,

Friedrich Ebert Stiftung, 2015, p.92.


4 E. ROSENFELD, J. VEIL, « Sanctions administratives, sanctions pénales »,

Pouvoirs, 2009/1 (n°128), p. 63.


5 G. CORNU, Association Henri Capitant, Vocabulaire juridique, Paris, PUF,

Quadrige, 11e éd. 2017, p. 752.


9
présente la répression »6 de ces agents publics. Sous ce sillage, les
ordonnateurs, considérés comme des autorités chargées de prescrire
l’exécution des recettes et/ou des dépenses inscrites dans le budget,
demeurent pénalement responsables. De même, les comptables
publics qui sont considérés comme des agents publics régulièrement
préposés aux comptes et/ou chargés du recouvrement, de la garde
et du maniement des fonds et valeurs sont répréhensibles sur le plan
financier. Connaître ce régime répressif nécessite donc de relativiser
les objectifs assignés à la codification en matière pénale.
Lesdits objectifs ne se réalisent pas entièrement dans le droit
de la répression pénale des ordonnateurs et comptables publics au
Cameroun. En effet, il existe une tentation très élevée de faire appel
au droit pénal pour satisfaire une sorte de besoin de « justice
distributive » sans tenir compte de la spécificité et des difficultés
propres à la gestion publique. Y donner cours de manière excessive
conduirait toutefois à détériorer un peu plus la confiance dans
l’action publique et susciter incompréhension et paralysie chez les
gestionnaires. Or, l’expérience requise offre l’occasion d’indiquer
qu’il s’agit d’un domaine très enclin aux règles dispersées qui.
L’unicité, la clarté et le plein accès au droit pénal, objectifs reconnus
en théorie générale de la codification n’y trouvent pas un point
d’expression généralisée. Ce constat impose de privilégier une
lecture minimale du code pénal et une lecture maximale en dehors
du Code. Connaître le régime de la répression pénale des
ordonnateurs et comptables publics au Cameroun repose donc sur
un travail de recensement systématique des textes en vigueur en la
matière. Il faut ici parcourir l’œuvre législative et exécutive.
La prolifération des textes juridiques en matière financière
repose sur la production conjointe du Parlement et du pouvoir
exécutif au Cameroun. La distinction du domaine de la loi7, du
domaine du règlement8 donne les bases constitutionnelles à la
compétence respective de ceux-ci. En effet, ils apportent leur
concours à la « transformation qualitative du contenu de la norme »9 pénale
applicable aux ordonnateurs et comptables publics.

6 R. GARRAUD, Traité théorique et pratique d’instruction criminelle et de procédure pénale,


Paris, Sirey, t. 1, 1912-1919, n°1.
7 Article 26 alinéa 2 de la Loi n°96-06 du 18 janvier 1996 portant révision de la

Constitution du 02 juin 1972.


8 Articles 27 et 28 de la Loi n°96-06 op.cit.
9 P. ALBERTINI, « La codification et le Parlement », Actualité Juridique Droit

Administratif, 1997, p. 662.


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Dans l’histoire, les origines de la codification remontent au


Code d’Hammurabi10 considéré comme le plus ancien code connu. Au
Cameroun, la codification en matière pénale est amorcée en 196711.
Réaffirmée en 201612, elle se pose comme une codification à droit
constant car elle n’innove pas mais regroupe et ordonne en filigrane
les textes écrits existants. Les infractions des ordonnateurs et
comptables publics ont presque été toutes reconduites dans le
nouveau code pénal. Les modifications qui leur sont subséquentes13
n’ont pas modifié les prescriptions posées dès 1967.
La répression pénale des ordonnateurs et des comptables
publics présente un intérêt attrayant. La jonction entre le droit pénal
général et le droit public financier conduit aux dérogations et
spécificités du régime de droit commun. Il est constaté des
dérogations à la procédure de droit commun consacrée en
contentieux pénal général. Celle-ci débouche sur les spécificités
dégagées tant sur la qualité des requérants que sur les modalités de
conduite du procès. En outre, la répression pénale des ordonnateurs
et comptables publics se présente comme un domaine propice aux
règles disparates. Subséquemment, elle n’a pas vocation à figer le
droit positif. Le prolongement de cette particularité se dégage
lorsqu’elle est confrontée au droit pénal international14 et au droit
pénal électoral15. Par ailleurs, dans une perspective d’évolution de la
matière répressive, il est important de relever que l’essentiel des
règles du droit pénal général est inscrit dans le nouveau code pénal
de 2016, comme il a jadis été observé dans le code de 1967. Ces
différentes règles peuvent alors être convoquées dans le cadre de la
répression pénale des ordonnateurs et comptables publics.
Cependant, la spécificité du problème détecté impose de
dépasser ce constat. Elle conduit à opter pour la question suivante :
le droit de la répression des ordonnateurs et comptables publics

10 Le Code d’Hammurabi fait référence aux lois instaurées au 17e siècle avant J-C par
le roi de Babylone Hammurabi.
11 V. Code pénal n° 67/LF/1 du 12 Juin 1967 du Cameroun.
12 V. Loi n°2016/007 du 12 juillet 2016 portant nouveau Code Pénal en

République du Cameroun.
13 Loi n° 78-11 du 29 décembre 1978 modifiant et complétant le Code Pénal

n°67/LF/1 du 12 juin ; Loi n° 69-LF-2 du 14 juin 1969 etc.


14 B. BAUCHOT, Sanctions pénales nationales et droit international, Thèse de Doctorat

en Droit, Université Lille 2- Droit et santé, 2007.


15 J.-M. DUVAL, « Droit électoral. La sanction des comportements irréguliers

relevés au cours des opérations électorales », Revue française de droit constitutionnel,


2001/4 (n° 48), p. 825-846.
11
trouve-t-il une forme exclusive d’expression à travers le nouveau
code pénal camerounais ? Cette préoccupation révèle par son intérêt
les limites de la codification, lorsque des fusions sont établies entre
différentes matières du droit. Il n’est pas évident d’avoir un code qui
combine les préoccupations jumelées des corps de règles issues d’au
moins deux branches du droit en général.
En privilégiant la méthode juridique déclinée à travers
l’interprétation des textes et le commentaire des décisions de justice,
l’on peut apporter une réponse à cette problématique. Cette
orientation ne peut qu’être d’ordre strictement juridique.
L’hypothèse de base ici conduit à indiquer que le droit de la
répression des ordonnateurs et comptables publics ne s’exprime pas
exclusivement dans le nouveau code pénal camerounais. Deux
grandes articulations permettent de la justifier. La répression pénale
des ordonnateurs et comptables publics s’inscrit dans la perspective
du déclassement du nouveau code pénal (I) et du dépassement du
nouveau code pénal (II).
I. Le déclassement du nouveau code pénal dans la
répression
Le nouveau code pénal camerounais est déclassé en matière
de répression des ordonnateurs et comptables publics. La place
privilégiée qui lui est réservée en droit pénal général décroit lorsque
l’on opte pour une lecture axée sur la recherche des sanctions
prévues pour ceux-ci. Il parait relégué au second plan dans ce
domaine et les textes épars dont le contenu traduit le nouveau cadre
du droit pénal financier sont alors prépondérants par rapport à lui.
Les idées qui précèdent convergent respectivement vers l’effacement
de l’exclusivité du code pénal (A) et l’effritement de sa priorité (B).
A. L’effacement de l’exclusivité du code pénal
L’effacement de l’exclusivité du code pénal dans la
répression des ordonnateurs et des comptables publics est une
réalité au Cameroun. « A l’heure où l’hyperinflation législative devient la
règle »16, cet instrument de référence perd de son caractère exclusif.
« Un législateur actif…mais démuni »17 par l’action administrative
contribue à l’affirmation du caractère inclusif des règles juridiques
régissant la pénalisation des actes des exécutants du budget. Ainsi,

16 J. ARTHIUS, « La dégradation des finances publiques : la loi en échec, le


contrôle et l’évaluation en recours », op.cit., p.84.
17 Idem, p.84.

12
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l’effacement de l’exclusivité du code se traduit par la négation de son


unicité dans le droit pénal général (1). À cette déclinaison, s’adjoint
l’émergence d’une pluralité de « codes » en droit pénal des finances
publiques (2).
1. La négation de l’unicité du code dans le droit pénal
général
Le nouveau code pénal camerounais ne saurait s’affirmer
comme l’unique support du droit pénal général. La distinction
opérée entre le droit pénal substantiel et le droit pénal processuel
explique sa diversité. Le recours à la capacité normative18 ne saurait
satisfaire à l’exclusion d’une pluralité de manuels de droit pénal
général. Ainsi, la négation de l’unicité du code dans le droit pénal
général est faite pour que soient appliquées les règles éparses à la
pénalisation des ordonnateurs et des comptables publics au
Cameroun.
L’habilitation implicite issue de la Constitution fonde la
négation de l’unicité du nouveau code pénal en droit pénal général.
Les mécanismes institués au contrôle de constitutionnalité des lois
n’ont pas abouti à la censure de l’inconstitutionnalité liée aux textes
épars. Cette censure de leur constitutionnalité est de nature à
empêcher la promulgation et la mise en application du texte
inconstitutionnel19. Or, l’expérience requise permet de dire qu’aucun
texte promulgué en matière pénale n’a été censuré par
l’inconstitutionnalité. Le contrôle de constitutionnalité par voie
d’action exclusivement20 n’a pas permis de détecter des dispositions
inconstitutionnelles dans ces textes. Les normes juridiques entrent
en vigueur subséquemment à ce contrôle. Il s’étend évidemment à
l’application de toutes les sources du droit positif. Le contrôle du
respect par l’ensemble des normes juridiques de la constitution
impose de retenir que les textes épars ne violent pas la Constitution.
Ainsi, à côté du nouveau Code pénal, existait déjà le Code de
procédure pénale21 et le Code militaire22. L’application de ces textes

18 V. A. MINKOA SHE, Droits de l’homme et droit pénal au Cameroun, Paris,


Economica, coll. La vie du droit en Afrique, 1999, p. 9.
19 Article 50 alinéa 2 de la Loi n°1996-96 du 18 janvier 1996 portant révision de la

Constitution du 02 juin 1972 du Cameroun.


20 Arrêt n°68, CFJ /CAY, du 30 Septembre 1969, SGTE c/État du Cameroun.
21 V. Loi n°2005/007 du 27 Juillet 2005 portant Code de Procédure Pénale au

Cameroun.
22 V. Loi n°2017/12 du 12 juillet 2017 portant Code de Justice Militaire du

Cameroun.
13
ne heurte pas l’ordonnancement juridique dans sa stabilité. Cette
application puise sa source implicitement de la constitution et
explicitement de la légalité des textes qui lui sont subséquents. L’on
comprend en synthèse que les normes constitutionnelles sont à la
base et constituent les fondations de la législation pénale dispersée.
La validation implicite donnée par la Constitution en faveur de la
lecture éparpillée des textes applicables au droit pénal général est
relayée par le principe de légalité.
L’habilitation implicite de la loi fonde la conformité des actes
administratifs aux lois promulguées en droit pénal. Au regard de la
hiérarchie des normes, chaque norme tire sa validité de la norme à
laquelle elle est directement rattachée. En amont, le contrôle de
constitutionnalité des lois par voie d’action, et de surcroit le contrôle
de légalité considéré comme un dérivé du « principe de
constitutionnalité »23, n’ont pas conduit à la censure des actes législatifs
et administratifs épars pris dans le cadre du droit pénal général. La
violation du principe de légalité par un acte administratif aurait
justifié la « révolution méthodologique du juge de l’excès de pouvoir »24. « On y
reconnait au juge le droit d’exercer un contrôle sur tout le contentieux »25. Le
décret de 2008 sur l’organisation et le fonctionnement du Conseil de
Discipline Budgétaire et Financière26 n’a pas fait l’objet d’une
procédure d’annulation. C’est aussi le cas du décret relatif à la
restitution du corps du délit27. À l’observation, les textes
réglementaires promulgués et applicables dans le cadre de la
pénalisation des ordonnateurs et comptables publics n’ont fait
l’objet d’aucune censure de non-conformité à la légalité. Ils sont
dorénavant parés des atouts de l’autorité de la chose jugée28 « si l’on
considère que le juge administratif exerce un contrôle de légalité normale, voir

23 L. FAVOREU, « L’apport du conseil constitutionnel au droit public », Pouvoirs


n°13, 1991, p. 18.
24 P. FRAISSEIX, « La révolution méthodologique du juge de l’excès de pouvoir

», LPA, 2005, n° 180, p. 3.


25 J.-L. BERGEL, Théorie générale du droit, Paris, Dalloz, 2012, 5e éd., p. 356.
26 V. Décret n° 2008/028 du 17 janvier 2008 portant organisation et

fonctionnement du Conseil de Discipline Budgétaire et Financière.


27 V. Décret n° 2013/288 du 04 septembre 2013 portant modalités de restitution

du corps du délit.
28 V. Arrêt n°105, CFJ/CAY, du 08 décembre 1970, Claude Halle c/État du

Cameroun.
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maximale, sur les actes unilatéraux de l’administration»29.L’incrimination


contribue à la négation de l’unicité du code en droit pénal général.
Elle « est à la fois l’opération consistant à ériger un comportement socialement
dangereux en infraction et le résultat de cette démarche »30. Ainsi, la dualité de
l’incrimination suggère de retenir que seul, le nouveau Code Pénal
camerounais ne pourrait rendre fluide « la qualité de la procédure de
justice »31. De même le code de procédure pénale à lui seul ne peut y
aboutir en l’absence du code pénal. Il est donc établi un rapport
d’inclusion entre le principe de légalité et la procédure pénale32.
Ainsi, le risque de demeurer partiellement ineffectif reviendrait à
exclure l’un de l’autre. Sous ce sillage, l’incrimination permet de
déployer respectivement les dispositions du nouveau Code Pénal et
du nouveau Code de Procédure Pénale camerounais. L’utilisation du
premier instrument juridique s’explique par les nécessités d’observer
les grands principes et règles du droit pénal général. Or, l’emploi du
second retient l’attention par sa capacité à définir les grandes lignes
de la procédure d’incrimination.
Les grandes règles du droit pénal général trouvent un
prolongement dans la procédure formalisée par le nouveau Code de
Procédure Pénale. Le principe de la légalité des peines et des
infractions33, permet de retenir que « le droit criminel, c’est ensuite le droit
de la légalité »34. Ledit principe doit sa suite au mécanisme institué par
le nouveau Code de Procédure Pénale. Il en est de même de
l’application de la loi pénale dans le temps et dans l’espace35. L’on
extrait de cette délimitation matérielle les infractions touchant aux
avantages illégitimes36, la corruption, la majorité pénale et le statut
du responsable37. Sont rangées dans cette limitation matérielle, la

29 J.-F. LACHAUME, « Droits fondamentaux et droit administratif », Actualité


Juridique Droit Administratif, numéro spécial, Les droits fondamentaux. Une catégorie
juridique ?, 20 juill-20 août 1998, p. 99.
30 R.-J. KOERING, J.-F. SEUVIE, « Droits fondamentaux et droit criminel »,

Actualité Juridique Droit Administratif, Les droits fondamentaux. Une catégorie juridique ?,
20 juill-20 août 1998, p. 109.
31 J.-L. BERGEL, Théorie générale du droit, op.cit., p. 350.
32 A. VITU, « Le principe de légalité et de la procédure pénale », Rev. Int crim et pol.

Techn. 1967, p. 97 et s.
33 Article 17 de la Loi n°2016/007 du 12 juillet 2016 op.cit.
34 R.-J. KOERING, J.-F SEUVIE, « Droits fondamentaux et droit criminel »,

op.cit., p. 106.
35 V. titre I de la Loi n°2016/007 du 12 juillet 2016 op.cit.
36 V. article 134 et s de la Loi n°2016/007 op.cit.
37 Articles 80 et 89 alinéa 4 de la Loi n°2016/007 op.cit.

15
règle du « non bis in idem », ou du non cumul des peines38, « nullum
crimen poena sine lege », la non rétroactivité de la loi39 etc. C’est donc le
nouveau Code de Procédure Pénale qui consacre la nullité de la
procédure de sanction d’une infraction40. C’est également le cas des
règles de sanction d’une infraction41. L’application de ces éléments
exclut l’idée suivant laquelle « aujourd’hui encore, punir reste une activité
énigmatique »42. Au regard de cette navette entre le Code pénal et le
code de procédure, il est clairement présumé la présence d’une
insécurité juridique. La codification ou la mise en cohérence de ces
règles dispersées s’impose.
L’incrimination des ordonnateurs et comptables publics ne
saurait se satisfaire du renvoi implicite du Code Pénal au Code de
Procédure Pénale. C’est au sein de cet instrument qu’il est consacré
la plupart des règles processuelles de pénalisation de ces agents
publics. Ce mécanisme de renvoi est susceptible de créer l’insécurité
juridique, de porter atteinte aux objectifs assignés à la codification.
En rationnalisant, on pourrait aboutir à une nette appropriation des
règles pénales applicables aux infractions financières. Il est donc
suggéré l’insertion des règles de fond et de procédure dans un livre
ou chapitre spécifique du Code Pénal. Cette insertion permettrait de
lire d’un seul coup, les grandes lignes de l’incrimination des
ordonnateurs et comptables publics au Cameroun. À défaut d’y
parvenir, on ne peut pour le moment se satisfaire que de
l’émergence d’une diversité de « codes » en droit pénal des finances
publiques.
2. L’émergence d’une pluralité de « codes » en droit pénal
financier
L’émergence d’une pluralité de « codes » en droit pénal
financier constitue la seconde déclinaison à l’effacement de
l’exclusivité du code. C’est peut-être là le point crucial des mutations
contemporaines des finances publiques de l’État43. La répression des
infractions en droit financier impose de privilégier une lecture

38 V. article 51 de la Loi n°2016/007 op.cit.


39 V. CS/CA n°33 du 27 mars 1986, affaire Cicam c/ État du Cameroun ; Arrêt n°128,
TE, du 23 décembre 1960 André Louis c/État du Cameroun et Arrêt n°129, TE, du 23
décembre 1960, Bernard Dutreil Édouard c/État du Cameroun.
40 Article 3 alinéa 1 de la Loi n°2005/007 du 27 juillet 2005 op.cit.
41 Article 1er de la Loi n°2005/007 op.cit.
42 M. CUSSON, Pourquoi punir ?, Paris, Dalloz, 1987, p. 1.
43 M. BOUVIER, « Éditorial : Les mutations des finances publiques », Revue

Française de Finances Publiques, n°79, 2002.


16
Rafip n°6 – 2nd semestre 2019

dogmatique dispersée. C’est la spécialisation des textes épars qui


présente un régime suffisant et complet de la pénalisation des
ordonnateurs et comptables publics au Cameroun. Ainsi, le
minimum commun d’une définition dudit régime partirait de la
consultation de cette diversité de textes.
L’analyse dogmatique des sanctions applicables aux
ordonnateurs et comptables publics repose sur des textes non
codifiés. C’est par le concours des textes dispersés convoqués en
matière pénale, qu’est déterminé le régime des autorités chargées de
l’exécution des finances publiques au Cameroun. Il faut donc
dépasser les consécrations modestes du nouveau Code Pénal pour
en déterminer la substance. Ainsi, ces textes éparpillés complètent
les dispositions insuffisantes de ce support formel. Il a été
promulgué un texte spécifique sur le Tribunal Criminel Spécial44 et
sur le Conseil de Discipline Budgétaire et Financière45. Il en est de
même de celui relatif à la restitution du corps du délit46. L’on peut
adjoindre à cette liste le texte spécifique sur le Contrôle Supérieur de
l’État47 et sur le contrôle des ordonnateurs, gestionnaires et gérants
des crédits publics48. Ces différents textes donnent un fondement
aux dérogations du droit pénal général camerounais.
La classification des infractions pénales connue en droit
pénal général49 ne trouve pas un terrain généralisé d’expression en
droit pénal financier. S’il est admis de manière énumérée les crimes,
les délits et les contraventions, alors il faut retenir que dans les cas
d’espèce, les contraventions sont exclues. La répression pénale des
ordonnateurs et comptables publics au Cameroun repose sur des
sanctions comprises entre les crimes et les délits. « Se résigner à ce
qu’une marge plus ou moins large sépare le sollen et le sein, la norme et le réel »50

44 Loi n°2011/028 du 14 décembre 2011 portant création d’un Tribunal Criminel


Spécial.
45 V. Décret n°2008/028 du 17 janvier 2008 portant organisation et

fonctionnement du Conseil de Discipline Budgétaire et Financière.


46 Décret n° 2013/288 du 04 septembre 2013 portant modalités de restitution du

corps du délit
47 Décret n° 2013/287 du 04 septembre 2013 portant organisation des Services

du Contrôle Supérieur de l’État.


48 Loi n°74/18 du 5 décembre 1978 relative au contrôle des ordonnateurs,
gestionnaires et gérants des crédits publics, des entreprises d’État telle que
modifiée par la loi n°76/4 du 8 juillet 1976.
49 Article 21 alinéa 1 de la Loi n°2016/007 du 12 juillet 2016 op.cit.
50 J. RIVERO, « Sur l’effet dissuasif de la sanction juridique », in Mélanges offerts à

Pierre Raynaud, Paris, Dalloz- Sire, 1985, p. 685.


17
, les infractions commises par les ordonnateurs et comptables
publics répudient la condamnation pénale et pécuniaire
extrêmement modeste. Au regard du nouveau Code Pénal, les
infractions constitutives de contraventions ne peuvent excéder un
emprisonnement de dix (10) jours et une amende de vingt-cinq mille
(25.000) francs51. Au regard de ces dispositions, les règles consacrées
par le nouveau Code Pénal n’innovent pas. Il reconduit l’ancien
Code de 196752.
La répression pénale des ordonnateurs et comptables publics
au Cameroun présente un certain enseignement. En effet, le droit
positif camerounais est plus enclin à la consécration des règles
dispersées en droit pénal financier. Cette attitude des sources
formelles du droit pénal financier camerounais converge vers
l’émergence des textes éparpillés et la décadence d’une codification
en la matière. La sanction des irrégularités et fautes de gestion
amène le juge compétent à viser le Décret de 2008 sur l’organisation
et le fonctionnement du Conseil de Discipline Budgétaire et
Financière53. Ce dernier peut aussi recourir au texte de 1974 sur le
contrôle des ordonnateurs et gestionnaires de crédits54. Il en est de
même du Décret de 1978 sur l’apurement des comptes et
responsabilités des comptables55. La collection des informations
relatives aux services publics financiers56 et aux cas de présomption
de corruption57 fait l’objet des consécrations formelles distinctes. En
outre, les modalités de restitution du corps de délit tant en
numéraires qu’en nature58 ont été consacrées séparément du texte
précédemment cité. Les grandes lignes du droit pénal financier
camerounais reposent sur un cadre juridique dispersé. Cette
manière de concevoir le droit pénal financier des ordonnateurs et
comptables publics est partagée par la plupart des États d’Afrique
noire francophone.

51 Article 21 alinéa 1, 3e tiret de la Loi n°2016/007 du 12 juillet 2016 op.cit.


52 Article 21 alinéa 1 c de la Loi n°67/LF/1 du 12 juin 1967 op.cit.
53 V. article 2 du Décret n°2008/028 du 17 janvier 2008 op.cit.
54 Article 1er de la Loi n°74-18 du 05 décembre 1974 op.cit.
55 Article 1er du Décret n°78/470 du 3 novembre 1978 relatif à l’apurement des

comptes et à la sanction des responsabilités des comptables.


56 V. article 2 du Décret n°2005-187 du 31 mars 2005 portant organisation et

fonctionnement de l’Agence Nationale d’Investigation Financière.


57 V. article 1er alinéa 2 du Décret n°2006-088 du 11 mars 2006 op.cit.
58 Article 4 alinéa 1 du Décret n°2013-288 du 04 septembre 2013 op.cit.

18
Rafip n°6 – 2nd semestre 2019

L’émergence d’une pluralité de « codes » du droit pénal


financier des ordonnateurs et comptables publics est constatée dans
la plupart des États d’Afrique noire francophone. Ces derniers
adhèrent à la lecture dogmatique éparpillée des règles de fond et de
forme applicables aux exécutants du budget de l’État et des autres
personnes morales de droit public. « L’aperçu global de la procédure
d’exécution du budget »59 en Côte d’Ivoire relaye cette théorie générale.
Que l’on soit au Burkina Faso60, à Madagascar61, au Togo62et au
Sénégal63, la pénalisation des ordonnateurs et comptables publics est
encadrée par des règles éparses.
L’émergence d’une pluralité de « codes » en droit pénal
financier dans les États d’Afrique noire francophone présente un
danger pour la sécurité juridique. Son caractère dispersé rend
difficile son accessibilité et sa lecture. Il est donc impératif que les
sources formelles de ces États puissent les unifier dans un seul
support. En outre, cette formulation dispersée contribue à
l’effritement de la priorité du code dans la répression.
B. L’effritement de la priorité du code dans la répression
La priorité du nouveau Code Pénal est effritée en matière de
répression pénale des ordonnateurs et comptables publics. Il ne
constitue plus l’instrument juridique dont les dispositions
l’emportent automatiquement sur les textes dispersés. Le caractère
spécifique des infractions en matière financière impose de recourir à
une législation spécifique. Il est donc indiqué qu'à chaque
incrimination corresponde un bien juridique unique. Mieux, le cadre
juridique applicable aux infractions financières au Cameroun

59 J.-M. ADOU, Modernisation du circuit de la dépense publique en côte d’ivoire et efficacité de


la dépense, Master en administration publique des fonctionnaires internationaux,
École Nationale d’Administration de Paris, promotion 2004-2005, p.17.
60 Article 1er du Décret n°2005-254/PRES/PM/MFB portant modalités de

contrôle des opérations financières de l’État et des autres organismes publics


(Burkina Faso).
61 Article 1er du Décret n° 61-305 du 21 juin 1961 fixant les règles de gestion

financière et d'organisation comptable applicables aux établissements publics à


caractère administratif (J.O. du 01.07.61, p. 1108 - RTL VI) modifié par Décret n°
99-349 du 12 mai 1999 (J.O. n° 2594 du 30.08.99, p. 1944) (Madagascar).
62 Article 1er du Décret 2015-054/PR du 27 août 2015 portant règlement général

de la comptabilité publique (Togo).


63 A. DIOUKHANE, « La responsabilité des comptables publics devant le juge

des comptes », La Revue du Trésor, n°8-9, août-septembre 2007, p. 767.


19
privilégie « une grande diversité »64. Cette idée se décline donc en
l’évanescence du Code Pénal comme référent principal (1) et la
prépondérance des « codes » spécialisés comme référents principaux
(2).
1. L’évanescence du Code Pénal comme référent principal
L’évanescence du Code Pénal comme référent principal en
matière de répression des ordonnateurs et comptables publics est
une réalité. Ce dernier ne constitue plus l’unique cadre de recours en
matière de sanction pénale des autorités chargées d’exécuter le
budget au Cameroun. Le nouveau Code Pénal se pose
progressivement comme le support formel subsidiaire. « Quand l’on
parle d’inflation législative »65 « ce qui importe, c'est moins la place d'une
incrimination dans le Code »66 mais sa situation de préférence au regard
des textes épars. Cette réflexion repose sur l’insertion des
dispositions pertinentes du droit pénal financier dans les textes
éparpillés. Il en est ainsi du rallongement de la liste des infractions
par ceux-ci.
L’insertion des dispositions applicables en droit pénal
financier dans de multiples blocs normatifs justifie l’évanescence du
nouveau Code Pénal. Compte tenu du fait qu’il est souvent difficile,
dans la pratique, de détacher l'intention coupable de l'acte matériel
de détournement, l’aménagement des dispositions du code pénal
institue son prolongement. Il ne suffit plus de se référer
exclusivement au nouveau Code Pénal pour en déterminer
l’incrimination des ordonnateurs et comptables publics. Les textes
éparpillés contribuent au perfectionnement des dispositions pénales
laconiques consacrées par le nouveau Code Pénal. Il est donc
possible de déduire la sanction applicable à une infraction financière
commise par ces derniers sans recourir au code. Dans la quête du
gain du temps, il est dorénavant exigé de recourir directement aux
textes éparpillés.
Au regard du temps, il est possible d’argumenter sur
l’évanescence du nouveau Code Pénal. Raccourcir le labyrinthe
généré par les dispositions insuffisantes et incomplètes de cet
instrument amène le juge pénal à recourir aux textes diversifiés.
64 T. MACRA, « Les caractéristiques des finances publiques des pays en voie de
développement », Revue juridique et politique, n°3, 2010, p.324.
65 J. CARBONNIER, Essais sur les lois, Paris, Defrénois, 1995, 2e éd., p. 307.
66 J. CARBONNIER, « Du sens de la répression applicable aux complices », JCP-

G, 1952, I, 1034.
20
Rafip n°6 – 2nd semestre 2019

Recourir directement à cet instrument juridique reviendrait à gagner


avantageusement en temps. Le recours à ceux-ci permet d’éviter « les
pertes de temps et de l’énergie consacrées à des actes rituels et inutiles »67. Il
contribue également au rallongement des infractions consacrées par
le nouveau Code Pénal.
Le rallongement des infractions pénales entraine
l’évanescence du nouveau Code Pénal. Les multiples blocs de textes
normatifs ne se confinent pas à aménager exclusivement les
sanctions consacrées par cet instrument. L’extension apportée par le
cadre législatif ou réglementaire témoigne de l’enrichissement du
cadre juridique préexistant. De l’« Infraction admirable, archétype de
l'imagination tournée vers l'astuce et le mensonge »68, les textes éparpillés en
étendent la portée. Il est apporté un dépassement à la corruption
active69, à la corruption passive70, au délit d’initié71 et au
détournement des biens publics72. Les textes prolongent cette liste
en consacrant les irrégularités à la gestion des deniers publics. Celles-
ci portent le nom de faute de gestion73. L’on constate que la
prépondérance des textes épars amène à les considérer comme des
référents principaux.
2. La prépondérance des codes spécialisés comme référents
principaux
Les textes spécialisés se posent comme des référents
principaux à la répression pénale des ordonnateurs et comptables
publics au Cameroun. Au regard du vaste mouvement de réforme
institutionnelle et normative, il prévaut une analyse spécialisée des
infractions financières. Celle-ci part de la dérogation du « cadre
juridique initial tout en rendant obsolètes certains textes»74 applicables à
ladite pénalisation. Le droit spécialisé de la sanction financière des
ordonnateurs et comptables publics se substitue à celui applicable
par le droit commun. Le traitement spécial des infractions
financières engendre la préférence des textes éparpillés. Considérés

67 T. MACRA, « Les caractéristiques des finances publiques des pays en voie de


développement », op.cit., p.324.
68 J. PRADEL, M. DANTI-JUAN, Droit pénal spécial, Paris, Cujas, coll. Référence,

2010, 5e éd., n° 870.


69 Article 134 de la Loi n°2016/007 du 12 juillet 2016 op.cit.
70 Article 134 alinéa 1 de la Loi n°2016/007 op.cit.
71 Article 135 alinéa 1 de la Loi n°2016/007 op.cit.
72 Article 184 de la Loi n°2016/007 op.cit.
73 Article 2 alinéa 1 et 2 du Décret n° 2008/028 du 17 janvier 2008 op.cit.
74 Idem, p.276.

21
comme référents principaux, ces textes sont pas incompatibles avec
le droit positif. Leurs dispositions ne peuvent faire l’objet
d’abrogation.
Le nouveau Code Pénal est convoqué sélectivement dans le
cadre de la pénalisation des infractions financières. Les infractions
consacrées dans les textes éparpillés sont directement appliquées aux
ordonnateurs et comptables publics. La conformité de ces textes
dispersés aux conventions internationales peut servir d’appui à une
demande contentieuse75. En pratique, le juge préfère directement
recourir au texte organisant le fonctionnement et l’organisation du
Conseil de Discipline Budgétaire et Financière. Ce texte lui permet
donc de fonder les irrégularités qualifiées de faute de gestion76. Par
ailleurs, l’occasion est donnée de constater que c’est un texte spécial
qui habilite les prérogatives du ministre chargé du Contrôle
Supérieur de l’État à constituer ce conseil77. De même, le juge pénal
préfère recourir directement à la loi sur le Tribunal Criminel Spécial
pour déterminer si l’infraction et la somme imputable au présumé
coupable relève de son office78.
L’affirmation des textes éparpillés comme des référents
principaux en droit pénal financier est compatible avec le droit
positif. Aucune disposition formelle n’affirme le contraire. Ni la loi
ni les actes administratifs ni le juge compétent n’a affirmé
l’incompatibilité de la prépondérance des textes spécialisés d’avec les
règles en vigueur. Ces sources formelles ne consacrent pas
implicitement l’abrogation des textes épars en matière de
pénalisation des ordonnateurs et comptables publics au Cameroun.
Compte tenu du fait qu’il n’y a pas de connaissance juridique
véritable sans connaissance suffisante de la jurisprudence, c’est « pour
cette raison toute simple que c’est elle qui définit le sens et la portée de la règle de
droit »79.
Les textes diversifiés ne s’opposent pas aux normes en
vigueur dans cette matière conçue à mi-chemin entre le droit pénal
général et le droit pénal financier. Cette logique explique le
traitement des ordonnateurs et comptables publics conformément

75 Arrêt n°163, CFJ/CAY, du 08 Juin 1970 Société commerciale et immobilière africaine


des Chargeurs réunis c /État du Cameroun oriental.
76 Article 2 alinéa 1 et 2 du Décret n° 2008/028 du 17 janvier 2008 op.cit.
77 Article 4 du Décret n° 2008/028 du 17 janvier 2008 op.cit.
78 Article 2 de la Loi n°2011/028 du 14 décembre 2011 op.cit.
79 Idem.

22
Rafip n°6 – 2nd semestre 2019

aux règles instituées jusqu’ici. En l’absence de la suppression, par


une nouvelle disposition, d’une loi, les textes spécialisés constituent
les référents principaux par rapport à certaines infractions
financières au Cameroun. En synthèse, les textes édictés en matière
de pénalisation des ordonnateurs et comptables publics tirent leur
légitimité de leur non abrogation par le droit positif. Cette validation
par le droit positif permet de comprendre que la spécificité du cadre
juridique applicable aux infractions financières est admise.
Le droit positif camerounais applicable aux infractions
financières commises par les ordonnateurs et comptables est plus
enclin à la spécialisation du cadre juridique. Il consacre en substance
des règles singulières pour attraire les ordonnateurs et comptables
publics devant les organes compétents. Cette dynamique est
inéluctable, dès lors que la logique dans laquelle s’insère le contrôle
se modifie sensiblement. Le droit positif consacre un texte
spécifique sur les irrégularités et faute de gestion80. Il en est ainsi
également du cadre juridique spécialisé pour la restitution du corps
de délit81. À cette liste, l’on peut adjoindre les textes spécifiques sur
la lutte contre la corruption82 et sur l’investigation financière83. Au
regard de ces illustrations, le cadre juridique spécialisé est non
seulement fonction de certaines infractions mais aussi de la
procédure y afférente. Cette diversité fait donc la richesse des règles
juridiques applicables en la matière. Dans ce cadre « on assiste nolens
volens au passage d’une logique ancienne »84 à celle imposée par la
pénalisation des ordonnateurs et comptables publics au Cameroun.
Au regard des développements précédents, l’on peut
affirmer que le déclassement du code dans la répression des
ordonnateurs et comptables publics au Cameroun est une réalité. Il
se traduit par l’effacement de l’exclusivité et l’effritement de la
priorité du code dans la répression. Ces idées convergent donc vers
le dépassement du code dans la répression des ordonnateurs et

80 Article 2 alinéa 2 du Décret n° 2008/028 du 17 janvier 2008 op.cit., article 3 de la


Loi n°74/18 du 5 décembre 1974 op.cit.
81 Article 1er du Décret n° 2013/288 du 04 septembre 2013 op.cit.
82 Article 2 et s du Décret n°2006/088 op.cit.
83 Article 2 du Décret n°2005/187 du 31 mars 2005 portant organisation et

fonctionnement de l’Agence Nationale de l’Investigation Financière.


84 M.-C. ESCLASSAN, « Un phénomène international : l’adaptation des contrôles

financiers publics à la nouvelle gestion publique », Revue Française de Finances


Publiques, n°101, 2008, p. 32.
23
comptables publics. Les règles juridiques consacrées hors du code
canalisent la réflexion projetée.
II. Le dépassement du nouveau code dans la répression
Au-delà du nouveau Code Pénal, les sources formelles du
droit pénal ont jugé de la nécessité de prolonger son idée par le
recours aux textes spécialisés. Elles situent la répression des
ordonnateurs et comptables publics hors du nouveau Code Pénal
sans pour autant l’identifier aux normes non écrites85. Le régime
juridique consacré jusqu’ici par ce dernier est apparu insuffisant et
incomplet. Ainsi, « le débat sur la peine n’est pas clos »86 par le nouveau
Code Pénal camerounais. La « volonté d’avoir un droit rationnel et
accessible »87 pose le dépassement les dispositions consacrées par
celui-ci. Suivant cette logique, le prolongement de l’idée de
répression hors du code (A) et le remplacement de la portée hors
code déclinent ces idées (B).
A. Le prolongement de l’idée de répression hors code
Les textes épars complètent le régime pénal applicable aux
infractions financières commises par les ordonnateurs et comptables
publics au Cameroun. Ayant pris conscience du caractère laconique
et incomplet du nouveau Code Pénal, il a été consacré des
mécanismes de perfectionnement dudit régime. Dans ce sillage, la
transparence budgétaire est une composante essentielle de la bonne
gouvernance des finances publiques. Ces derniers « permettant de
compléter le caractère normatif »88 du nouveau Code Pénal. Ainsi, l’on
assiste à l’aménagement du cadre des poursuites (1) et du cadre des
sanctions aux infractions financières (2).
1. Le perfectionnement des poursuites
Les textes éparpillés perfectionnent le cadre juridique
applicable aux poursuites des présumés coupables des infractions
financières au Cameroun. Le nouveau Code Pénal camerounais n’a
pas consacré dans son corpus, les règles y afférentes. Une lecture
hors dudit code recadre le droit processuel dispersé.

85 Lire sur le droit constitutionnel non écrit, Capitant (R), « La coutume


constitutionnelle » (1929), Reéd. RDP, 1979, p. 962
86 M. CUSSON, Pourquoi punir ?, op.cit., p. 1.
87 G. BRAIBANT, « Utilité et difficultés de la codification », op.cit., p. 62.
88 L.-P. GUÉSSÉLÉ ISSEME, « Les normes dérivées de la constitution dans les

États d’Afrique noire francophone », Revue Africaine de Droit et de Science Politique,


Vol. V, n° IX- jan.- juin 2017, p.95.
24
Rafip n°6 – 2nd semestre 2019

Les textes dispersés perfectionnent la normativité du


nouveau Code Pénal, premièrement, par la qualification des
infractions en matière financière. En effet, ils ont exhaustivement
énuméré les cas d’ouverture de certaines infractions. Par ces
mécanismes, le régime pénal de l’infraction ainsi que la
responsabilité du mis en cause sont facilement déterminés. Le
contrôle effectué par les organes compétents permet d’y voir clair.
Ainsi, la qualité des irrégularités en matière de gestion des fonds
publics repose sur une énumération du législateur. À titre
d’irrégularités, l’on peut dénombrer l’engagement d’une dépense
sans avoir qualité pour le faire ou sans avoir reçu délégation à cet
effet ou encore l’engagement d’une dépense sans crédit disponible
ou délégué89. Ces qualifications ont été relayées par un texte sur
l’organisation et le fonctionnement du Conseil de Discipline
Budgétaire et Financière90. Les qualifications des infractions
financières ouvrent la brèche à la transmission vers les autorités
détentrices de l’opportunité de poursuite. D’après l’article 37 de la
loi sur les attributions de la Chambre des comptes91, si l’examen des
comptes des comptables, patents ou de fait, fait apparaître des faits
susceptibles de constituer des infractions à la loi pénale, le Procureur
Général près la Cour suprême informe le Ministre des finances et les
Ministres ou autorités de tutelle de l’intéressé. Le dossier, transmis
au Ministre de la justice par ledit Procureur, vaudra plainte au nom
de l’entité publique. Ainsi, il revient au juge d’apprécier toute
question résultant d’opérations comptables.
Le prolongement du cadre organique intermédiaire entre
l’investigation et la transmission des dossiers des présumés
coupables vers l’autorité détentrice de l’opportunité de poursuite est
l’œuvre des textes éparpillés. Ces mécanismes ne figurent nulle part
dans le nouveau Code Pénal. L’investigation organisée et effectuée
par les services compétents de l’État trouve comme point de
finalisation l’enclenchement du pouvoir de saisine. Cette exigence
« privilégie la capacité d’expertise technique des décideurs »92. Autrement dit, il
est constaté, « un système interdépendant, une sorte de chaîne à laquelle

89 Article 3 de la Loi n°74/18 du 5 décembre 1978, op.cit.


90 Article 2 du Décret n° 2008/028 du 17 janvier 2008 op.cit.
91 Art. 37 de la loi n°2003/005 du 21 avril 2003 fixant les attributions de la

Chambre des comptes


92 M. BOUVIER, J.-C. ESCLASSAN, J.-P. LASSALE, Finances publiques, op.cit.,

p.39.
25
participe chaque institution de contrôle »93. Deux textes vont retenir notre
attention pour illustrer cette idée. D’une part, la constatation des
infractions financières entraine la transmission au Président de la
République. C’est l’unique autorité détentrice du pouvoir de
poursuite en matière de présomption de corruption94. D’autre part,
le contrôle exercé par le Contrôle Supérieur de l’État est
subordonné à l’autorité du Président de la République95. En outre, la
transmission peut aussi être faite vers la juridiction de jugement.
L’aboutissement de la phase procédurale relative aux
enquêtes, expertises demeure souvent la transmission de leur
rapport à la juridiction de jugement compétente. En l’espèce, la
commission constituée pour la phase préliminaire ne transmet pas le
dossier vers une autorité comme dans le cas précédent. Pour sa part,
elle transmet la synthèse de ses travaux en vue de l’édiction d’une
décision juridictionnelle. Le caractère de juridiction défini en droit
administratif permet de situer l’organe compétent pour en édicter.
La qualité de juridiction peut être la nature collégiale de l’organe
chargé d’édicter la décision juridictionnelle. « En d’autres termes, il ne
peut être question qu’une autorité administrative non collégiale ne puisse être
considérée comme une juridiction »96. Celle-ci peut également relever d’une
qualification directe et expresse par la loi ou par une autre source
formelle du droit. Cette dernière focalise la dénomination ou la
précision de l’organe en cause97. Au regard de ces illustrations, l’on
peut tirer certaines conclusions. Le ministre de la justice n’est pas
une autorité juridictionnelle quand il est saisi en cas de flagrant délit
de corruption par le président de la CONAC98.
Les textes épars applicables en matière de pénalisation
financière des ordonnateurs et comptables publics donnent une
suite aux poursuites judiciaires et administratives. Ces textes
permettent à certaines autorités indirectement concernées par

93 Idem, p.542.
94 Article 22 alinéa 1 et 2 du Décret n° 2006/088 du 11 mars 2006 portant
création, organisation et fonctionnement de la Commission Nationale Anti-
Corruption.
95 Article 1er alinéa 1 du Décret n° 2013/287 du 04 septembre 2013 portant

organisation des Services du Contrôle Supérieur de l’État.


96 R. CHAPUS, « Qu’est-ce qu’une juridiction ? La réponse de la jurisprudence

administrative », in Recueil d’études en l’hommage à Charles Eisenmann, Paris, CUJAS,


1975, p.267.
97 Idem, p.269.
98 Article 22 alinéa 3 du Décret n°2006/088 du 11 mars 2006 op.cit.

26
Rafip n°6 – 2nd semestre 2019

l’infraction de saisir l’organe compétent. Les autorités concernées


peuvent sanctionner à leur niveau le mis en cause ou saisir
directement la juridiction compétente au Cameroun. Il est donc posé
les bases au perfectionnement de la normativité des sanctions.
2. Le perfectionnement des sanctions
Les textes diversifiés complètent le régime pénal consacré
laconiquement par le nouveau Code Pénal camerounais. Ces
derniers viennent parachever le régime pénal applicable aux
infractions financières commises par les ordonnateurs et comptables
publics. Ledit régime est généralement subséquent aux phases
d’instruction effectuées par des commissions instituées ou confiées à
des experts. L’œuvre effectuée par ce cadre organique préalable
conduit à des sanctions administratives ou juridictionnelles.
La qualification des irrégularités et fautes de gestion
commises par un ordonnateur ou comptable public aboutit à
l’édiction d’une décision prononcée par un organe administratif.
Cette décision relève de la compétence matérielle du Conseil de
Discipline Budgétaire et Financière. La décision prononcée par le
Conseil est valide lorsque les deux tiers (2/3) des membres sont
présents99. Les décisions sont prises à la majorité des voix100 et
notifiées à une catégorie d’autorités101. Les décisions prononcées par
le Conseil de Discipline Budgétaire et Financière concernent
l’amende, la mise en débet102, la déchéance103 et la constitution du
coupable en débiteur du patrimoine de la personne publique
concernée. En ce qui concerne l’amende, le Conseil de Discipline
Budgétaire et Financière ne peut qu’infliger une somme inférieure à
cinquante millions (50.000.000) millions104. Par le passé, cette
somme oscillait entre deux cent mille (200.000) et deux millions
(2.000.000) FCFA105. Les décisions du conseil sont susceptibles de
recours pour excès de pouvoir106. Les voies de réformation
contentieuse des décisions prononcées par cet organe sont

99 Article 15 alinéa 4 du Décret n° 2008/028 du 17 janvier 2008 op.cit.


100 Article 15 alinéa 5 Décret n° 2008/028 op.cit.
101 Article 15 alinéa 6 Décret n° 2008/028 op.cit.
102 Article 13 alinéa 2 de la Loi n°74-18 du 5 décembre 1974 op.cit.
103 Article 14 de la Loi n°76/4 du 8 juillet 1976 modifiant et complétant certaines

dispositions de la Loi n°74-18 du 5 décembre 1974 op.cit.


104 Article 2 de la Loi n°2011/028 du 14 décembre 2011 op.cit.
105 Article 13 alinéa 1 de la Loi n°74-18 du 5 décembre 1974 op.cit.
106 Article 16 alinéa 1 Décret n° 2008/028 op.cit.

27
l’annulation contentieuse et la révision. Cette sanction ne fait pas
obstacle aux poursuites disciplinaires et pénales.
La qualification des infractions en matière financière permet
d’aboutir à l’édiction d’une sanction juridictionnelle prononcée par
un organe ayant la qualité de juridiction. La « mission classique des
juridictions financières »107 est de prononcer ce type de décision. En
l’espèce, il est exclusivement fait allusion à la compétence matérielle
du Tribunal Criminel Spécial et la Chambre des Comptes en
cassation. La première juridiction connait des infractions qualifiées
de détournement des derniers publics dont le minimum est de
cinquante millions (50.000.000) FCFA108. En outre, la Chambre des
Comptes connaît en dernier ressort des décisions définitives rendues
par les juridictions inférieures des comptes en l’occurrence les
tribunaux régionaux des comptes. Elle peut réformer les décisions
émises par ces dernières109. Elle connait de toutes les matières à elle
attribuées par la loi110. La diversité des sanctions infligées aux
ordonnateurs et comptables publics se prolonge dans les États
d’Afrique noire francophone.
Dans les États sus évoqués, la répression pénale des
ordonnateurs et comptables publics conduit à l’application d’une
diversité de sanctions. En contentieux pénal financier burkinabé, le
refus pour un comptable public d’établir sa comptabilité ou
l’inventaire des fonds et valeurs constitue un acte d’insubordination.
Cet acte d’insubordination conduit à la suspension immédiate de ce
dernier par l’agent de contrôle. Le critère lié à la compétence de
l’agent de vérification a retenu l’attention du juge administratif 111. La
suspension immédiate peut également émaner du supérieur
hiérarchique lorsque le comptable public indélicat ne produit pas ses
comptes dans les délais impartis112. La saisie des biens et documents
utiles peut nécessiter l’intervention des forces publiques113. À

107 M. DE VILLIERS (dir.), Droit public général, Paris, Litec, Jurisclasseur –


Manuels, 2e éd., 2003, n° 1824.
108 Article 2 de la Loi n°2011/028 du 14 décembre 2011 op.cit.
109 Article 2 alinéa 2 de la Loi n° 2003/005 du 21 avril 2003 fixant les attributions,

l’organisation et le fonctionnement de la Chambre des Comptes de la Cour


Suprême
110 Article 2 alinéa 3 de la Loi n°2003/005 du 21 avril 2003 op.cit.
111 Jugement n°42, CS/CA 79-80 du 26 juin 1980, Ngakeu Pierre c/État du

Cameroun.
112 Article 37 du Décret n°2005-258/PRES/PM/MFB du 12 mai 2005 op.cit.

(Burkina Faso).
113 Article 36 du Décret n°2005-258/PRES/PM/MFB du 12 mai 2005 op.cit.

28
Rafip n°6 – 2nd semestre 2019

Madagascar, les cas de traduction de l’ordonnateur ou du comptable


public devant le Conseil de Discipline Financière ont été
énumérés114. En dépit de la responsabilité de mise en débet115, des
amendes sont également mises à la charge du comptable en cas de
retard dans la présentation de ses comptes116. Au Togo, il est
clairement consacré que les ordonnateurs « encourent une responsabilité
qui, peut-être disciplinaire, pénale, ou civile, sans préjudice des sanctions qui
peuvent être infligées par la cour des comptes à raison des fautes de gestion »117.
Quant aux comptables publics, ils peuvent être amendés en cas de
présentation en retard des comptes par la Cour des comptes118. En
dépit de la cessation de fonction119, le comptable public coupable
peut être constitué débiteur de l’organisme public victime120.
Au regard de ce qui précède, il est tiré deux conclusions.
Premièrement, l’État du Togo consacre des sanctions pénales
prolixes aux ordonnateurs et comptables publics en matière pénale.
Cet État consacre non seulement toutes les sanctions admises dans
les États d’Afrique noire francophone, mais en adjoint la sanction
civile. Cette dernière n’est pas consacrée par le droit pénal financier
au Cameroun, au Tchad, à Madagascar etc. En plus, la sanction des
irrégularités de gestion est infligée par la Cour des comptes. Or, au
Cameroun, cette catégorie de sanction pénale financière ressortit de
la compétence matérielle du Conseil de Discipline Budgétaire et
Financière121. En tenant compte du cadre géographique, le présumé
auteur de ces irrégularités a voulu aussi, par voie de conséquence,
encourir la peine. Il est donc ouvert une brèche à l’insécurité de la
répression pénale des exécutants du budget.
Deuxièmement, l’éparpillement des règles encadrant la
sanction des ordonnateurs et comptables publics dans les États
d’Afrique noire francophone s’oppose à l’accessibilité du cadre
juridique. Ce n’est pas parce que rien n’est dit sur le sens de la
peine, que l’éparpillement non cohérent et non rationnel des textes
épars doit être encouragé. L’insertion du régime juridique des
sanctions pénales financières dans un seul document s’impose.

114 Article 7 du Décret n° 61-305 du 21 juin 1961 op.cit. (Madagascar)


115 Article 23 du Décret n°61-305 op.cit.
116 Article 118 du Décret n°61-305 op.cit.
117 Article 13 du Décret n°2015-054/PR du 27 août 2015 op.cit. (Togo).
118 Article 27 du Décret n°2015-054/PR du 27 op.cit.
119 Article 32 du Décret n°2015-054/PR op.cit.
120 Article 28 du Décret n°2015-054/PR op.cit.
121 Article 2 alinéa 2 du Décret n° 2008/028 du 17 janvier 2008 op.cit. (Cameroun).

29
B. Le remplacement de la portée de la répression hors code
La finalité du nouveau Code Pénal est remplacée par celle
initiée par les textes épars. Ceux-ci ne se contentent pas de prévoir la
condamnation pénale et pécuniaire des ordonnateurs et comptables
publics censurés. Ils construisent une portée qui substitue les
grandes lignes du droit pénal général. La tendance affirmée au
contrôle de l’exécution de la spécialisation des crédits et à la
protection des deniers publics détournés se substitue clairement aux
mécanismes institués jusqu’ici. Celle-ci projette de substituer cette
approche minimaliste des textes répressifs. Ainsi, la consécration des
règles relatives à la restitution du corps de délit (1) et la déchéance
des exécutants du budget indélicats traduit ces idées (2).
1. La restitution du corps du délit
L’intérêt porté pour la réparation volontaire du préjudice
causé par les actes de détournement de deniers publics du fait des
gestionnaires de crédits publics s’est posé avec acuité avec le constat
alarmant de la distraction des fonds publics par l’« opération
épervier »122. Ignorée par le code pénal, l’instauration d’une politique
criminelle de réparation volontaire à travers les mécanismes de
restitution dans loi organisant le Tribunal criminel spécial. Cette loi
dispose dans ce sens qu’« En cas de restitution du corps du délit, le
Procureur Général près le Tribunal peut, sur autorisation du Ministre chargé de
la justice, arrêter les poursuites engagées avant la saisine de la juridiction de
jugement. Toutefois, si la restitution intervient après la saisine de la juridiction
de jugement, les poursuites peuvent être arrêtées avant toute décision au fond et la
juridiction saisie prononce les déchéances de l’article 30 du Code pénal avec
mention au casier judiciaire »123. Il en découle que le droit positif
camerounais consacre dorénavant la possibilité de l’arrêt des
poursuites et la remise en liberté de la personne mise en cause en cas
de réparation volontaire du préjudice à travers les mécanismes de
restitution du corps du délit. Cette limitation restreinte de la
restitution au corps du délit a été discutée tant par l’opinion
publique que par les pratiquants du droit. Ceux-ci ont estimé d’une
part qu’elle ne prend pas en compte les dommages occasionnés par
le détournement, et d’autre part qu’elle pourrait encourager des

122 Il s’agit d’une vaste opération judiciaire initiée en 2006 par les pouvoirs publics
dans le cadre de la lutte anti-corruption au Cameroun.
123 Art. 18 de Loi n° 2011/028 du 14 décembre 2011 portant création d’un

Tribunal Criminel Spécial.


30
Rafip n°6 – 2nd semestre 2019

détournements par des personnes ayant des possibilités ou le désir


de fructifier ces sommes pour les restituer plus tard.
Par conséquent, nous estimons que cette immixtion
consacrée du politique dans les affaires de détournement nous parait
critiquable dans la mesure où, elle pourrait privilégier certains
délinquants et entrainer une justice discriminatoire. Ceci est d’autant
plus vrai lorsqu’on réalise que l’octroi de cette autorisation ne sera
pas automatique à tous les cas de restitution du corps du délit, mais
est laissé à la discrétion du Ministre de la Justice.
La restitution des deniers publics indûment détournés par un
ordonnateur ou comptable public repose sur la substitution de la
simple condamnation pénale instituée par le nouveau Code Pénal.
L’exécution du budget doit être canalisée sans concession par des
règles et principes institués. Ces derniers canalisent l’affectation des
crédits et la protection du patrimoine financier des personnes
morales. C’est bien la sorte d’épée de Damoclès qui est suspendue
sur la tête du comptable public lorsque ce dernier y déroge. La
récupération des biens publics indûment détournés institue une
nouvelle dynamique aux sanctions des acteurs impliqués dans la
réalisation de ses objectifs.
La restitution du corps du délit par l’exécutant du budget
suppose d’abord la constitution du coupable en débiteur de la
personne morale124. Cette dernière est subséquente à la certification
des irrégularités relatives à la faute de gestion. En l’absence des cas
d’ouverture de la décharge de la responsabilité de ce dernier, la
procédure intentée ne peut que suivre normalement son cours.
Comme cas de décharge de responsabilité, l’on distingue la fraude,
l’ordre écrit du supérieur hiérarchique125. La constitution du
coupable en débiteur de la personne morale résulte des sanctions
infligées au coupable par le Conseil de Discipline Budgétaire et
Financière. Cette dernière n’exclut pas l’amende et la mise en débet.
La constitution du coupable en débiteur de la personne
morale vient réparer un préjudice subi par cette dernière. Ce
mécanisme repose sur l’évaluation du préjudice et sa compensation
au moyen de la diminution de la consistance du patrimoine du
coupable. La source formelle du droit pénal financier insiste sur le
préjudice réel subi par la personne morale du fait de l’indélicatesse

124 Article 1er de la Loi n°74/18 du 5 décembre 1978 op.cit.


125 Articles 4 et 5 de la Loi n°74/18 du 5 décembre 1978 op.cit.
31
financière. Partant du fait que le budget est d’abord l’expression
chiffrée annuelle de la politique économique, il est rendu facile
l’évaluation du préjudice qui en découle. Ainsi en dépit de
l’amende126, le Conseil de Discipline Budgétaire et Financière adjoint
le cas échéant la mise en débet du concerné127. Ce mécanisme
consistait à déterminer les voies et moyens permettant d’assainir les
finances publiques. La certification de ces infractions par l’organe
compétent institue donc la restitution du corps du délit proprement
dit.
Le déclenchement de la restitution du corps du délit doit
émaner du mis en cause ou de son représentant légal au
Cameroun128. Ce déclenchement admet la mise en mouvement de la
procédure par la personne directement ou indirectement concernée
par l’infraction financière. Comme modalités, la restitution peut être
faite en numéraires ou en nature129. Sur ce point, le droit positif
demeure suffisamment libéral. La restitution est numéraire lorsque le
mis en cause accepte de restituer la totalité de la somme due ou la
contre-valeur en numéraires d’un bien meuble ou immeuble. Elle est
par contre en nature lorsque le mis en cause restitue des biens
meubles ou immeubles correspondant au montant de la somme
imputée. Ces modalités entrent en jeu après réception de leurs
preuves et entrainent la cessation des poursuites par la juridiction
compétente. En revanche, l’on observe des répétitions et des
doublons dans la législation pénale éparse.
Les textes épars présentent des dispositions répétées ou des
doublons. L’examen de ces textes conduit à la détection des
dispositions énumérées de manière éparpillée. Ces derniers
présentent donc un sérieux problème de cohérence ou de mise en
harmonie. L’éparpillement des dispositions dans le domaine de la
pénalisation des ordonnateurs et comptables publics, s’oppose donc
aux exigences de la codification. L’on constate que « la prolifération,
l’instabilité et même parfois le flou de la règle sont autant d’obstacles à sa
réalisation »130. À titre illustratif, la Loi de 1974 sur le contrôle des
ordonnateurs consacre presque les mêmes règles que le décret sur le

126 Article 13 alinéa 1 de la Loi n°74/18 du 5 décembre 1978 op.cit.


127 Article 13 alinéa 2 de la Loi n°74/18 op.cit.
128 Article 2 du Décret n° 2013/288 du 04 septembre 2013 portant modalités de

restitution du corps du délit au Cameroun.


129 Article 5 du Décret n°2013/288 du 04 septembre 2013 op.cit.
130 S. LAMOUROUX, « La codification ou la démocratisation du droit », op.cit.,

p.819.
32
Rafip n°6 – 2nd semestre 2019

Conseil de Discipline Budgétaire et Financière. Ces deux textes


consacrent respectivement les règles sur les irrégularités et la faute
de gestion131. Ces derniers apportent les mêmes définitions sur ces
concepts fondamentaux. De même, ils consacrent comme sanction
la mise en débet, la déchéance, la restitution du corps de délit,
etc…132.
Sous ce sillage, il n’est pas abusif de dire que certains textes
apparaissent redondants et superfétatoires pour une application
cohérente du droit. Ces derniers encombrent inutilement le cadre
juridique. La prépondérance ou le recours fréquent de l’un par
rapport à l’autre peut entrainer une certaine désuétude, « jamais
appliqués ou devenus inapplicables »133. Il est impératif de corriger les
doublons ou répétitions constatés dans les textes spécialisés.
La constatation des doublons ou dispositions répétées dans
les textes épars nécessite une véritable mise en cohérence ou
uniformisation. Celle-ci peut instituer l’assemblage des dispositions
éparses dans un seul document ou la suppression des dispositions
doublées constatées dans lesdits textes. En outre, il doit être institué
un véritable contrôle de cohérence des textes promulgués.
2. La dénonciation de la présomption de corruption
La dénonciation de la présomption de corruption substitue
au nouveau Code Pénal sa finalité initiale. Cette dernière remplace
les sanctions classiques consacrées en droit pénal général. Instituant
les mécanismes de la citoyenneté administrative134, les sanctions
instituées par le nouveau Code Pénal n’emportent pas entièrement
conviction. Ils doivent perfectionner les institutions intervenant en
matière de pénalisation de la corruption au Cameroun. La
dénonciation de la présomption de corruption renvoie à l’organe de
poursuites, les prérogatives de donner suite aux infractions
constatées.
La dénonciation administrative est à la base de la
constatation des cas de flagrant délit en matière d’acte de corruption

131 V. article 13 et s de la Loi n°74-18 du 05 décembre 1974 op.cit., et l’article 2 du


Décret n°2008/028 du 17 janvier 2008 op.cit.
132 V. articles 13 alinéa 2, 14 de la Loi n°74-18 du 05 décembre 1974 op.cit., et

l’article 2 du Décret n°2008/028 du 17 janvier 2008 op.cit.


133 G. BRAIBANT, « Utilité et difficultés de la codification », op.cit., p. 66
134 V. CHAMPEIL- DESPLATS, « La citoyenneté administrative », in Pascale

GONOD, Fabrice MELLERAY, Philippe YOLKA, Traité de droit administratif,


Paris, Dalloz, tome 2, 2011, pp. 397-434.
33
au Cameroun. Ce mécanisme fait obligation à la Commission
Nationale Anti-corruption de recourir aux services compétents de
l’État. Ainsi, le recours à ces services s’impose exclusivement en
fonction de l’infraction constatée et de son urgence. La collection
des éléments de preuve dans le cadre du flagrant délit ligote le
recours à ces services. Ceci est dû à la consécration par les sources
formelles du droit pénal des prérogatives de la CONAC en matière
d’investigation135. En outre, le président de la Commission Nationale
Anti-corruption peut saisir directement le ministre de la justice et
garde des sceaux. Ce dernier peut également en informer
l’employeur du ou des mis en cause dans la procédure de
certification des actes de corruption136. Ces consécrations présentent
des points d’imprécision.
Le Décret portant création, organisation et fonctionnement
de la CONAC s’illustre par l’imprécision de certaines de ses
dispositions. Ces dernières concernent respectivement les modalités
relatives au contrôle du flagrant et à la saisine des organes détenteurs
du pouvoir de sanctionner. Ce texte spécial n’indique pas les
modalités de convocation des services compétents de l’État, devant
constater les cas de flagrant délit en matière de corruption. L’on
range au sein de ce régime d’imprécision le délai et la composition
desdits services. Il en est de même du délai de transmission et de la
nature des résultats des investigations menées par cet organe. De
plus, le défaut de précision du délai de saisine du ministre de la
justice par le président de la Commission Nationale Anti-corruption
peut être ajouté. La définition d’un cadre juridique officiel
permettrait d’éviter les paralysies et potentiels dysfonctionnements.
L’effectivité de la dénonciation de la présomption de
corruption dans le cadre du flagrant délit repose sur la consécration
formelle des imprécisions soulevées précédemment. Il est question
de donner une force juridique, une normativité à ces dispositions et
permettre leur autorité au sein du droit positif camerounais.
L’affermissement de ces suggestions passerait soit par la
modification du nouveau Code Pénal soit par la promulgation d’un
texte spécifique. Si matériellement les blocs de textes spécialisés
dans un domaine sont mis en cohérence, il devient plus facile alors
d’entreprendre des modifications qui auront dès lors une cohérence
juridique et technique plus crédible.

135 Article 22 alinéa 1 du Décret n°2006-088 du 11 mars 2006 op.cit.


136 Article 22 alinéa 3 du Décret n°2006-088 du 11 mars 2006 op.cit.
34
Rafip n°6 – 2nd semestre 2019

Conclusion
Le nouveau Code Pénal camerounais consacre
insuffisamment la répression pénale des ordonnateurs et comptables
publics. C’est ce qui explique la négation de son exclusivité et de sa
priorité. La lecture est donc orientée vers les dispositions des textes
épars applicables au droit pénal financier. En dépit de prolonger
l’idée du nouveau Code Pénal, ces derniers se substituent à sa
finalité initiale. Ils dépassent et réajustent les mécanismes institués
en faveur de la pénalisation des ordonnateurs et comptables publics.
Le droit positif des États d’Afrique noire francophone est plus
enclin à une lecture dogmatique dispersée du cadre juridique
applicable à la pénalisation des ordonnateurs et comptables publics.
L’expression parfaite d’un mépris, d’un dédain à la sécurité juridique
et aux objectifs de la codification transparait.
Le plaidoyer en faveur de la modification du nouveau Code
Pénal promulgué en 2016 prolonge cette étude critique. Il est donc
suggéré l’insertion des dispositions sur la répression pénale des
ordonnateurs et comptables publics dans un livre ou un titre du
Code Pénal. En dépit de cette suggestion, la promulgation d’un texte
spécifique en la matière ne peut être irrecevable. Une réflexion
projetant les faiblesses de la codification du droit pénal ne dérogerait
pas aux critiques dénoncées jusqu’ici.

35
36
Rafip n°6 – 2nd semestre 2019

LA SUBSTITUTION DU PARLEMENT EN DROIT


BUDGETAIRE DES ETATS D’AFRIQUE NOIRE
FRANCOPHONE
Par
François ABENG MESSI
Ph. D en Droit Public
Chargé de Cours à la Faculté des Sciences Juridiques et Politiques,
Université de Yaoundé II-Soa

Introduction

« Le parlement anglais peut tout faire sauf changer une femme en un


homme ». Ce célèbre éloge du juriste suisse et calviniste Jean-Louis de
LOLME de la fin du XVIIIe siècle rappelle que, dans sa conception
classique, le parlement est une institution auréolée de puissants
pouvoirs. Aussi, serait-il détenteur incontournable du pouvoir de
lever l’impôt assis sur « un principe fondamental […] reconnus par les
régimes démocratiques »1, un « principe de base du gouvernement républicain »2 :
le principe « no taxation without representation » qui a substitué la règle
selon laquelle : « le roi doit vivre du sien ». Les finances publiques
seraient ainsi le siège du pouvoir législatif, son domaine réservé. A
cet effet, étant donné que : « pour l’entretien de la force publique, et pour les
dépenses d’administration, une contribution commune est indispensable »3, les
révolutionnaires français n’ont pas manqué de souligner que « tous les
citoyens ont le droit de constater par eux-mêmes ou par leurs représentants la
nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d’en suivre
l’emploi et d’en déterminer la quotité, l’assiette, le recouvrement et la durée »4.
Comme la Grande Bretagne5, les Etats-Unis d’Amérique du
Nord6 et la France7, les Etats d’Afrique noire francophone

1 PHILIP (L.), « Autorisation budgétaire (principe de l’-) », in PHILIP (L.) (dir.),


Dictionnaire encyclopédique de finances publiques, Paris, Economica, 1991, p. 112.
2 ZOLLER (E.), « Les pouvoirs budgétaires du Congrès des Etats-Unis », RFFP,

n°86, 2004, p. 267.


3 Article 13 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août

1789.
4 Article 14 ibid.
5 La compétence du Parlement du palais de Westminster est la conséquence du

principe du consentement à l’impôt qui a été régulièrement revendiqué en


37
attribuent, dans le principe, au parlement, le pouvoir d’adopter la loi
de finances. C’est ce que consacre la constitution camerounaise en
ces termes : « au cours de l’une des sessions, l’Assemblée Nationale vote le
budget de l’Etat »8. Les constituants sénégalais9 et togolais10 en font de
même lorsqu’ils précisent invariablement que« l’Assemblée nationale
vote les projets de loi de finances » ; alors que le constituant ivoirien, pour

Angleterre au Moyen-Âge. Après une première consécration par la Magna Carta du


12 juin 1215, il a été de nombreuses fois consacré par la suite, par exemple par le
Petition of Right du 7 juin 1628 ou encore le Bill of rights du 16 décembre 1689 qui
prévoit que « that levying money for or to the use of the Crown by pretence of prerogative,
without grant of Parliament, for longer time, or in other manner than the same is or shall be
granted, is illegal ».
L’extension du principe aux dépenses n’a pas été codifiée, mais s’est imposée
rapidement après la Glorieuse révolution par le principe : « legislative authorization
and appropriation of charges ». GUIGUE (A.), « La "constitution financière" du
Royaume-Uni », in ANTOINE (A.) (dir.), Le droit public britannique : état des lieux et
perspectives, Paris, Société de Législation Comparée, coll. Colloques, vol 27, 2015,
pp. 121-142 ; DE BELLESCIZE (R.), « L’autonomie financière des assemblées
parlementaires au sein des États sui generis en Europe », Gestion & Finances
Publiques, 2018, n°5, p. 54.
6 En application de l’article 1er de la Constitution du 17 septembre 1787 : « un

Congrès des États-Unis, composé d’un Sénat et d’une Chambre des représentants, sera investi de
tous les pouvoirs législatifs déterminés par le présent acte ». A cet effet, la section 8 de cet
article précise que : « le Congrès aura le pouvoir : d’établir et de faire percevoir des taxes,
droits, impôts et accises, de payer les dettes publiques, et de pourvoir à la défense commune et au
bien général des États-Unis » ; voir en ce sens : ZOLLER (E.), « Les pouvoirs
budgétaires du Congrès des Etats-Unis », RFFP, n°86, 2004, pp. 267-308 ; DE
BELLESCIZE (R.), « Le budget des Etats-Unis », in MANUEL (T.) (dir.), Les
finances publiques autour du Pacifique, Paris, Mare et Martin, coll. Droit et gestions
publiques, 2019 ; DE BELLESCIZE (R.), Le système budgétaire des Etats-Unis, Paris,
L.G.D.J, coll. Systèmes, 2015, 232 p ; MEYER (A.), « Le budget fédéral de l’ère
Obama : politique de la chaise vide ou de la caisse vide ? », Politique Américaine,
2013, 2, n° 22, pp.155-178.
7 Selon l’article 47 de la Constitution française du 4 octobre 1958 : « le Parlement

vote les projets de loi de finances ».


8 Alinéa 2 b de l’article 16 de la loi constitutionnelle du 18 janvier 1996. A s’en

tenir à cette disposition, on serait tenté de conclure que le Sénat n’intervient pas
en matière d’autorisation budgétaire. Mais, l’article 71 de la loi n°2013/006 du 10
juin 2013 portant Règlement intérieur du Sénat évoque le vote de la loi de
finances.
9 Article 68 de la Constitution sénégalaise du 22 janvier 2001 révisée le 4 mai 2019.
10 Article 91 de la Constitution togolaise 14 octobre 1992, révisée par la loi

n°2002-029 du 31 décembre 2002.


38
Rafip n°6 – 2nd semestre 2019

donner vie au bicamérisme11, souligne que « le parlement vote les projets


de loi de finances »12.
Ce tableau, ancien et de principe, très reluisant et laudateur
semble contrasté avec la réalité actuelle. Le parlement subit une
transformation qui se traduit par la rationalisation de ses pouvoirs à
l’effet de permettre à l’exécutif de mettre en œuvre, aussi facilement
que possible, la politique de la nation. Au regard de ces
considérations confortées par le jeu politique, le parlement est
désormais perçu comme une institution passive. Ainsi certains
auteurs13 n’hésitent pas à le voir comme un « parlement domestiqué »14
ou « une caisse de résonnance » ou « une chambre d’enregistrement »15 ou
encore comme « une tribune privilégiée ». Dans le contexte africain, ces
différents clichés forts pessimistes devraient trancher avec
l’ambition affichée par le nouveau constitutionnalisme issu des
années 1990. Mais, tel n’est pas, assurément, le cas. L’institution
parlementaire est en proie à l’hyper-puissance du pouvoir exécutif
en général et de son illustre chef en particulier. L’hypothèse de la
substitution du parlement en droit budgétaire exprime, de manière
éclatante, le caractère décoratif de cette institution.
Étymologiquement, le concept de substitution est tiré du
substantif latin substitutio, issu du verbe substituere qui signifie
substituer. De manière générale, la substitution traduit le
« remplacement d’une personne par une autre »16. C’est également l’« action

11 « Le pouvoir législatif est exercé par le Parlement. Le Parlement composé de l’Assemblée


nationale et du Sénat » : Article 85 de la loi n°2016/886 du 8 novembre 2016 portant
Constitution de la République de la Côte d’Ivoire.
12 Article 111 de la loi n°2016/886 du 8 novembre 2016 portant Constitution de la

République de la Côte d’Ivoire.


13 CABANIS (A.), MARTIN (M.-L.), Les constitutions africaines, évolutions récentes,

Karthala, p. 113 ; HOUNKPE (M.), « Le parlement, cet inconnu », Façon de Voir,


Mensuel béninois d’analyse politique et socio-économique, n°6, 15 avril 2001, p. 2 ;
CHANDERNAGOR (A.), Un parlement pour quoi faire ?, Paris, Gallimard, 1967.
14 LAUVAUX (P.), « Récurrence et paradoxe : une histoire contrapuntique »,

Pouvoirs, n°64, 1993, p. 16.


15 JIANG (J.), Théorie du droit public, Paris, L’Harmattan, 2010, p. 152 ; voir

également BAYART (J-F), L’Etat au Cameroun, Paris, P.F.N.S.P., 1985, p. 160.


16 CORNU (G.), Vocabulaire juridique, Paris, PUF, coll. Quadrige Lamy, 11ème éd.,

2017, p.996.
39
pour une personne de se mettre à la place d’une autre »17 ou le « fait d’agir à sa
place »18. La substitution induit donc l’idée d’un dédoublement
fonctionnel au bénéfice de l’autorité de substitution au détriment de
celle substituée. C’est une technique juridique palliative à la
défaillance de l’autorité détentrice originelle de la compétence. Bien
connue en droit19, on rencontre la substitution en droit administratif,
où l’on évoque la substitution de pouvoir pour désigner le « pouvoir
conféré aux autorités hiérarchiques ou de tutelle de prendre certaines mesures à la
place et pour le compte des autorités qui leur sont soumises, et qui en demeurent
responsables »20. Bien que la consacrant, le droit budgétaire affiche une
originalité dans la conception de la substitution. En effet, en matière
d’autorisation budgétaire, l’autorité substituée, le parlement, n’est
pas soumise à un pouvoir hiérarchique ou de tutelle de l’autorité de
substitution.

17 Ibid.
18 Ibid.
19 Notamment en matière pénale où l’on rencontre la substitution d’enfant qui est

une infraction qui résulte du remplacement physique volontaire d’un enfant né


d’une femme par celui né d’une autre femme. En procédure civile, on parle de
substitution de motifs pour signifier que la Cour de cassation a la faculté, pour
justifier une décision attaquée devant elle, de substituer à un motif erroné un
motif de pur droit. Mais ce motif substitué doit avoir été implicitement invoqué,
en raison de la manière dont les prétentions des parties ont été exposées en fait et
en droit. En droit civil, on parle également de substitution fidéicommissaire qui
est une disposition par laquelle l’auteur d’une libéralité impose à la personne
gratifiée (le grevé), l’obligation de conserver sa vie durant les biens donnés ou
légués, afin de les transmettre à sa mort à une seconde personne nommément
désignée (l’appelé). En France, elle est en principe prohibée et n’était licite, jusqu’à
là, pour ses frères et sœurs, au profit de leurs propres enfants nés ou à naître.
Désormais, la substitution fidéicommissaire, sous la nouvelle dénomination de
libéralité graduelle, est ouverte à toute personne, qu’il existe ou non des liens de
parenté entre le disposant, le grevé et l’appelé. Si le grevé est réservataire du
disposant, la charge de conserver et de transmettre ne peut être imposée que sur la
quotité disponible, à moins que le donataire n’accepte que la charge ne grève tout
ou partie de sa réserve. On parle également de substitution vulgaire qui, à la
différence de la substitution fidéicommissaire, la substitution vulgaire n’implique
pas deux libéralités devant produire successivement leur effet. Elle n’est qu’une
institution en sous-ordre permettant au second légataire, en cas de défaillance du
légataire gratifié en première ligne, de recueillir le bénéfice du legs. Voir en ce sens
CORNU (G.), Vocabulaire juridique, op. cit., p. 996.
20 GUINCHARD (S.), DEBARD (Th.) (dir.), Lexique des termes juridiques, Paris,

Dalloz, 2017, 25ième éd., p. 1953.


40
Rafip n°6 – 2nd semestre 2019

Quant au parlement, sous l’Ancien Régime en France, il


désigne la « cour souveraine de justice investie de certaines prérogatives
politiques : chargés d’enregistrer les édits et ordonnances royaux, les parlements
pouvaient refuser cet enregistrement et formuler à cette occasion des remontrances,
d’où leur attitude souvent frondeuse à l’égard du roi »21. En revanche, dans
l’Angleterre traditionnelle, le parlement c’est le « nom donné à l’organe
législatif complexe formé du roi et des deux chambres »22. De même, dans
certains régimes représentatifs, le parlement renvoie à « l’assemblée ou
aux assemblées délibérantes de l’Etat, issues au moins partiellement de l’élection,
et ayant pour mission principale de voter les lois et le budget, souvent aussi, de
contrôler les ministres »23, ainsi que d’évaluer les politiques publiques24.
A ce titre, « composé d’une ou plusieurs assemblées délibérantes, le Parlement a
pour fonction de voter les lois et, notamment en régime parlementaire, de contrôler
politiquement le gouvernement »25. Il faut tout de même ajouter que
l’institution parlementaire n’est pas exclusive aux régimes
parlementaires. Elle existe également dans les régimes présidentiels.
Autant résumer que le parlement « c’est une institution représentative et
délibérative : représentative par sa constitution, délibérative par son mode de
travail »26. Qu’il soit monocaméral27 ou bicaméral28, le parlement est

21 Ibid., p. 1484.
22 CORNU (G.), Vocabulaire juridique, op. cit., p.737.
23 Ibid.
24 En France, c’est Loi constitutionnelle n° 2008-724 du 23 juillet 2008 de

modernisation des institutions de la Ve République qui a introduit à l’article 24


que « le Parlement vote la loi. Il contrôle l’action du Gouvernement. Il évalue les politiques
publiques ». Faisant suite à ses dispositions constitutionnelles, suite à ses
dispositions constitutionnelles, le Comité d’évaluation et de contrôle (CEC) a été
créé par la réforme du Règlement de l’Assemblée Nationale du 27 mai 2009. Il est
important de souligner que cette fonction d’évaluation n’est pas souvent attribuée
(ou sollicitée lorsqu’elle l’est) aux parlements objet de cette étude.
25 GUINCHARD (S.), DEBARD (Th.) (dir.), Lexique des termes juridiques, op. cit.,

p. 1484.
26 De VILLIERS (M.), Le DIVELLEC (A.), Dictionnaire de Droit constitutionnel,

Paris, Dalloz, 2009, 7ième éd., p. 241.


27 Parlement à une chambre, comme c’est le cas au Bénin. Certains auteurs

défendent l’idée d’un parlement monocaméral et réfutent ainsi l’avènement des


secondes chambres. Ainsi, Joseph BARTHELEMY affirme : « Le Sénat est fait pour
résister, alors il résiste par son inertie », cité par GARRIGUES (J.), « Le Sénat : quel
bilan entre "l’âge d’or" et l’entre-deux guerres ? », in Le Sénat de la Vème République,
Les cinquante ans d’une assemblée bicentenaire, Actes de colloque, coll. Les colloques du
Sénat, p. 27, tiré de : www.senat.fr/colloques .
41
un organe délibérant de représentation du peuple, de la nation, des
Etats fédérés ou des collectivités locales29 détenteur du pouvoir
législatif30 et charger de la mission de contrôler le pouvoir exécutif31.
C’est une institution qui n’est pas ignorée des Etats d’Afrique noire
francophone. Ceux-ci n’ont pas hésité à transposer le modèle de
l’ancienne puissance tutélaire32. Mais, il s’agit d’une institution dont
on peut se passer en matière d’autorisation budgétaire.
Au Cameroun, la substitution du parlement est réalisée par
application de la théorie des douzièmes provisoires33. Ainsi, « au cas
où le budget n’aurait pas été adopté avant la fin de l’année budgétaire en cours,
le Président de la République est habilité à reconduire, par douzième, le budget

28 Parlement à deux chambres, comme c’est le cas au Cameroun. D’autres auteurs


en revanche se font les militants du bicamérisme. Ainsi pour LALLY-
TOLLENDAL, « le dualisme des Assemblées est un axiome que la raison et l’expérience ont
placé hors d’atteinte, car partout où le pouvoir législatif est en une seule main, la liberté ne peut
exister », rapporté par JAN (P.), Les Assemblées parlementaires françaises, Paris, La
Documentation Française, 2005, p. 17. Pour le recteur Marcel PRELOT, « (…)
lorsqu’il n’y a pas de Sénat, il n’y a plus de République », cité par GELARD (P.), « Le
Sénat aujourd’hui- Session III : un cinquantenaire qui se porte bien », p. 2,
consulté sur le site : www.senat.fr/colloques, 14 décembre 2019.
29 Voir en ce sens JIANG (J.), Théorie du droit public, op. cit. , p. 151.
30 Le pouvoir législatif désigne le pouvoir de création des normes juridiques

générales. Voir en ce sens : KELSEN (H.), Théorie générale du droit et de l’Etat, Trad.
LAROCHE (B.) et FAURE (V.), Intro. PAULSON (S. L.), Paris, LGDJ, 1997,
pp. 319-321.
31 Voir en ce sens GOUDEM LAMENE (B.), « L’information du parlement en droit

budgétaire camerounais », Thèse de Doctorat/Ph.D en Droit public, Université de


Yaoundé II, 2013, p.8 ; SOUMANA (B.), « Le parlement au Niger », Thèse de
Doctorat/Ph.D en Droit public, Université de Lyon, 2016, pp.23 et s.
32 Voir en ce sens TALL (M.), Les parlements dans les Etats d’Afrique noire francophone :

Essai sur le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire, le Sénégal et le Togo, Thèse pour le Doctorat
en Droit, Université de Poitiers, 1986, p. 2.
33 C’est une technique qui permet d’avancer de l’argent en reconduisant

temporairement le budget de l’année précédente. Chaque mois, tant que le budget


n’était pas voté, il fallait recourir à cet expédient. Voir en ce sens :
TOULEMONDE (G.), Le déclin du Parlement sous la Ve République. Mythe et réalités,
Thèse pour le Doctorat en Droit, Université de Lille II, 1998, p. 2019. Au Bénin,
comme le souligne monsieur TONI Errol, « les douzièmes provisoires donc comme une
technique à l’avantage de l’exécutif. Ils sont destinés à lui permettre de « rattraper » son erreur
initiale » : L’autorisation budgétaire dans le droit financier ouest-africain francophone, Thèse
de Doctorat en Droit public, Université de Lyon III, 2015, p.146. En France, en
1955, sept douzièmes provisoires furent nécessaires avant que le budget ne soit
adopté. Voir MUSELIER (F.), Regards neufs sur le Parlement, Peuple et Culture,
Paris, 1956, p. 86.
42
Rafip n°6 – 2nd semestre 2019

de l’exercice précédent jusqu’à l’adoption du nouveau budget »34. Au Benin le


constituant présente deux cas de figure conduisant à la substitution.
Dans le premier c’est lorsque, « le projet de loi de finances n’a pu être
déposé en temps utile pour être promulgué avant le début de l’exercice, le
Président de la République demande d’urgence à l’Assemblée Nationale
l’autorisation d’exécuter les recettes et les dépenses par douzièmes provisoires »35.
En revanche, « lorsque le projet de loi a été déposé dans les délais sur le
bureau de l’Assemblée Nationale, il doit être adopté au plus tard à la date de
clôture de la session budgétaire »36. Mais, « si l’Assemblée Nationale ne s’est
pas prononcée à la date du 31 décembre, les dispositions du projet de loi de
finances peuvent être mises en vigueur par ordonnance »37. Dans ce cas, « le
Gouvernement saisit, pour ratification, l’Assemblée Nationale convoquée en
session extraordinaire dans un délai de quinze (15) jours »38. « Si l’Assemblée
Nationale n’a pas voté le budget à la fin de cette session extraordinaire, le budget
est établi définitivement par ordonnance »39. Ces différentes dispositions
ont été reprises in extenso par l’article 61 de la Loi organique n°2013-
14 du 27 septembre 2013 relatives aux lois de finances40.C’est la
consécration d’un véritable hold-up budgétaire par la substitution du
parlement41.

34 Alinéa 2 b) de l’article 16 de la Loi n°96/06 du 18 janvier 1996 portant révision


de la Constitution du 02 juin 1972, modifiée et complétée par la loi n°2008/001
du 14 avril 2008.
35 Article 111 de la loi n° 90-32 du 11 décembre 1990 portant Constitution de la

République du Bénin, modifiée par la loi n°2019-40 du 7 novembre 2019.


36 Article 110 de la loi n° 90-32 du 11 décembre 1990 portant Constitution de la

République du Bénin, modifiée par la loi n°2019-40 du 7 novembre 2019.


37 Article 111 de la loi n° 90-32 du 11 décembre 1990 portant Constitution de la

République du Bénin, modifiée par la loi n°2019-40 du 7 novembre 2019.


38 Ibid.
39 Ibid.
40 « L’Assemblée Nationale vote le budget en équilibre. Si l’Assemblée Nationale ne s’est pas

prononcée, à la date du 31 décembre, les dispositions du projet de loi de finances peuvent être
mises en vigueur par ordonnance. Le Gouvernement saisit pour ratification, l’Assemblée
Nationale convoquée en session extraordinaire dans un délai de quinze jours. Si l’Assemblée
Nationale n’a pas voté le budget à la fin de cette session extraordinaire le budget est établi
définitivement par ordonnance ».
41 Il faut tout de même préciser que la présente étude ne s’intéresse pas aux cas de

régulation des autorisations budgétaires, mais à l’autorisation budgétaire elle-


même. Les décrets d’avance, les transferts et virements de crédit ne seront donc
pas abordés. Pour plus de détails à propos de la régulation voir :
43
La substitution du parlement en droit budgétaire nous place
au cœur de la question des rapports qui existent entre le pouvoir
législatif et le pouvoir exécutif, non pas sous l’angle exclusif du droit
constitutionnel, mais sous l’angle des finances publiques : un angle
jusqu’ici très peu abordé. La doctrine constitutionnaliste n’a, de
cesse, interrogé l’organisation de la distribution des pouvoirs au sein
de l’Etat42. Chaque réforme constitutionnelle suscite, de plus en plus,
sa curiosité. Dans cette perspective, la quasi-totalité de la doctrine
constate la prééminence de l’exécutif sur le législatif. Le président de
la République cumulerait de nombreux pouvoirs qui font de lui un
gardien, un arbitre et un garant43 de l’ordre constitutionnel. Il est
même assimilé à un « Prince-Président »44. Dans cette foulée, pendant
que le professeur Albert BOURGI décrit « la prééminence
présidentielle »45, le professeur Alain Didier OLINGA écrit que « le
fonctionnement des institutions amène à constater qu’au-delà de la distinction des
organes et de leurs fonctions, le chef de l’Etat est tout simplement le chef de tous
les chefs au sein des institutions publiques »46. Suivant leurs pas, M. Cyrille
MONEMBOU évoque la suprématie du président de la République
qu’il explique par sa prépondérance aussi bien sur le pouvoir
législatif, que sur le pouvoir judiciaire47. Madame Aline AKA
LAMARCHE ne pense pas autre chose lorsqu’elle souligne que « le
Président de la République prime sur l’organe collégial des élus qu’est le

TOULEMONDE (G.), Le déclin du Parlement sous la Vè République. Mythe et réalités,


op. cit., pp. 297-306.
42 Voir en ce sens : voir NAREY (O.) (dir.), Séparation des pouvoirs et contre-pouvoirs,

Actes des 1ères journées scientifiques de droit constitutionnel, Palais des Congrès
de Niamey, du 10 au 13 octobre 2017, L’Harmattan, 2019, 518p
43 ARDANT (Ph.), « L’article 5 de la fonction présidentielle », Pouvoirs, n°41, 1987,

p. 39.
44 JULLIARD (J.), « La tentation du Prince-Président », Pouvoirs, n°41, 1987, pp.

27-36.
45 BOURGI (A.), « L’évolution du constitutionnalisme en Afrique : du formalisme

à l’effectivité », RFDC, n°52, 2002, pp. 729 et s.


46 OLINGA (A. D.), « Notule sur la séparation des pouvoirs dans la Constitution

camerounaise », in ONDOUA (A.) (dir.), La constitution camerounaise du 18 janvier


1996 : Bilan et perspectives, Yaoundé, Afrédit, 2007, p.27.
47 MONEMBOU (C.), La séparation des pouvoirs dans le constitutionnalisme camerounais :

Contribution à l’étude de l’évolution constitutionnelle, Thèse pour le Doctorat/Ph.D en


Droit public, Université de Yaoundé II, 2010-2011, pp. 41-182.
44
Rafip n°6 – 2nd semestre 2019

Parlement »48. Dès lors, « la toute-puissance législative du parlement semble


être davantage un leurre qu’une réalité »49.
A mesure que les pouvoirs financiers de l’exécutif
s’accroissent, ceux du parlement s’amenuisent. Certains auteurs
n’hésitent pas à y voir une rationalisation du parlementarisme50. Bien
que Georges BURDEAU51 ne soit pas convaincu par la thèse de la
rationalisation du parlementarisme, d’autres auteurs affirment la
décadence52, l’asservissement53, l’abaissement54, l’affaiblissement55,
l’humiliation56 voire le déclin57 du parlement.

48 AKA LAMARCHE (A.), « L’évolution du régime représentatif dans les Etats


d’Afrique noire francophone », Jurisdoctoria, n°9, 2013, p. 131.
49 JIANG (J.), Théorie du droit public, op. cit.,, p. 152.
50 MIRKINE-GUETZEVITCH (B.), Les nouvelles tendances du droit constitutionnel,

Marcel Giard, 1931, p. VIII ; MIRKINE-GUETZEVITCH (B.), « Le régime


parlementaire dans les récentes Constitutions européennes », RIDC, Vol. 2, n°4,
1950, pp. 605-638 ; voir également LAUVAUX (Ph.), Le Parlementarisme, Paris,
PUF, 2ième éd, 1997, p. 80 : le parlementarisme rationalisé entend « traduire par des
règles juridiques écrites et des mécanismes formels, les modes de fonctionnement du système
parlementaire, et de les aménager dans une perspective rationnelle » ; AHMYIANE (A.), « Le
pouvoir législatif au Maroc entre rationalisation et auto rationalisation
parlementaire », IOSR-JHSS, Vol. 24, Issue 2, Ser.1, 2019, pp.1-12.
51 BURDEAU (G.), Le régime parlementaire dans les Constitutions Européennes d’après-

guerre, Paris, Les éditions Internationales, 1932, p. 72. L’auteur souligne qu’il a tout
de même des dispositions qui renforcent les compétences du parlement. Ainsi, par
« des procédures inédites, certaines lois constitutionnelles s’efforcent de réglementer le vote de
défiance, et sans attenter à la liberté du Parlement, donnent au ministère des garanties contre un
vote irréfléchi » ; rapporté par De BUJADOUX (J.-F.), « Jaurès, aux origines du
modèle français de parlementarisme rationalisé », Jus Politicum, n°11, 2013, p. 2.
52 DURAND (P.), « La décadence de la loi dans la constitution de la Vè

République », JCP, éd. G., 1959, n° 1470.


53 MEKHANTAR (J.), Droit politique et constitutionnel, Paris, Eska, 1997, 2 ième éd., p.

404.
54 HAURIOU (A.), Droit constitutionnel et institutions politiques, Paris, Montchrestien,

1972, 5ième éd., p. 863 ; CARCASSONNE (G.), « La résistance de l’Assemblée


nationale à l’abaissement de son rôle », in DUHAMEL (O.) et PARODI (J.-L.)
(dir.), La constitution de la Vè République, Paris, PFNSP, 1988, 2ième éd., p. 330..
55 MASCLET (J.-Cl.), Le rôle du député et ses attaches institutionnelles sous la Vè

République, Paris, LGDJ, coll. Bibliothèque constitutionnelle et de science


politique, 1979, p. 1 ; MEKHANTAR (J.), Droit politique et constitutionnel, Paris,
Eska, 2ième éd., 1997, p. 404.
56 PEZANT (J.-L.), « Contribution à l’étude du pouvoir législatif selon la

Constitution de 1958 », in Mélanges Georges BURDEAU, Le Pouvoir, Paris, LGDJ,


1977, p. 455.
57 DABEZIES (P.), « Le déclin du Parlement », Projet, n°56, juin 1971, p. 671 ;

AVRIL (P.), Les Français et leur Parlement, Paris, Casterman, 1972 ; LALUMIERE
45
Ce portrait sombre ne saurait se limiter aux aspects
constitutionnels de l’analyse de l’organisation et du fonctionnement
des pouvoirs législatif et exécutif. L’angle des finances publiques ne
doit pas être occulté. Tirant sa source en droit constitutionnel, la
substitution du parlement en droit budgétaire n’a pas attiré la
doctrine financière. Cette dernière s’est gardée, jusqu’ici de
s’intéresser avec profondeur à « la constitutionnalisation du droit
budgétaire »58. M. Mesnil Errol TONI n’a pas manqué de remarquer le
rôle réduit du parlement lors de l’élaboration de la loi de finances car
à son sens, non seulement il en est écarté, il est également
contraint59. De même, M. Mathias HOUNKPE s’est, indirectement,
penché sur la question de la substitution du parlement au Bénin.
Celui-ci reconnaît que, si « le législatif jouit d’un pouvoir véritable en
matière de vote et de mise en œuvre des lois »60, « son droit d’amendement
constitue une arme redoutable en ce qui concerne la forme finale que peut prendre
un texte »61. Mais, il s’empresse d’ajouter qu’il en est ainsi « surtout en ce
qui concerne les textes autres que la loi de finances »62. De même, bien qu’il
note la dépossession des assemblées parlementaires dans l’adoption
des lois de finances, M. Kossi SOMALI63 a passé sous silence la
technique de la substitution. Cette relative aphonie de la doctrine
financière rend nécessaire la présente étude.

(P.), « Le déclin du rôle financier des parlements en Europe occidentale », Mélanges


Jean BRETHE de la GRESSAYE, Brière, Bordeaux, 1967, p. 405 ;
TOULEMONDE (G.), Le déclin du Parlement sous la Ve République. Mythe et réalités,
op. cit., 604 p.
58 PHILIP (L.), « La constitutionnalisation du droit budgétaire français », in BECK

(B.) et VEDEL (G) (dir.), Etudes de finances publiques. Mélanges en l’honneur de M. le


Professeur Paul-Marie GAUDEMET, Paris, Economica, 1984, pp. 49-62.
59 TONI (M. E.), L’autorisation budgétaire dans le droit financier ouest-africain francophone,

Thèse de Doctorat en Droit public, Université de Lyon III, 2015, pp.68-180.


60 HOUNKPE (M.), « Le constitutionnalisme en Afrique : l’expérience

béninoise », in ONDOUA (A.) (dir.), La constitution camerounaise du 18 janvier 1996 :


Bilan et perspectives, Yaoundé, Afrédit, 2007, p. 124.
61 Ibid.
62 Ibid.
63 SOMALI (K.), Le parlement dans le nouveau constitutionnalisme en Afrique. Essai

d’analyse comparée à partir des exemples du Bénin, du Burkina Faso et du Togo, Thèse pour
le Doctorat en Droit, Université de Droit et de la Santé, Lille II, 2008, pp. 279-
323.
46
Rafip n°6 – 2nd semestre 2019

Aussi, dans le contextuel actuel, la présente recherche


mérite-t-elle d’être menée pour deux séries de raison. En premier
lieu, c’est une réflexion qui présente un intérêt théorique. Il en est
ainsi dans la mesure où, elle vise à confronter l’organisation de la
substitution du parlement en droit budgétaire dans les Etats africains
d’expression française par rapport à la logique d’ensemble du
nouveau constitutionnalisme censé davantage garantir l’Etat de droit
et la séparation des pouvoirs. En second lieu, il s’agit de mettre en
relief la portée pratique de la substitution du parlement en droit
budgétaire. C’est ainsi que l’on appréciera les avantages et les
inconvénients d’un tel procédé pour conclure à son utilité ou non,
voire à son remodelage. Il s’agira d’essayer de voir si sa structuration
actuelle peut être porteuse de plus d’efficacité dans l’action publique.
La présente étude connait une délimitation géographique qui
conduit à s’intéresser à certains Etats notamment : le Bénin, le
Burkina-Faso, le Cameroun, la Côte d’Ivoire, le Gabon, le Sénégal et
le Togo. Le choix porté sur ces sept (7) Etats n’est pas anodin ; il est
justifié par le fait que, non seulement, ce sont des pays d’expression
française, mais ils présentent, a priori, de nombreuses similitudes
dans leur organisation de la substitution du parlement en droit
budgétaire. Il paraît intéressant de confronter les systèmes juridiques
des Etats pour en tirer le meilleur trait, voire un modèle. Au-delà des
similitudes que ces différents Etats affichent dans la mise en œuvre
de la substitution du parlement en matière budgétaire, les disparités
observées, çà et là, achèvent de convaincre sur la nécessité pour les
Etats de s’inspirer des innovations que l’on note par exemple au
Burkina-Faso64, au Gabon65 et au Sénégal66.

64 On y note le déclenchement de plein droit d’une session extraordinaire lorsque


la loi de finances n’a pas pu être adoptée avant le début du nouvel exercice
budgétaire.
65 Le Gabon a prévu la possibilité de diminuer les dépenses publiques et

d’augmenter les recettes même dans l’hypothèse de la reconduction du budget de


l’exercice précédent en cas de substitution du parlement. Le pouvoir exécutif
bénéficie donc d’une plus grande marge de liberté dans l’édiction d’une sorte de
loi de finances ad hoc.
66 Comme au Burkina-Faso, on y note également le déclenchement de plein d’une

session extraordinaire lorsque la loi de finances n’a pas pu être adoptée avant le
début du nouvel exercice budgétaire.
47
Aussi, a-t-il paru intéressant de se poser la question de
savoir : quelle est la portée de la substitution du parlement en
droit budgétaire des Etats objet de cette étude ? Conscient que
la technique de la substitution en droit budgétaire remplit une
fonction, il s’avère judicieux d’en analyser les effets. Aussi, l’objectif
poursuivi est-il de mettre en exergue, à partir de la conception que
les Etats étudiés se font de la substitution du parlement en droit
budgétaire, l’implication que cette technique produit dans le
fonctionnent du droit. Pour y parvenir, le cadre méthodologique
retenu c’est le positivisme scientifique d’Auguste COMTE qui
fournit les clés indiquées pour mieux saisir la substitution du
parlement en droit budgétaire. Il en découle que la substitution a
une portée ambivalente. Aussi, bien qu’elle garantisse la continuité
de l’Etat (I), elle constitue, néanmoins, une technique qui
déséquilibre les pouvoirs dans l’Etat (II).
I. Une technique garantissant la continuité de l’Etat
« Du jour même où sous l’action des causes très diverses, […] s’est
formée la distinction entre gouvernants et gouvernés, la notion de service public est
née dans l’esprit des hommes. En effet, on a compris que certaines obligations
s’imposaient aux gouvernants envers les gouvernés et que l’accomplissement de ces
devoirs était à la fois la conséquence et la justification de leur plus grande
force »67. Etant donné que l’Etat exécute les missions d’intérêt à
travers les services publics, il doit fonctionner de manière continue,
sans interruption.
Cela étant, lorsque la continuité de l’Etat est menacée (A),
celle-ci peut être assurée (B) par l’institution de la substitution du
parlement en matière budgétaire. De ce fait, ce procédé nécessaire
apparaît comme une technique qui garantit la continuité de l’Etat.
A. Une continuité menacée
A côté des principes d’égalité et la mutabilité, le principe de
la continuité des services publics fait partie des principes posés par
l’une des « lois » du service public identifiées en France par Louis

67DUGUIT (L.), Les transformations du droit public, Paris, Armand Colin, 1913, p.
33.
48
Rafip n°6 – 2nd semestre 2019

Rolland en 1938. Sans s’opposer au droit de grève, le principe de la


continuité trouve son fondement dans un principe plus large, celui
de la continuité de l’Etat en vigueur en droit constitutionnel68 et en
droit international69, et qui permet d’éviter « un Etat à éclipses »70. En
matière budgétaire, la continuité de l’Etat peut être menacée par
l’insuffisance du temps d’adoption du budget (1), mais aussi du fait
de l’application stricte du principe de l’annualité budgétaire (2).
1. L’insuffisance du temps d’adoption du budget
Selon la grille de répartition des compétences en droit
budgétaire, le pouvoir exécutif est chargé de préparer le budget de
l’Etat, le parlement est investi du pouvoir de le voter71. C’est ce qui
ressort des différents textes constitutionnels et régimes financiers.
Mais, en s’appuyant sur le rapport du parlement au temps72, on
observe une rationalisation de l’exercice de cette attribution.
A cet effet, comme le note un auteur, « l’impact du
parlementarisme rationalisé réduit la durée du travail parlementaire »73. Au

68 Ainsi par exemple en application de l’alinéa 2 de l’article 5 de la loi


camerounaise n°96/06 du 18 janvier 1996 portant révision de la Constitution du
02 juin 1972, modifiée et complétée par la loi n°2008/001 du 14 avril 2008, le
Président de la République est le garant de la continuité de l’Etat. En France, le
Conseil constitutionnel dans sa décision n°79-105 DC du 25 juillet 1979 a
considéré que le principe de la continuité des services publics a une valeur
constitutionnelle.
69 En droit international, le principe de la continuité de l’Etat signifie qu’un

gouvernement ne peut répudier les obligations souscrites par son prédécesseur.


70 Le Commissaire du gouvernement TARDIEU qui, dans ses conclusions dans

l’arrêt du Conseil d’Etat WINKELL de 1909, a affirmé que « la continuité est l’essence
même du service public » et que l’on ne pouvait admettre un « Etat à éclipses »
fonctionnant par saccade ou par intermittence.
71 Voir en ce sens : MORAES BACETI (C.), Les rapports entre les pouvoirs législatif et

exécutif dans le droit budgétaire brésilien, Thèse pour le Doctorat en Droit, Université
de Droit Panthéon-Sorbonne - Paris I, pp. 19 et s. ; VISEUR (J.-J.), « Le
Parlement et le processus budgétaire : le cas du Parlement belge », in, Le Parlement
et le processus budgétaire, notamment dans une perspective d’équité entre hommes et femmes,
Séminaire régional pour les parlements francophones d’Afrique, Bamako, 1er -3
novembre 2001, pp.32 et s.
72 TOULEMONDE (G) et CARTIER (E.), Le parlement et le temps. Approche

comparée, Institut Universitaire Varenne, 2017, 370p.


73 KANKEU (J.), Le nouveau droit budgétaire de l’Etat, Ed. Universitaires

Européennes, 2018, p.72.


49
regard de son encadrement74, le temps accordé au parlement pour
examiner et adopter le budget paraît relativement insuffisant. Le
professeur Paul AMSELEK y voyant un « marathon budgétaire »75,
cette délimitation du temps d’adoption de la loi de finances peut, à
certains égards, favoriser la menace de la continuité de l’Etat. La
délimitation stricte de la durée d’examen de la loi de finances par les
textes juridiques, traduit la volonté d’éviter un enlisement des débats
budgétaires préjudiciables à la saine gestion des finances publiques76.
Ainsi par exemple au Bénin, la deuxième session s’ouvre dans le
cours de la seconde quinzaine du mois d’octobre77. C’est au cours de
cette session que le budget de l’Etat est adopté. En application de
l’article 109 de la Constitution, l’Assemblée Nationale est saisie du
projet de loi au plus tard une semaine avant l’ouverture de la session
d’octobre. Cette disposition est reprise par l’article 60 de la Loi
organique n°2013-14 du 27 septembre 2013 relative aux lois de
finances et par l’article 94 du Règlement intérieur de l’Assemblée
Nationale.
Attendu qu’une session parlementaire ne peut excéder trois
mois78et que l’Assemblée doit se prononcer sur le projet de loi de
finances au plus tard le 31 décembre, l’institution de ce temps
législatif programmé est, certes, « destinée à combattre l’obstruction
puisque le but unique du dépôt massif d’amendements (qui est la forme visible de
l’obstruction) est de permettre la multiplication des prises de parole »79. Mais, il

74 RIDARD (B.), L’encadrement du temps parlementaire dans la procédure législative. Étude


comparée : Allemagne, Espagne, France, Royaume-Uni, Institut Universitaire Varenne,
2018, 846p.
75 AMSELEK (P.), « Le budget de l’Etat et le parlement sous la Ve République »,

RDP, 1998, p.1465.


76 SOROK A BOL (P. G), Les pouvoirs financiers du parlement dans les Etats d’Afrique

noire Francophone : le cas du Cameroun, Thèse de Doctorat/Ph.D en Droit public,


Université de Yaoundé II, 2018, p.278.
77 Article 87 de la loi n° 90-32 du 11 décembre 1990 portant Constitution de la

République du Bénin, modifiée par la loi n°2019-40 du 7 novembre 2019.


78 Ibid.
79 PORTELLI (H.), « Le temps parlementaire », Pouvoirs, 2013, n°146, p. 76. En

effet, pour présenter le texte mais surtout pour expliquer son vote, cela peut
prendre un temps considérable si chaque membre d’un groupe qui soutient un
amendement décide d’expliquer son vote durant les cinq minutes dont il dispose
50
Rafip n°6 – 2nd semestre 2019

s’avère que le temps d’adoption est d’environ une dizaine de


semaines. Ce temps parait relativement court ou insuffisant pour
mieux engager les discussions et les amendements potentiels relatifs
au projet de loi de finances. Au regard de la complexité des finances
publiques en général80 et des documents qui accompagnent ledit
projet en particulier, il est préférable que le Parlement ait plus de
temps ou plus de moyens pour mieux exercer son droit
d’amendement car, « l’amendement permet de corriger des erreurs ou des
insuffisances qui ont pu se glisser dans le texte en discussion »81.
A l’effet de pallier à l’insuffisance du temps pour l’adoption
de la loi de finances, le constituant béninois, comme ses
homologues82, n’a pas omis de prévoir le recours à la technique de
l’ordonnance budgétaire pour mettre en vigueur les dispositions du
projet de loi de finances au cas où l’Assemblée Nationale
prolongerait les débats. Cela conforte les écrits de M. Georges
BERGOUGNOUS qui souligne que « la gestion du temps est le problème
récurrent du Parlement »83.

et si des milliers d’amendements sont déposés et ont résisté au filtrage des


irrecevabilités.
80 BELTRAME (P.), « Complexité et rationalité dans la gestion du système

financier public », in BECK (B.) et VEDEL (G.) (dir.), Etudes de finances publiques.
Mélanges en l’honneur de M. le Professeur Paul-Marie GAUDEMET, Paris, Economica,
1984, pp. 33-43. Voir également BOUVIER (M.), « Finances publiques et justice
sociale », R.F.F.P., 2018, n°144, p.V. Selon ce professeur, la complexité des
finances publiques se fait de plus en plus présente. Il observe « une quête sans fin de
dispositifs techniques plus sophistiqués les uns que les autres aboutissant progressivement à une
construction et à des pratiques d’une complexité sans égale dont le fonctionnement et la maitrise
nécessitent toujours de plus en plus d’intelligence artificielle et d’autonomisation des procédures ».
81 LUCHAIRE (F.), « Un droit à dimension variable, le droit d’amendement », in

Constitution et Finances publiques. Etudes en l’honneur de Loïc PHILIP, Paris,


Economica, 2005, p. 126. L’auteur précise que l’amendement n’a pas des vertus. Il
a aussi des inconvénients, notamment : l’abondance d’articles dont certains sont
dus à des amendements, le nombre de dispositions relevant du domaine
réglementaire, les contradictions internes du texte n’en facilitent la lecture.
82 Le Burkina-Faso, le Cameroun, la Côte d’Ivoire, le Gabon, le Sénégal et le

Togo.
83 BERGOUGNOUS (G.), « L’ordre du jour partagé et le nouveau rythme

législatif », In Le nouveau Règlement de l’Assemblée nationale, Journée d’étude organisée


par le Centre de recherches en droit constitutionnel de l’Université Paris I
(CRDC), 1er avril 2010 à l’Assemblée nationale, Paris, Imprimerie nationale, 2010,
p. 9.
51
Au Cameroun, ce délai est encore plus restreint. C’est lors de
session parlementaire du mois de novembre que le budget de l’Etat
est présenté, discuté et adopté. Ladite session est d’ailleurs qualifiée
de session budgétaire. Dans son opérationnalisation, le projet de loi
de finances initiale, y compris le rapport et les annexes explicatives,
est déposé au Parlement au plus tard quinze jours avant l’ouverture
de la session budgétaire84. La session budgétaire démarrant en
novembre, le projet de loi de finances doit, en principe, être déposé
au courant de la seconde moitié du mois d’octobre85.
Ces délais jouent un rôle essentiel dans l’examen et le vote
de la loi de finances. Ils permettent aux élus de bénéficier d’un
temps plus ou moins suffisant pour s’imprégner du projet de loi et
évaluer de manière assez approfondie ses conséquences86. De même,
vu que la durée maximale d’une session est fixée à trente (30) jours87,
il s’en suit que dans le contexte camerounais, le parlement ne
dispose que de quatre semaines ou de trente (30) jours environ pour
se prononcer sur le projet de loi de finances de l’année. Même le
constituant et le législateur sont muets sur la prorogation de la durée
de la session budgétaire ; il est précisé juste que le délai butoir
d’adoption du par le parlement, c’est le 31 décembre de l’année. A

84 Alinéa 1er de l’article 57 de la Loi n°2018-012 du 11 juillet 2018 portant régime


financier de l’Etat et des autres entités publiques.
85 Au Cameroun, il est régulier pour le gouvernement de ne pas déposer le projet

de loi de finances dans les délais prescrits. Censé être déposé quinze (15) jours au
moins avant l’ouverture de la session parlementaire de novembre, soit autour du
15 octobre, le projet de loi de finances pour l’exercice 2019 a été déposé le 16
novembre 2018 alors même que ladite session avait été ouverte le 02 du même
mois. De même, ce n’est que le 29 novembre 2019 que le projet de loi de finances
pour l’exercice 2020 a été déposé au parlement alors même que ce dernier siégeait
depuis le 12 du même mois. Le dépôt tardif du projet de loi de loi de finances
produit un effet sur la durée du temps parlementaire d’examen et d’adoption de la
loi de finances. Voir en ce sens : KANKEU (J.), Le nouveau droit budgétaire de
l’Etat, Ed. Universitaires Européennes, 2018, pp.71 et 72. Sur le respect approximatif
du calendrier budgétaire lire TONI (M. E.), L’autorisation budgétaire dans le droit
financier ouest-africain francophone, Thèse de Doctorat en Droit public, Université de
Lyon III, 2015, pp.87 et ss.
86 URVOAS (J.-J.), « La lente et irrépressible renaissance des commissions

parlementaires », Pouvoirs, 2013, n°146, p. 26.


87 Article 16 alinéa 2 et l’article 21 alinéa 2 de la Loi n°96/06 du 18 janvier 1996

portant révision de la Constitution du 02 juin 1972, modifiée et complétée par la


loi n°2008/001 du 14 avril 2008.
52
Rafip n°6 – 2nd semestre 2019

partir de cette lecture, on pourrait reconnaitre que le parlement


dispose tout au plus de huit (8) semaines ou de soixante-un (61)
jours pour adopter la loi de finances, contre soixante-dix (70) jours
en Côte d’Ivoire88, soixante-cinq (65) au Gabon89, soixante (60) jours
au Sénégal90 et au Burkina-Faso91. Les parlementaires sont donc
soumis à un « sprint budgétaire »92 au regard du caractère accéléré de la
procédure d’adoption de la loi de finances93. La conséquence de cet
encadrement temporel c’est, comme l’écrit M. Mesnil Errol TONI,
« le déclenchement automatique de « solutions de rechanges » lorsque l’examen
par le parlement n’est pas concluant avant la fin de l’année budgétaire en
cours »94. Ainsi au Cameroun, passé ce délai, le président de la
République est habilité à reconduire, par douzième, le budget de
l’exercice précédent jusqu’à l’adoption du nouveau budget95. Il
s’avère que le parlement ne dispose pas d’un délai indiscutablement
suffisant pour s’exprimer sur le projet de loi de finances. Le droit
d’amendement budgétaire est ainsi fragilisé voire neutralisé. Cette
réalité est de nature à fragiliser la continuité de l’Etat. Pourtant, le
fonctionnement régulier des services publics doit se faire sans
interruptions autre que celles autorisées par la législation. Le

88 Article 60 de la loi organique n°2014-336 du 5 juin 2014 relatives aux lois de


finances ; article 112 de la loi n°2016/886 du 8 novembre 2016 portant
Constitution de la République de la Côte d’Ivoire.
89 Article 21 de la loi organique n°20/2014 du 21 mai 2015 relatives aux lois de

finances et à l’exécution du budget.


90 Au sens de l’article 57 de la Constitution sénégalaise, « l’Assemblée nationale dispose

de soixante jours au plus pour voter les projets de lois de finances ».


91 Au sens de l’article 103 de la Constitution du Burkina-Faso, « l’Assemblée

nationale statue en premier lieu dans un délai de soixante jours après le dépôt du projet et le
Sénat dispose de quinze jours à compter de la date de réception pour se prononcer ». La
modification opérée par la loi constitutionnelle du 27 janvier 1997 a consisté à
remplacer au niveau de l’alinéa 1er « Assemblée des députés du peuple » par « Assemblée
nationale » et à l’alinéa 2, à porter le délai imparti à l’Assemblée nationale pour se
prononcer sur le projet de loi de finances de quarante-cinq à soixante jours.
92 AMSELEK (P.), « Le budget de l’Etat et le parlement sous la V e République »,

RDP, 1998, p.1465.


93 BEN MOUSSA (Ch.), Essai sur la normativité budgétaire, Thèse de Doctorat en

Droit public, Université de Toulouse, 2018, p.192.


94 TONI (M. E.), L’autorisation budgétaire dans le droit financier ouest-africain francophone,

Thèse de Doctorat en Droit public, Université de Lyon III, 2015, p.132.


53
principe de l’annualité budgétaire achève également de convaincre
que la continuité de l’Etat peut être menacée.
2. L’application stricte du principe de l’annualité
budgétaire
Le principe de l’annualité budgétaire fait partie des principes
qui régissent le budget de l’Etat96. Il s’agit d’un principe classique qui
est posé par les différentes lois portant régime de financier aussi
bien de l’Etat que des collectivités locales. Ainsi par exemple,
l’article 9 de la Loi organique béninoise n°2013-14 du 27 septembre
2013 relatives aux lois de finances souligne que : « la loi de finances de
l’année contient le budget de l’Etat pour l’année civile ». Consacrée en droit
communautaire UEMOA97, cette disposition est reprise en droit
sénégalais par l’article 7 de la loi organique n°2011-15 du 8 juillet
2011 relative aux lois de finances98. En revanche, le Cameroun a
adopté une formulation différente bien que le fond soit le même.
On peut y lire que « l’exercice budgétaire couvre une année civile »99. Le
législateur béninois précise que « l’exercice budgétaire et comptable court du
1er janvier au 31 décembre »100. De même, en Côte d’Ivoire, il est établi
que : « l’exercice court du 1er janvier au 31 décembre »101. Ces différentes

95 Article 16 alinéa 2 b) et l’article 23 alinéa 3 a) de la Loi n°96/06 du 18 janvier


1996 portant révision de la Constitution du 02 juin 1972, modifiée et complétée
par la loi n°2008/001 du 14 avril 2008.
96 Il y a également d’autres principes tels que : l’équilibre budgétaire, l’unité

budgétaire, l’universalité budgétaire, la spécialité des crédits, la transparence et la


sincérité budgétaire.
97 Article 7 de la directive N°06/2009/CM/UEMOA du 26 juin 2009 portant lois

de finances au sein de l’UEMOA : « la loi de finances de l’année contient le budget de


l’Etat pour l’année civile ».
98 Article 7 : « la loi de finances de l’année contient le budget de l’Etat pour l’année civile ».
99 Alinéa 2 de l’article 4 de la Loi n°2018-012 du 11 juillet 2018 portant régime

financier de l’Etat et des autres entités publiques. Il faut préciser que c’est depuis
l’exercice budgétaire de 2003 que l’année budgétaire est arrimée à l’année civile.
Avant cette date, l’exercice budgétaire était intercalé entre deux années civiles
notamment du 1er juillet au 30 juin. On souligner qu’il en est ainsi en Grande-
Bretagne où l’exercice budgétaire court du 1er avril au 31 mars.
100 Article 4 de la Loi organique n°2013-14 du 27 septembre 2013 relatives aux lois

de finances.
101 Article 2 de la loi organique n°2014-336 du 5 juin 2014 relatives aux lois de

finances.
54
Rafip n°6 – 2nd semestre 2019

dispositions précisent le principe d’annualité du budget qui peut


recouvrer deux significations.
En premier lieu, le principe d’annualité détermine la
régularité du vote du budget. Il s’ensuit donc que le budget doit être
voté chaque année. Par une telle lecture, il s’agit pour le parlement
de renouveler, au moyen de la loi de finances initiale, l’autorisation
donnée au gouvernement pour collecter des ressources et effectuer
certaines dépenses. De ce fait, le gouvernement doit se présenter
devant le parlement à la fin de chaque exercice budgétaire pour, de
nouveau, solliciter son assentiment. Il faut tout de même souligner
que la période de renouvellement de l’accord du parlement, bien que
se faisant par principe à la fin de chaque année, peut également se
faire en cours d’année, à l’occasion des collectifs budgétaires en
fonction des nécessités que peut susciter le contexte politique et
socioéconomique, tant au niveau interne, qu’au niveau international.
En second lieu, le principe d’annualité délimite la durée
d’exécution du budget. En ce qu’elle est la conséquence de la
précédente signification, cette durée est fixée à un an et correspond
à la durée d’une année civile. C’est à juste titre que le budget, voté
l’année N-1, est exécuté du 1er janvier de l’année N au 31 décembre
de l’année N. il faut noter qu’au Cameroun par exemple cet arrimage
de l’année budgétaire à l’année civile s’est réalisé depuis l’exercice
budgétaire de l’année 2003. Avant cette date, le budget s’exécutait
entre deux années civiles, c’est-à-dire du 1er juillet de l’année N au 30
juin de l’année N+1. Bien qu’ayant intégré la budgétisation
pluriannuelle102, les Etats restent attachés à la « séquentialisation »
annuelle de son exécution103.

102 Voir en ce sens, au Bénin, l’article 56 de la Loi organique n°2013-14 du 27


septembre 2013 relatives aux lois de finances évoque le Document de
programmation budgétaire et économique pluriannuelle qui couvre une période
minimale de trois (03) ans. Cf. Exposé des motifs et l’article 51 de la loi organique
sénégalaise n°2011-15 du 8 juillet 2011 relative aux lois de finances.
103 Cela est clairement précisé la philosophie qui sous-tend ces innovations tourne

autour des grandes orientations suivantes : le renforcement de la discipline


budgétaire en vue d’assurer la viabilité de la politique budgétaire dans le moyen et
long terme. Les réformes introduites à ce titre portent essentiellement sur la prise
en compte des incidences financières des décisions publiques annuelles sur les
55
Compte tenu de la limitation de la validité temporelle des
actes budgétaires à une année, le dépassement de celle-ci rendrait
irrégulier tout acte pris au-delà. Au regard de la périodicité du
budget104, il est « impensable qu’aucune somme ne soit versée au budget, ou
décaissée, tant que le budget n’avait pas été adopté définitivement »105.
L’absence d’un budget à la date du 31 décembre de l’année peut être
de nature à conduire à un état de fait ou de « non-droit »106. On ne
saurait engager les deniers publics sans autorisation budgétaire 107.
Les actes qui seraient pris sans l’autorisation du parlement seraient,
en principe, nuls et de nul effet. N’ayant aucune base juridique, ces
actes pourraient faire l’objet d’une contestation aussi bien par les
moyens de droit que par les moyens de fait. Les citoyens, conscients
du défaut de cette base légale, pourraient s’engager dans des révoltes
contre la collecte de l’impôt108. D’un autre point de vue, le

exercices suivants, sans remettre en cause le principe de l’annualité de la loi de


finances. Cf. exposé des motifs de la loi organique sénégalaise n°2011-15 du 8
juillet 2011 relative aux lois de finances.
104 Voir en ce sens LEKENE DONFACK, Finances publiques camerounaises, Berger-

Levrault, Mars 1987, p. 37 ; ONDOUA EKOBENA (J. M), Réforme budgétaire et


performance de la gestion publique au Cameroun, Ed. Universitaires
Européennes, 2018, pp.24 et s.
105 TOULEMONDE (G.), Le déclin du Parlement sous la Ve République. Mythe et

réalités, op. cit., p. 219.


106 SAVERIO NISIO (F.), Jean Carbonnier. Regards sur le droit et le non-droit, Paris,

Dalloz, 2005, pp. 49 et s.


107 BEN MOUSSA (Ch.), Essai sur la normativité budgétaire, Thèse de Doctorat en

Droit public, Université de Toulouse, 2018, p.188.


108 L’histoire des Etats modernes révèle, pour certains, que c’est la grève de

l’impôt qui est à l’origine de leur fonctionnement actuel, à défaut d’être à la base
de leur constitution.
Aux Etats unis d’Amérique du Nord, on se souvient du groupe Quaker (C’est un
groupe qui dans les années 1960a élaboré un prototype de loi qui permettrait aux
objecteurs de conscience de payer leurs impôts à l’UNICEF et non au Trésor
américain. En 1972, ladite loi fut dénommée Peace Tax Fund. A ce jour, elle est
connue sous le nom de Religious Freedom Peace Tax Fund Act), de la Proposition 13 en
Californie qui introduit le concept de pétition ou référendum fiscal ainsi que le Comité
des citoyens pour la limitation fiscale au Massachussetts parfois appelé
Taxachussetts car étant un Etat à fiscalité très élevée.
En France, le poujadisme, le Comité de défense fiscale de Paris, le mouvement des
tondus ainsi que le Cidunati de Gérard NICOUD n’évoquent-ils pas un appel à la
révolte fiscale ? Outre-manche, la Women’s Tax Resistance League n’a-t-elle pas aussi
organisé la résistance fiscale des féministes suffragistes britanniques au début du
XXe siècle ?
56
Rafip n°6 – 2nd semestre 2019

gouvernement peut choisir de s’abstenir de ne pas engager des


opérations de mobilisation des ressources dès la date du 1er janvier.
La paralysie dans le fonctionnement des services publics est
également envisageable. L’Etat cessera de fonctionner normalement
et le chaos n’est pas loin d’arriver. Si l’Etat est dans l’incapacité
juridique et financière de pouvoir exercer ses missions, des
mouvements sociaux peuvent survenir et aboutir au règne de
l’instabilité économique et sociopolitique et sécuritaire. On convient
donc avec M. Mesnil Errol TONI qu’« il est difficile de contester que le
vide juridique créé par l’inexistence d’un acte budgétaire avant le commencement
de l’exercice est de nature à menacer, de manière grave et immédiate les
institutions de la République, l’exécution des engagements internationaux,
lorsqu’il n’entraine pas tout simplement le fonctionnement régulier des pouvoirs
constitutionnels »109. C’est à juste titre qu’est prévu « le dessaisissement de
l’organe législatif dès l’instant où les faits démontrent que le vote du texte
financier n’interviendra pas avant la date prévue pour son exécution » 110. Cela
étant, lorsque la continuité de l’Etat est ainsi menacée, il est
nécessaire que celle-ci soit assurée. La substitution du parlement en
matière budgétaire y participe efficacement.
B. Une continuité assurée
En toute circonstance, l’Etat doit rester un être
transcendantal qui surpasse toutes les situations qui visent à
provoquer sa chute. Il doit toujours rester debout et se présenter
comme la solution et non comme une institution inapte et dépassée.

Au Cameroun, l’on se souvient du mouvement baptisé « l’émotion fiscale des femmes »


(TANGA ONANA, « L’émotion fiscale des femmes Douala en 1931 », Syllabus

Review, n°1, 2009, pp. 139-177) des femmes Douala (A la suite à une hausse de
l’impôt de capitation, les femmes douala adressèrent une requête à M.
CORTADE, Chef de la circonscription de Douala, le 31 janvier 1931.
L’administration ne va pas y apporter une réponse. Face à ce silence, les femmes
réunies dans le cadre d’un directoire, décidèrent d’organiser un rassemblement
devant le siège de la circonscription dans le but de faire entendre leur
mécontentement.
109 TONI (M. E.), L’autorisation budgétaire dans le droit financier ouest-africain francophone,

Thèse de Doctorat en Droit public, Université de Lyon III, 2015, p.141.


110 NKOUAYEP (L.Ch.), « Les pouvoirs parlementaires d’autorisation budgétaire en droit

camerounais », Thèse de Doctorat/Ph.D en Droit public, Université de Yaoundé II,


2019, p.152.
57
Aussi, pour « éviter la situation où l’exécutif et son chef se retrouveraient
bloqués, parce que sans ressources pour faire fonctionner l’Etat »111, il est
admis de procéder à la substitution du parlement. Cette technique
permet donc d’éviter la paralysie dans le fonctionnement des
services publics. A l’effet de prendre garde au shutdown112 que les
Etats unis d’Amérique Nord ont connu entre le 22 décembre 2018
et le 25 janvier 2019113, le parlement est ainsi évincé pour que les
ressources soient prélevées d’une part (1) et les dépenses exécutées
d’autre part (2).
1. L’indispensable collecte des recettes
« Peut-il avoir un Etat sans finances ? »114. A cette question du
professeur Paul AMSELEK, il faut apporter une réponse négative.
L’Etat ne peut fonctionner sans finances. « Il faut bien que l’Etat
dispose de ressources afin d’exister »115. Dès lors que la date du 1er janvier
est échue, un nouvel exercice budgétaire démarre. Par conséquent, il
est de la responsabilité des services financiers de l’Etat de mobiliser
les ressources budgétaires. Les opérations y relatives doivent être
conduites pour permettre au trésor public d’être pourvu en recettes
de toutes natures. Cette collecte est indispensable et urgente à
plusieurs titres.

111 HOUNKPE (M.), « Le constitutionnalisme en Afrique : l’expérience


béninoise », in ONDOUA (A.) (dir.), La constitution camerounaise du 18 janvier 1996 :
Bilan et perspectives, op. cit., 2007, p. 125.
112 Le government shutdown désigne une paralysie des services publics américains du

fait de la non adoption du budget de l’Etat fédéral par le Congrès. Il correspond


donc à un arrêt des activités gouvernementales exceptées les activités des services
publics dits « essentiels » tel que le service de la National Weather.
113 C’est le shutdown le plus long que les Etats-Unis d’Amérique ait connu depuis

1976 (un mois et trois jours). Mais, on relève aussi de manière signification le
shutdown du 5 au 9 octobre 1990. En effet, l’exécutif américain s’était retrouvé
bloqué pendant quelques jours. N’ayant pas l’autorisation du Congrès pour lever
les impôts et taxes, les bureaux fédéraux sont restés fermés pendant cette période.
Voir en ce sens : HOUNKPE (M.), « Le constitutionnalisme en Afrique :
l’expérience béninoise », op. cit., 2007, p. 125.
114 AMSELEK (P.), « Peut-il avoir un Etat sans finances ? », RDP, 1983, n°2, pp.

267-283 et In Etudes de droit public, Préface GAUDEMET (Y.), Editions Panthéon-


Assas, 2009, pp. 661-675.
115 TOULEMONDE (G.), Le déclin du Parlement sous la Vè République. Mythe et

réalités, op. cit., p. 219.


58
Rafip n°6 – 2nd semestre 2019

La collecte des ressources publiques est indispensable parce


que les recettes ont vocation à assurer le financement des charges
publiques. Ce sont ces ressources qui permettent à l’Etat d’exécuter
sereinement ses missions et de répondre aux aspirations des
citoyens. Leur collecte est donc indispensable. Il est en ainsi parce
que, même dans l’hypothèse d’un Etat qui exercerait des fonctions
minimales, celles-ci doivent être financées par un minimum de
recettes qui doivent, au préalable, avoir été autorisées par le
parlement. L’Etat ne peut donc se dispenser des ressources
financières qui le nourrissent. Sa continuité et sa stabilité dépendent
fortement de sa capacité à mobiliser les recettes budgétaires.
La collecte des ressources publiques est également urgente
dans la mesure où, l’exécution du budget étant encadrée dans le
temps, les structures en charge de leur recouvrement doivent
disposer d’un temps relativement raisonnable pour atteindre les
objectifs qui sont attendus d’elles. Le temps est un facteur important
dans la quantité des recettes qui peuvent être engrangées.
Au regard de ce qui précède, il s’avère que les ressources
financières sont l’âme qui soutient l’existence et le fonctionnement
optimal de l’Etat. Leur absence peut gravement porter atteinte à la
stabilité et à la continuité de l’Etat. Le parlement ne doit donc pas
refuser de consentir à la mobilisation des ressources116. Comme le
note Monsieur Mesnil Errol TONI, « les conséquences d’un éventuel refus
de ce consentement sur le fonctionnement de l’Etat ne laisseraient guère de choix
aux parlementaires »117. L’Etat pourrait se retrouver en difficulté car,
orphelin de ses ressources financières. Aussi, dès lors que les

116 La question s’est posée de savoir si le parlement pouvait refuser d’adopter le


budget. Les positions majoritaires y apportent une réponse négative. Ainsi par
exemple, pour le vicomte BONALD, « une assemblée n’a pas le droit de refuser le budget
qu’un homme n’a le droit de se détruire » : rapporté par GAUDEMET (P. M.), « Budget
et gouvernement », in PHILIP (L.) (dir.), Dictionnaire encyclopédique de finances
publiques, Paris, Economica, 1991, p.192. Pour le Doyen Gaston JEZE, un tel
refus est assimilé à « un grand coup d’épée dans l’eau » ; rapporté par BAUDU (A.),
Contribution à l’étude des pouvoirs budgétaires du parlement en France : éclairage historique et
perspective d’évolution, Paris, Dalloz, 2010, p.79. Ce dernier estime pour sa part qu’il
s’agit d’une arme bien plus politique que juridique (p.77).
117 TONI (M. E.), L’autorisation budgétaire dans le droit financier ouest-africain francophone,

Thèse de Doctorat en Droit public, Université de Lyon III, 2015, p.51.


59
ressources financières sont disponibles, les dépenses peuvent être
exécutées.
2. La nécessaire exécution des dépenses
Lorsque les recettes sont mobilisées, c’est pour assurer le
financement des dépenses. Dans le contexte de la substitution, il
faut reconnaitre qu’elle est envisagée parce qu’il est opportun
d’engager certaines dépenses car, dès le 1er janvier de l’année, les
services publics doivent pouvoir continuer de fonctionner. C’est la
raison pour laquelle, certaines dépenses doivent à tout prix être
exécutées.
Il faut souligner que certaines dépenses sont indispensables
aux activités de service public. Leur fonctionnement, fut-il minimal,
engendre des dépenses courantes et celles de personnel qui doivent
être exécutées instantanément. Il s’agit donc d’assurer les dépenses
sans lesquelles aucun service public ne peut fonctionner ; elles sont
incompressibles. On y retrouve ainsi les dépenses de personnel et
celles dédiées à l’acquisition de biens et services118. Ce sont des
dépenses dites ordinaires par opposition aux dépenses en capital119.
Ces dépenses relèvent de l’ordre du commun des dépenses
effectuées par une organisation. Elles lui permettent d’assurer son
fonctionnement quotidien.
Les dépenses indispensables doivent être exécutées. Cela
assure ainsi la continuité de l’Etat. En ce qu’il est une personne
morale, les missions qu’il remplit se matérialisent, au plan
budgétaire, par le respect du circuit de la dépense publique. A cet
effet, il s’agit de procéder à des engagements, à des liquidations, à
des ordonnancements et à des paiements. L’exécution des dépenses
doit être régulière en passant par toutes ces opérations.
Au regard de ce qui apert, il est opportun de noter que des
« des précautions ont été imaginées, pour limiter voire même empêcher le

118 Voir en ce sens l’article 13 de la Loi organique béninoise n°2013-14 du 27


septembre 2013 relatives aux lois de finances et l’article 11 de la loi sénégalaise
n°2011-15 organique du 8 juillet 2011 relative aux lois de finances.
119 On y classe les dépenses d’investissement exécutées par l’Etat ainsi que les

dépenses de transfert en capital.


60
Rafip n°6 – 2nd semestre 2019

phénomène d’obstructions parlementaires. Il faut permettre un dénouement rapide


de la procédure d’adoption du budget, afin que le gouvernement puisse mettre en
œuvre et à temps sa politique »120. Cela étant, si le mérite de la
substitution du parlement semble se concentrer autour de l’idée de
sauvegarde de la continuité des services publics, il n’en demeure pas
moins que, c’est une technique qui participe du déséquilibre des
pouvoirs.
II. Une technique déséquilibrant les pouvoirs dans l’Etat
Comme l’écrit un auteur camerounais, « il est difficile de nos
jours de rencontrer des exemples de séparation équilibré des pouvoirs, chacun
d’entre eux s’efforçant toujours en pratique de renforcer son influence par rapport
aux autres »121. En matière d’autorisation budgétaire, le déséquilibre
est notable au détriment du parlement.
En intégrant le fait que l’Etat soit une institution qui ne
s’accommode pas de la discontinuité, la substitution du parlement
aboutit à un déséquilibre patent des pouvoirs (A). Bien plus, ce
déséquilibre produit des effets qui peuvent entraver la soutenabilité
des finances publiques (B).
A. Un déséquilibre patent
Comme l’écrit le professeur Michel TROPER, « la séparation
des pouvoirs est l’un de ces principes immuables, qui s’imposent à tout
constituant libéral »122. C’est en ce sens que l’article 16 de la déclaration
des droits de l’homme et du citoyen de 1789 énonce que « toute société
dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des
pouvoirs déterminée, n’a point de constitution ». La séparation des pouvoirs
est un critère auquel on accorde une importance capitale dans le

120 SOROK A BOL (P. G), Les pouvoirs financiers du parlement dans les Etats d’Afrique
noire Francophone : le cas du Cameroun, Thèse de Doctorat/Ph.D en Droit public,
Université de Yaoundé II, 2018, p.275.
121 HOND (J.-T.), « Discussion autour du principe de la séparation des pouvoirs

au regard de la Constitution camerounaise du 18 janvier 1996 », in MELONE (S.),


MINKOA SHE (A.) et SINDJOUN (L.) (dir.), La réforme constitutionnelle du 18
janvier 1996 au Cameroun : aspects juridiques et politiques, Fondation Friedrich Ebert au
Cameroun & Association de Science Politique (Section camerounaise, GRAP),
1996, p. 236.
122 TROPER (M.), Pour une théorie juridique de l’Etat, Paris, PUF, 1994, p. 223.

61
constitutionnalisme123. Il apparaît donc que « l’essentiel de la séparation
des pouvoirs est dans l’interdiction du cumul direct ou indirect de la totalité des
compétences attachées à la souveraineté entre les mains du même organe »124.
Mais, la substitution du parlement est un mécanisme qui
dilue la séparation des pouvoirs. Pendant qu’elle conduit à la
réduction des pouvoirs financiers du parlement (1), par contre, elle
induit une extension du pouvoir normatif du pouvoir exécutif (2).
1. La réduction des pouvoirs financiers du parlement
Bien que la théorie de la séparation des pouvoirs125 ait été
critiquée126, à en croire MONTESQUIEU, « pour qu’on ne puisse abuser
du pouvoir, il faut que par la disposition des choses, le pouvoir arrête le

123 Il faut tout de même souligner que pour les défendeurs du néo-
constitutionnalisme, la séparation des pouvoir n’assure pas suffisamment la
limitation des pouvoirs. C’est le juge constitutionnel qui assurerait au mieux la
garantie des droits fondamentaux. Voir en ce sens : FAVOREU (L.), « Propos
d’un "néo-constitutionnaliste" », in SEURIN (J.-L.) (dir.), Le constitutionnalisme
aujourd’hui, Paris, Economica, 1984, pp. 23-27 et SAINT-BONNET (F.), « La
double genèse de la justice constitutionnelle en France. La justice politique au
prisme des conceptions françaises », RDP, 2007, n°3, p. 753.
124 VEDEL (G.), Manuel élémentaire de droit constitutionnel, Paris, Dalloz, 2002, (rééd.),

p. 158 ; voir également MATHIEU (Ch.), La séparation des pouvoirs dans la


jurisprudence du Conseil constitutionnel, Thèse de Doctorat/Ph.D en Droit public,
Université de Montpellier, 2015, pp.26 et 27. Pour une étude plus récente et
globale en Afrique, voir NAREY (O.) (dir.), Séparation des pouvoirs et contre-pouvoirs,
Actes des 1ères journées scientifiques de droit constitutionnel, Palais des Congrès
de Niamey, du 10 au 13 octobre 2017, L’Harmattan, 2019, 518p.
125 Il faut tout de même souligner que si le mérite de MONTESQUIEU, baron de

la Brède, est d’avoir systématisée la théorie de la séparation des pouvoirs, son


origine remonte à John LOCKE (Traité du Gouvernement civil, 1690), voir à
ARISTOTE dans l’antiquité.
126 Elle est perçue de deux manières. Pour certains, elle est présentée comme le

« tabernacle vide d’un culte disparu ». Voir en ce sens PIMENTEL (C. M.), « De l’Etat
de droit à l’Etat de jurisprudence ? Le juge de l’habilitation et la séparation des
pouvoir », in PARIENTE (A) (dir.), La séparation des pouvoirs. Théorie contestée et
pratique renouvelée, Paris, Dalloz, coll. Thèmes et commentaires, 2007, pp. 9-29.
Pour d’autres, elle est appréhendée comme « une sorte d’énigme diabolique : on ne peut
– ni ne devrait – l’écarter mais il est impossible d’échapper à la confusion lorsqu’on en parle ».
Confer LE DIVELLEC (A.), « L’articulation des pouvoirs dans les démocraties
parlementaires européennes : fusion et mitigation », Pouvoirs, 2012, n°143, p. 123.
62
Rafip n°6 – 2nd semestre 2019

pouvoir »127 ; puisque ajoute-il : « c’est une expérience éternelle que toute
personne qui détient le pouvoir est naturellement portée à en abuser »128.
Réceptionnant, en théorie, le principe de la séparation des
pouvoirs, les constitutions des Etats d’Afrique noire francophone
attribuent au parlement le pouvoir de voter le budget de l’Etat. C’est
ce qui ressort de l’article 91 de la Constitution du Togo en ces
termes : « l’Assemblée nationale vote les projets de loi de finances ». Cette
disposition existe, in extenso, à l’article 57 de la Constitution du
Sénégal : « l’Assemblée nationale vote les projets de loi de finances ». Une
telle posture est en harmonie avec la disposition constitutionnelle
selon laquelle : « l’Assemblée nationale détient le pouvoir législatif. Elle vote
seule la loi »129. Bien que cette exclusivité ne soit pas aussi affirmée au
Burkina-Faso, cependant, il y est tout de même établi que : « le
parlement vote la loi »130. C’est à juste titre qu’il est précisé que : « le
Parlement vote les projets de lois de finances »131.
Confrontée à l’organisation du pouvoir d’autorisation du
budget de l’Etat, la théorie de la séparation s’avère obsolète ou
irréaliste. Sa conception rigide ou classique cède ainsi la place à une
conception souple qui tolère l’immixtion du pouvoir exécutif dans le
domaine réservé au parlement. C’est ainsi que les pouvoirs financiers
du parlement s’amenuisent. Le parlement est une institution dont le
pouvoir exécutif peut se passer lorsque les circonstances y
concourant sont réunies. Censé exercer la fonction d’autorisation
budgétaire, le parlement est évincé pour des raisons de continuité de
l’Etat. C’est la moelle épinière de ses attributions qui est ainsi
arrachée. Même si c’est pour un exercice budgétaire, il faut
reconnaitre que la substitution est un mécanisme qui tend à marquer
du sceau de la tangibilité la plus importante attribution du
parlement. Un parlement qui est, temporairement, dépossédé de son

127 MONTESQUIEU, De l’esprit des lois, 1758, IX, VI.


128 Ibid.
129 Article 56 de la Constitution sénégalaise.
130 Article 84 de la Constitution du Burkina-Faso. C’est à la suite de la loi

constitutionnelle du 11 juin 2012 que cette disposition a été modifiée pour


intégrer l’avènement du bicamérisme.
131 Article 103 de la Constitution du Burkina-Faso.

63
pouvoir budgétaire est un parlement d’affichage. C’est à travers ses
attributions en matière budgétaire que le parlement essaie
d’équilibrer les pouvoirs avec le pouvoir exécutif. Lorsqu’il en est
privé, il est ravalé au rang d’institution de décoration. Il est ainsi vidé
de sa substance vivifiante. C’est elle qui le nourrit et lui permet ainsi
de se présenter comme une institution de poids ou un contre-
pouvoir. Cette rationalisation des pouvoirs financiers du parlement
transforme cette institution en une institution décorative. Comme le
souligne le professeur Jean-Eric GICQUEL, « si le droit de consentir
l’impôt a constitué la première raison d’être du Parlement et la matrice de ses
droits budgétaires puis, plus tard, constitutionnels, il est à constater que les
assemblées modernes, à l’exception du Congrès américain, ne sont plus en état de
le refuser en pratique »132.
Il faut aussi souligner que même si la technique de la
substitution n’est pas mise en œuvre, son existence est de nature à
constituer une pression inestimable sur le parlement. Conscient que
s’il ne se prononce pas sur le projet de loi de finances avant la fin de
l’exercice budgétaire en cours, le pouvoir exécutif pourrait le
remplacer, le parlement pourrait être forcé d’adopter un projet de loi
dont il ne partage pourtant pas, en partie ou en totalité, les
dispositions. Il peut donc ainsi exercer ses attributions de manière
formelle ou en apparence. Ne voulant pas que le pouvoir exécutif se
substitue à lui, le parlement pourrait donner son aval, sans pour
autant être satisfait ou convaincu des mesures qui seront exécutées
pour l’exercice budgétaire à venir. La loi de finances adoptée dans de
telles conditions peut s’avérer impopulaire voire défectueuse. Elle ne
serait pas le fruit d’un consensus, mais d’une sorte de dictature du
gouvernement. Cela donnerait ainsi raison à ceux qui voient en le
parlement une simple caisse d’enregistrement. Le parlement est
donc asphyxié au point de se voir dérober sa compétence
fondamentale c’est-à-dire la plus illustre de ses attributions. Le
parlement se trouve ainsi désarmé, dépouillé de sa plus prestigieuse
attribution. Cette attribution arrachée de manière héroïque dans le

132 GICQUEL (J.-E.), « Que reste-il du pouvoir budgétaire des parlements


nationaux ? », Revue de l’Union européenne, 2019, p. 605.
64
Rafip n°6 – 2nd semestre 2019

parlementarisme originel. Toutes ces considérations achèvent de


persuader que, par le fait de la substitution, le parlement peut se
révéler être une institution ornementale. Dans un tel cas de figure,
c’est le pouvoir exécutif qui s’en sort conforté. Cela donne raison à
ceux qui proclament le néo-constitutionnalisme et défendent la
thèse de l’incapacité de la séparation des pouvoirs à assurer la
limitation du pouvoir133.
2. L’extension du pouvoir normatif de l’exécutif
L’adoption du budget est une attribution qui, bien que par
principe détenue par le parlement, peut être exercée par le pouvoir
exécutif. Lorsque le parlement n’a pas pu voter le budget de l’Etat
avant les délais indiqués, c’est le pouvoir exécutif qui est désigné
pour le substituer. De ce fait, la substitution, comme l’écrit le
professeur Raymond MUZELLEC est « une arme pour accélérer les
travaux et une arme pour s’apposer au refus de vote »134. Bien plus, c’est un
mécanisme qui serait dévolu à « l’asservissement du parlementaire »135.
C’est « une attitude digne de l’ère bismarkienne, caractéristique d’un
gouvernement autoritaire qui réussit à s’affranchir du contrôle parlementaire pour
établir le budget par ordonnance »136.
Dans les Etats d’Afrique noire francophone, l’exécutif utilise
cette arme soit de manière collégiale, soit de manière unilatérale, soit
de manière automatique, soit de manière conditionnée. Mais de
manière générale, la substitution est une sanction tantôt radicale137,

133 Voir en ce sens : ROUSSEAU (D.), « Une résurrection : la notion de


Constitution », RDP, 1990, pp. 7 et s. ; FAVOREU (L.), « Propos d’un "néo-
constitutionnaliste" », in Le constitutionnalisme aujourd’hui, SEURIN (J.-L. ) (dir.),
Economica, Paris, 1984, pp. 23-27 ; MATHIEU (Ch.), La séparation des pouvoirs
dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel, Thèse pour le Doctorat en Droit,
Université Montpellier, 2015, p. 17.
134 MUZELLEC (R.), Finances publiques, Paris, Sirey, 16ième éd., 2013, p. 339.
135 URVOAS (J.-J.), « La lente et irrépressible renaissance des commissions

parlementaires », Pouvoirs, 2013, n°146, p. 21.


136 OUEDRAOGO (D.), L’autonomisation des juridictions financières dans l’espace

UEMOA : étude sur l’évolution des cours des comptes, Thèse pour le Doctorat en Droit,
Université Montesquieu - Bordeaux IV, 2013, p. 545.
137 Lorsque le législateur utilise une marque linguistique de souveraineté qui traduit

l’obligation notamment à travers le verbe « est » ou « doit » ; en ce sens : CORNU


(G.), Linguistique juridique, Paris, Montchrestien, 2ième éd., 2000, p. 268. Selon
65
tantôt facultative138. A l’observation, certains pays ont attribué la
substitution du parlement au gouvernement, pendant que d’autres
l’ont attribué au président de la République139 ou au premier
ministre.
Dans le premier registre on retrouve par exemple le Bénin140.
Ainsi, dans cet Etat, le gouvernement peut se substituer à
l’assemblée nationale. En application des dispositions de l’article 110
de la Constitution béninoise, si l’assemblée nationale ne s’est pas
prononcée, à la date du 31 décembre, les dispositions du projet de
loi de finances peuvent être mises en vigueur par ordonnance.
Au-delà de la substitution que peut s’effectuer sur le
fondement de l’article 110 ci-avant évoqué, au Bénin, en fonction
des circonstances, la substitution peut également se réaliser par
application des dispositions de l’article 68 de la Constitution. Tel y
fut le cas, en 2000, en 2002, en 2010 et en 2014 à la suite du refus
opposé par l’Assemblée nationale141.

l’auteur, dans le discours normatif, les verbes jouent un rôle primordial. La


souveraineté du législateur est dans le verbe, pourrait-on dire.
138 Lorsque le législateur utilise une marque linguistique qui exprime la faculté

notamment à travers le verbe « peuvent » ; voir toujours en ce sens : CORNU (G.),


Linguistique juridique, op.cit. p. 268.
139 Voir en ce sens LE POURHIET (A.-M.), Les ordonnances. La confusion des pouvoirs

en droit public français, Paris, L.G.D.J., 2011, p.1.


140 Il faut tout de même préciser que le Bénin se trouve dans une situation

d’hybridisme. En effet, il distingue les circonstances dans lesquelles la substitution


est réalisée au profit du gouvernement, des circonstances où, elle est réalisée au
profit du président de la République.
141 On peut tout de même préciser que l’article 68 de la Constitution béninoise a

souvent été considéré comme un fondement du recours aux ordonnances


budgétaires au regard des circonstances exceptionnelles qui peuvent prévaloir.
Selon cette disposition, « lorsque les institutions de la République, l’indépendance de la
nation, l’intégrité du territoire national ou l’exécution des engagements internationaux sont
menacées de manière grave et immédiate et que le fonctionnement régulier des pouvoirs publics et
constitutionnels est menacé ou interrompu, le Président de la République, après consultation du
Président de l’Assemblée Nationale et du Président de la Cour constitutionnelle, prend en conseil
des Ministres les mesures exceptionnelles exigées par les circonstances sans que les droits des
citoyens garantis par la constitution soient suspendus. Il en informe la nation par un message.
L’Assemblée Nationale se réunit de plein droit en session extraordinaire ». Cet article est
considéré comme une « ’’voie royale’’ de sortie de crise budgétaire » : AKINDES (F.) et
TOPANOU (V.), Le contrôle parlementaire de l’action gouvernementale en République du
Bénin : une lecture sociologique, Genève, UNRISD, 2005, p.30. Il est également regardé
comme un « abus de pouvoir » : TOPANOU (V.), « L’équilibre des pouvoirs dans
66
Rafip n°6 – 2nd semestre 2019

Au Bénin comme au Togo142 et dans une certaine mesure au


Gabon143 et au Burkina-Faso144, les ordonnances sont prises par le
Gouvernement réuni en Conseil de ministres, après avis de la Cour
constitutionnelle145. Lorsqu’elles sont ainsi prises, le Gouvernement
saisit pour ratification l’Assemblée nationale convoquée en session
extraordinaire dans un délai de quinze jours. Si l’Assemblée
nationale n’a pas voté le budget à la fin de cette session
extraordinaire, le budget est établi définitivement par ordonnance146.
Il apparaît que le gouvernement peut effectivement voler au secours
du parlement enserré dans des délais difficilement tenables au regard
des enjeux sociaux, économiques et financiers que suscitent le projet
de loi de finances. La carence du parlement est ainsi comblée par la
fonction législative exceptionnellement reconnue au pouvoir
exécutif.

la Constitution béninoise », Revue Droit béninois, n°1, 2012, pp.70-74. Alors que le
Professeur AHANHANZO-GLEGLE confesse que l’insertion de cette
disposition dans la Constitution béninoise n’avait pas pour ambition de « faire
adopter un budget que l’Assemblée nationale refuse d’adopter ». Mais, il faut tout aussi
noter que parfois, c’est le recours à l’article 110 de la Constitution béninoise qui
sert de fondement à la promulgation du budget par voie d’ordonnance.
142 En application de l’article 86 de la Constitution du Togo, de manière générale,

« le Gouvernement peut, pour l’exécution de ses programmes, demander à l’Assemblée nationale,


l’autorisation de prendre par ordonnances, pendant un délai limité, des mesures qui sont
normalement du domaine de la loi. Ces ordonnances sont prises en conseil des ministres après avis
de la Cour constitutionnelle. Elles entrent en vigueur dès leur publication, mais deviennent
caduques si le projet de loi de ratification n’est pas déposé devant l’Assemblée nationale avant la
date fixée par la loi d’habilitation. A l’expiration du délai défini dans la loi d’habilitation, ces
ordonnances ne peuvent être modifiées que par la loi en ce qui concerne leurs dispositions qui
relèvent du domaine législatif ».
143 En application de l’article 52 de la Constitution gabonaise, « le Gouvernement peut,

en cas d’urgence, pour l’exécution de son programme, demander au Parlement l’autorisation de


faire prendre par ordonnances pendant l’intersession parlementaire, les mesures qui sont
normalement du domaine de la loi. Les ordonnances sont prises en Conseil des ministres après
avis du Conseil d’Etat et signées par le Président de la République. Elles entrent en vigueur dès
leur publication. Elles doivent être ratifiées par le Parlement au cours de sa prochaine session. Le
Parlement a la possibilité de modifier les ordonnances par voie d’amendements. En l’absence
d’une loi de ratification, les ordonnances sont frappées de caducité. Les ordonnances peuvent être
modifiées par une autre ordonnance ou par une loi ».
144 En application de l’article 99 de la Constitution burkinabé, « l’ordonnance est un

acte signé par le Président du Faso, après délibération du Conseil des ministres ».
145 Article 102 de la loi n° 90-32 du 11 décembre 1990 portant Constitution de la

République du Bénin, modifiée par la loi n°2019-40 du 7 novembre 2019.


67
En revanche, bien que le Bénin soit dans une situation
d’hybridisme, certains Etats ont attribué la compétence ôtée au
parlement au président de la République. C’est dans ce registre que
se situent le Cameroun, le Sénégal et le Bénin. A cet effet, en
application de l’article 16 alinéa 2b de la loi constitutionnelle
camerounaise du 18 janvier 1996, « le président de la République est
habilité à reconduire, par douzième, le budget de l’exercice précédent jusqu’à
l’adoption du nouveau budget ». Si cette disposition avait été reprise in
extenso par l’article 42 de la loi n°2007/007 du 26 décembre 2006
portant régime financier147, la loi n°2018/012 du 11 juillet 2018
portant régime financier de l’Etat et des autres entités publiques est
muette à ce propos. Le législateur a préféré se satisfaire de la
formulation constitutionnelle148. Il faut tout de même souligner que
cette disposition est porteuse de plusieurs observations. En premier
lieu, elle ne délimite pas un délai butoir pour lequel le président de la
République pourrait définitivement reconduire le budget de
l’exercice précédent. Il s’ensuit que le parlement pourrait siéger
indéfiniment. Pourtant, une telle considération serait irréaliste. En
second lieu, cette disposition élève le président de la République au
rang de législateur spécial. Par la substitution, « le chef de l’Etat arbore
sa toge de législateur de réserve lui permettant de prendre un acte de reconduction
des services votés »149. C’est un législateur de substitution dont l’étendue
de pouvoir originel se trouve très enrichie par cette technique au
service de la continuité de l’Etat et qui intègre les contraintes liées à
la collecte des ressources publiques ainsi qu’à celle de l’effectuation
des dépenses publiques.

146 Article 110 de la Constitution béninoise, ainsi que l’article 61 de la Loi


organique n°2013-14 du 27 septembre 2013 relatives aux lois de finances.
147« Si la loi de finances de l’année n’est pas adoptée avant le début de l’exercice, le Président de

la République peut, par voie d’ordonnance, reconduire, par douzième, le budget de l’exercice
précédent, jusqu’à l’adoption du nouveau budget ».
148 Cette attitude peut être comprise dans la mesure où le droit budgétaire est de

plus en plus constitutionnalisé. Voir en ce sens : PHILIP (L.), « La


constitutionnalisation du droit budgétaire français », in BECK (B.) et VEDEL (G.)
(dir.), Etudes de finances publiques. Mélanges en l’honneur de M. le Professeur Paul-Marie
GAUDEMET, op. cit., pp. 49-62.
149 NKOUAYEP (L.Ch.), « Les pouvoirs parlementaires d’autorisation budgétaire en droit

camerounais », Thèse de Doctorat/Ph.D en Droit public, Université de Yaoundé II,


2019, p.155.
68
Rafip n°6 – 2nd semestre 2019

Au Sénégal, c’est également le président de la République qui


est auréolé de la compétence d’autoriser le budget. Il peut donc
« passer outre le refus du Parlement »150 dans deux cas de figure. Dans le
premier cas, il apparaît que, si à l’expiration du délai de soixante
jours, le projet de loi de finances n’est pas voté définitivement par le
parlement, il est mis en vigueur par ordonnance151. C’est le cas
lorsque le parlement a effectivement examiné le projet de loi de
finances pendant les délais requis précisément pendant l’exercice
budgétaire N. En revanche, si le parlement n’a pas exercé son
pouvoir d’examen et d’adoption du budget durant soixante jours au
cours de l’année N, ce délai est rattrapé au début de l’année N+1.
Dans ce dernier cas, en application des dispositions de l’article 68 de
la Constitution et de l’article 57 de la loi organique relative aux lois
de finances du 8 juillet 2011, le président de la République est
autorisé à percevoir les impôts existants et à reconduire par décret
les services votés152. Cette hypothèse en envisageable lorsque, par
suite d’un cas de force majeure, le président de la République n’a pu
déposer le projet de loi de finances de l’année en temps utile pour
que l’Assemblée dispose, avant la fin de la session fixée, du délai de
soixante jours indiqué, la session est immédiatement et de plein droit
prolongée jusqu’à l’adoption de la loi de finances153.
Comme au Sénégal, le législateur burkinabé se situe
également dans la prolongation de la session budgétaire de manière
automatique sans attendre le délai de quinze (15) jours que certains
Etats laissent courir pour convoquer le parlement pour poursuivre
l’examen du projet de loi de finances alors même que le nouvel
exercice budgétaire court déjà. C’est ce qui ressort de l’article 60 de
la loi organique n° 073-2015/CNT du 06 novembre 2015 relative
aux lois de finances :« lorsque le projet de loi de finances n’a pu être transmis
en temps utile pour que le Parlement dispose avant la fin de la session ordinaire

150 AKA LAMARCHE (A.), « L’évolution du régime représentatif dans les Etats
d’Afrique noire francophone », Jurisdoctoria, n°9, 2013, p. 131.
151 Article 57 de la loi organique relative aux lois de finances du 8 juillet 2011.
152 Par services votés, il faut entendre le volume de crédits nécessaire pour

reconduire à périmètre constant les actions publiques qui ont fait l’objet d’une
autorisation budgétaire l’année précédente.
153 Article 68 de la Constitution sénégalaise.

69
de l’entier délai […], celle-ci est immédiatement et de plein droit suivie d’une
session extraordinaire dont la durée est au plus égale au temps nécessaire pour
parfaire ledit délai. Si à l’expiration de ce délai, le projet de loi de finances n’est
pas adopté, il est mis en vigueur par ordonnance ».
Bien que le Bénin se rapproche du Sénégal du point de vue
de la distinction des deux cas de figure154 évoqués précédemment, il
fait tout de même faire preuve de particularisme. Il y est établi que :
« si le projet de loi de finances n’a pu être déposé en temps utile pour être
promulgué avant le début de l’exercice, le Président de la République demande
d’urgence à l’Assemblée Nationale l’autorisation d’exécuter les recettes et les
dépenses par douzièmes provisoires »155. Ainsi, au sens du constituant
béninois, le président de la République se substitue au parlement
lorsque le délai, d’une semaine au plus tard avant l’ouverture de la
session budgétaire156, fixé pour le dépôt du projet de loi de finances
n’a pas pu être tenu, et que le parlement n’a pu utilement délibéré.
Contrairement à son homologue sénégalais qui évoque le cas de
force majeure pour justifier le dépôt tardif du projet de loi de
finances, le constituant béninois ne précise aucune cause. Mais, il se
rapproche de ses homologues ivoirien157 et togolais158, en prévoyant
que le président de la République doit demander d’urgence à
l’assemblée nationale l’autorisation d’exécuter les recettes et les
dépenses par douzièmes provisoires. L’autorisation ainsi requise au

154 Les mêmes cas de figure sont présentés par HOUNKPE (M.), « Le
constitutionnalisme en Afrique : l’expérience béninoise », op. cit., p. 125.
155 Article 111 de la Constitution béninoise, ainsi que l’article 61 de la Loi

organique n°2013-14 du 27 septembre 2013 relatives aux lois de finances.


156 En application de l’article 60 de la Loi organique n°2013-14 du 27 septembre

2013 relatives aux lois de finances.


157 Au sens de l’article 112 de la loi n°2016/886 du 8 novembre 2016 portant

Constitution de la République de la Côte d’Ivoire, « si le projet de loi de finances n’a pu


être déposé en temps utile pour être promulgué avant le début de l’exercice, le Président de la
République demande d’urgence au Parlement l’autorisation de reprendre le budget de l’année
précédente par douzième provisoire ».
158 Article 91 de la Constitution togolaise : « si le projet de loi de finances n’a pu être

déposé en temps utile pour être voté et promulgué avant le début de l’exercice, le Premier Ministre
demande, d’urgence, à l’Assemblée, l’autorisation de reprendre le budget de l’année précédente par
douzièmes provisoires ».
70
Rafip n°6 – 2nd semestre 2019

Bénin n’existe pas159 au Cameroun, au Gabon160, au Sénégal et au


Burkina-Faso161. En cas de dépôt tardif du projet de loi de finances,
au Sénégal et au Burkina, la substitution est de plein droit. Au Bénin,
celle-ci est conditionnée par l’autorisation préalable de l’assemblée
nationale. Ainsi comme le note le professeur Nicaise MEDE, le
président de la République « entend l’hostilité ou la lenteur des
parlementaires, ou en cas de circonstances exceptionnelles, ou enfin en application
d’une loi d’habilitation dûment votée par la représentation nationale »162. Tel
fut le cas au Sénégal en 1994 à la suite de la dévaluation du francs
CFA163.
Le déséquilibre ainsi créé par la substitution du parlement
dans l’exercice de la compétence d’adoption du budget de l’Etat
produit un ensemble d’effets qui entravent l’application de la loi de
finances.
B. Un déséquilibre entravant
La dissymétrie à laquelle aboutit la substitution du parlement
en droit budgétaire au sein des Etats de l’Afrique noire francophone,
n’est pas sans conséquence dans la gouvernance financière. Bien que
l’on puisse lui reconnaitre le mérite de contribuer à la continuité de

159 Cette absence d’autorisation conduit à assimiler le défaut d’adoption de la loi


de finances dans les délais impartis à certaines circonstances telles que : la guerre,
la rébellion ou la crise économique. Dans ces cas généralement, « la plupart des
constitutions supposées contenir le principe de la séparation des pouvoirs permettent au chef du
pouvoir exécutif d’édicter des normes générales en lieu et place de l’organe législatif, sans qu’il soit
nécessaire que celui-ci l’y autorise par une « loi d’habilitation »(Ermächtigungsgesetz) » :
KELSEN (H.), Théorie générale du droit et de l’Etat, Trad. LAROCHE (B.) et
FAURE (V.), Intro. PAULSON (S. L.), Paris, LGDJ, 1997, pp. 319-320.
160 En application de l’article 48 de la Constitution gabonaise, « si, au terme de la

session budgétaire, le Parlement se sépare sans avoir voté le budget en équilibre, le Gouvernement
est autorisé à reconduire par ordonnance le budget précédent ».
161 En application de l’article 60 de la loi organique n° 073-2015/CNT du 06

novembre 2015 relative aux lois de finances : « dans la mesure où, [..], le projet de loi de
finances n’a pu être voté avant le début de l’année financière, le gouvernement est autorisé,
conformément aux dispositions constitutionnelles en vigueur, à continuer de percevoir les impôts et
à reprendre en dépenses le budget de l’année précédente par douzièmes provisoires ».
162 MEDE (N.), « La nouvelle gestion budgétaire : l’expérience des budgets

programmes au Bénin », Afrilex, n°4, 2004, p. 75.


163 Voir en ce sens ZAKI (M.), Le contrôle des finances publiques dans les Etats d’Afrique

noire francophone : l’exemple de Niger et du Sénégal, Thèse de doctorat en droit,


Université des sciences sociales de Toulouse, 1999, p. 256.
71
l’Etat, il faut tout de même reconnaitre que ce procédé est porteur
d’instabilité et d’imprévisibilité de la loi de finances (1) et d’entraves
à la soutenabilité des finances publiques (2).
1. L’instabilité et l’imprévisibilité de la loi de finances
La substitution peut créer une instabilité dans le régime
annuel de gestion des finances publiques. Au sein de la CEMAC, les
lois de finances sont perçues comme des lois qui : « ont pour objet de
déterminer les recettes et dépenses de l’Etat, de déterminer les conditions de
l’équilibre budgétaire et financier, d’arrêter le budget de l’Etat et de rendre
compte de son exécution »164. L’UEMOA a adopté une définition
similaire à l’article 3 de la Directive N°06/2009/CM/UEMOA du
26 juin 2009 portant lois de finances au sein de l’UEMOA165. Sur la
base de ces définitions, les Etats ont réceptionné des définitions qui
précisent l’objet d’une loi de finances, qu’elle soit primitive,
rectificative ou de règlement. Il en ressort donc par exemple qu’en
Côte d’Ivoire, « les lois de finances déterminent, pour un exercice, la nature, le
montant et l’affectation des ressources et des charges de l’Etat »166. Au
Cameroun comme en Côte d’Ivoire, l’objet de la loi de finances est
étendu de manière claire par les lois relatives au régime financier de
l’Etat ou aux lois de finances. Bien que le législateur camerounais
utilise le verbe « pouvoir » (peuvent) qui traduit la faculté167, en Côte
d’Ivoire c’est le verbe « devoir » (doivent) qui exprime l’obligation qui
est préféré. Il en ressort que : « les lois de finances doivent également
contenir des dispositions relatives à l’assiette, aux taux et aux modalités de

164 Article 42 de la Directive N°01/11-UEAC-190-CM-22 du 19 décembre 2011


relative aux lois de finances.
165 « Les lois de finances déterminent la nature, le montant et l’affectation des ressources et des

charges de l’Etat ainsi que l’équilibre budgétaire et financier qui en résulte, compte tenu de la
situation et des objectifs macro-économiques des Etats membres et des obligations du Pacte de
convergence, de stabilité, de croissance et de solidarité ».
166 Article 2 de la loi organique n°2014-336 du 5 juin 2014 relatives aux lois de

finances.
167 L’alinéa 2de l’article 12 de la loi n°2018/012 du 11 juillet 2018 portant régime

financier de l’Etat et des autres entités publiques qui étend l’objet de la loi de
finances qui précise que : « elles peuvent en outre, comporter toute disposition de nature
législative relatives à la détermination des recettes et des dépenses de l’Etat, ainsi qu’aux
modalités de mise en œuvre et de leur contrôle ».
72
Rafip n°6 – 2nd semestre 2019

recouvrement des impositions de toutes natures, qu’elles soient perçues par l’Etat
ou affectées à d’autres organismes publics »168.
L’objet de la loi de finances étant ainsi clarifié, il faut noter
que c’est la loi de finances initiale ou de l’année dont l’objet peut
davantage être instable voire imprévisible. La loi de règlement ne
peut pas l’être et la loi de finances rectificative dans une moindre
mesure, bien qu’en établissant son lien avec la loi de finances
primitive dont elle modifie la teneur169.
L’instabilité et l’imprévisibilité tiennent à ce qu’en début de
l’année budgétaire, par le mécanisme de la substitution, les
dispositions de la loi de finances en discussion qui sont mises en
vigueur par voie d’ordonnance peuvent connaître des changements.
Dans ce cas, lorsque les dispositions d’une loi de finances
ont été mises en vigueur par voie d’ordonnance, il peut arriver que le
texte définitif adopté par le parlement soit en contrariété avec ce qui
avait été promulgué par voie d’ordonnance. Il pourrait donc se
poser la question de l’application de la loi de finances dans le temps.
S’il peut être admis que dès la promulgation de la loi de finances
dans sa version définitive, elle doit, en principe, produire ses effets
pour l’avenir en application du principe de la non rétroactivité170

168 Article 3 de la loi organique n°2014-336 du 5 juin 2014 relatives aux lois de
finances.
169 La loi de finances rectificatives ou collectif budgétaire est d’une importance

capitale parce qu’elle permet d’arrimer les données contextuelles à la loi de


finances. Voir en ce sens : MUZELLEC (R.), « Du caractère fondamental des lois
de finances rectificatives », in BECK (B.) et VEDEL (G.) (dir.), Etudes de finances
publiques. Mélanges en l’honneur de M. le Professeur Paul-Marie GAUDEMET, op. cit.,
pp. 173-192.
170 « La loi ne dispose que pour l’avenir ; elle n’a point d’effet rétroactif », ainsi dispose

l’article 2 du Code civil. Ce principe de la non-rétroactivité des lois a été introduit


en France à l’époque de la Révolution, où il apparaît alors comme une réaction à
certains abus (en 1794, un nouveau système successoral avait été introduit dans le
droit positif et avait été déclaré applicable à toutes les successions – même déjà
liquidées- ouvertes depuis le 14 juillet 1789. La remise en cause des droits
héréditaires et des droits de propriétés déterminés par les partages manifestait une
atteinte à la sécurité juridique et avait déclenché l’introduction du principe de non-
rétroactivité dans la Constitution de l’an III. Puis, le principe s’est trouvé dans le
code civil) voir en ce sens TERRE (F.), Introduction générale au droit, Paris, Dalloz,
2015, 10ième éd., p. 411.
73
cumulée à la maxime « lex posterior derogat priori ». Dans le contexte de
la substitution du parlement en matière budgétaire, il faut
reconnaitre que rien n’interdit au législateur de délimiter lui-même le
temps d’effet des dispositions nouvellement adoptées. A cet effet,
autant il peut faire rétroagir les dispositions de la loi de finances à
partir de la date du 1er janvier, autant il peut en différer la prise
d’effet. Il peut donc se créer un droit transitoire ou un
enchevêtrement de normes dont certaines sont posées par
l’ordonnance et d’autre par la loi. Cette situation est porteuse de
germe conflictuel et d’instabilité dans le régime de la loi de finances
pour l’année. Pourtant, les dispositions ainsi édictées doivent
satisfaire à l’impératif de sécurité juridique qui nécessite, pour être
acquis, le classique triptyque : accessibilité, stabilité et prévisibilité171.
Comme le souligne le professeur Jean-Louis BERGEL, cet impératif
« est inhérent au droit et en constitue nécessairement l’une des valeurs
fondamentales »172. Pourtant, dans le cas de la substitution du
parlement en matière budgétaire, si l’accessibilité peut ne pas être
discutée, la stabilité et la prévisibilité en revanche peuvent faire
défaut.

Il faut tout de même ajouter qu’en matière fiscale en France, le Conseil


constitutionnel a limité les possibilités de rétroactivité de la loi. Dans une décision
n° 98-404 DC du 18 décembre 1998, il a jugé que « le principe de non rétroactivité des
lois n’a valeur constitutionnelle, en vertu de l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et
du citoyen, qu’en matière répressive ; que néanmoins, si le législateur a la faculté d’adopter des
dispositions fiscales rétroactives, il ne peut le faire qu’en considération d’un motif d’intérêt général
suffisant et sous réserve de ne pas priver de garanties légales des exigences constitutionnelles ». En
l’espèce, il a estimé que le souci de prévenir les conséquences financières d’une
décision de justice censurant le mode de calcul de l’assiette de la contribution en
cause ne constituait pas un motif d’intérêt général suffisant pour modifier
rétroactivement l’assiette, le taux et les modalités de versement d’une imposition.
En se référant à la notion d’intérêt général suffisant, le Conseil constitutionnel
exerce un contrôle de proportionnalité entre l’atteinte portée au droit individuel et
l’intérêt général invoqué. Voir en ce sens : « La sécurité juridique : Le point de vue du
juge constitutionnel », Exposé fait par M. Olivier DUTHEILLET de LAMOTHE,
membre du Conseil constitutionnel, à l’occasion de l’accueil de hauts magistrats
brésiliens, le 20 septembre 2005 à la Cour de cassation française.
171 PIAZZON (Th.), La sécurité juridique, Paris, Defrénois, Lextenso éd., coll. de

thèses, 2009, pp. 15-53. Voir également ABANE ENGOLO (P. E.), « La notion
de qualité du droit », RADSP, Vol. 1, N°1, 2013, pp. 91-97.
172 BERGEL (J.-L.), « La sécurité juridique », Revue du notariat, 2008, 110 (2), p.

271.
74
Rafip n°6 – 2nd semestre 2019

La stabilité peut faire défaut dans la mesure où des


dispositions ayant le même objet vont se succéder dans un intervalle
de temps assez réduit. Bien que nous ne soyons pas en présence
d’une inflation législative qui est dénoncée depuis fort longtemps173,
il n’en demeure pas moins que : « trop de lois tuent la loi »174. Les
changements qui peuvent intervenir d’une loi à une autre sont de
nature à créer une instabilité dans le régime annuel des finances de
l’Etat. « L’intempérance normative »175 qui en découle peut être
préjudiciable à la sécurité juridique.
Quant à l’imprévisibilité de la loi de finances, elle est la
conséquence son instabilité. Les changements réguliers ou
intempestifs qui peuvent intervenir à la suite de la mise en œuvre de
la substitution du parlement conduisent tout aussi à l’imprévisibilité
des dispositions applicables ou appliquées en matière de loi de
finances. Comme le soulignent Dominique SOULAS de RUSSEL et
Philippe RAIMBAULT, « l’absence de détermination sûre et préalable du
droit applicable fait planer une menace de principe sur toute action »176. Le
droit qui régit pour un exercice, la nature, le montant et l’affectation
des ressources et des charges de l’Etat est marqué d’une
imprévisibilité déconcertante. Les dispositions des lois de finances
changent à un rythme non raisonnable. Pourtant, « on attend du droit
qu’il garantisse la sécurité, de sorte que l’on puisse prévoir la solution des
situations juridiques et compter sur elle, grâce à des moyens de contraintes
garantissant la réalisation des droits »177. Par le mécanisme de la
substitution, l’imprévisibilité s’installe dans le droit budgétaire. Ainsi,
les acteurs de la chaine de collecte des ressources publiques et de
l’exécution des dépenses publiques sont tenus de faire montre d’un
effort d’adaptabilité remarquable. Les acteurs publics et privés du

173 RIPERT (G.), Le déclin du droit, Paris, LGDJ, 1949, pp. 67-72.
174 C’est une formule empruntée à l’économiste américain Arthur LAFFER.
175 Conseil d’Etat, Sécurité juridique et complexité du droit, Paris, La Documentation

française, 2006, p. 254.


176 SOULAS de RUSSEL (D.), RAIMBAULT (Ph.), « Nature et racines du

principe de sécurité juridique : une mise au point », RIDC, Vol. 55, N°1, Janvier-
mars 2003, p. 85.
177 BERGEL (J.-L.), « La sécurité juridique », Revue du notariat, 2008, 110 (2), p.

271.
75
droit budgétaire notamment les administrations publiques, les
contribuables, les prestataires de services, les entrepreneurs sont
tenus de faire une veille juridique pointue, de peur de se faire
opposer l’adage « nemo censetur ignorare legem »178. De ce fait,
l’insécurité juridique est une véritable épée de Damoclès pour les
acteurs absents à la fabrication des normes du droit budgétaire.
Au regard de ce qui précède, il apparaît que c’est l’efficacité
de la loi de finances qui est ainsi garantie au mépris de la sécurité
juridique. Le caractère prévisionnel attendu de la règle de droit est
presque sacrifié sur l’autel de la nécessité et de l’urgence. Pourtant, il
faut reconnaitre que cette mutabilité constante de la loi de finances
est censée produire un meilleur droit ou un droit de qualité. Ce droit
qui est une réponse à des problèmes réels des finances publiques des
Etats de l’Afrique noire francophone. Le droit budgétaire affiche le
caractère d’un droit très vivant. La loi des finances est mouvante car,
elle est à la recherche d’effets positifs dans les finances publiques
des Etats.
2. L’entrave à la soutenabilité des finances publiques
Comme l’écrit le professeur Michel BOUVIER, « les finances
publiques occupent une place centrale dans le fonctionnement et les débat des
sociétés contemporaines »179. C’est ainsi par exemple que leur
soutenabilité fait l’objet d’une attention particulière. Au même titre
que l’équilibre budgétaire, « la question qui est devenue majeure en finances
publiques est désormais celle de la réalisation de leur soutenabilité »180.
Bien que la soutenabilité soit un concept polysémique et
beaucoup plus usité en matière de dette et donc macroéconomique,
il faut reconnaitre qu’elle comporte une dimension budgétaire. Dans

178 « Nul n’est censé ignorer la loi ». Adage interdisant à quiconque de se retrancher
derrière son ignorance du droit ou sa mauvaise compréhension pour échapper à
ses obligations. C’est une fiction juridique qui assure l’efficacité de la loi. V. en ce
sens : GUINCHARD (S.), DEBARD (Th.) (dir.), Lexique des termes juridiques, op.
cit., p. 1379 ; voir également AKAM AKAM (A.), « Libres propos sur l’adage ‘Nul
n’est censé ignorer la loi’», RASJ, volume 4, n°1, 2007, p. 31-54.
179 BOUVIER (M.), « Finances publiques et justice sociale », R.F.F.P., 2008,

n°144, p.V.
180 Ibid.

76
Rafip n°6 – 2nd semestre 2019

ce dernier versant, elle traduit la capacité des finances publiques à


assurer la couverture de l’ensemble des engagements présents et
futurs de l’Etat. Elle confronte donc les charges exigibles avec l’actif
disponible ; autrement dit le rapport entre les ressources et les
charges publiques. Les finances publiques des Etats de l’Afrique
noire francophone sont sujettes à de nombreux défis et à
d’innombrables difficultés. La soutenabilité fait partie des challenges
que les finances publiques des Etats doivent relever. Cependant, à
travers le mécanisme de la substitution du parlement en matière
budgétaire, la soutenabilité des finances publiques des Etats
d’Afrique noire francophone est potentiellement compromise.
Pourtant, en application de la procédure dite des « quatre
temps alternés »181 évoquée par le baron Joseph Louis en 1814,
l’exécutif prépare le budget, les Chambres le votent, le budget est
mis en exécution par le gouvernement et enfin un contrôle est
effectué par les Chambres. Le mécanisme de la substitution du
parlement conduit à la concentration de trois temps entre les mains
du pouvoir exécutif. Non seulement il prépare le budget, il l’adopte
et l’exécute. Le parlement serait alors confiné à la fonction de
contrôle de l’exécution du budget. Les temps ne s’alterneraient plus.
L’exécutif exercerait tout seul les trois premières fonctions pendant
que le parlement n’exercera que la dernière. Le parlement est ainsi
inféodé. Un tel scénario peut produire des effets pervers sur
l’exécution du budget. La gestion des finances publiques rencontre
ainsi des difficultés et la performance recherchée serait compromise.
Deux facteurs y contribuent : l’application du principe de la
reconduction du budget de l’exercice précédent et la discontinuité
du temps d’exécution du budget.
En ce qui concerne en premier l’application du principe de la
reconduction, il faut dire que tous les Etats de l’Afrique noire
francophone ne l’ont pas consacré. Par conséquent, ce sont ceux qui
l’ont inscrit dans leur droit budgétaire qui sont concernés par ses

181 Rapporté par GICQUEL (J.-E.), « Que reste-il du pouvoir budgétaire des
parlements nationaux ? », Revue de l’Union européenne, 2019, p. 605. ; voir également
77
inconvénients. Dans ce registre, on retrouve le Bénin, le Burkina-
Faso, le Cameroun, la Côte d’Ivoire, le Sénégal ainsi que le Togo.
Au Bénin, « si le projet de loi de finances n’a pu être déposé en temps
utile pour être promulgué avant le début de l’exercice, le Président de la
République demande d’urgence à l’Assemblée Nationale l’autorisation
d’exécuter les recettes et les dépenses par douzièmes provisoires »182. En Côte
d’Ivoire, l’énoncé est identique sauf que la formulation est
légèrement différente. Il y est établi que : « si le projet de loi de finances
n’a pu être déposé en temps utile pour être promulgué avant le début de l’exercice,
le Président de la République demande d’urgence au Parlement l’autorisation de
reprendre le budget de l’année précédente par douzième provisoire »183. Pendant
qu’au Bénin le pouvoir constituant utilise la formule « l’autorisation
d’exécuter les recettes et les dépenses par douzièmes provisoires », en Côte
d’Ivoire comme au Togo184, il choisit celle selon laquelle
« l’autorisation de reprendre le budget de l’année précédente par douzième
provisoire ». Au-delà de ces considérations lexicales, il faut convenir
que l’énoncé est le même. Cette position est confortée par le
législateur burkinabé lorsqu’il dispose que : « dans la mesure où, […], le
projet de loi de finances n’a pu être voté avant le début de l’année financière, le
gouvernement est autorisé, conformément aux dispositions constitutionnelles en
vigueur, à continuer de percevoir les impôts et à reprendre en dépenses le budget
de l’année précédente par douzièmes provisoires »185. Bien que le dépôt tardif
du projet de loi de finances ne soit pas précisé comme la cause du
retard dans sa promulgation, il en ressort tout de même au
Cameroun qu’« au cas où le budget n’aurait pas été adopté avant la fin de
l’année budgétaire en cours, le Président de la République est habilité à

BAUDU (A.), Contribution à l’étude des pouvoirs budgétaires du parlement en France :


éclairage historique et perspective d’évolution, Paris, Dalloz, 2010, p.39.
182 Article 111 de la Constitution béninoise.
183 Article 112 de la loi n°2016/886 du 8 novembre 2016 portant Constitution de

la République de la Côte d’Ivoire.


184 Article 91 de la Constitution togolaise : « si le projet de loi de finances n’a pu être

déposé en temps utile pour être voté et promulgué avant le début de l’exercice, le Premier Ministre
demande, d’urgence, à l’Assemblée, l’autorisation de reprendre le budget de l’année précédente par
douzièmes provisoires ».
185 Article 60 de la loi organique n° 073-2015/CNT du 06 novembre 2015 relative

aux lois de finances.


78
Rafip n°6 – 2nd semestre 2019

reconduire, par douzième, le budget de l’exercice précédent jusqu’à l’adoption du


nouveau budget »186.
Dans le même ordre d’idées, au Sénégal, « si, […], la loi de
finances de l’année n’a pu être mise en vigueur avant le début de l’année
financière, le Président de la République est autorisé à reconduire par décret les
services votés »187. L’article 57 de la loi organique sénégalaise n°2011-15
du 8 juillet 2011 relative aux lois de finances fait un ajout capital.
C’est ainsi qu’il le rapproche de la position de ses homologues
béninois, camerounais, ivoirien et togolais. Il est établi que : « si la loi
de finances de l’année n’a pu être promulguée avant le début de l’année
financière, le Président de la République est autorisé conformément à l’article 68
de la Constitution, à continuer de percevoir les impôts existants et à reconduire
par décret les services votés ». A y bien regarder, bien que ces deux Etats
aient choisi des énonciations différentes, leur énoncé est le même.
Que l’on évoque la reconduction, « par douzième, le budget de l’exercice
précédent », ou la reconduction « par décret des services votés », le résultat
auquel on aboutit c’est la reconduction du montant des ressources et
des dépenses de l’exercice précédent. Ce sont les formules choisies
par le législateur financier du Sénégal qui rendent compte, plus
explicitement, de l’opérationnalisation du mécanisme de la
substitution dans ce cas.
Au Bénin comme au Burkina-Faso, au Cameroun, en Côte
d’Ivoire et au Togo, la reconduction par douzièmes provisoires
conduit simplement le président de la République188 à procéder à la
division par douze de la valeur du budget de l’exercice précédent. Le
montant obtenu à la suite de cette opération constituera une sorte
de budget ad hoc qui permettra de financer des dépenses devant à

186 Alinéa 2 b de l’article 16 de la loi constitutionnelle du 18 janvier 1996. Cet


article était repris à l’article 42 de la loi n°2007/006 du 26 décembre 2007 portant
régime financier de l’Etat : « si la loi de finances de l’année n’est pas adoptée avant le début
de l’exercice, le Président de la République peut, par voie d’ordonnance, reconduire, par
douzième, le budget de l’exercice précédent, jusqu’à l’adoption du nouveau budget ». Pourtant,
la loi n°2018/012 du 11 juillet 2018 portant régime financier de l’Etat et des autres
entités publiques n’a pas reconduit cette disposition. Mais une telle absence
n’influence pas son application, ce d’autant plus que le texte constitutionnel l’avait
déjà prévue.
187 Article 68 de la Constitution sénégalaise.

79
tout prix être exécutées pendant la période de transition. Il s’opère
donc une continuité temporelle de la loi de finances de l’exercice
précédent. Cette dernière est alors considérée comme la loi de
référence sur laquelle on doit s’appuyer pour projeter les opérations
financières et budgétaires devant nécessairement être exécutées.
Au Sénégal, le procédé est organisé d’une autre manière,
mais le résultat est le même qu’au Bénin, au Cameroun, en Côte
d’Ivoire et au Togo. Lorsque le président de la République
sénégalaise procède à la perception des impôts selon les dispositions
en vigueur et les modalités posées par les la loi de finances de
l’exercice précédent, il s’opère un prolongement dans le temps ou
une sorte de statu quo en matière financière. Il y a une stabilisation
des régimes d’imposition. De même, en matière de dépenses, la
reconduction s’opère par la technique des services votés. Les
services votés évoquent « le volume de crédit nécessaire pour reconduire à
périmètre constant les actions publiques qui ont fait l’objet d’une autorisation
budgétaire l’année précédente »189. De ce fait, ils « représentent le minimum de
dotation que le Gouvernement juge indispensable pour poursuivre l’exécution des
services publics dans les conditions qui ont été approuvées l’année précédente par
le Parlement »190. C’est donc une fois de plus la continuité de l’Etat qui
est ainsi recherchée, mais dans un cadre qui n’est pas propice à
l’amélioration de la gestion des finances publiques191. Le statu quo
ainsi consacré paralyse la réforme du cadre de mobilisation des
ressources d’une part et l’introduction de mesures nouvelles d’autre
part.
En ce qui concerne le cadre de mobilisation des ressources
publiques, il est sclérosé dans la mesure où les innovations qui sont

188 Au Togo, c’est le Premier ministre qui est autorisé à reconduire.


189 Article 57 de la loi organique sénégalaise n°2011-15 du 8 juillet 2011 relative
aux lois de finances.
190 MESSAGE (H.), « Services votés et mesures nouvelles », in PHILIP (L.) (dir.),

Dictionnaire encyclopédique de finances publiques, Paris, Economica, 1991, p. 1426.


191 Voir en ce sens : NKOUAYEP (L.Ch.), « Les pouvoirs parlementaires d’autorisation

budgétaire en droit camerounais », Thèse de Doctorat/Ph.D en Droit public,


Université de Yaoundé II, 2019, p.154. Selon cet auteur, « cette méthode peut présenter
des risques pour une bonne gestion des finances publiques, car les services administratifs ne
pouvant réaliser aucun projet en raison de l’incertitude financière ».
80
Rafip n°6 – 2nd semestre 2019

projetées par le projet de loi de finances n’ont pas encore reçu la


validation du parlement. Les services financiers continuent à
mobiliser les ressources publiques selon des taux ou tarifs et des
modalités qui peuvent s’être révélés peu porteurs de performance.
C’est pour remédier aux insuffisances du régime financier en vigueur
que la loi des finances introduit des innovations. Mais dès lors que
celles-ci n’ont pas encore été adoptées par le parlement, l’on
continue à appliquer un droit dont on sait qu’il ne permettra pas
d’atteindre les objectifs fixés.
Il est donc nécessaire que la flexibilité et l’adaptabilité ou le
pouvoir de modification soit effectivement reconnu au pouvoir
exécutif. Il ne doit pas simplement être le perroquet du parlement et
ainsi reconduire ce que ce dernier avait autorisé l’exercice budgétaire
précédent. Il doit bénéficier d’un pouvoir normateur complet et
autonome et ne pas ainsi l’exercer dans un enserrement de
conditions. Le législateur gabonais semble de cet avis. Aussi, a-t-il
prévu que : « si, au terme de la session budgétaire, le parlement se sépare sans
voir voté le budget en équilibre, le gouvernement est autorisé à reconduire par
ordonnance le budget précédent »192. Ledit texte poursuit que : « cette
ordonnance peut néanmoins prévoir, en cas de nécessité, toute réduction […] ou
augmentation de recettes ».
Puisque le vote des dépenses est le « corollaire naturel de la règle
du vote des recettes »193, les deux opérations vont de pair. Dès lors en ce
qui concerne la paralysie des mesures nouvelles, il faut d’abord
préciser qu’il s’agit des modifications apportées aux services votés.
Lorsque l’on reconduit les services votés, les mesures nouvelles
restent en discussion ou en suspension. Elles sont vouées à
l’incertitude d’être validées. Par conséquent, l’importance du volume
des services votés tend à diluer la portée du pouvoir d’amendement

192 Article 21 de la loi organique n°20/2014 du 21 mai 2015 relatives aux lois de
finances et à l’exécution du budget.
193 JEZE (G.), Cours de science des finances et de législation financière française, Paris, M.

Giard éd., 1922, p. 17 ; rapporté par CAUDAL (S.), « L’apport des textes
constitutionnels révolutionnaires au droit financier et fiscal », in Constitution et
Finances publiques. Etudes en l’honneur de Loïc PHILIP, Paris, Economica, 2005, p.
360.
81
budgétaire des parlements. Bien même lorsqu’elles seraient adoptées
plus tard, le temps de leur exécution peut connaître une diminution
dont on ne peut nier les conséquences dans la consommation du
budget des investissements publics. C’est à juste titre qu’il est
souhaité que des mesures nouvelles positives ou négatives puissent
être autorisées par le président de la République même pendant la
période transitoire. Il en est ainsi parce qu’une organisation
permettrait de gagner en temps dans l’engagement du circuit de la
dépense publique. Le budget pouvant définitivement être mis en
vigueur par voie d’ordonnance, il semble que la réfutation des
mesures nouvelles pour une période qui parfois n’est fixée qu’à
quinze (15) jours peut finalement ne pas se révéler efficace. Cette
interdiction n’aurait de sens que si le parlement finit pas se
prononcer en adoptant la loi de finances. Dans le cas contraire, si sa
promulgation intervient par voie d’ordonnance, il est fort probable
que le pouvoir exécutif mette en application des dispositions qui ont
suscité de vives controverses pendant l’examen au parlement.
Le Gabon semble avoir pris conscience de cet état de chose.
C’est la raison pour laquelle l’article 21 de la loi organique
n°20/2014 du 21 mai 2015 relatives aux lois de finances et à
l’exécution du budget prévoit que : « si, au terme de la session budgétaire,
le parlement se sépare sans voir voté le budget en équilibre, le gouvernement est
autorisé à reconduire par ordonnance le budget précédent ». Ledit texte
poursuit que : « cette ordonnance peut néanmoins prévoir, en cas de nécessité,
toute réduction de dépenses ». Leur augmentation n’est pas exclue.
Conclusion
Les rapports que le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif
entretiennent en matière d’autorisation budgétaire dans les Etats
d’Afrique noire francophone semblent, dans leur aménagement de
principe, et dans une perspective classique, refléter une séparation
rigide. Cette séparation célèbre le parlement pour en faire une
institution sacrée, incontournable car, exerçant le pouvoir financier
suprême, mandatée par le peuple souverain dont il exprime, en

82
Rafip n°6 – 2nd semestre 2019

principe, la volonté générale194, « dans le respect de la Constitution »195. Le


parlement assure les moyens de financement et le gouvernement
dépense. Plus tard, il contrôle l’exécution pour s’assurer du respect,
par le gouvernement, de sa volonté.
Dans le contexte actuel, fort est de constater que la frontière
qui séparait les deux organes n’est plus étanche. Elle fait désormais
montre d’une porosité qui tend à convaincre que l’importance du
parlement a fortement diminué. Le président Edgard FAURE
n’entendait pas autre chose lorsqu’il a évoqué la formule des « 3L :
litanie, liturgie, léthargie » pour résumer la discussion budgétaire au
parlement. L’autorisation budgétaire est, pourtant, le champ par
excellence d’expression de la puissance du parlement. L’en priver, ce
serait assurer sa fragilisation, voire sa vanité. Au moyen de la
substitution du parlement par l’exécutif en matière budgétaire, il en
ressort qu’en recherchant la garantie de la continuité de l’Etat, la
distribution des pouvoirs financiers au sein de l’Etat crée un
déséquilibre criard voire anormal. Pendant que le parlement est
exproprié de son auguste attribut, l’exécutif s’en réjouit. Comme le
souligne le professeur Jean-Eric GICQUEL, les parlements ont fini
par irrésistiblement renoncer à l’attribut budgétaire de consentir à
l’impôt196. En considérant également les irrecevabilités financières197,

194 Voir en ce sens JIANG (J.), Théorie du droit public, op. cit., p. 152.
195 Conseil constitutionnel français : Décision n°85-197 DC du 23 août 1985,
Nouvelle-Calédonie, J.O du 24 août 185, p. 9814 ; FAVOREU (L.), et PHILIP (L.),
Les grandes décisions du Conseil constitutionnel, Paris, Dalloz, 2018, coll. Grands arrêts,
19ième éd., p. 140 sqq.
196 GICQUEL (J.-E.), « Que reste-il du pouvoir budgétaire des parlements

nationaux ? », op. cit., p.605.


197 Les articles 90 de la Constitution togolaise et 120 de la Constitution burkinabé

prévoient : « les propositions ou amendements formulés par les parlementaires ne sont recevables
lorsque leur adoption aurait pour conséquence soit une diminution des ressources publiques, soit
une création ou l’aggravation des charges publiques ». L’article 107 de la Constitution
béninoise, les articles 18 alinéa 3 a) et 23 alinéa 3 de la Constitution camerounaise,
l’article 55 de la Constitution gabonaise ainsi que l’article 71 de la Constitution
sénégalaise. Cette interdiction est reprise par l’article 62 de la Loi organique
n°2013-14 du 27 septembre 2013 relatives aux lois de finances au Bénin ainsi que
par l’alinéa 5 de l’article 74 du Règlement intérieur de l’Assemblée Nationale en
République du Bénin et l’article 58 de la Loi n°2018/012 du 11 juillet 2018
portant régime financier de l’Etat et des autres entités publiques au Cameroun. En
France, c’est l’article 40 de la Constitution du 4 octobre 1958. Voir en ce sens
83
on peut constater que le parlement serait un « simple élément du décor
politique »198, à défaut d’être une « caisse de résonance des volontés du
Président de la République »199. Il est souhaité de le renforcer200. Il doit
se « réapproprier le pouvoir d’écrire la loi »201 de finances. La pratique des
‘‘Omnibus Reconcialtion Bill’’ instaurée aux Etats-Unis d’Amérique du
Nord depuis la Congressional Budget and Impoundment Control Act de
1974202 pourrait inspirer. Le parlement doit être irremplaçable car,
comme l’affirme l’Union Interparlementaire, c’est une « institution
centrale de la démocratie »203, essentielle dans le processus budgétaire204,
la rénovation de ses pouvoirs est souhaitée205. « La représentation du
peuple, et fictivement le peuple lui-même, doit voir son pouvoir restaurer »206. Il
est nécessaire de réformer le droit budgétaire207. Comme le souligne

AVRIL (P.), « Le Parlement législateur », Revue française de science politique, 31ᵉ


année, n°1, 1981, p.19.
198 NGUELE ABADA (M.), « La réforme du Règlement intérieur de l’Assemblée

Nationale du Cameroun » R.A.S.J., n°1, vol. I, 2003, p. 102.


199 Ibid., p.102.
200 AVRIL (P.), « Renforcer le Parlement : qu’est-ce à dire ? », Pouvoirs, 2013,

n°146, p. 9.
201 URVOAS (J.-J.), « La lente et irrépressible renaissance des commissions

parlementaires », Pouvoirs, 2013, n°146, p. 21.


202 C’est une procédure de réconciliation qui permet d’arbitrer les dépenses

obligatoires et les recettes en cas de désaccord entre l’administration présidentielle


et le Congrès. Voir en ce sens : MEYER (A.), « Le budget fédéral de l’ère Obama :
politique de la chaise vide ou de la caisse vide ? », Politique Américaine, 2013, 2, n°
22, pp.157 et s.
203 UIP et PNUD, Rapport parlementaire mondial : l’évolution de la représentation

parlementaire, Genève et New-York, 2013, p. 3.


204 JOHNSTON (D.), « Les parlements constituent un élément essentiel du

processus budgétaire », in Processus budgétaire. Vers un nouveau rôle du parlement, Actes


du colloque organisé par le Sénat français et l’OCDE, 24-25 janvier 2001, pp.11-
13.
205 ROBERT (F.), « La rénovation des pouvoirs du Parlement », RFFP, n°76,

2001, p.89 ; MAUCOUR-ISABELLE (A.), La Rénovation des pouvoirs


budgétaires du Parlement sous la Ve République, Paris, Dalloz, 2005, 764p.
206 FOREST (F.), « L’’’Entreprise Etat’’ et les discours sur la réforme des lois de

finances », Quademi, n°53, 2003/2004, La convivialité, fable contemporaine, p.18.


207 SCHOUEL (S. A.), La nécessaire réforme du droit budgétaire camerounais, Mémoire de

Master en Administration Publique, CIL ENA, Promotion Aristide Briand, 2006-


2008, 56 p. ; ABIABAG (I.), Le renouveau budgétaire au Cameroun, Presses
Universitaires Libres, 2013, p. 19 ; BIAKAN (J.), « La réforme du cadre juridique
des finances publiques au Cameroun : La loi portant régime financier de l’Etat »,
in ONDOA (M.) (dir.), L’administration publique camerounaise à l’heure des réformes,
L’Harmattan Cameroun, 2010, pp. 29-65.
84
Rafip n°6 – 2nd semestre 2019

M. VISEUR208, « dans une logique de bonne gouvernance, il n’y a pas de bon


budget sans intervention importante du Parlement »209.
Dans le cas contraire, les finances publiques des Etats
pourraient en payer le lourd tribut. Il en serait ainsi parce que, dans
la plus part des cas, on assiste à un statisme ou à une sorte
d’immobilisme dans la mobilisation des recettes publiques d’une
part, ainsi qu’à la réduction des délais dans l’exécution de certaines
dépenses publiques d’autre part. Bien plus, la soutenabilité des
finances publiques peut être en péril. La crise actuelle des finances
publiques pourrait connaitre une ampleur regrettable. Il faut
véritablement apparier les finances publiques au peuple souverain.
L’instabilité et l’imprévisibilité de la loi de finances
auxquelles la substitution aboutit n’est pas porteuse de sécurité
juridique dans la mise en œuvre annuelle du budget de l’Etat. Il est à
souhaiter que le parlement soit le détenteur exclusif de la
compétence d’autorisation budgétaire. Qu’il exerce celle-ci dans un
délai raisonnable. Que la prévisibilité et la stabilité soient les attributs
de la loi des finances. Telles paraissent être certaines clés pour que
les finances publiques des Etats de l’Afrique noire francophone,
aussi bien en zone CEMAC qu’en zone UEMOA, soient
soutenables.

208 Membre de la Chambre des Représentants de Belgique.


209 VISEUR (J.-J.), « Le Parlement et le processus budgétaire : le cas du Parlement
belge », in, Le Parlement et le processus budgétaire, notamment dans une perspective d’équité
entre hommes et femmes, Séminaire régional pour les parlements francophones
d’Afrique, Bamako, 1er -3 novembre 2001, p.31.
85
86
Rafip n°6 – 2nd semestre 2019

LE REGIME FINANCIER DES ORGANISMES


DE REGULATION AU CAMEROUN
Par
Dr Jean-Luc ENGOUTOU
Ph. D en Droit public
Chargé de Cours à la Faculté des Sciences Juridiques et Politiques
Université de Yaoundé II

Introduction

L’argent est le nerf de la République1. Cette affirmation


vieille de plus de quatre siècles, garde encore toute son actualité. En
effet, au même titre que l’Etat et peut-être davantage, les organismes
de régulation pour mener à bien leur missions, ont besoin de
ressources propres et suffisantes. Cela implique qu’ils doivent avoir
la possibilité de les gérer librement. Autrement dit, leur régime
financier doit présenter une certaine flexibilité de nature à réduire
leur dépendance à l'égard de l’Etat. Il s’agit là d’une exigence qui
s’inscrit dans la nouvelle gestion des finances publiques2 et qui
impose désormais à toutes les administrations publiques une
obligation de résultat. La recherche de la performance explique et
justifie une étude sur le régime financier des organismes de
régulation au Cameroun.
Généralement définie comme un ensemble de règles, la
notion de régime irrigue toutes les branches du droit. Ainsi parlera-t-
on en droit privé de régime matrimonial3, de régime
complémentaire4 ou encore de régime additif5. En droit public,

1 J. Bodin, Les six Livres de la République, Paris, éd., Du Puy, 1581, p.855
2 B. Abate, La nouvelle gestion publique, Paris, LGDJ, 2000, p.60 et s.
3 Statut qui gouverne les intérêts pécuniaires des époux, dans leurs rapports entre

eux, et dans leurs rapports avec les tiers et dont l’objet est de régler le sort des
biens actifs et passifs des époux pendant le mariage et à sa dissolution. Voir
GUINCHARD S., DEBARD Th. (dir.), Lexique des termes juridiques, Paris, Dalloz,
2017, 25ième éd., p.1740.
4 Régimes de retraite et de prévoyance accordant des prestations qui viennent

s’ajouter à celles accordées par les régimes de base. GUINCHARD S., DEBARD
Th. (dir.), Lexique des termes juridiques, op. cit., p. 1743.
5 Régimes dans lesquels l’entreprise garantit un niveau de retraite exprimé soit en

valeur relative par rapport au dernier salaire, soit en valeur absolue, indépendant
87
s’opère une catégorisation entre le régime administratif,
constitutionnel et financier. Le premier organise les services publics
sur la base desquels la vie civile s’établit6. Le deuxième a pour objet
d’organiser l’Etat en personne morale parfaite7. Le troisième enfin,
se rapporte à l’ensemble des règles applicables aux deniers publics
des personnes publiques8. Ces règles sont relatives à la nature, au
contenu, à la présentation, à l’élaboration et à l’adoption des lois de
finances ainsi qu’à l’exécution et au contrôle du budget9. Le régime
financier des personnes publiques est donc susceptible de variations
suivant qu’il s’agit de l’Etat ou d’autres entités publiques à l’instar
des organismes de régulation.
Crées pour assurer l’équilibre du marché et garantir les droits
des citoyens contre d’éventuels abus, les organismes de régulation
s’inscrivent dans une vaste mouvance planétaire.
Nés aux Etats-Unis à la fin du 19ème siècle10, les organismes
de régulation seront progressivement disséminés en Europe. En
Grande-Bretagne, c’est surtout après la seconde guerre mondiale
que prolifèrent les autorités indépendantes ayant des fonctions
administratives et quasi-judiciaires11. En France, les autorités
administratives indépendantes naitront d’abord officieusement en
1941 sous le régime de Vichy12, puis officiellement en 1970 par le

de l’évolution des autres régimes. GUINCHARD S., DEBARD Th. (dir.), Lexique
des termes juridiques, op. cit., p. 1743.
6 M. Hauriou, Principes de droit public à l’usage des étudiants de licence (3 ème année) et en

doctorat ès sciences politiques, 2ème éd., 1916, p.571


7 Ibid.p.605
8 F. Quérol, Finances publiques, Paris, Ellipses, 2009, 2ème éd., p. 9.
9 Article 1er alinéa (2) de la loi n°2018/012 du 11 juillet 2018 portant régime

financier de l’Etat et des autres entités publiques.


10 H. Davies, « L’expérience américaine des ‘’ independent regulatory agencies’’ »,

in Les autorités administratives indépendantes, PUF, 1988, cité par G. Pekassa Ndam,
« Les établissements publics indépendants : une innovation fondamentale du droit
administratif camerounais », Revue africaine des sciences juridiques, vol 2, n°1, 2001,
p.155.
11 H. Machin, « L’expérience britannique », in Les autorités administratives

indépendantes, PUF, 1988, cité par G. Pekassa Ndam, op.cit.p.156.


12 La première institution regroupant les caractéristiques d’une autorité

administrative indépendante voyait le jour sous le régime de Vichy en 1941. Il


s’agissait de la Commission de Contrôle des Banques. D’autres institutions
analogues sont également apparues dans la période 1941-1978. Elles n’étaient pas
88
Rafip n°6 – 2nd semestre 2019

truchement de la loi du 06 janvier 1978 relative à l’informatique, aux


fichiers et aux libertés13. Cette loi crée la Commission nationale de
l’informatique et des libertés (CNIL) dans un contexte où
l’informatisation et la centralisation des fichiers de la police allaient
porter préjudice aux droits et libertés14. La création d’un nouvel
instrument juridique était donc nécessaire pour garantir ces droits et
faire cesser la menace issue de cette mesure15. Depuis lors, on a
assisté à une floraison parfois désordonnée des organismes de
régulation16. La multiplication des autorités administratives
indépendantes est la conséquence manifeste de la libéralisation des
marchés et du recul des interventions directes de l’Etat. C’est
pourquoi les autorités administratives indépendantes représentent
« une forme d’autolimitation du pouvoir exécutif central »17 .
L’introduction dans les Etats d’Afrique noire francophone
des organismes de régulation remonte au mouvement de
démocratisation qui a gagné le continent africain à la fin des années
80. Celui-ci a entrainé une remise en cause des anciens rapports
administrés-administration18. Ces rapports faut-il le rappeler, étaient

officiellement étiquetées en tant qu’autorité administrative indépendante mais en


rassemblaient tous les critères. Tel était le cas de la Commission des opérations de
bourse créée en 1967 et qualifiée par le décret n°68-23 du 03 janvier 1968 portant
organisation administrative et financière de la Commission des opérations de
bourse, « d’institution spécialisée de caractère public ». Tel était également le cas du
Médiateur de la République institué en 1973 sans que son statut d’autorité
administrative indépendante ne soit précisé. La Commission de la concurrence,
créée par la loi du 19 juillet 1977 relative au contrôle de la concentration
économique et à la répression des ententes illicites et des abus de position
dominante, se situe dans cette même lignée.
13 Loi n°78-17 du 06 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux

libertés.
14 V. Palma-Amalric, L’autonomie financière des autorités indépendantes. Paris,

l’Harmattan, 2017, p. 20.


15 Idem.
16 Le désordre des autorités administratives indépendantes : L’exemple du secteur

économique et financier (dir.) de Nicole Decoopman, collection CEPRISCA,


2002,214 pages.
17 Conseil d’Etat, Etude sur les autorités administratives indépendantes, Rapport public

1983-1984, EDCE, n°35, p.27.


18 A. Diarra, « Les autorités administratives indépendantes dans les Etat

francophones d’Afrique noire. Cas du Mali, du Sénégal et du Bénin, Afrilex


2000/00, p. 2.
89
marqués par une subordination à l’extrême des premiers au second.
Pouvait-il en être autrement dès lors que le contexte politique d’alors
était marqué par l’idéologie de la construction nationale19 qui
répugnait toute contestation du pouvoir en place. Avec l’ouverture
démocratique, on assiste à une transformation du paysage
institutionnel. A côté des structures administratives traditionnelles,
sont créées des autorités indépendantes20. Ces dernières
interviennent dans des domaines variés qui vont de la protection des
droits et libertés des citoyens à la régulation des activités
économiques et politiques. Le phénomène a frappé plusieurs Etats
d’Afrique noire francophone.
Au Bénin, c’est l’article 24 de la Constitution du 11
décembre 1990 révisée par la loi n°2019-40 du 07 novembre 2019,
qui créé la Haute autorité de l’audiovisuel. Celui-ci pose en effet
que : « La liberté est reconnue et garantie par l’Etat. Elle est protégée par la
Haute autorité de l’audiovisuel et de la communication dans les conditions fixées
par une loi organique ». Traitant également du domaine de la presse,
l’article 7 de la Constitution malienne du 27 février 1992 dispose
que : « La liberté de la presse est reconnue. L’égal accès aux médias d’Etat est
assuré par un organe indépendant dont le statut est fixé par une loi organique ».
Pour garantir la sincérité du scrutin, des commissions électorales ont
été créées. Ainsi, c’est la loi n°94-013 du 17 juillet 1995 qui crée au
Bénin, la Commission électorale nationale autonome. Au Mali, la loi
n°97-008 du 14 janvier 1997 portant loi électorale institue une
Commission électorale nationale indépendante. Trois années plutôt,
la loi n°93-001 du 06 janvier 1993 créait toujours au Mali, un Comité
national de l’égal accès aux médias d’Etat. Au Sénégal, la loi n°91-14
du 11 février 1991 instaurait un Médiateur de la République. Avec le
développement des technologies de l’information et de la
communication au début de la décennie 2000, on a assisté à
l’éclosion dans le secteur des organismes de régulation. C’est le cas

19 M .Kamto, Pouvoir et droit en Afrique. Essai sur les fondements du constitutionnalisme


dans les Etats d’Afrique noire francophone, Paris, LGDJ, 1987, p.327.
20 J. du Bois de Gaudusson, « Trente ans d’institutions constitutionnelles et

politiques. Point de repère et interrogations », Afrique contemporaine, n°164, oct-déc


1992, p.55
90
Rafip n°6 – 2nd semestre 2019

de l’Autorité de régulation du secteur des communications


électroniques (ARCE) du Togo21, de l’Autorité de régulation des
communications électroniques et des postes (ARCEP) du Tchad22,
de l’Agence de régulation des télécommunications du Gabon23 ou
encore de l’Autorité de régulation des télécommunications et de la
poste (ARTP) du Bénin24.
Le Cameroun n’est pas resté en marge du vaste mouvement
de création des organismes de régulation. Omniprésents dans les
divers secteurs d’activités, ils foisonnent dans le paysage
institutionnel camerounais depuis le début de la décennie 9025. Aussi
distingue-t-on les organismes de régulation rattachés à la
gouvernance politique26 et économique27 de ceux intervenant dans le
domaine de l’audiovisuel28. Seuls les organismes de régulation
intervenant en matière économique et de l’audiovisuel seront

21 Article 63 de la loi n°2012/018 du 17/12/2012 sur les communications


électroniques
22 Article 3 de la loi n°013/PR/2014 portant régulation des communications

électroniques et des activités postales


23 Article 109 de la loi n°05/2001 du 27 juin 2001 portant réglementation du

secteur des télécommunications modifiée par l’ordonnance n°004/TER/PR/2005


du 11 aout 2005 ratifiée par la loi n°030/2005 du 30 décembre 2005.
24 Article 13 de la loi n°2012-70 du 31 décembre 2012, portant création,

organisation et fonctionnement de l’Autorité de régulation des


télécommunications et de la poste.
25 G.J.Fouda, « Les organismes publics de régulation et de gouvernance en droit

public camerounais : Du foisonnement des autorités administratives


indépendantes et des établissements publics administratifs, Revue de droit
administratif, n°1, 1er semestre 2012, pp183-196.
26 C’est le cas d’Elections Cameroon (ELECAM) régie par la loi n°2006/011 du

29 décembre 2006 portant création, organisation et fonctionnement d’ELECAM.


27 On peut citer l’Agence de régulation des marchés publics (ARMP) créée par le

décret n°2001/048 du 23 février 2001 modifié et complété par le décret


n°2012/076 du 08 mars 2012 ; l’Agence nationale des technologies de
l’information et de la communication (ANTIC) régie par le décret n°2012/180 du
10 avril 2012 ; l’Agence de régulation des télécommunications (ART) dont
l’organisation et le fonctionnement sont régis par le décret n°2012/2013 du 20
avril 2012 ; l’Autorité portuaire nationale (APN) réorganisée par le décret
n°2019/179 du 05 avril 2019 ; l’Autorité aéronautique du Cameroun (CCA)
réorganisé par le décret n°2019/174 du 09 avril 2019 ; l’Agence d’électrification
rurale régie par le décret n°2013/204 du 28 juin 2013 portant organisation et
fonctionnement de l’Agence d’électrification rurale (AER).
28 Cas du Conseil national de la communication (CNC) réorganisé par le décret

n°2012/038 du 23 janvier 2012.


91
retenus dans le cadre de cette étude. Un tel choix s’explique par un
certain nombre de raisons. D’abord, le désengagement de l’Etat de
certains secteurs stratégiques de l’économie et la montée en
puissance des opérateurs privés. Ensuite, la libéralisation du paysage
médiatique qui a donné lieu à la prolifération parfois désordonnée,
des organes d’information/communication. Enfin, l’ampleur de
leurs missions. En effet, et à la différence des autorités de régulation
rattachés à la gouvernance politique, les organismes de régulation
économique et de l’audiovisuel présentent dans leur ensemble le
profil d’autorités « de plein exercice »29 concentrant entre leurs mains
les trois pouvoirs régaliens : pouvoir de prendre des actes juridiques,
pouvoir d’infliger des sanctions et pouvoir de régler les différends.
Prosaïquement, seront étudiés, l’Agence de régulation des
télécommunications (ART), l’Agence nationale des technologies de
l’information et de la communication (ANTIC), l’Agence de
régulation du secteur de l’électricité (ARSEL), l’Agence
d’électrification rurale (AER), le Conseil national de la
communication (CNC), l’Agence de régulation des marchés publics
(ARMP), l’Autorité portuaire nationale (APN) et la Cameroon civil
aviation (CCA).
La création des organismes de régulation constitue une
innovation fondamentale du droit administratif camerounais30.
L’innovation tient essentiellement aux attributions inhabituelles qui
leur sont assignées pour un établissement public. En effet, les
organismes de régulation édictent des normes applicables à tous les
intervenants du secteur, émettent des avis simples,
recommandations ou avis conformes à l’autorité de tutelle sur
initiative ou sur demande, contrôlent le respect des règles juridiques.
Véritables instances quasi-juridictionnelles, ils connaissent des
différends entre intervenants du secteur. Aussi, et pour mener à bien
les différentes missions qui leur sont confiées, les organismes de
régulation ont besoin de ressources financières. Ils doivent être en
mesure de les gérer librement afin de garantir leur impartialité et

29 D. Linotte et G. Simonin « L’AMF, prototype de la réforme de l’Etat ? »,


AJDA, 2004, p.143.
30 G. Pekassa.Ndam, op.cit.pp 153-178.

92
Rafip n°6 – 2nd semestre 2019

l’efficacité de leur action. Les règles applicables à leurs deniers


publics doivent être suffisamment souples pour que l’autonomie
proclamée dans les textes les organisant ne reste pas au stade du
simple vœu. L’étude du régime financier des organismes de
régulation a donc un lien étroit avec leur autonomie financière. Dès
lors, la question qui se pose est la suivante : le régime financier
des organismes de régulation garantit-il leur autonomie
financière? La réponse est assurément négative. Le régime financier
des organismes de régulation hypothèque leur autonomie
fonctionnelle et les place sous la dépendance de l’Etat.
La question ainsi posée revêt un intérêt singulier. En effet,
les études relatives aux organismes de régulation sont rares au
Cameroun31. Celles spécifiques à leur régime financier inexistantes. Il
s’agit donc de contribuer à une meilleure connaissance de ces
personnes publiques spécialisées32 notamment du point de vue
financier. Par ailleurs, l’étude du régime financier des organismes de
régulation permettra incidemment de déterminer si celui-ci n’est
qu’une pâle copie du régime financier de l’Etat ou alors s’il présente
certaines spécificités.
En toute hypothèse, une analyse méticuleuse de la question
s’adossera sur la méthode juridique. Il s’agit d’opter pour le
positivisme juridique tel que théorisé par Hans Kelsen33. Par
conséquent, le régime financier des organismes de régulation sera
étudié à l’aune des dispositions normatives régissant les opérations

31 On peut néanmoins citer G. Pekassa Ndam, « Les établissements publics


indépendants : une innovation fondamentale du droit administratif camerounais »,
op.cit.pp153-178, C. Monembou, « Les personnes publiques spécialisées en droit
camerounais », op.cit.pp223-263, G.J. Fouda, « Les organismes publics de
régulation et de gouvernance en droit public camerounais : Du foisonnement des
autorités administratives indépendantes et des établissements publics
administratifs », op.cit.pp183-196, A.F. Lele, Les agences de régulation au Cameroun,
Master en Administration publique des fonctionnaires internationaux, ENA,
2004-2005, 90 pages, A.H. Sandio Kamga, L’établissement public en droit camerounais,
Thèse doctorat/Ph.D en droit public, Université de Yaoundé II, 2014, 399 pages.
32 C. Monembou, « Les personnes publiques spécialisées en droit camerounais »,

op.cit.pp223-263.
33 H. Kelsen, Théorie pure du droit, Traduction de Charles Eisenmann, Paris, LGDJ,

1962, pp111-116.
93
financières de ces personnes publiques « sui generis »34. Le Cameroun
constitue le cadre géographique par excellence de la présente étude.
Un tel choix s’explique prioritairement par le lien de nationalité qui
uni l’auteur de ces lignes à cet Etat. Accessoirement, il sera fait
référence aux droits étrangers. Il s’agit de la France et de certains
Etats d’Afrique noire francophone. L’appréhension du régime
financier des organismes de régulation révèle une maitrise limitée de
leur autonomie financière (I) et une emprise étatique resserrée sur
cette dernière (II).

I. La maitrise limitée de l’autonomie financière par les


organismes de régulation
Les organismes de régulation sont financés par des
ressources multiples. Il faut voir dans cette technique la volonté de
mettre le régulateur à l’abri des fluctuations possibles d’une seule
ressource affectée35. Seulement, la sécurité financière ainsi
recherchée est obscurcie par une emprise limitée des organismes de
régulation sur leurs ressources financières. Le pouvoir de décision de
ces derniers dépend à cet effet de l’origine de la ressource. Si les
organismes de régulation n’ont aucune prise sur les financements
étatiques (A), celle-ci est par contre faible s’agissant des ressources
propres (B).
A. Un pouvoir inexistant sur les financements étatiques
Les financements étatiques constituent une ressource
importante pour les organismes de régulation. Elles prennent ici la
forme de subventions. Si la plupart des organismes objet de la
présente étude en bénéficient36, il faut néanmoins souligner qu’elles
sont octroyées unilatéralement par l’Etat (1). La conséquence

34 G. Pekassa Ndam, op.cit. pp 153-178


35 E. Oliva, « L’autonomie budgétaire et financière des autorités de régulation
économique », Revue de droit public, n°2, 2014, p.340.
36 On note même une certaine dépendance de certains régulateurs aux

financements étatiques. C’est le cas particulièrement du CNC dont le budget est


inscrit au budget des services du Premier ministre. (Article 20 alinéa 2 du décret
n°2012/038 du 23 janvier 2012 portant réorganisation du CNC). Par ailleurs,
outre les dons et legs, l’article 21 précise que les ressources du CNC proviennent
des subventions de l’Etat.
94
Rafip n°6 – 2nd semestre 2019

logique de cette unilatéralité est l’instrumentalisation des


subventions par l’Etat (2).
1. L’attribution unilatérale des subventions étatiques
Les textes organisateurs des organismes de régulation
rangent les subventions dans la palette des ressources qui leur sont
reconnues. Mode de financement très usité dans le paysage financier
camerounais, les subventions étatiques concernent aussi bien les
personnes privées37 participant à l’accomplissement d’une mission
d’intérêt général que les personnes publiques38. La régulation n’étant
point synonyme de désengagement total de l’Etat39, ce dernier a
toujours la possibilité de subventionner l’activité régulée. Il en est
ainsi parce que les activités régulées restent et demeurent des
activités de service public40.
Par ailleurs, face à des opérateurs de plus en plus puissants
financièrement41, les organismes de régulation ont besoin de
ressources suffisantes pour mener à bien leurs missions. C’est
d’ailleurs là tout le sens de la subvention qui est entendue comme
« une dotation financière directe ou indirecte, versée par l’Etat ou les collectivités
territoriales décentralisées, en vue de concourir à la réalisation d’une activité
d’intérêt général »42 ou encore une « aide, un secours financier accordé de
façon unilatérale et sans contrepartie, mais néanmoins conditionnelle et grevée à
tout le moins d’une affectation ».
Il ressort des définitions qui précèdent que la subvention est
une dotation financière accordée de façon unilatérale par l’Etat. Il lui

37 C’est le cas par exemple de l’aide publique à l’enseignement privé ou encore de


l’aide publique à la communication privée.
38 Qu’il s’agisse des collectivités territoriales décentralisées, des établissements

publics, des entreprises publiques ou des groupements d’intérêt public


39 Th. Penard et N. Thirion, « La régulation des télécommunications : une

approche croisée de l’économie et du droit », Revue internationale de droit


économique, n°2, 2002, pp293-312
40 D. De Roy, « Associations et subventions : La quadrature du cercle ? »,

Pyramides, 6/2002, pp117-134


41 C’est le cas notamment des opérateurs intervenant dans le secteur de la

téléphonie mobile tels que Orange Cameroun et MTN Cameroon.


95
revient seul le pouvoir de l’accorder. Encore faut-il déterminer s’il se
trouve dans l’hypothèse d’une compétence discrétionnaire ou d’un
pouvoir lié. Les textes organisateurs des organismes de régulation
donnent des indices sur la nature liée ou discrétionnaire de la
compétence. La terminologie et le temps verbal employés sont de
nature à inférer du caractère discrétionnaire ou lié de la compétence.
Les textes régissant l’ANTIC, la CCA, le CNC, l’AER et l’ARMP
retiennent la formule suivante : « Les ressources financières sont constituées
par (…) les subventions de l’Etat (…) ». On peut donc en déduire que
l’autorité subsidiante est dans l’hypothèse d’une compétence liée et
que les organismes de régulation sus-cités peuvent se prévaloir d’un
droit subjectif à son obtention. Par contre, les textes régissant l’ART
et l’APN utilisent des formules qui laissent croire qu’il s’agit là d’une
hypothèse de compétence discrétionnaire. L’article 24 alinéa 2 (i) du
décret n°2012/203 du 20 avril 2012 dispose à cet effet que : « Les
ressources de l’Agence sont constituées par (…) toute autre ressource qui pourrait
lui être affectée ». Il s’agit vraisemblablement d’une subvention
facultative. Quoi qu’il en soit, le caractère obligatoire ou facultatif de
la subvention n’a aucune incidence sur son unilatéralité. C’est l’Etat
qui décide seul du montant à allouer aux organismes de régulation
en fonction des critères qu’il aura lui-même définit.
Les subventions étatiques aux organismes de régulation se
subdivisent en subvention de fonctionnement et subvention
d’investissement. L’Etat a rigoureusement encadré l’octroi de ces
différentes subventions aux organismes bénéficiaires. Ainsi, le
déblocage d’une tranche de la subvention de fonctionnement est
subordonné à la transmission à la direction générale du budget
(division des participations et des contributions) du compte
d’emploi, validé par le contrôleur financier, et justifiant l’utilisation
de la tranche précédente. Le déblocage d’une tranche de la
subvention de fonctionnement n’est donc pas automatique. Il fait

42 Article 775 de la circulaire n°001/C/MINFI du 28 décembre 2018 portant


instructions relatives à l’exécution des lois de finances, au suivi et au contrôle de
l’exécution du budget de l’Etat et des entités publiques pour l’exercice 2019.
96
Rafip n°6 – 2nd semestre 2019

intervenir le contrôleur financier, acteur très controversé dans les


finances publiques camerounaises43.
Les subventions d’investissement quant à elles sont
accordées aux organismes de régulation pour la réalisation des
opérations de développement. Ainsi, tout bénéficiaire est tenu de
transmettre au ministre de la planification et de l’aménagement du
territoire (MINEPAT), au ministre des finances (MINFI) et au
ministre des marchés publics (MINMAP), au plus tard 15 jours
après la fin de chaque trimestre, un rapport d’exécution physico-
financière de la subvention. Ce rapport indique notamment l’état
d’avancement des procédures de passation des marchés, le niveau
des engagements, le niveau des ordonnancements et des paiements,
ainsi que l’état d’exécution des unités physiques44.
Les organismes de régulation à l’évidence subissent le dictat
de l’Etat dans l’attribution des subventions. Les règles en la matière
sont fixées unilatéralement par l’Etat qui peut par ailleurs décider au
gré des différents exercices budgétaires, de modifier leur montant.
Les subventions apparaissent ainsi comme des moyens de pression
de l’Etat sur les régulateurs.
2. L’instrumentalisation des subventions étatiques
Les organismes de régulation bénéficiaires des subventions
étatiques n’ont aucun pouvoir aussi bien dans leur attribution que
dans la détermination de leur montant. C’est l’Etat, notamment dans
la loi de finances de l’année, qui définit les montants alloués aux
organismes éligibles au bénéfice des subventions. Pour l’exercice
budgétaire 2019, les subventions de l’Etat s’élevaient à la somme de
deux cent soixante-trois milliards deux cent soixante-dix-neuf
millions neuf cent cinq mille (263.279.905.000) FCFA. Dans cette
masse non négligeable, les organismes de régulation se sont vus
alloués des montants pour le moins dérisoire. C’est le cas de
l’ARSEL avec trois cent millions (300.000.000) de FCFA ou encore
de l’ANTIC avec cinq cent millions (500.000.000) de FCFA. Dans

43 Infra seconde partie.


44 Article 846 de la circulaire ministérielle précitée.
97
certains cas, la subvention prend la forme d’une contribution à un
fonds spécial. C’est le cas de la contribution de l’Etat au fonds
spécial de l’ARMP qui s’élevait pour l’exercice 2019 à la somme de
un milliard cinq cent millions (1.500.000.000) de FCFA.
Le montant des subventions allouées aux organismes de
régulation n’est pas fixé une fois pour toute. Il varie au gré de la
conjoncture économique ou peut résulter de la volonté même du
pouvoir politique. Dans la première hypothèse, la fluctuation de la
subvention est indépendante de la volonté de l’Etat. Celui-ci doit en
effet s’ajuster pour faire face à la crise. La conséquence logique est
la diminution des montants alloués aux régulateurs et leur
redirection vers des secteurs jugés prioritaires. Dans la seconde
hypothèse, l’octroi de la subvention constituera pour l’Etat un
moyen de pression sur les régulateurs. En effet, le risque est grand
pour ces derniers que l’Etat les rende mendiants par l’attribution de
subventions insignifiantes ou qu’il sanctionne indirectement une
décision déplaisante du régulateur en diminuant le montant de sa
dotation45. Or, le constat est qu’au Cameroun, les organismes de
régulation sont moins lotis en matière de subventions étatiques si
l’on procède à une comparaison avec d’autres Etats de l’Afrique
noire francophone. En Côte d’Ivoire, l’aide de l’Etat aux organismes
de régulation est substantielle. Pour l’exercice budgétaire 2016, la
subvention de l’Etat à l’Autorité nationale de régulation des marchés
publics s’élevait à la somme de un milliard cent soixante-dix-neuf
millions, six cent vingt de un mille trois cent quarante-quatre
(1.179.621.344) FCFA. Pour le Conseil national de la presse à un
milliard quatre cent trois millions quarante-deux mille dix-huit francs
(1.403.042.018) FCFA ; la Haute autorité de la communication
audiovisuelle s’en tire avec une enveloppe de un milliard cent
cinquante-neuf millions sept cent soixante-treize mille cent dix-sept
(1.159.773.117) FCFA46. Au Sénégal, le poids des subventions
étatiques aux organismes de régulation est également important.

45 M.A. Frison-Roche, « Régulateurs indépendants versus LOLF », Revue Lamy


concurrence 2006, p.70.
46 Loi de finances portant budget de l’Etat pour l’année 2016, Annexe 3, budget

des établissements nationaux.


98
Rafip n°6 – 2nd semestre 2019

Pour l’exercice budgétaire 201947, on relève par exemple que


l’Agence de régulation des télécommunications et des postes a reçu
la rondelette somme de douze milliards (12.000.000.000) de FCFA.
Au Mali, l’Etat a subventionné pour le compte de l’année budgétaire
2019 l’Agence malienne de presse et publicité à hauteur de huit cent
trois millions six cent vingt un mille (803.621.000) FCFA, l’Agence
des technologies de l’information et de la communication à hauteur
de un milliard neuf cent quatre-vingt-dix-huit millions cinq cent
soixante-dix-sept mille (1.998.577.000) FCFA48.
Au demeurant, les subventions étatiques posent
inéluctablement la question de leur portée sur l’autonomie financière
des régulateurs. Ce type de financement ne risque-t-il pas de nuire à
l’autonomie du régulateur ? La réponse est affirmative. En effet, le
principe de la subvention globale qui assurerait une complète liberté
d’utilisation ne s’applique pas aux organismes de régulation. L’octroi
de la subvention est lié à l’obligation de réaliser tel ou tel
investissement. L’Etat dispose toujours d’un droit de regard sur
l’utilisation des fonds alloués en vertu de l’adage « celui qui paie a tous
les droits ». La circulaire n°001/C/MINFI du 28 décembre 2018,
soumet la mise à disposition de la subvention d’investissement à
l’organisme bénéficiaire à des conditions drastiques. Ainsi, sur la
base du journal des projets, l’organisme ou l’établissement
bénéficiaire de la subvention procède à la contractualisation, à la
liquidation de la dépense et à la prise en charge. Les décomptes
conséquents sont transmis au ministre/ordonnateur des crédits pour
mise à disposition des ressources au profit du compte financier de
l’organisme/établissement public bénéficiaire. Par ailleurs, toutes les
décisions relatives aux subventions en investissements doivent
indiquer les résultats attendus en rapport avec les objectifs des
programmes et actions qui portent les crédits, les activités à réaliser
et les unités physiques qui en découleront, les délais de mise en
œuvre et les clauses du cahier des charges.

47 Loi n°2018-29 du 19 décembre 2018 portant loi de finances pour l’année 2019.
48 Loi de finances du Mali pour l’exercice 2019.
99
Au vu de ce qui précède, il appert que les subventions
constituent un moyen habile de contrôle des organismes de
régulation. Ceux-ci subissent la loi du pouvoir politique, car n’ayant
aucune maitrise sur les sommes allouées. Leur marge de manœuvre
est nulle. La situation est quelle que peu différente s’agissant des
ressources propres. Les organismes de régulation à défaut d’avoir
une grande marge de manœuvre, disposent à tout le moins d’un
pouvoir résiduel.
B. Un pouvoir résiduel sur les ressources propres
Les organismes de régulation disposent d’un pouvoir de
décision non déterminant en matière de ressources propres. Leur
marge de manœuvre est ici très faible. Une telle faiblesse s’explique
et se justifie par la combinaison d’un ensemble de facteurs (2). Mais
avant d’exposer ces derniers, il est indispensable de préalablement
identifier les ressources propres (1).
1. L’identification préalable des ressources propres
Au même titre que les collectivités territoriales
décentralisées, les organismes de régulation disposent de ressources
propres. Celles-ci présentent un visage hétérogène. Il s’agit
globalement des contributions liées à l’exercice de l’activité régulée,
des produits du domaine, des amendes et pénalités et des ressources
provenant de l’emprunt.
Les contributions liées à l’exercice de l’activité régulée
comprennent les taxes parafiscales, les quotes-parts et les
redevances. Deux organismes de régulation se sont vus reconnaitre
la compétence pour prélever les taxes parafiscales. Il s’agit de
l’ART49 et de l’ANTIC50. Ces taxes parafiscales sont acquittées par
les opérateurs de téléphonie et les fournisseurs d’accès à internet.
On peut à cet égard relever la taxe sur les communications

49 Article 24 alinéa 2 (g) du décret n°2012/203 du 20 avril 2012 portant


organisation et fonctionnement de l’ART
50 Article 26 alinéa 2 (e) du décret n°2012/180 du 10 avril 2012 portant
organisation et fonctionnement de l’ANTIC
100
Rafip n°6 – 2nd semestre 2019

téléphoniques et les services internet instituée par la loi des finances


2016.
Les quotes-parts de certains droits et ressources constituent
des viviers de financement pour les organismes de régulation. Dans
le domaine des télécommunications notamment, les droits d’entrée
et de renouvellement des concessions et des licences sont
conditionnés par le paiement d’une certaine somme d’argent. A
l’ouverture du marché des télécommunications en 1998, les deux
opérateurs de téléphonie mobile d’alors, à savoir Mobilis devenu en
juin 2002 Orange Cameroun et MTN Cameroon se sont acquittés
d’un droit d’entrée sur le marché de vingt milliards
51
(20.000.000.000de FCFA) . Ainsi, toute nouvelle entrée sur le
marché et tout renouvellement de la concession ou de la licence
entraine le paiement des droits et corrélativement, une quote-part
pour les régulateurs. Afin de booster le secteur des
télécommunications, les pouvoirs publics ont institué des fonds. Il
s’agit du fonds spécial des télécommunications52 et du fonds spécial
des activités de sécurité53. Les ressources des fonds ainsi crées sont
des deniers publics et gérées selon les règles de la comptabilité
publique. Une quote-part de ces fonds est dévolue au financement
de de l’ART et de l’ANTIC. Dans le domaine des marchés publics,
l’ARMP jouit des droits de régulation dont le taux est fixé à 0,5% du
montant du marché ou de la lettre commande et acquittés par le
maitre d’ouvrage ou le maitre d’ouvrage délégué dès la signature du
marché ou de la lettre commande54.
Les organismes de régulation accomplissent des missions de
service public. Ils peuvent ainsi apporter leur expertise aux

51 P. Tsafack Djoumessi, « Taxation des services des télécommunications au


Cameroun », communication à l’IUT workshop on taxation of
telecommunications services and related product, Geneva, Switzerland, 1-2
septembre 2011, p.21.
52 Article 34 alinéa 1 de la loi n°2010/013 du 21 décembre 2010 régissant les

communications électroniques au Cameroun.


53 Article 9 de la loi n°2010/010 du 21 décembre 2010 relative à la cybersécurité et

la cybercriminalité au Cameroun.
101
opérateurs qui, en retour, devront s’acquitter du paiement d’une
redevance. C’est le cas en matière de régulation du secteur de
l’électricité de la redevance sur le titre prévu par la loi régissant le
secteur de l’électricité55, des produits des prestations rendues aux
intervenants du système des marchés publics56, de la redevance
d’utilisation des adresses des préfixes et des numéros ou blocs de
numéros ou encore de la redevance de 1,5% du chiffre d’affaires
hors taxe des opérateurs des réseaux et les fournisseurs de services
en matière de télécommunications. Par ailleurs, l’ART est
l’organisme compétent pour homologuer les équipements terminaux
des communications électroniques et des installations
radioélectriques. Ainsi, toute personne physique ou morale désirant
faire homologuer un équipement de communications électroniques
ou une installation radioélectrique dépose un dossier administratif et
un dossier technique. Le dossier administratif comprend entre autres
qu’il s’agisse des personnes morales ou physiques, un récépissé de
paiement des frais d’étude du dossier délivré par l’ART57. Dans la
même veine, l’ART perçoit des droits, frais, contributions et
redevances. Ces droits s’appliquent aux réseaux, à la fourniture des
services, à l’homologation des équipements terminaux et aux
agréments des installateurs et/ou des prestataires de services de
télécommunications58. Toujours dans le domaine des
télécommunications, l’ART est bénéficiaire d’une quote-part de la

54 Article 2 du décret n°2005/5155/PM du 30 novembre 2005 fixant les modalités


de fonctionnement du compte d’affectation spéciale pour la régulation des
marchés publics.
55 Article 22 alinéa 1 du décret n° 2013/203 du 28 juin 2013 portant organisation

et fonctionnement de l'Agence de Régulation du Secteur de l'Electricité.


56 Article 19 du décret n°2001/048 du 23 février 2001 portant création et

fonctionnement de l’ARMP modifié et complété par le décret n°2012/076 du 08


mars 2012.
57 Article 6 alinéa (2) (a) de l’arrêté n°0000001/MINPOSTEL du 27 juin 2012

fixant les modalités d’homologation des équipements terminaux des


communications électroniques et des installations radioélectriques.
58 Titre II de l’arrêté n°00080/MINFI/MINPT du 20 février 2002 relatif aux

droits, frais, contributions et redevances perçues par l’ART.


102
Rafip n°6 – 2nd semestre 2019

redevance d’utilisation des adresses, des préfixes et des numéros


téléphoniques. Cette quote-part s’élève à 30%59
Les organismes de régulation gèrent des domaines. Ils
peuvent ainsi en tirer des produits. Ceux-ci sont de deux sortes : les
uns concernent les revenus tirés du domaine privé du régulateur, les
autres du domaine public. Les organismes de régulation peuvent en
effet être propriétaires en propre de certains biens et ont à l’égard de
ceux-ci la capacité d’effectuer tous les actes se rapportant à leur droit
de propriété60. Aussi, peuvent-ils en tirer des revenus d’exploitation
ou les aliéner61. Le régulateur peut également tirer certaines
ressources du domaine public. Ces dernières constituent
exclusivement des produits d’exploitation dans la mesure où le
domaine public est réputé inaliénable62.
La mission de contrôle assignée aux organismes de
régulation leur confère le pouvoir d’infliger des sanctions
pécuniaires aux opérateurs qui ne respectent pas leurs obligations.
En effet, même s’ils sont qualifiés d’autorités administratives, les
organismes de régulation n’assument pas moins une véritable police
judiciaire sectorielle63. Plusieurs organismes de régulation peuvent
alimenter leur budget par des ressources issues des amendes et des
pénalités. C’est le cas de l’ARMP64, de l’ANTIC65 ou encore de
l’ART66. Le montant des sanctions pécuniaires prononcé par les
régulateurs est parfois exorbitant. A titre d’illustration, l’ART a
infligé au début de l’année 2019, de lourdes sanctions financières
aux opérateurs de téléphonie mobile. Il s’agissait d’Orange

59 Article 3 de l’arrêté n°041 du 07 novembre 2017 fixant les modalités de


répartition de la redevance d’utilisation des adresses, des préfixes et des numéros
téléphoniques.
60 J. Morand-Deviller, P. Bourdon et F. Poulet, Droit administratif des biens, Paris,

LGDJ, 10ème éd, 2018, p.325.


61 Ibid.p.339.
62 Ibid.p.162.
63 T. Achour, « La justification du pouvoir de sanction des autorités

administratives indépendantes est-elle pertinente ? », Revue internationale de droit


pénal, 2013/3-4, vol 84, p.475.
64 Article 2 du décret n°2005/5155/PM sus-cité.
65 Article 26 alinéa 2 du décret n°2012/180 du 10 avril 2012.
66 Article 24 alinéa 2 du décret n°2012/203 du 20 avril 2012.

103
Cameroun avec une amende de un milliard cinq cent
millions(1.500.000.000) de FCFA, MTN Cameroon et Nextell
écopant chacun d’une amende d’un milliard (1.000.000.000) de
FCFA. Ces sanctions faisaient suite à la violation par les opérateurs
concernés du décret n°215/3759/PM du 03 septembre 2015 fixant
les modalités d’identification des abonnés et des terminaux qui
interdit notamment la commercialisation des cartes SIM pré-
activées, la commercialisation des cartes SIM dans les rues, la
détention par des personnes physiques de plus de trois cartes SIM et
l’activation des numéros sans identification préalable67.
Au rang des ressources propres, figure enfin l’emprunt. Les
autorités de régulation ont la faculté de recourir aux emprunts
adossés sur leurs ressources propres. Elles peuvent également
bénéficier des emprunts contractés par l’Etat pour son compte.
La diversité des ressources propres est un atout, un élément
de sécurisation financière des organismes de régulation. Mais il ne
suffit pas d’avoir des ressources propres. Encore faut-il que les
organismes de régulation en aient une totale maitrise. Or, tel n’est
pas le cas.
2. Les facteurs explicatifs
La doctrine définit l’indépendance financière (ou budgétaire
du régulateur) comme « un financement quasi exclusif sur ressources propres
–dans lequel les dépenses de régulation sont essentiellement couvertes par
prélèvements sur le secteur considéré- qui se traduit par une autonomie

67 On peut également citer la décision de l’ART du 25 juillet 2011 rendue à


l’encontre de certains opérateurs de téléphonie mobile et d’internet. Il s’agit de
Orange Cameron, condamné à payer une amende de quatre milliards
(4.000.000.000) de FCFA pour l’établissement frauduleux de liaisons inter-
urbaines et pour l’utilisation sans autorisation de réserve de numérotation ; MTN
Cameroon, condamné à sept cent soixante-treize millions(773.000.000) de FCFA
pour ouverture frauduleuse de numérotation et l’exploitation sans autorisation de
nombreux canaux dans les bandes fréquences ; CAMTEL, condamné à huit cent
quatre-vingt-sept millions (887.000.000) de FCFA pour utilisation frauduleuse des
numéros courts ; RINGO (opérateur d’accès à internet) pour utilisation
frauduleuse de fréquences condamné à payer une amende de quatre cent vingt
millions (420.000.000) de FCFA.
104
Rafip n°6 – 2nd semestre 2019

budgétaire, et généralement gestionnaire de l’autorité régulatrice ».68 Ce schéma


qui, de l’avis de cet auteur, « resserre la chaine des responsabilités » et
« s’inscrit par là même dans la droite ligne de la réforme de l’État », comporte
également des risques liés à la mise sous tension de l’organisation, à
l’éventuelle opacité de la gestion et à la perte de contrôle de l’État.
Néanmoins et comme le souligne le Sénateur Patrice Gelard au sujet
des rapports entre la LOLF et les autorités administratives
indépendantes, la solution consistant à sortir ces dernières du
système budgétaire classique constituerait la seule façon de leur faire
bénéficier de ressources affectées. Elles auraient ainsi une liberté
dans leur utilisation. La seule solution possible serait de cumuler en
leur faveur et des ressources affectées, et une personnalité morale
attribuée69.
L’autonomie financière telle qu’actuellement reconnue au
Cameroun aux organismes de régulation par leurs textes
organisateurs n’est pas de celle qui permette de mettre ces
régulateurs en dehors du champ d’intervention du pouvoir
exécutif70. En effet, les organismes de régulation ont sur leurs
ressources propres une emprise résiduelle. Cela se justifie
principalement par l’omniprésence de l’Etat qui fixe le taux des taxes
affectées aux régulateurs, le montant des quotes-parts des droits qui
leur sont dévolus ou encore subordonne le recours à l’emprunt à
une autorisation préalable.
S’agissant des taxes parafiscales, les organismes de régulation
n’ont pas la capacité de décider de leur création, de leur modification
encore moins de leur suppression. Cette compétence est dévolue au
législateur qui peut à tout moment décider de créer une taxe,
modifier son taux ou la supprimer. Les organismes de régulation
n’ont d’autre choix que de se plier au taux préalablement définit par

68 O. Storch, « Les conditions et modalités budgétaires de l’indépendance du


régulateur », in M.-A. Frison-Roche, Les régulations économiques : légitimité et efficacité,
Presses de Sciences Po et Dalloz, 2004, p.68.
69 P. Gelard, Rapport sur les autorités administratives indépendantes, Office parlementaire

d’évaluation de la législation, Tome II : Annexes, p.59


70 D. Keuffi, La régulation des marchés financiers dans l’espace OHADA. Thèse en droit,

Université de Strasbourg, 25 mars 2010, p.29


105
le législateur. C’est une application scrupuleuse de la Constitution
qui réserve au législateur « la création des impôts et taxes et la
détermination de l’assiette, du taux et des modalités de recouvrement de ceux-
ci »71. En outre, les organismes de régulation n’ont aucune liberté
quant au prélèvement des taxes parafiscales. Ledit prélèvement est
subordonné à une autorisation législative ou réglementaire.
Les quotes-parts de certains droits et ressources obéissent à
la même logique. Leur détermination relève de la compétence
exclusive de l’Etat qui a seul la latitude de fixer leur montant en
fonction des critères qu’il aura seul définit. C’est le cas notamment
de la quote-part des droits d’entrée et de renouvellement sur le
marché des communications électroniques dont les taux sont fixés
par le gouvernement72. Par ailleurs, les fonds des organismes de
régulation sont versés et conservés dans un compte unique ouvert
au nom du trésor73. Cette centralisation financière est une preuve de
plus de la dépendance des régulateurs à l’égard de l’Etat. Il
semblerait donc que seuls les produits issus de la gestion du
domaine soient mieux maitrisés par les régulateurs. Encore que dans
cette hypothèse, la perception d’une recette issue du patrimoine doit
respecter le principe de la séparation des ordonnateurs et des
comptables. Or, comme on le verra dans la seconde partie, le
comptable public est un rouage de l’administration des finances qui
exerce un contrôle sur les opérations financières des organismes de
régulation.
Pour ce qui est des ressources d’emprunt, les restrictions à
l’autonomie peuvent par l’obligation faite aux organismes de
régulation d’obtenir une autorisation préalable de l’Etat. L’article 8
alinéa 1 de la loi portant régime financier de l’Etat et des autres

71 Article 26 alinéa d (3) de la loi n°96/06 du 18 janvier 1996 portant révision de la


Constitution du 02 juin 1972, modifiée et complétée par la loi n°2008/001 du 14
avril 2008.
72 Article 7 de l’arrêté n°00000006/MINPOSTEL/MINFI du 02 mai 2017 fixant

les montants et les modalités de paiement des droits d’entrée et de renouvellement


des licences dans le domaine des communications électroniques.
73 Article 79 alinéa 1 de la loi n°2018/012 du 11 juillet 2018 portant régime

financier de l’Etat et des autres entités publiques.


106
Rafip n°6 – 2nd semestre 2019

entités publiques74 dispose à cet effet que : « Les administrations


publiques et les bailleurs de fonds internationaux doivent informer le ministre
chargé des finances de tout financement apporté aux entités publiques ou à la
réalisation de projets et d’activités d’intérêt général » et, poursuit l’alinéa 2,
« la mise en place de ces financements est soumise à l’approbation préalable du
ministre chargé des finances (…) ». Les organismes de régulation n’ont
donc pas la liberté de recourir à l’emprunt. Ils doivent préalablement
obtenir l’autorisation du ministre des finances qui se prononcera au
vu de la capacité financière des régulateurs.
A côté de l’action de l’Etat, la faible maitrise des ressources
propres peut aussi résulter de la force attachée aux sanctions
financières prononcées par les organismes de régulation. S’agissant
particulièrement de l’ART, si ses décisions imposent la plupart du
temps le délai dans lequel l’obligé doit s’exécuter, le respect de ce
délai n’est soumis à aucune mesure coercitive et préventive figurant
dans ses décisions. Au titre qu’il n’existe pas de sanction
administrative sans texte, l’ART ne dispose d’aucun pouvoir en
dehors de l’ouverture d’une nouvelle procédure a posteriori, pour
sanctionner immédiatement et indépendamment du non-respect de
ses décisions, le retard pris dans leur exécution même lorsque celui-
ci est manifestement injustifié. Les sanctions de l’ART ne peuvent
ainsi être assorties d’astreintes contraignant l’obligé à exécuter la
décision dans les délais impartis sous peine de se voir condamner à
une amende supplémentaire d’un montant fixe par jour de retard. Ce
sont sans doute ces lacunes qui expliquent la réticence des
opérateurs à s’exécuter lorsqu’ils font l’objet de sanctions
disciplinaires. Cela induit fatalement des pertes financières
importantes pour le régulateur.
L’étude du régime financier des organismes de régulation
révèle une emprise limitée de ces derniers sur leurs ressources
financières. Elle traduit l’absence d’autonomie financière et leur
dépendance aux concours financiers de l’Etat. L’action de l’Etat ne
s’arrête cependant pas aux sources de financement. Elle se manifeste

74 Ibid.
107
en outre par des contrôles resserrés exercés par l’Etat sur les
organismes de régulation.
II. L’emprise étatique resserrée sur l’autonomie financière des
organismes de régulation
Les organismes de régulation pour mener à bien leurs
missions ont besoin d’une certaine liberté d’action. Ils doivent être
autonome aussi bien à l’égard du pouvoir politique75 que des acteurs
régulés76. La spécificité de leurs actions et la sensibilité de leur
domaine d’intervention, imposent en principe qu’ils soient soumis à
des contrôles allégés. Tel n’est pas le cas au Cameroun où le
contrôle se révèle excessif. Les organismes de régulation sont pris en
étau entre une tutelle financière omniprésente (A) et un contrôle
juridictionnel a posteriori (B).
A. L’omniprésence de la tutelle financière
La tutelle financière sur les organismes de régulation est
exercée par l’Etat, notamment par le biais de son ministère des
finances. Si des contrôles sont nécessaires du fait du caractère public
des ressources de ces organismes, ils doivent néanmoins tenir
compte de leur spécificité. Or au Cameroun, le jurislateur soumet les
organismes de régulation au même titre que les autres établissements
publics, à un contrôle administratif tracassier. Celui-ci s’exerce aussi
bien au moment de la prise de la décision financière (1) qu’en cours
d’exécution du budget (2).
1. L’approbation ministérielle préalable du budget
La prise de la décision financière se manifeste par
l’élaboration et l’adoption du budget. Cette attribution relève de la
compétence des organes dirigeants des organismes de régulation. Il
s’agit là d’un indice important de leur autonomie financière. En tant
qu’établissement public doté de la personnalité juridique, les

75 J.Ph.Kovar, « L’indépendance des autorités de régulation financière à l’égard du


pouvoir politique », Revue française d’administration publique 2012/3, n°143, p.662
76 G.Dezobry, « L’indépendance des autorités de régulation économique à l’égard

des opérateurs régulés », Revue française d’administration publique, 2012/3, n°143,


p.645
108
Rafip n°6 – 2nd semestre 2019

organismes de régulation se sont vus reconnaitre la capacité


d’élaborer et d’adopter leur budget.
Les textes relatifs à leur organisation ne laissent planer aucun
doute à ce propos. Ainsi, l’article 20 alinéa 2 du décret portant
organisation et fonctionnement du CNC dispose que le budget du
Conseil est inscrit au budget des services du Premier ministre. Il est
préparé par le Secrétaire général et adopté par le Conseil. L’article 22
du décret organisant l’ARMP rappelle en son alinéa 2 que le projet
de budget annuel et les plans d’investissement de l’Agence sont
préparés par le Directeur général, adoptés par le Conseil
d’administration. La même formule est reprise à l’article 16 alinéa 2
du décret organisant l’AER qui reconnait qualité au Directeur
général pour préparer le budget dont l’adoption relève de la
compétence du Conseil d’administration. Il en est de même à
l’article 26 du texte organisateur de l’ART qui prévoit que le projet
de budget annuel et les plans d’investissement de l’Agence sont
préparés par le Directeur général et adoptés par le Conseil
d’administration. Cette formule est reprise en termes presque
identiques aux articles 28 du décret organisant l’ANTIC, 43 alinéa 1
du décret relatif à la CCA et 44 alinéa 1 du décret réorganisant
l’APN.
L’autonomie ainsi proclamée aurait une portée réelle si dès
leur adoption les budgets des organismes de régulation étaient
exécutoires de plein droit. Or, à ce stade, l’intervention de l’Etat est
plus que manifeste. Elle se traduit par l’hypertrophie des opérations
de contrôle a priori, diligentés par la double tutelle technique et
financière de l’Etat sur les organismes de régulation77. La tutelle
financière est exercée par le ministre des finances. Il dispose d’un
pouvoir d’approbation sur les budgets adoptés. Il a ainsi la
possibilité d’apporter des amendements au budget, de demander aux
organismes de régulation de revoir leur copie, bref de respecter les
règles budgétaires. Un tel aménagement institutionnel est porteur

77C. Monembou, La double tutelle de l’Etat sur les établissements publics au Cameroun,
Mémoire de DEA en droit public, Université de Yaoundé II, 2005-20 !06,
120pages.
109
d’insinuations théoriques sinon négationnistes, du moins attentatoire
à l’autonomie fonctionnelle du régulateur. Car, l’approbation
préalable du budget du régulateur, dans sa phase d’élaboration, par
arrêté ministériel s’assimile à un transfert de la décision financière
des régulateurs vers l’autorité de tutelle78. En tout état de cause,
l’approbation tutélaire du budget préalablement à son exécution,
s’analyse comme une restriction substantielle de l’autonomie
financière des organismes de régulation. Cette formalité sinon
autoritaire, du moins interventionniste, constitue un instrument
juridique de contrôle des choix budgétaire de l’organe central sur
ceux des régulateurs79.
L’approbation tutélaire préalable contraste avec les qualités
de célérité et d’efficacité qui sont requises du régulateur. Il serait
judicieux si l’on veut donner tout son sens à la notion d’autonomie
financière, de supprimer cette formalité qui traduit un certain
anachronisme du droit financier camerounais.
Le contrôle de l’Etat s’exerce dès l’entame du processus
budgétaire. Il ne s’arrête cependant pas là puisqu’il se poursuit en
cours d’exécution du budget.
2. L’action concomitante des représentants de
l’administration des finances
En cours d’exécution du budget, le contrôle sur les
organismes de régulation est exercé principalement par deux agents
représentant l’administration des finances : le contrôleur financier et
l’agent comptable.
Fonctionnaire nommé par arrêté du ministre des finances, le
contrôleur financier joue un rôle ambivalent. Il est d’abord le
représentant du ministre des finances auprès de l’organisme de
régulation. A ce titre, il est chargé d’une part, de faire respecter la
réglementation budgétaire, d’autre part d’informer le ministre des

78 S. Akono.Ongba, « L’autonomie financière des établissements publics


universitaires en Afrique noire francophone », Revue Cames, n°spécial, avril 2019,
p.23.
79 Ibid.p.24

110
Rafip n°6 – 2nd semestre 2019

finances sur la situation financière de cet organisme80. Il dresse


systématiquement un rapport sur l’exécution du budget de l’Agence.
Copie en est transmise au ministre des finances qui assure la tutelle
financière. Mais au-delà de sa mission première de contrôle, le
contrôleur financier joue aussi un rôle de conseiller financier auprès
du gestionnaire des crédits81.
La présence d’un contrôleur financier au sein des organismes
de régulation pose inévitablement la question de leur autonomie
financière. Intervenant dans le circuit de la dépense publique, le
contrôleur financier a la latitude d’apposer ou non son visa sur une
proposition d’engagement. Il peut ainsi seul paralyser la bonne
marche de l’organisme de régulation. Le régulateur ne peut d’ailleurs
passer outre au refus de visa à une proposition jugée irrégulière par
le contrôleur financier. S’il maintient sa demande, il doit porter
l’affaire devant le ministre des finances dont l’avis conforme est
nécessaire pour passer outre au véto apposé par le contrôleur
financier. C’est du moins ce que souligne l’article 10 alinéa 4 du
décret n°77/41 du 03 février 1977 fixant les attributions et
l’organisation des contrôles financiers : « un rejet définitif opposé par le
contrôleur financier à un acte ne peut être levé que sur instruction écrite de son
supérieur hiérarchique (le ministre des finances) (…) ». Cette procédure
tracassière est un frein à l’efficacité de l’action des organismes de
régulation. Finalement, le sort des dépenses engagées dépend de
l’administration des finances. Une telle influence est
fondamentalement incompatible avec l’autonomie proclamée des
régulateurs. Pourtant, l’indépendance des organismes de régulation
constitue leur vertu cardinale82. C’est la plus essentielle et la plus
fragile de leur qualité83. C’est sans doute pour préserver cette
indépendance précaire que le législateur français a assoupli le
contrôle financier pesant sur eux. En effet, les autorités

80 P. Lalumière, Les finances publiques, Paris, Armand Colin, coll. U, 8 ème éd.1986,
p.461
81 E.C. Lekene Donfack, Finances publiques, Paris, Berger-Levrault, coll.Mondes en

devenir, 1987, p.317


82O. Douvreleur, « L’indépendance de l’autorité des marchés financiers », Revue

française d’administration publique, 2012/3, n°143, p.749.


83 M.A. Frison-Roche, « Régulateurs indépendants versus LOLF », op.cit.70.

111
indépendantes de régulation économique dotées o non d’un budget
autonome sont en principe exclues du champ d’application de la loi
du 10 aout 1922 relative à l’organisation du contrôle des dépenses
engagées84. Ce texte soustrait les autorités de régulation de l’emprise
du contrôleur financier. Elles sont uniquement soumises au seul
contrôle a posteriori de la Cour des comptes. Le Gabon a opté pour
une solution similaire. Il soumet l’Agence des télécommunications
au seul contrôle de la Cour des comptes85.
L’autonomie véritable du régulateur passe par l’allègement
du contrôle financier. En contrepartie, il est nécessaire de rendre
systématique le contrôle parlementaire plus compatible avec
l’autonomie recherchée du régulateur.
La réalisation des opérations de recettes et de dépenses
comporte dans l’organisation financière, deux phases essentielles :
une phase administrative au cours de laquelle est prise la décision de
dépenser ou de percevoir une recette, et une phase comptable au
cours de laquelle est effectué le paiement de la dépense ou le
recouvrement de la recette. Ces deux phases fondamentalement
différentes ont été confiées à deux corps d’agents publics
indépendants l’un de l’autre, les ordonnateurs et les comptables qui
appartiennent à des hiérarchies administratives distinctes. La phase
administrative est dévolue à l’ordonnateur86. D’ailleurs, les textes
portant organisation et fonctionnement des organes de régulation
désignent le président/directeur général comme l’ordonnateur du
budget87. Quant à la phase comptable, elle relève de la compétence
du comptable agent nommé par arrêté du ministre des finances. Il

84 E. Oliva, « L’autonomie budgétaire et financière des autorités de régulation


économique », op.cit.p.345
85 Article 138 de la loi n°05/2001 du 27 juin 2001 portant réglementation du

secteur des télécommunications en République Gabonaise.


86 S. Thébault, L’ordonnateur en droit public financier, LGDJ, 2007, 386 pages.
87 Article 19 alinéa 2 du décret n°2012/038 du 23 janvier 2012 portant

réorganisation du CNC, article 43 alinéa 1 du décret n°2019/172 du 05 avril 2019


portant réorganisation de l’APN, article 42 alinéa 1 du décret n°2019/174 du 09
avril 2019 portant réorganisation et fonctionnement de la CCA, article 27 alinéa 1
du décret n°2012/180 du 10 avril 2012 portant organisation et fonctionnement de
l’ANTIC, article 25 alinéa 1 du décret n°2012/203 du 20 avril 2012 portant
organisation et fonctionnement de l’ART…
112
Rafip n°6 – 2nd semestre 2019

n’est donc pas le subordonné de l’ordonnateur bien qu’exécutant ses


décisions. La présence des comptables publics au sein des
organismes de régulation est une autre facette de l’atteinte à leur
autonomie.
Concrètement, le comptable public est chargé entre autres,
de vérifier la conformité à la légalité budgétaire des actes de
l’ordonnateur. Il peut exiger un certain nombre de pièces
justificatives avant de payer. Il peut refuser de payer dans certaines
situations : en cas d’insuffisance des fonds disponibles, de dépense
mandatée sur des crédits irrégulièrement ouverts ou insuffisants ou
sur des crédits autres que ceux sur lesquels elle devrait être imputée,
d’absence de service fait, ou de défaut du caractère libératoire du
règlement. L’ordonnateur peut cependant adresser au comptable
public un ordre de réquisition auquel il est tenu de déférer, sauf en
cas d’insuffisances de fonds disponibles, de dépense ordonnancée
sur des crédits irrégulièrement ouverts ou insuffisants88. L’agent
comptable au même titre que le contrôleur financier adresse au
ministre des finances un rapport sur l’exécution financière des
organismes de régulation.
Le contrôle financier a priori annihile toute idée d’autonomie
financière réelle des organismes de régulation. Parfois jugé tatillon, il
se mue le plus souvent en contrôle d’opportunité occasionnant des
conflits avec l’ordonnateur et grippant le fonctionnement de la
machine administrative. L’autonomie financière des organismes de
régulation serait mieux préservée si le contrôle intervenait
uniquement a posteriori.
B. Le contrôle juridictionnel a posteriori
En sus du contrôle administratif, les organismes de
régulation sont également soumis à un contrôle juridictionnel a
posteriori. Ce contrôle est de nature à garantir l’autonomie
fonctionnelle du régulateur pour au moins deux raisons. D’une part,
il est réalisé par une juridiction qui est en principe indépendante par

88Article 18 alinéa 3 du décret n°2013/160 du 15 mai 2013 portant règlement


général de la comptabilité publique.
113
rapport au gouvernement et au parlement ainsi qu’autonome dans
ses attributions. D’autre part, il intervient a posteriori89. Le contrôle
juridictionnel sur les opérations financières des organismes de
régulation est exercé principalement par le juge des comptes (1) et
accessoirement par le juge administratif (2).
1. L’office de la chambre des comptes
Le contrôle juridictionnel des opérations budgétaires et
comptables des organismes de régulation est assuré à titre principal
par la juridiction des comptes. Sa compétence s’exerce à l’égard de
tous les comptables publics patents qui agissent en vertu d’un titre
légal, mais également à l’égard de toutes personnes qui sans y être
officiellement habilitées, ont effectué des opérations réservées aux
comptables publics et se sont constitués par là-même comptables de
fait90.
Le contrôle s’effectue suivant diverses modalités. D’abord, la
Chambre statue en matière juridictionnelle sur les comptes remis par
les comptables ou les agents comptables des organismes de
régulation. Ainsi, elle se prononce sur l’emploi régulier des crédits,
c’est-à-dire sur la conformité des opérations financières aux textes
en vigueur. La loi portant régime financier de l’Etat et des autres
entités publiques91 semble ouvrir la porte à un contrôle
d’opportunité. Elle attribue la compétence à la Chambre des
comptes pour évaluer l’économie, l’efficacité et l’efficience de
l’emploi des fonds publics au regard des objectifs fixés, des moyens
utilisés et des résultats obtenus ainsi que la pertinence et la fiabilité
des méthodes, indicateurs et données permettant de mesurer la
performance des politiques et des administrations publiques. Il
s’agit à l’évidence du contrôle sur le bon emploi des crédits. En
outre, la Chambre des comptes peut élaborer des rapports sur les

89 E.Oliva, « L’autonomie budgétaire et financière des autorités de régulation


économique », op.cit.p.341.
90 Article 2 alinéa 1 de la loi n°2003/005 du 21 avril 2003 fixant les attributions et

le fonctionnement de la Chambre des comptes de la Cour suprême.


91 Loi n°2018/012 du 11 juillet 2018.

114
Rafip n°6 – 2nd semestre 2019

organismes de régulation92. Enfin, elle peut être saisie d’une


demande d’enquête par les commissions parlementaires chargées
des finances93. Or, ce dernier aspect assez peu développé, serait de
nature à renforcer le contrôle du parlement sur les organismes de
régulation.
Initialement limitée à la connaissance des comptes des
comptables patents ou de fait, la compétence de la juridiction des
comptes a été récemment étendue aux ordonnateurs. Cette
innovation est l’œuvre de l’article 86 alinéa 3 de la loi portant régime
financier de l’Etat et des autres entités publiques. L’extension de la
compétence de la juridiction des comptes aux ordonnateurs s’inscrit
en droite ligne de la nouvelle gouvernance financière94 qui impose
davantage de transparence et d’efficacité de l’action publique95. Cette
approche a pour principal objectif de mettre en place un système de
gestion par la performance96. Elle accorde une place majeure aux
résultats et met la performance au cœur de toute action de l’Etat.
L’ordonnateur doit désormais rendre compte de sa gestion. Ainsi,
les ordonnateurs des organismes de régulation au même titre que
ceux des autres entités publiques sont désormais soumis au contrôle
financier de la juridiction des comptes. Il en sera ainsi lorsqu’ils se
seront rendus coupables de faute de gestion. Est considéré comme
tel tout acte, omission ou négligence commis par un agent de l’Etat,
d’une collectivité territoriale décentralisée ou d’une entité publique,
par tout représentant administrateur ou agents d’organismes
manifestement contraire à l’intérêt général.
Le législateur à la suite de la définition de la faute de gestion,
a pris le soin d’en déterminer les éléments constitutifs. Il s’agit de la

92 Chaque année, la Chambre des comptes dresse un rapport sur la situation


financière des entités publiques ou d’organismes bénéficiant d’une subvention
étatique.
93 Article 85 alinéa 9 de la loi n°2018/012 du 11 juillet 2018 portant régime

financier de l’Etat et des autres entités publiques.


94 B. Abate, La nouvelle gestion publique, op.cit.p.60.
95 S. Flizot, « Le contrôle des gestionnaires publics par la Cour des comptes »,

Politiques et management public, n°4, 2007, p.142.


96 H. Guillaume, D. Guillaume et F. Silvent, Gestion publique : l’Etat et la performance,

Paris, Presses de sciences po et Dalloz, coll « amphithéatre », 2002, p.2.


115
violation des règles relatives à l’exécution des recettes et des
dépenses de l’Etat et des autres entités publiques ; la violation grave
et répétée des règles de comptabilisation des produits et des charges
applicables à l’Etat et aux autres entités publiques ; la violation des
règles relatives à la gestion des biens appartenant à l’Etat et aux
autres entités publique ; le fait pour toute personne dans l’exercice
de ses fonctions ou attributions d’enfreindre les dispositions
législatives ou réglementaires destinées à garantir la liberté d’accès et
l’égalité des candidats dans les contrats de commande publique ; le
fait d’avoir entrainé la condamnation d’une personne morale de
droit public ou d’une personne de droit privé chargée de la gestion
d’un service public, en raison de l’inexécution totale ou partielle ou
de l’exécution tardive d’une décision de justice ; le fait pour toute
personne dans l’exercice dans l’exercice de ses fonctions ou
attributions, de causer un préjudice à l’Etat ou à une entité publique,
par des agissements manifestement incompatibles avec les intérêts
de l’Etat ou de l’organisme, par des carences graves dans les
contrôles qui lui incombaient ou par des omissions ou négligences
répétées dans son rôle de direction ; les négligences dans la gestion
du budget, le suivi des crédits, la mise en œuvre de la dépense ainsi
que la liquidation de la recette ; l’imprévoyance caractérisée résultant
de la consommation des crédits pour des dépenses d’intérêt
secondaire au détriment des dépenses indispensables et prioritaires
du service et enfin, la mise en œuvre de moyens manifestement
disproportionnés ou inadaptés aux objectifs poursuivis par le
service97.
En cas de faute de gestion dument constatée, la juridiction
des comptes sanctionne l’ordonnateur indélicat par des amendes.
L’action du juge administratif s’inscrit dans la même veine.
2. L’office du juge administratif
Les actes budgétaires des organismes de régulation peuvent
faire l’objet d’un contrôle de légalité du juge administratif. Il est en
effet admis que le juge administratif est le juge des actes

97Article 88 alinéa 2 de la loi n°2018/012 portant régime financier de l’Etat et des


autres entités publiques.
116
Rafip n°6 – 2nd semestre 2019

réglementaires d’exécution du budget98. En tant qu’actes


administratifs, les actes budgétaires sont soumis au contrôle de
légalité de droit commun. Ce contrôle porte aussi bien sur la légalité
externe qu’interne.
Le contrôle de légalité externe des actes budgétaires est
relatif à la compétence de l’auteur, au respect des procédures légales
et règles de forme. Agir dans la limite de sa compétence constitue la
première obligation de l’autorité administrative99. Elle garantit le
respect des principes de hiérarchie comme d’autonomie100. Ainsi, le
jurislateur a procédé à une répartition claire des compétences entre
les organes directeurs des organismes de régulation. Il s’agit ici de la
compétence ratione materiae. Tout dépassement par le directeur
général ou le conseil d’administration de sa compétence matérielle
peut faire l’objet d’un recours contentieux par toute personne ayant
qualité. Dans la même veine, le contrôleur financier ainsi que l’agent
comptable ne peuvent s’arroger les compétences du directeur
général encore moins du conseil d’administration. Dans tous les cas,
les acteurs intervenant en matière budgétaire ont l’obligation de
respecter leur sphère de compétence sous peine de voir leurs actes
annulés par le juge de l’excès de pouvoir. Le respect des règles de
compétences est d’autant plus important qu’il s’agit d’un moyen
d’ordre public101.
L’adoption du budget des organismes de régulation obéit à
une procédure bien déterminée. Elaboré par le directeur général, il
est adopté par le Conseil d’administration. Mais il ne devient
exécutoire qu’après approbation par le ministre des finances chargé
de la tutelle financière. L’approbation ministérielle constitue une
formalité substantielle. Son non-respect entraine l’illégalité du
budget adopté pour vice de procédure.

98 N. Mede et E. Toni, « Le droit public financier, un droit spécialisé ? », Afrilex,


septembre 2016, p.10.
99 P-L. Frier et J. Petit, Droit administratif, Paris, LGDJ, 11 ème éd.2017-2018, p.623.
100 Ibid, p.624.
101 A. Nga Ngono, L’élaboration des moyens d’ordre public en contentieux administratif

camerounais. Thèse doctorat/Ph.D en droit public, Université de Yaoundé II, 2016,


471 pages.
117
Le vice de forme102, qui se distingue clairement du vice de
procédure, doit être entendu au sens strict. Il sanctionne la violation
des règles relatives à l’exigence en certains cas d’un acte écrit, à la
motivation de l’acte, à sa signature et aux mentions permettant
d’identifier l’auteur. Le budget doit être présenté sous forme de
sous-programmes cohérents. Il en est ainsi depuis l’abandon par le
Cameroun du budget de moyens et son arrimage à la budgétisation
par programme. La violation de la forme ainsi prescrite par le
jurislateur est constitutive de vice de forme.
Le contrôle de légalité interne des actes budgétaires portera
quant à lui sur le but de l’acte, la violation directe de la règle de droit
et les motifs attachés à l’acte.
Le budget des organismes de régulation vise la réalisation
des objectifs de politique publique nationale ou sectorielle. Ces
objectifs sont fixés dans la circulaire présidentielle qui détermine
chaque année les grandes orientations en matière financière. Tout
ordonnateur qui élaborerait son budget en méconnaissance des
objectifs ainsi visés, commettrait un excès de pouvoir. Bien plus, le
budget des organismes de régulation doit respecter les textes qui lui
sont supérieurs. Dans le cas contraire, le juge administratif le
sanctionnerait pour non-respect de la hiérarchie des normes. Enfin,
le juge administratif interviendra lorsque les agents d’exécution de la
dépense publique se seront rendus coupables d’erreur de droit ou
lorsque leurs décisions se seront fondées sur des faits matériellement
inexacts.
Le contrôle de légalité des actes budgétaires parait bien
théorique au Cameroun en l’absence de jurisprudence administrative
en la matière. Mais cela n’hypothèque nullement sa qualité de juge
financier103. Le contrôle juridictionnel apparait in fine préférable au
contrôle administratif qui réduit à néant toute idée d’autonomie
financière des organismes de régulation. C’est le seul qui nous

102 L. Ousseni, Les modalités de la violation de la loi en droit administratif camerounais.


Mémoire de DEA en droit public, Université de Yaoundé II, 2007-2008, 121
pages.
103 S. Damarey, Le juge administratif, juge financier, Paris, Dalloz, 2001, 538 pages.

118
Rafip n°6 – 2nd semestre 2019

semble plus compatible avec l’autonomie financière des régulateurs


et de nature à leur permettre de jouer pleinement leurs rôles.
Conclusion
Au terme de l’étude, un constat s’impose : le régime financier
des organismes de régulation n’est pas de nature à garantir leur
autonomie financière. Cette conclusion se fonde sur un certain
nombre de considérations.
D’une part, les organismes de régulation ont une maitrise
limitée de leurs ressources financières. En effet, elles n’ont aucun
pouvoir sur les financements étatiques. Ceux-ci sont accordés
unilatéralement par l’Etat qui, au besoin, peut s’en servir comme un
moyen de pression sur les régulateurs. Et, même lorsqu’ils sont
dotés de ressources propres, les organismes de régulation n’ont sur
elles qu’un pouvoir résiduel. C’est encore l’Etat qui fixe le taux des
droits, taxes et redevances dévolus aux régulateurs. Or, la possession
de ressources propres et en quantité suffisante est un indicateur
essentiel de l’autonomie financière des organismes de régulation104. Il
apparait que le financement des organismes de régulation s’opère
par des ressources multiples.
D’autre part, l’Etat exerce une tutelle étouffante et
asphyxiante sur les régulateurs. L’approbation tutélaire préalable du
budget opère un transfert de la décision financière des organes de
régulation vers le ministre des finances. De même, les contrôles
effectués par les représentants de l’administration des finances
outrepassent quelque fois la vérification de la seule régularité des
opérations financières à laquelle ils devraient se limiter. La
personnalité juridique et l’autonomie financière proclamées des
régulateurs se rognent les ailes à l’aune de l’étude de leur régime
financier.
Une consolidation de l’autonomie financière des organismes
de régulation est donc nécessaire.

104G. Vedel et P. Delvové, Droit administratif, tome II, Paris, PUF, 12ème éd., 1992,
p.357.
119
Elle passe d’abord par la réduction de la dépendance
financière des régulateurs à l’égard des subventions étatiques. Il est
tout à fait symptomatique de constater qu’un régulateur comme le
CNC qui intervient dans le domaine sensible de l’information et de
la communication vit essentiellement des subventions de l’Etat. Son
budget est en effet rattaché à celui du Premier ministre. Ensuite, il
faut promouvoir un financement exclusif sur ressources propres,
afin de faire passer l’autorité de régulation de la simple autonomie
financière à une véritable indépendance. Enfin, Il faut réformer la
tutelle financière. Il ne s’agit point de militer ici pour sa suppression
totale, mais plutôt pour son allègement. Les contrôles étatiques sont
certes indispensables pour maintenir une certaine discipline
financière. Mais poussés à l’extrême, ils deviennent paralysants. La
réforme de la tutelle financière suppose donc la suppression du
contrôle a priori et le maintien du seul contrôle a posteriori. Une telle
architecture a le mérite de laisser les mains libres aux autorités de
régulation dans la gestion de leurs opérations financières. En
contrepartie de cette autonomie renforcée, il est impératif de rendre
systématique le contrôle parlementaire et la reddition des comptes.
L’étude du régime financier des organismes de régulation
révèle au grand jour les contraintes auxquelles ils font face. Elle
permet d’établir le parallèle entre la décentralisation fonctionnelle et
la décentralisation territoriale. Les problèmes rencontrés ici et là
sont quasiment les mêmes. Absence de moyens financiers, contrôle
financier de l’Etat qui annihile toute velléité d’autonomie. Pourtant,
la crédibilité du régulateur notamment du point de vue de son
impartialité est de nature à attirer de nouveaux opérateurs sur le
marché. Il y a donc urgence à mieux encadrer cette décentralisation
administrative silencieuse de l’Etat si l’on souhaite que les
organismes de régulation jouent pleinement leur partition et ne
soient plus considérés comme de simples rouages de
l’administration.

120
Rafip n°6 – 2nd semestre 2019

LA PROTECTION JURIDIQUE DE LA QUALITE


D’ORDONNATEUR COMMUNAL EN FINANCES
LOCALES AU CAMEROUN
Par
Dr TENKEU Victor Aurélien
Ph.D en Droit public
Faculté des Sciences Juridiques et Politiques
Université de Dschang

Introduction

Une des finalités du droit est la protection des institutions


publiques, tant des fonctions que des organes qui les constituent. Le
droit protège aussi bien une fonction reconnue par la collectivité1
que la personne ou l’organe qui la porte. Hans KELSEN distingue
dans ce sens la fonction visée ou la fonction d’organe et le sujet de
la fonction2. La fonction ne peut être réalisée que si le sujet en a
qualité. Si pour le maître de vienne la qualité d’organe en tant qu’il
exerce une fonction est attribuée, ou rapportée par cette collectivité,
la même qualité doit être protégée par l’ordre normatif qui fonde la
collectivité3.
Cette construction théorique kelsénienne de la protection de
la qualité d’organe reçoit illustration en droit positif au Cameroun.
On peut ainsi penser à la protection juridique de la qualité
d’ordonnateur et de comptable en droit public financier au
Cameroun. Si la qualité de comptable public se présente aujourd’hui
plus élaborée et mieux construite, bénéficiant d’un encadrement
juridique renforcé4, la qualité d’ordonnateur ne l’est pas par contre.

1 La collectivité renvoie à une pluralité d’individus ou encore à l’ordre normatif qui


règle la conduite d’une pluralité d’individus. Cf. KELSEN (Hans), Théorie pure du
droit, Paris, Dalloz, trad. Charles EISENMANN, 1962, p. 200.
2 KELSEN (Hans), Théorie pure du droit, op. cit., pp. 200-210.
3 Idem, p. 200.
4 Cf. respectivement les articles 71 et 14 à 44 de la loi n°2018/012 du 11 juillet

2018 portant régime financier de l’Etat et des autres entités publiques et du décret
n°2013/160 du 15 mai 2013 portant règlement général de la comptabilité
publique. Lire aussi GOUDEM LAMENE (Berthelot), « Les comptables publics
dans le nouveau régime financier de l’Etat au Cameroun », in ONDOA (Magloire)
121
A titre d’exemple, les comptables publics sont des agents
régulièrement préposés aux comptes publics et bénéficient d’un
statut précis5. Les ordonnateurs quant-à-eux se trouvent dans une
situation peu définie. Ils ne bénéficient pas en réalité d’un statut6, ou
d’un encadrement juridique élaboré à l’aune de celui des comptables.
Au total, l’appréhension de la qualité d’ordonnateur en droit public
financier reste encore une entreprise malaisée.
Malaisée, elle l’est d’avantage en ce qui concerne la qualité
d’ordonnateur du budget des communes7. Tel un legs colonial, la
qualité d’ordonnateur communal s’est construite au Cameroun de
façon laborieuse, partagée entre les compétences de l’administration
centrale et locale. Un bref aperçu historique renseigne sur
l’évolution de la qualité d’ordonnateur communal, sortie d’une totale
soumission à une autonomisation. En réalité, c’est avec
l’introduction progressive du mouvement de décentralisation au
Cameroun, et précisément le transfert des compétences des autorités
centrales aux autorités locales, qu’on peut remonter la qualité
d’ordonnateur communal. De l’ex-Cameroun sous domination
anglaise8 au Cameroun sous domination française, la qualité

(dir.), L’Administration publique camerounaise à l’heure des réformes, Harmattan


Cameroun, 2012, pp. 275-307.
5 Sur la question du statut des comptables en droit public financier, cf.

AKHOUNE (Farhana), Le statut du comptable en droit public financier, Paris, LGDJ,


2008, 467 p.
6 Cf. THEBAULT (Stéphane), L’ordonnateur en droit public financier, Paris, LGDJ,

2007, p. 6.
7 Cf. TENKEU (Victor Aurélien), La qualité d’ordonnateur du budget des communes en

finances publiques locales au Cameroun, Thèse de Doctorat/Ph.D en droit public,


Université de Dschang, 2018, 423 p.
8 Ce sont les anglais – à travers l’administration indirecte ou « indirect rule » - qui

vont poser les prémices du mouvement de décentralisation au Cameroun par la


création dès 1922 des Native Courts. Par la suite, le Cameroun étant administré
comme une province nigériane, une loi nigériane de 1948 y créa 24 Natives
authorities, structures locales placées sous la direction d’autorités traditionnelles et
détenant le pouvoir de légiférer et d’établir des impôts sous le contrôle des districts
officers, sorte de préfets de l’époque. Ces structures locales étaient gouvernées par
des autorités nommées comparables à des ordonnateurs communaux. Cf.
TENKEU (Victor Aurélien), La qualité d’ordonnateur du budget des communes en finances
publiques locales au Cameroun, op. cit., p. 30 ; NGONO TSIMI (Landry), L’autonomie
administrative et financière des collectivités territoriales décentralisées : l’exemple du Cameroun,
Thèse de doctorat en Droit, Université Paris-Est Créteil, 2010, p. 30 ; HOND
122
Rafip n°6 – 2nd semestre 2019

d’ordonnateur est déjà une réalité juridique, mais encore latente.


Dans la partie du Cameroun sous domination française, les
premières communes naissent avec l’arrêté du 25 juin 1941 du
gouverneur français, qui crée dans les deux plus grandes
agglomérations du pays les communes mixtes de Douala et de
Yaoundé9. Ces communes étaient dirigées par des administrateurs-
maires et une commission municipale tous désignés par le gouverneur
français. L’administrateur-maire paraissait comme un ordonnateur
communal sous le contrôle du gouverneur français, et n’avait en
réalité pour rôle que d’alléger les tâches financières dudit
gouverneur. Le décret du 19 novembre 1947 portant réorganisation
du régime municipal allait créer de nouvelles communes. Ces
nouvelles communes étaient placées sous la présidence d’un maire
désigné soit par une commission municipale nommée par le Haut-
Commissaire, soit par un conseil municipal élu. Ce fut l’avancée vers
l’institution des autorités exécutives communales autonomes.
Cette situation demeure inchangée jusqu’à l’adoption de la
première Constitution de l’Etat unitaire du Cameroun en 1972, et
plus précisément, lorsque apparaît la loi portant organisation
communale de la République unie du Cameroun du 5 décembre
197410. Cette dernière loi sera subséquemment modifiée par les lois
n°87/15 du 15 juillet 1987 et n°92/003 du 14 août 1992. Ces
différents textes ont institués trois types de communes : les
communautés urbaines avec à leur tête un délégué du gouvernement
nommé, les communes urbaines dirigées par le maire élu au sein du
conseil municipal et les communes rurales dirigées par un
administrateur-maire nommé. Cet administrateur-maire était le plus
souvent le sous-préfet de la localité qui cumulait ainsi les fonctions

(Jean Tobie), « Etat des lieux de la décentralisation territoriale au Cameroun », in


ONDOA (Magloire) (dir.), L’Administration publique camerounaise à l’heure des réformes,
Harmattan-Cameroun, 2012, p. 97 et PEKASSA NDAM (Gérard Martin), « La
classification des communes au Cameroun », Revue Africaine des Sciences Juridiques,
Vol.6, n°1, 2009, pp. 234 et s.
9 Cf. NGONO TSIMI (Landry), L’autonomie administrative et financière des collectivités

territoriales décentralisées : l’exemple du Cameroun, op. cit., p. 32.


10 Ibidem.

123
d’autorité administrative et de premier magistrat de la commune11.
Ces maires étaient des chefs d’institutions, des ordonnateurs
principaux soumis aux autorités étatiques et les règles relatives à leur
qualité d’ordonnateur étaient aussi peu définies.
Explicitement, la reconnaissance juridique de la qualité
d’ordonnateur communal est revenue à la loi du 5 décembre 1974.
L’article 138 de cette loi disposait à cet effet que « le maire est
l’ordonnateur du budget de la commune ». Cette disposition restait par
contre peu claire. Il était difficile de dire si le maire était un
ordonnateur principal, secondaire, délégué ou sous-ordonnateur12.
La difficulté était d’autant plus grande, car l’ordonnance de 1962
portant régime financier de l’Etat attribuait la qualité d’ordonnateur
au seul ministre des finances. Le maire n’étant pas a priori une
autorité administrative déconcentrée, il était par conséquent difficile
d’appréhender la qualité d’ordonnateur communal. Fort de cette
difficulté, le législateur en 2007 va réformer le régime financier de
l’Etat13, et en 2009 le régime financier des collectivités locales. La loi
du 10 juillet 2009 portant régime financier des Collectivités
territoriales décentralisées issue de cette dernière réforme, va
reconnaître la qualité d’ordonnateur au maire14, chef de l’exécutif
municipal. Reprenant le décret 15 mai 2013 portant Règlement

11 Cf. JIOFACK KITIO (Guillaume), La gestion communale au Cameroun à l’épreuve de


la cohabitation : cas de la commune urbaine à régime spéciale de Bafoussam, Mémoire de
Maîtrise en Droit Public et Carrières Administratives, Université de
Dschang/FSJP, Année académique 1996-1997, p. 3.
12 Sur cette classification, se référer à l’article 58 à 63 de l’Ordonnance n°62/OF/4

du 07 février 1962 portant régime financier de la République Fédérale du


Cameroun.
13 Voir loi n°2007/2006 du 26 décembre 2007 portant régime financier de l’État,

abrogée par la loi n°2018/012 du 11 juillet 2018 portant régime financier de l’Etat
et des autres entités publiques. Sur les dispositions pertinentes de cette dernière
loi, Cf. NGUIMFACK VOUFO (Théophile), « le droit budgétaire camerounais à
l’épreuve du droit communautaire CEMAC : commentaire de la loi n°2018/012 du 11 juillet
2018 portant régime financier de l’Etat et des autres entités publiques », Juridis Périodique,
n°116, octobre-novembre-décembre 2018, pp. 44-58.
14 L’article 54 de la loi n°2009/011 du 10 juillet 2009 portant régime financier des

collectivités territoriales décentralisées dispose que : « (…), le maire (…) est


l’ordonnateur du budget (…), de la commune ».
124
Rafip n°6 – 2nd semestre 2019

général de la comptabilité publique15, l’ultime tâche est revenue au


Code Général des Collectivités Territoriales Décentralisées (ci-après
CGCTD) d’apporter expressément la précision selon laquelle le
maire est un ordonnateur principal16. Ainsi, le maire cesse d’être un
agent ordinaire, mais une autorité dotée d’importants pouvoirs en
matière financière17.
Le législateur introduit dès lors le maire en plein cœur de
l’exécution des budgets publics18. Cette introduction par le biais de la
qualité d’ordonnateur parait ambiguë car, contrairement aux
receveurs municipaux, formés à l’exécution professionnelle des
finances publiques, aucune condition similaire n’est imposée au
maire. En plus, pour être maire, il faut au préalable remplir certaines
conditions, notamment celle relative à l’élection par les conseillers
municipaux19. Parmi ces conditions, il ne figure aucune obligeant le
future maire-ordonnateur, d’être doté de connaissances en matière
d’exécution des finances publiques20. Le droit de la décentralisation

15 L’article 11 du décret n°2013/160 du 15 mai 2013 portant Règlement général de


la comptabilité publique énumère à cet effet les chefs d’exécutif des Collectivités
territoriales décentralisées comme ordonnateurs principaux des budgets de leur
Collectivité.
16 L’article 434 alinéas 2 et 4 de la loi n°2019/024 du 24 décembre 2019 portant

Code Général des Collectivités Territoriales décentralisées dispose respectivement


que « le maire est l’ordonnateur du budget de la Commune, de la Communauté Urbaine et de la
Commune d’Arrondissement » ; « les autorités mentionnées aux alinéas 1, 2 et 3 ci-dessus sont
des ordonnateurs principaux ».
17 Cf. TENKEU (Victor Aurélien), La qualité d’ordonnateur du budget des communes en

finances publiques locales au Cameroun, op. cit., pp. 31 et 32.


18 Introduit dans un contexte empreint de technicité comptable et face à la

complexité de la gestion communale, les maires, sans véritable formation préalable


en matière financière, sont appelés dans la pratique à braver, voire dépasser les
techniques financières pour exercer pleinement leur magistère financier. Voir dans
ce sens VALLETOUX (Philippe), « Le maire, un financier pas comme les autres »,
Pouvoirs, n°148, Janvier 2014, pp. 33 et s.
19 L’article 175 de la loi n°2012/001 du 19 avril 2012 portant Code électoral fixe

les conditions suivantes : être de nationalité camerounaise ; résider dans le


territoire de la commune depuis au moins six mois ou y disposer d’un domicile
réel ; être âgé de vingt-trois ans révolus à la date du scrutin ; être inscrit sur une
liste électorale ; jouir de ses droits civiques ; savoir lire et écrire le français ou
l’anglais et être investi par un parti politique.
20 Le candidat au poste de conseiller municipal et puis de maire n’a donc pas

besoin d’une formation particulière. Il ne doit juste pas être analphabète. Cette
condition reste toutefois peu respectée car, selon les résultats de l’Enquête 2010
125
réserve alors exclusivement la qualité d’ordonnateur communal à
l’exercice d’une fonction politique. Le « facteur politique »21 justifie
l’octroi de la qualité d’ordonnateur à des personnes dépourvues de
connaissances en matière d’exécution des finances publiques.
Monsieur Stéphane THEBAULT écrit dans ce sens qu’ « à l’inverse
des services d’Etat et de ses établissements publics, la compétence d’ordonnateur
des collectivités territoriales parait conférée de manière restrictive aux seuls
élus »22. La qualité d’ordonnateur communal est donc, et en principe,
octroyée au titulaire d’un mandat politique. C’est par la technique de
la délégation23, qu’elle sera transmise à son tour à d’autres agents
communaux.
Introduit dans le circuit financier du fait de la qualité, le
maire, ordonnateur communal n’est pas de ce fait moins
controversé. Au contraire, bien qu’il soit incontournable dans la
gestion financière locale24, il est confronté dans l’exercice de ses
missions à des agents formés à la gestion publique à savoir le Préfet,
le Receveur municipal ou encore le Secrétaire général de mairie. La
perception par ces professionnels de la place qu’occupe le maire-
ordonnateur est pour la plupart mitigée. On peut observer dans la
pratique ces derniers en proie à s’ingérer dans le domaine de
compétence de l’exécutif municipal. C’est conscient de ce statut ou

sur la décentralisation au Cameroun, 2,2% de Maires n’ont pas de référence


scolaire. Face à constat, Monsieur KOM TCHUENTE souligne qu’ « il s’agit sans
doute de ceux qui ne savent ni lire ni écrire ». Cf. KOM TCHUENTE (Barthélemy),
Cameroun : la décentralisation en marche, Yaoundé, PUY, 2013, p. 98. Toutefois, il
convient de noter que le CGCTD en son article 126 apporte aujourd’hui une
certaine innovation : le droit à la formation adapté au mandat de l’élu. Ce droit post-
élection de l’élu pose tout de même quelques questionnements, notamment celui
de savoir ce qui adviendrait si l’élu en question n’est pas à la hauteur de la
formation qu’il reçoit.
21 Cf. KOEBEL (Michel), « Le profil social des maires de France », Pouvoirs, n°148,

Janvier 2014, pp. 123-138.


22 THEBAULT (Stéphane), L’ordonnateur en droit public financier, op. cit., p. 180.
23 Articles 207 et suivants du CGCTD. Sur cette question de délégation, lire aussi

TENKEU (Victor Aurélien), La qualité d’ordonnateur du budget des communes en finances


publiques locales… op. cit., pp. 65 et s.
24 Le maire est en réalité un relais incontournable des pouvoirs publics. Cf.

Bellanger (Emmanuel), « Le maire au XXe siècle, ou l’ascension d’une figure


‘sympathique’ et ‘intouchable’ de la République », Pouvoirs, n°148, Janvier 2014,
pp. 20 et s.
126
Rafip n°6 – 2nd semestre 2019

mieux de cette qualité d’ordonnateur communal fragile et convoitée,


que le législateur l’a protégée. Mener donc une étude sur la
protection juridique de la qualité d’ordonnateur communal en
finances locales au Cameroun revêt dès lors tout son pesant d’or. Il
faut ainsi remarquer qu’une telle étude contribue à coup sûr à
l’assainissement de la gestion financière communale, en consolidant
la place réelle que doit occuper les décideurs locaux.
Au demeurant, qu’est que la protection juridique ? Selon le
professeur CORNU Gérard, la protection est « une précaution qui,
répondant au besoin de celui ou de ce qu’elle couvre et correspondant en général à
un devoir pour celui qui l’assure, consiste à prémunir une personne ou un bien
contre un risque, à garantir sa sécurité, son intégrité, etc., par des moyens
juridiques ou matériels »25. Mieux, elle « désigne aussi bien l’action de protéger
que le système de protection établi (mesure, régime, dispositif …) »26. La
protection juridique ne va donc s’en tenir qu’aux moyens de droit.
L’intérêt de la démarche de la protection ici réside dans l’effort de
restituer une approche permettant d’exposer le régime juridique de
protection de la qualité d’ordonnateur communal en finances locales
camerounaises. Cette démarche commande entre autre des
précisions terminologiques sur la notion de « qualité
d’ordonnateur ».
La qualité en soi est une notion juridique polysémique. C’est
une notion variée, éclatée qui peut recevoir plusieurs acceptions
dans diverses branches de la science du droit27. Dans le cadre de
cette étude, elle va renvoyer au « titre inhérent à une fonction »28. La
fonction visée ici est celle d’ordonnateur. L’ordonnateur, notion
également polysémique, n’a pas toujours été d’une appréhension
aisée29. Né dans la terminologie financière et consacré par le

25 CORNU (Gérard) (dir.), Vocabulaire juridique, Paris, PUF, coll. Quadrige, 2017,
11e éd., p. 823.
26 Ibidem.
27 Cf. TENKEU (Victor Aurélien), La qualité d’ordonnateur du budget des communes en

finances publiques locales au Cameroun, op. cit., pp. 6 - 12.


28 CORNU (Gérard) (dir.), Vocabulaire juridique, op. cit., p. 828.
29 La définition de la notion d’ordonnateur souffre d’un sens très général entré

dans le vocabulaire commun et, du caractère hétérogène et complexe de la notion


juridique. Les auteurs l’appréhendent plus ou moins restrictivement sous les
127
législateur camerounais, l’ordonnateur n’avait pas fait l’objet d’une
définition légale30. Il est revenu, sous l’influence du droit CEMAC31,
au décret n°2013/160 du 15 mai 2013 portant Règlement général de
la comptabilité publique d’en apporter une. C’est alors qu’en son
article 10, il définit l’ordonnateur sous l’angle de la qualité en ces
termes : « est ordonnateur, toute personne ayant qualité au nom de l’Etat ou
des organismes publics, pour prescrire l’exécution des recettes et des dépenses
inscrites au budget de l’Etat ». Cette définition sera reprise à l’article 65
de la loi du 11 juillet 2018 portant régime financier de l’Etat et des
autres entités publiques.
En somme, la qualité d’ordonnateur communal est admise
dans cette étude comme le titre légal qui permet aux personnes
bénéficiaires d’exécuter le budget et les programmes communaux.
Ce titre, protégé par le législateur, mérite certainement qu’on lui
réserve quelques développements. C’est l’objet de ce travail qui se
veut, sous le prisme de la théorie des finances publiques, une analyse
du régime juridique de la protection de la qualité d’ordonnateur
communal opérée par la réforme des finances locales au Cameroun.
Cette réforme, annoncée par les lois de 2004 sur la

angles des acteurs qu’elle rassemble, de l’attribution juridique des compétences


qu’elle recouvre et du principe de la séparation des ordonnateurs et des
comptables considéré comme pierre angulaire du droit public financier. La notion
est aussi appréhendée comme une fonction, éventuellement comme un statut et
surtout comme une qualité juridique. Cf. THEBAULT (Stéphane), L’ordonnateur en
droit public financier, op. cit., pp. 3 et s, et TENKEU (Victor Aurélien), La qualité
d’ordonnateur du budget des communes en finances publiques locales au Cameroun, op. cit., pp.
12 - 18.
30 Sans être définit, l’ordonnateur est vite consacré au Cameroun, après

l’indépendance, par l’ordonnance n°62/0F/4 du 7 février 1962 portant régime


financier de la République Fédérale du Cameroun modifiée par la loi n°2002/001
du 19 avril 2002. Il en était de même pour la loi de 2007 sur le régime financier de
l’Etat, qui se contentait de préciser le rôle et les différentes catégories
d’ordonnateurs sans réellement définir l’ordonnateur. Voir article 51 de la loi de
2007 portant régime financier de l’Etat.
31 Cf. Directive CEMAC n°02/11-UEAC-190-CM-22 du 19 décembre 2011

relative au Règlement général de la comptabilité publique. L’article 8 de la


Directive définit l’ordonnateur comme « toute personne ayant qualité au nom de l’Etat
pour prescrire l’exécution des recettes et des dépenses inscrites au budget de l’Etat ».
128
Rafip n°6 – 2nd semestre 2019

décentralisation32, va progressivement se matérialiser par les lois de


2009 fixant le régime financier des Collectivités territoriales
décentralisées33 ; portant fiscalité locale34 et aujourd’hui, le Code
général des Collectivités territoriales décentralisées35. Dès lors, la
question centrale qui se pose est la suivante : quel est le régime de
protection de la qualité d’ordonnateur du budget des communes opéré par la
réforme des finances locales au Cameroun ? En réalité, cette question
principale de recherche incline à analyser comment le législateur a
encadré la protection de la qualité d’ordonnateur communal et à
déterminer l’étendue de cet encadrement.
Par l’exégèse du cadre juridique des finances publiques
locales camerounaises, il est question d’analyser la lettre et l’esprit
des textes juridiques36 en vigueur en matière budgétaire et comptable
locale, afin de disséquer la part des règles de protection de la qualité
d’ordonnateur communal. Notre ambition est de démontrer que la
réforme des finances locales au Cameroun a prévu en la protégeant,
une qualité d’ordonnateur communal distincte de celle du budget de
l’Etat. A cet effet, ladite qualité est protégée doublement, tant vis-à-
vis du receveur municipal qu’à l’égard des tiers (I). Il faut toutefois
relever que le régime de protection prévu par le droit reste limité
(II).
I. Une protection duale
Le fondement juridique de la protection de la qualité
d’ordonnateur communal au Cameroun est explicitement apporté
par le Règlement général de la comptabilité publique. L’article 8

32 Notamment les lois n°2004/17 du 22 juillet 2004 portant orientation de la


décentralisation ; n°2004/18 du 22 juillet 2004 fixant les règles applicables aux
communes et n°2004/19 du 22 juillet 2004 fixant les règles applicables aux
régions.
33 Loi n°2009/011 du 10 juillet 2009 portant régime financier des Collectivités

territoriales décentralisées.
34 Loi n°2009/019 du 15 décembre 2009 portant fiscalité locale.
35 Porté par la Loi n°2019/024 du 24 décembre 2019. Ce texte réalise une

codification à droit constant des lois de décentralisation de 2004 et de celle de


2009 sur le régime financier des Collectivités territoriales décentralisées.
36 Cf. EISENMANN (Charles), Cours de droit administratif, Paris, LGDJ, 1983,

Tome 2, p. 865.
129
alinéa 1 du décret de 2013 portant Règlement général de la
comptabilité publique en disposant qu’ « il est interdit à toute personne
non pourvue d’un titre légal ou règlementaire d’exercer les fonctions
d’ordonnateur (…), sous peine de sanctions prévues par la loi », pose, au-delà
de la préservation des deniers communaux, l’exigence de la
protection de la qualité d’ordonnateur communal.
L’exécution des budgets publics a traditionnellement fait
appel à deux catégories d’autorités publiques majeures : les
ordonnateurs et les comptables publics37. Ces derniers sont les plus
proches de l’ordonnateur, et représentent leur principale menace
dans l’exercice leur fonction38. C’est pourquoi les finances publiques
protègent principalement la qualité d’ordonnateur à l’égard du
comptable communal (A). Les autres agents communaux ne sont
visés qu’à un degré différent (B).
A. La protection de la qualité d’ordonnateur vis-à-vis du
comptable communal
Les relations entre l’ordonnateur et le comptable public ne
relèvent pas toujours d’un long fleuve tranquille. L’ordonnateur par
exemple, du fait de sa position de proue39 dans le circuit d’exécution
des opérations financières et le degré généralement très élevé de ses
fonctions administratives, a souvent tendance à se considérer
comme le chef du comptable. Ainsi, il croit, des fois, pouvoir
donner des ordres selon son bon vouloir à ce dernier. Le comptable
par contre, tend à devenir un Roi Soleil dans l’exécution des finances

37 Les bases d’une administration financière duale remonte, en France, en 1355.


Cf. THEBAULT (Stéphane), L’ordonnateur en droit public financier, op. cit., pp. 27 et
s. Voir aussi DUVERGER (Maurice), Finances publiques, Paris, PUF, 1963, pp. 309
et s.
38 Les comptables publics exécutent les budgets publics étroitement des

ordonnateurs. Les premiers interviennent dans la phase comptable, et les seconds


dans la phase administrative. Cf. BOUVIER (Michel), ESCLASSAN (Marie-
Christine), LASSALE (Jean-Pierre), Finances Publiques, Paris, LGDJ, 13e éd., 2014,
pp. 439 et s.
39 Sur la question, lire AKAKPO (M.B.), Démocratie financière en Afrique occidentale

francophone, Cotonou, Friedrich Ebert Stiftung, 2015, p. 46, cité par BILOUNGA
(Stève Thiery), « Les relations entre l’ordonnateur et les comptables à la lumière de
la loi du 26 décembre 2007 portant régime financier de l’Etat au Cameroun »,
RAFIP, n°2, 2017, p. 222.
130
Rafip n°6 – 2nd semestre 2019

publiques. En effet, comme le relève le Professeur Stève Thiery


BILOUNGA, la pratique des finances évolue dans « un cadre
administratif où les agents comptables imposent une diminutio capitis aux
ordonnateurs principaux et délégués, sous le curieux prétexte que seules les
dispositions légales et réglementaires étatiques ont vocation à s’appliquer, au
mépris des résolutions des Conseil d’administration et autres actes normatifs pris
par les autorités à compétence réglementaire des universités »40 ou des organes
délibérants des communes.
Il revient donc au législateur de prévoir des règles solides de
protection du statut de ces deux figures emblématiques des finances
publiques. De prime abord, on peut arguer que le législateur
camerounais s’y est attelé. En réservant l’exécution du budget
communal au maire, ordonnateur, et au receveur municipal,
comptable, la loi protège la qualité d’ordonnateur vis-à-vis du
comptable communal. Juridiquement, cette protection est assurée
par le principe de la séparation des ordonnateurs et des comptables
(1). L’application de ce principe est d’une portée certaine (2).
1. L’instrument juridique de la protection : le principe
de la séparation des ordonnateurs des comptables
Le principe de la séparation des ordonnateurs et des
comptables sert d’instrument juridique de protection de ces deux
acteurs principaux d’exécution des budgets publics. Considéré pour
la doctrine comme la clé de voute41 de la comptabilité publique, ce
principe est central à l’exécution des finances publiques. Les
Professeurs Paul-Marie GAUDEMET et Joël MOLINIER y voient
une transposition du « vieux principe politique de la séparation des
pouvoirs »42.

40 BILOUNGA (Stève Thiery), « Les relations entre l’ordonnateur et les


comptables à la lumière de la loi du 26 décembre 2007 portant régime financier de
l’Etat au Cameroun », op. cit., p. 224.
41 L’expression est du Professeur MONTAGNIER (Gabriel), Principes de

comptabilité publique, Paris, Dalloz, 2e éd., 1981, p. 15 ; Expression est reprise par
bon nombre d’auteurs, parmi lesquels : THEBAULT (Stéphane), L’ordonnateur en
droit public financier, op. cit. p. 94, AKHOUNE (Farhana), Le statut du comptable en
droit public financier, op. cit., p. 53.
42 Cf. GAUDEMET (Paul-Marie) et MOLINIER (Joël), Finances publiques, Tome 1,

Budget-Trésor, Paris, Montchrestien, 1992, 6e éd., p. 348.


131
Au Cameroun, c’est l’ordonnance n°62/0F/4 du 7 février
1962 portant régime financier de la République Fédérale modifiée
par la loi n°2002/001 du 19 avril 2002 qui, pour la première fois,
dans le Cameroun indépendant, pose en son article 63 le principe de
la séparation des ordonnateurs et des comptables43 : « les fonctions
d'ordonnateur sont incompatibles avec celles de comptable ». Ce principe sera
reconduit par les normes actuelles44 sur les finances de l’Etat en
général et, sur les finances communales en particulier. Les normes
sur la décentralisation sont restées dans la même logique (en
reconnaissant le principe de la séparation des ordonnateurs et des
comptables) et, n’ont pas eu pour intention de soustraire les
Collectivités territoriales décentralisées aux règles de la comptabilité
publique. C’est ainsi que l’article 433 alinéa 2 du CGCTD dispose
que « les fonctions d'ordonnateurs et celles de comptables publics sont et
demeurent séparées et incompatibles tant en ce qui concerne l'exécution des
recettes que l'exécution des dépenses ».
Appliqué aux finances communales, le principe de la
séparation des ordonnateurs et comptables garde son contenu et
repose, comme l’a démontré le Professeur Luc SAIDJ45, sur deux
piliers : l’incompatibilité des fonctions et l’indépendance des
autorités.
L’incompatibilité des fonctions va constituer l’aspect le plus
apparent du principe. Elle est énoncée à l’article 433 alinéa 2 du
CGCTD, qui vise expressément les fonctions d’ordonnateur et
celles de comptable de la commune. Cet article est complété par le
décret du 15 mai 2013 qui, en limitant l’exécution des recettes et
dépenses de la commune aux ordonnateurs et comptables publics

43 Cf. LEKENE DONFACK (Etienne Charles), Finances Publiques


camerounaises, Paris, Berger-Levrault, 1987, p. 233 ; BIDIAS (Benjamin), Les
finances publiques du Cameroun, op. cit., p. 296.
44 Loi de 2007 portant Régime financier de l’Etat et le décret de 2013 portant
Règlement général de la comptabilité publique.
45 Cf. SAIDJ (Luc), « Les agents d’exécution du budget communal », in

DOUENCE (Jean-Claude) (dir.), Encyclopédie des collectivités locales, Paris, Dalloz,


2012, pp. 21 et s.
132
Rafip n°6 – 2nd semestre 2019

communaux, exclut les conjoints, ascendants et descendants de


l’ordonnateur communal46.
Le principe de la séparation des ordonnateurs et des
comptables implique une dualité des fonctions : celui qui décide, à
savoir l’ordonnateur, ne manie pas les fonds, celui qui manie les
fonds, à savoir le comptable, ne décide pas47. Il est établit dans ce
sens une distinction entre l’opportunité et la régularité48. Les
ordonnateurs interviennent dans le cadre de l’opportunité49. Par
contre, les comptables sont juges de la conformité des mesures
administratives à incidence financière aux lois et règlements50.
Ainsi, l’ordonnateur ne peut officier à la place du comptable.
Le rôle de l’ordonnateur en matière de dépenses se résume à la
phase administrative notamment, l’engagement, la liquidation et le
mandatement51. En matière de recettes, l’ordonnateur constate les
droits et liquide les recettes de la commune52.
En sens inverse, le comptable ne peut faire acte
d’ordonnateur conformément aux dispositions de l’article 448 du
CGCTD. Même avec l’accord de ordonnateur (ou de l’organe
délibérant), il ne peut être, par exemple, laissé au comptable le soin
de décider de certaines remises gracieuses d’impôts. Aussi, le
comptable ne peut signer des bons de commande ou certifier un
service fait sans commettre d’irrégularité. L’irrégularité est encore
plus caractérisée si le comptable émet des mandats de paiement ou

46 Article 7 du décret du 15 mai 2013.


47 Cf. SAIDJ (Luc), « Les agents d’exécution du budget communal », op. cit.
48Cf. LEKENE DONFACK (Etienne Charles), Finances Publiques camerounaises, op.
cit., p. 233.
49 Il faut rappeler que « les considérations d’opportunité ne doivent intervenir que lorsqu’il

n’existe pas de règles dans le domaine considéré » : BIDIAS (Benjamin), Les finances
publiques du Cameroun, op. cit., p. 296.
50 Cf. SIETCHOUA DJUITCHOKO (Célestin), La chambre des comptes de la cour

suprême du Cameroun. Les principaux arrêts, avis, rapports de certification du compte général
de l’Etat et rapports d’observations à fin de contrôle commentés, Les Editions Le
KILIMANDJARO, Yaoundé-Cameroun, 1er éd., 2016, p. 245.
51 Article 466 du CGCTD.
52 Ibidem.

133
des titres de recette53. Le rôle du comptable communal se résume
donc au contrôle et paiement des dépenses d’une part, au contrôle et
prise en charge des recettes communales d’autre part. Il ne lui
revient pas, en tout état de cause, et pour retracer les actes de sa
gestion, la charge de produire le compte administratif.
Si l’ordonnateur tient une comptabilité administrative
(engagement, liquidation et mandatement) de laquelle découle le
compte administratif54, le comptable de son côté établit un compte
de gestion55. Celui-ci, non seulement décrit la situation patrimoniale
de la collectivité (en conséquence de la comptabilité générale dont
est chargé le comptable), mais décrit également, selon une
présentation différente, l’exécution budgétaire. Le comptable est
donc astreint à la production d’un compte de gestion sur chiffres et
sur pièces à la fin de chaque exercice budgétaire56 qu’il présente à
l’organe délibérant de la commune pour mise en état d’examen, et
transmission à la Chambre des comptes de la Cour suprême.
La dualité des comptes est désormais exigée aux
Etablissements publics communaux qui doivent « présenter »57 à
l’organe délibérant les comptes administratif et de gestion de leurs
établissements. C’est une avancée en la matière issue de la loi

53 Cf. SAIDJ (Luc), « Les agents d’exécution du budget communal », op. cit.
54 Art. 467 al 1er du CGCTD. En France, jadis appelé « compte moral » (pendant la
période révolutionnaire) puis « compte d’administration » (à partir d’une instruction
du 30 mai 1816). Cf. AKHOUNE (Farhana), Le statut du comptable en droit public
financier, op. cit., p. 64.
55 Article 474 alinéa 2 du CGCTD.

56 Circulaire n°001/C/MINFI du 28 décembre 2016 portant Instructions


relatives à l’exécution des lois de finances, au suivi et au contrôle de
l’exécution du budget de l’État, des établissements publics administratifs,
des collectivités territoriales décentralisées et des autres organismes
subventionnés, pour l’exercice 2017, p. 44.
57 Sur cette formule employée par le législateur, lire SIETCHOUA

DJUITCHOKO (Célestin), « L’obligation de production des comptes des


comptables publics dans l’office du juge des comptes : un corridor clair-
obscur à la Chambre des comptes de la Cour Suprême du Cameroun », in
ANOUKAHA (François), OLINGA (Alain-Didier) (dir.), L’obligation. E
tudes offertes au Professeur Paul-Gérard POUGOUE, Harmattan Cameroun,
2015, pp. 857-873.
134
Rafip n°6 – 2nd semestre 2019

n°2017/010 du 10 juillet 2017 portant statut général des


établissements publics. Le législateur, en arrimant les établissements
publics à la nouvelle comptabilité de l’Etat, rompt avec la pratique
antérieure qui ne prévoyait que des comptes financiers communs à
l’ordonnateur et au comptable. Il s’agissait en réalité des « états
financiers »58 qui, réunissaient la comptabilité de l’ordonnateur et la
comptabilité du comptable, deux acteurs de la comptabilité publique
communale pourtant indépendants.
Il convient aussi de souligner que la séparation des fonctions
d’ordonnateur et de comptable est, en comptabilité publique,
complétée par un élément essentiel : l’indépendance du comptable
vis-à-vis de l’ordonnateur. Cette indépendance est à la fois statutaire,
et fonctionnelle59. Si, d’une part, l’indépendance signifie que
l’ordonnateur n’est pas le supérieur hiérarchique du comptable,
d’autre part, elle laisse également entendre que ce dernier ne saurait
interférer dans le domaine de compétence de l’ordonnateur. Cette
précision est utile car, dans le cas des communes à faible fiscalité,
l’indépendance du maire peut être sapée vis-à-vis du receveur
communal qui, appartenant au réseau du Trésor, et sollicité pour des
fonctions de conseil et d’assistance pourrait, exercer une certaine
tutelle déguisée sur un exécutif le plus souvent démuni de moyens60.
La Cour européenne des droits de l’Homme a eu à observer dans ce
sens que « le maire d’une commune n’est pas un fonctionnaire ou un agent de
l’État [...] mais un élu qui n’a aucun rapport hiérarchique avec lui »61.

58 Article 77 alinéa 2 de la loi du 22 décembre 1999 portant statut général des


établissements publics et des entreprises du secteur public et parapublic qui
disposait : « (…) présente (…), les états financiers annuels et le rapport d’exécution du budget
de l’exercice écoulé ».
59 Cf. TENKEU (Victor Aurélien), La qualité d’ordonnateur du budget des communes en

finances publiques locales au Cameroun, op. cit., pp. 119 et s ; BILOUNGA (Stève
Thiery), « Les relations entre l’ordonnateur et les comptables à la lumière de la loi
du 26 décembre 2007 portant régime financier de l’Etat au Cameroun », op. cit., pp.
234 – 235.
60 Cf. SAIDJ (Luc), « Les agents d’exécution du budget communal », op. cit., p.

7113-22.
61Cf. CEDH, 7 octobre 2003, Mme RICHARD-DUBARRY c. France,
RFDA 2004, p. 378.
135
La protection de la qualité d’ordonnateur est surtout assurée
par le type de contrôle qu’effectue le comptable sur les actes de
l’ordonnateur. En effet, les comptables communaux peuvent
soumettre les actes de l’ordonnateur au contrôle de légalité imposé
par l’exercice de sa responsabilité personnelle et pécuniaire. Mais, le
contrôle de légalité doit être compris au sens d’un contrôle de la
régularité financière des actes pris par l’ordonnateur, et non un
contrôle de la légalité des actes administratifs. « Un contrôle de légalité
effectué par le comptable public pourrait alors porter atteinte à ce principe de
séparation des ordonnateurs et des comptables »62. Patrick BENOIT
souligne que « la régularité de la dépense vise l’application des règles
budgétaires, alors que la légalité de la dépense vise le fond de l’acte prescrivant la
dépense et on entend ainsi respecter le principe de la séparation des comptables et
des ordonnateurs »63. Un contrôle de légalité des actes administratifs
confié au comptable risquerait, en particulier au niveau local, de
renforcer le sentiment de méfiance déjà existant vis-à-vis des
contrôles instaurés lors de la décentralisation.
Eu égard de ce qui précède, le principe de la séparation des
ordonnateurs et des comptables comme instrument juridique de
protection de la qualité d’ordonnateur, a une portée certaine.
2. La portée juridique du principe
En théorie, le principe de la séparation des ordonnateurs et
des comptables est justifié par deux raisons : une raison juridique et
une autre technique. La première fait établir dans l’action
administrative, une distinction entre l’opportunité et la régularité.
Alors que les ordonnateurs interviennent au plan de l’opportunité
pour décider, les comptables, eux, sont juge de la conformité des
mesures administratives à incidence financière aux lois et
règlements. Le principe apparaît à ce titre comme une règle de
sécurité, destinée à assurer une exécution correcte du budget en
prenant toutes les précautions possibles contre les agents

62 KUREK (Aline), Le juge financier, juge administratif, Thèse de doctorat, Université


de Lille 2, 2010, p. 298.
63 BENOIT (Patrick), La responsabilité personnelle et pécuniaire des comptables publics,

Thèse droit, Strasbourg, 1967, p. 113.


136
Rafip n°6 – 2nd semestre 2019

administratifs. La seconde opère une division du travail comme la


condition même d’un contrôle réciproque des agents d’exécution
budgétaire. De ces deux raisons, fort est de constater une double
préoccupation du droit public financier64 : le contrôle réciproque
dans la gestion et la division rationnelle du travail, tous contribuant à
une protection statutaire et fonctionnelle des deux acteurs mis en
cause.
Dans un premier temps, le contrôle dans la gestion
commande le contrôle réciproque de l’ordonnateur et du receveur.
La préoccupation du contrôle de la régularité et du bon emploi des
fonds publics, trouve sa base légale dans le décret du 15 mai 2013
portant Règlement général de comptabilité publique. Cette
préoccupation se justifie par la méfiance qu’ont toujours eue les
pouvoirs législatifs à l’égard des gestionnaires des fonds publics. Le
Professeur CHARLIER a pu écrire qu’ « à côté de cette division
quantitative et qualitative du travail, il y a un souci de contrôle et de prévention
de la malhonnêteté »65. Dans le même sens, le Professeur Maurice
DUVERGER affirme que la séparation des ordonnateurs et des
comptables a pour fondement essentiel, l’exercice d’un contrôle par
le comptable des opérations de dépenses décidées par
l’ordonnateur66. Le contrôle ici vise à assurer la régularité du
paiement, la prévention des malversations et, enfin, un contrôle
efficace sur l’origine de la dépense. Dès lors, c’est la nature des
fonds manipulés qui justifie cette nécessité, visant à soustraire les
ordonnateurs à une éventuelle tentation et, concomitamment, à
fonder le contrôle qu’ils supportent67.
Farhana AKHOUNE souligne toutefois que le contrôle
n’est pas à sens unique68. Si les comptables suspendent le paiement

64 Farhana AKHOUNE y ajoute à juste titre la constitution d’une unité d’action


financière : Le statut du comptable en droit public financier, op. cit., pp. 69 et s.
65 CHARLIER (Robert Edmond), Cours d’institutions financières, Paris, Les cours du

droit, 1957-1958, p. 375.


66 Cf. DUVERGER (Maurice), Finances publiques, op. cit., p. 310.
67 Cf. THEBAULT (Stéphane), L’ordonnateur en droit public financier, op. cit., p. 95.
68 Cf. AKHOUNE (Farhana), Le statut du comptable en droit public financier, op. cit.,

pp. 67 et 68.
137
des dépenses, les ordonnateurs peuvent requérir les comptables de
payer. Mieux, les comptables ont l’obligation de présenter
quotidiennement l’état de leur trésorerie à l’ordonnateur69. Ceci
l’aidera dans ses choix, mais aussi, permettra qu’il puisse effectuer
un contrôle permanent sur l’état de la trésorerie. Le contrôle est
donc réciproque. Ainsi, deux psychologies sous-tendent alors le
principe de la séparation des ordonnateurs et des comptables.
Gilbert DEVAUX écrit dans ce sens que la séparation de ces deux
autorités ne satisfait pas seulement au besoin mécanique
d’organisation, mais au désir d’opposer deux psychologies : « les
ordonnateurs doivent réserver le meilleur de leur activité à un effort de décision et
de sélection ; la régularité de leurs actes leur est en quelque sorte imposée du
dehors automatiquement. Les comptables ont aussi à effectuer certains choix,
mais leur esprit est dominé par le souci de la règle qu’ils doivent appliquer non
seulement à leurs propres opérations mais aussi à celle des ordonnateurs. Ces
deux psychologies ont conduit à deux régimes de responsabilités »70.
Dans un second temps, les fonctions d’ordonnateur
requièrent des aptitudes différentes de celles exigées pour le
comptable public71. Si l’intervention du comptable ne répondait qu’à
un souci de contrôle, le principe de la séparation des ordonnateurs
et des comptables n’aurait pas perduré72. La séparation permet, en
outre, une division performante du travail de l’un et de l’autre et un
équilibre entre les deux. Gilbert DEVAUX remarque aussi que
« dans toute société s’inspirant d’un idéal démocratique, la division du travail ne
correspond pas seulement à l’idéal d’une spécialisation technique ; elle correspond
aussi à une préoccupation d’équilibre, entre diverses tendances »73. Stéphane
THEBAULT considère même que le comptable public constitue le
« fil d’Ariane » de la qualité d’ordonnateur74. Au fond, les

69Voir en ce sens l’article 456 alinéa 1 du CGCTD.


70 DEVAUX (Gilbert), La comptabilité publique, Tome I, Les principes, Paris, PUF,
1957, p. 69.
71 Cf. BIDIAS (Benjamin), Les finances publiques du Cameroun, Yaoundé, GB,
2e éd., 1982, p. 315.
72 Cf. AKHOUNE (Farhana), Le statut du comptable en droit public financier, op. cit., p.
68.
73 DEVAUX (Gilbert), La comptabilité publique, op. cit., p. 48.
74 THEBAULT (Stéphane), L’ordonnateur en droit public financier, op. cit., p. 95.

138
Rafip n°6 – 2nd semestre 2019

ordonnateurs et les comptables publics sont des acteurs de nature


différente, en charge des tâches aussi différentes.
En effet, les opérations de recettes et de dépenses
comportent deux séries d’actes : certains actes sont à l’origine des
créances sur la commune (nominations, marchés) ou créances de la
commune (émission d’un titre de recette). Ce sont les actes
administratifs. D’autres impliquent une manipulation matérielle de
fonds, ce sont des actes comptables. Les premiers sont divers, alors
que les seconds homogènes. C’est ce qui va justifier l’idée de les
confier à des agents différents75.
Au total, on doit retenir que la division du travail se justifie
par la nature des fonctions des deux agents. L’ordonnateur prend
des décisions en considération non seulement des questions de
légalité, mais aussi des questions d’opportunité politique. A l’inverse,
le receveur est principalement chargé d’apprécier la régularité des
opérations. La division du travail conduit alors à une exclusivité des
compétences de chaque acteur et, fait de l’ordonnateur une catégorie
autonome et protégée.
Si la protection vis-à-vis du comptable communal est donc
assurée par le principe de la séparation, il en est autrement à l’égard
des tiers.
B. La protection de la qualité d’ordonnateur à l’égard
des tiers76
La protection de la qualité d’ordonnateur communal n’est
pas uniquement assurée vis-à-vis du comptable communal. Elle l’est
aussi par rapport à d’autres agents pouvant intervenir dans
l’exécution du budget communal. L’article 8 alinéa 1 du décret du 15
mai 2013 portant Règlement général de la comptabilité publique vise
cette protection, en ce sens qu’il sanctionne toute personne qui aura
engagé des dépenses sans en avoir le pouvoir ou sans avoir reçu
délégation de signature à cet effet. La qualité d’ordonnateur

75Cf. BIDIAS (Benjamin), Les finances publiques du Cameroun, op. cit.,


76Les tiers renvoient aux personnes autres que l’ordonnateur et le comptable,
pouvant avoir un lien plus ou moins étroit avec l’exécution du budget communal.
139
communal ne se présume point, elle est d’ordre public77. Ne peut y
avoir accès que les personnes légalement habilitées. En
conditionnant l’acquisition de la qualité d’ordonnateur par la
nécessité préalable d’une habilitation légale, la loi pose indirectement
la protection de ladite qualité à l’égard de tous.
La protection vis-à-vis des tiers va donc être assurée par
l’autonomie de la qualité d’ordonnateur du budget des communes
(1). Cette autonomie ne va pas sans implication (2).
1. La protection par l’autonomie de la qualité
d’ordonnateur
Le Code général des Collectivités territoriales décentralisées
prévoit la protection de la qualité d’ordonnateur par son autonomie.
On peut l’observer au moyen de l’exclusivité de ladite qualité et son
corolaire, le pouvoir discrétionnaire dont bénéficie l’ordonnateur.
Ce Code réserve la qualité d’ordonnateur aux chefs des
exécutifs communaux. Cette option du législateur découle de la
décentralisation porteuse d’une certaine autonomie78 permettant aux
autorités locales de gérer elles-mêmes, et en toute liberté les affaires
locales. C’est ce qui va justifier l’exclusivité de la qualité
d’ordonnateur en matière financière communale. La qualité
d’ordonnateur communal est alors exclusive tant à l’égard des tiers
externes qu’internes à la commune.
La protection contre les tiers externes à la commune vise
particulièrement l’autorité de tutelle. Autrefois, une confusion était
observée au sujet de l’ordonnateur communal. L’autorité de tutelle

77 Sur la question d’ordre public en finances publiques, lire SIETCHOUA


DJUITCHOKO (Célestin), La chambre des comptes de la cour suprême du Cameroun, Les
principaux arrêts, avis, rapports de certification du compte général de l’Etat et rapports
d’observations à fin de contrôle commentés, op. cit., pp. 35 et 43 ; NGUIMFACK
VOUFO (Théophile), La notion de comptes publics en finances publiques camerounaises, op.
cit., pp. 318 & suivants et TENKEU (Victor Aurélien), La qualité d’ordonnateur du
budget des communes en finances publiques locales au Cameroun, op. cit., pp. 143 et s.
78 Cette autonomie se déduit l’autonomie administrative et financière prévue à

l’article 55 alinéa 2 de la loi n°96/06 du 18 janvier 1996 portant révision de la


Constitution du 02 juin 1972. Cf. KANKEU (Joseph), « L’autonomie des
140
Rafip n°6 – 2nd semestre 2019

était, en plus de ses fonctions administratives déconcentrées,


ordonnateur du budget des communes. Avec la réforme du droit de
la décentralisation, cette pratique est rompue. Les ordonnateurs
communaux sont désormais différents des ordonnateurs des
administrations centrales. L’intrusion de l’autorité de tutelle dans les
attributions de l’ordonnateur communal est prohibée, sauf
autorisation expresse de la loi.
La qualité d’ordonnateur communal est aussi exclusive à
l’égard des tiers internes à la commune. Le conseil municipal a,
certes un droit de regard sur l’activité de l’ordonnateur, mais il ne
saurait se substituer à lui. Les fonctions d’ordonnateur sont exercées
au sein de la commune par le maire. Les tiers79 ne peuvent exécuter
le budget de la commune que sous le contrôle de l’ordonnateur. En
réalité, ces tiers sont des simples agents d’exécution sans réel
pouvoir de décision. Par exemple, l’adjoint au maire, le secrétaire
général ou encore le chef service financier de la commune ne
peuvent décider de l’opportunité d’une dépense. Il leur est donc
formellement interdit par loi, au risque de s’exposer à des sanctions.
Le receveur municipal a l’obligation de contrôler la compétence de
l’auteur des mandats de dépenses et des ordres de recettes avant de
payer une dépense ou d’encaisser une recette. Même en l’absence de
dispositions suffisamment claires désignant l’autorité compétente
pour adopter la pièce justificative d’une dépense, le juge des
comptes, en France, lui impose en effet de vérifier au préalable la
compétence rationae materiae de l’auteur de l’acte80.
La qualité d’ordonnateur donne donc à son titulaire
l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire81 sur l’exécution budgétaire et

collectivités décentralisées : quelle autonomie ? », in Juridis Périodique n°85, janvier-


février-mars 2011, pp. 90-99.
79 Adjoints au maire, conseillers municipaux, secrétaire général de mairie ou chefs

des services communaux.


80 Cour des comptes, 20 octobre 1998, M. Martinie, agent comptable du lycée

René Cassin de Bayonne, Rec. Cour des comptes, p. 91.


81 Cf. TENKEU (Victor Aurélien), La qualité d’ordonnateur du budget des communes en

finances publiques locales au Cameroun, op. cit., pp. 142-143.


141
fait de lui le juge de l’opportunité82 de l’exécution du budget de la
commune. Les tiers sont donc incompétents.
2. L’implication de l’autonomie : l’incompétence des
tiers
A l’opposé de l’exigence de l’autonomie de la qualité
d’ordonnateur communal se trouve l’incompétence des tiers.
L’incompétence est un vice, une illégalité externe qui entache une
décision du fait qu’elle a été prise par une autorité n’ayant pas le
pouvoir légal de le faire83. Le tiers dépourvu de la qualité et inhabile
à décider, prend obstinément la décision en violation des règles
d’habilitation préétablies84. Le vice d’incompétence se dissimule dans
les finances locales, notamment dans le cadre de l’exercice des
fonctions de l’ordonnateur communal. Il prend alors les aspects
d’empiétements et d’usurpations de fonction85.
L’empiétement des compétences de l’ordonnateur
communal se range le plus souvent dans la catégorie des
empiétements de fonctions entre autorités administratives
exécutives, notamment entre autorités administratives locales ou
encore entre autorités administratives décentralisées et autorité
administratives déconcentrées. C’est le cas par exemple lorsque, le
préfet, autorité de tutelle sur les communes, prend une décision
relative à l’engagement d’une dépense communale alors que la loi ne
l’y autorise pas. De même, les adjoints au maire, les conseillers
municipaux, les secrétaires généraux de mairie ou encore les chefs
des services communaux qui, dans l’exercice de leurs fonctions,
prennent sans autorisation des décisions à incidence financière
s’exposent à l’empiétement des compétences de l’ordonnateur. Il en
sera également de même pour les ordonnateurs délégués qui agissent

82 Article 448 du CGCTD.


83Cf. CHAPUS (René), Droit administratif général, Paris, Montchrestien,
Tome I, 13e éd., 1999, p. 979.
84 Cf. MBALLA OWONA (Robert), La notion d’acte administratif unilatéral au
Cameroun, Thèse de Doctorat/Ph.D en Droit public, Université de Yaoundé II,
2010, p. 508.
85 Cf. TENKEU (Victor Aurélien), La qualité d’ordonnateur du budget des communes en

finances publiques locales au Cameroun, op. cit.


142
Rafip n°6 – 2nd semestre 2019

ès qualité à la place et pour le compte du délégant, mais qui


outrepassent la compétence qui leur était conférée par l’acte de
délégation86.
De son côté, l’usurpation des compétences de l’ordonnateur
va être comprise comme l’intrusion frauduleuse dans les
compétences de l’ordonnateur communal par toute personne,
interne ou externe à la commune, dépourvue de titre ou de qualité.
Contrairement à l’empiétement, l’intrusion dans ce cadre ne saurait
être justifiée ou limitée87.
II. Une protection limitée
La protection de la qualité d’ordonnateur communal est
d’ordre public. Les règles de protection ici sont impératives. Elles
relèvent de la légalité des compétences d’exécution budgétaire. Le
Doyen Léon DUGUIT écrivait que le principe de légalité ne doit
recevoir en principe aucune exception88. Cette position du maître de
Bordeaux n’a pas été suivie par le législateur camerounais car, à y
regarder de près, on peut rapidement se rendre compte que les
règles encadrant la protection de la qualité d’ordonnateur communal
sont relatives. Elles sont conçues de façon limitée par le législateur.
La limitation est à la fois inhérente aux règles de la comptabilité
publiques (A) et au droit de la décentralisation (B).
A. La limitation inhérente aux règles de la comptabilité
publique
La limitation de la protection de la qualité d’ordonnateur
communal inhérente aux règles de la comptabilité se rapporte pour
l’essentiel aux aménagements du principe de la séparation des
ordonnateurs et des comptables.
Le principe de la séparation des ordonnateurs et des
comptables n’est pas conçu sur la base d’un schéma rigide. La
collaboration des ordonnateurs et des comptables, plus que
nécessaire, s’avère être aujourd’hui une réalité que la réforme des

86 Ibidem.
87 Ibid.
143
finances locales du 10 juillet 2009 (et actualisée par le CGCTD de
2019) ne manque pas de confirmer et de renforcer. Comme pour
tout principe juridique, des limites peuvent être organisées. Par
exemple, les procédures simplifiées d’exécution des recettes et des
dépenses participent à ces limites. Organisées dans le cadre de règles
spécifiques pour certaines opérations redondantes ou particulières,
ces procédures portent dans une certaine mesure atteinte à ce
principe89, et partant, fragilisent la protection de la qualité
d’ordonnateur.
En ce qui concerne la protection de la qualité d’ordonnateur
communal, ces limites sont dans certains cas autorisées par la loi (1),
et dans d’autres interdites (2).
1. Les limites encadrées par la loi
Les limites de la protection encadrées par la loi sont celles
autorisées. Elles participent à un meilleur fonctionnement de
l’administration et du circuit financier, bien que remettant en cause
la séparation des ordonnateurs et des comptables90. Dans ce cadre, le
comptable communal peut être autorisé, dans des circonstances
précises, à jouer le rôle d’ordonnateur. Ainsi, une collaboration
poussée des autorités d’exécution du budget des communes
s’impose progressivement et, laisse entrevoir, comme le relève le
Professeur Luc SAIDJ91, une redistribution des fonctions.
Traditionnellement, la séparation des ordonnateurs et des
comptables ne souffre d’exception que dans le domaine, de conseil
et de l’assistance (facultatifs) du receveur municipal au maire et dans
certaines procédures de portée limitée, de dépenses avant
mandatement92. Cette exception constitue une importante différence

88 Cf. DUGUIT (Léon), Leçons de droit public général, Paris, Boccard, 1926, p. 282.
89 Voir articles 447 du CGCTD. Voir aussi TENKEU (Victor Aurélien), La qualité
d’ordonnateur du budget des communes en finances publiques locales au Cameroun, op. cit., pp.
187 et s.
90 Cf. BESSALA (Alain Georges), Ajustement structurel et droit budgétaire camerounais :

contribution à l’étude des droits budgétaires des Etats africains sous ajustement structurel,
Thèse de Doctorat/Ph.D, Université de Yaoundé II, 2014, pp. 383 et s.
91 Cf. SAIDJ (Luc), « Les agents d’exécution du budget communal », op. cit., p. 25.
92 Idem., p. 7113-23.

144
Rafip n°6 – 2nd semestre 2019

par rapport à l’État (qui connaît de nombreuses dépenses avant ou


sans mandatement), et surtout par rapport aux Etablissements
publics nationaux dans lesquels le comptable collabore, ou peut
collaborer, activement à la gestion financière. L’exception est
d’avantage remarquée, car en application d’une conception souple
du principe de séparation, qui se contente d’interdire le cumul de
fonctions pour certaines opérations considérées comme inhérentes à
la qualité d’ordonnateur ou de comptable, la collaboration est
pourtant permise, voire souhaitée, pour les autres opérations93.
Jacques MAGNET indique à ce propos que, la séparation des
ordonnateurs et des comptables « est susceptible d’aménagements : les
comptables peuvent être chargés de fonctions incombant ordinairement aux
ordonnateurs et des agents administratifs relevant des ordonnateurs peuvent être
chargés de fonctions incombant ordinairement aux comptables ; mais il ne peut
jamais y avoir cumul des deux qualités pour les mêmes agents pour les mêmes
opérations »94.
La réforme juridique et technique introduite dans la gestion
des finances locales a entraîné une plus grande collaboration entre
l’ordonnateur et le comptable. On assiste à un double
rapprochement de fonctions et des comptes. Le rapprochement des
fonctions participe à la collaboration des acteurs d’exécution du
budget communal. Cette collaboration est, en premier lieu, due à la
volonté de promouvoir une gestion plus patrimoniale de la
collectivité, ce qui implique une collaboration, d’autant plus étroite
qu’on la veut efficace, entre l’ordonnateur, en charge du patrimoine,
et le comptable, responsable de la comptabilité patrimoniale. Ainsi,
la gestion de la trésorerie, dont le maniement incombe au
comptable, implique certaines décisions d’utilisation relevant de
l’ordonnateur95. De même, la mise en œuvre de mécanismes de
comptabilité patrimoniale passe nécessairement par des inscriptions

93 Ibidem.
94 MAGNET (Jacques), Les gestions de fait, Paris, LGDJ, coll.
Systèmes/Finances publiques, 2001, 2e éd., p. 1.
95Article 87 du décret du 15 mai 2013 portant règlement général de la
comptabilité publique.
145
budgétaires96 qui dépendent de l’ordonnateur mais impliquent un
suivi conjoint du patrimoine et de la comptabilité patrimoniale.
Aussi, certaines dépenses sont payées sans ordonnancement
préalable, sans que l’ordonnateur les prescrive et en vertu d’un titre
détenu par le créancier (le paiement des salaires par exemple). C’est
également le cas des recettes constatées, liquidées et recouvrées par
les administrations fiscales au profit des communes. On peut aussi
ajouter les dépenses payées avant l’émission du titre de
régularisation97. Certains auteurs les rangent sous le vocable
« d’opérations atypiques »98, du fait de leur caractère dérogatoire à la
procédure de droit commun.
Il est aussi fréquent que l’exécution des recettes et dépenses
soit confiée à des régisseurs. Ces régisseurs exécutent des tâches
relevant des compétences de l’ordonnateur et du comptable
séparément. Le principe est mis en cause dans l’hypothèse de régies
mixtes où le régisseur effectue à la fois certaines opérations de
recettes et de dépenses. C’est le cas de la caisse d’avance prévue par
le législateur à l’article 447 du CGCTD. Elle est une limite encadrée
par la loi, contrairement à d’autres limites qui sont interdites.
2. Les limites proscrites par la loi
Certains cas de violation du principe de la séparation des
ordonnateurs et des comptables sont interdits par la loi. Si le
principe concourt à la protection de la qualité d’ordonnateur vis-à-
vis du comptable communal, il peut tout de même être violé.
L’ordonnateur, dans certains cas, est le premier à violer le principe,
ceci à travers les gestions de fait et dans certaines hypothèses de
réquisition99 régulière. Dans ces deux cas, certes c’est la qualité de

96 Amortissements, provisions, charges et produits rattachés à l’exercice...


97 Article 441 du CGCTD.
98 Cf. BESSALA (Alain Georges), Ajustement structurel et droit budgétaire camerounais :

contribution à l’étude des droits budgétaires des Etats africains sous ajustement structurel, op.
cit., p. 436.
99 Le Professeur Robert LUDWIG définit la réquisition comme étant « l’ordre de

payer donné sous certaines conditions par l’ordonnateur au comptable qui a refusé d’effectuer un
paiement et qui doit alors se soumettre ; le droit de réquisition partant de l’ordonnateur est le
146
Rafip n°6 – 2nd semestre 2019

comptable qui est violée, mais, l’ordonnateur en le faisant, sort de


son cadre d’action et porte atteinte lui-même à la qualité
d’ordonnateur.
Cependant, la protection de la qualité d’ordonnateur ici étant
assurée contre le comptable communal, ce dernier sera sanctionné
s’il se rend coupable du délit de concussion ou, défère à une
réquisition irrégulière de l’ordonnateur.
Le comptable communal viole le principe de la séparation
des ordonnateurs et des comptables s’il se rend coupable du délit de
concussion. En le faisant, il viole la règle de la protection de la
qualité d’ordonnateur.
La violation du principe de la séparation par le comptable se
réalise, le plus souvent, par le recouvrement d’une somme dont le
comptable ne détient pas le titre de perception. Le comptable se
rend alors coupable du délit de concussion100. Selon l’article 137 du
Code pénal, il y a concussion quand une personne, dépositaire de
l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public reçoit,
exige ou ordonne de percevoir à titre de droits, contributions,
impôts ou taxes publics, une somme qu’elle sait ne pas être due ou
excéder ce qui est dû. Le concussionnaire est, dès lors, passible des
peines d’emprisonnement ou d’amende. Le décret du 15 mai 2013
portant Règlement général de la comptabilité publique est plus
précis en envisageant la concussion tant du comptable que de
l’ordonnateur. L’article 46 dispose que : « toutes recettes autres que celles
qui sont prévues à l’article 45 ci-dessus, à quelques titres et sous quelque
dénomination que ce soit, sont formellement interdites, sous peine pour les agents
qui en assureraient l’émission et/ou le recouvrement, d’être poursuivis comme
concussionnaires, sans préjudice de l’action en répétition de l’indu pendant trois

droit de recourir à la réquisition de paiement » : « Essai sur la réquisition de paiement »,


RSF, Paris, Octobre 1967, pp. 657 et s.
100 Pour remonter aux origines de ce délit, André NEURISSE relève que « les

romains sanctionnaient déjà le péculat et la concussion commis par les questeurs, non sans une
certaine confusion dans le caractère même des défaillances qui, frauduleuses ou non,
intentionnelles ou non, relevaient de textes répressifs. Le péculat qui est le détournement
frauduleux des deniers publics au profit du comptable, présupposait une intention de fraude, était
147
années contre tous les comptables publics qui en auraient fait la perception. Sont
également punissables des peines prévues à l’égard des concussionnaires, tous les
détenteurs de l’autorité publique qui, sous une forme quelconque et pour quelques
motifs que ce soit, auront sans autorisation de la loi, accordé des exonérations en
franchises de droit, impôt ou taxe publique, ou auront effectué gratuitement la
délivrance des produits ou services payant de l’Etat ou de tout autre organisme
public »101.
La responsabilité personnelle et pécuniaire du comptable
public peut aussi être engagée dès lors qu’une dépense a été
irrégulièrement payée du fait de l’absence d’un ordonnancement
préalable. Il est alors mis en débet par un arrêté de son supérieur
hiérarchique ou par un arrêté de la juridiction financière.
Comme le souligne Farhana AKHOUNE102, la séparation
des ordonnateurs et des comptables est l’un des grands principes de
la comptabilité publique. Ce principe ne saurait être appliqué de
manière rigide au risque d’apparaître comme un obstacle à la mission
de ces deux acteurs. Ceux-ci doivent, avant tout, poursuivre
l’objectif de la meilleure gestion possible des finances tout en
satisfaisant les besoins propres de la commune. Cependant, ce
principe ne saurait aussi être appliqué au mépris de la loi. C’est
pourquoi, le comptable est sanctionné lorsque la loi est violée. C’est
le cas en matière de réquisition irrégulière. Lorsque la réquisition est
régulière103, elle emporte transfert de responsabilité du receveur vers

puni jusqu’à l’exil ». Cf. NEURISSE (André), Le Trésorier-payeur général, Thèse pour le
doctorat en droit, Université de Paris II, Paris, LGDJ, 1988, p. 102.
101 Art. 46 alinéas 1 et 2.
102 Cf. AKHOUNE (Farhana), Le statut du comptable en droit public financier, op. cit., p.

97.
103 Pour qu’elle soit donc régulière, la réquisition doit, pour sa régularité formelle,

être fondée sur une loiErreur ! Signet non défini. ou un règlement. Elle doit en
outre remplir certaines conditions de fond (elle doit être limitée strictement à son
objet) et de forme (comportant un numéro, des visas, la signature de
l’ordonnateur qui l’a émise, l’indication du montant de la dépense, les références
du créancier, etc.). Cf. note sous, arrêt n°5/AD/CSC/CDC/S3 du 23 mai 2012,
Compte de gestion de la Chambre d’Agriculture, de l’Elevage et des Forêts du
Cameroun (CHAGRI), Exercice 2004 et 2005, in SIETCHOUA DJUITCHOKO
(Célestin), La chambre des comptes de la cour suprême du Cameroun, Les principaux arrêts,
avis, rapports de certification du compte général de l’Etat et rapports d’observations à fin de
contrôle commentés », op. cit., pp. 244-253.
148
Rafip n°6 – 2nd semestre 2019

l’ordonnateur. Mais, la responsabilité du receveur peut demeurer si


la réquisition s’avère irrégulière. D’ailleurs, le receveur peut se servir
d’une réquisition pour en tirer des avantages. La Cour des comptes
française a eu à préciser, dans l’arrêt Masselot104 les conditions dans
lesquelles la responsabilité du comptable demeure en cas de
réquisition irrégulière. La Cour a indiqué dans cet arrêt que, la
responsabilité du comptable demeure, lorsque celui-ci a payé sur
réquisition de l’ordonnateur mais, a négligé de s’y opposer malgré
une ou plusieurs irrégularités affectant l’acte de réquisition,
notamment, l’absence de service fait.
Aussi, lorsque la réquisition est régulière, elle ne couvre le
comptable que sur les points et les motifs d’irrégularités qu’elle vise
expressément. La responsabilité du comptable reprend normalement
sur tous les points non couverts par la réquisition105.
Au total, le receveur qui a déféré à une réquisition irrégulière
de l’ordonnateur demeure responsable et, viole conséquemment le
principe de la séparation des ordonnateurs et des comptables.
B. La limitation portée par le droit de la
décentralisation
La qualité d’ordonnateur communal évolue dans un cadre
sous surveillance, limité sui generis. Le cadre en question, celui de la
décentralisation, est limité principalement par la tutelle de l’Etat sur
les Collectivités territoriales décentralisées. Parmi les pouvoirs de
tutelle106 de l’Etat sur les communes, figure le pouvoir de
substitution. C’est la faculté de statuer107 reconnue à la puissance
publique, de jouer un rôle actif en matière de compétences propres
des Collectivités locales en général, et, en matière financière

104 Cour des comptes, 1ère Chambre, 17 octobre 1916, Masselot, op. cit., p. 129 ;
GAJF, n°18, p. 171.
105 Cf. SIETCHOUA DJUITCHOKO (Célestin), La chambre des comptes de la cour

suprême du Cameroun, Les principaux arrêts, avis, rapports de certification du compte général
de l’Etat et rapports d’observations à fin de contrôle commentés, », op. cit., p. 251.
106 Pouvoir d’annulation, d’approbation, de suspension et d’orientation.
107 Par opposition à la faculté d’empêcher où, l’Etat ne détient qu’un pouvoir

négatif en matière de compétence locale. Cette faculté se résume généralement en


un pouvoir d’approbation.
149
communale en particulier. C’est aussi un contrôle a priori sur les
actes des autorités locales qui, le plus souvent, est perçu sur un plan
direct108 qu’indirect109.
Ainsi, aucun doute ne plane sur le fait qu’en octroyant la
qualité d’ordonnateur communal par la technique de substitution à
des autorités de l’Etat (1) ou spéciales (2), le législateur lui-même
limite la protection de ladite qualité.
1. L’octroi de la qualité d’ordonnateur par substitution
de l’Etat
Le législateur camerounais a prévu aux articles 172 alinéa 4
et 227 du CGCTD, le pouvoir de substitution d’action des autorités
publiques. Ce pouvoir donne compétence à une autorité de tutelle,
de substituer en cas de défaillance l’ordonnateur dans l’exercice de
ses fonctions110. C’est dire que le pouvoir de substitution d’action
permet à l’autorité de tutelle de faire ou de refaire un acte incombant
normalement aux autorités sous-tutelles111. Le pouvoir de

108 Par référence au pouvoir de substitution directe, plus présenté par les
textes et, qui correspond au pouvoir de substitution d’action que l’on
retrouve dans le cadre du contrôle administratif des Collectivités
territoriales décentralisées. Cf. ALIYOU (Sali), Le transfert de compétences aux
collectivités territoriales décentralisées au Cameroun, op. cit., p. 537.
109 Par référence au pouvoir de substitution indirecte, le moins présenté et,
consiste en ce que des actes de la compétence des autorités locales sont édictés
par celles-ci, mais en conformité obligatoire avec un modèle préétabli. L’autorité
locale n’est que « l’auteur apparent » de l’acte, l’auteur « réel » étant l’Etat, autorité
de tutelle. La substitution ici n’intervient pas ex post, après un refus d’agir ou une
action illégale de l’autorité locale, mais ex ante. Cf. sur ce point NEGRIN (Jean
Paul), L’intervention des personnes morales de droit privé dans l’action administrative, op. cit.,
p. 181.
110 Mais il faut préciser que le pouvoir de substitution ne peut intervenir que dans

les cas où l’autorité locale est obligée de prendre l’acte ou de l’exécuter, mais
refuse d’obtempérer ou est dans l’incapacité de le faire ; aussi, la substitution doit
être prévue par les textes à telle enseigne que l’autorité de tutelle ne puisse se
substituer à l’autorité municipale qu’après une mise en demeure préalable restée
sans suite.
111 Cf. VEDEL (Georges) et DELVOLVE (Pierre), Droit administratif,
Paris, PUF, Thémis, 1984, p. 856 ; VIGNES (C.H.), « Le pouvoir de
substitution », RDP, 1960, p. 753 ; BIPELE KEMFOUEDIO (Jacques),
« La tutelle administrative dans le nouveau droit camerounais de
décentralisation », Annales FSJP/Uds, Tome 9, 2005, p. 102.
150
Rafip n°6 – 2nd semestre 2019

substitution ici se matérialise par l’agissement « en lieu et place » et


« pour le compte » de l’autorité décentralisée112.
Au sens de l’article 227 du CGCTD, l’autorité de tutelle,
après mise en demeure, peut se substituer au maire, ordonnateur
communal. La substitution n’est possible que dans le cas où
l’exécutif communal refuse ou néglige d’accomplir un des actes qui
lui sont prescrits par le législateur ou la réglementation en vigueur,
ou encore qui s’imposent absolument dans l’intérêt de la commune.
Une analyse de cette disposition atteste de son caractère quelque peu
imprécis, et ce, du fait que le cadrage du champ d’action de l’autorité
de tutelle ne soit pas assuré par le législateur113.

112 La doctrine voit en ce pouvoir de substitution, une atteinte à


l’autonomie des Collectivités territoriales décentralisées. Elle la présente
comme une mesure exceptionnellement grave pour lesdites Collectivités
limitant la liberté d’action de celles-ci. Le Professeur René CHAPUS
présente le pouvoir de substitution en ces termes : « c’est un pouvoir
remarquable parce qu’il permet à l’autorité de tutelle de s’ingérer de façon
particulièrement marquée dans les affaires de l’institution décentralisée, et en même
temps de faire beaucoup plus que ce qui est permis au supérieur hiérarchique » : Droit
administratif général, op. cit., p. 390. A ce sujet, Martin FINKEM observe qu’il
s’agit de « l’étape suprême de l’exercice de la tutelle » : Gouvernance communale en
Afrique et au Cameroun, Harmattan Cameroun, Juillet 2013, p. 119. C’est « un
pouvoir gênant » car, « atteste la réelle immixtion de l’autorité de tutelle dans la gestion
des CTD ». Il ne s’agit pas là d’une « ingérence minimale », mais de la forme de
tutelle la « plus énergique » dont peuvent subir les Collectivités locales.
Cependant, cette position doit être relativisée. Il faut préciser que le
pouvoir de substitution est généralement bien encadré et étroitement
limité par le législateur. Le bien-fondé de ce pouvoir est qu’il intervient
dans le cadre d’un contrôle de légalité avec pour principal objectif, le
respect de la loi. Voir TENKEU (Victor Aurélien), La qualité d’ordonnateur
du budget des communes en finances publiques locales au Cameroun, op. cit., pp. 79 et
s.
113 « Il en découle que le système ici envisagé consisterait à admettre que parce que l’autorité
locale n’aurait posé aucune décision, malgré la loi, l’autorité centrale pourrait s’approprier la
marge de liberté que la loi établit en première analyse au profit de l’autorité locale. Il s’agit là
d’une solution de la centralisation car fondée sur ce pouvoir d’option et de décision de l’autorité de
tutelle. Or pour un Etat qui se veut de droit et de surcroit décentralisé, il aurait été souhaitable
que le législateur reconnaisse compétence au juge pour adresser des injonctions à l’autorité locale de
s’exécuter, que ce soit pour la prise d’un acte d’intérêt local ou de l’exécution d’une décision. Ceci
est fondé sur le fait que la décentralisation met en mouvement un rapport entre autorités centrales
et autorités jouissant d’une certaine « indépendance ». Ce qui fait que normalement, les autorités
locales ne devraient qu’avoir à traiter avec le juge, garant des droits et libertés individuelles ». Cf.
151
Précisément, le Ministre chargé des Collectivités territoriales
est habilité à se substituer au maire, ordonnateur principal du budget
communal. Il n’est pas exclu qu’il délègue cette attribution au préfet
qui en est son subordonné. Il n’est non plus exclu que cette
attribution soit exercée par le Président de la République leur chef
hiérarchique. L’article 227 alinéa 1 du CGCTD dispose, en effet, que
dans le cas où le maire « refuse ou s’abstient » de poser des actes qui
lui sont prescrits par la législation et la réglementation en vigueur, le
Ministre chargé des Collectivités territoriales peut y faire procéder
d’office. Aussi, le même article dispose que ledit Ministre peut
poursuivre ladite substitution dans le cadre de l’intercommunalité,
pour prendre des mesures présentant un intérêt intercommunal dans
les cas où le maire refuse ou s’abstient de le faire. La substitution du
maire-ordonnateur par le préfet n’est pas expressément prévue par
le législateur. Elle n’est possible que dans le cadre d’une délégation
expresse du Ministre chargé des Collectivités territoriales114.
Cela dit, le préfet et le Ministre chargé des Collectivités
territoriales exercent les fonctions d’ordonnateur communal à titre
ponctuel, et dans des situations extrêmes. Dans d’autres situations
par contre, le régime de substitution est d’un type particulier.
2. L’octroi de la qualité d’ordonnateur par substitution
spéciale
Dans certains cas exceptionnels, les fonctions d’ordonnateur
communal peuvent être partiellement ou totalement exercées par
des autorités particulières : le président de la délégation spéciale en
cas d’absence d’institution délibérante. Ce dernier peut déléguer une
partie de ses attributions à son adjoint.
Une délégation spéciale peut être nommée pour administrer
la commune dans quatre situations115 : en cas de démission de tous

KEUDJEU DE KEUDJEU (John Richard), Recherche sur l’autonomie des collectivités


territoriales décentralisées au Cameroun, op. cit., p. 529.
114 Voir TENKEU (Victor Aurélien), La qualité d’ordonnateur du budget des

communes..., op. cit., pp. 79 et s.


115 Art 196 al 2 du CGCTD. Lire aussi PEKASSA NDAM (Gérard Martin), « La

cessation anticipée de fonctions des organes municipaux au Cameroun », in


152
Rafip n°6 – 2nd semestre 2019

les membres en fonction du conseil municipal, en cas de dissolution


du conseil municipal lui-même116, en cas d’impossibilité de
constituer le conseil municipal117 ou encore en temps de guerre et en
cas de suspension du conseil municipal118. Dans ce dernier cas, le
décret présidentiel qui suspend le conseil municipal constitue
également la délégation spéciale119. Dans les trois autres cas, c’est un
arrêté du ministre en charge des collectivités territoriales qui nomme
une délégation spéciale dans les huit jours suivant la dissolution ou
l’acceptation de la démission des membres du conseil municipal120.
La délégation spéciale est composée de trois ou sept membres en
fonction du nombre d’habitants de la commune121, parmi lesquels
deux sont désignés président et vice-président par l’arrêté du
ministre ou le décret présidentiel.
La délégation spéciale ainsi constituée se voit reconnaître les
mêmes attributions que le conseil municipal122. Le président et le
vice-président de la délégation remplissent respectivement les
fonctions de maire et d’adjoint au maire123. Les organes délibérant et
exécutif de la collectivité sont donc reconstitués au sein de la
délégation spéciale, laquelle a désormais compétence pour exercer
les prérogatives légalement reconnues aux organes dont elle est le

KAMTO (Maurice), DOUMBE-BILLE (Stéphane), METOU (Brusil Miranda)


(dir.), Regards sur le droit public en Afrique, Mélanges en l’honneur du Doyen Joseph-
Marie BIPOUN WOUM, Paris, L’Harmattan, 2016, pp. 233-265 ; NGAPOUT
(Arouna), La cessation administrative de fonctions des organes communaux en Afrique
francophone, Thèse doctorat/Ph. D en droit public, Université de Yaoundé II, 2019,
455p.
116 Article 192 alinéa 1 du CGCTD.
117 Ibidem.
118 Article 191 alinéa 1 du CGCTD.
119 Ibidem.
120 Article 192 alinéa 2 du CGCTD.
121 Trois membres pour les communes de moins de 50.000 habitants et sept

membres pour les communes au-delà de 50.000. Article 192 alinéa 3 du CGCTD.
122 L’article 191 alinéa 2 : « le même décret constitue une délégation spéciale habilitée à

prendre les mêmes décisions que le conseil municipal… » ; l’article 192 alinéa 1 : « en cas de
dissolution d’un conseil municipal ou de démission de tous ses membres en exercice et lorsqu’un
conseil municipal ne peut pas être constitué, une délégation spéciale en remplit les fonctions » ; et
l’article 193 alinéa 1 du CGCTD : « la délégation spéciale exerce les mêmes attributions que
le conseil municipal ».
123 Article 196 alinéa 3 du CGCTD.

153
succédané124. La loi exclut cependant la possibilité pour la délégation
d’aliéner ou échanger des propriétés communales, de recruter du
personnel, de créer des services publics et de voter des emprunts.
Ces restrictions ne sont pas tout de même de nature à empêcher
toute initiative de la délégation spéciale notamment à propos de
l’exercice des compétences transférées à la commune et, surtout en
matière d’exécution du budget. En outre, en cas de mobilisation et
dans l’impossibilité d’organiser les élections municipales, la
délégation spéciale reprend la plénitude des compétences du conseil
municipal et de l’exécutif communal.
La gestion de la commune par la délégation peut aussi
s’étendre dans le temps. En principe installée pour six mois, le
temps qu’une nouvelle élection soit organisée125, le maintien de la
délégation peut être prolongé par un décret du Président de la
République pour une nouvelle période de six mois renouvelable
trois fois126. Il apparait que les actes successifs des autorités étatiques
peuvent imposer pendant trois mois une gestion de la commune par
délégation spéciale. Aussi, le président de la délégation spéciale, en
tant qu’ordonnateur principal de la commune, peut déléguer une
partie de ses attributions à son vice-président suivant les règles de la
délégation. Les deux acteurs remplissent alors respectivement les
fonctions de maire et d’adjoint au maire127. En le faisant, ils
exécutent le budget communal en tant qu’ordonnateur.
Conclusion
Au terme de cette étude, on peut se rendre compte que la
protection de la qualité d’ordonnateur communal en finances locales
au Cameroun est relative. Il faut savoir gré aux pouvoirs publics
d’avoir singularisé la qualité d’ordonnateur communal de celle de
son homonyme, l’ordonnateur du budget de l’Etat. Cependant, ce
dernier bénéficie d’un statut plus élaboré. L’ordonnateur communal

124 Cf. KOUOMEGNE NOUBISSI (Hilaire), Décentralisation et centralisation au


Cameroun, la répartition des compétences entre l’Etat et les Collectivités locales, op. cit., p. 326.
125 Article 195 alinéa 1 du CGCTD.
126 Article 195 alinéa 2 du CGCTD.
127 Article 196 alinéa 3 du CGCTD.

154
Rafip n°6 – 2nd semestre 2019

peine encore dans un cadre enclin à la restriction de son éclosion.


Deux éléments doivent certainement contribuer à l’éclosion de cet
acteur central d’exécution des budgets locaux : l’institution d’un
véritable statut de l’élu local et l’adoption d’un règlement de la
comptabilité des Collectivités territoriales décentralisées.
Au premier élément, le législateur semble avoir amorcé la
solution en adoptant la loi n°2019/024 du 24 décembre 2019
portant Code général des Collectivités territoriales décentralisées. Un
des mérites à accorder à la nouvelle loi est le fait d’avoir pensé au
statut de l’élu local128. Cependant, ce statut reste pour la plupart
tributaire des textes d’applications. Le second élément quant à lui
relève encore de l’illusion. Or, la conception de ces deux éléments
dans un esprit réel de décentralisation et de démocratie local est
probablement le gage d’une qualité d’ordonnateur intrinsèquement
forte, autonome et auto-protégée. Dans cet espoir, les pouvoirs
publics, sans que l’on ne souhaite leur épuisement, sont une fois de
plus interpelés.

128 Cf. Livre deuxième, articles 115 et suivants du CGCTD.


155
156
Rafip n°6 – 2nd semestre 2019

ECLAIRAGE

157
158
Rafip n°6 – 2nd semestre 2019

DYNAMIQUE NORMATIVE COMPAREE DU SECTEUR


DES HYDROCARBURES AU SENEGAL ET AU
CAMEROUN : UNE APPROCHE RELATIONISTE
Par
Dr Stéphane ESSAGA
Ph.D en Droit Public
Directeur du Centre Africain de Recherche
sur les Politiques Energétiques et Minières.

Introduction
Le Sénégal a adopté le 24 janvier 2019, le projet de loi
portant code pétrolier1 abrogeant et remplaçant la loi n°98-05 du 08
janvier 1998 de même objet. Trois mois plus tard pratiquement jour
pour jour, le Cameroun fait de même, en révisant la loi n°99-013 du
22 décembre 1999 portant code pétrolier. Si l’environnement
général est marqué par des modifications législatives d’envergure en
Afrique2, le Sénégal se différencie du Cameroun dans cette
mouvance normative par deux faits importants. Déjà le Sénégal n’est
pas encore producteur ni de pétrole ni de gaz au moment de la
révision, à la différence du Cameroun. De plus, le Sénégal est
présenté et depuis longtemps comme un « futur eldorado pétrolier et
gazier »3, à la différence du Cameroun qui assume son statut de
producteur modeste en la matière4.

1 Après promulgation, Loi n°2019‐03 du 1er février 2019 portant Code pétrolier.
2 Pour le Gabon, lire l’interview du Ministre de l’Economie et des finances et des
Solidarités Nationales, dans Jeune Afrique n°3063 du 22 au 28 septembre 2019,
p.62. Pour le Nigéria, lire Jerome ONJA, Editorial dans Majorwaves energy report
vol. 2, n°8 de novembre 2019, pour la loi révisée sur les bassins onshore et très
profonds, dont il est attendu 500 millions de dollars en 2020 et le double en 2021
(page 5).
3 Lire MOULOLO P., « Sénégal futur eldorado pétrolier et gazier », CapEco Africa

n°12 juin 2018, p.69 et s. Plus récemment, Jean Marie Meyer, « Le Sénégal face au
paradoxe de l’abondance », Afrique Magazine n°387-388 de décembre 2018-janvier
2019, p. 112.
4 A l’occasion du trentième anniversaire de la Société Nationale des

Hydrocarbures (SNH), l’Administrateur Directeur Général de cette entreprise


publique explique la modicité de la production camerounaise par l’étroitesse du
159
La coïncidence temporelle et littéraire dans la production des
nouvelles normes pétrolières de plusieurs pays africains contribue à
la banalisation de la relation entre le droit et l’activité pétrolière. Elle
peut néanmoins, dans le même temps, être le vecteur de la relance
de plusieurs problématiques de type épistémologique et théorique,
d’ordre à la fois général et spécifique. Sur un pallier général, la
relation entre le droit et l’économie a toujours constitué une source
de malaise profond pour reprendre les mots de Martine Lombard5.
En principal, elle laisse fatalement réapparaître la problématique de
l’efficacité du droit, précisément lorsque celui-est codifié, comme au
Sénégal et au Cameroun, au contraire de la common law qui serait
plus apte à favoriser le développement économique6.
Ensuite sur un pallier beaucoup plus spécifique, la
généralisation des codes pétroliers réinterroge la pertinence de la
doctrine relative à la lex petrolea, entendue comme ensemble de règles
coutumières construite au fil du temps par les opérateurs pétroliers7.
L’approche qualifiée d’ « économisme »8 , qui considère que l’État est
un acteur majeur du marché économique tout en étant l’un de ses
producteurs (ou coproducteurs, avec plusieurs autres acteurs par ses
lois), pourrait trouver en cette banalisation un support et un ressort
important9. Ainsi, la régularité des productions de normes complètes

domaine minier camerounais, une géologie complexe et défavorable par rapport à


ses voisins : voir SNH Infos n°32 août 2010, p. 19.
5 LOMBARD M., « De Colbert à Posner : malentendu sur l’économie du droit »,

International Law FORUM du droit international, 6, 2004, pp. 81-87.


6 POSNER R., “Law and economics in common Law, civil –Law and Developing

nations, Ratio Juris, vol.17 (1), 2004, p.66-79. Lire aussi B. MARAIS, « Quand les
juristes rencontrent des économistes », in Droit et Economie Interférences et interactions,
Etudes en l’honneur du professeur Michel BAZEX, Paris, Litec 2009, p. 109 et s.
7 Voir BISHOP D., International arbitration of petroleum dispute: the development of a lex

petrolea, CEPLMP, Université de Dundee, Écosse, discussion paper n°. DP 12,


1997, XXIII YB Com. Arb., 1998; THOMAS C.C. CHILDS, « Update on lex
petrolea: the continuing development of customary law relating to international oil
and gas exploration and production », J.W.E.L.B., vol. 4, n°3, September 2011,
pp. 214- 259; BONNEFOY N., « Moving towards an Africa Lex Petrolea »,
Advisor, September 2012, p. 24.
8 SUEUR L.-J., « Analyser le pluralisme pour comprendre la mondialisation ? », in

CHEROT, FRYDMAN (dir.), La Science du droit dans la globalisation, Bruxelles,


Bruylant, coll. Penser le droit, p. 112.
9 Ibid.

160
Rafip n°6 – 2nd semestre 2019

en la matière par les Etats hôtes des investissements privés


internationaux devrait, comme cela a déjà débuté10, inviter les
juristes africains à reconstruire le droit des hydrocarbures.
Mais cette coïncidence pourrait aussi, plus modestement,
rapprocher les dynamiques forgeant les différentes législations, en
posant que quoique pratiquement jumelles, « chaque situation, nationale
ou pan-nationale, soulève, en effet, des questions épistémologiques qui lui sont
particulières »11. Dès lors, un véritable travail de déconstruction selon
la formule de Derrida, consistant à « une écriture dédoublée , c’est-à-dire
(…) à une inscription qui invente/construit et déconstruit dans le même
temps »12, est envisageable. Il convient juste, pour cette entreprise, de
préciser l’angle sous lequel le rapprochement des deux dynamiques
sera fait, toute comparaison se structurant nécessairement à partir
d’appareils doctrinaux subjectifs et personnels, et le « butin » obtenu,
selon les mots de Roland Barthes13, entièrement tributaire de cette
approche.
Le concept14 de « relation juridique » nous paraît fertile dans
cette entreprise. Celle-ci est ici entendue comme « une activité ou une
situation dans laquelle plusieurs personnes sont susceptibles d’agir mutuellement
les unes sur les autres. Une relation doit donc réunir des sujets, au moins deux
personnes, et une activité ou une situation qui fonde une interaction entre ces
personnes »15. En effet, « la création d’une catégorie intermédiaire entre les
choses et les personnes est possible conceptuellement en employant la notion de
relation juridique, de préférence aux notions de personne (morale ou non) »16.

10 Lire ESSAGA S., Les sources du droit des hydrocarbures en Afrique, Paris,
L’Harmattan, 2018.
11 LEGRAND P., Pour la relevance des droits étrangers, Paris, IRJS Editions, LGDJ,

2014, p. 39.
12 DERRIDA J., Positions, Paris, Editions de Minuit, 1972, p. 56.
13 BARTHES R., Œuvres complètes, 2e éd. (sous la dir. d’Eric Marty), vol. III, Paris

Le Seuil, 2002, p.180.


14 Lire BIOY X., « Notions et concepts en droit : interrogations sur l’intérêt d’une

distinction… », in G. TUSSEAU (dir.), Les notions juridiques, Paris, Economica,


2009, pp. 21-53.
15 MESSAI-BAHRI S., « La relation d’affaires ou relation commerciale », in

JEULAND, MESSAI-BAHRI (dir.), Les nouveaux rapports de droit, Paris, IRJS


Éditions, 2013, p. 21.
16 JEULAND E., Théorie relationiste du droit, op. cit., p. 214.

161
Les activités d’exploration et d’exploitation des
hydrocarbures correspondent parfaitement à cette définition.
Mettant aux prises des acteurs aux intérêts rarement convergents
mais toujours aussi interdépendants, à savoir les États producteurs
et les entreprises privées étrangères principalement, cette relation
mérite tout son pesant d’attention, et les codes pétroliers
promulgués devraient en être les caisses de résonnance.
L’État, au moins dans le contexte africain17, est l’acteur
majeur dans le processus de production des normes juridiques en
droit des hydrocarbures en général, et des codes pétroliers en
particulier. Et la sensibilité de l’activité elle-même, du point de vue
tant financier que stratégique tant pour ces États que pour les
entreprises privées étrangères au moins, est manifeste. Comment les
derniers codes pétroliers sénégalais et camerounais traduisent - ils
cette concentration d’intérêts, d’acteurs, en un mot cette relation ?
Il s’agira alors de constater, sans surprise feinte, qu’une
convergence législative est perceptible du point de vue de la
technique juridique soutenant les législations pétrolières tant
sénégalaise que camerounaise (I). Toutefois, une analyse
approfondie laisse entrevoir des divergences quant aux différents
liens juridiques établis entre les différentes entités, débouchant ainsi
sur toute une politique juridique divergente entre ces deux Etats
(II).
I. Une convergence dans la structuration des rapports
de droit
La technique juridique est définie comme une « utilisation du
raisonnement et des règles juridiques dans un domaine particulier »18. Plus
génériquement, il s’agit d’un « ensemble de moyens permettant de
réaliser les options de la politique législative, se rapportant à la
manière de présenter les textes et d’énoncer leur contenu »19. Deux

17Lire ESSAGA S., op.cit.


18 CABRILLAC R. (dir.), Dictionnaire du vocabulaire juridique, Paris, LexisNexis,
2015, 6e édition, p. 502.
19 GUINCHARD S., DEBARD Th. (dir.), Lexique des termes juridiques, Paris,

Dalloz, 2017, 25ième éd., p. 1993.


162
Rafip n°6 – 2nd semestre 2019

ordres de moyens structurant les codes pétroliers en examen sont


identifiables dans les deux pays : les moyens extra-juridiques (A) et
les moyens purement juridiques (B).
A. Les moyens extra-juridiques : les facteurs géologiques
Il est remarquable que les législateurs évoquent plus ou
moins clairement des facteurs matériels et extra juridiques ayant
fondé la modification des normes antérieures. Dans le cadre de la
production des deux législations pétrolières étudiées, il est
clairement fait allusion aux facteurs géologiques, mais de façon
historique et patrimoniale. Autrement dit, le capital de réformes
antérieures qui avaient déjà tenu compte de ces facteurs géologiques,
est considéré comme toujours pertinent et valable, et à reconduire
dans le cadre de la réforme contemporaine.
Simplement, la trace géologique antérieure est clairement
évoquée dans le cas sénégalais (1), alors qu’elle est floue pour le cas
du Cameroun, indirectement évoquée (2).
1. La trace claire de la géologie au Sénégal
Au Sénégal, le nouveau code clarifie dès le départ que « dans
le but de promouvoir la compétitivité du bassin sédimentaire (le Sénégal) avait
adopté la loi n° 98-0S du 08 janvier 1998 portant Code pétrolier. Elle offrait
aux compagnies pétrolières des conditions attrayantes en vue de favoriser le
développement des investissements inhérents à la recherche et à l'exploitation
d'hydrocarbures ». Il continue par louer les résultats de cette option20,
et affirme donc vouloir préserver « l’attractivité et la compétitivité du
pays ».
Le principe d’attractivité nécessaire du domaine minier
national est certes énoncé en premier dans cet exposé de motif, mais
de façon lapidaire. C’est en se réappropriant les termes de l’exposé
de motif précédent que le lien entre le code pétrolier et les facteurs

20 « Ce cadre légal incitatif, ainsi mis en place, a contribué à attirer les investissements des
compagnies pétrolières. Il en a résulté le développement puis le début de l'exploitation du gaz
naturel dans les anciens permis (Thiès/Sébikhotane en onshore) et le financement d'études pour
une meilleure connaissance du système pétrolier en offshore. Parallèlement, des forages ont été
163
géologiques et matériels est plus dense et explicite. Ainsi pouvons-
nous lire que « durant ces dix dernières années, l'environnement pétrolier
international a été caractérisé par une réduction importante des budgets
d'exploration des compagnies pétrolières. Une telle situation a réduit la
compétitivité d'un pays comme le nôtre pour les investissements de recherche
pétrolière au profit de pays disposant d'un potentiel pétrolier confirmé ». Le
législateur en tire alors une conséquence logique : « Pour être compétitif,
le Sénégal doit non seulement tenir compte de l'évolution des données énergétiques
mondiales, mais aussi offrir aux acteurs potentiels de l'industrie pétrolière, des
conditions attrayantes et susceptibles de favoriser le développement des
investissements pétroliers d'exploration ou de production sur le territoire
national ». Il conclut alors : « le présent projet de Code pétrolier est conforme
à l'orientation générale du droit pétrolier international, tout en tenant compte des
caractéristiques spécifiques de la recherche et de l'exploitation des hydrocarbures
dans notre bassin sédimentaire Onshore, et offshore, des conditions
existantes et du développement anticipé de l'industrie pétrolière »21.
La véritable période de disette évoquée dans l’exposé des
motif de la loi de 1998 est expliquée encore plus de détail par la
doctrine locale, suivant laquelle « la recherche et développement en
géophysique (sismique réflexion tridimensionnelle), bien qu’en progrès dans les
années 1980 et 1990, n’était pas encore arrivée à maturité pour diminuer
nettement les risques liés à l’exploration dans les zones prometteuses mais peu
connues comme pouvait l’être l’offshore sénégalais. (…) Conscient de son
potentiel pétrolier et gazier, confirmé depuis les années 1960 par quelques indices
issus de forages mais aussi par une grande découverte non commerciale au large
de la Casamance en 1967 et le petit gisement gazier de Diamniadio en 1987,
l’Etat du Sénégal décida donc d’adopter un Code pétrolier attractif pour séduire
les compagnies pétrolières internationales et relancer l’exploration »22.
La nécessité de maintenir ce capital de normes inspiré des
conditions matérielles d’exploitation est d’autant plus évidente que

réalisés, menant à la découverte conséquente d'hydrocarbures, à partir de 2014, ce qui a suscité


l'intérêt des compagnies pétrolières internationales pour le bassin sédimentaire du Sénégal ».
21 Exposé de motifs de la loi n°2019-03 du 01er février 2019 portant code pétrolier

au Sénégal.
22 NDAO Fary, L’or noir du Sénégal : comprendre l’industrie pétrolière et ses enjeux au

Sénégal, Essai, 2018, pp. 87-88.


164
Rafip n°6 – 2nd semestre 2019

sur 170 forages réalisés après des études géophysiques sérieuses,


« seule une dizaine a révélé des indices d’hydrocarbures ou des découverte un
pourcentage de ‘réussite’ avoisinant les 9% et qui serait encore plus faible si l’on
ne considérait que les découvertes commerciales »23.
Il importe enfin de noter que déjà en 1998, les mêmes
facteurs géologiques ont été cette fois - ci de façon tacite reconduits,
l’exposé des motifs de 1998 renvoyant aux avantages fiscaux et
douaniers déjà introduits dans le système juridique sénégalais douze
ans auparavant24.
2. La trace floue de la géologie au Cameroun
Le code pétrolier camerounais, quant à lui, n’ayant pas
d’exposé de motifs, ce sont les responsables de la société nationale
des hydrocarbures qui en dévoilent les forces fondatrices. Il est
remarquable alors que les enjeux d’attractivité soient aussi mobilisés,
sans expressément citer l’économie pétrolière internationale
ambiante au moment de la promulgation de la loi.
C’est ainsi que l’Administrateur- Directeur général de la
SNH a pu en dire : « il intègre des dispositions visant l’intensification des
activités d’exploration/production des hydrocarbures, l’amélioration du niveau de
production (…) Les compagnies pétrolières bénéficient (…) d’un cadre plus
attractif, du fait notamment de la simplification des procédures et des régimes
fiscal, douanier et de change. En outre, il leur est désormais permis d’exploiter c
o n j o i n t e m e n t des blocs faisant l’objet de contrats distincts. Ainsi donc, le
nouveau Code pétrolier traduit le parti pris du gouvernement, pour l’amélioration
de la compétitivité du secteur des hydrocarbures, en l’adaptant aux évolutions
enregistrées dans ce domaine. Le texte remplace celui de 1999, sous lequel pas
moins de 23 contrats pétroliers ont été signés »25.
Plus explicite et volubile sur la question, le président de la
Commission de Négociation des Contrats Pétroliers et Gaziers

23 NDAO Fary, L’or noir du Sénégal, op. cit., p. 90.


24 Il dit alors que « ce nouveau Code pétrolier contient des mesures pour stimuler l'exploration,
le développement et l'exploitation des hydrocarbures par un renforcement des avantages fiscaux et
douaniers déjà acquis dans le code de 1986… ».
25 MOUDIKI A., Administrateur-Directeur Général de la Société nationale des

Hydrocarbures, SNH Infos n°62-63 août 2019, p. 3.


165
explique : « Le Cameroun a pu conclure plus de 20 contrats pétroliers et attirer
d’importants investissements dans le secteur des hydrocarbures grâce au Code
pétrolier de 1999. Il s’agit là, d’une preuve de l’attrait de notre régime pétrolier.
Cependant, afin de faire face à la concurrence existante entre les pays pour la
promotion de leurs domaines miniers, nous améliorons sans cesse le cadre
contractuel et fiscal du secteur des hydrocarbures, [en] donnant notamment plus
de flexibilité et en instaurant davantage de mesures incitatives pour soutenir les
programmes de travail des compagnies pétrolières et gazières »26.
Ainsi, la volonté de rendre « plus attractif » ou d’ « améliorer » le
dispositif existant suppose une prise en compte antérieure aux
variables purement géologiques. Cette supposition est confirmée par
le directeur de l’exploration de la SNH qui, cette fois en plus amples
détails, déroule le lien mécanique entre les conditions d’exploitation
et les législations conçues et mises en œuvre : « il faut se faire à l’idée
que le risque technique d’exploration auquel les sociétés pétrolières ont à faire
face dans nos bassins sédimentaires est élevé. La complexité géologique des
nouveaux thèmes d’exploration, la taille des découvertes jusqu’ici réalisées au
Cameroun et l’étroitesse relative de notre domaine minier sont autant de facteurs
à prendre en compte, qui ne sont malheureusement pas du domaine minier
camerounais, l’un des plus sollicités par les compagnies pétrolières pour
l’exploration dans la sous-région (…) ». La conclusion attendue est ainsi
tirée : « En tout état de cause, l’amélioration du cadre contractuel et fiscal de
l’activité de recherche résultant de la loi n°98/003 du 14 avril 1998 et de la
promulgation le 22 décembre 1999 de la loi portant code pétrolier (….)
constituent autant d’atouts susceptibles de conduire le Cameroun à des succès
futurs en exploration »27. Deux ans plus tard, la fertilité de ces mesures
est alors ainsi affirmée : « la législation pétrolière précédente était jugée
complexe par l’industrie pétrolière… Aujourd’hui, grâce notamment aux actions
permises par le nouveau Code Pétrolier, nous sommes partis d’un niveau
d’investissement de moins de 5 millions de dollars en 1997 à plus de 100

26 Lire l’interview de l’Administrateur-Directeur Général de la Société nationale


des Hydrocarbures, SNH Infos n°62 – 63 août 2019, p.17.
27 Interview in SNH Infos n°009 de février 2001, p. 22.

166
Rafip n°6 – 2nd semestre 2019

millions de dollars en 2002 (…) C’est-à-dire qu’en trois années d’application


du nouveau Code Pétrolier, les retombées sont fort éloquentes… »28.
On constate alors aisément que la référence à la loi de 1998
disparaît pour ne citer que le code pétrolier de 1999, contribuant
alors au renforcement du symbolisme des codes29, présentés comme
des talisman ou fétiches opérationnels permettant d’accroître
l’intérêt des investisseurs étrangers et partant de densifier les
activités d’exploration et de production des hydrocarbures.
Il apparaît alors en tout état de cause que le thème de la
géologie est constant dans les moyens justifiant les législations
pétrolières sénégalaises et camerounaises, que ce soit de façon
explicite ou implicite. Mieux, il est la cause majeure et principale
évoquée dans le cadre des nouvelles législatures, mais est de moins
en moins affirmé et assumé à la fois parce que déjà régulièrement
mobilisé, mais aussi parce qu’avec l’évolution du temps, d’autres
thématiques s’imposent et occultent partiellement celui récurrent de
la géologie.
Ainsi en est-il de celui lié au concept de développement
durable.
B. Le moyen juridique commun : le concept de «
développement durable »
Traditionnellement, le développement durable est défini
comme « un développement qui répond aux besoins du présent sans
compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs »30.
Selon O’ Connorr, le développement durable est associé à un
« processus de coévolution » (et de négociations) visant le respect
des objectifs des quatre sphères que sont l’environnement, le social,

28 Interview parue dans le trimestriel d’informations SNH Infos N°13 juin 2003,
page 9.
29 Lire CABRILLAC R., Le symbolisme des codes, in L’Avenir du droit, Mélanges en

hommage à François Terré, Paris, Editions Dalloz, 1999, pp. 212-220.


30 Commission des Nations Unies sur l’Environnement et le Développement

(CNUCED), 1987.
167
l’économie et la gouvernance31.
Si le développement durable a initialement été conçu et
développé dans un cadre international, et constitue le moyen
juridique implicite de certaines règles fondamentales du droit des
hydrocarbures (1), sa déclinaison connaît sans surprise une
différence dans les deux législations pétrolières sénégalaise et
camerounaise. Le contenu local est formellement intégré dans les
deux textes, avec en prime les exigences de transparence au Sénégal
uniquement (2).
1. Les fondations diverses du développement durable
Le développement durable a été présenté comme une notion
à contenu variable32, mais il constitue en réalité « un concept
intersystémique » par nature, car « sa capacité de résonance peut se ressentir
au sein d'un même système juridique, par l'influence qu'il déploie sur le système
et ses normes ainsi que par les applications qui en sont faites »33.
Intégrant à la fois des variables économiques, sociales et
internationales, la notion de développement durable s'est précisée au
fil du temps, au point de constituer un standard à la fois législatif et
jurisprudentiel34. Les États font preuve d’une appropriation
particulière et parfois singulière du standard du développement
durable. À travers plusieurs textes de nature différente et de manière
progressive, ce standard est rentré dans le bloc de juridicité du
continent africain.

31 Lire CHAMARET A., Une démarche top-down/bottom-up pour l’évaluation en termes


multicritères et multi- acteurs des projets miniers dans l’optique du développement durable.
Application sur les mines d’Uranium d’Arlit (Niger), Thèse de doctorat en Sciences
économiques, Université de Versailles Saint – Quentin-En-Yvelines, 2007, p. 28.
32 Lire FIEVET G., « Réflexions sur le concept de développement durable :

prétention économique, principes stratégiques et protection des droits


fondamentaux », Revue belge de droit international, n°128, 2001/1, p. 140.
33 BARRAL V., « Le rayonnement intrasystémique du concept de développement

durable », in RUIZ FABRI, GRADONI (dir.), La circulation des concepts juridiques : le


droit international de l'environnement entre mondialisation et fragmentation, op.cit., 2009, page
371-396.
34 Lire BARDOUL C., « La densification normative du développement durable »,

in THIBIERGE et alii, La densification normative, op. cit., p. 842.


168
Rafip n°6 – 2nd semestre 2019

Plusieurs instruments juridiques à forces normatives


variables invoquent ce standard de développement durable. En
1963, dans la foulée des indépendances, est créée l'Organisation de
l'unité africaine (OUA). Bien que ne recevant pas de compétences
explicites dans le domaine de l'environnement, le préambule de sa
charte constitutive se réfère déjà au « devoir (…) de mettre les ressources
naturelles et humaines de notre continent au service du progrès général de nos
peuples dans tous les domaines de l'activité humaine ». En 2002, l'OUA
migre en Union africaine (UA) à Durban, en Afrique du Sud, dont
l'acte constitutif fait figurer au rang des objectifs celui de « promouvoir
le développement durable aux plans économique, social et culturel »35.
S’agissant précisément du secteur extractif africain, il trouve
une déclinaison particulière et spécifique du concept de
développement durable en la « Vision minière africaine » (VMA).
Résolus dans une logique communautaire à promouvoir leur
développement par une meilleure valorisation des matières
premières, les Chefs d’Etat et de gouvernement de l’Union Africaine
ont adopté en février 2009 la Vision minière pour l’Afrique (VMA)
et son plan d’action en 2011.
Elle constitue un instrument africain de développement
général du secteur minier en Afrique. Elle engage les états africains à
assurer une« exploitation transparente, équitable et optimale des ressources
minérales pour soutenir une croissance durable à base élargie et le développement
socio-économique ». Plus précisément les gouvernements africains ce
sont convenus de faire en sorte qu’un secteur extractif viable et bien
administré produise effectivement une rente minière et facilite son
affectation, et que ce secteur soit un vecteur essentiel et définitif du
développement inclusif de l’Afrique, après les échecs des précents
plans collectifs tel le plan de Lagos de 1980.
La VMA constitue ainsi un outil idéologique et politique de
réalisation d’une nouvelle approche collective et individuelle de
développement économique durable, promue à la suite d’études

35 De plus, la protection de l'environnement fait explicitement partie des


attributions du Conseil exécutif de l'Union africaine (article 13).
169
profondes et multidisciplinaires de plusieurs organisations
internationales à la fois36.
Ces sources à la fois internationales et régionales fondent
dans une large mesure le contenu des législations extractives
africaines, comme celles du Sénégal et du Cameroun, avec des
déclinaisons plus précises que les principes juridiques sus évoqués.
2. Les déclinaisons diverses du développement durable
Les codes pétroliers camerounais et sénégalais réaffirment
leur alignement sur les principes du développement durable, sous le
prisme du contenu local. Au Cameroun par exemple, les
responsables de la SNH affirment que « le nouveau code pétrolier
contribuera au mieux-être des communautés riveraines des opérations pétrolières,
grâce aux dispositions obligeant les compagnies pétrolières signataires de contrats
pétroliers avec l’Etat, et notamment celles agissant en qualité d’opérateurs, à
s’intéresser davantage au développement local, à l’utilisation de la main d’œuvre
locale, de prestataires de services locaux, de matériaux locaux, à la formation des
riverains, à la mise en œuvre des plans de gestion environnementale et sociale, à
la réalisation des activités en rapport avec la responsabilité sociétale des
compagnies »37. Toutefois, il convient de préciser que le code de 2019
n’institue pas une nouvelle norme, mais la renforce.
En effet, certains principes fondamentaux du contenu local
sont déjà mis en œuvre par la SNH. L’Administrateur-directeur
Général de la SNH a pu ainsi récemment rappeler : « La politique du
Cameroun en matière de contenu local intègre le développement des compétences
locales, la promotion et le développement de services ou de structures d’appui
ayant des capacités et des compétences suffisantes. Les Codes pétrolier et gazier et
la réglementation connexe priorisent le recours aux entreprises locales de services
et l’utilisation de produits et matériaux locaux. Par ailleurs, les budgets de
formation font partie des engagements pris par les compagnies pétrolières
internationales dans leurs contrats pétroliers, pour former des Camerounais et

36 On peut citer l’union Africaine, la Commission Economique Africaine des


Nations Unies, la Banque Mondiale…
37 Interview de KOUM J.-J., Président de la Commission permanente de

négociation des contrats pétroliers et gaziers au sein de la Société Nationale des


Hydrocarbures du Cameroun, in SNH Infos n°62 – 63 août 2019, p.05.
170
Rafip n°6 – 2nd semestre 2019

développer l’expertise nationale en dehors de leur personnel. Les accords gaziers


prévoient en outre la création de fonds appropriés pour de développement
locaux »38.
Néanmoins, le code pétrolier évoque explicitement cette
nouvelle règle, à la fois en la définissant comme « ensemble des activités
de l’industrie pétrolière camerounaise axées sur le développement des capacités
locales, l’utilisation des ressources humaines et matérielles locales, le transfert de
technologie, l’utilisation des sociétés industrielles et de services locales et la
création d’une valeur ajoutée mesurable pour l’économie locale »39. Tout un
chapitre lui est consacré, composé de cinq articles qui en donnent la
substance40. Il est notable néanmoins de constater que le trépied
personnel local – fournisseurs locaux – transfert de technologie
évoqué dans la définition, n’est pas repris à l’article 87 alinéa 1 du
même code, qui cette fois édicte que « le contenu local (…) comporte un
volet sur le développement des ressources humaines et un volet relatif à
l’utilisation des sociétés locales de prestations de services et de fourniture de
biens ». Cela traduit une énonciation de principe sans expérience
structurée et développée en la matière, au regard de l’importance
accordée spécifiquement au transfert de technologie dans d’autres
pays tel la République fédérale du Nigeria41.
Au Sénégal, le développement durable est décliné de façon
plus dense dans le dernier code pétrolier. Son exposé de motif
évoque « la prise en compte des exigences de transparence dans la gestion des
ressources extractives, conformément à la norme de l'Initiative pour la
Transparence dans les Industries extractives (ITIE) » d’une part, et
« l'élargissement de dispositions relatives au contenu local donnant la possibilité
pour les investisseurs privés nationaux disposant de capacités techniques et
financières de pouvoir participer aux risques et aux opérations pétrolières ».

38 Interview dans SNH Infos n°62/63, août 2019, p. 19.


39 Article 2.11 de la loi n°2019/008 du 25 avril 2019. Il s’agit pratiquement d’une
reprise textuelle de la définition de la loi n°909/PJL/AN du 02 avril 2012 portant
code gazier, suivant laquelle le contenu local est un « ensemble d’activités axées sur le
développement des capacités locales, l’utilisation des ressources humaines et matérielles locales, le
transfert de technologie, l’utilisation de sociétés industrielles et de services locaux, et la création de
valeurs additionnelles mesurables à l’économie locale ».
40 Chapitre III, articles 86, 86, 88, 89 et 90.
41 Lire Majorwaves energy report vol. 2, n°8 de novembre 2019.

171
S’agissant de la transparence qui est explicitée dans les articles 55 et
56 du code pétrolier sénégalais, il est à noter que seul l’enjeu de
l’alignement aux normes ITIE est clairement mentionné et avec une
redondance certaine, et non les textes communautaires et légaux
antérieurs qui sont autant voire plus contraignants en la matière42.
Pour ce qui est du contenu local, l’idée d’amélioration du
dispositif antérieur est clairement énoncé, avec en plus non
seulement des grandes lignes déclinées en 5 alinéas à l’article 58,
mais la précision que « les mesures de promotions du contenu local seront
déterminées par une loi ». Le projet de loi y relatif au contenu local dans
le secteur des hydrocarbures a été adopté par le gouvernement
sénégalais mercredi 9 janvier 2019 lors du Conseil hebdomadaire des
ministres, et la loi adopté sous la même législature que le code
pétrolier du 1er février 2019 (loi n°2019-04 portant contenu local au
Sénégal).
Le concept-thème de « développement durable » qui imbibe
les législations pétrolières sénégalaise et camerounaise est déployé de
façon différenciée, avec une plus grande densité au Sénégal, alors
que les ressorts de son déploiement son présents dans les deux
contextes43. Cela est en réalité la traduction d’une différence
fondamentale des politiques juridiques pétrolières entre les deux
Etats qu’il convient de décliner.
Comme le rappelle Charles Eisenmann, « le droit positif apporte
au juriste toute une série de réglementations, de système d’organisation politique
ou gouvernementale divers ; il les lui offre pour ainsi dire ‘‘en vrac’’, tous

42 Notamment la directive communautaire n°1/2009/CM/UEMOA du 27 mars


2009 portant code de transparence dans la gestion des finances publiques au sein
de l’UEMOA, et la loi n° 2012-22 du 27 décembre 2012 portant Code de
Transparence dans la Gestion des Finances publiques au Sénégal.
43 S’agissant de la transparence, nonobstant la rapidité dans l’évolution des normes

ITIE qui ne sont pas toutes mises en œuvre par le Cameroun, la loi n°2018/011
du 11 juillet 2018 portant code de transparence et de bonne gouvernance dans la
gestion des finances publiques aurait pour constituer une source de réitération de
l’engagement camerounais en la matière, ce qui aurait été cohérent avec le
satisfecit général de la SNH en la matière. De même, au regard de la densité des
dispositions du contenu local tel qu’aménagé dans le code minier de 2016 (articles
165 et suivants) dans ce même pays, le libellé du code pétrolier où l’activité est
ancienne est clairement étonnamment succinct.
172
Rafip n°6 – 2nd semestre 2019

ensemble comme à ‘‘l’état brut’’ : et c’est à lui juriste (…) qu’il appartient et
incombe de mettre l’ordre intelligible, l’ordre de la connaissance dans cette masse
de matériaux »44. Boris Barraud rappelle alors que « cette mission propre
au jus-universitaire est une mission scientifique et elle doit être comprise de la
sorte par lui »45.
Mais dans cette perspective, « la construction d’une matière
juridique, à partir des éléments plus ou moins épars, est toujours une œuvre
intellectuelle reposant par force sur des prises de position quant à la nature
juridique des institutions, quant à leur domaine, quant aux principes qui sont
censés les gouverner, etc. »46. Nous pensons qu’après avoir démontré le
tronc commun dans la structuration des législations pétrolières
sénégalaise et camerounaise, l’ordre logique de l’étude devrait
s’appesantir sur leur mise en perspective logique et rationnelle. Au
demeurant, comme le dit Alain Supiot, « la recherche en droit ne diffère
pas sensiblement des autres activités de recherche. Il s’agit toujours de colliger,
d’ordonner, d’interpréter et d’expliquer rationnellement des données
empiriques »47. Il s’agit ici de dépasser, pour reprendre le mot de
Jacques Chevallier, « l’étroitesse » du positivisme techniciste « qui
s’attache à restituer le plus fidèlement possible le droit existant, tout en
construisant et en diffusant les cadres conceptuels destinés à assurer la cohérence
de l’édifice normatif »48.
Le concept49 de « relation juridique » est ici entendue comme
« une activité ou une situation dans laquelle plusieurs personnes sont susceptibles
d’agir mutuellement les unes sur les autres. Une relation doit donc réunir des

44 EISENMANN Ch., « Quelques problèmes de méthodologie des définitions et


des classifications en science juridique », Archives de philosophie du droit, n°11, 1966,
p. 25.
45 BARRAUD B., La Recherche Juridique. Sciences et pensées du droit, Paris,

L’Harmattan, p. 232.
46 JESTAZ P., JASMIN C., La doctrine, Paris, Dalloz, 2004, p. 218.
47 SUPIOT A., « Grandeur et petitesse des professeurs de droit », Les cahiers du

droit, vol. 42, n°3, sept. 2011, cité par FONTAINE L., Qu’est-ce qu’un “grand”
juriste ? Essai sur les juristes et la pensée juridique moderne, Paris, Lextenso éditions,
2012, p. 105.
48 CHEVALLIER J., « Doctrine juridique et science juridique », Droit et société,

n°50, 2002, p. 113.


49 Lire BIOY X., « Notions et concepts en droit : interrogations sur l’intérêt d’une

distinction… », in TUSSEAU G. (dir.), Les notions juridiques, op. cit., pp. 21-53.
173
sujets, au moins deux personnes, et une activité ou une situation qui fonde une
interaction entre ces personnes »50.
Mettant aux prises des acteurs aux intérêts rarement
convergents mais toujours aussi interdépendants, à savoir les États
producteurs et les entreprises privées étrangères principalement,
cette relation mérite tout son pesant d’attention. Elle laisse dégager
une divergence dans la définition des rapports juridiques entre ces
deux pays.
II. Une divergence dans la définition des rapports de
droit
Nous envisageons la clarification des législations pétrolières
sénégalaise et camerounaise à partir de la théorie relationiste51 du
droit, en intégrant que « le seul fait de faire reposer une théorie juridique sur
la relation implique, même si ce n'est pas expressément affirmé, un dispositif
symbolique et procédural, c'est-à-dire un dispositif qui rende compte de la juste
distance invisible entre deux personnes dans un système de relations en
transformation »52.
Le droit sous cet angle « est le travail de la distance
relationnelle »53, et « l’art du droit peut être vu (comme l’art équilibrer et de
canaliser les forces dans une société (…) qui n’est rien d’autre qu’un ensemble
complexe et organisé de liens de droit en constante transformation… »54.
A. Des rapports juridiques verticaux au Sénégal
Deux angles fondamentaux peuvent constituer l’épine
dorsale d’analyse des types de liens de droit formés en matière

50 MESSAI-BAHRI S., « La relation d’affaires ou relation commerciale », in


JEULAND, MESSAI-BAHRI (dir.), Les nouveaux rapports de droit, Paris, IRJS
Éditions, coll. Bibliothèque de l'Institut de Recherche Juridique de la Sorbonne -
André Tunc, Tome 39, 2013, p. 21.
51 JEULAND E. précise que les termes de « relationiste » et de « relationisme »

s’écrivent avec un seul « n » pour les distinguer du terme de « relationniste » qui


existe notamment au Québec pour désigner les personnes chargées des relations
publiques (in Théorie relationiste du droit, LGDJ, 2016, p. 23, note 47 ).
52 « Le jeu de Michel Foucault », in Dits et écrits, T. II, Gallimard, 1994, pp. 298-

329, cité par JEULAND E., Théorie relationiste du droit, op.cit., p. 381.
53 JEULAND E., La fable du ricochet, Paris, mare & martin, coll. Droit & Science

Politique, 2009, p.219.


174
Rafip n°6 – 2nd semestre 2019

extractive : le volet fiscal (1) et le volet contractuel, ou son pendant,


volet autoritaire ou administratif (2)55.
1. Une fiscalité préservée
Le professeur Jacques Buisson rappelait qu’« en matière fiscale,
il est constant que « l’État souverain peut tout faire, en fonction de ses choix
politiques, entendus lato sensu, choix relatif au rôle qu’il veut jouer dans le
domaine économique, choix relatif à son organisation administrative (…) »56.
Dès lors, il s’agit d’inférer des règles en la matière le choix de type de
liens de droit, et tenter une qualification de ce choix.
Le premier déterminant de l’appréciation du système
juridique de l’Etat sénégalais en matière pétrolière est la fiscalité, qui
est une variable décisive dans l’appréhension de la politique
juridique d’un pays en la matière. A ce sujet, il apparaît que le
modèle sénégalais est fortement vertical, avec une fiscalité
juxtaposée. Nous entendons par « fiscalité juxtaposée » l’aménagement
de règles fiscales par nature différente dans leurs objectifs, de façon
séparée, sans communion ou jonction dans les mécanismes de leur
édiction. Il s’agit d’une sorte de cohabitation et de bon voisinage,
sans dilution ni altération de leurs principes essentiels en raison de
cette cohabitation.
C’est ainsi que les impôts et taxes spécifiques exclusivement
présents dans le secteur extractif sont bel et bien prévus, et les seuls
à être négociables, en dehors des frais d’instruction dans le cadre des
demandes d’octroi, de renouvellement et d’extension des titres
miniers et non recouvrables non plus, qui sont payables en un seul
versement suivant la phase d’exploration57. Tous les autres éléments
spécifiques à l’activité pétrolière sont négociables. Ainsi en est - il de
la redevance ou royalty dont les taux sont fixés par type de champ
pétrolier, et dont les modalités de recouvrement sont fixées par voie

54 Ibid p.312.
55 Ce sont les variables régulièrement évoquées par les autorités de ce secteur à
l’aune de l’appréciation du caractère flexible du système pétrolier mis en place par
le pays.
56 BUISSON J., « Impôt et souveraineté », Archives de philosophie du droit, L’impôt,

n°46, Dalloz 2002, p. 31.


57 Art. 46 de la loi n°2019-03 du 1er février 2019 portant code pétrolier au Sénégal.

175
contractuelle 58, du loyer superficiaire dont les montants sont
différents suivant les périodes d’activité et les modalités de
recouvrement également précisées par voie contractuelle59, et enfin
des dépenses sociales qui sont fixées par voie contractuelle et non
recouvrables à titre de coûts pétroliers60. Lorsque l’on y ajoute les
règles de parte de la production et de définition des coûts pétroliers
qui sont négociables et fixés dans le contrat de partage de
production, mode contractuel systématiquement choisi par les
parties, l’on peut aisément en conclure à un caractéristique
essentielle aux éléments fiscaux spécifiques, qui est leur
négociabilité.
Or outre ces éléments fiscaux, sont adjoints des impôts et
taxes dont les règles sont celles fixées par le droit commun. Ainsi
est-il de l’impôt sur les sociétés61, et de façon générale « les autres
impôts, taxes et droits, dus par les titulaires de titres miniers d’hydrocarbures et
les entreprises qui leur sont associées dans le cadre de protocoles ou d’accords sont
exigibles dans les conditions de droit commun »62. Mieux, « la fiscalité des
cessions de droits portant sur les titres miniers d'hydrocarbures, en phase
d'exploitation, est régie par les dispositions du Code général des Impôts », et
enfin, les compagnies sont tenues de présenter leurs résultats
d’activités par champ pétrolier, en clair, l’agrégation des résultats
n’est pas autorisée63.
Cette juxtaposition de règles fiscales applicable à un même
opérateur, permet de comprendre aussi le caractère vertical du
pouvoir administratif cette fois. Selon Rémy Libchaber : « Le droit a
partie liée avec les institutions qui le rendent possible, comme avec les normes qui
en expriment le discours. Mais de façon plus fondamentale, il puise ses racines

58 Art. 42 de la loi n°2019-03 du 1er février 2019 portant code pétrolier au Sénégal.
59 Art. 47 de la loi n°2019-03 du 1er février 2019 portant code pétrolier au Sénégal.
60 Art. 48. de la loi n°2019-03 du 1er février 2019 portant code pétrolier au

Sénégal.
61 Art. 53. de la loi n°2019-03 du 1er février 2019 portant code pétrolier au

Sénégal.
62 Art. 45. de la loi n°2019-03 du 1er février 2019 portant code pétrolier au

Sénégal.
63 Art. 44. de la loi n°2019-03 du 1er février 2019 portant code pétrolier au

Sénégal.
176
Rafip n°6 – 2nd semestre 2019

dans la société dont il assure la cohésion. »64 En outre, pour Pierre Noreau,
« une fois institué, le droit devient lui-même un facteur instituant, et propose un
procédé stable d’institutionnalisation »65 .
Ainsi, « le droit ne serait pas à proprement parler un révélateur, mais
la structure dynamique de la société »66. La centralité de l’État dans le
droit des hydrocarbures, chevillée autour du principe juridique de
souveraineté des États sur leurs ressources naturelles, suggère, dans
le cadre de la comparaison des systèmes juridiques pétroliers
entamée, d‘étudier le type de liens tant administratifs que
contractuels et fonctionnels aménagés par ces Etats.
2. Un pouvoir administratif classique
En ce qui concerne la distribution du pouvoir entre les
différentes entités, il est aisé de constater que le pouvoir central par
la voie de son ministère entretient des liens de subordination avec la
société nationale, PETROSEN, qui ne bénéficie que d’un mandat
spécial et non général. Un mandat est un « acte par lequel une personne
est chargée d’en représenter une autre pour l’accomplissement d’un ou de plusieurs
actes juridiques »67. Au regard du droit commun du mandat établi par
l’article 1998 du code civil 68, les actes du mandataire engagent le
mandant dès lors que le mandataire a agi dans le cadre de ses
pouvoirs69.
En effet en matière de mandat, la jurisprudence fait
application du principe de représentation70, qui elle-même
s’explique, en termes de fondement, par « la substitution, que la loi
ordonne ou permet, d’une personne à une autre. La personne substituée n’est

64 LIBCHARER R., L’ordre juridique et le discours du droit, op. cit., p. 192.


65 NOREAU P., « De la force symbolique du droit », in THIBIERGE (dir.), La
force normative, Paris, LGDJ, Bruylant, 2009, p. 144.
66 JEULAND E., La fable du ricochet, op. cit., p. 71.
67 GUINCHARD (S.), DEBARD (Th.) (dir.), Lexique des termes juridiques, Paris,

Dalloz, 2017-2018, 25ième éd., p. 1292.


68 Selon l’expression de l’arrêt : CE 24 février 1954, SE à la Production industrielle

c/Sté Ateliers Schwartz-Hautmont Rec.125)


69 RICHER L., Droit des contrats administratifs, Paris, LGDJ Lextenso éditions, 2008,

6è édition, p.125.
70 Avis du Conseil d’Etat français du 22 janvier 1998, EDCE, 1999, n°50, p.226.

177
alors que le prolongement de celle à qui elle a été substituée »71. Or en la
matière au regard de la théorie générale, « le mandat doit toujours être
interprété d’une manière restrictive (art.1989 du code civil) »72. Or la
société pétrolière nationale, société des Pétroles du Sénégal
(PETROSEN SA), est « constituée en vue de réaliser des opérations
pétrolières sous la forme d'un établissement public, d'une société nationale ou
d'une société anonyme à participation publique majoritaire »73. Si le caractère
uniquement, opérationnel est évoqué dans la définition, l’article 4 du
même texte semble dès le départ introduire une représentation
générale. Il dispose en effet que « la société pétrolière nationale agit
en son nom ou pour le compte de l'Etat dans le domaine des
hydrocarbures ».
Mais, ensuite, il précise : « Elle est notamment chargée :
- de promouvoir le bassin sédimentaire sénégalais;
- d'entreprendre, à la demande et pour le compte de l'Etat, des activités de
prospection, de recherche, d'exploitation, de transport et de commercialisation des
hydrocarbures liquides et gazeux à l'état brut, seule ou conjointement avec toute
autre société, filiale ou non, dans le cadre d'association, ou toute forme .de
groupement possible;
- de détenir, à la demande et pour le compte de l'Etat, les participations
de l'Etat dans les gisements d'hydrocarbures et dans le capital des
sociétés titulaires de contrat pétrolier ».
Il s’agit ici en clair d’une représentation administrative
(promotion du domaine minier national), technique ou
opérationnelle (exécution d’opérations pétrolières) et économique
(représentation dans le capital des sociétés titulaires de contrat
pétrolier)74. En revanche, c’est le ministère en charge des
hydrocarbures qui assure « la mise en œuvre de la politique du gouvernement
en matière des hydrocarbures »75, qui est l’autorité adressataire de tout

71 CHABAS F., Obligations. Théorie générale, Paris, Editions Montchrestien, 1998, 9 e


édition, p.147.
72 Ibid.p.144.
73 Art. 2 de la loi 2019-03 portant code pétrolier au Sénégal.
74 L’article 9 précise alors que les modalités de participation sont précisées dans le

contrat pétrolier ou l’autorisation de prospection, lesquelles peuvent être


comprises entre dix et vingt pour cent.
75 Art. 3 de la loi 2019-03 portant Code pétrolier au Sénégal.

178
Rafip n°6 – 2nd semestre 2019

« exemplaire de tout accord conclu entre (les sociétés pétrolières) pour la


réalisation des opérations pétrolières dans la zone (attribuée) » dans un délai
de vingt-et-un (21) jours76, et surtout « le contrat pétrolier est négocié par le
ministre en charge des Hydrocarbures », et « il s’appuie sur une commission
d’examen et de négociation des contrats pétroliers dont les règles d’organisation et
de fonctionnement sont fixées par arrêté du ministre chargé des hydrocarbures ».77
Enfin la phase de conclusion du contrat de partage de
production est achevée par la transmission du contrat (alors négocié)
au ministre des finances pour avis ministre chargé des Finances, sur
les dispositions financières fiscales et douanières. Ces dernières sont
réputées conformes si, et le contrat de partage de production est
signé à la fois par le ministre chargé des Hydrocarbures, la société
pétrolière nationale et le ou les demandeurs de l'autorisation
d'exploration d'hydrocarbures78. Au total, la société pétrolière n’est
mentionnée dans le processus que dans un rôle de notaire chargé de
participer à l’authentification, mais le ministère chargé des
hydrocarbures est clairement désigné comme l’institution principale
en charge de la production des contrats pétroliers au Sénégal. Même
en cas de création de la « commission d’examen et de négociation des contrats
pétroliers » prévue à l’article 12 sera créée, l’imperium du ministère des
hydrocarbures est assuré par le fait que non seulement c’est lui qui
est en charge de sa création, mais ses règles d’organisation de
fonctionnement seront fixées par ce ministère. Dès lors, il y a un
maintien de l’autorité légale et administrative de la fonction
ministérielle sur les compétences de la société nationale de pétrole
PETROSEN, un lien de subordination entretenu et assumé par le
législateur sénégalais.
Outre donc la préservation intacte des règles des impôts
communs à d’autres activités, il y a ici la préservation de l’autorité
étatique administrative vis-à-vis de la société nationale de pétrole
PETROSEN.

76 Art.10 de la loi n°2019-03 portant Code pétrolier au Sénégal.


77 Art.12 de la loi n°2019-03 portant code Pétrolier.
78 Art.20 de la loi n°2019-03 portant Code Pétrolier

179
Ce sont des liens de droit tout à fait opposés qui sont
aménagés dans le système pétrolier camerounais.
B. De rapports (davantage) horizontaux au Cameroun
Au Cameroun, le législateur aménage un système fiscal
spécifique à l’activité, modifiant les règles essentielles de la fiscalité
de droit commun d’une part (1), et édicte des règles compétences
exceptionnelles pour la société nationale de pétrole camerounaise,
qui fusionne des compétences de divers ordres (2).
1. Une fiscalité nivelée
Le code pétrolier camerounais, à l’image du code sénégalais,
prévoit à la fois des impôts spécifiques à la ‘activité pétrolière, et
d’autres applicable dans le droit commun des activités économiques.
Comme au Sénégal, la plupart des impôts et taxes spécifiques sont
négociables. Ainsi en est-il de la redevance proportionnelle à la
production due par les titulaires des contrats de concession, dont « le
taux (…) ainsi que les règles d’assiette et de recouvrement qui peuvent être
différents pour les hydrocarbures liquides et pour les hydrocarbures gazeux sont
précisés dans le contrat de concession »79, des bonus de signature et des
bonus de production dus en fonction des quantités d’hydrocarbures
produites « selon les modalités prévues au contrat pétrolier »80. De même, le
titulaire du contrat de concession peut être assujetti à un
prélèvement pétrolier ou gazier additionnel calculé sur les bénéfices
tirés des opérations pétrolières, dont les modalités sont fixées dans
le contrat81. Seuls les droits fixes dus en cas de demande
d’attribution, de renouvellement, de renonciation ou de transmission
de contrats pétroliers et des autorisations en dérivant d’une part, et
la redevance superficiaire annuelle, sont des taxes spécifiques dont
les montants et les modalités de règlement sont précisés dans la loi
de finances applicable.

79 Art.103 de la loi n°2019/008 du 25 avril 2019 portant code pétrolier au


Cameroun.
80 Art.108 de la loi n°2019/008 du 25 avril 2019 portant code pétrolier au

Cameroun.
81 Art.109 de la loi n°2019/008 du 25 avril 2019 portant code pétrolier au

Cameroun.
180
Rafip n°6 – 2nd semestre 2019

Dès lors c’est le régime juridique des impôts de droit


commun qui est différemment élaboré au Cameroun, par une
réappropriation de certaines règles fiscales de droit commun. Cette
réappropriation débouche sur la modification de certaines règles de
droit commun, ainsi que la contractualisation d’autres règles
pourtant en principe régaliennes.
S’agissant de la modification de certaines règles fiscales de
droit commun, il s’agit de la réformation de certaines règles de
déduction fiscales de charges engagées par les entreprises pétrolières.
Ainsi en est-il des règles de déductibilité des intérêts des capitaux
mis par des tiers à la disposition du titulaire pour les besoins des
opérations pétrolières. En droit fiscal, les intérêts sont des charges
déductibles, pour peu qu’ils respectent les conditions générales de
déductibilité des charges d’exploitation. En l’occurrence, il faudrait
juste que l’emprunt ait été contracté pour les besoins de l’entreprise.
Or le code pétrolier camerounais introduit un double corset
qui complexifie les mécanismes de déductibilité des intérêts82 :
- d’abord, une limite liée à la nature des intérêts en cause,
consistant à exclure les intérêts courus83 en phase
d’exploration ;
- ensuite, une limite liée au montant des intérêts à déduire, les
plafonnant aux « taux normaux en usage sur les marchés
internationaux pour des prêts de nature similaire ». Autrement dit,
l’investisseur pétrolier au Cameroun doit toujours être
capable de démontrer que la charge financière comptabilisée
est conforme à ce qui est pratiquée à l’échelle internationale,
au regard de la nature du prêt contracté. Cette contrainte est
également retenue dans l’hypothèse où le prêteur ne serait
pas un tiers, mais des associés ou sociétés affiliées à raison
des sommes qu’ils mettent à la disposition de l’entreprise en
sus de leur part de capital. Or cette limite du montant
déductible, calculée en référence aux taux en usage sur les

82Art.106 alinéa c de la loi n°2019/008 du 25 avril 2019 portant code pétrolier au


Cameroun
181
marchés internationaux, est nécessairement plus restrictive
que les taux admis dans les activités de droit commun84.
De plus, certaines charges importantes sont contractualisées
dans leurs règles. C’est le cas des amortissements, dont les taux et
modalités sont définis dans le contrat pétrolier, mais aussi des
provisions pour abandon des gisements85.
Outre donc la réformation de certaines règles de
déductibilité de charges applicables uniquement aux entreprises
pétrolières, mais surtout ensuite l’extension de la négociabilité des
termes fiscaux à l’impôt sur les société, représentatif des impositions
de droit commun dans leur essence non négociables86, le législateur
adopte une fiscalité que nous appelons « nivelée », alignant le
principe de contractualisation déjà observé avec les impôts et taxes
spécifiques aux impôts relevant du droit commun. Il s’agit d’une
fiscalité à la carte, uniquement applicable à ces contribuables
particuliers, au sein d’une population fiscale variée.
Cette option se confirme dans le rôle particulier attribué à la
société nationale des hydrocarbures.

83 Ce sont ceux qui ont été « gagnés » depuis la précédente échéance, et sont
acquis au jour le jour.
84 Lire ESSAGA S., « De l’autonomie relative des codes pétroliers en matière

fiscale en Afrique noire. Exemple à partir de l’impôt sur les sociétés en droit
camerounais et ivoirien », Solon n°5, vol. III, avril 2015, pp. 30-48.
85 Art.106 de la loi n°2019/008 du 25 avril 2019 portant code pétrolier au

Cameroun.
86 Une caractéristique essentielle de l’impôt au sens classique, c’est que l’impôt est

un prélèvement obligatoire, et perçu par voie d’autorité. Selon Laure AGRON


(Histoire du vocabulaire fiscal, Paris, LGDJ 2000, p. 226), « aujourd’hui, l’impôt se définit
comme un prélèvement obligatoire et sans contrepartie… ». Les dictionnaires définissent
pareillement l’impôt comme un « prélèvement obligatoire » (G. Cornu, Vocabulaire
juridique, Paris PUF, 9è édition, 2011, page 522), ou comme « une contribution
obligatoire » (J. L. ALBERT, J. L. PIERRE, D. RICHER (dir.), Dictionnaire de droit
fiscal et douanier, Paris, Editions Ellipses, 2007, p. 280). Selon G. JEZE, un « élément
essentiel de l’impôt dans tous les Etats civilisés modernes, c’est la contrainte juridique. L’impôt
est essentiellement un paiement forcé », (in Cours de finances publiques 1936-1937, LGDJ,
1937, p. 33. V. aussi O. NEGRIN, « Une légende fiscale : la définition de l’impôt
de Gaston Jèze », RDP- n°1-2008.
182
Rafip n°6 – 2nd semestre 2019

2. Un pouvoir fusionné
Alors que dans le système sénégalais, il y a un aller-retour
entre l’administration centrale en général (les ministères), le
ministère en charge des hydrocarbures en particulier, et la société
nationale dans la distribution des pouvoirs, le Cameroun a aménagé
un système davantage horizontal. Ici, la société nationale est très
souvent compétente de façon alternative au ministère en charge des
hydrocarbures, mieux elle est exclusivement compétente sur des
sujets régaliens tels la contractualisation des rapports avec les
sociétés pétrolières étrangères, même sur des questions aussi
sensibles et régaliennes que la fiscalité.
En général, tous les pouvoirs reconnus à la société nationale
sénégalaise le sont aussi pour son équivalent au Cameroun. L’Etat se
réserve ainsi le droit d’entreprendre des opérations pétrolières, soit
directement, soit par l’intermédiaire de la société nationale87. De
même, « lorsque les circonstances l’exigent, les titulaires de contrats pétroliers
peuvent conclure des accords avec l’Etat, représenté par la société nationale à cet
effet, pour créer des entreprises destinées à conduire des opérations pétrolières
spécifiques d’intérêt général pour le secteur pétrolier amont… »88 ; ladite
société peut prendre des participations pour le compte de l’Etat89.
De même, comme au Sénégal, le contrat pétrolier est signé tant par
le ministre en charge des hydrocarbures que la société nationale
pétrolière90. Mais cinq différences fondamentales sont observables
quant aux pouvoirs de la société nationale au Cameroun par rapport
à sa consœur sénégalaise, et en ne prenant en considération que les
angles relatifs aux volets contractuels et fiscaux :
- les contrats pétroliers sont négociés, « pour le compte de l’Etat, par
une commission permanente mise en place par l’organisme public dûment
mandaté à cet effet et comprenant les représentants des départements

87 Art. 5 de la loi n°2019/008 du 25 avril 2019 portant code pétrolier au


Cameroun.
88 Art.5 alinéa 3 de la loi n°2019/008 du 25 avril 2019 portant code pétrolier au

Cameroun.
89 Art.7 de la loi n°2019/008 du 25 avril 2019 portant code pétrolier au

Cameroun.
90 Art.12 de la loi n°2019/008 du 25 avril 2019 portant code pétrolier au

Cameroun.
183
ministériels concernés et ceux dudit établissement ou organisme public »91.
Or, cette commission permanente déjà effective, est entièrement
dominée par la Société nationale des hydrocarbures tant dans sa
composition que dans les mécanismes de délibération92 ;
-la société nationale dispose d’un droit de préemption en cas
de transmission des droits et obligations du contrat pétrolier et
des autorisations qui en dérivent93 ;
- la société nationale a le pouvoir d’apprécier les arguments
produits par les entreprises pétrolières qui souhaiteraient
renouveler la durée de leur contrat au-delà de vingt-cinq (25 ans)
pour les hydrocarbures liquides et trente-cinq (35) pour les
hydrocarbures gazeux. Cette autorisation ne pourrait alors être
renouvelée qu’une fois, pour une durée supplémentaire maximale
de dix (10) ans94 ;
- la société nationale alternativement compétente, avec le
ministère en charge des hydrocarbures, pour mettre en œuvre
les mesures relatives au contenu local, dont l’essentiel des
obligations est d’ordre contractuel95 ;
- la société nationale potentiellement avec le ministre en charge
des hydrocarbures destinataire des contrats de sous-traitance
dont la valeur dépasse le montant plafond fixé au contrat
pétrolier 96 ;
- la société nationale compétente pour approuver l’accord
d’unitisation conclu par les titulaires de contrats au cas où un
gisement d’hydrocarbures s’étend sur plusieurs périmètres
contractuels, soit qu’ils aient été attribués à des titulaires

91 Ibid.
92 Lire S.ESSAGA, Les sources du droit des hydrocarbures, Paris, L’Harmattan, 2018,
pp. 370-373.
93 Art. 22 de la loi n°2019/008 du 25 avril 2019 portant code pétrolier au

Cameroun.
94 Art. 42 al.2 de la loi n°2019/008 du 25 avril 2019 portant code pétrolier au

Cameroun.
95 Art. 90 de la loi n°2019/008 du 25 avril 2019 portant code pétrolier au

Cameroun.
96 Art. 79 al.3 de la loi n°2019/008 du 25 avril 2019 portant code pétrolier au

Cameroun.
184
Rafip n°6 – 2nd semestre 2019

distincts comprenant des stipulations différentes en matière de


droit aux Hydrocarbures97 ;
- la société nationale peut être à l’initiative, avec le ministre en
charge des hydrocarbures, de la révision de la liste des matériels,
matériaux, des machines et équipements éligibles au régime
préférentiel du taux global réduit de cinq pour cent (5%) des
droits et taxes de douane98.
Mais surtout sur le plan fiscal et contractuel, le dernier code
institue un pouvoir exceptionnel et inédit dans le dispositif des
codes pétroliers africains. En effet à titre d’« incitations à
l’investissement dans le secteur pétrolier amont »99, la société nationale
pétrolière, et ceci de façon exclusive (sans partage de compétence
avec le ministère en charge des hydrocarbures), « peut prendre toutes
mesures d’incitations appropriées afin de relancer les activités de recherche et
d’exploitation, et de soutenir la production des hydrocarbures sur l’ensemble
du domaine minier national »100. Il s’agit explicitement de mesures
consistant à « une révision des termes fiscaux ou économiques des contrats
conclus entre l’Etat et les sociétés pétrolières pour accélérer la récupération des
investissements et améliorer leur rentabilité »101.
Il est ensuite notable de noter que certaines institutions sont
juxtaposées autour du rôle de la SNH dans cette dévolution
exceptionnelle du pouvoir fiscal, mais de façon parfaitement
artificielle. Dans un premier temps, il est en effet précisé que la
société nationale « apprécie les circonstances exceptionnelles », mais après
« avis de la commission permanente »102 Or cette dernière participe de
l’entretien du leadership institutionnel de la SNH, en raison à la fois
de sa composition majoritairement constituée de son personnel, et

97 Art. 82 al.1. de la loi n°2019/008 du 25 avril 2019 portant code pétrolier au


Cameroun.
98 Art. 116 alinéa 4 de la loi n°2019/008 du 25 avril 2019 portant code pétrolier au

Cameroun.
99 Titre VIII de la loi n°2019/008 du 25 avril 2019 portant code pétrolier au

Cameroun.
100 Art.128 alinéa 1 de la loi n°2019/008 du 25 avril 2019 portant code pétrolier au

Cameroun.
101 Art.128 alinéa 2 de la loi n°2019/008 du 25 avril 2019 portant code pétrolier au

Cameroun.
102 Art.128 alinéa 3 a de la loi n°2019/008 du 25 avril 2019.

185
des procédures même de négociation en vigueur103. Ensuite, le texte
évoque les incitations « susceptibles d’être octroyées par l’Etat (…) par voie
d’avenant au contrat pétrolier, ou, le cas échéant, à travers la conclusion d’un
nouveau contrat pétrolier »104. Or si l’Etat est clairement une entité
juridique différente à la fois de la SNH et de la commission
permanente, la SNH en tant que mandataire de celui-ci, le représente
de façon charismatique dans les procédures de négociations, au
regard de sa supériorité institutionnelle105.
Mieux, la cohabitation entre la SNH, la commission
permanente et l’Etat dans ce nouveau code pétrolier renforce la
force normative de la SNH, par effet de rupture et de changement
de statut à la fois de la norme106. En effet, ce code consacre
légalement la prééminence de la SNH sur le ministère des finances
en matière fiscale, dans ce contexte exceptionnel précis d’une part.
D’autre part, la SNH est assimilée à l’Etat, même pour un pouvoir
légalement et réglementairement dévolu à ce département
ministériel, ce qui est une innovation voire une révolution légale107.
La SNH, au final, constitue une intersection de plusieurs liens de
droit, se trouvant au centre d’un « écheveau de liens de droit »108,
beaucoup plus dense et original que dans le système sénégalais, car
intégrant des liens inattendus (de type contractuel) avec les sociétés
pétrolières étrangères, sur des questions régaliennes, au regard de
l’ordre juridique classique des Etats de droit d’obédience française
notamment.

103 Lire ESSAGA V., Les sources du droit des hydrocarbures en Afrique, op. cit., pp. 370-
371.
104 Voir art.129 alinéa a,b,c, d et e.
105 Lire ESSAGA V., Les sources du droit des hydrocarbures en Afrique, op.cit., p. 371.
106 ROBINEAU M., « Codification et densification (s) normative (s) », in

THIBIERGE C. (dir.), La densification normative, op.cit., pp. 276-277.


107 Lire l’interview de KOUM J.-J., Président de la Commission permanente de

négociation des contrats pétroliers et gaziers au sein de la Société Nationale des


Hydrocarbures du Cameroun, in SNH Infos n°62 – 63 août 2019, p. 6. Il parle
d’incitations pouvant être accordées par « le Cameroun », et précise en fin
d’interview que des « clarifications » ont été produites quant aux rôles respectifs de
la SNH et la commission permanente de négociation des contrats pétroliers et
gaziers
108 JEULAND E., La fable du ricochet, op.cit., p. 245.

186
Rafip n°6 – 2nd semestre 2019

Conclusion
Une théorie est « un ensemble de propositions qui doivent être
cohérentes pour permettre d’interpréter la réalité, et de formuler des hypothèses
qui doivent être testées »109. Pour Kant, « on appelle théorie un ensemble de
règles pratiques, lorsque ces règles sont conçues comme des principes ayant une
certaine généralité »110. Pour Boris Barraud, « simplicité, complétude,
exactitude : voici peut être ‘‘les lois’’ de la théorie »111.
L’étude comparée des systèmes pétroliers sénégalais et
camerounais nous permet d’identifier des constantes communes, et
des spécificités propres à chacun des systèmes. Sur la base des
derniers codes pétroliers promulgués à trois mois d’intervalle, il est
ressortit que la nature, précisément, les conditions d’exploitation des
ressources pétrolières et gazières, demeurent une variable décisive
dans l’imagination normative. Parce que toujours mobilisée et que
les autorités veulent faire prévaloir de nouvelles exigences diffusées
à l’échelle internationale, ce déterminant physique et économique
n’est pas mis en évidence de façon claire par ces autorités. Ce qui
ressort davantage ce sont les exigences du moment, rattachées au
concept-thème du développement durable, avec quelques –unes de
ses déclinaisons, notamment la transparence et le contenu local.
En tout état de cause, la comparaison des systèmes, dévoile,
sous le prisme de la théorie relationiste du droit, une différence nette
de système juridique. Le Sénégal tente peu ou prou de préserver une
architecture classique des rapports, distinguant ce qui relève de
l’autorité administrative au sens large, voire de l’autorité politique,
des attributions purement opérationnelles et de représentation
spéciale (avec un objet précis et limité). En revanche, le Cameroun a
une option plus contractée des rapports juridiques, avec une
concentration de prérogatives inédite pour sa société nationale, qui
fusionne à la fois des compétences administratives classiques, de
représentation attendue, à des compétences purement régaliennes

109 MILLARD E., Théorie générale du droit, Paris, Dalloz, coll. connaissance du droit,
2006, p. 3.
110 KANT, Eléments métaphysiques de la doctrine du droit, Durand 1853, p. 359.
111 BARRAUD B., op.cit., p. 20.

187
relatives à la contractualisation des rapports juridiques avec les
sociétés étrangères, la validation des termes de révision de ces
contrats, et la définition possible de leurs termes fiscaux,
compétence classiquement dévolues à l’Etat-souverain.
Cette étude peut alors constituer le point de départ de la
formation de clés d’analyses standardisées, dans le cadre de
l’évaluation des performances des différents systèmes juridiques
africains en matière extractive, à l’heure où l’attention générale se
mobilise de plus en plus vers ce continent propulsé devant les
phares de la géoéconomie mondiale en raison de l’importance
exceptionnelle de ses richesses du sous-sol.

188
Rafip n°6 – 2nd semestre 2019

CHRONIQUES DE LEGISLATION

189
190
Rafip n°6 – 2nd semestre 2019

LA CONSOLIDATION DE LA BUDGETISATION EN
MODE PROGRAMME AU NIVEAU LOCAL EN DROIT
CAMEROUNAIS.
REGARD SUR LE CODE GENERAL DES COLLECTIVITES
TERRITORIALES DECENTRALISEES

Par
Dr. Cédric NJOYA YONE
Ph. D en Droit Public
Assistant à la Faculté des Sciences Juridiques et Politiques
Université de Douala.

Le 24 décembre 2019 le Président de la République


promulgue la loi portant Code Général des Collectivités Territoriales
Décentralisées1. Il s’agit d’un texte salutaire et à bien des égards
opportun, ne fut-ce que parce qu’il est consécutif aux Résolutions
du Grand Dialogue National tenu sur le territoire du 30 septembre
au 04 octobre 2019. Il est également à saluer pour l’ensemble des
innovations qu’il consacre. Parmi celles-ci, les dispositions qui
tendent à consolider le paradigme du budget programme au niveau
local.
Le texte se définit une portée globale puisqu’il régit « le cadre
juridique général de la décentralisation territoriale ; le statut des élus locaux (…)
le régime spécifique applicable à certaines Collectivités Territoriales… ». En
réalité pour la toute première fois, dans un même texte, sont mis
ensembles « les règles d’organisation et de fonctionnement des Collectivités
Territoriales… » ainsi que « …le régime financier des Collectivités
Territoriales »2. Pouvait-il en être autrement ? On peut s’en douter.
Une chose est certaine : il s’agit de la codification, au moins au sens
formel, du droit de la décentralisation au Cameroun. Il a donc
vocation à déterminer et à régir l’ensemble des règles relatives à cette
matière. La codification est d’ailleurs à droit constant et à droit
nouveau. Car, le texte n’abroge guère tous les textes antérieurs à lui ;
il se limite à une abrogation des « dispositions antérieures contraires »3

1 Loi n°2019/024 du 24 décembre 2019 portant Code Général des Collectivités


Territoriales Décentralisées (ci-après désigné Code ou CGCTD).
2 Art. 1er (2) du CGCTD.
3 Art.500 du CGCTD.

191
qu’on sied alors de distinguer des « dispositions antérieures et contraires »4.
Encore que le Code n’a pas la possibilité d’abroger les normes qui
lui sont supérieures, à l’instar de celles qui procèdent du droit
communautaire5, ou encore orientent la logique de la gestion des
finances publiques à partir du paradigme du budget programme,
entendu au sens que l’admet Thomas Kuhn6. Bien plus, les
dispositions « antérieures contraires » sont énumérées et se trouvent
dans la loi n°2004/017du 22 juillet 2004 portant orientation de la
décentralisation, dans la loi n°2004/018 du 22 juillet 2004 fixant les
règles applicables aux communes, dans la loi n°2004/019 du 22
juillet 2004 fixant les règles applicables aux régions ainsi que dans
celle du 10 juillet 2009 portant régime financier des Collectivités
Territoriales Décentralisées. Mais à la vérité, la seule indication de
l’adverbe « notamment » donne à dire que l’énumération n’est point
limitative. Elle peut donc concerner aussi bien tout autre texte
législatif7 spécifique8 à la décentralisation ou à portée générale9 ainsi
que, il y va de soi, les différents textes réglementaires qui de façon

4 Dans cette hypothèse, l’abrogation est plus globale en ce sens que le texte vise
non seulement toutes les dispositions qui lui sont contraires, mais en plus, il
abroge même celles qui ne le sont pas, une fois qu’elles lui sont antérieures. Il y a
donc dans cette condition un droit exclusivement nouveau. Du point de vue
théorique et même du point de vue pratique, cela reste difficilement concevable.
5 La directive n°01/11-UEAC-190-CM-22 du 19 décembre 2011 relative aux lois

de finances; La directive n° 02/11-UEAC-190-CM-22 du 19 décembre 2011


relative au Règlement général de la comptabilité publique ; La directive n°05/11-
UEAC-190-CM-22 du 19 décembre 2011 relative aux opérations financières de
l’Etat ; La directive n° 06/11-UEAC-190-CM-22 du 19 décembre 2011 relative au
code de transparence et de bonne Gouvernance dans la gestion des finances
publiques.
6 KHUN (Th), The srtucture of scientific revolution, Library of Congress Cataloging-in-

Publication Data, Chicago, 1996, 3e. éd, p. 240. « ce que les membres d’une communauté
scientifique possèdent en commun, et, réciproquement, une communauté scientifique se compose
d’hommes qui se réfèrent au même paradigme ». Car, la pertinence du paradigme est
précisément de mettre « en cohérence une même discipline à partir d’une solution exigée en
modèle ».v. également GAILIARD-SEBILEAU, « La force normative du
paradigme juridique », in THIBIERGE © et alii, La force normative. Naissance d’un
concept, Paris/Bruxelles, LGDJ/Bruylant, 2009, pp. 171-182, spéc. 172.
7 La loi n°2009/019 du 15 décembre 2009 portant fiscalité locale, voire des

différentes lois annuelles des Finances. Mais tel n’est pas le cas de la loi
n°2018/011 du 11 juillet 2008 portant Code de Transparence et de bonne
Gouvernance dans la gestion des finances publiques au Cameroun ; La loi
n°2018/012 du 11 juillet 2008 portant Régime Financier de l’État et des autres
entités publiques du fait de l’article 372 (2) du CGCTD.
8 En vertu du principe « lex posterior priori derogat »
9 En vertu du principe « specialis generalibus derogat ».

192
Rafip n°6 – 2nd semestre 2019

implicite ou explicite, directe ou indirecte, introduisent des


dispositions incompatibles à la budgétisation par programme au
niveau local10. Pour la doctrine d’ailleurs, c’est toujours difficile

10 A cet égard on peut citer de façon plus ou moins exhaustive : le décret


n°2008/013 du 17 janvier 2008 portant organisation du Conseil National de la
Décentralisation ; le décret n°2008/014 du 17 janvier 2008 portant organisation
du Comité Interministériel des Services locaux ; le décret n°2008/028 du 17
janvier 2008 portant organisation et fonctionnement du Conseil de discipline
budgétaire et financière; le décret n°2008/0752/PM du 24 avril 2008 précisant
certaines modalités d’organisation et de fonctionnement des organes délibérants et
des exécutifs de la Commune, de la Communauté Urbaine et du syndicat de
communes ; le décret n° 2008/376 du 12 novembre 2008 portant organisation
administrative de la République du Cameroun ; le décret n° 2008/377 du 12
novembre 2008 fixant les attributions des chefs de circonscriptions
administratives et portant organisation et fonctionnement de leurs services ; le
décret n° 2009/248 du 5 août 2009 fixant les modalités d’évaluation et de
répartition de la Dotation Générale de Décentralisation ; les neuf (9) décrets
n°2010/239 à 2010/246/PM du 26 février 2010 fixant les modalités d’exercice de
certains compétences transférées par l’Etat aux Communes et Communautés
urbaines ; le décret n°2010/1734/PM du 1er juin 2010 fixant le plan comptable
sectoriel des CTD ; le décret n°2010/1735/PM du 1er juin 2010 fixant la
nomenclature budgétaire des CTD ; le décret n°2011/0006/ PM du 13 janvier
2011 fixant les modalités d’exercice de certaines compétences transférées par
l’Etat aux Communes en matière de planification urbaine, de création et
d’entretien des voiries en terre ; le décret n°2011/0005/PM du 13 janvier 2011
fixant les modalités d’exercice de certaines compétences transférées par l’Etat aux
Communes en matière de mise en valeur des sites touristiques communaux ; le
décret n°2011/0004/PM du 13 janvier 2011 fixant les modalités d’exercice de
certaines compétences transférées par l’Etat aux Communes en matière de
construction, d’équipement et de gestion des centres médicaux d’arrondissement ;
le décret n°2011/0002/PM du 13 janvier 2011 fixant les modalités d’exercice de
certaines compétences transférées par l’Etat aux Communes en matière de
formation professionnelle ; le décret n°2011/1116 du 26 avril 2011 fixant les
modalités de la coopération décentralisée ; le décret n°2011/1731/PM du 18
juillet 2011 fixant les modalités de centralisation. Les décrets de répartition et de
reversement des produits des impôts communaux soumis à péréquation ; Le
décret n°2011/1732/PM du 18 juillet 2011 portant organisation et
fonctionnement du Comité National des Finances Locales ; Le décret n°
2013/1167/PM du 14 mars 2013 fixant les modalités de commande et de gestion
des supports comptables et des valeurs de portefeuille des CTD ; Le décret
n°2013/159 du 15 mai 2013 fixant le régime particulier du contrôle administratif
des finances publiques ; Le décret n°2018/0002/PM du 05 janvier 2018 fixant les
conditions et modalités de passation des marchés publics par voie électronique au
Cameroun ; Le décret n°2018/366 du 20 juin 2018 portant code des Marchés
Publics ; le décret n°2018/449 du 01 août 2018 portant organisation du Ministère
de la Décentralisation et du Développement local. Les arrêtés, circulaire,
instruction à l’instar de l’arrêté n°00136/A/MINATD/DCTD du 24 août 2009
rendant exécutoire les tableaux-types des emplois communaux et les annexes sur
193
d’envisager une abrogation totale. Car, qu’un texte vise
expressément ou non un autre pour mettre fin à ses effets futurs, il
importe toujours de faire une confrontation de dispositions après
dispositions11.
Ainsi, il est possible de dire que la budgétisation par
programme est introduite au Cameroun depuis 200712. Il faut
toutefois reconnaitre qu’au niveau local, un flou demeurait13. Le flou
est davantage entretenu au lendemain de la promulgation de la loi de
2009 portant régime financier des Collectivités Territoriales
Décentralisées ainsi que celle de 2018 portant régime financier de
l’Etat et des autres entités publiques. Une fois que le premier texte
dispose que « le budget présente l’ensemble des programmes concourant au
développement économique, social, sanitaire, éducatif, culturel et sportif de la
collectivité territoriale »14, sous réserve de quelques dispositions qui
évoquent au passage les concepts de programme, la tendance
globale est l’ignorance des mécanismes de la budgétisation par
programme et conséquemment l’impression d’une reconduction de
la logique de la budgétisation de moyen. Le second quant à lui, en
élargissant son champ d’application à toutes autres entités publiques
que l’Etat à l’instar des Collectivités Territoriales Décentralisées,
reconduit néanmoins des dispositions qui ne sont propres qu’à l’Etat
voir même celles qui sont inapplicables au niveau local15.
Pourtant, depuis la promulgation du CGCTD, il y a une
sorte de consolidation du régime de la budgétisation par programme
au niveau local. Sans méconnaitre l’existence des règles anciennes, la

l’organigramme des communes ; l’arrêté n°2012/00000178/MINFI du 30 octobre


2012 fixant les modalités d’ouverture et de gestion des caisses d’avances au sein
des CTD ; l’arrêté n°083/MINFI du 21 mars 2013 portant création, organisation
et fonctionnement des postes comptables des CTD ; la circulaire n°001/CAB/PM
du 11 janvier 2008 relative à la prise en compte de la décentralisation dans les
stratégies sectorielles ; l’instruction conjointe n°0079/IC/MINATD/MINEFI du
10 janvier 2012 relative à la tenue de la comptabilité des CTD.
11 BRAIBANT (G), STIRN (B), Le droit administratif français, Paris, Presses de

Sciences Po et Dalloz, 2002, 6è éd., p. 259.


12 L’article 2 (1) de la loi de 2007 dispose en effet que la loi des finances « présente

l’ensemble des programmes concourant à la réalisation des objectifs de développement économique,


social et culturel du pays ». Plusieurs autres dispositions du texte consolident la
logique de la budgétisation par programme. Voir de façon non exhaustive à titre
indicatif les articles 8, 9, 10, 20, 22, 36, 38, 43, 46, 51, 53, 56, 64, 77…
13 Art. 75 de la loi de 2007 dispose pour autant qu’elle s’applique à l’Etat aux

établissements publics et aux collectivités territoriales décentralisées.


14 Art. 4.
15 Art. 9, 10, 11, 65, 69 (1, 2, 3), 70 de la Loi de 2018.

194
Rafip n°6 – 2nd semestre 2019

technique amène à penser à un renforcement du corps de règles


relatives au domaine indiqué. Le doute n’est plus permis parce que la
consécration nouvelle n’est plus équivoque. La consolidation traduit
ici tout le sens que lui prête le langage littéraire, c’est-à-dire, l’action
qui consiste à « rendre plus solide, réaffirmer, confirmer, renforcer… »16. Dès
lors une question se pose : comment le Code a-t-il contribué à la
consolidation du paradigme du budget programme au niveau local ?
Cette question n’est pas innocente.
Au plan théorique, la question n’est pas indifférente aux jeux
et aux enjeux de la codification du droit des Collectivités
Territoriales Décentralisées. Il est constant en théorie du droit que la
codification peut être à droit constant ou à droit nouveau. Il s’agit
donc ici de sous-peser la portée de la codification nouvelle à la
faveur des textes applicables au niveau des Collectivités Territoriales
Décentralisées. De fait, la codification a-t-elle ajouté, supprimé ou
suppléé des dispositions initialement existantes ? Il s’agit donc de
mettre en phase la préoccupation à partir de la thématique de la
budgétisation par programme. En sorte que par la technique de la
codification, l’on puisse arriver à souligner ou non qu’il y a eu une
mise en cohérence de toutes les dispositions antérieures dans un
texte unique ; toute chose qui du reste participerait à la garantie de la
sécurité juridique. D’un autre côté, il peut être donné de constater
que la codification n’a pas réussi le pari et donc, qu’il demeure des
dispositions hors-code applicables aux Collectivités Territoriales
Décentralisées. Au plan pratique, la question se pose dans un
contexte où les Communes du Cameroun sont en train de basculer
totalement après une phase d’expérimentation de la budgétisation
par programme dans trente communes pilotes choisies par le
Ministère en charge de la décentralisation17.
Pour le moins à retenir, la consolidation de la budgétisation
par programme au niveau local par le Code Général des Collectivités
Territoriales Décentralisées procède d’une double démarche : la
réaffirmation du cadre juridique (I) et la revalorisation du cadre
logique (II).

16 Le Robert Illustré 2012, Entrée consolider.


17 Il est en effet organisé sous l’égide du Ministère de la Décentralisation et du
Développement Local un « Atelier de capitalisation de la phase pilote et de la définition de
l’accompagnement de la deuxième vague des Communes à l’arrimage à la budgétisation par
programme pour l’exercice 2021 » du 29 au 31 janvier 2020
195
I. La réaffirmation du cadre juridique
La consolidation de la budgétisation par programme tient
dans le Code général des Collectivités Territoriales Décentralisées
d’une réaffirmation de son cadre juridique. Car, en parcourant le
texte indiqué, on se rend bien compte qu’il existe autant de
dispositions qui traduisent l’orientation vers cette nouvelle manière
de présenter le budget au niveau local. L’on peut alors distinguer
celles qui consacrent les principes de la budgétisation par
programme (A) de celles qui déterminent les acteurs impliqués dans
l’élaboration du budget (B).
A. La consécration des normes de la budgétisation par
programme
Les finances publiques reposent classiquement sur plusieurs
principes. A l’aune du budget programme, il est difficile de penser
que ces principes n’ont pas connu une certaine usure. Car, est-il
encore besoin de rappeler que la budgétisation par programme
procède d’une philosophie qui tranche avec la philosophie classique
des finances publiques. Cette dernière qui reposait en effet sur la
logique des « moyens » n’était pas mue par les exigences de
performance ou de la gestion axée sur les résultats.
La tentation est donc grande de penser qu’on puisse sonner
le glas des principes classiques des finances publiques à l’épreuve de
la logique de la budgétisation par programme. Si théoriquement cela
n’est pas concevable, il reste encore à souligner que le CGCTD a bel
et bien reconduit nombre de principes classiques (1) compatibles, du
reste à la logique de la budgétisation par programme, au même titre
qu’il a introduit des principes et règles qui soient spécifiques à ce
nouveau paradigme (2).
1. La reconsidération des principes classiques
Il faut d’ores et déjà souligner que la seule hypothèse de la
reconduction tient au fait que les principes en question soient, sinon
compatibles, du moins ne soient incompatibles, à la logique de la
budgétisation par programme. Au vrai pour l’essentiel, il s’agit des
principes qui, certes reconduits, admettent des exceptions qui les
rendent compatibles à la budgétisation par programme. Ils sont
consacrés par le Code Général des Collectivités Territoriales
Décentralisés.

196
Rafip n°6 – 2nd semestre 2019

Ainsi, en est-il du principe d’annualité budgétaire. Le Code


dispose en effet que « l’exercice budgétaire couvre une année civile »18. Il
faut tout de même souligner à ce niveau, une exception qui est
posée in fine : « (…) Toutefois, une période complémentaire allant du 1er au
31 janvier de l’année suivante est accordée aux Collectivités territoriales pour le
règlement des opérations d’ordre à la clôture de l’exercice ». L’on comprend
très vite qu’il ne s’agit pas d’une exception particulièrement liée à la
budgétisation par programme. Il faut trouver celle-ci dans la règle de
la pluri-annualité. Car, si les opérations de fonctionnement demeurent
annuelles et ont vocation à se renouveler, les opérations
d’investissement quant à elles « sont celles qui ont un impact sur le
patrimoine de la Collectivité Territoriale et peuvent être pluriannuelles »19.
Le principe de la spécialité budgétaire également est modulé
à la faveur de la logique de la budgétisation par programme. Il en est
ainsi parce que les « les crédits sont spécialisés par programme »20. La
modulation de ce principe est donc perceptible à partir de la règle de
la fongibilité21. Encore faut-il préciser que la règle de la fongibilité
est strictement encadrée par le Code à travers les articles 410, 411,
412. Dans la même logique « les crédits ouverts dans le budget de la
collectivité territoriale pour couvrir chacune de ses dépenses sont constitués
d’autorisation d’engagement et de crédits de paiement ». Les premières
« constituent la limite supérieure des dépenses pouvant être engagées au cours de
l’exercice budgétaire et dont le paiement peut s’étendre, le cas échéant, sur une
période de plusieurs années dans le cadre budgétaire à moyen terme ». Les
secondes quant à elles, c’est-à-dire les crédits de paiement « constituent
la limite supérieure des dépenses pouvant être payées pendant l’année pour la
couverture des engagements contractés dans le cadre des autorisations
d’engagement »22. A ce titre, on peut dire trivialement que l’autorisation
d’engagement peut être pluriannuelle tandis que le crédit de
paiement est nécessairement annuel.
Pour ce qui est de l’universalité et même de l’unité, il sied de
souligner que « le budget comprend deux (02) parties : la première partie est
consacrée aux recettes et la deuxième aux dépenses ». « L’ensemble des recettes
assurent l’exécution de l’ensemble des dépenses »23. Il faut dire en effet que le
principe trouve des exceptions à partir de la règle de la non-

18 Art. 375 du CGCTD.


19 Art. 389 du CGCTD.
20 Art. 410 du CGCTD.
21 Art. 410 du CGCTD.
22 Art. 411 du CGCTD.
23 Art. 389 du CGCTD.

197
compensation et de la non-affectation. En réalité, l’unité budgétaire
est également consacrée. Car, « toutes les recettes et toutes les dépenses sont
retracés dans un document unique (…) »24. Il en est de même du principe
de l’équilibre25 qui ne saurait être spécifique à la budgétisation par
programme.
2. L’introduction des règles spécifiques
A la faveur de la budgétisation par programme un corps
nouveau de règles voit le jour. Elles ne sont pas seulement relatives
à certains principes qui ont depuis lors émergés. Elles concernent
également toutes autres règles spécifiques à la logique du budget
programme.
Pour ce qui est précisément des principes introduits à la
faveur de la budgétisation par programme, on peut évoquer ici la
sincérité budgétaire et la soutenabilité budgétaire. En effet, l’on doit
le fondement de ces principes à une disposition du code qui de
façon subreptice dispose que « le contrôleur financier donne un avis sincère
et soutenable des plans d’engagement des dépenses »26. Mais, il faut savoir gré
la loi de 2018 qui demeure, pour des dispositions non compatibles,
applicable au CGCTD. De fait, la soutenabilité désigne, dans le
cadre des finances publiques, la capacité pour une Collectivité
Territoriale Décentralisée à conduire des actions sans se mettre en
danger, à honorer ses engagements financiers dans le futur, c’est-à-
dire à rester solvable. La sincérité pour sa part, réside dans
l’obligation de présenter des comptes ou un budget reflétant une
image sincère et fidèle de la situation et des perspectives
économiques et patrimoniales au regard des informations à
disposition au moment de leur élaboration. Le principe de sincérité
interdit alors de sous-estimer les charges ou de surestimer les
ressources présentées dans le budget ou dans les comptes et fait
obligation de ne pas dissimuler des éléments financiers ou
patrimoniaux.
Par ailleurs, à côté des principes nouvellement introduits à la
faveur du budget programme, il est important de présenter de
nouvelles règles qui s’accommodent à cette logique. C’est ainsi que
« le budget présente l'ensemble des programmes concourant au développement
économique, social, sanitaire, éducatif, culturel et sportif de la Collectivité

24 Art. 376 du CGCTD.


25 Art. 377 du CGCTD.
26 Art. 436 du CGCTD.

198
Rafip n°6 – 2nd semestre 2019

Territoriale »27. Aussi, « Le budget et les programmes de la Collectivité


Territoriale doivent être en cohérence avec les objectifs économiques et financiers de
l'Etat ». Plus encore, « le budget et les programmes de la Commune doivent
être en cohérence avec les programmes de la Région de rattachement ».
Egalement, « le budget est élaboré et contrôlé de manière participative, en vue
de prendre en compte les besoins exprimés et les suggestions formulées ·par les
populations »28. Ces règles créditent l’idée selon laquelle le CGCTD a
bel et bien consacré les règles relatives au budget programme.
Celles-ci n’étaient et n’auraient pu être visibles dans logique du
budget de moyen. Elles sont donc de ce fait nouvellement
introduites dans le corpus juridique applicables aux collectivités
territoriales.
En tout état de cause, le CGCTD est venu à n’en point
douter renforcer le dispositif normatif et matériel de la budgétisation
par programme à travers d’importants principes et règles qu’il
introduit. Mais le Code a également permis la consolidation de la
logique à partir de la modulation des principes classiques reconduits
dans le corps des règles applicables aux Collectivités Territoriales
Décentralisées. Pour autant, l’idée générale de la consolidation ne
saurait se limiter aux principes et règles. Elle tient également aux
différents acteurs impliqués dans la gestion du budget programme.
B. L’identification des responsables de la chaîne du
Programme
La consolidation de la budgétisation en mode programme
tient certainement de la densification du dispositif normatif. Il faut
encore préciser néanmoins que la gestion du budget programme
concerne un certain nombre d’acteurs spécifiquement identifiables
et sans lesquels, il est difficile de parler de cette logique managériale.
Car, si on ne peut parler de budget programme en faisant défaut du
programme. Consécutivement, on ne saurait parler de programme
sans responsables. Mais un Programme est une chaîne qui fait
intervenir plusieurs acteurs. Certains sont responsabilisés dans la
chaîne tandis que d’autres ne le sont pas.
Car, la désignation des Responsables de la chaîne du
Programme à elle seule ne suffit pas pour parvenir à la réalisation
des objectifs fixés. Plusieurs acteurs y interviennent alors en dehors,
dans le sens d’accompagner lesdits Responsables. Mais, il s’agit

27 Art. 386 du CGCTD.


28 Art. 386 du CGCTD.
199
précisément dans ce cadre de présenter ceux des acteurs qui
participent directement par leur rôle à mettre en évidence l’idée de la
consolidation de la budgétisation en mode programme au niveau des
Collectivités Territoriales. Autrement dit, s’il est acquis que tous les
acteurs relevant de l’administration centrale et de l’administration
locale ont une part plus ou moins importante dans le suivi ou le
contrôle du programme, l’idée à ce niveau c’est précisément de
mettre en avant la part de ceux des acteurs qui doivent leur existence
et leur rôle à la gestion même d’un programme. Il s’agit donc
essentiellement des responsables au premier rang desquels on a celui
du programme (1) qui est assisté d’autres (2).
1. La précision des modalités de désignation du
Responsable de Programme
La désignation du Responsable de programme est un
processus paradoxalement clair, mais à bien des égards complexe du
fait qu’il fait intervenir plusieurs acteurs. Car, « le responsable de
programme est désigné par décision du chef de l’Exécutif de la Collectivité
Territoriale. L’acte de désignation précise les conditions dans lesquelles les
compétences d’ordonnateur lui sont déléguées, ainsi que les modalités de gestion
du programme. Cet acte est transmis, pour information au représentant de
l’Etat, à la juridiction des comptes de rattachement, au Ministre chargé des
collectivités territoriales et au Ministre des finances »29. Il est donc évident
que le responsable de programme n’est pas n’importe qui ; autant
qu’il ne fait pas n’importe quoi au niveau de la gestion de la
Collectivité. Car, « sur la base des objectifs généraux définis dans la charte de
gestion, le responsable de programme détermine les objectifs spécifiques, affecte les
moyens et contrôle les résultats des services chargés, sous sa responsabilité, de la
mise en œuvre du programme. Il s’assure du respect des dispositifs de contrôle de
gestion »30.
A l’analyse, le responsable de programme devrait se situer au
niveau stratégique de la Collectivité Territoriale, au regard des
prérogatives importantes qui sont les siennes. Les textes précisent en
effet qu’il s’agit d’un ordonnateur délégué. La question qui se pose
est celle de savoir ce qu’on met dans le contenu de la délégation ?
Est-ce une délégation de signature ou alors une délégation de
pouvoir ? Car dans un cas comme dans l’autre le régime est
différent. Insidieusement, Le point de communion entre les deux

29 Art. 435 (1) du CGCTD.


30 Art. 435 (2) du CGCTD.
200
Rafip n°6 – 2nd semestre 2019

modalités est de mettre en présence deux autorités sur le terrain de


la même compétence. Mais l’une a la compétence originaire et l’autre
n’a que la compétence délégataire. Aussi, la délégation de signature
suppose-t-elle que l’autorité originaire peut à tout moment intervenir
dans le champ de l’autorité délégataire. Elle est courante dans les
administrations publiques, car elle permet de « décharger le déléguant
d’une partie de sa tâche matérielle en lui permettant de désigner une sorte de
fondé de pouvoir »31. Or, dans la seconde modalité, il y a lieu de
constater qu’une fois la compétence déléguée, la première autorité
ne peut plus intervenir dans le champ qui est désormais de la
compétence de la seconde. Cette considération entraine donc dans
le dernier cas une substitution de responsabilité en cas de
contentieux32.
En réalité, au regard de la complexité du système
d’informations consécutives à la désignation du responsable de
programme, ainsi que le niveau important de sa responsabilité et
même de sa liberté professionnelle, la tentation est grande de penser
à une délégation de pouvoirs. Mais, est-ce à dire alors que, aussitôt
désigné, le responsable de programme ne peut plus être déchargé de
cette responsabilité ? Il est difficile d’envisager une telle situation,
parce qu’en fin de compte, en vertu du principe du parallélisme des
formes et des compétences, il est acquis de principe, sauf autre
disposition, du reste inexistante dans le cas d’espèce, que le pouvoir
de nomination emporte pouvoir de révocation. Au plan managérial,
il reste juste à souligner que le responsable d’un programme est un
acteur important de la chaîne et un collaborateur qui bénéficie de la
confiance du chef de l’exécutif.
On est d’ailleurs fondé à se demander si le responsable de
programme peut être désigné au niveau des Conseils voire ailleurs,
c’est-à-dire en dehors même de la Collectivité Territoriale, sur la
simple base d’une compétence spécifique ? La question n’est pas
dénuée d’intérêt tant, il n’existe aucune disposition dans le Code qui
interdit une telle hypothèse voire qui de façon générale limite le
choix du Chef de l’exécutif dans la désignation. D’autant plus que,
pour l’heure, les Collectivités Territoriales Décentralisées n’ont pas
toujours la ressource humaine la plus compétente qui soit pour

31 LAUBADERE (A. de), Traité de droit administratif, Paris, LGDJ, 1984, 9e éd., t.1,
p. 331.
32 C.E, 6 déc. 1907, Compagnie des chemins de fer de l’Est et autres, Rec. 913,

concl. Tardieu.
201
piloter un programme, une action voire une activité. Le fait étant
qu’il s’agit à n’en point douté, des niveaux de responsabilités qui
exige autant des compétences techniques que des compétences
managériales.
2. L’imprécision des modalités des autres responsables
du programme
Il est important avant tout de rappeler la déclinaison d’un
programme. Aux termes du deuxième alinéa de l’article 409 du
Code, « le programme regroupe les crédits destinés à mettre en œuvre une action
ou un ensemble cohérent d’actions… »33. Dans le même sens, l’alinéa 5 du
même texte précise que « un arrêté du Ministre en charge des collectivités
territoriales fixe la nomenclature des programmes, à charge pour lesdites
collectivités de les décliner en action et activités ». L’analyse du texte autorise
à dire que, au sens du Code, le programme se décline action et en
activité. Mais en réalité et sous réserves de spécificités, rien
n’interdit, sinon tout oblige, une Collectivité à aller jusqu’au tâches
dans sa nomenclature de programme. D’autant plus que la loi de
2018 portant régime financier l’autorise. Mais surtout, il n’est pas
possible d’envisager la déclinaison du programme sans les tâches.
En effet, c’est à ce niveau que se fait en réalité l’imputation
budgétaire. La tâche représente en alors les différentes activités, au
sens littéraire, que mène la Collectivité. Ce qui signifie finalement
que c’est la tâche qui correspond à l’imputation budgétaire.
De fait, la logique de programme consiste alors tout
simplement à mettre en cohérence toutes les différentes missions
des Collectivités. Selon qu’on évolue dans une approche top down, on
consolide ces différentes missions des activités vers le programme.
C’est dans ce sens précisément que le ministère en charge des
Collectivités Territoriales Décentralisées a orienté34 les Communes
camerounaises vers l’adoption de quatre programmes-type qui se
déclinent en programme, actions, en activités et en tâches. Il s’agit
de l’Amélioration de l’offre des services sociaux de base pour le premier
Programme. Le deuxième est la promotion du développement économique et
protection de l’environnement. Le troisième est la promotion de la citoyenneté,
du sport, de la culture et appui à la jeunesse. S’il s’agit pour les trois, des
programmes opérationnels, il reste à souligner que le quatrième est

33 Art. 409 (2) du CGCTD


34 Une telle orientation est en phase avec l’article 72 du CGCTD qui traite de
l’Appui-conseil.
202
Rafip n°6 – 2nd semestre 2019

le programme support encore dénommé Gouvernance et Administration


locale35.
De fait, finalement « Un programme est un ensemble cohérent
d’actions auquel sont associés des objectifs définis en fonction des finalités
d’intérêt général ainsi que des indicateurs chiffrés permettant de mesurer les
résultats escomptés ». Pour sa part, l’action peut être conçue comme la
composante élémentaire d'un programme, à laquelle sont associés
des objectifs précis, explicites et mesurables par des indicateurs de
performance. Dans la hiérarchie des objectifs, l’action vise la
réalisation d’un objectif intermédiaire du programme dont elle est
partie constitutive. En termes de contenu, elle est un ensemble
cohérent d’activités nécessitant des ressources humaines et
financières pour la production de biens ou services. L’activité enfin
est un ensemble cohérent de tâches nécessitant des ressources
humaines, financières et matérielles pour la production d’un bien ou
d’un service. Une activité doit être confiée à une seule unité
administrative qui devient responsable de sa réalisation. Cependant,
une unité administrative peut être responsable de plusieurs
activités36. Dès lors, à la tête de chaque pallier de la chaîne, on a un
responsable.
Au-delà, si le Code précise quelques modalités qui
accompagnent la désignation du responsable de programme, tel
n’est pas le cas chez les autres responsables. Mais directement
affectés dans un programme, il est important que leur désignation
procède au moins sinon de la responsabilité entière du responsable
de programme, qui doit atteindre des objectifs précis, du moins de
sa proposition au Chef de l’Exécutif qui finalement a un rôle
important dans le suivi du programme. L’imprécision tient alors
essentiellement de l’inexistence des dispositions explicites dans le
Code Général des Collectivités Territoriales Décentralisée. Dans
tous les cas, cette imprécision ne saurait remettre en question l’idée
générale qui est celle de la consolidation de la budgétisation en mode
programme. Celle-ci trouve d’ailleurs en la revalorisation du cadre
logique, du budget programme un complément indéniable.

35 Pour plus de précision sur les définitions, v. Guide d’élaboration et d’exécution du


budget programme dans les CTD.
36 Ibid.

203
II. La revalorisation du cadre logique
Le besoin est réel de préciser initialement que l’idée de
revalorisation ne doit pas être perçue au sens axiologique. Il s’agit de
mettre davantage en avant la dimension normative et positive.
Autrement dit, la logique de la budgétisation par programme s’est
densifiée et même précisée avec le Code Général des Collectivités
Territoriales Décentralisées.
Au-delà, il est admis aujourd’hui que la budgétisation par
programme est un outil important de la Gestion Axée sur les
Résultats. Il s’agit alors d’une technique qui a un dessein : l’atteinte
des résultats. Mais il s’agit des résultats qui reposent sur le triptyque
efficacité, efficience et économie. C’est ce qu’on appelle alors
l’exigence de performance. En sorte que sans cette exigence dans la
chaîne de résultats impulsé par la logique de la budgétisation par
programme, la tentation est grande de penser qu’il n’y a point à
proprement parler de changement si ce n’est la présentation du
budget qui passerait de la budgétisation par nature à la budgétisation
par programme37.
Au-delà, l’exigence de performance (B) est réalisable dans la
gestion de la Collectivité Territoriale à travers la budgétisation par
programme à partir du moment où un travail préalable s’est fait.
C’est précisément ce qui sied d’appeler la chaîne PPBS c’est-à-dire,
la chaîne de Planification, de Programmation de Budgétisation et de
Suivi-évaluation. Ce qui signifie simplement que son inscription (A)
dans le Code participe à renforcer l’idée générale de la consolidation
de la budgétisation au niveau local.
A. L’aménagement de la chaîne PPBS
L’une des constances aujourd’hui qui existe dans le Code
Général des Collectivités Territoriales Décentralisées est l’arrimage
du budget de la Collectivité à la Chaîne de la Planification,
Programmation, budgétisation et Suivi-évaluation. Il faut dire
pourtant qu’il y a peine à la retrouver dans la loi de 2009 portant
régime financier des Collectivités Territoriales Décentralisées. Ce
n’est qu’en fait par l’interprétation des textes38 à portée générique,
applicables aussi bien à l’Etat, aux Etablissements publics qu’aux

37 Ce qui ne sous-entend pas que l’une ne soit possible avec l’autre.


38 C’est le cas notamment de la loi de 2007 sur le régime financier de l’Etat et les
lois de 2018 sur la bonne gouvernance d’une part et sur le régime financier d’autre
part.
204
Rafip n°6 – 2nd semestre 2019

Collectivités qu’on peut voir une telle logique dans le cycle du


budget. Il importe tout de même de procéder préalablement à la
déclinaison de la chaîne avant de montrer la cohésion avec la
budgétisation en mode programme.
En effet, lorsqu’on parle de la chaine PPBS, en réalité c’est
qu’il s’agit d’un cycle. La première étape est la planification. De fait
on peut la définir comme étant « un processus permettant de définir les
objectifs, d’élaborer les stratégies, de tracer les grandes lignes des dispositions de
mise en œuvre et d’attribuer les ressources nécessaires à la réalisation de ces
objectifs ». Juridiquement, la planification « est du ressort des collectivités et
des communautés de base et de ce fait traduit les aspirations, les besoins des
populations tout en prenant en compte les grandes orientations nationales et
sectorielles. Elle permet de définir les orientations du développement local,
d’identifier les objectifs et les priorités de développement et enfin de déterminer les
conditions et les moyens de réalisation de ces objectifs de développement
(mobilisation sociale, mobilisation des moyens financiers, organisation
institutionnelle…) »39. De façon technique, le processus aboutit à la
mise sur pied des documents qu’on qualifie de Documents de
planification. Ces derniers sont bien précisés dans le Code Général
des Collectivités Territoriales Décentralisées. C’est le cas notamment
au niveau Communal et régional des Plans Communaux de
Développement40. En effet, « les plans communaux et régionaux de
développement et les plans d’aménagement du territoire sont élaborés en tenant
compte des plans de développement et d’aménagement nationaux »41.
La programmation quant à elle consiste à inscrire dans des
documents de cadrage, les projets ou activités qui ont été répertoriés
dans les documents de planification afin de pouvoir, selon les
priorités et les orientations stratégiques de la Collectivité en rapport
avec celles de l’Etat globalement et spécifiquement celles de la
Région quand on se situe au niveau communal. Raison suffisante s’il
en est, pour souligner que la programmation est donc
nécessairement dans la continuité de la planification et constitue la
deuxième étape de la chaîne PPBS. Car, « Le Cadre de dépense à moyen
terme (…) est établit en tenant compte du plan de développement de la
Collectivité Territoriale concernée, préalablement adopté par l’organe

39 V. Guide d’élaboration…
40 Art. 40 (2) du CGCTD, art. 158 du CGCTD, art. 168 du CGCTD, art. 269 du
CGCTD.
41 Art. 76 (2) du CGCTD

205
délibérant »42. C’est le lieu de dire que le cadrage budgétaire est inscrit
dans deux principaux Documents. Il s’agit notamment du Cadre
Budgétaire à Moyen Terme (CBMT) et du Cadre de Dépense à
Moyen Terme (CDMT)43. C’est ainsi que « chaque année, l’organe
exécutif de la Collectivité Territoriale établit un cadre budgétaire à moyen terme
définissant, en fonction d’hypothèse économiste réaliste, l’évolution sur une période
minimale de trois (03) ans (…) »44. Et c’est « sur la base de ce cadre
budgétaire à moyen terme et dans les limites qu’il fixe, l’organe Exécutif de la
Collectivité Territoriale établit le cadre de dépense à moyen terme (CDMT),
décomposant, sur une période minimale de trois (03) ans, les grandes catégories
de dépenses publiques locales ».45
A la suite de la programmation il faut évidemment
budgétiser, c’est-à-dire inscrire dans le budget les projets et activités
qu’on doit finalement exécuter pendant l’année budgétaire. Mais la
budgétisation n’est possible qu’à partir du moment où on se réfère
aux documents de programmation qui vont justement orienter la
rétention des projets à exécuter en année N. Quitte à ce que, selon le
niveau de ressource l’on puisse faire glisser ou reporter un projet de
l’année N en année N+1 voire en année N+2. Finalement, le
programme étant disséqué en Actions, Activités et Tâches, il s’agit
alors en réalité de budgétiser les tâches d’un programme suivant que
le projet est annuel ou pluriannuel. La cohérence apparait alors très
vite entre la programmation et la budgétisation ce sens que « le budget
de la Collectivité Territoriale adopté et approuvé doit être conforme à la première
année du cadrage à moyen terme, tel qu’arrêté à l’occasion du Débat
d’orientation budgétaire »46. Car, est-il encore besoin de souligner que le
débat d’orientation budgétaire procède de la mise à disposition par
l’organe Exécutif à l’organe délibérant avant le 1er août de chaque
année des documents de cadrage à moyen terme, voire d’un rapport
sur la situation économique régionale ou locale ainsi que du niveau
d’exécution du budget de l’exercice en cours47.
En fin la chaîne PPBS s’achève sur le Suivi-Evaluation du
budget finalement voté. En réalité, dans la logique de la
budgétisation en mode programme, il s’agit de fait du Suivi-
Evaluation des programmes. A cet effet pour le Code, « dans les

42 Art. 373 (3) du CGCTD.


43 Art. 373 du CGCTD.
44 Art. 373 (1) du CGCTD.
45 Art. 373 (2) du CGCTD.
46 Art. 374 (3) du CGCTD.
47 Art. 374 (1) du CGCTD.

206
Rafip n°6 – 2nd semestre 2019

limites des moyens disponibles, le Conseil Municipal peut créer des comités de
quartier ou de village au sein des communes » qui en fait, « sont des cadres de
concertation qui visent à favoriser la participation des populations (…) au suivi
des programmes et projets communaux… »48. Mais à la vérité, l’on ne
saurait se limiter à cette seule disposition du Code pour penser le
Suivi-Evaluation au niveau local. Il faut d’ores et déjà se rappeler
encore que le Suivi « consiste à collecter et à analyser systématiquement
l’information pour suivre les progrès réalisés par rapport aux plans établis, et à
vérifier leur conformité avec les normes établies. Il permet d’identifier les
tendances et les schémas qui se dessinent, d’adapter les stratégies et de guider la
prise de décisions relatives à la gestion du projet/programme ». Pour sa part,
l’Evaluation est « une appréciation qui vise à identifier les effets de ce qui a été
réalisé, qui s’interroge à leur sujet et en estime la valeur. Une appréciation
systématique et objective d’un projet, d’un programme ou d’une politique, en
cours ou terminée, de sa conception, de sa mise en œuvre et de ses résultats. Le
but est de déterminer la pertinence et l’accomplissement des objectifs, l’efficience en
matière de développement, l’efficacité, l’impact et la durabilité. Une évaluation
devrait fournir des informations crédibles et utiles permettant d’intégrer les leçons
de l’expérience dans le processus de décision des bénéficiaires et des bailleurs de
fonds »49. C’est dire en réalité que « le système de suivi-évaluation (dispositif
de suivi-évaluation) est l’ensemble des processus de planification, de collecte,
d’analyse et de synthèse d’informations, et de reportage, ainsi que les conditions et
les capacités nécessaires pour que les extrants du suivi-évaluation contribuent au
processus de prise de décision et d’apprentissage »50.
Au regard de ces clarifications, il est important de souligner,
à la lecture du Code, que le Suivi-Evaluation met aux prises
plusieurs acteurs en commençant par le Responsable de Tâches
jusqu’au responsable du Programme. Bien plus, il concerne
également les autorités stratégiques au niveau local à savoir
l’Exécutif et l’organe délibérant, ainsi que les autorités relevant de
l’administration centrale déconcentrée ou de l’Administration d’Etat.
Il y va en réalité du respect des exigences de performance qui du
reste, ne sont pas moins consolidées dans le Code.
B. L’affinement de l’exigence de performance
Il faut finalement se rendre à l’évidence que la chaine PPBS
est le substrat même de la logique de la budgétisation en mode

48 Art. 182 (2) du CGCTD.


49 V. OCDE/CAD 2002 repris par le Manuel de Suivi-Evaluation de la performance des
Collectivités Territoriales Décentralisées du Cameroun, p. 7.
50 Ibid.

207
programme. Mais la finalité de logique est l’exigence de
performance. A ce titre, le CGCTD n’en a pas fait une exigence
vaine et creuse. Il présente spécifiquement les objectifs de
performance à réaliser sur la base de certains outils. Il s’agit
notamment du Projet Annuel de Performance (1) et du Rapport
Annuel de Performance (2).
1. L’indication dans le Projet Annuel de Performance
Avant toute chose il faut souligner que la logique de la
budgétisation par programme ne s’accommode pas autrement de
l’élaboration d’un projet de budget amputé du Projet Annuel de
Performance. C’est ici une autre rupture importante qu’il faut établir
avec la logique classique d’élaboration du budget. C’est donc à juste
titre qu’on comprend le changement de paradigme entre les moyens et
les résultats. En effet, l’atteinte des résultats est tributaire des objectifs
que la Collectivité se fixe au début de l’exercice budgétaire. Ces
objectifs sont alors consignés dans un document appelé Projet de
Performance Annuel de la Collectivité.
En son article 419 (1), le Code dispose que « le projet annuel de
performance annuel de la Collectivité Territoriale annexé au projet de budget,
présente pour chaque programme, les objectifs poursuivis et les résultats attendus,
mesurés au moyen d’indicateurs d’activités et de résultats »51. Il s’agit alors
d’une sorte d tableau de bord de tous ceux qui interviennent dans la
chaîne du contrôle voire du Suivi-Evaluation des Programmes. Car
c’est sur cette seule base qu’il est possible d’avoir une idée
suffisamment précise sur ce qui doit être fait par la Collectivité. Le
Projet Annuel de Performance est « élaboré par les responsables de
programme désignés (…) sous l’autorité du chef de l’Exécutif »52. Il s’agit en
réalité d’une volonté affiché du législateur de responsabiliser, si cela
devait encore être précisé, les acteurs de la déclinaison du
Programme.
Le Projet Annuel de Performance est donc nécessairement
un document annexé au projet de budget devant être soumis à
l’adoption et à validation. Car, « Est joint au projet de budget, un rapport
sur la situation et les perspectives économiques et sociales de la Collectivité
Territoriale ». Le rapport en question présente notamment « (…) des
annexes explicatives indiquant par programme, le montant des crédits présentés
par titre pour le compte de l’année considérée, ainsi qu’à titre indicatif au cours

51 Art. 419 (1) du CGCTD.


52 Art. 419 (2).
208
Rafip n°6 – 2nd semestre 2019

des deux années suivantes. Ces annexes sont accompagnés du projet de


performance annuel »53.
En clair, le Projet de Performance Annuel est l’intrant à
partir duquel l’on doit être capable de mesurer la performance d’une
Collectivité Territoriale. Mais pour parvenir encore à cette mesure, il
faudrait sortir par un Rapport Annuel de Performance.
2. L’évaluation à partir du Rapport Annuel de
Performance
Le CGCTD a certainement mis un point d’honneur sur la
performance dans la gestion des Collectivités Territoriales
Décentralisées. Il ne s’agit donc pas de produire seulement un
document en aval qui est le Projet de Performance Annuel.
En effet, en fin d’exercice budgétaire, le législateur oblige les
ordonnateurs à produire un Rapport Annuel de Performance sur la
base du fondement de l’article 467 (1). Il dispose en substance : « les
ordonnateurs sont astreints à la production (…) d’un rapport annuel de
performance sur les programmes »54. Il n’est pas sans intérêt de se
demander si l’obligation pèse également sur l’ordonnateur délégué
compte tenu du fait que le Code n’en fait pas réellement une
précision55. Peut-on alors invoquer ici la maxime ubi lex non distinguit
nec nos distinguere debemus ? La réponse à cette question doit être en
réalité nuancée. En réalité, rien n’interdit le Responsable de
Programme, du reste ordonnateur délégué, à produire pour son
Programme un Rapport Annuel de Performance. Cela est même
recommandable dans une démarche de cohérence et de
responsabilisation. Le problème demeure celui de savoir si
l’obligation de l’article 467 s’adresse également aux Responsables de
Programmes ? L’on craint de devoir répondre par la négative. Car, il
s’agit en définitive de produire un seul Rapport annuel de
Performance.
Il faut d’ailleurs indiquer que le législateur précise clairement
le contenu du Rapport Annuel de Performance. Concrètement, « le

53 Art. 418 (2) CGCTD.


54 Art. 467 (1) du CGCTD.
55 Le code se contente de souligner que « le rapport annuel de performance est produit par

les responsables de programme sous l’autorité du Chef de l’exécutif de la Collectivité


Territoriale ». On constate donc à la lecture que rien n’est précis sur le fait que
chaque Responsable de Programme puisse produire son Projet de Performance
Annuel spécifique à son Programme quitte à ce que ces derniers soient consolidés
dans un Projet de Performance Annuel global de la Collectivité.
209
rapport annuel de performance présente, pour chaque programme, les résultats
obtenus comparés aux objectifs fixés, les actions développées et les moyens utilisés,
accompagnés d’indicateurs d’activités et de résultats, ainsi que d’une estimation
des coûts des activités et des services rendus »56.
Au-delà, la démarche du législateur dans l’option de la
définition de la performance se veut consensuelle. A ce titre
d’ailleurs, il faut souligner le critère de la participation citoyenne à
l’action communale et régionale. Car faut-il le rappeler « toute personne
physique ou morale peut formuler, à l’intention de l’exécutif Communal ou
Régional, toutes propositions tendant à impulser le développement de la
Collectivité Territoriale concernée ou à améliorer son fonctionnement »57. C’est
donc à ce titre que le deuxième alinéa de l’article 40 du Code dispose
que « tout habitant ou contribuable d’une Collectivité Territoriale peut, à ses
frais, demander communication ou prendre copie totale ou partielle des procès-
verbaux des organes délibérants, des (…) rapports annuels de performance (…)
suivant des modalités fixés par voie réglementaire »58.
Au demeurant, le processus est résolument enclenché. Les
Collectivités Territoriales Décentralisées sont formellement arrimés
à la budgétisation en mode programme. L’on peut craindre que cela
n’ait pas toujours été le cas avant la promulgation du Code Général
des Collectivités Territoriales Décentralisées. A la vérité, avant ce
texte, le constat est celui du caractère épars des textes qui pour
certains qui sont spécifiques aux collectivités, évoquent au passage la
présentation de leur budget par programme, sans jamais adjoindre
les outils et la logique de la budgétisation par programme et pour
d’autres qui sont génériques ne relèvent pas toujours à loisir la
spécificité de ces Collectivités59. Un tel constat dévalorisait in fine la
démarche, le fondement et même la logique de la budgétisation en
mode programme. C’est à ce titre qu’il faut savoir gré le législateur
de 2019 qui a procédé non seulement à la codification du régime
général et financier des Collectivités Territoriales Décentralisée et
par le même truchement à la consolidation de la budgétisation en
mode programme.

56 Art. 467 (2) du CGCTD.


57 Art. 40 (1) du CGCTD.
58 Art. 40 du CGCTD.
59 Supra.

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Rafip n°6 – 2nd semestre 2019

LEGISLATION, BIBLIOGRAPHIE ET
INFORMATIONS

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Rafip n°6 – 2nd semestre 2019

BIBLIOGRAPHIE CRITIQUE

Long Christ P. NKOUAYEP, Les pouvoirs parlementaires


d’autorisation budgétaire en droit camerounais, Thèse de
doctorat/Ph. D en Droit public, Université de Yaoundé II, 2019,
284 p.
Cette thèse de Doctorat, préparée sous la direction du
Professeur Gérard PEKASSA NDAM, s’inscrit dans un contexte de
crise de l’institution parlementaire, de remise en question de la
compétence parlementaire, de son assimilation à une chambre
d’enregistrement, à une caisse de résonnance et même du désir pour
les plus radicaux de voir sa suppression pure et simple. Pour
Monsieur NKOUAYEP, si cette dernière hypothèse n’est pas une
option envisageable pour nous, il n’en demeure pas moins
qu’aujourd’hui, l’on ne saurait nier l’idée que l’institution
parlementaire est dans une situation inconfortable, encore plus en
matière budgétaire donnant ainsi le sentiment que l’autorisation
budgétaire n’a plus sa place.
En tout état de cause, cette posture n’est pas très loin de
l’hypothèse défendue par l’auteur. En jetant un regard approfondi
sur les différents textes qui gouvernent le travail parlementaire, la
thèse contribue à l’étude des pouvoirs parlementaires d’autorisation
budgétaire en droit camerounais. On se souvient de ce que dans
l’exposé des motifs du projet de loi n°814/PJL/AN portant régime
financier de l’Etat, il était fait mention d’un besoin de rénovation du
cadre financier, budgétaire et comptable de l’Etat. L’accent était
également mis sur « un contrôle parlementaire rénové ». Cette volonté fut
réaffirmée lors de l’adoption de la loi n°2018/012 du 11 juillet 2018
portant régime financier de l’Etat et des autres entités publiques.
Cette rénovation remonte en réalité aux années 1990 avec la réforme
constitutionnelle du 18 janvier 1996 qui constitue le point de départ
de la réflexion menée par l’impétrant. Il démontre que malgré la
récurrence et la constance de ces réformes, les pouvoirs
parlementaires d’autorisation budgétaire demeurent fortement
ligotés en droit camerounais.
213
Par une méthode juridique ayant accordé la part belle à la
dogmatique, Monsieur NKOUAYEP a scruté la législation
camerounaise, les textes communautaires CEMAC, les textes
internes aux formations politiques et même quelques législations
étrangères pour aboutir aux résultats de cette recherche.
Pour y arriver, une question centrale a été posée : qu’est ce
qui caractérise les pouvoirs parlementaires d’autorisation budgétaire
en droit camerounais ? Il apparait qu’à l’observation des solutions
normatives, des contributions doctrinales et de la pratique
institutionnelle, les pouvoirs parlementaires d’autorisation
budgétaire en droit camerounais sont caractérisés par la relativité. A
cet effet, la démonstration a consisté à affirmer qu’on observe un
pouvoir de modification encadré et un pouvoir d’adoption fragilisé.
Malgré l’appréciation positive que l’on peut avoir de la
qualité de la construction et des développements du travail, la
démonstration reste perfectible. En soutenant dans la première
partie de la thèse que le pouvoir de modification est encadré,
l’impétrant l’a expliqué par l’idée que cet encadrement est
perceptible à deux niveaux notamment la limitation du champ et la
limitation du temps de modification. L’argument manque de
logique : on ne peut pas parler du temps uniquement au niveau du
pouvoir de modification, car il est important d’envisager également
la dimension temporelle ailleurs notamment dans l’exercice du
pouvoir d’adoption. La seconde partie démontre que le pouvoir
d’adoption est fragilisé en retenant deux arguments à savoir la
rationalisation et la cohésion partisane. Cette démarche est
critiquable. On ne peut pas cantonner les instruments tels que
rationalisation et la cohésion partisane au seul pouvoir d’adoption,
car ces instruments influencent également le pouvoir de
modification. La bonne option aurait été de justifier dans les titres la
décision d’évoquer ces deux instruments uniquement dans l’exercice
du pouvoir d’adoption.
Par ailleurs, il est regrettable que dès l’entame de sa thèse,
Monsieur NKOUAYEP n’ait pas jugé utile de consacrer quelques
développements à la théorie de la séparation des pouvoirs. A
214
Rafip n°6 – 2nd semestre 2019

l’évidence, l’impasse sur cette question, véritable ancrage théorique


de la présente thèse réduit qualitativement la démonstration. Dans
l’ensemble, le candidat fait preuve d’un déficit théorique assez
frappant. Il a souvent sevré sa plume, d’où la modestie quantitative
du document.
Prof. Patrick ABANE ENGOLO

********************************

Janvier FERMOSE, Le juge fiscal : contribution à l’étude des


caractéristiques du juge fiscal en droit camerounais, Thèse de
Doctorat/Ph. D en Droit public, Université de Ngaoundéré, 2019,
564 pages.
Cette thèse de Doctorat (préparée sous la direction des
Professeurs Gérard PEKASSA NDAM et Stève Thiery
BILOUNGA, soutenue à l’Université de Ngaoundéré) témoigne
d’un très important effort d’analyse de la notion de juge fiscal, l’une
des notions les plus complexes et les plus discutées du contentieux
fiscal, ce d’autant plus que le juge est multiple et le fiscal est sans
contours et sans contenu financier déterminés. Alors que la doctrine
camerounaise est déficitaire sur le sujet, le contentieux fiscal
contemporain présente l’étonnante particularité, du fait de son
autonomie, d’être toujours à la recherche d’un juge qui puise lui
offrir le confort d’une justification.
L’étude porte alors sur la question des singularités des juges
intervenant dans le contentieux fiscal camerounais. Monsieur
FERMOSE formule la problématique : quelles sont les
caractéristiques du juge fiscal camerounais ? L’hypothèse retenue est
celle d’un juge de type particulier, original et présentant des
caractères distincts dans notre système juridictionnel. A la lumière
du système normatif et de la jurisprudence fiscale, le juge fiscal
apparaît comme un juge à la fois diversifié et spécifié.
D’une part, la diversité du juge fiscal repose sur un double
plan : organique et procédural. Sur le plan organique, comme organe

215
juridictionnel, le juge fiscal se greffe tout d’abord sur la traditionnelle
dualité organique (juge fiscal administratif et juge fiscal judiciaire).
Ensuite, au-delà de ce dualisme, la notion de juge fiscal s’est enrichie
avec l’intervention des nouveaux juges fiscaux (constitutionnel et
communautaire) due, ces dernières années, au développement du
contentieux de la responsabilité du fisc et du contentieux de
l’annulation en matière fiscale. Mais, l’analyse ici n’est pas exempt de
critique : où est le rapport entre les juges constitutionnel et
communautaire d’une part, et la responsabilité du fisc et le
contentieux de l’annulation en matière fiscale d’autre part ? On aurait
pensé plutôt à ces juges comme nouveaux juges fiscaux, avec la
montée du contrôle de constitutionnalité des lois fiscales ainsi que la
garantie des droits fondamentaux des contribuables d’une part, et le
contentieux de l’application des normes fiscales communautaires
d’autre part.
En sus, comme organe administratif, le fisc se présente
comme une administration-juge fiscal, un juge fiscal « sui generis »
matériellement indiscutable mais formellement imparfait. Sur le plan
procédural, le juge fiscal, organe juridictionnel suit une procédure soit
spécifiquement fiscale, soit non spécifiquement fiscale ; par contre,
l’administration-juge fiscal applique une procédure quasi-
juridictionnelle, particulière qui l’aménage tantôt comme un juge
fiscal préalable, tantôt comme un juge concurrent au juge fiscal
administratif et judiciaire.
D’autre part, la spécificité du juge fiscal réside dans sa
double dimension matérielle et fonctionnelle. Sous le prisme matériel, il
y a de juge fiscal que parce qu’il y a un litige fiscal en cause. Le juge
fiscal apparaît alors soit comme un juge du litige spécifiquement
fiscal, soit comme un juge du litige non spécifiquement fiscal. Dans
le premier cas, le litige fiscal est de la compétence exclusive du juge
de l’impôt : c’est là que survient la nuance entre juge fiscal et juge de
l’impôt. Dans le second cas, le juge fiscal est le juge fiscal de droit de
commun intervenant dans le litige non spécifiquement fiscal. Sous le
prisme fonctionnel, l’office du juge fiscal reste largement prouvé tant
dans la juris-dictio que dans la juris-latio. Le juge fiscal camerounais

216
Rafip n°6 – 2nd semestre 2019

apparaît à la fois comme un juge-clarificateur et un juge-


constructeur du droit fiscal substantiel et processuel. Si la fonction
de création du droit par le juge fiscal camerounais semble plus
originale que celle de diction, son office demeure appréciable et
critiquable autant dans sa mise en œuvre que dans son rendu.
Cependant, la spécificité ici c’est par rapport à quoi ? L’on
sait qu’à chaque fois que l’on parle de spécificité d’un objet ou d’une
chose ce ne devrait être que par rapport à un autre objet ou une
autre chose. La spécificité ne peut donc être clairement démontrée
qu’à partir d’une comparaison implicite. Au cas contraire on a du
mal à comprendre pourquoi l’on parle de spécificité matérielle et
fonctionnelle. Ce serait une affirmation gratuite.
Malgré les choix de la construction cohérents dans
l’ensemble, on peut relever un décalage perceptible entre le concept
initial et les articulations essentielles de cette démonstration (pages
172 à 184). De même, la ligne de démarcation entre le référé
administratif et le référé fiscal dont est saisi le juge fiscal demeure
très fragile (pages 185 à 197). Ensuite, il est possible d’observer que
la frontière entre le contentieux spécifiquement fiscal et le
contentieux non spécifiquement reste mince dans le contentieux de
recouvrement et le contentieux de la responsabilité du fisc. La
catégorisation opérée par l’auteur de la thèse est compréhensible
mais reste discutable. Enfin, il n’est pas suffisamment tenu compte
de l’office du juge judiciaire fiscal dans le contentieux fiscal
camerounais, la jurisprudence fiscale administrative semble
beaucoup plus abondante (page 349 et suivants).
A tout considérer, l’impétrant démontre que les
caractéristiques du juge fiscal s’avèrent difficilement déchiffrables ;
la tâche est peut-être plus malaisée en contentieux fiscal. Partant de
ce constat, il a pu découvrir que la complexité attachée au concept
de juge d’un type particulier tient probablement à sa difficulté
notionnelle qui est souvent à l’origine d’approches fractionnées,
partielles voire controversées. Le juge fiscal est donc une notion
générique qui englobe à la fois le juge du contentieux
spécifiquement fiscal et celui du contentieux non spécifiquement
217
fiscal. Il préconise alors que les compétences du juge fiscal soient
davantage clarifiées, les procédures fiscales contentieuses et même
les procédures administratives fiscales, à leur tour, nécessairement
simplifiés.
Prof. Lionel Pierre GUESSELE ISSEME.

********************************

Guy Arsène NYANGOE, Le financement des budgets des


personnes publiques par les titres publics en zones CEMAC
et UEMOA, Thèse de Doctorat/Ph. D en Droit public, Université
de Yaoundé II, 2019, 352 pages.
Monsieur Guy Arsène NYANGOE a soutenu, sous la
direction de Gérard PEKASSA NDAM, Professeur Titulaire, sa
thèse en vue de l’obtention du Doctorat/Ph. D de l’Université de
Yaoundé II. Son travail se situe dans le cadre des recherches initiées
en vue de trouver une solution, à l’épineux problème des Etats en
développement, émergents et même développés, à savoir les
difficultés d’approvisionnement des budgets publics en ressources
financières nécessaires à la satisfaction des besoins d’intérêt général,
eu égard à l’insuffisances des ressources propres des personnes
publiques.
Titillant les finances publiques internes et internationales,
l’auteur se propose d’étudier, grâce à une problématique pertinente,
les mécanismes de financement des budgets publics dans les espaces
communautaires CEMAC et UEMOA.
La problématique centrale retenue par Monsieur
NYANGOE est formulée ainsi qu’il suit : « Comment s’opère le
financement des budgets des personnes publiques au moyen des titres publics en
zones CEMAC et UEMOA ? ». La réponse à cette question simple se
dégage clairement à travers l’hypothèse de travail choisie : « Le recours
au financement via les marchés monétaires et financiers au moyen des titres
publics s’appuie sur des procédures à la fois générales et spécifiques à chaque
catégorie de personne et de titre émis ».

218
Rafip n°6 – 2nd semestre 2019

Sûr de sa méthode éminemment juridique dans sa


principale variante dogmatique, laquelle n’occulte néanmoins pas la
mobilisation secondaire du droit comparé et de la sociologie du
droit, l’impétrant organise son travail de manière classique, en deux
grandes parties. Le plan binaire construit autour des idées-forces
permet de saisir d’un simple coup d’œil les enjeux de la recherche
entreprise. Premièrement, l’impétrant démontre que la décision de
recourir aux titres publics pour financer les budgets des personnes
publiques repose préalablement sur sa formulation et sur sa
formalisation respectivement dans des instruments spécifiques aussi
bien dans les Etats membres de la CEMAC et que dans ceux de
l’UEMOA. Deuxièmement, il analyse l’aménagement de ladite
décision aussi bien sur le plan juridique que sur le plan financier
lors de la mise en circulation et dans la gestion des titres publics
émis.
En réalité, il transparaît de manière sous-jacente l’idée de
dynamique qui encadre les procédures de gestion des titres. D’abord
parce que l’étude met en exergue une quasi-identité des règles
procédurales communautaires et nationales qui justifient la décision
de recourir aux marchés des titres publics en vue du financement
des budgets des personnes publiques. Ensuite parce qu’elle permet
d’analyser les aménagements effectués par les acteurs du processus
budgétaire et des marchés en vue de l’application de ladite décision.
Cela étant, de nombreux points et interrogations n’ont pas
été élucidés. Monsieur NYANGOE n’a explicité tous les outils
d’objectivation mobilisés. La conditionnalité inhérente aux
programmes d’ajustement structurel prescrivait-elle le non-recours
aux titres publics par les Etats engagés ? L’assistance financière
internationale exclut-elle la mobilisation par l’Etat en
développement des mécanismes de financement budgétaire par
titres publics ?
Par ailleurs, on note avec regret l’absence d’un véritable
ancrage sociologique dans la conduite des travaux du fait des
descentes limitées sur le terrain malgré l’évocation de la sociologie
du droit comme support méthodologique. Il en est de même du
219
déficit de densité du contentieux sur les marchés monétaires et
financiers.
Prof. Stève Thiery BILOUNGA

220
www.rafip.org ISSN 2510-1994 Editions Scidev Afrique

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